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French Pages [176] Year 2002
V&R
Hypomnemata Untersuchungen zur Antike und zu ihrem Nachleben
Herausgegeben von Albrecht Dihle, Siegmar Döpp, Dorothea Frede, Hans-Joachim Gehrke, Hugh Lloyd-Jones, Günther Patzig, Christoph Riedweg, Gisela Striker Band 142
Vandenhoeck & Ruprecht
Dag Haug
Les phases de revolution de la langue epique Trois etudes de linguistique homerique
Vandenhoeck & Ruprecht
Verantwortlicher Herausgeber: Hugh Lloyd-Jones
Die Deutsche Bibliothek - CIP-Einheitsaufnahme Ein Titeldatensatz für diese Publikation ist bei Der Deutschen Bibliothek erhältlich. ISBN 3-525-25241-2
Gedruckt mit Unterstützung des Norges Forskningsräd.
© 2002, Vandenhoeck & Ruprecht in Göttingen. www.vandenhoeck-ruprecht.de Alle Rechte vorbehalten. Das Werk einschließlich seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere fllr Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeisung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Printed in Germany. Druck: Hubert & Co., Göttingen. Umschlagkonzeption: Markus Eidt, Göttingen. Gedruckt auf alterungsbeständigem Papier.
Table des matieres Avant-propos 1
Introduction
9 11
1.1 Methodes Linguistique 1.1.1 Philologie 1.1.2 L'analyse formulaire 1.1.3 1.1.4 Metrique 1.2 Les dialectes grecs et revolution de la langue epique court historique du probleme Les dialectes grecs 1.2.1 1.2.2 Le probleme de revolution de la langue epique 1.3 Problemes actuels
14 14 19 21 25
2
39
2.1 2.2
L'element acheen dans la langue epique
Historique de la question Les elements reputes acheens 2.2.1 Les elements lexicaux 2.2.2 Les elements morphologiques 2.2.3 Les elements phonologiques 2.3 Le r syllabique 2.3.1 Observations preliminaires 2.3.2 La situation en mycenien 2.3.2.1 R voyelle en position initiale et finale 2.3.2.2 Apophonie secondaire 2.3.2.3 R voyelle devant autre sonante ou voyelle 2.3.2.4 R voyelle en position interconsonantique 2.3.2.5 L'hypothese de Morpurgo Davies 2.3.2.6 Conclusion sur les donnees myceniennes 2.3.3 R voyelle dans le texte d'Homere ? 2.3.3.1 L'hypothese de Mühlestein 2.3.3.2 La scansion muta cum liquida 2.4 Conclusion : y a-t-il des elements acheens dans la langue epique ?
29 29 32 37
39 41 41 45 47 49 49 49 50 52 53 54 59 61 62 62 64 68
6
3
Table des matiöres
Les eolismes dans la langue de Γepopee grecque
3.1
70
Introduction 3.1.1 Apergu des eolismes chez Homere 3.1.1.1 Elements non productifs 3.1.1.2 Les morphemes productifs 3.1.2 Le genitif en-oio : historique 3.2 Le genitif thematique 3.2.1 Les desinences de genitif en indo-europeen et en grec 3.2.2 Le developpement phonetique de *-sy- intervocalique 3.2.2.1 Explications proposees 3.2.2.2 L'explication de Kiparsky 3.2.2.2.1 Le genitif mycenien 3.2.2.2.2 Le sort ulterieur de -öyo en grec non-eolien 3.2.2.2.3 Le genitif lesbien en -ω 3.2.2.2.4 -Λ^- heteromorphemique 3.2.2.2.5 Chronologie relative 3.2.2.2.6 Les pronoms 3.2.2.2.7 Le probleme de έήος 3.2.2.3 Conclusions sur le developpement de *-sy- en grec 3.2.3 Conclusions sur le genitif thematique 3.3 Conclusions sur les eolismes chez Homere
70 70 70 71 73 74 75 77 78 81 82 85 87 89 93 96 100 104 105 106
4
107
4.1 4.2
La metathese de quantite et les ionismes chez Homere
Metathese de quantite - coup d'ceil sur l'histoire de la question Sur la flexion du type βασιλεύς 4.2.1 Excursus : La formation du feminin des substantifs-εύς 4.3 Sur la flexion de πόλις 4.3.1 Examen metrique de άστεως et de πόλεως 4.3.2 L'origine et la flexion de πόλις 4.4 La scansion des sequences provenant de la metathese de quantite 4.4.1 Les donnees homeriques 4.4.2 La situation en ionien post-homerique 4.4.3 Les donnees attiques 4.4.4 Interpretation des faits 4.5 La date de la metathese de quantite 4.5.1 Chronologie relative 4.5.2 Chronologie relative aux poemes homeriques
108 111 116 117 117 119 122 122 126 128 129 136 136 141
Table des mati4res
5
Conclusion
5.1 5.2 5.3
7 145
Resume des resultats linguistiques La prehistoire de la diction epique Expose des deux modeles 5.3.1 La theorie d'une phase eolienne 5.3.2 La theorie diffusionniste 5.4 Les arguments diffusionnistes 5.4.1 Miller et les formules ioniennes anterieures ä la metathese de quantite 5.4.2 Les arguments diffusionnistes de Horrocks 5.5 L'hypothese diffusionniste confrontee aux nouvelles donnees 5.6 La difficulte des phases eolienne et ionienne 5.7 La composition epique
145 147 151 151 152 154
Bibliographie
165
154 156 158 160 162
Nils Berg in memoriam
Avant-propos
Cette etude est dediee ä la memoire de mon ami et maitre Nils Berg. C'est lui qui, dans ses cours sur la grammaire historique du latin, a eveille mon interet pour la linguistique comparee. C'est lui aussi qui m'a introduit ä la philologie homerique et qui m'a soigneusement guide ä travers la litterature enorme qui s'en occupe. Du tout debut de ce travail jusqu'au moment oü il tomba malade, j'ai pu profiter de discussions frequentes avec lui; c'est un grand deuil pour moi que je n'ai pu achever ce travail ä temps pour qu'il voie le resultat final. Je souhaite remercier tous ceux qui m'ont aide dans ce travail, en particulier M. Charles de Lamberterie qui s'est charge d'etre mon directeur de these apres la mort de Nils Berg. J'ai profite grandement de ses conseils, et lä meme oü, malgre nos desaccords, j'ai persiste dans mes idees, ses commentaires m'ont toujours conduit ä preciser ma pensee en face d'une argumentation solide. Je tiens aussi ä remercier les membres du jury qui a evalue la these dont ressort ce travail, MM. Martin West, Michael Meier-Brügger et 0ivind Andersen. Leurs commentaires m'ont ete tres utiles dans la preparation de ce livre. Je dois aussi exprimer ma reconnaissance envers Norges Forskningsräd, dont j'ai ete le boursier en preparant ma these, et qui a soutenu la publication de ce travail qui en ressort. Ensuite, je voudrai remercier tous mes autres professeurs et notamment M. Fridrik Thordarsson qui lui aussi a contribue ä mon interet pour la linguistique, et Μ. Kjartan Ottosson, coordinateur des recherches philologiques et linguistiques ä l'Universite d'Oslo. Je remercie Mme Gunn Haaland, bibliothecaire ä l'Universite d'Oslo, pour son assistance bienveillante. Je remercie aussi Mme Eva Tichy pour ses commentaires, et pour m'avoir accueilli ä Freiburg. Enfin, je souhaite remercier mes amis M. Eirik Welo et Mile Mona Ringvej pour leur encouragement et leurs commentaires, et ma fiancee Kristin Nordbo, γυνή τ ' αρίστη των ΰφ' ήλίω μακρω. Freiburg, juillet 2002
1 Introduction
Dans ces etudes, nous nous proposons d'examiner et eclaircir la prehistoire de Γepopee en Grece, de ses racines supposees myceniennes jusqu'ä la genese des poemes homeriques. II va de soi que, autant on remonte dans le temps, autant moins süres sont les conclusions que Ton peut tirer. A l'epoque la plus ancienne, ce n'est guere qu'au sujet de la diction que nous pouvons former des hypotheses. Mais des que nous portons 1'attention sur la periode oü naquirent l'Iliade et l'Odyssee, les grandes questions homeriques se posent : comment ? quand ? pourquoi ? Nous ne saurons sans doute jamais pourquoi, au tout debut de la litterature occidentale, on a fixe par l'ecriture des poemes d'une telle grandeur, mais la question de savoir comment et quand occupe toujours une place particuliere dans la Philologie grecque. Cette question est inextricablement liee ä l'histoire de la diction epique. En effet, lorsque Ton se met ä la täche de savoir comment sont nes les poemes homeriques, on doit necessairement essayer de demeler les elements traditionnels d'avec les creations nouvelles, afin de connaitre le degre d'innovation dont ont fait preuve le ou les poetes. S'agit-il, dans l'Iliade et l'Odyssee, d'une poesie purement traditionnelle, et meme peutetre orale ou, au contraire, d'une poesie innovatrice qui a peut-etre exploite les possibilites du nouveau medium en Grece, l'ecriture ? Pour repondre ä ces questions il faut se former une idee de ce qu'etait la poesie epique en Grece avant Homere. Or, au sujet de la diction, nous avons une idee plus precise de ce qu'etait la tradition pre-homerique que dans les cas des themes et des mythes racontes. Nous ne voudrons point ainsi desavouer l'oeuvre des neo-analystes ; seulement, nous avons voulu fonder notre etude sur les donnees plus exactes de la linguistique. En effet, pour etablir l'histoire de la diction epique, il est essentiel de connaitre l'histoire de la langue grecque et ses dialectes pendant la periode en question. Nous avons dit que pour nous, cette periode s'etend de l'epoque mycenienne jusqu'ä la genese des poemes homeriques. Nous avons done volontairement laisse de cöte le probleme de la langue poetique indo-europeenne qu'ont discute entre autres Schmitt (1967) et Watkins (1995). Cette question est interessante, mais eile doit etre traitee avec prudence. A propos de la reconstruction en phonetique et en morphologie,
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1 Introduction
Meillet (1937:45) remarqua que «on ne doit done utiliser une correspondance qu'apres une critique d'oü ressort l'histoire propre de chacune des formes utilisees. » II en va de meme pour l'etude de la tradition poetique indo-europeenne. Sans un examen pousse des differentes traditions attestees, la reconstruction d'une indogermanische Dichtersprache ne saurait tenir debout. Quant ä la tradition grecque, nous pensons en general que les savants sont trop aptes ä transposer en arriere dans le temps des morphemes, des mots et des locutions qui s'expliquent mieux comme des evolutions propres ä la langue artificielle de Γ epopee grecque. Nous en verrons plusieurs exemples. C'est done l'etude de l'histoire de la langue grecque entre l'epoque mycenienne et celle des poemes homeriques - done pendant la periode connue sous le nom des siecles obscurs - qui formera le corps des parties proprement linguistiques de ce travail. Nous connaissons le grec mycenien par les tablettes d'argile, et des Γ introduction de Γ alphabet en Grece, nous disposons d'un nombre toujours croissant d'inscriptions et de textes litteraires dont les poemes homeriques eux-memes forment une partie importante. Nous disposons done de textes pour l'etude des etats de langue au debut et ä la fin de la periode qui nous concerne. Cependant, l'utilisation de ces textes est tres delicate. On sait les difficultes d'interpretation que posent les tablettes myceniennes. Et l'etude de l'ionien parle ä l'epoque d'Homere n'est pas moins difficile. La langue des poemes homeriques est un amalgame de differents dialectes, d'archafsmes et de formes artificielles dont l'analyse est precisement l'objet de notre etude ; ainsi, on ne peut pas toujours discerner ce qui appartient ä la langue courante de l'epoque. Et si nous voulons nous appuyer sur d'autres textes grecs, nous nous heurtons immediatement au probleme que leur langue est fortement influencee par la langue d'Homere. En ce qui concerne les siecles obscurs eux-memes, nous ne disposons naturellement d'aucun texte grec. En vue de cette situation, nous sommes amene ä avoir recours ä la methode comparative. C'est ainsi que, meme si notre etude porte sur des developpements propres au grec, il faudra aller au-delä du grec. Nous verrons que dans plusieurs cas, des ameliorations dans les reconstructions jetteront une nouvelle lumiere sur les faits grecs. La grammaire comparee des langues indo-europeennes offre un apport decisif ä la philologie homerique qu'aucun homerisant ne peut ignorer. En meme temps, il est necessaire d'interpreter les donnees que nous offre la linguistique indo-europeenne. Une question-clef concernant l'histoire de la diction epique est celle d'une phase eolienne que nous presenterons infra. Provisoirement, nous pouvons dire qu'il s'agit de savoir s'il y a des vestiges
1 Introduction
13
d'une poesie epique eolienne chez Homere. Dans ce cas, la linguistique peut nous enseigner que telle ou telle forme homerique est un eolisme. Mais lorsque nous essayons de rendre compte de la presence d'eolismes dans la langue epique, nous quittons le domaine de la linguistique, et les conclusions que nous pouvons tirer seront beaucoup moins süres. Nous essayerons de rendre compte de ce jeu entre linguistique et philologie dans les pages suivantes. Un travail sur l'epopee grecque ne peut ignorer l'ceuvre de Milman Parry. Cela est encore plus valable pour une etude sur l'histoire de l'epopee que pour un ouvrage consacre ä l'Iliade et ä l'Odyssee elles-memes. En effet, Adam Parry a eu raison d'affirmer (Parry 1971:lx): « He himself [sc. Milman Parry], it must be repeated, almost never discussed Homer, that is, the author of the Iliad and the Odyssey, as opposed to the tradition in which he worked.» II est clair que Parry a beaucoup fait pour notre comprehension de la tradition poetique en Grece. Cependant, sa methode a parfois ete utilisee d'une maniere abusive, surtout lorsqu'elle a ete appliquee ä Homere meme. II nous faudra done definir notre position vis-ävis de la theorie orale et de ses applications en philologie homerique. Comme nous avons souligne dans Berg/Haug (2000) et Haug/Welo (2001), la metrique homerique offre des temoignages precieux, mais malheureusement ignores, pour Γ etude de la tradition epique. En effet, dans une tradition orale oü Ton soup9onne tout d'avoir change, oil des formules ont ete refaites, des mots reinterpretes, manipules et meme maltraites - dans cette tradition, maintient-on implicitement ou explicitement, il y a eu un seul facteur constant, ä savoir l'hexametre. Bien de theories sur les origines de l'hexametre ont ete avancees, allant de l'hypothese d'un emprunt aux derivations qui partent de la metrique indo-europeenne reconstruite. Mais que Ton ait pense que l'hexametre est d'origine etrangere ou indoeuropeenne, on n ' a que tres rarement envisage la possibilite que son introduction dans la tradition epique en Grece soit un fait recent ä l'epoque d'Homere. La question du metre de l'epopee grecque pendant les siecles obscurs est inevitablement liee ä notre comprehension de la tradition orale en Grece, puisque nulle part, semble-t-il, nous ne trouvons de poesie orale exprimee dans un metre aussi complexe que l'hexametre. Nous allons maintenant aborder un examen de ces questions de methodologie avant de proceder ä un historique du probleme de la diction epique qui aboutira ä une definition des questions actuelles. Ayant ainsi expose les questions auxquelles il faut repondre, et les methodes dont nous disposons, il sera possible d'aborder notre etude.
14
1 Introduction
1.1
Methodes
1.1.1 Linguistique Nous avons dit que nous aurons recours ä la linguistique comparative. Or, l'outil le plus puissant dont dispose la linguistique comparative, est la notion de lois phonetiques. II sera done utile que nous clarifions notre position lä-dessus. Le principe de la regularite des lois phonetiques fut proclame par les neo-grammairiens (OsthoffTBrugman 1878:XIII) et posa les fondements d'une linguistique historique scientifique. A ce propos, nous adherens pleinement ä l'opinion exprimee par Dauzat (1948:50): « Avec le recul d'une trentaine d'annees, il n'apparait pas que la geographie linguistique ait serieusement sape le solide edifice eleve par la rigoureuse methode des neo-grammairiens (...)». La situation ne semble pas avoir change aujourd'hui. II ne s'agit pas ici pour nous de justifier theoriquement le postulat de la constance des lois phonetiques, mais de poser un principe methodique rigoureux. Cf. Eichner (1987-88:89) : Das Postulat ist theoretisch zweifelhaft, man sollte auch die Phänomene des sporadischen Lautwandels und der lexikalischen Diffusion anerkennen. Aber andererseits darf man in der praktischen Arbeit dieses Postulat erst fallenlassen, wenn alle Möglichkeiten ausgeschöpft sind, versteckte Bedingungen aufzuspüren.
Notons ensuite que cette attitude quelque peu pragmatique n'est pas sans justification empirique. Labov (1981) a en effet montre, en se referant aux observations empiriques, que certains types de changement presentent une regularite neo-grammairienne. Les changements qui, phonetiquement, precedent de maniere graduelle, paraissent etre lexicalement abrupts (e'esta-dire qu'ils atteignent tout le lexique), alors que les changements qui sont phonetiquement abrupts, sont plus aptes ä une diffusion lexicale qui contredit les principes neo-grammairiens. Notons cependant qu'il ne s'agit nullement d'une dichotomie stricte, mais de deux types polaires sur une echelle. « The whole array of sound changes will undoubtedly show many intermediate combinations of these properties of discreteness, abstractness, grammatical conditioning, and social conditioning. » (op. cit. 304.) Labov (1981:301) remarque « i n metathesis, haplology, and other discontinuous consonant shifts [...] it is only natural for us to expect lexical diffusion». II est interessant de noter que cela s'accorde bien avec l'intuition de la plupart des linguistes ; il semble qu'ils aient toujours ete
1.1 M&hodes
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plus prets ä accepter des irregularites dans ces phenomenes. 1 Baldi (1990:10) affirme que les experiences de Labov « strengthens the position that historical linguists should carry out their research as if all change was regular. » Cette conclusion est peut-etre excessive ; nous preferons suivre le principe d'Eichner, tout en sachant que certains phenomenes sont plus aptes ä la diffusion lexicale, et done ä l'irregularite d'extension, que d'autres. Ce principe methodique est d'autant plus important que nous faisons, lorsque nous posons une loi phonetique, un raisonnement abductif. Ce mode de raisonnement a surtout ete examine par Peirce, et le philosophe americain y reconnut la methode la plus utile pour former des hypotheses. Cela vaut aussi bien en linguistique qu'en philologie, ainsi que dans beaucoup d'autres disciplines. II sera done utile d'examiner ce mode de raisonnement. La structure peut etre representee ainsi: 1) On observe le fait surprenant B. 2) Or, si l'hypothese A etait correcte, Β serait naturel. 3) Done, il y a raison de croire que A est correcte. Applique aux lois phonetiques, on a le raisonnement suivant: On observe la correspondance skr. ρ = gr. π = lat. ρ = germ. f . Or, si l'on pose l'hypothese que ces langues proviennent toutes d'une langue non attestee qui possedait, dans les mots examines, un phoneme p, cette correspondance est naturelle. Done, il y a raison de croire ä cette hypothese. II va de soi que l'hypothese n'est nullement prouvee; qui plus est, elle ne falsifie pas d'autres hypotheses qui pourraient aussi rendre compte des faits observes. Par abduction, on peut atteindre un nombre infini d'hypotheses ; ainsi, dans le cas cite, on pourrait former l'hypothese que le grec, le latin et le germanique sont des avatars du vieil-indien. Ainsi, chez Mautner (1996 s.v. abduction), nous lisons : Since then (i.e. les travaux de Peirce), it has been stressed that what makes A probable is that it is the best explanation we can think of. Scientifically useful abduction is, then, inference to the best explanation. The general form of such an inference is, then: (1) D is a collection o f data; (2) Η (a hypothesis) would, if true, explain D; (3) no other hypothesis can explain D as well as Η does. (4) Therefore, Η is probably true.
1 Cf. par exemple Lejeune (1972a:238): « Assimilations et dissimilations re Ιέ vent de Phistoire individuelle des mots. » Cela fut reconnu dans le manifeste ηέο-grammairien meme : « Wir reden hier natürlich immer nur vom mechanischen lautwandel, nicht von gewissen dissimilationserscheinungen und lautversetzungen (metathesen), die in der eigenart der Wörter, in welchen sie auftreten, ihre begrtlndung haben » (Osthoff/Brugmann 1878:XIVnl).
