Les missions-étrangères et la pénétration française au Viêt-Nam [Reprint 2019 ed.] 9783111557755, 9783111187228


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French Pages 228 Year 1975

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Table of contents :
Introduction
CHAPITRE I: LES PREMIERS CONTACTS ENTRE LA FRANCE ET LE VIÊT-NAM
CHAPITRE II: L'INFLUENCE DE LA CHINE
CHAPITRE III: L'HOSTILITÉ ENVERS LE CATHOLICISME
CHAPITRE IV: LA POLITIQUE ANNEXIONNISTE DE LA FRANCE ET SES CONSÉQUENCES RELIGIEUSES
CHAPITRE V: AUTORITÉS CIVILES ET AUTORITÉS RELIGIEUSES
Conclusion
ANNEXES: DOCUMENTS D'ARCHIVES
TABLEAU GÉNÉALOGIQUE DE LA FAMILLE NGUYÊN
Bibliographie
Table des matières
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Les missions-étrangères et la pénétration française au Viêt-Nam [Reprint 2019 ed.]
 9783111557755, 9783111187228

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LES MISSIONS-ÉTRANGÈRES ET LA PÉNÉTRATION FRANÇAISE AU VIÊT-NAM

Publications de l'Institut d'Études et de Recherches Interethniques et Interculturelles 5

MOUTON • PARIS • LA HAYE

NICOLE-DOMINIQUE LÊ

Les Missions-Étrangères et la pénétration française au Viêt-Nam

MOUTON • PARIS •

LA HAYE

ISBN : 2-7193-0611-8 Couverture par Françoise Rojare © 1975, Mouton & Co Imprimé en France

Introduction

Ce sont les événements de 1963, se déroulant au Sud Viêt-Nam, qui ont été à l'origine des recherches que j'ai entreprises sur certains aspects interculturels des problèmes religieux. En effet, c'est cette année-là que les suicides par le feu, des bonzes d'abord, puis de certains laïcs, ont commencé. Le monde occidental en a ressenti toute l'horreur et a commencé à se poser des questions. Des raisons politiques et religieuses ont été mises en avant. Mais dans les milieux gouvernementaux sud-viêtnamiens, ces suicides étaient présentés sous un jour burlesque : il ne s'agissait ni de religion ni de politique, mais simplement de comportements pathologiques. Les motifs poussant à de tels gestes devaient avoir des racines profondes, car il ne s'agissait pas du tout de suicides provoqués par la mystique de la religion bouddhique qui autorise, dans certains cas, uniquement religieux, cette façon de mourir. Normalement le bouddhisme ne rejette ni n'admet le suicide : le suicidé ne fait qu'accomplir son destin. N'ayant donc pas de base mystique, ces suicides avaient pour raison le désespoir : pour le premier bonze qui s'est immolé à un carrefour de Saigon, il s'agissait d'alerter l'opinion mondiale sur les événements se déroulant alors au Sud Viêt-Nam, tant au point de vue religieux que dans le domaine politique. En effet, à cette date encore, le Viêt-Nam n'avait pas pris dans les événements mondiaux une telle importance, et ses affaires internes étaient plus ou moins ignorées du reste du monde. Pour expliquer la situation politique et religieuse de cette époque, il convient de remonter à juillet 1954, après les accords de Genève, lorsqu'un gouvernement catholique prit le pouvoir au Sud Viêt-Nam : le président était Ngô Dinh Diêm. Un tel gouvernement était considéré

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comme le meilleur rempart contre le communisme qui s'était installé — à la suite de la conférence de Genève — dans la partie septentrionale du pays. Après quelques années de pouvoir, les populations non catholiques du Sud sentirent peser sur elles des brimades à caractère à la fois religieux et social. Ainsi, les pratiques habituelles aux divers cultes non catholiques furent contrariées ou même interdites. Dans l'administration et dans l'armée, les postes étaient le plus souvent occupés par des catholiques de longue date ou par de nouveaux convertis. De surcroît le régime tendait de plus en plus à la dictature, à l'oppression policière. Toute tentative de résistance était sévèrement réprimée. Devant pareille situation, aggravée encore par le fait que la guérilla renaissait, il fallait informer le monde, et les bonzes autour desquels se cristallisa le mécontentement populaire, trouvèrent cette solution — aussi spectaculaire que désespérée. De tels procédés manifestaient donc qu'il existait à l'intérieur du pays une discrimination visant le bouddhisme et des heurts, inévitables, entre les deux communautés catholique et bouddhiste. Car le ViêtNam compte une minorité catholique agissante, composée essentiellement des Nord-Viêtnamiens qui émigrèrent dans le Sud après la conférence de Genève. Il me fallait donc déterminer si cette mésentente était toute récente — due à la politique d'un seul homme et de sa famille — ou si elle était beaucoup plus ancienne ; en effet la force des suicides dénotait l'ampleur de la persécution, et celle-ci pouvait difficilement passer pour subite dans un pays comptant environ un million et demi de catholiques qui avaient été victimes, au début de l'implantation française, de sévères brimades et de nombreuses violences, étant considérés comme les suppôts du colonialisme français. Je me suis donc attachée à étudier les rapports entre les deux communautés religieuses et sociales, depuis les débuts de l'implantation catholique dans le pays. Mais les données du problème demandent, ici, quelques précisions. La première remarque importante concerne le bouddhisme : le Viêt-Nam n'est pas à proprement parler ce que l'on pourrait qualifier de pays bouddhiste. On peut difficilement parler de religion car il n'existe ni dogme ni croyances réellement précis. Ce sont des pratiques très diverses, mélangées aux cultes des philosophes chinois, des génies, des dieux, des héros nationaux, le tout étant dominé par le culte des ancêtres auquel les Viêtnamiens tiennent tout particulièrement. Dans cet amalgame religieux et philosophique, le

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Bouddha n'a qu'une place circonstancielle. On retient par ailleurs, que la période éclatante du bouddhisme viêtnamien se situe entre le 10e et le 12e siècle, mais déjà vers cette époque des altérations se faisaient sentir. Par la suite, la décadence fut rapide. Le Bouddha a été assimilé à une divinité quelconque dont il était facile de s'attirer les grâces par des offrandes et des prières. On doit également préciser la place occupée par le confucianisme dans la nation vietnamienne, et celle du culte des ancêtres, assimilé et codifié par Confucius, qui réglemente en grande partie la vie sociale et familiale du pays. Jusqu'à l'implantation définitive de la puissance française, le confucianisme a organisé aussi le système politique et administratif de la nation viêtnamienne : les rapports des différentes parties de la population, l'éducation de l'élite, la morale, les rapports familiaux, tout était régi par les principes confucéens. Donc, lors de la pénétration du christianisme au Viêt-Nam, les prêtres se heurtèrent essentiellement à la classe confucéenne. Le bouddhisme à ce moment-là — au 17e siècle — était déjà décadent. Les attaques des lettrés confucéens et de la cour de Huê se firent au nom de la conservation des principes confucéens et du culte des ancêtres. Pour l'empereur comme pour les lettrés, il fallait pourchasser le catholicisme qui anéantissait chez ses adeptes les traditions ancestrales et les sentiments patriotiques. Commencées pour des raisons purement religieuses, les persécutions contre les communautés chrétiennes et les missionnaires se muèrent rapidement en persécutions politiques, les catholiques étant accusés de traîtrise. C'est ainsi que les heurts qui se manifestèrent dès le début du catholicisme au Viêt-Nam, mirent aux prises les catholiques et les noncatholiques non bouddhistes, mais confucéens par excellence. Avec le développement des études françaises, la diffusion du viêtnamien écrit en quôc-ngu et non plus en caractères chinois, la fin des examens triennaux par lesquels se recrutaient les mandarins et les administrateurs du pays, le confucianisme disparut. Il avait cristallisé autour de ses principes les nationalistes viêtnamiens. Les derniers examens littéraires eurent lieu à la fin de la première guerre mondiale. Par la suite, les nationalistes utilisèrent dans leur lutte, non plus les principes de Confucius, mais les idées socialistes et communistes qui s'étaient rapidement répandues lors de la première guerre mondiale à la suite de la révolution russe, et qui avaient été accueillies favorablement dans les territoires colonisés.

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Il serait cependant faux de diviser les Viêtnamiens en deux groupes nettement distincts : les communistes d'une part, luttant pour l'indépendance du pays ; et d'autre part, ceux qui quittèrent le Nord et se réfugièrent au Sud, où ils vivent maintenant sous la coupe des Américains. Parmi ces personnes, aussi bien catholiques que non catholiques, la crainte du communisme est évidente, mais cela ne veut aucunement dire qu'elles soient antinationalistes pour autant. Une grande partie des Sud-Viêtnamiens désirent une indépendance réelle, mais une indépendance qui ne soit pas communiste ; tout en étant anti-américains, ils sont en même temps anticommunistes. C'est ainsi que les mécontents se regroupèrent autour du bouddhisme : c'était le moyen le plus sûr de montrer son anticommunisme tout en demandant la paix et la liberté. Ce regroupement put se faire à la suite des tracasseries sans nombre que le gouvernement Diêm fit subir aux communautés non catholiques. On peut même dire qu'une telle politique, suivie de brimades encore plus violentes, d'arrestations, d'emprisonnements arbitraires, a largement favorisé une rénovation du bouddhisme. J'aurais voulu suivre cette progression dans le temps et dans l'histoire. Mais la dernière partie était très difficile à composer par suite du manque de documentation, et aussi parce que les événements étaient trop récents : je ne pouvais donc me fonder sur rien de précis ni de vraiment objectif. C'est pour cette raison que j'ai arrêté ce travail à la grande révolte des lettrés de 1885. Après cette révolte, qui fut son chant du cygne, l'importance de la classe lettrée diminua progressivement. Si la documentation sur le bouddhisme est lacunaire, par contre celle concernant le catholicisme et très abondante, trop même, car le travail missionnaire est relaté dans ses moindres détails. J'ai rencontré des difficultés également chaque fois que les événements religieux ont eu des incidences politiques. Un événement donné était présenté sous différents aspects : la thèse des missionnaires, celle des autorités françaises et celle des autorités viêtnamiennes différaient entre elles. Les sentiments des autorités françaises envers les missionnaires variaient d'ailleurs selon les gouverneurs généraux et selon la politique religieuse de la France elle-même. Je regrette de n'avoir pu accéder aux archives des Missions-Etrangères de la rue du Bac. Les pères m'ont ouvert la bibliothèque, ce qui

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me fut d'un grand secours, mais ils me refusèrent la consultation des archives. Cela est regrettable, car il aurait peut-être été possible de mieux faire la part des choses dans des événements encore obscurs et controversés, et surtout de découvrir le rôle véritable que les missionnaires jouèrent lors de la colonisation française au Viêt-Nam.

KO U A N G -

SI

Nan-Ning KOUANG-TÓNG

MUI-CA-MAU

CHAPITRE I

Les premiers contacts entre la France et le Viêt-Nam

MGR PALLU ET LA COMPAGNIE DES INDES ORIENTALES Les premiers Européens abordèrent les rives du Viêt-Nam assez tôt, mais ils n'y firent que des séjours soit brefs, soit sans importance. C'étaient des explorateurs, des commerçants et aussi des missionnaires.1 Ce n'est qu'au 17e siècle que les missionnaires prirent réellement pied dans le pays avec les jésuites, en majorité portugais, qui tentèrent l'évangélisation des deux royaumes antagonistes des Trinh et des Nguyên. « C'est au début du 17e siècle que les premières missions furent fondées au Dai-Viêt par des jésuites chassés du Japon par la proscription des Tokugawa ». 2 La proscription japonaise fut ainsi le point de départ de l'évangélisation du Viêt-Nam : le Nord en particulier, apparaissait aux jésuites expulsés du Japon et en partie réfugiés à Macao, un terrain favorable à la prédication : « C'est à ce moment que les marchands portugais qui faisaient du commerce au Dai-Viêt attirèrent l'attention des Supérieurs de Macao sur les possibilités d'évangélisation de ce pays. Le 18 janvier 1615 débarquèrent à Tourane le Génois Buzomi et le Portugais Cavarlho. Ils fondent à Faïfo la mission de Cochinchine qui, au début comprend surtout les Jésuites portugais et italiens. Cris1. Lê Thành Khôi, Viêt-Nam, 295. 2. Ibid.

histoire et civilisation, Paris, 1955, p. 284-

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Les premiers

contacts

toforo Borri, arrivé en 1618, est l'auteur de la première relation imprimée sur le pays. Il fait grand éloge sur la richesse du pays et des qualités de ses habitants ' supérieurs aux Chinois par l'esprit et le courage ', de leur gentillesse naturelle et de leur hospitalité... Le succès de la mission encouragea les Supérieurs Jésuites à ' tendre leur propagande vers le Nord. Ils y envoyèrent Baldinotti en 1626. A la suite de son rapport, la création d'une mission au Tonkin fut décidée... ' ». 3 Le Viêt-Nam intéressa donc relativement tard les missionnaires par suite des difficultés que créait la guerre civile sévissant alors entre le Nord dirigé par les Trinh et le Sud placé sous l'obédience des seigneurs Nguyên. Les premiers contacts évangéliques furent l'œuvre des Portugais qui, par suite de la bulle publiée par le pape Alexandre V I en 1493, possédaient temporellement comme spirituellement la moitié orientale du monde ; l'autre moitié occidentale revenait à l'Espagne. Cependant, l'Espagne et le Portugal déclinant, ne parvenaient plus à assumer leurs devoirs apostoliques : le manque de missionnaires se faisait sentir dans les régions administrées par eux. Le Viêt-Nam n'y échappa guère. Un jésuite français, le père Alexandre de Rhodes, prit avec l'accord de Macao, l'initiative de pallier cette déficience. La Société des Missions-Etrangères fut fondée dans ce but en 1664, à Paris, 128, rue du Bac. Les pères missionnaires français prirent la relève des jésuites portugais, non sans heurts d'ailleurs. 4 Les querelles se prolongèrent jusqu'au 18 e siècle, les jésuites portugais n'admettant pas de perdre du terrain, refusaient de reconnaître les pouvoirs des vicaires apostoliques, membres des Missions-Etrangères, envoyés au Viêt-Nam par la Congrégation de la propagation de la foi, fondée à Rome en 1622. En effet, Rome avait de sérieuses raisons de vouloir reprendre en main les missions administrées par le Patronat espagnol et portugais : « Les missionnaires étaient trop peu nombreux. C'est la plainte de tous les temps. Mais cette pénurie menaçait alors de devenir extrêmement grave. Beaucoup se montraient ou incapables ou indignes : incapables parce que mal choisis et non préparés ; indignes parce que le départ en mission offrait un refuge aux prêtres travaillés d'ambition ou avides de s'enrichir. Les mission3. Ibid. 4. Cf. A. Launay, Histoire de la Mission riques, Paris, 1927, t. I : 1658-1717.

du Tonkin.

Documents

histo-

Mgr Pallu et la Compagnie des Indes

orientales

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naires capables manquaient d'appui et de ressources. Les uns et les autres ne s'embarquaient pour les Indes que pour trois années seulement. Après quoi, ils avaient le droit de rentrer dans leur patrie, ce qui était le cas du plus grand nombre. Les ordres mendiants eux-mêmes n'insistaient pas pour retenir leurs sujets plus de six ans. Comment auraient-ils eu le goût d'apprendre les langues ? ». 5 Rome voulait également mettre de l'ordre dans les rivalités chroniques existant entre les différents ordres, et désirait faire cesser l'immixtion du temporel dans le domaine spirituel Les Portugais essayèrent par tous les moyens possibles d'entraver les travaux des vicaires apostoliques et ceux des missionnaires qui leur étaient attachés en incitant les chrétiens viêtnamiens à leur refuser obéissance, quelquefois même en dénonçant les prêtres français aux autorités locales qui étaient défavorables au mouvement missionnaire. Ces querelles se révéleront souvent mesquines et sordides. Elles troubleront et diviseront une partie des chrétiens viêtnamiens et firent mauvaise impression sur les pouvoirs locaux ; mais les Portugais se basaient sur la bulle de 1493 pour revendiquer ce qu'ils estimaient leur revenir de droit. La Congrégation de la propagation de la foi, connaissant les carences des épiscopats espagnol et portugais, réfutaient les arguments du Patronat en mettant en avant, non les avantages et les droits qu'il devait en tirer, mais bien plutôt les charges morales et spirituelles : « Certes Rome donnait beaucoup ; mais elle posait ses conditions et, en regard des droits concédés, stipulait les devoirs et les charges qui y correspondaient... La ' donation ' ne concernait que les privilèges et les pouvoirs spirituels du patronage en droit canonique... Les princes d'alors avaient charge d'âmes ; ils collaboraient avec l'Eglise pour assurer à leurs sujets le salut éternel ; ils étaient serviteurs du Christ pour la préservation comme pour la propagation de la foi, pour la prospérité spirituelle des Eglises de leurs Etats comme pour l'établissement des Eglises en terres nouvelles. •» 6 5. A. Perbal, « Projets, fondation et débuts de là Sacrée Congrégation », in Mgr Delacroix, Histoire universelle des Missions catholiques, Paris, 1957, t II, p. 111. 6. Ibid., p. 110.

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Les premiers

contacts

Finalement le pays fut pris en main par les missionnaires français qui semblent s'être intéressés à cette partie du mende d'une manière toute particulière : « Il semble apparent dans les négociations qui eurent lieu alors entre Rome, le gouvernement français et les Missions-Etrangères, que cette société avait une particulière inclination pour l'Indochine. On lui propose de prendre charge de la mission jésuite de Pékin, de celle de Perse et elle refuse ; elle n'accepte que par ordre la mission de Pondichéry ou mission malabare ; mais elle demande expressément que les provinces de Cochinchine et du Tonkin, administrées par les Jésuites, soient confiées à ses missionnaires ». 7 C'est à partir de ce moment que les missionnaires français commenceront à vouloir donner à leur pays une place prépondérante dans les relations avec le Viêt-Nam. Ces tentatives vont prendre un aspect commercial : dans l'esprit des gouvernants de l'époque — 16e et 17e siècles — il s'agissait d'ouvrir le pays aux navires de commerce. Ils vont être secondés dans cette tentative par les missionnaires qui, selon les idées en cours, ne voyaient aucun inconvénient à mêler les intérêts de la nation, le commerce et ses profits, aux visées missionnaires et évangéliques : « L'expansion maritime devait suivre l'évangélisation. La puissante compagnie du Saint-Sacrement projetait la fondation d'une ' Compagnie de la Chine pour la propagation de la foi et l'établissement du commerce '. Il ne faut point s'en étonner. L'opinion courante à l'époque estimait valable de poursuivre en même temps la prédication religieuse, la gloire du roi et le développement du commerce : missionnaires et marchands s'appuieraient les uns et les autres... ». 8 Il convient de citer ici le cas de Mgr Pallu, envoyé au Nord Viêt-Nam comme vicaire apostolique. Il joua un rôle important en tant que promoteur de la création d'une compagnie de commerce, la Compagnie 7. Ch. Maybon, Histoire moderne du pays d'Annam (1529-1820). Etude sur les premiers rapports des Européens et des Annamites et sur l'établissement de la dynastie annamite des Nguyên, Paris, 1919, p. 143. 8. Lê Thành Khôi, op. cit. Cf. aussi Ch. Maybon, op. cit., p. 75-76.

Mgr Pallu et la Compagnie

des Indes

orientales

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des Indes orientales. Il était d'ailleurs aidé par les circonstances : la marine française était alors pratiquement inexistante et les Hollandais faisant du commerce dans ces régions du globe, refusaient de prendre à bord de leurs navires les missionnaires français. « Puisqu'il n'y avait pas de communications faciles, il fallait en créer... Il forma le plan d'une compagnie commerciale et l'exposa à ses amis, qui acceptèrent d'être ses coopérateurs... C'était la première partie du plan. La seconde consistait à fortifier cette société en l'unissant avec la compagnie française de l'Orient et de Madagascar. L'évêque engagea des pourparlers avec les directeurs de cette compagnie et conclut un traité... ». 9 Ce traité stipulait, au niveau des missionnaires, que ceux-ci avaient le droit « d'assister aux conseils tenus à bord et dans les ports de relâche >. Les dépenses totales étaient réparties entre les missionnaires et la Compagnie. Les missionnaires avaient droit au transport gratuit de leurs bagages et ne participaient qu'aux frais du premier voyage. Ce projet échoua mais Colbert s'y intéressa : il pensait créer une compagnie de commerce pour l'Extrême-Orient. Mgr Pallu profita de ces bonnes dispositions, sans pour autant perdre de vue les buts religieux qui le poussaient à s'adresser au ministre : « Il est bon de remarquer que le voyage du Tonkin pour le secours de cette église naissante, a été le premier objet de l'établissement de la petite compagnie des Indes qui se forma il y a treize ou quatorze ans... ». 10 « En la faisant, elle (la compagnie) pourvoira solidement à une chrétienté qu'on fait monter à 300 000 personnes qui ont reçu le saint baptême, et qui est en très grand péril si on tarde trop à la secourir ». 11 « Chez Pallu, les préoccupations temporelles n'étaient jamais qu'au service de ses devoirs d'évêque ». 12 9. A. Launay, Histoire générale de la société des Missions Etrangères, Paris, 1894, t. I, p. 56-57. 10. Lettre de Mgr Pallu à Colbert, datée du 2 janvier 1672 (Ch. Maybon, op. cit., p. 75-76). 11. Ibid., p. 79. 12. H. Chappoulie, Aux origines d'une Eglise, Rome et les Missions d'Indochine au XVIIe siècle, Paris, 1948, t. II, p. 302.

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Les premiers contacts

L'évêque agit également auprès des directeurs de la Compagnie des Indes orientales en leur présentant un mémoire en quinze articles 13 avec un additif concernant la nomination de chapelains dans les factoreries. Ces chapelains, selon le prélat, devaient jouer un rôle important : ils « doivent être tels que la compagnie puisse prendre créance sur eux, personnes de tête et de conseil pour certaines affaires dans lesquelles les simples négociants se trouvent embarrassés ». 14 L'évêque déploya une activité très grande pour faire aboutir ses projets d'évangélisation et de commerce. Après s'être adressé au roi, à Colbert et aux directeurs âz la Compagnie, il réussit à ce que deux d'entre eux écrivent au roi d'Annam et lui témoignent leur désir d'ouvrir un établissement commercial au Nord. 15 L'installation d'un comptoir commercial français fut accepté au Nord, à Hung-Yên, à la grande satisfaction de l'évêque. « On ira infailliblement au Tonkin où nous tâcherons de faire un pont d'or à ceux qui gouvernent pour y obtenir la liberté de conscience ».16 Son action était conforme à ses idées (l'évêque fut retrouvé sur la côte des Philippines lors d'un typhon tandis qu'il cherchait à se rendre au Nord Viêt-Nam, et les Espagnols qui l'accueillirent, trouvèrent sur lui « un projet pour l'établissement de la Compagnie royale des Indes dans ie royaume du Tonkin »), mais pouvait paraître à certains excessive. On en a un exemple dans une lettre écrite aux directeurs de la Compagnie des Indes orientales par un marchand nommé Roques, les mettant en garde « contre l'ambition et l'esprit envahissant des missionnaires... Ce sont eux qui poussent à fonder partout des comptoirs, notamment au Tonkin, afin d'y pouvoir établir leurs missions, sans souci des dépenses que ces entreprises causent à la Compagnie ». 17 Mgr Pallu avait été aidé dans ses projets par l'évêque de Bérythe, Mgr Lambert de la Motte, vicaire apostolique de Cochinchine, et les deux vicaires généraux, Louis Chevreuil affecté en Cochinchine, ainsi que François Deydier affecté au Tonkin. 13. 14. 15. 16. datée 17.

A. Launay, Histoire générale, t. I, p. 166. Ibid., p. 168-169. Ibid. Lettre de Mgr Pallu aux directeurs du séminaire des Missions-Etrangères, de Surate le 5 novembre 1681 (Ch. Maybon, op. cit., p. 83). Ibid., p. 82.

Mgr Pallu et la Compagnie des Indes

orientales

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L'évêque de Bérythe, au cours de son voyage au Tonkin, en 1669, avait obtenu du seigneur Trinh la construction d'une « maison » et la permission « pour deux des siens... de demeurer dans le royaume ». 18 II en avait averti Mgr Pallu qui écrivit en conséquence à Colbert : « Je vous supplie, Monsieur, par l'intérêt de la foi dont dépend celui de la Compagnie, et pour l'honneur et la gloire du roi très chrétien, de porter messieurs les directeurs généraux à disposer incessamment tout ce qui est nécessaire pour l'établissement d'un comptoir en ce royaume, ou au moins pour y faire un voyage. Cette affaire ne peut être que très avantageuse à la Compagnie ». 19 Les deux évêques ne furent pas les seuls à vouloir ouvrir rapidement un comptoir français sur les bords du fleuve Rouge : « ... le Missionnaire (Deydier), qui redoutait comme un fléau la venue d'un bateau de Macao, désirait ardemment l'installation des marchands français sur les bords du fleuve Rouge où ils pourraient trafiquer comme les Hollandais. Son expérience des choses du Tonkin le persuadait que l'intérêt de la chrétienté exigeait d'être protégé par le prestige commercial d'une nation d'Europe. ' Il serait difficile de soutenir cette mission, avait-il écrit dès le 1 er novembre 1667 à Pallu, à moins d'envoyer tous les ans quelques vaisseaux de France au Tonkin, et j'espère que le nouvel établissement de la Compagnie royale que j'ai ouï dire qu'on projette en France nous donnera le moyen de travailler ici avec bénédiction ' s. 2 0 L'établissement du comptoir français de Hiên est dû à l'action conjuguée de Mgr de Bérythe, de François Deydier, et du capitaine du navire qui avait amené Mgr Lambert de la Motte au Tonkin avec ses deux coadjuteurs Jacques de Bourges et Gabriel Bouchard, le Bourguignon Junet. Selon les sources religieuses, c'est ainsi que se déroula l'action des divers personnages en question : « ... Cependant Junet faisait présenter au roi une requête qui réussit. Il demandait que la Compagnie royale de France pût établir son commerce au Tonkin ; Trinh Tac répondit très favorable18. H. Chappoulie, op. cit., t. II, p. 281. 19. Ibid. 20. Ibid., 2

p. 228.

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Les premiers contacts ment, promettant ' d'amples privilèges au cas où l'on voulût fréquenter ses ports et qu'on lui fît venir quantité d'artillerie de la fabrique d'Europe, qui est la marchandise la plus recherchée en ce pays '. Sur-le-champ il concédait à Hiên un fonds considérable pour y établir un comptoir ». 21

De son côté, le missionnaire Deydier n'était pas resté inactif : « Deydier cependant essayait d'agir sur l'entourage de Trinh Tac par l'intermédiaire de ses amis de la Cour, spécialement la chrétienne Ursule. On rapporta au Chua que ' tous les étrangers demeuraient d'accord que les Français étaient de tout autre considération! que les Hollandais, qu'il ferait une action de justice de leur accorder plus de privilèges, et qu'il ferait aussi une chose fort utile pour son Etat de tâcher de les obliger d'y venir faire du commerce, puisqu'il était certain que les Français leur pouvaient apporter les choses qu'il désirait en plus grand nombre que les Hollandais ' ».22 Aussi, après l'ouverture du comptoir à Hiên, Deydier écrivit à Pallu de montrer à la Compagnie quels avantages elle tirerait de son commerce avec le Tonkin. En plus des canons tant prisés par le souverain, « l'on y peut encore porter de France... d'autres marchandises non moins estimées, comme sont l'écarlate et les draps fins de toutes couleurs, et l'on en peut rapporter d'autres, comme sont les porcelaines, les bois aromatiques et toutes sortes d'étoffes de soie de la Chine sur lesquelles il y a 400 pour 100 à gagner. Il serait d'un indicible avantage pour la religion que la France portât son commerce en ce royaume... ». 23 On voit donc les raisons pour lesquelles les missionnaires mêlaient si étroitement religion et commerce : ce biais leur facilitait l'entrée dans le pays et leur permettait par la suite d'y demeurer sans trop attirer l'attention et les représailles du gouvernement local. Deydier et de Bourges résidant à Hiên n'avaient de la tranquillité que grâce à leur habit de marchand. Mais la Compagnie n'ayant rien fait de positif au Tonkin, ils furent dès lors inquiétés : 21. Lambert de la Motte à Lesley, Siam, le 20 octobre 1670 (A. Launay, Histoire Tonkin, p. 111). 22. H. Chappoulie, op. cit., t. II, p. 230-231. 23. Ibid.

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« On reprochait aux deux missionnaires de construire de nouvelles églises en prélevant des impositions sur les Tonkinois chrétiens, et aussi de continuer de tenir des assemblées malgré les ordonnances royales. Mais le vrai grief du Chua et de son entourage, c'était de ne recevoir jamais des Français aucun des présents qu'exigeait l'usage ». 24 Grâce au commerce, les pères avaient les moyens de vivre et de mener leurs chrétientés sans trop attendre ni demander de secours extérieurs. D'après Lê Thành Khôi 2S , jusqu'à la fin du 18e siècle, « le commerce français n'eut guère d'autres représentants au Dai-Viêt que les missionnaires ». Il a été reconnu que trop souvent, les missionnaires partaient avides surtout de satisfaire leur désir de gains. Les abus étant fréquents et indécents, Rome finit par leur interdire de s'adonner au commerce. Urbain VIII en 1633, par sa constitution ex debito pastoralis, puis Clément IX en 1669, par sa constitution sollicitudo pastoralis, tentèrent d'y mettre un frein. Mgr Pallu, tout en pensant la même chose, affirmait cependant que dans certains cas très précis, le commerce se révélait une source indispensable au travail missionnaire. « ... il n'est pas sans penser que, dans certains cas définis, il soit légitime d'admettre quelques dérogations aux défenses édictées. Et l'interdiction du commerce, qui ne tend qu'à empêcher les abus nuisibles à la propagation de la foi, peut être sinon levée, du moins atténuée lorsque l'intérêt supérieur de la propagation de la foi est en jeu ». 26 Cette interprétation fut acceptée par le pape et par la Sacrée Congrégation, et l'astucieux évêque put mettre en pratique ses théories : « Il est manifestement permis, comme la Sacrée Congrégation elle-même l'a suggéré, de couvrir l'œuvre d'évangélisation du voile du commerce, quelquefois et pour des causes graves, et de jouer le rôle de négociant... Il est donc acquis que des membres des Missions-Etrangères, avec le consentement de leurs supérieurs, se sont conduits en marchands, et il est d'autre part hors de doute que leurs opérations 24. Ibid., p. 362. 25. Lê Thành Khôi, op. cit., p. 295. 26. Ch. Maybon, op. cit., p. 89.

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commerciales n'ont été qu'une façade destinée à masquer l'œuvre d'évangélisation... > . " Les opérations commerciales des missionnaires ne devaient pas être très importantes. Elles portaient surtout sur des objets légers, faciles à vendre ; elles consistaient également en achat et redistribution de riz pendant les périodes de famine. Les missionnaires faisaient aussi métier d'horloger, de mathématicien. Les véritables opérations commerciales se faisant à plus vaste échelle, étaient aux mains d'autres nations : « Le principal commerce de ce pays est soutenu par les Chinois, Anglais, Hollandais et autres marchands étrangers, lesquels y font leur résidence, ou y reviennent tous les ans. Ils en tirent les denrées du pays, et y apportent celles qu'ils savent y être de bon débit... ». » En dépit du peu d'importance que revêtait le commerce fait par les missionnaires, ceux-ci réussirent à y intéresser des négociants. Les agents des compagnies françaises misaient sur le Viêt-Nam qui aurait servi de point de chute. On peut également citer ici le nom d'un autre missionnaire, Edmont Bennetat, coadjuteur de Mgr Lefebvre, qui, d'accord avec Dupleix, essaya de fléchir le Chua Nguyên, Yo-Vuong, inaugurant alors une politique hostile envers les prêtres et les étrangers. En 1751, à l'époque où Dupleix demandait à Mgr Bennetat de se mettre en rapport avec lui, Vo-Vuong appliquait sa politique xénophobe. Quelles étaient les intentions de Dupleix en faisant appel aux missionnaires ? « En servant les missionnaires, Dupleix voulait aussi se servir d'eux pour l'honneur de la France, l'accroissement de son commerce et de son influence. L'Indochine, l'Annam en particulier, lui apparaissait comme un riche et facile débouché. C'était dans ce but qu'il avait exprimé le désir de voir Mgr Bennetat. L'évêque était fait pour s'entendre avec cet homme... Entreprenant et hardi sans témérité, Bennetat plut en effet à Dupleix, qui le pria de lui servir de négociateur, afin d'établir des relations solides entre la Cochinchine et Pondichéry, de fonder des factoreries, et d'acquérir quelques coins de 27. Ibid.,

p.

80.

28. Ibid., p. 99-100.

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terre sur la côte. L'évêque accepta et partit avec Rivoal, sur un navire frété pour lui et chargé de présents pour Vo-Vuong >. 29 Le projet échoua. En même temps que Dupleix faisait cette tentative, un ancien missionnaire, Pierre Poivre, réussit à convaincre les directeurs de la Compagnie des Indes de lui confier une mission, dont la première partie était réservée à l'ouverture du commerce en Indochine, ainsi qu'à la fondation d'un comptoir dans ce pays. Poivre également n'obtint aucun succès. Alors que ces essais avaient eu lieu sur place, un autre missionnaire qui avait lui aussi quitté les Missions-Etrangères entre 1736 et 1739, présentait au Garde des Sceaux, M. de Silhouette, un mémoire « dont l'objet était de décider la Compagnie des Indes à ouvrir le commerce non plus en Cochinchine, mais au Tonkin... ». 30 Ce mémoire présenté le 24 février 1753, ne fut pas pris en considération par les directeurs de la Compagnie. Tous ces exemples prouvent la part que les missionnaires de la rue du Bac prirent à intéresser les milieux d'affaires français aux avantages économiques du Viêt-Nam. Ce n'était qu'un début, et il faut remarquer avec H. Chappoulie que les missionnaires français — quoique cela pût parfois leur être utile — ne voulaient pas s'adonner eux-mêmes au commerce ; ils désiraient seulement l'installation d'une compagnie française qui leur aurait facilité la tâche de pénétration et de séjour au ViêtNam. 31 Aucune demande de protection armée n'avait encore été formulée à la France. Une seule avait été avancée par Mgr Pallu qui estimait plus rassurante et plus efficace la présence, même réduite, de son pays en ces lieux. 32

MGR PIGNEAU DE BÉHAINE, ÉVÊQUE D'ADRAN ET LE TRAITÉ DE VERSAILLES (1787) Les événements politiques se déroulant au Viêt-Nam dans la seconde moitié de 18 siècle, allaient modifier et précipiter l'immixtion de la 29. A. Launay, Histoire générale, t. I, p. 569-570. 30. Ch. Maybon, op. cit., p. 168. 31. Cf. à ce sujet le passage relatif à Mgr de Bérythe qui s'élève contre les jésuites se livrant au commerce (H. Chappoulie op. cit., t. I, p. 153-159). 32. A- Launay, Histoire générale, t. I, p. 169.

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France dans les affaires intérieures du royaume. La mort du chua Nguyên, Vo-Vuong, en 1765, va ouvrir dans tout le pays une ère de troubles. La régence avait été laissée à un homme peu aimé de la population, Truong Phuc Loan. La révolte qui éclata peu après fut dirigée par trois frères, les Tây-Son. Leur dessein avoué était de renverser la famille princière du Sud, les Nguyên, et de rétablir l'unité du pays en redonnant à la famille royale des Lê le pouvoir effectif et réel sur l'ensemble du pays. Le successeur de Vo-Vuong, Dinh-Vuong et son fils furent tués lors de la prise de Saigon par les troupes Tây-Son. Un prince de la famille Nguyên, Nguyên-Anh, héritier du trône à la suite de ce double assassinat, alors âgé de dix-sept ans, réussit à s'enfuir au Cambodge avec ses partisans. Là, il fit la connaissance de Mgr d'Adran soit en 1776, soit en 1777. L'évêque était attaché à la mission de Cochinchine, et devant les événements, avait dû lui aussi fuir les lieux de combat. Nguyên-Anh s'octroya le titre de généralissime et prit la ferme résolution de rentrer en possession de son trône et de son royaume. Mais ses forces armées étant insuffisantes, il lui fallait une aide extérieure. Au Nord, les Lê pour faire front aux révoltés, avaient fait appel à la Chine. Nguyên-Anh s'adressa à ses proches voisins, les Siamois qui se montrèrent aussi peu efficaces que décevants. C'est dans ce contexte troublé que les missionnaires se proposèrent pour aider le prétendant. Le mérite de cette intervention revient toujours à Mgr d'Adran, mais, avant lui, un autre missionnaire avait essayé lui aussi de pousser la France à intervenir en faveur de Nguyên-Anh. Il s'agit du Père de Loureiro, jésuite, attaché comme médecin à la cour de Vo-Vuong. Il n'avait pas été touché par l'édit d'expulsion que le chua avait promulgué en 1750 contre les missionnaires. Le père possédait une connaissance approfondie du pays. Il avait quitté le Viêt-Nam vers 1775. Il noua des relations avec le chef de l'établissement français de Chandernagor, Chevalier, lui-même très favorable à une implantation française en Cochinchine. Le jésuite, en compagnie de deux mandarins de la cour des Nguyên, se rendit à Saigon sur un navire anglais dont le capitaine, Chapman « rapporte que les deux mandarins, par l'intermédiaire du P. de Loureiro, avaient noué des intrigues avec Chevalier, chef de l'établissement français de Chandernagor ». 33 33. Ch. Maybon, op. cit., p. 175.

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« On comprend que les conversations qu'il eut avec le P. de Loureiro, dont le séjour en Cochinchine avait duré plus de vingt-cinq ans, lui fournirent maints arguments nouveaux en faveur des projets qu'il préconisait. Le missionnaire le mit en rapport avec ses compagnons de voyage... ; les mandarins de Huê, sans nul doute, appuyèrent de leur autorité de membres de la famille royale les paroles et les propositions de Loureiro ». 34 Et quand Chevalier écrira au gouverneur de Pondichéry 35, il demandera, sur les conseils du père missionnaire, une aide militaire capable de seconder Nguyên-Anh dans sa lutte.36 Le chef de l'établissement français de Chandernagor ajoutait que le père conduirait lui-même les troupes auprès du prétendant.37 En dépit de ses instances, le projet de Chevalier ne fut pas appliqué. Pendant ce temps-là, Nguyên-Anh essayait de reprendre ses Etats. Il avait demandé aux Siamois une aide militaire, mais malgré cela, en mars 1783, il subit une nouvelle défaite infligée par les Tây-Son. L'évêque d'Adran avait de nouveau quitté le Viêt-Nam, où il était retourné, profitant d'une très courte victoire du prince. Il avait regagné le Siam. Là, il reçut un appel dé Nguyên-Anh, entre le 29 juillet et le 27 août 1783, lui enjoignant de venir le rejoindre. " « Le prince pria l'évêque de lui procurer des secours français ; l'évêque accepta cette mission et demanda un gage ; NguyênAnh lui confia alors son fils Canh qui venait d'avoir quatre ans ». m Le prince et le prélat étaient sans doute unis par une vive sympathie née dès leur première rencontre, mais Mgr d'Adran, en acceptant le principe de l'âide française, avait aussi d'autres raisons. L'évêque était parfaitement au courant des tractations que le jeune prince avait fait auprès de diverses nations européennes pour en obtenir une aide. En 1783, Nguyên-Anh, après sa défaite du mois de mars, allait faire partir une barque vers Manille, « afin d'y demander du secours aux Espagnols 34. Ibid., p. 180. 35. Ibid. 36. Ibid., p. 181. 37. Ibid. 38. Ibid., p. 203 39. Ibid.

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et d'y acheter des vivres ». Des offres lui avaient été faites par les Anglais, les Hollandais de Batavia et les Portugais de Macao. L'évêque d'Adran fait état de ces offres dans plusieurs de ses lettres : « Les Anglais en 1778 (ou 1779), étaient allés pour donner du secours à ce prince ; ils avaient manqué leur expédition, parce qu'ils ignoraient qu'il se fût retiré dans les provinces méridionales... ». 40 Le journal de M. Letondal, missionnaire 41, fait état d'un traité qui devait lier Nguyên-Anh et le Portugal au cas où ce dernier lui enverrait des troupes et des armes. Dans des lettres postérieures à son voyage en France, l'évêque d'Adran met au courant les directeurs de la rue du Bac des offres que les Anglais et les Hollandais, tenus au courant des difficultés du prince, venaient de lui proposer, afin qu'il en parlât à Nguyên-Anh : « Si j'avais été assez peu patriote pour me laisser guider par l'humeur, il n'y a pas encore quinze jours que j'aurais pu profiter des offres qu'ils (les Anglais) me faisaient... ». 42 D'autres lettres écrites par différents missionnaires parlent de ces offres étrangères adressées à l'évêque qui, par patriotisme, refusa toujours : « Les offres dont l'évêque ne parla qu'en général, je puis les préciser. Les Anglais lui ont fait offrir secrètement leurs services avec tous les avantages personnels qu'il voudrait. Ils lui offrirent, en effet... et pour lui-même, cent mille pièces d'or (pagodes) qui valent environ neuf livres de notre monnaie. Il répondit qu'il ne pouvait, au préjudice de sa nation, accepter leurs services ». 43 « Les Hollandais avaient tenté d'attirer M. l'évêque d'Adran et le jeune prince de la Cochinchine ; j'avais appris leurs efforts de Malacca, mais aussi leur peu de réussite ». 44 40. Lettre de Mgr Pigneau au Sénat de Macao, datée du 8 juillet 1785 (A. Launay, Histoire de la Mission de Cochinchine, 1658-1823. Documents historiques, Paris, 1923, t. III, p. 154-156). 41. A.M.E., t. CCCVI, p. 1 066 et 1 786 (ibid., t. III, p. 156-158). 42. Lettre de Mgr Pigneau aux directeurs du séminaire des MissionsEtrangères datée de Pondichéry, le 8 juin 1789 (ibid., t. III, p. 202).. 43. Lettre de M. Turin aux directeurs du séminaire des Missions-Etrangères, datée du 9 juin 1789 (ibid.). 44. Lettre de M. de Guignes à M. de Vaivres, Quanton le 1" décembre 1790 (ibid.).

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Au sujet de cette lettre, Launay ajoute : « Nous n'avons pas trouvé dans les A.M.E. l'original des lettres que nous citons ici. Les passages que nous reproduisons sont les extraits d'une pétition adressée à l'Assemblée Nationale par les directeurs du Séminaire des M.-E... On trouve également dei traces de ces offres dans la lettre de Mgr Pigneau au Sénat de Macao (8 juillet 1785)... ». L'évêque était mû par des motifs de plusieurs sortes. Il fallait d'abord inciter Nguyên-Anh à faire appel de préférence à la France : « ... l'évêque sachant les intentions de Nguyên-Anh de s'adresseï à une puissance européenne, et désirant qu'il fut fait appel de préférence à son pays, avait offert lui-même le secours de la France ; au début de l'année 1784, à un moment où la situation du prince semblait désespérée, il avait renouvelé ses offres et, sans doute, ses instances... ». 45 Mais il lui fallait aussi agir du côté du gouvernement français. La raison première et la plus simple était d'ordre religieux. « ... l'évêque d'Adran prend la décision de soutenir le souverain menacé, d'intervenir dans les affaires de la Cochinchine, non pas pour des fins temporelles, comme naguère Dupleix, mais pour des fins purement spirituelles à l'avantage de la religion qu'il a mandat de propager »."6 L'évêque avait refusé l'aide anglaise et hollandaise, ces deux pays étant protestants. En tant que catholique, il ne pouvait décemment accepter une telle solution. Il ne pouvait pas non plus pousser Nguyên-Anh à l'accepter car, dans son esprit, c'était la voie ouverte au protestantisme en Annam. Il écrivit à ce sujet une lettre au Sénat de Macao : « Il n'y a que des motifs de religion qui, devant Dieu et devant les hommes, puissent m'excuser de préférer une autre nation à la mienne. C'est pour cette raison que je propose de vous remettre le roi de Cochinchine, son fils, sept à huit des principaux mandarins, les moyens faciles de rétablir ce prince, et non seulement le 45. Ch. Maybon, op. cit., p. 208. 46. G. Taboulet, Le Traité de Versailles (28 novembre de sa non-exécution, Saigon, 1939, p. 5.

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Les premiers contacts moyen de se dédommager des dépenses qu'on aurait pu faire, mais d'établir dans ses Etats un commerce qui serait aussi honorable à la nation portugaise qu'avantageux à la ville de Macao. Je crois inutile de m'étendre sur cette matière ; il n'y a presque personne à Macao qui ne la connaisse aussi bien que moi... ».47

L'évêque avait écrit à M. Descourvières, de Pondichéry, le 6 juillet 1785, que Nguyên-Anh fatigué de la mauvaise foi des Siamois, songeait à se tourner, en désespoir de cause, du côté des Hollandais. Mgr d'Adran l'en dissuada, et pour l'empêcher d'aller voir les Anglais, 11 aurait, quant à lui, pensé à une nation catholique autre que la France dont les ressortissants lui paraissaient bien impies, les Portugais de Macao. 48 II est donc étonnant que l'évêque se démente auprès de la même personne, huit mois plus tard 49 : « Quant à la lettre écrite aux Portugais de Macao, je suis surpris que vous en ayez été la dupe, vous qui les connaissez si bien. Comment avez-vous pu vous persuader que je pouvais attendre du secours d'un endroit comme Macao, tandis que je sais qu'il n'y a pas un soldat. Cette lettre a été faite pour ne pas indisposer les Portugais de Macao contre nos missions, et pour répondre à la lettre que Dom Francisco-Xavier de Castro, gouverneur de cette ville, m'avait écrite à ce sujet deux ans auparavant. J'avais aussi en vue de profiter de leurs vaisseaux pour donner de mes nouvelles au roi de Cochinchine, ne pouvant lui en donner par aucune autre voie... ». Une chose certaine que l'on peut déduire de ces trois lettres pourtant contradictoires, est que l'évêque aurait préféré une aide portugaise et catholique à une aide protestante anglaise ou hollandaise. Il ne s'agit nullement de mettre en doute la parole et la sincérité de l'évêque, mais on peut se demander légitimement si celui-ci ne tentait pas, en écrivant au Sénat de Macao, de se ménager une sortie de secours au cas où ses instances ne seraient pas prises en considération par la cour de Versailles. Cette hypothèse peut être rejetée eu égard aux événements qui 47. Lettre de Mgr Pigneau au Sénat de Macao, datée de Pondichéry le 8 juillet 1785 (A. Launay, Histoire Cochinchine, t. III, p. 154-156). 48. Ibid., p. 153-154. 49. Lettre de Mgr Pigneau à M. Descourvières, datée d'Ariancoupam, le 12 mars 1786 (ibid., p. 161-162).

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se déroulèrent au moment où l'évêque essuyait un refus de la part du gouverneur de Pondichéry : il ne s'adressa pas une seconde fois au Sénat de Macao. En dehors de ce motif religieux, on peut avancer une raison patriotique : l'évêque et la grosse majorité des missionnaires étant français, n'était-il pas dans la logique des choses qu'ils aient fait appel à la France ? « Mgr Pigneau ne tarde pas à comprendre le profit que la religion peut tirer des troubles qui déchirent la Cochinchine. Il voit dans ces troubles une occasion providentielle de conquérir la reconnaissance du souverain contesté. Une fois affermi sur son trône, le roi de la Cochinchine ne pourra pas oublier les services rendus ». 50 Ce patriotisme se justifiait, en ce sens qu'il était profitable à la France de barrer la route aux Anglais dont les visées coloniales s'étendaient largement aux Indes et en Birmanie : « En résumé, un établissement à la Cochinchine donnerait le moyen certain de contrebalancer la grande influence de la nation anglaise dans tous les gouvernements de l'Inde, en y paraissant avec des ressources plus assurées et des secours moins éloignés que ceux qu'on est obligé d'attendre d'Europe... ». 51 « ... Et alors nous aurions véritablement en main les moyens efficaces, non seulement d'arrêter les Anglais dans les projets qu'ils ont de nous chasser de l'Inde, afin de s'étendre et de pousser leurs établissements dans toute la côte de l'Etat, mais encore de les faire trembler plus tard jusque dans le Bengale, qui est le siège principal de leur puissance, pourvu toutefois que cet établissement de Cochinchine fût compris et fait de la manière qui mérite d'être >.52 La réussite de l'entreprise aurait rapporté de nombreux avantages aux deux parties contractantes. « M. l'évêque promet : 1. Qu'avec les secours demandés à la cour de France, le roi de la Cochinchine sera en état de pacifier son royaume dans l'espace 50. G. Taboulet, op. cit., p. 5. 51. A. Launay, Histoire générale, t. II, p. 237-238. 52. Ibid. et cf. également dans A. Launay, Histoire Cochinchine, t. III, p. 165-166.

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d'une année, et de ramener à l'obéissance tous ceux qui, avant la guerre, en étaient tributaires. 2. Que dans l'espace de cinq à six ans, la nation française aura la plus grande influence dans toutes les cours de cette partie, c'est-à-dire depuis la province de Canton jusqu'au royaume du Pégou. 3. Que si la France avait des vues plus étendues que de faire un établissement à la Cochinchine, il aurait les moyens de la mettre en possession de l'Ile de Hoi-Nan qui autrefois a appartenu aux rois du Tonkin. 4. Que si les Anglais continuaient à s'étendre du côté du Pégou, comme ils l'ont fait en s'emparant des petits royaumes de Chatigan et d'Aracan, ils auront les moyens de les arrêter et de les suivre dans le Bengale. 5. M. l'évêque d'Adran observe qu'il est assez connu dans les différents royaumes voisins de la Cochinchine et qu'il connaît assez lui-même leur langue et leurs différents usages pour procurer aux établissements français toute la sûreté nécessaire ». 53 « Sa Majesté a pris cette détermination (d'agréer les propositions de Nguyên-Anh et de lui accorder des secours) moins pour se procurer cet établissement de commerce dans les eaux de la Sonde que pour empêcher d'autres puissances, et notamment les Anglais, de se mettre à notre place. S'ils y étaient parvenus, ils auraient eu une position qui les aurait mis en mesure de prévenir la navigation vers la Chine et d'inquiéter les possessions espagnoles et hollandaises dans cette partie du monde ». M « Les Anglais se sont emparés depuis la paix d'une île dans le détroit de Malac... ils y ont formé un port qui leur sera utile en temps de guerre... Les Anglais étendent et s'ouvrent continuellement de nouvelles branches de commerce dans toutes les parties du monde. Les Français au contraire, négligent toutes celles que les circonstances leur présentent. On ne doit pas laisser échapper celles que les révolutions de la Cochinchine leur offrent en ce moment ». 55 53. A.A.E., Asie, t. XIX (cité par A. Launay, Histoire Cochinchine, t. III, p. 166). 54. Ch. Maybon, op. cit., p. 234. 55. Ch. Maybon (ibid., p. 230) cite une pièce datée de novembre 1787.

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En dehors des avantages économiques et stratégiques permettant de contrer l'influence anglaise en Extrême-Orient, les missionnaires voyaient dans l'intervention de la France, leur chance d'étendre le catholicisme en Annam. Mgr Pallu demandant la création d'une compagnie de commerce avait déjà travaillé dans ce sens. A propos de la demande de protection qu'il avait faite à la France, Launay écrit : « ... Cependant l'exercice efficace d'une protection même aussi réduite, exigeait que la France fut représentée en Asie par ses forces maritimes, par son commerce et par sa diplomatie ... ; c'est pourquoi l'évêque posait comme base de ses projets l'extension coloniale de son pays... La France eût, en effet, par sa présence et son influence, fortifié l'action des missionnaires et hâté les progrès de l'évangélisation ; en échange elle eût été royalement payée par les services que les ouvriers évangéliques lui eussent rendus... ». 56 L'évêque d'Adran partit donc pour la France à la fin de 1784, en emmenant avec lui le prince hériter Canh, le sceau royal et une petite suite attachée au jeune prince. Auparavant, il avait été accrédité par le gouvernement de Huê comme intermédiaire entre la cour d'Annam et celle de Versailles.57 II avait reçu des pouvoirs illimités car Nguyên-Anh l'avait chargé de prendre avec le gouvernement de Louis XVI « les arrangements les plus convenables et les plus propres à prouver l'avantage des deux nations intéressées ». Avant d'arriver à la cour de Versailles, l'évêque s'arrêta à Pondichéry à la fin de février 1785. Là aussi il tenta plusieurs démarches en faveur de Nguyên-Anh mais se heurta à des refus : refus du brigadier d'infanterie placé à la tête des établissements de l'Inde, Coutenceau des Algrains ; refus du capitaine de vaisseau de Souillac, gouverneur général des Mascareignes qui se trouvait en inspection à Pondichéry. 68 L'évêque ne se découragea pas pour autant. Avant son départ pour la France, il avait écrit au ministre de Castries pour le mettre au courant de son pro-

56. A. Launay, Histoire générale, t. I, p. 169. 57. Mgr Pigneau accrédité près du gouvernement français ; délibération du Conseil royal de la Cochinchine, 1782. A.A.|E., Asie, t. X I X (cité par A . Launay, Histoire Cochinchine, t. III, p. 158-160). 58. Ch. Maybon, op. cit., p. 209. G. Taboulet {op. cit., p. 7-8) a publié une lettre de Coutenceau, donnant les raisons de son hostilité.

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jet et de l'objet de son déplacement. Versailles était donc renseigné. Le prélat y avait quelques défenseurs tant laïcs qu'ecclésiastiques. En février 1787 l'évêque débarqua à Lorient et fut reçu à la Cour probablement au début du mois de mai. 59 Pigneau de Béhaine était porteur d'un traité dont la majeure partie des idées se retrouvait dans le document de la cour de Huê qui l'accréditait comme son représentant et qui ressemblait quelque peu à celui rédigé par Chevalier. « Voici quelles auraient pu être, d'après lui, les bases d'une entente avec l'héritier des Nguyên : alliance offensive et défensive contre tous les ennemis, sans exception, des deux parties contractantes ; entretien des troupes françaises à la charge du prince ; construction d'une loge à Faïfo et droit pour la France d'y tenir garnison ; cession d'une province ; liberté entière de commerce ». 60 Mais l'entreprise paraissait très hasardeuse et l'évêque eut contre lui et son projet de nombreux adversaires dont les arguments prévaudront finalement. « Elle (la Cochinchine) était suffisamment éloignée du siège de la puissance anglaise et c'est là, certes un avantage ; toutefois, elle est à trop grande distance de l'Ile de France, et, en temps de guerre, elle risquerait d'être coupée de ce centre des forces et des ressources françaises. Les Anglais qui viennent de s'installer à Poulo-Penang nous fermeraient le détroit de Malacca, tandis que les Hollandais pourraient nous interdire le passage du détroit de la Sonde. Notre établissement de la Cochinchine serait isolé, réduit à lui-même, hors d'état de résister à une attaque ». 61 Louis XVI approuva cependant le projet de convention présenté le 25 novembre 1787, et le traité entre la cour de Versailles et Huê. Mais l'opposition avait déjà miné cette réussite : « ... ' avant que de passer à la signature ', l'administration des colonies, dans un nouveau mémoire, ayant d'abord résumé les avantages qu'on espère de l'expédition, développe quelques considérations propres à balancer peut-être la résolution à laquelle Elle (Sa Majesté) semble s'être arrêtée... ». 59. Ch. Maybon, op. cit., p. 227. 60. ¡bid., p. 227-228. 61. ¡bld., p. 230.

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Ces considérations portaient surtout sur la question des frais qui s'avéraient élevés. « Sans aller jusqu'à déconseiller l'entreprise, le rédacteur du mémoire demande qu'il plaise à Sa Majesté d'en confier la direction au comte de Conway, maréchal de ses camps et armées, commandant général de ses troupes dans l'Inde et que soient laissés ' à la sagesse et à l'intelligence de cet officier tous les détails de l'opération et de ses suites qu'il est impraticable et qu'il serait même dangereux de régler ici ' ». 62 Des instructions furent envoyées au comte de Conway. Elles pouvaient déjà passer pour restrictives par rapport aux stipulations du traité : « Quelque pressant que soit pour la Cour de Sa Majesté le désir de réintégrer dans la plénitude de son autorité un prince malheureux, le Sieur de Conway concevra aisément que la seule impulsion de ce sentiment n'aurait pas suffi pour provoquer l'acte de bienfaisance qu'elle veut exercer. Il fallait qu'elle y vît peu de danger pour ses troupes, peu de sacrifices à faire en finances, peu d'étendue à donner à sa protection ; mais en retour, des concessions précieuses pour l'augmentation de sa puissance en Asie, pour l'extension du commerce de ses sujets dans cette partie intéressante du globe... Des ordres plus nets furent envoyés le 2 décembre au gouverneur de Pondichéry : Louis XVI désirant « se tranquilliser sur des doutes qu'elle ne peut résoudre elle-même, par la plus grande marque de confiance dans la sagesse du sieur de Conway », lui laissait « le pouvoir de procéder à l'expédition ou de surseoir à l'exécution de ses ordres » . " « Ainsi, l'intervention en Cochinchine à peine résolue et définie par un traité en bonne forme, le gouvernement estimait que l'inaction offrait aussi des avantages et, dans son indécision, remettait à une tierce personne, arrivée en Extrême-Orient depuis quelques mois, le soin d'agir suivant son opinion personnelle >. 65 62. Ibid., p. 231. 63. A. Launay (Histoire Cochinchine, t. III, p. 54) cite un extrait de la Correspondance générale de la Cochinchine (1787). 64. Ch. Maybon, op. cit., p. 232. 65. Ibid.

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Les membres du gouvernement et le gouverneur de Pondichéry furent tout de suite mis dans le « complot ». 66 II n'en fut pas de même de Mgr d'Adran. Des auteurs ont mis en avant la rupture du traité de Vergennes entre la France et les Pays-Bas, survenue le 10 novembre 1785, pour expliquer le recul du roi de France. La lettre donnant les instructions secrètes à de Conway, mentionnait par ailleurs la révolution de Hollande et « l'état d'épuisement où se trouvent les finances du roi ». Ainsi, l'évêque toujours assuré du succès de ses tractations arriva à Pondichéry le 10 mai 1788 et essuya tout de suite le refus du gouverneur qui se retranchait derrière les ordres du roi. En dehors de cette raison, le comte de Conway avançait d'autres arguments selon lesquels il valait mieux ne pas entreprendre cette expédition plus que hasar66. A. Launay, Histoire Coc'ninchine, t. III, p. 197, extrait de la Correspondance générale de la Cochinchine, p. 93 : le ministre de la Marine à M. de Conway : « Le roi, Monsieur, s'étant déterminé à accorder des secours au prince de la Cochinchine, pour qui l'évêque d'Adran était venu en France les réclamer de sa bonté, c'est sur vous que Sa Majesté a arrêté son choix pour commander l'expédition et diriger l'établissement qui doit en être la suite. Ses intentions sont clairement manifestées par les instructions ci-jointes, dont l'une est ostensible, selon l'usage que votre prudence vous suggérera d'en faire, l'autre secrète. Cette dernière vous laisse maître de ne point entreprendre l'opération ou de la retarder, d'après votre opinion personnelle, les documents que vous avez reçus, ou ceux que vous pourrez recevoir, tant sur la facilité du succès que sur les avantages de l'établissement projeté. Une telle marque de confiance de Sa Majesté vous prouve combien elle se repose sur vos lumières et sur votre zèle ». Launay ajoute : « Une lettre du même jour adressée à M. d'Entrecasteaux (la Correspondance générale de la Cochinchine, p. 96) exprime les mêmes idées ». Ibid., p. 198 et 199 : « Conseil d'Etat, 4 octobre 1789 : J'ai lu cette lettre au Conseil d'Etat. — Le roi a approuvé la conduite de M. de Conway très conforme aux ordres qu'il a reçus et qui lui ont été envoyés ». G. Taboulet, op. cit., p. 44-45 : « Le cabinet de Versailles n'a donc jamais partagé la conviction de l'évêque d'Adran. Il a signé le traité, mais il l'a signé du bout des doigts, si l'on peut dire, en faisant des restrictions mentales. Versailles n'a pas pris de décision définitive ; il s'en remet entièrement à son représentant à Pondichéry du soin de prendre l'attitude qui lui paraîtra la plus convenable... ». Les lettres du ministre à de Conway, en décembre 1788, contiennent des passages comme ceux-ci : « ... je conçois que vous aurez été embarrassé sur le parti que le roi vous autorise à prendre suivant les circonstances... L'évêque d'Adran prétend que les circonstances sont favorables, mais je crains qu'il ne soit dans Terreur... tout le pays est soumis aux usurpateurs... Le roi s'en rapporte à votre prudence, mais je suis persuadé que vous ne hasardez l'entreprise qu'avec des circonstances certaines... ».

