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French Pages 360 [396] Year 1998
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE
COLLECTION ADMINISTRATION PUBLIQUE CANADIENNE
Iain Gow, A. Paul Pross, Co-directeurs J.E. Hodgetts Directeur Emeritus L'Institut d'administration publique du Canada copublie cette collection dans le cadre de ses engagements de promouvoir la recherche sur des problèmes d'actualité portant sur l'administration publique et la détermination des politiques publiques ainsi que d'encourager les praticiens et les citoyens intéressés à les mieux connaître et à les mieux comprendre. Il n'a pas été prévu de nombre de volumes donné pour la collection mais, sous la direction du Comité de recherche de l'Institut, du Directeur général, et du Directeur associé, l'on s'efforce d'accorder l'attention voulue aux questions importantes.
Le Bureau fédéral de la statistique Les origines et l'évolution du bureau central de la statistique au Canada, 1841-1972
David A. Worton
L'Institut d'administration publique du Canada McGill-Queen's University Press Montréal & Kingston • London • Buffalo
© McGill-Queen's University Press 1998 ISBN 0-7735-1776-6 Dépôt légal, 1er trimestre 1998 Bibliothèque nationale du Québec Imprimé au Canada sur papier sans acide Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l'aide accordée à notre programme de publication.
Données de catalogage avant publication (Canada) Worton, David A. (David Albert), 1924Le Bureau fédéral de la statistique : les origines et l'évolution du bureau central de la statistique au Canada 1841-1972 (Collection Administration publique canadienne ; 22) Traduction de : The Dominion Bureau of Statistics. Comprend des références bibliographiques et un index. Publ. en collab. avec : Institut d'administration publique du Canada. ISBN 0-7735-1776-6 1. Canada. Bureau fédéral de la statistiqueHistoire. I. Institut d'administration publique du Canada. II. Titre. III. Collection. HA37.C22W6714 1998 352.7'5'0971 C98-900106-7
À mon mentor et ami de longue date Simon A. Goldberg, 1914-1985
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Table des matières ix
Préface
xvii
Illustrations
1
1841-1867:
La statistique dans la province du Canada
2
1867-1905:
La statistique après la Confédération
13
3
1892-1912:
Nouveaux rôles, nouveaux responsables
33
4
1912-1918: Foster, Coats et la centralisation
53
5
1918-1939: Le Bureau fédéral de la statistique - La mise en oeuvre des programmes
73
6
1918-1939:
7
Les années 1930 : En quête de la reconnaissance professionnelle
115
8
1918-1939 : Le rôle du Bureau dans l'évolution de la communauté statistique internationale
143
1939-1942:
La fin de l'époque Coats
159
10 1942-1945 : Le passage de Cudmore
181
11 1945-1956:
191
9
La lutte du Bureau pour sa reconnaissance
3
Les années Marshall I-Les défis de l'après-guerre
12 1945-1956: Les années Marshall II - Innovations en matière de programmes
103
211
13 1957-1972: Les années Duffett I - Les changements à l'administration et à l'infrastructure
235
14 1957-1972:
255
Les années Duffett II - Les programmes et autres enjeux
Epilogue
275
Annexes
283
Notes
309
Index
357
Préface Tout commence au début de 1984. Pendant une réunion du Comité des politiques du Bureau, Martin Wilk, statisticien en chef à l'époque, fait remarquer que je pourrais peut-être écrire une histoire de la statistique officielle au Canada. Je n 'ai pas le temps de répondre qu 'il me parvient déjà un murmure d'approbation de mes collègues autour de la table. Le sort en est jeté. Je sais d'instinct qu'il faudra remonter avant la Confédération et laisser entrevoir les progrès du pays. L'économie de base s'est transformée en une économie industrielle, et la population d'à peine deux millions d'habitants, concentrée dans l'Est, va augmenter de dix fois pour occuper un territoire s'étendant de l'Atlantique au Pacifique sur une distance de 5 500 km. Les mutations politiques, économiques et sociales font naître le besoin de données statistiques, initialement dam les domaines de la démographie et de l'agriculture. Au fil de l'industrialisation du pays et de l'expansion du commerce avec l'étranger, la demande s'accroît en volume et en complexité. La Seconde Guerre mondiale et la période de reconstruction viennent confirmer le rôle clé de la statistique pour les décisions que prennent les administrations publiques aussi bien que les entreprises. En même temps qu 'évolue la demande, on assiste au développement des structures organisationnelles et aux avancées technologiques qui en facilitent l'exécution. Pareil défi aurait séduit plus d'un historien, mais il m'attirait tout spécialement. Depuis mon arrivée au Bureau au milieu de 1962, j'étais de plus en plus fasciné par la spécificité de l'organisme, dont la mission distincte obligeait le recours à des compétences et aptitudes particulières. Les professionnels, me semblait-il, avaient embrassé un genre de sacerdoce offrant aux hommes et femmes les mêmes possibilités d'épanouissement. La plupart des hauts gradés faisaient carrière au Bureau, et ceux qui, comme moi, sont entrés en fonction vers la fin des années 1950 et le début des années 1960 y sont presque tous restés de longues années. Rares sont les fonctionnaires qui pourraient nommer le premier administrateur général de leur organisation. On ne peut en dire autant du Bureau fédéral de la statistique, que R.H. Coats dirigea dès sa création en 1918 et dont il assura l'expansion
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE pendant 25 ans. Coats, déjà entré dans la légende en 1962, considérait primordial de convaincre l'establishment d'Ottawa que la statistique ne se résumait pas à de simples calculs mécaniques. Coats a voulu démontrer que le statisticien a pour rôle de préparer des données après une étude des besoins et de réaliser un produit pertinent et utile à la prise de décisions dans tous les secteurs de la société. Ce n'était pas une mince tâche dans les années 1920, mais la crise aida à faire comprendre que la statistique pouvait servir à cerner les problèmes sociaux et économiques et à leur apporter des éléments de solution. Mais la reconnaissance du rôle du statisticien ne s'obtiendra qu 'une fois créé le Système de comptabilité nationale afin de répondre aux besoins de la reconstruction après la guerre. A l'évidence, Coats avait prévu l'esprit et le contenu du système, et sa perception, comme celle de ses successeurs, inspirent encore la nouvelle génération de statisticiens. De l'avis de Coats, la lutte pour la reconnaissance professionnelle allait de pair avec la réforme des rapports hiérarchiques. La capacité du Bureau à servir les ministères et le grand public était affaiblie par l'obligation de rendre compte au sousministre du Commerce, non issu de la profession, plutôt qu'au ministre lui-même. La situation était une source de frictions et de découragement pour Coats; mais — et c'est tout à son honneur — il n'a pas laissé cet obstacle freiner les réalisations professionnelles dont nous venons de parler. Certes, le terrain était partiellement déblayé. Et Coats ne manquait pas de souligner l'apport de ceux qui avaient jeté les bases du système statistique canadien. J'ai donc été amené à explorer, avec beaucoup d'intérêt, les travaux de ses prédécesseurs, Joseph Charles Taché, George Johnson et Archibald Blue, qui lui passa le flambeau en 1915. J'ai décidé d'amorcer mon récit par la formation de la province du Canada en 1841, et par les lois de 1847 et de 1852, qui ont pourvu à la tenue des recensements de 1851-1852 et de 1861. En dépit de leurs lacunes, on s'entend pour dire que ces recensements ont ouvert la voie à ceux qui suivraient la Confédération. De même, la législation de l'époque a servi à orienter les lois de la statistique promulguées après la Confédération; certaines de ses dispositions administratives ont été appliquées intégralement par le Dominion du Canada. L'activité statistique en Amérique du Nord britannique remonte encore plus loin que la création de la province du Canada. Près de 200 ans plus tôt, en 1665, un recensement de la population et de l'agriculture s'était tenu en Nouvelle-France. Jusqu'en 1840, on en compte 21 autres sur le territoire qui, après la conquête, deviendra le Canada, puis le Bas-Canada. Pendant cette période, une trentaine de recensements ont été menés par les Britanniques et les Français dans les quatre provinces de l'Atlantique. Les travaux sont remarquablement décrits dans le volume IV du recensement de 1871 au Canada et, par la suite, à partir de sources révisées et augmentées, dans le volume 1 du recensement de 1931 du Canada. On me demande souvent pourquoi je me suis arrêté à l'année 1972. C'est qu'il faut donner du temps au temps pour pouvoir jeter un juste regard sur l'évolution de Statistique Canada au cours des 25 dernières années. Les années 1970, en particulier, ont été marquées au coin de difficultés et de controverses. Bien des témoins de l'époque
x
PREFACE
sont toujours là — certains se trouvent encore au Bureau — et ont sûrement des perceptions différentes des événements qu'ils ont vécus. De toute façon, cette page d'histoire ne pourrait s'appuyer sur des documents d'archives. L'épilogue présente tout de même un survol des années 1970 et traite des solutions apportées aux problèmes, tout en offrant un aperçu du Bureau au milieu des années 1990. Au printemps 1984, j'ai réuni tous ceux qui avaient travaillé au Bureau et que j'avais pu retrouver. Heureusement, Nathan Keyfitz et Simon Goldberg, même s'ils ne vivaient plus au Canada, se trouvaient à Ottawa à ce moment-là. Il y avait aussi N.L. McKellar, C.D. Blyth, E.B. Carty, Jenny Podoluk, V.R. Berlinguette, W.D. Porter, H.J. Adler, A.D. Holmes, I.P. Fellegi et LE. Rowebottom. J'espérais queA.H. LeNeveu aurait pu se joindre à nous, lui qui comptait le plus d'ancienneté, mais la maladie l'avait retenu chez lui au dernier moment. Je visais non pas à ressasser des souvenirs (j'ai d'ailleurs utilisé les témoignages verbaux avec circonspection), mais plutôt à ressentir ce que c 'était que de travailler au Bureau pendant les 20 ou 30 ans qui ont précédé mon arrivée. Par la suite, j'ai enregistré des entrevues avec Keyfitz, Goldberg et McKellar et, beaucoup plus tard, je me suis entretenu à Toronto avec CM. Isbisîer qui, avant Goldberg, fut à l'origine de l'implantation du Système de comptabilité nationale dont le regretté George Luxton avait jeté les bases. Ces témoignages oraux sur Coats et ses successeurs, Cudmore et Marshall, en ont fait des personnages plus grands que nature et ont ajouté du piquant aux recherches que j'ai menées dans les archives. Ainsi, j'ai découvert en 1986 que ceux qui allaient devenir les beaux-parents de la deuxième de mes filles avaient acheté la maison de Coats, sur l'avenue Manor à Rockcliffe Park, de sa veuve, peu après le décès de celuici. J'ai donc eu l'immense plaisir de m'asseoir devant la cheminée de Coats à plusieurs occasions. Malheureusement, la maison a été vendue quelques années plus tard, puis démolie. Quelques mots sur mes sources. Les Archives nationales m'ont fourni l'essentiel de ma documentation. Au ministère de l'Agriculture, je n 'ai rien trouvé de pertinent à la statistique tant avant qu 'après la Confédération, ce qui se comprend quand on sait que le ministère reléguait la statistique à l'arrière-plan. Mes sources sur le XIXe siècle sont donc principalement les rapports annuels des ministres de l'Agriculture, les lois sur la statistique, les journaux des débats de la Chambre des communes et les rapports des recensements décennaux. En fait, ces derniers, qui décrivent l'évolution de la méthodologie du recensement, m'ont été des plus précieux pour toute la période s'étendant jusqu'à notre époque. Parmi mes autres sources sur leXIX.esiècle figurent les rapports annuels des ministres du Commerce et ceux du Bureau des industries de la province de l'Ontario. Les activités statistiques du ministère du Travail, pendant ses dix premières années d'existence, sont bien décrites, tant dans les archives personnelles de Mackenzie King que dans celles du ministère. Les documents du commandement britannique donnent un compte rendu de la participation de sir George Foster, ministre responsable de la statistique, à la Commission royale des dominions, une fois que le Bureau du recensement et de la statistique fut passé du ministère de l'Agriculture au ministère du Commerce en 1912. La période comprise entre la nomination de Coats à titre de statisticien du Dominion en 1915 et le milieu des années 1960 (après quoi je ne pouvais xi
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE plus utiliser les archives) est richement documentée, bien que dans certains cas, de façon peu méthodique. Pendant la majeure partie de cette période, la tenue des dossiers et des archives semble avoir été laissée à la discrétion des secrétaires des statisticiens fédéraux. Au cours de mes recherches, je suis tombé sur une lettre fort intéressante, mais impubliable, que George Johnson avait écrite peu avant sa retraite en 1905; Mlle Gertrude Kehoe, qui tenait les dossiers de Coats, l'avait trouvée en faisant de l'ordre et l'avait conservée pour son patron. C'est peut-être ce souci de l'ordre qui explique la disparition des dossiers de l'ancien Bureau du recensement et de la statistique ou de ses prédécesseurs. Par contre, les Archives nationales recèlent une pléthore de documents administratifs détaillés sur les recensements plus récents et de nombreuses publications qui seraient plus à leur place dans le Centre de documentation du Bureau. En 1987, un agent de la gestion des documents à Statistique Canada, Denis Gélineau, m'a signalé l'existence d'une pile de dossiers datant de l'époque de Coats, qui dormaient sur une tablette depuis au moins une trentaine d'années. Il m'a permis aimablement de les consulter avant de leur transmission aux Archives nationales. Les employés de bureau n'étaient pas les seuls à utiliser cette méthode d'archivage un peu fantaisiste. Nombre de documents que j'ai examinés ne portaient ni date ni mention de l'auteur. Et sur bien des lettres d'accompagnement, une note indiquait que le document en question n'était pas classé. En terminant, j'aimerais remercier d'abord Martin Wilk, pour la confiance qu 'il m'a accordée dès le début. Peu après son départ à la retraite, une maladie grave m'a obligé à mettre mon projet en veilleuse pendant près d'un an, et d'autres retards ont été causés par les rechutes que j'ai faites une fois que j'ai eu pris ma retraite en 1988. Je suis donc reconnaissant de l'indéfectible patience que m'a démontrée Ivan Fellegi, successeur de Martin Wilk. En 1993, le 75e anniversaire de la création du Bureau fédéral de la statistique a été souligné par la parution d'une histoire populaire de cette époque. Mais Ivan Fellegi demeurait convaincu de la nécessité d'un ouvrage à caractère scientifique qui remonterait aux origines du pays. Le soutien administratif a été assuré par Guy Labossière, statisticien en chef adjoint aux Services de gestion, jusqu'à ce qu'il prenne sa retraite il y a quelques années, et par son successeur, Yvon Fortin. Les services de transcription ont été fournis successivement par mon ancienne secrétaire, Grâce Lackey, et par Margaret Richardson et Diane Lévesque et, plus récemment, par Nancy Bryerton et Caroline Joly. Heureusement qu 'elles ont pu compter sur l'informatique, sans quoi elles auraient dû retaper plusieurs fois le texte modifié. J'aimerais aussi remercier Susan Feeney et Fred Baker, du Centre de documentation de Statistique Canada, et Rita Groulx, de la Division des communications, qui m'ont aidé à trouver les meilleures illustrations pour accompagner le texte. Danielle Baum, également de Statistique Canada, s'est chargée de transformer le manuscrit enprêts-à-photographier. Mes collègues du Bureau, actuels et passés, ont formulé de judicieux commentaires sur mon manuscrit. En outre, je suis immensément redevable au professeur J.E. (Ted) Hodgetts de l'aide apportée dans la rédaction de l'ouvrage. À l'époque, lorsque l'Institut d'administration publique s'est montré intéressé au projet, Ted était xii
PREFACE
responsable du programme des publications de l'Institut. Comme la période de gestation de l'ouvrage a été très longue, il a pris sa retraite entre-temps, mais il m'a généreusement offert de revoir le manuscrit jusqu 'au stade de la présentation à des lecteurs externes. Je sais qu 'il y a passé de longues heures et, dans la mesure où le projet est un succès, une bonne partie du mérite lui revient. Il va sans dire que j'assume l'entière responsabilité de tout défaut que pourrait présenter l'ouvrage. Les successeurs de Ted à titre de corédacteurs, Paul Pross et Iain Gow, m'ont aussi beaucoup aidé. Par ailleurs, je suis reconnaissant à la Division des langues officielles et de la traduction de Statistique Canada, qui a fait traduire l'ouvrage, qui a mené en grande partie les recherches documentaires et qui s'est chargée des travaux de révision et d'adaptation. Et surtout, j'aimerais remercier mon épouse, Joyce, qui a dû littéralement vivre au coeur du projet au jour le jour. Trop longtemps, elle a enduré avec le sourire mes habitudes de travail désordonnées, et elle était toujours là pour m'encourager, doucement mais efficacement, lorsque ma muse semblait vouloir m'abandonner.
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Joseph Charles Taché fut le premier à définir les exigences d'un système statistique complet. Il fut sous-ministre de l'Agriculture, d'abord dans la province du Canada, puis dans le Dominion du Canada, de 1865 à 1888. Il planifia et dirigea les recensements décennaux de 1871 et de 1881. (Gracieuseté de Statistique Canada.)
George Johnson, nommé en 1887, fut le premier statisticien à temps plein du nouveau ministère de l'Agriculture. Il dirigea notamment la planification et la tenue du recensement de 1891 et la publication de l'Annuaire du Canada. // occupa son poste jusqu'en 1905. (Gracieusetéde Statistique Canada.)
Archibald Elue fut nommé commissaire spécial au recensement au ministère de l'Agriculture en 1900 et dirigea la tenue des recensements décennaux de 1901 et de 1911. Il fut à l'origine de la loi de 1905 qui eut pour objet d'instituer le Bureau du recensement et de la statistique, chargé de recueillir des données intercensitaires. Il dirigea le Bureau jusqu 'à sa mort en 1914. (Gracieuseté des Archives nationales du Canada, négatif PA 197036.)
Robert Hamilton Coats fut statisticien en chef au ministère du Travail de 1902 à 1915, puis on le nomma statisticien du Dominion et contrôleur du recensement, en raison de ses travaux de recherche au ministère du Travail et de sa contribution à la Commission des statistiques officielles du Canada, formée en 1912, qui recommanda l'établissement d'un système statistique centralisé. Il prépara le terrain pour la création, en 1918, du Bureau fédéral de la statistique, qu 'il dirigea jusqu 'à sa retraite en 1942. (Gracieuseté de Statistique Canada.)
Les délégués à la Conférence des statisticiens du Commonwealth, tenue à Ottawa en septembre et octobre 1935. R.H. Coats (1 er rang, 4e de la gauche) était président et H. Marshall (dernier rang, à droite), secrétaire. S.A. Cudmore (dernier rang, à gauche) était aussi un délégué. À droite de Coats se trouve sir Francis Floud, haut-commissaire du Royaume-Uni au Canada. (Gracieuseté de Statistique Canada.)
Les machines utilisées de 1911 à 1941 pour totaliser les données du recensement étaient en grande partie fabriquées sur mesure parA.E. Thornton et Fernand Bélisle (au premier plan, au centre), de l'équipe de mécanographie du Bureau. (Gracieuseté de Statistique Canada.)
Le 25 janvier 1942, R.H. Coats prononce son allocution de retraite dans le décor Spartiate de l'ancienne scierie Edwards. Sur la table, derrière lui, on aperçoit le dictionnaire en 13 volumes offert par le personnel en guise de cadeau de retraite. (Gracieuseté de Statistique Canada.)
De 1927 à 1952, le Bureau occupa des locaux de fortune dans l'ancienne scierie Edwards Mill, sur l'île Verte. L'emplacement et la vue étaient superbes, mais les conditions de travail laissaient beaucoup à désirer. (Gracieuseté de Statistique Canada.)
La guerre ayant accru les exigences imposées au Bureau, le personnel, plus nombreux, dut littéralement travailler coude à coude. (Gracieuseté de Statistique Canada.)
Sedley Anthony Cudmore, de l'Université de Toronto, fut recruté par Coats peu après la création du Bureau fédéral de la statistique. Il succéda à Coats à titre de statisticien du Dominion en 1942, mais occupa son poste pendant moins de quatre ans avant de mourir subitement en 1945. (Gracieuseté de Statistique Canada.)
Herbert Marshall, autre recrue de l'Université de Toronto, mit au point, dans les années 1920 et 1930, des programmes de statistiques sur les prix et la balance des paiements. Il succéda à Cudmore à titre de statisticien fédéral en 1945 et occupa son poste jusqu'en 1956. (Gracieuseté de Statistique Canada.)
En 1952, le Bureau emménagea enfin dans un nouvel immeuble spacieux au Parc Tunney. Sur les piliers, à l'avant de l'immeuble, on aperçoit les plaques qui contrarièrent John Diefenbaker parce qu'elles ne portaient pas le mot «fédéral ». (Gracieuseté de Statistique Canada.)
L'équipe du recensement de 1951. Au second plan (de gauche à droite) : G. Anderson, F. Boardman, M. Waddett, L Forsyth, C. Scott, D. Ralston, R. Ziola. Au premier plan (de gauche à droite) : N. Keyfitz, 0. Lemieux, H. Marshall, J.T. Marshall, A. McMorran. (Gracieuseté de Statistique Canada.)
Walter Elliott Duffett travailla à la Banque du Canada et au ministère du Travail avant de succéder à Herbert Marshall au poste de statisticien fédéral au début de 1957. Il dirigea le Bureau pendant la période où celui-ci connut sa plus grande évolution, jusqu'à sa retraite en 1972. (Gracieuseté de Statistique Canada.)
Simon Aaron Goldberg fut, en quelque sorte, le bras droit de Duffett pendant la durée du mandat de celui-ci. À partir des travaux de Luxton et d'Isbister, il mena à bien l'établissement et l'organisation du Système de comptabilité nationale. En 1972, il fut nommé directeur du Bureau de statistique des Nations Unies. (Gracieuseté de Statistique Canada.)
« II est indéniable, à mon avis, que cette société soutient et encourage un art cultivé par des hommes tenus en moins haute estime que ceux qui consacrent des efforts et des talents semblables à bien d'autres entreprises. Cela s'explique en partie par le fait que l'on confond souvent la laborieuse collecte de données, deuxième étape de toute enquête statistique sérieuse, avec l'ensemble du processus, sans tenir compte du jugement et de l'intuition scientifique qui ont présidé à la planification de l'enquête, ni de l'esprit critique et analytique dont on a fait preuve dans la découverte et la diffusion de la vérité. » William A. Guy, « On thé Original and Acquired Meaning of thé term 'Statistics' and on thé Proper Functions of a Statistical Society: also on thé Question whether there be a Science of Statistics; and, if so, what are its Nature and Objects, and what is its Relation to Political Economy and 'Social Science' » [De l'évolution sémantique du terme « statistique » et du rôle d'une société statistique; existe-t-il une science de la statistique et, dans l'affirmative, quelles en sont la nature et les fonctions, et la relation entre l'économie politique et les sciences sociales]. Journal of the Statistical Society, Londres, vol. 28 (décembre 1865), p. 478-493.
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LE BUREAU FEDERAL DE LA STATISTIQUE
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CHAPITRE I 1841 -1867 :
La statistique dans la province du Canada INTRODUCTION En 1841, par suite du rapport Durham, le Haut et le Bas-Canada furent réunis pour former la province du Canada. Ils deviendraient plus tard le Canada-Ouest et le CanadaEst, puis dans le sillage de la Confédération en 1867, l'Ontario et le Québec. L'économie de la nouvelle province, articulée autour du commerce des fourrures, était en voie de se transformer en une économie agricole qui, par le recours aux immigrants européens, contribuerait à la colonisation des terres vierges. Dans les années 1840, aucun organisme public n'avait compétence en ce domaine, d'où l'absence d'une entité chargée de recueillir et d'analyser les données statistiques pouvant servir à témoigner de l'évolution socioéconomique. Le présent chapitre s'attarde aux lois ayant créé une entité statistique qui, à ses débuts, avait pour rôle d'exécuter les recensements et d'obtenir les données de l'état civil. Curieusement, ce ne fut qu'après le recensement de 1851-1852 que l'on s'intéressa à la mise en place d'une telle entité. Les mesures adoptées en ce sens se révélèrent insuffisantes, et il s'écoula une soixantaine d'années avant l'amorce d'une réforme. Afin de remédier aux piètres résultats des deux premiers recensements, il fallait un apport de sang neuf. On eut alors l'inspiration de confier les travaux statistiques à Joseph Charles Taché. Au moment de la Confédération, celui-ci était encore en poste et il mena d'ailleurs les recensements de 1871 et de 1881. C'est assurément l'un des pères de la statistique au Canada.
RECENSEMENTS DE 1851-1852 ET DE 1861 En 1847, le Bureau de l'enregistrement et de la statistique fut créé en vertu de l' Acte pour faire le Recensement de cette Province et obtenir des Renseignemens Statistiques en icelle1. Son effectif comprenait, outre un secrétaire, le receveur général, le secrétaire de la province et l'inspecteur général. Le Bureau n'était pas rattaché à un ministère; son rôle était plus ou moins bien défini, à part l'exécution des recensements et la collecte des données sur l'état civil et la criminalité. Chaque année, il devait présenter à l'Assemblée
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE législative un rapport renfermant « sur le commerce, les manufactures, l'agriculture et la population de la province tous les renseignemens qu'il [était] capable d'obtenir2 ». En application de la loi de 1847, le Bureau effectua le recensement du Haut-Canada en 1848 et le recensement général de la province en 1851-1852. Celui-ci était modelé sur le recensement décennal qui avait eu lieu aux États-Unis en 1790 aux fins d'obtenir des données démographiques, mais dont la portée fut élargie par la suite pour englober certaines activités économiques et institutions publiques : la fabrication en 1810; l'agriculture et les mines en 1840; les administrations publiques en 18503. Aux États-Unis, les recensements démographiques étaient prévus par la Constitution et des crédits étaient votés à leur sujet. Il n'empêche que le Congrès se trouva souvent aux prises avec les constructionists, qui s'opposaient à l'élargissement de la portée des recensements et réclamaient l'interprétation stricte de la Constitution 4 . Ce genre de recensement serait toutefois maintenu pendant la majeure partie du XIXe siècle. La province du Canada n'était pas en reste; son recensement de 1851-1852 s'intéressait à la population et à l'agriculture. Outre les données démographiques, le recensement « personnel » concernait les métiers et occupations, le logement, les édifices publics et les établissements du culte. Il visait aussi à dresser « une liste de toutes les boutiques, magasins, moulins et manufactures, avec rente du capital, produit, loyer, nombre de bras employés, etc. »5 Le recensement eut lieu en janvier 1852. À peine un mois plus tôt, on avait nommé les commissaires qui, à leur tour, avaient désigné les recenseurs. Aucune formation ne fut dispensée, les documents ayant été jugés clairs et précis. Le rapport qui parut en août 1853 ne disait mot des difficultés ayant pu être associées aux conditions hivernales. Le ton était élogieux, les résultats confirmaient que la province n'accusait aucun retard sur les États-Unis en matière de croissance et de prospérité. À preuve, les comparaisons établies avec la production agricole de l'Ohio, à partir des données du recensement des États-Unis de 1850. Le rapport révélait néanmoins une source de difficultés : « [...] c'est qu'on est pénétré généralement dans toute l'étendue de la colonie de l'idée que le recensement se rattache directement ou indirectement à la taxation;—et par suite de cette conviction les recenseurs ont été souvent reçus d'une manière peu courtoise, et on leur a, dans certains cas, refusé absolument tous les renseignemens qu'ils demandaient. » Un doute planait quant aux résultats : « Tout ensemble, le recensement du Bas-Canada a été fait avec plus de soin que celui de la province supérieure, où, malheureusement, plusieurs des recenseurs se sont montrés absolument incapables des fonctions qui leur étaient assignées [...]6. » Le propos préfigurait la critique acerbe que Joseph Charles Taché livrerait une dizaine d'années plus tard en faisant rapport sur la qualité et l'utilité des recensements de 18511852 et de 1861 à des fins d'analyse. Taché venait alors de prendre en charge la fonction statistique en tant que premier sous-ministre de l'Agriculture. Avant même la parution du premier rapport sur le recensement de 1851 -1852, la loi de 1847 fut modifiée de façon à délimiter le rôle de l'entité statistique jusqu'aux derniers temps de la province et à fixer les orientations qui mèneraient de la Confédération
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LA STATISTIQUE DANS LA PROVINCE DU CANADA
jusqu'a la fin du siecle. La loi modificative pourvut a la creation du Bureau de 1'agriculture7 et a la nomination du ministre de 1'Agriculture. Aux attributions du ministre s'ajouterent 1'execution des recensements et la collecte des donnees; et la presidence du Bureau de 1'enregistrement et de la statistique, en remplacement de 1'inspecteur general. La loi marqua un pas de plus dans 1'etablissement de 1'entite statistique, le ministre etant charge « [...] d'instituer des enquetes et de recueillir des renseignements utiles et des statistiques relativement aux inter&s agricoles, mecaniques et manufacturiers de la province, et d'adopter des mesures pour les repandre et les faire circuler de telle maniere et en telle forme qu'il jugera le plus convenable pour accelerer les ameliorations dans la province, et pour y attirer 1'emigration des pays etrangers [...]8 ».
II n'etait pas precise quelle forme allait prendre le volet statistique des attributions devolues au ministre. Mais on ne tarda pas a remedier a la situation. Le 20 fevrier 1855, le secretaire du Bureau de 1'enregistrement et de la statistique, William Button, fit prendre par le Conseil des ministres un decret ayant pour objet de regrouper dans un secretariat les travaux confies a son bureau et ceux qui relevaient du Bureau de 1'agriculture. La loi etait favorable a I'immigration. D'autres attributions vinrent se greffer au r61e du ministre de 1'Agriculture. Au premier plan figuraient rimmigration et la colonisation, puisque la majorite des arrivants s'orientaient vers la culture des terres. S'y ajouterent la mise en application des reglements sur la sante publique et sur la quarantaine pendant les epidemics; 1'enregistrement des brevets, du fait que les inventions concernaient pour la plupart les methodes d'exploitation agricole; et la representation du pays aux expositions Internationales, car les produits agricoles comptant parmi les principales exportations. Etant donne 1'ampleur des attributions, le recensement de 1861 occasionna des depenses peu elevees (118 393,77 $) par rapport a celles qui se rattachaient au soutien des associations agricoles (102 620,21 $), a 1'emigration [sic] et aux quarantaines (48 435,57 $)9. Deux facteurs contribuerent a releguer la statistique a 1'arriere-plan : le caractere ponctuel des travaux et 1'effectif restreint du Bureau de 1'agriculture. D'ou la faible priorite accordee au recensement de 1861, puis au regroupement et a 1'analyse des donnees. Le recensement fut mene en vertu de la nouvelle loi, sur le modele adopte pour celui qui avail eu lieu neuf ans plus t6t10. Dans leurs rapports annuels, les ministres de 1'Agriculture firent constamment ressortir 1'inefficacite' de 1'entite statistique. En 1862, Fhonorable F. Evanturel ecrivit: « [...] depuis plusieurs annees, les devoirs imposes au bureau [de 1'enregistrement et de la statistique], ainsi que le but pour lequel ce bureau a ete etabli, ont ete perdus de vue. Dans le departement, il n'y a aucun systeme arrete pour la collection des renseignements statistiques; il n'existe aucune archive des travaux du bureau ou des resultats d'aucune recherche ou compilation de statistiques. Excepte pour le recensement, les attributions generates du bureau [...] semblent 6tre devenues une lettre morte dans toute 1'acception du mot11. »
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« II est tout a fait inutile de s'etendre au long sur les avantages d'un systeme qui a pour but la collection de donndes statistiques sur 1'administration des affaires de 1'Etat, et d'aider au progres de 1'economie politique, tout en fournissant des renseignements generaux sur le pays. [...] J'ai represente a 1'executif lanecessite de retablir immediatement et d'une maniere permanente le bureau [...] comme division entierement distincte du departement12. »
L'annee suivante, son successeur, 1'honorable L. Letellier, attribua a un profond malaise le peu de cas fait a 1'entite statistique. II proposa une solution radicale. « Le moyen le plus sur de remedier aux defauts qui existent encore serait la nomination d'un sous-chef permanent [...]. Je n'ai aucun doute que les defauts d'organisation dont 1'existence a tant nui a 1'efficacite du service public doivent etre en grande partie attribues a 1'absence d'un fonctionnaire de ce genre, et que 1'adoption de la suggestion que je viens d'enoncer y apporterait un remede certain et permanent13. »
Un an plus tard, 1'honorable T. D'Arcy McGee abonda dans le sens de son predecesseur: « [...] il est evident que le chef politique d'un departement quelconque n'est pas en mesure de se charger du soin d'en diriger le fonctionnement interieur, autrement que pour ce qui a trait a la gouverne generate14. »
JOSEPH CHARLES TACHE, PREMIER SOUS-MINISTRE En septembre 1864, McGee nomma au poste de sous-ministre Joseph Charles Tache, « si bien connu pour ses aptitudes administratives eprouvees et si profondement verse dans les etudes topographiques de toutes les parties du pays15 ». C'etait peu dire quand on sail que rhomme etait verse dans plusieurs domaines : medecine, politique, journalisme, enseignement. Sa famille s'etait illustree dans la fonction publique au XIXs siecle. Son oncle, sir Etienne Paschall Tache, fut deux fois copresident du Conseil executif de la province et il presida la Conference de Quebec sur la Confederation avant son deces en juillet 1865. Joseph Charles Tache etait toujours sous-ministre de 1'Agriculture au moment de la Confederation et il le demeura jusqu'au ler juillet 1888. Avant d'entrer en fonction, il avail preside le Bureau des inspecteurs des etablissements publics, ce qui lui inspira peut-etre la decision dans 1'action. McGee rapporta : « La discipline fut, de suite et du coup, r6tablie d'une main ferme et la ponctualite remise en vigueur. Des 1'abord aussi disparurent de nombreux abus, qui s'etaient insensiblement implantes dans le bureau, surtout en ce qui regarde l'affranchissement des lettres et des depeches telegraphiques et la distribution des articles de papeterie. »
Quant aux principales attributions du Bureau, on commenga « le travail de retirer les dossiers qui [composaient] les archives du departement, de 1'etat de promiscuite dans lequel ils gisaient et du danger continuel de destruction qu'ils courraient [sic]16». La nomination de Tache procedait sans doute de la necessite de reformer 1'appareil administratif et de le guider dans la voie du progres technique. McGee ajouta :
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LA STATISTIQUE DANS LA PROVINCE DU CANADA
« II est facile de voir [...] que plusieurs des choses dont le Bureau de l'Agriculture a la direction participent, à la fois, du caractère de choses administratives et de choses scientifiques, ce qui nécessite la présence dans le bureau d'au moins quelques hommes spéciaux d'une éducation supérieure et d'aptitudes plus qu'ordinaires17. »
Dans un mémoire joint au rapport de 1865, Taché fit le point sur le système statistique dont il venait d'hériter. Au sujet du rendement du Bureau, il réitéra la critique d'Evanturel : « [...] on n'a pas recueilli de renseignements statistiques dignes de ce nom et on n'a rien publié, à l'exception des rapports des recensements de 1851 et de 1860, dont je vais bientôt parler. Pendant l'existence de votre Bureau18[...], le Bureau n'a tenu que de rares assemblées dont il n'existe pas même de procès-verbal régulier [...]; en un mot la loi est demeurée depuis son adoption une lettre morte. »
Quant aux données tirées des recensements, Taché ne mâcha pas ses mots : « Les rapports des recensements de 1851 et de 1860, qui constituent pour ainsi dire tout notre avoir statistique, ne sont que des rapports erronés qui n'approchent de l'exactitude même relative sur aucun point essentiel [...]. Sans parler des erreurs de calcul qui caractérisent ces statistiques et du manque d'index aux renseignements qu'elles contiennent, les quatre volumes des deux derniers recensements publiés par autorité portent à leur face le cachet de l'erreur; il s'y trouve des rapports impossibles [...]19. »
Taché cita de nombreux exemples pour illustrer ces « rapports impossibles » ou ce qu'il appela aussi des « erreurs ridicules » : « [...] le nombre des enfants vivants au-dessous d'un an, dans le recensement de 1851, s'élève de plusieurs milliers au-dessus du chiffre indiquant le nombre total des naissances des derniers douze mois de la même année. « Dans le recensement de 1860, les naissances sont ajoutées au chiffre total de la population, tout comme s'il n'était arrivé aucune mort parmi la population des nouveaux-nés. [...] « Douze moulins à farine, dans le comté de Norfolk, sont représentés comme n'ayant produit que 5100 barils de farine de 139,000 minots de blé, tandis que d'autre part quinze moulins, dans le comté de Middlesex, sont représentés comme ayant manufacturé 23,775 barils de farine de 35,000 minots de grain. « Dans le Bas-Canada, le montant total de la farine produite par les moulins est évaluée [sic] à une somme moindre que la matière première apportée à ces mêmes moulins; de sorte que les 440 moulins à farine qu'on dit avoir été en opération [sic] dans le Bas-Canada, durant l'année 1860 ont non-seulement [sic] travaillé en vain, mais sont représentés comme ayant diminué de $100,000 la richesse publique. [...] « Les chantiers [navals] du Haut-Canada y apparaissent comme ayant construits [sic] 0 de navires; mais la valeur de ce 0 est porté [sic] à $7,470 [La valeur indiquée dans le Mémorandum est de $74,700 — NdT]. [...] « La ville d'Hamilton est représentée comme n'ayant qu'une seule église, et la ville des Trois-Rivières y apparait comme ne possédant aucune église du culte catholique20. »
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Ces résultats étonnants trouvent un élément d'explication dans les remarques formulées au sujet de la méthodologie du recensement : « Les additions au bas des colonnes ne correspondent pas toujours; mais, quelquefois, elles correspondent alors même que les détails qui les constituent ne correspondent pas entre'eux. En consultant les traditions du Bureau, j'ai appris que ce dernier et fort étonnant résultat était produit de haute-main sur l'ordre reçu de—les faire correspondre21. »
Telle que l'envisageait Taché, la réforme du système « qui [avait] produit de pareils résultats » devait maintenir les dispositions concernant le Bureau de l'enregistrement et de la statistique — cette « autorité supérieure nantie des pouvoirs nécessaires » — et son secrétaire, « sur lequel repose principalement la mise en opération du système22 ». L'enjeu consistait plutôt à transformer les méthodes de travail, l'élément clé du remaniement des structures. Il fallait d'abord s'assurer en permanence les services de commis à la statistique qui seraient triés sur le volet et payés adéquatement. Les recommandations de Taché à cet égard visaient autant la formation et l'organisation du travail que les aptitudes numériques. « II faudrait, selon moi, d'abord nommer deux employés déjà faits aux travaux de la statistique. » C'était une dépense modeste par rapport aux économies considérables qui résulteraient de ne plus « employer dans le temps du recensement toute une brigade de commis inhabiles, indiciplinés [sic] et pour la plupart incapables de conclure la besogne dont on les charge ». À lui seul, le recensement de 1861 avait coûté plus de 50 000 $, somme « en regard de laquelle on ne montre comme compensation que deux volumes de statistiques pour le moins inutiles23 ». Taché proposa ensuite « l'affiliation de fonctionnaires des différents départements, à consulter quant aux statistiques relatives aux choses de leurs départements respectifs ». Des rencontres se tiendraient périodiquement avec ces fonctionnaires et le secrétaire du Bureau, « ensemble ou séparément, [...] pour s'entendre sur les moyens de recueillir et de préparer les renseignements statistiques qui concernent leurs fonctions respectives ». L'idée n'était pourtant pas aussi simple à réaliser, tout comme une autre recommandation de Taché, qui prévoyait « [...] l'emploi occasionnel d'hommes spéciaux pour recueillir certaines statistiques et en faire un arrangement approprié, avec ensemble l'adoption, après étude, comme statistiques officielles, des travaux statistiques préparés avec soin par des associations, des corporations et des compagnies24 ».
Les mesures proposées par Taché auraient suscité peu d'intérêt ou d'enthousiasme, n'eût été du plan destiné à créer une véritable statistique canadienne. Le mémoire s'articulait autour d'une vision qui aboutirait à la réforme du système de statistique. Il fallait avant tout extraire les matériaux d'un tel travail, qui étaient ensevelis « pêlemêle » dans une foule de documents, pour les réunir dans un ordre méthodique. « On ne peut guère concevoir une idée de ce genre sans vouloir remonter aux périodes les plus éloignées possible de l'histoire des populations dont on veut faire la statistique; car, la science des renseignements numériques est avant tout une science de comparaisons et de proportions; plus long est le temps embrassé, plus considérables les chiffres receuillis [sic], plus certaines sont les conclusions et les déductions qu'on en tire. Selon moi, donc, il faudrait 8
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commencer par receuillir [sic] avec soin les renseignements contenus dans les anciens et les nouveaux recensements, dans les mémoires et documents, manuscrits et imprimés, qui se trouvent dans nos bibliothèques, dans les archives religieuses, judiciaires et administratives, afin de les soumettre à la critique intrinsèque et extrinsèque; pour ensuite en faire le résumé, qui doit toujours être accompagné d'index pour les recherches et de notes et indications qui signalent les sources. Je n'ai pas besoin de dire qu'un pareil travail demande des soins particuliers et beaucoup, beaucoup de temps; mais, je n'ai pas de doute qu'avec l'organisation que j'ai proposée, il deviendra plus tard possible de publier chaque année un volume de renseignements du plus haut intérêt et de la plus grande utilité. « D'après ce plan, les volumes qui seraient, si possible, publiés d'ici à l'époque du prochain recensement, formeraient la première des séries régulières de nos statistiques nationales, comprenant tout l'espace de temps qui s'est écoulé depuis la découverte du pays jusqu'à l'époque du recensement prochain (1870); à la suite de cette première série, chaque décade formerait une série composée des statistiques publiées chaque année que terminerait le rapport du recensement décennal25. » Le rapport concluait sur une note moins joyeuse, mais non dénuée d'espoir. « Tel est, messieurs, le projet de créer une véritable statistique canadienne que je soumets au jugement de votre Bureau. Tel qu'il est, c'est le résultat, mis à la hâte en termes trop concis peut-être, de longues et laborieuses réflexions et d'un travail conscientieux [sic], vous ne serez donc pas surpris que je m'intéresse à son succès et que j'exprime l'espoir de le voir recevoir votre approbation26. » L'espoir devint réalité. Le 18 janvier 1865, au lendemain de sa présentation, le plan général de Taché fut approuvé par le Bureau de l'enregistrement et de la statistique27. Et l'on donna suite rapidement à la demande de personnel supplémentaire28. Dans son rapport de 1865, McGee souligna le travail « considérable » qui s'était fait pendant l'année et, en particulier, la « revision très-utile des recensements de 1853 [sic] et de 1861 en les comparant avec les documents originaux en notre posession [sic]29 ».
STATISTIQUE DE L'ÉTAT CIVIL Dans son rapport de 1866, McGee fit état de la progression des travaux tout en précisant qu'il eût été possible d'en faire davantage si l'on avait pu inciter les sources locales à fournir leurs déclarations d'état civil. Taché n'avait pas traité directement des difficultés dans son mémoire, mais il n'aurait pu les ignorer : en 1865, on avait chargé un comité spécial de l'Assemblée législative d'examiner la situation. Le comité porta son attention sur le Haut-Canada plutôt que sur l'ensemble de la province. Taché en fournit l'explication dans un mémoire qu'il lui présenta le 8 septembre 1865. « [...] le système d'enregistrement des baptêmes, mariages et sépultures de la population française du Bas-Canada est si parfait, et [...] malgré bien des changements et des dangers, l'on peut trouver la statistique de chaque feuille et presque de chaque individu décédé ou vivant dans le pays depuis le commencement de la colonie, à l'entrée du 17me siècle, jusqu'à ce jour30. » Le rapport du comité fut publié en appendice au rapport du ministre pour 1866. Sa principale conclusion se résumait à ceci : en comparaison avec l'ancienne loi du Haut-
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Canada, qui pourvoyait à l'enregistrement des mariages auprès des registraires de comté — et qui permit apparemment d'obtenir de bons résultats —, la loi de 1847 sur le recensement et la statistique resta lettre morte quant aux mesures d'enregistrement des naissances, des mariages et des décès. Les rapports « exigés par l'acte du recensement sont transmis assez irrégulièrement pour qu'ils deviennent tout-à-fait [sic] inutiles ». Par suite des témoignages que livrèrent Taché et W.H. Johnson, il fut recommandé de laisser tel quel le système d'enregistrement des mariages par le clergé, et d'établir plutôt un registre de l'état civil devant servir à consigner les naissances et les décès31. Le registre serait modelé sur ceux des naissances, des mariages et des décès que l'Angleterre et le pays de Galles avaient institués en 1837 et confiés à un registraire général. Taché fit remarquer néanmoins que l'adoption d'un tel système n'avait pas été sans anicroches et que l'on ne pouvait donc prétendre à une parfaite transposition. « Pendant un quart de siècle, cette question a été en Angleterre le sujet de constantes études et de lois dont on faisait l'essai, et ce n'est qu'en 1836 qu'une loi a consacré l'adoption d'un système définitif; mais, dès l'année suivante, on a jugé nécessaire d'en suspendre l'opération [sic] et de l'amender ensuite considérablement. »
Taché était d'avis qu'il fallait mener un bon nombre d'études pour mettre au point le système, mais qu'il ne s'imposait pas d'établir un bureau de registraire général. « [...] le bureau actuel [de l'enregistrement et de la statistique] pourrait, avec son secrétaire, remplir les fonctions dont est chargé le registrateur général en Angleterre; les registrateurs et surintendants locaux pourraient être choisis par le bureau [...] parmi les plus capables des officiers judiciaires, municipaux ou de l'éducation de chaque comté ou district d'enregistrement. [Mais il] devra s'écouler encore quelque temps d'ici à ce que je sois parvenu à compléter les études que cette charge exige, ayant, à part elle, beaucoup d'autres choses à faire32. »
Taché avait été nommé commissaire du Canada à l'exposition universelle de Paris, ce qui l'occupa pendant la majeure partie de l'année 1865.
LIVRE BLEU L'exécution du plan de Taché se trouva ralentie par le fait que l'effectif restreint du Bureau de l'agriculture devait produire annuellement le Livre bleu, ou « Liste des Officiers, leurs noms, salaires et autres renseignements relatifs au Service Public en Canada »33. Dans son rapport de 1864, McGee écrivit : « Le Livre bleu de l'année 1863, ayant été renvoyé au Bureau pour additions et corrections, par ordre de Votre Excellence, il a été nécessaire de le refaire presqu'à neuf [sic] : cet arrérage de travail n'a pu être tout à fait liquidé avant la fin de l'année. Inévitablement, cette seconde édition du Livre bleu de 1863 restera fort imparfaite et fort insuffisante, exécutée qu'elle est au milieu des occupations sans nombre que donnent [sic] à la direction et au personnel du bureau la complète réorganisation de chacune des divisions de ce département; mais j'espère que Votre Excellence voudra bien ne pas prendre ce travail, nécessairement très négligé, comme critérium de ce qu'on se propose de faire à l'avenir34. »
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Le Livre bleu n'était pas publié jusque-là, mais il le fut dès 1864. Dans son rapport de 1866, McGee recommanda « que les éditions subséquentes de ce travail soient rendues beaucoup plus complètes, de manière à former un répertoire officiel des statistiques de la Puissance du Canada35 ». Recommandation étonnante, puisque le Livre bleu, où figuraient notamment les noms et les salaires des officiers, ne se prêtait pas à des fins d'analyse ou de comparaison et qu'il aurait difficilement pu servir de fondement au plan de Taché qui visait à créer une « statistique générale officielle canadienne ». Il n'est d'ailleurs pas évident pourquoi l'ouvrage était produit par le ministère de l'Agriculture plutôt que par celui des Finances, par exemple. Le ministère des Finances publiait déjà un recueil annuel de statistiques36, la plupart établies à partir des travaux administratifs d'autres ministères et des rapports produits par les institutions sous compétence fédérale. Ce recueil n'est mentionné ni dans le mémoire de Taché, ni dans les autres rapports ministériels du milieu des années 1860, mais il ne fait aucun doute que Taché allait se servir des éléments pour former un « [...] ensemble de renseignements comprenant le mouvement des populations et des statistiques territoriales, religieuses, d'éducation, administratives, militaires, judiciaires, agricoles, commerciales, industrielles et financières du pays37 ».
CONCLUSION McGee fut ministre de l'Agriculture de la province du Canada jusqu'à la Confédération. Son successeur, l'honorable J.C. Chapais, rédigea le dernier rapport sur la statistique de la province38. Il y réaffirmait la thèse fondamentale du mémoire de Taché. « Avant de publier les premières séries d'une statistique générale officielle, il faut nécessairement se livrer à un travail de statistiques rétrospectives qui puisse permettre de poser les bases des conditions numériques de la contrée [...]. »
II fit état des progrès irréguliers, mais constants, du « vaste et magnifique » projet destiné à constituer une « statistique générale officielle canadienne », tout en mettant en garde contre l'espoir de le voir se réaliser rapidement. « Au reste, l'expérience de tous les pays le prouve, ce n'est qu'à force de patience, de travail et de temps, en demandant toujours et corrigeant sans cesse, pendant plusieurs années, de suite [sic] qu'il devient possible de produire quelque chose digne d'être livré à la publicité sous l'autorité de l'Etat39. »
II semble donc qu'un système viable de statistique était en bonne voie d'être institué après la Confédération. Les travaux statistiques avaient connu des débuts peu prometteurs et la situation n'allait pas s'améliorer pendant la majeure partie des 25 ans d'existence de la province du Canada. Il n'y eut que deux recensements de la population et de l'agriculture, dont la qualité des résultats laissait à désirer. Puis dans les derniers temps de la province apparut l'homme de la situation — Joseph Charles Taché —, qui esquissa dans son célèbre mémoire une réforme propice à l'évolution de la statistique dans le nouveau Dominion. Comme nous le verrons dans le prochain chapitre, on finit par regrouper et analyser les données des différents recensements tenus en Amérique du Nord britannique et, en 11
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE particulier, on exécuta les révisions des recensements de 1851-1852 et de 1861. Les résultats servirent de toile de fond aux données du recensement de 187l40. Mais ce fut seulement en 1886 que Taché et ses collaborateurs purent honorer l'engagement qui consistait à publier chaque année un recueil de statistiques intercensitaires41. Et malgré les intentions bien arrêtées, on enregistra très peu de progrès dans certains domaines, comme la statistique de l'état civil. Il est un fait digne de mention : plusieurs années avant la Confédération, le Canada fit une brève apparition sur la scène internationale de la communauté statistique en plein essor. C'était à l'occasion du IVe Congrès international de la statistique, qui eut lieu à Londres en 1860 sous l'égide du prince Albert. Le premier avait été organisé à Bruxelles en 1853 par l'astronome et statisticien belge Adolphe Quételet. Il y en eut huit autres sur une période de 25 ans, puis en 1885 fut créé un nouvel organisme, l'Institut international de statistique. Le ive Congrès fut le plus grandiose et le plus réussi, grâce au talent de Quételet pour l'organisation et à ses entrées dans le milieu diplomatique (il avait été tuteur du prince Albert en mathématiques dans les années 1830). S'y retrouvèrent 586 délégués d'un peu partout au monde, dont sept des États-Unis et trois du Canada42. De ceux-ci, un seul avait des titres de compétence officiels : l'honorable A.T. Galt, ministre des Finances de la province du Canada43.
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CHAPITRE II
1867-1905 :
La statistique après la Confédération
INTRODUCTION L'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 pourvut à la répartition des pouvoirs entre le Dominion et les provinces et attribua à l'État « le recensement et les statistiques' ». Pourtant, seule la mention du recensement figurait dans l'avant-projet de loi qui avait été étudié à la Conférence de Québec en octobre 1864. L'architecte de l'actuel système statistique canadien, Robert Hamilton Coats, se demanda si l'influence de Taché n'aurait pas conduit à l'ajout des « statistiques 2 », ce qui serait confirmé d'ailleurs par le choix du moment et par la forte impression créée par le mémoire de 1865. Quoi qu'il en soit, l'Acte était clair et précis : le recensement général de la population du Canada aurait lieu en 1871, et « tous les dix ans ensuite, il [serait] fait une énumération distincte des populations respectives des quatre provinces ». En outre, les résultats des recensements devaient servir de repères pour tout changement apporté à la représentation des provinces au Parlement. Mis à part les recensements, le rôle attribué au Dominion en matière de statistique était plus ou moins bien défini. Dans les domaines de compétence fédérale, les ministères devaient réunir et analyser les données statistiques ayant trait à leur mandat. Il était loisible aux provinces d'en faire autant dans la plupart de leurs domaines de compétence exclusive ou partagée. Si rien ne les empêchait de recueillir et publier des données statistiques, il reste que la sphère d'activité, de par sa portée nationale, relevait des pouvoirs conférés à l'État3. La Constitution ne s'attardait pas aux détails administratifs. Il n'est pas étonnant alors que le système en place avant la Confédération ait paru satisfaisant, du moins à l'époque. Ainsi, lorsque la province du Canada se transforma en Dominion, le ministère de l'Agriculture conserva en grande partie ses attributions, dont la statistique, et son personnel. La loi stipulait « les recensements, les statistiques et l'enregistrement des statistiques 4 ». Ce dernier élément permettait de croire en une nouvelle étude des difficultés posées par la statistique de l'état civil, lesquelles avaient été examinées en 1865 par le comité spécial de la province du Canada.
LE BUREAU FEDERAL DE LA STATISTIQUE Dans son premier rapport suivant la Confederation, le nouveau ministre de 1'Agriculture, 1'honorable J.C. Chapais, se montra prudent vis-a-vis des grands projets statistiques: « Je m'abstiens de proposer aucune mesure pour reglementer le fonctionnement du bureau des statistiques de la Puissance, pensant que les innovations a introduire doivent commencer avec le prochain recensement, qui leur servira de base. Les travaux preparatoires de ce recensement sont plus que ne peut faire le petit nombre d'employes du bureau des statistiques5.»
Le manque de personnel n'allait pas etre comble avant la fin du siecle. Le minislere relegua au second plan les travaux statistiques, pour se concentrer sur les elements cles de son mandat, comme rimmigration et la colonisation. Les annees qui suivirent la Confederation ne furent pas pour autant synonymes d'inaclivil6 totale ou d'echec en matiere de statistique. Mais 1'energie et les ressources consacrees au domaine ne surent repondre aux besoins croissants de Fepoque, comme en temoignent les bilans statistiques etablis par le ministere de 1871 a 1905, et les realisations connexes dont nous parlerons plus loin. L'histoire debute par les recensements, qui servirent a reunir la plupart des donnees statistiques pendant la periode. Elle se poursuit par un survol des autres composantes du « systeme general de statistique officielle » — etat civil, criminalite et insolvabilite, annuaires statistiques, travail et agriculture. L'Annuaire du Canada connut un sort enviable, mais a part les recensements et les statistiques sur la criminalite, les autres travaux du ministere furent en general infructueux,
RECENSEMENTS DE 1871 A 1901 Comme Chapais 1'avail indique dans son rapport, un systeme general de statistique officielle devait viser, du moins a 1'epoque, a preparer avec diligence le recensement de 1871, qui avail etc autorise en mai 18706. Duranl les deux ou Irois annees suivanles, les travaux executes en ce domaine ne passerent pas inapergus dans les rapports des ministres. En 1870,1'honorable Christopher Dunkin signala leur caractere inedit: «f...] il n'existait pas de precedents. II a fallu tout creer7. » Tache occupail toujours le posle de sous-minislre de FAgricuIlure. II mil soigneusement au point des methodes de planification, de recrutement et de formation, resolu a eviter la repetition des difficultes decrites dans son memoire de 1865 : 1'incompetence des recenseurs et 1'inutile « brigade de commis inhabiles, indiciplin6s [sic] et pour la plupart incapables de conclure la besogne dont on les charge ». Les difficultes d'ordre logistique seraient d'ailleurs sans commune mesure pour un recensement devant couvrir le Nouveau-Brunswick el la Nouvelle-Ecosse, en plus de 1'Onlario et du Quebec. Tache envisageail d'inclure dans le rapport du recensement de 1871 un resume' des recensements anlerieurs. Les travaux realises en ce sens connurent un bon deroulement, comme en firent foi les rapports des ministres pour 1867-1868,1869 et 1870. En outre, le rapport de 1867-1868 precisait que la compilation des donnees hisloriques — conside"ree par les ministres comme la cle de voule du fulur systeme — avail avance a un rythme appreciable. 14
LA STATISTIQUE APRÈS LA CONFÉDÉRATION
« Trente-cinq mémoires, imprimés ou manuscrits ont été étudiés avec soin, ligne par ligne, pour qu'on pût en recueillir tous les renseignements susceptibles d'analyse numérique; à part de cela, on prenait aussi note des faits intéressants, applicables à la science statistique. Ces 35 ouvrages comprennent en tout 91 volumes et plus de 20,000 pages, dont chacune a été scrupuleusement examinée8. »
Les travaux permettraient de produire des tableaux et des états sur les sujets suivants : « [...] navigation, immigration, émigration, population, commerce, douanes, finances, statistiques médicales, statistiques judiciaires, éducation, administration, statistiques militaires, sauvages. »
Certaines données pouvaient remonter jusqu'à 1763. Mais en rétrospective, il semble que le ministre se soit montré beaucoup trop optimiste; à part de rares exceptions, le contenu se révéla trop sommaire et incomplet pour mériter d'être publié. Tout comme en 1861 et en 1851, le recensement de 1871 fut modelé sur celui des États-Unis qui, dès le début, évita de se limiter aux seules données démographiques. Il s'appuyait, lui aussi, sur le principe de jure, c'est-à-dire que les personnes étaient dénombrées à leur lieu habituel de résidence, ce qui semblait mieux adapté « aux difficultés particulières d'organisation, à l'immense étendue du territoire et au caractère fédératif des institutions politiques9 ». Le recours au principe de jure en 1871 ne causa pas de problèmes dignes de mention. Mais il fut durement critiqué en 1885, lorsque la Chambre des communes étudia le projet de loi concernant la tenue d'un recensement quinquennal au Manitoba et dans le Nord-Ouest. On lui reprochait d'avoir faussé, au recensement de 1881, les chiffres de la population dans les régions peu peuplées du pays. Sir Richard Cartwright accusa le gouvernement de manipuler l'attribution des sièges parlementaires : « [...] il peut se faire [...] que l'on se soit proposé le but de priver la province d'Ontario d'une part considérable de la représentation à laquelle elle a droit10. » La critique dut faire mouche, puisque le recensement de 1891 fixa des limites pour la durée de l'absence du lieu de résidence. Les recenseurs devaient s'abstenir de compter les personnes absentes depuis au moins 12 mois, sauf si elles pouvaient en fournir le motif, comme le fait d'étudier à l'étranger11. Le recensement de 1871 comportait 9 formules et 211 questions réparties comme suit : dénombrement des vivants; dénombrement des morts; établissements publics, biens meubles et immeubles; terres cultivées et leurs produits; bétail et produits des animaux, tissus artisanaux et fourrures; établissements industriels; produits des forêts; navigation et pêcheries; et produits des mines. Le recensement sut répondre aux attentes que Taché avait formulées dans son mémoire de 1865. Jamais encore en Amérique du Nord britannique n'avait-on recueilli autant de données sur autant de personnes. Le tout fut compilé, analysé et publié plus ou moins dans les délais12. Dans le quatrième volume se trouvait le résumé des recensements antérieurs promis par Taché, alors que le cinquième présentait le détail des statistiques sur les mariages, les naissances et les décès tirées des registres paroissiaux du Québec, ainsi que des informations partielles de même nature provenant de la Nouvelle-Ecosse (les premiers fruits d'un système d'enregistrement entré en vigueur en 1866). Il renfermait en outre une analyse 15
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE comparative du recensement de 1871 et des deux précédents. Dans la note d'accompagnement du rapport, Taché attribua le mérite de la réalisation des deux volumes à l'équipe formée de S. Drapeau et W.H. Johnson et de l'abbé Tanguay, qui avait été constituée juste après l'approbation du mémoire de 1865. Le quatrième volume n'a rien perdu de son éclat. Il contenait, outre des tableaux, un exceptionnel récit concernant la déportation des Acadiens et l'établissement au Canada de Loyalistes de l'Empire-Uni après la guerre de l'Indépendance américaine. Il tentait aussi de réunir des témoignages fragmentaires sur la taille, la dispersion et le mode de vie de la population autochtone13. Le cinquième volume, par contre, ne fut pas à la hauteur des attentes. Une fois les données réunies et évaluées par les trois enquêteurs, seulement celles de l'état civil du Québec purent être regroupées en une base de données historiques. Le volume renfermait cependant un rapport d'enquête sur 421 personnes réputées centenaires et dénombrées lors de recensements antérieurs. Il s'agirait peut-être du premier contrôle qualitatif de l'ère moderne des recensements, lequel procédait d'un certain nombre de déclarations de nature invraisemblable : « [...] c'est ainsi qu'en examinant les cahiers de recensement de 1851, de 1861 et de 1871, on découvre que beaucoup de ces soi-disant centenaires, ayant continué d'habiter la même localité, dont l'identité a pu être constatée, ont été vieillis de 15, de 20 et même de 31 ans, dans un cas, dans l'intervalle des dix années écoulées d'un recensement à l'autre14. »
Sur ces 421 cas, seulement 82 purent être authentifiés. Ainsi prit fin une occupation qui tenait d'une supercherie en apparence anodine : « On connait assez, en Canada, l'histoire d'un vieillard encore vivant qui, à l'instar de beaucoup de macrobites célèbres, se faisait des rentes, des dîners et des fêtes de sa profession de centenaire. Il était armé d'une copie authentiquée de son acte de naissance; seulement, les deux derniers chiffres du millésime avaient été altérés. Le curé signataire de la copie fournie, ayant vu dans les journaux la reproduction de l'acte par lui certifié et ainsi falsifié, protesta publiquement contre l'abus fait de son nom, et le prétendu centenaire, dont l'estomac était d'autant meilleur qu'il n'avait pas duré cent ans à beaucoup près, se vit déchu des prérogatives d'un métier qu'il exerçait en fraude15. »
Le recensement de 1871 avait été autorisé par une loi spéciale; celui de 1881 fut mené en vertu de Y Acte des recensements et des statistiques de 1879 (42 Victoria, chap. 21), qui prévoyait par ailleurs la tenue d'un recensement tous les dix ans par la suite. Comme nous le verrons plus loin, la loi eut pour effet d'élargir les attributions en matière de statistique — conformément à l'engagement qu'avait pris le ministre de créer un bureau de la statistique du Canada, une fois terminé le recensement de 187116. Le recensement de 1881 se déroula presque sans histoires. Modelé sur celui de 1871 mais de contenu allégé, il comportait 8 formules et 172 questions. Sur le plan administratif, il était beaucoup plus complexe que le recensement précédent, étant donné qu'aux quatre provinces fondatrices s'ajoutaient l'île-du-Prince-Édouard, le Manitoba, la Colombie-Britannique et les Territoires du Nord-Ouest (de l'époque). Les résultats furent publiés plus rapidement que ceux de 1871 et il en coûta environ 50 000 $ de moins (celui de 1871 avait coûté un demi-million). 16
LA STATISTIQUE APRÈS LA CONFÉDÉRATION
Mais tout n'alla pas rondement. Taché jugea nécessaire d'écrire dans l'introduction au dernier volume du recensement de 1881 : « Le troisième volume du Recensement de 1881 [...] est en ce moment l'objet des critiques de quelques journaux. Je crois devoir [...] démontrer l'injustice de ces attaques et relever les erreurs sur lesquelles elles s'appuient. [...] Ceux qui sont bien au fait de la question ne tiendront pas compte de ces erreurs, apparentes ou réelles, si elles ne changent rien au résultat général du travail. Ils savent que quand les relevés accusent 32,350,269 boisseaux de blé, cela signifie environ 32,000,000, et que de telles erreurs ou inexactitudes de détail,—qu'elles se produisent dans l'énumération, la compilation ou l'impression,—s'équilibrent généralement, car elles consistent, les unes dans une évaluation trop élevée, les autres dans une évaluation trop basse. L'important est de veiller à ce qu'elles ne soient pas de nature à influencer le grand résultat et les déductions qui en découlent17. »
Anticipant des problèmes de classification par secteur d'activité, Taché ajouta : « Beaucoup de ces erreurs des critiques ont leur source dans le fait que plusieurs industries connues sont mêlées, dans différents établissements qui ont dû être enregistrés sous un seul titre, parce qu'il est [...] impossible de les distinguer séparément, et de faire le montant pour chaque élément séparé des industries réunies18. »
En 1885 fut adoptée la loi autorisant la tenue d'un recensement quinquennal « dans la province du Manitoba, les territoires du Nord-Ouest et le district de Kéwatin » afin de surveiller les changements démographiques dans ces endroits à forte colonisation et à croissance rapide19. Le commissaire adjoint du recensement du Nord-Ouest était le père Albert Lacombe, célèbre missionnaire de l'Ouest. Le recensement quinquennal devint une exigence constitutionnelle en 1905 lorsque furent créées les provinces de la Saskatchewan et de l'Alberta. Quand Taché prit sa retraite en 1888, le secrétaire au ministère, John Lowe, assura la relève au poste de sous-ministre. Lowe était rompu à la statistique, ayant travaillé à tous les recensements depuis la Confédération. Il avait tenu le rôle central dans le long dossier des statistiques américaines sur le prétendu exode de la population du Canada vers les États-Unis au début des années 188020. Mais Lowe put laisser la statistique en d'autres mains, puisqu'en 1887 avait été nommé le premier statisticien à temps plein, George Johnson21. Aux États-Unis, le recensement omnibus commençait à susciter de l'insatisfaction, ce qui tenait cette fois à des raisons d'ordre technique plutôt qu'aux préoccupations juridiques des constructionists dont nous avons parlé dans le chapitre précédent. En 1888, Francis A. Walker, surintendant des recensements des États-Unis en 1870 et en 1880, rejeta les statistiques industrielles obtenues avec les données démographiques, en expliquant qu'elles étaient insatisfaisantes et trop peu fréquentes22. Le recensement, disait-il, devait consister à dénombrer la population et à recueillir des données sur l'agriculture, et les autres enquêtes devaient se tenir en période intercensitaire. Son point de vue n'eut pas d'effet immédiat dans l'un ou l'autre pays. En 1891, le troisième recensement décennal depuis la Confédération fut mené sous l'autorité de George Johnson, qui s'appelait maintenant statisticien du Dominion. Il comptait 9 formules et 216 questions. Dans son rapport de 1890, le ministre écrivit : 17
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE « [...] le tableau a été préparé avec le plus grand soin, de manière à conserver les points essentiels des précédents recensements tout en y ajoutant d'autres particularités pour obtenir une statistique conforme aux idées les plus modernes de ce que doit être un inventaire national23. » L'une des particularités du recensement de 1891 consistait dans la mise à l'essai de tabulatrices électriques. Ces machines avaient été efficaces au recensement américain de 1890, et le créateur Herman Hollerith avait connu aussitôt la célébrité. Le rapport de l'année suivante disait : « Pour hâter la compilation de l'énorme somme de matières, on a dû employer des machines, et une partie considérable du tableau n° 1 a été compilée et les faits assortis au moyen d'appareils mus par l'électricité24. » Le recensement de 1901 fut peut-être l'entreprise statistique la plus remarquable. Le nombre de formules était passé de 9 à 11 ; le nombre de questions, de 216 à 561. Le coût grimpa à 1,2 million de dollars, soit plus de deux fois celui du recensement précédent25. Dans son rapport de 1901, le ministre Sydney A. Fisher s'exprima en ces termes : « Durant l'année courante, le travail d'organisation, pour le recensement décennal, a demandé beaucoup d'attention et de labeur. On saisissait l'importance de faire un effort considérable pour rassembler certains renseignements que l'on n'avait pu encore obtenir lors des recensements antérieurs. La préparation des annexes demandait l'attention spéciale d'un statisticien d'expérience qui pourrait consacrer tout son temps à ce travail. M. Archibald Blue a été, en conséquence, nommé commissaire spécial du recensement, et il a su s'acquitter à notre entière satisfaction de la tâche qui lui avait été confiée26. » La nomination eut pour effet de mettre à l'écart Johnson, qui passa le reste de sa carrière à s'occuper du nouvel annuaire27. Blue avait travaillé pendant 16 ans pour la province de l'Ontario, d'abord en qualité de commissaire adjoint de l'Agriculture et de secrétaire du Bureau des industries, puis à titre de chef du Bureau des mines. Ce fut sans doute l'unique statisticien à donner son nom à un minéral, le « blueite ». Des connaissances communes avaient vanté ses mérites auprès de Fisher. John Cameron, président et directeur du London Advertiser, écrivit : « Je connais Blue intimement depuis 30 ans et, selon moi, c'est l'un des hommes les plus compétents du pays. [...] En vous adjoignant ses services, vous ferez rejaillir le mérite sur vous et sur votre ministère, et la nomination frappera l'imagination du public28. » Blue demanda 4 000 $ en fait de rémunération. Fisher acquiesça tout en indiquant dans la lettre d'offre que plusieurs de ses collègues avaient du mal à accepter qu'il recevrait plus qu'un sous-ministre29. Les fonds furent toutefois imputés sur les « crédits externes » plutôt que sur les postes de l'administration centrale, ce qui évita sans doute de créer un précédent. S'il s'avéra nécessaire de « rassembler certains renseignements que l'on n'avait pu encore obtenir lors des recensements antérieurs », ce fut sans doute à cause du climat d'optimisme que dégageaient les perspectives économiques en cette fin de siècle. On avait la certitude qu'après l'Ouest américain, la colonisation prendrait son élan dans The Last Best West, l'ultime endroit en Amérique du Nord où se trouvaient en abondance des
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LA STATISTIQUE APRÈS LA CONFÉDÉRATION
terres peu coûteuses, et qu'elle servirait de moteur à l'essor économique. Et ce fut bel et bien le cas. De 1901 à 1911, la migration nette au Canada atteignit 715 000, alors que dans les trois décennies précédentes, on avait enregistré une migration nette négative de 85 000, de 205 000 et de 181 000 respectivement. Pendant la même période, le produit national brut augmenta de 79 % en dollars constants, ce qui représentait de loin la plus forte hausse en dix ans depuis 187l30. Le recensement de 1901 s'intéressa aux caractéristiques des immigrants qui affluaient au Canada — lieu de naissance, année d'immigration, origine raciale ou nationalité, langue maternelle, etc. En 1905 fut adopté Y Acte du Recensement et des Statistiques pour répondre à deux besoins : obtenir ce genre de renseignements et pousser la recherche afin de compléter et d'affiner les statistiques économiques. La loi énonçait les travaux afférents à la statistique, dont le recensement, et créait à cette fin le Bureau du recensement et de la statistique, rattaché au ministère de l'Agriculture. L'efficacité de la loi et des modalités d'application forme un point saillant du prochain chapitre.
STATISTIQUE DE L'ÉTAT CIVIL Malgré l'importance accordée au recensement de 1871 et aux suivants, on ne délaissa pas pour autant les autres volets de la statistique. Dans les années qui suivirent la Confédération, les attentes portèrent non seulement sur le recensement, mais aussi sur « l'enregistrement des statistiques » par le ministère de l'Agriculture. La statistique de l'état civil constituait un domaine prometteur : elle avait maintes fois retenu l'attention dans la province du Canada. Taché situait l'importance des données de l'état civil surtout dans le contexte de la statistique démographique. Il envisageait de faire réviser périodiquement les résultats des recensements à partir des données ponctuelles sur les migrations et l'accroissement naturel de la population. Par ailleurs, la mise en corrélation des données de l'état civil et de celles de la santé publique ne semblait pas susciter d'intérêt. Dès 1866, le Bureau central de santé avait dressé les plans d'intervention dans le cas d'une épidémie de choléra31 et il avait autorisé la collecte de données statistiques, mais uniquement à cet égard et pour la durée de l'épidémie32. Il convient d'étudier l'apport des recensements à la statistique de l'état civil avant de traiter des tentatives faites aux fins de l'évaluation ponctuelle. Les recensements menés en 1851 et en 1861 dans la province du Canada avaient comporté des questions sur les naissances et les décès survenus l'année précédente, dont les résultats devaient servir à calculer l'accroissement démographique naturel. Dans son mémoire de 1865, Taché avait vivement critiqué la qualité des résultats, ce qui ne l'empêcha pas d'adopter en 1871 une démarche similaire dont l'objet consistait néanmoins à offrir une meilleure formation aux recenseurs et à augmenter le nombre de questions33. Il en fit autant pour le recensement de 1881, mais cette fois la presse s'attaqua à la qualité des résultats, plus encore pour les données sur l'agriculture et les industries que pour les données démographiques.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Pour évaluer dans quelle mesure Taché parvint à améliorer la qualité des données de 1871 et de 1881 sur la mortalité, il convient d'examiner les faits plutôt que de soumettre son travail à un jugement de valeur. D'après les recensements de 1851 et de 1861, les taux bruts de mortalité en Ontario avaient été de 8,8 et de 7,3 par millier respectivement, alors que ces taux ne furent réellement atteints qu'un siècle plus tard. Les taux correspondants pour 1871 et 1881 se rapprochaient sans doute davantage de la réalité, à 11,1 et 11,8 par millier, mais ils reflétaient une sous-déclaration des décès au point d'être inutiles comme repères pour les données de l'état civil, somme toute fragmentaires. Ce n'est qu'en 1901 que l'on se rendit à l'évidence. « C'est un fait reconnu que les recensements de la mortalité ne sont jamais complets. Les relevés donnent souvent dix pour cent et plus au-dessous des chiffres vérifiés par l'enregistrement local ou autre source de renseignements34. »
Manifestement, les chiffres des décès fournis par les recensements n'allaient jamais servir de repères. La dernière collecte remonte à 1911, mais les résultats ne furent pas publiés. En 1912, la Commission ministérielle sur les statistiques officielles du Canada recommanda de retirer du recensement le questionnaire sur la mortalité. Quant à l'enregistrement de l'état civil, le comité spécial de la province du Canada avait recommandé en 1865 que fût institué pour l'Ontario un système fondé sur le modèle anglais et comparable à celui en usage au Québec pour la population catholique romaine. Dans son rapport de 1871, le ministre de l'Agriculture résuma la situation pour chacune des provinces : « Dans la province de Québec, un système d'enregistrement qui a été en opération [sic] depuis le commencement de la colonie a bien réussi pour une large partie de la population, mais il a été sans résultats pour le reste de la population. Il n'y a aucun système d'enregistrement régulier dans le Nouveau-Brunswick. Un bureau fédéral d'enregistrement des naissances, mariages et décès est tenu dans la province de la Nouvelle-Ecosse par une division extérieure de ce département. A Ontario, le gouvernement provincial essaie d'obtenir cet enregistrement35. »
Le ministre ajouta le constat brutal que le registraire général de l'Ontario, Peter Gow, avait livré au sujet du travail exécuté dans cette province : « Je n'ai maintenant à signaler que l'inexactitude frappante dont font preuve ces rapports. On ne saurait en déduire aucuns faits, quels qu'ils soient d'une nature statistique. » Gow souligna que d'une province à l'autre, le travail s'effectuait aux frais de l'État ou aux frais de l'administration provinciale. Il vanta les avantages d'un système d'enregistrement général qui pût s'appliquer à l'ensemble du pays. « On peut à peine espérer que les provinces, laissées à elles-même [sic], passeront simultanément des lois uniformes sur ce sujet ou sur d'autres, et il n'est pas de question qui, pour toutes fins utiles nécessite plus rigoureusement une similarité de méthode et de cédules [sic]. On donnerait généralement satisfaction en centralisant tout le travail de la statistique dans un département spécialement consacré à cet objet qui serait établi à Ottawa. On pourra regretter à l'avenir qu'on n'ait pas adopté une semblable mesure à l'origine même de la nousvelle \sic] Puissance du Canada36. »
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LA STATISTIQUE APRES LA CONFEDERATION
II semble que le reproche ait pousse le ministre a envisager des mesures correctives dans son rapport de 1872 : « J'ai donne dans le cours de 1'annee a 1'iraportante question de la collection des statistiques gen6rales toute 1'attention qu'elle merite, en vue de 1'organisation d'un systeme d'enregistrement des naissances, des manages et des deces; et de statistiques sur 1'agriculture et les autres industries37. »
En avril 1873, le ministre J.H. Pope deposa a la Chambre des communes un projet de loi en ces termes: « Resolu, Qu'il est expedient de pourvoir a un systeme d'enregistrement des manages, naissances et deces pour toute la Puissance, et a cet effet d'attacher au departement de 1'agriculture, un bureau qui sera appele "Le Bureau d'Enregistrement General et d'Archives Publiques;" et que le ministre de 1'agriculture soil le registrateur general, et son depute, le depute registrateur general des statistiques; avec pouvoir de faire des reglements (sujets aux dispositions de 1'acte qui sera passe a cet egard et a 1'approbation du gouverneur en conseil) pour atteindre les objets susdits, et d'employer les officiers et commis necessaires [...]38. »
Etant donne leur contenu plutot sommaire a 1'epoque, les Journaux de la Chambre des communes n'indiquerent pas les motifs a 1'appui du projet de loi, ni les mesures a prendre et les modalites d'application. Non plus que les motifs qui menerent a son retrait quelques semaines plus tard apres la deuxieme lecture. De toute evidence, il aurait fallu conclure des ententes avec des provinces comme 1'Ontario et le Quebec, qui s'etaient dotees d'un systeme d'enregistrement de 1'etat civil, et mettre sur pied et exploiter des systemes semblables (comme en Nouvelle-Ecosse) dans les provinces ou il n'en existait pas. On se demande comment un tel projet aurait pu voir le jour sans la tenue de vastes consultations, et rien n'indique que ce fut le cas. En fin de compte, les provinces furent laissees a elles-memes. La ColombieBritannique se dota d'un registre de 1'etat civil en 1872; le Manitoba lui emboita le pas en 1881. Dans les annees 1880, ce fut au tour du Nouveau-Brunswick et des Territoires du Nord-Ouest. En 1877, par souci d'6quite, le gouvernement federal cessa de fournir a la Nouvelle-Ecosse une aide fmanciere pour 1'enregistrement des donnees de 1'etat civil. II ressort des rapports ministeriels des annees 1870 que 1'Etat continuait a se preoccuper de 1'enregistrement des donnees sur la sante et sur 1'etat civil. Des dispositions furent prises en ce sens aux termes des articles 28,29 et 31 de TActe des recensements et des statistiques de 1879 (42 Victoria, chap. 21). A part les donnees du recensement, la loi autorisait la collecte et la publication de « statistiques vitales, agricoles, commerciales, criminelles et autres » et prevoyait la collaboration avec les provinces qui produisaient ce genre de renseignements. A 1'epoque, les registres municipaux semblaient offrir la source la plus probable pour les donnees de 1'etat civil. Apres maintes consultations aupres du corps medical et des bureaux de sante locaux, suivies d'une conference federale-provinciale, il fut convenu d'un projet qui prit la forme de reglements et que le rapport de 1882 decrivit ainsi: « Ces reglements pourvoient a la reunion, compilation, disposition en tableaux et publication de la statistique mortuaire, y compris les causes des deces, et a la reunion d'informations collaterales sur 1'etat de la sante publique39. »
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Le rapport ajouta : « L'opération de ce projet est basée sur l'organisation des bureaux locaux, et la nomination par ces derniers d'officiers de santé chargés de recueillir la statistique mortuaire. Il a été jugé absolument nécessaire de restreindre l'essai de ce difficile travail statistique à onze villes, savoir : les capitales des différentes provinces et les autres villes ayant une population de 25,000 habitants et plus [...]40. »
La restriction s'imposait non seulement pour des raisons statistiques, mais aussi pour des raisons budgétaires, le Parlement ayant accordé un crédit de 10 000 $ seulement. Chaque ville participante recevait une somme forfaitaire de 400 $, et une subvention de 1 centin par habitant, le quart du montant total étant affecté à la rémunération des « officiers de statistique ». Le gouvernement versait 15 centins pour chaque certificat de décès fourni, et le reste devait servir à obtenir « un état de la santé et autres renseignements s'y rattachant, dans chacune de ces villes et leurs environs41 ». Le rapport de 1883 présenta un premier bilan du programme. Des officiers de statistique avaient été nommés dans dix villes, dont six seulement firent parvenir des déclarations complètes (Montréal, Ottawa, Saint John, Hamilton, Toronto et Halifax). Les rapports subséquents laissaient croire que le programme continuait sur sa lancée. Un bulletin mensuel commença à paraître au milieu des années 1880, la classification des maladies fut améliorée et en 1891 on comptait 25 villes qui participaient au programme. Puis subitement le rapport de 1891 rendit le verdict suivant : « Le statisticien a constaté, après examen, que le système suivi depuis quelques années pour obtenir la statistique mortuaire était si incomplet qu'il n'avait pratiquement aucune valeur, sans compter qu'il entraînait une dépense considérable des deniers publics. On a terminé les relevés jusqu'à la fin de l'année 1891, puis suspendu le travail jusqu'à ce que de nouvelles études nous fassent trouver, s'il est possible, un meilleur plan d'obtenir des relevés plus complets relativement à cette importante division42. »
Ce « meilleur plan » allait prendre forme aux termes d'une entente fédéraleprovinciale conclue en 1893, peu après la fin du programme de statistiques sur la mortalité : « [...] il est désirable que les autorités fédérales et provinciales se concertent pour recueillir, compiler et publier les statistiques vitales du Canada [et qu'afin] de bien régulariser les statistiques, [...] les modèles et formes [sic] employés par les provinces pour la confection des relevés soient aussi uniformes que possible43. »
Une dizaine d'années plus tard, la plupart des provinces recueillaient des données sur l'état civil, mais comme l'avait indiqué Peter Gow 20 ans plus tôt, on ne pouvait s'attendre à ce qu'elles adoptent d'elles-mêmes le genre de méthode uniforme qui permettrait d'obtenir des statistiques comparables. Le gouvernement fédéral devait en prendre l'initiative. Malgré l'apparente volonté des provinces d'apporter leur collaboration, et le pouvoir que conférait clairement Y Acte des recensements et des statistiques de 1879, ce n'est qu'en 1916 qu'un tel programme vit le jour44.