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1 Introduction
Le troisieme point est essentiel: il s'agit, en linguistique, de comparer les diverses hypotheses en vue d'etablir laquelle est la meilleure. Or, il s'ensuit du principe methodique pose par Eichner (cite supra) qu'une hypothese conforme au postulat de la constance des lois phonetiques est toujours ä preferer. La linguistique moderne ne peut proceder ä la maniere de Curtius (1879:89) qui mettait sur le meme plan deux types de changements, le changement regulier et le changement sporadique.2 Encore une fois, il ne s'agit pas de nier qu'il y ait des changements sporadiques et irreguliers dans le developpement des langues - un fait qui ressort aussi du travail de Labov - mais plutöt d'insister sur le fait qu'une hypothese qui implique de tels changements a moins de force explicative qu'une hypothese qui ne le fait pas. II y a la, non une theorie du changement linguistique, mais un principe de travail qui a montre sa force depuis les neo-grammairiens. II importe d'insister la-dessus, puisque nous verrons que les savants ont parfois abandonne ce principe - par exemple dans leurs traitements de -sj/intervocalique - ce qui a donne lieu ä des hypotheses bien peu credibles. Mais retournons aux lois phonetiques et au raisonnement abductif. De par la nature de l'abduction, nous sommes amenes ä choisir entre diverses hypotheses. Comme le dit Anttila (1977:18) « w e do not need incorrigibility, but only methods of selecting hypotheses ». II faut done se poser la question : Qu'est-ce qui fait la force d'une hypothese phonetique ? Sa conformite au principe de la regularite, que nous venons de mentionner, est un facteur important. Son extension en est un autre. Par-lä, nous voulons dire qu'une hypothese est d'autant plus forte que le nombre de cas qu'elle explique est grand. Ainsi, la correspondance skr. ρ = gr. π = lat.ρ = germ./ a, avec d'autres correspondances, mene ä la reconstruction d'une opposition tripartite tenuis : media : media aspirata dans le systeme des occlusives en indo-europeen. Cette reconstruction ne rend pas compte de la rarete de b, ni de la rarete typologique d'un tel systeme. Ces considerations ont mene des savants ä la theorie glottalique qui pretend repondre ä ces questions. Nous n'entrerons pas dans une discussion des merites de cette theorie3 ; il suffit ici de dire que e'est l'extension des faits qu'elle explique qui fait sa force mais on peut faire l'objection qu'en englobant des faits nouveaux, elle explique moins bien les donnees anciennes.
2 « Unter den Veränderungen, welche sich in den einzelnen Sprachen bemerken lassen, tun wir aber wohl, zwei Arten zu unterscheiden. Die eine Art der Lautveränderung durchdringt den ganzen Bau einer Sprache ( . . . ) Davon ist aber wohl zu unterscheiden die unregelmäßige oder sporadische Lautveränderung ( . . . ) » 3 Pour cela, voir Mayrhofer (1986:92sqq.) avec references.
1.1 M&hodes
17
La probabilite phonetique d'une evolution proposee peut etre avancee pour corroborer une hypothese, mais eile ne saurait, ä notre avis, etre decisive. La correspondance IE *dw- = arm. erk- (du moins ä l'initiale du mot) est instructive ä cet egard. L'evolution est phonetiquement inattendue, mais les donnees sont si claires qu'ä notre avis, il ne fait nul doute que l'hypothese doive etre acceptee (voir Meillet 1925:3lsq.; 106sqq. et de Lamberterie 1998 pour une synthese de la question et une explication phonetique du developpement). Mais il reste neanmoins qu'une evolution qui est phonetiquement inattendue doit etre mieux corroboree par les faits pour etre acceptee. Le plus souvent, deux hypotheses de lois phonetiques en competition comporteraient des hypotheses d'actions analogiques; en effet, si revolution phonetique en question n'avait ete obscurcie par aucune action analogique, il y aurait, en general, accord entre les savants. Lorsque Γ on veut decrire le resultat d'une certaine sequence indo-europeenne dans une des langues-filles, on s'acharne ä discerner le resultat phonetique pour ensuite expliquer les contre-exemples comme dus aux actions analogiques. II y a lä la fonction de l'analogie pour les neo-grammairiens, cf. Anttila (1977:66) « its [analogy's] most important function was to delineate good sound laws. » A premiere vue, il peut paraitre que l'analogie n'a ainsi que le Statut d'hypothesis ad hoc, necessaire pour l'etablissement de lois phonetiques. Mais cette maniere de traiter l'analogie semble en parfait accord avec la notion de modularite telle qu'elle a ete developpee par la linguistique naturelle. Pour cette ecole, la langue tend vers la naturalite, c'est-ä-dire qu'elle tend ä refleter les besoins, les capacites et l'univers de ses usagers. Cette naturalite η'est cependant pas globale, mais locale. Chaque composant (les composants phonologique, morphologique, syntaxique, lexical, textuel, cf. Kilani-Schoch 1988:36) de la langue tend vers sa propre naturalite ; en phonologie eile est reliee ä l'articulation et ä la perception phonetique, en syntaxe ä des elements psychologiques responsables de principes tels le principe d'accessibilite (Kilani-Schoch 1988:27). Ainsi, il peut y avoir conflit entre la naturalite des differents composants. Un developpement phonetique qui augmente la naturalite d'une forme en la rendant plus facile ä prononcer, peut avoir pour contrecoup une diminution de la naturalite morphologique, si par exemple il rend plus opaques les morphemes. « T h e conflicts of naturalness cause a continuous mutual influencing of the individual components of the language system. Thus, they represent a continuously driving force toward language change. » (Wurzel 1989:21) Dans le conflit entre morphologie et phonologie, Wurzel
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1 Introduction
(1989:194sq.) souligne le röle reactif et conservateur de la morphologie, et il va peut-etre trop loin dans ce sens, car on ne peut nier que la morphologie puisse avoir un röle innovant aussi.4 Le linguiste allemand note (1989:18) lui-meme la ressemblance avec le dualisme neo-grammairien entre 'loi phonetique' et 'analogie'. Ainsi, la linguistique naturelle donne une justification theorique d'un dualisme tres vivant dans le travail quotidien des comparatistes. Mais si une fonction importante de l'analogie est celle de delimiter les lois phonetiques, il nous faut des criteres pour choisir entre differentes hypotheses d'actions analogiques. Or, ces criteres sont notoirement difficiles ä trouver. C'est, entre autres, ce manque de criteres qui ont mene les generativistes ä rejeter completement l'analogie (King 1969:127): « The latter categories [i.e. analogie et emprunt], in particular analogy, tend to become terminological receptacles devoid of explanatory power catchalls for irregularities in the operation of 'regular sound laws'.» Cependant, Anttila (1977:87-110, dans le chapitre «Analogy in generative grammar and its wake ») montre bien comment les generativistes ont dü introduire l'analogie par derriere. Aujourd'hui, il ne peut faire nul doute que l'analogie represente une force considerable dans le developpement des langues. II s'agit de preciser les conditions de son fonctionnement. Dans Γ etat actuel de nos connaissances, il faut avouer que nous sommes loin d'atteindre ce but. La linguistique naturelle represente un essai, en ce qu'elle maintient qu'un changement morphologique (c'est-a-dire, essentiellement, ce que l'on appelle traditionnellement 'analogie') augmente la naturalite morphologique, peut-etre aux depens de la naturalite phonologique. L'idee est interessante, mais on ne peut, sans fa9ons, en deduire des criteres pour juger la probabilite d'une analogie ; peut-on en conclure, par exemple, que l'hypothese d'une action analogique est d'autant plus probable que l'analogie proposee augmente la naturalite morphologique ? A vrai dire, nous devons avouer que les bons criteres nous manquent dans ce domaine. En fait, il semble necessaire de laisser le choix au bon sens du linguiste, qui lui doit etre aussi explicite que possible en exposant les raisons de son choix.
4 Un exemple classique est celui du nom du dieu en latin. L'ancien paradigme nom. *deiwos, gin. *deiwi a donni deus, divl - ce qui a entrain^ la creation des formes secondares del et divus et done la scission du paradigme et la criation d'un lexeme nouveau.
1.1 IVtethodes
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1.1.2 Philologie Dans une etude comme la notre, la philologie et la linguistique doivent etre en relation dialectique. D'un cote, l'etude linguistique d'une langue morte necessite un examen philologique 5 ; ne disposant pas d'informateurs, nous devons nous fonder sur l'information que nous pouvons extraire des textes. II nous faut done des textes solidement etablis et bien compris ; ces deux pratiques philologiques, recensio et interpretatio, correspondent aux aspects formel (phonologique et morphologique) et semantique d'une etymologie, ce qui est bien illustre par la philologie vedique. Les temps sont passes oü I'on pouvait fonder Γ interpretation des mots obscurs sur des etymologies purement formelles. Seul l'examen approfondi des contextes oü apparait un mot obscur permet d'en degager le sens. Ensuite, seulement, peut-on effectuer une recherche etymologique. Mais l'apport de la philologie ne s'arrete pas lä. Nous verrons tout au long de la presente etude que l'etude metrique des textes peut donner des informations tres precieuses, mais trop souvent ignorees. Ainsi, une etude philologique poussee doit preceder Γ analyse linguistique. De I'autre cote, dans une etude sur Homere et Γ epopee grecque ancienne, on ne saurait se restreindre ä une etude purement linguistique. Celle-ci doit necessairement etre suivie d'une analyse philologique. Ainsi, la linguistique et la philologie se repondent et eclaircissent ensemble, tant que faire se peut, l'histoire de Γepopee grecque. Nous allons illustrer cette methode de travail par le fameux exemple de la restitution du digamma par Bentley, un exemple qui montre aussi l'importance de l'abduction dans la formation des hypotheses. On observe chez Homere un certain nombre d'hiatus surprenants ä premier abord. Or, en admettant que les aedes ont tenu compte du digamma ulterieurement perdu, on peut expliquer la plupart de ces hiatus. Done, il est probable que les aedes ont tenu compte du digamma. Ce raisonnement philologique et en l'occurrence metrique est d'une structure abductive, et par suite tres faillible. En principe, on pourrait tout aussi bien former l'hypothese que ces hiatus avaient une valeur expressive.6 II pourrait y avoir
5 Cf. Schwyzer (1939:24): « der Sprachforscher [darf] nicht lediglich benutzen, was er in philologischen Arbeiten zu den Texten findet, sondern muß die Texte selbst für seine Zwecke im Zusammenhang studieren. » 6 Cette hypothdse a 6te proposee par Fortassier (1989), mais seulement pour les hiatus que le digamma n'explique pas. En principe, eile pourrait etre etendue ä tous les hiatus. En realiti, nous
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1 Introduction
d'autres raisons de rejeter une telle hypothese - eile est par exemple moins exacte, eile est moins facile ä contröler, et eile couvre un plus petit nombre de cas, puisqu'elle ne rend pas compte des 350 exemples environ oü un digamma initial apres une syllabe terminee par une consonne fait position au temps fort du vers. Mais c'est l'analyse linguistique qui constitue l'argument decisif en faveur de l'hypothese de Bentley. En effet, par la linguistique comparee et la dialectologie grecque, on peut souvent determiner quels mots ont eu un digamma ä l'initiale. On remarque alors que la distribution ainsi reconstruite s'accorde dans les grandes lignes avec la distribution du digamma supposee chez Homere. L'analyse philologique mene ainsi ä la formation d'une hypothese linguistique, laquelle est corroboree - au point oü Ton ne parle plus d'hypothese - par la grammaire comparee et par les dialectes grecs parmi lesquels le mycenien occupe une place particuliere depuis le dechiffrement du lineaire B. II faut ensuite donner une interpretation philologique de cette analyse linguistique. Pour Bentley, la conclusion s'imposait que le digamma etait toujours vivant dans la langue d'Homere. Peu de philologues l'accepteront aujourd'hui, puisqu'il y a un bon nombre d'exemples oü le digamma n'est pas respecte. Maintenant, on s'accorde ainsi ä penser que les aedes en ont garde la memoire en admettant Γ hiatus devant certains mots - tout comme la prononciation fran^aise devant h aspire ou - avec un meilleur exemple, puisqu'il s'agit d'une langue poetique - tout comme la versification franfaise tient toujours compte de Ye muet. Bien entendu, il n'est pas necessaire d'invoquer les formules parryennes (auxquelles nous reviendrons infra) ; c'est au niveau des mots, et non des formules, que les aedes ont garde le souvenir du digamma, comme le montre par exemple le syntagme repete ώκέα τ Ιρις, creation manifestement recente de par l'abregement dans ώκέα. L'exemple de Bentley et le digamma montre bien comment la philologie et la linguistique doivent travailler ensemble. Un examen philologique et metrique a mene ä la formation, par abduction, d'une hypothese, laquelle est soumise ä l'epreuve selon la methode hypothetico-deductive. C'est-adire que Γ on en deduit les consequences attendues - en Γ occurrence une distribution particuliere des hiatus 'illegitimes' - pour voir si elles correspondent aux realties. Notons ici le danger de Γ abduction : il tient, inevitablement, de la nature de ce mode de raisonnement que l'hypothese
la trouvons trop vague et inexacte pour expliquer meme les hiatus 'illegitimes'. Voir ä ce propos le compte rendu par Ruijgh (1993).
1.1 Methodes
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formee est fondee sur les donnees qu'elle doit expliquer. On ne peut eviter ce probleme entierement, mais on peut le rendre moins grave en appliquant le critere de globalite. Plus on peut deduire de consequences, ensuite confirmees par l'analyse empirique, d'une hypothese, plus on doit preferer cette hypothese ä une autre qui a moins de force explicative. Et en examinant les consequences d'une hypothese, il sera toujours preferable si Ton va, tant que faire se peut, au-delä du domaine original de l'hypothese.
1.1.3 L ' analyse formulaire II nous faut maintenant etudier une methode bien souvent utilisee in Homericis, ä savoir ce que Ton appelle l'analyse formulaire. Brievement, la methode consiste ä examiner un syntagme afin de savoir s'il est formulaire, auquel cas on peut presumer qu'il est traditionnel, et done ancien. Cette methode est omnipresente dans les travaux de philologues comme Wathelet, Ruijgh et Miller, mais il nous semble que ce genre de raisonnement est ouvert ä plusieurs objections. Premierement, la notion de 'formule' est notoirement difficile ä definir. Selon Milman Parry (1971:16) une formule est « a n expression regulary used, under the same metrical conditions, to express an essential idea ». Milman Parry examinait les formules nom-epithete et conclut qu'elles formaient des systemes, caracterises par leur extension - en ce qu'il etait possible de faire reference aux grands heros aux tous les cas dans plusieurs positions dans l'hexametre - et par leur economie - en ce qu'il n'y avait pas de formules metriquement equivalentes. Le philologue americain examinait surtout les formules nom-epithete qui sont un cas favorable puisque les materiaux sont riches et qu'il est facile d'extraire T i d e e essentielle'. II est facile d'admettre que dans les formules d'Achille au nominatif δΐος ' Αχιλλεύς apres la coupe bucolique, πόδας ώκύς ' Αχιλλεύς apres la cesure hephthemimere ποδάρκης δίος ' Αχιλλεύς apres la coupe au trochee troisieme - l'idee essentielle est toujours 'Achille'. Milman Parry n'examinait dans sa these que les systemes des formules nom-epithete. Neanmoins, il croyait que si nous disposions de plus de poesie epique ancienne, il serait possible de montrer que la langue de l'epopee etait entierement formulaire : « At no time is he [sc. the poet] seeking words for an idea which has never before found expression [...] his poetry remains throughout the sum of longer and shorter passages which he has heard.» (Parry 1971:324, 335) A notre avis, cette generalisation n'emporte pas la conviction. On peut facilement objecter, avec Austin
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1 Introduction
(1975:51), que les hexametres perdus sont un deus ex machina. L'Iliade et Γ Odyssee contiennent 27000 hexametres et 9000 mots differents ; si les systemes des formules sont tout de meme deficients - combien plus d'hexametres, combien plus de mots nous faudrait-il pour les completer ? Ainsi, il est clair que la generalisation qu'a faite Parry ne doit pas necessairement etre acceptee. Et meme dans le cas des systemes de formules nom-epithete, son analyse est ouverte ä des objections. Les systemes fonctionnent moins mecaniquement qu'il ne le pensait. Par exemple, les pretendants dans l'Odyssee, qui aspirent ä la main de Penelope, n'emploient jamais des epithetes qui font reference ä l'endurance ou la sagesse d'Ulysse; πολύμητις 'Οδυσσεύς ne peut etre reduit tout court ä l'idee essentiel 'Ulysse'. Shive (1987) montre que les systemes formulaires sont beaucoup moins economiques que ne le pensait Parry. Le philologue americain rejetait de son analyse les formules qui ne comportent pas le nom du heros. Ainsi Πηληιάδεω' Αχιλήος et μεγάθυμου Πηλείωνος sont metriquement equivalents, mais la derniere formule ne figure pas dans les tableaux de Parry, puisqu'elle ne mentionne pas explicitement Achille. Les exemples peuvent etre multiplies; nous referons aux appendices de Shive (1987). II faut conclure que la notion de formule chez Parry est bien trop rigide. Les savants qui s'occupent des formules s'en sont parfaitement rendus compte, et ils ont cherche une meilleure et plus souple definition de la formule. Nous ne pouvons faire l'inventaire des definitions proposees ici, mais il importe de remarquer que cet assouplissement de la notion de formule a d'importantes consequences pour l'histoire de l'epopee. Les nouvelles etudes sur la formule accentuent sa flexibilite et les modifications qu'elle peut subir.7 On obtient ainsi une image du fonctionnement de la formule qui est beaucoup plus conforme ä ce que Γ on observe dans des traditions orales vivantes. Mais il s'ensuit inevitablement que la formule devient un instrument moins sür pour penetrer dans la tradition prehomerique, ce dont les savants n'ont pas toujours tenu compte. On cede ä la tentation de postuler une tradition moins flexible que ne nous le montre la comparaison, puisque c'est seulement ainsi que nous pouvons avoir acces ä cette tradition. En realite, nous nous heurtons ä des problemes tres difficiles lorsque nous voulons determiner si un syntagme, repete ou non, est ancien.
7 Les deux itudes classiques sur ce domaine sont naturellement Hoekstra (1965) et Hainsworth (1968) avec les titres rivilateurs Homeric Modifications of Formulaic Prototypes et The Flexibility of the Homeric Formula. Noter aussi que dejä Chantraine (1932) a accentui la souplesse et la flexibility des systemes formulaires.
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1.1 Mithodes
La seule frequence ne suffit pas ä etablir l'anciennete, comme montre l'exemple de ώκέα τ Ιρις cite ci-dessus ; ce syntagme manifestement recent est repete 20 fois. Le caractere archai'que des constituants d'un syntagme ne suffit pas plus ä garantir l'äge de l'ensemble. II faut se rendre compte de ce que les archa'fsmes representaient pour les aedes, dans la synchronic de la langue epique, des possibilites ä exploiter. Prenons le cas du morpheme -φι; il est devenu productif dans la langue epique, merae en dehors de son domaine original. Ce n'aurait pas de sens de maintenir qu'un syntagme est ancien puisqu'il comporte cet element. Pour nous, -φι est un archai'sme, pour l'aede c'etait une possibilite dont il pouvait se servir en creant de nouvelles formules. La synthese de Latacz (2000:39-59) sur Formelhaftigkeit und Mündlichkeit nous semble donner un excellent vue d'ensemble sur ces questions. Nous citons la conclusion (op.cit. 58) : [Parry sah] die Epitheta in Verbindung mit bestimmten Nomina zunehmend
als
festgefügte, nich mehr separierbare Gesamtbausteine an, durch deren Zusammenfügung der Hexameter enstanden wäre [...]. Abgesehen von den praktischen Schwierigkeiten, die sich für den Sänger durch den so entstehenden 'Puzzle-Effekt' ergeben hätten und die dem Sinn der Technik zuwidergelaufen wären, hätte bei derartiger Unflexibilität der Versgenerierung die rasche Versteinerung der Diktion gedroht.
C'est justement une teile 'Versteinerung der Diktion' et une conception des formules comme 'nicht mehr separierbare Gesamtbausteine' que presuppose l'analyse formulaire. Mais, Latacz continue : Die
neue
Forschungsrichtung
eröffnet dagegen die Möglichkeit,
die
permanente
Kreativität der Sänger und damit die jahrhundertelange Lebensfähigkeit und tatsächliche Lebensdauer der epischen Diktion während ihrer vitalen Phase rational zu erklären.
Le prix qu'il faut payer pour cette possibilite, c'est qu'en admettant une teile creativite et vitalite de la part des aedes, il n'est plus legitime de pousser nos etudes si loin en arriere dans le temps que l'ont toujours voulu les homerisants. C'est lä aussi la conclusion de Edwards (1988:30) qui maintient que, en face des travaux modernes sur la formule, « [o]ral theory does not seem to tell us much about whether κλέος αφθιτον is an IndoEuropean survival or a Homeric innovation. » Edwards a voulu argumenter que κλέος αφθιτον peut etre ancien, bien que ce ne soit pas une formule, ce qui nous semble correcte - mais Γ inverse n'est pas moins vrai: un syntagme qui est une formule peut tres bien etre recent. L'analyse formulaire dont se servent Wathelet, Ruijgh et Miller n'apportent simplement aucune information sur l'äge d'un syntagme. Nous reviendrons ä ce probleme dans la section 5.2.