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deuse : existence douteuse de Gia-Long 07 ; sa pauvreté en ressources qui devait l'empêcher d'honorer le traité signé avec Versailles. 68 Le roi de France n'avait donc rien à retirer de positif et de profitable dans cette expédition. Mgr d'Adran ne se laissa pas désarmé par tant d'hostilité et de mauvais vouloir : « Enfin, poursuivit le général (de Conway), voyant que je désirais être instruit du sort du roi de la Cochinchine, il m'a dit en présence de M. le Vicomte de Saint-Riveul que lui, évêque d'Adran, ferait seul la révolution ». 69 Le comte de Conway, devant la pression de l'opinion publique, s'était décidé à envoyer le 15 août 1788, le chevalier de Kersaint, avec la frégate la Dryade et un brick, le Pandour, en reconnaissance sur les côtes ccchinchinoises. La mission, de retour le 13 mars 1789, rapportait « des levées cartographiques et des renseignements sur la valeur de la Cochinchine. Malheureusement, ces renseignements sont si pessimistes, qu'ils ne peuvent que faire douter de la bonne foi du prélat ». 70 Mais Mgr d'Adran au courant des aspects favorables de la lutte de Nguyên-Anh et se basant sur ses dernières victoires, écrivit, en date du 18 mars 1789, une lettre à de Conway, lui demandant d'agir. 71 Le gouverneur avait, entre-temps, rendu compte à Versailles de son opinion personnelle et de la situation. Versailles répondit donc par une « sentence négative » à l'évêque. Ce n'est d'ailleurs qu'à cette époque que Mgr d'Adran fut mis au courant de la politique versaillaise : « Le 16 avril 1789, c'est-à-dire au moment où l'évêque d'Adran adresse à de Conway son dernier appel, le comte de la Luzerne expédie au prélat ce billet, qui sonne le glas de l'expédition : ' J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 28 août dernier relative à la lenteur des mesures prises pour l'expédition de la Cochinchine. Je ne puis que me 67. A. Launay, Histoire Cochinchine, t. III, p. 182 : « ... On ne sait où est le roi de la Cochinchine ; on ne sait même pas s'il existe... », et p. 189 : « ... et d'après la relation du père Nghi, missionnaire, son existence est douteuse ». 6S. lbid., p. 189 : « Quel fonds peut-on faire sur les promesses d'un roi qui n'a rien, qui ne peut rien ?... ». 69. Ch. Maybon, op. cit., p. 239. 70. G. Taboulet, op. cit., p. 30. 71. lbid., p. 31-33. 3

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référer à la lettre pour laquelle je vous ai marqué que cette expédition ne pouvait avoir lieu. J'autorisais M. le comte de Conway à vous fournir les moyens de revenir en France, si vous préfériez ce parti... ' ». 72 L'évêque ne possédait pas suffisamment d'argent pour aider tout seul Nguyên-Anh. De son côté, le prince viêtnamien avait reçu du gouvernement français, en tout et pour tout, mille fusils débarqués par de Kersaint à Poulo-Condore, ainsi que deux mille livres de poudre données par le comte de Rosily Méros quand celui-ci débarqua le prince Canh au cap Saint-Jacques, le 28 juillet 1789. Mais l'évêque avait eu quelques contacts avec les négociants de Pondichéry et de l'île de France où il s'était arrêté sur le chemin du retour, le 8 avril 1788 (le mémoire sur la Cochinchine de Charpentier de Cossigny adressé au Premier Consul en est une preuve). Ceux-ci lui étaient favorables. Dans son ouvrage Maybon cite un mémoire signé par vingt-quatre habitants des îles de France et de Bourbon « actuellement à Paris », défendant les vues du prélat. Ce mémoire portait entre autres la signature de deux futurs députés, Louis Monneron et Charpentier de Cossigny, l'un propriétaire à Pondichéry, l'autre à l'île de France. Il avait su intéresser les deux hommes en leur exposant les avantages économiques du pays, la Cochinchine étant le royaume d'Asie « qui fournit le plus de denrées commerciales propres à l'Europe... ». 74 L'évêque obtint donc des fonds et un contingent de volontaires. Faure cite le chiffre de trois cent cinquante-neuf individus, la plupart marins. 75 Tous ne servirent pas la cause de Nguyên-Anh, mais un grand nombre prit part aux batailles. Il semble inutile d'insister sur le rôle de Mgr d'Adran. Tout ce qu'il entreprit avant de rejoindre le prince est mieux connu que son action directe sur Nguyên-Anh : il fut en même temps son conseiller politique et son conseiller militaire. On a vu qu'il avait, en somme, fait pression sur celui-ci pour lui faire abandonner le projet de s'adresser à une puissance européenne autre que la France. 76 En ce qui concerne les opéra72. Ibid., p. 36. 73. Ch. Maybon, op. cit., p. 268. 74. Ibid. 75. A. Faure, Les Origines de l'empire 1888-1898, p. 210. 76. Ch. Maybon, op. cit., p. 238 et 279.

français dans l'Indochine,

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tions militaires, l'évêque prit part à la campagne de Nha-Trang en 1794 et en 1798. li accompagna les vaisseaux du roi en 1797, les troupes royales dans le Quang-Ngai et à Qui-Nhon en 1799. C'est au cours de cette dernière bataille qu'il mourut. Nguyên-Anh en fut très affecté et lui fit des funérailles nationales. Mais c'est à cause de cette trop grande activité que Mgr d'Adran fut attaqué à plusieurs reprises. On lui reprochait de mêler et de confondre temporel et spirituel et d'oublier sa condition d'ecclésiastique, de négliger la ligne directrice que la Propagande avait tracée au moment de l'envoi de missionnaires à l'étranger : « ... se garder strictement de toute ingérence dans les affaires politiques ou temporelles, et même si on en est prié, ne pas accepter d'emploi stable à la Cour... ». " Certains missionnaires essayèrent de le disculper.79 Ce qui est certain, c'est que, dans une pareille affaire, il était très difficile sinon 77. A . Perval, op. cit., t. II, p. 155-158. 78. Lettre de M . Lavoué à M . Letondal, A.M.E., t. D C C C I , p. 581, 27 avril 1735 : « ... il y eut quelques combats auxquels le prince n'assista pas, qu'il ne vit m ê m e pas ; il en était éloigné de plus d ' u n e heure. Monseigneur était avec lui et veillait à ce qu'il ne lui arrivât aucun accident. Voilà tout ce que Sa G r a n d e u r a fait, et ce que f o n t tous les jours les évêques qui accompagnent les rois d ' E u r o p e lorsqu'ils sont en guerre... ». Lettre de M . Le Labrousse à M. Boiret, A.M.E., t. D C C X L V I , p. 472, datée de Basse-Cochinchine, le 13 m a i 1785 ; également dans les Nouvelles lettres édifiantes, t. VII, p. 283 : « ... Monseigneur a-t-il été faire la guerre ? Monseigneur agit-il contre la sainteté de son état ?... N o n , M g r l'évêque d ' A d r a n n'a point été faire la guerre. Le roi l'a prié et supplié d'accompagner le prince à N h a - t r a n g , province nouvellement conquise, et de veiller à sa conservation... Monseigneur n'a pas cru devoir se refuser aux désirs du roi, parce qu'il n'a rien vu d a n s sa d e m a n d e qui blessât la sainteté de son état ; en conséquence, il est parti p o u r Nha-trang... Par la suite les Tây-Son, venus investir la place f u r e n t chassés, et d a n s leur déroute, f u r e n t pourchassés p a r les troupes royales. Le prince se mit également à leur poursuite. Monseigneur f u t obligé d e l'accompagner jusqu'à Phu-Yên... » (dans A . Launay, Histoire Cochinchine, t. III, p. 283, 286-287). C h . M a y b o n , op. cit., p. 205 : « 11 avait déjà été accusé à R o m e » ; « il le savait » dit Louvet (La Cochinchine religieuse, Paris, 1885, t. I, p. 410) ; « il n'ignorait pas q u e plusieurs de ses confrères mal instruits des circonstances, blâmaient sa conduite » ; et L a u n a y (Histoire Cochinchine, t. II, p. 317) : « L'intimité de M g r d e Behaine avec N g u y ê n - A n h excita chez ceux qui ne le connaissaient pas, et préféraient blâmer plutôt que de s'enquérir, la crainte que le vicaire apostolique n'oubliât ses devoirs d ' a p ô t i e ; on l'accusa m ê m e de s'occuper de guerre et de d o n n e r des conseils aux officiers sur l'art militaire ».

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impossible de ne pas se mêler des affaires politiques du Viêt-Nam. Même si l'évêque n'avait agi qu'au nom du catholicisme, les incidences de son intervention furent non seulement religieuses mais aussi politiques. Il serait cependant exagéré, en dépit des réels services que Mgr d'Adran a pu rendre à Nguyên-Anh, de dire que la victoire finale du prince fut seulement l'œuvre du prélat et des volontaires français. On a vu plus haut l'opinion que certains milieux avaient du prince, le jugeant mythique ou incapable de satisfaire les demandes de compensation du roi de France. Nguyên-Anh n'était cependant pas aussi démuni que pouvaient le laisser croire les assertions des adversaires de Mgr d'Adran. Le prince possédait le trésor de la famille, il était aidé par une partie de la population, avait ses propres partisans 79 et surtout, les circonstances lui étaient favorables. En effet, assez rapidement, des dissensions s'étaient faites sentir entre les frères Tây-Son, Nguyên79. L. Cadière, dans Bulletin des Amis du Vieux-Huê, 13e année, n° 1, janvier-mars 1926, p. 1-9 : « ... Et ils nous disent d'un autre côté, les services que les gens de la Mission recevaient de Nguyên-Anh : assistance, protection, facilités de transport... Quant aux dix barres, nous avons recours au Maître et aux chrétiens, pour qu'ils achètent des vivres afin de pourvoir à notre détresse ; plus ils pourront en acheter, mieux cela vaudra... ». Loc. cit., Le Maître : il s'agit du directeur du collège de la mission du Siam, Jacques Liot. Ch. Maybon, op. cit., p. 268-269 : « Une autre, source enfin où put puiser l'évêque d'Adran, c'est le trésor de Nguyên-Anh lui-même et le crédit qu'il pouvait avoir. Il est fort possible en effet que le prince ait été en mesure de participer aux acquisitions d'armes et aux affrètements, soit en avançant des marchandises ou même des espèces, soit en donnant des garanties de paiements ultérieurs. Ainsi, on trouve dans les historiographies (livre IV, p. 25) l'ordre d'acheter tous les ans cent mille livres de sucre aux producteurs annamites, cette denrée devant être échangée contre des armes que fournissent les Français ; le fait est signalé pour l'année 1789, mais il est fort vraisemblable que Nguyên-Anh s'était préoccupé antérieurement à cette époque déjà, de se procurer, par achat ou par troc, des vaisseaux et des armes ». Maybon cite en outre la liste des navires allant de l'île de France à la mer de Chine et ravitaillant, entre 1789 et 1791, Nguyên-Anh en armes : « ... La Garonne avait vendu, à son passage au Siam, deux de ses canons à des mandarins annamites... Le Saint-Esprit fit aussi un voyage aux Philippines pour s'approvisionner en munitions de guerre et de bouche ; il passa de là à Macao où Dayot (le commandant) devait acheter deux navires portugais pour les conduire à la baie Saint-Jacques. En 1790, Dayot fut de nouveau envoyé aux Philippines avec deux navires qu'il devait caréner ; il était aussi chargé d'acheter du soufre » (lettre de Nguyên-Anh au gouverneur des Philippines, datée du 14e jour du 5e mois de la 15' année Canh-Hung, 20 juin 1790).

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Nhac et Nguyên-Huê. Ils s'étaient partagé le pays. Nhac régnant dans le Sud au Quang-Nam et au Quang-Nghia en tenant Qui-Nhon ; Huê dans la partie Nord. Il en avait chassé le roi Lê Chiêu Thông et s'était fait introniser sous le nom de Quang-Trung. Mais il allait mourir en 1792 et les troupes de Nguyên-Anh devaient rapidement venir à bout de son fils âgé seulement de dix ans et de ses généraux. « Ainsi, depuis l'année mâu-thân (1788) jusqu'à l'année nhâmtuât (1802), la maison Tây-Son n'a régné que durant 14 ans. Durant toutes ces années, il lui a fallu se battre dans le Sud, pacifier le Nord, sans jamais arrêter la guerre ; et c'est pourquoi la maison des Tây-Son n'a pas pu s'occuper des autres questions. Puis, après la mort du roi Quang-Trung, le roi s'avéra méprisable, les mandarins fauteurs de troubles, la politique alla à la dérive et les gens furent mécontents ; tout le monde souhaitait une ère de prospérité et de paix pour vivre tranquille et travailler. C'est ainsi que, lorsque le prince de la dynastie des Nguyên leva des troupes au Nord, les populations le soutinrent, et il ne lui fallut qu'un mois pour que ses troupes pacifient le Nord, unifiant le pays, le Sud et le Nord formant une seule maison, faisant de notre pays un grand pays ». 80 Les missionnaires ne manquèrent pas, par la suite, de soulever la question de leur action au 18e siècle, lorsqu'ils durent justifier leurs revendications matérielles et spirituelles. Ils le firent pour deux raisons. Ils avaient en mémoire la politique contradictoire de la cour de Versailles. Le gouvernement français s'étant désisté, l'aide extérieure dont bénéficia Nguyên-Anh lui vint seulement de Mgr d'Adran, donc des missions. Nguyên-Anh ayant regagné son trône et ses Etats aurait dû une reconnaissance éternelle aux missions françaises. Aux yeux de la cour de Huê, les prétentions des missionnaires paraissaient exagérées. La France n'avait rien fait, le traité signé entre Louis XVI et Nguyên-Anh était sans valeur. De plus, ces réclamations et ces rappels constants des bienfaits de Mgr d'Adran, cette obligation que les Viêtnamiens devaient aux missionnaires en leur donnant une place privilégiée dans leur société, exacerbaient à la longue la susceptibilité des souverains. Les missionnaires n'en avaient cure. Ils réclamaient ce qu'on leur devait parce que, pour eux, l'intérêt de la religion était en jeu. 80. Trân Trong Kim, Viêt-Nam su luoc, Saigon, 1964, p. 405.

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Mais vouloir asseoir une religion étrangère dans des régions aussi éloignées de leur pays d'origine et en général hostiles à l'évangélisation, impliquait à plus ou moins long terme le recours à la présence, sinon à la force de leur nation. Les missionnaires vont tenter d'intéresser des personnes influentes à fonder des établissements de commerce au Viêt-Nam, mais, par la suite, ils allèrent beaucoup plus loin en réclamant de leur gouvernement un secours armé et l'intimidation du gouvernement viêtnamien rebelle à l'entrée du catholicisme dans le royaume. Mais il faut bien le répéter, c'était pour le triomphe du catholicisme. Le recours aux armes ou à la diplomatie n'était qu'un moyen d'y parvenir. Nguyên-Anh vainqueur des Tây-Son se fit introniser et prit le nom de Gia-Long en 1802. Il demanda l'investiture de la Chine et la reçut l'année suivante. H se montra tolérant envers le catholicisme, de l'avis même des missionnaires, puisqu'aucune persécution violente ne fut exercée contre les chrétiens. Gia-Long cependant, soit pour conformer son attitude à l'opinion de la Cour, soit par conviction personnelle, ne protégea ni ouvertement ni complètement le catholicisme. Témoin en est l'édit de mars 1804 qui entre le bouddhisme et les cultes superstitieux, attaquait aussi le catholicisme. Peuvent en témoigner également les lettres découragées et amères des missionnaires. Leur grand espoir, avec celui de Mgr d'Adran, avait été de voir le nouveau roi se convertir au catholicisme et entraîner dans sa suite tous ses sujets. Leurs espoirs furent déçus : « Quoique le roi ne persécute pas la religion, il faut voir en toute occasion qu'il n'est pas content qu'on l'embrasse ; et il n'y a aucune apparence qu'il se fasse jamais chrétien ». 81 Les pères avaient demandé à Gia-Long de promulguer un édit en faveur du catholicisme. 82 Le roi avait promis, mais il n'en fit rien et c'est finalement deux ans après, en 1804, qu'il fit paraître l'édit touchant entre autres le catholicisme. Les missionnaires se plaignirent de cette attitude si peu en accord avec la reconnaissance que le monarque aurait dû éprouver pour la religion et ses représentants qui l'avaient remis

81. M. Lavoué à M. Letondal, A.M.E., t. DCCCI, p. 436, datée de LaiThiêu, le 16 juin 1792 (dans A. Launay, Histoire Cochinchine, t. III, p. 222-223). 82. A. Launay (ibid., p. 427) cite Nouvelles lettres édifiantes, t. VIII, p. 87.

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lui, prince déchu, sur son trône. 83 Gia-Long avait certainement senti la pression que les missionnaires faisaient tous les jours un peu plus forte. Il réagit avec souplesse, c'est-à-dire en tenant à distance le catholicisme qui, sans être ouvertement honni n'en était pas non plus ouvertement protégé. Au sujet de la protection royale accordée officiellement aux chrétiens, voici la relation d'un missionnaire : « L'an dernier, en février, Mgr de Véren, Mgr de Castorie et moi, dans une audience particulière que nous eûmes du roi, nous présentâmes à Sa Majesté un écrit dans lequel nous demandions que les chrétiens du Tonkin et de la Cochinchine fussent exempts des superstitions auxquelles les païens veulent souvent les forcer. Le roi promit sur le champ d'accorder à notre demande ; ensuite il différa de temps à autre, pendant presque un an ; ensuite pressé d'accomplir sa parole, il ordonna au Grand Conseil d'examiner notre écrit et de voir ce qu'il y aurait à faire. Le Grand Conseil décida qu'on ne pouvait accorder notre demande et le roi se tut... ». 84 Gia-Long ne pouvait contrecarrer de front le catholicisme car, en dépit de la répulsion qu'il pouvait éprouver envers cette religion, il tenait en grande estime Mgr d'Adran. Cependant, il est possible d'imaginer quelles pouvaient être les idées que le monarque professait vis-àvis du catholicisme par le choix qu'il fit de son successeur. Son fils aîné, le prince Canh qui était allé à la cour de Versailles et en qui les missionnaires avaient mis tous leurs espoirs, était mort en 1802. GiaLong choisit donc le fils d'une de ses concubines, le prince Chi-Dam qui monta sur le trône en 1820 sous le nom de règne de Minh-Mang. Or le prince, du vivant même de Gia-Long, était réputé pour son antipathie des Européens en général et du catholicisme en particulier. Les missionnaires en conçurent de l'inquiétude : « Tout va son train ordinaire dans les deux missions du Tonkin et de la Cochinchine, qui sont maintenant sous la domination d'un même souverain. Le roi se souvenant toujours des bienfaits qu'il 83. Lettre de Mgr Boiret (A.M.E., t. DCCXLVII, p. 262, datée du 9 avril 1806). Lettre de Mgr Labartette à M. Boiret (ibid., p. 546, datée du 7 mai 1808). Lettre de Mgr Labartette à M. Alary (ibid., p. 654, datée du 22 mai 1811) dans A. Launay, Histoire Cochinchine, t. III, p. 430-432. 84. Lettre de M. Liot à M. Letondal, A.M.E., t. DCCCI, p. 1047, 1" mai 1804 (dans A. Launay, Histoire Cochinchine, t. III, p. 427).

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a reçus de feu Mgr l'évêque d'Adran, nous laisse une pleine liberté d'aller partout où nous voulons et d'exercer nos fonctions sans que personne ose nous en empêcher. Tandis qu'il sera en vie, il y a lieu d'espérer que nous jouirons toujours de cette liberté ; mais après sa mort, il y a fort à craindre que les choses ne changent ». 85 En effet, Chi-Dam avait fait des menaces. 86 Mais les missionnaires ont eu trop tendance à tout centrer sur leur personne, leur religion et leurs fidèles. Chi-Dam s'attaquait spécialement à la religion : il pensait toucher à travers elle le mouvement d'implantation étrangère, puisque c'était des religieux qui, les premiers, avaient si solidement pris pied dans le pays. Mais son idée principale était d'atteindre les Occidentaux et c'est par un hasard de l'histoire que les pères ont été les premiers Occidentaux installés au Viêt-Nam. Le prince crut ainsi que, pour chas85. Lettre de Mgr Labartette aux directeurs du séminaire des MissionsEtrangères, datée du 18 juin 1812 (ibid., t. III, p. 435). 86. Lettre de Mgr Labartette à M. Chaumont datée du 4 juin 1816. Lettre de M. Eyot à M. Langlois, datée du 17 avril 1817. Lettre de Mgr Labartette à M. de la Bissachère, datée de Huê le 9 mai 1819 : « Chi-Dam et Chi-Dai, dont vous avez entendu parler autrefois, et qui sont les enfants de la première concubine, se trouvent à présent sur le pinacle ; ce sont les deux frères: qui font tout. Ils ont tous les deux une haine implacable contre notre sainte religion. Dès que le roi sera mort, ils sont bien résolus d'imiter les laponais et d'exterminer totalement la religion de ce royaume ; je ne sais même pas trop s'ils attendront jusqu'à la mort du roi pour exécuter leur projet, car le pouvoir du roi est aujourd'hui tellement affaibli qu'il semble qu'il craigne les contrarier. Aussi ce sont les écrits du prince qui ont du débit et de la force dans le royaume. On regarde maintenant les écrits du roi comme surannés ; voilà la vraie situation où nous nous trouvons ». Lettre de Mgr Audemar aux directeurs du séminaire des Missions-Etrangères datée du 30 juillet 1819 : « ... Mais ce que ce méchant prince n'a pu encore faire par le passé, il pourra bien le faire à l'avenir... Le sujet de notre crainte est donc que le roi une fois mort, son fils ne gardera plus de mesure puisqu'il s'est déjà vanté de vouloir imiter le Japon à l'égard du christianisme. Ce prince a une telle envie de persécuter le nom chrétien, qu'il voudrait commencer même du vivant de son père ; il veut renvoyer les missionnaires ou se défaire d'eux de quelque manière que ce puisse être, parce qu'ils prêchent et entretiennent la religion catholique, objet de sa rage et de sa haine ». Lettre de Mgr Labartette à M. Barondel, datée du 8 mai 1819. Lettre de Mgr Labartette aux directeurs du séminaire des Missions-Etrangères, datée du 17 mai 1819 (A. Launay, Histoire Cochinchine, t. III, p. 433-435). Lettre de M. Vannier à M. Barondel datée du 15 juin 1819 (L. Cadière, « Documents relatifs à l'époque de Gia-Long », Bulletin de l'Ecole Française d'ExtrêmeOrient, n" 7, t. XII, 1912, p. 1-82).

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ser les Européens, il devait commencer par s'en prendre aux chrétiens. Il aurait agi de même avec n'importe quelle autre catégorie de personnes si celles-ci avaient été à l'origine d'une implantation étrangère dans le royaume. 87 Gia-Long connaissait les idées de son fils, la Cour également, et on peut se demander si le roi n'avait pas choisi exprès Chi-Dam pour qu'il fasse contrepoids à l'expansion européenne et missionnaire dans le pays. Son fils pouvait se sentir délié de la dette envers les Français qui l'avaient secondé lui, Gia-Long 88 et qu'il avait largement récompensés. Mais ni Gia-Long ni Minh-Mang n'avaient prévu qu'une politique xénophobe poussée à l'extrême pouvait entraîner la perte de l'indépendance du Viêt-Nam. Cependant, la ligne de conduite qu'adoptèrent Minh-Mang et ses successeurs les plus proches pouvait s'expliquer par plusieurs raisons, dont la première est d'ordre historique, social et culturel.

87. L. Cadière, loc. cit. Mgr Labartette à M. Breluque, 27 juillet 1821 (ibid.). M. Chaigneau à M. Barondel, Huê, le 3 juin 1819 (A. Launay, Histoire Cochinchine, t. III, p. 435). 88. M. Gaultier, Minh-Mang, Paris, 1935, p. 71-72 : « Alors qu'il n'était que prince héritier, Minh-Mang avait exprimé son opinion sur la politique qu'il convenait de suivre dans l'intérêt de l'Annam à l'égard des étrangers et des prêtres de la religion catholique. Gia-Long semble avoir en secret approuvé les projets de son fils et les recommandations qu'il a formulées à son lit de mort confirment cette hypothèse. Il n'a pas conseillé à son fils de maintenir l'état de choses qu'il avait lui-même toléré en souvenir de Pigneau de Béhaine, mais il lui avait demandé de toujours protéger les Français dont le dévouement avait été si précieux à la dynastie.., »,

CHAPITRE

II

L'influence de la Chine

LA DOMINATION

CHINOISE

L'influence chinoise est très ancienne. Elle est due à la position même de ce qui formera plus tard le Viêt-Nam proprement dit. Au début de son histoire, le Viêt-Nam est connu sous le nom de pays de Yuê (Viêt), de Giao-Chi ou Giao-Châu, puis de Nam-Viêt et d'Annam. En gros ses limites coïncidaient avec les limites sud des provinces chinoises, les deux Kouang, le Kouang-Tông et le KouangSi, le delta du fleuve Rouge et la région correspondant aujourd'hui au centre Viêt-Nam, région du col des Nuages ou Mui Chân Mây, légèrement en dessous de Huê. Ces provinces étaient riches et il semble que ce fut l'une des raisons majeures qui poussèrent les Chinois à s'y attaquer. Ainsi, en 221 avant J.-C., avec le triomphe des Ts'in et la fin de la période des Royaumes Combattants, l'empereur Ts'in Che Houang Ti prépara une expédition contre le Viêt du Tcho-Kiang, Fou-Kiên et Kouang-Tông : « Expédition dont les motifs étaient peut-être plus économiques que politiques. Les pays situés au Sud du Yang-Tsé, et surtout la région côtière des Yuê, qui étaient longtemps le théâtre d'échanges commerciaux entre la Chine du Nord et les ' barbares du Sud '. » 1 En effet, les Yuê échangeaient avec les Chinois des denrées de luxe. 2 Leur pays était également riche en or, en argent et en pierres précieu1. G. Coedès, Les Peuples de la péninsule indochinoise, histoire, Paris, 1962, p. 43. 2. Ibid.

civilisation,

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L'influence

de la Chine

ses. 3 Les Chinois n'ignoraient pas non plus la valeur économique des deltas du Si-Kiang et du fleuve Rouge. 4 Ts'in Che Houang Ti fit partir son expédition trois ans après et le général chinois Triêu-Dà se rendit maître de la plaine de Canton. En 207, Triêu-Dà devint roi du Nam-Viêt reconnu en 196 par la Chine. 5 Pour une raison d'ordre économique, l'impératrice chinoise lui ayant refusé le commerce du fer, Triêu-Dà se révolta et se proclama empereur. " Finalement, après avoir vaincu l'armée impériale envoyée contre lui et reçu une ambassade impériale, il abandonna son titre et reprit celui de roi. 7 Le Viêt-Nam et la Chine demeurèrent alors en paix jusqu'au 2e siècle. A cette époque, le Nam-Viêt refusa comme souveraine une princesse chinoise de la cour de Han, que le roi Minh-Vuong du Nam-Viêt avait épousé en secondes noces. A sa mort, en 112 avant J.-C., il désigna comme successeur le fils de la princesse Han au détriment de l'aîné. Le Nam-Viêt refusant de se soumettre à la reine mère qui menait une vie licencieuse, celle-ci avertit la Cour impériale. 8 « Les Han se montrèrent faciles et en accédant à cette demande, ils envoyèrent au roi et à son Premier Ministre un cachet d'argent en même temps qu'une feuille de pouvoirs qui accordaient de nommer à toutes les dignités exceptées celle de Thai-Pho ou lieutenant-général ; on autorisait aussi à juger de tous les crimes et 3. Legrand de la Liraye, Notes historiques sur la nation annamite, Paris, 1873, p. 6. 4. G. Coedès, op. cit. 5. A. Desmichels, Les Annales impériales de l'Annam, Paris, 1888-1892, t. I, p. 24. 6. Ibid., t. I, p. 26-27. 7. Ibid., t. I, p. 28-37. 8. Ibid., t. I, p. 36 : « Le roi étant enfant, et ici la reine douairière eut avec Thiêu-Qui de nouvelles relations. On le sut dans le royaume et beaucoup refusèrent d'obéir à la mère du roi. Cette dernière, craignant une insurrection, voulut s'appuyer sur la puissance des Han. Elle conseilla au prince et aux ministres de se placer au nombre des tributaires dépendant de la Chine ; et, sans perdre de temps, profitant du retour de l'ambassadeur chinois, elle adressa à l'empereur une lettre dans laquelle elle lui demandait d'être assimilée aux vassaux de l'intérieur de l'empire, d'aller aux hommages une fois tous les trois ans, et [par conséquent], de déplacer les passes des frontières. L'empereur Han y consentit. » L'expression déplacer les passes des frontières, signifie faire entrer Je Nam-Viêt dans les frontières chinoises.

La domination

chinoise

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délits, exceptés ceux comportant la peine du front incisé et du nez coupé ; c'était s'immiscer dans le gouvernement intérieur de ce royaume d'une manière inusitée » . 9 La révolte éclata, le Nam-Viêt rompant ses liens de vassalité avec la Chine, mais elle fut matée par le général chinois, Lô B a Duc. Après sa défaite, « en 111 avant J.-C., le Nam-Yuê fut incorporé à l'Empire et constitua le Tchéou de Kiao, comprenant neuf commanderies, dont six correspondaient géographiquement aux actuelles provinces chinoises de Kouang-Tông et Kouang-Si et à l'île de Hai-Nan, tandis que les trois autres correspondaient... aux deux commanderies de Kiao-Tche et de Kieou-Tchen augmentées de celle de Je-Nan (Nhât-Nam) s'étendant du Hoành-Son au col des nuages ». 1 0 La soumission du ViêtNam à la Chine dura cent quarante-neuf ans, de 111 avant J.-C. à 39 après J.-C. La cour des Han allait y envoyer des gouverneurs.11 Pendant longtemps, il allait en être ainsi, et les gouverneurs intègres et humains furent tellement rares qu'ils laissèrent leur nom à la postérité. 12 « Ce n'est que vers le début du 1 er siècle de notre ère que les gouverneurs chinois commencèrent à changer leur politique à l'égard des populations soumises. Un des préfets du Kiao-Tche nommé Si-Kouang (Tich-Quang) qui gouverna entre les années 1 et 25 ' transforma le peuple par les rites et la justice en d'autres termes s'efforça d'y implanter la civilisation chinoise plus

profondément

qu'auparavant ».13

Cette tentative de sinisation à peu près totale déplut fort aux seigneurs du pays. En effet, non seulement les écoles étaient à la mode chinoise, mais aussi les rites de mariage. « Après la division en provinces, vint l'immigration chinoise, le mélange des nationalités par le mariage. La plupart des condamnés à l'exil furent dirigés sur les pays annexés ; ils y prirent des femmes indigènes, les soldats chinois en firent autant. Les mariages furent régularisés afin de mieux lier l'homme à la famille ; 9. 10. 11. 12. 13.

Legrand de la Liraye, op. cit., p. 35-36. G. Coedès, op. cit., p. 46. Truong Vinh Ky, Cours d'histoire annamite, Saigon, 1875, t. I, p. 23. Ibid., et Desmichels, op. cit., t. I, p. 55-56. G. Coedès, op. cit., p. 47.

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L'influence

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car les unions semblent avoir été fréquentes en ce temps, mais elles n'offraient pas cette facilité d'assimilation que la responsabilité du chef de famille — investi de pouvoirs presque absolus sur les siens — apportait aux autorités du pays ». 14 La milice armée et l'administration étaient calquées sur le modèle chinois, de même que les méthodes d'agriculture qui utilisaient charrue et araire de métal, le port du bonnet et de chaussures à la chinoise.15 La révolte eut lieu sous Tô-Dinh, successeur de Tich-Quang, en 34. Elle fut menée par deux sœurs, les sœurs Trung. Mais celles-ci furent vaincues par le général chinois Ma-Viên, et la Chine termina sa conquête par une colonisation systématique au moyen de l'armée et de l'administration. « Jusque-là traité en simple protectorat, gardant ses institutions et ses mœurs, il (le Nam-Viêt) devint une véritable province chinoise... ». 16 « ... Administré jusque-là comme un protectorat, le pays devint une simple province de l'Empire. Les gouverneurs qui se succédèrent ensuite, appliquèrent avec plus ou moins d'intelligence la politique d'assimilation de la cour de Chine ». 17 En effet, en dehors de cette politique de domination brutale, les Chinois avaient utilisé un autre système, celui de l'assimilation, forme plus pacifique, qui se concrétisa par l'émigration de Chinois au Nam-Viêt. « La Chine procura elle-même des émigrations nombreuses et pour augmenter la population de ces riches contrées et pour s'emparer plus sûrement de leur gouvernement et de leurs ressources... ». 18 Pendant longtemps, cette immigration chinoise comporta surtout des « fugitifs, bannis, déportés ». Mais elle n'en diffusa pas moins dans le peuple de nombreux éléments civilisateurs. « En outre, dans les premières années de l'ère chrétienne, le delta tonkinois avait vu s'installer une classe de colons très dif14. 15. 16. 17. 18.

A. Schreiner, Abrégé de l'histoire d'Annam, G. Coedès, op. cit., p. 48. Truong Vinh Ky, op. cit., t. I, p. 103. G. Coedès, op. cit., p. 49. Legrand de la Liraye, op. cit., p. 8-9.

Saigon, 1906, p. 21.

La domination chinoise

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férents des indésirables qui avaient été envoyés précédemment. Le préfet Si-Kouang avait refusé de reconnaître l'usurpateur WangWang qui, de 9 à 25, substitua son pouvoir à celui de l'empereur Han, et nombre de familles de fonctionnaires et de lettrés, fidèles à la dynastie, vinrent se réfugier auprès de lui ». 18 Le Nam-Viêt subit cette seconde domination chinoise pendant cent quarante-quatre ans, de 42 à 186. Il semble alors que les Chinois, comme tout bon colonisateur, aient traité les habitants du Nam-Viêt en « sous-produit ». Ils étaient non seulement pressurés, mais encore n'avaient pas droit aux mêmes avantages que les Chinois : «... considérés à la cour des Han comme des espèces de sauvages ou de barbares, ils (les Annamites) étaient constamment regardés comme des êtres en quelque sorte inférieurs. Ceux qui avaient été reçus à l'examen, ne réussirent jamais à être nommés mandarins au même titre que les Chinois. Ly-Tân, le plus fort lettré annamite avait écrit à la Cour à ce sujet. Mais la Cour n'accorda aux Annamites que le droit de devenir mandarins dans leur pays ». 20 Ce n'est qu'avec un gouverneur plus libéral, Si-Nhiêp, que la culture chinoise prit vraiment pied et s'ancra dans le pays. Si-Nhiêp gouverna le Nam-Viêt de 187 à 226. « C'est lui qui organisa les études chinoises... Au 2 e siècle, deux indigènes allèrent conquérir en Chine leurs grades de lettrés, et leur exemple incita l'émulation de leurs compatriotes. Les efforts de Che-Sie pour donner aux études chinoises une forte impulsion, rencontraient aussi un terrain bien préparé. Depuis lors, et pendant près de deux millénaires, le chinois est resté la seule langue savante et officielle du Viêt-Nam, marquant de façon indélébile sa langue, sa littérature, ses institutions et toutes ses manifestations intellectuelles ». 21 « Il introduisit la littérature chinoise en entier, ainsi que la morale de Confucius, en contraignant le peuple d'Annam à l'adopter comme la sienne, et en défendant l'usage de l'écriture phonétique qui était, à ce qu'il paraît, particulière aux Annamites. 19. G. Coedès, op. cit., p. 47. 20. Truong Vinh Ky, op. cit., t. I, p. 25. 21. G. Coedès, op. cit., p. 49-50.

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Les Annamites perdirent complètement leur propre écriture par suite de cette mesure rigoureusement employée ». 2 2 Mais même aussi fortement sinisés, les Viêtnamiens n'acceptèrent pas facilement le joug chinois. Les révoltes se succédèrent nombreuses : en 2 2 6 à la mort de Si-Nhiêp et sous le gouvernement de son fils Si-Huy ; puis en 248, et encore entre 263 et 280. C'est que le Nam-Viêt subissait une troisième époque de soumission, plus longue cette fois puisqu'elle devait durer trois cent quatorze ans, de 226 à 540. Les périodes de calme correspondaient souvent aux périodes troublées de l'Empire qui n'avait alors pas le temps de s'occuper de ses provinces méridionales. En 541, Ly Bon se révolta contre la Chine, conquit une indépendance provisoire et établit la dynastie des Ly antérieurs (541 à 603). Mais les Chinois revenaient en maîtres pour plus de trois siècles, de 603 à 939. Entre-temps, en 622, le Nam-Viêt avait été réorganisé par la dynastie régnante des Tang qui en fit un protectorat, YAnnam Dô Hô Phu, c'est-à-dire Sud Pacifié, s'étendant du Nord Viêt-Nam jusqu'au Quang-Nam. En 939, Ngô-Quyên reconquit l'indépendance de son pays. Le ViêtNam voulait garder ses distances envers la Chine, bien que ses souverains en aient toujours demandé l'investiture. Mais sous les Trân, en 1407, la révolte de Hô Quy Ly allait provoquer l'intervention de la Chine des Minh et les Chinois devaient s'implanter jusqu'en 1428. Mais en 1418, une dernière lutte pour l'indépendance était menée par Lê-Loi qui réussit au bout de dix ans à expulser les Chinois. « Ce grand événement de la Restauration de l'indépendance Annamite, par l'avènement des Lê au trône, est de 1428 après J.-C. ...Nous devons le considérer comme le dernier affranchissement de la nation et comme son émancipation la plus complète possible de la Chine. Déjà, à plusieurs reprises, l'Annam avait secoué le joug chinois. Mais le souvenir du grand empire régnait toujours dans les idées du peuple et, dans les jours d'exaspération, on recourait à l'empereur comme à l'arbitre né de tous les différends. Cette fois les derniers liens se brisent, ce semble pour toujours ; la nation Annamite conserve de la Chine ce qu'elle en a reçu pendant tant de siècles : l'éducation, la langue, la littérature, la religion, la législation, la médecine et les arts ; elle continue à avoir avec elle 22. Truong Vinh Ky, op. cit., t. I, p. 26-27.

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des rapports respectueux ; elle envoie des ambassades ; elle fait reconnaître ses souverains à leur avènement ; elle donne droit d'aînesse et de bourgeoisie à tous les Chinois qui viennent commercer chez elle ; mais elle se sent assez forte pour se gouverner d'elle-même et par elle-même ». "

L'INFLUENCE DE LA CULTURE ET DE LA CIVILISATION CHINOISES Après mille ans de domination aussi systématique, et après toutes ces tentatives d'assimilation, il était normal que le Viêt-Nam gardât une forte empreinte chinoise. Cependant, en dépit de cet aspect chinois, il a quand même conservé sa propre originalité et un dynamisme qui lui a été donné par la Chine elle-même. 24 En effet, en dotant le Viêt-Nam d'une infrastructure administrative, politique et militaire, la Chine lui avait fourni les moyens de se défendre et de lutter contre l'étranger. L'assimilation qu'elle avait pratiquée explique en grande partie le succès des nombreuses révoltes. Les soldats et les colons chinois se sont trouvés complètement incorporés à la société viêtnamienne et se sont mis à défendre ses intérêts. L'Empire qui avait envoyé des émigrants pour répandre sa culture, va se trouver face à des révoltes spécifiquement viêtnamiennes. « .... tous étaient soumis aux mêmes lois, aux mêmes mesures administratives. Le gouvernement, sous ce rapport, ne distinguait pas encore dominateurs et dominés. Mesure juste et politique lorsque — et c'était le cas ici — les deux éléments sont de même race, suivent un même ordre d'éducation sociale et religieuse, enfin ne sont pas, en leur évolution, trop distants l'un de l'autre... ... Les Annamites resteront Annamites tout en s'imprégnant de civilisation chinoise et les immigrés, par leur moindre nombre et leurs alliances, deviendront Annamites à leur tour. L'histoire et l'ethnographie sont là qui le prouvent ». 25 L'influence civilisatrice chinoise bien qu'elle eût été longue et forte, s'est adaptée à la mentalité viêtnamienne, les Viêtnamiens gardant de 23. Legrand de la Liraye, op. cit., p. 83. 24. Lê Thành Khôi, op. cit., p. 103. 25. A. Schreiner, op. cit., p. 23. 4

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leur voisin les éléments qui ne les choquaient pas, modifiant sinon dans le fond, du moins dans la forme ceux qui avaient besoin d'être transformés. Il s'agit d'étudier ici l'empreinte chinoise dans la société viêtnamienne ainsi que dans le domaine philosophico-religieux, étude qui ne peut manquer d'expliquer la manière dont fut reçu et accepté le catholicisme au Viêî-Nam, non seulement son succès mais aussi et surtout ce que les missionnaires et les catholiques appelèrent persécutions. La société viêtnamienne eut donc comme modèle la société chinoise. La nation était régie par un monarque dont personne ne contrôlait ni ne limitait le pouvoir. Détenteur du « mandat céleste » ou thiên-mang, le souverain le perdait lorsqu'il s'avérait incapable de guider son peuple. « Le Duc Hoàng Dê, l'Empereur auguste et saint... est l'Empereur souverain pontife, juge suprême. Il est le père et la mère du peuple. Il est le premier lettré de son empire, c'est-à-dire le plus fidèle observateur de la doctrine de Confucius. Lui seul a le droit d'offrir pour la nation, le sacrifice pour le Thuong-Dê, au suprême Empereur des choses et des âmes. Lui seul, dans son empire, s'appelle le fils du Ciel, titre qui est le symbole de sa soumission aux idées religieuses traditionnelles et au devoir filial. Ce titre n'emporte aucune idée d'orgueil, ni d'assimilation à la vérité ; c'est un nom tout de piété filiale qui exprime la subordination au suprême Empereur et le devoir de pratiquer la vertu dont ce dernier est le divin modèle ». 26 L'esprit viêtnamien ne pouvait, à cette époque, comprendre « le gouvernement sans le monarque, représentant officiel de la morale purement rationnelle de Confucius » et « en même temps pontife d'un culte national traditionnel et héréditaire ». " L'investiture du Ciel, donc la religion, sont à la base de la politique. Il est d'autant plus normal que le peuple doive entière obéissance à ce monarque, souverain spirituel et temporel. Lui désobéir serait rejeter les valeurs enseignées et établies, acceptées par la nation, se rendre passible d'un crime envers le Ciel et son mandataire terrestre, se mettre hors la loi. Tout ceci va être d'une 26. E. Luro, Le Pays d'Annam. Etude sur l'organisation des Annamites, Paris, 1878, p. 90-92. 27. Ibicl.

politique

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importance capitale au moment de l'introduction du christianisme au Viêt-Nam. La nouvelle religion intolérante et absolue devait auparavant saper à la base croyances et mentalité pour pouvoir s'implanter et garder autant que possible la pureté de son dogme. Cette idée de la royauté découlait de l'enseignement de Confucius qui est plus une morale d'Etat £8 qu'une religion. C'est en effet une morale rationaliste et conservatrice, se basant sur le passé, le respect de l'Etat et de la famille pour assurer et maintenir l'ordre et la paix dans le monde. Nous avons vu que le confucianisme fut introduit au ViêtNam au cours des différentes phases de la domination chinoise. Des gouverneurs éclairés rendirent l'étude des cinq Kinh — les livres de base du confucianisme — obligatoire pour tous ceux qui désiraient obtenir le titre de lettré. Les concours triennaux, créés officiellement en 1706 « sont réorganisés en 1232 et 1374 ». 29 « En 1419, le néo-confucianisme de Tchou-Hi inspire à Thang-Long le programme officiel des concours triennaux. Après le départ des Chinois, il garde une place prépondérante ».30 Ce n'est qu'en 1919 que ces concours institués pour le recrutement des cadres administratifs du pays, seront abolis au Nord Viêt-Nam. Ce système d'éducation qui dura deux mille ans, eut le temps de marquer non seulement la classe des lettrés mais aussi le peuple qui avait reçu progressivement les principes de la morale confucéenne par l'enseignement des maîtres de caractères chinois. Le confucianisme devait triompher, en Chine comme au Viêt-Nam, des autres systèmes philosophiques et religieux tels que le bouddhisme et le taoïsme. Nous laisserons à part le culte des ancêtres pour deux raisons. La première étant que ce culte relève de pratiques fort anciennes et ne fut pas importé au Viêt-Nam par les Chinois comme le bouddhisme et le taoïsme. La deuxième raison étant que le confucianisme avait intégré dans ses pratiques le culte des ancêtres. Ainsi le confucianisme triompha par suite de l'esprit même de la classe « rationaliste et confucéenne... qui a le mérite de placer l'intérêt général... au-dessus des intérêts particuliers qui, trop développés, ne manqueraient pas d'apporter l'anarchie dans un Etat que le confucianisme rend stable et traditionnel ». 91 Mais surtout, il réussit à s'implan28. G. Coulet, Cultes et religions de l'Indochine annamite, Saigon, s.d., p. 75. 29. P. Huard et M. Durand, Connaissance du Viêt-Nam, Hanoi, 1954, p. 49. 30. Ibid. 31. G. Coulet, op. cit., p. 86-88.

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ter et à surpasser les autres doctrines grâce à sa souplesse, assurant au gouvernement, « non seulement le dévouement de ses fonctionnaires, mais encore, tout en laissant s'épanouir, pour les absorber, les aspirations profondes de la race (vénération des ancêtres, croyances naturistes et animistes) elle (la doctrine) tolère toutes les innovations religieuses (bouddhisme, taoïsme, christianisme) dans la mesure où elles rendent à l'Etat le respect que celui-ci leur porte ». 32 A côté du confucianisme enseigné pendant vingt siècles, le taoïsme ne laissa au Viêt-Nam qu'un mélange abâtardi et sans grande importance. Il fut introduit, comme le confucianisme, au cours de la domination chinoise « entre 111 avant J.-C. et 939 après J.-C. ». 83 « Le taoïsme est un système complet de panthéisme réaliste. Il y a à l'origine du monde un principe Tao qui émet sa vertu Ti sous les formes alternatives du Yin et du Yang agents de toute création. A la mort, le Yin et le Yang constitutifs de la créature se dissocient pour se reconstituer à nouveau éternellement : théorie essentiellement transformiste de l'univers. Sur cette métaphysique se greffe une morale de bienveillance humaine : le grand tout évolue avec nous. Laisser faire. Laisser dire. S'abstraire des choses, des hommes et de soi-même pour ne gêner en rien le perpétuel et inévitable mouvement de l'univers ». 34 Des croyances aussi élevées, une fois en contact avec le peuple, ne pouvaient demeurer longtemps très pures. Le canon taoïste s'abâtardit en Chine d'abord et développa toute une série de pratiques magiques. « Mais à mesure qu'elle se popularise, elle s'éloigne du pur canon taoïste. Elle s'incorpore une partie du culte officiel chinois. Elle exagère les pratiques magiques dont elle s'est servie dès sa naissance presque. Enfin, à l'usage des foules, elle se crée ce panthéon taoïste qui est un des plus riches que l'on connaisse ». 35 Les Viêtnamiens seront ainsi initiés au taoïsme lorsque celui-ci sera déjà bien déformé et devenu un amas de superstitions. « En somme, le taoïsme annamite a ignoré la doctrine philosophique des trois pères du taoïsme chinois... Il n'a rien reçu de la 32. 33. 34. 35.

Ibid. Ibid., p. 58. Ibid., p. 46. Ibid., p. 48.

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Chine que le panthéon taoïste qui sert de base à tout un commerce très actif de prières, de divinations et de talismans ». 36 Le nombre des cultes pratiqués au Viêt-Nam est fort élevé. Très souvent, ils se sont intégrés dans l'une des trois religions capitales, bouddhisme, taoïsme et confucianisme, et coexistent parfaitement. Aucun dogme introduit au Viêt-Nam lors de la domination chinoise n'a pu se conserver intact. En étudiant succinctement le bouddhisme tel qu'il est encore pratiqué dans le pays, nous verrons que les mêmes constatations peuvent être faites. L'introduction du bouddhisme au Viêt-Nam se situe à la fin du 2 e siècle de notre ère vers 189. Comment et par qui se fit cette pénétration ? Les thèses divergent : selon certaines, le bouddhisme fut introduit simultanément de l'Inde et de la Chine. Selon d'autres, au contraire, la voie du bouddhisme a d'abord pénétré la Chine avant de s'implanter au Viêt-Nam. « Selon certains auteurs, il fut introduit en Annam par la Chine au cours de sa puissante domination. Cette hypothèse a été suggérée par Ed. Chavannes. Après que la Chine eut subi l'influence du bouddhisme, il arriva par une sorte de contrecoup qu'elle contribua grandement à son extension. Partout où pénétra son écriture, c'est-à-dire jusque dans l'Annam au sud et la Corée au nord, partout s'introduisit la religionUn auteur Annamite (revue Nam-Phong, n° 128, avril 1928, partie chinoise : « Recherches sur l'introduction du bouddhisme en Annam ») soutient que le bouddhisme a été introduit en Annam en même temps qu'en Chine et qu'il y a été apporté à la fois par des moines hindous et par des moines chinois ». 37 Cette pénétration bouddhique fut de deux sortes, terrestre et maritime. La voie de terre traversait l'Asie centrale, la Mongolie, le Tibet, la Chine et la Corée. La voie maritime passait par Ceylan, l'Indonésie, l'Indochine et la Chine. Si l'on se réfère à certains auteurs, le bouddhisme d'origine indienne se serait répandu au Viêt-Nam sans l'intermédiaire de la Chine. Les Indiens propagateurs de la religion seraient venus au Viêt-Nam par la 36. Ibid., p. 56-57. 37. Trân Van Giap, « Le bouddhisme en Annam des origines au 13' siècle », Bulletin de l'Ecole Française d'Extrême-Orient, XXXII, Hanoi, 1932, p. 191-268.

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route que suivaient les commerçants. Dans Connaissance du ViêtNam 38, les auteurs situent les premiers contacts entre le Viêt-Nam et l'Inde aux « environs de l'ère chrétienne », l'expansion indienne étant favorisée par la recherche des métaux précieux. « Les grandes migrations du 2 e siècle avant J.-C. coupèrent la route transcontinentale de l'or, et Vespasien (69-74 A. D.) empêcha la fuite de la monnaie vers l'Extrême-Orient. D'où le départ des aventuriers hindous vers la Chersonèse d'or. C'est là une raison matérielle. Une autre est la découverte de meilleures techniques de navigation. Mais l'expansion du bouddhisme a peut-être joué le rôle essentiel en libérant les hindous du concept de la pollution brahmanique avec les peuples barbares et en les poussant à se mêler librement à eux ». 39 « A la fin du 2 e siècle, le Gia-Chi était déjà un foyer de culture bouddhique, qui devait progresser parallèlement à l'afflux des commerçants de l'Inde. On sait l'influence de la grande religion sur le développement de la navigation indienne. Les hautes jonques des marchands de mer partaient sous la protection du Bouddha Dipankara calmant les flots ; elles prenaient pour leurs longs voyages des moines qui servaient à la fois de médecins, de prêtres et de sorciers ». 40 L'Inde créa ainsi des Etats hindouisés dont certains voisins du ViêtNam, tels le Champa, le Cambodge, le Fou-Nan. Reste à savoir si par le biais et l'intermédiaire de « l'Inde extérieure » qui lui était limitrophe, les Indiens ont joué un grand rôle dans l'expansion du bouddhisme de ce pays. Une chose cependant est remarquable : sur les quatre grands propagateurs du bouddhisme au Viêt-Nam, trois sont indiens. Seul le quatrième, Meou-Tseu est chinois. Il s'agit respectivement de l'Indien Marajivaka, venu au Nord Viêt-Nam vers 294 après J.-C., du Sogdien Seng-Houei dont la famille était installé en Inde depuis plusieurs générations. Il suivit ses parents commerçants au Tonkin et là se convertit

38. P. Huard et M. Durand, op. cit., p. 47. 39. lbid. 40. S. Lévy, « Les marchands de mer et leur rôle dans le bouddhisme primitif », Bulletin de l'Association des Amis de l'Orient, n° 3, 1929, p. 19-39. Lê Thành Khôi, op. cit., p. 111.

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au bouddhisme, de Kalyanaruci, un Indo-Scythe. Quant à Meou-Tseu, il vint au Tonkin vers 189 après J.-C. « C'est vers 194-195 que Meou-Tseu se convertit au bouddhisme ; d'autres Chinois du Tonkin durent suivre son exemple... ». 41 « D'autre part, après la mort de Ling-Ti (189 A. D.), l'Empire était troublé, seul le Kiao-Tcheou était relativement calme ; les hommes remarquables des pays du Nord (c'est-à-dire de la Chine) vinrent y habiter. Beaucoup s'y livraient au culte des dieux et des génies, pratiquant l'abstinence de céréales et recherchant l'immortalité... Meou-Tseu sans cesse leur proposait des objections tirées des Cinq Classiques ; aucun taoïste et magicien n'osait lui tenir tête... Il médita longuement en lui-même... Là-dessus il tourna sa volonté vers la loi de Bouddha ». 42 Selon un moine viêtnamien, le bouddhisme demeura longtemps à l'état embryonnaire. Depuis sa diffusion au Viêt-Nam, au 2 e siècle jusqu'au 10e siècle environ, il resta très attaché aux formes du bouddhisme indien. C'était d'ailleurs plus des manifestations religieuses que de la véritable foi. Il était donc difficile de dire que le bouddhisme avait alors une large diffusion. En effet, à cette époque-là, le Viêt-Nam était sous domination chinoise et l'empire du Milieu ne reconnaissait pas le bouddhisme comme religion officielle. 43 Mais, très vite l'influence chinoise allait fusionner avec celle du bouddhisme indien et se répandre dans le pays. Durant cette période de propagation, « le Giao-Châu, du point de vue bouddhique, paraît avoir été plus un lieu de transit qu'un lieu d'installation définitive des moines et pèlerins qui se rendaient de Chine en Inde ou inversement. Entre le 3 e et le 10e siècles, l'histoire relate les séjours de nombreux maîtres bouddhiques au Giao-Châu ». 44 L'histoire du bouddhisme viêtnamien a été divisée en plusieurs périodes comportant des temps d'arrêt et des temps de rebondissement. La splendeur de cette religion se situe sous la dynastie des Ly (1010 à 1225). Mais déjà sous la dynastie des Dinh et celle des Lê antérieurs (969-1009), les bonzes étaient des personnages considérés et vénérés. 41. Trân Van Giap, loc. cit. 42. M. Durand, « Introduction du bouddhisme au Viêt-Nam », France-Asie, février-juin 1959, t. XVI, p. 797-798. 43. Thich Mât Thê, Viêt-Nam phât giao su luoc, Nha-Trang, 1960, p. 73-74. 44. M. Durand, loc. cit., p. 798-799.

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« Un fait peut expliquer la situation privilégiée du bouddhisme sous les Dinh et les Lê. Dès l'an 187, sous la domination chinoise, l'enseignement des caractères avait été entrepris au ViêtNam. Mais cet enseignement se limitait alors à une très faible élite, en dehors des religieux bouddhiques qui espéraient trouver dans les traductions chinoises l'essence d'une doctrine dont la seule transmission orale leur paraissait insuffisante. C'est donc dans le cercle restreint des bonzes que l'on pouvait trouver des hommes cultivés. Aussi les religieux étaient-ils, dans tout le pays, considérés et respectés non seulement en raison de leur valeur spirituelle, mais aussi à cause de leur vaste savoir. Pour les Viêtnamiens de cette époque, tout comme pour les Chinois, en effet, les lettrés jouissaient d'une grande considération comme littérateurs, mais aussi comme poètes, moralistes, juristes, astrologues, médecins, chiromanciens... ». 45 Ainsi, sous la dynastie des Dinh, un moine nommé Ngô Chân Luu, se vit accorder par l'empereur le titre de conseiller impérial, le souverain « lui attribuant en outre le surnom flatteur de Không-Viêt (serviteur du Viêt-Nam) ». « La dynastie des Lê antérieurs succédant à celle des Dinh (9801009), continua de marquer sa faveur au Shanga et aussi de profiter des sages conseils, tant sur le plan politique qu'en matière de religion ». 4 8 Les bonzes jouèrent au Viêt-Nam le rôle que les clercs eurent dans l'Europe médiévale : celui de détenteurs du savoir, de la religion et conseiller des souverains. Mais le bouddhisme n'allait pas tarder à décliner. Il devait subir le contrecoup de la montée du confucianisme. Nous avons vu précédemment que la morale et l'enseignement confucéens avaient été introduits très tôt dans le pays par suite de la domination chinoise. Et les lettrés viêtnamiens, tels que Ly Tiên ou Ly Cam, qui allèrent composer en Chine pour obtenir leurs grades, avaient étudié selon les principes et les méthodes confucianistes en cours dans l'empire du Milieu. Un décret impérial allait par la suite régulariser le recrutement des mandarins : 45. Mai Tho Truyên, « Présence du bouddhisme », France-Asie, juin 1959, t. XVI, p. 803.

46. Ibid.

février-

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les concours triennaux sur modèle chinois, furent institués à partir de 1076. Sans que cette orientation puisse porter ombrage au bouddhisme, il est certain que l'éthique viêtnamienne se teinta fortement de confucianisme et devint la base d'une grande partie de la vie religieuse et sociale. La décadence bouddhiste s'amorça sous la dynastie des Trân, remplaçant celle des Ly. La cause principale en était le confucianisme. « ...Enl414, le Viêt-Nam retomba pour plus de dix ans sous la domination chinoise. Sous l'impulsion des Ming déferla une nouvelle vague de confucianisme, qui suscita un important mouvement philosophique et littéraire. En même temps grandissait l'influence du taoïsme, cependant que s'infiltrait le tantrisme tibétain. Dans le même temps, les gouverneurs chinois faisaient confisquer tous les livres bouddhiques et ordonnaient la destruction systématique des pagodes ». " « ... La deuxième invasion chinoise (1405-1427) a pour résultat inattendu de renforcer l'étude des caractères. En effet, les livres vietnamiens les plus remarquables, conservés dans la bibliothèque de la dynastie des Trân, sont saisis et transportés dans l'Empire des Ming ; d'autre part, la masse des intellectuels est soumise par le vainqueur à ses disciplines culturelles. Bien mieux, les Fils du Ciel qui avaient jusque-là considéré comme un crime la diffusion des livres canoniques en rendent le commentaire obligatoire dans les pays feudataires... ». 48 C'est réellement à partir de cette époque que le confucianisme gagna la partie au Viêt-Nam. D'autres influences pernicieuses s'ajoutèrent à la sienne. C'est au moment du règne de Trân Anh Ton (1293-1314), que le bouddhisme subit la marque du taoïsme et du lamaïsme. Cette tendance, déjà sensible sous les Ly, s'accentua alors très nettement. 49 C'est également sous le règne de cet empereur que le tantrisme fit son apparition au Viêt-Nam. Ces différents courants devaient évidemment contribuer à altérer une doctrine déjà déformée. « Si Anh Tông continua à favoriser la religion... la doctrine Thiên s'altéra de plus en plus sous l'influence du taoïsme et du tantrisme. 47. Ibid., p. 806. 48. P. Huard et M. Durand, op. cit., p. 49. 49. Thich Mât Thê, op. cit., p. 162-163.

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L'influence de la Chine On a vu que dès les Ly la magie et la sorcellerie avaient commencé de pénétrer les pratiques bouddhistes. Depuis leur avènement les Mongols s'étaient appuyés sur le bouddhisme et le taoïsme pour lutter contre le légitimisme des lettres. Le lamaïsme introduit à la cour de Chine par le Tibétain Phags-Pa se répandit au Dai-Viêt et contribua encore à ruiner la pureté de la foi... ». so

L'altération du bouddhisme favorisa la montée du confucianisme plus organisé et plus largement répandu. « Aussi les lettrés à l'influence grandissante ne cessèrent-ils de lancer de vives attaques contre le bouddhisme considéré comme anti-socal et anti-civique... A la fin du 14e siècle, le bouddhisme en pleine dégradation a cédé le pas au confucianisme qui va désormais régir impérativement la pensée et les mœurs jusqu'à l'irruption de l'Occident au 19e siècle ». 31 En effet, malgré l'indépendance gagnée par Lê Thai Tô (Lê-Loi) en 1428, le bouddhisme ne reprendra plus son éclat passé, il fut soumis à certaines obligations comme celles des examens. « En la 2 e année Thuân-Thiên (1429), on organisa un examen des bonzes. La Cour ordonna à tous les bonzes qui avaient reçu l'ordination et connaissaient les textes bouddhiques de se présenter chacun dans leur province respective, à un examen. Ceux qui le subirent avec succès reçurent un certificat les autorisant à exercer les fonctions de bonze ; les autres durent reprendre la vie laïque ». 52 Le système d'examens organisés par le souverain et auquel devaient se soumettre les bonzes n'était pas nouveau. On peut relever plusieurs époques où ils furent obligatoires. Ils avaient été institués pour maintenir la qualité des bonzes, qualité qui se dégradait de plus en plus. 53 « En la 8e année Dai-Khanh (1321) on institua un concours que devaient subir les bonzes du pays. Le programme de ce concours comportait la connaissance du Kim Cuong Kinh ». 54 « En la 9 e année Quang-Thai (1395), on institua un examen 50. 51. 52. 53. 54.

Lê Thành Khôi, op. cit., Ibid. Chinh Biên, Q 15, f" 24 Thich Mât Thê, op. cit., Chinh Biên, Q 9, f° 19

p. 177. r°, col. 2 (cité par Trân Van Giap, loc. cit.). p. 167-168. r°, col. 4 (cité par Trân Van Giap, loc. cit.).

La culture et la civilisation

chinoises

59

pour distinguer les vrais bonzes des faux. Les bonzes qui n'avaient pas 50 ans étaient tenus de passer cet examen, ceux qui connaissaient les textes bouddhiques étaient gratifiés d'un des titres suivants : Dâu-Muc, Tri-Cung, Tri-Quang, Tri-Tu ; les autres devaient les servir ». 55 Ces examens avaient donc pour but premier le maintien d'un certain niveau chez les bonzes. Mais on peut penser qu'ils avaient également un sens restrictif devant décourager ceux qui voulaient échapper aux responsabilités de la vie normale et les y ramener de force. Devenu religion populaire, mélangé de tantrisme, de taoïsme et de lamaïsme, frotté à l'esprit viêtnamien, le bouddhisme dégénéra totalement : « ... certains bonzes se livraient à des recherches sur la magie et l'élixir d'immortalité. La population comme les souverains leur attribuaient des pouvoirs surnaturels tels que de prévoir l'avenir, d'écarter les dangers, de se transformer ou de se rendre invisible, de voyager dans l'espace, d'amener la pluie et le soleil. Ils jouissaient également d'une grande réputation de médecins... ». S6 On peut lire ainsi : « En la 3 e année Thiên-Tu-Long-Thuy (1169) la sécheresse sévit. Le roi se rendit à la pagode de Phap-Vân pour demander la pluie ; il fit transporter la statue du bouddha Phap-Vân à la pagode de Bao-Thiên pour qu'on l'y adorât ». 57 « En la l r e année Thiên-Binh. sévit une grande sécheresse. On transporta la statue du bouddha Phap-Vân à la capitale où l'on célébra une cérémonie pour demander la pluie ». 58 « Au 4 e mois de la 6 e année Thai-Hoà (1448) il y eut une grande sécheresse. L'empereur ordonna aux ministres de se rendre à la pagode de Bao-An, située au palais de Canh-Linh pour demander la pluie. On fit transporter la statue du bouddha de Phap-Vân à la pagode de Bao-Thiên, puis l'empereur ordonna de réciter les textes bouddhiques pour demander la pluie ; l'empereur invita sa mère à prendre part à cette cérémonie ». 59 55. 56. 57. 58. 59.