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LA STATISTIQUE APRÈS LA CONFÉDÉRATION
STATISTIQUE DE LA CRIMINALITÉ ET DE L'INSOLVABILITÉ La criminalité fut l'objet de la première enquête intercensitaire que mena Taché en vue d'instituer le « système général de statistique officielle » proposé dans son mémoire en 1865. En l'absence d'une loi d'autorisation comme Y Acte des recensements et des statistiques de 1879, les travaux furent exécutés en 1876 en vertu de Y Acte pour établir des dispositions pour la collection et l'enregistrement de la statistique criminelle du Canada (39 Victoria, chap. 13). Vers la même époque, Y Acte pour amender "l'Acte de Faillite de 1875" (39 Victoria, chap. 30) pourvut à la collecte et à la publication de données sur les poursuites pour insolvabilité au Canada. Les deux programmes furent menés en parallèle par le ministère de l'Agriculture. La loi concernant la statistique criminelle obligeait à faire rapport chaque année au ministre de l'Agriculture sur l'administration du droit pénal; sur la détention dans les pénitenciers, les maisons de réforme et les prisons; et sur les fonctions déjuge de paix prévues par les lois en vigueur. La loi contenait de nouvelles dispositions visant la rémunération des personnes qui remplissaient et transmettaient les déclarations, et l'imposition d'amendes aux contrevenants. Les données sur l'insolvabilité, malgré leur portée restreinte, étaient utiles en tant qu'indicateurs de la conjoncture économique. La loi afférente imposait elle aussi des amendes aux contrevenants mais contrairement à la loi sur la statistique criminelle, elle ne prévoyait aucune rémunération. Le rapport de 1877 présenta certaines données sur les faillites en 1876, tout en faisant ressortir les difficultés créées par les nouvelles attributions : « II a été extrêmement difficile de rassembler les rapports des nombreux officiers appelés pour la première fois par la loi à fournir les éléments de la statistique criminelle et relative aux faillites. Outre cela, la correction de leurs états, très-souvent insuffisants, n'a pas été une tâche moins laborieuse. Je reconnais volontiers que ces officiers se sont montrés, en général, prêts à se conformer à la loi [...]. La publication de la statistique criminelle est différée [...]. Il va falloir aussi [...] remettre celle de la statistique relative aux faillites de l'année 187745. »
Deux ans s'écoulèrent avant que le « plan formé pour commencer la publication d'une statistique criminelle générale [aboutît] à un premier résultat ». Les données sur l'insolvabilité durent poser moins de problèmes, puisque trois séries avaient déjà été publiées à cette époque. Le ministre signala toutefois : « Les difficultés que l'on éprouve pour obtenir les données nécessaires dans ces deux catégories sont réellement décourageantes46. » Malheureusement, le gouvernement jugea en 1880 que Y Acte de Faillite, adopté à peine cinq ans plus tôt, n'avait plus sa raison d'être et que l'opinion publique penchait pour son abrogation. Le débat à la Chambre donna lieu aux propos suivants : « [...] le maintien de la loi, la certitude qu'elle figurait [...] dans nos statuts, ont fourni aux négociants peu scrupuleux des moyens de se soustraire à leurs obligations, plutôt que de l'assistance aux débiteurs malheureux mais honnêtes. [La] rapacité des syndics, la malhonnêteté des débiteurs, l'avidité de quelques créanciers [...] ont contrarié les bonnes intentions de la loi L.]47. »
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE S'il est vrai que ces statistiques ne furent pas d'une grande utilité, il reste que la'mesure s'était trouvée à anéantir le fruit de longues heures de travail au ministère de l'Agriculture. Quant aux données sur la criminalité, les rapports ministériels se limitèrent bientôt à signaler qu'elles avaient été publiées dans des délais raisonnables.
ANNUAIRES STATISTIQUES Outre la réforme des recensements, Taché avait envisagé dans son mémoire de 1865 qu'il serait publié chaque année des statistiques dans différents domaines. Aux données de l'état civil vinrent s'ajouter des renseignements établis dans d'autres champs d'activité ou par d'autres ministères. Ce genre d'informations avait d'ailleurs été publié au début des années 1860, à l'initiative d'Arthur Harvey, du ministère des Finances de la province du Canada48. C'est à lui, plutôt qu'à Taché, que l'on doit la publication du premier annuaire statistique du pays, et que revient le mérite d'avoir pressenti un tel besoin. La préface de la première édition disait : « À l'approche de la Confédération des provinces britanniques de l'Amérique du Nord, et en vue de l'expansion de leurs relations commerciales entre elles et avec d'autres, il semble nécessaire de publier un guide de renseignements généraux à ce sujet49. »
L'ouvrage fut mis sur le marché en 1867 et parut jusqu'en 1879. La deuxième année, il fut renommé Y Annuaire etAlmanach du Canada, étant un résumé statistique annuel du Dominion et un recueil de la législation et des hommes publics en Amérique britannique du Nord. C'était plus un almanach qu'un recueil de statistiques, et son caractère « quasi officiel » s'explique du fait qu'il était publié sous la direction de Harvey. L'Acte des recensements et des statistiques de 1879 conféra enfin un mandat explicite au ministère de l'Agriculture. L'article 33 se lisait comme suit : « Le ministre de l'agriculture aura le pouvoir de faire relever et réduire en tableaux de forme succincte, pour qu'on les puisse consulter facilement, les renseignements susceptibles d'être exprimés en chiffres, que contiennent les rapports et documents émanés des départements ou tous autres de nature publique. »
Coats indiqua plus tard50 que la loi avait eu pour effet de sonner le glas de l'almanach et de laisser le champ libre au ministère. Mais à cause du recensement de 1881, il fallut attendre plusieurs années avant d'être en mesure de publier un annuaire. Le ministère produisit un premier recueil à l'occasion de l'Exposition coloniale et indienne51, tenue à Londres en 1886. L'ouvrage avait été rédigé par George Johnson, correspondant à Ottawa du Mail de Toronto, qui l'année suivante devint le premier statisticien nommé à temps plein au ministère. Johnson avait un style bien à lui, qui marqua les annuaires statistiques et plusieurs autres ouvrages52. Son introduction au guide de l'exposition de Londres est un bijou de l'impérialisme : « Le Canada se présente dans la grande métropole britannique, en rivalité amicale avec les autres pays de l'Empire; ils forment ensemble cette Plus Grande-Bretagne, que le professeur Seely ajustement décrite comme "une Venise mondiale, où les rues sont la mer". [...] Le
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Canada veut démontrer que ses progrès dans les arts, la fabrication, le commerce, les ressources, l'éducation, le gouvernement et le développement général sont conformes à ce que l'on attend de toute collectivité née de la Grande-Bretagne ou influencée par l'esprit d'entreprise britannique. [...] L'Exposition rappelle un portrait de famille où chaque membre occupe sa place dans la composition de l'immense Empire53. »
Pour illustrer la comparaison, Johnson inséra dans le guide une carte du monde indiquant la nouvelle route via le Canada54 entre l'Angleterre, la Chine, le Japon, l'Australie et l'Orient. En 1886 parut la première édition du Résumé statistique. Johnson fut nommé au ministère en 1887, mais son influence ne se fit pas sentir de sitôt. Dans la quatrième édition publiée au milieu de 1889, le nom de S.C.D. Roper figure à titre de « compilateur du Résumé Statistique ». Quoi qu'il en soit, l'entreprise fut plutôt discrète à ses débuts : le rapport ministériel en fit mention pour la première fois en 1891. Les premiers résumés traitaient de la statistique sous différents aspects : finances, commerce, postes et télégraphie, marine et pêcheries, chemins de fer et canaux, banques et assurances, etc. De cet assemblage de données administratives, Coats dit ceci : « [...] les quelques chiffres qu'on y trouve sont ce que leurs auteurs en ont fait [...] une simple collocation, arborant leurs erreurs55. » II reconnut toutefois que le résumé constituait le « germe » d'un vaste système de statistique. Les attributions premières du ministère figuraient sous des rubriques comme les « statistiques de l'état civil de la population » : il s'agissait de données tirées du recensement et mêlées aux nouvelles statistiques sur la mortalité urbaine, les arts (brevets d'invention), l'agriculture et l'immigration, et aux statistiques sur la criminalité, établies de longue date. La cinquième édition, celle de 1889, conserva la même présentation, mais parut sous le titre Annuaire statistique, sans qu'il fut donné d'explication. Le titre actuel d'Annuaire du Canada fut adopté quelques années plus tard. Sous l'influence de Johnson, l'édition de 1893 comptait deux fois plus de pages que la précédente. Son contenu avait été remanié et se divisait en deux parties, les « annales » et le « résumé », que Johnson décrivit en ces termes dans l'introduction : « Les "annales" contiennent la matière historique; la constitution et le gouvernement du pays; les résultats du recensement de 1891; les déclarations des divers directeurs de nos banques; le résumé des faits les plus importants de l'année, tels que le règlement [sic] de la question de la mer de Behring, le traité français, et autres sujets que les hommes publics aiment souvent à se remettre en mémoire; la biographie des hommes les plus distingués qui sont morts pendant l'année. Elles contiennent aussi un chapitre sur les forêts du Canada, le premier d'une série projetée de monographes sur des sujets d'une haute importance pour les Canadiens; et un mot sur Terreneuve, le premier d'une série d'essais sur les "pays avec lesquels le Canada fait des affaires." [...] « Le "résumé" est, comme l'indique son nom, un recueil des livres bleus publiés par les divers départements, accompagné des explications qui semblent nécessaires pour satisfaire ceux qui désirent autre chose que des tableaux statistiques56. »
Mais la démarche s'avéra trop ambitieuse. Dès 1891, les ministres faisaient état de l'annuaire dans leurs rapports et signalaient qu'il était de plus en plus difficile de
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE répondre à la demande croissante en provenance de l'étranger. Le rapport de 1896 disait : « Les demandes du volume de 1895, de la part des gouvernements, des bibliothèques publiques et des chambres de commerce de France, d'Allemagne, des Etats-Unis, d'Italie et autres pays étrangers, ont été reçues en plus grand nombre qu'en aucune année précédente57. »
Johnson décida de miser sur le côté utilitaire de l'ouvrage. Dans l'introduction à l'annuaire de 1896, il écrivit : « En vue de permettre la publication d'un plus grand nombre d'exemplaires, on a appliqué dans la préparation du livre, un principe rigoureux de condensation. Il en résulte une édition plus considérable et un livre moins volumineux58. »
L'initiative connut un franc succès : le tirage atteignit 9 600 exemplaires pour les années 1892 à 1895, puis 4 000 pour l'année 1896 et 5 500 pour l'année 189759. Dans leurs rapports, les ministres se mirent à présenter les éloges qu'avait suscités Y Annuaire. De nos jours, il serait peut-être condescendant d'écrire : « Cette publication, qui fait honneur au Canada, peut servir de modèle aux statisticiens des autres colonies, et même, sous plusieurs rapports, à ceux de la mère-patrie60. » Mais à l'époque, le propos témoignait d'une fierté évidente. Sous la présentation simplifiée que lui avait donnée Johnson, l'annuaire connut un regain de popularité; l'édition de 1904 fut tirée à plus de 10 000 exemplaires. Ce fut le dernier projet dont s'occupa Johnson avant de prendre sa retraite en 1906. Son successeur, Archibald Blue, n'allait pas tarder à transformer le concept et le style de l'annuaire. Il reste que l'ouvrage demeure un monument à la créativité de Johnson et à son sens du marketing avant la lettre.
ASSEMBLÉE DE 1884 DE LA BRITISH ASSOCIATION En 1884 fut tenue à Montréal l'assemblée de la British Association for thé Advancement of Science. C'était la première fois qu'elle avait lieu hors du Royaume-Uni, ce qui donna aux statisticiens du pays l'occasion de côtoyer les membres de la communauté scientifique internationale. Alors que les exhortations du gouverneur général, le marquis de Lorne, avaient pesé lourd dans le choix du lieu, le Times de Londres tourna en dérision les chances de succès de l'événement : « L'idée de tenir une assemblée au Canada, plutôt qu'en tout autre point de la Grande-Bretagne équivaut à suspendre les travaux de l'Association pour une année. L'année 1884 est à rayer du calendrier61. »
Cependant, dans son allocution d'ouverture à l'assemblée de l'année suivante, le président de l'Association affirma : « Notre assemblée de Montréal a été un événement à marquer d'une pierre blanche dans la vie de la British Association, et fait époque dans l'histoire de la civilisation. [...] Les habitants du Canada nous ont accueillis à bras ouverts, et la science du Canada et celle du RoyaumeUni se sont amalgamées62. »
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Ce succès conduisit à la tenue d'une seconde assemblée au Canada, celle de Toronto en 1897. Une vingtaine d'auteurs canadiens avaient présenté leurs communications à l'assemblée de 1884 dans la section des sciences économiques et statistiques. L'une d'elles portait sur la population, l'immigration et la pauvreté dans le Dominion du Canada; l'auteur était John Lowe, secrétaire au ministère de l'Agriculture63.
STATISTIQUE DU TRAVAIL Taché et ses collègues accordèrent une attention soutenue à la statistique de l'état civil, et même s'ils n'obtinrent pas les résultats escomptés, ils avaient compris le rapprochement à faire entre les registres de l'état civil et les données des recensements de la population, obtenues directement ou indirectement. Ces deux sources, conjuguées aux statistiques sur la migration, étaient considérées comme les éléments essentiels d'un modèle démographique qui servirait à suivre les progrès de la colonisation au Canada. En 1892, la responsabilité de l'immigration fut transférée du ministère de l'Agriculture à celui de l'Intérieur, mais avant le transfert tout comme après, les données de l'immigration constituaient un sous-produit des formalités administratives ayant trait à la sélection et au transport d'immigrants ainsi qu'à leur accueil aux ports d'entrée. C'est ce qui explique que leur qualité était discutable au xixe siècle et même au xxe siècle, sans oublier qu'il n'existait pas de données sur l'émigration. Dans les premières années du Canada, il ne se trouve aucune statistique de la population active. Rien d'étonnant à cela, si l'on considère la situation économique de l'époque et l'absence de pressions exercées sur le gouvernement pour qu'il se préoccupe du marché du travail. Et pourtant, les données sur le travail tirées du recensement de 1871 et des suivants furent jugées assez utiles pour être intégrées à des recueils quasi officiels de statistiques historiques64, qui traitaient de la répartition de la main-d'oeuvre par profession et secteur d'activité. Le rapport sur le recensement de 1871 contenait un tableau qui, à partir des données du questionnaire personnel, présentait 135 occupations allant des comptables aux faiseurs de roues et regroupées dans des catégories comme l'agriculture, le commerce et le service domestique65. Les questionnaires destinés aux employeurs permirent de recueillir des données sur l'emploi selon le secteur d'activité et le sexe, le groupe d'âge (plus ou moins de 16 ans) et le salaire annuel. Puis les données s'affinèrent : propriétaires et associés d'entreprises, cadres et dirigeants salariés, vendeurs, employés rémunérés à l'heure, travailleurs à la pièce, etc. En 1891 fut posée une question sur le chômage66, mais les résultats ne furent jamais diffusés. L'intérêt pour le marché du travail était axé sur les conditions d'emploi dans les divers secteurs d'activité et les localités, comme en témoignent les statistiques sur la rémunération, la durée du travail, les revenus et le coût de la vie. Pendant les 20 premières années du Dominion, le ministère de l'Agriculture consacra peu de ressources au domaine, et les rares données à ce sujet provenaient non pas de son bureau de la statistique, mais des relevés fournis par des agents d'immigration répartis à la grandeur du pays. Dans les rapports ministériels, les données étaient présentées en appendice sous la forme d'un relevé des salaires moyens payés aux manoeuvres, aux 27
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE mécaniciens, etc. (par jour et par mois avec pension), comportant une bonne dizaine de métiers, et d'une liste des prix de détail (aliments et vêtements ordinaires requis par la classe ouvrière). Jusqu'en 1891, lorsque le ministère cessa de s'occuper de l'immigration, la qualité et l'étendue des données à ce sujet étaient plutôt limitées, mais avec le temps on en vint à présenter des statistiques sur 18 bureaux, regroupées dans un appendice spécial du rapport du ministre; ce dernier en fit mention en au moins une occasion67. À cette époque, l'Ontario produisait déjà — en vertu d'une loi de 1882 — des statistiques sur le travail qui étaient beaucoup plus complètes et de meilleure qualité. La loi avait créé au ministère de l'Agriculture le Bureau des industries, dont le commissaire était chargé « [...] d'instituer des enquêtes et de recueillir des renseignements utiles relativement aux intérêts agricoles, mécaniques et manufacturiers de la province, et d'adopter des mesures pour les répandre et les faire circuler de telle manière et en telle forme qu'il jugera le plus convenable pour accélérer les améliorations dans la province, et pour y attirer l'émigration des pays étrangers68 ».
Le secrétaire du Bureau était Archibald Blue69, dont nous avons parlé et qui, 20 ans plus tard, allait devenir une figure de proue de la statistique au Canada. Dès ses débuts, le Bureau s'acquitta énergiquement de ses attributions, en particulier dans le domaine de l'agriculture. Son premier rapport annuel révélait toutefois qu'en 1882 on s'inspira du recensement fédéral pour mener auprès des établissements manufacturiers une enquête qui portait, entre autres, sur la production, le capital et l'emploi70. Par la suite, le Bureau s'intéressa directement aux conditions du marché du travail, comme il en fit mention dans son deuxième rapport annuel : « [...] les syndicats ouvriers et autres organismes des classes ouvrières devaient produire des déclarations indiquant pour les corps de métiers qu'ils représentent le taux de salaire, le coût de la vie, la durée de l'emploi, etc. dans les principaux centres industriels71. »
Un an plus tard, des données semblables sur quelque 22 000 salariés furent recueillies auprès des établissements et des ménages, puis regroupées dans des tableaux qui occupaient plus de 16 pages du troisième rapport annuel. Ces travaux se poursuivirent de façon intermittente pendant quelques années, pour atteindre leur point culminant en 1892, lorsque la partie VI du onzième rapport annuel présenta en quelque 330 pages un rapport sur les organisations ouvrières de l'Ontario, et une annexe traitant des bureaux de main-d'oeuvre, des statistiques du travail dans divers pays et des lois du travail au pays et ailleurs. Par la suite, on démontra peu d'intérêt pour la statistique du travail, au point que le rapport du Bureau des industries finit par se limiter aux données sur l'agriculture, les municipalités et le nantissement de biens meubles72. Ce fut seulement lorsque débutèrent les travaux de la Commission royale sur les relations du travail avec le capital au Canada, que l'État s'intéressa aux statistiques intercensitaires sur le travail. La commission avait été créée en 1886, sans doute par suite du chômage provoqué par la crise économique. Dans le rapport qu'elle publia trois ans plus tard, elle indiquait : 28
LA STATISTIQUE APRÈS LA CONFÉDÉRATION
« [...] les intérêts de la classe ouvrière seront avancés si toutes les matières concernant le travail et le capital était placé [sic] sous l'administration d'un des ministres de la couronne, afin qu'un département du travail (Labor Bureau) puisse être établi, des statistiques recueillies, des renseignements disséminés, et que la classe ouvrière ait de plus grandes facilités pour faire connaître au gouvernement ses besoins et ses désirs73. » On fit valoir que ce genre de bureau semblait bien fonctionner aux Etats-Unis : « Le premier de ces bureaux qui a été ainsi établi, a été celui en rapport avec le gouvernement de l'Etat du Massachussetts [sic]; et par la suite, à différents intervalles, des bureaux de statistiques industrielles et de travail furent établis dans vingt-un [sic] autres Etats, et en 1884 le bureau national fut établi à Washington, par acte du Congrès. Les actes par lesquels ces bureaux sont établis sont identiques dans leur tenure, presque tous ayant pour but la collection d'informations concernant le travail, ses relations avec le capital, les salaires des hommes et des femmes, leur éducation, leur condition morale et financière, et leur entourage hygiénique. » Le gouvernement canadien fit donc adopter une loi créant au ministère de l'Agriculture le Bureau de la statistique du travail. Le ministre fut désigné commissaire de la statistique du travail, dont le rôle consistait à recueillir, classifier et élaborer, et présenter périodiquement dans des rapports au Parlement « des renseignements statistiques au sujet du travail de tous genres en Canada », notamment : « Le nombre, le sexe et l'état civil des personnes employées; la nature de leur emploi; jusqu'à quel point le système de l'apprentissage est suivi dans les différentes industries qui exigent un travail habile; le nombre des heures de travail par jour; la moyenne du temps employé par année, et le chiffre net des gages reçus dans chacune des industries et emplois en Canada. « Le nombre et la condition des personnes non employées, leur âge, leur sexe et leur nationalité, ainsi que les causes de leur oisiveté. « L'état sanitaire des terrains, ateliers et maisons d'habitation; le nombre et la grandeur des chambres occupées par les travailleurs, etc.; le prix du combustible, des loyers, de la nourriture, de l'habillement et de l'eau dans chaque localité en Canada; et jusqu'à quel point on emploie les procédés mécaniques pour économiser le travail, jusqu'à quel point ils déplacent la maind'oeuvre, et quel est leur effet sur les gages des ouvriers adultes74. » Une autre disposition de cette loi traduisait le sentiment populaire et officiel à l'époque : « Le nombre et la condition des Chinois en Canada; leurs habitudes sociales et sanitaires; le nombre des mariés et des célibataires; le nombre de ceux qui sont employés et la nature de leur emploi; la moyenne des gages par jour dans chaque emploi, et leur montant total annuel; le chiffre de leurs dépenses en loyer, nourriture et habillement, et dans quelles proportions ces montants sont employés en achats de produits étrangers et indigènes respectivement; jusqu'à quel point leur travail fait concurrence aux autres classes industrielles du Canada75. » L'opposition qualifia la mesure de superflue, alléguant que la loi de 1879 pourvoyait déjà à l'exécution de travaux statistiques, mais le gouvernement insista sur la valeur symbolique d'une mesure législative. Les exigences de la nouvelle loi en matière de collecte et d'analyse étaient pour le moins démesurées, alors que les crédits annuels étaient limités à 10 000 $. Or, il ne se passa rien, malgré les pressions exercées par
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE l'opposition pendant quatre ans, et la loi fut abrogée en 1906. Pendant ce temps, un vent de renouveau avait soufflé sur la statistique du travail, à la suite de la création d'un ministère dont le rôle et les travaux sont décrits dans le prochain chapitre.
STATISTIQUE DE L'AGRICULTURE Comme nous l'avons vu, le recensement de 1871 et les suivants s'intéressaient aux exploitations et aux produits agricoles. Dans son rapport de 1871, le ministre de l'Agriculture s'engagea à produire des données intercensitaires sur l'agriculture : « Je me propose de commencer aussitôt que possible l'oeuvre importante de recueillir des statistiques agricoles que l'on publiera périodiquement de la même manière que dans d'autres pays, au moyen d'un système que l'on est actuellement à déterminer et qui remplira les conditions d'exactitude et d'économie76. »
À cette fin, il fallait s'assurer la collaboration des provinces, puisque l'agriculture relevait des deux ordres de gouvernement. Comme pour les données du recensement, on s'inspira sans doute du système en place aux États-Unis qui, depuis la fin des années 1860, servait à produire des statistiques annuelles sur les cultures et le bétail, surtout à partir des rapports fournis par un réseau de correspondants bénévoles en milieu agricole77. Il fallut néanmoins attendre plus de dix ans avant de voir bouger les choses. Dans son rapport de 1883, le ministre fit état des mesures prises de concert avec le gouvernement du Manitoba pour la production de rapports sur les cultures au Manitoba et dans le NordOuest. « Notre but, en établissant un mode de se procurer d'une manière efficace et prompte les données journalières, est de pouvoir fournir à l'occasion un état exact des changements survenus dans les récoltes, dans la production des produits agricoles, et dans les résultats du travail des cultivateurs78. »
Les premières statistiques furent publiées en appendice au rapport. En 1884, le ministre présenta des chiffres semblables en signalant : « Dans les provinces où la statistique n'est pas encore recueillie, les maîtres de poste ont été chargés de mettre en circulation des listes au moyen desquelles on obtiendra un rapport sur les produits agricoles de ces régions, et j'espère que ce nouveau système donnera des résultats satisfaisants79. »
Pourtant, les rapports des années suivantes restèrent muets sur le sujet, et il ne parut pas de statistiques sur l'agriculture. Sans expliquer directement ce silence, les comptes de crédits du ministère offrent un peu d'éclairage. Alors que 20 000 $ étaient budgétés pour chacun des exercices financiers de 1883 à 1886, à peine plus du tiers fut dépensé. Les rouages du système se ressentirent sans doute du recours aux services de maîtres de poste pour recueillir les données, le Manitoba ayant poursuivi ses activités sans l'aide du Dominion. L'Ontario, pour sa part, recueillait tous les ans des données sur l'agriculture, en vertu de la loi sur le Bureau des industries de 1882. Ainsi, lorsque fut mis en chantier le 30
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Résumé statistique en 1886, les données agricoles provenaient des registres du Canada sur les importations et les exportations de produits agricoles, et des chiffres de production fournis par l'Ontario et le Manitoba. À ces données plutôt sommaires s'ajoutaient des statistiques d'autres pays, comme le Royaume-Uni, les États-Unis et l'Australie, afin de présenter l'agriculture canadienne dans un contexte mondial. Il se faisait périodiquement des analyses de la part que les pays fournisseurs occupaient dans le marché florissant des denrées alimentaires importées au Royaume-Uni. Le but visé était de suivre l'évolution d'autres économies agricoles importantes. Il s'écoula plusieurs années de silence au sujet de la statistique agricole au Canada. Puis dans son rapport de 1890, le ministre commenta les travaux de la Section commerciale de la Division de la statistique, laquelle était chargée de la publication de l'annuaire statistique : « Je puis mentionner [...] beaucoup de demandes de renseignements sur des questions agricoles auxquelles il a été impossible de répondre, parce qu'il n'existe aucun système pour recueillir la statistique agricole du Canada. On s'est procuré des renseignements sur les différents systèmes adoptés dans d'autres pays pour recueillir ces relevés, et si l'on peut suivre quelque plan semblable ici on ne saurait trop priser la valeur que la chose aura pour les cultivateurs et la classe commerciale80. »
Ce voeu pieux fut réitéré presque mot pour mot dans les rapports des 12 années suivantes. Aucun programme pancanadien ne fut mis en oeuvre pendant la période visée par le présent chapitre, même si l'on commença à recueillir des données sur les cultures au Nouveau-Brunswick en 1897, ainsi qu'en Saskatchewan et en Alberta en 1898.
CONCLUSION Le ministère de l'Agriculture mérite la note de passage pour les travaux qu'il consacra aux recensements pendant les 30 ans qui suivirent la Confédération. Ce fut seulement plus tard que des figures d'autorité, tel Francis A. Walker, allaient déconseiller le recours à un même outil pour recueillir des données démographiques et industrielles. De toute façon, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, il se trouva au moins une figure d'autorité pour juger acceptables les recensements que le ministère allait mener par la suite. Le projet si cher à Taché — le système général de statistique officielle — fit peu de progrès. Il nécessitait un bon gisement de données intercensitaires en vue d'actualiser les données repères fournies par les recensements. Il fallut attendre plus de dix ans après la Confédération pour qu'une loi fût adoptée en ce sens. En somme, la volonté politique et les moyens semblaient faire défaut. Il subsiste deux cas d'exception : Y Annuaire du Canada, qui réunissait efficacement les statistiques provenant des opérations administratives d'autres ministères, et les statistiques sur la criminalité. Les travaux relatifs à l'insolvabilité, quoique non négligeables, furent néanmoins de courte durée. Enfin, malgré les pressions du public, le bureau de la statistique du travail ne vit jamais le jour.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Les principales sources de déception concernaient les données de l'état civil et de l'agriculture, sur lesquelles tous les ministres avaient fondé de grands espoirs. Dans l'un et l'autre cas, la réussite était tributaire d'une véritable collaboration fédéraleprovinciale, qui demeurait timide à la fin des années 1880. Les projets amorcés dans le domaine de l'état civil finirent par échouer. Et vu le formidable essor de l'agriculture pendant les 40 ans qui suivirent la Confédération, il faut considérer comme un échec de taille l'incapacité du ministère de l'Agriculture à mettre sur pied un système de statistiques agricoles intercensitaires.
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CHAPITRE III
1892-1912: Nouveaux rôles, nouveaux responsables
INTRODUCTION Pendant les premières années qui suivirent la Confédération, l'économie continua de prospérer. Au milieu de la décennie 1870, elle fut secouée par une crise qui dura plus de 20 ans, mise à part l'accalmie du début des années 1880. Les contraintes budgétaires engendrées par la crise n'étaient pas propices à de nouvelles initiatives, ce qui explique en bonne partie la réticence ou l'incapacité du ministère de l'Agriculture à se lancer dans des travaux statistiques autres que les recensements décennaux. La conjoncture s'améliora au milieu des années 1890, et la première décennie du xxe siècle connut une croissance économique sans précédent. L'État prit alors conscience de la valeur des statistiques actuelles, exactes et pertinentes pour être en mesure de suivre le progrès économique, voire influer sur sa nature et sa portée. Dès 1887, le gouvernement Macdonald avait créé un ministère du Commerce chargé de promouvoir et de stimuler le commerce intérieur et extérieur — ce qui incombait jusque-là au ministère des Finances. La loi ne fut promulguée qu'en 1892, mais le nouveau ministère commença très tôt à publier et à analyser des statistiques sur le commerce. Une division de la statistique du commerce fut mise sur pied sous l'autorité de W.A. Warne, dont nous reparlerons plus loin. Sur le plan chronologique, le ministère du Travail constitua ensuite le principal foyer de nouvelles activités statistiques. Son rôle premier, l'établissement d'un mécanisme de règlement des « conflits ouvriers », découlait de l'industrialisation croissante de l'économie canadienne. Un autre objectif, non moins important, consistait à recueillir et à publier régulièrement des données sur le marché du travail. C'est par le biais de cette fonction que Robert Hamilton Coats fit son entrée sur la scène de la statistique. Un autre point est traité en détail le présent chapitre : c'est le raffermissement du mandat statistique conféré au ministère de l'Agriculture en vertu de l'Acte du Recensement et des Statistiques de 1905 (4-5 Edouard VII, chap. 5). La loi pourvut à la création d'une entité distincte au ministère — le Bureau du recensement et de la statistique — et entraîna l'augmentation de l'effectif. Elle visait ainsi à promouvoir la fonction statistique, à en assurer la continuité et à instituer un mécanisme pour l'élaboration d'un programme de statistiques intercensitaires.
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE D'autres foyers d'activités statistiques s'étaient formés au niveau fédéral et dans les provinces pour s'occuper des champs de compétence partagée. Leur existence s'expliquait moins par le fait que l'on se préoccupait davantage de la statistique, que par la nécessité d'obtenir des données afférentes aux attributions des ministères — chemins de fer, banques, mines, pêcheries et ainsi de suite. Leur incidence globale était loin d'être négligeable, et il en sera question lorsque le Canada aura élargi sa vision des besoins statistiques et compris qu'il y avait lieu de les réunir en un ensemble structuré. Au lieu de suivre l'ordre chronologique, nous avons préféré traiter d'abord du nouveau mandat statistique du ministère de l'Agriculture, puis rendre compte des travaux statistiques exécutés par le ministère du Commerce et le ministère du Travail.
BUREAU DU RECENSEMENT ET DE LA STATISTIQUE En 1946, après une carrière vouée à la mise en place d'un système statistique centralisé, Robert Hamilton Coats déclara que les 50 ans ayant suivi la Confédération avaient ressemblé à un parcours indéfini qui avait souvent emprunté des voies secondaires et mené nulle part 1 . Le jugement peut sans doute s'appliquer à la majeure partie de la période traitée dans le chapitre précédent, mais il paraît dur pour décrire la première décennie du xxe siècle, qui montrait des signes encourageants que l'État comprenait davantage qu'il s'imposait d'instituer un système statistique plus apte à servir l'intérêt national. La loi de 1905 visait notamment à raffermir le mandat statistique du ministère de l'Agriculture2. Le 7 février 1905, le ministre Sydney Fisher expliqua à la Chambre des communes que la loi avait un double objectif. Elle créait d'abord, au ministère de l'Agriculture, un bureau permanent du recensement et de la statistique. Le ministre s'exprima en ces termes : « Une des plus grandes difficultés que le recensement ait toujours présentées, ce fut la nécessité d'organiser pour ainsi dire sous l'impulsion du moment une équipe de gens qui n'avaient jamais fait cet ouvrage et qui, par conséquent, étaient sans expérience. Les ennuis inhérents à cette précipitation disparaîtraient s'il y avait un bureau permanent de recensement3. »
II fit remarquer : « [...] ce que je trouve tout aussi important, dans notre état actuel de développement, c'est d'obtenir une statistique exacte pour chacune des dix années qui doivent s'écouler entre deux recensements. »
II énonça la démarche envisagée : « [...] un bureau permanent [aurait] pour fin de recueillir tout d'abord des renseignements chaque année sur les sujets dont il aura mission de s'occuper, comme le recensement de la population, la cueillette [sic] de renseignements détaillés sur tous les différents points contenus dans notre recensement décennal. Je ne demande pas qu'il soit fait un recensement complet tous les ans [ni] qu'il se fasse tous les ans une statistique sur aucun sujet en particulier, mais je crois que dans l'intervalle qui s'écoule entre deux recensements il devrait se prendre périodiquement des renseignements sur différents points, et qu'ils devraient comprendre
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NOUVEAUX RÔLES, NOUVEAUX RESPONSABLES chaque année une partie des renseignements fournis par le recensement lui-même. Ainsi, à propos d'agriculture on pourrait recueillir certaines données tous les deux ans et certaines autres dans les autres années. On pourrait en faire autant au sujet des industries. [Au lieu de procéder par dénombrement] ce travail pourrait être fait d'ici, et cela surtout par la poste4. »
Alors que la loi précédente obligeait à participer au recensement, l'obligation s'étendait désormais à toute enquête de nature statistique. Le 13 décembre 1905, Archibald Blue, jusque-là commissaire spécial du recensement, fut nommé par décret au poste de directeur du nouveau Bureau du recensement et de la statistique; sa rémunération s'élevait alors à 4 000 $. La nomination eut pour effet de forcer George Johnson à prendre sa retraite. Le 24 août 1905, le ministre lui écrivit : « Après la clôture de la session parlementaire, je me suis penché sur l'organisation du Bureau du recensement et de la statistique en tenant compte du nouvel Acte du Recensement et des Statistiques. Ayant examiné avec soin les nécessités du service, j'ai conclu qu'un poste de statisticien n'est plus requis au ministère, d'où la décision de l'abolir. Comme vous occupez le poste, il vous est demandé de prendre votre retraite5. »
Le jour même, Johnson répondit courtoisement : « Depuis toujours, et aujourd'hui encore, je souscris à une réforme du service destinée à profiter au peuple6. » II reconnaissait que s'il demeurait en poste, Blue n'aurait pas la latitude voulue pour exercer ses nouvelles attributions. C'était néanmoins une fin de carrière décevante pour un homme qui non seulement s'était distingué par son apport à Y Annuaire, mais qui avait fait avancer grandement la statistique officielle au Canada. La déception eût sans doute été moins vive si Fisher avait accepté d'ajouter dix ans à ses services ouvrant droit à pension, ce à quoi s'était engagé verbalement sir John A. Macdonald, étant donné l'âge de Johnson au moment de sa nomination. Quoique favorable à sa demande, Fisher n'osa y acquiescer : son parti avait vivement critiqué la pratique lorsqu'il était dans l'opposition et il s'était défendu de le faire depuis son arrivée au pouvoir. La loi de 1905 maintenait la disposition de la loi de 1879 concernant l'accès aux « statistiques vitales, agricoles, commerciales, criminelles et autres » recueillies par les provinces. Or, jusqu'à la fin de son mandat statistique, le ministère de l'Agriculture évita de s'en prévaloir, pas plus qu'il ne l'avait fait pendant 25 ans. Par contre, rien n'était prévu dans la nouvelle loi au sujet d'ententes de collaboration avec d'autres ministères fédéraux. Lorsque Coats, statisticien du Dominion, planifiait en 1917 la création d'un système statistique centralisé, il déplora dans une note qu'on eût laissé passer l'occasion de situer le problème dans son contexte : « Si la statistique est à ce point décentralisée au Canada à l'heure actuelle, c'est en partie attribuable à la politique adoptée au moment de la création du Bureau en 1905, laquelle confie aux ministères la responsabilité de la statistique, plutôt que de centraliser les attributions. Le Bureau a délaissé la coordination des travaux statistiques menés avec des provinces et semble s'intéresser avant tout, voire uniquement, à ses propres travaux. Je crois savoir que si la Division des mines a publié ses propres statistiques, c'est surtout parce que le Bureau ne s'est pas montré intéressé à le faire7. »
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE NOUVELLES INITIATIVES STATISTIQUES La loi de 1905 permit d'obtenir en peu de temps des données intercensitaires. Fort d'un prestige accru et de nouvelles ressources8, le Bureau mena en 1906 un recensement auprès des manufactures. L'année suivante, il en fit de même pour les producteurs de lait et pour les exploitants agricoles en Ontario, au Québec et dans les Maritimes9. Les trois provinces maritimes, la Saskatchewan et F Alberta avaient emboîté le pas à l'Ontario et au Manitoba et produisaient chaque année des statistiques agricoles, notamment des rapports sur les cultures. Mais comme l'observa Coats plus tard, « les chiffres prêtaient le plus souvent à confusion et ne coïncidaient pas quant au temps, aux définitions ni aux méthodes générales10 ». En 1908, le Bureau adopta un système de statistique agricole qui, outre les rapports mensuels sur les cultures, servait à établir des estimations annuelles de nombreuses variables comprises dans le recensement décennal de l'agriculture 11 . Le système constituait une première étape importante en vue de remédier au fait que le ministère de l'Agriculture avait longtemps négligé les statistiques agricoles, mais puisqu'il était réalisé indépendamment des provinces, il ne contribua pas à dissiper la confusion évoquée par Coats. Un an ou deux plus tôt, le gouvernement fédéral avait collaboré à la création de l'Institut international d'agriculture. L'âme de l'institut était un Américain, David Lubin, qui fut sans doute le premier à constater que dans le domaine de l'agro-alimentaire, le développement du commerce international était compromis par l'absence de données objectives et actuelles sur les stocks, les récoltes anticipées et d'autres aspects de la production et de la distribution. Lubin estimait qu'une telle lacune serait comblée par la fondation d'un centre d'information à l'échelle internationale. Il gagna à sa cause le roi d'Italie, Victor-Emmanuel III, qui réunit les grandes puissances mondiales à Rome en 1905 pour étudier la question. Une trentaine d'États définirent alors un projet d'institut qui fut présenté aux gouvernements avec une invitation à en faire partie. La GrandeBretagne signifia son accord et demanda que l'invitation s'étendît à ses dominions d'outre-mer. Invité à son tour en 1906, le Canada se joignit à l'institut au début de 1907. Figure importante de l'agriculture mondiale, le Canada se réjouit de la création d'une tribune internationale où il pouvait occuper un rôle indépendant. En 1909, Archibald Blue fit partie de la délégation canadienne à la deuxième assemblée générale de l'institut à titre de conseiller en statistique agricole, devenant ainsi le premier statisticien officiel du pays à assister à la réunion d'un organisme international. Le système de statistique agricole adopté par le Bureau permit de satisfaire aux exigences de l'institut qui entrèrent en vigueur en 1910. Les données furent publiées dans la Revue mensuelle du recensement et des statistiques, qui avait commencé à paraître en juillet 1908. À ses débuts, le contenu ne se limitait pas à l'agriculture, ce qui changea en avril 1917 lorsque la publication devint la Revue mensuelle de la statistique agricole. Presque aussitôt adoptée, la loi de 1905 fut modifiée pour assurer, dans les nouvelles provinces de la Saskatchewan et de l'Alberta, l'exécution d'un recensement quinquennal de la population et de l'agriculture similaire à celui du Manitoba. Le recensement qui fut mené en 1906 dans les Prairies révéla l'ampleur de la colonisation de l'Ouest canadien. 36
NOUVEAUX RÔLES, NOUVEAUX RESPONSABLES De 1901 à 1906, la population des trois provinces avait grimpé de 93 % pour passer de 419 512 habitants à 808 863. La Saskatchewan se classait en tête pour la hausse absolue et la hausse proportionnelle. Sa population de 91 279 avait fait un bond de 182 % pour atteindre 257 763. En outre, le Bureau pouvait désormais se livrer à une analyse plus attentive des résultats du recensement. Après 1905, les publications du recensement comportèrent une nouvelle série d'études thématiques qui s'appuyaient sur les données du recensement de 1901 et qui allaient ouvrir la voie aux monographies. Au nombre des sujets traités, mentionnons les salariés selon la profession (bulletin I); les professions de la population (bulletin XI); et la propriété immobilière au Canada (bulletin X). Une autre étude, fondée sur les données du recensement de 1906, concernait les immigrants de la classe agricole dans les provinces du Nord-Ouest (bulletin VI). Une seule ombre à ce tableau impressionnant : la refonte de l'annuaire, qui avait constitué le principal apport du ministère à la « statistique générale » pendant dix ans. À partir de l'édition de 1905, son contenu se rétrécit et prit une allure austère; il se limitait aux statistiques fédérales et sauf l'introduction dans laquelle E.H. Godfrey énonçait les points saillants de l'année, il ne s'y trouvait pas d'information textuelle. Vers la fin de la décennie, le recensement de 1911 reçut une attention particulière. En vertu de la loi de 1905 son contenu s'était affiné, et il s'alignait sur le modèle adopté pour le recensement de 1901. Il comportait 13 formules et 549 questions. Les données furent réunies à l'aide de tabulatrices mécaniques, qui nécessitaient les services de deux spécialistes à temps plein12. Afin de faciliter la diffusion des résultats, des bulletins d'information furent publiés sur plusieurs sujets avant la sortie des rapports officiels. Le recensement de 1911 fut le chant du cygne pour Archibald Blue, qui mourut en poste trois ans plus tard, à l'âge de 74 ans. Il avait été nommé au moment où l'on commençait à saisir l'importance des statistiques de qualité, de sorte que sa tâche fut moins ardue que celle de ses prédécesseurs. Il faut toutefois lui attribuer sans réserve le mérite de l'impressionnante poussée d'énergie créative — dans un champ d'action canalisé — que démontra le nouveau Bureau.
BILAN DES TRAVAUX STATISTIQUES DU MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE Le recensement de 1911 fut le dernier que mena le ministère de l'Agriculture, puisqu'en avril 1912 le Bureau du recensement et de la statistique fut rattaché au ministère du Commerce. Avant de décrire les circonstances du transfert et la suite des événements, il convient de dresser le bilan des travaux statistiques que le ministère de l'Agriculture exécuta nendant 45 ans.
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE pouvoir. Le gouvernement estimait faire son devoir en publiant ces chiffres et, en plus, en tenant le recensement tous les dix ans et de façon aussi complète que possible13. »
Le ministère de l'Agriculture publia ces chiffres dans l'annuaire dès le milieu des années 1880, mais n'eut pas recours au pouvoir conféré par la loi de 1879 pour instituer un programme de statistique générale. Comme nous l'avons vu, le raffermissement de son mandat en 1905 ne tarda pas à produire des résultats impressionnants, cependant que de nouveaux impératifs politico-économiques l'amenèrent à prendre des mesures encore plus énergiques. Au xixe siècle, son rôle premier était l'exécution de recensements décennaux; c'est donc cet aspect qu'il convient d'évaluer. Coats exprima très simplement son point de vue à cet égard en observant que « Taché misait beaucoup trop sur le recensement » et que « notre ancien recensement visait trop haut ». Il ajouta : « [...] des personnes formées avant tout pour la tâche relativement simple du recensement de la population et de l'agriculture ne peuvent recevoir la formation requise pour mener les enquêtes infiniment plus complexes que comporte un recensement industriel ou institutionnel14. »
Le contenu du recensement prit beaucoup d'ampleur entre 1891 et 1911. La Commission ministérielle sur les statistiques officielles du Canada, créée en 1912, écrivit ce qui suit dans son rapport dont il sera traité plus loin : « Cette complexité, en augmentant à l'excès les demandes faites aux recenseurs et au public entraîne le risque de la confusion et de l'inexactitude. [...] Il semble que la source de la difficulté soit celle-ci : A mesure que s'exécute le travail de dénombrement et de classification de la population, travail tout d'abord assigné au Bureau du recensement, il paraît opportun de réunir d'autres données, en particulier, des faits relatifs à la condition industrielle du pays. Graduellement, la somme de cette seconde matière entièrement différente se multiplie, et, comme résultat final, la tâche du recensement est considérablement augmentée, le point de vue de celle-ci changé, tandis que la nouvelle matière demeure incomplète, au nouveau point de vue industriel15. »
Ce genre de critique ne faisait pas vraiment de distinction entre la valeur respective des recensements qui suivirent la Confédération. Mais on affirmera plus tard que les recensements tenus par Blue avaient une bonne longueur d'avance sur ceux qu'avaient menés Taché et Johnson. En 1987, M.C. Urquhart écrivit : « [...] le recensement de 1901 [...] était nettement supérieur aux précédents [et] en 1911 [...] on avait eu le temps d'améliorer encore presque tous les aspects du recensement16. » II faisait allusion à l'augmentation des données du recensement industriel et du recensement de l'agriculture; à l'amélioration de la qualité et de la couverture; et au fait que le recensement de la population présentait des données sur le revenu d'emploi, classées par profession et par branche d'activité en 1911. La méthode de collecte omnibus n'était peut-être pas aussi déficiente que Coats et ses collègues de la commission ministérielle allaient la juger plus tard. Par ailleurs, les recensements de 1901 et de 1911 coûtèrent beaucoup plus que les précédents. Au reste, la méthodologie était vouée à l'échec pour la bonne et simple raison — que reconnaîtrait bientôt la commission ministérielle — qu'il n'était plus suffisant de tenir un recensement industriel tous les dix ans. 38
NOUVEAUX RÔLES, NOUVEAUX RESPONSABLES Les recensements de 1901 et de 1911 eurent néanmoins des aspects positifs, et il semble que leurs lacunes trouvent leur explication dans la méthodologie défaillante des recensements menés par le ministère de l'Agriculture, plutôt que dans l'absence de continuité administrative, à laquelle voulut remédier en partie la création du Bureau du recensement et de la statistique en 1905. Ce dernier point de vue fut exprimé dans une autre histoire officielle de la statistique au Canada 17 , et peut-être inspiré par une observation percutante de Coats : « L'un des défauts [...] est que pendant 40 ans, l'organisation du recensement et la compilation des résultats ont été confiées à une équipe créée de toutes pièces au bureau central et qui disparaissait sans laisser de traces au moment de devenir compétente, pour un travail qui exige à la fois une technique administrative exceptionnelle et des connaissances statistiques et générales aussi vastes que possible18. »
II est indéniable qu'en l'absence d'une structure administrative permanente, la fonction recensement put longtemps paraître très incertaine. Mais la situation n'était pas unique, comme l'indiquait le témoignage que Robert P. Porter, directeur du onzième recensement des États-Unis, présenta en mars 1892 devant un comité de la Chambre des représentants chargé d'étudier un projet de bureau permanent du recensement : « Lorsque j'ai été nommé, j'avais sous mes ordres un commis et un messager, et sur un bureau se trouvaient des feuilles de papier blanc. J'ai envoyé chercher à l'office des brevets tout ce qui existait sur le recensement tenu dix ans plus tôt, et nous avons déniché des archives, des vieilles formules et d'autres vestiges. [...] J'ai pu engager seulement trois anciens recenseurs de notre ville. [...] Je connaissais la plupart des gens qui avaient travaillé au recensement. Certains étaient décédés, d'autres avaient un emploi dans le secteur privé. J'ai pu en engager un au Colorado. [...] J'étais content de l'avoir trouvé. [...] Avec ces hommes, nous avons mis sur pied l'organisation19. »
À partir de 1885-1886 s'amorça la tenue de recensements quinquennaux au Manitoba et dans ce qui allait devenir la Saskatchewan et l'Alberta, ce qui eut pour effet d'aplanir quelque peu le cycle en dents de scie des recensements décennaux. D'ores et déjà, on pouvait observer une certaine continuité entre les principaux intervenants. Taché, en particulier, manifesta un intérêt soutenu pour le recensement et s'en occupa jusqu'à sa retraite en 1888. Son successeur, John Lowe, et un autre fonctionnaire, J.G. Layton, avaient tenu un rôle clé lors des recensements de 1871, de 1881 et de 1886. E.H. St-Denis, qui allait devenir adjoint au statisticien du Dominion sous la direction de Coats, s'initia aux travaux du recensement dans les années 1870 et vit ses attributions augmenter d'un recensement à l'autre, jusqu'à celui de 1911. Au recensement de 1891, Lowe était secondé par George Johnson — premier fonctionnaire du ministère à être nommé statisticien à temps plein — qui, au recensement de 1881, avait fait fonction d'agent de la Nouvelle-Ecosse. Johnson, à son tour, travailla avec Archibald Blue, embauché à titre de commissaire spécial du recensement de 1901. De l'avis du ministre, la création du Bureau du recensement et de la statistique en 1905 avait un double objectif : améliorer l'efficacité de la fonction statistique dans son ensemble et maintenir la continuité dans l'exécution des recensements. Coats croyait fermement que le premier objectif n'allait pas être réalisé au moyen des dispositions
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE prises en 1905. Dans son premier rapport annuel à titre de statisticien du Dominion20, il souligna la distinction entre un bureau consacré à la statistique et chargé, en plus, du recensement et l'ancien bureau, qui « était un bureau de recensement, avec certaines attributions accessoires ». Il reprit à son compte les propos de John Cummings quant à la nécessité, pour le Bureau du recensement des États-Unis, de démontrer son utilité à titre de bureau de statistique : « En définitive, la permanence doit trouver sa justification dans le travail accompli par le Bureau à titre d'entité permanente. [...] Les activités intercensitaires du Bureau déterminent absolument le caractère de son effectif. Si ces activités sont triviales, le Bureau sera toujours jugé incapable de tenir les recensements décennaux21. »
En fait, les travaux intercensitaires du Bureau du recensement et de la statistique après 1905 furent fort méritoires, mais la suite des événements allait bientôt les éclipser. Certaines interrogations sont soulevées par l'établissement du bilan des travaux statistiques du ministère de l'Agriculture après la Confédération. Par exemple, s'il y avait eu un bureau distinct au moment de la Confédération ou peu après, les résultats auraient-ils différé sensiblement de ceux dont fait état le chapitre précédent? Avec l'effectif nécessaire, ce bureau aurait-il pu parfaire les méthodes de collecte ayant servi aux recensements de la population et de l'agriculture, notamment dans le cas des données sur les industries et les institutions, de manière à se doter d'un programme de statistiques intercensitaires? Et aurait-il pu s'assurer la collaboration des provinces dans leurs champs de compétence exclusive ou partagée? Rien n'est moins sûr. D'abord, vers la fin du xixe siècle, la statistique en tant que science et source d'innovation n'avait pas encore pris racine au Canada22, et d'ailleurs rares étaient les pays où elle s'était implantée. Les États-Unis se rapprochaient le plus du Canada quant aux besoins à satisfaire et aux capacités d'exécution. Leurs recensements étaient semblables à ceux d'ici, quoique de portée un peu plus restreinte, et les travaux statistiques intercensitaires se limitaient essentiellement à l'agriculture. Mais sans égard aux considérations d'ordre technique, l'utilité de la statistique restait encore à démontrer à cause du rythme décevant ayant marqué le développement économique pendant la majeure partie des 30 ans qui suivirent la Confédération. Ainsi, plutôt que de porter un jugement sur les travaux statistiques accomplis après la Confédération, il est plus réaliste de les considérer comme l'étape nécessaire d'une évolution. Pour formuler ses conclusions, la commission ministérielle de 1912 put bénéficier de 40 ans d'expérience plus ou moins utile dans ce domaine, et il y a peu de chances que les mesures proposées auraient pu être assimilées et se révéler efficaces pendant les années qui suivirent immédiatement la Confédération. Il convient de noter l'observation faite par Coats à la fin de son analyse de 1946, où il se montre plus indulgent qu'au début : « Le texte [...] offre sans doute un autre exemple de la façon dont la démocratie erre et trébuche si souvent [...] vers la réalisation d'un objectif, lorsqu'on procède par tâtonnements23. »
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NOUVEAUX RÔLES, NOUVEAUX RESPONSABLES MINISTÈRE DU COMMERCE Dans la dernière partie du xixe siècle, la production statistique fédérale comptait non seulement l'entité rattachée au ministère de l'Agriculture, mais aussi une composante non négligeable : le commerce extérieur. Depuis la Confédération, le ministère des Douanes produisait des statistiques primaires sur les importations et les exportations et les publiait tout simplement dans un rapport annuel sur le commerce et la navigation au Canada. En 1887, la création du ministère du Commerce devait permettre de suivre « le rapide progrès du Canada, tant étranger que domestique24 », comme l'affirma le premier ministre, sir John A. Macdonald. Apparemment pour des raisons budgétaires, la loi ne fut promulguée qu'en 1892, mais le nouveau ministère commença très tôt à établir ce qui fut appelé plus tard « des statistiques commerciales d'un caractère explicatif25 ». Dans le premier rapport annuel du ministère pour l'exercice terminé le 30 juin 1893, le sousministre W.G. Parmelee en énonça l'objectif : « [...] il est opportun aujourd'hui de donner au peuple canadien un état comparatif du commerce du monde et de lui indiquer les nouvelles voies pouvant amener en Canada une augmentation de commerce, et celles par lesquelles nos produits, dont l'augmentation est constante, peuvent être expédiés aux pays qui en ont besoin26. »
Le rapport signalait la difficulté d'établir des comparaisons valides entre les importations et les exportations de deux pays. Il faisait mention d'autres éléments qui posaient problème : nature variable des méthodes d'évaluation; absence d'une période statistique commune; manque d'uniformité des critères retenus pour les pays d'origine et de destination; modifications apportées à la classification des produits; et fluctuations des taux de change. Dans le deuxième rapport annuel, on annonça que des relevés trimestriels étaient publiés depuis septembre 1894 et, quelques années plus tard, certains secteurs faisaient l'objet de bulletins mensuels. Le rapport de 1905 disait : « Les temps ont changé, et ce ministère, qui, il y a à peine une douzaine d'année [sic], avait eu des débuts de peu d'importance, est appelé à fournir et fournit actuellement plus de données relatives au commerce qu'il n'en était publié dans tous les rapports annuels, et qu'il était, jusqu'à cette époque possible de se procurer, particulièrement en ce qui concerne les tarifs et le commerce des pays étrangers, les débouchés du commerce, le résumé des statistiques comparatives, avec le total des chiffres depuis la confédération, etc., etc.27 »
De temps à autre, le ministère publiait des rapports statistiques spéciaux, comme à l'occasion de la conférence commerciale tenue en 1909 à Sydney en Australie. Le style expansif du rapport28 rappelait l'ouvrage rédigé par George Johnson pour le ministère de l'Agriculture à l'occasion de l'Exposition coloniale et indienne qui avait eu lieu à Londres en 1886. La croissance des échanges canadiens évoquée dans le rapport s'inscrivait dans la tendance expansionniste du commerce international en ce début du xxe siècle. Le besoin d'uniformiser les méthodes de mesure et de comparaison aboutit à la fondation du Bureau international de la statistique commerciale. La Belgique organisa une conférence internationale en 1910 afin d'uniformiser la nomenclature des produits et d'améliorer ainsi la comparabilité des statistiques sur les importations et les exportations. À la fin de 41
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE 1913, les délégués d'une trentaine de pays adoptèrent une nomenclature à cinq catégories, qui allait servir aux rapports à transmettre au bureau de Bruxelles chargé de publier chaque année un bulletin de statistiques commerciales internationales29. Le bureau serait géré par le gouvernement de la Belgique, mais financé par les pays contractants. Le Canada approuva en principe la convention de Bruxelles, et la question de son adhésion officielle fut étudiée pendant les premiers mois de 1914. Il n'existe cependant aucune mention d'un décret à ce sujet et, de toute façon, le déclenchement de la guerre empêcha la convention d'entrer en vigueur dans les délais prévus.
STATISTIQUE DU TRAVAIL ET DES PRIX L'Acte de conciliation de 1900 eut pour effet de créer un troisième grand foyer d'activités statistiques. Il visait essentiellement à instaurer un mécanisme de règlement à l'amiable des conflits ouvriers. Ainsi, pour produire les données statistiques requises aux fins des séances de conciliation et d'arbitrage, on mit sur pied un ministère du Travail ayant le rôle suivant : « [... Il] recueillera, compilera et publiera sous une forme convenable, des renseignements statistiques et autres au sujet des conditions de la main-d'oeuvre, instituera et conduira des enquêtes sur les questions industrielles importantes au sujet desquelles il n'est pas aujourd'hui facile d'obtenir des renseignements satisfaisants, et publiera au moins une fois par mois une publication qui sera appelée la Gazette du Travail (Labour Gazette), qui contiendra des renseignements au sujet de l'état du marché de la main-d'oeuvre et autres questions analogues30. »
Le 27 juin 1900, le directeur général des Postes, l'honorable William Mulock, s'adressa à la Chambre des communes en ces termes : « [La gazette] remplira à l'égard du travail, le même office que remplit [sic] le rapport du ministre de l'Agriculture vis-à-vis l'agriculture et le rapport du ministre du Commerce à l'égard du commerce. [Elle] ne publiera pas d'opinions, mais enregistrera simplement les faits. [...] Le Canada est en arrière des autres pays en n'ayant pas encore un journal de ce genre. [...] L'Angleterre avait établi une gazette du travail quelque temps avant la loi de conciliation, et ce journal a aidé beaucoup aux chambres de conciliation31. »
Mulock prit les rênes du nouveau ministère et W.L. Mackenzie King32, âgé d'à peine 25 ans, fut nommé sous-ministre et rédacteur de la Gazette du travail; Henry A. Harper en était le rédacteur adjoint. Le premier numéro, qui se vendait trois cents, parut en septembre 1900. La publication se transforma vite en une mine de renseignements sur les conditions industrielles au Canada et sur la situation générale de l'emploi; elle traitait notamment des lois du travail de diverses compétences territoriales33, des décisions judiciaires et des mesures prises en vertu de Y Acte de conciliation, et présentait des statistiques sur la rémunération, la durée du travail et le coût de la vie. Pendant les premières années, les données provenaient surtout d'un réseau de correspondants locaux, mais on s'orienta vers une démarche plus rigoureuse en envoyant les questionnaires directement par la poste.
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NOUVEAUX ROLES, NOUVEAUX RESPONSABLES
Robert Hamilton Coats, journaliste torontois de 27 ans, entra en fonction au tout nouveau minislere du Travail au debut de 1902, apres que Harper eut connu un triste sort: il se noya en decembre 1901 en tentant de sauver une patineuse lombee dans les eaux de la riviere des Outaouais34. Meme si King et Coats se connaissaient35, celui-ci avail fait appel a son collegue du Globe de Toronto, Claude E. Bogan, pour obtenir le poste. Le 12 Janvier 1902, Bogan ecrivit a King : « Coats [...] m'a telephone hier soir pour me demander d'appuyer sa candidature. [...] Je lui ai repondu que je serais heureux de vous rappeler ses grandes qualites. » Lui-meme songeait a reorienter sa carriere et avait manifesle un certain interet pour le poste, mais sans plus. II avail apparemment autre chose en vue et il ecrivit deux autres letlres en faveur de Coats:«[...] ce serail une benediction pour lui, dont la charge de Iravail au Globe a mine la sante36. » King s'empressa d'assurer a Coals qu'il obliendrail le poste. Dans une nole datee du 22 Janvier 1902, Coats lui exprima sa gratitude et concluait en ces lermes: « J'apporterai a ma nouvelle specialite loul 1'enlhousiasme el loule la vigueur donl je suis capable37. » II devint redacteur adjoint le 30 Janvier 1902. Tout comme son predecesseur, Coats eul tot fail de prendre en charge la plupart des aspects de la publication, puisque son superieur s'occupait surloul des seances de conciliation et des enquetes speciales donl le ministere elait charge, el passait done beaucoup de temps a 1'exlerieur d'Ottawa. Coals s'inleressa par ailleurs au dossier des conditions de travail. Le 1° septembre 1904, il adressa a King la premiere note d'une serie ayant trail a la necessile d'ameliorer le sysleme pour y prevoir la collecle el la publication de donnees sur la remuneration et le cout de la vie38. Dans sa nole, Coals affirmait: « Ce qui comple avanl loul, c'esl de s'assurer un emploi; c'esl apres que la remuneration esl comparee au coul de la vie. » Selon lui, la Gazette du travail Iraitail adequalemenl du marche de 1'emploi, mais dans le cas des enquetes periodiques sur la remuneration el le coul de la vie, il ne s'elail rien fail pour en publier les resullals a inlervalles reguliers « ou selon un plan fixe el defini con$u pour elre parliculieremenl avanlageux a 1'avenir ». Coals eslimail necessaire de creer une division de la slatistique de la remuneration et du cout de la vie, laquelle veillerait a tenir des enquetes annuelles en ce domaine el a publier les resullats chaque annee, en Janvier ou fevrier, dans un supplemenl a la Gazette. Au sujel de la publication des slalisliques, Coals ajoutait: « [...] non seulement [elle] laisse a desirer quant a la portee et a 1'exactitude, mais, dans une certaine mesure, [elle] dissipe 1'interet pour les donnees en question a cause du peu d'espace qui leur est reserve39. »
Dans une nole dalee du 18 novembre 1904, Coals signala a King les problemes que posail le Irailement des donnees sur la remuneration et la duree du travail. II reilerail le besoin de publier en temps ulile une masse critique de donnees pour servir au mieux Finleret collectif. « II sera impossible d'en venir a bout en moins de 12 a 15 mois et, comme cinq numeros de la Gazette ont deja paru depuis 1'envoi des circulaires d'enquete, les resultats, au moment ou ils seront publics, auront perdu beaucoup de leur valeur40. »
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE À l'époque, la plupart des statisticiens officiels d'expression anglaise n'avaient pas de véritable formation en statistique 41 . Il en allait de même pour Coats, qui avait néanmoins acquis un bon bagage de connaissances depuis sa nomination. Dans sa note de septembre, il avait parlé de réduire les données sur la rémunération et le coût de la vie à « [...] un système de chiffres indicateurs conçu pour mettre en relation autant la rémunération et le coût de la vie dans certaines villes et provinces que les frais de subsistance et la rémunération du travail en différents endroits ».
Les deux notes de Coats ne semblent pas avoir suscité de réaction chez King. Le 1er septembre 1905, Coats lui réitéra ses propositions antérieures42. Dans une autre note datée 20 septembre, il demanda d'ajouter au rapport annuel « [...] un article et un tableau mensuel présentant chaque mois les prix de certains produits de base, notamment les articles de première nécessité, afin d'illustrer par une série de chiffres indicateurs ou de diagrammes les conditions et les tendances importantes qui influent sur le coût de la vie au Canada43 ».