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1 Introduction
On pourrait neanmoins objecter que, malgre les nouvelles etudes sur la formule homerique, il reste toujours que les systemes formulaires attestes chez Homere sont plus rigides que ceux que Ton observe dans d'autres traditions. Cela est vrai, mais il ne faut pas necessairement conclure qu'il en a ete ainsi dans la tradition orale qui precedait Homere. Goody (1987:99) observe qu'Homere est plus formulaire que le Bagre, qui est un poeme oral, et remarque : The domination or tyrannie de la formule may resemble the tyranny of rhyme in later poetry, or of alliteration in early English verse. Might it be suggested that all these three, in their elaborated forms, were written developments of features found in oral works but not in the extent and consistency with which they are later used.
II fait ensuite mention de Kirk, qui observait que la tradition grecque etait « more highly organized » que ses equivalents modernes, et de Hainsworth, qui conclut que «the greater architecture of the poems appears to be unlike typical oral poetry ». Goody en conclut: It might however be possible to explain all these features in terms of the early influence of writing in formalizing and elaborating poetic utterance, making the particular case of Greece perhaps less unique, and at the same time more understandable.
De telles idees ont aussi ete proposees par Schaefer (1988:54), qui a suggere que l'usage de formules devient plus necessaire au moment oü Ton passe de la composition orale ä l'usage de l'ecriture. Car meme si la transmission et la proliferation des poemes sont toujours orales, la situation est une autre. L'audience ne rencontre plus un aede 'composing in performance', mais un rhapsode qui recite un texte qui est en principe fixe. Dans cette nouvelle situation, il est utile de marquer le texte comme poesie, et l'usage des formules est une demarche possible. II ne va done pas de soi que la tradition grecque ait toujours eu des systemes formulaires aussi rigides que ceux que Ton trouve chez Homere. Comme dit Hainsworth « Homer remains a very special case » - mais il n'est nullement sür que cela vaut pour la tradition plus ancienne. « It is the hexameter that makes the difference. » dit Janko (1982:277n6). Mais le vers epique a-t-il toujours ete le meme ?
1.1 Mithodes
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1.1.4 Metrique Outre la critique que nous avons soulevee ci-dessus, et que nous aurons l'occasion de concretiser infra (section 2.3.3.2), l'analyse formulaire souffre d'encore un defaut. En effet, elle repose sur la supposition que l'hexametre a toujours existe tel quel. Les poemes epiques sont ecrits en hexametres ; le fait est evident, mais, comme nous allons voir, quelques indices portent ä croire qu'il n'en a pas toujours ete ainsi. L'hexametre est compose, on le sait, de six pieds dactyliques ou sponda'iques dont le dernier est toujours un spondee et le penultieme un dactyle dans la grande majorite des cas. Cependant on se rendait compte dejä dans l'antiquite de ce qu'il y avait des irregularites dans quelques vers. Athenee (632E) expose la doctrine des metriciens de l'antiquite : ακέφαλοι δέ είσιν οί έπί της άρχής την χωλότητα έχοντεςεπειδή νήάς τε και' Ελλήσποντον 'ίκοντο (Ψ 2) έπίτονος τετάνυστο βοός ιφι κταμένοιο (melange de Γ 375 et μ 423) λαγαροί δέ οί έν μέσω, οίον αΐψα δ' άρ ΑΙνείαν φίλον υίόν ' Αγχίσαο (vers de provenance inconnue) των αύθ ήγείσθην 'Ασκληπιού δύο παΐδε (Β 731) μείουροι δ' είσίν οί έπί της εκβολής, οίον Τρώες δ' έρρίγησαν δπως ίδον αίόλον οφιν (Μ 208) καλή Κασσιέπεια θεοίς δέμας έοικυΐα (apparemment une Variante de Θ 305) τοϋ φέρον έμπλήσας άσκόν μέγαν, έν δέ και ήια (ι 212)
Athenee reproche ä Homere d'avoir fait ces vers άφροντιστί alors que chez Xenophane, Solon, Theognis, Phocylide et meme Periandre de Corinthe (pourtant repute un mauvais poete, voir Plutarque Aphth. Lak. 218F) on ne lit rien de tel. Avec notre connaissance d'Homere nous devrions plutöt imputer ces 'fautes' au fait qu'Homere se trouve ä la fin d'une tradition orale ou au debut d'une tradition ecrite. L'existence de ces vers anormaux chez Homere nous parait indiscutable et selon toute probabilite ils ont ete d'autant plus nombreux que l'on remonte plus haut dans la tradition. Comme le remarquent Berg/Lindeman (1992:193n46), cette conclusion n'est qu'une extension du fameux principe de Meillet (1937:46) : « C'est surtout avec des anomalies de l'epoque historique qu'on restitue la regle de l'epoque indo-europeenne ». Chadwick (1990:175), attirant l'attention sur certaines licences prosodiques dans l'epopee, remarque ä propos d'un sujet sur lequel nous reviendrons dans notre troisieme chapitre :
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1 Introduction
In the light of this evidence for loose metrical practices it seems absurd to assume that Homer's predecessors aimed at a more rigorous practice. The ingenious suggestion that irregularities such as ' Ιλίου προπάροιθε or Αιόλου κλυτά δώματα go back to originals with a genitive in -oo has been somewhat damaged by the revelation that Mycenaean knew only a genitive in -010. It remains a possibility that somewhere at some date -oo was in use, but we do not know where and when.
L'exemple est peut-etre mal choisi, puisque nous verrons qu'il est possible de savoir approximativement quand et oü -oo a ete utilise, mais le point essentiel demeure : II semble en verite absurde de supposer que les precurseurs ont pratique une metrique encore plus stricte que l'hexametre de l'Iliade et l'Odyssee. II nous semble done legitime de faire usage des termes des metriciens de l'antiquite. Cependant, Hainsworth (1993 ad Μ 208) a eu raison de commenter : « The στίχοι μείουροι of the ancient metricians are a statement of the problem, not its answer.» Cette observation s'applique naturellement aux termes ακέφαλοι et λαγαροί aussi. II serait done de mauvaise methode que de se fonder sur un phenomene inexplique. II nous semble pourtant probable que ce probleme a un rapport avec l'origine de l'hexametre et que la bonne solution a ete donnee par Berg (1978) suivi de Tichy (1981a). Berg (1978) est une analyse purement metrique qui montre comment l'hexametre peut etre derive de vers indo-europeens. Tichy (1981a) a montre la force explicative de cette hypothese en ce qui concerne la scansion de formes telles άνδροτητα oü, depuis Mühlestein, on soupfonne un r voyelle original. Berg/Lindeman (1992:186-193) traite d'un autre exemple probant, ä savoir la flexion et la distribution dans l'hexametre du nom le plus frequent chez Homere, άνήρ, qui dejä pour Schulze (1892:454) etait une quaestio difficillima. Comme l'article de Berg et Lindeman semble largement ignore par les homerisants, il nous parait necessaire de repeter leur argumentation ici. Premierement, on ne voit pas pourquoi un allongement metrique serait necessaire dans άνέρα, άνέρος, άνέρες etc. Ces formes appartiennent ä la classe des tribraques, oü il n'y a pas besoin d'un allongement. Les formes qui finissent par voyelle pourrait tres bien etre placees devant une voyelle initiale, ou bien devant un mot commenyant par deux consonnes. La comparaison avec όνομα est tres instructive : nous trouvons chez Homere 14 exemples de όνομ + V-, 3 exemples de όνομα + CC- (et un de ονομα anapestique devant la cesure penthemimere) et 3 exemples de ούνομα. La frequence de l'allongement metrique dans ce mot est done 15%, alors que dans άνέρα (et les autres formes flexionnelles) l'allongement est obligatoire. Cet allongement est encore plus surprenant dans les formes qui
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finissent par une consonne, comme άνέρες, car il serait tres facile de placer ces mots devant une consonne. Aussi ne trouvons-nous que tres peu d'exceptions ä cette scansion (voir Danielsson 1897:13-30) parmi les tribraques qui finissent par consonne, hormis le cas de άνέρες. Ensuite, il semble en effet etrange que ces formes, qui sont toujours dactyliques, ne se distribuent pas dans l'hexametre comme les autres mots dactyliques. En effet, les formes dacyliques de άνήρ sont placees dans le cinquieme pied de l'hexametre seulement dans 9.5% des cas, alors que les mots dactyliques en general y sont places dans 35.3% (Iliade) et 31.5% (Odyssee) des cas (O'Neill 1942:142). En revance, les formes dactyliques de άνήρ semblent preferer les premier (37.9%) et quatrieme (46.3%) pieds. Cette distribution aberrante demande une explication. II semble aussi tres peu probable que άνέρα, άνέρος, άνέρι, άνερες d'oü proviendraient les formes homeriques par un allongement metrique aient veritablement existe. II n'y a en a nulle trace dans les dialectes historiques oü nous ne trouvons que άνδρα, άνδρός, άνδρί et άνδρες. En indo-europeen, naturellement, le degre e serait attendu au moins dans l'accusatif singulier et le nominatif pluriel (*H 2 nerm , *H2neres) et le degre zero dans les autres cas - mais ce genre d'alternances sont elimines en grec en dehors des noms de parente. Et le fait que nous ne trouvons jamais άνέρα et άνέρες en dehors d'Homere donnent ä penser que cette elimination etait dejä chose faite ä l'epoque du grec commun. En tout cas faudrait-il, pour rendre compte de άνδρός et άνδρί, supposer que le paradigme ait ete nivelle dans les deux sens: on aurait alors άνδρα, άνδρός, άνδρί, άνδρες d'une part, et άνέρα, άνέρος, άνέρι, άνερες de l'autre. Mais si tel etait le cas, on ne voit mal pourquoi aucune trace de ce deuxieme paradigme - qui serait meme plus comprehensible en face du casus rectus άνήρ - n'a survecu jusqu'ä l'epoque historique. II nous semble de loin plus plausible que άνέρα etc. sont des refections artificielles d'apres μητέρα etc. Ces remarques ne peuvent mener qu'ä la conclusion que άνέρα etc. sont en fait des dactyles artificiels qui recouvrent d'anciens trochees. Cette conclusion est surprenante, puisque les trochees sont tres faciles ä placer dans l'hexametre. Pourquoi les poetes ont-ils eu recours ä deux licences linguistiques - l'introduction du degre e et l'allongement du premier syllabe - pour placer un mot d'une structure metrique aussi ordinaire que άνδρα ? II nous semble que la reponse ä cette enigme est ä trouver dans ce que Berg (dans Berg/Lindeman 1992:193) appelait 'diachronic metrical pressure', cause par le desir de maintenir des formules qui contenaient originellement une sequence cretique, telle άνέρες ίπποκορυσταί (ä la fin des vers
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1 Introduction
Β 1, Ω 677), qui pourrait recouvrir une formule pherecrateenne άνδρες ίπποκορυσταί. Dans cette hypothese, on s'explique pourquoi une telle manipulation violente etait necessaire, et on attendrait qu'elle se trouve majoritairement dans le premier et le quatrieme pied de l'hexametre oü se trouvaient originellement - selon l'hypothese de Berg - les bases eoliennes initiale et interne du proto-hexametre qui se seraient developpe ä partir d'une combinaison d'un glyconeen et un pherecrateen. Ainsi, l'hypothese d'un proto-hexametre explique et le besoin de manipulations violentes et la distribution etrange des formes dactylique de άνήρ. Meme si l'exemple d ' c m p ne prouve pas necessairement que l'hypothese de Berg est correcte dans tous ses details, il montre tout au moins que jusqu'ä une epoque relativement recent ä l'epoque d'Homere, les premier et quatrieme pieds de l'hexametre pouvaient etre remplis par un trochee. La particularite du quatrieme pied fut reconnue dejä par Meister (1921:22sqq.). D'autres exemples dans le meme sens se trouvent chez Berg/Haug (2000:14sq.) et Haug/Welo (2001:143). Ainsi, bien que l'hypothese du proto-hexametre ne soit pas etablie in toto et qu'elle ait besoin d'etre raffinee sur certains points (voir Haug/Welo 2001), il nous semble justifiable de postuler des trochees dans le premier et le quatrieme pied de l'hexametre ä l'epoque pre-homerique. En fait, cela nous semble non seulement justifiable mais encore necessaire, en face des travaux cites ici, si Ton veut arriver ä une image plausible de ce qu'etait la tradition pre-homerique. En revanche, d'autres details de la theorie du proto-hexametre nous semble toujours quelque peu incertains, et nous nous sommes abstenu d'y faire reference dans ce travail-ci oü ce n'est pas ce changement metrique en lui-meme qui interesse. Neanmoins, le proto-hexametre interviendra aussi dans notre discussion des phases de Γ evolution de la diction epique et dans nos conclusions - necessairement speculatives - sur la genese des poemes homeriques. Notre vue particuliere sur la phase eolienne ne presuppose pas necessairement la theorie d'un changement metrique - d'ailleurs cette theorie metrique n'implique pas inevitablement une opinion particuliere sur la phase eolienne - mais pour des raisons qui deviendrons claires, il nous a semble naturel de Her ces deux questions.
1.2 Les dialectes grecs et Involution de la langue epique
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1.2 Les dialectes grecs et revolution de la langue epique court historique du probleme 1.2.1 Les dialectes grecs Avant d'aborder l'histoire du probleme de revolution de la langue epique, nous allons jeter un coup d'ceil sur les trois groupes dialectaux dont nous nous occuperons principalement dans cette etude, ä savoir l'ionien, Γ eolien et l'acheen. Nous essayerons brievement de montrer quels sens ces termes ont eus ä travers l'histoire et aussi ce que Ton entend par eux aujourd'hui. Quant ä l'ionien, il ne pose pas de probleme; des l'antiquite c'est un terme bien defini, et l'on se rendait dejä compte de ses affinites particulieres avec l'attique. Le groupe ionien-attique est defini tres precisement par l'isoglosse α > η qu'ils n'ont en commun avec aucun autre dialecte grec. L'attique se distingue de l'ionien en ce que ce developpement n'a pas eu lieu dans la position apres ε, ι, ρ (plus exactement, revolution a ete amorcee, puis le stade intermediate α a subi une ouverture conditionnee qui l'a ramene au timbre ä, voir Lejeune 1972a:235) et en ayant ττ lä oil l'ionien (avec les autres dialectes grecs sauf le beotien et l'eubeen qui forme une sorte de transition entre l'ionien oriental et central d'une part, et l'attique de Γ autre) a σσ. Comme l'ionien etait parle sur un domaine assez vaste (Asie Mineure, certaines des iles de la mer Egee, Eubee), on s'attendrait ä trouver des differences dialectales et c'est bien le cas. La repartition en groupes des dialectes ioniens occupait dejä les anciens, et eile pose toujours des problemes. Neanmoins, comme nous traiterons ici de la metathese de quantite, qui est un phenomene pan-ionien (et meme commun avec l'attique), nous laissons de cöte ce probleme. Les deux autres termes, eolien et acheen, ont une histoire plus compliquee. Le terme Αίολής est en rapport evident avec αίόλος 'bigarre, mixte'. Selon Garcia Ramon (1975:105sq.) les anciens semblent avoir applique cette notion aux habitants de n'importe quelle region pourvu qu'elle soit habitee par plus d'un groupe originaire. C'est ainsi que Thucydide peut parier des eoliens de l'Etolie et l'Acarnie (3.102.5) ou Corinthe (4.42.2). Strabon (VIII. 1.2) affirme explicitement que les Arcadiens et les Eleens parlaient un dialecte eolien : "Οσοι μεν ούν ήττον τοις Δωριεΰσιν έπεπλέκοντο (καθάπερ συνέβη τοίς τε ' Αρκάσι και τοις' Ηλείοις, [..·]) ούτοι Αϊοιλιστι διελέχθησαν.
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Les grammairiens, cependant, semblent avoir connu le sens plus restreint de 'lesbien'. Iis s'interessaient surtout aux dialectes litteraires et entendaient done par eolien la langue de Sappho et d'Alcee. C'est ainsi qu'ils peuvent affirmer que la barytonese est caracteristique de Γ eolien, alors qu'elle est propre au lesbien seulement, voir Wathelet (1970:221sqq.). Pour Ahrens, le fondateur de la dialectologie grecque moderne, le terme 'eolien' s'appliquait aux trois dialectes lesbien, thessalien et beotien, mais il admettait aussi Γ existence de dialectes pseudo-eoliens, ä savoir l'eleen, l'arcadien et bien d'autres. II a consacre le premier tome de son ceuvre sur les dialectes grecs (1839) aux dialectes Aeolicis et Pseudaeolicis, ces derniers etant representee surtout par l'eleen et l'arcadien. A cette epoque, cela etait tres comprehensible. En effet, on ne connaissait que tres peu d'inscriptions en dialecte arcadien, et Ahrens etait oblige de s'appuyer sur les gloses et les temoignages des grammairiens anciens. Ce n'est qu'avec la multiplication des inscriptions arcadiennes publiees dans les annees 1860, et le dechiffrement du syllabaire Cypriote dans les annees 1870 que les hellenistes ont pu se rendre compte du fait que ces deux dialectes, l'un atteste sur une lie dans la peripheric Orientale du monde grec, Γ autre ä l'interieur du Peloponnese au cceur de la Grece, presentaient des ressemblances remarquables. On constatait que l'arcado-cypriote constituait un groupe ä part, mais on le rattachait le plus souvent aux dialectes eoliens. C'est ce qu'a fait entre autres Hoffmann (1891 :VI), en distinguant neanmoins entre l'eolien du Nord (thessalien, beotien, lesbien) et l'eolien du Sud (arcadien et Cypriote). Cependant, comme le terme 'eolien' etait propre au parier de l'Eolide en Asie Mineure, il prefere les termes 'acheen du Nord' et 'acheen du Sud', en considerant que Α'ίρολος est Γ equivalent hypocoristique de ' Αχαϊκός. Ce rapprochement des groupes dialectaux eolien et acheen n'est plus aeeepte. Aujourd'hui, on accorde en general une grande importance ä l'isoglosse qui separe les dialectes ä assibilation de τι des dialectes qui maintiennent l'occlusive. Mais ä l'interieur du groupe eolien il y a une difference entre le lesbien qui a connu cette assibilation et le thessalien et le beotien qui ne l'ont pas. Pendant longtemps l'opinion courante etait celle que nous retrouvons chez Schwyzer (1939:89): Das reine Äolische κατ' εξοχήν, das fur die Literaturgeschichte fast allein in Betracht kommt, ist das (klein)asiatische von Lesbos und einigen kleinen Inseln sowie einigen Städten auf dem benachbarten Festland.
