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L’IDENTITÉ RELIGIEUSE AU SEIN DE L’ADVENTISME (1850-2006)
© L’Harmattan, 2011 5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-54471-0 EAN : 9782296544710
Maurice VERFAILLIE
Docteur ès Science des Religions
L’IDENTITÉ RELIGIEUSE AU SEIN DE L’ADVENTISME (1850-2006)
Préface du professeur Richard Friedli
Religions et Spiritualité
dirigée par Richard Moreau,
Professeur émérite à l'Université de Paris XII et André Thayse, Professeur émérite à l'Université de Louvain
La collection Religions et Spiritualité rassemble divers types d’ouvrages : des études et des débats sur les grandes questions fondamentales qui se posent à l’homme, des biographies, des textes inédits ou des réimpressions de livres anciens ou méconnus. La collection est ouverte à toutes les grandes religions et au dialogue inter-religieux. Dernières parutions Philippe BEITIA, Les traditions concernant les personnages de la Bible dans les martyrologes latins, 2011. Dr Francis WEILL, Dictionnaire alphabétique des psaumes, 2011. Céline COUCHOURON-GURUNG, Les Témoins de Jéhovah en France. Sociologie d’une controverse, 2011. Pierre HAUDEBERT, Théologie lucanienne. Quelques aperçus, 2010. Pierre EGLOFF, La Messe sur l'univers. Les Nourritures du Ciel et de la Terre, 2010. Marie LUCIEN, 10 maîtres de vie dans la Bible, 2010. Philippe BEITIA, Le baptême et l'initiation chrétienne en Espagne du IIIe au VIIe siècle, 2010. Michel GIGAND, Michel LEFORT, Jean-Marie PEYNARD, José REIS et Claude SIMON, La sortie de religion, est-ce une chance ?, 2010. Francis LAPIERRE, Saint Luc en Actes ?, 2010. Georges BONDO, Analogie de l'Avent. Transcendance de l'extériorité et critique anthropologique, 2010. André THAYSE, Dieu caché et Réel voilé. L'une et l'autre Alliance, 2010. NGUYEN DANG TRUC, Bouddha, un contemporain des Anciens Grecs, 2010, Philibert et Dominique SECRETAN, Fêtes et raisons. Pages religieuses, 2010. Roger BENJAMIN, Nature et avenir du christianisme, 2009.
Cette thèse de doctorat, approuvée par la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg, Suisse, a été soutenue par l’auteur dans le cadre de la chaire de Science ès religions, en partie prenante avec les Sciences sociales et l’Histoire contemporaine de cette Faculté.
à mon épouse, Irène, pour sa patience, son support et ses remarques judicieuses à mes filles, Anita et Mylena, à leurs maris, Thierry et Laurent,
Préface Richard Friedli Professeur en Science des Religions Université de Fribourg En 1995, Maurice Verfaillie a formulé pour la première fois son projet d’élaborer, dans le cadre de la sociologie comparée des religions, le profil adventiste dans un monde en train de se globaliser. A ce moment, ni sa thématique ni la méthodologie correspondante de sa recherche doctorale n’étaient encore bien délimitées. Les coordonnées en science des religions En effet, la convergence entre, d’une part, ses matériaux et expériences personnelles et, d’autre part, des perspectives et des options académiques s’est mise en place au fur et à mesure que les discussions exploratoires entre Monsieur Verfaillie et moi-même avançaient. Par contre, en ce qui concerne les coordonnées méthodologiques à l’intérieur desquelles les analyses de l’actualité adventiste auront à s’inscrire, deux données de base de l’histoire et de la sociologie des religions n’étaient pas sujettes à discussion: (1) le contrôle systématique de la distinction entre d’une part la subjectivité et la foi du chercheur et, d’autre part, l’objectivité du phénomène religieux à décrire, et (2) la distance méthodologique entre l’observation extérieure de la réalité religieuse et sa saisie participative de l’intérieur par l’observateur. Or la formation de base de Maurice Verfaillie est celle d’un théologien adventiste et son expérience est celle d’un pasteur au sein de l’Église adventiste. Une des tâches importantes du doctorant Maurice Verfaillie a donc été d’entrer dans la logique de l’historien et du sociologue des religions - une ascèse intellectuelle pas toujours aisée à exercer. (1) Comme je viens de le signaler, distinguer rigoureusement la subjectivité du chercheur et l’objectivité du fait religieux est considéré comme un acquis épistémologique incontournable en science des religions. La neutralité académique et son label de scientificité exigent donc que la recherche universitaire soit libérée de tout intérêt subjectif - un intérêt qui distord la saisie du réel et du vrai. (2) Ainsi donc, dès les premiers séminaires qui introduisent aux méthodologies en histoire et en sociologie des religions - analyse de textes, observation participante, enquête de terrain, approches quantitatives et qualitatives, méthodes d’interviews, comparaisons - il s’agit de s’approprier le réflexe critique qui dissocie le regard de l’extérieur de la perception personnelle
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de l’intérieur. C’est comme un mantra que sont répétés à longueur de séminaires introductifs les deux termes allemands qui mettent en évidence cette opposition infranchissable entre la Innensicht et la Aussensicht. De la sorte, un rite, auquel l’historien des religions participe comme insider, ne saurait être décrit valablement par lui; ou encore : interpréter comme croyant un texte sacré fausserait inévitablement son contenu. En effet, une lecture authentique ne saurait se faire correctement que par un outsider. Mais ces deux perspectives n’articulent pas seulement des modalités méthodologiques dans la gestion du “religieux”, elles marquent aussi le lieu de rupture entre la théologie et la science des religions. C’est ainsi que “le regard de l’intérieur” serait le propre de la théologie, alors que “le regard de l’extérieur” caractériserait l’approche de la science des religions. Selon une telle typologie, le phénoménologue de la religion Rudolf Otto, auteur de l’analyse devenue classique du Sacré (de 1917) est un pur théologien. Dans cette mesure, Mircea Eliade, le spécialiste en histoire comparée des religions serait aussi un théologien, parce qu’il reconnaît au “sacré” une dimension existentielle fondamentale à la condition humaine. Et ceci malgré le fait que ses études concernant les traditions hindoues et bouddhistes du yoga ou ses introductions à l’histoire des religions sont considérées comme des lectures incontournables en science des religions - sans parler de son livre de référence Le sacré et le profane (1959). Regard sociologique sur l’identité adventiste Ce n’est pas le lieu de discuter ici plus amplement les enjeux de ce débat. Mais il me semble intéressant d’évoquer ici cette ambiance intellectuelle, car c’est dans un tel contexte universitaire que Maurice Verfaillie, pasteur au sein de la communauté adventiste, élabore sa thèse de doctorat en science des religions sur L’identité religieuse au sein de l’adventisme. En effet, la controverse entre lui et mes assistantes a été menée, je me souviens bien, dès la première présentation de son projet au sein du colloque en 1996. En effet, l’intention du candidat a été bel et bien de mener sa recherche sur l’adventisme comme une étude historico-sociale dans le contexte du religieux en ultramodernité - et ceci dans le cadre de la chaire de Science es religions à l’Université de Fribourg - partie prenante des Sciences sociales et de l’Histoire contemporaine de la Faculté des Lettres - et non pas avec des outils théologiques acquis dans sa formation de base. Monsieur Verfaillie présente donc en 2008, à l’âge de 75 ans, les résultats d’une recherche approfondie sur « l’identité religieuse » au sein de d’église adventiste. Il se trouve justement à la retraite. Ce qui lui permet de pouvoir
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pratiquer l’Aussensicht - et de jeter un regard externe aussi bien sur son propre trajet pastoral réalisé en Europe et en Afrique que sur son travail de coordination et d’animation au sein de l’Association internationale pour la défense de la liberté religieuse (AIDLR) et comme directeur-rédacteur de la revue Conscience et Liberté (1995-2005), à Berne. Mais les fruits de son engagement professionnel et de son approche en science des religions permettent d’aller au-delà de ce que l’apport unidimensionnel et la méthodologie pure - soit comme théologien, soit comme sociologue des religions - auraient pu fournir. Un message religieux d’actualité Trois thèmes théo-politiques, qui m’ont frappé durant l’élaboration de la thèse doctorale de Maurice Verfaillie, illustrent bien la connexion réciproque entre les expériences du pasteur adventiste et les analyses de l’historien des religions : (1) le thème spirituel de la générosité divine, (2) la contribution adventiste à la recherche et à la pratique médicale et (3) les conséquences personnelles et sociales de l’institution du repos sabbatique. La générosité divine. Dès les débuts de mon enseignement à l’Université de Fribourg en 1971, j’ai tenu à approfondir avec mes étudiants, dont plusieurs étaient enracinés dans les traditions africaines, latino-américaines et asiatiques, les différentes générations des “droits de l’homme”. Dans ces séminaires et enseignements, Pierre Lanarès, un des prédécesseurs de Maurice Verfaillie, comme secrétaire général de l‘AIDLR (de 1966 à 1985), a souvent été alors notre personne-ressource. Ses compétences de juriste, son expérience internationale et son engagement étaient impressionnants. Mais c’est seulement bien plus tard que j’ai réalisé ses liens personnels et ceux de l’AIDLR avec la tradition adventiste. Et c’est seulement encore bien plus tard - en étudiant les diverses contributions dans la publication Ces protestants que l’on dit Adventistes (2008) - que j’ai réalisé le rapport entre l’engagement pour le respect des droits de l’homme et la spiritualité de la générosité de Dieu. J’y ai aussi perçu la dynamique prophétique d’Ellen et de James White, qui ont médité sur la générosité divine bien avant que, dans la théologie latino-américaine de la libération, le théologien brésilien Paulo Suess a thématisé cette vision théologale de la gratuidad divine, qui porte toute réalité - mondaine, religieuse ou ecclésiale. La contribution médicale. Afin de situer en sociologie des religions l’approche de la réalité adventiste, que Maurice Verfaillie a favorisée, j’ai insisté sur le clivage entre la perspective externe et la perspective interne. Ces réflexions méthodologiques sur la différence “l’extérieur et l’intérieur” concernent
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évidemment aussi la lecture faite par le directeur de thèse que je suis. En effet, j’ai découvert l’engagement adventiste pour les questions de la santé personnelle, sociale et mondiale - tout juste au moment où ma propre santé a été ébranlée par le syndrome neuropathologique dit de Guillain Barré. J’étais donc tout spécialement attentif aux conséquences médicales de la vision théologique adventiste à propos de la générosité divine : les recherches sur les différentes formes de la maladie du cancer et sur la force psychique de la résilience. L’institution sociale du sabbat. De plus, en 2009, pendant la phase qui a terminé cette recherche doctorale sur l’identité adventiste, la crise financière et bancaire mondiale était en marche – avec les manœuvres hectiques qui l’ont accompagnée. C’est dans ce contexte économique stressant, que les réflexions théologiques et les pratiques religieuses concernant le “sabbat” que le Pasteur Verfaillie a présentées dans le contexte de “l’Église adventiste du septième jour”, m’ont ouvert de nouveaux horizons spirituels. Avec Maurice Verfaillie, nous avons alors évoqué à plusieurs reprises le message de la spiritualité de l’attente que le terme sabbat évoque et dont il s’agirait de tirer les conséquences managerielles et économiques. Identité adventiste contemporaine A partir de ces trois articulations actualisantes, j’ai toujours mieux compris ce qu’Ellen G. White a voulu désigner par son invitation à chercher, aussi bien dans la lecture biblique que dans la lecture des signes du temps, la “vérité contemporaine” (present truth). C’est une invitation pressante à refuser toutes formes de rigidité doctrinale et de fanatisme intolérant. Le chapitre “Adventisme, dialogue et relations interconfessionnelles, qui termine sous forme de bilan la thèse de Maurice Verfaillie, en est une présentation lucide sur l’ouverture confiante du charisme spirituel adventiste des origines et les cloisonnements apeurés ponctuels de l’institution ecclésiastique. La synthèse des recherches, si soigneusement documentée, que Maurice Verfaillie propose dans sa thèse doctorale, est d’autant plus productive qu’elle allie, au début du 21e siècle, la mémoire vivante de l’auteur et le potentiel d’avenir de la communauté adventiste. Fribourg, mars 2010
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Remerciements Ce projet n’aurait pu se réaliser sans le concours, le soutien et l’inspiration de plusieurs personnes, à qui vont notre reconnaissance et notre estime pour le travail qu’elles nous ont aidés à accomplir. Nous citons en premier notre directeur de thèse, le professeur émérite Richard Friedli, sociologue et anthropologue, de la chaire de Science des Religions à la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg, en Suisse, dont la connaissance du phénomène religieux et de ses manifestations, en particulier sur le potentiel conflit/réconciliation des religions, ses remarques avisées sur la notion de fondamentalisme religieux, sur la pensée de la Déclaration de Vatican II, ses conseils, son écoute et sa disponibilité, ont été pour nous un grand appui ; le professeur Jean-Paul Willaime, historien et sociologue, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études, à la Sorbonne, pour ses analyses sociologiques mises à disposition au long de nos entretiens sur les profils du religieux dans l’ultramodernité, pour sa disponibilité aussi en acceptant l’invitation de l’Université de Fribourg à être l’un des rapporteurs à la soutenance de notre thèse; le professeur, Jean Baubérot, ancien président de l’Ecole pratique des hautes études à la Sorbonne, historien et sociologue, spécialiste de la laïcité française, pour ses remarques incisives au cours de nos fréquents entretiens à Paris et dans notre correspondance sur les problématiques de la laïcisation et de la sécularisation, sur les évolutions du rôle du religieux dans la modernité tardive, selon son expression, pour ses suggestions sur le sujet que nous traitons ; le professeur Emile Poulat, historien et sociologue, ancien directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, directeur de recherche au CNRS, pour son expertise, ses analyses pertinentes, son inspiration au cours de nos rencontres à Paris autour de la question religieuse et de l’identité religieuse en France ; le professeur émérite Jacques Robert, juriste, ancien membre du Conseil constitutionnel de France, Président honoraire de l’Université Panthéon-Assas à Paris, pour son esprit critique et ses remarques dans nos analyses des questions des droits en matière de liberté religieuse; le professeur Jean-Luc Rolland, directeur du Centre de recherches et d’études Ellen White, à Collonges sous Salève, pour les réflexions que nous avons partagées, pour son raisonnement critique et objectif sur l’œuvre et les écrits d’Ellen White ; Roberto Badenas, théologien, ancien Doyen de la Faculté adventiste de théologie de Collonges sous Salève et directeur du département de l’Education à la Division eurafricaine des adventistes du septième jour, à Berne, pour nos longs échanges instructifs sur les évolutions de la théologie dans l’Eglise adventiste et les tensions qui en découlent ; le professeur Richard Lehmann, théologien, ancien Doyen de la Faculté adventiste de théologie de Collonges sous Salève, pour le partage de son expérience des débats autour de l’adhésion de l’Eglise adventiste à la Fédération protestante de France, pour la rigueur de sa réflexion dans l’herméneutique des textes prophétiques bibliques
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et ses encouragements. Nous mentionnons aussi Guido Delameilleure, directeur et archiviste de la bibliothèque de la Faculté adventiste de théologie, à Collonges sous Salève, en France, pour son amabilité à tout moment et son aide efficace dans la recherche de sources et de documents. Notre reconnaissance va au pasteur Jean Arnold de Clermont, alors président de la Fédération protestante de France à Paris et au pasteur Jacques Trujillo, alors président de l’Union franco-belge des Eglises adventistes, à Dammarie-lès-Lys (France), de nous avoir, chacun pour sa part, facilité l’accès aux dossiers des archives concernant l’adhésion de l’Eglise adventiste à cette Fédération ; Madame Emmanuelle Steffek, alors attachée à la Faculté de théologie à l’Université de Lausanne, pour sa relecture experte et ses corrections de l’appareil critique de cette thèse et Monsieur Bernard Pujol, informaticien, pour son aide dans la préparation du « prêt-à-clicher ». Nous remercions chaleureusement Madame Anna Zurcher, pour son extrême gentillesse en ayant mis à notre disposition l’importante bibliothèque privée de son mari, le regretté professeur Jean Zurcher. Nous devons la reconnaissance à d’autres encore, sans pouvoir nommer chacun, pour le partage de réflexions nées d’expériences vécues au sein des communautés adventistes, - en particulier lors de la crise d’identité religieuse dans les milieux adventistes en Belgique dans les années 1980 et durant les débats autour de l’adhésion de l’Eglise adventiste à la Fédération protestante de France à partir de 1990.
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Avant-propos
Cette étude est une vue d’ensemble de la construction d’une identité religieuse constamment en chantier : l’identité religieuse au sein de l’adventisme. Elle est le bilan de recherches, de lectures, de réflexions, d’analyses et de plusieurs années passées au service de l’Eglise adventiste. Son fil conducteur, un peu à la manière du relevé d’un itinéraire historique, suit les chemins du passé et du présent, passant par différents paysages, s’arrêtant à différentes étapes et examinant les reliefs aperçus. Le plan est simple. Il applique des outils d’analyse proposés par les sociologues Jean-Paul Willaime et Danièle Hervieu-Léger pour le religieux en ultramodernité et les dimensions d’une identité religieuse, avec, en arrière fond de la pensée, les potentiels de réconciliation et de tensions basés sur des conceptions religieuses, un thème spécifique de recherche du professeur Richard Friedli, de l’Université de Fribourg. Notre propos n’est pas de faire une étude systématique de la notion d’identité religieuse elle-même, ni de ses variantes, mais de faire à la fois œuvre d’histoire et, d’une certaine manière, de mémoire vivante, en exposant nos réflexions après près de quarante-sept années d’activité et cinq années d’analyses avec le professeur Richard Friedli. Sans aucune prétention d’avoir épuiser le sujet. Nous livrons ainsi à la discussion des réflexions personnelles, à côté des apports de ceux qui ont abordé la question de l’adventisme avant nous. En somme, nous avons tenté de tenir le pari d’une approche à la fois historique, sociologique et théologique, en n’isolant pas la problématique de l’identité religieuse de la manière dont les membres de cette Eglise la comprennent et la vivent au travers de leurs croyances et de leur vision des choses. Grâce à cette fresque à l’échelle de l’histoire et des réalités, nous souhaitons contribuer à élargir l’horizon du lecteur et l’aider à dépasser des préjugés, parfois tenaces, au sujet de l’adventisme, ou des idées-forces à l’intérieur même de ses rangs. Nous avons conduit cette étude sous la forme de thèse, soutenant que l’identité religieuse au sein de l’adventisme, avec sa vitalité dans la recherche sur les fondements bibliques et théologiques de ses croyances, - et qui accepte, comme en témoigne son histoire, la possibilité de changements et de nouveaux développements de sa vision religieuse -, se caractérise le mieux par l’idée d’une dynamique du mouvement. Cette vitalité trouve sa source profonde dans le message biblique lui-même qui stimule la recherche d’une relation féconde entre Dieu, l’homme et le monde. D’où l’intérêt prononcé dans les milieux
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adventistes, à côté de l’annonce prioritaire de l’Evangile, pour les questions qui concernent les domaines de l’éducation, du médical, de l’humanitaire et du social, pour le développement à l’échelle mondiale des multiples institutions spécialisées que l’Eglise soutient, pour les valeurs universelles et pour l’inflexion récente de ses rapports avec les autres chrétiens et leurs Eglises. On connaît trop bien les risques d’une telle orientation de l’Eglise, de sa théologie, de ses doctrines et de l’identité religieuse qui en découle : fragilité, relativisation générale de son message prophétique, sous prétexte d’ouverture et d’accueil, tentation d’aboutir à une sorte de syncrétisme culturel uniquement. Cependant, la théologie responsable dont témoigne son histoire montre qu’elle est capable de relever les défis du changement et du mouvement, avec la conscience de redécouvrir la singularité de son enseignement biblique et une compréhension nouvelle de la façon dont elle peut requérir l’engagement du croyant adventiste, sans devenir pour autant exclusive, ni inclusive. De cette réflexion, qui a accompagné notre parcours pastoral et académique, nous avons compris qu’une attitude de dialogue ouvert à l’égard des autres chrétiens, des croyants des autres religions ou des hommes en général, croyants ou non, ne compromet nullement la mission de cette Eglise. L’identité religieuse au sein de l’adventisme doit alors être comprise comme un témoignage rendu au Royaume de Dieu en Christ qui advient. Non comme une volonté de convertir à tout prix pour augmenter des rangs. Tâche difficile que cette étude, car toute identité religieuse est une réalité vivante, en constante évolution. On peine parfois à préciser les contours de son itinéraire et à repérer ses inflexions, même en l’observant de l’intérieur de la communauté. En l’analysant, nous avons vécu notre propre histoire. Il est évident que tôt ou tard, au cours de telles recherches, nous nous sommes interrogés sur l’ambiguïté des rapports entre les exigences de l’analyse et nos convictions religieuses. Les unes et les autres en sortent-elles indemnes ? Quoi qu’il en soit, l’histoire, la théologie et la sociologie conjuguées nous ont appris à découvrir combien le comportement religieux est essentiel dans les relations humaines et à l’admettre comme un indicateur social important. Cependant, bien que dans ce cas, un recul soit nécessaire pour l’appréhender dans un esprit critique, il nous semble qu’il doit être considéré autrement que d’une manière toujours égale – et forcément réductrice –, comme pourrait être tentée de le faire une analyse globale et distante du phénomène religieux. Nous ne renions donc pas ici nous être délibérément placé dans la situation du croyant, tout en cherchant à garder autant que possible ce recul. Nous citons Michel Mollat du
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Jourdain : « L’éternité d’un côté, le temps historique de l’autre en son ambivalence paraissent solidaires. Autant il apparaît impossible d’exclure la première de la réflexion historique, autant celle-ci trouve un soutien dans la considération de l’autre. Référons-nous à un maître en la matière : Henri Marrou a écrit en l’une de ses conférences sur ‘Histoire et culture’ qu’à son avis « l’histoire à elle seule ne constitue pas une culture ; elle fournit des éléments et il faut qu’il y ait autre chose dans la culture humaine […] et qui soit une direction, une structure ». Ce quelque chose, appelez-le philosophie, théologie, option fondamentale sur l’homme, la vie, le monde. Autour de cette structure, l’histoire modèle une richesse, une plénitude d’une splendeur inégalée. », MOLLAT DU JOURDAIN, Michel, « La foi donne un sens à l’histoire », in : DELUMEAU, Jean, L’historien et la foi, Paris, Fayard, 1996, p. 215. L’auteur Gland, janvier 2011
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Introduction Au niveau de l’étude des sciences de la religion, l’identité religieuse au sein de l’Église adventiste du septième jour1 constitue un objet d’étude intéressant, surtout depuis l’adhésion de cette Église à la Fédération protestante de France2 en mars 2006. Une démarche qui n’a pas manqué de susciter un certain nombre de questions. Deux ans plus tard, en lien avec cet événement, un ouvrage a été publié sur l’adventisme en France. Il est intitulé : Ces protestants que l’on dit adventistes3. Il regroupe les interventions de plusieurs chercheurs, présentées au cours d’un colloque sur l’adventisme qui s’est tenu à Paris en 2007. C’est le premier ouvrage collectif en français sur ce sujet, en dehors des milieux adventistes. Peut-être ouvrira-t-il la voie à d’autres contributions de ce type pour l’analyse scientifique de cette organisation religieuse ? Faisant référence aux interrogations d’une journaliste française sur le bien-fondé de cette adhésion, Jean-Paul Willaime écrit : « Sacrifiant au stéréotype appliqué couramment à des expressions protestantes nées dans le terreau nord-américain, elle oubliait un peu vite qu’il y a bien des adventistes français et sans doute heureux de l’être. Leur intégration dans une Fédération protestante de France ne peut que marquer leur intégration pleine et entière dans un paysage religieux français de plus en plus diversifié, notamment dans ses composantes protestantes »4. Cette remarque montre que notre étude aborde une question d’actualité. Mais, elle est aussi actuelle à un autre titre. En effet, il est permis de considérer qu’après la Seconde Guerre mondiale, sous le jeu de divers facteurs, l’Europe est entrée dans une phase de profonds bouleversements. Au niveau de la question religieuse, on peut considérer qu’elle est engagée dans le jeu complexe du « religieux en mouvement », avec des pertes de repères certes, mais aussi des transformations dans le regard porté sur les croyances en dehors du christianisme et du judaïsme, avec la reconnaissance et la promotion de la valeur de la personne humaine et de sa dignité, avec le droit constitutionnellement reconnu de la liberté de conscience et de religion pour chacun. La société occidentale est aussi entrée dans le temps d’ouverture des Églises « dites historiques » aux relations avec des groupes chrétiens minoritaires, et surtout dans celui de la recherche d’une meilleure intelligence entre croyants et institutions religieuses. Dans ce même temps, les
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Dans la suite de cette étude, nous utiliserons l’expression « Église adventiste », en place de « Église adventiste du septième jour ». 2 Nous emploierons dorénavant le signe officiel de cette fédération, F.P.F., pour désigner la « Fédération protestante de France ». 3 DESPLAN, Fabrice ; DERICQUEBOURG, Régis, Ces protestants que l’on dit adventistes, Paris, L’Harmattan, 2008. 4 WILLAIME, Jean-Paul, « L’intégration des adventistes du septième jour à la Fédération protestante de France », in : DESPLAN, Fabrice ; DERICQUEBOURG, Régis, op. cit., p. 97.
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comportements religieux ont profilé une individualisation5 de plus en plus accentuée d’un croire à « deux visages », selon l’expression de Roland Campiche. Soit que l’individu se situe encore à l’intérieur de son appartenance confessionnelle, soit qu’il se considère en dehors d’elle, tout en maintenant un comportement qui reflète jusqu’à un certain point les croyances et les valeurs qu’il en a héritées6. Ces « désactivations » des frontières religieuses ou confessionnelles attirent l’attention des chercheurs en sciences des religions sur les questions qui touchent à l’identité religieuse. Dans ce contexte, qu’en est-il de l’identité religieuse au sein de l’adventisme ? Depuis le milieu du 20e siècle surtout, certaines évolutions de son profil culturel et relationnel traduisent des inflexions de sa trajectoire en France, en Belgique, en Suisse, de même que dans d’autres parties de l’Europe occidentale. Avec le recul du temps, elles font apparaître une réorientation, allant de la marginalisation vers une intégration critique dans la famille protestante de ces pays. Ce phénomène est lié aux avancées de la théologie adventiste, à une certaine actualisation et une vigueur nouvelle donnée au sens et à la manière de comprendre ses doctrines. On observe aussi des changements dans la façon de concevoir le rôle de cette Église, sa place et son service dans la société. En bref, dans la manière d’accomplir son mandat au sein d’une société occidentale en pleine mutation. Abordée sous cet angle, l’identité religieuse au sein de l’adventisme se présente comme un ‘lieu’ d’interaction et de tensions, entre une attitude de reconnaissance des autres chrétiens, de leurs valeurs et de leur acte de foi, avec un comportement de fraternité, d’une part, et de l’autre, au sein de certains groupes de cette Eglise, des conceptions et des comportements marqués par des tendances séparatistes et des réflexes de replis sur soi. Ce constat se confirme au fil des analyses présentées ici. Ce sujet n’a cependant pas encore fait l’objet d’étude systématique dans les milieux adventistes européens, sauf à considérer la thèse de Fabrice Desplan7 qui porte sur les aspects
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Cf. HERVIEU-LEGER, Danièle, op.cit. ; Cf. CAMPICHE, Roland, Les deux visages de la religion, Fascination et désenchantement, Genève, Labor et Fides, 2004. 6 Cf. DAVIE, Grace, Religion in Britain since 1945 : Believing Without Belonging, London, Institute of Contemporary British History, Blackwell Publishers, 19952 ; voir aussi DAVIE, Grace, « Europe : l’exception qui confirme la règle ? » in : BERGER, L. Peter (dir.) et al., Le réenchantement du monde, Paris, Bayard, 2001 : « [...] Bien que beaucoup d’Européens aient cessé de fréquenter les institutions religieuses, ils n’en ont pas moins conservé la plupart de leurs inclinations religieuses les plus profondes. Cette situation du « croire sans appartenir » (si nous pouvons l’appeler ainsi) ne doit toutefois pas être tenue pour acquise ; elle doit être examinée et interrogée », p. 107. 7 DESPLAN, Fabrice : Le religieux minoritaire comme outil de reconstruction identitaire. Le cas des Antillais français adventistes en France, Communication au Congrès de l’Association française de Sociologie, Villetaneuse, Université de Paris 13, AFS Éditions, février 2004 (162). Une enquête socio-religieuse qui a été menée depuis une dizaine d’années en Europe dans les milieux de la jeunesse adventiste, ‘Valuegenesis’, est en cours d’analyse. Ses premiers résultats
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ethnosociologiques des relations en France entre communautés antillaises adventistes immigrées et communautés adventistes de souche métropolitaine. Notre approche est à la fois, narrative, analytique et inductive. Narrative, car elle suit l’itinéraire historique de la construction de cette identité religieuse depuis ses débuts, au milieu du 19e siècle. Elle est analytique en se référant à des outils sociologiques pour étudier les facteurs qui contribuent à son élaboration et à sa réalité sociologique. Elle est inductive, car elle s’appuie sur l’examen de ses dimensions pour tracer un profil de cette identité dans un milieu donné. Notre réflexion s’est alimentée à partir d’archives et de documents consultés, de même qu’une familiarité personnelle avec le fait religieux adventiste qui nous a mis, en quelque sorte, de plain-pied avec notre sujet. Ce sont surtout les motivations historiques et socio religieuses qui soustendent ces dimensions qui offrent la perspective nécessaire pour évaluer et situer cette identité au sein du christianisme. Il s’en dégage un profil sociologique qui traduit sa réalité et permet de repérer son idéal type au sein du monde protestant, duquel elle se réclame d’ailleurs. Pour mieux saisir la problématique de cette identité, nous avons relevé les moments les plus significatifs de son histoire, ceux qui ont donné les impulsions lui permettant de devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Au travers des chemins empruntés par sa pensée religieuse et théologique et ceux qui ont conduit à la construction de l’organisation religieuse dont elle se réclame aujourd’hui, nous avons suivi son itinéraire depuis ses premières affirmations en 1850 jusqu’à l’année 2006, moment de son entrée dans la F.P.F. Comme outils d’analyse, nous avons choisi les dimensions sociologiques d’une identité religieuse proposées comme par Danièle Hervieu-Léger8 : partiels soulèvent des questions sur les significations que les jeunes adventistes perçoivent de l’identité religieuse au sein de leur Eglise. 8 Cf. HERVIEU-LEGER, Danièle, Le pèlerin et le converti. La religion en mouvement, Paris, Flammarion, 1999, pp. 71-74. • La dimension communautaire, dont les composantes sont les signes d’appartenance, les pratiques, le type de groupe religieux, la tension soumission/non-soumission • 2. La dimension éthique, dont les composantes sont l’acceptation de valeurs universelles et celle de la conscience individuelle • 3. La dimension culturelle, dont les composantes sont l’enseignement religieux (théologie, doctrines), la ou les tradition(s) religieuses comme « lieu commun culturel », les savoirs et les savoir-faire et les modes de vie qui en découlent. • 4. La dimension émotionnelle, dont les composantes sont le sentiment collectif d’appartenance, du « nous », l’expérience de la communion d’esprit (fraternité, expérience sensible et affective de l’identification, l’émotion ressentie lors des cérémonies, des fêtes religieuses, des rassemblements, ...).
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a) sa dimension culturelle • Dont nous retenons plusieurs composantes : les étapes du développement de sa théologie et de ses croyances, comme « lieu commun culturel », avec ses héritages (chapitre 2) ; les premiers vers l’organisation (1850-1863) ; le concept théologique du mandat évangélique (1863-1874) et l’extension de l’Église adventiste des États-Unis vers l’Europe et le monde (1874-1907) (chapitre 3). Autant de facteurs qui ont conféré des caractères spécifiques à cette dimension. • Les chapitres 1 et 5 se veulent être des « clés » sociologiques d’interprétation de la réalité de cette identité et de ses « valeurs », telles qu’elles apparaissent dans les chapitres 2, 3 et 4. • Le chapitre 1 aborde la question du religieux en modernité en Europe occidentale (que Jean-Paul Willaime désigne sous l’appellation d’ultramodernité), temps dans lesquels cette Église expérimente une phase importante de sa progression missionnaire, durant le dernier tiers du 19e siècle et le 20e siècle. Ce chapitre souligne combien, dans la conjoncture de la fin du 20e siècle, les identités religieuses et les identités confessionnelles ont été sans cesse soumises à des révisions. Néanmoins, dans un même mouvement et en réaction à l’idiosyncrasie extrême, « le religieux se trouve réinvesti pour dire l’identité collective » (Jean-Paul Willaime). D’où l’intérêt de l’hypothèse de Roland Campiche de la « dualisation » de la religion, c’est-à-dire, l’existence parallèle de deux types de religiosité, l’une, institutionnelle (traditions protestante et catholique), l’autre, se voulant une religiosité universelle, assimilant les standards de valeurs culturelles et religieuses reconnus dans cette ultramodernité. En résumé, malgré tout, le second type est aussi une manière de se positionner par rapport à d’autres groupes. Elle structurante de ces rapports. A un certain degré, l’identité religieuse au sein de l’adventisme en Europe participe à ce processus. En particulier, par l’affirmation de l’autonomie de la conscience en matière de foi, largement positionnée sur la séparation du politique et du religieux, le refus d’institutionnalisations fixistes, tant de l’organisation ecclésiale que de son corpus théologique et doctrinal (paradoxe de la ‘laïcisation’ de la conscience religieuse). • Le chapitre 5 montre sa manière de gérer le message biblique dont elle se sent responsable. À partir de son mode de régulation du dépôt du religieux et du fonctionnement de l’autorité, cette étude permet de rendre compte des particularités sociologiques de l’Église adventiste et du modèle particulier dans lequel elle s’inscrit, selon les idéaux types que Jean-Paul Willaime a mis en œuvre.
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b) sa dimension communautaire • le chapitre 5 traite aussi de la composante communautaire de l’identité religieuse adventiste, en ce sens qu’il éclaire comment se conçoivent, dans l’esprit adventiste, les rapports interactifs entre l’institution et ses membres, ceux des membres entre eux, en tant que lieu de mémoire du religieux et d’un lien sociétal international. c) sa dimension spirituelle • Le chapitre 4 analyse une dimension qui n’appartient pas aux outils proposés par Danièle Hervieu-Léger : la dimension « spirituelle ». A moins de l’identifier à la dimension « émotionnelle », ce qui nous paraîtrait réduire une réalité plus complexe. La dimension spirituelle dynamise l’axe culturel constitué par les éléments bibliques et théologiques donnés à la foi et à la compréhension du croyant. Pour mieux cerner le rôle de cette dimension dans l’évolution de l’identité religieuse au sein de l’adventisme, nous cherchons à clarifier les concepts à la base des notions de fondamentalisme et d’intégrisme (qualificatifs que certains milieux attribuent à l’identité religieuse adventiste, parfois avec raison). Nous voulons, par là, identifier à quel niveau se jouent les tensions au sein de cette Église. Avec les chapitres 6 et 7, notre étude arrive à son faîte. d) sa dimension éthique • Le chapitre 6 traite de composantes de la dimension éthique : les valeurs reconnues à la dignité de la personne humaine et à la responsabilité du croyant, devant Dieu et les hommes, qui en découlent. D’un point de vue adventiste, ces valeurs se trouvent au centre du sens du message de Dieu à l’homme. Ce chapitre examine le sens qu’elles revêtent dans les déclarations de l’Église adventiste, comparées à la déclaration du Concile de Vatican II, « Dignitatis humanae». Il souligne l’engagement éthique de l’Église adventiste pour la défense et la promotion de ces valeurs pour tous.
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e) Analyseur • Enfin, le chapitre 7 traite du dialogue interreligieux et de l’évolution des relations interconfessionnelles de l’Église adventiste. En raison de l’importance de l’adhésion de l’Église adventiste comme membre de la F.P.F en 2006, nous avons choisi ce dossier comme analyseur, car il est un des révélateurs de la trajectoire suivie par l’identité adventiste entre deux moments : celui de sa construction au 19e siècle et celui de son intégration dans la F.P.F, au début du 21e siècle. L’identité religieuse au sein de l’adventisme n’est pas considérée ici comme une « essence » de l’adventisme, mais comme un « lieu » symbolique de construction de sens, à la fois individuel et collectif ; un « lieu » symbolique fait de perspectives, d’attitudes et de comportements. Ainsi conçue, cette étude permet de considérer l’adventisme moderne sous son aspect historique, dans le contexte des sociétés d’accueil où elle s’est implantée. Il eût été sans doute plus simple de nous limiter à une période plus courte, de 1991 à 2006, c’est-à-dire les moments qui ont entouré l’adhésion de l’Église adventiste en France à la F.P.F. L’environnement géographique eût été sans doute plus unitaire. Cependant, nous aurions manqué d’y inclure de nombreux facteurs essentiels pour comprendre cette identité et les enjeux que représente la progression de ses relations avec les autres croyants chrétiens. Il nous a donc paru nécessaire « d’élargir les cordages ». L’approche que nous avons adoptée fournit les « matériaux » qui servent à mieux la pénétrer et mieux cadrer ses repositionnements au 20e siècle. Elle met aussi en évidence la complexité du processus de sa construction. Cependant, même dans cette perspective, nous n’avons pas la prétention de couvrir toutes ses dimensions, ni toutes ses implications au niveau du croire et du vécu des adventistes dans la société. Nous n’en avons retenu que les principales, selon nous, en raison de leur rôle catalyseur dans les inflexions de son profil. Enfin, une dernière remarque générale s’impose à propos de l’interaction des dimensions sociologiques d’une identité religieuse. Elles s’établissent en tension entre elles. Chacune se conjugue en redéfinissant des axes structurants de l’identité. Comme l’écrit Danièle Hervieu-Léger, - et qui se vérifie dans notre étude : « … tension par exemple entre la dimension identitaire collective qui correspond aux composantes communautaires, locales, particulières d’un groupe religieux et lui permettent d’affirmer sa singularité par rapport à tous ceux qui “n’en sont pas”, et la dimension éthique qui met en avant (au moins potentiellement) la portée universelle dont ce groupe est porteur, en même temps qu’elle privilégie la conscience individuelle du sujet croyant ; tension également entre la dimension “émotionnelle” qui correspond à l’expérience immédiate, vécue, sensible et affective du croire et la dimension culturelle qui
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permet à cette expérience de s’ancrer dans la continuité légitimatrice d’une mémoire autorisée, c’est-à-dire d’une tradition »9. La construction de l’identité religieuse adventiste participe à ce processus. Si, en concentrant notre attention de cette manière sur le thème de l’identité religieuse adventiste, nous contribuons à supprimer certaines craintes à l’encontre de l’Église adventiste, à les atténuer ou à lever certaines idées-forces qui pèsent sur son image, le but de clarification que nous nous sommes fixé aura été atteint.
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DAVIE, Grace ; HERVIEU-LEGER, Danièle (dir.), Identités religieuses en Europe, Paris, La Découverte, 1996, p. 21.
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Chapitre 1 — Modernité et identité religieuse 1.0. — Introduction Il y a une cinquantaine d’années, il aurait sans doute paru surprenant de traiter de la question d’une identité religieuse chrétienne au sein de sociétés « en situation de modernité », selon l’expression du sociologue américain Peter Berger10, comme d’une dynamique en mouvement au milieu des interrogations existentielles de l’homme moderne et intégrant dans son développement culte à rendre à Dieu et service à la société. En effet, depuis deux siècles, les analyses des sociologues sur l’état du christianisme en Europe, relayées dans l’opinion publique par les médias, véhiculaient de plus en plus le modèle d’une irréductible contradiction entre modernité et religion11. En Europe occidentale, pour beaucoup, même parmi les croyants, l’esprit religieux paraissait peu compatible avec celui de l’époque moderne12, déjà comprise comme un bouleversement de la culture depuis le 19e siècle. Aussi était-il considéré comme étant en porte-à-faux avec la logique de cette modernité qui jouait « comme idée-force et comme idéologie maîtresse »13. Danièle Hervieu-Léger rappelle qu’à l’époque, « on imaginait rarement de faire une sociologie scientifique de la religion autrement qu’en s’efforçant de ‘réduire’ le religieux à l’ensemble de ses déterminations sociales. Cet objectif correspondait à des orientations héritées d’une sociologie classique des phénomènes religieux, 10
Dans l’époque moderne, le terme modernité renvoie mentalement aux aspects constitutifs du monde moderne. Pour caractériser la dimension de ce concept, Peter Berger, parle de « situation de modernité ». Peter Berger entend parler de cette situation d’une manière globale : « [...] quiconque vit et pense aujourd’hui se trouve en situation de modernité », cf. RENDTORFF, Trutz, « Modernité », in : Encyclopédie du protestantisme, Paris, PUF, 20062, p. 922. Peter Berger est citoyen américain, né en Autriche en 1919. 11 « Si le thème de l’incompatibilité entre la religion et le monde moderne a prévalu de façon aussi massive, c’est sans doute – en partie – parce que, pour assurer sa légitimité scientifique, la sociologie se devait d’en finir avec les élaborations théologiques et métaphysiques d’un sens du monde social. (…). Le travail du chercheur consistait, dès lors, pour l’essentiel, à examiner dans quels délais, à travers quelles modalités et malgré quelles résistances, se réaliserait cette éviction inéluctable des façons religieuses de vivre et de penser la société et l’histoire, éviction dont l’histoire, comme le rappelait Emile Durkheim, se confond avec l’histoire humaine tout court », HERVIEU-LẺGER, Danièle ; CHAMPION, Françoise, Vers un nouveau christianisme ? Introduction à la sociologie du christianisme occidental, Paris, Cerf, 19872, p. 188. 12 TROELTSCH, Ernst, Realencyklopädie für protestantische Theologie und Kirche, t. 3, Leipzig, Hinrichs, 18973, p. 225 : « Les Lumières sont le commencement et le fondement de la période moderne, au sens de la culture et de l’histoire européenne, en opposition à une culture jusqu’alors dominée par l’Église et déterminée par la théologie » (cité par RENDTORFF, Trutz, 20062, op. cit., p. 921). 13 BAUDRILLARD, Jean, “Modernité”, in : Encyclopaedia Universalis. CD-ROM n° 8, Paris
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placée sous le double parrainage de Marx et de Durkheim. Il s’accordait également avec le postulat qui dominait alors le paysage de la sociologie, selon lequel la société peut être traitée comme un corps organisé à partir d’un centre, dont les différentes fonctions s’ajustent entre elles. Pour une bonne part, l’activité sociologique s’attachait à repérer les avancées et les retards de l’intégration de ce ‘système social’, voué à une rationalisation toujours plus poussée. Ce mouvement impliquait la résorption des dissonances ‘irrationnelles’ présentes au sein de la vie sociale, et bien entendu, la religion était saisie comme la première d’entre elles »14. Lue sous cet angle, la place du christianisme semblait davantage appartenir au passé qu’à un possible lendemain. Le constat empirique de la régression générale de l’autorité des institutions religieuses et celui de la désaffection à l’égard des services et des pratiques religieuses dans une grande partie de l’Europe occidentale au cours du 20e siècle semblaient valider cette prévision. Engagé dans tous presque tous les États européens après la Seconde Guerre mondiale, le retrait significatif du religieux de l’espace public laissait à penser que le processus de ‘sécularisation’, selon la tradition anglo-saxonne, ou de ‘laïcisation’, selon la tradition française – comme interface culturelle de la modernité – était irréversible, son déploiement entraînant forcément la disparition de la religion ou, du moins, sa réduction à la sphère strictement privée. Cependant, au cours des années 1968 à 1989 15 un nouveau changement est apparu, avec une nouvelle conjoncture culturelle engendrée par la critique de la modernité elle-même et par les incertitudes à l’égard des promesses de progrès et de bonheur du monde qu’elle véhiculait. Un changement culturel qui a engendré une crise atteignant l’individu lui-même dans sa personne et dans son identité, perturbant la perception qu’il a de lui-même dans la société et sa vision globale du monde. Cette situation s’est inscrite dans un contexte de crainte grandissante de ce qui pourrait surgir pour le lendemain, amplifiée par les crises sociales, économiques, les poussées conflictuelles et, depuis peu, par les menaces qui planent sur l’environnement. Dans sa théorie du social et des rapports sociaux réflexifs, le sociologue anglais Giddens établit une connexion entre les trajectoires des modernités16 et celles des individus. Il émet l’idée qu’il est impossible de disjoindre la constitution des sociétés modernes, dans leur complexité actuelle, sans tenir 14
HERVIEU-LEGER, Danièle, Le pèlerin et le converti, p. 15. BAUBEROT, Jean, « […], or il y a eu un véritable changement culturel que personnellement, je date entre 1968 et 1989, quant à la laïcité. Mais, un historien d’histoire culturelle, J.F. Sirinelli, donne comme date entre 1965 et 1985, ce qui correspond en gros. » (Correspondance de Jean Baubérot à Maurice Verfaillie, 21 novembre 2007). 16 Sur la question des modernités, au pluriel, cf. MONET, Gabriel, Modernités et protestantismes. Résonances, influences et contributions réciproques, Master de recherche, Strasbourg, Université Marc Bloch, Faculté de théologie protestante, 2006. 15
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compte des conséquences que la mondialisation ou les risques sociaux impriment aussi bien à l’individu qu’à la collectivité, en contribuant de façon décisive à affecter « les aspects les plus personnels de notre existence »17. Cette tension culturelle a trouvé des prolongements dans le champ religieux des sociétés modernes au 20e siècle. Elle se renouvelle encore en ce début de 21e siècle. 1.1. — Du religieux et de la modernité en Europe occidentale En 1999, Danièle Hervieu-Léger écrivait : « (Les investissements croyants) battaient en brèche l’idée d’une modernité ‘rationnellement désenchantée’ [souligné dans le texte], définitivement étrangère à la religion. […]. L’accent était mis sur la prolifération des croyances dans des sociétés qui sont aussi, du fait de la rapidité du changement dans tous les domaines, des sociétés soumises à la tension d’une permanente incertitude. En même temps qu’émergeait un vif intérêt pour les formes de religiosité associées à l’individualisme moderne, la voie s’ouvrait pour une nouvelle lecture des rapports entre religion et politique, et entre institutions religieuses et État. Elle a entrepris de saisir ce rapport sous le double aspect de la dispersion des croyances et des conduites d’une part, et de la dérégulation institutionnelle du religieux, d'autre part »18. À l’encontre donc de ce qui semblait avoir été d'évidents pronostics, et après l’effondrement du communisme, l’attention fut attirée sur les rapports, dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale, entre politique, identité ethnique et religion. Avec un constat : la religion n’a pas disparu. En ce début de 21e siècle, l’Europe occidentale paraît à l’image d’un îlot de sécularisation, entouré par des sociétés marquées par la présence bien visible du religieux : en Amérique du Nord, proche de l’Europe par ses origines et sa culture, en Amérique latine, en Europe du Nord, où subsistent des formes de christianisme d’État, en Europe du Sud, avec la Grèce orthodoxe, en Europe septentrionale, avec la Russie orthodoxe, en Europe centrale, avec la Pologne catholique, où tend à se reconstituer une unité entre l’Église catholique et l’État. Au sein du Vieux Continent, et dans le même temps, la France se différencie par une stricte séparation entre Église et État, de même que les Pays-Bas, où 50 % des citoyens se déclarent sans confession. Sans parler des manifestations d’extrémisme et de fanatisme aux franges du religieux, de façon dramatique parfois19, de l’apparition de « nouveaux 17
Cf. GIDDENS, Anthony, Les conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan, 1994. HERVIEU-LEGER, Danièle, Le pèlerin et le converti, p. 17, 18. 19 Affaire du Temple du Peuple de Dieu, à Guyana, États-Unis (1978), celle de la catastrophe de Waco, avec les davidiens, Texas, États unis (1993), l’Ordre du Temple solaire et les massacres de Cheiry et Salvan, Suisse (1994), l’attentat au gaz de la secte d’Aum, Tokio, Japon (1995), la secte du Mandarom, dans le sud de la France, affaires de la Scientologie à Paris, etc. 18
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mouvements religieux » aux frontières difficiles à situer entre religion, thérapeutique, syncrétisme et spiritisme. Bien que ces derniers phénomènes mentionnés ne résument pas, et de loin, le religieux contemporain, ils se sont néanmoins offerts aux médias comme lui appartenant, avec une acuité qui a conforté un fort sentiment de méfiance. Ces faits interrogent les historiens et les sociologues de la religion sur la place du religieux dans des sociétés pourtant dites sécularisées. C’est ce qui fait écrire à Peter Berger, qui va à l’encontre de toute opinion émise comme une certitude, que la modernité n’a pas entraîné le déclin de la religion : « L’idée selon laquelle nous vivons dans un monde sécularisé est fausse. Le monde aujourd’hui, avec quelques exceptions […] est aussi furieusement religieux qu’il l’a toujours été ; il l’est même davantage dans certains endroits. Cela signifie qu’un ensemble de travaux estampillés par les historiens et les sociologues comme ‘théorie de la sécularisation’ sont pour l’essentiel erronés. J’ai contribué à cette littérature par mes recherches passées »20. En retour, cette persistance du religieux force les spécialistes des religions à s’interroger sur les théories de la sécularisation, sur les nouveaux rapports entre la religion et la politique, entre la religion et la modernité21. Si entendait alors parler de la ‘ mort de Dieu’, ou lu, en 1975, des ouvrages comme « Le cadavre de Dieu bouge encore », de Georges Suffert22, doit-on maintenant parler ‘de retour du religieux’ ? de ‘renouveau du religieux’ ?, ou de redistribution du religieux ? Visant ce changement culturel par une boutade, Michel Serres aurait déclaré en 1990 à ses étudiants : « Il y a vingt ans, lorsque je voulais intéresser mes étudiants, je leur parlais politique ; lorsque je voulais les faire rire, je leur parlais religion ; aujourd’hui, si je veux les intéresser, je leur parle religion, si je veux les faire rire, je leur parle politique »23. 1.2. — L’identité religieuse, un enjeu social Le sociologue anglais Anthony Giddens établit un lien réflexif entre les trajectoires des modernités et celles des collectivités et des individus, lien qui affecte de façon décisive les aspects les plus personnels de notre existence24. De 20 BERGER, Peter, La désécularisation du monde : un point de vue global, in : Peter Berger (dir.), Le réenchantement du monde, Paris, Bayard, 2001, p. 15. 21 Cf. CAMPICHE, Roland, Quand les sectes affolent, Ordre du Temple Solaire, médias et fin du millénaire : entretiens avec Cyril Dépraz, Genève, Labor et Fides, 1995, pp. 65-82. 22 SUFFERT, Georges, Le cadavre de Dieu bouge encore, Paris, Grasset et Fasquelle, 1975.
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CHAMPION, Françoise ; HERVIEU-LẺGER, Danièle (dirs), De l’émotion en religion. Renouveaux et traditions, Paris, Centurion, 1990, p. 5. 24
Cf. GIDDENS, Anthony, 1994, op. cit.
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son côté, le sociologue Roland Campiche résume la problématique de l’identité religieuse en une phrase : « L’identité religieuse ou confessionnelle est donc continuellement soumise à révision ; elle est en effet un enjeu social »25. L’identité religieuse de l’Église adventiste du septième jour en Europe est-elle aussi concernée par des inflexions semblables ou des résonances de « la situation en modernité »26dans les sociétés occidentales ? C’est justement parce qu’elle ne peut être considérée comme ‘l’essence’ de l’adventisme qu’elle est, comme toute identité, un ‘lieu’ symbolique de construction de sens et d’appropriation de valeurs qui peut être individuel ou collectif, qu’elle se construit aussi dans le jeu complexe des interactions entre l’individu, ce qu’il croit, la culture de la société où il vit et la communauté adventiste à laquelle il adhère. C’est ce que montre bien l’analyse de Peter Berger27, sur laquelle nous reviendrons plus loin. Il aurait sans doute été intéressant d’examiner les pesanteurs et les évolutions sociopolitiques actuelles qui sont des procédures de plus en plus complexes pour gérer le religieux, de même que les articulations et la dialectisation du trajet de la religiosité qui passe d’un croire en institution à un croire en relation ou à un croire individualisé. Nous n’entrerons pas dans ce débat. Nous ne nous arrêterons pas non plus sur le débat concernant la définition de la religion, ni sur les causes des bouleversements de l’espace du religieux européen. Notre 25 CAMPICHE, Roland, Croire en Suisse (s). Analyse de l’enquête menée en 1988/1989 sur la religion des Suisses, Lausanne, L’Age d’Homme, 1992, p. 52. 26 Cité par RENDTORFF, Trutz, Modernité, in : Encyclopédie du protestantisme, Paris, PUF, 20062, p. 922. 27 BERGER, Peter, The Sacred Canopy. Elements of a Sociological Theory of Religion, New York, Anchor Books, 19903, p. 3, 4, 18 : “ Every human society is an enterprise of worldbuilding. Religion occupies a distinctive place in this enterprise. […] it will be important to understand society in dialectic terms. Society is a phenomenon in that it is human product, and nothing but a human product, that yet continuously acts back upon its producer. Society is a product of man. It has no other being except that which is bestowed upon it by human activity and consciousness. There can be no social reality apart from man. […] The two statements, that society is the product of man and that man is the product of society, are not contradictory. They rather reflect the inherently dialectic character of the societal phenomenon. […] The process of internalization must always be understood as but one moment of the larger dialectic process that also includes the moments of externalization and objectivation. If this is not done there emerges a picture of mechanistic determinism, in which the individual is produced by society as cause produces effect in nature. Such a picture distorts the societal phenomenon. Not only is internalization part of the latter’s larger dialectic, but the socialization of the individual also occurs in a dialectic manner. The individual is not molded as a passive, inert thing. Rather, he is formed in the course of a protracted conversation (a dialectic, in the literal sense of the word) in which he is a participant [souligné dans le texte]. That is, the social world (with its appropriate institutions, roles, and identities) is not passively absorbed by the individual, but actively appropriated [souligné dans le texte] by him. Furthermore, once the individual is formed as a person, with an objectively and subjectively recognizable identity, he must continue to participate in the conversation that sustains him as a person in his ongoing biography. That is, the individual continues to be a co-producter of the social world, and thus of himself” p. 14.
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intention dans ce chapitre sera de situer le contexte moderne du religieux en Europe, justifiant ainsi la juxtaposition dans l’intitulé de notre étude, en soustitre, des deux notions : ultramodernité et identité religieuse. Elle souligne en même temps l’actualité de notre démarche28. Elle se confirme, par ailleurs, quand on considère les manifestations toutes récentes autour du problème du protestantisme européen pluriel au sein de la modernité, avec la place de l’adventisme en son sein29. 1.3. — Les traits majeurs de la modernité au 21e siècle Nous ne ferons pas non plus le tour d’une question aussi complexe que celle de la modernité ou des modernités30. Nous nous arrêterons sur trois aspects majeurs de ‘l’ultramodernité’, comme la désigne Jean-Paul Willaime31, en parlant de la période dans laquelle nous vivons. Ces aspects nous permettent de discerner comment certaines résonances et interactions de la modernité ambiante sont des enjeux pour l’identité religieuse adventiste. Le premier de ces aspects touche à la sécularisation des sociétés actuelles. Les deux autres, à la réflexivité systématique et à l’idiosyncrasie (l’individualisation, selon Jean-Paul
28 Pour une étude de la question des identités religieuses en Europe, voir DAVIE, Grasse ; HERVIEU-LEGER, Danièle (dir.), Identités religieuses en Europe, Paris, La Découverte, 1996. 29 Par exemple, Les recompositions des protestantismes en Europe latine. Quelles interactions entre protestantisme ‘historique’ et évangélisme conversionniste ?, colloque, Université Marc Bloch de Strasbourg, 7 au 9 novembre 2002 ; Christianisme et prophétisme, colloque, Faculté adventiste de théologie, Collonges-sous-Salève, France, 1 au 3 mai 2003 ; Chrétiens, Juifs, Musulmans à l’épreuve de l’intégrisme, colloque, Faculté adventiste théologie, Collonges-sousSalève, France, 25 au 24 avril 2004 ; Adhésion officielle le 11 mars 2006 de l’Eglise adventiste du septième jour de France à la Fédération protestante de France (FPF) ; Colloque sur l’adventisme, organisé le 3 mai 2007 à Paris par le Groupe de sociologie des religions et de la laïcité (GSRL). 30 Dans son intéressant mémoire de maîtrise de recherche, déjà cité, Gabriel Monet souligne que « Les distinctions chronologiques et les terminologies laissent entrevoir une réelle complexité de la thématique de la modernité. Les distinctions conceptuelles [montrent] une pluralité de sens rendant toute définition pour le moins délicate », MONET, Gabriel, 2006, p. 18 ; cf. aussi RIOUX, Jean-Pierre, Insaisissable modernité, ‘Le Monde des livres’, Le Monde, 9 novembre 1984 : « [La modernité] définitivement fille des idéologies de progrès […] rongée par les racines et ruinée par l’empirisme des effets de mode […] devient illisible », cité par MONET, Gabriel, ibid. 31 WILLAIME, Jean-Paul, « L’ultramodernité sonne-t-elle la fin de l’œcuménisme ? », Recherches de science religieuse 89 (2001/2), p. 202 : « Dans notre terminologie, si modernité, c’est le mouvement porté par les certitudes modernistes, c’est-à-dire une modernité conquérante ayant démythologisé les traditions au nom du futur, l’ultramodernité, c’est le mouvement plus les incertitudes de la modernité désenchantée, c’est-à-dire une modernité ayant démythologisé aussi bien les traditions que les utopies ».
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Willaime) au sein du religieux actuel. Ces deux derniers sont aussi considérés par Jean Baubérot comme des critères pertinents32. 1.3. 1.- Polysémie de la sécularisation L’expression ‘postmodernité ’ a souvent été utilisée pour désigner la situation actuelle. Mais, elle a été critiquée par ceux qui relèvent que son sens est ambigu. Il laisse entendre que nous serions sortis du mouvement de la modernité par une mutation telle qu’elle attesterait que nous vivons aujourd’hui au-delà de la modernité (Georges Balandier, Anthony Giddens et André Touraine). Pour identifier ce changement de culture, Anthony Giddens parle de modernité ‘post traditionnelle ’ (post-traditional). Dans son recueil de textes de Giddens, David Gauntlett résume la pensée du sociologue américain : « [Pour Giddens], lorsque les traditions dominent, il n’est pas nécessaire d’analyser les actions des individus, ni de s’attarder autant sur leurs pensées, parce que leurs choix sont déjà prescrits par les traditions et les coutumes33. Dans la période post traditionnelle, cependant, on ne se préoccupe pas réellement de celles établies par les générations antérieures, les libertés de choisir étant devenues au moins aussi ouvertes que la loi et l’opinion publique l’autorisent. Toutes les questions relatives aux comportements en société deviennent alors matière à reconsidération et objet de décisions à prendre. […] Une société ne peut être pleinement moderne si ses comportements, ses actions et ou ses institutions sont influencées significativement par des traditions, parce que le respect de la tradition – faire les choses uniquement parce qu’on les faisait ainsi dans le passé – est à l’opposé de la réflexivité moderne »34. Dans le cadre de ce bouleversement culturel, bien que la notion de sécularisation dans le champ du religieux reste aussi une notion placée sous le signe de l’ambiguïté — dont les diverses théories soulignent la complexité —, elle résume encore le mieux les transformations et les changements dans la vie et la pensée humaine qui sont apparus depuis les premières décennies du 20e siècle. L’étymologie du mot lui-même est marquée par un long cheminement qui, après le latin, remonterait pour le français à 1567. Autrefois employé pour désigner le changement d’un état dans le domaine ecclésiastique, il réunit 32
BAUBEROT, Jean, « Pouvons-nous être à la fois rationnel et religieux ? », Colloque EPHE, Université d’Otani, Japon (tapuscrit), novembre 2006, p. 4. 33 David Gauntlett ajoute ici, dans une remarque entre parenthèses, « Bien sûr, cela ne veut pas dire que les traditions n’ont jamais été analysées ou contestées » . 34 GAUNTLETT, David, Media, Gender and Identity : An Introduction, London and New York, Routledge, 2002 (trad. MV=traduction Maurice Verfaillie) ; extraits disponibles sur http://www.org.uk.
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aujourd’hui plusieurs sens, après avoir circulé entre différentes langues européennes (français, anglais, allemand). Dans son usage actuel, on a presque oublié ses anciens sens français des 18e et 19e siècles, de passage d’un état de religieux régulier (moine [règle]) à l’état de séculier (prêtre [siècle]), puis de transfert des biens de l’Église à un possesseur civil (Traités de Westphalie, 1648). Du point de vue sociologique, la polysémie de la notion de sécularisation est incontestable. Ses sens englobent aujourd'hui : • le recul de la religion comme moyen de construire sa vie, d’organiser sa pensée et son comportement ; • l’effacement du sens du sacré de la vie ; • l’abandon de la foi (en Europe, de la foi chrétienne) ; • le passage de la vie religieuse basée sur le groupe social, sur la vie communautaire, à un système où priment la diversité, la privatisation, le planning spirituel personnel ; • les mentalités caractérisées par l’influence de diverses formes de rationalisation, de pragmatisme, d’empirisme, d’existentialisme ; • l’identité religieuse caractérisée par l’adaptation à des valeurs sociales et culturelles contemporaines dominantes dans les sociétés en évolution ; • le processus par lequel les institutions religieuses adoptent des stratégies qui les conduisent à consentir elles-mêmes à des degrés de sécularisation interne, d’adaptations et de mises à jour avec le monde moderne (aggiornamento, Vatican II)35 ; • le processus d’autonomisation religieuse des sphères de l’activité humaine par rapport aux institutions religieuses (laïcisation). Selon la tradition sociologique anglo-saxonne, la notion de sécularisation est davantage liée au processus de rationalisation du monde moderne, donc celui de la désacralisation des visions du monde, de la privatisation et de la pluralisation des options religieuses. Avec la tradition sociologique française, en raison de l’histoire religieuse de la France, l’accent est mis sur le processus par lequel les sphères de l’activité humaine ont conquis par la lutte leur autonomie. Processus aussi par lequel la société se dote de références sociales, éthiques et de règles de fonctionnement dans tous les domaines, en dehors de toute considération religieuse. La religion a été considérée comme une concurrente de la laïcité. Quelle que soit la tradition évoquée, la situation se traduit par la perte d’emprise 35
« […], le rejet [souligné dans le texte] et l’adaptation [souligné dans le texte] ont été les deux stratégies envisagées par les communauté religieuses face à un monde en voie de sécularisation. Et comme c’est toujours le cas lorsque des stratégies sont fondées sur une mauvaise perception du terrain, elles ont toutes les deux donné des résultats très douteux », BERGER, Peter, 2001, op. cit, p. 16.
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des institutions religieuses sur la société et sur ses propres fidèles. Aujourd’hui, avec l’internationalisation des études, les nouvelles orientations de la sociologie de la religion amènent à prendre en considération les deux écoles. De l’énumération des sens de la sécularisation que nous avons mentionnés, il ressort qu’ils sont inextricablement dépendants les uns des autres. Ce qui signifie qu’aucun, considéré séparément, ne donne la clé d’une explication globale du concept moderne que recouvre ce terme. Et, en plus de la complexité de sa signification, ceux qui étudient ce phénomène insistent sur le fait, qu’en réalité, ses processus ne reflètent pas partout les mêmes aspects. Complexité et ambiguïté qui se lisent aussi dans le jugement de certaines Églises et certaines personnalités de foi. D’un côté, des figures du monde protestant, comme celle du pasteur Dietrich Bonhoeffer, avant Jacques Ellul, considèrent la sécularisation comme une ouverture, un signe de l’avènement possible d’un christianisme ‘adulte ’, libéré des encombrements dus à certaines traditions, un christianisme revenu à « l’authenticité de son message »36. De l’autre, des milieux chrétiens marqués par des courants très conservateurs stigmatisent la sécularisation de manière globale. Ils lui imputent toute la crise du sens religieux dans le monde moderne, la marginalisation culturelle et sociale de leur message et l’incertitude de leurs lendemains, parce qu’elle entraîne une 36 Dans un sens historique, Jacques Ellul rejoint la pensée de Bonhoeffer : « La question que je voudrais esquisser […] est une de celles qui me troublent le plus profondément ; elle me paraît dans l’état de mes connaissances insoluble et revêt un caractère grave d’étrangeté historique. Elle peut se dire d’une façon très simple : comment se fait-il que le développement de la société chrétienne et de l’Eglise ait donné naissance à une société, à une civilisation, à une culture en tout sens inverse de ce que nous lisons dans la Bible, de ce qui est indiscutable à la fois de la Torah, des prophètes, de Jésus et de Paul ? Je dis bien en tout. Ce n’est pas sur un point qu’il y a eu contradiction, mais sur tous les points. Si bien que d’une part, on a accusé le christianisme de tout un ensemble de fautes, de crimes, de mensonges qui ne sont en rien contenus, nulle part, dans le texte et l’inspiration d’origine, et d’autre part, on a modelé progressivement, réinterprété la Révélation sur la pratique qu’en avaient la chrétienté et l’Eglise. Les critiques n’ont voulu considérer que cette pratique, cette réalité concrète, se refusant absolument à se référer à la vérité de ce qui est dit. Or, il n’y a pas seulement dérive, il y a contradiction radicale, essentielle, donc véritable subversion [italiques dans le texte] ». ELLUL, Jacques, La subversion du christianisme, Paris, Seuil, 1984, p. 9. Le pasteur adventiste Gottfried Oosterwal considère la sécularisation comme un phénomène à la fois positif et négatif. Au sens positif, libérateur, c’est « […] un phénomène grâce auquel l’homme et la société sont libérés d’un asservissement aux traditions et aux pouvoirs dont l’homme est lui-même l’auteur. Dans ce sens, le phénomène de sécularisation libère les êtres humains pour les rendre ouverts à une foi véritable en Dieu. Cependant, par son ambiguïté même, ce phénomène crée des débouchés pour la foi et la mission [de l’Eglise adventiste], et en même temps, il engendre de puissants obstacles et des menaces dans ces deux domaines », OOSTERWAL, Gottfried, ‘Le processus de sécularisation’, Servir, Berne, Association pastorale de la Division eurafricaine des Adventistes, Edition spéciale, 2e et 3e trimestres 1987, p. 82 et p. 83 (Gottfried Oosterwal est docteur en sociologie de l’Université d’Utrecht, Pays-Bas. Il est hollandais et vit aux Etats-Unis).
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incompatibilité du lien religieux avec l’autonomie de l’individu : la « sortie de la religion », selon Marcel Gauchet37. Revenons à la modernité comme facteur de la sécularisation. Jean-Paul Willaime définit l’ultramodernité par « le mouvement plus les incertitudes de la modernité désenchantée »38 ; autrement dit, marquée par les effets déstabilisateurs d’une « discontinuité » qui a brisé la logique de la « certitude moderniste ». Pour mettre plus en relief la déstabilisation que produit cette période, Jean Baubérot propose d’en inverser l’ordre : « […] je dirai que la modernité tardive39, c’est l’incertitude plus le mouvement : l’incertitude n’est jamais facile à vivre, mais quand on vit dans une incertitude en mouvement, c’est encore plus difficile, car on est entraîné dans un mouvement et on ne sait plus où on va (mais on y va !). Le mouvement peut aller dans n’importe quel sens, ce qui devient invivable. En tout cas, la peur de l’avenir est devenue trop 37
GAUCHET, Marcel, Le désenchantement du monde. Une Histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, 1985, p. 71 : « Je parle de ‘sortie de la religion’ en me basant sur le constat que toutes les religions connues à ce jour se sont forgées dans le cadre d’une certaine fonction de structuration de l’espace social remplie par le religieux. Cette fonction me semble actuellement épuisée. […] Sur la base du même constat, on pourrait m’objecter : ce que vous appelez ‘sortie de la religion’ n’est que la clôture d’une époque de la religion, que vous hypostasiez comme la religion tout court. Nous entrons dans une nouvelle époque qui est précisément celle de la religion pure, délivrée de ses accointances politiques et sociales à l’ancienne mode, et devenue libre et personnelle. Elle va pouvoir se réinventer dans des conditions nouvelles. Peut-être. Nous allons voir. J’ai de grands doutes, parce qu’il me semble que dans cette situation, il n’y a guère de chances qu’on aille bien au-delà ou bien, dans le meilleur des cas, d’une effervescence sectaire par définition minoritaire, anarchique et instable, ou bien, plus probablement d’un bricolage individuel par définition sans exemplarité. Mais je peux me tromper. Cela ne changerait rien au fond de mon propos : nous sortons de ce qu’ont été les religions depuis l’aube de l’humanité ». Mais, même si la Réforme marque un tournant historique dans ce parcours de ‘sortie de la religion’, selon l'expression de Marcel Gauchet, l’historien reconnaît que toute une partie du jeu de la modernité « s’est jouée indépendamment d’elle et éventuellement contre elle » (Id., 1985, p. 65). 38 WILLAIME, Jean — Paul, 2001/2, op. cit., p. 202.. 39 BAUBEROT, Jean, « Pouvons-nous être à la fois rationnel et religieux ?’, 2006 (tapuscrit) p. 3, « Personnellement, je qualifierai plutôt notre époque par l’expression de Modernité tardive, de façon analogue aux historiens qui parlent d’‘Antiquité tardive’ ou de ‘Moyen Âge tardif’. Cela ne signifie nullement qu’il s’agisse de périodes de décadence, mais, en revanche, cela veut indiquer l’idée de périodes de basculement. J’émets l’hypothèse que, comme à d’autres moments de l’histoire, nous sommes à la fin d’une période historique : c’est un moment où il se produit un épuisement du projet des Lumières, à la fois parce qu’il est globalement réalisé et parce qu’il a généré de nouveaux problèmes et se trouve en décalage face à de nouveaux défis. Le référentiel des Lumières est encore hégémonique, c’est encore un ‘imperium’ (A. Akoun), mais nous avons commencé à basculer vers une autre phase de l’histoire » ; cf. CAMPICHE, Roland, Les deux visages de la religion, Fascination et désenchantement, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 23 : « […] pourquoi affubler la notion de modernité du qualificatif de tardif ? L’intention est simplement de signifier par cette allusion temporelle que nous nous trouvons dans une période où l’on perçoit les limites de la société moderne. Serons-nous capables de les dépasser en fait, en théorie c’est toujours possible ! Aucun indice sûr ne permet de l’affirmer ».
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forte pour que la société puisse croire être toujours dans la poursuite du bonheur : il s’est produit un épuisement du programme des Lumières »40. JeanPaul Willaime et Jean Baubérot s’accordent donc pour caractériser la modernité par un basculement lié aux aspects culturels de la sécularisation. À la confiance entière et « enchantée » dans le mythe moderniste du progrès ont succédé le doute et la remise en question systématique du passé, comme du futur. 1.3.2.- Réflexivité systématique et idiosyncrasie de la religion Nous avons porté notre attention sur le déploiement de la sécularisation résultant de la situation en ultramodernité et de ses prolongements dans le domaine du religieux. Deux aspects de ce procès nous intéressent. Ils aident à situer le contexte général européen dans lequel se déploie l’identité religieuse adventiste : la réflexivité systématique et l’idiosyncrasie personnelle de la religion41. La réflexivité systématique La notion de réflexivité systématique42, comme dimension de l’ultramodernité, résume une remise en discussion généralisée de tous les 40
BAUBEROT, Jean, 2006 (tapuscrit), op. cit., p. 5. D’autres aspects de la modernité actuelle sont mentionnés par Jean-Paul Willaime : la différenciation fonctionnelle, la globalisation et le pluralisme. Cf. WILLAIME Jean-Paul, 2005, op. cit., pp. 102-107. 42 Nous employons cette expression dans le sens où l’entend Jean-Paul Willaime : « Réflexivité » (de réflexion, du latin ‘reflectere’), qui résulte de la réflexion ; « systématique », procéder avec méthode. « Réflexivité systématique », ici, dans le sens d’opérer méthodiquement un discours procédant de la réflexion critique, discours moderne désenchanteur et déstabilisateur. En effet, Jean-Paul Willaime propose la thèse selon laquelle, sur le plan sociologique, l’ultramodernité se manifeste par l’examen critique de toutes les certitudes modernistes dans les domaines politiques, scientifiques, économiques, sociaux, celui du progrès, autant que pour toutes les traditions, mêmes religieuses : « L’ultramodernité, c’est toujours la modernité, mais la modernité désenchantée, problématisée, autorelativisée. Une modernité qui subit le contrecoup de la réflexivité systématique qu’elle a déclenchée : celle-ci n’épargne rien, pas même les enchantements qu’elle a pu produire dans sa phase conquérante (que l’on peut qualifier de moderniste) », WILLAIME, Jean-Paul, « L’ultramodernité sonne-t-elle la fin de l’œcuménisme ? », 2001/2, p. 202. « La réflexivité systématique [souligné dans le texte] engendre des rapports critiques aux traditions en questionnant toutes les pratiques. Si la société, en se libérant des tutelles religieuses, se sécularise, les religions, en s’ouvrant plus ou moins à la réflexion critique et à l’esprit du siècle, se sécularisent aussi », WILLAIME, Jean-Paul, Sociologie des religions (Que sais-je ? 2961), Paris, P.U.F., 20053, p. 103. Dans un de ses textes, il parle de « réflexivité moderne » qui, au plan des mentalités, engendre ce qu’il appelle une « laïcité culturelle », (cf. Idem, « La laïcité culturelle, Un patrimoine commun à l’Europe ? », Projet 240 (1994-1995), p. 7-15. Traitant ailleurs de la problématique de l’identité européenne, le sociologue propose que « [...] plutôt que de parler d’une supposée identité chrétienne de l’Europe, 41
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instruments de la modernité. À ce sujet, Jean-Paul Willaime écrit : « sa capacité autoréflexive, sa dynamique critique […] se manifeste aussi dans les rapports modernité-religion avec une modernité qui tend moins à se concevoir comme une alternative à la religion que comme un cadre pluraliste où diverses expressions religieuses peuvent se déployer. […] Le désamorçage de la modernité dans sa capacité philosophique et politique à produire des conceptions alternatives de l’homme et du monde constitue, en tant que sécularisation des utopies séculières, une radicalisation de la sécularisation. Une radicalisation qui se traduit, paradoxalement, par une certaine revalorisation socioculturelle du religieux »43. Jean Baubérot, nous l’avons vu, situe ce « désamorçage de la modernité » au courant de la seconde moitié du 20e siècle. Dans l’ultramodernité, constate-t-il d’une manière plus concrète, les progrès techniques se déconnectent progressivement des savoirs scientifiques qui les remettent en cause en soulignant de plus en plus les problèmes induits par le progrès44. La « réflexivité systématique » est donc comprise ici comme une réflexion de la modernité elle-même sur ses propres instruments, sur sa propre utopisation et absolutisation45. C’est l’amorce d’une prise de conscience globale de leurs propres limites. Nous l’avons dit, depuis le siècle des Lumières jusqu’à la fin du 20e siècle, le modèle avait prévalu d’un processus de la modernisation et de la sécularisation irrésistible, transformant et adaptant tous les éléments culturels, avant tout les traditions religieuses, dans le sens d’un progrès continu sous le rôle directeur des nouvelles connaissances des sciences. En Europe aujourd’hui, ce concept de progrès linéaire est mis en doute par des critiques de plus en plus nombreuses. « […] sur le plan des mentalités, conclut Jean-Paul Willaime, […] il n’y a plus de sacré, tout est passé au crible de l’examen critique, non seulement les traditions religieuses et les coutumes, mais aussi les idéologies politiques, le développement de la science, la croissance économique, les idéaux
il paraît historiquement plus juste de se demander si une des spécificités essentielle de l’Europe occidentale ne s’est pas nouée autour de ce que nous appelons la ‘laïcité culturelle’, c’est-à-dire la progressive émergence culturelle, avec des conséquences socio-politiques diversifiées selon les pays, d’une séparation entre le spirituel et le temporel, le religieux et le politique, bref d’une décléricalisation en profondeur ayant abouti à un réaménagement important de la situation socioculturelle de la religion », Idem, « La religion comme ressource symbolique et éthique dans une Europe sécularisée et pluraliste », in : FRIEDLI, Richard ; PURDIE, Mallory Schneuwly, L’Europe des religions. Eléments d’analyse des champs religieux européens, Berne, Studia Religiosa Helvetica, vol. 8/9, 2002/2003, Peter Lang, 2004, p. 39. La réflexion de Jean-Paul Willaime n’exclut pas la notion de « systémique », dans le sens de ce qui se rapporte ou affecte un système dans son ensemble. 43 WILLAIME, Jean-Paul, 20053, Id., p.108. 44 Cf. BAUBEROT, Jean, 2006 (tapuscrit), op. cit., p. 4. 45 Cf. WILLAIME, Jean-Paul, ‘L'ultramodernité sonne-t-elle la fin de l'œcuménisme ?’, Recherches de science religieuse 89 (2001/2002), p. 108.
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de changements, voire l’idée même de ce changement »46. Ce sont, en premières lignes, les sciences qui portent sur les techniques de l’économie, de la politique, qui se heurtent à des limites humaines de plus en plus évidentes. Que penser des dilemmes bioéthiques, des atteintes des progrès techniques à l’environnement, à la biodiversité ? Autre domaine encore : les sciences sociales s’avèrent incapables de produire des orientations répondant universellement aux attentes des hommes : par exemple, les impasses de l’Organisation mondiale du Commerce (O.M.C.). Ou encore, bien que la théorisation et la constitutionnalisation généralisée des droits de l’homme, avec la reconnaissance de leur universalité, soient des avancées indéniables de la pensée occidentale depuis le 16e siècle, leur application trouve des barrages aujourd’hui avec des revendications de droits contradictoires. Il serait possible de multiplier les exemples montrant des effets dissolvants de remises en question tous azimuts de la modernité. Nous limitant à l’objet de notre étude, soulignons qu’au cœur de tout ce problème se situe un changement important de la référence à la ‘vérité ’ de toutes les théories et de tous les discours, y compris celui du christianisme et de la référence à la manière de s’investir dans la foi. Idiosyncrasie personnelle de la religion47 Le second aspect du procès dans l’ultramodernité, c’est l’idiosyncrasie personnelle de la religion. Sans vouloir minimiser l’influence de la réflexivité dans l’itinéraire de l’identité religieuse adventiste, notre attention se portera un peu plus longuement sur ce second aspect, parce qu’il représente un des
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IDEM, pp. 202. Jean-Paul Willaime parle « d’individualisation » [de même que CAMPICHE, Roland, ‘Dilution ou recomposition confessionnelle en Suisse’, in : DAVIE, Grace ; HERVIEU-LEGER, Danièle 1996, op.cit., p. 90] : « L’individualisation est un des traits les plus marquants. Il se manifeste même dans les systèmes religieux les plus intégrés qui, tel le catholicisme, insistent sur la conformité [...] De nos jours, chacun doit définir lui-même sa religion indépendamment des Eglises [...] », WILLAIME, Jean-Paul, Sociologie des religions, Paris, Presses universitaires de France, 20053, p. 103. Nous préférons employer ici l’expression que propose le professeur Richard Friedli, « idiosyncrasie », (du grec, idios, particulier, propre, personnel, et de sugkrasia, mélange), dans le sens de l’anthropologie sociale : attitude personnelle particulière qui consiste à réagir et à choisir sous l’effet d’agents extérieurs : « Manière d’être particulière à chaque individu, qui l’amène à avoir des réactions, des comportements qui lui sont propres », ‘Idiosyncrasie’, in Dictionnaire Larousse, Paris, 2009. Elle nous paraît aussi exprimer ce que Jean-Paul Willaime décrit comme l’individu devant « définir lui-même sa religion indépendamment des Eglises », c’est-à-dire qu’il adopte une façon de croire qui se développe en dehors des cadres balisés par les organisations religieuses, par exemple, des Eglises. On pourrait sans doute aussi parler ‘d’intériorisation personnelle’, le fait de ramener à l’intérieur. Mais il nous semble moins refléter le fait d’un certain syncrétisme (tendance à fusionner des éléments culturels, religieux différents) qui a tendance à pénétrer dans tous les milieux religieux, y compris dans le christianisme. En fait, le vocabulaire pour désigner ce phénomène sociologique reste fluctuant. 47
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processus de l’ultramodernité qui entre d’une certaine manière en jeu avec l’identité religieuse adventiste. Il constitue, en fait, un réel défi. Comment comprendre l’idiosyncrasie personnelle en matière de croyances ? Il est intéressant de mentionner l’analyse que faisait Roland Campiche en 1996, mais en utilisant l’expression ‘d’individualisation’, au sens qu’emploie JeanPaul Willaime. Relevant que la Suisse est aussi concernée par l’individualisation dans tous les aspects culturels de sa modernité, même dans le domaine religieux – et que ce pays ne constitue pas un cas particulier dans les sociétés occidentales –, il décrit le mouvement de l’idiosyncrasie personnelle comme « […] beaucoup plus large que la simple distance par rapport aux institutions et que la propension de l’individu à construire son propre système de référence. L’individualisation renvoie à un aspect central du changement social, à savoir l’obligation faite à l’individu de trouver sa place dans une société fragmentée et sans régulation centrale en composant lui-même ses réseaux et ses codes. Il est évident que pour y parvenir l’individu se sert de l’offre que lui fait la société. L’individualisation n’est pas le synonyme d’autonomie ou de totale liberté. L’individu doit se débrouiller avec le disponible. Il le fera de différentes manières. Tout dépend de ses atouts et de ses choix »48. Roland Campiche souligne donc que c’est la déstructuration sociale des repères « en situation de modernité » (Peter Berger) qui entraîne en quelque sorte l’individu dans une logique de responsabilisation personnelle dans la construction de son propre système de référence religieuse, mais aussi celle de la société, dans les moyens qu’elle met à sa disposition. Les notions d’idiosyncrasie personnelle ou d’individualisation pourraient recouper celle d’individualisme, sous certains aspects, si on prend ce terme dans le sens d’une analyse théorique dans laquelle la société tient compte de la valeur de l’individu, de son état d’esprit, de son état de fait d’être un individu, avec son rôle et ses initiatives. Cependant l’idiosyncrasie personnelle ou l’individualisation ne sont pas l’individualisme moral. Elles ne le sont pas dans le sens devenu commun de l’emploi de ce terme, c’est-à-dire emportant une connotation péjorative, signifiant ‘ne vivre que pour soi’. Dans son essai pour une théorie sociologique de la religion, publié la première fois en 1967, l’un des maîtres anglophones contemporains de la sociologie des religions, Peter Berger avait déjà souligné ce jeu dialectique implicite de la responsabilisation dans la logique de l’idiosyncrasie personnelle : « Les deux affirmations selon lesquelles la société est produite par les hommes et que l’homme est le produit de la société ne sont pas contradictoires. Elles reflètent plutôt le caractère dialectique de ce phénomène 48 CAMPICHE, Roland, ‘Dilution ou recomposition confessionnelle en Suisse’, in : DAVIE, Grace ; HERVIEU-LEGER, Danièle 1996, op.cit., p. 90.
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de société. […] Le processus d’intériorisation doit toujours être compris comme l’un des moments du processus dialectique plus large qui inclut aussi l’extériorisation et l’objectivation. […] Non seulement l’intériorisation fait partie de l’évolution finale du processus tout entier de la dialectique, mais la socialisation de l’individu a aussi lieu d’une façon dialectique. L’individu n’est pas moulé sans résistance, à la façon d’une matière inerte. Il se forme plutôt dans le cours d’un échange prolongé (une dialectique, au sens littéral du terme) dans lequel il est un ‘participant’. C’est-à-dire que l’individu n’absorbe pas passivement le monde social (avec ses propres institutions, ses rôles et ses identités), mais qu’il se ‘l’approprie’ d’une manière active. En outre, une fois formé en tant que personne, ayant une identité reconnaissable objectivement et subjectivement, l’individu doit continuer à prendre part à l’échange, ce qui le soutient en tant que personne dans la progression de son histoire personnelle. C’est-à-dire que l’individu continue à être un coproducteur du monde social, et ainsi que de lui-même »49. Idiosyncrasie personnelle de la religion et perte d’influence des Églises Aujourd’hui, l’idiosyncrasie personnelle de la religion est l’un des courants les plus sensibles dans la modernité religieuse. Il apparaît dans tous les systèmes religieux présents dans la société occidentale, même les plus intégrés comme le catholicisme, l’orthodoxie, l’anglicanisme (Jean-Paul Willaime). C’est ce montrent les sondages. Selon l’Institut CSA (Conseils-Sondages-Analyses) pour Le Monde/La Vie, à la question ‘Chacun doit-il définir sa religion indépendamment des églises ?’, posée à des français âgés de 18 ans en automne 2003, 77 % répondent qu’ils sont d’accord. C’est un chiffre en hausse par rapport à 1994, quand à la même question 71 % répondaient par l’affirmative50. Publié en décembre 2005 dans le magazine de Bayard Presse, Okapi, le sondage de l’Institut IFOP (Institut français d’Opinion publique) effectué en juin 2005 auprès de jeunes de 11-15 ans montrait que « croire, pour les adolescents, relève plutôt d’un choix personnel (60%) que d’un héritage familial […]. Les filles sont plus nombreuses à dire que la religion est un choix personnel (65%). Elles sont aussi plus nombreuses à dire qu’une religion se vit intimement (64% contre une moyenne générale de 57%). En revanche, chez les jeunes musulmans, 67% situent la religion dans un héritage familial »51.
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BERGER, Peter, 19903, op. cit., p. 3, 4, 18. (Voir texte original en anglais, note 27, p. 44.) [trad. MV]. 50 Cf. Les croyances des français, Sondage CSA — Le Monde/La Vie, Cf. Voxdei, 29.01.2004, http://www.voxdei.org. 51 Le fait religieux, Sondages sur religion, foi, pratiques religieuses, France 2 – Patrimoine, 11 juin 2008, http://www.culture.france2.fr.
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Ce courant s’accompagne de distanciations et de doutes. Dans son analyse de l’enquête sur la religion effectuée en France par I ‘International Social Survey Programme (ISSP, 1998)52, Pierre Bréchon constatait que l’image des églises et des religions se présentait « en demi-teinte », faite à la fois d’ouverture (52 % des sondés pensant qu’on « retrouve des vérités fondamentales dans beaucoup de religions »), et de méfiance envers les autorités religieuses (64 % approuvant l’affirmation selon laquelle « de par le monde, les religions apportent plus de conflits que de paix»53). « Pour 66 %”, écrit aussi Yves Lambert, les gens qui ont de fortes convictions religieuses sont plus souvent intolérants envers les autres ». Dans le même mouvement de se distancer, les certitudes religieuses reculent au profit du doute. De 38 % pour les personnes âgées de 65 ans qui doutent de l’existence de Dieu, les réponses passent à 55 % pour les jeunes de 18 à 24 ans54. Par ailleurs, les enquêtes ‘Valeurs’ dans d’autres pays occidentaux révèlent que, dans le domaine religieux, la France est une illustration particulière d’une évolution devenue générale. « Par rapport aux autres pays occidentaux, selon les enquêtes de 1981 à 1990, écrit Yves Lambert, la France se situait parmi les pays les moins religieux, avec la Belgique, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la Suède, les plus religieux étant l’Irlande, les États-Unis et l’Italie. Les principales tendances d’évolution étaient en gros les mêmes dans tous les pays d’Europe occidentale, avec une intensité plus ou moins grande selon le pays : recul sensible de l’appartenance et de la pratique, baisse plus modérée des croyances associées à Dieu […]. L’enquête de l’International Social Survey Programme (ISSP) de 1991, non réalisée en France, confirmait de son côté le glissement vers les probabilismes et la diffusion plus grande des croyances parallèles vers les jeunes générations »55. L’une des attitudes formant système, écrit-il, c’est « [...] l’individualisation, selon laquelle chaque individu définit lui-même ses croyances, ses pratiques et ses normes religieuses »56. Plus loin, il 52 L’International Social Survey Programme (ISSP). Enquête annuelle conduite dans plus de 40 pays sur des thèmes relevant des sciences sociales. Le volet suisse de l’enquête est assuré par la Fondation suisse pour la recherche en sciences sociales (FSRSS), dont le site est hébergé à l’Université de Lausanne.
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BRECHON, Pierre, « Les attitudes religieuses en France : quelles recompositions en cours ? », Archives de sciences sociales des religions 109, Paris, janv.- mars 2000, pp. 11-30.
54 Cf. LAMBERT, Yves, « Religion, développement du hors-piste et de la randonnée », in : BRECHON, Pierre (dir.), Les Valeurs des Français. Evolutions de 1980 à 2000, Paris, Armand Colin, 2000, p. 131. Seul, le catholicisme a pu être analysé – il représentait encore 95% des appartenance déclarées en France au moment des enquêtes –, les effectifs de musulmans, de protestants, de juifs et de bouddhistes, n’étant pas suffisants pour pouvoir en tirer des conclusions, note l’auteur. 55 LAMBERT, Yves, « Religion, développement du hors-piste et de la randonnée », 2000, op.cit., p. 131. 56 IDEM., p. 130.
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précise : « [...] La croyance en Dieu exprime une évolution incertaine qui cache un glissement du ‘Dieu personnel’ vers ‘une sorte d’esprit ou de force vitale’, cependant que l’athéisme progresse un peu. Plus précise à cet égard, l’enquête ISSP 1998 confirme l’effritement de la notion d’un Dieu en relation personnelle avec l’homme : l’idée que ‘Dieu s’intéresse à chaque être humain personnellement’ passe de 50 % d’approbation (‘tout à fait d’accord’ ou ‘d’accord’) parmi les 65 ans et plus, à 17 % seulement chez les 19-29 ans »57. Dans une autre analyse, Yves Lambert rapporte que, parmi les tendances principales, se dessine chez les jeunes, à côté d’un affaiblissement de la religion institutionnelle en accélération, une remontée des croyances liées à l’après mort et « une stabilité ou une progression des croyances ‘parallèles’ (astrologie, télépathie, réincarnation, etc.), un écart croissant, dans l’image de l’Église catholique, entre la perception positive de son rôle caritatif humanitaire et la réserve majoritaire face à ses réponses aux problèmes moraux, familiaux et sociaux »58. Jean Baubérot situe la rupture culturelle de la modernité entre 1968 et 1989. Bien que se situant sur un autre plan, à l’intérieur de cette rupture culturelle, l’analyse d’Yves Lambert s’en rapproche. Celui-ci lit dans les statistiques d’enquête sur le religieux que le décrochage de l’appartenance religieuse chez les jeunes se situe vers 1970, et pour l’ensemble des croyants en France, vers 1975-1976. « […] de même, la croyance en Dieu plonge vers 1970 chez les jeunes, s’infléchit vers 1977-1978 pour l’ensemble. La chute s’amortit dès la fin des années 80 pour les jeunes, chez lesquels s’observe en outre une légère remontée finale des croyances en Dieu et surtout une vie après la mort. […]. Pourquoi ces moments-là d’inflexion ? La rupture principale correspond au début de ce que Henri Mendras a appelé la ‘seconde Révolution française’ (l’individualisation, la permissivité, la révolte contre l’autorité, etc.), dont la génération du baby-boom (née après 1945) et mai 1968 ont été l’avant-garde. Elle coïncide avec la condamnation de la contraception par l’Église catholique (1968), cependant que la seconde inflexion (vers 1975-1976) coïncide avec la condamnation des nouvelles lois sur l’avortement et avec l’affaire Lefebvre (intégristes). Cette seconde révolution a également vu émerger ‘les nouveaux mouvements religieux (les ‘sectes’) et le mouvement charismatique (né en France en 1972), phénomènes venus surtout des États-Unis où ils ont fait partie de la vague contestataire et de la nouvelle culture. L’inflexion stabilisatrice des années 1980 pourrait s’expliquer par l’impact du pape Jean-Paul II et, plus largement, par un reflux de la vague sécularisante et permissive [...] »59. 57
IDEM, p. 139. LAMBERT, Yves, « La religion, un paysage en pleine évolution », in : RIFFAULT, Hélène (dir.), Les Valeurs des français, Paris, PUF, 1994, pp. 156-157. Voir aussi, du même auteur, « Religion, développement du hors piste et de la randonnée », 2000, p. 130. 59 LAMBERT, Yves, 2000, op .cit., p. 136.
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Évolution paradoxale du sentiment à l’égard du religieux On peut donc se demander si le sondage effectué au mois de juin 2005 par l’Institut CSA pour la revue ‘Le Monde des Religions’60, ne trahirait pas une certaine ambivalence du religieux, même au sein de la société française, l’un des pays occidentaux où le regard sur le religieux, en raison de son histoire religieuse houleuse, a été le plus fortement marqué par la méfiance et la distanciation à l’égard de tout religieux ? Bien que les résultats montrent aussi la persistance de ces sentiments, le bilan des réponses reflète une perception du religieux contrastée, contradictoire même, et différente à ce qu’on aurait sans doute cru s’attendre. 41 % des sondés déclarent que la dimension spirituelle ou religieuse est importante (57 %, pas importante) ; 56 % qu’elle occupe une place plus importante dans le monde qu’il y a dix ans (19 %, moins importante) ; 59 % estiment que la place de la religion dans le monde est trop importante (16 %, qu’elle ne l’est pas assez) ; 45 % pensent que les religions occupent en France une place plus importante qu’il y a dix ans (26 %, moins importante) ; 47 % l’estiment personnellement trop importante (18 %, pas assez). Pourtant, 78 % des Français pensent que ‘les religions sont un besoin essentiel de l’homme, elles vont continuer, même si elles se transforment’. En ce qui concerne le rapport personnel des sondés à la spiritualité et à la religion, 26 % se déclarent plus intéressés qu’il y a une dizaine d’années (23 %, ni plus, ni moins et 48 % un peu moins). Parmi ceux qui s’affirment non croyants ou non pratiquants, 30 % disent être plus intéressés qu’il y a dix ans par la culture de leur religion d’origine. Comme le souligne le commentaire de Jean-François Barbier, ce sondage permet de distinguer des degrés de perception positive ou négative de la religion, selon l’éloignement ou le rapprochement de l’implication personnelle. En regardant vers le monde en général, 78 % des Français déduisent que les religions sont un besoin essentiel de l’homme. Une perception de la situation plus proche d’eux amène 41 % à penser que la dimension spirituelle est importante pour réussir sa vie. Quand il s’agit d’euxmêmes, seuls 26 % des sondés déclarent qu’ils s’intéressent plus aux questions spirituelles qu’il y a une dizaine d’années. Quant aux non croyants ou non pratiquants, 30 % sont plus intéressés à la culture de leur religion d’origine qu’il y a dix ans (46 % moins). Ambiguïté donc des sentiments des français sur la religion. Les réflexions actuelles des sociologues de la religion sur les évolutions de ce sentiment en Europe laissent penser que la représentation de la religion – principalement en ce qui concerne le christianisme – ne se résume plus dans le schéma simplifié de l’individualisation de la religion et de son retrait 60
Sondage CSA/ Le Monde des Religions, Le retour du religieux ? Juin 2005 (0500812F). cf. http://www.csa-fr.com. Voir aussi : BARBIER-BOUVET, Jean-François, « Les Français et ‘le retour du religieux’ », Le Monde des Religions, 13 (2005), pp. 38-41.
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programmé de la société. La sociologue britannique Grace DAVIE pose la question. Tout en remarquant que « l’Europe occidentale est à rebours d’un monde qui se caractérise plus par une résurgence du religieux que par une sécularisation croissante » - ou, pour reprendre le propos de Peter Berger « […], la ‘vieille’ thèse de la sécularisation semble tenir le coup en Europe occidentale, si ce n’est pas le cas ailleurs », - et après avoir souligné que les statistiques le confirment, elle ajoute : « Pourtant, elles peuvent faire l’objet d’explications diverses et il convient de proposer une interprétation plus nuancée. Et si les Européens n’étaient pas en réalité moins religieux que les habitants des autres continents, mais l’étaient d’une manière différente ? Dans ce cas, les conséquences pour la vie publique pourraient être considérables »61. Plus loin, après avoir mis en évidence que les enquêtes EVSSG62 amènent à utiliser le terme de sécularisation avec prudence, Grace DAVIE écrit : « […], il devient possible de suggérer que les Européens de l’Ouest sont des populations ‘sans Églises’ plutôt que simplement sécularisées. […]. Bien que beaucoup d’Européens aient cessé de fréquenter les institutions religieuses, ils n’en ont pas moins conservé la plupart de leurs inclinations religieuses les plus profondes »63. Toutefois, si l’analyse avancée des données concernant l’Europe de l’Ouest fait apparaître « une réelle cohérence des formes et des profils de religiosité à travers un grand nombre de pays », il y a des exceptions. La France, par exemple, qui ne se comprend que par son histoire. Mais aussi, avec elle, la Belgique, les Pays-Bas et l’Angleterre, “où le nombre des ‘sans religions’, du moins sans affiliation spécifique, est supérieur à la moyenne »64. Et de conclure son article : « Pourtant, au milieu de cette indifférence, les Églises fonctionnent encore comme une sorte de ‘mémoire déléguée’ ; une proportion significative d’Européens confient à leurs Églises, souvent des Églises d’Etat, la tâche d’assurer ce qu’ils ne font plus eux-mêmes. […]. Il leur est par exemple demandé d’exprimer le sacré à différents moments du cycle de vie de l’individu 61
DAVIE, Grace, « Europe : l’exception qui confirme la règle ? » in : BERGER, Peter (dir.), Le réenchantement du monde, Paris, Bayard, 2001, p. 99, 100. 62 L’European Value System Study Group (EVSSG) est né en 1979. Il s’agit d’enquêtes comparatives menées par un groupe de chercheurs qui s’interrogent sur les différences et les similarités existant entre les valeurs des Européens. La première enquête a été lancée en 1981 dans 9 pays européens ; en 1990, dans 33 pays européens, auxquels se sont joints 12 pays non européens. La troisième vague d’enquêtes de ce groupe s’est déroulée entre 1995 et 2002. Les données de l’enquête de 2008 sont encore en cours d’analyse au moment de la rédaction de cette étude. 63 DAVIE, Grace, op. cit., p.107. Grace Davie ajoute en note : “L’une des questions essentielles posées par l’enquête EVSSG concerne l’avenir de la religion européenne. Sommes-nous au bord d’une situation très différente : un 21e siècle plus sécularisé ? Il est très difficile de prédire la manière dont la relation nominale pourrait bien devenir la norme dans un avenir prévisible ; ou alors, les deux variables pourraient peu à peu se rapprocher de telle sorte que la croyance nominale se transforme en une complète absence de croyance. Cela pourrait bien être le cas des jeunes gens qui croient beaucoup moins, au sens habituel, que leurs parents ou grands-parents.” 64 DAVIE, Grace, op. cit., p. 109.
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ou de la famille, ou lors de célébrations ou de crises nationales. Le refus de ces missions irait à l’encontre des attentes aussi bien individuelles que collectives »65. Autrement dit, beaucoup de croyants se référent encore nominalement au rôle des Églises dans les domaines du culte, des cycles de la vie, des questions éthiques ou de débat politique. Mais, cette fonction de « mémoire déléguée » se traduit par le risque d’absence de contact entre les représentants des Églises et leur population. « Cela ne se traduit peut-être pas par une perte immédiate de sensibilité religieuse (les statistiques suggèrent l’inverse), mais cela conduit, génération après génération, à un effondrement dramatique du savoir religieux. L’ignorance des éléments de base de la culture chrétienne est aujourd’hui la norme en Europe, surtout parmi les plus jeunes ; cela n’est guère rassurant »66. D’une certaine manière, Roland Campiche fait écho au questionnement de Grace Davie dans son livre Les deux visages de la religion, au chapitre intitulé ‘La religion en modernité tardive ’ : « Durant les années 1960-1970, la réflexion relative à la religion dans la modernité se résumait à une spéculation touchant le mode et la durée de sa survie. Les années 1970-1980 ont été marquées par un intérêt soutenu pour les dissidences religieuses et les nouvelles formes de religiosité. Quant à la période 1980-1990, elle est celle où s’épanouit la théorie de l’individualisation de la religion. Aujourd’hui, on ne se penche plus au chevet d’une moribonde. On s’interroge plutôt sur les modalités de déploiement de la religion. Comment devient-on croyant ? Pourquoi recourt-on aux ressources religieuses ? De quelles manières ces dernières sont-elles produites et régulées ? Les Églises chrétiennes ont-elles encore voix au chapitre ou constituent-elles les reliques d’un passé religieux révolu ? La religion est-elle une affaire privée ou infléchit-elle la vie publique ? Se transmet-elle ou est-elle l’objet d’une création individuelle ? Ce chapelet de questions est significatif de l’évolution du regard porté sur la religion et des représentations qu’on se fait du phénomène. Il est aussi révélateur des enjeux tournant autour du contrôle de la religion dans les sociétés occidentales »67. Il n’est pas évident de repérer des étapes aussi marquées dans l’évolution de l’Église adventiste durant ces mêmes décennies, bien que les courbes statistiques globales sur les évolutions annuelles du nombre de ses membres en Suisse et en France montrent des moyennes générales en recul entre le début et la fin de cette période (voir figures 1 et 2 : dans les deux graphiques, l’année 1960 est considérée comme l’année 0, point de départ) :
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IDEM, p. 127. IDEM, p. 128. 67 CAMPICHE, Roland, Les deux visages de la religion. Fascination et désenchantement, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 17. 66
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Certes, les mêmes interrogations sur les modalités de déploiement de l’adventisme se sont aussi posées, durant la même période. A notre connaissance, aucune enquête n’a été menée, permettant de savoir si les reculs qui apparaissent dans les statistiques de cette période sont liés ou non à une recherche de nouvelles formes de religiosité. Il semblerait pourtant que ce n’est
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pas le cas, si on s’en tient essentiellement au niveau de l’expérience générale. Mais elle n’est pas confirmée. Les années 1970-1980 sont marquées par des fléchissements plus importants de la courbe générale. Il semble bien que cela soit dû au fait qu’un nombre assez significatif des plus jeunes membres se sont distancés de la fréquentation des services et des activités des communautés locales auxquelles ils ont appartenu. Ici, on peut parler de formes d’individualisation de leur mode de vie religieuse, sinon de l’indifférence. Beaucoup n’ont pas cessé pour autant d’avoir des relations avec des membres de leurs anciennes communautés. Elles témoignent qu’il n’y a pas chez eux de forme de l’idiosyncrasie, au sens où nous l’avons entendu plus haut. Il semble que leur style de vie reflète encore bien des aspects de celui qu’ils avaient adopté durant la période de leur fréquentation régulière des milieux adventistes. Il faut noter ici que, durant ces mêmes décennies, les chiffres révèlent plus de sorties en France et en Belgique, à l’inverse de la Suisse (voir figures 3 et 4)68.
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Les chiffres ne prennent en compte, pour les entrées annuelles, que le nombre de baptêmes et pour les sorties, celui des abandons ou partis sans laisser de nouvelles. Il n’est pas tenu compte des décès et des départs de membres vers d’autres Églises adventistes, où ils sont enregistrés en ‘transferts’, ni des ‘entrées’, selon le même mode. D’après Archives Seventh-day Adventist World Statistics.
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A la sortie des deux décennies considérées, les chiffres globaux retenus pour ces trois pays indiquent une stagnation du nombre de membres dans l’Église adventiste. Les limites de l’idiosyncrasie personnelle Cherchant à mieux cerner les mécanismes en jeu dans la complexité des formes du religieux en Europe après les années 1960, Roland Campiche explore le concept de ‘dualisation de la religion ’, notion dans laquelle il intègre l’existence de deux types de religiosité : la religiosité institutionnelle et la religiosité universelle69. Il part de l’idée que la baisse de l’influence des institutions religieuses sur les croyants et le recul visible de ces institutions dans le domaine public ont donné du terrain à l’idée selon laquelle l’individualisation doit être lue comme une sorte de passage vers la modernité. Il oblige l’individu « à se détacher des liens, des systèmes de croyances et des relations sociales traditionnellement transmis »70 et à se construire ses propres références en matière religieuse, d’une façon autonome. D’une manière analogue et simultanée, s’est imposée dans l’opinion publique la conception de l’individualisation de la religion comme une sorte de ‘bricolage religieux ’. C’est donc devenu une ‘affaire privée ’. En Suisse, relève-t-il, en passant de 28 % en 1989 à 41 %, cette idée est devenue relativement majoritaire. Cependant, Roland Campiche critique cette conception. Il rappelle qu’à l’origine, l’individualisation était considérée comme une conséquence de la complexification des sociétés modernes en sous-systèmes spécialisés, générant de nouveaux cadres pour les attitudes et les comportements religieux. « Dans cette perspective, l’individu doit souvent se frayer un chemin dans le dédale complexe de la société et se débrouiller avec les diverses normes, parfois 69 70
CAMPICHE, Roland, Les deux visages de la religion, 2004, p. 273. IDEM, p. 26.
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contradictoires, orientant les différents sous-systèmes. Mais il ne construit pas son identité religieuse dans un vide social. Les capitaux socioculturels acquis, entre autres lors de la première socialisation, pèsent sur des choix spirituels. […] De même, l’expérience religieuse se vit rarement en dehors d’un réseau de relations qui peut relayer le rôle légitimateur de l’institution ou en tout cas attester l’authenticité de ce qui a été éprouvé. Considérer la religion comme ‘une affaire privée” [italiques dans le texte] ne vient que renforcer le malentendu à propos de l’individualisation »71. En concevant l’individualisation de la religion « comme un trait de la religion en modernité tardive et comme la théorie globale qui l’exprimerait »72, Roland Campiche rejoint par ce biais l’analyse de Peter Berger que nous avons vue plus haut : comme l’individualisation, la construction d’une identité religieuse est la phase personnelle du processus dialogique de l’individu avec la société en situation de modernité tardive. « Notre identité se forme à travers un échange intérieur ou extérieur avec autrui, échange constitutif du lien social. Ce constat ne préjuge en rien l’originalité de chaque voie et voix »73. En résumé, Roland Campiche propose de substituer à l’hypothèse de l’individualisation telle qu’elle avait guidé l’interprétation dans son livre Croire en Suisse (s)74, mais sans la rejeter complètement, l’hypothèse de la ‘dualisation’ de la religion en modernité tardive. « L’existence parallèle de deux types de religiosité : d’un côté une religion institutionnelle, héritière de la tradition chrétienne, représentée dans notre pays [la Suisse, note de l’auteur] par les l’Église catholique romaine et l’Église protestante ; de l’autre une religion universelle répondant aux standards culturels et religieux de la modernité tardive. Ces deux types de religion sont l’objet d’une régulation »75. C’est aussi ce rôle structurant que met en évidence Jean-Paul Willaime : “La question se pose en effet de savoir ce qu’il advient du religieux en régime d’ultramodernité. Dans une telle situation, le religieux tend à être réinvesti comme lieu de mémoire au niveau sociétal et individuel […] et comme pourvoyeur d’identités collectives et individuelles […]. Si la modernité conquérante tendait à dissoudre les cultures, elle n’a pas tout digéré et la réalité sociale ne s’est jamais réduite aux effets de la froide rationalité instrumentale. […] En réaction à l’individualisme extrême, le religieux se trouve réinvesti pour dire l’identité collective […], il contribue à fabriquer des identités, des manières de se situer par rapport à d’autres groupes »76. Faute d’étude précise, on peut s’interroger à savoir si la « dualisation de la religion » dont parle Roland Campiche touche aussi les adventistes qui se sont éloignés de leurs 71
IDEM, p. 27. IDEM, p. 37 73 IDEM, p. 36. 74 CAMPICHE, Roland, et al., Croire en Suisse(s). Analyse des résultats de l’enquête menée en 1988/1989 sur la religion des Suisses, Lausanne, L’Age d’Homme, 1992. 75 CAMPICHE, Roland, 2004, p. 37. 76 WILLAIME, Jean-Paul, 19953, op. cit., p. 107, 109.
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communautés. Nous n’avons pas de sources permettant une réponse fondée. Par expérience, nous pouvons toutefois écrire que la plupart d’entre eux continuent à se situer comme adventistes. Idiosyncrasie et liberté de conscience Dans l’histoire de l’Occident, la reconnaissance d’une sphère privée et de la liberté de conscience est un phénomène lié à l’avènement de ce qu’on appelle aujourd’hui la « société moderne » et « la conscience individuelle ». C’est à cela que se reporte Jean Baubérot : « […] au niveau de l’institution religieuse, cette individualisation s’est développée dès la modernité établie, avec la proclamation, puis la réalisation progressive de la liberté de conscience »77. On pourrait certes identifier des formes d’acceptation de ce tribunal privé de la conscience, avant et ailleurs, avec des situations de coexistences religieuses témoignant d’une sagesse humaine et de l’expérience politique. Elles n’ont cependant rien à voir avec les notions actuelles de liberté de conscience et de sphère privée, qui apparaissent comme des conquêtes majeures de la modernité. Leur affirmation se produit progressivement dans le cours des temps. Or, de la reconnaissance d’un domaine public et d’un domaine privé découle aussi la question de la place de la religion dans la société. De ce point de vue, en mettant l’accent sur le droit de chacun de croire ou non, de changer ouvertement et d’afficher ses convictions personnelles, la modernité a engendré à long terme des manières d’être particulières, à avoir des réactions et des comportements propres à l’individu et des formes d’idiosyncrasie en matière de religion. En Europe, l’individualisation de la foi trouve ses racines lointaines dans le parcours de la liberté de conscience et de religion. Sa première réalisation politique remonte aux suites de la Réforme, au 16e siècle, puis au 17e siècle avec les Traités de Westphalie. Il ne faut pas cependant pas oublier que la reconnaissance de la liberté de conscience d’alors ne peut être confondue avec la généralisation effective des droits de l’homme en Europe à partir de la deuxième moitié du 20e siècle, étape qui coïncide avec l’instauration d’un nouveau processus de l’individualisation. La reconnaissance de la conscience n’avait constitué au départ qu’une part exiguë et invisible de l’individualisation du croire, malgré la forte revendication de son rôle en matière religieuse avec les réformateurs78. En raison même de la souveraineté du for intérieur de la conscience, mise en évidence par le courant des idées héritées de la Renaissance 77
BAUBEROT, Jean, 2006 (tapuscrit), op. cit., p. 4. Cf. DUFOUR, Alain, « La notion de liberté de conscience chez les Réformateurs » ; MILLET, Olivier, « La conscience libre chez Calvin », in GUGGISBERG, Hans R. ; LESTRINGANT, Jean-Claude ; MARGOLIN, Jean-Claude, La Liberté de Conscience (16e-17e siècles). Actes du Colloque de Mulhouse et Bâle (1989), Genève, Droz, 1991, pp. 15-20 et pp. 21-37. 78
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et de la Réforme, la liberté de conscience est devenue assez tôt une liberté fondamentale à conquérir. Elle s’est manifestée tout d’abord par des refus, par l’abstention de participer à des manifestations de la dévotion publique : cultes, processions, rituels, où le concours de tous était requis par la contrainte sociale. Cette revendication avait eu des antécédents, sinon en théorie, du moins dans les faits. Elle n’est pas née dans le vide historique (les Vaudois au 12e siècle, les cathares au 11e et 12e siècles, les lollards au 14e siècle, Jean Huss au 15e siècle, Érasme, Sébastien Castellion, etc.). Cependant, écrit Joseph Lecler, au 16e siècle, on en est venu à la conquête de sphères de plus en plus larges : “Aussi bien, dans tous les endroits où la liberté de conscience était établie ou tolérée en fait, une impulsion s’exerçait spontanément dans le sens de la liberté extérieure »79. Une distinction entre le privé et le collectif – déjà en germe chez Thomas d’Aquin et Érasme avec la distinction corollaire entre le sacré et le profane, l’Église et l’État – consistait à proclamer les droits de la conscience face à la puissance de l’institution religieuse. Elle fait apparaître au milieu du 16e siècle en France l’idée de dissocier partiellement l’unité religieuse et l’unité politique. Il ne s’agit encore que de l’autonomie de l’État, toujours lié par une politique de collaboration entre les deux institutions. Cette politique va de plus en plus caractériser l’époque moderne, en opposition avec l’époque médiévale. Avec son développement dans les nations modernes, le mouvement ira dans le sens d’une accentuation croissante de la distinction entre sphère publique et sphère privée. La Révolution française a fourni les éléments juridiques à l’institutionnalisation du caractère privé de la religion. Ensuite, depuis le commencement du 19e siècle, les changements dans les sociétés modernes occidentales dus à la complexification et aux spécialisations ont renforcé cette tendance. Au sortir des deux Grandes guerres mondiales du 20e siècle, la prise de conscience de la valeur de la personne humaine a favorisé l’émergence d’un droit international reconnu à cette liberté. La Déclaration universelle des droits de l’homme en est devenue le pivot juridique. D’un autre côté, il semble que l’individualisation de la religion a aussi trouvé sa confirmation dans les reculs qui s’installaient entre les Églises et les États et la distanciation du privé par rapport au public, amenant les Églises à ne plus exercer leur emprise sur les sociétés. Autant de facteurs qui ont sans doute créé des conditions favorables pour un nouveau type d’individualisation dans les mentalités modernes. Ce fut donc, en Europe occidentale, l’un des impacts à long terme de la reconnaissance de la conscience à l’époque moderne de faire passer les mentalités de la soumission typique dans les sociétés traditionnelles à la logique 79
LECLER, Joseph, Histoire de la tolérance au siècle de la Réforme, vol. 2, Paris, Aubier, 1955, p. 436.
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de l’autonomie et de la responsabilité des nations tout d’abord, puis à celle des groupes religieux. Mais, ce qu’il y a de nouveau avec l’ultramodernité, comme le déclare Baubérot, c’est l’apparition vers la fin du 20e siècle d’une nouvelle conjoncture où s’est instauré le nouveau processus d’individualisation dont nous avons parlé plus haut. Il révèle le mouvement faisant passer cette fois de l’autonomie des groupes religieux à celle des individus eux-mêmes au regard des institutions religieuses, « maintenant atteintes par la création d’incertitudes liées à l’avancée de la réflexivité »80. 1.4. - Conclusion De toutes ces évolutions, il ressort globalement qu’à l’échelle européenne « en situation de modernité », qu’elle soit ‘institutionnelle’ ou ‘universelle’, pour reprendre la notion de « dualisation de la religion » de Roland Campiche, la religiosité reflète de plus en plus les caractères d’une religiosité en situation de « laïcité culturelle » (Jean-Paul Willaime) 81. Ses traits distinctifs se lisent implicitement au travers de trois tendances : • une progression des ‘sans religion’ parmi les jeunes adultes dans différents pays en Europe ; • l’affirmation d’une autonomie religieuse et personnelle, majoritairement favorable à la séparation du politique et du religieux (sphère publique et sphère privée) ; ceci, même parmi les croyants s’identifiant à une religion, y compris parmi les pratiquants ; • L’intégration de plus en plus large de la pluralité des religions dans la conception de ce qu’est le religieux. En Europe, seule une faible proportion des sondés adhère à l’idée qu’ « on ne trouve la vérité que dans une seule religion”. “Il y a une laïcisation de la conscience religieuse elle-même qui vient renforcer la laïcité sur le plan juridique ; autrement dit, la sécularisation des mentalités renforce la laïcité. La focalisation médiatique sur les dérives sectaires de quelques groupes ou sur divers radicalismes religieux, notamment musulmans, ne doit pas faire oublier cette tendance de fond solidement établie en Europe », conclut Jean-Paul Willaime 82. 80
BAUBEROT, Jean, ibidem. WILLAIME, Jean-Paul, L’Europe des Religions. Éléments d’analyse des champs religieux européens, Berne, Peter Lang, 2004, p. 41 : « Par laïcité culturelle, nous entendons donc une laïcité sur le plan des représentations et des attitudes, une laïcité qui tout en prônant une indépendance réciproque du religieux et du politique, une valorisation de l’autonomie individuelle et une critique à l’égard de tous les magistères d’où qu’ils viennent, ne se traduit pas forcément par une laïcité institutionnelle et idéologique telle qu’elle existe en France ». 82 Cf. WILLAIME, Jean-Paul, « Laïcité », in : GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris, Quadrige, 20062, p. 746. 81
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Chapitre 2 - Changements et développements dans la théologie et les croyances de l’Église adventiste du septième Jour 2.0. – Introduction 2.0.1. - Le modèle ‘changement et continuité ’ et ‘force et précarité ’ En prenant comme ligne directrice de cette étude l’idée émise par le sociologue du religieux Michel Patrick, « tout itinéraire du croire est de fait aussi trajectoire identitaire… »83, nous suivons dans ce chapitre l’itinéraire historique de la formation de la théologie de l’Église adventiste, c’est-à-dire sa vision de Dieu, de l’homme et de sa destinée. C’est elle, en effet, qui structure la pensée religieuse et le vécu de ses membres. Qui structure donc leur identité religieuse. Le projet de tracer cet itinéraire en quelques pages, bien que limité aux événements les plus significatifs, est peut-être trop ambitieux. Il est toujours difficile de résumer une histoire de ce genre, même si les faits qui y ont contribué sont assez connus. Elle se profile au travers d’héritages, au fil de débats théologiques, de crises, d’influences culturelles et sociales qui en ont infléchi le parcours. Le recours à l’image de la trajectoire pour illustrer la formation de la théologie adventiste, donc l’itinéraire de son identité religieuse, ne donne au lecteur qu’une représentation très simplifiée de ce qu’elle a été. C’est sans doute une projection utile, mais qui ne fait pas apparaître toutes les facettes de la réalité. Nous assumons pourtant ce choix, car il permet de mettre en évidence les lignes d’une identité religieuse dont les particularités peuvent s’inscrire sous le modèle combiné de deux couples paradoxaux, ‘changement et continuité ’ et ‘force et précarité ’. On sait qu’une illustration et un modèle sociologique ne sont pas des tentatives de réduire la complexité de la réalité. Cependant, le renvoi à ces figures fournit à cette étude le fil conducteur historique, tout en cernant en même temps la nature de la théologie de l’Église adventiste. Il permet de comprendre comment des phénomènes, comme le développement, le changement et la continuité, tout à la fois, sont devenus des facteurs qui la sous-tendent encore aujourd’hui, jusque dans les formulations de ses doctrines. Dans une telle démarche, il faut donc considérer le modèle pour ce qu’il est : une représentation plus utile à la réflexion qu’un tableau réaliste et détaillé.
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MICHEL, Patrick, « Religion et démocratie. Nouvelles situations, nouvelles approches », in : Religion et Démocratie. Nouveaux enjeux, nouvelles approches, Paris, Albin Michel, 1997, p. 9.
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Bien que l’Église adventiste ne représente qu’une minorité religieuse au sein du protestantisme occidental, nous souhaitons que cette étude contribue modestement à une meilleure compréhension du protestantisme considéré globalement. Elle pourrait d’autant plus y apporter sa pierre, nous semble-t-il, que beaucoup aujourd’hui se représentent l’orthodoxie et l’orthopraxie chrétiennes essentiellement à l’image des foules, des sacrés, des mythes et des credo des grandes institutions religieuses dites historiques. Leurs discours, leurs productions du croire, leurs gestes sacramentels et rituels l’ont structurée dans les esprits, tant au travers des rôles joués par ces institutions dans les sociétés occidentales que par la façon dont les médias projettent leur vision des choses dans l’opinion publique. En abordant la question des évolutions de la théologie adventiste et de sa réception, nous pensons à la réflexion de Jean-Paul Willaime qui souligne que « … l’audience de productions théologiques […] est liée aux affinités des orientations qu’elles proposent avec la vision dominante d’une époque. […] le ‘succès’ de telle ou telle théologie peut aussi […] être lié à leurs aspirations socioreligieuses spécifiques. Disons d’emblée qu’il ne s’agit pas de mettre en œuvre une théorie sommaire du ‘reflet’ selon laquelle les productions intellectuelles – en l’occurrence théologiques – reflèteraient purement et simplement le donné socio-économique. Non seulement les choses sont beaucoup plus complexes que cela en raison des multiples médiations qui entrent en ligne de compte – en particulier les intérêts mêmes des institutions religieuses et leur logique spécifique – mais les productions intellectuelles ne sont pas seulement structurées, mais aussi structurantes… »84. Cette réflexion s’applique aussi à la théologie adventiste et, par là même, à la trajectoire de l’identité religieuse au sein de cette Église. Pour en traiter, nous procèderons d’une manière narrative et inductive. À partir de situations historiques et des principaux débats, à partir des crises et des contextes qui les ont influencés, nous remonterons vers des propositions plus générales retraçant ainsi les profils qui se dégagent de cette identité au long de son parcours. Sans doute aurait-il fallu s’attacher à analyser de plus près les circonstances et les évènements sur lesquels nous nous arrêtons. Il nous est cependant apparu qu’une approche synchronique85 suffisait pour reconnaître les inflexions structurelles de la pensée adventiste. Nous référant à l’idée de ‘changement et continuité ’ et de ‘force et précarité ’, avec leurs facettes paradoxales, nous pensons que cette étude les met assez en évidence au travers des étapes choisies sur les axes de construction propres à la théologie adventiste. Cette forme 84
WILLAIME, Jean-Paul, La précarité protestante. Sociologie du protestantisme contemporain (Histoire et société 25), Genève, Labor et Fides, 1992, p. 35. 85 « Synchronique, relatif aux aspects différents d’un même ensemble à un moment d’une évolution », Dictionnaire Le Petit Robert, Paris, 1996.
