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French Pages 368 [370] Year 2010
L'Hellénisme et lf Apôtre Paul
Gorgias Theological Library
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The Gorgias Theological Library brings back to active circulation carefully selected rare classics which are essentials for the shelves of every theological library. The selections include tools for scholars, but also general theological works of interest to general readers.
L'Hellénisme et lf Apôtre Paul
C. Toussaint
gorgias press 2010
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ISBN 978-1-61719-663-8
Printed in the United States of America
1 ISSN 1935-6935
ERRATA
7, ligne —
IO, note 12, ligne note 23, ligne 24, — 39, — 38, —
9, 17 5 2 3 2 5 5 i5
— 4i, 17 46, note 9 49, ligne 3o 55, — 27, 6, 90, — — 29 24 93, — 10 95, — 96, — 29 2 101, — 107, — 23 5 i3 7 , — note 8 140, ligne i — 10 166, 176, — 2, 179, note 4, i, 189, note i 197, note 200, ligne- 8 note i 222, ligne 7 note 10 226, ligne 22 note i 227, note i 228, note 2 a3i, ligne 5
lire : il l'eût résolu. ne semble point contestable. — — mit dem. — tous les écrits. gesarnmelte. — — avec un outillage renouvelé. — ne cadre pas. — On doit a p p l i q u e r . elle fonde r é t a b l i s s e m e n t très florissant de — Naukralis. — avec la colonie milésienne de Naukratis. — le Sandon ou le Baal-Tarse. — n'eût pas. a j o u t e r : a r t . Religion of Greece. lire : et atteste, ses relations. — et le plus bel effort. — Entwickelang. — plus vaste et même universelle. pris de trop loin. — Suse. — — Literatur des Altertums. l'appelle. — — «iwvoêi'ou et xac ßadiXiauav et Orientis graeci. Clermont-Ganneau. — — des ressemblances. supprimer : sinon plus. lire: A.ct,, x v m , 24-28 lire : Philipp., ut, 5, 6. la continuait. — peut néanmoins être r e t e n u e . — Altchrist. — Samarie. — altestamentliche. — — et un produit de son imagination. — Quod. v u , q . (i, a. 14. — Lehrb. d. N. T. — dit que le texte. l'immortalité au sens de Platon. -
241, note 1, 249. ligne 19 202,
260,
263, a65, 277, 3o4, 3o5,
307, 312,
3I6, 326, 336, 343, 35o, 354, 358,
lire : Die heraklitisehen. n'a pas l'idée. peu ou point. — y — — i5 — dès les débuts. note 2 Das Fortleben. note 4 — voir Schmiedel-Winer, § 2. note 1 — an die Korinther. ligne 4 — et du style de Paul. note 5 — les Puissances. ligne 14 — des traits pris dans les papyrus, dans Plutarque. note 1 — Sat. note 2 — qu'on ne rencontre guère que. note 1 — R o m . , m , 24 ; vi, 11 : Poim., x x m , 8. note 1 — qui donnait la «juvoum'a. ligne 11 — sur les confins des provinces méridionales de la mer Noire. — note 2 Adrumète. — Der Paulinismus. ligne i4 — i5 — ses écrits paraissent. dernière ligne : Christs. ligne a8, lire : Foucart.
PRÉFACE
L'origine et la succession des civilisations anciennes ne sauraient mieux se comparer qu'à ces canaux souterrains dont les eaux d abord troubles et chargées d'éléments divers, jaillissent de sources communes puis s'éparpillent en minces filets argentés qui se croisent et se rejoignent mille fois avant de s'étaler à fleur de sol, en nappes claires et limpides. La carte du monde spirituel offre la même image; elle est sillonnée par quelques grands courants d'idées qui se suivent en se continuant alors même qu'on les croit venus de régions différentes, si bien qu'en ceci on est tenté de voit une application de l'axiome des sciences de ia nature, rien ne se perd, rien ne se crée, mais tout se transforme ; ni solution de continuité ni génération spontanée, point de commencements ni de nouveaux absolus (i). Quand on les a affirmés, c'est souvent faute de ressaisir avec patience la filière interminable des causes et des effets. Moins soucieuse de l'exactitude des faits que de l'impression à produire sur les âmes, l'éloquence a parfois présenté sous un autre jour les différentes cultures du passé. Qui veut faire prévaloir une forme de civilisation sur une autre est plus porté à marquer entre elles les distances qu'à établir les points de contact, vu que ce procédé i . Sénèque l'observait déjà dans ses Quœsi. nat., II, 14 : Quia non fit statirn ex diverso in diversum transitus. C. Toussaint
x
6
L'HELLÉNISME
ET
L'APOTRE
l'AUL
sommaire prête mieux aux contrastes qui frappent et éblouissent les esprits. Avec sa hâte d'arriver à confondre l'adversaire, l'apologétique n'a ni le temps ni le goût de se perdre dans un réseau de minuties infinitésimales, mais elle préfère détacher de leur ensemble quelques Iraits saillants de chacune de ces diverses cultures pour les opposer et conclure à la supériorité et à la transcendance de l'une d'entre elles. L'histoire seule, avec les méthodes qui l'ont renouvelée est à même de montrer par quelles séries d'actions et de réactions ont été préparées, dans la subeonscience de l'humanité, ces grandes fulgurations de la pensée qui ont traversé les âges. Jusqu'au xix* siècle on ne s'arrêtait guère, pour juger une civilisation, qu'aux hommes et aux œuvres en qui elle était le mieux représentée, laissant dans l'ombre tout le reste, établissant ainsi des parallèles à effet pour justifier des préférences. Qui n J a devant l'esprit la belle page où Jean-Jacques Rousseau compare Socrate à Jésus et la philosophie grecque à l'Evangile, pour établir la supériorité du christianisme, et, pour aller droit à notre sujet, qu'on se rappelle le célèbre Panégyrique de saint Paul par Bossuet! Or, malgré leur beauté et leur perfection classiques, ces morceaux ne font plus loi chez les esprits appliqués à l'étude de tels problèmes. Il n'y a pas à le regretter. La voie tracée par l'histoire des religions, au sens où l'entend la science moderne, est plus longue et plus aride mais moins exposée aux mirages et aux illusions. C'est dans cet esprit que désire s'engager et se maintenir la présente recherche, dont le titre renferme tout ensemble le programme et le but. Il s'agit, en effet, de savoir en quel rapport se sont trouvés les deux termes de l'équation posée : d'une part, la culture grecque en la forme et teneur
i/HELLÉNISME
ET
l/APOXRK
PAUL
sous laquelle elle était accessible à un contemporain de l'Apôtre saint Paul, et de l'autre, l'œuvre et la pensée de ce même homme qui, plus qu'aucun autre, a contribué à la diffusion du christianisme dans le monde gréco-romain. On a ainsi devant soi une partie, et non la moindre, du grave et vaste problème des origines chrétiennes. Kn quelle mesure le génie grec a - t il collaboré, en s'inûlîrant dans l'esprit de Paul, à l'extension de l'Évangile ? Une telle question eût fort scandalisé l'empereur Julien et il l'eut résolu par la négative, lui qui opposait christianisme et hellénisme comme deux contradictoires. Et pourtant l'assertion, à y bien regarder, n'a rien de paradoxal. « U n e révolution qui change le monde, dit Gaston Boissier (i), a toujours u n grand n o m b r e de c o m plices qui ne s'en doutent pas ».L'hellénisme est un d e c e s complices, sinon même le principal. Qu'il ail été à l'Eglise chrétienne de quelque secours, ne semble guère contestable, mais j u s q u ' e n ces derniers temps, ou n'admettait guère son action qu'à partir du h" siècle : ainsi l'eiitendai 1 encore le remarquable ouvrage d'Edwin Hatch (a), sur ce sujet. On pensait qu'à ses débuts, ia foi nouvelle s était plutôt montrée hostile à la culture grecque en qui elle voyait l ' â m e même du paganisme. Paul, entre tous, apparaissait comme le plus éloigné d'un monde de pensées dont il a dit tant de mal ! La sagesse des Grecs ne lui a-t-elle pas paru folie et é g a r e m e n t ? Ce jugement n'est-il pas péremptoire (3). Quant à la langue grecque, si Paul en use, c'est qu'il n e peut faire autrement : au reste son grec n'a ni pureté, ni élégance, ni correction : c'est celui d'un étranger qui est souvent embarrassé dans ses mots et dans ses tour1. La religion romaine, d'Auguste aux Anlonins, i S ^ - P-942. The Influence oJ.Greek Ideas and Usages upon the Christian 1890. 3 I C o r . , 1, a5.
Church,
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l'iielt.énisme et
i/apotre
paul
n u r e s , qui frise le barbarisme et ne l'évite pas toujours, qui pense en hébreu et qui impose au vocabulaire et à la s y n t a x e grecque des mots et des phrases qu'on qualifie d'hébraïsmes.
Les
Epilres n'ont rien qui les rattache à
la littérature de la G r è c e , m ê m e à celle de la période postclassique : c'est un genre d'écrits fermés, sans c o m munication ni points d'attache avec les productions raires du dehors. On dirait une pensée
litté-
venue d'en haut
et se posant d'elle-même sur des feuilles de p a p y r u s sans a v o i r rien emprunté au milieu où elle est a p p a r u e . Tant qu'a régné cette manière de voir, presque passée à l'état d'habitude, on n'a pu supposer un seul instant que l'Apôtre
relève, en quoi que ce soit ( i ) d'un
ordre
de
choses qu'il avait condamné ! Ce qui venait corriger les errements de la raison, n'avait pas à leur devoir une seule pensée : l ' E v a n g i l e se suffisait à lui-même, il s'imposait p a r l'éclat de la révélation et la puissance des miracles (2). O n trouvait en cela la preuve de sa transcendance, car seule une force divine
avait
pu faire
de
toutes pièces un
ensemble de vérités qui n ' a v a i e n t aucune attache avec les philosophies préexistantes : c'était, à la lettre, une vraie création. L a théorie de l'inspiration, surtout celle de l'inspiration verbale rendait, de
son côté, parfaitement inutile l'idée
que saint P a u l ait eu à s'occuper des penseurs de la G r è c e ou de R o m e P o u r q u o i recourir à de pareils concours q u a n d ou écrit sous la dictée de l ' E s p r i t - S a i n t ? Ne
serait-ce
pas une atteinte au caractère surnaturel des E p i t r e s q u e de supposer, pour cette période, une influence des doctrines grecques ? L ' h y p o t h è s e
n'est
acceptable
qu'après
l'ère
apostolique, lorsque se ferme la révélation à jet continu ; pas d'hellénisation proprement dite, dans le dogme chré1. I Cor., 1, 19. 2. I Cor., 11, 4.