Chinh Bien, Q 11, f° 23 v°, col. 2 (cité par Trân Van Giap, loc. Lê Thành Khôi, op. cit., p. 153-154. Chinh Biên, Q 5, f° 23 v°, col. 2 (cité par Trân Van Giap, loc. Chinh Biên, Q 16, f° 6 v°, col. 7 (cité par Trân Van Giap, loc. Chinh Biên, Q 11, f° 23 v°, col. 2 (cité par Trân Van Giap, loc.

cit.). cit.). cit.). cit.).

60

L'influence

de la Chine

La tendance à considérer le Bouddha comme un simple dieu ou un simple génie susceptible d'être sensible aux offrandes, s'accentua de plus en plus. Si les pratiques taoïstes y avaient une part, l'habitude de faire des cérémonies et des processions pour demander au Bouddha la faveur de la pluie relevait du tantrisme et du lamaïsme. 60 Pareilles altérations n'étaient pas uniquement le fait des Viêtnamiens. Les Chinois bouddhistes qui avaient répandu la religion dans la masse du peuple viêtnamien, avaient dû se plier à son mode de pensée pour parvenir à leur fin. Ainsi, le bouddhisme déjà influencé par les pratiques magiques du taoïsme, ménagea en même temps le culte des ancêtres. « En effet, soit par ignorance, soit par intérêt — plus par intérêt que par ignorance — les bouddhistes chinois pour répandre dans le bas peuple leur religion que combattait un confucianisme intransigeant, cherchèrent à le concilier avec le culte des ancêtres, d'où nécessité de créer, selon la conception populaire, des méthodes et des manifestations extérieures qui déformèrent complètement la doctrine de Cakyamouni ». 61 « Avec l'avènement des Nguyên, restaurateurs de l'unité nationale... les bonzes se voyaient réduits au rôle de gardiens de pagodes officielles et de maîtres de cérémonies. L'espriî du bouddhisme se perdit au point de provoquer un relâchement quasi général de la discipline dans les monastères où le Bouddha était adoré à l'égal d'un dieu qu'on pensait se rendre favorable par des offrandes ». 62 Cet abâtardissement est dû, comme nous avons pu le constater, aux différents courants religieux et superstitieux qui ont, à un moment donné de son histoire, pénétré le Viêt-Nam. Mais c'est aussi un effet de la mentalité et de l'esprit viêtnamien reconnu comme très superstitieux, et qui ne peut se contenter d'un seul système, d'une seule religion, surtout si celle-ci demande autant d'efforts que le bouddhisme. Il est donc très difficile de parler de bouddhisme au Viêt-Nam •— tout au moins à partir de la période coloniale française —, de bouddhistes face aux catholiques, de rivalités, de conflits entre les deux communautés reli60. Thich Mât Thê, op. cit., p. 173. 61. Duong Tân Tài (La Part de l'encens et du feu avec une introduction sur le culte des ancêtres et un aperçu général sur les biens du culte, Saigon, 1932), dans « Les mauvaises croyances » (p. 8), cite Thân Kinh, Huê, n" 8, mars 1930, p. 764. 62. Mai Tho Truyên, loc. cit., p. 806.

L'héritage culturel et religieux de la Chine

61

gieuses, l'une d'elle n'existant d'ailleurs pas au sens propre du terme. Les missionnaires mentionnaient les lettrés et non les bouddhistes. Il est très peu question de bonzes, et dans les moments de persécutions, particulièrement vers le 18e et le 19e siècles, au moment où la France cherchait à s'installer au Viêt-Nam, il ne faut pas oublier que les bonzes ne sont pratiquement plus, sinon plus du tout pris comme conseillers. C'est la classe lettrée confucéenne qui domine et gouverne, et le roi est le premier lettré du royaume. Le nom donné à la dernière révolte, dernier sursaut nationaliste en est la preuve : « Révolte des lettrés ». Les bonzes pendant longtemps ne joueront plus aucun rôle dans le pays, ni en tant que conseillers politiques, ni en tant que religieux, puisque « les véritables religieux, découragés, préférèrent vivre dans la retraite, laissant ainsi le champ libre aux bonzes professionnels. Ceux-ci, poussés par l'intérêt, favorisèrent le développement d'un syncrétisme dont on a déjà signalé l'apparition et qui ne fit qu'aller en s'aggravant, jusqu'à offrir le navrant spectacle d'une religion bâtarde où, dans une confusion inextricable, se mêlaient mysticisme, tantrisme, animisme et polythéisme ». 63 Le bouddhisme n'allait pas encore servir de cristallisant et rassembler autour de son nom le mécontentement provoqué par l'ingérence étrangère dans les affaires du pays. Il avait été trop vite déformé, sa doctrine « du renoncement du monde était, en effet, trop en désaccord avec l'esprit positif populaire ». 64 II était surtout trop faible et n'avait pas assez d'emprise sur la vie des gens. Ce rôle sera dévolu, jusqu'à la fin du 19e siècle, aux confucianistes viêtnamiens qui tenaient fortement en main les structures administratives, sociales, religieuses et politiques de la nation viêtnamienne.

L'HÉRITAGE CULTUREL ET RELIGIEUX DE LA CHINE Confucianisme, taoïsme et bouddhisme furent tous les trois importés de Chine et de l'Inde. Pour parvenir à gagner une certaine audience populaire, ces trois systèmes ont dû se mélanger et absorber d'autres croyances. 63. lbid., p. 806. 64. Lt cl Bouinaïs et A. Paulus, Le Culte des morts dans le Céleste et l'Aimant, comparé au culte des ancêtres dans l'Antiquité occidentale, 1893, p. 220.

Empire Paris,

62

L'influence

de la Chine

« L'étude de l'organisation religieuse chez les Annamites révèle comme celle de leur organisation administrative, un mélange ou plus exactement, une juxtaposition, une coexistence des traditions anciennes propres à la race, et des systèmes importés et imposés par la suzeraineté chinoise ». 65 Selon le père Cadière, les Viêtnamiens sont confucéens philosophiquement par suite des études que faisaient les lettrés du pays et même dogmatiquement, puisqu'un culte est rendu à Confucius et que les pratiques religieuses confucéennes sont observées. Pour le taoïsme, les Viêtnamiens ne le sont qu'en ce qui touche à la magie, puisque du point de vue philosophique, ils ignorent totalement le Livre de la Raison et de la Vertu. Superstitieux de nature, les Viêtnamiens ont eu l'art de laisser subsister à côté du bouddhisme, du confucianisme et du taoïsme, avec une aisance et une agilité d'esprit assez remarquables, ce que beaucoup d'auteurs ont appelé le culte des esprits : « On rencontre par-dessus les trois religions déjà nommées, une croyance aux esprits bienfaisants et malfaisants, et à l'immortalité de l'âme, qui est profondément ancrée dans le cœur et l'esprit des populations, domine tout leur idéal religieux et se manifeste principalement et à tout instant par le culte des ancêtres ». 66 Le culte des esprits se divise en plusieurs branches : les cultes naturistes (cultes des divinités aquatiques, terrestres et célestes : culte des Trois Mondes ; culte des Enfers ; cultes officiels, c'est-à-dire les cultes agraires, ceux du Ciel et de la Terre ou Nam-Giao) et cultes animistes (cultes des génies communaux et des morts). Quant au culte des ancêtres, c'est en lui-même une véritable religion qui a réussi à imprégner toute la vie spirituelle viêtnamienne. C'est sans aucun doute un culte fort ancien : « Les Hindous ont une croyance particulière sur laquelle repose entièrement leur droit de succession, c'est que tout homme pour être heureux dans l'autre monde, doit laisser dans celui-ci un fils chargé d'offrir à sa place des sacrifices à la divinité. Il ne faut pas moins de trois générations pour que l'ancêtre soit sanctifié : par son fils, on gagne l'empire des mondes ; par son petit-fils, on s'élève au séjour du soleil. Ceux qui meurent sans enfants mâles 65. M. Madrolle, Tonkin du Sud, ciié par L. Cadière, Croyances religieuses des Viêtnamiens, Paris, 1958, p. 38-39. 66. Et des esprits, ajoute le père Cadière (ibid.).

et

pratiques

63

L'héritage culturel et religieux de la Chine

sont exclus du paradis. Les enfants ne doivent de sacrifices et de libations que pour le père, le grand-père et l'arrière-grand-père. Si le fils meurt sans postérité, les ancêtres sont précipités dans les enfers... Telles sont les idées d'une des plus vieilles nations de l'Asie sur les devoirs religieux des descendants envers leurs ancêtres, idées communes aux Hindous, aux Chinois et aux Annamites. Au point de vue de la race, de la langue, de la religion et de l'état social, les deux pays diffèrent cependant d'une manière absolue : mais le culte des ancêtres est antérieur à l'organisation politique et civile des deux nations, telle que nous la connaissons depuis les époques historiques... C'est sans doute le dernier vestige d'un culte primitif répandu en Asie à une époque où la nation hindoue et la nation chinoise n'étaient point encore constituées, alors que les Aryens, futurs conquérants de l'Inde, n'avaient pas traversé l'Himalaya et que les tribus d'où devaient naître les peuples de la race jaune erraient encore dans les pâturages de la Tartarie ». 67 « Le culte des ancêtres, s'il est perpétuellement renouvelé pour ceux qui meurent n'est pas un culte définitif et éternel au même ancêtre. Les tablettes se renouvellent sur l'autel et le culte est essentiellement une continuité qu'une génération lègue à la génération qui suit ». 68 Dans toutes les couches sociales de la société viêtnamienne ses racines sont profondes et solides. Sa principale raison d'être est la piété qui doit s'exercer non seulement du vivant des parents, mais aussi après leur mort. Un auteur viêtnamien a donné plusieurs théories du culte des ancêtres 69 : théorie de la crainte, de l'aide aux morts, de la piété filiale et enfin, théorie du souvenir. Selon les deux dernières théories, le culte des ancêtres ne serait « ni une religion, ni une quasi-religion », mais « un ensemble de rites de caractère laïc » ... « à proprement parler la marque du souvenir ». En effet, « oublier ses ancêtres est un crime, un parricide véritable ». 70 « L'homme doit conserver jusqu'à sa mort 67. E. Luro, op. cit., 68. G . C o u l e t , op.

p. 195-196.

cit.,

p. 62-65.

69. D u o n g T â n Tài, La Part le culte

des ancêtres

70. P. Cultru,

de l'encens

et un aperçu

Histoire

de

la

général

et du feu avec sur les biens

Cochinchine

française,

Paris, 1910, p. 127, cité par D u o n g Tân Tài, op.

cit.,

une introduction

du culte, des p. 18.

Saigon,

origines

à

sur 1932. 1883,

64

L'influence de la Chine

le souvenir de ses proches qui ne sont plus ». " « On doit servir les morts comme on sert les vivants et servir les disparus comme les présents, voilà le comble de la piété filiale ». 72 Ce sont donc des rites laïcs uniquement qui constituent par ailleurs un « culte facultatif ». 73 « Ni la loi, ni la morale n'ont prévu de moyens coercitifs pour forcer les enfants à l'observer. L'opportunité de le rendre est entièrement laissée à l'appréciation de ces derniers. Affaire de conscience, devoir purement moral en somme ». 74 Mais ce caractère facultatif est très peu connu, sinon ignoré du peuple et le culte des ancêtres a sa place dans n'importe quelle maison vietnamienne. Nous verrons par la suite que ne pas l'assurer et le perpétuer était considéré comme un crime sévèrement pénalisable. Sa large diffusion a cependant souffert d'altérations inévitables : « Il est utile de rappeler que si le culte des ancêtres est tellement répandu chez les Annamites qu'il apparaît comme un trait caractéristique de la race, il est rarement rendu dans sa pureté élémentaire. L'Annamite bouddhiste orne l'autel des ancêtres d'images du Bouddha ou d'un saint du bouddhisme qu'il affectionne plus particulièrement ; un taoïste apporte comme ornement des images du panthéon taoïste ; le disciple de Confucius ne manque jamais de faire connaître par quelque trait confucéen dont il marque son autel des ancêtres, qu'il connaît le culte des mandarins et des lettrés... Souvent l'autel des ancêtres est le lieu neutre où se réunissent en s'y harmonisant les symboles des religions diverses qui jureraient ailleurs d'être ensemble ». 75 Malgré ce mélange, « . . . bouddhiste ou taoïste, l'Annamite reste dans le fond de son être inébranlablement attaché au culte des ancêtres. Et c'est pour conquérir l'Annamite que ces deux religions ont été obligées de s'abâtardir au point d'intégrer le culte des ancêtres comme une partie de leur propre culte ». 76 On peut faire la même remarque en ce qui concerne le confucianisme qui a intégré le culte des ancêtres dans 71. Lê Ky, chap. xxxv, p. 4 cité par Duong Tân Tài, op. cit., p. 18. 72. Trung Dung et Lê Ky, chap. XXVIII, § 58, cités par Duong Tân Tài, op. cit., p. 18. 73. Duong Tân Tài, op. cit., p. 54. 74. Ibid. 75. G. Coulet, op. cit., p. 69. 76. Ibid.

65

L'héritage culturel et religieux de la Chine

ses rites. Mais ce culte a été différemment compris selon les différentes couches sociales. « L'homme du peuple comprend comme il peut. Tantôt c'est par la piété filiale qu'il justifie le culte qu'il exerce. Tantôt c'est le bouddhisme qu'on y voit mêlé. Souvent, bouddhisme et piété filiale y trouvent à la fois leur compte ». 77 Quant aux lettrés : « Ceux-ci sont plus ou moins conscients de leurs opinions et de leurs actes. Il y a d'abord chez eux de réelles traditions de famille qui se transmettent de père en fils. Surtout les préceptes de morale dont ils sont nourris et les livres classiques chinois qui les ont formés, leur servent de guides. Dans leur conscience, le culte des ancêtres ne peut avoir d'autres motifs que la piété filiale, avec ses deux attributs, le respect et la reconnaissance ». 78 Pour ce qui est relatif à la croyance générale, « le polythéisme et le panthéisme se rencontrent surtout dans la classe inférieure. Chez les lettrés, ils sont surtout remplacés par l'athéisme. Celui-ci résulte de l'étude des classiques et surtout de leurs commentaires faits sous la dynastie des Soung, par le fameux Tchou-Si qui leur donna une tournure matérialiste, qu'ils ont toujours conservée ». 79 Ainsi, pour ce qui touche à la religion et à la philosophie, les Viêtnamiens n'ont rien conservé à l'état pur. On peut parler de mélange et de juxtaposition, de superposition de religions, de morales, de philosophies et de superstitions. Ce syncrétisme religieux, cette aptitude à tout recevoir permettront le développement et l'extension du christianisme, alors que dans d'autres pays extrême-orientaux, les essais d'évangélisation tentés par les missionnaires n'eurent presque pas de succès. On sait qu'en dehors des Philippines, le Viêt-Nam est « la fille aînée » de l'Eglise catholique romaine d'Extrême-Orient. Resterait à savoir si le christianisme a pu conserver la pureté et l'intégralité de 77. Duong Tân Tài, op. cit., p. 48. 78. Ib.d., p. 50. 79. J.-J. Matignon, Superstition, crime Duong Tân Tài, op. cit., p 50. 5

et misère

en Chine,

p. 381, cité par

66

L'influence de la Chine

son dogme ; s'il n'a pas dégénéré lui aussi au niveau de la masse pour n'en devenir qu'un succédané. Car, du reste, il serait très intéressant d'étudier l'interprétation de toutes les superstitions, de tous les cultes en faveur au Viêt-Nam, avec la réalité quotidienne, réalité parfois très dure et qui a peut-être besoin de toutes sortes de dérivatifs merveilleux pour pouvoir être supportée. Cependant, si le catholicisme a pénétré au Viêt-Nam, cette pénétration n'a pas toujours été facile et acceptée par la classe mandarinale et lettrée. Ce n'est que très rarement que les missionnaires et les chrétiens ont pu jouir d'une tranquillité toute relative. Ces « persécutions » avaient des causes profondes, aussi bien d'ordre religieux que social et politique.

CHAPITRE III

L'hostilité envers le catholicisme

LES RAISONS RELIGIEUSES ET

SOCIALES

Le règne de Gia-Long ne vit point de persécutions systématiques des chrétiens et des missionnaires. Sans leur être particulièrement favorable, il usa cependant d'une politique suffisamment souple pour que ceux-ci n'aient pas à souffrir de leurs croyances. Il n'en fut pas de même sous ses successeurs qui pratiquèrent une répression de plus en plus brutale. Ces persécutions n'étaient pas nouvelles, et dès le début de l'implantation catholique au Viêt-Nam, les moments de tranquillité furent troublés par les temps de sévices. Les raisons de ces persécutions furent toujours les mêmes, mais déjà sous Minh-Mang, et plus encore sous Thiêu-Tri et Tu-Duc, les données de politique internationale évoluaient rapidement vers un colonialisme envahissant. Au 17e siècle, les menaces du colonialisme ne pesaient pas encore sur l'Extrême-Orient, mais les souverains pressentaient les dangers que le catholicsime, si différent des conceptions religieuses, sociales et philosophiques de leur royaume, faisait peser sur l'équilibre de leur nation. Les reproches formulés conre le catholicisme étaient de deux sortes : religieux et sociaux ; patriotiques et en même temps politiques. Les différents édits parus au cours des règnes qualifient toujours le catholicisme de religion « perverse », de fausse doctrine, trompeuse, séduisant le cœur et l'esprit des petites gens. Au Viêt-Nam, pays confucéen par excellence, il est impossible de séparer l'ordre social de l'ordre religieux. Nous avons précédemment vu la place et l'importance du souverain dans la société viêtnamienne, ainsi que l'éducation toute confucéenne de la classe lettrée du pays. Ces lettrés avaient grande audience, non seulement auprès du roi, mais aussi dans le peuple. Tous

68

L'hostilité envers le catholicisme

ne visaient pas les charges mandarinales, et certains, leurs examens passés, se retiraient dans leur village. Ils devenaient des maîtres d'études et enseignaient aux enfants les principes du Maître. Comme propagateurs et détenteurs d'une certaine conception de la société et de l'ordre établi, il n'est pas étonnant qu'ils se soient montrés jaloux de leurs prérogatives et aient lutté pour maintenir cet état de fait : « En voyant le contenu de l'édit (publié en 1723), on peut juger que l'envie et la jalousie des mandarins lettrés contre le jésuite mathématicien du roi n'y ont pas eu part. Au reste, ce qu'il y a de particulier dans cet édit, c'est qu'on n'y maltraite pas moins la religion des idoles que la nôtre ; on les compare l'une à l'autre, disant qu'elles sont fausses et que ceux qui les suivent sont des fous et des insensés ; on n'y reconnaît comme véritable religion que la probité, la civilité, la prudence, la justice et la fidélité que le roi et ses sujets, le père et le fils, le mari et la femme se doivent les uns aux autres ; on y méprise ceux qui veulent faire profession de garder la chasteté comme étant nuisibles à la propagation du genre humain... » . 1 Tout ce qui devait troubler la marche de la société, les lettrés le rejetaient donc, à plus forte raison le catholicisme qui n'admettait aucun compromis. Au début, les missionnaires avaient pensé pouvoir rallier les lettrés, mais ils changèrent très vite d'avis : « Chez les lettrés de l'ancienne école, le confucianisme, par la sagesse et la noblesse de plusieurs de ses préceptes, a pu être pour des esprits d'élite comme une préparation et un acheminement vers le christianisme. Pourtant dans l'ensemble la satisfaction, et, pourrait-on dire, l'auto-suffisance intellectuelle que les lettrés trouvaient dans leur confucianisme les a plutôt détournés de chercher ailleurs et surtout dans une religion venue de l'étranger qui, par surcroît, demande l'humilité de la foi » . 2 Il semblerait donc que ce fut uniquement l'orgueil qui empêchât la classe lettrée du pays de se convertir, comme le penseront toujours 1. M. de F l o r y aux directeurs du séminaire des Missions-Etrangères, A . M . E . , t. D C C X X X I X , p. 516, 2 0 juillet 1725 (dans A . Launay, Histoire Tonkin, p. 587589). 2. G. Cussac, « Les missions de la péninsule indochinoise et des Philippines », in Mgr Delacroix, Histoire des missions catholiques, Paris, 1957, t. III, p. 242244.

Les raisons religieuses et sociales

69

les missionnaires, et que le « matérialisme » des Viêtnamiens fut un obstacle majeur à la conversion. Ce qui, en réalité, fut un frein puissant au triomphe du christianisme, se plaçait surtout au niveau de l'éducation sociale et religieuse, dans l'acquis culturel et traditionnel du pays. L'attachement que les Viêtnamiens portaient au culte des ancêtres et des morts était très fort. Or, le premier reproche formulé contre les chrétiens était le manquement à ces devoirs fondamentaux. Les missionnaires interdisaient en effet à leurs fidèles de participer aux actes religieux faisant partie de la vie familiale et communautaire par suite des superstitions que pouvaient renfermer certains gestes et surtout certaines croyances. Ces interdictions avaient été l'objet de discussions très vives entre les divers ordres religieux, jésuite, dominicain, franciscain et missionnaire des Missions-Etrangères. Elles vont prendre le nom de Querelle des rites chinois. Le père Ricci, jésuite, était entré en Chine en 1582, et, mis en contact avec les hautes classes de la société chinoise, il en avait conclu que l'enseignement des maîtres chinois sur le culte rendu aux ancêtres et à Confucius n'était pas entaché d'idolâtrie. Il avait ainsi adapté certains rites au catholicisme. Plus tard, les dominicains, en 1631, et les franciscains, en 1633, vinrent également évangéliser la Chine et dénoncèrent au Saint-Siège la tolérance hétérodoxe des jésuites. Ceux-ci avaient en effet permis de rendre hommage aux mânes des ancêtres et de Confucius — ce qu'ils nommaient un culte civil. C'est-à-dire qu'il s'agissait seulement d'un hommage purement laïque et non entaché de la croyance en un esprit satisfait par des offrandes périodiques d'encens et de mets tout préparés. C'est de l'accusation des dominicains que partit la querelle. L'explication d'une telle accusation se comprend par le fait même que les jésuites s'adressèrent à la haute classe de la société chinoise. Les dominicains par contre, évangélisaient les petites gens. Les conceptions philosophiques, chez les premiers, s'étaient muées en superstitions chez les seconds. Les jésuites — le père Lecomte et le père Le Gobien — avaient énoncé cinq propositions définisant leur point de vue. « 1. La Chine a conservé durant plus de deux mille ans avant la naissance du Christ, la connaissance du vrai Dieu ; 2. Elle a sacrifié au créateur dans le plus ancien temple de l'univers ; 3. Elle a pratiqué une morale aussi pure que sa religion ;

70

L'hostilité

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catholicisme

4. Dans la distribution des grâces que la providence a faite parmi les nations de la terre, aucune nation n'a été plus favorisée que la Chine (le P. Lecomte expliquait bien qu'il n'entendait pas par ' nations ' les juifs et les chrétiens, mais l'expression était équivoque) ; 5. L'empereur de la Chine ne doit pas considérer ie christianisme comme une religion étrangère, puisque dans son principe, elle conduit à l'adoration du Dieu même des chrétiens » . 3 Ces cinq propositions furent condamnées par la Sorbonne le 18 octobre 1700. Auparavant, la Querelle des rites s'était étendue aux diverses communautés chrétiennes d'Extrême-Orient. Ayant pour point de départ la Chine, elle toucha également l'Indochine, le Siam, la Birmanie et l'Inde. Elle portait sur trois questions essentielles : « 1. Quels termes employer pour nommer le Dieu des chrétiens dans les langues de l'Inde et de l'Extrême-Orient ? 2. Jusqu'à quel point les missionnaires peuvent-ils autoriser leurs néophytes à prendre part à des cérémonies de caractère social ou familial traditionnel chez eux, quand elles risquent d'avoir un sens religieux et se trouver entachées de paganisme... 3. Est-il permis aux missionnaires dans l'administration des sacrements chrétiens, de tenir compte de certains interdits, de certaines répugnances propres aux Hindous, aux Chinois, aux Viêtnamiens, et de supprimer par exemple telle ou telle cérémonie du baptême, de s'abstenir d'administrer l'extrême-onction, d'adapter la législation canonique du mariage? »." En 1645, la Congrégation de la propagation de la foi avait condamné les cultes rendus aux mânes, aux esprits et à Confucius. Après la condamnation de la Sorbonne en 1700, l'affaire des rites va être portée à Rome. Le Saint-Siège enverra un délégué sur place. Les thèses jésuites seront de nouveau condamnées en 1704, en 1715 par la constitution de Clément X I ex illia die, puis définitivement en 1742 par la nouvelle constitution de Benoît XII, ex quo. 3. H. Bernard-Maître, « La rencontre du Padroado et du Patronato. L'affrontement des méthodes », in Mgr Delacroix, Histoire universelle des missions catholiques, op. cit., t. II, p. 343. 4. E. Jarry, « La querelle des rites », in ibid., t. II, p. 337-338.

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Au Viêt-Nam, les mêmes problèmes qu'en Chine se posaient étant donné l'identité des croyances et des pratiques des deux voisins. Mais toutefois, la querelle sera moins violente, les missionnaires plus souples. Macao avait pris des décisions radicales et rigoureuses concernant les termes à employer, la suppression du culte des ancêtres. Ces décisions étaient tellement sévères que l'envoyé du provincial de Macao au ViêtNam, Gabriel de Mattos, « prit sur lui de ne point les appliquer ». 5 Les missionnaires se mirent donc d'accord entre eux pour un moyen terme. « On convient du principe de distinguer ' entre les cérémonies impies ou douteuses et celles qui sont absolument innocentes parce qu'elles ne signifient que la révérence civile à laquelle nous sommes obligés naturellement '. E n conséquence, on donnerait l'ordre aux chrétiens de pratiquer ces dernières, surtout quand ils sont vus des infidèles ». 6 « Vous souhaitez que je m'explique en parlant des cérémonies des morts comme si nous ne les permettions pas à nos chrétiens de Cochinchine. Or, Monsieur, c'est ce que je saurais faire parce que nous les permettons véritablement dans le Tonkin et dans la Cochinchine. Il est vrai que de la manière que nous les permettons, il n'y a pas plus de superstition qu'il n'y en aurait à donner à manger à ses parents et amis au retour des funérailles de son père ou de sa mère... ». 7 Il semble aussi, selon le témoignage d'un missionnaire, que la situation au Viêt-Nam ait prêté à moins de controverses qu'en Chine. « Je lui marquai aussi par la même lettre ce qu'il fallait particulièrement interdire de ces cérémonies aux chrétiens, parce qu'il y avait trois choses condamnées par cette constitution, qui ne sont point, grâce à Dieu, en usage ici, à savoir : ... les termes de Thiên et de Xâmty pour signifier Dieu et les temples de Confucius ; car ce philosophe chinois n'a dans tout ce royaume que deux ou trois miao où personne ne va, qu'un ou deux petits mandarins deux 5. H. Bernard-Maître, « Le père Ricci et les missions de Chine, 1578-1644 », in ibid., t. II, p. 66. 6. Ibid. 7. Lettre de Mgr Labbé à M. Charmot, A.M.E., t. XIV, p. 115, 10 août 1629 (dans A. Launuy, Hiiloire Cochinchine, t. I, p. 597).

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fois par an, lorsqu'il faut sacrifier. Aucun chrétien ne se sert non plus des termes de Thiên et de Xâmty pour signifier Dieu ; tous généralement, quand ils parlent de ce souverain Etre, le nomment Duc Chua Troi, ce qui veut dire le très excellent Seigneur du Ciel. Comme il se fait ici présentement peu de gradés, le roi donne les charges à qui lui plaît, ainsi personne ne va se prosterner dans les miao de Confucius. Nous n'avons donc à rejeter ici de tout ce qui est condamné par la constitution, que les tablettes et les cérémonies superstitieuses qui se font pour les morts, soit dans le temps de l'enterrement, soit dans leurs anniversaires, ou dans les maisons particulières aux premiers jours de l'année nouvelle, toutes cérémonies que nous rejetions bien avant les disputes qui ont été excitées à ce sujet, et que la meilleure partie des chrétiens rejetait avec nous ». * Cependant avec la constitution ex quo de 1742, les missionnaires du Viêt-Nam abandonneront leur attitude relativement tolérante pour se conformer aux ordres du Saint-Siège. Mais certains d'entre eux conserveront le regret de ne pouvoir adapter plus franchement certaines pratiques au culte catholique, sans pour autant le rendre hétérodoxe. Cette adaptation leur aurait permis plus de conversions parmi les lettrés et le peuple. Mais le christianisme était « une négation totale de l'héritage traditionnel » 9 et ses interdictions freinaient les adhésions. C'est pourquoi des missionnaires demandaient un élargissement orthodoxe de la tolérance. Après une discussion entre Gia-Long et l'évêque d'Adran, au cours de laquelle le souverain avait déclaré au prélat que le culte des ancêtres « est la base de notre éducation ; il inspire aux enfants dès l'âge le plus tendre, le respect filial, et donne aux pères et mères cette autorité sans laquelle ils ne pourraient empêcher bien des désordres dans l'intérieur des familles. Cet honneur rendu aux parents devient public, s'étend, s'enracine ; je désire cependant comme vous qu'il soit fondé sur la vérité et qu'on éloigne toute erreur... Je vous prie de vouloir y faire attention et de permettre aux chrétiens de se rapprocher un peu plus du

8. Mgr Labbé aux directeurs du séminaire des Missions-Etrangères, A.M.E., t. DCCXXVI, p. 543, 12 mai 1717 (ibid., t. I, p. 605-606). 9. Lê Thành Khôi, op. cit.

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reste de mes sujets... » I0, un missionnaire émit les idées suivantes, qui revenaient en fait à un retour à l'ancienne tolérance des prêtres au Viêt-Nam : « M. Boisserand, ' licencié en théologie ' conclut à l'adoption d'un moyen terme, qui consisterait à garder les pratiques du culte des ancêtres, à condition que l'on écartât toute idée religieuse erronée, et que ces pratiques fussent considérées comme d'ordre purement civil. Il base son opinion sur des raisonnements théologiques, et sur des pratiques suivies en France, à Versailles même, soit à la mort du roi, où l'on continue pendant plusieurs jours à lui préparer ses repas, comme s'il était encore vivant, soit quand on passe devant le trône vide du roi, ou devant la statue de Henri IV, et que l'on se découvre ou que l'on s'incline. C'était l'opinion des anciens jésuites... ». 11 Mgr d'Adran déplorait cette situation, qui lui enlevait de nombreux néophytes : « Dans les premiers temps de l'Eglise, les apôtres et les missionnaires qui les ont suivis ont été plus indulgents qu'on ne l'est aujourd'hui... Aujourd'hui les missionnaires, surtout les nouveaux, condamnent tout ce qui est contraire à leurs préjugés, à leur éducation... et regardent comme plus religieux et plus exacts ceux qui défendent le plus de choses... les usages qu'ils ont vus en Europe... tout ce qu'une éducation européenne leur a fait regarder comme bienséant, honnête, leur fait tant d'impression qu'ils veulent le trouver partout. Ils condamnent ou au moins soupçonnent comme contraires à la foi, tout ce qui n'y est pas conforme... ».12 « Les apôtres et leurs successeurs n'ont pas tant chicané sur les usages des pays où ils prêchaient... Sommes-nous plus habiles qu'eux ? Faut-il s'étonner que l'univers se soit trouvé presque tout converti à leur prédication, tandis que nous ne sommes que des gagne-petit ? Nous raffinons trop. Il est bien à craindre que cela n'aboutisse enfin à la ruine totale de la religion de ces pays-ci •».13

10. 11. 12. 13.

L. Cadière, loc. cit. Ibid. Ibid. Lettre du 10 mai 1789. Ibid. Lettre du 15 juin 1789.

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Cette ligne de conduite préconisée par Mgr d'Adran ne signifiait ni un recul ni une faiblesse, mais seulement une attitude souple qui aurait permis la conversion du roi, des mandarins et de tout le peuple. Il restait un problème, celui d'extirper les superstitions du culte des ancêtres et des morts. «... Mais si, au su de tout le monde, le roi qui fait cette action et les mandarins qui l'accompagnent et y participent n'ont plus ces idées fausses et superstitieuses ; si même ce n'est plus une action religieuse, mais un acte purement civil et politique, l'usage... ne sera point superstitieux... car si cette action peut se tolérer, nous sommes responsables de retarder et d'empêcher peut-être la conversion d'un royaume ». 14 En effet, les chrétiens à qui il était interdit de participer à la vie religieuse communautaire et familiale, sous peine de superstitions, étaient automatiquement rejetés hors de leur milieu social. « Le culte des ancêtres était universellement pratiqué ; dans chaque famille il y avait l'autel familial devant lequel à dates fixes, le chef de famille exerçait les cérémonies rituelles. Si ce culte implique au moins confusément la croyance à l'immortalité de l'âme, en fait ses manifestations étaient le plus souvent dans les milieux populaires mêlés de croyances et de pratiques superstitieuses qui ont amené les missionnaires et le Saint-Siège lui-même à l'interdire aux chrétiens. Cette interdiction fut un grave obstacle aux conversions ; car ne pas s'associer à ce culte familial était considéré comme un abandon coupable des traditions ancestrales ; c'était se mettre hors de la communauté familiale. Il en était de même du culte rendu aux génies protecteurs des villages ; l'interdiction faite aux chrétiens de s'y associer les avait fait passer pour des séparatistes. Il n'était pas rare en effet que pour devenir chrétiens, des Viêtnamiens aient dû quitter leur famille et leur village. On comprend que beaucoup aient reculé devant les exigences de la conversion ». 15 14. Lettre de M. Boisserand à M. Boiret, 11 août 1789 (dans A. Launay, Histoire Cochinchine, t. III, p. 322-323). 15. G. Cussac, in Histoire universelle des missions catholiques, op. cit. A. Launay, Histoire générale, t. II, p. 173-174 : « Elle (la cause première) ressort de la constitution même des sociétés païennes, du mode de respect et de soumission qu'elle impose au chrétien et que celui-ci accepte ou refuse... dans la consti-

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Dans les débuts donc, le Viêt-Nam comptait des défenseurs d'un culte des morts épuré, ne comprenant plus qu'un acte civil, tout à fait admissible. 16 Mais il existait un autre empêchement aux conversions, celui de la polygamie, à laquelle les missionnaires se heurtaient à tous les échelons de la société. Quoique cette pratique existât surtout dans les hautes olasses sociales, elle se rencontrait également dans le petit peuple. Elle avait pour but de perpétuer la famille et le culte des ancêtres. Au niveau des mandarins et des grands du royaume, elle servait à élargir le cercle de leurs relations. Quant au souverain, il s'assurait ainsi la fidélité de ses fonctionnaires ou nouait alliance avec d'autres princes. Les missionnaires eurent beaucoup de peine à contrecarrer cette habitude, même chez les convertis, qui répugnaient à l'abandonner. « ... 2. l'autre misère... est l'engagement de plusieurs péchés fort embarrassants, particulièrement de mariages, qui nous font une terrible peine, car ils ne distinguent pas assez souvent entre les coutumes de leur pays qui sont contraires à la loi de Dieu et celles qui ne sont pas contraires et qu'ils peuvent suivre... ». 17 Diverses lettres de missionnaires signalent, outre les difficultés créées par les concubines et les femmes de second rang, celles dues à l'obstination des Viêtnamiens restant esclaves des biens matériels et de leur jouissance. « L'empêchement de prendre plusieurs femmes et la crainte de perdre leurs biens ou dignités en ont détourné une infinité de se faire chrétiens ; ce qu'ils regretteraient encore, c'est la liberté

tution des sociétés d'Extrême-Orient ainsi que dans toutes les sociétés païennes, la religion est absorbée par l'Etat. Elle forme une institution de l'Etat, un établissement politique, une partie intégrante de la législation civile ; l'Etat en détermine la forme et en prescrit les pratiques... Sacrifices, prières, rites sacrés, tout relève de la puissance publique. Tout manquement au culte officiel est un manquement à la loi... la vie privée en Extrême-Orient est comme pénétrée de religion... ». 16. Lettre de Mgr Labartette aux directeurs du séminaire des Missions-Etrangères, A.M.E., t. DCCLXVII, p. 11, 12 novembre 1800; observations de Mgr Pigneau sur la liturgie chinoise à M. Boiret, A.M.E., t. DCCCI, p. 677, 1797 (dans A. Launay, Histoire Cochinchine, t. III, p. 333-336, 339-340). 17. Lettre de M. Forget à M. de Brisacier, A.M.E., t. DCCXXXV, p. 202, 1683 (ibid., t. I, p. 312-316).

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L'hostilité envers le catholicisme de quitter leurs femmes, ce qui arrive fort souvent parmi toutes sortes de personnes... L'office de mandarin est encore un grand obstacle ; car pour tous ceux qui sont en charge, si on les examine exactement, il est bien rare s'il s'en trouve qui se puisse confesser ; ils sont obligés aux cérémonies publiques qui sont sacrifices et superstitions... J'ai remarqué ordinairement que s'il faut souffrir une peine considérable, perdre biens, honneurs, dignités, appui des hommes pour garder notre religion, ils n'iront plus à nos églises... Je crois aussi qu'il y aurait bien de la peine à les obliger à garder tous les commandements de l'Eglise, car il est difficile de les obliger étroitement à quelque chose... ». 18

Les interdits du catholicisme, les incompatibilités de deux mentalités différentes étaient donc autant d'obstacles à tous les échelons sociaux.19 Les missionnaires, selon l'optique des dirigeants viêtnamiens, étaient coupables de pousser les chrétiens à rejeter les lois de leur pays. Rejet des cultes religieux, des valeurs sociales qui les faisaient vivre en marge de la société traditionnelle. Mais chose plus grave, on reprochait aux prêtres et aux chrétiens la scission du pays en deux clans religieux opposés, ainsi que la désobéissance aux édits royaux. En effet, les souverains promulguèrent rapidement des édits contre la religion étrangère pour faire face aux dangers sociaux, religieux et politiques que sa pratique comportait. Ils essayèrent de cette manière de ramener leurs sujets « égarés » dans la « bonne voie ». La rigueur progressive de ces édits sera symptomatique de l'imbrication politique s'amplifiant avec la menace de l'Occident colonialiste. Au début, il était simplement question de se mettre au même diapason que la Chine ou le Japon. 20 En dehors de la question de se conformer à l'attitude prise par ces deux pays, dont le Viêt-Nam recevait des nouvelles et même une certaine ligne de conduite, les souverains viêtnamiens devaient également temporiser avec le clan des lettrés, fort mécontents de l'abandon, 18. M. de Cappony à M. Basset, A.M.E., t. DCCXXV, p. 47 (.ibid., t. I, p. 615-616) ; on retrouve les mêmes plaintes dans la lettre de M. Heutte à M. de Brisacier (p. 618-619). 19. Mgr Pigneau à M. Boiret, A.M.E., t. DCCXLVI, p. 496. Cette lettre se trouve aussi dans les Nouvelles lettres édifiantes, t. VII, p. 328, 30 mai 1795 (ibid., t. III, p. 306). 20. A. Launay, Histoire Tonkin, t. I, p. 68. Ce document suit la parution de l'édit de 1669 contre le catholicisme.

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par une partie de la population, de ce qui était l'héritage culturel de leur nation. Même les Tây-Son — c'était sans doute surtout par attitude politique — mentionnaient dans leurs édits contre le catholicisme, le manquement aux cultes traditionnels : « Depuis que les royaumes d'Occident ont introduit furtivement leur religion dans ce royaume, nous voyons avec regret le culte de Confucius s'affaiblir de jour en jour, et qu'il est déjà presque abandonné par l'effet des discours trompeurs et captieux de ces étrangers... Voyant le cœur de nos peuples passionné pour une religion trompeuse et abusive, nous sommes résolus de venir au secours de la bonne et vraie doctrine de nos ancêtres et de nos rois et de détruire entièrement cette religion perverse ». 21 Les lettrés désiraient maintenir leurs privilèges, et un souverain agnostique comme Gia-Long, qui ne montrait aucune préférence religieuse, dut agir en tenant compte de leurs réactions. Mgr d'Adran lui-même, en dépit de l'ascendance dont il pouvait se targuer, ne put le soustraire entièrement à l'emprise de la Cour. L'édit publié en 1804 en est une preuve. Une autre preuve se trouve dans les différentes lettres de missionnaires ou de particuliers, mentionnant ce problème important. « Le roi qui jusqu'à présent ne reconnaît d'autre religion que le culte des ancêtres, a commencé il y a deux ans, à bâtir de superbes temples à Confucius... ». 22 « Quoiqu'il me témoigne toujours beaucoup d'amitié, je ne suis pas content de la manière dont il parle de notre sainte religion, et je crains bien qu'au premier jour il ne cède aux instances de plusieurs mandarins qui l'engagent à persécuter les chrétiens... ». 23 21. L.-E. Louvet, La Cochinchine religieuse, Paris, 1885, t. I, p. 517. A. Launay, Histoire Cochinchine, t. III, p. 118 : « Nous voulons maintenant exterminer de nos Etats une religion d'Europe qui s'y est répandue. C'est une secte qui ne reconnaît ni père ni mère... ». 22. Lettre de M. Lelabousse à M. Boiret, 12 juillet 1796 (dans A. Launay, Histoire Cochinchine, t. III, p. 225). Lettre de M. Liot à M. Letondal, 1" mai 1804 (ibid., p. 427). Lettre de Mgr Labartette à M. Boiret, 9 avril 1806 (ibid., p. 430). 23. Lettre de M. Chaigneau à M. Letondal, procureur des Missions-Etrangères à Macao, datée d'une autre main de 1806 ou 1807, A.M.E., t. CCCXII, p. 853-854 (dans L. Cadière, loc. cit.).

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Mgr d'Adran avait par ailleurs senti l'hostilité dont la Cour l'entourait, et il avait demandé à Gia-Long de le laisser partir. L'attachement que le roi avait pour l'évêque, sans qu'il puisse cependant faire fi de l'opinion et de l'humeur de son entourage, se concrétisa dans le fait qu'il usa de toute la persuasion dont il était capable pour retenir le prélat. Les missionnaires crièrent à la trahison lors de la parution de l'édit du 9 mars 1804, mais son contenu ne visait pas seulement le catholicisme : « Cet édit traite d'abord des fêtes et des réjouissances publiques qui se célèbrent annuellement dans les villages, ainsi que des contributions que les notables ont le droit d'ériger à cette occasion. Passant ensuite à ce qui regarde directement la religion, il défend de gaspiller l'argent des communes pour les temples du Bouddha et les sacrifices aux génies protecteurs. En conséquence : 1. il défend de construire de nouvelles pagodes en l'honneur du Bouddha ; 2. de réparer les anciennes pagodes sans une permission écrite du gouverneur de la province ; 3. de construire de nouveaux temples en l'honneur des génies tutélaires et même de réparer les anciens sans permission ; 4. arrivé à la religion chrétienne, l'édit s'exprime en ces termes méprisants : Quant à la religion des Portugais, c'est une doctrine étrangère qui s'est introduite furtivement et maintenue jusqu'à présent dans le royaume, malgré tous les efforts qu'on a fait pour déraciner cette superstition. L'enfer, dont cette religion menace, est un mot terrible dont elle se sert pour épouvanter les imbéciles ; le paradis qu'elle promet est une expression magnifique pour amorcer les niais. Cette doctrine s'est insinuée peu à peu parmi les hommes grossiers et ignorants, qui l'embrassent et la suivent comme des insensés. Un grand nombre de nos sujets sont déjà infectés de cette mauvaise doctrine est tout à fait accoutumés à en observer les pratiques et les lois, qu'ils suivent comme des gens ivres sans réfléchir à rien, et comme des aveugles que l'on ne peut ramener de leur égarement. C'est pourquoi dorénavant, nous ordonnons que dans les cantons et villages où il y a des églises appartenant aux chrétiens,

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il soit défendu de réparer ou de reconstruire celles qui tombent en ruines, avant d'avoir présenté une requête au gouverneur de la province et d'en avoir obtenu la permission. Quant à la construction de nouvelles églises, dans les endroits où il n'y en a pas encore, nous le défendons absolument ». 24 Ainsi, avant d'en venir à une persécution systématique, les souverains viêtnamiens essayèrent-ils en premier lieu la méthode d'intimidation et de raisonnement. Elle n'eut aucun succès notable. Minh-Mang inaugura un autre système. Quoique très hostile au catholicisme, il tenta de l'absorber par la persuasion. Pour lui comme pour tous ses prédécesseurs, les chrétiens se conduisaient en « aveugles », en « ignorants », en « insensés » à qui il fallait ouvrir les yeux et qu'ils se devaient d'éduquer. Dans l'édit qu'il fit paraître en 1833, Minh-Mang avait fait insérer un article secret dans lequel il donnait des directives selon lesquelles les mandarins et les gouverneurs de province étaient tenus de se soumettre pour briser le mouvement de conversion et ramener les chrétiens dans la bonne voie ; en conséquence, ils se devaient : « 1. de s'occuper à instruire sérieusement leurs inférieurs, qu'ils soient mandarins, soldats ou peuple, de manière qu'ils se corrigent et abandonnent la religion perverse. 2. de s'informer exactement de l'emplacement des églises et des maisons de religion, dans lesquelles les maîtres réunissaient le peuple, et de détruire tous ces édifices sans délai. 3. d'arrêter les maîtres de religion, mais en ayant soin d'user plutôt de ruse que de violence ; les maîtres européens, il faut les envoyer promptement à la capitale, sous prétexte d'être employés par nous à traduire des lettres ; les maîtres du pays, vous les retiendrez au chef-lieu de vos provinces, et vous les garderez strictement, de peur qu'ils ne s'échappent ou n'aient des communications secrètes avec le peuple, ce qui maintiendrait celui-ci dans son erreur. Vous, préfets et gouverneurs de province, conformez-vous à notre volonté ; surtout agissez avec précaution et prudence, et veillez à n'exciter aucun trouble... ». 25

24. L.-E. Louvet, op. cit., t. II, p. 18-19. 25. A. Launay, Mgr Retord et le Tonkin catholique,

Lyon, T éd., 1919, p. 62.

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Cette méthode « pacifique » ne réussit pas plus que les précédentes. Minh-Mang fit alors venir à la Cour les missionnaires français qu'on avait pu trouver, mais en dépit de ces mesures, ses efforts pour revenir à l'orthodoxie confucéenne et ramener l'ordre parmi ses sujets demeurèrent lettre morte. Plus tard, sous Tu-Duc, à un moment où les Viêtnamiens voyaient s'appesantir de plus en plus l'emprise française, un mandarin de haut grade, le vice-roi du Tonkin, Thuong-Giai, proposa au roi une solution originale, ressemblant dans ses intentions à ce que Minh-Mang avait voulu faire avec son Thâp-Diêu. Seulement, ce qui peut paraître plus réaliste dans les théories proposées par le vice-roi Thuong-Giai, c'est le fait même qu'il ait demandé la mise à l'écart des chrétiens qu'on aurait séparés du reste de la population. D'eux-mêmes d'ailleurs, ceux-ci vivaient à part, mais souvent, pour attirer de nouveaux catéchumènes, les missionnaires installaient quelques familles chrétiennes considérées comme très sûres, dans des villages non catholiques. Les membres de ces familles faisaient du prosélytisme en discutant religion avec les autres habitants du village et en leur apprenant les prières. Si certains sujets présentaient quelque aptitude, on faisait venir un catéchiste ou un prêtre du pays, ou même le missionnaire, qui après plus ample instruction, les baptisaient. La solution que présentait le haut mandarin avait donc l'avantage de tenir complètement à l'écart de la société ceux qui justement pouvaient présenter un danger de « pollution ». « ... N'est-il pas à craindre au contraire, que séduits par la charité des chrétiens, les autres ne viennent tous les jours en plus grand nombre à eux ? ... Pour de vieilles et sottes erreurs, convient-il de punir si sévèrement les chrétiens ? ... On laissera en paix les anciens chrétiens, on les éloignera des bouddhistes qui sont ' le bon peuple ' et ' en les groupant dans des villages séparés, on empêchera toute nouvelle conversion'. ... De cette manière, les anciens chrétiens vivront en paix sans être inquiétés sur leurs fautes passées, et la source du mal sera tarie pour l'avenir. Le peuple est naturellement imitateur ; il faut, pour le corriger de ses erreurs, lui donner de bons exemples à suivre. La vérité est difficile à détruire, le mensonge se dissipe sans peine. Mettons en pratique notre religion sublime ; faisons-la briller

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d'un vif éclat ; on verra peu à peu l'erreur et la doctrine perverse disparaître d'elles-mêmes, comme la neige fond aux rayons du soleil. Alors la paix et l'abondance régneront dans le royaume, et chacun dans le transport de sa joie, battra des deux mains le tambour sur son ventre. 26 Notre sainte religion sera de plus en plus prospère et celle des chrétiens tombera dans le mépris de jour en jour. Ses disciples, se regardant alors entre eux et se voyant isolés, comme en dehors de l'espèce humaine, reviendront d'euxmêmes à nous et se corrigeront, sans qu'il y ait besoin pour cela d'employer la violence ». 27 Après sa tentative pour séparer les prêtres et les missionnaires de leurs fidèles, sans toutefois avoir eu l'idée, comme Thuong-Giai, de séparer carrément les catholiques des non-catholiques, Minh-Mang renforça son système, tout en suivant son idée directrice selon laquelle l'ignorance du bas peuple le poussait inconsidérément à adopter le catholicisme. Le 15 juillet 1834, il fit publier le Thâp-Diêu, ouvrage divisé en dix articles, comme le Décalogue que le roi connaissait. Pour instruire son peuple « égaré » et le ramener dans la voie de la raison, il institua un « apostolat païen », « apostolat pour les maîtres d'école » chargés d'enseigner le Thâp-Diêu aux chrétiens afin que ceux-ci reviennent à la religion véritable, celle de leurs ancêtres. 28 Comme d'habitude, Minh-Mang n'obtint aucun succès. Ses ordres furent inégalement exécutés, soit très rigoureusement, plus que les prescriptions ne l'exigeaient, soit point du tout. Et puis, il existait la concussion, moyen grâce auquel les chrétiens échappaient parfois aux mesures prises contre eux. 29 En effet, une des raisons pour lesquelles très souvent les ordres du roi n'avaient aucune suite, est la corruption qui régnait parmi les mandarins et leurs subalternes chargés de les exécuter. Les chrétiens parvenaient à échapper aux peines qui leur étaient infligées, en payant. Les missionnaires s'en plaignaient, mais encourageaient leurs fidèles à agir de la sorte pour éviter les châtiments. 30 26. Proverbe annamite pour exprimer la joie portée à sa plus haute expression. 27. A. Launay, Mgr Retord, p. 264-266. 28. Ibid., p. 127. 29. Ibid. 30. Cf. dossier A.O.M. Aix, 12219 (25) : copie d'une lettre adressée à l'amiral gouverneur par Mgr Gauthier, évêque d'Emmaiis. 6

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82 En dépit pratique de ments, des sévèrement touchées.

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de tous ces essais pacifiques, les chrétiens continueront la leur culte. Il y eut bien quelques apostasies, des reviremartyrs, lorsque les prescriptions d'un souverain furent appliquées, mais les bases du catholicisme ne furent pas

LES RAISONS POLITIQUES ET

NATIONALISTES

Le catholicisme, de par ses exigences et son sectarisme paraissait incompatible avec les traditions socio-religieuses viêtnamiennes. Empêcher le culte des ancêtres, la participation aux diverses manifestations de la vie publique — manifestations se traduisant la plupart du temps par des cérémonies religieuses — ne pouvait que mettre les chrétiens en marge de la société traditionnelle. D'autant plus que leur résistance aux injonctions les rappelant dans le droit chemin, prenait aux yeux des souverains allure de provocation menée et encouragée par les missionnaires français. Accusés d'abord de vouloir vivre en marge de la société, les chrétiens furent ensuite chargés du qualificatif de traîtres. « C'est l'éternelle raison qui a déchaîné tant d'hostilité contre la religion chrétienne en Annam et ailleurs. Le christianisme était considéré, à tort ou à raison, comme un instrument d'asservissement progressif des nations européennes... ». 31 « ... L'Annam n'a jamais séparé le catholicisme de la personnalité de ceux qui l'ont apporté ; le catholicisme est une institution occidentale, une religion d'importation ; ses adeptes sont donc, qu'ils le veuillent ou non, qu'ils le sachent ou non, des amis, des prosélytes, des représentants de l'Occident ; ils deviennent des complices des « diables de l'Occident », dès que l'Annam croit avoir à se plaindre de ces derniers ». 32 « Les Français sont chrétiens, tu es chrétien, donc tu es ami des Français, donc tu trahis ton pays ». 33 C'était peut-être un peu simple comme raisonnement, mais la logique tirée des événements pouvait s'y 31. Huê, 32. Amis 33.

L. 11'' M. du A.

Cadière, « Le quartier des arènes », Bulletin des Amis du Vieuxannée, n° 4, octobre-décembre 1924. Jabouille, « Une page de l'histoire de Quang-Tri, 1885 », Bulletin des Vieux-Huê, n° 4, octobre-décembre 1923, p. 395-426. Launay, Histoire générale, t. II, p. 22.

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prêter. En effet, seul le catholicisme fut aussi longuement et violemment persécuté. Les autres religions, tout autant importées, connurent chacune des moments de splendeur ou d'éclipsé, mais jamais de chasse à l'homme comme le connut le catholicisme. De dogme très souple, elles se sont fondues dans les croyances inhérentes à la mentalité viêtnamienne, amalgamant sans aucune espèce de gêne le culte des ancêtres à celui des génies de toutes espèces et de Confucius, la doctrine pourtant très élevée — dans son état premier — du taoïsme, et celle non moins sublime du bouddhisme. Le catholicisme rejetait tout cet acquis. C'était faire table rase du passé, nier une civilisation pour la remplacer par une autre qui, de surcroît, menaçait l'indépendance nationale. La xénophobie des Viêtnamiens, leurs accusations contre les catholiques se justifiaient. Les chrétiens, le plus souvent, se retiraient dans des villages particuliers 34 : sans doute y étaient-ils obligés à cause de l'organisation sociale, mais pareil isolement ne pouvait que paraître suspect : « Dans un pays où l'emprise du groupe familial ou communal est si fort, les chrétiens devaient nécessairement prendre un caractère communautaire très marqué, surtout dans les paroisses rurales de beaucoup les plus nombreuses dans ce pays presque exclusivement agricole ». 35 Les villages chrétiens étaient généralement séparés et bien distincts. Il était rare qu'un village fût mixte, groupant sur le même espace catholiques et non-catholiques qui s'aimaient si peu. Les massacres de 1862, 1874 et 1885 sont une preuve de cette séparation : villages chrétiens pillés, incendiés, populations tuées, etc. Mais cette séparation 34. A.O.M. Aix, 12219 (8) : Mgr Lefèbvre à S.E. M. le contre-amiral de la Grandière, gouverneur de Saigon : « Saigon, 5 juin 1863. Monsieur l'amiral. J'aurais désiré répondre plus tôt à la lettre par laquelle vous me faisiez informer que vous aviez décidé la formation d'un village annamite sur la rive droite de l'arroyo de l'Avalanche... J'ai désigné M. Wibaux, mon provicaire pour assister et présider avec Mrs les Officiers des affaires indigènes à cette distribution gratuite des terrains ; il s'entendra pour cela avec le quan-bô. On peut regarder ce bon provicaire comme le curé de la chrétienté qui doit se créer là. Vous concevez, Monsieur le Gouverneur, qu'il ne convient pas que je nomme dès aujourd'hui, un curé en titre pour une paroisse qui n'a encore ni église, ni presbytère ni paroissiens. Cela se fera plus tard. » 35. G. Cussac, in Histoire universelle des missions catholiques, op. cit., t. III, p. 239.

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avait une importance capitale dans la répartition des impôts. La somme des impôts était calculée selon la proportion des inscrits, c'est-àdire des gens valides travaillant. Or, si un membre inscrit d'un village quittait la communauté à la suite de sa conversion au catholicisme, pour aller s'installer parmi ses congénères, la charge des impôts n'en diminuait pas pour autant et les habitants du village se trouvaient ainsi dans l'obligation d'acquitter la somme du partant. Si l'exode était important, le village se trouvait ruiné et « réduit à néant ». On comprend donc l'hostilité dont les villages non catholiques entouraient les prédicateurs et aussi les efforts des autorités pour les empêcher de prêcher. 36 Envers ceux qui présentaient quelque velléité de conversion, tout était mis en œuvre pour les en dégoûter. D'autant plus que certaines provinces étaient réglementées d'une manière toute spéciale. En somme, le nouveau converti devait acheter son droit à la conversion. La somme qu'il versait à la Cour lui permettait de se maintenir en dehors des obligations quotidiennes. Semblable procédé favorisait aussi bien les néophytes — exempts alors d'impôts, de corvées et même de service militaire — que la Cour qui ramassait l'argent. Mais la population non catholique se sentait fortement lésée et victime d'injustices patentes. 37

36. A.O.M. Aix, 13148 : Rapport du consul de France à Hai-Phong au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine. Hai-Phong, le 26 janvier 1877 : « ... Il devient patent que les autorités locales obéissent à un mot d'ordre général, leur prescrivant de profiter de toutes les occasions, et d'en faire naître au besoin, pour molester les chrétiens indigènes. D e toutes parts les tông, les maires et les huyên leur cherchent des chicanes. Tantôt on les accuse de se livrer à la contrebande de l'opium ; tantôt d'avoir volé chez le maire les sommes recueillies pour le paiement des impôts. On cherche d'autre part querelle aux catéchistes envoyés dans les villages qui ont témoigné le désir d'embrasser la religion catholique et l'on en profite pour les incarcérer ou les maltraiter... » A.O.M. Aix, 10462 (2) : du père Geoffroy à Mgr Charbonnier, V. A. Cochinchine orientale, 6 mai 1877, « village de Tân-Dinh huyên. Accusation contre Bông nouvellement converti. Bông séduit les gens du village pour qu'ils se fassent chrétiens, une fois chrétiens, ils vont habiter ailleurs et le village sera réduit à néant... Et sur cette pièce Bông fut jeté en prison... » A.O.M. Aix, 13069 : consul de France à Qui-Nhon au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Thi-Nai le 20 avril 1877 (cf. Annexe 1). A.O.M. Aix, 13070 (1) : consul de France à QuiNhon au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Thi-Nai le 13 mai 1877 (cf. Annexe 1). 37. A.O.M. Aix, 13084 : le capitaine de frégate, commandant le Duchaffaut, au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Saigon, le 8 juin 1878 (cf. Annexe 2).

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De plus, ces communautés étaient encadrées par une organisation particulière : « Une particularité de l'organisation des missions d'Indochine, ou plus exactement du Tonkin, était... le régime de communauté et ce que l'on appelait ' la Maison de Dieu '. Cette institution, qui remontait au premier synode du Tonkin, tenu par Mgr Lambert de la Motte en 1670, et qui a survécu jusqu'à l'époque moderne, explique pour une bonne part l'homogénéité et la solidité de ces missions. Elle consistait en ce que tout ce qu'on peut appeler le personnel de la mission : missionnaires, prêtres du pays, séminaristes, catéchistes, enfants éduqués dans les presbytères en vue du sacerdoce et jusqu'au personnel domestique, formait une seule et grande famille où tout était commun, sous l'autorité du vicaire apostolique ». 88 En dehors des missionnaires et des prêtres du pays, un rôle important était dévolu aux catéchistes, sortes de vicaires laïcs secondant et même remplaçant parfois les prêtres dans leurs fonctions sacerdotales. Il existait aussi une autre catégorie de personnes, ne faisant pas partie de la « Maison de Dieu », mais dont le rôle ne manquait pas d'importance, les notables. Ainsi organisés, il n'est pas étonnant que les chrétiens, groupés et fortement encadrés, aient résisté aux défenses formulées par les édits de la Cour. Déjà mal vus parce que vivant retirés, les chrétiens accentuèrent le reniement de leur culture en apprenant, non pas les caractères traditionnels, mais les nouveaux caractères du quôc ngu, transcription phonétique et romanisée de la langue. En effet, « les textes classiques contenaient toute sagesse aux yeux des Annamites, et par effet d'une accoutumance millénaire, cette sagesse s'était liée d'une manière absolue aux formules qui la représentaient, aux caractères avec lesquels elle a été d'abord exprimée. La langue chinoise devait donc rester celle de la morale, des études et de l'administration... ». 39 « Attaquer ces principes, c'était non seulement attenter à la tradition morale, mais encore à la vie intellectuelle du pays. Or, les prêtres catholiques avaient engagé une lutte très vigoureusement 38. G. Cussac, in Histoire universelle des missions catholiques, op. cit., t. III, p. 241, 39, M. Gaultier, op. cit., p. 81.

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L'hostilité envers le catholicisme poursuivie contre les classiques chinois. Ils voulaient atteindre à travers la rhétorique officielle, le système de morale auquel elle était liée et où ils voyaient très justement le plus grand obstacle à l'expansion de leur doctrine. Ils avaient bien vite observé qu'en Annam, l'enseignement des caractères ne se séparait pas de la philosophie confucéenne, et, si tolérante que soit en principe cette philosophie à l'égard des autres religions, il n'en est pas moins vrai que par le prestige de son passé millénaire, par la précision et le réalisme de son expression, par l'esprit purement laïque qui l'anime, elle devait s'opposer toujours victorieusement à la vulgarisation du christianisme en Asie... Pour atteindre l'esprit de la nation, les missionnaires devaient donc s'attaquer à la culture chinoise et aux signes qui la représentaient. Ils s'efforcèrent de donner au peuple indochinois le moyen de se passer de l'écriture, par conséquent de la langue maîtresse et ils y parvinrent en imaginant ce système de transcription de l'annamite en lettres latines que nous appelons Quôc Ngu... ». 40

Ce travail de création d'une langue écrite plus facile à apprendre et qui libérait les esprits de l'entrave philosophique chinoise avait commencé très tôt, lancé par des missionnaires italiens et portugais au milieu du 18e siècle. « Quôc Ngu was not invented by Alexander of Rhodes, as most French authors say, but by Italian and Portuguese missionnaries two of whom, Gaspar d'Amaral and Antonio de Barbosa, were the authors of the first Portuguese-Viêtnamese dictionnary... Alexander of Rhodes perfected their system of transcription. It was not easy work... ». 41 Gaspar d'Amaral était venu au Viêt-Nam vers 1629 ou 1630 en compagnie d'un prêtre japonais Saïto Paolo. Quant au père de Barbosa, il était venu vers 1635 ou 1636. Les deux missionnaires avaient fait paraître deux dictionnaires viêtnamiens qui ne furent pas imprimés. « C'est également en 1651 que la Propagande fit publier le Catéchisme du père de Rhodes. Ce recueil était écrit en deux langues, 40. Ibid., p. 82. 41. J. Buttinger, The Smaller Dragon, p. 252, cité par Phan Phat Huôn, ViêtNam giao su, Saigon, 1957, t. I, p. 132.