Coats abordait pour la première fois le mécanisme de « pondération » qui refléterait l'importance relative des composantes d'un « chiffre indicateur ». Il proposait à cette fin d'établir le budget type d'une famille de cinq personnes ayant un revenu de deux dollars par jour. Fait intéressant, Coats rédigea en annexe : « Autre solution, sur la base des prix de gros (Dun 's). Dresser une liste complète de biens de consommation; relever les prix à dates fréquentes; multiplier le prix de chaque bien par la consommation moyenne par personne au Canada (si l'on dispose des statistiques) et additionner les totaux. Résultat = chiffre indicateur. »
Nul doute que Coats était conscient des difficultés que poserait le relevé des prix de détail, puisqu'il restait au ministère à fixer le montant des fonds devant être affectés à cette fin. Il fallait déterminer avec soin les produits vendus au détail et relever leurs prix dans un grand nombre de points de vente, alors qu'il était relativement facile de trouver dans la presse commerciale les prix de gros présentés par variété et par classes bien définies44. Coats continua à rédiger des notes en vue d'améliorer les statistiques sur la rémunération et le coût de la vie. Le 8 février 1906, il proposa d'établir au ministère un système de fiches pour faciliter la consultation de la masse croissante de renseignements sur la rémunération et la durée du travail. Le 6 septembre 1906, King donna une première indication de son intérêt : « J'ai demandé à l'agence Dun de nous fournir, par l'entremise de ses correspondants locaux, un relevé mensuel des prix de détail courants45. » II demandait aussi à Coats de lui dresser une liste de produits qu'il pourrait transmettre à Dun, et Coats lui rappela poliment qu'il la lui avait déjà fournie dans sa note du 20 septembre 1905. King n'était pas insensible aux propositions, ainsi qu'en témoigne une note que Coats lui adressa le 15 juillet 1907 : « Pour donner suite à vos instructions, permettez-moi de vous présenter des mesures par lesquelles il serait créé au ministère une division de la statistique du coût de la vie et un mode de collecte et de présentation des données afférentes46. »
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NOUVEAUX ROLES, NOUVEAUX RESPONSABLES
Sur ce dernier point, Coats souhaitait qu'une enquete sur les depenses des families fut instituee sur le rnodele de celles qui etaient menees en Angleterre, en Allemagne et aux Etats-Unis, tout en reconnaissant que la chose n'etait pas encore realisable. Quelques semaines plus tot, Coats avait commence a s'imposer comme specialiste de la remuneration et du cout de la vie en sortant de 1'anonymat de la Gazette du travail. Pour 1'Association du service civil47, il redigea un memoire, en date de juin 1907, qui portait sur le cout de la vie a Ottawa de 1897 a 1907 et qui fut presente a la Commission royale d'enquete sur le service civil. Le memoire revelait que les depenses hebdomadaires moyennes consacrees aux aliments de base, a 1'eclairage et au loyer avaient grimpe de 34,3 % pour une famille de cinq personnes habitant a Ottawa et disposant d'un revenu annuel de 750 $. Aux premiers echelons du « service interieur », ce niveau de revenu 6tait tres frequent; il n'avait d'ailleurs pas change depuis bien des annees. Les constatations de Coats ne laissaient planer aucun doute sur les difficulte's eprouvees par les fonctionnaires. Son memoire donnait foi aux preoccupations croissantes du public vis-a-vis de Faugmentation des prix en general, et contribua peutetre a sensibiliser King a ses plaidoyers repetes en faveur d'un programme de statistiques sur la remuneration et le cout de la vie. Et pourtant, King ne bougea pas. Un an plus tard, le 6 aout 1908, Coats redigea une autre note dans laquelle il reprenait et developpait ses arguments anterieurs. Si Coats ne gagna pas de terrain aupres de King, c'est en partie parce que celui-ci etait occupe par d'autres dossiers: il s'etait fait 1'architecte de la nouvelle Loi des enquetes en matiere de differends industriels et veillait aux modalites d'application; il etait aussi devenu un habile diplomate pour les questions touchant l'immigration orientale et le trafic d'opium. Le 21 septembre 1908, King demissionna du poste de sous-ministre, invoquant« un sentiment de devoir envers le public et la croyance que, dans les spheres plus elevees de la politique, il y a plus d'occasions d'gtre utile au public48 ». Au mois d'octobre, il fut elu au Parlement. Puis le 19 mai 1909 fut promulguee la loi definissant le ministere du Travail comme un portefeuille distinct et le 2 juin King en devint le ministre. L'opposition s'insurgea centre la mesure : le Cabinet comptait deja trop de membres, et il etait malavise de creer un portefeuille qui ne repondait pas aux besoins et aux interets de tous les Canadiens. Le ministre aurait si peu a faire qu'il ne convenait pas de le remunerer au meme litre qu'un ministre au portefeuille etabli de longue date49. Le depute Henderson attira 1'attention sur les credits affectes aux traitements pour 1'exercice en cours. II d6clara : « Nous ajoutons encore $7,000 a cette liste pour le traitement du ministre. Avec tout ce personnel de fonctionnaires, je crois que le ministre n'aura pas grand'chose a faire50. » Personne ne nia que King possedait les competences voulues. Mais quelques semaines avant 1'adoption de la loi, le depute Sproule demanda plaisamment ou etait le « ministre du Travail en perspective », qui assistait alors a Shanghai aux seances de la commission Internationale chargee d'etudier la question de la suppression du trafic d'opium. II ajouta:
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LE BUREAU FEDERAL DE LA STATISTIQUE « Le ministre [Rodolphe Lemieux] pourrait nous dire si le Mikado s'en est empare ou dans quelle partie du monde habitable il se trouve actuellement et si jamais il doit revenir, quand il se propose de le faire51. »
Apres le depart de King, F.A. Acland occupa le poste de sous-ministre et, pour avoir etc quelque temps secretaire au ministere, il elait sans doute plus sensible aux preoccupations de Coats. Mais les choses se mirent a bouger seulement lorsque le cout de la vie se transforma en enjeu sociopolitique. Dans son numero de fevrier 1910, la Gazette du travail affirmait: « Depuis quelques annees, et surtout depuis le commencement du siecle un des fails les plus importants de la situation industrielle et economique au Canada et dans d'autres pays, a et6 Faugmentation continue et prononcee des prix et du cout de la vie. [...] On peut dire en toute surete qu'aucune question publique, a 1'heure actuelle, n'egale en interet general celle du cout anormal de la vie52. »
II etait done opportun pour King de demontrer la volonte et la capacite de son ministere d'ameliorer le programme de statistiques pour tenir compte des elements de la situation. Ainsi, dans le numero de fevrier 1910, on annoncait que le ministere avail adopte « une methode plus compleete [sic] et plus systematique de trailer ce sujet»; et que « depuis plusieurs mois des arrangements ont etc fails pour assurer 1'ainauguration [sic] d'une revue statistique periodique des prix53 ». La nouvelle methode consistait a trailer separement les prix de detail el les prix de gros, el la Gazette du travail commenga a publier, a pattir des donnees de Janvier 1910, un lableau mensuel montranl « [...] les prix de trente-quatre articles qui [entraient] pour une grande part dans le cout de 1'existence [sic] dans les centres de population les plus importants dans tout le Canada. [...] Afm de perme(t)tre une generalisation, une moyenne sera adoptee [...] et un budget prepare avec soin y sera applique, au moyen duquel der [sic] comparaisons de mois en mois et sur une echelle generate seront rendues possibles54. »
ETUDE DES PRIX DE GROS Dans le numero de fevrier 1910, le ministere annonfait son intention de produire un sommaire mensuel des fluctuations des prix de gros de 225 articles « qui [entraient] pour une grande part dans le commerce du pays et qui [pouvaient] etre considered comme reflechissanl les phases les plus imporlanles de son activile industrielle55 ». Ces slalisliques devaient s'appuyer sur une elude speciale de 1'eVolulion des prix de gros entre 1890 et 1909. Les prix eleves de la viande formaient la principale preoccupation, et c'est pourquoi Ton publia sans tarder des renseignements provisoires a leur sujet. En principe, il elait plus facile de faire le releve des prix de gros que celui des prix de detail, mais 1'obtention des donnees sur 20 ans equivalait a un Iravail de benediclin. King preconisail le recours au personnel en place sans qu'il ful necessaire d'engager des frais addilionnels. Dans certains cas, Coats dut augmenler les sommes versees aux correspondants locaux pour denicher les donnees historiques. Le correspondant de Winnipeg, John Appleton, Irouva tout de meme a redire : 46
NOUVEAUX ROLES, NOUVEAUX RESPONSABLES
« J'ai engage1 deux hommes et j'ai promis a chacun 5 $ pour consulter les dossiers du Free Press et ceux du Commercial, sources les plus fiables pour connaitre les prix pratiques pendant la periode visee. Mais les deux m'ont laisse tomber. C'est un travail fastidieux, et les hommes capables de 1'accomplir ne le feront pas au taux que vous offrez56. »
La tache fut pourtant menee a bien et les resultats de 1'etude57 parurent en juin 1910. Le numero suivant de la Gazette du travail affirmait que le rapport etait «indubitablement le plus complet sur la question des prix qui ait jamais etc public au Canada58». II y avail plus encore : 1'annexe59 qui accompagnait les donnees constituait un travail d'erudition statistique sans precedent au Canada. L'expose de Coats sur la methodologie montrait qu'il connaissait bien les travaux effectues par des sommites telles que Jevons, Edgeworth, Palgrave et Giffen et, aux Etats-Unis, par le departement du Commerce et le departement du Travail. Coats s'attarda a la ponderation et, apres un examen minutieux des indices en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, resuma ses conclusions comme suit: « II semble fortement indique non seulement de privilegier un chiffre indicateur pondere, mais aussi de choisir avec soin la methode de ponderation. Autant les preceptes du bon sens que le raisonnement abstrait du mathematicien semblent soutenir ce point de vue. Mais en abordant concretement le probleme, on constate que si un systeme de ponderation semble fort justifie en theorie, un bon nombre d'arguments en sa faveur tendent a disparaitre en pratique. Non seulement a-t-on d6montre par une foule d'essais que les ecarts entre les divers systemes de ponderation etaient faibles, mais la difference entre un systeme quelconque et 1'absence de tout systeme est minime60. »
Coats soutenait que la moyenne ponderee n'etait justifiee que dans deux eventualites : «[...] lorsque la tendance generate des prix est violemment interrompue par des circonstances exceptionnelles, comme la guerre civile de 1861 a 1865 aux Etats-Unis ou la guerre francoprussienne de 1870 a 1872 en Europe; et lorsque le nombre d'articles vises par 1'enquete sur les prix est restraint61. »
Estimant que ni 1'un ni 1'autre de ces criteres ne s'appliquait a la realite canadienne, il adopta comme indice officiel une simple moyenne arithmetique qui attribuait une importance egale a tous les articles. Neanmoins, pour corroborer la valeur de 1'indice non pondere, Coats presenta dans son etude les resultats d'un indice experimental fonde sur une methode qu'avait adoptee 20 ans plus tot la British Association for the Advancement of Science. La methode consistait a ponderer les principaux groupes d'articles en fonction des sommes depensees pour se les procurer62. On ignore si cette methode incita Coats a choisir un indice non pondere. Mais il observa plus tard : « [...] depuis quelques annees, le chiffre pondere progresse plus rapidement que le chiffre non pondere' en raison de la hausse relativement plus forte des prix des produits agricoles et des aliments [et] le chiffre pondere que nous venons de decrire [...] est sans doute, dans 1'ensemble, un meilleur indicateur des tendances du cout de la vie que le chiffre indicateur non pondere63. »
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LE BUREAU FEDERAL DE LA STATISTIQUE Cette £tude capitale fut suivie d'un remaniement des attributions grandissantes du ministere. Le rapport annuel de 1910-1911 disait: « Le travail [...] augmente constamment depuis quelque temps; nous en sommes arrives a un point ou il est impossible de continuer a moins de proceder sur une base plus large et plus solide. Ceci est surtout vrai pour ce qui concerne le travail statistique de ce ministere applique a la tres importante question des salaires et du cout de la vie64. »
La Division de la statistique du travail fut ainsi creee65 et Coats s'en vit confier la charge. Sa tenacite etait enfin recompensee. Le rapport sur les prix de gros etait purement technique : il pr6cisait qu'il ne s'etait rien fait pour expliquer les causes66, meme s'il se terminait par une analyse sommaire des facteurs a 1'origine des fluctuations des prix. Mais il ne s'agissait aucunement d'une reaction au vif interet que le public continuait de porter au cout de la vie et que 1'introduction du rapport caracterisait par une citation percutante tiree du Bradstreet's Journal: «Quand 1'histoire de 1910 sera ecrite [sic], [...] 1'un de ses evenements [sic] les plus memorables a enregistrer sera probablement la grande agitation, prenant les proportions d'une reVolte nationale, centre le prix eleve des aliments67. »
ENQUETE SUR LE COUT DE LA VIE La veritable reaction ne se manifesta que vers 1913, lorsqu'un brusque recul de 1'emploi, conjugue au maintien des prix eleves, donna enfin Felan necessaire a la creation d'une commission d'enquete « sur Faugmentation du cout de la vie et sur les causes qui ont occasionne cette augmentation ou qui y ont contribue68 ». En raison de sa competence dans ce domaine, Coats etait tout designe pour en faire partie. Public au milieu de 1915, le rapport de la commission69 etait impressionnant: deux volumes totalisant plus de 2 000 pages. Le premier renfermait le rapport comme tel, signe par tous les membres70, sauf Coats. Le second contenait le rapport de Coats. Des le debut des travaux de la commission, Coats emit des reserves au sujet de 1'absence de structure pour 1'obtention des exposes et revaluation des resultats. Le 22 juin 1914, lorsque la commission se reunit une derniere fois pour entendre les exposes, Coats proposa qu'un memoire fut redige par son ministere sur la situation economique ayant conduit a 1'augmentation des prix. La commission accepta, et Coats obtint le consentement du ministre Thomas W. Crothers. La commission devait se reunir plus tard au cours de Fete pour preparer son rapport, mais la guerre eclata. Coats relata par la suite : « [...] je n'ai revu le president [John McDougald] qu'a l'automne; il pensait alors que la preparation du rapport serait reportee indefiniment71. » Coats continua quand meme de rediger son me'moire, puisqu'il y voyait une utilite pour le ministere du Travail. Le 21 decembre, McDougald informa Coats que le premier ministre Robert Borden voulait le rapport sans delai et lui demanda les textes qu'il avail deja rediges. Coats ne put acceder aussitot a la demande, mais fournit une grande partie du memoire par tranches au cours des semaines qui suivirent. A la reunion du 22 fevrier 1915, il apporta le reste, a 1'exception d'un resume 48
NOUVEAUX ROLES, NOUVEAUX RESPONSABLES
des conclusions qui 6tait en preparation. Or, McDougald ne laissa pas la commission examiner le memoire, alleguant que Ton n'en avail pas le temps. II avail recu inslruction de faire signer le rapport avant la fin de la semaine et il avail convoque la reunion pour eludier un rapport provisoire qu'il avail lui-meme redige. Ainsi, la commission n'examina pas le memoire; il semble meme qu'elle n'ail pas eludie en profondeur le rapporl provisoire. Apres la reunion, Coals ecrivil a McDougald: « Apres une lecture hative et partielle, je ne peux commenter le document de fa?on detaillee, mais il faudrait inclure une definition generate des causes economiques de la forte hausse des prix, ce qui constitue peut-etre les deux tiers de la cause globale. [...] Je desire [...] re'ite'rer tres fortement ma suggestion de publier dans une annexe le memoire du ministere du Travail. [...] Le contenu est approuve par le ministre et sa publication fera honneur a la commission et au gouvernement, puisque le memoire renferme plusieurs essais novateurs en matiere de recherche economique et statistique72. »
Les autres membres de la commission, J.U. Vincent el C.C. James, se rangerenl du cole de McDougald et signerenl son rapporl provisoire, mais lorsque Coals le re?ul le 26 fevrier, il ne put se resoudre a le signer el ecrivit de nouveau a McDougald : « Veuillez ne pas interpreter ma reponse a M. Lynton [secretaire de la commission] comme un refus de signer le rapport provisoire. J'ai voulu simplement rappeler que je ne peux le signer avant de 1' avoir etudie en detail et d' avoir recu votre reponse a ma lettre du 24 fevrier. [...] Mais si, comme M. Lynton m'en informe, le rapport doit etre presente lundi au premier ministre, je demanderais que le memoire [...] exprimant le point de vue mentionne' dans ma lettre precedente tienne lieu de ma contribution aux travaux de la commission. J'estime toutefois que la commission devrait se pencher sur ce memoire73. »
Malgre la requete, le rapport de McDougald ful Iransmis direclemenl au premier minislre le 1" mars, accompagne d'un « memoire du minislere du Travail par R.H. Coals ». Le documenl complait environ 400 pages de lexle essenliellement explicalif tire du memoire minisleriel74, mais non les analyses que Coals jugeait indispensables. Cetle apparenle concession ne suffit pas el le 4 mars Coals ecrivil de nouveau a McDougald : « Je vous prie d'intervenir aupres du premier ministre pour faire retirer mon nom du document. Quand je me suis dit d'accord pour que le memoire ministeriel soil considere comme ma contribution aux travaux de la commission, je ne faisais pas allusion au document actuel, avec lequel je suis en profond desaccord75. »
Jusque-la, Coats s'opposait surlout a la fa9on de proceder mais, tandis que se prolongeail le desaccord avec McDougald, il s'allacha aux lacunes du rapport approuve par les autres membres de la commission. Dans une lettre adressee a Crolhers en mars, il affirma que malgre 1'utilile des renseignemenls sur la production, la dislribulion el la consommation des principaux produils alimentaires canadiens, rinformalion n'elait pas presentee correclement. II poursuivit:
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,E BUREAU FEDERAL DE LA STATISTIQUE « Le rapport ne semble suivre aucun plan defmi. [...] On a neglige des donnees interessantes et importantes. [...] Parallelement, on aurait avantage a condenser rinformation, a omettre des details sans interet et a faire une meilleure analyse des fails76. »
)ans une autre lettre, il demanda au solliciteur general Arthur Meighen d'inciter vdcDougald a retirer du rapport la page consacree aux recommandations. « Le decret :reant la commission ne prevoyait pas de recommandations. [Celles qui sont formulees] iont sans lien avec le rapport et tombent mal a propos". » Differents membres du cabinet furent tour a tour entraines dans la controverse, y :ompris le premier ministre, ainsi que sir George Foster apres la nomination de Coats au poste de statisticien du Dominion en juin 1915. A un certain moment, il fut question de publier un rapport majoritaire et un rapport minoritaire, ce qui aurait rendu publique la dissension au sein de la commission. On en vint toutefois a un curieux compromis. Le premier volume, public en fevrier 1916, contenait le texte de McDougald, auquel s'ajouterent les sept annexes mentionnees anterieurement et qui fut precede du resume (partie III) du memoire qu'avait presente le ministere du Travail sur la hausse du cofit de la vie au Canada et ses causes economiques. Le second volume, appele «rapport supplemental », renfermait le document integral de Coats, qui comptait un millier de pages78. Dans le premier des exposes que renfermait le premier volume, Coats indiquait que la hausse des prix etait attribuable a des changements socioeconomiques sans precedent: « La forte augmentation des prix au Canada [...] est liee en bonne part au nouveau probleme de distribution qu'a entraine la reduction des depenses affectees au compte de capital. [...] II s'agit d'une contrepartie presque exacte de ce que les provinces ont connu dans les annees 1850, au moment de la construction des reseaux de chemin de fer et de canaux du pays [...]; cette periode a ete caracterisee par une expansion spectaculaire de I'immobilier et par une croissance rapide des villes aux depens des regions rurales79. »
Le rapport reprenait 1'essentiel de 1'explication, tout en ajoutant I'approvisionnement de 1'or aux facteurs de la hausse des prix. II soulignait par ailleurs d'autres elements qui passeraient aujourd'hui pour les premieres indications du marketing : la publicite des produits faite dans le but d'exploiter plutot que d'informer; la consommation accrue d'aliments emballes au lieu de Fachat d'aliments en vrac; le cout eleve des livraisons frequentes de colis de faible valeur; et 1'utilisation croissante du telephone pour passer les commandes. La somme de 12 millions de dollars consacree chaque annee aux automobiles au Canada donna lieu a 1'observation suivante: « La recreation raisonnable et le luxe raisonnable peuvent etre necessaires pour le progres moderne, mais il faut en payer le prix et ce prix se retrouve dans le cout de la vie80. » Le second volume — le rapport supplementaire de Coats — etait singulierement depourvu d'observations de ce genre et mettait 1'accent sur les facteurs economiques generaux. La premiere partie contenait essentiellement les annexes du rapport majoritaire, ce qui se trouvait a faire double emploi. Mais rinformation etait necessaire pour que le rapport fut autonome. La deuxieme partie consistait dans une etude de 300 pages sur certains aspects de la situation economique et monetaire — commerce, capital, marche du travail, production et consommation. L'information etait presentee 50
NOUVEAUX RfiLES, NOUVEAUX RESPONSABLES
dans un contexte historique et international. La troisieme partie completait cette analyse par un expose sommaire des causes economiques de la hausse du cout de la vie. Tout comme 1'annexe du rapport sur les prix de gros de 1910, le rapport supplemental, en particulier la deuxieme partie, constitua un formidable ouvrage en matiere de statistique; ce fut une oeuvre monumentale par sa portee et son erudition et vraiment remarquable pour la rapidite avec laquelle elle avait etc produite. L'ouvrage suscita des reactions favorables chez des collegues du monde entier. Coats recut une lettre d'eloges de Feminent Alfred Marshall, de 1'Universite de Cambridge, et Wesley Clair Mitchell, professeur de 1'Universite Columbia qui pronait une analyse economique fondee sur 1'observation et la mesure, lui ecrivit: « Votre etude est precisement le genre de travail dont on a grand besoin pour mieux comprendre 1'economic et pour bien defmir nos orientations a cet egard. Elle repose sur une methode solide; elle complete un aspect de 1'enquete statistique par un autre; elle est coherente et pertinente; [...] elle fait avancer la science economique et se revele Ires utile pour les Canadians; [...] a plusieurs egards, elle a une portee plus vaste que toute autre que je connaisse81. » VERS UN SYSTEME NATIONAL DE STATISTIQUE
Avant meme la tenue de 1'enquete sur le cout de la vie, il etait clair que le ministere du Travail avait acquis, en un peu plus de dix ans, une importante competence en matiere de statistique et qu'il y avait un marche florissant pour le genre de donnees qu'il devait recueillir en vertu de I'Acte de conciliation. Au ministere du Commerce, la prosperite economique du debut du siecle facilita grandement la collecte et la mise a jour des donnees qui relevaient de son mandat. Lui aussi disposait maintenant d'un service statistique tres competent, notamment sur le plan analytique, mais pour en tirer parti, il lui fallait un eventail de donnees sur les produits de premiere transformation, la fabrication ainsi que le commerce interieur et le commerce exterieur. Or, il manquait des elements cles, notamment les chiffres du commerce interieur. Rien n'indiquait que le Bureau du recensement et de la statistique du ministere de 1'Agriculture etait interesse a combler cette lacune. Au contraire, comme nous Favons vu, il estimait toujours que son role consistait a effectuer des recensements omnibus et a produire des donnees sur Fagriculture et sur 1'industrie plus regulierement mais en moins grand detail. Les provinces comprenaient davantage F importance des statistiques sur la conjoncture et Fetat des progres et elles avaient fmi par creer des programmes d'enquetes pour repondre a ce besoin. Mais les resultats manquaient d'uniformite d'une province a F autre et faisaient souvent double emploi avec les travaux menes au niveau federal. En matiere de statistique, le moment etait propice a une vaste initiative qui allait definir les parametres d'un systeme national et mettre en oeuvre aux niveaux federal et provincial les moyens necessaires a sa realisation. Les dernieres annees du long mandat de Laurier a litre de premier ministre liberal furent sans doute marquees par un trop grand nombre de crises politiques pour que cela rut possible. Mais F occasion se presenta a la fin de 1911, par suite de Felection d'un nouveau gouvernement et de la nomination d'un remarquable ministre du Commerce, George Eulas Foster, qui prit des mesures
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE rapides et décisives en matière de statistique. Et, bien entendu, Robert Hamilton Coats exerça un rôle important dans la suite des événements.
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CHAPITRE IV 1912-1918: Foster, Coats et la centralisation
INTRODUCTION Dans 1'histoire de la statistique officielle au Canada, 1'annee 1912 fut une annee charniere, marquee entre autres par 1'entree en fonction du nouveau ministre du Commerce, George Eulas Foster. Le ministere figurait au premier plan des mesures qui depuis 20 ans etaient mises de Favant pour une reforme de la statistique. Foster occupa le portefeuille pendant presque dix ans. II comprenait fort bien les enjeux, puisqu'il avail etc ministre des Finances de 1887 ii 1896. Sa vision, son engagement et son autorite contribuerent au formidable essor que connut la statistique pendant son mandat. Le ler avril 1912, le Bureau du recensement et de la statistique passa du ministere de 1'Agriculture a celui du Commerce1. Quelques semaines plus tard, Foster chargea une commission ministe'rielle d'examiner le fatras de statistiques officielles et de recommander des moyens d'instaurer un systeme de statistique mieux adapte aux besoins de 1'epoque. Presque au meme moment, Foster fut designe comme representant canadien de la nouvelle Commission royale sur les dominions2. Celle-ci devait se pencher sur les enjeux du commerce, mais chemin faisant, elle constata le role important de la statistique a cet egard. Elle dut interrompre ses travaux lorsque la guerre eclata, pour les reprendre plus tard et les poursuivre jusqu'en 1918. Pendant ce temps, la commission ministerielle mena son etude sur la statistique au Canada et soumit son rapport a Foster, qui en accepta les resultats. L'un de ses membres, Robert Hamilton Coats, fut nomme statisticien du Dominion. II passa les trois annees suivantes a dresser le plan d'un bureau central de la statistique, puis a le formuler d'une fagon qui en permettrait 1'adoption par le Parlement. Si les discussions entourant la statistique au sein de 1'Empire britannique n'eurent pas d'incidence directe sur 1'etablissement du systeme national, il en alia autrement dans la situation inverse : 1'opinion et 1'experience canadiennes influencerent les conclusions de la commission royale et les decisions prises a leur sujet apres la guerre. Le role du Canada dans ce processus est examine dans un autre chapitre. Mais avant d'aborder les travaux de la commission ministerielle, nous traiterons de la commission royale.
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE EMPIRE BRITANNIQUE La Commission royale sur les dominions fut créée par suite d'une résolution adoptée par la Conférence impériale de 1911, qui demandait la tenue d'une étude sur « [...] les ressources naturelles de chacune des parties de l'Empire représentées à la conférence, le développement réalisé et réalisable, et les installations de production, de fabrication et de distribution; le commerce entre ces parties et le reste du monde; les besoins de chacune en alimentation et en matières premières et les sources dont elles disposent; l'incidence favorable ou défavorable des lois de chaque partie sur le commerce entre elles; et les mesures à prendre conformément aux politiques budgétaires en vigueur dans chaque partie en vue d'améliorer et d'accroître le commerce entre elles3 ».
La conférence de 1911 s'inscrivait dans une série de conférences coloniales qui depuis 1887 se tenaient de temps à autre sous la pression croissante des colonies qui revendiquaient les pouvoirs de conclure des accords commerciaux entre elles et avec d'autres pays4. La question revêtait une importance particulière pour le Canada qui, depuis le début des années 1890, tentait de réduire sa dépendance envers ses deux principaux marchés, les États-Unis et le Royaume-Uni, et de trouver de nouveaux débouchés pour ses produits agricoles et pour l'éventail des biens manufacturés bénéficiant de la protection accordée par la Politique nationale. Le ministère du Commerce avait été créé à cette fin en 1892. Poster, qui avait participé à titre de ministre des Finances à la conférence coloniale de 1894 tenue à Ottawa, fut certainement heureux de cette mesure qui permettrait d'analyser les liens complexes de l'expansion économique et du commerce au sein de l'Empire britannique. Il lui semblait évident que le travail exigeait d'améliorer la statistique et d'en élargir la portée — surtout sur le plan de la comparabilité — dans les pays de l'Empire5. Pour la Commission royale sur les dominions, Foster se trouva à Londres à la fin de 1912 dans le cadre des travaux préliminaires. Entre février et juin 1913, il prit part aux travaux qui se déroulèrent en Nouvelle-Zélande et en Australie6. En janvier 1914 parut le second rapport provisoire7 qui, à l'instar du rapport de la commission ministérielle, subit fortement l'influence des vues centralistes d'A.L. Bowley, une éminence grise de la statistique en Grande-Bretagne. Le document faisait état de la situation en Australie, notamment la conférence de 1906 des statisticiens fédéraux à Melbourne, qui donna lieu à « de nets progrès dans la coordination des statistiques australiennes », et constatait qu'il existait des possibilités évidentes d'« une application utile dans la large sphère des statistiques de l'Empire »8. La commission se déplaça en 1914 en Afrique du Sud (sans Foster), revint à Londres, puis se rendit à Terre-Neuve. Les travaux auraient dû se terminer par une série d'audiences dans les principales villes canadiennes, mais ils furent interrompus quand la guerre éclata. À l'été 1916, la Grande-Bretagne désigna Foster comme l'un des quatre représentants britanniques à la Conférence économique des Alliés à Paris; peu après, il eut l'insigne honneur d'être nommé au Conseil privé du Royaume-Uni. Il avait déjà été fait chevalier en juin 1914, et pouvait donc se faire appeler « le très honorable sir George Foster ». Après le passage de Foster à Londres, l'Office des colonies décida de reprendre les travaux de la commission, et la tournée pancanadienne eut finalement lieu du 5 septembre au 31 octobre. 54
FOSTER, COATS ET LA CENTRALISATION La plupart des memoires sur la statistique9 etaient en fait des reponses a des questions etablies d'avance. Certains traitaient de sujets techniques: uniformisation des poids et mesures; definition de I'annee statistique; me'thodes devaluation et de classification des importations et des exportation. Mais les deux points les plus interessants visaient a tenir une conference des statisticiens de 1'Empire apres la guerre et a constituer un bureau imperial de la statistique. Coats, statisticien du Dominion, ne temoigna pas, mais ses collegues E.H. Godfrey et W.A. Warne exprimerent leur accord aux deux propositions. De leur cote, Ernest McGaffey, secretaire du Bureau provincial de 1'information de la Colombie-Britannique, et G.E. Marquis, directeur du nouveau Bureau de la statistique du Quebec, deplorerent le morcellement des statistiques canadiennes et le manque de coordination a cet egard. Us preconiserent la nomination de statisticiens provinciaux a temps plein, qui se reuniraient entre eux et avec leur homologue federal au moins une fois 1'an. Foster retourna a Londres vers la fin de 1916 pour aider la commission a rediger son rapport final10 — que W.S. Wallace, biographe officiel de Foster, decrivit plus tard comme etant« d'une haute importance pour le commerce entre les parties de 1'Empire apres la guerre »". Les principals conclusions etaient des lors previsibles: «[...] les autorites consultees en matiere de statistique sont a peu pres unanimes a penser que le moyen le plus efficace d'atteindre rapidement 1'uniformisation est de creer une conference ou seraient representes les ministeres des parties de 1'Empire qui s'occupent de statistiques, y compris les administrations douanieres. [...] A 1'heure actuelle, aucune des administrations de 1'Empire n'est chargee particulierement de recueillir, colliger et preparer des statistiques pour 1'Empire dans son ensemble. [...] Plusieurs temoins se sont dits favorables a 1'etablissement d'un bureau central de la statistique de 1'Empire [...] et nous sommes d'avis que la creation d'un tel bureau est eminemment souhaitable12. »
Comme nous 1'avons mentionne, les travaux de la commission royale n'eurent aucune incidence directe sur 1'evolution de la statistique au Canada. Mais le rapport renforc,ait la necessite de solides assises dans les pays participants si Ton voulait mener a bien la coordination et 1'uniformisation des statistiques a 1'echelle internationale. La Conference imperiale de guerre de 1918 adopta la resolution suivante : « Ayant etudie les mesures recommandees par la Commission royale sur les dominions aux fins d'ameliorer les statistiques de 1'Empire, la Conference imperiale de guerre se dit favorable a la proposition de tenir apres la guerre une conference des statisticiens qui se penchera sur la creation d'un bureau imperial de la statistique sous la supervision d'un comite forme des parties de 1'Empire13.»
Le Canadien Arthur Meighen declara, le 10 juillet 1918, que la resolution ne faisait qu'appliquer a 1'ensemble de 1'Empire une regie deja adoptee a 1'echelle federale au Canada; et que les hommes en mesure de realiser le projet etaient les experts canadiens. « Nous comptons parmi nous un veritable specialiste de la statistique; c'est le genre d'homme que nous aimerions voir prendre part aux travaux de la Conference14. » C'est ainsi que la premiere Conference statistique de 1'Empire britannique fut tenue a Londres en 1920; le Canada, represente par Coats et Godfrey, y etablit la tradition — toujours vivante — de participer a des consultations statistiques intergouvernementales.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Au pays, la commission ministérielle avait terminé son évaluation du système national de statistique, et elle amorçait la mise en oeuvre de ses recommandations.
COMMISSION MINISTÉRIELLE SUR LES STATISTIQUES OFFICIELLES Créée le 30 mai 1912 par le décret C.P. 1485, la commission avait le mandat suivant : « [...] s'enquérir du travail de statistique [...] accompli par les divers départements, son étendue, ses méthodes, son exactitude et jusqu'à quel point se produit la publication [et] faire rapport au Ministre du Commerce et lui soumettre un système élaboré de statistiques générales répondant aux exigences du pays et aux besoins de l'époque. »
L'introduction du décret disait que le ministre du Commerce avait constaté ce qui suit : « [...] à l'exception du dénombrement et de la compilation des rapports décennaux du recensement, il n'existe pas actuellement de système élaboré de recueillement et de publication des statistiques de la production et de la distribution des produits canadiens dans le pays même, ce qui lui semble essentiel pour la juste appréciation de nos propres ressources et la bonne direction de notre développement industriel. »
Le ministre ajoutait que les provinces s'occupaient plus ou moins de rassembler des données sur leur situation et leur développement. La commission devait proposer des moyens d'améliorer les statistiques fédérales et provinciales afin d'éviter le double emploi et de « créer une somme de renseignements statistiques qui seraient à tous de la plus grande utilité ». La commission était présidée par Richard Grigg, qui avait dirigé le Service de renseignement commercial britannique au Canada et à Terre-Neuve, et que Poster avait chargé de restructurer le Service des délégués commerciaux du Canada. Grigg était résolument engagé à mener à bien la réforme de la statistique; il était le deuxième en grade au ministère du Commerce, mais sa rémunération dépassait celle du sous-ministre, F.C.T. O'Hara. À Ottawa, l'élite de la statistique était représentée par E.H. Godfrey, du Bureau du recensement et de la statistique; W.A. Warne, de la Division de la statistique du commerce au ministère du Commerce; R.H. Coats, du ministère du Travail; et John R.K. Bristol, du ministère des Douanes. Il s'y trouvait aussi Adam Shortt, de la Commission du service civil; et C.H. Payne, du ministère du Commerce, qui faisait office de secrétaire. La commission tint 27 séances; ses membres étaient en contact étroit avec les ministères fédéraux et provinciaux et avec de nombreux organismes publics et des particuliers qui s'intéressaient aux statistiques officielles. Des délais serrés15 empêchèrent la tenue d'audiences publiques et la rédaction de longs mémoires. Le 30 novembre 1912, la commission présenta son rapport, qui confirmait en substance l'avis du ministre, à savoir que les statistiques officielles du Canada étaient fragmentaires et piètrement coordonnées. Elle fit le constat suivant : « Quoique beaucoup des rapports statistiques publiés par les divers ministères et leurs divisions soient d'une excellence et d'une valeur indubitables, il est évident que l'ensemble des statistiques canadiennes, considéré dans son tout, manque de liaison et de but commun. Ceci vient de ce que l'on s'occupait peu, dans le passé, du fait que les statistiques du pays, qu'elles soient l'oeuvre d'une agence ou de plusieurs, doivent constituer un seul et harmonieux système
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POSTER, COATS ET LA CENTRALISATION ayant toutes ses divisions en parfaite corrélation. Aux termes de l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord, en 1867, le Canada reçut une autorisation spéciale de s'occuper de statistiques, et quoique ce fait ne puisse être considéré comme un obstacle à ce que des travaux statistiques soient entrepris par les Gouvernements locaux, il semble impliquer que les statistiques sont une matière d'intérêt national, et doivent par conséquent, subir l'influence dirigeante du Gouvernement fédéral. Cependant, à ce point de vue, le Gouvernement canadien n'a assumé, dans le passé, aucune fonction de ce genre. Au contraire, chaque ministère ou division chargée soit directement, soit indirectement de recherches statistiques, s'est occupé en premier lieu du seul but immédiatement en vue. [...] « Quoique ce sentiment individuel ait caractérisé les ministères du Gouvernement canadien, il a été encore plus marqué entre les différentes provinces et le Gouvernement fédéral, et de province à province, bien que l'importance nationale de beaucoup des fonctions des Gouvernements provinciaux sous la confédération, demande d'une façon pressante l'uniformité et l'homogénéité des statistiques. C'est cet état général que nous considérons comme la défectuosité fondamentale que nous devons rencontrer [sic] et vaincre, dans la situation présente16. » La commission précisait en outre les conséquences d'une telle situation, en particulier le dédoublement des travaux, les fluctuations de la qualité et de la valeur des statistiques et le manque d'actualité des résultats. Le passage le plus éloquent était sans doute celui-ci : « [...] L'étendue des statistiques canadiennes a été restreinte. [...] Il n'y a eu aucune réponse claire à la question: Quelles statistiques devrait avoir un pays comme le Canada? [...] On soutiendra peut-être qu'on peut compter sur la demande de statistiques, pour en assurer la création; mais, en attendant l'occasion de s'élever, on est souvent en retard, et une telle politique s'oppose à l'établissement d'un système de statistiques fondé sur des bases solides et logiques17. » Ces considérations servirent de fondement à l'une des principales recommandations : « On devrait créer un bureau central de statistiques, pour organiser, en coopération avec les divers ministères intéressés, le travail strictement statistique entrepris par le Gouvernement fédéral18. » La commission abondait dans le sens d'A.L. Bowley qui, nous l'avons vu, prônait la création en Grande-Bretagne d'un organe central de réflexion (« Bureau-Penseur central »). À son avis, les fonctions envisagées par Bowley convenaient tout à fait à la réalité canadienne : « Ce Bureau devrait être au courant de toutes les statistiques d'importance plus que ministérielle qui sont publiées officiellement... Les statistiques erronées doivent être supprimées, la répétition du travail arrêtée, et des plans soigneusement élaborés pour remplir [sic] les lacunes à présent négligées; il faut également se préparer à la recherche de sujets pouvant devenir d'importance publique. Ce Bureau devrait aussi considérer tous les projets de loi concernant ou affectant les statistiques... Dans quelques cas, ce Bureau devrait répandre dans le public des ouvrages, aux définitions faites avec soin, et contenant une courte analyse et une critique établissant exactement et clairement la portée et la signification des sujet [sic]
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE traités dans ces publications; dans d'autres cas où une organisation existe déjà pour des publications de ce genre, il devrait y avoir coopération, en vue d'atteindre les buts déjà indiqués19. »
Afin que le bureau pût coordonner les travaux statistiques des ministères fédéraux, la commission proposa la création d'une commission statistique interministérielle. On s'assurerait la collaboration des provinces au moyen d'une conférence interprovinciale permanente sur la statistique. À cet égard, on établit une distinction entre les données dont la collecte incombait à l'État fédéral tout en étant facultative à l'échelon provincial et pour lesquelles la collaboration produirait de meilleurs résultats, et les données que les provinces étaient seules à recueillir, comme celles sur l'état civil, l'instruction publique et les finances municipales, mais dont il était souhaitable d'assurer une coordination centrale aux fins de cohérence et de comparabilité20. Le recensement faisait l'objet de la principale réforme proposée par la commission sur le plan du contenu. Comme nous l'avons vu, un volet industriel s'était greffé au recensement démographique. Les données se trouvaient ainsi faciles à recueillir, mais leur qualité laissait à désirer. La commission souligna que leur utilité n'était pas en cause et qu'il fallait plutôt améliorer les méthodes de collecte. Elle recommanda « [...] de considérer le recensement [...] comme limité au dénombrement de la population et de certaines propriétés, telles que terres et bâtiments, et de dresser à part, d'une manière déterminée, dans un plan spécial, les statistiques qui [portaient] plus spécialement sur les conditions industrielles21 ».
En outre, la commission insista sur la tenue d'un recensement quinquennal pour l'ensemble de l'État, étant donné « l'importance croissante de l'immigration et le mouvement interne de la population », en rappelant que cela se faisait déjà dans les trois provinces du Nord-Ouest22. Quant aux données sur la production — agriculture, forêts, pêcheries, mines et manufactures —, la commission préconisa d'en faire la collecte séparément des recensements décennaux, à plus forte raison parce qu'il fallait s'y prendre plus fréquemment : « [...] nous sommes d'opinion [...] que des statistiques décennales de production ne rencontrent [sic] plus les exigences d'un pays se développant rapidement23. » En ce qui concernait l'agriculture, les forêts, les pêcheries et les mines, tant l'État fédéral que les provinces établissaient des statistiques annuelles (infra-annuelles dans le cas de l'agriculture), dont la portée et la méthodologie étaient différentes. Les mesures recommandées à cet égard faisaient appel à une collaboration qui rehausserait l'efficacité des travaux. Par ailleurs, il n'existait pas de statistiques annuelles régulières sur la fabrication, et il fut proposé de tenir chaque année un recensement par la poste, comme celui de 1905. La statistique du commerce reçut une attention particulière 24 . En matière de commerce extérieur, le dédoublement apparent des travaux effectués par le ministère des Douanes et par le ministère du Commerce ne semblait pas une grande préoccupation. « En ce qui regarde les deux séries de rapports qui en ont résulté, la commission ne pense pas que ce soit en cette seule occasion qui [sic] se soit produite une perte sérieuse en fait de
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POSTER, COATS ET LA CENTRALISATION dépenses de compilation et de publication, car, dans n'importe quel système d'organisation, il serait difficile d'éviter une certaine répétition de travail25. » Mais l'incohérence revêtait un caractère plus grave, et les deux ministères furent exhortés à mieux coordonner leurs travaux. La commission recommanda aussi de mettre au point des classifications des marchandises mieux adaptées aux besoins du commerce et de chercher des moyens de combler le manque d'information sur les pays d'origine et de destination des importations et des exportations. La commission s'attarda à la difficulté d'obtenir « un relevé complet et exact du commerce interprovincial », étant donné l'absence d'un mécanisme semblable à celui des Douanes pour comptabiliser les mouvements de marchandises canadiennes et étrangères au pays. Elle indiqua qu'il serait possible d'obtenir ces renseignements « [...] en choisissant une liste des plus importants articles du commerce interprovincial, et en demandant des statistiques sur leur mouvement, de la part des producteurs, des compagnies de transport et des autres autorités qui pourraient fournir ces informations26 ». En matière de rémunération, la commission observa : « On ne peut encore se procurer aucun rapport périodique étendu sur les salaires, et le manque de ces rapports se fait nettement ressentir27. » Le ministère du Travail, suggérait-elle, devrait collaborer avec les ministères qui menaient des enquêtes sur la production et les inciter à obtenir des données sur la rémunération en rallongeant un peu leurs questionnaires. Au sujet du coût de la vie, la commission nota l'utilité des travaux entrepris par le ministère du Travail, soit le relevé des prix de détail, mais souligna la nécessité de compléter les données par des études sur les dépenses de consommation. Enfin, dans un chapitre traitant des publications, elle recommanda que la portée de Y Annuaire du Canada fût modifiée et élargie, et que le Bureau du recensement et de la statistique s'entendît avec la Division des publications du ministère de l'Agriculture pour éliminer le double emploi dans leurs publications agricoles mensuelles28. MISE EN OEUVRE DES RECOMMANDATIONS Le Bureau donna suite rapidement à la recommandation de la commission qui concernait l'Annuaire du Canada. Dans la préface à l'édition de 1912, signée le 16 juillet 1913, Archibald Blue indiqua : « [...] quoique amplement préparé sur le plan observé jusqu'ici, l'Annuaire du Canada pour 1912 contient un nombre important de changements et d'additions. » Parmi les nouveaux sujets figuraient les statistiques de l'état civil, le climat et la météorologie, le travail, les recettes et les dépenses des provinces29, ainsi que les terres publiques. De plus, les tableaux étaient assortis d'un texte explicatif. L'ouvrage avait été rédigé par E.H. Godfrey, qui s'était fait connaître par son apport à la commission ministérielle30. Dans la préface à l'édition de 1913, qu'il signa à titre de rédacteur, Godfrey indiquait : « [...] de nouvelles améliorations [ont été] faites en vue d'en augmenter la portée, et de le rendre plus commode à ceux qui le consulteront. Aux articles spéciaux contenus dans le volume de 1912, on en a ajouté de nouveaux, illustrés, et écrits par des auteurs compétents, sur l'histoire et les caractères physiques du Canada. »
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Le Bureau avait en outre pris des mesures visant à éliminer le dédoublement des activités et l'incohérence des données agricoles recueillies par l'État fédéral et les provinces. Des années plus tard, dans son premier rapport annuel à titre de statisticien du Dominion, Coats fit l'éloge de ces efforts. Cependant, la mise en oeuvre des recommandations de la commission ministérielle incomba principalement à Grigg, qui jugeait nécessaire d'amorcer des discussions avec les provinces. Comme il devait faire un long voyage en Chine et au Japon au printemps et à l'été 1913 dans le cadre de ses fonctions au Service des délégués commerciaux, il décida de s'arrêter dans l'Ouest en chemin. Le 6 février 1913, Poster écrivit aux premiers ministres des quatre provinces pour leur rappeler la lettre qu'il leur avait transmise le printemps précédent, peu après la création de la commission, et pour les prier de mettre Grigg en rapport avec les responsables compétents de façon que « [...] les échanges de vues avec les autorités provinciales ouvrent la voie à une conférence à laquelle participeront des représentants de l'État fédéral et des provinces afin de concevoir un système de collecte et de publication de données statistiques qui répondra aux besoins du pays et qui sera à la hauteur de sa situation et de son importance31 ».
Coats n'occupait plus de fonctions officielles eu égard aux travaux de la commission, mais il demeura une source précieuse de conseils et de suggestions. Il souscrivit sans réserve au projet de Poster et, dans une lettre datée du 14 février 1913, il confia à Grigg : « [...] vous pourriez parvenir à vos fins en sollicitant dès maintenant la collaboration des provinces dans la planification des détails. [...] Il est impératif de vous assurer dès le départ la bonne volonté de toutes les parties concernées; en les rencontrant sans leur imposer de plan bien arrêté, vous témoignez de l'esprit qui anime le gouvernement32. »
Pourtant, même si Grigg obtint appui et désir de collaboration dans la réalisation des objectifs du rapport, aucune des provinces ne donna suite à l'engagement de lui transmettre par écrit ses « vues et souhaits ». Grigg en expliqua les raisons à Poster dans une lettre datée du 20 novembre 1913 : « Les provinces estiment que leurs responsables ne sont pas en mesure de rédiger un mémoire comme elles s'y étaient engagées, d'autant que les gens les plus qualifiés sont déjà trop pris par les travaux de leurs ministères pour accorder toute l'attention voulue au sujet. [...] Il semble impératif de soumettre aux provinces un plan à des fins d'évaluation plutôt que de leur demander d'en fournir un33. »
Vers la fin de 1913, il fut donc décidé d'établir les grandes lignes du projet, de manière à présenter aux ministères fédéraux et provinciaux les plans applicables à leurs champs d'intérêt34. D'où l'urgence de nommer un représentant compétent pour assurer la planification nécessaire et amorcer les discussions.
NOMINATION D'UN STATISTICIEN DU DOMINION II s'écoula plus d'une année avant la nomination d'un fonctionnaire chargé de mettre en place un système statistique centralisé. Archibald Blue était alors le doyen des statisticiens, mais à l'âge de 74 ans, il ne pouvait prétendre obtenir le poste et, d'ailleurs,
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POSTER, COATS ET LA CENTRALISATION il mourut à son travail en juillet 1914. Moins d'un an plus tard, le 19 juin 1915, Coats fut nommé statisticien du Dominion et contrôleur du recensement au ministère du Commerce. Le titre de statisticien du Dominion n'était pas nouveau : il avait été attribué à George Johnson. À l'époque, le poste n'était pas clairement défini, mais le titre reflétait sans doute l'élargissement des attributions qu'entraînerait la mise en oeuvre des recommandations de la commission ministérielle. La renommée que Coats s'était taillée à la Commission d'enquête sur le coût de la vie et à la commission ministérielle en faisait le titulaire tout désigné. E.H. St-Denis avait présenté sa candidature, appuyé par son ami, P.E. Blondin, ministre du Revenu national. Il avait fait ses débuts en statistique à l'époque de Taché et, à titre de secrétaire du Bureau, il assurait l'intérim depuis le décès de Blue. De toute évidence, Poster cherchait un apport de sang neuf. Même avant la création de la commission ministérielle, il avait discrètement envisagé avec Grigg la possibilité de recruter en Grande-Bretagne un homme de haut calibre qui pût veiller à la réorganisation de la statistique du Canada. Grigg avait alors suggéré G.H. Knibbs, qui s'était fait remarquer par la Commission royale sur les dominions pour le rôle qu'il avait tenu dans la centralisation du système statistique de l'Australie quelques années auparavant35. Il est peu probable que Knibbs ait même été approché, et Coats avait sans doute une longueur d'avance depuis le début36. La nomination de Coats suscita une foule de commentaires élogieux. Le 26 juin 1915, un éditorial de l'Ottawa Citizen signalait sa feuille de route impressionnante et adressait des éloges à Poster pour avoir attendu de trouver le bon candidat et pour l'avoir finalement repéré dans la fonction publique fédérale. Coats reçut aussi une lettre de Mackenzie King : « Je vous écris pour vous féliciter de tout coeur. J'espère que ce nouveau poste vous offrira l'occasion magnifique de démontrer l'étendue de votre compétence et qu'il vous permettra au fil du temps de faire valoir l'importance des services que vous fournissez à l'État et au domaine de la statistique. Je me réjouis d'autant de votre nomination que ce sont vos splendides réalisations au ministère du Travail qui vous l'ont value37. »
Coats ne tarda pas à faire part à Poster de ses premières réflexions sur la réforme de la statistique. Poster l'encouragea dans une lettre datée du 7 juillet 1915, où il résuma le défi: « Premièrement, établir ce qu'il faut faire nous-mêmes en tant que ministère pour a) recueillir de nouvelles données, b) améliorer nos méthodes et c) préparer les plans d'un vaste service; deuxièmement, définir les modalités de collaboration avec d'autres ministères fédéraux; et troisièmement, prendre les moyens voulus pour collaborer avec les provinces et coordonner les activités du système dans son ensemble38. »
Poster insista sur une question plus pressante : la nécessité d'obtenir des statistiques sur la production annuelle et sur les canaux de distribution des grandes branches d'activité du Canada. Il demanda à Coats de voir s'il serait possible d'amorcer les travaux sur-le-champ auprès de certaines branches. Le 13 juillet, Coats confirma que le sujet figurait parmi ses priorités depuis son entrée en fonction, mais qu'il était tenu par la loi de préparer le recensement quinquennal qui devait avoir lieu au milieu de 1916 61
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE dans les provinces des Prairies. Quant aux statistiques sur la production, il lui fallait des données intercensitaires assez détaillées sur la fabrication; à son avis, une répétition du recensement effectué par la poste en 1905 allait combler en bonne partie ce besoin, du moins pour le moment. Il ajouta : « Après la collecte des données, nous pourrons délimiter le cadre nécessaire aux travaux qui seront exécutés chaque année .» Puis Coats assura à Poster que la tâche s'inscrivait dans la première catégorie mentionnée dans la lettre, c.-à-d. « établir ce qu'il faut faire nous-mêmes en tant que ministère39 ». Un deuxième recensement postal des manufactures fut autorisé pour l'année civile 1915 et fut mis en route en 1916. Au début de l'année suivante, les résultats suscitèrent des réactions favorables, mais 50 ans plus tard, ils furent moins bien considérés par les rédacteurs de la première édition des Statistiques historiques du Canada40. Le recensement visait uniquement les établissements dont la production se chiffrait à 2 500 $ ou plus. En raison de sa portée limitée, les données de 1915 sur la fabrication furent omises des séries chronologiques. Mis à part le contenu du recensement, il convient de s'attarder à la règle inflexible appliquée en cas de non-réponse. C'était peut-être la première fois que l'on tentait de faire respecter le caractère obligatoire des déclarations prévu par la loi de 1905. La règle offrait un net contraste avec la démarche prudente adoptée plus tard, lorsque le fardeau de réponse allait devenir un enjeu public. Une page entière du formulaire de quatre pages était consacrée à l'énumération des contraventions et peines aux termes de Y Acte du Recensement et des Statistiques. La procédure s'enclenchait lorsque l'établissement n'avait pas retourné le formulaire rempli, après deux rappels par courrier recommandé. Son nom était alors rapporté au ministère de la Justice, qui assurait le suivi et pouvait entamer des poursuites judiciaires. À la fin d'octobre 1916, on avait transmis au ministère de la Justice 121 noms sur les 21 000 établissements visés par le recensement. Le chiffre fut ramené à 38 et il fallut décider du bien-fondé des poursuites. Dans une lettre adressée au sous-ministre F.C.T. O'Hara, Coats reconnaissait qu'un bon nombre d'établissements n'étaient pas importants au point que leur omission eût porté à conséquence, alors que pour d'autres qui figuraient au premier plan, il aurait été malavisé de publier des statistiques sans en tenir compte41. Il ne resta plus que sept noms et, finalement, quatre entreprises seulement furent traduites en justice. La règle fut maintenue lorsque le recensement devint une activité annuelle. Elle semble avoir provoqué étonnamment peu de résistance, mais quelques années plus tard, la situation allait beaucoup changer. Au début, les répondants invoquaient fréquemment l'absence de personnel qualifié en temps de guerre; certains firent même remarquer que le ministère de la Justice devrait plutôt s'occuper des profiteurs de guerre. Coats demeura poli mais inflexible : « Vous comprendrez aisément que la poursuite en justice des non-répondants au recensement industriel non seulement est désagréable, mais elle entraîne aussi des frais et des inconvénients importants et désorganise notre travail dans une certaine mesure. Nous n'y avons recours qu'une fois épuisés les moyens nous permettant d'obtenir l'information dont le gouvernement a besoin pour bien diriger les affaires de l'État. Nous sommes toujours prêts à aider les répondants à remplir leur déclaration, à leur fournir des explications et à établir des estimations
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POSTER, COATS ET LA CENTRALISATION lorsqu'il leur manque les données exactes. Mais si n'obtenons aucune réponse après vous avoir expédié cinq avis (la loi en exige un seul), dont deux vous expliquent l'objet du recensement, nous n'aurons d'autre choix que d'entamer des poursuites judiciaires, dont il est impossible de se désister42. »
Le recensement quinquennal mené dans les provinces des Prairies en 1916 marqua la première année complète pendant laquelle Coats avait occupé les fonctions de statisticien du Dominion et de contrôleur du recensement. St-Denis agit à titre de commissaire en chef du recensement, et E.S. Macphail, deuxième par l'ancienneté et futur chef de la démographie au Bureau fédéral de la statistique, fut chargé de la rédaction du rapport. Tout comme il s'était fait pour le recensement de 1911, on diffusa rapidement les points saillants au moyen de quatre bulletins parus au début de 1917. Le rapport officiel fut publié en janvier 191843.
CENTRALISATION, RÉORGANISATION, ÉLARGISSEMENT Dans le dossier de la réforme, Coats dut faire cavalier seul puisque son collaborateur, Grigg, mourut subitement en janvier 1916. Au milieu de l'année, il termina la revue détaillée du champ de la statistique nationale, qu'il étaya de 14 notes. En août 1916, Coats fit parvenir à Poster, pour transmission au Conseil des ministres, un rapport sommaire qui considérait le système national de statistique sous trois volets : centralisation, réorganisation, élargissement. Au sujet de la centralisation, Coats prit comme point de départ le Bureau du recensement et de la statistique : « La loi lui attribue presque tous les volets de la statistique, lui confère des pouvoirs étendus et définit sa structure. Dans l'administration, c'est la seule entité dont le rôle se limite à recueillir des données statistiques. [...] En matière de statistique, aucune autre division n'a autant d'expérience et de matériel. [...] La création d'un bureau central de la statistique devrait débuter par le regroupement des travaux qui relèvent d'un système national de statistique, et le tout serait doté d'une nouvelle structure44. »
Le bureau central se chargerait de diffuser toutes les données à caractère économique, tandis que lui seraient intégrées les autres divisions externes ayant un rôle apparenté. À cet égard, Coats visait les données sur la production industrielle recueillies par certains ministères — Marine et Pêcheries, Mines, Intérieur — et les travaux statistiques exécutés par d'autres — Travail, Chemins de fer et Canaux. Le bureau exercerait un contrôle indirect sur les statistiques obtenues à des fins administratives, la principale cible étant les statistiques du commerce extérieur du ministère des Douanes. Il lui reviendrait d'avaliser la méthode de collecte et de compilation des données et de réviser les statistiques dans le cadre d'une entente interministérielle pour les rendre conformes au plan général45. Selon Coats, la centralisation contribuerait à augmenter l'efficacité du personnel et des machines et à raffermir la collaboration du public grâce à une meilleure utilisation du « pouvoir d'enquête » auprès des institutions, des entreprises et des particuliers. Il fit remarquer :
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE « Ce pouvoir ne peut être conféré aveuglément, mais seulement lorsqu'il est essentiel à des fins administratives. Le Bureau du recensement et de la statistique est la seule entité où la statistique s'inscrit dans un processus administratif, et lui seul détient le pouvoir d'enquête général. Mais dans un système décentralisé, un bon nombre d'enquêtes sont effectuées par les ministères sans que la loi comporte l'obligation d'y participer, ce qui a deux effets malheureux : 1) les enquêtes risquent d'être menées avec moins de rigueur et 2) la population visée pourrait y porter moins d'attention46. » En dernier lieu, Coats fit ressortir les avantages que le gouvernement allait tirer d'un portrait élargi des phénomènes socioéconomiques, ce qu'il ne pourrait obtenir si les statistiques étaient produites selon diverses méthodes compartimentées47. Il abordait ainsi les principes généraux de la centralisation et, comme on pouvait s'y attendre, il ne s'attarda pas au statut administratif du bureau central. De toute évidence, il pensait que pour bien s'acquitter de son rôle de centralisation, le bureau devait être libre de toute influence susceptible d'être exercée par les ministères. L'absence de ce principe dans la loi d'autorisation adoptée deux ans plus tard allait nuire sérieusement à la bonne marche du bureau. Quant à l'organisation du bureau central, Coats prévoyait neuf divisions 48 . La première serait chargée du recensement de la population et de l'agriculture, ce qui confirmait l'opinion de la commission ministérielle selon laquelle le recensement devait se faire séparément des enquêtes sur la production industrielle. La commission avait rattaché l'agriculture à la production industrielle, mais de l'avis de Coats, l'agriculture revêtait une telle importance au pays qu'il fallait en mener le recensement de pair avec celui de la population, et il était possible d'obtenir des résultats satisfaisants en recourant aux « enquêteurs peu rémunérés » qui travaillaient au recensement de la population49. Il fallait en outre relier le recensement de la population aux statistiques sur la migration et l'état civil. Coats observa qu'il existait des données sur l'arrivée des immigrants, mais qu'il fallait prévoir un système de renseignements sur l'émigration. Les recensements décennaux s'étaient par ailleurs révélés inefficaces aux fins de la collecte de données sur les décès. Les provinces n'étaient pas en mesure de fournir à ce sujet des renseignements complets et cohérents, d'où l'absence de collaboration en vue de produire régulièrement des statistiques de l'état civil. Coats mit ses espoirs dans un nouveau projet qui serait confié à une deuxième division et dont l'essentiel se résumait à ceci. Les provinces allaient se doter d'un cadre législatif et administratif uniforme pour les naissances, les mariages et les décès, et l'État s'engageait à recueillir les données de référence au moyen des recensements, à centraliser les opérations de collecte et à publier les données50. Une autre division s'occuperait de la statistique de l'agriculture et poursuivrait les efforts dont nous avons parlé et qui dès 1913 devaient permettre de produire des données annuelles par la voie d'une collaboration efficace entre les ministères fédéral et provinciaux de l'Agriculture. Par ailleurs, dans le cas des statistiques sur la production industrielle, Coats avait appliqué la recommandation de la commission ministérielle qui visait à tenir chaque année un recensement postal des manufactures. Il proposa toutefois que la statistique industrielle fît l'objet d'un programme d'enquêtes approfondies tous les dix ans, complétées par des mises à jour annuelles. Il insista sur le besoin de
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POSTER, COATS ET LA CENTRALISATION coordonner les statistiques sur les forêts, les pêcheries et les mines, en précisant que pas moins de 25 ministères fédéraux et provinciaux produisaient des données dans ces domaines. S'agissant de la statistique du commerce extérieur et des attributions réparties entre le ministère des Douanes et le ministère du Commerce, Coats fut beaucoup plus critique que la commission ministérielle51 : « Du fait que les rapports qu'ils produisent chacun de leur côté traitent d'analyses qui leur sont propres, on serait porté à croire que leur publication est justifiée. Ce n'est pas le cas. La double série de rapports contient 30 % de répétitions et les statistiques générales sont présentées d'une façon confuse et incohérente52. »
Coats proposa donc que la Division de la statistique du commerce extérieur du ministère du Commerce fût intégrée au bureau central de la statistique. Le ministère des Douanes ferait la collecte et la première compilation des données, puis le bureau central se chargerait d'analyser, d'interpréter et de publier une seule série de rapports uniformisés. Ainsi, « [...] les statistiques sur le commerce seraient présentées conformément aux besoins du ministère chargé de la promotion du commerce tout en étant utiles au ministère responsable des douanes ».
Coats recommanda aussi la mise en place d'un système de collecte et d'analyse des données du commerce intérieur tirées de sources diverses — chemins de fer et canaux, recensement de la production, commerce extérieur, mise en marché des grains, pêcheries et prix de gros. Selon lui, le relevé des prix de gros était appelé à remplacer la fonction similaire qu'exerçait le ministère du Travail dans le domaine commercial, ce qui lui aurait laissé la collecte des données sur les prix et la rémunération aux fins de l'évaluation du coût de la vie53. Au ministère des Chemins de fer et des Canaux, la Division de la statistique des chemins de fer pouvait elle aussi mener des enquêtes statistiques sur différents sujets — chemins de fer, tramways, messageries, canaux, télégraphes et téléphones. Certaines statistiques de la navigation étaient publiées par le ministère des Douanes, et de nouveau par le ministère du Commerce, en vertu d'une entente semblable à celle qui visait le commerce extérieur. Coats proposa d'intégrer au bureau central la Division de la statistique des chemins de fer, renommée la Division des transports, qui continuerait à fournir à peu près le même genre de rapports, auxquels seraient ajoutées les données maritimes provenant des Douanes et du Commerce. Coats insista par ailleurs sur la nécessité d'améliorer la statistique des finances publiques. Le plus pressant était de créer un système de statistiques municipales en collaboration avec les provinces et de « couvrir l'éventail des recettes et des dépenses publiques, en harmonisant les statistiques et les données pertinentes des recensements54 ». Au sujet des travaux sur les condamnations criminelles qui seraient effectués par le bureau, Coats recommanda d'en étendre la portée afin d'englober l'ensemble des statistiques de l'administration de la justice. Une autre division verrait à examiner les données administratives émanant des ministères, et à analyser, condenser et réagencer les statistiques générales. L'Annuaire du
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Canada constituait le pivot de cette activité. Il était prévu de transformer la Revue mensuelle du recensement et des statistiques, consacrée à l'agriculture, afin d'y présenter les données officielles les plus récentes, « [...] sous une forme sommaire et harmonisée, de manière à fournir un éclairage sur le commerce et l'industrie. Elle constituerait ainsi un baromètre des variations mensuelles enregistrées dans le domaine de l'économie et elle réunirait les éléments en une analyse précise du commerce actuel55. »
En conclusion, Coats énumérait les étapes qui conduiraient à la réforme : l'administration adopterait la politique de centralisation de la statistique; Y Acte du Recensement et des Statistiques serait modifié pour autoriser d'autres ministères à exercer le pouvoir d'enquête dévolu au bureau central; des consultations se tiendraient entre le bureau central et les ministères en vue de ratifier les ententes découlant de la centralisation. Mais il n'était pas clair s'il fallait d'abord modifier la loi ou mener les consultations. L'imprécision n'allait pas tarder à causer des difficultés. VERS LA CENTRALISATION
Le 8 décembre 1916, le décret C.P. 3056 stipulait que le Bureau du recensement et de la statistique était l'organisme central le mieux adapté et outillé pour réaliser les objectifs établis. Il l'autorisait, au nom du ministre, à consulter les ministères qui publiaient des données statistiques à des fins autres qu'administratives de manière à préparer le plus tôt possible la mise en place du système projeté. Le décret ne tenait pas compte de la recommandation de Coats qui visait à faire modifier la loi. Il faisait plutôt mention des vastes pouvoirs conférés au bureau par Y Acte du recensement et des statistiques de 1905, ce qui laissait entendre qu'il était en mesure de conclure des ententes avec les ministères56. Parallèlement à la rédaction du mémoire au Cabinet qui servit de canevas au décret, Coats énonça les mesures à prendre dans l'immédiat au ministère du Commerce, « indépendamment de ce qui pourrait se faire sur une plus vaste échelle57 ». La déclaration, sans être nouvelle, renforçait les idées bien connues de Coats, à savoir qu'il était souhaitable de tenir un vaste recensement industriel pour l'année 1917; de mettre en oeuvre le plus tôt possible les mesures envisagées pour le ministère au sujet du commerce extérieur; et d'amorcer les travaux ayant trait au commerce intérieur. La déclaration offusqua le sous-ministre O'Hara, qui pourtant s'était souvent dit favorable aux idées de Coats. Cette fois, il y voyait plutôt l'ombre d'une menace : « II s'ensuit [...] que le Bureau de la statistique se chargera des diverses publications relatives à la statistique. Les rapports annuels et mensuels du ministère du Commerce vont ainsi disparaître. Si le personnel de la statistique des grains et du commerce est muté au Bureau de la statistique, l'effectif plutôt restreint du ministère diminuera de beaucoup, et celui du Bureau augmentera d'autant58. »
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POSTER, COATS ET LA CENTRALISATION O'Hara estimait qu'il y avait de quoi s'inquiéter : « M. Coats voudrait mettre sur pied plus qu'une division. Il cherche à créer un ministère qui relèverait d'un nouveau ministre [et] accroître le nombre de ministères, c'est faire un pas dans la mauvaise direction59. »
Coats livra le fond de sa pensée au sujet de la publication des données sur le commerce : « Le Bureau central de la statistique aurait pour mandat d'effectuer les travaux purement statistiques du gouvernement, ce qui laisserait aux ministères les rapports annuels destinés à l'étude des activités et des questions administratives. »
Mais il se montra diplomate quant à la création d'un ministère distinct : « Je n'avais pas en tête un portefeuille de la statistique quand j'ai employé l'expression "ministre de la Statistique" dans ma note du 27 octobre. J'envisageais plutôt que le ministre du Commerce se chargerait de l'orientation générale du gouvernement en matière de statistique60. »
O'Hara avait vu juste en soupçonnant Coats de vouloir faire du Bureau plus qu'une division chapeautée par un sous-ministre non issu du milieu de la statistique. Il s'écoulera plusieurs années avant qu'il en soit de nouveau question. Coats annonça peu après61 qu'il avait conclu avec Warne, de la Division de la statistique du commerce, une entente sur l'intégration des trois séries de données sur le commerce extérieur. La division de Warne fut transférée au Bureau en mars 1917. Les objections de O'Hara eurent néanmoins un effet, puisque la petite Division de la statistique des grains demeura sous son autorité immédiate, du moins pendant quelque temps. Il ne restait plus qu'à obtenir l'accord du ministère des Douanes sur le rôle qui lui avait été réservé dans le plan d'ensemble. Comme Coats l'avait fait pour les rapports sur les prix de gros et le coût de la vie, il sollicita l'avis de personnes de l'extérieur sur ses projets. Dans une lettre datée du 19 mars 1917, G.M. Murray, de l'Association des manufacturiers canadiens, formula des suggestions pratiques sur un certain nombre de points et ajouta : « [...] je ne saurais vous dire toute l'importance que j'accorde à l'exécution du plan que vous avez élaboré62. » Le professeur H. Michell, de l'Université Queen's, fut moins expansif, mais indiqua que sa faculté comptait mettre sur pied un service de recherche sur les statistiques économiques et qu'à cet égard, « l'organisation proposée serait d'une aide précieuse63 ». Le recensement postal des manufactures pour 1917 fut mis en chantier à cette époque. Mené tous les ans par la suite, il allait servir de base à un vaste recensement industriel qui se tiendrait chaque année. D'autre part, les travaux concernant le commerce intérieur reçurent un bon coup de pouce grâce aux données que le Bureau rassemblait au nom de deux organismes créés pendant la guerre, la Commission canadienne du ravitaillement et le Contrôleur du combustible. Pour Coats, de telles activités s'inscrivaient dans des domaines où le ministère pouvait agir de son propre chef. Lorsqu'il fallait passer par d'autres ministères, les progrès étaient parfois laborieux. Au sujet du recensement industriel, Coats informa Poster de ce qui suit :
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE « [...] nous pouvons compter résoudre les questions à notre entière satisfaction avec la Division de l'énergie hydraulique, la Division des forêts et la Division des pêcheries. Les pourparlers avec la Division des mines sont moins avancés, mais je pense que nous sommes sur la bonne voie et que notre bureau deviendra le dépositaire des statistiques de la production pour l'État fédéral64. »
Coats dut admettre l'insuccès de ses démarches auprès de la Division des chemins de fer et du ministère des Douanes — secteurs où il voyait le plus d'avantages à la centralisation. La division avait accusé réception de sa note, mais il n'y avait pas vraiment eu de pourparlers. Quant au ministère, la situation était plus délicate. Coats n'avait pas reçu de réponse à son invitation de tenir une conférence, ce qui lui fit dire : « Je crois savoir que les Douanes remanient leurs statistiques conformément aux formules et à la méthode générale de présentation énoncées dans notre note qui préconisait une action commune. »
II hésitait à revenir à la charge : « Tout refus de leur part [...] pourrait nuire à l'examen futur de la question65. »
NOUVELLE LOI SUR LA STATISTIQUE À la suite des difficultés énoncées plus haut, Coats tenta de convaincre Poster qu'il était préférable de créer un bureau central de la statistique par voie législative plutôt que par une série de négociations avec les ministères, comme le voulait le décret de décembre 1916 : « Une bonne part des obstacles disparaîtrait [...] si l'on établissait clairement que le plan de centralisation a une large portée, qu'il englobe tous les ministères et qu'il suit un principe général, plutôt que de traiter avec chaque ministère séparément et de lui donner à penser que lui seul est visé par la réorganisation. [...] De plus, une loi placerait le débat sur la place publique et situerait la réorganisation de la statistique dans son contexte, celui d'un important volet de la politique gouvernementale en matière de reconstruction66. »
Même si Poster était d'accord en principe, il n'entrevoyait aucune possibilité d'action pendant la session parlementaire en cours. Coats, faisant fi du protocole encore une fois, écrivit au solliciteur général, l'avisant de son échange avec Poster et le priant de surveiller les occasions. Il présentait des mesures qui allaient dans le sens des efforts déployés par le gouvernement en vue de réduire les effectifs et les dépenses : « En réorganisant la Division de la statistique du commerce et en ayant recours aux machines, nous pourrions nous départir de 75 commis et économiser au moins 100 000 $ par année. [...] Le ministère des Chemins de fer met en place son bureau de statistique, alors que les compagnies de transport ne devraient pas être traitées différemment des autres et qu'une fusion permettrait de couper 30 % dans nos dépenses67. »
En fait, Coats préparait un projet de loi sur la statistiqne depuis le début de 1917, et il avait joint à sa lettre du 26 mai à Poster un premier texte élaboré sans l'aide de juristes. Il lui transmit par la suite un document fignolé qui contenait une note semblable à celle qu'il avait rédigée huit mois plus tôt. Il ajouta : 68
POSTER, COATS ET LA CENTRALISATION « [...] les dispositions prises en vertu d'un décret général sont toujours assez instables et je prévois que, même s'il s'établit des relations satisfaisantes, il sera toujours plus ou moins difficile de les maintenir, en raison des changements apportés à la direction et aux orientations des ministères68. »
Mais cette fois-ci, Poster ne vit aucun obstacle à l'adoption d'une loi; les choses allèrent rondement. Coats fut autorisé à s'adresser au conseiller parlementaire H. Gisborne, c.r., et en mars ils rédigèrent l'ébauche d'un projet de loi concernant le Bureau fédéral de la statistique. Le 4 avril 1918, Poster déposa le projet de loi 32 à la Chambre des communes, en présentant la résolution suivante : « La Chambre décide qu'il y a lieu d'établir, sous la direction du ministre du Commerce, un bureau appelé le Bureau fédéral des statistiques [sic], chargé de recueillir, analyser, compiler et publier des renseignements statistiques en ce qui concerne l'activité commerciale, industrielle, sociale, économique et générale et la condition de la population en collaboration avec tous les autres ministères du gouvernement en matière de compilation et de publication des archives statistiques de l'administration, conformément aux règlements, et pour faire le recensement du Canada [...]69. »
Le projet de loi souleva très peu de discussions à la Chambre70 et fut rapidement adopté. Le 24 mai 1918 fut promulguée la Loi de la Statistique (8-9 George V, chap. 43), dont le texte est présenté à l'annexe H. Seuls les ministères fédéraux étaient visés par l'expression « autres ministères du gouvernement », contrairement à la définition élargie que contiendraient les versions ultérieures de la loi. Les modalités de collaboration du Bureau figuraient à l'article 3, et leurs détails allaient être fixés plus tard, « conformément aux règlements ». Aux termes des articles 16, 17, 18 et 19, il était obligatoire d'exécuter le recensement de la population et de l'agriculture. La Loi prévoyait en outre la tenue d'un recensement industriel et la collecte de données sur le commerce, les transports et le criminalité71, ce qui permettrait de transférer au Bureau la responsabilité des divisions statistiques d'autres ministères. Les articles 34 et 35, qui traitaient des statistiques générales, laissaient une certaine latitude tout en précisant les domaines dans lesquels le Bureau devait collaborer avec les provinces — état civil, agriculture, éducation, finances publiques et privées. Les modalités de cette collaboration (article 9) avaient plus de poids que celles prévues par la loi de 1905; les ministères et les fonctionnaires provinciaux étaient dorénavant considérés comme des agents du Bureau. L'article 15 sur le secret contenait les dispositions générales les plus notables. Il était indiqué dans la marge : « aucun rapport individuel ne doit être publié ou divulgué », et « aucun rapport ne doit contenir des détails individuels ». Les personnes embauchées en vertu de la Loi devaient prêter serment et se rendaient passibles d'amendes en cas d'infraction. La loi de 1905 avait traité implicitement de la confidentialité; elle stipulait que chaque employé devait « prêter et souscrire un serment qui le lie à la bonne et fidèle exécution de ces fonctions et au secret des statistiques et renseignements recueillis par le Bureau ». Les « négligences volontaires » le rendaient « coupable d'un acte criminel ».
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Pour que le nouveau bureau puisse servir pleinement à la centralisation, il fallait qu'un règlement, prévu par l'article 3, délimite son rôle de coordination des travaux statistiques des autres ministères. Le 13 juin 1918, Coats soumit à Poster une lettre destinée au gouverneur général en conseil dans laquelle il exposait deux grands principes : le Bureau devait d'abord se charger de toute enquête de nature purement statistique, puis s'entendre avec les ministères pour produire les statistiques découlant de leurs opérations administratives « [...] autant que possible conformément aux méthodes et à l'organisation du Bureau, ce genre d'entente ayant pour objet de prévenir le chevauchement, d'accroître la comparabilité et d'utiliser au mieux les ressources ministérielles à des fins statistiques72 ».
En vue de mettre en oeuvre ce dernier principe, Coats recommanda que le statisticien du Dominion pût consulter les fonctionnaires des ministères et élaborer les plans voulus pour mener à bien les travaux statistiques. Une fois approuvés par le gouverneur général en conseil, ces plans constitueraient des ententes permanentes. Coats recommandait en outre : « [...] par souci d'efficacité et d'économie, il faudrait recourir le plus possible à des appareils mécaniques aux fins des compilations statistiques effectuées pour le gouvernement et, en particulier, aux machines du Bureau de la statistique73. »
À cet égard, Coats avait déjà souligné les économies de temps et d'argent qu'entraînerait l'utilisation des machines, en ajoutant : « [...] aux États-Unis, le recours aux machines a fait tomber de 200 000 $ à 75 000 $ le coût de la compilation des questionnaires mensuels sur le commerce, et il a permis de gagner deux semaines dans la diffusion des rapports74. »
Coats s'était intéressé au sujet après avoir lu un article paru dans le New York Times du 8 juillet 1915. Il avait ensuite correspondu régulièrement avec les responsables du commerce intérieur et extérieur du département du Commerce des États-Unis. En janvier 1917, il s'était rendu à New York afin d'examiner sur place les tabulatrices mécaniques utilisées par les bureaux de douane et les grandes compagnies d'assurance. Pour faire approuver ce voyage, Coats argua : « [...] nous avons investi environ 80 000 $ dans des machines qui, jusqu'à présent, ont servi presque exclusivement au recensement de la population. Il conviendrait maintenant d'en étendre l'utilisation75. »
Ce fut peine perdue. Le projet de règlement que Coats avait préparé en toute hâte fut égaré dans le bureau de O'Hara et ne put parvenir à Poster avant son départ pour de longues vacances à l'extérieur d'Ottawa76. Coats se plaignit de ce que « le contretemps allait nuire aux négociations avec le ministère des Douanes77 ». Il avait déjà été entendu que ce ministère cesserait la publication de son rapport mensuel. Le sort du rapport annuel des Douanes restait le principal point en suspens, et l'on comptait sur le règlement pour le résoudre. Ce n'est que le 12 octobre 1918 que le mandat de centralisation de Coats fut clairement énoncé par le décret C.P. 2503, fondé sur les recommandations déjà mentionnées. 70
POSTER, COATS ET LA CENTRALISATION L'une des mesures proposées dans la lettre de Coats datée du 13 juin 1918 ne figurait pas dans le décret. Elle visait à créer un conseil consultatif de la statistique qui serait présidé par le statisticien du Dominion et dont certains membres proviendraient de l'extérieur de la fonction publique. Le conseil aurait pour mandat « [...] de se pencher sur des questions relatives à l'orientation générale du gouvernement en matière de statistique et, le cas échéant, de fournir des conseils sur certains points des méthodes et procédures78 ».
Poster n'avait pas été emballé par l'idée lorsqu'elle lui avait été présentée, mais Coats lui avait demandé de la garder en réserve, au cours des discussions du Conseil. Au fil des ans, Coats soumit la proposition à maintes reprises, mais il n'eut pas plus de succès qu'en 1918.
CONCLUSION Par suite de l'adoption de la Loi de la Statistique et des règlements connexes, l'ancien Bureau du recensement et de la statistique était devenu un organisme manifestement au service de tous les Canadiens. La voie était ainsi préparée pour le système national de statistique que Coats avait proposé en 1916. Il fallait d'abord assurer le transfert des travaux exécutés par les ministères en divers domaines de la statistique — douanes, chemins de fer, mines, forêts, etc. — et conclure des ententes avec les neuf provinces au sujet des données relevant de compétences communes, comme l'agriculture et l'état civil. Les progrès furent rapides dans la plupart de ces secteurs et dans d'autres où le Bureau pouvait agir à sa guise. Et à la suite de la participation de Poster à la Commission royale sur les dominions, Coats et des membres de son personnel allaient être catapultés sur la scène statistique internationale, créant une tradition toujours bien vivante. Mais tout n'alla pas comme sur des roulettes. Jusqu'à la fin de sa carrière en 1942, Coats dut surmonter bien des obstacles, puisque le Bureau n'avait pas acquis le statut d'un organisme distinct placé sous son autorité et responsable devant un ministre. Les effets de cette situation sont abordés dans les prochains chapitres.
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CHAPITRE V
1918-1939:
Le Bureau fédéral de la statistique La mise en oeuvre des programmes
INTRODUCTION Au nouveau Bureau fédéral de la statistique, les premières années de l'après-guerre furent marquées par diverses réalisations. Suivant le modèle que Coats avait décrit en 1916 dans son rapport sur le système national de statistique, l'organisme était constitué de l'ancien Bureau du recensement et de la statistique, auquel s'étaient ajoutés les services transférés d'autres ministères et des divisions nouvellement créées. Certains programmes se développaient, d'autres étaient mis en route. En 1923, Coats présenta le bilan suivant : « (1) Le recensement (décennal et quinquennal) a été réorganisé [...]. (2) II a été établi un plan national de statistiques vitales [...]. (3) Les statistiques mensuelles et annuelles de l'agriculture sont compilées conjointement par le bureau et les neuf gouvernements provinciaux. (4) On a unifié et demandé l'envoi chaque année des statistiques des pêcheries, des mines, des forêts, de l'industrie laitière, des forces hydrauliques et des manufactures en général (recensement industriel) [...]. (5) Les statistiques du commerce étranger ainsi que celles du transport et des communications ont été entièrement modifiées [...]. (6) II a été établi une division ayant trait aux aspects les plus importants du commerce intérieur, et aux transports commerciaux entre les provinces, les achats des principales denrées [...] et un système complet de statistiques des prix. (7) On a réorganisé et coordonné les statistiques criminelles avec les statistiques du recensement et autres statistiques sociales. (8) On a fait de grands pas dans la préparation des statistiques des finances publiques et de celles de l'enseignement [...]. (9) Les relations entre le bureau et le ministère du Travail couvrant tout le champ des statistiques du travail ont été réduites à une [sic] arrangement satisfaisant formel et la duplication de l'ouvrage a été éliminée [...].
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE (10) II a été établi une bibliothèque des ouvrages statistiques de tous les pays, et on a inauguré un service central de tabulation mécanique pour tous les ministères1. »
Coats insista sur la coordination de ces réalisations et voyait «l'établissement subséquent d'un relevé compréhensif du pays comme s'il était une seule "entreprise en activité"2 ». Les progrès furent d'autant plus remarquables que le Bureau devait composer avec un climat souvent tendu avec la direction des ministères et la bureaucratie fédérale. Le présent chapitre fait un survol de l'organisation et de l'administration du Bureau à ses débuts, notamment les installations matérielles et le service de mécanographie. Puis il traite des programmes où se jouait la crédibilité du Bureau et qui formaient les éléments clés de la statistique — état civil, recensement de la population, agriculture, industrie, commerce extérieur, transports. Il aborde enfin les programmes de moindre priorité qui laissaient au Bureau une plus grande marge de manoeuvre — instruction publique, prix, travail, finances publiques — et la mise en place d'un organe central de réflexion auquel Coats fit si souvent allusion.
ORGANISATION ET EFFECTIFS Le nouveau Bureau fédéral de la statistique se trouvait à réunir deux entités du ministère du Commerce : le Bureau du recensement et de la statistique et la Division de la statistique du commerce, qui vint s'y ajouter au début de 1917. Dès la première année furent constituées plusieurs divisions que Coats avaient proposées dans son rapport de 1916. Certains champs d'activité — population (démographie), agriculture, administration de la justice, commerce extérieur — avaient acquis un caractère permanent et leur évolution se poursuivait. D'autres en étaient aux premiers stades de développement; c'était le cas du recensement industriel et du commerce intérieur. Pendant sa deuxième année d'existence, en 1919-1920, le Bureau créa deux divisions : celle de l'instruction publique et de la statistique générale et celle des finances. Il mit sur pied la Division des transports, qui intégrait une ancienne division du ministère des Chemins de fer et des Canaux. Il élargit le programme du recensement industriel — industries manufacturières, forêts et pêcheries — et lui ajouta les composantes mines, métallurgie et produits chimiques, par suite du transfert de certains éléments de la Division des ressources minérales et des statistiques du ministère des Mines3. Il institua d'autres composantes — pêcheries, fourrures, industrie laitière et produits d'origine animale. La Division de l'administration regroupait le bureau de Coats, les services du personnel et des finances, et diverses fonctions — polycopie, Annuaire du Canada, distribution des publications. L'annexe C présente l'organisation du Bureau à la fin de 1919-1920. Les numéros renvoient aux rubriques du rapport de Coats de 1916. L'annexe D montre celle du milieu des années 1930 et permet de voir à quel point elle avait évolué. En cinq ans, soit de 1918-1919 à 1923-1924, le Bureau avait plus que doublé son effectif, exclusion faite des employés temporaires affectés au recensement. De 123 années-personnes, l'effectif était passé à 253, dont les deux tiers environ étaient dés
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LA MISE EN OEUVRE DES PROGRAMMES
employés permanents. Certains travaux, dont le recensement industriel, faisaient largement appel aux employés temporaires. Il convient de souligner le calibre du personnel. Dès le début, Coats s'entoura de collaborateurs chevronnés du Bureau du recensement et de la statistique, et plusieurs d'entre eux restèrent en fonction après son départ. Le doyen, E.H. St-Denis, prit sa retraite en 1924. Il était alors adjoint au statisticien du Dominion. Il avait travaillé au recensement du temps de Taché, puis s'était retrouvé chef de la statistique de la criminalité. W.A. Warne, chef de la Division du commerce extérieur, prit sa retraite en 1936. Il avait été, dans les années 1890, parmi les premiers statisticiens du nouveau ministère du Commerce, et il avait siégé à la commission ministérielle avec Coats. Le chef de la démographie, E.S. Macphail, était un vieux routier du recensement; il exerça les mêmes fonctions tout au long de sa carrière. L'assistant et futur successeur de Macphail, A.J. Pelletier, demeura en poste jusqu'en 1944. E.H. Godfrey, chef de la Division de la statistique de l'agriculture, avait quitté le Royaume-Uni en 1907 pour mettre sur pied le programme de statistiques sur les cultures. Lui aussi membre de la commission ministérielle, il avait été rédacteur de l'Annuaire du Canada pendant quelques années. J.C. Macpherson, le premier chef du recensement industriel, avait commencé par s'occuper du volet industriel du recensement décennal de 1901; il réalisa en 1905 le premier recensement postal des manufactures, qui fut repris en 1915 avant de devenir une activité annuelle en 1917. Il exerça ses fonctions jusqu'au début des années 1930. Enfin, le colonel J.R. Munro, autre vétéran des années 1890, fut le premier chef des finances publiques. Il établit probablement un record de longévité avant de prendre sa retraite en 1944. Moins visibles, mais non moins importants, étaient les employés fonctionnels. Dans un texte rédigé à l'occasion du 40 e anniversaire du Bureau, Coats se rappelait affectueusement ceux qu'il avait connus à son arrivée au Bureau en 1915. Il gardait un vif souvenir de Joseph Wilkins et d'E. Skead, qui bon an mal an produisaient 1''Annuaire du Canada. « Wilkins et Skead ont travaillé comme un seul homme au même bureau pendant plus de 25 ans. Ils ont été les premiers à m'adresser une requête (ils avaient usé leur bureau et voulaient le remplacer). »
Puis il y avait Mlles F.A. Brown et Gertrude Kehoe, et le messager S. Swettenham, tous installés à proximité du bureau de Coats. « Mlle Brown, la secrétaire de M. Blue, avait suivi son patron depuis Toronto; Mlle Kehoe était préposée aux dossiers du personnel et aux archives générales. En un rien de temps, l'une et l'autre pouvaient vous dire qui faisait quoi4. »
Les trois demeurèrent en fonction jusqu'aux années 1940. M lle Brown fut promue responsable des composantes pêcheries, fourrures, industrie laitière et produits d'origine animale, pour le recensement industriel. Le Bureau recruta aussi du sang neuf. Dès 1919-1920, Coats s'adjoignit les services de S.A. Cudmore pour diriger la nouvelle Division de l'instruction publique et de la statistique générale et prendre en main VAnnuaire du Canada5. À l'époque, Cudmore enseignait l'économie à l'Université de Toronto, après avoir fait un cheminement 75
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE particulier. Enfant, il avait quitté l'Irlande pour le Canada et dû abandonner l'école afin de devenir apprenti chez un imprimeur à Brampton en Ontario. Toutefois, une bourse du Prince de Galles lui permit d'obtenir un baccalauréat spécialisé en études classiques et anglaises à l'Université de Toronto. Cette première distinction lui valut la bourse Sir James Flavelle du Collège Wadham, à Oxford. Pendant les 20 ans qui suivirent, Cudmore occupa un rôle de plus en plus important dans la haute direction du Bureau. En 1942, il succéda à Coats au poste de statisticien du Dominion. Murdoch MacLean, autre universitaire recruté à la même époque, fut l'assistant de Cudmore dans la Division de l'instruction publique et de la statistique générale. Il était chargé d'établir le programme de statistiques sur l'instruction publique, qui se transforma rapidement en une division distincte. Nommé chef de l'analyse du recensement au début des années 1930, il produisit une série de monographies remarquables à partir des données du recensement de 1931. Il mourut accidentellement en 1940. L'autre éminente recrue du début des années 1920 fut Herbert Marshall qui, comme Cudmore, avait enseigné à l'Université de Toronto6. Affecté à la Division du commerce intérieur, il en devint le chef après quelques années seulement. Il y passa presque toute sa carrière, avant de succéder à Cudmore au poste de statisticien du Dominion.