L'HELLÉNISME
ET
1.'APOTRE
PV( T 1,
9
tien, a v a n t C l é m e n t d ' A l e x a n d r i e et O r i g è n e . Ces conclusions r é s u m e n t u n e m a n i è r e de voir qui est loin, surtout en certains milieux, d'être d é p o s s é d é e de ses titres et l'opin i o n contraire n'a fait q u e très l e n t e m e n t son c h e m i n . Baur, le r é n o v a t e u r des études p a u l i n i e n n e s ( i ) sur la base de la philologie et de l'histoire fut u n des p r e m i e r s , e n étudiant l'éthique de Paul, à y d i s c e r n e r d e s éléments d'origine grecque, mais il n ' e n tira pas de c o n s é q u e n c e s s p é ciales. Il n ' e n fut pas de môme d a n s s o n école. Q u e l q u e s u n s de ses disciples, mis en
éveil p a r
ces r e m a r q u e s ,
c r u r e n t d é c o u v r i r d a n s l'antithèse de la chair et de l'esprit, hase de la m o r a l e et de l'anthropologie
de
Paul,
un
e m p r u n t au d u a l i s m e platonicien : dès ce m o m e n t , la question des r a p p o r t s de P a u l avec la p e n s é e g r e c q u e était posée. Pfleiderer (2) essaya de m o n t r e r que m ê m e en l'idée d e Parousie, P a u l avait subi peu à peu le c o u r a n t s p i r i l u a liste de P l a t o n au point qu'étant parti, d a n s ses p r e m i è r e s Epitres, d ' u n e r é s u r r e c t i o n d ' a b o r d c o m p r i s e au s e n s presque matériel des apocalypses juives, il avait abouti, d a n s ses d e r n i è r e s lettres, à des théories très voisines sinon identiques à celles d u P h é d o n . A s o n tour, L i i d e m a n n , a u t r e disciple de B a u r , fit ressortir, d a n s les théories éthiques de P a u l , l'opposition radicale enLre la chair et l ' e s prit, idée qui n e p o u v a n t venir d u m o n i s m e juif, devait avoir sa source d a n s les écrits platoniciens. Holsten (3) alla plus loin e n c o r e et soutint q u e les idées grecques hantaient si bien l'esprit de Paul, dès a v a n t sa c o n v e r s i o n , qu'elles en avaient été le f e r m e n t le plus actif et le plus direct. Heinrici (4) se r a p p r o c h a n t d a v a n t a g e des réalités, r e g a r d a 1. S a b a t i e r , Revue a , Das
Urchristentum,
3. Zum
Evangelium
4. Auslegrmg
d'histoire
des
religions,
1900, p . 384-
1887. Paalus
und des Petrus,
der Korinthcrhriefe,
des
1880-1887.
1868.
10
i.'iifu.f.nisme
et
l'apotre
iwul
l'enseignement de l'Apôtre comme une synthèse originale des anciens prophètes et des penseurs grecs. « S o n génie, dit-il, a dépassé l'horizon du judaïsme postexilien et même du judaïsme alexandrin pour aller droit au pur hellénisme (i). » Cependant, ce premier mouvement d'opinion en faveur de l'hellénisme paulinien rencontra, au dedans et au dehors de l'école de Tubingue, de vives résistances. Les nombreuses générations de théologiens et d'exégètes formées par les livres et les leçons d'orientalistes et de sémitisants de valeur comme Gesenius, Delitzsch, W e l l h a u sen, ne pouvaient se détacher de la conception d'un Paul, élève des rabbis, transposant en langue grecque, les idées et les méthodes de son maître GamalieL Tous les commentaires sur les Epitres s'appliquaient à rechercher dans le Talmud des antécédents. Vers cet objectif c o n v e r geaient toutes les études sur le judaïsme postexilien (a), comme en témoigne toute une série d'ouvrages, depuis l'essai original de Delitzsch (3) traduisant en hébreu l'Epître aux Romains, jusqu'aux Commentaires publiés par J . H. Holtzmann, en passant par ceux de Meyer, de Reuss. de Godet, pour ne citer que les principaux. La grande masse des Einleitungen et des Théologies du Nouveau Testament ne s'est pas écartée de cette orientation, générale. Il y eut, d'autre part, des théologiens comme B Weiss et Weizsäcker (4), combattant la thèse nouvelle, et déclarant qu'il fallait expliquer Paul par Paul lui-même, sans incursions sur le terrain grec. Kabiseh (5), prenant à partie zur Erklärung des zweiten Korintherbriefs, 1867. Neutestamentliche Zeitgeschichte, i8-î;Feril. Weber, tem der altsynagogalen Theologie, 1880. 1. Vorrede
2. Schürer,
3. Paulus des Apostels Brie} an die Römerin das Hebräische and aus Talmud und Midrash erläutet, 1870. 4. Apost. Zeitalter, i885, p. io5-ioi. 5. Die Eschatologie des Paulus in ihrem Zusammenhange gesamtbegriff des Paulinismus, 1896.
Sys-
ubersetz
mil
dem
L'HELLÉNISME
ET
L'APOTRE
PAEI
II
l'argument de Pfleiderer sur l'évolution du concept d'eschatologie paulinienne, s'efforça de prouver qu'il n'y avait rien eu de pareil et que Paul, jusqu'au bout, était resté attaché, en ces matières, aux images des Apocalypses juives, thèse que réfuta Teichmann (i), expliquant à son tour, avec plus d'ampleur les textes allégués par l'auteur combattu. L a lutte reprit bientôt sur un autre point ; de l'eschatologie elle se porta vers la notion d'esprit. Gunkel (2) s efforça de démontrer qu'il n'y avait pas là une raison meilleure pour introduire dans les Epîtres, des idées platoniciennes, vu que l'Apôtre 11e diffère en rien, dans sa façon de concevoir et de parler de l'Esprit, des vues de l'Ancien Testament, y superposant tout au plus un sens éthique quand il place la charité au-dessus des autres charismes. L'opposition entre la chair et l'esp'-it restait donc dans le cercle des idées juives sans qu'il lut nécessaire, concluait l'auteur, d'aller en chercher la trace au dehors, Une autre raison, décisive pour plusieurs, tendait à exclure l'idée d'helléniser Paul, c'est que les Pères grecs, les premiers surtout, se sont peu servis de ses écrits, jugeant sans doute ou ayant du moins le sentiment que les
leurs n étaient
pas dans la même direciion d'esprit. Si l'Apôtre, dit-on, avait penché tant soit peu de ce côté, Clément d'Alexandrie et Origène s'en seraient aperçus et se seraient couverts de ton autorité. Cet argument et d'autres encore ont pesé sur l'opinion d'un grand nombre, bien qu'il fui facile, chiffres et textes en mains, de prouver que depuis Marcioa jusqu'à Photius, les commentaires sur les Epîtres de l'Apôtre se sont succédés sans interruption et ont commencé, à Alexan1. Die paulinische Vorstellungen von Auferstehnng anclOericht imihre Beziehung zar judischen Apocalyptik, 1896. 2. Die Wirkungen des heiligen Geistes nach der populœren Auschanung. der apostolichen Zeit und nach das Leben des Apostels Paulnx, 1898.
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ET
L'APOTRE
PAUL
drie, avec le didaskalion. Pantène, Clément et Origène ont, à ce qu'il semble, commenté toue les écrits de Paul ( i ) . N'importe, il était accepté à l égal d'un dogme, que Paul n'était qu'un rabbi converti, passé au camp chrétien sans autre changement d'esprit que celui de reconnaître en Jésus de Nazareth, le Messie promis à Israël. C'est ainsi que d a n s son livre touchant les influences de la pensée grecque sur l'Eglise chrétienne, Hatch ne parle môme pas de Paul, comme si la chose n'eût jamais été mise à l'examen. L'hellénisation de l Evangi e ne commence pour lui qu'avec l'école d'Alexandrie. Harnack, dans son Histoire des dogmes (2), se montre plus disposé à en devancer la date, mais il se tient encore très réservé à l'égard de l'Apôtre, admettant tout au plus que celui-ci a élaboré les éléments de la dogmatique chrétienne. La célèbre dissertation d'Ernest Curtius (3) sur le discours de Paul à Athènes, vint remettre à l'ordre du jour la question de l'hellénisation de l'Apôtre. L'auteur de VHistoire grecque mettait en parallèle mots et idées de ce beau morceau d'éloquence et surtout des E p i tres avec des passages d'auteurs classiques comme Platon et expliquait ces ressemblances pailla haute culture philosophique de Paul puisée aux meilleures sources, étant donné que Tarse sa patrie était, depuis plusieurs siècles, le centre littéraire le plus en vue de toute l'Asie, le berceau des scolarques stoïciens, l'émule d'Alexandrie elle-même. L'opuscule iit sensation mais il ne pouvait avoir toute son efficacité qu'en se complétant d'une étude approfondie des Epitres. D'autre part, le discours à l'Aréopage n'avait pas été sténographié, et les passages cueillis dans les Epîtres ne constituaient pas une masse assez imposante pour une conclusion aussi générale. La critique (4) a trouvé depuis 1 . C f . H a s t i n g s , A dictionary
a. Dogmenges
3. Paulusin
chichte,
Athen,
4. L o i s y , Actes
of the Bible,
V , 190 ,, p . 484-329.
t. 1, p. 83-g5, > édit. 1894.
Gesammelnte
des Apôtres,
Aufsàtte,
t. 11, p. 527-543; 1894.
p. (i6o. Paris.1920.