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latin et viêtnamien. Le livre était divisé en huit journées soit huit chapitres pour enseigner aux néophytes qui voulaient être catholiques. C'est un document unique, le plus ancien existant comme spécimen de la littérature viêtnamienne d'il y a 300 ans. Le livre avait 324 pages, chaque page étant divisée en deux colonnes, à droite écrite selon les caractères romains, à gauche en latin ». 42 Le travail de transcription phonétique fut donc achevé par le père de Rhodes. Celui-ci avait très vite assimilé la langue, et avait tout de suite senti que la méthode la plus efficace et la plus rapide pour attirer les néophytes était de leur présenter d'une manière agréable ce qu'ils avaient à apprendre. C'est ainsi qu'il fit imprimer son catéchisme en langue vulgaire et un dictionnaire, le Dictionnarium Annamiticum. Les missionnaires chercheront toujours à élargir le cercle de diffusion du quôc ngu. Ce système les aidait non seulement à détacher les esprits de la culture chinoise, mais, beaucoup plus facile à apprendre, il n'exigeait pas des petites gens de longues années d'études jusque-là réservées à une élite. C'est une des raisons pour lesquelles le quôc ngu sera longtemps méprisé par la classe lettrée du pays qui resta attachée à l'étude des caractères chinois. Dans les Notes sur le Tonkin rédigées par Mgr Puginier, datées de mars 1887 4S, le prélat propose, afin de donner à la France une influence plus forte, plus enracinée et plus sûre, l'abolition des caractères chinois et leur remplacement par le quôc ngu. Cette substitution ne devait d'ailleurs être qu'une étape, le quôc ngu allant lui-même faire place au français. 44 42. Ibid., p. 135. 43. A.O.M. Aix, 11782. 44. A.O.M. Aix, 12203 : rapport du provicaire Wibaux sur l'état de la religion et de l'instruction dans la colonie, 10 décembre 1863 : « Un objet d'enseignement qu'il serait très utile d'introduire dans ce programme serait la lecture et l'écriture de la langue annamite en caractères européens. Ce serait le meilleur moyen d'abolir progressivement l'emploi des caractères chinois et annamites dont l'usage est peut-être l'obstacle le plus insurmontable aux progrès de l'intelligence dans ce pays. » A.O.M. Aix, 11782, notes sur le Tonkin rédigées par Mgr Puginier, mars 1887 : « Lorsqu'on aura obtenu cet immense résultat, on aura enlevé à la Chine une grande partie de son influence en Annam, et le parti des lettrés annamites, si hostiles à l'établissement de l'action française, se trouvera ainsi anéanti peu à peu. » A.O.M. Aix, 12212 : sur la création à Saigon par la mission d'un collège latin, d'une école pour les enfants chinois, des écoles de filles, 1865.

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C'est pourquoi les missionnaires demandèrent aux autorités françaises d'appuyer leur action dans le domaine de l'éducation.45 « Car les écoles ne seront pas seulement des établissements où l'on enseignera le français et les connaissances usuelles, mais on y formera aussi les enfants aux idées religieuses ; et l'on peut espérer qu'on y fera pas seulement des Français, mais des chrétiens » . ^ « Il n'y a pas d'autre moyen d'entrer plus rapidement et plus efficacement en relation avec les indigènes, sujets de la France. Ces enfants y recevront, d'autre part, une éducation et une instruction religieuse qui ne profiteront pas seulement à eux seuls, mais à tous ceux sur lesquels s'exercera plus tard la salutaire influence de leur supériorité, de leur rang. La création des écoles est donc le meilleur moyen de colonisation et de propagande religieuse... ». 47 «... Une mesure, dont les effets, sous plus d'un rapport, ne peuvent être que très heureux, serait d'attirer dans l'Ecole Française, les enfants des chefs de canton et des mandarins qui, plus tard, pourraient être appelés d'exercer au nom de la France, quelque fonction administrative... Il ne sera peut-être pas impossible d'établir en règle que les fils des chefs de canton et des mandarins doivent apprendre le français... ».48 En date du 4 avril 1873, le contre-amiral Dupré écrivait à un missionnaire, le provicaire Wibaux : « Mon but est d'amener peu à peu, avec le temps, avec beaucoup de temps, par la constatation des avantages qu'il en retirera, le peuple annamite à s'assimiler à nous, à passer de l'influence chinoise à l'influence française et chrétienne, à acquérir une connaissance de plus en plus étendue et approfondie de nos sciences et de nos arts... Vous dirigez avec succès un grand établissement d'instruction publique, vous avez acquis une connaissance approfondie du caractère des parents et des enfants annamites, et une précieuse expérience. Je viens vous prier de m'en faire profiter, et de 45. A.O.M. Aix, 12203. 46. A.O.M. Aix, 12203 (2) : note du provicaire Wibaux adressée à M. l'amiral Bonard gouverneur de la Cochinchine française sur l'enseignement primaire dans la colonie, 2 décembre 1863. 47. Ibid. 48. Ibid.

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me faire savoir comment vous pensez que je puisse le plus sûrement atteindre le but que je poursuis ». En 1884, le problème est toujours le même : attirer le plus de Viêtnamiens possible dans les écoles françaises pour les soustraire à l'influence chinoise et asseoir plus sûrement la domination française : « Monsieur le ministre (de la Marine et des Colonies), Mgr Puginier, avec lequel j'ai longuement causé, m'a protesté de son grand désir d'être mis à même moyennant que l'assistance qu'il a demandée lui soit accordée, de concourir à répandre notre influence au moyen des écoles qu'il fonderait dans les paroisses de sa mission pour l'enseignement aux indigènes de la langue française ; il attend impatiemment, pour se mettre à l'œuvre, la réponse aux propositions qu'il a faites et qui ont été soumises à l'approbation du département de Votre Excellence ». 49 Ces écoles où l'on enseignait le quôc ngu et le français furent tenues pendant longtemps, jusqu'à la fin du 19e siècle, uniquement par les ordres religieux. C'était donc forcément attirer les enfants dans la sphère d'influence française catholique. C'est ainsi que, sauf au moment de la vague anticléricale française en 1882, le gouvernement français favorisa les écoles chrétiennes en leur accordant des subventions. 50 La politique séparatiste pratiquée par les missions était mal venue. Elle fut appliquée à un moment où le gouvernement de Huê sentait ses destinées lui échapper ; l'Europe se lançait à la conquête des colonies et il ne lui était pas inconnu qu'Anglais et Français cherchaient à s'établir dans cette partie du monde. Au Viêt-Nam, par qui et par quoi la France était-elle représentée sinon par les missionnaires et le catholicisme ? Minh-Mang, successeur immédiat de Gia-Long, refusa l'entrée du pays aux étrangers de quelque nationalité qu'ils aient été. Les événements politique du pays — notamment la révolte de Lê Van Khôi à Gia-Dinh — accentuèrent la répulsion du souverain à l'égard du catholicisme et rendirent les Français d'autant plus suspects. Khôi se souleva dans la nuit du 18 mai 1833, en appelant à la révolte contre la tyrannie de Minh-Mang qu'il proposait de remplacer par le fils 49. A.O.M. Paris, A 30 (60), carton 17. Huê, le 4 novembre 1884. 50. A.O.M. Aix, 23778.

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du prince Canh, le prince Dan. Il demanda l'aide de la mission et fit envoyer un message à Mgr Taberd qui se trouvait à Chantabun, la mission du Siam, lui proposant de venir à Saigon. Mais son message fut intercepté au large de l'île de Phu-Quôc, ses porteurs ramenés à HàTiên, interrogés et mis à mort. Pour Minh-Mang, cet incident était clair et démontrait, on ne peut mieux, la collusion des révoltés et des chrétiens. « Ainsi dans l'esprit de l'empereur, l'opposition des chrétiens aux édits qui concernaient leur culte... se transformait en rébellion caractérisée, menaçant de provoquer dans le royaume les graves désordres... ». 5 1 Lê Van Khôi s'était retiré dans la citadelle de Saigon, mais en dépit de la demande d'aide qu'il avait adressée au Siam, la ville fut prise en 1835. Khôi était déjà mort de maladie à cette date. La ville dut se rendre aux troupes gouvernementales. Parmi les six personnes qui furent amenées à Huê pour passer en jugement, il y avait un missionnaire français, le père Marchand, un Chinois Bon Bang et le fils de Khôi, âgé de sept ans. Le père Marchand fut condamné à la peine de la mort lente pour avoir soutenu Khôi et entraîné les catholiques à la rébellion contre le roi. Certains auteurs soutiennent que le missionnaire avait voulu jouer le même rôle que Mgr d'Adran, c'est-à-dire renverser Minh-Mang et le remplacer par le prétendant de Khôi le fils du prince Canh, sinon par Khôi lui-même, qui avait promis beaucoup de bien aux catholiques. Le choix d'un successeur comme le fils du prince Canh était prémédité, étant donné que les missionnaires avaient toujours mis leurs espoirs dans le fils aîné de Gia-Long, mort trop tôt, en 1 8 0 2 . " Lê Thành Khôi 5 3 dit également que de nombreux catholiques avaient pris parti pour Khôi, dans l'espoir de voir leur religion reconnue. Quant aux chrétiens et aux missionnaires, ils ont toujours nié avoir eu une part quelconque dans ce conflit qui avait pour point de départ la jalousie et la rivalité de Khôi et du bô-chinh (gouverneur de province) de GiaDinh. Comme argument de leur neutralité, ils disent n'avoir aucune preuve du rôle que voulut jouer le père Marchand. Il fut amené à Gia-Dinh 51. M. Gaultier, op. cit., p. 101. 52. A. Schreiner, op. cit., p. 121. 53. Lê Thành Khôi, op. cit., p. 341,

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par Khôi alors qu'il se trouvait dans la province de Trà-Vinh. Sa présence dans la citadelle, au moment de la révolte, n'était donc que fortuite. Le père refusa, paraît-il, de prêter main forte à Khôi : « Un jour Lê Van Khôi invita des gens à venir chez lui et leur demanda de signer de nombreuses lettres qu'il devait envoyer dans les communautés catholiques pour appeler les habitants à prendre les armes. Marchand n'agréa pas cette proposition, se leva et jeta dans le feu les lettres déjà écrites, même si ce geste devait en faire l'ennemi de Lê Van Khôi ». 54 Un prêtre viêtnamien 55 se réfère à un auteur américain 56 pour appuyer ses thèses, selon lesquelles Marchand, donc la mission et les fidèles viêtnamiens, ne prirent aucune part à la révolte : « Lê Thành Khôi is of the opinion that Marchand aspired to a position with the rebel leader similar to that Pigneau de Béhaine had with Nguyên-Anh, in the hope of creating a dissident catholic kingdom in Cochinchina, but he offers no proof for his statement ». Une autre preuve de la non-participation des chrétiens à la rébellion existe dans le fait que peu de catholiques furent tués lors de la reprise de la ville par l'armée impériale. 57 Cependant, cet argument reste à vérifier : les différents auteurs ayant traité de cette question donnent des chiffres totalement différents, variant considérablement. Ainsi, Phan Phat Huôn, donne le chiffre de 70, parmi lesquels il compte 40 femmes et enfants qui s'étaient réfugiés dans la ville au moment où les troupes impériales arrivaient. Par contre, Chassigneux 58 avance le nombre de 1 200 chrétiens combattants. Lê Thành Khôi les estime à 200, et Taboulet 59 dit que parmi les 499 combattants arrêtés, 66 étaient chrétiens. Nguyên Van Quê 60 , sans donner de chiffre exact, se contente 54. Phan Phat Huôn, op. cit., t. I, p. 305. 55. Ibid., t. I, p. 304. 56. J. Buttinger, op. cit., cité par Phan Phat Huôn. 57. Phan Phat Huôn, op. cit., t. I, p. 303. 58. Chassigneux, Histoire des colonies françaises et de l'expansion française dans le monde, t. V, p. 374, cité par Phan Phat Huôn. 59. G. Taboulet, La Geste française en Indochine, Paris, 1956, t. I, p. 341, cité par Phan Phat Huôn. 60. Nguyên Van Quê, Histoire des pays de l'Union française, cité par Phan Phat Huôn.

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de dire : on enterra en tout 1 831 révoltés dont beaucoup de chrétiens en un seul ma-nguy, plaine des tombeaux. Truong Vinh Ky écrit qu'il y eut 1 137 hommes exécutés dans la plaine des tombeaux 61 , lors de la reprise de Saigon en 1835, mais il ne dit pas combien de chrétiens étaient comptés dans ce nombre assez élevé. En outre, Mgr Taberd avait fait parvenir à Khôi une lettre dans laquelle il lui refusait tout concours, aussi bien des pères que des chrétiens. De toute manière, les raisons véritables du supplice affreux que subit le père Marchand sont encore inconnues. Prit-il ou ne prit-il pas part à la révolte de Khôi ? Personne ne l'a encore jamais dit d'une manière objective, en partie par défaut de documents précis. Quant à l'attitude des chrétiens, on peut dire qu'elle « tendait vers la sympathie aux insurgés », et ceci en dépit de ce qu'avaient pu leur dire les missionnaires qui les avaient mis en garde et leur avaient conseillé une attitude neutre. Mais les missionnaires eux-mêmes auraient vu d'assez bon cœur Minh-Mang renversé et remplacé par un homme qui se serait montré favorable au christianisme. Et s'ils n'ont pas soutenu Khôi, c'est sans doute par pure politique, afin de ne pas compromettre leurs communautés et eux-mêmes pour une cause perdue d'avance. Ils étaient encore prudents et peut-être aussi ne sentaient-ils pas la France prête à prendre les armes pour eux, comme elle le fit plus tard. Ils avaient par ailleurs accordé assez peu de crédit aux promesses faites par Khôi, celles non seulement de protéger et de favoriser le christianisme, mais aussi celle de se faire chrétien lui-même. Il fallait vraiment que les pères fussent très peu sûrs de lui pour ne pas le soutenir, eux qui rêvaient toujours d'un Etat catholique au Viêt-Nam. La rigueur avec laquelle Minh-Mang sévit contre les chrétiens à la suite de cette rébellion se justifie par la position que ceux-ci adoptaient dans la vie quotidienne et au moment des troubles. « D'ailleurs, il faut dire la vérité ; l'insurrection fut pour le roi autant religieuse que politique. Les chrétiens (Minh-Mang s'en plaint amèrement dans son ouvrage intitulé Ngu-Chê) semblent avoir pris aux événements une part suffisante pour expliquer, en partie au moins, les rigueurs postérieures dont ils ont eues à souffrir, et justifier en même temps les appréhensions du passé. 61. Truong Vinh Ky. op. cit., t. II, p. 265 çité par Phan Phat Huôn.

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Ceux qui se chargèrent d'aller décider les Siamois à porter mainforte à l'insurrection étaient des catholiques ». 62 En effet, Khôi avait désigné pour se rendre au Siam deux catholiques, en même temps porteurs de la lettre à Mgr Taberd, Tu et Thoai. Mais ils furent arrêtés à Thu Chiên Sai, et mis à mort par Thai Công Chiêu, « Maréchal du Centre de Khôi, alors résolu d'abandonner ses conjurés et passer aux Nguyên ». 63 L'intervention du commandant Favin-Lévêque 64 sous Thiêu-Tri ne pouvait qu'accentuer le malaise. Un second incident, toujours avec des Français, coûta à Thiêu-Tri sa flotte. 65 Et tout ceci pour les chrétiens et la religion catholique. C'est dans ce contexte où religion et politique s'imbriquaient étroitement que Tu-Duc monta sur le trône. Les missionnaires français espérèrent que le nouvel empereur serait plus clément envers eux-mêmes et leurs chrétiens. Il était jeune et paraissait animé de bonnes intentions envers les catholiques. « C'est de tous les fils de Thiêu-Tri le plus intelligent et le plus capable, malgré une santé assez frêle. Il est poète et grand lettré et on dit qu'il a de bonnes dispositions ». 66 « Grâce à un familier du nouveau roi, auquel il promettait sa lunette (longue vue) en cas de réussite, Monseigneur arriva à sonder les opinions politiques du prince relatives aux chrétiens. Ce dernier lui fit répondre qu'il ne cherchait qu'une occasion pour accorder la liberté du culte et qu'il l'accorderait bientôt... ». 67 Mais les espoirs qu'il avait fait naître chez ces derniers ne devaient pas durer bien longtemps, et le règne de Tu-Duc, connu pour être 62. Ibid., t. II, p. 268. 63. Ibid., t. II, p. 265. 64. A. Launay, Mgr Retord, p. 148. 65. R.P. A. Delvaux, Monseigneur Pellerin, Hong Kong, 1937, p. 6 et aussi dans Bulletin des Amis du Vieux Huê, 1932, p. 220 : « ... Nguyên Ba Nghi, envoyé extraordinaire de Tu-Duc en Cochinchine, écrit dans son rapport confidentiel au trône : ' Sous le règne de S.M. Thiêu-Tri, des navires français livrèrent un combat naval à nos navires en cuivre [blindés] dans la rade de Tourane. J'étais, en ce moment (mars 1847), Bô-chanh (gouverneur) intérimaire du Quang-Nam, ce qui me permit de me rendre compte de l'efficacité et de la justesse des canons français ; en quelques minutes nos [5] navires furent coulés '. » 66. A. Delvaux, op. cit., p. 7. 67. Ibid. Cf. H. Perennès, Mgr François-Marie Pellerin, Brest, 1938.

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celui de la colonisation française, l'est aussi pour les persécutions religieuses.

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TRAITÉ

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Le traité de 1862 a pour origines les persécutions que Tu-Duc faisait subir aux chrétiens. Le nouvel empereur déçut les missionnaires en poursuivant la politique religieuse de Minh-Mang et de Thiêu-Tri. C 8 Mais il semble que devançant toute hostilité déclarée du souverain, les missionnaires aient fait appel à leur gouvernement. Mgr Retord, évêque du Tonkin occidental, avait écrit, au mois de mars 1848, une lettre à Louis-Philippe lui demandant de prendre en considération le sort des chrétientés vietnamiennes. « L'évêque se demanda si les bonnes dispositions que l'on prêtait au souverain ne pourraient être mises à profit. Directement par les missionnaires ? Non, sans doute : ils étaient toujours proscrits, et, d'ailleurs, un roi d'Annam ne traite pas ainsi avec un étranger. Mais puisque Louis-Philippe et son gouvernement avaient donné des ordres à leurs amiraux pour surveiller la politique religieuse des Annamites, et, si besoin était, pour prêter assistance aux ouvriers apostoliques, serait-il impossible de s'adresser à eux et de solliciter leur appui ? Le chef du Tonkin occidental avait presque sous ses yeux, l'attitude de l'Angleterre protégeant ses nationaux les armes à la main ; pourquoi la France n'agirait-elle pas de même ? D'ailleurs si le succès ne couronnait pas sa tentative, la démarche n'était pas compromettante. Mgr Retord adressa donc à LouisPhilippe une lettre réservée et prudente, ne sortant ni du caractère, ni des attributions d'un évêque missionnaire. En résumé, il disait qu'un acte diplomatique, caché sous l'apparence d'un acte de politesse, lui semblait devoir être plus fécond en résultat que les apparitions rapides et passagères des navires français qui terri68. A. Delvaux, op. cil., p. 7-8 : « .. Tu-Duc est trop jeune (dix-huit ans) pour gouverner par lui-même ; ce sont les quatre grands mandarins que Thiêu-Tri a nommés ses tuteurs qui gouvernent sous son nom. Or le premier et le plus influent des quatre, Truong Dang Quê, est un ancien ami et ministre du roi Minh-Mang, et pendant le dernier règne, il s'est toujours montré le zélé défenseur des actes de ce tyran ; il n'accordera pas la liberté religieuse sans y être forcé... »

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fiaient un moment les Annamites, mais leur jetaient au cœur la haine qu'engendre l'orgueil blessé... ». 09 Cette lettre était signée par l'évêque au nom de tous les missionnaires. Elle n'eut pas de suite, car entre-temps Louis-Philippe avait été remplacé par le gouvernement de Lamartine et de Ledru-Rollin. Le règne de Tu-Duc est connu et réputé pour ses persécutions religieuses, plus encore que celui de Minh-Mang, qui a pourtant une sinistre réputation. 70 Mais les faits s'y prêtaient : les chrétiens étaient accusés de longue date d'être à la source des interventions françaises au Viêt-Nam ; or Tu-Duc fut obligé de signer des traités imposés par la force et qui lui enlevaient morceau par morceau son royaume. Les affaires du Viêt-Nam vont se politiser de plus en plus, mais cet aspect politique qui existait dès le premier traité de paix en 1862, et qui était incontestablement le point le plus important, se cachait sous des aspects religieux. Et c'est l'aspect politique que les Viêtnamiens non catholiques verront en premier lieu. Pour eux, la religion deviendra secondaire et seulement un prétexte aux massacres qui s'expliquent par les événements amenant au traité de 1862. Tu-Duc avait déjà eu des sujets de mécontentement à propos des catholiques lors des tentatives de rébellion de son frère aîné, le prince An-Phong, que Thiêu-Tri avait évincé du trône, et qui ne cherchait qu'une occasion pour s'en emparer. Suivant l'exemple de Khôi, AnPhong fit appel aux missionnaires et aux catholiques pour soutenir sa cause. Mgr Pellerin, à qui il s'était adressé, interdit aux chrétiens de se mêler de ces questions dynastiques. Mgr Retord avait agi dans le même sens, en envoyant aux différentes communautés chrétiennes de sa mission l'ordre d'éviter de participer d'une façon ou d'une autre à la révolte. C'est alors que le prince pensa faire appel aux Anglais. Mais il fut capturé et, à la suite de cet incident, Tu-Duc tourna sa colère sur les chrétiens. " En effet, l'habitude était prise chez les conspirateurs de faire appel aux missions et aux chrétiens. Quant à la Cour, 69. A. Launay, Mgr Retord, p. 205. Cf. aussi G. Taboulet, La Geste française, t. I, p. 375-376. 70. G. Tabouiet, La Geste française, t. I, p. 398. 71. H. Percnnàs, op. cit., p. 73 : « Les chrétiens accusés d'être entrés dans ses vues, se virent encore persécutés. Il fut décidé au Conseil royal de s'assurer de l'existence du complot et de s'emparer des prêtres de la religion prohibée, européens ou indigènes... ».

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elle accusait, dès qu'il y avait de l'agitation, les chrétientés d'être de connivence avec les fauteurs de troubles, que ce fût vrai ou non. Les rigueurs de la colère royale s'abattant sur les chrétiens faisaient écrire à M. de Bourboulon, ministre de France à Pékin : « On ne voit pas clairement par quel calcul le gouvernement Annamite au milieu de ces agitations d'intérêts ambitieux et de passions révolutionnaires ayant pour dernier résultat la guerre civile crut devoir redoubler de rigueur contre la religion catholique, ses ministres et ses sectateurs, notoirement étrangers à tous ces mouvements autant, comme le dit Mgr Retord, par principe de religion que par prudence... Nos missionnaires en diraient facilement la raison. C'est peut-être que le gouvernement dans sa haine contre ' la religion de Jésus ' croit trouver dans ces circonstances une occasion de la discréditer aux yeux du peuple, en affectant de lui attribuer une part, une sorte de complicité, dans tous les attentats et toutes les calamités publiques... ». 72 Les édits antérieurs au règne de Tu-Duc reparurent, et de nouveaux suivirent, à la suite desquels deux missionnaires français furent tués : le 1 er mai 1851, le père Augustin Schœffler et exactement un an après, le père J.-L. Bonnard. M. de Bourboulon envoya alors en France deux dépêches datées du 21 août et du 23 septembre 1852, faisant état de ces massacres et conseillant la manière d'y remédier. 73 Les événements du Siam se prêtaient à cette époque, à envisager une action diplomatique au Viêt-Nam. L'Angleterre cherchait à obtenir du Siam un traité de commerce et d'amitié 74 tandis que les Etats-Unis en avaient obtenu un, le 20 mars 1833. 75 En dehors même du Siam, la France allait s'enga-

72. H. Cordier, La Politique coloniale de la France au début du Second Empire, Indochine 1852-1858, Leide, 1911, p. 180-181. 73. H. Cordier, La France et la Cochinchine, 1852-1858, Leide, 1906, p. 6. Les deux dépêches sont citées intégralement dans H. Cordier, La Politique coloniale, p. 10, 13 et 14. Cf. G. Taboulet, La Geste française, t. I, p. 185-186. Cf. A.A.E., Correspondance politique de la Chine, t. XIII, f° 236-241. 74. L'Angleterre obtint du Siam un traité de commerce et d'amitié en douze articles le 5 avril 1856. 75. H. Cordier, La France et la Cochinchine, p. 10 : Souvenirs du marquis de Courcy : lettre du marquis au plénipotentiaire britannique John Bowring, datée du 29 juin 1856 : « Pendant que l'Angleterre et les Etats-Unis s'occupaient

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ger dans les affaires de Chine pour « poursuivre le redressement de griefs particuliers... où l'un de ses missionnaires, le père Chappedelaine, venait de subir dans le Kouang-Si, en février 1856, un effroyable martyre ». 76 Napoléon III nomma comme plénipotentiaire en Chine le baron Gros, et il eut en même temps l'idée de faire d'une « pierre deux coups » en euvoyant une mission au Siam. 77 II chargea M. de Montigny, consul à Chang-Hai, de cette seconde mission. En même temps, le plénipotentiaire recevait comme instruction supplémentaire de s'arrêter à Tourane « quand il quitterait le Siam pour Chang-Hai ; il s'agissait de faire une monition à Tu-Duc au sujet des persécutions. » Lu rue du Bac, au courant de la double mission de M. de Montigny, écrivit au ministre des Affaires étrangères, en date du 8 novembre 1855, une lettre dans laquelle le supérieur du Séminaire, Albrand, demandait l'échange de « quelques notes » avec la cour de Huê, « pour adoucir un peu la position des missionnaires et des chrétiens de la Cochinchine et du Tonkin, si cruellement éprouvés par la persécution... nous sommes convaincus que la moindre démarche de cet habile diplomate aurait un heureux résultat, sans aucun inconvénient... ». 78 « Pas de menaces, disait le texte, mais vous adresserez au gouvernement annamite des représentations, dont le ton énergique en même temps que modéré lui fasse comprendre que si votre langage n'était pas écouté le gouvernement de l'empereur en éprouverait le plus vif mécontentement et aviserait en conséquence... ». 79 Ces instructions sont très importantes, car la suite des événements et du déroulement des négociations avec la cour de Huê démontreront que M. de Montigny ignorait tout de la mentalité viêtnamienne et il se activement de régler officiellement et avantageusement leurs relations avec le Japon et le Siam, le gouvernement de l'empereur, profitant de leur exemple et ne voulant pas rester en arrière, organisait une mission diplomatique... qui serait munie de pleins pouvoirs en vue de négocier avec la cour de Bangkok... ». 76. G. Taboulet, La Première évocation de la question de Cochinchine au Conseil des ministres, juillet 1S57, Saigon, 1943, p. 5. 77. Ibid. 78. H. Cordier, La Politique coloniale, p. 37. 79. Ibid., p. 55-56 : instructions données à M. de Montigny pour les missions par la direction politique des Affaires étrangères, datées du 21 décembre 1855. H. Perenncs, op. cit., p. 89. 7

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montrera en conséquence bien piètre diplomate. 80 II est d'ailleurs décrit comme ayant un caractère violent, brutal, indiscipliné vis-à-vis de ses supérieurs et des ordres reçus. 81 Durant son séjour à Bangkok, M. de Montigny avertit la cour de Huê de son éventuelle venue. Il envoya une lettre au premier ministre de la Cour, datée du 4 août 1856, annonçant que, muni des pleins pouvoirs par Napoléon III, il avait pour tâche de négocier un traité d'amitié, de commerce, de navigation et de religion.82 Cette lettre renfermait déjà quelques menaces. En effet, le plénipotentiaire ajoutait : « Oubliant les trop justes griefs de l'Empire Français contre le gouvernement Annamite, S.M. Impériale veut bien encore dans des vues de sympathie et d'humanité pour le peuple cochinchinois, tenter cette dernière démarche de paix et de réconciliation, mais elle m'a ordonné de déclarer à votre gouvernement que ce serait la dernière et que S. M. votre souverain et ses ministres resteront seuls responsables des conséquences d'un nouveau refus de renouer loyalement les anciens traités d'amitié qui unissaient sous Louis XVI, la Cochinchine avec la France, et qui ont été si puissamment utiles à un des prédécesseurs du roi régnant, pour reconquérir ses Etats ». 83 Cette missive fut portée à Tourane par l'abbé Fontaine 84 qui, d'après les termes employés dans une lettre que M. de Montigny lui avait envoyée, semble avoir demandé de lui-même cette mission. « Vos sentiments évangéliques et patriotiques vous ont conduit à me demander une mission délicate, très difficile et non sans 80. G. Taboulet, La Geste française, t. I, p. 397 : « Montigny se flattait de bien connaître la Cochinchine, parce qu'il connaissait bien la Chine. ' La Cochinchine, écrit-il, c'est la Chine, moins la grandeur, la puissance et les moyens d'action '. En réalité, il ignorait tout des réalités indochinoises, ainsi que le prouve l'idée vraiment saugrenue qu'il eut de faire annoncer au Roi de Hué sa prochaine arrivée à Tourane par le Roi de Siam, ennemi juré du Viêt-nam. Malgré les instances de Montigny, Mgr Pallegoix, vicaire apostolique du Siam, se refusa de tenter cette démarche incongrue auprès du Roi de Siam ». 81. H. Cordier, La Politique coloniale, p. 34-35 : « ... l'esprit d'initiative stimulée par un grand amour de la patrie devient un danger, lorsque, poussé à l'excès, on y joint les défauts que porta souvent trop loin M. de Montigny... ». 82. lbid., p. 115. 83. lbid. 84. lbid., p. 116-117 : lettre de M. de Montigny à l'abbé, datée de Bangkok le 9 août 1856.

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dangers ; je ne puis qu'applaudir à ces sentiments et accepter avec gratitude l'offre spontanée que vous m'avez faite d'aller de votre personne à Huê, notifier au gouvernement cochinchinois les intentions de mon souverain, S. M. l'empereur Napoléon III ». L'abbé Fontaine partit donc sur le Catinat avec des présents et aborda à Tourane le 16 septembre 1856. 85 L'abbé descendit remettre les lettres de M. de Montigny, lettres destinées à être envoyées à Huê par un courrier. La Cour refusa d'en prendre connaissance. 86 L'attitude du commandant du Catinat fut alors rude : « Quand je sus que les lettres avaient été envoyées sans avoir été lues, je leur fis connaître que devant une insulte pareille faite à un représentant de l'empereur des Français, je devais me considérer comme en guerre. En outre, j'étais encore à attendre la réponse du préfet de la province (que l'on devait aviser de l'arrivée du bateau), et il ne m'était pas possible de rester mouillé deux mois sous autant de canons dans un pays où tout m'était hostile, je n'étais pas assez fort pour me permettre cela ». 87 C'est ainsi que les forts de Tourane furent attaqués, à la suite de quoi les mandarins se présentèrent, cette fois pour négocier. 88 Mais M. de Montigny, qui devait arriver incessamment, avait été retardé par la mousson, et ce n'est que des mois plus tard qu'il mouilla à Tourane, le 23 janvier 1857. Entre-temps, le commandant Le Lieur était « dans la plus grande ignorance sur le traité à faire », et il demanda aux mandarins d'attendre l'arrivée du plénipotentiaire français. La mission

85. H. Cordier, La France et la Cochinchine, p. 19 : rapport du capitaine de frégate, Le Lieur, commandant du Catinat, au capitaine de vaisseau Colliçr, commandant la Capricieuse. 86. G. Taboulet, La Geste française, t. I, p. 393 : « Thiêu-Tri avait prescrit naguère que la peine de mort serait appliquée à tous les fonctionnaires, quel que fût leur rang, qui accepteraient un message quelconque des Européens. C'est cette mesure d'extrême rigueur qui explique l'obstination des mandarins à repousser toutes les communications que les commandants des navires français tentaient de leur faire parvenir ». 87. H. Cordier, La France et la Cochinchine, p. 22. 88. G. Taboulet, La Geste française.

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diplomatique s'annonçait réellement mauvaise et mal orchestrée. En effet, pour le Viêt-Nam, elle fut très mal préparée.89 Pendant le déroulement de ces événements, Mgr Pellerin, vicaire apostolique de la Cochinchine septentrionale, avait appris le mouillage du Catinat dans la baie de Tourane. En compagnie d'un missionnaire français, M. Paspin, et de deux ou trois Viêtnamiens, il décida d'aller à la rencontre du navire.90 Mais quelque temps après le bombardement des forts de la ville, le Catinat était rappelé à Macao, et Mgr Pellerin, qui avait été rejeté sur la côte par une tempête, ne put prendre contact avec le commandant. Lorsque M. de Montigny arriva, il ne restait plus en rade que la Capricieuse et le commandant Collier. Dès le jour même il y eut une conférence à bord du Marceau, et Mgr Pellerin, qui avait pu, cette fois, rejoindre la mission diplomatique, servait d'interprète. M. de Montigny se montra encore plus brutal que ne l'avait pu être le commandant du Catinat. Il envoya, au lendemain de son arrivée, une note à Mgr Pellerin : « Prière à Mgr Pellerin de vouloir bien signifier aux mandarins que, si la réponse de Huê à la note d'hier tardait plusieurs jours, je me verrais dans la nécessité de remonter moi-même à la capitale avec le Marceau, ce que je regretterais excessivement sans l'agrément spécial de S. M. l'empereur ; Que je ne puis en aucun cas traiter à Tourane sans la présence d'au moins quatre des premiers ministres de l'empereur, me conformant en cela aux règles diplomatiques établies parmi toutes les nations civilisées du monde. Que ces quatre premiers ministres doivent être porteurs de pleins pouvoirs les plus étendus et parfaitement authentiques de S. M. l'empereur, attendu que la moindre lenteur résultant des difficultés apportées dans les négociations, me forcerait de remonter à la capitale ». 81 Mgr Pellerin exécuta la demande du plénipotentiaire. Il put également prendre connaissance du projet de traité qu'avait établi celui-ci, projet dont les articles 3 à 7 étaient relatifs à la religion chrétienne.92 Ces articles étaient tellement excessifs que les missionnaires eux-mêmes en pri89. Ibid., t. I, p. 389-390. 90. H. Perennès, op. cit., p. 101. 91. Ibid., p. 103. 92. A.O.M. Aix, 11704. G. Taboulet, La Geste française, t. I, p. 395-396.

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rent peur. Mgr Miche venu par le Marceau en même temps que M. de Montigny, et Mgr Pellerin demandèrent alors que ces clauses soient supprimées, « ou bien de temporiser en demandant de nouvelles instructions ». « Dans ses lettres au ministre des Affaires étrangères de Paris, surtout dans celle du 19 mars 1857, M. de Montigny relate au long les discussions ; il déclarait aux évêques qu'étant envoyé par son gouvernement pour défendre les intérêts religieux en Cochinchine, il ne pouvait ni ne voulait les sacrifier à aucun prix. Quant à la menace du massacre des missionnaires et de leurs fidèles, et à la ruine éventuelle de la religion catholique, ' j'avais pour moi, écrit-il, la conviction contraire ' ». 93 M. de Montigny se rendit encore plus odieux et intrangiseant en envoyant, avant de repartir pour Chang-Hai — par manque de moyens matériels d'ailleurs — une notification à la cour de Huê, où il était fait de multiples menaces (6 février 1857). Sa mission se solda par un double échec, car non seulement aucun traité n'avait été signé, mais encore l'attitude du délégué français devait déclencher chez Tu-Duc plus de méfiance et de haine qu'auparavant envers les catholiques.94 Les missionnaires avaient prévu cette réaction, comme le prouve la note qu'ils remirent à M. de Montigny, note dans laquelle ils lui demandaient entre autres le secours de l'empereur des Français afin d'éviter le massacre des missions.95 En même temps, « Mgr Pellerin, pensant avec juste raison qu'il valait mieux avoir recours au souverain qu'à ses agents, se décida à se rendre lui-même en France pour demander à Napoléon III en personne de prendre la défense des missionnaires d'Annam ».96 L'évêque devait démontrer au gouvernement impérial que des missions diplomatiques menées sans suite rigoureuse se révélaient être plus pernicieuses au christianisme qu'autre chose. Ainsi, note un missionnaire, « la persécution sans perdre son caractère religieux revêtit un caractère politique ». 97 Déjà décelable aux premiers temps des persécutions, ce caractère politique ne pouvait que prendre plus d'acuité après tous ces événements. 93. 94. 95. 96. 97.

G. G. H. H. H.

Taboulet, La Geste française, t. I, p. 397. H. Perennès, op. cit., p. 104. Taboulet, La Geste française, t. I, p. 394. Perennès, op. cit., p. 174. Cordier, La Politique coloniale, p. 175. Perennès, op. cit., p. 105,

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Mgr Pellerin partit de Hong-Kong 98 et arriva à la rue du Bac le 15 mai 1857. Il s'employa activement à mener à bien la mission qu'il s'était donnée : secourir les chrétientés menacées du Viêt-Nam. L'évêque était d'autant plus passionné à sa tâche qu' « il était du reste, persuadé que l'heure venait d'ouvrir tout l'Extrême-Orient à la civilisation européenne. Cette grande idée demeura au premier plan de ses préoccupations durant son séjour en France... ». 99 Le prélat fut aidé par l'intervention d'un prêtre parisien, le père Hue qui, « en janvier 1857..., fit parvenir à l'empereur une note rappelant les droits que la France paraissait tenir du traité intervenu à Versailles soixante-dix ans plus tôt, entre le comte de Montmorin et l'évêque d'Adran représentant dûment mandaté de Gia-Long (novembre 1787) ». 100 « L'empereur prescrivit une enquête sur le traité de Versailles. Une commission fut désignée pour rechercher si la France pouvait se prévaloir vis-à-vis de l'Annam du traité de Versailles ». 101 Un premier rapport, daté du 20 mars 1857, se révèle opposé à toute intervention. 1M « ... le présent est misérable, et l'avenir plus que douteux. Au total, nous n'avons dans l'Extrême-Orient que des intérêts bien minimes... Notre mission dans les mers de Chine se réduit, quant à présent, à un rôle d'observation attentive des événements qui tendent à s'accomplir, de protection active en faveur de la religion et de l'humanité — d'influence civilisatrice comme il appartient à la France d'en exercer — de surveillance nécessaire par rapport à l'exécution des traités existant, et d'encouragement accordé dans la mesure du possible, aux faibles et timides essais de notre commerce de même qu'à tout ce qui pourra tendre à en améliorer la situation dans ces régions lointaines. Notre légation en Chine, nos consulats et nos stations navales paraissent devoir suffire à cette tâche. 98. H. Cordier, La Politique coloniale, p. 176. 99. H. Perennès, op. cit., p. 122. 100. Note de l'abbé Hue sur le royaume d'Annam (A.O.M. Aix, 1857). Note à l'empereur (A. A. E., Mémoires et documents, Asie, t. XXVII, f° 288289). 101. G. Taboulet, La Première évocation, p. 6. 102. Rapport de M. Cintrât, Garde des archives du ministère des Affaires étrangères à l'empereur Napoléon III sur la note de l'abbé Hue de janvier 1857 (A. O. M. Aix, 1857). H. Cordier, La Politique coloniale, p. 234-237.

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En résumé, la proposition de Mr l'abbé Hue, tendant à nous faire occuper la Cochinchine, ne paraît admissible ni au point de vue du droit et des traités, ni au point de vue de l'utilité et encore moins de la nécessité ». Par ailleurs, la France avait suffisamment de soucis en Europe et du côté de l'Algérie « sans aller créer, de nos propres mains, au centre des mers de l'Inde et de la Chine, de nouvelles sources de préoccupations, d'embarras et de charges... ». Rapport totalement négatif donc, et qui réfutait toutes tentatives d'user d'un traité qui n'avait donné aucune suite pratique à Gia-Long, contrairement d'ailleurs, à ce que déclarait une connaissance de Mgr Pellerin, Eugène Veuillot103, et à ce qu'avait dit M. de Montigny dans sa lettre envoyée de Bangkok pour annoncer son arrivée à la cour de Huê. La commission spéciale — composée du baron Brennier, président ; de M. Cintrât, directeur des archives aux Affaires étrangères ; de l'amiral Fourichon ; du capitaine de vaisseau Jaurès ; du comte Fleury, délégué du ministre du Commerce et de l'Agriculture 104 — réunie la première fois le 3 mai 1857 et terminée le 30 août 1857, « rendit compte que le traité de 1787, n'ayant pas reçu de commencement d'exécution, ne pouvait pas être invoqué. Nonobstant la caducité du traité, la commission conclut toutefois que les attentats répétés contre les missionnaires justifiaient et rendaient nécessaires des mesures coercitives, elle proposa à l'empereur l'occupation des trois villes de Huê, Ke-Cho (Hanoi) et Saigon ».105 Entre les mois de mai et d'août 1857, Mgr Pellerin avait écrit une lettre au baron Brennier.106 Cette lettre eut-elle un effet quelconque sur la conclusion qu'adopta la commission ? Mgr Pellerin avait aussi présenté un mémoire à cette même commission, et le 30 août, il envoya

103. E. Veuillot, Le Tonkin et la Cochinchine, Paris, 1883, p. 21. 104. G. Taboulet, La Première évocation, p. 6. 105. Ibid. Aussi dans La Geste française, t. I, p. 407-408 ; A.O.M. Aix, 1857 ; A.A.E., Mémoires et documents, Chine, t. XXVII b, f° 1-35. 106. H. Cordier, La Politique coloniale, p. 239-241. A.O.M. Aix, 1857 : Requête de Mgr Pellegrin au baron Brennier, réclamant l'assistance de l'empereur Napoléon III en faveur des missions catholiques de Cochinchine, remise au ministère des Affaires étrangères le 29 mai 1857.

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une requête à l'empereur en le priant d'intervenir. 107 Un autre missionnaire, le père Legrand de la Liraye, avait, lui aussi, adressé un mémoire à l'empereur 108 , mais présenté seulement en décembre 1857, il ne semble pas avoir eu d'influence décisive sur les résolutions d'intervention de Napoléon III, contrairement aux démarches de Mgr Pellerin. 109 En effet, les démarches du prélat furent couronnées de succès. Il fut reçu plusieurs fois personnellement par l'empereur. Au cours de ces entretiens avec Napoléon III, qui « désirait être renseigné sur l'état d'esprit de la population et l'état des forces militaires dont disposait l'empereur Tu-Duc, l'évêque de Biblos donna au monarque les renseignements voulus, et celui-ci enjoignit à l'amiral Rigault de Genouilly de se tenir prêt à partir pour Saigon avec plusieurs vaisseaux ». 110 Pendant ce temps, au Viêt-Nam, les exécutions de chrétiens se poursuivaient. Le 22 mai 1857, le mandarin chrétien Michel H ô Dinh Hy était condamné à mort. 1 1 1 Le mandarin était grand intendant à la cour de Huê, et il avait été arrêté le 8 novembre 1856, accusé d'être la cause de 1' « arrivée des bateaux français, appelés soi-disant par son fils (Hô Dinh Giang, plus tard le père Thinh) », d'avoir divulgué « des instructions secrètes du Grand Conseil » ; accusé aussi de s'obstiner « à suivre la secte perverse des Da-Tô (chrétiens) ». 112 Le mandarin fut quelque peu malmené, à la suite de quoi « il avoua que son fils était parti pour Penang dès la septième année de Tu-Duc pour y faire ses études ; qu'il avait appris que le prêtre Oai, à la suite de l'édit de persécution du 18 septembre 1856, avait écrit au roi de France pour demander son secours, et finalement il dénonça quelques chrétiens ». 113 La condamnation de Michel Hy fit grand bruit car c'était un mandarin. Les missionnaires s'efforçaient d'attirer au catholicisme les mandarins de la Cour. C'était pour eux une garantie d'implantation non

107. H. Cordier, La Politique coloniale, p. 243. A.O.M. Aix, 1857 : Requête de Mgr Pellerin à l'empereur Napoléon III. 108. Extrait d'une lettre à Napoléon III, par Legrand de la Liraye, datée comme suit : Brest mars 1857, Paris juillet 1857, Château de Favel, octobre 1857 (A.O.M. Aix, 11106). 109. G. Taboulet, La Première évocation, p. 6. 110. H. Perennès, op. cit., p. 126. 111. H. Cordier, La Politique coloniale, p. 204-207 : d'après un récit de Mgr Sohier. 112. A. Delvaux, op. cit., p. 44. 113. Ibid., p. 44-45.

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plus seulement dans les basses couches de la population — chose dont on les accusa souvent et qui faisait apparaître le catholicisme comme la religion des pauvres et des ignorants — mais aussi parmi la classe influente du pays. Or, les souverains ne pouvaient admettre de bon cœur les conversions des grands du royaume. Même si ceux-ci se révélaient aussi bons administrateurs que le reste des mandarins, une suspicion pesait toujours sur eux : n'avaient-ils pas embrassé la religion étrangère ? Dans ce cas-là, n'allaient-ils pas préférer les missionnaires et la nation de ces derniers à leur propre pays ? Après Michel Hy, le 20 juillet 1857, on apprit la mise à mort de Mgr Diaz, « dominicain espagnol et vicaire apostolique du Tonkin central ». M. de Bourboulon, au courant de l'arrestation du prélat, avait dépêché pour tenter de le sauver le Catinat sur les côtes du Nord Viêt-Nam. 114 « Un examen attentif de la chronologie montre que, contrairement à l'opinion couramment admise, la décision de Napoléon III ne fut pas la conséquence du martyre de Mgr Diaz. Le prélat espagnol, vicaire apostolique du Tonkin central, fut décapité à NamDinh, le 20 juillet 1857. Quand ce meurtre juridique fut perpétré, l'empereur des Français avait déjà pris parti. La première délibération du Conseil des ministres de Cochinchine est antérieure de quatre jours au martyre de Mgr Diaz, dont la nouvelle ne parvint en Europe qu'après un assez long délai. Jeune fille, l'impératrice Eugénie avait connu Mgr Diaz en Andalousie. Atteinte dans son ardente foi, dans son orgueil national, l'impératrice fut fortement impressionnée, à n'en pas douter, par la mort de Mgr Diaz, bientôt suivie de la mort d'un autre prélat, Mgr Melchior, martyrisé à son tour au Tonkin, le 28 juillet 1858. La mort des deux prélats espagnols ne put qu'affermir la cour des Tuileries dans sa volonté d'intervenir en Indochine... Mais elle ne fut pas, comme on incline généralement à le penser, la cause première, la cause déterminante de l'intervention française en Indochine. Les dates sont là pour témoigner >.115

114. Lettre de M. de Bourboulon à M. Kleckowski, Macao le 2 septembre 1857 (H. Cordier, La Politique coloniale, p. 210). Instructions de Rigault de Genouilly au commandant du Catinat, le 2 septembre 1857 (ibid., p. 212). 115. Ibid., p. 245. G. Taboulet, La Première évocation, p. 7.

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La mort de Mgr Diaz fut connue à Paris le 28 novembre 1857.116 La décision de Napoléon III datait du mois de juillet.117 Le Second Empire pour des raisons de prestige et d'économie, suivait le mouvement européen qui était de s'intéresser aux pays outre-mer, futurs débouchés de leurs produits et réservoirs de matières premières précieuses pour l'industrie naissante. Il y avait aussi une question d'orgueil national : il s'agissait de ne pas rester en arrière des autres nations et de se tailler une part aussi importante que possible dans les terres lointaines. Mais c'est sur un prétexte religieux que la première expédition de conquête du Viêt-Nam va s'ouvrir. « Napoléon III était d'autant plus porté à le faire que son gouvernement s'appuyait très fortement sur le parti catholique. Il importe de ne pas oublier que, sans le patronnage, sans le concours des catholiques, Napoléon n'aurait jamais pu restaurer, organiser, enraciner l'empire... Il n'avait rien à refuser aux catholiques, ses plus fermes et fidèles soutiens. Il se devait de leur donner toujours de nouveaux gages »,118 Les deux derniers matyrs étant Espagnols, le gouvernement français réussit à s'assurer une aide armée espagnole, et les premiers contacts avec Madrid eurent lieu le 1 er décembre 1857.119 Entre-temps, la France avait signé avec la Chine le traité de TienTsin de 1858. Les missionnaires souhaitaient un déroulement semblable au Viêt-Nam, un traité qui assurerait à la France de solides avantages économiques et commerciaux, la possibilité de s'assurer le monopole du pays au détriment d'autres nations européennes. Toutes ces considérations avaient été maintes fois développées par les missionnaires euxmêmes. C'était mêler bien étroitement politique, intérêts et religion, mais la ligne directrice des missionnaires n'avait pas varié depuis le début de leurs travaux apostoliques. Aussi étaient-ils chauds partisans de l'expédition qui devait être menée dans le Sud Viêt-Nam. Mgr Retord avait, dans une lettre à l'amiral Rigault de Genouilly, exprimé tous les désirs et toutes les ambitions que pouvaient avoir les représentants du catholicisme au Viêt-Nam : 116. 117. 118. 119.

A.O.M. Aix, G. Taboulet, G. Taboulet, A.O.M. Aix,

1857. La Geste française, t. I, p. 410-414. La Première évocation, p. 6. 1856.

Le traité de 1862

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« Si M. l'amiral veut faire les choses d'une façon solide et durable, glorieuse pour la France et la religion, il faut qu'il s'empare du pays au nom et pour le compte de la France, ou qu'il mette un roi chrétien sous la protection de la France ».120 Tous les missionnaires étaient du même avis. Il fallait donc s'emparer du pays et d'abord de la capitale car c'était là le meilleur moyen de briser la résistance viêtnamienne. Mais Mgr Pellerin semblait tellement insister dans ce sens qu'il indisposa l'amiral Rigault de Genouilly. Finalement, « Mgr Pellerin abandonna l'escadre en février 1859, pour se retirer à Hong-Kong, puis à Manille et à Pinang... ».121 Huê était très bien défendue par sa position naturelle et Rigault de Genouilly avait aussi beaucoup d'autres raisons de ne pas l'attaquer tout de suite, aussi préféra-t-il se diriger sur Saigon.122 II partit de Dà-Nang le 2 février 1859 avec neuf navires de guerre français, un bateau espagnol et quatre navires de commerce transportant le matériel de guerre. Il arriva à l'embouchure du Dông-Nai le 9, puis remontant le Dông-Nai et la rivière de Saigon du 12 au 15 février, il parvint devant Saigon. Après avoir bombardé la citadelle le 16 et le 17, il investit la ville. Mais maître de la place il dut l'abandonner faute d'hommes et de matériel et repartit pour Dà-Nang à la fin du mois de mars. Auparavant il fit sauter la citadelle et mit le feu aux réserves de riz qui y étaient entreposées. Il ne laissa à Saigon que quelques hommes et quelques navires sous le commandement du capitaine Jauréguiberry. Tu-Duc avait désigné Ton Thât Hiêp et Nguyên Tri Phuong pour diriger les troupes viêtnamiennes qui harcelèrent la petite garnison jusqu'au retour de l'escadre française de Chine (1861). A Dà-Nang même, l'armée de Tu-Duc tenta une offensive contre les Français, mais elle échoua (1859). Après cela, Rigault de Genouilly et les Espagnols attaquèrent de nouveau les fortifications viêtnamiennes à l'entrée de la rivière. H essaya en même temps de négocier avec la cour qui, 120. H. Perennès, op. cit., p. 155. 121. Lettre de Rigault de Genouilly au ministre de la Marine, datée de Tourane le 29. janvier 1859 (Arch. nationales, BB 4, t. DCCLXIX). Aussi dans G. Taboulet, La Geste française, t. II, p. 439. 122. Lettre de Rigault de Genouilly au ministre de la Marine, datée de Tourane le 3 décembre 1858 (Arch. nationales, BB 4, t. DCCLX). Aussi dans G. Taboulet, La Geste française, p. 473.

108

L'hostilité envers le catholicisme

au courant des difficultés que les Français éprouvaient alors en Chine et des problèmes posés par la guerre d'Italie, traîna en longueur les pourparlers. C'est la raison pour laquelle, Rigault de Genouilly détruisit encore une fois les ouvrages de fortification que les Viêtnamiens avaient reconstruits. En novembre 1859 Rigault de Genouilly fut remplacé par l'amiral Page qui avait reçu comme directive de laisser DàNang. La ville fut abandonnée des Franco-Espagnols en mars 1860 et ils reportèrent leur énergie sur Saigon. Tout en développant l'activité portuaire de Saigon et en prospectant les alentours et la rivière de Saigon, l'amiral Page chercha à négocier. Le 8 janvier 1860 les deux parties se mirent d'accord pour arrêter les hostilités. Page demandait « une certaine liberté de commerce et une certaine liberté de religion ». Mais Huê espérait encore que les Français pratiqueraient leur politique habituelle, c'est-à-dire que, faute de moyens, ils évacueraient Saigon. Voyant qu'en dépit de l'arrêt des hostilités et des prétentions modérées, les Viêtnamiens ne voulaient toujours rien entendre, l'amiral Page rompit peu de temps après les négociations. En février 1860 l'amiral Page laissa le commandement de Saigon au commandant Jauréguiberry et partit rejoindre l'amiral Charner en Chine. Le commandant Jauréguiberry, appelé aussi en Chine, délégua ses pouvoirs au commandant d'Ariès. La position des Franco-Espagnols était précaire, cernés comme ils l'étaient du côté de la terre. Finalement, avec l'arrêt des hostilités en Chine (traité du 25 octobre 1861), les forces françaises purent rejoindre le corps expéditionnaire francoespagnol au Sud Viêt-Nam. L'amiral Charner qui commandait l'escadre était accompagné de 68 navires de guerre, 80 navires de commerce, 3 500 hommes d'infanterie, « 12 compagnies de marins, une batterie et demie d'artillerie, des sapeurs du Génie, quelques chasseurs d'Afrique, 600 coolies recrutés à Canton ». L'amiral décida en premier lieu de dégager la ville (24 février 1861) et après la bataille de Chi-Hoa qui opposa les Franco-Espagnols à 30 000 Viêtnamiens, il se rendit maître des environs de Saigon. Après cette victoire, la conquête de la basse-Cochinchine se poursuivit par la prise de My-Tho (avril 1861) et celle de Biên-Hoa (décembre 1861). Malgré les victoires militaires, les Français n'abandonnaient pas pour autant les démarches de négociations. La résistance viêtnamienne était généralement âpre et, de plus, le corps expéditionnaire souffrait des conditions climatiques et d'une épidémie de choléra qui s'était déclarée

Le traité de 1862

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dans ses rangs. A la fin mars 1861, la France renouvela ses propositions, cette fois plus dures : fin des hostilités, liberté religieuse mais en plus cession de la province de Saigon, de celle de My-Tho, de la région de Thu-Dâu-Môt (ville située à une dizaine de kilomètres au nord de Saigon), une indemnité de guerre de quatre millions de piastres, l'admission d'un plénipotentiaire espagnol aux négociations. Huê, selon son habitude, fit traîner les choses en longueur, espérant toujours que la lassitude aurait raison des Français et les ferait partir. Mais, comme ses prédécesseurs, l'amiral Charner, devant la mauvaise volonté évidente de la partie adverse, rompit les pourparlers. En novembre 1861 l'amiral Charner fut remplacé par l'amiral Bonard. Les choses en étaient au même point lorsque, au début de 1862, la cour de Huê demanda à négocier. Pourquoi, après avoir provoqué plusieurs ruptures, éprouvait-elle le besoin de négocier ? Tu-Duc était dans une mauvaise position : attaqué par des forces étrangères, nettement supérieures à son armée, il l'était aussi par des révoltes internes : le Nord Viêt-Nam, fidèle à la dynastie des Lê, ne cherchait qu'un moyen de les ramener sur le trône et les prétendants ne manquaient pas. A cette époque, la rébellion était menée par un chrétien Pierre Phung. Tu-Duc avait donc besoin de toute son énergie pour mater cette révolte. Il lui fallait d'abord régler pacifiquement le problème des Français. C'est ainsi que « le Forbin envoyé en avril 1862 par Bonard pour intercepter les arrivages de riz du Tonkin dans le Centre Viêtnam, rapporta à Saigon des ouvertures de paix. L'amiral envoya aussitôt le croiseur porteur d'un ultimatum, auquel le gouvernement viêtnamien déféra immédiatement, en versant un accompte de 100 000 ligatures à valoir sur l'indemnité de guerre, et en dépêchant à Saigon, dans le court délai imposé, deux plénipotentiaires ».123 Le traité fut signé à Saigon, au Camp des Lettrés, le 5 juin 1862.124

123. G. Taboulet, La Geste française, t. II, p. 473. 124. L. de Reinarch, Recueil des traités conclus par la France en Orient (1684-1902), Paris, 1902, t. I, p. 94-98.

Extrême-

CHAPITRE IV

La politique annexionniste de la France et ses conséquences religieuses

LES SUITES DU TRAITÉ DE

1862

Français et Espagnols étant venus officiellement pour sauver les chrétiens, il est évident que le traité de 1862, signé par obligation, ne marqua aucun arrêt dans les persécutions subies par la communauté catholique viêtnamienne, persécutions sévissant sous forme larvée et dont les missionnaires n'étaient pas exempts. On invoquait encore des causes religieuses, et la responsabilité de la Cour était mise en avant : « Par arrêté royal, Ces jours derniers, l'Européen Binh (Mgr Sohier), chef de religion, et ses gens se sont réunis pour prêcher la religion. Le grand officier des Kiên-Phong, nommé Miên Hoàng, et le grand officier des An-Thanh, nommé Miên Lich y ont assisté : ce qui est un désordre impardonnable. Des ordres ont été donnés pour les interroger, et ils sont déjà soumis à la punition qu'on leur inflige qui est d'être privés de solde pendant un an, sans préjudice de l'information que l'on va poursuivre pour servir d'exemple et réprimer le mal. Ordre ensuite est donné au Palais Royal de défendre à tous les parents du roi des titres de Hoàng, Công-Chua, Công-Tu, d'aller dorénavant à l'église de l'Ambassade pour y assister aux offices, afin de conserver le respect qu'ils se doivent, qu'ils n'aillent pas adopter des rêveries et des doutes. Si l'ordre n'est pas exécuté sévèrement et qu'il y ait encore des faits de ce genre, sans distinction du coupable on aggravera sa peine. En dehors du palais, les mandarins éviteront aussi difficilement la punition ; si le gouverneur voit ces faits se produire,

112

La politique annexionniste de la France il doit les réprimer, faire passer en jugement les récalcitrants et punir ceux qui se cachent. Suivez cet ordre. Pour traduction fidèle. L'interprète du gouvernement, Inspecteur des Affaires indigènes ». 1

Jusqu'aux grands massacres qui consacreront les traités de paix, les plaintes formulées seront toujours du même ordre : complicité de la Cour, injures et menaces à l'encontre des chrétiens. « On parle beaucoup en ce moment d'un prétendu édit secret qui enjoindrait aux mandarins d'engager les bons patriotes à nous assassiner. J'aime à croire qu'il n'en est rien et que tout cela n'est qu'un bruit. Mais l'ignoble conduite des mandarins à notre égard et la défense qu'ils nous ont faite publiquement d'opposer la moindre résistance à une agression quelconque même nocturne et non autorisée, tendent à accréditer ce bruit... ». 2 « Ils (les mandarins) mettent tout en œuvre, en ce moment, pour accréditer le bruit que les chrétiens sont à la veille d'un massacre général ». 3 Mais signé par obligation et de mauvaise grâce, le traité de 1862 n'apparaissait au gouvernement de Huê que comme un « compromis ». Aussi, dès 1863, la Cour envoya en France une ambassade, conduite par le grand mandarin Phan Thanh Gian, demander la rétrocession des trois provinces de Cochinchine orientale que la France avait gagnées par ce même traité. Tu-Duc pensait que le gouvernement impérial serait moins dur que ses représentants locaux. Il avertit donc l'amiral Bonard du départ de ses ambassadeurs qui, officiellement, devaient offrir des cadeaux à Napoléon III et lui présenter les félicitations de leur souverain. En fait, leur véritable mission était de demander à Napoléon III 1. A.O.M. Aix, 12178 : Tu-Duc, 17e année, 4" mois, 23' jour (28 mai 1864). Traduction signée de Legrand de la Liraye (cette traduction ne comporte pas le texte chinois original). A.O.M. Aix, 12218 (1), 12198 (1), 12198 (3), 12198 (4), 12192, 12202 (1) : lettre de Mgr Alcazar, évêque de Paphos et vicaire apostolique du Tonkin oriental au contre-amiral de la Grandière, datée du 23 décembre 1863 (cf. Annexe 3). 2. Lettre de Mgr Gauthier au contre-amiral de la Grandière, datée du 8 décembre 1863 (A.O.M. Aix, 12198 (1)). 3. Lettre de Mgr Gauthier au contre-amiral de la Grandière, datée du 9 février 1864 (A.O.M. Aix, 12198 (3)).