INSTALLATIONS DU BUREAU Peu après que Coats fut nommé statisticien du Dominion en 1915, le Bureau du recensement et de la statistique emménagea dans l'édifice Woods, au 30 de la rue Slater. En 1918, il déménagea dans l'édifice Canadian, à quelques portes à l'est, au numéro 22, non loin du canal Rideau. L'année suivante, il s'installa dans l'édifice Daly, à l'angle des rues Mackenzie et Rideau, et y demeura trois ans. Les édifices Woods et Canadian furent démolis au milieu des années 1960 pour faire place au parc de la Confédération. L'édifice Daly, vacant pendant ses dernières années, survécut jusqu'en 1992 en raison de sa valeur architecturale7. En 1921, nouveau déménagement pour pouvoir accueillir le personnel du recensement et le matériel mécanographique. Le Bureau se retrouva dans l'édifice Queen 8 , au coin des rues Victoria et Bank, où sont aujourd'hui les édifices de la Confédération. Mary Falconer, une employée qui prit sa retraite en 1955 après 44 ans de service, fut témoin des pérégrinations. À propos de l'édifice Queen, elle relata : « Qui l'aurait cru sans l'avoir vu et sans y avoir travaillé? Afin de loger un malheureux service pendant la Première Guerre, on avait utilisé deux ou trois magnifiques maisons entourées de somptueux jardins. Mais leur heure de gloire était passée. Elles étaient réunies par des structures de bois chancelantes qui en faisaient un véritable labyrinthe9. »
En 1928, le Bureau emménagea dans l'ancienne scierie Edwards, sur l'île Verte, et y resta 24 ans. Même si au début l'espace répondait amplement aux besoins, on s'accordait à dire que les locaux défraîchis offraient peu de confort et qu'ils étaient de peu d'utilité. Après 1939, le Bureau prit rapidement de l'ampleur, et les conditions devinrent intolérables.
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LA MISE EN OEUVRE DES PROGRAMMES
MÉCANOGRAPHIE Durant les premières années, l'une des priorités de Coats consistait dans la prise en charge des travaux de mécanographie de l'administration fédérale. Les machines avaient fait leurs preuves lors des recensements de 1911 et de 1916, et elles étaient d'usage courant en 1918 pour le recensement industriel et la statistique de l'agriculture. À l'été 1918, le Bureau se mit à dresser les résultats d'un exercice d'inscription nationale. Au plus fort de l'action, cette activité occupait plus de 400 commis temporaires, mais elle prit fin aussitôt la guerre terminée. À la même époque, en vertu de dispositions découlant du décret du 12 octobre 1918, le Bureau chercha à inciter les ministères à recourir aux machines inutilisées. En mai 1919, Coats écrivit aux sous-ministres pour leur signaler le décret et pour énoncer les services offerts par le Bureau. Il concluait sa note ainsi : « Nous serons heureux d'envoyer un agent vous expliquer les avantages que la mécanographie pourrait procurer à votre ministère10. » L'offre suscita des réactions diverses. L'intention de Coats était simple : lorsqu'il était possible de mécaniser des tâches, les ministères se chargeaient de la perforation des cartes et de leur transmission au Bureau à des fins de tri et de calcul. Plusieurs y voyaient toutefois une ruse destinée à faire main basse sur des attributions ministérielles. Il n'empêche que quelques ententes furent conclues en 1919, notamment avec le ministère des Finances pour l'établissement des statistiques de l'impôt sur le revenu11. Coats se tenait au courant des progrès accomplis à Washington, où il s'avérait que le traitement de forts volumes de données pouvait générer des économies d'échelle. Mais selon lui, on n'arriverait à le faire au Canada que par la centralisation des travaux qui occupaient de plus en plus les ministères. Outre les considérations d'efficacité, Coats estimait que l'étroite participation du Bureau aux applications ministérielles permettrait de dégager des avantages qui n'étaient pas toujours évidents pour les ministères, et que l'intérêt public serait mieux servi si les fournisseurs devaient traiter avec un seul organisme rompu à ces questions. C'est ainsi que le 20 mai 1920 fut adopté le décret C.P. 1092 : « Lorsqu'un département ou un rouage du service public peut employer des tabulatrices mécaniques dans un but d'efficacité et d'économie, il doit s'adresser au statisticien du Dominion qui, sur réception de la demande, s'entendra avec lui pour établir un rapport sur les machines à utiliser, les modalités d'acquisition, la forme des cartes perforées et d'autres particularités. »
Afin d'éviter que le Bureau n'abuse de son nouveau pouvoir, le ministère était libre de recourir au président du Conseil des achats s'il jugeait le rapport insatisfaisant. Rien n'indique que le décret fut plus efficace que le précédent pour rappeler les ministères à l'ordre. Au début de 1921, dans une note au ministre sir George Poster, Coats signalait que, malgré les résultats satisfaisants, il était mécontent que des ministères avaient passé deux grosses commandes de machines avant l'adoption du décret. Il suggéra : « La politique gagnerait en efficacité si le Bureau n'avait pas à attendre que les ministères s'adressent à lui, mais s'il pouvait plutôt agir à la manière d'une entreprise désireuse d'offrir
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE ses services au plus grand nombre possible. [...] Aussi pourrait-il être avantageux pour nous de charger un agent de promouvoir des tabulatrices mécaniques12. »
Rien n'y fit. Le Bureau devint vite son propre client et le meilleur. La mise sur pied d'un programme faisait presque toujours appel aux tabulatrices mécaniques. De plus, le recensement de 1921 approchait. En août 1920, le Bureau reçut l'autorisation de doter 17 nouveaux postes, dont 14 — principalement des opérateurs de machines de bureau — furent affectés à la Division de la statistique de l'état civil, créée au début de l'année.
STATISTIQUE DE L'ÉTAT CIVIL Lorsque fut adoptée la Loi de la Statistique, le système national de statistiques de l'état civil était en voie de réalisation. C'était l'un des premiers points dont Coats avait traité dans sa réforme de la statistique, après avoir été nommé statisticien du Dominion. Selon lui, il fallait : « [...] 1) uniformiser les mesures législatives et les méthodes d'administration employées par les provinces et 2) faire en sorte que le gouvernement fédéral s'engage à obtenir les données appropriées au moyen du recensement de la population et à utiliser l'appareil administratif à des fins de centralisation et d'unification pour collationner et publier au niveau national les données produites par les systèmes provinciaux13. »
Coats reconnaissait ici la nécessité de recueillir par le recensement les données de l'état civil qu'il était impossible d'obtenir autrement, mais ailleurs dans le texte il recommandait l'abandon de la collecte des données sur la mortalité. En annexe, il présentait un avant-projet de loi qui visait à uniformiser les dispositions législatives et administratives aux fins de discussion avec les provinces, ainsi que l'ébauche d'un décret qui énonçait les modalités d'expédition des actes de l'état civil au Bureau. Le décret faisait mention d'une conférence sur la statistique de l'état civil qui se tiendrait à Ottawa tous les deux ans, sous les auspices du gouvernement fédéral. En novembre 1917, par suite d'entretiens informels avec les représentants provinciaux, Coats fit savoir à Poster que son projet avait suscité des réactions favorables et que plusieurs provinces avaient formulé des commentaires judicieux. Il était maintenant prêt pour l'étape suivante, la conférence d'Ottawa, qui eut lieu les 19 et 20 juin 1918. Y assistèrent non seulement des responsables de l'administration fédérale et des provinces, mais aussi des représentants de l'Association américaine des actuaires, de l'Association médicale canadienne et de l'Union canadienne des municipalités, ainsi que des universitaires14 et le chef de la Division de la statistique de l'état civil du Bureau du recensement des États-Unis. Quelques jours après la conférence, Coats signala en privé à Poster qu'il était satisfait dans l'ensemble. Mais il se dit déçu que son avant-projet de loi eut soulevé des objections sans fondement et qu'il dut être renvoyé à un comité. Ici encore, les provinces réservèrent un accueil assez froid aux conditions peu avantageuses qu'il leur proposait pour la transcription des actes de l'état civil. Elles dressèrent un plan de subventions qui leur serait profitable, estimant que le Bureau comptait récolter les fruits de leurs longues années de travail15. Il fallut attendre jusqu'en décembre pour convoquer une réunion de 78
LA MISE EN OEUVRE DES PROGRAMMES
suivi. L'avant-projet de loi fut alors adopté sans autre forme de procès, ce qui permit d'entamer les négociations avec les provinces. Au début d'avril 1919, Coats avait rédigé l'ébauche d'un décret et fut en mesure d'annoncer que plusieurs provinces avaient modifié ou comptaient modifier leur législation en matière de statistique de l'état civil pour la rendre conforme aux principes énoncés dans l'avant-projet, et acceptaient de mettre en application la loi de manière à fournir 90 % des relevés16. Au sujet de la requête des provinces, Coats rappelait dans sa note que les subventions étaient hors de question. On avait convaincu les provinces que le projet visait, par la voie de la collaboration, à réaliser des enquêtes relevant à la fois de l'État fédéral et des provinces, conformément à leurs attributions respectives17. Ce principe était clairement formulé dans le décret C.P. 693 du 22 avril 1919, qui jetait les bases d'un système dont les grandes lignes s'appliquent encore aujourd'hui. Mais il restait beaucoup à faire pour rendre le nouveau système fonctionnel — convenir des formulaires que le Bureau s'engageait à fournir, définir les tarifs de la transcription des actes de l'état civil18 et, surtout, enclencher le processus dont se servirait le Bureau pour réunir et publier les données. Pendant que le décret suivait la filière habituelle, le Parlement était saisi d'un projet de loi créant un ministère de la santé publique. La mesure prévoyait « le recueillement, la publication et la distribution des renseignements ayant trait à la santé publique », et Coats craignait qu'elle s'étendît aux statistiques de l'état civil. Le président du Conseil privé, l'honorable N.W. Rowell, accepta toutefois de modifier le projet de loi afin d'éviter au nouveau ministère de reproduire inutilement les travaux du Bureau. La nouvelle loi19 pourvoyait à la création d'un conseil de salubrité fédéral, et Coats réussit à y faire siéger un représentant du Bureau. Les réunions du conseil lui permettaient de suivre l'évolution des grandes questions statistiques et d'assurer un lien avec les participants chargés de la statistique de l'état civil. Sans doute est-ce pourquoi il fallut attendre jusqu'en octobre 1943 pour la tenue d'une autre conférence fédérale-provinciale sur la statistique de l'état civil, semblable aux deux qui avaient eu lieu en 1918. En 1920, les provinces — à l'exception du Québec — se mirent à transmettre au Bureau leurs relevés de l'état civil. Une fois réglés les problèmes de retard dans leur production, Coats finit par publier un rapport mensuel. En janvier 1923 parut le premier rapport annuel établi pour l'année 1921. En janvier 1926, le Québec rallia le programme national, après avoir résolu les difficultés attribuables à son système d'enregistrement. Le rapport annuel couvrait désormais l'ensemble de la nation. Le Bureau devait assumer une charge de travail sans cesse croissante, et en particulier E.S. Macphail, responsable de la démographie. À cause des besoins découlant du recensement de 1921, Coats fit approuver la création d'un poste supérieur à temps plein pour la statistique de l'état civil. E.H. Chapman y fut nommé au début de 1921, mais quelques mois plus tard, il dut quitter ses fonctions pour des raisons de santé. W.R. Tracey le remplaça en février 1922 et, comme la plupart des cadres recrutés par Coats, il y resta de nombreuses années durant.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE RECENSEMENT DE 1921 Le sixième recensement décennal du Canada, tenu en 1921, revêtait une importance capitale puisqu'il servirait à évaluer l'efficacité de la réforme amorcée en 1918. Depuis 70 ans, le recensement figurait au premier plan des travaux statistiques par sa nature et sa portée, et voilà que la commission ministérielle de 1912 avait proposé un remaniement du contenu et de la méthodologie. Ces considérations suffisaient à créer des attentes élevées pour le recensement de 1921, d'autant qu'il s'en ajouta de nouvelles en cours de route. Une fois le recensement terminé, Coats écrivit : « [...] au cours de la dernière décade écoulée, le Canada a célébré le jubilé de sa naissance comme colonie autonome; ce cinquantenaire constituait donc une occasion éminemment favorable pour procéder à un inventaire; [...] depuis le dernier recensement, le plus violent cataclysme de notre histoire, la grande guerre, a laissé une profonde empreinte sur tous les éléments de mensuration, créant une situation entièrement nouvelle [...]; c'est pourquoi il n'avait jamais été plus nécessaire que maintenant de posséder de nouvelles statistiques sociologiques et économiques [...]; le présent recensement se place à une époque où [...] la relation entre la population de l'univers et les ressources naturelles n'avait jamais encore atteint son diapason actuel [...]20. »
La commission ministérielle avait recommandé d'éliminer le volet industriel (comprenant l'agriculture) du recensement décennal pour se limiter aux questions démographiques. Mais en 1916 Coats démontra qu'il était à la fois préférable et possible de réaliser le recensement de la population de pair avec celui de l'agriculture, et le principe avait été inscrit dans la Loi de la Statistique. La Loi avait supprimé le questionnaire sur la mortalité et prévu la tenue d'un recensement industriel, si bien que le recensement de 1921 se limitait à cinq questionnaires : 1) population; 2) agriculture; 3) animaux et leurs produits, fruits, etc., non dans les fermes; 4) industrie et commerce; 5) aveugles et sourds-muets. Il renfermait néanmoins 565 questions, contre les 522 que contenaient les 13 questionnaires de 1911. Le questionnaire de la population comptait 35 questions seulement, dont la présentation était, selon Coats, « conforme aux usages internationaux et à la pratique précédemment suivie au Canada21 ». On avait supprimé les questions sur « la démence et l'idiotie », tout comme celles sur la fécondité, dont l'utilité avait été mise en doute. D'autres questions — lieu de naissance du père et de la mère, citoyenneté, origine raciale — permettraient de dénombrer les Canadiens établis au pays depuis au moins trois générations et de répondre ainsi à une demande publique pressante22. Certains ont affirmé que le questionnaire visait pour la première fois à obtenir des données sur le chômage pendant l'année écoulée. Ce n'est pas tout à fait exact; en 1891, les salariés devaient indiquer s'ils avaient travaillé dans la semaine ayant précédé le recensement. Dans un cas comme dans l'autre, toutefois, aucune donnée n'a pu être publiée. L'essentiel du recensement de 1921 portait sur l'agriculture. Les deuxième et troisième questionnaires contenaient 521 questions, soit quatre fois plus qu'en 1911, éliminant du coup les économies réalisées par l'abandon des questions sur l'industrie. Outre qu'ils abordaient plusieurs points nouveaux, ils visaient à approfondir les sujets 80
LA MISE EN OEUVRE DES PROGRAMMES
traités dans les recensements précédents. Les résultats devaient servir à des fins de comparaison pour le système de données mensuelles et annuelles sur les cultures et autres statistiques agricoles que le Bureau était en voie d'élaborer en collaboration avec les ministères fédéral et provinciaux de l'Agriculture. Le questionnaire sur l'industrie et le commerce devait faciliter le recensement industriel, qui se tenait désormais chaque année, grâce à la collecte des nom et adresse des établissements commerciaux. Par ailleurs, dans le cadre du nouveau programme de statistiques sur le commerce intérieur, il devait simplifier la planification de questions sur la distribution et la mise en marché de biens23. Enfin, le cinquième questionnaire servait à recueillir des données sur le sexe, l'âge et l'adresse des personnes aveugles et sourdes-muettes en vue de produire des statistiques destinées notamment aux établissements d'enseignement chargés de leur fournir des services. La commission ministérielle de 1912 avait recommandé d'effectuer le dénombrement selon le principe de facto plutôt que le principe de jure, et d'en devancer la date au 1er avril conformément à l'usage établi (le recensement de 1911 avait eu lieu le 1er juin). La Loi de la Statistique stipulait toutefois « une date dans le mois de juin », et le recensement de 1921 eut lieu le 1er juin. Le mois d'avril ne convenait pas au volet agricole, parce qu'il n'était pas encore possible d'indiquer la superficie des terres cultivées et ensemencées pour la saison. Encore une fois, le recensement s'appuya sur le principe de jure, qui « [...] donne un portrait plus fidèle de la condition permanente de la population et, par conséquent, convient mieux à la délimitation des circonstriptions [sic] électorales, facilite la classification des municipalités ainsi que l'étude de sujets tels que l'habitation, l'occupation et, d'une manière générale, des autres conditions sociologiques24 ».
Avant la tenue du recensement, on chercha à obtenir la collaboration du public au moyen de la diffusion d'un opuscule intitulé Le prochain Recensement—ses modalités, son but. Le Service cinématographique du ministère du Commerce réalisa un film sur plusieurs étapes du recensement. Par ailleurs, 241 commissaires et 11 425 recenseurs étaient à l'oeuvre dans les districts et les sous-districts, l'équivalent des circonscriptions électorales fédérales et des bureaux de vote. En matière de confidentialité, les dispositions de la nouvelle loi furent communiquées largement dans le public pour la première fois. Les recenseurs devaient assurer aux répondants que les renseignements fournis allaient demeurer confidentiels25. En outre, le serment d'office était obligatoire pour quiconque travaillait à titre de commissaire ou de recenseur pour la durée du dénombrement ou exerçait à Ottawa des fonctions de compilateur ou de commis. Les opérations sur le terrain durent être menées sans l'organisation permanente qui serait créée quelques années plus tard. Elles consistaient surtout dans la formation des commissaires et des recenseurs et dans la vérification et le suivi des questionnaires aux fins de corriger les erreurs et les omissions. Ce n'est donc pas sans peine que les questionnaires furent vérifiés sur le terrain, avant d'être transmis à Ottawa pour la compilation. À la fin de juillet 1921, on en avait reçu 76,8 %, comparativement à 87,8 % en 1911. Toutefois, le gros du retard fut rattrapé en août. Le rapport de 1921 disait :
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE « Dans nul autre recensement précédent on n'avait éprouvé autant de difficultés à se procurer des énumérateurs aptes et compétents; la même difficulté se fit aussi sentir dans le recrutement du personnel du Bureau engagé à Ottawa; il faut en attribuer la cause à l'activité générale des affaires, au taux élevé des salaires et à la situation incertaine et chaotique succédant à la guerre. Le Bureau du recensement des Etats-Unis eut à subir les mêmes inconvénients26. »
À Ottawa, le recrutement des préposés à la compilation s'effectua à la demande. Au plus fort de l'action (fin août), l'effectif s'établissait à 350 personnes; à la fin de 1921, il était tombé à 120. Comme pour le recensement de 1911, on eut largement recours à la mécanographie. Les chiffres provisoires de la population sortirent par bribes, et les données sur l'ensemble du pays parurent le 24 février 1922. Une fois les révisions terminées, les chiffres définitifs furent diffusés en une vingtaine de bulletins, ce qui fut suivi par la parution de bulletins thématiques sur une période de 18 mois. La publication des résultats du recensement de l'agriculture, réalisée elle aussi en deux étapes, fut terminée en août 1923. Les premières totalisations ayant été produites dans un délai raisonnable, le Bureau entreprit l'analyse et l'interprétation des résultats. En avril 1924, on avait publié trois volumes définitifs, dont deux portaient sur la population, et le troisième sur l'agriculture. Deux autres volumes parurent beaucoup plus tard27. Un sixième volume était censé comprendre des études analytiques spéciales, mais ne vit jamais le jour. Enfin, deux études furent publiées séparément : l'une sur l'analphabétisme et la fréquentation des écoles au Canada (1926); l'autre sur l'origine, le lieu de naissance, la nationalité et la langue des Canadiens (1929). Coats eut raison d'affirmer dans son rapport : « Nul recensement précédent n'aura fourni au public canadien des résultats aussi volumineux ni une aussi grande richesse d'analyse28. »
STATISTIQUE DE L'AGRICULTURE Durant les 20 ans qui précédèrent la Première Guerre, la plupart des provinces avaient commencé à établir des statistiques mensuelles et annuelles sur l'agriculture. Mais les données différaient tellement par la portée, la méthodologie et la fiabilité que lorsque le Canada devint membre de l'Institut international d'agriculture en 1908 et voulut fournir des relevés nationaux sur les cultures, le Bureau n'eut d'autre choix que de mettre sur pied un programme parallèle. Dans son rapport annuel de 1920, Coats indiqua : « [...] pour une portion considérable du Canada, il existait une double série, la fédérale et la provinciale, de rapports et d'évaluations agricoles qui se contredisaient fréquemment, source d'embarras pour les nombreuses personnes qui recherchaient des statistiques dignes de foi et cause de frictions constantes entre les fonctionnaires29. »
Pour l'essentiel, la situation avait été corrigée avant la création du Bureau fédéral de la statistique. L'État et les neuf provinces avaient entamé des discussions en 1913, et cinq ans plus tard une entente était en place pour la collecte des données agricoles. Il fallait d'abord préciser au printemps les superficies consacrées aux cultures et le nombre de têtes de bétail. Jusque-là, des correspondants dans chaque district étaient chargés d'établir le taux global d'augmentation ou de diminution par rapport à l'année 82
LA MISE EN OEUVRE DES PROGRAMMES
précédente. Des données seraient dorénavant recueillies auprès du plus grand nombre possible des quelque 640 000 exploitations agricoles d'au moins cinq acres. Au lieu de procéder par enquête postale ou dénombrement conventionnel, deux méthodes jugées difficilement réalisables, on mit à contribution les enseignants en milieu rural. Le Bureau expédia en vrac des questionnaires (en réalité des fiches) aux ministères provinciaux de l'Agriculture qui, de concert avec leur ministère de l'Instruction publique, les firent parvenir aux enseignants, prévenus par la circulaire qu'avaient préparée à leur intention les ministères intéressés. Les enseignants distribuèrent les fiches aux élèves « [...] auxquels on [avait], préalablement, fait lecture d'une instruction, [...] expliquant le but poursuivi; ceci [constituait] tout à la fois un exercice scolaire et une leçon sur l'agriculture et sur les devoirs envers son pays30 ».
Une fois complétées, les fiches empruntèrent le chemin inverse, jusqu'à Ottawa, pour le traitement mécanographique31. Au moment des récoltes, des correspondants agricoles des administrations fédérale et provinciales évaluèrent le rendement moyen par acre pour chaque comté ou district de culture, qu'on extrapola par la suite pour déterminer le rendement total. Grâce à la méthodologie adoptée pour les cultures et le bétail, le système put être étendu, dès 1919, à d'autres composantes — fruits, légumes, betteraves, tabac, lin (pour la fibre) et sirop d'érable. Dans bien des cas, les données du recensement de l'agriculture de 1921 servirent de point de départ aux statistiques annuelles, publiées le plus rapidement possible dans h Revue mensuelle de la statistique agricole. En janvier 1924, conformément à l'engagement pris lors de l'entente fédérale-provinciale de 1917, on organisa une conférence afin de faire le point sur le système et de l'améliorer d'après les leçons tirées de l'expérience.
RECENSEMENT INDUSTRIEL Eu égard à la statistique des industries, Coats avait proposé en 1916 de tenir un vaste recensement décennal, dans une année autre que celle du recensement de la population et de l'agriculture, et d'en réviser les résultats au moyen d'une enquête de moindre envergure qui se ferait chaque année par la poste. La Loi de la Statistique stipulait : « Un recensement des produits de l'industrie sera fait pour l'année mil neuf cent dix-huit, et subséquemment à tels intervalles qui pourront être déterminés par le Ministre. » Elle précisait la nature des données à recueillir, mais non la fréquence du recensement, mais il aurait été possible d'effectuer des révisions annuelles en vertu du pouvoir conféré au Bureau pour la collecte de données. En fait, les données étaient recueillies chaque année dans différents secteurs — pêcheries, mines, forêts, industrie laitière, électricité — où le Bureau cherchait à conclure des ententes de collaboration avec les ministères fédéraux et provinciaux. Aussi le Bureau décida de tenir annuellement le recensement postal des manufactures, qui avait été mené une première fois en 1905 en tant que supplément intercensitaire, puis repris en 1915. Dès lors, personne ne mit en doute qu'il s'agissait d'un recensement à grande échelle. 83
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Dans un ouvrage préparé pour la Conférence des statisticiens du Commonwealth, tenue à Ottawa en 1935, on résumait ce qui s'était fait pour les autres facettes du recensement industriel : « Dans le cas des statistiques sur les mines, l'industrie laitière et les forêts, pour lesquelles les provinces agissaient de manière autonome et souvent à l'aide de méthodes différentes, laissant au ministère fédéral le soin d'uniformiser les travaux en tout ou en partie (les statistiques se limitant presque toujours à la production), les ententes prévoyaient ce qui suit : 1) le Bureau et les ministères fédéraux et provinciaux conviennent d'une méthode uniforme; 2) le Bureau imprime et fournit les formulaires et les questionnaires types; 3) les ministères provinciaux se chargent le plus souvent de recueillir et de confirmer les données; 4) le Bureau dépouille les questionnaires selon un plan convenu d'avance; 5) il publie les données pour l'ensemble du pays et transmet aux provinces leurs propres données pour qu'elles les utilisent comme bon leur semble; 6) le Bureau est l'organe statistique des ministères fédéraux, qui s'adressent aux divisions de celui-ci pour obtenir les services dont ils ont besoin32. »
Dans les publications, le Bureau tenait autant que possible à séparer les statistiques des industries primaires et celles des industries secondaires. Mais pour faciliter la consultation, il joignit aux premières les renseignements ayant trait aux industries connexes. Le rapport sur les pêcheries, par exemple, présentait les données sur les conserveries, sur les ateliers de salage et autres établissements spécialisés dans la transformation du poisson et sur les captures. De même, les activités métallurgiques étaient comprises dans le rapport sur l'industrie minière. Le classement des industries se faisait en fonction du produit principal et de la première activité commerciale. Pour contourner le problème de la production secondaire, on demandait aux répondants de fournir des données sur ce produit, le total des deux s'obtenant ensuite par compilation croisée. Cependant, pour le nouveau recensement industriel, Coats redoutait l'absence d'une classification claire et cohérente : « [...] si un système de groupement place dans la même catégorie des rubriques telles que "cuir" et "vêtements", l'exactitude devient impossible, parce que des articles tels que les bottines et les souliers ne peuvent figurer dans l'une sans rendre l'autre défectueuse33. »
Et si les différents secteurs d'activité faisaient l'objet d'interprétations différentes, il était impossible de comparer avec fiabilité les statistiques de la production et celles sur les importations, les prix, la rémunération, etc. En mai 1918, soucieux d'élaborer des directives utiles, le Bureau mis sur pied, sous la présidence du professeur W.C. Clark de l'Université Queen's, une commission chargée de sonder l'opinion des ministères fédéraux et provinciaux et de consulter son pendant américain. La commission recommanda ce qui suit : « [...] tout groupement statistique doit respecter l'une des trois catégories suivantes : selon "la substance constituant l'élément principal"; selon "la destination"; selon "la source ou l'origine" [...]. Ces catégories n'admettent ni mélange ni confusion. »
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LA MISE EN OEUVRE DES PROGRAMMES
Elle conseilla d'adopter la première catégorie et de s'y conformer le plus possible, et de recourir aux deux autres pour les analyses et les totaux. Ainsi, les « bottines et souliers » seraient classées sous la rubrique « cuir », mais figureraient également dans les totaux du « vêtement » et dans les produits ouvrés provenant de « la ferme ». Coats écrivit : « Quoique cette méthode ne puisse être appliquée avec un succès parfait, [...] elle constitue néanmoins une amélioration sensible sur les pratiques antérieures, quant à l'exactitude et son adoption comme type laisse la porte ouverte aux perfectionnements futurs34. » CAS DE NON-RÉPONSE
La politique d'intervention auprès des non-répondants, qui prévoyait le recours aux tribunaux, avait été adoptée en 1915 pour le recensement des manufactures et, après la guerre, elle servit aux fins du recensement industriel. Coats la justifiait en ces termes : « [...] c'est en prenant des mesures dans certains cas [...] et en les rendant publiques que nous arriverons peut-être à dissuader le reste des contrevenants. Je crois savoir qu'une application intermittente des recours prévus par la Loi de l'impôt sur le revenu a incité la grande majorité à produire sa déclaration35. »
La préparation des poursuites et l'aide à fournir à l'avocat attitré incombèrent surtout à J. A. Schryburt, chef adjoint de la statistique des industries. Dans une lettre adressée au ministre sur l'issue des 43 causes entendues en une seule journée à Toronto, l'avocat écrivit : « M. Schryburt, non seulement par son efficacité évidente et sa vaste connaissance du sujet, mais aussi par son sens de l'équité, a produit auprès de la cour et de la presse une impression très favorable, comme en ont témoigné par la suite les comptes rendus de ces poursuites; [...] son attitude a désamorcé toute animosité inutile de la part des accusés36. »
Quelques semaines plus tard, 94 actions furent intentées à Montréal, et 56 firent l'objet d'un jugement37. L'allure se modéra dans les années qui suivirent. Le nombre de contrevenants ne fléchit pas, mais on eut moins souvent recours aux tribunaux. Schryburt était impressionnant : en 1923, lors d'un voyage de 29 jours qui l'amena dans les principales villes de l'Ontario, il régla le cas de près de 400 contrevenants38. Son travail ne devait pas être de tout repos, comme en fait foi cet échantillon de questions auxquelles il devait répondre : — — — —
Quelle est l'idée d'entamer des poursuites cette année, alors qu'il ne s'est rien fait pour 1919, 1920 et 1921? Pensez-vous nous intimider avec la loi, quand on sait que l'administration n'arrive pas à tirer des recettes de la taxe de vente? J'ai rempli toutes mes déclarations, sauf celle de 1922. Jean Dupont n'en a rempli aucune depuis cinq ans. Pourquoi vous en prendre à moi? Accepteriez-vous d'attendre ma déclaration jusqu'à ce que vous m'ayez assuré que je suis le dernier contrevenant en ville?39
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Schryburt avait réponse à tout. « La plupart du temps [...], je leur expliquais l'importance des statistiques et la nécessité de se conformer. » II se disait de l'avis suivant : « [...] si l'on tarde à mettre au pas les contrevenants, le recensement industriel perdra beaucoup de valeur et risquera même d'échouer complètement40. »
STATISTIQUE DU COMMERCE EXTÉRIEUR Lorsque le Bureau fut créé le 1er juillet 1918, on avait déjà réglé les ambiguïtés et les irrégularités qui découlaient des attributions de la statistique du commerce extérieur41 et que Coats avait déplorées dans son rapport sur le système national de statistique. D'abord, la Division de la statistique du commerce était passée en mars 1917 du ministère du Commerce au Bureau du recensement et de la statistique, facilitant ainsi la coordination des travaux d'analyse des données sur le commerce qui, jusque-là, étaient réalisés séparément. Ensuite, on s'employa à éliminer les chevauchements qui subsistaient entre le Bureau et le ministère des Douanes. Le ministère devait se charger de la collecte et de la compilation élémentaire des données, et le Bureau s'occupait d'analyser, d'interpréter et de publier les résultats. Mais les rapports avec le ministère étaient laborieux. En décembre 1918, Coats écrivit au ministre du Commerce par intérim : « II y a environ deux ans, le Bureau soumettait au ministère des Douanes un document sur une réforme des statistiques du commerce. [...] Devant son manque d'intérêt, nous avons proposé, environ un an plus tard, de renvoyer la question à un comité interministériel. La suggestion a été rejetée. [...] C'est ce qui explique que la Loi de la Statistique, adoptée pendant la dernière session, comporte des dispositions relatives aux renseignements sur le commerce42. »
Le décret C.P. 2503 du 12 octobre 1918 stipulait que les modalités d'application de la Loi seraient définies ultérieurement et autorisées au moyen de décrets. Le rapport mensuel des douanes avait déjà cessé de paraître au moment de l'adoption de la Loi. Le 1er avril 1918, le Bureau se mit à publier des rapports mensuels détaillés sur le volume et la valeur des importations et des exportations, respectivement par origine et destination, à partir des données fournies par le ministère des Douanes. Quant au rapport annuel que celui-ci devait produire en vertu de la Loi des douanes, le Bureau annonça qu'il serait « essentiellement un compte rendu administratif des droits perçus, toutes les statistiques du commerce purement analytiques étant reléguées au rapport qui leur est consacré par le Bureau43 ». Les travaux furent exécutés sans tarder, et le Bureau produisit un recueil annuel de quelque 1 500 pages44. Le Bureau s'efforçait sans relâche d'améliorer les rapports mensuels et annuels sur le commerce. Puisque la fraîcheur des données était cruciale pour le rapport mensuel, il lança un résumé mensuel préliminaire. Le rapport annuel de 1926-1927 présenta pour la première fois les « chiffres indicateurs » des importations et des exportations afin de montrer les fluctuations du volume des échanges commerciaux45. Par ailleurs, le Bureau innova par l'établissement de compilations spéciales à l'intention des exportateurs canadiens et autres, lesquelles s'appuyaient non seulement sur les données canadiennes, mais sur celles d'autres pays. 86
LA MISE EN OEUVRE DES PROGRAMMES
Dans le dossier de la statistique du commerce extérieur, le Bureau marquait des progrès eu égard aux attributions que lui conférait la Loi de la Statistique, mais les choses n'allèrent pas aussi rapidement et rondement avec le ministère des Douanes qu'avec les autres ministères qui fournissaient des statistiques issues de leurs opérations administratives — chemins de fer, mines, forêts et autres. Le Bureau ne tarda pas à conclure avec ceux-ci les ententes prévues par la Loi, alors que l'on prit rapidement les décrets nécessaires au transfert des fonctions statistiques et à la mutation du personnel affecté aux travaux dans les ministères visés. Il en alla tout autrement dans le cas des statistiques du commerce extérieur. Cinq années s'écoulèrent avant que le rapport annuel des Douanes prît la forme d'un « compte rendu des droits perçus ». Jusqu'au rapport de 1922-1923, il s'y trouvait plusieurs centaines de pages de tableaux sur les importations et les exportations par pays et par produits, ce qui faisait double emploi avec la publication annuelle du Bureau. Le ministère ne donna aucune explication sur sa lenteur à effectuer les changements, tandis que le Bureau annonça simplement que le « rapport annuel sur le commerce du Canada pour 1924 fut l'unique publication gouvernementale ayant vu le jour cette année, le rapport annuel des Douanes ayant été supprimé46 ». Les animosités personnelles jouèrent peut-être un rôle dans le différend qui opposa le Bureau et le ministère. Au milieu de 1918, John McDougald, commissaire des Douanes depuis des années, fut nommé sous-ministre. Quatre ans plus tôt, à titre de président de la Commission d'enquête sur le coût de la vie, il avait eu maille à partir avec Coats (l'un des membres de la commission) quant au rapport de la commission. De toute évidence, la statistique du commerce extérieur constituait un volet distinct de ceux dont il est fait mention plus haut. Le ministère estimait que les données n'étaient pas un sous-produit mais qu'elles s'inscrivaient dans son activité de perception de revenus. Tout en reconnaissant l'utilité d'une collaboration avec le nouveau bureau central, il voulait éviter tout empiétement sur sa fonction première, d'autant qu'il se méfiait du zèle que démontrait le Bureau pour promouvoir la mécanographie et en assurer la coordination à l'échelle des services. Il ne se laissa donc pas convaincre. Coats évoqua la question 15 ans plus tard : « Plusieurs obstacles [...] nous ont empêchés d'agir jusqu'à cette année, et le ministère des Douanes recourt désormais à des applications partielles de la mécanographie, qui seront étendues à toutes les fonctions en temps voulu47. »
Coats énuméra ensuite plusieurs améliorations nécessaires aux méthodes de compilation, ainsi que des analyses des statistiques du commerce extérieur où il eût été utile de compter davantage sur la participation du Bureau. En conclusion, il recommanda ce qui suit : « [...] que la division des statistiques du ministère des Douanes soit transférée au Bureau fédéral de la statistique et qu'elle y soit exploitée comme une division, en vertu d'un plan qui lui permettrait de répondre aux besoins administratifs du ministère tout en satisfaisant aux exigences grandissantes de nature purement statistique48. »
Coats eut gain de cause; le transfert fut autorisé par le décret C.P. 425 du 1er mars 1938.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE STATISTIQUE DES TRANSPORTS L'Acte des statistiques de chemins de fer, adopté en 1873, obligeait les exploitants d chemins de fer à fournir annuellement leurs états des revenus et dépenses et d'autres données, notamment sur le trafic, l'exploitation et les finances49. Les rapports furent acheminés au ministère des Travaux publics jusqu'en 1879, puis au nouveau ministère des Chemins de fer et des Canaux. Depuis la Confédération, on recueillait des données semblables quoique moins détaillées sur les canaux; s'ajoutèrent au fil des ans les statistiques des compagnies de télégraphe, de téléphone et de messageries. En 1903, la Commission des chemins de fer devint un organisme de réglementation; elle élargit la portée des statistiques en ce domaine, en s'inspirant des méthodes et des rapports de la commission américaine sur le commerce entre les États. Le ministère de la Marine et des Pêcheries conservait un registre du nombre de navires canadiens et de leur tonnage, et le ministère des Douanes fournissait des renseignements sur les bateaux en provenance et à destination de pays étrangers. Les chiffres du commerce permettaient une analyse de leur cargaison, mais ce genre de données n'existait pas pour le commerce côtier. La commission ministérielle de 1912 avait considéré la statistique des transport comme le portrait de l'une des grandes industries canadiennes et comme un rouage important de la production de données complètes sur le commerce intérieur. Dans son rapport de 1916, Coats préconisa l'harmonisation des données sur les transports et de résultats du recensement industriel, de manière à éviter le recours à des méthodes différentes pour le dénombrement des activités telles que la fabrication de matériel roulant. Il recommanda d'intégrer au bureau central proposé la Division de la statistique des chemins de fer, du ministère des Chemins de fer et des Canaux, et d'en faire la Division des transports. La Loi de la Statistique de 1918 confia au Bureau la responsabilité des statistiques relatives aux compagnies de transport, c'est-à-dire « toute compagnie de chemin de fer, de télégraphe, de téléphone et de messageries et tout voiturier par eau ». Les modalités du transfert devaient être précisées aux termes de dispositions prises en vertu du décret C.P. 2503. Ainsi, les statistiques des chemins de fer furent transférées par le décret C.P. 1754 du 29 août 1919; celles de l'énergie électrique, par le décret C.P. 2036 du 1er octobre 1919 celles des chemins de fer électriques, par le décret C.P. 2026 du 6 octobre 1922. Les statistiques des canaux avaient été transférées par le décret C.P. 617 du 20 mars 1919. Le ministère des Douanes produisait les rapports qui servaient à établir les statistiques du trafic maritime dans les ports canadiens, mais les négociations qui permettraient au Bureau de prendre en charge ces statistiques n'aboutirent que des années plus tard. Entre-temps, le ministère produisait toujours un rapport annuel sur la navigation, mais il ne s'y trouvait pas de données sur le trafic côtier ou intérieur. Le Bureau et le ministère tentèrent en vain d'amener les expéditeurs à établir des rapports sur leurs opérations de cabotage. Le Bureau fit part de son mécontentement au ministre; le sous-ministre F.C.T. O'Hara se montra peu réceptif. Dans un échange de notes avec O'Hara, Coats mentionna qu'en matière de statistiques sur la navigation, la position du Bureau vis-à-vis de l'industrie aurait sans doute été renforcée si l'on eût adopté les modalités pertinentes en vertu du décret C.P. 2503. Même s'il s'agissait d'un élément clé dans l'application de 88
LA MISE EN OEUVRE DES PROGRAMMES
la Loi de la Statistique, O'Hara lui répondit : « Je n'ai jamais entendu parler du décret C.P. 2503, et d'ailleurs il faut connaître l'année pour retrouver un décret50. » Les statistiques des chemins de fer connurent des débuts hésitants. Le ministère des Chemins de fer et des Canaux suivait d'un oeil inquiet la prestation du Bureau dans sa nouvelle fonction. En novembre 1920, J.L. Payne, du Bureau du contrôleur des statistiques, écrivit à O'Hara : « Mon sens du devoir me pousse à vous prévenir qu'il s'est glissé de très graves erreurs dans les statistiques des chemins de fer que le Bureau a préparées pour l'année 1919. [...] À moins qu'elles ne soient corrigées, le rapport n'a d'autre utilité que de couvrir de honte le gouvernement51. »
Payne attribua les erreurs à l'inexpérience de O.S. Wrong, chef de la division concernée. Les erreurs furent corrigées avant la publication du rapport, mais les retards occasionnés valurent au Bureau une autre réprimande. En mars 1921, Payne écrivit de nouveau à O'Hara : « Veuillez prendre note que le retard dans la publication des statistiques des chemins de fer frise le scandale. [...] Le Bureau, nous avait-on dit, allait s'occuper des rapports publics avec une efficacité que n'avait pas l'ancien système. Or, c'est tout le contraire qui s'est produit. Votre ministère s'expose au discrédit52. »
Une fois passé cet égarement initial, les statistiques des chemins de fer semblent s'être redressées. En 1931, une note indiquait qu'elles étaient assez complètes53, tout comme les données sur les chemins de fer électriques et les compagnies de télégraphe, de téléphone et de messageries étaient satisfaisantes quant aux éléments essentiels54. Ce qui n'était pas le cas des statistiques du transport maritime. Un recensement des navires immatriculés au Canada avait été effectué pour l'année 1918, et la qualité et la portée des statistiques des canaux avaient été améliorées, mais Coats dut se rendre à l'évidence : « À l'heure actuelle, il n'existe pas de statistiques du transport maritime semblables à celles des chemins de fer et des tramways; cette lacune a de fâcheuses conséquences pour les statistiques économiques55. »
Un vide était créé par l'étroite définition des transports (excluant le transport routier et le transport aérien) aux termes de la Loi de la Statistique. Dès 1922, Wrong attira l'attention de Coats sur ce problème et recommanda de modifier la Loi pour obliger les transporteurs exclus à produire des rapports statistiques. Ce fut en vain. La modification ne serait apportée qu'en 1948. Cette omission n'empêcha toutefois pas la production de données utiles sur l'aviation. Dans les années 1920, la jeune industrie de l'aviation relevait du ministère de la Défense nationale, responsable de la réglementation aérienne fédérale, et les rapports que la Commission de l'air devait soumettre en vertu de cette réglementation fournissaient une mine de données statistiques régulièrement publiées dans VAnnuaire du Canada. Entre les deux guerres, le Bureau ne mena pas d'enquêtes auprès de l'aviation civile, mais dès 1936, les données qu'il avait en main justifiaient la publication d'un rapport annuel. Dans les années 1920, les travaux avaient commencé en vue d'établir, à partir des données provinciales, des statistiques sur les routes non urbaines et les véhicules 89
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE motorisés — l'équivalent du réseau ferroviaire et du matériel roulant des chemins de fer. Mais rien n'était en place pour évaluer le transport routier des passagers et des marchandises. Cette lacune devint beaucoup plus évidente lorsque la Commission royale d'enquête sur les chemins de fer et les transports au Canada fut formée en 1931 pour examiner « les déficits sérieux et constants du National-Canadien et les recettes périclitantes du Pacifique-Canadien56 ». On pensait que le problème était en partie attribuable à la concurrence d'autres moyens de transport, mais les statistiques susceptibles d'éclairer la situation n'existaient tout simplement pas. La commission formula la recommandation suivante : « [...] les services de transport routier de voyageurs et les voituriers, publics ou à l'entreprise [...] devraient tenir une comptabilité d'après un système prescrit et rendre compte uniformément à l'autorité publique compétente57. »
Bien sûr, le Bureau se voyait comme cette autorité compétente. L'absence de statistiques du transport routier fut examinée à la Conférence des premiers ministres en 1933, puis à la Conférence des statisticiens du Commonwealth en 1935. Dans son rapport paru en 1940, la Commission royale des relations entre le Dominion et les provinces se montra en faveur de statistiques complètes du transport routier en recommandant « l'étude constante et spécialisée des multiples aspects corrélatifs de ce problème exceptionnellement enchevêtré58 ». Wrong revint sans cesse à la charge. Peu après la retraite de Coats, il rappela à Cudmore, devenu statisticien du Dominion par intérim, qu'il essayait « depuis bientôt 20 ans de faire modifier la Loi de la Statistique de manière à inclure les véhicules motorisés et les aéronefs dans la définition des compagnies de transport59 ». Pendant la Seconde Guerre, le Bureau se prévalut des pouvoirs conférés au régisseur des transports en temps de guerre pour mener en 1941 une enquête sur les véhicules motorisés. D'aucuns en contestèrent le fondement juridique, mais les problèmes se situaient en réalité sur le plan statistique. On ne put les aplanir complètement, à preuve cette remarque formulée une quarantaine d'années plus tard : « Bien que le transport routier ait connu la plus forte croissance de tous les moyens de transport, la qualité de ses statistiques est extrêmement variable. L'essor de ce moyen de transport a longtemps dépendu d'un grand nombre d'entrepreneurs qui ont pu lancer une affaire avec un capital initial limité et prendre de l'expansion sans avoir largement recours au marché des capitaux. Les problèmes de définition et de tenue à jour d'une liste des entreprises de camionnage créées et fermées ont énormément entravé la production de séries statistiques uniformes60. »
STATISTIQUE DU COMMERCE INTÉRIEUR Telle que l'envisageait Coats en 1916, la statistique du commerce intérieur comportait trois volets. D'abord, mesurer et analyser les mouvements interprovinciaux et interurbains des marchandises à partir de relevés mensuels. Ensuite, collaborer avec les divisions compétentes de certains ministères afin de compléter et d'analyser les données sur les échanges de marchandises telles que les céréales, le bétail et le poisson. Enfin, 90
LA MISE EN OEUVRE DES PROGRAMMES
rapprocher les données sur les prix, surtout ceux des producteurs et des grossistes, de manière à faire le lien entre les quantités et les valeurs. La guerre amplifia le besoin de toutes sortes de statistiques, surtout sur la production et le commerce. À cet effet, mentionnons l'étude que sir George Poster avait amorcée au début de 1917 en vue d'établir s'il y avait lieu de créer une commission du commerce intérieur, sur le modèle de la Commission fédérale du commerce des États-Unis, qui s'occuperait d'examiner les pratiques commerciales déloyales qui avaient proliféré pendant la guerre. Coats siégea au comité chargé de l'étude, et son influence se fit nettement sentir dans le rapport provisoire : « La mise en place d'un système de statistiques sur la production et le commerce intérieur est fondamentale aux travaux de tout organisme tel que le suggère maintenant le ministre. [...] À ce propos, le comité a examiné deux mémoires préparés par le Bureau, qui traitent respectivement du recensement industriel et des statistiques du commerce intérieur. Il sollicite l'autorisation de soutenir ces mémoires et de les porter à l'attention du ministre en lui recommandant de leur donner suite dans les meilleurs délais61. »
Coats exerçait simultanément des pressions sur O'Hara : « Eu égard à notre échange de notes sur le commerce intérieur, vous avez observé que le désordre qui caractérise les arrangements en matière de statistiques tient en bonne part à l'inactivité du Bureau et à la nécessité de recourir à d'autres ministères. Je crois que nous nous exposons grandement à un risque de cet ordre si nous tardons encore à nous occuper du commerce intérieur. Nous ne pouvons indéfiniment tenir à distance les autres ministères. Il y a lieu de craindre que si nous n'occupons pas ce terrain avec toute la compétence nécessaire au cours des prochains mois, d'autres s'en chargeront62. »
L'entrée des États-Unis en guerre, au printemps 1917, intensifia la demande de vivres et de produits industriels et obligea le Canada et les États-Unis à adopter des mécanismes de gestion de l'offre et de la demande à l'échelle du continent. Le Canada eut tôt fait de nommer un contrôleur des vivres, un contrôleur des combustibles et des surveillants pour la Commission des grains. Leurs travaux débouchèrent sur des rapports statistiques détaillés, et les données obtenues par les deux contrôleurs furent compilées au Bureau, plus précisément dans la nouvelle Division de la statistique du commerce intérieur. Coats recruta R.J. McFall, docteur de l'Université du Minnesota, à titre de chef de la division, dénotant ainsi l'importance qu'il y attachait. La Division des transports mesurait le commerce intérieur à partir des relevés du trafic et, dès 1921, elle publia un rapport mensuel du trafic ferroviaire de marchandises. Y figuraient les chargements et déchargements d'environ 70 catégories de marchandises, par province et pour les 15 principaux centres urbains, et ce genre de données permit l'évaluation des mouvements nets. Des statistiques hebdomadaires sur les envois par wagon furent produites ultérieurement. Dans 1'entre-deux-guerres, toutefois, le transport maritime — canaux ou navigation côtière — ne connut pas d'évolution semblable. Pendant les premières années de l'après-guerre, la Division de la statistique du commerce intérieur, de concert avec des ministères et organismes fédéraux, fit de grands pas dans la mise au point des statistiques sur la production commerciale. Deux programmes furent institués dans le sillage du décret C.P. 2503 du 12 octobre 1918 : 91
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE celui des statistiques sur le bétail et les produits d'origine animale, autorisé par le décret C.P. 1246 du 31 mai 1920; et celui des statistiques sur les céréales, auquel pourvut le décret C.P. 3362 du 13 septembre 1921. La Commission des grains fournissait les principales données sur l'inspection, le pesage, la livraison, l'entreposage et le transport des céréales63. Un troisième décret — C.P. 1892 du 12 août 1920 — suivit l'adoption, en 1919, de la Loi des coalitions et des prix raisonnables, qui marquait l'aboutissement de l'initiative de Poster en 1917. Cette loi avait créé une commission de commerce et stipulait que les rapports requis devaient parvenir à celle-ci ou au statisticien du Dominion. Mais le décret disait : « Lorsque la commission doit établir des rapports statistiques périodiquement, elle doit s'adresser au Bureau fédéral de la statistique, qui les fera exécuter sous son autorité immédiate et selon les exigences fixées par la commission pour la portée des données, la méthode de collecte, la compilation, l'utilisation, etc. Les travaux accomplis en ce sens par la division économique de la commission ainsi que le personnel attitré sont ainsi transférés au Bureau, qui doit les intégrer à ses structures. »
Ces arrangements furent conclus sans heurt et d'autres modalités — non assujetties à un décret — furent mises en place, notamment pour la conservation à froid, l'usinage de céréales et le sucre. Dans ses différents rapports annuels, le statisticien du Dominion signala l'élargissement et l'amélioration des statistiques. En 1927, F.J. Horning, qui avait succédé à McFall en 1920 à la tête de la Division de la statistique du commerce intérieur, fut nommé chef de la Division de la statistique de l'agriculture après le départ à la retraite d'E.H. Godfrey. Il conserva la charge du programme de statistiques des marchandises, qui vint à englober la presque totalité du mouvement des produits de la ferme sur les marchés intérieurs et étrangers. La Division de la statistique du commerce intérieur s'était toutefois approprié les domaines qui allaient devenir sa principale responsabilité, à savoir le commerce de gros et de détail ainsi que la fourniture de services commerciaux. On s'inspira du succès qu'avait obtenu Coats dans l'établissement d'un système de statistiques sur la production pour élaborer un recensement de la distribution. Ainsi, lors du recensement décennal de 1921, les recenseurs avaient dressé à l'aide d'un questionnaire une liste des établissements spécialisés dans le commerce de gros et de détail, qui devait servir à réaliser en 1924 une enquête postale couvrant l'année 1923. Le Bureau reçut les questionnaires de 66 814 établissements, soit les deux tiers environ du total. Faute de crédits, il ne put assurer un suivi, mais la plupart des non-répondants, croyait-on, étaient des établissements de petite taille, de sorte que les données publiées (capital, ventes, etc.) devaient représenter beaucoup plus que les deux tiers du total pour le pays. C'est pourquoi il fut possible d'affirmer dans le rapport du recensement paru en 1928 que les données, bien qu'incomplètes, étaient représentatives des conditions réelles64. Dans les années 1920, la distribution et les activités connexes prirent une telle ampleur qu'à l'approche du recensement décennal de 1931, le Bureau décida de recenser ce domaine une nouvelle fois. Le recensement canadien, sauf pour sa couverture des établissements de service, devait être comparable à celui de la distribution qui se 92
LA MISE EN OEUVRE DES PROGRAMMES
tiendrait aux États-Unis65. Le suivi fut plus rigoureux que la première fois; d'après les estimations, le taux de non-réponse dépassait à peine 5 % pour les établissements de détail. Dans un ouvrage préparé pour la Conférence des statisticiens du Commonwealth, tenue à Ottawa en 1935, on put lire ce qui suit : « La tenue d'un recensement complet des établissements de commerce et de service compte parmi les grandes réalisations de la Division de la statistique du commerce intérieur. [...] Les questionnaires ont permis de répertorier 23 types d'établissements. Ils ont été retournés par 125 003 commerçants de détail, 13 140 commerçants de gros et 42 223 établissements de service de détail. Il s'est fait une ventilation selon le type de marchandises, le chiffre de vente et le type d'activité, le pourcentage de transactions de crédit, etc., et selon la province et la localité. [...] Le recensement est sans équivalent au monde. Il a servi à fournir des données détaillées et complètes sur la distribution au Canada à une foule d'utilisateurs — législateurs, commerçants, économistes, étudiants en commerce, sans oublier les secteurs commerciaux66. »
Outre sa valeur intrinsèque, le recensement posa les jalons d'une enquête annuelle sur le commerce de gros et de détail. Après 1931, la statistique des prix constitua la deuxième activité en importance de la Division de la statistique du commerce intérieur. À l'époque où Coats se trouvait au ministère du Travail, il avait fait oeuvre de pionnier en ce domaine, en produisant en 1910 une étude des prix de gros au Canada pour la période 1890-1909. Plus tard, les données furent actualisées au moyen d'une publication annuelle. L'étude visait à calmer les inquiétudes engendrées par la hausse rapide du coût de la vie dans la première décennie du siècle; le choix des prix de gros s'expliquait par l'abondance de données publiées dans la presse commerciale et financière, entre autres. Dans le même temps, on se pencha sur les prix de détail, et les correspondants du ministère fournirent les relevés nécessaires pour mesurer les fluctuations mensuelles du budget synthétique d'un travailleur. La Première Guerre eut pour effet de rehausser le profil de ces travaux, tant et si bien qu'une division du coût de la vie fut mise sur pied pour répondre aux besoins formulés notamment par le Contrôleur des vivres et, ensuite, par la Commission canadienne du ravitaillement. Après la création du Bureau en 1918, la responsabilité des relevés des prix passa à la Division de la statistique du commerce intérieur, qui achemina des rapports mensuels et annuels au ministère du Travail aux fins de publication dans la Gazette du travail. Cet arrangement fut interrompu en 1919 et 1920, lorsque la nouvelle Commission de commerce prit en charge les relevés des prix et la collecte d'autres données auprès des mêmes répondants. Les résultats furent lamentables. Les délais de publication s'allongèrent, et le taux de réponse diminua en raison du peu d'estime que le milieu des affaires portait à la commission. En août 1920, le décret C.P. 1892 redonna le mandat à la Division de la statistique du commerce intérieur. L'entente fut officialisée par le décret C.P. 2109 du 16 octobre 1922, en vertu duquel le ministère du Travail et le Bureau se répartissaient les responsabilités en matière de statistiques sur le travail et les prix. Herbert Marshall s'occupa des prix pendant la majeure partie des années 1920 et tira avantage des statistiques de l'industrie et de l'agriculture, qui fournissaient les prix des producteurs, et des nouvelles statistiques commerciales de la division, qui offraient une 93
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE autre source de données sur les prix de gros. Pendant la décennie, les relevés des prix s'appuyèrent de plus en plus sur des méthodes directes. Il fut ainsi possible d'étoffer les statistiques des prix de gros et de détail, en plus d'innover dans plusieurs domaines. La division se vit alors confier une responsabilité qui n'avait pas été envisagée dans la planification de la statistique du commerce intérieur, à savoir les chiffres de la balance des paiements. En 1915, Coats avait établi des évaluations sommaires des invisibles de la balance des paiements, et le travail suscita beaucoup d'intérêt dans les milieux universitaires. Jacob Viner s'y intéressa au point de publier un important ouvrage à ce sujet67. Au début des années 1920, des universitaires tels que Frank A. Knox, K.W. Taylor et Frank Southard se penchèrent aussi sur la question. En 1926, le Bureau décida de produire des statistiques de la balance des paiements et en confia la tâche à Marshall. On s'intéressa d'abord aux investissements étrangers au Canada et aux investissements canadiens à l'étranger, compte tenu de leur importance pour la balance des paiements et l'expansion économique. La Division de la statistique du commerce intérieur constitua une série de profils des entreprises — succursales, filiales et usines sous leur contrôle. En s'appuyant sur les données ainsi rassemblées, Marshall, Southard et Taylor publièrent en 1936 une étude sur l'investissement canado-américain68. En 1939, Marshall se vit décerner la prestigieuse Médaille d'or par l'Institut professionnel du Service public du Canada pour ses travaux novateurs sur la balance des paiements.
AUTRES PROGRAMMES Outre les programmes prioritaires que Coats mit en route ou mena à terme pendant les premières années du Bureau, il en est d'autres, de nature discrétionnaire, qui eurent un effet non négligeable sur la structure du programme global. Ils sont présentés ci-dessous.
STATISTIQUE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE En 1918, la statistique de l'instruction publique posait des difficultés semblables à celles de l'état civil, à savoir que les deux domaines étaient de compétence provinciale. Les données se prêtaient mal aux comparaisons entre provinces, et rien ne permettait d'établir des analyses et des sommaires à l'échelon national. Dans son rapport de 1916, Coats avait recommandé : « [...] que par la voie de discussions avec les ministères provinciaux de l'Instruction publique, il conviendrait d'harmoniser les données en ce domaine parce qu'elles ne sont pas de nature à faciliter la coordination; et qu'en définitive il faudrait en confier la collecte et la publication à une division centrale, comme c'est le cas aux États-Unis69. »
L'Annuaire du Canada de 1916-1917 comportait une section sur l'instruction publique, qui résumait les statistiques de l'analphabétisme et de la fréquentation scolaire tirées du recensement, et qui énonçait les points saillants des systèmes d'instruction publique au pays. Des tableaux montraient pour chaque province les principales statistiques annuelles sur l'instruction publique depuis le début du siècle. Mais comme l'indiquait le Premier rapport annuel du statisticien du Dominion, 1918-1919, « ce
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LA MISE EN OEUVRE DES PROGRAMMES
faisant il avait surtout en vue de mettre en lumière les lacunes et les impossibilités de comparaison qui existent dans les conditions annuelles70 ». Dans l'une des notes détaillées de son rapport de 1916, Coats présentait une réforme qui consistait à modifier certaines pratiques des provinces, à définir les limites des enquêtes fédérales et provinciales, et à susciter la collaboration du Bureau et des ministères provinciaux pour les besoins d'un système national de statistiques sur l'instruction publique. Au terme de discussions avec les ministères provinciaux, une entente fut conclue quant à la faisabilité du projet, le but visé étant la normalisation plutôt que l'uniformisation. En 1918, l'Association de l'instruction publique du Dominion du Canada approuva par résolution le plan qu'envisageait le Bureau. La mise en oeuvre du projet fut assurée par la Division de la statistique de l'instruction publique, qui se trouva d'abord sous la gouverne de S.A. Cudmore, chef de la Division de la statistique générale, avant d'être placée sous l'autorité d'un chef attitré, M.C. MacLean. En octobre 1920, le projet fut approuvé à l'occasion d'une conférence fédérale-provinciale. Les provinces continuèrent de recueillir des données — effectifs, fréquentation, enseignants, locaux et installations, dépenses, etc. — pour les écoles primaires et secondaires, et le Bureau se chargea d'obtenir celles qui se rapportaient aux écoles privées et aux établissements postsecondaires. En 1921 fut publié l'Aperçu historique et statistique sur l'instruction publique au Canada11, qui s'appuyait essentiellement sur la section parue dans Y Annuaire du Canada. Le rapport annuel de 1921-1922 soulignait néanmoins que l'ouvrage avait occasionné « des recherches considérables sur le terrain jusqu'ici resté en friche qu'est celui de la statistique » et qu'il fallait le considérer comme un « premier essai substantiel statistique sur l'enseignement au Canada72 ». Les données courantes commencèrent à paraître en 1922, dans le Rapport statistique annuel sur l'instruction publique1^, et la division se mit à explorer des domaines périphériques, notamment les bibliothèques publiques et les associations de terrains de jeux. En particulier, elle entreprit d'analyser les statistiques courantes de l'instruction publique en regard des données du recensement, et publia des études sur l'analphabétisme et la fréquentation scolaire au Canada. À la fin des années 1920, le programme de statistiques sur l'instruction publique était bien en place. En 1935, J.E. Robbins succéda à MacLean et poursuivit avec brio la tradition analytique établie par son prédécesseur. En 1931, il avait publié une importante monographie du recensement sur la dépendance des jeunes, laquelle servit à la planification sociale pendant et après la guerre.
STATISTIQUE DE LA SANTÉ Dans les années 1880, le ministère de l'Agriculture avait lancé une initiative — de courte durée — pour recueillir des données sur les décès en vue d'étoffer et d'améliorer les données provinciales en matière de santé publique, notamment sur les maladies transmissibles. La question refit surface en 1912; la commission ministérielle avait repris dans son rapport les propos du comité d'hygiène publique créé par la Commission de conservation du Canada : 95
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE « Des statistiques vitales correctes et exactes sont la base des mesures hygiéniques modernes; elles sont la règle qui permet déjuger du progrès fait contre les maladies de toutes sortes, et par laquelle nous obtenons des renseignements qui nous permettent de marcher de l'avant74. » Ainsi, quelques années après la mise en place d'un système national de statistiques de l'état civil, le Bureau amorça l'élaboration de statistiques sur les maladies transmissibles, ou à déclaration obligatoire. Dans son rapport de 1924-1925, le statisticien du Dominion précisait : « Des rapports épidémiologiques mensuels furent colligés et transmis à la section d'Hygiène de la Ligue des Nations, à Genève75. » S'il était relativement facile d'obtenir des données sur ces maladies, ce n'était pas le cas pour les autres maladies, si bien qu'il fallut attendre la fin de la Seconde Guerre pour élaborer des statistiques de morbidité, comme on vint à les appeler. Le recours accru à l'hospitalisation dans les années 1920 entraîna, en 1931, la tenue d'une enquête auprès des établissements hospitaliers. L'enquête visait non seulement les hôpitaux et les asiles, mais également les organismes de bienfaisance et les établissements pénitentiaires. Elle s'intéressait à la population hébergée en 1930 — admissions, congés, durée de séjour, et ainsi de suite —, et aux questions d'ordre financier comme les revenus et dépenses et la valeur de l'actif. Le Bureau en fit par la suite une enquête annuelle, en vertu d'une entente de collaboration conclue avec les provinces pour la production des déclarations et l'uniformisation de méthodes comptables. Pendant les dix années qui suivirent, ces travaux incombèrent à la Division des enquêtes auprès des établissements, créée en 1931. Ce fut seulement en 1947 que ses éléments furent regroupés avec les travaux apparentés d'autres divisions pour former la Division de la santé et du bien-être.
STATISTIQUE DE LA CRIMINALITÉ Les données sur la criminalité étaient recueillies chaque année depuis 1876. Le Bureau du recensement et de la statistique s'en vit confier la charge en 1912, en vertu de la loi de 1905. Les données surent toujours répondre aux attentes; d'ailleurs la commission ministérielle n'eut rien à redire à cet égard. Il existait une seule autre source importante de données en ce domaine : les rapports annuels des inspecteurs des pénitenciers fédéraux, publiés par le ministère de la Justice. Dans son rapport de 1916, Coats recommandait d'élargir le rôle de la division du Bureau chargée de recueillir ces renseignements et de lui attribuer la coordination de l'ensemble des données sur l'administration de la justice, « en particulier les statistiques sur les prisons et les pénitenciers en plus des chiffres sur les condamnations76 ». La Loi de la Statistique de 1918 permit de mettre en oeuvre cette recommandation. Créée sous la gouverne de R.E. Watts, la Division de la statistique juridique continua de publier les données dans le Rapport statistique annuel sur la criminalité, dont la 50e édition couvrait l'année terminée le 30 septembre 1926. Dans les années 1920, les données sur la délinquance juvénile furent nettement améliorées et en 1927 un bulletin fut publié à leur sujet. La division publia aussi des données sur les actes criminels visés par la Loi de l'opium et des drogues narcotiques et sur les opérations policières.
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LA MISE EN OEUVRE DES PROGRAMMES
Dans son premier rapport annuel, Coats laissait entendre que des données sur la justice civile seraient publiées sous peu, mais trois ans plus tard, le rapport de 1921-1922 indiquait seulement un projet « qui pourra servir de base de discussion, advenant que l'on reconnût la nécessité de créer un jour ou l'autre un service statistique de cette nature77 ». Les autres rapports n'en disaient mot et 70 ans plus tard, on n'avait pas encore de données sur les causes civiles.
STATISTIQUE DES FINANCES PUBLIQUES Au chapitre des finances publiques, la commission ministérielle de 1912 s'intéressa uniquement à celles des administrations municipales. Qui plus est, elle examina les données dans le contexte des statistiques de la population et de l'état civil, et non par rapport à d'autres administrations publiques. La commission formula l'opinion suivante : « [...] il y aurait de sérieux avantages dans des comparaisons annuelles statistiques entre les grandes villes et les municipalités canadiennes, dans le but de leur faire connaître leurs populations respectives, leurs statistiques vitales et d'hygiène, leurs actifs, leurs dettes de débentures, leurs fonds d'amortissement, et des chiffres se rapportant aux services publics de l'eau, des transports, de la lumière, de l'énergie motrice, etc.78 »
À l'époque, l'Union canadienne des municipalités réclamait depuis longtemps l'adoption d'une comptabilité municipale uniforme pour l'ensemble du pays et avait élaboré une classification dont les détails étaient présentés en annexe au rapport. Figuraient également les commentaires émis par le Bureau en 1909, dont voici la conclusion : « Chaque province [...] devrait publier un rapport statistique sur ses propres municipalités. Mais il serait utile, aussi, de préparer un rapport pour toutes les provinces du Dominion, et je suggérerais [sic] qu'en établissant la législation nécessaire pour accomplir ce travail dans chaque province, on exigeât des fonctionnaires municipaux de faire leurs rapports statistiques en duplicata, et d'en envoyer des copies aux bureaux fédéraux et provinciaux, respectivement79. »
En 1916, Coats invita de nouveau les provinces à collaborer à un système de statistiques municipales. Il recommanda par ailleurs que le système englobât « tout le domaine des revenus et dépenses publics80 », puisque ce genre d'information était de plus en plus en demande du fait de l'importance que le Canada occupait sur les marchés monétaires du monde. Le Bureau envisagea de créer une division chargée de la statistique des finances publiques — couvrant les trois ordres de gouvernement — et des finances privées. Cependant, la Division de la statistique des finances, mise sur pied sous l'autorité de J.R. Munro dans les années 1920, s'occupait uniquement des finances publiques81, et son nom fut modifié en conséquence. En 1921, la division se mit à dresser une classification type et une méthode de déclaration des finances provinciales et municipales. Pendant plus de dix ans, elle tenta sans succès de faire adopter ces normes et d'autres modalités par les autorités provinciales et municipales. Les statistiques publiées étaient incomplètes ou 97
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE incohérentes, et la division dut faire des prouesses d'analyse pour les rendre utiles, voire intelligibles. Les données produites à l'échelon fédéral avaient peu rapport aux finances publiques. Dans les années 1920, la classification et la rémunération des fonctionnaires étaient une source constante de difficultés pour le gouvernement et le mettaient souvent dans l'embarras82. En 1924, le premier ministre commanda une enquête statistique pour dénombrer les fonctionnaires et établir les dépenses salariales de 1912 à 1924. L'enquête fut ensuite menée tous les mois auprès des ministères, selon une méthode uniformisée. La division languissait, mais elle connut un regain d'activité en 1933, la crise ayant placé les finances publiques parmi les enjeux politiques. Ainsi, une conférence fédéraleprovinciale présidée par le premier ministre aboutit à la conclusion suivante : « [...] la nécessité de disposer de statistiques exactes et comparables en matière de finances publiques étant manifeste, il est recommandé que le statisticien du Dominion se mette en contact avec le trésorier ou le statisticien de chaque province en vue d'obtenir des données statistiques selon une classification uniforme83. »
En septembre 1933, des représentants du Bureau, des ministères provinciaux du Trésor et du ministère fédéral des Finances s'entendirent sur un ensemble de formulaires qui serviraient à la production de statistiques sur les finances des provinces. En 1935 fut publié le premier rapport annuel fondé sur le nouveau système. Par la suite, l'expansion du programme de statistiques sur les finances publiques permit de répondre aux besoins de la Commission royale des relations entre le Dominion et les provinces, dont il est question au chapitre VIL Annuaire du Canada et guide Canada Dans son rapport de 1916, Coats prévoyait que le bureau central fournirait les « données essentielles » à l'administration publique par le regroupement des grands volets de la statistique socioéconomique. La création de divisions spécialisées et le développement des programmes dont traite le présent chapitre rapprochèrent le Bureau de ce but pendant ses dix premières années d'existence. Coats fit remarquer : « [...] ce ne sont pas là toutes les statistiques nécessaires. De plus en plus souvent, les problèmes exigent une nouvelle démarche et de nouvelles combinaisons de données. » D'où le besoin d'un « laboratoire national » ou d'un « organe central de réflexion » capable d'observer et d'interpréter les phénomènes socioéconomiques à partir d'une perspective élargie. Optimiste, Coats prédit alors que les commissions d'enquête sur le coût de la vie, l'économie et autres sujets n'auraient plus leur utilité et que les données de base seraient aisément accessibles84. Il fut fortement influencé par la création, en 1916, du Conseil consultatif honoraire de recherches scientifiques et industrielles (l'actuel Conseil national de recherches), appelé à conclure des arrangements semblables pour les sciences physiques au Canada. Selon lui, le Bureau était naturellement tout désigné pour fournir le service économique et social, et la Division de la statistique générale — chapeautée par le professeur S.A. Cudmore, nouvellement recruté — en était l'organe fonctionnel dont les travaux s'articulaient autour de VAnnuaire du Canada. Comme en témoigne l'histoire de la division, Coats ne vit pas se réaliser les attentes qu'il avait 98
LA MISE EN OEUVRE DES PROGRAMMES
fixées en matière de recherche socioéconomique. La division fut surtout connue pour l'Annuaire du Canada et le guide Canada. À l'époque d'Archibald Blue, l'Annuaire du Canada était devenu un simple « résumé statistique ». La commission ministérielle ayant trouvé son orientation trop étroite, on confia à E.H. Godfrey la tâche d'en étoffer le contenu. Cudmore remplaça Godfrey peu après son arrivée au Bureau. L'édition de 1918 constituait un volume anniversaire; deux sections étaient intitulées Histoire de la Confédération et Cinquante ans de progrès. D'autres textes de recherche parurent dans les années 1920 et le contenu statistique s'élargit à mesure que se développaient les programmes du Bureau. Cette évolution fut bien accueillie, mais en se transformant en outil de référence encyclopédique, l'Annuaire s'éloignait de l'objectif établi à l'origine. On jugea donc opportun de lancer un ouvrage semblable, au contenu allégé et de facture agréable. En 1927, le comité organisateur de la célébration du 60e anniversaire du Canada demanda au Bureau de préparer l'ouvrage intitulé Jubilé de diamant de la Confédération du Canada : Soixante années de prospérité, 1867-1927*5, qui comptait environ 170 pages et 70 gravures, cartes et graphiques. On en distribua plus de 180 000 exemplaires en français et en anglais, aux frais du comité; les écoles et les membres du clergé en reçurent un automatiquement. Dans l'avant-propos, l'honorable James Malcolm, ministre du Commerce, formulait le voeu suivant : « [...] ce petit livre fournira d'intéressants sujets de causerie aux orateurs publics, aux instituteurs et aux autres personnes qui auront un rôle à jouer dans la célébration, puisqu'il échelonne, sous une forme aisément accessible, les étapes de notre marche sur la route du progrès. »
L'accueil du public fut à ce point favorable que trois ans plus tard parut le guide Canada 1930, que l'on souhaitait rééditer chaque année. Malgré le tirage limité — les frais étaient à la charge du Bureau —, l'ouvrage connut un succès immédiat et depuis, il n'a jamais cessé d'être publié. Son contenu fut souvent adapté pour répondre à des besoins particuliers ou pour souligner des événements spéciaux. Ainsi, en 1932, une édition de luxe fut remise aux délégués de la Conférence économique impériale, et la Chambre de commerce italienne au Canada la fit traduire en italien, à ses frais, pour diffusion en Italie et dans d'autres pays où cette langue était parlée. On le retrouva même dans des endroits inusités : au moment de faire paraître Canada 1936, le sous-ministre J.G. Parmelee suggéra à Coats d'en envoyer des exemplaires à la compagnie Cunard White Star Line, qui voulait obtenir des ouvrages de référence pour les bibliothèques de la première classe et de la classe touristique de ses navires, en particulier le Queen Mary86. De par son rôle dans la production de l'Annuaire, la Division de la statistique générale devint une source d'information pour d'autres organisations et fut appelée à traiter un éventail de demandes de renseignements. Tout au long des années 1920, ses travaux furent décrits dans les rapports annuels du statisticien du Dominion. Dès le début de cette décennie, le Bureau mit à la disposition de son personnel et du public une bibliothèque surtout constituée de publications statistiques canadiennes et étrangères et d'ouvrages de méthodologie statistique. M"e O.S. Lewis, la première bibliothécaire, se distingua dans son travail jusqu'à sa retraite en 1951. 99
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE SERVICE DE PUBLICITÉ Au début de 1932, le Bureau chargea un ancien journaliste, James Muir, de mettre sur pied un service de publicité, qui allait se transformer en un véritable service d'information. Les locaux étaient situés dans la Division de l'administration, peut-être bien parce que Coats voulait exercer une surveillance immédiate. Muir devait résumer les parutions les plus récentes et en présenter les points saillants aux quotidiens de langue française et de langue anglaise. En février 1932 paraissait le premier Bulletin quotidien du BFS. En octobre, ce fut au tour du Bulletin hebdomadaire du BFS, qui s'adressait surtout aux hebdomadaires des petites villes et des régions rurales du pays. En 1933, le concept fut adapté à la radio. Chaque jour, le Bureau faisait parvenir une capsule d'information de deux minutes à la Commission canadienne de radiodiffusion. Tous les mois, les capsules étaient réunies en un bulletin qui fut très prisé par les enseignants.