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d’approche permettra aussi de comprendre dans quel sens la théologie et l’identité religieuse adventiste sont à la fois « un » et « pluriel » dans le temps et selon les substrats socioculturels des membres de cette Église. En effet, les schémas ‘changement et continuité ’, ‘force et précarité ’ traversent toute son histoire, depuis ses commencements, au 19e siècle. ‘Force ’, parce que, depuis ses origines, jusqu’aujourd’hui, sa pensée religieuse, travaillée par de fortes tensions, a toujours tendu à s’ancrer dans une compréhension plus approfondie de la référence scripturaire, la Bible, son critère théologique et doctrinal à l’instar des autres confessions chrétiennes. ‘Précarité ’, sur le plan social, parce que l’adventisme moderne n’a jamais connu un tel ancrage dans les mentalités d’une société, d’un peuple ou d’une nation, qu’il serait devenu la dynamique majeure de ses mythes. 2.0.2.- La démarche Nous aurons donc recours à son histoire pour mieux cerner les enjeux qui ont accompagné la construction de cette théologie et les évolutions de l’identité religieuse qu’elle structure. Mais avant cela, en considérant les origines de cette Église, nous devons retracer le contexte religieux américain au 19e siècle, sachant que l’adventisme n’est pas né dans un vide religieux. Nous ne nous engagerons pas dans une analyse détaillée de l’histoire des États-Unis, ni dans celle de l’Église adventiste. Nous nous arrêterons sur des moments-clés, ceux où des personnalités marquantes ont joué des rôles significatifs et sur des crises qui ont aussi été marquantes dans la formation de sa théologie. Plusieurs raisons nous incitent à suivre cette démarche. Tout d’abord, le fait déjà mentionné que cette identité religieuse n’apparaît pas dans un vide religieux et social. Appartenir à une nation, à une famille ou à une Église, signifie aussi hériter de leur passé. Ils deviennent une partie intégrante de l’histoire spirituelle du groupe. Rappeler donc que les origines de l’Église adventiste s’inscrivent dans la lignée du protestantisme et dans le contexte religieux du 19e siècle aux États-Unis peut aider à saisir l’esprit de ses fondateurs et les enjeux qui ont favorisé sa naissance. Tout cela ne diminue en rien les caractères propres à cette identité, ni la valeur de la motivation et de la façon dont les adventistes transmettent l’héritage chrétien. Enfin, c’est aussi comprendre que ce sont des hommes et des femmes de foi qui ont ouvert le chemin, avec leur culture, leur éducation, leurs limites et les moyens dont ils disposaient.
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2.1.- Arrière-fond sociohistorique et religieux des origines de la théologie adventiste 2.1.0.- Le terreau de sa naissance Ce sont des évènements dans l’histoire religieuse de la société américaine, des croyances héritées, le profil social des fondateurs et celui des hommes des générations suivantes qui ont contribué à créer une identité religieuse spécifique. C’est sous cette approche globale des choses que ce chapitre étudie l’une des composantes de l’identité religieuse adventiste qui y participe d’une manière marquante, sa théologie. Nous décrirons d’abord dans ses grandes lignes le contexte socioreligieux et politique des États-Unis au 19e siècle, contexte dans lequel elle est apparue. Nous retracerons ensuite l’itinéraire historique de sa formation. C’est avant tout un esprit de recherche, en l’occurrence, celui des fondateurs de l’Église adventiste, qui a caractérisé l’ambiance dans laquelle sa théologie est née. Cependant, il est important de se remémorer aussi les moments qui ont entouré leur expérience religieuse, afin de comprendre quels étaient leurs espoirs et leurs attentes. À l’image de la toile de fond d’un tableau, toute l’histoire du christianisme s’est inscrite sur fond de crises religieuses, sociales, économiques et politiques. Elles ont eu des retentissements sur les dimensions religieuses de l’identité des croyants qui les ont traversées : celles du christianisme naissant avec son expansion dans le monde romain, celles du catholicisme avec ses schismes du 4e siècle (donatiste), byzantin ou d’Orient (11e siècle), d’Occident (Avignon, 1378-1417), celles, nombreuses aussi, qui ont accompagné les développements du protestantisme depuis le 16e siècle, etc. Il en est de même dans l’histoire de l’Église adventiste. 2.1.1. Aperçu général sur le protestantisme aux États-Unis durant la première moitié du 19e siècle Au tournant des 18e et 19e siècles, ce sont les protestants qui constituent la majeure partie de la population chrétienne des États-Unis. Leurs orientations sont nettement diverses, marquées par les empreintes de l’anglicanisme, du puritanisme, du piétisme et de l’évangélisme, plus visible souvent qu’en Europe. Analysant la vie religieuse américaine entre 1607 et 1815, André Kaspi avance que si l’on veut donner un tableau réaliste du protestantisme, il faut préciser de quoi on parle. « Sans doute pourrait-on dire que 99 Américains sur 100 sont protestants. Les 2000 juifs et les 25000 catholiques confirment par leur
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petit nombre que les colonies sont un domaine privilégié du protestantisme »86. C’est d’abord sa grande diversité qui frappe l’observateur. 600.000 fidèles sont des congrégationalistes ou puritains qui se regroupent dans leur fief, le Massachusetts, et secondairement dans le Connecticut. Les anglicans, ayant rejeté leur allégeance à la Couronne d’Angleterre après l’Indépendance, sont près d’un demi-million. Ils se désignent dorénavant comme des épiscopaliens. On les retrouve dans les territoires des anciennes colonies anglaises du Sud et du Centre de l’Amérique d’alors. Progressivement, ils s’efforceront de pénétrer plus au Nord, en Nouvelle-Angleterre. La ‘Frontière ’ est presbytérienne, du Massachusetts à la Géorgie, suite à l’immigration massive des Écossais. Les méthodistes sont tout récemment apparus et les Quakers continuent à marquer la vie religieuse en Pennsylvanie. Dans le Rhodes Island, ce sont les baptistes qui ont pris racine, avant de se disséminer dans les autres colonies, y compris celles du Sud. Le reste du panorama des convictions religieuses est complété par les luthériens, les réformés hollandais, allemands, et les nombreuses dissidences piétistes. C’est la Pennsylvanie qui, selon Kaspi, illustre le mieux cette mosaïque religieuse : des piétistes ayant quitté la vallée du Rhin, venant des cantons suisses et des États allemands pour y trouver refuge, des mennonites venant de Crefeld (dans le Land Rhénanie du Nord-Westphalie). Ces derniers sont des anabaptistes adeptes du pacifisme et excellents agriculteurs. Parmi ces nouveaux venus, « des amish, mennonites rigoristes, fidèles à un prédicateur bernois, Jacob Amman, qui conservent l’habillement, les mœurs, le goût du 17e siècle, se mettent au travail avec ardeur, s’enrichissent dans l’agriculture et continuent, en plein 20e siècle à vivre comme au temps d’Amman »87. Il faut encore citer les dunkers (Église des Frères), sécession de l’Église réformée du Palatinat, réfugiés de la Westphalie, eux aussi, et arrivés en Amérique en 1719, les Frères moraves, descendants des hussites adeptes du comte de Zinzendorf (1700-1760). Ils ne seront que 3000 en 1775, installés en Géorgie depuis 1735, puis en Pennsylvanie. Mais il y a aussi des luthériens suédois, allemands, hollandais, des calvinistes et des anglicans. Quant aux Quakers à l’esprit ouvert, ils ont été les premiers arrivés dans cet État et ont accueilli tous les autres groupes religieux88, et, « [...] conséquence inévitable, la colonie se transforme en une sorte de laboratoire des innombrables dissidences de l’Europe protestante »89. Cherchant à pénétrer au cœur de la culture américaine moderne, l’historien américain David H. Fischer défend la thèse selon laquelle son assise reflète en 86
KASPI, André, Les Américains, vol. 1, Naissance et essor des Etats-Unis 1607-1945, Paris, Seuil, 1986, p. 80. 87 KASPI, André, op.cit., pp. 80-81. 88 IDEM, p. 81. Cf. « Recensement religieux, Estimation de 1775 », MORRIS, B. Richard, éd., in : Encyclopedia of American History, New York, Harper & Row, 1965, p. 582. 89 KASPI, André, op. cit., p. 80.
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premier lieu les comportements socioreligieux de quatre régions du RoyaumeUni dont étaient principalement originaires les groupes d’immigrés. Ils se sont déplacés aux 17e et 18e siècles vers les colonies d’Amérique, au travers de quatre vagues d’immigrations. Selon lui, la Nouvelle-Angleterre, sur la côte Atlantique, reflète la culture puritaine, les États du centre reflètent celle des Quakers, la Virginie et le reste du Sud de la côte sont marqués par la culture aristocratique anglaise, celle des « chevaliers » (Knights) anglicans, tandis que la culture écossaise catholique se retrouve le long de la ‘Frontière’ du moment, la chaîne des monts Appalaches. D’autres cultures se sont aussi développées sur le sol colonial. Elles se sont mélangées avec les quatre premières : l’influence juive et celle de l’Europe centrale à New York, l’influence hispanique au sudouest et sur la côte ouest du pays. Chaque immigration a produit une culture régionale qui marque encore aujourd’hui des différences entre les mentalités des Américains90. Toutefois, constatent d’autres historiens, en soulignant la prédominance du protestantisme dans le panorama religieux et dans la culture de base des ÉtatsUnis, on ne relève pas assez le fait que, ni au moment de l’Indépendance, ni même après le Grand Réveil religieux du 18e siècle, les taux attestant les affiliations des croyants à une Église organisée ne concernaient qu’une petite partie de la population américaine. L’un des facteurs de cette faiblesse des Églises constituées et du caractère volontariste des relations des fidèles avec leurs Églises91, qui apparaît à la fin de ce siècle, est sans doute en partie le nouveau modèle de la Séparation entre les Églises et les autorités civiles, créé par la Constitution de 1787 et le Bill of Rights de 1791. Au plan juridique, c’est la période qui marque la fin de l’‘Establishment ’. Jusqu’à l’indépendance, en 1776, les colonies anglo-saxonnes avaient vécu avec un statut d’Église qui suivait la politique de constantinienne au 3e siècle. Les bases théoriques de ce statut étaient celles formulées par Augustin au 5e siècle. La religion était établie par une reconnaissance légale. En s’établissant aux États-Unis, les coloniaux 90
Cf. FISHER, David Hackett, Albion’s Seed : Four British Folways in America, New York, Oxford University Press, 1989, pp. 13-74. David H. Fischer est professeur d’histoire à Brandeis University, spécialiste de l’histoire des Etats-Unis. Son analyse utilise l’approche de l’Ecole française des Annales. La période constitutionnelle de la Nouvelle-Angleterre correspond, selon lui, à la période entre 1629 et 1640, quand la plupart des Puritains venant de l’est de l’Angleterre s’y installèrent ; la seconde vague d’immigration a été constituée par les « cavaliers » (aristocratie anglaise des « Knights ») originaires des régions méridionales du Royaume-Uni entre 1640 et 1675, s’installant dans la Baie de Chesapeake. Ensuite, entre 1675 et 1725, des milliers de Quakers, conduits par William Penn peuplèrent les régions de la Vallée du Delaware. Enfin, dans les Appalaches, arrivèrent les Ecossais et les Irlandais du Nord de l’Irlande qui immigrèrent entre 1717 et 1775. Fisher inclut dans son étude des populations étrangères, tels que les hollandais, les allemands et les français. Il n’analyse cependant pas les contributions culturelles des Baptistes de Rhodes Island, ni l’apport du catholicisme dans le Maryland. 91 Cf. HANDY, T. Robert, A Christian America : Protestant Hopes and Historical Realities, New York, Oxford University Press, 1971, p. 3, 30.
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avaient maintenu cet ancien concept. Même s’ils avaient été eux-mêmes des dissidents en Angleterre et s’ils sont venus en Nouvelle-Angleterre pour préserver leur propre liberté religieuse, la plupart avaient accepté le soutien financier des autorités civiles des Colonies, en retour de leur soutien et de l’approbation des lois. Aussi s’étaient-ils accommodés de cet « Establishment » afin de se préserver de l’emprise du pouvoir civil. A l’inverse de l’Europe occidentale où, dans le même temps, cette liberté était revendiquée contre l’emprise des Églises sur les États. L’article VI de la Constitution américaine stipule l’interdiction faite au gouvernement de voter des lois qui établiraient une Église ou une religion, ou de limiter l’exercice des autres. Selon l’historien du christianisme aux États-Unis, Martin Marty, ce modèle politique a pris naissance à partir du constat par les autorités civiles de la grande diversité des dissidences consécutives aux réveils religieux et aux flux migratoires92. À l’aube du 19e siècle, depuis deux décennies déjà, les adhésions ne se faisaient plus sous l’obligation de la loi, mais par un choix personnel libre et volontaire93. Avec cette situation, le modèle du ‘disestablishment’, résultat d’un combat en profondeur plus qu’un épisode daté, souligne Marty, a eu pour effet de mettre en valeur le volontarisme des adhésions. Le ‘disestablishment’ signifiait trois choses en même temps : les Églises ne recevaient plus le soutien légal ou financier des autorités civiles, chacun était libre d’adhérer à une Église ou de n’adhérer à aucune, les Églises ne devaient s’appuyer que sur le support financier volontaire de ses membres. Au tournant du 19e siècle, les nouvelles communautés chrétiennes protestantes nées à la suite des réveils94 et des renouveaux religieux du 18e siècle ont fait problème pour le conservatisme des Églises de l’Establishment : « Après le temps du nationalisme de la première période coloniale, la seconde brèche dans l’enchaînement des événements est apparue avec le décès légal et partiel de l’ancienne Église établie en Virginie. Considérant ce qu’il en restait, l’évêque James Madison tirait la conclusion que la situation était « beaucoup trop avancée pour la réveiller. […] Démoralisés, mais restant conservateurs, ses dirigeants ne se sont pas adaptés sans réticences à ces renouveaux religieux qui,
92
Cf. MARTY, E. Martin, Righteous Empire : The Protestant Experience in America. Two Centuries of American Life, A Bicentennial History, New York, The Dial Press, 1970, pp. 35-37. 93 Cf. HANDY, T. Robert, op. cit., pp. 27-28. 94 GAMBAROTTO, Laurent, « Toute l’histoire du christianisme est traversée par des périodes de renouvellement où la foi est revitalisée et l’Eglise dynamisée par la prédication et l’action de chrétiens fervents. Toutefois, la notion d ‘Awakening’ ou de ‘Réveil’ caractérise un mouvement plus spécifique aux 18e et 19e siècles. […] le souci majeur est toujours d’insuffler dans une piété trop formelle, sans saveur ni chaleur, une foi vivante et missionnaire », Art. « Réveil », in : GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, p. 1220.
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durant la deuxième moitié du siècle, ont gagné des adeptes pour les Églises dissidentes»95. De l’Indépendance jusqu’à l’aube du 19e siècle tout avait donc progressivement changé. Les libertés fondamentales, dont le principe de liberté de religion, étaient acquises dans les treize États issus des dix Colonies. Les facteurs du changement ont été, entre autres, le pluralisme religieux, la volonté d'éviter de créer un ‘d’Establishment’ multiple et les influences grandissantes des nouveaux mouvements religieux, du rationalisme et du déisme96. 2.1.2. Crises et défis durant la première moitié du 19e siècle aux États-Unis Les mutations géographiques et économiques Au 19e siècle, les Américains ont été confrontés à des bouleversements qui ont contribué à la fermentation de crises à l’intérieur du protestantisme et à la montée, entre autres, d’un courant interconfessionnel dont est issue l’Église adventiste. En l’espace d’un peu plus d’une cinquantaine d’années, tous les secteurs de l’activité américaine ont été affectés par des mutations en profondeur. Autant de défis qui ont infléchi, chacun à leur manière, le cours de la vie quotidienne : répercussions des vagues d’immigrations ; retombées des dispositions de la Constitution de 1787 et de la fin de l’Establishment qui concordait avec l’affaiblissement des Églises traditionnelles ; pluralisme religieux ; fin de l’expansion territoriale vers l’Ouest, en atteignant les côtes du Pacifique (Californie 1850, Territoire de l’Oregon, 1859) ; après la Guerre de Sécession (1861 à 1865), problèmes épineux posés par la ‘Reconstruction ’, un Nord industrialisé qui veut imposer sa loi aux planteurs du Sud ; abolition de l’esclavage (Lincoln, 1865) ; mutations des mentalités et des mœurs, dû à l’émergence trop rapide de nouvelles grandes cités, dont les populations urbanisées contrebalançaient les mentalités rurales traditionnelles au passage de la fabrique à l’industrie.
95
MARTY, E. Martin, op.cit., p. 60 (trad. MV). MARTY, E. Martin, op. cit., p. 39. Voir PFEFFER, Leo, Church, State and Freedom, Boston, Beacon Press, 19672, p. 92-93 ; STOKES, P. Anson, Church and State in the United States, vol. 1, New York, Harper, 1950, (chap. 3, 5 et 8). Marty et Pfeffer mentionnent aussi d’autres facteurs : l’Acte de Tolérance de 1689 en Angleterre, le manque d’adhésions aux Eglises de la plupart des américains, les relations commerciales, les contraintes de la Guerre de la Révolution, le succès de l’expérience de Williams Penn, la théorie du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau et le Grand Réveil du 18e siècle aux Etats-Unis, cf. PFEFFER, Leo, op. cit., pp. 92104 ; LATOURETTE, S. Kenneth, Christianity in a Revolutionary Age. A History in the Nineteenth ant Twentieth Century, New York, Harper, 1961, p. 9. 96
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Les défis nationaux, politiques, sociaux et religieux Les limites territoriales de l’Union des États-Unis ont été atteintes au cours des années 1815 à 1863. L’État fédéral établissait ainsi l’étendue de sa souveraineté d'Est en Ouest, jusqu’à la côte du Pacifique. Pour tous les Américains, ce fut l’aventure géographique sans précédent de leur histoire. Cette expansion s’inscrivait dans un temps où la vie politique du pays évoluait très rapidement, alimentant un mythe, celui de la nation : « De 1789 à 1828, l’union des États prit un sens plus précis : ce fut la période nationale. Une culture et des mythes communs, des fondements politiques semblables donnèrent aux Américains le sentiment de former une seule et même nation», écrivent Denise Artaud et André Kaspi97. C’était « l’ère des bons sentiments », écrivent les historiens américains98. « […] au mieux une ère de sentiments mélangés », commente l’historien français Claude Folhen. Inauguré avec la présidence de George Washington en 1789, le dynamisme de cette période semble avoir duré jusqu’à l’accession d’Andrew Jackson à la tête de l’État, en 1829. Beaucoup d’Américains ont considéré alors cette conquête comme le premier pas de la réalisation d’un destin qu’ils attribuaient à leur nation (The Manifest Destiny). Résumant la pensée politique de Thomas Jefferson, devenu président en 1800, André Kaspi écrit : « Pour lui, la seule et vraie richesse, c’est la terre. Ceux qui la cultivent forment le peuple béni de Dieu. Ils ne dépendent de personne, car ils produisent leur propre subsistance. Leur indépendance les rend vertueux, purs, libres. […] L’Amérique remplit une mission : montrer le chemin aux autres nations, offrir un modèle original de développement. Elle sera le ‘meilleur espoir du monde’, ou bien ne sera pas »99. De graves sujets d’inquiétudes et d’insécurité subsistaient néanmoins. Pourtant, les protestants d’Amérique voyaient leur jeune nation telle que Thomas Jefferson la décrivait, c’est-à-dire l’instrument choisi par Dieu pour la rédemption du monde. Cette vision a fortement influencé la conscience que beaucoup d’Américains ont eu d’eux-mêmes, jusqu’aux interprétations ‘postmillénaristes’ du millenium biblique100 (question sur laquelle nous reviendrons plus loin en traitant de la représentation politico-religieuse des protestants aux États-Unis au 19e siècle). 97 ARTAUD, Denise ; KASPI, André, Histoire des Etats-Unis (Coll. U. Etudes Angloaméricaines), Paris, Armand Colin, 1969, p. 71. 98 Cf. DANGERFIELD, George, The Era of Good Feelings, New York, Harper, 1966. 99 KASPI, André, op.cit., p. 118. 100 Voir Ap 20,1-6. Au cours de l’histoire du christianisme, cette période de ‘mille ans’ a généralement été comprise comme se rapportant aux derniers temps annoncés par la prophétie biblique. Les interprétations s’orientaient à partir de trois lectures : ‘prémillénariste’, situant la seconde venue du Christ d’une manière surnaturelle, décisive, dans l’histoire du monde, et inaugurant ce millenium ; ‘postmillénariste’, situant le retour du Christ à la fin de ce millenium. Avec cette lecture, l’Esprit du Christ dominera durant un millénaire sur la terre par l’intermédiaire de l’Eglise elle-même ; ‘amillénariste’, selon laquelle les ‘mille ans’ de l’Apocalypse désignent symboliquement l’ère de la chrétienté en général, depuis son accès à la prédominance en Europe.
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Ces deux visions, l’une politique, l’autre religieuse, se sont conjuguées pour donner force à un courant nationaliste inspiré par le concept de ‘mission divine’ de la nation américaine. Il a été épaulé par la détermination des protestants américains à faire de la République des États-Unis une nation chrétienne, malgré la constitutionnalisation de la Séparation des Églises de l’État. Si le 19e siècle a été l’ère de l’extension politique et territoriale pour les États-Unis, il a aussi été le témoin d’un rapide développement de mouvements missionnaires dynamisés par ce sens d’une destinée à accomplir. Martin Marty déchiffre dans les écrits de Mark Hopkins une confirmation de cette lecture de l’histoire : « En 1851, Mark Hopkins, président du Williams College, résume la moitié du siècle écoulé comme ayant été le témoin de la grande expansion de l’empire du Christ. Il n’était pas un philosophe à la pensée profonde, mais un reporter enthousiaste. Le christianisme s’était toujours proposé à lui-même ‘de soumettre le monde’, mais il avait reculé par ignorance de son territoire. […]. En quelques paragraphes, Hopkins a réuni les concepts évangéliques de la mission et celui l’empire qui prévalait chez les Anglo-américains»101. Les années 1829 à 1837 ont marqué un nouveau tournant. Les cadres de la vie politique américaine se sont transformés sous la présidence d’Andrew Jackson. Son élection en 1829 a représenté « le triomphe, et non le point de départ, d’une démocratisation de la vie politique », selon Claude Folhen102. Pourtant, les années les plus troublées socialement et politiquement de cette première partie du 19e siècle ont été celles qui vont de 1837 à 1865, avec la guerre civile et la Guerre de Sécession (1861 à 1865). Elles ont sans doute été les plus graves traversées par les États-Unis depuis leur création, suivies par celles de la victoire de l’abolition de l’esclavage (Lincoln, 1865), le temps des problèmes épineux posés par la ‘Reconstruction’ d’un Nord qui s’industrialisait et par le ‘sectionalisme’ qui tendait à le distancer des planteurs du Sud. En ce qui concerne le protestantisme américain, d’autres défis ont surgi dans le même temps. Certains étaient déjà apparus au 18e siècle. Ils ont traversé tout le 19e siècle. Ils découlaient à la fois de l’essor démographique amplifié par les vagues d’immigrations, de la révolution industrielle en Nouvelle-Angleterre, de l’amélioration des moyens de communication et de l’occupation des espaces ‘vides’ gagnés par l’extension du territoire national de 1815 à 1863. Au cours des dix dernières années du 18e siècle, l’accroissement de la population aux États-Unis avait été rapide, avec un million de personnes en plus en fin de cette période. En 1800, elle comptait à peine 5 millions d’habitants 101
MARTY, E. Martin, op. cit., p. 78 (trad. MV) FOLHEN, Claude, L’Amérique anglo-saxonne de 1815 à nos jours (Nouvelle Clio, ‘L’histoire et ses problèmes’ 43), Paris, Presses Universitaires de France, 1969, p 79.
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(cinq fois moins que la France à la même époque). L’accroissement résultait presque entièrement, à ce moment-là, de la forte natalité et de la réduction du taux de mortalité après la fin de la guerre d’Indépendance et des guerres européennes. Ensuite, d’abord considérablement ralenti par ces conflits, le flux de l’immigration a repris son cours dès 1820103. Les chiffres se sont rapidement amplifiés au cours du 19e siècle. De 4 millions d’habitants en 1790, le nombre passa à plus de 31 millions en 1860. Les derniers arrivants étaient surtout des immigrés venant de l’Europe centrale. Tous étaient attirés par le nouveau dynamisme engendré par la révolution industrielle et par ses besoins en maind’œuvre et en emplois. Nous l’avons déjà relevé, le pluralisme religieux et culturel de ces populations nouvelles sur le sol américain a été un des facteurs du déclin général de l’emprise politique des anciennes Églises du temps des Colonies, si on compare leur situation après 1787 aux États-Unis avec celles privilégiées qu’avaient encore à la même époque leurs coreligionnaires dans les pays d’où elles provenaient, l’Angleterre et le continent européen. Vers 1850, ce défi démographique est devenu d’autant plus important que les immigrés composaient le nombre le plus important des membres des Églises sur le sol américain. Apparus en 1717, ceux de confession catholique continuaient à grossir leurs rangs plus rapidement que ceux des autres confessions chrétiennes. De 1790 à 1840, durant la même période où la population américaine avait augmenté de 4,5 %, le nombre de catholiques s’était multiplié par 19104. Vers 1850, ils constituaient le plus grand nombre des adhérents à une même organisation ecclésiale105. Leur présence commença à susciter des inquiétudes dans les milieux des protestants évangéliques : « Jusqu’aux environs de 1830, la question ne s’était pas posée : en Louisiane, on ne comptait pas 100.000 catholiques ; en 1840, il y en avait déjà 1 million ; en 1860, 3 millions (le dixième de la population). Les préjugés contre le ‘papisme’ sommeillaient ; ils se réveillèrent avec une extraordinaire virulence »106. Ces craintes trouvèrent un terrain favorable chez ceux qui voyaient dans la naissance des États-Unis la formation d’une nation entièrement protestante. Après 1825, le nombre des Irlandais catholiques qui s’installaient chaque année dans le pays avoisinait cinq mille personnes. Pour de nombreux protestants, ils représentaient une menace d’autant plus réelle que ces immigrés irlandais catholiques n’amenaient pas seulement avec eux les pratiques religieuses de leurs régions d’origine et leur fidélité à la papauté, mais leur 103
Cf. LACOUR, Gayet, Histoire des Etats-Unis. Des origines à la fin de la guerre civile, Paris, Fayard, 1976, pp. 222-236. 104 Cf. SMITH, H. Shelton ; HANDY, T. Robert; LOETSCHER, Leffers, A, American Christianity. An Historical Interpretation with Representative Documents, New York, Charles Scribner’Sons, 1963, vol. 2, p. 6. 105 Cf. AHLSTROM, A. Sydney, A Religious History of the American People, New Haven, Yale University Press, 1972, pp. 513-527. 106 LACOUR, Gayet, op.cit., p. 354.
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‘américanisation’ demeurait faible. Les sentiments d’intolérance se renforcèrent encore avec la fondation en Europe de sociétés missionnaires catholiques romaines, afin de promouvoir la pénétration du catholicisme dans la jeune République. La vieille tradition anticatholique des Pères fondateurs retrouvait une virulence dont témoignent les sermons des prédicateurs américains et la diffusion d’une littérature qui reproduisait les caricatures de la Réforme des 16e et 17e siècles anglais107. Pour l’historien Robert T. Handy, il ne fait aucun doute que la profession en faveur de la liberté religieuse, hautement proclamée aux États-Unis, devait sonner creux aux oreilles de ceux qui vivaient en dehors du protestantisme américain108. C’est sur cette toile de fond que se sont inscrits les grands courants religieux qui infléchirent la démarche de l’adventisme moderne. 2.1.3.- Les facteurs de la vision politico-religieuse protestante aux Etats-Unis au 19e siècle Le millénarisme Durant les premiers siècles de l’histoire du christianisme, plusieurs théologiens ont témoigné qu’ils attendaient une résurrection littérale suivie par un millenium. Plus tard, surtout dans le sillage de la théologie de saint Augustin au 5e siècle109, ce sont les lectures ‘amillénaristes’ de l’époque médiévale et celle de la Réforme qui ont prévalu110. Au cours du 17e siècle, le ‘prémillénarisme’ avait réapparu. Il était assez largement répandu dans les milieux des interprètes protestants de la prophétie biblique les plus en vue. Mais, dès le siècle suivant, une approche de la question relativement nouvelle, le ‘postmillénarisme’111, trouva des défenseurs sous les plumes d’enseignants et 107
Cf. BILLINGTON, A. Ray, The Protestant Crusade, 1800-1860. A Study of the Origins of America Nativism, New York, Macmillan, 1938, pp. 1-52. 108 Cf. HANDY, T. Robert, op. cit., p. 58. 109 Sur l’influence du millénarisme sur les idéologies modernes, cf. LENOIR, Frédéric, Le Christ philosophe, Paris, Plon, 2007, pp. 206-209. 110 Cf. FROOM, Leroy Edwin, The Prophetic Faith of our Fathers, Washington, D.C., Review and Herald, vol. 1, 1950, pp. 219-267, 301-368, 465-491, 896-897 ; vol. 2, 1948, pp. 528-532 ; OLMSTEAD, E. Clifton, History of Religion in the United States, New Jersey, Prentice-Hall &Englewood Cliffs, 1960, pp. 323-326. 111 Cf. aussi note 100 : Millénarisme : « Doctrine qui pose un règne visible de Jésus-Christ sur la terre, pendant mille an (millenium, Ap 20,1-10), avant le jugement dernier. (…). Le postmillénarisme, pour lequel le règne précède la parousie et n’implique plus la présence corporelle du Christ, s’éloigne du littéralisme ; sa version orthodoxe, adoptée par de nombreux puritains au 17e siècle, soutient l’élan missionnaire ; longtemps éclipsée, elle retrouve aujourd’hui des adeptes, la version libérale s’alliant au christianisme social. (…), un courant millénariste est bien présent chez beaucoup d’anabaptistes ou de tenants de positions spiritualistes. C’est ce
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de pasteurs. Des théologiens et penseurs comme Jonathan Edwards (17031758), de Yale, et Samuel Hopkins (1721-1803), son élève, influencèrent fortement l’enseignement théologique en Nouvelle-Angleterre, suivis par Daniel Whitby et Moses Lowman112. Au 19e siècle, le postmillénarisme était assez répandu dans les Églises protestantes des États-Unis pour qu’un pasteur décrive cette doctrine « comme la plus communément reçue »113. La doctrine biblique du millenium avait déjà été adoptée par les puritains avant leur arrivée dans la Nouvelle-Angleterre au 17e siècle. Mais, à ce moment-là, ils ont commencé à regarder leur établissement sur le territoire colonial comme l’aube de l’ère du ‘nouvel Israël de Dieu’. Étudiant l’évolution des conceptions de leurs descendants américains, Malcolm Bull et Keith Lockhart relèvent qu’en « mettant au centre de leur intérêt le rôle de la terre de Palestine et la restauration du trône de David, ils avaient adopté une autre interprétation du millenium, soutenant qu’il s’agissait en quelque sorte d’un royaume messianique dont le centre serait la terre où Jésus avait vécu. Leur conception du millenium impliquait ainsi un aspect temporel qui s’inscrivait dans la ligne du progrès continuel du monde »114. Dès les 18e et 19e siècles, par l’empreinte qu’il laissait dans les mentalités religieuses, le postmillénarisme a insufflé une certaine vigueur à la vision et au rêve nationaliste américain, au-delà du cercle des Églises protestantes. Cependant, l’idée du millénarisme revêtait des différences significatives entre la position des adventistes issus du mouvement millérite, - sur lesquels nous reviendrons plus loin -, et les autres groupes religieux115. Dès le début, les adventistes ont adopté l’ancienne interprétation prémillénariste du texte biblique d’Ap 20. 1 à 10. Selon leur lecture théologique, lorsque le millenium commencera, les temps historiques s’achèveront. Au-delà de cette herméneutique du texte, dans l’esprit des autres protestants, l’interprétation courant qui sera repris dans le protestantisme ultérieur (après les Réformateurs du 16e siècle, note de l’auteur), chez des hommes aussi différents que, par exemple, les puritains Thomas Brigthman (1562-1607) et John Cotton (1584-1652), l’anglican Joseph Mede (1586-1638), le réformé allemand Johann Heinrich Alsted (1588-1638), le pasteur morave Jan Amos Comenius (15921670), le réformé français Pierre Jurieu (1637-1713) ». BLOCHER, Henri, « Millénarisme », in : GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Genève, Quadrige/ PUF/Labor et Fides, 20062, pp. 903-904. 112 Cf. FROOM, E. Leroy, op. cit., vol. 3, 1946, pp. 181-185 ; 217-220. 113 Cf. MOOHEAD, H. James, « Between Progress and Apocalypse : A reassessment of Millennialism in America Religions Thought, 1800-1880 », Journal of America History 71 (1984), pp. 524-542, cité par MORGAN, Douglas, Adventism and the American Republic. The Public Involvement of a Major Apocalyptic Movement, Knoxville, The University of Tennessee Press, 2001, p. 5. 114 BULL, Malcolm ; LOCKHAERT, Keith, Seeking a Sanctuary. Seventh-day Adventism and the American Dream, Bloomington, Indiana University Press, 20072, p. 202 (trad.MV). 115 Cf. IBIDEM.
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qu’ils en donnent paraissait dangereuse en raison des conclusions qui en découlent pour l’eschatologie. Elle mettait en cause le ‘rêve américain’ luimême. Tout en partageant avec eux le cœur des croyances chrétiennes, leur lecture a conduit les adventistes américains à considérer comme sujet à caution le rôle qu’ils prêtaient à la République des États-Unis dans le monde. Au plan historique, il semble bien que l’optimisme américain qui régna durant la première période des Etats-Unis a trouvé une partie de sa force dans l’idée politico-religieuse de la réalisation toute proche de cette ère postmillénariste116. La perspective protestante d’un progrès et du perfectionnement moral par la christianisation des populations a composé avec le dynamisme des ‘réveils’ (revivals), si caractéristique de la vie religieuse américaine. Selon l’historien Herman C. Weber, les statistiques confirment cette lecture de l’histoire américaine. Il relève que, tout au long du 19e siècle, le nombre global des affiliations religieuses enregistrées a été en progression. En 1800, il s’élevait à 6,9 % de la population. Il est passé de 14,5 % en 1840, à 15,5 % en 1850 et à 35,7 % en 1900117. Progression qui révèle aussi l’élan missionnaire des Églises au 19e siècle, dans la perspective d’accomplir une tâche porteuse d’espérance. Spécialiste de l’histoire de l’interprétation prophétique, Le Roy Edwin Froom situe au cœur de ce nouveau dynamisme religieux au 19e siècle l’intérêt de nombreuses personnalités américaines de premier plan pour l’étude de la prophétie biblique : « Dès les premières années du 19e siècle, la prophétie biblique n’était pas seulement le violon d’Ingres de quelques solitaires, le thème de prédilection des mystiques ou un terrain spéculatif pour les personnes peu instruites et les esprits bizarres. Parmi les esprits les plus brillants de ce siècle en Amérique, souvent des dirigeants dans les domaines religieux, de l’éducation ou parmi les autorités civiles, beaucoup consacraient du temps à l’étude sérieuse de la prophétie biblique ou à son exposé»118. Leurs écrits et leurs déclarations 116
Cf. HANDY, T. Robert, op. cit., pp. 35-36. WEBER, C. Herman, éd., Year Book of American Churches, New York, Round Table Press, 1933, p. 299. « D’après les meilleures estimations, vers 1860 tout le nouveau sud-ouest ne comptait que 1,6 % d’épiscopaliens identifiés. Le méthodisme les avait remplacés à la première place avec la fidélité à ses règles d’un tiers des membres d’église méridionaux. Tout comme un quart étaient des baptistes et un quart des catholiques romains. Les presbytériens et les disciples du Christ constituaient le reste », MARTIN, E. Marty, op. cit., p. 60. [trad. MV]. 118 FROOM, E. Le Roy, The Prophetic Faith of our Fathers, vol. 4, Washington, D.C., Review and Herald Publishing Association, 1954, p. 153 (trad. MV); IBIDEM, “ The accuracy and significance of this statement will grow upon us as we proceed with the examination of the evidence, calling up a surprising array of pertinent witnesses. That prophecy held a vital and honored place in the minds of thoughtful men a century and more ago is seen from the range of serious books on prophecy – American imprints, issuing from the presses of all sections of the land during the first four decades of the century. And this is all in addition to British reprints and
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depuis les chaires des Églises et les pupitres d’enseignement, tel à l’Université d’Harvard, montrent qu’ils lisaient le destin de la nation américaine dans le plan de Dieu. La Révolution américaine du 18e siècle et l’apparition du nouvel État sur la scène internationale, étaient considérés comme un des plus importants événements dans l’histoire du christianisme, depuis la Réforme. De son côté, Gerard Damsteegt discerne, dans la vie religieuse américaine au 19e siècle, trois facteurs majeurs qui ont joué un rôle dans la généralisation de l’idée du postmillénarisme au sein du peuple119. Premièrement, le point de vue largement répandu aux États-Unis de l’apostasie de la papauté historique, idée déjà traditionnelle dans le protestantisme, au moins depuis la Réforme du 16e siècle. Pour la plupart des immigrés engagés dans l’opposition à ce pouvoir religieux, le Royaume-Uni avait été un premier havre choisi par Dieu et devait contribuer à l’avancement du plan de Dieu. Cependant, l’apparition des ÉtatsUnis sur la scène politique a infléchi cette conception. Plusieurs, amenés à croire à la vocation de cette jeune nation, y voyaient ‘l’Israël’ du monde moderne, avec pour rôle de l’introduire dans un millénaire de progrès. Deuxièmement, nous l’avons déjà relevé plus haut, l’idée que la parousie120 ne se fera pas avant le millenium biblique, mais après121, était aussi largement reçue ; en même temps qu’un renouveau de l’intérêt pour la prophétie biblique dans les cercles évangéliques du 18e siècle. Ces ‘mille ans’ devaient voir se imported volumes”. Sur les 55 chapitres de ce volume 4, l’auteur en consacre 53, abondamment documentés, à l’étude de cette question. 119 Cf. DAMSTEEGT, P. Gerard, op. cit., pp. 6-7. 120 Parousie, sur le sens théologique actuel de cette expression dans le protestantisme historique : « ‘Présence définitive’, dévoilement final, ‘retour du Christ ‘ (Christ ‘en gloire’ et non plus Christ livré ou marchant à la crucifixion), la parousie ressortit à l’eschatologie ou aux fins du monde. […] Bien comprise, la théologie protestante parle tout particulièrement de parousie pour signifier l’écart entre la vérité dernière, révélée mais non encore pleinement dévoilée, et l’histoire humaine, ordre de la croyance et données de l’Eglise compris, et pour signaler en même temps que ce sont justement nos histoires humaines, profanes et globales, qui sont eschatologiquement reprises. Il ne saurait dès lors y avoir de vérité dernière hors d’un renvoi au travail présent de l’Esprit et à l’hétérogénéité de Dieu. Et de même que la révélation ne va pas sans ‘mémoire’ (et récurrences), le dévoilement final ne va pas sans ‘retour’ (ou reprises) », GISEL, Pierre, « Parousie », in : Encyclopédie du protestantisme, Paris, Quadrige/ PUF/Labor et Fides, 20062, p. 1039. 121 IBIDEM. De son côté, FROOM écrit : “The eighteenth century in England was distinguished by the rise of a new millennial theory – that of Whitbyanism. It was an elaborate effort to set aside the chiliastic view, and was asserted to be a new hypothesis, or new discovery – the world’s conversion under an increased potency of grace. It was a spiritual millennium, consisting of the universal triumph of the gospel and the conversion of all nations in the thousand years before the coming of Christ. […]. The effect upon the Protestant church was profound. As men came to contemplate an intervening millennium of peace and safety, they ceased to be eager and alert for the Second Advent. The spirit of accommodation became ascendant. Men came to substitute the expectancy of death for Christ’s coming”, FROOM, E. Leroy, The Prophetic Faith of our Fathers, vol. 2, Washington, D.C., Review and Herald Publishing Association, 1948, pp. 649654.
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réaliser l’aboutissement des progrès techniques, scientifiques, sociaux, politiques et religieux. L’influence des immigrés venant d’Angleterre a largement contribué à la pénétration de cette croyance dans l’opinion publique américaine122 au travers de l’abondante littérature religieuse qu’ils emportaient avec eux. Elle s’ajoutait à celle des réveils religieux (revivals) des années 1730 et 1740 et aux nouvelles sur les événements qui se déroulaient en Europe. Troisièmement, la question du millenium biblique faisait l’objet d’importants débats théologiques. Elle soulevait des interrogations et des anticipations. Mais elle devenait aussi l’objet de spéculations. A mesure que les réformes progressaient en Amérique, l’idée gagna les membres du clergé des anciennes Églises. Il semble qu’elle a renforcé dans l’esprit de nombreux Européens l’espoir que les États-Unis constituent une base et une opportunité face aux forces réactionnaires et à l’autoritarisme qui s’implantaient dans le Vieux Continent après la Révolution française. Une conception religieuse de la place active de l’homme dans le salut et dans la société D’autres courants encore ont marqué la culture chrétienne américaine au 19e siècle. Partie intégrante du fond chrétien protestant, ils ont joué, de près ou de loin, un rôle dans le cours de l’histoire de la jeune République. A la même époque où la philosophie des Lumières et l’individualisme jeffersonien exerçaient leur influence sur les mentalités politiques, un glissement théologique, dû à la montée du méthodisme123 bourgeonnant depuis 1784, s’opérait dans les rangs des protestants américains. S’éloignant de l’idée calviniste de l’initiative souveraine et absolue d’un Dieu prédestinant le destin de chaque homme, le méthodisme mettait l’accent sur la grâce infinie de Dieu pour tous les hommes. Elle implique qu’il revient à chaque être humain, pris individuellement, la responsabilité de la recevoir ou de la refuser. Sur ce point, le méthodisme reprenait les vues de l’arminianisme124 qui « reconnaît la 122
“Postmillenium was slowly on the gain, and gradually muffling the voice of premillennialism . such was the setting for the nineteenth revival of interest in prophecy stimulated by the violent earthquake-upheaval of the French Revolution in obvious fulfilment of prophecy”, FROOM, E. Leroy, Prophetic Faith of our Fathers, vol. 3, Washington, D.C., Review and Herald Publishing Association, 1946, p. 254. 123 Fondé par John Wesley (1703-1791). « [Il] se méfiait de la théologie calviniste et professait des doctrines “perfectionnistes”. […]. [Ses adeptes] reçurent par dérision le sobriquet “méthodistes”. […]. Thomas Coke […] deviendra évêque de l’Eglise méthodiste épiscopale fondée à Baltimore en 1784. Les succès rapides du méthodisme dans le Nouveau Monde s’expliquent par l’activité itinérante des ministres wesleyens et aussi par le caractère vibrant et sentimental de leur prédication », BAUBEROT, Jean, « Méthodisme », in : Encyclopaedia Universalis, 2002 (CDRom, version n°8, 2003). 124 « L’arminianisme est un courant théologique qui se développe au 17e siècle au sein du protestantisme réformé. Son nom provient d’Hermann Armenzoon, dit Jacobus Armenius (15601609), qui fut nommé pasteur d’Amsterdam en 1588 et professeur à Leyde en 1603. Armenius
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nécessité de la grâce de Dieu, non son pouvoir contraignant, et permet à l’homme de coopérer à son salut »125. Ainsi, la place de l’homme dans la réalisation de son salut était remise au centre, sur le plan théologique et religieux. Et, avec cette place, le rôle actif du croyant dans la construction de la société américaine. L’action supplantait la réflexion. Après la Guerre de Sécession, avec l’extension du territoire des États-Unis, l’accroissement des ressources disponibles et la révolution industrielle, l’intérêt majeur se portait sur les résultats. Observateur de cette face en quelque sorte ‘laïc’ du christianisme protestant américain, Kenneth Latourette parle de cette période comme de celle d’un temps ‘d’activisme’126. L’élan missionnaire Dynamisme de l’esprit nationaliste, conscience d’un millenium tout proche, temps de l’action et du perfectionnement, initiative redonnée à l’homme, rendu à sa liberté, autant d’impulsions donc les impacts ont marqué les mentalités et l’esprit des leaders spirituels. Leur représentation de l’avenir passait par la christianisation des populations de l’Amérique et par le devoir de développer une intense activité missionnaire. Pour beaucoup de protestants, c’étaient les moyens incontournables pour atteindre l’objectif, « la voie qui sauverait l’Ouest, la nation, et finalement le monde des effets désastreux de l’immoralité, du scepticisme et du matérialisme »127. L’histoire de ces moments témoigne de la création d’importantes sociétés missionnaires et de leur progression rapide : « Des missionnaires se réunirent en sociétés, comme parties prenantes des réveils religieux. La première fut organisée en 1787. Au tournant du siècle, la Northern Missionary Society of the State of New York œuvrait parmi les Oneidas, … »128. En 1826 était fondée l’American Home Missionary Society, à laquelle participaient des fidèles provenant de différentes Églises. « Le plus étonnant, écrit Martin Marty, c’est qu’en 1834, Jason Lee avait déjà dépassé l’Oregon. […]. Ainsi, aussi faible qu’il était encore face à cette première tentative, soixante ans après l’indépendance, l’empire protestant avait traversé tente d’atténuer les conceptions calvinistes concernant la prédestination. Les controverses suscitées par sa pensée se développent surtout après sa mort. Les arminiens furent souvent des membres de la bourgeoisie urbaine. Ils comptent parmi les premiers apôtres de la tolérance. […] Peu à peu l’arminianisme devint une tendance théologique du protestantisme. John Wesley, fondateur du méthodisme était de tendance arminienne. Héritier du semi-pélagianisme médiéval et de l’humanisme de la Renaissance, l’arminianisme annonce – d’une certaine manière – le libéralisme théologique du 19e siècle », BAUBEROT, Jean, « Arminianisme », in : Encyclopaedia Universalis, 2002 (CDRom, version n°8, 2003). 125 CHENETIER, Marc, « Etats-Unis. La littérature américaine », in : Encyclopaedia Universalis, 2002 (CDRom, version n° 8, 2003). 126 LATOURETTE, Kenneth, op. cit., p. 13. 127 OLMSTEAD, E. Clifton, History of Religion in the United States, New Jersey, Prentice Hall & Englewood Cliffs, 1960, p. 265 (trad.MV). Cf. DAMSTEEGT, P. Gerard, op. cit., p. 8. 128 MARTY, E. Martin, op. cit., p. 10. (trad. MV)
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l’Amérique d’une côte à l’autre »129. Néanmoins, la plupart des Églises ont rapidement réalisé qu’elles ne pouvaient transmettre leurs enseignements et leurs doctrines dans les nouvelles régions sans l’appui de leurs organisations ecclésiastiques. L’esprit de compétitivité entre elles eut pour conséquence des initiatives missionnaires essentiellement confessionnelles. Pour la majorité des Américains, le début du 19e siècle a été une période d’optimisme. À l’opposé, pour les populations indiennes installées avant eux, la double pénétration des nouveaux territoires, à la fois politique et religieuse, a représenté une des pages les plus sombres de leur histoire, en raison de l’écart qui existait entre les idéaux proclamés, ‘tous les hommes ont été créés libre et égaux’, et la réalité des pratiques de conversions sous la pression130 et les déportations de leurs tribus vers des ‘réserves’. 2.1.4.- Les espérances millénaristes remises en cause Au plan politique, ‘l’ère des bons sentiments’ s’est estompée à partir des années 1830. Les controverses du ‘sectionnalisme’ refaisaient surface131. Avec la contestation antiabolitionniste de l’esclavage dans les États du sud, des tensions se ranimaient entre différents États sur la question des droits de la République fédérale. Chacun voyait ses intérêts économiques mis en cause par le Nord132, avec ses ‘nativistes’ favorables à l’immigration anglo-saxonne protestante (appelés dans les années 1920, les W.A.S.P. [White Anglo-Saxon protestant], aux dépens des Européens catholiques de l’Est et du Sud. La cause de l’abolition de l’esclavage éclipsa toute autre préoccupation. Elle relégua au les influences des réveils religieux second plan. Les tensions économiques et politiques entrainèrent la perte de confiance dans l’espoir soulevé par le millénarisme. Ce déclin fut accru par les effets dévastateurs de la dépression financière de 1837. La survie et l’identité de la République étaient effectivement mis en question. 129
IBIDEM. (trad. MV) Cf. DAMSTEEGT, P. Gerard, op. cit., p. 5 ; MARTY, E. Martin, op. cit., pp. 5-13. 131 Cf. POLI, Bernard, Histoire des doctrines politiques aux Etats-Unis, Paris, Que Sais-je ? (2372), Presses Universitaires de France, 1994 : « C’est seulement au début du 19e siècle que les hommes politiques américains essaient de répondre à la question fondamentale qui est de savoir ce qu’est un gouvernement fédéral et quel est son rôle. C’est aussi à cette période que se développe l’idée fondamentale de nationalité américaine. En pratique, la vie politique américaine du milieu du siècle est dominée par deux doctrines : celle de l’expansion, nationaliste et unificatrice, et celle de la sécession, ‘sectionnaliste’ et séparatiste ». (Cf. BONRAISIN, Anne, http://www.persee.fr/web/ revues/home/prescript/article/polit 1994 num 59 296) 132 Cf. ARTAUD, Denise ; KASPI, André, Histoire des Etats-Unis, Paris, Armand Collin, 1969, pp. 76-77. 130
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Le passage du 18e siècle au 19e siècle, aux États-Unis, ne s’est pas donc pas limité à un simple changement de calendrier. Il a aussi été l’entrée dans une période marquée par d’importantes évolutions dans les domaines sociaux, économiques, politiques et religieux. Les Américains n’avaient pas vécu de tels changements depuis l’arrivée des Pères Pèlerins sur leur sol au début du 17e siècle. Toutes ces crises ne sont pas restées sans conséquences sur l’esprit du protestantisme américain. D’une part, les Églises fondées au temps des Colonies, même les plus récentes, devenues majoritaires à leur tour, se sont repliées dans un conservatisme affirmé face aux bouleversements ; de l’autre, à l’opposé, cette période a vu naître des groupes dont les positions extrémistes débordaient la ferveur des réveils religieux, versant dans le fondamentalisme biblique et un courant dit ‘primitivisme’ ou ‘restaurationiste’133. C’est sur cette toile de fond que s’est inscrite l’histoire de la naissance de l’Église adventiste du septième jour et les premiers pas de sa théologie. 2.2. - Les héritages de l’adventisme aux États unis au 19e siècle 2.2.0.- Les héritages L’origine de l’Église adventiste est relativement récente. Pourtant, son histoire révèle que son parcours n’est pas exempt de périodes de fortes tensions et de crises. Avec le recul, on constate qu’elles impliquaient des questions qui remettaient sa théologie sur le métier, essentiellement ce qui concerne la place à donner aux sources de son inspiration et le développement constant de ses croyances fondamentales. Le modèle de sa construction révèle des traits particuliers et paradoxaux, caractérisé à la fois par la continuité et le changement, comme nous l’avons déjà souligné. Robert M. Johnston, un théologien adventiste, va aussi dans ce sens. Dans un article publié en septembre 1983 par l’Adventist Review, il reconnaît dans cette histoire deux aspects qu’il considère comme les plus évidents de la théologie de l’Église adventiste. Non seulement pour son passé, mais aussi dans son dynamisme actuel : « Sans répudier le rôle important du Seigneur dans le passé, l’adventisme aujourd’hui cherche à mieux comprendre encore son rôle. Il reste
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En anglais, ‘Restorationism’ ; en français, ‘restaurationnisme’, courant chrétien prônant un retour absolu aux valeurs d’un christianisme biblique, dites de l’Eglise primitive, protestant et charismatique. Ce mouvement s’est concrétisé aux Etats-Unis, après la Grande-Bretagne, dans la formation d’églises locales, dites aussi ‘domestiques’.
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ouvert à de nouveaux approfondissements et à apprendre, en quête toujours du vrai comme d’un trésor caché »134. Avant d’aborder les étapes de la formation de la théologie adventiste, il est nécessaire de mettre en évidence quelques-uns des héritages qui ont influencé la culture religieuse des fondateurs de l’Église adventiste. L’anabaptisme et le ‘restaurationisme’ Dans son histoire des interprétations de la prophétie biblique, Leroy F. Froom montre que si l’anabaptisme n’a pas réellement produit d’institution ecclésiastique aux 18e et 19e siècles135 et que s’il a souvent été effacé des mémoires immédiates, il a néanmoins marqué l’esprit de beaucoup de communautés protestantes américaines136. Il a laissé son empreinte sous le couvert de ce qui est connu au 19e siècle sous l’appellation de ‘restaurationisme’ ou de ‘primitivisme’. Aux États-Unis, ce courant a insufflé une force spirituelle à plusieurs mouvements religieux. Bien que suffisante pour entraîner un contre-courant réformiste repérable dans la religion angloaméricaine et la culture du pays, cette influence avait néanmoins échappé aux spécialistes de la vie religieuse. Les études récentes, rappelées par Roff Pölher137, autorisent à penser qu’au début du 19e siècle, ce contre-courant était devenu un phénomène de société, tant dans la vie politique américaine que dans la vie religieuse. Les ‘restaurationistes’ étaient convaincus de la réalité d’un passé idéal du monde, d’une société humaine vivant autrefois dans un état de pureté morale et d’accomplissement parfait. Un véritable ordre naturel achevé. Ils cherchaient à réformer la société et la nation à l’image de ce mythe. Ils 134
JOHNSTON, M. Robert, “Search for truth”, Adventist Review, September 15, 1983, p. 8 (trad. MV). 135 « L’anabaptisme est l’une des formes que prendra la dissidence protestante au 16e siècle, souvent dite Réforme radicale. Plusieurs anabaptismes naissent à peu près en même temps dans diverses régions : en Suisse […], en Allemagne du Sud et en Autriche […], aux Pays-Bas […]. Inspirés d’Erasme, de la mystique rhénane et des premiers écrits des Réformateurs, appelés « rebaptiseurs » par leurs adversaires, les anabaptistes refusent le baptême des enfants et la symbiose entre l’Eglise et l’Etat prolongée par la Réforme. Ces mouvements auront chacun leur spécificité. […]. Rejetés et persécutés tant par les catholiques que par les Réformateurs « officiels », des milliers d’anabaptistes trouveront la mort ou seront contraints à l’exil en raison de leurs convictions. Les descendants des anabaptistes se trouvent aujourd’hui dans les Eglises mennonites (Europe, Amérique du Nord et du Sud, Afrique, Asie), ainsi que chez les amish et les houttériens (Amérique du Nord). En 2003, ces groupes comptaient environ 1, 2 million de membres adultes », BLOUCH, Neal, « Anabaptistes », in : GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, p 24. 136 Cf. FROOM, E. Leroy, The Prophetic Faith of our Fathers, vol. 3, Washington, D.C., Review and Herald Publishing House, 1946. 137 Cf. PÖLHER, Rolf, Change in Seventh-day Adventist Theology. A Study of the Problem of Doctrinal Development, Berrien Springs, Michigan, Seventh-day Adventist Theological Seminar, Andrews University, 1995, p. 157, note 3.
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jugeaient le présent et l’avenir du peuple américain à partir des caractères qu’ils lui prêtaient. Traversant le protestantisme américain, ce courant de pensée a généré une représentation de l’Église chrétienne primitive la plus idéale. Elle s’offrait donc aux croyants comme le modèle unique, une communauté apostolique idéalisée et achevée. Le Nouveau Testament devenait la référence incontournable et ses dispositions limitatives pour toute pratique chrétienne. Prétendant rejeter toute tradition et tout credo, il a généré aux États-Unis une lecture radicale et littéraliste de la règle de la ‘sola scriptura’. Sa théorie de l’inerrance de la Bible, - c’est-à-dire de l’inspiration verbale des écrits bibliques, jusque dans leurs détails -, obligeait la théologie au silence, là où les écrits sacrés restent silencieux. Le ‘restaurationisme’ a ravivé le rejet du catholicisme romain. En même temps, il jugeait la Réforme protestante du 16e siècle inachevée, trop chargée de vestiges non conformes aux idées et aux pratiques du christianisme primitif, tel qu’il le concevait. Ainsi, espérait-on fermement l’avènement d’une société chrétienne doctrinalement unifiée. Cette unité ne pourrait cependant trouver sa pleine réalisation qu’au moment où les tous les chrétiens s’efforceraient de penser par eux-mêmes, avec pour seuls recours pour la réflexion, la Bible, la raison et le sens commun. Les chrétiens pourront alors accéder aux vérités religieuses ultimes et donner au christianisme sa véritable place et son sens dans la société américaine. Le millenium tant attendu s’ouvrirait enfin devant elle. Du point de vue de l’adventisme, les deux principaux mérites du ‘restaurationisme’ sont, d’une part, d’avoir contribué au regain de l’intérêt pour l’étude de la Bible, de l’autre, d’avoir rappelé avec fermeté le rejet de la contrainte en matière de conscience et de foi, sous quelque forme que ce soit. L’influence du ‘restaurationisme’ sur la pensée religieuse d’une large partie du protestantisme américain a soulevé des défis théologiques. Elle remettait en cause l’autorité ecclésiastique et celle des credo établis. Néanmoins, elle conféra au réveil religieux du 18 siècle et du 19 siècle certaines dimensions spirituelles dont le mouvement adventiste naissant a hérité, lorsqu’il rechercha à son tour des assises bibliques et théologiques pour construire son identité. Le ‘restaurationisme’ et le millérisme Le ‘restaurationisme’ a fortement marqué les milieux millérites, en raison de la grande diversité d’origines confessionnelles des croyants qui se retrouvèrent au sein du mouvement du Second Avènement. Comme le montre Ewin Leroy Froom, plusieurs documents dignes de foi permettent d’estimer qu’environ 200 pasteurs, issus d’Églises différentes dans le Nord de l’Amérique, ont adopté, aux alentours de 1843-1844, les positions prémillénaristes enseignées par le baptiste William Miller. Ils l’avaient rejoint dans sa conviction du retour du
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Christ à une date présumée. Parmi les premiers, il faut citer certaines personnalités influentes du monde protestant, comme Joshua Vaughan Himes (1805-1895), pasteur baptiste de la Fédération du Massachusetts de la Christian Church, Josias Litch (1809-1886), pasteur et membre de la Fédération méthodiste épiscopalienne de la Nouvelle-Angleterre, le Dr Henry Dana Ward (1797-1884), membre éminent du clergé Episcopalien, diplômé de Harvard, Charles Fitch (1805-1844), pasteur, congrégationaliste, puis presbytérien, Apollos Hale, pasteur méthodiste et Sylvester Bliss (1814-1863), congrégationaliste de Hartford, dans le Connecticut, membre de la Société d’histoire de Boston. Certaines positions religieuses de la « Christian Connection », une des branches interconfessionnelles du protestantisme américain influencé aussi par le ‘restaurationisme’, ont soulevé des débats théologiques animés au sein de l’Église adventiste durant les premières décennies de son histoire. James White (1821-1881) et Joseph Bates (17921872), parmi ses fondateurs, en étaient issus. James White y a reçu sa licence de prédicateur. L’un des plus proches collaborateurs de William Miller, Joshua V. Himes, a amené la famille Prescott à partager ses convictions. Leur fils, William (1855-1944) a été l’un de ses principaux dirigeants de la deuxième génération d’adventistes. Le méthodisme Après l’anabaptisme et le ‘restaurationisme’ ont donc été très tôt des facteurs importants dans l’évolution de la vie religieuse des protestants aux États-Unis. Au cours du 19e siècle, le méthodisme a progressivement imprimé à son tour sa marque dans leur mentalité. « Les Églises méthodistes sont issues d’un mouvement de réveil dans l’Angleterre du 18e siècle. John Wesley (1706-1791), leur fondateur, ne voulait pas au départ se séparer de l’Église anglicane. […]. Insistant sur l’expérience de la conversion […], il accorda une grande importance à la sanctification, c’est-à-dire à la manifestation concrète par des œuvres de l’état de grâce du croyant. Affirmant que le salut était accessible à tous par la foi et s’opposant à la prédestination calvinienne, il souligna le fait que le croyant, après sa conversion, doit attester sa régénérescence par une conduite pieuse et bien réglée et qu’il doit s’engager dans une vie de foi, car il n’est pas assuré de son salut éternel. C’est d’ailleurs parce que John Wesley et son frère Charles […] s’encourageaient au respect d’une règle monastique qu’on les traita de ‘méthodistes’, sobriquet qui devait perdre son caractère péjoratif et désigner la spiritualité et l’organisation d’Églises qu’on appela ‘méthodistes’ »138. De son côté, Jean Baubérot ajoute : « Le méthodisme […] fut, au sein du protestantisme, le dernier mouvement d’opinion qui ait réussi à 138
WILLAIME, Jean-Paul, « Méthodisme », in : GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, pp. 899-900.
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fonder des institutions durables et l’influence de ses idées atteignit la majorité des courants issus de la Réforme »139. La théologie wesleyenne a infléchi la perspective religieuse que les protestants américains avaient héritée du puritanisme140. Ce dernier véhiculait la doctrine calviniste de la prédestination, d’après laquelle Dieu a déterminé de toute éternité le destin de chaque homme et l’avenir du monde141. En réalité, avec l’accent qu’elle mettait sur la conscience chrétienne libérée et le rôle premier qu’elle accordait à la volonté personnelle, la théologie méthodiste a paru plus en harmonie avec l’esprit des bâtisseurs d’une nation nourrie du mythe de la ‘Frontière’ et de l’action. Il leur semblait que tout était possible. L’approche théologique méthodiste faisait sens pour eux. Seuls des décisions personnelles et des choix de vie semblaient faire la différence entre les individus, au sein d’une société où les revivalismes poussaient les croyants à se consacrer entièrement à leur mission. Durant la seconde moitié du 19e siècle, les fondateurs de l’Église adventiste en tireront des leçons, quitte à la nuancer. Un autre aspect du méthodisme a imprégné le protestantisme américain de ce siècle et influencé fortement la théologie adventiste. John Wesley avait pleinement accepté le concept de la justification par la foi proclamé par la Réforme luthérienne. Cependant, comme l’écrit Jean-Paul Willaime, il avait poussé jusqu’à l’extrême l’obligation chrétienne de poursuivre la ‘sanctification’ du caractère par une discipline religieuse. Néanmoins, l’approche théologique méthodiste ne reflétait pas la conception médiévale de la ‘sainteté’. Cette dernière axait la vie chrétienne idéale autour de règles disciplinaires religieuses, différentes selon les ordres religieux, à la recherche d’un degré élevé de spiritualité attestant d’un état de grâce particulier, d’un détachement matériel évident, et, éventuellement, d’une ‘non-peccabilité’. Dans la théologie wesleyenne, la notion de ‘sanctification’ est aussi un concept dynamique. Mais il est surtout synonyme de croissance et de maturation chrétienne dans les relations personnelles du croyant avec Dieu, avec les hommes et au milieu d’eux. Ellen Gould White (1827-1915), cofondatrice de l’Église adventiste, qui a grandi au sein de l’Église méthodiste de Portland, dans l’État du Maine, a repris en partie la théologie de Wesley dans ses écrits. Elle ne s’accorda cependant pas avec l’idée que, pour croire à son salut, le chrétien doit 139 BAUBEROT, Jean, « Méthodisme », in, Encyclopaedia Universalis, 2002, (CDRom, n°8, 2003). 140 MIEGGE, Mario, « Puritanisme », in : GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, p. 1139 : « Le puritanisme a élaboré de façon originale les doctrines calvinistes de la liberté souveraine de Dieu, de l’élection et de la discipline vocationnelle ». 141 Calvin basait cette croyance sur la déclaration de l’apôtre Paul aux Romains (8.30) : « Ceux qu’il a prédestinés d’avance, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés ».
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atteindre tout d’abord un certain stade d’accomplissement, de ‘sanctification’, au moyen d’une quelconque ascèse. Le puritanisme et la discipline ‘vocationnelle’ L’héritage puritain de la discipline ‘vocationnelle’, selon l’expression de Miegge, trouva sa voie dans la société américaine d’une manière différente. Le rôle structurant de la mentalité puritaine se révèle par l’accent mis sur l’obligation morale d’obéir aux lois civiles. Pour autant que celles-ci sont en accord avec les doctrines évangéliques. Le puritanisme est apparu sous le règne d’Élisabeth Ier (1558-1603). Il se présentait comme un courant de ‘purification’ de l’Église anglicane d’Angleterre des traces du catholicisme. Sous Olivier Cromwell, en 1649, ses partisans ont été amenés à codifier la moralité chrétienne dans la volonté de construire une nouvelle société anglaise. Mais, « Mise d’abord en échec par ses divisions internes, ensuite par la Restauration de la monarchie (1660) et de l’Église épiscopalienne (Acte d’uniformité, 1662), écrit Mario Miegge, l’entreprise puritaine devait au contraire se développer outre-Atlantique, exerçant une influence décisive sur la formation morale et politique de la Nouvelle-Angleterre et, enfin, sur la constitution républicaine et fédérale des États-Unis »142. Retraçant l’histoire de son développement aux États-Unis, Tarek Mitri constate : « Ces puritains issus de l’Église d’Angleterre, et appartenant à un mouvement de renouveau qui les en a pratiquement séparés, comparèrent leur émigration à l’exode ou au passage vers la ‘terre promise’. Ils n’étaient plus les héritiers d’une religion établie, mais des chrétiens qui tenaient leur destin en leurs mains propres et s’étaient approprié l’alliance avec Dieu. Ces puritains étaient bien plus influencés par le calvinisme que leurs coreligionnaires. Mais leur calvinisme n’était pas individualiste. Il était façonné par un esprit communautaire et le sens d’un destin collectif »143. C’est dans cet état d’esprit qu’au 19e siècle les puritains américains ont milité avec force en faveur d’une législation du dimanche. Ils désiraient, entre autres, conférer à ce jour le caractère d’un repos obligatoire, à la manière stricte du ‘sabbat biblique’ de l’Ancien Testament. Dès le 18e siècle, leur influence imprègne la mentalité religieuse d’une frange de la population et l’esprit de certaines personnalités politiques américaines. Elle se révèle au sein des milieux évangéliques et ‘restaurationistes’. Au 19e siècle, le « [...] ‘sabbatarianisme’ est devenu autant un intérêt social et politique qu’une question d’église »144. Aucun autre courant 142 MIEGGE, Mario, « Puritanisme », in : GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, p. 1139. 143 MITRI, Tarek, Au nom de la Bible, au nom de l’Amérique, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 21. 144 KNIGHT, George, A Search for Identity. The Development of Seventh-day Adventist Beliefs (Adventist Heritage), Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 2000, p. 35 (trad. MV).
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religieux ne déploya à ce moment-là une activité politique aussi grande que les milieux animés par l’esprit de ‘la discipline vocationnelle’. Se situant à contrecourant, des groupes dispersés d’adventistes avaient, dès les années 1844-1850, emprunté aux baptistes du 7e jour l’observation religieuse du septième jour de la semaine, le samedi, au lieu du dimanche, comme jour originel du sabbat biblique. Au vu de leur histoire, il est permis de penser, qu’aussi d’une façon puritaine et de manière communautaire, ces ‘sabbatariens’ voyaient dans la sacralisation de ce jour la pierre de touche de leur fidélité et le signe de leur appartenance au ‘peuple de Dieu’, mais essentiellement dans un sens spirituel. L’apport de William Miller à la construction de la théologie adventiste : une méthode Aussi étrange que cela puisse paraître, George Knight décèle une influence cachée du déisme dans la façon dont s’est construite la théologie adventiste. Une remarque préliminaire semble nécessaire ici sur ce qu’est le déisme. « Le déiste n’est pas un athée ; il se prononce en faveur de Dieu […] S’il apparaît en 1563, le terme finit par désigner cette religion sans clergé et sans Église qui s’en remet à la raison ou à l’effusion pour critiquer le corps des religions révélées. […] c’est sans doute outre-Manche que le phénomène connaît son extension maximale. Une forme de déisme existe au sein de l’Église anglicane, comme dans les Églises non conformistes qui professent un christianisme aimable et raisonneur », écrivent Bernard Cottret et Pierre Lurbe145. On peut discerner cette influence, mêlée aux héritages dont nous avons paré plus haut, dans la façon méthodique dont la théologie adventiste s’est construite, puis développée. Il s’agit ici de l’aspect ‘raisonneur’, dont parle Bernard Cottret. L’aspect du déisme que William Miller (1782-1849) a transmis aux premiers adventistes dans la façon de rechercher des réponses bibliques et théologiques aux questions qu’ils se posaient. Influencé par les milieux intellectuels qui s’ouvraient aux analyses rationalistes du christianisme, William Miller a voulu appliquer la logique héritée de ses années de déisme à sa manière d’étudier la prophétie biblique. Plus tard, cette orientation marquera l’herméneutique biblique des ‘sabbatariens’, puis sur celle de la théologie de l’Église adventiste. Né en 1782 à Pittsfield, dans le Massachusetts, juste après la Révolution américaine, Miller a reçu une éducation religieuse respectueuse des valeurs de la Bible. Il se révéla doué d’une force mentale, d’une remarquable mémoire et d’un esprit méthodique avide de connaissances. Des notables voisins, tels que les juges James Witherill, Matthew Lyon, membres du Congrès des États-Unis et Alexandre Cruikshandks de White-Hall en témoignèrent en lui offrant l’accès 145
COTTRET, Bernard ; LURBE, Pierre : « Déisme », in : GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Editions Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, p. 303, 304.
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à leurs bibliothèques privées, abondamment documentées. Même s’il n’a pu suivre le cursus traditionnel des études, les documents attestent que Miller s’est hissé à la hauteur des esprits les mieux instruits qu’il fréquentait à Poultney, dans l’État du Vermont. Il devint membre de leur Société littéraire et il fut reçu dans la loge maçonnique locale. C’est à ce moment qu’il fréquenta les milieux déistes et remit en question son héritage religieux. Lecteur assidu de Voltaire, il en vint, comme les autres déistes, à la conclusion que « […] la Bible n’enseigne rien de plus que ce qui est déjà présent dans la nature » et que « si l’esprit humain parvient à s’élever seul jusqu’à Dieu, les religions révélées ne constituent plus […] qu’une réitération d’un enseignement moral déjà accessible à la raison »146. Cependant, même aux moments les plus forts de ses conceptions déistes, Miller n’avait pu se distraire complètement de sa quête de quelque chose de meilleur encore. Durant la guerre entre les États-Unis et l’Angleterre, de 1812 à 1814, il s’engagea dans l’armée et servit comme capitaine, autant par idéalisme que par patriotisme. D’après Leroy Froom, il semble que cette expérience l’ait complètement désillusionné. À 34 ans, devenu propriétaire d’une ferme à Low Hampton, il s’attacha à réexaminer ses convictions et les enseignements de la Bible. Tout en n’étant pas membre, il se mit à fréquenter l’Église baptiste où son oncle exerçait son ministère de pasteur. Confronté aux questions embarrassantes de ses amis déistes, Miller voulait répondre en toute honnêteté intellectuelle. Laissant alors de côté les doctrines toutes faites, il s’engagea de 1816 à 1818 dans une étude soutenue de la prophétie biblique, avec pour seules références une Bible, ses notes, la ‘‘Cruden’s Concordance’’ et ce qu’il connaissait de l’Histoire. En 1818, il se décida à adopter la foi baptiste. Convaincu que les bases sur lesquelles il s’appuyait lui donnaient des outils herméneutiques solides, Miller a poursuivi ses recherches durant quatre années encore, de 1818 à 1822. Ses archives personnelles, ses sermons et ses nombreuses publications témoignent de l’esprit logique qu’il avait acquis au cours des années agitées par ses questionnements sur le sens de la vie et ses débats avec ses amis déistes ‘raisonneurs’147. George Knight distingue dans les notes de William Miller deux catégories de règles d’interprétation. En premier, cinq principes, qu’il applique à l’ensemble des écrits bibliques. Ensuite, neuf autres, auxquels il se réfère pour l’étude des récits prophétiques. Dans ces écrits, il montre qu’il partageait l’esprit et la mentalité des ‘restaurationistes’, une lecture littérale, très conservatrice du texte biblique en anglais. Verset par verset, il comparait les textes entre eux, suivant le raisonnement par analogie. Chaque mot a son importance pour lui. Il permet 146
KNIGHT, George, op. cit., p. 35 (trad.MV). Cf. FROOM, E. Leroy, The Prophetic Faith of our Fathers, vol. 4, Washington, D.C., Review and Herald Publishing House, 1954, pp. 455-472 ; DAMSTEEGTD, P. Gerard, op. cit., pp. 1314 ; MILLER, William, in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 2, Hagerstown, 147
Maryland, USA, Review and Herald Publishing Association, 19962, pp. 73-75.
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de comprendre le sens et la signification des enseignements de la Bible dans leur ensemble. Pour aborder un thème d’étude, tous les écrits du canon biblique lui sont nécessaires. Ses notes montrent qu’il était attentif à l’enchaînement des idées, au sens du texte et à son contexte littéraire. William Miller voulait éviter de tomber dans le mysticisme. Il voulait aussi prendre en compte les contradictions qui lui apparaissaient148. Cette méthode a été à la base du réexamen des enseignements bibliques entrepris par les ‘adventistes sabbatariens’, comme on les a désignés un moment, après 1844. C’est avec ce même regard scrutateur que les fondateurs de l’Église adventiste et leurs successeurs ont développé, à leur tour, les assises de leur théologie, faisant appel à l’intelligence avant de s’adresser au cœur. Aujourd’hui encore l’expression ‘connaître l’Évangile’ est comprise dans les milieux adventistes comme l’étude de ses enseignements sur la base d’un examen méthodique et critique des récits bibliques. 2.2.1.- William Miller et la prophétie biblique Dans la première partie de ce chapitre, nous avons vu qu’au moment où William Miller se consacrait à ses recherches, plusieurs personnalités américaines de premier plan se livraient à celle des prophéties bibliques. Elles exposaient leurs conclusions dans les Églises ou du haut de chaires d’universités américaines149. Leroy Froom le souligne. Il note que « [...] à l’aube du 19e siècle, un grand intérêt pour la prophétie biblique se manifestait simultanément en Europe et en Amérique. Durant la même période, le retour du prémillénarisme semble être un phénomène assez répandu pour parler de débuts d’une troisième grande période du développement et de la prééminence de la prophétie biblique. De manière assez significative, l’intérêt passait des réflexions sur le ‘quand ?’ de la fin de la période des 1260 années et de l’activité de la ‘petite corne’150, au ‘quand ?’ de celle, plus longue, des ‘2300 jours/années’ annoncées en Daniel 8. 14. Beaucoup de milieux biblicistes avaient alors adopté l’idée d’une date à peu près identique marquant le commencement de cette dernière période et de celle des ‘soixante-dix semaines’ de Daniel 9151. Mais, en plus, Miller associait la fin de la période des ‘2300 148
Cf. KNIGHT, George, op. cit. Il est intéressant de consulter les tableaux détaillés de la volumineuse littérature publiée entre 1798 et 1845 concernant les interprétations des livres bibliques de Daniel et de l’Apocalypse, tant par des auteurs du courant millérite que d’autres. Cf. FROOM, E. Leroy, The Prophetic Faith of our Fathers, vol. 4, Washington, D.C., Review and Herald Publishing House, 1954, pp. 388-401. 150 Référence à Dn 7,25, mis en parallèle avec Ap 12,6 et Ap 12,14 et en adoptant le principe d’interprétation : 1 jour prophétique symbolique = 1 année. 151 Voir Dn 9,22-27, selon le même principe. 149
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jours/années’ à la proclamation des trois anges du chapitre 14 de l’Apocalypse152. Il y lisait l’annonce d’une proclamation renouvelée de ‘l’Évangile éternel’, en même temps que celle du jugement dernier. Les prémillénaristes et les postmillénaristes s’accordaient pour considérer que ces deux périodes prophétiques trouveront leurs réalisations avec l’instauration du ‘millenium’ biblique. Les deux courants la considéraient comme imminente. « […]. L’interprétation de la prophétie avait alors atteint son plus haut niveau de compréhension »153. William Miller s’est tout d’abord intéressé à l’étude de l’ensemble de la Bible. Ensuite, il s’est tourné vers l’étude de la prophétie biblique. En 1822, il avait acquis les mêmes convictions que les prémillénaristes dans l’interprétation du texte d’Ap 20154. Il les résume en quelques lignes dans ses notes. Les deux premières nous intéressent : « 1. l’idée répandue d’un millenium temporel précédant le second avènement [du Christ] et la fin des temps est une erreur. 2. la théorie du retour des Juifs en Palestine à ce moment-là ne trouve aucun soutien dans la Parole de Dieu »155. D’une certaine manière, son eschatologie rejoignait celle des postmillénaristes, c’est-à-dire qu’une ‘rédemption’ des hommes était à l’horizon des deux visions. Cependant, William Miller apportait un élément nouveau. Comme beaucoup d’exégètes de la Bible à ce moment-là, il partait du principe herméneutique selon lequel la référence au ‘jour’ est utilisée symboliquement pour désigner ‘une année’ de temps réel dans les prophéties de Daniel et de l’Apocalypse. Miller situait en 1843 la fin de la période prophétique des ‘2300 jours/années’ du livre de Daniel. Il n’était pas le seul. Froom publie une liste de quelque soixante-huit commentateurs bibliques, d’une douzaine de pays des quatre continents, qui s’accordaient déjà sur le moment, avant qu’il ait publié son premier ouvrage en 1836. Trente-huit plaçaient la fin entre 1843 et 1844 et trente en 1847156. Toutefois, même si leurs conclusions pouvaient se recouper, quant à l’aboutissement, prémillénaristes et postmillénaristes divergeaient sur la signification de l’événement attendu. Beaucoup de postmillénaristes y voyaient l’annonce du retour des Juifs en Palestine et la conversion d’Israël au christianisme, le jugement des nations, la disparition de l’Islam et le début du millenium sur terre, avec le rétablissement du christianisme primitif dans le monde. William Miller défendait une interprétation très différente. Elle se retrouve dans une série d’articles qu’il a publiés en 1832 dans le ‘Vermont Telegraph’. En 1833 et 1836, il l’a incorporée dans les éditions successives de ses écrits : Evidences From Scripture and 152
Voir Ap 14,6-12, selon le même principe. FROOM, E. Leroy, The Prophetic Faith of our Fathers, vol. 4, Washington, D.C., Review and Herald Publishing House, 1954, pp. 389-390 (trad. MV). 154 Cf. MILLER, William, Manuscript 5, September 1822. 155 FROOM, E. Leroy, op. cit., p. 463 ; DAMSTEEGT, P. Gerard, op. cit., pp. 13-14 (trad. MV). 156 FROOM, E. Leroy, op. cit., pp. 401-405. 153
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History of the Second Coming of Christ About the Year A.D. 1843, and of His Personal Reign of 1000 Years157. Pour lui, l’événement attendu était l’avènement glorieux du Christ. Cette conviction a façonné sa vie et son identité chrétienne, comme elle le fera pour tous ceux qui se sont joints au mouvement que sa prédication a soulevé. On sait que William Miller n’avait aucune intention de fonder une nouvelle Église. Un peu naïvement sans doute, il avait cru que le clergé des Églises établies et leurs fidèles reconnaitraient ses découvertes, en prenant conscience que ses bases bibliques étaient solides158. Or, bien au contraire, son interpellation suscita des tensions croissantes à mesure que l’année fixée s’approchait. Les millérites se voyaient interdire d’exposer leurs idées dans leurs communautés. Ils se trouvèrent rapidement placés devant le fait qu’ils ne disposaient plus de lieux de réunion. Plusieurs congrégations ont destitué leurs pasteurs, pour ces mêmes raisons. Les Églises se fermaient aux fidèles qui fréquentaient leurs meetings sous tente. C’est dans cette ambiance tendue qu’en juillet 1843, le pasteur méthodiste Charles Fitch prononça un sermon qui eut un grand retentissement. Pour Fitch, les chapitres 14 et 18 de l’Apocalypse159 constituaient une invitation pour les millérites à ‘quitter’ les systèmes ecclésiastiques, désignés, d’après lui, par le symbolisme de la ‘Babylone déchue’. En réalité, il revisitait un thème commun à la Réforme, qui visait la papauté. Mais, en plus, Fitch l’élargissait aux Églises protestantes qui rejetaient le message millérite. William Miller en premier, et de nombreuses millérites avec lui, n’ont jamais partagé le radicalisme de Charles Fitch. Avec le recul du temps, on peut dire que ce dernier a fourni aux adventistes du moment une rationalisation théologique de leur séparatisme. George Knight souligne qu’on ne peut sous-estimer l’impact de cette prédication dans leurs rangs. Les exclusions dont ils ont aussi été les victimes à leur tour, surtout à partir des années 1843-1844, ont renforcé parmi eux l’approbation de ses sermons et de ses écrits160. 2.2.2.- Le désappointement de 1844 L’année 1843 se passa sans que l’événement attendu arrive. Malgré sa vive inquiétude, William Miller résista à l’idée de fixer une autre date. Néanmoins, cette idée connut un regain d’intérêt au cours du camp-meeting millérite qui s’est tenue du 12 au 17 août 1844, à Exeter, dans le New Hampshire. Des participants venus de différentes régions des États-Unis s’étaient réunis, lassés d’une attente sans réponse et désireux de découvrir de nouvelles ‘lumières’ 157
IBIDEM. Cf. KNIGHT, op. cit., p. 48. 159 Ap 14, 8 et 18, 1-5. 160 Cf. KNIGHT, George, op. cit., p. 50. 158
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bibliques. Dans un article qu’il avait écrit le 16 février 1843, Samuel S. Snow (1806-1870)161, un ancien congrégationaliste, avait déjà avancé l’idée que la prophétie des ‘2300 jours/années’ devait trouver son aboutissement le 10e jour du 7e mois de l’année sacerdotale juive, c’est-à-dire en automne 1844. Pour soutenir ce raisonnement, il s’appuyait sur le calendrier liturgique du service cérémoniel israélite dans l’Ancien Testament. Durant les mois qui avaient précédé la rencontre d’Exeter, Samuel Snow avait plusieurs fois avancé l’idée d’un rapprochement entre la prophétie du livre de Daniel (8. 14) et ce 10e jour du 7e mois, jour du ‘Yom Kippour’ (‘Jour du Pardon’ ou des ‘Expiations’). Mais son interprétation n’avait retenu que très peu d’attention. C’est au cours de cette réunion qu’il parvint à rallier une majorité de millérites, lorsqu’il précisa le ‘jour’, le 22 octobre de la même année, en recourant à la computation d’un obscur calendrier religieux juif cairote. Fort de ce soutien obtenu, Samuel Snow publia ses arguments après le meeting, le 22 août162. « L’exposé de Snow, accueilli avec un enthousiasme unanime par les participants, ne fut pas reçu sans réserve par les principaux dirigeants qui n’étaient pas présents à ce campmeeting. (Il faut préciser que Miller et Himes étaient tous les deux dans l’État de l'Ohio à ce moment-là. Ces innovations venant de l’Est les inquiétaient, note de l’auteur). Les responsables des périodiques adventistes (millérites, à ce moment-là, note de l’auteur) adoptèrent une attitude plus que prudente. Néanmoins, le message dit ‘du septième mois’ se répandit avec force. Une par une, les personnalités les plus en vue se joignaient au rang de ceux qui y croyaient »163. A la mi-septembre 1844, George Storrs (1796-1879)164, de son côté, associait l’idée du ‘cri de minuit’ de la parabole des 10 vierges165, – à laquelle 161
Cf. SNOW, S. Samuel, in : Seventh-day Encyclopedia, vol. 11, Hagerstown, Maryland, USA, Review and Herald Publishing Association, 19962, p. 620. 162 Cf. True Midnight Cry, August 22, 1844, cité par FROOM, E. Leroy, op. cit., p. 800, 803, 814. 163 Cf. « Editorial : The Exeter Camp Meeting », Advent Herald (Millérite), 21 août 1844, p. 20, cité par FROOM, E. Leroy, op. cit., p. 803 (trad. MV). A propos du scepticisme de Josias Litch sur les vues de Snow, cf. « Le septième mois », Advent Herald (Millérite), 21 août 1844, p. 21. Sur le fait que quelques semaines plus tard, des personnalités de premier plan se joignirent au courant dit « du septième mois » et permirent à Snow de publier ses conclusions dans les principales publications millérites, cf. HIMES, Josuah, « The Time of the Advent », Advent Herald (Millérite), 9 octobre 1844, p. 80, cité par FROOM, E. Leroy, idem. 164 « Né dans le New Hampshire, George Storrs (1796-1879) avait été d’abord Congrégationaliste, puis méthodiste. Il se retira de son ministère pastoral méthodiste en 1840 pour s’engager dans la lutte contre l’esclavage. En 1842, il adopta les positions de William Miller sur le retour du Christ et participa activement à leur diffusion. Ecrivain et orateur, Storrs fut l’un des plus ardents défenseurs de l’attente du ‘septième mois’. Toutefois, immédiatement après le grand désappointement de 1844, il fut l’un des premiers à renier le mouvement, l’attribuant aux ‘influences du mesmérisme’, « Georges Storrs », in : Seventh-day Encyclopedia, vol. 11, Hagerstown, Maryland, USA, Review and Herald Publishing Association, 19962, p. 707. (trad. MV). 165 Mt 25,6.
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les millérites prêtaient déjà un sens eschatologique –, au retard de l’époux dont il est question. Ce qui expliquerait le ‘délai’ vécu par les millérites et renforçait, selon lui, l’interprétation avancée par Snow. C’est à ce moment-là que l’attente du 22 octobre 1844 a atteint un point culminant dans l’histoire du millérisme. Lorsque la nouvelle date fixée arriva, rien ne se passa ! Le désarroi n’en fut que plus profond. Dans une lettre adressée le 24 octobre à William Miller et à Josuah Himes, Josias Litch témoigne de sa douleur, en parlant de ce jour comme d’un ‘jour de ténèbres’. Mais en plus de leur déception, les millérites ont dû faire face aux moqueries, aux accusations, aux humiliations et, pour une partie d’entre eux, aux difficultés matérielles consécutives à l’abandon de leurs travaux et emplois, dans l’ardeur de leur conviction et de leur espoir166. Désorientés, les millérites sont alors passés brutalement du temps des certitudes les plus ancrées aux plus grandes incertitudes et à l’insécurité. Ce fut aussi le temps de la dispersion et des abandons. L’adventisme plongeait dans la plus grande crise de son histoire : « Après le 22 octobre 1844, la confusion gagna les rangs. Le mouvement millérite arrivait à une halte. Des contestations s’élevèrent. A la manière de celles qui ont suivi la Réforme, entre Luther et Zwingli, entre les adeptes de Calvin et ceux d’Arminius, ou entre les théologiens de Westminster et les Dissidents »167. Le mouvement millérite n’était pas structuré pour faire face à de telles circonstances. « Tout avait commencé par un réveil religieux inter-églises construit sur l’idée du retour proche du Christ », écrit Froom, « L’appel lancé à ‘sortir des Églises’ n’avait pas comme but de faire naître une nouvelle dénomination, mais de préparer les croyants à rencontrer leur Sauveur qui allait revenir. On n’avait aucun besoin, ni aucun désir de susciter une nouvelle organisation »168. 166
Une analyse largement documentée menée par Malcolm Bull et Keith Lockhart sur l’histoire de l’Eglise adventiste du septième jour apporte un éclairage sur le rôle négatif de la presse américaine au 19e siècle. Elle faisait écho à des rumeurs infondées qui circulaient dans l’opinion publique à propos de conduites insensées attribuées aux millérites. Tout en considérant l’intérêt de ces articles et de ces publications pour l’information qu’ils fournissent sur les relations du millérisme avec la société de l’époque, les auteurs remarquent : « Il n’existe aucune preuve sérieuse que les millérites étaient des personnes perturbées au point de montrer de telles attitudes désordonnées. Du fait qu’ils se situaient en dehors de l’optimisme culturel général du moment, on se les imaginait comme des gens dépourvus des bases scientifiques et des convictions morales quistructuraient la vie de la société en général. Les millérites étaient vraisemblablement des gens comme tout le monde, sous tous les aspects, sauf dans leurs croyances millérites. Et à cause de leur millérisme, ils ont été jugés comme des anormaux dans les autres aspects de la vie » (trad. MV), BULL, Malcom ; LOCKHAERT, Keith, Seeking a Sanctuary. Seventh-day Adventism and the American Dream, Bloomington, Indiana University Press, 20072, p. 6-7. Malcom Bull est professeur à l'Université d'Oxford. 167 FROOM, E. Leroy, op. cit., p. 876 (trad. MV). 168 Ibidem, « D’une manière pratique, Cox, de l’Etat du Maine, suggéra bientôt que des dispositions soient prises dans toutes les congrégations réunissant des adventistes pour administrer le baptême et la Sainte Cène, afin que ceux qui ne pouvaient plus rester dans leurs communautés sans renier leurs convictions, puissent trouver un lieu pour s’y réfugier ». Pour la
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Quelque cent soixante-six années après ces événements, l’Histoire montre que l’année 1844 ne marqua pas le terme de l’adventisme. Parmi ces croyants déçus, des hommes et des femmes de foi, de fortes personnalités, s’interrogèrent sur leur véritable identité religieuse. Totalement dépourvus d’instruments théologiques et de moyens matériels, ils n’ont sans doute jamais imaginé dans leur douleur qu’ils s’engageaient vers un nouvel avenir. Après le 22 octobre 1844, de nombreuses questions restaient en suspens. Sous le leadership de William Miller et de Joshua Himes169, la plupart de ceux qui jouaient un rôle de premier plan dans le mouvement millérite se réunirent à Albany le 19 avril 1845. Leur souhait était d’arriver à apaiser le désarroi des fidèles, à résoudre les divergences de vues et à reconsolider l’entente qui les avait unis avant la date fatidique. Une question s’imposait avec force : ou bien, la fin du temps des ‘2300 jours/années’ n’était pas encore arrivée ; ils faisaient erreur sur la date. Ou bien, ils se trompaient sur la signification de l’événement. La réponse allait tracer une ligne de démarcation entre deux positions théologiques. D’un côté, le groupe de ceux qui voyaient dans l’expérience de 1844 la confirmation d’une erreur sur le temps de la prophétie. Ils considéraient le mouvement du ‘septième mois’ comme une supputation malheureuse. Restant dans la ligne de l’interprétation millérite de la ‘porte fermée’, qui lisait dans la parabole des 10 vierges le symbole de la fin du ‘temps’ de la grâce divine, ils concluaient qu’elle est restée ‘ouverte’. Pour eux, le temps d’attente se prolongeait. Joshua Himes adopta cette interprétation. Quant à William Miller, il la rejeta publiquement, profondément perturbé par les dissensions. De même qu’il avait rejeté l’explication du ‘septième mois’. Il en vint même à déclarer que le mouvement d’octobre 1844 n’était « dans aucun sens l’accomplissement d’une prophétie »170. William Miller s’opposa à toute nouvelle théorie qui tendrait à vouloir expliquer cette déception et à proposer d’autres dates. L’autre groupe était constitué par ceux qui maintenaient que le temps de la fin des ‘2300 jours/ années’ avait été correctement compris. Pour eux, le ‘mouvement du ‘septième mois’ gardait toute sa valeur. Leur lecture de la situation les amenaient à la conclure que la grâce divine, symbolisée dans la parabole par la ‘porte fermée’, avait pris fin à cette date.
première fois, l’idée d’une organisation était suggérée ; « Letter, November 7, 1844 », Advent Herald, 27 novembre 1844, p. 127, cité par FROOM, E. Leroy, op. cit, p. 876 (trad. MV). 169 Cf. « Miller, William et Millerite Movement », in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 11, Review and Herald Publishing Association, Hagerstown, Maryland, 1996, pp. 73-82 ; Cf. HIMES, Joshua Vaughan, in : idem, vol. 12, pp. 694-695 ; voir aussi FROOM, E. Leroy, op. cit., pp. 827-845. 170 Lettre manuscrite de William Miller à J.B. Cook, 16 septembre 1845, cité par FROOM, E. Leroy, op. cit., p. 836.
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Les responsables de la rencontre à Albany firent connaître leurs positions par des déclarations théologiques, dont les principales peuvent se résumer en cinq points : 1. un prémillénarisme non ‘judaïsé’ était maintenu. Autrement dit, cette position rejetait la ‘doctrine judaïsée’ d’une restauration littérale d’un Israël terrestre, comme accomplissement de l’alliance biblique abrahamique 2. Une concession formulée en termes plutôt vagues sur l’enseignement de l’immortalité conditionnelle de l’homme, soutenue par certains responsables millérites 3. L’abandon de la date de 1844 pour le retour du Christ et, dans la logique, l’idée que le mouvement de 1844 accomplissait la prophétie, ou même qu’un quelconque événement prophétique se serait accompli, sans l’avoir compris. Ce qui expliquerait leur déception 4. Ils restaient convaincus que ni le temps des ‘2300 jours/années’ n’était advenu, ni celui de la parabole de la ‘porte fermée’. Leurs réalisations appartenaient encore au futur 5. Voulant de barrer la route au fanatisme, ils affirmaient leur refus de ‘nouvelles idées’ ; mais aussi, par avance, toute interprétation prophétique qui validerait le mouvement ‘du septième mois’171 . L’Histoire montre que cette réunion à Albany a fourni les bases de plusieurs dénominations connues dans l’adventisme américain au 19e siècle : ‘The American Millenial Association’, appelée plus tard ‘The Evangelical Adventists’, avec Joshua Himes, et ‘The Adventists Christians’. Leurs membres attendaient encore le retour du Christ dans un temps relativement proche, sans plus en fixer la durée. Décédé en 1849, Miller ne pouvait pas imaginer à quels nouveaux développements sa prédication avait ouvert la voie. Il ne pouvait imaginer, non plus, jusqu’à quel point son attachement pour la prophétie biblique et sa méthode raisonnée d’interpréter les textes allaient contribuer à rendre dynamique l’héritage théologique de l’adventisme biblique dans l’esprit des fondateurs de l’Église adventiste. Dans un premier temps, de 1844 à 1885, ils allaient, à leur tour, faire face à de sérieuses crises sérieuses, au moment de rechercher un sens à leur expérience et la signification de leur identité religieuse.
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Cf. FROOM, E. Leroy, op. cit., p. 835 ; « Millerite Movement », in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 11, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 1996, pp. 81-82.
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2.2.3.- Les premiers pas de la formation de la théologie adventiste172 Au milieu du 19e siècle, le courant de l’adventisme lancé par William Miller s’est orienté en trois directions sous l’action de ceux qui avaient collaboré avec lui. Au départ, les deux premières, représentées par les ‘Evangelical Adventists’ et par les ’Adventists Christians’, semblaient constituer les seules héritières de sa pensée. Toutefois, bien que déterminées toutes les deux par la conviction d’un avènement très proche du Christ, elles ne connurent plus aucune avancée significative dans l’analyse de la prophétie biblique. Nous ne les suivrons pas et nous fixerons notre attention sur la troisième direction. Ceux qui l’ont suivie ont été conduits vers la construction d’une nouvelle identité religieuse, dont la pensée centrale n’apparaîtra pas avant quatre nouvelles décennies, en 1888. Au départ, les tenants de cette orientation avaient gardé la conviction que la prophétie des ‘2300 jours/années’ s’était accomplie au moment où ils l’avaient pensé. La ‘porte’ de la grâce divine avait été ‘fermée’ dans les mois qui ont suivi leur expérience en octobre 1844. Bien que minoritaires au sein du courant millérite, ils se sont aussi considérés comme des dépositaires du courant de l’adventisme moderne qui venait de naître. L’Histoire montre qu’ils ont été les premiers jalons d’un mouvement qui allait se développer, non sans devoir accepter des changements importants dans sa théologie et voir apparaître de nouveaux développements dans ses croyances. D’octobre 1844 jusqu’aux années 1847-1848, ce groupe ne disposait d'aucune forme d’organisation, ni de visibilité. Il ne comptait que très peu d’adeptes, dispersés dans le nord-est des États-Unis. Avant 1846, la plupart d’entre eux ne se connaissaient pas. Les seuls points qui les rapprochaient étaient leur attachement commun à l’étude de la Bible et les questions qu’ils se posaient sur les causes profondes de leur récente déception. C’était, à ce moment-là, le seul axe d’une certaine ‘identité religieuse’ partagée, mais encore bien imprécise. Mais, à mesure que le temps a avancé, de nouveaux enseignements bibliques apparaissaient, avec le développement de leurs croyances. Une nouvelle étape s’inscrivait dans leur histoire religieuse. Tout en cherchant le sens de ce qu’ils venaient de vivre, ils se refusaient à renier les bases bibliques sur lesquelles ils s’étaient appuyés. Elles avaient fortement entretenu leur confiance dans le retour proche du Christ. Pourtant, face aux réalités, leur était-il encore permis d’y croire ? On peut résumer en deux questions toutes leurs incertitudes : se désigner comme ‘adventiste’ faisait-il encore sens ? Qu’avaient-ils de spécifique dans leurs croyances qui le justifiait ? 172
Les grands événements de l’histoire de l’Eglise adventiste sont bien connus. Leur analyse donne raison à George R. Knight d’y faire référence pour identifier des étapes dans la progression de la théologie de cette Eglise (Cf. KNIGHT, R. George (2000), op. cit.). Nous nous en sommes librement inspirés en traçant son itinéraire dans cette étude.
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On sait aujourd’hui que c’est dans ces moments que se sont dessinées les premières voies qui conduiront la théologie de l’Église adventiste à devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Sous quelle autorité spirituelle ? Pour tout groupe religieux, la question théologique et doctrinale la plus fondamentale est celle de la source qui confère la légitimité et de l’autorité à son enseignement. Claude Bridel a bien précisé où elle se situe dans le protestantisme, « […] le protestantisme défend des conceptions de l’autorité et de la gestion du pouvoir qui reposent sur l’affirmation d’une double médiation : celle de la Bible (en extériorité) et celle du Saint-Esprit (en intimité). Marque évidente d’une volonté de désacraliser toute autorité ou tout pouvoir qui seraient réservés au seul clergé, pour désigner comme unique détenteur de l’autorité Jésus-Christ, Seigneur de type eschatologique. […]. L’homme seul devant Dieu, la Bible à la main, illuminé par le Saint-Esprit, décrit schématiquement, voilà le protestant ! C’est sans doute l’image qu’il faut garder en mémoire pour comprendre la perception de l’autorité et la gestion du pouvoir dans les Églises protestantes. […]. L’autorité dans les Églises protestantes est toujours une autorité déléguée »173. Quant à la façon de comprendre le mandat de cette délégation, Pierre Gisel précise : « Revenons à l’orbite protestante. Comme on l’a dit, c’est la Bible qui est ici à investir, à scruter, à écouter. Dans sa texture même. Une Bible qui, pour le moins, condense la Parole de Dieu ; une Bible par laquelle – et par laquelle seule – Dieu lui-même parle. Une Bible autoattestative »174. C’est ainsi que l’ont compris les premiers adventistes. Dès le début de l’année 1847, James White (1821-1881) a été clair sur ce point, « … la Bible est une révélation complète et parfaite. C’est notre seule règle de foi et de pratique »175. Il entendait par là qu’il est de la responsabilité de chaque croyant de sonder la Bible et de fonder ses propres convictions religieuses. Deux années plus tard, il réaffirmait cette position : « La Bible est notre charte, notre guide. C’est la seule règle de notre foi et des pratiques auxquelles nous voulons adhérer pleinement »176. Quatre ans plus tard, il écrivait dans la ‘Review and Herald’ du 21 avril 1851 : « Tout chrétien est, par conséquent, dans l’obligation de considérer la Bible comme une règle parfaite de la foi et de ses engagements. 173
BRIDEL, Claude, « Autorité », in : GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, pp. 76-77. 174 GISEL, Pierre, « Bible », in : ID. (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, p. 120. 175 WHITE, James, A Word to the ‘Little Flock’, p. 13 (trad. MV). Brochure imprimée publiée en 1847, à Brunswick, dans l’Etat du Maine. C’est le premier des écrits de James White. 176 WHITE, James, The Present Truth, 1, December 1849, p. 46 (trad. MV). Le premier périodique adventiste dont James White a été l’initiateur et le principal rédacteur.
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Il devrait prier avec ferveur afin de recevoir l’aide du Saint-Esprit dans sa recherche dans les Écritures de la vérité et de ses engagements. […]. La Parole [la Bible, note de l’auteur] doit être mise en avant et le regard de l’Église doit se fixer sur elle, comme règle du comportement et fontaine de sagesse […] »177. Ces déclarations ne paraissaient pas toujours évidentes à ceux qui s’opposaient aux adventistes. On en trouve des traces dans les réponses des collaborateurs de James White. En 1874, Uriah Smith (1832-1903), l’une des plumes actives de l’Advent Review and Sabbath Herald178, réfutait l’affirmation de Miles Grant, éditeur du périodique des adventistes du premier jour, le ‘World’s Crisis’, en écrivant, « […] les adventistes du septième jour soutiennent que le sanctuaire, qui doit être purifié à la fin des 2300 jours mentionnés dans Daniel 8,13 -14, est dans les cieux et que sa purification a eu lieu en automne 1844. Si quelqu’un leur demandait pourquoi ils le croient, la réponse serait que l’information provient d’une vision de Mme E.G. White »179. Uriah Smith lui a répondu : « […] les écrits sur la question du sanctuaire font partie de nos publications. Des centaines d’articles ont déjà traité de ce sujet. Cependant, dans aucun d’eux, aucune référence n’est faite à des visions comme autorité sur cette question, ni même comme la source dont certaines vues sur ce sujet seraient dérivées. Il est invariablement fait appel à la Bible. On y trouve de nombreuses preuves pour soutenir la position que nous défendons »180. Les documents historiques montrent en effet qu’au moment où Uriah Smith publiait sa réponse, il pouvait être d’autant plus certain de ce qu’il affirmait que tout chercheur à l’époque pouvait le vérifier. Il disposait d’une abondante littérature publiée dans les milieux adventistes. En 2000, Paul Gordon, théologien adventiste, qui a été durant trente années un chercheur au service du Centre de recherche du ‘White Estate’181, aux États-Unis, confirme l’affirmation d’Uriah 177
WHITE, James, Review and Herald, April 21, 1851, in : MOLLEURUS, Couperus, « The Bible Conference of 1919, July 30, 1919 », Spectrum, vol. 10, 1 (1999), p. 33 (trad. MV). 178 The Advent Review and Sabbath Herald, périodique adventiste officiel, considéré par ses éditeurs comme le prolongement de The Present Truth, revue qui avait été fondée par James White. Le périodique a paru sous le titre The Advent Review and Sabbath Herald à partir du numéro du 5 août 1851. On l’a appelé communément, en abrégeant, la Review and Herald, intitulé qui deviendra officiel avec l’édition du 4 mai 1961. Depuis le 1er numéro de 1978, il a été changé et s’intitule depuis Adventist Review, cf. « Adventist Review », in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Maryland, USA, Review and Herald Publishing Association, 19962, p. 26. 179 Advent Review and Sabbat Herald, December 22, 1874, p. 204 (se réfère à World’s Crisis, November 25, 1874). Voir aussi GORDON, A. Paul, The Sanctuary, 1844 and the Pioneers, Nampa, Idaho, Pacific Press Publishing Association, 20002, p. 32 (trad. MV). 180 Advent Review and Sabbat Herald, December 22, 1874, p. 204 (trad. MV). 181 White Estate, organisme créé en 1915 par la Conférence générale des Eglises adventistes du septième jour en se fondant sur le testament d’Ellen Gould White. Il gère le dépôt de ses manuscrits, de sa correspondance et de ses publications. Le ‘White Estate’ comprenait au début deux centres de recherches : le premier situé à Andrews University, dans le Michigan, et l’autre, à l’Université de Loma Linda, en Californie. Depuis 1974, cet organisme a ouvert dans le monde 11
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Smith : « Une recherche au travers des nombreux articles de la Review and Herald soutient sa déclaration. Ils ne citent jamais Ellen White182 comme une autorité à propos de l’enseignement adventiste sur le sanctuaire. Seuls, dans quelques cas isolés au tournant du siècle, certains auteurs font mention d’elle en traitant ce sujet, mais encore, tout à fait entre parenthèses »183. L’histoire de la formation de la théologie adventiste montre que, dès la première génération, dans l’esprit du restaurationisme, les adventistes se sont gardés de fonder leurs croyances sur une autre autorité que celle de la Bible. Leurs écrits témoignent qu’ils ont investi, scruté et écouté le texte biblique. Ils montrent qu’en étudiant les sujets qui les préoccupaient, ils l’analysaient, usaient de comparaisons des termes et des figures symboliques pour comprendre les textes prophétiques qu’ils lisaient dans une perspective historiciste184. C’est avec cette méthode herméneutique qu’ils ont revisité le sens de leur expérience en 1844 et celui de leur mission religieuse. Réajustements dans l‘interprétation du symbolisme du sanctuaire dans la Bible Nous avons vu que pour William Miller, l’événement attendu à la fin des ‘2300 jours/années’ était le retour du Christ et la fin du monde. Il partageait l’idée admise dans le monde protestant d’alors, qui lisait dans la notion de ‘sanctuaire’, mentionnée dans le livre prophétique de Daniel (Dn 8.14), le symbole de la terre et de toute l’humanité. Comme tous les millérites, il pensait que la ‘purification’ – ‘cleansing’, en anglais, selon la version King James – dont il est question dans ce verset, signifiait la destruction du monde au moment du retour du Christ. Après le 22 octobre 1844 et le désappointement général qui s’en suivit, quelques-uns se ressaisirent et ont entrepris d’explorer d’autres sens possibles du texte. En relisant les récits du Nouveau Testament, dont celui où il est question « d’une bonne nouvelle (εύαγγέλιον) à annoncer aux habitants de la terre » (Ap 14. 6), l’interprétation donnée leur a paru contraire à l’esprit de l’Évangile. Quelle était alors la signification de cette prophétie ?
centres de recherches en liaison les uns avec les autres. L’un d’eux est situé en France, à la Faculté de théologie adventiste de Collonges-sous-Salève, Haute-Savoie. Ces centres disposent des duplicata de ce qui est en dépôt à Andrews University. Celui situé à Collonges-sous-Salève possède aussi des écrits originaux de collaborateurs d’Ellen G. White, comme, par exemple, John Andrews, le premier pasteur américain officiellement envoyé en Europe en 1874. 182 Nous reviendrons sur la question de l’autorité d’Ellen White dans l’Eglise adventiste du septième jour ; voir plus loin, pp. 119,120 ; p.129, § 1. 183 GORDON, A. Paul, op. cit., pp. 32-33 (trad. MV). 184 L’approche ‘historiciste’ consiste à voir l’accomplissement de la prophétie biblique dans une chaîne d’événements ou de situations historiques, qui se déroulent depuis le temps du prophète jusqu’à la fin du monde ; l’approche ‘prétérite’ voit leur accomplissement au temps du prophète ; l’approche ‘futuriste’ considère que toutes les prophéties eschatologiques s’accompliront dans des temps encore futurs, immédiatement avant le retour du Christ.
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Les débats autour de cette question ont sérieusement commencé dès 1846. Au printemps de l’année 1844, Josiah Litch (1809-1886) avait déjà exprimé de doutes185. Ce sont ensuite des acteurs du mouvement millérite, moins connus, qui ont avancé leurs idées. De façon globale, elles restaient sur la ligne de lecture de leurs coreligionnaires, Josiah Litch, Apollos Hale, Joseph Turner et Joseph Marsh. L’attention s’est fixée sur celle proposée en février 1846 par Hiram Edson, le Dr F.B. Hahn et O.R.L. Crosier. En avril 1845 déjà, G.W. Peavey pensait que le Christ a achevé en 1844 le ministère de médiation symbolisé autrefois par celui du ‘Souverain sacrificateur’ (Grand prêtre) en fonction dans le Temple israélite. De la même manière que ce dernier, sur terre, le 10e jour du septième mois, le Christ serait entré dans la seconde partie d’un ‘sanctuaire céleste’186. Ce n’est qu’en 1853, après l’argumentation soutenue par Owen R. Loom Crosier en faveur de cette interprétation, que James White a attiré l’attention des lecteurs de la Review and Herald : « […] la revue ‘Harbinger’ du 5 mars publie les recherches de J. B. Frisbie et les réponses d’O.R.L. Crosier. ‘ Mon point de vue sur ce sujet a changé depuis 1845, déclare Crosier, au moment où j’ai écrit l’article sur la loi de Moïse à laquelle les adventistes sabbatariens se réfèrent si souvent’. Nous mentionnons cet article de Crosier, écrit James White, sans autre raison que de souligner qu’il contient une vérité précieuse. Nous souhaitons l’exposer à nos lecteurs ». Prolongeant sa réflexion, il ajoute : « L’abandon d’une vérité ne l’affecte pas ; pas plus si un croyant renonce à croire en Christ. Ce serait la destruction du christianisme »187. De son côté, Joseph Bates s’est aussi intéressé aux idées de Crosier. En 1846, il déclarait qu’il les considérait comme « supérieures à celles qui avaient été avancées jusque-là »188. Tant James White que lui, tous les deux ont fixé leur attention particulièrement sur quatre points avancés par Crosier : 1. Le terme ‘sanctuaire’ dans Daniel 8.14 doit être compris dans un sens littéral. Il existe réellement un ‘sanctuaire’ dans le ciel. 2. Le sanctuaire israélite de l’Ancien Testament était une illustration symbolique du plan du salut. Il a été réalisé à partir du modèle présenté à Moïse, qui reproduisait celui du ciel. 3. La médiation du Christ, ‘notre Souverain sacrificateur’ (Héb 8. 1,2), se réalise en deux phases, de la même façon que le ministère du Souverain sacrificateur se 185
Cf. KNIGHT, George, op. cit., p. 61. Cf. PEAVEY, George W., Jubilee Standard, Apr 24, 1845, p. 55, in : KNIGHT, George, op. cit., p. 64. 187 Review and Herald, March 17, 1853, cité par GORDON, Paul, The Sanctuary, 1844 and the Pioneers, Nampa, Idaho, 20002, The Pacific Press Publishing Association, p. 35 (trad. MV). Résumant ses recherches, Paul Gordon a consacré son livre à montrer comment les fondateurs de l’Eglise adventiste du septième jour en étaient arrivés finalement à un consensus sur ce point, après des recherches bibliques. Paul Gordon énumère la liste des périodiques qui en ont traité entre 1844 et 1905. Depuis 1950, le sens symbolique et la signification prophétique de la référence de Daniel au ‘sanctuaire’ (8. 17) fait l’objet de nouveaux débats dans l’Eglise adventiste, ouvrant la voie à de nouvelles recherches et conclusions. 188 BATES, Joseph, The Opening Heavens, May 25, 1846 . 186
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déroulait au cours du cérémoniel israélite, décrit dans l’Ancien Testament. Il prophétisait de cette manière celui du Christ, se déroulant aussi en deux moments. 4. La première, commencée à son ascension et poursuivie jusqu’en 1844, a été un ministère de grâce et de pardon. La deuxième phase a commencé en octobre 1844, au moment où il a pénétré dans le sanctuaire céleste pour entreprendre le jugement de l’humanité, symbolisé par la ‘purification’ des péchés et annoncé dans Dn 8.14-26. Le retour du Christ aura lieu quand cette deuxième phase céleste sera achevée189. Les affirmations de Crosier ne sont pas restées sans écho. Pour Joseph Bates, James White et d’autres adventistes de la Nouvelle-Angleterre, elles apportaient l’explication de ce qui s’est passé en 1844. Ils n’adhérèrent toutefois pas à toutes les conclusions de Crosier. Les discussions et les débats furent encore longs avant d’aboutir à un consensus. James White et Joseph Bates ajoutaient une dimension nouvelle à cette lecture littérale des textes : ils voyaient un lien significatif entre le fait que, dans l’Ancien Testament, le coffre de l’Alliance était situé dans le lieu ‘très Saint’ du sanctuaire israélite, que ce coffre contenait une copie du Décalogue, et la déclaration de l’apôtre Jean rapportant dans l’Apocalypse qu’il a vu s’ouvrir le sanctuaire de Dieu « qui est dans le ciel » et apparaître le « coffre de son alliance »190. A leurs yeux, un pas de plus venait d’être franchi dans leur théologie. L’intérêt pour le Décalogue se justifiait. De même que pour le quatrième ‘commandement’ concernant le jour du repos, ‘le sabbat’. Il leur fallait maintenant approfondir les bases bibliques de leur identité religieuse et donner de l’authenticité à ce que signifie être ‘adventistes sabbatariens’, comme les désignaient les autres millérites. Quel a été le rôle d’Ellen Gould White dans ces débats ? Nous y reviendrons plus loin. Cependant, pour la clarté de l’exposé, il nous paraît utile de faire, déjà ici, une remarque. Ellen G. White n’avait alors ni autorité, ni influence sur le groupe. Pour la plupart des ‘leaders’, elle était encore une inconnue. En 1844, c’était une jeune fille de 17 ans qui affirmait avoir eu des visions, au milieu du bruit des discussions autour de la question de la ‘porte fermée’ et de celle du ‘septième mois’. En 1846, à 19 ans, elle avait épousé James White. Sa voix était encore étouffée parmi celles qui se réclamaient aussi d’avoir reçu des ‘dons spirituels’. Du temps s’écoulera avant que les adventistes, sortis de leurs années d’agitation de 1844 à 1847, lui reconnaissent un ministère particulier. Toutefois, non sans s’interroger constamment sur la place à accorder à ses écrits. James White a laissé en 1874 un écho de cette prudence. Il insistait sur la place de la Bible seule dans la formation des croyances des adventistes. Rappelons-nous qu’il avait écrit : « […] Il [le chrétien] ne peut prendre la liberté de s’en 189
Cf. CROSIER, Owen Russell Loom, Day-Star Extra, Cincinnati, Ohio, 7 février 1846, p. 3744. En 1847, Crosier a rejeté son interprétation et s’est engagé de 1847 à 1853 à la rédaction de la revue de Joseph Marsh, l’Advent Harbinger. 190 Ap. 11. 19.
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détourner [des Écritures], pour reconnaître ses devoirs au travers de certains dons. Nous déclarons qu’au moment où il le ferait, il se tromperait sur la place à leur accorder. Il adopterait une position extrêmement dangereuse […] »191. Premiers pas vers une théologie du sabbat Au début du 19e siècle, les protestants évangéliques américains croyaient que l’avènement d’une société chrétienne millénaire était imminent. Leur espoir avait renforcé leur détermination à agir en faveur de l’adoption d’une législation qui rendrait obligatoire l’observation du dimanche192. Cette menace avait incité la Conférence générale des Baptistes du septième jour à lancer un appel au jeûne et à la prière les 1er novembre 1843 et 1er janvier 1844, en faveur de la protection de la liberté de respecter le samedi comme jour de repos193. Dans les milieux millérites, la question avait déjà été soulevée. La correspondance d’un étudiant écossais, James Begg194, montre qu’il avait cherché à attirer leur attention sur ce problème en 1841. L’année suivante, en 1842, suite à une démarche entreprise auprès d’eux, l’éditorial de leur revue Signs of the Times informait ses lecteurs qu’ils ne voulaient engager aucune controverse avec les Baptistes du septième jour au sujet de sabbat195. On peut supposer que ce sujet avait suscité parmi eux des discussions à la lecture de deux articles qui marquent l’opposition des dirigeants du mouvement. Ils ont parus les 5 et 12 septembre 1844 dans leur principal journal, le The Midnight Cry196. Les auteurs 191
Voir aussi note 177. Se référant à l’historien américain Robert T. Handy, Gerard Damsteegt souligne qu’« Une raison importante de ce réveil en faveur d’une réforme de l’observation du dimanche était l’émotion suscitée parmi beaucoup de protestants à l’annonce que le Congrès avait passé une loi en faveur de l’ouverture des bureaux de poste et de l’envoi du courrier le dimanche. Plusieurs associations s’étaient alors constituées pour lutter en faveur du soutien à l’obligation de l’observation du dimanche (trad. MV). » Cf. DAMSTEEGT, P. Gerard, op. cit., p. 10, note 41. 193 Les baptistes du septième jour observent le sabbat, le samedi, comme jour de repos biblique. Cette observance semble avoir été introduite aux Etats-Unis par un immigrant, Stephen Mumford, lui-même baptiste du septième jour. L'Eglise baptiste avait été organisée à Newport, dans le Rhodes Island en 1671. Aux alentours de 1843, les baptistes possédaient des communautés dans les Etats de New York, du New Jersey, de Rhodes Island, du Connecticut et de la Virginie. Les Eglises Baptistes du septième jour sont présentes aujourd’hui dans une quarantaine de pays. C'est au Malawi qu'elles sont les plus nombreuses : environ 400 paroisses ; ensuite viennent celles des Etats-Unis. Le président de la Fédération Mondiale des Baptistes du septième jour est un jamaïcain. Les Baptistes du septième jour sont très peu nombreux en France. Ils relèvent de l'Eglise Baptiste du septième jour d'Amsterdam. 194 BEGG, A. James, « Letter from Scotland », Signs of the Times, Apr. 1, 1841, p. 3. On ne sait pas si lui-même était un baptiste du septième jour. 195 « To our correspondents », Signs of the Times, Apr. 1, 1842, p. 5, cité par DAMSTEEGT, P. Gerard, op. cit., p. 136. 196 ‘The Lord’s Day’», Midnight Cry, Sept 5, 1844, pp. 68-69 ; ‘The Lord’Day’ Midnight Cry, Sept 12, 1844, p. 76-77. Cf. aussi, KNIGHT, George, « Joseph Bates, The Real Founder of Seventh-day Adventism », Hagerstown, Maryland, USA, Editions Review and Herald Publishing Association, 2004, pp. 77-89. 192
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affirment l’invalidité biblique du dimanche et insistent sur leur conviction que les chrétiens n’ont plus d’obligation à respecter un jour religieux sacré plutôt qu’un autre197. Quelques mois auparavant, en juin, une publication des Baptistes du septième jour, le ‘Sabbath Recorder’, laisse entendre qu’un intérêt favorable s’était pourtant manifesté parmi les millérites : « L’intérêt pour cette question s’est manifesté plus largement que ce qu’on avait connu jusque-là dans nos contrées »198. Au vu des documents, George Knight reste prudent : « Une partie de cet intérêt s’était développé parmi les Millérites, quoiqu’il est encore impossible d’en mesurer l’étendue [...] »199. L’histoire montre que cette question allait suivre un autre chemin, avec de nouveaux développements. Il semble bien que l’intérêt des fondateurs de l’Eglise adventiste pour la question du sabbat trouve ses sources dans l’activité menée par Rachel Oakes Preston200, une baptiste du septième jour. Intéressée par les idées millérites, au courant de l’année 1844, elle s’était rapprochée de leur communauté à Washington, dans le New Hampshire. On ne sait jusqu’à quel point elle a pu retenir leur attention. L’un d’eux, F.W. Bartle, rapporte que son voisin, le pasteur Frédéric Wheeler, lui a dit qu’après son sermon, Rachel Preston l’avait interpellé sur la question de l’importance du Décalogue. Elle l’aurait alors convaincu de la valeur de l’observance du sabbat. Le ralliement à ses idées d’un autre pasteur semble avoir été plus significatif. Thomas M. Preble (18101907)201, de la Free Will Baptist Congregation, était aussi entré en relation avec les millérites de Washington en 1841. Le lien entre lui et Frédéric Wheeler n’est 197
‘We feel borne irresistibly to the conclusion that there is no particular portion of time which Christians are required by law to set apart, as holy time’ , « Editorial. The Lord’Day », Midnight Cry (1), Sept 5, 1844, p. 68, cité par FROOM, E. Leroy, op. cit., p. 944. 198 Cf. BAILEY, James, History of the Seventh-day Baptist General Conference, Toledo, USA, Bailey & Co, 1866, p. 243-244 ; BUTLER, B. Ulter, ‘The Second Advent and The Sabbath’, Sabbath Recorder, June 13, 1844, p. 2. Voir aussi KNIGHT, George, op.cit., p. 66 ; FROOM, E. Leroy, The Prophetic Faith of our Fathers, vol. 4, Washington, D.C., Review and Herald Publishing House, 1954, pp. 941-944 (trad. MV). 199 KNIGHT, George, op. cit., p. 66 (trad. MV). 200 Preston Oakes, Rachel est née en 1809. Tout d’abord méthodiste, elle a rejoint l’Eglise baptiste du septième jour dans l’Etat de New York. Elle a été présentée par sa fille à un groupe de millérites du New Hampshire très engagés dans l’idée de la venue proche du Christ. On ne sait pas quelle influence elle a pu avoir sur ce groupe. Il est probable qu’elle ait influencé un pasteur de l’Eglise baptiste libre (Free Will Baptist Church), Thomas M. Preble. Ce dernier accepta la doctrine du sabbat en 1844. 201 Thomas Preble observa le sabbat jusqu’au milieu de l’année 1847. The Seventh-day Adventist Encyclopedia suggère qu’il a étudié cette question seulement du point de vue académique. Quelques années plus tard, dans ses articles publiés dans l’Advent Herald et dans le World’s Crisis (deux journaux millérites), Thomas Preble s’opposa à la doctrine du sabbat, aux Adventistes du septième jour et à Ellen G. White. Le même article de la Seventh-day Adventist Encyclopedia souligne que Preble mourut après un ministère de près de 70 années. Elle rapporte le témoignage d’un historien chrétien qui écrit : « Ce fut un esprit sérieux et un homme de foi jusqu’à la fin ».