II etait done naturel de penser que le τι du thessalien et du beotien etait secondaire, du ä Γ influence des parlers doriens voisins ; on rapprochait
1.2 Les dialectes grecs et Involution de la langue ipique
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done l'eolien dans son ensemble aux groupes ionien-attique et arcadocypriote. Mais Porzig (1954) et Risch (1955) ont montre que e'etait le thessalien qui etait le plus proche de l'eolien original, et par consequent que l'assibilation en lesbien devait etre secondaire. II n'est done plus possible de rattacher l'eolien ä l'arcado-cypriote ; l'eolien forme un groupe ä part, constitue par les parlers thessalien, beotien et lesbien. Nous devons neanmoins faire une remarque concernant le terme de 'dialectes eoliens'. Dans le troisieme chapitre de cette etude nous examinerons un exemple du traitement /VRsV/ > /VRV/ (la gemination des sonantes en eolien). Ce developpement est propre aux dialectes thessalien et lesbien, mais d'une maniere generale le beotien semble ne pas avoir connu ce traitement; voir les exemples chez Bltimel (1982:79sq). Cependant, pour des raisons pratiques, nous referons ä ce traitement comme un developpement eolien et le terme comprend done seulement le thessalien et le lesbien, ä l'exclusion du beotien. II est clair que nous touchons lä ä un probleme important de la dialectologie grecque, mais nous ne pouvons pas y entrer dans le cadre de cette etude. Dans l'antiquite, le terme 'acheen' est utilise d'une maniere aussi confuse que 'eolien'. Chez Homere, il designe les Grecs predoriens dans leur ensemble, toute l'armee du roi de Mycenes. A l'epoque classique, on entend par Achate surtout la region dans le Peloponnese au bord du golfe de Corinthe, mais le terme se trouve aussi en Phtiotide, ä Rhodes et ä Chypre. A l'epoque moderne, on l'a vu, Hoffmann a considere que les termes 'eolien' et 'acheen' etaient equivalents. Plus tard Meillet (1913:194) entend par acheen la langue de la 'civilisation acheenne' - c'est-ä-dire de l'empire mycenien. Pour lui, cette langue etait continuee par les parlers arcadien, Cypriote et pamphylien. A l'epoque, cette proposition ne pouvait etre qu'hypothetique, mais eile sera bien evidemment actualisee par le dechiffrement du lineaire B, auquel nous reviendrons. Les progres de la dialectologie apres Hoffmann ont bientöt mene ä ce que I'on separe Γ arcadien, le Cypriote et le pamphylien des dialectes eoliens. Cette opinion sera codifiee dans les manuels de Schwyzer (1939:88) et Buck (1955:7), qui appellent tous les deux ce groupe arcadocypriote. Pour Buck ce groupe forme, avec Γ ionien-attique, le grec oriental. Le dechiffrement du lineaire Β a evidemment pose la question de l'appartenance dialectale du mycenien. Dans l'article qui annonce le dechiffrement, Ventris et Chadwick (1953:103) proposaient de considerer le mycenien comme l'ancetre de l'eolien et de l'arcado-cypriote, en le nommant 'acheen' : « The name 'Achaean' has been used to denote a hypothetical ancestor of the Arcado-Cyprian and of the Aeolic dialects, and
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1 Introduction
it therefore seems the most appropriate term to use for this new dialect. » Cependant, comme nous venons de voir, les travaux de Porzig (1954) et Risch (1955) ont montre que le proto-eolien ne connaissait pas l'assibilation de -ti en -si. Or, le mycenien atteste l'assibilation de fa9on sure p. ex. dans e-ko-si = έχονσι, dor. έχοντι. Le dialecte des tablettes appartient done au meme groupe dialectal que l'ionien-attique et arcado-cypriote, ä Γ exclusion de l'eolien et des parlers doriens. Ruijgh (1967:35sqq.), entre autres, a propose que le mycenien appartienne au groupe arcado-cypriote par opposition ä l'ionien-attique. II semble pourtant que les dialectes ä assibilation ne fussent que legerement diversifies entre eux ä cette epoque. II est done difficile de trouver des exemples incontestables qui prouvent cette hypothese. II existe cependant quelques indices qui invitent ä Γ accepter : En effet les textes myceniens attestent la desinence mediale -to qui doit correspondre au -τοι de l'arcadien (et au -τυι du Cypriote avec fermeture secondaire du ο). Mais selon toute probabilite il n'y a lä qu'un archa'isme retenu sans grande valeur probante pour l'appartenance dialectale du mycenien. Le fait que la preposition pa-ro soit construite avec le datif au lieu du genitif, tout comme certaines prepositions qui expriment l'eloignement (άπύ, έξ) dans les dialectes arcado-cypriotes, nous semble plus important. Le mycenien atteste aussi le developpement op, po de r (restreint ä certaines positions comme nous allons le voir), tout comme en arcadien et Cypriote. On trouve la meme evolution dans les dialectes eoliens, mais ce fait est certainement sans importance, de meme que le pa, ap de l'ionien-attique et du dorien η'est sans doute pas le resultat d'une evolution commune. Somme toute nous adopterons la theorie de Ruijgh, mais ä titre d'hypothese. Nous nous servirons ainsi de son terme 'acheen' pour l'ancetre de Γ arcado-cypriote, bien que ce terme soit peu apte ä Γepoque prehistorique, comme on l'a souvent remarque. Cet ancetre a dü etre plus ou moins identique au mycenien. L'acheen, ä son tour, doit avoir connu une epoque d'unite avec le precurseur de l'ionien-attique ; nous appellerons ce dialecte prehistorique le grec oriental.
1.2.2 Le probleme de r e v o l u t i o n de la langue epique Le probleme de la langue epique a ete discute depuis la naissance de la Philologie ä Alexandrie et avant; la liste des savants qui se sont occupes de ces sujets est enorme. Dans ce chapitre nous allons dresser un tableau des hypotheses que Ton a avancees sur le probleme de la diction epique.
1.2 Les dialectes grecs et 1'evolution de la langue epique
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Naturellement, il ne sera question ici que des grandes lignes. Nous n'avons pu nommer ici que les travaux les plus importants ; d'autres contributions seront nommees et traitees dans la discussion des chapitres suivants. Surtout, nous faisons ici un historique de la problematique generale de la diction epique, et non des problemes particuliers que nous traiterons ; ceuxci seront indiques au debut de chaque chapitre. Pour qui aborde l'etude d'Homere, sa langue se presente comme un melange confus dont il est difficile de saisir l'unite. Elle echappe souvent aux methodes d'analyse usuelles en linguistique, puisque celles-ci sont con9ues pour l'etude des langues parlees, bien que ces langues ne soient souvent attestees que par des textes. 8 Mais la langue homerique n'a jamais ete un idiome vivant. Nous faisons nötres les mots de Bowra (1962:26) : Homer's language can never have been spoken by men. It contains too many alternative forms, too many synonyms, too many artificial forms for it to be in any sense a vernacular. It is a language created for poetry by the needs of composition.
Ce caractere bigarre du dialecte epique a provoque la curiosite des savants modernes. Pour un Grec ä l'epoque classique, le probleme se posait autrement. Au cours de l'histoire litteraire en Grece plusieurs genres ont surgi, chacun avec son idiome souvent compose de plusieurs dialectes et plus ou moins influence par l'usage epique. L'epopee ne formait pas une exception. Ce n'est pas dire que les anciens ne reconnaissaient pas que la langue homerique etait composee de plusieurs dialectes. On inventa meme l'histoire qu'Homere aurait traverse le monde grec en recueillant des mots et des morphemes propres aux dialectes qu'il rencontrait ([Plutarque] De Homero II, 8). Mais on distinguait en general le caractere fondamentalement ionien de la langue homerique. Un seul temoignage diverge sur ce point - le peripateticien Dicearque affirmait: την ποίησιν άναγινώσκεσθαι Αίολνδι διαλέκτω (fragment 90 Wehrli). Cette hypothese sera reprise ä l'epoque moderne. Les anciens ne pouvaient voir clair dans le probleme de la langue homerique parce qu'il leur manquait Γ aspect diachronique ici, comme dans d'autres domaines de la linguistique. C'est ainsi qu'Aristote (Poitique 1458a) peut deriver les formes homeriques de leurs equivalents attiques. Ce manque d'aspect diachronique a subsiste longtemps, et lorsqu'il etait introduit, c'etait d'une maniere assez nai've : Jusqu'au debut du XIX 6 siecle, 8 C'est ainsi qu'une täche parmi les plus importantes pour les linguistes qui s'occupent d'une langue morte est celle de restituer la prononciation de la langue en question ä partir des textes. Cette täche sera tr£s importante pour nous tout au long du quatrieme chapitre. Pour un traitement general de ce probleme, voir Lass (1997:44-103.)
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1 Introduction
on considerait la langue d'Homere comme le Urgriechisch ä partir duquel se seraient developpes tous les autres dialectes grecs. Cette opinion n'a evidemment pas pu resister ä la documentation toujours croissante des dialectes non litteraires et les progres de la grammaire comparee. Des lors les homerisants ont discute pour savoir quels dialectes sont representee chez Homere et pourquoi. Nous allons faire quelques remarques sur l'histoire de cette discussion afin de situer notre travail dans un cadre plus large. Gustav Hinrichs a ete un des premiers ä traiter cette question dans son ouvrage De homericae elocutionis vestigiis Aeolicis (1875). II a consacre la premiere partie de sa these ä l'etude des elements de la langue homerique qui peuvent etre qualifies d'eolismes. Dans la deuxieme partie il examine les causes qui pourraient expliquer leur presence. II discute et rejette Γ opinion selon laquelle Homere lui-meme aurait melange differents dialectes et aussi les theories d'un Homere eolien ou habitant la frontiere des colonies ioniennes et eoliennes. II n'accepte pas non plus l'opinion suivant laquelle Homere se serait servi d'eolismes seulement par la necessite de l'hexametre. Apres avoir rejete ces opinions, il pose un principe qui sera fondamental par la suite et qui merite d'etre cite (1875:166, nous soulignons): ex earum solum gentium sermonibus, apud quas pridem ars poetica factitata fuisset, aliquas formas potuisse recipi ideoque fontem Aeolicorum vestigiorum nullam aliam rem aperire quam historiam poesis epicae, quae fuisset ante carmina Homerica, confidenter contenderim (...).
La perspicacite de Hinrichs est d'autant plus remarquable que, avant la parution des travaux de Parry, il n'existait aucune theorie litteraire qui pouvait rendre compte des fondements d'une telle conception. En 1913 Witte a montre que les eolismes chez Homere sont presque toujours d'une structure metrique differente de leurs equivalents ioniens ; de telles considerations l'ont amene ä la conclusion « daß die Sprache der Homerischen Gedichte ein Gebilde des epischen Verses ist. » (Witte 1913:2214.) Mais ce sont seulement les travaux de Parry et surtout son article de 1932 « Studies in the Epic Technique of Oral Verse-Making. II. The Homeric Language as the Language of an Oral Poetry» (Parry 1971:325-364) qui ont etabli pourquoi le metre avait une telle force dans le cas d'Homere, et qui ont elabore la theorie d'une phase eolienne dans le cadre d'une tradition orale. Quoi que l'on pense des travaux de Parry sur Homere meme, ses theories sont importantes pour notre comprehension de la tradition orale precedente.
1.2 Les dialectes grecs et Γ evolution de la langue ipique
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A cette epoque, on s'etait interesse aussi aux elements arcado-cypriotes dans la langue epique. Dejä en 1913, Meillet (1913:194) a suggere l'existence d'une troisieme couche dialectale dans l'epopee : « De meme que l'epopee eolienne a ete ionisee, il a pu exister une epopee acheenne, qui aurait exerce une influence sur l'epopee eolienne.» Dans deux articles, Bowra (1926 et 1934) a etudie les correspondances lexicales entre les inscriptions de l'Arcadie et de Chypre et les poemes homeriques. Le dechiffrement de l'ecriture lineaire Β a modifie toute la perspective. Beaucoup de pretendus eolismes se sont reveles simples archa'ismes, autrefois communs ä tous les dialectes grecs. II y eut alors une tendance ä diminuer Γ importance des eolismes chez Homere et ä augmenter celle de l'element acheen auquel, conformement aux predictions de Meillet et autres, on rattachait le mycenien. Dejä dans Γ article qui a annonce le dechiffrement (Ventris/Chadwick 1953:103), on remarque cette tendance au scepticisme envers une phase eolienne : Attention has been drawn to similarities, especially in vocabulary, between Cyprian and Homer; but to suppose two transpositions, first from Achaean to Aeolic, and then from Aeolic to Ionic, is stretching credulity rather far.
Le point extreme de cette tendance fat atteint par Strunk (1957) qui niait completement l'existence dans l'epopee de traits propres aux seuls dialectes eoliens. Sa position fat attaquee par Wathelet (1970) qui a examine les formes reputees eoliennes dans l'epopee. II a demontre que, meme en tenant compte des nouvelles informations que nous apportent les textes myceniens, il existe des elements dans la langue epique qui ne peuvent etre qu'eoliens. Sa conclusion a ete largement suivie et la discussion aujourd'hui porte plutöt sur les differents modeles qui peuvent expliquer la presence de ces traits. Nous ne ferons ici qu'esquisser les opinions courantes auxquelles nous reviendrons plus tard. Deux positions s'opposent. Selon les uns les eolismes sont les vestiges d'une phase eolienne de la composition epique ; c'est-ä-dire que les Ioniens ont herite d'une tradition eolienne. Maints elements de la langue epique et des formules pouvaient simplement etre 'traduits' en ionien, lorsque la structure metrique ne changeait pas ; mais parfois les aedes ont garde des mots et des morphemes eoliens, puisque leurs equivalents vernaculaires avaient une autre valeur prosodique. Notons, cependant, que la theorie d'une phase eolienne n'implique pas une vue naive selon laquelle la tradition epique aurait fait le parcours de la Grece, existant ä un seul domaine dialectal en meme temps. Seulement, au tout debut de la tradition ionienne qui aboutira aux poemes homeriques, les aedes en Ionie n'avaient
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1 Introduction
plus acces ä une tradition ionienne anterieure ä la metathese de quantite. Ce point est essentiel, puisque l'absence de formes ioniennes anterieure ä la metathese de quantite est un argument clef en faveur d'une phase eolienne. Selon les adherents de cette theorie, il est peu probable que les aedes aient abandonne des archai'smes ioniens tel un genitif masculin en *-ηο en faveur d'un emprunt eolien -äo, s'ils avaient pu faire le choix. Telle est l'opinion de Janko (1979, 1992:15sqq.) et Wathelet (1970 et 1991). Ruijgh, qui dans plusieurs contributions, et recemment en 1995, a argumente pour une phase acheenne, admet aussi l'existence d'une phase eolienne (1995:62sq.). Dans une polemique dans Journal of Hellenic Studies, West (1988 et 1992) a defendu l'existence d'une phase eolienne contre l'attitude quelque peu agnostique de Chadwick (1990). Ce dernier souligne {op. cit. 176), avec raison ä notre avis, que le debat peut facilement degenerer en «metrical games» si Γ on maintient que l'hexametre a toujours existe tel quel. L'autre opinion admet que les formes eoliennes s'expliquent par une diffusion, autrement dit que les traditions eolienne et ionienne coexistaient et que les aedes, en cas de besoin metrique, ont pu emprunter une forme convenable ä la tradition voisine. Certains savants vont meme jusqu'ä affirmer que ces emprunts ressortent d'un choix delibere de la part du poete ou des poetes, afin de creer une langue epique nationale en Grece. La theorie diffusionniste a ete defendue par Wyatt dans plusieurs articles dont ceux de 1975 et 1992 traitent du probleme dans ses aspects les plus generaux ; il oppose ici les deux theories et expose les raisons de son choix. Un autre representant de cet avis est Miller (1982) qui a introduit « phonic evidence », c'est-ä-dire des considerations d'euphonie, dont la valeur nous semble souvent incertaine. II nous semble que c'est Horrocks (1987) qui a donne la meilleure vue d'ensemble des deux hypotheses et les arguments pro et contra. II en conclut que les formes eoliennes sont des emprunts au dialecte voisin. Tout recemment (1997) il a repete son argumentation. Les contributions ä ce debat sont de deux natures differentes. La premiere demarche consiste ä confronter les deux modeles afin d'etablir lequel foumirait l'explication la plus plausible des faits homeriques en necessitant le moins d'hypotheses auxiliaires. Un bon exemple est la polemique entre West, Chadwick et Wyatt dans Journal of Hellenic Studies 1988-92. L'autre approche est celui des examens linguistiques ou metriques souvent limites, mais ayant potentiellement une grande valeur probante. « The use of πρός, προτί and ποτί » de Janko (1979) peut illustrer ce genre d'argumentation.
1.2 Les dialectes grecs et 1'evolution de la langue epique
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Comparee ä la question d'une phase eolienne, 1'interpretation des formes supposees arcado-cypriotes a ete relativement peu debattue. Comme nous l'avons dit, une phase acheenne a ete suggeree par Meillet et Parry. La monographie de Ruijgh (1957) a traite de la question de maniere etendue. Et depuis le dechiffrement du lineaire B, la grande majorite des homerisants semble accepter, implicitement ou explicitement, que l'epopee grecque a des racines myceniennes. Certaines voix critiques se sont cependant elevees : Risch (1958), dans son compte-rendu de Ruijgh (1957), a exprime son scepticisme ä l'egard d'une phase acheenne, en notant l'insuffisance de l'evidence. Peters (1986) a suivi Risch, et dresse un bilan critique des pretendus acheismes. Nous reviendrons ä l'histoire de cette question dans Γ introduction au deuxieme chapitre. Le caractere fondamentalement ionien (avec les innovations comme άληθείη en regard d'attique αλήθεια, plus archa'ique) de la langue epique n'a pas ete conteste depuis Fick (1886). Le savant allemand a voulu traduire (ou 'in der ursprünglichen Sprachform wiederherstellen') les poemes homeriques en eolien, mais son essai est en effet une reductio ad absurdum de sa propre hypothese ; une telle traduction n'est possible qu'en decoupant le texte homerique ä la maniere arbitraire des analystes. Apres l'echec de l'hypothese de Fick, les philologues s'accordent ä penser que les poemes homeriques furent rediges en ionien. Et cela etabli, on a considere comme allant de soi qu'il y a eu une tradition ionienne de poesie epique oralement composee. Or, nous verrons qu'il n'est nullement necessaire de poser une telle phase ; eile est raeme contredite par certains faits.
1.3 Problemes actuels Notre etude veut s'inscrire dans la tradition des travaux mentionnes cidessus. On a vu dans cet historique que le debat a porte surtout sur les dialectes acheen, eolien et ionien, avec un accent particulier sur l'eolien, cf. aussi Janko (1992:15) « T h e greatest area of current dispute is over the Aeolic element in the diction. » Nous avons done juge opportun d'examiner un probleme particulier de chacun de ces dialectes afin d'eclaircir l'histoire de l'epopee. Les problemes sont choisis pour leur importance pour cette question generale. Ainsi, pour l'acheen, nous avons etudie le probleme du r voyelle, mais sans negliger les autres acheismes que l'on a voulu voir dans la langue epique ; ce dialecte est si peu represente chez Homere qu'une vue d'ensemble est necessaire. Nous avons choisi d'accentuer la question du r
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1
Introduction
voyelle ä cause de Γ importance particuliere qu'a ce probleme dans le debat sur la diction homerique, mais nous tenons ä souligner qu'un r voyelle atteste indirectement ne serait pas necessairement un element acheen. En effet, lorsque nous poussons notre analyse si loin en arriere dans le temps, nous nous approchons d'une epoque oü les dialectes grecs differaient beaucoup moins entre e u x ; ä une periode donnee, qui se situe, comme il va ressortir de notre etude, avant l'epoque des tablettes d'argile, tous les dialectes ont dü posseder le phoneme r voyelle. A priori, il pouvait done s'agir d'un archa'isme ionien ou eolien. On confond souvent les traits datant de l'epoque mycenienne avec des traits acheens, puisque Ton ne s'imagine pas qu'ä cette epoque, d'autres dialectes ont pu influer sur l'idiome epique. Conscient de cette difference, nous allons neanmoins traiter le probleme du r voyelle avec d'autres elements qui se rattachent plus specifiquement aux dialectes acheens, puisqu'il s'agit surtout, pour nous, de savoir si l'epopee a des racines remontant ä l'epoque mycenienne. A cette date, la question d'appartenance dialectale devient moins importante. Quant ä Γ eolien, nous avons choisi le genitif en -010 que Ton considere traditionnellement
comme
un
element
eolien,
bien
que
depuis
le
dechiffrement du lineaire B, on y voie souvent un simple archa'isme. C e morpheme est un element tres productif dans la langue epique, et il importe d'etablir sa provenance dialectale exacte. En ce qui concerne Γ ionien, e'est surtout la metathese de quantite qui nous interesse : il semble que l'on ait eu une comprehension inexacte de ce phenomene. L a question est d'une grande importance pour l'etude de la langue d'Homere, puisque la metathese influence la valeur prosodique des mots et ainsi la fa9on dont ils peuvent etre utilises dans le metre. Nous allons voir aussi que la metathese joue un role important dans le debat sur la phase eolienne. Nous allons maintenant passer ä une analyse de ces trois questions, en tirant des conclusions
sur chaque probleme ä la fin des chapitres. Ensuite
nous essayerons de formuler une vue d'ensemble sur l'histoire de l'epopee en Grece. La encore, il faudra que la linguistique et la philologie soient en rapport dialectique.