L'HELLÉNISME
ET
I/APOTRE
i3
PAUL
d'autres raisons de ne pas se contenter d'une base aussi fragile, mais un point déjà important demeurait acquis On eut désormais une opinion meilleure du grec de Paul, c'était presque lui accorder droit de cité dans la littérature hellénique. Schmiedel, dans ses Commentaires, doit en convenir et essaie d'arrêter la conséquence qu'on pourrait en tirer: « Il faut se garder, dit il, de conclure du caractère hellénique de la langue de Paul à une façon de penser qui soit grecque ( i ) ». Mais l'élan est donné. On se met à analyser le style de Paul, surtout
son vocabulaire et
dans une direction plus sure que celle indiquée par Curtius. Hans Vollmer (2), utilisant cl mettant au point un travail de Kautsch fit remarquer, après une confrontation des citations bibliques des Epîtres avec les Septante, que l'Apôtre s'était presque exclusivement servi de la version alexandrine, comme l'eût fait un Juif Helléniste. « La même conclusion sortait déjà de l'opuscule de Gräfe (3) établissant les nombreux emprunts des Epitres pauliniennes au livre alexandrin de la Sagesse. De la langue à l'idée la roule est brève : on ne peut guère séparer deux choses si étroitement unies. Holtzmann, après avoir fait siens les résultats de ces diverses enquêtes déclara, dans son Manuel du Nouveau
Testament
la Diaspora,
de
théologie
(4) que Paul étant avant tout fils de
avait respiré, dès sa jeunesse, l'atmosphère
grecque, qu'il s'y rattachait par le style, la rhétorique de ses Epîtres et même, chose plus délicate, par ses façons de sentir et de penser. Toute la question, ajoutait-il, était de démêler et de circonscrire ces éléments d'hellénisme. Là est, à l'heure actuelle, concluait-il, le vif des études pauli1 . Auslegung
der Briefe
an die
Korinlher,
a' é d . , 1892. •2.
3. Das
1892.
Verhœltniss
4. Lehrbuch
der l'aulimsvh
der Theologie
Schrijten
des A \ T.,
zur
t . 11, p . 3. 18^;.
SapientiaSalomonis.
L'HELLÉNISME
ET
L'APOTRE
PAU
menues. De telles déclarations émises par celui qu'on, tenait pour le « Mentor de la théologie allemande », ne restèrent pas sans écho. Toutes les nouvelles publications qui paraissent o u t r e - R h i n sur Paul ou ses écrits, aux abords du xx e siècle, marquent un progrès vers la thèse de l'hellénisation paulinienne. La plupart des théologiens, Paul Wernle, W r e d e , Georges Heinrici, Jean Weiss, Feine, Lietzmann, Clemen conviennent, que Paul s'est approprié dans une certaine mesure, les idées de la philosophie populaire. Dans l'intervalle, des philologues de valeur reprennent, avec un matériel nouveau et sur un autre terrain, l'étude du grec de Paul. A. Deissmann lui voit des affinités avec lalangue des papyrus (i) et retrouve des expressions, qu'on qualifiait d'hébraïsmes, dans des documents du grec courant des époques hellénistique et gréco-romaine. En même temps, P. W e n d l a n d (3) et R . Bultmann signalèrent dans les grandes Epitres de Paul, des fragments de diatribe cynico-stoïcienne, pareils à ceux qu'on rencontre dans Sénèque, Musonius, Epictète, Dion de Piuse, et même dans Philon, ce qui prouve que la Diaspora s'en servait dans sa propagande auprès des païens. On était sur la voie pour s'avancer plus loin et rechercher si Paul, ne s'étant pas contenté d'imiter la rhétorique de son temps, avait de plus, fait quelque emprunt à la philosophie stoïcienne, sous la forme où 011 la rencontrait dans les pays d'Asie ou d'Egypte, au i r siècle de l'ère chrétienne. C'était remettre à l'étude u n côté de la question dont 011 s'était plus particulièrement occupé en France, dans la seconde moitié du xix 8 siècle. 1. Bibel Studien et Neue Bibelstudien, 1897; Licht von Osten 1908 et die Urgeschichte des Christentums imLichte der Sprachforschung, 1910. a. Qaaestiones Musoniance, 1886 ; Philo und die ky.iisch-stoische Diatribe, 1893. 3. Der Stil der paulinischen Predigt und die hyniseh-stoische Diatribe
1910.
L'HELLÉNISME
ET
L'APOTRE
PALI
U>
Ernest Havet, dans son œuvre principale (i), ayant pris ?i tâche de relever, le long de la philosophie grecque, tout ce que la foi et la morale chrétienne avaient emprunté à celle-ci, en avait conclu que, malgré les apparences, les origines du christianisme sont dans le monde grec,non dans le monde sémitique et que le christianisme est beaucoup plus hellénique qu'il n'est juif, ce qui était affirmer d'avance que les écrits du Nouveau Testament et, par suite, ceux de Paul, avaient subi l'influence hellénique. Au reste, l'auteur ne s'en était pas tenu à ces déclarations générales et avec une clairvoyance, remarquable pour l'époque, il disait dans sa Préface : « Si on ouvre à la première page le recueil des Lettres de Paul, oa y trouve tout de suite un grand nombre de mots qui ne répondent à aucun terme delà langue delà Bible,et que les traducteurs des livres bibliques n'ont jamais eu à employer : salut (au sens religieux), invisible,créature,divinité (ausens abstrait), inexcusable, naturel, affection ; autant d'expressions que je relève seulement dans le chapitre premier de la première Epître et qui viennent évidemment de la philosophie hellénique (2) », puis, dans le cours de son livre, Havet soulignait, à plusieurs reprises (3), l'affinité des doctrines pauliniennes avec celles des stoïciens. Vers le même bul convergeaient d'autres publications telles que le livre de M. Aubertin sur Sénèque et Saint Paul (4), un chapitre entier, à propos du même sujet, dans les belles études de Gaston Boissier sur la religion romaine d'Auguste aux tntonins (5), la thèse de Constant Martha sur la morale pratique dans les lettres de Sénèque (6) ainsi que ses Etudes 1 . L e Christianisme 2. P ,
xvni.
3 . T . 1, p . 336-339 4. P a r i s , 1806 ; 1869.
5. T. 11, p. 02-104.
-6. S t r a s b o u r g , 1 8 7 0 .
et ses origines.
Paris,
1873-1881.
i8
L'HELLÉNISME
ET
I/APOTRE
PIUL
morales sur Vantiquité, Par toutes ces recherches la philosophieet l'histoire étaient orientées dans le sens d'un rapprochement à établir entre les Epitres de Paul et le stoïcisme. Cependant une série d'autres travaux, inspirés par les résultats de l'exégèse biblique, donnaient une note un peu différente. Renan porté, en orientaliste, à faire une pari un peu trop large au «judaïsme hébreu» dans la genèse du christianisme primitif,donnait à Paul-une couleur fortement sémitique et hébraïsait, outre mesure, la langue et l'esprit de son héros. « Son grec, disait-il, était un grec chargé d'hébraïsmes et de syriacismes, qui devait être à peine intelligible pour un lettré du temps, et qu'on ne comprend bien qu'en cherchant le tour syriaque qu'il avait dans l'esprit en dictant... C'est en cette langue qu'il pensait ; c'est en cette langue que lui parle la voix intime du chemin de Damas. Sa doctrine ne trahit non plus aucun emprunt direct fait, à la philosophie grecque, sa dialectique a la plus grande ressemblance avec celle du Talmud (t) ». Les mêmes vues se rencontraient dans les ouvrages d'Edouard Reuss (2) et de Sabatier (3), l'un dans son Histoire de la théologie chrétienne, l'autre dans son livre sur l'Apôtre Paul, et dans l'Encyclopédie des sciences religieuses, où il dit que « l'influence de la Grèce sur le développement de sa pensée paraît avoir été faible et que ce 11'ot t point l'enfant de la ville de Tarse, mais le pharisien de Jérusalem, qui explique l'apôtre des Gentils ». L'exégèse catholique (4), Î. Les Apôtres, p. 166 et s u i v . , S a i n t Paul, p. 176. Les autres v o l u m e s , l'Antéchrist, p. 70-89, l'Eglise chrétienne, p. 388,montrent un Paul m o i n s étranger à la culture grecque. 2. T. it, Histoire de la théologie chrétienne au siècle apostolique, 1802. 3. P. 28, 29, 3* é d . , 1896. Lichtenberger. Encycl., 1877-1882, art. PAUL. En voir la critique et celle de l'opinion de Renan, dans Essais sur l'histoire générale et comparée des théologies et des philosophies médiévales de F. Picavet, 1913, p. 116-129. 4. Manuel biblique, Vigouroux-Brassac, Paris, 1909, t. 11, p. 56o. La Théologie de saint Paul de F . Prat ! , 1912, qui traite la question p l u s
L'HELLÉNISME
ET
L'APOTRE
PAUL
e n ses plus récentes publications,ne pense pas d'une autre manière.
« L'influence
grecque
et
latine, dit
Brassac
dans le Manuel qui sert de texte à r e n s e i g n e m e n t biblique dans la plupart, si non même dans tous les séminaires de France, a été très restreinte, presque nulle sur les pensées, le style et la dialectique de saint Paul. Vivant au milieu des grecs et des latins, il leur a emprunté un certain n o m b r e de mots et d'images : quant à sa dialectique, elle a bien plus d'analogies avec celle du Talmud
et des
Rabbins
qu'avec celle des rhéteurs et des sophistes grecs. R i e n ne prouve qu'il ait lu les écrits de Philon, encore moins ceux des Stoïciens. » Il n'est pas sans intérêt de rapprocher de ces allégations celles de l'Encyclopédie juive parue au début du xx e siècle (i) : « Paul, d'après elle, n'a rien de l'éducation d'un rabbin, comme le prétendent les écrivains chrétiens anciens et modernes,ses citations ne manifestent pas la connaissance usuelle de l'hébreu, la source de sa théologie et de son eschatologie est à chercher du coté de la Sagesse et autres livres apocryphes ainsi que du côté de Philon ; il est entièrement helléniste de pensées et de sentiments, il a subi l'influence gnostique et
iiiéosophique
d'Alexandrie ; son attitude hostile envers le judaïsme s'explique par sa haine contre les rabbis, et c'est par ses t e n dances gnostiques et hellénistes qu'il a fait des prosélytes dans le monde gréco-romain; son point de vue est eschatologique, celui de la synagogue était social et politique. » Il est piquant que dans un milieu autorisé pour donner un passe-port de culture hébraïque, Paul fasse figure d'étranger. à fond et se montre très avertie des mouvements de la critique moderne se tient encore à peu près dans les mêmes lignes. i . The Jewish Encyclopedia, art. Sa.nl of Tarsus du D' Kaut'mann Kohler, vol. xi, p. 79-87, 1905 et l'article de Claude Montefiore dans la Iewish Quarterly Review, t. x m , p . i 6 i , The Judaism and the Epistles of Paul, 1901.