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pas établi. On peut penser cependant que c’est avec lui que Thomas Preble a étudié la question et qu’il s’est mis à l’observer au milieu de 1844. Ces entretiens ont connu des suites. Le 28 février 1845, Thomas Preble publia un article dans un périodique adventiste de Portland intitulé ‘Hope of Israël’, puis une brochure, “A Tract, Showing that the Seventh Day Should be Observed as the Sabbath, Instead of the First Day. According to the Commandment’’ 202. D’après The Seventh-day Adventist Encyclopedia, ces publications ont conduit sept familles de la ville de Paris, dans l’Etat du Maine, à adopter à leur tour ce jour de repos religieux. Parmi elles, Edward Andrews, le père de John Nevins Andrews, la famille Stowell et celle de Cyprien Stevens, dont les filles deviendront les épouses de John N. Andrews et d’Uriah Smith, deux figures importantes dans l’histoire de l’Eglise adventiste203. C’est pourtant Joseph Bates (1792-1872)204 qui contribua le plus à sa diffusion dans les milieux adventistes, après sa lecture de l’étude de Thomas Preble, en avril 1845. Très convaincu, il ne tarda pas à s’en faire l’avocat, voyageant au travers de l’est des Etats-Unis et rencontrant des familles et des groupes, qui se réunissaient souvent durant des journées et des nuits pour examiner son argumentation. La doctrine du sabbat est devenue un lien identitaire plus fort au moment où Joseph Bates entreprit d’organiser des conférences en 1848. Il désirait consolider son enseignement en l’intégrant dans un concept prophétique plus large. Nous reviendrons plus loin sur ce point. Plusieurs documents rapportent qu’à cette époque ce genre de rencontres avait souvent lieu en Nouvelle-Angleterre. Parmi les principaux acteurs, on retrouve les noms des futurs fondateurs de l’Eglise adventiste : James White, Joseph Bates, Hiram Edson, Uriah Smith, John N. Andrews, entre autres. Paul Gordon relate leur manière de mener leurs recherches : « Les informations sur ces réunions, recueillies dans les correspondances, indiquent que certains étaient chargés de rendre compte des conclusions et d’autres poursuivaient leurs recherches en vue d’une compréhension meilleure des enseignements qui s’imposaient à leur esprit »205. En 1904, Ellen White, pourtant encore très jeune à ce moment-là, mais qui y avait assisté, en garde le souvenir : « […] nous restions souvent ensemble très tard dans la nuit, et parfois
202
Cf. PREBLE, M. Thomas, in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 11, Hagerstown, Maryland, USA, Review and Herald Publishing Association, 19962, pp. 376-377 ; KNIGHT, George, « Joseph Bates, The Real Founder of Seventh-day Adventism », Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 2004, p. 80. 203 IBIDEM. 204 Joseph Bates (1792-1872) était un ancien capitaine de la marine marchande. Il devint un prédicateur millérite et l’une des principales personnalités parmi les adventistes ‘sabbatariens’. Il était déjà engagé dans la lutte contre l’alcoolisme et en faveur de l’abolitionnisme avant de jouer un rôle actif dans le mouvement millérite. Il fut l’instrument de l’adhésion de James et Ellen White à la doctrine du sabbat. 205 GORDON, A. Paul, op. cit., p. 26 (trad. MV).
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jusqu’au matin, […] étudiant la Parole. […] »206. Elle poursuit : « […] je ne parvenais pas à suivre les raisonnements. Mon esprit me paraissait fermé, de sorte que je ne comprenais pas la signification des passages étudiés. J’en étais attristée. Je demeurais dans cet état d’esprit jusqu’au moment où l’essentiel des sujets m’apparaissaient clairs et en accord avec la Parole de Dieu »207. Aucun théologien ou historien adventiste ne niera la part importante prise par Joseph Bates dans la reconnaissance du sabbat comme l’une des croyances fondamentales de cette Eglise. Pas plus que son rôle dans les premiers pas vers une compréhension plus profonde de sa signification eschatologique. Néanmoins, tous relèvent que la conception de Joseph Bates sur la relation entre le salut et l’observance de ce jour a donné dans certains milieux adventistes naissance à une attitude d’esprit assez particulière. On peut la discerner à partir des années 1850, au travers des tensions provoquées par les idées de personnalités adventistes, telles qu’Uriah Smith, George I. Butler, J.F. Ballenger. Elles rejoignaient la façon de penser de Joseph Bates. James White a été le premier à refuser leurs conceptions légalistes du salut. Il s’en distança jusqu’à sa mort en 1881, de même que son épouse, Ellen White. Plus tard, les divergences entre les premiers et E.G. Waggoner et A.T. Jones, à la session de la Conférence générale des Eglises adventistes à Minneapolis, en 1888 ont atteint un point de non-retour. Pour comprendre le problème, nous devons relever brièvement quelques aspects de la façon dont Joseph Bates concevait l’accès au salut. Ils sont à l’origine d’un débat récurrent dans toute l’histoire de l’Eglise adventiste et d’une théologie parallèle à celle qui se construira au fil du temps. Tension qui subsiste jusqu’aujourd’hui. En fait, Bates mettait en jeu la question biblique de la justification par la foi. Il en sera, semble-t-il, le premier apologiste à partir des années 1846-1847. Dans la biographie qu’il consacre à Joseph Bates, George Knight relève un certain manque de clarté dans le discours de Joseph Bates, des déclarations contradictoires sur sa façon de concevoir le un lien entre ‘observation des commandements de Dieu’ et ‘salut par grâce’208. Il est indéniable qu’il a montré témoigné de fortes tendances à adopter des attitudes légalistes et à rechercher la perfection morale, dans son sens absolu. Ceci apparait dans ses écrits, ses sermons, dans son comportement et sa façon de concevoir le respect que les adventistes devrait accorder au repos du sabbat, le soumettant à des règles 206
WHITE, G. Ellen, Messages choisis, vol. 1, Mountain View, California, Editions Interaméricaines, Pacific Press Publishing Association, 1968, p. 240. 207 IDEM, p. 241. 208 Cf. KNIGHT, George, « Joseph Bates. The Real Founder of Seventh-day Adventism », Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 2004, pp. 83-88.
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strictes. En résumé, de son point de vue, la justification par la foi signifiait le pardon des péchés passés, avant la fin de la période des 2300 jours/années. Pour en bénéficier, on ne pouvait compter que sur les promesses de Dieu. Mais à présent, le devoir du chrétien l’oblige à vaincre le péché par une stricte observance du Décalogue, assimilé aux pré-conditions pour entrer dans l’alliance divine. Ce perfectionnisme ressemble à l'évidence à une justification par les œuvres. L’analyse des documents historiques conduit George Knight à penser que Bates y était amené par la logique de son enracinement dans la doctrine de la ‘porte fermée’209. Pour les millérites pré-millénaristes, elle signifiait la fin du temps de grâce. En 1847, Joseph Bates publia le plus important de ses écrits, Second Advent Waymarks and High Heaps. Trois mois plus tard, James White écrivait à Elvira Hastings, dont le couple était des proches amis : « Grâce soit rendu à Dieu d’avoir donné à frère Bates les qualités requises pour rendre aussi clairement cohérente notre expérience passée et d’avoir si bien argumenté la question du sabbat. »210. Il n’y a aucun doute, James White se référait uniquement à l’interprétation de Joseph Bates qui insérait la question du sabbat dans la finalité du message eschatologique des trois anges mentionnés dans le livre de l’Apocalypse (14. 6-12). Pour Bates, le message du premier ange concernant ‘l’heure du jugement’ avait été proclamé par William Miller. Celui du deuxième ange l’avait été avec l’appel lancé par le pasteur méthodiste Charles Fitch en juillet 1843. Il invitait les millérites à se séparer de tous les systèmes ecclésiastiques établis, symbolisés, toujours selon Fitch, par la ‘Babylone déchue’ de la Bible. Aussi, celui du troisième ange, avec sa ‘marque’, désigne maintenant ceux qui restent ‘dans Babylone’ et refusent d’adhérer à sa façon de comprendre le sens biblique du sabbat. Il n’est donc pas étonnant de trouver dans un des écrits de Joseph Bates, - qui représente son œuvre théologique fondamentale sur la doctrine du sabbat, The Seventh Day Sabbat, a Perpetual Sign -, qu’il considérait cette question comme « LA vérité présente »211. Bien que l’interprétation de Joseph Bates ait été revue et modifiée, à commencer par James White lui-même, puis par les générations adventistes suivantes, d’une certaine façon, son approche de la question a quand même constitué une base sur laquelle James et Ellen White ont prolongé leur lecture de la prophétie biblique. Entre l’été 1846 et l’été 1847, Bates a largement développé sa pensée. Il intégrait en un tout les doctrines fondamentales reçues par les adventistes du moment : celle concernant le sanctuaire, celle concernant 209
Voir KNIGHT, George, op.cit., pp. 86, 88. WHITE, James, Lettres du 21 mai et du 22 août 1847 à E. Hastings, cité par KNIGHT, George, op. cit., p. 143 (trad. MV). 211 BATES, Joseph, The Seventh Day Sabbath, a Perpetual Sign, 18472, p. 56 (trad.MV) ; Cf. KNIGHT, George, op. cit., p. 71. 210
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le retour du Christ et celle concernant le sabbat. La préface de la première édition de sa brochure ‘The Seventh Day Sabbat, a Perpetual Sign’, annonçait sa ligne de raisonnement. Elle reflète bien la conception des Baptiste du septième jour, qui considéraient le samedi comme étant le jour du repos authentiquement biblique. Mais Bates y ajoutait l’idée que le rétablissement général du respect de ce jour parmi les chrétiens devait se réaliser avant le retour du Christ. En fait, il rejoignait en quelque sorte les idées défendues dans les milieux restaurationistes de la ‘Christian Connection’. Ceux-ci affirmaient que l’achèvement de la Réforme ne pouvait devenir une réalité tant que les grandes vérités de la Bible, négligées ou déformées au cours de l’histoire du christianisme, n’auront pas retrouvé leur place dans l’enseignement des Eglises. Bates s’avançait plus loin. Selon lui, il y existe un lien absolu entre l’expression ‘observer le sabbat’ et celle ‘garder les commandements de Dieu’ que l’on trouve dans Ap 14.12. Ce rigorisme a éloigné un temps l’intérêt d’Ellen White pour ce sujet : « Je n’en ressentais pas l’importance. Je considérais que le pasteur Bates errait en mettant l’accent sur le quatrième commandement plus que sur les neuf autres »212. Néanmoins, les points de vue de Joseph Bates ont fourni par la suite à la théologie adventiste des éléments qu’on retrouve encore dans son système herméneutique de la prophétie biblique, bien qu’avec plusieurs révisions et de prolongements nouveaux. L’histoire ne peut donc négliger le rôle de cet homme au moment de la naissance de la théologie adventiste. Il a recherché un système conceptuel permettant d’établir une certaine cohérence entre ses découvertes doctrinales et sa compréhension de la prophétie biblique. C’est dans ce même esprit que les adventistes, dits ‘sabbatariens’ à l’époque, se sont considérés comme les continuateurs de l’adventisme biblique. La question de l’immortalité de l’homme Au cours la même période, le nouveau groupe qui se constituait petit à petit adopta un autre enseignement qui deviendra aussi un élément important de sa théologie : l’être humain comme entité ontologiquement indivisible. Pour ces croyants, son essence réside dans une unité intégrale dont les différentes composantes constitutives sont interdépendantes213. A la mort, cette unité vitale étant rompue, la conscience cesse d’exister. Selon leur lecture théologique, c’est un état d’inconscience, désigné dans Bible par l’idée du ‘sommeil’ des morts jusqu’au moment de la résurrection, au retour du Christ. L’immortalité de
212 WHITE, G. Ellen, Testimonies for the Church, vol. 1, Mountain View, California, Pacific Press Publishing Association, 1948, p. 76 (trad. MV). 213 Nous reviendrons sur ce point au chapitre 4, en traitant de la dimension spirituelle de l’identité religieuse adventiste.
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l’homme est donc conditionnelle. Sa réalité ne devient vérité que par la foi dans l’œuvre du Christ, à la fois Dieu et homme, et dans les promesses de l’Evangile. La majorité des chrétiens, si ce n’est la totalité, ont intégré aujourd’hui dans leurs croyances sur ce sujet les héritages du platonisme grec, de la logique et de la dialectique aristotélicienne, transmises par les philosophes et les théologiens scolastiques du Moyen Age. Peu de groupes chrétiens se sont situés en marge, en reconsidérant la question sous un autre angle, en place de la pensée grecque, et en la resituant dans le cadre de la vision biblique hébraïque de l’homme dans l’Ancien Testament. La position théologique adventiste les rejoint. Toutefois, une remarque s’impose, avant de situer le problème dans le processus de la formation de la théologie de l’Eglise adventiste. Avec cette croyance, à quelle catégorie de groupe religieux chrétien actuel peut-on rattacher les adventistes ? On a souvent établi un rapprochement entre l’Eglise adventiste et les Témoins de Jéhovah, en raison de leurs positions similaires à ce sujet. Une analyse théologique sérieuse permet de déceler la faiblesse de ce raisonnement. S’y arrêter ici nous ferait sortir du cadre de notre étude. Nous nous limitons donc à la critique qu’en fait un historien adventiste, Leroy Edwin Froom : « Il faut préciser que c’est le simple fait qu’un groupe religieux soutient des positions doctrinales non chrétiennes, comme le font les Témoins de Jéhovah214, et qu’il défend en même temps le point de vue de l’immortalité conditionnelle de l’homme, qui a favorisé la tendance à masquer la validité de ce postulat sur la nature de l’homme et sa destinée. Il est sans doute suffisant pour répondre de mettre en avant le fait que ‘l’Advent Christian Church’, d’où Charles Russell215 est issu, était totalement en harmonie avec les doctrines de la Trinité, de la divinité par nature du Christ, de la résurrection et sur l’importance du salut par la Croix. La seule position des Témoins de Jéhovah sur l’immortalité conditionnelle de l’homme ne peut logiquement suffire à situer les adventistes dans leur catégorie de groupe religieux. En effet, au travers des siècles, la majorité des défenseurs de la doctrine de l’immortalité conditionnelle, comptant des milliers de croyants, était en plein accord avec les doctrines fondamentales de la foi chrétienne. On ne peut donc pas les confondre en tablant uniquement sur ce point de doctrine »216. 214
Par exemple, élection du Christ au rang de ‘Fils de Dieu’, et non sa divinité éternelle par nature (note de l’auteur) 215 Charles Taze Russell (1852-1916), fondateur du mouvement des Témoins de Jéhovah, américain, de famille presbytérienne. Il s’en est écarté et s’est uni en 1870 à un groupe d’adventistes millérites, ‘Advent Christian Church’, dont il s’est séparé ensuite. RusseIl professait que le retour du Christ sera invisible pour le commun des mortels. Sa présence dans le monde, visible seulement aux yeux de la foi, devait commencer en 1874. En 1914, le ‘temps des Gentils’ devait se terminer avec la conversion de Satan. Le millenium devait être inauguré à cette date. 216 FROOM, E. Leroy, The Conditionalist Faith of our Fathers. The Conflict of the Ages Over the Nature and Destiny of Man, vol. 2, Washington, D.C, Review and Herald Publishing Association, 1965, p. 667 (trad. MV).
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Sans devoir de remonter aux temps des apôtres, on peut écrire qu’en adoptant cette croyance, les adventistes ‘sabbatariens’ n’élaboraient pas leur théologie dans le vide. Au cours des 17e et 18e siècles, en Europe, et plus spécialement en Grande-Bretagne, un certain nombre de chrétiens parmi les plus érudits ont pris position en faveur de la non-immortalité naturelle de l’homme. Ils refusaient l’idée de souffrances éternelles en enfer pour les pécheurs non repentis217. Aux Etats-Unis, ce courant théologique est apparu au début du 19e siècle sous les plumes de théologiens, de biblicistes et de pasteurs, tels que l’évêque épiscopal protestant William White, de Boston, dans l’Etat du Massachusetts (1800), Elias Smith, de Portsmouth (1805) et John Sellon, de Canandaigua, dans l’Etat de New York (1828), Aaron Bancroft, de Worcester, (1828), Walter Balfour, de Charlestown (1839) et Sylvanus Cobb, de Boston, dans l’Etat du Massachusetts (1833), Henry Grew, de Rhodes Island et de Philadelphie, dans l’Etat de Pennsylvanie (1835), George Storrs, d’Albany, dans l’Etat de New York (1841), Calvin French, de Boston, dans l’Etat du Massachusetts (1842), Jacob Blain, de Buffalo, dans l’Etat de New York (1844), et John H. Pearce, dans l’Etat de la Caroline du Nord (1844)218. Ils se sont exprimés dans une abondante littérature : livres, brochures, articles et colloques académiques. Ce courant n’est pas resté sans susciter de fortes réactions. Vers le milieu du siècle, l’école théologique soutenant la thèse de l’immortalité naturelle de l’âme humaine est parvenue à s’imposer dans le protestantisme américain. Dans son histoire de cette doctrine219, Froom observe les mêmes rebondissements théologiques en Allemagne, en Suisse et en Hollande. Les débats autour de la question de l’immortalité conditionnelle de l’âme ont alors pris fin, constate-t-il. C’est à partir des années 1950-1960, que de plus en plus de chercheurs, d’historiens et de théologiens adventistes, surtout anglophones220, se sont intéressés à découvrir les facteurs qui ont favorisé l’intérêt des fondateurs de leur Eglise pour cette question. L’un d’eux a certainement été le rayonnement des idées de George Storrs et de Charles Fitch. Au départ, en 1837, l’attention de George Storrs, pasteur méthodiste et théologien en vue, a été attirée par une publication, ‘The Intermediate State’ (1835), écrite par Henry Grew, un universitaire protestant, critique, vivant en Pennsylvanie. Pénétré de l’esprit du 217
Cf. FROOM, E. Leroy, op. cit., p. 427-1050. IDEM, p. 282. 219 Voir, note 216. 220 Cf. SPALDING, W. Arthur, Origin and History of Seventh-day Adventists, vol. 1, Washington, D.C., Review and Herald Publishing Association, 1961, p. 147 ; KNIGHT, George, : A Search for Identity. The Development of Seventh-day Adventist Belief (Adventist Heritage), Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 2000, p. 72 ; « Death », in: Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 1996, pp. 449-450 ; « Storrs, George », in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 11, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 1996, p. 707. 218
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restaurationisme, Henry Grew traite le problème de la destinée finale des pécheurs en utilisant le document biblique comme unique source de réflexion. George Storrs, qui avait hérité de ses parents et de sa formation universitaire la conception calviniste de la destinée de l’homme et de l’enfer éternel, resta tout d’abord sceptique face aux conclusions d’Henry Grew. Il allait néanmoins consacrer trois années de recherches, de discussions et de correspondance, désireux de comprendre ce que la Bible voulait dire à ce sujet. Finalement, il endossa les thèses de Grew. Comme lui, il se mit à penser que l’homme n’est pas naturellement immortel et que le croyant y accèdera seulement au moment de la résurrection. La disparition éternelle est réservée à ceux qui persévéreraient dans leur révolte contre Dieu. Peu de temps s’est écoulé avant qu’il prenne ouvertement position. En 1840, il se détacha du méthodisme. Storrs publia ses sermons en 1841, puis en 1842. Ils allaient constituer le document essentiel de sa théologie : An Enquiry : Are the Souls of the Wicked Immortal ? In Six Sermons. Storrs y développe l’idée que l’existence d’un enfer éternel est contraire au caractère de Dieu. En 1852, son livre était à sa 21e édition ; en 1855, à sa 3e révision. Quelques 20.000 exemplaires auraient circulé aux EtatsUnis aux environs de 1880221. George Storrs avait déjà présenté quelques aspects de son point de vue, en 1843, dans la revue théologique The Bible Examiner. Le pasteur presbytérien Charles Fitch (1805-1844), de la Brown University, membre de l’American Board of Commissioners for Foreign Missions et le pasteur Calvin French, de l’Eglise méthodiste libre, l’ont rejoint dans ses idées en 1844. Dans l’édition de 1855 de ses ‘Six Sermons’, Storrs mentionne une lettre écrite en 1844 que lui avait adressée Charles Fitch : « Vous avez longtemps combattu seul au sujet de l’état des morts et du sort final des méchants. Après de mûres réflexions et beaucoup de prière, je vous écris pour vous dire que je me range à vos côtés, avec la pleine conviction d’accomplir mon devoir devant Dieu »222. Comme dans le reste du monde protestant, l’opposition gagna aussi les milieux millérites. William Miller a été parmi les premiers à prendre ses distances à l’égard des idées de George Storrs. Une lettre du 6 avril 1844 en témoigne indirectement. Elle lui venait d’un pasteur millérite, I.E. Jones qui écrivait : « J’ai eu du plaisir à rencontrer, durant les deux dernières semaines, Litch et Whiting. Avec ceux de Boston, Himes, Bliss et Hale, ils pensent aussi que quelque chose doit être entrepris pour nous dégager de l’influence des idées 221
Cf. STORRS, George, Six Sermons on the Inquiry : Is There Immortality in Sin and Suffering ? Also, a Sermon on Christ the Life-Giver or Faith of the Gospel, New York, Office of Bible Examiner, 18553. Cf. FROOM, E. Leroy, op.cit., p. 307. 222 FITCH, Charles, Lettre du 25 janvier 1844, STORRS, George, in : An Enquiry : Are the Souls of the Wicked Immortal ? In Six Sermons, 1855, p. 15. Cf. Death, in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 1996, p. 449 (trad. MV).
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de George Storrs. En raison de notre silence, il exerce seul toute l’influence adventiste, ou presque.»223. Le même mois, Josiah Litch afficha aussi son opposition aux idées de Storrs, dans une brochure de 32 pages, The AntiAnnihilationist. Enfin, la conférence millérite d’Albany d’avril 1845, - à laquelle ne participaient ni George Storrs, ni les personnalités millérites qui l’avaient rejoint -, donna une large audience à ceux qui s’opposaient à eux. Néanmoins, entre 1841 et 1845, les idées de Storrs se sont propagées en dépit des obstacles. Elles ont pénétré les milieux des ‘adventistes du premier jour’, dont les croyants constitueront plus tard ‘The Advent Christian Church’, et parmi les futurs fondateurs de l’Eglise adventiste. Ce n’était cependant pas là leur seule source d’inspiration. George Knight et Leroy Froom relèvent les apports de la ‘Christian Connection’, un courant protestant inter-églises animé par le désir d’un retour à un christianisme qui s’enracine au-delà des apports théologiques hérités des siècles écoulés. En arrière-plan, ce courant a certainement exercé son influence sur la pensée théologique de deux personnalités adventistes qui en étaient issues, James White et Joseph Bates. C’est de ce milieu que James White détenait sa licence de pasteur. Bien qu’aucun des deux n’ait produit d’étude systématique sur cette question, leur manière de faire référence aux textes bibliques le dévoile dans les articles qu’ils consacrent à d’autres sujets. En 1847, dans une toute première publication adressée au groupe de croyants dispersés, - qui deviendra plus tard l’Eglise adventiste -, ‘A Word to the Little Flock’224, James White utilise plusieurs fois l’expression « … dans leur état de mort » pour désigner les croyants décédés. Plus tard, John Nevins Andrews défendra les mêmes conceptions225. La jeune Ellen Harmon y avait déjà adhéré avant son mariage. Elle les avait aussi héritées des milieux de la ‘Christian Connection’, mais d’une manière indirecte. L’éducation religieuse méthodiste qu’elle avait reçue durant son enfance lui avait inculqué la croyance en l’immortalité innée de l’homme. Le changement s’opéra progressivement chez elle. Après une conversation avec sa mère. Ellen l’avait entendue en discuter avec d’autres personnes. Probablement à la suite de réunions tenues dans leur communauté à Portland. Elle écrira plus tard qu’il lui a fallu du temps avant d’en être personnellement convaincue : « Ce ne fut que plusieurs mois après cette conversation que j’en entendis parler à nouveau. Durant toute cette période, cette question m’avait 223
NICHOL, F. David, The Midnight Cry, p. 192. Cf. « Death », in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 1996, p. 450 (trad. MV). 224 Cf. A Word to the Little Flock, 1847, p. 3, 8, 10. 225 John Nevins Andrews (1829-1883) est un théologien adventiste, érudit en latin, grec et hébreu, membre du comité de publication de la Review and Herald dès 1851. Il fut l’un des premiers présidents de la Conférence générale des Eglises adventistes et, en 1874, le premier pasteur américain envoyé en Europe.
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profondément troublée. Mais, quand je l’ai entendue à nouveau au cours d’un sermon, je l’ai reçue comme vrai.»226. La première déclaration sur l’inconscience des morts et l’immortalité conditionnelle de l’homme, formulée comme une croyance adventiste, a paru sous la plume d’un dirigeant, Roswell F. Cottrell. Il écrit dans la Review and Herald du 22 novembre 1853 : « Les morts ne savent rien et ne connaîtront rien jusqu’à la résurrection des morts […] »227. Le 21 février 1856, James White déclarait qu’avec l’expression « annihilation » (en anglais, note de l’auteur), il entendait l’état « de destruction de l’homme en tant qu’être conscient »228. Les deux leaders parmi les plus dynamiques, James White et Joseph Bates, ainsi qu’Ellen White -, étaient donc acquis à la croyance en l’immortalité conditionnelle de l’homme avant l’organisation de l’Eglise adventiste. Cette position leur paraissait s’harmoniser parfaitement avec leur interprétation du sens de la prophétie des 2300 jours/années de Daniel : le début d’un «jugement » des morts dans le ciel en 1844. C’est donc en poursuivant une certaine logique que cette doctrine est devenue un élément de la théologie adventiste en formation229. 2.2.4.- Au seuil de la doctrine adventiste Parvenus aux années 1850, les précurseurs de l’Eglise adventiste s’accordaient sur quatre points. Ils constituaient le noyau de leur théologie à ce moment-là : 1. le retour personnel et visible du Christ avant le millenium (prémillénarisme) 2. le ministère du Christ en deux phases dans un sanctuaire céleste 3. la pérennité de l’observance du sabbat (samedi) 4. l’immortalité, comme un don de Dieu et du Christ, non inhérente à la nature de l’homme, une entité indivisible.
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WHITE, G. Ellen, Life Sketches. Experience and Extensive Labors of Elder James White and His Wife, Mrs Ellen White, 1880, p. 171 (trad. MV). Cf. « Death », in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 19962, p. 450. 227 COTTRELL, F. Roswell, The Review and Herald, 4 (Nov. 22, 1853), p. 157. 228 WHITE, James, The Review and Herald, 7 (Feb. 21, 1856), p. 164. 229 Cf. FROOM, E. Leroy, op. cit., p. 676.
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Ces quatre conceptions les distinguaient des autres groupes religieux, appelés aussi « adventistes » et issus du même mouvement millérite. Elles les différenciaient aussi des autres chrétiens. Par un lent travail, elles dessinaient les toutes premières orientations d’une théologie chrétienne naissante. En même temps, elles traçaient les premiers chemins de la trajectoire suivie par la construction de l’identité religieuse adventiste. Elles répondaient aussi à leurs interrogations, devenues cruciales après le désappointement de 1844 : que subsiste-t-il encore d’‘adventiste’, au sens propre du terme, dans leur ‘adventisme’ du moment ? Leur théologie, qu’ils résumaient par l’expression « la vérité présente », s’articulait maintenant autour de deux axes principaux : • la question d’un sanctuaire céleste, au centre de leur système de pensée religieuse. Avec les quatre « piliers » de leur foi mentionnés plus haut, il leur semblait qu’elle réunissait le tout dans un ensemble théologique cohérent. • la signification des messages des trois anges d’Ap 14.6-12. Elle donnait, pensaient-ils, une signification concrète à leur expérience du milieu du 19e siècle et un sens à leur mission. Les adventistes ‘sabbatariens’ ont donc opéré un premier changement dans la manière qu’avaient les millérites de comprendre le message du premier ange du chapitre 14 de l’Apocalypse. Avec eux, ils avaient confondu dans un seul et même événement la scène du jugement du chapitre 7 du livre de Daniel, la « purification » du sanctuaire (la terre, selon Miller) et l’annonce de « l’heure du jugement ». Les trois déclarations prophétiques devaient trouver leur réalisation simultanée en octobre 1844, avec le retour en gloire du Christ. Cette date dépassée, l’interprétation rencontrait d’autres sens. Non plus le retour immédiat du Christ, mais une nouvelle phase de son ministère de médiateur céleste. Elle précède son Avènement, comme une sorte d’« avant Avènement », qu’ils identifiaient, en anglais, sous le concept « the investigative judgement »230. C’était, selon eux, le sens à donner globalement aux trois messages de l’Apocalypse. Néanmoins, cette nouvelle lecture des choses ne reçut une large adhésion qu’à la fin des années 1850. Dans l’esprit de ces premiers adventistes, le temps écoulé depuis 1844 n’avait rien changé à la 230
WHITE, James, « The Parable, Matthew xxv, 1-12 », Review and Herald, June 9, 1851, pp. 97-103 ; Idem, « The Judgment », Review and Herald, January 29, 1857, p. 100 ; EVERTS, Elon, « Communication d’Everts », Review and Herald, January, 1, 1857, p. 72. Le sens l’expression ‘The Investigative judgment’ est difficile à rendre en français. Elle trahit une ambiguïté liée à sa connotation juridique. Depuis le milieu du 20e siècle, dans les milieux adventistes, de nouveaux débats se sont ouverts autour du sens et de la signification de la notion biblique de ‘jugement’. A la lumière du Nouveau Testament, elles impliquent souvent des remises en question d’une lecture qui s’en tient strictement à la lettre du mot ‘sanctuaire’ et de sa référence unique au Temple israëlite.
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réalité d’un événement. Il a bien eu lieu. Le temps leur avait permis d’en trouver des nouvelles significations. En même temps, des divergences de vues sont apparues entre Joseph Bates et James White. Pour Joseph Bates, le plan du salut et la grâce de Dieu avaient atteint un point culminant à l’automne 1844. Les événements, toutes les agitations, les oppositions qu’ils ont soulevées, signifiaient la fin du temps de la grâce divine. Pour lui, ce temps était illustré dans la parabole des 10 vierges par l’image de la ‘porte fermée’. Bates identifiait son expérience, et celle de ceux qui avaient partagé avec lui ces mois d’attente, à la déclaration de l’ange : « C’est ici l’expérience des saints, qui gardent les commandements de Dieu et la foi de Jésus » (Ap 14.12). Il faisait du Décalogue du Sinaï le centre de sa théologie du salut. En 1847, il écrit: « […] le peuple de Dieu identifié par le verset 12 (de l’Apocalypse, note de l’auteur) se trouve en réalité sur la terre. Depuis deux ans, il s’est rassemblé dans l’obéissance aux commandements de Dieu et la foi de Jésus »231. Plus tard, il ajoutera, au sujet de ‘l’heure du jugement’ dont il est question dans le premier des trois messages et de ce ‘peuple’ : « Il est nécessaire qu’il y ait une instruction et un temps pour la mener, afin que, conformément au caractère de Sa Justice, Dieu décide du cas de tous les justes […] et s’ils se révèlent parfaitement prêts pour le moment mémorable de leur transformation d’êtres mortels en êtres immortels »232. Le rapport que Bates établit entre les deux notions, celle de la ‘purification du sanctuaire céleste’ et celle de ‘l’heure du jugement’, implique donc, selon lui, l’obligation pour le croyant de progresser dans une ‘sanctification’ salutaire avant le retour du Christ, au prix d’une stricte obéissance aux commandements du Décalogue. L’observance minutieuse du sabbat en serait le signe visible et le sceau. Le discours de Joseph Bates ne parait pas cohérent avec la notion évangélique du salut par la grâce divine et sa gratuité. L’ambiguïté transparaît dans ses écrits. D’un côté, ils trahissent un légalisme indéniable, poussé à l’extrême. Il écrit : « Garder le saint sabbat de Dieu sanctifie et sauve l’âme », ou « le seul chemin pour entrer dans la vie éternelle, c’est d’observer les commandements »233 . D’un autre, relève George Knight dans la 231
BATES, Joseph, Seventh Day Sabbath (1847), iii, iv, cité par KNIGHT, George, « Joseph Bates, The Real Founder of Seventh-day Adventism », Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 2004, p. 114 (trad. MV). 232 BATES, Joseph, Second Advent Way Marks and High Heaps, p. 6 ; Idem, Seal of the Living God, p. 39 ; Idem, An Explanation of Typical and Anti Typical Sanctuary, New Bedford, Benjamin Lindsey, 1850, p. 10, cité par KNIGHT, George, op. cit., p. 169 (trad. MV). 233 BATES, Joseph, Seventh Day Sabbath. A Perpetual Sign, From the Beginning to the Entering into the Gates of the Holy City, According to the Commandment, New Bedford, Massachusetts, Benjamin Lindsey, 18472, pp. 55-57 ; Idem, Second Advent Way Marks and High Heaps, p. 79 ; Opening Heavens, p. 1-36 ; Vindication of the Seventh-day Sabbath, p. 27 ; WHITE, James, ed., A
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correspondance de Joseph Bates, « [...] il pouvait tout aussi bien émettre des réflexions nettement imprégnées de l’esprit de l’Evangile. En 1857, il écrit : ‘[…] tous mes pauvres services et mille fois plus encore, ne pourront jamais faire l’acquisition de ma rédemption’ ». James White marqua son désaccord avec Joseph Bates, en avançant qu’il n’y a aucune sentence divine prononcée avant la résurrection, « ainsi que certains l’enseignent ». Cette croyance, poursuivait-il, n’a aucun fondement dans la Parole de Dieu. En septembre 1850, James White ajoutait que le salut des croyants reposant sur la foi en Christ, le ‘jugement’ n’aura lieu que durant le millenium de l’Apocalypse, inauguré par la parousie. Entre 1850 et 1857, il semblerait que, d’une certaine manière, James White se serait rapproché de Bates234 : « […] Ce n’est qu’au mois de janvier 1857, écrit George Knight, que James White s’exprime ouvertement sur l’idée d’un ‘jugement’ avant l’avènement du Christ. Elle avait déjà apparu une première fois sous sa plume quelques mois plus tôt, avec l’expression ‘Investigative Judgment’235 ». « On peut dire avec certitude », ajoute-t-il, « qu’à ce moment-là tous les dirigeants sabbatariens s’étaient rejoints sur cette croyance. Nous devons pourtant remarquer qu’on ne trouve aucune trace qui confirmerait que Bates et lui auraient tenté de résoudre leurs divergences. Ce sont des conclusions que James White tirait lui-même du message du troisième ange. Elles ont prévalu (pour lui, le troisième message d’Apocalypse 14 s’appliquait à la période après 1844). En ce qui concerne l’idée globale d’un jugement ‘céleste’, c’est la croyance de Joseph Bates qui prévalait […] »236. La notion de ‘jugement’ dans la Bible n’avait pas encore été étudiée d’une manière systématique par les adventistes. Avec le temps, sa signification théologique a été comprise de différentes manières. En 1872, d’une manière générale, ils entendaient par là que son objet est d’examiner la vie des membres de leur Eglise, se regardant eux-mêmes comme le véritable ‘peuple de Dieu’, ‘le reste’, dont il est question au chapitre 12 de l’Apocalypse et de décider de leur destinée éternelle. Cette position doctrinale se retrouve encore en 1872 dans un document sur leurs croyances fondamentales, en des termes qui ne laissent aucun doute: la cour céleste doit : « déterminer qui [...] serait digne de participer à la première résurrection » (croyance n° 18)237. Examiner, déterminer et décider signifiaient pour eux une sorte ‘d‘enquête’ dont le verdict n’était pas Word to the “Little Flock”, 1847, p. 21 ; BATES, Joseph, « New Testament Seventh Day Sabbath », Review and Herald, January 1851, p. 32 (trad. MV). 234 Pour plus de détails sur les divergences entre James White et Joseph Bates, voir KNIGHT, George, op.cit., pp. 135-156. 235 WHITE, James, The Review and Herald, 7 (Feb. 21, 1856), p. 164. Voir note 230. 236 Cf. KNIGHT, George, op. cit., p. 156 (trad. MV). 237 Cf. Annexe 9, 1872, § 18.
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encore arrêté. Cette croyance avait été préparée avec le concours d’Ellen White238. En 1931, elle n’avait pas changé (croyance n° 16)239. Elle laissait bon nombre d’adventistes dans l’appréhension d’une révision de leur salut personnel240. Le changement d’interprétation apparaît une vingtaine d’années plus tard, dans les années 1950. Rolf Pölher remarque que ‘Questions on Doctrine’241 adopte à ce moment-là un ton nouveau, mais prudent : « La scène du grand jugement révélera clairement ceux qui auront grandi en grâce et auront développé un caractère semblable à celui du Christ … L’enfant de Dieu, titre qui lui est conféré, n’a rien à craindre d’aucun jugement »242. En 1972, la contribution d’Edward Heppenstall243 a initié une avancée théologique nouvelle et décisive. Abandonnant les lectures antérieures, Heppenstall s’attache à définir la notion biblique de ‘jugement’ par celle de ‘réhabilitation’. Il s’agit de celle entreprise par Dieu lui-même en faveur des hommes au travers du ministère du Christ, depuis son ascension. Elle amène à la reconnaissance par les hommes de son caractère juste, de son amour, en même temps que la ‘réhabilitation’ de tous ceux qui ont foi lui et en Christ aux 238 Voir la ‘Tragédie des siècles’. Pour une analyse du concept de ‘jugement’ développé par d’Ellen White, voir JAIRYONG, Lee, Faith and Works in Ellen G. White’s Doctrine of the Last Judgment, Doctoral dissertation, Berrien Spring, Michigan, Andrews University Theological Seminary, 1985 ; PÖLHER, Rolf, Change in Seventh-day Adventist Theology. A Study of the Problem of Doctrinal Development, Berrien Spring, Michigan, Andrews University Theological Seminary, Berrein Springs, Michigan, 1995, p. 243, note 1. 239 Cf. Annexe 9, 1931, § 16. 240 A la critique de Walter R. Martin : ‘This doctrine was to discipline Christians by the threat of impending judgment’, Rolf Pölher répond, en y concèdant : ‘Though the intentionality of this effect may be questioned, it is difficult to deny that some pedagogical influence may, indeed, have been at work here’. PÖLHER, Rolf, op. cit., p. 243, note 2. 241 Cf. Seventh-day Adventists Answer, Questions on Doctrine. An explanation of certain major aspects of Seventh-day Adventist Belief, Washington, Review and Herald Publishing Association, 1957, pp. 417-419, 421-445. Publié en 1957, l’ouvrage veut répondre aux questions doctrinales posées lors d’entretiens avec des représentants des milieux protestants évangéliques. Il a été largement diffusé aux Etats-Unis dans les séminaires, les universités et les bibliothèques publiques, aux membres du clergé et aux professeurs de théologie non adventistes. Sa publication a suscité une controverse théologique fondamentale dans les milieux adventistes, en particulier au sujet de la nature humaine du Christ. Voir ZURCHER, Jean, Le Christ manifesté en chair. Cent cinquante années de christologie adventiste 1844 -1994, Collonges-sous-Salève, Faculté Adventiste de Théologie, 1994, pp. 140-156. Traduit en anglais sous le titre : Touched with Our Feelings. A Historical of Adventist Thought on the Human Nature of Christ, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 1999. 242 PÖLHER, Rolf, op. cit., p. 243 (trad. MV). 243 Heppenstall, Edward (1901-1994), a certainement été l’un des plus éminents professeurs adventistes de philosophie et de théologie. De 1967 à 1970, il enseignait à l’Université de Loma Linda, en Californie. Ses livres font autorité dans les milieux intellectuels de l’Eglise adventiste du septième jour. Sur le sujet, mentionnons : Our Hight Priest (1972), Salvation Unlimited (1974), The Man who is God (1977), édités par la Review and Herald Publishing Association, Washington, D. C. In Touch with God publié en français par les éditions Vie et Santé en 1984, sous le titre Dieu et moi.
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yeux de l’univers. Cette théologie se libère des tonalités perfectionnistes qui l’avaient si souvent ternie jusque-là. Pour Heppenstall, le chrétien n’a aucune raison de craindre le ‘jugement’ de Dieu. Au contraire de l’incertitude, il signifie la certitude de la victoire de la vie sur la mort244. A partir de 1980, l’Eglise adventiste a fait sienne cette lecture théologique. Elle la traduit par le point 10 de sa déclaration sur ses croyances fondamentales de cette année-là245. Elle s’est répandue dans le monde adventiste, comme en témoignent les nombreuses études sur le sujet parues dans ses publications. Il est intéressant de souligner ici que, d’une certaine manière, elle fait écho aux premiers arguments avancés par James White. Aujourd’hui, la position théologique de l’Eglise adventiste soutient que la notion de ‘jugement’, selon le concept biblique, n’est pas un moment où Dieu décide d’accepter ou de refuser le croyant qui est déjà reçu par la foi en son amour rédempteur (Ep 1. 6). Elle se réfère à sa réhabilitation face à l’univers. Cette approche théologique finalise les choix individuels et personnels. Acquis à cette lecture, - qui s’écarte de celle de certains fondateurs -, plusieurs théologiens adventistes s’interrogent maintenant sur la justesse du raisonnement qui a conduit à l’usage de l’expression anglaise ‘Investigative judgment’ [traduction incertaine en français : « Jugement ‘investigatif’ ou d’investigation » ?] L’histoire du christianisme toute entière montre que le temps qui s’écoule peut être aussi un facteur de nouvelles compréhensions des enseignements bibliques. Ce constat se vérifie dans l’histoire de la théologie de l’Eglise adventiste. Encore aujourd’hui, les débats témoignent que l’esprit d’étude, de recherche et d’avancées nouvelles possibles, qui a caractérisé celui des fondateurs de cette Eglise adventiste, n’a pas été abandonné. 2.3 – Les piliers de la doctrine adventiste et leur cohérence Dès la fin de l’année 1844, dans la résonance des espoirs déçus, ‘sabbatariens’ ou non, de nombreux millérites n’ont pas résisté à la tentation de raviver leur confiance dans la prophétie biblique en révisant leurs calculs et en fixant de nouvelles dates pour le retour du Christ. Le fanatisme et les 244
HEPPENSTALL, Edward, Our High Priest. Jesus Christ in the Heavenly Sanctuary, Washington, D.C., Review and Herald Publishing Association, 1972, pp. 80, 98-100, 121-124, 188, 206-207. Heppenstall a précisé sa pensée théologique dans un article de la revue de l’Association pastorale adventiste : “[…] le jugement avant l’Avènement (du Christ) est en faveur des saints (…) et non un projet de rétribution parce que Dieu aurait des doutes au sujet des siens. C’est la pleine révélation de leur position devant Dieu, à l’image de celle où ils ont été trouvés en Christ. Aucun jugement venant de son sanctuaire ne peut les mettre en danger » (trad. MV). HEPPENSTALL, Edward, « The Pre-Advent Judgment », Ministry, December 1981, pp. 12-15. 245 Cf. Annexe 9, 1980, § 10.
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spéculations émotionnelles les plus diverses ont gagné rapidement leurs rangs. Knight relève qu’à un certain moment, James White et Joseph Bates ont aussi été tentés246. Mais une troisième personne, qui commençait à attirer l’attention de son entourage immédiat, s’y opposait. Depuis le début de l’année 1845, Ellen Gould Harmon, devenue Ellen White en 1846, insistait sur l’idée qu’on ne pouvait déterminer aucune durée pour l’achèvement du temps du message représenté symboliquement par le message des anges chapitre 14 de l’Apocalypse. Pas plus ne fallait-il chercher une autre échéance pour les 2300 jours/années. Elle insistait, laissant entendre que le chemin à suivre pouvait être encore long. Au lieu de se perdre dans des calculs inutiles, elle invitait les adventistes à se détourner des agitations et à s’attacher à la réalité et à leurs devoirs face à l’avenir247. Plusieurs historiens adventistes ont souligné que son insistance sur le temps qui pourrait encore s’écouler a conduit à plus de lucidité de la part des fondateurs de l’Eglise adventiste et de leurs successeurs. Cette clairvoyance a la voie à son organisation et à la création d’institutions médicales, de santé, éducative, missionnaire et sociale. Elle a poussé les adventistes à développer leur action dans le monde entier248. Néanmoins, avant d’admettre qu’ils devaient sortir des ‘frontières’ de leur milieu religieux et du territoire des Etats-Unis, les héritiers de l’interprétation millérite de la doctrine de la ‘porte fermée’ devaient encore comprendre que leur nouvelle lecture théologique les obligeait à abandonner une position qui avait jusque-là fait partie de leur identité. Il leur fallut encore plusieurs années. Dans son étude, Gerard Damsteegt montre que ce changement a été un facteur important dans la théologie de la mission de l’église adventiste249. Les interventions d’Ellen G. White et la nature particulière de son influence ont soulevé de nombreuses questions, même de l’opposition. Au début, les adventistes n’avaient manifesté que très peu de considération pour son charisme et ses revendications d’être inspirée par Dieu. Sauf quelques-uns de ses plus proches qui s’interrogeaient. A partir des années 1850, un nombre toujours plus grand d’entre eux se sont senti interpellés. Plus par le contenu de ses interventions que par les manifestations physiques qui les accompagnaient. Progressivement, mais non sans de fortes réticences, selon les archives, ils se sont trouvés face à des questions cruciales. Des réponses dépendaient de nouveaux développements de leur théologie : est-il question dans la Bible d’une action particulière de l’Esprit dans les temps eschatologiques ? Si oui, quelle 246
KNIGHT, George, A Search for Identity. The Development of Seventh-day Adventist Belief, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 2000, p.82. 247 WHITE, G. Ellen, Premiers écrits, Mountain View, Californie, Pacific Press Publishing Association, 1962, pp. 22-75 ; Idem, Review and Herald, July 21, 1851, p. 4. 248 Cf. Annexe 2. 249 C., DAMSTEEGT, P. Gerard, Foundation of the Seventh-day Adventist Message and Mission, Grand Rapids, Michigan, William B. Eerdmans Publishing Company, 1977, pp. 155-163, 271282.
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autorité Ellen G. White pouvait-elle réclamer pour elle-même ? Quelle importance devait-on accorder à ses déclarations et à ses écrits ? Aujourd’hui encore, ce sont les deuxième et troisième interrogations qui sont l’objet de discussions et de controverses parmi les adventistes. James White avait déjà pris conscience de leurs implications. Le 21 avril 1851, il écrit : « Le devoir de chaque chrétien est de ne considérer que la Bible comme référence dans sa foi et dans ses engagements. Chacun devrait prier avec ferveur, afin de recevoir l’aide du Saint-Esprit dans sa recherche du vrai dans les Ecritures et pour ses engagements. Le chrétien n’est pas libre de s’en détourner pour les découvrir au travers de quelque charisme que ce soit. Nous affirmons qu’à partir du moment où il le fait, il le met à la mauvaise place et prend une position extrêmement dangereuse. La Parole doit être mise en avant. L’attention de l’Eglise doit se fixer sur elle comme autorité scripturaire pour le comportement et comme source de sagesse. Celle où on apprend ‘toutes les bonnes œuvres’. Cependant, si une partie de l’Eglise s’égare de ses enseignements, si elle est sans vigueur, si elle s’affaiblit et si ses membres se divisent au point que Dieu juge nécessaire d’utiliser les charismes donnés par l’Esprit pour corriger, pour l’enseigner et la détourner de ses erreurs, nous devons le laisser faire son œuvre »250. Arrivés en 1856, les adventistes avaient donc été amenés dans leurs recherches, non seulement à développer une herméneutique biblique du ministère des prophètes et à l’intégrer dans leur théologie, ils avaient aussi établi le rapport avec ce qu’ils lisaient dans l’Apocalypse. Pour eux, ces développements et ces changements élargissaient la compréhension de leur expérience en 1844. Ils en dégageaient une nouvelle vision de leur Eglise et de leur identité religieuse. 2.3.1- Les horizons Parvenus au milieu du 19e siècle, les adventistes sabbatariens avaient adopté un ensemble de doctrines qu’ils considéraient comme fondamentales. Cela leur avait pris un long temps de recherches et de réflexion. Leur démarche théologique n’a pas consisté à ajouter simplement une croyance à une autre. Elles s’harmonisaient entre elles dans un ensemble qu’ils dégageaient d’une lecture spécifique de l’Apocalypse, avec l’accent mis sur la seconde venue du Christ. Ils liaient celle-ci à l’achèvement d’une deuxième phase de son ministère dans le sanctuaire céleste et à une signification eschatologique du respect du sabbat. Dans leur théologie, ces points ne pouvaient se justifier l’un sans l’autre. Leurs caractères prophétiques conféraient une dimension 250
WHITE, James, Review and Herald, April 21, 1851, cité par WILCOX, M. Francis, The Bible Conference of 1919, July 30, 1919, notes sténographiées, in, Spectrum, A Quaterly Journal of The Association of Adventist Forums, vol. 10 (1), Berrien Spring, Michigan, Andrews University, p. 24 (trad. libre MV).
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d’urgence à la mission d’évangéliser. Ils devenaient des facteurs dynamiques de leurs engagements. Il était temps d’établir de nouveaux rapports entre les groupes dispersés, issus du mouvement millérite. Plus que les conférences organisées de 1848 à 1850, les initiatives énergiques et persévérantes de James White ont certainement été le facteur-clé de leur rapprochement. Il lui revient d’avoir mis sur pieds la publication des premiers périodiques251 et la création d’une maison d’édition. Ses efforts ont eu pour conséquences l’extension des débats, le développement des recherches bibliques, la diffusion de leurs enseignements et la croissance en nombre des adeptes. Ce travail ne s’est cependant pas fait sans soulever de fortes tensions. Se fondant sur les sources historiques, George Knight en relève quatre causes principales252 : 1) les fortes tendances au légalisme. James et Ellen White les dénonçaient constamment. 2) la tendance à pratiquer des formes d’évangélisation caustiques, en cherchant à provoquer les pasteurs des autres Eglises. 3) la tendance au conservatisme et à l’immobilisme doctrinal. De fortes résistances se sont manifestées de 1870 aux années 1960 parmi les leaders de l’Eglise adventiste, désireux surtout de maintenir le statu quo dans la théologie adventiste. 4) la tendance à un usage immodéré et déplacé des écrits d’Ellen G. White, en lui prêtant un rôle auquel elle-même se refusait, celui de théologienne et d’autorité finale pour l’interprétation des textes bibliques et prophétiques. Les années 1844 à 1885 peuvent être considérées comme la première étape dans l’histoire de la formation de la théologie de l’Eglise adventiste. A mesure que le temps s’est écoulé entre ces deux dates, la littérature adventiste et les sermons se sont de plus en plus focalisés sur les positions théologiques et les doctrines distinctives. L’intérêt majeur se portait essentiellement sur les thèmes considérés comme spécifiquement ‘adventistes’, hérités de l’adventisme millérite. Cette période témoigne des fortes tendances conflictuelles internes dans le domaine de la théologie. Elles sont apparues depuis les premiers moments de l’histoire de cette Eglise et ont atteint un point culminant au cours de la session de la Conférence générale réunie en 1888 à Minneapolis, dans le 251
Editeur et auteur, James White avait compris l’intérêt de la page imprimée : en 1847, il intitulait sa première publication ‘A Word to the Little Flock’ ; en 1849, ses articles paraissaient sous le titre ‘Present Truth’, dont les éditions reliaient entre eux les groupes d’adventistes sabbatariens ; en août 1850, il lançait les premiers exemplaires de l’‘Advent Review’, remplacée presque aussitôt, en novembre 1850, par la revue ‘Second Advent Review and Sabbath Herald’ qui remplaçait en même temps aussi ‘Present Truth’ ; au mois d’août 1852, il prenait l’initiative d’une publication pour les enfants et les jeunes, ‘Youth Instructor’ ; en 1874, il inaugurait la revue ‘Signs of the Times’, dont l’édition se poursuit jusque aujourd’hui . James White est l’auteur de
quatre livres, dont l’un, en 1880, est une autobiographie : ‘Life Sketches … of Elder James Whire, and His Wife, Mrs Ellen G. White’.
252
Cf. KNIGHT, George, op.cit., pp. 87-88.
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Michigan, aux Etats-Unis. Des nouveaux débats mettent alors en cause une identité religieuse que quarante années venaient de construire. Avec Knight, on peut les résumer en une question : peut-on encore reconnaître le cœur de l’Evangile et du christianisme dans l’adventisme de cette Eglise en 1888 ? 2.3.2.- Débats et évolutions de la théologie adventiste (1888-1919) Recentrage sur le message évangélique. La session de la Conférence générale à Minneapolis, en 1888 En 1886, seuls cinq dirigeants, qui ont été parmi les premiers acteurs durant les événements de 1844 et ceux qui ont marqué les débuts de l’organisation de l’Église adventiste en 1863, sont encore en vie. Néanmoins, l’héritage religieux a été transmis et est attesté par ceux qui leur ont succédé. Dans l’ensemble, ces croyants sont très attachés aux enseignements spécifiques de leur Eglise. Ils les considèrent comme les fondements de leur identité religieuse. A leurs yeux, ils font de leur groupe religieux un ‘mouvement prophétique’, dans la lignée de ceux qui ont participé à celui suscité par William Miller. Pourtant, plusieurs d’entre eux ont été assez rapidement gagnés par l’idée qu’un intérêt trop exclusif porté sur quelques doctrines bibliques leur faisait perdre de vue le caractère chrétien, au sens propre du terme, du message adventiste. Une crise spirituelle s’amorçait avec la génération montante des pasteurs. Pour mieux en saisir l’enjeu, il faut rappeler qu’en abordant la décennie des années 1880, la théologie adventiste se composait déjà de deux ensembles de croyances, reliés entre eux. D’une part, celui que les adventistes ont tenu à mettre en évidence, avec insistance, parce qu’il conférait à leur mouvement un caractère prophétique particulier. Cet ensemble comprenait les doctrines concernant le retour personnel, visible du Christ, la résurrection des morts avant le millenium (prémillénarisme), celle touchant au ministère du Christ, en deux phases dans un sanctuaire céleste, la doctrine du sabbat (samedi) et celle concernant l’état inconscient des morts, l’homme ayant été créé en tant qu’entité indivisible. Ce premier groupe de croyances les distinguait clairement des autres groupes chrétiens. Le deuxième ensemble comprenait les doctrines professées par tout le protestantisme, baptistes, anabaptistes, méthodistes, calvinistes, luthériens et anglicans. Elles n’impliquaient pas une étude systématique des prophéties bibliques. Au cœur de ces dernières, se trouvaient les enseignements de l’Évangile concernant le salut, reçu par la foi en Christ, manifestation de l’attachement de Dieu à l’homme, l’autorité scripturaire du document biblique
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(sola scriptura) en matière de croyances chrétiennes, la reconnaissance du rôle crucial et historique du Christ et des apôtres dans la naissance du christianisme. Au milieu du 19e siècle, les adventistes ne semblent pas s’être intéressés aux recherches et aux débats théologiques touchant aux enseignements du deuxième groupe. Leur logique les conduisait essentiellement à amener les croyants des autres églises à adhérer à leurs doctrines spécifiques, celles du premier groupe. Cette stratégie, poursuivie durant quarante années, ne les a pas préservés de construire mentalement une sorte de ‘mur de séparation ’ autour d’eux. Le problème apparut en plein jour au moment où la question a été soulevée, à savoir, quelle est la ‘pierre d’angle’ du christianisme ? Peu de temps après la session de la Conférence générale qui s’était tenue à Minneapolis en 1888, Ellen White déclara aux délégués qui y avaient participé, en se référant aux débats qui avaient occupé les esprits : « […] le monde ne devrait pas pouvoir dire plus longtemps que les adventistes ne parlent que loi, loi (sic), et qu’ils n’enseignent pas ou ne croient pas au Christ »253. Cette question théologique avait été portée en chaire par deux jeunes pasteurs adventistes, Alonzo T. Jones et Ellet J. Waggoner. Étudiant le sens du mot ‘loi’ et sa signification dans l’épître de l’apôtre Paul aux Galates, ils l’interprétaient comme désignant l’ensemble des écrits de Moïse, le Pentateuque, incluant le Décalogue et les autres directives mosaïques. Par cette lecture, ils mettaient en évidence son rôle essentiellement pédagogique, attirant l’attention de l’assemblée sur le cœur de l’enseignement du Pentateuque, - vers lequel la ‘loi’ était sensée conduire le croyant254 -, le salut par la foi seule dans la grâce divine incarnée par le Messie promis, c’est-àdire le Christ. Dans les faits, une certaine tension à ce sujet couvait depuis quelques années dans les milieux adventistes. Les archives de la Conférence générale révèlent qu’en 1883, un enseignant, Roderick S. Owen, avait déjà présenté, bien qu’avec beaucoup de modération, une approche différente de celle traditionnellement admise à ce moment-là, lorsqu’il interpréta le symbolisme des 7 trompettes de l’Apocalypse. L’assemblée d’alors l’avait rejetée, au motif de ne pas être ‘scripturaire ’. En fait et avant tout, parce qu’elle remettait en cause des positions de l’adventisme considérées comme fondamentales. L’argument se résumait par l’affirmation : « [...] il n’y a rien à changer aux positions déjà admises »255. Par ailleurs, de 1884 à 1888, Ellet J. Waggoner avait aussi fait connaître sa position sur le sens du mot ‘loi ’ dans l’épître aux Galates dans une série d’articles parus dans la revue Signs of the 253
WHITE, G. Ellen, Testimonies to Ministers and Gospel Workers, Mountain View, California, Pacific Press Publishing Association, 1948, p. 92 (trad. MV). 254 Ga 3.24. « Surveillant ou précepteur : le terme grec correspondant a donné notre mot ‘pédagogue’; il désignait à l’époque de Paul l’esclave chargé de surveiller les enfants et de les conduire au maître d’école », Nouvelle Bible Segond, Villiers-le-Bel, 2002, note 24, p. 1543. 255 « General Conference Proceedings », Review and Herald, Nov. 20, 1883, pp. 733-734 ; Voir aussi « The Seven Trumpets », Review and Herald, July 8, 1884, p. 448 (trad. MV).
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Times256. Dans son intervention à Minneapolis, il s’est avancé plus loin, en explicitant sa pensée par une étude détaillée sur le sens de l’expression biblique ‘justifié par la foi ’. Son argumentation avait fixé l’attention. Mais, elle souleva aussi des réactions. Plusieurs, parmi les principaux dirigeants adventistes, lui ont opposé une forte résistance, réitérant l’argumentation déjà utilisée à l’encontre de R.S. Owen en 1883. Pour ces traditionalistes, en premier, George I. Butler, président de la Conférence générale en exercice, et Uriah Smith, éditeur de la Review and Herald, l’enjeu paraissait trop important pour recevoir cette nouvelle orientation de la théologie adventiste. Ils craignaient que cette façon de lire le message de cette épître amoindrisse les caractères distinctifs de leur identité religieuse, et qu’elle en vienne, selon eux, à affaiblir la contrainte qui découlait de l’enseignement professé depuis quelque quarante années. Butler et Smith, en particulier, investirent toute leur énergie pour empêcher que l’accent porte plus sur le salut par la foi en Christ que sur l’obéissance au Décalogue, considérée comme salvatrice. Ils étaient déterminés à faire tout ce qui était en leur pouvoir pour ‘protéger’, selon eux, l’Eglise adventiste de ce qu’ils désignaient comme des innovations ‘hérétiques ’. D'autres, au contraire, accueillirent cette approche comme une avancée heureuse vers de ‘nouvelles lumières’. Pour Butler et Smith, il était important d’exhorter les adventistes « à rester à l’intérieur des anciennes frontières ». Aussi, quelques semaines à peine après la clôture de l’assemblée de Minneapolis, en novembre 1888, ont-ils présenté au comité de la Conférence générale une résolution visant à empêcher l’enseignement de ces approches théologiques aux étudiants du College adventiste de Battle Creek, où A.T. Jones devait être chargé de cours à partir de 1889. Elle stipulait que « toute personne, qui soutient des positions autres que celles que nous avons enseignées traditionnellement en tant que confession, doit les soumettre à l’approbation des comités »257. Ellen White s’y opposa. Elle la qualifia de « décret étouffant », qui ne servait qu’à mettre un frein à tout progrès258. Uriah Smith tenta alors de faire prévaloir un soi-disant désaccord 256
Cf. WAGGONER, E. Joseph, Signs of the Times, juin 1884 à septembre 1888. 68 articles en rapport avec le ministère du Christ et la valeur du Décalogue, dont 9 commentant le chapitre 3 de l’épître aux Galates. Après 1888, il a continué à développer sa pensée dans la même revue. La revue mensuelle ¡ a été fondée en 1874 par James White, à Oakland. E.J. WAGGONER en a été le rédacteur de 1886 à 1891, succédant à son père, J.H. Waggoner, qui l’avait été de 1881 à 1886. 257 « Seventh-day Adventist General Proceedings », Review and Herald, Nov. 13, 1888, p. 714 (trad. MV). Une résolution similaire avait déjà été prise avant la session de la Conférence générale de 1886. Elle soulignait que « les positions doctrinales qui ne sont pas soutenues par une claire majorité » ne peuvent être ni enseignées ni publiées avant d’avoir été « examinées et approuvées par les dirigeants qui ont de l’expérience », Cf. « General Conference Proceedings », Review and Herald, Dec 14, 1886, p. 779. 258 Cf. WHITE, Ellen, Manuscript 16, 1889, Ellen G. White Research Center, Andrews University, Berrien Springs, Michigan : « Quand la résolution a été soutenue avec force de recommander que rien de contraire à ce qui a été enseigné jusqu’ici ne peut l’être dans le collège, je le ressentis profondément. Je sais que celui qui l’a rédigée n’était pas conscient de ce qu’il faisait» (trad. MV). Cf. aussi WHITE, Ellen, Manuscript 8a, 1888 : « Les enseignants de nos
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entre Ellen White et E.J. Waggoner259qui remettrait en cause le soutien qu’elle lui avait apporté à Minneapolis. Elle lui répondit que ces deux pasteurs réactualisaient des vérités déjà anciennes, en les présentant sous un jour nouveau et avec un accent nouveau260. Ce n’étaient pas en effet des nouveautés théologiques. La doctrine de la ‘justification par la foi ’ faisait déjà partie de l’enseignement biblique dans les milieux protestants. Toutefois, fait-elle remarquer à Smith, Jones et Waggoner ont développé cet enseignement sans omettre la valeur des principes du Décalogue. Ils proclament donc un message d’actualité : ‘Christ, notre justice’261. Le soutien d’Ellen White a non seulement ouvert une large audience à la théologie de Waggoner, mais il a aussi contribué de façon décisive à remettre le message chrétien au centre de la théologie adventiste, même au sein d’une grande partie de ceux qui s’y étaient opposés en 1888262. écoles ne devraient jamais être liés par une obligation de n’enseigner que ce qui l’a été jusqu’ici. Abolissez ces restrictions. Il y a un Dieu pour dire le message que son peuple doit délivrer. Ne permettez pas qu’un pasteur se sente mis sous des liens et qu’il doive être jugé par des critères d’hommes. Prêcher l’Évangile doit se réaliser en harmonie avec les messages que Dieu envoie. Ce que Dieu demande à ses serviteurs de prêcher aujourd’hui peut ne pas avoir été la ‘vérité présente’ il y a vingt ans, mais c’est le message de Dieu pour ce temps » (trad. MV). 259 Quelques mois après la session de Minneapolis, Uriah Smith écrit : ‘Il me semble que la plus grande calamité jamais survenue dans notre cause à été au moment où, après la mort de frère White, le Dr Waggoner a publié dans les ‘Signs (of the Times)’ ses articles sur l’épître aux Galates. […] Si j’étais sous serment devant une cour de Justice, je me verrais dans l’obligation de témoigner qu’au mieux de mes connaissances et de ma conviction […] vous avez déclaré que frère Waggoner était dans l’erreur […] La position que frère Waggoner prend maintenant est sujette aux mêmes objections […] Elle me semble contraire aux Écritures, et en plus, contraire à ce que vous avez précédemment affirmé’ (trad. MV), SMITH, Uriah, Letter to Ellen White, February 17, 1890, Ellen G. White Research Center. 260 Voir les réponses personnelles d’Ellen G. White face aux événements de 1888 et par la suite : cf. WHITE, L. Arthur, Ellen G. White, vol. 3, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 1984, p. 385-475 ; WHITE, G. Ellen, Messages choisis, vol. 1, Extraits des ouvrages de Mme Ellen G. White, Mountain Views, California, Pacific Press Publishing Association, 1968, pp. 411-468. 261 Cf. WHITE, G. Ellen, Review and Herald, August 13, 1889, 514, cité par KNIGHT, George, op. cit., p. 107. (trad. MV). 262 Arthur G. Daniells (1858-1935), en tant que président de la Conférence générale en 1901 et 1902, et Leroy E. Froom, en tant qu’historien, ont largement contribué à la promotion de cet enseignement dans l’Église adventiste. À ses marges, quelques milieux restent encore réservés, sinon divisés, à la fois sur le sens à donner à la session de 1888, sur sa signification et ses implications pour aujourd’hui. Voir DANIELLS, G. Arthur, Jésus-Christ, notre justice. Étude de la doctrine de la justification par la foi, Dammarie-les-Lys, Signes des Temps, 1972 ; FROOM, E. Leroy, Movement of Destiny, Washington, D.C., Review and Herald Publishing Association, 1971 ; KNIGHT, R. George, Angry Saints. Tensions and Possibilities in the Adventist Struggle Over Righteousness by Faith, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 1985 ; WIELAND, J. Robert, The 1888 Message : An Introduction, Washington, D.C, Review and Herald Publishing Association, 1980 ; WIELAND, J. Robert ; SHORT, K. Donald, 1888 Réexamined, California, Meadow Vista, 19872. ; McMAHON, P. David ; WAGGONER, Ellet Joseph, The Myth and the Man, Fallbrook, California, Verdict Publications, 1979 ; KNIGHT, R.
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Tous ces débats ont remis sur le chantier un aspect important de l’héritage théologique qui avait été reçu des millérites et des ‘sabbatariens’ : celui du rapport entre la gratuité du salut et la manière de comprendre la place et le rôle du Décalogue dans la théologie adventiste. Aujourd’hui, l’épisode de 1888 se révèle comme une crise majeure dans l’histoire de l’Église adventiste. Elle a provoqué un tournant crucial dans le développement de sa théologie263. S’il est juste de penser qu’elle est en quelque sorte à l’origine des divergences qui persistent encore264, le mérite revient à Waggoner et à Jones d’avoir fait prendre conscience aux adventistes que la voie vers de nouvelles compréhensions des enseignements de la Bible reste ouverte265. Directement ou indirectement, ils ont ouvert le chemin à de nouvelles recherches, dont certaines avancées trouvent des échos en 1931 dans la Déclaration sur les croyances fondamentales de l’Église adventiste266. Mais alors, on peut se demander pourquoi les exposés
George, From 1888 to Apostasy. The Case of A.T. Jones, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 1987. 263 Cf. KNIGHT, R. George, Angry Saints. Tensions and Possibilities in the Adventist Struggle Over Righteousness by Faith, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 1985, p. 11. 264 Face aux divergences de vues sur l’interprétation de textes ou de thèmes bibliques, l’attitude des dirigeants de l’Église adventiste est, depuis ces moments, d’encourager la recherche de l’unité fraternelle dans l’esprit de la paix, et non une recherche de l’uniformité. Elle s’inspire des exhortations de l’apôtre Paul et d’Ellen G. White qui s’est révélée elle-même progressiste : ‘Si quelqu’un fait une erreur en interprétant un passage de la Bible, pensez-vous que c’est cela qui entraînera la divergence et le manque d’unité ? Bien sûr que non ! La position que nous défendons ne peut affirmer que l’unité consiste à regarder les textes de l’Écriture de façon identique. L’Église peut bien adopter résolution après résolution dans l’intention d’écarter toute divergence d’opinions, mais nous ne pouvons pas, dans l’intention d’extirper tout désaccord, violenter la pensée et la volonté. Ces résolutions peuvent à la rigueur dissimuler les désaccords, mais pas les étouffer. Elles ne peuvent d’ailleurs pas non plus nous faire tomber parfaitement d’accord. Il n’y a qu’une chose qui peut faire grandir l’unité de l’Église : rechercher l’esprit d’indulgence que possédait le Christ », WHITE, G. Ellen, Manuscrit 24, 1892, document non publié, Collongessous-Salève, Centre de recherche Ellen White. Le contexte de ce manuscrit montre que par ‘Église’, Ellen White entend qu’il s’agit de l’Église adventiste. Elle en appelle donc au respect d’une pluralité d’opinion qui semblait lui faire défaut. 265 La même année que le manuscrit 24 cité à la note précédente, en 1892, Ellen White déclarait au sujet des recherches sur le sens des Écritures : « La vérité est en marche et nous devons progresser sous la lumière croissante [...], ne pas considérer avec suspicion toute nouvelle lumière que Dieu peut envoyer. […]. La Parole de Dieu brillera d’une lumière nouvelle pour celui qui vit en communion avec le Soleil de Justice. […] Il est sans excuse celui qui pense qu’aucune autre lumière ne peut être révélée et que toutes nos interprétations des Écritures sont sans erreurs. Que certaines doctrines soient considérées comme vraies depuis de nombreuses années n’en garantit pas l’infaillibilité. L’âge ne transforme pas l’erreur en vérité ; la vérité est vouée à la clarté. Une doctrine vraie n’a rien à perdre d’un examen sérieux. […] Nous avons encore beaucoup, beaucoup à apprendre, et beaucoup, beaucoup à désapprendre. », WHITE, G. Ellen, in : Counsels to Writers and Editors, Nashville, USA, Southern Publishing Association, 1946, pp. 36-37 (trad. MV). 266 Cf. Annexe 9, 1931, § 8.
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présentés à Minneapolis ont-ils soulevé tant de polémiques et des réactions aussi vives ? Dans le contexte religieux américain du moment, certains facteurs ont sans doute eu une influence sur les débats. On peut penser qu’avec les transformations rapides de la société américaine au 19e siècle267, les adventistes, comme les millérites avant eux, se sont sentis entraînés dans une crise ‘eschatologique’ sans précédent. Avec leur lecture de la prophétie, la rapidité du déroulement des événements revêtait des dimensions significatives. Rappelons que depuis le début des années 1860, la ‘National Reform Association’ s’activait de plus en plus, avec pour objectif de christianiser la jeune nation américaine. Selon les principaux tenants de cette politique religieuse, l’adoption d’une législation du dimanche constituerait l’axe autour duquel le projet deviendrait réalisable. Les documents adventistes témoignent qu’une inquiétude plus grande gagna les milieux adventistes lorsqu’en 1882, William C. White, le troisième enfant de James et Ellen White, a été interpellé par les autorités californiennes pour avoir mis en route un dimanche les presses de la Pacific Press Publishing Association qui tournaient depuis 1874. Ce sentiment d’insécurité s’est amplifié entre 1885 et 1888, années au cours desquelles des adventistes ont été arrêtés pour des motifs semblables dans les États de l’Arkansas et du Tennessee. Il s’accrut encore lorsque le sénateur H.W. Blair a déposé au Sénat américain une proposition de loi tendant à faire du dimanche un jour national de repos religieux obligatoire. Les adventistes se sont alors rappelé la première tentative qui avait déjà été menée jusque devant le Congrès en 1840. Ces faits leur sont apparus comme une confirmation de la justesse de leur compréhension de l’adventisme et de l’urgence de leur message. C’est sur cette toile de fond qu’on doit lire l’emportement avec lequel certains dirigeants de l’Église adventiste ont réagi à Minneapolis. Mettre en doute la validité de leurs interprétations prophétiques et de leur théologie centrée sur la loi, revenait pour eux à renier la véracité de la Parole de Dieu et à compromettre le mandat de l’Église. Malgré les moments pénibles vécus par les participants au cours des réunions, les retombées de cette session de la Conférence générale ont eu des effets positifs, en mettant à jour des questions théologiques importantes qui n’avaient été qu’effleurées jusque-là et qui étaient demeurées sans véritables réponses : • Quelle est l’autorité finale en matière d’herméneutique biblique ? Où se situent les sources chrétiennes pour le développement de la théologie ? • Que déduire de l’enseignement biblique sur la justification par la foi seule ? Quelle signification revêt-elle dans leur vision actuelle de l’adventisme ? 267
Voir la première partie de ce chapitre.
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• Quelles réponses apporter aux questions soulevées par les doctrines chrétiennes de la trinité, de la divinité du Christ et celle sur le Saint-Esprit ? • Que propose l’enseignement biblique sur la nature humaine du Christ, à la fois Dieu et homme, quand le Nouveau Testament déclare qu’il fut un homme comme tous les hommes ? 2.3.3.- Quelles ressources pour la théologie adventiste ? En revisitant l’histoire de la théologie adventiste après 1880, il semble que certains leaders de l’Église se sont écartés du principe de la ‘sola scriptura ’ qui caractérisait l'esprit des fondateurs. Quarante années plus tard, des pratiques semblent s’affirmer, acquises au fil du temps, et qui n’auraient pas été admises au début de son histoire. Telles une sorte de primauté en matière de théologie ou de doctrine conférée aux responsables de l’Église en raison de leurs fonctions ; la référence normative à une certaine ‘tradition adventiste ’ pour l’interprétation des prophéties bibliques ; l’autorité finale en matière d’herméneutique biblique attribuée aux écrits d’Ellen G. White, de théologie et d’histoire. Sensible à ces problèmes, Ellen G. White s’est constamment efforcée de ramener les dirigeants, les pasteurs et les membres de l’Église adventiste, au retour à une plus juste compréhension du rôle premier de la Bible, principale référence scripturaire en matière de convictions et de croyances268. Sans tenir compte de ses réactions, George I. Butler et Uriah Smith ont tenté d’asseoir leur théologie sur le rayonnement moral de son œuvre. Dans la correspondance que I. Butler adresse à Ellen White entre les mois de juin et octobre 1888 pour faire pression sur elle, George Knight relève qu’il a eu recours à sa fonction de président de la Conférence générale pour essayer d’obtenir qu’elle se prononce avec autorité sur le sens du mot ‘loi’ dans l’épître aux Galates269. Elle aurait renforcé son autorité de président de l’Église adventiste. D’autres le tentèrent aussi, malgré ses silences en guise de fin de non-recevoir et ses refus d’entrer en matière. J.H. 268 Au mois d’août 1888, elle écrivait aux dirigeants et aux délégués des Eglises adventistes locales : « Sondez les Écritures soigneusement pour discerner ce qui est vrai. La vérité n’a rien à perdre par un examen approfondi. Laissez les Écritures parler par elles-mêmes ; laissez-la être son propre interprète.[…]. Beaucoup de nos pasteurs se permettent une étonnante paresse en laissant à d’autres [...] le faire à leur place. Ensuite, ils considèrent ce qu’ils disent comme des choses exactes. Mais en fait, ils ne savent pas si ce sont bien des vérités bibliques, confirmées par leurs propres recherches et par une conviction acquise sous l’influence de l’Esprit de Dieu sur leur intelligence et leur cœur. […] La Parole de Dieu est capable de dépister les erreurs […]. La Bible doit être la règle de chaque doctrine et de chaque pratique chrétienne », cité par KNIGHT, R. George, A Search for Identity, The Development of Seventh-day Adventist Belief, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 2000, p. 94. (trad. MV). 269 George Butler espérait qu’elle le conforterait dans son interprétation. Il limitait le sens de ce terme dans l’épître aux Galates à la référence aux lois cérémonielles mosaïques, excluant de ce fait le Décalogue.
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Morrison, partisan comme Butler de l’autorité des positions traditionnelles, pensait avoir trouvé un argument dans l’un de ses écrits, ‘Sketches From the Life of Paul’, publié en 1883. Elle y aurait implicitement attribué le sens qu’ils désiraient faire triompher à la pensée de l’apôtre Paul. Butler et Smith ont vu là la solution qui tranchait le débat exégétique. Cependant, commente George Knight, « Nous ne trouvons aucune indication qui permettrait de penser qu’elle [Ellen White] considère que la question pouvait être résolue par cette méthode. Elle-même ne citait jamais ses écrits pour se déterminer sur des questions théologiques, historiques ou sur des sujets bibliques. Ils ont leur objet propre. Ils ne devraient jamais être placés dans une position de supériorité face à la Bible, ni lus comme ses commentaires infaillibles »270. Ne pas être mis dans une position d’égalité entre les écrits bibliques et les siens. Toute sa vie, Ellen White a maintenu cette position. Elle la rappelle souvent dans ses articles, dans ses livres et dans ses déclarations. La manière dont A.T. Jones en faisait usage posait le même problème. A. T. Jones s’est trouvé en première ligne durant les débats de Minneapolis, avec Ellet J. Waggoner, dont il partageait les points de vue. Son influence dans les milieux adventistes était d’autant plus grande qu’ils avaient reçu tous les deux le soutien d’Ellen White. On peut penser que cet appui a été un des facteurs dans la conception que Jones s’est formé du rôle de ses déclarations en matière de théologie. À partir de 1890, l’autorité qu’il leur prête, et l’usage qu’il en fait, sont contraires aux vues d’Ellen White elle-même et de celles que son mari, James White, décédé en 1881, avait aussi défendues. L’erreur de Jones a été de les utiliser dès 1893 comme argumentaires pour ses sermons et dans l’interprétation des textes bibliques. Ellen White s’y opposa fermement. Elle le lui reproche à maintes reprises dans ses correspondances privées. Jones croyait pouvoir se justifier en déclarant qu’il le faisait lorsqu’il s’adressait à des adventistes, jamais à l’intention des autres chrétiens. Quatre ans plus tard, il alla plus loin en les désignant comme étant « la Parole de Dieu »271. Son erreur s’enracinait aussi dans sa conception de l’inspiration de ses écrits, comme de celle des écrits bibliques. Il pensait que chaque mot, chaque phrase, lui sont dictés. La nature même de cette ‘inspiration’ les préservait de toute erreur, jusque dans les détails. C’est en suivant cette logique qu'en 1894, Jones s’est avancé en déclarant que la seule manière de lire correctement la Bible consiste à passer ce qu’on en comprend par le critère final des écrits d’Ellen White. Ses « commentaires sont infaillibles »272. Pourtant, Ellen White n’avait de cesse de rappeler ses lecteurs à la prudence, de faire appel à leur sens critique en tenant 270
KNIGHT, R. George, op. cit., p. 97 (trad. MV). Cf. General Conference Bulletin (1893), p. 39, 69, 358 ; General Conference Bulletin (1897), p. 3. 272 Cf. KNIGHT, R. George, From 1888 to Apostasy. The Case of A.T. Jones, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 1987. 271
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compte des facteurs contextuels de ses messages, du temps, des destinataires, des situations et des circonstances de leur rédaction273. Au contraire de Jones, elle leur refusait tout caractère infaillible. 2.3.4.- La justification par la foi et son sens dans l’adventisme du 19e siècle La deuxième retombée de Minneapolis se résume sous la forme d’une question : la doctrine de la ‘justification par la foi’ s’accorde-t-elle avec l’idée d’un ‘jugement’ avant le retour du Christ ? Tel que la présentent Waggoner et Jones, est-elle en harmonie avec la prophétie biblique et sa théologie ? Graves interrogations qui ont remis la théologie adventiste sur le chantier autour des questions sur la gratuité du salut offert en Christ et sur la place de cette doctrine dans la proclamation du message des trois anges de l’Apocalypse. Le changement qui est apparu alors dans la théologie adventiste mériterait une étude détaillée. Cependant, vu la difficulté liée au nombre de débats à la base de ce ‘tournant’ et les limites de notre étude, nous ne nous y arrêterons pas. Ce sujet devrait faire l’objet de plusieurs chapitres, avec les évolutions de la façon de comprendre le concept biblique ‘justifié par la foi’, les discussions théologiques autour du rapport entre ‘justification’ et ‘sanctification’, les manières de concevoir ce qu’est la ‘conversion’, et d’autres aspects encore. Leur histoire montre que cette problématique accompagne les adventistes depuis plus d’un siècle. Ce qui est certain, c’est qu’avec leur manière de mettre en œuvre cette doctrine, E.J. Waggoner, Ellen White et A.T. Jones ont remis la théologie adventiste dans la ligne de celles des grandes figures du christianisme, depuis l’apôtre Paul jusqu’aux grands réformateurs, comme John Wesley, en passant par Luther et Calvin. Waggoner alla plus loin en lui donnant une dimension eschatologique : « C’est un pas de plus au cœur au cœur du message du troisième ange »274, avait-il répété en 1887 et 1888. On saisit les enjeux de ce changement en rappelant quel était le point de vue des principaux leaders adventistes, avant l’assemblée de 1888. On le discerne peut-être le mieux sous la plume d’Uriah Smith, dans les articles qu’il a publiés dans la Review and Herald à partir du mois de janvier de la même année. Par 273
Cf. KNIGHT, R. George, Lire Ellen White, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 1997, pp. 85-92, 117-124. 274 WAGGONER, J. Ellet, The Gospel in the Book of Galatians, Oakland, Pacific Press Publishing, 1888, p. 70 (trad M.V.), Cf. Letter of Waggoner to George I. Butler, Feb. 10, 1887.
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son style incisif, sa satire quelquefois275, Uriah Smith exerçait une influence certaine sur l’esprit de ses lecteurs. Son insistance sur le sujet depuis une vingtaine d’années, tant dans ses sermons que dans ses écrits, avait déjà poussé plusieurs pasteurs, si ce n’est tous, à introduire ses idées auprès des communautés adventistes. Dans les trois premiers articles, Smith affirme que les fondateurs de l’Église ont cherché à conduire les croyants au Christ par la voie de l’obéissance à la vérité « finale et décisive » avant son retour. Il affirme que sans cette obéissance, l’objectif ne peut être atteint. D’après lui, la conversion ne peut avoir lieu sans passer au préalable par une stricte soumission à tous les commandements de Dieu, sans exception. C’est le seul chemin permettant d‘être ‘prêt’ pour le grand jour, un test pour accéder au salut éternel. Uriah Smith a cherché à renforcer son argumentation en liant son discours à ce qui représentait pour lui « l’événement » par excellence dans la société religieuse américaine du moment, le débat autour de l’adoption d’une législation du dimanche. C’est avec le message du troisième ange de l’Apocalypse et la question de la « marque »276 dont il y est question que cette actualité prend tout son sens et sa signification, pensait-il. Smith en déduisait qu’il faut mettre fortement l’accent sur le verbe employé, « garder les commandements de Dieu » (Ap 14.12)277. Il rejoignait le légalisme de Joseph Bates. Lui aussi plaçait l’obéissance aux ‘commandements’ du Décalogue au centre du salut. L’observance stricte du sabbat en constituait la clé de voûte. On doit rappeler ici que Joseph Bates n’a pas hésité à écrire : « Garder les commandements sauve les âmes », « l’observance du saint sabbat sanctifie et sauve l’âme », « les enfants de Dieu seront sauvés en pratiquant ou en gardant les commandements, sinon rien »278. Un des éditoriaux du mois de janvier 1888 de la Review and Herald, intitulé ‘Les conditions de la vie éternelle’, autorise ce rapprochement entre la théologie des deux hommes. Uriah Smith y résume sa pensée en transformant la réponse de Jésus au jeune riche279 : « repens-toi, obéis et vis ». À la manière de plusieurs, à ce moment-là, Smith croyait aussi en une forme de ‘justification par la foi’. Elle reposait sur une certaine lecture de la déclaration l’apôtre Paul aux chrétiens de Rome, d’après la version anglaise King James, : « …the remission of sins that are past »280. Il interprétait ce 275
Cf. SMITH, Uriah (1832-1903), in : Seventh-Day Adventist Encyclopedia, vol. 11, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 19962, pp. 618-619. 276 « [...] une marque » (Ap. 13. 16 et 14. 9). D’après de nombreux adventistes, encore aujourd’hui, c’est l’observance obligatoire du dimanche comme jour de repos chrétien, à la place du Sabbat. 277 SMITH, Uriah, Review and Herald, Jan. 3, p. 8. 278 BATES, Joseph, The Seventh Day Sabbath. A Perpetual Sign, 18472, p. 56 (trad. MV). 279 Mt 19. 16-30. 280 Rm 3. 23, King James Version. Littéralement, en grec, «… des péchés antérieurs » ; TOB : « … les péchés d’autrefois » ; NBS : « … les péchés commis auparavant ».
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passage comme signifiant que le pardon divin ne concerne que les péchés commis avant la conversion. Quelques années plus tard, en 1891, un autre pasteur adventiste, John Fox Ballenger, adopte la même lecture : « La foi compte avant tout pour l’acquittement des péchés passés. Ce sang (celui du Christ, note de l’auteur) qui efface tous nos péchés et rend propre notre passé est d’une grande valeur. Seule la foi nous permet de faire nôtres ces promesses de Dieu. Notre devoir maintenant, c’est de remplir notre rôle […] Obéissez à la voix de Dieu et vivez, ou désobéissez et mourez »281. « La faction Smith-Butler a maintenu son approche légaliste d’Apocalypse 14. 12, même après la session à Minneapolis », écrit George Knight. Et il poursuit : « Dans un article de la ‘Review’, paru au milieu de 1889 sous le titre ‘Notre justice’ […], Smith réaffirme que « l’obéissance (à la loi) conduit à une justice parfaite. C’est le seul moyen pour atteindre la justice. […] Notre justice […] provient de ce que nous sommes en harmonie avec la loi de Dieu. […] Notre justice ne peut être semblable à des vêtements souillés ». Il existe, concluait-il, une justice « qu’il faut se procurer en observant et en enseignant les commandements »282. Dans les faits, Smith, Ballenger et Butler ont enseigné une ‘justification’ par les œuvres. Plusieurs articles publiés dans la Review and Herald après 1888 témoignent, par les débats auxquels ils se réfèrent, que beaucoup de dirigeants, de pasteurs et de membres de l’Église adventiste partagaient ces convictions. Pourtant, d’autres, parmi les principaux fondateurs, ont défendu une position théologique contraire. Dès 1850, James White l’avait soutenue dans la revue The Present Truth, en parlant « [du] salut gratuit et complet que nous avons dans le sang du Christ »283. Jones et Waggoner n’avaient fait que reprendre l’héritage du courant théologique ancien auquel faisait allusion Ellen White284. Mais, en le rappelant et en lisant cette doctrine dans les épîtres et dans l’Apocalypse, les deux hommes avaient publiquement contrecarré les positions de plusieurs dirigeants de l’Église, dont Uriah Smith et I. Butler. L’exaspération des défenseurs des « bonnes vieilles doctrines traditionnelles » trouvait ses motifs dans leur manière d’interpréter le message du troisième ange de l’Apocalypse285. Pour eux, le verset 12 du même chapitre donne la clé d’interprétation du texte. Uriah Smith et ses collègues, y lisaient 281
BALLENGER, John Fox, Review and Herald, Oct 20, 1891, p. 642, cité par KNIGHT, George, A Search for Identity. The Development of Seventh-day Adventist Belief, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 2000, pp. 102-103 (trad. MV). 282 SMITH, Uriah, Review and Herald, June 11, 1889, pp. 376-377, cité par KNIGHT, R. George, A Search for Identity. The Development of Seventh-day Adventist Belief, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 2000, p. 103 (trad. MV). 283 WHITE, James, Present Truth, Apr 1850, p. 66 (trad. MV). 284 Cf. notes 264, 265. 285 Ap 14. 9-13.
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l’annonce d’un groupe de croyants qui se distinguera, à la fin des temps, par la qualité salvatrice de leur soumission aux commandements de Dieu. Leur manière d’observer le sabbat témoignera du degré de leur fidélité à la loi de Dieu. Comme un sceau témoigne de l’authenticité d’un document. James White, au contraire, comprenait que ce verset concerne les croyants qui, dans l’attente patiente du royaume du Christ, vivent les valeurs contenues dans les grands principes Décalogue dans l’esprit et à la manière de Jésus. De la même manière que James White, à la lumière du Nouveau Testament, John N. Andrews y lisait que ce qui est attendu des croyants pour vivre leur adventisme dans la vie présente, c’est cultiver la même confiance en Christ et en son ministère. La confiance dont lui-même avait témoigné durant sa vie sur terre dans l’amour de son Père et son œuvre rédemptrice. Tant James White qu’Ellen White, A.T. Jones, Elliet Waggoner et John Andrews, chacun reconnaissait que l’expression « …. la foi de Jésus », dans ce verset se traduit tout aussi bien par « …. la foi en Jésus »286. Pour eux, et pour d’autres avec eux, la doctrine de ‘la justification par la foi’ se trouve au cœur du message cet ange. « C’est un pas de plus au cœur du message du troisième ange », avait déclaré Waggoner aux délégués présents à Minneapolis. Un an et demi plus tard, dans un courrier, Ellen White est revenue sur la question. « Plusieurs m’ont écrit pour me demander si le message de la justification par la foi est celui du troisième ange. J’ai répondu, oui, c’est bien là le message du troisième ange », écrit-elle le 1er avril 1890287. Et de rappeler une fois de plus à ses correspondants que cette interprétation n’est pas une nouveauté. Son mari et elle-même l’avaient déjà exposée en 1844. Deux années plus tard, le 22 novembre 1892, elle insistait encore sur l’idée que le message du troisième ange trouve sa pleine signification prophétique à la lumière de la doctrine de la justification par la foi288. Avec ce changement de concept, l’année 1888 représente une croisée des chemins dans l’histoire doctrinale de l’Église adventiste. C’est un tournant majeur sur l’itinéraire de sa théologie, et dans la trajectoire de son identité religieuse. Désormais, celle-ci ne s’oriente plus sur l’axe d’une stricte obéissance aux commandements de Dieu, considérée comme le salut lui-même. En se recentrant, sa théologie s’est enrichie d’une lecture biblique qui a conféré à sa perception théologique de l’adventisme une nouvelle dimension. La crise de Minneapolis a certes provoqué des débats très tendus. Elle a aussi contribué 286
Cf. WHITE, G.Ellen, Manuscript 30, 1889 ; KNIGHT, R. George, op. cit., p. 108. WHITE, G. Ellen, Review and Herald, Apr. 1, 1890, cité par DANIELLS, G. Arthur, JésusChrist, notre Justice. Etude de la doctrine de la justification par la foi d’après les Ecritures saintes, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 1972, p. 45. 288 WHITE, G. Ellen, Review and Herald, Nov. 22, 1892, cité par DANIELLS, G. Arthur, op. cit., p. 39. 287
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à rappeler à l’Église l’importance de la référence à la source scripturaire, la Bible, dans les domaines théologiques et doctrinaux. C’est par cette voie que le nouveau modèle doctrinal sur la ‘justification par la foi’ s’est imposé à elle. Une remarque est nécessaire avant de poursuivre. D’un point de vue historique, il est clair que toutes les évolutions et tous les changements dans la théologie de l’Église adventiste n’ont eu, ni le même intérêt, ni la même importance. Face aux enjeux du moment, certaines discussions paraissent à l’évidence, aujourd’hui, comme secondaires et sans grande portée. Ainsi, celles qui tournaient autour de détails dans l’interprétation de quelques passages prophétiques289 ou les tiraillements peu sérieux sur les heures convenables pour le commencement ou la fin de la célébration du sabbat hebdomadaire. L’Histoire montre néanmoins qu’aux moments où ces questions ont été soulevées, elles étaient considérées comme significatives dans les communautés adventistes. Si ce n’était même, comme des points importants de la doctrine adventiste. Quelles que soient les différences dans les appréciations, un fait apparaît clairement : parmi les principaux acteurs, convaincus de la cohérence de leurs enseignements, plusieurs ont souvent craint que des changements, mêmes mineurs, altèrent ou diminuent la force de leurs croyances. Ils mettraient en danger l’unité structurelle de leur Église. Il n’est donc pas aisé, en suivant l’histoire de la formation de la théologie adventiste, de mesurer, dans l’esprit du moment, le degré d’intérêt que chacun portait aux doctrines plus spécifiquement adventistes et de séparer leur histoire de celle des croyances que les adventistes partageaient avec les autres milieux chrétiens. Les débats ont mis en évidence leur interdépendance et leur interaction. Ce fut le cas aussi après 1888, lorsque ceux qui étaient engagés dans l’élan ont pris conscience du problème posé par les positions théologiques d’une majorité d’entre eux sur les questions de la trinité, de la divinité de Jésus-Christ et la question du Saint-Esprit. Ce sont d’autres incidences sur la théologie adventiste après Minneapolis. 2.3.5.- Les interrogations soulevées par les doctrines chrétiennes au sujet de la trinité, de la divinité du Christ et du Saint-Esprit On peut lire au point 1 de la ‘Déclaration des principes fondamentaux enseignés et pratiqués par les adventistes’ de 1872 : « Il y a un seul Dieu, personnel et spirituel, créateur de toutes les choses, tout-puissant, omniscient et éternel, infini en sagesse, sainteté, justice, bonté, vérité et grâce ; qui ne change pas et partout présent par son représentant, le Saint-Esprit (Ps 139.7) »290. 289
Entre autres, l’identification des 10 cornes, en Dn 7.20 ; les différentes interprétations du symbolisme d‘Harmaguédon’, en Ap 16. 16. 290 Cf. Annexe 9, 1872, § 1.
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En 1931, dans le texte des ‘Croyances fondamentales des adventistes du septième jour’, la formulation du point correspondant révèle un changement de position théologique : « La divinité, ou trinité, consiste en : le Père éternel, personnel et spirituel, tout-puissant, omniprésent, omniscient, infini en sagesse et en amour, le Fils du Père éternel, par lequel toutes les choses ont été créées et par lequel salut des rachetés sera accompli, le Saint-Esprit, la troisième personne de la divinité, la grande puissance régénératrice dans l’œuvre de la rédemption »291. Depuis 1980, sous le titre ‘Ce que croient les adventistes… 27 croyances fondamentales’, la même doctrine est formulée sous le point 2 : « Il y a un seul Dieu : Père, Fils et Saint-Esprit, unité de trois personnes coéternelles. Dieu est immortel, omnipotent, omniscient, souverain et omniprésent. Il est infini et dépasse la compréhension humaine ; cependant, il peut être connu au travers de sa révélation. Il est pour toujours digne d’être invoqué, adoré et servi par toute la création »292. L’accent est mis ici sur le monothéisme et le contenu implique la croyance à la trinité divine. Ces trois déclarations illustrent le chemin parcouru par la pensée théologique adventiste. Un demi-siècle sépare la déclaration de 1872 de celle de 1931. Bien que ne reproduisant pas des actes officiels, des credo293, ces documents permettent de saisir l’importance d’une nouvelle évolution théologique, suite aux débats de 1888. Les adventistes croyaient à l’existence d’un Dieu personnel, tout-puissant et éternel, à la préexistence du Christ, Son Fils et à une représentation de Dieu au travers du Saint-Esprit, avant leur organisation en 1863. Toutefois, tous n’ont pas toujours accepté la doctrine chrétienne traditionnelle de la Trinité, partagée par les catholiques, les orthodoxes et la majorité des Églises protestantes. Des historiens adventistes, comme Leroy E. Froom, vers la fin des années 1940, et plus récemment, G. Knight ou le théologien R. Pölher, relèvent des influences du restaurationisme américain sur leurs positions religieuses. Au milieu du 19e siècle, ce sont celles venant de la ‘Christian Connection’ qui ont été les plus marquantes. Rappelons que plusieurs en sont issus parmi les principaux fondateurs de l’Église adventiste. Leur théologie sur la Trinité, la nature du Saint-Esprit et sur la divinité du Christ en était imprégnée. Si, dans un premier temps, les adeptes de la ‘Christian Connection’ ont professé la croyance trinitaire, ils l’avaient déjà abandonnée au moment où Bates et White adhéraient 291
Cf. Annexe 9, 1931, § 2. Cf. Annexe 9, 1980, § 2. 293 Cf. Annexe 9, ‘Synopse des croyances adventistes du septième jour en 1872, 1931 et 1980’. En 1931, l’Église adventiste ne se prononçait pas d’une manière formelle en faveur de doctrines. Il faut attendre jusqu’en 1946 pour voir la Conférence générale prendre acte officiellement de ‘croyances fondamentales’. Bien que reproduites dans des documents officiels, elles ne constituent pas pour autant des credo, au sens traditionnel du terme. 292
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à leurs croyances. En 1835, Josué Himes, un des principaux parmi eux, écrit qu’il croyait en « un Dieu vivant et personnel, tout-puissant, sans origine, indépendant et éternel » et que « le Christ est le Fils de Dieu, le Messie promis et le Sauveur du monde ». « Sa déclaration, commente G. Knight, affirme ouvertement que le Père est ‘sans origine, indépendant et éternel’. Mais elle affirme aussi que le Christ ‘a une origine, qu’il est dépendant du Père et qu’il a été amené à l’existence par le Père’. Les adeptes de la Christian Connection tendaient à voir le Saint-Esprit comme ‘la puissance et l’énergie de Dieu, une sainte influence de Dieu’ »294. Venant de leurs milieux, Joseph Bates et James White ont largement contribué à introduire cette conception dans l’adventisme. John N. Andrews, Uriah Smith et Ellet J. Waggoner, en ne citant que quelquesuns, les ont suivis. Il ressort des sources historiques qu’entre 1846 et 1886, la doctrine trinitaire était généralement rejetée dans leurs milieux. Leurs écrits la décrivent comme inconsistante, non scripturaire, contradictoire, absurde, antichrétienne, et comme un héritage de la déviation du catholicisme295. James White ne laisse planer aucun doute sur sa position. Le 7 février 1856, il écrit dans la Review and Herald : « La plus grande erreur que nous trouvons dans la Réforme, c’est que les réformateurs ont cessé de réformer. S’ils avaient poursuivi leur œuvre et abandonné […] la Trinité […], l’Église serait aujourd'hui débarrassée d’erreurs non scripturaires »296. Rolf Pölher souligne « qu‘il semble qu’il n’y a eu aucune voix pour exprimer un désaccord face à cette déclaration négative à ce moment-là, ni même celle d’Ellen White». Toutefois, si Ellen White n’a pas exprimé ouvertement un rejet du trinitarisme à ce moment-là, elle ne s’est pas non plus prononcée en faveur de l’antitrinitarisme. Par contre, les écrits de John N. Andrews, d’Uriah Smith et d’Ellet J. Waggoner montrent clairement qu’ils partageaient ce point de vue. Argumentant du fait que Dieu seul possède l’immortalité297, Andrews affirme en 1874 que Dieu est à l’origine du Fils dont « l’immortalité » est « dérivée et non originelle »298. Après avoir déclaré en 1865 que le Christ est « le premier être créé, dont l’existence date de très loin avant tout autre être ou chose créée »299, Uriah Smith a légèrement modifié sa conception en 1898. L’année où Ellen White attire l’attention de ses lecteurs vers une autre direction dans son livre sur la vie et l’œuvre du Christ300, il dévoilait sa position semi-arienne, 294
Cf. KNIGHT, R. George, op. cit., pp. 110-111 (trad. MV). Cf. PÖLHER, J. Rolf, op. cit., pp. 168-173 ; KNIGHT, R. George, op.cit., pp. 110-117. 296 Même si James White, comme l’écrit Rolf Pölher, a ‘adouci’ plus tard son opposition antitrinitariste, il a néanmoins maintenu jusqu’à la fin de sa vie l’héritage qu’il avait reçu des milieux millérites de la Christian Connection, cf. PÖLHER, J. Rolf, op.cit., p. 171, note 3 (trad. MV). 297 1Tm 6. 16. 298 ANDREWS, N. John, Review and Herald, 27 janvier 1874, p. 52. 299 SMITH, Uriah, Thoughts on Revelation, 1865, p. 59. 300 ‘En Christ réside la vie, une vie originelle, non empruntée, et qu’il ne tient de personne ’ ; ‘Jésus n’est pas seulement notre berger ; il est “notre Père éternel’», WHITE, G. Ellen, Jésus295
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soutenant que « l’apparition » du Christ relevait de « quelque impulsion ou processus divin », et non pas « d’une création »301. Quant à Waggoner, de mars à avril 1889, il a reprit les idées qu’il avait déjà avancées précédemment dans quatre articles de la revue The Signs of the Times. La plus grande partie a été reproduite en 1890 dans son livre intitulé Christ and His Righteousness. Même s’il se rapproche de la position trinitaire, il reste néanmoins arien au sens classique du terme : « En soutenant la parfaite égalité entre le Père et le Fils et le fait que le Christ est vraiment Dieu, nous ne voulons pas laisser entendre que nous pensons que le Père n’est pas avant le Fils. Il n’aurait pas été nécessaire d’être vigilant sur ce sujet si quelques-uns ne pensaient que le Fils ait existé aussi longtemps que le Père. Certains vont jusqu’à cette extrémité […]. Le Père est le premier sur le plan du temps. Il est plus grand, n’ayant de commencement, tandis que la personnalité du Christ a eu un commencement »302. En affirmant « [...] la parfaite égalité du Père et du Fils et le fait que le Christ est vraiment Dieu », Waggoner a élevé la position du Christ, bien plus que ne l’avaient fait ses opposants à Minneapolis303. C’est probablement ce qui explique l’attitude d’Ellen G. White à son égard à ce moment-là, lorsqu’elle lui a apporté son soutien dans le débat, ne prenant pas en compte ses idées semiariennes. Les documents montrent que, par la suite, en clarifiant sa pensée, elle s’est démarquée des siennes. Ellen White n’a jamais utilisé le mot ‘trinité’. Elle n’a pas développé une argumentation biblique structurée sur le sujet. Bien que sa pensée y adhère implicitement et que ses écrits en contiennent la notion : « Il y a trois personnes vivantes dans la trilogie céleste […] le Père, le Fils et le Saint-Esprit […] », ou encore, en 1897 et 1898 : « Seule la puissance de Dieu que détient le Saint-Esprit, troisième personne de la Divinité […] »304. Un demisiècle plus tard, en 1948, un enseignant au Séminaire adventiste de théologie de Washington, Millan L. Andreasen, se souvenait du grand émoi parmi les membres de l’Église adventiste en 1898, en lisant une déclaration d’Ellen White qui les a profondément heurtés. « Je me souviens », écrit-il, « combien nous Christ, Dammarie-les-Lys, Signes des Temps, 1977, p. 526, 469 ; ‘But Christ is equal with God, infinite and omnipotent […]. He is the eternal self-existing Son, on whom no yoke had come […] », WHITE, G. Ellen, The Youth’ Instructor, June 21, 1900, in : WHITE, Ellen G., Seventhday Bible Commentary, vol. 5, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 1956, p. 1136. 301 SMITH, Uriah, Looking Unto Jesus, 1898, p. 10. 302 WAGGONER, J. Ellet, « The Divinity of Christ », Signs of the Times, Apr. 8, 1889, p. 214, cité par McMAHON, P. David, Ellet Joseph Waggoner. The Myth and the Man, Fallbrook, California, Verdict Publications, 1979, pp. 102-103 (trad. MV). 303 R. Pölher fait remarquer que si Waggoner semble s’être rapproché du trinitarisme, il n’est pas devenu trinitariste, ainsi que le suggère Froom ; cf. FROOM, E. Leroy , Movement of Destiny, Washington, D.C., Review and Herald Publishing Association, 1971, p. 188-217 ; pp. 269-299. 304 WHITE, G. Ellen, Spécial Testimonies, série B, n°7, 1905, p. 62-63 ; Idem, série A, n°10, 1897, p. 37, cité dans ‘Evangélise’r, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 1986, pp. 550-552 ; WHITE, G. Ellen, Jésus-Christ, Dammarie-les-Lys, Signes des Temps, 1977, p. 674.
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étions déconcertés à la lecture de la première édition de son livre, ‘Desire of Ages’ (traduit en français sous le titre ‘Jésus-Christ’, note de l’auteur). Il contient des déclarations que nous considérions comme non crédibles, parmi lesquelles la doctrine de la trinité qui n’était pas acceptée par les adventistes à ce moment-là. […] J’étais particulièrement intéressé par l’une de ses déclarations à ce propos [....]. Elle représentait à ce moment-là un réel défi théologique pour notre confession : « En Christ réside la vie, une vie originelle, non empruntée et qu’il ne tient de personne ». Cette affirmation peut ne pas vous sembler révolutionnaire aujourd’hui. Mais, elle l’était. Nous avions de la peine à y croire »305. La réflexion de George Knight sur le rôle d’Ellen G. White dans ce débat est éclairante : « Il est intéressant de constater que ce ne sont pas les théologiens des deux bords de la controverse de 1888 qui ramenèrent l’adventisme à une vision biblique de la divinité, mais Ellen White. Elle n’a pas joué un rôle majeur dans la formation des doctrines fondamentales des adventistes au cours des années 1840. Cependant, au cours de la décennie des années 1890, elle a aidé les membres de l’Église à prendre conscience de lacunes dans leur manière de comprendre l’enseignement biblique. Elle n’a jamais développé d’importants arguments au sujet de la Trinité, de l’égalité entière entre le Christ, le Père et le Saint-Esprit. Dans ses écrits, elle les présente simplement comme vrais. C’est avec le temps que les adventistes ont entrepris des recherches bibliques et théologiques, partant de ces affirmations »306. On trouve le premier indice d’un changement en germe dans la théologie adventiste sous la forme d’un opuscule d’une quinzaine de pages, édité en 1892 par Samuel T. Spear. Il est intitulé The Bible Doctrine of The Trinity. L’auteur reprend un article provenant d’une source extérieure, le ‘New York Independant’ du 14 novembre 1889. La pratique est déjà courante à l’époque dans les milieux adventistes. Elle est souvent significative, sans pour autant impliquer que celui qui la pratique cautionne entièrement toutes les idées de l’auteur de la source. Toutefois, il revient à William W. Prescott, une personnalité de la seconde génération adventiste, diplômé de Dartmouth College, où il avait enseigné le latin et le grec, d’avoir donné à partir de 1890 des bases bibliques à cette doctrine. La qualité de ses recherches, et son expérience d’enseignant et de théologien adventiste, a permis à l’Église adventiste de mieux comprendre le sens des déclarations d’Ellen White et d’ancrer la notion de la trinité au cœur de ses croyances. « [Prescott] a commenté la doctrine de la divinité. Il a mis en valeur le fait que l’enseignement des Écritures implique clairement celui de la trinité et fait remarquer que les 305 306
Cf. note 300. (trad. MV). KNIGHT, R. George, op. cit, p. 115 (trad. MV).
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chrétiens doivent rester prudents en employant le terme ‘personne’ pour en parler. Il a ses limites. Il pourrait véhiculer l’idée de trois Dieux, si on le comprend mal. ‘Il y a bien trois personnes dans la divinité, mais elles sont mystérieusement et indissolublement unies l’une à l’autre, de sorte que la présence de l’une équivaut à la présence de l’autre», écrit Gilbert Valentine dans sa biographie de William Prescott307. Ce qui n’a pas empêché un pasteur à la retraite de le dénoncer en 1940 comme celui qui a introduit dans l’Église adventiste une ‘cruelle monstruosité païenne’308. D’un point de vue strictement historique, les événements qui ont suivi la session de la Conférence générale à Minneapolis de 1888 montrent que ce ne sont pas, en elles-mêmes, les questions sur la doctrine de la ‘justification par la foi’ et ses rapports avec le Décalogue, sur le trinitarisme ou sur la divinité du Christ, qui ont constitué le principal intérêt. Encore moins les discussions qui ont abouti à définir les positions de l’Église adventiste. Masqué par les emportements au cours des échanges, autant que par l’obstination des dirigeants à rejeter toute nouvelle thèse, leur intérêt premier, c’est d’avoir permis, après 1890, de remettre au premier plan de l’attention des adventistes la référence à l’autorité scripturaire de la Bible et la recherche de la cohérence dans leur théologie. C’est en prenant conscience de l’importance de ces facteurs, avec les implications que cela suppose pour leur propre compréhension de l’adventisme, que les changements ont pu s’opérer progressivement. La déclaration des croyances fondamentales professées par l’Église adventiste, publiée en 1980, à laquelle nous avons fait référence309 témoigne du chemin parcouru. Le réexamen de la doctrine sur la trinité a soulevé d’autres questions tout aussi importantes. Elles concernent le Saint-Esprit, ‘énergie divine’ ou ‘personne’ ? Quelle place la révélation biblique lui attribue-t-elle au sein de la divinité et dans la réalisation du plan du salut ? Les réponses théologiques apportées jusque-là s’inspiraient des positions antitrinitaires ou semi-ariennes défendues par les adventistes depuis les origines de leur Église. Il semble qu’avant 1892, l’intérêt, ou la justesse, en lui attribuant une ‘individualité’ ou ‘une personnalité’ n’a jamais réellement fixé leur attention. Le texte de la déclaration sur les croyances adventistes en 1872 représente sur ce point un repère historique intéressant. La question du Saint-Esprit n’y occupe que peu de place, si ce n’est, lorsqu’il en est fait mention, de le désigner par un pronom 307 PRESCOTT, W. William, The Coming One (printed sermon given at Takoma Park Church, Oct. 14, 1939), cité par VALENTINE, M. Gilbert, W.W. Prescott. Forgotten Giant of Adventism’s Second Generation, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 2005, p. 324 (trad. MV). 308 WASHBURN, S. Judson (1863-1955), The Trinity, 1940, p. 10, cité par VALENTINE, M. Gilbert, op. cit., p. 324. (trad. MV). 309 Cf. note 292.
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démonstratif, en anglais, ‘it’, du genre neutre, ‘that the Spirit of God was promised to manifest itself […] and those who deny to the Spirit its place […]’’ 310. Cette forme grammaticale était régulièrement utilisée depuis 1844. Uriah Smith la reprend à son compte en 1890 : « Concernant l’Esprit, la Bible emploie des expressions qui ne s’accordent pas avec l’idée que c’est une personne, comme le Père et le Fils. Il apparaît plutôt comme une divine influence issue des deux, le moyen de leur présence et par lequel ils ont connaissance et puissance dans tout l’univers, lorsqu’ils ne sont pas en présents en personne »311. À partir des années 1890, la question soulève un nouvel intérêt. Des formes de libéralisme théologique apparaissent, où Dieu n’est plus pensé selon le modèle trinitaire, mais comme ‘un spiritualisme’ individuel, une forme d’immanence divine ‘potentiellement’ universelle, au contraire de sa personnalité et de sa transcendance312. Les adventistes ne pouvaient manquer de s’interroger. Dans le même temps, des écrits étaient largement diffusés dans les milieux des revivalismes protestants américains. Ils défendaient leurs idées, soutenues, soit par des groupes à la recherche d’un ‘perfectionnisme’ religieux, marqués par l’ascèse de règles et de pratiques étroites, soit par un courant dit de la ‘sainteté’ (Holiness) en quête d’une ‘seconde bénédiction’ (second blessing), avec des manifestations particulières assimilées à des dons de l’Esprit. Comme le faisaient les ‘Shakers’ américains et les Églises d’Irving dans l’Angleterre du 19e siècle. Plusieurs dans les rangs adventistes, plus ou moins tentés, ont été conduits à des aberrations théologiques et dans les excès du fanatisme313. Toutefois, la théologie adventiste ne s’est pas limitée à ces questions. La problématique du Saint-Esprit devenait d’autant plus importante que l’attention 310
Voir Annexe 9, 1872, § 16. SMITH, Uriah, « In the Question Chair », Review and Herald, Oct. 28, 1890, p. 664 (trad. MV). 312 ‘L’histoire protestante montre que l’œuvre du Saint-Esprit fut parfois comprise selon le schème de manifestations ou d’actions successives de Dieu comme force et seigneurie unique et directe. C’est le cas dans les Réveils et la mouvance évangélique.[…]. À l’inverse, le Saint-Esprit fut aussi évoqué pour sanctionner un spiritualisme potentiellement universel et de forme principalement individuelle. Ce fut le cas dans certaines formes de libéralisme théologique, au 19e siècle par exemple. On souffre alors, de part et d’autre, d’un regrettable manque de différenciation, tant dans le rapport à Dieu (qui n’est plus réellement pensé selon un schème trinitaire, au principe d’un procès croyant fait d’appropriation et d’approfondissement personnalisé) que dans le rapport au monde et à l’histoire (qui n’est plus pensé sur le mode de différenciations à articuler ni de généalogies à reprendre pour soi). On est de part et d’autre prisonnier d’une opposition entre hétéronomie et autonomie, soumission et liberté, les premiers choisissant le premier terme, les autres le second », GISEL, Pierre, « Saint-Esprit », in : ID. (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, p. 1264. 313 Cf. WHITE, G. Ellen, Messages choisis, vol. 2, Moutain View, California, Pacific Press Publishing Association, 1971, pp. 16-18, 29-32, 38-43, 46-54, 73-75, 82-86 ; KNIGHT, R. George, op. cit., pp. 114-115. 311
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se concentrait sur le sens du plan du salut et du ministère du Christ dans le Nouveau Testament. La recherche autour des questions touchant à la trinité et la divinité du Christ la conduisait vers une intelligence plus grande qu’auparavant sur ce qu’enseigne la Bible à ce sujet. Des pas significatifs vers une théologie de la personnalité du Saint-Esprit avaient déjà été faits en 1883, avec la parution de deux articles dans la Review and Herald314. À partir des années 1892, on découvre dans plusieurs articles une nouvelle orientation de la théologie, bien qu’encore hésitante. Il faudra attendre l’année 1928, celle où Leroy E. Froom a développé le premier le sujet d’une manière systématique315, puis 1931, pour voir s’affirmer l’enseignement sur le Saint-Esprit comme ‘troisième personne de la divinité’316. Toutefois, les anciennes positions ne sont pas vraiment abandonnées dans certains cercles, minoritaires au sein de l’Église adventiste, et elle doit parfois faire face, aujourd’hui encore, à des positions qu’elle ne reconnaît pas. Pour leurs tenants, l’Église adventiste doit y revenir, car elles représentent les bases d’un adventisme authentiquement biblique. 2.3.6.- La question christologique dans la théologie adventiste Depuis la session de Minneapolis, la problématique de la nature humaine du Christ et du sens de la mort du Christ sur la croix occupe une place importante dans les préoccupations théologiques. Surtout ce qui concerne les implications de la croyance à son incarnation et la signification de sa mort dans l’expérience chrétienne personnelle. Encore aujourd’hui. C’est sans doute cette retombée de 1888 qui a suscité, et suscite encore, le plus de discussions. Le cadre de cette étude ne nous permet pas d’entrer dans le détail des débats. En résumé, le parcours de la théologie au sein de l’Église adventiste sur ce point, depuis la fin du 19e siècle jusqu’aujourd’hui, fait apparaître deux courants majeurs en tension entre eux. Ils continuent de traverser l’adventisme. Ils alimentent des compréhensions différentes en christologie. Tout en s’accordant sur le fait que le Nouveau Testament témoigne de la réalité, à la fois de sa pleine humanité et de sa pleine divinité317, les deux courants s’interrogent sur la portée à donner 314
SWIFT, Jonathan E., « Our Companion », Review and Herald, July 3, 1883, pp. 421-422 ; TENNEY, George C., « The Comforter », Review and Herald, Oct. 30, 1883, pp. 673-674. 315 FROOM, E. Leroy, The Coming of the Comforter, Washington, D.C., Review and Herald Publishing Association, 1928. 316 En 1980, un nouvel article a été ajouté aux Croyances fondamentales de l’Église adventiste du septième jour : ‘Dieu, l’Esprit éternel, a pris avec le Père et le Fils une part active à la création, à l’incarnation et à la rédemption. Il a inspiré les écrivains de la Bible …. », Coll., Ce que croient les adventistes..., Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 1990, p. 66 ; voir Annexe 9, 1980, § 5. 317 ‘La théologie protestante, majoritairement et dès les Réformateurs, n’entreprend pas d’abord de méditer les ‘processions’ et ‘missions’ en Dieu même, à quoi se rattacherait son ‘incarnation’ ; on part plutôt de l’histoire et de l’économie croyante, accentuant du coup l’écart entre les réalités
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aux expressions bibliques qui attestent une humanité christique « semblable à la nôtre », « … dans une condition de ressemblance318 à la chair du péché », et sur leurs implications dans la compréhension de la doctrine de la justification par la foi. Le sujet était déjà présent sur la chaire au moment des discussions à Minneapolis en 1888. Il semble pourtant qu’il n’ait pas joué un rôle sensible jusque-là. Le premier courant, qui avait déjà trouvé une certaine audience au début des années 1890, est devenu l’objet de discussions publiques lorsqu’ A.T. Jones a abordé la question devant les délégués présents à la session de la Conférence générale de 1895. Selon son approche théologique, le Christ, ayant assumé pleinement la nature humaine « … sans une particule de différence entre lui et nous », et n’ayant jamais cédé aux tentations, a démontré aux croyants qu’ils peuvent aussi vaincre définitivement le « péché enraciné dans leur nature de chair ». Cette conception l’a amené à penser que la démonstration devait en être faite au sein du ‘peuple de Dieu’, avant le retour du Christ. Ce ‘peuple’ doit atteindre la « perfection » (dans le sens d’une impeccabilité absolue) par l’obéissance aux commandements de Dieu. Les délégués n’ont pas tous adhéré à ses conclusions. Ceux qui étaient les plus proches de ses idées ont objecté que, si le Christ est bien devenu en tant qu’homme « un frère dans nos infirmités », sa nature humaine n’a pas été affectée par les mêmes tendances que les nôtres, celles des hommes après la chute de l’homme. Reprenant l’expression utilisée par l’apôtre Paul aux chrétiens de Corinthe, le « dernier Adam »319, en déduisaient, par analogie entre le « premier Adam » et le « dernier Adam », que Jésus s’est incarné dans l’état de l’homme à sa création, sans hérédité de Dieu et celles de l’homme. On tend dès lors à distinguer plus fortement le ‘issu de la chair de Marie’et le ‘conçu de l’Esprit’, l’historicité de l’homme Jésus et la confession christologique […] Une telle conception entend reconnaître ou donner une force et une dignité plus grande aux deux termes en jeu : la transcendance de Dieu s’en trouve en effet valorisé (Dieu ne fait pas nombre avec ce en quoi il s’incarne, il lui est hétérogène, et on en appelle à une réception au-delà de ce qui est simplement présenté), mais la contingence s’en trouve également accentuée (la matérialité, l’historicité et la relativité des lieux de l’incarnation ne sont pas supprimées ou divinisées, mais sont partie intrinsèque des mystères à recevoir et à méditer) », GISEL, Pierre, « Incarnation », in : ID. (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, pp. 625-626. 318 Rm 8. 3.: Litt. ‘… en ressemblance de chair de péché’, in : Nouveau Testament interlinéaire grec/français, par Maurice Carrez, Villiers-le-Bel, Société biblique française, 1992, p. 705. ‘Le terme grec correspondant à ‘semblable’, ‘ressemblance’ peut évoquer une identité partielle ou totale’, in : Nouvelle Bible Segond, Paris, 2002, p. 1489, note 3. 319 1 Co 15. 45 : ‘And so it is written, the first man, Adam was made a living soul ; the last Adam (le Christ, d’après le contexte littéraire immédiat) was made a quickening spirit ’ (version King James) ; ‘C’est ainsi qu’il est écrit : le premier homme, Adam, a été fait âme vivante ; le dernier Adam est un esprit qui donne la vie’ (version Bible de Jérusalem) ; ‘C’est ainsi qu’il est écrit : le premier homme Adam fut un être animal doué de vie, le dernier Adam est un être spirituel ; il vient ensuite’ (version TOB) ; « C’est pourquoi il est écrit : le premier homme, Adam, devint un être vivant, naturel. Le dernier Adam, lui, est devenu un esprit qui fait vivre’ (version NBS).