STATISTIQUES « BAROMÉTRIQUES » Coats avait constaté en 1919 qu'il fallait : « [...] un exposé sommaire plus fréquent des principaux mouvements de la production, du commerce, des finances, de l'immigration et autres similaires fournissant une base à l'analyse des facteurs qui les régissent, et mettant en relief leurs tendances dominantes87. »
Des statistiques « barométriques », ainsi que les appelait Coats, commencèrent à paraître lorsque la responsabilité de l'indice mensuel de l'emploi dans l'industrie passa du ministère du Travail au Bureau à la fin de 1922. Autorisé par le décret C.P. 2109 du 16 octobre 192288, le transfert s'inscrivait dans les dispositions générales devant permettre de mieux répartir les attributions entre les deux organisations, conformément au décret C.P. 2503. L'indice avait été mis au point en 1918 dans le cadre des efforts destinés à réduire le chômage qui était censé se manifester après la guerre. En 1922, le ministère songeait à abandonner l'enquête afférente, ce qui mena sans aucun doute à l'adoption du décret C.P. 2109. Le transfert de responsabilité s'accompagna de la mutation du personnel, dont Mlle M.E.K. Roughsedge, qui collabora à la production de ces statistiques jusqu'à la fin des années 195089; elles comprenaient alors la rémunération et la durée du travail. Un ou deux ans plus tard, la Division de la statistique générale publia deux autres séries barométriques : les débits bancaires de comptes individuels (janvier 1924), une mesure de l'activité bancaire, et les faillites commerciales (février 1925). En outre, la Division de la statistique du commerce intérieur produisait un indice mensuel du commerce de gros, tandis qu'en 1923 la Division des transports se mit à publier chaque semaine un rapport des chargements des wagons. Coats disposait maintenant de données suffisantes pour présenter un sommaire plus fréquent de l'activité commerciale, si bien qu'en janvier 1926 commença à paraître la Revue mensuelle de la situation économique, dont le mérite revient à Sydney B. Smith et qui fut renommée plus tard Revue statistique du Canada. Smith avait participé au recensement industriel avant d'être muté à la Division de la statistique générale — notamment à cause du travail d'observation de la 100
LA MISE EN OEUVRE DES PROGRAMMES
conjoncture économique qu'il avait accompli à titre personnel en employant la méthodologie des publications américaines et anglaises. En peu de temps, la liste des abonnements payés90 grimpa à 1 300. Le Bureau formula une mise en garde : il cherchait non pas à interpréter les données, mais à présenter les éléments voulus pour leur interprétation91.
STATISTIQUE DU REVENU NATIONAL ET DE LA RICHESSE Au début des années 1920, la Division de la statistique générale publia les premières données sur le revenu national et la richesse, même si dans son premier rapport annuel, Coats avait prévu que la nouvelle Division de la statistique des finances les produirait parallèlement à celles de la dette publique et des impôts. Quelques années plus tôt, à partir des données du recensement et de statistiques connexes, Coats avait estimé la valeur des investissements dans différents secteurs — agriculture, industries manufacturières, immobilier, infrastructures publiques, etc. — et le revenu des salariés et des travailleurs indépendants. L'article qu'il publia à titre officieux connut une large diffusion 92 et il entreprit en 1919 de rédiger un article plus fouillé. Il y présenta des estimations du revenu et de la richesse pour 1911 et 1918, dont des variantes furent reproduites dans la presse financière canadienne et américaine. Il prit soin de dissocier le Bureau des chiffres publiés. Mais peu après, la portée et la qualité des données sur la population et l'agriculture tirées du recensement de 1921 ainsi que des résultats du recensement industriel permirent de produire des estimations plus fiables, dont la parution dans Y Annuaire du Canada de 1922-1923 consacra la légitimité. Le calcul était expliqué comme suit : «[...] on peut obtenir une évaluation approximative du revenu national en prenant pour base les revenus déclarés, auxquels on ajoute un certain coefficient pour tenir lieu des évasions et en estimant le revenu des citoyens qui échappent à cet impôt. »
Mais on faisait une mise en garde : « [...] une statistique de cette nature n'a aucune prétention à l'exactitude parfaite [sic]93. » En 1923, une nouvelle publication annuelle, Y Enquête sur la production au Canada, laissait entendre qu'il était possible d'obtenir une estimation grossière du revenu national en calculant la valeur nette dégagée par le secteur des biens, en y ajoutant la valeur estimative du secteur des services, et en supposant une productivité égale des effectifs dans les deux secteurs, compte tenu de l'amortissement, etc. L'édition de 1925 présentait une telle estimation. Une fois corrigée et révisée, la méthodologie servit pendant dix ans à l'estimation du revenu national. En 1934 fut publiée la première étude approfondie du revenu national, à partir des données recueillies en 1931 par les recensements de la population, de l'agriculture, de la distribution et de l'industrie. Trois mesures étaient alors utilisées pour établir le chiffre du revenu national pour 1930, calculé selon la méthode décrite plus haut. La première consistait à estimer la valeur nette dégagée par le secteur des services, en s'appuyant sur le recensement de la distribution, et à l'ajouter à la valeur nette dégagée par le secteur des biens. La deuxième consistait à ajouter aux salaires et traitements tirés du recensement de la population une estimation du revenu immobilier, qu'on obtenait en 101
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE appliquant au total des salaires et traitements canadiens le rapport entre le revenu immobilier et les salaires aux États-Unis. La troisième consistait à estimer les dépenses réalisées au moyen du revenu national à partir des données qui portaient, entre autres, sur les ventes de détail, la construction, l'assurance et l'instruction publique. Ces mesures étaient censées corroborer les chiffres obtenus par la méthode originale, qui continua à s'appliquer jusqu'en 193794. On eut tôt fait de constater qu'une telle méthode n'allait pas fournir de mesures valides de la production nette du secteur des services dans les années intercensitaires, et on l'abandonna. On tenta alors d'utiliser les statistiques du revenu individuel, mais cette approche n'était pas non plus satisfaisante et elle fut délaissée en 1941. Le Bureau essaya une autre méthode avant la fin de la guerre, à la lumière de nouvelles théories provenant de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Nous en reparlerons dans les chapitres suivants.
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CHAPITRE VI
1918-1939: La lutte du Bureau pour sa reconnaissance
RAPPORTS HIÉRARCHIQUES DE COATS Entre 1922 et 1926, sous l'effet de la révision des méthodes administratives et des rapports hiérarchiques au ministère du Commerce, le Bureau vit diminuer de beaucoup son pouvoir — qui était déjà une source d'insatisfaction pour Coats — et les moyens mis à sa disposition. La situation allait durer une quarantaine d'années et atteignit son point culminant entre les deux guerres1. Tout débuta au printemps 1915 lorsque Coats répondit à l'invitation de Poster de prendre les rênes du Bureau du recensement et de la statistique et de donner suite aux recommandations du rapport de la commission ministérielle. « Je suis prêt à m'en charger, écrivit-il, et suis confiant qu'avec votre appui, l'organisme pourra se mesurer à ceux que l'on trouve ailleurs. » Mais il émit des réserves quant au statut que Poster envisageait pour le Bureau : « Vous laissez entendre qu'il faudra peut-être me muter au même niveau (celui de premier commis). Je crois que cela imposerait un handicap. [...] D'emblée, la situation exige un travail dynamique et constructif, tant pour le recensement que pour les autres tâches. [...] Ce serait aller à l'encontre du succès espéré que d'abaisser le statut dont le Bureau a toujours bénéficié — surtout à la lumière des projets envisagés. Certes, je ne suis pas insensible à l'objet de vos remarques, à savoir que le poste devrait être celui de sous-ministre, et au fait que vous n'en ayez pas traité dans notre récente conversation2. »
En évoquant le statut dont le Bureau avait toujours bénéficié, Coats se rappelait Archibald Blue qui, à ses débuts en 1900, était rémuméré à un taux supérieur à celui d'un sous-ministre. Par « travail dynamique et constructif », il entendait ce que le bureau central aurait à faire pour intégrer les travaux statistiques des ministères dans le plan d'ensemble et pour mener ses enquêtes auprès de la population et des entreprises. La question, dès lors, débordait l'exercice du pouvoir. Le Bureau devait maintenir l'intégrité et l'objectivité prévues par son mandat et se montrer autonome vis-à-vis du ministère tout en étant comptable à un ministre. Rien n'indique que Coats reçut une réponse de Poster. Il obtenu! une hausse de traitement dans la classification qu'il occupait à l'époque, soit la division IA3, et il semblait satisfait d'attendre que Poster fît le
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE nécessaire en temps opportun. Mais par la suite il indiqua expressément qu'il avait accepté le poste à condition d'obtenir l'autonomie reconnue au statut de sous-ministre. Le bureau central devait regrouper les divisions qui, dans certains ministères, avaient un rôle qui s'apparentait à son mandat. Pour inciter les ministères à accepter le transfert, on leur assurait qu'aux points de vue de l'efficacité et de la pertinence, il serait avantageux de réunir les fonctions statistiques et d'en harmoniser l'exécution. À cette fin, le bureau central leur fournirait un soutien professionnel et n'afficherait aucun lien de dépendance. Les divisions ainsi intégrées perdaient un certain prestige par rapport à ce qu'elles avaient connu dans leur ancien ministère. Pour les publications, par exemple, la plupart des ministères se dirent prêts à céder leur imprimatur à un bureau central, mais non au ministère du Commerce. Coats, fidèle à lui-même, revint sur la question quelques années plus tard, citant la commission consultative sur la création d'un bureau de statistique en République d'Irlande : « Nous soulignons l'importance d'accorder officiellement au bureau de statistique le plus d'autonomie possible. Le ministère dont il relève ne devrait en aucun cas avoir un droit de regard ou le plus d'influence sur son activité courante. Nous suggérons que le bureau de statistique, avec son personnel nombreux affecté à des travaux spécialisés, relève d'une administration distincte des autres divisions, et qu'il puisse être en contact avec les dirigeants des ministères investis du pouvoir décisionnel4. »
Coats fit remarquer que lorsque, au xixe siècle, les sous-ministres de l'Agricultu présentaient leurs rapports sur les recensements décennaux, c'était à titre de commissaire du recensement, et non de sous-ministre. ' Aux derniers stades de rédaction, il devint évident que la Loi de la Statistique ne ferait pas mention du statut à conférer au statisticien du Dominion. Le 9 mars 1918, Coats écrivit à Poster : « La loi constitutrice [...] devrait prévoir que le statisticien du Dominion, en tant que chef du bureau, a le rang de sous-ministre 5 . » II signala le traitement accordé à Blue; cita le précédent de l'archiviste fédéral à qui l'on avait accordé le statut de sous-ministre sans créer de ministère; et rappela qu'au ministère du Commerce, deux fonctionnaires occupaient le même rang que le sous-ministre tout en étant placés sous l'autorité de celui-ci. On ne trouve aucune trace d'une réponse de Poster, et Coats laissa tomber le sujet. Dans son bilan de fin de carrière, il précisa que la loi de 1918 « n'était pas considérée comme définitive, certaines dispositions étant restées en suspens jusqu'à ce que le nouvel organisme fût fonctionnel6 ». Sauf pour la question cruciale du statut de sous-ministre, la Loi de la Statistique pourvut aux conditions devant assurer l'autonomie du nouveau bureau. Excroissance du Bureau du recensement et de la statistique, l'organisation était non plus une division statistique du ministère du Commerce, mais un organisme au service des ministères. Et le terme « bureau » qui, selon Coats, avait un cachet réservé aux organismes autonomes ou quasi-autonomes, fut délibérément choisi pour reconnaître son identité distincte7. Le statisticien du Dominion devait « diriger et contrôler » le Bureau sous la gouverne du ministre. Comme nous l'avons vu, deux décrets (C.P. 2503 du 12 octobre 1918; C.P. 1092 du 20 mai 1920) lui conféraient un pouvoir inégalé tant sur le plan exécutif que consultatif dans ses rapports avec les ministères. L'article 9 de la Loi l'autorisait à 104
LA LUTTE DU BUREAU POUR SA RECONNAISSANCE négocier avec les provinces, au nom du ministre, en matière de statistique. On ne tarda pas à considérer le Bureau comme la première source en ce domaine pour la rédaction ou la modification de lois, ainsi que ce fut le cas pour la création du ministère de la Santé en 1919. Coats pensait à juste titre que la nature de ses fonctions lui accordait les pouvoirs requis et que la ratification de son statut n'était qu'une formalité à remplir au moment opportun. Entre-temps, il suppléait aux mesures législatives au moyen de divers arrangements administratifs, notamment le recours à la Commission du service civil pour les questions relatives au personnel. La situation fut satisfaisante au début. De fait, en 1920, aux fins de la reclassification des postes dans la fonction publique, il persuada le sous-ministre O'Hara de présenter ce qui suit : « Le Bureau fédéral de la statistique forme une division du ministère du Commerce, mais de par leur nature, leur portée et leur complexité, ses fonctions revêtent une importance capitale et, à certains égards, supérieure à celle des ministères en place. Le statisticien du Dominion doit veiller aux négociations menées auprès des ministères et des provinces en matière de statistique; rédiger les recommandations au Conseil qui en découlent; et faire en sorte que le Bureau publie les rapports. Il est le premier responsable du Bureau en vertu de la loi et des règlements sur la statistique. Entre autres fonctions, il doit engager et contrôler les dépenses, sous réserve de l'approbation du ministre; donner son avis sur les orientations statistiques; définir les structures et les méthodes de l'organisme; et assurer la gestion du personnel8. »
Mais en 1921, lorsque Coats jugea opportun de faire reconnaître son statut, il était trop tard pour tirer parti de l'amitié et de l'influence de celui qui fut son premier supérieur. Au terme d'une carrière de plus de 40 ans à titre de député et de ministre, Poster avait alors remis sa démission et accepté un poste de sénateur9. Cependant, le premier ministre Arthur Meighen, qui avait rendu service à Coats en maintes occasions, reprit le flambeau et accepta de présenter un projet de loi qui créerait le conseil statistique demandé par Coats dans le passé, et qui réglerait d'autres points, dont le statut du Bureau. Puis les élections entraînèrent la défaite du gouvernement conservateur. Le nouveau ministre libéral du Commerce, l'honorable James Robb, entra en fonction le 29 décembre 1921. Coats écrivit : « Le ministre a décidé de ne pas poursuivre dans la direction prise par le Bureau. C'est ainsi que le statisticien du Dominion vit disparaître une partie de ses pouvoirs et que mine de rien le Bureau en fut ramené au rang d'une division ministérielle10. »
Le ministère empêcha par exemple le Bureau de s'adresser directement à la Commission du service civil, en déclarant que celle-ci s'était plainte des difficultés de passer par des voies multiples et en exprimant son insatisfaction à l'égard de cette façon de procéder1'. C'est ainsi qu'en 1926 le Bureau dut suivre la filière hiérarchique, alors qu'il avait pu embaucher librement du personnel temporaire pour le recensement de 1921, sous réserve des limites budgétaires. Les notes que le Bureau faisait parvenir à la commission ou au ministre pour les questions touchant le personnel étaient généralement acheminées sans donner lieu à des recommandations. Elles étaient parfois accompagnées de commentaires qui n'avaient pas été communiqués au Bureau, « le tout laissant croire que le ministère n'avait aucune affinité pour le Bureau12 ». 105
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Ces nouvelles règles du jeu constituaient davantage des irritants que de grands obstacles aux travaux en cours. Elles faisaient perdre du temps et créaient inutilement des malentendus. Coats semblait le plus ennuyé par l'incompréhension ou l'inertie du ministère vis-à-vis des problèmes liés au personnel. Un cas l'exaspéra particulièrement. Le gouvernement mit sur pied en 1929 la Commission royale sur les services techniques et professionnels, sous la gouverne d'Edward W. Beatty, président du Canadien Pacifique. Comme nous le verrons dans le présent chapitre, la classification et la rémunération jouèrent un rôle important dans la définition du statut du Bureau, et Coats dut considérer le mandat de la commission comme une planche de salut. Mais le ministère décréta que le statisticien du Dominion ne pouvait prendre connaissance des travaux de la commission, ni se présenter devant elle. La décision tenait de l'absurde : le Bureau travaillait en étroite collaboration avec le personnel de la commission depuis le début, notamment en matière d'enquêtes budgétaires et d'études sur les fluctuations salariales. Coats demanda un jour à O'Hara : « Serait-il possible d'obtenir copie de la correspondance de la commission relative au personnel du Bureau? Plus précisément, quelles requêtes a-t-elle reçues et quelles informations ont été transmises par le ministère au sujet du Bureau13? »
O'Hara répondit : « II ne nous est pas possible de choisir [...] les passages faisant allusion au Bureau fédéral de la statistique dans notre correspondance avec la commission Beatty. [...] On nous a demandé expressément d'assurer la confidentialité à ce sujet. Vous avez reçu toute l'information que nous étions autorisés à diffuser14. »
Le Bureau subit un autre recul à la suite de la nomination de Robb au poste de ministre; dès 1923 ou 1924, ses publications durent porter l'imprimatur du ministère du Commerce. Les seules exceptions étaient Y Annuaire du Canada, étant donné l'étendue de la contribution d'autres ministères, et les statistiques de la production agricole, puisque les représentants de l'industrie avaient manifesté une vive opposition. Une quinzaine d'années plus tard, le couteau fut tourné dans la plaie, lorsque le Bureau commença à publier le bulletin qui allait devenir Le Quotidien de Statistique Canada. J.G. Parmelee, qui avait remplacé O'Hara au poste de sous-ministre, prévint Coats que l'appellation du ministère du Commerce devait dorénavant figurer sur tous les documents statistiques publiés par le Bureau de la statistique15. Coats fit preuve de modération dans sa réponse et convint de respecter la directive tout en expliquant pourquoi il jugeait la mesure malavisée. Mais la réaction qu'il eut à la lecture de la lettre de Parmelee fut loin d'être modérée; il nota en marge : « C'est tout à fait ridicule. »
LUTTE POUR LA CLASSIFICATION ET LA RÉMUNÉRATION Entre les deux guerres, l'un des points à régler dans le dossier du statut du Bureau consistait dans la classification et la rémunération des postes. Ce point ne visait pas seulement le Bureau : il touchait la fonction publique et, en particulier, les catégories professionnelles et scientifiques. Mais le Bureau aurait obtenu plus de succès s'il avait 106
LA LUTTE DU BUREAU POUR SA RECONNAISSANCE pu plaider sa cause en tant qu'organisme, ou si le ministère du Commerce s'était montré plus ouvert et plus compréhensif envers l'une de ses principales divisions. À la création du Bureau en 1918, l'échelon et le traitement dans la fonction publique étaient déterminés d'après un régime de classification adopté dix ans plus tôt, lorsque la Commission du service civil avait été mise sur pied. Le régime consistait dans trois divisions, ayant chacune deux subdivisions, comme suit : « La première division renferme la subdivision A, qui comprend les fonctionnaires qui ont le rang de sous-chefs mais ne sont pas des sous-chefs chargés de l'administration de départements, les sous-chefs adjoints et les principaux fonctionnaires techniques, administratifs et exécutifs; et La subdivision B, composée des fonctionnaires techniques, administratifs et exécutifs de moindre importance, y compris ceux des premiers commis maintenant en exercice qui ne peuvent appartenir à la subdivision A. La seconde division se compose de certains autres commis ayant des fonctions techniques, administratives, executives ou autres, qui sont de même nature mais de moindre importance et entraînent moins de responsabilités que celles des membres de la première division. Cette division renferme les subdivisions A et B. La troisième division se compose des autres commis du service dont l'occupation est la transcription et le travail de routine (sous surveillance directe) de moindre importance que celui qui affère à la seconde division. Cette division se subdivise en subdivisions A et B16. »
Ce régime remplaçait celui qui comportait cinq classes de « commis » pour les postes placés sous l'autorité d'un sous-ministre. Par exemple, pendant la majeure partie de son mandat au ministère du Travail, Coats fut classé « commis de classe I », en raison de ses fonctions à la Gazette du travail. Les échelles de traitement étaient prévues dans la classification de 1908; les taux annuels variaient de 500 $ à 800 $ dans la division IIIB et pouvaient atteindre de 2 800 $ à 4 000 $ dans la division IA. Les sous-ministres étaient rémunérés au taux fixe de 5 000 $ par année. Les taux restèrent les mêmes jusqu'à l'attribution d'une indemnité de vie chère, à la fin de la Première Guerre. En 1918 et en 1919, Coats et ses principaux collaborateurs, Macphail et St-Denis, faisaient partie de la division IA et leurs traitements s'élevaient à 3 975 $, à 3 100 $ et à 3 300 $, respectivement. Godfrey, Warne, Macpherson et McFall, tous chefs de division, faisaient partie de la division IB et leurs traitements s'échelonnaient de 2 100 $ à 2 800 $. Mais l'expansion de la fonction publique pendant la guerre bouscula considérablement la classification de 1908. La Commission du service civil fit donc appel à une firme de consultants américaine, Arthur Young and Company, pour établir un régime fondé sur les techniques modernes d'analyse des emplois17. Comme la mesure semblait promettre la reconnaissance des catégories professionnelles, elle fut bien accueillie par Coats et les autres responsables de travaux scientifiques. La nouvelle classification publiée au milieu de 1919 prévoyait pas moins de 1 700 catégories spéciales, dont celles de « statisticien principal » et de « statisticien », assistés de « commis en chef de la statistique » et de « commis principal à la statistique »; les deux premiers postes exigeaient un diplôme universitaire. Cependant, la classification se heurta à une forte opposition, d'abord au Parlement, puis parmi les fonctionnaires eux107
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE mêmes. L'une des pommes de discorde était que les consultants avaient établi les échelles de traitement en supposant que le coût de la vie reviendrait rapidement à ce qu'il était avant la guerre. Or, les prix continuèrent à grimper tout au long des années 1920. Cette opposition entraîna entre autres la création de l'Institut professionnel du Service public du Canada; Coats y fut longtemps conseiller sur les questions de rémunération. Une procédure d'appel fut élaborée, et une dizaine des principaux postes du Bureau, y compris celui de statisticien du Dominion, devaient faire l'objet d'une révision. Entre-temps, on leur accorda un statut particulier. Mais les appels ne furent jamais entendus, et le Bureau conserva ses classifications improvisées. C'est probablement Coats qui s'en tira le moins bien; son traitement ayant plafonné à 5 400 $ vers 1922 ou 1923, il passa dix ans sans toucher d'augmentation. St-Denis, adjoint au statisticien du Dominion, obtint le taux maximum de 4 080 $. Il s'agissait d'un poste honorifique dans une large mesure, étant donné ses états de service en tant que secrétaire du Bureau du recensement et de la statistique. Quand St-Denis prit sa retraite en 1924, son poste resta sans titulaire jusqu'à ce que Coats y nommât Cudmore, au début de la Seconde Guerre. Embauché en 1919, Cudmore ne tarda pas à acquérir dans le domaine de la statistique économique une renommée égale à celle de Macphail dans le domaine de la statistique sociale; ils étaient les principaux collaborateurs de Coats dans les années 1920, et leur taux maximum, que Macphail fut le premier à atteindre en raison de son ancienneté, était de 4 620 $. Les principaux postes de chef étaient occupés par Warne au commerce extérieur et par Marshall au commerce intérieur; celui de l'agriculture fut confié à Godfrey, puis à Horning; et celui des transports, à Wrong. Leur taux maximum était de 3 720 $. Les quatre postes liés au recensement industriel étaient classés à un niveau inférieur, même si les titulaires portaient le titre de chef. Mais il existait des distinctions entre les quatre. Le service des manufactures, dirigé par Macpherson, et celui des mines, de la métallurgie et des produits chimiques, qui relevait de Cook, avaient un statut distinct et donnaient droit à un taux maximum de 3 240 $. Pourtant, M lle Brown, chef des pêcheries, fourrures, industrie laitière et produits d'origine animale, était seulement « commis principal à la statistique », et son traitement plafonnait à 2 400 $, sans doute parce qu'elle n'avait pas de diplôme universitaire. Le titre de « statisticien » était aussi attribué aux chefs des divisions secondaires — finances, instruction publique, justice — et aux chefs adjoints et autres agents supérieurs des grandes divisions. Il manquait aussi un diplôme universitaire à Mlle Roughsedge, chargée de la statistique du travail sous la direction de Cudmore. Elle fut désignée « commis principal à la statistique », et eut droit à un taux maximum de 2 400 $. La montée des prix dans les années 1920 posa un grave problème au personnel professionnel et technique, puisqu'il n'y avait plus de marge de manoeuvre pour les hausses de traitement. En 1929, Coats déclara à la commission Beatty que depuis 1914 les prix de détail avaient grimpé d'environ 50 % et que, par conséquent, 60 % des traitements accordés aux postes professionnels et techniques étaient équivalents ou inférieurs à ceux de 1914. Les recrues s'en tiraient un peu mieux, car leurs traitements devaient s'aligner sur les taux pratiqués sur le marché. Les employés mutés à de nouveaux postes ne s'en tiraient pas trop mal non plus, mais ceux qui conservaient les mêmes fonctions se trouvaient dans la pire situation de toutes les catégories18. Comptant 108
LA LUTTE DU BUREAU POUR SA RECONNAISSANCE parmi ces victimes, Coats pouvait difficilement se réjouir d'apprendre que O'Hara et les autres sous-chefs voyaient leur rémunération grimper de 6 000 $ à 8 000 $ en 1924, et d'encore 2 000 $ avant la fin de la décennie. Quant aux chiffres absolus, il ne pouvait pas faire grand-chose, mais il continua à exercer des pressions pour faire rajuster les traitements au Bureau. En 1928-1929, les chefs des manufactures et des mines furent placés sur le même pied que ceux de l'agriculture, des transports, du commerce extérieur et du commerce intérieur. Tous allaient devenir des « statisticiens principaux » et gagner de 3 240 $ à 3 940 $, comme il avait été prévu en 1920. Mais la mise en oeuvre de ce système serait retardée jusqu'à la publication des résultats des travaux de la commission Beatty. Entre autres documents, la commission étudia un mémoire dans lequel Coats exposait en détail ses vues sur la relativité des fonctions au Bureau et réclamait la parité avec les titulaires des postes professionnels et techniques. Au sujet de son poste, il recommanda : « Comme les fonctions prévues par la Loi de la Statistique visent à fournir des orientations et des conseils, il conviendrait de fixer un taux maximum pour l'échelle de traitement des cadres supérieurs, en tenant compte de la rémunération rattachée aux postes semblables dans les pays où ce genre d'organisme existe19. »
Le poste d'adjoint au statisticien du Dominion, vacant depuis 1924, ne serait doté que 12 ans plus tard, mais Coats le plaça, ainsi que deux autres, dans une catégorie particulière. Il s'agissait des postes de chef du recensement et de la démographie, et de rédacteur de Y Annuaire du Canada et chef de la statistique générale, occupés respectivement par Macphail et Cudmore, qui étaient adjoints au statisticien du Dominion sans en porter le nom. L'échelle de traitement proposée pour ces trois postes se situait entre 4 500 $ et 5 400 $. Pour le reste des postes professionnels et techniques (soit 24), Coats recommanda une classification à trois niveaux, comme suit : statisticien principal (3 700 $ à 4 800 $), statisticien (3 000 $ à 3 700 $) et statisticien débutant (2 100 $ à 3 000 $). Les chefs des divisions principales — agriculture, commerce extérieur, commerce intérieur, transports, mines et manufactures — seraient des « statisticiens principaux ». Les désignations de « statisticien » et de « statisticien débutant » étaient un prolongement de la structure mise en place au début de la décennie, qui reconnaissait la parité entre les chefs des divisions secondaires et les chefs adjoints et autres agents supérieurs des divisions principales. Coats eut toutefois un geste de bienveillance : il ne remit jamais directement en question la condition posée par la firme d'Arthur Young pour occuper un poste professionnel, à savoir être titulaire d'un diplôme universitaire. Cependant, il jugea en 1929 que M lles Brown et Roughsedge avaient acquis assez d'expérience et de compétences pour justifier la classification de leur poste parmi les postes professionnels. Il demanda donc que leur fût reconnu un niveau équivalant à celui de « statisticien débutant ». Coats avait affirmé à l'un des conseillers de la commission Beatty : « Ces deux fonctionnaires sont de haut calibre, et si elles devaient partir, je demanderais à ce qu'elles soient remplacées par des diplômés universitaires20. »
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE La commission Beatty publia son rapport en février 1930 et proposa de remplacer les nombreuses catégories par une structure à sept échelons, répartie en deux divisions, comme suit : Taux minimum
Hausse annuelle
Taux maximum
($)
($)
($)
Première division Échelon I Échelon II Échelon III
1800 2280 2880
120 120 120
2160 2760 3360
Seconde division Échelon IV Échelon V Échelon VI Échelon VII
3420 4020 4800 5700
120 120 240 300
3900 4620 5520 7200
Dans la première division, l'avancement aurait incombé au sous-chef alors que dans la seconde, il fallait passer par la Commission du service civil21. Des taux particuliers étaient prévus pour les cas d'exception. On recommanda l'échelon VII pour le poste de statisticien du Dominion, ce à quoi Coats s'opposa énergiquement : « Ce poste a perdu beaucoup de valeur et il mérite un traitement particulier. Toutes proportions gardées, il n'aura jamais eu autant d'importance au Canada, mais son niveau est encore moins élevé par rapport à toute classification antérieure. Pendant plus de 40 ans, le contrôleur du recensement a été rémunéré à un taux équivalant à celui de sous-ministre, et la classification de 1922 l'a placé immédiatement au-dessous. Et voici qu'il recule de plusieurs niveaux et qu'il se trouve au même rang qu'une trentaine de postes dont les responsabilités et les fonctions sont manifestement moins importantes22. »
Les postes de Macphail et de Cudmore, les deux chefs ayant le plus d'ancienneté, furent classés à l'échelon VI, mais le poste d'adjoint au statisticien du Dominion (vacant à l'époque), pour lequel Coats avait demandé la parité avec les deux premiers, fut rabaissé à l'échelon V parce que ses fonctions, semblait-il, étaient purement administratives. L'échelon IV était attribué aux postes de chef des six divisions principales; l'avancement à l'échelon V était fondé sur le mérite et la recommandation du sous-chef. Coats préconisa le reclassement en ces termes : « La Commission du service civil a examiné ces postes l'an dernier, et recommandé qu'ils soient reclassés au niveau de statisticien principal (maximum de 3 960 $). [...] Non seulement l'actuelle classification fait fi de cette recommandation, mais l'échelle de traitement est de 60 $ inférieure à celle qui avait été établie en 1920. [...] Je recommande fortement que les postes en question soient classés à l'échelon V, ce qui ne ferait que les maintenir au rang qu'ils ont toujours occupé au Bureau, c'est-à-dire tout de suite après les postes de chef du recensement et de chef de la statistique générale23. »
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LA LUTTE DU BUREAU POUR SA RECONNAISSANCE Afin de démontrer que la commission était dans l'erreur, Coats souligna que le chef de l'agriculture (Horning) avait accepté un emploi dans le secteur privé qui lui procurait une hausse de 70 %, tandis que le chef des mines (Cook) allait occuper un poste moins exigeant pour un salaire de 25 % supérieur. Coats trouvait aussi contradictoire que l'échelon III regroupait les postes de chef des divisions secondaires — instruction publique, finances publiques, forêts, état civil —, puisque la commission avait proposé : « La seconde division devrait englober les chefs des branches et des divisions du service technique, scientifique et professionnel, et de nombreux postes principaux comportant la surveillance d'employés. » II reconnaissait que le classement de « statisticien », établi en 1920 (avec un taux maximum de 3 240 $), avait été approprié à l'époque; il s'agissait de tout nouveaux postes, mais qui depuis avaient acquis « de nouvelles proportions et une nouvelle importance ». Les arguments de Coats n'eurent pas d'effet. La crise faisait rage, et les recommandations de la commission Beatty ne furent jamais mises en oeuvre. Peu après, le premier ministre donna instruction de réduire de 10 % les traitements des fonctionnaires et de maintenir le gel jusqu'à nouvel ordre. Puis le décret C.P. 44/1362 du 14 juin 1932 diminua l'effectif des ministères en abolissant les postes permanents inoccupés au 30 juillet 1932. Le Bureau essuya une perte de 20 postes, sur une liste de 258 emplois permanents. Mais la situation ne fut pas catastrophique, étant donné que les postes temporaires furent moins touchés par les mesures de compression. Le Bureau avait toujours maintenu une foule de postes temporaires afin de parer aux fluctuations des charges de travail, et put augmenter son effectif en diverses occasions, par exemple lorsque la Loi des pensions de vieillesse de 1927, qui exigeait une attestation d'âge des requérants, fut étendue progressivement aux neuf provinces. Et surtout, le Bureau put conserver de nombreux employés temporaires qui avaient été recrutés pour le recensement de 193l24. En mai 1936, le Bureau comptait 171 employés temporaires, par rapport à 37 juste avant le gel des emplois permanents. Certains d'entre eux étaient hautement qualifiés et exerçaient des responsabilités nettement supérieures à leur catégorie. En fait, le Bureau obtenait des services professionnels en contrepartie de ce qu'il payait aux employés de bureau. Les mesures de compression furent abolies par le décret C.P. 1/2035 du 16 juillet 1935 et, un peu plus tard, on réinstaura les hausses annuelles. Coats entreprit alors d'obtenir la permanence et l'avancement, le cas échéant, pour la majorité des employés temporaires. Il revint aussi à la charge en vue d'obtenir des échelles de traitement cohérentes pour les professionnels. Dans une lettre au sous-ministre Parmelee en septembre 1935, il formula ainsi son mécontentement : « Le Bureau subit un grand inconvénient parce que la classification du service civil manque de cohérence pour les emplois de niveau supérieur en statistique, c.-à-d. ceux qui exigent des compétences techniques. [...] Il conviendrait de prévoir dans les meilleurs délais une échelle comportant de six à huit échelons pour les postes de cette catégorie, dont les taux iraient, par exemple, de 1 800 $ à 4 800 $25. »
Le processus était lourd et bureaucratique; il exigeait de justifier en détail les mesures présentées à la Division de l'organisation de la Commission du service civil, qui les scruterait à la loupe afin de repérer les demandes sans fondement26 et, dans la plupart des 111
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE cas, il fallait obtenir un décret du Conseil des ministres. Et le ministère du Commerce pouvait lui-même dresser des obstacles. À propos d'une demande que Coats avait fait approuver par la Commission mais qui avait échappé à Parmelee, celui-ci lui rappela que les recommandations formulées par la Commission étaient sujettes à l'approbation du maintien des nouvelles fonctions. Invoquant l'article 35 de la Loi de la Statistique — le gouverneur en conseil pouvait autoriser le ministre à « faire faire toute enquête de statistique spéciale qui peut être jugée à propos » —, il souligna qu'aucune autorisation n'avait été accordée au sujet des nouvelles activités et que le ministre lui avait demandé en vertu de quelle autorité on avait entrepris les nouveaux travaux et élargi les anciennes fonctions27. Coats, qui ne se laissa jamais troubler par les questions de légalité, répondit que la majeure partie des travaux, de nature provisoire, étaient visés par l'article 33 (g), tandis que l'article 35 concernait les enquêtes spéciales non assujetties à des décrets par d'autres articles de la loi28. Parmelee aurait alors décidé de laisser tomber l'affaire. L'afflux de demandes provenant des ministères en vertu du décret C.P. 1/2035 incita le gouvernement libéral, qui avait succédé aux Conservateurs en octobre 1935, à faire marche arrière. Le décret C.P. 84/978 du 22 avril 1936 disait : « L'abolition des mesures de compression a donné lieu à des nominations à des postes permanents, sans qu'il ait été tenu compte du nombre d'employés temporaires censés parer aux fluctuations dans les charges de travail, de la plus grande polyvalence du personnel, ou des incitatifs offerts aux nouveaux titulaires des postes29. »
Le décret stipulait que la proportion d'employés permanents par rapport à l'effectif de base fixe (besoins courants) de tout secteur du service civil ne devait pas dépasser 80 %. Cette restriction fut la source d'un désaccord perpétuel entre Coats et l'administration du ministère, sur ce qui constituait l'effectif de base fixe, mais la règle fut assouplie par le décret C.P. 2259 du 11 août 1939. Cependant, aucune nomination permanente ne pouvait être accordée avant que l'employé n'ait accompli une année de service. Puis la guerre éclata et de nouvelles restrictions furent imposées aux nominations à des postes permanents. Il reste que Coats obtint l'autorisation de la plupart des demandes de permanence, de reclassement, etc. qu'il présenta vers la fin des années 1930. Ainsi, le décret C.P. 757 2423 du 30 septembre 1937 autorisait une nouvelle classification en cinq échelons pour les statisticiens, ce qui haussa le rang de la plupart des chefs. Les chefs principaux, comme Herbert Marshall, O.S. Wrong, T.W. Grindlay et M.C. MacLean, devinrent des « statisticiens V », dont le traitement était de 3 840 $, tandis que les autres furent classés aux échelons III et IV. Malheureusement, ses ardents plaidoyers en faveur de Mlles F.A. Brown et M.E.K. Roughsedge ne réussirent pas à convaincre la Commission du service civil, et elles demeurèrent commis principaux. Donc, la plupart des injustices et des anomalies constatées au Bureau depuis la mise en place de la première structure improvisée avaient été corrigées, dans la mesure où la relativité avec le traitement de Coats le permettait. De 1932-1933 à 1937-1938, son taux était passé de 4 860 $ à 7 000 $, mais il n'avait toujours pas rattrapé celui de sousministre, établi à 9 000 $.
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LA LUTTE DU BUREAU POUR SA RECONNAISSANCE CONCLUSION Sur le plan administratif, le Bureau continua de relever du ministère du Commerce, mais les sources de friction diminuèrent quand la guerre éclata en 1939. Il se vit alors confier un éventail de nouvelles responsabilités et surtout, pour la première fois, une clientèle pour les services de statistique commença à se former dans l'administration publique. Parmelee, la bête noire de Coats, prit sa retraite30, et de meilleures relations se nouèrent avec les autres sous-ministres. La question du statut ne fut plus qu'une anomalie embarrassante. Ce que Poster, le supérieur de Coats, aurait pu régler d'un trait de stylo, pendant la période dorée de 1916 à 1920, ne se réalisa que près de 50 ans plus tard. Mais le gouvernement avait pris conscience du rôle qu'un bureau central de statistique, entièrement autonome, pouvait jouer dans l'élaboration et la mise en oeuvre de ses politiques et programmes. Cette reconnaissance avait fait défaut pendant presque 20 ans, malgré l'attention intermittente que l'on accorda à la statistique. Le Bureau aurait-il pu être plus efficace s'il avait joui d'une autonomie administrative dès le début? Il aurait difficilement pu mettre sur pied de meilleurs programmes dans les années 1920, et le monde extérieur ne le perçut certainement pas comme un joyau imparfait. La décennie suivante apporta son lot de nouveaux défis et de difficultés, mais là encore, la reconnaissance officielle de l'autonomie administrative du Bureau n'aurait eu que peu d'influence sur les résultats. Coats était parfois pessimiste quant à l'avenir d'un bureau dirigé par un non-professionnel peu sympathique. Par contre, il semblait voir la situation comme un frein — parfois presque intolérable — à l'efficacité du Bureau plutôt que comme une menace à son intégrité professionnelle. « La situation est absolument ridicule31, écrivait-il en 1934. Bien sûr, nous arrivons à travailler, mais au prix de frictions constantes. » Coats mentionnait souvent les effets négatifs du statut ambigu du Bureau sur le moral du personnel, et en particulier la difficulté à attirer et conserver du personnel professionnel de haut calibre. Mais le roulement fut très faible pendant son mandat, et c'est la « vieille garde » qui continua à guider l'organisme pendant plus de dix ans après son départ à la retraite. Ironiquement, les tensions entre le Bureau et le ministère stimulèrent peut-être le personnel : Coats était devenu un symbole de courage et de ténacité et, même s'il ne jouissait pas de toute l'autonomie administrative qu'il eût désirée, il agissait le plus possible comme si c'était le cas. Et sur le plan professionnel, rien n'indique que son jugement ait jamais été mis en cause. Le vrai problème était le manque de reconnaissance de la part des utilisateurs potentiels à Ottawa. Le prochain chapitre traite de ce point et des efforts de Coats pour y remédier.
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CHAPITRE VII
Les années 1930 : En quête de la reconnaissance professionnelle
RÉALISATIONS ET ATTENTES AU DÉBUT DE LA DÉCENNIE S'il pouvait sembler parfois que l'obtention d'un statut distinct pour le Bureau était au coeur des préoccupations de Coats entre les deux guerres, elle demeurait néanmoins subordonnée à la quête parallèle de la reconnaissance professionnelle. Sans la reconnaissance, l'autonomie administrative n'eût été qu'une victoire mitigée. Le Bureau ne réalisa ni l'un ni l'autre objectif pendant le mandat de Coats, mais le fait de relever du ministère du Commerce ne l'empêcha sans doute pas d'atteindre son épanouissement professionnel, qui était d'ailleurs tributaire de facteurs tout autres, surtout la constitution d'une clientèle d'utilisateurs avertis. Cette tendance s'amorça dans les années 1930, lorsque la crise s'aggravait et que des théories radicales comme celles qu'exprimait le manifeste de Regina1 étaient en voie de s'intégrer à l'orthodoxie politique. Mais la véritable percée n'eut lieu qu'au milieu des années 1940, stimulée par les besoins de la reconstruction d'après-guerre. Le Bureau aida à formuler et à mettre en application la politique économique et sociale, et le mérite en revint essentiellement à Cudmore et à Marshall, alors que Coats avait en grande partie jeté les fondements, comme nous le verrons dans le présent chapitre. Coats insistait souvent sur la nécessité de centraliser la conduite et la coordination de la recherche économique et sociale. Il loua fréquemment les mesures prises par le gouvernement en 1916 pour créer ce qui allait devenir le Conseil national de recherches, dont le mandat englobait les sciences physiques, mais il n'envisageait pas un organisme semblable pour la recherche économique et sociale. Il estimait plutôt que la Loi de la Statistique autorisait — voire obligeait — le Bureau à mettre tout en oeuvre à cette fin. C'était l'aboutissement naturel d'un programme exhaustif de statistiques primaires reposant sur des concepts, des définitions et des méthodes de classification communs ou uniformes. Considérées séparément, ces statistiques expliqueraient certains problèmes; ensemble, elles constitueraient ce que Coats aimait appeler « un aperçu cohérent2 » de la société canadienne, qui servirait aux fins des analyses et des interprétations transversales
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE plus complexes. Le Bureau serait donc « un laboratoire national de recherche économique et sociale3 », qui répondrait aux besoins du gouvernement en matière d'orientation et agirait en tant qu'organe de recherche des commissions royales d'enquête. Pendant ses premières années d'existence, le Bureau avait fait avancer de beaucoup la production de statistiques primaires. Il s'était entendu avec d'autres ministères et avec les provinces pour rassembler et centraliser une foule de données jusque-là fragmentées, non coordonnées et faisant souvent double emploi. Ces mesures permirent de créer un système national de statistiques de l'état civil, de tenir chaque année un vaste recensement industriel et de produire des statistiques courantes sur l'agriculture, le commerce intérieur et les transports. En outre, on mit fin à une habitude vieille d'un demi-siècle en tenant un recensement décennal axé uniquement sur les ménages et les exploitations agricoles, ce qui améliora nettement la qualité des données. Mais d'autres volets abordés dans le plan de 1916 — finances, administration de la justice, instruction publique, statistique générale — furent quelque peu négligés au départ. Au milieu des années 1920, le Bureau subit des restrictions de personnel tout comme le reste de l'administration, mais Coats affirma : « [...] les travaux en cours se sont continués, sauf quelques légères suppressions 4 . » En 1930, les pertes avaient été largement compensées et l'équilibre des ressources s'était quelque peu rétabli entre le programme principal et les nouveaux programmes. Les réalisations du Bureau ne répondaient quand même pas aux attentes élevées que Coats nourrissait dix ans plus tôt; à l'époque, la guerre avait clairement démontré l'utilité de la statistique pour les politiques publiques. Par la suite, aucun ministre ne manifesta envers Coats autant de compréhension et de sollicitude que Poster et, dans les années 1920, Coats dut défendre seul les questions professionnelles. Au début des années 1930, ni le ministère du Commerce ni d'autres ministères n'étaient des « utilisateurs » de statistiques au sens où on l'entend aujourd'hui. Ils obtenaient du Bureau les données utiles à l'exécution de leurs programmes, mais ce n'est que plus tard qu'ils demandèrent des statistiques globales pour définir des politiques. Le Bureau procurait au monde des affaires une foule de renseignements sur la production et les questions connexes. En milieu universitaire, les démographes disposaient de données abondantes, mais les économistes — du moins au Canada — n'avaient pas encore mis au point de méthodes quantitatives de recherche. Il y avait donc, en matière de critiques et d'orientations éclairées, un vide que Coats chercha à combler en recommandant à quelques reprises la création d'un conseil consultatif de la statistique. Aucun organisme de ce genre ne fut constitué pendant son mandat mais à mesure que la décennie s'écoulait, l'indifférence observée dans les années 1920 fit place à une meilleure appréciation de la capacité du Bureau à traiter les enjeux économiques et sociaux. En 1939, le professeur D.C. MacGregor, de l'Université de Toronto, exprima une telle opinion pour le compte d'un comité — formé surtout d'universitaires, mais aussi de membres du Bureau — qui étudiait des façons de stimuler la recherche économique et sociale au Canada et d'en améliorer l'organisation5. MacGregor avait été chercheur principal pour la commission Rowell-Sirois; il connaissait donc bien le Bureau et ses programmes. Il trouvait qu'après des débuts prometteurs, le Bureau avait commencé à 116
LES ANNÉES 1930 : EN QUÊTE DE LA RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE piétiner. Il approuvait les principes et les objectifs du plan de 1916, qui furent repris dans la Loi de la Statistique, et observa que malgré les lacunes apparues par la suite, le plan général et la classification témoignaient d'une démarche intellectuelle éclairée. Selon lui, les premiers travaux d'élaboration et d'intégration étaient en grande partie terminés en 1924. Mais cette année-là avait marqué un point culminant. Il écrivit : « On avait déjà commencé à réduire les dépenses; on avait abandonné le recensement de la construction et on avait pratiquement ramené la couverture du recensement des manufactures à ce qu'elle était avant 1917. Dès lors, les travaux du Bureau devinrent routiniers et furent interrompus, modifiés et prolongés à maintes reprises en raison d'une foule de facteurs étrangers aux principes directeurs des six premières années6. »
Pour MacGregor, la situation tenait surtout au fait que le Bureau était « le parent pauvre du ministère du Commerce », soumis à des ministres et sous-ministres dont l'indifférence et la malléabilité le rendaient vulnérable aux groupes d'intérêts spéciaux du secteur privé. Selon lui, ce genre de pressions avait eu un effet pernicieux sur le fonctionnement du Bureau : « On ajoute de nouvelles sources de données avant que les anciennes n'aient été mises à l'essai, vérifiées, révisées et documentées de manière adéquate et scientifique. On se limite habituellement à mener une enquête détaillée, à effectuer une révision sommaire et à produire des données d'usage général. Comme on cherche à plaire à tout le monde, personne n'est bien servi; plutôt que d'étudier les problèmes à long terme et d'une grande importance nationale, on fournit aux écoliers et à la presse quotidienne des statistiques faciles à utiliser7. »
Malgré l'importance que Coats accordait à la centralisation de la statistique, MacGregor trouvait que la mise en application du principe avait été superficielle. Par exemple, certaines branches du recensement de la production — celles qui étaient bien établies en 1918 — avaient institué des procédures distinctes pour les questionnaires et la terminologie. Aucune division ne paraissait s'occuper de l'intégration interne des statistiques, si ce n'était celle de la statistique générale, qui semblait l'avoir oubliée8. Sans doute eût-il fallu commettre des indiscrétions pour répondre à des « accusations » de cette nature, et il n'existe aucune mention d'une réponse. En fait, il aurait été difficile de réfuter certains reproches, notamment à l'égard de l'intégration interne. Herbert Marshall reconnut plus tard que pendant cette période, il fallait parfois privilégier des critères quantitatifs, plutôt que des critères de qualité, pour faire bouger les choses9. Néanmoins, le portrait brossé par MacGregor passait sous silence les nombreuses réalisations ultérieures au point culminant du milieu des années 1920. La réduction des dépenses avait été de courte durée et, malgré les revers dus surtout à l'apathie ou à la méfiance de ses supérieurs hiérarchiques et politiques, Coats continua à marquer des points. Dans les années 1930, Coats réitéra auprès des ministres les mesures requises pour réaliser les objectifs qu'il avait énoncés en 1916. En août 1931, dans un mémoire portant sur l'orientation du Bureau10, il préconisait une révision de la Loi de la Statistique afin d'affirmer le rôle central en matière de statistique et de recherche économique, et le statut d'organisme professionnel indépendant qui relèverait d'un sous-ministre secondé par un conseil consultatif. 117
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Le mémoire énumérait les « mesures à prendre pour réaliser le projet de réorganisation statistique des domaines spécialisés, lequel avait dû être interrompu11 ». Ces mesures consistaient à produire des statistiques sur le commerce interprovincial après avoir organisé les statistiques du commerce et de la navigation et celles du transport maritime; à mener à terme l'organisation du recensement industriel de concert avec les ministères provinciaux; à élargir les statistiques sur les finances publiques, dont celles des municipalités; à améliorer l'analyse de la balance commerciale, surtout à l'égard des mouvements de capitaux entre le Canada et l'étranger; et à compléter les statistiques sur le revenu national et la richesse, notamment en coordonnant les registres du Bureau avec ceux de la Division de l'impôt sur le revenu. Il fallait en outre étendre la couverture du secteur des services aux établissements publics, aux établissements de commerce et à la distribution. Enfin, le mémoire reconnaissait le besoin qu'avait créé la crise en matière de statistiques sur l'aide sociale, le chômage et le bénévolat. Une partie du programme fut réalisée dans les années 1930. En particulier, le Bureau prit en charge la statistique du commerce extérieur, qui relevait jusque-là du ministère des Douanes. Il ne réussit pas pour autant à faire la synthèse du commerce interprovincial, comme le souhaitait Coats, à cause de l'incapacité à compléter les statistiques sur le transport maritime et à produire des statistiques sur le transport routier, secteur de plus en plus important. Par contre, en vertu d'une entente intervenue avec les trésoriers provinciaux et le ministère des Finances, le Bureau publia des rapports annuels sur les finances provinciales et relança la production de données sur la construction. Au début des hostilités en 1939, il avait grandement amélioré les statistiques sur la balance des paiements internationaux.
RECENSEMENT DE 1931 À n'en point douter, le recensement de 1931 constitua la principale réalisation du Bureau pendant la décennie 1930. MacGregor considérait implicitement le recensement décennal comme un simple rituel visant à satisfaire une obligation juridique12 mais sur deux plans importants, celui de 1931 allait beaucoup plus loin. D'une part, en recensant les établissements de commerce et de service et les établissements publics13, puis en instituant des enquêtes courantes dans ces secteurs, le Bureau combla en grande partie une grave lacune de sa couverture statistique. D'autre part, non seulement les études analytiques des résultats du recensement de 1931 permirent-elles de mieux comprendre l'évolution économique et sociale entre les deux guerres, mais elles renforçaient les arguments de Coats visant à faire reconnaître les compétences du Bureau en matière de recherche. Tout comme celui de 1921, le recensement de 1931 faisait suite à une décennie mouvementée. L'essor, puis l'effondrement de l'après-guerre avaient été suivis par quelques années d'une croissance économique soutenue, à laquelle le krach de 1929 avait brusquement mis fin. Même si le contenu du recensement avait été planifié de longue main et s'il fallait assurer la continuité avec les recensements antérieurs, il fut possible de s'adapter à l'évolution de la conjoncture économique et sociale. Des questions avaient été conçues pour évaluer l'étendue et la gravité du chômage et pour en analyser les causes. Une nouvelle classification des branches d'activité et des 118
LES ANNÉES 1930 : EN QUÊTE DE LA RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE professions servit à recouper, pour la première fois, ces deux caractéristiques de la population active. Et la couverture du recensement de l'agriculture fut élargie pour permettre d'étudier certains phénomènes comme l'abandon des fermes. La méthode de collecte de données pour le recensement de 1931 était pratiquement identique à celle de 1921. De nouveau, on renseigna le public et on sollicita sa collaboration au moyen d'une campagne de publicité qui utilisait cette fois, à part la presse et le cinéma, un nouveau moyen d'information : la radio. Outre la parution d'annonces dans les journaux, on diffusa une série de communiqués pour expliquer les questions, notamment celles sur la famille, la définition d'une exploitation agricole, la nationalité et le principe de jure14. Les opérations sur le terrain furent réalisées plus rapidement qu'en 1921 et malgré les hausses de la population, du nombre de questions et de la rémunération des commissaires et des recenseurs, le coût global ne dépassa que de 16 % celui du recensement précédent. L'une des explications réside dans le fait que le Bureau profita de la morosité du marché du travail pour retenir les services de personnel plus compétent qu'en 1921. Le dépouillement et la compilation des données s'effectuèrent presque entièrement par des moyens mécaniques, mais la productivité fut grandement améliorée grâce à l'utilisation d'un nouveau classicompteur mis au point par Fernand Bélisle, de l'équipe de mécanographie du Bureau. On fabriqua trois classicompteurs, dont le rapport administratif du recensement disait : « [ils] ont, dans les deux années pendant lesquelles ils ont été employés, fait cinquante fois plus de travail de compilation qu'il aurait été possible avec le matériel de 1921, et les dépenses de main-d'oeuvre ont été beaucoup moindres15. »
Nathan Keyfitz et H.F. Greenway expliquèrent plus tard que Coats avait demandé pourquoi, une fois les cartes préparées pour le traitement, la machine enregistrait l'information une colonne à la fois plutôt que d'un seul coup, comme les lecteurs commerciaux. Ainsi, « À partir de l'appareil inventé par Hollerith [...] Coats et A.J. Pelletier [...] fournirent leur appui à un Canadien très doué, Fernand Bélisle, et l'encouragèrent à fabriquer des circuits plus vastes et à fabriquer une machine contenant environ 500 compteurs. [...] Ces compteurs pouvaient être reliés directement à toutes les positions possibles de la carte ou, au moyen de branchements et de relais, effectuer deux ou trois calculs à la fois, toujours lors d'une seule lecture de la carte16. »
Après avoir diffusé les chiffres provisoires et les résultats sommaires, le Bureau publia, entre 1933 et 1936, les résultats définitifs sous forme des volumes I à xi du rapport officiel du recensement de 1931. En plus du rapport administratif, le volume I comportait principalement une version révisée et augmentée de l'abrégé de statistiques historiques établi par Taché dans le volume IV du recensement de 1871. Dans la préface du rapport administratif, Coats écrivit qu'il fallait « répondre à un besoin urgent de données plus complètes devant servir de base à l'étude du problème de la population canadienne 17 ». Ce remarquable ouvrage d'érudition historique était l'oeuvre d'A.J. Pelletier, alors chef adjoint de la Division du recensement.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Les volumes XII et XIII du rapport contenaient les monographies dans lesquelles étaient analysés et interprétés différents sujets du recensement — famille canadienne, fécondité, logement, analphabétisme, charges de famille, chômage. M.C. MacLean, chef de l'analyse sociale, avait planifié le programme et participé à la rédaction. Malheureusement, la première monographie ne parut qu'en 1937 et les autres, quatre ans plus tard, de sorte que leur impact fut probablement émoussé par ces retards18. Elles furent pourtant souvent citées à titre de fleurons de l'analyse statistique, et l'envergure et la qualité du programme fixèrent haut la barre pour les autres recensements. Le nom des auteurs y figurait pour la première fois, ce qui révéla une jeune génération de brillants statisticiens, dont John Robbins, Nathan Keyfitz et Alan LeNeveu. Le recensement de 1931 fut le chant du cygne d'E.S. Macphail, chef de la Division du recensement, qui, une trentaine d'années auparavant, avait été adjoint principal d'Archibald Blue. En plus de son apport précieux à la tenue des recensements, il avait été le principal instigateur de l'utilisation d'appareils de calcul mécanique et avait tenu un rôle de premier plan dans la création d'un système national de statistiques de l'état civil. Quand Macphail prit sa retraite en 1934, A.J. Pelletier assura la relève; lui aussi faisait partie de la vieille garde du Bureau du recensement et de la statistique. Le dépouillement des résultats du recensement de l'agriculture fut réalisé par O.A. Lemieux, qui succéda à Pelletier au poste de chef de la Division du recensement, après celui de 1941. Le recensement des établissements de commerce et de service fut mené par Herbert Marshall, et celui des établissements publics, par J.C. Brady. Comme nous l'avons mentionné, ces deux derniers recensements aboutirent à la tenue d'enquêtes annuelles. À première vue, ce genre de progrès peut paraître étonnant dans le contexte des restrictions de budget et de personnel imposées en 1931. Sans doute le gouvernement prenait-il conscience de l'utilité de la statistique, puisqu'il semble que Coats n'eut pas de mal à compenser la réduction des postes permanents dans son service, par exemple en prolongeant la durée d'emploi du personnel temporaire du recensement. En lui laissant cette latitude en matière de personnel, la Commission du service civil reconnaissait tacitement que toute mesure visant à réduire le chômage, si minime fûtelle, était louable. À cet égard, Coats participa en 1933 à l'élaboration d'un projet qui aurait permis au Bureau et au Conseil national de recherches de recruter des chômeurs possédant une formation scientifique pour leur confier des travaux de recherche. Ce projet se serait inscrit dans le programme qui, en vertu de la Loi de secours, était mené de concert par le ministère de la Défense nationale et par le ministère du Travail, et qui visait la création d'emplois à l'intention des milliers de chômeurs, pour la plupart célibataires et sans foyer. Les hommes auraient été logés et nourris comme à l'armée, dans une aile inutilisée du Bureau sur l'île Verte, et auraient touché 20 cents d'argent de poche par journée de travail. Le ministre H.H. Stevens soumit la proposition au Conseil des ministres, mais il semble qu'elle ait soulevé peu d'enthousiasme politique et, sans être carrément refusée, elle resta lettre morte19. Quoi qu'il en soit, la sensibilisation à la statistique se manifesta de diverses façons. Au pays, différentes commissions royales se penchèrent sur les problèmes soulevés par la crise. Le Canada participa aux efforts du Commonwealth et de la Société des Nations pour trouver des solutions par la voie de la coopération internationale. La contribution du Bureau à ces travaux fut énorme; nous en évoquerons les points marquants. 120
LES ANNÉES 1930 : EN QUÊTE DE LA RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE INITIATIVE RADICALE : LA RÉSOLUTION SPEAKMAN L'un des premiers plaidoyers en faveur du recours à la recherche économique et sociale pour comprendre et surmonter la crise nationale et mondiale ne vint pas du gouvernement ni de l'opposition officielle, mais des partis minoritaires de l'Ouest. En avril 1931, R. Gardiner, membre des Cultivateurs unis de l'Alberta (UFA) et député d'Acadia, déclara : « On nous dit que nous aurons une nouvelle commission du tarif [...] mais je crois qu'un bureau de recherches sur la situation économique serait mille fois plus utile au pays20. » Quelques jours plus tard, A. Speakman, député de Red Deer et lui aussi membre des UFA, présenta la résolution suivante : « Considérant que le problème de la production a été résolu en grande partie grâce surtout à l'application de méthodes scientifiques et aux résultats des recherches techniques organisées; Considérant que le gouvernement fédéral a fait sa part à cet égard, en établissant le Conseil national des recherches scientifiques, et en donnant son assistance financière à ce Conseil; Considérant que le problème de la distribution, avec les questions connexes du pouvoir d'achat et de la valeur d'échange des produits agricoles ou autres, de même que leurs relations avec le problème croissant du chômage, ne sont pas encore réglés et exigent une attention immédiate, une enquête méthodique et une étude scientifique; Considérant que cette tâche peut être mieux accomplie sous l'impulsion de l'Etat et par des hommes possédant un entraînement scientifique que l'on mettrait en état de consacrer tout leur temps et leur énergie à l'étude de ce problème important; En conséquence, la Chambre est d'avis que le Gouvernement devrait s'occuper immédiatement d'établir quelque organisation à cette fin, laquelle pourrait être connue sous le nom de Conseil national des recherches sociales et économiques21. »
Dans le long débat qui suivit, le gouvernement affirma que les ministères traitaient déjà des problèmes évoqués par Speakman. On ne fit pas mention du rôle de chef, ni même de soutien, que le Bureau pourrait occuper à cet égard. En février de l'année suivante, Speakman présenta de nouveau sa résolution, soutenant l'urgence d'agir : « [...] la crise, telle une paralysie mortelle, paraît ronger de plus en plus avant tout notre organisme économique22. » Cette fois, la Chambre se montra plus réceptive, même si le chef de l'opposition, Mackenzie King, déclara qu'on pouvait accomplir le travail en élargissant le mandat du Conseil national de recherches, tandis que le ministre du Commerce Stevens répéta que le gouvernement étudiait déjà les problèmes en question. Néanmoins, le gouvernement promit d'envisager très attentivement la résolution au cours de l'année. Gardiner et Speakman firent partie de la coalition de groupes radicaux qui fonda la Fédération du commonwealth coopératif, à Calgary, en 1932. Adopté à Regina l'année suivante, le manifeste du parti contestait les politiques du gouvernement Bennett, qu'il qualifiait d'immobilistes, en réclamant notamment la création d'un État-providence qui offrirait différents régimes universels — retraite, assurance-maladie, aide sociale, allocations familiales, assurance-chômage et indemnisation des accidents du travail.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE CONFÉRENCE ÉCONOMIQUE IMPÉRIALE (1932) Entre-temps, Coats participa à ce qui fut sans doute, en matière d'économie, le travail de recherche le plus important jamais entrepris par le gouvernement canadien, qui s'apprêtait à recevoir la Conférence économique impériale de juillet-août 1932. Cette conférence était la première d'une série qui eut lieu à l'extérieur du Royaume-Uni; elle visait à trouver des moyens de stimuler le commerce au sein de l'Empire malgré la crise mondiale. Le comité organisateur chapeautait cinq sous-comités qui devaient établir les documents nécessaires pour la délégation canadienne, et Coats présida celui de l'économie générale. En un peu plus de trois mois, son groupe produisit 40 monographies; il assura en outre un soutien statistique aux autres sous-comités, notamment pour rédiger des mémoires sur les tarifs. Le personnel du Bureau fut donc fort occupé pendant tout le printemps23. Voulant souligner l'événement à sa manière, le Bureau prépara une édition spéciale de Canada 1932. À l'ouverture de la conférence, il y avait 42 délégués de rang ministériel ou équivalent, accompagnés de nombreux conseillers. Le Canada comptait 13 délégués, avec à leur tête le premier ministre R.B. Bennett, auxquels s'ajoutaient 64 conseillers ministériels, dont 15 personnes du ministère du Commerce. Le Bureau était représenté par Coats et Cudmore et par les quatre chefs des divisions touchées par les principaux points à l'ordre du jour24.
PROJET DE CRÉATION D'UN ORGANISME DE RECHERCHE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE Coats jugea la résolution de Speakman simpliste et le dit clairement dans une critique et contre-proposition qu'il envoya à Stevens à la suite de la conférence impériale25. À la Chambre, Gardiner ouvrit la voie au dépôt de la proposition en pressant le ministre de faire état des travaux des fonctionnaires qui s'occupaient des problèmes économiques du pays. Selon Coats, la résolution Speakman ne tenait pas compte de la distinction entre les méthodes de recherche en sciences naturelles et en sciences sociales. Dans le premier cas, la principale méthode, dite expérimentale, caractérisait les travaux menés dans les laboratoires et les stations expérimentales de certains ministères — Agriculture, Mines, Forêts, etc. —, et coordonnés par le Conseil national de recherches dans une optique générale. En sciences sociales, on distinguait d'abord la méthode de recherche déductive et théorique qui, malgré son importance pour l'élaboration des politiques publiques, revenait essentiellement, selon Coats, aux chercheurs privés — surtout dans les universités. Ensuite, la méthode de recherche inductive procédait de l'observation des activités et des caractéristiques de la société et comportait leur analyse et leur interprétation au moyen de méthodes scientifiques. Il s'agissait évidemment de la méthode statistique que Coats avait définie comme « une science qui traite de la mesure et de l'interprétation des phénomènes économiques et sociaux, tant dans leur ensemble que sous leurs aspects distincts26 ». Seul le gouvernement était à même d'exécuter les travaux de statistique, en partie à cause des frais élevés qu'ils entraînaient, mais surtout parce que lui seul pouvait obliger les 122
LES ANNÉES 1930 : EN QUÊTE DE LA RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE répondants à fournir les renseignements demandés. Coats rappela dans sa note l'évolution du système statistique canadien et la réalisation — quoique incomplète et laissant encore à désirer — des objectifs parallèles qui permettraient d'obtenir un éventail de données pour dresser un tableau complet de la situation économique et sociale du Canada. Le gouvernement devait donc éviter de multiplier les rôles ou de susciter de la confusion en élargissant les responsabilités du Conseil national de recherches ou en créant un organisme analogue pour s'occuper de recherche économique et sociale comme Speakman l'avait proposé. Il lui fallait plutôt renforcer et rendre plus efficace ce qui existait déjà. À cette fin, Coats proposa deux séries de mesures. La première consistait à « parachever le système d'organisation statistique ainsi que le contrôle et les mécanismes administratifs connexes prévus lors de la création du Bureau 27 ». Il s'agissait pour cela de redonner au Bureau le mandat de « Bureau de la statistique et de la recherche sur l'état civil » et de confirmer par la loi les pouvoirs qui lui avaient été attribués par décret et par règlement pendant la période formatrice de 1918 à 1922. Coats proposa en outre la création d'un « comité national de recherche économique et sociale » dont relèveraient l'orientation et le contrôle du système statistique, qui lui servirait d'organe. Le comité serait présidé par un ministre et composé de représentants d'importants groupes d'intérêts économiques28. Son mandat s'énoncerait comme suit : « a) Tenir le gouvernement au courant des besoins généraux en matière de recherche économique et sociale; instituer périodiquement des enquêtes spéciales, selon les besoins; et, de façon générale, diriger, promouvoir et coordonner la recherche économique et sociale au Canada; b) Mener des études spéciales au nom d'associations ou d'entreprises industrielles, en s'appuyant principalement ou en partie sur des données officielles, et en imputer les coûts à ces associations ou entreprises; c) Planifier la production, l'augmentation du capital et du matériel ou d'autres politiques, de concert avec des groupes d'intérêts économiques; d) Suggérer la coordination des travaux des ministères dans le domaine économique ou social lorsque cette mesure est jugée opportune; e) Surveiller et contrôler l'organisation des statistiques en tant que données de base aux fins de la recherche économique et sociale et servir de groupe de référence à l'égard de problèmes de nature interministérielle et interprovinciale liés à cette organisation; f) Publier des rapports et des résultats jugés d'intérêt public29. »
En conclusion, Coats réaffirmait l'objet des propositions : « [...] résoudre pendant quelque temps ce qui est sans aucun doute devenu l'un des principaux besoins du gouvernement, celui de suivre l'évolution de la théorie économique et de disposer en permanence des renseignements nécessaires pour formuler ses politiques économiques, et de mécanismes plus nettement reconnus à cette fin. »
Selon lui, les propositions étaient de nature économique et visaient à stimuler la recherche économique dans le secteur privé. Enfin, fidèle à son habitude de conclure une argumentation par une citation frappante, il ajouta qu'on pourrait ainsi établir au Canada ce qu'avait recommandé instamment la Commission royale sur les rouages du
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE gouvernement, dirigée par lord Haldane en Grande-Bretagne après la guerre, à savoir un ministère spécial pour « l'acquisition organisée de faits et de renseignements préliminaires à l'élaboration des politiques30 ». Stevens répondit qu'il avait lu la note « avec un vif intérêt » et félicita Coats pour avoir fait le tour de la question. Il s'engagea à donner suite aux recommandations, ajoutant qu'il comptait convoquer une réunion dans un avenir rapproché31. Rien n'indique que l'enthousiasme de Stevens entraîna des mesures comme telles, mais le mémoire de Coats eut probablement une incidence sur l'adoption, au début de 1935, d'une loi qui créait, « sous la dénomination de Conseil économique du Canada, un conseil consultatif honoraire sur les questions sociales et économiques32 ».