2 L'element acheen dans la langue epique 2.1 Historique de la question Comme nous l'avons dejä observe, les anciens eux-memes ont reconnu le caractere bigarre du dialecte homerique. lis ont reconnu l'origine eolienne de certaines particularites de la langue de l'Iliade et de l'Odyssee. Mais il va de soi qu'ils η'ont pu appretier les traits provenant des dialectes que nous appelons aujourd'hui acheens - l'arcadien, le Cypriote et, sous reserves de Γ influence de substrat, adstrat et superstrat tres forte dans ce dialecte, le pamphylien - puisque, comme on Γ a vu, pour eux, ces dialectes etaient eoliens. A l'epoque moderne, les philologues se sont vite rendu compte qu'il y avait des elements arcado-cypriotes dans la langue d'Homere. Fick (1886:253sqq.) en a releve plusieurs, ce qui Γ a amene ä postuler un poeme Cypriote du Destin d'llion (Οιτος' Ιλίου). Pour son disciple Bechtel (1921:401, 438) il y aurait eu une edition paphienne de l'Iliade. Plus tard, on l'a vu, Bowra, dans deux articles importants (1926 et 1934), a traite les mots homeriques qui apparaissent dans les inscriptions arcadiennes et Cypriotes en posant la question de savoir si ces mots etaient empruntes ä Homere ou vice versa. II arrive ä la conclusion qu'Homere a eu une partie de son vocabulaire de l'acheen du sud, mais il n'indique pas par quelle voie cela a pu se produire. On a vu que c'etaient les travaux d'Antoine Meillet et de Milman Parry qui en ont donne une explication sans avoir recours aux constructions des analystes, telle l'edition paphienne dont parlait Bechtel. Mais ce n'est qu'avec le dechiffrement du lineaire Β que l'etude de l'element acheen chez Homere a veritablement pris de l'essor. Ruijgh (1957) a ete un des premiers ä exploiter les donnees du mycenien, qu'il considere comme l'ancetre de l'arcado-cypriote, pour l'etude de la langue homerique. En se referant et aux textes myceniens et aux inscriptions et aux gloses arcado-cypriotes il s'est efforce de mettre en valeur l'element acheen dans la langue epique. Des Ventris/Chadwick (1953:102) on avait identifie la desinence de genitif thematique -o-jo ä la desinence homerique -oio. A ce morpheme extremement productif dans l'epopee, Ruijgh a ajoute l'infinitif en -ήναι et la conjugaison gutturale des verbes en -ζω, mais
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2 L'element acheen
surtout, ä la suite de Bowra, un grand nombre de mots acheens attestes chez Homere. L'annee apres le livre de Ruijgh, Mühlestein (1958a:224n20, 226 et 1958b:70sq.) a propose de voir dans l'irregularite prosodique de quelques mots homeriques le reflet d'un phenomene qui serait meme premycenien, ä savoir le r syllabique. Ainsi, le fameux vers Μηριόνης ατάλαντος Έ ν υ α λ ί φ άνδρειφόντη (Η 166 etc.) recouvrirait un plus ancien Μηριόνας /ζατάλαντος ' Ενϋαλίφ ävf%w0vxq. Le r syllabique chez Homere a ete plus controverse que les autres elements acheens mis en evidence par Ruijgh. La grande majorite des homerisants, et notamment Ruijgh dans beaucoup de publications, acceptent aujourd'hui la proposition de Mühlestein, mais 1'hypothese a ete critiquee par Tichy (1981a), Berg/Lindeman (1992) et eile est rejetee par Meier-Brügger (1992a:93). Pour cette raison, nous voulons reprendre la question du r syllabique qui est de premiere importance pour le probleme des racines myceniennes de l'epopee grecque et les vestiges qu'elles ont laisses dans les poemes homeriques. En effet, ce probleme pose la question essentielle de la force de la tradition ; car ceux qui croient ä l'existence sous-jacente d'un r syllabique chez Homere pensent que la tradition a pu maintenir des formules, voire un hexametre in toto, pendant plus d'un demi-millenaire ce qui est une hypothese bien plus radicale que de croire au maintien de quelques mots ou morphemes acheens. Une autre hypothese qui implique la survivance de syntagmes et non de mots ou de morphemes a ete proposee par Ruiperez/Vara (1972). Selon les deux linguistes espagnols il y a des traces d'occlusives finales dans le texte homerique, par exemple dans la formule Λίαν ' Ιδομενεΰ τε qui recouvrirait un plus ancien * Αίαντ ' Ιδομενευ τε. 9 II en va de meme pour la question du h fort: Derriere la formule βοώπις πότνια'Ήρη on a propose (Ruijgh 1985:156) de voir *γν'ορώκννΙς πότνια /ζήρα qui remonterait ä l'epoque mycenienne et ou le h fort empecherait le hiatus. Ruijgh donne aussi d'autres exemples oü la scansion peut etre regularisee en admettant que le h fonctionnait comme une consonne normale ä l'epoque mycenienne. Α cöte de ces elements linguistiques supposes acheens dans le texte d'Homere, d'autres chercheurs se sont efforces de trouver dans l'Iliade et l'Odyssee des descriptions d'artefacts et de coutumes qui, selon notre connaissance archeologique, peuvent remonter aux temps myceniens. L'exemple le plus eclatant est peut-etre le fameux casque en defense de
9 Un digamma dans ' Ιδομενεύς est bien entendu exclu par les nombreux cas d'elision et de correption devant ce mot.
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2.2 Les ilements reputis acheens
sanglier porte par Merion. Nous ne pourrons traiter ici de ces questions et de leurs implications, mais il est important de noter, comme l'a fait Kirk (1960:189), que l'archeologue et le linguiste qui s'occupent d'Homere doivent tous les deux prendre en compte que «the occurrence in traditional poetry of an archaism, whether material or linguistic, does not entail a correspondingly archaic origin for the immediate context. »
2.2 Les elements reputes acheens Avant de passer ä une discussion approfondie des acheismes les plus controverses, et notamment le r syllabique, il convient de faire brievement le bilan des autres elements mentionnes ci-dessus. Nous n'en ferons pas ici une analyse detaillee - nous nous contenterons d'en dresser un tableau avec les references et les arguments necessaires. Nous verrons que beaucoup de ces elements sont peu sürs, ce ä quoi on pouvait s'attendre, lorsqu'on essaie de penetrer si loin dans l'histoire de l'epopee grecque.
2.2.1 L e s elements lexicaux La liste des mots homeriques que Ton retrouve dans les inscriptions arcadocypriotes et, ä un moindre degre, de par la nature et le nombre de textes, dans les tablettes myceniennes, est impressionnante. Cependant, la valeur probante de l'evidence lexicale pour etablir l'existence d'une phase acheenne est faible. En effet, meme si Ton peut etablir qu'un mot arcadocypriote est authentique, et non emprunte ä la langue epique, il faudrait, pour prouver son origine acheenne dans l'epopee, demontrer que le mot en question n'a pas existe dans l'ionien ou l'eolien prehistorique. Or, une telle demonstration est difficile, voire impossible, ä faire dans bien des cas. Cette remarque vaut aussi bien pour les correspondances lexicales entre le mycenien et Homere. Un exemple revelateur est la conclusion donnee chez Hajnal ( 1 9 9 8 : 1 6 ) : Erstens
bewahrt
Homer
archaischen
Wortschatz
und
übernimmt
Phraseologie. Zweitens sind altertümliche Bedeutungsnuancen keineswegs
althergebrachte
und Redewendungen
immer exklusiv auf Homer beschränkt. Vielfach finden sich auch im
klassischen Griechisch noch Relikte der alten Form.
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2 L'itement achien
Cette conclusion est donnee sous le titre «Mykenisch-homerische Kontinuität», mais il est clair par la citation que 'Mykenisch' doit etre compris dans son sens chronologique et non pas linguistique ; Hajnal parle d'une continuite entre l'epoque mycenienne et Homere. Dans le cas de l'evidence lexicale, ce probleme, auquel nous avons fait brievement reference dans Γ introduction, est plus grave que dans la morphologie et la phonologie. Car prouver qu'un mot homerique se retrouve dans la langue des tablettes, ce n'est que montrer que le mot en question existait dans le dialecte mycenien ä l'epoque mycenienne. On ne sait rien par lä de son extension dialectale, ni - et cela est tres important - de son histoire pendant les siecles obscurs. C'est ce que nous montre la survivance occasionnelle de tels mots en grec classique, mais meme dans les cas oü la correspondance est exclusive ä Homere et au mycenien, on ne peut savoir dans quels dialectes et jusqu'ä quelle date le mot a existe. C'est dire que nous ne pouvons pas savoir ä quelle date le mot est entre dans la langue epique, et par consequent, il n'est pas necessairement mycenien, ni au sens linguistique ni au sens chronologique. Ces observations peuvent paraitre banales, mais elles n'en sont pas moins importantes. Beaucoup d'homerisants semblent vouloir les contourner en ayant recours ä l'analyse formulaire. Nous avons dejä eu l'occasion de montrer ce qu'une telle methode a de douteux et nous voulons ä ce point seulement remarquer que deux possibilites ne font pas une certitude : un mot mycenien et homerique, mais disparu en grec classique, peut avoir eu une grande distribution pendant les siecles obscurs, et une eventuelle formule de laquelle il fait partie peut etre de creation recente. Un autre element de la langue homerique auquel on a voulu attribuer une origine pre-mycenienne, est la possibilite de la tmese, ou la separation du pre-verbe et du verbe. Nous le traiterons ici parmi les elements lexicaux: dans la langue homerique, c'est plutöt un phenomene du syntaxe, mais il entre naturellement aussi dans le domaine de la formation des mots. Comparer Γ etat homerique avec celui des hymnes de Rigveda oü le preverbe jouit aussi d'une grande liberte de placement ne donne naturellement pas lieu ä des conclusions interessantes pour notre probleme : certes, on peut montrer que la liberte du preverbe (qui, ä cette epoque, doit plutöt etre nomme une particule) est un phenomene ancien en indoeuropeen, mais pour nous, il s'agit plutot de savoir si la preservation de cette liberte temoigne d'une tradition poetique mycenienne ou premycenienne, ou bien si cette possibilite existait dans le vernaculaire eolien des siecles obscurs, voire l'ionien de l'epoque d'Homere. Dater une teile evolution syntaxique est evidemment illusoire; pour montrer que le
2.2 Les 0lements reputös acheens
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phenomene doit etre ancien dans la langue homerique, il faut examiner l'etat du mycenien. Si la tmese n'existait plus en mycenien, nous devons admettre qu'elle est entre dans la langue poetique ä l'epoque premycenienne. C'est une telle argumentation qu'a entrepris Horrocks (1981). Selon Horrocks, les particules qui deviendront preverbes pouvaient ä l'origine se placer devant le verbe ou devant l'objet directe, ou bien ils pouvaient etre independants et jouir d'un placement assez libre. Cette derniere construction est neanmoins tres tot devenue marquee. L'etude de l'etat mycenien est difficile, puisque les donnees sont rares. Horrocks (1981:139sq.) donne neuf exemples ou la particule (le preverbe) est toujours place devant le verbe, ce qui lui mene ä la conclusion suivante (p. 141sq.): It might be argued that the absence of tmesis is only to be expected, given that such a marked construction type would hardly be appropriate in the prosaic context of the Linear Β tablets. This is perhaps a plausible explanation for the absence of particles in initial position, but is far less convincing as an explanation for the absence of examples in predirect object position, where the difference between the variants seems to be as trivial as that between English pairs such as : He chopped down the tree /
He chopped the tree down
But even though several of the Mycenaean examples cited above involve direct object noun phrases, the option of placing the particle before them is never exploited. In all probability, then, Mycenaean is exactly like Classical Greek in not allowing particles to be separated from their verbs.
Les exemples myceniens de particule + verbe intransitif n'ont done pas de valeur probante. En ce qui concerne les exemples avec un objet directe (PY Aq 218, PY Fr 1184, PY Un 02, PY Vn 20), il est interessant d'examiner l'analyse que donne Horrocks lui-meme (p. 74) de la difference 'triviale' entre les deux constructions du preverbe. II considere que le phenomene est un pendant exacte du 'particle shift in English' : He looked up the number / He looked the number up. He threw out the proposal / He threw the proposal out. In the first member of each pair the direct object is given as 'new' information, while in the second it is treated as 'given' and the emphasis is on the resultant state expressed by the particle [...]
Retoumant aux tablettes myceniennes, nous pouvons tout de suite remarquer que la fonction de ces textes, en tant que catalogues, est
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2 L'element acheen
essentiellement de presenter des noms, souvent dans la position syntaxique de l'objet directe, comme des informations nouvelles. Cela vaut aussi bien pour les tablettes en generates que pour les quatres exemples de particules + verbe transitif. Ces quatres attestations sont en fait des formules introductives suivies par des listes de noms. La fonction des phrases en question est exactement celle de presenter ces noms ayant la fonction syntaxique de l'objet directe.10 Nous donnons comme illustration le texte de PY Un 02 : pa-ki-ja-si mu-jo-me-no e-pi wa-na-ka-te a-pi-e-ke o-pi-te-ke-e-u HORD 1 6 τ 4 C Y P + P A τ 1 ν
3 Ον 5
[suit une liste d'ideogrammes et quantites] Comme souvent, Γ interpretation est peu claire dans les details, mais il semble certain que la fonction des deux premieres lignes est celle de presenter les noms suivants qui ont la fonction d'objets directes. Ainsi, la position du preverbe suit exactement la prediction que donne Γ analyse de Horrocks : « the direct object is given as 'new' information. » II n'y a done pas lieu de conclure que la tmese n'etait plus admissible ä l'epoque mycenienne : meme si eile etait en principe possible, la structure des textes demande que la particule occupe la position preverbale. L'etat du mycenien demeure done peu claire. Et si nous ne pouvons pas savoir si la tmese existait dans la langue parle des myceniens, il n'est pas possible de determiner l'epoque ä laquelle les particules se sont fixees dans la position preverbale, outre que cette evolution semble avoir eu lieu avant Homere. Par consequent, rien ne nous permet de conclure que la tmese epique est un temoignage d'une tradition poetique (pre-)mycenienne.
10 Avec de ligferes variations dans les details: dans le cas de PY Vn 20, nous trouvons des adverbes allatifs suivis neanmoins par une designation de quantite qui se refere naturellement ä l'object directe wo-no, le vin distribue. La meme construction, mais avec un complement d'origine, dans la troisieme ligne de PY Fr 1184. Dans PY Aq 218, le sujet est exprime en syllabaire et l'objet par un ideogramme selon 1'interpretation commune.
2.2 Les elements reputes acheens
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2.2.2 Les elements morphologiques II est ä noter que Ruijgh, le partisan le plus ardent d'une phase acheenne, ne fait plus mention d'elements morphologiques dans ses dernieres contributions (1985, 1995, 1997). Peut-etre y a-t-il la un indice qu'il ne considere plus ces exemples comme tres probants. Neanmoins, il semble naturel de signaler trois traits morphologiques dont l'origine acheenne a ete soupgonnee, ä savoir la conjugaison 'gutturale' des verbes en -ζω, l'infinitif en -ήναι et le genitif thematique en -oio. En ce qui concerne les verbes en -ζω, on a souvent soup9onne (voir p. ex. Ruijgh 1957:71sqq.) que leurs futurs et aoristes en -ξω/α seraient des acheismes chez Homere. Cependant, cette hypothese est affaiblie par le fait que nous trouvons des exemples d'une telle conjugaison en thessalien et en beotien (exemples chez Bechtel 1921:190 et 284). Se referant aux infinitifs arcado-cypriotes en -ήναι (arc. άπειθήναι, cypr. κυμερήναι), Ruijgh (1957:67) a voulu voir des acheismes dans les formes homeriques φορήναι (quatre fois) et άήναι (deux fois). Cependant, cette maniere de voir se heurte ä ce que l'infinitif athematique semble etre en -(h)en en mycenien, cf. te-re-ja-e (atteste plusieurs fois dans les tablettes de la serie Ε en Pylos). Un tel exemple vient ä l'appui de l'hypothese de Peters (1986:308) selon laquelle -αι est un elargissement secondaire en arcado-cypriote. Cependant, il nous semble peu prudent d'exclure completement la possibilite d'un infinitif en -ήναι en acheen ancien : les donnees dialectales sont confuses et l'etat proto-grec se laisse difficilement reconstruire. En tout cas, la comparaison avec l'histoire de l'infinitif en vieil-indien invite ä penser qu'en proto-grec, et peut-etre jusqu'ä l'epoque mycenienne, la distribution des morphemes d'infinitif etait beaucoup moins reglee qu'en grec classique. Au debut des etudes myceniennes on voyait dans la forme po-re-na (PY Tn 316.2 etc.) un infinitif athematique identique ä hom. φορήναι (voir par exemple Ventris/Chadwick 1973:285), mais aujourd'hui (voir DMic s.v.), cette hypothese est generalement ecartee," et on y voit, plus conformement au contexte, l'accusatif d'un nom inconnu du grec alphabetique, mais sans doute derive de la racine de ψέρω/φορέω. Cependant, la pauvrete de formes verbales en mycenien invite
11 II est vrai que Nagy (1994-1995) et Willi (1994-1995) ont repris l'ancienne opinion, mais leurs vues ont ete refuties par Palaima (1996-1997). Voir aussi I'etude sur la tablette Tn 316 par Palaima (1999).
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2 L'iliment achöen
ä la prudence, et le seul exemple de te-re-ja-e ne suffit pas ä etablir que l'infmitif des verbes athematiques etait exclusivement en -en. Mais en tout cas, φορήναι admet d'une autre explication ä l'interieur de la langue epique : il est facile d'accepter avec Risch (1958:92) que sur le modele μιγήμεναι : μιγήναι les aedes ioniens ont pu creer φορήμεναι: φορήναι. Mais que φορήναι soit un acheisme de la langue epique ou non, le morpheme n'est pas tres productif chez Homere ; nous avons dejä observe qu'il ne se trouve que six fois. Quant ä -οιο, la situation est tout autre. On trouve ä peu pres 1700 exemples de cette desinence de genitif, qui a ete identifiee ä la graphie -o-jo du mycenien. En effet, des sa premiere work note, distribuee en janvier 1951, Michael Ventris (1988:136) a remarque que le signe 36 du syllabaire semblait etre un morpheme de genitif ou d'adjectif: It appears that both - O M [c'est ä dire le signe 36 auquel on donne maintenant la valeur de -jo] and - A V [57, -ja] are used to form a derivative word which is genitival in origin, but which may be adjectival in function, as suggested by Sundwall.
Dans la work note 8, datee du ler mai la meme annee, Ventris (1988:165) donne des statistiques qui montre que le signe 36 est tres frequent en position finale, mais presque absent ä Γ initiale et ä l'interieur des mots, ce qui appuie l'hypothese qu'il s'agit d'un morpheme ou d'un suffixe. En juillet (work note 9, op. cit. 233) il suggere brievement la valeur -jo pour le signe 36, mais au vu de la finale -57-36-36, il abandonne son idee en faveur d'une « fully consonantal syllable ». Mais dans la work note 20 (juin 1952, op. cit. 330) oü Ventris discute la possibilite que la langue des tablettes soit un dialecte grec, il reprend la suggestion, en affirmant que 36 pourrait etre -jo, «either in the -oio of the archaic 2nd declension genitive, or in the -io(s) of the ethnica.» Dans le celebre article «Evidence for Greek Dialect in the Mycenaean Archives», Ventris et Chadwick (1953:93) ecrivent avec plus de confiance : «Given our rules of orthography, -o -ojo -o can be equated with the Greek -o-declension -ος -οιο -ω (or -οι as in Arcadian?).» II est clair que la valeur jo pour le signe 36 ne peut etre mise en doute. Cependant, dans le cadre des regies orthographiques une graphie o-jo se prete ä plusieurs interpretations. 11 est naturel que Ventris et Chadwick, pour qui le mycenien s'approche du « hypothetical ancestor of the ArcadoChyprian and of the Aeolic dialects » (1953:103), y aient vu -oio, qui, en dehors du dialecte epique, n'est, comme ils le soulignent {op. cit. 102), atteste que dans quelques inscriptions thessaliennes. Mais maintenant que I'on separe en general les dialectes eoliens et l'arcado-cypriote, et que Γ on rapproche le mycenien de ces derniers, on pourrait etre tente de donner une
2.2 Les iliments reputes acheens
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nouvelle interpretation du genitif mycenien. Ici, il suffit de dire que -ojo et -οιο sont le meme archa'isme (= skt. -asya), sans que nous soyons pour l'instant en mesure de determiner la coloration dialectale, probleme dont nous nous occuperons dans le troisieme chapitre. Avant de passer aux elements phonologiques, faisons une breve remarque sur le datif de la troisieme declinaison. En grec alphabetique la desinence est -i (originellement une desinence de locatif) dans tous les dialectes. Chez Homere, il arrive assez frequemment qu'il faille scander cet ι comme une longue. On s'accorde en general ä y voir un reflet de l'ancienne desinence de datif en -ει. Wathelet (1962) a propose qu'il y ait la un mycenisme de la langue epique, et cette hypothese a ete adoptee entre autres par Ruijgh (1995:77sq.). En effet, il n'est pas ä douter que les graphies myceniennes telles que po-de, ka-ru-ke doivent etre interpretees comme *ποδει et *καρυκει. Cependant, nous nous heurtons ici au meme probleme que dans le cas des mots acheens dans Γepopee : Nous n'avons aucune indice qui nous permette de savoir jusqu'ä quelle epoque -ει ait survecu dans les dialectes non acheens. La generalisation de -ι peut etre assez recente, ainsi qu'invite ä le penser le nom attique Διειτρέφης, atteste dix fois (voir Osbourne/Byrne 1994 s.v.) Ainsi, il est clair que Γ evidence morphologique en faveur d'une phase acheenne est faible. II s'agit d'elements disperses et susceptibles d'autres explications. Passons maintenant ä l'etude des elements phonologiques supposes acheens.