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défaillante. A l’opposé, la théologie du second courant a rejoint la théologie réformée du 16e siècle, se fondant sur l’exégèse et l’herméneutique biblique. Le Christ a assumé l’hérédité de ses ancêtres terrestres, d’une humanité en situation de faillite. Il s’est pleinement identifié à elle. Il pouvait céder aux pratiques du mal. Mais il ne l’a pas fait, luttant jusqu’au bout contre les tentations « qui l’ont griffé jusque dans sa chair », selon l’expression du théologien adventiste, Georges Stéveny320. Le premier courant met l’accent sur le croyant et sa « sanctification » par la fidélité aux commandements de Dieu, tandis que, dans le second courant, il est placé sur le Christ, son incarnation sacrificielle par le don de lui-même, son identification aux hommes et la foi du croyant dans sa relation avec lui. De 1940 à 1950, M.L. Andreasen a poussé à l’extrême les implications de la théologie d’A.T. Jones. Son enseignement relayait la théologie du premier courant. De 1890 à 1950, elle s’est imposée, à la manière d’une position théologique dominante considérée comme la véritable pensée prophétique adventiste. Le deuxième courant théologique est resté plus ou moins dans l’ombre jusqu’au milieu du 20e siècle321. À partir des années 1950, il a remis complètement en cause les prémisses et les conclusions du premier courant, jusqu’à l’idée d’une génération de chrétiens ‘parfaits’, qui constitueraient le seul « peuple de Dieu des derniers temps ». En conclusion, après 1888, et jusqu’à la fin du 19e siècle, la théologie adventiste a continué à évoluer, intégrant par étapes de nouvelles compréhensions des grands thèmes de l’Évangile. Pourtant, à la fin de ce siècle, pour une bonne part de ses membres, on n’avait pas encore saisi la relation que le Nouveau Testament établit entre la signification théologique du Décalogue et le cœur du message de l’Évangile de la grâce, entre l’adventisme et le christianisme tout court. Arrivé au tournant du 19e et du 20e siècle, deux crises marquantes avaient déjà provoqué des évolutions et des changements dans la théologie de l’Église adventiste, celle de 1844 et celle de 1888. La première, après la grande déception, l’avait amenée à centrer son intérêt sur le sens et la signification de l’adventisme au milieu du 19e siècle. La deuxième, après de la session de la Conférence générale de 1888, l’avait entraînée à s’interroger sur les rapports de l’adventisme avec les héritages théologiques qu’elle partage en commun avec 320
‘[...] les protestants admettent dans le Christ la peccabilité effective à la fois physique et morale. Nous partageons avec eux cette conviction, seule compatible avec l’Écriture, quelles que soient les implications au niveau de l’incarnation’, STEVENY, Georges, A la découverte du Christ, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 1991, p. 111. Il ajoute à la page suivante, en la citant, qu’Ellen G. White, parmi les premiers adventistes, a aussi partagé toute sa vie cette conviction. 321 Cf. KNIGHT, R. George, op. cit., p. 125.
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les autres confessions chrétiennes. Si la période, ouverte avec la première crise, a entraîné une certaine unanimité sur le sens de l’adventisme dans l’actualité religieuse du moment, l’accord théologique apparaît moins clair durant la seconde période. Durant les années 1890 à 1900, l’attention toujours plus forte portée sur les aspects proprement chrétiens de l’adventisme, avec des mises au point théologiques et doctrinales, a provoqué des tensions et de l’effervescence. Ces deux décennies ont été, à leur tour, marquées par des crises, avec les idées panthéistes du docteur H. John Kellogs, le retrait des pasteurs A.T. Jones et J. Ellet Waggoner, à l’intérieur de l’Eglise, et le choc de la Première Guerre mondiale, à l’extérieur. Elles n’ont eu aucune incidence réelle sur la théologie de l’Église. Par contre, une troisième crise, née dans les années 1920, plus importante celle-ci, l’a l’entraînée dans l’atmosphère de la confrontation avec le modernisme et avec le fondamentalisme protestant. Elle a marqué une nouvelle étape dans la trajectoire de son identité religieuse. 2.3.7.- Tensions fondamentalistes et crises théologiques de 1919 à 1950 Nouveau contexte, nouvelles polarisations théologiques A l’aube du 20e siècle, le contentieux philosophique et théologique entre le modernisme et le fondamentalisme322 portait déjà sur de nombreux sujets : le christianisme considéré comme l’aboutissement d’un long processus d’évolution parti du religieux primitif de l’humanité, la montée de théories philosophiques matérialistes, dont l’évolution darwinienne, la Bible considérée 322
Le vocable fondamentalisme est une transcription française du mot anglais fundamentalism. Le concept de fondamentalisme apparaît aux États-Unis vers la fin du 19e siècle dans les milieux restaurationistes : ‘En réaction aux tendances libérales d’un ‘Social Gospel’, se structure parallèlement une réponse protestante intégriste, antimoderniste. La Niagara Bible Conference de 1895 rassemble cette tendance et détermine […] la plate-forme doctrinale qui inspirera The Fundamentals : A Testimony to the Truth, douze volumes rédigés à partir de 1910 qui constituent une réelle résolution dogmatique définissant le ‘fondamentalisme’, RANDAXHE, Fabienne, « De l’exception religieuse américaine. Retour sur un débat’, Archives de Science sociologique des Religions 122 (2003), p. 18. Pour ces protestants, il s’agissait de réaffirmer la confiance de leurs théologiens dans la primauté de leurs interprétations face aux milieux chrétiens libéraux qui cherchaient de diverses manières à intégrer l’apport des Lumières et de la critique historique, donc à réconcilier les doctrines chrétiennes avec la nouvelle culture moderne. Ces derniers relativisaient les doctrines chrétiennes, insistaient sur le sentiment religieux et le message moral du christianisme. Aux États-Unis, la vivacité de la réaction du ‘fondamentalisme’ se nourrissait aussi de la crainte suscitée par la présence de plus en plus forte de populations catholiques sur le territoire. Les idées et la vision du monde de ces milieux chrétiens, marqués aussi fortement par la croyance dans le postmillénarisme, se sont propagées dans l’Amérique du 20e siècle, contribuant ainsi à répandre le concept de ‘fondamentalisme’. Si l’Amérique a toujours été et demeure encore aujourd’hui une société très religieuse, dans les milieux des protestants évangéliques ce courant semble prendre aujourd’hui un ton de plus en plus ‘revivaliste’.
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comme une collection de mythes comparables à ceux que l’on trouve dans d’autres cultures, le rejet d’une révélation transcendante et de l’inspiration de ses textes. Confrontée à ces développements intellectuels modernes, la question essentielle pour tous les chrétiens était de savoir quelle est l’autorité en matière de foi. Parmi eux, les ‘libéraux’ n’étaient-ils pas en train d’abandonner celle de la Bible au profit de la raison ? Face à ces courants, la théologie adventiste se trouvait en butte aux critiques de deux côtés, celles d’un modernisme en rupture avec l’héritage religieux traditionnel, d’une part, et d’autre part, celle d’un fondamentalisme ambiant au sein du restaurationisme américain, comme nous l’avons vu plus haut, ancré dans l’idée d’une inspiration verbale du texte biblique, « expiré par Dieu plutôt qu’inspiré »323. Comme tous les chrétiens, les adventistes avaient bien conscience des enjeux. Deux ouvrages sortis des presses adventistes la même année, en 1924, le révèlent. L’un commence par la phrase « La lutte est engagée… ». L’autre, dont le titre évoque l’idée d’un christianisme à la croisée des chemins du modernisme et du fondamentalisme, insiste sur le fait qu’il n’y a pas de voie intermédiaire, aucune alternative. C’est l’un ou l’autre, selon les auteurs. C’était déjà dans cet état d’esprit qu’en 1888, les délégués avaient vécu la radicalisation de deux positions divergentes, conservatisme étroit ou thèses nouvelles à examiner. Le nœud du problème a été de ne pas avoir cherché ce qui est bibliquement et théologiquement conciliable. L’histoire du christianisme montre qu’il a souvent buté sur les mêmes obstacles. « […] des dynamiques polarisantes [sont] le fruit de débats théologiques surchauffés», écrit G. Knight. Raidissements autour de la question de l’inspiration de la Bible En abordant les années 1920, les adventistes sont dans une situation semblable. Elle s’est aggravée lorsque l’aile conservatrice, devenue majoritaire, s’est résolument et ouvertement placée sur le terrain de l’inspiration verbale et de l’infaillibilité du texte biblique. Les documents sténographiés, qui transcrivent les discussions des enseignants adventistes réunis lors d’un congrès biblique organisé en 1919 par la Conférence générale, sont révélateurs. De 323
‘La notion d’inspiration revêt en théologie un sens technique particulier. Appliquée principalement aux Écritures, elle concerne le rôle du Saint-Esprit dans leur production. […] Le libéralisme théologique a promu des doctrines d’inspiration partielle, restreinte à une part du contenu, aux ‘idées’ ou à ‘l‘essence’ séparément de l’expression, ou bien à une référence intersubjective : “Est inspiré ce qui m’inspire”. Les évangéliques ont parlé d’inspiration plénière, mettant l’accent sur les auteurs “inspirés”, ou d’inspiration verbale, mettant l’accent sur le texte, “expiré” par Dieu plutôt qu’inspiré. La seconde expression semblait jadis plus stricte que la première ; on les traite aujourd’hui comme équivalentes. La doctrine de l’inspiration a une incidence herméneutique, mais ne décide pas à l’avance du degré de littéralité de la lecture », BLOCHER, Henri, « Inspiration », in : Encyclopédie du protestantisme, GISEL, Pierre (dir.), Paris/Genève, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, p. 632.
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fortes tensions existaient déjà au tournant du siècle dans les rangs des leaders de l’Église, entre ceux qui défendaient la position de l’inspiration textuelle et ceux, moins nombreux, qui mettaient l’accent sur l’inspiration des auteurs. Ces derniers avaient adopté le concept proposé par les délégués à la Conférence générale de 1883 et rappelé en 1886 : « La Bible a été écrite par des hommes inspirés, mais ils n’ont pas employé un langage divin. Ils ont parlé un langage humain. Ce n’est pas Dieu qui a été l’écrivain. On dira souvent que telle expression ne sied pas à Dieu. Mais Dieu ne s’est pas exposé à notre jugement dans la Bible par des mots, de la logique ou de la rhétorique. Les écrivains de la Bible ont été les hommes de plume, non la plume même de Dieu. Ce ne sont pas les mots de la Bible qui sont inspirés ; ce sont les hommes. L’inspiration agit non pas sur les mots ou les expressions, mais sur l’auteur lui-même, à qui le Saint-Esprit communique des pensées. Quant aux mots, ils portent l’empreinte de l’individualité. […] Il [le Saint-Esprit, note de l’auteur] s’unit à l’esprit de l’homme, si bien que les déclarations sont la Parole de Dieu »324. Deux des intervenants à ce congrès, Arthur G. Daniells, alors président de la Conférence générale et William W. Prescott, soutenaient cette approche théologique de la question. Les notes dactylographiées rapportent qu’ils l’ont plusieurs fois rappelée. Ils n’innovaient pas. Toutefois, beaucoup d’adventistes s’en étaient écartés avant le changement du siècle. À partir de 1920, la radicalisation de la position sur l’inspiration verbale a eu des incidences herméneutiques. Sa prédominance, jusqu’aux années 1950, a donné le ton à la pensée théologique. On en trouve des traces dans un article du mois de juin 1931, dans le recours à une source extérieure pour renforcer la pensée de l’auteur : ‘[La Bible] est un livre d’information divine sur le chemin du salut, sans un défaut ni une seule erreur dans les documents, tels qu’ils sont écrits sous l’inspiration de l’Esprit. Non seulement chaque mot de la doctrine est vrai, mais il n’y a pas non plus de faute dans les données historiques, ni sur aucun autre point de la connaissance des choses humaines et divines […]. Chaque récit ou mention ou indication dans les domaines de la géologie, de la cosmologie, de l’astronomie ou de la biologie, est vrai »325. Les documents révèlent que l’accord dans un sens ou dans l’autre ne s’est pas fait. Les leaders qui y participaient, dont William W. Prescott et William C. White, le fils d’Ellen White, ont été marginalisés. C’est, dès ce moment, l’entrée dans une période de prépondérance d’une théologie étroite, d’une stricte littéralité laissant peu de marge d’action ou d’interprétation, rigoureusement 324
WHITE, G. Ellen, Manuscript 24, 1886, in, Idem, Messages choisis, vol. 1, Mountain View, California, Pacific Press Publishing Association, 1968, p. 24. 325 KRETZMANN, P.E., « Modern Views About Inspiration », The Princeton Theologica Review, Apr 1929, p. 243-244, cité dans Valuable Quotations. From Reliable Sources, vol. 4, Washington, D.C., Ministry, June (1931), pp. 20-21 (trad. MV). La revue mensuelle Ministry est éditée par l’Association pastorale, à la Conférence générale des Églises adventistes.
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conforme à des règles, à un modèle donné. Néanmoins, les mêmes sources permettent de penser que, dans la réalité, l’autre conception a aussi fonctionné, mais avec une influence moindre. Polarisations dans l’adventisme Avec le temps, d’autres polarisations, liées à la manière de lire les textes bibliques, sont apparues au sein de l’Église adventiste : la place et l’autorité d’Ellen White dans sa théologie et dans ses doctrines, des façons différentes de concevoir la doctrine de la justification par la foi et ses rapports avec la vie chrétienne, des tensions croissantes entre les tenants d’une théologie d’une « dernière génération » de croyants parvenus à la « perfection » (Millian L. Andreasen326 joua un rôle important dans la propagation parmi les adventistes de ce concept du salut), et ceux qui mettent en valeur ce que l’adventisme a de commun avec la théologie des autres confessions chrétiennes327. Autant de problèmes qui, par leurs effets cumulatifs, interpellent l’Église adventiste et soulèvent des questions sur ce qui constitue véritablement son identité religieuse. À partir des années 1950, ses dimensions et son profil sont devenus l’objet d’interrogations, tant au plan théologique que doctrinal. A la fois en raison de l’insistance de certains pour un retour vers un adventisme dit ‘historique’, qu’ils identifient comme étant celui des quarante premières années de son histoire ; à la fois en raison des développements et des changements qui se sont inscrits, à la suite de son expérience et de ses recherches, sur le parcours de sa dimension culturelle, sa théologie. 2.3.8.- Approfondissements, élargissements, ouvertures. Le bilan après 1950 En résumé, l’histoire de la formation de la théologie de l’Église adventiste montre que, de 1920 à 1950, certaines relations se sont établies entre des personnalités de l’adventisme et celles des milieux fondamentalistes évangéliques protestants américains. Les adventistes ont pris part aux débats contre les théories évolutionnistes et participé quelques fois à leurs colloques. 326
Cf. ANDREASEN, Milian Lauritz, The Sanctuary Service, Washington, D.C., Review and Herald Publishing Association, 19472 (1ère édition, 1937) ; Idem, The Book of Hebrews, Washington, D.C., Review and Herald Publishing Association, 1948. 327 Parmi les études qui y contribuent, mentionnons : la Review and Herald, sous la direction de F.D. Nichols, de 1945 à 1966 ; Answers to Objections ; Ellen G. White and Her Critics ; Prophetic Faith of Our Fathers, 4 vols ; The Conditionalist Faith of Our Fathers, 2 vols.
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Nous l’avons mentionné, des articles sont apparus dans les revues de l’Église, favorables à ce courant. Leurs auteurs s’opposent à la réserve et aux positions modérées d’autres adventistes. Une situation qui s’est prolongée durant la première moitié du 20e siècle. Un chercheur adventiste, Douglas Morgan328 l’a mis en évidence. Ses recherches relèvent des relations ambiguës entre certains leaders adventistes et ces milieux. Elles révèlent certaines manières de s’identifier à eux « dans le contrat pour sauver la civilisation américaine », - à l’opposé des positions de l’Église adventiste, restée à l’écart de l’idée restaurationiste de faire de la jeune nation américaine une ‘nation chrétienne’. De son côté, un autre historien adventiste, Reinder Bruisma, souligne que la période trouble de l’histoire du protestantisme américain, au commencement du 20e siècle, a conduit l’Église adventiste à perdre « la flexibilité » de sa pensée théologique, qui caractérisait sa pensée première. Toutefois, pour être objectif, il faut souligner que la théologie de l’Église adventiste n’a jamais été réellement monolithique. L’accès aux archives de l’Église depuis une vingtaine d’années, révèle, qu’en dépit de ses racines dans les milieux restaurationistes américains, et dépit des relations que nous avons mentionnées avec le fondamentalisme protestant au 20e siècle, une distance se dessine dès ses origines. Elle aboutit en 1950 à l’en séparer dans une large mesure. L’un des facteurs de ce mouvement est l’approfondissement constant de sa théologie, favorisé par la qualité toujours renouvelée de ses recherches bibliques et théologiques. De même que le professionnalisme a gagné tous les secteurs de l’activité moderne au cours de la première moitié du 19e siècle, de même, cette ‘qualité’ a gagné les milieux théologiques de l’Église adventiste à la fin du siècle avec l’accréditation de collèges, de facultés de théologie et d’universités, dont le niveau d’études ne cessa d’augmenter. En 1943, les professeurs de Bible, la plupart des diplômés d’universités non adventistes, ont créé un réseau de recherches. Depuis 1952, ils organisent dans le monde des congrès bibliques chargés par la Conférence générale d’explorer les préoccupations théologiques centrales de l’Église adventiste. Ce sont ses membres qui ont contribué de 1953 à 1957 à l’édition de la Seventh-day Bible Commentary Encyclopedia. Au cours de la seconde moitié du 20e siècle, la théologie adventiste a mis en chantier d’autres sujets de recherches. Assez significatifs du questionnement incessant que l’Église se pose sur elle-même et sur ses doctrines. A-t-il ou non existé un adventisme ‘historique’, comme le prétendent certains ? Quelle est la signification théologique profonde de la crise de 1888 ? Voulant rester une Église dont le principe de référence scripturaire est la ‘sola scriptura’, quelle place faut-il accorder aujourd’hui aux écrits d’Ellen White ? Comment les lire ? Et, enfin la question qui se situe au fondement de sa méthodologie et de son 328 CF. MORGAN, Douglas, in : Adventism and the American Republic. The Public Involvement of a Major Apocalyptic Movement, Knoxville, University of Tennessee Press, 2001.
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herméneutique, l’inspiration des récits sacrés discrédite-t-elle tout examen de la raison ? Autant d’aspects qui dévoilent que, depuis la deuxième moitié du 20e siècle, la pensée adventiste ne reflète plus l’esprit qui a dominé la première moitié de ce siècle. Des tensions apparaissent sous l’influence de théologies aussi divergentes que celle d’Andreasen centrée sur un perfectionnisme et celle d’Heppenstall329, christocentrique mettant en valeur la relation de foi du croyant avec son Rédempteur, confiant dans l’amour de Dieu ; avec la controverse autour de l’interprétation du symbolisme du Jour des Expiations de Dn 8.14, soulevée par le théologien adventiste Desmond Ford ; avec le courant suscité par Robert Brinsmead autour de la question de la signification de la justification par la foi. Ces questions demandent des réponses. Les débats ne sont pas tous achevés, mais ils poussent la théologie adventiste vers de nouveaux approfondissements et vers de nouveaux horizons dans son parcours. Aujourd’hui encore, le paysage théologique adventiste témoigne de tensions entre conservatisme et fondamentalisme, ouverture et développement. Une partie des membres de l’Église adventiste semble ne pas avoir intégré la dynamique d’un esprit de recherche biblique. Pourtant, des signes traduisent, depuis 1950, une réelle aspiration à le retrouver. De plus en plus de dirigeants, de théologiens, de pasteurs et de membres comprennent qu’il y a, dans le message biblique, des choses plus essentielles pour notre monde que d’avoir théologiquement raison. Les crises ont fait comprendre aux adventistes que le chrétien est appelé à tout, sauf à devenir un ‘installé’. Tout en maintenant la centralité de la référence scripturaire, l’affirmation adventiste consiste aujourd’hui à souligner sa pertinence, mais aussi l’imperfection humaine de sa lecture. Le concept dynamique de ‘vérité présente’, avancé par les fondateurs de l’Église adventiste, ne cesse d’interroger la famille adventiste et de l’inciter à mettre sa théologie en chantier. 2.4.- Conclusion En conclusion de ce chapitre, on constate déjà que l’identité religieuse adventiste, sur le modèle de sa théologie, se développe depuis le milieu du 19e siècle selon deux principaux axes de sa pensée religieuse. Le premier se dessine selon la conviction que la relation du croyant à Dieu ne se fonde pas, selon l’Évangile, sur sa ‘sainteté’ pour entrer dans ce rapport. Au contraire, selon cet axe de la pensée religieuse adventiste, cette relation féconde un projet divin 329
Cf. HEPPENSTALL, Edward, In Touch With God ; Is Perfection Possible ? ; The Man who is God ; Our Hight Priest ; Salvation Unlimited ; Washington, D.C., Review and Herald Publishing Association. In Touch With God a été publié en français sous le titre, Dieu et moi, Dammarie-lesLys, Vie et Santé, 1975.
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d’éducation en faveur de l’homme. Dieu se présente en Christ comme le Père des hommes. Cette ligne de pensée théologique et spirituelle a alimenté une dynamique du mouvement, une vitalité qui, dans la continuité de celle des fondateurs, entretient l’idée de progrès, de nouveaux développements possibles de sa théologie et de ses croyances. Le second axe a pris le pas dans l’Église adventiste aux alentours des débuts du 20e siècle. Il relaie d’une certaine manière, en écho lointain, le traumatisme qui a marqué l’esprit des premiers adventistes au milieu du 19e siècle, avec leur rejet par les Églises protestantes installées aux États-Unis, pour avoir adhéré au mouvement suscité par William Miller. Dans cette ligne de pensée, l’accent est placé avant tout sur l’obéissance aux commandements de Dieu. Il se traduit par des formes de légalisme, sortes de chemins vers une ‘sanctification’ rendant le croyant favorable à la grâce de Dieu. Au fil du temps, sur cet axe, s’est inscrite une revendication de retour à la conception d’un adventisme pré-1888, dans la crainte exprimée d’une perte d’identité et de trahir le message fondamental de l’adventisme. Le parcours historique que nous avons suivi autorise à penser que, pour les adventistes et leur Église, la foi chrétienne ne consiste pas essentiellement à protéger une identité religieuse pour elle-même. Elle deviendrait monolithique, figée par la transmission d’une tradition arrêtée. C’est dans cette ligne de pensée, comme nous le verrons au chapitre sept, que les voies du dialogue et du partenariat entre les adventistes et les autres chrétiens ont pu s’ouvrir. Du point de vue de sa dimension culturelle, comme son histoire le montre, l’Église adventiste est plus en mesure aujourd’hui de créer des ponts entre les communautés protestantes dites historiques et les communautés protestantes évangéliques, tout en gardant la spécificité de son message. Cette position théologique favorise en son sein une plus grande sensibilité aux valeurs de l’homme et à sa liberté de conscience dans les questions religieuses. Une phrase de Jean-Paul Willaime résume bien la problématique de la théologie et de la pensée adventiste dans son histoire. Elle la rattache directement à l‘héritage du protestantisme : « C’est la tension entre un certain ‘fondamentalisme’ et un certain ‘libéralisme’ qui est constitutive du protestantisme».
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Chapitre 3 - Naissance et évolution de l’organisation de l’Église adventiste et de son concept de la mission – Premières implantations en Suisse et en France 3.0.- Introduction Autour de ce qu’elle considère comme un héritage symbolique à développer et à transmettre, l’Église adventiste se présente comme une organisation ecclésiale qui doit gérer un mandat évangélique spécifique. « Analyser les Églises sous l’angle des modes de régulation de la vérité religieuse et de fonctionnement du pouvoir qu’elles privilégient permet de rendre compte sociologiquement des différenciations internes au monde protestant et de la différence catholico protestante, écrit Jean-Paul Willaime. Étudier le monde protestant, c’est d’emblée être confronté à une grande diversité qui va de groupes luthériens ‘haute Église’ à des groupes pentecôtistes très émotionnels en passant par des groupes réformés (calvinistes), baptistes, méthodistes, évangéliques..., qui ont chacun leurs particularités. Or, celles-ci ne sont pas seulement doctrinales. Ces groupes se structurent différemment comme société, tant au plan institutionnel que communautaire ; le fonctionnement et la légitimation de l’autorité que l’on y observe ne sont pas les mêmes. Si, comme le dit Weber, la religion « est une façon d’agir en communauté », cet agir en communauté est différent d’une religion à l’autre, et même d’une confession à l’autre dans le monde protestant »330. C’est aussi vrai pour l’Église adventiste au sein du protestantisme. Si la « façon d’agir en communauté » caractérise une religion – cette expression désigne son fonctionnement et sa légitimation institutionnels –, dans le cas de cette Église, le mode est interactif331. Et parce qu’il l’est, il infléchit aussi l’identité religieuse de ceux qui participent à la communauté. Pour mieux saisir cet aspect, il faut dégager les logiques de son fonctionnement. Non seulement pour repérer dans son histoire le souffle qui a présidé à sa naissance, à sa façon de faire face aux événements qui marquent son développement et son expansion – c’est l’objet de ce chapitre –, mais aussi pour mettre en évidence le modèle sociologique dont elle se rapproche et que nous étudions au chapitre 5.
330
WILLAIME, Jean-Paul, Sociologie du protestantisme (Que sais-je ? 3725), Paris, Presses Universitaires de France, 2005, p. 31. 331 Dans le sens qu’elle fonctionne selon un mode conversationnel, c’est-à-dire que ses membres peuvent intervenir par le dialogue et le débat dans l’évolution de sa théologie et de ses doctrines, comme nous l’avons vu au chapitre précédent et dans son fonctionnement et ses activités, comme nous le voyons dans ce chapitre.
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Nous suivrons ici le tracé historique de sa naissance en tant qu’Église distincte dans le monde protestant, avec ses propres logiques et ses spécificités, depuis ses débuts au milieu du 19e siècle jusqu’aux dernières phases de la formation de ses structures, au début du 20e siècle, en passant par les premiers temps de son implantation en Suisse et en France. Durant ce parcours, nous nous arrêterons aussi sur les contextes socioreligieux de ces deux pays à la fin du 19e siècle, au moment où elle apparaît en Europe. Les trois premières décennies de son histoire s’avèrent intéressantes. Elles ont été décisives. Tant du point de vue de la construction de son organisation que de son devenir. C’est la période du passage de la situation, à la fin du mois d’octobre 1844, de petits groupes isolés, sans liens fonctionnels, dispersés dans le nord-est des États-Unis, à la manifestation en Europe, en 1874, d’une Église dotée d’une structure, ayant progressivement pris conscience d’une mission dont elle se sent redevable envers ses fidèles et envers la société. Au fil du temps, elle a traversé des crises de réadaptation pour faire face au défi des nouveaux horizons qui s’ouvraient devant elle. On remarquera ici que ce sont les situations dans ses milieux, autant que des événements extérieurs qui ont poussé les adventistes vers une vision de plus en plus large de la raison d’être de leur Église. Il faut pourtant se garder de reléguer au second plan le fait que c’est leur esprit de recherche autour du document biblique qui a alimenté en premier leur conception eschatologique332 du salut, dont le Christ est l’alpha et l’oméga, 332
Eschatologie : « 1. Discours sur les choses dernières (du grec. eσχατα : ‘choses dernières’, λογος : ‘discours’). Il s’insère dans un langage qui parle de fin du monde, et donc des derniers temps, des derniers jours, du dernier Jour, de la dernière heure, du dernier moment. […] 2. Pour le chrétien que la fin des siècles a rejoint, les derniers temps désignent la période qui s’écoule entre la venue de Jésus et son retour à la parousie. La situation temporelle du croyant peut et doit donc être qualifiée d’eschatologique (je souligne) », in : LEON-DUFOUR, Xavier, Dictionnaire du Nouveau Testament, Paris, Seuil, 1975, p. 237. Aujourd’hui, après plusieurs évolutions (voir le chapitre 2), la théologie de l’Église adventiste cherche à dégager des enseignements bibliques une vision aussi juste que possible de l’incarnation. Elle doit permettre « […] d’appréhender de manière cohérente le développement eschatologique de l’Ancien et du Nouveau Testament. Le Nouveau Testament fait suite à l’Ancien et lui est complémentaire : il n’y a pas de rupture dogmatique. […] Même si l’Occident est fortement influencé par la philosophie grecque (anthropologie], l’eschatologie adventiste s’est toujours gardée de l’influence d’une quelconque philosophie dualiste qui compromettait l’unité de pensée du texte inspiré. Ce type d’eschatologie se caractérise par l’enseignement de l’immortalité conditionnelle, de l’inconscience des morts et de la résurrection des corps. L’eschatologie adventiste est une eschatologie chronologique. Les événements de l’humanité se déroulent au cours du temps et l’eschatologie dit la fin de l’histoire du salut (Dn 8. 38-44). Il n’est pas possible de faire l’économie du temps. L’individu s’inscrit dans le temps : il naît, il vit, il meurt. Il se situe dans l’espace et le temps. Il est entouré de choses qui marquent sa vie. Son existence est faite de repères qui jalonnent son chemin. La notion de temps est donc capitale. », MEYER, Roland, La réconciliation et la Croix. Introduction et points forts, Collonges sous Salève, France, Faculté adventiste de théologie, 2007-2008 (Polycopié, extrait du cours de sotériologie, p. 7). En ce qui concerne la lecture des dimensions prophétiques du plan du salut dans la théologie adventiste, « […] il devient donc difficile, voire impossible, de suivre une autre voie que celle d’interprétation historiciste », Ibid. Ajoutons encore que dans cette
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le centre et le ‘signe ’ final. Dans cette perspective théologique, les événements, avec leur apparition et leurs défis, n’ont pas seulement entretenu la dynamique de l’Église en tant qu’organisation, ils ont aussi contribué à faire évoluer son identité religieuse. Par certains aspects, cette identité se situe encore aujourd’hui dans le prolongement de celle des premiers temps son histoire ; par d’autres, dans la différence. C’est dans la réflexion et l’étude, mais aussi face aussi à des réalités devenues assez significatives sur le plan de l’eschatologie biblique pour s’imposer, que la pensée et la théologie adventiste se réorientent et acquièrent de nouvelles perceptions des choses et de nouvelles manières de comprendre les textes bibliques fondateurs333. Deux aspects d’un changement important de la vision adventiste des choses caractérisent la période de 1844 à 1874 : le fait d’avoir admis de s’organiser, ce qui n’allait pas de soi, et l’élargissement de leur concept théologique de la mission, lié aux premiers moments de l’implantation de leur Église en Suisse et en France. 3.1.- De la dispersion à la première organisation (1844-1863) 3.1.1. - Le besoin de s’organiser D’après les sources334, ce serait une des principales publications millérites, The Advent Herald, qui aurait pour la première fois, en 1845, utilisé l’expression anglaise ‘Seventh-day adventists’ (adventistes du septième jour) pour désigner des groupes dispersés, issus de leurs milieux et qui observent le samedi comme jour de repos religieux335. En 1853, The Advent Review and Sabbath Herald, devenu plus tard l’organe de presse de l’Église née de ces groupes, reproduit dans ses colonnes une correspondance adressée à James lecture, c’est le Christ lui-même qui est l’ έσχατον, au sens où il est ‘l’α et l’ω’, le premier et le dernier (Ap 1,8). « L’eschatologie n’est pas tant l’étude des choses dernières que celle de l’Être dernier. Ce n’est pas tant l’étude des signes de la fin que celle de celui qui se cache derrière les signes qui l’annoncent. […] La vision eschatologique biblique est une vision de libération » (je souligne), Ibid., p. 8. 333 Rappelons, comme nous l’avons souligné dans l’introduction de notre étude, que nous ne concevons pas l’identité religieuse adventiste comme ‘l’essence’ de l’adventisme, mais comme une praxie qui révèle la façon dont les croyants adventistes, dans un temps, des circonstances et une culture donnés, appréhendent l’eschatologie biblique. 334 HALE, Apollos, « Editorial Correspondence », Advent Herald, Boston, September 10, 1845, p. 40 ; « Editorial ‘The Advent Question’ », Advent Herald, Boston, November 27, 1847, p. 133. Voir aussi DAMSTEEGT, P. Gerard, Foundations of the Seventh-day Adventist Message and Mission, Michigan, Grand Rapids, 1977, p. 114, note 78. 335
Cf. DAMSTEEGT, Gerard, op. cit., p. 114.
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White par J.C. Rogers, Secrétaire de la ‘Seventh-day Baptist Central Association in Scott’. J.C. Rogers se réfère à une résolution de cette Association. Elle lui demande de se mettre en relation avec ‘The Seventh-day Adventist people’ (les adventistes du septième jour)336. À ce moment-là, plusieurs noms sont utilisés pour les désigner, tant parmi les millérites qu’ailleurs. On les appelle ‘Sabbathkeeping Advent Believers’, ‘Sabbathkeeping Adventists’, ‘Seven-day Brethren’, ‘Advent Sabbath-keepers’, ‘Church of God’, ‘Seven Day Evangelists’, ‘Sabbathkeeping Remnant Church’; ou encore, ‘Shut-door Seventh-day Sabbath’, par allusion à leur doctrine de la ‘porte fermée ’ ou ‘Annihilationists’, par rapport à leur position sur l’état des morts. Il semble qu’en 1847, il régnait aussi une certaine confusion parmi les millérites sur les façons de se désigner eux-mêmes. L’éditorial de l’Advent Herald337 du 27 novembre fait mention de groupes qu’il appelle ‘Albany Conference’ Adventists, ‘Hartford Convention’ Adventists, ‘Anti-Conference Adventists’, ‘Seventh-day’, ‘First-day’, ‘Every-day Adventists’, ‘Feetwashers’, ‘Disciples’, ‘The Remnant’, etc.338 C’est à ce moment-là que le besoin de s’organiser s’est fait sentir parmi les adventistes. Toutefois, avant de s’engager dans cette direction, il fallait dépasser les obstacles bien ancrés dans les esprits de certains, non des moins influents. Ils héritaient leur opposition de leurs racines religieuses, la ‘Christian Connection’ et le restaurationisme. Nous l’avons vu au chapitre précédent. Les situations vécues en 1843 et 1844, en même temps que la détérioration de leurs relations avec les Églises établies, avaient fortement contribué à discréditer à leurs yeux toute forme d’autorité religieuse, au point de les identifier avec la ‘Babylone’ symbolique de la Bible339. Dans ce contexte, beaucoup ont radicalisé leur conception d’une ‘liberté chrétienne’ : elle doit échapper à tout contrôle religieux. Avec beaucoup de réserves, si ce n’est même une franche opposition, les premiers ‘adventistes du septième jour’ pensaient que s’organiser n’a aucun intérêt. Leur préoccupation concernait avant tout leur ‘préparation’ personnelle, dans une ambiance de l’imminence du retour du Christ. Cependant, à mesure que le temps s’est écoulé, même les plus convaincus ont adopté des positions réalistes. Parmi les premiers, James White et Ellen G. White, désireux de partager leurs réflexions, ont rassemblé quelques-uns de leurs articles publiés antérieurement sous la forme d’un opuscule, A Word to a Little Flock340. Plusieurs groupes ont alors commencé à se rapprocher les uns des autres. Dès le 336
Cf. « Resolution of the Seventh-day Baptist Central Association », Advent Review and Sabbath Herald, Rochester, vol. 4 (7), August 11, 1853, p. 52. 337 « Editorial ‘The Advent Question’ », Advent Herald, Boston, Nov 27, 1847, p. 133. 338 Cf. WHEELER, Gerald, James White. Innovator and Overcomer, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 2003, p. 131 ; DAMSTEEGT, Gerard, op. cit., p. 114, pp. 254255. 339 Cf. WHEELER, Gerald, op. cit., pp. 114-116. 340 Editée en 1846. Une deuxième édition est parue en 1857, cf. id., p. 50, 116.
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printemps 1848, des débats ont été organisés autour de sujets qui touchaient directement à leurs convictions religieuses, assez différentes les unes des autres, selon leurs origines religieuses. Progressivement, les positions se sont rejointes. Ce rapprochement apparaissait au travers du partage de croyances qui devenaient de plus en plus communes. Les mêmes sources indiquent que James White a joué un rôle moteur dans cette évolution, encourageant constamment les participants à réviser leurs conclusions théologiques à partir d’études plus approfondies des sources bibliques dont ils disposaient, avec les moyens qu’ils avaient. D’un autre côté, l’évolution de la situation à partir de 1850 les a poussés à abandonner leurs résistances. Le nombre croissant de croyants dans leurs rangs exigeait d’autres moyens. Les estimations fournissent le chiffre de 2000 adventistes ‘sabbatistes’ en Nouvelle-Angleterre en 1852. Il leur fallait trouver des moyens financiers plus importants face aux dépenses qui s’imposaient, structurer la diffusion de leurs publications, ouvrir plus largement la participation aux débats, définir des responsabilités, soutenir ceux qui consacraient leur temps au ministère pastoral, souvent sans ressources stables. Qui fait quoi ? Qui doit prendre l’initiative ? Quand ? Comment ? En certains endroits, le fanatisme avait gagné des groupes entiers, des idées sans fondements bibliques se répandaient, des prédicateurs s’autoproclamaient et parlaient au nom des autres. Ils cherchaient à s’imposer. James et Ellen White font état dans les colonnes de l’Advent Review341 qu’ils ont dû faire face à ces situations au cours de leurs visites. En même temps, des embryons d’organisations locales apparaissaient. Les membres cherchaient à se protéger des amalgames, des confusions et des divisions. Un fait significatif révèle que le problème était déjà important en 1853, lorsque James White et Joseph Bates décidèrent de signer ensemble une lettre recommandant342 John N. Loughborough343 auprès des communautés adventistes qu’il s’apprêtait à visiter.
341
The Advent Review and Sabbath Herald parut sous ce titre à partir du 5 août 1851. Apparemment, il semble que ses éditeurs, James White en premier, ont considéré cette revue comme la succession de deux autres, The Present Thruth et The Advent Review, qui avaient été éditées à compte d’auteur par James White entre mai 1850 et novembre 1850. Ce titre, un peu long, a été utilisé jusqu’en mai 1961, date à laquelle il a été contracté en Review and Herald. Depuis le premier numéro de l’année 1978, son titre est devenu Adventist Review. En fait, au travers de son histoire, les références mentionnent simplement la Review, ou, en abréviation, R.H., cf. « Adventist Review », in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 19962, pp. 25-29. 342 Avant l’organisation officielle de l’Eglise adventiste, des ‘lettres de recommandation’, signées par ‘les frères dirigeants’, ont été remises aux pasteurs adventistes itinérants. L’assemblée constituante de la première fédération, celle du Michigan, a établi en octobre 1861 que des ‘lettres de créances’ annuelles, signées par le président et le secrétaire de la Fédération devaient être délivrées dorénavant aux pasteurs consacrés. A partir de 1883, une distinction a été faite entre ‘créance de pasteur consacré’ et ‘licence d’assistant pastoral’ (appellations actuellement utilisées
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En octobre 1861, l’utilité d’une organisation s’imposa pour faire face aux nouveaux développements. Les représentants des diverses communautés adventistes dans l’État du Michigan étaient réunis à Battle Creek. Ils s’étaient fixé pour tâche de discuter de la propriété morale de la Maison d’édition. Fondée dans cette ville en 1855 grâce aux dons généreux de plusieurs, la propriété légale de l’établissement revenait à ceux qui y travaillaient344. Comment créer des liens légaux entre cette institution et les communautés qui participent à son financement ? Qu’en était-il de leur pouvoir de décision au moment du choix de ses dirigeants et de l’engagement du personnel ? Des questions semblables se posaient à propos d’autres biens immobiliers consacrés aux activités religieuses, bien qu’encore peu nombreux. Certains de ces biens relevaient de la propriété d’une personne. Quelques mois auparavant, John N. Loughborough avait lancé un appel . Il réclamait de veiller mieux aux intérêts matériels du mouvement naissant. En avril 1861, une commission de 9 pasteurs avait été chargée d’établir un rapport de la situation et de suggérer des solutions. Le document avait été publié le 11 juin dans l’Advent Review. Il incombait maintenant à cette assemblée d’octobre 1861 de prendre le relais. Les débats aboutirent à la création de la première structure organisationnelle de l’Église adventiste, avec un statut fédératif réunissant les communautés adventistes du Michigan qui en exprimeraient le désir. En même temps, les participants insistèrent sur l’idée que s’organiser ne signifie pas adopter un credo. La question avait été débattue et rejetée. Une réticence révélatrice de leur ancrage dans l’héritage de la ‘Christian Connection’ et du restaurationisme345. Une autre question était soumise à leur examen : la manière de désigner leur nouvelle organisation. L’appellation devait refléter son caractère ecclésial. Elle en français), cf. The Review and Herald, vol. 60, Battle Creek, Michigan, September 11, 1883, p. 586. 343 John Norton Loughborough (1832-1924), est devenu adventiste à la suite de ses entretiens avec J. Nevins Andrews à Rochester en 1852. Consacré au pastorat en 1854, il a exercé son ministère en Pennsylvanie, dans l’Etat de New York et dans le Middle East. En 1868, il a fondé cinq nouvelles communautés locales adventistes en Californie, secondé par un pasteur canadien, Daniel T. Bourdeau. En 1878, il a été envoyé en Angleterre où il fonda une Eglise adventiste, à Southampton. Avant cela, il avait été le président de la Fédération du Michigan de 1865 à 1868, trésorier de la Conférence générale de 1868 à 1869 et le premier président de la Fédération de Californie de1873 à 1878. Il est l’auteur du premier livre sur l’histoire de l’Eglise adventiste (1892). John N. Loughborough est l’auteur de The Church, Its Organization, Order, and Discipline (1907), un guide pour l’organisation des églises adventistes locales en usage aux EtatsUnis durant plusieurs années, cf. « Loughborough, John Norton », in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, p. 960. 344 L’Association gérant cette maison d’édition et son comité directeur ont été légalement enregistrés à Battle Creek, en tant que personne morale, le 23 mai 1861. 345 Cf. WHEELER, Gerald, op. cit., pp. 134-139.
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devait mettre un terme aux amalgames et aux confusions. Elle devait la distinguer d’autres groupes, issus des milieux millérites avec des pratiques et des croyances des plus bizarres346. James White, John Byington (qui deviendra en 1863 le premier président de la ‘General Conference’347), Joseph Frisbie348 et des membres du comité directeur de la Maison d’édition, avaient proposé le nom ‘Church of God’ (Église de Dieu). Cette dénomination leur paraissait scripturaire349 et appropriée pour s’identifier au sein du protestantisme américain. Proposée en mai 1860, cette suggestion n’a pas recueilli de consensus. Peut-être était-ce parce que cet intitulé était déjà en usage pour désigner, de façon formelle, d’autres groupes protestants. Plusieurs pensaient qu’il paraîtrait présomptueux pour les autres chrétiens et pour l’opinion publique. La transcription des débats dans l’édition du 8 octobre 1861 de l’Advent Review and Sabbath Herald montre que c’est James White qui a proposé la dénomination plus précise et plus significative que l’assemblée a retenue : « […] cette assemblée recommande la constitution suivante de l’Église : Nous, soussignés, par les présentes, nous associant entre nous en une Église prenant le nom ‘Adventiste du septième jour’, convenons de garder les commandements de Dieu et la foi de Jésus Christ »350. Enfin, les débats se sont aussi centrés sur la question de l’autorité et de la légitimité des dirigeants. En même temps qu’ils ont souligné les responsabilités et l’autorité qui reposent sur leurs épaules, les délégués ont néanmoins insisté sur l’idée qu’aucune hiérarchie sacramentelle ne peut s’établir. Tous les membres sont appelés à la même mission, aussi bien les pasteurs, que les dirigeants et les membres des églises locales. En résumé, le principe du sacerdoce universel. 346
WHITE, Ellen G., Messages choisis, vol. 2, Mountain View, California, Pacific Press Publishing Association, 1971, pp. 14, 16-18, 21, 23, 29, 35-43, 46-54, 65, 73-75, 82-86, 96, 105, 108, 257, 368, 369, 378, 399. 347 James White, mari d’Ellen Gould White, qui a été proposé à cette fonction en 1861, l’a aussi refusée en 1863, arguant du fait qu’ayant été un acteur de premier plan en faveur d’une organisation, et sans doute aussi en raison de l’influence de son épouse, il ne voulait pas laisser penser qu’ils auraient agi par intérêt personnel, tentés par une forme de pouvoir. Cf. KNIGHT, George R., A Brief History of Seventh-day Adventists, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1999, p. 64 ; cf. WHEELER, Gerald, op. cit. p. 139. Il a accepté de prendre ces fonctions en 1865, sous la demande pressante des délégués. Il a été élu plusieurs fois comme président de la Conférence générale, de 1865 à 1867, puis, de 1869 à 1871 et de 1874 à 1880 ; en tout, il occupera cette fonction durant 10 années. 348 Joseph Birchard Frisbie, ancien pasteur méthodiste, avait fondé sur sa propriété la première église adventiste à Battle Creek. 349 En référence au livre des Actes des Apôtres (20,28). 350 ‘’Resolved, That this Conference recommend the following church covenant : We, the undersigned, hereby associate ourselves together, as a church, taking the name, Seventh-day Adventists, covenanting to keep the commandments of God, and the faith of Jesus Christ. ‘’ in, Doings of the Battle Creek Conference, Oct. 5 & 6, 1861’’, Advent Review and Sabbath Herald, vol. 18, Battle Creek, Michigan, October 8, 1861, p. 148 (trad. MV).
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3.1.2. - Les premières structures officielles La « Fédération des adventistes du Michigan »351 était née. Sa structure était simple : un président, un secrétaire et un comité permanent de trois membres. Des assemblées annuelles doivent rassembler les délégués des églises dans cet État, y compris les pasteurs accrédités. Son bureau est chargé de leur délivrer des lettres de créance, de gérer leurs activités, de les appointer et d’étudier une procédure type pour l’organisation des églises locales et d’harmoniser celles qui s’étaient déjà constituées en certains endroits352. Dès 1862, de nouvelles fédérations se sont constituées sur le même modèle dans le sud de l'Iowa, le nord de l'Iowa, dans le Vermont, l’Illinois, le Wisconsin, le Minnesota et l’État de New York. Pour autant, l’opposition à toute forme d’organisation n’a pas cessé de se faire sentir. Certains n’abandonnaient pas la conception de la liberté chrétienne héritée de leur passé restaurationiste. Ils ne concevaient l’exercice du culte et les rencontres que sur des bases informelles, dans la totale indépendance des communautés locales entre elles. Ce contexte explique sans doute la force de certaines déclarations qu’on trouve dans quelques textes officiels de l’Église de l’époque, mettant l’accent sur la nécessité d’admettre, sous la forme d’un contrat moral et consensuel, l’autorité des nouvelles structures en matière de fonctionnement administratif et ecclésial. À part les communautés adventistes de l’État du Vermont, celles de la Nouvelle-Angleterre résistèrent un temps à cette reconnaissance. Néanmoins, elle se généralisa progressivement. En 1870, les dernières réticences avaient pratiquement disparues353. Parvenus à ce stade de l’évolution, de nombreux problèmes restaient sans solutions. Comment gérer les pasteurs qui étaient amenés à exercer leur ministère au-delà du territoire administratif d’une fédération ? Comment assurer la solidarité et l’unité entre les églises au-delà de ces limites ? Comment soutenir et harmoniser les développements dans d’autres régions des ÉtatsUnis ? J.H. Waggoner, J.N. Andrews, B.F. Snook et J. White en discutaient dans les colonnes de l’Advent Review. Un constat s’imposait. Les responsables d’une jeune Église dont beaucoup de membres étaient très ancrés dans la revendication de leur indépendance d’esprit ne pouvaient avancer qu’avec beaucoup de prudence. En 1862, l’année de la première session annuelle de la Fédération du Michigan, différentes procédures ont été envisagées pour les résoudre. Celle qui a recueilli la plus large adhésion consistait à inviter les autres fédérations à la rencontrer en 1863 sous la forme d’une assemblée générale élargie. Ce qui fut fait du 20 au 23 mai 1863. Une vingtaine de 351
« Resolved, that we recommend to the churches in the State of Michigan to unite in one Conference with the name of The Michigan Conference of Seventh-day Adventists », Ibid. 352 IBIDEM. 353
Cf. WHEELER, Gerald, op. cit., p. 136.
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délégués réunis ont choisi d’établir un nouvel échelon dans la structure : « Dans le but de préserver l’unité et le bon fonctionnement, de promouvoir les intérêts généraux pour la cause de la vérité présente, et parfaire l’organisation des adventistes du septième jour, nous, délégués provenant de plusieurs Fédérations dans les États, par les présentes nous procédons à l’organisation d’une Conférence générale et adoptons les statuts suivants pour la gérer : Article 1. Cette Conférence se dénommera ‘Conférence générale des adventistes du septième jour’ […] »354. Sa structure est aussi simple que celle des fédérations. Elle est dirigée par un président, un secrétaire, un trésorier et un comité exécutif. La nouvelle structure étendait le territoire de l’Église adventiste du nord-est des États-Unis, depuis l’Océan Atlantique, jusqu’à l’État de l'Iowa. À cette date, elle enregistrait quelque 3500 membres, répartis dans 6 fédérations, et elle employait environ 30 pasteurs355. 3.2.- Le concept théologique de la mission (1844-1874) Les années de 1844 à 1870 témoignent d’un changement dans le concept théologique de la mission de l’Église adventiste. Son extension au-delà des frontières des États-Unis lui a imposé de revoir sa théorie de la ‘porte fermée’356 et d’intégrer de nouvelles réalités dans sa vision des choses. C’est la période de la transition entre un intérêt uniquement fixé sur l’imminence du retour du Christ et la conscience nouvelle d’une responsabilité globale envers les hommes et envers la société. Dès 1845, Ellen G. White a cherché à détourner de leurs calculs ceux qui s’attachaient encore à des supputations de temps et à la fixation de nouvelles dates pour le retour du Christ. James White, Joseph Bates, et d'autres s’y étaient laissé prendre un temps. Changeant de position, Ellen White affirme maintenant que du temps peut s’écouler avant cet événement. George Knight observe que l’insistance avec laquelle elle attiré l’attention sur les besoins immédiats de la 354
‘’For the purpose of securing unity and efficiency in labor, and promoting the general interest of the cause of the present truth, and of perfecting the organization of the Seventh-day Adventists, we, the delegates from several State Conferences, hereby proceed to organize a General Conference, and adopt the following constitution for the government thereof : Article I. This Conference shall be called the General Conference of Seventh-day Adventists […]’’ (trad. MV), « Report of General Conference of Seventh-day Adventists, Constitution of General Conference, May 20, 1863 », Advent Review and Herald Sabbath, vol. 21, Battle Creek, Michigan, May 26, 1863, pp. 204-205. 355 Cf. WHEELER, Gerald, op. cit., p. 139. Cf. aussi, « Growth of the Seventh Day Adventist Church by Decades, 1863-1992 », Seventh day Adventist Encyclopedia, vol. 11, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, p. 104. 356 Voir, chapitre 2; Cf. DAMSTEEGT, P. Gerard, op. cit., pp. 103-163.
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société a fourni « [...] une base rationnelle à la création d’institutions qui allaient ouvrir à l’adventisme des chemins nouveaux vers le monde entier »357. Toutefois fallait-il pour traduire cette idée dans la pratique que plusieurs se détachent de leur théorie de ‘la porte fermée ’ et que son invitation prenne un sens pour eux. Hostiles dans un premier temps à l’idée de s’organiser, ils l’étaient maintenant à la pensée d’élargir leur horizon, se limitant à n’enseigner leurs conceptions doctrinales qu’à ceux qui ont vécu les événements de 1844. Ce n’est que lentement, sous la pression accrue de l’intérêt provenant du dehors, que leur concept de la mission évangélique s’est modifié. De 1850 à 1852, de plus en plus de témoignages font état de personnes qui les rejoignent sans avoir eu connaissance de ce qui s’était passé en 1844. La force de l’évidence a fini par opérer un glissement de l’emphase mise dans leur théologie sur ‘la fin du temps de la grâce divine’ (la ‘porte fermée’ de la parabole) vers la signification à donner à ces demandes et à l’ouverture d’horizons nouveaux au-delà des États-Unis. Ce serait une erreur de penser que tous les adventistes ont longtemps partagé l’idée de la ‘porte fermée’. Plus réceptifs à ce qui se passait, James White, Ellen G. White, Owen R.L. Crosier, et d’autres, l'ont assez vite abandonnée. Dans leurs déclarations et leurs écrits, ils affirment assez tôt que l’ère évangélique n’a pas touché à sa fin. James White écrit en 1852 dans la Review and Herald : « Nous enseignons que la ‘porte est ouverte’. Nous invitons ceux qui ont des oreilles pour entendre à venir pour trouver le salut en Jésus-Christ. Il y a quelque chose de particulièrement glorieux, en découvrant que Jésus a ouvert une porte vers les lieux les plus saints. […] Si on dit que nous sommes ceux de ‘la porte ouverte’ […], nous ne l’objectons pas, car c’est là notre conviction »358. En 1853, Ellen G. White déclare à son tour, mais d’une manière plus incisive, que le mandat de l’Église adventiste s’étend au monde entier. Cependant, même si le concept de la ‘porte fermée ’ a continué à sous-tendre les débats, provoquant de fortes tensions, de 1850 à 1870, la théologie de l’Église adventiste reflète l’expérience vécue avec l’arrivée des immigrés aux États-Unis. Gerard Damsteegt note que, d’après des sources, de 1856 à 1868 apparaissent des publications qui leur sont destinées, rédigées en allemand, en français, en néerlandais et en suédois. En 1858, James White rapporte que, parmi eux, des ‘adventistes du septième jour ’ en demandent pour les envoyer à leurs parents et leurs connaissances aux États-Unis et en Europe. Il semble que les premières tentatives pour contacter les Indiens d’Amérique se situent aux alentours de 1857. En 1859, un Irlandais du nom de S.E. Armstrong serait le premier des Européens à avoir adhéré à la foi adventiste dans son pays. Un écrit d’un pasteur baptiste canadien témoigne que, la même année, il a encouragé 357
KNIGHT, George, op. cit., p. 83 (trad. MV). WHITE, James, « Éditorial », Review and Herald, vol. 2, Sarotoga Springs, New York, February 17, 1852, p. 95 (trad. MV).
358
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quelques personnes en France à relayer cet enseignement parmi leurs connaissances. En 1859 encore, un immigrant norvégien, devenu adventiste aux États-Unis, raconte qu’il a entendu prêcher leurs doctrines en Norvège en 1848359. Cependant, la période de 1860 à 1870 témoigne encore des fortes restrictions mentales parmi ceux qui continuaient à défendre le concept de la ‘porte fermée’. Ils maintenaient que le temps de grâce est achevé. Certains pensaient que le temps qui s’écoule encore est une mise à l’épreuve des ‘enfants de Dieu’. C’est « un temps prophétique », au cours duquel se déployait encore le « mystère de Dieu » (Ap 10,6), c’est-à-dire la proclamation de l’Évangile, l’annonce de la « vérité » avant la fin du monde (Mt 24.14). Néanmoins, pour ces derniers, il ne s’agissait pas de prêcher leur message aux habitants du monde entier, mais seulement à ceux qui résident aux États-Unis. La diversité d’origines des habitants était considérée comme la représentation symbolique le monde. C’est ainsi qu’Uriah Smith l’a compris : « Nous n’avons aucune indication qui permet de croire que le troisième message (message du troisième ange (Ap 14), note de l’auteur) doit être prêché dans un autre pays que le nôtre […] puisque notre pays est composé de personnes venant de presque toutes les nations »360. Ce n’est qu’en 1874, dépassant les obstacles de leur vision théologique des choses, que les dirigeants ont envoyé officiellement le premier de pasteur adventiste américain à l’étranger, en Suisse. Vingt années après les premiers conseils de James White et d’Ellen White. Des dizaines d’années après l’abandon définitif de la théorie de la ‘porte fermée’, les conceptions de certains adventistes en portent encore aujourd’hui les traces. Elles se révèlent dans leurs tendances à se livrer à de nouvelles supputations sur la fin ‘du temps de grâce’. Leurs discours, et parfois même leurs écrits, suscitent des tensions au sein de communautés locales, autant que de l’incompréhension, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église. 3.3.- Les premiers pas de l’Église adventiste du septième jour en Suisse et en France En développant leurs premières activités en Suisse et en France, vers la fin du 19e siècle, les adventistes ont dû faire face à un contexte socioreligieux et 359
Cf. DAMSTEEGT., Gerard, op. cit., pp. 281-282. Advent Review and Herald Sabbath, Battle Creek, Michigan, February 3, 1859, p. 87. Cité par SPALDING, Arthur W., Origin and History of Seventh-day Adventists, Washington, D.C., vol. 3, Review and Herald Publishing Association, 1962, p. 93 (trad. MV) ; cf. OOSTERWAL, Gottfried, Mission possible. The Challenge of Mission Today, Nashville, Southern Publishing Association, 1972, p. 25 ; MARTIN, Jean-Michel, Les origines et l’implantation du mouvement adventiste du septième jour en France, 1876-1925, thèse de doctorat, Faculté de théologie protestante de Montpellier, 1980, p. 54. 360
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théologique qui ne leur a pas toujours été favorable. Un rapide coup d’œil sur les évolutions au sein des sociétés de ces deux pays, particulièrement sur la pensée religieuse au tournant des 19e et 20e siècles, permet d’entrevoir les difficultés et le genre de courants auxquels ils ont a été confronté. 3.3.1.- La situation générale Aux 19e et 20e siècles, les mentalités et les cultures suisses et françaises ont été travaillées par de forts courants, dont on pourrait, d’une manière simplifiée, distinguer trois principaux acteurs symboliques : 1. Le progrès scientifique : les avancées des sciences ont contribué aux révolutions industrielles. Elles ont ouvert la voie aux avancées de la médecine qui a favorisé l’accroissement des niveaux de vie et soutenu les poussées démographiques. Mais, dans le même temps, elles ont créé une nouvelle image de l’homme, maître de la terre. 2. Les transformations du tissu social et les changements de mentalité dans les rapports entre la société et les Églises : l’industrialisation a progressivement modifié le tissu social des grandes villes, incitant les populations à passer des villages et des campagnes vers les villes. Se combinant à ces mouvements et à l’amélioration des moyens de communication, le développement de la presse, avec une plus large et plus rapide propagation de la pensée littéraire, philosophique, historique, a alimenté un esprit critique nouveau et un changement de mentalité dans les rapports entre la société et les Églises 3. La crise moderniste naissante qui a atteint la pensée religieuse : avec l’affirmation de nouvelles méthodes de recherche, particulièrement dans l’étude des sources, la prédominance de la raison a provoqué une crise de la pensée religieuse qui a progressivement déconstruit, au 19e et au 20e siècle, les croyances héritées du judéo-christianisme. C’est la période de la critique historique et exégétique qui cherche une explication rationnelle à la foi chrétienne en se dégageant de la doctrine d’une transcendance divine dans la rédaction des écrits bibliques. Ce qui a conduit à la levée du fondamentalisme protestant aux États-Unis et à vouloir expurger dans le croire chrétien les apports de siècles de contrôle par l’Église. Tout cela n’a pas été sans entraîner des conséquences pour la stabilité de la foi, ni sans provoquer des turbulences, surtout parmi les élites intellectuelles chrétiennes. Plus que durant les siècles antérieurs, le 19e siècle voit se développer dans toutes les couches de la société un scepticisme et un
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athéisme, qui a eu, pour corollaire, la transformation des mentalités traditionnelles et le changement de considération pour le religieux et les Églises. C’est la période de la remise en question des ‘prescrits ’ de la foi. Elle signe déjà l’entrée progressive du 19e siècle dans la modernité. Remises en question qui se feront avec une force plus grande encore au 20e siècle. La croyance devient de plus en plus une affaire de conscience privée, une aventure intérieure confrontée aux interrogations qui naissent des bouleversements de la société. Les Églises n’ont pas échappé à ces turbulences. Deux figures361, parmi les plus connues, ont joué par leurs écrits un rôle déclencheur dans la crise religieuse et de la théologie qui dominera ces deux siècles : Ernest Renan362, avec sa Vie de Jésus (1863) et Alfred Loisy363. A chaque étape de l’histoire des commencements de l’Église adventiste en Suisse et en France, nous nous arrêterons en premier lieu sur les traits spécifiques des situations sociopolitiques dans ces pays.
361
Voir aussi : BLASER, Klauspeter, La théologie au XXe siècle. Histoire-défis-enjeux, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1995, pp. 354-355 ; POULAT, Emile, La question religieuse et ses turbulences au 20e siècle, Paris, Berg international, 2005, pp. 61-85. 362 GAULNIER, Jean, « Renan, Ernest (1823-1892) », in : Encyclopaedia Universalis, Paris 2003 (Cdrom n°8) : « [...], pendant quarante ans [...] Renan est resté fidèle à ses options initiales. [...]. Ce sont toujours les mêmes traits qu’il révèle : négation du surnaturel ; confiance en la Nature dont les lois n’ont jamais subi d’infraction ; affirmation de la primauté de l’esprit et du progrès de la raison, continu, malgré de passagers échecs ; foi en l’homme». Ernest Renan a soulevé la polémique dès sa leçon inaugurale au Collège de France, le 22 février 1862. Il y parlait de Jésus comme un simple homme, mais incomparable. Sa Vie de Jésus, parue en 1863, heurta l’opinion conservatrice, mais eut un succès retentissant. S’attachant à replacer Jésus dans son cadre historique, il rejetait en même temps toute la construction de la foi chrétienne autour de sa personne. C’est dans le même esprit qu’il a ensuite raconté l’histoire du christianisme en six volumes, depuis Les Apôtres (1866) jusqu’à Marc-Aurèle (1881). Cinq autres volumes ont été consacrés à L’Histoire du peuple d’Israël (1887-1893). C’est une œuvre d’historien, non de théologien. 363 GOICHOT, Emile, ‘Loisy Alfred (1857-1940) ’, in : Encyclopaedia Universalis, Paris 2003 (Cdrom n°8) : ‘[...] c’était un exégète, aux positions singulièrement critiques ; (un) protagoniste de la crise moderniste [...]. Loisy a voulu proposer une philosophie religieuse, ou si l’on préfère, une lecture religieuse de l’histoire, dont les thèmes, largement ébauchés pendant la période où il appartenait à l’Église, se sont précisés et, en quelque sorte, décantés au cours de la trentaine d’années (1908-1940) de travail solitaire, phase sans doute la plus féconde de sa longue et laborieuse existence ’ (souligné dans le texte).
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3.3.2.- L’implantation en Suisse Le contexte socio-politique et religieux Du point de vue de la société, la Suisse a connu jusqu’au 19e siècle une situation relativement stable. Elle a abordé le 19e siècle avec les héritages du 18e siècle et une population consacrée à 90 % aux activités agricoles. Pourcentage qui se maintiendra encore durant une partie du 19e siècle, malgré les mutations économiques et les nouveaux modes de production qui s’étaient mis en place au siècle précédent (par exemple, privatisation des alpages, auparavant exploités en commun, nouveaux fourrages, changements des produits cultivés). Les paysans en premier profitent de ces transformations. L’industrie textile produit surtout à domicile, tandis que l’industrie horlogère se développe en Suisse romande et dans le Jura. Dans les villes, l’ancien système maintient des corporations qui dominent l’artisanat et freinent la progression des avancées vers la modernisation364. Nous ne remonterons pas l’histoire religieuse de la Suisse jusqu’au 16e siècle. Sinon pour remarquer que durant les siècles qui le séparent du 19e, ce sont les Églises et les institutions ecclésiastiques qui ont joué des rôles suffisamment importants dans les affaires publiques pour faire aboutir la Suisse à la situation religieuse que l’on trouve dans la seconde moitié du 19e siècle. Roland Campiche souligne que c’est le fédéralisme qui a été « un facteur explicatif du rôle de la religion en Suisse (au niveau du jeu complexe du pouvoir) bien avant les bouleversements sociaux et politiques du 19e et du 20e siècle »365. D’autres auteurs ont aussi souligné que le principe de cette configuration politique a constitué, et constitue encore en Suisse, le caractère social et politique le plus évident pour analyser son histoire religieuse. Le choix du mode fédératif a donné de la continuité à un bi-confessionnalisme protestant et catholique dans les 22 cantons qui vont se joindre au fil du temps et constituer la Confédération helvétique. Il lui a fourni le cadre institutionnel nécessaire366. Ce régime politique s’est chargé de réguler ce pluralisme religieux, en procédant à des répartitions dans des limites territoriales qui correspondaient à peu de choses près au découpage politique des États cantonaux. Dans le même temps, il a laissé en leur pouvoir les dispositions légales pour établir des accords entre les Églises et l’État, avec comme résultat que les cantons ont pris le contrôle du religieux et établi des monopoles ecclésiastiques. Cette situation a permis aux autorités ecclésiastiques 364
Cf. VISCHER, Lukas, et al., Histoire du christianisme en Suisse. Une perspective œcuménique, Genève, Labor et Fides, 1995, p 172-173. 365 CAMPICHE, Roland, Croire en Suisse(s), Lausanne, L’Âge d’Homme, 1992, p. 21. 366 Cf. IDEM, pp. 21-22.
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catholiques et protestantes de mieux veiller à la « pureté doctrinale » dans leurs juridictions. Ainsi, le fédéralisme a-t-il, avant le 19e siècle, préservé le pays des confrontations religieuses consécutives à la rupture politique de l’unité religieuse, à la suite de la Réforme au 16e siècle. Protestantisme et catholicisme sont devenus des ‘maîtres ’ dans des espaces géographiques. Ce qui les a contenus chacun de leur côté. L’histoire religieuse de la Suisse montre pourtant que cela n’a pas empêché tous les conflits à caractère confessionnel, ni des alliances entre les États cantonaux, au-delà de ces ‘frontières ’ politicoconfessionnelles. C’est au cours du 19e siècle, au sein d’une Europe en pleine mutation, que l’État helvétique a pris sa forme contemporaine. Le ‘Sonderbund ’ (1833), conflit politique et religieux, confrontant les cantons réformés à une alliance des cantons catholiques, a débouché, par delà les enjeux internationaux de ce conflit, à une redistribution des pouvoirs entre l’État central – qui en sortait renforcé –, et les États cantonaux, avec des conséquences dans le domaine religieux. En effet, le rapport du pouvoir central avec celui des cantons les conduisit à inscrire la liberté religieuse dans leurs constitutions. C’était le point de départ d’une remise en question, puis d’une disparition progressive des monopoles religieux en Suisse, avec l’obligation pour les Églises réformées de se réorganiser en Suisse romande. Quant à l’Église catholique, la Confédération s’est octroyé depuis lors un droit de regard dans la création de nouveaux évêchés (Constitution fédérale de 1874), mettant à mal son autonomie. Dès le dernier tiers du 19e siècle, la question de la laïcité de l’État suisse résulte de cette pratique du fédéralisme, pratique politique qui permet encore aujourd’hui de saisir la manière différente dont elle se pose en France. Cependant, les transformations culturelles en Suisse au 19e siècle ne se limitent pas aux questions des rapports de pouvoir entre les États et les Églises, ou dans les relations qu’elles entretenaient entre elles. Le Kulturkampf a aussi provoqué un catholicisme intransigeant sur ses positions et ses coutumes religieuses, opposé aux partisans d’une bourgeoisie radicale, anticléricale, démocratique et libérale. Au cours du 19e siècle, l’Europe protestante a été traversée par des mouvements religieux spontanés désignés sous les appellations ‘Réveil’, ‘Revival’, ‘Awakening’367, en réaction contre le formalisme religieux et le scepticisme qui gagnaient du terrain. Cependant, ces mouvements religieux et les idées nouvelles qui venaient d’Allemagne ou de France n’ont que très peu atteint la masse de la population suisse, rurale et celles des montagnes. Durant 367 Voir chapitre 2, l’étude du millérisme et des commencements de l’adventisme aux États-Unis au milieu du 19e siècle. Cf. note 94.
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la deuxième moitié du 19e siècle, une large partie était encore religieusement très conservatrice et traditionnelle, même s’il faut nuancer le tableau en tenant compte que des changements sociaux liés à la croissance démographique368 et à l’urbanisation rapide369 commençaient à infléchir les mentalités et participaient à l’effritement du ‘contrôle ’ religieux dans les espaces confessionnels devenus traditionnels. Ces aspects sont assez éclairants pour comprendre la relative ‘perméabilité ’ ou la réserve, selon les lieux, que la société suisse a réservé à la prédication des premiers adventistes arrivés sur son sol, d’abord vers 1863, puis en 1874. Les débuts de l’implantation Si, en 1874, la Suisse est le premier pays où la Conférence générale des adventistes du septième jour a officiellement envoyé un pasteur, il faut reconnaître avec plusieurs historiens adventistes qu’elle ne le fit pas de sa propre initiative, mais sous la pression insistante des demandes. Lorsque les dirigeants ont choisi John Andrews, ils déclarent qu’ils ont envoyé «… la personne plus capable dans nos rangs », comme l’écrit Ellen G. White370. Pourtant, bien avant lui, un ex-prêtre catholique polonais, Michaël Belina Czechowski371, avait déjà suscité un intérêt en Europe et baptisé plusieurs personnes en Suisse et en Italie. Czechowski est arrivé aux États-Unis vers 1851 et y est resté jusqu’en 1864. Selon Damsteegt, un courrier abondant de demandes était parvenu à Battle Creek, venant d’Amérique du Nord, d’Afrique, d’Australie et d’Irlande372. 368
En 1850, la Suisse comptait 2.300.000 habitants. Ce nombre était passé à 3.700.000 en 1910. Cf. GILLIARD, Charles, Histoire de la Suisse, Paris, PUF, 19683, revue et augmentée, p. 112. 369 La ville de Montreux est passée de 3.000 habitants en 1850 à 22.000 habitants en 1912, GILLIARD, Charles, op. cit., p. 111. 370 ‘’ We sent you the ablest man in all our ranks », WHITE, Ellen G., « Letter to the ‘Brethren in Switzerland’, August 29, 1878’’, Manuscript 357 (copie de l’original dactylographiée à Berne, le 20 mars 1940), p. 7. 371 Czechowski, Michaël Belina (1818-1876), prêtre catholique polonais formé et ordonné à Cracovie. Il fut obligé de fuir son pays à la suite de ses engagements politiques révolutionnaires. Après de longs périples au travers de l’Europe, il abandonna la prêtrise et se maria. Arrivé aux États-Unis, il fréquenta un temps l’École missionnaire baptiste française, près de Montréal, au Canada. Ensuite, il œuvra comme évangéliste baptiste parmi les populations françaises du territoire américain limitrophe. Il se joignit à l’Église adventiste en 1857 et s’associa à l’activité d’évangélisation de Daniel T. Bourdeau au Canada, au nord-est de l’État de New York et dans l'État du Vermont. Son parcours en Europe, à partir de 1864, l’amené d’Italie du Nord en Suisse, en France, en Allemagne et en Roumanie, où, comme ailleurs, il jeta les fondements des futurs développements de l’Église adventiste du septième jour. Il mourut à Vienne en 1876. ‘Plusieurs bibliothèques aux États-Unis détiennent des documents originaux et sa correspondance avec les dirigeants de la Conférence générale des adventistes du septième jour, y compris avec Ellen G. White. », cf. « Czechowski, Michael Belina », in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, pp. 428-429. 372 Cf. DAMSTEEGT, P. Gerard, op. cit., pp. 286-287.
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L’Europe ne semble pas avoir été en reste373. Il semble que le comité exécutif de la Conférence générale ait eu l’intention à ce moment-là d’envoyer quelqu’un en Europe’374, mais sans suite. Sans doute plus en raison du manque de pasteurs que de moyens financiers. Il a jugé qu’il ne pouvait pas priver les États-Unis de ceux qui y exerçaient leur ministère. C’est sans doute la raison pour laquelle Czechowski se proposa lui-même, en demandant aussi d’être soutenu financièrement. Les dirigeants n’ont pas accédé à son projet. Pourquoi ? On ne le sait pas. Il trouva alors l’appui d’une autre Église aux États-Unis, les ‘Adventistes du premier jour ’. Arrivé en Europe, il a travaillé en leur nom, tout en proclamant en réalité les idées des autres. À leur insu, il écrivit à Albert Vuilleumier en Suisse : « Je suis en parfait accord devant Dieu avec la foi des enfants de Dieu de Battle Creek »375. Czechowski s’est d’abord rendu à Torre Pellice, dans les vallées du Piémont en Italie, Après une année environ passée dans la région et après avoir baptisé six adeptes, il est arrivé en Suisse, accompagné de l’un d’eux, Jean David Geymet qui l’avait efficacement secondé. Il s‘est installé avec sa famille à Grandson, près de Neuchâtel. De là, il se rendait régulièrement à Bâle, à Berne et à Lausanne. Financé par ses mandataires américains, il s’est mis à imprimer un journal. Il a étendu son activité à Fleurier, à La Chaux-de-Fonds, au Locle. En 1867, huit personnes ont été baptisées à Tramelan, petite localité aujourd’hui considérée comme le lieu de la première organisation d’une église adventiste en Suisse. Au cours de la même année, Czechowski s’est rendu à Bâle, à Mulhouse, à Milan, à Turin et à Brescia. Son journal était envoyé en Italie, en Suisse, en France, en Angleterre, en Hollande, en Pologne et en Hongrie376. Bientôt à court d’argent et endetté en raison de ses grands projets, les relations se gâtèrent entre lui et ceux qui l’avaient soutenu. Ils lui reprochaient des emprunts et des dépenses trop lourdes pour leurs moyens. Ils cessèrent de lui envoyer de l’argent quand ils se sont rendu compte que son enseignement doctrinal ne correspondait pas au leur377. La mission de Czechowski en Suisse s’est achevée avec l’année 1868. C’est avec une grande ténacité et beaucoup de courage qu’il a posé les fondements de 373
IBIDEM. ‘’The General Conference Executive Committee may send him [B.F. Snook] a missionary to Europe before the close of 1863’’ in [White, James], God’s Free-men, Battle Creek, Michigan, Advent Review and Sabbath Herald, vol. 22, June 2, 1863, p. 8. 375 VAUCHER, Alfred-Félix, Michaël Belina Czechowski, Collonges-sous-Salève, France, Imprimerie Fidès, 1976, p. 19, cité par MARTIN, Jean-Michel, op. cit. p. 64. 376 Selon les sources, Czechowski parlait couramment sept langues. 377 Cf. VAUCHER, Alfred-Félix, op. cit. ; FREI, Jacques, « Ein ehemaliger Priester verkündigt die Adventbostschaft in Europa », Advent Echo, Gemeindeblatt der Siebenten-Tags-Adventisten, Hamburg (73), 17 février 1974 ; VUILLEUMIER, Jean, ‘Un prêtre polonais passe à l’adventisme », Revue adventiste, Dammarie-les Lys, juin 1973, pp. 9-12 ; GERBER, Robert, Le mouvement adventiste, Dammarie-les-Lys, Les Signes des temps, 1950, pp. 125-126 ; « Czechowski, Michaël Belina (1818-1876) », in : Seventh-day Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, pp. 428-429 ; MARTIN, JeanMichel, op. cit., p. 60- 64 ; DAMSTEEGT, P. Gerard, op. cit., p. 286, note 118. 374
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l’adventisme en Europe. Aujourd’hui, plusieurs historiens adventistes reconnaissent ce que l’Église adventiste lui doit. Pendant longtemps, ce ne fut pas le cas. En particulier de la part de John Andrews, arrivé en Suisse six années plus tard. L’œuvre de Czechowski constitue pourtant bien la première étape de l’implantation de cette Église en Europe, y compris en Roumanie en 1868, après son départ de Suisse. C’est par une lettre d’Albert Vuilleumier au siège de la revue The Adventist Review and Sabbath Herald, à Battle Creek, en 1868, que les dirigeants de la Conférence générale ont appris qu’un groupe d’adventistes était déjà organisé à Tramelan et, qu’entre la Suisse et l’Italie, une cinquantaine d’autres personnes partagent leurs convictions religieuses378. L’année suivante, les adventistes de Suisse ont envoyé aux États-Unis James H. Erzberger, originaire d’Eltisberg, près de Bâle379. Il devait être leur porte-parole à la session annuelle de la Conférence générale, en apportant une demande pressante d’aide d’un pasteur adventiste en Suisse. Erzberger est resté quinze mois aux États-Unis, logé une grande partie du temps chez les White. Il a reçu la consécration pastorale après avoir été instruit de la théologie adventiste, mieux compris les doctrines380 et ce qui s’était déroulé aux États-Unis depuis 1844. James H. Erzberger est revenu en Suisse en 1870. Il y a prolongé le ministère de Czechowski et a été le premier pasteur adventiste non américain officiellement accrédité par l’Église adventiste pour exercer un pastorat en dehors des États-Unis. Avec l’arrivée à Neuchâtel de John Nevins Andrews381 en octobre 1874, on peut écrire que s’est ouverte la deuxième phase de l’histoire de l’Église 378
Sans doute désireux d’organiser en Europe une Église adventiste indépendante de celle des États-Unis, Czechowski avait laissé les adventistes suisses et italiens dans l’ignorance de l’existence d’une Conférence générale des Églises adventistes et d’une maison d’édition à Battle Creek. C’est en découvrant une de leurs publications qu’Albert Vuilleumier est entré en correspondance avec les rédacteurs de la Review and Herald. En mars 1868, Czechowski a quitté la Suisse pour la Roumanie. À partir de là, ses traces sont difficiles à suivre. On sait que sa femme est décédée et a été enterrée en Suisse en 1870, à Saint-Blaise. Quant à lui, il mourut en 1876 à Vienne, à l’âge de 57 ans, surmené et épuisé. Cf. VUILLEUMIER, Albert Fréderic, in : Seventhday Encyclopedia, vol. 11, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, pp. 847-848. 379 Cf. ‘Erzberger, James H. (1843-1920) ’, in : Seventh-day Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, pp. 511-512 ; DAMSTEEGT, P. Gerard, op. cit., pp. 287-288 et note 129 ; GERBER, Robert, op. cit., pp. 126-127 ; MARTIN, Jean-Michel, op. cit., p. 67. 380 Il est intéressant de souligner, comme le relatent plusieurs auteurs adventistes, qu’Erzberger étudiait la théologie depuis 1864 au Séminaire protestant de Crischona, près de Bâle, au moment de se joindre, en 1868, à la communauté adventiste de Tramelan dirigée par Albert Vuilleumier. 381 Cf. ‘’Andrews, John Nevins (1829-1883)’’, in : Seventh-day Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, p. 68-69 ; DAMSTEEGT, P. Gerard, op. cit., p. 291 et note 164 ; SPALDING, Arthur W., Origin and History of Seventh-day Adventists, Washington, D.C., vol. 3, Review and Herald Publishing Association, 1962, p. 93.
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adventiste en Europe. Mandaté par la Conférence générale, John Andrews y a convoqué la première assemblée adventiste européenne le 1er novembre 1874. Elle rassemblait des ‘représentants ’ des groupes d’adventistes de Tramelan, du Locle, de La Chaux-de-Fonds, de Fleurier, de Bienne et de Buckten. Cette rencontre a marqué le tout premier pas officiel de l’extension de l’Église adventiste, en tant qu’organisation, en dehors du territoire américain. En 1875, une autre assemblée, réunie à La Chaux-de-Fonds, invitait les pasteurs John Andrews et James Erzberger à se rendre en Rhénanie-Westphalie. Ils devaient y rencontrer un petit groupe de croyants allemands, observateurs du sabbat, dont ils avaient appris l’existence dans la ville de Solingen. Bien accueillis, les deux pasteurs y sont demeurés cinq semaines. Puis, John Andrews est retourné en Suisse, laissant à Erzberger le soin pastoral de ce groupe et d’autres personnes qui se joignaient à eux, non sans qu’il ne rencontre une certaine méfiance de la part des autres communautés chrétiennes, et quelquefois de l’hostilité382. C’est ce groupe qui a constitué la première église adventiste en Allemagne. Après Neuchâtel, John Andrews s’est installé à Bâle avec son fils et sa fille. Il était veuf depuis 1872. Il a fait ses études au Collège de Poland, dans l’État du Maine. Andrews avait acquis de solides connaissances en latin, en grec et en hébreu. Avant d’arriver en Europe, il était déjà convaincu de l’utilité d’une littérature adventiste qui publierait des articles de fond. Il en avait lui-même écrits plusieurs lorsqu’il était aux États-Unis. C’est à Bâle qu’il a fondé, en juillet 1876, la première maison d’édition adventiste européenne. En même temps, il lança la première revue adventiste mensuelle en français, Les Signes
382
ANDREWS, John N., First Report to General Conference Committee (manuscrit, non daté), p. 7. 382 Sans doute désireux d’organiser en Europe une Église adventiste indépendante de celle des États-Unis, Czechowski avait laissé les adventistes suisses et italiens dans l’ignorance de l’existence d’une Conférence générale des Églises adventistes et d’une maison d’édition à Battle Creek. C’est en découvrant une de leurs publications qu’Albert Vuilleumier est entré en correspondance avec les rédacteurs de la Review and Herald. En mars 1868, Czechowski a quitté la Suisse pour la Roumanie. À partir de là, ses traces sont difficiles à suivre. On sait que sa femme est décédée et a été enterrée en Suisse en 1870, à Saint-Blaise. Quant à lui, il mourut en 1876 à Vienne, à l’âge de 57 ans, surmené et épuisé. Cf. VUILLEUMIER, Albert Fréderic, in : Seventhday Encyclopedia, vol. 11, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, pp. 847-848. 382 Cf. ‘Erzberger, James H. (1843-1920) ’, in : Seventh-day Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, pp. 511-512 ; DAMSTEEGT, P. Gerard, op. cit., pp. 287-288 et note 129 ; GERBER, Robert, op. cit., pp. 126-127 ; MARTIN, Jean-Michel, op. cit., p. 67. 382 Il est intéressant de souligner, comme le relatent plusieurs auteurs adventistes, qu’Erzberger étudiait la théologie depuis 1864 au Séminaire protestant de Crischona, près de Bâle, au moment de se joindre, en 1868, à la communauté adventiste de Tramelan dirigée par Albert Vuilleumier. 382 Cf. ‘’Andrews, John Nevins (1829-1883)’’, in : Seventh-day Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, p. 68-69 ;
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des temps383, essentiellement religieuse, « [...] qui proposait une lecture sérieuse, pour autant que le fond des articles correspondait à ce qu’elle annonçait, ce qui semble avoir été le cas dès le premier numéro »384. Elle portait nettement le cachet et l’esprit d’une revue américaine. Justifiant le choix de cette ville suisse comme siège des publications, Henry P. Holser, pasteur adventiste américain, écrit en 1887: « Notre maison d’édition est judicieusement située. Bâle était un centre littéraire, considéré au temps de la Réforme. Elle reste une ville à la pointe dans le domaine des publications. Cette réputation lui est restée. Elle apparaît aujourd’hui comme un centre de travail missionnaire et de publications évangéliques […]. Aujourd’hui, Bâle exerce une influence à l'échelle mondiale »385. Le 6 janvier 1876, Daniel T. Bourdeau arriva à son tour à Bâle, avec sa famille386. Il était envoyé par la Conférence générale, afin de seconder John Andrews dans son travail de publication ; il y a vécu jusqu’au début du 20e siècle. Bâle est devenu le premier siège de l’Église adventiste en Europe ; des assemblées y ont été fréquemment convoquées. C’est au cours de celle organisée en 1879 qu’il a été décidé, pour la première fois en Europe, de délivrer des ‘lettres de créance ’ aux pasteurs. Le système de dîmes volontaires, déjà mis en place aux États-Unis, a été introduit dans le but de subvenir de 383
La revue, contenant alors 8 pages, a vu son tirage passer de 2000 exemplaires en 1876 à 3500 en 1882. À cette date, elle était expédiée à 45 abonnés dans 86 départements de France. Elle comptait 102 souscripteurs en Suisse romande et dans le Valais. Andrews rapporte qu’en 1882, 200 000 autres imprimés avaient déjà été envoyés dans divers milieux francophones en Europe. Cf. ANDREWS, John, Report of Labor to the General Conference Committee, November 3, 1882, Manuscript, Archives, General Conference of Seventh-day Adventists, Silver Spring, Maryland , USA. 384 VANUXEM, Nicole, John Nevins Andrews, pionnier de l’Église adventiste du septième jour en Europe, Strasbourg, mémoire de maîtrise, Faculté de théologie protestante Université des Sciences humaines de Strasbourg, 1986, p. 56. 385 HOLSER, P. Henry, Our Work in Central Europe (Extra Daily Bulletin of the General Conference), Review and Herald, vol. 4, Battle Creek, 13 mars 1891, p. 88, Archives of the General Conference of Seventh-day Adventists, Silver Spring, Maryland , USA (trad. MV). 386 Bourdeau, T. Daniel (1835-1905), frère de Augustin Cornelius Bourdeau (1816-1916) qui exerça aussi un ministère pastoral en Europe de 1884 à 1888. Daniel T. Bourdeau était, comme son frère, membre de l’Église baptiste au Canada dont il fréquenta l’école de langue française. Il reçut la consécration pastorale en 1858. Après avoir exercé au Canada quelques années, il travailla avec J.N. Lougborough en Californie en 1868, puis dans les États du Wisconsin et de l’Illinois, parmi les communautés adventistes américaines d’expression française. En 1876, il accepta de se rendre en Europe pour seconder John Andrews. Avec lui, il entreprit durant une année des activités d’évangélisation en Suisse, en France, en Alsace-Lorraine et en Italie. Cf. « Bourdeau, T. Daniel », in : The Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, pp. 224-225 ; ANDREWS, John N., « Arrival of Bourdeau », Review and Herald and Sabbath Herald, Battle Creek, Michigan, vol. 47 (6), February 10, 1876, p. 44.
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façon autonome aux besoins financiers de l’Église en Suisse387. Cependant, malgré tous les efforts et le soutien apporté, la situation économique des membres ne permit pas d’atteindre cet objectif avant longtemps. Trois ans plus tard, du 8 au 11 septembre 1882, la première session d’un conseil missionnaire européen s’est tenue sur les lieux. À la vingtaine de responsables locaux venus de divers pays d’Europe se sont ajoutés des membres des groupes en Suisse, intéressés par les développements de leur Église sur le Vieux Continent. De nouveaux projets ont été élaborés. À son issue, la rencontre était ressentie comme une contribution significative à l’avancement de l’unité internationale des adventistes en Europe, à la collaboration et à l’harmonisation des activités dans les trois grandes régions représentées, la Scandinavie, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Suisse388. Un résultat concret était acquis : la création d’un ‘Conseil missionnaire permanent’, avec son bureau directeur. C’était une nouvelle étape dans l’extension de l’Église. Cependant, il se posait la question des liens et des rapports avec les autres structures, en Europe et aux Etats-Unis : la maison d’Edition à Bâle, les églises locales et les ‘districts missionnaires’ déjà été mis en place. La décision fut alors prise de soumettre cette question à l’attention de la Conférence générale, aux Etats-Unis ; mais, il ne fallait pas que les dirigeants américains sousestiment l’importance du nouveau ‘Conseil missionnaire permanent’ pour l’Europe : « […] Les bénéfices tirés de cette rencontre sont si évidents », écrit Stephen N. Haskell, qui y avait participé comme représentant des adventistes de Grande-Bretagne, « que l’assemblée recommande d’organiser d’autres réunions, au moins chaque année »389. L’intérêt n’était pas seulement administratif et fonctionnel. Ces réunions, pensait-il, contribuent à forger des liens spirituels et de solidarité entre les participants, les pasteurs, les églises locales, à l’échange des idées et à l’encouragement de tous : « Plusieurs pasteurs se sont trouvés très isolés, privés toute l’année de la compagnie d’autres personnes partageant leur foi ,[…] Cette occasion de collaborer et d’établir des relations d’amitié chrétienne est considérée ici comme un privilège, en même temps qu’une source d’enrichissement spirituel »390. Stephen N. Haskell relève les aspects communautaires et émotionnels remplis par ce genre d’organisation : fraternité et solidarité, au-delà des frontières. Cet état d’esprit s’est largement développé avec de l’extension de l’Église adventiste dans le monde. 387
Signes des Temps, vol. 6, Bâle, Imprimerie Polyglotte, 6 décembre 1879, p. 332. DELAFIELD, Dwight Arthur, Ellen G. White in Europe, Lincolnshire, The Stanborough Press Limited, 1975, p. 55. 389 HASKELL, Stephen N., Historical Sketches of the Foreign Missions of the Seventhday Adventists, With Reports of the European Missionary Councils of 1883, 1884 and 1885, Bâle, Imprimerie Polyglotte, 1886, p. 109 (trad. MV). 388
390
IBIDEM. ; cf. aussi, Signes des Temps, Bâle, 4 octobre 1882, p. 84.
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Six mois plus tard, du 28 mai au 1er juin 1884, - un an après la mort de John Andrews -, une deuxième assemblée du Conseil missionnaire s’est réunie à Bâle, en présence de George I. Butler, président de la Conférence générale. Aux délégués de l’assemblée de 1882 se sont ajoutés ceux qui venaient de France, d’Italie et de Roumanie. La même année, l’Église adventiste faisait l’acquisition d’un terrain dans la ville (Weiherweg) et avait entrepris la construction d’un bâtiment destiné à des locaux plus adéquats pour le fonctionnement de l’imprimerie et de la Maison d’édition391. Au cours de la session, le Conseil adopta officiellement son intitulé : ‘Conseil européen des missions des adventistes du septième jour’392. Le comité était composé de trois membres, qui représentaient les trois grandes régions. Il devenait une sorte ‘d’interface’, offrant à la Conférence générale un organe pour la gestion de l’Église adventiste en Europe. Néanmoins, la création de ce Conseil n’a pas été le facteur le plus important pour la mise en œuvre, plus tard, de l’organisation que l’Église adventiste adoptera pour ce Continent, celle qui se constitue aujourd’hui d’‘Unions’ et de ‘Divisions’. Il ne disposait pas de réels moyens. Il ne disposait pas de budget. Il n’était pas autorisé à engager des pasteurs. C’est néanmoins un commencement. La branche européenne de l’Église adventiste pouvait se faire entendre à Conférence générale. Il faut souligner ici que les trois membres du bureau ont été choisis sur la base d’un vote de l’assemblée, un pour chacune des trois régions où l’Église adventiste était implantée. Ce mode de fonctionnement et de légitimation calque l’héritage du protestantisme du 16e siècle. Aux ÉtatsUnis, cette pratique était déjà en cours dans l’Église adventiste depuis une dizaine d’années. S’il est vrai, qu’au niveau de la Conférence générale, le système de délégation, représentatif, à part entière et proportionnelle, des membres hors des Etats-Unis, n’a pris sa véritable signification qu’au cours de la session plénière de la Conférence générale de 1901, on peut constater qu’il a été mis en application dès les premiers moments dans les églises adventistes européennes. Le ‘Conseil européen des missions des adventistes du septième jour’ avait été précédé par une autre assemblée. Elle s’était réunie à Bienne du 24 au 27 mai, sous la présidence de Butler. Rassemblant les délégués des communautés 391
Elle a reçu le nom d‘Imprimerie polyglotte’. Les publications étaient rédigées en français, en allemand et en italien. Cf. GERBER, Robert, Le mouvement adventiste, Dammarie-les-Lys, Les Signes des temps, 1950, pp. 125-126. 392 ‘’A committee appointed to consider this question presented the following report : ‘We must heartily indorse the constitution drafted at the time of Haskell’s visit, but, in harmony with the action of the General Conference held at Rome, New York, in December 1882, and to meet the present existing wants of the mission fields, we recommend that the Article 1of the constitution be amended so as to read : ‘This Council shall be called the European Council of Seventh-day Adventist Missions’’. […]’’, in : Historical Sketches of the Foreign Missions of the Seventh-day Adventists. With Reports of the European Missionary Councils of 1883, 1884 and 1885, Bâle, Imprimerie Polyglotte, 1886, p. 110.
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établies en Suisse, elle est à la base de la création officielle de la première ‘Fédération des Églises adventistes de la Suisse’. L’année suivante, en 1885, relate Robert Gerber, elle gérait 10 églises en Suisse, qui comprenaient 224 membres, un pasteur consacré et sept assistants pastoraux393. Le rapport statistique annuel de la Conférence générale révèle qu’en décembre 1886, il y avait en Suisse 300 membres, répartis dans 15 églises, desservies par trois pasteurs consacrés et sept assistants. Les fonds de cette Fédération se montaient à ce moment-là à 1.598,22 US $394. Les chiffres révèlent un mouvement de croissance rapide395, en comparaison de ce que ce sera par la suite. Les activités de l’Église adventiste ont d’abord été centrées sur la Suisse francophone. Cependant, les sources montrent que l’intérêt naissait aussi depuis 1879 dans les milieux germanophones du canton de Bâle, de même qu’en Allemagne396. Néanmoins, l’impulsion qui permettra plus tard à la prédication adventiste de s’étendre vers les autres régions germanophones ne se fera pas sentir avant 1886, avec le pasteur L. Richard Conradi397. Il avait été envoyé des États-Unis pour collaborer avec les dirigeants de l’Église à Bâle. Il a secondé tout d’abord le pasteur J. Erzberger en s’occupant aussi des personnes de langue allemande installées à Lausanne. Son ministère pastoral a conduit vingt-deux personnes à adhérer à la foi adventiste. Elles ont constitué le premier noyau de la communauté adventiste dans cette ville. Le 13 août 1887, suite aux visites d’un représentant suisse alémanique de la Maison d’édition, un autre groupe s’est constitué à Zurich. Il marqua les premiers pas dans ce canton.
393
GERBER, Robert, Le Mouvement adventiste, Dammarie-les-Lys, Les Signes des Temps, 1950, p. 128. 394 « Seventh-day Adventist Statistics, 1886 », in : Seventh-day Adventist Year Book 1887, Anniversary Meetings, Battle Creek, Michigan, Review and Herald Publishing House, 1887, p. 48. Cf. ‘Switzerland ’, in : Seventh-day Encyclopedia, vol. 11, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, pp. 730-731. 395 Jean-Michel Martin remarque que le chiffre annoncé du nombre de membres, sans doute près de la réalité, reste néanmoins très relatif. Cf. MARTIN, Jean-Michel, op. cit., p. 82. 396 Rappelons qu’en Allemagne, un groupe d’adventistes du septième jour s’était déjà constitué en janvier 1875 à Solingen avec le soutien du pasteur J. Erzberger. Voir, p. 168. 397 Conradi, Louis Richard (1856-1939), né à Karlsruhe, en Allemagne, émigré aux États unis à 17 ans. Il adhéra à l’Église adventiste en 1878. Formé à la théologie adventiste au College de Battle Creek, à partir de 1882 il exerça son ministère pastoral parmi les populations germanophones du Middle West américain.
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3.3.3.- L’implantation en France Le contexte sociopolitique et religieux En 1874, année de l’arrivée de John Andrews en Suisse, la France vivait encore, dans ses campagnes surtout, les derniers sursauts d’une conception religieuse de l’Ancien Régime relayée par l’Empire de Louis Bonaparte qui venait de s’écrouler398, un “catholicisme de l’obligation, du sentiment et des pratiques »399 et, comme l’écrit Jean Delumeau, une “[…] chrétienté de jadis […], (qui) a été au pouvoir »400, un catholicisme « qui a existé comme système politico-religieux, avec un ensemble de structures propres, à la base desquelles se trouvait la paroisse – circonscription à la fois ecclésiastique et administrative […] »401. Dominante, la chrétienté catholique, constituait encore « […] un encadrement constant de la vie quotidienne par des prières collectives, des actes rituels, un rythme de célébrations qui accompagnaient les hommes d’un bout à l’autre de la journée et du début à la fin de la vie402. […] Mais dans l’esprit de ses responsables […], à tous les échelons […], elle devait forcément être plus qu’une carte d’identité distribuée à des millions de gens. Et il ne suffisait même pas qu’elle fût un Credo (souligné dans le texte) professé par les dirigeants, une morale proclamée, un rythme de cérémonies, un quadrillage institutionnel, une collection de lieux de culte. Elle n’aurait finalement de sens et d’existence véritables que comme expression d’une grande foi collective et d’un comportement général […]. Dans quelle mesure ce projet fut-il réalisé ? Il est en tout cas évident pour l’observateur du 20e siècle que l’Église, dans les structures de la chrétienté, n’ayant rien d’extérieur à elle-même, pouvait difficilement être un ‘signe’, puisqu’elle se confondait avec l‘État »403. Pourtant, au-delà de ces empreintes et sous l’effet des pressions sociales et des ruptures politiques, en l’espace d’un siècle la France était devenue une société où le choix religieux était pleinement ouvert. Entre la fin de l’Empire de Napoléon 1er Bonaparte (1814) et celle de la 4e République (1950), elle a été portée par une lame de fond de démocratisation qui l’a conduite à la promotion de l’individu. Peu à peu, déjà au cours du dernier tiers du 19e siècle, on pouvait s’affirmer différent de son village, de sa famille, de sa religion. 398
Paris avait capitulé trois années auparavant, en 1871, face à la Prusse et l’insurrection de la Commune avait été écrasée dans un bain de sang la même année. Adolphe Thiers avait été élu chef du pouvoir exécutif de la République française en 1871. 399 DANSETTE, Adrien, Histoire religieuse de la France contemporaine. L’Église catholique dans la mêlée politique, Paris, Flammarion, 1965, p. 830. 400 DELUMEAU, Jean, Le christianisme va-t-il mourir ? Paris, Hachette, 1977, p. 10. 401 IBID, p. 22. 402 IBID. 403 IDEM, pp. 23-24.
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Progressivement, surtout dans grandes les villes industrialisées où s’opéraient les mutations du tissu social plus rapidement, la réussite personnelle ne dépendait plus de l’ordre social auquel on appartenait par naissance. L’identité se construisait de plus en plus sur des choix personnels, politiques et religieux. Certes, au 19e siècle, les mentalités religieuses n’avaient pas évolué dans la masse du peuple au même rythme que les ruptures politiques du siècle français. Dans la seconde moitié du siècle, ce sont encore les 4/5e des Français qui vivent dans le cadre et le climat des paroisses rythmées par le calendrier liturgique de l’Église catholique telle que Jean Delumeau l’a décrit. « Dans un tel cadre, la modification du rapport individuel à l’autorité s’est faite très progressivement, sans les ruptures claires de l’histoire des institutions. Parce qu’elles témoignent de la perdurance, soulignée par l’anthropologie, de schèmes de perception du monde et du pouvoir politique hérités d’une longue tradition socioreligieuse, les représentations collectives manifestent, au cours du 19e siècle, une certaine résistance aux idées nouvelles »404. Néanmoins, les représentations du monde, de l’autorité politique et de l’autorité religieuse dans l’esprit des Français n’ont cessé d’être ébranlées par des bouleversements politiques depuis 1789. De seuil en seuil de laïcisation, selon l’analyse Jean Baubérot, la sécularisation s’est traduite par de nouveaux comportements vis-à-vis des Églises et du religieux, depuis le premier seuil introduit en France de 1800 à 1804 avec le Code civil napoléonien (fragmentation institutionnelle, reconnaissance des ‘besoins religieux’, le pluralisme religieux officiellement reconnu405, en passant par la radicalisation politique des années 1850 à 1860), jusqu’au second avec Aristide Brian et la promulgation de la loi de séparation entre les Églises et l’État du 11 décembre 1905 (dissociation institutionnelle, absence de légitimité sociale de la religion dans la société française et liberté religieuse). Débuts de l’implantation Nous avons vu qu’en janvier 1876, le pasteur adventiste canadien Daniel T. Bourdeau est arrivé à Bâle. En mai 1876, en rentrant d’Alsace, il adresse à la Review and Herald un courrier dans lequel il écrit : « La semaine dernière […] je me suis rendu en Alsace, à Le Bau de la Roche […] afin d’aider B. Scheppler. Il était venu en visite de l’Illinois, afin de suivre les résultats de l’expédition depuis l’Amérique de publications en français». Daniel Bourdeau exprime sa satisfaction, mais aussi ses craintes en face des réactions de méfiance et d’hostilité : « Les désavantages sont grands. Les pasteurs 404
FATH, Sébastien, Une autre manière d’être chrétien en France. Socio-histoire de l’implantation baptiste (1810-1950), Genève, Labor et Fides, 2001, p. 31. 405 « La religion n’est plus une institution englobante, coextensive à la société globale », BAUBEROT, Jean, La laïcité, quel héritage ? De 1789 à nos jours (Entrée libre 8), Genève, Labor et Fides, 1990, pp. 30-31.
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manifestent leur hostilité. Ils nous menacent d’amendes si nous prêchons. À Hovald, une bourgade située à environ cinq kilomètres de là, un pasteur baptiste a dû payer une amende de 50 francs pour avoir parlé à un petit groupe d’auditeurs. Elle a lui a été infligée à l’instigation d’un pasteur luthérien. Nous sommes étroitement surveillés. Il nous faut rapidement entreprendre les démarches légales, si nous voulons éviter de nous voir infliger des amendes ou être arrêtés. Je devine qu’en France, il faudra agir avec beaucoup de prudence’. Mais, au mois d’août de la même année, la revue Signes des Temps relate l’information reçue de Bourdeau : « Aujourd’hui, nous avons reçu des autorités de Strasbourg la permission de prêcher en Alsace »406. Au mois d’octobre, il se trouve à Valence, dans le sud de la France, invité par quelques familles à leur exposer les convictions adventistes dans le temple protestant. L’accueil l’a décidé à s’y installer avec sa famille. « Pourtant, écrit Jean-Michel Martin, la réaction prend finalement une tournure différente à celle qu’attendait Daniel Bourdeau. En effet, nous connaissons bien son étroitesse d’esprit, son insistance sur l’obligation d’observer la loi de Dieu. Son intransigeance et sa maladresse lui valent d’être traité de ‘faux prophète’ et on dénonce la doctrine qu’il enseigne. À cela s’ajoute le problème de la langue, problème que rencontrent d’autres pionniers. Il renforce les réticences face à ce qui est suspect, surtout face à ce qui est étranger et qui vient d’outre Manche ou d’outre-Atlantique »407. Nous n’avons que peu de détails sur les activités de Daniel Bourdeau en France. Néanmoins, on sait que lorsqu’il a quitté la France en septembre 1877, il était parvenu à susciter un réel intérêt pour les enseignements adventistes, contribuant à l’ouverture d’une église à Valence. C’est cette petite communauté d’une quinzaine de personnes qui a constitué le noyau de départ de l’Église dont l’implantation s'est progressivement étendue dans toute la France. Les difficultés se sont accrues avec des changements dans les dispositions administratives pour l’exercice du culte. Nous l’avons vu, vers la fin du 19e siècle, les mentalités collectives dans les campagnes et les provinces françaises étaient imprégnées de la représentation de l’autorité religieuse reposant sur celle du prêtre catholique. A la différence des villes où, les classes ouvrières, préoccupées par leurs conditions économiques et sociales, devenaient de plus en plus imperméables au religieux. Quant au plan politique, la liberté religieuse et le pluralisme confessionnel pour les Églises concordataires depuis les Accords et le Code civil napoléonien avaient rendu moins difficile la présence du 406
Les Signes des Temps, août 1876, p. 16, vol. 2, Imprimerie Polyglotte, Bâle, 1876. Cité par MARTIN, Jean-Michel, Les origines et l’implantation du mouvement adventiste du septième jour en France, 1876-1925, thèse de doctorat, Faculté de théologie protestante de Montpellier, 1980, p. 156. 407 MARTIN, Jean-Michel, op. cit., p. 157.
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protestantisme sous ses différentes formes, à côté d’un catholicisme encore très prégnant. Cette situation aurait pu permettre à la prédication adventiste de trouver une voie d'accès plus facile. Mais les conditions légales pour l’exercice public d’un culte obligeaient les communautés de disposer de lieux autorisés. Autrement, les réunions à caractère religieux pouvaient se tenir chez le particulier, mais dans les limites de 20 personnes. On le devine, les premiers pas de l’Église adventiste en France, comme en Suisse, ont été surtout le fait de la persévérance des membres, avant de connaître, avec le 20e siècle, des libertés plus grandes et un climat religieux plus ouvert. 3.4.- Nouvelles dimensions de l’Église adventiste aux États-Unis et en Europe (1874-1907) 3.4.1.- Les nouvelles dimensions de l’Église aux États-Unis De 1863 à 1890, le nombre des membres de l’Église adventiste dans le monde est passé de 3.500 à 78.188. A la fin du 19e siècle, plus de 7.000 personnes avaient été baptisées dans cette Église en Europe. En 1901, elle comptait 2.011 églises réparties entre 9 ‘Unions’408 groupant 98 fédérations et missions409. Sur le plan financier, le système de la dîme bénévole, introduit en 1863 afin de rémunérer les pasteurs, était devenu une pratique de plus en plus régulière durant les années 1876-1879. Cette croissance, ainsi que l’étendue géographique et la répartition de ses institutions dans le monde, ont poussé les adventistes vers une vision plus large de leur action dans la société. Depuis le départ de John Andrews des Etats-Unis en 1874, de nouveaux centres d’intérêt avaient entraîné des changements dans le concept de la mission de l’Église. Elle s’élargissait maintenant aux questions de la santé, de l’éducation et de la liberté religieuse. Cette ouverture a été à l’origine de nouvelles extensions et de nouveaux développements, avec la création tout d’abord des activités médicales adventistes à partir de 1866410. Dès 1860, les milieux adventistes américains ont perçu dans l’Évangile des aspects qui les rendaient sensibles aux questions de la santé. Ils ont été les premiers, dans les milieux de l’adventisme de l’époque à associer ces questions à leurs activités. En mai 1866, à Battle Creek, la quatrième session de la Conférence générale prenait la décision de fonder une 408
Nous reviendrons sur la question des structures de l’Église adventiste au chapitre 5, en traitant de son paradigme sociologique en tant qu’organisation ecclésiale dans le monde protestant. 409 « Seventh-day adventist Church, Historical Summary of Seventh-day Adventist World Statistics, 1863-1992 », in : Seventh-day Encyclopedia, vol. 11, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, pp. 577-579.
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institution médicale. Le 11 septembre de la même année, les premiers patients étaient reçus au Sanatorium de Battle Creek. Une nouvelle phase s’ouvrait dans l’histoire de l’Église. Un historien adventiste, Ellsworth M. Olsen écrit « [cette institution] n’était seulement que le signe extérieur et concret d’une évolution bien précise dans les croyances de la confession au sujet des principes de santé, mais elle devenait aussi un instrument utile pour leur propagation. Pour les adventistes, elle représentait une vision nouvelle et plus large des besoins de la société et du devoir qui repose sur les épaules d’une Église chrétienne de chercher à y répondre. Le ministère de guérison du Christ était lu comme une expression de l’amour de Dieu qui devrait être prolongée à l’intention du monde par le truchement de l’Église […]. La maladie étant comprise comme la violation des lois de la nature, les respecter et l’enseigner apparaissait comme un privilège, un devoir du chrétien, une part importante de l’annonce de « l’Évangile éternel’»411. Vinrent ensuite l’organisation des activités du département de l’éducation créé en 1887, puis celles du département de la santé et de la tempérance en 1893, avec comme but de promouvoir les principes de la santé dans les églises, les écoles adventistes et dans la société, en même temps que d’entretenir des échanges dans le monde entre les institutions médicales, adventistes ou non. Bien que plusieurs actions sont entreprises dans le domaine de la liberté religieuse depuis 1864, le département des Affaires publiques et de la liberté religieuse n’a été créé qu’en 1901. En 1864, au moment de la conscription face à la Guerre civile aux États unis, John N. Andrews avait été mandaté avec succès auprès des autorités de Washington, afin d’exposer la position non combattante de l’Église adventiste. Dès 1887, en réponse aux pressions de la ‘National Reform Association’ en faveur de la promulgation d’une loi qui obligerait à observer le dimanche comme jour sacré, la Conférence Générale avait pris des résolutions. Elle avait engagé différentes actions en faveur du respect de la liberté religieuse. En 1893, la ‘National Religious Liberty Association’ a été créée à Batte Creek. Elle est ensuite dénommée ‘The International Religious Liberty Association’ ; à partir du moment où son action s’est étendue au-delà de la frontière des États-Unis. En 1901, la Conférence générale l’a intégrée dans le ‘Département des Affaires publiques et de la liberté religieuse’. Avec leur extension dans le monde, toutes ces activités ont entraîné la création d’hôpitaux, de cliniques, de facultés de médecine et d’écoles d’infirmières et de santé publique, de collèges, d’écoles primaires et secondaires, d’universités et la mise sur pieds d’organisations humanitaires et
411
OLSEN, M. Ellsworth, The Origin and Progress of Seventh-day Adventists, Washington, D.C., Review and Herald Publishing Association, 1925, p. 269, 270, cité dans : « Battle Creek Sanatorium », in : Seventh-day Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, pp. 174-175 (trad. MV).
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sociales412. Cette vision plus large de leur action dans la société a aussi poussé les adventistes vers l’engagement de l’Eglise en faveur de la promotion et la défense de valeurs universelles, comme la liberté de religion et de conscience. Avec elles, l’Église adventiste n’a cessé de se développer (voir annexe 10 – Église adventiste du 7e jour – Statistiques mondiales – 31-12-2008). 3.4.2.- Les nouvelles dimensions de l’Église adventiste en Europe Le lendemain de la session de la Conférence générale de 1888, à Minneapolis, le pasteur L. Richard Conradi a été invité à s’installer à Hambourg, pour y exercer son ministère pastoral avec l’appui d’un groupe d’assistants pastoraux allemands. En 1891, il est devenu le président des Églises adventistes en Allemagne et en Russie, pays qui venaient d’être intégrés dans la ‘Conférence de l’Europe centrale’, une nouvelle structure, mentionnée pour la première fois dans le Seventh-day Adventist Year Book de 1889413. Elle signe l’entrée de l’Église adventiste dans une phase de rapide progression géographique en Europe. Nouvel organe de l’Église, il s’agissait d’une structure chargée des décisions concernant le fonctionnement des groupes, des églises et des fédérations qui se sont mises en place à mesure de son développement dans le sud, l’ouest et le centre de l’Europe, jusqu’au Proche-Orient et en Afrique du Nord414. Quelques années plus tard, au printemps 1901 est apparue en Europe la ‘Conférence générale européenne des adventistes du septième jour’. Elle regroupait les fédérations scandinaves, allemandes, britanniques, franco-latines et de l’Europe centrale. En automne de la même année, son assemblée réunie à Friedensau, en Allemagne, a décidé du partage de son territoire en cinq grands ‘champs’ (ils deviendront des bases pour la délimitation des territoires des futures ‘Unions’), en fonction du nombre de leurs membres, de la géographie, des langues utilisées et des moyens de communication. Ainsi ont été créés le champ scandinave, le champ germanophone, anglophone en Grande-Bretagne, le champ latin et celui du Proche-Orient. Le champ latin comprenait la France, 412
Ce volet des activités de l’Eglise adventiste est un aspect important du sens qu’a pris, dès ses débuts, l’identité religieuse au sein de l’adventisme moderne. A lui seul, il mériterait une place plus large dans cette étude. Néanmoins, en raison de son étendue et de son histoire, il serait nécessaire d’y consacrer plus d’un chapitre. Nous nous limitons ici à le mentionner. Nous renvoyons le lecteur à l’Annexe 10. Les chiffres concernant les activités sociales, éducatives, de santé et humanitaires sont assez significatifs pour en refléter l’importance au sein de cette Eglise. 413 Seventh-day Adventist Year Book, annuaire publié annuellement par la Review and Herald pour la Conférence générale à partir de 1883. Il comprend les adresses des organismes, des institutions, des pasteurs, les statuts de la Conférence générale, les départements et les services de toutes les entités de l’Église adventiste du septième jour dans le monde. 414 In, Seventh-day Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, pp. 310-311.
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la Suisse, la Belgique francophone, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et l’Afrique du Nord. En 1928, ce dernier espace géographique est devenu l’Union latine, comprenant la fédération des Églises adventistes de la Suisse, les fédérations du nord de la France et du sud de la France, les champs italiens, portugais, espagnols et celui de l’Afrique du Nord. En 1928, l’ensemble a été intégré dans la Division sud-européenne, avec un nouveau siège à Berne. Aujourd’hui, il fait partie d’un territoire qui s’étend au-delà de leurs frontières, celui de la Division eurafricaine. 3.5.- Conclusion Du point de vue de l’histoire de l’Église adventiste, les trois décennies de 1844 à 1874 ont été décisives. Elles représentent le passage de l’état de petits groupes d’adventistes issus du millérisme, dispersés dans le nord-est des ÉtatsUnis et indépendants les uns des autres, à l’état d’une organisation ecclésiale dont la théologie et le concept de la mission ont évolué lorsque ses membres et ses dirigeants ont pris conscience de ce que pouvait signifier dans l’ordre évangélique les nombreuses demandes en provenance, des territoires américains, puis de l’Europe et des autres parties du monde. De 1844 à 1850, les premiers adventistes ont été opposés à l’idée de fonder une nouvelle organisation religieuse. Après les événements difficiles de la fin de 1844 et la détérioration de leurs relations avec les Églises auxquelles ils appartenaient du temps de William Miller, ils considéraient qu’adopter un modèle d’organisation ouvrait la voie à une centralisation d’un pouvoir de contrôle de la foi et à la fixation d’un credo de doctrines spécifiques, figées, avec le risque d’institutionnaliser la dispensation du salut. Ces années et les suivantes ont été une période d’engagements forts, mais avec une certaine rigidité doctrinale. Durant les vingt à vingt-cinq premières années, leur concept théologique de la mission freinait l’extension de l’Église, conduisant ses membres à ne s’intéresser qu’à ceux qui, comme eux dans les États du Nord des États-Unis, avaient passé par les moments difficiles de l’année 1844. Seule la pression des demandes venues de l’étranger, en nombre toujours plus grand, les a obligés à dépasser l’obstacle de leur conception des choses et à se tourner vers de nouveaux horizons. De 1850 à 1853, l’augmentation du nombre de leurs adeptes leur a imposé de s’organiser et de se structurer pour répondre aux besoins de la gestion du capital spirituel dont ils se sentaient responsables, trouver des hommes qui pouvaient l’assumer, des moyens financiers pour soutenir le fonctionnement du culte et la diffusion de leurs publications. Le mouvement en marche a évolué au
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travers de larges débats et d’échange d'idées, avec des clarifications de la manière de gérer les biens de la communauté, la façon de légitimer ses organes de fonctionnement, la reconnaissance et le soutien de ceux qui, de plus en plus nombreux, consacraient leur temps au ministère pastoral. Il leur fallut aussi faire face au fanatisme, aux idées qui se répandaient sans fondement théologique, ni biblique. Les années de 1853 à 1874 les ont engagés dans une deuxième phase qui va de l’adoption de la première structure de l’Église adventiste à la création en 1863 d’un organisme, la Conférence générale des adventistes du septième jour, regroupant les fédérations créées depuis 1861 aux États-Unis. Ce sont aussi les moments de l’envoi en 1874 d’un pasteur, John N. Andrews, qui, après Michaël Belina Czechowski, a joué le rôle-clé de principal organisateur durant les tout premiers moments de l’implantation de l’Église en Suisse. À partir de 1866, les ouvertures dans la théologie de l’Église et dans son concept missionnaire ont lui ont donné un nouveau souffle, avec la création d’institutions médicales, éducatives, sociales et humanitaires et son engagement au service de la liberté religieuse. Chacune de leurs structures et leurs programmes ont été intégrés dans ceux de l’Église, ouvrant de nouvelles voies à son expansion vers les sociétés européennes et dans le monde. Chacune des phases de son histoire ont été marquées par des tensions liées, d’une part, aux cultures des pasteurs venant des États-Unis, au contact de celles de leurs collaborateurs suisses et français, d’autre part, à leurs rapports avec les autorités de ces deux pays, en raison de maladresses, parfois, dans l’expression de leurs convictions, à la littéralité de leur lecture de l’Évangile, ou encore, à un certain légalisme dans leurs pratiques religieuses. « John Andrews fera preuve d’intransigeance à l’égard de Czechowski, tout comme Daniel Bourdeau. H.P. Holser risqua la fermeture de l’imprimerie de Bâle, en faisant travailler ses employés le dimanche, transgressant ainsi les lois du travail en vigueur en Suisse »415. À partir de 1874, en élargissant leur implantation en France, les adventistes ont rencontré de nombreuses difficultés, parfois l’hostilité des autres Églises. Il fallait aussi surmonter les traumatismes de la France (instabilité sociale, politique, économique, anticléricalisme, renforcement de la contestation politique du socialisme, etc.). S’ils ont été difficiles à vivre, ces ‘traumatismes’ ont eu l’avantage d’interpeller et de pousser les adventistes européens vers une réflexion sur ce que signifie leur propre identité religieuse. Un phénomène sociologique souligné par Emile Durkheim : « Pour qu’un groupe social quel qu’il soit, professionnel ou autre, acquiert une cohérence suffisante, une 415
MARTIN, Jean Michel, Les origines et l’implantation du mouvement adventiste du septième jour en France : 1876-1925, Montpellier, thèse de doctorat, Faculté libre de théologie protestante de Montpellier, 1980, p. 116.
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conscience suffisante de lui-même et son unité morale, il ne suffit pas qu’il y ait entre ses membres un certain nombre d’idées et de sentiments communs. Il faut encore qu’il soit provoqué à s’opposer à d’autres groupes qui le limitent et lui résistent »416. À l’intérieur du protestantisme, les adventistes figurent un christianisme qui, avec des accents propres, reprend dans sa foi et sa théologie les enseignements majeurs de la Bible et de la Réforme : la trinité divine, l’autorité souveraine des Écritures, la justification par la foi, le sacerdoce universel, le baptême par immersion comme profession de foi personnelle, la dignité de la personne humaine, l’enseignement sur le retour du Christ. Il s'agit d'une minorité européenne qui, comme les autres confessions protestantes, ne reconnaît pas le magistère du pape et plusieurs positions doctrinales de l’Église catholique, par exemple le caractère sacramentel des rites chrétiens et des ministères ecclésiastiques. Cependant, au vu de ses héritages théologiques, ce serait une erreur de vouloir l’identifier culturellement avec la mentalité américaine, tant son implantation en Europe révèle l’influence des différentes cultures sur ses membres, auxquelles ils doivent s’adapter. En tant que courant spirituel vivant, l’adventisme, de même que d’autres courants du christianisme, a généré et génère encore un ‘habitus ’ (Bourdieu417), 416 DURKHEIM, Emile, L’évolution pédagogique en France. Vol. 1 : Des origines à la Renaissance (Bibliothèque de philosophie contemporaine), Paris, Féix Alcan, 1938, p. 105. Cité par MARTIN, Jean-Michel, op. cit., p. 117. 417 « Ensemble de dispositions durables » (BOURDIEU, Pierre, Le Sens pratique, Paris, Editions de Minuit, 1980, p. 90), guidant l’action, en l’ajustant spontanément aux conditions objectives de son effectuation, c’est ce que Bourdieu appelle l’habitus. ‘Habitus’ et ‘non pas habitude’, pour bien signifier que ce n’est pas un mécanisme automatique de reproduction de schèmes préétablis, mais plutôt un ‘principe générateur’ (Cf. idem, Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 134) de produits de l’action, qui ne peuvent être mécaniquement déduits des conditions objectives de sa production. Ainsi, « parce que l’habitus est une capacité infinie d’engendrer en toute liberté (contrôlée) des produits – pensées, perceptions, expressions, actions, – qui ont toujours pour limites les conditions historiques et socialement situées de sa production, la liberté conditionnée et conditionnelle qu’il assure est aussi éloignée d’une création d’imprévisibles nouveautés que d’une simple mécanique des conditionnements initiaux (idem, Le Sens pratique, p. 92). Structure structurante autant que structure structurée de l’action, l’habitus ne peut être réduit à une détermination externe et mécanique de l’action. [...] Et de fait, c’est bien l’histoire qui préside à sa formation, à la fois l’histoire collective d’un groupe et l’histoire individuelle qui prenant la forme d’une série d’expériences en même temps que d’une éducation permettent d’assurer la coïncidence entre l’action individuelle et les conditions objectives de son effectuation. Autrement dit, l’habitus serait le résultat d’une sédimentation de l’histoire, c’est-àdire concrètement de l’histoire de tous les rapports de force vécus par le passé en tant que groupe et en tant qu’individu. On ne peut donc interpréter l’habitus comme la ‘culture’ anhistorique d’un groupe ou d’une classe reproduite à l’identique pour et par chacun de ses membres [...]. Enfin, l’ajustement de l’habitus aux conditions de l’action est un processus continuel qui ne peut se éduire à l’éducation des premières années de la vie. Si celle-ci [...] joue un rôle important dans la formation de l’habitus individuel, elle est constamment renforcée et modifiée par des expériences
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« une manière d’être chrétien et de vivre en société qui appelle l’interrogation »418. En somme, un courant chrétien animé par une dynamique du mouvement.
et sanctions secondaires qui s’accumulent tout au long de la vie. Dès lors, l’habitus n’est jamais constitué une fois pour toutes, mais évolue par ajustement aux conditions de l’action qui ellesmêmes évoluent », MOUNIER, Pierre, Pierre Bourdieu, Une introduction (Agora 231), Paris, Pocket/La Découverte, 2001, pp. 41-44. 418 FATH, Sébastien, Une autre manière d’être chrétien en France. Socio-histoire de l’implantation baptiste (1810-1950), Genève, Labor et Fides, 2001, p. 13.