i8
L'HELLÉNISME El L'APOTRE l'.U/L
Par line voie bien différente et pour ainsi dire opposée à toutes celles qui avaient été tentées jusque-là, M. Picavet aboutissait, en fin d'analyse, dans ses magistrales leçons de l'Ecole des Hautes Etudes sur l'histoire générale el comparée des théologies et des philosophies médiévales f à cetle conclusion. « En résumé, disait il, saint Paul a connu les livres de l'Ancien Testament, mais il reste à établir qu'il a reçu une éducation rabbinique et en quelle mesure il l'a reçue. Il est infiniment vraisemblable qu'il fut mis en contact, dans sa jeunesse et dans son âge m û r avec les doctrines éclectiques et stoïciennes de ses contemporains. Il en prit, en les adaptant à la religion nouvelle, quelques grandes théories. Même ii les employa et il employa la raison à préparer la voie au Christianisme Il combattit la philosophie du temps quand elle voulut rester au premier plan et il la remplaça par une philosophie chrétienne, dont il a donné une esquisse sommaire, par certains côtés assez développée. Ainsi il fut le vrai fondateur de la philosophie chrétienne considérée d a n s toutes ses directions, soit qu'elle veuille avec Clément d'Alexandrie et Origène, avec saint Thomas d'Aquin et Roger Bacon utiliser les anciennes doctiines comme une introduction au christianisme, soit qu'elle leur déclare la guerre et veuille les expulser de la pensée chrétienne, constituée en une philosophie entièrement religieuse et évangélique. C'est ce qui fait son originalité, ce qui explique qu'elle ait pu être réclamée par les protestants et les catholiques, par les théologiens et les philosophes ; il a synthétisé les doctrines des Grecs avec le judaïsme devenu le christianisme, et il a mis dans cette synthèse, les germes qui devaient un jour fleurir et fructifier dans le m o n d e chrétien » (i). i. Essais sur l'histoire générale losophies médiévales, igi3.
et comparée
des théologies
et des
phi-
L'HELLÉNISME
FI
L'.4l'0TIUÎ
PACI
I(
1
Dans un ouvrage précédent ( i ) Se m ê m e auteur avait déjà observé que la « philosophie théologique du raoven âge commence au premier siècle avec saint Paul chez les Chrétiens, avec Philon chez les Juifs, avec les
néopythagori-
ciens dont le plus marquant, est Apollonius de Tyane sous Néron, avec les platoniciens éclectiques et pythagorisants comme Plutarque de Chéronée et Apulée de Madaure, avec les stoïciens Sénèque et Epietète, dans le monde hellénique et romain». O n va voir que ces conclusions cadrent avec d'autres expériences. L'Angleterre, qui a consacré à saint Paul le meilleur de son exégèse et produit, dans cet ordre, tant de travaux remarquables, n'arrive à lui reconnaître une formation hellénique, que
dans
le livre important où
W . Ramsay expose le résultai de ses voyages en Asie Mineure, sur le théâtre même de 1 evangélisation apostolique (a). L'étude des ruines lui a fait recueillir les vestiges du passé avec plus d'exactitude que d'interminables discussions philologiques et, en voyant ce mélange de cultures qui est resté la marque de l'Orient il a mieux saisi le caractère de Paul et ce qui fut la condition essentielle de ses succès dans ces milieux composites. « Dans la philosophie de Paul, dit-il, l'esprit oriental et hellénique se sont mêlés comme deux éléments dans une combinaison chimique, dans chaque
sentence, dans chaque
pensée,
voi-s pouvez sentir l'élément oriental, si vous y êtes s e n 1. Esquisse d'une histoire générale et comparée, des philosophiez médiévales, 1907, p. 4 2 2. The cities of saint Paul. Their influence on this lije and thought 190J. En 1900, l'article de G. Findlay, Paul, the Apostle, dans la Dictionary oj the Bible d'Hastings, vol. 111, p . 698, insistait encore sur la formation rabbinique de Paul ; Ramsay lui-même y incline dans ses précédents ouvrages, saint Paul, the Traveller and the Roman citizen 3' éd., 1897. C'est peut-être sous l'influence de son dernier ouvrage que l'article de James Bartlet, Paul, the Apostle, dans The Eneyclopœdia Britannica, vol, xx, 1911, déclare la question ouverte.
20
L'HEU.ÉNISMI;
ET
L7APOTRE
PAU1
sible et l'élément occidental si vous connaissez l'hellé nisme. De là la diversité d'opinions sur Paul chez les modernes - - on pourrait en dire autant des anciens — suivant que l'on est plus attentif ou que l'on sent mieux l'un des deux éléments. Le fond est hébreu par sa structure mais la forme est grecque. Ce qui crée difficulté, c'est qu'on n'est pas assez familiarisé avec le inonde grécoromain ou que l'on ne connaît que le vieil hellénisme de la Grèce libre. O n oublie que l'Asie était hellénisée » (i), et, plus loin, « l'hellénisme avec lequel Paul est entré en contact n'est pas celui de la période classique, il a perdu ceite grâce délicate qui en fait une chose unique au monde, qui était fragile et liée à certaines conditions de temps, de race, de lieu ; le premier hellénisme était pour une seule nation, l'autre, pour le monde et adapté à lui (2). » On se rapprochait, avec ce genre de preuves, de la r é a lisé historique et on s'engageait dans une voie pleine de promesses. Un point restait dans l'ombre. Paul avait-il subi l'empreinte de cette partie de l'hellénisme qui en faisait le fond et qui en était, pour ainsi dire, inséparable," c'est à-dire l'élément religieux ? De prime abord on était tenté de r é p o n d r e par la négative. Il semblait contradictoire d'associer ensemble deux semblables idées. Comment allier le monothéisme absolu et nettement tranché de l'Apôtre avec le polythéisme grec ? O n entrait dans le domaine de l'histoire des religions qui, elle aussi, avait son mot à dire dans le débat, et devait encore en élargir le champ. L'enquête débuta par des travaux d'approche. H . Use11er (3) inaugurait, en 1899, une série de recherches sur le 1. Op. cit., p 6, s. Ibid., p. 35. 3. Religions geschichtl. Untersuch. Das Weinachtsfcst, Die Sinjlutsagen, 1899, p. 276.
1899, p, 33j.
L'HFXLÉNISMIÎ ET
L'APOIIU-: PAUL
paganisme au commencement de l'ère chrétienne, en ibne tionde la science théologique. Ces essais ne touchaient que des points de détail, très en dehors de saint Paul et de ses Epîtres, mais ils contribuaient à vulgariser l'idée d'une communication entre des zones religieuses qu'on tenait pour isolées l'une de l'autre. La même idée émerge de la Psyché d'Erwin Robde (•) où l'on fait sortir de la haute antiquité païenne des croyances fort semblables à celles qu'a propagées le christianisme, ce qui éveille un soupçon d'emprunt et d^ dépendance. Bien plus suggestives encore, dans le même sens, les savantes conférences de Franz Cumonl au collège do France, puis à Oxford, sur les religions orientales dans le paganisme romain (2), auxquelles avaient préludé des éludes sur les mystères et le culte de Mithra (3). L'auteur faisait valoir l'importance trop peu soupçonnée jusqu'alors des reii gions de mystères dans l'économie religieuse des temps voisins ou concomitants de l'ère évangélique. L'emprise des cultes orientaux sur la mentalité publique, à la période gréco-romaine, devait avoir sa répercussion sur l'œuvre de Paul, encore que l'effet n'en fût pas autrement marqué dans ces différentes publications. Au même ordre d'idées se rattachent encore les études de Toutain (4), les divers livres de P. Foucart, sur les Mystères d'Eleusis (5;, puis, toujours dans la même ligne, les cultes, mythes et religions de Salomon Reinach (6) auxquels peuvent se joindre les travaux d'Otto Gruppe, sur ¡es c u i t o 1. 1894, 1903 ; t. 11. p. 329 et 448. а. Elies ont été réunies en volume et publiées, sous ee même lilir-, en 1908. 3. Textes et monuments figurés relatifs aux mystères de Mitin-a, 2 vol. 189¡-99. 4. Le* cultes païens dans l'empire romain (1905-1911). 5. 1890-1900, 191a, 1914. б. 1905, p. 06, 68, 4C6 f t »37. C. Toussaint
2
11
l'hellénisme
et
l'apotre
PAUL
grecs d a n s leurs r a p p o r t s avec les religions orientales (i). O n allait bientôt arriver au vif de la q u e s t i o n . Anrieh (2), en i8y4> avait essayé, p o u r prévenir le coup, de p r e n d r e les devants et de limiter la s p h è r e d'influence des païens sur le c h r i s t i a n i s m e
à des
points
mystères
d'importance
secondaire, c o m m e si ce m o u v e m e n t de p é n é t r a t i o n se fut arrêté à la périphérie de l'Evangile, o p i n i o n q u ' o n t a d o p t é n o m b r e de théologiens m o d e r n e s , c o m m e W o b b e r m i n ¡3), G. Heinrici (4), Giemen (5), Jacoby (6), mais la b r è c h e était o u v e r t e , et, en 1908, Dieterich (7), à l'occasion
d'un
f r a g m e n t de liturgie m i t h r i a q u e d ' o r i g i n e g r é c o - é g y p t i e n n e dont
il d o n n a i t la traduction,
mit
en
regard
de
ce
p a p y r u s certaines parties des d o c t r i n e s p a u l i n i e n n e s
ou
j o h a n n i q u e s , ce qui était a r r i v e r , p o u r ainsi dire, au c e n t r e m ê m e d u p r o b l è m e . O n y p a r v e n a i t eniin sans détour avec u n o u v r a g e de R . Rcitzenstein (8) sur les religions de m y s tères qui a v a i e n t eu cours d a n s le m o n d e hellénique. Ici, P a u l était mis d i r e c t e m e n t e n question. L ' a u t e u r qui avait préludé à ce travail par la publication d ' u n des plus p r é c i e u x d o c u m e n t s de la théologie et de la m y s t i q u e gréco-égyptienne (9), n e faisait p l u s s i m p l e m e n t œ u v r e de p u r e phi1. Die griechischen Culte unâMythen in ihrer Beziehung zu dén orientalischen Religionen, 1887, 1906. а. Das antikeMysterienwen in seinem Einfluss auf das Christentum. 1894. 3. Religionsgesch. Stud. zur Frage der Beeinflussung des Urchistentums durch das antike Mysterienwesen, 1896, p . 190. 4. Paulinische Problem. L e i p z i g , 1914. 5. Religionsgesch. Erklœrung des Neuen Testaments, 190g, p . 3 o i . б. Die antiken Mysterienreligionen und das Christentum, Tübingue, i()!0, d a n s Religions geschichtliche Volksbücher, III, 12, ¡11-12, 4 4 p a g e s 7. Eine Mithraslitnrgie, igo3, i g i o , p . 9:1-212. 8. Die hellenistischen Mysterienreligionen. L e i p z i g , 1910. L e c o n g r è s des r e l i g i o n s t e n u à I.eyde, en s e p t e m b r e 1912, a m ê m e t r a i t é c e t t e q u e s tion. 9. Poimandres. 1904. « Ces é c r i t s , d i t S c h w e i z e r , Geschichte der paalinischen Forschung. i y i i , p . i47> i n t é r e s s e n t au p l u s h a u t point, la l i t t é r a t u r e p h i l o s o p h i e o - r c l i g i e u s e c a r ils c o n s t i t u e n t u n e é t a p e d u d é v e l o p p e m e n t de l'esprit grec qui p a r t des religions de m y s t è r e s p o u r a b o u t i r a u N é o p l a t o n i s m e ».