Les suites du traité de 1862

113

le rachat de trois provinces à prix d'argent (85 millions de francs). L'ambassade partit de Huê le 21 juin 1863 et arriva à Paris escortée du lieutenant de vaisseau, Rieunier, le 13 septembre. Elle fut reçue d'abord par le ministre des Affaires étrangères puis, le 5 novembre, par l'empereur lui-même. L'ambassade crut un moment sa mission inutile * mais l'ambiance française de cette époque lui était favorable. En effet l'opinion publique voyait avec réticence des opérations coûteuses menées dans des pays lointains, les libéraux préconisaient davantage une politique pacifique faite de traités de commerce et d'amitié plutôt que de conquêtes onéreuses, d'autant plus que l'équilibre des budgets de 1863-1864 s'était révélé précaire. C'est ainsi que Phan Thanh Gian put commencer à mettre sur pied un nouveau projet de traité. Il avait comme assistant français le capitaine de frégate Gabriel Aubaret, « admirateur érudit de la civilisation viêtnamienne ». 5 A son retour (mars 1864), Phan Thanh Gian put annoncer à la Cour le succès de son ambassade. Aubaret fut envoyé à Huê afin de signer avec Tu-Duc le nouveau traité. A Huê même, la Cour exigea de nouvelles conditions, plus avantageuses encore que celles du projet établi à Paris. Les modifications concernaient notamment la liberté de religion, l'amnistie des chrétiens et des Viêtnamiens qui avaient accepté la domination française et surtout le tribut perpétuel. Tu-Duc voulait le remplacer par une indemnité payable en quarante ans : le tribut l'obligeait trop vis-à-vis de la France et le maintenait en position de vassalité. Mais à l'époque existait déjà un « parti colonial » en France, et l'amiral Bonard, le ministre des Colonies Chasseloup-Laubat, étaient con4. G. Taboulet, La Geste française, t. II, p. 490 : « D'ailleurs, les dernières paroles prononcées par l'empereur en réponse au discours récité par le premier ambassadeur, furent-elles des plus sévères dans leur traduction. Les Annamites, qui avaient attendu avec anxiété pendant plus d'un mois le moment de l'audience impériale, sortirent atterrés de la phrase dont le sens général s'appliquait à leur situation. Nota : le sens de cette phrase était que la France, bienveillante pour toutes les nations et protectrice des faibles, répandait de tous les côtés sa civilisation douce et bienfaisante, mais qu'elle était sévère pour ceux qui l'entravaient dans sa marche. Le dernier membre de phrase fut traduit en viêtnamien par trois mots faits pour frapper : phai co so : il faut trembler ». 5. Le contre-amiral de la Grandière annonce aux missionnaires l'arrivée de la mission Aubaret à Huê (A.O.M. Aix, B 220 (2), 334 et 335). 6 janvier 1864 : Marine à la Grandière : Aubaret partira de Marseille le 19 janvier, chargé de mission auprès de l'empereur d'Annam, puis à Bangkok (A.O.M. Aix, 1864). 8

114

La politique annexionniste

de la France

tre une révision du traité ; de même que les négociants, industriels et députés des ports, pour des raisons pécuniaires. Quant à l'opinion publique, dans cette affaire, elle tendait plutôt vers l'indifférence. Mais le parti colonial s'attacha à remuer l'indifférence et l'hésitation publiques. Une brochure de quarante-huit pages, écrite par le lieutenant de vaisseau Rieunier, qui avait pris le pseudonyme d'Abel, fut publiée sous le titre de La question de Cochinchine au point de vue des intérêts français. « Il y rappelle tout d'abord, les relations anciennes de la France et de PAnnam, la collaboration de Mgr d'Adran et les secours apportés par les Français au futur Gia-Long. Il caractérise ensuite la politique des successeurs de Gia-Long, Minh-Mang, Thiêu-Tri et Tu-Duc, particulièrement à l'égard des chrétiens, politique qui avait amené à l'intervention française en 1857 et la conclusion du traité de 1862 ». 6 L'auteur (p. 44-46) fait également des tableaux de comparaison des revenus et des dépenses, au cas où Saigon serait totalement sous administration française, ou alors simplement un comptoir commercial. La première solution se révélait, évidemment, la meilleure. A côté de ces considérations d'ordre purement économique, Rieunier parlait de « mission civilisatrice de la France », de domination française pouvant devenir « la base de toute initiative individuelle, de toute liberté et de tout progrès pour le pays ». La France, en possédant ces trois provinces que l'on voulait rétrocéder au gouvernement viêtnamien, devait s'assurer tranquillité, obéissance et fidélité des populations. « Quant à la fidélité, nous y arriverons aussi ; je dirais même plus : nous parviendrons à l'assimilation. Nous en avons déjà le germe dans le cinquième de la population qui est catholique, et c'est l'œuvre de l'éducation qui complétera ce résultat si précieux... » D'autres mémoires, d'autres articles s'ajoutèrent à l'ouvrage de Rieunier 7 pour prouver qu'une occupation restreinte coûterait aussi cher qu'une occupation totale des provinces conquises. Que d'autre part, 6. P. Boudet, « Chasseloup-Laubat et la politique Empire », Bulletin de la Société des Etudes Indochinoises, 1947. 7. G. Taboulet, La Geste française, t. II, p. 496.

coloniale du Second t. XXII, 2 e semestre,

Les suites du traité de 1862

115

la France en reculant perdrait aux yeux des Viêtnamiens une partie de sa puissance. En dehors de ces écrits, l'action de Charles Duval fut sans doute plus déterminante encore. « Aubaret avait eu la surprise de voir le ministre Drouhin de Lhuys lui adjoindre, pour sa mission à Huê, un collaborateur qui professait sur le traité projeté des opinions diamétralement opposées aux siennes. Sitôt le traité signé à Huê, ce collaborateur, le sergent Charles Duval, s'empressa de faire tenir au ministre de la guerre, dont il dépendait personnellement, un rapport particulier... Totalement ignoré des auteurs qui ont retracé l'histoire de la conquête, ce Charles Duval, forte personnalité aux idées hardies et originales, a joué, dans la fondation de la Cochinchine française, malgré la modestie de son grade, un rôle important, bien qu'officieux, qui ne saurait être passé sous silence... ». 8 Duval fit la campagne de Cochinchine en 1862. Après la signature du traité du 5 juin, estimant que la Cour ne l'avait accepté que contrainte, il décida de se rendre au Nord pour aider l'insurrection du chrétien Phung. « ... Duval se procura une copie du traité de Saigon et l'envoya directement à son ministre, le maréchal Randon, avec un mémoire, dans lequel il exposait que Tu-Duc était bien décidé à ne pas ratifier le traité dans le délai imparti, qu'il tendait aux Français un piège dans lequel ceux-ci devaient se garder de tomber. Pour forcer la main au gouvernement de Huê, Duval s'offrait à aller, à ses risques et périls, prendre le commandement de l'insurrection des Lê au Tonkin. Napoléon III fut, paraît-il, ' émerveillé ' du rapport Duval, que lui soumit le maréchal Randon. Aussi le ministre de la Guerre rappela-t-il à l'activité le sergent Duval qui, dans l'intervalle, s'était fait mettre en congé à Saigon pour faire du commerce, et l'autorisa à se rendre au Tonkin dans le plus grand secret, bien entendu. A Hong-Kong et à Macao, où le prétendant Lê Phung vint l'accueillir, Duval recueillit des fonds d'emprunt, avec lesquels il acheta deux petits navires, des armes et des munitions. Ayant pris

8. Ibid.,

t. II, p. 491-492.

La politique annexionniste de la France

116

le c o m m a n d e m e n t de l ' a r m é e rebelle, il s'employa à l'organiser et à l'aguerrir, il a m é n a g e a un c a m p retranché à 1 5 0 0 m de la citadelle de Q u a n g - Y ê n , tenue p a r les troupes royales, mutliplia les reconnaissances et les escarmouches. H a r c e l a n t sans cesse les réguliers de T u - D u c , D u v a l leur livra ' dix c o m b a t s meurtriers ', qui les obligèrent à d e m a n d e r d'urgence des renforts à H u ê . Duval guerroya ainsi quarante jours

durant,

jusqu'au

moment



il

apprit que T u - D u c avait ratifié le traité de Saigon. Considérant sa mission c o m m e étant terminée de ce fait, il quitta le 1 2 juillet 1 8 6 3 , le Tonkin, o ù il n'avait plus rien à faire, abandonnant à son sort L ê Phung, dont les jours étaient désormais c o m p t é s

».9

A p p r e n a n t que T u - D u c envoyait des ambassadeurs en F r a n c e , Duval les devança. A r r i v é à Paris il s'entretint avec le ministre des Affaires étrangères, le d u c de M o r n y , et le ministre de la G u e r r e : la F r a n c e ne devait pas rétrocéder les trois provinces du Sud à la cour de H u ê . C'est sans doute la raison pour laquelle il fut envoyé a v e c A u b a r e t à H u ê . L e ministre de la G u e r r e voulait certainement que l'envoyé français, jugé trop « viêtnamophile » fût A

Paris

même,

contrôlé.

Chasseloup-Laubat

adressa

à

Napoléon

III,

le 4 n o v e m b r e 1 8 6 5 , un r a p p o r t dans lequel il exposait à l'empereur les avantages que la F r a n c e avait à demeurer dans ses c o n q u ê t e s . 1 0 M a i s des pressions venaient aussi de Saigon, selon lesquelles il ne fallait surtout pas rendre les provinces réclamées p a r H u ê , la F r a n c e se trouv a n t m o r a l e m e n t responsable de tous les chrétiens qui s'y trouvaient, ainsi que de c e u x qui l'avaient servie

9. Ibid., t. II, p. 492.

11

:

10. A.A.E., Asie 29, f° 196-228. 11. 21 mars 1864, la Grandière à Marine : impression fâcheuse produite par l'annonce des négociations d'un nouveau traité entre la France et l'Annam. Accusé de réception des « diverses dépêches » à ce sujet, retardées en route et parvenues le 18 mars par le Japon et le 19 mars par L'Echo. Mission Aubaret à Huê (A.O.M. Aix, B 21 (4), n° 622). 20 avril 1864, la Grandière à Marine : agitation dans les provinces frontières depuis le retour des ambassadeurs annamites. Révolte dans la région de Bà-Ria, Ba-Ka, Tai-Non, Xa-Nam, Bao-En ou Cao-Thi par les troupes du colonel Loubère. La nouvelle des négociations d'un nouveau traité n'est pas étrangère à ces troubles (A.O.M. Aix, B 21 (4), n° 700). 6 juillet 1864, la Grandière à Marine : nouvelles de la mission Aubaret. Les chrétiens sont inquiétés au Tonkin, dans le Binh-Dinh et le Binh-Thuân. Plaintes des RR.PP. Le Roy et Desombes. La pauvreté de l'empereur Tu-Duc n'est qu'apparente (A.O.M. Aix, B 21 (5), n° 845).

Les suites du traité de 1862

117

« Croyez, écrit l'amiral (de la Grandière) à la date du 30 mai» que la mauvaise foi, la cruauté des mandarins envers les chrétiens et ceux qui nous auront servis nous forceront bientôt à recommencer la guerre et à reprendre en Cochinchine le rôle qui convient à la France. 12 Lorsque les bruits de rétrocession sont répandus, l'amiral écrit encore : En présence de l'annonce d'un changement dans le caractère de notre occupation, les Annamites paraissent nous donner des preuves de sympathie. Ceux d'entre eux qui sont employés à notre service montrent beaucoup d'inquiétude, et demandent d'être prévenus d'avance de ce changement s'il doit avoir lieu, afin de pouvoir fuir à temps et se soustraire à la domination des mandarins. Je tiens surtout à ce qu'on me dise ce que je dois faire à la première violation de ce traité qui ne sera jamais observé en ce qui concerne l'amnistie qu'il stipule pour les chrétiens et la nombreuse clientèle qui s'est compromise pour nous ». 13 Raisons économiques, raisons morales donc — pour ne retenir que celles-là — qui doivent maintenir la puissance française en Cochinchine orientale : « Il ne faut pas se le dissimuler, c'est une grave responsabilité que celle qui pèserait sur nous par l'abandon de ces populations compromises par nous, et dont quelques-unes qui étaient ou se sont faites chrétiennes, nous ont donné les preuves d'un dévouement sincère. Enfin, un jour, si par suite des violations du traité, des outrages que notre occupation aurait à supporter, nous avions à recommencer la guerre, quel appui aurions-nous à espérer chez ce peuple qui pourrait nous reprocher tous les maux que nous lui aurions deux fois causés, et par notre conquête et par notre abandon ? » 14 Devant ces instances, l'empereur finit par céder, et c'est ainsi que le nouveau traité, comprenant 21 articles, signé entre Aubaret et la cour

12. P. Boudet, loc. cit., p. 38.

13. lbid. 14. lbid.

118

La politique annexionniste

de la France

de Huê le 15 juillet 1864 15, ne fut pas ratifié par la France. 10 Une dépêche demandant à Aubaret de suspendre les négociations arriva trop tard, le 19 juillet, mais par bonheur pour la France, celui-ci avait laissé en blanc l'article XIX, relatif à 1' « indemnité annuelle de 2 millions de francs à verser en sus de l'indemnité stipulée au traité de Saigon, pendant quarante ans, indemnité qui pourrait être versée en nature ». 1 7 Ainsi, la cour de Huê qui, comparativement au traité de 1862, aurait pu obtenir de meilleures conditions, va se sentir lésée. Mais ces difficultés allaient continuer. Les possessions françaises en Cochinchine orientale formaient une enclave dans le territoire viêtnamien. Tu-Duc incapable de lutter ouvertement contre la France par manque de moyens mais aussi parce qu'il avait dû se résigner à accepter le traité, va continuer à fomenter des troubles par en dessous. Huê va alors pratiquer cette politique qu'elle fit sienne jusqu'à la chute finale du pays : la Cour prodiguait toutes sortes d'assurances de bon vouloir aux autorités françaises, mais par derrière elle soudoyait des agitateurs qui devaient entretenir un climat d'hostilité et d'insécurité constantes. Go-Công était le point de ralliement des agitateurs. La province était celle de la mère de Tu-Duc et le loyalisme envers l'empereur y était profond. Le 16 décembre 1862, donc peu de temps après la signature du traité, la révolte éclata. Devant l'ampleur de la révolte, le gouverneur général dut faire appel à des renforts français envoyés des Philippines et de Chine. Sur place, pour avoir un nombre suffisant de défenseurs, il dut armer les civils, y compris les malades et les infirmiers. A la fin décembre la révolte était éloignée des centres français, mais pas encore complètement jugulée. Les Français firent ensuite le blocus de Go-Công puis, avec les renforts venus de Chine, ils enlevèrent le repaire de l'insurrection. Le quan-binh (mandarin militaire) qui avait reçu de Tu-Duc le titre de « Valeureux destructeur des Occidentaux », réussit à leur échapper. 15. Copie au A.A.E., Asie 29, f° 196-228. 16. Traité de commerce et de navigation signé le 15 juillet 1864 entre l'empereur des Français et le roi d'Annam (copie manuscrite) (A.O.M. Aix, 11708). 27 juillet 1864, la Grandière à Marine : la dépêche 1 du 8 juin est parvenue trop tard. Envoi d'un traité conclu le 15 juillet avec l'empereur d'Annam... Le bruit de la non-acceptation du traité a ramené le calme dans les esprits... (A.O.M. Aix, 1864). Am. de la Grandière au ministre des Relations extérieures de l'Annam, 20 janvier 1865 : avis de la non-ratification du traité conclu au mois de juillet 1864 avec la cour de Huê par le consul Aubaret {Cf. Annexe 4). 17. P. Boudet, loc. cit., p. 33.

Les suites du traité de 1862

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Après ces diverses opérations et une tentative pacifique de l'amiral Bonard pour ramener la population viêtnamienne des trois provinces à de meilleurs sentiments envers les Français, les autorités coloniales mirent Tu-Duc en demeure de ratifier le traité. Celui-ci avait toujours les troubles du Nord à régler, et il craignait aussi que les Français, mécontents des derniers événements, n'amputassent un peu plus son royaume. Aussi le traité du 5 juin 1862 fut ratifié le 14 avril 1863, en grande pompe, à Huê. Les Français caressaient de plus en plus l'idée et l'espoir de voir la France s'étendre au-delà des trois provinces orientales. Les troubles que la Cour y entretenait donnèrent au successeur de l'amiral Bonard, l'amiral de la Grandière, le prétexte pour s'emparer des trois autres provinces de Cochinchine occidentale. « ... en juin 1867, sans préavis d'aucune sorte, l'amiral de La Grandière occupe et annexe ces provinces libres, afin de priver les rebelles de ce soutien... ». 18 La Cour semblait s'être doutée de ce nouvel empiétement. 19 En octobre 1866, l'amiral de la Grandière avait dépêché à Huê Paulin Vial, directeur de l'Intérieur, demander la cession des trois provinces occidentales contre une compensation. Il est bien certain qu'après pareille démarche, et avec les exemples déjà existants, TuDuc se doutât de la suite des événements. Après avoir manqué d'être détrôné en septembre 1866, il apprit, presque un an après, en juin 1867, l'occupation par les Français des trois provinces occidentales, occupation qui se fit sans combat, les autorités locales des trois provinces de Châu-Dôc, Hà-Tiên et Vinh-Long ayant remis leurs pouvoirs aux délégués Français, les neuf officiers des Affaires indigènes. La réaction nationale se fit dans plusieurs sens : d'abord contre le souverain accusé de laisser les Français agir en maîtres sans être capable de la moindre riposte. Puis contre les chrétiens 2°, mais, cette fois, la Cour n'osa pas user de la politique habituelle contre ces derniers. Elle essaya au contraire de calmer l'effervescence patriotique et, craignant les représailles annoncées par les autorités françaises si quoi que ce soit était entrepris contre les chrétiens, se borna à une protestation sans résultat auprès de celles-ci. Impuissant, Phan Thanh Gian 18. J. Chesneaux, Contribution à l'histoire de la nation viêtnamienne, 1955. 19. G. Taboulet, La Geste française, t. II, p. 507-512. 20. lbid., t. II, p. 516-517.

Paris,

120

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qui était alors gouverneur de Vinh-Long, se suicida pour marquer son chagrin de ne pouvoir faire autrement que de s'incliner devant la force et la désapprobation de sa propre faiblesse. 21 Pour conclure ce nouvel épisode désastreux, Tu-Duc dégrada Phan Thanh Gian à titre posthume. Il fut ensuite obligé de discuter avec les Français les termes d'un nouveau traité, celui de 1862 n'ayant plus aucune signification. Huê demanda l'autorisation d'envoyer à Paris une ambassade dont le but essentiel était de négocier avec le gouvernement français. La Cour l'estimait moins intransigeant que les autorités civiles de la colonie, surtout que cette ambassade désirait obtenir la rétrocession des six provinces.

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Cependant, les échanges de lettres concernant l'envoi de cette ambassade allaient durer longtemps, environ trois ans, car les différences de positions entre les deux parties n'étaient pas aplanies, loin de là. En effet, Paris tout comme Saigon, était d'accord pour recevoir l'ambassade, à une condition : qu'elle fasse une simple visite de courtoisie et d'amitié, mais surtout qu'elle ne mentionne pas les provinces occupées et le traité de 1862. De plus, le gouvernement français voulait s'assurer la possession des trois provinces occidentales par un traité en bonne et due forme, ce qui devait éviter que le gouvernement de Huê ne les réclamât avec juste raison. Mais Huê faisait la sourde oreille quant à ce traité, et lorsqu'elle sut les conditions draconiennes finalement imposées comme autorisation de départ de l'ambassade, elle traîna tant qu'elle put pour la différer. 22 C'est dans ces conditions qu'éclata l'affaire du Tonkin. L'idée de pouvoir ouvrir le Nord à la France avait germé depuis quelques années déjà. C'est l'échec de la mission du Mékong 23 qui poussa les Français à regarder du côté du fleuve Rouge ou Sông Coi qui s'était révélé navigable et qui plus est, permettait une pénétration facile au Yunnan. 24 21. Duong Dinh Khuê, Les Chefs-d'œuvre de la littérature vietnamienne, Saigon, 1966. 22. A.O.M. Paris, A 30 (18), carton 12. A.O.M. Aix, 11688, B 220 (8) et (9). 23. G. Taboulet, La Geste française, t. II, p. 558-559. 24. F. Garnier, Voyage d'exploration en Indochine, t. I, p. 447-448, cité par G. Taboulet, La Geste française, t. II, p. 563-564.

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Mais le Nord était alors infesté de pirates chinois opérant sous le nom de Pavillons Noirs, Jaunes ou Rouges, selon la couleur de leur bannière. Ces bandes, restes des Tai-Ping venues se réfugier dans le haut-Tonkin, se battaient entre elles et écumaient les régions investies comme autant de fiefs. Mais le gouvernement de Huê n'était pas en mesure de s'en débarrasser. Aussi, lorsque Jean Dupuis, violant la lettre du traité, s'installera au Tonkin, la Cour, reconnaissant tacitement sa faiblesse, aura recours à la France pour lui demander de faire respecter le traité et la souveraineté du pays. Pour le gouverneur de la Cochinchine, le contre-amiral Dupré, l'occasion était excellente : « Cochinchine française Direction du Cabinet et des Colonies 1 er bureau. N° 782 Saigon le 11 septembre 1873 Monsieur le Ministre, ... Cette question du Tonquin est très complexe ; il est possible que je sois entraîné, sans le rechercher, à participer à sa solution, et que la cour de Huê sollicite elle-même mon intervention pour l'aider à aplanir des difficultés qu'elle ne se sent plus la force de surmonter. Notre abstention, dans ce cas, serait un aveu d'impuissance qui porterait à nos intérêts présents et à notre avenir un préjudice irréparable. Mais soyez assuré que, si je me crois forcé d'agir, je ne le ferai qu'avec une extrême prudence. ... Mon but serait de leur faire demander le protectorat de la France qui entraînerait pour eux l'obligation de ne recevoir aucun agent diplomatique ou consulaire étranger ; la présence d'un représentant du gouverneneur à Huê ; la présence dans la capitale et dans un ou plusieurs ports du Tonquin et d'Annam d'un agent français appuyé sur une force militaire suffisante pour assurer sa sécurité ; la liberté de commerce sur ces différents points ; la suppression des douanes et de toute entrave au commerce sur la frontière de terre ; l'ouverture de la navigation du Sông-Koi au commerce français annamite et chinois, moyennant le paiement des droits modérés à la côte et à la frontière de Chine ; la liberté du culte accordée aux chrétiens annamites et l'abolition complète de toutes entraves apportées à l'exercice de leur religion. Enfin et

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La politique annexionniste de la France bien entendu le paiement de ce qui reste dû de l'indemnité espagnole. Moyennant ces conditions loyalement et consciencieusement remplies, si d'ici là il ne survient aucun trouble ni rébellion dans les trois provinces en question, le gouvernement français s'engagerait à rendre au Roi Tu-Duc l'administration de ces provinces après... années écoulées depuis l'échange des ratifications. Le gouvernement français conserverait à Vinh-Long, Châu-Dôc et HàTiên un Résident et une garnison suffisante pour assurer la sécurité des chrétiens et de tous les Annamites qui nous ont fidèlement servis, la conservation des droits des Cambodgiens, la complète ouverture de toutes les routes, fleuves, canaux et voies de communication en général. En remboursement des dépenses faites par nous dans les provinces, le gouvernement annamite paierait une redevance annuelle de ... cent mille piastres. De son côté le gouvernement français prendrait l'engagement de défendre le Roi Tu-Duc contre toute attaque du dehors ou du dedans, de l'aider dans son expérience pour la direction à donner à sa politique et à son administration ; mettre au service du roi des hommes experts pour rétablir l'ordre dans ses finances, pour régulariser la rentrée des impôts et pour organiser un service des douanes ; des instructeurs militaires pour former une armée ; des armes perfectionnées, des vaisseaux bien construits avec des canons puissants, des ingénieurs et des ouvriers habiles pour diriger les travaux. ... Au prix d'un sacrifice considérable mais probablement momentané que nous nous imposerions, nous fermerions à toute influence étrangère la rive gauche du Mékong jusqu'à la mer, le cours le plus important encore au point de vue commercial des rivières du Tonquin. Nous jetterions les bases solides de notre domination sur tous les territoires formant les anciens Royaumes de Cambodge et d'Annam, sur une population de 25 à 30 millions d'hommes capables de s'élever à un haut degré de civilisation ; enfin nous nous assurerions, autant que le permet l'instabilité des choses de ce monde, un glorieux avenir à la France dans l'Extrême-Orient... ». 25

25. A.O.M. Paris, A 30 (18), carton 12.

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Dupuis, négociant français installé en Chine, trafiquant d'armes, voulait utiliser le fleuve Rouge pour remonter ses cargaisons au Yunnan. Il approvisionnait en armes les troupes régulières du gouvernement yunnanais qui luttait alors contre l'insurrection musulmane de la province. Avant d'entreprendre son coup de force en 1873, Dupuis avait déjà tâté le terrain en France. A Paris en 1872, il avait remis un rapport au ministre de la Marine et des Colonies, alors l'amiral Pothuau, lui soumettant le projet de faire ouvrir au commerce le fleuve Rouge. Sentant qu'il n'était pas désapprouvé, une fois retourné en Asie, Dupuis profitant de la situation au Yunnan, remonta son chargement par le fleuve Rouge. C'est lors de son second passage à Hà-Nôi, le 30 avril 1873, que les mandarins de la ville lui firent des difficultés, l'empêchant de continuer son chemin et retenant l'étain et les produits chinois qu'il ramenait du Yunnan. Le pavillon français ayant été déployé « par hasard » sur les canonnières de Dupuis, celui-ci en profita pour se mettre alors sous la protection du gouvernement colonial de Saigon. 26 Ainsi, le contre-amiral Dupré put dresser tout un plan établissant le protectorat français sur l'ensemble du pays, en dépit de tous les avertissements venus de Paris, et en outrepassant ce que le gouvernement de Huê lui avait demandé, c'est-à-dire le simple renvoi de Dupuis hors du Tonkin. 27 II trouva également dans cette affaire un excellent moyen de pression contre Tu-Duc au sujet du nouveau traité assurant à la France la possession certaine des six provinces sudistes. Le gouvernement colonial avait réussi à convaincre Tu-Duc de l'inutilité d'envoyer l'ambassade à Paris. Aussi le souverain ne lui fit pas dépasser Saigon. Les événements du Nord le décidèrent de surcroît à accepter le traité du 15 mars 1874, assorti, le 31 août de la même année, d'un traité complémentaire de commerce.

26. J. Dupuis, Le Tonkin de 1872 à 1886, cité par G. Taboulet, La Geste française, t. II, p. 690 : « Pendant que j'étais occupé à traquer les mandarins, on a hissé le pavillon français sur mes cannonières. Jusqu'ici nous n'avions pas arboré de pavillon à la corne qui indiquât notre nationalité, bien que tous les papiers du bord fussent visés par les autorités françaises ; seul le pavillon du Titaï affréteur des bateaux, flottait au grand mât. Ceux qui donnèrent cet ordre, dans un moment d'affolement, ne se rendirent évidemment pas compte de la gravité exceptionnelle de cet acte qui, en nous plaçant sous la protection du gouvernement français, fournissait un prétexte à l'amiral pour intervenir... ». 27. A.O.M. Paris, A 30 (18), carton 12 ; A 30 (19), carton 12.

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En effet, jouant sur la faiblesse du gouvernement vietnamien, l'amiral Dupré va envoyer en mission Francis Garnier 28, lui assignant officiellement de faire entendre raison à Dupuis, mais en privé lui demandant de manœuvrer en sorte d'obtenir l'ouverture du fleuve Rouge au commerce. Dans de telles conditions, il n'est pas étonnant que Francis Garnier ait pris l'initiative de s'emparer du pays en investissant d'abord la citadelle de Hà-Nôi, puis celles du delta : Nam-Dinh, Ninh-Binh et HaiDuong. Mais le 21 décembre il était tué. Philastre son successeur, qui l'avait pourtant si violemment critiqué d'avoir suivi pareille politique et d'avoir aidé Dupuis, ce « baratier », dans son agression, allait signer le traité du 15 mars 1874 2 9 , ouvrant le fleuve Rouge et les ports de Qui-Nhon, Hà-Nôi et Hai-Phong au commerce. Le Viêt-Nam, tout en conservant sa souveraineté, devait adapter sa politique extérieure à celle de la France. Dix ans plus tard eut lieu la seconde affaire du Tonkin. En dépit de l'article 2 du traité de 1874, reconnaissant « la souveraineté du roi d'Annam et son entière indépendance », le sort du Viêt-Nam ne se jouait plus à Huê, mais à Paris, et la France décidait, sans l'avis des Viêtnamiens, du statut dont il fallait désormais pourvoir le royaume. Les clauses de 1874 jugées insuffisantes, le 15 mai 1883, la Chambre des députés votait une seconde expédition au Tonkin. Elle était dirigée par le commandant Henri Rivière qui trouva la mort dans les mêmes circonstances douteuses que Garnier. Pour donner plus de poids à leurs arguments, les Français bombardèrent les forts de la capitale, et la Cour, du moins une partie, accepta de signer le traité de protectorat du Tonkin le 25 août 1883. Tu-Duc était mort au mois de juillet de la même année. 28. Am. Dupré à ministre des Relations extérieures, Huê le 6 octobre 1873 : affaire Dupuis. Envoi de Francis Garnier au Tonkin (A.O.M. Aix, B 223 (1), n" 20, p. 26). Am. Dupré à ministre des Colonies, lettre n° 874 du 7 octobre 1873, Saigon : « J'ai jugé et j'espère que vous voudrez bien m'approuver, Monsieur le Ministre, qu'il était devenu urgent, indispensable de faire acte de présence et de ne pas attendre que la situation déjà passablement tendue, ne se compliquât d'une manière inextricable pour nous par l'intervention possible du gouvernement de Hông-Kông. J'ai donc commencé immédiatement les préparatifs de l'expédition de manière à la faire partir aussitôt après l'arrivée de M. le lieutenant de vaisseau Garnier auquel j'en confierai la direction... » (A.O.M. Paris, A 30 (18), carton 12). Lettre du contre-amiral Dupré à ministre des Relations extérieures de Huê, Saigon le 11 octobre 1873 (A.O.M. Paris, A 30 (18), carton 12). 29. L. de Reinarch, op. cit., p. 157-170.

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Il est certain que le gouvernement français voulait s'emparer progressivement de tout le Viêt-Nam, mais il semble aussi que Tu-Duc se soit ingénié à mettre en avant et à préférer à tout autre solution les difficultés nées de sa mésentente avec les forces coloniales. On a vu combien le souverain se sentait faible et comment il avait dû faire appel à la France lors de l'affaire Dupuis. Cependant, malgré toutes les concessions qu'il devait faire au gouvernement colonial, concessions qui marquaient bien l'incapacité de son régime, il ne se décidait toujours pas à appliquer franchement les traités. Par deux fois il avait dû s'incliner devant les forces françaises qui avaient envahi le Nord, soit sur sa propre demande, soit pour assurer la sécurité des ressortissants français menacés par les pirates chinois qui tenaient le haut du fleuve Rouge. En effet, le Nord, un instant oublié après les traités de 1874, fut de nouveau remis sur la sellette quelques années après. En proie aux troubles incessants, à un moment où les puissances européennes convoitaient la Chine, cette partie du pays pouvait sembler tentante : elle était frontalière de l'empire chinois et l'anarchie qui y régnait devait faciliter la conquête. Tant par sa politique intérieure faite de vexations contre les chrétiens, de mauvaise volonté contre le gouvernement colonial, que par ses tentatives ratées en politique extérieure, Tu-Duc ne put que s'attirer davantage d'ennuis. Les accès de mauvaise humeur de la Cour et les actes qui en résultaient, furent habilement exploités par la France. Il semble pourtant assez probable que Tu-Duc aurait pu jouer avec les divers éléments qui constituaient alors le centre de ses soucis : les missionnaires aux prises avec le gouvernement colonial à cause de leurs revendications exagérées, la franc-maçonnerie anticléricale de la III e République, mais aussi la politique hésitante et timorée de la France dans l'affaire du Tonkin. Mais missionnaires ou laïques, pour les Viêtnamiens il s'agissait avant tout d'une même nationalité et TuDuc ne sut pas opposer leurs antagonismes et les utiliser en sa faveur. Au contraire, il manœuvra de telle sorte que missionnaires et laïques lui reprochèrent ses agissements et les lui retournèrent.

LES PERSÉCUTIONS RELIGIEUSES La politique du contre-amiral Dupré, dans cette première affaire du Tonkin fut double, non pour lui-même, puisqu'il savait où il voulait en

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venir, mais vis-à-vis de la cour de Huê. Celle-ci croyait de bonne foi que la mission Garnier était envoyée pour mettre fin aux empiétements abusifs de Dupuis, mais elle dut se rendre très vite à l'évidence : cette affaire était un excellent prétexte pour la France de prendre pied dans le Nord. 30 Le contre-amiral Dupré qui prévoyait la réussite totale de son entreprise, avait, avec insistance, demandé l'aide des missionnaires du Tonkin. 31 Ceux-ci, représentants de la rue du Bac et des missions espagnoles, étaient les Européens les plus anciennement installés dans cette région, donc les mieux renseignés sur ses problèmes. Le contre-amiral s'assura ainsi leur soutien en leur recommandant la mision Garnier. De leur côté, les Pères français furent très heureux de la tournure des événements 32 : « ... Pour moi, Monsieur l'amiral, permettez que je vous adresse la prière suivante, elle est aussi celle de tous ceux qui se veulent désormais sous votre protection : l'influence de la France vient de s'étendre sur le Tong-King d'une manière toute spéciale. Nous demandons qu'elle soit toujours forte et durable. Le gouvernement français en exauçant des vœux si légitimes ne tardera pas, je l'espère, à recueillir les fruits de ses sacrifices ». Malheureusement pour les missionnaires et les chrétiens, l'expédition se termina par la mort de Garnier. Ce dernier événement laissait le Nord complètement désorganisé, sans administration : les mandarins fidèles à la Cour s'étaient en général enfuis et les missionnaires et les catholiques, compromis, étaient en proie aux plus vives inquiétudes. Entre le moment de la mort de Garnier et celui de l'arrivée à Hà-Nôi de la deuxième délégation Philastre 33-Nguyên Van Tuong, les missionnaires français, plus particulièrement Mgr Puginier, prirent la situation 30. A.O.M. Paris, Indochine A. 30 (18), carton 12. 31. Am. Dupré à Mgr Sohier, 6 octobre 1873 (A.O.M. Aix, B 220 (9) 660). Am. Dupré à Garnier, 6 octobre 1873 (A.O.M. Aix, B 220 (9) 676). A m . Dupré à Mgr Puginier, 26 octobre 1873 (A.O.M. Aix, 12491 (1)). 32. Mgr Puginier à l'amiral Dupré, Hà-Nôi le 13 novembre 1873 (A.O.M. Aix, 12491 (2)). 33. Philastre (Paul, Louis, Félix). Elève de l'Ecole navale, se rend en Indochine en 1861. Janvier 1863, nommé inspecteur des Affaires indigènes à My-Tho, puis en 1873, promu inspecteur des Affaires indigènes. Erudit, connaissant parfaitement le chinois et le sino-viêtnamien, traduit le Code Annamite avec Commentaires. Obtient pour cela le prix Julien Stanislas en 1877.

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en main, décidés à la faire évoluer dans le sens le plus favorable aux chrétientés et aux intérêts français. Il paraît 34 que Mgr Puginier fit même rappeler Dupuis pour avoir un appui armé et qu'il entreprit la continuation des pourparlers avec la première délégation viêtnamienne, afin d'aboutir à une convention « qui sauvegarderait pleinement les droits et l'honneur de notre pays, en même temps qu'elle assurait très suffisamment la sécurité de nos partisans ». Mais, sur ces entrefaites, le 2 janvier 1874, Philastre arrivant de Saigon mit fin à toutes ces tractations et, d'accord avec le plénipotentiaire viêtnamien, donna l'ordre d'évacuer et de rendre les citadelles prises à la Cour. Evidemment ces mesures provoquèrent un tollé général chez les missionnaires et le père Louvet accusa même Philastre de « pro-Annamite », d'être à la solde de la cour de Huê et de lui obéir servilement. Cette colère, motivée par la déception que les pères éprouvaient de voir s'envoler leur espoir d'un Viêt-Nam français et catholique, l'était également par la crainte qu'ils ressentaient de leur compromission aux yeux de la population, des mandarins et de la Cour. Mgr Puginer fit tout de suite des démarches auprès de Philastre, « pour lui présenter qu'une évacuation immédiate et sans conditions, allait amener des catastrophes plus effroyables, que les chrétiens, regardés, à cause de la communauté de foi, comme partisans des Français, en seraient les premières victimes, que tous payens ou chrétiens, qui avaient accepté sur la parole de Garnier de servir la France, se trouveraient compromis, que les mandarins annamites eux-mêmes, se déclaraient impuissants à maintenir l'ordre dans les provinces, si on les évacuait avant qu'ils aient pu rassembler des troupes ». 35 Mais Philastre qui, avant même la mort de Garnier, avait reçu pour mission le retour à l'ordre et au calme 36, prit sur lui la responsabilité de remettre les

34. L.-E. Louvet, Vie de Mgr Puginier, Hanoi, 1894, p. 237-238. 35. Ibid., p. 244. 36. Am. Dupré à ministre des Affaires étrangères, Huê, 5 décembre 1873 : envoi de M. Philastre à Huê (A.O.M. Aix, B 223 (1), n° 30, p. 43, c f . minute dans 11689 (1)). A m . Dupré à Marine, 6 décembre 1873 : affaire du Tonkin : départ de Philastre pour Huê (A.O.M. Aix, B 21 (18) 1025). Am. Dupré au commandant du Décrès, 6 décembre 1873 : instructions : conduire Philastre à Tourane (A.O.M. Aix, B 220 (9) 871, c f . minute originale au crayon A.O.M. Aix, 12464 (3)). Am. Dupré à Philastre, 6 décembre 1873 : instructions (A.O.M. Aix, B 220 (9) 873, c f . minute autographe 11689 (2)). Am. Dupré à ministre

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citadelles investies. C'était le seul moyen de ramener la situation du pays à son état antérieur. Cependant, contrairement aux accusations des missionnaires qui lui reprochèrent de n'avoir pris aucune garantie pour leur protection et celle de leurs ouailles, chaque reddition fut accompagnée d'une conventoin signée par lui-même et le second ambassadeur : « A proclamer le jour de la remise de chacune des places, une amnistie pleine et entière pour tous les sujets de Sa Majesté l'empereur d'Annam qui auraient pu, à quelque titre que ce soit, être employés par l'autorité militaire française ; à les protéger contre toute réaction vexatoire et à pourvoir autant que possible, d'emplois conformes à leurs aptitudes, celles de ces personnes qui auraient été provisoirement pourvues de fonctions par l'autorité française : la conduite de ces sujets annamites ne pouvant être considérée comme criminelle, l'autorité française ayant toujours spécifié publiquement qu'elle n'agissait que pour le gouvernement annamite de ces provinces >. 37 Ces précautions n'eurent malheureusement pas les effets escomptés. C'est que, de part et d'autre, les haines étaient trop violentes et les occasions de se venger trop bonnes pour ne pas en profiter. Les non-catholiques, poussés par les fonctionnaires, faisaient désormais chèrement payer aux chrétiens leur collusion avec les Français. Aussi, l'évacuation des citadelles fut-elle, selon le mot d'ordre des lettrés, le signal de la ruée sur les communautés catholiques. Contre les accusations des missionnaires, Philastre se défendit d'avoir secouru, avec les moyens dont il disposait, et dans la mesure du des Relations extérieures, Huê, 4 janvier 1874 : M. Philastre prend la direction des affaires du Tonkin par suite de la mort de M. Gamier (A.O.M. Aix, B 223 (1), n° 33, p. 45). 37. Convention entre Philastre et le second ambassadeur Nguyên Van Tuong, 5 janvier 1874 : évacuation des citadelles de Ninh-Binh et Nam-Dinh (A.O.M. Aix, 11689 (19)). Copies des édits d'amnistie de Tu-Duc du 17 janvier 1874. Proclamations de Philastre et Nguyên Van Tuong aux populations du Nord (A.O.M. Aix, 11689 (66), 11689 (67), 11689 (70), 11689 (72)). 11 janvier 1874 : évacuation de la citadelle de Hà-Nôi (A.O.M. Aix, 11689 (26) et (27), original). Convention entre Philastre et le second ambassadeur Nguyên Van Tuong, 5 janvier 1874 : évacuation des citadelles de Ninh-Binh et Nam-Dinh (A.O.M. Aix, 11689 (23) et (25)).

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possible, ceux qu'il pouvait secourir. 38 Or, chaque geste fait en faveur des chrétiens, entraînait de la part des « bandes rebelles » de nouveaux excès. La situation se présentait donc mauvaise et inextricable. Philastre intervint auprès du second ambassadeur, l'invitant à faire respecter l'amnistie stipulée par les conventions. Il envoya en outre à Mgr Puginier, à la chrétienté de Ke-So, l'une des plus visées, une protection militaire, purement défensive, composée d'un officier et de quarante hommes. Pouvait-il faire davantage ? Et à qui incombait les torts ? Seulement aux lettrés, mandarins complaisants, bandes armées de non-catholiques, à la Cour, ainsi que voulaient le faire entendre les missionnaires, ainsi que l'affirmaient également les administrateurs laïques ? 39 « ... Il est certain que le gouvernement est ennemi des chrétiens, qu'il considère comme nos alliés et comme nous ayant appelés 38. Philastre à Mgr Puginier, Hà-Nôi le 17 janvier 1874 (copie) (A.O.M. Aix, 11689 (33)). 39. Mgr Puginier à Philastre, 28 janvier 1874 : la lettre est incomplète et porte la mention annexe 5 à un rapport Philastre du 2 février (A.O.M. Aix, 11689 (51) et (54)). Rheinart, résident français au Tonkin au contre-amiral Krantz, 21 mars 1874 (A.O.M. Aix, 13506 (1-2)). Rheinart au contre-amiral Dupré, 19 mars 1874 (A.O.M. Aix, 13506 (3)). Mgr Puginier à M. Rheinart, résident français à Hà-Nôi, Hà-Nôi le 5 mai 1874 (A.O.M. Aix, 13511 (2)). Mgr Yves, évêque de Laranda à Mgr Puginier, Bô-Chinh le 13 avril 1874 (A.O.M. Aix, 10827 (2)). « Pendant nos expéditions de 59 à 62, chaque revers des armes annamites amenait une recrudescence de la haine des lettrés contre les chrétiens... La haine des lettrés, favorisée par la connivence tacite des mandarins, prit prétexte de l'édit de Tu-Duc, publié le 2 décembre 1873 dans le Nghê-An, pour commencer une persécution à nulle autre semblable... » (A.O.M. Paris, A 90 (4), carton 28 bis, sans date). Rapport de Rheinart, chargé d'affaires, au gouverneur de la Cochinchine, Huê le 15 juillet 1876, 4 p.j. (A.O.M. Aix, 12809). Rapports du consul de France à Hai-Phong, juillet-août 1876, p.j. (A.O.M. Aix, 13138). A.s. des vexations dont sont victimes les chrétiens du Khanh-Hoa, 5-9 mai 1878 (A.O.M. Aix, 13084). Lettre n° 114, datée de Huê le 16 mai 1881, adressée à S.E. le ministres des Relations extérieures à Huê par le chargé d'affaires de France p.i. ; lettre n° 28 adressée par le chargé d'affaires p.i. au gouverneur de la Cochinchine, Huê le 24 juin 1881, plus une annexe à la dépêche n° 38 qui est une copie d'une lettre du Thuong-bac au sujet des incendies de villages chrétiens (22 juin) (A.O.M. Aix, 12927). Mgr Puginier au consul de France à Hai-Phong le 24 avril 1881 ; consul de France à Hai-Phong au contreamiral gouverneur de la Cochinchine, n° 7, 14 mai 1881 : a.s. des méfaits commis au Thanh-Hoa contre les chrétiens. Jointe une lettre de Mgr Puginier dont une copie est envoyée au chargé d'affaires à Huê (A.O.M. Aix, 13221). 9

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La politique annexionniste de la France dans le pays ; s'il reconnaît qu'il ne peut plus commettre aucune hostilité contre eux, à cause de la protection que nous leur accordons, il doit avoir conservé l'espoir de pouvoir satisfaire sa haine en sous main et il suppose certainement qu'il pourrait échapper à toute responsabilité s'il pouvait prouver qu'il n'a aucune part officielle directe dans des actes d'agression... ... s'il n'avait pas lui-même commencé les hostilités contre les chrétiens, si depuis il ne les avait pas mis en quelque sorte en dehors du droit commun en laissant impunis les crimes commis contre eux, et même en considérant souvent ces crimes comme des actes propres à mériter ses bonnes grâces, depuis longtemps la sécurité régnerait pour tous au Nghê-An...40 ... Les lettrés ont été, jusqu'à ce jour, habitués à trouver le gouvernement indulgent pour leurs crimes commis envers les chrétiens... ... c'est en grande partie nous qui sommes cause des attaques des lettrés contre les chrétiens ; c'est parce qu'on les suppose nos alliés qu'on se porte contre eux à de telles extrémités et le gouvernement craint trop les lettrés pour les maintenir ; il approuve, du reste, en lui-même, leurs excès... ». 41

Mais dans ces tristes massacres et pillages, il semble que les missions et les chrétiens aient eu aussi leur part de responsabilité.42 Formés 40. Affaires du Nghê-An, Rheinart, chargé d'affaires au gouverneur de la Cochinchine, Huê le 23 mars 1876 (A.O.M. Aix, 12792). 41. Rheinart, chargé d'affaires, au gouverneur de la Cochinchine, Huê le 4 mars 1876 (A.O.M. Aix, 12789). 42. Au commandant du Décrès par le commandant du Corps expéditionnaire, Hà-Nôi le 4 janvier 1874 (A.O.M. Aix, 11689 (9)). Philastre au contre-amiral Dupré, Hà-Nôi le 4 janvier 1874 (copie) (A.O.M. Aix, 11689 (8)). Rapport de M. Harmand, commandant la citadelle de Nam-Dinh au commandant du Corps expéditionnaire du Tonkin (A.O.M. Aix, 11689 (32)). Copie extraite du dossier n° 11689, pièce n° 30, Philastre au contre-amiral Dupré, Hà-Nôi le 15 janvier 1874 (A.O.M. Aix, 11689 (30-31)). Am. Dupré à Philastre, le 20 janvier 1874 (A.O.M. Aix, B 220 (10) 59). Am. Dupré à Mgr Puginier, 20 janvier 1874 (A.O.M. Aix, B 220 (10) 64). M. Harmand au commandant du Corps expéditionnaire au Tonkin, copie, 24 janvier 1874, 4 h. du soir (A.O.M. Aix, 11689 (45)). Persécution des chrétiens. Rapport du capitaine de vaisseau commandant le Montcalm et des évêques Yves et Hyacinthe, 1" avril 1874 (A.O.M. Aix, 10827). Mgr Puginier à Rheinart, résident français au Tonkin, le 4 avril 1874 (copie) (A.O.M. Aix, 13506 (7)).

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fanatiquement, les chrétiens viêtnamiens avaient acquis une conscience de classe ; ils se sentaient à part du reste de la nation, différents et supérieurs, car ils avaient reçu la lumière de Dieu. Ils méprisaient les non-chrétiens, qui pratiquaient des rites barbares et superstitieux. Mais les non-catholiques ne méprisaient pas moins les convertis qui, le plus souvent de basse extraction, n'avaient rien à perdre en suivant une autre religion qui niait à elle seule l'héritage culturel du pays. La classe lettrée surtout les détestait car, non seulement ils reniaient leurs traditions ancestrales, mais pire encore, ils appelaient à eux les étrangers, leur demandant protection et emploi, les servant et leur obéissant comme à des maîtres incontestés. Du côté catholique, rien ne fut entrepris pour effacer ou tout au moins atténuer la mauvaise réputation qui leur était faite. Bien au contraire, lorsqu'ils furent certains que la France allait désormais s'installer au Nord, ils commirent d'impardonnables abus, croyant leur heure arrivée. Ils auraient désormais toute liberté de croire et de prier, et pour accéder le plus rapidement possible à ce statut qu'ils n'avaient jamais connu, ils aidèrent la mission Garnier. De leur côté, les missionnaires eurent le tort de développer l'idée que, pour aimer la France, les Viêtnamiens devaient obligatoirement se faire chrétiens, et que tout chrétien était ami de la France : « Deux choses surtout comme je ne cesse de le dire, sont le meilleur instrument de la transformation d'un peuple : la religion et la langue. Si le gouvernement français comprend ses vrais intérêts, et qu'il veuille favoriser la prédication de l'évangile et l'enseignement de notre langue, j'affirme qu'avant vingt ans, sans violenter personne, ce pays sera chrétien et français. 43 2. Il est incontestable que les chrétiens, tout en restant fidèles à leur gouvernement, ont toujours été les amis de la France. Les missionnaires, en leur prêchant la foi, leur parlaient de leur patrie, de cette France qui faisait pour eux tant de sacrifices, qui leur envoyait des prêtres et des aumônes. On ne leur disait du bien que de la France, et par là, on la leur faisait naturellement estimer et aimer. 3. Il est certain que tout payen qui se fait chrétien devient en même temps un ami de la France. Il ne sera pas traître au gou43. L.-E. Louvet (op. cit., p. 374) cite Mgr Puginier, Notes sur le mars 1884.

Tonkin,

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La politique annexionniste de la France vernement de son pays ; sa nouvelle religion le lui défend, mais il est certain aussi que jamais les Français ne le trouveront dans le camp des révoltés. 4. Il suit de là que, plus le nombre des chrétiens augmentera, plus la France aura d'amis dans le pays. Le nombre de ses adversaires diminuera dans la même proportion, et les révoltes contre le protectorat ne seront plus à redouter. Par conséquent... l'intérêt bien entendu du protectorat est de protéger les chrétiens... ». 4 4

C'est cette idée qu'ils ont enracinée dans l'esprit de leurs néophytes qui, aux yeux des autorités locales, leur étaient dangereusement attachés. Et, la crainte ancienne des souverains asiatiques selon laquelle les chrétiens se mettraient au service des pères qui les éduquaient, se révèle malheureusement fondée à plusieurs reprises. En dehors du fait que la France ait eu au Viêt-Nam une politique velléitaire et souvent malencontreuse, les missionnaires sont cependant, de par leur attitude et leur politique, les premiers responsables des morts, des incendies et des pillages qui se sont échelonnés durant une vingtaine d'années. Pour contrer les idées émises par les missionnaires et l'asservissement camouflé de religion, les lettrés, secondés par le reste de la population, organisèrent la lutte essentiellement dirigée contre les chrétiens. Attaquer de front la France était pratiquement impossible, aussi valait-il mieux essayer de la saper et de lui enlever tout appui en s'en prenant à ses suppôts. 45 Les occasions de se heurter et de provoquer des conflits étaient plutôt fréquentes entre la Cour et les missions françaises ; celles-ci se plaignaient que le gouvernement impérial faisait tout pour entraver la bonne marche des affaires ; qu'il bafouait les traités par l'inobservance des clauses relatives aux chrétiens. Ceux-ci souffraient évidemment des brimades habituelles agrémentées des reliquats de 1874. La Cour, de son côté, reprochait aux missionnaires leurs empiétements dans le domaine temporel, leurs revendications exagérées et aussi le fait qu'ils poussaient les chrétiens à former une communauté totalement distincte qui échappait à la juridiction du pays. Le gouvernement de Saigon dut, à plusieurs reprises, s'interposer et

44. Ibid., p. 393-394 cite Mgr Puginier, Notes et renseignements, septembre 1889. 45. Notes de Mgr Puginier, 13 septembre 1886 (A.O.M. Aix, 11782).

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rappeler à l'ordre les missionnaires qui ne différenciaient pas assez temporel et spirituel. 40 « Les anciennes provinces annamites annexées en 1867 étaient comprises dans la province du Cambodge et, après notre prise de possession, elles n'ont pas été ajoutées à la Mission de Cochinchine. L'autorité des évêques de Saigon ne s'exerce donc pas sur tous nos arrondissements, et ceux de Soc-Trang, Long-Xuyên, Châu-Dôc, Rach-Gia, Hà-Tiên sont demeurés dans la circonscription de la mission dont le R. P. Cordier est le supérieur ; il réside sans (illisible) de (illisible) où il se fond à plusieurs établissements. Cet état de chose présente beaucoup d'inconvénients et je crois que le moment est venu de faire à Rome et à Paris des démarches nécessaires pour réunir ces deux missions en une seule. Les missions sont donc chargées du culte dans nos possessions et reçoivent une subvention fixe qui a remplacé les différents crédits inscrits autrefois au budget. Les édifices religieux appartiennent aux missions et la cathédrale de Saigon seule reçoit une allocation spéciale pour les frais du culte. Les missions ont un petit séminaire à Saigon, et un nombre considérable d'écoles dans l'intérieur pour filles et pour garçons. Il y a également une sorte de couvent de femmes à Lai-Mong, et un ordre particulier à TânDinh, près de Saigon, dans les bâtiments attenant à l'imprimerie de la Mission. La Mission a accepté d'être chargée du service religieux à l'Hôpital de la Marine, à Saigon et à bord du Tessite : elle en est chargée depuis longtemps, aux hôpitaux militaires, dans l'intérieur. Les Annamites tout en se montrant hostiles aux missions après les avoir longtemps persécutées, avaient cependant, dans nos provinces, accepté à peu près complètement l'exercice de la tutelle des chrétiens par leurs pères spirituels, de telle sorte que, l'habitude étant prise de s'adresser aux missionnaires pour réclamer contre les fonctionnaires, pour obtenir une faveur, celui-ci se considère encore comme mandataire presque officiel des populations chrétiennes de la localité, et peu à peu, tend à se substituer à nos propres agents. J'ai maintes fois recommandé et aux admi46. Notes de l'amiral Duperré sur l'organisation des services du culte, 1876-1877 (A.O.M. Aix, 10273). Le contre-amiral Lafont au ministre des Colonies, Saigon le 26 janvier 1878 (A.O.M. Paris, A 30 (30), carton 14).

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La politique annexionniste de la France nistrateurs et à Mgr l'évêque de faire cesser les abus et je considère comme très important d'extirper ce principe d'un gouvernement particulier juxtaposé à l'administration générale. Aussi, les missionnaires tendent-ils à former des agglomérations de chrétiens réclamant une autonomie afin d'avoir dans leurs mains les maires et les notables, ne pouvant plus exercer ouvertement leur pouvoir. J'ai nommé une commission pour régulariser une situation tout à fait anormale, celle des biens de la mission. Elle a le droit de posséder, mais dans certaines conditions qui n'ont pas toujours été remplies. De plus, il existe partout en Cochinchine, des biens d'Eglise, des biens à des chrétientés, des dons faits à tel ou tel missionnaire : tout cela est illégal. Il n'y a pas de paroisses, pas de conseils de (illisible), les missionnaires ne peuvent pas posséder au nom de la mission : il faut donc rechercher tous les titres des propriétaires et régulariser sans toutefois faire acte de spoliation. Il a été entendu que nous fermerions les yeux sur les procédés employés pour acquérir, sur les évaluations de contenances, nous réservant de faire observer à l'avenir, toutes les formalités légales. Nous arriverons donc à une situation légale, profitable à la mission et l'envoi occasionné par cette enquête aura pour résultat de montrer aux Annamites que nous ne demeurons pas indifférents à la conduite des missionnaires, ce qui encouragera à la résistance ceux d'entre eux qui n'étaient qu'à moitié disposés à imiter leurs pères et à agrandir le domaine de la mission ».

En effet, dans le domaine de la justice, ceux-ci avaient contracté l'habitude de s'occuper personnellement des griefs dont étaient victimes leurs ouailles et de porter leurs revendications devant les autorités locales. Tu-Duc, lui-même, averti de ces procédés, s'y opposa catégoriquement 47 : « Edit de Tu-Duc contre missionnaires et Evêques s'immisçant dans les procès des chrétiens. Décret du Bô-Hô, 25 e jour, 9" mois, 29 e année du règne de Tu-Duc avec sanction royale. Jusqu'ici les mandarins n'ont pas suivi la droite raison en laissant les évêques et les missionnaires s'immiscer dans les procès des chrétiens ; les évêques et les missionnaires oublieux de leurs devoirs, ont accueilli les faux rapports des chrétiens et les ont 47. A.O.M. Aix, 10443 (5).

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appuyés de leur crédit auprès des mandarins... Ces abus doivent cesser. Donc, quiconque, payen ou chrétien, qui aura des plaintes à faire valoir, devra suivre l'ordre et les présenter au maire, chef de canton, sous-préfet, préfet, et si la cause n'est pas suffisamment mise en lumière, elle sera enfin portée devant les grands mandarins et finalement au Tam-Phap. En agissant autrement, on se rend passible des peines édictées par la loi. Les missionnaires ne doivent pas prendre en main la cause des chrétiens ni intercéder pour eux auprès des mandarins sans encourir les peines de droit ». Le décret impérial eut pour effet les protestations des pères : s'ils s'occupaient ainsi de justice, c'était pour éviter aux autorités françaises de nouveaux soucis. Mais pareil décret les obligerait désormais à porter aux représentants français les revendications de leurs chrétiens qui, sans cela, n'étaient jamais ni écoutés, ni équitablement jugés, la justice impériale se faisant un devoir de les brimer, même lorsqu'ils étaient dans leurs droits : « Il se publie en ce moment un édit d'un nouveau genre de persécution adressé à la province de Nghê-An qui pourrait se résumer en ces quelques mots : pas d'avocats, pas d'avoués ; chacun pour soi. Quiconque est accusé devant les tribunaux, quoiqu'innocent qu'il puisse être, s'il ne peut pas se défendre lui-même, qu'il succombe. La loi défend à qui que ce soit, serait-ce son père, de venir à son secours.48 Sans doute la mesure dont se plaint Mgr Puginier et qui consiste à empêcher les missionnaires et même les évêques de s'adresser aux grands mandarins, n'excède en aucune façon les droits de la cour de Huê. Mais ces démarches directes des évêques, qui lui déplaisent, n'étaient faites par eux que dans le but d'éviter autant que possible, le recours aux consuls, dont l'intervention éveille bien davantage des susceptibilités. Si désormais les évêques ne peuvent plus s'adresser directement aux autorités supérieures, lorsqu'ils croient avoir à se plaindre, celles-ci ne devront pas s'étonner de nous voir venir à l'aide des chrétiens, examiner le bien-fondé de leurs griefs, demander des 48. M. Gauthier au gouverneur général de la Cochinchine, Tong-King méridional le 19 décembre 1876 (Note supplémentaire) (A.O.M. Aix, 10443 (3)).

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explications, et en un mot nous départir, dans une certaine mesure, de la réserve que nous nous sommes imposée jusqu'ici ». 49 « ... si les justes craintes que Mgr Croc a de nouveau présentées au nom des chrétiens sont encore repoussées, le gouvernement français a l'intention de les présenter lui-même, jusqu'à ce qu'il ait pu acquérir la conviction que l'on est arrivé à une solution équitable : c'est pour lui un droit et un devoir car c'est à cause de lui que les chrétiens ont souffert. Toutes les agressions sont des attaques indirectes dirigées contre nous, parce qu'on veut rendre les chrétiens responsables de notre venue et de notre séjour dans le pays. La France ne supportera pas que des gens paisibles et inoffensifs aient souffert impunément à cause d'Elle, et elle ne les abandonnera pas... ». s o Pour la Cour, les jugements étaient un moyen de faire sentir aux chrétiens combien ils étaient indésirables, et aussi de leur faire comprendre la lourdeur de leur faute. D'autre part, les autorités viêtnamiennes rejetaient l'interprétation donnée par les missionnaires aux jugements et peines infligés à des prêtres indigènes qui s'étaient rendus coupables de délits. Ainsi, l'affaire du prêtre An de Xuân-Hoà, en 1877 condamné à l'exil et à cent coups de truong (bâton), obligea le gouvernement français à intervenir. S'appuyant sur la lettre du traité, sur protestations des missionnaires, les autorités françaises réfutèrent l'application de la peine corporelle à un prêtre indigène, peine non conforme au paragraphe 5 de l'article 9. Mais Huê avait sa propre interprétation : les prêtres viêtnamiens, sujets de Sa Majesté Impériale, étaient soumis aux mêmes lois

49. Le consul de France à Hai-Phong au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Hai-Phong le 10 novembre 1877 (A.O.M. Aix, 13164). 50. Rheinart au ministre des Relations extérieures de Huê, Huê le 27 octobre 1875 (A.O.M. Aix, 12776 (3)). 51. Circulaire du ministère civil le 27 ou 28 décembre 1876 (A.O.M. Aix, 10445 (2)). Huê le 5 janvier 1877 : règlement de l'affaire du prêtre An qui a été condamné à l'exil et frappé de cent coups de truong (bâton) (A.O.M. Aix, 10445 (1)). Rapport récapitulatif sur l'affaire du prêtre An, 1877 (A.O.M. Aix, 10468). Lettre de Philastre au ministre des Relations extérieures, Huê le 14 février 1878 : protestations contre le jugement du prêtre An. Philastre au gouverneur de la Cochinchine, Huê le 15 février 1878 : compte rendu du jugement (A.O.M. Aix, 12832). Demande de rachat de la peine du prêtre An, 9 avril-8 mai 1878 (A.O.M. Aix, 12849).