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Chapitre 4 - La dimension spirituelle de l’identité religieuse adventiste. Fondamentalisme conservateur ou dynamisme de la foi ?
4.0.- Introduction Après l’étude des aspects sociaux et historiques du religieux en Europe, qui mettent en perspective ses dimensions culturelles et communautaires419, le profil de l’identité religieuse adventiste est examiné dans ce chapitre sous un autre angle, celui de sa dimension spirituelle. À la lettre, elle n’appartient pas aux outils d’analyse de sociabilité d’une identité religieuse, tels que les présente Danièle Hervieu-Léger420. A moins de l’identifier à la ‘dimension émotionnelle ’, ce qui nous paraîtrait réduire une réalité plus complexe. En effet, en ce qui concerne l’identité religieuse adventiste, la dimension spirituelle est un attribut dont on ne peut appréhender la véritable nature sur la base uniquement et essentiellement de sentiments collectifs d’appartenance, du ‘nous ’, de l’expérience de la communion d’esprit (fraternité, expérience sensible et affective de l’identification) lors de cérémonies, des fêtes religieuses, de rassemblements, etc. Danièle Hervieu-Léger résume la ‘dimension émotionnelle ’ comme étant « [...] l’expérience affective associée à l’identification : le sentiment de ‘fusion des consciences’ ou ‘l’émotion des profondeurs’ dont Durkheim a fait dans ‘Les formes élémentaires de la vie religieuse’ le ressort premier et fondateur de l’expérience religieuse »421. La langue anglaise englobe tous ces sens en utilisant le terme ‘worship’422. Ce qui ne signifie pas qu’aucune expérience affective, aucun sentiment collectif 419
Voir chapitres 1 à 5. En fournissant quelques clés d’interprétation de l’histoire de l’Église adventiste, ces chapitres révèlent en même temps ces deux dimensions de l’identité religieuse adventiste. 420 Cf. HERVIEU-LEGER, Danièle, op. cit., 1999, pp. 71-74. Voir Introduction, p. 19 et note 8, p. 21. 421 HERVIEU-LEGER, Danièle, op. cit, 1999, p. 74. 422 Worship, « 1. Reverence and respect paid to God […]. 2. Admiration and respect shown to or felt for somebody or something », The Advanced Learner’s Dictionary of Current English, London, Oxford University Press, 19632, p. 1162. Culte ou rendre un culte : dans le monde francophone aujourd’hui, le terme ‘culte’ (‘aller au culte’) désigne la célébration protestante, distincte d’un office religieux catholique, où l’expression ‘aller à la messe’ est couramment utilisée. Cette terminologie n’appartient pas au vocabulaire réformé des origines. Cependant, au 19e siècle, l’emploi du mot ‘culte’ est devenu courant. En français, le terme culte « […] n’a pas la richesse du terme allemand employé par Luther, Gottesdienst (service divin), qui signifie aussi bien l’œuvre accomplie par Dieu que le service du peuple de Dieu […]. Le mot ‘culte’ indique cependant bien le caractère institutionnel et public de la réunion de l’Église», cf. BÜRKI, Bruno, « Culte », in GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, p. 295.
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d’appartenance, d’expérience sensible et affective de l’identification, en bref, qu’aucun caractère ‘émotionnel ’ ne relie les adventistes entre eux. Ils se manifestent de manières plus ostensibles au sein des communautés majoritairement constituées d’immigrés issus des pays de l’Amérique latine, des Antilles, des Caraïbes ou de l’Afrique. D’une manière générale, dans les milieux adventistes, ces manifestations n’atteignent pas l’intensité de celles qui prédominent au cours des réunions pentecôtistes et charismatiques. Elles sont personnelles. Elles ne sont pas systématiquement recherchées. Ces aspects de la vie communautaire ne constituent donc pas des données suffisantes pour comprendre la nature de la dimension spirituelle dont nous parlons. Pas plus dans la conception adventiste, la notion de ‘dimension spirituelle ’ ne se limitet-elle pas à celle de ‘piété ’, dont la littérature occidentale s’est emparée au milieu du 16e siècle pour parler des devoirs de la religion, de la ferveur, de la dévotion mise à les accomplir, soit par ritualisme, soit par ‘crainte révérencielle ’ de Dieu423. Notre approche peut surprendre le lecteur. Certains observateurs de l’adventisme ou des croyants d’autres Églises ont été, ou sont encore tentés, de réduire l’image de l’adventisme à celle de groupes essentiellement préoccupés par l’apologie de leurs doctrines. Certes, certains en laissent nettement l’impression. Néanmoins, pour l’ensemble de l’Église adventiste, ce n’est pas là que se situe le cœur de la vie spirituelle. Ce chapitre n’a pas l’intention d’épuiser la question, mais de mettre en évidence quelques aspects de la façon dont elle est perçue du point de vue du raisonnement au sein de l’adventisme. En tant qu’outil d’analyse, la dimension spirituelle, telle qu’elle est comprise, symbolise la source la plus dynamique de 423
Les expressions françaises ‘piété’, ‘être pieux’, ‘montrer sa piété’, employées dans la Bible et traduisant 54 fois le mot hébreu ‘héséd’ et les mots grecs εύσέβεια, εύσέβης (cf. ‘piété’, ‘pieux’ [Concordance de la Bible TOB, Paris, 1993]) sont assez difficiles à cerner. « Issus du latin pius/pietas, équivalents reconnus du grec εύσέβης/εύσέβεια, les mots ‘pieux’/’piété’ ne sont pas ceux qu’il faut garder parce qu’on peut par eux remonter jusqu’à l’hébreu par une tradition ininterrompue. Car les traducteurs grecs de la LXX ont évité, on ne sait pourquoi, εύσέβης/εύσέβεια, au moins dans le Pentateuque et Psaumes […]. Dans le Nouveau Testament, ils sont rares, sauf dans les épîtres pastorales. […] Ancien Testament : Il n’y a pas de terme hébraïque correspondant mot à mot à ‘pieux’, ‘piété’. […] Les traducteurs modernes emploient parfois ‘piété’ pour héséd, et ‘pieux’ pour hasîd, mais le sens de ces mots est complexe. […] Nouveau Testament : Les écrits du Nouveau Testament […] usent peu des spécifiques pour désigner la piété : εύσέβης et ses dérivés ne sont utilisés ni dans les évangiles, ni dans les grandes épîtres pauliniennes, ni dans l’Apocalypse, mais dans les pastorales, et quatre fois dans Actes. […], il y a une doctrine, une vérité qui se réfèrent à elle (1 Tm 6. 3 ; Tt 1. 1). […]. Enfin, il y a un ‘mystère de la piété’, qui est grand, qui n’est pas une chose, ni une idée abstraite, mais quelqu’un, celui qui a été ‘manifesté dans la chair…, cru dans le monde, exalté dans la gloire’ (1 Tm 3. 16). […] Le mot ‘piété’ recouvre sans doute beaucoup plus qu’on ne pourrait penser au premier abord », Article « Piété », in : BOGAERT, Pierre-Maurice, et al., Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Maredsous, Brepols, 1987, pp. 1027-1028.
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cette identité dans ses rôles sociaux. Mais, avant d’aller plus loin, il faut ajouter que la question de la spiritualité revêt un intérêt d’autant plus grand que l’actualité ramène de plus en plus souvent les débats politiques sur la fondation de l’Europe autour de l’idée d’un ‘patrimoine spirituel et moral’424, comme ‘ciment ’ de la culture reliant les États membres entre eux. Cette assise s’est constituée sous les influences combinées du christianisme, du judaïsme, et même dans une certaine mesure, de l’islam425. L’élargissement de l’Union européenne amène à penser que les processus d’intégration et d’unification économiques, de l’harmonisation des démarches politiques, financières, sociales, ainsi que les géostratégies des religions, tendent à estomper les caractères spécifiques de chaque identité religieuse. Or, se demande avec raison Jean-Paul Willaime, si on n’en tient pas compte, à l’avantage de quelle identité religieuse globalisante les efface-t-on ? Alors même qu’elles constituent de réelles dynamiques, bien que souvent divergentes ? Pointant le côté positif des choses, il poursuit : « L’inépuisable dialectique entre le religieux et le politique n’est-elle pas la meilleure garantie pour laisser le temps ouvert ? En participant à l’Europe en train de se faire les acteurs religieux peuvent contribuer, tout en favorisant la nécessaire interconnaissance des hommes, à entretenir cette inépuisable tension entre le religieux et le politique qui est consubstantielle à la démocratie »426. Abordant la même question, non plus sous l’ange de la démocratisation, mais celui de la construction de la ‘maison européenne ’, Richard Friedli s’interroge : « Dans cette mouvance intra européenne427, les 424
Préambule de la ‘Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne’ adoptée à Nice en décembre 2000 : « Les peuples de l’Europe, en établissant entre eux une union sans cesse plus étroite, ont décidé de partager un avenir pacifique fondé sur des valeurs communes. Consciente de son patrimoine spirituel et moral, l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité […] » (nous soulignons), BRABANT, Guy, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Témoignage et commentaires, Paris, Seuil, 2001, p. 71. 425 En Espagne, par exemple. Cf. aussi ELLUL, Jacques, « L’influence de l’Islam », in : La subversion du christianisme, Paris, Seuil, 1994, pp. 114-133. 426 WILLAIME, Jean-Paul, « La religion comme ressource symbolique et éthique dans une Europe sécularisée et pluraliste », in : FRIEDLI, Richard ; PURDIE, Mallory Schneuwly (dirs), L’Europe des Religions (Studia Religiosa Helvetica 8/9), Berne, Peter Lang, 2004, p. 66. Voir aussi WILLAIME, Jean-Paul, « Les laïcités belge et française au défi de la laïcité européenne », in : FORET, François (dir.), Politique et religion en France et en Belgique, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2009, pp. 161-177. 427 Parlant de la construction européenne, Richard Friedli avait tout d’abord décrit les différentes articulations qui se sont mises en place à partir de la création du Mouvement européen en mai 1948 à La Haye (lobbies pour l’Europe, tissage d’un réseau de concertations et de mobilisations sociales, ‘rencontres œcuméniques entre églises chrétiennes’, structures normatives, comme la Convention européenne des droits de l’Homme [1953], le forum de citoyenneté, et d’autres), avec, parallèlement, le besoin de concertations économique et politique dès les années 1950 et de leur pendant, un contour géographique, économique et politique européen qui s’est consolidé dès les années 1993 (Traité de Maastricht, après les accords de ‘Schengen’) et confirmé avec la monnaie unique, l’euro, puis, en juin 1999, sous l’impulsion de la Déclaration de Bologne, d’une Europe des Connaissances qui se construit au sein des universités, des Hautes écoles et des écoles
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membres de communautés chrétiennes, juives ou musulmanes prennent également part à cette mise en place des institutions européennes, que ce soit à titre personnel ou à travers des initiatives plus structurales. Elles y affirment – d’une façon souvent convergente, mais souvent de façon controversée – les valeurs qui leur sont propres. [...] C’est surtout au niveau des projets de préambule à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000) ou à la Constitution européenne (2003), que ces appartenances religieuses et les affirmations de laïcité s’affrontent [...]. Les débats concernant les références au patrimoine spirituel, religieux ou moral des peuples de l’Europe sont souvent très vifs. Une question essentielle se pose, à savoir si oui ou non une référence explicite au christianisme ou au religieux tout court devrait y être faite. Une autre controverse est aussi menée autour de la question si, oui ou non, la notion de Dieu devait figurer dans ces ‘textes fondateurs’ de l’Europe politique. L’élargissement de la communauté européenne vers des pays de l’Europe de l’Est, par exemple la Pologne et sa profonde tradition catholique, attise le débat. La diplomatie du Vatican trouve ainsi de nouveaux alliés face à l’Europe sécularisée [...]. Est-ce que, dans le contexte sécularisé voire politiquement athée de l’Europe de l’Ouest, mais aussi en Europe de l’Est postcommuniste, une telle référence reste significative ou fondatrice de la maison européenne ? »428. Il est certain qu’au niveau des membres des communautés religieuses, la question du ‘patrimoine spirituel et moral ’ reste entière, si on considère le rôle important de l’identité religieuse dans la construction de la personnalité. L’étude sociologique menée par Manuel Castells concernant son pouvoir sur l’individu le confirme : « [elle est] un processus de construction de sens (nous soulignons) qui a priorité sur tous les autres […]. L’identité se construit par une démarche personnelle et d’individualisation »429. Or, justement, la quête de sens (à ne pas confondre avec ce que les sociologues appellent des ‘rôles ’ ou des ‘systèmes de rôles ’ dans la société430) est devenue l’une des principales préoccupations individuelles dans le contexte de la mondialisation et celui de la construction de l’Europe. Le fort taux d’abstention (+/- 60 %) aux dernières polytechniques. Cf. FRIEDLI, Richard, « L’horizon de l’Europe des religions », in : FRIEDLI, Richard ; MALLORY, Schneuwly Purdie (dir), op.cit., pp. 7-8. 428 « Même si l’Union européenne reste avant tout l’œuvre des gouvernements, des administrations et des grandes institutions, les questions restent : comment l’Europe fait société, comment les relations entre personnes et le brassage des communautés et des collectivités vont pouvoir s’établir ? [...] », Idem, p. 8. 429 CASTELLS, Manuel : Le pouvoir de l’identité. L’ère de l’information, tome 2, Paris, Fayard, 1999, p. 17. 430
Cf. MENDRAS, Henri, Éléments de sociologie (U2), Paris, Armand Colin, 1975 : « Faisceau des attentes qui règlent le comportement d’un individu dans une position donnée», p. 257, « [...] les rôles et les positions ‘n’existent’ pas dans la société ; ce sont des grilles intellectuelles qui permettent de rendre compte de la réalité», p. 77.
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élections européennes ne pourrait-il pas être lu comme un indice au niveau politique d’une perte de sens pour beaucoup, face aux problèmes soulevés par la profondeur des crises actuelles ? Dans la même direction, on peut aussi penser que les démarches religieuses de beaucoup d’Européens – qui se révèlent, entre autres, par l’attrait qu’exercent sur eux les religions orientales, comme le bouddhisme ou un certain islam –, traduisent ce besoin profond de satisfaire une dimension spirituelle propre à toute identité humaine et personnelle, ‘non réductible à ses neurones ou à ses gènes ’ (Frédéric Lenoir). Or, les généralisations hâtives ou l’usage répété d’expressions comme ‘repli identitaire ’, ‘défense des identités ’, ‘enfermement identitaire ’, prêtent avant tout des caractères de dangerosité aux identités religieuses. On omet de prendre en considération qu’elles se traduisent aussi en termes de capacités d’actions positives, de ressources pour l’épanouissement de la personnalité. « Les identités, écrit Manuel Castells […] sont des sources de sens pour les acteurs eux-mêmes et par eux-mêmes, elles sont construites par ‘personnalisation’ […], elles ne deviennent des identités que lorsque des acteurs sociaux les intériorisent et construisent leur propre sens autour de cette intériorisation. […] Les identités sont des sources de sens plus puissantes que les rôles parce qu’elles impliquent une démarche d’élaboration personnelle et d’individualisation. Disons […] que les identités organisent le sens, tandis que les rôles organisent les fonctions. Le sens (italiques dans le texte), je le définirai ainsi : ce qu’un acteur identifie symboliquement comme l’objectif de son action »431. Dans la conception adventiste, comme les autres facteurs déjà mentionnés, la dimension spirituelle participe aussi à la construction de la personne et de son identité en organisant le sens de sa démarche religieuse et sociale. Une question semble alors se poser. Peut-on dissocier ‘dimension spirituelle ’ et ‘dimension culturelle ’ ? De quelle représentation de l’homme la conception de sa dimension spirituelle relève-t-elle dans la pensée adventiste ? Quel profil cette dimension dessine-t-elle dans la vie religieuse d’un adventiste : une dynamique du développement et de la progression ou un fondamentalisme conservateur ? 4.1.- Dimension spirituelle et dimension culturelle 4.1.1.- De la notion de culture Pour clarifier la question, il est tout d’abord nécessaire de saisir brièvement ce qu’on entend par la notion de ‘culture ’. Margaret Mead formule cette notion 431
CASTELLS, Manuel, op. cit., p. 17.
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de manière existentielle comme étant « l’ensemble des formes acquises de comportement d’un groupe d’individus unis par une tradition commune, transmise par éducation ’ […]. Il n’y a pas de société inculte »432. Louis Dollot fait remarquer à propos de cette notion qu’« en réalité le dilemme entre culture individuelle et culture de masse n’est qu’apparent et, fort souvent, tendancieusement posé. D’un côté, il vise l’homme tout entier, la personne, unique sujet de culture. De l’autre, les moyens d’acquisition de la culture, qui peuvent avoir leur spécificité (le cinéma n’est-il pas le ‘septième art’ ?), nés des énormes révolutions technologiques contemporaines essentiellement axées sur les masses. Or la masse en soi, quelle que soit sa dimension, n’est faite que de ses innombrables composantes : les individus. Ceux-ci en tirent agrément, profit, mais subissent aussi inconsciemment des orientations qu’ils n’auraient pas spontanément choisies. ‘La culture ne peut être qu’individuelle, subjective, un désir, un besoin, une recherche dans la direction que l’on veut, par le chemin que l’on s’accorde pour essayer d’atteindre, parallèlement aux connaissances, à la compréhension de soi et des autres’ (Claude Aveline) »433. Le fil est donc ténu, qui délimiterait exactement le domaine de la vie spirituelle d’un croyant ou d’une communauté religieuse de celui de la culture individuelle ou collective. Dans la vie religieuse, les deux interfèrent, l’un participant à l’acquisition ou au développement de l’autre ; ou l’un résistant à l’autre434. Quels sont les caractères spécifiques d’une dimension spirituelle dans la conception adventiste ? 4.1.2.- De la notion de dimension spirituelle D’un point de vue théologique et philosophique, dans la pensée adventiste, la dimension spirituelle se démarque de la dimension culturelle, en ce sens que la culture va de l’extériorité (caractères d’apparence objective présentés par ce que nous percevons) à l’intériorité. Tandis que la spiritualité va de l’intériorité à l’extériorité. Pour le croyant adventiste, l’acte divin créateur de l’homme l’a doté d’une dimension qui relève prioritairement de l’ordre de l’esprit435. Par 432
Cité par HUISMAN, Denis ; VERGEZ, André, Nouvel abrégé de philosophie, Paris, Nathan, 1975, p. 64. 433 DOLLOT, Louis, Culture individuelle et culture de masse, Paris, Presses Universitaires de France, 1974, pp. 16-17. 434 Dans la sphère du catholicisme, voir : « Le choc des cultures », in : POULAT, Emile, La galaxie Jésus, Paris, Editions de l’Atelier, 1994, pp. 50-53. 435
Soulignons que les multiples usages des termes bibliques hébreu, ruâh, et son correspondant grec, πνευμα, tous les deux signifiant ‘souffle’, permettent de comprendre qu’ils enferment chacun la notion d’une vitalité qui féconde, une dimension de l’homme, qui lui est donnée
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création, elle est une dimension spécifique de l’être humain, de tout être humain. Elle lui confère une potentialité, celle d’entrer en relation, de dialoguer, de raisonner avec Dieu, ‘d’entendre ’ et de ‘connaître ’ (au sens biblique de ces termes, c’est-à-dire, ‘écouter ’ intelligemment, personnaliser et vivre l’expérience). Elle est une facette de l’intelligence de l’homme, qui entre en jeu dans la compréhension que Dieu veut lui donner de lui-même en Christ et dans celle des autres. Dans le cadre du dialogue du croyant avec Dieu, on pourrait dire que cette dimension devient une sorte d’axe du rapport entre la créature et le Créateur. Cette dimension est en même temps de l’ordre de l’existence sociale, en ce sens qu’elle est l’une des manifestations d’un ‘être particulier ’ (parce que créé tel). C’est-à-dire qu’elle fait partie du ‘je’, face au ‘tu’. Le ‘je’ (ou le ‘moi’) étant ‘une sorte de médiation entre l’intériorité et l’extériorité ’ (Lavelle)436. Elle traduit la vision que le croyant a de Dieu, du monde, de lui-même, des autres, dans des rapports aux ‘réalités’, qu’on pourrait qualifier de ‘transcendantaux’ au sens kantien, c’est-à-dire une sorte de relation qui exprime une condition a priori de l’expérience. Au plan personnel du croyant, cela signifie que la dimension spirituelle dynamise l’axe constitué par les éléments donnés à sa foi – dont le substrat théologique et les croyances (appartenant à la dimension culturelle dans le modèle de Danièle Hervieu-Léger, dont nous avons étudié la construction pour l’Église adventiste au chapitre 2) sont des synthèses de recherches et d’approfondissements constants de l’enseignement biblique437 - associés aux ontologiquement par le Créateur ; donc, participante de la vie humaine originelle et distincte de Celui qui l’a donnée. C’est pourquoi ces mots sont souvent traduits en français par ‘je’, ‘ils’, ‘personnes’, ‘âmes’. 436 Cf. LAVELLE, Louis, De l’Être. La Dialectique de l’Eternel présent, Paris, Aubier/Montaigne, 19472. Louis Lavelle (1883-1951) est un spiritualiste français qui élève sa philosophie au-dessus de l’angoisse existentielle de la subjectivité isolée. La dimension spirituelle participe à ‘l’être’, c’est-à-dire à l’acte, comme la médiation du ‘je’, du ‘moi’, constitue ce qui lui est propre. Mais elle contient aussi le concept de la transcendance divine. D’où le but de la vie morale se caractérise par une actualisation des valeurs propres à l’être humain, héritées de Dieu. 437 Dès les origines de l’Église adventiste, son herméneutique s’est opposée à la conception d’une inspiration verbale des écrits bibliques (inerrance et infaillibilité des écrits, même des originaux). Leurs textes ne sont pas des transmissions où les auteurs auraient été limités à n’être que des plumes passives. En témoigne cette position prise par Ellen Gould White en 1886 : « La Bible ne nous a pas été donnée en un langage surhumain. Pour atteindre l’homme, Jésus a revêtu l’humanité. La Bible a dû être donnée en un langage humain. Or, tout ce qui est humain est imparfait […]. La Bible a été écrite par des hommes inspirés, mais ils n’ont pas employé un langage divin. Ils ont parlé le langage humain […]. Les écrivains de la Bible ont été des hommes de plume, non la plume même de Dieu. Ce ne sont pas les mots de la Bible qui sont inspirés ; ce sont les hommes. L’inspiration agit non pas sur les mots ou les expressions, mais sur l’auteur luimême, à qui le Saint-Esprit communique ses pensées. », WHITE, G. Ellen, Messages choisis, Moutain View, Pacific Press Publishing Association, 19753, vol. 1, p. 23-24. Cf. WHITE, G.
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choix et aux réactions personnels (He 11.1-2)438. Cela signifie aussi qu’en tant que constitutive de sa personnalité, la dimension spirituelle confère à son identité des caractères qui ‘transcendent’439 ses références essentiellement éducatives, sociales, nationales et ethniques, autrement dit, sa culture. Même si l’identité religieuse se manifeste aussi au travers de gestes cultuels et culturels, la dimension spirituelle contribue à leur apporter des sens qui dépassent la simple répétition d’un héritage ou d’une tradition religieuse440. Elle confère à l’identité religieuse des dimensions avant tout relationnelles. Elle organise sa signification et son sens. Cela signifie enfin que cette dimension sensibilise la conscience, dans la mesure où le croyant pense qui il est devant Dieu, ce que sont les autres et ce qu’est le monde pour lui-même et pour Dieu. En somme, la dimension spirituelle est le moteur de sa conscience, celle d’une présence à soi-même, de la présence à Dieu, à la société et au monde. Elle devient ‘intelligence ’, dans le sens d’un ‘discernement des choses ’, suivant l’intensité de l’être au sein de la société dans un dialogue responsable. 4.2. – Représentation de l’être humain et de sa dimension spirituelle. Conception adventiste Charles Péguy écrivait que ‘le spirituel est lui-même charnel ’. Au sens d’une ‘anthropologie’441 chrétienne, tel que la perçoit la théologie adventiste, Ellen, Objections to the Bible, Manuscrit 24, Centre de Recherche Ellen White, Faculté adventiste de théologie, Collonges-sous-Salève, France. Le récit biblique est donc une transmission d’une expérience spirituelle de l’auteur vécue avec Dieu. Elle passe par le ‘filtre’ de sa perception des choses, dans son époque, avec sa fragilité et ses limites. L’interprétation du texte biblique ne peut donc pas être littéraliste. Elle doit être orientée par la recherche du contexte littéraire, culturel, historique de l’écrit et l’intention du message des auteurs. 438 He 11.1-2 : « Or la foi, c’est la réalité [ύπόστασις πραγμάτων (note de l’auteur)] de ce qu’on espère, l’attestation [voire conviction, note de l’auteur] de choses qu’on ne voit pas. C’est par elle que les anciens ont reçu un bon témoignage» (traduction Nouvelle Bible Segond, 2002). 439 Transcender, dans le sens d’aller au-delà des héritages, des appartenances et des conventions humaines. 440 1 Co 2.13 : « […] non avec les discours qu’enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu’enseigne l’Esprit, en associant le spirituel au spirituel» (Nouvelle Bible Segond), « […] mais dans celui [le langage] qu’enseigne l’Esprit, exprimant ce qui est spirituel en termes spirituels » (Traduction œcuménique de la Bible). Texte difficile. Autre lecture : « en soumettant les réalités spirituelles au jugement des hommes spirituels » (Bible de Jérusalem, note sur 1 Co 1.13). ‘L’être spirituel’ désignant toute la personnalité dans son mouvement et son évolution. 441 ‘Anthropologie’, n’est pas pris ici dans le sens d’une branche de l’ethnologie qui étudie les caractères anatomiques et biologiques de l’homme considéré dans la série animale (anthropologie physique), ou qui étudie institutions et les techniques dans les diverses sociétés » (anthropologie sociale et culturelle). Il s’agit d’un sens ‘injecté ’, c’est-à-dire, une connaissance de l’homme à partir de la révélation biblique, qui ne relève pas uniquement de la philosophie (métaphysique).
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cette affirmation peut être comprise comme mettant en évidence une ‘parenté ’ du spirituel et de la ‘matérialité ’ de l’homme. Dans la théologie adventiste, l’être humain n’a pas une ’âme ’ dans une enveloppe, le ‘corps ’. Il est ‘âme ’. Il est union intime, synthèse de ses constitutifs, corporels et spirituels (esprit), dans une corrélation indissociable, dont le tout forme la structure métaphysique de son être442. « Quel que soit le point de vue auquel on se place, celui de sa genèse ou celui de sa manifestation, l’homme apparaît dans les deux cas comme un tout d’une parfaite unité. Certes, dans le premier cas, il est possible de distinguer les deux éléments constitutifs de son être ; mais avant tout, l’homme est défini (dans la Bible) comme une ‘âme vivante’. Dans le deuxième cas, la multiplicité de ses manifestations ne saurait nous échapper ; mais là encore, elles ne sont que l’expression de l’être tout entier. Car si l’essence de l’homme est d’être une ‘âme vivante’443, celle-ci n’existe vraiment que dans la mesure où elle se manifeste. […] La nécessité dans laquelle se trouve l’âme pour être de 442 Sans entrer dans le débat, il nous paraît utile pour la compréhension de notre approche de prendre en compte quelques considérations métaphysiques sur la nature de l’homme : ‘être particulier ’, dans le sens où l’homme n’est pas un mode d’Être de Dieu. « […] si le tout de chaque être particulier est de l’être et qu’il possède toujours en lui-même ce qu’il faut pour exister en tant qu’être complet, il est évident qu’il n’est pas le tout de l’être, sans quoi il devrait contenir toute réalité. Ce qui n’est pas, puisqu’il y a de l’être en dehors de lui, puisqu’il existe à côté de lui d’autres êtres desquels il se distingue précisément par une manière d’être qui lui est propre. Il est donc bien un mode d’être particulier. C’est pourquoi l’on dit que l’être particulier ‘participe’ à l’être. C’est dans ce sens qu’il est un être fini, relatif, en même temps qu’il est, dans un autre sens, ontologiquement complet, achevé, parfait ». « […] il va sans dire que le mot être, pris dans son sens le plus absolu, ne peut désigner que l’Être souverainement absolu, à savoir Dieu ». « […] Il nous paraît dangereux de toucher au caractère absolu de la cause première. Or, considérer les êtres particuliers comme des ‘modes’ de l’Être absolu, c’est déclarer en somme que celui-ci se trouve affecté intrinsèquement par le relatif […]. Le problème de la participation des êtres particuliers au plan de l’Être s’explique de lui-même […], dès que l’on admet que ces êtres sont ‘créés’ et que l’on respecte intégralement le caractère absolu de la Cause créatrice. Car l’ordre de la création se fonde précisément sur la totale dépendance des êtres vis-à-vis de la Cause absolument indépendante ». « […] « Le mot Être […] ne peut convenir qu’à Dieu seul. C’est pourquoi, du reste, la définition même de Dieu, c’est ‘Celui qui est’ ; ou mieux encore, Celui qui peut dire de luimême ‘Je suis’ (Ex 3.14) ». « […] on comprend facilement que l’être de Dieu, l’existence du moi ou la réalité du monde puissent comporter une adéquation apparente avec le tout quand on considère chacune de ces notions sous une forme exclusive sans chercher sa parenté avec les deux autres, comme on le voit dans le panthéisme, dans l’idéalisme et dans le matérialisme». « […] A notre avis, ces considérations sont d’une importance capitale. Car, nous croyons précisément que les obscurités du problème de l’union de l’âme et du corps proviennent de la confusion même des diverses perspectives sous lesquelles il est possible d’envisager l’homme», ZURCHER, Jean, L’homme, sa nature et sa destinée (Bibliothèque théologique), Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1953, pp. 124-133. 443 Cf . Par exemple, Rm 2.9 : ‘tout homme’, autre traduction ‘toute âme’ ; même expression traduite par ‘chacun’ en Rm 13.1, etc. Le terme biblique désigne une unité, l’homme total, la personne.
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s’exprimer par un corps constitue l’une des affirmations par excellence de l’anthropologie chrétienne. La réalité corporelle est une notion essentiellement chrétienne »444. Selon la position adventiste l’être humain peut donc être étudié sous trois angles : ontologique, dans ses manifestations possibles, sous l’angle de l’être particulier par rapport à Dieu, le ‘Je suis’ ; psychologique, sous l’angle de soi par rapport à soi ; de sa réalité physique, sous l’angle de soi par rapport à l’autre. À ces trois angles correspondent les trois sens donnés dans la Bible aux mots ‘esprit ’, ‘âme ’ et ‘corps ’, considérés comme des principes constitutifs du tout de l’homme, l’essence de son être qui se manifeste dans l’existence par ses facultés spirituelles, mentales et physiques. Dans l’identité religieuse adventiste, la dimension spirituelle n’est donc pas à considérer comme une manifestation religieuse ‘désincarnée ’, ‘désocialisée ’. Elle ne repose pas non plus sur une dualité ‘âme ’ et ‘corps ’. Elle se manifeste bien comme une ‘charnière ’ de sociabilité, une dynamique relationnelle qui lui confère ses caractéristiques propres. Ancrée dans la révélation que Dieu donne de lui-même, elle se différencie par ses origines de la culture, tout en lui restant associée au travers de certaines de ses manifestations. Dans ce sens, la compréhension de la spiritualité adventiste dans les milieux français et suisse est généralement fragmentaire et, pour beaucoup, elle reste une interrogation. 4.3.- Adventisme et les fondamentalismes En effet, l’adventisme offre l’image d’un mélange d’engagement social, d’hygiène et de style de vie, de sciences bibliques, d’éducation, d’intérêt pour les droits de l’homme, dont la cohérence paraîtrait parfois être mise à mal par la croyance en un retour prochain du Christ en gloire. Sous un autre angle, la singularité avec laquelle certaines de ses croyances sont quelquefois présentées peut laisser l’image anecdotique d’un groupe religieux conditionné par de fortes positions dogmatiques (repos sabbatique, restrictions alimentaires, etc.), avec un accent sur la culpabilité de l’humanité en train de vivre les dernières phases de son histoire. Il faut certainement imputer le caractère excessif de ces manifestations à des approches lacunaires du message adventiste, ou à des comportements retranchés derrière un conservatisme étroit et des attitudes légalistes445. Pour autant, ces formes d’expressions religieuses ne reflètent pas la réalité de l’identité religieuse adventiste. Est-il objectif de profiler sa dimension 444
ZURCHER, Jean, op. cit., p. 181. Il faut reconnaître que les croyants, dans ces milieux, y sont conduits par une lecture sélective de la littérature adventiste, ignorant ou omettant de prendre en considération le contexte des choses, les évolutions et les débats qui entourent ces questions dans l’histoire et la théologie de leur propre Église. 445
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spirituelle d’après ces façons minoritaires au sein de l’Église adventiste ellemême de concevoir l’adventisme ? Il faut remarquer ici que les médias y ont souvent contribué. Leur attention s’arrête souvent sur ce qui leur parait singulier, dans le sens affaibli du terme, négligeant les autres aspects de l’adventisme. L’examen de leurs déclarations révèle qu’ils n’en perçoivent souvent que très partiellement les significations et les fonctions dans l’enseignement adventiste. En plus, partant d’une conception linéaire des croyances religieuses, ils ne laissent aucune place à une hiérarchisation de leur place dans la foi de cette Église. Aussi certaines plumes sont-elles tentées de ramener cette spiritualité à un plaidoyer identitaire exclusif ; autrement dit, à un radicalisme dit ‘évangélique ’. En 2006, la journaliste Élodie Maurot, du journal ‘La Croix ’, définissait l’Église adventiste comme « un courant évangélique radical caractérisé par son fondamentalisme doctrinal et moral »446. Ce type de traitement expéditif de la pensée adventiste relève d’une analogie qui altère la réalité, négligeant la différence entre les notions de ‘fondamental ’ et de ‘fondamentalisme ’, objet des recherches du professeur Richard Friedli à partir de l’approche des doctrines, de l’éthique et de la politique447. C’est ignorer l’histoire de cette Église, la pensée de ses fondateurs, l’évolution de sa théologie, les questionnements et les développements de ses croyances. On oublie la distance prise par l’Église adventiste à l’égard de positions et d’actions contestataires conduites par des milieux religieux radicaux sur des questions comme la contraception, l’avortement, la génétique et ses recherches, l’imposition de la prière dans les écoles publiques aux États-Unis, la politique des États-Unis placée sous le signe d’un messianisme mondial, et d’autres encore. Comprendre la dimension spirituelle adventiste passe donc aussi par une clarification de ce qu’on entend par ‘fondamentalisme ’. Le sens de ce terme se heurte aux multiples applications qui en sont faites aujourd’hui. Nous limiterons notre réflexion aux champs des trois grandes religions monothéistes, le 446
MAUROT, Élodie, « La Fédération protestante de France va accueillir de nouveaux membres », La Croix, Paris, 10 mars 2006, p. 19. 447 Voir les travaux menés par le professeur Richard Friedli, de l’Université de Fribourg, qui, partant d’une analyse des notions de ‘fondamentaux’ et de ‘fondamentaliste’ sur la base des doctrines, de l’éthique et de la politique, s’interroge sur ce qui est ‘fondamental’ et quand peut-on parler de ‘fondamentaliste’. Richard Friedli cherche à discerner les facteurs qui peuvent jouer un rôle pour favoriser le passage du premier au second. D’un côté, quelles sont les conditions qui mènent au fondamentalisme ? Mais aussi, de l’autre, quels sont les facteurs qui entraînent un mouvement en sens inverse ? Ses recherches sont conduites à la fois au niveau des conditions sociales des groupes concernés et de la politique des sociétés dans lesquelles ils se développent. Cf. FRIEDLI, Richard, Potentiel conflictuel et compétence de réconciliation des religions, Contribution au forum des religions 2008, Fribourg, tapuscrit, septembre 2009. Cf. aussi : HOEKENDIJK, Johannes Christiaan ; SCHMIDT, Hans, « Fondamentalisme morphologique », in : Vers une Église pour les autres. A la recherche de structures pour des communautés missionnaires, Conseil Œcuménique des Églises, Genève, Labor et Fides, pp. 76-78.
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christianisme, le judaïsme et l’islamisme, les trois grands milieux monothéistes présents en Europe occidentale. Nous avons conscience de laisser la place à de nombreuses interrogations. Notre approche se situe sur un plan historique et considère essentiellement les sens donnés à ce terme. Nous nous attacherons ensuite à la question de savoir à quel type de spiritualité relier l’identité religieuse adventiste. 4.3.1.- Complexité de la problématique du ‘fondamentalisme ’ Les études448 révèlent que l’opinion commune associe assez généralement le fondamentalisme et l’intégrisme aux images d’identités religieuses construites sur l’opposition à la modernité et à la sécularisation449, ou encore, marquées par des cultures religieuses repliées sur elles-mêmes ; en bref, à des attitudes de croyants qui refusent toute évolution. Fondamentalisme, intégrisme. On peut s’étonner en constatant que dictionnaire Le Petit Robert les amalgame. Il serait sans doute plus exact 448
Voir aussi sur ce sujet : MAYER, Jean-François, Les fondamentalismes, Chêne-Bourg, Georg, 2002 ; WILLAIME, Jean-Paul, « Fondamentalisme », in : GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, pp. 523-524 (+ bibliographie) ; AUTOUN, T. Richard, Understanding Fundamentalism : Christian, Islamic and Jewish Movements, Lanham, MD, Rowman and Littlefield, 20012 ; Faculté de théologie adventiste, Chrétiens, juifs et musulmans à l’épreuve de l’intégrisme, Collonges-sous-Salève, France, Actes du Colloque du 23 au 25 avril 2004. 449 « […] un sentiment d’inquiétude se répand en cette fin du second millénaire de l’ère chrétienne face aux gigantesques bouleversements qui se sont produits ces dernières années dans l’organisation du monde et au chaos que l’on pressent – après la désagrégation de l’empire soviétique, par exemple. Dans ce climat d’incertitude, de pertes des repères, bons et mauvais, qui structuraient les relations internationales et l’ordre du monde depuis 1945, de nombreux mouvements de réaffirmation du religieux sur la scène politique ont vu le jour au cours des quinze dernières années. Qu’ils soient juifs, chrétiens ou musulmans, ils considèrent que les malheurs de l’humanité viennent de ce que la raison humaine a voulu s’émanciper de la foi, de l’observance des injonctions contenues dans les textes sacrés. Pour eux le processus de sécularisation, de perte d’emprise de la religion sur l’organisation sociale et politique, inauguré avec le Siècle des lumières, a produit en droite ligne les pires malheurs du 20e siècle : le nazisme et le stalinisme, qui oubliaient que l’homme est d’abord la créature de Dieu ; mais aussi toutes ces formes de dislocation sociale que sont la toxicomanie, la ‘ghettoïsation’ des banlieues, le développement considérable de la xénophobie, du racisme et des processus d’exploitation. Pour sortir de ces impasses de notre temps, certains nouveaux mouvements, chrétiens, juifs, musulmans, prônent le retour à la stricte observance des commandements de la religion, à la fois dans la vie privée et dans l’existence publique. C’est l’application de la chari’a dans le monde musulman, de la halakha dans le monde juif, le combat pour interdire l’avortement, par exemple, dans le monde chrétien. […] Mais tous ces mouvements participent-ils de la même logique ou appartiennent-ils à des registres différents ? », KEPEL, Gilles, « Mobilisations religieuses et désarrois politiques à l’aube de l’an 2000 », in : LENOIR, Frédéric ; TARDAN-MASQUELIER, Ysé, Encyclopédie des religions, vol. 2, Paris, Bayard, 1997, p. 2411.
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d’écrire avec le sociologue Jean-François Mayer ‘fondamentalismes ’, au pluriel. Tenter de définir cette notion d’une manière univoque se heurte en effet à l’obstacle des applications très différentes qui en sont faites aujourd’hui. Tant de discours et de façons de lire ce terme en ont biaisé la signification historique. Il faut ajouter, comme le souligne Jean-François Mayer, que ‘la neutralité dans ce domaine n’est pas aisée ’. Ainsi, la revue Lumière et Vie faisait état en 1988 d’une affirmation de Pierre Lathuilière qui écrit que dans la tradition chrétienne le ‘fondamentalisme ’ se caractérise par son « opposition aux recherches exégétiques ». L’auteur parle aussi de « débat entre les exégètes et les fondamentalistes », à la manière d’une incompatibilité systématique entre les deux450. 4.3.2.- Subtilité des sens et amalgames Subtilités des sens Les termes utilisés en français pour désigner les milieux religieux englobés dans cette catégorie et les distinguer des autres, sont multiples : ’intégrisme ’, ‘fondamentalisme ’, ‘extrémisme ’. Leurs sens sont si fluctuants qu’on est étonné de lire parfois dans la presse des expressions comme ‘le fondamentalisme laïc ’, ‘l’intégrisme de la laïcité ’. Il est difficile de savoir de quoi il s’agit exactement. Relevant les imprécisions de leur usage, les paradoxes et les chemins contradictoires que leurs sens peuvent parfois recéler, Richard Antoun écrit que « [...] le fondamentalisme peut être politique ou apolitique, il peut vouloir la confrontation ou l’éviter, souhaiter se séparer ou s’intégrer, se soucier d’orthodoxie avec ce monde ou se soucier du sort final d’une personne dans l’au-delà, craindre un ennemi de l’extérieur ou de l’intérieur »451. Antoun rappelle que ce terme est devenu ambigu dans les médias après la révolution iranienne de 1979. De son côté, Mark Juergensmeyer parle ‘d’une crainte irrationnelle antifondamentaliste’452, parfois légitime, mais qui engendre des généralisations hâtives et provoque des comportements violant la liberté de 450 Cf. LATHUILIERE, Pierre, « Le fondamentalisme dans les traditions chrétiennes», Lumière et Vie, Lyon, 186 (1988), pp. 69-85. Pierre Lathuilière est prêtre dans le diocèse de Lyon. Il est membre du Groupe des Dombes. 451 ANTOUN, T. Richard, Understanding Fundamentalism : Christian, Islamic and Jewish Movements, Lanham, MD, Rowman and Littlefield, 2001, p. 160 (trad. MV). 452 JUERGENSMEYER, Mark, « Antifundamentalism », in : MARTY, Martin ; APPLEBY, Scott (dirs), Fundamentalism Comprehended, Chicago/London, University of Chicago Press, 1995, p. 353. Cité par ROLLAND, Jean-Luc, « Adventisme et fondamentalisme : évaluation d’une distance », in : Faculté adventiste de théologie, Chrétiens, juifs et musulmans à l’épreuve de l’intégrisme, Collonges-sous-Salève, Actes du colloque, 23 au 25 avril 2004, p. 26. Mark Juergensmeyer est attaché au département de sociologie de l’Université de Californie, Santa Barbara, États-Unis.
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conscience et de religion qui ressemblent à l’esprit de ce qu’on dénonce. JeanFrançois Mayer suspectait fortement dans ces catégorisations une volonté de simplifier à l’extrême : « Derrière l’application d’étiquettes comme ‘secte’ ou ‘fondamentalisme’, les enjeux idéologiques ne sont pas toujours absents : de même que la ‘secte’, le ‘fondamentalisme’ est toujours l’autre, celui que l’on veut ainsi montrer du doigt et exclure »453. D’autres spécialistes de la question réagissent aussi à des jugements aussi normatifs454. Ils observent que ce qui gêne la plupart du temps, ce ne sont pas tant des troubles qui pourraient en découler que les groupes que l’on désigne comme tels par le fait que leurs vues ne sont pas tout à fait conformes à la pensée dominante. Les risques de la confusion et des amalgames Pour expliquer le retour de ces questions dans l’actualité, il faut sans doute situer de tels jugements dans le contexte de la résurgence du religieux suite aux désenchantements du passé et aux crises qui ont marqué l’histoire de l’Occident depuis la fin du 18e siècle455. Quoi qu'il en soit, il est permis de penser qu’en France, en Belgique, en Allemagne, en Suisse, c’est l’actualité mouvementée autour des ‘affaires des sectes ’ et les problèmes soulevés par un certain islam456, qui ont fait découvrir certaines visions du religieux auxquelles l’opinion publique n’était pas préparée. Face à ces ‘étrangetés ’, les images 453
MAYER, Jean-François, op. cit., p. 8. Cf. HARRIS, Jay, « Fundamentalism : Objections from a Modern Jewish Historian », in : STRATTON, John Harvey (dir.), Fundamentalism and Gender, New York/Oxford, Oxford University Press, 1994, pp. 137-173. John H. Stratton est professeur d’histoire comparative des religions à Harvard Divinity School. 454 Cf. INTROVIGNE, Massimo ; MELTON, J. Gordon, et al., Pour en finir avec les sectes. Le débat sur la rapport de la commission parlementaire, Paris, CESNUR-Di Giovanni, 1996. 455 « Les effets cumulés du siècle des Lumières au 18e siècle, des révolutions politiques américaines (1775-1783), françaises (1789-1793), russes (1917-1919) et les révolutions scientifiques des deux derniers siècles ont eu pour conséquence de diminuer, particulièrement en Occident, l’attention portée aux questions morales [...]. Le centre s’intérêt s’est de plus en plus porté vers la possibilité de tirer tout de suite le meilleur parti des opportunités matérielles», BEACH, Bert, « Appels et danger du fondamentalisme », Revue adventiste 1751, janvier 2008, p. 9. Vu sous un autre angle, Kathy Rousselet écrit : « La religion renaît aujourd’hui à la fois sur les décombres de l’idéologie et sur ceux d’une certaine ‘modernité’. Devant l’absence de consensus social, on fait appel aux ‘valeurs morales universelles’ qui auront servi de ciment de la société. Devant l’échec de l’utopie prométhéenne d’une conquête scientifique et technique du monde, l’homme cherche de nouvelles croyances. La crise morale, économique et écologique laisse craindre une imminence de l’apocalypse. Synthèse de ces divers échecs, la catastrophe de Tchernobyl a montré l’urgence de la quête de valeurs éternelles. », ROUSSELET, Kathy, « Les ambiguïtés du renouveau du religieux en Russie », in : KEPEL, Gilles, et al., Les politiques de Dieu, Paris, Seuil, 1993, pp. 121-122. 456 Les années marquées en Europe occidentale par les affaires dites des ‘sectes’, du port du voile islamique dans les établissements de l’Éducation nationale française et ceux de services publics, comme les hôpitaux en Suisse et en Allemagne, la question du port de signes religieux en France (commission Stasi, décembre 2003), les rapports parlementaires français et belges, l’enseignement de l’islam dans les athénées en Belgique.
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négatives ont fait le lit de jugements réducteurs, comme s’il s’agissait d’une réalité unique, en dépit de tout ce qui sépare leurs inspirations. « Mais tous ces mouvements participent-ils de la même logique ou appartiennent-ils à des registres différents ? », demande Gille Kepel457. Et d’ajouter : « C’est ainsi que certains observateurs appréhendent d’emblée cet ensemble de phénomènes par le vocable d’intégrisme (italiques dans le texte), ramenant à cette notion imprécise, mais fortement péjorative dans l’usage courant, des mouvements sociaux dont ils occultent ainsi l’ampleur et les significations profondes »458. Ce constat général ramène à l’idée que l’opinion publique ne retient souvent des groupes religieux ainsi catalogués que des comportements diabolisant tout à la fois la recherche intellectuelle, la liberté de conscience et de religion, la séparation des Églises et des États et les valeurs de l’engagement social. Pour elle, la spiritualité dans ces milieux se limite à repousser ces acquisitions de la modernité et à leur opposer l’absolutisme de leurs visions des choses. Il nous parait donc justifié de revenir sur le sens historique des termes ‘intégrisme ’ et ‘fondamentalisme ’, avant de voir en quoi la dimension spirituelle adventiste n’enferme pas l’identité religieuse dans un cadre institutionnel producteur d’un capital religieux doctrinal figé et de domination, bien que l’Église adventiste ne laisse pas le croyant sans repères face aux syncrétismes, à la religion ‘à la carte ’ qui caractérise le religieux dans l’ultramodernité, comme nous l’avons décrite au chapitre 1. 4.3.3.- Intégrisme Daniel Béresniak soutient que « les intégristes et les fondamentalistes se ressemblent à tel point qu’il est légitime de les confondre »459. Ysé TardanMasquelier précise au contraire que les deux termes « sont nés dans le christianisme occidental au sein de courants qui se sont eux-mêmes désignés de cette manière. Les appliquer à d’autres n’est pas sans poser de problème »460. ‘Intégrisme ’ est à la fois un concept et un mot qui appartient au vocabulaire catholique. C’est en France qu’est né et que s’est enraciné le traditionalisme 457
458 459
KEPEL, Gilles, et al., Les politiques de Dieu, Paris, Seuil, 1993, p. 9.
IBIDEM.
BERESNIAK, Daniel, Les Intégrismes : idéologie du désir paranoïaque, Paris, Grancher, 1998, p. 18. Cité par ROLLAND, Jean-Luc, « Adventisme et fondamentalisme : évaluation d’une distance », in : Faculté adventiste de théologie, Chrétiens, juifs et musulmans à l’épreuve de l’intégrisme, Actes du colloque du 23 au 25 avril 2004, 2006, p. 28. 460 TARDAN-MASQUELIER, Ysé, « Mises au point », Le Monde des religions, septembreoctobre 2003, p. 29.
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catholique. Si on ne connaît pas l’histoire de la ‘guerre des deux France ’ (Emile Poulat), il est difficile de déchiffrer le mouvement qualifié ‘d’intégriste ’ par les catholiques modérés, désireux de conciliation avec la République française. Dans d’autres pays, qui n’ont pas connu le conflit qu’il a entraîné dans l’Église catholique elle-même, ce terme paraît presque incompréhensible : « Les braises qui viennent de se renflammer à propos du concile Vatican II sont bien antérieures au concile des années 1960 », écrit Henri Tincq, en évoquant l’affaire des évêques de la Fraternité Saint Pie X461. C’est un exemple de la ‘Guerre des deux France ’, selon l’expression d’Emile Poulat, avec, d’un côté, la France des Lumières, la Révolution, les droits de l’homme, la République, la séparation entre les Églises et l’État, la laïcité, la démocratie, et de l’autre, la France sacrée, celle qui va du baptême de Clovis à Jeanne d’Arc, dont l’homme politique nationaliste, Jean-Marie Le Pen se fait l’égérie ; la France de la ‘Contre-Réforme ’, de la ‘contre-révolution ’ qui refuse le ralliement à la République. C’est aussi la France de Charles Maurras prônant un catholicisme comme programme politique ; puis, c’est celle du maréchal Pétain, antijuif. Et, au milieu du 20e siècle, celle de ceux qui font barrage à Vatican II. Même en évitant de faire un amalgame entre tous les catholiques nostalgiques de la messe en latin, les partisans de la ‘France sacrée ’ ont en commun de fortes traditions familiales catholiques, des références et les regrets d’un passé glorieux de leur Église, avec une détestation de la société et de l’Église catholique, devenue moderne462. Leur héritage religieux reste fixé sur le concile de Trente (15451563) et son catéchisme appris par cœur, la Bible lue uniquement dans le latin de la version dite ‘Vulgate ’, le vieux bréviaire et la messe de Saint Pie V dite en latin. Elle repose sur la figure sacrée du prêtre, de la séparation entre l’Église – comme hiérarchie ecclésiale produisant la doctrine et dispensant le salut et les sacrements –, et les fidèles. On sait que cette branche marginale du catholicisme n’acceptera jamais le concile de Vatican II, avec sa déclaration sur la liberté religieuse et la libération de la parole de l’Évangile au profit des croyants. Pie VI a soutenu ce courant. Il n’admettait pas le renversement de l’Ancien Régime, avec son ordre : ‘une foi, une loi, un roi ’. Avec la Révolution française, une longue déchirure s’est installée à l’intérieur même du catholicisme. La critique du nouveau régime politique français par les papes a traversé le 19e siècle jusqu’à Léon XIII (1878-1903) qui, en 1892, invita les catholiques au ralliement à la IIIe République. Néanmoins, les traces de cette rupture demeurent encore aujourd’hui, accentuées à nouveau avec la crise intégriste depuis le moment où le Concile de Vatican II a fait découvrir au monde catholique le visage d’un catholicisme qui admet que la Déclaration des 461
TINCQ, Henri, « La guerre des deux France », Le Monde des Religions 35, mai-juin 2009, p. 6. 462 Cf. IBIDEM.
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droits de l’homme n’est pas éloignée de l’esprit de l’Évangile et d’une Église qui publie la déclaration ‘Dignitatis Humanae ’. L’ambiguïté demeure aujourd’hui après l’initiative de rapprochement de Benoît XVI avec les successeurs de Mgr Lefebvre et les évêques de la Fraternité de Saint Pie X. Leur communauté est tiraillée entre les modérés qui voudraient la mettre à profit, pensant qu’elle est une chance historique de rediscuter les acquis du concile Vatican II. Ils pensent que Benoît XVI est ‘leur pape ’, conservateur en doctrine, proche en liturgie et qu’il mettra fin à la parenthèse de ce concile. Du côté de Rome, il semble qu’on se méprenne en pensant que le Vatican finira par obtenir un ralliement à des vues plus ouvertes. Intégrisme et fondamentalisme. La différence C’est en parlant de radicalisations que les médias utilisent indifféremment ces deux termes. On pourrait être tenté de penser que l’émergence de l’intégrisme catholique, résultat du conflit dont nous venons de parler, s’apparente à la contestation protestante du 19e siècle aux États-Unis. La différence est importante. « C’est confondre une défense de l’infaillibilité d’une tradition (intégrative) et d’une institution ecclésiastique, d’une part, et la doctrine de l’inerrance d’un texte, en l’occurrence la Bible, de l’autre », écrit Jean Baubérot463. En effet, d’un côté, le Magistère romain s’attache à défendre une tradition ecclésiale considérée comme une continuité apostolique et son critère souverain dans l’interprétation des Écritures (cf. Encyclique Pascendi, de Pie X, 1907). De l’autre, des protestants, appelés ‘fondamentalistes ’, qui cherchent à préserver leurs doctrines contre des excès d’une herméneutique libérale de la Bible. Jean Baubérot souligne que « le sociologue Paul Ladrière a tenté de théoriser un usage générique du terme ‘intégrisme’ à partir de trois indicateurs : 1. une association étroite entre religion et nationalisme. 2. un refus global de la modernité. 3. une opposition à l’économie capitaliste libérale. Le premier point peut s’appliquer à certains mouvements fondamentalistes protestants (aux États-Unis, par exemple). Mais, en général les critiques fondamentalistes à l’égard de la modernité ne sont pas globales (ils acceptent par exemple le contrôle des naissances) et il y a plutôt une attestation – ou une indifférence – à l’égard du système capitaliste libéral »464. Nous notons sur ce dernier point que l’Église adventiste, tout en n’approuvant pas les méthodes de contestation qui font usage de la provocation et de la violence, d’où qu’elles viennent, s’efforce de rappeler les principes et les valeurs nécessaires pour
463
BAUBEROT, Jean, « Intégrisme», in : GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, p. 633. 464 IBIDEM.
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préserver la justice sociale et économique dans les rapports sociaux, sur la base de l’égalité des hommes dans le travail et dans le profit465. 4.3.4. – Les fondamentalismes Considérations sur l’application de cette notion aux milieux juifs et musulmans Il serait intéressant, mais trop étendu dans le cadre de cette étude, de s’arrêter plus longuement sur la notion de fondamentalisme attribuée aux milieux juifs et musulmans. Nous dirons, en résumé, qu’en milieux juifs, d’après Emile Moatti, délégué général de la ‘Fraternité d’Abraham’ et membre du comité directeur de l’amitié judéo-chrétienne de France à Paris, « la méthode pédagogique de la Thora consiste à décrire toutes les déviations possibles, tous les défauts du genre humain entraîné par les passions à mal agir ». Le but est « que nous puissions rester vigilants, afin d’éviter de tomber dans les mêmes errements en exerçant notre volonté à bien faire »466. Selon lui, il y a deux causes aux dérives fondamentalistes en milieux juifs : celle de ‘considérer que la Thora est une révélation sacrée dont il faut adopter les directives dans leur intégralité et dans le sens littéral absolu ’ et celle ‘de renoncer à tout esprit critique et à tout jugement ’. Il en résulte, écrit-il, ‘l’enfermement sur ellesmêmes de certaines communautés juives’. Il ajoute que si un fondamentalisme juif peut conduire à un certain intégrisme, l’ensemble des règles de comportement fixées par la Thora (le Talmud), s’appelle la Halakha (du verbe ‘aller ’, ‘avancer ’), parce qu’elles peuvent évoluer467. Quant aux milieux musulmans, nous nous référons à l’analyse de Massimo Introvigne, historien et sociologue des religions à Turin. Il examine l’islam à partir du modèle des ‘niches ’, terme emprunté à l’économie de marché468. Il situe les organisations musulmanes et leur enseignement selon une graduation 465
Voir « Guidelines for Employers and Employee Relationships », in : DABROWSKI, Ray (dir.), General Conference of Seventh-Day Church. Statements Guidelines and others Documents. A 2005 Compilation by the Communication Department of the General Conference, Silver Spring, MD, Review and Herald Publishing Association, Hagerstown, USA, 20054, pp. 133-136. 466 MOATTI, Emile, « La propagation de l’idéal biblique de justice et de solidarité», in : Chrétiens, juifs et musulmans à l’épreuve de l’intégrisme, Actes du Colloque du 23 au 25 avril 2004, Collonges-sous-Salève, Faculté adventiste de théologie, 2006, pp. 127-128. 467 IDEM, p. 127-130. 468 Cf. INTROVIGNE, Massimo, Fondamentalismi. I diversi volti dell’intransigenzia religiosa, Piemme, Casale Montferrato (Alessandria), 2004. Voir aussi, du même auteur, « Les extrémismes religieux. Définitions et approche sociologique», in : Chrétiens, juifs et musulmans à
l’épreuve de l’intégrisme, Actes du Colloque du 23 au 25 avril 2004, Collonges-sousSalève, Faculté adventiste de théologie, 2006, pp. 7-23.
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en cinq ‘niches ’ : les ultraprogressistes, les progressistes, les conservateurs, les fondamentalistes stricts, les fondamentalistes ultra-stricts (extrémistes). À mesure qu’on progresse d’une niche à l’autre, la tension à l’intérieur du groupe religieux devient plus forte. Le problème proviendrait de l’échec de ceux qui se sont tournés vers les niches progressistes, car ils introduisent dans ‘l’ouma ’ (la communauté musulmane mondiale) des éléments de distorsion. Le sociologue cite les exemples de la Palestine, de la Turquie, de l’Algérie, de l’Iran, de l’Afghanistan et des franges de l’émigration musulmane en Europe. Pour les contrer, l’option ultrafondamentaliste cherche à s’affirmer sur la scène internationale, avec ses ‘succès rampants ’ et ses violences. Au sein du protestantisme Le mot ‘fondamental ’, dérivé du latin, signifiant ‘qui a de l’importance, un caractère essentiel et déterminant ’, est en usage en français depuis 1460. ‘Fondamentalisme ’ est un vocable qui a dévié de son sens historique. Il provient du langage religieux en usage aux États-Unis au début du 20e siècle. Il est né dans les milieux baptistes. En 1919, la ‘World’s Christian Fundamentals Association’ a été créée et l’année suivante, en 1920, l’éditeur du journal baptiste The Watchman Examiner, Curtis Lee Laws, utilise le mot anglais ‘fondamentaliste ’ pour désigner ceux qui défendent les positions doctrinales exposées dans des fascicules de théologie publiés de 1910 à 1915 sous le titre ‘The Fundamentals, A Testimonies to the Truth’. Ces publications sont signées par une quarantaine de théologiens et d’hommes d’Église américains et européens. ‘The Fundamentals’ se présente comme une réaction au libéralisme protestant allemand et au mouvement ‘Social Gospel’. Ses chapitres traitent des points de doctrine que leurs auteurs considèrent comme ‘fondamentaux ’ pour la foi chrétienne. Ils mettent la théorie de l’inerrance de l’Écriture à la base de leur herméneutique469. Se désignant eux-mêmes comme ‘fondamentalistes ’, ils se
469
Cf. notes 323, 324 et 325. La théologie adventiste ne partage pas la théorie de l’inerrance des textes bibliques. Concernant cette théorie, Jean-Paul Willaime écrit : « Ce dernier point est particulièrement important : tous les fondamentalistes s’accordent en effet pour dire que la Bible est exempte d’erreurs, même si tous n’interprètent pas de la même façon cette doctrine. Contre les interprétations libérales ou spiritualistes des textes bibliques et contre l’exégèse historico-critique, les fondamentalistes veulent sauvegarder l’objectivité des croyances chrétiennes, leur factualité. Ils pensent que la Parole de Dieu est la Bible (et non pas dans la Bible). Même si la doctrine de l’inerrance biblique admet que ce sont les textes en langues
originales qui sont divinement inspirés, cette doctrine incita nombre de fondamentalistes à sacraliser telle ou telle traduction de la Bible, notamment sa traduction anglaise, la fameuse King James Version de 1611. Quand parut la Revised Standard Version (Nouveau Testament) en 1946, et la Bible complète en 1952, certains ultras-fondamentalistes considérèrent qu’elle résultait d’un complot libéralo-communiste et virent en elle ‘la Bible de l’Antéchrist’ », WILLAIME, Jean-
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sont opposés au darwinisme et à son enseignement dans les écoles publiques américaines. En 1920, William Jennings Bryan (1860-1925) a lancé aux ÉtatsUnis une campagne antiévolutionniste qui a abouti au procès de Dayton (Tennessee) et à sa défaite. Les années 1980 et suivantes marquent un regain de l’activité du fondamentalisme protestant américain avec la tentative d’introduire la prière dans les écoles publiques. Cette action avait déjà été tentée en 1979 par le mouvement de la ‘Majorité morale ’ (Moral Majority), fondé par le pasteur Jerry Falwell. Il prétendait défendre les valeurs traditionnelles des États-Unis, jugées compromises par l’évolution de la société et de la culture. En 1980, soutenant la candidature de Ronald Reagan, à la présidence, ses partisans se sont engagés dans des ‘croisades ’ contre l’avortement et l’homosexualité, avec l’appui des ‘télé-évangélistes ’. Après une fausse accalmie, ce courant fondamentaliste revint sur le devant de la scène publique en 1992, au moment de l’accession de Bill Clinton à la tête de l’État. La ‘Christian Coalition’ de P.A.T. Robertson et de Ralph Reed a enrôlé 1,5 million de personnes et exercé une influence non négligeable sur l’électorat républicain. Jean-Paul Willaime fait remarquer que « [...] l’orientation et la sensibilité fondamentaliste ne sont pas l’apanage de protestantisme nord-américain ». On les retrouve en Amérique latine, dans le sud du continent africain et dans divers protestantismes en Europe, dans l’Allemagne des années 1970, par exemple avec le mouvement ‘Kein anderes Evangelium ’. « D’une façon générale, écritil, on peut dire que le fondamentalisme protestant se manifeste comme un mouvement de réassurance doctrinale et éthique dans les périodes de forts changements sociaux et culturels, un mouvement qui met en jeu un certain type de rapport au texte biblique »470. Il est significatif de constater que les principes et les implications doctrinales de la croyance en l’inerrance du texte biblique ont été réaffirmés dans leurs ‘Déclarations ’ du 1978 à 1986, au milieu des bouleversements sociaux et culturels survenus en Europe durant ces décennies. « Il ne faut pas identifier le fondamentalisme au protestantisme évangélique », écrit encore Jean-Paul Willaime. « Ce dernier, qui présente de multiples visages, n’est pas forcément fondamentaliste au sens historique du terme : des protestants évangéliques intègrent en effet certains apports de l’exégèse historico-critique et non pas de rapport littéraliste au texte biblique [...]. D’autre part, si le fondamentalisme représente une sensibilité particulière dans le protestantisme, on peut dire aussi, en comprenant le terme ‘fondamentalisme’ dans un sens large et non historique, que le protestantisme, avec son affirmation du sola scriptura, est un fondamentalisme : au sens où il veut réaffirmer le fondement scripturaire de la foi chrétienne et s’en tenir à ce Paul, « Fondamentalisme », in : GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, pp. 523-524. 470 WILLAIME, Jean-Paul, idem, p. 524.
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fondement contre toute interprétation qui apparaîtrait divergente. Mais, il faut alors ajouter, dans le même ordre de choses, que protestantisme est tout aussi bien un libéralisme (libre examen et relativisation des magistères ecclésiastiques théologiques et moraux). C’est dès lors la tension entre un certain ‘fondamentalisme’ et un libéralisme qui est constitutif du protestantisme »471. Cette remarque peut s’appliquer à l’Église adventiste, à sa théologie et à ses doctrines toujours en tension, comme nous l’avons vu dans le chapitre 2. 4.4.- La spiritualité adventiste s’identifie-t-elle à un fondamentalisme conservateur ? 4.4.1.- Avant 1950 L’histoire montre que c’est au cours de la première moitié du 20e siècle, aux environs des années 1920 jusqu’aux années 1950, qu’on relève une proximité avec certains aspects du fondamentalisme protestant américain dans la littérature adventiste. Jean-Luc Rolland, de la faculté adventiste de théologie, écrit : « [...] des échanges ont eu lieu lors de colloques fondamentalistes. Quelques adventistes ont pris activement part au débat antiévolutionniste, au point d’être considérés comme des experts par certains leaders fondamentalistes. Enfin, plusieurs font la promotion de la littérature fondamentaliste, publient des articles et des ouvrages pour défendre certains ‘Fundamentals’ »472. Quelques-uns s’en étonneront peut-être. Cette constatation se dégage pourtant de l’expérience de l’adventisme. Au sein de certains de ses milieux, des positions semblables perdurent. Elles transparaissent quelques fois dans des déclarations pouvant revêtir des traits de caractère relevant de ce genre de spiritualité. Néanmoins, cette inspiration ne s’harmonise ni avec l’histoire de l’évolution de la théologie de cette Église, ni avec sa pensée ou avec le concept fondateur auquel ses pionniers se sont référés en utilisant l’expression ‘vérité présente’. L’Église adventiste n’est pas constituée en ne partant de rien. Par leurs origines religieuses, ses fondateurs puisaient leur spiritualité dans un héritage provenant de sources multiples, anabaptisme, puritanisme, calvinisme, luthéranisme, méthodisme. Sa réflexion l’a amenée à se situer au carrefour de ces traditions. On pense quelques fois qu’il suffit d’interroger cette Église sur 471
IBIDEM. ROLLAND, Jean-Luc, « Adventisme et fondamentalisme : évaluation d’une distance », in : Chrétiens, juifs et musulmans à l’épreuve de l’intégrisme, Faculté adventiste de théologie, Collonges-sous-Salève, Actes du colloque du 23 au 25 avril 2004, p. 55. 472
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ses croyances pour la connaître. Comme si ses formulations doctrinales constituent un système clos. Cette approche trouve sans doute sa raison d’être dans des déclarations ecclésiales assez fréquentes. La justesse et l’authenticité de la foi sont alors évaluées à l’orthodoxie et à l’adhésion à des dogmes intangibles. Pour rester proche de la réalité adventiste dans ce domaine, il faut prendre en compte l’itinéraire historique de la formation de ses croyances. Il apparaît alors que sa lecture de la source scripturaire de la foi chrétienne, la Bible, ne l’a pas entraînée dans la construction d’un système intangible de dogmes. Des débats sans cesse renouvelés le démontrent473 encore aujourd’hui. En lançant en 1849 une publication sous l’intitulé ‘The Present Truth’, James White reprenait l’expression utilisée par l’apôtre Pierre : « [...] je veux que vous soyez affermis dans la vérité présente » (2 Pi 1.12). Pas plus que l’apôtre au moment de rédiger son épître, James White ne se référait à une notion de credo achevé, mais à ce qu’il a compris à ce moment-là des enseignements bibliques. Pour lui, comme pour les autres fondateurs, les formulations de ‘confessions de foi ’ et d’articles de credo ressemblent à des essais d’enfermer la pensée divine. Parlant du livre Ce que croient les adventistes… publié en 1990 par l’Église adventiste, George Knight souligne ses faiblesses : «Ce livre consacre tout un chapitre à la discussion de chacune des croyances fondamentales de la dénomination. Mais il laisse malheureusement de côté ce qui, pour ceux qui l’ont fondée, aurait été la croyance fondamentale et centrale : le concept que Dieu conduit toujours les siens vers une plus grande vérité. L’Église s’écarte du génie de ses fondateurs et du point de départ de leur système de croyances, si elle devait en arriver au point que la ‘vérité présente’ perd son caractère dynamique »474. Nous l’avons déjà mentionné, un autre chercheur adventiste, Reinder Bruisma, remarque aussi que sous les influences du fondamentalisme au début du 20e siècle, l‘Église adventiste s’est éloignée de la flexibilité de la pensée théologique qui caractérise les premières phases de son histoire. Mais nous avons aussi relevé qu’en dépit de cette phase de son histoire, à partir des années 1950, de nouvelles ouvertures ont permis de s’engager dans une nouvelle étape de recherches et d’évolutions de sa théologie475. Comme d’autres courants donc dans l’histoire du christianisme, les adventistes ont été amenés au fil du temps et de l’acquisition de meilleures connaissances, à rejeter, à modifier, à adopter un style de vie et une pensée en constante évolution, tout en pouvant toujours réaffirmer le fondement scripturaire de leur foi chrétienne et 473
Les débats autour des enseignements bibliques et de leur interprétation occupent une large place dans la littérature adventiste, tant dans ses publications théologiques que dans celles qui ont un lectorat plus large. De nombreux échanges ont lieu autour de thèmes bibliques proposés chaque trimestre par le département de l’École du Sabbat. Ils se déroulent chaque semaine durant la première partie des services du culte, le samedi matin. 474 KNIGHT, R. George, A Search for Identity. The Development of Seventh-day Adventist Beliefs, Hagerstown, Marylan, Review and Herald Publishing Association, 2000, p. 202 (trad. MV). 475 Voir, pp. 135-141.
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‘en se tenant à ce fondement contre toute interprétation qui paraît divergente ’ (Jean-Paul Willaime)476. Un autre regard porté sur elle conduit à ne pas apprécier à sa juste valeur l’essence de sa foi lorsqu’on traite de la dimension spirituelle de son identité. Elle lit dans la Bible le témoignage d’un dialogue et des débats que Dieu a engagés en Christ avec les hommes. Sous cet angle, elle découvre les implications spirituelles, morales et sociales de la vie chrétienne, selon le regard qu’elle porte sur Dieu, sur sa générosité477 et sur l’homme. C’est ce regard qui constitue le facteur déterminant de la spiritualité personnelle et communautaire de ses membres. 4.4.2.- Depuis les années 1950-1970 La seconde moitié du 20e siècle a fait apparaître un nouveau tournant dans l’histoire de la pensée théologique de l’Église adventiste et une meilleure compréhension de la centralité de la personne du Christ dans le message adventiste, de même que de la valeur de l’homme. Un nouvel état d’esprit et des attitudes différentes en découlent. Elles reflètent progressivement plus d’ouverture et distinguent cette période de la précédente. Sa pensée biblique s’élargit dans un dynamisme semblable à celui qu’elle a connu avant les années 1920. L’herméneutique, les relectures des textes bibliques, celles des textes fondateurs s’opèrent avec les moyens offerts par les nouvelles connaissances en histoire, en exégèse biblique et critique des textes. Les recherches théologiques, y compris celles faites en dehors de ses milieux, font apparaître d’autres éclairages par l’accès plus étendu aux sources. Le tout contribue à des approfondissements et à l’évolution de certaines croyances fondamentales par une connaissance meilleure des contextes historiques, du vocabulaire et des intentions des auteurs bibliques. En Europe, en particulier, en matière de sotériologie et d’eschatologie, apparaissent de nouvelles approches intéressantes sur la question de la centralité du Christ, l’Eschaton, le premier et le dernier, avec l’accent sur son message libérateur qui avait été desservi par une prédominance du discours sur le catastrophisme, une relecture de la signification du sacrifice du Christ, à la lumière de son don volontaire jusqu’à la mort sur la croix, différente de celle introduite dans le christianisme par Anselme de Canterbory478. Il en va de même pour l’enseignement biblique sur 476
WILLAIME, Jean-Paul, « Fonfamentalisme», in : GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, p. 524. 477 ‘Générosité’, dans le sens d’un amour divin qui va au-delà de ce qu’Il serait tenu de faire pour l’homme, au point de se donner en Christ. 478 Cf. AULEN, Gustave, Le triomphe du Christ, Paris, Montaigne, 1970. Saint Anselm (10331109), ‘Cur Deux homo’ (Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ?) : depuis saint Anselm, la réconciliation de l’homme avec Dieu a été conçue comme le rétablissement d’un ordre légal brisé par le péché, moyennant le mérite et la satisfaction du Christ. Cette théologie n’est ni la plus
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la signification du ‘sanctuaire ’ telle qu’elle a été véhiculée par l’Église adventiste depuis ses origines, ou encore, sur le sens et le rapport des 10 paroles du Sinaï (décalogue, Ex 20 ; Dt 5), le Sermon sur la Montagne et leur subordination à la grâce divine, au centre du salut479. Les écrits d’Ellen White sont replacés dans le contexte du 19e siècle américain et sous le critère de la Bible, comme elle le réclamait. Le chantier théologique est à nouveau ouvert. Le paysage théologique et communautaire en milieu adventiste témoigne cependant que des résistances se font encore jour. Elles génèrent des tensions entre deux pôles : l’un conservateur, se réclame de la fidélité à un statu quo des croyances et d’un retour à une conception plus statique de l’adventisme, jugée plus authentique. L’autre, redécouvrant la dynamique de l’esprit des pionniers de l’Église adventiste - ignorée ou oubliée par les premiers -, s’oppose aux références à une phase du passé de cette Église en tant qu’héritage figé, aux thèses du verbalisme, de l’inerrance de l’inspiration de la Bible, d’une autorité finale des écrits d’Ellen Gould White. Tout en maintenant la centralité de la référence scripturaire, l’affirmation consiste à souligner sa pertinence, en même temps que l’imperfection des hommes et de sa lecture. Dans cette orientation, le concept fondateur de l’Église adventiste ‘vérité présente’ ne cesse d’interroger la famille adventiste, dans un souci constant de développement théologique et d’insertion d’une manière spécifique de l’adventisme dans la société. 4.5.- Conclusion À plus d’un titre, il serait impropre de parler ici de véritable conclusion. Ce chapitre ne devrait pas laisser l’impression d’enfermer le sujet, mais plutôt de révéler les potentialités de cette identité religieuse. Il est important de souligner que, dans la conception adventiste, par sa représentation de l’homme, de la nature et du rôle de sa dimension spirituelle concomitant avec celui de la raison qu’elle dynamise, elle est un facteur de vitalité. En témoigne à la fois l’esprit de recherche au sein de l’adventisme et son intérêt pour les besoins vitaux, les évolutions et les changements dans la société moderne. ancienne, ni peut-être la plus profonde. Les Pères, en particulier saint Irénée, et la liturgie ont compris la réconciliation comme le chemin que prend Dieu pour arriver aux hommes. Elle est la libération de l’homme tenu en captivité par les puissances qui s’opposent à Dieu. La passion du Christ est alors interprétée comme le prix que doit payer l’amour de Dieu pour l’emporter. « Sa pensée (de saint Anselm, note de l’auteur) a exercé une influence décisive sur le dogme de la rédemption, dominant toute la théologie des âges suivants. C’est elle qui fut retenue, moyennant quelques modifications légères, par la Concile de Trente (1545-1563). Elle a exercé par la suite une [...] influence dans les milieux catholiques et protestants » STEVENY, Georges, Le mystère de la Croix, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 1999, p. 26. 479 Cf. BADENAS, Roberto, Au-delà de la loi ... la grâce, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 2006.
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Il est permis de dégager trois constatations de ce chapitre : 1. Première constatation : le rapport que l’adventisme entretient avec la spiritualité de l’homme dévoile le rôle de cette dimension en tant que facteur du ressourcement constant du croyant Il semble qu’une idée-force s’est installée dans une partie de l’opinion commune au sujet de la vie religieuse. La spiritualité est un domaine privilégié des grandes traditions religieuses catholique, anglicane, orthodoxe, juive, et celle des religions orientales. C’est sans doute en raison d’une visibilité plus grande de leurs offices, de leurs cérémonies et des rites religieux qui accompagnent leurs manifestations religieuses. C’est ignorer le rapport original que le protestantisme, et avec lui, l’adventisme, entretient avec la spiritualité : « Qu’y a-t-il de plus profondément spirituel que le mouvement incessant de réforme et de ressourcement qui caractérise l’ensemble du protestantisme ? », interroge Denis Müller480. Ramenée au plan de l’adventisme, cette réflexion concerne aussi la dimension spirituelle de l’identité religieuse. Comme pour tous les protestants, en parlant de ‘réformes et de ressourcements constants’, c’est dans la démarche personnelle et dans l’individualisation481 de la foi que cette dimension révèle sa fonction comme élément constitutif. Elle lui confère son caractère propre. Elle inspire à la fois sa construction et oriente sa sociabilité. Dire que la spiritualité adventiste dynamise des croyances et les valeurs qu’elle partage avec d’autres chrétiens, et même, parfois, au-delà de leurs milieux, ne revient pas à dire qu’elle n’a pas de visage. D’autre part, même si, au sein du protestantisme, l’Église adventiste tend vers un apport spécifique, cela ne signifie pas que l’Évangile lui appartienne, justement parce sa source d’inspiration la dépasse et que les valeurs qu’elle dessert sont universelles. On peut donc écrire que la dimension spirituelle, tel que nous venons de la décrire, ‘colore ’ le sens et la signification des autres dimensions de cette identité ; elle en est, en quelque sorte, le ‘socle ’, comme l’écrit JeanLuc Rolland482. 2. Deuxième constatation : le rapport de l’adventisme avec la société est alimenté par les ressources de sa dimension spirituelle
480
MÜLLER, Denis, « Spiritualité », in : GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, p. 1351. 481 Individualisation, « Le christianisme, cette incomparable école d’individualisation», écrivait André Gide. A ne pas confondre avec individualisme, dans le sens moral d’une tendance à ne vivre que pour soi. Cf. aussi note 27 et note 47. 482 ROLLAND, Jean-Luc, « Le dynamisme de l'attente. Sources et itinéraires de l'espérance adventiste », in : DESPLAN, Fabrice ; DERICQUEBOURG, Régis (dirs), Ces protestants que l’on dit adventistes, Paris, L’Harmattan, 2008, pp. 51-61.
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Ainsi que Sébastien Fath l’écrit au sujet des baptistes, on pourrait aussi penser que la mise en valeur d’un type de croyant ‘christocentré ’ dans l’adventisme et sa promotion de la relation spirituelle personnelle, cumulés aux effets d’une situation minoritaire et de son orientation vers des croyances bibliques, amène ses croyants à garder des rapports distants avec les enjeux de la société. « Il ne faut pas oublier, rappelle Jean Baubérot, « que l’individualisme protestant n’est pas forcément une ‘fuite’ hors du collectif, mais qu’il constitue plutôt une manière spécifique de s’y insérer». À la manière de ce qu’écrit Alexandre Vinet, que cite Sébastien Fath, « Je veux l’homme complet, spontané, individuel, pour qu’il se soumette en homme à l’intérêt général. Je le veux maître de lui-même afin, qu’il soit serviteur de tous »483. L’adventisme ne se dissocie pas des enjeux de la société moderne dans les domaines éducatifs, médicaux, sociaux et humanitaires. L’étendue de ses activités sur tous ces plans et celle de ses préoccupations éthiques en est un signe484. La conception adventiste de la vie religieuse la place en phase avec certains caractères du religieux en ultramodernité, en même temps qu’ils constituent pour elle de réels défis, comme l’idiosyncrasie avec la mobilité du parcours religieux485. Tout en maintenant à la fois une attitude critique vis-à-vis de cette modernité et « une manière spécifique de s’y insérer», comme l’écrit Baubérot, ses rapports avec la société la font participer d’une certaine manière à l’émancipation des consciences religieuses individuelles face aux tutelles qui tendraient à la soumettre par diverses formes de contraintes. Enfin, sa dimension spirituelle stimule chez le croyant le sens de ses responsabilités en tant que frère de tous hommes. Il est vrai qu’on retrouve différentes attitudes dans les milieux adventistes. Elles sont variées et nuancées, pouvant aller chez certains du refus radical, exclusiviste, de la société et de ses cadres de coopération, en invoquant une fidélité à un ‘sortez du milieu d’elle, mon peuple’ (Ap 18.4), au souci, chez d’autres, de vivre un engagement et un service chrétien à la portée à la fois religieuse et sociale. Pour quelques-uns, cela aboutit parfois à une ‘tension’ entre l’intérêt pour les besoins sociaux individuels et immédiats et les intérêts religieux, au nom du sentiment de la priorité absolue d’une évangélisation directe. 3. Troisième constatation : la dimension spirituelle, en tant qu’acteur d’une identité en tension entre deux pôles religieux et deux pôles sociaux
483
CF.FATH, Sébastien, Une autre manière d’être chrétien en France. Socio-histoire de l’implantation baptiste (1810-1950), Genève, Labor et Fides, 2001, pp. 1011-1012. 484 Voir Chap. 6 sur la dimension éthique, pp. 246-249. 485 Voir Chap. 1, Idiosyncrasie personnelle de la religion, p. 39 et note 47.
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Du point de vue idéal type, la confrontation entre le modèle holistique de l’individualisme moderne en ultramodernité486 - qui se situe dans le prolongement des philosophies des Lumières -, et le rôle que joue la dimension spirituelle en tant que facteur constitutif d’une identité religieuse adventiste, fait apparaître un modèle d’acteur volontaire mis en situation de tension entre deux pôles sur le plan religieux et sur le plan social. Aussi reprenons-nous à notre compte le tableau de Sébastien Fath487, en l’appliquant à l’individu adventiste : Tension en ’ultramodernité’
Tension religieuse (institutionnelle-rituelle)
L’individu dispose de tous ses choix
L’individu se soumet au rituel et aux prescriptions de l’institution ecclésiale (autorité de son Magistère)
Désacralisation radicale et dévaluation
Sacralisation des rites, dont l’efficacité leur est intrinsèque
Pas de Révélation positive et normative
Révélation positive et normative de Dieu, strictement définie dans un cadre institutionnel et rituel
L’option protestante (institutionnelle idéologique)
L’option adventiste (institutionnelle idéologique)
Le croyant participe indirectement à l’élaboration normative à laquelle il adhère
Le croyant participe assez directement à l’élaboration normative à laquelle adhère
Il est généralement acteur volontaire du rite (sauf baptême du nourrisson)
Il est acteur volontaire du rite (y compris le baptême)
Révélation positive et normative (débats d’interprétation entre théologiens)
Révélation positive et normative de Dieu (débats d’interprétation entre théologiens)
Valorisation du pluralisme des Investigations
Valorisation du pluralisme des investigations et convictions, à fin d’engagement
486 487
Voir Chap. 1, Réflexivité systématique et idiosyncrasie de la religion, p. 37 et notes 41, 42. FATH, Sébastien, op. cit., p. 723.
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Revenons aux figures comparatives proposées par Danièle Hervieu-Léger488 pour situer le religieux en l’ultramodernité. Les constatations que nous venons de faire nous permettent de proposer une figure de l’identité religieuse adventiste différente de celles qu’elle présente. Selon Danièle Hervieu-Léger, ces deux figures ‘cristallisent de façon idéal type’ le religieux actuel. Elles nous semblent avoir été construites principalement à partir du modèle de l’Église catholique : La figure du pratiquant
La figure du pèlerin
Pratique obligatoire
Pratique volontaire
Pratique normée par l’institution
Pratique autonome
Pratique fixe
Pratique modulable
Pratique communautaire
Pratique individuelle
Pratique territorialisée (stable)
Pratique mobile
Pratique répétée (ordinaire)
Pratique exceptionnelle
La figure du croyant adventiste ne se profile entièrement, ni dans l’un, ni dans l’autre de ces modèles. Elle se dessine dans une sorte ‘d’entre-deux’. Nous entendons par là que ce n’est pas tant la praxie ou l’orthodoxie absolue aux rites ou aux croyances proposés par une institution ecclésiale, qui la définissent ; pas plus à l’opposé, une autonomie absolue en matière de foi, avec une mobilité pèlerine. L’identité religieuse au sein de l’adventisme se caractérise par une dynamique du mouvement, dans le cadre de sa référence à l’autorité de la Révélation contenue dans le document scripturaire, la Bible. Elle se construit sur la base d’un acte d’adhésion volontaire, délibéré, qui se situe au cœur de son engagement religieux et social. Elle prend en compte, en même temps, les valeurs communautaires et universelles. Dans ce contexte, elle se représente de la façon suivante :
488 Cf. HERVIEU-LEGER, Danièle, Le pèlerin et le converti. La religion en mouvement, Paris, Flammarion, 1999, p. 109.
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La figure adventiste • Pratique volontaire (y compris le baptême). • Pratiques proposées par l’institution (celle-ci n’est pas détentrice du salut, contrôle faible). • Pratique fixe (investissement personnel et volontaire dans la participation, peu de rites, non obligatoire). • Pratique communautaire (sans esprit exclusiviste). • Pratique territorialisée (cependant pas de quadrillage de l’espace religieux, stabilisation, développement de la pratique, en lien avec les autres communautés adventistes dans le monde). • Pratique régulière (ordinaire). Dans son analyse du protestantisme, Jean-Paul Willaime qu’écrit, - nous l’avons cité plus haut - : « [...], on peut dire aussi, en comprenant le terme ‘fondamentalisme’ dans un sens large et non historique, que le protestantisme, avec son affirmation du sola scriptura, est un fondamentalisme : au sens où il veut réaffirmer le fondement scripturaire de la foi chrétienne et s’en tenir à ce fondement contre toute interprétation qui apparaîtrait divergente. Mais il faut alors ajouter, dans le même ordre de choses, que le protestantisme est tout aussi bien un libéralisme (libre examen et relativisation des magistères ecclésiastiques théologiques et moraux). C’est dès lors la tension entre un certain ‘fondamentalisme’ et un libéralisme qui est constitutive du protestantisme »489. Sa réflexion est valable pour l’adventisme. Sa recherche constante, attachée au fondement scripturaire de la foi chrétienne, et le dynamisme de sa dimension spirituelle, construit au sein du monde protestant une identité religieuse qui se situe dans un ’entre-deux ’, en tension entre un protestantisme évangélique et un protestantisme réformé.
489 WILLAIME, Jean-Paul, « Fondamentalisme », in : GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, p. 524.
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Chapitre 5 - Le paradigme sociologique de l’Église adventiste du septième jour, en tant qu’organisation ecclésiale dans le monde protestant
5.0.- Introduction L’un des axes qui relient l’identité religieuse adventiste au patrimoine du christianisme protestant, c’est son mode de régulation, c’est-à-dire le système dans lequel s’inscrivent ses dimensions communautaires et spirituelles. JeanPaul Willaime constate que, même si on définit ce mode, il ne faut pas oublier que « [...] la réalité empirique des organisations religieuses est toujours plus complexe, chaque Église pouvant mêler plusieurs types tout en exemplifiant particulièrement un des modèles »490. Tracer le profil sociologique de l’Église adventiste, c’est donc reconnaître ses aspects particuliers au travers d’un modèle spécifique, en tenant compte qu’il l’exemplifie théoriquement, sans l’y enfermer complètement. À cette remarque, nous en ajoutons trois autres. Premièrement, selon le type sociologique d’un groupe religieux, l’identité religieuse de ceux qui s’y rattachent reflète aussi le degré de liberté spirituelle personnelle que le groupe offre à ses membres. Deuxièmement, ce profil peut servir de révélateur du type de lecture qu’ils font du message de leur groupe : lecture dynamique, en évolution continue, ou lecture arrêtée, littéraliste, dans l’esprit d’un intransigeant conservatisme. Troisièmement, tracer ce profil, c’est en même temps mettre en évidence les particularités du groupe et pouvoir le comparer à d’autres. Des questions se posent donc : quel est le mode fonctionnement de l’Église adventiste ? Est-ce une régulation du croire de type idéologique ou une validation charismatique ? Est-ce un magistère institutionnel qui légitime ses croyances, détenant seul les critères de ‘la vérité’ ? Existe-t-il un régime adventiste de validation de ses valeurs ? Quels en sont les critères ? Qu’est-ce qui a conduit les fondateurs de cette Église au choix de son type de fonctionnement ? En suivant quel cheminement ? Pour y répondre, nous devons tout d’abord étudier le parcours historique qui a été suivi pour aboutir à ce mode-là de gestion de l’Eglise. Ensuite, nous pourrons situer sociologiquement son modèle, d’une manière systématique.
490 WILLAIME, Jean-Paul, Sociologie du protestantisme, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, p. 32.
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Dès les premières approches, il est évident que son ecclésiologie la situe dans l’héritage commun de l’Église apostolique et de la Réforme, dans celui du monde protestant. Roland Campiche écrit en 1990 à propos des héritages de ce monde : « La Réforme a certainement aboli toute différence de nature entre clercs et laïcs en appelant chacun et chacune à accomplir un ministère. L’idée forte d’un sacerdoce universel n’a toutefois pas conduit à l’organisation d’une nouvelle Église égalitaire et démocratique »491. Cette remarque s’applique-t-elle à l’Église adventiste ? Son histoire laisse entendre que, dès le départ, ses fondateurs et ses membres se sont méfiés de l’exercice d’une domination sur leurs croyances, autant que d’un pouvoir ecclésiastique centralisé, sans pourtant avoir toujours su l’éviter492. En se développant dans la ligne de la pensée du Nouveau Testament et de la Réforme qui désacralise l’institution religieuse comme détentrice per se de la ‘vérité’, l’Église adventiste a du, et doit encore, assumer les risques de cette désacralisation comportant celui de la division. Forts de l’autorité centralisée et sacralisée au sein de leur Église, des catholiques n’ont pas manqué de le relever dès ses premiers pas en Europe, vers la fin du 19e siècle. Ces critiques ont aussi été adressées aux autres Églises protestantes, comme d’ailleurs, elles pourraient l’être au christianisme dans son ensemble, au travers de son histoire. Au 19e siècle, les Églises protestantes, déjà reconnues en France avec les articles organiques (1802) et celles reconnues par les cantons suisses, trouvaient sans doute des réponses dans le statut qui leur était accordé. Ce n’était pas la situation de l’Église adventiste. Bien que reconnue aujourd’hui par plusieurs États493, ce mode politico-institutionnel ne change rien à sa conception de l’autorité religieuse. Comme dans les autres Églises protestantes, c’est l’idée qu’il n’y a pas de différences de nature entre le corps pastoral et les membres qui s’impose. Elle aussi s’est construite sur le principe de l’adhésion volontaire et celui du sacerdoce universel des croyants. Très tôt, elle a éprouvé le besoin de gérer d’une manière flexible les situations qui naissent de sa rencontre avec des cultures différentes. Elle se refuse de recourir à une autorité théologique, spirituelle ou morale, autre que le recours au « principe scripturaire et sa fidélité […] évaluée à partir de la Bible »494. Sans ce mode de gestion, l’implantation de 491
CAMPICHE, Roland (dir.) ; BAATARD, François ; VINCENT, Gilbert ; WILLAIME, JeanPaul, L’exercice du pouvoir dans le protestantisme. Les conseillers de paroisse de France et de Suisse romande, Paris-Genève, Labor et Fides, 1990, p. 9, cité par FATH, Sébastien, Une autre manière d’être chrétien en France. Socio-histoire de l’implantation baptiste (1810-1950), Genève, Labor et Fides, 2001, p. 575. 492 Voir Chap. 3, p. 145 : Le besoin de s’organiser. 493 La dernière reconnaissance a été votée le 15 juillet 2008 par le Parlement lituanien. Il attribue le statut officiel de ‘Communauté religieuse ’ à l’Église adventiste du septième jour en Lituanie, avec les avantages qui lui sont attachés. Cf. Adventist News Network, 30 juillet 2008. 494 WILLAIME, Jean-Paul, La précarité protestante. Sociologie du protestantisme contemporain (Histoire et société 25), Genève, Labor et Fides, 1992, pp. 19-20.
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plus 60.000 églises locales dans le monde à la fin de 2006 n’aurait pu se réaliser. Avec son extension dans le monde, l’Église adventiste représente aujourd’hui la deuxième organisation ecclésiale chrétienne, après l’Église catholique romaine, qui dispose d’une structure internationale. Le constat de Jean-Paul Williame que chaque Église peut mêler plusieurs types se confirme avec le modèle de ‘gouvernance’ de l’Église adventiste. Il en recoupe plusieurs, apparus dans le monde protestant avant sa naissance : • le modèle congrégationaliste, avec un mode de gouvernance qui repose sur l’autorité de l’église locale • le modèle presbytérien, avec le système de comités et le concept de la légitimation des fonctions de responsabilités par délégation et élection par des représentants choisis par les assemblées • dans une certaine mesure, le modèle méthodiste, avec la mise en place, dans l’Église adventiste, d’entités fédératives495, premiers cercles de l’association de plusieurs églises locales, chargés de l’harmonisation de leur fonctionnement, de la gestion en commun de moyens matériels et financiers, de leur participation au budget mondial de l’Église adventiste, des relations avec les institutions adventistes et les autres Églises chrétiennes, de l’orientation des activités de ses départements et de l’affectation des pasteurs. Il faut cependant souligner que la structure qui a été adoptée n’est pas due au simple fait de vouloir imiter des modèles. Son agencement est le résultat combiné de situations et de besoins auxquels elle a dû faire face. On ne comprend la logique du mode organisationnel de l’Église adventiste et son profil sociologique qu’en prêtant attention aux évolutions de son organisation 495
‘Conference’, en anglais, dans le sens où le méthodisme américain l’entendait, c’est-à-dire, un organe chargé de faciliter la collaboration et l’harmonisation entre les églises locales d’un même district, d’une même région ou dans un même État. ‘A term used variously in the Seventh-day Adventist Church. Most often the word, when used alone, refers to the unit of church administration called a local conference, in which a number of local churches are associated for administrative purposes ; it is also used for the area in which this organization operates. The term conference is used similarly of the union conference (or union), comprising several local conferences ; also of the General Conference, comprising all the unions organizations, and of its quinquennial session. Among early Seventh-day Adventists, the word was used loosely to describe ‘general meetings’ (most often over a weekend) of local groups of churches or of individual members, led by one or more of the leading ministers for the purposes of strengthening the churches, reaching converts, or studying any problem of common interest. They used the term general conference for sessions of that nature before there was any denominational organization ; for example, those held in the 1850s at Battle Creek, Michigan, to which a general invitation was issued and to which a few came from outside the state.’’ , SCHWARZ, Richard, ‘Organization’, Development of the Seventh-day Adventist Church’ in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 1996, p. 404.
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dans le temps. Dans ce chapitre, nous nous limitons uniquement aux situations et aux motivations qui ont présidé aux développements les plus significatifs. En saisissant ses spécificités, on peut mieux identifier ses dimensions idéologiques, avec la priorité qu’elle accorde à la Bible496 pour réguler son fonctionnement. Sa dimension idéologique s’éclaire avec le rôle de son enseignement théologique497. Il devient alors possible de comparer son modèle aux quatre autres proposés par Jean-Paul Willaime498 pour analyser l’univers religieux protestant : Modèle institutionnel rituel
Modèle institutionnel idéologique Eglises réformées Eglises Luthériennes
Modèle associatif idéologique
Modèle associatif charismatique
Eglises baptistes Eglises Evangéliques
Eglises pentecôtistes Mega churches
1
Eglise catholique Eglises orthodoxes
2
Eglises
Ecclesia
3
Charisme de fonction
Charisme idéologique
Congrégation dénominationnelle Charisme Idéologique
4
‘Prêtre'
'docteur'
'docteur'
'prophète'
5
Magistère institutionnel
Magistère idéologique
Magistère Idéologique
Magistère Charismatique
6
Institution sacrée 'grâce institutionnelle'
Institution désacralisée et fonctionnelle
Organisation supra locale et normative
Faible organisation supra-locale et personnalisation
7
Lieu de la vérité = l'institution
Lieu de la vérité = le message
Lieu de la vérité = le message
Lieu de la vérité = le leader
8
Personnage garant = l'évêque
Personnage garant = le théologien
Personnage garant = le théologien
Personnage Garant = le 'prophète'
9
Chef de l'institution = l'évêque
Chef de l'institution = le président
Chef de l'institution = le théologien
Chef de l'organisation = le 'prophète'
10
Identification des pouvoirs institutionnels et idéologiques
Séparation des pouvoirs institutionnels et idéologiques
Identification des pouvoirs institutionnels et idéologiques
Identification des pouvoirs idéologiques et personnels
496
Congrégation libre Charisme Personnel
Cf. SCHWARZ, Richard, op. cit., p. 258. « [...] le monde protestant est un monde religieux où la dimension idéologique est importante en raison du rôle central qu’y jouent le rapport à la Bible et son interprétation », WILLAIME, Jean-Paul, Sociologie du protestantisme, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, p. 33. 498 WILLAIME, Jean-Paul, op. cit., p. 35. 497
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5.1. Développement de l’organisation de l’Église adventiste comme structure organisée autour de son message et de sa mission
Nous n’avons pas l’intention de relever tous les facteurs qui sont entrés en jeu dans la démarche de l’Église adventiste à partir de 1850 pour construire son organisation, mais seulement d’en souligner les étapes les plus significatives. 5.1.1. De la dispersion aux premiers pas vers l’organisation (1850-1860) Deux des fondateurs de l’Église adventiste, James White et Joseph Bates sont issus de la ‘Christian Connection’499, dont le concept ecclésiologique se fondait sur le modèle congrégationaliste500, comme seule forme d’organisation chrétienne scripturairement légitime. Ils pensaient que tout autre modèle constituerait une entrave à la liberté personnelle du chrétien. Bien que certaines concertations étaient mises en place par districts ou par régions, les décisions étaient essentiellement du ressort de chaque communauté locale. Ellen G. White – qui a aussi exercé une certaine influence, sans n’avoir jamais exercé de fonction – venait de l’Église Épiscopale méthodiste américaine, une institution ecclésiale hautement structurée, dont l’autorité reposait sur les Conférences épiscopales élues par leurs pairs et par des membres laïcs. Comme de nombreux adventistes, Ellen G. White avait été exclue de son Église en 1843 pour avoir adhéré au millérisme. Le traumatisme subi durant ces moments avait renforcé chez tous une image négative d’une organisation 499
Voir, Chap. 2, p. 74 : ‘L’anabaptisme et le restaurationisme ’ ; Chap. 3, p. 145 : ‘Le besoin de s’organiser (1844-1860)’. 500 « Contestant les décisions des autorités ecclésiastiques (pape et conciles), les réformateurs du 16e siècle mirent l’accent sur l’existence d’une Église universelle invisible, au secret de Dieu et non au pouvoir des hommes. Les communautés locales ou congrégations, rassemblées pour écouter la Parole de Dieu et recevoir les sacrements, forment la trace visible de cette Église. Une telle ecclésiologie se veut fondée sur la doctrine du ‘sacerdoce universel’ qui considère que chaque chrétien baptisé est par essence un prêtre. Cependant, Luther admettait la nécessité de différences de fonction. Voulant d’abord réformer l’Église avant d’être amené à se séparer du catholicisme, il n’avait pas de plan préconçu et, lors de la scission (1520-1521), ne proposait aucune organisation globale. D’autres réformateurs accomplissant une rupture analogue, le protestantisme fut, dès sa naissance, une réalité plurielle. Dans cette diversité d’organisation, le congrégationalisme va jusqu’au bout de l’idée qui fait de la communauté locale des fidèles rassemblés l’Église visible d’un lieu donné. Il n’admet pas qu’une instance supra-locale puisse exercer une contrainte sur une paroisse même si des unions fédérales sont possibles. ». BAUBEROT, Jean, « Congrégationalisme », in : Encyclopaedia Universalis, CDrom n° 8, France, 2002.
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d’Église. Ce serait, pensaient-ils, ouvrir la voie à de nouvelles formes de pouvoir et de domination religieuse. Ce sentiment, très fort à l’époque, a rendu impossible l’apparition parmi les millérites d’un système de fonctionnement autre que le congrégationalisme avant les années 1850-1860. Même après ces années, un groupe sur six, seulement, s’est développé au-delà de ce modèle. Une explication historique plus précise oblige de prendre en compte des facteurs d’ordre théologique, tels que la conviction que le temps d’attente du retour du Christ est trop court pour se sentir concernés et la théorie de la ‘porte fermée’ qui, nous l’avons vu, les a conduits à l’idée qu’il n’y a plus de mission à accomplir, excepté dans les milieux millérites du territoire nord-américain. C’est la réalité frustrante du temps qui s’écoulait, ainsi que des développements inattendus à partir des années 1850, qui a obligé les premiers adventistes à changer leur raisonnement. Les événements les ont conduits à réexaminer l’herméneutique des textes bibliques qui fondent leur sens de la mission et à comprendre que leur conception limitée du modèle de l’Église les empêchait de répondre aux besoins. Le nombre des communautés locales augmentait rapidement. De plus en plus fréquemment, elles se créaient au-delà des régions qui ont vu naître ce courant religieux. La première conséquence a été de pousser les ‘leaders’ à penser un mode nominal de s’identifier entre eux. L’évolution de la situation les a ensuite rendus conscients du besoin d’un mode de gouvernance qui permettrait de mieux faire face aux nouvelles exigences. Rapidement, ils sont devenus conscients des problèmes qui resteraient sans solutions, si, du moins, ils en restaient au mode congrégationaliste. Il s’agissait de répondre aux demandes en provenance de régions éloignées aux États-Unis, à celles venant de l’étranger, d’assumer l’augmentation des charges financières, la gestion, de plus en plus lourde, des publications et des institutions, d’accréditer les pasteurs et de les rémunérer, de rechercher le concours de ressources au-delà des frontières. James White, le premier, a été placé devant l’urgence à résoudre ces problèmes. Il demanda à ses collègues leur collaboration, en vue de mettre en place une organisation adaptée aux circonstances. Soutenu par son épouse, il a aussi trouvé l’appui de Joseph Bates, John Loughborough, John N. Andrews, Uriah Smith, John H. Waggoner, Joseph B. Frisbie, Merritt E. Cornell, E.W. Shortridge, Moses Hull et John Byington. Saisissant l’ampleur des défis, chacun s’est efforcé d’encourager les communautés locales dispersées à entrer dans des collaborations de plus en plus étroites. Il leur fallut pourtant faire face à des résistances et des débats. Des points théologiques sensibles se trouvaient au cœur du problème. Nous ne retenons ici que les ceux qui touchaient à la question de l’herméneutique des textes prophétiques et aux préoccupations du moment. Comment comprendre la signification symbolique de ‘Babylone ’ dans la Bible ? Quelle réponse apporter
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à la question de l’autorité dans l’Église, tout en restant en harmonie avec l’enseignement biblique ? Les débats autour de ces sujets ont provoqué de fortes tensions. Les sources montrent qu’il revient à James White d’avoir été le premier à dénouer le problème. Au mois de décembre 1853, il écrit : « Il est déplorable de constater que plusieurs de nos frères adventistes, qui se sont dégagés au temps voulu des liens qui les attachaient aux différentes Églises […], se retrouvent aujourd’hui dans une ‘Babylone’ plus grande qu’auparavant. La question d’un ordre évangélique a été négligée en fermant les yeux sur ce sujet […]. Dans leur zèle de sortir de ‘Babylone’, quelques-uns ont propagé un esprit de désordre et se sont vite trouvés au milieu d’une ‘Babel’ de la confusion […]. Penser que l’Église du Christ est exempte de toute retenue et de tout ordre appartient au fanatisme le plus divagateur »501. James White interprétait ce symbole biblique d’une manière pragmatique. Il y lisait l’image d’une confusion générée par l’irréflexion, le manque de pondération et le refus de s’organiser. Le deuxième problème recélait une question épineuse pour un mouvement religieux imprégné de l’esprit du restaurationisme ambiant au sein du protestantisme américain du 19e siècle. Fallait-il que le mode d’organisation à mettre en œuvre se trouve décrit de façon explicite dans les textes bibliques, pour être considéré comme légitime ? S’il s’avérait important de progresser sur ce point, il était tout aussi indispensable de convaincre. En 1854, Joseph Bates soutenait que l’Église devait être organisée uniquement sur la base des critères de « l’ordre apostolique », clairement exposés dans la Bible. Bates n’accordait d’intérêt qu’aux dispositions conformes à cet « ordre apostolique ». Pour lui, il représente l’organisation dictée par Dieu, suffisante et parfaite. Un moment, James White a partagé son point de vue. Mais, en 1859, il a dépassé ce conformisme littéraliste : « Nous ne devrions pas être effrayés par un système qui ne trouve pas d’opposition dans la Bible, mais qui peut être approuvé par le bon sens »502.
501
‘‘It is a lamentable fact that many of our Advent brethren who made a timely escape from the bondage of the different churches […] have since been in a more perfect Babylon than ever before. Gospel order has been too much overlooked by them […]. Many in their zeal to come out of Babylon, partook of a rash, disorderly spirit, and were soon found in a perfect Babel of confusion […] To suppose that the church of Christ is free from restraint and discipline, is the wildest fanaticism.’’, WHITE, James, « Gospel Order », Review and Herald, Battle Creek, Michigan, December 6, 1853, p. 173. Cité par KNIGHT, George, Organizing for Mission. The Development of the Seventh-day Adventist Organizational Structure. Unpublished manuscript of a presentation to the Commission on ministers, services and structures, Loma Linda, CA, April 2006, p. 5 (trad. MV). 502
WHITE, James, « Yearly Meetings », Review and Herald, Battle Creek , Michigan, July 21, 1859, p. 68 (trad. MV).
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James White optait donc pour une autre herméneutique. Elle a soulevé une forte opposition de la part de ceux qui restaient attachés d’une manière absolue à la conformité à la lettre du texte biblique, non à son esprit. Cette résistance s’est renforcée lorsque les dirigeants ont été engagés dans les procédures administratives indispensables pour obtenir la légalisation des titres de propriété des biens de la communauté. Pourtant, James White avait souligné le fait que plusieurs activités, engagées depuis longtemps, auxquelles les opposants participaient eux-mêmes, ne trouvaient aucun appui textuel explicite. James White se plaçait sur le terrain du pragmatisme. Il pensait qu’après un examen sérieux de la Bible, tous les moyens, qui ne sont pas ouvertement rejetés par la Bible, peuvent être utilisés pour la cause de Dieu. Sa pensée religieuse témoigne d’une certaine rationalité. La raison trouve aussi sa place dans la théologie et la Bible n’a pas pour objet de répondre à toutes les questions de la vie quotidienne. Ellen, son épouse, le suivait dans son raisonnement. Toute sa vie, elle a usé de son influence pour encourager les membres à réfléchir sur les dimensions de leurs croyances. Elle les a incités à pousser plus loin leur conception des choses religieuses, au-delà d’un verbalisme, au détriment de l’esprit de la Bible. Les tensions et les oppositions n’en ont pas moins persisté jusqu’aux dernières phases des débats. Le premier maillon de l’organisation de l’Église adventiste du septième jour est apparu en 1861, à Battle Creek, avec la création de la première ‘Fédération503 des adventistes du septième jour du Michigan ’. Elle était dotée d’une structure administrative simple : un président, un secrétaire, un trésorier et un comité composé de trois membres. 5.1.2.- La deuxième étape de l’organisation de l’Église adventiste (1861-1863) À partir de 1861, la conscience d’une mission globale à accomplir n’a cessé de s’imposer, de plus en plus clairement. Les horizons s’élargissaient. Des besoins plus importants, en hommes et en moyens, se faisaient sentir. Il est aujourd’hui certain que l’Église adventiste n’aurait jamais atteint ses dimensions actuelles, si James White n’avait accompagné et inspiré les débats avec persévérance. Les historiens adventistes s’accordent à le reconnaître. Les premiers pas n’auraient sans doute pu être entrepris s’il n’avait pas réussi à faire reconnaître ses arguments. Gerald Wheeler le montre dans sa biographie de 503
‘Conference’, en anglais. Cf. note 495. La terminologie française utilise le mot ‘Fédération’ pour désigner ces entités de l’organisation de l’Église adventiste du septième jour. Nous l’utilisons dans la suite de cette étude.
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James White504. Encouragé par son épouse, il a été l’acteur principal dans la prise de conscience de l’importance de la chose. Il a justifié les avancées en recourant aux faits et à la raison, et en les reliant aux multiples aspects du mandat évangélique annoncé dans le Nouveau Testament. Pasteur itinérant, fondateur de la première maison d’édition adventiste, premier éditeur de la Review and Herald, James White a porté sur ses épaules de lourdes responsabilités morales et financières, jusqu’à la mise en place des premiers maillons de l’organisation. Les sources montrent qu’aux abords ces années 1860, ni lui, ni ses collaborateurs, n’avaient encore une idée précise du mode d’organisation qui répondrait le mieux aux attentes. À aucun moment Ellen, son épouse, n’a cherché à définir le modèle qu’il faudrait adopter. Pas plus à ce moment-là que plus tard, à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, au moment des nouvelles avancées. Au mois d’avril 1861, Ellen White n’était pas membre de la commission chargée de produire un document de réflexion505. D’après les mêmes sources, le besoin d’une étude s’est imposé à mesure que James White et ses collaborateurs devaient assumer des responsabilités toujours plus grandes et qu’ils ont ressenti fortement la nécessité d’harmoniser leurs diverses activités. Le rapport achevé, c’est à l’assemblée des délégués du mois octobre 1861 à Battle Creek qu’est revenue la responsabilité d’en donner les moyens d’application avec la création de la première ‘Fédération ’. L’exemple a été rapidement suivi dans plusieurs autres États américains. Cependant, avec l’élargissement constant des activités, de nouveaux problèmes restaient sans solutions. John H. Waggoner les a mis en évidence à la fin de 1862. Il manquait, déclarait-il, une instance qui peut gérer et organiser les rapports entre les fédérations. Waggoner suggéra la convocation d’une assemblée de délégués de ces fédérations. Elle serait chargée de la mettre en place. L’expérience de près de deux années venait de démontrer la valeur de ce qui avait été fait en 1861. Pourquoi ne pas en améliorer le fonctionnement ? En se rangeant à son avis, James White ajoutait le poids de sa notoriété à la proposition. En avril 1863, il déclara qu’un mandat, donné à une ‘Conférence générale ’, devrait permettre de tracer les orientations générales de l’Église toute entière. Son unité serait renforcée, si les fédérations consentaient à donner leur appui à sa création. En même temps que constituer une structure administrative plus large, pensait-il, cette ‘Conférence générale ’ n’aurait de signification et de raison d’être que si les fédérations elles-mêmes lui reconnaissent une autorité 504
Cf. WHEELER, Gerald, James White, Innovator and Overcomer, Hagerstown, MD, Review and Herald Publishing Association, 2003. 505 Cf. OLIVER, David Barry, Seventh-day Adventist Organizational Structure. Past, Present and Future, Berrien Springs, Michigan, Doctoral Dissertation Series, vol. 15, Andrews University Press, 1989, pp. 55-57.
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administrative supérieure, en tant qu’organe régulateur’506. Au mois de mai 1863, une nouvelle assemblée des fédérations vota sa constitution. Elle la désigna sous l’appellation ‘Conférence générale des adventistes du septième jour ’. La structure de l’Église adventiste comptait désormais trois niveaux de ‘gouvernance ’ interdépendants, l’église locale, la Fédération et la Conférence générale. 5.1.3.- Les nouvelles avancées entre 1863 et 1901 Beaucoup ont pensé, après 1863, que tous les problèmes seraient dorénavant aisément résolus. S’appuyant sur leurs convictions théologiques, ceux qui s’étaient engagés dans cette nouvelle étape administrative considéraient que l’expérience et l’analyse les avaient conduits à trouver la réponse pertinente et définitive. Ils ne pouvaient admettre, ni même entrevoir l’idée d’une révision possible de ce fonctionnement. La rapidité de la croissance numérique, l’élargissement de leurs rangs à l’étranger et les situations nouvelles à affronter, allaient montrer les limites de leur modèle : Fiche signalétique de la croissance du nombre de membres de 1853-1901 Années
Nombre d'églises locales
1863 1864-1870 1871-1880 1881-1890 1891-1900 1901
125 179 640 1016 1892 2011
Nombre de fédérations
Nombre d'Unions
6 11 32 42 87 98
*** *** *** *** 2 9
Nombre de pasteurs
30 72 260 411 1500 1591
Nombre de membres
3500 5440 15570 29711 75767 78188
(D'après « Historical Summary of Seventh-day Adventist World Statistics,1863-1992 », in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 1996, p. 577.)
Aux États-Unis, les dernières décennies du 19e siècle et le commencement du 20e siècle ont été caractérisés par un vaste élan missionnaire mondial, qui a joué un rôle dans la prise de conscience par les adventistes d’une mission globale et internationale à assumer. S’il n’est pas historiquement exact d’écrire que cette conscience a résulté uniquement de ce facteur, il serait tout aussi 506
‘The General Conference must be “the great regulator” of the states conferences if they were to secure “united, systematic action in the entire body” of believers’, WHITE, James, « General Conference », Review and Herald, Battle Creek, Michigan, April 28, 1863, p. 172.
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inexact de nier son influence sur la vision de l’Église, à ce moment-là. En 1863, il impossible de prévoir avec quelle rapidité l’Église adventiste croîtrait numériquement et s’élargirait géographiquement. Ses fondateurs ne pouvaient pas, non plus, entrevoir les difficultés qu’ils allaient rencontrer en voulant gérer, depuis Battle Creek, une Église dont les membres seront de plus en plus dispersés et isolés, d’un continent à l’autre. À cette date, leur vision des choses était encore embryonnaire. Quoi qu’il en soit, ils n’ont pas pressenti toutes les incidences d’un succès aussi rapide. Ils n’avaient pas intégré dans leur organisation les dispositions pour faire face aux problèmes nouveaux. Or, ceuxci ont commencé à se poser d’une manière aigüe dès le milieu des années 1860, avec le développement à l’étranger de nouvelles institutions scolaires et médicales. Dès la seconde moitié du 19e siècle, elles ont joué un rôle-clé dans la progression, dès le moment où l’Église a acquis une vision globale des besoins humains, sous tous ses aspects physiques, mentaux et spirituels. En résumé, dès 1863, - et plus particulièrement entre 1888 et 1901 -, alors que la demande s’accroissait et que les structures restaient les mêmes, « […] il devenait évident que les structures devaient changer, afin de faire face aux nouvelles circonstances, ou l’Église encourait le risque d’inhiber le fort sentiment qu’elle avait de sa mission, de sa ‘raison d’être’. L’Église adventiste se trouvait donc confrontée à une alternative : adapter ses structures aux dimensions de son succès missionnaire, ou maintenir le statu quo et anéantir tout espoir d’avancées dans l’avenir. Si on considère qu’au cœur de sa théologie et de sa mission, se trouvait déjà inscrite l’ambition de croître, le choix aurait dû paraître évident, et défendu avec enthousiasme ; plus que sa conception ecclésiologique et l’idée de devenir une institution bien constituée et puissante. Apparemment, le premier choix ne fut pas évident, ni accepté avec entrain durant les années de 1888 à 1901. Les changements ne se sont pas réalisés sans peines »507. Centralisation et autoritarisme Les signes de crises potentielles sont apparus assez tôt. Le nœud du problème se situait dans le modèle organisationnel de 1863. Il exposait l’Église 507
‘’[…], it became apparent that either the structure of the denomination needed to be changed in order to meet the changing circumstances, or the denomination faced the possibility of inhibiting what had become its very ‘raison d’être’ – its sense of mission. The church was confronted with the alternative of adapting its administrative structures to its own missionary success on the one hand, or, on the other hand, maintaining the status quo and quashing projected success in the future. Since desire for growth rather than rigid ecclesiological self-image was the lifeblood of the Seventh-day Adventist Church, the choice between the alternatives shoud have been obvious and enthusiastically advocated by all. Apparently that choice was neither obvious nor enthusiastically welcomed in the years between 1888 and 1901. Change did not come easily.’’, OLIVER, B. David, op. cit., p. 68 (trad. MV).
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aux dangers d’une forte centralisation de son administration directrice, et ses dirigeants à la tentation d’exercer une sorte de ‘pouvoir royal’, comme le montrent les correspondances de l’époque, dont celles d’Ellen G. White508. La composition du comité exécutif de la Conférence générale était trop restreinte pour faire face aux dimensions de la tâche. Jusqu’en 1897, il ne compta jamais plus de 8 personnes, date à laquelle le nombre n’augmenta qu’à 13 personnes. Elles se réunissaient rarement, en raison de leur dispersion aux États-Unis et dans le monde. Les principales décisions ont souvent reposé sur les seules épaules du président. Une situation qui ne mettait pas à l’abri les fortes personnalités de jouer de leur ‘pouvoir ’. La situation est devenue d’autant plus délicate, et la tentation d’autant plus forte, que la conviction s’est rapidement installée dans les esprits que la Conférence générale constitue la plus haute autorité de l’Église. Sa centralisation à Battle Creek a rapidement engendré des tensions et perturbé les relations internes. Le fait est évident en 1885. Au moment où George I. Butler, président de la Conférence générale509, se mit à pointer du doigt ce qu’il considérait comme une ‘négligence’ des principes de l’organisation, entendant par là que les fédérations ne sont pas autorisées à s’affranchir du contrôle direct de la Conférence générale, jusque dans les moindres détails de leurs activités. George Knight relève qu’avec Butler, aucune information, aucune publication, même celles de leurs dirigeants, ne pouvait être publiée dans la Review and Herald sans l’accord préalable du président de la Conférence générale. Deux années plus tard, il affirmait que « […] la supervision (de la Conférence générale) s’étend à toutes les parties du monde. Il n’y a pas d’institutions, de publications ou de périodiques, pas de fédérations ou d’associations, pas de territoires missionnaires, où elle n’a pas un droit de regard, d’examen et de conseil. Elle est la plus ‘haute autorité terrestre’ parmi les adventistes du septième jour »510. Son comportement à la session de la Conférence générale à Minneapolis en 1888 a témoigné de cet esprit autoritaire511. En tentant d’atteindre son objectif en matière d’herméneutique
508
Cf. HAVOLIAK, Bert, Documents on Church Organization, 1883-1907 (selected by), Washington D.C., Office of Archives and Statistics, General Conference of Seventh-day Adventists, April 1984. 509 George I. Butler a été président de la Conférence générale de 1871 à 1874 et de 1880 à 1888. 510 ‘‘(General Conference) embraces all it interests in every part of the world. There is not an institution among us, not a periodical issued, not a Conference or society, not a mission field connected with our work, that it has not a right to advise and counsel and investigate. It is the highest authority of an earthly character among Seventh-day Adventists’’, BUTLER, I. George, in : Seventh-day Adventist Year Book 1888, Battle Creek, Michigan, Review and Herald, 1889, p. 50. Cité par OLIVER, B. David, op. cit, p. 58 (trad. MV). 511 Cf. KNIGHT, George, Organizing for Mission. The Development of Seventh-day Adventist Organizational Structure. Unpublished manuscript of a presentation to the commission on ministries, services and structures, Loma Linda, CA, April 2006, p. 18.
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biblique, Butler n’a pas hésité à mettre en jeu sa fonction de président, afin de manœuvrer l’assemblée. Remédier à la centralisation de l’autorité administrative C’est à partir de ce contexte qu’après 1888, l’évolution de l’Eglise a connu des nouvelles étapes. Certains dirigeants de fédération ont fait de plus en plus sentir le poids de leur fonction par de fortes pressions, afin d’orienter l’évolution des choses dans le sens où ils le voulaient. Il fallait à tout prix, selon eux, maintenir en l’état les structures adoptées vingt-cinq années plus tôt, en 1863. Or, la forte dispersion des pouvoirs, que celle-ci produisait, paralysait le système tout entier. L’Histoire montre que c’est par des voies très différentes, parfois détournées, que les changements se sont mis en place, dépassant la volonté même des partisans du statu quo. L’une de ces voies s’est ouverte suite à l’action de quelques personnalités en vue. Depuis 1890, Alonzo T. Jones, Ellet J. Waggoner et William Warren Prescott déclaraient qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un président à la direction de l’Église. Le Christ seul est ‘la tête du corps qu’est l’Église’, selon l’apôtre Paul, soulignaient-ils. Dans cette ligne de raisonnement, Waggoner défendait l’idée que le Saint-Esprit est le seul organisateur de l’Église. L’unité parfaite se construit donc par le respect absolu de la complète indépendance de chaque membre. Prescott, de son côté, mettait en garde contre une volonté de hiérarchiser les rôles au sein de l’Église. Il ne devrait pas y avoir « d’officiels ici » (there will be no officials here), « vous êtes tous des frères, c’est l’idéal biblique », répétait-il. Leurs déclarations reflétaient leurs conceptions théologiques de l’Église. Il ne s’agissait pas de créer l’anarchie, mais de revenir à l’esprit du Nouveau Testament. A la différence de Prescott, les deux premiers ont maintenu jusqu’au bout leurs positions. Particulièrement aux moments des sessions de la Conférence générale de 1897, 1899, 1901 et 1903. Ceux qui partageaient leurs idées n’ont cessé d’évoquer une déclaration d’Ellen G. White en 1896 : « Il n’est pas sage de placer un seul homme à la présidence de la Conférence générale »512. En 1897, il a pu sembler un moment que l’Église adventiste irait dans leur direction. L’assemblée nomma trois présidents. Chacun était responsable d’une des grandes régions où l’Église adventiste était implantée, l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Australie. Bien qu’elle n’ait pas 512 ‘’It is not wise to choose one man as president of the General Conference’’, WHITE, Ellen G., Special Testimonies for Ministers and Workers, College View, Nebraska, College Press, 1897, p. 29, cité par OLIVER, B. David, op. cit, p. 186 (trad. MV) ; voir aussi, « Ellen G. White to Conference Presidents and Councillors, August, 1897 », cité par KNIGHT, George, Organizing for Mission, The Development of Seventh-day Adventist Organizational Structure, Unpublished manuscript of a presentation to the commission on ministries, services and structures, Loma Linda, CA, April 2006, p. 18.