L'HI LLÉNISME
ET
I.'APOTUE
PAUL
A3
lologie, mais s'avançait sur le terrain théologique avec un matériel nouveau L'impression fut très forte ; on se sentait saisi par un flot de pensées nouvelles. En France, M . Loisy fut des premiers à en voir la haute portée et à le signaler, sans retard, à l'attention des lecteurs de sa Revue d'histoire
et de littérature
religieuse
le présentant, c o m m e « un ouvrage de toute
(i),
première
importance ». Et il appuyait son jugement des remarques suivantes : « Ce n'est pas un livre, disait-il, mais une conférence de caractère général, que complète une série de notes dont quelques-unes sont de véritables dissertations. L e tout est plein d'idées et la doctrine de saint Paul surtout se trouve éclaircie mieux que par les travaux antérieurs. Il était nécessaire que l'Evangile se transformât en mystère oriental pour se répandre dans le monde grécoromain, comme avaient fait avant lui ou comme
faisaient
en même temps que lui les mystères de la Magna Mater, d'Isis et de Mithra. » Mais, tout en faisant valoir ce que l'hypothèse de Reitzenstein avait de neuf et de fécond, le judicieux recenseur n ' e n admettait pas, les yeux fermés, toutes les parties, i II est difficile, concluait-il (2), d'adopter les conjectures de M. Reitzenstein sur la manière dont Paul a constitué sa théologie.
M. R . . .
paraît supposer que Paul,
jamais été initié à aucun des
mystères païens,
n'ayant n'aurait
pu connaître ceux-ci que par la littérature mystique du paganisme. Cette littérature, il l'aurait connue avant sa conversion et aurait même été préparé par elle à se vertir ; voulant
porter l'Evangile
aux païens,
con-
il aurait
dû étudier la langue et les idées religieuses des gens qu il voulait
gagner, trouver
des règles
et le culte des communautés qu'il 1. N° 6, n o v e m b r e - d é c e m b r e ,
p. 585-589. 3. P . 587.
191 r, a n n é e et
pour
l'organisation
voulait instituer
sur
t o m e TI ( n o u v e l l e bérie)
24
L'HELLÉNISME
ET
L t APOTRE
P.\T'L
d'autres bases que la communauté hiérosolymitaine ; il aurait puisé dans la littérature païenne un vocabulaire et u n ensemble d'idées ou d'images qui auraient été comme la forme sensible, n o n le fond le plus intime de sa vie religieuse. » Cette supposition cadre mal avec ce que l'on sait, par Paul lui-même (x), des circonstances de son apostolat et de sa conversion. « O n se représente mal, avouons-le (2), Paul, soit avant, soit après sa conversion, lisant assidûment, pour s'instruire des idées païennes, les écrits, magiques ou autres, qu'il pouvait avoir à sa disposition. Pour tout dire, on ne le conçoit pas s'ingéniant consciemment, délibérément, par étude, à chercher dans ces livres la langue et les idées dans lesquelles il pourrait traduire l'Evangile pour le rendre accessible et acceptable aux païens. Ce n'est pas ainsi que procèdent les gens de foi ardente et exclusive. Si Paul avait employé cette méthode quasi-scientitique, il aurait menti en disant qu'il ne tenait son Evangile d'aucun homme, qu'il l'avait eu par une révélation de Jésus-Christ. » Y avait-il une autre manière de se représenter l'évolution de la pensée de Paul, sans pourtant sacrifier les résultats philologiques et autres de cette remarquable analyse et sans faire du christianisme u n simple démarquage de vieux mythes orientaux, babyloniens, égyptiens, syriens, plus ou moins heureusement combinés par l'Apôtre, à la suite de lectures et de méditations assidues ? L'article qui vient d'être cité (3) avait déjà prévu l'obstacle et donné les moyens d'y parer : 0 II n e semble pas douteux, écrivait M. Loisy, que le principal agent de cette transformation ait été l'Apôtre lui même, mais n o n pas seul. Y ont contribué dans une certaine mesure tous les païens convertis qui ont sollicité inconsciem1. G a i . I, i3-a4; II Cor. n , aa-a8. 2 . L o i s y , Revue 3. P . 587.
citée,
p . 588.
L'HELLÉXlSMî-
F.
l/AP.'-rRE
PAC L
2,5
ment les prédicateurs chrétiens à k u r offrir une croyance qu'ils puissent entendre et qui 1 ont
entendue à leur
manière quand ils l'eurent acceptée. Mais l'initiative du mouvement, la définition nouvelle, des croyances, sont imputables, pour la majeure partie, à saint Paul. » Restait pourtant à savoir comment Paul lui-même avait été amené à un ordre d'idées si éloigné du judaïsme et par quelle évolution il avait passé pour en arriver là. L'Epitre aux Gaiates semblait couper court à pareille hypothèse, à la façon dont elle représente la conversion subite du jeune pharisien et sa vocation providentielle auprès des Gentils, n u i s le commentaire critique qu'en donnait M. Lois , (i), en 1916, montrait en quel sens 011 devait interpréter ces passages, écrits depuis près de vingt ans après l'événement du chemin de Damas. Il y avait un effet de perspective à corriger et à mettre au point. Au reste, il s'agit moins dans ce récit des méthodes d'apostolat du nouveau converti que de sa brusque décision d'adhérer au Christ des premiers disciples de Jésus. Une fois rallié à la foi nouvelle, Paul aura continué, avec les changements et compléments nécessaires, auprès des païens, la propagande qu'il avait autrefois entreprise en ces milieux pour le compte du judaïsme, supposition d'autant mieux fondée que dès le début il apparaît classé dans le groupe des missionnaires hellénistes de la pi iinitive Eglise, autre point de vue sur lequel on n'avait pas assez l'ait réflexion et qui atténue singulièrement certaines assertions de l'Epître aux Gaiates. On voit avec quelles réserves on doit les accueillir (2) ! C'est à se faire une idée i. VEpitre aux Oalates, 191(1. a Ces vues sont largement exposées dans le livre du même auteur, Les mystères païens et le mystère chrétien, Paris, 1919, p. Hoa-345, qui résume une partie de ses cours d'avant-guerre, au Collège de France, sur le sacrifice dans ies anciens cultes de l'Orient, île la Grèce et de Home.
26
L'HELLÉNISME
ET
L'APOTRE
PACL
plus exacte de ce que fut cette œuvre de prosélytisme du judaïsme hellénique
pour gagner le monde païen
que
l'histoire des religions doit appliquer son effort. O n n'a que des bribes de renseignements sur la direction générale de cet apostolat mondial qui a précédé la propagation de l'Evangile, et l'on ignore quels furent, dans le
détail et
suivant les pays et les races, ses moyens pratiques d'action, »a littérature de vulgarisation modelée sur celle du stoïcisme et du néopythagorisme, dans le genre de d'apologétique,
ses catéchismes
la Didaché,
moraux,
ses mille petits
ses anthologies,
traités
ses recueils d'histoires
édifiantes, toutes les industries de zèle qu il mit en œuvre pour s'insinuer
dans les
esprils des masses et
recru-
ter, dans tous les rangs de la société, ces prosélytes ardents et sincères parmi lesquels Paul et ses compagnons recrutèrent
les premiers éléments des Eglises
helléno-chré-
tiennes. Peu à peu la barrière qu'on a voulu dresser entre Israël et le monde païen s'effondrera. L e s études modernes (i) montrent déjà ce qu'il y avait de téméraire à lui dénier toute gnose et toute mysticité, ce qui favorise d'autant l'idée que Paul a pu, au sein même
du judaïsme,
entrer en relation et en commerce intellectuel
avec
les
conceptions religieuses du dehors. Certaines défenses du Talmud
qu'on peut facilement
reconnaître comme postérieures à la ruine du Temple (2) de Jérusalem et qui semblent proscrire toule culture grecque ont faussé, par plus d'un côté, l'image des relations intellectuelles entre les Juifsetle monde extérieur. O n ne prend pas garde que ces livres reflètent souvent une époque qui n'est plus celle du judaïsme au début de l'ère chrétienne. 1. Otto G r u p p e , Griechische Mythologie und religions geschickte, t . ti, p . 1608-1610 ; M u n i c h , 1906, f a i s a n t suite a u x t r a v a u x de K r o c h m a l , Q r w t z , Friedländer sur la gnose j u i v e . 2. P a r e x e m p l e , celle-ci : « lire un livre é t r a n g e r est un crime », A q u i b a d a n s T a l n i . de B a b y k m e , Sanhédrin, 91) a . Ci'. Origèrie, Cont. Gels., u, 34«
L'HELLÉNISME
ET
L'APOTHE
PACI.