2.2.3 Les elements phonologiques Parmi les elements phonologiques de la langue homerique que Γ on a voulu attribuer ä l'acheen, le r syllabique tient une place ä part, et cette question formera le noyau de ce chapitre. Mais nous traiterons ici brievement d'une autre proposition que nous avons mentionnee ci-dessus, ä savoir la question des occlusives finales. La nature de l'orthographe du lineaire Β rend incertaine toute speculation sur 1'etat mycenien, puisque les consonnes finales ne sont pas notees. On sait, par le grec alphabetique, que pa-te doit etre lu πατήρ (et meme ici il a ete propose que Γ on doive lire πατη, voir Georgiev dans Ruiperez 1972:166) mais a-ke peut a priori etre interprete άγε ou *άγετ, et ne peut pas servir d'indication de la date oü les occlusives finales sont tombees en grec, meme si cette chute est commune ä tous les dialectes grecs, ce qui donnerait ä penser qu'elle est pre-mycenienne. Ruiperez (1972) a
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2 L'616ment acheen
neanmoins argumente pour le maintien des occlusives finales en mycenien en supposant que la perte de ces consonnes allait de pair avec la confusion entre m et η finaux. Or, selon le linguiste espagnol, cette confusion n'est pas achevee en mycenien, puisque la refection de *έμει en *ένει n'a pas encore eu lieu, ainsi qu'en temoignage e-me (PY Ta 641.1). Mais, comme l'affirme Ruiperez lui-meme (1972:156), cette refection ne suivait pas necessairement immediatement au passage *έμ > έν au neutre singulier. II pense toutefois (loc. cit.) que «le fait qu'il [la generalisation du theme en -n] s'est produit dans tous les dialectes grecs, montre bien que le changement s'imposait par lui-meme une fois acquises les conditions prealables, en l'espece le passage *-m > -«.» Mais il oublie ici que la motivation de la refection residait autant dans le nominatif masculin *ένς ού Γ assimilation partielle du m au s apres voyelle breve est de date indo-europeenne (Mayrhofer 1986:159). Et en tout cas, Lejeune (dans Ruiperez 1972:167) a eu raison de souligner que le lien entre la perte des occlusives finales et la neutralisation de l'opposition m : η eη finale est « rapport un peu lache de solidarite plutöt que de causalite » - ce qui est bien illustre par la remarque faite par Morpurgo Davies dans la meme discussion (p. 169) : le hittite atteste le changement *-m > -n, mais conserve les occlusives finales. II semble done que la question des occlusives finales en mycenien reste insoluble. Qu'en est-il des traces eventuelles chez Homere ? A maints egards, la question est semblable ä celle de r syllabique et de h fort. Les elements phonologiques reputes acheens, ä la difference des elements lexicaux et morphologiques, ne sont pas attestes tels quels dans notre texte d'Homere - il faut les reconstruire. En soi, une telle methode n'a rien de suspect, elle appelle cependant une prudence particuliere. Nous discuterons des objections d'ordre methodologique apres un traitement de la question du r syllabique, au cours duquel nous aurons l'occasion de discuter les problemes que souleve toute reconstruction de l'etat anterieur des formules. Signalons neanmoins que Ruijgh (1997:36) a argumente pour l'origine acheenne de quelques particularites phonologiques attestees dans le texte meme. II s'agit des adjectifs du type τελήεντ- < *τελεσ-Ρεντ- oü la voyelle ouverte serait d'origine arcado-cypriote. C'est possible, mais en vue de Γ incertitude qui plane autour de la notation de e long en hiatus chez Homere, il semble imprudent de conclure definitivement. La meme chose vaut pour δήνεα qui pourrait etre un developpement acheen de *densea, mais le fait que Γ on trouve l'adverbe non homerique άδηνέως ä Chios (SGDI5163) rend cette hypothese incertaine.
2.3 Le r syllabique
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2.3 Le r syllabique 2.3.1 Observations preliminaires L'argument-clef en faveur du r syllabique chez Homere est la scansion des mots άβρότη, άβροτάξομεν et άνδροτητα, ainsi que le vers cite ci-dessus, Μηριόνης ατάλαντος' Ενυαλίω άνδρενψόντη (Η 166 etc.), que Ruijgh et d'autres homerisants reconstruit *Μηριόνας ^ατάλαντος Έ ν ϋ α λ ί ω avr%w0vxg. Une telle reconstruction est, nous venons de le dire, en soi tout ä fait legitime. L'etude classique de Meillet (1918) montre nettement qu'il est admissible, et meme parfois necessaire, de corriger le textus receptus d'Homere sur beaucoup de points. Bien entendu, il n'est pas ici question de changer le texte que nous presentent nos editions et qui doit necessairement se fonder sur les donnees strictement philologiques. Cependant, Meillet a montre que le linguiste doit parfois fonder ses raisonnements sur un autre texte. L'exemple classique est celui de κλέα άνδρών (Meillet 1918:281sq.) derriere quoi il se cache sans doute *κλεε(α) άνδρών.
2.3.2 La situation en mycenien Avant d'examiner la question du r syllabique chez Homere, il convient d'examiner la situation en mycenien. Selon la communis opinio, le r et I voyelle de l'indo-europeen avaient dejä developpe une voyelle d'appui qui etait phonologique, et par consequent, les phonemes r et I voyelle n'existaient plus. II y a eu desaccord dans les details, mais jusqu'au colloque de Salamanque en 1970 on s'accordait ä penser que le mycenien n'avait pas garde les liquides voyelles telles quelles. Dans sa contribution au colloque, Heubeck (1972) a suggere que des hesitations graphiques telles que I'on trouve par exemple entre ma-to-ro-pu-ro (PY Cn 595.5, le texte appartient au Stylus S4 qui a ete attribue au scribe 21) et ma-to-pu-ro (ΡY Mn 1412.4, scribe 14) represented deux essais de rendre r voyelle qui n'avait pas son propre signe dans le syllabaire. Plus tard, Garcia Ramon (1985) a propose que le r et / voyelle ne se soient pas developpe en meme temps dans toute position. Selon le linguiste espagnol, r en position initiale ou finale aurait donne ap dans tous les dialectes. II en serait de meme pour les sequences qu'il note T°RE, Τ °Rwe et Τ "Rye. Dans ces cas le developpement serait done proto-grec, et la voyelle developpee aurait le meme timbre dans tous les dialectes grecs. Mais, comme la voyelle d'appui
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2 L'element achien
dont se sert Garcia Ramon dans sa notation a souvent ete utilisee de fa?on inexacte, il faut preciser son sens ici. Par les notations Τ °Rwe et T°R_ye, Garcia Ramon semble tenter une notation phonetique de ce que Γ on note souvent par TRwe et TRye. En effet, les deux notations sont des approximations phonetiques de ce qui seraient, phonologiquement, en indoeuropeen /TRwe/ et /TRye/. Par un usage lache de la voyelle d'appui, on pourrait construire une opposition entre T°Rwe et TRwe et entre Τ "Rye et TRye, ce qui n'est justifie nulle part dans le systeme indo-europeen. Nous admettons done que T°Rwe represente /TRwe/. Le cas de T°Re est plus complique. Garcia Ramon invoque lui-meme (1985:207n44) la loi de Sievers-Edgerton et la possibilite d'une laryngale intervocalique T°RHe. II n'est done pas question ici d'un usage lache de la voyelle d'appui telle que I'on trouve souvent. Mais on sait qu'il subsiste de graves difficultes autour de la loi de Sievers-Edgerton et ses resultats en grec. Par consequent, eile est souvent invoquee comme une explication purement ad hoc, dont on se sert lorsqu'il y a besoin. II importe done que Γ on soit prudent en ces matieres. Nous procedons maintenant ä une analyse du developpement de r voyelle en mycenien et dans les autres dialectes afin de savoir si les donnees s'accordent avec l'hypothese de Garcia Ramon et d'identifier le Stade auquel se trouve le grec mycenien. 12
2.3.2.1 R voyelle en position initiale et finale II n'y a pas d'exemples de / voyelle dans ces positions. En ce qui concerne r initial, Garcia Ramon (1985:211) admet lui-meme que les donnees sont «scanty and very dubious ». Souvent, la possibilite d'une sequence originelle qui donnerait αρ- par la loi de Rix, ne peut etre exclue, et eile s'impose parfois par l'etymologie. Ainsi, sur les donnees du grec άρκτος, latin ursus, sanscrit rksa-, arm. arj, v. irl. art, Chantraine (DELG, s.v. άρκτος) reconstruit *rksos. Cependant, il semble bien que le mot hittite hartakka-, de sens controverse, appartient ici (voir Mayrhofer 1986:153) et que l'on doit reconstruire * Heikos. II n'y a alors aueun cas sür de r voyelle en position initiale. 12 Notons tout de suite que nous ne pouvons pas ici traiter de la question fächeuse de la distribution de op vs. po (et αρ vs. pa) dans les dialectes grecs ; la question exigerait une 6tude ä part. Mais nous serons amen6 ä examiner les variations To ~ Τo-ro en mycenien afin de savoir ce que reprösente cette graphie. Au cours de cette discussion, nous ne nous sommes pas permis de penser qu'une telle vacillation, lorsqu'elle est attestie dans un seul et meme mot, represente une indecision dans Involution phonetique. Cela ne saurait etre qu'une solution de facilit6, et d'ailleurs en contradiction avec la rigulariti des lois phonetiques.
2.3 Le r syllabique
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Quant ä r en position finale, il n'y a guere d'exemple en dehors des neutres heteroclites. Le seul candidat serait l'adjectif μάκαρ, mais ce mot a toute chance d'etre un ancien neutre (DELG s.v.). On est done ramene ä ne considerer qu'une seule categorie et ici on ne trouve que -ap dans tous les dialectes grecs, sauf dans les deux mots epiques άορ et ήτορ, et peut-etre indirectement dans όνοιρος (Sappho 63.1).13 A priori, comme le traitement est le meme dans tous les dialectes, les quelques mots problematiques mis ä part, il pourrait s'agir d'une evolution phonetique du grec commun, comme le pense Garcia Ramon (1985:212sq.). II a eu raison de faire observer que revolution de *-Tr a pu preceder celle de *-TVT- dans d'autres langues indo-europeennes (cf. ved. dhar 'jour', üdhar 'mamelle', mais yakrt 'foie', äsrk 'sang' avec elargissement). Ensuite Garcia Ramon (loc. cit.) a voulu montrer qu'il a dü en etre ainsi en grec aussi en citant le cas de έαρ oü, selon lui, le r a dü donner ap avant Γ aspiration de s en position intervocalique. Nous ne pouvons pas accepter cette argumentation : en effet, apres que la loi de Sievers-Edgerton a cesse de fonetionner en grec et que les laryngales sont tombees, le r n'est plus un allophone de r, mais bien une voyelle aux points de vue phonologique comme phonetique. II a done pu provoquer l'aspiration de s. On a done pu avoir: */wesr/ > */wesr/ (phonemisation du r) > */wehr/ (oü le h est toujours une consonne de plein exercice) > */we(h)ar/. II est done possible, mais non sür, que revolution de *-T> ait precede celle de *-TVT- en grec ; l'exemple de έαρ n'est pas decisif. Ruijgh (1961) a aborde le probleme des neutres en -r d'une autre maniere. II part du principe neo-grammairien que les lois phonetiques ne comportent pas d'exception, mais sans considerer que l'elimination de r voyelle a pu se produire en deux phases et que le timbre de la voyelle developpee a pu etre different dans les deux cas. II a aussi, ä raison selon nous, insiste sur le fait que les nasales voyelles ont toujours donne α(μ/ν) et jamais ο(μ/ν) dans tous les dialectes grecs.14 Ces considerations l'ont mene ä proposer une explication analogique du developpement des neutres heteroclites (Ruijgh 1961:205) : Dans les dialectes oü r donne op, leur
13 de Lamberterie (correspondence) suggere neanmoins que cette demtere forme peut reflöter
*onör-yos avec la loi d'Osthoff, cf. arm. anurj, ce qui nous semble trds probable. 14 Pour les exceptions apparentes dans les noms de nombre (arc. δεκο, att. είκοσι etc.) et par ailleurs, voir Ruijgh (1961:198sqq.) que nous suivons pleinement sur ce point: il s'agit d'evolutions analogiques.
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2 L'^lement acheen
flexion ä un moment donne 15 a dü etre *αλειφορ, άλείφατος. II s'est done produit une alternance o-a qui a ete elimine, tout comme δαίμοσι ä ete substitue ä *δαίμασι. Dans le eas des neutres heteroclites, il a pu y avoir deux resultats : ou bien on disait *αλειφορ, *άλείφοτος ou bien αλειφαρ, άλείφατος. Dans l'hypothese de Ruijgh e'est le vocalisme α qui aurait eu le dessus, et le vocalisme ο n'aurait survecu que dans les mots isoles ctop et ήχορ, qui d'ailleurs n'apparaissent jamais dans nos textes aux cas obliques. Si l'hypothese de Ruijgh est correcte, il serait naturel de penser que le developpement de r en op en finale absolue appartient aux dialectes qui attestent un tel developpment dans d'autres positions aussi, e'est-a-dire Γacheen et l'eolien. Tant que le r voyelle final n'est atteste que dans une seule categorie, il est difficile de trancher entre l'hypothese phonologique de Garcia Ramon et l'hypothese morphologique de Ruijgh. αρα, sans doute derive de *r, cf. lit. ir, n'offre rien qui puisse determiner la Chronologie des developpements de r final ou initial, puisque dans un tel mot, il a pu se produire des accidents phonetiques particuliers. En conclusion, nous pouvons dire que les donnees nous manquent pour dire comment/· final s'est developpe, mais, ce qui plus important pour nous, elles montrent clairement que revolution est achevee en mycenien. Si nous voulons trouver des exemples de r voyelle en mycenien, il faut chercher dans l'interieur des mots.
2.3.2.2 Apophonie secondaire II y a d'autres cas oil on trouve en mycenien une graphie Τα ou Ta-ra lä oü on attend un developpement de r syllabique ä l'interieur du mot, par exemple ka-po καρπός, ra-pte *ραπτήρ (autres exemples chez Garcia Ramon 1985:217sqq.). Ici, il y a eu developpement d'une voyelle du timbre α - mais il semble bien que ces cas peuvent s'expliquer en admettant une apophonie secondaire TeRT : TaRT et TReT : TRaT, voir Garcia Ramon loc. cit. avec reference ä Kuryiowicz (1956:174sqq.). Nous n'entrerons pas dans cette question ici, mais il importe de remarquer que les substitutions TRT —» TaRT (dans les racines TeRT) et TRT —> TRoT (dans les racines TReT) ont dü se produire ä l'epoque du grec commun, et qu'ainsi, ils ont pu donner lieu ä des voyelles de timbre α dans les dialectes qui developpent normalement un o. 15
Ruijgh
(loc.
cit)
situe
ce
moment
ä
l'epoque
myc6nienne,
mais
a-mo-ra-ma
*ämör-ämar (KN Am 600.a) montre clairement que dans la langue des tablettes, le nivellement analogique a dejä eu lieu.
2.3 L e r syllabique
53
2.3.2.3 R voyelle devant autre sonante ou voyelle Passons maintenant aux sequences TRwE et TRj>E. Selon la loi de Sievers, c'est le R qui fonctionne comme voyelle. Comme Γ a souligne Garcia Ramon (1985:206 avec references dans la note 43), ces sequences forment une unite avec la sequence TR(H)E, et ils ont connu, dans les differentes langues indo-europeennes, un traitement autre que celui de TRT, RT- et -TR. Dans les premieres sequences, les nasales et les liquides se comportent exactement de la meme maniere ; il y a developpement d'une voyelle anaptyctique et maintien de la sonante, mais en fonction consonantique : on a μαίνεται (< *mnyetoi) aussi bien que χαίρω (< *ghp>ö), tandis que dans les sequences TNT et TRT, il y a divergence : nous trouvons TaT avec perte de la sonante et TaRT ou TRaT avec maintien. Mais, ce qui est plus important pour notre question, on a, dans les resultats des sequences TRwE et TR_yE, le meme timbre de la voyelle anaptyctique dans tous les dialectes grecs : on trouve en lesbien, oü r developpe normalement une voyelle de timbre o, le vocalisme α dans toutes les formes du verbe χαίρω. De meme, devant voyelle, on a βαρυ[, βαρύνθην, βαρυδαίμονος. On trouve aussi, il est vrai, quelques exemples du timbre o, dont un chez Sappho, et le reste chez Hesychius et dans une inscription thessalienne tardive, mais il s'agit sans doute d'hypereolismes. On pourrait citer des exemples analogues dans d'autres dialectes qui ont un traitement normal en o, mais qui, dans les sequences en question, attestent un a. Le developpement de la voyelle d'appui et la fixation de son timbre, qui ä l'origine etait sans doute variable selon l'environnement phonetique, doivent done etre des developpements du grec commun. Viennent ä l'appuie de cette these les exemples du timbre α en mycenien releves par Garcia Ramon (1985:208). A priori, on s'attendrait ä ce que r et / voyelle aient connu le meme traitement dans ces positions, mais il est difficile de trouver de bons exemples p o u r / . Neanmoins, Strunk (1970a, 1970b, 1974, 1976) a suggere que / voyelle a eu un autre traitement que r voyelle devant Ht. Selon le linguiste allemand, * ///;V aurait donne oXV. Cette hypothese semble en effet contredite par l'aoriste έβαλον < *e-gwlHrom et le present καλέω < *klHi-eye-[], voir Haröarson 1993:82n98. 16 Notons aussi que ces themes
16 Le rapprochement entre πολύς et skr. purü- reste nianmoins siduisant. On peut peut-etre poser *plHrü-
en admettant un traitement en -ολ- causi par l'environnement labial (de
Lamberterie, correspondance) - mais voir aussi Nussbaum (1998:149) qui pose un degre o.
54
2 L'iliment achien
verbaux sont bien attestes avec le timbre a en eolien aussi ; il y a done la encore un argument en faveur de la these de Garcia Ramon. Peut-etre le developpement de R syllabique en a R ou Ra est-il grec commun non seulement devant voyelle, y et w, mais encore devant toute sonante. Le cas de r devant voyelle ne serait qu'un sous-type, puisque la realisation phonetique etait sans doute [jrV] avec un son de transition. Cependant, il est difficile de trouver de bons exemples de r voyelle devant r, I, m ou η en eolien ou acheen. On trouve neanmoins un exemple qui concerne I voyelle ; en effet, on lit, ä Mytilene et ä Larissa, στάλλα (= att. στήλη) qui provient de *stl-nä (voir DELG et GEW s.v.). II semble bien qu'il y ait eu developpement d'une voyelle de timbre α devant sonante dans ces dialectes qui attestent normalement, en position interconsonantique, un o. Peut-etre y a-t-il aussi un exemple avec r voyelle dans l'anthroponyme wa-ni-ko (PY Jn 478.4), si Ton y voit une derivation du nom de l'agneau. Dans ce cas wo-ro-ne-ja (MY Oe 111.2) serait derive non de άρήν, mais de ούλος (Ventris/Chadwick 1973:228). En tout cas, la difference de vocalisme fait que les deux derives ne peuvent que difficilement appartenir au meme mot de base. Les difficultes que nous pose Γ interpretation des textes myceniens ne doivent pas etre resolues en admettant une phonetique lache. Avant d'aborder la question epineuse du developpement des sequences TRT en mycenien, nous pouvons brievement conclure que dans toute autre sequence les r et / voyelles ont disparu, en laissant une voyelle anaptyctique du timbre α. Ces developpements sont communs ä tous les dialectes et ils datent done probablement de l'epoque proto-grecque, voire l'indo-europeen tardif en ce qui concerne le remplacement de TRT par TaRT (dans les racines TeRT) et TRaT (dans les racines TReT). Done, dejä au debut de la Separation des dialectes grecs, les phonemes Irl et /l/ etaient marginalises et restreints ä la position entre deux consonnes, sonantes exclues.