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été suivi longtemps – elle ne répondait aux attentes de personne, pas même à celles de ceux qui l’ont initiée –, l’idée de répartir les responsabilités faisait son chemin. Elle a indirectement contribué à faire admettre les restructurations qui seront mises en place en 1901 et en 1903. Une autre voie est le résultat d’une initiative prise en Afrique du Sud, sous la pression des circonstances. L’Église adventiste y était déjà implantée depuis 1886. Arrivé à Cap Town en 1891, Asa T. Robinson devait faire face à une expansion rapide de l’Église, commencée six années plus tôt. L’accroissement important du nombre de membres et la création, en même temps, de plusieurs institutions, dont un Collège et un sanatorium, soulevaient de nouveaux problèmes. Le nœud de l’affaire résidait plus dans les pratiques administratives de l’Église que dans des questions théologiques. Quelle était la meilleure façon de répondre aux besoins locaux, tout en respectant les structures de l’organisation mondiale ? Les difficultés que rencontrait Robinson relevaient du manque de personnel qualifié pour agir en milieu sud-africain. Cette carence se faisait sentir, tant dans le besoin de créer sur place une maison d’édition qualifiée, pouvant publier dans les langues autochtones, que dans celui de mettre en place un système scolaire adventiste répondant au développement des ‘écoles bibliques du sabbat’513 dans les églises locales et aux demandes d’institutions de santé. Il fallait aussi entretenir les relations avec les autorités sud-africaines. Or, selon les dispositions de la Conférence générale, Robinson ne pouvait rien entreprendre sans l’accord des dirigeants américains. L’urgence faisant loi, Robinson a été obligé d’agir. Il mit en place une nouvelle structure : des ‘départements ’ chargés de conduire une activité et relevant de la responsabilité de la Fédération des églises adventistes en Afrique du Sud, maillon lointain qui les intégrait dans le système fédéral mondial. Mis au courant en 1892 par la correspondance de Robinson, les dirigeants de Battle Creek ne l’ont pas approuvé. Andres O. Olsen, qui avait succédé à la présidence à G.I. Butler, redoutait, comme ses collègues, que s’ouvre le chemin vers la création d’autres structures semblables, en dehors des États-Unis. Elles pourraient s‘interposer dans l’exercice de l’autorité de Battle Creek. Mais en 1892, il était trop tard. Robinson n’avait pas pu prendre connaissance assez tôt de ce refus. Le temps pour l’échange du courrier avait été trop été long. Plusieurs mois s’étaient aussi écoulés, en raison des absences fréquentes, hors de Battle Creek, du président de la Conférence générale. Les nouvelles dispositions étaient en place et fonctionnaient. Leur succès a servi de modèle au monde adventiste à partir de 1901.
513
Dans l’Église adventiste, l’école biblique du sabbat est l’équivalent, en général, de l’école biblique du dimanche dans les Églises protestantes ; à la différence qu’elle s’adresse aux personnes de tous les âges, adventistes ou non, au lieu de s’adresser seulement aux enfants et aux adolescents.
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Vers de nouvelles structures (1894 -1901) Au mois de novembre 1888, le territoire de l’Amérique du Nord était divisé en quatre ‘districts’, relevant chacun des services d’un membre du comité exécutif de la Conférence générale. Il était assisté d’un conseiller. Se fondant sur cette expérience, William C. White, fils aîné de James et d’Ellen White, devenu président intérimaire de la Conférence générale, déclara qu’il est préférable que les districts agissent plus librement, en collaboration avec les fédérations, sans devoir se référer au président de la Conférence générale à propos de tout. Les responsables devraient se consulter dans le respect mutuel de leurs points de vue. William White a consacré beaucoup d’énergie à faire avancer ce concept. En 1889, le nombre des districts était passé de 4 à 6 aux États-Unis. En 1893, le même mode de fonctionnement a été appliqué à l’Australie et à l’Europe. On ne doit cependant pas assimiler ces changements structurels avec la création de ce qui sera appelé plus tard les ‘Unions de Fédérations’. Les directions des ‘districts ’ ne disposaient ni d’autorité, ni de statut particulier pour leur fonctionnement. Leur légitimité ne reposait sur aucun vote d’assemblée. Aucun comité n’accompagnait ceux qui en avaient la direction. L’autorité restait toujours centralisée entre les mains du comité exécutif de la Conférence générale. Et, en pratique, entre celles du président. Dans une lettre qu’il adressa à Andres O. Olsen, le 21 décembre 1892, William White parait avoir eu en tête un projet pour l’Australie, proche de ce que deviendront plus tard les ‘Unions’514. Néanmoins, les résistances de Battle Creek se sont accentuées et le statu quo fut maintenu jusqu’en 1894. Il est permis de considérer que c’est à cette date que les choses ont réellement commencé à bouger. Devenu président de la Conférence générale, deux ans auparavant, Olsen avait pris conscience des réalités en visitant un territoire d’activité éloigné des États-Unis, l’Australie. Les dirigeants à Battle Creek n’en avaient qu’une faible idée. L’année suivante, sous l’impulsion de William White et d’Arthur G. Daniells, devenu le responsable du ‘district australasien’, une assemblée des délégués des fédérations adventistes dans le pays adopta une nouvelle structure, ‘l’Union des Fédérations adventistes en Australie ’. Elle réunissait les fédérations et des territoires de mission en Océanie. Elle procédait d’assemblées locales et disposait du pouvoir administratif nécessaire pour diriger les intérêts de l’Église sur place. En 1898, l’Union australasienne a suivi l’exemple de l’Afrique du Sud. Elle aussi adoptait une structure départementale. Il est intéressant de noter ici qu’aucune des avancées vers une gestion plus ouverte de l’autorité de l’Église n’a été le fait des dirigeants de la Conférence générale. À son retour d’Australie en 1894, Olsen se retrouvait face au même 514
Cf. KNIGHT, George, Organizing for Mission. The Development of Seventh-day Adventist Organizational Structure, Unpublished manuscript of a presentation to the commission on ministries, services and structures, Loma Linda, CA, April 2006, p. 22.
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immobilisme qu’avant son départ. Certains, parmi les dirigeants à Battle Creek, ont alors tenté d’obtenir l’appui d’Ellen G. White. Mais, au contraire, ses déclarations ont attiré l’attention sur le danger de faire reposer trop de responsabilités sur les épaules d’un seul homme et de confier l’autorité à un nombre trop restreint de personnes. Elle s’en est tenue à suivre les évolutions, sans soutenir un modèle plutôt qu’un autre, exprimant quelquefois sa satisfaction, en remarquant certaines avancées. Ellen G. White s’est toujours limitée à dénoncer les problèmes soulevés par une centralisation excessive des pouvoirs administratifs et les tendances à l’autoritarisme. Elle encourageait ses coreligionnaires à développer un véritable esprit de coopération515. En plus de leur volonté d’assumer la mission de l’Église, ceux qui se sont engagés dans ces débats se préoccupaient aussi de maintenir son unité. À l’époque, l’idée de décentraliser paraissait paradoxale à plusieurs. Mais, pour d’autres, sans doute plus conscients des réalités depuis 1888, cette orientation répondait aux nécessités. Elle s’imposait face à la dispersion des membres au travers du monde, avec les distances géographiques entre les institutions et avec les particularités des nouveaux territoires. Ce n’est cependant pas la dépendance d’un comité à Battle Creek qui a été la seule source de problèmes. Un autre aspect, plus subtil et plus délicat à traiter, apparaissait. Les dirigeants étaient des hommes des États-Unis, par la culture et par la mentalité. Ils n’avaient que peu, si pas du tout, connaissance des pays étrangers, tant les membres du Comité que les responsables des organes auxiliaires de l’éducation, de la santé, des publications, et des autres activités. Une certaine idée de la mission ‘rédemptrice ’ de leur nation colorait leur mentalité516. Ajouté à cela, leurs fortes personnalités, les glissements vers des sortes de petits « pouvoirs royaux » ne concernaient pas seulement la fonction présidentielle, ou les prérogatives du comité à Battle Creek. A mesure que l’Église s’est développée, d’autres responsables ont aussi cherché à faire prévaloir leurs positions ‘hiérarchiques ’ dans l’Église. Il en résultait un manque de coopération, - chaque organe de l’Église disposant finalement de ses propres structures -, face à un Comité de la Conférence générale débordé par l’ampleur de la tâche. De 1894 et 1901, cette situation a été la source de nombreuses tensions.
515 Cf. HAVOLIAK, Bert, Documents on Church Organization, 1883-1907 (selected by), Washington D.C., Office of Archives and Statistics, General Conference of Seventh-day Adventists, April 1984. 516 Voir, pp. 63,64.
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5.1.4.
La réorganisation entre 1901 et 1903
En 1901, l’Église adventiste comptait dans le monde 9 Unions, 98 Fédérations, 1591 pasteurs et employés dans les institutions. Elle recensait 2011 églises locales et 78.188 membres517, plusieurs maisons d’édition, près de 200 écoles et ‘Colleges ’ dans le monde. À ce stade, ses dimensions exigeaient de nouvelles dimensions pour la gérer. Il ne s’agissait plus de répondre seulement aux défis missionnaires. Plusieurs ‘chantiers ’ importants devaient nécessairement être mis en route. Parmi eux, approfondir les lignes théologiques de l’enseignement biblique adventiste et assurer une meilleure formation des pasteurs. Les demandes en provenance de plusieurs territoires de créer des Instituts adventistes de théologie augmentaient sans cesse. Elles soulignaient le besoin de soutiens financiers plus importants. Mais en même temps, plusieurs institutions auxiliaires avaient contracté de lourdes dettes. Elles entravaient leur développement. Bien que l’engagement des membres soit toujours important, la trésorerie était de plus en plus à court de ressources. Il devenait nécessaire d’améliorer la gestion des fonds en l’adaptant aux besoins locaux, de trouver le soutien des territoires éloignés, d’harmoniser la répartition des disponibilités financières et de mieux gérer les dépenses. En fait, le modèle de 1863 était dépassé. Il n’est pas étonnant de constater, après des années de refus des dirigeants de modifier la façon de fonctionner, que les principaux moteurs de la prise de conscience du décalage entre le système et les réalités, ont été des hommes et une femme ayant acquis de l’expérience en dehors des États-Unis, tels qu’Arthur G. Daniells, William C. White, Andres O. Olsen, Ellen G. White, et quelques autres. A l’aube du 20e siècle, les sessions de la Conférence générale de 1901 et de 1903 ont apporté ce que beaucoup attendaient depuis une dizaine d’années, au moins. Néanmoins, certains le craignaient et d’autres le refusaient. Arthur Daniells était conscient de la force des conservatismes qui se manifestaient depuis 1894. C’est à sa demande pressante, appuyée par des responsables de territoires hors des États-Unis, qu’Ellen G. White s’est déplacée de Californie au Michigan pour assister à la session d’avril 1901. Elle avait simplement accepté de répondre aux questions. Elle désirait avant tout rester en retrait. Mais les organisateurs l’ont amenée à être la principale intervenante durant cette session, sans qu’elle s’y soit préparée. Elle s’est trouvée face à une assemblée de quelques 268 délégués, comprenant des présidents de Fédérations, des responsables de districts, des administrateurs, des éditeurs, des médecins et des directeurs d’établissements d’enseignement. Sur place, elle a réalisé l’importance du moment en prenant connaissance des points controversés 517
Voir, ‘fiche signalétique de la croissance du nombre de membres de 1863 à 1901’, p. 216.
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soumis à la discussion. Son intervention, souligne David Oliver518, est sans doute la plus importante de toutes celles qu’elle avait faites auparavant sur les principes de gestion d’une Église. Elle puisait ses arguments dans son expérience et celle de son mari519. En résumé, elle revenait sur ses critiques antérieures de la centralisation administrative excessive et sur le comportement de plusieurs, « assis sur des petits trônes ». Elle a mis en avant quelques suggestions qui pouvaient, selon elle, apporter un esprit nouveau dans la ‘gouvernance ’ de l’Église : 1. un « sang nouveau » devrait être apporté à la direction de l’Église 2. le fonctionnement de la direction devrait être repensé 3. il faudrait élargir les bases de l’autorité administrative, en impliquant dans la gestion le plus grand nombre possible de responsables des activités auxiliaires de l’Église. En fait, elle a adopté en 1901 la même attitude que celle qu’elle avait entre 1860 et 1863. Elle ne parla pas de structures, mais des principes520 qui doivent inspirer l’esprit des dirigeants de l’Église. Jusqu’où aller dans les réorganisations pour atteindre ces objectifs ? Comment procéder ? Ellen White déclara alors aux délégués : « […] je ne peux vous dire comment cela doit se faire »521. De son point de vue, ce n’est pas l’organisation elle-même qui est en cause en premier lieu, mais les pratiques biaisées par des ambitions et des compromissions personnelles. « Il n’était pas non plus dans son idée de voir ses écrits servir de référence normative pour mettre en place les changements », écrit David Oliver522. Cette responsabilité relevait des délégués eux-mêmes. Ellen White n’a pas tenu ces propos sous la pression ou l’impulsion du moment. Elle s’est sentie concernée par le problème depuis la session de la Conférence générale de 1888. Ce sont les débats entre partisans et opposants des réformes au cours des deux sessions de 1901 et de 1903 qui, historiquement, ont rendu possible les 518
Cf. OLIVER, B. David, op. cit., pp. 162-169. James White est décédé en 1881. 520 ‘Principe’, désigne l’élément constituant et la cause première des choses. Ici, la référence aux ‘principes’ renvoie aux éléments fondamentaux, en ce sens qu’ils sont causaux (des actions, des formes d’organisation, des règles, etc.) et essentiels (ils pointent vers l’essence des actions, des règles, des lois et des formes). Les ‘principes’ ne doivent pas être confondus avec les règles, les lois, les formes, etc. Celles-ci peuvent être modifiées selon les objectifs à atteindre, les temps, les lieux et les circonstances. Autrement dit, les ‘principes’ sont antérieurs aux choses et ont priorité sur elles. 521 WHITE, Ellen, The General Conference Bulletin, Vol. IV, Thirty-Fourth Session, Battle Creek, Michigan, First Quarter, April 3, 1901, p. 25. 522 ‘Nor was her intention that her own writings form the basis of authority for change’, OLIVER, B. David, op. cit., p. 167 (trad. MV). 519
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changements dans le mode de fonctionnement de l’Église. On ne peut les dissocier des situations que l’Église affrontait dans le monde. C’est, une fois de plus, la prise de conscience par les assemblées de l’urgence des réponses à apporter qui a fourni l’impulsion nécessaire pour avancer. Le vote final de 1901 a confirmé les propositions de la commission chargée de les étudier, sous la direction d’Arthur G. Daniells. Les réorganisations, les plus importantes depuis 1863, ont été introduites. Parmi les plus significatives, on doit relever : 1. La création d’Unions de Fédérations et d’Unions de missions chargées d’harmoniser les activités des Fédérations et des missions dans leurs territoires et les relations avec la Conférence générale. 2. Jusque-là ‘extérieures ’ à l’administration de l’Église, les organisations auxiliaires dans chaque territoire sont intégrées en tant que ‘département ’. Elles font partie du fonctionnement des Fédérations et des Unions. 3. Le nombre de membres du comité exécutif de la Conférence générale passe à 25 membres. Le comité choisit son président (chairman). Son autorité est limitée. Il n’a plus le pouvoir d’intervention et de décision dans les structures de l’Église, ni sur toutes les questions. 4. La gestion des institutions auxiliaires, qui dépendaient de la seule juridiction de la Conférence générale, est transférée aux Unions. 5. Un système de répartition des fonds et des ressources financières donne une certaine autonomie aux structures de l’Église dans le monde. Selon les historiens adventistes, l’optimisme, qui dominait à la fin de la session, a progressivement disparu au cours des mois qui ont suivi, jusqu’à la session de 1903. Les comportements individuels ne reflétaient pas l’esprit de l’assemblée de 1901. Certains n’avaient pas modifié leurs pratiques administratives. L’opposition aux nouvelles dispositions s’était radicalisée. Elle réclamait de plus en plus un retour aux formes dont témoigne explicitement le Nouveau Testament, ou aux structures de 1863523. Toutefois, les délégués de 1903 ont apporté leur approbation aux changements opérés en 1901. Dans les faits, leur assemblée est allée plus loin. Elle intégra un ‘département médical’ et l’‘International Medical Missionnary and Benevolant Association’, présidée par le Dr J.H. Kelloggs524. Seul retour au passé, l’autorité du président de la Conférence générale était rétablie. Cependant, elle devait se limiter à un mandat dans le partage des responsabilités avec les autres structures de l’Église mondiale525.
523
Pour plus de détails, voir OLIVER, B. David, op. cit, pp. 179-182. IDEM, pp. 183-184. 525 IDEM, pp. 184 -201. 524
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5.1.5.- Bilan des restructurations de 1901 et de 1903 Dans leurs grandes lignes, les restructurations de 1901 et 1903 se situent dans le prolongement du modèle d’organisation ecclésial initié en 1863 et dans les axes tracés par le Nouveau Testament et par la Réforme du 16e siècle. Comme aux moments cruciaux des commencements, les assemblées ont cherché à répondre aux besoins. Entre 1901 et 1903, l’attention s’est fixée sur la façon de préserver l’esprit du mode initial, tout en tenant compte de la grande variété de situations dans les lieux où l’Église opérait. La façon d’élire les nouveaux dirigeants a confirmé la volonté de respecter le rôle des églises locales et de leurs membres dans la ‘gouvernance ’ de l’Église. Pourtant, ces structures n’ont pas non plus obtenu l’approbation de tous. Jusqu’en 1903, A.T. Jones et E.J. Waggoner, soutenus par d’autres, ont persisté dans leur demande d’une révision radicale. Après 1899, W.W. Prescott, qui s’était réfugié un temps dans le silence, ne les a pas suivis, convaincu que les positions excessives de Jones n’apportaient pas de solutions526. Jones et Waggoner ne rencontrèrent plus l’assentiment des assemblées. Les participants considéraient que leur façon de voir les choses ne reflétait pas le concept biblique de l’Église centré sur le principe de la collaboration consensuelle dans l’action, une collaboration prenant en considération, à la fois, le jeu entre l’individualité des croyants et la solidarité dans réalisation de projets communs. Jones et Waggoner reléguaient ces aspects au second plan, au profit d’un certain individualisme. Leur opposition systématique a largement contribué à créer l’atmosphère de suspicion qui a dominé durant les années de 1901 à 1903. Selon George Knight, elle a même quelquefois mis en danger le succès de ces réorganisations. Les polémiques grevaient l’ambiance, provoquant de part et d’autre des radicalisations, faisant courir le risque de handicaper les progrès d’une l’Église en cours d’internationalisation527. Il est important de souligner ici le rôle d’Ellen G. White. Ses déclarations ont constamment tendu à pondérer les relations entre les acteurs et dans leurs affirmations. Entre 1901 et 1903, elle n’a pas suivi A. Daniells, ni ceux qui le soutenaient, considérant qu’il exagérait la valeur d’une unité de l’Église qu’il voulait atteindre à tout prix, en tout, y compris dans la manière de comprendre les passages bibliques528. Elle n’a pas non plus cédé de terrain à 526
Cf. VALENTINE, M. Gilbert, W.W. Prescott. Forgotten Giant of Adventism’ Second Generation, Hagerstown, MD, Review and Herald Publishing Association, 2005, p. 142. 527 Cf. KNIGHT, George, Organizing for Mission. The Development of Seventh-day Adventist Organizational Structure, Unpublished manuscript of a presentation to the commission on ministries, services and structures, Loma Linda, CA, April 2006, p. 35. 528 En 1892, Ellen White avait déjà manifesté son désaccord avec cette façon de concevoir l’unité de l’Église : « Si une personne fait une erreur en interprétant un passage de la Bible, pensez-vous que c’est ce qui entraînera la divergence et le manque d’unité ? Bien sûr que non ! La position que
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l’individualisme de Jones et de Waggoner. Au cours de la session de 1909, elle a rappelé aux délégués sa conception de l’harmonie, en soulignant la nécessité d’équilibrer le rapport entre les positions personnelles et le respect des fonctions liées aux responsabilités. Elle reposait ses affirmations sur le fait que la Bible a reconnu le besoin de s’organiser et sur son enseignement qui valorise chaque membre individuellement, sur son rôle dans l’Église et le caractère volontaire de l’adhésion du croyant à une communauté ecclésiale. Sa pensée peut se résumer comme étant une revendication de l’unité dans la diversité. D’un point de vue global, l’histoire révèle donc que l’Église adventiste n’a jamais conçu son organisation ou ses structures comme des systèmes immuables et inflexibles. George Knight écrit : « Le produit final des sessions de 1901 et 1903 a été de mettre sur pied une organisation ecclésiale axée sur les exigences pratiques de sa mission évangélique, en tant que dénomination, plutôt qu’une structure immuable, qui ne pourrait évoluer à mesure que changent les situations de l’Église et du monde qu’elle veut servir. […]. Dans l’adventisme du septième jour, la forme de ‘gouvernance’ de l’Église n’est pas figée dans une sorte de ciment doctrinal. Au contraire, elle reste ouverte aux changements et aux développements, lorsque les besoins de sa mission demandent d’adapter son approche et ses procédures. Une Église vivante ne peut s’enfermer dans la raideur mortelle de structures inflexibles, incapables de faire face aux évolutions des circonstances »529. Cette remarque est encore valable aujourd’hui pour une Église qui, 150 ans après avoir adopté sa première structure, serait tentée de verser dans les pièges de l’immobilisme.
nous défendons ne peut affirmer que l’unité de l’Église consiste à regarder les textes de l’Écriture de façon identique. L’Église peut bien adopter résolution après résolution dans l’intention d’écarter toute divergence d’opinions, mais nous ne pouvons pas, dans notre intention d’extirper tout désaccord, violenter la pensée et la volonté. Ces résolutions peuvent à la rigueur dissimuler le désaccord, mais pas l’étouffer. Elles ne peuvent d’ailleurs pas non plus nous faire tomber parfaitement d’accord. Il n’y a qu’une seule chose qui peut faire grandir l’unité de l’Église : rechercher l’esprit d’indulgence que possédait le Christ », WHITE, Ellen, Manuscrit 24, 1892, Collonges-sous-Salève, Centre de recherche Ellen White, document non publié. Le contexte de ce manuscrit montre qu’elle en appelle à une pluralité d’opinion qui lui semble faire défaut à cette époque. 529 ‘The final product of the 1901 and 1903 sessions was a church organization based on the pragmatic necessity of the denomination’s mission rather than on an unchangeable structure that could never be modified as the condition of the church and the world it served changed. […]. In Seventh-day Adventism the form of church government is not set in some sort of doctrinaire cement but is open to change and development when the needs of the successful mission of the church demand a shift in approach or procedure. A living church cannot be one encompassed in the rigor mortis of an inflexible structure incapable of responding to altered circumstances’. KNIGHT, George, op. cit., p. 37 (trad. MV).
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5.1.6.- La constitution des ‘Divisions ’ A partir de 1903, les orientations adoptées en Europe ont entrainé l’Église adventiste mondiale dans une nouvelle étape de son organisation. En 1918, elle a abouti à la création d’une nouvelle structure, la ‘Division’530. Durant les vingt dernières années du 19e siècle, plusieurs essais avaient vu le jour afin de sectoriser son fonctionnement et de rendre son mode de régulation plus près des réalités européennes : - Au moment de s’implanter sur le Vieux Continent, les premiers adventistes européens ont cherché à adapter l’action missionnaire de l’Église au contexte d’un continent partagé entre des États indépendants dont les situations historiques, politiques, sociales et culturelles sont très différentes. Nous l’avons vu, une première subdivision avait été créée en 1882, avec la constitution d’un ‘Conseil européen des missions adventistes du septième jour’531. - En 1893, à l’exemple de l’Australie, le territoire européen était devenu, malgré la forte réserve des dirigeants américains, le 8e ‘district ’ de la Conférence générale. C’était une tentative timide de décentraliser le ‘pouvoir ’ installé à Battle Creek et adapter l’autorité administrative de l’Église aux réalités des nouvelles grandes régions où l’Église avait pénétré. - En 1897, après la disparition du système des districts, l’Europe continentale a été considérée comme une sorte ‘d’Union’, mais sa direction reposait toujours sur l’autorité en la personne du président de la Conférence générale. - Après la session de 1888 à Minneapolis, Louis R. Conradi avait franchi un seuil en créant en 1891, à partir de Hambourg, la ‘Central European Conference’, une structure administrative qui s’était progressivement étendue de l’Allemagne vers la Russie, puis vers le sud, l’ouest et le centre de l’Europe, vers le Proche-Orient et vers l’Afrique du Nord. En 1901, sous son impulsion, un comité administratif avait été mis sur pied. Il était investi par les délégués européens des mêmes responsabilités pour l’Europe et des mêmes pouvoirs de décision que ceux des dirigeants à Battle Creek. Il est 530
‘Division’, aujourd’hui la plus grande entité géographique et administrative après la Conférence générale. Elle réunit des ‘Unions ’, des ‘Missions ’, des ‘Fédérations ’ et des Institutions. Théoriquement, chaque ‘Division’ est une section administrative de la Conférence générale. Elle dispose de son comité exécutif et de ses propres départements. Ses statuts sont des adaptations de ceux de la Conférence générale aux conditions locales. Le président d’une ‘Division ’ est statutairement un des vice-présidents de la Conférence générale. Cf. « Division », in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 1996, p. 462. 531 Voir, Chap. 3, p. 164.
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assez significatif de constater que le président de la Conférence générale en fonction, Arthur G. Daniells, n’en faisait pas partie. C’est à Gland, en Suisse, en 1907, que les événements ont pris une nouvelle tournure. La Conférence générale avait décidé de tenir la réunion annuelle de son comité exécutif à la Clinique ‘La Lignière ’, acquise deux ans auparavant. Les discussions ont été animées. Sous la pression autoritaire d’Arthur G. Daniells, et malgré les résistances des représentants européens, le comité conclut à la dissolution de la ‘Central European Conference ’ et à la constitution de la première ‘Division ’ de la Conférence générale. Le choix d’élire à sa direction l’un des vice-présidents de la Conférence générale n’a pas été sans laisser des traces dans l’esprit des adventistes européens qui ont mal supporté d’être placés sous la tutelle américaine. Venu en visite depuis les États-Unis en 1920, Lewis H. Christian, traduit ce ressentiment général : « Nous avons plus entendu parler du Conseil qui s’est tenu en 1907 à Gland que de n’importe quel autre sujet »532. En 1911, L.R. Conradi abordait à nouveau la question. Il proposait à la Conférence générale que les autres grandes régions géographiques, où l’Église adventiste est implantée, deviennent aussi des ‘Divisions ’. Mais en même temps, il leur conférait une autre dimension : ces ‘Divisions ’ seraient ‘autonomes ’ (self-supporting), disposant d’un statut, réunissant leurs propres assemblées, dotées d’un comité exécutif, d’une trésorerie, à l’exemple des ‘Unions ’. Opposé à cette idée, Arthur G. Daniells y voyait le risque d’une trop grande autonomie des territoires éloignés des États-Unis. Il désirait avant tout protéger l’unité de l’Église. William White et sa mère ont rejoint la position de L.R. Conradi. Ils pensaient que cette nouvelle disposition dans l’organisation contribuerait à révéler des capacités de personnes aptes à diriger. Par leurs individualités, elles favoriseraient l’acceptation du message adventiste et de l’Église dans différentes cultures. En même temps, leurs appréhensions les mettaient en garde contre l’esprit de Battle Creek tendant à marquer l’ensemble de l’Église et son fonctionnement de l’empreinte de leur propre personnalité. Un an plus tard, en avril 1912, les dirigeants européens rédigeaient un document à l’intention du Conseil annuel de la Conférence générale avec la demande de « [...] d’amender les statuts de la Conférence générale au cours de la prochaine session de son assemblée, afin de pouvoir mieux organiser ceux 532
Cf. KNIGHT, George, Organizing for Mission. The Development of Seventh-day Adventist Organizational Structure, Unpublished manuscript of a presentation to the commission on ministries, services and structures, Loma Linda, CA, April 2006, p. 39 (trad. MV).
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des Divisions »533. Ils réitéraient la proposition de L.R. Conradi de 1911. Elle fut reçue et votée à la session de 1913. Dans la même direction, les délégués ont constitué alors trois autres ‘Divisions ’ : la Division de l’Amérique du Nord, celle de l’Amérique du Sud et une Division des territoires asiatiques. La Première Guerre mondiale a interrompu la mise en place de cette nouvelle structure en Europe. La question n’est revenue à l’ordre du jour qu’en 1918. Entre temps, les événements en Amérique s’accéléraient dans une autre direction. L’administration de la nouvelle Division de l’Amérique du Nord gérait les territoires des États-Unis et du Canada, mais elle absorbait tous les fonds en provenance des Unions établies dans ces deux pays. Elle recrutait aussi pratiquement tout le personnel disponible. De ce fait, la Conférence générale se trouvait privée de ressources financières et humaines, ne disposant pas ellemême de territoire propre à la soutenir. Pour résoudre ces problèmes, les 443 délégués réunis à San Francisco en mars 1918 ont annulé le statut des Divisions adopté en 1911. Elles devenaient dorénavant des prolongements de l’administration de la Conférence générale dans le monde. Avec ce mode de fonctionnement, les assemblées des délégués, envoyés de toutes les parties de l’Église dans le monde, élisent, en même temps que ceux de la Conférence générale, les présidents, les secrétaires, les trésoriers et les directeurs des départements des Divisions. Leur statut est incorporé dans celui de l’organisation mondiale. Les présidents des Divisions sont des vice-présidents de la Conférence générale, les trésoriers et les secrétaires sont des trésoriers et des secrétaires adjoints. Les directeurs des départements534 des Divisions se réunissent en conseils consultatifs pour chaque département de la Conférence générale. Un système de répartition gère de façon précise, à partir des Églises locales, des Fédérations et des Unions, le retour à la trésorerie de la Conférence générale de fonds destinés à des projets ou à des objectifs précis. En retour, la Conférence générale redistribue dans le monde des allocations et des subventions destinées à soutenir les projets des Églises locales, ceux des Fédérations et des Unions. Elle aide les territoires économiquement moins favorisés et mène, à l’échelle internationale, des activités que ne peuvent mener séparément les Divisions. Elle gère un système généralisé de dîmes librement consenties par les membres et tous les employés de l’Église, destiné au soutien du corps pastoral dans le monde. D’un autre côté, les églises locales, les Fédérations, les Unions et les Divisions participent au budget mondial au moyen d’offrandes recueillies au cours des services religieux. 533
European Division of the General Conference minutes, Apr. 28, 1912, cité par KNIGHT, George, op. cit., p. 41. 534 ‘Département ’, subdivision fonctionnelle de l’activité de l’Église adventiste à ses différents niveaux administratifs. Chaque Division, chaque Union, Fédération ou Mission, a un département similaire ou de la même catégorie, travaillant en accord avec les comités exécutifs des niveaux auxquels ils sont rattachés et en collaboration avec ceux de la Conférence générale.
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Le Rapport annuel des statistiques du 31 décembre 1918535 reflète le résultat de ces réflexions et des débats qui ont eu lieu durant les sessions de la Conférence générale de 1901 et 1911. Avec ces changements, l’Église adventiste mondiale se structurait autour de trois grandes unités536 : • la Division de l’Amérique du Nord, avec les territoires des États-Unis et du Canada. Elle regroupait 12 Unions, dans lesquelles les 73 Fédérations employaient 1167 pasteurs, avec 2251 églises locales et un nombre total de 96.962 membres. • la Division européenne, qui couvrait les zones géographiques européennes où elle s’était plus ou moins implantée : principalement en Europe occidentale (les Îles Britanniques, la Hollande, la Belgique, la France, le Portugal, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie) ; en Scandinavie (la Norvège, la Suède, le Danemark) et en Europe septentrionale, centrale et orientale (la Russie et la Sibérie, les pays de l’Adriatique et les Balkans, avec l’Arménie, la Roumanie, la Bulgarie) ; puis, dans une moindre mesure, dans les Pays du Levant (l’Égypte, la Grèce, la Turquie, l’Arabie et l’Iran). Dans tous ces territoires, elle comptait au total 11 Unions, dans lesquelles 47 Fédérations et une vingtaine de Missions employaient 290 pasteurs, avec 1300 églises ou communautés locales, et un nombre total de 41.000 membres537. 535
Cf. Compiled by ROGERS, H.E, Seventh-day Adventist Conferences, Missions and Institutions. The Fifty-sixth Annual Statistical Report, Year ending December 31, 1918, Takoma Park, Washington D.C, General Conference of Seventh-day Adventists. A titre de comparaison entre les statistiques de la période envisagée dans ce paragraphe et celle établie au 31. 12. 2007, de même que sur les structures actuelles de l’Église adventiste, cf. Annexe 1 : ‘Structures de l’Église adventiste du septième jour ’ ; annexe 2 : ‘Statistiques mondiales de l’Église adventiste du septième jour ’. 536 ‘Division ’, ‘Union ’, ‘Fédération ’, ‘Mission ’, ne sont pas, dans la terminologie adventiste, des termes ayant une connotation religieuse. Ils désignent seulement des entités administratives, comme nous le constatons dans le cours de ce chapitre. Leurs répartitions et la détermination de leurs territoires ne suivent pas celles fixées par la géopolitique des États. De même, leurs créations et leurs réorganisations successives indiquent une volonté d’économie et d’efficacité dans l’accomplissement de la mission de l’Église. La désignation ‘Fédérations ’ indique des entités administratives qui, par leurs ressources en dîmes, dons et offrandes, peuvent à la fois équilibrer leurs budgets et contribuer au soutien mondial au travers de la Conférence générale. Leurs assemblées élisent leurs dirigeants ; celle de ‘Mission ’, désigne, partout dans le monde, une entité administrative qui fait fonction de Fédération, mais dont les ressources humaines et financières nécessitent l’intervention des niveaux supérieurs de l’organisation. C’est à ce niveau que sont désignés leurs responsables. Régulièrement, à mesure de leur développement, des Missions reçoivent le statut de fédération. 537 En ce qui concerne la Division européenne, le rapport indique qu’il s’agit d’une estimation des chiffres annoncés. Probablement due au manque d’informations statistiques en provenance des pays du Vieux Continent, à la suite de la Première Guerre mondiale. L’estimation s’est faite sur la base des données de 1913. À peu de choses près, cette estimation s’est confirmée durant les années qui ont suivi la guerre.
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• la Division asiatique, avec 12.768 membres, répartis entre l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les îles du Pacifique, l’Inde et l’Extrême-Orient (Malaisie, Chine, Japon, Philippines, Corée), comprenait alors 7 Unions, 12 Fédérations, une trentaine de Missions, 323 pasteurs avec 402 églises locales. • Plus quatre Unions en Amérique latine et les îles des Caraïbes (5 Fédérations, 23 Missions, avec 177 églises locales, 9445 membres et 124 pasteurs), rattachées à la Division de l’Amérique du Nord, et une en Afrique du Sud (4 Fédérations, 13 Missions, avec 51 églises locales, 2492 membres et 54 pasteurs), rattachée directement à la Conférence générale. En 1918, l’Église adventiste gérait dans le monde 65 maisons d’édition, avec 375 employés ; 140 sanatoriums, avec 863 employés. Aux États-Unis, son département de l’Éducation reposait sur 870 établissements d’enseignement des niveaux secondaires et des premières années de l’université (college), et des séminaires de théologie, avec 545 enseignants ; en dehors du territoire américain, 517, avec 669 enseignants. 3 Divisions, 35 Unions, 141 Fédérations, 117 Missions, 1958 pasteurs, 4181 églises, 162.667 membres. En comparant ces chiffres avec ceux de 1901538, on mesure mieux l’ampleur du défi auquel les responsables de l’époque ont été confrontés et le laps de temps relativement court qu’ils ont eu pour y faire face. Les réorganisations de 1918 ont offert à l’Église adventiste les moyens de soutenir ses églises, ses diverses institutions et leurs activités dans le monde entier. Selon le rapport de l’Institut des Archives et des Statistiques de la Conférence générale du 31 décembre 2007, l’Église adventiste représente à cette date dans le monde 15.660.347 membres, répartis dans 13 Divisions. Elles couvrent les territoires de plus de 200 pays.
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Voir : Fiche signalétique du nombre de membres de 1853 à 1901, p. 216 et La réorganisation entre 1901 et 1903, pp. 223ss.
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5.1.7.- Structure actuelle de l’Église adventiste L’organisation de l’Église adventiste comprend aujourd’hui quatre structures : Une structure locale : L’église locale Constituée par un groupe d’adventistes, dans un lieu défini, et reçu à sa demande en tant qu’Église adventiste locale dans une Fédération, suite à un vote de son assemblée statutairement convoquée Deux structures régionales : La Fédération Constituée par un groupe d’églises locales d’une zone géographique déterminée, et reçu en tant que Fédération dans une Union, suite à un vote de son assemblée statutairement convoquée L’Union Un groupe spécifique de Fédérations dans une zone géographique déterminée, et reçu en tant qu’Union par le vote de l’assemblée de la Conférence générale au cours d’une session mondiale quinquennale Une structure mondiale : La Conférence générale Structure qui englobe toutes les structures organisationnelles de l’Église adventiste et la représente dans le monde au travers des Divisions. Ses assemblées administratives quinquennales réunissent les délégués des églises locales, des Fédérations, des Unions et des institutions. Le principe de représentativité demande qu’à chaque niveau de la structure administrative, les assemblées ou les comités reflètent autant que possible la diversité de ses membres, groupes sociaux [pasteurs, théologiens, enseignants, médecins, etc.], les genres, les âges, la composition ethnique et culturelle.
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5.2.- Réflexions sur le mode de fonctionnement de l’Église adventiste Nous nous limiterons à trois réflexions : La première, du point de vue sociologique. Le mode de ‘gouvernance’ de l’Église adventiste ne relève pas d’un modèle unique, existant et qu’il reproduit intégralement. Il recoupe les caractères de plusieurs types d’organisation religieuse dans le monde protestant : le modèle baptiste, sans partager avec autant de force son accent sur le congrégationalisme539, le modèle presbytérien540, avec le ministère du pasteur consacré, enseignant, conseiller, théologien, et, dans une certaine mesure, le modèle méthodiste qui s’organise selon un principe centralisateur541. La deuxième, du point de vue théologique et biblique. Les réorganisations successives depuis 1850 soulèvent des questions de fond. Ce modèle final de fonctionnement est-il en rapport avec une compréhension de la nature ontologique d’une Église, comme le veulent être le modèle institutionnel papal et le modèle épiscopalien ? Auquel des types ‘institutionnels idéologiques ’ ou ‘associatifs idéologiques’542 ses dimensions le rattachent-elles ? Jusqu’à quel point les considérations pragmatiques ont-elles été sous-tendues par une vision de la nature ontologique de l’Église et l’herméneutique biblique ?
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« L’assemblée locale baptiste est la réalité première. En elle et par elle se manifeste l’Église en sa visibilité. Souveraine, elle entretient des rapports avec les autres assemblées de conviction semblable ; mais même dans le cas où elle appartient à une association nationale ou internationale des Églises baptistes, l’assemblée locale demeure indépendante de toute juridiction ecclésiale autre que la sienne qui réside dans le conseil de ses membres. Aucune instance ne peut lui imposer ses règles : elle légifère pour elle-même, soit qu’elle les imagine, soit qu’elle reçoive et approuve des initiatives venues de l’extérieur (celle, par exemple, de créer une association d’Églises baptistes) », Cf. SEGUY, Jean, « Baptisme», in : Encyclopaedia Universalis, France, CDRom n. 8, 2003. 540 « Le système presbytérien repose sur la paroisse, communauté concrète établie en un lieu, Église dans laquelle la Parole de Dieu est annoncée de manière authentique et les ‘sacrements’ correctement distribués. Élus par l’assemblée générale des membres, les ‘anciens’ (πρεσβύτερος, Nouveau Testament) gèrent l’organisation de la paroisse et contribuent à la vie spirituelle de ses membres en collaboration avec le pasteur. Celui-ci préside le conseil presbytéral. Le pasteur possède une autorité propre en vertu de la Parole de Dieu, contenue dans la Bible, et signifiée par sa consécration pastorale». KLEIN, Jean-Louis, « Presbytériens », in : Encyclopaedia Universalis, France, CDRom n. 8, 2003. 541 « Plusieurs ‘sociétés’ locales forment un ‘circuit’ fermé dirigé par deux ou trois prédicateurs itinérants et un superintendant. Ils étaient convoqués annuellement. En 1874, Wesley, le fondateur du méthodisme, avait nommé ces circuits ‘Conférence’ ». Cf. BAUBEROT, Jean, « Méthodisme», in : Encyclopaedia Universalis, France, CDRom n. 8, 2003. 542 Cf. WILLAIME, Jean-Paul, Sociologie du protestantisme, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, p. 35.
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La troisième, du point de vue causal. Elle répond d’une certaine manière à la deuxième réflexion. En relisant l’histoire de l’organisation de l’Église adventiste, nous nous sommes limités aux formes qui ont été retenues. L’effort demandé à chaque étape ne doit cependant pas masquer une volonté de traduire le mieux possible les principes543 découverts par ses recherches théologiques dans ses structures institutionnelles. Ce que traduisent les autres modèles de gestion des Églises. C’est dans cette ligne que l’Église adventiste pense encore aujourd’hui ses évolutions et ses adaptations aux conditions nouvelles de la société qu’elle a pour mission de servir. Deux conceptions différentes de l’Église ont été avancées, représentées par A.T. Jones et A.G. Daniells. Jones considérait qu’une organisation ecclésiale doit refléter avant tout un mode de fonctionnement essentiellement lié à son caractère spirituel. Sa conception ne prend strictement en compte que l’affirmation que ‘Christ est la tête de l’Église ’. L’Église doit, selon lui, reproduire un modèle de ‘self-government ’ des croyants, sous la direction directe du Christ et sous l’impulsion du SaintEsprit. De son côté, A.G. Daniells a mis en avant le mandat missionnaire de l’Église et son indispensable unité organisationnelle. La suite montre que ce sont les réalités du moment qui ont permis à ce point de vue de prévaloir. Il a ouvert un chemin pour la mission dans une perspective universelle et eschatologique. En résumé, A.G. Daniells, comme ceux qui l’ont soutenu, percevait l’Église en termes pratiques et fonctionnels, non en termes d’ecclésiologie. Cela ne signifie pas qu’ils n’avaient aucune idée théologique en tête au moment des délibérations. Même si les principes qui les ont guidés n’apparaissent pas clairement dans les discours. Simplement, en Américains pragmatiques, ils ont jugé que le moment et les situations ne rendaient pas nécessaires d’aller plus loin dans l’étude de cette question. Si certaines considérations ecclésiologiques sont quelques fois apparues, c’est par nécessité. Ce sont les avancées dans le domaine du dialogue interconfessionnel au cours de la deuxième moitié du 20e siècle qui ont progressivement conduit l’Église adventiste à prendre conscience du manque d’étude systématique sur ce point dans ses milieux. Depuis une trentaine d’années, les études et les réflexions occupent une place non négligeable dans ses publications. Il est assez significatif de voir qu’en 1980, les quelque 2000 délégués à la session de la Conférence générale de Toronto ont introduit sept points qui concernent l’ecclésiologie dans les croyances fondamentales de l’Église. Néanmoins, des tensions et des divergences subsistent. Elles s’axent autour de certaines de leurs formulations, par exemple, la notion ‘d'Église du reste’. D’autre part, certains voudraient que l’Église adventiste revienne à la soi-disant ‘simplicité ’ de son statut de 1860 et qu’elle recentre sa prédication essentiellement sur les ‘piliers ’ doctrinaux544 des années 1840-1860, adoptant la même lecture littéraliste des 543
Sur le sens de ces expressions, cf. plus loin : « Les types de gestion du patrimoine religieux », pp. 237ss. 544 Cf. Chap. 2, ‘Les piliers de la doctrine adventiste et leur cohérence’, pp. 109ss.
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textes bibliques que celle de certains parmi les fondateurs, comme nous l’avons vu au chapitre 3. Aujourd’hui, la théologie de l’Église adventiste a pris une conscience nouvelle des notions bibliques de la sotériologie545 et de la christologie546, sans faire l’économie d’une relecture de son eschatologie547. L’Église les intègre dans ses réflexions et sa prédication. La pensée adventiste considère que ces trois dimensions théologiques sont parties du tout. Toute réponse à la question du sens de l’έκκλησία doit en tenir compte. Ce tout englobe à la fois la nature ontologique de l’Église chrétienne et ses aspects fonctionnels dans la cité des hommes. Dans ce sens, les questions sur son organisation ne peuvent être négligées, même si celle-ci ne constitue qu’un facteur parmi les autres de l’identité religieuse adventiste. Par son fonctionnement, comme dans toutes les Églises, le mode de gestion de la vie communautaire adventiste reflète l’espace de liberté ou non offert au croyant et à l’expression de ses attentes, de ses besoins et de ses questions existentielles. Il illustre aussi l’espace de réflexion que l’Église accorde aux évolutions contemporaines et aux besoins vitaux des hommes en général. Mais, comme dans tout modèle ecclésial, cet espace est le lieu de tensions avec les pressions qu’exerce de l’intérieur tel ou tel groupe militant pour un retour à la ‘pure Vérité fixée une fois ’, qu’il identifie dans les seuls enseignements de quelques-uns parmi les fondateurs. Le modèle sociologique révèle la manière dont une Église gère ces tensions dans le respect de la conscience de chacun.
545
Sotériologie : dans le sens de ‘réconciliation’ (καταλλαγή) dans les écrits de l’apôtre Paul (Rm 11,15 ; 2 Co 5,18) et dont la notion se rencontre du début à la fin chez les auteurs bibliques, comme un dire de l’acte d’amour et de grâce de Dieu. 546 Christologie : il ne s’agit pas de vouloir définir Jésus-Christ. Il y a toute la distance entre Dieu et l’homme, le mystère que Dieu est Dieu et que l’homme est homme. « En réalité, le mystère dont il est question ici concerne tous les aspects du plan du salut, et non pas seulement l’incarnation. Chacun d’eux comprend en lui-même un certain mystère, dans ce sens que l’objet de la connaissance dépasse la connaissance humaine. », ZURCHER, Jean, Le Christ manifesté en chair. Cent cinquante années de christologie adventiste, 1844-1994, Collonges-sous-Salève, France, Faculté adventiste de théologie, 1994, p. 29-30. Les noms donnés à Jésus-Christ dans le Nouveau Testament définissent tous des aspects de son œuvre salvifique. Dans la théologie adventiste, le mystère de l’incarnation débouche sur une ouverture en faveur de l’humanité. 547 Voir, note 332.
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5.3 - Le paradigme sociologique de l’Église adventiste, en tant qu’organisation ecclésiale dans le monde protestant548 L’histoire des évolutions de l’organisation de l’Église adventiste témoigne d’une recherche de la voie qui lui permet de gérer d’une manière ouverte, à la fois son capital spirituel, l’élargissement constant de sa théologie, la meilleure compréhension de son message et l’accomplissement de son mandat évangélique dans des contextes totalement nouveaux. Le modèle sociologique qui en découle rend compte des caractères qui sont les siens au sein du monde protestant, en particulier, du christianisme en général et du monde moderne. 5.3.1.- Les types de gestion du patrimoine religieux Nous nous référons ici aux quatre types particuliers que Jean-Paul Willaime a mis en œuvre comme outils de travail549, en nous souvenant que la réalité est plus complexe que l’idéal type. Il les a regroupés selon des axes de différenciations qui combinent les caractères ’institutionnel’ ou ’associatif ’, avec des traits religieux ‘ritualistes ’, ‘idéologiques ’ ou ‘charismatiques ’. En effet, le monde protestant est marqué par la diversité de ses Églises. Elle va de la ‘Haute Église luthérienne ’ aux particularités des milieux pentecôtistes, en passant par les calvinistes, les baptistes, les méthodistes, les évangéliques et les adventistes. Cette diversité ne se traduit pas seulement par des différences doctrinales, mais aussi par des structures institutionnelles et communautaires qui reflètent, comme nous l’avons vu, les ‘pouvoirs ’ et la légitimité qu’elles reconnaissent. Ils ne s’articulent pas dans toutes les Églises de la même manière. Dans le protestantisme, la ‘tension’550 va des Églises institutionnelles dans lesquelles priment l’autorité de fonction et l’admission indépendamment d’une confession volontaire et personnelle de ses croyances -, à celles qui regroupent leurs membres sur la base d’une démarche religieuse personnelle et volontaire. Dans certaines régions, l’Église adventiste peut paraître marquée par un pôle de ‘tension ’ vers l’autorité de fonction. Non pas en raison de son modèle 548
Dans cette partie, nous nous sommes librement inspiré de l’analyse de Jean-Paul Willaime. Cf. WILLAIME, Jean-Paul, La précarité protestante. Sociologie du protestantisme contemporain, Genève, Labor et Fides, 1992 ; Id., Sociologie du protestantisme, Paris, Presses Universitaires de France, 2005. 549 Voir, pp. 210 et note 8. 550 ‘Tension’, dans le sens de se diriger vers, de tendre à …
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d’organisation ou de son enseignement, mais en raison de l’imaginaire collectif que véhiculent certaines cultures, où ce genre d’autorité de fonction fait partie des traditions. Cependant, même dans ces cas, on ne peut assimiler ces groupes d’adventistes aux modèles dits ‘multitudinistes ’, car là aussi, ses églises rassemblent des personnes qui donnent le témoignage de leur adhésion personnelle et volontaire. L’Église vit donc au rythme de la société, avec les tensions inhérentes à tout rassemblement religieux. Elle doit veiller en même temps à se concevoir comme une ‘communauté ’ de fraternité spirituelle qui ne verse pas dans une sorte de ‘communautarisme ’ séparatiste. Sous d’autres aspects, elle est parcourue par des tensions entre l’option pour une théologie ouverte à des significations nouvelles des enseignements bibliques et l’option de certains milieux pour une orthodoxie ‘traditionnelle ’, le retour au passé. On retrouve dans le modèle adventiste des dimensions institutionnelles, des traits ‘associatifs ’, des formes de ‘rituels ’ (baptême, Cène, mariage, consécrations), des dimensions ‘idéologiques ’ et des dimensions ‘charismatiques ’. Cependant, elles ne revêtent pas les mêmes attributs que ceux que leur confèrent certaines autres traditions chrétiennes. Elles ne se manifestent pas non plus, ni ne se ‘hiérarchisent ’ de la même manière que dans le catholicisme, par exemple. En transposant un exemple donné par Jean-Paul Willaime, on peut se rendre compte de la dimension idéologique de l’Église adventiste lors d’un service du culte (rôle du prédicateur-pasteur-enseignant). Elle est bien différente de la dimension charismatique qui apparaît dans un culte pentecôtiste (rôle central du charisme ‘prophétique’ personnel, comme détenteur de la vérité). À l’instant du protestantisme, l’Église adventiste fait donc partie de ce « monde religieux où la dimension idéologique est importante en raison du rôle central qu’y jouent le rapport à la Bible et son interprétation »551, mais avec ses spécificités : • Ses dimensions rituelles sont loin d’être soulignées comme le sont certains courants du luthéranisme et l’anglicanisme. Dans l’économie symbolique de l’adventisme, elles ne revêtent pas les caractères sacramentaux des rites catholiques, tout en véhiculant des significations spirituelles et dogmatiques importantes. • Au plan de la dimension charismatique, l’analyse de l’histoire de l’Église adventiste montre que l’autorité d’Ellen Gould White a été relativisée, à la fois par elle-même, qui s’est refusé de se considérer comme une théologienne ou une historienne, et par l’autorité 551 WILLAIME, Jean-Paul, Sociologie du protestantisme, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, p. 33.
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scripturaire de la Bible qu’elle met elle-même au-dessus de ses écrits. Ses propres dires doivent être soumis à une herméneutique guidée par la dimension idéologique de l’Église qui repose sur le principe de la ‘Sola scriptura’. • Du point sociologique et psychologique, sa régulation idéologique, en rapport avec la Bible, ne permet pas de la situer hors de l’univers protestant. Selon la typologie de Jean-Paul Willaime, l’Église adventiste du septième jour entre dans le mode ‘institutionnel idéologique ’. De même que l’Église baptiste552, elle n’illustre pas vraiment les types de Weber et de Troeltsch ‘Église ’ et ‘Secte ’. Dans son cas, son organisation, représentée internationalement par la ‘Conférence générale ’, la place dans le modèle d’institution désacralisée et fonctionnelle (voir tableau p. 229, point 6). Elle se nomme officiellement dans le monde « Église adventiste du septième jour » et dispose d’un logo protégé dans lequel entrent en composition les symboles du christianisme. • Elle se distingue aussi des communautés de type charismatique, comme les assemblées pentecôtistes. Elle doit sa cohérence et son unité, non pas au charisme personnel d’un leader qui détiendrait des ‘dons spirituels ’ particuliers, mais à ce que la sociologie des religions désigne par le concept d’idéologie’553, c’est-à-dire ici, une théologie biblique critique qui donne sa cohérence à une orientation doctrinale précise, soutenue par un certain nombre de médiations (formation des pasteurs, étude hebdomadaire de la Bible en commun, lors du culte [École du Sabbat], études de la Bible en préparation du baptême, consensus autour de croyances fondamentales qui ne constituent pas un credo). • Cependant, son mode institutionnel est nuancé dans son fonctionnement par l’importance du rôle des églises locales, depuis leur niveau jusqu’à celui de son maillon international à sa direction, la Conférence générale. Ainsi, la désacralisation institutionnelle dans l’Église adventiste ne signifie pas, comme l’écrit Jean-Paul Willaime à 552
Cf. FATH, Sébastien, Une autre manière d’être chrétien en France. Socio-histoire de l’implantation baptiste (1810-1950), Genève, Labor et Fides, 2001, pp. 515-529. 553 La définition sociologique « […] voit dans l’idéologie la condition et la manifestation du consensus social autour de valeurs et d’idéaux de référence et qui, par conséquent, refuse d’opposer trop radicalement idéologie et utopie. […]. Né d’une réforme interne à une tradition, et d’une réforme toujours à reprendre (l’Église est reformata et semper reformanda), adossé à la découverte de la perversion fondamentale qu’est l’autojustification (avec ses données institutionnelles), renvoyé à la croix et à une transcendance de Dieu qui se donne comme rupture, le protestantisme se veut particulièrement sensible au risque idéologique, interne tout d’abord. Sa conscience est volontiers critique. » (Souligné dans le texte). VINCENT, Gilbert, « Idéologie», in GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Quadrige/PUF/Labor et Fides, 20062, pp. 620-621.
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propos du congrégationalisme ‘dénominationnel ’ des baptistes, la dissolution organisationnelle ou l’absence de médiations collectives. • Dans la typologie de Jean-Paul Willaime, entre deux extrêmes (le modèle ‘institutionnel rituel’ et le modèle ‘associatif charismatique ’), on peut distinguer deux variantes qui soulignent la nécessité d’une formation d’un pasteur (enseignant/conseiller) pour transmettre l’héritage religieux et l’orienter selon la psychologie sociale du groupe (voir tableau p. 229, point 4) : le modèle ‘institutionnel idéologique ’ et le modèle ‘associatif idéologique ’. Les caractères de l’Église adventiste l’inscrivent entre ces deux derniers. Le protestantisme se situe plus particulièrement dans les deux colonnes centrales du tableau proposé par Willaime (voir tableau, page 229). Ces colonnes reflètent la grande diversité des traits et soulignent les tensions structurelles qui habitent ses Églises, selon que l’on considère l’Église comme une institution revêtant une certaine objectivité au-delà de l’assemblée des fidèles, ou essentiellement comme une association de croyants qualifiés. Dans les modèles de ces colonnes, il apparaît que c’est la régulation idéologique qui prend le pas sur la régulation rituelle ou le charisme d’un leader. C’est aussi le cas pour l’Église adventiste. Dans son contexte organisationnel particulier, comme le démontre son histoire, c’est ce qui fait sa force, mais en même temps sa fragilité. Mais, comme l’écrit Jean-Paul Willaime554, sans une identité religieuse théologique sérieuse, elle pourrait moins facilement éviter de se reposer sur la force tranquille d’une institution sacralisée, comme c’est le cas pour l’Église catholique ou les Églises orthodoxes. D’autre part, sans une identité religieuse théologique sérieuse, elle pourrait être sensible à des poussées de ‘réveils ’ impulsées par des prédicateurs charismatiques et par des discours inspirés par une logique purement émotionnelle, comme c‘est le cas dans les milieux charismatiques. En reprenant les critères de Jean-Paul Willaime, le modèle de l’Église adventiste se construit de la manière suivante :
554 CF. WILLAIME, Jean-Paul, Sociologie du protestantisme, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, pp. 43-44.
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1
Modèle institutionnel idéologique
Modèle institutionnel idéologique
Églises réformées Églises luthériennes
Église adventistes du septième jour
Églises baptistes Églises évangélique Congrégations dénominationnelles
2
Ecclésia
Ecclésia
3
Charisme idéologique
Charisme idéologique
4
'docteurs'
5
Magistère idéologique
'docteurs'
Modèle associatif idéologique
Charisme idéologique 'docteurs'
Magistère idéologique
Magistère idéologique
6
Institution désacralisée et fonctionnelle
Institution désacralisée supra-locale et internationale
Organisation supralocale et normative
7
Lieu de la vérité le message
Lieu de la vérité le message
Lieu de la vérité le message
8
Personnage garant le théologien
Personnage garant le théologien
Personnage garant le théologien
9
Chef de l'Institution le président
Chef de l'Institution le président
10
Séparation des pouvoirs institutionnels et idéologiques
Séparation des pouvoirs institutionnels et idéologiques
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Chef de l'organisation le théologien Identification des pouvoirs institutionnels et idéologiques
5.4. – Conclusion On constate donc que la dimension communautaire de l’Église adventiste s’articule autour de son message évangélique, avec le soutien d’une organisation ecclésiale, selon un modèle ‘institutionnalisé désacralisé ’. Cette Église se situe dans les héritages de l’Église primitive et de la Réforme. Cette partie de notre étude rend compte sociologiquement de ses particularités, avec son mode de régulation du « dépôt » religieux et de fonctionnement de l’autorité. Pour elle, comme dans tout le protestantisme, la fidélité de l’Église n’est pas avant tout une question d’institution, mais une question herméneutique : l’enjeu est l’interprétation de la Bible, comme seule autorité spirituelle en matière de foi. Ses débats sont exégétiques. Il y a séparation des pouvoirs administratifs et idéologiques. Les responsabilités ecclésiastiques, à toutes les fonctions, sont fonctionnelles et déléguées. Les théologiens et les pasteurs exercent un pouvoir d’influence. La conformité au donné biblique étant importante, ce sont eux qui jouent le rôle primordial, car le magistère est d’ordre théologique et spirituel. Dans ce modèle, l’Église adventiste définit aussi son propre ordre ecclésiastique, à la manière dont le décrit Jean-Paul Willaime555 pour le protestantisme en général : « Il y a […] une objectivité des biens de salut et la définition d’un certain ordre ecclésiastique, mais cet ordre n’est pas la sacralité, il est conçu comme étant de nature fonctionnelle et les ministères ordonnés n’établissent pas pour autant une différence ontologique entre clercs et laïcs. Un charisme de fonction, mais un charisme de fonction fragilisé par le fait qu’il dépend moins d’une transmission rituelle que d’une conformité idéologique ». Ailleurs, il écrit « […] Le lieu de la vérité n’était plus dans l’institution, mais dans le message transmis et sa fidélité au donné biblique. La légitimation était déplacée de la fonction à l’action de l’Église, à son orientation »556. ‘Force et précarité ’ : l’identité religieuse adventiste se reflète à la fois au travers de l’individu croyant, de sa foi personnelle, et au travers du groupe culturel adventiste, avec sa théologie en marche. Ce modèle illustre ce paradoxe. Ce qui lui confère, sous certains aspects, une fragilité sociale perceptible. L’analyse que nous venons de faire, avec son idéal type, explique, en partie, comment la flexibilité de son organisation, lui permet de faire coexister les courants qui la traversent jusqu’à présent.
555
WILLAIME, Jean-Paul, op. cit., p. 39-40. IBIDEM, La précarité du protestantisme. Sociologie du protestantisme contemporain (Histoire et société 25), Genève, Labor et Fides, 1992, pp. 19-20. 556
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Chapitre 6 - Liberté de conscience et de religion, une composante de la dimension éthique de l’identité religieuse adventiste 6.0.- Introduction Avec ce chapitre, et le suivant, nous arrivons à la pointe du développement de notre étude sur l’identité religieuse adventiste, à partir du point de vue, et dans les limites que nous nous sommes fixées (voir l’introduction générale). De quel type relève-t-elle dans la société contemporaine, en constant mouvement ? Mais avant d’entrer dans le sujet de ce chapitre, il est utile de définir succinctement le rapport de cette liberté avec les autres dimensions, qui ont fait l’objet des chapitres précédents « Un […] type de construction identitaire, écrit Danièle Hervieu-Léger, se joue dans la conjugaison de la dimension culturelle et de la dimension éthique de l’identification »557. Ce type, la sociologue le trouve surtout représenté parmi les intellectuels, car, ajoute-t-elle, « [cette conjugaison] permet une identification fortement individualisée à la tradition chrétienne qui peut échapper entièrement à la médiation d’une communauté donnée »558. On peut, avec quelques nuances, faire la même remarque concernant la conjugaison de la dimension culturelle et de la dimension éthique dans la construction identitaire adventiste. Sa dimension éthique reflète sa manière chrétienne et individualisée de vivre ses relations avec les hommes et avec Dieu. Cette conjugaison dynamique – à laquelle s’ajoute la dimension spirituelle, comme on peut le déduire du chapitre quatre, infléchit559 le cours des relations et celui de la présence de l’adventiste dans la société moderne. Plus avant, dans le même ouvrage, la sociologue avait déjà défini la dimension éthique d’une identité religieuse, comme étant « l’acceptation par l’individu des valeurs attachées au message religieux »560. C’est dans cette perspective que nous abordons, dans ce chapitre, l’une des composantes de cette dimension561, la valeur accordée à la liberté de conscience et de religion, en 557 HERVIEU-LEGER, Danièle, Le pèlerin et le converti. La religion en mouvement, Paris, Flammarion, 1999, p. 87. 558 IBIDEM. 559 Le verbe ‘infléchir ’ est ici pris dans un sens réfléchi, c’est-à-dire, le fait que l’action émanant de cette dynamique fait retour sur elle-même par des évolutions de ses conceptions éthiques et, dans la pratique, par des réactions d’adaptation ou de rejet. 560 HERVIEU-LEGER, Danièle, op. cit., p. 72. 561 D’autres composantes construisent la dimension éthique de l’identité religieuse adventiste, comme le respect de la vie et de la personne dans son intégralité, dont la santé et l’hygiène de vie,
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raison de son caractère de ‘charnière’ entre sa lecture du message biblique et une valeur devenue universelle qu’elle reconnaît aussi dans sa théologie, celle de la dignité de la personne humaine. En effet, pour autant qu’elle soit comprise par les adventistes eux-mêmes, avec toutes ses implications, la valeur de la liberté religieuse constitue un point de jonction entre l’adventisme et la société moderne. Pour l’adventiste aussi, elle signifie, comme l’observe Danièle Hervieu-Léger à partir d’un horizon religieux plus large, une individualisation plus accentuée de la foi chrétienne. Est-elle plus accentuée chez les intellectuels adventistes que dans ses autres milieux ? Il se peut. Cela reste à vérifier562. Néanmoins, on peut écrire, sans risque de se tromper, que, dans cette identité, ce type de construction se fait avec la médiation de la communauté adventiste toute entière ; comme participant aux évolutions de l’institution transnationale. Pour apporter des réponses sociologiques précises à ces remarques, il faudrait analyser les débats qui paraissent dans les publications de cette Église, depuis ses origines. Il faudrait aussi observer de près l’intérêt personnel que les membres de ses communautés prêtent à son département des ‘Affaires publiques et de la liberté religieuse’. En ce qui concerne les adventistes européens francophones, il s’est accentué depuis les années 1970-1980. Néanmoins, de façon variable, selon les moments, les lieux et la politique des dirigeants régionaux et locaux (responsables laïcs, pasteurs et administrateurs). On constate cependant que de nombreuses initiatives personnelles sont à l’origine d’actions en faveur de la promotion de cette liberté dans les communautés adventistes locales. À un autre niveau, l’expérience amène à reconnaître une sorte de pluralisme normal des identités religieuses adventistes. Dans le sens où le système d’organisation et de fonctionnement de l’Église adventiste admet l’existence l’éthique de la sexualité, de la contraception et de l’avortement, l’éthique de l’éducation, celle du travail et du repos, de la gestion de la vie et des ressources matérielles personnelles, de l’environnement, de la non violence et de la recherche de la paix, l’éthique des relations avec les autorités civiles. Elles constituent des valeurs bien connues de l’adventisme. Mais, dans un temps où les connaissances augmentent et que la société se transforme rapidement et profondément, des sujets nouveaux questionnent sa réflexion théologique et spirituelle, comme, par exemple, les dépendances (alcoolisme, tabagisme, drogues, etc.), la procréation assistée, l’avortement, l’euthanasie, l’homosexualité, les avancées de la technologie moderne (manipulations génétiques, etc.), même si, en raison des temps et des moments de sa rédaction, ce sont des thèmes qui ne sont pas abordés dans la Bible. Nous ne les abordons donc pas. D’abord, parce qu’une approche de ces thèmes dans cadre de cette thèse, si succincte serait-elle, exigerait une analyse qui dépasse les limites que nous nous sommes fixées. Ensuite, parce que la prise de conscience du besoin d’une réflexion sur ces sujets et de la façon dont les adventistes intégrent ces valeurs dans leur comportement de manière cohérente avec leur approche du message évangélique, est relativement récente. Enfin, aussi, en raison de notre manque de compétence dans ces domaines. 562 A notre connaissance, l’absence d’étude sociologique ne permet pas à l’heure actuelle d’en établir la réalité, dans un sens ou dans l’autre.
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d’opinions religieuses différentes - toujours orientées dans l’axe des principes fondamentaux qui sont à la base de ses enseignements, avec des comportements culturels et sociaux différents. Ce pluralisme apparaît dans la façon dont l’adventisme, de même inspiration pourtant, est vécu quotidiennement par ses membres dans les différentes régions du monde, bien marqué par les cultures des sociétés dans lesquelles ils vivent. Ce constat nous ramène à Danièle Hervieu-Léger, à propos de la conjugaison des dimensions. Il existe, écrit-elle, « […] un enracinement culturel combiné à l’acceptation d’un ensemble de valeurs universelles […] »563. Nous l’interprétons en affirmant que les valeurs qui fondent le message religieux adventiste, sa dimension culturelle, donc, - les idéaux de libération contenus dans le Décalogue (Ex 20,2)564 –, sont en résonance avec des valeurs universelles reconnues, comme la liberté de conscience et de religion, la valeur de la dignité de la personne humaine, la fraternité humaine, la paix, l’égalité entre les hommes, le droit de tous à la santé et à l’accès à la nourriture, à la satisfaction de leurs besoins vitaux, à leur sécurité, à la propriété, etc. Comme d’autres constructions religieuses individuelles ou collectives, au sein de l’identité adventiste, ces conjugaisons s’inscrivent dans le schéma de la détermination des pratiques sociales proposé par Pierre Bourdieu565. Il existe, à la frange de l’adventisme, des croyants dont l’intérêt pour ses enseignements religieux s’est estompé, au profit de valeurs universelles qu’il véhicule, comme le constate Danièle Hervieu-Léger566, dans d’autres milieux. Toutefois, il faut souligner qu’en ce qui concerne l’Église adventiste, a réalité qui prédomine, c’est que l’adhésion à sa doctrine du salut par grâce, en même temps que « l’adhésion à une famille humaine assumant la signification universelle de la morale évangélique »567. Et cela ne signifie nullement que la dimension religieuse de l’identification à la communauté adventiste ‘s’euphémise ’ pour autant. L’identité religieuse adventiste appartient donc à un type de construction, où se joue la conjugaison de la dimension culturelle et la dimension éthique. Nous avons choisi la question de la liberté de conscience et de religion parce que cette composante de l’éthique adventiste détermine les rapports des adventistes avec ceux qui ne partagent pas leurs convictions. Ses implications sont fondamentales dans les relations que l’Église adventiste et ses membres entretiennent dans le domaine des relations interconfessionnelles. Nous en 563
HERVIEU-LEGER, Danièle, op. cit., p. 87. Ex 20,2 : « C’est moi, le Seigneur, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays de l’Egypte, de la maison de servitude ». 565 Cf. « Bourdieu Pierre », in : Encyclopaedia Universalis, France, CDRom n. 8, 2003. 566 HERVIEU-LEGER, Danièle, idem. 567 Cf. IBIDEM.
564
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parlerons au chapitre 7. C’est une dimension qui a joué un rôle non négligeable avec l’entrée de l’Église adventiste dans la Fédération protestante de France. Après une réflexion sur la façon dont l’Église adventiste pense l’éthique, ce chapitre retrace, ensuite, le parcours historique de la liberté de conscience et de religion, dont elle est une des héritières en Europe. Nous suivrons la manière dont elle s’est investie dans sa promotion, la considérant comme une valeur éthique attachée à la dignité de la personne humaine et faisant intégralement partie de son message évangélique. 6.1.- À propos de la notion d’éthique 6.1.0.- Une proposition de définition Éric Weil, professeur à l’Université de Nice, formule les liens entre les notions ‘morale ’ et ‘éthique’, en soulignant qu’« étymologiquement, ‘morale’ vient du latin ‘(philosophia) moralis’ (philosophie des mœurs), une traduction par Cicéron du mot grec ‘τα ήθικός’ (éthique, conforme aux mœurs) ; les deux termes désignent ce qui a trait aux mœurs, au caractère, aux attitudes humaines en général et en particulier, aux règles de conduite et à leur justification. On réserve parfois, mais sans qu’il y ait accord sur ce point, le terme latin à l’analyse des phénomènes moraux concrets, celui d’origine grecque au problème du fondement de toute morale et à l’étude des concepts fondamentaux […]568. C’est dans l’acception du terme grec ‘éthicos’ comme étude des concepts fondamentaux qui assoient la morale que nous utilisons ici le mot ‘éthique’. 6.1.1.- De la nécessité d’une réflexion Une réflexion globale s’avère souvent nécessaire, afin d’éviter de s’enfermer ou de généraliser des façons de penser, des attitudes ou des conduites générées par les temps, les lieux, réfléchies de façons dissociées, peu cohérentes avec le sens du message religieux, et sous l’influence de facteurs uniquement émotionnels ou irrationnels. Dans les milieux adventistes francophones, une réflexion dans le domaine de l’éthique est engagée depuis 1994, par une commission composée de théologiens, de pasteurs et de membres 568
WEIL, Eric, « Morale », in : Encyclopaedia Universalis, Paris, 2002, CD Rom n°8.
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des Églises adventistes de France, de Belgique, du Luxembourg et de la Suisse romande. Des documents ont été publiés, sous la forme de trois fascicules, intitulés, ‘Déclarations, Éthique et faits de société’569. Il ne s’agit pas de directives morales normatives de l’Églises. Ce sont des analyses qui offrent des pistes de réflexion sur des problèmes qui se posent, avec différentes orientations possibles, afin d’aborder certaines situations d’une manière cohérente, compte tenu du message évangélique, tel que le comprend aujourd’hui l’Église adventiste570. 6.1.2. - Actualité de la question L’Occident, et plus particulièrement l’Europe occidentale, vit depuis 1968 un paradoxe. Cette année-là représente, en France, l’année de départ d’une large remise en question des valeurs traditionnelles en Occident. Cette contestation, toujours en cours, s’est étendue au-delà des frontières de la France et des pays limitrophes. Or, on constate aujourd’hui, contrairement à ce qu’on pouvait penser, la montée de l’intérêt pour une éthique qui réponde aux interrogations soulevées par les domaines nouveaux investis par les activités humaines : découvertes de la médecine, de la génétique, avancées technologiques, réorganisation économique et financière, modifications de l’environnement, accroissement rapide des déplacements des populations et proximité de mentalités et de cultures différentes, paupérisation accrue571. Dans ce contexte, la quête d’éthique semblerait bien provenir d’un besoin profond des individus, face à une société marquée par l’ultramodernité et par les inquiétudes de groupes humains atteints par ces bouleversements572. Il est donc important pour 569
Déclarations, Ethique et faits de société. Union Franco-belge des adventistes du 7e jour, fascicule I, Le Mée-sur-Seine, France, mai 2000 (85 pages) ; fascicule II, mai 2003 (81 pages) et fascicule III, mars 2008 (117 pages), Dammarie-les-Lys. 570 Nous nous référons à ces documents pour la partie de ce chapitre qui traite de la manière dont l’Eglise adventiste pense l’éthique. 571 Voir les préoccupations du ‘Parlement des religions du monde’, réuni de août à septembre 1993 à Chicago. Cf. KÜNG, Hans ; KUSCHEL, Karl Joseph, Manifeste pour une éthique planétaire. La déclaration du Parlement des religions du monde, Paris, Cerf, 1995. 572 Dans la préface des Actes du colloque du 50e anniversaire du journal ‘Réforme’, Jean Baubérot résumait en 1995 les impressions paradoxales qui se dégageaient fortement des différentes interventions. Il écrit : « […] la réussite même de la modernité a eu des effets contreproductifs. Le ‘bien’ qu’elle a pu engendrer a été inexorablement lié à un ‘mal’ tel le bon grain à l’ivraie. Comme l’indique un orateur : ‘Dans une situation complexe, il arrive souvent qu’en voulant corriger un défaut observé, on produise une réaction imprévue, parfois pire que le mal initial’. Diverses communications fourmillent d’exemples qui illustrent ce paradoxe : le progrès – dans ce qu’il a de meilleur –, loin de toujours aboutir à l’émancipation de l’individu, le soumet souvent à des contraintes techniciennes ou à la logique du ‘toujours plus’. La disparition de systèmes totalitaires risque d’entraîner des ‘restaurations’ qui s’imaginent pouvoir remonter le cours de l’histoire ; le déclin des idéologies totalisantes va de pair avec une tendance à
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une organisation ecclésiale, telle l’Église adventiste, préoccupée par la signification et le lien de son message évangélique avec la société moderne, de s’interroger sur les situations nouvelles qui s’imposent et leur impact sur la vie spirituelle de ses membres, sur leur développement mental, physique, et leurs rapports avec leur environnement. Les adventistes pensent donc qu’une réflexion sur l’éthique s’avère nécessaire. Cependant, il ne faut éviter qu’elle ne débouche pas sur un moralisme, ou sur le légalisme religieux573. Valeur d’une éthique donc, parce qu’elle a des implications concrètes dans la vie du croyant, personnellement ; valeur ensuite, parce qu’elle affecte les relations de l’Église avec la société, au risque autrement de perdre à la fois sa crédibilité et sa communication. Mais aussi, comme le montrent les débats du colloque tenu à Paris en 1995, déjà mentionné574, pour faire face au déferlement d’un pouvoir médiatique qui s’arroge le droit ‘de vie ou de mort sur la réalité’. Et face aussi, aux pressions de certaines pensées dominantes : Que faire ? Qu’en penser ? Estce acceptable ou non ? Quelles sont les bases d’une saine éthique ?
l’enfermement sur soi-même qui, par ailleurs, génère des communautarismes. L’économie se met au service de la finance, moins sous la pression de spéculateurs avides de gain que celle de gestionnaires avisés qui défendent les retraites et la mutualité […]. Le diagnostic dominant du colloque est sévère : au-delà de nombreux dysfonctionnements, on assiste à l’ébranlement du lien social, à une crise de civilisation. Précisons ce diagnostic en l’appliquant à […] celui de la liberté […]. L’idée qu’une liberté absolue est liberticide traverse le colloque : ainsi la liberté démocratique doit se trouver limitée par le respect du pacte fondamental énoncé dans la Constitution pour ne pas opprimer les minorités. A la télévision, une liberté illimitée aboutit à un pouvoir médiatique exerçant un droit ‘de vie et de mort sur la réalité’, à de nouvelles et subtiles formes de censure. Le pouvoir politique a le devoir de limiter la liberté des entreprises ‘par des règles morales instruites en règles sociales’ (c’est le PDG d’une des plus grandes entreprises françaises qui l’affirme). La liberté de puiser sans frein dans les ressources terrestres hypothèque celle des autres formes de vie et celle des générations à venir. Devant ces formes de ‘liberté boomerang’, un spécialiste du protestantisme décrit une conception protestante prônant l’équilibre entre liberté et contrainte : ‘Liberté de l’individu, oui, mais, en même temps, souci de la formation et animation permanente d’un débat public ; désacralisation et méfiance à l’égard du pouvoir, oui, mais en même temps, nécessité d’autorités crédibles et respectées. », BAUBEROT, Jean, « Préface », in : Les Protestants face aux défis du 21e siècle. Actes du Colloque du 50e anniversaire du journal ‘Réforme’, Genève, Labor et Fides, 1995, pp. 6-7. 573 « On peut considérer le légalisme religieux comme une espèce de pathologie affectant individus et groupes, dont le danger consiste moins dans l’exagération du rôle de la loi (Décalogue, note de l’auteur) que dans la transgression de son fondement éthique au détriment de la grâce ou de la gratuité du salut. Le pire du légalisme, c’est qu’il dé573 Déclarations, Ethique et faits de société. Union Franco-belge des adventistes du 7e jour, fascicule I, Le Mée-sur-Seine, France, mai 2000 (85 pages) ; fascicule II, mai 2003 (81 pages) et fascicule III, mars 2008 (117 pages), Dammarie-les-Lys. 574 Cf. note 572.
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6.1.3.- Les raisons de s’en préoccuper du point de vue adventiste Le fascicule III du document ‘Déclarations, Éthique et faits de société’, avance deux autres raisons pour l’Église adventiste de s’en préoccuper : Premièrement, le christianisme est, avant tout, une rencontre personnelle du croyant avec le Christ. On ne peut le réduire à n’être qu’une somme de doctrines ou un exercice de cultes d’adoration. C’est une relation qui se manifeste au travers de comportements quotidiens. « Nous sommes constamment amenés à adopter des conduites, à assumer des particularités, à faire des choix et à construire plus ou moins consciemment des modèles qui relèvent de la raison morale »575. Deuxièmement, la présence du chrétien dans la société, et la crédibilité de son message, sont affectées par les positions qu’il adopte, ses attitudes et ses conduites personnelles. Elles sont imprégnées de l’éthique qui l’inspire. 6.1.4.- Éthique ‘chrétienne’ ou ‘éthique adventiste’ ? La question pourrait être posée : faut-il parler d’éthique ‘chrétienne’ ou d’éthique ‘adventiste’ ? Il a semblé à la commission qu’on peut s’attendre à ce que l’éthique de croyants qui partagent les particularités de l’enseignement biblique et théologique adventistes (attente du retour du Christ, l’homme créé à l’image de Dieu, le salut par la grâce en Christ, l’état des morts, le repos du sabbat), révèle une hiérarchisation des valeurs, suscite des prises de conscience, entraîne des priorités, des cohérences particulières dans la façon de vivre son christianisme. Les intégrer dans l’éthique revient à dire, pour un adventiste, qu’elles ne sont pas simplement des ‘compléments’ d’un ensemble éthique chrétien préexistant ; mais, que ces valeurs impliquent une qualité potentielle à le dynamiser et le moduler, comme le levain féconde la pâte. Pourquoi parler ‘d’éthique adventiste’, au lieu ‘d’éthique chrétienne’ ou ‘d’éthique évangélique’ ? N’entre-t-on pas ici dans une démarche qui relève plutôt de l’élitisme ou du sectarisme ? « On peut, évidemment, le penser, écrit Philippe Augendre, président de la commission, Mais tel n’est pas notre point de vue. Nous avons des spécificités adventistes, par exemple des pratiques liées au repos hebdomadaire, tel ou tel enseignement en rapport avec la santé mentale 575 AUGENDRE, Philippe, Avant-propos, Déclarations, Ethique et faits de société, Fascicule III, Dammarie-les-Lys, Union Franco-belge des adventistes du 7e jour, 2008, p. 7.
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ou physique, etc. Nous avons le droit – et le devoir – d’en avoir ; nous avons le droit de penser que nos raisons d’y adhérer et de les défendre sont bonnes. Nous avons même le droit de tenter de montrer que ces spécificités adventistes sont fondamentalement chrétiennes et adaptées au message du Christ […]. Mais nous n’avons pas le droit d’imposer nos propres spécificités sous l’étiquette généralisante ‘d’éthique chrétienne’ à des croyants d’autres confessions qui ne partagent pas nos convictions. Ainsi, dans les dialogues entre catholiques et protestants, chacun, dans le respect de l’autre et dans une légitime revendication de son identité, parle ‘d’éthique catholique’ ou ‘d’éthique protestante’. Les éthiques adventiste, catholique ou protestante sont toutes trois des éthiques d’inspiration chrétienne. Les qualificatifs spécifiques (adventiste, catholique, protestante) expriment le souci, légitime pour chaque communauté, d’affirmer sa propre identité et sa différence, sur un fond d’accord commun, ‘l’éthique chrétienne’, et de respect de celle des autres »576. Parmi les adventistes, certains seraient peut-être tentés, en raison leur culture et leur éducation religieuse, de douter de l’importance, dans une étude de l’adventisme, de mettre en avant une valeur comme la liberté de conscience et de religion. Pourtant, elle sous-tend la pensée adventiste depuis ses origines. Elle fait partie de l’esprit évangélique qu’elle s’efforce d’insuffler dans la conduite de ses activités, jusqu’à son type de fonctionnement, malgré ses défaillances dont témoigne son histoire. 6.2.- La liberté de conscience et de religion 6.2.1. – Autour du thème de la ‘liberté’ Il n’est pas aisé de se représenter le cheminement de la liberté de conscience et de religion au travers des 16e, 17e et 18e siècles. De théologique, tout d’abord, chez Luther, chez Calvin et chez son adversaire, Castellion, ce thème a trouvé ensuite une dimension politique chez des défenseurs des réformés en France, ou chez des ‘indépendants’, comme John Milton, lors de la révolution anglaise. L’idée de cette liberté s’est théorisée avec John Locke, Leibniz et Pierre Bayle. Sa lente progression dans la pensée occidentale a eu de nombreuses incidences sur la vie politique, sociale et religieuse du Vieux Continent. Mais à nouveau, il a fallu attendre que soit ébranlé l’imposant édifice ecclésial qui recouvrait les sociétés européennes, pour rendre sa pratique possible. À l’image de répliques sismiques, la rupture de l’unité religieuse au 16e siècle se répercuta au travers de 576
IBIDEM, pp. 11-12.
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l’Europe, avec la montée des sentiments nationaux dans le nord-ouest, et avec les heurts de l’incroyance au 17e siècle ; chaque événement contribuant à sa manière au recul du conformisme social et religieux qui avait, jusque-là, marqué les mentalités. Enfin, il fallut aussi gagner l’adhésion politique, afin de permettre à cette liberté de se transformer en droit positif. Avec le recul de l’histoire, on est autorisé à écrire aujourd’hui que ce sont les États de Rhodes Island en 1636 et de Pennsylvanie en 1681 qui, en la légalisant, ont été les premiers à ouvrir des chemins pour sa future constitutionnalisation, au 20e siècle. De phénomène marginal qu’elle représentait encore au 17e siècle, face à la résistance des nations modernes, l’idée s’est imposée pas à pas, par le détour des édits de Tolérance. « ‘Liberté’ n’est décidément pas un mot univoque sur lequel il soit facile de s’entendre», remarque Emile Poulat. « Avec ses résonances illimitées, il est un enjeu de société, où les hommes projettent leurs intérêts, leurs ambitions, leurs rêves, leurs rivalités, et que chacun tire à soi »577. En effet, jusqu’aujourd’hui encore, l’histoire de la liberté se prolonge sur fond d’un vaste champ de bataille où les hommes s’opposent entre eux « […] sur la manière de l’entendre et de la défendre, guerroyant pour elle avec un zèle missionnaire, supportant mal tout ce que d’autres leur imposent en son nom »578. 6.2.2.- ‘Liberté religieuse’ ou ‘liberté de conscience et de religion’ ? Pas plus que d’autres libertés, on ne peut parler de la liberté de conscience et de religion - dont la liberté religieuse est donc un aspect -, en suivant un discours idéal, détaché des réalités complexes et des enjeux immédiats qu’elle implique. Dans son analyse, Emile Poulat remarque : “[…] elle n’est pas une affirmation en soi ou une valeur isolée, qui se laisse défendre en soi et pour soi ; elle n’est pas une pièce détachée, à laquelle on peut s’intéresser seule, sans soucis du reste. Elle appartient à un ensemble, culture et civilisation, droit et mœurs ; elle fait partie d’un système, le système des libertés, de nos libertés, qui diffère selon les temps et les pays. Elle n’est pas définie une fois pour toutes : elle participe à l’histoire des sociétés humaines. Nous pouvons savoir ce qu’elle a été dans le passé : nous serions bien en peine de dire quelles formes elle aura dans cent ans »579. Toutes les libertés modernes ont leur histoire. La liberté religieuse a la sienne, très mouvementée.
577
POULAT, Emile, Liberté, Laïcité. La guerre des deux France et le principe de modernité, Paris, Cerf/Cujas, 1987, p. 14. 578 IBIDEM, p. 13. 579 IBIDEM, p. 19.
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Ces quelques remarques suffisent sans doute pour prendre la mesure du phénomène et des forces qu’il met en jeu. Elles montrent pourquoi, pour les croyants, - peut-être en premiers -, cette liberté demeure une question sensible, qui requiert en permanence sa promotion et sa défense. Elle concerne l’inviolabilité de leur conscience dans le domaine du croire, vivre et pratiquer leurs convictions dans le respect de chacun. Notre propos dans ce chapitre n’est pas d’en faire l’histoire. Il est néanmoins nécessaire, pour la comprendre sur le plan du christianisme et celui de sa place dans la vision adventiste, de rappeler que sa reconnaissance en Occident est un phénomène lié à l’avènement de la conscience individuelle. Cependant, même si son principe est aujourd’hui constitutionnellement reconnu par le droit et les organismes internationaux, ainsi que par de nombreux États, elle est encore loin d’être un phénomène mis en œuvre partout. L’expression ‘liberté religieuse’ est aisément admise. Elle est largement utilisée dans les pays latins, en Europe, et dans les pays anglo-saxons, surtout aux États-Unis. Cependant, cette expression fait problème dans les pays marqués par l’histoire et la culture française. Ici, c’est l’expression du langage juridique qui s’est imposée, avec l’usage des termes ‘liberté de conscience’ ou ‘liberté de culte et de religion’. La première, la ‘liberté de conscience’, est personnelle ; la seconde, la ‘liberté de culte et de religion’, appartient au vocabulaire des institutions ecclésiales ; elle situe cette liberté au regard des droits religieux dans la société civile. Avec la première, l’individu est libre de croire ou de ne pas croire ; avec la seconde, les Églises et les communautés religieuses sont libres d’exister et de pratiquer. L’expression ‘liberté religieuse’ « efface ces préoccupations techniques »580 . De tout temps, la dynamique sociale a infléchi581 le cours de l’histoire et l’intelligence de la liberté religieuse. Ce constat se confirme à l’examen du cheminement historique de cette liberté au cours du 20e siècle en Occident, principalement durant la seconde moitié de ce siècle. On pourrait prolonger ce constat aux milieux adventistes. L’inflexion s’est opérée au travers d’avancées de lectures théologiques plus élaborées sur les fondements bibliques et éthiques de cette liberté, face aux évolutions de la société et de la composition sociale des communautés adventistes. Ces avancées ont favorisé une sorte de ‘maturation’ de l’éducation à la tolérance à l’intérieur de l’Église adventiste et son engagement dans la promotion et la défense de cette liberté dans les sociétés civiles et religieuses. 580
Cf. IBIDEM, p. 20. C’est-à-dire ici, le fait que l’action émanant de la société fait retour sur elle-même par des évolutions de sa conception de la liberté religieuse et de ses fondements, et, dans la pratique, par des réactions de tolérance ou d’intolérance.
581
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6.2.3.- Les antécédents de la liberté de conscience et de religion La thèse libérale En Europe occidentale, c’est la conception libérale de cette liberté qui prévaut largement depuis les 18e et 19e siècles. Elle s’élabore au travers du mûrissement de la reconnaissance de l’individu, en tant que personne, et son affranchissement des tutelles extérieures, dans tous les domaines. C’est une manière moderne de concevoir la liberté de pensée, de conscience et de religion. La religion est considérée comme un espace privé. Elle ne peut être imposée par l’État. Avec sa lente élaboration, elle reconnaît progressivement, en droit, que chacun est libre du choix de sa religion, de ses convictions, de même que d’exercer un culte ; y compris les groupes minoritaires, pour autant qu’ils s’inscrivent aussi dans les limites prévues pour la protection de l’ordre public, des bonnes mœurs, du respect de la santé et de l’intégralité physique de la personne. Conçue en Europe à partir du refus de l’ingérence de l’État dans les affaires religieuses, elle diffère de la conception américaine, où elle met en premier les Églises l’abri de la domination d’une autre Eglise. En France, c’est la conception libérale qui a été mise en avant, avec la thèse laïque et sécularisante. Elle privilégie l’idée de l’affranchissement de l’État et de la société de la tutelle des Églises, comme de l’Église catholique, au temps de la royauté. Cette séparation est lue comme une conquête et le triomphe moderne de la conscience et de la raison sur l’imaginaire religieuxt. Les thèses ‘protestantes’ et ‘catholiques’ Une autre conception, antérieure à l’idée libérale, plonge ses racines dans l’Évangile ; si ce n’est déjà dans l’Ancien Testament582. Et au moins, dans les controverses de la Réforme protestante, bien que les droits de la conscience comme objet ne peuvent être confondus avec les droits de l’homme actuels, en tant que dispositions juridiques. Ceux-ci n’en constituent pas moins la partie émergée de l’iceberg qui reste la part la plus fondamentale583. Ces premières sources reconnaissent les droits de la conscience et ses expressions. Cependant, mais elles s’étaient limitées à la nature intrinsèque de la liberté humaine, face à au Dieu de la Bible. Dans cet ordre d’idée, jusqu’à Vatican II, la position 582
A la lumière de leur ‘droit’ d’exprimer ouvertement leur désaccord, on peut discerner une sorte de ‘philosophie’ de la liberté de pensée dans l’Ancien Testament avec la contestation des prophètes face aux abus de pouvoir des rois en Israël et d’une classe sacerdotale dominante. 583 Cf. GUGGISBERG, R. Hans ; LESTRINGANT, Frank ; MARGOLIN, Jean-Claude, La liberté de conscience (16e-17e siècles). Actes du Colloque de Mulhouse et Bâle (1989), Genève, Droz, 1991 ; « Qu’est-ce au départ que cette liberté, pour les Réformateurs, sinon la souveraineté du for intérieur, partie de l’être humain à laquelle parle le Saint-Esprit, for inexpugnable où se réfugie la conscience traquée par l’inquisiteur ou le magistrat ? » (p. 9.).
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catholique a évolué en deux temps. Dans un premier temps, la liberté religieuse était regardée comme une invention pernicieuse de l’incrédulité, au nom des Lumières et de la Raison. La position catholique privilégiait l’autorité de l’institution hiérarchique de l’Église romaine, de son Magistère et de sa doctrine, en place des droits de la conscience, de la conviction et la liberté de pensée. Dans un deuxième temps, la liberté religieuse devient un bien et un progrès pour la foi chrétienne. Elle oblige le catholique à plus de responsabilité et d’ouverture. Elle s’est théorisée au milieu du 20e siècle dans la Déclaration sur la liberté religieuse de Vatican II. 6.2.4.- La problématique de la liberté de conscience et de religion aujourd’hui En dépit des divergences dans les grandes lignes de pensée qui coexistent depuis la Révolution française, ces thèses ont alimenté les grands textes du droit international et du droit constitutionnel, et par là, les orientations de la liberté religieuse dans les démocraties modernes. Chacune de ces façons d’approcher le problème véhicule des jugements de valeur et des appréciations, quelques fois très différents, selon les régimes historiques des relations entre les États et les Églises584. Il est à craindre aujourd’hui qu’apparaissent deux types de fractures entre l’inspiration du principe de la liberté de pensée, de conscience et de religion qui alimente l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme onusienne de 1948 et les évolutions des pratiques de cette liberté, principales préoccupations actuellement du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, à Genève :
584 Au plan de ces relations, nous ne pouvons mieux exprimer la position théologique de l’Eglise adventiste qu’en la formulant au travers de la réflexion de Pierre Gisel : « Mais leur question et leur protestation (celles des Réformateurs, note de l’auteur) touchaient bien à l’institution : ils entendaient notamment subordonner l’institution, radicalement, à une vérité et à une seigneurie de Dieu. L’Eglise n’est pas pour eux prolongation du Christ ; elle y renvoie (italiques dans le texte), ou lui donne écho, même si, d’une certaine manière, elle le ‘représente’ (ni ne le remplace, ni s’y substitue). Quant à l’ordre politique, autre lieu d’institution, il a pour les Réformateurs sa propre légitimité, certes dans un certain rapport à la prédication évangélique et à l’ordre ecclésial, mais sans ni s’y confondre, ni s’y subordonner selon une hiérarchisation supposant un espace homogène ; deux instances se font au contraire face – théologique et politique –, ici légitimes l’une tout aussi bien que l’autre, et limitées l’une comme l’autre. A moins de se croire déjà dans le Royaume ou l’eschatologie, ou tout au moins de s’en prévaloir sur un mode justement trop direct. Avec en note, dualité d’instances, non partition d’espaces : le théologique et le politique – ou le civil – affectent, chacun selon son angle propre, l’ensemble du champ humain, et leur interaction est à chaque fois requise », GISEL, Pierre, Le Christ de Calvin (Jésus et Jésus-Christ 44), Paris, Mame-Desclée, 20092, p. 15.
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1° - Cet article est une déclaration, qui découle presque naturellement d’une revendication judéo-chrétienne historique, fondée sur le droit fondamental, individuel, inaliénable, constitutif d’une personne. Il y existe une fracture entre la nature intrinsèque de cette liberté et l’influence diffuse, mais de plus en plus présente dans les milieux musulmans immigrés en Occident, d’un droit islamique qui n’attribue de valeur à la personne qu’en vertu de son intégration dans l’‘umma’, c’est-à-dire, la collectivité de pensée et de religion musulmane. 2° - Paradoxalement, il existe aussi une fracture au niveau des préoccupations modernes : la liberté religieuse reste inaliénable aux règlements, aux exigences de la globalisation mondiale et de la politique fondée sur une notion holistique de l’homme, dans le sens d’un tout de l’homme qui doit se laisser modeler par les données économiques, financières, sociales et culturelles, engendrées par le nouvel ordre naissant du monde. Paradoxalement, face aux acquis de ce droit fondamental, ce sont des solutions partielles qui sont apportées à sa pratique qui font apparaître l’importance de cette liberté pour l’homme : recherche de nouveaux équilibres, toujours insatisfaisants pour sa pratique, effet boomerang d’une sécularisation mal interprétée, changement des valeurs de références, transformation des paysages religieux dans les pays occidentaux, confrontations des ‘plaques’ religieuses dans le monde. Tous ces bouleversements, aiguisés par les répercussions de la crise financière mondiale de 2008, soulèvent de nouvelles interrogations. Les critères recevables pour l’accès à ce droit ou à son application sont de plus en plus sujets à interrogations. Le degré de valeur qu’on lui accorde dépend essentiellement des fondements qu’on lui reconnaît. Alors, remise en chantier, elle se théorise et se défend. 6.2.5.- Fondements de la liberté de conscience et de religion, sens de la responsabilité dans la pensée adventiste et dans la pensée catholique En commençant ce chapitre, nous avons souligné que la pensée adventiste s’alimente de l’idée que le christianisme est avant tout une rencontre avec le Christ révélé dans l’Écriture585. Cette médiation inspire une vision des choses qui affecte les relations des croyants au sein de la société. Au niveau de la liberté religieuse et de ses implications, cette perspective fournit des fondements théologiques à cette liberté. Elle assied en même temps une éthique de la responsabilité étroitement reliée à la revendication des droits et des libertés qui lui sont associés. Il est donc nécessaire de nous arrêter un moment sur cette 585 Voir, ci-dessus, « À propos de la notion d’éthique », p. 246 et « Les raisons de s’en préoccuper, point de vue adventiste », p.249.
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question, en restant conscient que son développement mériterait un chapitre entier. Dans son ouvrage Le droit de l’Église à la liberté, du Syllabus à Vatican II, consacré à l’émergence dans l’Église catholique de la doctrine sur la liberté religieuse (‘liberté de conscience ’, expression retenue par version définitive de la déclaration conciliaire, note de l’auteur), le professeur Roland Minnerath586 relève le commentaire de Mgr de Smedt587, rapporteur sur la liberté religieuse au Concile de Vatican II, : « Aucune personne ne peut être l’objet de coercition ou d’intolérance […]. Positivement parlant, la liberté religieuse est le droit de la personne humaine au libre exercice de sa religion selon le dictamen de sa conscience. Négativement, elle est immunité de toute contrainte extérieure dans les relations avec Dieu, revendiquées par la conscience humaine. La liberté religieuse implique l’autonomie humaine, non ab intra, mais ab extra ». « Cette dernière phrase, écrit Mgr Roland Minnerath, peut être considérée comme une clarification décisive du débat […]. Nul ne doit être contraint de l’extérieur d’agir contre sa conscience, dans sa vie personnelle, familiale ou communautaire. La foi ayant nécessairement une expression sociale est devenue ‘une liberté sociale et civile en matière religieuse’ »588. Dans les deux formes de pensées, la pensée adventiste et la pensée catholique issue du Concile de Vatican II, la liberté religieuse revêt une importance particulière pour les relations au monde de ces deux Églises, et de leurs membres, la foi étant, pour toutes les deux, aussi des ‘expressions sociales’. Il est intéressant d’examiner les convergences entre les deux positions et la nature du sens de la responsabilité qu’elles en dégagent. 586
Roland Minnerath était alors professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Strasbourg. Il est l’actuel archevêque de Dijon. 587 On retrouve des racines de la Déclaration sur la liberté religieuse de Vatican II dans deux notes qui ont été présentées au Secrétariat pour l’Unité des chrétiens le 27 décembre 1960. L’une, ‘Liberté de conscience’, présentée par Mgr François Charrière, évêque de Fribourg ; l’autre, par Mgr Emile De Smedt, évêque de Bruges, intitulée ‘La liberté religieuse’. Cette dernière a été retenue et est connue sous le nom de ‘Document de Fribourg’. Mgr De Smedt a fait partie, avec le P. Jérôme Hamer, de la sous-commission chargée d’examiner la question, Cf. PAVAN, Pietro (dir.), La liberté religieuse. Déclaration ‘Dignitatis Humanae’, Vivre la Concile, Texte conciliaire, Paris, Mame, 1967, p. 7. A propos du chapitre I du ‘Document de Fribourg’, le P. Hamer souligne qu’il critique le concept de ‘droits de la vérité’ : « Cette formule est ambiguë. Au sens propre des termes, la vérité n’a pas de droits. Le véritable sujet de droits est la personne humaine et les sociétés en tant qu’elles sont composées de personnes humaines. Ce qui est vrai, c’est que la personne a des obligations à l’égard de la vérité. [...] La dignité intangible de la personne humaine détermine le contenu positif de la tolérance », HAMER, Jérôme, « Histoire du texte de la Déclaration », in : PAVAN, Pietro et al., La liberté religieuse, Paris, Cerf, Unam Sanctam 60, 1967, p. 55, cité par MINNERATH, Roland ,Le droit de l’Eglise à la liberté. Du Syllabus à Vatican II, Paris, Beauchesne, 1982, p. 132, note 22. 588 MINNERATH, Roland, op. cit., pp. 134-135.
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En ce qui concerne l’Église adventiste, nous le ferons en nous référant aux déclarations émanant du bureau de la Conférence Générale589 : « Relations avec les autres Églises chrétiennes et les organisations religieuses » (11-16 novembre 1988) – sur laquelle nous reviendrons plus longuement au chapitre 7 – ; « Déclaration officielle de la Conférence générale sur les droits de l’homme » (17 novembre 1998) ; « Minorités religieuses et liberté religieuse : une déclaration d’engagement et de préoccupation » (29 septembre 1999) ; « Liberté religieuse, évangélisation et prosélytisme » (3 juillet 2000) ; « Les relations Église-Etat » (juillet 2001)590 . Et, en ce qui concerne l’Église catholique, à la Déclaration « Dignitatis Humanae »591 de Vatican II. Nous ne ferons pas un commentaire de textes. Nous nous limiterons aux aspects les plus significatifs. 1) L’approche adventiste de la liberté religieuse « [...] L’Écriture enseigne que le Dieu qui a donné la vie a également donné la liberté de choix. Dieu accepte seulement les hommages qui sont donnés librement »592 ; « Les adventistes du septième jour croient que la liberté de religion est un droit fondamental de l’homme. En tant que chrétiens, ils sont persuadés que la propagation de la religion n’est pas seulement un droit, mais une responsabilité qui [...] repose sur le mandat divin de témoigner [...]. Dans le contexte de la propagation de la religion, la question du ‘prosélytisme’593 a été soulevée, parce qu’on donne à ce terme différentes significations, et, de plus en plus, une connotation péjorative, en l’associant à des moyens non éthiques de 589
« Relations avec les autres Eglises chrétiennes et les organisations religieuses (1988) », in, Déclarations et faits de société, Le Mée-sur-Seine, Département des Communications, Union Franco-Belge, 2000, pp. 8-9 (voir Annexe 4) ; « Déclaration officielle de la Conférence générale sur les droits de l’homme (1988) », idem, pp. 72-73 ; « Minorités et liberté religieuse : une déclaration d’engagement et de préoccupation (1999) », in : Déclarations, Ethique et faits de société II, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 2003, pp. 59-60 ; « Liberté religieuse, évangélisation et prosélytisme (2000) », idem, pp. 63-64 (voir Annexe 7) ; « Les relations Eglise – Etat », idem, pp. 21-27 (voir Annexe 5). 590 Texte de cette déclaration de 2001 avec annotations, voir « Déclaration de la Conférence Générale des Eglises adventistes du septième jour sur les relations Eglise-Etat », Conscience et liberté, Documents, Berne, 63 (2002), pp. 163-170. 591 Déclaration sur la liberté religieuse ‘Dignitatis Humanae’, De jure personae et communitatum ad libertatem socialem et civilem in re religiosa (version en français), http://www.vatican.va/archive/hist_councils/. 592 « Minorités et liberté religieuse : une déclaration d’engagement et de préoccupation », op. cit, p. 59. 593 Voir sur cette question « Principes directeurs pour la propagation responsable d’une religion ou d’une conviction », Conscience et liberté, Document, Berne, 59 (2000), pp. 131-134 ; l’intéressant article de Johannes Christiaan HOEKENDIJK, « A propos du prosélytisme », in : Vers une Eglise pour les autres. A la recherche de structures pour des communautés missionnaires, Conseil Œcuménique des Eglises, Genève, 1966, pp. 94-102, « La question du prosélytisme a sa véritable place existentielle là où l’Evangile et les religions se rencontrent », p. 101.
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persuasion, y compris la force. Les adventistes du septième jour condamnent sans équivoque de telles méthodes. Ils croient que la foi et la religion sont mieux partagées lorsque les convictions sont exprimées et enseignées avec humilité et respect ; que le témoignage vécu est en harmonie avec message annoncé et qu’il propose une acceptation libre [...]. L’évangélisation et l’activité missionnaire doivent respecter la dignité de tous les êtres humains »594. « Un droit fondamental de l’homme », « une responsabilité », « engagement », « respecter la dignité de tous les êtres humains ». Ces expressions expriment une éthique ; celle du chrétien dans toutes ses relations. En même temps, elles dessinent la manière de concevoir la pratique de la mission évangélique. Celle-ci doit profiler un comportement responsable qui se traduit par l’éthique du respect de Dieu, de son droit, à lui seul, de juger les hommes, du respect des consciences et de la société, dans toutes ses actions. La responsabilité liée à ces trois formes de relations se trouve théologiquement éclairée par le récit de l’acte créateur, rapporté dans Genèse. Il s’y dessine la dignité de la personne humaine, ontologiquement conférée à « l’homme et la femme, créés à l’image de Dieu, selon sa ressemblance »595. Apparaît en même temps la pleine signification de la liberté religieuse. Nous ne revenons pas sur la notion d’« image de Dieu ». Elle a été abordée au chapitre 4, consacré à la dimension spirituelle de l’identité religieuse adventiste596. La responsabilité morale liée aux relations humaines s’inspire aussi du comportement du Christ vis-à-vis des hommes et des pouvoirs. Elle est retracée tout au long des Évangiles et des enseignements de l’apôtre Paul, dans ses épîtres. Ces déclarations offrent donc un éclairage sur la manière dont l’Eglise approche adventiste et ses membres conçoivent la pratique de la liberté de conscience et de religion. Elles relèvent en même temps ses concepts de base, qui enracinent cette liberté dans la pensée biblique. Quels en sont les grandes lignes d’inspiration ? a) La dignité de la personne humaine, fondement du respect de la conscience personnelle Par l’acte créateur de Dieu et rédempteur Considérée sur la base de la révélation biblique, la dignité de la personne humaine apparait au travers de différentes phases de l’action divine : 594
« Liberté religieuse, évangélisation et prosélytisme », op. cit., p. 63. Gn 1,26-27 : « Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance [...] Dieu créa les humains à son image : il les créa à l’image de Dieu ; homme et femme il les créa » ; Gn 5,1 : « Le jour où Dieu créa les humains, il les fit à la ressemblance de Dieu ». 596 Voir chapitre 4, ‘De la notion de dimension spirituelle’, p. 182.
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• conférée par la « ressemblance » avec Dieu, par acte créateur. Luc souligne d’un mot cette dignité dans la généalogie qu’il trace de Jésus, remontant jusqu’à « Adam, fils de Dieu » (Lc 3,38). • rappelée par le fait de l’incarnation du Christ, à la fois pleinement Dieu et pleinement homme. • confirmée par l’action de l’Esprit, qui relève en conscience chaque être humain, individuellement (Jn 3,8). Pour le chrétien, ces actions divines fondent cette dignité, à laquelle s’attache son droit inaliénable à la liberté de sa conscience et de ses choix en matière de foi et de religion. Confirmée par l’attitude du Christ envers les hommes, rapportée dans les Évangiles Par son attitude envers les hommes, Christ confirme cette dignité humaine. Au plan de la responsabilité qui en découle, il offre un modèle nouveau et pertinent de relations humaines. Il s’inscrit dans le cadre d’un problème aussi vital que le bien commun de la société. En effet, Christ a respecté la personne humaine, quelle qu’elle soit, d’où qu’elle vienne. Tout son comportement l’atteste : aucune coercition. Ni à l’égard de ceux que la société juive considère comme des ‘indignes ’, ni à l’égard de ceux que les principes du Décalogue pouvaient amender, ni à l’égard des étrangers. Aucun recours aux leviers des pouvoirs économiques, politiques, sociaux ou religieux, pour ‘bâtir son Église’597. Il était attentif, prudent, dans les questions qui touchaient aux façons de penser. Il le fut même à l’égard de ceux qui cherchaient sa perte. Tout en poursuivant sa mission, Christ manifesta son sens de la responsabilité, son respect, à la fois pour Dieu et de celui de sa cause, refusant l’usage de la violence598. Sur le plan social, il a fait comprendre aux croyants qu’ils doivent établir une distinction entre la reconnaissance de ce qu’ils sont comptables face aux droits de la société (César) et de ce qu’ils sont comptables face à ceux de Dieu. Il a illustré la légitimité de ces deux types d’autorités, en montrant les deux faces d’une pièce de monnaie à ceux qui l’interrogeaient sur celle qui devait reconnue599. Mais il y a plus. En appelant ses disciples à constituer ‘un ensemble ’ spirituel (« ceux que tu m’as donnés », Jn 17,9) au sein de la société juive, puis 597
Le récit de la tentation au désert rapporté dans les Evangiles de Mt (4,1-11), Mc (1,12-13) et Lc (4,1-13) illustre ce refus. 598 Par exemple, l'épisode de la colère de deux disciples contre les samaritains lui refusant l’hospitalité (Lc 9,54-55) ; épisode de l’arrestation au jardin de Géthsémané, où Pierre blesse un de ceux venus pour arrêter le Christ. Celui-ci le réprimande sévèrement. 599 Mc 12,13-17.
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celle du monde, il a introduit la conception d’un pluralisme religieux basé sur la le devoir de respecter les droits de chacun à la liberté de leurs choix religieux, même au sein du cercle familial. Le Christ n’a cependant pas conçu cette pluralité comme devant devenir une source de troubles de l’ordre public, ni d’hostilité entre les hommes. Les loyautés à l’Etat et à Dieu qu’il a enseignées, devaient être distinctes et non conflictuelles. Elles peuvent l’être, aussi longtemps que la politique et la religion respectent les limites de leurs sphères respectives. À partir des écrits de Paul Le sens de la responsabilité, dont le Christ a fait preuve à l’égard de la conscience des hommes, est bien présent dans les écrits de Paul et développé d’une façon plus systématique. Ils fondent aussi la reconnaissance de cette liberté au travers du rappel des comportements responsables. Le respect de la conscience individuelle On sait que la Grèce antique avait placé le statut de ‘philosophe ’ sur un piédestal. C’est l’homme sage, averti, auquel revenait le privilège du pouvoir moral et politique. Platon semble avoir été considéré comme celui qui incarnait la conscience droite et éduquée du philosophe, critères par excellence pour l’exercice du droit et de la politique. Celui qui possédait ces ‘vertus ’ se voyait attribuer le droit de s’imposer à la société. L’apôtre Paul représentait une exception au sein de la société juive de son époque, influencée par cette conception hellénistique, jusque sur les marches du Sanhédrin, où le pouvoir s’incarnait dans la personne de ses érudits et de ses docteurs de la loi. Pour lui, il s’agissait d’un pouvoir faussement attribué à la ‘conscience correcte’. Dans la première épître qu’il adresse aux chrétiens à Corinthe, Paul discute de la controverse qui est apparue dans cette communauté autour de la consommation d’aliments consacrés aux idoles grecques, avant d’être vendus sur le marché. Deux conceptions différentes suscitaient des divisions. La majorité soutenait qu’il n’y a pas de faute religieuse en se nourrissant de ces viandes. La minorité en faisait une affaire de faute grave, au plan de la foi chrétienne. Paul s’accordait en conscience, et objectivement, avec la majorité. Toutefois, il ne s’arrêtait pas à sa façon de voir les choses. Dans le chapitre 8 de cette épître, il affirme explicitement que les chrétiens doivent tenir compte de la « conscience de chacun ». La ‘conscience erronée’ doit aussi être prise en considération par la majorité et respectée, dit-il. Un peu plus tard, s’adressant aux chrétiens à Rome, il aborde le même sujet. Les chrétiens plus cultivés, plus matures que d’autres, ne peuvent négliger les convictions de ceux qui le sont moins. « Aucun ne vit pour lui-même », écrit-il
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(Rm 14,8). Évoquant les droits de la conscience, Paul pousse son raisonnement plus en avant : « Tout ce qui n’est pas le produit de la foi est péché » (Rm 14,23). Le mot « foi » est pris ici dans un sens plus restreint que son usage commun. Non pas la foi chrétienne en général, mais la conviction conduisant à un comportement. C’est-à-dire, l’éthique. Ici, le fait de « manger ou de ne pas manger tel ou tel aliment ». Paul rappelle que l’éthique de la responsabilité chrétienne implique le respect des consciences et la liberté des convictions600. Dans l’exercice de leur autorité spirituelle, les dirigeants des églises doivent respecter la conscience des ‘frères ’, même celle des moins avertis. Comment ne pas en déduire que les chrétiens, au sein de sociétés pluralistes, ne sont pas aussi responsables de comportements qui violeraient la conscience de ceux qui ne partagent pas les mêmes convictions que les leurs ? La réciproque reste vraie. Le respect du droit de Dieu seul de juger Moins attendue, mais tout aussi présente dans la pensée de Paul, l’idée de la responsabilité endossée en jugeant les consciences, droit qui ne revient qu’à Dieu601. Un tel comportement usurpe l’autorité divine. Paul insiste sur cette idée. Elle traverse ses écrits. Le jugement des consciences n’appartient qu’à Dieu602. L’un des textes forts sur ce sujet se trouve en 1 Co 4. 4-5603. Dans un sens social, ce texte dénonce la transgression de l’éthique chrétienne qui consisterait à sortir du champ des libertés chrétiennes offertes par le Christ et à s’attribuer un ‘droit’ qui ne relève d’aucun pouvoir humain, ni même de l’Église. b) le respect par la société de la séparation entre les fonctions de l’État et celles de l’Église Dans le Nouveau Testament, le terme ‘monde ’ ne revêt pas uniquement un sens géographique. Il prend aussi une signification théologique par référence au pouvoir de la société. Il faut ici renvoyer à la pensée du Christ, qui refuse d’user du pouvoir politique, économique, social ou religieux, afin de s’imposer comme ‘Messie’ ; et à sa réponse, « Rendez à César ce qui revient à César, et à Dieu ce qui revient à Dieu ». À son exemple, l’Église ne peut prétendre au droit 600
Rm 2,14-16 ; 14, 10. Rm 14,10-13. 602 He 10,30 ; Rm 12,18-21. 603 « Je ne me juge pas non plus moi-même ; je n’ai rien sur la conscience, mais je n’en suis pas justifié pour autant : celui qui me juge, c’est le Seigneur. Ne portez donc aucun jugement avant le temps fixé, avant la venue du Seigneur qui mettra en lumière les secrets et rendra manifeste les décisions des cœurs. Alors chacun recevra sa louange ». 601
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d’assumer son rôle dans la société par le biais de ces leviers. De là découle, du point de vue adventiste, le devoir moral et civil d’établir une séparation entre les fonctions de l’État, celles des Églises ou des religions. Les déclarations adventistes le reconnaissent : la responsabilité de l’État concerne le bien-être social et politique des citoyens, non leur salut. Ce dernier est la sphère des citoyens qui professent individuellement, ou en collectivité, leur alliance avec Christ. L’État est incompétent pour décider en matière de foi et de convictions. Il n’a pas de droit d’interférer dans la vie religieuse, autre que celui de veiller au respect des limites nécessaires pour maintenir l’ordre public, la sécurité et le respect de l’intégralité physique ou mentale de chacun. Cette séparation signifie une neutralité bienveillante dans les relations réciproques, non de l’indifférence. La déclaration du 17 novembre 1988 de la Conférence générale des Églises adventiste, au sujet des Droits de l’homme, résume le sens et l’esprit de cette liberté dans la pensée adventiste « [...] Nous reconnaissons que la Déclaration universelle des droits de l’homme est un document fondamental suscité par ce qu’il y a de meilleur et de plus grand dans le cœur humain. Elle promeut la dignité humaine, la liberté et la non-discrimination. En tant qu’adventistes du septième jour, nous croyons que l’essence de la Déclaration universelle des droits de l’homme peut se trouver dans la Parole de Dieu. Dieu a créé l’homme à son image. Il lui a donné les dix commandements et son fils, Jésus-Christ, notre rédempteur, comme fruits de son amour [...]. Si elle n’est pas enracinée dans l’amour, la Déclaration universelle des droits de l’homme [...] reste lettre morte »604. 2) L’approche catholique de la liberté religieuse. Convergences entre le modèle catholique et le modèle adventiste Il existe de sérieuses convergences entre le modèle de la liberté religieuse dans les déclarations adventistes et celui qu’a construit la Déclaration de Vatican II, « Dignitatis Humanae ». La déclaration de Vatican II affirme aussi : « la personne humaine a droit à la liberté religieuse » [...]. - « Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part, soit des individus, soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience, ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres ».
604
72.
« Déclaration officielle de la conférence générale sur les droits de l’homme », in : op. cit., p.
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« le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité même de la personne humaine telle que l’a fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même » [...]. de jouir, « outre la liberté psychologique, de l’immunité à l’égard de toute contrainte extérieure » [...]. « cette immunité persiste en ceux-là mêmes qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher le vérité et d’adhérer ; son exercice ne peut être entravé dès lors que demeure sauf un ordre public juste ». (Dignitatis Humanae, I – Doctrine générale sur la liberté religieuse, § 2, Objet et fondement de la liberté religieuse) L’immunité est affirmée pour les « groupes religieux » et pour « la famille » (§ 4 et 5). Elle reconnaît aussi qu’il faut « [...] sauvegarder intégralement la liberté dans la société, usage demandant que le maximum de liberté soit reconnu à l’homme, et que celle-ci n’est restreinte que lorsque c’est nécessaire et dans la mesure qui s’impose. » (§ 7, Limites de la liberté religieuse). Le § 9 souligne que « le droit à la liberté religieuse est fondé dans la dignité de la personne et que la Révélation « découvre dans toute son ampleur la dignité de la personne humaine, elle montre en quel respect le Christ a tenu la liberté de l’homme dans l’accomplissement de son devoir de croire à la parole de Dieu [...]. Tout cela met en relief les principes généraux sur lesquels se fonde la doctrine de cette Déclaration sur la liberté religieuse. Et tout d’abord, la liberté religieuse dans la société en plein accord avec la liberté de l’acte de foi chrétienne» (Dignitatis Humanae, § 9, La doctrine de la liberté religieuse a ses racines dans la Révélation). Dignité de la personne humaine, comme fondement ontologique de sa liberté de conscience, qui va au-delà des seules considérations de la raison et de la politique ; droits, liberté psychologique, immunité qui protège son exercice. Les modèles adventistes et catholiques se rejoignent. Ils se retrouvent aussi, en intégrant, tous les deux, dans leurs concepts, les responsabilités du croyant et celle du groupe au moment de l’expression de leur foi et dans ses manifestations sociales. C’est à ce niveau que cette liberté revêt une dimension éthique, qui va au-delà des définitions énoncées par le droit positif. Néanmoins, une question se pose, quant à savoir quelle autorité définit cette responsabilité ? Envers ‘qui’, ou, vis-à-vis de ‘quoi’, les hommes sont-ils comptables de l’usage cette liberté ? Mgr Roland Minnerath souligne qu’avec l’exposé de Mgr de Smedt, rapporteur du ‘Document de Fribourg’, le problème de la conscience est apparu sous un nouveau jour dans l’Église catholique : « Il est proposé au Concile de
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revendiquer solennellement la liberté religieuse pour toute la famille humaine, pour tous les groupes religieux, pour chaque personne humaine, que sa conscience, en matière de foi, soit droite et vraie ou qu’elle soit droite, mais erronée, du moment qu’elle obéit sincèrement au dictamen de sa conscience. On énonce par conséquent le principe général : aucune personne humaine ne peut être l’objet de coercition ou d’intolérance »605. C’est dans ce cadre que ‘Dignitatis Humanae’ énonce le principe de la responsabilité des hommes, dans l’obligation de rechercher ‘la vérité’ : « Ce qui est vrai, c’est que la personne a des obligations à l’égard de la vérité. [...] » (nous soulignons), écrit le Père Hamer en commentant le chapitre I du Document de Fribourg606. La problématique ancienne de « la thèse selon laquelle seule la vérité religieuse a des droits civils a été abandonnée »607. Non pas ‘droit de la vérité’, mais ‘droit de la personne humaine’ et devoir moral à l’égard de la vérité. Le document final la Déclaration de Vatican II souligne « avec force que tout homme est tenu de chercher la vérité, que Dieu a fait connaître lui-même la voie du salut, et que ‘l’unique vraie religion subsiste dans l’Église catholique’ » (nous soulignons)608. Pour Dignitatis Humanae, dans l’exercice de sa liberté, le croyant est comptable envers la vérité sous sa forme d’expression catholique : « Cette unique vraie religion, nous croyons qu’elle subsiste dans l’Église catholique et apostolique à qui le Seigneur a donné le mandat de la faire connaître à tous les hommes [...] (Introduction) ; « De par la volonté du Christ, en effet, l’Église catholique est maîtresse de vérité» (§ 14, Fonction de l’Église). Les documents adventistes ne sont pas aussi analytiques que les documents du concile de Vatican II. Peut-être est-ce en raison d’une histoire qui s’enracine dans l’héritage du protestantisme qui en a longuement débattu. Leur concept de cette liberté est fondé sur la notion du droit inaliénable de chaque homme au respect de la dignité de sa personne, celle-ci lui ayant été conférée dans l’acte du Créateur. A cette dignité se rattache étroitement, et ontologiquement, le libre exercice de sa conscience. De ce point de vue, la revendication de cette liberté pour soi fait appel à la responsabilité de chaque homme devant Dieu. Le degré de cette responsabilité est à la mesure de la conscience que l’homme peut acquérir de la valeur de ses actes et de leurs conséquences, sous l’influence de l’Esprit. (Jn 3,8 ; Rm 2,15-16). 605
Acta Synodalia Sacrosancti Concillii Oecumenici Vatican II, 1970-1977, p. 488 ; cité par MINNERATH, Roland, Le droit de l’Église à la liberté. Du Syllabus à Vatican II, Paris, Beauchesne, 1982, p. 134, note 29. 606 HAMER, Jérôme, « Histoire du texte de la Déclaration », in : PAVAN Pietro, et al., La liberté religieuse, Paris, Cerf, Unam Sanctam 60, 1967, p. 55, cité par MINNERATH, Roland, Le droit de l’Église à la liberté. Du Syllabus à Vatican II, Paris, Beauchesne, 1982, p. 132, note 22. 607 Idem, op. cit., p. 135, note 34. 608 MINNERATH, Roland, op. cit., p. 135.