Il y a d'autre part un danger à se représenter Isi ae avec les seuls documents de la polémique judéo-chrétienne. L'ardeur d e l à lutte a grossi les griefs.exagéré les torts, déformé les traits véritables. Chaque pièce venant de l'un ou l'autre camp est à contrôler par la psychologie et l'histoire, surtout quand il s'agit des querelles religieuses où l'injustice et l'erreurse colorent, aux yeux des croyants, des apparences d'une vérité sainte et indiscutable. Q u i oserait affirmer, à l'heure actuelle, que la peinture du judaïsme, telle qu'elle ressort des Evangiles, des A c t e s ou des Epitres de saint Paul ne doit subir aucune retouche, et ceci, sans mettre en cause la sincérité et la bonne foi de leurs auteurs ? Des vues trop sommaires, des jugements
passionnés,
des illusions de perspectives, des nécessités de polémique ont quelque peu obscurci et déformé l'image réelle d'une religion et d'institutions qui ont tait le bonheur d'un grand nombre d'adhérents. L e psaume c x i x
qui proclame sur
tous les tons, avec une abondance d'images et de sentiments presque inépuisable, la douceur de la Thora (i), ne laisse pas soupçonner les angoisses pessimistes de Paul sur l ' o b servation de la L o i . D e ce contraste, un auteur récent (2) en est venu à distinguer deux courants dans le judaïsme aux temps de Paul,le judaïsme rabbinique et l e j u d a ï s m e hellénique, celui-ci type de judaïsme plus froid, moins riche, moins intime, toujours sur ladéfense, sentantmieux les difficultés d'observer des prescriptions qui le faisaient tourner en dérision par les Gentils, exposé à leurs railleries et à leurs persécutions, plus désireux de voir se lever l e j o u r d e s revanches célestes, lecteur avide des Sibylles et des A p o lypses, judaïsme plus sombre et plus austère, ayant de son Dieu une idée plus lointaine, plus philosophique peut-être 1. e x v i n d a n s l a V u l g a t e . Ce m o r c e a u c o m p t e IJ6 v e r s e t s et o e c u p e à l u i s e u l , t o u s les j o u r s , la m o i t i é de l'office c a n o n i a l . 2. C. M o n t e i i o r e , Judaism and saint Paul, 1^14.
28
l/lII-LI.ÉNISME
ET
L'APOTRE
PAiJI.
mais aussi plus sèche et moins consolante, religion a b s traite, sorte de métaphysique aride, bien éloignée du sentimentde piété confiante et filiale des Juifs de Galilée et même de Jérusalem, toute la différence, en un mot, de l'idylle évangélique aux subtiles argumentations des Epîtres pauliniennes. Paul, natureardente se sera lassé de cette religion qui ne parlait pas à son cœur et se sera jeté dans une secte juive où il rencontrait l'annonce prochaine de la Parousie, l'action continue et directe de l'Esprit, une effervescence et un enthousiasme religieux toujours croissant, l'exonération de la servitude de la Loi, des promesses de récompense dans le royaume messianique, déjà sur le point de se réaliser.A ces lacunes d u j u d a ï s m e diasporéen, Montefiore (i) rattache l'idée qui a pu venir à Paul de comparer cette forme religieuse aux religions de mystères au milieu desquelles il vivait,et qui avaient tant de succès à ce moment ; i! y voyait le bonheur des initiés, assurés d'espérances immortelles, en intimité avec les dieux, enrichis de dons surnaturels, engendrés à la vie divine, en possession de secrets mystérieux, exempts de règles méticuleuses,n'ayant à apporter que leur foi et n'étant pas soumis à des pratiques telles qne la circoncision, le sabbat et autres rites gênants. Une seule chose eut empêché Paul de se convertir aux mystères : l'idolâtrie, le polythéisme ; or, dans la foi chrétienne il retrouvait le monothéisme en son intégrité, et la facilité de modeler sa religion sur le type de ces cultes qui de plus en plus entraient dans l'esprit général du temps et en façonnaient la mentalité religieuse. Cette nouvelle hypothèse mérite examen, elle a des côtés séduisants et offre des parties solides : elle ne peut que susciter des recherches fécondes. En tout cas, après de telles analyses, il semble qu'une certaine révision des idées courantes sur le judaïsme, au début de l'crechrétienne, i. Op. cit., p. n3-ia9.
i.'HELLÉNTSMr. ET
1
APOTRE PAUL
29
idées provenant la plupart des Epîtres de Paul ou des Evangiles, s'impose avec plus de nécessité qu'auparavant. La façon dépourvue de critique avec laquelle on a utilisé ces divers témoignages ont créé des difficultés sans issue.On doit faire subir à toute la littérature du Nouveau Testament et des écrits qui lui font suite, les principes en usage pour juger toute œuvre de polémique, et tenir compte des dates de rédaction des divers livres dont .elle se compose. Qu'on n'oublie pas,surtout,d'analyser les déclar ations J e Paul, dans son autobiographie des Galates, comme écrites vingt a n s a p r è s l'événement etportant l'empreinte des circonstances du moment présent! Vérité objective et sincérité ne sont pas deux choses convertibles et inséparables. Si cette étude sur l'héllénisme de Paul sert, même de loin, à redresser l'une ou l'autre de ces fausses perspectives,elie estimera avoir fait œuvre b o n n e et utile. Dans le travail de la critique plus qu'en aucun autre, l'hypothèse a u n rôle nécessaire ; même quand elle n'a pu durer, elle a servi au progrès d e l à vérité. « Quand mes idées seraient mauvaises, dit J.-J. Roussseau, dans sa préface de l'Emile, si j'en fais naître de bonnes à d'autres, je n'aurai pas tout à fait perdu mon temps. Un homme qui, de sa retraite, jette ses feuilles dans le public, sans preneurs, sans parti qui les défende, sans savoir même ce qu'on en pense ou ce qu'on en dit, ne doit pas craindre que s il se trompe, on admette ses erreurs sans examen. » L'esquisse historique qui sert d'introduction à ce travail montre avec quelle lente précaution s'élabore ce genre, de problèmes, les étapes parcourues et le point où il est arrivé dans son évolution,résultat convergent de méthodes et de disciplines diverses et,par cela même,plus sùr de toucher au vrai. On s'attachera ici comme le titre l'indique, à ûxer Paul dans son ambiance propre, essayant de reconstituer ce qui fut le cadre de sa pensée comme aussi de sa vie reli-
3o
L'HELLÉNISME
ET
L'APOTRE
PAUL
gieuseet marquant les points de suture par lesquels il s'y rattache, dans la conviction que la pierre de touche de la réalité, en histoire, est l'accord de toutes les parties en un tout organique et cohérent. Une synthèse rapide des diverses formes d'idées, de sentiments et d'aspirations qui, sous le nom générique d'hellénisme composaient l'atmosphère spirituelle du monde ancien au temps de Paul, a paru la meilleure manière de rechercher ce qu'il leur doit, ce qu'il leur a emprunté, non pas tant sans doute par l'effet d'un dessein préconçu et d'une étude préalable, entreprise en vue d'un apostolat dans le inonde hellénico-romain, que par voie d'héritage reçu, en grande partie, par sa format i o n dans les milieux judéo-helléniques de Tarse, de Damas et d'Antioche, patrimoine accru par la part active qu'il prit à la propagande juive de la Diaspora et complété par ses expériences de missionnaire chrétien à travers ces pays d'Asie et d'Europe, où un travail de longs siècles avait abouti à une fusion d'idées et de sentiments si divers.
L'HELLÉNISME ET L'APOTRE PAUL
PREMIÈRE PARTIE L'HELLÉNISME
APERÇU
GÉNÉRAL
Rien de plus pressant, au seuil de cette première partie que de délimiter et de circonscrire un mot et un sujet dont l'étendue risquerait de créer des méprises ou des illusions. L'hellénisme est un de ces termes riches de sens et de promesses qui prêtent à l'équivoque si l'on ne prend soin de bien fixer la part qu'on revendique dans cet inépuisable trésor.
Pris
dans
sa plus
large
extension,
l'hellénisme
embrasse l'er semble de la civilisation grecque depuis ses origines jusqu'à la fin de l'empire byzantin et même, suivant certains, jusqu'à l'époque actuelle, ce qui représente un total de vingt à vingt-cinq siècles environ. 11 est de toute évidence qu'une telle histoire, fut-elle
possible,
déborderait notre plan. L'hellénisme qui constitue le milieu et le cadre de la vie et de l'activité de saint Paul n'est ni si vaste ni si lointain ; il se rapproche plutôt de celui qu'envisageait, dans son œuvre magistrale, l'historien allemand Droysen (x), signification plus restreinte et mieux en accord avec 1 etvmologie du mot et les données de l'histoire. Le verbe « helléi. Oeschichle
dès Hellenismus.