2.3.2.4 R voyelle en position interconsonantique Maintenant, qu'est-il advenu de ces phonemes ä l'epoque des tablettes d'argile ? On constate immediatement que le syllabaire n'a pas de signe pour exprimer r et l voyelles. Mais cela n'a evidemment qu'une faible importance, puisque comme on sait le syllabaire est loin d'exprimer toutes les distinctions phonologiques de la langue grecque. Notamment, il ne fait pas la difference entre r et /, et il ne surprend guere qu'il n'y ait pas de signe pour ces deux sons en fonction de voyelles ; en cas de besoin, on se
2.3 Le r syllabique
55
serait servi du meme signe. Cependant, le syllabaire exige que toute consonne soit exprimee avec une voyelle, et c'est en examinant l'usage de ces voyelles graphiques que Heubeck (1972) a cru etablir que r et I pouvaient toujours etre voyelles ä l'epoque mycenienne. Comme nous l'avons dit, Heubeck (1972:60sqq.) appuie sa these en alleguant des exemples de graphies vacillantes telles que ma-to-ro-pu-ro et ma-to-pu-ro. II interprete ces vacillations comme des essais de rendre une prononciation ä r voyelle (en l'espece dans le mot Matrpulos) avec un syllabaire deficient. Nous allons faire le bilan de ses exemples afin de juger de leur valeur probante. La valeur de l'exemple cite dessus - et aussi de quelques autres exemples que nous allons voir - depend naturellement de ce que la thematisation ä la jointure des composes soit chose post-mycenienne. Or, quoiqu'en disent Heubeck (1972:61) et Lejeune (1972b:174sq.), il y a de bonnes raisons de penser qu'il η'en est pas ainsi. Morpurgo-Davies (1968:803) apporte deux exemples : on trouve un derive de ko-to-na (theme en -a) ko-to-no-o-ko, et une derivation d'un theme en sonante i-su-ku-wodo-to (de ισχύς). A ces deux exemples s'ajoute ä notre avis le derive d'un theme consonantique o-wo-we. II est vrai que ce mot est controverse (voir DMic s.v. pour la bibliographie) et que deux interpretations s'opposent : Pour les uns, le mot est ä lire *oiwöwes avec un premier terme oiwo- 'un, seul', pour les autres, il faut interpreter *ohwowents (ou une Variante, selon la vue que l'on adopte en ce qui concerne les allongements compensatoires en mycenien). Contre la premiere maniere de voir, qui est seduisante ä cause des paralleles ti-ri-o-we, qe-to-ro-we et a-no-we dans la meme tablette, on a fait observer que l'ideogramme qui suit montre deux anses, et non pas une seule. Cette objection perd du poids du fait que les ideogrammes soient fortement stylises ; Γ idee de representer exactement le nombre d'anses du trepied etait peut-etre etrangere au scribe. Neanmoins, nous observons que la meme tablette (PY Ta 641, la fameuse tablette des trepieds) des variations dans le nombre d'anses dans les ideogrammes des di-pa au moins. II nous semble aussi qu'une objection plus grave peut etre avancee contre la lecture *oiwöwes : en grec alphabetique, les composes peu nombreux - ä premier terme oifo- sont presque exclusivement endocentriques. Nous avons οίόβατος 'solitaire' et οϊοβουκόλος 'berger d'une seule vache' et quelques autres qui sont atteste des Simonide et les tragiques. En revanche, les composes possessifs ä premier terme οίο- paraissent rares et tardifs. Nous n'en avons trouve que trois exemples : οίοπέδιλος chez Apollonius de Rhodes, οίόκερως (Callimaque, Supp. Hell. 288.1 et Oppien); et οίόγαμος (Anthologia Palatina), ces deux derniers
56
2 L'iliment ach6en
etant des variantes des plus anciens μονόγαμος et μονόκερως. On ne trouve pas *monwos dans les tablettes myceniennes, mais le mot est indirectement atteste par 1'abbreviation MO qui signifie 'seul' et ne peut guere etre autre chose que *monwos. II semble done peu prudent de poser un compose possessif ä premier terme oio-, un type qui n'apparait que tardivement et sporadiquement en grec. Nous admettons done que o-wo-we contient le nom de l'oreille plutöt que l'element oipo-. A notre avis, le nom de l'oreille en grec est ä l'origine un nom-racine (voir section 3.2.2.2.2). o-wo-we atteste done probablement la voyelle thematique 'de liaison' ohw-o-wents, formation parallele ä hom. ήερ-ό-εις. De meme, on trouve vraisemblablement un exemple de la voyelle thematique 'de liaison' dans la composition en mycenien. Ainsi, on s'accorde ä interpreter ke-ro-ke-re-we-o (PY Sa 487) comme le genitif d'un anthroponyme *Khehroklewes (ou un equivalent selon la vue que Γ on adopte sur l'allongement compensatoire en mycenien ; voir DMic s.v.) qui atteste bien une voyelle de liaison. Nous avons alors trois exemples de thematisation dans la derivation et un exemple dans la composition, ce qui montre que ce processus qui sera tres productif par la suite, etait au moins amorce en grec mycenien. Et, malgre Ruiperez (1983), il nous semble probable - et d'ailleurs e'est toujours la communis opinio - que di-wo-nu-so- (PY Xa 1419.1, Xa 102) represente *Diwonusos et non *Diwyonusos, voir par exemple les objections de Risch (in Ruiperez 1983:412). Alors, on aurait peut-etre encore un exemple d'une voyelle thematique de liaison. Neanmoins, la formation exacte de ce mot demeure obscure, et e'est notamment la quantite du ο qui pose probleme. Chez Homere, le ο est generalement long, ce qui pourrait indiquer que Γ etymon est plutöt *Diwosnusos qui rendrait aussi compte de Ζόννυσον que nous lisons chez Alcee 129.9 (voir pour ce probleme DELG s.v.). Un autre exemple peut-etre plus sür est celui de di-wo-pu-ka-ta (KN Fp 363.3) qui semble bien etre un compose forme avec une voyelle de liaison ; voir la discussion chez Bader (1972:191). Nous avons done quatre exemples assez sürs (ko-to-no-o-ko, di-wo-puka-ta, i-su-ku-wo-do-to et ke-ro-ke-re-we-o) de la voyelle thematique de liaison en mycenien, et deux exemples moins sürs (o-wo-we et di-wo-nuso). Ainsi on ne peut exclure que ma-to-ro-pu-ro serait une forme recente avec une voyelle de liaison (tels les composes classiques en άνδρο-, μητροet πατρο-), tandis que ma-to-pu-ro devrait se lire Matorpulos, avec *r > op. Nous ne sommes done pas obliges d'admettre une graphie hesitante qui essayerait de rendre r voyelle.
2.3 Le r syllabique
57
Examinons maintenant les autres exemples que donne Heubeck (1972) ä l'appui de sa these. II cite (1972:61sq.) le cas de qe-to-ro-po-pi qui ne saurait refleter kwetorpothphi selon les regies normales du syllabaire, puisqu'une sonante qui clöt une syllabe n'est pas notee, sauf u deuxieme element de diphtongue et parfois - et cela surtout ä Cnossos - i dans la meme position. Heubeck a done voulu y voir un essai de rendre r voyelle, et il a propose de lire kwetrpothphi. II nous semble pourtant possible que le scribe, conscient de la coupe morphologique, ait voulu rendre plus clair le premier terme du compose en notant le r ä l'aide d'une voyelle purement graphique dont le timbre est determine, comme d'habitude, par celui de la voyelle suivante. Cet usage serait particulier, mais non unique : Nous avons aussi a-ra-ro-mo-te-me-na, -no que Fon s'accorde ä lire ararmotmena. La aussi, ce sont sans soute des considerations morphologiques qui ont mene ä une graphie plus complete. Une autre possibilite, que nous a suggere de Lamberterie (correspondance), est que la syllabation kwetropothphi soit due au modele de kwetröwes, ce qui ne peut etre exclu. L'exemple suivant de Heubeck (1972:63) est celui de to-no et le compose to-ro-no-wo-ko. En ce qui concerne le compose, Γ interpretation qui voit le nom du tröne dans le premier terme est certainement ä preferer, bien qu'une interpretation par θρόνα ('Stickereien', v. Risch 1972) ne puisse pas etre exclue, et certainement pas de la fafon rapide que le fait Heubeck (loc. cit.) en disant: «in Mycenaean times, as today, embroidering may have been a task of women. » II importe alors de noter que les donnees philologiques ne sont pas süres. Et meme si Ton prefere l'explication par θρόνος, il est plus que douteux que ce mot ait jamais comporte un r voyelle. Schwyzer (1939:490), Frisk (GEW s.v.) et Chantraine (DELG s.v.) s'accordent ä penser que ce mot, comme κλόνος et peut-etre χρόνος et Κρόνος, est suffixe en -ονος. A l'appui d'une telle these vient le fait qu'il n'y a aucune trace d'une voyelle du timbre a, meme dans les dialectes oü l'on s'attendrait ä ce resultat.17 En ce qui concerne la variation op/po dont temoignent to-no et to-ro-no-wo-ko, et qui est attestee en grec alphabetique par le derive θόρναξ, eile pose un grave probleme
17 C'est-ä-dire, pour les adherants de l'opinion traditionnelle, l'ionien-attique et le dorien. On ne trouve dans ces dialectes (d'apres le temoignage d'Hirodote, des tragiques, de Piaton et de Theocrite) que θρόνος, ce qui suffirait, ä notre avis, ä rifuter l'hypothfese d'un r voyelle dans ce mot. Cette rifijtation ne serait que corroborie si l'on accepte la proposition presentie ci-dessus (section 2.3.2.3) selon laquelle r voyelle devant sonante developpe une voyelle d'appui du timbre α dans tous les dialectes grecs.
58
2 L'61£ment achöen
auquel la proposition d'un r voyelle - contredite par les faits dialectaux - ne saurait etre qu'une solution de facilite.18 Le quatrieme exemple d'Heubeck (1972:64) est fonde sur une lecture kusu-to-qa en PY Eb (reclassifie entre-temps en Ed) 847.2. Cette lecture est aujourd'hui communement rejetee et remplacee par ku-su-qa (voir p.ex. DMic). II n'est done pas necessaire de discuter cette question ici. Heubeck (1972:65) fait mention, ensuite, de la forme po-po-i (MY Oi 702.3) qui alterne apparemment avec po-ro-po-i (MY Oi 701.4). Heubeck suppose un r voyelle, mais note que « Unfortunately the etymology gives no help. Of the two proposals hitherto made for po-ro-po-, pöl-opos and propos, the first should be rejected if our conjecture is correct.» Mais la derniere hypothese, qui est aussi celle preferee par DMic (s.v.) et qui est, semble-t-il, communement admise, est non moins incompatible avec un r voyelle : Dans un nom d'agent du type φορός tel que propos (fait sur la racine de πρέπω, et atteste ä l'epoque classique, comme il est souvent le cas, seulement dans un compose, θεοπρόπος) on ne s'attendrait guere au degre zero ; e'est le degre ο qui est de regle, et encore une fois, cette conclusion est corroboree par le fait que θεοπρόπος est atteste en ionienattique oil Ton attendrait pa ou ap s'il s'agissait ä l'origine d'un r voyelle. Aucune des etymologies proposees n'est done compatible avec l'hypothese de Heubeck et dans Γ interpretation propos on verrait plutot dans po-po-i un lapsus de la part du scribe. Encore se peut-il naturellement qu'aucune des interpretations proposees ne soit correcte. Quoiqu'il en soit, po-po-i n'est pas un exemple probant en faveur de la conservation de r voyelle en mycenien. Heubeck (1972:67) passe maintenant ä l'anthroponyme op-pe-te-re-u (PY Ea 805 ; Eb 294.1) et o-pe-to-re-u (Ep 704.1). II suggere une prononciation *opetr(r)eus. Mais nous venons de voir que Garcia Ramon (1985:208sq. avec la note 49) a montre que T°rE avait dejä donne TarE en mycenien. II nous semble done preferable que Ton trouve une autre explication de cet anthroponyme obscur. Quant aux exemples a-no-me-de et a-no-qo-ta (Heubeck 1972:67sqq.), il est ä noter que Γ interpretation qui voit le nom grec de l'homme dans le premier terme est loin d'etre communement admise, cf. par exemple le scepticisme de Ruijgh (1967:353sq.) et Palmer (1963:81). Landau (1958:23) prefere y voir Anömedes et Anögwötäs. En tout cas le temoignage
18 de Lamberterie (correspondence) nous a propose une solution ä ce probleme facheux. θόρνος peut refliter *dhor-no- < *dhorH2-no-, de la meme racine que θρήνυς < *dhrH2-nu-. La syllabation de θρόνος serait alors due au modele du degr£ zero θρη-/θρα- < dhrH2-.
2.3 Le r syllabique
59
des noms propres myceniens est loin de fournir un fondement assez solide pour etablir l'existence d'un r voyelle. Nous passons les exemples 9 et 1 0 « adduced only with reserve » par Heubeck (1972:69). Ces exemples n'ont pas de valeur probante en euxmemes. II en va de meme pour les exemples 11 ä 17 qui ne sont que brievement mentionnes par Heubeck et qui admettent tous une explication dans l'hypothese que r voyelle a dejä donne op en grec mycenien. Les exemples 18, 19 et 20 sont mentionnes par Heubeck (1972:70sq.) seulement pour completer le dossier, et il prefere lui-meme d'y voir autre chose qu'un r voyelle. tu-ka-ta-si (MY Oe 112.2) est une lecture peu süre sur laquelle il serait imprudent de fonder une theorie. Heubeck note (1972:71sq.) que la lecture tu-ka-to-sj, proposee par Mühlestein dans une lettre et acceptee par Lejeune (1972a: 127, 197 et 1972b: 159), serait plus conforme aux regies d'orthographe que nous connaissons ä Pylos. wo-ro-ne-ja, l'exemple 23 de Heubeck (1972:72) a ete discute ci-dessus. Les mots de la derniere liste {op. cit. 73) cessent d'etre importants si Ton accepte l'hypothese de Garcia Ramon que nous venons de traiter en detail. Ainsi, nous avons eu une vue d'ensemble du dossier presente par Heubeck, et il faut conclure que son hypothese n'emporte pas la conviction. Les meilleurs exemples disparaissent lorsqu'on se rend compte que la thematisation dans les composes et les derives est un processus qui est dejä amorce en mycenien. Les autres exemples se heurtent ä des difficultes diverses ; souvent, les donnees dialectales ou la structure morphologique du mot empechent de poser un r voyelle original, et parfois, les donnees philologiques ne sont pas assez süres pour que l'on puisse y faire confiance. En conclusion nous pouvons done dire que tout semble indiquer que le r (et sans doute le I) voyelle ne faisait plus partie de l'inventaire phonologique du grec ä l'epoque mycenienne.
2.3.2.5 L'hypothese de Morpurgo Davies Pendant toute cette discussion, nous avons admis que 1>T donne TorΤ en mycenien. C'est lä l'opinion traditionnelle, qui est toujours maintenue par la plupart des savants. Mais eile a ete affrontee par Morpurgo Davies (1968) qui propose qu'en mycenien aussi bien qu'en arcado-cypriote, TarΤ soit le resultat regulier, et que op serait limite ä la position apres wau. Quoique cet article ne semble pas avoir empörte la conviction des mycenologues, il est fourni de bons arguments et il semble necessaire de le discuter ici.
60
2 L'element acheen
Morpurgo-Davies (1968) commence par une analyse des attestations en Arcadie. Cette analyse est divisee en deux parties. Elle traite d'abord des exemples apparents du developpement *r > op/po, et ensuite eile discute les mots oü il semble que se soit developpee une voyelle du timbre a. Dans la premiere partie, eile s'efforce naturellement de montrer que les cas allegues reposent tous sur des etymologies peu süres ou des lectures incertaines. II y a six exemples : (-)αγορσις, βροχυ[, εφθορκως, θορσυλοχος, Στορπαο et τετορτος. De fa9on generale, il est difficile ou impossible de montrer qu'un mot atteste le degre zero et non un vocalisme ο analogique ou merae herite, dans le cas de Στορπαο . Aussi est-il clair que Morpurgo-Davies peut avoir raison de penser que, βροχυ[ mis ä part, toutes les formes en question sont analogiques. Mais bien que Γ on puisse mettre en doute la valeur probante de Θορσυλοχος et le nom de nombre τετορτος pour etablir un developpement *r > op/po en ayant recours ä une explication par voie d'analogie, ['interpretation qui y voit les developpements phonetiques d'un degre zero nous semblent preferable. De la meme maniere, il est possible que dans (-)αγορσις, il s'agisse d'un degre ο introduit d'apres παναγορια et que εφθορκως soit refait sur έφθορα, qui a un degre ο original, et non sur un *έφθορμαι qui attesterait r > op. Cependant, dans les deux cas, on peut objecter que de tels processus n'ont pas eu lieu dans d'autres dialectes grecs. αγερσις, atteste ä Milet, est refait d'apres le present άγείρω et n'est pas comparable ä (-)αγορσις. Le degre zero est aussi atteste ä Naples dans la forme αγαρρις. Et εφθορκως, nous l'avons dit, peut bien etre refait sur έφθορα, mais c'est un fait qu'en attique, nous avons έφθαρκα, fait sur εφθαρμαι. Pour cette raison, il nous parait preferable d'admettre que (-)αγορσις et εφθορκως represented d'anciens degres zero avec un developpement r > op. Le cas de Στορπαο nous semble encore moins clair : l'explication traditionnelle qui y voit un compose de άστήρ et de ώψ pose des problemes quant ä Γ absence de prothese et la phonetique ä la jointure des deux termes ; de son cote, I'interpretation de Morpurgo-Davies, qui part d'un nom στροπά, presuppose ad hoc une metathese de liquides. Pour βροχυ[, par contre, on peut difficilement recourir ä l'analogie. Morpurgo-Davies met en doute l'authenticite arcadienne de la pierre. L'epitaphe provient du musee de Dimitsana oü le dernier editeur, Dubois, ne l'a pas retrouvee ; il note cependant (1988:n212) que « il est peu probable qu'il y ait eu dans ce musee beaucoup de pierres errantes eoliennes. » Morpurgo-Davies passe ensuite ä un examen des formes oü r semble avoir donne ap ou pa en arcadien. Dans bien d'exemples, il s'agit d'un r voyelle en position initiale ou finale, ou encore devant sonante ; en
2.3 Le r syllabique
61
conformite avec l'hypothese de Garcia Ramon, nous passons ces exemples ainsi que les noms propres. Restent alors γράφω, δαρχμά et στραταγός. δαρχμά atteste le vocalisme α en eolien aussi (IG 7.3171.52), bien que tous s'accordent ä penser que r donne op dans ce dialecte. Nous suggerons que ce vocalisme α est dü ä l'influence du verbe δράσσομαι que nous derivons, avec le LIV, de *drngh-ye/o-, II peut paraitre arbitraire de partir d'un present ä nasale en grec, mais cela nous semble la seule explication possible, ä moins d'admettre, de fa^on aussi arbitraire, une influence attique sur les dialectes eoliens qui ont toujours α et non ο, comme on s'y attendrait s'il s'agissait d'un developpement d'un r voyelle. Notons qu'il est parfaitement legitime d'admettre une influence du verbe δράσσομαι sur le derive δ ρ α χ μ ά ; les derives en -μα ont ou bien le vocalisme ο (type τόλμη de τλάω) ou bien - et plus souvent - le vocalisme du verbe correspondant (type στιγμή de στίζω). Nous avons peut-etre un vestige de l'ancien vocalisme dans le myc. do-ka-ma-i (PY An 1282.3), mais il y a beaucoup d'interpretations possibles de ce mot (voir DMic s.v.). En ce qui concerne στραταγός, nous adherons pleinement ä l'opinion de Ruijgh (dans Morpurgo-Davies 1968:813) qui y voit un emprunt dorien, en comparant le cas de λοχαγός que les Atheniens ont emprunte aux Doriens. γράφω pose probleme, mais l'etymologie de ce mot est inconnue, et il serait peu prudent de fonder une theorie du developpement de r voyelle lä-dessus. Morpurgo-Davies donne aussi (1968:801sq.) quelques exemples de ce qu'un r voyelle semble s'etre developpe en ap ou pa en mycenien. Neanmoins, ses exemples s'expliquent tous dans le cadre de l'hypothese de Garcia Ramon ; ou bien il s'agit de r en position initiale, finale ou devant autre sonante ; ou bien il y a eu apophonie secondaire. En conclusion, il faut dire que les arguments de Morpurgo-Davies n'emportent pas la conviction. Le developpement de r voyelle en position interconsonantique semble bien etre celui qu'enseigne la communis opinio : op ou po en arcado-cypriote, mycenien et eolien, pa ou ap en ionien-attique et en dorien.
2.3.2.6 Conclusion sur les donnees myceniennes Avant d'aborder la question de r voyelle chez Homere, il convient de resumer brievement la situation en grec mycenien. II semble que dejä en indo-europeen tardif, r voyelle flit dans certains cas elimine par apophonie secondaire. Ici, on trouve parfois un developpement de a dans plusieurs langues, comme c'est le cas avec lat. carpere, gr. καρπός. Ensuite, ä l'epoque du grec commun, r a developpe une voyelle d'appui du timbre a
62
2 LVliment acheen
en position initiale et finale ainsi que devant une autre sonante ou une voyelle. Finalement, ä l'epoque dialectale, mais avant les tablettes d'argile, TRT a developpe une voyelle de timbre ο ou a, variable selon les dialectes.