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que tous les habitants du royaume. Donc, s'ils en avaient les moyens ou si leur faute était vénielle, ils avaient la possibilité de racheter les peines corporelles.52 « En réponse à la communication écrite par laquelle vous m'avez invité à nous réunir pour éclaircir quel est le véritable sens de l'article 9 du traité de paix, et pour répondre à la communication verbale par laquelle vous m'avez récemment exprimé l'opportunité de vous donner par écrit une détermination à ce sujet afin que vous puissiez en aviser M. le gouverneur de Saigon, je m'empresse de vous adresser les observations suivantes : Attendu que dans l'article 9 du traité de paix un paragraphe exprime que si des prêtres annamites ont commis une faute passible de la peine du bâton ou du rotin, cette peine devra être rachetée à prix d'argent, conformément aux règlements, sans qu'on puisse leur faire subir effectivement cette peine du truong ou du rotin ; que l'on voit par les deux mots : ' commettre une faute ' qu'il s'agit des cas où le jugement rendu, ils ne seront passibles que de la peine du rotin ou du îruong et qu'alors seulement ils seront autorisés à se racheter. Que s'ils ont encouru une peine plus grave que la peine du truong ou que celle du rotin, ou si le jugement n'étant pas encore prononcé, il y a lieu de les soumettre à la question, le texte ne comporte également pas l'obligation d'admettre le rachat et le sens en est fort clair. En effet, lorsque la peine encourue n'est que celle du rotin ou du truong, il s'agit également d'un manquement d'importance ordinaire pour lequel il est encore possible de montrer de l'indulgence afin de préserver leur considération et leur respectabilité. Mais s'ils se sont rendus passibles d'une peine qui atteigne la gravité de celles du travail pénible, de l'exil et au-dessus, ils se sont déjà assimilés à la catégorie des méchants ; ils peuvent être mis à la cangue ; ils peuvent être mis à la chaîne ; ils peuvent être décapités ou subir la strangulation.

52. Lettre adressée à M. le chargé d'affaires de France à Huê par M. le ministre des Relations extérieures, au sujet de l'éclaircissement du véritable sens d'un paragraphe de l'article 9 du traité de paix, 9 mai 1878 (A.O.M. Aix, 12852 (3)).

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La politique annexionniste de la France Comment pourrait-il se faire que devant subir des coups de truong ou de rotin, ces supplices ne peuvent pas leur être infligés ? La raison de ces dispositions est on ne peut plus évidente. A plus forte raison les règlements de notre pays établissent que lorsqu'un jugement est terminé, pour qu'une personne qui ait encouru la peine du rotin ou celle du truong soit admise à se racheter, il faut encore que cette personne soit de condition honorable et pourvue de moyens nécessaires ou qu'étant revêtue d'une dignité, elle ait commis sa faute par malheur, en se trompant, et que c'est dans ces cas peu graves seulement, qu'on peut consentir au rachat. Que si la personne est vicieuse ou sans ressources ainsi que dans le cas où le fait commis donne lieu à l'emploi de la question on doit toujours employer le rotin comme moyen d'interrogation... Tels sont les règlements de notre pays : c'est pourquoi si le traité dit selon les règlements, c'est selon ces règlements. Bien que ces prêtres suivent un autre enseignement, ce sont des sujets annamites, et pourquoi irait-on en leur faveur contre les règlements de notre pays ? Le sens du traité a primitivement été établi comme ci-dessus, nous pensons qu'il est ajusté à nos lois et règlements et d'accord avec les sentiments humains : qu'il n'y a pas lieu d'y rien changer. A plusieurs reprises j'ai déjà fait connaître mon sentiment à cet égard par mes réponses successives à votre prédécesseur et à Monsieur le précédent gouverneur. En conséquence, je m'empresse de vous adresser cette réponse en vous priant, Monsieur le chargé d'affaires, d'en prendre connaissance et d'y donner suite. Trente et unième année de Tu-Duc, le 8' jour du 4 e mois. »

Nous avons vu comment les chrétiens vivaient en dehors de la vie villageoise traditionnelle, en se groupant dans des villages particuliers, jouissant, dans certaines régions, de privilèges qui pouvaient paraître excessifs et injustifiés, tant aux yeux des mandarins qu'à ceux de la population locale. Après les événements de 1874, les missionnaires, qui n'étaient animés d'aucun esprit de conciliation, allaient soulever

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la délicate question des indemnités qu'ils réclamaient pour dédommager les chrétiens sinistrés.53 Cette demande d'indemnité — sur les biens détruits ou volés et sur les personnes tuées ou blessées — fut mal accueillie aussi bien par la population non chrétienne que par les autorités viêtnamiennes. En effet, les missionnaires, en accord avec les chrétiens, établirent eux-mêmes le montant des dommages matériels et la liste des personnes tuées. La partie adverse les accusa d'exagération et d'insatiabilité : non seulement les missionnaires réclamaient des peines contre les assassins, les incendiaires et les fauteurs de troubles des lendemains de l'affaire Garnier, mais encore ils avançaient une somme dépassant largement la valeur des dommages réels. Tout était compté pour neuf et le nombre des victimes était délibérément enflé M : « ... le ministre se plaignait que les chrétiens étaient insatiables ; que tous les jours il se produisait de nouvelles réclamations et de nouvelles accusations ; qu'enfin on en était arrivé au point où il était impossible de faire plus. Le gouvernement annamite de son côté, par l'organe du ministère, avance ou répond (ministère n° 21 du 20e jour, 8e mois) que, par les déclarations et les plaintes des chrétiens, plus de (partie abîmée) personnes ont été accusées ou mises en détention relativement à des dommages matériels fixés par les plaignants à 2 000 000 de ligatures et à 1 600 meurtres environ. Que sur plusieurs points ces plaintes sont confuses : qu'un même fait est souvent l'objet de deux ou trois plaintes présentées différemment. Que l'une est celle du fils qui réclame pour la mort de son père et que l'autre est dudit père réclamant au sujet de la mort du même fils ; que telle femme tuée est déclarée enceinte pour justifier la demande d'indemnité de deux morts ».

53. A.O.M. Aix, 12768 (1), 12772, 12775, 12776, 12778 (cf. Annexe 6), 12789, 12785 (cf. Annexe 7), 12786, 13130 (cf. Annexe 8), 12795 (2), 12797 (2), 13135 (cf. Annexe 9). 54. Explications demandées a.s. de l'affaire des chrétiens du Nghê-An et des plaintes de Mgr Croc, Huê le 4 mars 1878 (A.O.M. Aix, 12839 en mauvais état).

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D'autre part, le chargé d'affaires à Huê, Rheinart se plaignait de la lenteur de la Cour dans le règlement de cette question et avait même préconisé l'envoi d'une enquête mixte au Nghê-An, lieu des grands litiges. De son côté, Huê organisa une commission d'enquête pour éviter les abus et aussi l'immixtion des Français dans ce domaine relevant de la juridiction impériale. Le commissaire royal qui en était chargé mourut avant la fin du travail, et les missionnaires se plaignirent amèrement que son successeur mettait la plus notoire mauvaise volonté à poursuivre équitablement l'enquête. D'un côté comme de l'autre, l'insatisfaction régnait et les griefs étaient nombreux, aggravés encore par l'affaire des paiements en terre. En effet, lorsqu'il fut question de faire indemniser les chrétiens par les responsables des troubles, les non-catholiques, soit individuellement, soit par villages entiers, s'enfuirent de leurs terres pour ne pas être touchés par cette mesure 56 : « ... Quand le gouvernement annamite, poussé par les réclamations des évêques et poussé par les instances de la France a voulu faire indemniser les chrétiens par les villages payens des coupables, ces derniers se sont dispersés plutôt que de rien payer et des villages entiers sont devenus déserts. Les non-chrétiens étaient tous ligués entre eux pour se soutenir, se cacher et pour ne supporter aucune contrainte à restitution ou indemnité ». Les chrétiens demandèrent, à titre d'indemnité, les terres ainsi momentanément abandonnées. 57 Le premier commissaire royal, conciliant, leur avait accordé satisfaction. Mais le gouvernement viêtnamien en 55. Rheinart (Pierre-Paul) 1840-1902. Chargé d'affaires, il succéda à Philastre au Nord Viêt-Nam comme représentant de la France après l'affaire Garnier. Par la suite, en poste à Huê, il démissionna à cause des « insultes constantes de la population ». Il garda perpétuellement, face aux Viêtnamiens, une attitude distante et soupçonneuse. Il fit en tout quatre séjours au Viêt-Nam : de juillet 1875 à janvier 1877, puis de juillet 1879 à octobre 1880. Le troisième séjour se situa d'août 1881 à avril 1883. Rheinart, alors que la France décidait d'agir au Nord, demanda à Tu-Duc de désarmer la citadelle de Hà-Nôi. Puis, à la mort de Rivière, il quitta Huê après rupture des relations avec la Cour. Par la suite il fut résident général de septembre 1888 à juin 1889. 56. Philastre au gouverneur général de la Cochinchine, Huê le 7 mars 1877 (A.O.M. Aix, 10451). 57. Ibid. (cf. Annexe 10). Philastre au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Huê le 4 mars 1878 (A.O.M. Aix, 12839 ; cf. Annexe 11).

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conçut du mécontentement : si on évitait ainsi les réclamations des chrétiens, on allait s'attirer par la suite l'animosité des non-catholiques. Et surtout, pareil règlement ne pouvait que renforcer la rancœur et la haine des deux partis 58 : « ... En Nghê-An, il était déjà difficile de faire vivre en paix les chrétiens et les non-chrétiens ; aujourd'hui, j'estime que pour indemniser les premiers on a dépouillé les derniers d'une partie des terres qu'ils cultivaient... ». Cette prévision se justifie pleinement dans le Nghê-An, là où les massacres avaient débuté et avaient été les plus violents. Les moissons furent le signal des disputes, ou plutôt des batailles, pour savoir à qui revenait en réalité le riz cultivé par des chrétiens sur des terres appartenant à des non-chrétiens : les premiers le revendiquaient en paiement du travail fait et des indemnités qu'on leur devait, les seconds par droit de propriété. Ou bien c'était le contraire, les chrétiens réclamaient le riz cultivé par les autres à simple titre de dédommagement. 59 Mais si la question religieuse, déjà compliquée de politique et de nationalisme, s'alourdissait de surcroît de problèmes agraires, cela tient aux conditions de la région où les troubles firent le plus de ravages. Les plus enragés aussi bien contre la domination française que contre les chrétiens se recrutaient essentiellement dans les provinces septentrionales du Centre Viêt-Nam, particulièrement le Hà-Tinh et le Nghê-An, qui ont gardé jusqu'à présent leur réputation de révolutionnaires. Ces provinces farouchement nationalistes étaient pauvres. La région est calcaire, la montagne jouxte la mer et l'espace vital se trouve de ce fait fort réduit. Il ne s'agit plus ici des larges plaines alluviales du delta du Mékong, saturées par les 1 500-2 000 mm de pluies annuelles. Etait-il donc étonnant que la crise religieuse débouchât alors sur le problème agraire ? 6 0 « Dans la province de Nghê-An la population est très dense relativement à la superficie des terres cultivables : le riz s'y vend tou58. Consul de France à Hai-Phong au gouverneur général de la Cochinchine, Hai-Phong le 6 février 1877 (A.O.M. Aix, 13150). 59. Lettre du père Blanchard à Mgr Gauthier, Thuân-Ngai le 18 décembre 1876 (A.O.M. Aix, 10443 (4)). 60. Lettre du consul de France à Hai-Phong au gouverneur général de la Cochinchine, Hai-Phong le 4 janvier 1877 (A.O.M. Aix, 10443 (8)).

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La politique annexionniste de la France jours cher : les champs susceptibles de produire cette denrée indispensable ont tous depuis longtemps été mis en culture. Tout petit propriétaire qui vient de perdre la parcelle que lui avaient transmise ses aïeux, est non seulement réduit à la misère absolue, mais presque mis dans l'impossibilité de vivre par un autre travail. Il en est de même des villages qui viennent à être dépouillés de la jouissance des terres công-diên. D'un côté les espaces à défricher font défaut ; et de l'autre, toutes les places sont prises dans les petits industries et le commerce local que le régime sous lequel vit le pays empêche d'ailleurs de se développer ».

Mais les difficultés qui mettaient aux prises le gouvernement de Tu-Duc et les autorités françaises représentant les missions avaient engendré un langage de sourd. Chaque parti exposait ses griefs et ses ressentiments et demeurait sur ses positions, et la situation ne pouvait évoluer raisonnablement. Mais les missionnaires comprenaient-ils que ces sordides histoires d'intérêts matériels âprement revendiqués ne faisaient qu'envenimer la haine ressentie à l'encontre des chrétiens ? A l'accusation de traîtres, les chrétiens ne risquaient-ils pas de voir s'ajouter celle de profiteurs sans vergogne ne cherchant qu'une occasion pour s'enrichir aux dépens des autres ? Les autorités françaises elles-mêmes semblaient à la fin plus ou moins débordées par les événements, et pour terminer un de ses rapports (7 mars 1877), Philastre ne pouvait que constater : « Il y a désormais dans tout ce pays autant de haine contre les chrétiens, que le fanatisme musulman aurait pu en produire dans une autre région ». L'autre pierre d'achoppement fut la question des examens. Lorsque la Cour était mise en demeure de régler une affaire quelconque, opposant en général les chrétiens aux non-chrétiens, elle savait pertinemment qu'elle devait, contre son gré, la régler en faveur des premiers. Bousculée par l'administration française, elle connaissait d'avance la conclusion de tous les problèmes. Tout ce qu'elle trouvait comme remède était la lenteur, lenteur voulue, calculée, qui lui permettait de retarder l'échéance parfois de plusieurs années. 61 « Ce que les Annamites veulent constamment, c'est gagner du temps. Ils ont signé le traité parce que le Tonkin leur échappait, 61. Rheinart au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, le 23 octobre 1875 (A.O.M. Aix, 12775).

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et que l'exécution du traité n'était pas immédiate. Ils ont reculé autant qu'ils ont pu, l'envoi d'un chargé d'Affaires qui devait veiller à l'exécution du traité ; ils ont entrepris pendant longtemps, de discuter avant d'exécuter : ils ont ainsi gagné six mois... ». C'est ainsi que Huê procéda pour les examens. Depuis le règne de Tu-Duc, les chrétiens n'avaient plus le droit de se présenter aux examens littéraires triennaux qui décernaient les divers grades du mandarinat. La Cour ne voulait pas de mandarins chrétiens car, en dehors de leurs fonctions administratives, ceux-ci se devaient de participer aux cérémonies et fêtes religieuses du royaume. Mais le catholicisme interdisait toute participation aux manifestations païennes, et la Cour refusait d'octroyer le grade de mandarins à des sujets qui ne se seraient pas pliés aux coutumes socio-religieuses du pays. Or, selon le traité de 1874, article 9, l'empereur devait abolir cet ancien édit et le remplacer par un nouveau qui, effaçant la première mesure, autoriserait désormais les chrétiens à concourir comme n'importe quel citoyen viêtnamien. Mais cette clause n'était pas du goût de la cour de Huê qui, pour bien montrer son désaccord, traîna en longueur son application. « J'ai également écrit pour réclamer l'exécution de l'article 9 du traité de paix, concernant l'édit à publier au sujet des chrétiens... 6Î. Dans une de nos conférences, vous m'avez parlé de la nécessité de publier dans tous les villages l'édit royal relatif à l'article 9 du traité. Précédemment nous nous étions déjà conformés aux stipulations du traité et des copies de cet édit avaient été envoyées. De plus le ministre des Rites écrivit dans toutes les provinces pour leur donner l'ordre de faire parvenir des copies dans tous les villages de leur territoire afin que les populations puissent en prendre connaissance. Ayant reçu votre dernière lettre, je me suis adressé de nouveau à Sa Majesté qui a enjoint au ministre des Rites de donner de nouveau l'ordre à toutes les provinces de se conformer aux instructions antérieures du roi... ». 68 62. Rheinart au gouverneur général de la Cochinchine, Huê le 4 septembre 1875 (A.O.M. Aix, 12768). 63. Rheinart au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Huê le 25 décembre 1875 (A.O.M. Aix, 12778).

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Les missionnaires et les autorités françaises en conçurent du mécontentement : ils y voyaient en même temps le non-respect du traité et une injure envers le catholicisme. Aussi, plaintes et rapports relatifs à cette affaire furent-ils nombreux. Le chargé d'affaires Rheinart, notamment, se plaignait de ce que la Cour, pour tourner les difficultés et la répugnance qu'elle avait à s'exécuter, avait fait paraître un édit sans fond 6 4 : « ... Mgr Sohier m'a communiqué l'édit royal publié, soi-disant en exécution de l'article 9. Cet édit m'a paru être plutôt conforme à l'article 22, c'est-à-dire qu'il fait connaître qu'il existe un traité, mais il n'y est nullement question du 2 e paragraphe de l'article 9 ; on a seulement dit que les chrétiens pouvaient prendre part aux concours. Cet édit n'a pas été publié dans les conditions réglées par le traité. Pour s'en tenir rigoureusement aux termes du traité, et je pense que c'est ce que nous devrions faire, l'édit royal modifié, pour mieux répondre à l'esprit de l'article 9, devrait être affiché dans toutes les maisons communes des villages par les soins du gouvernement... Au lieu de cela, le gouvernement annamite s'est contenté d'envoyer cet édit incomplet dans tous les phu et les huyên, avec ordre aux villages d'en venir prendre copie. Ce mode de faire entraîne les villages dans des frais assez considérables : il faut louer un lettré, le conduire au chef-lieu, l'y entretenir ainsi que les hommes qui l'y auront conduit, et de plus il faut faire des cadeaux au huyên et à tous ses employés. La dépense peut être assez considérable, et elle le sera sûrement pour les villages chrétiens... ». 65

64. Rheinart au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Huê le 10 septembre 1875 (A.O.M. Aix, 12768 (2)). Rheinart au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Huê le 11 septembre 1875 (A.O.M. Aix, 12769). Rapport du consul de France à Hà-Nôi au contre-amiral gouverneur, Hà-Nôi le 13 septembre 1875 : a. s. de l'application de l'article 9 concernant l'accès des chrétiens aux concours littéraires (A.O.M. Aix, 12983). Le chargé d'affaires au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Huê le 2 octobre 1875 : demande d'explication de l'édit royal concernant l'admission des chrétiens aux concours : A.O.M. Aix, 12772 (cf. Annexe 12) ; A.O.M. Aix, 12775 (cf. Annexe 13) ; A.O.M. Aix, 12900 (cf. Annexe 14) ; A.O.M. Aix, 12784 (cf. Annexe 15) ; A.O.M. Aix, 12785 et 12789. 65. A.O.M. Aix, 12774 (cf. Annexe 16). A.O.M. Aix, 12776 (9) (cf. Annexe

17).

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En dépit de ses instances, Rheinart se heurtait à des tergiversations sans résultats. Mais la raideur de ton et les menaces qu'il proférait à chacune de ses remontrances n'étaient pas de nature à favoriser une conclusion rapide. Lui-même savait combien cette clause était pénible à exécuter : avec toutes les concessions que la Cour avait déjà dû accorder aux chrétiens, celle-ci serait la dernière et signifierait la réhabilitation de ces citoyens de seconde zone. Ils avaient les mêmes droits que le « bon peuple », alors qu'ils se refusaient à assumer les mêmes devoirs religieux et civiques. D'autre part, c'était encourager ceux qui, soit par conviction profonde, soit par intérêt, désiraient se faire chrétiens. Mais surtout, il fallait que Tu-Duc prenne sur lui de défaire et de renier ce que ses ancêtres avaient promulgué contre la religion chrétienne. « ... Ma conviction est que le roi regarde comme impossible la publication de l'édit que nous réclamons, et surtout son exécution. Pourra-t-il se résoudre à condamner un article du Thâp-Diêu rédigé par son grand-père ? N'y verra-t-il pas, outre une humiliation, un acte d'impiété filiale ? Après avoir prescrit la religion, pourrait-il reconnaître publiquement qu'il la tolère ? Si, cédant devant mes instances, il publie l'édit, un contre-édit ne suivra-t-il pas pour le disculper ? Des ordres ne seront-ils pas donnés en sous-main pour empêcher les effets de l'édit ?... ». 66 Et s'il le faisait, c'était par suite des pressions d'une nation conquérante qui s'était emparée du royaume et qui dictait sa loi. Tu-Duc possédaitil encore le Thiên-Mang indispensable à tout souverain de civilisation chinoise ? Finalement obligé de se soumettre Huê le fit d'une manière incomplète et inventa un stratagème destiné à entraver le succès des chrétiens qui se présenteraient aux concours : il fut décidé que les candidats indiqueraient leur religion.68 « Le gouvernement songe déjà à prendre des précautions pour les concours où se présenteront les chrétiens, ne voulant pas établir un nouveau modèle de cahiers d'examens. Sur les anciens cahiers, les candidats portaient leur nom, l'endroit où ils avaient 66. A.O.M. Aix, 12775. 67. A.O.M. Aix, 12776 (cf. Annexe 18). 68. Rheinart au contre-amiral gouverneur 30 octobre 1875 (A.O.M. Aix, 12776). 10

de

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Cochinchine,

Huê

le

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La politique annexionniste de la France étudié, les noms et titres du professeur, les noms et professions de leur aïeul, de leur grand-père, de leur père. On devait noter si parmi ces derniers quelques-uns avaient été fonctionnaires ou s'étaient rendus coupables de quelques crimes. Le ministre voulut me soutenir que l'on indiquait la religion du candidat ; je soutins que non ; et j'étais certain de mon fait, car au Tonkin, j'ai eu entre les mains une collection de ces cahiers pris dans la citadelle de Hai-Duong. L e ministre offrit de prouver son dire en me montrant des cahiers pris au ministère des Rites, ce que je jugeai inutile, sachant le ministre et ses collègues gens à avoir ajouté sur les cahiers, qu'ils ont aux Archives, la religion des candidats et il est facile d'obtenir qu'il n'y ait nulle différence entre l'écriture primitive et les (illisible). J e me contentais d'assurer que j'étais absolument sûr que l'on ne s'inquiétait pas de la religion des candidats, et que nous nous opposerions à l'application d'une mesure nouvelle prise dans le but évident de pouvoir priver les chrétiens du droit d'être reçus aux examens ».

Cette nouveauté ne pouvait que sauter aux yeux des administrateurs français. Avant l'implantation du catholicisme — et le système des examens viêtnamiens existait bien antérieurement — le Viêt-Nam, en dehors des populations montagnardes des Hauts-Plateaux, ne connaissait qu'une seule et même religion, c'est-à-dire le bouddhisme fortement viêtnamisé, et davantage encore, le système philosophique, moral et social qu'était le confucianisme. N'ayant pas encore à résoudre de problèmes religieux, il était évident que les candidats n'étaient nullement invités à mentionner leur religion. Du côté français comme du côté viêtnamien, il y avait entêtement et volonté d'incompréhension. Les Français s'en tenaient strictement à la lettre des traités et en voulaient la plus fidèle application. Or cette dernière condition signifiait, de la part de la Cour, soumission complète aux exigences françaises. Aussi, délaissant les clauses du traité qui bousculaient trop violemment les rites et les usages, Huê s'acharnait-il à ne rien céder qui eût aboli les traditions ancestrales au profit d'une fraction du peuple considérée par le reste de la nation comme « idiote » et traître. Mais la diplomatie n'était pas de mise dans les rapports franco-viêtnamiens de l'époque. Rheinart proposait de « parler en maîtres, commander », de traiter les Viêtnamiens en « mineurs », ce qui aurait été « dans leur intérêt comme dans le nôtre ». Les uns agis-

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saient en maîtres, les autres refusaient de courber la tête. Etait-il alors possible de s'entendre sur un point quelconque ? Les missionnaires évidemment renseignés sur l'état d'esprit des dirigeants viêtnamiens avaient très tôt mis en garde l'adminsitration française. Ils avaient rapidement compris que la domination française n'allait pas être acceptée de si bon cœur, et que même le protectorat dont Mgr Puginier avait fait l'éloge dans ses Notes sur le Tonkin — protectorat qui « a l'immense avantage, sans choquer les populations, de les habituer peu à peu aux relations avec les Européens et par une transition lente et douce, de les préparer merveilleusement à devenir Français de cœur et d'habitude » — serait violemment refusé et combattu par les éléments nationalistes viêtnamiens. En effet, dès la fin de l'année 1883, après la signature du traité, le régent Thuyêt organisait dans les montagnes du Nord le camp fortifié de Tân-So à Câm-Lô. Les deux régents Tuong et Thuyêt avaient établi un projet gouvernemental en deux points, le premier traitant du transfert de la Cour en un endroit inattaquable, et « le second point du programme gouvernemental concernait les missionnaires et leurs chrétiens. On redoutait leur connivence avec les Français. Aussi décida-t-on d'éliminer cet élément dangereux par un massacre général, si possible. Un message secret avertissait les personnages choisis pour exercer cette besogne, et le mot d'ordre lancé, l'opération s'effectuerait simultanément dans toutes les provinces... ». 09 Dans la nuit du 4 au 5 juillet 1885, Thuyêt lança l'ordre de révolte contre les troupes françaises du général de Courcy décidé à annexer complètement le pays. 70 En même temps, le régent lançait un mot d'ordre contre les catholiques désignés pour l'extermination : « Si les Français ont pu venir jusqu'ici, s'ils ont pu connaître nos routes, nos fleuves, nos montagnes, tout ce qui se passe dans notre royaume, c'est uniquement grâce aux chrétiens et à leurs prêtres... ... C'est pourquoi tout le monde doit se mettre à l'œuvre et 69. A. Delvaux, « La prise de Huê par les Français, 5 juillet 1885 ». Bulletin des Amis du Vieux-Huê, T année, n° 2, avril-juin 1920. 70. Décision du 11 juin 1885 du général de Courcy, commandant en chef du Corps du Tonkin et résident général en Annam et au Tonkin : l'état de siège est remplacé par l'état de guerre (A.O.M. Paris, A 30 (73), carton 18, juindécembre 1873).

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La politique annexionniste de la France achever l'extermination des chrétiens. Si ce but est atteint, les Français seront réduits à l'immobilité complète, de même qu'un crabe à qui l'on a cassé toute les pattes ne peut plus bouger ».

Un appel chargé tout en même temps de promesses et de menaces avait été lancé aux catholiques, les incitant à abandonner le parti des Français : « Traduction d'une proclamation de Sâm, précepteur des enfants royaux, grand dignitaire, ministre de la Guerre, tông-dôc des provinces du Yunnan et de Qui-Châu. Aux catholiques, Ne vous faites pas tuer à la place des Français ; venez vite faire vos soumissions ; retournez vos armes contre l'ennemi. Si vous tuez les chefs de ces féroces soldats, vous aurez des récompenses en or et en argent ; vous recevrez aussi des récompenses proportionnées à vos actes, et vous acquerrez une grande renommée. Les catholiques comme les autres recevront sans distinction aucune, nos bienfaits. S'il y en a qui osent nous résister, nous enverrons une armée pour les exterminer tous. Hà-Nôi, le 26 février 1884. L'interprète principal, Robert ». 71 Les notes écrites par Mgr Puginier relatives à l'insurrection de 1885 reflètent parfaitement l'état d'esprit de la Cour, des lettrés et des mandarins vis-à-vis des chrétiens. Et la haine qu'il décrit n'est plus attribuée à la religion. Ce stade était dépassé depuis longtemps et remplacé par des causes politiques et nationalistes. 72 Les massacres, comme lors des traités de 1862, 1874, allèrent bon train. 73 « Pour Paris de Saigon. 8 août 1885. Gouverneur à Marine. Paris. Missionnaires arrivés de Quinhone annoncent cinq missionnaires et dix mille chrétiens massacrés ». 71. Le gouverneur de la Cochinchine au ministre de la Marine et des Colonies, Saigon le 16 avril 1884 (avec pièce en chinois) (A.O.M. Paris, A 30 (60), carton 17). 72. A.O.M. Paris, A 30 (73), carton 18. A.O.M. Paris, A 30 (60), carton 17. Notes de Mgr Puginier du 13 septembre 1886 (A.O.M. Aix, 11782 : cf. Annexe 19). 73. A.O.M. Paris, A 30 (60), cartons 17 et 18.

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« Pour Paris de Saigon, 8 août 1885. Delpech 128 Bac. Paris. Poirier, Guégan, Garni, Macé, Martin ; plus de dix mille chrétiens massacrés. Assassinats et incendies continuent. Vicariat menacé. Van Camelbeke ». « Pour Paris de Lyon. 24 septembre (1885). Gaulois, Paris. Missions catholiques publient dépêche suivante datée de Saigon 21 septembre : Barrat Dupont missionnaires massacrés. Nombre de chrétiens massacrés jusqu'à ce jour vingt-quatre mille. Signé : Delpech. Cette douloureuse dépêche ajoute missions confirment au-delà prévisions vicaire apostolique annonçant dans un premier télégramme dix mille victimes. Leclerc ». « 19 octobre 1885. Gouverneur à Marine — Paris. Dépêche déposée Saigon 7 heures 35 matin par évêque Cochinchine qui me donne renseignements suivants : On annonce de Qui-Nhon que P. Châtelet et trois prêtres indigènes massacrés 26 août et de Huê que dans province Quang-Tri sept prêtres indigènes et 7 000 chrétiens tués depuis un mois ». Dans ces événements, la responsabilité de la Cour et des mandarins était évidente, aussi bien aux yeux des missionnaires que de l'administration française. L'aristocratie viêtnamienne semblait à ce point hostile à la France que Mgr Puginier prônait à son égard des solutions radicales : « ... comme sans cesse, il revenait sur la question des lettrés pour lesquels il paraissait avoir très peu de sympathie, je me crus autorisé à lui demander de quelle façon il pensait que la France les devrait traiter. Sa réponse fut nette et brève : ' H faut les supprimer, dit-il, en accompagnant ces mots d'un geste qui ajoutait encore à leur tranchante précision ' ». " Cette aristocratie représentait en effet l'élément patriotique de la nation et, dans un pays où les études et le haut niveau d'instruction servaient 74. J.-L. de Lanessan, Les Missions et leur protectorat, Paris, 1907, p. 39.

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dé lettre de noblesse, les lettrés confucéens, respectés et écoutés, avaient cristallisé autour d'eux la résistance populaire. « C'est précisément parce que les lettrés sont influents, ont une grande autorité, sont respectés quand ils ont atteint le mandarinat, qu'il est indispensable de les supprimer. Tant que les lettrés subsisteront, nous avons tout à craindre, car ils sont trop patriotes pour accepter notre domination. Du reste, jamais aucun d'eux ne se fait chrétien... ». 7 5 En se vengeant des empiétements français sur les chrétiens, les lettrés estimaient faire acte de justice, car ils punissaient ainsi des traîtres. Ceci ressort nettement lorsqu'on se réfère à la situation des missions espagnoles durant ces temps troublés. E n effet, dès que Garnier s'empara de la citadelle de Hà-Nôi, il reçut une lettre de protestation du missionnaire dominicain Riano, lui reprochant son acte en termes véhéments. Les missions espagnoles qui demeurèrent à l'écart des événements politiques — leur pays n'était pas concerné ; il s'agissait pour elles d'une puissance étrangère, et à cause de cela même, elles n'avaient aucune raison de prendre part à la vie politique — eurent, d'une manière générale, beaucoup moins à pâtir que les communautés chrétiennes dirigées par les pères français. Et les rapports de l'administration coloniale s'accordent pour reconnaître que les dominicains espagnols présentaient la situation « sous un jour un peu moins alarmant que ne le faisaient les missionnaires français ». « E n somme des entretiens sur divers sujets que j'ai eus avec le vicaire apostolique du Tông-King oriental, il est résulté pour moi l'impression que Mgr Colomer est un homme modéré, loyal et sage. Plus modéré et plus sage que bon nombre de ses confrères des Missions-Etrangères. Il me paraît certain que quelle que soit la position que les événements politiques nous forcent à prendre dans ce pays, nous n'avons pas à nous plaindre de l'attitude des missionnaires espagnols. Jusqu'à plus ample information, je les tiens pour susceptibles de ne pas trop mêler le temporel et le spirituel et de toujours rendre à César ce qui appartient à César. J e veux bien admettre que cette attitude réservée doive en partie être attribuée à des sentiments patriotiques, que d'ailleurs nous ne saurions blâmer ; mais quelle qu'en soit la cause, le résultat nous 75.

Ibid.

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sera toujours plus favorable que celui que pourraient produire des prétentions exagérées et une tendance plus marquée à confondre les intérêts des deux ordres, spirituel et temporel ». 76 « Il est très regrettable que les chrétiens forment une sorte de parti politique et lorsqu'ils se sentent appuyés, ils ne ménagent pas plus les lettrés que ceux-ci ne les ménagent ensuite. Les persécutions ne sont souvent que des représailles. Il ne se passe rien de semblable dans les missions espagnoles où l'on politique moins... ». 77 « La persécution qui a suivi notre abandon du Tonkin n'a pas sévi dans les vicariats apostoliques confiés aux dominicains espagnols. Les missionnaires ont conservé leur liberté relative et ont été l'objet de témoignages de bienveillance. L'évêque, Mgr Colomer a reçu de Tu-Duc des dons de terrains pour construction d'églises et des médailles d'or et d'argent, pour le récompenser du concours heureux qu'il a apporté au maintien de l'ordre dans les provinces à l'est du Sông-Coi ». 78

76. Rapport de M. Turc, consul de France à Hai-Phong, 1er avril 1876 (A.O.M. Aix, 13140). 77. Rheinart au contre-amiral Dupré, Hà-Nôi le 29 mars 1874 (A.O.M. Aix, 13505). 78. A.O.M. Paris, A 90 (4), carton 28 bis : sans date, sans signature ; province à l'est du Sông-Coi.

CHAPITRE V

Autorités civiles et autorités religieuses

LA POLITIQUE DE LA COUR DE

HUÊ

Mais dans l'attitude de la Cour au moment des troubles, faut-il voir seulement de la complaisance, des encouragements ? Ou alors, comme le notait Philastre, qui avait la chance de connaître particulièrement bien la langue et le milieu vietnamiens, une crainte justifiée et qui requérait de la part du souverain et de ses principaux dignitaires, beaucoup de diplomatie et de prudence 1 : « Pendant que LL.EE. les gouverneurs de Ninh-Binh et de NamDinh vous écrivent laconiquement que tout est tranquille dans leurs territoires, je sais pertinemment que des villages chrétiens sont journellement brûlés et détruits. Qui donc trompe et qui espère-t-on tromper ? Ces gouverneurs ne devraient pas confondre leur citadelle avec leur province. Ils adressent, il est vrai, verbalement ou par écrit de molles abjurations aux lettrés, ils flattent ceux-ci par des appellations flatteuses, leurs menaces ne sont pas suivies d'effet. Pourquoi en est-il ainsi, est-ce par crainte de ces lettrés ? Ce serait une supposition blessante pour le gouvernement et je ne puis l'admettre... ». La situation de l'empereur ne semblait pas toujours facile et plaisante. La dynastie se sentait coupable de la décadence dans laquelle sombrait le pays, elle était incapable de résister à la poussée française. Pouvait1. Philastre au second ambassadeur Nguyên Van Tuong, 20 janvier 1874 (A.O.M. Aix, 11689 (46)). Copie incomplète d'une proclamation du 19 janvier 1874 (A.O.M. Aix, 11689 (40) : cf. Annexe 20).

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elle alors imposer à ses propres nationaux, exaspérés par la perte lente mais certaine de leur indépendance, de se montrer obéissants et respectueux des conventions et décrets d'amnistie ? 2 « ... Dans les ménagements qu'ont gardé jusqu'ici les fonctionnaires annamites envers les lettrés, il ne faudrait pas croire qu'il n'y ait que sympathie née d'une communauté d'études ; il y a surtout la crainte du parti national tonquinois... Nous avons beaucoup à craindre. L e danger le plus réel et le plus proche est une insurrection générale fomentée par les lettrés contre le gouvernement... » . s « ... Les autorités annamites sont-elles impuissantes ou plutôt ne prêtent-elles pas un concours occulte à de pareilles horreurs ? Monseigneur Croc le croit et pourtant les édits du roi sont certains et montrent la volonté de faire cesser ces malheurs... » . 4 Les lettrés et les mandarins formaient à eux seuls un parti trop influent et trop populaire pour que le souverain s'aventurât à les empêcher de manifester leur mécontentement. Tu-Duc avait déjà contre lui les révoltes dynastiques du Nord et ne voulait pas y ajouter la colère et le mépris du peuple qui jusque-là lui était resté fidèle. Trône bien fragile, et dont la fragilité était encore accentuée par le manque d'héritiers mâles directs. 5 2. Révolte dans le Tonquin méridional en 1874 (A.O.M. Paris, A 90 (4), carton 28 bis : cf. Annexe 21). Le consul de France à Hai-Phong : note destinée à aider M. Pephan pour les renseignements à fournir au gouverneur et commandant en chef, Hai-Phong le 29 février 1876 (A.O.M. Aix, 13128). 3. Philastre au contre-amiral Dupré, le 23 janvier 1874 (A.O.M. Aix, 11689 (44)). 4. Le commandant du Montcalm au gouverneur général, Hông-Kông le 23 avril 1874 (A.O.M. Aix, 10827 (3)). Le vicaire apostolique de la mission espagnole de Ke-Môt au commandant Dujardin, Ke-Môt le 30 juillet 1876 (A.O.M. Aix, 11649 (14)). L'évêque de Mauricastre au père Landais, Ke-So le 19 août 1882 (A.O.M. Aix, 13259) : « ... D'autres voient là un plan arrêté qui consisterait à s'emparer au profit de la Chine des provinces septentrionales du Tông-King à partir de Son-Tây et de Bac-Ninh en remontant afin de dominer tout le pays traversé par le fleuve Rouge, par la rivière Claire et la rivière Noire, et d'empêcher ainsi les Européens de communiquer avec Lao-Kay. Ceux-là disent que si la Chine ne s'emparait pas de ces provinces, elle remplacerait du moins le roi actuel par un autre souverain qui subirait encore plus son influence contre les prétentions de la France... ». 5. A. s. des prétendants à la succession de Tu-Duc, le 6 février 1881 (A.O.M. Aix, 12922).

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Et c'est justement parce que les lettrés jouissaient d'une réelle assise populaire et représentaient la force nationale avec laquelle il fallait temporiser, que des personnalités comme Paul Bert avaient jugé utile de les attirer dans leur camp et de s'en faire des alliés plutôt que des ennemis. 6 Mais les missionnaires étaient irréductibles dans leurs conceptions politiques — puisqu'il s'agit avant tout de politique, la religion ne servant plus que comme moyen — pour imaginer une compromission quelconque avec les lettrés. C'est ce qui va contribuer à tendre davantage, et d'année en année, les rapports entre les deux communautés, pour finalement éclater en 1885 par ce que l'on appela la « Révolte des lettrés ». En effet, si l'administration française conservait encore quelques doutes quant à la complicité de la Cour dans les malheurs des chrétiens, ces doutes plausibles en 1862 et 1874, furent balayés après la signature du traité de protectorat de 1883. Mais Tu-Duc était mort un mois avant la signature, en juillet 1883. Sans doute tenta-t-il, mais vainement, malgré sa colère impuissante, ses injures, ses édits méprisants pour les Français et les chrétiens et toutes les entraves qu'il pouvait inventer pour retarder l'exécution du traité, de modérer la fureur des lettrés. Aussi, Tu-Duc mort, la faction anti-française de la Cour se déclara ouvertement hostile. Les nouveaux souverains n'étaient plus que des jouets, des prête-noms, entre les mains des régents qui ne sentaient plus d'entraves : malgré tout, ils avaient obéi à Tu-Duc et l'avaient respecté. Tu-Duc disparu, ils ne s'estimaient nullement liés à de jeunes souverains choisis pour la plupart par les Français. Le régent Tôn-Thât Thuyêt fut l'âme de la résistance. Il entraîna ls jeune Hàm-Nghi à Câm-Lô pour continuer la lutte nationale, tandis qu'à Huê les Français proclamaient son frère Dông-Khanh empereur. Cette révolte continuait la lutte populaire des années précédentes, mais généralisée cette fois à tout le pays. Tous les éléments hostiles à la France se liguèrent contre elle et contre les chrétiens pro-français. Cependant, en dépit de son caractère populaire, la révolte devait échouer. Les causes de cet échec sont multiples. Tu-Duc ne vit que des malheurs s'abattre sur son pays : souverain malchanceux, il dut se résigner à signer deux traités qui amputaient fortement sa souveraineté. Il ne sut pas éviter l'aliénation de son pays, 6. Proclamation de Paul Bert adressée aux populations tonkinoises, 8 avril 1886 (J. Chailley, Paul Bert au Tonkin, Paris, 1887, p. 320-321).

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mais il n'eut pas le temps de voir la déchéance totale du royaume en 1883. Et pourtant, avec un peu de clairvoyance et beaucoup de courage, il lui aurait été facile de prévoir l'issue de sa politique. Il fut en effet incapable d'imaginer une politique adaptée aux circontances. Il en revint donc aux méthodes de Minh-Mang et de Thiêu-Tri, c'est-àdire refus de tout contact avec les Européens et évidemment persécutions des chrétiens, qui devinrent de la sorte les boucs émissaires tout trouvés, au travers desquels on cherchait à atteindre la France. Enfermé dans son palais de Huê, vivant comme avaient vécu ses ancêtres, TuDuc était totalement retranché de l'évolution qui se produisait alors dans cette partie du monde. Voyant, entendant et comprenant par les yeux, les oreilles et le raisonnement de la Cour, il sentait confusément le besoin d'entreprendre des réformes, mais il n'osa pas en assumer la lourde responsabilité. Car ces réformes auraient dû viser avant tout le domaine sacro-saint des études et du système des examens. Or études et examens étaient la base même de l'organisation sociale et administrative du royaume, puisque les candidats heureux, les lettrés, fournissaient par la suite les différents cadres du pays. C'était donc entreprendre une réforme en profondeur, à incidences graves, que de vouloir changer le système des examens. « Minh-Mang... déplorait l'erreur des études qui ne s'assignent pour but qu'une situation de fonctionnaire. Depuis longtemps, disait-il à son entourage, le système des concours a faussé l'enseignement. On ne fait cas dans les concours que de clichés désuets et de formules creuses, on ne cherche à briller que par la parade d'un vain savoir. Avec pareille méthode comment s'étonner que le talent se fasse de plus en plus rare ? Mais l'habitude en est prise et il est difficile de la changer d'emblée. A l'avènement de Tu-Duc, la pression occidentale augmentait chaque jour aux frontières. Mais, même la Cochinchine perdue, la cour de Huê se refusait à une modernisation des institutions politiques et de la vie économique. Dans la société agricole viêtnamienne, il n'existait pas, comme dans le Japon passé au stade de l'économie monétaire, une bourgeoisie naissante enrichie par le commerce pour pousser à l'ouverture du pays aux relations internationales. Le peuple n'avait aucune part aux affaires publiques et la classe dirigeante des lettrés, imbue de la supériorité des conceptions intellectuelles et morales traditionnelles sur le pro-

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grès technique, restait dans son ensemble hostile aux innovations ». 7 Il aurait fallu que le Viêt-Nam fasse un bond qui l'aurait projeté dans le domaine scientifique : traditionnelles et millénaires, les études, jusqu'en 1919, portaient uniquement sur des sujets littéraires, avec pour obligation la connaissance approfondie des classiques chinois. Aussi le saut dans le monde moderne, monde inconnu, faisait-il peur aux Vietnamiens, qui réagirent contre cette crainte par le mépris : ils n'avaient rien à apprendre des barbares occidentaux. Tu-Duc lança, dans un édit de 1867, après l'occupation de la Cochinchine par les Français, un appel inquiet aux forces vives de son peuple : « Parmi les soucis de l'administration, et au milieu des malheurs qui nous frappent, nous lisons, malgré notre incapacité, les livres des sages, mais nous ne savons pas les mettre en pratiqueLa grande affaire des pères de famille d'à présent, c'est de relever le royaume. Que les dix mille familles s'unissent dans une même volonté, c'est le vrai moyen d'assurer le succès... Ce qui est défectueux, mauvais, il faut le supprimer ; ce qui est avantageux, il faut le rechercher et l'obtenir. Les gens intelligents doivent offrir leurs conseils, ceux qui sont forts doivent offrir leur force, les riches doivent offrir le secours de leurs richesses et ceux qui ont une habileté spéciale, un métier, qui ont fait une découverte utile, doivent s'en servir pour les besoins de l'armée et du royaume... Tous, de leur propre mouvement, doivent se présenter pour essayer de racheter et de réparer nos fautes... ». 8 Cet édit n'eut pas de suite puisque Tu-Duc lui-même refusa les projets de modernisation du pays que lui proposèrent certains de ses sujets : « ... les projets de réforme, comme ceux qu'élaborent par exemple le mandarin Nguyên Truong Tô ou un habitant de Ninh-Binh, Dinh van Diên, et qui proposent la réorganisation politique du pays, le défrichement des terres incultes, l'exploitation des mines, la construction des chemins de fer, sont rejetés par la Cour. De même, le sujet proposé en 1876 au concours triennal de Huê, la 7. Lê Thành Khôi, op. cit., p. 361 8. J. Chesneaux, op. cit., p. 120.

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modernisation a-t-elle été favorable au Japon ?, est traité dans un sens négatif par presque tous les candidats. Les dirigeants du ViêtNam refusent donc, même sous la menace de périls maintenant imminents, de remettre en question l'ancien régime lui-même » . 8 Que craignait ainsi la Cour, mais aussi et surtout la grande majorité des mandarins ? Moderniser le pays signifiait la refonte totale des mentalités, mais aussi des institutions. Et si beaucoup redoutaient de ne pas pouvoir adapter leur esprit aux conditions nouvelles, nombreux aussi étaient ceux qui craignaient la perte de leurs privilèges, de ce qui faisait leur force et leur honneur. Sans oublier que, pour les Viêtnamiens en général, il semblait impensable de renier la culture chinoise pour la remplacer par une autre, venue du monde occidental. Et c'est « leur orgueil aveugle aussi bien que l'étroitesse de leurs vues qui portent dans une large mesure la responsabilité de la chute du ViêtNam ». J 0 En 1847, Thiêu-Tri, pour se venger du bombardement des forts de Tourane par la marine française, fit faire des mannequins à l'effigie des soldats français et ordonna qu'on les criblât de balles. Tu-Duc appelait sa nation au secours dans un édit pathétique, mais refusait en même temps toute innovation. Sans recours devant les prétentions annexionnistes de la France, il usa de la politique des faibles, faite de mesquineries de toutes sortes. Par cette attitude toute négative, la Cour pensait être en mesure de faire reculer la France. Les chrétiens étaient molestés avec son approbation et sur ses ordres, et on les rendait intégralement responsables de la pénétration française. Il est certain que les troupes françaises trouvèrent un solide appui parmi les missionnaires et les chrétiens qui leur facilitèrent la tâche, mais il n'en reste pas moins vrai que la France, si elle se heurta à une résistance armée parfois farouche, ne trouva devant elle aucun obstacle d'une réelle ampleur la contraignant à reculer. Aussi les chrétiens ne furent que l'une des causes de la perte de l'indépendance nationale, cause première pour laquelle, soi-disant, les Français menèrent de front avec l'Espagne l'expédition qui aboutit en 1862. Par la suite, pour les Français, ils servirent de prétexte, et pour les Viêtnamiens, d'excuse. La Cour et les nationalistes rejetaient sur cette communauté qui avait le tort de se considérer comme différente et supérieure, leur incapacité de sauver le 9. Ibid., p. 125. 10. Lê Thành Khôi, op. cit., p. 365.

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pays d'un danger plus qu'évident, et dont on savait pertinemment qu'un voisin asiatique, le Japon du Meiji, avait tenté de se protéger — avec succès semblait-il à cette époque — en assimilant les techniques et les méthodes occidentales. Sentant un immense besoin de secours, le gouvernement de Huê va alors se tourner du côté de la Chine n , le protecteur séculaire, sans se rendre compte que l'empire du Milieu était le grand malade de l'Extrême-Orient, et que, lui-même, incapable de faire front aux puissances européennes, allait être méthodiquement dépecé à leur profit. En effet, la cour de Pékin s'opposa bien en paroles à ce que la France tramait sur les terres de son vassal théorique, mais elle ne put empêcher la signature du traité de protectorat de 1883. De son côté, par prestige, la France ne pouvait pas admettre d'être laissée pour compte et de se voir préférer la Chine. Mais tout cela masquait évidemment l'intérêt qu'elle avait à s'établir au Viêt-Nam, voisin immédiat de l'Empire céleste : « Nous avons dans le Tonquin le moyen de conquérir une situation exceptionnelle en Chine... ». Tu-Duc était-il cependant conscient de la faiblesse de son voisin ? On peut le supposer, car il tenta également des ouvertures, cette fois-ci du côté des nations occidentales. Il s'adressa à l'Espagne 12 : 11. Retour de l'ambassade à Huê. Gazette de Pékin du 20 mars 1878. Accompagné des Notes de M. Deveria, traducteur (A.O.M. Aix, 12892 (7) et (8) : c f . Annexe 22). Lettre du ministre des Affaires étrangères au ministre des Colonies, amiral Cloué, Paris le 25 mai 1881 ; lettre de M. Bouré, ministre de France à Pékin à M. Barthélémy-Saint-Hilaire, ministre des Affaires étrangères à Paris (cf. Annexe 23 ; A.O.M. Paris, B 11 (8), carton 31). Philastre au gouverneur général, Huê le 10 mai 1878 (A.O.M. Aix, 12852 (1) ; c f . Annexe 24). Extrait d'une lettre de M. Scherzer à M. Bouré, Canton le 5 juin 1879 (A.O.M. Paris, B 11 (3), carton 31 ; cf. Annexe 25). Rapport sur la situation politique et militaire du Tonkin, bruits d'intervention chinoise, ligne de conduite qui peut être suivie (A.O.M. Aix, 10985 ; c f . Annexe 26). Lettre de l'évêque de Mauricastre vicaire apostolique du Tông-King occidental au père Landais, Ke-So le 29 août 1882 (A.O.M. Aix, 13259). Au sujet de l'intervention que le roi d'Annam demande au roi de Chine (A.O.M. Aix, 12962 ; c f . Annexe 27). Au sujet d'une flottille chinoise devant partir pour le Tonkin (A.O.M. Paris, B 11 (8), carton 31, 1882). Extrait du journal chinois le Thuân Huôn Nhul Bao (A.O.M. Paris, A 30 (60), carton 17). Renseignements sur les affaires du Tonkin et l'état des relations avec la Chine, lettre de la délégation de la R.F. en Chine (confidentielle) au gouverneur de la Cochinchine et à ses collègues (A.O.M. Aix, 11383 ; c f . Annexe 28). 12. Mission de l'archevêque de Manille, rapport de police daté de Saigon le 15 mai 1883 (A.O.M. Aix, 11563).

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Autorités civiles et autorités religieuses « On rapporte que Sa Majesté Tu-Duc a chargé l'archevêque de Manille et deux évêques ou prêtres d'une mission en Espagne pour obtenir la protection de ce gouvernement. L'archevêque a pris passage à bord des Messageries maritimes et les deux autres ont pris passage à bord d'un courrier anglais. Le consul annamite de Saigon prétend que, certainement l'Espagne cherche quelque motif plus ou moins plausible d'agir contre le gouvernement français afin d'aider le gouvernement d'Annam. Il ajoute que l'archevêque ira ou enverra quelqu'un en Italie, puis à Rome pour exposer la situation des affaires des missions espagnoles du Tonkin et de l'Annam en entier. Ces messagers sont partis pour l'Europe il y a 15 ou 20 jours. L'Annam aurait bien voulu envoyer une ambassade en Espagne ; mais il craint que cette démarche ne soit connue de la France ; et c'est pour cela qu'il a confié cette mission aux prêtres espagnols ».

Mais, en dépit du traité de commerce signé entre les deux pays, il était évident que l'Espagne, dans l'état de faiblesse où elle se trouvait alors, ne pouvait rien faire pour aider la Cour. Huê se tourna aussi du côté de la Grande-Bretagne, ce qui indisposa fort la France, déjà peu encline à faciliter ses relations avec la Cour. D'autant plus que le gouvernement français avait toujours redouté de voir les Britanniques lui prendre cette position, et que le gouvernement de Huê, très maladroitement, n'avertit le chargé d'affaires français, qu'après avoir amorcé les discussions pour l'ouverture d'un consulat viêtnamien à Hông-Kông 13 : « Monsieur le ministre, Je me hâte de répondre à la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 20 de ce mois, lettre que j'ai reçue le 22 et qui traite d'une question extrêmement grave ; de nature, à mon avis, à modifier entièrement la nature de nos relations. Je suis surpris que Votre Excellence ne m'ait pas entretenu de cette affaire dans l'entrevue que nous avons eue le 21, puisque déjà la lettre qui m'était adressée était écrite. Votre Excellence me parle d'un projet d'établissement d'un consulat annamite sur un territoire étranger ; l'accomplissement d'un pareil projet serait la violation flagrante d'un des articles fonda13. Rheinart au ministre du Commerce et des Relations extérieures de Huê, Huê le 23 janvier 1876 (A.O.M. Aix, 12786 ; cf. Annexe 29).

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mentaux du traité d'alliance qui unit nos deux pays : de l'article 3. Votre Excellence termine sa lettre en disant qu'Elle a déjà écrit au gouvernement anglais pour traiter de cette affaire ; c'est pourquoi Elle m'en prévient également. Il me paraît tellement invraisemblable qu'une démarche de cette nature ait été faite, sans notre avis préalable ; il me paraît tellement peu admissible que nous en soyons simplement informés après coup, et en quelque sorte par une simple condescendance, que je veux croire jusqu'à nouvelle information de l'avis qui m'a été donné, qu'aucune démarche n'a encore été faite auprès d'un gouvernement étranger. Je ne pousserai donc pas plus loin l'examen de la lettre de Votre Excellence, et j'attendrai pour lui adresser une protestation contre une violation du traité d'alliance, une nouvelle lettre me faisant connaître l'état exact de la question qui a été soulevée ; j'en référerai alors, si besoin est, à mon gouvernement qui prendra les mesures nécessitées par les circonstances, et par une nouvelle situation... ». A une époque où le scramble de l'Afrique allait bientôt se déchaîner et durant laquelle les puissances occidentales s'observaient soigneusement en Afrique comme en Extrême-Orient, la France se montrait forcément jalouse de ses « droits historiques » et pointilleuse quant à l'observation des traités. Après avoir craint l'immixtion britannique, les Français se mirent à redouter les démarches faites par les négociants allemands auprès des Viêtnamiens. 14 Ce n'était d'ailleurs pas la première fois que les Allemands étaient sur la touche. 15 Aussi, la maladresse de la Cour ne pouvait que lui procurer davantage d'ennuis. L'idée d'annexer purement et simplement le Nord était dans l'air depuis la première affaire de 1874. 16 Elle devait faire son chemin, renforcée par la politique mesquine de Huê, et aboutir finalement, avec l'affaire Rivière, à la proclamation du protectorat français en août 1883. Fallait-il cela pour ouvrir les yeux des dirigeants viêtnamiens ? Et ceux qui à la Cour acceptèrent de traiter avec la France 14. Allemagne : extraits de presse relatifs au rôle de l'Allemagne en Cochinchine (A.O.M. Paris, B 51 (1), carton 38, 1870-1873). Relations entre l'Allemagne et les cours du Cambodge et de l'Annam (A.O.M. Paris, B 51 (2), carton 38, 1879-1880). G. Taboulet, La Geste française, t. II, p. 701. 15. L'impératrice Eugénie et la Cochinchine en 1870 (ibid., t. II, 577-581). 16. Rheinart au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Huê le 9 octobre 1875 (A.O.M. Aix, 12774 ; cf. Annexe 30).

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— Nguyên Trung Hiêp et Nguyên Huu Dô — le faisaient-ils pour amener le pays dans la voie de la modernisation et le rendre apte à s'opposer sérieusement aux ambitions françaises ? Mais il était un peu tard après cette mainmise complète, et la Cour elle-même, après la mort de Tu-Duc, au lieu de maintenir sa cohésion et d'opposer un front uni, était divisée par des intérêts autant personnels que nationalistes : les deux régents Tuong et Thuyêt, partisans de la résistance et rivaux de Hiêp et Dô, n'en étaient pas moins adversaires. L'attrait du pouvoir était trop fort. A un moment où les circonstances nécessitaient un pouvoir solide, ce fut, sur le trône des Nguyên, une succession d'empereurs soit jouets des Français, soit jouets des régents. La France ne pourra d'ailleurs que profiter de cette situation interne délabrée et, malgré les résistances populaires, parviendra à implanter sa domination politique, administrative et économique. L'énergie nationale fut gaspillée en lenteur, en oppositions mesquines et stériles, en divisions internes. La France agissait sous l'impulsion des idées impérialistes de l'époque, mais les dirigeants viêtnamiens, en mauvais politiques manquant totalement d'esprit d'initiative et de courage novateur, ne surent pas s'opposer efficacement. La faute, si faute il y a dans le déroulement des événements historiques, est donc partagée.

LE GOUVERNEMENT FRANÇAIS ET LA QUESTION RELIGIEUSE Les rapports entre les autorités civiles viêtnamiennes et les autorités religieuses françaises étaient dépourvus d'aménité. Les missions ne représentaient que la religion, situation insuffisante aux yeux des pères. En effet, ils auraient voulu voir le pays, totalement christianisé, devenir un Etat théocratique dans lequel les missions françaises auraient eu la haute main à peu près dans tous les domaines. Mais les événements évoluèrent contrairement à leurs désirs. Ceci pour plusieurs raisons. Tout d'abord à cause de l'attitude des Viêtnamiens qui, nous l'avons vu, rendaient le catholicisme responsable des malheurs nationaux. Cependant, il serait injuste de ne mentionner que la cour de Huê et les mandarins, alors que la présence et l'activité des autorités coloniales eurent leur importance dans le déroulement des événements politiques du Viêt-Nam. Religion et colonisation sont difficilement dissociables

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dans l'histoire coloniale du Viêt-Nam, et c'est une des raisons pour lesquelles certains représentants de la France se montrèrent favorables aux missions, soit par conviction religieuse — et c'est sans doute le cas de l'amiral de la Grandière — soit pour des raisons purement politiques et de prestige personnel, comme le fit le contre-amiral Dupré. Déjà, le successeur de l'amiral de la Grandière, l'amiral Bonard, avait été accusé par les missionnaires de favoriser les Viêtnamiens aux dépens des communautés catholiques. Par la suite, leurs plaintes allaient s'intensifier : les gouverneurs généraux qui se succédèrent à Saigon se montrèrent plus ou moins distants, sinon hostiles, envers les chrétiens. D'ailleurs la politique coloniale française au Viêt-Nam s'était souvent montrée timorée et incertaine. L'exemple de la création avortée de la Compagnie des Indes orientales au 18e siècle, celui du traité non exécuté de 1787 et aussi celui, plus proche, de la grave erreur de la mission de Montigny, étaient autant de griefs accumulés par les missionnaires. Les revirements et les changements constants de politique et d'hommes, en particulier l'attitude du contre-amiral Dupré, qui se servit de leur compétence et requit leurs services, pour leur reprocher ensuite imprudence et excès d'activité politique, n'avaient pu que les exaspérer. Les pères français se plaindront aussi de n'avoir jamais été écoutés, de n'avoir jamais vu leurs conseils pris en considération, et de ce que la politique menée sans suite par des gens en majorité anticléricaux n'avait fait que les compromettre davantage, eux et les chrétiens. L'aide qu'ils avaient procurée à la France, en accord avec leurs fidèles, parfois au prix de leur vie et toujours au prix de leur tranquillité, n'avait servi à rien d'autre qu'à les faire massacrer, sans que les responsables français aient fait, dans certaines occasions, le simulacre d'intervenir. Pourtant, tout ce qu'ils avaient entrepris et tout ce qu'ils préconisaient était uniquement pour le bien de la France et, bien sûr, de la religion catholique. Et les missionnaires pensaient réellement que si les Français avaient écouté leurs conseils et suivi leur orientation politico-religieuse, le Viêt-Nam serait facilement devenu pro-français. Il leur semblait impensable et irréalisable de pouvoir réussir la colonisation du pays en dehors du catholicisme. Par la religion, ils espéraient faire du Nord en particulier, et du pays tout entier, une « petite France de l'ExtrêmeOrient, absolument comme les îles Philippines sont une petite Espagne » (Mgr Puginier). Aussi, pour chaque projet de traité entre la France et le Viêt-Nam, les missionnaires envoyaient leurs plans comportant des clauses détaillées quant à la religion catholique et aux liber-

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tés nécessaires à son épanouissement. " Mais pour obtenir de tels résultats, il aurait fallu que le catholicisme devienne conquérant, c'est-àdire soit en mesure de réprimer toutes les hérésies. Seulement, la colonisation du Viêt-Nam se déroula dans la seconde moitié du 19e siècle et en grande partie sous la III e République, dont la politique anticléricale est assez connue. Dans les récriminations des missionnaires, il est une chose d'ailleurs assez remarquable : leurs attaques n'étaient pas dirigées contre les missions protestantes, en très petit nombre et sans grande audience dans le pays, mais surtout contre les franc-maçons, ces « impies » qui, par anticléricalisme, faisaient perdre à la patrie le moyen d'obtenir sans frais et sans dommage une magnifique colonie. Depuis le 18e siècle, après la bulle In eminenti du pape Clément XII (4 mai 1738), les franc-maçons, considérés jusque-là comme des chrétiens normaux, furent alors suspectés d'hérésie et menacés d'excommunication s'ils n'abjuraient pas l'ordre. La condamnation, dont le but était d'atteindre le caractère secret de l'organisation, visait aussi le protestantisme qui, depuis la création de la Grande Loge de Londres en 1717, répandait de plus en plus des idées déistes incompatibles avec le dogme catholique. La condamnation papale fut d'ailleurs renouvelée plusieurs fois, tant au cours du 18e siècle qu'au 19e siècle : en 1751 par Benoît XIV, en 1865 par Pie IX, en 1884 par Léon XIII. Le principal reproche formulé alors contre la franc-maçonnerie portait sur l'absence de religion affichée par ses membres, le reniement plus ou moins accentué du catholicisme et aussi l'acceptation de toutes les formes religieuses, traitées sur le même pied d'égalité que le catholicisme. Mais en France au 18e siècle, les condamnations atteignirent peu la franc-maçonnerie, qui recruta toujours des Loges dont les membres devaient, semble-t-il, être obligatoirement catholiques. Mais au cours du 19e siècle, les condamnations réitérées, et aussi l'excommunication devenue effective, agirent efficacement et contribuèrent à forger de part et d'autre antimaçonnisme et anti-cléricalisme. Au Sud Viêt-Nam, dès 1868, le Grand Orient de France fonda une 17. Mgr Colombert à l'amiral Dupré, 23 décembre 1873 : projet de rédaction des articles du futur traité, relatifs à la religion catholique (projet 11688, pièce 8) (A.O.M. Aix, 11688 (27); cf. Annexe 31. A.O.M Aix, 11688 (8); cf. Annexe 32). Mgr Colombert au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, vicariat apostolique de Cochinchine occidentale, Saigon le 26 décembre 1873 (A.O.M. Aix, 11688 (28); cf. Annexe 33).