CONSEIL ÉCONOMIQUE DU CANADA (1935) Placé sous la présidence du ministre, le Conseil était tenu : « a) D'instituer des études et recherches, de faire rapport et de donner des avis consultatifs sur les questions relatives à l'orientation générale des conditions sociales ou économiques ou à quelque problème social ou économique du Canada, et d'autoriser les enquêtes qui s'y rattachent, en la manière ci-après prévue; b) D'émettre des recommandations pour favoriser et coordonner les recherches sociales et économiques à l'intérieur du Canada; c) D'émettre des recommandations pour coordonner l'activité sociale ou économique des divers ministères du gouvernement du Canada; d) D'émettre des recommandations concernant l'organisation des statistiques comme données fondamentales requises pour les investigations sociales et économiques; e) De publier les rapports et conclusions qui peuvent être réputés d'intérêt public33. »
Le statisticien du Dominion fut désigné secrétaire du Conseil et chargé d'entreprendre « sous le régime de la Loi de Statistique [sic], toutes recherches statistiques spéciales que peut requérir le Conseil34 ». Au cours de l'étude du projet de loi, le premier ministre intérimaire, sir George Perley, employa des arguments qui rappelaient ceux que Speakman avait avancés trois et quatre ans plus tôt, mais en ajouta un nouveau : « [...] le Conseil économique projeté [...] représentera [...] une économie de temps et de travail pour le gouvernement en fonctions, et surtout pour le premier ministre. [...] Il est évident depuis plusieurs années que les ministres ont à s'occuper de trop de questions de détail et que notre système impose au premier ministre un travail excessif pour un seul homme. »
II ne tarit pas d'éloges à l'endroit du Bureau, notamment pour la coordination exercée depuis 1918 : « [II] a accompli une oeuvre de premier ordre et a droit aux félicitations de tous ceux qui y ont affaires. Ce service fournit des renseignements absolument dignes de confiance et à la disposition de tout le monde. »
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LES ANNÉES 1930 : EN QUÊTE DE LA RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE Mais il importait désormais « de faire un pas de plus et d'accomplir ce travail en nous plaçant à un point de vue plus large et d'une portée universelle35 ». La Loi était remarquablement fidèle à l'esprit de la note présentée par Coats en 1932, et celui-ci dut croire qu'une ère nouvelle s'amorçait enfin. En juin 1935, il écrivit à Bennett : « J'ai tenté de vous rencontrer au sujet du [Conseil économique du Canada], surtout pour vous faire savoir que les préparatifs vont bon train et que vous pourrez y donner suite quand il vous conviendra. [...] Vous trouverez ci-joint un projet d'ordre du jour que j'ai préparé pour la première réunion du Conseil et auquel j'ai annexé à votre intention un projet d'allocution d'ouverture36. »
Coats suggéra que l'allocution — 20 pages tapées à la machine — fût largement diffusée dans la presse. Or, la réunion n'eut jamais lieu et aux élections d'octobre 1935 le gouvernement Bennett fut défait. Au début de l'année suivante, le député J.-F. Pouliot déposa un projet de loi visant à abroger la Loi sur le Conseil économique du Canada, expliquant de façon imagée, quoique nébuleuse, qu'il fallait « mettre la hache du contrôle parlementaire à une branche sèche de l'arbre mort de la soi-disant législation sociale37 ». À la deuxième lecture, il donna deux motifs à l'appui du projet de loi : « D'abord, ni le Gouvernement actuel ni le gouvernement précédent n'ont tenté de former un conseil économique. Ensuite, le budget des dépenses de l'an dernier comportait un crédit de $20,000 destiné à défrayer [sic] les dépenses découlant de cette loi, mais le budget des dépenses de la prochaine année financière ne prévoit rien à cette fin. J'en conclus donc que le Gouvernement a jugé sage de ne pas se prévaloir de cette législation38. »
Sur ce dernier point, le premier ministre Mackenzie King se montra catégorique : « Je suis très satisfait de mon propre conseil. Je ne crois pas avoir besoin d'un conseil économique pour dire au Gouvernement actuel quelles sont les mesures législatives nécessaires39. » On aimerait croire que la Loi sur le Conseil économique du Canada fut motivée uniquement par la force et la logique des arguments de Coats en faveur d'un « comité national de recherche économique et sociale ». Mais cette initiative fut d'origine purement politique; elle remontait à la résolution présentée par Speakman quelques années plus tôt. Il s'était avéré utile de la proposer au début de 1935 dans le cadre du « New Deal » du premier ministre Bennett. Cet ensemble de propositions visait à redorer le blason du parti conservateur; il préconisait des réformes sociales dans plusieurs domaines — assurance-chômage, assurance-maladie, pensions de vieillesse, heures de travail et salaire minimum. Il semble qu'il fut élaboré en grande partie par W.D. Herridge, beau-frère de Bennett, qui, ayant été ministre à Washington, s'était beaucoup inspiré du New Deal du président Franklin D. Roosevelt. Ce programme ne permit pas à Bennett de remporter les élections d'octobre 1935 et, en janvier 1937, le Comité judiciaire du Conseil privé déclara invalides la plupart des mesures du New Deal canadien.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE
COLLABORATION AUX COMMISSIONS ROYALES D'ENQUÊTE Dans sa critique de 1939, MacGregor insista sur l'incapacité du Bureau à répondre aux besoins statistiques des commissions royales d'enquête qui se succédèrent dans les années 1930 : « II n'y avait pas de données valables sur le transport automobile pour la commission Duff. Les données sur les résultats financiers des établissements de commerce ne répondaient pas aux besoins de la Commission royale sur les écarts de prix, non plus que l'information permettait de comparer les prix pratiqués au Canada et à l'étranger pour les fins de la Commission du tarif. Les données des enquêtes récentes sur la machinerie agricole et les textiles étaient insuffisantes, tout comme les statistiques requises par la Banque du Canada au sujet de l'activité commerciale et des finances publiques, et les données sur le chômage et l'aide sociale destinées à la Commission de l'emploi. Et il n'y avait à peu près pas de statistiques valables sur l'impôt et le revenu pour l'élaboration des budgets40. »
À cause de son manque d'intérêt ou de sa négligence, affirmait-il, le gouvernement « s'était fait prendre au dépourvu à plusieurs reprises41 ». Sur certains points, les reproches étaient en grande partie fondés, mais on ne pouvait certes pas accuser le Bureau de n'avoir rien fait pour faciliter les travaux des commissions royales. Pour l'une d'entre elles — la commission Macmillan de 1933 — il travailla même en parallèle avec MacGregor lui-même; dans ce contexte, celui-ci fit un bilan plus objectif et, en général, plus indulgent des points forts et des lacunes des données fournies par le Bureau42. Coats se servit des commissions royales pour imposer le Bureau à titre de principale source gouvernementale en matière de recherche économique et sociale. D'une part, il apporta toute l'aide possible pour la préparation des témoignages et le déroulement des travaux et chercha à convaincre les commissions que le Bureau, en vertu d'une autorisation législative et de la compétence acquise, était ou serait en mesure de répondre à leurs besoins statistiques. D'autre part, il exerça des pressions pour les inciter à inclure dans leurs rapports des recommandations visant à combler les lacunes que leurs enquêtes avaient décelées et pour obtenir leur soutien afin de faire reconnaître le Bureau en tant qu'organe national de recherche en sciences sociales. On trouve un bon exemple de cette démarche dans les relations du Bureau avec trois grandes commissions royales, dont la première fut la Commission d'enquête sur la banque et la monnaie au Canada, nommée en juillet 1933 pour étudier le fonctionnement du système bancaire et monétaire canadien43. Le gouvernement avait proposé sa création dans le budget de 1933, notamment en vue de la révision décennale de la Loi sur les banques. La commission devait aussi se pencher sur l'activité d'une banque centrale. À l'époque, le Canada était l'un des rares pays industrialisés à en être privé, car on estimait que le système bancaire avait toujours bien fonctionné de façon décentralisée. Toutefois, les conférences internationales tenues après la guerre avaient régulièrement réclamé la création de banques centrales dans des pays où il n'en existait pas et, à l'occasion de la Conférence économique et monétaire mondiale de juin 1933, le Canada appuya une résolution à cette fin. Le sous-ministre des Finances, W.C. (Clifford) Clark, était fortement en faveur d'une banque centrale et le premier ministre Bennett partageait son
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LES ANNÉES 1930 : EN QUÊTE DE LA RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE opinion. Faisant suite à un rapport favorable de la commission, la création d'une banque centrale fut annoncée dans le discours du Trône de janvier 1934. Bennett déclara alors : « Lorsque je me suis rendu compte que ce pays ne pouvait pas effectuer des opérations considérables de change avec Londres, sauf par l'intermédiaire de Wall Street, j'ai jugé, personnellement, que le Canada avait besoin d'une banque centrale44. »
Le président de la commission, lord Macmillan, avait dirigé quelques années plus tôt un comité sur les finances et l'industrie en Grande-Bretagne, où une banque centrale existait depuis longtemps. Puisque la majorité des membres semblaient en faveur de la création d'une banque centrale, la commission mena des audiences à « une vitesse vertigineuse45 », et son rapport fut déposé au Parlement à la fin de septembre. Dans une proportion de trois contre deux, la commission recommanda la création d'une banque centrale. Coats, naturellement, prit la commission au pied de la lettre. Le rapport du comité britannique46, publié en 1931, comportait un chapitre qui critiquait l'état dans lequel se trouvait la statistique en Grande-Bretagne. L'analyse eut un profond effet sur Coats, qui évalua l'étendue des données dont disposait le Canada et qui étaient jugées souhaitables en Grande-Bretagne, ainsi que les améliorations nécessaires. Il conclut que le système en place au Canada était plus complet que celui de la Grande-Bretagne sur le plan des données économiques et financières, notamment pour l'envergure, la qualité et l'actualité du recensement canadien de la production. À son avis, la centralisation était nettement avantageuse, puisqu'elle facilitait beaucoup les comparaisons entre les domaines statistiques et qu'elle permettait l'étude exhaustive de la conjoncture économique. Il releva toutefois des lacunes dans les statistiques canadiennes sur les banques, dont l'absence de données périodiques sur la répartition des prêts bancaires par branche d'activité, et recommanda qu'elles fussent étudiées attentivement au cours des six mois suivants, en vue de la révision décennale de la Loi sur les banques41. Mais rien ne permet d'affirmer que le ministère des Finances ait tenu compte du conseil. Comme Macmillan était président de la commission, Coats semblait avoir trouvé une oreille attentive. Il lui transmit une version amplifiée et mise à jour de sa note de 1932, sous le même titre48. Il s'attarda sur les statistiques financières et présenta les lacunes perçues, entre autres l'absence de données sur les bénéfices et la nécessité d'estimations plus détaillées et plus fréquentes du revenu national. La seule autre évaluation de l'utilité de la statistique canadienne pour l'orientation de la politique monétaire fut celle du professeur MacGregor49. Essentiellement favorable, elle reconnaissait que le Bureau avait fait tout ce qui était humainement possible avec les ressources et les pouvoirs juridiques dont il disposait. MacGregor indiqua que le recensement industriel annuel constituait l'inventaire le plus détaillé et le plus fréquent qui pût se trouver, mais tout comme Coats, il déplora le fait que malgré leur grande valeur, il y avait eu peu d'analyses en ce domaine. En outre, il critiqua la qualité des statistiques sur les finances publiques, observant qu'on ne pouvait espérer les améliorer avant d'avoir convaincu les provinces et les municipalités d'adopter des méthodes comptables uniformes. Il insista plus que Coats sur l'insuffisance ou l'absence de certaines données, comme les mesures courantes des salaires et traitements, qui auraient permis d'établir des estimations valides du revenu national. Par la suite, le Bureau 127
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE exprima son accord au sujet de la plupart des reproches, entre autres l'insuffisance des données sur les salaires et traitements, qu'il considérait comme étant la « lacune la plus flagrante de la statistique canadienne50 ». A.F.W. Plumptre, professeur adjoint d'économie politique à l'Université de Toronto, était secrétaire adjoint de la commission, dont il coordonna le programme de recherche avec Clark. Le Bureau produisit un ensemble de données à leur intention et s'évertua à répondre à des demandes spéciales et complexes. On lui demanda notamment des statistiques pour illustrer le rapport entre les exportations de blé et la baisse du taux de change au Canada et dans d'autres pays producteurs de blé; des statistiques historiques sur la monnaie métallique en Amérique du Nord britannique; des mesures de l'« investissement » au sens donné à ce terme par Keynes dans son Traité de la monnaie51', et des données sur les effets des fluctuations de prix sur le fardeau de la dette. À l'occasion, la commission n'hésitait pas à recourir à la flatterie pour arriver à ses fins. L'une des demandes de Clark se terminait comme suit : « J'hésite à importuner ainsi votre service surchargé de travail, mais c'est sans doute là le prix de sa grande compétence52. » Or, contrairement aux espoirs de Coats, la commission n'émit pas de recommandations sur les statistiques économiques et financières. La seule allusion à la statistique était la suivante : « Nous avons reçu, tant de M. Coats, le statisticien du Dominion, que du comité présidé par le professeur Jackson, des suggestions concernant l'amélioration des différents rapports statistiques que les banques sont tenues de transmettre. La question, largement non contentieuse, se résout à un point de détail, et il conviendrait, à notre avis, d'en saisir le ministère des Finances, avant l'enquête du Comité permanent des banques et du commerce à l'examen duquel le Parlement va sans doute soumettre la revision de la Loi concernant les banques53. »
Peut-être Coats fut-il imprudent, dans son mémoire à la commission, de tant insister sur le fait que le Canada possédait déjà beaucoup des statistiques jugées souhaitables dans le rapport du comité britannique présidé par Macmillan. Chose certaine, en janvier 1935, il avait révisé le texte de sa note qui portait maintenant sur le rôle de la statistique canadienne dans l'orientation de la politique financière et monétaire, et qui abordait plus directement les mesures qui restaient à prendre. Il recommanda la tenue d'un recensement annuel des institutions financières, ainsi qu'une étude plus poussée de la balance des paiements internationaux et des mouvements de capitaux, et affirma que le Bureau était en mesure de collaborer avec les autorités fiscales pour produire des statistiques sur les bénéfices à partir des déclarations de revenus des sociétés. Coats envoya cette note à J.A.C. Osborne, sous-gouverneur de la nouvelle Banque du Canada, en mentionnant qu'elle pouvait « servir de point de départ à la discussion54 ». Il entendait sans doute établir entre les deux organismes des relations étroites qui permettraient au Bureau de lancer de nouveaux programmes statistiques tout en répondant aux besoins de la Banque en matière de fonctionnement et de recherche. Il ne semble pas y avoir eu de relations privilégiées toutefois entre les deux organismes. La Banque créa bientôt sa propre division de recherche, et ses relations avec le Bureau prirent ensuite une tournure routinière. Ainsi, quand la Banque commença à publier un 128
LES ANNÉES 1930 : EN QUÊTE DE LA RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE sommaire statistique mensuel, elle en coordonna le contenu avec les séries connexes du Bureau afin d'éviter le dédoublement des efforts. Par ailleurs, le Bureau collabora aux travaux d'un comité spécial qui allait devenir la Commission royale d'enquête sur les écarts de prix. Constitué par la Chambre des communes en février 1934, le comité devait : « [...] rechercher et examiner les causes de l'écart considérable qui existe entre les prix que le producteur reçoit pour ses marchandises et le prix que les consommateurs paient pour lesdites marchandises. »
Au terme de son enquête, le comité devait recommander : « [...] telles mesures qui [...] peuvent être jugées nécessaires pour imposer, autant que ce sera possible, des méthodes équitables dans les systèmes de distribution et de vente, une rémunération équitable et juste, compatible avec les droits des consommateurs, pour les producteurs, les employés et les patrons55. »
Le comité avait été créé à la demande du ministre du Commerce, H.H. Stevens, qui en fut nommé président. Stevens avait accédé à la députation après une carrière sans histoire dans la petite entreprise. Défenseur instinctif des opprimés, il eut tôt fait de décrier l'exploitation du régime de la libre entreprise par les grandes sociétés industrielles et marchandes 56 . Le comité se lança immédiatement dans une foule d'audiences et d'enquêtes, et à la fin de juin il était clair qu'il ne pourrait pas terminer ses travaux avant la fin de la prorogation imminente du Parlement. Stevens persuada donc le premier ministre Bennett de transformer le comité en une commission royale dotée d'un mandat semblable. Exceptionnellement, il fut autorisé à demeurer président, mais sur les instances de Bennett, Lester B. Pearson, des Affaires extérieures, fut nommé secrétaire. Le Bureau ne tarda pas à prendre une part active aux travaux du comité. Marshall et Cudmore firent partie d'un groupe consultatif de fonctionnaires et Coats fut l'un des trois conseillers retenus pour l'analyse et l'étude des témoignages qui seraient présentés. Toutefois, la régularité des travaux fut perturbée vers la fin de juillet lorsque le Bureau fut accessoirement mêlé à un scandale provoqué par Stevens. Dès le début des audiences, Stevens s'en prit très durement aux dirigeants de grandes entreprises qui comparaissaient devant le comité57. Le 26 juin, il rendit compte des travaux du comité à une quarantaine de députés conservateurs; il dénonça alors « l'incompréhensible mépris de l'éthique qui [caractérisait] certains magnats de l'industrie et des finances au pays » et accusa nommément sir James Flavelle d'avoir manipulé le cours du titre de la Robert Simpson Company. Au lieu de maintenir confidentiels de tels propos, Stevens commit peu après l'imprudence de faire polycopier par le Bureau son allocution en 3 000 exemplaires, dont l'un parvint à la presse. Comme le rapporta Olive Mary Hill, « la tempête qui suivit fut épouvantable58 ». Sur la page couverture du pamphlet de 12 pages, on pouvait lire : « Stevens le téméraire part à l'assaut des conditions déplorables dans certaines entreprises »; et « Salaires en baisse, bénéfices en hausse — le ministre du Commerce crie au scandale et craint pour les fondements constitutionnels59. »
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Ayant manifestement dérogé au principe de la solidarité ministérielle, Stevens dut remettre sa démission à la fin d'octobre. Il prétendit qu'il y avait eu une « fuite » au moment de la polycopie de l'allocution, mais son argument ne fut pas convaincant : les 3 000 exemplaires, dont on réussit à récupérer la plupart, étaient clairement destinés à la diffusion60. Il appert que le Bureau s'en sortit indemne, puisqu'il n'y était pour rien; heureusement, son nom ne figurait pas dans le pamphlet. Il n'y eut pas non plus de blâme officiel. Ce fut sans doute l'une des rares fois où le Bureau se félicita de relever du sous-ministre du Commerce. En matière de soutien statistique, aucune autre enquête publique n'avait encore été aussi exigeante. Avant la fin du premier mois de l'enquête, le Bureau avait fourni des données au secrétaire et aux membres du comité, et Coats avait été invité à décrire les secteurs de recherche susceptibles d'être utiles et les statistiques dont on disposait à cette fin. Au fil des travaux, le comité puisa abondamment dans les données des recensements industriels et des recensements de la population, de l'agriculture, des établissements de commerce et de service de 1931, et des enquêtes sur les prix de gros et de détail et sur les prix à la ferme. À maintes reprises, Stevens sollicita l'aide du Bureau pour étayer son point de vue sur certaines questions. Il demanda notamment à Coats de mettre la main sur un rapport publié par un organisme américain, la Russell Sage Foundation, qui aurait démontré que « [...] dans les petites villes et dans les villages, les marchands indépendants accordaient un généreux crédit aux chômeurs, alors que les grandes chaînes de magasins et les établissements vendaient au comptant et sans pitié, sans assumer leur part du fardeau61 ».
Ce genre de parti pris politique fut dénoncé par Vincent W. Bladen, de l'Université de Toronto, qui, à l'invitation de Pearson, avait travaillé quelque temps pour la commission. Il écrivit dans le Economie Journal que le rapport de la commission renfermait : « [...] beaucoup de renseignements inutiles, peu concluants ou incomplets. Les opinions y prennent trop de place, et les faits ont été obtenus par des enquêteurs soucieux d'étayer leur point de vue. [...] L'enquête prit l'allure d'une chasse aux sorcières62. »
Coats aurait voulu canaliser l'utilisation des statistiques par le comité, puis par la commission, mais il n'était pas possible de leur fournir l'éventail des renseignements demandés. Le Bureau préleva, pour des enquêtes spéciales, des échantillons tirés de ses listes de répondants, mais refusa de participer à la collecte de données63. Coats était de l'avis suivant : « Le Bureau de la statistique ne doit pas intervenir dans le volet inquisitorial de l'enquête, ce qui va de soi, même si les journaux ne le précisent pas. Tous les questionnaires qui nous sont retournés sont évidemment confidentiels, et les seuls renseignements que je suis appelé à fournir sont d'ordre statistique général64. »
Le Bureau ne se limita pas à la production de statistiques; il fit aussi largement appel aux connaissances spécialisées des chefs de division. Par exemple, Coats incita Stevens à faire témoigner Herbert Marshall : « II pourrait présenter au comité les faits marquants de notre recensement des établissements de commerce de 1931-1932; [...] décrire le fonctionnement des associations professionnelles
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LES ANNÉES 1930 : EN QUÊTE DE LA RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE américaines avec lesquelles il est en rapport depuis un certain temps; [...] résumer les fonctions de la Commission fédérale du commerce des États-Unis; [...] et faire un exposé [...] sur le secteur commercial, à savoir les caractéristiques économiques des divers types d'établissements commerciaux, d'un point de vue théorique65. »
À en juger par les notes que Marshall produisit l'année suivante, il ne se contenta pas de fournir des renseignements généraux. Il recommanda un bon nombre de mesures, notamment la création d'une « commission du commerce loyal », habilitée à enquêter sur l'exploitation de conditions monopolistiques et à prendre des sanctions à cet égard66. Pour sa part, Grindlay, de la Division de l'agriculture, rédigea une analyse des effets de la baisse des prix sur l'industrie du bétail et recommanda, entre autres, qu'une commission fût chargée d'élaborer et d'appliquer en ce domaine « une politique nationale de commercialisation qui soit réalisable67 ». Coats ne manqua pas d'exploiter son titre de « conseiller en analyse et étude des témoignages ». En juillet 1934, à la suite d'une réunion des hauts fonctionnaires du Bureau avec Stevens, il écrivit à celui-ci que la meilleure façon d'en venir aux choses sérieuses était de se mettre aussitôt à rédiger un rapport provisoire. Suivait une liste détaillée des thèmes à aborder sous 12 titres de chapitre, dont l'un, mentionnait-il, pourrait comporter en annexe « une note sur l'organisation statistique nécessaire pour bien suivre les tendances de l'industrie et du commerce intérieur68 ». Coats revint plus tard sur ce dernier point dans une lettre adressée à Pearson : « J'ai déjà demandé au ministre qu'il soit question de la statistique dans le rapport de votre commission et j'ai donc rédigé le texte ci-joint69. » Pearson, quoique réceptif à la demande, refusa de prendre une décision hâtive : « Je suis tout à fait d'accord [...] qu'il y a lieu d'aborder la statistique [...] et il me semble que votre texte pourrait servir à cette fin. Je me demande toutefois s'il ne conviendrait pas d'attendre que les suggestions de mesures correctives soient précisées avant d'adopter la formulation exacte™. »
Pearson ajoutait que si une commission du commerce devait mener périodiquement certaines enquêtes, on pourrait alors souligner que ses travaux seraient entravés par l'absence de renseignements statistiques pertinents. On recommanda par la suite la création d'une commission de ce genre — la Commission fédérale du commerce et de l'industrie — et les recommandations statistiques du rapport débouchèrent sur une recommandation globale voulant que la commission proposée fût autorisée à mener des enquêtes économiques générales : « Une commission comme celle que nous venons de décrire serait tout à fait apte à instituer des enquêtes, non seulement sur les pratiques commerciales déloyales, mais aussi sur les conditions générales du commerce et des affaires. [...] De fait, une grande partie de notre travail aurait pu être remis [sic] a un [sic] commission fédérale du commerce et de l'industrie, s'il en avait existé une. »
En attirant l'attention sur les renseignements dont on disposait pour ce genre d'enquête, le rapport fit l'éloge de l'envergure et du détail des statistiques sur la production et la distribution, mais ajouta qu'elles :
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE « [...] n'étaient pas suffisamment commentées ou analysées, du point de vue général. Autrement dit, on n'a pas assez étudié les caractéristiques et les tendances les plus essentielles de l'industrie et de la distribution au Canada [...]71. »
Cette observation reprenait exactement celle que Coats avait présentée à la commission, tout comme la recommandation suivante : « Des phénomènes tels que la centralisation des opérations industrielles, la relation entre la capitalisation théorique et le capital réel, et entre ce dernier et le nombre des employés, le rapport entre les salaires et les traitements, et entre ces deux facteurs et la production nette et les prix, la productivité relative du capital et de la main-d'oeuvre dans les grandes ou les petites exploitations, l'approvisionnement de force motrice relativement à l'utilisation de la main-d'oeuvre etc., devraient faire l'objet d'analyses spéciales et périodiques. »
La commission recommanda en outre : « [...] que le Bureau de la statistique amplifie considérablement ses travaux généraux et que la Commission fédérale du commerce et de l'industrie mette à profit les renseignements que possède déjà le Bureau avant d'entreprendre des enquêtes sur des situations particulières ou sur les problèmes relatifs à l'importance économique générale, des diverses politiques entre lesquelles il lui faudra choisir72. »
Elle suggéra la création d'un organisme consultatif pour le Bureau, ce que Coats préconisait depuis longtemps. Les seules recommandations précises d'ordre statistique concernaient le travail. Dans ce secteur de la statistique plus que dans tout autre, la « Commission a dû consacrer une bonne partie de son temps et faire des dépenses considérables pour réussir à obtenir des données qui auraient dû lui être fournies au premier appel73 ». Elle proposa de centraliser au Bureau la collecte des données sur le travail et de mener une enquête nationale sur le coût de la vie afin d'éclaircir le problème des écarts régionaux au chapitre de la rémunération. En réponse aux principales recommandations du rapport, le gouvernement créa en juillet 1935, dans le cadre du « New Deal », la Commission fédérale du commerce et de l'industrie, dont les commissaires devaient être membres de la Commission du tarif et qui était principalement chargée de mettre en application la Loi des enquêtes sur les coalitions ainsi que les normes de production74. La commission fut également autorisée, à la demande du gouverneur en conseil, à « [...] étudier, examiner, rapporter toutes questions et émettre un avis sur toutes questions se rattachant à la tendance générale de la situation sociale ou économique ou à tout problème social ou économique du Canada75 ».
Un rôle semblable avait été confié au Conseil économique du Canada, créé depuis peu. C'est sans doute pourquoi la commission devait lui apporter sa collaboration, « lorsqu'elle en [était] requise ». Comme le Bureau était nommé l'organe statistique du conseil et le statisticien du Dominion était désigné secrétaire, la commission offrait un nouveau moyen de réaliser les aspirations de Coats en matière de recherche. Coats soumit au président de la Commission du tarif, l'honorable George H. Sedgewick, une proposition que Stevens avait approuvée deux ans plus tôt, 132
LES ANNÉES 1930 : EN QUÊTE DE LA RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE concernant la réorganisation et l'expansion de la Division du recensement industriel. La mesure comportait deux éléments : d'abord, mettre sur pied une nouvelle entité organisationnelle qui se chargerait des opérations annuelles du recensement des établissements de commerce et de service; ensuite, créer dans la division un poste d'analyste principal semblable à celui de chef de l'analyse sociale dans la Division du recensement. Sa fonction consisterait à coordonner les composantes du recensement industriel et à effectuer les études transversales recommandées dans le rapport de la Commission royale d'enquête sur les écarts de prix. On donna suite à la première partie de la proposition en engageant du personnel temporaire76, mais on ne recruta pas de nouvel analyste77 ni de personnel de soutien en raison des restrictions de personnel. Coats expliqua la proposition dans une note qu'il transmit à Sedgewick; il concluait comme suit : « [...] cette réorganisation est une première étape nécessaire à la tenue d'enquêtes de la nature précisée à l'article 25 de la Loi sur la Commission fédérale du commerce et de l'industrie. Le Bureau devrait donc être autorisé à s'entendre avec la Commission du service civil quant au nombre et à la classification des employés mentionnés plus haut afin de rendre la réorganisation permanente dès que possible78. »
Mais ces espoirs furent bientôt anéantis. Comme nous l'avons vu, le Conseil économique du Canada fut aboli par le gouvernement King sans avoir pu amorcer ses travaux. Quant à la Commission fédérale du commerce et de l'industrie, elle resta en grande partie inactive pendant la durée des procédures judiciaires qui avaient été aussitôt entamées pour en contester les attributions. Une fois résolues les questions de compétence, le gouvernement King fit adopter une loi qui abrogeait certaines de ses fonctions et lui en attribuait d'autres. Il se trouvait ainsi à éliminer la fonction de recherche économique et sociale envisagée à l'origine.
COMMISSION ROWELL-SIROIS La Commission royale des relations entre le Dominion et les provinces (Rowell-Sirois), qui se déroula de 1937 à 1940, eut un effet déterminant sur les programmes et les aspirations du Bureau. Mais l'effet ne fut pas immédiat, et le Bureau ne put y exercer une influence directe, comme il avait cherché à le faire pour les autres commissions royales. Étant donné la portée et l'envergure de l'enquête, il ne pouvait compter être seul à fournir des conseils et des renseignements ni demander que ce rôle lui fût reconnu. La commission avait pour mandat : « [...] d'examiner de nouveau les bases sur lesquelles repose le pacte confédératif du point de vue financier et économique, ainsi que de l'attribution des pouvoirs législatifs à la lumière des développements économiques et sociaux des derniers soixante-dix ans79. »
Pour s'en acquitter, elle jugea bon de lancer un vaste programme de recherche sur diverses questions qui débordaient la sphère d'activité du Bureau. Réparties sous trois grandes rubriques — économie, questions constitutionnelles et finances publiques —, les études furent menées par un aréopage comme il ne s'en était jamais vu pour une commission royale canadienne. Alex Skelton, chef du service des
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE recherches à la Banque du Canada, fut nommé directeur des recherches et secrétaire de la commission, assisté de John Deutsch, également de la Banque du Canada. Le rapport de la commission nomma près de 40 éminents universitaires et personnalités du secteur public et du secteur privé qui avaient participé au programme de recherche80. Selon un document préliminaire sur les travaux envisagés, il fallait d'abord « une étude de la richesse et du revenu des régions et un genre d'histoire économique régionale du Canada, qui [montrerait] l'évolution de la richesse relative de diverses régions81 ». L'étude pouvait s'appuyer sur différentes sources de données : « Le Bureau fédéral de la statistique, le ministère du Revenu national et les bureaux de la statistique de quelques-unes des provinces ont une grande quantité de renseignements bruts sur le sujet, mais ceux-ci nécessitent une analyse et une révision poussées. La Banque du Canada est en train de rassembler les renseignements et d'étudier dans quelle mesure on peut établir des estimations utiles sur une base provinciale82. »
Le professeur D.C. MacGregor, de l'Université de Toronto, était considéré comme étant « probablement la plus grande autorité au Canada quant aux aspects techniques des compilations du revenu national », et il fut suggéré de lui confier la direction des travaux83. Au sujet des études nécessaires dans le domaine des finances publiques, il était clair, là encore, qu'il n'existait pas de système d'information cohérent : « À ce jour, les livres rouges préparés par la Banque du Canada pour la commission nationale des finances représentent l'effort le plus complet pour rendre comparables les statistiques fédérales et provinciales sur les finances publiques84. »
Toujours selon le document préliminaire, il fallait préparer des questionnaires et les envoyer aux provinces afin de vérifier et d'augmenter ces renseignements pour les fins de la commission. Le Bureau serait ainsi en mesure d'actualiser les statistiques comparatives sur les finances publiques selon des critères uniformes. Donc, pour deux éléments clés des travaux de la commission, le Bureau n'était pas censé tenir un rôle central. Il fournit pourtant une aide précieuse, même si ce fut par bribes. Sa contribution était la plus évidente dans le premier volume du rapport de la commission, qui présentait l'histoire économique, sociale et constitutionnelle du Canada depuis 1867. Le rapport citait Coats et Marshall parmi les hauts fonctionnaires qui avaient prêté un concours85, mais certaines demandes allèrent au-delà des moyens du Bureau à l'époque. En réponse à une demande de projections démographiques par province, Coats écrivit : « Nous trouvons imprudent de formuler un énoncé concernant la population future du Canada. Nos calculs donnent des résultats différents [...] mais le problème est à ce point de nature spéculative que je crois franchement que les avantages à en tirer sont de peu d'utilité. Même en ce qui touche l'ensemble de la population canadienne, j'ai des doutes à l'égard de notre connaissance actuelle de la croissance démographique. Quant à la répartition par province, elle augmente considérablement le risque d'erreur86. »
Au cours des audiences publiques, la commission entendit des témoignages totalisant plus de 10 000 pages polycopiées, et reçut 427 mémoires. Vers la fin des audiences, le
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LES ANNÉES 1930 : EN QUÊTE DE LA RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE 10 août 1938, Skelton envoya à Coats une liste de recommandations issues des témoignages et des mémoires. Au nombre de 16, elles n'avaient rien de révolutionnaire. Le Bureau avait présenté de nouveau sa recommandation visant à créer un conseil national de la statistique87 composé de représentants des ministères fédéraux et des provinces. Le Bureau avait déposé son mémoire au moment où la commission se penchait sur le chevauchement ou le double emploi dans les fonctions des ministères fédéraux et provinciaux. Il fit valoir que la Loi de la Statistique prévoyait des ententes de collaboration pour la collecte de données dans les champs de compétence attribués aux provinces par l'article 92 de Y Acte de l'Amérique du Nord britannique. Un vaste réseau de collaboration s'était constitué depuis 1918. Dans la lettre accompagnant le mémoire, Coats signala à Parmelee que les ententes étaient modifiées au gré de l'évolution de la situation, mais que l'examen de certains sujets avait révélé l'absence de dédoublement important ou évitable88. La commission souligna que malgré l'ampleur de son mandat, elle s'était concentrée sur le dossier des relations fédérales-provinciales : « La Commission orienta donc son enquête nettement en fonction de ce problème primordial. Nombre de plaidoyers présentés devant la Commission avaient trait à d'autres questions et, de ce fait, ne relevaient pas de cette enquête89. »
Ce qui explique que le deuxième volume fit peu de cas des politiques et des programmes statistiques. À partir du survol historique du premier volume, la commission formulait des recommandations axées sur un réaménagement des compétences entre l'État et les provinces. Il fut question du Bureau en deux occurrences. Le chapitre intitulé « Moyens d'éviter le chevauchement et le double emploi » présentait en résumé le témoignage du Bureau, pour conclure en ces termes : « Grand est le danger d'un gaspillage administratif dans la compilation des statistiques; mais nos enquêtes n'ont révélé aucun cas sérieux de double emploi90. » L'influence du mémoire de Coats était également manifeste dans le fait que la commission préconisait une collaboration très étroite entre le Bureau et les provinces. Mais elle ne reprit pas la recommandation de Coats destinée à créer un conseil de la statistique; elle se contenta plutôt d'affirmer : « On nous a exposé que l'institution d'un Conseil de la statistique, qui se réunirait au moins une fois l'an, accroîtrait cette coordination91. » Le Bureau est cité une deuxième fois dans la recommandation visant l'abandon du recensement quinquennal des trois provinces des Prairies. Le recensement devait permettre de suivre la croissance effrénée de leur population, mais il n'avait plus sa raison d'être. Tout en indiquant que d'autres pays étaient portés à mener des recensements à intervalles rapprochés, la commission conclut : « N'ayant pas étudié les avantages de recensements plus fréquents pour l'ensemble du Canada, nous ne pouvons exprimer aucun avis à cet égard. Nous tenons, cependant, à bien préciser qu'il n'existe aujourd'hui aucune raison valable de ne pas accorder aux provinces des Prairies le traitement consenti au reste du Canada, en matière de recensement92. »
Ainsi que l'avait prédit Skelton, la commission dut produire du mieux possible ses propres statistiques sur les finances publiques, et elle donna de nombreux exemples de
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE ses difficultés. Dans le chapitre sur les finances municipales, qui faisaient « partie intégrante de tout l'organisme provincial et, par conséquent, se [rattachaient] d'autant aux relations entre le Dominion et les provinces93 », elle mentionna que le plus grand obstacle à l'analyse des problèmes était « l'insuffisance des données statistiques et le défaut d'uniformité de celles qui sont à notre disposition94 ». Au sujet des moyens proposés pour examiner les dispositions financières fédéralesprovinciales, la commission était consciente de « [...] la nécessité de poursuivre les recherches économiques et financières dans le sens que nous avons adopté, de compléter et perfectionner la statistique économique et financière que nous avons recueillie, d'améliorer et d'approfondir la technique employée en vue de déterminer la position financière relative des gouvernements et de procéder à l'avenir à des mises au point équitables entre les divers gouvernements95 ».
De telles fonctions exigeraient « un personnel de techniciens et un secrétariat, peu nombreux mais d'une grande compétence, et établi en permanence »; cet organisme deviendrait une « chambre de compensations pour la documentation économique, financière et administrative au sujet des relations du Dominion et des provinces ou de la politique en matière de finances publiques96 ». Dans ce contexte, on ne proposait pas de rôle de premier plan pour le Bureau, mais on ne lui enlevait aucune fonction. Quant à la nécessité d'améliorer les statistiques, le mandat du nouvel organisme aurait sans doute été limité à la consultation, et le Bureau aurait continué d'effectuer les travaux comme tels. En ce qui concerne le revenu national, la commission suivit la suggestion de Skelton et, sous l'égide de D.C. MacGregor, établit ses propres statistiques pour les années 1926 à 1936 et les publia en 193997. Comme nous l'avons vu dans l'introduction, les estimations représentaient « une nouvelle approche du problème ». Pour les fins de la commission, expliquait-on, « [...] il était souhaitable d'améliorer l'exactitude des estimations et de ventiler le revenu national par province. Cette répartition posa de nombreuses difficultés et complications qui ne se présentent pas lorsqu'on estime uniquement les totaux nationaux98 ».
Dans le calcul du revenu national pour la période 1920-1934, fondé en bonne part sur les données annuelles du recensement industriel, le Bureau avait estimé directement la valeur nette de la production du secteur des biens et y avait ajouté une estimation indirecte pour le secteur des services, en proportion de la population active, en supposant une productivité équivalente dans les deux secteurs. Il s'agissait là de la méthode dite « du revenu produit ». En 1935, la Banque de Nouvelle-Ecosse avait fait appel à MacGregor pour améliorer ces estimations en s'inspirant des travaux novateurs qu'il avait menés pour son compte. MacGregor employa la même méthode du revenu produit, mais estima directement le revenu du secteur des services, au lieu de le déduire à partir de celui du secteur des biens. En outre, il élimina en partie le double emploi dans les chiffres du Bureau sur la valeur nette de la production du secteur des biens en soustrayant davantage les dépenses connexes des chiffres bruts.
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LES ANNÉES 1930 : EN QUÊTE DE LA RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE La méthode du revenu produit ne permettait pas de ventiler le revenu national par province, comme le voulait la commission. D'où l'adoption de la méthode dite « du revenu versé ». Les nouvelles estimations représentaient « [...] la première réelle tentative en vue de mesurer le revenu net de l'agriculture et la première estimation directe des intérêts obligataires et des dividendes touchés par des particuliers canadiens" ».
Les estimations de la commission Rowell-Sirois se démarquèrent surtout par la manière dont elles tenaient compte de l'apport du gouvernement au revenu national; en particulier, elles reconnaissaient que les services fournis par l'État aux particuliers et financés par des prêts devaient être ajoutés au total du revenu versé à ces derniers. Sans entrer dans les détails100, mentionnons qu'avec le déclenchement de la guerre et l'augmentation subséquente des fonctions de l'État — financée en grande partie par le déficit budgétaire —, cette méthode provoqua un long désaccord entre le Bureau et la nouvelle génération d'économistes recrutés pour conseiller le gouvernement en temps de guerre. La crédibilité du Bureau en souffrit beaucoup. Au moment de leur publication, toutefois, les nouvelles estimations ne suscitèrent pas d'inquiétude au Bureau. Skelton les fit parvenir à Coats en février 1939 et celui-ci répondit que le sujet était à ce point vaste et diversifié que le Bureau n'avait jamais pu appliquer à fond l'une ou l'autre méthode101. Lorsque la commission déposa son rapport au printemps 1940, la guerre était au coeur des préoccupations politiques à Ottawa. Les provinces s'opposèrent néanmoins à plusieurs des recommandations, qui restèrent en suspens jusqu'à la fin des hostilités. La commission signalait par ailleurs d'importantes lacunes dans les programmes du Bureau, ce dont le Bureau n'aurait pu faire abstraction. En matière de finances publiques, les lacunes statistiques ne pouvaient s'expliquer par une méconnaissance des mesures à prendre. Dans les années 1930, le Bureau s'était efforcé de conclure des ententes avec les provinces102, mais avec un personnel composé d'un seul statisticien et de deux commis, il s'avéra impossible d'assurer le suivi. Il n'empêche qu'avec l'appui du sous-ministre des Finances et de la Banque du Canada, il embaucha un comptable-statisticien, J.H. Lowther103, et d'autres employés administratifs pour continuer les travaux de la commission ayant trait aux statistiques financières provinciales. Il institua en outre des mesures d'amélioration104. Dans le domaine des statistiques municipales, où il était possible d'agir le plus rapidement, deux conférences fédérales-provinciales eurent lieu en 1940 en vue d'uniformiser les méthodes de déclaration des activités et des finances municipales. Une autre conférence fut tenue en 1943, et le Bureau se remit à produire des statistiques sur les finances publiques provinciales, cette fois conformément aux recommandations de la commission. Le Bureau mit beaucoup plus de temps à cerner les lacunes de sa méthode d'estimation du revenu national et, malheureusement, déploya bien des efforts inutiles avant d'adopter une méthode acceptable par le ministère des Finances et la Banque du Canada, dont la gestion de la politique fiscale et monétaire exigeait maintenant des estimations valides du revenu national. Nous y reviendrons dans les prochains chapitres.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE RELATIONS AVEC LE MONDE UNIVERSITAIRE Dans les années 1920 et 1930, Coats traita fréquemment de la nécessité de s'assurer la collaboration des universités à la recherche statistique. Selon lui, leur rôle se rattachait à la recherche pure, qui consistait à vérifier la théorie par la statistique. Il citait souvent en exemple l'étude de Jacob Viner sur la théorie classique du commerce international, « un ouvrage entrepris, je suis heureux de le dire, à partir de statistiques brutes établies chez nous105 ». Mais les travaux de cette nature étaient très rares. Le gouvernement se chargeait d'effectuer la recherche appliquée et de produire des statistiques en réponse aux besoins des deux secteurs, puisque lui seul était en mesure de recueillir et compiler des données exhaustives et pouvait obliger les répondants à fournir les renseignements demandés. Du fait qu'un organe spécialisé s'était vu confier les attributions en ce domaine, il devait en toute logique occuper un rôle de premier plan dans l'interprétation des statistiques et dans leur application à certains problèmes. Coats voyait deux autres éléments où le gouvernement et le monde universitaire se complétaient : ce dernier pouvait offrir des conseils à l'égard du contenu et évaluer la qualité des statistiques officielles, outre qu'il se chargeait d'enseigner la statistique. Ce point de vue reposait en bonne partie sur les pratiques que Coats avait observées aux États-Unis. Grâce à des bureaux comme celui du recensement et celui de la statistique du travail, le système de statistique officielle y était solidement implanté, malgré la décentralisation. Coats s'en était inspiré pour définir le contenu et la méthodologie de plusieurs séries statistiques, mais il eut moins de succès pour l'analyse des enjeux économiques et sociaux. De plus, l'étendue et la qualité de la recherche axée sur la statistique dans les universités canadiennes faisaient piètre figure par rapport aux États-Unis. Il s'agissait non pas simplement d'une question de taille, mais d'un net décalage culturel. Coats entretenait des liens avec des universitaires américains depuis qu'il s'était occupé des prix au ministère du Travail, mais il trouva peu d'alliés chez lui. Pendant la durée de son mandat au poste de statisticien du Dominion, ses correspondants universitaires au Canada furent surtout l'Université Queen's et l'Université de Toronto par le biais, notamment, de W.C. Clark, W.A. Mackintosh, Harold Innis, Gilbert Jackson, D.C. MacGregor, H. Michell et V.W. Bladen. L American Economies Association et l'American Statistical Association comptaient de nombreux membres qui soutenaient des périodiques prospères et offraient conseils et critiques aux organismes statistiques. Au pays, l'Association canadienne de science politique (ACSP) tenait le rôle de société savante et chapeautait diverses disciplines des sciences sociales. Coats en avait été membre fondateur en 1912. Mais lorsqu'elle lança une revue trimestrielle au milieu des années 1930, elle ne regroupait pas plus de 500 membres. Contrairement à ce qui se faisait aux États-Unis, aucune fondation privée ne s'intéressait à la recherche économique et sociale. Lorsque Coats fut élu président de I'ACSP en 1936 — il était le premier statisticien à occuper cette fonction —, il s'attarda aux contrastes dans son allocution. L'Association, observa-t-il sardoniquement, avait une confiance « presque absolue106 » dans l'état de la statistique officielle. Voilà qui tranchait nettement avec la situation qui existait aux ÉtatsUnis et au Royaume-Uni : 138
LES ANNÉES 1930 : EN QUÊTE DE LA RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE « [...] à tout bout de champ, les sociétés [...] donnent des conseils et trouvent à redire. L'American Statistical Association compte cinq comités permanents sur autant d'aspects de la statistique officielle. Qui plus est, le Bureau du recensement des États-Unis est doté d'un conseil consultatif permanent dont six membres sont nommés par l'American Statistical Association et six autres par l'American Economies Association — et ce conseil consultatif est très actif! En Grande-Bretagne, la Royal Statistical Society a souvent chapitré le gouvernement, qui lui a toujours manifesté respect et considération107. »
II en allait de même de l'enseignement de la statistique : « Cette année, dans les collèges et les universités des États-Unis, près de 1 000 cours sont offerts sur les méthodes statistiques et plus de 1 000 autres comportent un module sur la statistique. Au Canada, il n'y a que 12 universités qui dispensent 22 cours de ce genre. Les prospectus de six universités ne mentionnent même pas le mot! [...] Les 12 offrent une licence en économie, mais seulement 5 exigent un cours de statistique! Évidemment, aucune université n'a de chaire de statistique, pas plus que de manuel fondé sur des données canadiennes108. »
Coats incita les universités à offrir d'emblée — et non après coup — une formation en statistique dans leur programme de sciences sociales, et à exiger une connaissance pratique de la forme et du contenu de la statistique officielle canadienne. Il prôna également la création d'un cours destiné à l'étudiant en général, « le citoyen qui utilisera un jour des statistiques, car je crois que demain personne ne passera pour instruit sans connaître les rudiments des lois des phénomènes de masse109 ». Rien n'indique que ce constat au ton critique et convaincant ait eu une incidence directe sur le public cible, sans parler du gouvernement110. À l'automne 1936, Coats suggéra au secrétaire de FACSP, Vincent Bladen, de l'Université de Toronto, d'inscrire le programme du Bureau à l'ordre du jour de l'assemblée de 1937 de l'Association, en précisant : « Notre conseil de direction pourrait aborder dans un premier temps les champs de la statistique qui revêtent une importance particulière et qu'il y a lieu de développer"1. » Cette démarche resta sans suite mais, au début de 1938, J.B. Rutherford, chef de la statistique de l'agriculture, écrivit à Coats : « [...] si la recherche en sciences sociales a peu progressé au Canada, c'est en partie parce que les chercheurs n'arrivent pas à se faire entendre. [...] Il n'existe pas d'organisme officiel qui pourrait sensibiliser le gouvernement aux questions d'importance dans ce domaine. [...] Pourquoi ne pas organiser, sous l'égide de l'Association canadienne de science politique, un "conseil canadien de recherche en sciences sociales""2? »
Coats fit part de la suggestion à Harold Innis, de l'Université de Toronto, ancien président de I'ACSP : « Le moment n'est-il pas venu d'instituer un organisme de recherche en sciences sociales? » Le but consistait dans ceci : « [...] faire une utilisation systématique des renseignements dont nous disposons au Bureau, qui atteignent maintenant un volume respectable et qui se prêtent à une interprétation beaucoup plus approfondie que celle que nous pouvons en faire"3. »
Innis réussit à intéresser des membres d'autres sociétés savantes, qui se réunirent le 22 mai à Ottawa pour étudier des moyens d'améliorer l'organisation de la recherche économique et sociale au Canada. La réunion fut présidée par le professeur R.G. Trotter, 139
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE de la Société historique canadienne, et John E. Robbins, responsable du Bureau pour la statistique de l'instruction publique, fit office de secrétaire. La question avait suscité un tel intérêt que le groupe fut constitué en comité permanent. Le comité invita à Ottawa Wesley C. Mitchell, de l'Université Columbia, pour situer l'expérience américaine dans le contexte canadien. Les conseils de Mitchell semblent avoir eu une forte incidence sur la création, annoncée le 22 mai 1940, du Conseil canadien de recherche en sciences sociales. Pendant les 20 ans qui suivirent, ce conseil ne reçut aucune subvention du gouvernement canadien et subsista modestement grâce à des subventions de sources américaines — notamment les fondations Carnegie, Ford et Rockefeller. En créant le Conseil des arts du Canada en 1957, le gouvernement offrit enfin son soutien aux sciences sociales. Le comité Trotter se pencha sur les recherches en cours — et les lacunes qui existaient — dans le domaine des sciences sociales. Le professeur MacGregor rédigea un article sur la recherche en statistique menée dans les universités; comme nous l'avons mentionné, il s'agissait d'un extrait d'un long article qui portait également sur le Bureau envisagé sous trois aspects114. En ce qui concernait les universités, MacGregor renchérit sur l'affirmation de Coats selon laquelle, par comparaison avec la Grande-Bretagne et les États-Unis, le Canada accusait un net manque d'études fondées avant tout sur des données statistiques. Même dans les travaux où leur rôle était secondaire, les statistiques ne furent pas utilisées aussi soigneusement ou aussi efficacement qu'on aurait pu le faire. « Les économistes universitaires, affirma-t-il, font souvent preuve d'une ignorance étonnante de données canadiennes importantes. » II attribuait surtout cet état de choses à la conception canadienne de l'économie, traditionnellement fondée sur une approche déductive et littéraire ou philosophique. Par conséquent, on avait rarement cherché à mettre en évidence ou à préciser des faits par des travaux statistiques poussés. « Lorsqu'il s'agit de témoignages, les critères d'exactitude qui s'imposent dans d'autres secteurs de la science [...] ont rarement été jugés assez importants pour justifier le travail supplémentaire qu'ils supposent"5. »
En raison de ce manque d'intérêt pour les méthodes quantitatives, les cours de méthodologie offerts dans les universités se limitaient aux éléments de base. Nous avons vu plus haut que MacGregor avait formulé des observations à l'égard du Bureau et de ses produits. Dans un autre examen de l'utilité des données du Bureau pour les fins de la recherche116, il énuméra un certain nombre de sujets importants dont n'avaient pas traité les enquêtes. Or, cette liste était presque identique à celles que Coats établissait périodiquement. Mais, expliqua MacGregor, « les principales lacunes des travaux du Bureau tiennent moins à l'absence de chiffres qu'à la faiblesse des méthodes de collecte et de compilation des données et de présentation des rapports117 ». Il cita les lacunes que comportaient les questionnaires des enquêtes et le manque de clarté des instructions sur la façon de les remplir; les faiblesses relevées dans les systèmes de classification et les incohérences observées dans leur application; et les inexactitudes contenues dans les textes qui accompagnaient les statistiques.
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LES ANNÉES 1930 : EN QUÊTE DE LA RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE Toutefois, les critiques les plus sévères de MacGregor visaient le personnel du Bureau, dont la principale caractéristique était : « [...] le petit nombre et la répartition inégale de personnes et de services possédant les compétences techniques et l'initiative nécessaires. Pas plus de la moitié des chefs peuvent être considérés compétents sur le plan technique118. »
Selon lui, la contribution des personnes ayant étudié dans d'autres domaines avait été importante, voire indispensable, pour les travaux du Bureau. Lorsque l'effectif s'était accru à la fin de la guerre, les universités avaient pris un tel retard en économie et en statistique qu'il eût été futile de resserrer les critères applicables aux compétences dans ces domaines. Mais il dut conclure que ce genre de formation était dorénavant essentiel pour la production de statistiques de qualité, et il indiqua qu'au cours des dernières années, l'arrivée au Bureau de quatre ou cinq recrues compétentes avait eu un effet quasi phénoménal119. MacGregor mentionna que peu de fonctionnaires du Bureau avaient beaucoup voyagé, ne fût-ce qu'au Canada. Un aspect essentiel de la démarche scientifique faisait donc défaut, à savoir le contact direct avec les conditions à mesurer. D'après lui, cet état de choses était attribuable à l'absence de bureaux régionaux à l'extérieur d'Ottawa et au fait que le Bureau négligeait de mener des enquêtes sur le terrain et d'échanger des agents avec les provinces. La majorité des principaux responsables étaient incapables de suivre l'évolution des méthodes économiques et statistiques, étaient mal à l'aise à l'occasion des rencontres d'économistes et n'étaient pas en mesure de collaborer aux revues professionnelles. Voilà qui donnait amplement raison à « ceux qui [considéraient] le Bureau comme un simple service de dénombrement et [doutaient] de sa capacité d'assumer de plus grandes responsabilités en matière de recherche économique120 ».
CONCLUSION La situation allait changer radicalement après 1945, tant à l'égard du soutien apporté par l'administration à de nouveaux programmes statistiques que du calibre des statisticiens formés par les universités. Entre-temps, la vieille garde assura la continuité; elle avait suscité les éloges et quelques réserves de MacGregor et répondu fort bien aux multiples exigences imposées au Bureau en temps de guerre. Au début des années 1960, le Bureau fit l'objet d'un autre examen externe. La Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement (Glassco) devait étudier notamment la prestation de services économiques et statistiques. L'examen se termina par une évaluation très favorable du Bureau et de sa capacité de contribuer à faire mieux connaître la structure et le fonctionnement de la société canadienne121.
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CHAPITRE VI II 1918-1939:
Le rôle du Bureau dans révolution de la communauté statistique internationale
INTRODUCTION Avant la Première Guerre, le Canada et les autres dominions autonomes n'étaient pas reconnus comme des pays distincts en vertu du droit international : ils étaient considérés comme des prolongements coloniaux de la mère patrie. Cependant, ils insistèrent tant pour avoir leur mot à dire dans l'orientation de l'effort de guerre auquel ils prenaient part, que l'on en vint à créer le Cabinet impérial de guerre et à tenir une conférence impériale de guerre en 1917. Ce geste reconnaissait, grâce surtout à l'initiative du premier ministre du Canada, Robert Borden, que les dominions étaient « des nations autonomes faisant partie d'un Commonwealth impérial1 ». Par la suite, ces pays signèrent en leur nom le Traité de Versailles, et furent admis de plein droit au sein de la nouvelle Société des Nations (SON) et d'organismes connexes de création récente, comme l'Organisation internationale du travail (OIT). La conférence impériale de 1926 fit avancer les choses en mettant sur un pied d'égalité la GrandeBretagne et les dominions. En 1932, l'autonomie de ces derniers fut confirmée et élargie par le Statut de Westminster. L'entrée du Canada sur la scène internationale fut marquée par la collaboration du Bureau fédéral de la statistique à la création et à l'exploitation d'un système international de statistique destiné à soutenir d'abord les travaux de remise en état et de développement après la guerre, puis les efforts déployés pour relancer une économie ravagée par la crise.
À L'AUBE D'UNE COOPÉRATION INTERNATIONALE Parmi les nombreuses mesures prises à cette fin, la première fut adoptée en vertu de l'article 24 du Pacte de la SDN, qui plaçait sous la responsabilité de la SON les nouveaux bureaux et commissions internationaux et qui offrait les mêmes conditions aux organismes internationaux en place, s'ils le souhaitaient. Ainsi, en août 1919, la section économique et financière de l'organisation provisoire de la SDN invita les représentants de l'Institut international d'agriculture (IIA) et de l'Institut international de statistique
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE (us) ainsi que d'autres éminents statisticiens à étudier les rapports possibles avec ces organismes et, de façon plus générale, à examiner comment la SON pourrait favoriser la coopération internationale en matière de statistique. Alors que les travaux de TUA s'étaient poursuivis pendant la guerre, le Bureau permanent de l'us éprouva des difficultés dans la publication d'un annuaire international. Vers la fin de 1916, il avait commencé à publier des statistiques démographiques et se préparait à produire des statistiques dans d'autres domaines — grèves et lock-outs, recherche d'emploi, rémunération et durée du travail, coût de la vie. Il était toutefois évident que ces domaines relevaient de TOIT, qui devait notamment recueillir des données sur les facettes de l'industrie et du travail. Puisque la conférence ne jouissait pas d'un statut officiel, elle devait se limiter à formuler des « suggestions », dont l'une était fondamentale et visait à cerner les principales catégories de statistiques et à en attribuer la responsabilité à des organismes ou institutions travaillant de concert avec la SON2. Ainsi, en matière de statistique agricole, c'eût été I'IIA; et pour la statistique du travail, le Bureau international du travail (BIT). La statistique démographique aurait été confiée provisoirement au Bureau permanent de Fus. Ayant constaté la nécessité de désigner un organisme de coordination distinct, on suggéra enfin l'établissement d'un conseil consultatif central. De toute évidence, les questions nécessitaient d'être étudiées en profondeur, d'où la recommandation suivante : « [...] qu'un comité soit chargé de définir la répartition des travaux statistiques entre les organismes ayant un lien avec la SON ou devant s'y rattacher, et de formuler au besoin des suggestions en vue de la création d'autres organismes que ceux qui ont été mentionnés3. »
Pendant les deux années suivantes, on s'activa à trouver des solutions, et le Canada joua un rôle central dans les principaux événements. Comme nous le verrons dans le présent chapitre, la première Conférence des statisticiens de l'Empire britannique eut lieu en janvier 1920. Les délégués furent invités à rencontrer les représentants de la SON afin de leur exposer leurs vues sur les suggestions déjà mentionnées. Ils penchaient euxmêmes fortement en faveur de la centralisation des statistiques impériales, et Coats, le délégué canadien, se fit l'un des plus ardents défenseurs de cette idée. Il ne fut donc pas étonnant qu'ils préconisèrent la centralisation à l'échelle internationale et qu'ils déclarèrent que la principale proposition à la conférence de la SON aurait dû se lire comme suit : « [...] en principe, il ne devrait pas y avoir de distinction entre les catégories de statistiques, et autant que possible la collecte des données statistiques à l'échelle internationale devrait être confiée à un bureau international de statistique4. »
Peu après, le secrétaire général de la SON recommanda l'adoption d'une proposition qui visait à créer une commission internationale de statistique, et il désigna Coats en tant que membre. Y furent ensuite nommés 12 membres, Albert Délateur et Henri Wilhelm Methorst, respectivement vice-président et secrétaire général de l'us, à titre de représentants du BIT, de TUA et du Bureau international de statistique commerciale5; et d'autres qui, à l'instar de Coats, dirigeaient des bureaux nationaux de
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LE BUREAU ET LA COMMUNAUTÉ STATISTIQUE INTERNATIONALE statistique. L'un d'eux, l'Italien Luigi Bodio, qui était président de l'ns, fut nommé à la présidence de la commission. La commission observa que sept organismes internationaux, à part ceux représentés à l'assemblée, s'occupaient de statistiques. Par exemple, l'Institut international du commerce, créé à Bruxelles en 1919 par la Conférence parlementaire internationale, devait coordonner la collecte et la publication de données sur le commerce et diffuser des informations sur les lois et traités commerciaux. Certaines de ses responsabilités en matière de statistique semblaient faire double emploi avec celles du Bureau international de statistique commerciale; il utilisait la même nomenclature que celui-ci pour l'importexport. La question du chevauchement ne fut pas abordée directement, mais il fut reconnu que ces organismes avaient des traits en commun et que plusieurs d'entre eux pouvaient recueillir et publier les mêmes données. Cependant, tout en soulignant la nécessité d'assurer une meilleure coordination des travaux grâce à une entente permanente, on précisa que l'indépendance et l'autonomie de chacun seraient respectées6. Les résolutions de la commission furent adoptées en partie à l'unanimité et en partie à la majorité. Parmi les premières, l'une proposait qu'il fût créé en permanence par la SON une commission consultative internationale qui se chargerait d'étudier les questions de statistique, de faciliter l'utilisation des travaux des organismes internationaux de statistique, et d'aider ceux-ci à délimiter leurs champs d'action respectifs. Avec seulement une abstention, il fut résolu que la commission s'adresserait autant que possible aux instituts et organismes internationaux engagés dans la production de statistiques, lesquels conserveraient leur autonomie7. La principale difficulté vint d'un article du rapport contre lequel votèrent Coats, A.W. Flux (Royaume-Uni), Royal Meeker (BIT) et Camille Jacquart (Bureau international de statistique commerciale) et qui était formulé en ces termes : « La Commission statistique internationale doit recevoir deux exemplaires des statistiques produites, l'un étant destiné à l'Institut international de statistique pour qu'il formule des suggestions d'un point de vue scientifique et uniformise les méthodes utilisées8. »
Coats, Meeker et Flux signèrent un rapport minoritaire dans lequel ils soutenaient que le meilleur moyen d'unifier et de normaliser les statistiques internationales consistait à créer au sein de la SON une section de statistique semblable aux autres sections techniques. Leur dissidence avec la majorité fut exprimée comme suit : « Nous considérons inadmissible la disposition du plan présenté par la majorité, selon laquelle le conseil consultatif proposé fera appel à un organisme du domaine privé, soit l'iis. Notre principale objection tient toutefois en ce qu'un conseil consultatif sera considéré comme autorité compétente dans l'exécution de la tâche urgente et difficile de coordonner et de normaliser les statistiques. Cette tâche [...] ne peut être exécutée que par un bureau permanent dûment constitué9. »
Le rapport de la commission contenait en outre des déclarations de Coats, Meeker et Jacquart. Coats écrivit : « L'argument selon lequel l'Institut, en tant qu'organisme scientifique, est au-dessus des influences politiques, ne semble pas tenir compte du fait que toute politique mise de l'avant 145
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE en matière de statistique officielle dépend toujours, aux fins de résultats pratiques, de son acceptation par les gouvernements, et qu'en définitive il est impossible de retirer la statistique officielle des discussions et du contrôle officiels10. »
Meeker, quant à lui, formula encore plus directement sa critique : « II m'apparaît impossible d'appliquer la résolution selon laquelle l'Institut serait érigé en un genre d'autocrate de la statistique qui se chargerait d'approuver les données et de formuler des critiques et des recommandations à l'intention du BIT, de la section économique et des pouvoirs publics11. »
J.W. Nixon écrivit, 40 ans plus tard, que les trois dirigeants de l'iis siégeant à la commission (Bodio, Delatour et Methorst) avaient présenté leurs propositions sans consulter les membres, ce qui avait mis en péril la survie de l'Institut : « En 1920, l'Institut était presque moribond. Il n'avait tenu aucune séance depuis 1913, non plus qu'il envisageait d'en convoquer dans un avenir prévisible. [...] Le seul moyen de le sauver en tant qu'organisme scientifique, semblait-il, c'était de le rattacher aux nouveaux organismes internationaux créés par les nations victorieuses de la guerre, ou de le faire reconnaître par eux12. »
En septembre 1921, l'assemblée générale rejeta la recommandation qui visait à faire de l'ns un organe consultatif indépendant auprès de la SON en matière de statistique. Rien ne fut entrepris pour établir une commission internationale permanente de statistique. Mais peu après fut lancé un projet qui allait produire des résultats concrets. À l'occasion d'une conférence tenue à Gênes en 1922, on avait recommandé d'uniformiser la compilation des statistiques économiques13, et la SON mit sur pied un comité composé de représentants de son comité économique et de l'ns, aux fins d'élaborer des propositions. Pendant les cinq années qui suivirent, le comité mixte rédigea des rapports sur le commerce international, les statistiques de la production et les indices des prix. Les rapports furent soumis à l'us lors des trois premières séances tenues après la guerre, soit en 1923 (à Bruxelles), en 1925 (à Rome) et en 1927 (au Caire). Coats assista à la séance de Bruxelles en tant qu'« invité », titre de courtoisie distinct de celui des « membres titulaires », élus au mérite scientifique et dont le nombre ne devait pas dépasser 15014. Le procès-verbal indique qu'il fit une modeste intervention au sujet des statistiques sur les pêcheries. Le Bureau fut absent de la séance de Rome. Par contre, à celle du Caire tenue à la fin de 1927, Coats exposa les méthodes employées au Canada pour les statistiques sur les stocks de céréales.
CONVENTION INTERNATIONALE SUR LES STATISTIQUES ÉCONOMIQUES Les résolutions formulées sur les statistiques économiques lors des trois séances furent transmises au Comité économique de la SON, qui les soumit à l'attention des États membres. Les réactions favorables incitèrent le conseil de la SON à approuver en 1927 la tenue d'une conférence des statisticiens d'État. La conférence eut lieu à Genève en novembre et décembre 1928 et mena à l'établissement de la Convention internationale sur les statistiques économiques, à laquelle le Canada adhéra en août 1930, et qui devint l'assise de presque tous les travaux menés par la SON dans ce domaine. L'article 2 de la 146
LE BUREAU ET LA COMMUNAUTÉ STATISTIQUE INTERNATIONALE Convention demandait aux parties de compiler et de publier des données statistiques sur différents sujets — commerce extérieur et livraisons, emploi, agriculture, bétail, forêts et pêcheries, mines et métallurgie, industrie, indices des prix. L'article 8 prévoyait la nomination d'un comité d'experts techniques chargés de « [...] proposer des moyens d'améliorer ou d'élargir les principes et les accords mis de l'avant par la Convention au sujet des catégories de statistiques qui y sont traitées; et proposer d'autres catégories de statistiques de caractère semblable dont il serait souhaitable et réalisable d'assurer l'uniformité à l'échelle internationale ».
Ce comité, dont la composition n'avait pas été fixée15, se réunit huit fois entre 1931 et 1939 et produisit un large éventail d'études méthodologiques, dont certaines furent publiées dans les Études et rapports de méthodes statistiques de la SON 16. Coats prit part à la huitième séance, en 1939, où l'on formula des recommandations sur les indices des prix et des quantités du commerce international. De par sa collaboration avec la SON, l'us joua ici un rôle clé, mais la création du comité d'experts statistiques de la SON sonna le glas de la formule du « comité mixte ». La collaboration avec TOIT prit la forme d'une participation à des comités mixtes chargés d'examiner les recommandations des statisticiens du travail lors des assemblées ordinaires de l'on, mais elle connut moins de succès, et l'Institut y mit un terme à la demande de l'on 17 . Ainsi, après 1927, le programme des séances bisannuelles de l'Institut reprit alors la formule antérieure. Comme le laissait entendre Nixon, l'Institut avait été presque forcé de collaborer en raison de la précarité de sa situation après la guerre, et même si la collaboration avait eu un certain succès, des membres estimaient qu'elle allait à rencontre de l'indépendance et de l'autonomie de l'Institut18.
BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL L'organe statistique du BIT, soit le secrétariat de TOIT, fut mis sur pied du fait que celleci était chargée « de recueillir et de diffuser des données sur toute question relative au rajustement des conditions de l'industrie et du travail à l'échelle internationale », aux termes du Traité de Versailles. Même si l'on ne créa pas sur-le-champ une division de la statistique, le BIT ne tarda pas à demander aux États membres de lui transmettre régulièrement « les publications, bulletins, gazettes, revues, rapports et annuaires officiels ayant trait au travail, à l'industrie, au commerce et à l'agriculture 19 ». La première relation directe entre le Bureau fédéral de la statistique et le BIT remonte au mois d'octobre 1920 : à la demande de son ex-collègue du ministère du Travail, F.A. Acland, devenu sous-ministre, Coats représenta le ministre du Travail, l'honorable Gideon D. Robertson, à la cinquième assemblée de l'organe directeur de TOIT, d'autant qu'il devait assister, ce mois-là à Paris, à la Commission statistique internationale de la SON.
Selon le compte rendu de Coats, le sujet de la statistique fut à peine abordé au cours de la réunion. Coats put tout de même rencontrer Albert Thomas, le directeur, et Royal Meeker, chargé d'organiser les travaux statistiques du BIT, avec lequel il allait bientôt faire cause commune à la réunion de la commission à Paris20. Dans une lettre de courtoisie que Coats écrivit à Thomas avant de quitter Genève, il lui fit part de ses regrets 147
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE de n'avoir pu lui parler d'un système statistique international21. Lorsque Thomas lui répondit sur un ton très cordial le 18 octobre, la réunion de la commission avait déjà eu lieu, et il semblait avoir reçu un sombre rapport de Meeker. Thomas se réjouissait de ce que Coats s'était rallié à la minorité, tout comme Meeker, et il ajoutait qu'en attendant l'élargissement du mécanisme de coordination des statistiques, le BIT n'avait plus qu'à s'occuper des statistiques qui étaient directement de son ressort22. Ce qu'il fit d'ailleurs fort bien pendant les 15 années suivantes. Au printemps 1923, il approuva la tenue de la première conférence d'une série qui réunirait les statisticiens officiels du travail au sein des pays membres de TOIT. Thomas écrivit : « La proposition a été amenée par l'impression que si l'on peut exprimer les statistiques sous une forme qui en assure la comparaison d'un pays à l'autre, on pourrait ainsi faciliter à l'échelle internationale l'étude scientifique des problèmes liés au travail23. »
Prévue pour la fin d'octobre, la conférence devait étudier des sujets dont s'occupaient le Bureau et le ministère du Travail — classification des branches d'activité et des professions en vue de l'établissement de statistiques sur la durée et la rémunération du travail et les accidents professionnels. Le ministre du Travail recommanda que Coats représentât le Canada, puisqu'il se trouverait à Bruxelles au début du mois pour la 15e séance de l'us, et à Londres juste après, à titre de conseiller statistique du premier ministre pour la Conférence économique impériale. Coats ne prit la parole que lorsqu'il fut question de classification; il souligna qu'il était souhaitable de coordonner les travaux de TOIT avec ceux des institutions qui traitaient de sujets connexes. Lors de sa dernière séance, par exemple, l'Institut avait considéré la question de la classification par rapport au commerce international. À propos des branches d'activité, Coats réitéra sa position bien connue, en faveur de classifications distinctes fondées sur une série de principes, plutôt qu'une seule classification reposant sur différents principes24. Il n'obtint pas l'appui de ses collègues, mais le projet de résolution du secrétariat prônant une classification établie à partir de différents principes fut toutefois retiré. Le sujet de la classification fut de nouveau abordé aux deuxième et troisième Conférences internationales des statisticiens du travail, qui eurent lieu respectivement en avril 1925 et en octobre 1926 et auxquelles Coats n'assista pas. L'unique résultat de la première fut « une liste provisoire des principaux secteurs industriels25 », dressée par le secrétariat, que l'on convint, l'année suivante, de développer « de façon à décrire plus en détail les branches d'activité dans les différents pays26 ». Le Bureau put donc se consoler en sachant que l'idée de classifications fondées sur une série de principes n'avait pas été complètement écartée. Mais peu après, la SON prit en main la classification des branches d'activité, conformément aux dispositions de la Convention de 1928 sur les statistiques économiques. En 1938, son comité d'experts statistiques, avec lequel le BIT continuait de collaborer, recommanda d'uniformiser la définition de l'emploi rémunéré et d'établir deux listes de branches d'activité — sommaire et détaillée — pour les besoins de la classification et des comparaisons à l'échelle internationale. Mais ce n'est qu'en 1948 que fut définie et approuvée une classification internationale uniformisée des activités
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LE BUREAU ET LA COMMUNAUTÉ STATISTIQUE INTERNATIONALE économiques, et il fallut attendre jusqu'en 1954 pour une classification internationale uniformisée des professions. Il convient de signaler la réalisation la plus remarquable de TOIT pendant cette période. En 1938, la Conférence internationale du travail adopta la Convention n° 63 sur les statistiques de la rémunération et de la durée du travail, par suite des délibérations d'un comité formé à cette fin et composé de spécialistes de la statistique, qui se réunit en 1933, en 1935 et en 1937. La Convention prit une importance que n'eurent jamais les recommandations issues des conférences internationales des statisticiens du travail. Ces recommandations étaient soumises à l'attention des États membres lorsqu'il était envisagé de modifier leurs statistiques, alors que la Convention liait les pays signataires à la manière d'un traité international, et ceux-ci devaient faire rapport annuellement sur les modalités d'application.
INSTITUT INTERNATIONAL D'AGRICULTURE Nous avons examiné dans quelles circonstances avait été créé TUA, le plus ancien des organismes intergouvernementaux, et quelle en fut l'effet sur la statistique agricole au Canada. L'Institut prônait l'adoption à l'échelle internationale de méthodes uniformes d'établissement de relevés des cultures, mais ses débuts prometteurs furent interrompus par la guerre de 1914. Après la fin du conflit, on craignit qu'il ne fût absorbé par le mandat économique et statistique de la SON. Mais il n'en fut rien, et TUA fut reconnu comme l'un des organismes intergouvernementaux de statistique, chacun ayant sa sphère d'activité et la SON assurant une certaine coordination. Comme il l'avait fait avant la guerre, le ministère de l'Agriculture continua à représenter le Canada auprès de l'Institut, ce qui empêcha le Bureau d'avoir des contacts directs avec celui-ci. Le ministère n'était pas ravi de la situation et demanda à l'Institut, une fois de son propre chef, puis en 1922, à la suite d'une plainte de Coats, qu'un représentant du Bureau pût assister aux réunions périodiques de l'assemblée générale. Mais ces missives restèrent lettre morte. Une simple visite aurait pu ouvrir une voie de communication directe, comme celle qui existait avec le BIT, alors que le rôle de liaison avait été attribué au ministère du Travail. Les rapports indirects du Bureau avec l'Institut se résument à deux documents rédigés à des dates incertaines par des auteurs anonymes : un document de travail pour la Conférence des statisticiens du Commonwealth de 193527, et une note apparemment rédigée en 1945 au moment où les activités de l'Institut étaient sur le point d'être absorbées par la nouvelle Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAo)28. En 1920, une assemblée générale de I'IIA avait défini ce que la note de 1945 appela « un programme plutôt vaste et détaillé ». C'est peut-être ce qui sema le germe du mécontentement du Bureau vis-à-vis de TUA, et qui lui fit déclarer dans le document de 1935 : « Deux lignes de conduite ont mis en péril l'utilité de l'Institut : 1) dans le domaine statistique, l'Institut a eu tendance à étendre ses activités à des champs qui relèvent d'autres organismes internationaux, d'où la confusion et les chevauchements; 2) il a entrepris diverses activités
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE extérieures au domaine statistique qui n'ont pas eu l'heur de plaire à de nombreux pays adhérents, ce qui s'est soldé par un gaspillage d'énergie29. »
Pendant que le ministère de l'Agriculture réclamait la participation du Bureau aux activités de l'Institut, il transmettait aussi des plaintes concernant l'incapacité de l'Institut de mener à bien ce que le Bureau considérait comme des priorités, notamment uniformiser la méthodologie de l'établissement de relevés sur les récoltes par les pays adhérents et produire des rapports en temps opportun, en particulier pour les pays d'Europe qui offraient des débouchés importants pour les céréales canadiennes. Lorsque la crise économique dérégla les marchés, on jugea que les méthodes d'analyse et de présentation de l'Institut ne répondaient pas aux besoins. Le genre d'analyses qui auraient été utiles à l'élaboration de correctifs incomba aux organismes tels que la Conférence économique impériale et l'Empire Marketing Board. En outre, invité à la Conférence internationale sur le blé à Regina en 1933, l'Institut n'y envoya pas de délégués. Et pourtant, au Canada du moins, l'Institut suscitait toujours des dispositions favorables, et son projet de questionnaires destinés à un recensement mondial de l'agriculture en 1930-1931 fut bien reçu. En 1936, à la conférence de Rome, l'Institut examina la possibilité de tenir un autre recensement de ce genre. Le Canada n'y assista pas, mais il fut invité à faire part de son opinion sur le questionnaire et la méthodologie. La réponse du Bureau fut rédigée par Grindlay, chef de la statistique de l'agriculture, qui pressa le Canada d'appuyer le projet, tout en indiquant que les publications de l'Institut laissaient à désirer sur le plan du contenu et de l'étendue et qu'elles paraissaient trop tard pour être de quelque utilité30. Il recommanda que Lemieux fût autorisé à prendre part à la conférence de décembre 1937, pendant laquelle on devait mettre la dernière main au recensement de 1940, mais Coats décida de ne pas y être représenté. Entre la fin des années 1920 et le début des années 1930, les Etats-Unis retirèrent leur appui à TUA et mirent sur pied leur propre service de renseignements sur l'agriculture internationale, grâce aux attachés agricoles en poste dans les pays étrangers. Les statistiques de l'agriculture du Canada étaient depuis longtemps modelées sur celles des États-Unis; il n'est donc pas étonnant qu'entre les deux guerres, le Bureau trouva son principal stimulant externe dans l'étroite collaboration qu'il entretenait avec le Bureau d'économie agricole des États-Unis. Le document de 1935 disait : « Les États-Unis apportent de nouveau leur soutien à l'Institut international d'agriculture, après une absence de quelques années, et la dernière assemblée générale de l'Institut a montré que ce regain d'enthousiasme peut donner lieu à des avantages considérables31. »
L'opinion était partagée par la Conférence des statisticiens du Commonwealth de 1935, qui se dit heureuse de constater qu'à l'assemblée générale d'octobre 1934, il avait été convenu que l'Institut se concentrerait sur ses activités statistiques et économiques32. Mais la tentative de rajeunissement arriva trop tard et la guerre de 1939 mit fin aux efforts déployés en ce sens. Le Canada, pour sa part, cessa de lui transmettre les statistiques sur la production agricole et le commerce, en raison de leur importance stratégique.
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LE BUREAU ET LA COMMUNAUTÉ STATISTIQUE INTERNATIONALE Le document de 1945 avait été rédigé après que le secrétaire général de l'Institut eut écrit au secrétaire d'État aux Affaires extérieures pour lui exprimer l'espoir que dans le nouveau contexte international, l'Institut pût accroître ses perspectives de service et jouer un rôle utile aux fins de l'étude des problèmes posés par la reconstruction économique33. Le Bureau recommanda de lui refuser un tel rôle : « À la lumière des antécédents de l'Institut et des difficultés rencontrées, nous proposons que ses activités soient absorbées dès que possible par la (nouvelle) Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture. Cependant, à en juger par les rapports avec les services de l'Institut, il faudra alors que le Bureau puisse entrer en contact avec la section de statistique de la PAO pour toute question technique, plutôt que de passer par un autre ministère du gouvernement canadien34. »
CONFÉRENCES DES STATISTICIENS DU COMMONWEALTH DE 1920 ET DE 1935 Dans son rapport de mars 1917, la Commission royale sur les dominions avait recommandé la tenue d'une conférence des statisticiens de l'Empire dès la fin de la guerre, en vue de la mise sur pied d'un bureau central chargé de coordonner les statistiques de l'Empire. La Conférence impériale de guerre de juillet 1918 approuva la proposition et, en 1919, l'Office des colonies demanda à la Chambre de commerce de faire le nécessaire. En janvier 1920 se tint à Londres la première conférence des fonctionnaires de l'Empire affectés aux travaux statistiques35. On y comptait 31 délégués de la Grande-Bretagne; trois de l'Inde; cinq des dominions autonomes (dont Coats et Godfrey36 pour le Canada); et quatre des colonies et des protectorats. Le principal point à l'ordre du jour concernait le bureau central, et sous la présidence d'A.W. Flux de la Chambre de commerce37, les délégués examinèrent les besoins et les usages en matière de statistique dans divers domaines. Dans son avis de convocation, l'Office des colonies avait recommandé de limiter l'ordre du jour aux statistiques examinées par la Commission royale sur les dominions — commerce, production et migrations —, en concédant qu'il serait possible d'y ajouter les statistiques de l'état civil, étant donné qu'elles s'en rapprochaient. En fait, dès le début de la conférence, il fut convenu à l'unanimité de ne restreindre aucunement le mandat; les délibérations s'étendirent donc du 20 janvier au 26 février. Dans chaque secteur38, il fut créé des comités pour énoncer les principes de travail jugés à l'unanimité comme souhaitables et réalisables à la grandeur de l'Empire39. Ainsi, au comité de la statistique du commerce, Coats exposa le système de classification en trois volets que le Canada venait d'élaborer pour le recensement industriel, et en expliqua les possibilités d'application à d'autres catégories de statistiques, dont celles du commerce extérieur. Les délégués demeurèrent sceptiques. Lorsque Coats affirma, peutêtre d'un air un peu trop vertueux qu'il croyait en l'exactitude de la classification, H.V. Reade du ministère des Douanes et de l'Accise répondit : « Sans vouloir contredire M. Coats, je ne pense pas que l'on puisse parler d'exactitude en matière de classification. » D'autres délégués interrogèrent Coats à propos d'anomalies relevées dans ses exemples, ce à quoi il répondit : « Par l'exactitude en classification, j'entends
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE l'exactitude du principe. Il se peut qu'une erreur de jugement conduise à une erreur de classification40. » Malgré les réserves exprimées en comité, l'opinion de Coats influa sur la résolution finale concernant la classification uniforme des importations et des exportations : « La Conférence [...] juge préférable de ne pas recommander que les parties de l'Empire britannique adoptent une classification donnée, mais considère hautement souhaitable qu'aux fins de regrouper et de comparer les statistiques du commerce à l'échelle de l'Empire, on dresse différentes classifications d'après le but visé pour les marchandises les plus importantes. Les classifications pourraient ainsi être fondées sur l'origine des marchandises, sur les matières qui les composent et sur leur objet ou utilisation41. »
Tout au long de la conférence, l'attention se porta sur la recommandation qui visait à créer un bureau impérial de la statistique, laquelle avait été formulée en 1917 par la Commission royale sur les dominions. La question était devenue beaucoup plus complexe qu'à l'origine. La nouvelle SON s'intéressait à la coordination des statistiques à l'échelle internationale, et la conférence tenue peu de temps auparavant à Londres sur ce sujet avait reconnu le rôle que pouvaient jouer l'us et des organismes spécialisés, comme 1 ' IIA et 1'OIT. La Conférence impériale de guerre avait mis sur pied le Bureau impérial des ressources minérales, dont les attributions en matière de statistique étaient explicites, et les délégués avaient été saisis d'un projet de charte concernant le Bureau impérial de l'agriculture. Comme l'exprima l'un d'eux : « La roue de la statistique mondiale risque d'avoir trop d'essieux42. » On reconnut qu'un système de coordination à l'échelle internationale comporterait des chevauchements; qu'un bureau impérial de la statistique pourrait favoriser la participation de l'Empire à des activités organisées dans un cadre élargi; et qu'au sein de l'Empire, il suffisait d'user de discernement pour éviter les chevauchements inutiles entre le Bureau impérial de la statistique et les organismes tels que le Bureau impérial des ressources minérales. Le problème résidait au fond dans le contraste entre le système britannique décentralisé et les systèmes centralisés des dominions autonomes. Coats finit par en faire un enjeu : « Je suis convaincu que la centralisation de la statistique doit former le pivot de notre politique sur les travaux statistiques de l'Empire. [...] Il serait malvenu qu'un délégué canadien [...] critique les méthodes utilisées ailleurs dans l'Empire, mais je crois que lorsque nous aurons créé un bureau central de la statistique, l'un des principaux obstacles à sa bonne marche sera l'absence d'un système de centralisation dans la partie la plus importante de l'Empire, savoir le Royaume-Uni. Les difficultés du bureau central seront nettement amplifiées [...] si nous n'imposons pas la centralisation au sein de l'Empire. [...] Mon coin de l'Empire hésitera à participer à la mise en oeuvre de ce plan43. »
L'Australien G.H. Knibbs fut encore plus direct : « À moins que le pays ne nous démontre qu'il peut entièrement organiser son système de statistique à l'image des dominions autonomes, je doute que toute organisation que nous puissions proposer obtienne de meilleurs résultats44. »
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LE BUREAU ET LA COMMUNAUTÉ STATISTIQUE INTERNATIONALE Les résolutions finales de la conférence passèrent sur cette difficulté, ce qui s'avéra néfaste. Il fut proposé de créer un bureau impérial de la statistique, dont le rôle consisterait à obtenir, coordonner, analyser et publier des renseignements statistiques relatifs à l'Empire. Ce bureau aurait une charte royale et relèverait d'un conseil composé du premier ministre du Royaume-Uni et de membres désignés par les gouvernements, selon une juste proportion. Le conseil serait assisté par un comité consultatif regroupant les représentants des secteurs économique, commercial et industriel. Le directeur du bureau serait « tant un spécialiste de la statistique qu'un homme rompu à l'administration dans la fonction publique », et qui se classerait au même échelon qu'un secrétaire permanent de la fonction publique britannique. Une fois ce plan approuvé par les gouvernements, la charte serait rédigée par leurs représentants45. Environ six mois plus tard, le Conseil privé du Canada s'appuya sur l'avis de Coats pour accorder son approbation de principe aux propositions issues de la conférence. Il chargea l'honorable sir George E. Perley, haut-commissaire du Canada à Londres, de représenter le pays aux fins de rédaction de la charte46. L'Afrique du Sud donna aussi son accord, mais non la Nouvelle-Zélande, qui approuva néanmoins les autres recommandations. L'Australie affirma qu'il fallait constituer un tel bureau au moment opportun, mais pas avant que le Royaume-Uni n'eût suivi l'exemple des dominions autonomes et entrepris de regrouper systématiquement les statistiques de ses ministères. Il fut sèchement noté : « Si un tel organisme n'est pas d'abord créé, les travaux de l'éventuel bureau impérial de la statistique consisteraient en grande partie à dresser un plan d'ensemble de la statistique du Royaume-Uni, ce à quoi il ne devrait pas être mêlé47. »
La position du Royaume-Uni était on ne peut plus claire, d'après sa réponse officielle à une requête présentée plus tôt par la Royal Statistical Society. Elle y soulignait la nécessité de restructurer de toute urgence le système de statistique48, non seulement dans l'intérêt national, mais aussi dans celui de l'Empire tout entier. On cita les raisons suivantes pour expliquer la médiocrité des statistiques officielles : « i) Absence de surveillance générale des statistiques nationales; ii) Manque de collaboration entre les ministères [...]; iii) Recours peu fréquent aux pouvoirs par ailleurs limités; iv) Surveillance parfois déficiente de la collecte de données et, dans le cas des recensements, recrutement de personnes mal rémunérées, peu instruites et donc peu intéressées à recueillir les données; v) Inadéquation et incohérence des lois qui, par exemple, font varier l'exercice financier pour les déclarations annuelles; vi) Insuffisance de fonds destinés à la collecte de données essentielles49. »
La Royal Statistical Society réclama la tenue d'une enquête sur l'organisation des statistiques officielles, et le Conseil des ministres confia le dossier à un comité qui, en mai 1921, déclara : « Rien ne justifie une telle enquête, mais nous recommandons la mise sur pied d'un comité consultatif permanent de statisticiens de l'État, ce qui serait le meilleur moyen de coordonner les travaux des ministères et d'apporter les améliorations qui s'imposent50. »
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE La question fut portée à l'ordre du jour de la Conférence économique impériale de 1923. La note d'information du secrétariat, qui tenait compte des positions de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie, écartait toute possibilité de faire approuver la recommandation par les pays concernés51. Il fut toutefois proposé qu'en attendant l'instauration d'un système impérial de statistique, la Chambre de commerce continuât à se charger de la statistique impériale, mais qu'un comité consultatif impérial fût formé afin de surveiller les travaux pour le compte de l'Empire52. S'adressant aux délégués canadiens à la conférence, Coats remarqua que la Chambre de commerce était de peu d'utilité s'il manquait un plan détaillé et bien intégré, fondé sur les recommandations de la Conférence des statisticiens de 1920 : « II s'agit d'une tâche d'envergure, destinée avant tout à des statisticiens chevronnés, plutôt qu'à un comité purement consultatif53. » Finalement, de la recommandation de 1920 qui visait à créer un bureau impérial de la statistique, il ne resta qu'une résolution confiant à la Chambre de commerce britannique le mandat de dresser un plan détaillé des statistiques du commerce au sein de l'Empire qui serait soumis à l'examen des gouvernements. Il semble que l'affaire ait piétiné; la conférence impériale de 1926 recommanda que fût modifié et augmenté, avec l'apport des gouvernements, le résumé statistique produit par la Chambre de commerce britannique à l'intention des dominions et protectorats d'outre-mer, après quoi il serait peut-être souhaitable de tenir une deuxième assemblée des statisticiens de l'Empire, afin de faire le point sur la situation et de planifier les démarches54. La conférence impériale de 1930 réitéra son accord à la proposition, et il fut convenu que le Canada accueillerait l'assemblée en septembre 1932. Mais le premier ministre du Canada, R.B. Bennett, persuada les délégués de se réunir à Ottawa à 1931, afin de discuter des moyens d'accroître le commerce au sein de l'Empire pendant que sévissait la crise dans le monde. De nombreux problèmes pressants, dont l'abandon par la Grande-Bretagne du système étalon-or, obligèrent à reporter à juillet 1932 la Conférence économique impériale55. La décision amena le Royaume-Uni à proposer, en février de la même année, que la conférence des statisticiens fût retardée d'un an, surtout parce qu'il serait ainsi possible d'évaluer les besoins en matière de statistique relevés par la conférence économique56. Celle-ci souscrivit à la proposition de tenir une conférence sur la statistique. Cependant, elle recommanda de charger un comité d'examiner les moyens de faciliter la consultation et la collaboration économique entre les membres du Commonwealth. On attendit donc le rapport du comité avant d'organiser la tenue d'une conférence sur la statistique. Après s'être réunis en 1933, les membres du comité considérèrent la conférence de 1920 comme un exemple remarquable du genre de collaboration qu'ils jugeaient souhaitable. Ils soulignèrent qu'une deuxième conférence avait été prévue pour 1932 et insistèrent pour qu'elle ait lieu dans les meilleurs délais. Le 13 septembre 1935, le premier ministre Bennett accueillit à Ottawa 16 délégués, en plus d'un observateur du Comité économique impérial, à la Conférence des statisticiens du Commonwealth. Ils étaient beaucoup moins nombreux que les délégués qui avaient assisté à la conférence de 1920 à Londres et qui, pour la plupart, représentaient des ministères britanniques. Bien sûr, une kyrielle de fonctionnaires du Bureau et de divers ministères participèrent aux travaux, mais ils ne pouvaient être
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LE BUREAU ET LA COMMUNAUTÉ STATISTIQUE INTERNATIONALE inscrits en tant que délégués. Coats fut élu président à l'unanimité et Herbert Marshall fit office de secrétaire. En 15 ans, beaucoup de figures avaient changé57 : le rapport de la conférence disait : « Parmi les délégués à la conférence, seul le président, M. Coats, a pris part à l'assemblée précédente. Les liens établis entre les personnes chargées de la statistique dans leurs pays respectifs n'existent donc plus, et les délégués ont beaucoup apprécié l'occasion qui leur était offerte de nouer de nouvelles relations. [...] Ils sont d'avis que les conférences de la statistique devraient avoir lieu à des intervalles plus rapprochés que dans le passé58. »
Aucun point ne domina l'ordre du jour, alors qu'en 1920 la création d'un bureau impérial de la statistique avait accaparé l'attention. On étudia en quoi le résumé statistique de la Chambre de commerce britannique avait été modifié et augmenté, comme l'avaient recommandé les conférences impériales de 1923 et de 1926. La conférence constata que les modifications et les améliorations apportées au fil des ans avaient rehaussé la valeur des statistiques publiées, tant aux fins de comparabilité des statistiques de l'Empire que de l'orientation du commerce dans chacun des pays59. Elle proposa à son tour des moyens d'accroître l'utilité du relevé. L'un des points à l'ordre du jour consistait à examiner, pour le compte de l'Empire, les obligations en matière de statistique à l'échelle internationale60. On étudia les obligations découlant de la Convention internationale de 1928 de la SON sur les statistiques économiques; les travaux de son comité d'experts; et les efforts déployés par des organismes comme le BIT et I'HA. En effet, les nombreux pays de langue anglaise représentés à la conférence avaient tout avantage à harmoniser leurs statistiques aux normes internationales. Les résolutions portant sur différents sujets — pêcheries, mines, production industrielle, classification des statistiques, évaluation des importations et des exportations, balance des paiements internationaux, prix de gros — furent donc émaillées d'allusions à la présentation des rapports sur les statistiques économiques définie dans la convention et aux recommandations du comité d'experts. De la même façon, les résolutions concernant le « travail » — emploi et chômage, durée et rémunération, prix de détail, coût de la vie — tenaient compte des recommandations des conférences internationales des statisticiens du travail. Les nouveautés à l'ordre du jour avaient trait à l'évolution économique et sociale depuis 1920 : le transport routier et les accidents de la circulation, la radiodiffusion et l'importance croissante des invisibles dans la balance des paiements, comme le tourisme. Les échanges de vues firent ressortir les effets néfastes de la crise économique mondiale dans tous les domaines. Les recensements de la population n'étaient pas à l'ordre du jour, mais à l'insistance de Coats, semble-t-il, on parla des tabulatrices mécaniques; il fallut pour cela tirer les délégués de leurs salles de réunion situées dans l'édifice du Parlement, pour les amener dans l'ancienne scierie Edwards, située sur la promenade Sussex, où se trouvait l'équipement. Comme nous l'avons vu, la conférence traita surtout de la statistique économique. Le rapport mentionna laconiquement qu'on avait abordé la définition de la statistique sociale, mais qu'il n'avait pas été jugé souhaitable d'en délimiter le champ d'application61. Les délégués furent ravis des résultats de la conférence : 155
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE « Lorsque nous nous sommes réunis, nous avions pleinement conscience des difficultés qui attendaient la conférence, mais nous espérions pouvoir aller beaucoup plus loin que la dernière qui s'était tenue en 1920. Nos attentes ont été plus que comblées. Il est très satisfaisant de noter qu'après discussion, la conférence a accepté à l'unanimité les objectifs des résolutions proposées62. » Même s'il fut déclaré souhaitable d'augmenter la fréquence des assemblées, rien ne fut proposé en ce sens. Et ce n'est qu'en novembre 1951, à Canberra en Australie, qu'eut lieu la troisième Conférence des statisticiens du Commonwealth.