2.3.3 R voyelle dans le texte d'Homere ? 2.3.3.1 L'hypothese de Mühlestein On a tente deux voies pour montrer l'existence d'un r voyelle dans le texte d'Homere. Le premier precede part des mots άβρότη, άβροτάξομεν, άμφιβρότη, άνδροτητα et άνδρειφόντη. Dans les trois premiers mots on doit necessairement scander une syllabe breve devant media cum liquida, voire devant le groupe -νδρ-, Depuis Mühlestein (1958a, b), la communis opinio19 enseigne que ces mots se laissent scander si Ton restitue le r voyelle original ; il s'agirait done de tres vieux vers, remontant ä l'epoque oil le grec avait toujours un r voyelle, e'est-a-dire, nous l'avons vu, avant l'epoque mycenienne. Cependant, Tichy (1981a) montre que cette hypothese n'est pas necessaire pour tous les mots en question; ainsi, άβροτάξομεν et άνδροτητα peuvent refleter un etat anterieur du systeme metrique ä une epoque ou Γ on admettait toujours des trochees dans le vers epique. En effet, l'hypothese de Mühlestein presuppose (et ne prouve pas) l'existence de l'hexametre - ou au moins la partie finale du vers - ä l'epoque mycenienne. C'est ce qu'a vu Wächter (dans Latacz 2000:70nl4): « Voraussetzung für die Richtigkeit dieser Argumentation ist die Existenz des ep. Versschlusses — ~ - — zur betr. Zeit. » Or, cette presupposition n'a pas ete prouvee et nous avons vu que quelques indices (ainsi, la distribution de l'accusatif άνέρα, voir 1.1.4 avec references) portent ä le rejeter. Quant ä άνδρειφόντη, il apparait dans le vers Μηριόνης άτάλαντος Ένυαλίω άνδρειφόντη (4χ, seulement dans l'lliade), qui ne se laisse pas scander. Ici encore, on a suggere que Ton puisse restituer Μαριόνας άτάλαντος ' Ενυαλίω άντχ"όντα. Nous nous fonderons dans la suite sur un article de Berg qui est malheureusement reste en etat de manuscrit. Comme nous esperons que 19 Mais il ne s'agit pas, comme le soutient Latacz (1997:29), d'un consensus omnium. Comme nous allons voir, les vues exprimees par Tichy (1981a), Meier-Brtlgger (1992a :93) et Berg/Lindeman (1992), bien que souvent ignories, nous semblent etre de premiire importance.
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nous pourrons plus tard publier cet article en entier, nous nous bomerons ä quelques remarques. Nous avons ici un cas d'abduction, tout comme dans la restitution du digamma que nous avons examinee dans Γ introduction. Mais, dans ce casci, il nous semble que Ton a souvent ignore le troisieme point de Mautner, cite dessus: « No other hypothesis can explain D as well as Η does. » Ainsi Ruijgh (1985:163) remarque ä propos de la restitution : «II importe d'observer que cette formule nom-epithete remplit un hexametre holodactylique entier. Ceci prouve que ce vers epique existait dejä dans la premiere moitie de l'epoque mycenienne.» Or, un raisonnement par abduction ne prouve rien, il montre une possibilite. Ensuite, on doit examiner l'hypothese proposee. En l'occurrence, eile se heurte ä plusieurs objections : premierement, eile depend ä notre avis d'un parryisme trop rigide. Elle presuppose, en effet, que le systeme formulaire a pu preserver des vers, metriquement forts irreguliers, de l'epoque pre-mycenienne jusqu'au huitieme siecle. Pour etablir une continuite entre l'epoque pre-mycenienne et celle d'Homere, il ne suffit naturellement pas de poser une equation hom. Μηριόνης ατάλαντος ' Ενυαλίω άνδρειφόντη = pre-myc. * Μαριόνας άτάλαντος ' Ενυαλίω ά ν / ^ ό ν τ α ; il faut aussi rendre compte des formes intermediaires sous lesquelles ce vers a ete transmis, ce qui vite pose Probleme. Ainsi, la forme aberrante άνδρειφόντη a dü etre creee (sur le modele de ' Αργειφόντης) non longtemps apres la disparition du r voyelle du systeme phonologique grec, c'est-ä-dire ä l'epoque pre-mycenienne. Car le vers en question est devenu irregulier des l'elimination du r voyelle, et le remaniement auquel cette evolution phonetique a donne lieu a dü suivre assez vite. Naturellement, on peut admettre que la langue epique a garde le r voyelle plus longtemps que le vernaculaire, mais meme dans une tradition tres conservatrice, il semble peu probable que Ton ait garde longtemps un phoneme qui n'existait plus dans le vernaculaire. II faut done placer la creation de άνδρειφόντη ä l'epoque pre-mycenienne ou au debut de l'epoque mycenienne. A l'epoque mycenienne, done, le vers en question a dü etre transmis sous la forme * Μαριόνας άτάλαντος Έ ν υ α λ ί φ άνδρειχ^οντα Mais la scansion de cette ligne depend d'une synizese de φ et α, ce qui semble exclu ä l'epoque mycenienne. Nous faisons ici reference ä un travail de Hoffmann, qui malheureusement n'a jamais ete publie, mais qui a ete presente et exploite par Dürbeck (1978) et Heubeck (1978). Le linguiste allemand avait en effet montre que lä ou les desinences de datif -ω et -α sont scandees breves devant une autre voyelle, il s'agit
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d'anciens locatifs en -01 et -αι. 20 Outre la conclusion interessante que Ton peut en tirer, ä savoir que le syncretisme du datif et du locatif s'est produit non longtemps avant Homere, cela montre aussi que jusqu'ä une epoque relativement recente, le yod deuxieme element de diphtongue etait encore une consonne de plein exercice, capable d'empecher les contractions. On voit mal, alors, comment une synizese de ' Ενυαλίωάνδρειφόντη a pu etre tolerable ä l'epoque mycenienne. En effet, cette synizese ne semblerait guere acceptable ä l'epoque d'Homere, si elle n'etait pas de facto attestee dans le texte. Elle est a fortiori impossible ä un temps ou le yod deuxieme element de diphtongue etait une consonne de plein exercice - et ce temps, nous venons de le voir, dura jusqu'ä peu avant Homere. II nous semble alors preferable de considerer ce vers comme tres recent, du moins jusqu'ä ce que Γ on ait presente les formes sous lesquelles le vers ä ete transmis ä travers les siecles obscurs, de sorte que l'on puisse donner une histoire coherente de la transmission de cette ligne. Pour une argumentation plus detaillee, nous referons ä l'article de Berg. Notons finalement que l'hypothese metrique de Berg et Tichy semble avoir une plus grande force explicative que l'hypothese de Mühlestein. Cette derniere n'explique que quelques cas assez particuliers alors que l'hypothese d'un proto-hexametre explique un grand nombre de particularites de la langue homerique, comme nous l'avons indique dans I'introduction. Le prix en est que des cas comme άνδρειφόντη demeurent inexpliques, mais nous avons vu que ce mot est mal explique dans le cadre de l'hypothese du r voyelle aussi. Cependant, il serait possible d'augmenter la force de l'hypothese de Mühlestein en expliquant d'autres phenomenes de la meme maniere, et c'est ce qu'a essaye Wathelet (1966). Nous tournons maintenant ä l'examen de son argumentation.
2.3.3.2 La scansion muta cum liquida On a voulu voir un autre vestige de r voyelle chez Homere dans les cas de correptio attica. Wathelet (1966) est l'article le plus important lä-dessus. Comme on sait - et comme l'indique dejä le nom - la correptio attica est beaucoup plus frequente dans la comedie et la tragedie que dans Homere. Cependant, le phenomene figure dans l'Iliade et l'Odyssee aussi, et Wathelet s'est efforce de montrer que dans beaucoup de cas, il s'agit d'un 20 Le travail n'etant pas publiö, il est difficile de juger les donnees. Nous faisons ici confiance ä Dürbeck (1978:45) qui affirme que « Η [i.e. Hoffmann] überprüfte den ganzen Homertext» et « Das von Η. gesichtete und geordnete Material beweist diese Vermutung ganz eindeutig. »
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ancien liquide voyelle. Ainsi, la scansion breve devant θρόνος refleterait une prononciation plus ancienne Grvος. Comme remarque Wathelet (1966:150), il est necessaire de trier les donnees. En effet, la correption devant la cesure mediane semble autorisee - et ce sans doute ä date ancienne - par le court arret provoque. Ces exemples sont done sans valeur probante. πρός, lui aussi, forme un cas ä part; dejä Meillet (1913:184) avait suggere que cette forme ionienne ait remplace son equivalent eolien ποτί. Ainsi s'expliquent les nombreux cas de correption devant cette preposition. Ce remplacement a une grande importance pour la question d'une phase eolienne que nous allons examiner infra.
Apres ce triage tout ä fait legitime, il reste nombre d'abregements que Wathelet veut diviser en abregements recents et abregements anciens. Pour cela, il se sert de l'analyse formulaire contre laquelle nous avons eleve de critiques d'ordre general dans l'introduction. Cette methode nous semble peu exacte et eile permet souvent de trouver ce que Γ on cherche. Nous allons voir des cas flagrants. Wathelet affirme (1966:56) que la formule (dans sa propre terminologie) ο ϊ κ φ έν άλλοτρίφ (deux fois en tete de vers) « doit etre recente, puisque le ω de ο'ίκω s'abrege au temps faible en hiatus. » Or, nous venons de voir, dans un autre contexte, qu'il s'agit d'un ancien locatif en - ο ι ; le vers recouvre un plus ancien *o'iKoy έν άλλοτριοι, voir Dürbeck (1978:56η 17). II n'y a done aucune raison de considerer cette ligne comme recente. A propos de άλλότριος φως, il remarque que φως « se rencontre aussi ä la meme place et est plus frequent avec ί σ ό θ ε ο ς » ; sous-entendu, αλλότριος φως ne peut pas etre ancien. Cette hypothese repose sur la notion parryenne d'economie, une notion que nous avons eu l'occasion de critiquer, en nous fondant sur Shive (1987). Et de plus, Wathelet suppose tacitement que la formule la plus frequente est aussi la plus vieille. C'est possible, mais c'est une supposition qui n'est ni evidente ni facile ä justifier. Quant aux formules qui contiennent le mot άλλοθρόος, Wathelet dit (1966:157) que « le compose est relativement rare, mais est employe deux fois par Herodote ce qui pourrait indiquer un usage ionien. » Encore une fois, nous avons une vue de l'esprit, sans fondation ni argumentation. En effet, Wathelet rejette la valeur probante d'un exemple qui ne convient pas ä sa these, et caracterise le mot en question comme ionien sur la base de deux attestations herodoteennes seulement. Parfois, Γ argumentation est manifestement circulaire. A propos de la ligne Β 537 Χαλκίδα τ' Είρέτριάν τε πολυστάφυλόν θ ' Ί σ τ ί α ι α ν , nous
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lisons (p. 159) : « Le Catalogue comporte beaucoup d'elements anciens, mais le vers qui nous interesse inquiete par son double abregement insolite ». Le vers est done qualifie de recent ä cause de Γ abregement. Or, e'est justement le caractere recent de cet abregement que Wathelet veut prouver. II est vrai que Tun des abregements est d'un autre type (devant στ), mais Wathelet ne montre pas que cet abregement est recent, et de toute 21
fafon, cela n'empecherait nullement le premier hemistiche d'etre ancien. Dans un autre cas (p. 160) Wathelet semble exagerer la valeur d'un argumentum ex silentio archeologique, lorsqu'il remarque ä propos de έύ κτιμένας τε Κλέωνας que «jusqu'ä present aucune fouille ne parait avoir decouvert ä Cleones de site mycenien important qui justifie l'epithete. » D'oü il conclut que le vers en question est recent. Enfin, nous voudrons remarquer ä propos des exclusions effectuees qu'il ne nous parait pas evident que «les mots et les formes isoles dans l'epopee ... ne sont manifestement pas formulaires » (p. 155). Et, en tout cas, Wathelet ne semble pas systematique sur ce point: un mot comme άβρότη est entierement isole dans l'epopee, toutefois Wathelet l'admet parmi ses abregements anciens. II est difficile d'en voir une autre raison que l'utilite que presente ce mot ä sa these. Ayant ainsi trie les donnees, on s'attendrait ä ce que les exemples restants soient nets. Loin de lä : la partie concernant les « abregements anciens » nous parait aussi ouverte ä critique que la partie que nous venons de discuter. Prenons par exemple le cas de τράπεζα. Wathelet presente diverses attestations (1966:162sq.) et remarque : D a n s les p a s s a g e s qui precedent, on a pu constater que τ ρ ά π ε ζ α s ' e m p l o i e surtout avec des m o t s qui ne reviennent pas ailleurs dans l'epopee, certains d'entre e u x
sont
uniquement poetiques. D e telles considerations tendent ä faire penser que τ ρ ά π ε ζ α entre dans un s y s t e m e de formules anciennes.
Ici, done, le caractere isole d'une attestation est devenu un critere de formularite. Cela s'accorde mal avec les criteres operes dessus. Dans d'autres cas, Wathelet introduit un r voyelle sans justification; e'est par exemple le cas dans son traitement de θρόνος. Wathelet (1966:165) reconstruct θ/-νος, ce qui, comme nous l'avons vu supra, n'a pas de 21 On lit souvent qu'une licence poitique τένέΐε le caractere rdcent du vers ou eile est attestie. Mais on doit prendre en compte les mots de Chadwick (1990 :175), cites dans l'introduction : « In the light of this evidence for loose metrical practices [sc. in Homer] it seems absurd to assume that Homer's predecessors aimed at a more rigorous practice.» Cela est en accord avec l'hypothfese adoptde dans ce travail, ä savoir qu'il y a eu un changement mdtrique non longtemps avant H o m i r e . Dans cette optique, une licence poetique porte ä croire que le vers oil il est attest6 est une transformation d'un proto-hexametre.
2.3 Le r syllabique
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justification. Dans l'hypothese d'un degre zero, il faudrait admettre que θρόνος et ses derives, attestes en attique, sont des emprunts ä un dialecte ou r donne po, ce qui est difficile ä croire. En resume, nous concluons que Γ article de Wathelet η'empörte pas la conviction. II nous semble peu probable que le r voyelle y est pour quelque chose dans la correption attique. L'hypothese de Tichy (1981a:28) et autres, selon laquelle la correption est determinee par la metrique, nous semble de loin preferable. Dans cette optique, la scansion longue serait reguliere ä l'interieur des mots et entre mots en Konnex,22 tandis que la coupe syllabique et la frontiere des mots co'incideraient en pausa et lorsque les deux mots ne sont pas etroitement lies, ce qui entraineraient une scansion breve. Ce double traitement a ete exploite par les aedes - ou par le poete pour des raisons metriques. La correption etait done un fait de langue, dont la langue artificielle d'Homere a profite. Ainsi, la troisieme objection de Wathelet (1966:147) tombe d'elle-meme. Sa deuxieme objection (p. 146), que les aedes semblent avoir ete beaucoup moins disposes ä abreger des syllabes longues qu'ä allonger des syllabes breves, ne nous semble pas porter grand poids, puisqu'il y a tout de meme des exemples tres clairs d'abregements metriques. Mais le probleme souleve par la premiere objection demeure : e'est un fait que la necessite metrique ne peut pas etre invoquee dans tous les cas. Wathelet mentionne les cas Κρόνος, πρίν, πρός, φαρέτρη et κράτος. Notons que l'hypothese de Wathelet, eile non plus, n'explique pas le traitement de tous ces mots. Par ailleurs, eile demande comme nous venons de le voir un grand nombre d'hypotheses ad hoc en ce qui concerne la date des syntagmes etudies. Une telle application sans restriction de l'analyse formulaire s'approche ä notre avis de la pratique des analystes, pour qui tout vers qui posait probleme pouvait etre qualifie de recent. C'est pourquoi nous preferons l'hypothese de Tichy, selon laquelle il s'agit d'une extension artificielle d'un fait de langue preexistant. Ainsi, il semble que l'hypothese d'un r voyelle chez Homere ne peut expliquer que les quelques cas discutes dans la section 2.3.3.2 - elle ne peut etre appliquee ä d'autres explananda qu'ä force de trier les donnees de maniere arbitraire. Et meme sur son domaine originel, elle rencontre des problemes ainsi que nous l'avons vu lors de notre traitement de άνδρειφόντη. A cette hypothese qui a une force explicative assez restreinte, nous preferons l'hypothese d'un changement metrique qui, elle, laisse ouverts les problemes que pose certains mots, mais qui a une grande force explicative sur d'autres domaines. 22 Pour ce terme, voir Danielsson (1909:269 avec la note 1).
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2.4 Conclusion : y a-t-il des elements acheens dans la langue epique ? Tout au long de ce chapitre, nous avons vu que les acheismes que Γ on a voulu voir dans la langue homerique sont peu sürs. Les homerisants ont bien releve des gloses qui remontent effectivement ä l'epoque mycenienne, mais nous avons eu l'occasion d'indiquer le caractere peu probant de ces temoignages lexicaux : il est difficile, voire impossible, de demontrer qu'un mot atteste chez Homere et en mycenien remonte ä une tradition epique mycenienne et non pas ä un autre dialecte oil il subsistait peut-etre jusqu'ä l'epoque post-mycenienne, voire jusqu'ä l'epoque d'Homere. C'est ainsi parce que, par la comparaison et la dialectologie grecque - seuls moyens disponibles pour eclaircir revolution de la langue grecque pendant les siecles obscurs - nous ne pouvons connaitre que les faits purement linguistiques, et non l'histoire des mots au sens que lui a donne Antoine Meillet. II en va autrement des morphemes et des elements phonologiques. Nous pouvons souvent - et surtout lorsqu'il s'agit d'innovations - determiner avec exactitude le dialecte auquel appartient un trait morphologique ou phonologique. Mais nous avons vu que les essais d'attribuer de tels elements aux dialectes acheens ne sont pas convaincants. En face de cela, nous pensons avec Peters (1986) que l'hypothese d'une phase acheenne dans revolution de la langue epique doit etre abandonnee. Cela ne veut pas dire que nous nions l'existence d'une poesie epique en Grece mycenienne ; seulement que nous ne sommes pas capables d'en trouver des vestiges certains dans la diction epique. Et dans les cas oü Ton peut soup^onner qu'un element de la langue d'Homere remonte tres haut dans le temps ainsi par exemple la desinence -φι - on ne peut pas prouver qu'il provient des dialectes acheens, puisque Γ on ne sait pas ä quelle epoque cet element cessa d'etre productif en eolien. Plutöt que d'une phase acheenne, l'on doit parier d'archai'smes qui sont conserves mieux qu'ailleurs en mycenien et chez Homere. Ainsi, l'hypothese d'une phase acheenne n'a que tres peu de valeur explicative ; les problemes qu'elle resout peuvent tous etre resolus autrement. Neanmoins, il reste a priori probable que Γepopee grecque a des racines tres anciennes ; ainsi, il est bien possible que les archaismes que nous trouvons dans la langue d'Homere ne soient pas les formes originelles et qu'ils revouvrent des formes plus anciennes dont nous ne savons, malheureusement, presque rien.
2.4 Conclusion
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L'enthousiasme pour la comparaison entre Homere et le mycenien dont ont fait preuve les philologues ä la suite du dechiffrement du lineaire Β nous semble ä maints egards semblable ä l'enthousiasme qui suivait les excavations de Schliemann. Mais dejä en 1950, Lorimer (1950:452) a ecrit que « it was an inevitable result of Schliemann's excavations and their astounding success that the extent of the Bronze Age tradition was exaggerated (...) » Et depuis, les archeologues et les historiens sont devenus encore plus sceptiques en ce qui regarde les reflets de la civilisation mycenienne chez Homere. Nous ne devons pas nier l'antiquite de la tradition, mais comme nous avons vu, il est tres difficile d'en trouver des traces süres. Nous reviendrons ä ces problemes dans la section 5.2.
3 Les eolismes dans la langue de Γ epopee grecque 3.1 Introduction Nous avons vu que le debat sur les eolismes tient une place particuliere dans la philologie homerique. Dans ce chapitre, nous n'allons pas entrer dans cette discussion generale, ä laquelle nous reviendrons dans le dernier chapitre. II s'agit d'abord de mettre en evidence quelles formes sont eoliennes, avant d'entamer un essai d'interpretation de leur existence. Nous avons choisi de concentrer notre travail sur le genitif en -010, un element tres productif et controverse en ce qui concerne son appartenance dialectale. Mais avant de proceder ä cet examen, nous allons dresser un tableau rudimentaire des eolismes de la langue epique, ainsi que tracer l'historique de ['interpretation du genitif en -010.
3.1.1 Aper