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loge à Saigon, « le Réveil de l'Orient ». En 1898, une seconde loge sudiste était constituée — « Les Fervents du Progrès » — qui devait fusionner avec la première en 1913. Dans les autres possessions françaises du Viêt-Nam, les loges se constituèrent plus tardivement, en raison même de la progression coloniale : au Nord, en 1887, fut créée à Hà-Nôi la « Fraternité Tonkinoise ». Cette loge fusionna avec une seconde loge hanoïenne — « Fraternité et Tolérance » — fondée en 1908. « L'Etoile du Tonkin » fut constituée en 1892 à HaiPhong. Le Centre Viêt-Nam n'eut d'organisation maçonnique qu'au début du 20 e siècle. Mais le Sud comme le Nord Viêt-Nam connurent au lendemain de la conquête une activité maçonnique qui n'était pas faite pour plaire aux Missions. En effet, la franc-maçonnerie au Viêt-Nam compta un nombre assez important de membres, dont les personnages de premier plan tels que certains gouverneurs généraux : de Lanessan, Paul Bert, Paul Doumer. L'anti-maçonnisme des pères et l'anti-cléricalisme des maçons s'étaient transportés de la métropole à la colonie, avec d'autant plus de violence que les premiers — persuadés que la France leur devait cette colonie — accusaient les seconds de détruire et d'entraver leur travail patriotique et religieux. Tandis que les maçons — une grande partie des administrateurs coloniaux étaient maçons — reprochaient aux pères leur démesure, leur prétention et leur exagération débordante. En effet, les missionnaires avaient pris la fâcheuse habitude de mêler un peu trop étroitement temporel et spirituel, de confondre administration civile et religion. Ils marquaient également une trop nette propension à s'estimer au-dessus des traités qu'ils considéraient d'ailleurs comme insuffisants. Aussi palliaient-ils cette insuffisance par des initiatives propres à déclencher des conflits : le gouvernement français, mais également les autorités romaines, durent intervenir à plusieurs reprises pour les ramener à la raison. 18 D'autant plus qu'il ne 18. Aff. étr. à Marine, sans date (novembre 1874 : ajouté) : rôle des missionnaires au Tonkin et en Annam (copie) (A.O.M. Aix, 11649 (16); cf. Annexe 34). Min. de France à Rome à Aff. étr. Paris, Rome le 26 octobre 1874 (A.O.M. Aix, 11649 (17); cf. Annexe 35). Agissement des chrétiens réfugiés à Qui-Nhon. Résident de Qui-Nhon à résident général à Hà-Nôi et résident Hector à Huê (en marge : B.P. à classer avec soin) (A.O.M. Aix, 11331 ; cf. Annexe 36). Min. des Aff. étr. à min. Marine, Versailles le 20 mars 1878 (A.O.M. Paris, A (30), carton 14 ; cf. Annexe 37). Gouverneur de la Cochinchine à ministre de la Marine, Saigon le 26 janvier 1878 (A.O.M. Paris, A (30), carton 1 4 ; cf. Annexe 38).

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faut pas perdre de vue que pour la France, la religion n'a servi que de prétexte : ceux qui firent la politique coloniale de la France au ViêtNam se sont servi des chrétiens et des Missions comme gens utiles, capables d'intervenir au moment opportun, quand il fallait des guides, des porteurs, un soutien logistique ou des renseignements. C'est d'ailleurs tout ce que le contre-amiral Dupré et Garnier — qui était protestant — avaient cherché en s'adressant d'emblée aux Missions. Les considérations religieuses, même si elles étaient mises au premier rang, n'en étaient pas moins secondaires. Quant aux missionnaires, s'ils prêtaient volontiers leur aide, ils n'en réclamaient pas moins une juste récompense, c'est-à-dire — en dépit de leurs protestations véhémentes — un statut privilégié qui aurait attiré de nombreux néophytes. Mais les autorités civiles ne l'entendaient pas de cette oreille, surtout lorsque les agissements des chrétiens leur procuraient des ennuis. Aussi leur intervention se bornait-elle souvent à des menaces verbales au moment des troubles. Si on n'hésitait pas à humilier la cour de Huê, on le faisait surtout avec des mots. Il s'agissait de ne pas s'avancer trop loin, car la métropole rechignait devant les dépenses qu'occasionnerait la conquête armée du pays. H fallait en même temps donner satisfaction aux Missions et montrer à la cour de Huê que les autorités françaises n'étaient ni dupes ni prêtes à se laisser duper. Malgré tout, on faisait entendre aux pères français qu'ils devaient ne pas abuser de la protection française. Il est parfois difficile de faire la part des choses lorsque, d'un côté comme de l'autre, les critiques et les remarques acrimonieuses étaient jugées injustifiées. Ainsi, malgré les faits, et bien que les missionnaires furent à plusieurs reprises obligés d'admettre que les chrétiens n'étaient pas toujours innocents, ils excusaient cependant certains excès : « Notes explicatives sur les accusations portées contre les missionnaires et les chrétiens victimes des massacres et désastres causés par les lettrés en Annam et au Tonkin. Il est vrai que l'on a vu quelques chrétiens commettre des actes de piraterie : c'est regrettable, mais quel est le pays au monde où les mauvais ne soient pas mélangés aux bons ? Cependant il est certain que les pirates chrétiens sont en très petit nombre. D'ailleurs ils doivent porter seuls la responsabilité de leurs actes, et il ne serait pas juste d'en rendre responsable tous les catholiques... ... il est vrai... que certains chrétiens... ruinés par les lettrés qui

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avaient pillé et détruit leurs villages, sont allés reprendre les biens d'autrui pour procurer de la nourriture à leurs femmes et à leurs enfants. Je demande si ces malheureux ne sont pas dignes de compassion et d'excuse ? Si dans leur détresse, on leur avait fait des distributions de riz ou d'argent, ils n'auraient pas été réduits à aller prendre le bien de leurs ennemis pour ne pas mourir de faim... Il est vrai que plusieurs fois des chrétiens sont allés reprendre de force aux païens une partie des biens que ceux-ci leur avaient volés, lors du pillage et de la destruction des chrétientés. Le bon ordre défend aux particuliers de se rendre justice ; mais il suppose que l'autorité est là pour protéger les opprimés. Ici, en Annam, les catholiques ont vu les membres de leurs familles massacrés par les ennemis de la France ; ils ont vu leurs biens pillés, leurs maisons brûlées ; ils ont perdu jusqu'à leurs champs ; ils demandent justice aux autorités pendant des années entières, et personne ne les écoute ! Si une loi les condamne d'abus, il y a pareillement une loi naturelle qui blâmera ceux qui n'ont pas rendu justice à des innocents opprimés. Il est arrivé aussi, mais très rarement, que des chrétiens exaspérés par les atrocités que les lettrés et les païens avaient d'abord commises contre eux, en massacrant leurs frères, en pillant leurs biens et en détruisant leurs villages, se sont vengés sans se contenter de reprendre leurs biens, en brûlant parfois en représailles les villages des païens qui les avaient volés. Il s'est avéré que la population toute entière de ces villages avait pris part au pillage et à la destruction des chrétientés... ». 19 « Que ceux d'entre eux qui ont été volés, pillés, incendiés il y a bientôt deux ans, sans qu'on leur ait fait rendre justice, en soient quelquefois portés à des actes qui seraient répréhensibles s'ils n'y étaient poussés par la faim qui les décime, je n'oserais pas le nier absolument. Toutefois, il faut avouer que la situation qui leur est faite depuis deux ans mériterait qu'on usât d'indulgence à leur égard ». 2 0 Cependant, les autorités gouvernementales françaises acceptaient mal les critiques injustifiées, telles que celles de ne pas vouloir accorder 19. A.O.M. Aix, 11782. 20. Lettre du père Pineau, Xa-Doài, juillet 1887 (A.O.M. Aix, 10508).

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protection aux communautés catholiques. 2 1 Mais aussi, et ceci était beaucoup plus grave, certains prêtres, tant français que viêtnamiens, au lieu de modérer l'ardeur vengeresse des chrétiens, les excitaient au contraire à considérer leurs compatriotes non chrétiens comme autant d'ennemis : « Peu après le départ de l'Espingole, Monseigneur Puginier vint chez moi me donner lecture d'une lettre d'un prêtre annamite qui avait fui Ninh-Binh (averti par le gouverneur qu'il n'était pas en sûreté). Ce prêtre lui écrivait qu'il avait déjà recruté une centaine d'hommes du côté de la mer, pour venir au secours des chrétiens. Monseigneur Puginier était très alarmé de cette nouvelle et me dit que dans sa pensée, bien que ce fût certainement indépendant de la volonté de ce prêtre, cette levée de boucliers née de l'idée de protéger les chrétiens, deviendrait plus tard un mouvement politique... », 2 2 S'il en était ainsi au niveau supérieur de la hiérarchie catholique, à quoi pouvaient servir les exhortations au calme de Tu-Duc ou celles du gouvernement français ? Malgré l'hostilité dont le gouvernement entourait les religieux, les autorités françaises firent leur possible pour protéger les communautés catholiques. Mais il faut dire à leur décharge que le corps expéditionnaire avait alors des effectifs réduits au minimum : la guerre coloniale de grande envergure, destinée à sauver le prestige national et les biens des banques et des concessions, était encore inconnue. Aussi les troupes servaient-elles le plus souvent à la défense. C'est pourquoi les pères eurent l'idée de demander l'armement des chrétiens afin que ceux-ci, palliant ainsi l'effectif insuffisant des militaires, puissent assurer euxmêmes leur défense. Mais cette solution, extrême, il est vrai, parut dangereuse au gouvernement de Saigon : « Puisqu'on n'a pas assez de troupes pour réprimer l'insurrection et empêcher les massacres, on devrait favoriser ces missionnaires, non point il est vrai pour s'en servir comme hommes de guerre, 21. Commandant Dujardin à Mgr Colomer, Hai-Phong le 23 juillet 1874 (A.O.M. Aix, 11649 (12); cf. Annexe 39). 22. Philastre au contre-amiral Dupré, 2 février 1874 (A.O.M. Aix, 11689 (69)). Rapport de M. Harmand, commandant la citadelle de Nam-Dinh au commandant du Corps expéditionnaire au Tonkin, Hà-Nôi le 15 janvier 1874 (A.O.M. Aix, 11689 (32); cf. Annexe 40).

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mais pour les aider à défendre leurs chrétiens et à tenir bon dans les positions qu'ils occupent. Si au moins les principaux centres des chrétientés de Thanh-Hoa avaient eu des armes pour se défendre, ils n'auraient pas été ravagés par des bandes de rebelles. Les habitants de chrétientés isolées auraient pu se réfugier dans ces centres, et, en augmentant le nombre des défenseurs, ils auraient augmenté aussi les chances de la lutte. On a peur qu'en donnant des armes à nos chrétiens, ils n'en abusent pour aller piller les villages païens ? Cette raison est inadmissible et injurieuse pour nous. ... Pour éviter un inconvénient qui, s'il arrivait, ne pourrait se présenter tout au plus que dans des cas extrêmement rares, on laisse massacrer par dizaines de mille des chrétiens innocents et amis, sans les secourir, et on laisse ravager par milliers leurs 23 villages que l'ennemi occupe maintenant Le refus de Saigon fut interprété par les Missions comme une volonté systématique de s'opposer à tout ce qu'elles proposaient pour assurer le maintien du catholicisme dans le pays. Les pères se crurent d'autant plus attaqués par leurs compatriotes qu'une mesure financière allait être prise à Paris à la fin du 19e siècle, en 1882 : la suppression de la subvention que le gouvernement français accordait aux Missions de l'Indochine et qui s'élevait alors à 170 000 piastres pour le Cambodge et la Cochinchine, le Nord et le Centre Viêt-Nam ne recevant rien. 24 L'anti-cléricalisme de la IIP République était alors à son apogée et c'était l'époque du « le cléricalisme, voilà l'ennemi » et des diverses mesures anticléricales. Le gouvernement devait proclamer la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Le rêve des missionnaires s'écroulait donc : le Viêt-Nam n'était pas destiné à devenir un Etat catholique. 23. A.O.M. Aix, 11782. 24. Le Myre de Vilers au ministre du Commerce et des Colonies, Saigon le 5 janvier 1882 (A.O.M. Paris, A 90 (9), carton 18 bis ; cf. Annexe 41). Compte rendu de la subvention à la mission de Cochinchine occidentale en 1881, lettre du vicaire apostolique de Cochinchine occidentale au gouverneur, Saigon le 9 janvier 1882 (A.O.M. Aix, 11473 ; cf. Annexe 42). Le ministre de la Marine et des Colonies au président du Conseil, Paris le 27 février 1882 (A.O.M. Paris, A 90 (9), carton 18 bis ; cf. Annexe 43). M. Desprès, ambassadeur de France près le Saint-Siège, à M. de Freycinet, président du Conseil, ministre des Affaires étrangères à Paris, Rome le 14 mars 1882 (A.O.M. Paris, A 90 (9), carton 28 bis ; cf. Annexe 44).

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Autorités

civiles et autorités

religieuses

On peut légitimement se demander si la cour de Huê n'a pas été au courant des litiges existant entre les pères et les autorités civiles, et aussi, si elle n'a pas, dans ce cas-là, cherché à les exploiter. Les Viêtnamiens avaient pu constater que tous les Européens, et les Français en particulier, n'étaient pas forcément catholiques. Pour eux, au début, la religion s'alliait à la couleur de la peau car tous les Européens qui débarquèrent sur le sol viêtnamien étaient chrétiens et accompagnés de prêtres. Durant une longue période, aux 17' et 18 e siècles, les prêtres européens étaient autorisés à résider à la Cour : ils étaient les seuls à être instruits et à connaître certaines sciences appréciées des empereurs tant chinois que viêtnamiens (mathématiques, horlogerie, astronomie...). Mais les autorités viêtnamiennes ne mirent pas longtemps à comprendre que les missionnaires ne représentaient pas à eux seuls la France et qu'ils n'étaient pas les protégés obligés des autorités coloniales. La lenteur que la Cour déploya à appliquer les traités, notamment en ce qui concernait les catholiques viêtnamiens, était calculée en fonction d'une certaine animosité existant entre les deux clans français. Et si la Cour permettait les exactions contre les catholiques et même les encourageait, c'est qu'elle savait que le gouvernement français n'était pas entièrement disposé à aider les chrétiens et à les soutenir dans leurs multiples revendications. Peut-être même que la Cour comptait sur l'anti-cléricalisme des autorités coloniales pour s'opposer à la conquête intégrale qui, selon elle, provenait d'abord et avant tout du phénomène catholique. Mais dans sa politique elle misa un peu trop lourdement sur ce qui aurait pu être un atout et qui ne le fut pas car l'impérialisme était plus influent que l'anti-cléricalisme de l'époque. Elle ignora les méthodes qui auraient pu éviter la ruine du pays et ne tint aucun compte de l'évolution du monde extérieur qui voulait que l'Europe de la révolution industrielle se portât à la conquête des terres lointaines. Pourtant, si le Viêt-Nam avait voulu faire l'effort de s'adapter au modernisme, il aurait pu échapper à la colonisation : il avait déjà une organisation administrative, militaire, financière, un système social et étatique poussé ; il ignorait les luttes tribales et claniques de l'Afrique qui facilitèrent la pénétration européenne. Mais il ne sut pas se servir de ses avantages et se replia dans les principes d'une vieille civilisation condamnée, non pas à disparaître, mais à fortement se modifier pour pouvoir survivre, tant il est vrai que « l'histoire est là pour nous montrer que chaque fois qu'une culture est fermée sur elle-même et enkystée par rapport au reste du monde, elle a à peine la force de survivre et

Le gouvernement français et la question religieuse

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de se continuer. Au contraire, dès qu'elle est perméable aux excitations extérieures, et qu'elle s'articule avec des civilisations étrangères, les apports exogènes agissent comme des ferments qui exaltent le potentiel créateur de la culture considérée... » ss. Il n'en reste pas moins vrai que le catholicisme a été le point de départ de la colonisation française au Viêt-Nam. La domination française sur le pays a pu s'installer à cause des missionnaires et des catholiques, et en partie grâce à leurs services. Cependant, tout au long des événements qui marquèrent les étapes des débuts de l'implantation française au Viêt-Nam, prêtres et fidèles ne furent que des éléments de l'histoire coloniale. Certes, ils en furent la cause, les persécutions fournissant un noble prétexte à intervention. Mais en réalité, très rapidement, la question religieuse passa au second plan, bien que pour les missionnaires elle primât toujours. Dans leurs demandes et rapports officiels, les missionnaires avaient mis en avant les avantages économiques, liés à la gloire de la religion et de la patrie, qu'une telle intervention procurerait à la France. Et quand celle-ci, devenue enfin sensible à ces arguments, se décidera à agir, ils n'accepteront pas de passer au second rang des préoccupations dominantes et se sentiront lésés, brimés, spoliés. Ils proclameront, toujours avec véhémence, que cette colonisation était leur œuvre et que, sans eux, elle était condamnée à disparaître. Ils ne pouvaient pas admettre d'avoir servi de premier chaînon à une histoire qui poursuivait très bien son évolution sans eux. Par suite de l'appel qu'ils lancèrent à leur pays, des renseignements et de l'aide qu'ils fournirent aux troupes et aux autorités civiles françaises, à cause de leurs idées, ils ont été accusés de colonialisme. Colonialistes, on peut dire qu'ils l'ont été dans la matière dont ils se sont partagés le Viêt-Nam comme autant de fiefs appartenant à leurs missions et à leur pays, la plus grande partie du royaume revenant aux Missions-Etrangères de Paris, deux districts, le Tonkin oriental et le Tonkin central, relevant des Missions dominicaines espagnoles. Ils furent colonialistes parce qu'ils appliquèrent à la lettre la doctrine du catholicisme qui se veut civilisatrice et universelle. « ... L'Evangile est transcendant aux civilisations, mais aucune civilisation véritable ne peut se passer de lui. Une civilisation supé25. P. Huard, Culture

p. 15.

vietnamienne

et culture

occidentale,

Saigon, 1958,

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Autorités

civiles et autorités religieuses

rieure en pays colonial, ne pourra se développer que dans son atmosphère, appuyée sur ces enseignements et soutenue par les grâces qu'il porte avec lui. Civiliser n'est pas évangéliser, mais on ne peut civiliser sans évangéliser ». 26 Les missionnaires ont méconnu la civilisation viêtnamienne. Ils n'y ont vu qu'un amas de superstitions pratiquées par un peuple qu'ils se devaient d'éduquer, donc d'évangéliser. Ils ont voulu lui apporter la lumière qu'est censé donner le catholicisme à tout peuple ou à tout individu qui le reçoit et l'adopte. Mais en même temps, ils ont voulu métamorphoser les Viêtnamiens en Français, faire du Viêt-Nam une « petite France ». Ils crieront à l'injure lorsque les catholiques viêtnamiens recevront le surnom de « Français du dedans », au massacre, quand un peuple refusant d'être annihilé et assimilé par une nation qui lui était totalement étrangère, prendra les armes contre elle et contre ceux qui la servaient. L'exemple de mille ans de domination chinoise refusée et combattue farouchement par un pays qui réussit après tant de siècles de colonisation à conserver une physionomie et une civilisation originales, ne leur avait pas fait entrevoir que leur tentative, même appuyée par des moyens militaires et techniques dix fois supérieurs à ceux possédés alors par le Viêt-Nam, ne pouvait qu'être vouée à un échec plus ou moins proche. Ils ont fait croire à une métamorphose merveilleuse des chrétiens qui trop souvent ne se faisaient chrétiens que pour les avantages qu'une semblable conversion devait leur apporter. On a vu les exemptions d'impôts, de service militaire ; Mgr Puginier pensait à la construction d'une ferme modèle catholique qui, par ses productions abondantes, aurait contribué au succès du catholicisme dans le pays : la religion était associée aux « miracles » d'une abondante récolte dans un pays — le Nord — où les gens craignent tout autant les inondations que les sécheresses ou les typhons. Ils ont malheureusement préféré le nombre à la qualité, ils ont fait circuler l'image d'un Viêt-Nam tout prêt à accepter le gouvernement de la France et la religion catholique. Ils ont présenté les catholiques comme les plus fidèles alliés des Français et ont demandé, dans l'intérêt de la France et du catholicisme viêtnamien, un roi catholique. Pour le malheur du catholicisme au Viêt-Nam, ils ont confondu 26. R. Guiscard, Doctrine catholique et colonialisme, Paris, 1937, p. 4-5.

Le gouvernement

français et la question

religieuse

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d'une manière peu habituelle temporel et spirituel, politique et sacerdoce, intérêts religieux et intérêts matériels, réclamant toujours ce qu'on leur devait pour les innombrables services qu'ils avaient rendus, demandant indemnités et condamnations comme juste prix de tout ce qu'ils avaient subi et, pour l'avènement national de leur religion, l'extermination de toute une classe sociale. Où était la religion dans tout cela ? Dans toute l'histoire religieuse du Viêt-Nam de cette époque, il n'y eut qu'un seul missionnaire admettant que l'hostilité des Viêtnamiens envers le catholicisme était, dans leur position, justifiée et compréhensible : « ... A leur place et dans leurs principes, je suis obligé de convenir qu'ils agissent avec prudence. Que diraient en effet, en France, tous les grands du royaume, si un étranger mahométan ou païen était chargé de l'éducation du dauphin et avait la confiance du roi ? Ne remuerait-on pas ciel et terre pour l'éloigner de la Cour ? Eh bien ! leur position est encore pour eux plus inquiétante. Notre religion les effraie davantage parce qu'elle contrarie leurs passions et qu'il faudrait abandonner tout ce qu'ils cherchent avec le plus d'ardeur, si elle venait à régner dans leur pays... ». 27 Il n'est nullement question de faire le réquisitoire du catholicisme en général, des Missions-Etrangères, des missionnaires et des catholiques viêtnamiens en particulier. Le catholicisme a pu prendre racine au Viêt-Nam, seul pays d'Asie où il ait enregistré quelque succès, en raison même de la structure religieuse assez lâche qui y règne. Dans des pays comme le Cambodge ou la Thaïlande, où il existe une véritable religion nationale d'Etat, le catholicisme ne fit pratiquement pas d'adeptes. Mais même lâche, cette structure philosophico-religieuse avait cependant suffisamment marqué la société vietnamienne. Et tant que le catholicisme ne menaça pas ces principes, les souverains s'en tinrent aux essais d'instruction du peuple, d'éducation religieuse et civique pour l'empêcher de dévier vers une voie totalement étrangère et contraire à celle suivie jusqu'alors. Les missionnaires insistant dans leur apostolat, évangélisant en dépit des édits prohibitifs, le dévouement corps et âme des chrétiens, les sou-

27. Mgr Pigneau à M. Boiret, 30 mai 1795, A.M.E., t. DCCXLVI, p. 496 (dans A. Launay, Histoire Cochirtchine, t. III, p. ¿04-306).

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Autorités

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verains furieux et inquiets de n'être pas obéis, tous ces éléments ne pouvaient que provoquer une situation des plus explosives à laquelle vinrent s'ajouter en dernier lieu des causes politiques et nationales qui entraîneront les massacres et la colonisation que nous connaissons.

Conclusion

Nous avons tenté d'expliquer la raison de l'implantation du catholicisme au Viêt-Nam, celle de l'opposition de la majorité de la population et enfin les massacres qui ont fait parmi les chrétiens du pays des dizaines de milliers de morts. Il ne s'agissait nullement de juger les actes des missionnaires et ceux de leurs fidèles, mais seulement de voir quel fut leur rôle et leur participation aux événements politiques et historiques qui se sont déroulés depuis la création des Missions-Etrangères de la rue du Bac jusqu'à la révolte des Lettrés de la fin du 19e siècle. Le Viêt-Nam catholique compte de nombreux morts et peut s'enorgueillir d'avoir aussi ses martyrs. Quant aux pères missionnaires, ils étaient dévoués corps et âme à la cause qu'ils prêchaient et qu'ils estimaient à ce point juste et sacrée, qu'enfreindre les lois humaines n'avaient plus aucune sorte d'importance. Personne ne songerait à envier la vie qu'ils durent mener pour faire aboutir leur apostolat et attirer les conversions. Beaucoup sont morts prématurément usés, de maladie, d'épuisement, sinon tout simplement de faim, perdus dans la forêt. On ne peut qu'admirer leur obstination et la grandeur de leur objectif, eux qui avaient tout abandonné pour venir dans un pays totalement inconnu et de surcroît hostile, vivre dans des paillotes ou des barques, couchant souvent à même le sol, en butte à mille et une tracasserie et toujours sur le qui-vive. Cependant, il est certain que leur apostolat et leur venue ont contribué à modifier les structures religieuses et sociales d'une partie du Viêt-Nam, scindant en deux groupes hostiles l'un à l'autre la population. On ne saurait dire, comme certains l'ont affirmé, que catholiques et non-catholiques vietnamiens ont toujours vécu en bonne intelligence. La différence des croyances et, partant, l'attitude séparatiste de la faction chrétienne, ne pouvaient qu'aviver les conflits. Ceci est telle-

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Conclusion

ment vrai qu'un siècle après la prise de la Cochinchine par la France, une autre guerre de religion allait de nouveau opposer les catholiques aux membres de la société viêtnamienne, les bouddhistes cette fois, puisque la culture confucéenne avait progressivement disparu au cours des années de domination française. Et personne ne saurait nier l'importance que les Missions-Etrangères et la religion catholique ont eu dans le déroulement de l'histoire coloniale et de la simple histoire intérieure du Viêt-Nam.

ANNEXES

Documents d'archives

Annexe 1. A.O.M. Aix, 13 069. Consul de France à Qui-Nhon au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Thi-Nai le 20 avril 1877 : « ... Mgr Charbonnier m'a donné connaissance du rapport du père Jeffroy. Ce rapport a pour objet de mettre en évidence par quelques exemples, le dessein arrêté des mandarins de susciter des procès à tout individu qui veut embrasser le christianisme, en lui imputant un délit quelconque en droit commun et de le condamner par ce délit imaginaire contre tout droit et toute justice, violant ainsi l'esprit sans offenser la lettre des articles du traité en faveur de la liberté des chrétiens... ». A.O.M. Aix, 13 070 (1). Consul de France à Qui-Nhon au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Thi-Nai le 13 mai 1877 : « ... Je joins à cette lettre une copie du rapport du père Jeffroy à Mgr Charbonnier sur les vexations qu'ont à subir les chrétiens du Khanh-Hoà avec une copie de la pièce annamite et la traduction que m'en a donné mon lettré [ces pièces ne figurent pas au dossier]. Cette pièce annamite est en effet assez curieuse. Il est visible que les injures adressées au village ne sont là qu'en remplissage, c'est un lieu commun obligé de ce genre de pièces, on n'en parle qu'en passant. Ce qu'on détaille avec soin, ce sont les gens convertis par l'inculpé ; le point sur lequel on insiste c'est le danger que les nouveaux chrétiens n'abandonnent le village ; ils se sont déjà retirés à part des autres habitants quoique dans un lieu appartenant au territoire du village ; c'est bien là le corps du délit. Que ces braves gens trouvent cela très punissable, cela se comprend ; mais qu'un mandarin entende de cette façon la liberté concédée à tout Annamite de se faire chrétien, c'est dangereux... » 12

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Annexes : Documents

d'archives

Annexe 2. A.O.M. Aix, 13 084. Le capitaine de frégate, commandant le Duchaffaut, au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Saigon le 8 juin 1878 : « Je crois devoir ajouter que, si dans le Khanh-Hoà l'hostilité contre les chrétiens se manifeste d'une façon si vive, cela tient probablement — en dehors des sentiments généraux des fonctionnaires, lettrés ou notables — à une cause particulière qui explique le fait jusqu'à un certain point. C'est que dans cette province, en suite d'ailleurs d'une autorisation donnée par la cour de Huê mais provoquée par le père Geffroy, tout Annamite qui se fait chrétien, fût-il même un inscrit, peut entrer dans une corporation spéciale et alors, moyennant le paiement à l'Etat d'une taxe annuelle de 20 ligatures, il est exempté de tout impôt, de toute corvée et du service militaire. Il se trouve donc ainsi placé en dehors du village avec lequel il ne contribue plus, et qui très certainement n'est pas pour cela déchargé d'une partie proportionnelle. De là chez les dignitaires du village du mécontentement qui grandit toujours parce que les privilèges accordés déterminent précisément de nombreuses convoitises. Surtout parmi les pauvres plus soumis aux exactions. L'exemption du service militaire est aussi un attrait puissant ; beaucoup de soldats demandaient à se faire chrétiens pour bénéficier de la corporation ; et Mgr Charbonnier, afin d'éviter des tiraillements violents, a dû défendre de les admettre avant leur libération. Vingt ligatures représentent ordinairement plus que les charges annuelles de toutes sortes d'un habitant, et dans la plupart des autres provinces l'échange ne serait pas consenti ; mais le Khanh-Hoà est un pays pauvre qui s'est dépeuplé en partie, les registres des villages restent toujours les mêmes suivant la coutume annamite ; les charges ont donc beaucoup augmenté, surtout dans les villages — les plus nombreux — qui n'ont que très peu de terrains communaux, et l'on a trouvé avantage à entrer dans la corporation. En somme depuis deux ans et demi que la corporation est établie, il y a eu une recrudescence de conversions qui atteint les mandarins et les notables dans leurs intérêts comme dans leurs sentiments. Ne pouvant espérer faire revenir sur ses ordres la cour de Huê avide de tout argent comptant, ils cherchent à dégoûter les néophytes par des tracasseries sans nombre en écartant seulement avec soin l'évidence d'une persécution religieuse ». Annexe 3. A.O.M. Aix, 12 194. Lettre de Mgr Alcazar, évêque de

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Paphos et vicaire apostolique du Tonkin oriental au contre-amiral de La Grandière, 23 décembre 1863 : « ... depuis le Nghê-An jusqu'aux confins des provinces septentrionales, on est bien loin de jouir de cette liberté si désirée ; il a bien été permis aux chrétiens de retourner à leurs villages, mais il ne leur a rien été dit de la liberté qu'ils avaient de pratiquer la religion chrétienne ; et aussi rien de plus ordinaire dans la bouche des préfets que de répéter et archi-répéter aux chrétiens : ' Il vous a été permis de retourner dans vos demeures, mais non de professer la fausse religion chrétienne ; il existe plusieurs décrets prohibitifs de la fausse religion chrétienne ; mais il n'en existe aucun qui vous permette son exercice '. Et à la vérité ces préfets parlent fort logiquement puisque le roi n'a envoyé jusqu'à ce jour aucun décret à ce sujet... On reconnaît une constance bien décidée chez tous ou presque tous les préfets d'empêcher les prêtres de visiter leurs chrétientés... Dans des décrets de ce même roi, aucun chrétien ne pouvait exercer aucune charge honorifique et on ne les admettait point aux examens littéraires pour l'obtention des grades scientifiques... Actuellement nos néophytes se trouvent encore privés de droits aussi naturels, et seulement dans les populations où il ne se trouve aucun païen ils peuvent être juges ; si dans la milice ou dans la branche des lettrés, il se trouve un chrétien élevé à quelque dignité, c'est parce que le gouvernement l'ignore ; s'il leur arrivait de manifester leur religion par la non-participation aux actes superstitieux, ils pourraient être sûrs de se voir pour le moins destitués de leur emploi... Dans la lune 5 de cette année, il a été expédié un décret royal à tous les gouverneurs de province dans lequel il leur est ordonné de rendre compte à la Cour deux fois par an de ceux qui spontanément abjurent la religion chrétienne. Il est ordonné aux mandarins de faire en sorte que par leurs exhortations le peuple chrétien reconnaisse son erreur. Il est promis à ceux qui abjurent le christianisme avec sincérité qu'ils seront respectés comme tout le bon peuple (c'est ainsi que les païens sont appelés) et cela pour l'exemple des autres... ». Annexe 4. A.O.M. Aix, B 220 (2), 647. Amiral de La Grandière au ministre des Relations extérieures de l'Annam, 20 janvier 1865 : avis de la non-ratification du traité conclu au mois de juillet 1864 avec la cour de Huê par le consul Aubaret : « Les raisons sont les suivantes : la libre circulation des Français

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n'est pas acceptée ; mais il y a aussi la question des chrétiens : l'article 14, relatif aux missionnaires et aux Annamites chrétiens, peut par son dernier paragraphe donner naissance à des interprétations au moins contraires aux intérêts de ceux qu'il concerne. Les additions faites à l'article 3 sont de nature à offrir de sérieux inconvénients. En accordant aux bâtiments annamites de toutes dimensions de naviguer dans les cours d'eau demeurant notre propriété exclusive, cet article permet encore au gouvernement annamite de se servir de ces bâtiments pour transporter des armes et des munitions de guerre, sous la réserve seulement de nous en informer. Nous contractons nous-mêmes l'obligation nouvelle de n'user du droit de n'employer le territoire annamite pour ravitailler au besoin les points dont nous nous réservons l'occupation, qu'à la condition d'en instruire l'autorité annamite. La rédaction modifiée de l'article 14 change le caractère des garanties que nous voulions assurer aux Annamites qui, passés, en vertu du traité du 5 juin 1862, sous notre domination, voulaient y demeurer ou allaient rentrer sous celle de Huê... ». Annexe 5. Duong Dinh Khuê, Les Chefs-d'œuvre de la littérature vietnamienne, Saigon, 1966, p. 302-303. « Suicide par la faim. Le moment opportun, l'avantage du terrain, et l'assentiment du peuple. 1 Avions-nous tout cela, sans que je le dise ? Pour payer ma dette envers le pays et le souverain, j'ai été obligé de faire un lointain voyage 2 en assumant une grande responsabilité. Montant et descendant les cascades pour sauver les jeunes, traversant les mers et escaladant les montagnes, j'ai exposé ma vieillesse. J'espérais, avec une parole, pacifier les quatre territoires, hélas, les trois provinces restantes sont venues rejoindre les trois perdues ». 1. D'après les règles de la stratégie antique, il faut avoir trois atouts pour s'assurer la victoire : a) Thien thoi : le moment opportun, c'est-à-dire la conjoncture de conditions météorologiques ou d'événements favorables (alliance, bonne récolte, etc.) ; b) Dia loi : l'avantage du terrain, c'est-à-dire un champ de bataille préalablement choisi pour convenir à l'attaque ou à la défense ; c) Nhân hoà : l'assentiment du peuple, c'est-à-dire le juste droit. Ici Phan Thanh Gian voulait dire que la lutte contre l'envahisseur était pleine de difficultés parce qu'on n'avait pas alors tous les atouts de succès en main (en réalité, l'infériorité de l'armée vietnamienne était surtout dans la faiblesse des armements). 2. Ambassade de France en 1863.

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Annexe 6. A.O.M. Aix, 12 778. Rheinart au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Huê le 25 décembre 1875. A cette lettre est jointe la réponse du haut fonctionnaire Nguyên, ministre des Affaires étrangères de l'empire d'Annam, Tu-Duc, 28' année, 11e mois, 27 e jour (24 décembre 1875) : « Vous m'avez parlé de régler les affaires du Nghê-An. Les chrétiens du Nghê-An sont aussi les enfants chéris de notre gouvernement. L'année précédente ils ont éprouvé des dommages. Par ordre de Sa Majesté, les mandarins de cette province ont établi des catégories et distribué des secours d'une façon sommaire. De plus, récemment, le souverain a envoyé un khâm-sai (envoyé royal) qui se réunira aux fonctionnaires de la province pour aviser selon l'équité. Depuis cette époque, ce khâmsai a écrit que l'évêque Gauthier lui avait exposé que les deux peuples cherchaient à s'arranger d'eux-mêmes sur la question des indemnités et des restitutions afin d'éviter les interrogatoires et la prison. Ce même fonctionnaire s'est basé sur la plainte de l'évêque Gauthier pour faire arrêter et juger tous les individus qui y sont incriminés. De cette façon, je pense que tout pourra s'arranger. Seulement, dans votre lettre, vous parlez d'une commission d'enquête mixte. Bien que les catholiques suivent une doctrine particulière, ils sont nés dans notre pays et appartiennent à la juridiction de nos mandarins. H est à craindre que l'envoi de fonctionnaires français pour former une commission mixte ne fut pas conforme au droit public et il est nécessaire de ne plus en parler ». Annexe 7. A.O.M. Aix, 12 785. Rheinart au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Huê le 20 janvier 1876 : «... L'édit royal relatif à l'article 9 commence seulement à être connu sur quelques points ; dans q.q. localités, on force les villages à copier tout le traité. Il y a dans cette manière de faire de la faute du gouvernement qui se montre un peu négligent dans l'exécution des charges que lui impose le traité ; mais il y a plus encore de mauvais vouloir de la part de bon nombre de fonctionnaires. Aucune publication n'a été faite pour faire connaître l'annulation de la déclaration du conseil privé qui faisait connaître aux chrétiens qu'ils pourraient se présenter aux examens s'ils accomplissaient toutes les formalités prescrites par les rites. J'ai pu avoir une copie d'un rapport adressé au roi par le mandarin chargé de

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faire une nouvelle enquête au Nghê-An. J'aurais voulu pouvoir vous communiquer ce document avant votre départ, mais je ne pourrai l'envoyer que par mon prochain courrier. Ce rapport qui n'a pas été écrit pour vous être communiqué, est très intéressant ; il montre que les pertes et les souffrances des chrétiens au Nghê-An étaient réelles et considérables, et que s'il y a eu quelque exagération dans les rapports qui vous ont été faits, il y a certainement beaucoup de vrai. Voici le passage le plus saillant de la partie qui traite des pertes subies : ' Dans tous les villages catholiques ayant souffert des incendies et des massacres qu'il a examinés (le sous-délégué), il a vu les maisons complètement détruites, les rizières abandonnées ou laissées en friches. Quelques habitants ont construit de petites cabanes. La situation indique que des dommages considérables ont été éprouvés '. Le nombre des incriminés s'élève à environ 2 000 que le délégué divise en 2 catégories : les plus coupables, qui seuls seraient punis, comprennent moins de 100 personnes parmi lesquelles les chefs les plus influents des lettrés ; pour les autres incriminés, on doit d'un commun accord, arranger les choses à l'amiable. Le quan an sat de la province (juge provincial) a été cassé et remplacé. En somme après 2 enquêtes consécutives, le gouvernement proclame que tous étaient également coupables et dignes de mort ; que les dommages soufferts par chaque parti étaient égaux, et que par suite, il convenait d'abandonner l'affaire. Les conclusions de la 3* enquête faite avec plus d'impartialité sont toutes différentes et on reconnaît officiellement qu'il y a des coupables à punir. Nul doute que malgré nos réclamations pressantes, l'affaire fût demeurée sans solution et les coupables impunis comme il est déjà arrivé plusieurs fois, sans la menace d'une enquête mixte qui eût mis à jour la partialité du gouvernement, la complicité de ses fonctionnaires. C'est à la suite de cette déclaration, que nous exigerions une enquête mixte si on n'obtenait justice, que la deuxième enquête fut ordonnée ; et dans les instructions du délégué, le roi ajouta de sa propre main : ' faire une enquête minutieuse, prendre immédiatement les mesures équitables qui seraient nécessaires, sans partialité, de façon que les deux peuples soient calmés et vivent en paix, ce qui était de la dernière nécessité Votre dernière lettre, Amiral, aura produit un excellent effet et empêchera que l'on s'arrête dans la voie dans laquelle on est engagé en ne donnant pas suite aux conclusions de l'enquête, et en tâchant de laisser encore tomber l'affaire en oubli. J'ai écrit à Monseigneur Gauthier, à l'époque du départ de Monseigneur Croc, et je l'ai prié instamment de limiter le

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plus possible les exigences des chrétiens en lui disant qu'il était indispensable de limiter notre action à la menace d'une enquête mixte...». Annexe 8. A.O.M. Aix, 13 130. Rapport du consul de France à HaiPhong au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Hai-Phong le 1er avril 1876 : « ... Dans la partie méridionale du Tông-King, au Nghê-An, il n'en est pas tout à fait ainsi. Là, d'un côté, les chrétiens lésés par les événements de 1874 réclament les indemnités qui leur sont dues et le châtiment des coupables ; de l'autre, les lettrés, très nombreux et très influents résistent ; et le gouvernement annamite qui, en principe donne raison aux premiers, se déclare presque incapable de maintenir les seconds et de les obliger à l'obéissance... ». Annexe 9. A.O.M. Aix, 13 155. Rapport du consul de France à HaiPhong au gouverneur général, Hai-Phong le 25 mai 1876 : « Telle est en résumé, Monsieur le gouverneur, la situation au NghêAn : d'un côté les autorités annamites se plaignent que les exigences des chrétiens pousseront les habitants à un parti extrême ; de l'autre Monseigneur Gauthier signale le. mauvais vouloir des mandarins en sousordre, les accuse de persécuter les chrétiens, d'empêcher que les indemnités adjugées par l'envoyé royal leur soient payées en entier... ». Annexe 10. A.O.M. Aix, 10 451. Philastre au gouverneur général, Huê le 7 mars 1877 : « ... dans le dossier transmis par M. Turc, je vois des réclamations faites par les chrétiens qui signalent des terres abandonnées par des payens et en demandent la concession ou la jouissance, à titre d'indemnité. Le ministre avoue que cette mesure n'a été prise que contre le sentiment général des gouvernants annamites et comme dernière et seule ressource pour apaiser rapidement les réclamations des chrétiens. Il prétend avoir fait des remarques à ce sujet à mon prédécesseur... C'est alors que ne sachant comment faire pour satisfaire quand même et de suite aux réclamations des chrétiens, on est entré dans cette voie qu'ils indiquaient eux-mêmes en demandant la jouissance et la concession des terres restées vacantes. Ce moyen est détestable, mais il était le seul qui pût apaiser sur le champ les réclamations des chrétiens et c'est évidem-

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ment une cause de plus d'animosité entre les deux factions de la population. Quant à la question des indemnités, le ministre avance que les réclamations présentées en plusieurs fois par Mgr Gauthier montent à près de 3 000 000 F. Le montant des remboursements effectués en terres, pagodes, maisons, argent, s'élève, dit-il, à plus de 550 000 ligatures, mais que les réclamations se succèdent sans cesse et que les chrétiens prétendent être indemnisés en totalité des pertes qu'ils ont subies. Or, dit-il, les villages coupables doivent seuls faire la réparation et tout ce qu'on a pu faire dans cette voie a été fait ; aller plus loin ne sera que pousser à la guerre civile. Si on n'avait pris que les biens des individus reconnus coupables, la réparation eût été insignifiante ; on s'en est pris aux villages les plus compromis... De plus, dit-il, la somme déjà payée est énorme pour le pays, et bien qu'elle n'atteigne pas le chiffre des dommages, son énormité soulève le mécontentement de tout ce qui n'est pas chrétien même de ceux qui n'y ont pas contribué... ». Annexe 11. A.O.M. Aix, 12 839. Philastre, chargé d'affaires à Huê, au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Huê le 4 mars 1878 : « Mgr Gauthier m'écrit : ' Les pertes matérielles dans les deux provinces de Nghê-An et Hà-Tinh s'élèvent à 2 227 468 ligatures. Les victimes, hommes, femmes et enfants, massacrés, brûlés vifs ou noyés, atteignent le chiffre de 1 744. En compensation de ces personnes et de la mort des victimes, les chrétiens ont reçu environ 566 667 ligatures. Abstraction faite des indemnités à payer aux familles des victimes, il reste encore dû pour les pertes matérielles 660 891 ligatures. De plus, il est à remarquer que le tiers à peine des indemnités perçues a été payé en espèces ; le reste a été soldé en champs, estimés au-dessus de leur valeur, mais acceptés comme tels par les chrétiens par esprit de conciliation ' ». Annexe 12. A.O.M. Aix, 12 772. Le chargé d'affaires au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Huê le 2 octobre 1875 : demande d'explication de l'édit concernant l'admission des chrétiens aux concours : « ... Le traité porte à l'article 9 qu'il doit y avoir un édit..., à l'article 22 que le traité de paix sera publié... Les Annamites pour publier le traité, ont envoyé des exemplaires imprimés dans les chefs-lieux ; ils ont, plus tard, envoyé un édit publié à cause d'une première réclamation et antidaté, pour faire croire à une publication spontanée... ».

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Annexe 13. A.O.M. Aix, 12 775. Rheinart au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Huê le 23 octobre 1875 : « ... Il leur reste encore au moins trois ressources à épuiser, et ils n'y renonceront pas ; ils publieront un édit non conforme ; il nous faudra discuter pour faire rectifier, puis la publication sera fort incomplète, et nécessitera une longue discussion. Enfin, poussés à bout, ils demanderont à envoyer une ambassade en France, et c'est ce que je redoute par-dessus tout. Ces gens mentent si impudemment, sont si fourbes, qu'ils tromperont ceux qui ne les connaissent qu'imparfaitement. Pour donner crédit à leurs promesses, ils se les feront arracher, comme des concessions importantes, tout en sachant qu'ils ne tiendront rien ; ils arriveront par ces procédés, à conserver tous les avantages de l'alliance et rien que des avantages, tandis que nous ne garderons que des charges... ». Annexe 14. A.O.M. Aix, 12 900. Le consul de France à Hà-Nôi au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Hà-Nôi le 5 janvier 1876 : « Je puis enfin vous rendre compte que les autorités ont fait afficher à Hà-Nôi l'édit royal relatif aux chrétiens, publié le 28 octobre en conformité à l'article 9 du traité de paix. Ce n'est que le 15 du mois dernier, c'est-à-dire plus de trois semaines après l'arrivée des pièces officielles envoyées par la Cour, et sur une mise en demeure pressante, que les fonctionnaires annamites se sont décidés à exécuter les ordres qu'ils avaient reçus, et encore ai-je dû réclamer le changement de plusieurs des affiches apposées, dans lesquelles on avait tronqué et modifié le texte de l'édit. Si ces difficultés se sont produites dans le lieu même de ma résidence, il est malheureusement trop probable que les dispositions prescrites seront en partie éludées dans les endroits reculés, cet édit déplaisant particulièrement au corps des lettrés, dont font partie tous les mandarins... ». Annexe 15. A.O.M. Aix, 12 784. Rheinart au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Huê le 15 janvier 1876 : « La décision du Co-Mât relative aux examens, n'a pas été annulée ; le ministre auquel j'en ai fait l'observation, a prétexté que la décision elle-même n'ayant pas été publiée, l'annulation ne devait pas l'être ; il n'en est pas moins vrai que la décision a reçu une publicité beaucoup

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plus grande que son annulation. L'édit du roi, conforme à l'article 9 du traité de paix, est encore absolument inconnu dans les villages ; les copies sont demeurées chez les phu et les huyên... L'intention bien évidente du gouvernement annamite est de s'affranchir le plus qu'il pourra des obligations que lui impose le traité, surtout relativement aux chrétiens... ». Annexe 16. A.O.M. Aix, 12 774. Le chargé d'affaires au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Huê le 9 octobre 1875. Avec traduction de l'édit royal : * Et vous catholiques, bien que suivant votre religion propre, votre nature n'est-elle pas la même que celle des autres ? Certainement si. Si vous ne suivez pas les rites et la fidélité vous ne pouvez devenir des hommes. La religion du souverain et des sujets, du père et des enfants, existe. De quel cœur abandonnez-vous vos père et mère, à plus forte raison moi, qui vous tolère, vous instruis, vous nourris, vous regarde avec les mêmes sentiments d'humanité que le reste de mon peuple. Récemment, vous avez été admis à concourir aux examens pour remplir des fonctions suivant vos capacités et j'ai étendu sur vous des sentiments de la plus grande bienveillance. L'avez-vous vu ? Vous osez encore violer les Rites. Qu'est-ce donc alors que les examens et les fonctions publiques ? N'est-ce pas vous-mêmes qui vous tenez en dehors ? A qui en revient la responsabilité ? Vous criez toujours, et vous êtes orgueilleux et hautains au point que les rebelles prennent ce motif pour incendier vos villages, et que vous me forcez à m'inquiéter à l'extrême des moyens de vous sauver. Les dépenses publiques et les pertes des particuliers qui en sont résultées sont considérables. Après la paix, vous étiez indignes de mes bienfaits. Je vous les ai cependant prodigués : j'ai accordé des exemptions d'impôt personnel, d'impôt des champs ; je vous ai distribué des secours. Des deux parts il n'y avait que des coupables. A qui imposer les restitutions ? La volonté de votre souverain ayant paru, il ne vous restait plus qu'à la suivre. Si vous ne savez pas garder votre condition, que vous cherchiez des sujets de luttes et de disputes, et que vous ne vous corrigez pas, alors vous êtes coupables ; vous méconnaissez mes bienfaits, moi qui vous ai nourris. Par ces longues paroles, apprenez que quelque affaire qui arrive, vous n'êtes que des gens du peuple. Comment pourrait-on vous protéger tous, vous venir en aide à tous ? Je n'ai qu'un seul désir : de ne pas perdre un

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seul de mes sujets. C'est pourquoi je les instruis sans distinctions. Si vous ne vous corrigez pas, le chargé d'affaires de France ne se fatiguerat-il pas de vous ? Lorsque quelqu'un manque de fidélité et de dévouement à son propre pays, on ne l'emploie nulle part ailleurs, de même qu'une fille qui a perdu sa chasteté est abandonnée et devient l'objet du mépris général. Il en est nécessairement ainsi. C'est pourquoi travaillez à la journée comme tout le monde paisible pour gagner votre vie, cela est convenable, mais il ne convient pas de faire quelque mauvaise action. Lorsque les mandarins jugeront vos crimes, le chargé d'affaires pourra-t-il vous venir en aide ? Il vous blâmera également, et voilà tout. Maintenant la France et l'Annam sont comme des frères d'une même maison s'occupant d'intérêts réciproques. Comme résident il est nécessaire de choisir un homme accoutumé à suivre les Rites et la Justice, pour garantir les sentiments d'amitié. Cela s'appelle un serviteur étranger respectant le roi d'un pays ami, comme le sien propre. S'il ne connaît pas les Rites, à quoi servent les paroles ? Pour connaître les Rites, il est nécessaire de ne pas oublier la doctrine qui ordonne de s'occuper des affaires de son souverain. Aussi nomme-t-on un résident pour s'occuper des affaires des deux nations et non pour qu'il s'occupe de savoir ce que font les gens, s'ils sont bons ou mauvais. Comment ne pas tenir compte de son importance, pour observer la mesure dans les Rites... ». Annexe 17. A.O.M. Aix, 12 776 (9). Edit royal, 26 octobre 1875 : « L'article 9 du traité d'alliance dit : la religion catholique exhorte les hommes à faire le bien. Maintenant on révoque et annule toutes les prohibitions portées précédemment contre cette religion et on permet aux Annamites de l'embrasser et de la pratiquer en toute liberté. Les chrétiens de l'Annam pourront librement se réunir en nombre illimité pour réciter des prières, faire des cérémonies. On ne pourra sous aucun prétexte les forcer à faire quelque acte contraire à la religion et ils ne seront plus contraints à des recensements particuliers. A l'avenir ils pourront passer des examens et occuper des emplois publics sans qu'on les forces en rien à violer les lois de leur religion. On s'engage à abandonner les registres particuliers aux chrétiens faits précédemment et à les traiter quant aux recensements et impôts comme le reste du peuple. Il sera défendu à l'avenir d'employer dans le langage ou dans les écrits des termes injurieux pour la religion et on corrigera ceux de cette nature

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qui se trouvent dans le Thâp-Diêu. Les évêques et missionnaires se rendant dans l'Annam pour y prêcher la religion pourront librement entrer dans ce royaume et circuler dans l'étendue de leurs diocèses avec un passeport du gouvernement de la Cochinchine visé par le ministre des Rites et les mandarins des provinces. Ils pourront librement prêcher la religion, ne seront soumis à aucune surveillance particulière et l'ordre ne sera plus donné aux villages comme par le passé de prévenir de leurs mouvements. Les prêtres annamites exerceront leur ministère dans les mêmes conditions que les missionnaires. S'ils commettent quelque faute méritant le rotin ou le bâton, cette peine sera rachetée comformément à la loi et ne pourra être appliquée effectivement. Les évêques, les missionnaires et les prêtres annamites pourront louer ou acheter des terres, construire des églises, des presbytères, des orphelinats, des hôpitaux et tous les autres édifices destinés au culte. Les biens précédemment confisqués aux chrétiens et qui sont encore entre les mains du gouvernement leur seront immédiatement restitués, mais aucune restriction n'aura lieu pour ceux qui ont déjà été aliénés. Tous les articles ci-dessus s'appliquent également aux évêques et missionnaires espagnols. Après l'échange des ratifications du traité, il conviendra de publier dans le royaume un édit royal afin que tout le monde connaisse les libertés accordées par Moi aux chrétiens. Tels sont les termes de l'article 9. Actuellement le traité d'alliance a déjà été ratifié et publié. Chaque localité donnera des ordres pour que toute la population des villages en prenne connaissance. Obéissez à ceci. » Copie respectueusement faite par le ministre des Affaires étrangères (petit cachet du ministre), l'interprète du gouvernement : H. Prioux. Annexe 18. A.O.M. Aix, 12 776. Rheinart au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Huê le 30 octobre 1875 : « L'édit est enfin paru. Pour que le roi ne parût pas céder à ma mise en demeure, le ministre est venu me demander un délai. J'ai accordé un jour parce que je recevais le 29 au lieu du 28, je pouvais encore vous aviser de ce qui serait fait. On ne profita pas du délai que j'accordais, et l'édit me fut remis le 28. Il a été antidaté, car il est daté du 26, et porte des termes que le ministre avait demandé, ce même jour, à ne pas employer. On voulait corriger les mots ' faire corriger les articles du Thâp-Diêu ' , et mettre qu'on ne forcerait plus à réciter le ThâpDiêu. Je refusai catégoriquement, voulant obtenir une réparation com-

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plète des injures introduites dans le Thâp-Diêu par une correction publique. L'édit ne contient absolument que le texte de l'article 9, sans commentaires, détails, ni explications ; c'est suffisant pour le moment... On a l'intention, je pense, de ne pas publier l'édit dans chaque village. Il sera difficile cependant, d'obtenir le mode de publication que nous exigeons ; il sera plus difficile encore d'obtenir un nouvel article du Thâp-Diêu, en remplacement du 7 e que l'on s'engage à corriger. L'intention du gouvernement est certainement de s'en tenir à cet édit... ». Annexe 19. A.O.M. Aix, 11 782. Notes de Mgr Puginier du 13 septembre 1886 : « Le but principal qu'ils poursuivent dans cette extermination est de priver la France d'un appui immense qu'elle a dans le pays. Ils n'ignorent pas qu'autant il y a de chrétiens dans le royaume, autant on peut y compter d'amis de la France, sans que cependant on ait à leur reprocher d'être les ennemis de leur gouvernement. Leur nombre les effraie, et les services qu'ils rendent eux et les missionnaires, par les renseignements qu'ils fournissent, et les choses pratiques qu'ils font connaître, les gênent considérablement. Les rebelles comprennent très bien qu'ils ne peuvent espérer lutter avec avantage contre les Français qu'après avoir exterminé les prêtres et les chrétiens ; aussi s'acharnent-ils par tous les moyens à poursuivre cette œuvre d'extermination. J'affirme que si malheureusement il ne restait plus ni prêtres ni chrétiens dans le royaume d'Annam (Tonkin et Cochinchine), les Français entourés d'ennemis ne pourraient plus tenir la position. On le voit déjà dans les provinces où ont eu lieu les grands massacres : la France n'y exerce presque plus aucune influence et cependant il reste encore là heureusement quelques missionnaires et quelques chrétiens qui rendent d'immenses services, peut-être sans qu'on s'en doute... Les rebelles avouent que les missionnaires et les chrétiens les embarrassent fortement et leur aveu est tout naturel. Par qui ont été découverts jusqu'ici les complots contre les Français ? Par les missionnaires et les chrétiens. Où a-t-on trouvé les renseignements les plus importants au moment où il fallait agir, combattre l'ennemi, attaquer les citadelles occupées par les Chinois ? C'est chez les missionnaires et les chrétiens... Les rebelles savent cela et c'est pourquoi ils s'acharnent à se défaire à tout prix des missionnaires et des chrétiens par une extermination générale. En effet,

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sans les missionnaires et les chrétiens, les Français se verraient entourés d'ennemis ; ils ne pourraient se fier à personne ; ils ne recevraient que de faux renseignements méchamment donnés pour compromettre leur situation. Ils seraient réduits à l'impossibilité d'agir et seraient exposés à de vrais désastres. En un mot, leur position ne serait plus tenable ; ils seraient forcés de quitter un pays où leurs intérêts et même leur existence seraient gravement compromis. Le plan des lettrés rebelles ne manque pas de profondeur, de conception ni d'habileté. Il est à désirer qu'ils ne parviennent pas à le réaliser complètement... ». Annexe 20. A.O.M. Aix, 11 689 (40). Copie incomplète d'une proclamation du 19 janvier 1874 : « ... ont eu lieu dans les provinces de Hà-Nôi, Ninh-Binh, NamDinh et Hai-Duong. A cette époque, les mandarins annamites ne siégeant plus dans le pays qu'ils administraient, les catholiques et les autres habitants se sont livrés à des actes de haine et de vengeance, et des malfaiteurs ont profité des circonstances pour faire le brigandage. Maintenant les quatre provinces et leurs citadelles nous ont été restituées, et cependant le peuple n'est pas encore complètement tranquille. Sa Majesté dont la volonté souveraine m'a ordonné de me rendre au Tonkin comme commandant général de toutes les troupes afin de détruire dans toutes les provinces le brigandage et la piraterie et d'employer tels moyens qu'il conviendra pour rétablir toutes choses comme elles doivent être. Arrivé maintenant à Ninh-Binh, j'entends dire que les populations et les catholiques ne sont pas tranquilles. Comment tous ne réfléchissent-ils pas que quoique ne suivant pas une même religion, ils n'en sont pas moins au même titre les enfants chéris du gouvernement annamite et que les événements qui ont eu lieu dans les quatre provinces ne sauraient être attribués ni aux uns ni aux autres pour les en rendre responsables. Maintenant les explications sont complètes avec le gouvernement français et il ne subsiste plus de part et d'autre aucune cause de doute et de méfiance. Toute action commise par des gens voulant susciter des désordres et ne craignant rien, violerait la volonté des deux pays. Cependant, la restitution des provinces n'a été faite que tout récemment, les différents fonctionnaires phu et huyên, ne sont pas encore tous arrivés à leur destination et même n'ont pas encore été tous nommés par la Cour. Mettre à mort les individus sans leur avoir à l'avance donné des ordres, ne serait-ce pas une chose

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tout à fait contraire aux sentiments si exclusifs et si vifs d'attachement que notre gouvernement a pour les populations ? En venant ici, je n'ai absolument qu'un seul but, celui de rendre la tranquillité à tous les habitants et de veiller à ce que tous vivent ensemble sans difficulté et en paix. En conséquence, tous les lettrés des quatre provinces qui ont rassemblé des troupes, doivent suivre la volonté du gouvernement en les dispersant au plus vite et en renvoyant chacun dans son pays afin qu'il reprenne son ancien métier. Tout le monde doit obéir à Sa Majesté et vivre en paix sans chercher des motifs de crainte ou de soupçon. Les habitants qui, à cause de leur extrême pauvreté, se seraient laissés entraîner à suivre les pirates doivent se disperser immédiatement. Ceux qui, pour éviter des persécutions ou garantir leur sécurité, ont rassemblé des hommes et se sont ainsi attiré des malheurs ou se sont rendus coupables, devront faire de suite leur soumission et je m'engage, formellement, à leur pardonner conformément aux intentions bienveillantes de mon gouvernement. Mais si après la présente proclamation, quelques-uns continuaient à faire des rassemblements et à occasionner des troubles, ils commettraient une faute des plus graves. Je me verrais obligé de suivre les ordres de mon gouvernement, de les arrêter et de les punir sans qu'ils puissent espérer aucun pardon, et il serait trop tard pour eux de revenir en arrière. Que tous les lettrés, notables, hommes du peuple et enrôleurs de soldats qui, à l'époque de ces événements ont reçu des armes ou en ont fabriqué, ou ont emporté celles qui leur avaient été données par leurs mandarins, les rapportent soit à mon palais, soit suivant la commodité qu'ils y trouveront, aux tribunaux de leur phu et huyên. Aucun ne pourra être recherché à ce sujet. Que tous se conforment aux articles de la présente proclamation ». Annexe 21. A.O.M. Paris A 90 (4), carton 28 bis. Révolte dans le Tonkin méridional en 1874 : « Sur les représentations faites au gouvernement de Tu-Duc, celuici, aussitôt après la signature du traité de Saigon du 15 mars 1874, avait pris des mesures pour faire cesser les massacres des chrétiens et réprimer les excès des lettrés. Il envoya des troupes pour disperser les bandes d'incendiaires et donna l'ordre d'exécuter les principaux chefs. Il se manifesta aussitôt des sentiments d'hostilité envers le roi, et comme les mandarins favorisèrent en sous-main les mécontents, une insurrection commença le 25 février 1874 et s'étendit bientôt sur toute la province