INCURSION DANS L'ASSISTANCE TECHNIQUE Au milieu des années 1930, le Bureau s'était fait une renommée à l'échelle internationale grâce à sa collaboration aux travaux statistiques de la SON et de TOIT et à sa participation à l'Institut international de statistique et surtout, aux yeux du RoyaumeUni, grâce à l'intervention remarquable de Coats à la première Conférence des statisticiens de 1920. C'est probablement son ardent plaidoyer en faveur de la centralisation de la statistique qui incita la Grande-Bretagne à demander au Canada, au début de 1935, de lui prêter un cadre compétent du Bureau pendant trois ans pour diriger le bureau de statistique qui devait ouvrir ses portes en Palestine. Sir Francis Floud, haut-commissaire du Royaume-Uni au Canada, écrivit en avril 1935 à O.D. Skelton, sous-secrétaire d'État aux Affaires extérieures : « Le statisticien [...] devrait être un homme énergique, doté du sens de l'initiative [...] et possédant une vaste expérience pratique de la collecte, de la compilation et de l'analyse des données produites par l'État. [...] Un cadre du Bureau fédéral de la statistique aurait la formation et l'expérience nécessaires pour mener à bien les travaux63. » Le sous-ministre du Commerce, James G. Parmelee, transmit la demande à Coats, qui avança le nom de S.A. Cudmore. Mais le 28 mai Parmelee lui répondit : « Comme la question se rattache à la politique gouvernementale, elle a été présentée au ministre, qui l'a transmise au premier ministre. Le ministre a reçu aujourd'hui une note du chef de l'État lui rappelant que M. Cudmore n'est pas un statisticien mais un économiste, et que ce serait une erreur que de détacher quelqu'un n'ayant pas les qualités recherchées par les Palestiniens64. » Dans sa réponse datée du 31 mai, Coats plaida poliment pour le renversement de la décision. Il souligna que la loi palestinienne ressemblait presque en tous points à la loi canadienne et que le gouvernement de la Palestine était désireux de créer un organisme et un système de statistique en s'inspirant du modèle canadien auquel seraient apportés les changements nécessaires. Les Palestiniens avaient bien vu le besoin « d'une personne ayant l'expérience de nos méthodes » et apte à résoudre les problèmes administratifs et à mettre sur pied les programmes statistiques appropriés. Coats estimait que Cudmore, « à titre de chef du Bureau », avait amplement l'expérience et les compétences nécessaires pour relever le défi65. À la suite du vibrant plaidoyer, le premier ministre revint sur sa décision. Le 15 août, Parmelee avisa Coats que Cudmore se verrait offrir le poste66.
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LE BUREAU ET LA COMMUNAUTÉ STATISTIQUE INTERNATIONALE Cudmore retarda son départ pour la Palestine afin de participer à la conférence d'Ottawa à la fin de septembre, et arriva à Jérusalem au début de novembre. Son échange de notes avec Coats et ses collègues nous révèle des détails fascinants sur les défis à surmonter. L'Office des colonies ne voyait pas depuis longtemps l'utilité des statistiques, mais les tensions politiques croissantes en Palestine rendirent sa mission encore plus complexe. La difficulté la plus évidente consistait dans le peu de ressources mises à sa disposition. Comme il l'écrivit piteusement à Coats : « II est vraiment ennuyeux [...] de voir le gouvernement consacrer tous ses fonds à la police et à l'armée, alors qu'il nous enjoint de limiter nos dépenses, et même de les réduire autant que possible. » À son grand embarras, deux policiers avaient été affectés à la garde du Bureau de la statistique, et ils présentaient les armes chaque fois qu'il entrait ou qu'il sortait. « Ils coûtent au gouvernement autant que deux commis qui pourraient accomplir du travail », raconta-t-il67. Cudmore marqua néanmoins des progrès : il améliora l'actualité et le détail des données sur le commerce, en partie à l'aide des machines Hollerith, et il instaura une enquête mensuelle sur l'emploi et la rémunération. Il pressa sans relâche les ministères qui produisaient des statistiques brutes de les lui transmettre, aux fins d'établir des systèmes de données sur la justice, l'état civil et les banques. Les données sur les prix de gros et de détail furent remises en ordre, et un annuaire annuel et un bulletin mensuel de statistiques constituèrent les premiers éléments d'un répertoire de publications statistiques. Cudmore estimait qu'il était essentiel de faire une utilisation judicieuse des données, et ce fut sans doute le changement le plus radical par rapport à la façon dont l'Office des colonies envisageait depuis longtemps la statistique. Dans une autre lettre à Coats, Cudmore rapporta une conversation qu'il avait eue avec un collègue qui, rentrant en Palestine après un séjour en Angleterre, lui avait dit : « L'Office des colonies est ravi du travail que vous avez effectué en Palestine, et juge qu'il obtient de meilleures statistiques d'ici que de tout autre territoire placé sous son administration. » Avec sa modestie habituelle, Cudmore répondit : « Sachant à quel point notre travail est élémentaire, je ne peux que souhaiter que Dieu vienne en aide aux autres. [...] Si mon travail ici ouvre les yeux de l'Office des colonies à l'importance d'établir des bureaux semblables, partout où ce sera possible, sur les quelque 2 millions de milles carrés de territoires qu'occupé l'Empire colonial dans le monde et où vivent 60 millions de personnes, j'aurai vraiment apporté ma contribution à l'administration coloniale britannique68. »
Comme Cudmore allait bientôt rentrer au Canada, en ce début de 1938, on commença à se préoccuper de lui trouver un remplaçant. D'après Cudmore, personne sur place n'avait l'expérience nécessaire pour le relayer. Pendant un moment, on crut pouvoir trouver quelqu'un en Australie, mais en vain. Coats refusa catégoriquement l'affectation d'un autre Canadien : « Nous avons rempli notre devoir envers le gouvernement de la Palestine [...] et nous ne poumons pas y envoyer une autre personne sans paralyser nos activités69. » À la fin, le Néo-Zélandais G.E. Wood fut désigné, mais il ne put arriver avant le départ de Cudmore. Le 3 août 1938, Cudmore quitta la Palestine pour réintégrer ses fonctions à Ottawa, après des vacances en Europe. Le 7 octobre 1938, la première incursion dans 157
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE l'assistance technique prit fin par une lettre du bureau du haut-commissaire du Royaume-Uni au Canada au sous-secrétaire d'État aux Affaires extérieures : « Le haut-commissaire pour la Palestine, dans une dépêche envoyée au secrétaire d'État aux Colonies relativement au départ de M. Cudmore, désire exprimer sa gratitude pour les progrès remarquables accomplis dans la production de statistiques en Palestine, grâce à l'expérience et à la compétence de ce fonctionnaire. [...] Il signale au gouvernement de Sa Majesté au Canada que le gouvernement de la Palestine est hautement reconnaissant pour la contribution de M. Cudmore, et juge que l'affectation provisoire de celui-ci en Palestine a conféré une note de distinction à ce service. Il remercie le gouvernement du Canada, qui lui a assuré son apport™ à un moment aussi critique de l'histoire du pays. »
CONCLUSION Dans les pages qui suivent, nous verrons que dans l'intervalle de 20 ans qui sépara les deux guerres, le Canada occupa un rôle de premier plan dans la communauté statistique internationale, grâce surtout aux compétences techniques et aux qualités de chef de Coats. La guerre de 1939 mit fin aux relations internationales, à l'exception des rapports avec les organismes statistiques des États-Unis et, dans une certaine mesure, avec ceux du Royaume-Uni. À la fin du conflit, Herbert Marshall se révéla un digne successeur de Coats en collaborant à réinstituer des organismes intergouvemementaux et à en créer de nouveaux. Il fut nommé président de la nouvelle Commission de statistique des Nations Unies et sut en guider les premiers pas. C'était aussi l'un des rares statisticiens du Commonwealth à avoir participé à la conférence de 1935 à Ottawa, et il fut une figure de proue dans le rétablissement de cette tribune en 1951. Par la suite, il veilla à tenir des assemblées régulièrement. Vers la fin des années 1940, l'assistance technique en matière de statistique aux pays dits sous-développés devint pratique courante. Comme la réussite de la mission de Cudmore en Palestine avant la guerre était encore présente à l'esprit de bien des gens, de nombreux pays songèrent tout naturellement à s'adresser au Bureau en premier lieu.
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CHAPITRE IX 1939-1942: La fin de l'époque Coats
INTRODUCTION La carrière de Coats, qui dura plus de 25 ans, s'était amorcée et terminée en période de guerre. Nommé statisticien du Dominion au milieu de 1915, Coats guida le Bureau dans des projets qui consistèrent à mener le recensement des provinces des Prairies en 1916; annualiser le recensement des manufactures; exécuter des travaux pour des organismes de soutien à l'effort de guerre, notamment la Commission canadienne du ravitaillement et le Contrôleur du combustible; et, vers la fin de la guerre, participer à l'inscription nationale. Le Bureau était de taille modeste et mal équipé; il ne pouvait donc apporter à l'administration qu'une contribution restreinte1. Mais encore faut-il se demander si l'administration était en mesure de faire bon usage des statistiques. Pendant la Seconde Guerre, la situation se présenta sous un tout autre jour et, dès le début des hostilités, on mobilisa les compétences et les ressources du Bureau pour répondre aux besoins d'une économie de guerre. Le recensement de 1941, l'une des grandes réalisations du Bureau, permit d'obtenir les données voulues afin de planifier et d'utiliser la main-d'oeuvre et de définir une politique du logement pour l'après-guerre. Par ailleurs, le Bureau ne put fournir les statistiques du revenu national dont avait besoin une nouvelle race d'économistes qui, à la Banque du Canada et au ministère des Finances, devaient conseiller le gouvernement sur les moyens de financer l'effort de guerre et sur la gestion de l'économie dans son ensemble. Puisque les méthodes du Bureau laissaient à désirer sur le plan conceptuel, la Banque se chargea provisoirement de produire les statistiques sur le revenu national. Ce n'est que sous la gouverne de Cudmore, plus tard pendant la guerre, que le Bureau reprit l'initiative dans ce dossier important. Le présent chapitre se termine par le bilan que Coats livra à la fin de sa carrière et dans lequel il passait en revue les réalisations du Bureau, proposait des modifications législatives et administratives et suggérait des pistes pour l'avancement de la statistique.
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE LE BUREAU S'EN VA EN GUERRE La mobilisation des ressources en vue de l'effort de guerre entraîna un essor sans précédent des fonctions et des rouages de l'appareil gouvernemental. Pendant la Première Guerre, la réputation du gouvernement avait été entachée par des scandales liés aux contrats d'approvisionnement, les profiteurs de guerre et l'inflation, mais cette fois, l'État manifesta sa présence d'une façon élargie et systématique. Dès le début, on reconnut que le Canada devrait non seulement rassembler ses propres forces armées, mais aussi fournir à la Grande-Bretagne et à d'autres pays des vivres, des matières premières et des armes. À mesure que la guerre progressait et que la victoire semblait assurée, on s'intéressa davantage à la reconstruction. Il en résulta d'énormes besoins en matière d'information, mais le gouvernement pouvait dorénavant compter sur un système statistique bien établi. Les programmes présentés par Coats en 1916 étaient plus ou moins en place et permirent de répondre rapidement aux nouvelles demandes. Même si le Bureau avait obtenu des crédits spéciaux et du personnel additionnel, ce ne fut pas sans peine qu'il absorba le surcroît de travail, qui consistait surtout en tâches administratives saisonnières dont l'exécution fut assurée par des personnes embauchées expressément à cette fin. Dès le milieu de 1941, les hommes d'âge militaire ne furent plus admissibles dans la fonction publique, et le Bureau se trouva à concurrencer les ministères pour le recrutement. Toute affectation permanente était interdite mais, le cas échéant, le Bureau conservait ses meilleurs employés temporaires, de sorte que l'effectif passa de 600 à 900 employés permanents entre 1939 et 1945. Le recrutement de personnel d'expérience étant lui aussi limité, la vieille garde fut largement mise à contribution. En raison des gels d'effectif et du faible roulement qui avaient marqué les années 1930, on comptait un grand nombre d'employés assez âgés, et une forte proportion, y compris Coats, acceptèrent de rester en poste après l'âge normal de la retraite.
PRINCIPAUX COMITÉS EN TEMPS DE GUERRE Le Conseil des ministres avait créé plusieurs comités pour l'aider à définir et à instituer les politiques économiques et financières et à restructurer l'économie pour les besoins de la guerre, puis à la redresser le plus rapidement et doucement possible, une fois la paix revenue. Les comités consultatifs se penchaient sur la politique économique, sur la démobilisation et la restauration et sur la reconstruction. Leurs mandats se recoupaient et ils étaient composés en bonne partie des mêmes membres — sous-ministres pour la plupart —, mais on croyait que ces chevauchements éviteraient le dédoublement des efforts entre les ministères tout en assurant une coordination efficace. En outre, le ministère des Affaires extérieures comptait une section canadienne des comités économiques mixtes qui devaient favoriser la collaboration entre le Canada, les ÉtatsUnis et le Royaume-Uni. Officiellement, le statisticien du Dominion siégeait seulement au Comité consultatif sur la démobilisation et la restauration mais, dans les faits, il fut associé à tous les comités, qui furent d'ailleurs à l'origine des initiatives du Bureau concernant la
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LA FIN DE L'ÉPOQUE COATS mobilisation de la main-d'oeuvre, les normes en matière de nutrition et les travaux de la Commission des prix et du commerce en temps de guerre.
COMMISSION DES PRIX ET DU COMMERCE EN TEMPS DE GUERRE L'un des premiers organismes institués par le gouvernement, la Commission des prix et du commerce fut créée par le décret C.P. 2516 du 3 septembre 1939, en application de la Loi sur les mesures de guerre. Son rôle était d'élaborer des moyens d'empêcher la hausse excessive du prix des aliments, du combustible et d'autres produits de première nécessité, et d'en assurer l'approvisionnement suffisant et la distribution équitable pendant la guerre. Plus précisément, elle devait pourvoir à la subsistance de la population civile tout en perturbant le moins possible la machine de guerre. En avril 1940, au terme de la drôle de guerre, le ministère des Munitions et des Approvisionnements fut mis sur pied en vue d'accélérer la fourniture du matériel de guerre et de faciliter, au besoin, le développement de la capacité de production. Il créa des services de contrôleurs dans divers secteurs industriels, qui formèrent la Commission de contrôle des industries en temps de guerre. Celle-ci était en liaison directe avec la Commission des prix et du commerce afin d'éviter les chevauchements. Les deux organismes firent souvent appel aux ressources du Bureau. La Commission de contrôle des industries en temps de guerre s'intéressa tout particulièrement aux travaux des divisions du recensement industriel. Le Bureau fut donc appelé à produire un bon nombre de rapports mensuels sur la production, les livraisons et les stocks de métaux, de minéraux, etc. La Commission des prix et du commerce s'avéra plus exigeante. Elle enrôla pour ainsi dire la Division de la statistique du commerce intérieur. Dans les jours ayant suivi sa création, elle retint pour une durée indéterminée les services du chef Herbert Marshall, en vertu du décret C.P. 2632 du 11 septembre 1939. Comme la plupart des nouveaux organismes, elle recruta ses cadres parmi les échelons supérieurs des entreprises et des universités; les responsables du Bureau se trouvèrent donc à traiter avec des professionnels de leur calibre2. La principale tâche que le Bureau réalisa pour la commission découlait de la décision d'attribuer un permis à tous les établissements de détail, de gros et de fabrication au Canada. D'où la nécessité de constituer une liste d'adresses mécanisée à partir des relevés du recensement industriel et d'autres sources, les entreprises étant classées selon le genre d'activité. Une salle des machines fut aménagée en vue de transmettre aux quelque 350 000 établissements inscrits les envois ordinaires de la commission, dont le nombre pouvait atteindre deux millions par mois. Il fallut construire un bâtiment temporaire (n° 7) attenant à la scierie Edwards. Une fois les travaux rodés, la commission s'en chargea, mais quelques employés du Bureau restèrent pour assurer la liaison. Les fiches d'inscription étaient mises à jour régulièrement; elles servirent à vérifier la liste d'adresses des établissements de commerce et de service en vue du recensement de 1941. Ce recensement couvrait à peu près les mêmes champs que celui de 1931, mais le programme de compilation fut repensé et accéléré afin de répondre aux besoins de la commission et des autres utilisateurs en temps de guerre.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Tout autant que l'économie s'était redressée pendant les deux premières années de la guerre, l'inflation était maîtrisée 3 . La commission s'occupa d'assurer l'approvisionnement de certains produits et d'éviter les pénuries. Ainsi, la Division de la statistique du commerce intérieur fut chargée, au pied levé, de recueillir des données sur les stocks, la consommation et les prix du charbon, des peaux et du cuir. En 1941, toutefois, l'indice du coût de la vie monta en flèche, et on imposa le 1er décembre des prix plafonds, administrés par la commission4. Le Bureau était préparé à cette éventualité. En 1938, sa première enquête sur les dépenses des familles lui avait permis d'établir des pondérations relativement à un nouvel indice national du coût de la vie, qu'il publia à l'été 1940. Plus tard, il calcula des indices pour huit villes en vue d'évaluer les variations du coût de la vie d'une région à l'autre. Le nouvel indice remplaça non seulement celui qu'il avait établi en 1926, mais également celui que Coats avait élaboré au ministère du Travail et qui, pendant plus de 25 ans, parut tous les mois dans la Gazette du travail. En décembre 1940, le gouvernement instaura des mesures de stabilisation des salaires, et le nouvel indice fut désigné par décret comme base du calcul des indemnités de vie chère. Les mesures coïncidaient avec l'adoption des prix plafonds en 1941 et furent appliquées à l'ensemble des employés. Devant cet intérêt accru, le Bureau décida de détacher du personnel à la grandeur du Canada pour vérifier régulièrement en quoi étaient représentatifs et exacts les prix que les établissements de détail avaient déclarés par la poste5. Toutefois, à mesure que la guerre progressait, les utilisateurs formulaient des réserves sur l'aspect conceptuel; ils reprochaient notamment à l'indice de ne pas refléter les hausses de prix cachées et l'effet des modifications fiscales, ni de tenir compte de l'évolution des habitudes de consommation.
MOBILISATION DE LA MAIN-D'OEUVRE CANADIENNE L'effort de guerre obligeait à répondre à l'accroissement de la demande de maind'oeuvre, tant civile que militaire. Le ministère des Services nationaux de guerre fut créé en juillet 1940 en vertu de la Loi sur la mobilisation des ressources nationales. Il entreprit d'établir un registre des travailleurs canadiens et puisque le Bureau avait collaboré à une tâche semblable dans les derniers mois de la Première Guerre, il fut encore une fois mis à contribution. En peu de temps, la Division du recensement dressa un registre d'environ huit millions de personnes âgées de plus de 16 ans, les classant selon l'âge, l'état matrimonial, la scolarité et la profession. Le registre servit d'abord à la sélection d'hommes célibataires de certains groupes d'âge aux fins du service militaire. Les données sur la profession permirent par ailleurs de combler les besoins de main-d'oeuvre spécialisée dans les industries de guerre. Le registre fut ensuite tenu à jour6. L'intervention de l'État sur le marché du travail créa un besoin de statistiques mensuelles de l'emploi, qui avaient servi jusque-là d'indicateurs barométriques. Le Bureau était dorénavant sollicité pour fournir les données nécessaires aux décisions concernant l'emplacement des industries de guerre, le transfert de la main-d'oeuvre vers les régions subissant une pénurie particulière et la réduction de la production de biens non essentiels. Selon un rapport de l'époque, 162
LA FIN DE L'ÉPOQUE COATS « [...] la transformation des données pour remplir [...] ces fonctions (qui découlent uniquement de la guerre et dont le but et le genre diffèrent beaucoup de ce qu'ils étaient à l'origine) a demandé beaucoup d'énergie et de débrouillardise du personnel, alors qu'il s'agit d'une tâche statistique exceptionnellement difficile même en temps de paix7 ».
L'application des mesures de stabilisation des salaires exigeait des données récentes et valides sur le coût de la vie, aussi bien que sur les revenus du travail. Tôt en 1941, l'enquête mensuelle sur l'emploi devint l'enquête sur l'emploi et la rémunération. « [Cette enquête] a plus que doublé la charge habituelle de la division, et nécessité le recours à des questionnaires compliqués, l'élaboration d'une toute nouvelle technique pour le traitement des questionnaires, quatre fois plus de calculs statistiques et la résolution de nombreux problèmes afin d'assurer la comparabilité des statistiques nouvelles et antérieures8. »
En 1944, l'enquête s'enrichit de questions sur la durée du travail et permit de calculer la rémunération hebdomadaire et horaire par personne, les indices de la rémunération et le nombre moyen d'heures travaillées. Les travaux furent menés sous l'autorité de Mlle M.E.K. Roughsedge, qui comptait une vingtaine d'années d'expérience dans ce domaine. L'analyse statistique des données de la nouvelle Commission de l'assurancechômage — mise en service le 1er juillet 1941 — s'ajouta aux opérations du Bureau ayant trait à la statistique de l'emploi. Même si elle ne découlait pas des besoins en temps de guerre, elle s'avéra très utile au gouvernement dans la gestion du marché du travail. Son exécution fut confiée à la Division de l'analyse sociale, qui avait déjà réalisé des études sur la main-d'oeuvre et son utilisation9. La division commença par recueillir des données sur l'âge, le sexe, l'industrie, l'occupation et le lieu de travail de chaque personne visée par la loi. Elle se dota ainsi d'une bonne base de données, qui fut utilisée aux fins de la Loi sur V assurance-chômage. Tôt en 1942, afin de résoudre les problèmes d'approvisionnement en main-d'oeuvre, le gouvernement nomma un directeur du Service sélectif national, relevant du ministre du Travail. Comme ce directeur avait besoin d'un inventaire des personnes employables, on transféra au ministère du Travail les dossiers et le personnel de la Division des registres nationaux du ministère des Services nationaux de guerre. Les dossiers semblaient avoir été tenus à jour depuis 1940, mais on décida quand même d'adopter une nouvelle approche en faisant appel aux bons services de la Commission de F assurance-chômage. Chaque année, la commission rappelait les livrets d'assurance, les émettait de nouveau et réinscrivait les employeurs et leurs employés assurés. La réinscription d'avril 194210 permit d'enrichir le fonds constitué à l'origine et de fournir les données nécessaires au nouvel inventaire de la main-d'oeuvre. L'Annuaire du Canada de 19431944 indiquait ce qui suit : « Ces dossiers des effectifs mobilisables ont été compilés par le Bureau de la Statistique : ils contiennent plus de trois millions de noms ainsi que des détails relatifs à l'âge, l'état conjugal, l'occupation, les connaissances additionnelles, l'industrie et autres données connexes qui permettront à chacun d'obtenir de l'emploi dans le domaine où il pourrait contribuer le plus à l'effort national". »
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Au plus fort de l'action, ces travaux de grande envergure occupèrent environ 600 personnes.
AGRICULTURE ET ALIMENTATION La guerre ayant entraîné une pénurie d'aliments, presque tous les secteurs de l'agriculture furent progressivement placés sous le contrôle ou la réglementation de l'État. La Division de la statistique de l'agriculture, dont le programme comptait parmi les premiers et les plus solides du Bureau, était en mesure de répondre aux besoins statistiques des organismes de réglementation12. Mais il fallait tout de même établir de nouvelles données pour des produits tels que les céréales secondaires et les oléagineux dont on augmentait rapidement les emblavures, et accroître la finesse et la fréquence d'autres données, par exemple sur le revenu, la main-d'oeuvre et les dépenses d'exploitation des fermes. Avec le temps se développèrent des méthodes pour définir les rendements visés de la production agricole13, et la Division fut appelée à fournir des données à cet effet. En 1943, le Bureau participa à une étude comparative des niveaux nutritionnels aux ÉtatsUnis, au Royaume-Uni et au Canada, afin de savoir, compte tenu de la priorité accordée à l'effort de guerre et des difficultés d'approvisionnement, s'il était possible de combler les besoins alimentaires des populations civiles et, le cas échéant, par quels moyens. Le Bureau en vint à collaborer à l'étude grâce à Cudmore qui, lors d'une réunion de spécialistes américains et britanniques tenue à Washington, avait réussi à convaincre les participants de l'utilité d'y inclure le Canada. De retour à Ottawa, il gagna rapidement à sa cause le ministère des Affaires extérieures. Dans une lettre où il expliquait comment convertir en mesures nutritionnelles les données sur la quantité d'aliments achetés ou consommés, il écrivit : « II nous faudra revoir l'ensemble de notre situation et de nos statistiques agricoles du point de vue nutritionnel, et offrir au plus grand nombre possible de nos experts en agriculture et en nutrition et de nos statisticiens l'occasion de se familiariser avec ce nouveau facteur important14. »
II n'empêche que les conversions nutritionnelles ne furent pas intégrées aux travaux permanents du Bureau, comme l'avait souhaité Cudmore. On fit toutefois l'exercice pour chaque année de guerre déjà écoulée, en adoptant comme base la période de 1935 à 1939. Les résultats représentèrent la contribution du Canada à l'étude internationale et furent publiés séparément par le Bureau.
FINANCES EN TEMPS DE GUERRE ET CONTRÔLE DE DEVISES La commission Rowell-Sirois, qui avait recommandé d'accroître et d'uniformiser les statistiques sur les finances publiques, tenait compte des besoins en temps de paix, mais la recommandation se trouva encore plus justifiée en période de guerre et de reconstruction. Comme nous l'avons vu, la commission avait dû réunir elle-même l'essentiel des statistiques sur lesquelles s'appuyaient ses recommandations.
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LA FIN DE L'ÉPOQUE COATS Pendant la guerre, on essaya tant bien que mal d'actualiser les données de la commission pour répondre aux besoins statistiques des responsables de l'impôt de guerre, de la gestion de la dette, etc. Avec l'accord des utilisateurs, la Division des finances publiques du Bureau entreprit de créer une solide base de données qui favoriserait la coopération fédérale-provinciale au moment de la reconstruction, en harmonisant les statistiques des finances publiques des trois ordres de gouvernement, ainsi que l'avait recommandé la commission. En 1943, la Conférence fédéraleprovinciale sur les statistiques des finances provinciales marqua un jalon important de cette voie. S'agissant du revenu national, le Bureau ne pouvait, encore une fois, satisfaire à la demande des utilisateurs. Les données annuelles les plus récentes portaient sur l'année 1934 et, lorsque la guerre éclata, le Bureau s'employait à produire de nouvelles estimations historiques fondées sur une méthodologie grandement améliorée, disait-il. Les chiffres parurent en 1941, mais n'eurent pas l'effet escompté auprès des utilisateurs, qui continuèrent à s'en remettre, comme c'était le cas pour les finances publiques, à des extrapolations des données recueillies pour la commission Rowell-Sirois. Plus tard pendant la guerre, le Bureau eut l'occasion de recommencer à zéro; il écarta l'étude de 1941 et adopta une méthode conforme à celle de ses homologues américains et britanniques15. Le Bureau s'avéra cependant d'une grande utilité dans un autre secteur des finances, et la mise en place de contrôles de guerre lui permit d'améliorer les statistiques afférentes. Juste avant la guerre, la Division de la statistique du commerce intérieur avait fait d'importants progrès dans la recherche de nouvelles sources de données pour la balance des paiements internationaux, de manière à ne plus s'en remettre uniquement à des estimations. Dans une étude publiée en 1939 sur les méthodes et les résultats ayant trait à la balance canadienne des paiements internationaux 16 , il était fait état des améliorations méthodologiques et d'un bon nombre de nouvelles statistiques. La Commission de contrôle du change étranger fut créée lorsque débuta la guerre. Les installations et la compétence du Bureau furent mises à contribution pour cerner les tendances de la balance des paiements, les mouvements de capitaux, etc. Le chef C.D. Blyth et d'autres employés furent prêtés à la commission et chargés de préparer les formulaires et relevés nécessaires aux contrôles administratifs et de s'assurer par la suite que l'information était bien utilisée à des fins statistiques. Un comité interministériel favorisa la collaboration d'autres ministères intéressés, ce qui donna lieu à deux événements importants. D'abord, la base d'évaluation des exportations et des importations fut modifiée de façon à refléter la valeur monétaire réelle des transactions. Ensuite, la portée et la qualité des statistiques sur le tourisme firent l'objet d'une nette amélioration. Un nouveau service du Bureau prit en charge les travaux de compilation, jusque-là réalisés aux ports douaniers. Les méthodes d'échantillonnage des dépenses du tourisme furent mises au point. À la fin de la guerre, la synthèse complète des séries statistiques primaires que représentait la balance des paiements avait permis d'établir le premier sous-système du cadre macroéconomique, qui allait devenir le Système de comptabilité nationale.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE PUBLICATIONS DU BUREAU Le Bureau remportait la palme pour le nombre de publications, mais il faut dire qu'il connut sa part de difficultés. Au début de la guerre, la diffusion publique de données sur la production, l'exportation et l'importation de matières stratégiques fut interdite, non seulement avec l'accord du Bureau, mais à sa demande. La censure relevait du ministère de la Défense nationale, et dans une note datée du 17 septembre 1939, le directeur du service, le colonel Maurice Pope, rapporta une conversation qu'il avait eue avec Coats : « Quelques jours avant la sortie du rapport hebdomadaire sur les céréales, il lui est venu à l'idée qu'il n'était peut-être pas dans l'intérêt public de publier quoi que ce soit maintenant. [...] Il s'agissait d'un des nombreux cas où une certaine retenue servirait l'intérêt public17. »
Un comité consultatif de la censure des publications statistiques fut créé par la suite et se réunit neuf fois jusqu'au milieu de 1944. Son rôle ne consista pas toujours à empêcher la parution de publications; il leva progressivement certains interdits imposés au début de la guerre. L'avenir des publications du Bureau fut plus sérieusement menacé en août 1942, lorsque le ministre des Services nationaux de guerre mit sur pied la Division des services des économies administratives18. Cette division avait le pouvoir d'examiner et d'approuver toute demande de fournitures de bureau, de meubles, de matériel et d'impression. Sauf dans le dernier cas, le Bureau se plia volontiers aux consignes : « Étant donné la conjoncture, l'austérité s'impose dans l'achat de fournitures pour les bureaux du gouvernement, et tout gaspillage doit être éliminé. [...] Le décret C.P. 4428 mérite l'appui de tous les citoyens patriotiques et le Bureau y adhère pleinement19. »
Le 2 octobre 1942, le chef de la division, le colonel John Thompson, écrivit aux ministères, commissions et conseils afin de les aviser que pour obtenir une gomme à effacer, il fallait dorénavant en donner une vieille en échange20. Mais il en fut tout autrement pour l'impression. Autorisé par la Loi de la Statistique à publier des renseignements, le Bureau considérait que son mandat avait été élargi, et non réduit, en temps de guerre. Jusque-là, il n'était limité que par les crédits budgétaires accordés par le Conseil du Trésor. Maintenant, la perspective d'intervention de la part d'« un pouvoir externe pas très au fait des obligations du Bureau envers le gouvernement et le grand public21 » constituait une grave menace. Cette mesure ne visait pas les rapports polycopiés au Bureau, mais plutôt les publications devant sortir des presses de l'Imprimeur du Roi. Le Bureau avait pris l'initiative d'écourter la liste des publications et de réduire les tirages, de sorte que dans son budget de 1943-1944, les frais d'impression étaient deux fois moins élevés qu'en 1939-1940. Le sacrifice était peut-être moins grand qu'il n'y paraissait, puisque le Bureau utilisait de plus en plus ses propres installations de reprographie pour raccourcir les délais de diffusion des rapports destinés à ses clients de l'administration publique. Il eut raison de croire, toutefois, qu'on ne lui attribuerait pas le mérite des économies réalisées de son propre chef. À l'instar du Bureau d'information de guerre, le Bureau estimait qu'il aurait dû être exempté à l'origine du décret C.P. 4428, du moins en ce qui avait trait à l'impression. 166
LA FIN DE L'ÉPOQUE COATS Au début de novembre 1942, Cudmore, devenu statisticien du Dominion, décida qu'il conviendrait de remettre à Thompson le programme d'édition de l'exercice en cours, plutôt que de lui expédier les publications une à la fois. On lui envoya donc une liste de 24 publications, croyant que la valeur et la priorité de chacune seraient scrutées à la loupe. Quelques jours plus tard, la liste fut retournée, accompagnée d'un arrogant commentaire interdisant l'impression de toutes ces publications pour la durée de la guerre22. Le Bureau en appela auprès du Comité consultatif sur les services des économies administratives, présidé par le vérificateur général Watson Sellar, mais sans succès. En 1941-1942, année précédant l'entrée en vigueur du décret C.P. 4428, paraissaient 50 publications imprimées (annuelles pour la plupart). En 1942-1943, ce chiffre avait été réduit à 37 et l'année suivante, il en restait 19. L'Annuaire du Canada de 1943 tomba sous le couperet, mais l'on approuva une édition combinée pour 1943-1944, ce qui permit d'assurer la continuité. L'exploit du Bureau fut de sauver le guide Canada. En 1943, lorsqu'on apprit que le ministre des Finances J.L. Ilsley avait renversé la décision de Thompson visant à en interrompre la publication jusqu'à la fin de la guerre, voici ce que disait le Ottawa Journal du 4 mars : « Gaspillage éhonté de la part du ministre des Finances », « Entraves au travail de Thompson » et « Évasions, subterfuges et supercherie ». Le lendemain, Cudmore écrivit au ministre pour lui donner sa version des faits. Après avoir décrit le geste expéditif de Thompson (« aucune explication et aucune invitation à défendre notre cause »), il récapitula toutes les mesures prises lors de l'appel visant la fourniture de données sur les coûts, les ventes, les lecteurs et les utilisations. Il conclut : « Dans les circonstances, puisque le colonel Thompson devait disposer de ces renseignements, on comprend mal que des faits aussi déformés aient pu se retrouver dans les journaux23. » En 1938, le guide — fort du succès remporté — fut tiré à 26 000 exemplaires en anglais et à 4 000 en français. Il connut un regain de popularité pendant la guerre, puisqu'il aidait à rehausser le moral des Canadiens — grâce surtout à sa diffusion dans les écoles — et servait d'outil de propagande à l'étranger. La demande atteignait un sommet lorsque le colonel Thompson imposa un embargo. Le Bureau en appela de la décision et même s'il eut gain de cause, il put difficilement imprimer assez d'exemplaires pour répondre à la demande. L'Aviation royale reçut une édition spéciale de Canada 1942 destinée aux militaires anglais qui participaient au Programme d'entraînement aérien du Commonwealth britannique, et passa une commande pour 5 000 exemplaires de Canada 1943. La Commission d'information de guerre, quant à elle, en commanda 7 000 pour son bureau de Washington. Et du fait de l'intensification des échanges commerciaux avec l'Amérique latine, le Service des délégués commerciaux en demanda des versions en espagnol et en portugais. Le plus souvent, c'était à la suite des pressions exercées par les ministères clients que ces problèmes et d'autres furent résolus. S'acharnant une dernière fois sur le guide, Thompson persuada le Conseil du Trésor d'obliger le Bureau à produire une version rudimentaire de Canada 1944, mais en février 1944, l'honorable J.A. MacKinnon, à la demande de Cudmore, réinstaura les normes habituelles pour l'édition de 1945.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE FARDEAU DES QUESTIONNAIRES Dès septembre 1940, on avait tenté d'intervenir dans les travaux du Bureau. Le ministre des Finances Ilsley écrivit à Coats pour lui demander de préparer un rapport sur les déclarations que devaient produire l'administration fédérale, les provinces et les municipalités et d'examiner la possibilité de les regrouper afin de réduire les coûts et d'économiser le temps de ceux qui devaient se conformer à ces exigences24. Quelques jours plus tard, Coats s'appuya sur une étude de Cudmore pour éluder fermement cette tâche monumentale : « Un rapport détaillé sur le sujet représente un travail de longue haleine. [...] L'effort de réflexion du Bureau est fortement sollicité, l'inscription nationale est en cours, le recensement décennal approche à grands pas et les divisions du Bureau doivent produire des compilations spéciales relativement à l'effort de guerre. Par conséquent, je doute que la préparation d'un rapport soit faisable à l'heure actuelle. En réalité, nous cherchons sans relâche à résoudre ce problème25. »
Pour bien se faire comprendre, Coats enroba son message comme lui seul savait le faire. L'essor qu'avait connu la statistique en 25 ans découlait d'un élargissement des fonctions des administrations publiques. Après l'adoption de la Loi sur les mesures de guerre, il n'était pas possible de réduire les besoins statistiques. Pour obtenir l'information en causant le moins d'inconvénients aux particuliers et aux entreprises, il fallait centraliser la statistique, ce qui éliminerait les chevauchements et les questionnaires inutiles. Rien n'indique dans les archives que Ilsley revint à la charge.
RECENSEMENT DE 1941 Malgré les responsabilités nombreuses et souvent lourdes que le Bureau devait assumer en raison de la guerre, le recensement de 1941 demeura durant ces années sa plus grande réalisation et sans doute sa plus importante contribution à l'effort de guerre. Dans les premiers mois du conflit, cependant, on craignit qu'il ne fût annulé pour des raisons d'austérité. Une note préparée pour Coats en vue d'un échange éventuel avec le ministre26 exposait les effets de l'annulation et soulignait qu'au plus fort de la Première Guerre, il ne fut jamais question d'annuler en 1916 le recensement des provinces des Prairies. Le gouvernement, conclua la note, avait le pouvoir d'annuler le recensement, mais risquait ainsi de déstabiliser la Confédération. Ces inquiétudes semblent avoir été sans fondement. L'annulation aurait entraîné des économies négligeables27, qui n'auraient pas justifié l'absence des données requises pour évaluer les effets économiques et sociaux de la pire crise de l'histoire canadienne et des deux années de guerre. Le recensement eut donc lieu, à la manière du précédent, sauf qu'il fut retardé de neuf jours afin d'éviter un conflit avec le lancement du premier emprunt de la Victoire. Le contenu du recensement de 1941 fut déterminé par celui des recensements de 1931 et de 1921, aux fins de comparaison. Il fut passablement remanié, mais ce ne fut pas tellement en réaction aux besoins des ministères et organismes de guerre, pour lesquels il était plus utile d'obtenir rapidement l'information habituelle que de recueillir 168
LA FIN DE L'ÉPOQUE COATS de nouvelles données. La guerre accentua toutefois la nécessité de certains changements. Ainsi, les questions se rapportant au nouveau lieu de résidence visaient, à l'origine, à mesurer les déplacements dans les années 1930, puisque les gens étaient nombreux à déménager d'un bout à l'autre du pays 28 . Ces mouvements de population se poursuivirent tout au long de la guerre. L'ampleur des mouvements dans les années 1930 obligea à définir une politique du logement pour l'après-guerre. Ainsi, afin de compléter les questions sur les habitations que renfermait le questionnaire sur la population, on mena un recensement détaillé des logements — installations, services, mode d'occupation, loyers, valeur, hypothèques, etc. À des fins de comparaison, le questionnaire s'inspirait de celui qui avait servi aux États-Unis l'année précédente. Il était adressé à un ménage sur dix, ce qui constitua une première expérience d'échantillonnage au cours du recensement29. Il fut ajouté des questions sur la fécondité, qui avait constitué un sujet trop délicat pour les recensements de 1921 et de 1931. La décision s'appuyait sur deux raisons. « (a) Les statistiques vitales, maintenant publiées annuellement, portent sur les neuf provinces depuis 1926 seulement. On a jugé qu'il serait très désirable d'obtenir des renseignements sur les taux de fécondité pour une plus longue période. (b) Alors que la procédure de l'enregistrement des naissances demande qu'on remplisse une formule détaillée, elle ne peut fournir tous les renseignements contenus dans le questionnaire du recensement. En incorporant les questions spéciales sur la fécondité au questionnaire général sur la population, il a été possible de mettre la fécondité en relation avec le revenu, le degré d'instruction et d'autres caractéristiques significatives de la famille30. »
Une campagne de publicité dynamique insista sur la responsabilité patriotique : « Par la diligence et l'exactitude de vos réponses, vous aiderez à la bonne administration de votre pays, qui, après l'épuisement de la guerre, aura à faire face aux difficiles problèmes de reconstruction d'après-guerre31. »
On assura à la population la confidentialité des renseignements, garantissant l'immunité contre les percepteurs d'impôt, les recours judiciaires, ainsi que les autorités militaires. Le report de la date du recensement retarda évidemment la collecte des données, sans compter que l'on eut du mal à recruter des recenseurs compétents. Lorsque les questionnaires arrivèrent à Ottawa, il fut plus difficile d'appliquer le principe de résidence de jure que dans le cas des autres recensements. Un nombre anormalement élevé de civils étaient absents du domicile le jour du recensement, ce qui nécessita l'envoi des questionnaires à leur lieu habituel de résidence. Encore une fois, il fallut obtenir du ministère de la Défense le nom et les données censitaires d'environ 70 000 personnes en service actif au moment du recensement, et les ajouter aux relevés. Ces problèmes d'ordre opérationnel furent aggravés par le manque de compétence du personnel en temps de guerre. Cependant, les améliorations apportées au matériel mécanographique du Bureau permirent de produire plus rapidement une quantité de données inégalée. Thornton et Bélisle se chargeaient toujours du matériel, avec leur inventivité coutumière. Le rapport administratif, après avoir rappelé leur contribution aux recensements précédents, indiqua leur plus récente réalisation : « [...] l'adaptation à l'air comprimé [...] de l'outillage de 169
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE 1931 mû par l'électricité. Ce changement a éliminé plusieurs difficultés que suscitait l'usage du courant intensif dans la machine électrique32. » Les besoins créés par la guerre obligeaient à raccourcir les délais de composition et d'impression des volumes. D'où la création d'un ambitieux programme d'environ 280 bulletins individuels, plus que pour tout autre recensement. Ces bulletins traitaient de différents sujets — population, agriculture, logement, établissements de commerce et de service — et furent offerts gratuitement aux utilisateurs et publiés, pour la plupart, avant la fin de la guerre. Entre-temps, les versions 1943-1944 et 1945 de Y Annuaire du Canada présentèrent des résumés des sections du recensement. Deux des onze volumes du rapport définitif parurent dans les derniers mois de la guerre et les autres suivirent sur une période de deux ans. Un douzième volume était censé comprendre une « série d'études spéciales et de monographies basées sur l'interprétation des [...] volumes précédents du rapport du recensement et des recensements antérieurs33 ». Il ne vit jamais le jour, mais en 1948 fut publiée une importante monographie d'Enid Charles sur l'évolution de la famille au Canada. Le rapport administratif souligna l'apport des principaux collaborateurs qui, malgré des conditions loin d'être idéales, avaient fait du recensement de 1941 un franc succès. Certains des remerciements étaient teintés d'émotion, puisqu'ils marquaient le départ de la vieille garde. En tête de liste, Coats qui prit sa retraite en 1942 et qui, par sa vision et ses qualités de chef, avait posé les assises du recensement moderne au Canada. Cudmore lui succéda au poste de statisticien du Dominion et veilla à rassembler et à publier les résultats du recensement. Mais il mourut subitement en octobre 1945, et le rapport administratif, déposé le 21 novembre 1945, fut signé par son successeur, Herbert Marshall. A.J. Pelletier, qui prit sa retraite en octobre 1944, avait travaillé avec Archibald Blue, le prédécesseur de Coats, et succédé à E.S. Macphail à la tête de la Division du recensement. Au cours de sa longue carrière, il avait passé deux ans au service du gouvernement de la Jamaïque pour surveiller la tenue de son recensement en janvier 1943. La planification du recensement de 1941 reposa largement sur M.C. MacLean, l'une des premières personnes que Coats avait recrutées pour le Bureau et qui dirigea la Division de l'analyse sociale à partir du milieu des années 1930 jusqu'à sa mort accidentelle en 1940. A.L. Neal lui succéda avec compétence et put compter sur l'aide de Nathan Keyfitz, qui allait devenir une sommité mondiale en démographie, et d'Enid Charles, qui avait fait ses débuts en 1942 pour analyser les données sur la fécondité34.
DISTINCTIONS HONORIFIQUES POUR SERVICES EN TEMPS DE GUERRE À la fin des hostilités, on souligna la contribution apportée à l'effort de guerre par les fonctionnaires, dont certains membres du Bureau 35 . À l'époque, les distinctions honorifiques canadiennes étaient accordées d'après le système britannique; les Canadiens étaient admissibles non pas à l'attribution de titres, mais aux récompenses de moindre prestige. Herbert Marshall fut fait officier de l'Ordre de l'Empire britannique; et C.D. Blyth, H.F. Greenway, O.A. Lemieux et M.E.K. Roughsedge furent reçus membres de l'Ordre. Marshall et Blyth avaient travaillé fort pour la Commission des 170
LA FIN DE L'ÉPOQUE COATS prix et du commerce en temps de guerre et la Commission de contrôle du change étranger, respectivement. Les autres s'étaient illustrés dans leurs spécialités. Les distinctions reconnaissaient le mérite individuel tout autant qu'elles reflétaient le prestige du Bureau dans la hiérarchie administrative. Au sein des deux commissions dont faisaient partie Marshall et Blyth, certains membres — qui occupaient un rang ministériel ou universitaire plus élevé — furent nommés commandeurs de l'Ordre de l'Empire britannique et au moins un, commandeur de l'Ordre très distingué de SaintMichel et Saint-Georges.
ESTIMATIONS DU REVENU NATIONAL Au chapitre des estimations du revenu national, le Bureau ne put répondre aux besoins statistiques de l'économie de guerre, surtout parce qu'il persistait à employer des méthodes qui n'inspiraient pas confiance aux utilisateurs des données de la Banque du Canada et du ministère des Finances. Négligé depuis 1937, le dossier reprit vie en 1939. Le Bureau décida de revoir et de mettre à jour les estimations portant sur rentre-deuxguerres; s'inspirant des travaux effectués par MacGregor pour la commission RowellSirois, il modifia sa méthodologie et utilisa le revenu reçu à la place du revenu produit. Cudmore forma un comité de la statistique du revenu national et incita trois personnes de l'extérieur du Bureau à y siéger : J.J. Deutsch, de la Banque du Canada; R.B. Bryce, du ministère des Finances; et le professeur MacGregor. Sydney B. Smith, le responsable du revenu national au Bureau, rédigea un mémoire sur la portée de l'enquête et les méthodes à adopter, que le comité devait étudier à sa première réunion. En faisant parvenir le mémoire de Smith aux membres du comité, Cudmore précisa : « Les méthodes d'estimation du revenu national varient selon les pays et leur choix est dicté en grande partie par la quantité et la qualité des statistiques. Au Royaume-Uni et en Allemagne, on se fonde surtout sur les revenus déclarés aux autorités fiscales. [...] « Aux États-Unis, l'excellence des statistiques sur la production et sur la répartition des revenus a permis d'utiliser d'autres méthodes. Ainsi, les études du revenu national et de sa répartition sont maintenant publiées annuellement par le département du Commerce (revenu produit et versé) et par l'Office national de la recherche économique (montant global des paiements et des produits à recevoir). [...] « Au Canada, où les statistiques se mesurent à celles des États-Unis, il semble souhaitable, à la suite d'une étude approfondie des méthodes employées dans divers pays, [...] d'emprunter le plus possible les méthodes présentées dans les publications du département du Commerce et de l'Office national de la recherche économique36. »
Cudmore présenta Simon Kuznets comme l'expert nord-américain en la matière et fit l'éloge de son étude de 1937 qui portait sur le revenu national et la formation de capital de 1919 à 1935. Pendant les deux années qui suivirent sa parution, cette étude influença le plus les travaux du Bureau. Elle reprenait la définition élémentaire de la contribution de l'administration publique au revenu national, que le rapport Rowell-Sirois avait cherché à dépasser. La définition assimilait essentiellement la valeur des services de l'État aux impôts perçus pour les financer. Ironie du sort, Kuznets modifia plus tard sa
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE position à cause des transformations qui s'opérèrent dans le rôle et les politiques fiscales du gouvernement à la suite du New Deal. À sa réunion du 14 novembre 1939, le Comité de la statistique du revenu national n'eut rien à redire de l'approche proposée par Cudmore, ce qui peut s'expliquer par l'absence de Deutsch, l'âme dirigeante de l'étude menée pour la commission RowellSirois et par la suite le critique le plus sévère des travaux du Bureau. Selon le procèsverbal, Smith signala « les écarts entre le rapport imminent de la commission sur le revenu national et l'étude du Bureau ». Il fut résolu ce qui suit : « Le comité, après étude, approuve le document préparé par Sydney B. Smith sur la portée et les méthodes de l'étude du revenu national37. » Sept mois plus tard, à la réunion du 27 juin 1940, Deutsch était toujours absent. Comme à la première rencontre, le comité se pencha sur des questions techniques relatives aux sources de données et aux méthodes possibles 38 , dont l'ajout au recensement de 1941 de questions qui serviraient à estimer le revenu selon la taille et la région géographique. Il s'interrogea sur la possibilité de tirer ces renseignements, plus souvent et à moindre coût, des dossiers de l'impôt sur le revenu et du nouvel impôt de la défense nationale. Selon le procès-verbal, Smith remit un résumé et une analyse des principaux résultats de l'étude du Bureau pour la période de 1919 à 1938. Aucun document n'avait été distribué à l'avance; la seule réaction fut l'adoption d'une résolution visant à faire préparer des notes de travail qui seraient distribuées confidentiellement parmi les membres. Au début de 1941, Smith termina la première partie d'une étude du revenu national au Canada de 1919 à 193839 et la fit parvenir aux membres du comité en vue d'une réunion ultérieure. Il semble n'avoir reçu que deux commentaires, dont celui-ci de son collègue Neal : « Le but du rapport se lit comme suit : "Le présent rapport vise à fournir une estimation claire et bien définie en vue d'un usage courant du revenu national." Il semble regrettable que, pour en arriver là, il faille lire 124 pages de texte, de tableaux et de figures [...] où il est surtout question de relations et d'analyses du revenu national plutôt que de la construction de l'estimation40. »
Selon Neal, l'analyse était non seulement superficielle, mais aussi discutable et parfois carrément erronée. Son principal reproche, toutefois, visait l'absence d'explications sur la méthode employée. Par exemple, Smith avait écrit : « [...] faute de données suffisantes, il a fallu recourir à l'estimation dans une certaine mesure pour calculer les totaux, et l'interprétation doit en tenir compte41. » Neal observa : « Si nous savions sur quoi l'estimation est fondée, nous saurions comment en tenir compte dans l'interprétation. » II conclut : « II est mentionné à la page 128 que l'un des mérites du rapport de la commission Sirois est qu'il présente une explication détaillée de la méthode. Il est regrettable de ne pouvoir en dire autant du rapport42. » Le 28 avril, Deutsch fit parvenir ses observations à Cudmore. À l'instar de Neal, il critiqua la forme du rapport, son incapacité à décrire les sources et les méthodes, et ses erreurs flagrantes dans certaines estimations. Mais il reprocha surtout au rapport ses « conceptions erronées du revenu et ses méthodes incorrectes », et en particulier la façon
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LA FIN DE L'ÉPOQUE COATS dont le Bureau traitait le revenu des administrations publiques. Le revenu, dit-il, correspondait à « [...] la somme des paiements publics aux postes de l'intérêt (net), des rémunérations, des pensions, du secours, des soldes et indemnités militaires, des services de bien-être public, augmentée de la hausse des biens de production et diminuée des nouveaux emprunts publics ».
Selon lui, ce fatras était à la fois futile et trompeur. Ces calculs revenaient à dire : « [...] le revenu produit par l'administration publique est égal à la somme totale des impôts moins les achats publics. Les incohérences qu'entraîné cette hypothèse sautent aux yeux. Si l'administration acquittait les dépenses de la guerre uniquement à même les impôts, le revenu national augmenterait exactement du montant de ces dépenses. Si, par ailleurs, elle empruntait tous les fonds nécessaires, les dépenses de guerre n'auraient aucune incidence sur le revenu national, quel qu'en soit le montant43. »
En conclusion, Deutsch proposa quelques correctifs pour l'avenir. S'il était toujours important de connaître l'ordre de grandeur et les fluctuations du revenu national, de même que sa composition et sa répartition, ce besoin devenait indispensable en temps de guerre. Par conséquent, « la préparation d'estimations fiables du revenu national devrait venir en tête des enquêtes statistiques menées par l'administration ». Mais Deutsch laissait peu d'espoir : « Les estimations du revenu national que vient de préparer le Bureau de la statistique sont insatisfaisantes et exigent des corrections majeures, au point où il est presque préférable de recommencer à zéro. L'étude effectuée pour la Commission royale des relations entre le Dominion et les provinces est presque dépassée. Il n'est plus possible de la mettre à jour au moyen des projections faites au coup par coup44. »
Deutsch considérait qu'il était impératif d'asseoir l'estimation du revenu national sur des bases permanentes. Pour commencer, il fallait confier les travaux à une personne « ayant une solide formation en économie [...] et une vaste connaissance de l'organisation et des conditions de l'économie canadienne45 ». Les travaux devaient être réalisés par le Bureau, qui disposait des statistiques nécessaires ou pouvait les recueillir. Sur le plan pratique, il fallait éviter les chevauchements et le gaspillage. À cet égard, Deutsch était d'avis qu'il fallait recourir aux données fiscales pour le calcul de la répartition du revenu selon la taille, et établir certaines statistiques, par exemple, sur le revenu foncier des particuliers, le revenu du secteur des services, le revenu total par province et les variations mensuelles du revenu national. Comme on pouvait s'y attendre, la réunion du comité, tenue le 16 juin, fut mouvementée. Personne n'avait donné suite à la suggestion d'utiliser les dossiers de l'impôt sur le revenu. De son côté, Smith défendait toujours la méthodologie de Kuznets, même elle ne pouvait pas tenir compte d'une nouvelle réalité : le recours aux déficits considérables par l'État. À la recherche de méthodes de rechange, MacGregor suggéra ce qui suit : « Le Bureau fédéral de la statistique ne devrait pas publier le chiffre du revenu national, mais plutôt énoncer les concepts à réaménager en vue de produire des estimations à différentes
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE fins, et considérer cette tâche comme sa principale contribution. Il sera parfois nécessaire de recourir à l'arbitraire. Le Bureau pourrait en outre présenter les utilisations possibles des données de base, mais je doute qu'il puisse faire davantage. Il ne s'agit pas ici d'une donnée démographique46. »
La suggestion ne suscita aucune réaction à la réunion; ce silence rappelait les doutes que MacGregor avait émis quant à la compétence du Bureau en matière de recherche et d'analyse. Smith, par son inflexibilité, n'aida pas sa cause, mais il n'avait pas tous les torts. Les membres du comité venant de l'extérieur du Bureau savaient depuis deux ans qu'il comptait aller de l'avant, quelle qu'en fût l'issue. Ils auraient pu trouver le moyen d'intervenir plus tôt, de façon constructive, et d'éviter la confrontation, qu'ils aient été présents ou absents aux réunions précédentes. La résolution fut toutefois couchée en termes voilés : « Le comité estime qu'il est possible d'améliorer les méthodes de calcul du revenu produit par les administrations publiques et de les décrire clairement dans le rapport destiné à la publication47. »
En clair, le rapport sur la répartition du revenu par province fut jugé inacceptable. Peu après la réunion, Cudmore fit parvenir à Coats le compte rendu suivant : « Le comité a eu peu à redire de notre estimation du revenu national, sauf en ce qui concerne le revenu national produit par les administrations publiques. Sa critique à ce sujet se limite pratiquement au fait que notre méthode d'estimation n'est pas valable en temps de guerre48. »
II suggéra que fût publiée une version modifiée du rapport de Smith, qui tiendrait compte de certaines des explications recommandées par le comité, tout en excluant la répartition du revenu par province. À l'époque, Coats était à six mois de la retraite et, en omettant de lui exposer la gravité de la situation, Cudmore voulait peut-être lui éviter des problèmes qu'il n'aurait pu résoudre en si peu de temps. Il se peut bien que Coats ne maîtrisait pas le sujet. R.G. Bangs, l'adjoint de Smith, confia à Bryce que Coats était à blâmer pour la piètre qualité du rapport. Coats avait dit à Smith de préparer le rapport en des termes accessibles et d'éviter de s'attarder sur la façon dont il avait obtenu les chiffres. Bangs donna à Bryce l'impression que Coats n'avait pas accordé beaucoup d'attention au revenu national et qu'en fait il n'y comprenait pas grand-chose49. Cudmore, pour sa part, devait saisir le problème mais, comme il l'écrivit plus tard à L.D. Wilgress, sous-ministre du Commerce : « [...] mon attitude s'explique du fait que j'hésite à renoncer à une forte somme de travail bien accompli au motif que la présentation en serait inadéquate50. » Dans les mois qui suivirent la réunion de juin 1941, Bangs s'employa à donner suite aux recommandations. En mai 1942, Bryce lui écrivit : « En règle générale, le document que vous m'avez envoyé représente une très nette amélioration par rapport au document rédigé par Smith l'an dernier51. » Cudmore suivait également le travail de Bangs; trois mois plus tôt, il avait écrit : « Une fois les [nouveaux totaux] obtenus, je pense que l'on pourra présenter, de façon définitive, le revenu national pour la période de 1919 à 1938. [...] Mais cela ne signifie pas
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LA FIN DE L'ÉPOQUE COATS que l'on n'y puisse apporter des améliorations à mesure que progressera notre système de statistique52. »
Entre-temps, la Banque du Canada produisait encore ses estimations du revenu national, surtout fondées sur la méthodologie de la commission Rowell-Sirois, et elle se tenait au courant des effets de la théorie keynésienne sur les travaux menés en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Deutsch et Bryce présentèrent à Clark, sous-ministre des Finances, leur propre évaluation de la situation au Bureau53 et, comme l'avait fait Bryce, proposèrent qu'il fût créé au Bureau une division chargée spécialement du revenu national et placée sous la gouverne d'une personne hautement qualifiée. Bryce revint à la charge quelques mois plus tard, pour situer la question du revenu national dans un contexte élargi. Reprenant les critiques de MacGregor, il écrivit à Clark : « L'état des données sur le revenu national reflète une faiblesse fondamentale de notre information statistique et économique. Notre système de statistique repose en grande partie sur les travaux accomplis par M. Coats dans les années 1920, qui visaient alors à renseigner les gens d'affaires et le public sur des domaines précis et à fournir des données courantes sur la population, l'agriculture et le commerce, sans établir de liens entre elles. Dans les années 1930, les statistiques furent modifiées et rafistolées, mais elles ne firent l'objet d'aucune véritable révision. Je pense qu'il convient maintenant ou très bientôt de remanier le système en fonction des nouvelles réalités des années 194054. »
Graham Towers avait entrepris des démarches semblables auprès de la Banque du Canada et, en avril, rencontra Clark et Wilgress, ainsi que Cudmore, Bryce, Deutsch et d'autres représentants du ministère, dont Fraser Elliott, de la Division de l'impôt sur le revenu55. Bryce remit à Clark une note d'information avant la rencontre56 et rédigea le procès-verbal57. La méthodologie de Kuznets, malgré ses lacunes, ne fut pas carrément rejetée. Le comité jugea préférable de laisser le soin de trancher aux experts responsables de la réorientation des travaux. La tâche la plus urgente consistait à obtenir les données de base, sans égard à la méthodologie. À ce propos, il y eut un déblocage dans l'accès aux données de l'impôt sur le revenu. Elliott se déclara heureux d'offrir son entière collaboration à la production des données qu'il était possible d'obtenir à partir des déclarations de revenus58. Il fut proposé de confier à un nouveau comité interministériel élargi le soin de surveiller les travaux du Bureau en matière de revenu national. Cudmore acquiesça sur ce point, mais se montra réticent à l'idée de créer un service spécialement chargé du revenu national. Il semble qu'on n'ait pas tenu compte de son opinion, puisque peu après Wilgress se mit à la recherche d'une personne capable de diriger un tel service. Cependant, ses efforts demeurèrent infructueux jusqu'en 1943. Deutsch, C.D. Blyth (prêté par le Bureau à la Commission de contrôle du change étranger) et Walter Duffett étaient en lice, mais chacun fut jugé indispensable au poste qu'il occupait. Au début de 1944, dans des circonstances qui sont décrites au prochain chapitre, George Luxton, de la Banque du Canada, fut nommé chef du nouveau Service central de recherche et de développement du Bureau. Il avait pour mandat de remodeler la statistique du revenu national, à la lumière des nouveaux concepts anglo-américains qu'il avait appris à maîtriser à la Banque, sous la direction de Deutsch. 175
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Pendant ce temps, le Bureau continuait de publier des estimations du revenu national. Même si elles furent modifiées à la suite de la réunion de juin 1941, Smith resta fidèle à la méthodologie de Kuznets, et ne toucha mot de la nouvelle approche adoptée par Luxton. L'édition 1943-1944 de l'Annuaire du Canada reprenait la définition du revenu national formulée dans le rapport de 194l59. Il en alla de même pour l'édition de 1945, à la différence qu'on put y lire : « Les méthodes d'estimation du revenu national et les concepts qui y président subissent présentement une revision fondamentale. Ce travail a été confié au nouveau personnel d'Organisation centrale et de développement du Bureau60. »
L'édition de 1946 ne contenait aucune des estimations de Smith ni ne faisait mention de la méthodologie de Kuznets. Il s'y trouvait plutôt une description de la nouvelle comptabilité nationale et de ses éléments : « [...] la production nationale brute et les dépenses aux prix courants, le revenu national net au coût des facteurs de production et le revenu des particuliers61. »
DÉPART DE COATS En juillet 1939, Coats célébra son 65e anniversaire. À titre de statisticien du Dominion pendant près de 25 ans, il avait conçu et planifié un système de statistique pour le Canada, défini la structure et les modes de fonctionnement et élaboré les programmes. En raison des liens que le Bureau entretenait avec le secteur public et le secteur privé, Coats était connu partout au pays et considéré comme une autorité à l'échelle internationale. Il reçut des doctorats honorifiques de l'Université McGill en 1934, de l'Université de Toronto en 1937 et de l'Université Dalhousie en 1938. Il fut le premier statisticien, en 1936, à présider l'Association canadienne de science politique62. En 1938, il devint le premier Canadien à occuper le poste de président de l'American Statistical Association63. Coats avait atteint l'âge de la retraite, mais comme la guerre approchait, on le persuada de rester en poste pour un an d'abord et une autre année ensuite. Au milieu de 1941, ayant mené les destinées du Bureau pendant deux années plutôt difficiles, mais couronnées par le recensement, il insista pour se faire remplacer. Comme il le dit dans son discours d'adieu : « II faut partir avant que le destin vous pende au bout du nez64. » Coats accepta néanmoins de rester en poste six mois de plus, jusqu'au 25 janvier 1942, après avoir occupé pendant plus de 26 ans le poste de statisticien du Dominion, et à cinq jours du 40e anniversaire de sa nomination au ministère du Travail, sous Mackenzie King. Son dossier impressionnant lui valut le titre de statisticien du Dominion émérite, qui prit effet six mois après son départ. S.A. Cudmore assura aussitôt l'intérim. Bras droit de Coats pendant de nombreuses années et adjoint au statisticien du Dominion depuis 1939, il était son dauphin désigné même si, à 63 ans, il approchait de l'âge de la retraite. Lorsque Cudmore fut confirmé dans ses fonctions au mois d'avril suivant, Herbert Marshall, le deuxième en liste, fut promu au poste d'adjoint au statisticien du Dominion. La fête organisée pour le départ de Coats fut une affaire de famille, illustrant bien les liens de camaraderie qu'il avait tissés avec les membres du personnel durant leur longue 176
LA FIN DE L'ÉPOQUE COATS collaboration 65 . Au nom du personnel, Cudmore offrit à Coats les 13 volumes de l'Oxford English Dictionary et prononça un discours émaillé de références littéraires, digne de l'érudit qu'il était. Coats, lui-même féru de classicisme, répondit néanmoins sur un ton plus léger. Il avait compris que ses collègues, en lui donnant ce dictionnaire, insinuaient qu'il serait grand temps qu'il apprît à épeler correctement. Après tout, n'allait-il pas faire son entrée dans le monde? Évoquant ses projets d'avenir, il avoua avoir songé au service militaire : « Après m'être battu et démené toutes ces années avec des organismes comme le Conseil du Trésor et la Commission du service civil, je crois être prêt pour le front66. » Plusieurs anciens lui rendirent hommage, y compris le doyen d'entre eux, le colonel J.R. Munro, chef de la Division des finances publiques. Le colonel avait fait ses débuts en statistique à titre de secrétaire de George Johnson, dans les années 1890; d'ailleurs il avait entendu l'annonce du décès de sir John A. Macdonald lorsqu'il était page à la Chambre des communes.
ADIEUX DE COATS Coats laissa derrière lui non seulement une solide organisation, ayant une fiche de route remarquable, mais aussi d'autres projets de réforme pour les structures et les programmes. Au milieu de 1941, il avait insisté sur ce qui suit : « II faut réévaluer la situation du Bureau à la lumière de la forte demande que la guerre a créée et qui va s'accentuer à la fin du conflit. J'ai commencé à rédiger un rapport sur la question et je serai heureux d'en faire ma "dernière volonté"67. »
Ce dernier bilan de Coats, manuscrit dactylographié de 111 pages, était accompagné de volumineuses annexes. Il renfermait deux parties, l'une traitant de l'appareil constitutionnel et administratif et l'autre, des programmes statistiques68. La première partie était surtout consacrée au statut du Bureau, qui n'avait cessé de préoccuper Coats depuis que sir George Poster lui avait retiré son soutien 20 ans plus tôt. Il proposa qu'un règlement fût adopté en vertu de l'article 7 de la Loi de la Statistique pour conférer au statisticien du Dominion le pouvoir d'administrer le personnel, ce qui cadrait avec l'autonomie professionnelle du Bureau. Cette mesure pouvait être prise immédiatement par le ministre. Ensuite, il s'agirait de modifier la Loi dans les meilleurs délais, de manière à accorder au statisticien du Dominion « les droits et privilèges d'un sous-ministre pour toute question rattachée ou accessoire à l'application de la Loi » et à le désigner comme « l'officier du gouvernement saisi de toute question afférente à l'application de la Loi69 ». Coats traita des installations, ce qu'il n'avait pas fait déjà en parlant du statut du Bureau. Il signala que le plan d'aménagement d'Ottawa comportait la démolition de l'ancienne scierie Edwards, et il recommanda d'inclure les besoins du Bureau dans le programme immobilier, puisqu'il ne convenait pas d'occuper un bâtiment ministériel ordinaire. Il cita un rapport que l'Institut international de statistique avait préparé quelques années plus tôt et qui définissait les caractéristiques d'un édifice convenant à un bureau central de statistique : « Un pavillon abritant les services administratifs et communs et constitué d'ailes pouvant être agrandies au besoin70. »
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Coats déplora ensuite les lacunes du processus de consultation auprès des provinces. Comme nous l'avons vu, le Bureau avait proposé des mesures aux provinces en vue de d'établir des statistiques tirées de leurs activités administratives, puis les avait étudiées avec chacune d'elles. Il s'était tenu des conférences fédérales-provinciales pour aplanir les difficultés et officialiser les ententes. Cette démarche n'avait pas tardé à produire des statistiques de l'état civil et de l'instruction publique. Dans les années 1930, on s'en était inspiré pour fournir des données sur les finances provinciales et municipales. Des ententes de collaboration étaient intervenues entre les ministères provinciaux — Agriculture, Pêcheries, Mines, etc. — et leurs homologues fédéraux aux fins de la production d'un large éventail de statistiques économiques. La plupart des ententes avaient été entérinées par des décrets pris en application du décret C.P. 2503 du 12 octobre 1918. Mais on n'avait pas veillé à renouveler ces ententes. Coats écrivit : « Chaque année, parfois plus souvent, il est nécessaire de revoir en profondeur un ou plusieurs domaines d'étude afin de produire de nouvelles statistiques ou de modifier les données existantes. À l'heure actuelle, ces examens peuvent avoir lieu au besoin, mais dans la pratique, ils sont intermittents et peu fréquents. »
II préconisa de modifier la Loi de la Statistique de manière à prévoir, au moins une fois l'an, la tenue d'une conférence des fonctionnaires fédéraux et provinciaux en vue de réexaminer les ententes intervenues dans les divers champs d'activité et d'en proposer de nouvelles, le cas échéant. Une telle formule permettrait « de régulariser des rencontres sporadiques711 ». La proposition visait expressément le besoin de corriger les lacunes statistiques que la commission Rowell-Sirois avait fait ressortir en 1937. Coats observa qu'en centralisant la responsabilité des statistiques dans chaque province, on raffermirait la collaboration fédérale-provinciale dans ce domaine72, et suggéra que le Bureau mît en place des bureaux régionaux. Dans le cadre de cette réflexion, Coats proposa d'élargir le mandat du Bureau. La coordination du système statistique avait été définie dans la Loi de la Statistique : le Bureau devait recueillir et publier des renseignements statistiques de concert avec les ministères. Le projet de loi reproduit à l'annexe 1 de son dernier bilan ajouta à cette exigence d'établir un système de statistiques économiques et sociales et de données se rapportant à l'ensemble du Canada et à chacune des provinces73. Un autre enjeu concernait le rôle du Bureau dans la recherche économique et sociale. Dans le rapport que Coats avait préparé 25 ans plus tôt au sujet d'un système statistique canadien, le Bureau était envisagé comme un « laboratoire national voué à l'observation et à l'interprétation des tendances économiques actuelles ». Depuis, il s'était créé deux divisions pour analyser et interpréter les statistiques, à savoir la Division de l'analyse sociale, chargée surtout des données du recensement, et la Division de la recherche industrielle, qui s'intéressait aux statistiques sur la production, le commerce et l'économie en général. Ces divisions n'eurent certes pas la portée publique que Coats aurait souhaitée. Nous avons déjà expliqué que dans les années 1930, diverses tentatives — infructueuses pour la plupart — visèrent à intensifier la recherche et à lui donner un plus grand rayonnement. Voici ce que Coats proposa d'ajouter dans la Loi : 178
LA FIN DE L'ÉPOQUE COATS « II est créé un institut de recherche statistique dont le statisticien du Dominion est le directeur et qui est administré, au gré du ministre, par un comité consultatif honoraire ayant pour fonctions [...] de conseiller le Bureau en matière de recherche économique et sociale; de recommander la tenue d'enquêtes statistiques spéciales de temps à autre; et de fournir des conseils quant à l'organisation des statistiques pour en faire des données de base aux fins de la recherche74. »
La proposition ranima la vieille recommandation de Coats quant à la création d'un comité consultatif, mais plutôt que de porter sur la gestion du Bureau, elle visait exclusivement les questions d'ordre professionnel, comme le faisait le mandat du défunt Conseil économique du Canada. Le comité devait se composer de représentants d'organismes de recherche, dont le Comité consultatif sur la politique économique, ainsi que du président du Conseil national de recherches et du secrétaire du Conseil canadien de recherche en sciences sociales. Récapitulant la première partie de son bilan, Coats écrivit : « II importe que notre système statistique national soit bien situé dans le contexte public : il relève d'un organisme statistique central au service de plusieurs ministères et de l'administration publique dans son ensemble; et il sert à mesurer les activités provinciales et, par la méthode inductive, à étudier des problèmes économiques et sociaux du pays. L'organisation est en place, mais il faut la compléter et en favoriser la renommée et l'épanouissement. En ce moment, le statut administratif et l'équipement du Bureau ne permettent pas d'atteindre cet objectif5. »
Pour l'essentiel, le bilan retraçait l'histoire et les réalisations des programmes du Bureau et exposait ce qu'il restait à faire, soit pour compléter le canevas dessiné 25 ans plus tôt, soit pour le raffiner ou l'élargir en fonction de nouveaux besoins. Cette partie du bilan mettait à jour le document rédigé pour la Conférence des statisticiens du Commonwealth de 193576.