1877-1858
3a
L'IIIT,I.HNIS.ME
ET
I.'APOTRE
PAUL
niser » dont dérive « hellénisme » désigne,ea efîel,uûeimitation de la culture grecque, non cette culture elle-même, et évoque l'idée d'une pénétration de la civilisation grecque d»ns un milieu étranger. Ainsi compris, l'hellénisme date moment où la pensée grecque, arrivée à son plein épanouissement, se répand en dehors des limites de la Grèce, œuvre importante entre toutes, dont dépendait l'avenir du monde et que l'on fait c o m m e n c e r d'ordinaire à la conquête d'Alexandre
pour finir au v8 siècle de l'ère
chrétienne,
quand va disparaître le monde antique. Réduit à ces proportions, l'hellénisme nous ramène plus près du point de l'histoire
sur lequel nous essayons de projeter
quelque
clarté ; car si la lumière de la Grèce a touché Paul,
ce
n'est pas avec un rayon venu en droite ligne du ciel de l'Attique, mais un rayon réfracté, qui a traversé bien des milieux interposés, avant de l'atteindre. C'est à les reconstituer que vise cette étude sur l'hellénisme, qui se trouve ainsi limitée aux deux périodes successives qui marquent les grandes et principales
étapes de la diffusion de la
civilisation grecque, l'une qui va d'Alexandre à Auguste, et qu'on appelle période hellénistique, l'autre qui va d'Auguste ii Justinien, et qui s'appelle période gréeo-ro/naine mais qui, au regard de notre élude, ne dépassera pas les abords du 11e siècle. Il ne faudrait pas croire cependant qu'un phénomène aussi considérable et
d'effet si profond, si étendu,
l'adaptation de la civilisation étrangère grecque ait toute sa raison d'être dans
que
à la civilisation les
conquêtes
d'Alexandre. Si grand qu'ait été le génie du héros macédonien, il n'eût pas réussi dans une telle entreprise, si les âmes des peuples conquis n'avaient été préparées, par un enchaînement et une suite de causes multiples, à se plier à d'autres manières de faire et de penser. Au reste, il n'y eut pas, à proprement parler, comme on
L'IIELLÉMSMK
ET
I/APOTIU:
I>,VCI.
le voit parfois dans d'autres parties de l'histoire, substitution d'une culture à une autre, ni simple juxtaposition, mais in: ;' action réciproque, comme entre deux atomes chimiques qui réagissent l'un sur l'autre, pour aboutir à un ierHam qui :l qui participe des propriétés des deux composants, sait-i ressembler tout à fait à aucun de ses générateurs, La noie essentielle de l'hellénisme, sous toutes ses faces et dans toutes ses parties, c'est le syncrétisme. 11 n'en pouvait èti e autrement. Les nations étrangères auxquelles ia Grèce olfrait sa culture étaient, ea effet, pour la plupart, des civilisations anciennes et n'étaient pas des barbaries ; elles avaien!, elles aussi, un art, une littérature, des dieux, un passé et des souvenirs, beaucoup plus anciens que les Grecs, et dont elles étaient fières. Il devait arriver ce qui se produit dans la rencontre de deux fleuves puissants : aucun des deux n'absorbe l'autre et ne l'entraîne dans son courant, mais tous deux s'infléchissent au moment de s'unir, et restent longtemps sans mêler leurs eaux. Ni l'Orient ni l'Occident n'ont reçu l'empreinte hellénique sans la m a r q u e r , en retour, de leurs traits particuliers. Les vieilles civilisations d'Egypte, de Chaldée et de Mésopotamie étaient très vivaces et réagirent avec beaucoup plus de force que la culture romaine ; bien plus, chacun de ces peuples orientaux eut sa façon particulière de sympathiser avec l'élément grec et de subir son action, et il serait plus exact de parler de syncrétismes divers et à doses variables que de croire à une fusion égale et uniforme : chaque nation, chaque race et chaque époque eut le sien. 11 n'arriva pas, à la conquête d'Alexandre, ni sous ses successeurs, ce que l'on vit plus tard chez d'autres peuples : Rome luttant contre les barbares et acceptant la civilisation des vaincus, la Gaule quittant sa langue et ses mœurs pour devenir romaine, les Arabes adoptant la culture des
34
L'HELLÉNISME
ET
LTAPOTRE
PYHL
Sassanides, des Grecs ou de l'Inde; en Amérique, les populations indigènes disparaissant devant les colons
euro-
péens. A u c u n des peuples conquis ne renonça en totalité à ce qui constituait sa culture nationale. Il y eut donc syncrétisme, mélange, adaptation, modification dans la forme plus que dans le fond. Que devint la culture grecque proprement dite à la suite de ces diverses transformations ; en quoi se différenciait-elle de la culture classique, c o m ment se modifièrent
ses éléments essentiels, quelle fut,
dans le monde où vécut et où travailla Paul, son aire d'extension, en quelle mesure atteignait-elle les couches de la société ancienne, sous quelle forme se rendait-elle
acces-
sible au grand nombre, quels étaient ses moyens d'action et de propagande, à la suite de quels événements politiques, de quels bouleversements se répandit-elle dans tout l'Orient, puis dans les provinces de l'Occident, comment cette œuvre d'expansion fut-elle préparée, de longue date, et n'en lut, pour ce motif, que plus profonde et plus durable, telles sont les grandes lignes qui serviront de point de repère à cette étude sur l'hellénisme, sans faire perdre de vue un seul instant le but auquel elle est destinée. Ce qui rend difficile à plusieurs d'adopter, sur l'hellénisme de Paul, les conclusions de la critique, c'est qu'ils n'ont pas encore la vue assez nette et assez compréhensive de l'hellénisation du monde antique ni de ce qu'impliquait coite culture s y n crétiste, ni de l'esprit général qu'elle avait créé dans tous les milieux, même juifs, où l'on parlait grec. O n oublie trop facilement que le christianisme a été précédé de plus de trois siècles d'hellénisation et que la plus notable partie des contrées où il s'est répandu étaient pénétrées, depuis longtemps, de cette culture syncrétique. La conquête d ' A lexandre ne fut pas un brillant météore sans lendemain, une sorte d'éclair traversant les ténèbres de l'Orient antique.
L'HELLÉNISME
ET
¡.'APOiRI-
PAUL
35
Ce fut, au contraire, le point de départ d'un mouvement de fusion, d'échanges, de pénétrations réciproques dans le cercle des civilisations anciennes, au contact du génie grec et une modification profonde au sein de la culture hellénique elle-même qui, en s'étendant à l'est et au sud de l'ancienne Grèce, perdit l'inévitable pureté de sa langue et la vigueur créatrice de sa pensée, mais gagna en influence et en action sur le monde, à mesure quelle se détachait du sol de l'Attique.
LIVRE
PREMIER
LES PRÉPARATIONS
Il n'est point de changement ni de révolution si subite dans la destinée des peuples qui n'ait ses causes bien en deçà de l'événement principal qui les a provoqués. Si unique e! si éclatante que soit l'œuvre d'Alexandre,elle ne rendrait pas compte à elle seule de cette chose presque sans exemple dans l'histoire, d'une notable partie du globe adaptant une civilisation adulte à la civilisation relativement plus jeune d'un petit peuple, si ce travail d'assimilation n'avait été précédé d'une longue période d'essais et d'échanges. Le monde intellectuel, comme le monde physique, est dominé par la loi de continuité.
CHAPITRE L E S COLONIES
PREMIER GRECQUES
L o n g t e m p s avant la conquête macédonienne, la G r è c e avait préludé à son rôle d educatrice des peuples et avait reçu d'eux, à son tour, d'utiles leçons. Son premier apostolat remonte au temps où elle se mit à coloniser. La Grèce, en effet, a eu de bonne heure sa Diaspora : à côté d'un noyau continental, un réseau de comptoirs presque tous disséminés le long des côtes, de préférence dans les ports importants,depuis la mer N o i r e ( i ) et la mer Caspienne, jusqu'aux promontoires de la Méditerranée occidentale, sur les côtes d'Egypte (a), de L i b y e et de Phénicie, puis en Sicile et le long des côtes de l'Italie (3), de la Gaule et de l'Espagne (4), partout où le commerce était actif et prospère, aux points de croisée ou aux points terminus des caravanes, à l'embouchure des grands fleuves,
à proximité des centres d'industrie et de produc-
tion agricole. Les émigrants étaient choisis parmi les jeunes hommes pleins de vigueur et de courage qui se mariaient d'ordinaire avec les femmes indigènes, ce qui amenait dans l'hellénisme des variétés locales et préparait un
certain
esprit cosmopolite. Tout ce peuple mouvant de commeri. a. 3. 4.
Hcrodote, iv, 76-88. Hérodote, u, Polybe, xn, 5, 10. StraboE, ni, 4, 5. C. T o u s s a i n t
3
38
L'HELLÉNISME
ET
L'APOTRE
PvCL
çants, d'induslriels, de marins sillonnaient la Méditerranée en tous sens par des allées et venues continuelles, et tous ces échanges de produits exotiques étaient a c c o m p a gnés de mille observations et expériences qui élargissaient l'esprit
de
cette race
iine, si ouverte à toutes les nou-
veautés. Chaque émigré y contribuait pour sa part en revenant consulter l'oracle de D e l p h e s , centre de l'unité hellénique ou
assister a u x j e u x
O l y m p i q u e s . Ces
colonies
devenaient, à leur tour, un f o y e r d'où rayonnait la culture grecque, son art, sa littérature, sa religion. Du
viif
au vi e siècle, Milet fut le centre de ces migra-
tions lointaines : de la mer d ' A z o w au Nil, elle comptait plus de 80 colonies ; de l'intérieur, elle envoyait de n o m breuses caravanes
en A r a b i e
et
en Mésopotamie ; en
E g y p t e , elle fonde deux établissements
très
ilorissants
comme A b y d o s et Naukratis. Ceci explique, entre autres raisons, sa p r é p o n d é r a n c e intellectuelle et artistique dans le monde grec, au point d'être regardée comme le berceau de la culture hellénique. L à , en effet, s'est éveillé le génie grec avec ses plus belles créations : la poésie, l'art, la science, la p h i l o s o p h i e . L a G r è c e d ' E u r o p e 11e se tint pas pourtant à l'écart de ce grand
mouvement
colonisateur,
l'émigration
eubéo-
éolienne avait abordé à Cumes, les E u b é e n s à K y r n o s , les Graioi à T a n a g r a : puis ce furent les établissements
en
Sicile, à S i b a r y s , à Crotone, à L o c r e s , Tarente et P œ s t u m si bien qu'au début du vu" siècle,le sud de l'Italie est entouré d'une ceinture de villes grecques qui deviennent, à leur tour, autant de centres de colonisation lointaine : les négociants de Tarente et de C o r e y r e remontent v e r s le P ô et 1. Des f o u i l l e s r é c e n t e s d a n s fluenee
la R u s s i e
méridionale
d e l ' a r t et d e la r e l i g i o n g r e c q u e a u
S a r m a t e s . Conférences 16 m a r s 1919).
de M Rostovtzeff
ont montré
p a y s d e s S c y t h e s et
au collège
de France
lJindes
(20 f é v r i e r -
L ' H ; LLÉNISMK
ET
I/APOTRR
PAUL
la Lombardie, l< s Phocéens de Veleia pénétrent par la vallée du Rhône,dans l'intérieur des Gaules.Ainsi se forme, à l'Orient comme à l'Occident, une seconde Hellade plus puissante et p l u . étendue que la première. La Grèce devient une vaste confédération d'îles et de continents où viennent se répercuter tous les bruits du dehors, ce qui en fait une sorte de conscience universelle. C'est vers iioo, après un mouvement d'expansion de près de deux siècles, que l'hellénisme atteint les limites qu'il ne dépassera plus jusqu'aux conquêtes d'Alexandre. A partir du vu' siècle commence cette ère de luttes et de rivalités qui arrête net l'essor de sa race et de sa culture. Puis vient l'invasion perse en Asie Mineure : l'Ionie succombe et devient province perse en 545. Mais Athènes arrête l'Iran, et Svracuse, les forces puniques. La race hellénique se serre autour de ces deux villes qui lui servent de rempart et de centre de ralliement. Athènes reprend à son compte l'œuvre colonisatrice de l'Ionie. surtout sur la côte du Pont-Euxin où les c o m p toirs grecs amenaient les blés de la Russie méridionale : sur son chemin, elle renconîrait la Thracc et la Macédoine qu'elle initiait à sa culture. Mais la Grèce n'avait pas rien que ses colonies pour la renseigner et la mettre en rapport avec l'étranger, surtout du côté de l'Orient. Depuis la conquête perse, les regards se tournaient vers ces pays mystérieux d'où les Grands Rois tiraient tant de richesses. Ceux qui avaient le goût des aventures ou que les discordes civiles obligeaient à s'exiler, se réfugiaient à la cour de Darius comme Démarate de Sparte. Scylax de Caryanda, Hestiée de Miiet, les Pisistratides et Onomacrke d'Athènes, Démocède de Crotone. Ces exilés, volontaires ou non, faisaient connaître à l'étranger l'art et la culture grecque ; architecture, médecine, tactique militaire, navigation,
4o
L'HELLÉNISME
industries div erses, à sophie.