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de Nghê-An. Le 31 mai les rebelles s'emparaient sans résistance de la citadelle de Hà-Tinh, chef-lieu de la province de même nom enclavée dans celle de Nghê-An. Quelques jours après, les cinq phu (sous-préfectures) du Nghê-An étaient au pouvoir des insurgés, et au nombre de 20 000 ils assiégeaient Vinh ou Nghê-An phu la capitale de la province. Les lettrés avec leurs bandes, firent cause commune avec les nouvelles troupes de rebelles, mais tandis que ceux-ci s'attaquaient franchement aux armées du roi, les lettrés se tournaient plutôt contre les chrétiens et la persécution qui s'était ralentie un instant devenait plus violente que jamais. Tu-Duc avait envoyé 4 000 hommes contre les rebelles, mais cette petite armée était insuffisante, la révolte gagnait de proche en proche. Une troupe de rebelles passait le col de DeonGang qui sépare le Tonquin de la Cochinchine et battait les gens du roi près de Bô-Chinh. D'autres rebelles essayaient de pénétrer dans la province de Thanh-Hoa. Dans cette situation désespérée les mandarins ont alors fait cause commune avec les chrétiens et grâce à ceux-ci ils purent reprendre une à une les sous-préfectures perdues ; de nouvelles troupes envoyées de Huê rétablirent l'ordre dans le Bô-Chinh. Hà-Tinh, la dernière ville occupée par les rebelles fut prise au mois de juin. Sur ces entrefaites, le prince Tuyêt qui commande à Son-Tây avait levé un corps de troupes et marchait sur le Nghê-An. Comme c'est un ambitieux qui dit-on cherche à usurper le trône de Tu-Duc son parent très rapproché, on ne savait guère s'il se mettrait du côté des rebelles ou du côté du roi et des mandarins ; dans l'espoir de le voir se déclarer pour eux, les lettrés rebelles continuèrent la campagne malgré la perte de leurs forteresses. En entrant dans le Nghê-An, Tuyêt comprenant qu'il n'y avait rien à faire avec les rebelles, se déclara contre eux, l'insurrection cessa aussitôt et l'on procéda aux vengeances. Près de 2 000 rebelles furent décapités, au reste on coupa les pouces. Quant aux chrétiens, les mandarins forts de la présence de Tuyêt, n'ayant plus besoin d'eux, les licencièrent sans leur donner quoi que ce soit en échange de leurs services, sans leur rendre justice contre leurs exploiteurs. Ils ont même, depuis ce moment, aggravé par des règlements nouveaux leur situation déjà fort triste. > Annexe 22. A.O.M. Aix, 12 892 (7) (8). Retour de l'ambassade à Huê, Gazette de Pékin du 20 mars 1878, accompagné des Notes de M. Deveria, traducteur : « Tou Tsong-Ing, gouverneur de la province de Koang-Si, s'age-

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nouille et annonce respectueusement à l'empereur que l'envoyé de ViêtNam, Pai Ouen-Y, retournant dans son pays, est arrivé dans la province de Koang-Si. Le rapporteur informe également l'empereur de la date à laquelle l'envoyé cochinchinois s'est remis en route : il était parti à la fin d'août 1877 de Péking ; le tao-taï Nimaoli chargé de l'accompagner, m'a fait connaître son arrivée à Koei-Lin le 29 janvier dernier. J'ai enjoint à l'envoyé annamite de s'y arrêter, afin qu'il lui fût donné la collation prescrite par la règle. Il nous a fait savoir qu'ayant eu la faveur d'être reçu à la Cour, Votre Majesté a daigné accorder comme une faveur, à son roi, une lettre patente, du satin, de la pelleterie et d'autres objets qu'il était chargé d'emporter respectueusement dans son pays pour le remettre à son maître, comme la marque d'une faveur dont un petit Etat n'est pas ordinairement l'objet. Il a ajouté qu'il avait fait bon voyage, et il remercie du fond de son cœur la Cour céleste de la miséricorde avec laquelle elle traite les hommes venus de loin. La reconnaissance de cet envoyé m'a en effet paru très sincère ; je lui ai fait préparer des barques, et, le 22 janvier, il s'est remis en route. Le tao-taï Nimaoli et le sous-préfet Leang-Shuoi, qui avaient conduit jusqu'ici la mission cochinchinoise, étant tous deux malades, j'ai désigné pour l'accompagner et commander l'escorte un officier nommé Ni-Len. J'ai enfin donné l'ordre aux fonctionnaires civils et militaires que cela concerne de donner aide et protection, en cas de besoin, l'envoyé du royaume de Viêtnam. Par mes soins, le vice-roi de Canton est informé de toutes ces choses. Le présent rapport est renvoyé au Conseil privé avec tous les visas de l'empereur. » (Pour traduction conforme. Signé : Deveria.) Notes de M. Deveria : « Jusqu'en 1803, le Tong-King formait un royaume à part, tributaire de la Chine sous le nom d'Annam. Un certain Nguyên Phuoc Anh, plus connu sous le nom de Gialong, s'empara de la basse Cochinchine (Dongnai), de la Cochinchine centrale (Quangnam) : ce royaume ainsi composé, s'appela Viêt-Thuong. En 1803, Gialong s'annexa le Tong-King ; il fit demander à l'empereur de la Chine d'appeler Viêtnam les trois royaumes réunis de Cochinchine. Ce nom de Viêtnam était destiné à perpétuer le souvenir de la réunion du royaume de Viêt-Thuong à celui d'Annam. L'empereur rendit à cet effet un décret (1803) dont j'ai donné antérieurement la traduction. Depuis lors, la Cochinchine, telle que nous l'entendons aujourd'hui, est désignée sous le nom de Viêtnam. Gialong régna de 1803 à 1820 ; ce fut lui qui fonda la dynastie représentée aujourd'hui à Huê par n

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Tuduc. De Gialong à Tuduc, tous les princes qui se sont succédés sur le trône de Cochinchine, ont reçu l'investiture de la royauté de Viêtnam à Hanoi (1804, 1822, 1842). J'ai donné aussi la traduction du cérémonial humiliant à observer en cette occasion par le prince cochinchinois devant l'envoyé de la cour de Chine. Par décret en date de 1790, le rang de roi de Cochinchine est marqué à la cour de Péking entre les princes de la première et ceux de la seconde classe. S'il était détrôné et s'il demandait asile en Chine, il serait inscrit sur le rôle des bannières tartares comme officier chinois avec un globule de troisième classe (globule bleu), ainsi qu'il en fut pour un de ses prédéceseurs Lê Chiêu Tông en 1789. Tuduc, pour les Chinois n'est en définitive qu'un Régulus : son titre est ouang, prince, tandis que l'empereur est vuong, empereur. Ouang veut dire prince ; le prince Kong est Kong-tsing ouang ; tous les princes chinois sont ouang, qu'ils appartiennent ou non à la famille de l'empereur. Le titre de roi est donc lui-même impropre à le désigner. Répudie-t-il ce titre avec nous, il l'accepte de la part de la cour de Chine, et ce ne serait que pour traiter avec les étrangers qu'il prendrait le titre de hoang-tu (empereur). Une pareille audace vis-à-vis de la Chine serait considérée comme un acte de rébellion ; ce serait exprimer la prétention de traiter d'égal à égal avec l'empereur de Chine. Un de ses prédécesseurs reçut une verte réprimande pour moins que cela : en 1761, dit un décret de l'empereur Kiên-Long, nous avons envoyé un fonctionnaire remettre l'investiture royale à Lê Hiêu Tông, héritier légitime au trône du Tong-King. Ce prince voulut substituer cinq saluts aux trois agenouillements et neuf prosternements constituant l'étiquette établie. Ce n'est qu'après avoir entendu les réprimandes de notre représentant qu'il se résigna à s'y conformer. Les coutumes de ce prince ne peuvent qu'être restées primitives ; aussi son attitude n'a-t-elle pas été satisfaisante. Quoiqu'il ait fini par se rendre aux sommations de notre représentant, et bien que, pour ce fait, nous le tenions quitte, le ministère des Rites n'en devra pas moins faire savoir au roi qu'il ne devra plus enfreindre la règle qui lui prescrit de faire devant nos représentants accrédités près de lui trois agenouillements et neuf prosternements. Tout concourt donc à bien établir la vassalité réelle du roi de Cochinchine : la réception par lui de l'investiture royale, le ton général de ses relations avec la cour de Péking, son envoi de tribut tous les deux ans, les visites d'hommage qu'il fait rendre tous les quatre ans, conformément à un décret de l'empereur daté de 1803, et enfin, l'envoi tout récent d'une lettre patente (tche-chou) de l'empereur Kuang-Shiu au roi

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Tuduc. Ce n'est qu'à un inférieur que ces lettres patentes peuvent être adressées ; car au moins dans la forme, elles marquent la situation d'infériorité de celui qui les reçoit vis-à-vis de celui qui les écrit. Je dois expliquer ici l'expression de tche-chou que je traduis peut-être imparfaitement par ' lettre patente '. Chou veut dire ' lettre ' ; tche veut dire : ' an ordinance, an order what is done by spécial permit or precept from him — to give in charge us to punish, to receive warning ' (dictionnaire de W. Williams). Tout ce que je viens de citer ne semble-t-il pas rendre inadmissible l'hypothèse d'un acte public et solennel par lequel Tuduc aurait pris régulièrement le titre d'empereur, dont il a usé dans les deux traités que nous avons avec lui — titre qui le ferait l'égal de son suzerain l'empereur de la Chine dont il reste, comme nous le voyons, vassal de fait. N'y a-t-il pas quelque chose de plus que bizarre dans ce fait d'un chef d'Etat se faisant traiter par nous d'empereur, de prince souverain, auprès duquel nous accréditons une légation, et qui, d'un autre côté, persiste, malgré tout, à n'être pour la Chine qu'un prince de seconde classe en vertu de l'investiture qu'il a reçue d'elle et à laquelle non seulement, depuis 1849, il n'a opposé aucune protestation publique et solennelle, mais encore dont il continue d'accepter les charges ? ». Annexe 23. A.O.M. Paris, B 11 (8) carton 31. Lettre de M. Bouré, ministre de France à Pékin à M. Barthélémy-Saint-Hilaire, ministre des Affaires étrangères à Paris : « L'éclat que l'on va donner à l'ambassade annamite et le retentissement qu'auront les démonstrations exceptionnellement serviles dont elle a mission de s'acquitter auprès de la cour de Pékin, vont nous placer ici dans une situation singulièrement pénible pour notre amour-propre national. Si nous nous résignons sans mot dire, il est hors de doute que le gouvernement chinois mettra notre longanimité sur le compte de notre impuissance : il se trouverait plus d'un représentant étranger pour le lui insinuer, s'il en était besoin, et lorsque mes collègues, soit entre eux, soit devant moi, font allusion à ces affaires, s'entretenant de la politique que nous pratiquons au Tonkin, des vues que l'on nous attribue, des tracasseries et des embarras que la Chine nous suscite ou encourage de l'autre côté du fleuve Rouge, leurs étonnements, leurs épigrammes déguisés ou leurs sourires contenus, viennent aggraver encore, de la façon la plus déplaisante, les ennuis du rôle passif où je me vois réduit ».

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Annexe 24. A.O.M. Aix, 12 852 (1). Philastre au gouverneur général, Huê le 10 mai 1878 : « Quant au fait en lui-même, le gouvernement annamite s'étant réservé le droit de ne rien changer à ses relations diplomatiques antérieures au traité, il est pratiquement licite. Sa raison d'être est d'ailleurs que, loin de croire pouvoir s'appuyer sur nous pour résister au besoin à la Chine, comme cela a été dans les vues des ambassadeurs en 1874, le gouvernement annamite croit avoir besoin de s'attacher plus intimement à la Chine pour résister à notre pression en vue de l'avenir... ». Annexe 25. A.O.M. Paris B 11 (3), carton 31. Extrait d'une lettre de M. Scherzer à M. Bouré, canton le 5 juin 1879 : « ... Je reçois de Hông-Kông un article intéressant sur l'Annam. Le grelot est attaché ; il serait, ce me semble, temps d'agir avant qu'il ne devienne un gros bourdon. Les Chinois ont peur avec raison de la situation que nous créerait la possession d'un territoire limitrophe à celui de l'empire. Nous avons dans le Tonkin le moyen de conquérir une situation exceptionnelle en Chine ; voyez la Russie avec ses frontières. L'Allemagne, qui se bat les flancs pour jouer un rôle quelconque dans l'Extrême-Orient, a l'œil sur le Tonkin et serait heureuse de voir surgir un incident de nature à amener son intervention. Je n'ai pas parlé à qui que ce soit du Tonkin et pour cause, mais voici ce que motu proprio m'a dit avant-hier le maréchal gouverneur tartare de Canton : ' Li Yang Tsoi occupe avec les troupes une portion du Tonkin fertile, il l'administre sagement et ni les Annamites ni les troupes impériales ne pourront l'en chasser ; il a en effet enrôlé sous son drapeau les bannières Noires et Jaunes dont vous avez entendu si souvent parler. Le maréchal qui avait lui-même mis la conversation sur l'Annam ajouta que Li Yang Tsoi était un homme de valeur, très intelligent et bon administrateur ; il eut l'air de dire que somme toute il n'avait pas à encourir tant de blâme pour ce qu'il avait fait. Ainsi d'après les rumeurs chinoises on serait au Tonkin dans un statu quo, démontrant à la fois l'impuissance de l'Annam et de la Chine. Il est regrettable que nous complétions le trio ' ». Annexe 26. A.O.M. Aix, 10 985. Rapport sur la situation politique et

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militaire du Tonkin, bruits d'intervention chinoise, ligne de conduite qui peut-être suivie : « Saigon le 20 juillet 1882. A la cour de Huê, d'après mes renseignements personnels, tout le monde ne partage pas la confiance affichée dans la protection de la Chine ; dans un grand parti qui entoure le trône, le découragement est absolu et l'on considère comme arrivée, la fin de l'indépendance du pays ; mais un autre parti, à la tête duquel se trouve un mui-huong, parent de l'empereur Tu-Duc, et principalement composé de ces métis de la race chinoise, se refuse absolument à accepter la perspective d'un asservissement du pays à ces étrangers de race européenne. La Chine est de tout temps au moins de nom le protecteur séculaire et c'est à lui qu'il faut demander appui dans les graves conjonctures présentes. C'est à l'influence de ce parti qu'il faudrait attribuer l'attitude arrogante prise dans les derniers temps par le gouvernement annamite ; mais il n'y aurait pas lieu d'envisager la confiance affichée dans les entretiens officiels, comme partagée par tous les membres du gouvernement. Pour beaucoup, et des plus importants, il n'y aurait là qu'un masque destiné à couvrir le profond découragement, dont au fond du cœur, on est pénétré, contre lequel seul le parti que je viens d'indiquer chercherait à réagir avec un faible succès. Le capitaine de frégate, Beaumont ». Annexe 27. A.O.M. Aix, 12 962. A.s. de l'intervention que le roi d'Annam demande au roi de Chine ; légation française, cabinet du chargé d'affaires, n° 133, envoi d'une pièce confidentielle, Huê le 24 novembre 1882 : « Monsieur le gouverneur, j'ai l'honneur de vous envoyer la traduction de la réponse extrêmement concise faite par la Chine à la demande de secours que lui a adressée le roi d'Annam après la prise de Hà-Nôi, et la traduction de 8 vers inspirés à Sa Majesté par la joie que lui a faite éprouver la réponse de la Chine. Cette pièce est absolument authentique ; j'ai pu la faire contrôler sûrement ; elle ne nous est pas d'une grande utilité car nous ne pouvons même pas laisser soupçonner qu'elle est tombée entre nos mains ; mais, cependant, elle corrobore tout ce que nous savons des sentiments du roi. Je ne me trompais pas en afirmant que son objectif n'avait jamais cessé d'être la reprise des 6 provinces qui forment notre colonie. Pendant quelque temps l'influence de la poésie royale s'est faite sentir d'une manière

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marquée ; il semblait probable alors que la Cour profiterait de l'arrivée des auxiliaires pour rompre et entrer en campagne. Mais ceux-ci ne se sont pas hâtés d'entamer les hostilités. Le temps s'est passé, et ses effets calmants ont agi sur les dignitaires annamites. Je crois qu'aujourd'hui on a réfléchi qu'il n'y aurait que des coups à gagner en rompant ouvertement, et qu'on préférera reprendre l'ancienne mode de tracasseries et des chicanes incessantes. Il est très essentiel que cette communication demeure absolument confidentielle car s'il était connu que j'ai pu me procurer une telle pièce, on redoublerait de surveillance, on multiplierait les châtiments pour chercher à atteindre ceux qui nous servent, et il en résulterait une sorte de terreur qui rendrait impossible toute nouvelle recherche de ce genre » (le chargé d'affaire p.i. au contre-amiral gouverneur). Traduction de la réponse sommaire de la cour de Chine et des vers composés par le roi d'Annam relativement à la demande de secours ; copie transmise au ministre par lettre n° 137 du 5 décembre 1882 : « A la demande présentée par la cour d'Annam à la cour de Chine, à la suite du conflit survenu à Hà-Nôi, à l'effet d'obtenir l'envoi d'une vingtaine de mille d'hommes de secours, Sa Majesté l'empereur de Chine a répondu par ces termes : Kha, si bac phong tài biên. Le caractère kha, qui veut dire bien, convenable, possible, est un signe d'approbation, c'est-à-dire que l'empereur de Chine ayant trouvé que la demande du roi d'Annam est convenable, l'a approuvée. Si bac phong tài biên : ces caractères se traduisent par : ' nous prendrons des mesures dès l'arrivée du vent du Nord '. Instruit de cette nouvelle qui a ranimé son cœur, le roi d'Annam a composé les huit vers suivants, qu'il a ensuite communiqués à son Co-Mât : ' Sur les ondes descendantes du Nhi-Hà, les gens qui prennent des navires pour maisons, continuent exprès leur séjour. Eux qui sont des barbares de l'Extrême-Occident, viennent souvent causer des dommages à notre empire d'Annam. Que par leurs efforts redoublés, les troupes des deux nations avisent sans cesse aux moyens de défense, afin que du nord au sud, elles puissent se réunir en un seul corps d'armée pour livrer combat à ce troupeau d'un millier d'ennemis et les balayer entièrement. Un seul moment suffit à l'armée navale réunie à celle de terre pour accomplir la défaite de ces ennemis. En attendant que les troupes des deux pays puissent se réunir sur le fleuve Jaune, près du lieu dit Duong Côc, organisons nos armées pour faire rentrer en notre possession le territoire de nos six provinces perdues ' ».

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Annexe 28. A.O.M. Aix, 11 383. Renseignements sur les affaires du Tonkin et l'état des relations avec la Chine, lettre de la délégation de la R.F. en Chine (confidentielle) au gouverneur de la Cochinchine et à ses collègues : « Pékin le 25 mai 1886, ... le dogme de la souveraineté illimitée du Fils du Ciel a toujours cours ici malgré les traités, et l'Annam a été encore tout récemment qualifié de pays tributaire dans les entretiens entre des représentants européens ici et les hauts fonctionnaires chinois... ». Annexe 29. A.O.M. Aix, 12 800. Le chargé d'affaires, Rheinart, au gouverneur de la Cochinchine, Huê le 14 mai 1876 : « Monsieur le gouverneur, ... Dans une lettre que j'ai reçue de notre consul à Hà-Nôi, il m'informait de la visite que lui a faite un consul anglais, et il me disait que ce fonctionnaire semblait supposer que l'exécution de l'article 16 du traité de paix pourrait, plus tard, donner lieu à des complications et à des difficultés. Nous pourrons encore porter remède à ce que la rédaction du traité a laissé de vague, d'ambigu, en élaguer certaines phrases qui n'ont été ajoutées qu'à la demande des Annamites et pour ménager leur amour-propre et qui sont en désaccord avec l'esprit général du traité. Le traité place l'Annam sous notre protectorat, cela me semble indiscutable ; il faudrait bien nettement et clairement préciser cette situation, l'affirmer, et c'est loin d'être impossible ; ce résultat acquis, on ne pourra plus mettre en question le droit de juridiction de nos consuls. Le gouvernement annamite a violé le traité lorsqu'en janvier il s'est adressé à un gouverneur anglais en manifestant l'intention d'envoyer à Hông-Kông un agent qui devait avoir un caractère diplomatique. Cette démarche, quoiqu'elle soit demeurée sans résultat, était bien une violation d'un article qui forme la base de l'alliance (art. 3, § 1). J'ai dû protester ; et pour donner plus de force à ma protestation, je me suis d'abord refusé à croire qu'une pareille démarche ait été faite, et à notre insu ; j'ai demandé au ministre de vouloir bien me faire connaître exactement où en était la question. H me réitéra sa communication en déclarant que la dépêche était bien partie pour Hông-Kông ; c'est alors que j'adressai la protestation dont j'ai envoyé copie par mon tube n° 5 en date du 29 janvier. Dans cette protestation, je réclamai pour nous, le droit de réviser et de préciser certains articles du traité, afin de prévenir le retour de nou-

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velles violations pouvant provenir d'une interprétation erronée du texte. Depuis, nous n'avons reçu aucune réparation, et nous n'avons fait aucune communication écrite ou verbale, officielle ou officieuse, au sujet de cette question. Notre situation est donc, au fond, demeurée ce qu'elle était au lendemain de la protestation ; nos droits sont les mêmes, bien que les démarches des Annamites n'aient pas abouti, et qu'ils nous en aient donné avis ; communication que j'ai laissée sans réponse. Nous pourrions profiter du retour de l'amiral Duperré pour exiger la réparation à laquelle nous avons droit, et que j'ai précédemment indiquée : nous pourrions présenter l'affaire comme ayant eu assez de gravité (et pour moi elle est telle) pour que le gouverneur ait cru devoir prendre les ordres du gouvernement français. Ainsi s'expliquerait le retard que nous avons mis à exiger réparation, et nous tirerions profit de cette affaire pour prévenir les difficultés que nous réserve le traité. Le gouvernement annamite manifestera une extrême répugnance à reconnaître notre protectorat ; on l'y amènera cependant assez vite si, au lieu de discuter, nous déclarons nettement que notre intention immuable est de baser l'alliance sur le protectorat reconnu, déclaré et accepté nettement. En mettant le gouvernement actuel dans l'alternative d'exister sous notre protectorat ou de n'exister plus, et en lui déclarant que s'il repousse cette condition, nous traiterons avec un prétendant disposé à l'accepter, la résistance tombera, et sans que nous soyons amenés à user de la force... ». Annexe 30. A.O.M. Aix, 12 774. Rheinart au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, Huê le 9 octobre 1875 : « ... Pour moi, je me déclare absolument incapable de trouver une autre solution que l'emploi de la force... Il n'est pas bien zertain qu'un ultimatum soit écouté ; peut-être, je le crois, faudra-t-il en venir à l'action. Je regretterai vraiment de voir les affaires se régler par un ultimatum, car ce ne serait pas encore une solution durable. Toute alliance avec ce gouvernement-ci est impossible ; le roi a 28 ans de règne, il ne changera rien aux usages ; il nous faut chercher ailleurs un allié. Tout d'abord j'avais beaucoup d'espoir en lui ; il y a un mois encore, j'attribuai au Conseil toutes nos difficlutés ; je rêvais au moyen de l'en débarrasser pour arriver à lui ; je suis assuré maintenant qu'il ne se ralliera jamais à notre politique ; il a traité pour reprendre le Tonkin, perdu pour lui en ce moment-là ; mais le traité lui pèse. Ce n'est pas

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après 28 ans de règne, passé au milieu de 300 femmes, n'entendant que tromperies et flatteries, que l'on peut se rapprocher de nous. Tout traité avec Tu-Duc sera illusoire ; dans l'intérêt de tous nous devrions chercher un autre allié pour le remplacer ; il nous y forcera du reste, très probablement. Si donc, par malheur, on cédait devant un ultimatum, il faudrait introduire de nouvelles clauses et établir un protectorat bien réel avec garnison française aux frais du gouvernement annamite ; il faudrait mettre les navires à la disposition du roi, mais avec des équipages fournis par nous, en entier payés par eux, et enfin régler de suite toutes les indemnités : paiement immédiat de l'indemnité espagnole, règlement des affaires du Nghê-An. Il nous faudra aussi exiger des relations directes orales ou écrites avec le roi, régler nous-mêmes les conditions d'ouverture au commerce, et surtout, ne jamais plus discuter, mais parler toujours en maître et en tuteur. Pour avoir un protectorat efficace et durable, il suffirait d'occuper Hà-Nôi, le cheflieu du Nghê-An, Huê et peut-être le chef-lieu de la province de BinhDinh ; ce sont les provinces les plus peuplées... ». Annexe 31. A.O.M. Aix, 11 688 (27). Mgr Colombert à am. Dupré, 23 décembre 1873 : projet de rédaction des articles du futur traité, relatifs à la religion catholique : « Puisque vous avez bien voulu me le permettre, je prends la liberté de vous adresser, pour le chapitre religion du traité avec Huê, les articles que j'ai rédigés, et qu'il semble nécessaire d'insérer, si l'on veut assurer la liberté du christianisme et éviter à l'avenir les difficultés du passé. Ces articles sont, à première vue, bien longs et bien détaillés pour un traité. Il semble difficile de les abréger, parce que l'expérience a clairement démontré qu'il ne suffit pas de poser des principes généraux avec l'Annam, mais qu'il faut spécifier les applications particulières sinon les principes seront éludés. Les plénipotentiaires de S.M. chercheront sans doute à gagner le plus possible en détail. Mais j'ai la conviction qu'ils décideront tout, en fin de compte parce qu'ils sont pressés par la nécessité. Je me réjouis bien sincèrement, Monsieur le gouverneur, de ce que vous êtes dans des conditions si avantageuses pour traiter et aussi de ce que les circonstances vous ont amené à bien connaître la question religieuse. J'ose espérer que les meilleurs résultats sortiront des conférences que vous allez commencer. Des clauses de ce traité dépend tout l'avenir des missions annamites. Elles auront la

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mesure de liberté que vous leur aurez procurée. Vous admettez avec moi, Monsieur le gouverneur, que la sécurité et la reconnaissance des évêques et des missionnaires, par qui a été introduite en Indochine l'influence française, la justice et l'équité rétablies chez un peuple par l'autorité de notre patrie, 500 000 chrétiens arrachés à l'oppression qu'ils subissent depuis 40 ans, le nom français béni en tout Annam par ces malheureux qui nous devrons leur délivrance, sont des considérations qui impressionnent tout cœur généreux. Aux articles, j'ai ajouté quelques motifs à l'appui, avec traduction littérale du traité de Péking (texte chinois)... ». Annexe 32. A.O.M. Aix, 11 688 (8). Projet de traité de Mgr Colombert : « S. M. le roi d'Annam reconnaissant à l'exemple des nations civilisées, que la religion catholique enseigne aux hommes à faire le bien, révoque toutes les prohibitions, portées antérieurement dans son royaume contre la dite religion, et accorde à tous ses sujets la faculté de l'embrasser et la pratiquer librement. Les chrétiens du royaume d'Annam pourront se réunir dans les églises en nombre illimité pour les exercices de leur culte. Ils ne seront plus obligés, sous aucun prétexte, à des actes contraires à leur religion, ni soumis aux recensements particuliers. Ils seront admis aux concours et à toutes les charges du royaume, sans qu'ils soient tenus pour cela à aucune cérémonie prohibée par les lois de la religion. S. M. fera détruire les registres du dénombrement des chrétiens faits depuis 15 ans. Elle les fera rétablir dans le même état qu'ils étaient avant cette époque. S. M. renouvellera la défense si sagement portée par Elle, d'employer dans le langage ou dans les écrits publics des termes injurieux à la religion catholique. Elle fera corriger dans le même sens quelques articles du Thâp-Diêu. Les biens enlevés aux chrétiens pendant la persécution leur seront restitués par l'intermédiaire du chargé d'affaires de France à Huê. Les évêques et les missionnaires pourront prêcher en tout lieu la doctrine catholique. Ils entreront et circuleront librement dans le royaume, munis d'un passeport du gouverneur de Saigon, visé par le ministère de Huê. Us ne seront plus soumis à une surveillance particulière, et les villages où ils demeureront et séjourneront temporairement ne seront plus tenus de déclarer aux mandarins soit leur présence, soit leur arrivée ou leur départ. Les prêtres annamites exerceront librement comme les

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missionnaires leurs fonctions sacerdotales. Si leur conduite est répréhensible, ils ne pourront être jugés que par un tribunal dans lequel l'évêque sera représenté. La peine du bâton et du rotin ne leur sera pas applicable, elle sera commuée en une punition équivalente, si elle est justement encourue par l'un d'eux. Les évêques, les missionnaires et les prêtres annamites auront le droit d'acheter des terrains et des maisons, de bâtir des églises, des hôpitaux, des écoles, des orphelinats et tous autres édifices destinés au service du culte catholique. Les dispositions précédentes s'appliquent aux Espagnols aussi bien qu'aux Français. Un édit royal publié après l'échange des ratifications, proclamera dans toutes les communes du royaume la liberté accordée aux chrétiens par le présent traité ». Annexe 33. A.O.M. Aix, 11 688 (28). Mgr Colombert au contre-amiral gouverneur de la Cochinchine, vicariat apostolique de Cochinchine occidentale, Saigon le 26 décembre 1873 : « Je vous prie d'agréer mes remerciements bien sincères pour la communication que vous avez eu la bonté de me faire hier. L'article du projet relatif à la liberté religieuse, dont vous m'avez donné copie, résume fort bien les principes qui doivent servir de base à cette partie du traité. Cependant, comme l'expérience a prouvé que les mandarins sont tracassiers et qu'ils n'admettent pas en pratique les conclusions les plus légitimes dérivant du principe général de liberté, il me semble de la plus haute importance que le traité fasse mention spéciale de la révocation des édits antérieurs, du droit de réunion en nombre illimité, de l'abolition des termes injurieux à la religion, du droit de propriété et du passeport des missionnaires. C'est pourquoi, Monsieur le gouverneur, dans le but de répondre à tous les besoins, et afin d'abréger le plus possible les termes du traité, j'ai réuni en un seul article les sept articles que j'ai eu l'honneur de vous présenter tout d'abord, en les abrégeant et en y introduisant toutes les modifications que vous avez indiquées vous-même. Ainsi rédigée la partie religieuse du traité annamite aurait à peu près la même longueur que dans le traité chinois. Au lieu de l'expression : reconnaissant les mérites de la religion catholique, j'ai pris les termes du traité de Péking : reconnaissant que la religion enseigne à faire le bien. Je trouve excellent le dessein que vous avez de faire publier un édit royal proclamant la liberté religieuse, et je vous serais très reconnaissant, Monsieur le gouverneur, de vouloir

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bien tenir à cet article. Quant à la question du passeport, je ne suis pas bien fixé moi-même sur la formule de rédaction la plus opportune. Ainsi rédigé, l'article concernant la religion me semble vraiment très acceptable. J'ai usé de la liberté que vous m'avez donnée de présenter mes observations. En vous les adressant, je m'associe à votre entreprise et au but relevé que vous vous proposez, assurer le bien commun, la justice et la liberté... ». Annexe 34. A.O.M. Aix, 11 649 (16). Aff. étr. à Marine, sans date (novembre 1874 : ajouté) : rôle des missionnaires au Tonkin et en Annam (copie) : « Monsieur le ministre et cher collègue. Vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 29 septembre dernier pour me signaler la résistance que rencontrait auprès de quelques-uns des évêques de Cochinchine l'application du récent traité que nous avons conclu avec le gouvernement annamite ; vous me rappeliez à ce propos, que les clauses relatives à la liberté du culte catholique préalablement soumises au Saint-Siège, avaient été pleinement approuvées par lui, et que l'attitude des prélats dont il s'agit ne pouvait dès lors s'expliquer que par un regrettable malentendu. Pour le faire cesser, vous m'avez exprimé le désir que notre ambassadeur à Rome appelât sur ce point l'attention du gouvernement pontifical et provoquât l'envoi de nouvelles instructions aux vicaires apostoliques en Cochinchine, afin de leur tracer la voie qu'ils auraient à suivre. Je me suis empressé d'écrire à notre ambassadeur auprès du Saint-Siège dans le sens que vous m'avez indiqué et vous verrez par la réponse que m'adresse M. de Corcelle, et dont la copie est ci-annexée, que la Cour pontificale rend pleine justice aux sentiments qui nous ont amenés à entourer de garanties nouvelles et aussi sérieuses, l'exercice du culte catholique dans ces contrées. En conséquence, toutes les précautions nécessaires seront prises pour prévenir désormais les prélats de Cochinchine contre les écarts de conduite qu'ils pourraient commettre et qui seraient de nature à embarrasser l'action de nos agents, en même temps qu'à compromettre les intérêts religieux dont la protection nous incombe... » (Decazes). Annexe 35. A.O.M. Aix, 11 649 (17). Min. de France à Rome à Aff. étr. à Paris, Rome le 26 octobre 1874 : « Monsieur le duc, par votre dépêche du 3 septembre, vous m'avez communiqué un rapport de M. le ministre de la Marine au sujet de la

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disposition de plusieurs évêques établis en Cochinchine à s'écarter de l'esprit du traité que nous avons conclu le 15 mars dernier avec le gouvernement annamite. En ce moment, le cardinal Franchi est absent de Rome ainsi que le principal secrétaire de la Propagande, mais je n'ai pas voulu différer de m'adresser au cardinal secrétaire lui-même. Je ne puis avoir aucun doute sur le bon accueil fait par Son Excellence aux vues de Monsieur le ministre de la Marine. Elle m'a témoigné combien Elle appréciait l'esprit du traité du 15 mars et rappelé que le Saint-Siège en avait éprouvé une grande satisfaction. La Propagande a été avertie, et dès que le cardinal Franchi sera de retour, je m'assurerai auprès de lui qu'aucune précaution ne sera négligée pour préserver les évêques de Cochinchine de tout écart qui pourrait nuire à notre sage politique évidemment approuvée par le Saint-Siège... » (de Corcelle). Annexe 36. A.O.M. Aix, 11 331. Agissement des chrétiens réfugiés à Qui-Nhon. Résident de Qui-Nhon à résident général à Hà-Nôi et résident Hector à Huê (en marge : B. P. à classer avec soin) : « Chrétiens continuent arrestations arbitraires. Ont encore arrêté hier dans notre village un vieillard apparenté avec mon interprète, mes miliciens et des Chinois commerçants. Je vais recevoir une protestation générale. Evêques Le Gorre, La Ferrandière refusent écouter mes avis se rendre à mes raisons. Evêque invité fermement et courtoisement à relâcher prisonnier me répond lettre insolente. Le Gorre venu ce matin à la résidence déclare ne pas connaître attributions des résidents. Son attitude a été très hostile, agressive. Ces agissements, cet emballement vont avoir à bref délai des conséquences graves. Au nom des intérêts les plus sacrés je sollicite votre haut appui. Dans l'intérêt même des missionnaires en général. Ceux du Binh-Dinh ont perdu la tête » (Hamelin). Annexe 37. A.O.M. Paris A (30) carton 14. Min. des Aff. étr. à min. Marine, Versailles le 20 mars 1878 : « Par votre lettre du 14 mars dernier, vous avez bien voulu me communiquer des informations que vous teniez de M. l'amiral Lafont et qui avaient trait à l'intervention trop active que les missionnaires catholiques entendaient exercer dans certaines affaires locales d'une nature purement administrative. Le gouvernement de notre colonie ne serait

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pas sans se préoccuper des tendances manifestées depuis quelque temps par les ecclésiastiques placés sous la direction de Mgr Puginier et qui chercheraient à grouper en communautés distinctes les chrétiens indigènes dont ils prétendraient se faire les intermédiaires réguliers et même officiels auprès du gouvernement de Huê dans les difficultés auxquelles peut donner matière l'exécution de nos derniers traités. Bien que nous n'ayons pas à surveiller ni à contrôler l'établissement ou le fonctionnement des associations qui se fondent ainsi dans l'intérieur de l'Annam, soit spontanément, soit même sous l'inspiration des chefs spirituels qu'elles ont acceptés et dont l'œuvre a rencontré de tout temps notre sympathique appui, nous ne saurions, en effet, consentir à ce que l'initiative des missionnaires vînt en aucun cas, se substituer auprès de la cour de Huê, à celle des agents attitrés du gouvernement, dont la compétence dans les questions d'ordre purement politique doit être exclusive de tout autre. M. le contre-amiral Lafont s'en est justement rendu compte lorsqu'il s'est refusé à accueillir les propositions que Mgr Puginier lui a faites dans ce sens, et je m'associe pleinement pour ma part aux termes de la lettre que vous comptez adresser à cet officier général pour approuver sa détermination, tout en lui recommandant d'apporter dans ses rapports avec le vicaire apostolique de Cochinchine, les égards et les respects que nous imposent le caractère de ce prélat comme le rôle de protection qui nous incombe à l'égard de la mission dont il est investi... ». Annexe 38. A.O.M. Paris, A 30 carton 14. Gouverneur de la Cochinchine à ministre de la Marine, Saigon le 26 janvier 1878 : « Entre autres questions qui s'imposent à l'attention du gouverneur de la Cochinchine, la nécessité de maintenir dans la stricte observation du traité du 15 mars 1874 les diverses parties intéressées, lui crée des obligations particulières et exige son action incessante. Celles de ces clauses relatives au libre exercice de la religion chrétienne dans toute l'étendue du royaume d'Annam donnent lieu, plus souvent que toute autre, à des difficultés et à des contestations. Les autorités annamites ne se montrent en effet que trop disposées à les enfreindre et j'ai déjà eu plusieurs fois à combattre leurs prétentions et à réclamer à la cour de Huê le retrait de certaines mesures prohibitives en opposition complète avec les dispositions du traité. Je me plais à reconnaître, toutefois, que le gouvernement annamite s'est toujours rendu jusqu'ici à mes

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observations, et qu'il y avait fait immédiatement droit. Mais si d'un côté je dois tenir la main à ce que le gouvernement et ses représentants dans les provinces respectent scrupuleusement les engagements contractés envers les missionnaires et les chrétiens, je considère comme un devoir non moins étroit de retenir ceux-ci dans la limite des droits que le traité leur confère, et qu'ils ne sont également que trop enclins à outrepasser. Il existe en effet dans les différentes missions qui poursuivent dans l'Annam l'œuvre civilisatrice à laquelle elles se consacrent avec tant de dévouement et une si admirable abnégation, une propension marquée à vouloir constituer les chrétiens disséminés dans le pays, en autant de centres à part dans lesquels les missionnaires auraient non seulement charge d'âmes mais dont les intérêts matériels leur seraient confiés. Aussi, ne négligent-elles rien pour arriver à ce résultat qui leur assurerait vis-à-vis d'une population quelque peu indifférente en matière religieuse et soumise au bon plaisir des mandarins, un puissant moyen de propagande, et je ne pouvais être surpris de la démarche que vint faire auprès de moi en vue de cet objectif, S. G. Mgr Puginier, vicaire apostolique du Tonkin occidental. Dans un long mémoire relevant quelques faits à la charge des gouverneurs de provinces, ce prélat ne demande rien moins que d'intervenir auprès du gouvernement annamite pour faire reconnaître aux évêques et aux missionnaires le droit de porter devant les autorités du pays, et à la cour de Huê même, les réclamations de leurs ouailles, et de les rappeler en temps et lieu à l'observation des traités. Il ne m'était pas possible d'accueillir une semblable demande ni d'encourager des tendances que je combattrais énergiquement si elles venaient à se produire dans la partie de l'Annam soumise à notre autorité. Aussi ai-je répondu à Mgr Puginier que résolu, conformément aux instructions ministérielles à faire assurer par tous les moyens aux missionnaires et aux chrétiens les privilèges qui leur ont été octroyés, je ne saurais aller au-delà, ni demander surtout qu'on fît à ces derniers une situation d'exception dont l'effet immédiat serait de les soustraire en quelque sorte à l'action directe de l'administration du pays et de leurs juges naturels. J'ai ajouté que le gouverneur de la Cochinchine me paraissait, d'autre part, seul autorisé à signaler à Huê les infractions au traité et à mettre le gouvernement annamite ou les autorités provinciales en demeure de s'y conformer, mais que si j'avais seul qualité pour en discuter les textes, les évêques et les missionnaires me trouveraient toujours disposé à écouter et à faire valoir leurs justes réclamations. J'ai cru devoir rédiger ma réponse en des termes qui ne

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laissent aucun doute sur la fixité des principes qui l'ont dictée et que je crois conformes à la politique de la France vis-à-vis de l'Annam et à ses véritables intérêts. C'est à vous, Monsieur le ministre, qu'il appartient de juger en dernier ressort si cette appréciation est exacte et si j'ai atteint en agissant ainsi que je l'ai fait, le but que je me propose avant tout autre et qui est de m'inspirer en toute circonstance des instructions du Département en assurant, sans laisser s'engager aucun conflit, la stricte exécution du traité du 15 mars 1874 ». Annexe 39. A.O.M. Aix, 11 649 (12). Commandant Dujardin à Mgr Colomer, Hai-Phong le 23 juillet 1874 : « ... J'ai remarqué avec douleur, Monseigneur, que dans sa lettre, Votre Grandeur paraît s'étendre avec complaisance sur l'attitude impassible, tolérante, mystérieuse que la garnison française et les navires de guerre semblent conserver en présence de l'insurrection actuelle. Cette attitude, sur laquelle Votre Grandeur porte un jugement sévère n'a aucun des caractères qu'Elle signale, elle est nécessitée par des raisons que je me permettrai de développer à Votre Grandeur en lui rendant visite. De plus cette réserve n'a pas été aussi indifférente que l'on voudrait s'efforcer de le faire croire, car les mouvements de l'itinéraire des navires de guerre de la station (ils sont au nombre de deux) dans leurs voyages pour le service français, ont été combinés de manière à être utilisés dans l'intérêt de l'ordre de la province ; plusieurs fois même ils ont été déplacés exclusivement sur la demande de Monsieur le gouverneur de Hai-Duong, dont la mémoire me paraît parfois être rebelle... Ensuite, Monseigneur, il me semble que Votre Grandeur s'exagère un peu l'étendue de notre mission à Hai-Phong. Comme je l'ai déjà dit et écrit à Monsieur le gouverneur de Hai-Duong, la convention de Hà-Nôi n'a été signée qu'après que le deuxième ambassadeur eût déclaré au représentant français que le gouvernement annamite était assez fort pour maintenir l'ordre dans le Tong-King et qu'il réclamait le retrait des troupes françaises. C'est alors que la majeure partie de ces troupes et des bâtiments ont été rappelés à Saigon en ne laissant à Hai-Phong que le nombre d'hommes et de navires nécessaires pour occuper la position. Depuis cette époque, une fois, sur les craintes de M. Rheinart, et en présence des troubles et des partis qui agitaient la province de Hà-Nôi, j'avais fait remonter le détachement, mais cette mesure a été désapprouvée, et le deuxième ambassadeur celui-là

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même qui avait signé la convention, s'est plaint de ce déplacement à M. Rheinart. C'était pourtant pour maintenir l'ordre et éviter un conflit que le détachement était remonté. Il y a quelques jours encore, j'ai reçu de Monsieur le ministre des Affaires étrangères et du Commerce de la Cour de Huê, une lettre fort peu bienveillante, pour ne pas dire plus, en réponse à une demande qui lui avait été faite par M. Rheinart. Ce haut fonctionnaire prétend que le résident politique est au Tong-King pour les affaires commerciales seulement et qu'il n'a à s'occuper d'aucune autre chose, même pas de faire des observations au sujet de la non-observation de la convention. Je cite ces faits, Monseigneur, pour faire remarquer à Votre Grandeur comment l'autorité annamite entend notre action à Hai-Phong. Enfin, Monseigneur, Votre Grandeur suppose-t-elle que nous n'ayons pas désiré ardemment, en voyant les massacres commis dans le Tong-King méridional, voler au secours des victimes nos coreligionnaires, qui, malgré de belles protestations du gouvernement étaient immolées en violation de la convention par des rebelles lettrés et à la face des autorités et des troupes régulières. Pourquoi avons-nous fait seulement des représentations qui, malgré leur énergie, ont été peu ou point exécutées ?... ». Annexe 40. A.O.M. Aix, 11 689 (32). Rapport de M. Harmand, commandant la citadelle de Nam-Dinh au commandant du Corps expéditionnaire au Tonkin, Hà-Nôi le 15 janvier 1874 : « ... Avant mon arrivée à Nam-Dinh et dès la chute de la citadelle le grand chef des lettrés, le hai-phong tham-dam et le roan-quê, autre grand dignitaire, s'étaient mis à la tête de la résistance. On les avait signalés tous les deux comme des personnages extrêmement énergiques et dangereux, jouissant d'une très grande influence, le premier surtout. Ils sont depuis longtemps à la tête du parti qui ne rêve que l'exclusion des Européens, et l'extermination des chrétiens. Monsieur Garnier avait mis leurs têtes à prix à un taux très élevé, mille ligatures, chiffre qu'il m'autorisa même à dépasser quelques jours après, me promettant de ratifier toutes les dépenses que je pouvais faire pour m'assurer de leurs personnes. Je ne tardais pas à avoir de leurs nouvelles ; dès le premier jour de mon commandement, je recevais de nombreuses plaintes sur les déprédations et les ravages commis par des bandes armées dans les villages. C'était surtout des chrétiens qui venaient demander des secours, disant un millier d'hommes quand il y 14

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avait cent brigands. Au fait des habitudes annamites, je n'eus garde de m'y laisser prendre, et n'envoyai jamais personne sans avoir fait prendre des renseignements par un homme sûr. Le 18 décembre, deux jours après mon arrivée, ayant reçu une lettre très pressante de Mgr Cezon, évêque espagnol établi à quelques lieues de Nam-Dinh, je lui envoyai le Gr. Mtre Boilève et les deux fusiliers Pirot et Martin, dans une jonque armée de quatre pierriers, avec 100 hommes du général Ba. Partis sans interprètes, et trompés à chaque instant, on leur fit parcourir en triomphe une foule de villages, et malgré mes ordres formels et le désir qu'ils avaient d'y obéir, ils ne purent rentrer à NamDinh que trois jours après. A la mission, on les envoya à la tête de toute la population catholique, prendre et brûler un village de pirates. Ils tuèrent une dizaine d'hommes, dont un chef ; les blessés furent martyrisés, noyés ou brûlés vivants, les pagodes détruites. Les hommes se sont conduits bravement, mais je me suis promis de ne plus laisser tirer un coup de fusil sans moi (malgré les conseils que j'ai reçus) afin de m'opposer moi-même à ces scènes de barbarie, n'attaquer que des villages bien et dûment coupables, et éviter à ces chrétiens fanatiques de terribles représailles, soit dans le cas d'un échec des Français, soit le jour où la politique changerait. Pendant ce temps, je continuai à recevoir des visites continuelles ; on faisait littéralement queue à ma porte depuis 7 heures du matin jusqu'à la nuit, et j'étais obligé de recevoir ce monde même pendant mes repas. C'étaient des gens qui ayant rassemblé des hommes (à la suite d'une proclamation de M. Garnier faite après la prise de la citadelle) demandaient à recevoir des armes, se proposaient comme officiers, lettrés, ou même venaient demander à être nommés huyên ou phu. Tous ou à peu près étaient catholiques, et un grand nombre venait de la province de Ninh-Binh, envoyés par des prêtres. Les chrétiens se sont montrés en toutes circonstances d'une convoitise indécente, aussi maladroite qu'égoïste. J'ai toujours cherché dans leur intérêt propre, à modérer cette ardeur. Je voulais nommer autant que possible, plus de payens que de chrétiens, d'abord pour ne pas exciter dans le pays un mécontentement naturel, et en outre parce que les chrétiens, presque tous de basse extraction, sont tenus à l'écart par le gouvernement annamite, ne sont pas au courant des affaires, sont absolument neufs dans l'administration. De plus, ils sont rarement lettrés. Puisque j'en suis sur ce sujet, je dois parler à cœur ouvert et sans parti pris. H est certain que les chrétiens nous ont rendu de grands services, et ont bien facilité notre tâche, mais ils m'ont causé bien des

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inquiétudes. De notre côté, l'impulsion étant donnée, nous nous sommes trouvés dans la nécessité de nous appuyer exclusivement sur eux. Mais ils ont montré une maladresse insigne ; ils ont considéré notre arrivée comme le jour de la revanche, et ils l'ont trop laissé voir. Si les missionnaires ont donné des ordres sévères, ils ont été bien mal écoutés. Je le répétais vingt fois par jour : ' Croyez-vous que nous sommes venus ici pour faire une guerre de religion ? — Nous sommes venus dans un but commercial purement et simplement. Que vous soyez Chinois, chrétiens, payens, peu importe. Nous serons sans doute heureux de rendre service aux chrétiens. Mais si nous en nommons quelques-uns à des fonctions importantes, c'est parce qu'il est indispensable, dans l'intérêt de la paix publique, que ces fonctions ne restent pas vacantes, et que nous avons les chrétiens sous la main. Mais que les anciens mandarins viennent à nous, et nous serons heureux de leur prouver notre impartialité. Tous les Français ne sont pas chrétiens, argument qui les inquiétait profondément. Un jour, c'était un curé annamite qui incendiait, sans provocation, une pagode. Une autre fois, c'était un missionnaire français assez simple pour se mettre à la tête d'une bande de 300 hommes, et faire véritablement la guerre. Je retins le premier quelques jours dans la citadelle ; je fis venir le second, lui donnai des conseils amicaux, lui démontrant combien sa conduite était préjudiciable à la religion même : que c'était le vrai moyen de ranimer de vieilles rancunes, de faire naître des haines nouvelle;», de perpétuer l'agitation dans un pays qu'il fallait avant tout pacifier Je ne sais ce que l'avenir réserve à ce pays si riche et si malheureux à la fois ; je ne cherche pas à pénétrer ni à donner un conseil, mais si par la suite des circonstances, il tombait jamais entre nos mains, il faudrait une bien grande prudence dans ces questions délicates, et je plains sincèrement ceux qui seraient appelés à administrer les cantons où vivent conjointement chrétiens et païens. Ce serait bien plus difficile qu'en Cochinchine et donnerait lieu à bien des tiraillements... ' ». Annexe 41. A.O.M. Paris, A 90 (9), carton 18 bis. Le Myre de Vilers au ministre du Commerce et des Colonies, Saigon le 5 janvier 1882 : « Dans le cours de sa session, le Conseil colonial a supprimé la subvention de 170 000 piastres accordée aux missions de Cochinchine et du Cambodge pour frais du culte. La séparation de l'Eglise et de 14*

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l'Etat est ainsi accomplie en Cochinchine. Ce vote est dû principalement aux quatre membres annamites qui ont montré dans cette question une véritable passion, en contradiction avec le calme et la modération de leur conduite. La dépense étant facultative, nous n'avons pas à intervenir. Quelle sera la conséquence de cette mesure ? Je ne crois pas que nous ayons à redouter de complications en Cochinchine et au Cambodge ; il y a dans ces provinces 600 000 chrétiens, dont 300 000 appartenant aux dominicains espagnols qui ont toujours considéré, du moins les premiers, la France comme leur protectrice naturelle. Seront-ils impressionnés par le retrait de la subvention ? Y verront-ils un changement radical de notre politique ? Au contraire la grande majorité des Tonkinois, sachant que nous restons en dehors de toute question religieuse, nous montrera-t-elle plus de confiance ? J'aurai l'honneur de vous tenir au courant des suites de cet incident qui ne semble pas avoir jusqu'ici de gravité exceptionnelle... ». Annexe 42. A.O.M. Aix, 11 473. Compte rendu de la subvention à la mission de Cochinchine occidentale en 1881, lettre du vicaire apostolique de Cochinchine occidentale au gouverneur, Saigon le 9 janvier 1881 : « J'ai l'honneur de vous adresser, comme les années précédentes, le compte rendu de l'emploi de la subvention à la mission de Cochinchine occidentale en 1881. Par suite de la suppression de cette subvention faite par le gouvernement colonial, contre toute attente et sept jours avant la fin de l'année, la mission se trouve tout à coup privée juste des deux tiers de ses ressources annuelles. Elle est obligée en conséquence de congédier 150 séminaristes, de fermer Cac Nhum, d'abandonner les 68 écoles primaires et les 4 000 élèves qui les fréquentaient, de renoncer à la construction et à l'entretien des églises et des presbytères dans les 197 chrétientés établies (etc.). Elle donnera par mois 10 piastres aux missionnaires, et 5 piastres aux prêtres indigènes. Avec cela ils entretiendront leur chapelle, mangeront du riz avec du man et boiront de l'eau. Et c'est pour les missionnaires que la France est venue ici, il y a 22 ans ! Et c'est aux missionnaires qu'elle doit la Cochinchine !... Et cette grave mesure a été prise, à l'improviste, contre des prêtres français, reconnue par la loi, sans qu'Un seul reproche ait été formulé contre eux !... ».

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Annexe 43. A.O.M. Paris, A 90 (9), carton 18 bis. Le ministre de la Marine et des Colonies au président du Conseil, Paris le 27 février 1882 : « ... Monsieur le Myre de Vilers ajoute que, peut-être cette partie de la population tonkinoise sur laquelle nous nous sommes appuyés lors de notre première intervention au Tonkin et qui a eu à en souffrir, pourrait considérer le retrait de la subvention comme un changement dans notre politique et se montrer moins disposée à nous prêter son concours le jour où nous mettrons à exécution nos projets sur le Tonkin. C'est là une hypothèse. Il est plus probable — et l'attitude des Annamites membres du Conseil général doit le faire présumer — il est probable que la majorité des Tonkinois nous saura gré de nous être placés en dehors de toute question religieuse et nous montrera plus de confiance. La mission du Tonkin n'étant pas subventionnée par la France, l'impression produite par la mesure dont il s'agit, ne pourrait avoir sur elle qu'un contrecoup indirect. Toutefois le traité de 1874 nous ayant donné un rôle de protection vis-à-vis des chrétiens, il peut arriver que les intéressés affectent de se méprendre sur le caractère d'une disposition qui les atteint directement. C'est à ce point de vue que je vous prie de bien vouloir me faire connaître les appréciations que l'étude de cette question vous aura suggérées... ». Annexe 44. A.O.M. Paris, A 90 (9), carton 28 bis. M. Desprès, ambassadeur de France près le Saint-Siège, à M. de Freycinet, président du Conseil, ministre des Affaires étrangères à Paris, Rome le 14 mars 1882 : « Le cardinal préfet de la Propagande m'a entretenu d'un rapport qu'il a reçu du vicaire apostolique de la Cochinchine occidentale au sujet des dispositions prises au préjudice de la mission et dont ce dernier sollicite le retrait ; voici les détails dans lesquels Son Eminence est entrée. Il y a dix ans le vicariat apostolique de Saigon obtenait du gouvernement une subvention qui, vu la médiocrité de ses autres ressources, formait la partie principale, c'est-à-dire les deux tiers de ses ressources. Cette subvention lui a été retirée quelques jours avant la fin de l'année dernière et sans aucune explication préalable. Sans doute, cette subvention ne constituait point une dette du gouvernement ; elle avait été néanmoins concédée et maintenue par des considérations importantes. Les missionnaires avaient rendu à notre colonie de très réels

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services. On leur devait le développement de l'instruction publique et l'usage des caractères européens pour la langue annamite. Ils répandaient l'Evangile parmi les idolâtres au prix des plus grands sacrifices, et préparaient leur assimilation à la France en leur enseignant la religion chrétienne. Le dommage que la mission éprouve est énorme. Mgr Colombert dans son rapport, expose qu'il est forcé d'interrompre l'établissement de nouvelles chrétientés, l'œuvre des catéchumènes, la construction et la dotation de nouvelles églises et de nouveaux presbytères. Il a dû licencier cent cinquante séminaristes et abandonner soixante-dix écoles primaires fondées et maintenues par la mission avec quatre mille élèves chrétiens, et il n'avait entrepris ces créations que dans la presque certitude que la subvention obtenue serait continuée. Le cardinal Siméoni m'a dit que la Propagande prenait le plus vif intérêt à l'œuvre de la mission de Cochinchine et m'a demandé avec insistance de vous faire part de son vif désir de voir le délégué apostolique remis en possession de ses ressources qui lui avaient été accordées par le gouvernement colonial. J'ai répondu à Son Eminence que j'ignorais absolument quelles pouvaient être les raisons de la résolution prise, mais que j'étais certain à l'avance qu'elles n'avaient rien d'arbitraire... ». Annexe 45. A.O.M. Aix, 10 621. l r e note de la main de l'amiral Duperré, missions françaises dans l'Annam (sans date) : « Au Tonkin, Mgr Puginier qui réside à Ke-So. Il a joué un rôle actif dans l'affaire Garnier : il m'inspire une médiocre confiance. Au Tonkin méridional, Mgr Gauthier qui réside à La-Koi. On se rend facilement à la mission en mouillant à Hon-Me. Le prélat est fort âgé, très fanatique, mais je n'ai eu que de bons rapports avec lui. Il a pour coadjuteur Mgr Croc qui sera peut-être affecté à remplacer à Huê Mgr Sohier que je regrette beaucoup. Dans les provinces méridionales, Mgr Charbonnier qui réside à Binh-Dinh, et n'est pas remuant. J'avais pris la précaution de provoquer à Rome une démarche de la Propagande, auprès des évêques pour les inviter à ne pas abuser des concessions obtenues par le traité, les engageant à les conformer aux vues du gouverneur de la Cochinchine. Je lui ai écrit pour leur prêcher la modération, et je n'ai qu'à me louer de leurs procédés. N. B. Annam. Il convient de remonter un peu haut pour bien appré-

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cier le caractère de nos relations actuelles avec l'Annam, les circonstances qui ont présidé et suivi la conclusion des traités de 1874. La prise des trois provinces de l'Ouest en 1867 avait brusquement déchiré le traité de 1862, alors que ' l'encre n'était pas encore séchée et l'une des grandes fautes de l'auteur de cette spoliation a été de ne tenir aucun compte de la puissance tierce intervenue dans le traité, de l'Espagne, dont l'indemnité de guerre n'était pas payée, et dont les droits exigeraient bientôt, pour être sauvegardés, la conclusion d'un nouveau traité. Mais à Huê, la brutalité de nos procédés, la mort tragique de Phan Thanh Gian, avaient produit un effet foudroyant : pousser nos nouveaux sujets à la révolte, protester en France contre les actes du gouvernement par l'envoi d'une ambassade, telles furent les premières résolutions de la Cour, et personne ne voulut admettre la possibilité d'une consécration des faits accomplis. Quant au cabinet de Madrid, il demeura complètement indifférent, ce qui se comprend en raison des nombreuses revendications que le trésor français pourrait exercer. Deux années se passèrent pendant lesquelles l'agitation fut grande dans les provinces conquises ; puis vint la guerre, et le ralentissement de tous les travaux qui permit de supposer que la durée de notre établissement en Cochinchine était douteuse — on parlait tout haut, même à Saigon, de l'insanité de cette occupation, de l'urgence de faire cesser ces sacrifices d'hommes et d'argent. Ces propos étaient rapportés à Huê, aussi le gouvernement annamite répondait à toutes les ouvertures qui lui étaient faites pour entamer les négociations d'un nouveau traité que c'était à Paris qu'il entendait discuter ses intérêts et réclamer comme base des pourparlers la rétrocession des trois provinces. Rien n'avait pu vaincre cette force d'inertie, et les choses en étaient là quand, en 1872, M. le contre-amiral Dupré reçut l'ordre d'en finir, de préparer un projet de traité qui serait négocié soit à Saigon, soit à Paris, si cette condition ne pouvait pas classer. Le nouveau gouverneur ne fut pas plus heureux, et les difficultés devenaient telles que, de guerre lasse, le ministre autorisa les compromis bien dangereux, la faculté accordée aux Annamites de reprendre l'administration des trois provinces en nous donnant une compensation. Cette concession était impossible, le gouverneur ne l'offrit pas, mais malheureusement une indiscrétion commise permit aux ambassadeurs de connaître les intentions de notre gouvernement, et depuis, la cour de Huê demeure convaincue qu'elle peut, un jour ou l'autre, obtenir à Paris, une rétrocession à laquelle le gouverneur de la Cochinchine seul, est opposé : d'un autre côté, le bruit

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répandu dans les provinces a jeté l'alarme, découragé ceux qui revenaient à nous, enhardi les fauteurs de rébellion, et c'est ainsi qu'a été engendrée l'insurrection de 1875. M. le contre-amiral Dupré était donc arrivé aux mêmes résultats que ses prédécesseurs quand survinrent, au Tonkin, une insurrection et les incidents provoqués par l'expédition de M. Dupuis. L'amiral conçut alors les projets les plus grandioses, et une expédition au Tonkin fut proposée au ministre qui la repoussa avec énergie : obéissant à des ordres péremptoires, il voulut cependant chercher dans ces événements du Tonkin une solution à une situation embarrassante dans la guerre et la trouvait : et il résolut d'imposer par la peur ce traité qui traînait toujours en longueur. L'expédition Garnier fut résolue, et les Annamites croyant effectivement à nos menaces d'occuper tout le Tonkin, signèrent le traité du 15 mars 1874. Le traité conclu à Saigon était un traité de protectorat et comme tel, il avait une raison d'être : à Paris, on n'osa pas accepter cette forme, elle fut supprimée et on conserva plusieurs dispositions que le protectorat pouvait seul justifier, l'article 16, par exemple. L'expédition Garnier avait ravivé le souvenir de la spoliation de 1867, aussi, quoique ayant traité, la cour de Huê conservait certainement contre nous les sentiments les plus hostiles, partagés par tout le parti des lettrés : les chrétiens étaient partout maltraités, et avant même l'échange des ratifications, la cordialité des relations était déjà devenue impossible. M. Rheinart apporta trop de raideur dans ses rapports avec les ministres, toutes nos demandes légitimes étaient mal accueillies, et plus nous faisions des efforts pour nous montrer conciliants, plus on nous témoignait une défiance systématique : la concession d'un terrain pour la légation, mal comprise par M. Rheinart, avait exigé huit mois de discussion. L'affaire des indemnités dues aux chrétiens du Nghê-An était sans cesse ajournée : nos relations étaient devenues telles que je voyais très prochaine une rupture que notre gouvernement désirait éviter à tout prix : je me décidai à partir pour Paris et, dès mon arrivée, je remis au ministre un mémoire concluant à la nécessité de donner à la cour de Huê un témoignage éclatant de notre bonne foi, de notre résolution de ne pas rechercher au Tonkin un agrandissement de nos possessions, en même temps je demandais d'envoyer à Huê M. Philastre qui inspirait aux Annamites une certaine confiance et qui, mieux que M. Rheinart, savait manœuvrer avec eux. Après une longue conférence avec les ministres, et non sans difficultés, j'obtins les instructions que renferme la dépêche du 1 er juin, et je partis le 4. M. Philastre, envoyé à Huê, eut l'ordre d'étu-

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dier le terrain et de faire entrevoir justement la possibilité des arrangements dont il s'agit. Cette démarche a passé : bientôt la situation s'est améliorée et, aujourd'hui, à part quelques boutades du Thuong-Bac, il n'y a pas de conflit à craindre... ' ».

Tableau généalogique de la famille

2,18

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