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Les deux catégories de documents intègrent donc dans leurs modèles la notion de responsabilisation. Les premiers, les documents catholiques, responsabilisent les croyants ‘à l’égard de la vérité’ que dispense l’Église, au degré de leur obéissance sincère au dictamen de leur conscience. L’importance de la dignité de la personne humaine, qui fonde la liberté religieuse, est démontrée par « le respect [que] le Christ a tenu de la liberté de l’homme dans l’accomplissement de son devoir de croire à la parole de Dieu ». Pour « Dignitatis Humanae », dans l’exercice de cette liberté, le croyant est comptable envers la vérité, sous sa forme d’expression dans l’Eglise catholique : « Cette unique vraie religion, nous croyons qu’elle subsiste dans l’Église catholique et apostolique à qui le Seigneur a donné le mandat de la faire connaître à tous les hommes [...] ; « De par la volonté du Christ, en effet, l’Église catholique est maîtresse de vérité». Avec un accent plus fort sur la responsabilisation du croyant et sur la révélation du Christ. Un thème largement développé par Jean-Paul II. Dans l’esprit des seconds, les documents adventistes, la responsabilité se mesure moins à l’égard d’une ‘vérité’, en tant que système doctrinal, qu’à l’exemple du Christ et de son œuvre, à la conscience que les hommes peuvent acquérir de la valeur et des conséquences de leurs actes sous l’influence de l’Esprit, ainsi que nous l’avons souligné plus haut. Nous reviendrons plus loin sur la question de l’autonomie offerte à l’homme par Dieu selon la théologie adventiste, en parlant de la théorisation des fondements de cette liberté. Actualité de ‘Dignitatis Humanae’ et la menace sur ses acquis Il faut mesurer le chemin parcouru pour évaluer la singularité que représente la déclaration du concile de Vatican II « Dignitatis Humanae », aux yeux de certains auteurs. Il suffit d’évoquer le souvenir du Syllabus de Pie IX, en 1864, pour le saisir : « Les historiens n’ont pas fini de méditer sur cet étrange paradoxe : l’Église catholique qui, il y a encore un siècle, apparaissait comme l’ennemie des libertés se trouve aujourd’hui au premier rang du combat pour la liberté et pour les droits de l’homme», écrivait Claude Geffré, professeur de théologie à l’Institut catholique de Paris609, en 1981. En effet, cette déclaration, et la ratification par le Vatican des accords d’Helsinski, le 1e août 1975, confirment la reconnaissance officielle du droit à la liberté religieuse comme un droit fondamental de la personne. Jean-Paul II n’a cessé de le revendiquer. « Dignitatis Humanae » rejoint, par là, l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950. Les deux documents stipulent que «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la 609 GEFFRE, Claude, La liberté religieuse dans le judaïsme, le christianisme et l’islam. Actes du colloque international à l’Abbaye de Sénanque, Paris, Cerf, 1981, p. 7.
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liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites». Commentant les interrogations sur la continuité de la doctrine catholique soulevée par cette Déclaration du concile, le professeur Mariano Delgado, de l’Université de Fribourg, constate que « [...] le souci central de Dignitatis Humanae (s’intègre) dans l’image d’un magistère défensif qui, au moins depuis le début des années 90 du siècle passé, s’efforce de comprendre le Concile non pas comme une modernisation du catholicisme, mais comme la confession d’un ‘modernisme chrétien’ dont fait partie, de façon constitutive, le refus clair et net du relativisme, de l’indifférentisme et du libéralisme. On omet que l’Église, au 19e siècle, n’a pas seulement rejeté les ‘- ismes’ hostiles au christianisme, mais qu’elle avait par principe ‘des liens brisés’ avec l’histoire moderne de la liberté - même là où celle-ci s’est habillée de ‘libéralisme catholique’ et a postulé des libertés qui sont défendues aujourd’hui avec force par le magistère catholique, par exemple la liberté religieuse, de presse et de conscience. [...] Nous avons affaire ici en effet ‘à un changement historique’ profond. [...] Le différend porte sur la question de savoir si ce changement s’est fait dans la continuité ou dans la rupture avec la tradition doctrinale catholique précédente »610. Sans entrer dans l’analyse du débat, c’est sur cette rupture avec la tradition doctrinale catholique, entre autres, que porte la contestation de Mgr Lefebvre et de ses successeurs à la tête de la Fraternité de Saint Pie X. Nous l’avons évoqué au chapitre 4, avec la question de l’intégrisme, l’ambiguïté prédomine, après la réintégration récente des évêques de cette Fraternité par Benoît XVI. C’est de leur côté, nous l’avons aussi dit, une chance de rediscuter. La question est de savoir si ce rapprochement menace ces acquis. 6.2.6.- Théorisation de ses fondements et de sa pratique Théorisation de ses fondements Définir la notion de la liberté religieuse en tant qu’éthique et pratique morale n’est pas simple. Comme liberté d’avoir une religion et de la pratiquer, d’en changer ou de ne pas en avoir, elle est le fondement des autres libertés qu’elle justifie. Il existe en effet un lien étroit entre cette liberté et les libertés d’expression, de réunion, d’association, en raison des conceptions philosophiques et religieuses de l’homme et de son rôle dans la société qu’elle 610
DELGADO, Mariano ; VIVIANO, Benedict (dirs), Le dialogue interreligieux. Colloque de Fribourg, 1-2 juin 2005, Fribourg, Academic Press Fribourg, 2007, p. 167.
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inspire. « Toute religion quelle qu’elle soit suggère à ses fidèles une conception particulière de l’homme, de sa valeur, des fins qu’il doit assigner à ses efforts, à son rôle dans l’humanité et du but vers lequel marche cette humanité», écrivait Marc Boegner, ancien président de la Fédération protestante de France et membre de l’Académie française611. En tant que composante de l’éthique, la manière de concevoir la pratique de cette liberté est influencée par nos choix religieux ou philosophiques. Notre attitude face à la société, à ses activités, face à l’État et face aux relations entre les hommes, varie selon notre acceptation de telle ou telle manière de concevoir ses fondements. Du point de vue de la théologie adventiste, la liberté religieuse repose sur la liberté humaine que Dieu a offerte à l’homme dans l’acte créateur. Mais la question se pose. Du point de vue adventiste, cette liberté se comprend-elle en termes d’autonomie absolue ? Nous répondrons à la manière de Roberto Badenas, ancien Doyen de la Faculté adventiste de théologie, en France : « […] la liberté humaine, cette autodétermination de la volonté ou cette faculté, bien que limitée et vulnérable, qui fait de l’individu doué d’intelligence et de conscience une personne responsable, ne peut se comprendre en termes d’autonomie totale. En réalité, personne n’est complètement autonome. Aux multiples conditionnements sociaux et familiaux s’ajoutent, au niveau personnel, des facteurs souvent ignorés (hérédité, tempérament, éducation) qui influencent notre volonté, l’orientent dans une direction déterminée, et finalement la limitent. Cependant, l’expérience quotidienne nous montre que nos décisions procèdent de nousmêmes. Nous pourrions œuvrer différemment. Si nous faisons une chose plutôt qu’une autre c’est parce que nous le voulons. Être libres nous oblige à choisir. Là résident la grandeur et le drame de l’être humain. En réalité, c’est seulement parce qu’il y a liberté, parce qu’il y a capacité de choix, que la loi612 est à la fois possible et nécessaire. […] Loi et liberté sont deux réalités parallèles dans l’existence de l’homme […] responsabilité et autonomie […]. Le balancier de l’histoire, tant personnel que collectif, oscille toujours entre ces deux extrêmes (loi et liberté, note de l’auteur), trouvant rarement l’équilibre. […] Celui qui nous a donné un code génétique pour garantir la permanence de nos structures biologiques nous a aussi donné un code éthique pour nous aider à structurer de façon sûre les valeurs de notre conscience. Ces lois (les 10 principes d’éducation énoncés dans le décalogue, note de l’auteur), inhérentes à la nature humaine et progressivement révélées par Dieu tout au long de l’histoire, régissent notre réalisation personnelle en tant qu’êtres responsables et intelligents, dans le cadre spirituel et moral […], elles ne s’imposent ni ne 611
BOEGNER, Marc, « L’influence de la Réforme sur le développement du droit international », Recueil des cours de l’Académie de Droit international de La Haye. 1925, t. 1, p. 246, cité par LANARES, Pierre, La liberté religieuse dans les conventions internationales et dans le droit public général, Roanne, Horvath, 1964, p. 11. 612 « Mais celui qui s’est penché sur une loi parfaite (le décalogue, note de l’auteur), celle de la liberté […], celui-là trouvera le bonheur dans ce qu’il réalisera », Jc 1,25 (TOB, 1979).
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s’accomplissent de façon automatique […]. La liberté humaine qui les rend possibles rend aussi possible leur transgression […]. Contrairement aux lois humaines […], les lois divines constituent l’expression d’une réalité permanente, impossible à éluder […]. Les briser signifie entrer en conflit avec l’essence même de la vie. De là leur caractère, dans un certain sens, inexorable. Dieu, sagesse et amour suprême, a formulé des lois […] capables de maintenir l’harmonie personnelle dans la liberté de l’amour »613. C’est de la lecture théologique du récit biblique du salut et de celui de la création, où, selon le livre de la Genèse, il est révélé que l’homme a été « fait à l’image de Dieu, selon sa ressemblance » (Gn 1,26-27), non pas au sens d’une reproduction analogique de l’auteur, mais comme un être doué de potentialités, que l’Église adventiste dégage le concept et le fondement métaphysique de la liberté de conscience et de religion. L’intelligence et la raison de l’être humain sont ontologiquement associées à sa liberté, à la conscience de sa responsabilité, à la conscience des risques et à celle du besoin de discernement. De cette notion de la liberté humaine, la théologie adventiste dégage les fondements éthiques de la liberté religieuse, dont les dimensions impliquent : 1. la responsabilité individuelle, parce qu’elle est ontologiquement héritière de l’acte créateur originel 2. la conviction personnelle, comme détermination de la conscience de chacun face à sa responsabilité, parce qu’il a été fait libre de choisir 3. la fraternité et la solidarité entre les hommes. La liberté de conscience et de religion est donc la liberté civile d’exercer ses droits religieux dans la société 4. la reconnaissance en droit de la personne, parce que ce n’est pas la société qui a créé ses structures les plus fondamentales 5. le respect et la protection en droit des facultés physiques, psychologiques, morales et spirituelles de chacun, c’est-à-dire de son intégralité, au sein d’une société religieuse ou non 6. le devoir de l’État de préserver les intérêts religieux de chacun, dans le cadre du respect de la morale publique, de la sécurité, de la santé et de la protection des individus 7. le devoir de l’État d’assurer à chaque individu le droit de vivre ses convictions et ses pratiques religieuses publiquement, en privé ou en commun, dans les limites mentionnées au point 6 La conception adventiste comprend cette notion comme un droit personnel, qui dépasse l’idée que son exercice se limite aux droits reconnus à la seule 613 BADENAS, Roberto, Au-delà de la loi … la grâce, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 2006, p. 288-290.
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communauté religieuse, en tant que collectivité ; mais aussi, de celle qui comprendrait que ce droit n’atteint l’individu qu’en tant que l’un de ses membres. Théorisation de sa pratique Fondée sur cette éthique, la pratique de la liberté de conscience et de religion présente les caractères suivants : • C’est un droit individuel, sans préjudice, à adopter une religion, d’en changer ou de ne pas en avoir ; de pratiquer sa religion et ses rites, en privé et en public, seul ou en commun ; de propager ses croyances par tous les moyens légitimes et dans tous les domaines de l’activité humaine, au sein des cadres nationaux ou internationaux. • L’éthique de l’État, dans ce domaine, est de ne pas imposer des actes contraires aux croyances ou aux convictions, d’assurer la protection des personnes, des objets et des lieux de culte, d’éviter la discrimination en maintenant l’égalité entre les divers groupes religieux et philosophiques, de leur accorder l’autonomie d’organiser ses activités et d’intervenir, le cas échéant avec justice614. Il appartient donc aux États de participer activement à la réalisation de cette liberté par leur adhésion aux grands textes du droit international et par la promotion dans l’ordre interne à sa protection. • Il relève de l’éthique des Églises, des groupes religieux ou philosophiques de ne pas utiliser des avantages matériels ou des contraintes psychologiques, économiques ou sociales pour assurer la propagation des croyances ou des adhésions, de combattre la violence dans les rapports avec les autres, de ne pas dénigrer pour faire valoir ses positions, de respecter la dignité de la personne humaine et la conscience de tous, de coopérer avec d’autres groupes, religieux ou non, lorsque les buts et les méthodes peuvent
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L’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales (1950) précise dans son alinéa 2 dans quelles conditions l’État peut être autorisé à limiter cette liberté : « La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique à la sécurité publique, ou à la protection de l’ordre, à la santé ou à la morale publique, ou à la protection des droits et des libertés d’autrui», Documents européens, Droits de l’homme en droit international. Textes de base, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 1992, p. 171.
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être communs pour le bien de la société, de respecter les lois et d’utiliser les moyens licites pour obtenir satisfaction dans les litiges. Sa réalisation se trouve donc à la croisée de trois dynamiques, celle de l’État, celle des organisations religieuses et celle des individus dans la société. C’est la conception éthique de la liberté humaine qui a orienté l’Église adventiste à s’engager de façon dynamique dans la promotion de cette liberté. 6.3.- L’Association internationale pour la défense de la liberté religieuse (AIDLR)615 L’analyse précédente met en évidence qu’il est important qu’une organisation ecclésiale comme l’Église adventiste, préoccupée par le sens et la signification du message évangélique qu’elle veut présenter au monde moderne, s’inquiète aussi des situations qui se créent, de leurs implications dans l’éthique sociétale et qu’elle s’efforce de proposer une réponse à la mesure de ses moyens. C’est dans ce sens, et s’inscrivant dans la logique de la pensée que nous avons développée plus haut, que le Dr Jean Nussbaum s’exprimait en 1948, aux premiers moments de ‘l’Association internationale pour la défense de la liberté religieuse’ qu’il avait fondée deux années plus tôt : « Notre association ne représente ni une Église particulière, ni un parti politique. Elle s’est donnée pour tâche de réunir toutes les forces spirituelles pour combattre l’intolérance et le fanatisme dans toutes ses manifestations […]. Nous réalisons ainsi l’œcuménisme sur un plan particulier, et d’une façon complète. Car nous ne nous adressons pas seulement aux chrétiens de toute la terre, mais aux croyants de toutes les religions et nous espérons même que notre appel sera entendu aussi pas ceux qui n’en ont pas. Pourquoi ne se joindraient-ils pas à nous ? Si nous leur demandons de respecter nos opinions, nous sommes prêts à respecter les leurs, et nous défendrons leurs droits avec autant d’ardeur que les nôtres, car nous ne défendons pas des intérêts ou des Églises, mais un principe dont l’application doit s’étendre à l’humanité entière, sans aucune restriction »616.
615
Cette partie consacrée à l’Association internationale pour la défense de la liberté religieuse (AIDLR) est la révision d’articles que l’auteur a rédigés en 1996 et en 2006, cf. VERFAILLIE, Maurice ; NUSSBAUM, Jean ; LANARES, Pierre ; ROSSI, Gianfranco, Conscience et liberté 52 (1996), pp. 6-13 ; « L’AIDLR fête ses 60 ans », Conscience et liberté 67 (2006), pp. 8-15. Voir aussi BAUBEROT, Jean, « L’association internationale pour la défense de la liberté religieuse et sa revue Conscience et liberté », in : DESPLAN, Fabrice ; DERICQUEBOURG, Régis, (dirs), Ces protestants que l’on dit Adventistes (Théologie et vie politique de la terre), Paris, L’Harmattan, 2008, pp. 121-136. 616 NUSSBAUM, Jean, « Nos buts, nos projets», Conscience et liberté, 1 (première numérotation) (1948), p. 5.
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Cette ligne d’action correspond d’autant plus à la prise de position du département des Affaires publiques et de la liberté religieuse de l’Église adventiste qu’il existait déjà en 1893 aux États-Unis une association fondée par l’organe faîtier de cette Église, l’International Religious Liberty Association (IRLA)’617. Jean Baubérot fait une remarque importante en écrivant à propos de l’AIDLR et de sa revue Conscience et liberté : «[…] il me semble indispensable d’intégrer cette réalisation importante de l’adventisme francophone dans les études sur l’adventisme, même si l’association et la revue ont eu la préoccupation de constituer un lieu de promotion de la liberté religieuse non confessionnel, pluraliste et largement ouvert aux milieux académiques. On pourrait dire, selon une expression assez habituelle dans le protestantisme, que cette association et sa revue sont ‘d’inspiration’ adventiste, sans constituer stricto sensu (en italiques dans le texte) une association et une revue adventiste. Il est, en effet, assez classique dans le protestantisme français qu’un protestant fonde une association, un mouvement, une publication dont le dispositif de base (notamment le financement) est protestant, mais qui s’ouvre très largement sur le milieu extérieur »618. 6.3.1. - Le temps du fondateur L’homme et son action C'est en 1946 que le docteur Jean Nussbaum619, médecin français adventiste, a créé à Paris l'Association internationale pour la défense de la liberté religieuse 617 Pour une recherche plus approfondie sur l’historique de la question de la liberté religieuse dans l’Église adventiste, cf. SYME, Éric, A History of Seventh-day Adventist Church-State Relations in the United States, Mountain View, California, Pacific Press Publishing Association, 1973 ; « Total Separation of Church and State », in : KNIGHT, R. George, From 1888 to Aposatsy, The Case of A.T. Jones, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1987, pp. 117-131 ; « Public Affairs and Religious Liberty Department », in : Seventh-Day Adventist Encyclopedia, vol. 11, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 19962, pp. 391-397. Nous partageons l’analyse de Jean Baubérot lorsqu’il écrit : « La création de l’AIDLR comme association indépendante de l’IRLA, qui possède ses propres statuts et a ses propres activités, manifeste donc une volonté d’autonomie à l’égard des Églises adventistes, non à cause d’un désaccord théologique ou ecclésial, mais d’abord par souci de créer un instrument non confessionnel de défense de la liberté de religion, largement ouvert aux autres milieux chrétiens et, au-delà, à des personnalités politiques et académiques plus ou moins distantes de cercles religieux » et plus loin : « Dans les raisons qui ont amené à la fondation de l’AIDLR, il faut sans doute noter une différence de sensibilité avec ce qui a dû apparaître comme une conception de la liberté religieuse ‘à l’américaine’, pourrait-on dire, où l’athéisme possède moins de légitimité », BAUBEROT, Jean, op. cit., pp. 121-122. 618 Ibid., p. 121. 619 Cf. LOEWEN, Gertrude, Jean Nussbaum, pionnier de la liberté religieuse, Dammarie-lès-Lys, Vie et Santé, 1995 ; DUFAU, André, « Un apôtre de la liberté religieuse », Conscience et liberté 1 (nouvelle numérotation), 1971, pp. 5-11.
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(A.I.D.L.R). Son but était de donner une base légale à l'action qu'il menait depuis la fin de la Première Guerre mondiale en faveur de la liberté religieuse. Jean Nussbaum est né en Suisse, à La Chaux-de-Fonds, le 24 novembre 1888. Il était médecin à Chamonix lorsqu'éclata la Première Guerre mondiale. Touchée par une forte épidémie de typhus dès le début des combats, la Serbie lança un appel désespéré à l'étranger pour obtenir l'aide de médecins. Jean Nussbaum se porta volontaire et se trouva affecté vers la fin de 1914 à l'hôpital de Nis, en Serbie. La direction de l'établissement le seconda en désignant, pour l’aider et comme interprète, une jeune infirmière serbe, Milanka Zaritch. Peu de temps après qu'ils eurent fait connaissance, Milanka Zaritch prenait elle-même la direction de cet hôpital. A l'automne 1915, ils se marièrent. Moment important aussi parce que Milanka Zaritch étant la nièce de Voyislav Marinkovic, futur Premier de Serbie, et ce lien familial contribua largement à introduire le Dr Jean Nussbaum dans les milieux politiques et diplomatiques. C’est durant l’exercice de ses responsabilités médicales à Nis que des circonstances amenèrent Jean Nussbaum à intervenir auprès d'un commandant de l'armée serbe. Il s’agissait d’autoriser un prisonnier de guerre autrichien affecté au service de l'hôpital à pratiquer les principes de sa foi. Tant par manque de tact que par étroitesse d'esprit, ce dernier s'était lui-même placé dans une situation qui aurait pu lui coûter la vie en refusant, en tant que prisonnier en temps de guerre, de se soumettre aux ordres620. Cette situation délicate a probablement joué un rôle en éveillant dans la conscience du docteur Nussbaum une préoccupation qu’il portera toute sa vie : la promotion et la défense de la liberté de conscience et de religion. Le fait que la Serbie se soit retrouvée agrégée au bloc communiste après la Seconde Guerre mondiale est « peut-être un facteur d’explication de l’attitude que va prendre Jean Nussbaum sur cette épineuse question», ajoute Jean Baubérot621. Malheureusement, les archives laissées par le docteur Nussbaum ont pour la plupart disparu. On ne sait que très peu de choses à ce sujet622. « La difficulté […] réside dans le secret qui entourait les missions du docteur Nussbaum », écrit Pierre Lanarès, « la réussite de ses délicates négociations dépendait largement de sa discrétion. Aussi ne gardait-il que fort peu de 620
Cf. LOEWEN, Gertrude, op. cit., pp. 37- 44. Gertrude Loewen a rencontré le docteur Jean Nussbaum à Paris en 1965, dans l’intention d’écrire sa biographie. 621 BAUBEROT, Jean, op. cit., p. 123. 622 Rédigeant la ‘Préface’ et la ‘notice’ de l’ouvrage de Madame Gertrude Loewen, Pierre Lanarès souligne son travail de recherche, de documentation et ses entretiens « qui lui ont permis de présenter cette biographie de manière si vivante, en incluant la description du cadre historique dans lequel se sont déroulés les différents épisodes de cette existence» (p. 7). « Son mari, Marvin Loewen était engagé à l’époque dans une association internationale de défense de la liberté religieuse aux États-Unis» (notice, quatrième de couverture).
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documents »623. Ses successeurs connaîtront à leur tour des situations semblables. Ce qui est sûr, c’est qu’ayant regagné la France après la Première Guerre mondiale, Jean Nussbaum installa un cabinet médical, tout d’abord au Havre, puis quinze années plus tard, en 1931, il se retrouve avec sa femme à Paris, où il demeurera jusqu'à sa mort, en 1967. En 1946, il y établissait le premier siège de l'Association internationale pour la défense de la liberté religieuse. On sait aussi que le couple habitait à Paris depuis quelques mois seulement lorsqu’il fut invité par les milieux religieux à intervenir dans un débat autour d'un projet de réforme du calendrier mondial624 qui devait être présenté en octobre 1931 à la session plénière de la quatrième Conférence internationale des transports et des communications organisée à Genève par la Société des Nations. Le rapport préliminaire de la Conférence montrait que les opposants à cette réforme ne disposaient d’aucune argumentation solide pour repousser cette réforme. Quant aux représentants des milieux religieux, ils étaient invités à exposer leurs points de vue. Cette réforme projetée n'était analysée par les politiques que d’un point de vue économique et social, mais la plupart des observateurs religieux avaient compris que l'enjeu concernait des millions de croyants, chrétiens, juifs et musulmans dans le monde. Jean Nussbaum porta la question sur le terrain de la liberté de conscience. Dans le rapport sur le déroulement quotidien de la question durant Conférence, en date du 14 octobre 1931, Joseph Herman Hertz, grand rabbin de la communauté juive dans l'Empire britannique, mentionne : « Il (Jean Nussbaum, note de l’auteur) demanda instamment à l'Assemblée de se souvenir qu'il s'agissait là d'une importante question de conscience, et que toute atteinte à la conscience était incompatible avec les idéaux de la Société des Nations »625. Deux années plus tard, Jean Nussbaum fut invité a occuper les fonctions de directeur du ‘Département de la Liberté religieuse’ de la ‘Division sudeuropéenne des Églises adventistes’. Il continuait néanmoins d'exercer sa profession médicale à Paris. Toujours plus engagé dans l'action en faveur de la liberté religieuse, il reçut l'appui de nombreuses personnalités, dont celle du pape Pie XII avec lequel il avait entretenu de bons rapports alors que ce dernier était nonce apostolique à Paris. Par la suite, il fut aussi reçu par Jean XXIII. A Rome, il entretenait de fréquents rapports avec les cardinaux Tisserand, Béa, Ottaviani, Pizzardo. A Istanbul, il avait noué des relations cordiales avec le 623
IBIDEM. Le projet de réforme concernait une modification du rythme de la semaine (création d’un jour supplémentaire, ‘jour blanc’) dans un but économique et social. Elle aurait atteint les chrétiens, les juifs et les musulmans dans le respect de leurs jours religieux. 625 Cf. MILFORD, Humphrey, The Battle for the Sabbath at Geneva, London, Oxford University Press, 1932, pp. 21-32 . 624
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patriarche Athénagoras. A Paris, ses liens de combat pour cette cause avec le pasteur Marc Boegner, importante figure du protestantisme français, furent durables, malgré des divergences de vues sur certains problèmes politiques et religieux. À la fin de la Première Guerre mondiale, la recomposition politique de la zone de l'Europe centrale, du Danube aux Balkans, avec ses implications économiques, sociales et religieuses, souleva de nombreuses difficultés pour les chrétiens de plusieurs des États de cette région. Dans les quelques rares notes personnelles retrouvées, Jean Nussbaum relate ses visites auprès des personnalités politiques et religieuses en Bulgarie, en Hongrie, en Pologne, en Roumanie et en Yougoslavie. La remarque Jean Baubérot rejoint ici celle de Pierre Lanarès : « Je ferai même l’hypothèse, hasardeuse en l’absence d’archives, mais qui me paraît vraisemblable, que la non publication d’articles dénonçant la situation des chrétiens dans les pays communistes constituait aussi un élément d’une stratégie qui privilégiait les interventions discrètes »626. Le docteur Nussbaum se déplaçait aussi en Espagne, en Éthiopie, en France, en Grande-Bretagne, en Grèce, en Italie. Son attention se tourna même vers la situation du Japon. Ses démarches concernent des protestants, des catholiques ou des orthodoxes627. Rosa Maria Martinez de Codes, professeur à l’Université de Madrid, a retrouvé dans les archives du Ministère de la Justice d’Espagne une lettre adressée le 5 janvier 1965 par Jean Nussbaum au général Franco. Il lui suggérait une révision de la loi espagnole sur la liberté religieuse628. À côté de ses voyages et de ses démarches auprès des diverses autorités politiques, civiles et religieuses en Europe, Jean Nussbaum donna plusieurs conférences. Dès 1946, et durant une dizaine d’années, il a diffusé hebdomadairement une série d’émissions radiophoniques sur Radio MonteCarlo, série que Madame Eleanor Roosevelt avait elle-même inaugurée. Le 29 octobre 1967, âgé de 79 ans, Jean Nussbaum fut terrassé par une crise cardiaque. J. Paul-Boncour, alors Ministre français des Affaires étrangères, lui avait demandé un jour : « Quels intérêts défendez-vous ? », il avait répondu : « Je ne défends pas des intérêts, je défends un principe : le principe de la liberté religieuse. »
626
BAUBEROT, Jean, op. cit., p. 126. Cf. DUFAU, André, « Un apôtre de la liberté religieuse», Conscience et liberté, 1 (nouvelle numérotation), 1971, p. 7. 628 Jean Baubérot s’interroge à propos de cette lettre de savoir si Jean Nussbaum avait jugé que la réunion du Concile de Vatican II rendait le moment plus propice à une telle démarche. Cf. Idem, p. 126. 627
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La création de l'Association Le 25 avril 1945, Jean Nussbaum assistait à la Conférence des NationsUnies de San Francisco dont l’objectif était de créer une nouvelle organisation internationale, après l’échec de la Société des Nations. Un Conseil économique et social était chargé des sujets concernant les droits de l'homme. C’est durant ces réunions qu’il rencontra Madame Eleanor Roosevelt, veuve du président des États-Unis, elle-même très engagée dans la lutte pour la protection de ces droits. Leur accord sur de nombreux points les amena à collaborer durant plusieurs années. Chaque fois qu'il se rendait en Amérique, c'est-à-dire au moins une fois par an, elle et ses fils le recevaient chez eux. Lorsqu'elle faisait un séjour à Paris, elle s'installait à l'hôtel Crillon et avait plusieurs entretiens avec le docteur, témoigne André Dufau, son plus proche collaborateur durant dix-huit années. Jean Nussbaum lui avait fait part de son intention de créer une ‘Association internationale pour la défense de la liberté religieuse (AIDLR)’. Avec l’accord des autorités américaines, Madame Eleanor Roosevelt en devint la première présidente. Son Comité d'honneur comprenait des personnalités comme Édouard Herriot, président de l'Assemblée nationale française, et des membres de l'Académie française comme Paul Claudel, Georges Duhamel, André Siegfried, le duc Louis de Broglie. Après elle, ce furent Albert Schweitzer, médecin français, académicien, prix Nobel de la paix, puis, en 1966, Paul-Henri Spaak, homme politique belge, ancien ministre des Affaires étrangères, de 1974 à 1976, René Cassin, juriste, membre de l'Institut, prix Nobel de la paix en 1968, Edgar Faure, avocat français, ancien président du Conseil d'État et ministre de l'Éducation nationale, en 1977, Léopold Sédar Senghor, ancien président de la République du Sénégal, membre de l'Académie française, de 1989 à 2001. Aujourd’hui, cette présidence revient à Mme Mary Robinson, ancienne Haut Commissaire aux droits de l’Homme et ancienne présidente de la République irlandaise. La revue Conscience et liberté En 1948, Jean Nussbaum créa la revue Conscience et liberté, dont il assura la parution des trois premiers numéros. Jean Baubérot constate avec raison qu’en plus de son réseau personnel de relations, la présidence de l’AIDLR par Eleanor Roosevelt a largement favorisé l’assise de cette association. Les trois premiers numéros, de 1948 à 1950, recevaient déjà des signatures importantes, dont certaines prestigieuses. Outre Madame Eleanor Roosevelt, on retrouve celles du pasteur Marc Boegner, importante figure du protestantisme français et académicien, président de la Fédération protestante de France, Roland de Pury,
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un pasteur protestant remarqué par ses prédications hostiles au nazisme pendant l’occupation, le théologien zurichois Adolphe Keller, des catholiques, comme Mgr Baupin, le Père Sansom, Joseph Lecler, auteur quelques années plus tard d’un ouvrage devenu classique sur l’histoire de la tolérance au siècle de la Réforme629. En résumé, des juristes et des écrivains de renom, des personnalités politiques et religieuses, des anciens présidents du Conseil français, dont une lettre de celui ‘un peu inattendu de par son passé anticlérical’, Édouard Herriot. Ce dernier a fait partie du Comité d’honneur de l’AIDLR, avec des membres de l’Académie française, comme nous l’avons relevé plus haut. « Le parrainage de Madame Roosevelt a manifestement contribué à la réalisation de l’ouverture que Jean Nussbaum souhaitait donner à son association. Par ailleurs, nous trouvons là un réseau bien différent de celui que pouvait avoir l’adventisme en France, groupement ultra minoritaire, peu connu et dont la majorité des membres faisaient plutôt partie de la classe populaire ou de la petite classe moyenne. […] Il faudrait comparer ces trois numéros de Conscience et liberté avec les numéros de la revue de l’IRLA, Liberty à la même époque, » écrit Jean Baubérot, « pour pouvoir préciser valablement ce qui différenciait les deux organisations. L’hypothèse plausible est celle d’une orientation plus à gauche et d’un pluralisme d’appartenances convictionnelles plus prononcées dans la revue francophone »630. Ce que nous pouvons en effet constater. 6.3.2. - Développement de l’Association et diffusion de sa revue Le décès de Jean Nussbaum n’a pas éteint l’action de l’AIDLR et il n’est certainement pas exagéré d’écrire que l’œuvre de Pierre Lanarès, son successeur, a été déterminante pour son avenir. Pierre Lanarès en a assumé la fonction de Secrétaire général de 1966 à 1982. Durant ces années, il a été secondé par André Dufau, docteur en droit631. Il a parachevé sa structuration, promu son extension et sa reconnaissance officielle dans le monde. Fils d’un haut fonctionnaire français en poste à Madagascar, juriste, Pierre Lanarès a soutenu sa thèse de doctorat en droit international632 à Genève sur la question de 629
LECLER, Joseph, Histoire de la Tolérance, au siècle de la Réforme, 2 vols, Paris, Aubier, 1955. 630 BAUBEROT, Jean, « L'Association internationale pour la défense de la liberté religieuse. Consscience et liberté », in : DESPLAN, Fabrice ; DERICQUEBOURG, Régis (dirs), Ces protestants que l’on dit adventistes, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 123. 631
André Dufau avait été durant dix-huit années le bras droit du docteur Jean Nussbaum, avant d’être celui de Pierre Lanarès. Il était en même temps le secrétaire de la section nationale française de l’AIDLR. 632 LANARES, Pierre, La liberté religieuse dans les conventions internationales et dans le droit public général, Roanne, Horvath, 1964.
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la liberté religieuse. Pasteur adventiste, professeur et ancien directeur du Campus adventiste du Salève633, sa formation en droit et son expérience lui conféraient un profil qui le situait à la croisée des chemins entre l’Église adventiste et la société globale, horizons utiles pour la direction de l’AIDLR. Jusqu’à la fin de sa vie, la question de la liberté de conscience et de religion a aussi été sa principale préoccupation. Sa fréquentation du docteur Nussbaum l’avait persuadé du bien-fondé de l’action entreprise, aussi s’est-il attaché à la prolonger efficacement. Les années 1966 à 1982 passées à ce poste ont démontré ses capacités réelles à poursuivre l’œuvre sur les bases que le fondateur avait posées. A son tour, il fut amené à rencontrer de nombreuses personnalités civiles, politiques et religieuses et d’envisager avec elles des solutions face à des situations complexes et délicates. Alors que le docteur Nussbaum, en raison des circonstances, s’était tourné surtout vers les pays de l’Est, nous l’avons vu, Pierre Lanarès s’est intéressé aussi à l’Afrique et au Proche-Orient. Toutefois, la pièce maîtresse de son action restera tout d’abord d’avoir relancé la revue Conscience et liberté en 1971, soit vingt-deux années plus tard. En effet, sa publication avait été interrompue en 1950 pour des raisons financières. Pierre Lanarès parvint à lui donner une assise en gagnant le soutien et le concours de l’Église adventiste en Europe plus largement que n’avait pu le faire Jean Nussbaum. La revue gagna encore en crédibilité avec l’élargissement à l’échelle internationale de plumes autorisées les plus diverses, indépendamment de leur appartenance philosophique ou religieuse. En cela, Pierre Lanarès relançait le projet de son fondateur, avec la même ligne éditoriale qui est encore suivie jusqu’à aujourd’hui. La revue parut alors en sept langues : français, anglais, allemand, espagnol, portugais, italien et même quelques numéros en grec. Sa diffusion s’étend depuis lors jusqu’en Australie. Sous son impulsion, l’AIDLR s’est constituée en sections nationales dans plusieurs pays d’Europe occidentale, d’Afrique et au Canada, malgré sa proximité avec les États-Unis – avec plus ou moins de succès et de continuité, selon les parcours historiques et les politiques des États. Pierre Lanarès ouvrait résolument la voie d’une politique d’accréditation. C’est durant son mandat qu’en 1978, l’AIDLR a reçu le statut d’ONG (Organisation non gouvernementale) des Nations-Unies auprès de l’Ecosoc 633
Autrefois désigné sous l’appellation ‘Séminaire adventiste du Salève’. Aujourd’hui ‘Campus adventiste du Salève’, à Collonges-sous-Salève, Haute-Savoie, France. Cet établissement a été créé en 1906. Il comprend la Faculté adventiste de théologie (liée à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg et à l’Université de Friedensau, en Allemagne), une école primaire et le cours secondaire Maurice Tièche (jusqu’au baccalauréat), l’Institut des langues étrangères (agréé par l’Alliance française), le Centre d’étude et de recherche Ellen White, la bibliothèque universitaire Alfred Vaucher et le Centre d’étude José Figols (étude sociologique de la jeunesse adventiste). L’institution reçoit des élèves du monde entier.
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(Economic and Social Council of the United Nations), à Washington. Plus tard, Gianfranco Rossi, son successeur, adopte la même ligne de conduite. L’AIDLR est accréditée auprès du Conseil de l'Europe en 1985 et auprès de l'UNESCO en 1986. Au temps du docteur Nussbaum, les interventions se faisaient au nom de la ‘General Conference of the Seventh-day adventist Church’, l’IRLA n’étant pas accréditée auprès de ces organisations634. Elle le sera en 2003. Avant de prendre à son tour la direction générale de l’AIDLR, Gianfranco Rossi collaborait déjà avec Pierre Lanarès. Ils travaillèrent ensemble et avec les experts de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, à Genève, au projet qui aboutira en 1981 à la rédaction de la « Déclaration pour l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction », un des importants textes du corpus du droit international en matière de respect de la liberté de conscience et de religion. Le 25 février 1987, M. Javier Pérez de Cuéllar, Secrétaire général des Nations-Unies, remettait à l’AIDLR un diplôme de ‘Messagère de la Paix’, en reconnaissance des NationsUnies pour sa contribution aux objectifs de la paix dans le monde sous sa direction. Après 1989 et l’ouverture de l’ère postcommuniste, c’est celle des « nouveaux défis »635. De nouvelles sections de l’AIDLR se sont créées dans des pays de l’ex-Europe de l’Est (Bulgarie, Roumanie, Tchéquie). De 1995 à 2005, l’auteur ayant succédé à Gianfranco Rossi comme Secrétaire général, c’est pour l’AIDLR et sous son impulsion, le temps des nombreux colloques, séminaires, rencontres d’experts organisés en Europe et dans le monde, seule ou en collaboration avec l’IRLA, et celui du prolongement de la coopération avec le Rapporteur spécial des Nations-Unies, le professeur Amor Abdelfattah, et le Conseil de l’Europe. C’est également le temps, dans toutes ces activités, du concours actif des Secrétaires nationaux de l’association. À partir de 1995, l’AIDLR obtient la contribution particulièrement efficace de plusieurs personnalités parmi lesquelles il faut mentionner, en Espagne, les professeurs Alberto de la Hera et Rosa Maria Martinez de Codes. Sous leur impulsion et 634
« Cela donne un nouvel indice d’une différence de positionnement entre l’IRLA et l’AIDLR », écrit avec raison Jean Baubérot. Cependant, comme nous en avons aussi témoigné auprès lui et comme qu’il a pu le constater, une collaboration s’est progressivement installée entre ces deux associations, surtout à partir des années 1980-1990. L’expérience de l’auteur comme Secrétaire général de l’AIDLR de 1995 à 2005 permet de le confirmer. Cf. BAUBEROT, Jean, op. cit., p. 128, notes 18, 19, 20 et 21. Voir aussi « International Religious Liberty Association », in : Seventh-day Adventist Encyclopedia, vol. 10, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1996, p. 787. Dans le même sens, en plus de la coopération sur le terrain, l’auteur témoigne aussi de ce rapprochement par le fait que l’IRLA lui a remis un ‘Merit Award’ en 2005, pour son action en faveur de la liberté de conscience et de religion avec l’AIDLR et la revue Conscience et liberté. 635 VERFAILLIE, Maurice, « Les nouveaux défis, Editorial », Conscience et liberté 64 (2003), pp. 6-8.
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avec leur collaboration persévérante auprès du Ministère de la Justice d’Espagne, ce sont les moments d’un travail ardu d’experts dans l’élaboration de nouvelles lois sur la liberté religieuse qui seront adoptées. En 1998, le roi Juan Carlos attribuait à l’auteur de cette étude la croix de Commandeur de l’ordre du Mérite national pour ses activités dans ce domaine. Mais c’est aussi le temps des attentats du 11 septembre 2001 et de ses répercussions sur les plans politique, économique, et même religieux, avec l’apparition d’un islamisme belliqueux sur la scène internationale. « (Les) faits mettent en évidence l’évolution actuelle. Les confrontations, les rivalités, les débats dans le domaine religieux deviennent de plus en plus sensibles sur plusieurs fronts, malgré tous les discours sur les droits de l’homme. À tel point que les spécialistes parlent aujourd’hui de phase de transition dans ce domaine. Les mutations dans les relations entre Églises et États, même en Europe, pourraient bien conduire à une nouvelle situation du droit à la liberté de religion et de conviction très différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. Que sera-t-elle demain ? Nul ne peut le dire. L’important n’est pas tant qu’elle change, mais qu’elle n’aboutisse pas à la négation des acquis hérités en Occident au cours de quatre siècles de luttes pour la reconnaissance de la valeur de la conscience individuelle. Dans ce contexte, il est important que l’Association internationale pour la défense de la liberté religieuse prolonge sans défaillance le soutien qu’elle apporte depuis ses origines à la cause de cette liberté. Depuis longtemps, elle s’est distinguée par son engagement et ses activités. Cela lui a permis d’exercer une influence positive en faveur de cette liberté à différents niveaux de la société internationale. Nous devons tous être bien conscients que la question de la liberté de religion et de conviction n’est pas avant tout une affaire de droit. Ce ne sont pas seulement les Constitutions, les lois ou les jurisprudences des tribunaux qui peuvent assurer aux hommes le respect de leur dignité d’homme et leur liberté. La liberté de conscience et de religion que nous sommes capables de reconnaître aux autres reflète aussi le degré de notre maturité d’hommes. La liberté n’a pas d’existence propre. Elle se vit au travers des relations des hommes entre eux. Cela suppose de la part de chacun une contribution effective à la construction d’une société de respect »636. En 2006, l’AIDLR a fêté ses soixante années d’existence avec l’arrivée de Karel Nowak, nouveau Secrétaire général et la publication du 67e numéro de la revue Conscience et liberté. De 1949 à 2005, dans sa version française, elle a publié 976 articles et études sur les fondements, l’histoire et les implications de la liberté religieuse, 234 documents et 504 informations. À la fin de 1999, elle
636
VERFAILLIE, Maurice, « Les nouveaux défis, Editorial », Conscience et liberté 64 (2003), pp. 7-8.
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totalisait 534 signatures d’auteurs de plus de 70 nationalités différentes, issus de tous les horizons académiques, politiques et religieux637. 6.3.3. – Conclusion « En définitive, conclut Jean Baubérot, on peut dire que l’AIDLR et Conscience et liberté se situent à l’intersection de l’adventisme et de la société globale. […] (Elle) est incontestablement une vitrine de l’adventisme pour l’extérieur, un instrument de son rayonnement, de son souci d’offrir une tribune à tous les partisans de la liberté de conscience et de religion »638. Dans ‘Le pèlerin et le converti’, Danièle Hervieu-Léger a défini la dimension éthique d’une identité religieuse comme étant « l’acceptation par l’individu (je souligne) des valeurs attachées au message religieux ». Par sa nature éthique, cet engagement adventiste dans la défense et la promotion de cette liberté atteste du fait que le message véhiculé par l’Église adventiste invite le croyant à vivre ses valeurs d’une manière chrétienne et personnelle. Sous un autre angle, le constat d’un pluralisme d’identités religieuses adventistes dans le monde, se retrouvant toutes dans un même lien d’appartenance, montre aussi que, malgré des enracinements culturels très différents, l’éthique de son message véhicule aussi des valeurs qui se combinent à un ensemble de valeurs universelles, comme la dignité de la personne humaine et ses droits humains fondamentaux, la liberté de conscience et de religion qui en découle, la fraternité des hommes et leur égalité. Enfin, la notion d’une responsabilité éthique envers Dieu, envers le Christ et envers les hommes, dans sa conjugaison dynamique avec les dimensions culturelle et spirituelle de cette identité, infléchit le cours des relations et de la présence de l’adventisme dans la société moderne, sans rompre le lien identitaire fondamental.
637
VERFAILLIE, Maurice, « L’AIDLR fête ses soixante années », Conscience et liberté 67 (2006), p. 15. 638 BAUBEROT, Jean, op. cit., p. 136.
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Chapitre 7 - Adventisme, dialogue et relations interconfessionnelles 7.0.- Introduction Jusqu’ici, notre réflexion s’est portée sur les dimensions d’une identité religieuse d’après le schéma d’analyse proposé par Danièle Hervieu- Léger. Il est temps maintenant, en abordant ce dernier chapitre, d’examiner des faits qui peuvent servir d’analyseurs du positionnement identitaire adventiste actuel. Afin saisir mieux le mouvement – un passage de la marge à l’intégration –, nous avons choisi des facteurs extérieurs qui l’ont ‘catalysé ’ en quelque sorte : la question du dialogue interconfessionnel et celle de l’adhésion de l’Église adventiste à la Fédération protestante de France. Ces questions révèlent des divergences de points de vue et des réactions, personnelles ou en groupe, au sein de certaines communautés adventistes du Vieux Continent, comme en France et en Suisse. Elles reposent sur des types de lecture des textes bibliques, sur des interprétations exclusives et considérées comme intangibles (aboutissant, entre autres, à l’idée que l'Église adventiste est la seule à ‘posséder la pure vérité ’, à devoir de se ‘séparer du monde ’, dans le sens absolu du terme, à celle qu’elle constitue en elle-même le ‘peuple élu’ de Dieu, défini par l’expression biblique ‘reste de la descendance ’ dans l’Apocalypse639), ou encore sur des façons de lire l’histoire de cette Église et les écrits d’Ellen White. L’accent est mis en priorité sur des aspects doctrinaires dans la manière de présenter le message de cette Église. Ce discours ne reflète ni la théologie, ni la réalité du ‘vécu ’ de cette Église, alors que ses recherches bibliques et théologiques l’ont conduite à se situer aujourd’hui sur un autre registre et à jeter des ponts. Il y a certainement à la base de ces réactions des facteurs sociaux qui n’ont pas encore été suffisamment identifiés et analysés (réseaux sociaux d’origine, culture, éducation religieuse avec un fort accent sur des spécificités doctrinales poussant à la construction d’identité religieuse ‘par opposition’640, complexe de minorité, craintes et frustrations de reconnaissance, 639
Ap 12,17, où il s’agit du « reste de la descendance» de la « femme», qui symbolise l’Église chrétienne dans ce livre prophétique, d’après l’interprétation adventiste. 640 Le 3 juillet 2000, au cours de la session administrative mondiale de la Conférence générale des adventistes qui s’est tenue à Toronto, le Comité administratif (ADCOM) a officialisé une déclaration qui doit aussi avoir un impact à l’intérieur de l’Église adventiste, où trop souvent des ‘évangélistes’ adventistes ou des formes d’action à caractères de prosélytisme, au lieu d’évangélisation, sont des reflets d’états d’esprit qui trouvent leur identité religieuse dans la dénonciation et l’opposition, plutôt que dans la reconnaissance du rôle de chacun et l’annonce d’un message de libération. Cette déclaration est un appel pour une action d’éducation au respect et à la tolérance dans les rangs de l’Église adventiste elle-même. Cf. SEVENTH-DAY
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sans doute aussi). Le fait est que l’attitude de l’Église adventiste faisant aujourd’hui preuve de plus de flexibilité, d’ouverture dialogique et de reconnaissance des autres - surtout depuis une vingtaine d’années avec la révision de ses modèles de relations -, leur paraît suspecte d’avoir abandonné son héritage spirituel historique, dans la crainte d’un affadissement de ses spécificités. Nous l’avons souligné, en l’absence d’analyse, seules des hypothèses peuvent être avancées sur les raisons de tels positionnements. Il faut le relever à nouveau : ces constats confirment que l'identité religieuse adventiste n'est ni univoque, ni monolithique. Entrer dans la réflexion sur le sujet de ce chapitre signifie que la distance qui a été parcourue, avec les préjugés et les appréhensions qui ont été surmontés, donne du relief à l’itinéraire que nous cherchons à suivre, depuis la marginalité de cette Église, jusqu’à la façon dont elle s’incorpore aujourd’hui dans le contexte religieux occidental, bien qu’avec prudence. Pour éclairer le sujet, nous avons choisi de développer ce chapitre en cinq points : le première traite de la question : ce qu’on entend aujourd’hui par ‘dialogue ’, dans le domaine religieux ; le deuxième trace succinctement l’histoire des ruptures du religieux en Europe jusqu’à l’après Seconde Guerre mondiale, ruptures qui ouvrent la voie au dialogue moderne ; le troisième profile certains aspects particuliers de la mutation des mentalités au 20e siècle qui entrent en jeu dans le dialogue interreligieux et les chemins empruntés aujourd’hui par l’œcuménisme ; le quatrième situe dans ce contexte l’approche de la question par l’Église adventiste et la cinquième traite de celle de l’adhésion de l’Église adventiste à la Fédération protestante de France. Avant tout, il nous paraît nécessaire de clarifier ce que recouvre le concept de dialogue dans la pensée contemporaine. Le mot ‘dialogue ’ habille aujourd’hui des rencontres à caractères si différents, dont les pratiques et les objectifs varient selon les questions concernées, que son sens est devenu confus. Transposé sur le plan des relations interconfessionnelles, entrer en ‘dialogue ’ sans en discerner les véritables enjeux peut aboutir à en affadir le sens, voire à le vider de son contenu et d’un réel intérêt.
ADVENTIST CHURCH, « Statement on Religious Liberty, Evangelism, and Proselytism », in : Statements Guidelines and Others Documents, Silver Springs, Compilation by the Communication Department of the General Conference, 20054, pp. 86-87. Traduite en français sous le titre : « Liberté religieuse, évangélisation et prosélytisme» (voir, Annexe 7).
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7.1.- Le concept du dialogue dans les relations interconfessionnelles, philosophie et histoire641 7.1.1.- Fondements philosophiques et notion moderne du dialogue Fondements philosophiques Selon Jean-Claude Basset, on est autorisé à penser que c’est après le choc de la Première Guerre mondiale qu’il faut rechercher un point de repère pour situer le sens et la signification actuelle de la notion de dialogue : c’est en effet le moment où se développe une authentique philosophie des relations humaines dans la théologie protestante allemande, sous l’influence d’un héritage juif. Apparaît alors une nouvelle conceptualisation. Elle est définie comme une confrontation sans animosité et sans antagonisme. Cependant, le terme luimême n’est utilisé dans ce sens dans le vocabulaire religieux qu’après la Seconde Guerre mondiale642. La notion s’est ensuite élaborée au cours du 20e siècle643, trouvant aussi son expression dans les milieux catholiques, avec le 641
Cf. BASSET, Jean-Claude, Le dialogue interreligieux. Histoire et avenir, Paris, Cerf, 1996 ; BUBER, Martin : Je et Tu, Paris, Aubier Montaigne, 1969 ; KALMAN, Yaron, « Martin Buber», Perspectives, Paris, revue trimestrielle de l’UNESCO, vol. XXIII, n° 1-2, 1993, pp. 135-147 (UNESCO : Bureau international d’éducation, Paris, 2000). Voir http// www.ibe.unesco.org/international/Publications/buber ; VERFAIILIE, Maurice, « L’essor du dialogue interreligieux dans la tradition européenne », Conscience et liberté 67 (2006), pp. 66-78 (exposé présenté lors du Congrès international ‘Religion, dialogue, solidarité et développement’, tenu à Saint-Jacques-de-Compostelle du 25 au 27 mai 2005) ; MOUTTAPA, Jean, Dieu et la révolution du dialogue. L’ère des échanges entre les religions, Paris, Albin Michel, 1996. 642 Dans sa signification actuelle, le mot ‘dialogue’ se retrouve dans une déclaration de l’Église réformée aux Pays-Bas en 1947. Elle traite des échanges théologiques de cette Église avec Israël, pris au sens religieux de peuple juif. Se référant au sens que le pasteur Henri Nusstlé lui donnait en 1949, Jean-Claude Basset en résume l’esprit comme étant celui d’établir « […] une confrontation dépouillée de toute animosité réciproque, de substituer à l’antagonisme une explication, un dialogue». Il cite aussi J. Spencer Trimingham qui écrivait en 1955 : « Nous utilisons ce terme ‘dialogue’ dans son acceptation continentale moderne de rencontre constructive entre chrétiens et musulmans […] ; une rencontre dans le respect réciproque et la compréhension mutuelle de la foi d’autrui, avec le souci de trouver une base commune et un engagement en faveur du bien-être de la société dans son ensemble», Cf. BASSET, Jean-Claude : Le dialogue interreligieux. Histoire et avenir, Paris, Cerf, 1996, pp. 67-68. 643 Idem, « En France, le personnalisme d’Emmanuel Mounier (1905-1950) constitue un important prolongement du courant dialogique qui a aussi marqué l’existentialisme dit chrétien ; ainsi la notion de communication de Karl Jaspers (1883-1969) et de ce que Gabriel Marcel (18891973) nomme le ‘miracle de la rencontre du Toi’. Au contraire, pour l’existentialisme d’un JeanPaul Sartre, autrui est synonyme de solitude. Finalement, la pensée de M. Buber a de profondes répercussions dans la théologie, moins juive – il a toujours été considéré comme un marginal du fait de certaines prises de position concernant Jésus ou les Arabes – que chrétienne […]. », p.
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Concile de Vatican II (1962-1965)644. Dès sa première Encyclique, « Ecclesiam Suam », le 6 août 1964, le pape Paul VI avait mis en relief la question du dialogue dans la pensée et l’orientation de l’action de l’Église catholique. Il soulignait que « l’origine transcendante du dialogue » se trouve « dans l’intention même de Dieu. La religion est de sa nature un rapport entre Dieu et l’homme »645. Cette encyclique est antérieure à « Dignitatis Humanae » (7 décembre 1965) et à « Nostra Aetate » (28 octobre 1965), qui traite des relations avec le judaïsme et avec l’islam. Dans « Ecclesiam Suam », la question du dialogue est l’objet d’un chapitre entier646. La Révélation biblique montre que « [...] Dieu lui-même a pris l’initiative d’instaurer avec l’humanité » ; elle « peut être représentée comme un dialogue dans lequel le Verbe de Dieu s’exprime par l’Incarnation, et ensuite par l’Évangile »647. Le dialogue est entré dans « [...] l’habitude désormais répandue de concevoir ainsi les relations entre le sacré et le profane, par le dynamisme qui transforme la société moderne, par le pluralisme des ses manifestations, ainsi que par la maturité de l’homme, religieux ou non, apte par l’éducation et la culture à penser, à parler, à soutenir dignement un dialogue »648. Il s’agit d’un rapport ouvert : « [...] notre mission [...] ne se présentera pas armée de coercition extérieure, mais par les seules voies légitimes de l’éducation humaine, de la persuasion intérieure, de la conversation ordinaire [...], toujours dans le respect de la liberté personnelle [...] »649. Cet esprit dans l’action de l’Église est une condition pour une rencontre paisible et fructueuse dans le dialogue interreligieux, dont le respect de la liberté de conscience est une donnée permanente pour la proclamation de l’Évangile. « Cette forme de rapport indique une volonté de courtoisie, d’estime, de sympathie, de bonté de la part de celui qui l’entreprend ; elle exclut la condamnation a priori (italiques dans le texte), la polémique offensante [...],
21. Est-ce à dire qu’avant le 20e siècle, il n’y a jamais eu de rencontres constructives ? Pour une réflexion sur ce point, voir notre article « Les antécédents du dialogue interreligieux en Europe» (§ II), in : « L’essor du dialogue interreligieux dans la tradition européenne», Conscience et liberté, 67 (2006), pp. 70-73 (exposé présenté lors du Congrès international ‘Religion, dialogue, solidarité et développement’, tenu à Saint-Jacques-de-Compostelle du 25 au 27 mai 2005). 644 Cf. CONGAR, M.-J. Yves, « Chrétiens en dialogue, souvenirs œcuméniques », in : Informations catholiques internationales (ICI), Paris, 1e juin 1964, pp. 17-32 ; IDEM, Chrétiens en dialogue. Contributions catholiques à l’œcuménisme (Unam Sanctam 50), Paris, Cerf, 1964, p. X-LVII. Voir aussi GIOIA, Francesco (dir.), Interreligious Dialogue. The Official Teaching of the Catholic Church (1963-1995), Pontifical Council for interreligious dialogue, Boston, Pauline Books and Media, 1997. 645 PAUL VI, Encyclique ‘Ecclesiam Suam’. Le dialogue de Dieu avec les hommes, source et norme du dialogue de l’Église, 72, Paris, Centurion, 1964, p. 96. 646 IDEM, Chapitre III, pp. 60-123. 647 IDEM, 72, pp. 96-97. 648 IDEM, 80, p. 100. 649 IDEM, 77, p. 98.
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elle ne vise pas à obtenir immédiatement la conversion de l’interlocuteur parce qu’elle respecte sa dignité et sa liberté [...] »650. C’est à Martin Buber (1878-1965), en premier, qu’on doit d’avoir enraciné le dialogue dans une base philosophique nouvelle. Se plaçant dans la ligne de la pensée juive, héritée de l’Ancien Testament, il le pense comme une anthropologie de la relation à Dieu, à l’autre, au monde. Dans son ouvrage JeTu651, paru en Allemagne en 1923, Buber défend l’idée que ni le ‘je’, ni le ‘tu’ ne vit séparément. Ils n’existent que dans le contexte du ‘je-tu’, qui précède la sphère du ‘je’ et la sphère du ‘tu’. De même que, ni le ‘je’, ni le ‘cela’, n’existent séparément. Ils existent uniquement dans la sphère du ‘je-cela’. La relation ‘je-Tu’ n’est absolue qu’à l’égard de Dieu, le ‘Tu’ éternel. Elle ne peut se réaliser authentiquement dans les autres domaines de l’existence, y compris les relations humaines, ces dernières sombrant trop souvent dans la sphère du ‘je-cela’652. De là, Buber en déduit : « Je m’accomplis au contact du ‘tu’. […] Toute vie véritable est rencontre »653. Yaron Kalman, directeur l’Institut Martin Buber à l’Université hébraïque de Jérusalem, souligne que cette philosophie bubérienne se rattache bien à la pensée biblique : « Buber affirme que la Bible témoigne d’un dialogue permanent entre le Créateur et ses créatures – une rencontre dans laquelle l’homme est un partenaire authentique capable de se faire entendre. […] Au cœur du dialogue figure la rencontre entre deux êtres souverains dont aucun ne cherche à impressionner l’autre ni à l’utiliser. Selon Buber l’homme peut vivre sans dialogue, mais, qui n’a pas rencontré un ‘tu’, n’est pas véritablement un être humain. Cependant, celui qui pénètre dans l’univers du dialogue prend un risque considérable puisque la relation ‘je-tu’ exige une ouverture totale du ‘je’, qui s’expose ainsi à un refus et à un rejet total »654. La pensée chrétienne du 20e siècle a bénéficié de ce raisonnement. Il s’enracine, en effet, dans la référence scripturaire fondamentale, où l’homme apparaît comme un être créé à ‘l’image’655 de Dieu (Ge 1,26-27 ; 5,1), un être dont l’existence se manifeste par une individualité vécue dans des liens de 650
IDEM, 81, p. 100. Cf. BUBER, Martin : Je et Tu, Paris, Aubier Montaigne, 1969. 652 Cf. IDEM, p. 20. 653 IDEM, p. 30. 654 KALMAN, Yaron, « Marin Buber », op. cit., p. 135-147. Voir http// : www.ibe.unesco.org/international/Publications/Thinkers/buber. 655 « à l’image de Dieu, selon sa ressemblance ». Expression qui ne peut être reçue dans son sens premier, mais dans celui d’avoir reçu, par l’acte créateur, des potentialités à développer (capacité d’aimer, d’entrer en relation, de raisonner, de communiquer, de gérer, l’ambition de bâtir, etc.) dans l’exercice de sa liberté. Un être partageant avec son Créateur des facultés qui sont propres à Sa personne divine. 651
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relations avec les autres êtres créés, qui devaient être harmonieuses ; sans lesquelles sa vie n’a pas de sens. Enraciné aussi dans le climat recherché pour ce genre de relations, dont Jean Mouttapa soulignait deux aspects en 1996 : « La révolution du dialogue qui se prépare sous nos yeux se caractérise par deux traits distinctifs : sa non violence et son invisibilité »656. Définition et implications au niveau des rapports interreligieux Pour rester dans la ligne de la pensée bubérienne que nous venons de voir, comment concevoir le dialogue interreligieux aujourd’hui ? Le dictionnaire français « Le Petit Robert » (1996), le définit comme un « contact et discussion entre deux parties à la recherche d’un accord, d’un compromis ». Transposée au plan interreligieux, la proposition de Jean-Claude Basset nous paraît plus complète et plus pertinente : « Le dialogue est une rencontre de personnes […]. C’est le propre du dialogue que de prendre en compte les individus, leur histoire et leur devenir ; davantage, c’est dans le dialogue que des interlocuteurs peuvent se reconnaître comme des personnes avec leur individualité et leur liberté » (souligné par l’auteur)657. Dans ce genre de rapport, il est donc important que les partenaires se sentent responsable, libre dans leurs pensées et de leurs choix. Comme la pensée ou l’idéologie, la religion construit des convictions. Néanmoins, la conscience individuelle ou la personne ne peuvent jamais être considérées comme propriété d’une religion ou d’une idéologie. La liberté de religion et de conviction de chacun est fondamentale et inaliénable. Sur ce plan, l’évolution de la pensée moderne et la promotion d’une nouvelle sensibilité de la conscience ont été des facteurs historiques importants dans l’élargissement de la notion de dialogue. Dans le même sens, le concile Vatican II a constitué un important pas en avant au sein de l’Église catholique658.
656
MOUTTAPA, Jean, Dieu et la révolution du dialogue. L’ère des échanges entre les religions, Paris, Albin Michel, 1996, p. 13. 657 BASSET, Jean-Claude, op. cit., p. 23. Voir aussi KALMAN, Yaron : « Dans l’ordre du monologue, l’autre est réifié – il est perçu et utilisé – alors que dans l’ordre du dialogue, il est rencontré reconnu et nommé comme être singulier », op.cit., p. 136. 658 Voir Chap. 6, p. 253, 254, 256, 262-266. La nouvelle approche catholique de la liberté religieuse, où nous soulignons comment la déclaration ‘Dignitatis Humanae’ en témoigne : « Le Concile Vatican II déclare que la personne humaine a le droit à la liberté religieuse (article 2). « […] C’est pourquoi [...] (pour chacun), la vérité doit être cherchée selon la manière propre à la dignité de la personne humaine [...], à savoir par une libre recherche, avec l’aide du magistère, c’est-à-dire de l’enseignement, de l’échange et du dialogue par lesquels les uns exposent aux autres la vérité qu’ils ont trouvée ou pensent avoir trouvé, afin de s’aider mutuellement [...] » (article 3).
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Il faut remarquer que ce concept du dialogue présuppose une notion élaborée de la personne humaine. Si l’histoire montre que celle-ci n’a pas toujours été reconnue à sa véritable valeur, même au sein de la chrétienté, il reste néanmoins qu’elle a toujours été une donnée fondamentale dans la pensée chrétienne. Elle renvoie à l’enseignement biblique, depuis le livre de la Genèse659 jusqu’à celui de l’Apocalypse660. De même que Luc, Paul l’exprime au moyen du terme grec ‘νούς, νοός’ (pensée, esprit, intelligence, raison, entendement)661, désignant une personnalité structurée, saisie dans sa totalité : « […] Le ‘je’ qui ‘sait’, qui ‘comprend’ et qui ‘connaît’ est toujours en même temps un ‘je’ qui s’oriente, qui ‘veut’ et qui prend position. L’élément volonté est toujours inclus dans l’intelligence du sujet pensant», écrit Jean Zurcher662. Une question revient assez souvent en présence de ce raisonnement : l’individualité et la liberté religieuse ne constitueraient-elles pas une menace pour le dialogue interreligieux ? Certaines instances religieuses, quelques esprits, marqués par l’exclusivisme et l’intégrisme religieux, répondront que c’est plutôt le dialogue interreligieux qui menace leur individualité, leur identité religieuse. D’une certaine manière, leurs appréhensions peuvent se justifier, car, s’engager dans des rapports dialogiques réels pourrait mettre en cause des équilibres religieux, engendrer un certain relativisme ou l’indifférentisme, ouvrir la voie à des dérives, provoquer des phénomènes de rejet. Il est vrai que le propre d’une liberté est de créer des espaces ouverts, qui ne sont pas exempts de tensions et de réactions. Nous en avons vu un exemple dans les chapitres précédents, en suivant l’itinéraire suivi par l’Église adventiste dans la construction de son identité religieuse. La liberté de conscience et de religion, le respect de la personne et de sa dignité, ont leurs exigences. La liberté comporte des avantages et des inconvénients. Ils peuvent parfois peser sur les rapports entre les partenaires. Il dépend de l’esprit dans lequel la rencontre est abordée et de la manière dont sont comprises ses implications. Cependant le dialogue a aussi ses limites. Si le propre de l’être humain, c’est de se manifester, de communiquer, cela signifie, dans le cadre d’un dialogue existentiel, savoir ’écouter, accepter ses interrogations, y répondre en toute honnêteté, reconnaître ses propres limites, au risque de se rapprocher ou de s’éloigner. 659
Gn 1,26-27. Dans l’Apocalypse, (du grec, απόκαλύψις, action de dévoiler, ‘révélation’), « à ceux qui ‘entendent’ et qui ‘gardent’ », Ap 1,3 ; « Que celui qui a des oreilles ‘entende’ ce que l’Esprit dit [...] », Ap 2,7.11.17. 19 ; 3,6.13.20.22 ; 12,17 ; ou sous d’autres expressions qui impliquent l’idée de personnes humaines, 13,8 ; 14,1.17 ; 22,6-9.11, etc. 661 νούς : voir, Lc 24,45 ; Rm 1,28 ; 7,23 ; 12,2 ; 1 Co 10,2 ; 2,16 ; 14,14 ; 2 Th 2,2. cf. CARREZ, Maurice ; MOREL, François, Dictionnaire grec-français du Nouveau Testament, Paris/Genève, Cerf/Delachaux et Niestlé, 1971, p. 170. 662 ZURCHER, Jean, L’homme. Sa nature et sa destinée (Bibliothèque théologique), Genève, Delachaux et Niestlé, 1953, pp. 183-184. 660
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7.1.2.- Les caractères propres au dialogue interreligieux Ainsi situé, le dialogue interreligieux intègre divers niveaux : entre experts ou dialogue existentiel, celui de la vie quotidienne, comme le fait remarquer le professeur Friedli663. Il se distingue des autres modes de rapports et de communications du monde moderne par des caractères propres : 1. que ce soit entre individus ou entre représentants d’organisations religieuses, il implique le devoir de tenir compte que les partenaires sont avant tout des personnes dignes de respect, indépendamment de leurs convictions. Selon Jean-Claude Basset, le ‘dialogue’, au sens strict du terme, ne peut être un rapport entre des religions, mais entre personnes croyantes qui confessent des positions religieuses différentes et les expliquent. Disons que l’erreur consisterait à cataloguer sous ce terme des rencontres, privées ou entre représentants d’institutions, qui se cantonneraient à la comparaison de systèmes de pensées religieuses, sans entretiens véritables entre les interlocuteurs 2. il demande un échange respectueux et confiant. Le recours au dialogue implique un langage de communication qui permet l’intelligibilité du discours et un certain degré de confiance mutuelle 3. il doit y avoir une réciprocité d’estime et exclure une relation à sens unique. Il doit exclure une relation de ‘maître à élève’. Ces conditions posent des problèmes à des esprits ancrés dans la certitude d’être les seuls à détenir toute ‘la vérité’. La réciprocité suppose de la part des partenaires une ouverture d’esprit et une attention aux éclairages que l’un peut recevoir de l’autre
663
“Le but intrinsèque des dialogues interculturels et interreligieux n’est pas l’affirmation absolue de sa propre vérité, de sa justice irréprochable et de sa politique inattaquable, mais la commune recherche interdisciplinaire, compétente et concrète, afin de garantir ensemble la survie matérielle, sociale et en dignité. Ce qui implique de réponses pratiques aux besoins fondamentaux. L’enracinement fondamental dans sa propre tradition religieuse, culturelle ou ethnique n’est donc pas le contenu matériel du dialogue. Mais il est sa source de motivation incontournable pour résister à la frustration d’un échec provisoire, pour dépasser les frontières et pour acquérir des compétences créatives renouvelées dans la recherche du dialogue interculturel », FRIEDLI, Richard, Potentiel conflictuel et compétence de réconciliation des religions, Contribution au forum des religions 2008, Fribourg, tapuscrit, septembre 2009, p. 18.
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4. il suppose la reconnaissance de l’individualité des partenaires. Martin Buber récusait « à la fois l’approche totalement individualiste, où le sujet perçoit l’autre uniquement par rapport à lui-même, et la perspective collective qui occulte l’individu et ne voit que la société ou le groupe auquel il appartient »664. L’expérience montre que l’individualité dérange parce que la différence gêne. Barthes déclarait que l’altérité est le ‘concept le plus antipathique au bon sens’. Or, le dialogue chrétien présuppose cette reconnaissance comme voulu par Dieu 5. c’est un enjeu : dans un véritable dialogue religieux, il y a toujours un enjeu. Celui de l’engagement des interlocuteurs qui va au-delà des mots. Il peut toucher le mode de vie et les convictions des partenaires. Dialoguer, c’est toujours s’exposer au risque de devoir s’interroger soi-même et de voir certaines de ses convictions remises en question. L’enjeu dernier du dialogue entre croyants n’est rien moins que la sincérité, l’intelligence et le discernement dans ses propres façons de croire. Lu sous cet angle, une conversion ne saurait jamais être exclue d’un véritable dialogue. Sur ce point, certains discours font écho à une critique récurrente, ’oui à la liberté, non au prosélytisme’. Sans épiloguer sur la définition du prosélytisme, nous constaterons que, dans le cadre de l’évangélisation, certaines pratiques sont tout à fait inadéquates pour témoigner de la foi chrétienne. Entrer dans un dialogue interreligieux requiert un code éthique qui respecte la liberté et les convictions des autres, tout en cherchant à protéger l’individu d’idées-forces ou d’erreurs qui se sont imposées plus par le poids de la tradition que par la conviction. Les valeurs de liberté et de tolérance revêtent donc ici toute leur importance. 7.2. - Contexte du religieux et de l’interreligieux dans l’Europe de l’après Seconde Guerre mondiale 7.2.1.- Les ruptures Nous l’avons écrit plus haut, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, d’un côté, la stupeur générale a amené les hommes à réfléchir sur la place de l’individu et de ses relations dans une société plus humaine, au vu de ses conséquences et de ses suites (entre autres, les camps de concentration nazis, la Shoah, l’effondrement économique et politique de l’Europe, sa division en deux blocs) ; de l’autre côté, la nouvelle période qui s’ouvre à ce moment-là a fait 664
KALMAN, Yaron, op. cit., p. 138.
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apparaître sur le Vieux Continent de nouvelles ruptures au plan religieux : désaffection des croyants pour les institutions ecclésiales (crise d’autorité, déception face aux géopolitiques des grandes Églises durant les deux guerres), crise des valeurs religieuses et morales, désintérêt général des jeunes pour la foi chrétienne, distanciation dans les rapports entre les États et les Églises et marginalisation de ces dernières. Aucun aspect de la vie religieuse n’a été épargné. Jean Delumeau et Jean Baubérot, deux historiens français, se demandaient alors, l’un et l’autre, si le christianisme n’allait pas disparaître665. 7.2.2.- Une histoire en cours De toutes ces ruptures, un aspect particulier retient notre attention : les changements dans l’état des relations interconfessionnelles dans l’Europe occidentale de l’après-guerre. Il ne s’agit pas du rapport global des Églises ou des religions avec la société et les cultures, mais des transformations dans celui qu’elles recherchent entre elles. Serait-ce à dire qu’il n’y eut jamais de rencontre constructive entre elles avant le 20e siècle ? Les chrétiens savent de tout temps qu’il existe d’autres croyants, proches ou lointains, ayant en commun d’autres convictions et d’autres pratiques que les leurs. Cette conscience a toujours été très vive en Occident, surtout dans des zones géographiques comme l’Espagne, où cohabitent depuis des siècles sur un même sol des religions monothéistes comme le christianisme, le judaïsme et l’Islam. Pourtant, l’histoire montre que leurs échanges religieux étaient plus alimentés par l’idée de l’inégalité entre les ressortissants des trois religions et leur rivalité que la conciliation. Traitant de la question de la liberté religieuse comme condition du dialogue interreligieux, Mariano Delgado, professeur de l’histoire de l’Église à l’Université de Fribourg, fait une remarque en ce qui concerne le monde de l’islam qui repose sur une donnée historique remontant à ses origines : « Le monde islamique accorde la liberté religieuse aux autres non pas comme un droit [...] qui est enraciné dans la dignité de la personne humaine, mais uniquement dans la mesure où elle est compatible avec les principes de la charia et de l’islam, mais qui interdisent la conversion à d’autres religions et affirment la priorité de l’islam dans l’espace public. L’abondance de littérature sur la liberté religieuse et l’islam ne peut pas tromper sur le fait que les pays islamiques réservent aux adeptes d’autres religions seulement le rôle de ‘protégés’ »666. Si les rapports ont pu être amicaux dans certaines régions et à 665
DELUMEAU, Jean, Le christianisme va-t-il mourir ? Paris, Hachette, 1977 ; BAUBEROT, Jean, Le protestantisme doit-il mourir ? Paris, Seuil, 1988. 666 DELGADO, Mariano, « La liberté religieuse comme condition de la mission et du dialogue interreligieux », in : DELGADO, Mariano ; VIVIANO, T. Bénédict (dirs), Le dialogue
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certaines époques, l’histoire montre que l’objectif global dans la chrétienté du temps était aussi avant tout de préserver l’unité religieuse. L’opinion dominante admettait difficilement qu’il pourrait exister une diversité de confessions de foi dans un même royaume ou au sein d’une même nation. Même dans l’Espagne héritière de trois forces politiques et culturelles sous-tendues par ces trois religions monothéistes, où chacune à des degrés divers a exercé une influence dans la formation de l’identité espagnole, le bilan de la cohabitation doit être nuancé. Lors du colloque ‘Rencontre entre les trois confessions religieuses, le christianisme, le judaïsme et l’islam’ qui s’est tenu à l’Université de Tolède en novembre 1998 (auquel nous avons participé), le professeur Mario Tedeschi, de l’Université de Naples, aboutissait à la conclusion qu’au Moyen Âge, « […] après tant de siècles, en dépit de tant d’années passées, ce problème (la cohabitation, note de l’auteur) semble ne pas avoir été résolu». Il soulignait qu’à la fin de cette époque, la réalité historique était encore la survivance de nations confessionnelles qui trouvaient trop souvent dans la religion des aspects promoteurs pour la sauvegarde de leur unité politique ou, au contraire, le soutien pour des forces d’opposition : « La tendance serait trop simple, dans une telle situation, de parler de respect réciproque ou de tolérance religieuse. De même, il serait anachronique de vouloir transposer des concepts et des principes modernes – comme celui de la tolérance – dans une période et dans des systèmes qui ne les considéraient pas comme des valeurs ‘porteuses’ ». Toutefois, ajoutait-il, il y eut aussi en Espagne des moments où la cohabitation prit le pas sur la confrontation, « […] tant que, pour des raisons politiques, l’intolérance religieuse et idéologique n’ont pas empiété sur les égards ou sur le respect que l’une des confessions pouvait avoir pour les autres »667. La chrétienté en Europe a cependant connu des précurseurs de la tolérance, sinon du dialogue. On oublie peut-être un peu facilement aujourd’hui les grands visionnaires de la paix religieuse, comme le catalan Raymond Lulle (12331316). Il faut aussi se souvenir que les premiers humanistes aux 15e et 16e siècles étaient de fervents catholiques qui ont prôné le respect des différences, la concorde et le dialogue au nom de l’Évangile. Même si l’influence de l’humanisme chrétien a diminué après la Réforme protestante et la vigoureuse réaction de la Contre-réforme catholique, on aurait tort de passer sous silence la recherche de la conciliation au cours de ces siècles, le rôle de théoriciens tels que Nicolas de Cues (1401-1464), Thomas More (1478-1535), et à l’aube de la réforme luthérienne, Érasme (1466-1536) qui en sera l’apôtre le plus actif et le interreligieux et perspectives. Colloque de Fribourg, 1-2 juin 2005 (Studia Fribugensia 103). Fribourg, Academic Press, 2007, p. 176. 667 Cf. TEDESCHI, Mario, « The Three Religions in the Late Spanish Middle Ages », in : de la HERA, Alberto ; MARTINEZ de CODES, Rosa Maria (dirs), Encuentro de las tres confesiones religiosas, cristianismo, judaismo, islam, Madrid, Ministerio de Justicia, Centro de Publicaciones, 1999, s.p.
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plus influent. Dans leur époque, leurs préoccupations paraissaient très nouvelles. « [Ces humanistes] sont tout dévoués à un idéal d’unité spirituelle entre les hommes, mais ils ne le veulent pas de la même manière que les docteurs du Moyen Âge», écrit Joseph Leclerc dans son histoire de la tolérance. « Ceux-ci n’hésitaient pas à adopter vis-à-vis des diversités religieuses une position de combat : lutte violente contre les hérétiques, croisades contre les infidèles. Telle n’est pas la position des humanistes. Pour unir les hommes sur le plan religieux, ils songent moins tout d’abord à ce qui les divise qu’à tout ce qui peut les rapprocher. Au milieu des divergences qui les opposent, ils sont à la recherche d’un terrain commun. Au moyen de forces, ils entendent substituer les entreprises pacifiques. Ce sont des ‘irénistes’ »668. Cependant, leur idéal n’est pas encore celui de la tolérance. Ils se préoccupaient surtout de la réduction des différences religieuses par un effort loyal de conciliation. Un fait intéressant est à signaler, car il pourrait être regardé – en raison des dimensions du personnage –, comme une amorce timide du processus qui aboutira quelques siècles plus tard à la reconnaissance de la liberté religieuse. Érasme, le premier, a proposé, au moins comme solution provisoire, l’idée d’une tolérance civile du culte protestant. Il est à signaler parce qu’il est presque unique à cette époque669. Ces courants de pensée ont été relégués au second plan par des enjeux politiques et économiques considérés comme supérieurs dans une Europe encore médiévale, mais, en même temps, déjà en transition vers la modernité naissante. L’Europe des 16e, 17e et 18e siècles était bien celle de la Réforme et de la Contre-Réforme, mais sous la domination des forces politiques en présence. C’était aussi celle de l’inflation destructrice des structures sociales traditionnelles, puis celle d’un siècle de déflation favorisant tous les conservatismes. C’était celle de la rivalité entre l’Espagne et la France, celles des guerres d’Italie, des guerres de religion en France, celle de l’émancipation des Pays-Bas, celle de la guerre de Trente Ans, et de la Révolution d’Angleterre. C’était celle de la fin de la monarchie absolue en France et celle de la Révolution française. En résumé, l’Europe était devenue un champ prodigieusement vaste et accidenté où il n’est pas aisé de repérer le
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LECLER, Joseph, Histoire de la tolérance au siècle de la Réforme, vol. 1, Paris, Aubier, 1955, p. 125. 669 Cf. HASKIN, Léon, Erasme parmi nous, Paris, Fayard, 1987. « Érasme est pacifiste et internationaliste pour d’autres raisons que des raisons morales ou de science politique. Il admet ces motivations, mais il les dépasse. Le chrétien, pour lui, parce qu’il est chrétien, ne peut que suivre les voies de la paix en dépit des barrières nationales. La philosophie du Christ donne à son pacifisme un fondement évangélique. […] L’esprit œcuménique modifie profondément les relations des chrétiens entre eux. C’est parce que le concile de Trente a manqué de cet esprit que, préférant l’anathème au dialogue, il n’a pas suivi la ligne érasmienne de concorde. Par crainte de l’indifférentisme et de la contagion, il a élargi le fossé qui sépare les catholiques des dissidents. » (pp. 422-423).
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cheminement d’une idée neuve, la liberté de conscience, qui, en se développant, transformera les mentalités collectives et le cours des relations interreligieuses. 7.3.- Mutation des mentalités et relations interconfessionnelles Le rapide parcours historique que nous venons d'esquisser montre que des communautés religieuses ont pu se côtoyer sur un même sol pendant des siècles, sans engager de véritables dialogues. Il témoigne aussi que ce sont des évolutions culturelles, ou des jeux d’intérêts géopolitiques, qui ont impulsé les rencontres qui ont eu lieu ; plus que l’aboutissement d’initiatives spirituelles provenant des instances religieuses elles-mêmes. Nous adoptons cette thèse, en pensant toutefois qu’il faut la nuancer, et aussi prendre en compte aujourd’hui, comme promoteurs ou comme défis à l’essor du dialogue interreligieux, des facteurs qui révèlent un changement général de mentalité dans le monde contemporain. Dans cette perspective, nous retenons un ensemble de courants de pensée et des événements, dont les effets se prolongent dans l’après Seconde Guerre mondiale. On peut catégoriser ces facteurs en parlant de facteurs internes et de facteurs externes. Avec les facteurs internes, il s’agit de l’évolution de la théologie des religions qui accompagne la progression de ce type de relations. Les facteurs externes sont ceux qui engendrent les proximités et les rapports de plus en plus fréquents entre les hommes venus d’horizons divers, imposant à l’intérieur de mêmes sociétés la cohabitation de mentalités et de religions différentes. 7.3.1.- Les facteurs internes Avec les facteurs internes, il s’agit de l’évolution de la théologie des religions. Elle accompagne une progression vers le dialogue interreligieux. Il faudrait sans doute entrer dans une étude détaillée, en remontant les étapes du débat qui avait abouti à l’impasse dans la réponse à donner à la question sur la manière de considérer les relations entre les religions chrétiennes et avec les autres traditions religieuses. Dans les limites de notre étude, nous ne relèvons que le constat qu’après les grandes conférences missionnaires d’Édimbourg, en 1910, de Jérusalem, en 1928, et de Tambaran, en 1938, le dialogue est resté prisonnier de la tension entre l’accent mis sur la discontinuité entre la révélation chrétienne et les autres religions, regardées comme des systèmes religieux enfermés sur eux-mêmes, et la thèse de la continuité du christianisme, comme couronnement de l’évolution finale des autres religions. Cette préoccupation
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théologique est à la source de l’étude du Conseil Œcuménique des Églises, ‘Word of God and the Living Faiths of Men’ (‘Parole de Dieu et convictions religieuses contemporaines’), menée entre 1955 et 1970. Elle fait suite aux interrogations de théologiens asiatiques interpellés par les reconstructions après la décolonisation, dans lesquelles se mêlent sécularisation et réaffirmations identitaires culturelles, nationales et religieuses. La théologie des religions s’inspirait, d’un côté, de la réflexion de Karl Barth pour qui « L’Église chrétienne n’est pas au ciel, mais sur la terre et dans le temps ; bien qu’elle soit un don de Dieu, elle est un don inséré dans les réalités humaines et terrestres et ce qui se passe dans l’Église correspond à ces réalités-là [...]. L’histoire de ce monde se dénoue en histoires touchant à la nature et à la culture, aux arts et aux sciences, aux sociétés et aux États [...]. La dogmatique ne peut accomplir son rôle qu’en demeurant liée aux circonstances actuelles de l’Église »670. Parce qu’elle est au service de la prédication, toujours enracinée dans l’histoire contemporaine, il s’agit de décrypter l’interpellation de la Bible sur l’actualité, ce livre qui parle d’un Dieu tout autre. Il y a donc tension, discontinuité entre la religion chrétienne et les autres. De l’autre côté, la théologie des religions s'inspirant de la théologie représentée par Karl Rahner, théologien de la pensée contemporaine, qui s’est imposée au cours de la préparation du Concile Vatican II. Karl Rahner insiste sur la dimension théologique du pluralisme et de la tolérance671 : « Ce pluralisme est l’indice de l’état de créature : ce n’est qu’en Dieu que tout est un ; dans l’ordre de la finitude, l’antagonisme des réalités est indispensable »672. C'est donc une tension vers la continuité. « Continuité et discontinuité sont les termes classiques du débat théologique chrétien qui a précédé l’ère du dialogue, dans la ligne de la théologie libérale qui voyait la foi chrétienne comme l’accomplissement des autres traditions, avec son prolongement dans la notion de ‘chrétiens anonymes’ de Karl Rahner, ou au contraire de la théologie de la dialectique de Karl Barth, fondement de la pensée missionnaire de Hendrick Kraemer. [...] Il appartient aux théologiens de toutes les traditions de tenir ensemble ‘continuité’ et ‘discontinuité’, comme deux pôles entre lesquels s’inscrivent toutes relations dialogiques »673. Dans la mesure où tout s’organise presque naturellement autour de ce qui est semblable, dans la manière de raisonner comme dans la vie sociale, l’étranger, 670
BARTH, Karl, Esquisse d’une dogmatique (Bibliothèque théologique), Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1950, p. 7. 671 « A. Dondeyne et K. Rahner estiment tous les deux qu’il convient de s’adresser aussi bien aux non-chrétiens qu’aux chrétiens qui œuvrent ensemble à l’édification du monde » Cf. GROOTAERS, Jan, Actes et acteurs à Vatican II, Louvain, Presses Universitaires de Louvain, 1998, p. 466 ; voir aussi le rôle de Karl Rahner, avec Yves Congar, dans la genèse de Gaudium et Spes, IDEM, p. 410. 672 RAHNER, Karl, « Pluralismus », in Lexikon für Theologie und Kirche, Fribourg-en-Brisgau, 1963, vol. III, col. 566-567, cité par BASSET, Jean-Claude, op. cit., p. 242. 673 BASSET, Jean-Claude, op. cit., p. 439.
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l’autre, qui échappe aux catégories personnelles, suscite la méfiance, parfois la crainte et des réactions, surtout dans le domaine des questions de foi. Or, la rencontre de l’autre est un élément constitutif du dialogue, par sa différence même. Il revient au professeur Richard Friedli d’avoir souligné le premier avec force le rôle de l’altérité dans le dialogue interreligieux en l’inscrivant dans la perspective de la théologie chrétienne : « Devant Dieu, l’être humain est toujours un hôte et un étranger »674. « Quelle que soit que soit la base commune explicite ou implicite, le dialogue part d’une situation d’étrangeté, d’altérité », relève Jean-Claude Basset dans l’analyse de Richard Friedli675. « C’est dans cette tension entre l’identique et l’autre que le modèle pluraliste se distingue du modèle syncrétiste, où la similitude, l’identique sont les critères du vivre ensemble. La perception du modèle ‘même’ et ‘autre’, qui refuse de faire de l’autre le ‘même’ dans toute une série de situations et d’événements, a fait naître celle qu’il serait aussi possible de vivre et de penser en prenant en compte la diversité des expériences religieuses dans un esprit de coexistence constructive de(s) diverses tendances »676. Cette analyse a été prise en compte dans le document publié en 1979 par le Conseil Œcuménique des Églises, ‘Guidelines on Dialogue with People of Living Faiths and Ideologies’677. On est ici en présence d’une évolution de la théologie, comme facteur interne, qui a préparé le chemin du dialogue interreligieux au cours de la deuxième moitié du 20e siècle. 7.3.2.- Les facteurs externes Sont considérés comme facteurs externes, les mouvements de population, qui engendrent la proximité de cultures, d’habitudes et de coutumes différentes, avec la cohabitation sur les mêmes lieux, de même que les politiques des grands rassemblements, les nouvelles technologies de communication et la ‘globalisation’. Tous tendent à construire une vision du monde comme un grand village. Ils ont atteint les marges des communautés et des institutions religieuses. Mais, ces facteurs ont aussi des répercussions sur la manière dont chaque croyant, ou groupe de croyants, se comprend lui-même ou se situe au sein des interdépendances qui se sont créées : « [...] le développement technologique rend tous les individus et toutes les sociétés profondément interdépendantes ; les moyens de communication et la mobilité des personnes 674
FRIEDLI, Richard, Fremdheit als Heimat. Auf der Suche nach einem Kriterium für den Dalog zwischen des Religionen, Fribourg, 1974, p. 45, cité par BASSET, Jean-Claude, op. cit., p. 297. 675 BASSET, Jean-Claude, idem. 676 Article « Pluralisme », in : Grand Larousse Encyclopédique, Paris, Prestige, 1970. 677 Conseil Œcuménique des Églises (COE), Guidelines on Dialogue with People of Living Faiths and Ideologies, Genève, 1979, http://www.oikoumene.org.
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ne laissent aucune institution et aucune vision du monde à l’abri de la concurrence» écrit Jean-Claude Basset678. Leur influence se manifeste au niveau des sociétés par l’affirmation du pluralisme religieux, de la sécularisation, de l’avènement de la liberté de conscience et de religion, de l’esprit œcuménique et de la réactivation des identités confessionnelles. Un pluralisme actif Des mutations importantes peuvent être relevées dans l’univers du religieux européen occidental, sous la pression de ces facteurs et sous l’influence du pluralisme qui en a découlé comme système d’opinion politique, de pensée culturelle, philosophique, psychologique, et sociale. Elles entrent aujourd’hui en jeu dans l’atmosphère des dialogues interreligieux. Il faut souligner que c’est l’individualisation de la foi qui joue le plus important dans le pluralisme religieux actuel. Il faut remonter assez loin dans le passé de la pensée européenne, comme le constate Frédéric Lenoir : « L’individualisation progressive du religieux au cours des cinq derniers siècles n’est pas uniquement liée à la revendication d’autonomie des Modernes. Elle s’inscrit aussi dans une longue évolution interne du christianisme »679. En parlant de l’individualisme contemporain, il faut aussi considérer le lien entre la notion moderne du ‘Sujet’ et celle de la ‘personne’. ‘Sujet’, entendu comme individu doué de raison critique et d’autonomie, ‘personne’, notion qui met en valeur une individualité douée d’intelligence, de raison, d’entendement des choses, et donc de son libre arbitre. Deux aspects de la question dont nous avons déjà traité, en parlant de la notion de ‘dignité de la personne humaine’ et de celle, élaborée, de la personne humaine dans la pensée chrétienne680. « De même, ajoute Frédéric Lenoir, faudrait-il préciser la manière dont ‘l’individualisme’ religieux de type traditionnel (la foi personnelle) a été absorbé par l’individualisme religieux moderne »681. Danièle Hervieu-Léger explique que l’individualisme religieux moderne a émergé entre les 17e et 18e siècles, dans la tension entre le pôle puissant de religiosité marqué par « la découverte de la proximité intime et amicale de l’homme avec Dieu », comme le piétisme dans les sphères protestantes, au 17e siècle, le hassidisme juif venant de Pologne, au 18e siècle, et le déisme, de 678
BASSET, Jean-Claude, op. cit., p. 245. LENOIR, Frédéric, Les métamorphoses de Dieu. Des intégrismes aux nouvelles spiritualités, Paris, Hachette Littératures/Plon, 2003, p. 36. 680 Voir, chapitre 6, ‘Fondements de la liberté religieuse et de religion, sens de la responsabilité dans la pensée adventiste’, p. 255ss : § 1) ‘L’approche adventiste de la liberté religieuse’ ; § 2) ‘L’approche catholique’ ; chapitre 7, ‘Les fondements philosophiques et notions modernes du dialogue’, § ‘Définition et implications au niveau des rapports interreligieux’. 681 LENOIR, Frédéric, op. cit., idem.
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formes variables, en affinité avec « la froideur intellectualiste » d’un Dieu lointain682. « Ces deux configurations spirituelles s’établissent à la jointure du monde religieux traditionnel gouverné par l’autorité hétéronome de la Révélation et du monde moderne où s’impose l’autonomie de l’individu. [....] Les deux représentations en tension – celle du Dieu intime et celle du Dieu lointain – constituent ensemble la figure de transition à partir de laquelle l’individualisme religieux a pu composer avec l’individualisme moderne qui est alors en train de s’imposer dans la culture de l’Occident (souligné dans le texte) »683. La force de l’individualisme religieux dans la société occidentale s’est manifestée par la crise des institutions religieuses. Elles ne peuvent plus imposer leurs préceptes ou leur morale à l’ensemble de la société, même si la religion garde, plus ou moins d’importance, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif. Les Églises sont devenues de simples prestataires de service (baptêmes, mariages, funérailles, etc.). Au sein de la chrétienté en Europe, la cassure de son unité au 16e siècle avait déjà donné une première forme à la pluralité religieuse. On ne pouvait plus ignorer les approches différentes de la même révélation en Jésus-Christ, ni l’existence d’autres confessions chrétiennes liées à des organisations ecclésiastiques. Le système politico-religieux s’inscrivait désormais dans une ligne dictée par le principe ‘cujus regio ejus religio’, qui avait été formulé lors de la paix d’Augsbourg en 1555, puis avec son dépassement au moment des Traités de Westphalie en 1648684. Cent trente-cinq années plus tard, une nouvelle dimension de la pluralité était apparue avec la rupture du lien qui unissait les institutions religieuses et le pouvoir politique. C’est le temps de l’indépendance des États-Unis685 et de la Révolution française en 1789. Aujourd’hui, les affirmations religieuses n’ont plus ce rôle fondateur qui assurait autrefois le lien collectif, social et politique. La base de l’engagement 682
Cf. HERVIEU-LEGER, Danièle, Le pèlerin et le converti. La religion en mouvement, Paris, Flammarion, 1999, p. 172. 683 HERVIEU-LEGER, Danièle, op.cit., p. 173. 684 En 1648-1649, les clauses religieuses inscrites dans les Traités de Westphalie ont mis fin à la Guerre de Trente Ans. Elles consacraient l’arrêt de la Contre-Réforme catholique en Allemagne et confirmaient la paix d’Augsbourg de 1555, exception faite de celles qui contraignaient partout les sujets à adopter la religion de leur prince. « … c’est ici la victoire de la liberté de conscience – le ‘cujus regio ejus religio’ était aboli», écrit Emile Léonard. La tolérance, qui ne jouait un rôle de vertu que depuis 16e siècle, engendrait maintenant la reconnaissance de la cassure de la société religieuse en Europe. La conservation des États paraissait toujours souhaitable quelles que soient les divisions confessionnelles. L’association d’un principe religieux de coalescence et d’une organisation étatique avait conduit en 1555 à ce principe politique. La coalescence ne prévalait désormais plus que dans des unités territoriales restreintes, tandis que dans des unités plus larges où les deux théologies, catholique et protestante, étaient rivales, il fallait l’abandonner pour mettre en place un principe de coexistence. 685 Concernant la pluralité dans la société religieuse aux Etats-Unis, cf. Chapitre 2, ‘Aperçu général sur le protestantisme aux Etats-Unis durant la première moitié du 19e siècle’, p. 63ss.
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repose sur les choix personnels et non plus l’autorité d’une tradition institutionnalisée. Héritière de ces données, l’Europe de l’après Seconde Guerre mondiale était donc déjà en partie outillée pour aplanir les anciens obstacles et tenter de surmonter ses crises par des rapprochements. La sécularisation Avec les 18e, 19e et 20e siècles, l’affirmation de la sécularisation a représenté une nouvelle étape historique dans la société occidentale. Sans retracer son histoire, il faut se rappeler que ce terme a été revêtu de plusieurs significations et doté de connotations opposées. Aujourd’hui, on peut sans doute tenter de distinguer ‘sécularisation’ et ‘laïcisation’, dans le sens que cette dernière s’entend comme l’action politique de « rendre l’État indépendant des autorités religieuses »686, le premier terme désignant plus particulièrement l’émancipation des actes de la vie courante des citoyens de leurs cadres religieux antérieurs. Au niveau du dialogue interreligieux, la sécularisation a favorisé l’émergence de champs de rencontres où les partenaires se sont sentis affranchis des contraintes d’une société religieusement englobante. Au niveau du christianisme, celui-ci peut trouver une confirmation allant dans le sens de cette séparation de la sphère profane et de la sphère sacrée dans la pensée de l’Évangile avec la parole du Christ : « rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »687. L’avènement de la liberté de conscience et de religion Nous l’avons vu plus haut, la conception moderne du dialogue demande la reconnaissance des droits de la personne, autant ceux de sa conscience que ceux de sa liberté religieuse. Cependant, pour que cette attitude domine réellement en Europe, il a fallu attendre que le courant d’idée qui la sous-tend aujourd’hui puisse s’affirmer ouvertement et fournir aux hommes de pouvoir une source intellectuelle de réflexion688. Trois siècles ont été nécessaires pour l’accepter pleinement et aboutir à sa conceptualisation moderne dans les Églises et à sa constitutionnalisation dans les droits nationaux et internationaux. Dans le pluralisme actuel, l’essor du dialogue interreligieux repose aussi sur sa pleine reconnaissance entre les interlocuteurs et les partenaires. La réactivation des identités confessionnelles et le changement de modèle de l’œcuménisme Le temps est aujourd’hui dépassé où certains auraient pu penser à l’éventualité d’un recul de la sécularisation face au regain du religieux. Non 686
Article « Laïcisation », in : Grand Larousse Encyclopédique, Paris, Prestige, 1970. Mt 22. 21. 688 Voir Chap. 6, ‘La liberté de conscience et de religion’, § ‘Autour du thème de la ‘liberté’, p. 250. 687
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seulement elle fait tache d’huile dans le monde, mais en Occident, elle se défend contre les tentatives politiques et religieuses contraires. Pourtant, dans le même temps, loin de marquer l’extinction des aspirations spirituelles, comme d’autres encore l’avaient cru, elles réapparaissent, non seulement sous des formes plus ou moins nouvelles (‘nouveaux mouvements religieux’, attrait pour les religions orientales comme le bouddhisme, par exemple), mais surtout sous celle d’un retour qu’Étienne Fouilloux qualifie ‘d’actualisé’, dans le sens où la re-confessionnalisation identitaire au sein du christianisme prend le contre-pied du courant antérieur à la recherche d’une unité religieuse institutionnelle et trans-confessionnelle : « (on peut) analyser, écrit-il, l’évolution du monde chrétien durant les deux décennies écoulées, la dernière surtout, en termes d’inversion du processus de convergence qui a permis le rapprochement décisif des années 1960. Tout semble se passer comme si, dans chacune des trois branches de la chrétienté disjointe, le nouveau contexte entraînait un retour actualisé aux tentations particulières du 19e et des débuts du 20e siècle : nationale, sinon nationaliste, pour l’orthodoxie orientale ; tout à la fois libérale et fondamentaliste pour l’anglo-protestantisme ; triomphaliste et romanisante pour le catholicisme »689. Revisitant en 2005 cette analyse d’Étienne Fouilloux, Jean-Paul Willaime a bien observé à son tour les évolutions qui se sont mises en place au cours de la seconde moitié du 20e siècle. Constatant que les Églises ne surmontaient pas leurs différences par des accords entre théologiens, d’une part, et que « […] l’œcuménisme officiel pourrait être de plus en plus bousculé par l’‘œcuménicité’ des sensibilités religieuses […] »690, d’autre part, Jean-Paul Willaime relève une sorte de contradiction, qui n’est qu’apparente, dans la reconfessionnalisation actuelle : « […] on n’est plus à l’époque où le fait d’être catholique ou protestant définissait une frontière socio-culturelle nette et visible. Il y a incontestablement un brouillage des différenciations confessionnelles dans la conscience même des acteurs, une euphémisation d’autant plus forte des différences doctrinales que les identifications confessionnelles ne correspondent plus ou presque plus à des clivages économiques, culturels et politiques qui leur donnaient une forte consistance sociale691. […] La conscience religieuse contemporaine, qui s’est émancipée des encadrements institutionnels et des enceintes confessionnelles, s’est ouverte au pluralisme »692. Mais, plus loin, il lit dans ce mouvement un tracé nouveau : « Les différences confessionnelles ne sont plus forcément ressenties comme une gêne, elles sont au contraire valorisées dans le cadre d’une appréciation positive des différentes traditions à 689 FOUILLOUX, Étienne, « Les voies incertaines de l’œcuménisme (1959-1999) », Vingtième siècle 66 (avril-juin 2000), p. 141, cité par WILLAIME, Jean-Paul, Sociologie du protestantisme (Que sais-je ? 3725), Paris, Presses Universitaires de France, 2005, p. 110. 690 WILLAIME, Jean-Paul, Sociologie du protestantisme (Que Sais-je ?, 3725), Paris, Presses Universitaires de France, 2005 p. 106. 691 IDEM, p. 107. 692 IDEM, p. 108.
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travers lesquelles le christianisme s’exprime693 ; […] autrement dit, ce qui est à l’ordre du jour, c’est ‘une stratégie de coexistence pacifique’ (Bizeul Yves). L’œcuménisation du vécu religieux n’est pas incompatible avec une pluralité pacifiée et valorisée : c’est d’ailleurs sur fond d’homogénéisation qu’émerge le souci identitaire et diverses formes de re-confessionnalisation694 ». Et il constate : « Celle-ci (la re-confessionnalisation, note de l’auteur) n’est pas l’apanage des intégristes catholiques, des fondamentalistes protestants ou orthodoxes et ce serait une erreur de penser que seules les franges extrémistes des différentes confessions s’inscrivent dans des logiques de reconfessionnalisation. Les tendances à la re-confessionnalisation, c’est-à-dire à la re-catholicisation du catholicisme, à la re-protestantisation du protestantisme et à la ré-rthodoxisation de l’orthodoxie traversent chaque Eglise et même chaque fidèle. De fait, chaque Église est œcuméniquement ambivalente : elle prône l’ouverture œcuménique, tout en se souciant fortement de perpétuer sa propre tradition et de sauvegarder son identité, la reconfessionnalisation de chaque Église nourrissant et renforçant celle de l’autre. D’un point de vue sociologique, il n’y a là rien d’étonnant : toutes les institutions – les religieuses n’échappent pas à la règle – veillent à s’autoperpétuer avec la culture qui leur est propre et les unions ou fusions d’institutions sont choses éminemment délicates. Quant à l’ambivalence œcuménique de chaque fidèle, elle résulte de la tension qui traverse chaque individu entre désirs d’unité et de dépassement des différences séparatrices, d’une part, et d’autre part, souci identitaire et de fidélité à la tradition qu’on a reçue. […] Ce retour des affirmations identitaires, dans le domaine religieux comme dans d’autres domaines, est caractéristique de ce que nous appelons l’ultramodernité »695. Au tournant des 20e et 21e siècles, on assiste donc à un changement du modèle de l’œcuménisme. Disons avec Jean Séguy qu’il serait plus exact de parler d’œcuménismes, au pluriel, car il y existe des œcuménismes protestants, des œcuménismes catholiques et des œcuménismes orthodoxes. Il existe aussi des œcuménismes de base, des œcuménismes officieux et des œcuménismes ecclésiastiques et officiels696. « En régime de modernité, conclut Jean-Paul Willaime, l’œcuménisme a donc été en congruence avec le processus de dissolution du pouvoir socialement structurant des cultures traditionnelles. En ce sens, on peut dire que l’œcuménisme a partie liée avec la sécularisation, avec la sécularisation en train de se faire. Mais dans une situation de sécularisation accomplie, celle de l’ultramodernité, il en va autrement. Autant l’affirmation des différences confessionnelles pouvait paraître ringarde et obsolète dans une 693
IDEM, p. 109. IDEM, p. 110. 695 IDEM, pp. 111-112. 696 Cf. SEGUY, Jean, « Thèses et hypothèses en œcuménologie », Social Compass 15 (1968), pp. 433-442. 694
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modernité triomphante, autant les différences tendent à reprendre de la légitimité culturelle en ultramodernité. […] Mais cela ne signifie pas qu’on revienne à une situation antérieure (contrairement à ce que suggère Étienne Fouilloux, note de l’auteur). En effet, les différences confessionnelles ne sont plus considérées comme exclusives l’une par rapport à l’autre, elles ne représentent plus des enceintes dans lesquelles on s’enferme et ont perdu leur pouvoir séparateur. Les uns et les autres se sentent dès lors d’autant plus libres de les reformuler et de les réaffirmer dans le cadre d’une diversité relativement réconciliée. Elles constituent des pôles d’identification pour les individus qui, de toute façon, se sont émancipés des tutelles cléricales et où les institutions religieuses n’ont effectivement plus grand pouvoir dans et sur la société. Cette configuration dessine une nouvelle donne caractérisée par l’œcuménicité du vécu religieux et la réactivation des identités. C’est dans ce sens que nous disons que l’ultramodernité signe bien la fin d’un certain œcuménisme »697. C’est dans ce contexte et avec cette sensibilité que s’inscrit le mouvement vers de nouveaux modèles dialogiques de relations, apparu dans la deuxième moitié du 20e siècle au sein de l’Église adventiste. 7.3.3.- La pertinence du dialogue interreligieux aujourd’hui. Une question décisive Ce que nous venons d’étudier dans les deuxième et troisième parties de ce chapitre permet d’affirmer que la recherche du dialogue interreligieux en Europe correspond bien à une réalité, historique, encore actuelle, malgré les chemins détournés qu’il a empruntés. En guise de synthèse, à propos de ses formes et de son esprit, rappelons que : • Les manifestations des dialogues sont aujourd’hui multiples. Il faut parler de la diversité des dialogues, en fonction des groupes, des personnes et des enjeux de la rencontre. • Qu’en réalité, malgré ses acquis, ce type de rencontre est encore à la recherche de ses voies. • Que le véritable dialogue interreligieux, au sens où nous l’avons défini, implique que la foi est l’objet d’un choix personnel, susceptible d’être revu, corrigé, enrichi, au lieu d’un destin d’appartenance religieuse héritée du milieu familial ou déterminé par le consensus social dominant.
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WILLAIME, Jean-Paul, Sociologie du protestantisme (Que Sais-je ? 3725), Paris, Presses Universitaires de France, 2005 p. 114.
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• Que, pour être authentique, le dialogue requiert la confiance et la sincérité des participants. Il est nécessaire qu’ils s’estiment pour pouvoir échanger leurs préoccupations, même dans le domaine de la foi et de leurs convictions. • Ce modèle de dialogue ne saurait se satisfaire des différences comme des réalités intangibles, sous peine de rester à la surface de la vie religieuse et des besoins spirituels profonds des partenaires. • Au nom du respect des traditions et des différences, le dialogue interreligieux pourrait avoir tendance à faire l’impasse sur la conversion. Le danger consisterait à vouloir créer une atmosphère ‘aseptisée’, où toute remise en question doit être exclue, sous prétexte du respect mutuel et de la tolérance698. • Dans le domaine des relations interreligieuses, dialogue, tolérance et liberté de conscience et de religion sont trois concepts qui s’articulent de manière cohérente. Le respect de l’autre n’interdit pas le souci d’affirmer ses propres convictions et un changement dans ce domaine ne peut résulter d’avoir violenté la conscience de l’interlocuteur. Il implique de ne pas refuser sa différence en fin de course. • Dans le dialogue, il y va de l’authenticité de la foi des interlocuteurs et de l’égalité des personnes en présence. Nous rejoignons ici la pensée de Heinz Rüegger, secrétaire pour l’œcuménisme à la Fédération des Églises protestantes de Suisse (FEPS) qui déclare que « c’est dans la vie et le témoignage commun sur place que les croyants de confessions et de traditions théologiques et spirituelles différentes prennent la liberté de faire avancer le dialogue et d’emprunter de nouvelles voies – mieux qu’au niveau
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Dans son commentaire sur la déclaration de Vatican II, Dignitatis Humanae, le professeur Delgado écrit : « Tandis que des chercheurs en sciences des religions soulignent ‘que le dialogue et la mission sont des choses différentes par essence qui ne devraient être mélangées ni en pratique ni en théorie’, l’Église catholique a toujours renvoyé au lien interne des différentes sortes de dialogue interreligieux avec la mission. Cela tient à ce qu’elle a une compréhension ‘théologique’ du dialogue interreligieux. Celui-ci n’est pas fait en premier lieu pour assurer la paix ou pour construire un monde juste, quelle que soit l’importance des échanges entre les religions à ce sujet, mais pour chercher la vérité et arriver ainsi à une conversion plus profonde à Dieu […]. Mais le dialogue interreligieux qui vise en principe la conversion de l’autre doit aussi, pour pouvoir être vraiment honnête, compter avec la possibilité de sa propre conversion vers la religion de l’autre. [...] Le dialogue sincère implique d’une part que l’on accepte l’existence de différences et même de contradictions, et d’autre part, que l’on respecte la libre décision que les personnes prennent en accord avec les impératifs de leur conscience [...] éventuellement, des décisions concernant le changement de religion qui peut ressortir du processus de dialogue luimême, doivent être prises vraiment librement et acceptées en tant que telles par les partenaires du dialogue », DELGADO, Mariano, « La liberté religieuse comme condition pour la mission et du dialogue interreligieux », § 2, in : DELGADO, Mariano ; VIVIANO, Benedict T. (dirs), op. cit., pp. 173-174.
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d’une ‘maison commune’ qui abriterait ‘la communion des communautés’ – que leurs autorités ecclésiastiques le leur permettent ou non »699. 7.4. - Des étapes effectives vers une ouverture dialogique dans l’Église adventiste Cette analyse de la conception et de l’histoire du dialogue interreligieux s’avérait nécessaire pour situer, d’une manière cohérente, comment l’Église adventiste aborde aujourd’hui ses relations avec les autres confessions, à différents niveaux et sous différentes formes. Elle permet aussi de mieux cerner les enjeux que sa position soulève, pour elle-même, et son impact dans l’évolution de sa propre identité religieuse. 7.4.1.- Des pas en avant Notre époque demande donc une aptitude au dialogue. De fait, depuis une quarantaine d’années, on peut dire que l’Église adventiste s’y est intéressée plus qu’auparavant, malgré des hésitations, des méfiances, voire des freins ou des oppositions dans ses milieux. Bert B. Beach est une figure dans l’histoire récente de cette Église dans ce domaine. Sollicité en 1962 pour participer au Concile Vatican II en tant qu’observateur700 et mandaté par la Review and Herald, la revue officielle de la Conférence générale des Églises adventistes, il y noua des relations durables avec plusieurs personnalités ecclésiastiques ou laïques, tant catholiques que protestantes ou d’autres religions. Ses entretiens avec le pasteur W.A Visser’t Hooft701, alors secrétaire général du Conseil Œcuménique des Églises (COE)702, puis ses relations suivies avec le théologien Lukas Vischer703, pendant et après le Concile Vatican II, ont abouti à la constitution d’une commission d’entretiens entre le COE et l’Église adventiste. 699
KESHAVJEE, Shafique, Vers une symphonie des Eglises. Un appel à la communion, Le Mont-sur-Lausanne, Ouverture, 1998, p. 97. 700 Cf. WOOD, H. Kenneth, « Foreword », in : BEACH, B. Bert, Vatican II. Bridging the Abyss, Washington, D.C., Review and Herald Association, 1968, pp. 9-10. 701 Cf. BEACH, B. Bert, op.cit., p. 248-330. 702 MAURY, Jacques, W.A. Visser’t Hooft, pionnier de l’œcuménisme, Genève/Rome/Paris, Cerf/Les Bergers et les Mages, 2001. 703 Cf. IDEM, p. 143, 171, 250, 277, 334. Le pasteur Lukas Vischer entra au COE en 1961. Envoyé en tant qu'observateur au Concile Vatican II, il acquit une compréhension de la nouvelle dynamique du mouvement œcuménique. Lukas Vischer a marqué le COE et le mouvement œcuménique par son rôle en tant que directeur de ‘Foi et constitution’ de 1966 à 1979. Il continua à apporter sa contribution après son départ du COE en 1979. Tout au long de sa vie, Lukas Vischer a cultivé des relations d'amitié et de confiance avec de nombreux théologiens et responsables ecclésiastiques partout dans le monde.
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La Faculté adventiste de théologie à Collonges-sous-Salève704 y participa en la personne de l’un de ses professeurs, Raoul Dederen705, de même qu’aux travaux de la commission ‘Foi et Constitution’ dirigée par le théologien Lukas Vischer. À la bibliothèque du COE, à Bossey, on trouve un document daté de 1973 contenant les conclusions de ces entretiens, avec un titre significatif : ‘So much in common : documents of interest in the conversations between the World Council of Churches and the Seventh-day a Adventist Church’706. Il faut cependant noter ici que dix-huit entretiens avaient déjà été organisés de 1955 à 1956 aux États-Unis sur la question théologique de l’incarnation707 avec les représentants évangéliques, Walter R. Martin, théologien baptiste, et Donald Gray Barnhouse, pasteur et théologien presbytérien708. Après avoir été appelé en 1980 à l’échelon mondial de l’organisation de l’Église pour diriger le du Département des affaires publiques et de la liberté religieuse (A.P.L.R.)709, Bert Beach a été l’initiateur de nombreux entretiens entre adventistes et croyants de diverses confessions chrétiennes. Neuf ans auparavant, en 1971, il avait accepté la fonction de Secrétaire de la ‘Conférence des Secrétaires de la Christian World Communions’710, dont il a assumé les responsabilités jusqu’en 2002, au moment où John Graz, pasteur adventiste, lui 704
À ce moment-là désigné comme ‘Institut adventiste de théologie’. Raoul Dederen a soutenu en 1962 sa thèse de doctorat à l’Université de Genève. Voir DEDEREN, Raoul, Un réformateur catholique au 19e siècle, Eugène Michaud (1839-1917). Vieux catholicisme – Œcuménisme, Genève, Droz, 1963. 706 WORLD COUNCIL OF CHURCHES, Genève, 1973, So Much in Common. Documents of Interest in the Vonversations between the World Council of Churches and the Seventh-day a Adventist Church. 707 Cf. FROOM, E. Leroy, Movement of Destiny, Washington, Review and Herald Publishing Association, 1971, p. 468-469 ; ZURCHER, Jean, Le Christ manifesté en chair. Cent cinquante années de christologie adventiste, Collonges-sous-Salève, Faculté adventiste de théologie, 1994, p. 129 ; idem, Touched with our Feelings. A Historical Survey of Adventist Thought on the Human Nature of Christ, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1999, p. 156. 708 Ces rencontres ont alimenté des interviews entre les partenaires, puis des dialogues, cf. FROOM, E. Leroy, Movement of Destiny, pp. 476-478 ; ZURCHER, Jean, Le Christ manifesté en chair. Cent cinquante années de christologie adventiste, 1844-1994, Collonges-sous-Salève, Faculté adventiste de théologie, 1994, p. 129, 134, 145 ; traduction en anglais : ZURCHER, Jean, Touched with Our Feelings. A Historical Survey of Adventist Thought on the Human Nature of Christ, Hagerstown, Review and Herald Publishing Association, 1999, p. 156, 161, 171. 709 En anglais, ‘Public Affairs and Religious Liberty (P.A.R.L.)’. La Conférence générale des Églises adventistes constitue à l’échelle du monde l’organe faîtier de cette Église (voir chapitre 4). 710 Depuis le milieu du 19e siècle, plusieurs organisations chrétiennes internationales sont nées regroupant les Églises et les communautés spirituelles issues de leurs traditions. À partir de 1957, ces institutions ecclésiales ont initié annuellement des rencontres informelles de leurs Secrétaires venant du monde entier. Ils se réunissent à Genève. C’est ce corps des représentants des Églises participantes qui a pris la désignation ‘Christian World Communions’. La Christian World Communions n’est pas membre du Conseil Œcuménique des Églises. On y retrouve cependant des réformés, des luthériens, des catholiques, des orthodoxes, des méthodistes, des baptistes, des arméniens, des pentecôtistes et des adventistes. L’Église adventiste y adhère depuis 1968. 705
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a succédé à ce titre. C’est aussi avec lui que, dès les années 1980, sur le plan international, l’Église adventiste participe en tant qu’observateur aux discussions du Conseil Œcuménique des Églises (COE), ce qui lui permet aujourd’hui de poursuivre sa collaboration aux travaux de la commission ‘Foi et Constitution’. 7.4.2.- L’ère de l’élargissement du dialogue On peut néanmoins écrire que c’est à partir de la décennie 1970-1980 que l’Église adventiste en Europe s’est réellement engagée dans ‘son ère’ de relations, de dialogues et d’actions communes avec d’autres milieux chrétiens. Les rencontres et les échanges entre communautés locales, des théologiens adventistes, protestants, catholiques et orthodoxes sont devenus de plus en plus fréquents711. Comme membre de l’Alliance biblique universelle et de la Société biblique française à Paris, ainsi que dans plusieurs autres pays, elle contribue aux traductions de la Bible, à ses éditions712 et au soutien de sa diffusion. En de nombreux endroits, elle collabore à l’organisation d’expositions bibliques et à des actions communes avec d’autres Églises. Elle participe à des réunions interconfessionnelles, comme, par exemple, celles organisées annuellement à l’occasion de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Une nouvelle étape, dans cette progression, a débuté avec l’organisation d’une série de dialogues officiels entre théologiens, en commençant par ceux qui ont eu lieu avec la Fédération luthérienne mondiale (FLM)713 de 1994 à 711 Cf. par exemple, « Dialogue à Englefontaine (entre catholiques et adventistes) » ; « Le Jura en dialogue (entre communautés adventistes, protestantes et évangéliques) », Revue adventiste 1688 (avril 2002), p. 11 ; Rapport Mondial, Roumanie, « L’Église adventiste en Roumanie fait équipe avec l’Association ‘Conscience et liberté, et avec la Société biblique interconfessionnelle de la Roumanie », Idem, p. 4. Voir aussi les activités académiques de la Faculté adventiste de théologie, à Collonges-sous-Salève. 712 Voir par exemple, Principaux collaborateurs, La Nouvelle Bible Segond, 2002, Édition d’étude, page de garde, où apparaissent les noms de cinq adventistes. 713 « Au cours des dernières décennies, les dirigeants de la Fédération luthérienne mondiale et de l’Église adventistes ont régulièrement participé à des rencontres des secrétaires des Communions chrétiennes mondiales. Comme résultat de ces contacts, et aussi parce que les adventistes se reconnaissant héritiers de la Réforme, l’idée naquit d’une consultation théologique commune pour parvenir à une meilleure compréhension mutuelle. Cette proposition fut approuvée en 1993 par les dirigeants de la Conférence générale des adventistes du septième jour et du Conseil de la Fédération luthérienne mondiale. […] Nous nous étions rencontrés pour la première fois en 1994, étrangers les uns aux autres ; nous sommes devenus des amis lorsque nous nous sommes séparés en 1998. Nous sommes venus avec nos questions ; nous sommes repartis pleins d’estime les uns pour les autres. Bien que subsistent des différences doctrinales importantes, nous avons découvert de nombreux points communs […] » (trad. MV), GENERAL CONFERENCE OF SEVENTHDAY ADVENTISTS, Silver Spring, Maryland (USA) et THE LUTHERAN WORLD FEDERATION, Genève, Lutherans and Adventists in conversation. Report and Papers
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1998, puis avec l’Alliance réformée mondiale (ARM), l’Armée du salut, l’Alliance évangélique mondiale (AEM), l’Église presbytérienne, l’Alliance baptiste mondiale (ABM) et d’autres communautés chrétiennes minoritaires. Mais qu’en est-il du dialogue entre l’Église adventiste et l’Église catholique, et de celui avec les orthodoxes ? La question s’est très souvent posée, tant dans les milieux adventistes que dans d’autres confessions chrétiennes, ou par les journalistes d’information religieuse. Les lettres qui parviennent sur le bureau du président de la Conférence générale en témoignent. Dans un ouvrage publié en 2000, s’adressant aux adventistes qui s’interrogent, Bert B. Beach et John Graz ont esquissé en quelques traits l’esprit dans lequel, du point de vue adventiste, de telles rencontres pourraient avoir lieu : « Nous sommes convaincus d’avoir acquis une certaine compréhension de l’eschatologie. Ne sommes-nous pas autorisés à en débattre avec ceux qui se sentent intéressés par nos conceptions dans ce domaine ? Cela doit se faire de manière ouverte et de façon intelligible, non avec un langage énigmatique ou imprécis […]. Ne seraitil pas utile de discuter sur nos façons de comprendre et de promouvoir la liberté religieuse, de nos concepts de l’évangélisation et du problème du prosélytisme ? N’y aurait-il aucun sens à discuter des situations que rencontrent des adventistes dans certaines régions traditionnellement et majoritairement catholiques ? Serait-ce sans intérêt de parler, mais aussi d’entendre les autres parler de questions touchant à des situations au cours desquelles où on a eu recours à des procédés déloyaux, des propos discriminatoires et agressifs ? Personne n’est parfait. Nous devons apprendre et examiner, dans le but d’acquérir une plus grande maturité dans ces choses avec le Christ »714. C’est dans l’intention de répondre à ces interrogations que la Conférence générale a rendu publique en avril 1997 une déclaration intitulée ‘Les adventistes du septième jour et l’Église catholique’. Elle rappelle les raisons théologiques qui justifient une certaine réserve, du point de vue adventiste. En la lisant, on ne peut manquer d’y déceler une position pour le moins délicate dans le contexte religieux actuel. Elle s’intègre dans un héritage historique encore sensible dans les milieux protestants, au moins depuis la Réforme. Cette réserve se retrouve dans l’aveu honnête que fait Pierre Gisel en parlant des relations entre l’Église catholique et le politique : « Je ne cache pas […] que présenter ainsi les choses entraîne l’une des plus graves accusations qui puissent être élevées contre l’Église romaine (sur d’autres terrains, des questions également graves peuvent bien entendu être posées au protestantisme […]) : en cas de crise, elle ferait passer la défense de l’institution – de ce qu’elle est – avant toute chose (en italiques dans le presented, 1994-1998, Pacific Press, 2000, p. 5-7. En version anglaise, allemande et française, adventistes et luthériens en conversation. Rapport des conversations bilatérales entre la Fédération luthérienne mondiale et l’Église adventiste du septième jour, 1994-1998, Collongessous-Salève, 2000, pp. 62-64. 714 BEACH, B. Bert ; GRAZ, John, 101 Questions Adventists Ask, Nampa, Idaho, Pacific Press Publishing Association, 2000, pp. 116-117 (trad. MV).