ET
L'APOTRE
PAUL
1 occasion, littérature
et
philo-
En résumé, presque aucun des pays où pénétrèrent les armées d'Alexandre, qui n'ait entretenu des relations avec le monde grec et qui n'en ait été quelque peu connu. Les Cariens et les Lyciens qui peuplaient la côte orientale de la mer Egée se rattachaient plus ou moins au tronc grec. Un siècle seulement avant Alexandre, ces peuples s'étaient organisés en Etat solide avec leurs princes indigènes qui étaient devenus satrapes du Grand-Roi. Les ruines de monuments comme le Mausolée qui est au British Muséum, portent la trace des plus grands sculpteurs grecs (i). Halicarnasse était la capitale de cet Etat; on y parlait d'abord perse, mais après Périclès, le grec devient la langue courante et les médailles sont du type grec. La Phénicie était depuis longtemps en rapport avec les Grecs comme avec des rivaux qui lui disputaient la suprématie de la mer et du commerce. Les deux races se r e n contraient à Chypre. D'après Isocrate (2) quand Evagoras devint maître de l'île, en 4 1 > ^ y restaura l'hellénisme. Abdashtart, roi de Sidon, appelé Straton par les Grecs, entra en relation directe avec les Grecs et invitales princes grecs à Chypre (3). Les colons phéniciens de Sardaigne achètent ou imitent les ouvrages des artistes grecs (4). La Perse était un des pays qui se laissaient le moins influencer par la Grèce : elle en admirait la science et les talents militaires, mais elle restait réfractaire aux autres parties de sa culture. Pourtant Darius confie à un Grec le soin d'explorer l lnde et c'est un architecte grec qui jette 1. Pline, H. A'., x x x v i , 5, 53o. a. § 199-
3. Athen., xn, 53i ; Corp. Insc. Asiat., y, 86 ; Corp. Insc. Sem., i, 114, F u r t w œ n g l e r , Antike gemmen, m , 109.
4.
L'HELtÉKISMI.
ET
¡.'APOTRE
PAUL
41
un pont sur le Bosphore ; îles médecins grecs, Démocède, Ctésias, eurent un grand crédit à la cour perse, En réalité la Grèce n'avait guère de relations suivies qu'avec les satrapes d'Asie Mineure qui, pour la plupart, appartenaient à l'aristocratie du pays et se trouvaient être grecs par leur origine. La pénétration grecque, sur les bords de l'Hellespont et du Pont-Euxin ainsi que dans le royaume du Bosphore, remonte aux colonies milésiennes ; elle s'était étendue de là en Thrace et en Macédoine. Au v" siècle, les rois de ce pays subissent l'attrait de la culture hellénique. Alexandre I er est appelé philhellène. Dès Archélaiis (4i3-3g9>, qui réorganise le royaume macédonien, on n'admet plus que ce qui a couleur grecque, la cour devient un centre littéraire où affluent des hommes illustres, comme Euripide ou Aristote. L'influence grecque ne pénètre pour ainsi dire à demeure, en Egypte, qu'avec les deux colonies milésiennes d'Abydos et de Naukratis, sous Psamitik (i). Des marchands grecs se hasardent sur le Nil. Mais ce furent plutôt les Grecs qui se mirent à l'école des Egyptiens : Solon, Pythagore, Eudoxe, Platon vinrent y puiser les principes de la sagesse et les résultats de riches expériences scientifiques. La Grèce n'inspirait guère à l'Egypte que défiance et mépris. Par contre l'Italie et le sud de la Gaule s'hellénisent rapidement : au ve siècle, les Italiens emploient l'alphabet grec; au IVe, la Sicile, sous Denys le Jeune adopte la civilisation hellénique; quanta l'Italie méridionale elle est, dès Pythagore, une seconde Grèce. Par toutes ces diverses relations avec le dehors, les idées et les mœurs grecques s infiltrent d'une façon insensible
i. Strabon, xvn, i ; llérod., n, 44 et i44-
4A
L'HELLÉNISME
chez les p e u p l e s
ET
L'APOTRE
dits « b a r b a r e s
PAUL
» et p r é p a r e n t
leurs
e s p r i t s à u n c o n t a c t plus direct. A u reste, n o m b r e d e ces é t r a n g e r s é t a b l i s s e n t d e b o n n e h e u r e , e n G r è c e , des g r o u p e m e n t s stables, q u i s e r v e n t d e c e n t r e s d ' é c h a n g e s intellectuels et religieux a u s s i bien q u e d ' a g e n t s p o u r les t r a n s a c t i o n s c o m m e r c i a l e s .
CHAPITRE LES COLONIES
II
ÉTRANGÈRES
La G r è c e a p p r e n d aussi chez elle k c o n n a î t r e ses v o i s i n s q u i lui s e r v e n t ainsi d ' i n t e r m é d i a i r e s a v e c des p e u p l e s p l u s l o i n t a i n s . D e s c o l o n i e s t h r a c e s et p h r y g i e n n e s v i e n n e n t d u n o r d et d e l'est ; d è s le v u 6 siècle, o n signale leur p r é s e n c e sur le sol grec où elles a p p o r t e n t les cultes d e D i o n y s o s Sabazios ou d'Attis et d e Gybèle : c'est 1 e p o q u e d e la p r e m i è r e i n v a s i o n d e s m y s t è r e s , et d e l ' o r p h i s m e q u i e n est le p r e m i e r essai p h i l o s o p h i q u e . B e n d i s ou M e n d i s ( i ) , K o t y s ou K o t v t o (a), o n t l e u r s d é v o t s ,
s a n s d o u t e des
colons
t h r a c e s , puis, d e s p r o s é l y t e s d a n s l e s por!s de la G r è c e , n o t a m m e n t a u Pirée ; P l a t o n (3) p a r l e d ' u n e d e ces fêtes à l a q u e l l e il avait p e u t - ê t r e assisté : ces dieux o n t d e s t h i a s e s e n Attique, à S a l a m i n e (4), à L a u r i o n (5), à G o r i n t h e 6 . D è s la p r e m i è r e moitié d u iv e siècle, il y a d e s g r o u p e s 1 . S t r a b . , x , 3 , itì ; T i l e - L i v o , x x x v m ,
¿ ¡ i , i ; C. I
2 . S t r a b . , x, 3, 16.
3. IIoX. î, i ; Xénoph., Hell., n, 4, ai. 4- Corp. 1ns, sent., n, 620. 5. Cumont, Rech. arch, îv. 11, 6. Corp. Insc. Asial., 11, 610.
igo3, p. 38i-3K6.
t..,
s u p p l . 14406.
L'HELl-ÉN'lSME
ET
l.'\rOTRE
PACI
43
de commerçants phéniciens an Pii-i'»-:* i . \v: l'on'ileur Lycurgue, après uu voie favorable hiCon--oii. propos«* nu peuple de permettre que les marchands de Cilium. élèvent au port d'Athènes un temple d'Aphrodite. Le peuple y con sent et le texte du décret rappelle que les Egyptiens viennent d'obtenir la même faveur pour fonder un sanc tuaire d'Isis au même lieu (a). Sans doute, dans les c o m mencements, cette culture étrangère, avec ses cultes particuliers, n'a qu'un rayonnement imperceptible : l'Etat ne favorise pas les dévotions exotiques : il y met même plus d'une fois des entraves (3) ; à la fin, on les tolère, on ferme les yeux et c'est tout. Les adhésions ne devaient pas encore être très nombreuses ; elles venaient surtout du côté des femmes et des esclaves ; mais c'est une prise de contact qui aura plus tard sa valeur (4). Il n'est pas impossible, en raison des rapports très étroits entre Athènes et les colonies grecques du Bosphore, que les dévots deMithra aient déjà eu un pied à terre en Attique,bien qu'en général, les Grecs aient eu peu de sympathie pour ce dieu perse. Par tout cet ensemble de faits extérieurs, s'accomplissait dans la conscience grecque, un travail latent qui la p r é parait à u n rôle utile, vis-à-vis des autres nations. Mais ceci n'est encore que le dehors. Il faut pénétrer plus avant dans l'analyse des facteurs qm ont agi sur son âme bien avant la période de diffusion intense. La Grèce s'est trouvée placée sous l'action constante de forces diverses et d'influences qui la disposaient, sans qu'elle s'en aperçut, à servir de lien à des cultures diverses. i Corp. Insc. Asiat., n , 86. 2. Isis p é n è t r e en Grèce p a r la colonie g r e c q u e de C y r è n e .
îv, 186.
Hërod.,
3. Quiconque, à A t h è n e s , i n t r o d u i s a i t des d i v i n i t é s é t r a n g è r e s s a n s a u t o r i s a t i o n , é t a i t p a s s i b l e de m o r t . C f r . P. F o u c a r t , Associations religieuses chez les