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texte) »715. La déclaration adventiste révèle une approche identique du problème. Elle conclut aussi sa réflexion sur le fait que : « placer le blâme sur une seule confession, pour la violation de principes chrétiens dans le passé, ne donne une image fidèle ni de l’histoire ni de la prophétie biblique. Il faut reconnaître que parfois des protestants, y compris des adventistes, ont causé des préjudices et ont même fait preuve de sectarisme vis-à-vis des autres mouvements. Si, en proclamant l’enseignement biblique, les adventistes manquent d’amour pour les personnes auxquelles ils s’adressent, ils ne font pas preuve d’un christianisme authentique. Les adventistes s’efforcent d’être équitables dans leurs rapports avec les autres. C’est pourquoi, tout en gardant à l’esprit la réalité historique et en argumentant leurs conceptions au sujet des événements de la fin, ils reconnaissent les changements positifs au sein du catholicisme contemporain et ils insistent sur leur conviction que beaucoup de catholiques sont des frères et sœurs en Christ »716. Aucun dialogue n’avait été engagé entre l’Église catholique et l’Église adventiste avant 2000. Pourtant, selon Angel M. Rodriguez, directeur de l’Institut des recherches bibliques de la Conférence générale, des théologiens catholiques ont manifesté plusieurs fois leur intérêt pour de telles rencontres. La première s’est tenu les 5 et 6 mai 2000, à Rome, avec Bert B. Beach, John Graz, Angel M. Rodriguez, représentants l’Église adventiste, et avec le cardinal Walter Kasper et Mgr John Radano, représentants le Vatican. Dans le rapport qu’il a rendu public sur le site Internet de la Conférence générale717, Angel M. Rodiguez, relate que les entretiens ont été tout d’abord informels, sur plusieurs sujets, en particulier, les structures de l’organisation de l’Église adventiste et son ecclésiologie. Les doctrines adventistes ont fait l’objet de présentations sommaires. Du côté catholique, l’accent a été mis sur la théologie du baptême et de la question de la seconde venue du Christ dans le culte catholique, en soulignant que la référence à ce retour est faite quotidiennement, au cours des messes. Le cardinal Walter Kasper et Mgr John Radano ont montré un intérêt particulier à saisir une vision globale de la nature de l’Église adventiste et de ses relations interreligieuses. La discussion s’est ensuite centrée sur la façon dont le Conseil Pontifical pour l’unité des chrétiens conçoit cette unité, l’œcuménisme, la sauvegarde de l’héritage apostolique au travers de l’Église catholique, le caractère indissociable de l’administration des sacrements et du sacerdoce des prêtres. Enfin, les questions des tensions entre catholiques et adventistes dans 715
Cf. GISEL, Pierre, Le Christ de Calvin (Jésus et Jésus-Christ 44), Paris, Mame-Desclée, 20092, p. 15. 716 « Les adventistes du septième jour et l’Église catholique, 15 avril 1997 », in : Déclarations, Éthique et faits de société, vol. II, Vie et Santé et Département des Communications, Union Franco-Belge des Églises adventistes du septième jour, 2003, p. 49, 50. Voir annexe 6. 717 Conversations Between Adventists and Catholics. A Report by Angel Manuel Rodiguez, cf. www.biblicalresearch.gc.adventist.org.
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certaines régions du monde, du prosélytisme et de ses différentes définitions, celle de la liberté de conscience individuelle en matière de foi et de convictions religieuses, ont été abordées à la fin de ces journées. Trois rencontres semblables ont eu lieu plus tard : deux journées en mai 2001, au Centre John Knox à Genève. George W. Reid, de l’Institut des recherches bibliques de la Conférence générale, Bert B. Beach, John Graz et Roland Meyer, doyen de la faculté adventiste de théologie de Collonges-sousSalève, du côté adventiste ; Mgr Marc Ouellet, Mgr John Radano, James F. Puglisi et Ralph Del Colle, du côté catholique. Les entretiens ont porté sur les croyances professées dans les deux Églises et sur les interrogations soulevées par celles que professent en particulier les adventistes. En mai 2002, les sujets abordés à la demande des partenaires catholiques ont touché à la question du jour du repos religieux et à celle de l’autorité de la Bible en liaison avec la tradition post-apostolique. Au cours de la troisième rencontre, en mai 2003, plusieurs aspects théologiques et doctrinaux liés aux deux approches herméneutiques ont été discutés. Angel M. Rodriguez conclut son rapport avec le souhait exprimé par les représentants de l’Église adventiste au terme de ces journées : « En tant qu’adventistes, ainsi que nous l‘avons déclaré, nous ne voulons pas régler nos rapports avec les catholiques en fonction de la compréhension spécifique que nous avons de la prophétie biblique. De la même manière, nous souhaitons que notre vision des choses ne conditionne pas ceux que les catholiques entretiennent avec les adventistes. Certes, il y a des tensions. Cependant, nous devrions toujours rechercher les voies qui aboutissent à l’expression d’un amour chrétien sincère les uns envers les autres »718. Il existe de nombreuses divergences entre les deux approches théologiques du christianisme, de son enseignement et de son histoire, par exemple la reconnaissance sans réserve par les théologiens catholiques de la critique historique appliquée à la Bible, l’herméneutique adventiste des livres de Daniel et de l’Apocalypse, des conceptions différentes de l’autorité des traditions postapostoliques et sur celle du Magistère catholique. Sur d’autres questions, adventistes et catholiques se rencontrent dans une même communion de foi : les enseignements bibliques sur la naissance et la double nature humaine et divine du Christ, sur son œuvre salvatrice offerte à l’homme par la grâce divine et saisie par la foi, sur la croyance en la Trinité, l’œuvre de l’Esprit, la seconde venue du Christ, ainsi que par la reconnaissance de certaines normes éthiques et de conduite, le refus de certains engagements socio-politiques et celui d’un certain activisme œcuménique. 718
IDEM, p. 4 (trad. MV).
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La situation se présente différemment avec l’orthodoxie. Selon Bert B. Beach et John Graz, le dialogue est possible. Mais alors que les adventistes raisonnent termes de temps et de circonstances, les orthodoxes le font en termes de siècles, voire plus. Mais au-delà de cette question, de tels entretiens ne peuvent prendre en compte une unicité théologique de l’enseignement de l’orthodoxie. Des divergences sont assez marquées, en termes de tradition et d’autorité en matière de foi et de rites religieux, entre deux grandes familles d’orthodoxes, au moins : la famille des Églises orthodoxes occidentales russes, grecques et roumaines, et la famille des Églises orthodoxes orientales arméniennes, coptes, éthiopiennes, et syriaques ; ces dernières ne reconnaissant pas les conclusions du Concile de Chalcédoine en 415 apr. J.-C. sur les deux natures du Christ. Cette dernière famille ne désire pas avoir des entretiens avec les adventistes, considérant qu’ils ne sont pas en harmonie avec les enseignements apostoliques – non trinitaires, selon elles –, et leur reprochant leurs actions d’évangélisation. Elle les regarde comme des atteintes à sa longue tradition chrétienne. Néanmoins, selon Bert B. Beach et John Graz, « [...] le Patriarche de Constantinople, à qui les Églises orthodoxes occidentales accordent une primauté spirituelle d’honneur, a donné son accord de principe pour engager des conversations préliminaires. Une rencontre a eu lieu en 1996. Il n’a pas été possible d’en fixer d’autres, en raison des préparatifs en vue du millénaire, des événements qui s’y rattachent et de l’indisponibilité de partenaires durant ces moments »719. 7.4.3.- Dialogue entre adventistes et musulmans. Abattre des préjugés L’ouverture vers de nouveaux dialogues suppose de nouveaux défis. Durant les quatre dernières décennies, l’Église adventiste s’est engagée sur ce terrain avec plusieurs Églises. De part et d’autre, ils ont permis d’abattre des préjugés, de briser des stéréotypes et d’effacer des malentendus. Aujourd’hui, une initiative venant d’en dehors du christianisme constitue un défi lancé à toutes les communautés religieuses, y compris à l’Église adventiste. Elle provient de l’État du Qatar, où depuis six années le Ministère des Affaires étrangères et le département des études ‘Sharia’ de l’Université du Qatar parrainent une Conférence internationale sur le dialogue interconfessionnel. En 2007 et 2008, les adventistes ont été invités à y présenter leurs interventions. Le 8 octobre 2007, 138 ecclésiastiques et éminents dignitaires musulmans en accéléraient le rythme en signant conjointement une lettre intitulée ‘Une parole commune entre nous et vous’. « Dix jours après la sortie de cette lettre, l’Église adventiste a 719
IDEM, pp. 4-5 (trad. MV).
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envoyé une réponse à ses auteurs, les félicitant de leur initiative et indiquant son désir d’engager aussi dans un dialogue avec les musulmans »720, écrit William J. Johnsson, assistant du président de la Conférence générale pour les relations interconfessionnelles. « Lorsque la rencontre entre érudits, musulmans et chrétiens, a été organisée à l’Université de Yale en juillet 2008, poursuit-il, des adventistes ont été invités à se joindre aux 150 participants. De même, lorsque le roi Abdullah du Royaume d’Arabie saoudite a convoqué le colloque ‘Dialogue international interconfessionnel’, tenu à Madrid du 13 au 15 juillet (2008, note de l’auteur) »721. Dans les faits, les adventistes sont engagés depuis longtemps dans différents domaines de coopération avec les musulmans. L’équipe de médecins en cardiologie de l’Université adventiste de Loma Linda en Californie rend chaque année des services appréciés par les autorités saoudiennes ; de même en Afghanistan, où le personnel médical du même hôpital universitaire joue un rôle d’éducation sanitaire important auprès des populations musulmanes du pays. En amont de ces actions, la Conférence générale des Églises adventistes a créé un Institut pour les relations entre adventistes et musulmans dont l’objectif est de mieux comprendre leur monde et de présenter la réalité de ce que cette Église défend sur leur sol. Cet Institut travaille en coopération avec le Centre adventiste mondial d’étude de la Mission globale. « Nous vivons dans un monde où on ne peut plus ignorer les autres religions, déclare Ganoune Diop, directeur de ce Centre, « la première courtoisie exige de connaître les gens dans leurs façons d’être »722. Dans le même temps, aux États-Unis, l’Église adventiste a établi des relations avec la Société islamique de l’Amérique du Nord, la plus grande organisation musulmane du pays. En 2008, le siège mondial de la Conférence générale, à Silver Spring, a été l’hôte d’une rencontre avec ses principaux représentants, et la même année, du 30 août au 1er septembre, adventistes et musulmans coopéraient dans l’organisation d’une ‘expo santé’ pour la Convention annuelle de cette organisation, réunie à Columbus, dans l’État de l’Ohio. « […] d’autres initiatives pointent à l’horizon, écrit aussi William Johnsson. Nous avons développé d’excellentes relations avec les directeurs de l’Institut royal jordanien des études interconfessionnelles, situé à Amman, en
720 JOHNSSON, William, « Dialogue entre adventistes et musulmans. Abattre les préjugés en jetant des ponts », Silver Spring, Maryland, Adventist World, vol. 5, 4 (avril 2009), p. 25. Voir aussi idem, « Un nouveau vent œcuménique », Revue adventiste, vol. 1766 (mai 2009), Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, pp. 12-14. 721 IBIDEM (trad. MV). 722 DIOP, Ganoune, ‘Understanding Islam' Conferences to amp Adventist interfaith outreach’», 4 mai 2009 (trad. MV).
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Jordanie. Le premier d’une série de dialogues officiels est prévu pour un proche avenir »723. 7.4.4.- Une attitude dialogique de plus en plus volontaire En fait, toutes ces actions et rencontres illustrent une pensée plus générale que le site officiel de la Conférence générale des Églises adventistes sur Internet résume par quelques mots : « L’Église adventiste considère la division du monde chrétien comme un scandale et une cause de faiblesse pour le témoignage chrétien. Elle pense qu’il est du devoir des chrétiens de s’efforcer de ‘conserver l’unité de l’esprit par le lien de la paix’ (Ep 4,3) »724. Un regard en arrière fait apparaître que longtemps avant que l’œcuménisme ait suscité un intérêt aussi général que celui qu’il connaît depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le comité exécutif de la Conférence générale avait déjà adopté en 1926725 une position révélatrice d’une telle volonté, souvent ‘estompée’ dans ses propres rangs – du moins en France, en Belgique et en Suisse. Depuis cette date, elle a été réaffirmée annuellement dans les rééditions successives du plus important document administratif de l’Église adventiste mondiale, le ‘Working Policy of the General Conference of The Seventh-day Adventists’726, rédigé en anglais seulement. Le silence dans les pays mentionnés plus haut témoigne des tensions internes qu’elle suscitait. C’est en 1988 avec sa traduction en français, qu’elle est devenue accessible aux adventistes francophones et au grand public. Ses implications pour l’œcuménisme sont significatives. L’Église adventiste y reconnaît officiellement et explicitement que les adventistes ne sont pas les seuls à proclamer l’Évangile dans le monde : « § 1. Nous reconnaissons les organisations qui élèvent le Christ aux yeux des hommes comme faisant partie du plan divin pour l’évangélisation du monde, et nous tenons en haute estime les chrétiens des autres confessions qui sont engagés à amener des personnes au Christ […]. § 3. Nous reconnaissons que la véritable religion est fondée sur la conscience et la conviction. C’est la raison pour laquelle nous veillons à ce qu’aucun intérêt égoïste ou avantage temporel ne pousse une personne à se joindre à notre communauté et qu’aucun lien ne retienne un membre dans notre Église, sauf la conviction qu’en y appartenant, il peut trouver la voie lui permettant d’entrer en relation étroite avec le Christ […] »727. 723
JOHNSSON, William, IDEM, (trad. MV). Cf. http://www.adventiste.org/engagements. 725 GENERAL CONFERENCE OF SEVENTH-DAY ADVENTISTS, Working Policy 075 (1926). C’est l’année de la création de ce document et celle de sa première édition. Cf. aussi BEACH Bert B., Pattern for Progress. The Role and the Function of Church Organization, Washington, D.C., Review and Herald Publishing Association, 1985, pp. 107ss. 726 Working Policy, règlement de travail de la Conférence générale des Églises adventistes. 727 SEVENTH-DAY ADVENTIST CHURCH, « Relationships with Others Christian Churches and Religious Organizations », in : Statements Guidelines and Others Documents, Silver Springs, Compilation by the Communication Department of the General Conference, 20054, p. 219-220 ; 724
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Aux premiers moments de sa publication, l’attention des membres avait été surtout attirée par l’interprétation du terme anglais original ‘agencies’, – traduit par ‘organisations’. Beaucoup dans nos pays lisaient alors cette déclaration sur le mode exclusif ne prenant en compte que les activités de ‘sociétés’ missionnaires ou religieuses‘ (§ 2 du texte anglais, ‘[…] others Christian societies and religious bodies’) (je souligne). Le terme de ‘Sociétés’, étant lu dans le sens restrictif de ‘Sociétés bibliques’. Néanmoins, au fil du temps et de la diffusion de plus en plus large de cette déclaration, l’attention fut portée sur les autres expressions du document : § 4 et § 5 : ‘personne appartenant à une autre organisation religieuse’, en anglais ‘of others religious organizations’ ; § 6. ‘d’autres religions’, en anglais ‘of others religious persuasions’. C’est alors la signification initiale du document précisée dans le ‘chapeau’ du texte qui a prédominé, pourtant bien explicite depuis le début puisqu’il y est question des ‘Églises chrétiennes ou organisations religieuses’ (en anglais, ’other Christian churches and religious organizations’). Nous devons cependant souligner que, tout en contenant les germes propices à de véritables dialogues, cette déclaration signifie aussi que les adventistes ne sont favorables ni à la fusion des Églises, ni à l’uniformité de leurs institutions, mais à une unité d’esprit d’inspiration chrétienne entre croyants autour de la recherche ‘des liens de paix’. Dans ce sens, elle confirme l’analyse de Jean-Paul Willaime : « […] les différences confessionnelles ne sont plus considérées comme exclusives l’une par rapport à l’autre, elles ne représentent plus des enceintes dans lesquelles on s’enferme et ont perdu leur pouvoir séparateur. Les uns et les autres se sentent dès lors d’autant plus libres de les reformuler et de les réaffirmer dans le cadre d’une diversité relativement réconciliée. Elles constituent des pôles d’identification pour les individus qui, de toute façon, se sont émancipés des tutelles cléricales […] »728. Notre étude pourrait ici englober les positions des fondateurs de l’Église adventiste qui, avec Ellen G. White, partageaient cet esprit d’ouverture prudente et réfléchie. Nous nous limiterons à le mentionner, renvoyant le lecteur intéressé à d’autres sources729.
EGLISE ADVENTISTE DU SEPTIEME JOUR, « Relations avec les autres Églises chrétiennes et les organisations religieuses, 11-16 novembre 1988 », in : Déclarations et faits de société, Le Mée-sur-Seine, Département des Communications, Union Franco-Belge, 2000, p. 8-9 (Annexe 4). Le texte original en anglais de cette déclaration se trouve aussi dans la dernière édition : Working Policy of the General Conference of the Seventh-day Adventists, Hagerstown, Maryland, Review and Herald Publishing Association, 2007-2008, p. 511-512, n° 0 110. 728 WILLAIME, Jean-Paul, Sociologie du protestantisme (Que sais-je ? 3725), Paris, Presses Universitaires de France, 2005, p. 114. 729 Pour une étude plus avancée sur ce sujet, voir le ‘Centre de recherches et d’études Ellen G. White’, situé sur le campus de la Faculté adventiste de théologie, à Collonges-sous-Salève, HauteSavoie, France.
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À partir des années 1980, les dirigeants de l’Eglise adventiste avaient donc cherché à devenir des ‘constructeurs de ponts’. La tâche n’était pas aisée et elle continue à ne pas l'être, si on tient compte des points d’ancrage de certaines résistances à l’intérieur de ses rangs. Il ne s’agit plus pour eux de continuer à mettre à l’eau des pontons permettant de ‘lancer des campagnes’ de conversions et ‘battre le repli’ ensuite à l’intérieur de ses ‘murs’. Avec leurs dirigeants, les adventistes dans leur ensemble comprennent aujourd’hui qu’ils ne sont pas appelés à se ‘ghettoïser’ par une politique isolationniste730. 7.5. – L’adhésion à la Fédération protestante de France. Convergences, résistances et interrogations 7.5.1.- Bref historique des faits La réception le 11 mars 2006 de l’Église adventiste du septième jour comme membre de la Fédération protestante de France731 par son assemblée générale administrative marque un nouveau repère historique dans la construction de son identité religieuse, avec des résonances en France, en Suisse, en Belgique et dans le monde adventiste et protestant francophone. Au plan de son expérience dans ces pays, l’événement a mis en évidence le développement d’une pensée théologique tout au long de son histoire, le repérage d’influences (positives ou négatives) et les grandes options implicites 730
Ce type de mentalité avait pourtant déjà été dénoncé maintes fois par des personnalités en vue dans l’Église adventiste au 19e siècle. Ellen Gould White, par exemple, parlait des ministres des autres églises comme des « bergers » auxquels il fallait aussi accorder « un intérêt profond et notre soutien », et « Dieu a ses représentants dans toutes les Églises», cf. WHITE, G. Ellen, Testimonies for the Church, vol. 6, Mountain View, Pacific Press Publishing Association, 1948, p. 78, 70 ; « Nos pasteurs devraient faire très attention à ne pas donner l’impression qu’ils sont des loups saisissant les brebis, mais ils devraient faire comprendre aux pasteurs leurs positions et l’objet de leur mission – appeler l’attention sur les vérités de la parole de Dieu. Plusieurs de celles-ci sont chères à tous les chrétiens. Voilà un terrain commun sur lequel nous pouvons rencontrer les membres des autres dénominations, et, en établissant des contacts avec eux, nous devrions principalement nous attarder sur des sujets qui intéressent tout le monde et qui ne dirigent pas directement et précisément sur les sujets de désaccord», WHITE, G. Ellen, Review and Herald, juin (1912), cité par FERREIRA, Teofilo (Vice-directeur du White Estate), Ellen « White et les relations interconfessionnelles. Le point de vue de la première génération», Revue Adventiste, Dammarie-lès-Lys, Vie et Santé, janvier-février 2001, p. 5 (Le ‘White Estate’ est l’Institution officielle, dépositaire des écrits et manuscrits originaux d’Ellen Gould White, de sa correspondance et de plusieurs de ceux de ses proches collaborateurs. Le Centre de recherches et d’étude Ellen Gould White à Collonges-sous-Salève est un des quatre lieux de dépôt dans le monde des copies de tous ces documents). 731 Nous utilisons le sigle F.P.F. pour désigner la Fédération protestante de France.
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sous la pression des moments732. En effet, il a manifestement traduit dans les faits, d’un côté, le résultat d’un long processus de maturation théologique et de dépassement de comportements réactionnels, vers une intégration au sein du protestantisme (d'ailleurs, conforme à sa revendication depuis ses origines d’être aussi l’une des héritières de la Réforme du 16e et de ses suites)733 ; d’un autre côté, il confirmait une conclusion déjà tirée plus haut de l’histoire des relations interreligieuses sur le Vieux Continent, à savoir que, dans la marche du christianisme européen, ce sont souvent des facteurs extérieurs aux Églises qui ont été incitatifs pour concrétiser des rapprochements entre elles. Toutefois, dans le même temps, il a mis en évidence des tensions résultant de comportements réactionnels. Ces derniers traduisent une autre façon de concevoir l’identité religieuse adventiste, sur la base de certaines interprétations divergentes de son histoire, de son évolution et de la manière de concevoir sa place dans la société religieuse actuelle. Une progression en trois phases S’il faut trouver un premier repère pour ce cheminement, il se situerait au plus tard en 1961. On prend alors en compte un entretien entre le pasteur Marc Boegner, président de la F.P.F.734, et le docteur Jean Nussbaum. En effet, Pierre Lanarès, qui a collaboré avec ce dernier, mentionne dans une lettre adressée à Richard Lehmann que Marc Boegner avait consulté Jean Nussbaum pour savoir si l’Église adventiste en France accepterait de faire partie de cette Fédération. Ce n’est pas sans regret ni désir que ce dernier dut lui répondre que les 732
Il est intéressant de relever dans le cadre de cette réflexion, celle de Théophile VOGT, qui remarque que « l’examen, le point de départ, se trouve dans le fait que les propositions dogmatiques ou éthiques du Nouveau Testament sont toujours développées à partir de situations précises et concrètes. Il n’existe pas de catéchisme en soi. Mais on confessera la résurrection des morts en partant de la négation gnostique de la nature corporelle (1 Co 15). Ou bien : la formulation et l’enseignement des paroles de la cène seront mis en rapport avec une crise très aiguë par laquelle passait la communion des chrétiens (1 Co 11). Ou encore : l’exhortation au service de l’Église sera considérée en fonction de la responsabilité et du témoignage dans le cadre de la vie romaine (Rm 12–13), etc. Les problèmes de foi s’enseignent dans le cadre de l’expérience de ce monde. La question de la foi se pose sur le terrain de l’existence. Chacun sait que, pour cette raison, la communauté du Nouveau Testament ne connaît pas de système dogmatique clos, mais on sait tout autant qu’aujourd’hui un isolement fatal des propositions de foi sépare l’une de l’autre la vie et la foi des chrétiens. », VOGT, Théophile, « Ministère et ministères », in : CASALIS, Georges ; HOLLENWEGER, J. Walter ; KELLER, Paul, Vers une Église pour les autres, Genève, Labor et Fides, 1966, p. 113. 733 Voir Annexe 3, Arbre généalogique du protestantisme, Musée de la Réforme à Genève. 734 Le pasteur Marc Boegner (1881-1970) a été le premier président de la Fédération protestante de France de 1929 à 1961. Pierre Lanarès ne mentionne pas à quelle date cet entretien a eu lieu. On doit donc le situer au plus tard avant que le pasteur Boegner ait quitté ses fonctions. Selon Gertrude Loewen (LOEWEN, Gertrude, Jean Nussbaum, pionnier de la liberté religieuse, Dammarie-lès-Lys, Vie et Santé, 1995, p. 151ss), le docteur Nussbaum et lui se connaissaient depuis 1931.
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adventistes en France n’étaient pas disposés à entreprendre une telle démarche, voulant se cantonner, disaient-ils, dans une position de ‘totale indépendance et de neutralité’. Pourtant, la question posée n’est pas restée sans suite, toujours implicite dans l’évolution des relations. En consultant les archives735, on constate que l’enchaînement des faits autorise à distinguer trois périodes dans ce passage de la marge à l’intégration : de 1961 à 1991, celle que nous désignons comme un seuil de coopération ; de 1991 à 1996, le temps des débats internes, et celle de 1996 à 2006, le passage de la marge à l’intégration. Un seuil de coopération en France (1961-1991) Au moment de la première discussion officielle interne proposée par l’auteur736 sur la question d’une demande d’adhésion à la F.P.F., le 15 juillet 1991, il y avait déjà une trentaine d’années au moins qu’au plan national s’étaient confirmées des collaborations dans différents secteurs entre l’Église adventiste et des institutions ou des associations de la F.P.F. : avec le Centre protestant de colonies de vacances (CPCV) pour la formation de moniteurs et de directeurs diplômés d’État (liens suffisamment avancés pour qu’un adventiste entre dans son conseil d’administration et que plusieurs autres deviennent des formateurs de ce Centre pour la préparation au brevet d’État d’aptitude aux fonctions d’animateurs [BAFA]) ; avec le DEFAP, interface officielle protestant avec l’État français pour l’envoi d’enseignants ou de techniciens dans les pays d'outre-mer francophones d’Afrique au titre de la coopération de la France ; avec l’Alliance biblique et la Société biblique française (comme membres du comité directeur, traducteurs, spécialistes consultés ou correcteurs d’éditions de la Bible, lors d’expositions et de conférences) ; collaborations avec l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) ; dans des actions locales, avec des expositions communes, les prêts de temples, la promotion de la liberté 735
Archives non répertoriées, déposées au siège de l’Union franco-belge des Églises adventistes, à Dammarie-lès-Lys (France), et à celui de la Fédération protestante de France, à Paris. Voir aussi les archives historiques de l’Adventisme en Europe (section Collonges-sous-Salève, France). Les Archives historiques de l’adventisme en Europe ont été créées par la Division eurafricaine des Eglises adventistes du septième jour. Elles comportent deux sections : une à Friedensau (Allemagne) et une à Collonges-sous-Salève (France). La section de Collonges-sous-Salève rassemble les archives adventistes de la France, de la Belgique, du Luxembourg, de la Suisse romande et de l’Italie. Les Unions des Églises adventistes de l'Espagne et du Portugal possèdent chacune un dépôt d'archives qui dépend de la section de Collonges-sous-Salève. Les locaux des Archives sont situés au sous-sol de la Bibliothèque Alfred Vaucher (Campus adventiste du Salève, Collonges-sous-Salève, France). On y conserve de nombreux documents, livres, revues, pamphlets, photos, objets qui peuvent mettre en relief l’histoire de l’Église adventiste en Europe. Ces différents documents viennent des administrations adventistes, mais également – en très grande partie – de donateurs privés. 736 Maurice Verfaillie, pasteur, a été, de 1988 à 1995, Secrétaire général de l’Union Franco-Belge des Églises adventistes et directeur du département des Affaires publiques et de la liberté religieuse.
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religieuse, les semaines de prière pour l’unité des chrétiens, les participations aux antennes de la F.P.F., des chorales communes, des groupes d’études bibliques, etc. Au fil du temps, des liens se sont construits entre pasteurs adventistes et pasteurs protestants, entre communautés adventistes et communautés protestantes. Il faut signaler ici qu’au niveau de l’Église adventiste en France, ces expériences se sont inscrites dans les modèles de celles vécues par l’Église adventiste à l’échelle mondiale dans d’autres pays, selon les dispositions légales en vigueur dans leur État pour gérer les relations entre les autorités publiques et les confessions religieuses. En Espagne, l’Union des Églises adventistes était déjà membre de la Fédération des entités religieuses évangéliques d’Espagne (FEREDE)737 depuis 1986. Durant la période des débats en France, l’Union polonaise est entrée en 1994 dans le Conseil de la Fédération des Églises protestantes libres. La même année, l’Union finlandaise a reçu le statut d’observateur au Conseil national des Églises protestantes de Finlande et l’Union hollandaise est devenue membre du conseil national des Eglises des Pays-Bas. L’année suivante, l’Union italienne devenait membre de certains services de la Fédération protestante d’Italie. Quelques années plus tard, en 2002, les Églises adventistes et baptistes de Russie, ainsi que deux groupes de pentecôtistes, ont fondé un ‘Conseil consultatif des dirigeants d’Unions protestantes’, légalisé par le gouvernement russe. De son côté, c’est en 2006 que la Fédération belge des Églises adventistes a signé un accord de partenariat avec le Synode de l’Église protestante unie de Belgique. En changeant d’horizon, rappelons que la proximité du Campus adventiste du Salève, à la frontière franco-suisse, avec le Conseil Œcuménique des Églises et le Centre Œcuménique de Bossey, a favorisé les échanges entre ces deux institutions. En juillet 1964, des étudiants de ce Centre partageaient un temps de dialogue sur l’identité religieuse adventiste avec ceux du Campus adventiste de Collonges-sous-Salève, sous la direction de Jean Zurcher, le président de cette institution. Plus tard, en 1981, une convention signée par la Faculté adventiste de théologie avec la Faculté de théologie protestante de l’Université des Sciences humaines de Strasbourg ouvrait à de nombreux étudiants adventistes, futurs pasteurs, un chemin leur permettant de se familiariser avec la réflexion théologique protestante. « Si donc dans les années 1950, les études supérieures, surtout en théologie, étaient regardées par la plupart des adventistes français 737
BOLETIN OFICIAL DEL ESTADO, Jefatura del Estado, Ley 24/1992, de 10 de noviembre, Ano CCXXXII, Jueves, 12 de noviembre de 1992, numero 272. Texte de loi additif à celui voté par le Parlement espagnol en 1986 et qui avait créé la FEREDE. Il précise dans l’article 12 la reconnaissance du repos hebdomadaire pour les fidèles de cette Union d’Églises « du coucher du soleil le vendredi soir au coucher du soleil le samedi, en substitution du jour établi par l’article 37.1 du statut des travailleurs, comme règle générale».
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comme inadaptées au projet missionnaire de l’Église, les trente dernières années ont vu, au contraire, la confrontation des pasteurs adventistes aux méthodes scientifiques d’analyse, à la recherche historique et à la pensée hétérodoxe (d’un point de vue adventiste) comme une source d’enrichissement »738. A partir de 1989, l’actualité médiatique a contribué sans le vouloir, pour une part seulement, à accélérer le mouvement déjà en cours. Sur le plan religieux, la France s’était installée, à ce moment-là, dans une situation de crise avec la question dite des ‘sectes’739. Le terme a été abondamment utilisé dans la presse et par les médias télévisés dans un sens dévié, global et péjoratif (dangerosité, dérives, étrangeté, etc.). Les échos dans l’opinion en déformaient l’image. La même opinion était alertée par la diffusion de débats parlementaires très animés autour du port du foulard islamique dans les établissements de l’Éducation nationale. Désinformations, confusions, généralisations hâtives faisaient le lit de suspicions qui concernaient même des Églises et des groupes chrétiens anciens sur le territoire, mais moins connu du public740. Dans ce double contexte, coopération, d’une part, et crise du religieux en France, d’autre part, qu’à la suite d’un rapport rédigé par l’auteur et remis au président de l’Union Franco-belge, un courrier a été adressé le 15 juillet 1991 aux présidents des deux Fédérations adventistes de France et aux membres du Comité plénier de cette Union leur demandant un avis sur l’éventualité d’une participation officielle de l’Église adventiste à la F.P.F. 7.5.2.- Le temps des débats (1991-1996) Une deuxième période s’ouvrait alors de 1991 à 1996, le temps des débats. Elle fut à la fois révélatrice d’un processus déjà bien engagé de maturation théologique et d’une volonté de dépasser certains freins, aboutissant en 1996 au dépôt du dossier de candidature de l’Union des Églises adventistes en vue d’y 738
LEHMANN, Richard, « L’Église adventiste en France. Chemins d’ouverture», in : DESPLAN, Fabrice et DERICQUEBOURG, Régis (dir), op. cit., p. 108. 739 L’affaire de Waco, aux États unis ; l’affaire du Temple solaire en Suisse, en France et au Canada ; la scientologie, les Enfants de Dieu, les adeptes du gourou du Mandarom, l’apparition des raëliens, l’extension du mouvement de Moon, désigné aussi sous l’appellation ‘Église de l’Unification’, la Soka Gakkai, la Nouvelle Acropole et la Rose-Croix d’Or, les ‘Enfants de Dieu’, cf. INTROVIGNE, Massimo ; MELTON, J. Gordon, Pour en finir avec les sectes. Le débat sur le rapport de la commission parlementaire, Paris, CESNUR-France, 1996. 740 En 1989, l’Union des Églises adventistes, avec ses deux fédérations françaises du Nord et du Sud, leurs Églises et les adresses des pasteurs était pourtant déjà répertoriées sous la rubrique ‘Autres Églises protestantes’ dans ‘l’Annuaire de la France protestante’ édité par la Fédération protestante de France.
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adhérer. On discerne mieux l’évolution du dossier en développant tout d’abord la chronologie des rencontres et des réunions qui en ont débattu ; ensuite, un survol de l’argumentaire qui a été développé permettra de comprendre les enjeux qu’une telle démarche représentait pour la conception que les membres pouvaient avoir de ce type de relations : 1. La chronologie des faits qui ont marqué l’évolution du dossier : • 15 juillet 1991 : le Secrétaire général de l’Union franco-belge des adventistes, Maurice Verfaillie, avec le soutien du président, Maurice Zenhacker, adresse aux présidents des Fédérations (Fédération France Nord et Fédération France Sud) et à leurs secrétaires, une lettre demandant l’avis de leurs Fédérations sur l’éventualité de rechercher un lien officiel avec la F.P.F. Depuis le début de 1989, Maurice Verfaillie avait eu des entretiens avec le pasteur Jacques Stewart, président de la Fédération protestante de France. La question d’une éventuelle démarche en vue du rapprochement était évoquée. Maurice Zenhacker informe le président de la Division eurafricaine de la démarche entreprise auprès des Fédérations. • Juillet 1991 : le président de la Division eurafricaine, Edwin Ludesher, exprime l’avis favorable de cette Division, dont relève administrativement l’Union franco-belge. Il traduit la position de la Conférence générale des Églises adventistes. • Octobre 1991 : L’Institut adventiste de théologie du Salève741, avec son corps professoral, vote d’encourager l’Union franco-belge à devenir membre de la F.P.F. • Octobre 1992 : accueil des membres du bureau de la F.P.F. au siège de la Fédération des Églises adventistes du Nord de la France, à Paris. • Mars 1993 : l’assemblée générale administrative de l’Union franco-belge libelle son vote de conclusion par une résolution : « Encouragés par le dialogue entrepris avec la Fédération protestante de France, nous invitons l’Union franco-belge à poursuivre sa démarche […]. Nous demandons que les mêmes démarches soient poursuivies en Belgique par la Fédération belgo-luxembourgeoise des Églises adventistes». • Mai 1993 : Les présidents de l’Union franco-belge et de ses deux fédérations, le président du Campus du Salève et le doyen de la Faculté
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Devenu plus tard, la ‘Faculté adventiste de théologie’.
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adventiste du Salève rencontrent à Paris le pasteur Jacques Steward, président de la F.P.F. • Fin mai 1993 : le pasteur Jacques Steward est l’invité du comité de la Fédération de France Nord. • Novembre 1993 : le comité plénier de l’Union franco-belge vote de demander aux Fédérations du nord et du sud de la France de soutenir une procédure d’adhésion à la F.P.F. (comme ‘membre associé’, situation que prévoyaient les statuts de cette Fédération à ce moment-là) et de consulter leurs Églises. • Janvier 1994 : la Fédération du sud vote à l’unanimité de soutenir cette démarche. • Février 1994 : la Fédération du sud de la France demande à la l’Union de préparer un document exposant les aspects positifs et les aspects négatifs des influences que peuvent produire une telle adhésion, afin de répondre aux questions nombreuses des membres dans les communautés locales. • Juin 1994 : La F.P.F. modifie sa Charte et consulte l’Église adventiste, avant sa rédaction définitive. Le statut de membre ‘associé’ est réservé aux Églises et aux associations étrangères. • De juin 1994 aux premiers mois de 1995, nombreuses consultations dans les deux fédérations, auprès de leurs corps pastoraux, des anciens des églises, des membres de leurs comités (avec votes consultatifs à bulletin secret) et réunions à la demande de certaines églises locales. • En février 1995, un vote consultatif du corps pastoral et des anciens des Églises de la Fédérations du Nord se prononce sur la demande d’adhésion, avec 49 voix en faveur, 12 voix contre et une abstention. • Mai 1995 : la maison d’édition Vie et Santé, qui se situe sur le territoire de l’Union franco-belge, se prononce aussi favorablement à cette démarche. • Mai 1995 : le comité de la Fédération du nord émet un vote défavorable (7 opposés et 4 abstentions). • 1er novembre 1995 : après les exposés des positions divergentes par leurs tenants et un débat, les membres des comités pléniers de l’Union francobelge, ceux des deux fédérations de France et celui de la Belgique, ainsi que les représentants de la Faculté adventiste de théologie, tous réunis à Lyon, se
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positionnent avec une large majorité (vote à bulletin secret) pour le soutien de l’Union dans cette démarche. • Novembre 1995 : le comité plénier de l’Union franco-belge vote le dépôt du dossier de candidature auprès la F.P.F. • Bien que les discussions au sein de la commission paritaire742 engagées au début de 1996 sont achevées depuis le milieu de 2002, pour répondre à l’insistance de certains groupes de membres, un dernier vote confirmait le 9 février 2003 la voie suivie, par 86 voix en faveur et 18 non, lors d’une assemblée extraordinaire de cette Union convoquée sur ce sujet. 2. Survol de l’argumentaire développé au cours des débats743 À la base, on s'interrogeait pour savoir si la question de l’adhésion de l’Église adventiste à la F.P.F. revêt du sens pour cette Église elle-même, bibliquement et théologiquement parlant, ou si elle ne relevait que du souci administratif et pratique. Le développement final de cet aspect de la question a fait l’objet de l’intervention de Richard Lehmann à la rencontre de Lyon, le 1er novembre 1995, sur laquelle nous reviendrons plus loin. Avant 1991, l’auteur avait remis au président de l’Union franco-belge un rapport qui en soulignait d’autres aspects aussi importants dans le contexte que nous avons décrit. En résumé : - la réalité de la solidarité chrétienne et de la qualité des relations qui existent entre les deux milieux sont démontrées dans plusieurs faits, la F.P.F. ayant souvent aidé l’Église adventiste lors de démarches importantes auprès des autorités françaises. Sur le plan de la confiance publique en France, la F.P.F. figure positivement le protestantisme, en raison de son passé et ses figures, telle celle de Marc Boegner ; - l’engagement de la F.P.F. dans la défense et la promotion de la liberté religieuse rejoint le souci de l’Église adventiste. Le combat de cette Église pour la sauvegarder prend une nouvelle dimension dans une atmosphère de 742
Voir plus loin, ‘Le passage de la marge à l’intégration (1996-2006)’, pp. 327ss. Archives de l’Union franco-belge des Églises adventistes, à Dammarie-les-Lys : Position opposée : cf. STOJANOVIC, Dragan, Plaidoyer pour la neutralité. Faut-il adhérer à la Fédération protestante de France ?, Lyon, 1er décembre 1995 (tapuscrit non édité) ; position en faveur : cf. LEHMANN, Richard, Pour une missiologie de la grâce, Lyon, 1er novembre 1995 (notes polycopiées). 743
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lutte contre les ‘sectes’, où toutes les minorités religieuses, y compris les plus honorables, se trouvent confondues dans une suspicion de ‘dangerosité’ (manipulée par les médias) et où les pratiques de tolérance, jusque-là prédominantes prenaient du recul (par exemple, les débats avec les autorités françaises sur la question du respect du sabbat par motif de conscience, tant pour les adventistes que pour les juifs pratiquants) ; - si des collaborations ont déjà vu le jour dans plusieurs domaines entre la F.P.F. et des personnes ou des organismes de l’Église adventiste, pourquoi un élargissement des relations dans les deux sens ne pourrait-il pas voir le jour ? - entrer dans la F.P.F., c’est élargir la voie des actions en commun, dans la reconnaissance mutuelle des croyants et affirmer le caractère protestant de la foi adventiste, en dépit de certaines dénégations venant du dehors ; - être membre de la F.P.F., c’est en même temps ouvrir de nouvelles possibilités de dialogue par la participation à ses débats à l’intérieur de ses organes. C’est aussi réaffirmer le caractère non exclusif et ouvert de la vision adventiste de la foi chrétienne, c’est entrer dans des relations honnêtes et franches ; - la F.P.F. n’est pas une superstructure ecclésiale. Elle n’a pas d’autorité théologique, administrative ou financière sur les Églises qui en sont membres. Elle est une plateforme de réflexion sur la Bible, de dialogue interreligieux, de débats sur des questions de société du point de vue protestant et de collaborations volontaires dans divers domaines sociaux. De juin 1994 jusqu’au mois de février 1995, c’est le même ensemble d’arguments qui a fait l’objet des débats, au cours des consultations qui ont été organisées par Église et par région. L’auteur a participé à la presque totalité de ces réunions, en tant que l’un des interlocuteurs. Au fil des réunions et des questions ou des interpellations, les contenus des argumentaires des deux positions, pour ou contre, se sont élargis. Nous relevons ici les arguments les plus significatifs qui ont été avancés par les participants aux débats : • en faveur de l’entrée dans la F.P.F : entrer dans une plus large fraternité chrétienne, reconnaître ses racines protestantes, obliger les adventistes à mieux dialoguer, renforcer la crédibilité et la reconnaissance de l’adventisme, de son message et de son mandat, meilleure perception des adventistes par le grand public, par le dialogue, faire connaître dans les
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milieux protestants eux-mêmes les spécificités de l’adventisme et ses véritables fondements, dynamiser la réflexion théologique et l’approfondissement de la pensée biblique, obliger, par les échanges à s’assurer de ses convictions et de leurs limites, échapper au ghetto de la ‘sectarisation’, faciliter le dialogue avec les autorités de l’État (en France, la F.P.F. constitue l’organisme religieux considéré comme une sorte ‘d’interface officieuse’ de l’État français dans ses rapports avec le protestantisme) ; • en défaveur de cette candidature : risque de confusion pour ‘ceux qui recherchent la vérité’, ‘dynamise la réflexion dans un débat pluriconfessionnel et force les membres d’église à s’ouvrir à l’autre’, ouvre la voie aux divisions dans l’Eglise adventiste, ‘des groupes d’opposants se constituent’, perte de l’indépendance de l’Église adventiste placée sous le contrôle de la F.P.F., conditionné par l’abandon des croyances adventistes spécifiques, ne constituera plus une Église spécifique, abandon de son identité, incohérence d’un engagement dans le protestantisme au regard d’un retour réformiste ‘à l’authentique adventisme des origines, la pure vérité’, démission coupable des responsables de l’Église adventiste face aux autorités civiles et religieuses, le ‘combat de l’Israël spirituel/Église chrétienne/Église adventiste doit rester toujours le même : ‘se séparer’, compromis et altération du message adventiste par l’influence des théologies d’autres Églises, perte de liberté dans l’expression du message adventiste, remise en cause des ‘déclarations normatives’ d’Ellen G. White, trahison de la position adventiste de ne pas adhérer au Conseil Œcuménique des Églises. 1e novembre 1995. Les quatre comités des différentes instances de l’Union franco-belge se sont réunis pour procéder à un vote définitif sur la question à la suite de toutes les consultations commencées en 1991. Mais avant cela, deux argumentaires conclusifs ont été développés à la demande de l’Union : 1. en faveur de l’adhésion. L’argumentation de Richard Lehmann, pasteur et doyen de la Faculté adventiste de théologie, s’est appuyée sur des réflexions fondées sur la Bible et la théologie : • - les modes d’action de Dieu, son comportement ‘missionnaire’ ne s’enferme pas dans des cadres exclusifs (Es 19,19-25) • - Israël n’a pas survécu parce qu’il s’était isolé de toute influence étrangère (lui-même formé de gens issus de différents peuples), mais parce qu’il a su être à la fois ouvert aux autres et porteur d’une identité :« La sagesse de l’Église apostolique, de l’Église adventiste et des prophètes a été, dans l’histoire, de ne pas se replier sur des formes fixes,
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des types de rapports préétablis, des méthodes uniques d’évangélisation, mais bien de s’adapter aux circonstances »744 • - dans l’histoire d’Israël, il n’y a pas une attitude unique dans ses relations avec les autres peuples. Paul les résume en parlant de l’identification chrétienne comme d’une identification au monde dans le sens positif du terme, la capacité de se faire tout à tous • l’Église a été assez ouverte pour accepter de soutenir des rapports et des approches différentes dans l’accomplissement de son mandat. Et que dire de l’Église adventiste dont l’histoire témoigne, nous l’avons vu, de changements et modifications dans ses rapports avec la société en fonction d’une identité religieuse qui elle-même évolue face aux circonstances ? Aujourd’hui, elle est formée de millions d’hommes et de femmes dans le monde entier, avec leur identité culturelle. Il faut respecter toutes les identités et s’adapter à elles. L’expérience adventiste a montré les dangers de s’enfermer dans un ghetto, devenus incapables de prendre conscience des besoins réels et de la vraie nature des défis qu’elle doit affronter. Ensuite sur le plan des enjeux sociologiques, l’adhésion clarifie la position de l’Église adventiste sans cesse obligée de faire valoir si elle se situe ou non au sein du protestantisme, participant à ses activités sociales sans collaborer aux autres, sous prétexte d’une interprétation de certains textes bibliques, erronée bibliquement parlant ; puis sur un plan ‘politique’ (l’Église adventiste ne peut opposer à ses opposants qu’un discours de ‘secte’ reconnue nulle part, n’étant pas même reliée à la vitrine publique du protestantisme, la F.P.F.) 2. en défaveur. Le pasteur Dragan Stojanovic a développé son argumentation, à partir de la déclaration qu’il a faite dès l’introduction de son exposé : « J’ai une conviction profonde que cette particularité (une Église qui doit inviter toutes les personnes à sortir de la confusion, y compris des Églises protestantes) ne pourra pas être préservée si nous adhérons à la F.P.F. en tant que membre à part entière »745. Il a développé son raisonnement en quatre points : • raisons historiques : la naissance du mouvement adventiste est liée à une proclamation condamnant les confusions des églises chrétiennes (y compris protestantes ; en adhérant à la F.P.F., l’Église 744
LEHMANN, Richard, Pour une missiologie de la grâce. Rencontre de l’Union franco-belge, Lyon, 1er décembre 1995, tapuscrit non édité, s.p. 745 STOJANOVIC, Dragan, Plaidoyer pour la neutralité. Faut-il adhérer à la Fédération protestante de France ?, Lyon, 1er décembre 1995, tapuscrit non édité, s.p.
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adventiste ferait un ‘grand zigzag’ historique, évoluant selon des démarches antithétiques. Il résume sa pensée avec le schéma en quatre étapes : 1) 1844, ‘Sortez de Babylone’’ ; 2) 1960-1995, appel ‘sortez bientôt’ ; 3) à partir de 1995, ‘associons-nous’ ; 4) dans les moments ultimes de l’histoire du monde, ‘sortez’ • raisons philosophiques : l’état d’esprit des membres de l’Église adventiste en France n’est pas à l’avantage d’une telle démarche : « [...] pour dire autrement et très ouvertement, il y a des membres qui aiment lire les écrits comme ‘La Tragédie des Siècles’ sans se sentir obligés de faire toute une gymnastique de l’esprit pour réconcilier les votes majoritaires d’aujourd’hui avec ce qui a été dit il y a plus de cent ans » • raisons sociologiques : l’état du protestantisme en France, et ailleurs, ne permet pas de penser que cette adhésion est bonne. Le long développement de sa pensée veut montrer la préoccupation prioritaire de la F.P.F. est d’établir un rapport entre ses Églises membres et la société par ses engagements sociaux et de jouer un rôle dans la construction européenne. ‘Les priorités adventistes sont ailleurs’. L’adhésion éloignera l’Église adventiste de ses objectifs, même sur le plan social, où elle doit agir seule et en toute indépendance • raisons éthiques : les particularités éthiques de la F.P.F. Nos formulations de la foi adventiste seront préservées, mais il y a de sérieuses divergences sur la mise en œuvre des moyens de préserver l’éthique sociale. Les mises au point et les rectifications publiées à la suite des débats entre les Églises membres en matière d’éthique font que l’adhésion n’est certainement pas une voie à adopter. L’auteur fait remarquer que le statut minoritaire de l’Église adventiste ne lui laissera pas la parole ; qu’on ne peut avoir la garantie qu’il ne sera surgira aucun désaccord entre la F.P.F. et l’Église adventiste. La spécificité du message adventiste, dont son refus d’adhérer au Conseil Œcuménique des Églises, implique un mouvement « appelant les croyants à quitter les corps ecclésiastiques déchus. Pourrions-nous encore remplir cette mission en nous liant à la F.P.F. ? ». Sa conclusion : répondre aux demandes des législations en fonction des différences entre les systèmes de relations entre les Églises et les États, donc, en adhérant État par État, sous diverses formes d’organisations qui regroupent les Églises protestantes, revient à rechercher des ‘couvertures sociales’ différentes. Dragan Stojanovic en a appelé à la neutralité, à la séparation, à rechercher le
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dialogue, sans adhérer, et à une réflexion plus approfondie sur le retour à l’identité des origines de l’Église adventiste. De 1995 à 2002, 11 articles, informations ou dossiers ont été publiés et diffusés dans les églises locales en vue d’informer leurs membres sur l’évolution des consultations et des débats avec les représentants de la Fédération protestante de France746. 7.5.3.- Le passage de la marge à l’intégration (1996-2006) Le 26 mars 1996, conformément à la procédure officielle, la Fédération protestante de France proposait à l’Église adventiste de nommer une commission paritaire chargée de réunir les documents nécessaires, afin d’examiner les questions et les croyances partagées en commun et les spécificités théologiques et doctrinales de l’adventisme représentées par cette Église. Cette étape marquait l’ouverture de la troisième période, celle du passage de la marge à l’intégration. Elle s’est déroulée en deux moments : 1. de la fin du mois de mai 1996 à juin 2000 : quatre années de rencontres entre les membres de la commission paritaire, avec le rapport final au comité de la Fédération protestante de France747. Il donne un aperçu 746
Avril 1995 : Sud Info n°9, ‘Notre adhésion à la Fédération protestante de France’ ; janvier 1996 : Revue adventiste, ‘L’Église adventiste souhaite adhérer à la Fédération protestante de France’ ; ‘Une lente maturation’ ; ‘La Fédération protestante de France : qu’est-ce que c’est’ (publication en encarts distribués à tous les membres des églises de l’Union franco-belge) ; mars 1996 : Revue adventiste, Courrier des lecteurs, ‘Les réactions’ ; mai 1996 : Revue adventiste, Courrier des lecteurs, ‘Les réactions’ ; novembre 1996 : Revue adventiste, ‘ La demande d’adhésion en court’ ; Avril 1997 : ‘Les relations avec la Fédération protestante de France’ ; octobre 1997 : Revue adventiste, ‘Les relations avec la Fédération protestante de France’ (article cosigné par les membres de la commission paritaire) ; janvier 1999 : Bulletin d’information adventiste (BIA), ‘Les Assises de la Fédération protestante de France’ ; mai 2000 : Revue adventiste, ‘La Fédération protestante de France, nouvelles dimensions du dialogue’ ; janvier 2001 : Revue adventiste, numéro spécial ‘Relations interconfessionnelles, le dialogue et la Fédération protestante de France’ ; octobre 2001 : Revue adventiste, ‘Rapport de la commission paritaire (I), Les Écritures et Ellen Gould White’ ; avril 2002 : Revue adventiste, ‘Rapport de la commission paritaire (II), Jésus-Christ, Sauveur et Seigneur, la justification par la foi, le jour du repos, la sanctification’ et ‘La primauté du dialogue’, ‘Témoignages à Englefontaine, dialogue dans le Jura’. 747 Réunions de la commission paritaire : 31 mai 1996 ; 9 septembre 1996 ; 28 janvier, 29 avril, 17 juin, 10 septembre 1997 ; 21 janvier, 31 mars 1998, et une même périodicité de quatre rencontres par an jusqu’en 2002. Sujets débattus : Les Écritures/Ellen G.White ; Jésus comme unique Seigneur et Sauveur/ Le samedi ; Salut en Jésus-Christ et justification par la foi seule/La sanctification ; Reconnaissance du pluralisme de la lecture des Ecritures/L’Église du reste ; Accueil mutuel à la Cène/Lavement des pieds et vin ; Présence au monde/œcuménisme.
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détaillé des collaborations déjà en cours, tant au niveau des secteurs que des localités, comme celles avec l’émission de télévision ‘Présence protestante’, sur la chaîne France 2, le dimanche matin. Il fait état également des réticences et des difficultés dans certains lieux. On peut aussi ajouter qu’en 1995, le pasteur Jacques Steward, président de la Fédération protestante de France, avait été invité par l’Union francobelge à la session quinquennale mondiale de la Conférence générale des Églises adventistes qui s’est tenue à Utrecht, aux Pays-Bas ; de même que le fut, en 2005, le pasteur Arnold de Clermont, son successeur, à celle qui s’est tenue à Saint-Louis, aux États-Unis. 2. De juin 2000 à mars 2006, deux années ‘probatoires’ (conformément aux statuts de la Fédération protestante de France) au cours desquelles la Fédération protestante de France a consulté les Églises qui en sont membres sur l’état de leurs relations et des coopérations avec l’Église adventiste au niveau local pour vérifier son intégration à Fédération protestante de France. Le 11 mars 2006, l’assemblée générale administrative de cette dernière votait son admission comme membre748. 7.5.4.- Les avancées et les résistances Le 3 mai 2007, lors de la journée d’étude organisée à Paris par le programme de recherches ‘Religions et groupes religieux minoritaires’ (CNRS/Groupe Religions, société, laïcité) et consacrée à l’analyse de l’entrée de l’Église adventiste du septième jour dans la Fédération protestante de France, Jean-Paul Willaime concluait son intervention par un constat positif de la nouvelle situation, à la fois pour la Fédération protestante de France et pour cette Église : « Même si cela complique ses prises de position publique (celles de la Fédération protestante de France, note de l’auteur) en matière éthique (éthique sexuelle et familiale notamment), son engagement œcuménique et son propre fonctionnement, cela a au moins le mérite de prendre en compte réellement, avec tous les défis qu’elle représente, la diversité structurelle de ces lecteurs de la Bible que sont tous ces protestants. L’admission des adventistes à la Fédération protestante de France, si elle correspond à des évolutions internes aux Églises adventistes elles-mêmes, s’inscrit donc incontestablement dans une évolution de la Fédération protestante et de ses Églises membres. Élodie Maurot, dans un article de La Croix du 9 mars 2006, soulignait que le choix de la Fédération protestante de France était ‘une option courageuse ou 748
Le résultat du vote de l’Assemblée générale de la Fédération protestante de France a marqué une large majorité, avec 63 en faveur, 3 non et 2 abstentions sur 68 votants.
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compromettante, selon les points de vue. Une posture en tout cas délicate, compte tenu des craintes et du rejet que suscitent aujourd’hui les courants évangéliques américains’. Sacrifiant au stéréotype couramment appliqué à des expressions protestantes nées dans le terreau nord-américain, elle oubliait un peu vite qu’il y avait bien des adventistes français et sans doute heureux de l’être. Leur intégration dans une Fédération protestante de France (italiques dans le texte) ne peut que marquer leur intégration pleine et entière dans un paysage religieux français de plus en plus diversifié notamment dans ses composantes protestantes »749. Du côté des adventistes en France, en effet, comme le déclare Jean-Paul Willaime, cette entrée correspond à des évolutions internes, fruits d’une réflexion biblique constante, de l’élargissement et de l’approfondissement de sa pensée théologique et de l’expérience de l’Église, ainsi que d’une relecture plus critique de ses origines et de son histoire. D’un autre côté, sur le plan pratique et peu de temps après l’adhésion, Richard Lehmann remarque750 que, s’il y a « [...] une certaine stabilité des occasions de rencontres institutionnalisées telles que la semaine pour l’unité des chrétiens ou la journée de prière des femmes »751, et que, si le nombre de contacts personnels avec des pasteurs d’autres paroisses s’est affaibli, ce n’est pas le signe d’un recul. Le nombre des activités en commun ayant sensiblement augmenté, le besoin de mentionner le fait de ces relations ne se fait plus autant sentir. Les célébrations interconfessionnelles paraissent plus nombreuses, de même que les études bibliques en commun, les participations à des rencontres entre jeunes et celles à des chorales ou à des orchestres ; « [...] nombre de pasteurs font état de leur élection à des bureaux tels que ceux des pastorales locales, aux antennes de la Fédération protestante de France, de même qu’à la présidence de groupes interconfessionnels. Certains sont invités à prêcher au cours de réunions de synodes régionaux. Des collaborations nouvelles s’établissent autour des radios locales, des documents communs sont publiés »752. Mais ces avancées théologiques et pratiques ne mettent pas un terme à certaines résistances. Les documents et la correspondance relatifs font apparaître au cœur des débats des façons différentes de concevoir l’identité religieuse adventiste, l’une ouverte et à l’écoute, s’interrogeant sur des remises 749
WILLAIME, Jean-Paul, « L’intégration des adventistes du septième jour à la Fédération protestante de France», in : DESPLAN, Fabrice ; DERICQUEBOURG, Régis (dirs), op. cit., p. 97. 750 Analyse d’un sondage effectué auprès du corps pastoral en 2007, cf. LEHMANN, Richard, « L’Église adventiste en France. Chemins d’ouverture», in : DESPLAN, Fabrice ; DERICQUEBOURG, Régis (dirs), op. cit., p. 113. 751 LEHMANN, Richard, « L’Église adventiste en France. Chemins d’ouverture», in : DESPLAN, Fabrice ; DERICQUEBOURG, Régis (dirs), op. cit., p. 112. 752 Cf. IDEM, pp. 112-113.
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en question d’idées-forces transmises, favorable au dialogue, à la communion et à la fraternité spirituelles, sans pour autant renier l’héritage de l’Église adventiste et les caractères propres de son message évangélique ; l’autre se positionnant en une sorte de front du refus, réactionnel, avec une connotation péjorative et exclusive dans la façon de considérer les autres Églises chrétiennes, mais à l’opposé de certaines positions prises par les premiers, considérées comme trop ‘progressistes’, ou, parfois même, comme ‘compromettantes ‘ et qui mettent en danger l’identité adventiste. Nous avons vu plus haut que cette dernière position – une forme d’identité religieuse par opposition –, est probablement favorisée par différents facteurs socio-culturels et doctrinaux, et peut-être aussi par manque de reconnaissance. Avec Jean-Paul Willaime et Richard Lehmann, nous pensons que le chemin pour surmonter ces résistances est encore long. Partant d’un sondage qu’il a effectué en 2007, Richard Lehmann constate qu’aucun pasteur adventiste des églises antillaises de la région parisienne, où le plus grand nombre d’entre elles est installé, ne lui a répondu. « Si les importantes communautés antillaises de Lyon et de Toulouse se montrent ouvertes, peu d’initiatives sont menées à Paris mis à part la communauté de Neuilly traditionnellement très engagée sans que sa forte composante antillaise n’ait représenté un frein [...]. La confrontation avec l’Église catholique majoritaire aux Antilles est peut-être une des causes de cette frilosité. Mais l’Union des Antilles ne s’est pas prononcée contre l’adhésion et ses dirigeants se sont mis à l’écoute de nos travaux »753. Dans une analyse du problème antillais en France, Fabrice Desplan voit une raison complémentaire à ce type de résistance. Pour cela, il se place sous l’angle de l’analyse socio-ethnologique : « Chez les Antillais, le groupe est vu comme une structure devant permettre le renforcement des liens entre membres du groupe. Le groupe est perçu comme un espace d’expression de l’identité religieuse adventiste. ‘L’Église est un rassemblement de croyants qui partagent la même foi. Le but de l’Église est que les frères et sœurs puissent échanger, partager, pour que de l’extérieur les gens puissent voir comment nous sommes un peuple de personnes heureuses et bénies. C’est pour cela qu’il est bon de voir la communauté organiser des rencontres où nous sommes bien entre enfants de Dieu. C’est comme cela que notre identité d’adventiste s’affirmera pour nous, et pour ceux qui nous regardent [...]. Une représentation du groupe comme espace d’expression et d’affirmation de l’identité adventiste pour les Antillais semble aller dans la continuité d’une réappropriation de l’identité antillaise. En effet, comment ne pas faire le lien avec les formes d’expression de l’adventisme, notamment dans sa liturgie, qui sont fortement marquées par la présence antillaise ? De plus, cela correspondrait à un développement des actions du groupe vers l’intérieur, en direction des membres, à la différence de la 753
IDEM, p. 113.
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représentation autochtone qui conçoit le groupe dans sa perspective missiologique. Les représentations du groupe semblent chez les Antillais et les autochtones répondre aux impératifs de chacun de ces deux sous ensembles de l’adventisme. [...] Notons que les autochtones ont une représentation du groupe voulant développer des relations sociales ouvertes, c’est-à-dire tournées en direction des individus non membres du groupe. A la différence, les Antillais semblent, en écho à la réappropriation identitaire, développer des relations sociales de type fermé, orientées vers les membres du groupe [...]. En d’autres termes, les représentations différentes de l’utilité du groupe conduisent les autochtones et les Antillais à vouloir orienter l’action collective en France dans des directions différentes. Dans le cas lillois (communauté de l’Église adventiste à Lille, note de l’auteur), ces différences ont été si importantes qu’elles ont entraîné une scission de l’église locale en deux communautés, l’une à dominante antillaise et l’autre à dominante autochtone» 754. On peut s’en douter, durant la période que nous avons appelée ‘le temps des débats’, de 1991 à 1996, le processus qui a abouti à cette adhésion ne s’est pas déroulé sans difficultés. Pas seulement en raison de la problématique culturelle antillaise très présente dans les rangs des membres de la Fédération du Nord de la France (région parisienne). Les archives témoignent qu’en dehors de leur communauté d’origine, d’autres ont quitté la leur pour se rallier à des groupes adventistes jugés plus conservateurs. Certains tentent de constituer de nouvelles communautés qui répondraient mieux à leurs critères de la foi adventiste et, selon eux, à une plus grande orthodoxie à ses commencements. Se réclamant cependant de l’appartenance à l’Église adventiste mondiale. « Quelques pasteurs sont partis à l’étranger pour servir des communautés à leurs yeux plus conservatrices ; l’élection en 1997 du nouveau président de la Fédération Nord aura été passablement houleuse autour de la question de l’adhésion, un gros travail d’explication a dû être conduit dans les communautés dans un esprit d’écoute et de liberté, mais aussi de tension et de contestation »755.
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DESPLAN, Fabrice : « Le religieux minoritaire comme outils de reconstruction identitaire. Le cas des Antillais français adventistes en France», Communication au Congrès de l’Association Française de Sociologie, Villetaneuse, Université de Paris 13, AFS Éditions, février 2004 (162), p. 26, 27. 755 LEHMANN, Richard, « L’Église adventiste en France. Chemins d’ouverture», in : DESPLAN, Fabrice ; DERICQUEBOURG, Régis (dirs), op. cit., p. 110.
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7.5.5.- Interrogations et convergences Durant les discussions et les dialogues avec la Fédération protestante de France et ses représentants, aucune des interrogations essentielles n’a été évitée. On peut les résumer en quelques thèmes756 : l’herméneutique des écrits de la Bible et de ceux d’Ellen Gould White, avec la tentation pour certains groupes dont nous avons parlé plus haut, de prêter à ces derniers une autorité normative, en particulier dans la façon de lire et de diffuser son ouvrage ‘La tragédie des Siècles’ ; l’œcuménisme, la notion ‘d’Église du reste’ et du jugement, la loi et la grâce salvatrice par la foi, le respect du sabbat, à propos duquel Jean-Paul Willaime rapporte la réflexion du pasteur Marcel Manoël, président de l’Église Réformée de France : « [...] le respect du sabbat peut nous interroger sur la distance face à la société de consommation »757. Bien que ce dernier point de l’enseignement théologique et doctrinal de l’Église adventiste soulève des interrogations, il est considéré par la Fédération protestante de France comme une particularité adventiste. Pour ces derniers en effet, il ne représente pas un test de salut, sauf, toujours pour certains groupes d’adventistes qui y lisent ‘une marque’ qui distingue les ‘sauvés’ des ‘perdus’. L’ouverture de l’Église adventiste vers les autres communautés chrétiennes a été encouragée par le contexte nouveau qui s’est créé sous l’effet de divers facteurs et de courants de pensée qui se sont affirmés dans la deuxième moitié du 20e siècle en Europe. En même temps que les transformations de la société sous le jeu des mouvements migratoires, des nouveaux modes de relations et de communications, des leçons tirées des deux Grandes Guerres du 20e siècle, de la promotion de l’idée de la liberté de conscience et du courant d’œcuménisme qui a favorisé des dialogues dans des rapports non agressifs entre chrétiens de différentes confessions, il faut mentionner l’esprit ouvert, l’attitude fraternelle et le travail de fond de plusieurs présidents de la Fédération protestante de France, dont les pasteurs Jacques Steward et Arnold de Clermont. Dans ces circonstances, aussi bien du côté de la Fédération protestante que de l’Église adventiste, des hommes d’ouverture ont pu se manifester et œuvrer en faveur de cette adhésion, avec l’accès de pasteurs adventistes à des pastorales locales et à d’autres réunions semblables. La nouvelle approche de la notion adventiste de la mission globale développée par Gottfried Oosterval, sociologue et missiologue, directeur de l’Institut de la mission globale d’Andrews University, aux États-Unis, a mis en valeur le sens du service et des d’amitiés dans les rapports évangéliques. Il en a résulté le besoin d’agir ensemble dans l’écoute 756
Cf. note 747. MANOEL, Marcel, Réforme, Paris, 4-10 décembre 2003, cité par WILLAIME, Jean-Paul, « L’intégration des adventistes du septième jour à la Fédération protestante de France », in : DESPLAN, Fabrice ; DERICQUEBOURG, Régis (dirs), op. cit., p. 95.
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des autres et de leurs besoins, au lieu d’engager des discussions stériles sur des points particuliers de la foi des partenaires. 7.6.- Les enjeux Confrontations, en Europe, de l’Église adventiste avec les mentalités de l’ultramodernité, courants de pensée et situations nouvelles de l’après Seconde Guerre mondiale, changements des buts à atteindre dans les relations interconfessionnelles et interreligieuses, d’une part, et d’autre part, ouvertures dialogiques et de coopérations avec d’autres univers religieux, adhésion à la F.P.F. Autant de faits qui peuvent servir d’analyseurs des évolutions internes de l'Église adventiste. Ils permettent, selon nous, de situer l’identité religieuse adventiste au travers du témoignage de son repositionnement dans les sociétés religieuses françaises et suisses. Cela ne se fait pas sans douleur, nous l’avons vu. Toutefois, en considérant la réalité d’une croissance lente, mais constante et l’élargissement de la présence adventiste dans de nouvelles sphères de la vie sociale en Europe, les confrontations montrent que c’est dans le registre d’un approfondissement de son sens et de sa signification que cette identité religieuse s’assume. Elle ne se construit plus sur le modèle d’une protestation vis-à-vis du catholicisme, ou même quelquefois du protestantisme, mais celui d’une dynamique du mouvement, dans la fidélité aux sources scripturaires de la Bible. Bien que constituée historiquement à la suite d’un rejet après l’expérience de 1844, l’enjeu de l’Église adventiste, dès ses origines, n’a pas été de s’établir comme une organisation séparée des autres confessions chrétiennes. En effet, par ses racines, il n’est pas dans sa nature de se constituer en ghetto, ni de s’identifier par une opposition systématique. L’autre enjeu, tout récent, est celui de savoir jusqu’à quel point cette identité peut intégrer ou non tous les paramètres de l’attitude dialogique moderne. Sera-t-elle capable de gérer les défis que représentent les relations avec les autres confessions chrétiennes et les rapports avec les autres religions qu’elle rencontre avec son extension dans le monde ? Les débats qui ont précédé son adhésion à la F.P.F. sont révélateurs des luttes internes pour corriger les tentations isolationnistes qui ont marqué certaines étapes de son histoire et qui existent encore dans certains milieux adventistes. Cette adhésion l’oblige à réviser ses réflexes partisans et dans la logique de son propre discours sur la croissance chrétienne, à se redéfinir constamment en termes de témoignage, de fraternité avec tous les hommes et de service dans des sociétés en souffrance. Nous rejoignons l’analyse de Jean-Paul Willaime, tout en tenant compte, en ce qui concerne l’Église adventiste occidentale, de certaines différences, quand
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il écrit : « Dans le registre socio-politique comme dans le registre psychoindividuel, la référenciation du discours théologique à l’expérience, au ‘vécu’ peut servir à absolutiser des choix et à disqualifier par avance toute autre élaboration théologique qui ne s’enracinerait pas dans le même ‘vécu’. Autrement dit, les théologies de l’expérience sont particulièrement aptes à développer de nouvelles orthodoxies et à définir des stratégies intransigeantes »758. Dans le monde adventiste européen, peu de membres construisent leur identité religieuse uniquement sur ce ‘registre psychospirituel’, émotionnel du ‘vécu’. Son message religieux, lu et reconnu au travers des enseignements de la Bible, constitue en quelque sorte un système référentiel de coordonnées modérant le rapport entre l’aspect cognitif de la foi enseignée, la spiritualité et le ‘vécu’ émotionnel personnel ou communautaire. La théologie adventiste en appelle autant à la réflexion qu’aux relations humaines, l’une tempérant les autres. Néanmoins, certains adventistes ou groupes de membres pourraient s’inscrire plus ou moins dans le schéma décrit par Jean-Paul Willaime. Ce chapitre montre, pensons-nous, qu’en ce qui concerne l’identité adventiste dans son ensemble, le ré-ancrage du discours théologique de l’Église adventiste sur la révélation biblique, sa manière de le comprendre et son repositionnement dans les relations interconfessionnelles, malgré certaines spécificités et quelques réserves, n’est ni ‘absolutisant’, ni ‘disqualifiant’, ni exclusif d’autres approches chrétiennes. Il recherche, en s’enracinant dans sa lecture évangélique de son message prophétique, les raisons d’un équilibre entre ouverture aux autres et protection identitaire raisonnable, non discriminatoire. Tension entre la continuité et la discontinuité, dans les relations avec les autres Églises chrétiennes et les autres religions monothéistes.
758 WILLAIME, Jean-Paul, La précarité protestante. Sociologie du protestantisme contemporain (Histoire et société 25), Genève, Labor et Fides, 1992, p. 51.
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Conclusion - Rétrospective et perspectives d’avenir Le moment est venu de tenter de faire le point sur l’investigation qui nous a conduits à suivre l’itinéraire de la construction des différentes dimensions de l’identité religieuse adventiste et à les mettre en perspective dans les sociétés religieuses des 19e et 20e siècles. La structure de notre étude guide la progression de la pensée qui la traverse. Avec deux chapitres (1 et 5), nous avons développé une clé d’interprétation sociologique de l’Église adventiste et de son identité religieuse, telles qu’elles sont analysées aux chapitres 2, 3 et 4. Une analyse rapide du religieux dans l’ultramodernité, montre que le religieux reste au 21e siècle un enjeu social, mais dans un mode différent du passé. Il est surtout marqué par la réflexivité systématique759 et l’idiosyncrasie760. Les études révèlent l’importance accordée par les croyants à l’autonomie de leur foi par rapport à l’institution. Néanmoins, en réaction à l’idiosyncrasie extrême, l’ultramodernité en Europe tendant de plus en plus à relativiser le rôle des cultures, le religieux se réinvestit comme pourvoyeur d’identité individuelle et collective. Il participe au repositionnement par rapport à d’autres groupes ou d’autres options. On peut en déduire que, comme lieu de mémoire et de foi, les institutions religieuses chrétiennes peuvent encore jouer un rôle, en redéfinissant leurs relations avec leurs fidèles et en repensant certaines formulations du discours autour de leur message évangélique, face à une situation européenne en devenir de ‘laïcité culturelle’ selon l’expression de Jean-Paul Willaime. L’étude du chapitre 1 fournit des éléments sociologiques pour l’analyse d’une l’identité religieuse moderne. Ils contribuent à mettre en perspective l’identité religieuse adventiste dans ses rapports avec l’ultramodernité. À l’analyse, il apparaît clairement que le mode de régulation propre à l’Église adventiste relie entre elles les identités religieuses adventistes du monde entier et au patrimoine du protestantisme. Au chapitre 5, nous nous sommes attachés à en retracer le modèle spécifique en tenant compte qu’il l’exemplifie théoriquement, sans l’enfermer totalement. On constate que c’est un ‘système institutionnel idéologique’, avec son propre mode organisationnel supra local et international, désacralisé et dont le magistère est idéologique, avec comme garant ses théologiens et ses pasteurs. C’est une organisation ecclésiale dans laquelle le lieu de la vérité est le message, avec la référence à l’autorité de l’enseignement véhiculé par la Révélation, la Bible. Son organisation est construite sur le modèle de la séparation entre le pouvoir 759 760
Cf. note 42. Cf. note 27 et note 47.
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administratif de l’institution et l’autorité idéologique. Regroupant les caractères de plusieurs modèles du monde protestant, son mode de régulation est aussi révélateur de la dimension culturelle de cette identité, en tant que lieu commun de la mémoire du religieux et du lien sociétal des adventistes. Avec les éléments d’analyse sociologique du profil de l’identité religieuse adventiste que nos avons soulignés, le tableau la situe dans ses caractères propres et ceux qu’elle détient en commun avec le protestantisme. Il contribue à la mettre en perspective dans un paysage religieux de plus en plus diversifié en France, en Belgique et en Suisse, résultant du contexte du religieux en général dans l’ultramodernité. En revisitant les héritages religieux de l’adventisme, le chemin parcouru pour la construction de son identité à partir du 19e siècle, les étapes de la formation de sa théologie, et surtout l’esprit qui y a présidé, le chapitre 2 montre que le concept de la théologie et de la doctrine avancé par les fondateurs de l’Église adventiste se fonde sur l’idée d’une recherche permanente avec les instruments qui sont à la disposition de ses théologiens, en vue d’une compréhension meilleure du message biblique. Ce regard rétrospectif a mis en relief les évolutions et les changements significatifs dans la théologie et les doctrines adventistes qui se sont opérés avec le temps. Ils témoignent de la dynamique qui les sous-tend. C’est en même temps une sorte de feed-back vers des clés d’interprétation sociologiques du religieux au 21e siècle. Il montre en filigrane les convergences et les divergences des causes et des effets, entre le religieux adventiste et le religieux en ultra modernité en Europe. En retraçant les étapes de la construction de l’organisation de cette Église de 1844 à 1907, celles de l’évolution de son concept de la mission et les premiers pas de son implantation en Suisse et en France, nous pouvons constater que, dans sa confrontation avec les événements, les circonstances et les besoins nouveaux qui s’imposent, face aux cultures diverses religieuses en présence, l’identité religieuse adventiste figure au sein du protestantisme un christianisme qui reprend avec des accents propres les héritages majeurs de l’Église apostolique, de la Réforme au 16e siècle et de ses suites, comme le montre le chapitre 2. Après les conclusions du chapitre 3, on peut écrire que ce serait une erreur de vouloir associer culturellement et idéologiquement l’identité religieuse adventiste en Europe à la culture et à la mentalité américaine, tant les contextes des pays où elle est implantée depuis le dernier tiers du 19e siècle sont différents. Ce chapitre laisse entrevoir le profil de l’identité religieuse adventiste en Europe. Il évoque des ‘traumatismes’ qui ont interpellé et contraint les adventistes européens à réfléchir sur ce que signifie leur identité dans ces environnements socio-politiques. En même temps qu’à avoir toujours conscience de l’unité morale et spirituelle au-delà des différences régionales et des frontières nationales.
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Le chapitre 4, en analysant la dimension spirituelle de l’identité religieuse adventiste, montre qu’elle ne se réduit pas à l’image d’un intégrisme ou d’un fondamentalisme conservateur. Trois constatations s’en dégagent : 1. Que la dimension spirituelle, qui fait partie des composantes de la personnalité humaine, tout en étant de l’ordre de l’esprit, est aussi de l’ordre de l’existence sociale de l’homme. En tant que dimension de l’identité religieuse adventiste, elle dynamise les éléments bibliques et théologiques donnés à la foi du croyant adventiste et les valeurs qu’il partage avec les autres croyants 2. Type de croyant ‘christocentré’ (Sébastien Fath) et reconnaissance du rôle de la dimension spirituelle dans son identité religieuse conduisent le croyant adventiste, comme dit Jean Baubérot à propos de l’individualisme protestant, non pas à « une ‘fuite’ hors du collectif, mais qu’il constitue plutôt une manière spécifique de s’y insérer». 3. Dans la confrontation avec le modèle individualiste de la religiosité en ultramodernité en Europe, comme nous l’avons vu au chapitre 1, le croyant adventiste apparaît comme un acteur volontaire, mais en tension à la fois sur le plan religieux et sur le plan social, entre un certain fondamentalisme et un certain libéralisme. En comparaison avec les figures proposées par Danièle Hervieu-Léger, ce chapitre le situe comme un chrétien engagé, vivant la modernité religieuse européenne dans un esprit de critique positive. En traitant de la dimension spirituelle, le chapitre 4 constitue en quelque sorte le chaînon qui relie les analyses précédentes aux deux révélateurs de la progression de cette identité religieuse, depuis sa marginalisation à ses origines à l’intégration sociale en Europe au 21e siècle. Les chapitres 6 et 7 atteignent la pointe de notre analyse de l’identité religieuse adventiste. Le chapitre 6 montre que cette identité appartient à un type de construction où se joue la conjugaison entre ses dimensions culturelles (chapitres 1 à 5), sa dimension spirituelle (chapitre 4) et sa dimension éthique, objet de ce chapitre. Cette dimension est abordée ici au travers d’une de ses composantes, la liberté de conscience et de religion761. Ce chapitre montre comment elle détermine les rapports de l’Église adventiste avec les autres milieux religieux ou non, y compris son approche relativement récente du 761
Rappelons que la dimension éthique de l’identité religieuse adventiste recouvre d’autres composantes, cf. note 561.
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dialogue interreligieux (chapitre 7). Son engagement dans le soutien à la promotion et à la défense de la liberté religieuse montre que son message religieux véhicule des valeurs qui se combinent d’une manière dynamique à un ensemble de valeurs universelles. Dans ce sens, les combinaisons entre dimensions éthiques, dimensions culturelles et spirituelles au cours du développement de cette identité, ont infléchi le processus de ses relations avec les sociétés modernes, sans rompre le lien identitaire fondamental. Avec le dernier chapitre, nous avons suivi le parcours du dialogue interconfessionnel dans la pensée et les pratiques des Églises durant la seconde moitié du 20e siècle. Il retrace celui de l’Église adventiste. L’événement de l’entrée de l’Église adventiste dans la F.P.F, en 2006, devient un analyseur de cette identité religieuse au travers des débats qui ont marqué sa marche vers cette intégration. Malgré les tensions qu’elle a suscitées, ce chapitre montre que le réancrage plus approfondi de son discours théologique dans la Révélation biblique n’est ni ‘absolutisant’, ni ‘disqualifiant’. Dans sa façon de comprendre son repositionnement dans les relations interconfessionnelles et malgré ses spécificités liées à sa lecture du message évangélique, cette identité religieuse est profondément marquée par la recherche d’un équilibre entre une ouverture aux autres croyances et une protection identitaire raisonnable. Ce découpage de notre étude vient confirmer le fait qu’en basant notre analyse sur les outils sociologiques proposés par Danièle Hervieu-Léger et Jean-Paul Willaime, nous n’opérons pas d’une manière arbitraire. Nous avons pu suivre une ligne d’analyse dans laquelle chaque chapitre contribue à un tout. Dans le même mouvement, le fait de joindre les contextes socio-historiques à l’étude de chacune des dimensions de cette identité, renforce notre thèse qui postule que l’identité religieuse adventiste ne s‘est construite ni dans le vide théologique, ni à l’abri des influences des contextes socio-culturels et religieux au milieu desquels elle est apparue, soit aux États-Unis, soit en Europe. Plusieurs chercheurs se sont interrogés sur la signification sociologique de l’identité religieuse adventiste moderne. On y a vu une réponse aux crises économiques et politiques aux Etats-Unis au milieu du 19e siècle, en même temps qu’une sorte de prolongement au travers du religieux de l’expansionnisme de la mentalité américaine en dehors de ses frontières. Cette explication n’est pas tout à fait dénuée de sens pour ce qui concerne les débuts de son histoire. Aujourd’hui, s’en tenir là se révèle être une analyse partielle, voire réductrice. Arrivé au 20e siècle, on doit tenir compte de ses aspects culturels étrangers à la mentalité américaine. Sur ce point, les chiffres pourraient s’avérer révélateurs. En effet, le pourcentage de membres de l’Eglise adventiste vivants aujourd’hui aux Etats-Unis est très faible. Il représente un
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peu moins de 7% de la population adventiste dans le monde762. En ce qui concerne l’identité religieuse au sein de l’adventisme en Suisse, en France et en Belgique, pour ne citer que ces pays, on peut considérer qu’elle participe dans un sens très large aux mentalités héritées des siècles d’histoire européenne, avec les particularismes qui en découlent, propres à chaque pays qui constitue le Vieux Continent politique et régional. D’un autre côté, l’adventisme, nous l’avons vu au chapitre 2, plonge ses racines lointaines en Europe dans l’anabaptisme et le piétisme, avec les influences, au travers de son épisode américain, du calvinisme, du déisme et du méthodisme anglo-saxon. Il est nécessaire d’en tenir compte si l’on veut dégager des significations globales. En conclusion, et en revenant à la lente progression dans le temps de cette identité religieuse, mais abordée sous un angle systémique, c’est-à-dire en tenant compte de ce qui l’affecte dans l’ultramodernité, on peut considérer aujourd’hui que l’identité religieuse adventiste est un ‘acteur social’, à un double titre : 1. Dans un sens réflexif, c’est-à-dire, au retour de la pensée, de la conscience adventiste sur elle-même, qui justifie la mise en œuvre de l’ouverture des adventistes vers les autres. Dans ce sens, cette identité, en tant qu‘acteur social’, devient un facteur de réaménagement de l’appartenance religieuse, dans une attitude de rapprochement du modèle actuel des relations, comme le dialogue interreligieux et les multiples formes de coopérations interreligieuses. 2. Elle est aussi un ‘acteur social’ dans le sens où elle peut contribuer avec le développement de ses dimensions, à mettre en œuvre un processus d’ajustement et de gestion des ‘tensions’ qui peuvent résulter de ces relations ‘extérieures’, comme celle que des lectures différentes du sens du message évangélique et prophétique provoquent à l’intérieur de ses rangs. Dans une étude sur le pouvoir de l’identité, Manuel Castells propose de mettre en œuvre une typologie des identités religieuses dont il distingue trois formes d’origine différentes : 1. L’identité légitimante, introduite par les institutions qui, en dirigeant leurs groupes, veulent étendre et rationaliser leur domination sur les acteurs sociaux.
762
Cf . Annexe 2, Profil statistique et répartition géographique du nombre d’adventistes dans le monde, Figure 1.
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2. L’identité-résistance, produite par des acteurs qui, pour survivre et résister, se barricadent sur la base de principes contraires à ceux qui imprègnent la société et qu’ils poussent à l’extrême dans leur logique séparatiste. C’est l’émergence de la politique identitaire, l’identité confessionnelle pour l’identité en elle-même. 3. L’identité-projet, qui apparaît « lorsque des acteurs sociaux, sur la base du matériau culturel dont ils disposent [...] construisent une identité [...] qui redéfinit leur position dans la société et, par là même, se proposent de transformer l’ensemble de la structure sociale »763. Arrivé au terme de cette analyse, nous pouvons inscrire l’identité religieuse adventiste dans ce dernier modèle, l’identité-projet. Son dynamisme montre que, sur la lancée de ses fondateurs, sa conception de la doctrine chrétienne ne s’enferme pas dans des formulations arrêtées. La notion de ‘doctrine’, dans la pensée adventiste, est intimement liée au critère théologique qui prend sa source dans la Bible. Le terme ‘doctrine’ traduit le résultat des réflexions qui s’en dégagent, en prenant en compte les situations auxquelles les communautés adventistes sont confrontées, leur mouvement et les moments où elles sont été énoncées. La ‘doctrine’ représente donc une mise au point de sa compréhension des enseignements de sa source inspirée dans une période donnée. Dans la théologie adventiste, le concept de ‘doctrine’ est donc compris dans un sens extensif. En tant que dimension culturelle de l’identité religieuse adventiste, elle axe l’orientation et le développement de ses autres dimensions ; elle construit ainsi les caractères spécifiques de cette identité en conjugaison avec elles. Le risque de l’identité religieuse adventiste serait de s’enfermer dans un conservatisme réducteur de son devenir. Dans ce type d’identité, en tant qu’acteur social, saura-t-elle conserver à l’avenir la dynamique qui l’a conduite à être ce qu’elle est aujourd’hui, sans pour autant ignorer les parts d’l’héritage religieux qu’elle a reçues de ses prédécesseurs ? Ce qui lui permet de se resituer sans cesse dans le contexte mouvant de l’ultramodernité ?
763
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Annexes
Annexe 1
Structure de l’Eglise adventiste du septième jour
Annexe 2
Profil statistique et répartition géographique des adventistes dans le monde
Annexe 3
Arbre généalogique du protestantisme
Annexe 4
Déclaration de la Conférence générale sur les relations avec les autres Eglises chrétiennes et les organisations religieuses
Annexe 5
Déclaration de la Conférence générale sur les relations Eglise-Etat
Annexe 6
Déclaration de la Conférence générale sur les adventistes du septième jour et l’Eglise catholique
Annexe 7
Liberté religieuse, évangélisation et prosélytisme
Annexe 8
Proposition concernant la prise de position quant à l’œcuménisme
Annexe 9
Synopse de croyances adventistes du septième jour
Annexe 10
Eglise adventiste du septième jour – Statistiques mondiales au 31-12-2008
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Annexe 1
Liberté religieuse
Education
Structure de l’Eglise adventiste
Relations publiques
Radio/TV
Ministères des laïques
Médical
Institutions et organisations au service de l’Eglise
Publications
Ecole du Sabbat
Jeunesse
Familles
Département des ministères
Association pastorale
Un mouvement mondial 1 Conférence Générale 13 Divisions Source : Seventh-day Adventist World Church Statistics, December 31, 2007, General Conference of Seventh-day Adventists, Old Columbia Pike, Silver Spring, Maryland, USA, http://www.adventist.org
103 Unions 571 Fédérations et missions 64.017 Eglises organisées 61.361 groupes réguliers (non structurés) 15.660.347 membres
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Annexe 2 Profil statistique et répartition géographique du nombre des adventistes dans le monde A la fin de l’année 2005, l’Eglise adventiste recensait au niveau mondial 14.399.072 membres764. Les statistiques de l’année 2005 révèlent que 1.071.135 personnes y ont adhéré soit par le baptême par immersion (1.042.510), soit par une profession orale et publique de leur adhésion à l’enseignement religieux adventiste et sur la base de la reconnaissance du baptême qu’elles ont reçu dans les Eglises d’où elles viennent (28.625). En 2005, l’Eglise adventiste était desservie par 15.381 pasteurs consacrés et 203.538 personnes étaient employées dans ses institutions administratives, ses services sociaux (écoles primaires et secondaires, universités, hôpitaux, centres de santé, orphelinats, maisons d’éditions (publications en 347 langues), centres média, etc. D’autre part, l’Adventist Development and Relief Agency International (A.D.R.A), Organisation humanitaire de l’Eglise adventiste, s’est engagée en 2005 dans 1.505 projets financés par des sponsors et les membres de l’Eglise adventiste. ADRA a secouru en 2005 dans le monde 23.845.638 victimes de catastrophes ou personnes mises au bénéfice de projets de développement. Son soutien financier s’est élevé en 2005 à 159.058.213 $ USA. Le budget mondial de l’Eglise adventiste en 2005 a été alimenté par une contribution de 1.991.055.579 $ USA, en provenance de ses membres. Une Eglise internationale L’analyse des données statistiques de 2004 permet de constater que 35% des adventistes vivent en Amérique latine et dans les Antilles, 34% en Afrique et dans les Mascareignes et 21% en Asie et dans le Pacifique Sud. Le diagramme ci-dessous en fournit une représentation765 : 764 Source : Seventh-day Adventist World Church Statistics, 10 mai 2006, Office des Archives et des Statistiques de la Conférence générale (organisme au faîte de l’Eglise adventiste du septième jour, Silver Spring, Maryland, Etats-Unis). http://www.adventist.org . Le chiffre du nombre de membres comprend uniquement ceux qui ont été baptisés à l’âge adulte ou en fin de leur adolescence. En prenant en compte la participation importante de jeunes en dessous de 18 ans et d’adultes non baptisés aux activités de l’Eglise adventiste, il est permis d’estimer le nombre au moins au double de celui annoncé officiellement. 765 Source : graphique établi à partir des données de l’Office des Archives et des Statistiques de la Conférence Générale des Eglises adventistes, décembre 2004. Dans cette figure, la répartition des pourcentages du nombre d’adventistes dans les grandes régions géographiques du monde est calculée d’après les chiffres annoncés dans chaque pays et par rapport au nombre total des adventistes dans le monde en décembre 2004. Non d’après les chiffres globaux donnés pour chaque Division administrative de cette Eglise, dont les territoires regroupent souvent des pays appartenant à plusieurs de ces grandes régions géographiques.
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Figure I
Il y a un peu plus de 20 ans, la répartition des adventistes dans le monde se confirmait déjà. En 1985, sur une population adventiste totalisant dans le monde 4.716.859 personnes, l’Amérique du Nord comptait 689.507 membres, soit 15%766. En 2004, l’augmentation des adhésions à l’Eglise adventiste dans le monde était de 31,48 % en 19 années (1.006.317 au 31/12/2004). Mais, le pourcentage des adventistes en Amérique du Nord par rapport au nombre total est descendu à 7%. En y ajoutant ceux de l’Europe occidentale et centrale et ceux de la Russie, le taux atteint un peu moins de 10% (9.91%).
766
Cf. LEHMANN, Richard, Les Adventistes du septième jour, Turnhout, Edition Brepols, 1987, p. 115.
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Figure 2 Nombre de membres de l'Eglise adventiste du septième jour dans le monde - 1970 à 2005 16000000
14399072
14000000
12000000
11687229
Source: graphique établi d'après World and Membership History and Projections (2006)
10000000 8812555 8000000 6694880 6000000 4716859 4000000
3480518 2666484 2051864
2000000
Série1
20 04
20 00
20 02
19 96
19 98
19 94
19 92
19 88
19 90
19 86
19 82
19 84
19 78
19 80
19 76
19 74
19 70
19 72
0
La figure 2 retrace la courbe de l’évolution du nombre de membres de l’Eglise adventiste de 1970 à 2005. Elle traduit le fait que sa croissance s’est confirmée, et même renforcée, avec le temps767.
767
Le tableau ci-dessous est établi d’après les mêmes données que celles de la figure 2. Les durées des périodes pour atteindre le seuil d’1 million de membres baptisés supplémentaires font apparaître une accélération positive de la croissance (ces chiffres sont enregistrés en soustrayant les décès et les abandons recensés) : 1863 – 1960 1960 – 1970 1970 – 1978 1978 – 1983 1983 – 1986 1986 – 1989 1989 – 1991 1991 – 1994 1994 – 1996 1996 – 1998 1998 – 2000 2000 – 2001 2001 – 2003 2003 – 2005
→ → → → → → → → → → → → → →
1er ml de membres atteint 2e ml 3e ml 4e ml 5e ml 6e ml 7e ml 8e ml 9e ml 10e ml 11e ml 12e ml 13e ml 14e ml
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→ (1.245.125) → (2.051.864) → (3.117.535) → (4.140.206) → (5.092.503) → (6.260.617) → (7.102.976) → (8.382.558) → (9.296.127) → (10.163.414) → (11.687.299) → (12.320.834) → (13.493.840) → (14.399.072)
en 97 années en 10 années en 8 années en 5 années en 3 années en 3 années en 2 années en 3 années en 2 années en 2 années en 2 années en 1 année en 2 années en2années
Annexe 3 L’Arbre généalogique du protestantisme. Musée international de la Réforme – Maison Mallet - Genève © 2010 Musée International de la Réforme, Genève
ANNEXE 4 Annexe 4
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Annexe 4 (Source : Déclarations Ethique et faits de société, Le Mée sur Seine, Département des Communications, Eglise adventiste du septième jour, février 2000, pp. 8-9.)
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Annexe 5 (Source : Déclarations Ethique et faits de société II, Le Mée sur Seine, Département des Communications, Eglise adventiste du septième jour, mai 2003, pp. 21-28).
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Annexe 6 (Source : Déclarations Ethique et faits de société II, Le Mée sur Seine, Département des Communications, Eglise adventiste du septième jour, mai 2003, pp. 49-50.)
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- 375 -
Annexe 7 (Source : Déclarations Ethique et faits de société II, Le Mée sur Seine, Département des Communications, Eglise adventiste du septième jour, mai 2003, pp. 63-64.)
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Annexe 8 (Source : Déclarations Ethique et faits de société, Le Mée sur Seine, Département des Communications, Eglise adventiste du septième jour, février 2000, pp. 14-17.)
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Annexe 9 Synopse des déclarations concernant les croyances fondamentales de l’Eglise adventiste en 1872, 1931 et 1980 référenciées dans les notes A declaration of the fundamental principles taught and praticed by the Seventh-day Adventists
Fundamental Beliefs of Seventh-Day Adventists
Fundamental Beliefs of Seventh-Day Adventists
1872
1931
1980
In presenting to the public this synopsis of our faith, we wish to have it distinctly understood that we have no articles of faith, creed, or discipline, aside from the Bible. We do not put forth this as having any authority with our people, nor is it designed to secure uniformity among them, as a system of faith, but is a brief statement of what is and has been, with great unanimity, held by them. We often find it necessary to meet inquiries on this subjet, and sometimes to correct false statements circulated against us, and to remove erroneous impressions which have obtained with those who have
Seventh-day Adventists hold certain fundamental beliefs, the principal features of which, together with a portion of the scriptural references upon which they are based, may be summarized as follows :
Seventh-day Adventists accept the Bible as their only creed and hold certain fundamental beliefs to be teaching of the Holy Scriptures. These beliefs, as set forth here, constitute the church’s understanding and expression of the teaching of Scripture. Revision of these statements may be expected at a General Conference session when the church is led by the Holy Spirit to a fuller understanding of Bible truth or finds better language in which to express the teachings of God’s Holy Word.
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not an opportunity to become aquainted with our faith and practice. Our only object is to meet this necessity. As Seventh-day Adventists, we desire simply that our position shall be understood; and we are the more solicitious for this because there are many who call themselves Adventists, who hold views with which we can have no sympathy, some of which, we think, are subversive of the plainest and most important principles set forth in the word of God. As compared with other Adventists, Seventhday Adventists differ from one class in believing in the unconscious state of the dead, and the final destruction of the unrepentant wicked; from another, in believing in the perpetuity of the law of God as summarily contained in the ten commandments, in the operation of the Holy Spirit in the church, and in setting no times for the advent to occur;
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from all, in the observance of the seventh-day of the week as the Sabbath of the Lord, and in many applications of the prophetic scriptures. With these remarks, we ask the attention of the reader to the following propositions, which aim to be a concise statement of the more prominent features of our faith. […]
[…]
[…]
1 That there is one God, a personal, spiritual being, the creator of all things, omnipotent, omniscient, and eternal, infinite in wisdom, holiness, justice, truth, and mercy; unchangeable, and everywhere present by his representative, the Holy Spirit. (Ps 139.7).
2 That, the Godhead, or Trinity, consists of the Eternal Father, a personal, spiritual Being, omnipresent, omniscient, infinite in wisdom and love ; the Lord Jesus Christ, the Son ot he Eternal Father, through whom all things were created and through whom the salvation ot he redeemed hosts will be accomplished ; the Holy Spirit, the third person ot he Godhead, the great regenerating power in the work of redemption (Mt 28.19).
2 There is one God: Father, Son, and Holy Spirit, a unity of three co-eternal Persons. God is immortal, allpowerful, all-knowing, above all, and ever present. He is infinited and beyond human comprehension, yet known through His self-revelation. He is forever worthy of worship, adoration, and service by the whole creation. (Dt 6.4 ; 29.29 ; Mt 28.19 ; 2 Co 13.14 ; Ep 4.4-6 ; 1 P 1.2 ; 1 Tm 1. 17 ; Rev. 14. 6,7).
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[…]
[…]
[…]
14 That as the natural or carnal heart is at enmity with God and his law, this enmity can be suddued only by a radical transformation of the affections, the exchange of unholy for holy principles ; that this transformation follows repentance and faith, is special work of the Holy Spirit, and constitutes regeneration or conversion.
8 That the law of ten commandments points out sin, the penalty of which is death. The law can not save the transgressor from his sin, nor impart power to keep him from sinning. In infinite love and mercy, God provides a way whereby this may be done. He furnishes a subsitute, even, Christ the Righteous One, to die in man’stead, making ‚‘‘Him ot h sin for us, who knew no sin; that we might be made the righteousness of God in Him‘‘. (2 Co 5.21). That one is justified, not by obedience to the law, but by grace that is in Christ Jesus. By accepting Christ, man is reconciled to God, justified by his blood for sins of the past, and saved from the power of sin by his indwelling life. Thus the gospel becomes ‘‘the power of God unto salvation to everyone that believeth’’. This experience is wrought by the divine agency ot he Holy Spirit, who convinces of sin and leads ot he SinBearer, inducting the believer into the new covenant relationship, where the law of God is
10 In infinite love and mercy God made Christ, who knew no sin, to be sin for us, so that in Him we might be made the righteousness of God. Led by the Holy Spirit, we sense our need, acknowledge our sinfulness, repent of our transgressions, and exercice faith in Jesus as Lord and Christ, as Substitute and Example. This faith which receives salvation comes through the divine power of the Word and is the gift of God’s grace. Through Christ we are justified, adopted as God’sons and daughters, and delivered from the lordship of sin.Through the Spirit we are born again and sanctified ; the Spirit renews our mind, write God’s law of love in our hearts, and we are given power to live a holy life. Abiding in him we become partakers of the divine nature and have the assurance of salvation now and in
15 That as all have violated the law of God, and cannot of themselves render obedience to his just requirements, we are dependant on Christ, first, for justification from our past offences, and secondly, for grace whereby to render acceptable obedience to his holy law in time to come.
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written on his heart, and through the enabling of the indwelling Christ, his life is brought into conformity ot he divine precepts. The honor and merit of this wonderful transformation belong wholly to Christ. (Jn 3.4; Rm 7.7; 3.20; Ep 2.8-10; 1Jn 2.1,2; Rm 5. 8-10; Ga 2.20;Ep 3.17; He 8.8-12)
the judgment. (Ps 27.1; Is 12.2; Jon 2.9; Jn 3.16; 2 Co 5.17-21; Ga 1.4; 2.19, 20; 3.13; 4. 4-7; Rm 3. 24-26; 4.25; 5. 6-10; 8.1-4, 14,15,26,27; 10.7; 1 Co 2.5; 15.3,4 ; 1 Jn 1.9; 2.1; Ep 2. 5-10 ; 3.1619 ; Ga 3.26 ; Jn 3.3-8 ; Mt 18.3 ; 1 P 1.23 ; 2.21 ; He 8. 7-12).
[…]
[…]
16 That the time ot he cleansing ot he sanctuary , synchronizing with the period of the proclaming of the message of Revelation 14, is a time of investigative judgment,
23 There is a sanctuary in heaven, the true tabernacle which the Lord set up and not man. In it Christ ministers on our behalf, making available to
[…] 9 That the mistake of Adventists in 1844 pertained to the nature of the event then to transpire, not to the time; that no prophetic period is given to the second advent, but that the longest one, the two thousand an three hundred days of Dn 8.14, terminated in that year, and brought us to an event called the cleansing of the sanctuary.
10 That the sanctuary of the new convenant is the tabernacle of God in Heaven, of which Paul speaks in Hebrews 8, and onward, of which our Lord, as great High
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Priest, is minister; that this sanctuary is the antitype of the Mosaic tabernacle, and that the priestly work of our Lord, connected therewith, is the antitype of the work of the Jewish priests of the former dispensation. (He 8.1-5ss); that this is the sanctuary to be cleansed at the end of the 2300 days, what is termed its cleansing being in this case, as in the type, simply the entrance of the high priest into the most holy place, to finish the round of service connected therewith, by blotting out and removing from the sanctuary the sins which has been transferred to it by means of the ministration in the first apartment (He 9.22,23); and that this work, in the antitype commencing in 1844, occupies a brief but indefinite space, at the conclusion of which the work of mercy for the world is finished.
first with reference to the dead, and secondly, with the reference to the living. This investigative judgment determines who of the myriads sleeping in the dust of the earth are worthy of a part in the first resurrection, and who of its living multitudes are worthy of translation.(1P4.17,18; Dn 7.9,10; Rev 14.6,7; Lc 20.35).
- 387 -
believers the benefits of His atoning sacrifice offered once for all on the cross. He was inaugurated as our great High Priest and began His intercessory ministry at the time of His ascension. In 1844, at the end of the prophetic period of 2300 days. He entered the second and last phase of His atoning ministry. It is a work of investigative judgment which is part of the ultimate disposition of all sin, typified by the cleansing of the ancient Hebrew sanctuary on the Day of Atonement. In that typical service the sanctuary was cleansed with the blood of animal sacrifices, but the heavenly things are purified with the perfect sacrifice of the blood of Jesus. The investigative judgment reveals to heavenly intelligences who among the dead are asleep in Christ and therefore, in Him, are deemed worthy to have part in the first resurrection. It also makes manifest who, among the living are abiding in Christ, keeping the
commandments of God and the faith of Jesus, and in him, therefore, are ready for translation into His everlasting kingdom. This judgment vindicates the justice of god in saving those who believe in Jesus. It declares that those who have remained loyal to God shall receive the kingdom. The completion of this ministry of Christ will mark the close of human probation before the Second Advent. (He 1.3; 8.1-5; 9.11-28; Dn 7.9-27; 8.13,14; 9.24-27; Nb 14.34; Ez 4.6; Ml 3.1; Le 16; Rev 14.12 ; 20.12 ; 22 :12).
[…] 18 That the time of the cleansing of the sanctuary (see proposition 10), synchronizing with the time of the proclamation of the third message, is a time of investigative judgment, first with reference to the dead, and at the close of probation with reference to the living, to determine who of the myriads now sleeping in the dust of the earth are worthy of a part in the first resurrection, and who of its living multitudes are worthy of translation-points which must be determine before Lord appears. […]
[…]
[…]
16 That the Spirit of God was promised to manifest itself in the church through certain gifts, enumerated especially in 1 Co 12 and Ep 4; that these gifts are not designated to supersede, or take
19 That God has placed in His church the gifts of the Holy Spirit, as enumerated in 1 Co 12 and Ep 4. That these gifts operate in harmony with the divine principles of the Bible, and are given for the perfecting of the saints, the work of
16 God bestows upon all members of his church in every age spiritual gifts which each member is to employ in loving ministry for the common good of the church and of humanity. Given by the
- 388 -
place of the Bible, the ministry, the edifying which is sufficient to of the body of Christ. (Rev make us wise unto 12.17; 19.10; 1 Co 1.5-7). salvation, any more than the Bible can take the place of the Holy Spirit; that in specifying the various channels of its operation, that Spirit has simply made provision for its own existence and presence with the people of God to the end of time, to lead to an understanding of that word which it had inspired, to convince of sin, and work a transformation in the heard and life; and that those who deny to the Spirit its place and operation, do plainly deny that part of the Bible which assigns to it this work and position
- 389 -
agency of the Holy Spirit, who apportions to each member as He will, the gifts provide all abilities and ministries needed by the church to fulfill its divinely ordained functions. According to the Scriptures, these gifts include such ministries as faith, healing, prophecy, proclamation, teaching, administration, reconciliation, compassion, and selfsacrificing service and charity for the help and encouragement of people. Some members are called of God and endowed by the Spirit for functions recognized by the church in pastoral, evangelistic, apostolic and teaching ministries particularly needed to equip the members for service, to build up the church to spiritual maturity, and to foster unity of the faith and knowledge of God.When members employ these spiritual gifts as faithful stewards of God’s varied grace, the church is protected from the destructive influence of false
doctrine, grows with a growth that is from God, and is built up in faith and love. (Rm 12.4-8; 1 Co 12.911,27; Ep 4.8, 11-16;2 Co 5.14-21; Ac 6.1-7; 1 Tm 2.1-3; 1 P 4.10, 11; Co 2.19; Mt 25.31-36). Source : A declaration of the fundamental principles taught and praticed by the Seventh-day Adventists, Battle Creek, Seventh-day Adventist Publishing Assn, Michigan, U.S.A., 1872.
Source: Fundamental Beliefs of Seventh-Day Adventists, in, Seventh-day Adventist Yearbook, Washington, D.C., Review and Herald Publishing Assn, 1931, pp 377-380.
- 390 -
Source: Session action Fundamental Beliefs of Seventh-Day Adventists, in, Adventist Review, May, 1, 1980, 23-27, General Conference of Seventh-day Adventists, Hagerstown, MD, U.S.A
ANNEXE 10 Eglise Adventiste du septième jour Statistiques mondiales au 31 décembre 2008 Membres baptisés au 31décembre 2008 Baptêmes et professions de foi en 2008 Catéchèses E.D.S. (Ecole du sabbat) Eglises Fédérations et Missions Institutions Membres inscrits à l’E.D.S. Pasteurs en exercice Pays où l’Eglise adventiste est présente Unions de Fédérations ou Unions d’Eglises
15 921 408 1 033 534 133 191 66 961 572 2 588 20 295 344 26 246 203 112
Education Ecoles primaires Ecoles secondaires Ecoles supérieures et universités Répartition du corps enseignant primaire Répartition du corps enseignant secondaire Répartition du corps enseignant universitaire
5 763 1 834 117 41 414 28 638 10 199
A.D.R.A. (Adventist Development Relief Association) Dons recueillis (transmis aux personnes secourues) Médicaments et matériel médical donnés Pays où A.D.R.A est en action Personnel salarié par A.D.R.A Personnes secourues Produits alimentaires et nécessités de 1ere urgences Projets humanitaires réalisés en 2008
24 419 733 US $ 103 209 828 US $ 110 5 785 35 777 678 19 767 779 US $ 2 242
Production alimentaire Fabriques et industries alimentaires Personnel salarié pour cette production
- 391 -
23 3 307
Département de la santé Hôpitaux et sanatoriums Cliniques et dispensaires Bateaux et avions dispensaires Orphelinats – Maisons de retraite – Ecoles d’infirmières
171 429 10 162
Publications Maisons d’éditions Représentants (plein temps) Représentants (mi-temps) Représentants (étudiants) Revues Langues et dialectes des publications
61 14 707 11 332 17 109 435 369
Radios & Télévisions Centres de productions audiovisuelles
(Source : Eglise adventiste du 7e jour. Site officiel : http://www.adventiste.org/ (11 janvier 2010))
- 392 -
10
TABLE DES MATIERES
Préface Remerciements Avant-propos Introduction
9 13 15 19
CHAPITRE I – MODERNITE ET IDENTITE RELIGIEUSE
27
1.0. 1.1. 1.2 1.3.
Introduction Du religieux et de la modernité en Europe occidentale L’identité religieuse, un enjeu social Les traits majeurs de la modernité au 21e siècle 1.3.1. Polysémie de la sécularisation 1.3.2. Réflexivité systématique et idiosyncrasie de la religion
27 29 30 32 33
Conclusion
53
1.4.
37
CHAPITRE II – CHANGEMENTS ET DEVELOPPEMENTS DANS LA THEOLOGIE ET LES CROYANCES DE L’EGLISE 55 ADVENTISTE DU SEPTIEME JOUR 2.0.
2.1.
Introduction 2.0.1. Le modèle ‘changement et continuité’ et ‘force et précarité 2.0.2. La démarche Arrière-fond socio-historique et religieux des origines de la théologie adventiste 2.1.0. Le terreau de sa naissance 2.1.1. Aperçu général sur le protestantisme aux Etats-Unis durant la première moitié du 19e siècle 2.1.2. Crises et défis durant la première moitié du 19e siècle aux Etats-Unis 2.1.3. Les facteurs de la vision politico- religieuse protestante aux Etats-Unis au 19e siècle 2.1.4. Les espérances millénaristes remises en cause
- 393 -
55 55 57 58 58 58 62 66 72
2.2.
2.3.
Les héritages de l’adventisme aux Etats-Unis au 19e siècle 2.2.0. Les héritages 2.2.1. William Miller et la prophétie biblique 2.2.2. Le désappointement de 1844 2.2.3. Les premiers pas de la formation de la théologie adventiste 2.2.4. Au seuil de la doctrine adventiste Les piliers de la doctrine adventiste et leur cohérence 2.3.1. Les horizons 2.3.2. Débats et évolutions de la théologie adventiste (18881919) 2.3.3. Quelles ressources pour la théologie adventiste? 2.3.4. 2.3.5. 2.3.6. 2.3.7. 2.3.8.
2.4.
La justification par la foi et son sens dans l’adventisme du 19e siècle Les interrogations soulevées par les doctrines chrétiennes au sujet de la trinité, de la divinité du Christ et du Saint-Esprit La question christologique dans la théologie adventiste Tensions fondamentalistes et crises théologiques de 1919 à 1950 Approfondissements, élargissements, ouvertures. Le bilan après 1950
Conclusion
73 73 81 83 88 104 109 111 113 119 121 125 132 135 138 140
CHAPITRE III – NAISSANCE ET EVOLUTION DE L’ORGANISATION DE L’EGLISE ADVENTISTE ET DE SON CONCEPT DE LA MISSION – PREMIERES IMPLANTATION 143 EN SUISSE ET EN FRANCE 3.0. 3.1.
Introduction De la dispersion à la première organisation (1844-1863)
143 145
3.1.1. 3.1.2.
145 150
Le besoin de s’organiser Les premières structures officielles
3.2.
Le concept théologique de la mission (1844-1874)
151
3.3.
Les premiers pas de l’Eglise adventiste du septième jour en Suisse et en France
153
- 394 -
3.4.
3.5.
3.3.1. La situation générale 3.3.2. L’implantation en Suisse 3.3.3. L’implantation en France Nouvelles dimensions de l’Eglise adventiste aux Etats-Unis et en Europe (1874-1907) 3.4.1. Les nouvelles dimensions de l’Eglise aux Etats-Unis 3.4.2. Les nouvelles dimensions de l’Eglise adventiste en Europe Conclusion
154 156 166 169 169 171 172
CHAPITRE IV - LA DIMENSION SPIRITUELLE DE L’IDENTITE RELIGIEUSE ADVENTISTE. FONDAMENTALISME CONSERVATEUR OU DYNAMISME DE LA FOI ?
177
4.0. 4.1.
Introduction Dimension spirituelle et dimension culturelle 4.1.1. De la notion de la culture 4.1.2. De la notion de dimension spirituelle
177 181 181 182
4.2.
Représentation de l’être humain et de sa dimension spirituelle. Conception adventiste Adventisme et les fondamentalismes 4.3.1. Complexité de la problématique du ‘fondamentalisme’ 4.3.2. Subtilité des sens et amalgames 4.3.3. Intégrisme 4.3.4. Les fondamentalismes
184
4.3.
186 188 189 191 194
4.4.
La spiritualité adventiste s’identifie-t-elle à un fondamentalisme conservateur ? 4.4.1. Avant 1950 4.4.2. Depuis les années 1950-1970
197 197 199
4.5.
Conclusion
200
CHAPITRE V – LE PARADIGME SOCIOLOGIQUE DE L’EGLISE ADVENTISTE DU SEPTIEME JOUR, EN TANT QU’ORGANISATION ECCLESIALE DANS LE MONDE PROTESTANT
207
5.0.
207
Introduction
- 395 -
5.1.
5.2.
Développement de l’organisation de l’Eglise adventiste comme structure organisée autour de son message et de sa mission 5.1.1. De la dispersion aux premiers pas vers l’organisation (1850-1860) 5.1.2. La deuxième étape de l’organisation de l’Eglise adventiste (1861-1863) 5.1.3. Les nouvelles avancées entre 1863 et 1901 5.1.4. La réorganisation entre 1901 et 1903 5.1.5. Bilan des restructurations de 1901 et de 1903 5.1.6. La constitution des ‘Divisions’ 5.1.7. Structure actuelle de l’Eglise adventiste
211 211 214 216 223 226 228 233
5.3.
Réflexions sur le mode de fonctionnement de l’Eglise adventiste Le paradigme sociologique de l’Eglise adventiste, en tant qu’organisation ecclésiale dans le monde protestant 5.3.1. Les types de gestion du patrimoine religieux
237 237
5.4.
Conclusion
242
CHAPITRE VI - LIBERTE DE CONSCIENCE ET DE RELIGION, UNE COMPOSANTE DE LA DIMENSION ETHIQUE DE L’IDENTITE RELIGIEUSE ADVENTISTE
234
243
6.0. 6.1.
Introduction A propos de la notion d’éthique 6.1.0. Une proposition de définition 6.1.1. De la nécessité d’une réflexion 6.1.2. Actualité de la question 6.1.3. Les raisons de s’en préoccuper, point de vue adventiste 6.1.4. Ethique ‘chrétienne’ ou ‘éthique adventiste’ ?
243 246 246 246 247 249 249
6.2.
La liberté de conscience et de religion 6.2.1. Autour du thème de la ‘liberté’ 6.2.2. ‘Liberté religieuse’ ou ‘liberté de conscience et de religion’ ? 6.2.3. Les antécédents de la liberté de conscience et de religion 6.2.4. La problématique de la liberté de conscience et de religion aujourd’hui 6.2.5. Fondements de la liberté de conscience et de religion, sens de la responsabilité dans la pensée adventiste
250 250
- 396 -
251 253 254 255
6.2.6. 6.3.
Théorisation de ses fondements et de sa pratique
L’Association internationale pour la défense de la liberté religieuse (AIDLR) 6.3.1. Le temps du fondateur 6.3.2. Développement de l'Association et diffusion de sa revue 6.3.3. Conclusion
CHAPITRE VII–ADVENTISME, DIALOGUE ET RELATIONS INTERCONFESSIONNELLES 7.0. 7.1.
266
270 271 276 280 281
Introduction Le concept du dialogue dans les relations interconfessionnelles, philosophie et histoire 7.1.1. Fondements philosophiques et notion moderne du dialogue 7.1.2. Les caractères propres au dialogue interreligieux
283 288
7.2.
Contexte du religieux et de l’interreligieux dans l’Europe de l’après Seconde Guerre mondiale 7.2.1. Les ruptures 7.2.2. Une histoire en cours
289 289 290
7.3.
Mutation des mentalités et relations interconfessionnelles 7.3.1. Les facteurs internes 7.3.2. Les facteurs externes 7.3.3. La pertinence du dialogue interreligieux aujourd’hui. Une question décisive
7.4.
7.5.
Des étapes effectives vers une ouverture dialogique dans l’Eglise adventiste 7.4.1. Des pas en avant 7.4.2. L’ère de l’élargissement du dialogue 7.4.3. Dialogue entre adventistes et musulmans. Abattre des préjugés. 7.4.4. Une attitude dialogique de plus en plus volontaire L’adhésion à la Fédération protestants de France. Convergences, résistances et interrogations 7.5.1. Bref historique des faits 7.5.2. Le temps des débats (1991-1996) 7.5.3. Le passage de la marge à l’intégration (1996-2006)
- 397 -
281 283
293 293 295 301 303 303 305 309 311 313 313 317 325
7.6.
7.5.4. Les avancées et les résistances 7.5.5. Interrogations et convergences Les enjeux
326 330 331
Conclusion : Rétrospective et perspectives d’avenir
333
BIBLIOGRAPHIE
339
ANNEXES
357
TABLE DES MATIERES
393
- 398 -
L'HARMATTAN, ITALIA Via Degli Artisti 15; 10124 Torino L'HARMATTAN HONGRIE Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L'HARMATTAN BURKINA FASO Rue 15.167 Route du Pô Patte d’oie 12 BP 226 Ouagadougou 12 (00226) 76 59 79 86 ESPACE L'HARMATTAN KINSHASA Faculté des Sciences sociales, politiques et administratives BP243, KIN XI Université de Kinshasa
L’HARMATTAN CONGO 67, av. E. P. Lumumba Bât. – Congo Pharmacie (Bib. Nat.) BP2874 Brazzaville [email protected]
L’HARMATTAN GUINÉE Almamya Rue KA 028, en face du restaurant Le Cèdre OKB agency BP 3470 Conakry (00224) 60 20 85 08 [email protected] L’HARMATTAN CÔTE D’IVOIRE M. Etien N’dah Ahmon Résidence Karl / cité des arts Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03 (00225) 05 77 87 31 L’HARMATTAN MAURITANIE Espace El Kettab du livre francophone N° 472 avenue du Palais des Congrès BP 316 Nouakchott (00222) 63 25 980 L’HARMATTAN CAMEROUN BP 11486 Face à la SNI, immeuble Don Bosco Yaoundé (00237) 99 76 61 66 [email protected] L’HARMATTAN SÉNÉGAL « Villa Rose », rue de Diourbel X G, Point E BP 45034 Dakar FANN (00221) 33 825 98 58 / 77 242 25 08 [email protected]
JOUVE 1, rue du Docteur Sauvé - 53100 Mayenne Imprimé sur presse rotative numérique N° 655563V - Dépôt légal : avril 2011 Imprimé en France