ANNÉES DE RETRAITE Coats profita de 18 années de retraite avant de mourir chez lui à Rockcliffe Park en février 1960, à l'âge de 86 ans. Sa première femme, Marie Joséphine Halboister, était décédée en 1938, et il avait épousé en 1942 son ancienne secrétaire, Maida Skelly, qui lui survécut. Il continua à s'intéresser à la profession pendant plusieurs années. L'une des premières tâches qu'il accomplit en tant que retraité fut d'achever l'étude de M.C. MacLean (mort accidentellement en 1940), intitulée The American-born in Canada. Les deux noms figurèrent sur l'ouvrage publié en 194377. Coats était à l'aise dans le milieu universitaire. À l'Université de Toronto, il fut conférencier au Département d'économie politique en 1942-1943 et professeur invité de statistique de 1943 à 1946. L'article sur les débuts de la statistique au Canada78 est tiré d'ailleurs du cours qu'il donna à la promotion des sciences économiques en 1946. Pendant cette période, il présida la Section II de la Société royale du Canada79 et fut trésorier de l'Institut interaméricain de statistique, de 1942 à 1947. Il travailla pour la nouvelle Organisation de l'alimentation et de l'agriculture, avant d'abandonner en 1947 en raison de troubles cardiaques. 179
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Coats resta en contact avec ses anciens collègues. À l'occasion de son 83e anniversaire, soit une quinzaine d'années après son départ à la retraite, plusieurs d'entre eux lui envoyèrent une bouteille de scotch. Il les remercia par une lettre pleine d'esprit80. Quelques semaines avant son décès, dans une lettre à un ami de longue date, Nathan Keyfitz, il citait l'aphorisme de George Bernard Shaw, « Tout homme de plus de 40 ans est une crapule », se demandant bien ce que l'on dirait d'un homme de plus de 80 ans81. En 1961, Nathan Keyfitz et Harold Greenway firent l'inventaire de ses réalisations. Voici en quels termes ils décrivirent sa contribution à la statistique officielle du Canada : « Coats ne fit pas que produire des données et encourager l'utilisation de bonnes techniques d'interprétation. Il insista sans relâche sur un autre aspect, mais non le moindre, de la statistique pour la collectivité : l'impartialité du statisticien, son indépendance vis-à-vis des désirs et des intérêts des autres, y compris ceux de son employeur. [...] Grâce en partie aux travaux de Coats, la fiabilité des statistiques et les normes ont progressé, le domaine a affiné son sens du professionnalisme et les statisticiens ont appris à se tourner vers leurs pairs, et non vers leurs employeurs, pour l'évaluation de leurs méthodes82. »
Son érudition était démontrée par une bibliographie de 29 livres et articles rédigés sur plus de 40 ans et traitant d'une gamme de sujets rattachés ou non à la statistique. Coats ayant fait oeuvre de pionnier, il ne peut se comparer à ses successeurs. Sa carrière rappelle celle de son contemporain et ami G.H. Knibbs, qui fut le premier statisticien en chef de l'Australie et qui occupa un rôle semblable dans l'élaboration d'un système statistique central dans son pays83. Mais outre le statisticien aux multiples réalisations, il y avait l'homme. Voici ce qu'écrivit Keyfitz dans la notice nécrologique destinée à la Société royale du Canada : « Ces réalisations, aussi grandes et présentes soient-elles au Bureau de la statistique, ne représentent qu'une facette de Robert Coats chez ceux qui l'ont connu ou qui ont travaillé avec lui. On se rappelle son humour piquant, ses vastes connaissances, son intelligence des mutations de la société canadienne et mondiale, son juste regard sur les gens et les événements. Personne n'était plus enclin à stimuler collègues et employés ou plus doué pour faire ressortir leur potentiel; personne n'était plus impatient avec l'ami ou l'adversaire qui n'avait pas pris la peine de vérifier les faits84. »
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CHAPITRE X
1942-1945: Le passage de Cuclmore
INTRODUCTION Sedley Anthony Cudmore était statisticien du Dominion depuis à peine quatre ans lorsqu'il mourut subitement en octobre 1945. Mais son rôle fut déterminant dans l'histoire du Bureau. Dès son entrée en fonction, en janvier 1942, il lui fallut continuer de répondre de l'appareil gouvernemental en temps de guerre; le Bureau devait se charger provisoirement d'autres attributions et développer des programmes dans certains secteurs. L'appétit pour les statistiques était tel que d'autres ministères et organismes — le ministère des Munitions et des Approvisionnements et la Commission des prix et du commerce en temps de guerre, par exemple — se mirent à recueillir et à analyser des statistiques. Ce fut là une source de préoccupation pour le Bureau1, mais le moment était plutôt mal choisi pour prôner la centralisation. Puis, à mesure que l'issue de la guerre se dessinait de plus en plus clairement, la gestion économique fit place à la planification d'après-guerre. En septembre 1943, le Comité consultatif sur la reconstruction recommanda d'orienter les politiques de reconstruction en vue d'assurer le plein emploi; de satisfaire à la demande de biens de consommation dans les meilleurs délais; et de mettre en place un régime de sécurité sociale axé sur l'éducation et la santé des enfants2. Cette recommandation fut ensuite sanctionnée par le Livre blanc sur le travail et les revenus de 19453. Le Bureau pouvait difficilement relever ces défis qui, comme il fut admis plus tard, exigeaient des « statistiques de la plus haute qualité 4 ». Son organisation et ses programmes figuraient dans le plan que Coats avait établi en 1916 et qui visait à centraliser et à coordonner la statistique canadienne pour éliminer le double emploi, combler les lacunes et uniformiser la qualité. Entre les deux guerres, le Bureau s'employa à atteindre ces objectifs, et les résultats ont été exposés dans les chapitres précédents. De plus en plus, toutefois, on lui reprochait de trop s'occuper de l'élargissement des programmes et de négliger l'amélioration de la qualité; il reconnut lui-même cette lacune à l'occasion. Dans les nombreux domaines où la gestion et la planification en temps de guerre exigeaient des données détaillées, le Bureau avait généralement pu satisfaire aux demandes ou encore répondre rapidement aux nouveaux besoins. Mais pour la gestion de l'économie dans l'ensemble, y compris l'élaboration de
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE politiques budgétaires et monétaires faisant appel à de nouveaux outils de planification, le Bureau ne parvint pas à produire des estimations valables du revenu national et les improvisations de la Banque du Canada ne pouvaient que partiellement compenser cette lacune fort embarrassante. Le défi était donc de taille. Le présent chapitre traite des trois principaux domaines où Cudmore déploya les compétences du Bureau, afin de le préparer à ce que Bryce avait surnommé « le monde très différent des années 19405 ». Il s'agit de l'application des théories modernes au calcul du revenu national; de la définition d'une démarche systématique en matière de classification des statistiques; et de l'instauration de techniques d'échantillonnage. ÉLABORATION DES COMPTES NATIONAUX
S'agissant du revenu national, le Bureau fut d'abord désavantagé par son manque de coopération apparente entre 1941 et 1943. Pourtant, ses détracteurs n'avaient jamais suggéré de faire fi de son mandat, ni de s'adresser à d'autres sources pour l'exécution des travaux. On crut toujours que le Bureau pouvait trouver un second souffle, surtout grâce à la création d'un service du revenu national qui, tel un point d'appui, permettrait de porter l'ensemble de ses programmes à un niveau de rendement satisfaisant. Lorsque Cudmore entra en fonction, le sous-ministre du Commerce était à la recherche d'une personne apte à diriger le calcul du revenu national, mais il restait à définir les conditions de travail et l'énoncé de fonctions. Cudmore prit les choses en main. Vers la fin de 1943, il conclut à la nécessité de dresser un plan de concert avec les ministères intéressés et d'en obtenir l'aval du Conseil des ministres. Il décida de s'adresser au Comité consultatif sur la politique économique, qui avait été mis sur pied en 1939 en parallèle avec le Comité consultatif sur la reconstruction, pour conseiller le gouvernement au sujet de l'effort de guerre. Au début de 1943, ses attributions avaient été étendues pour englober la planification de l'après-guerre6. Le 15 février 1944, Cudmore exposa au ministre du Commerce, l'honorable James A. MacKinnon, les travaux de statistique qui permettraient de surmonter les difficultés après la guerre7. Il fallait notamment relancer la collecte de données sur le revenu national et poursuivre les travaux entrepris par les services de guerre. Pour y arriver et apporter d'autres améliorations, il fallait modifier la structure du Bureau et mettre sur pied ce que Cudmore appelait une « équipe de planification et de développement », peut-être dans le but de riposter à ceux qui soutenaient qu'il ne s'attaquait pas à la racine des problèmes. L'équipe s'appuierait plus systématiquement sur les techniques d'échantillonnage que par le passé, dans des domaines comme la population active, les revenus et dépenses des consommateurs et le logement. Cudmore proposa enfin la création d'un comité interministériel permanent de la statistique. Dans une note datée du 15 mars 1944, Herbert Marshall précisa que ces recommandations avaient été présentées au Comité consultatif sur la politique économique. La création d'un comité de la statistique était justifiée comme suit : « Un tel comité serait fort utile à bien des égards. Le Bureau est souvent sollicité pour établir de nouvelles séries de statistiques et il pourrait en créer lui-même. L'utilité de ces séries ne
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LE PASSAGE DE CuDMORE fait pas toujours l'unanimité. On pourrait donc commencer par soumettre la question à un comité de statistique, dûment constitué, dont l'aval assurerait la crédibilité à la collecte des données, alors que son rejet éviterait d'avoir à les recueillir inutilement. Le comité aiderait à régler les divergences d'opinions entre le Bureau et les ministères sur les méthodes de collecte, la présentation ou l'interprétation des statistiques produites par le Bureau. Il pourrait proposer des améliorations ou des ajouts aux données du Bureau et remettre en question les séries produites par celui-ci8. »
Un comité interministériel permanent de la statistique fut mis sur pied presque aussitôt. Cudmore fut nommé président et Herbert Marshall, trésorier. Les autres membres étaient J.F. Booth, de l'Agriculture; R.B. Bryce, des Finances; A. Peebles, du Travail; et Oliver Master, sous-ministre du Commerce. Un service central de recherche et de développement fut créé sans tarder, et George Luxton en fut nommé chef au printemps 1944. Luxton était entré au service de la recherche de la Banque du Canada vers le milieu des années 1940, après avoir terminé des études supérieures sur la politique budgétaire et la statistique à Harvard. Il se mit d'abord à actualiser les estimations du revenu national établies pour la commission Rowell-Sirois. Puis il s'attaqua aux champs plus vastes du revenu, de la production et des dépenses, en se fondant sur les travaux de Milton Gilbert, du département du Commerce des États-Unis, et de J.E. Meade et J.R.N. Stone, du Royaume-Uni, qui tentaient d'étoffer par des statistiques les grandeurs comptables du modèle keynésien pour le calcul du revenu. Une fois les États-Unis entrés en guerre, un mécanisme fut institué pour coordonner l'effort de guerre et de reconstruction. Luxton comprit très tôt qu'il fallait pour cela mettre en relation les estimations du revenu national des trois pays alliés. La question ressortit à la Conférence sur l'économie de l'après-guerre, tenue à Londres à l'automne 1942. Au cours d'une séance consacrée aux statistiques nationales du revenu, de la production et des dépenses, J.M. Keynes, Stone9 et Meade exposèrent les buts et les méthodes du dernier Livre blanc britannique sur les sources de financement de la guerre. Keynes déclara qu'il serait très utile que des estimations du même genre, structurées autant que possible de manière comparable, puissent être dressées par d'autres gouvernements de l'Empire [sic]w. Luxton entreprit alors de remodeler les statistiques du Bureau concernant le revenu national. Les choses allèrent bon train dans les quelques mois qui précédèrent son décès tragique en janvier 1945, à l'âge de 30 ans. En 1949, Simon Goldberg, qui allait devenir statisticien fédéral adjoint en 1954, résuma ainsi les principales réalisations : « On a préparé un mémoire ayant pour objet d'analyser et de comparer les concepts utilisés aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Canada. Les représentants des trois pays se sont réunis à Washington en septembre 1944, et les échanges ont permis de clarifier un bon nombre de points et de dégager un consensus. Puis un comité interministériel a été créé pour examiner les possibilités d'application des décisions prises à Washington. Enfin, le Bureau s'est doté d'un comité qui a étudié avec soin les séries de statistiques pertinentes, leurs sources et les méthodes de compilation utilisées dans les ministères. On s'est attardé sur les statistiques qui présentaient le risque d'un double compte et on a fait les rajustements qui s'imposaient.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE On a aussi tenté de combler rapidement les lacunes importantes; on a conçu de nouveaux questionnaires, et on en a révisé d'autres11. »
Le document 12 recommandait l'adoption de méthodes par le Canada en vue de remédier aux écarts relevés dans de nombreux cas. Dans l'introduction, des remerciements étaient adressés à M.C. Urquhart, ministère des Finances; M1Ie A.L. Chapman et W.E. Duffett, Banque du Canada; et S.B. Smith, R.G. Bangs, D.H. Jones et G.L. Burton, Bureau fédéral de la statistique. Lorsque Luxton se rendit à Washington en septembre pour négocier avec Richard Stone, du Royaume-Uni, et des spécialistes américains, tels Milton Gilbert et George Jaszi, il était le seul représentant du Canada, mais il s'en tira très bien. Edward Denison, du département du Commerce des États-Unis, déclara par la suite que les discussions avaient mené à des ententes sur l'essentiel des dossiers, et que l'uniformisation des définitions au sein des trois grands pays allait beaucoup simplifier l'utilisation des statistiques sur le revenu national13. À cette occasion, le Canada fit d'une pierre deux coups : d'abord, la réunion démontra clairement que les statisticiens canadiens pouvaient participer sur un pied d'égalité à ce qui allait devenir un processus continu de coopération internationale dans l'élaboration des comptes nationaux. Puis une fois ses conclusions entérinées par le comité interministériel auquel faisait allusion Goldberg14, elle jeta les bases du travail que le Canada allait accomplir dans ce domaine. La mort de Luxton peu de temps après constitua une perte incalculable. En moins de trois ans et demi, son apport avait été considérable dans plusieurs domaines liés à la gestion de l'économie canadienne en temps de guerre, mais celui qui rédigea sa notice nécrologique, Alex Skelton, de la Banque du Canada, souligna ajuste titre : « Ses travaux sur le revenu national ont été de la plus grande importance [...] et il y tenait beaucoup. Il devint rapidement convaincu que le revenu national était la clé de voûte de la statistique dans son ensemble, et fut fasciné par les nouvelles perspectives de recherche économique et de planification pratique que pouvait offrir une analyse du revenu national bien faite15. »
Dans la foulée des travaux de Luxton, le Bureau abandonna sa démarche unilatérale aux fins de l'estimation de la production nationale fondée sur les revenus reçus et la remplaça par une démarche à partie double, permettant de calculer deux mesures parallèles et théoriquement équivalentes : le produit national brut d'abord, c'est-à-dire les revenus nets attribuables aux divers facteurs de production, majorés des taxes indirectes et de la consommation du capital, et ensuite la dépense nationale brute, représentant l'utilisation de ce produit au travers de dépenses diverses, de variations des stocks et de la balance commerciale. Luxton fut remplacé presque aussitôt par Claude M. Isbister, avec lequel il avait travaillé avant la guerre, et qu'il recommanda comme son successeur, peu avant sa mort. À l'époque, Isbister terminait un doctorat en sciences économiques à l'Université Harvard; il était donc amplement qualifié pour se mesurer aux personnes les plus érudites des ministères servis par le Bureau. Étant donné l'importance croissante des comptes nationaux, Luxton avait été nommé statisticien économiste principal peu avant sa mort. Isbister accéda au poste d'économiste principal et, voulant maintenir le dynamisme insufflé par Luxton, il s'assura que les travaux d'ordre conceptuel
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LE PASSAGE DE CUDMORE
progressaient parallèlement à l'établissement d'estimations provisoires. Ces données étaient attendues avec impatience non seulement par la Banque du Canada et le ministère des Finances, mais aussi par le ministère de la Reconstruction, nouvellement créé pour préparer la Conférence fédérale-provinciale sur la reconstruction en 1945. Afin de faciliter l'évaluation des propositions fédérales relatives aux investissements publics, à la sécurité sociale et aux accords financiers, le Bureau dressa les comptes provisoires des revenus et des dépenses pour les années 1938 à 1944. Le processus d'élaboration de la comptabilité nationale avait fait ressortir les lacunes et les incohérences du fonds de statistiques primaires16. Ainsi, on eut tôt fait de constater le besoin de statistiques sur les stocks, les livraisons et les commandes des industries manufacturières et sur les bénéfices des sociétés. Les outils de mesure furent développés au point de devenir le Système de comptabilité nationale et permirent de dégager la vue d'ensemble si chère à Coats. « Une véritable statistique nationale, écrivait-il en 1929, n'est pas un simple amalgame des statistiques de différentes activités, elle embrasse la totalité des phénomènes17. » En une autre occasion, il soutint : « L'objectif est simplement d'observer la structure dans son ensemble, de sorte que lorsqu'il y manque un élément essentiel, nous savons constamment a) ce qui manque; b) pourquoi il manque; et c) comment y remédier18. »
CLASSMCATIONS STATISTIQUES Cudmore fournit une autre contribution importante et durable à la statistique canadienne en donnant un nouveau souffle à l'élaboration des systèmes de classification. Une fois entrepris, ces travaux se poursuivirent longtemps après son départ, mais par souci de continuité, nous allons en énoncer ici les grandes lignes. Coats avait reconnu très tôt l'importance des classifications comme cadre d'intégration des statistiques provenant de sources différentes; l'une de ses premières initiatives fut d'ailleurs d'élaborer ce que l'on appela le système de classification tripartite19. Selon lui, la classification d'un groupe de marchandises et, accessoirement, celle d'une industrie connexe, ne pouvait être fondée que sur l'un des trois principes suivants : le matériau constitutif principal, l'objet ou l'utilisation et l'origine. Cependant, comme aucun des trois ne se prêtait à toutes les analyses possibles, il fallut établir trois classifications parallèles destinées aux différents domaines d'analyse. En pratique, le matériau constitutif principal devint le principe le plus largement utilisé. Appliqué à la classification des industries, il ne pouvait convenir qu'au secteur des biens, et lorsque dans les années 1930, le Bureau commença à s'intéresser aux éléments économiques du secteur des services, il dut les classer par genre d'institution : banques, garages, magasins de détail, etc. Coats défendit sans relâche le système tripartite sur les tribunes internationales20, alors qu'on penchait plutôt en faveur d'un amalgame de principes au sein d'une même classification. Sans égard aux avantages du système tripartite, le principal problème auquel le Bureau se heurta entre les deux guerres fut l'absence d'un mécanisme servant à actualiser le système et à assurer son application. Comme les procédés industriels se multipliaient et se perfectionnaient au Canada, surtout après le début des hostilités, il
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE devint de plus en plus difficile d'appliquer le principe du matériau constitutif principal, et les écarts entre les classifications présentèrent un obstacle de taille à la comparabilité des statistiques industrielles. Au début de 1944, la situation pouvait se résumer comme suit : « II serait bon d'étudier sans tarder les classifications des professions et des industries. [...] Même au Bureau les classifications manquent d'uniformité. [...] Dans les divisions du recensement industriel, il existe des écarts, chaque chef faisant sa propre loi. La statistique de l'emploi est fondée sur la classification du ministère du Travail et elle est très ancienne. Il semble que McKellar de la statistique du chômage et Cohen du recensement industriel ne s'entendent pas sur la classification des activités de certaines entreprises. [...] Cohen considère la production de la Massey-Harris comme des outils d'agriculture, alors qu'elle consiste surtout en outils de guerre en ce moment. Pour sa part, McKellar traite la production en fonction de sa nature réelle21. »
La note exposa d'autres conséquences de ce laisser-faire, y compris l'utilisation par le ministère du Travail, aux fins du Service sélectif national, d'un dictionnaire des emplois américain, qui était beaucoup trop détaillé pour le contexte canadien. La note indiquait, en conclusion, qu'il fallait créer un comité interministériel supérieur qui déterminerait les tâches à effectuer, et un comité de travail permanent, qui en surveillerait l'exécution. En guise de réponse, Cudmore forma un comité de travail interministériel sur la classification des industries, présidé par McKellar. Un comité de la classification des professions, dirigé par A.H. LeNeveu, de la Division du recensement, fut mis sur pied, puis dissous moins d'un an plus tard, à la suite de difficultés jugées insurmontables22. Mais on ne tarda pas à élaborer une nouvelle classification industrielle. Dans le cas des industries manufacturières, le critère « matériau constitutif principal » fut complété par le critère « objet » afin de tenir compte des procédés industriels complexes. La classification reçut son baptême du feu à l'occasion du recensement de 1946 dans les provinces des Prairies; elle ne fut toutefois publiée qu'en 1948, puisque l'on devait d'abord s'assurer de pouvoir la convertir dans la classification internationale mise au point par les Nations Unies. McKellar joua un rôle clé dans ces travaux23, repris là où le comité d'experts-statisticiens de la Société des Nations les avait laissés immédiatement avant la guerre. C'est ainsi que la Commission de statistique des Nations Unies adopta, à sa troisième séance en avril 1948, la Classification internationale type, par industrie, de toutes les branches d'activité économique (cm). Dans le cas des marchandises, le Bureau attendit les résultats des travaux menés au niveau international. Presque aussitôt après la publication de la cm, la Commission de statistique se mit à élaborer une classification internationale type des marchandises, et McKellar, dont la compétence en la matière était alors reconnue à l'échelle internationale, y joua un rôle de premier plan encore une fois secondé par Marshall24. La classification fut achevée en 1950. La même année, Marshall forma un comité — présidé, lui aussi, par McKellar — chargé d'élaborer une classification type des marchandises. Une version préliminaire parut en 1951, mais il fallut attendre plusieurs années avant la publication d'une classification complète et définitive. Le critère retenu était le stade de fabrication25, ce 186
LE PASSAGE DE CUDMORE
qui entraîna la création de trois catégories principales : les matières brutes, les matières transformées et les produits finis. La plus grande difficulté fut peut-être d'adapter la classification aux besoins des statistiques du commerce extérieur, fondées depuis toujours sur la nomenclature des tarifs des douanes. On ne pouvait donc pas facilement rapprocher ces statistiques de celles de la production, du commerce intérieur, des prix de gros, etc. Il fallut établir des classifications distinctes des marchandises pour l'exportation et l'importation. Même si elles étaient beaucoup moins détaillées que la classification type des marchandises, elles s'harmonisaient entièrement avec cette dernière. La première véritable classification des professions, que le Bureau avait établie pour le recensement de la population de 193l26, fut réutilisée en 1941, avec quelques modifications. Mais elle ne satisfaisait pas aux exigences de la guerre, en particulier aux besoins du Service sélectif national, et Cudmore tenta de mettre au point un système polyvalent. Comme nous l'avons vu plus haut, cette tâche ne fut véritablement entreprise qu'une vingtaine d'années plus tard, lorsque le Bureau, de concert avec le ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, élabora la Classification canadienne descriptive des professions. Par ailleurs, la définition de classifications statistiques internationales ne ralentit pas dans les dix années qui suivirent la fin de la guerre. La classification des professions était à l'ordre du jour de la septième Conférence internationale des statisticiens du travail en 1949, qui approuva neuf grandes catégories. Il fallut ensuite les affiner et, à l'invitation du Bureau international du travail, McKellar fut détaché pendant un an à Genève, où il collabora aux travaux qui menèrent à l'adoption de la Classification internationale type des professions en 1958. Fait surprenant, McKellar demeura chef de la statistique de l'assurance-chômage pendant les dix ans où il participa aux travaux sur les classifications au Canada et à l'étranger. Le Bureau finit par reconnaître l'utilité d'un service permanent des classifications, et McKellar fut nommé conseiller en classifications et placé sous l'autorité du statisticien fédéral adjoint à l'Intégration. Une petite équipe fut chargée d'actualiser systématiquement les classifications principales.
DÉBUTS DES TRAVAUX D'ÉCHANTILLONNAGE Le Bureau fut appelé à établir des méthodes d'échantillonnage qui permettraient d'assurer l'actualité des données sur la population et la main-d'oeuvre et de surveiller les effets des politiques et des programmes de reconversion et de reconstruction d'aprèsguerre. Jusqu'alors, ces caractéristiques n'étaient mesurables qu'à l'aide de recensements périodiques. En raison de la longueur du processus, les données ne présentaient souvent qu'un intérêt historique au moment de paraître, et le choix du contenu était limité par les contraintes financières et opérationnelles et par la nécessité d'assurer une continuité entre les recensements. Les statistiques sur la population active s'étaient améliorées grâce aux perfectionnements appliqués en temps de guerre à l'enquête sur l'emploi dans les établissements industriels, et à l'obtention de nouvelles données sur l'emploi et le chômage, par suite de l'entrée en vigueur de la Loi sur l'assurance-chômage. À titre 187
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE d'expédient pour la durée de la guerre, le registre du Service sélectif national indiquait la situation professionnelle de tous les civils de 16 ans et plus. Mais cette pratique devait être abandonnée à la fin de décembre 1945. Keyfitz et Robinson, dans leur compte rendu des débuts des travaux d'échantillonnage au Bureau, résumèrent la situation : « II n'y avait pas de données sur la taille ou les principales caractéristiques de la population active dans son ensemble. [...] La main-d'oeuvre agricole était exclue, ainsi que l'emploi dans de petits établissements et les professions qui ne tombaient pas sous le coup de la Loi sur l'assurance-chômage. Quant à la population, il manquait des données récentes sur la migration interprovinciale et sur les familles. Il était également évident que l'on aurait besoin, à certains moments, de données sur des sujets spécialisés, comme la réintégration des anciens combattants, le logement et la maladie27. »
Le Bureau décida d'obtenir les données au moyen d'enquêtes. Même si l'échantillonnage était utilisé par les scientifiques depuis le xixe siècle, ce n'est que vers la fin des années 1930 qu'il servit aux fins de la collecte de données officielles. Sa première application importante fut l'enquête nationale mensuelle auprès des ménages qui fut menée en 1940 aux États-Unis par le service de l'avancement des travaux, puis reprise par le Bureau du recensement deux ans plus tard. Il avait fallu repenser la méthodologie pour tenir compte d'un univers aux dimensions sans précédent et d'une répartition géographique inégale. Un questionnaire semblable fut adopté pour l'enquête menée au pays, et les méthodologistes canadiens Nathan Keyfitz et Douglas Dale tirèrent grand profit des conseils de leurs homologues américains William Hurwitz et Morris Hansen. Ces échanges entre les deux organismes marquèrent le début d'une collaboration scientifique qui existe encore aujourd'hui. L'Enquête sur la population active du Canada, comme on l'appelait, fut dirigée par R. Warren James, auparavant de la Commission des prix et du commerce en temps de guerre. En raison de la fin imminente du Service sélectif national, on devait réaliser une première enquête assez rapidement pour permettre aux deux séries de données indépendantes de couvrir la même période. Il était donc urgent d'organiser les opérations sur le terrain. Au milieu de 1945, des bureaux régionaux furent établis à Halifax, Montréal, Toronto, Winnipeg et Vancouver afin de desservir les cinq zones géographiques naturelles et économiques du pays, à l'exclusion des territoires. Le Bureau eut du mal à recruter du personnel d'encadrement et à trouver des installations satisfaisantes, ce qui retarda l'embauche et la formation de personnel sur le terrain et, lorsque le dénombrement débuta à la fin de novembre, il fallut souvent improviser28. Aux États-Unis, on avait constaté qu'un taux d'échantillonnage d'un dixième de 1 % donnait des résultats satisfaisants. Afin d'obtenir des résultats de qualité comparable avec une population dix fois plus petite, l'échantillon canadien devait être de 1 % et viser 25 000 ménages. Les premiers résultats concordaient avec les statistiques tirées du registre du Service sélectif national, si bien que l'enquête fut menée tous les trimestres jusqu'en novembre 1952. Mais à l'époque, l'instabilité du marché du travail était telle que les principaux utilisateurs fédéraux persuadèrent le Bureau de mener une enquête mensuelle, révélant ainsi l'utilité des statistiques d'enquête par rapport aux autres mesures de l'emploi29.
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LE PASSAGE DE CuDMORE
RÉORGANISATION DU BUREAU Au début de 1944, la création d'un service central de recherche et de développement donna lieu à une vaste réforme qui transforma l'organisation du Bureau au cours des quatre ou cinq années suivantes et qui servit de modèle pendant 20 ans. Peu après son entrée en fonction, Cudmore, avec le concours de Herbert Marshall, tenta de définir les attributions de celui-ci à titre de statisticien fédéral adjoint. Marshall avait été nommé au poste moins par besoin administratif que pour confirmer son titre de « dauphin ». Cudmore lui demanda cependant de mettre par écrit ce que devraient être ses fonctions. Marshall répondit : « [...] Ma responsabilité première devrait être de vous décharger de détails qui vous empêchent de vous consacrer à des problèmes plus importants. [...] Il existe plusieurs tâches administratives que vous souhaiteriez peut-être déléguer30. »
II faisait notamment allusion au personnel, à l'impression, aux fournitures, à la publicité et à la diffusion de publications. Coats s'acquittait lui-même de ces fonctions, mais étant donné leur ampleur et leur complexité croissantes, elles ne recevaient pas toute l'attention voulue. Marshall ne tenait pas non plus à se cantonner dans un rôle administratif. En supposant que d'autres se chargeraient de son travail de chef de division, il formula le souhait suivant : « J'aimerais que des enquêtes spéciales de nature générale me soient confiées de temps à autre. Peut-être voudrez-vous aussi que je me charge d'études spéciales sur la production statistique afin de vous aider à adopter des politiques sur l'expansion, la contraction, la modification, la coordination, etc. des programmes. »
Avec une humilité qui ne lui était pas coutumière, il demanda à effectuer des tâches qui l'aideraient à se préparer de façon générale à remplacer Cudmore en son absence31. Pendant que ces questions étaient à l'étude, on chercha à maintenir les anciennes fonctions de Marshall et de Cudmore en matière de statistique. Le fief de Marshall, qui portait depuis longtemps l'appellation trompeuse de « Statistique du commerce intérieur », fut scindé en trois divisions : les prix, le commerce et les paiements internationaux. De même, la Division de la statistique générale que dirigeait Cudmore fut remplacée elle aussi par trois divisions : l'emploi et la rémunération, la statistique des entreprises et Y Annuaire du Canada. Lorsque Cudmore avait sollicité l'avis de Marshall sur les fonctions de statisticien fédéral adjoint, tous deux avaient reconnu la nécessité d'établir, tôt ou tard, un service central de recherche et de développement, dont le rôle premier serait de remettre en route les travaux du Bureau sur le revenu national. Mais aucun des deux n'avait prévu le lourd fardeau qui serait imposé de sources externes. C'est sans doute ce qui convainquit Cudmore de s'adjoindre deux lieutenants : l'un veillerait aux tâches administratives auxquelles Marshall avait fait allusion, et l'autre dirigerait le nouveau service central de recherche et de développement et s'assurerait d'obtenir des divisions les données primaires nécessaires. Au milieu de 1945, la proposition fut présentée à la haute direction du ministère du Commerce et à la Commission du service civil dans le cadre
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d'un vaste projet de réorientation du Bureau, et elle fut approuvée en principe32. N'eût été la mort soudaine de Cudmore au mois d'octobre, la proposition aurait été mise en oeuvre, et Herbert Marshall était tout désigné pour s'occuper du secteur spécialisé.
CONCLUSION Pendant les trois ans et neuf mois où il fut en fonction, Cudmore amorça le remodelage du Bureau : d'un organe de collecte de données de qualité douteuse, géré selon un système archaïque, il se transforma en une organisation dont les vues et les méthodes répondaient aux attentes des statisticiens modernes. Lorsque Cudmore mourut subitement le 17 octobre 1945 à l'âge de 66 ans, il participait à la première conférence de la nouvelle Organisation pour l'alimentation et l'agriculture qui se tenait à Québec. Son décès fut annoncé par le président de la conférence, Lester B. Pearson, tandis qu'un de ses collègues de longue date, G.S.H. Barton, sous-ministre de l'Agriculture et chef de la délégation canadienne, fit son éloge funèbre, en soulignant son grand dévouement en dépit d'une santé chancelante. Cudmore avait été recruté à l'Université de Toronto en 1919, au terme de brillantes études. On peut soutenir qu'il fut le plus grand érudit au Bureau, entre les deux guerres, surpassant même Coats. Contrairement à ses collègues qui firent leur marque dans des domaines spécialisés, Cudmore était un généraliste. Ses ouvrages, ses articles et sa contribution à l'Annuaire du Canada et à des publications savantes témoignèrent de l'étendue de ses intérêts; il apporta un éclairage nouveau sur tout ce qu'il toucha. Homme réservé, il ne lui fut sûrement pas facile de s'épanouir dans l'ombre de Coats. Mais il eut tout de même droit à la reconnaissance de ses pairs : il fut fait membre de la Société royale du Canada, l'un des trois Canadiens membres de l'Institut international de statistique au moment de son décès et membre fondateur de l'Institut interaméricain de statistique. Il fut également secrétaire et vice-président de l'Association canadienne de science politique. Quelques mois avant sa mort, l'Université de Toronto lui conféra le titre de docteur honoris causa en droit. De nombreux éloges funèbres furent rédigés en son honneur, mais ce que Cudmore lui-même aurait sans doute le plus apprécié est celui qu'un ancien collègue de Jérusalem, E. Mills, composa pour le Palestine Post, le 3 décembre 1945 : « II est triste que son esprit pénétrant, ses connaissances et sa sagesse ne soient plus au service de l'humanité; son travail fut imprégné d'énergie créative, et son influence s'étend maintenant au Canada, à la Palestine, aux Antilles et à l'Afrique occidentale33. Les statistiques publiques du Canada sont citées en exemple dans tous les pays. « II a travaillé en Palestine de 1936 à 1939, avant de rentrer au Canada. Pendant ce temps, il a mis sur pied notre bureau de statistique, qui est un modèle pour tout l'Empire. Lui et Mme Cudmore étaient attachés à la Palestine, et les lettres qu'il m'a envoyées depuis son départ [...] révèlent que les trois années qu'ils ont passées ici furent parmi les plus heureuses de leur vie. »
CHAPITRE XI
1945-1956:
Les années Marshall I - Les défis de l'après-guerre
INTRODUCTION Au moment où Herbert Marshall devint statisticien du Dominion le 18 octobre 1945, s'amorçait une décennie marquée par des mutations économiques et sociales presque sans précédent. Grâce à une politique d'immigration libérale et à un taux de natalité en progression constante, la population crût de 31 % entre 1946 et 1956. L'appareil industriel, qui avait connu un essor phénoménal pour répondre aux impératifs militaires, s'adapta à sa nouvelle mission, celle de satisfaire à la demande civile inassouvie. Pendant que la formation brute de capital fixe triplait, la dépense nationale brute en dollars constants grimpa de 68 %, ce qui représente un rythme annuel de 5,4 %. Pendant cette période, la population active civile n'augmenta que de 20 %, mais les taux de chômage n'avaient peut-être jamais été aussi faibles en temps de paix — et ils ne le furent certainement pas par la suite. Le taux de chômage annuel s'établit en moyenne à 3,2 % — et n'excéda jamais 4,6 % — de 1946 à 1956. C'est également pendant cette décennie que l'on jeta les bases d'un système national de sécurité sociale. On avait déjà modifié, en 1940, Y Acte de l'Amérique du Nord britannique dans le but d'implanter un régime national d'assurance-chômage financé par des cotisations patronales et salariales. Ce régime était entré en vigueur en 1942, mais le montant total des prestations demeura négligeable jusqu'à la fin des hostilités. En 1944, le Parlement adopta une loi prévoyant le versement d'allocations familiales pour chaque enfant de 16 ans ou moins, financées à même les recettes de l'État; quatre ans plus tard, divers décrets autorisèrent l'octroi de subventions fédérales pour favoriser l'expansion des services de santé provinciaux. En 1952, le programme de sécurité de la vieillesse était lancé, assurant à tous les résidents admissibles âgés d'au moins 70 ans une rente versée à l'origine par le gouvernement fédéral. Parallèlement, les provinces mettaient en place, en régime de frais partagés avec l'État, un programme d'aide aux personnes âgées de 65 à 69 ans; deux ans plus tard, les deux ordres de gouvernement instituaient, encore une fois en régime de frais partagés, un programme d'allocations destiné aux adultes en âge de travailler mais entièrement invalides. En 1956, enfin, les provinces furent
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE chargées d'administrer un programme d'aide aux chômeurs à frais partagés. Ainsi se concrétisait le rêve d'une société de l'après-guerre prospère mais bienveillante, esquissé par le Livre blanc sur le travail et les revenus publié au début des années 1940. Afin de planifier et de mettre en oeuvre ces changements remarquables, il fallut créer de nouveaux mécanismes administratifs; par exemple, le ministère de la Reconstruction et des Approvisionnements remplaça en janvier 1946 le ministère de la Reconstruction et celui des Munitions et des Approvisionnements. Certains éléments du mandat et des pouvoirs exhaustifs du nouveau ministère (ayant trait notamment à la liquidation du programme de guerre) furent temporaires, alors que d'autres répondirent aux besoins du développement industriel et économique à long terme. À titre d'exemple, la Division de la recherche économique se voulait une entité d'information économique, ayant pour but d'évaluer et de suivre de près la conjoncture économique au pays. Par ailleurs, la Division de la recherche et du développement mettait les fruits de la recherche technique du gouvernement et d'autres chercheurs à la disposition de l'industrie. Elle s'employait aussi à stimuler les travaux de recherche qu'aucun ministère ou organisme n'avait encore entrepris, tout en procédant à des évaluations globales des activités de recherche menées par l'État, l'industrie et les universités. Lorsque le ministère fut dissous, ces fonctions furent reprises par des ministères et organismes à vocation normale. Ainsi, la Division de la recherche et du développement fut confiée au Conseil national de recherches. Pour sa part, la Division de la recherche économique fut jumelée à la Division de l'expansion industrielle du ministère du Commerce pour former la Division de la recherche et du développement économique. Cette dernière put ainsi tirer profit de l'information recueillie sur le commerce extérieur par le ministère dans le cadre d'une analyse continue des événements, au pays et à l'étranger, qui avaient une incidence sur le bien-être économique du Canada. La Société centrale d'hypothèques et de logement vit également le jour à cette époque. Constituée en 1946 pour succéder à Wartime Housing Limited, elle prit en charge tous les aspects de la politique fédérale en matière de logement. Par ailleurs, le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social prit la relève du ministère des Pensions et de la Santé nationale pour ce qui concerne la mise au point des programmes de sécurité sociale. Il s'agissait en effet d'un ministère à double vocation, puisqu'un sous-ministre coiffait chacun des volets de la santé et du bien-être social. Ces ministères — et d'autres encore (Travail, Agriculture et Transports, par exemple) — disposaient désormais de compétences analytiques d'une nature et d'un calibre que seuls le ministère des Finances et la Banque du Canada possédaient jusqu'alors; pour Herbert Marshall et ses collègues, il s'agissait d'une clientèle d'utilisateurs d'une sophistication sans précédent. Soucieux de surveiller et de coordonner les relations avec les utilisateurs, Marshall forma un comité consultatif interministériel de la statistique économique1. Dans un rapport adressé au ministre C.D. Howe, Marshall expliqua : «Le comité comprend M. Skelton et M. Isbister, M. Beattie de la Banque du Canada, M. Mitchell Sharp des Finances et quelques-uns de mes meilleurs lieutenants du Bureau. [...] Ce comité garantira, à mon avis, l'emploi optimal de nos ressources au Bureau, tout en nous informant des besoins des ministères en statistiques économiques2. »
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LES DÉFIS DE L'APRÈS-GUERRE Cette missive donne une bonne idée de la qualité du personnel des ministères clients du Bureau. Heureusement, à la fin des années 1940, bon nombre des dirigeants critiqués par D.C. MacGregor dix ans plus tôt avaient pris leur retraite, remplacés par une nouvelle génération déjeunes professionnels rompus aux théories économiques keynésiennes. Après la guerre, le plan directeur initial du gouvernement fut dressé conjointement par l'administration fédérale et les provinces. La conférence fédérale-provinciale de 1945 sur la reconstruction voulait en particulier mettre en place les accords financiers pour l'exécution des projets à frais partagés3. Les délégués ne réussirent pas cependant à s'entendre sur cette question; de ce fait, le régime exhaustif de sécurité sociale et le programme coordonné d'investissements publics proposés par l'État ne purent être réalisés à ce moment-là. Puis, le budget fédéral de 1946 présenta un cadre grâce auquel une ou plusieurs provinces pouvaient conclure un accord fiscal avec l'administration fédérale en attendant la conclusion d'un accord fiscal universel. Comme nous le verrons plus loin, il se créa alors au sein des provinces un marché d'utilisateurs de statistiques économiques générales, essentiellement le Conseil du Trésor ou un ministère parallèle chargé de conseiller chaque premier ministre provincial dans le domaine général des relations fédérales-provinciales. Les années Marshall furent amorcées par une restructuration en profondeur destinée surtout à consolider les compétences administratives du Bureau et à lui fournir la reconnaissance et les moyens d'action voulus pour rattraper le retard dans la production de statistiques sur le revenu national pouvant être comparées à celles d'autres pays. La tâche de compiler et d'analyser ces statistiques, puis d'élargir et de perfectionner les données primaires dont elles étaient tirées, fut réalisée à la faveur d'un accroissement négligeable des effectifs. Marshall ne réussit toutefois pas à convaincre son ministre que le Bureau avait le mandat d'analyser les statistiques qu'il recueillait et compilait. Ni à faire rehausser le statut du statisticien fédéral, une question qui ne fut réglée que par la commission Glassco au début des années 1960. En 1948, Marshall proposa une nouvelle Loi sur la statistique qui légitimait la pratique de l'échantillonnage et qui donnait au Bureau un mandat renforcé pour assurer la coordination des activités statistiques des autres ministères fédéraux et provinciaux. D'ailleurs, l'ère Marshall s'avéra l'âge d'or de la collaboration fédérale-provinciale en matière statistique, à l'instar de la collaboration politique qui favorisa la mise en place de nouveaux programmes sociaux. Sensible à ce qu'on appellerait aujourd'hui les besoins en infrastructure d'un programme statistique efficace, Marshall mit en branle, vers la fin de son mandat, le processus qui allait lancer irrévocablement le Bureau dans l'ère électronique. En outre, il tenait absolument à ce que le Bureau revitalisé disposât de locaux appropriés. Depuis la fin des années 1920, le Bureau occupait l'ancienne scierie Edwards sur l'île Verte, où les conditions de travail s'étaient progressivement détériorées au point de nuire sérieusement à la productivité des employés. Le Bureau emménagea dans les locaux du Parc Tunney en 1952.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE CHANGEMENTS ORGANISATIONNELS Dès sa nomination, Marshall s'employa à réaliser la réorganisation de la haute direction du Bureau, que Cudmore avait envisagée avant son décès. Dans un communiqué interne publié à la fin de 1945, il était dit : « II est devenu impossible au statisticien du Dominion et à un adjoint de s'occuper de toutes les questions que pose l'administration du Bureau aujourd'hui tout en accordant l'attention voulue aux nombreux problèmes que soulève l'intégration statistique. Aussi le poste d'adjoint au statisticien du Dominion est-il aboli et remplacé par deux postes distincts, celui de chef de l'administration et celui d'économiste en chef4. »
J.T. Marshall, qui n'avait aucun lien de parenté avec Herbert, fut nommé chef de l'administration et chargé de tout ce qui touchait le personnel, les réparations et l'entretien, les fournitures, l'impression, le matériel mécanique et la comptabilité. Spécialiste de la statistique de l'état civil, le nouveau chef de l'administration avait quitté la Colombie-Britannique pour prendre en charge ce domaine, mais il était un administrateur doué et le secrétaire du Bureau, Finlay Sim, l'avait en haute estime. Pendant plus de trois ans, J.T. Marshall conserva le poste de directeur de la statistique de l'état civil 5 , qui englobait désormais la statistique des institutions et celle de la criminalité. En outre, il remplaçait officiellement le statisticien du Dominion en son absence. Pourtant, la nomination la plus importante fut celle de l'économiste en chef, dont relevait le Service central de la recherche et du développement. Ce dernier devait maintenir la confiance que les principaux utilisateurs du gouvernement manifestaient à nouveau envers la méthodologie adoptée par le Bureau pour la question du revenu national6. C'est C.M. Isbister qui fut choisi; il avait été recruté pour combler le vide laissé par le décès de Luxton et s'était montré très compétent. Ces nominations, faites vers la fin de 1945, semblaient tenir d'un compromis provisoire destiné à accélérer l'assentiment de la Commission du service civil. En effet, dans les semaines qui en suivirent l'annonce, le Bureau revint à la charge7 et demanda à la Commission de nommer J.T. Marshall au poste de statisticien fédéral adjoint à l'Administration, et Isbister à celui de statisticien fédéral adjoint à la Recherche. La demande souligna, en termes on ne peut plus musclés, la nécessité de postes de ce niveau et insista sur les qualifications uniques des candidats. On y affirma que seul Isbister pouvait faire le travail8. « Même s'il n'est pas parmi nous depuis longtemps, il a vivement impressionné les fonctionnaires de la Banque du Canada et du ministère des Finances et les membres du comité fédéral-provincial de la reconstruction. De plus, il a donné au Canada une grande visibilité lors de conférences internationales sur le revenu national et sur des sujets économiques connexes9. »
Lui attribuer le titre recommandé, disait-on, faciliterait son travail au Bureau et l'aiderait à s'acquitter de l'énorme travail de liaison avec d'autres ministères et à mieux représenter le Bureau à l'occasion de rencontres internationales. Enfin, l'argument massue : « Si nous ne pouvons lui donner le prestige voulu, nous allons le perdre. Depuis son arrivée au Bureau, il s'est vu offrir plusieurs chaires universitaires10. » La
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LES DÉFIS DE L'APRÈS-GUERRE Commission tarda à donner suite aux nominations proposées, mais dans son rapport annuel, Marshall mentionna qu'elles furent approuvées au cours de l'exercice 1947-1948. Il convient également de mentionner la nomination de Nathan Keyfitz au poste de conseiller mathématique relevant directement d'Isbister au Service central de la recherche et du développement. Démographe chevronné, Keyfitz s'était joint au Bureau vers la fin des années 1930, fort de ses titres universitaires impressionnants et de sa collaboration au programme des monographies du recensement de 1931. Sa participation à l'enquête trimestrielle sur la population active, lancée en 1945, avait grandement rehaussé son prestige. En demandant que le poste de Keyfitz fût reclassé à celui de statisticien de niveau 6, Marshall insista sur le fait qu'il serait impossible de retenir Keyfitz au Bureau sans majorer son salaire : « Le Bureau sera durement touché s'il perd Keyfitz, dont le génie et l'originalité, alliés à ses connaissances approfondies des mathématiques, ont grandement facilité la solution de problèmes statistiques très complexes. Keyfitz est tenu en très haute estime à Washington par les spécialistes mathématiques de l'échantillonnage et d'autres secteurs statistiques qui nécessitent le recours aux mathématiques supérieures. Nous comptons sur lui pour définir nos plans d'échantillonnage. Notre nouveau groupe d'échantillonnage a besoin d'un conseiller mathématique ayant sa compétence. Dans le secteur de l'analyse sociale, sa collaboration est indispensable. Bref, si nous perdons Keyfitz, nous aurons à recruter un autre statisticien mathématique. Or, nous ne pourrons en recruter aucun ayant une aussi vaste connaissance de la statistique au Canada11. »
Nathan Keyfitz succomba à l'appel des milieux universitaires dix ans plus tard, et sa carrière y fut tout aussi fulgurante. Entre-temps, il continua déjouer le rôle décrit par Herbert Marshall, méritant le titre de père de la méthodologie scientifique pour les enquêtes du Bureau. La plus grande visibilité donnée aux postes d'Isbister et de J.T. Marshall s'inscrivit dans le cadre d'une importante réorganisation : une vingtaine de divisions spécialisées, dont les chefs relevaient tous directement du statisticien fédéral, furent regroupées en 12 divisions chapeautées par autant de directeurs. Si son objectif premier consistait à mieux coordonner certains domaines de statistiques connexes, cette réorganisation diminua le champ d'autorité du statisticien fédéral. En outre, comme le régime de classification comportait désormais neuf niveaux plutôt que cinq12, il devenait possible de récompenser des lieutenants fidèles tout en élargissant les perspectives d'avancement de ceux qui étaient au bas de l'échelle. Ainsi, la Division des prix fut jumelée à celle de l'emploi et de la rémunération pour constituer la Division du travail et des prix13 sous la direction de H.F. Greenway. La division prit également en charge l'établissement des statistiques de l'assurancechômage, une tâche dont s'occupait la Division de l'analyse sociale et de la recherche économique. La Division des paiements internationaux fut fusionnée avec celle du commerce extérieur pour former la Division du commerce international, C.D. Blyth et L.A. Kane collaborant à titre de chefs de la statistique du commerce international respectivement pour la balance des paiements et pour les importations et exportations14. La Division de la statistique des entreprises, dirigée par S.B. Smith, alla rejoindre le 195
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE revenu national, le groupe de l'échantillonnage et la statistique du logement dans le cadre de la Division centrale de la recherche et du développement, dont Isbister était le chef. Par ailleurs, les statistiques de la production générées par le recensement industriel et le recensement du commerce et des services étaient essentielles aux estimations du revenu national. Une note datée de janvier 1946 sur la réorganisation du Bureau déplorait les lacunes flagrantes dans les données. « II nous manque les renseignements sur les stocks qui constituent le baromètre indispensable en vue de définir une politique de plein emploi. Nous avons besoin de statistiques plus récentes sur des produits importants. Nous devons grandement améliorer notre indice du volume de la production. En résumé, il faut réorganiser en profondeur tout le secteur du recensement industriel15. »
Les divisions responsables du recensement industriel furent donc fusionnées avec la Division du commerce et la Division de la statistique de la construction, afin de former la Division du recensement de l'industrie et du commerce dirigée par W.H. Losee. Celleci fut aussi chargée de mener une enquête annuelle sur les réparations et les investissements prévus. Ailleurs, les changements organisationnels furent moins radicaux. Comme nous l'avons vu, la Division de la statistique de l'état civil de J.T. Marshall engloba les divisions responsables de la statistique des institutions et de celle de la criminalité. Le nouveau groupe, baptisé à l'origine la Division de la statistique du bien-être social, s'appela la Division de la santé et du bien-être social quelques années plus tard. La Division de l'analyse sociale, dépouillée de sa responsabilité en matière de statistique de l'assurance-chômage et de la recherche sur les classifications, fut rattachée à la Division du recensement. Les divisions responsables de l'instruction publique, des finances publiques, des transports et des services publics restèrent intactes. Deux sections de l'ancien groupe des services administratifs — celle qui était chargée de la presse et de la publicité, et celle qui s'occupait de la distribution des publications — demeurèrent hors du giron de J.T. Marshall et formèrent la Division des services d'information. Plus tard, en septembre 1948, on créa la Division de la tabulation mécanique sous la gouverne de C. Scott, afin de réunir les sections de la tabulation de trois divisions : Commerce international, Santé et bien-être social, Travail et prix. Faisant bande à part, la Division du recensement conserva sa propre section de la tabulation mécanique pendant des années. Au printemps 1951, une nouvelle division des affectations générales résulta de la cession, au Bureau, d'installations statistiques mises sur pied par la Division de la recherche et du développement économiques du ministère du Commerce dans le but de prévoir les nouveaux investissements. Ces installations furent fusionnées avec la Section des dépenses en immobilisations de la Division de l'industrie et du commerce; deux ans plus tard, la Section de la construction passa à la Division des affectations générales, en même temps que la responsabilité de l'enquête trimestrielle sur les bénéfices des entreprises, menée jusque-là par la Division de la recherche et du développement. Même si la nouvelle division se donna pour tâche principale de répondre aux besoins en recherche du ministère du Commerce, elle ne tarda pas à collaborer à l'amélioration et à 196
LES DÉFIS DE L'APRÈS-GUERRE l'expansion des statistiques primaires, de la gamme d'indicateurs économiques et des comptes nationaux du Bureau. Elle fut dirigée d'abord par Morgan Mahoney, muté depuis le ministère du Commerce, puis par H.L. Allen, auparavant responsable du personnel du Bureau16. En 1949, Isbister quitta son poste de statisticien fédéral adjoint à la Recherche. Il avait été détaché au ministère de la Reconstruction et des Approvisionnements en 1947, puis à la Division de la recherche économique du ministère du Commerce en 1948. Enfin, l'année suivante, il fut nommé directeur par intérim de la Division des relations commerciales du ministère du Commerce17. La Division centrale de la recherche et du développement fut alors scindée en deux. Les travaux du groupe de l'échantillonnage et la direction des bureaux régionaux furent confiés à la nouvelle Division des enquêtes spéciales. Les éléments restants, chargés de la statistique du revenu national et des entreprises, formèrent la Division de la recherche et du développement. La vacance créée par Isbister ne fut pas comblée immédiatement. A.S. Abell dirigea la Division de la recherche et du développement pendant un certain temps mais, muté au ministère des Finances, il fut remplacé par Simon Goldberg, qui venait de terminer des études doctorales à Harvard. Puis, en avril 1954, celui-ci fut nommé au nouveau poste de statisticien fédéral adjoint à l'Intégration, et F.H. Leacy lui succéda à la tête de la Division de la recherche et du développement. Si le nouveau poste de Goldberg ressemblait à celui qu'avait rempli Isbister, il était désormais investi de l'autorité fonctionnelle sur toute la gamme des statistiques primaires. Goldberg exploita plus tard cette autorité de manière brillante pour développer l'aperçu cohérent si cher à Coats. Collectivement, ces changements donnèrent lieu à l'organisation (présentée à l'annexe E) qui sut servir le Bureau jusqu'à la fin des années 1950, sous le régime de Walter Duffett.
EFFECTIF ET RECRUTEMENT Les réalisations accomplies dans le cadre de la structure que nous venons de décrire et présentées dans le chapitre suivant, n'entraînèrent qu'un accroissement marginal de l'effectif du Bureau. Si Marshall avait prévu la nécessité d'un personnel plus nombreux et plus compétent, il fut néanmoins sur la défensive d'entrée de jeu. En avril 1947, il rédigea une longue note sur l'effectif du Bureau à l'intention de M.W. Mackenzie, sousministre du Commerce. D'emblée, il exprimait un sentiment d'urgence : « Afin de permettre au Bureau de produire des statistiques de la qualité voulue pour répondre aux besoins absolument essentiels des ministères et du public, il faut élargir davantage les cadres du personnel professionnel18. »
Dans sa note, il mit l'accent sur la statistique du revenu national, du travail et des prix et du commerce international. La sous-section responsable du revenu national avait été affaiblie par des départs et par l'affectation de personnes de rang supérieur à des fonctions plus pressantes. Parallèlement, on lui confia de nouvelles attributions, dont la préparation — aux fins des accords fiscaux fédéraux-provinciaux — d'une deuxième estimation du produit national brut en tenant compte de nouvelles méthodes et données,
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE en sus de l'estimation première fondée sur la méthodologie et les sources de données convenues. S'agissant de la statistique du travail et des prix, Marshall affirma que le secteur était le maillon faible de la chaîne19. D'ailleurs, le Congrès du Travail du Canada s'en prenait systématiquement à la presque totalité des activités du Bureau dans ce secteur. Alors que Marshall rejeta bon nombre des solutions proposées par le Congrès, il insista énergiquement auprès de Mackenzie sur la nécessité d'une refonte de l'indice du coût de la vie afin de refléter les habitudes de dépenses de l'après-guerre, ainsi que d'un programme visant à mesurer la productivité. Dans le domaine du commerce international, une nouvelle section de recherche, dirigée par Douglas Fullerton, un ancien de la sous-section du revenu national, constata qu'il fallait revoir la nomenclature et la classification de la statistique du commerce, et étudier les problèmes posés par l'origine et la destination. Au total, Marshall voulait créer 12 postes professionnels et neuf postes de soutien. Mais, peu après avoir expédié sa note, il en adressa une autre à Mackenzie, moins sereine : « Lorsque je vous ai vu vendredi dernier, j'ignorais que l'on vous reprochait l'expansion du Bureau. J'aurais sûrement pu mieux choisir le moment de présenter ma note sur le personnel. Je cherchais toutefois à vous exposer de quelle manière nous pourrions élargir les cadres afin que le Bureau de la statistique devienne un organisme dont vous pourrez être fier. J'aimerais donc retirer cette note et la remplacer par des demandes bien plus modestes qui nous permettraient de tenir le coup pour l'instant20. »
Les critiques auxquelles Marshall faisait allusion remontaient à un échange qui avait eu lieu à la Chambre des communes en août 1946, au sujet des crédits accordés au Bureau pour l'exercice 1946-1947, soit une somme de 2 090 670 $. J.M. Macdonnell, député de Muskoka, en Ontario, avait relevé : « [...] une augmentation considérable, de près d'un demi-million de dollars. J'ai foi en la statistique et je tiens en haute estime le chef du bureau, mais si personne n'y voit qui va nous prémunir contre les excès? Qui détermine l'importance du service? S'il est laissé à lui-même, il peut se disperser à l'infini. J'ignore quel était le montant du crédit voté il y a deux ans, mais celui-ci accuse une augmentation d'un quart21. »
La réponse du gouvernement fut la suivante : « Une forte partie du montant doit assurer les services qu'exigent certaines initiatives du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social 22 . » II s'agissait notamment de la validation des demandes d'allocations familiales et de la production de statistiques de l'état civil23. Marshall étaitil au courant des critiques de l'opposition? Sûrement. Toutefois, il ne crut peut-être pas que le ministère du Commerce en tiendrait compte et il ne pouvait tout simplement plus l'admettre. Il n'empêche que l'incident amena Marshall à présenter, dans son rapport annuel pour l'exercice, une longue explication des facteurs qui avaient présidé à l'expansion de l'effectif du Bureau depuis 193924. L'effectif continu, c'est-à-dire les employés permanents et temporaires sauf ceux qui étaient embauchés pour une durée déterminée aux fins du recensement, était passé de 600 en 1939 à environ 1 200 le 31 mars 1948. 198
LES DÉFIS DE L'APRÈS-GUERRE Voici les principaux facteurs de cette croissance invoqués par Marshall : les séries, nouvelles et améliorées, mises au point pour satisfaire aux besoins en temps de guerre, mais dont la demande avait augmenté au lieu de diminuer après 1945; la nouvelle charge de travail découlant d'une législation plus généreuse en matière de sécurité sociale; les nouveaux programmes mis sur pied dans les domaines de l'échantillonnage et de la statistique du revenu national; l'expansion des services de recherche dans d'autres ministères; enfin, la nécessité de répondre aux besoins d'information des organismes internationaux. Dans les divisions visées, l'effectif grimpa en flèche. La Division du travail et des prix comptait 113 employés de bureau de plus, puisqu'elle avait été chargée, au milieu de la guerre, de la statistique de l'assurance-chômage et du personnel embauché dans les régions pour améliorer la qualité de l'indice du coût de la vie. Les sous-sections du revenu national et de l'échantillonnage, inexistantes en 1939, nécessitaient l'apport de 90 commis. La Division de la santé et du bien-être social en avait besoin d'une centaine de plus pour s'acquitter des nouvelles attributions citées à la Chambre des communes lors de l'examen des crédits. De son côté, la Division du commerce international s'occupait désormais du tourisme, ce qui entraîna l'embauche d'une vingtaine de commis. Enfin, pour bien appuyer ces diverses activités, la Division de l'administration comptait 50 employés de plus qu'en 1939. Les rapports annuels ultérieurs fourmillent de détails sur l'embauchage et les cessations d'emploi, les nominations permanentes, les reclassifications, l'arrivée et le départ des employés temporaires affectés au recensement, etc. L'effectif continu était passé à environ 1 400 à la fin de l'exercice 1950-1951, bien que le rapport annuel ait précisé que conformément au programme d'austérité du gouvernement, 75 postes avaient été retranchés de l'effectif au 31 mars 195l 25 . Pendant les trois exercices suivants, l'effectif se maintint à un peu plus de 1 300 personnes. Au moment de la retraite de Marshall, par contre, à la fin de l'exercice 1955-1956, il était remonté à 1 411, ce qui représentait une progression de seulement 18 % en huit ans. La répartition de l'effectif entre employés permanents et temporaires évolua beaucoup pendant l'ère Marshall. En 1948, les 304 permanents constituaient environ le quart de l'effectif continu. Les rapports annuels ne donnent aucun détail sur les nominations permanentes postérieures à l'exercice 1952-1953; ils font cependant état de la nomination de près de 400 employés permanents jusqu'au 31 mars 1953. Ainsi, au 31 mars 1956, l'effectif continu se composait sans doute pour au moins la moitié de permanents. Pendant cette période, un nombre appréciable de postes professionnels et de soutien technique furent reclassés à des échelons supérieurs, et les échelles de traitement furent révisées deux fois, ce qui contribua à rehausser le calibre du personnel professionnel. Parmi les candidats à la promotion en vertu de la nouvelle gamme élargie de classifications professionnelles, ceux qui étaient rattachés au service central étaient désignés des économistes, conformément à la désignation du poste d'Isbister. De ce groupe se démarqua Agatha Chapman, qui avait été détachée de la Banque du Canada avec Luxton et qui fut l'adjointe principale d'Isbister lorsque celui-ci arriva au Bureau. Ses services furent réputés essentiels à l'avancement de la statistique du revenu national,
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE si bien que l'on recommanda sa nomination à titre d'économiste de niveau 7 (4 200 $ 4 800 $). Voici l'explication donnée : « L'économiste s'est taillé une place de plus en plus importante dans les domaines de l'administration publique et des affaires. [...] Par le passé, le Bureau a accusé certaines lacunes au chapitre de la statistique économique et, en particulier, n'a pas su analyser les phénomènes économiques selon une vaste perspective. La création du service central visait notamment à redresser la situation. [...] Le service central n'est pas assimilable aux divisions qui recueillent les statistiques; son rôle consistera à intégrer et à analyser les statistiques existantes et à élaborer de nouvelles sources de données économiques. Lorsqu'il aura structuré ces sources, il transmettra l'information aux divisions compétentes, qui lui donneront le suivi voulu. Le service central agira donc à titre consultatif, interprétatif et analytique. Ses membres sont des économistes d'abord, des statisticiens ensuite26. »
Ce type de mandat, affirmait-on, pouvait attirer des diplômés de haut calibre en économie, peu intéressés à la carrière de statisticien. Il était ajouté : « II devrait ralentir la croissance des services de recherche économique dans les autres ministères. Lorsque le service central du Bureau aura atteint sa vitesse de croisière, la nécessité de services de recherche ayant recours à des données statistiques ne pourra que diminuer27. »
Le premier argument trouva sa confirmation, à l'époque et plus tard, lorsque de nombreux jeunes économistes hautement qualifiés se joignirent au service central. Certains, comme C.L. Barber, Gideon Rosenbluth et J.A. Sawyer, s'illustrèrent par la suite dans le monde universitaire. D'autres, tels A.S. Rubinoff, F.H. Leacy, R.B. Crozier et D.H. Fullerton, acceptèrent des postes supérieurs dans d'autres ministères, où l'expérience acquise au Bureau se révéla précieuse. D'autres encore, comme V.R. Berlinguette, H. J. Adler et Jenny Podoluk, demeurèrent au Bureau et accédèrent aux échelons supérieurs de la direction. Parmi ce dernier groupe, le membre le plus illustre fut Simon Goldberg, collaborateur de la première heure au service central. Embauché alors qu'il portait encore l'uniforme de l'armée de l'air, Goldberg fut finalement nommé statisticien fédéral adjoint à l'Intégration, après avoir pris congé pour terminer son doctorat à l'Université Harvard. Il occupa ce poste avec grande distinction jusqu'en 1972, lorsqu'il devint le directeur du Bureau de statistique des Nations Unies. Pour ce qui concerne le second argument, le Bureau prit presque certainement ses désirs pour la réalité. En effet, à l'époque de Marshall, le ministère du Commerce s'opposa systématiquement à ce que le Bureau fût investi du mandat d'analyser les données qu'il recueillait et dépouillait. Au cours de l'étude des crédits du ministère du Commerce pour 1955-1956 à la Chambre des communes, le ministre C.D. Howe dut répondre à une question sur les fonctions des économistes tant au Bureau qu'au ministère. Le ministre affirma : « II n'y a pas d'économistes au Bureau de la statistique; il y a des statisticiens. Leur travail consiste à recueillir des renseignements et à les communiquer à ceux qui s'y intéressent. Le personnel du ministère du Commerce doit analyser ces renseignements et publier des prévisions en se fondant sur l'information fournie par le Bureau de la statistique et par des relevés économiques. »
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LES DÉFIS DE L'APRÈS-GUERRE Puis il concéda : « Le Bureau comprend des gens qui ont suivi des cours d'économique mais ils sont employés à titre de statisticiens. On n'encourage pas le Bureau de la statistique à faire des prévisions; il doit s'en tenir aux faits que révèlent les chiffres qu'il recueille28. »
STATUT DU STATISTICIEN FÉDÉRAL Pour le ministre du Commerce Howe, le Bureau était la branche statistique du ministère et lorsqu'il en décrivit le mandat en termes peu flatteurs, il illustrait parfaitement le problème qui n'avait cessé de préoccuper Coats pendant 25 ans. « Nous sommes, regrettait Marshall en 1951, la cendrillon du service ou, si vous préférez, les bûcherons et porteurs d'eau des autres29. » Le statut du statisticien fédéral était un enjeu que Coats légua à ses successeurs dans son dernier bilan de 1942. Pour des raisons évidentes, Cudmore n'intervint pas dans ce dossier. Mais on pouvait s'attendre à ce que le dossier progresse du temps de Marshall, car les réalisations du Bureau — notamment la comptabilité nationale et les enquêtes par sondage — avaient transformé en alliés bon nombre de ceux qui le critiquaient par le passé. Comme nous l'avons vu, les professionnels du Bureau avaient reçu, dès la fin de la guerre, des augmentations salariales dont ils avaient grandement besoin. En juillet 1948, Marshall en remercia le sous-ministre, puis ajouta : « [...] justice serait faite si l'on pouvait ajouter au régime de rémunération une échelle distincte pour le statisticien fédéral; j'en tirerais une grande satisfaction personnelle30. » Dans sa lettre, Marshall s'employa à montrer que si les taux de traitement des directeurs avaient augmenté d'environ 40 % depuis 1939, celui du statisticien fédéral avait monté d'à peine 7 % et ce, en comparant le traitement de 8 000 $ qu'il touchait alors avec celui de 7 500 $ versé à R.H. Coats au moment de prendre sa retraite. Il précisa également que l'archiviste fédéral et le surintendant des assurances recevaient à l'époque 10 000 $ par an. Rien ne laisse supposer qu'on ait répondu directement à la recommandation de Marshall, et ce dernier revint à la charge en décembre : « Je suis loin d'être seul à penser que le poste de statisticien fédéral devrait commander un taux plus élevé. Le retard à agir est-il attribuable au fait que le Bureau est vu comme une division du ministère du Commerce au même titre que les autres? Si tel est l'obstacle à ce que justice soit faite, n'y a-t-il pas de solution? Ne pourrait-on pas donner au statisticien fédéral le rang de sous-chef?31 »
La question resta encore sans réponse, cette fois pendant plus de deux ans, même si, de 1949-1950 à 1951-1952, le traitement de Marshall avait grimpé de 9 000 $ à 10 000 $. Pourtant, l'enjeu dépassait largement les considérations strictement pécuniaires. S'adressant de nouveau au sous-ministre en février 1951, Marshall laissa entendre que l'article 4 de la Loi sur la statistique attribuait au statisticien fédéral le rang d'un sous-chef. Aussi expliqua-t-il comment le Bureau pourrait mieux accomplir son travail : « La collaboration et la coordination des travaux statistiques avec d'autres ministères s'en trouveraient facilitées, puisque l'approbation vient souvent des sous-chefs. [...] Le fait que le 201
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Bureau soit une division du ministère empêche souvent les fonctionnaires du Bureau de toucher une rémunération aussi élevée que celle versée par d'autres ministères à des personnes dont les attributions ne sont pas plus lourdes32. » II est par ailleurs étonnant que, dans ses démarches pour obtenir le rang de sous-chef, Marshall n'ait pas proposé la solution la plus logique, soit l'établissement du Bureau comme un ministère ou un organisme autonome. « S'il est impossible de conférer le titre de sous-chef au statisticien fédéral à moins de créer un ministère de la statistique, il n'y a évidemment plus rien à dire. Un tel ministère n'est manifestement pas nécessaire, et il serait d'ailleurs absurde d'en proposer la création. N'y at-il pas moyen pour le statisticien fédéral de conserver son titre, tout en ayant le même rang qu'un sous-chef ou un sous-chef adjoint du ministère du Commerce? Nous nous entendons très bien au ministère. D'après moi, le statut de sous-chef n'empêcherait aucunement le Bureau de traiter avec le sous-ministre du Commerce et le ministre33. » II est possible que le sous-ministre Mackenzie eût préféré se défaire du Bureau plutôt que de voir le statisticien fédéral promu à un niveau presque égal au sien. Toujours estil qu'il répondit à Marshall le 16 mars 1951 : « La seule façon d'y arriver consisterait à modifier la loi. [...] Je ne crois pas que le gouvernement accepte de le faire uniquement à cette fin. » Mackenzie se dit déterminé à rehausser la réputation et le moral du Bureau, mais signala : « Le rapport entre le statisticien fédéral et son personnel avec le Conseil du Trésor et la Commission du service civil, d'une part, et le traitement du statisticien fédéral, de l'autre, primait sur la question technique du statut34. » Le Bureau réussit à se libérer dans une certaine mesure des liens administratifs qui le retenaient au ministère, pendant le reste du mandat de Marshall — celui-ci vit son traitement grimper à 12 000 $ en 1953-1954. Mais les choses en restèrent là pendant quelques années. Comme nous le verrons, c'est seulement lorsque le Bureau passa dans la mire de la commission Glassco, au début des années 1960, qu'il put vraiment prendre son envol à titre d'organisme distinct.
NOUVELLE LOI SUR LA STATISTIQUE L'engagement renouvelé du Bureau envers ses utilisateurs se manifesta tant pratiquement que symboliquement, à travers la nouvelle Loi sur la statistique de 1948. Une refonte s'imposait depuis longtemps, puisque la loi était restée essentiellement inchangée depuis 1918. Lors de la deuxième lecture du projet de loi 326 concernant le Bureau fédéral de la statistique, G.J. Mcllraith, adjoint parlementaire du ministre du Commerce, ne tarit pas d'éloges à l'endroit des réalisations du Bureau depuis 1918, mais il souligna : « [...] les gouvernements, les entreprises commerciales et les simples particuliers ont eu à faire face à des problèmes économiques et sociaux de plus en plus nombreux et compliqués, et il a fallu multiplier les renseignements statistiques nécessaires à la solution de ces problèmes35. »
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LES DÉFIS DE L'APRÈS-GUERRE La Loi, poursuivit M. Mcllraith, ne permettait pas de répondre aux besoins : « D'abord, elle ne mentionne pas spécifiquement nombre de domaines économiques et sociaux à l'égard desquels des données statistiques sont actuellement recueillies36. » Le Bureau devait donc compter sur la collaboration des répondants dans ces domaines; par exemple, il avait du mal à recueillir des données sur le transport routier et aérien à cause de la définition limitative du terme « transporteur37 ». « Ensuite, d'ajouter M. Mcllraith, elle ne renferme pas l'autorisation législative nécessaire à l'application des nouvelles techniques en matière de réunion de données statistiques, comme celle qui est connue sous le nom d'échantillonnage38. » Cette lacune, qui exposait le Bureau à des accusations de discrimination de la part des répondants, mettait en péril la nouvelle enquête trimestrielle sur la population active39. La nouvelle loi non seulement résolut ces problèmes, mais se trouva à élargir et raffermir le mandat du Bureau. En vertu de l'alinéa 3 à), le Bureau devait : « Généralement, organiser un système de statistiques sociales et économiques coordonnées, concernant le Canada tout entier et chacune de ses provinces. » Chargé de surveiller l'application de la Loi et de diriger les opérations et le personnel du Bureau, le statisticien fédéral devait aussi, en vertu des alinéas 4 (1) a) et b), « Emettre des avis consultatifs sur toutes questions relatives aux principes statistiques et conférer à cette fin avec les divers départements de l'Etat; [et] Organiser et maintenir un système de coopération pour le rassemblement, la classification et la publication de statistiques entre les divers départements de l'Etat40 ».
Il s'agissait d'objectifs louables. Pourtant, comme le successeur de Marshall le signala 14 ans plus tard dans un mémoire présenté à la commission Glassco41, personne n'était à son tour tenu de collaborer avec le statisticien fédéral. La section suivante montre cependant que les ministères provinciaux y trouvèrent parfois leur intérêt.
NOUVELLES DIMENSIONS DE LA COLLABORATION FÉDÉRALE-PROVINCIALE Le renforcement du mandat du Bureau s'inscrivit, en fait, dans le nouvel esprit de collaboration fédérale-provinciale qui anima la planification et le financement des programmes sociaux et autres dès la conférence fédérale-provinciale sur la reconstruction de 1945. La collaboration statistique avec d'autres ministères fédéraux et provinciaux avait été au coeur de la première Loi de la Statistique, et Coats obtint un succès remarquable, notamment dans le secteur de l'état civil. Par contre, dans d'autres secteurs — les finances publiques, par exemple —, la réussite fut moins impérative et les résultats, négligeables. Tout changea dans la foulée de la commission Rowell-Sirois, et les nouveaux besoins suscités par la guerre et l'après-guerre amenèrent l'administration fédérale et les provinces à unir leurs efforts pour réaliser une vaste gamme de programmes. C'est alors que débuta une ère de collaboration statistique fédérale-provinciale élargie et continue. Les travaux de plusieurs divisions du Bureau furent donc largement déterminés par les politiques et programmes négociés dans l'arène politique par les deux ordres de
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE gouvernement. Dans certains cas, le Bureau collabora non seulement avec les ministères fédéraux et provinciaux compétents, mais fit aussi appel à des groupes professionnels et industriels intéressés; cette démarche assurait la participation la plus vaste possible à la définition des nouveaux programmes statistiques. L'exemple de la Division des finances publiques illustre bien ce nouveau mode de fonctionnement. Cette division avait d'abord pour mission de poursuivre les travaux entrepris par la commission Rowell-Sirois en vue de mettre au point des statistiques détaillées et classées d'une manière comparable sur les finances publiques des trois ordres de gouvernement; elle devait ensuite répondre aux besoins de la conférence fédérale-provinciale de 1945 sur la reconstruction et des conférences complémentaires qui ont suivi42. Par exemple, quatre conférences fédérales-provinciales sur la statistique financière eurent lieu de 1945 à 1953; y participèrent non seulement des fonctionnaires du Bureau et des provinces, mais aussi des représentants du ministère des Finances et de la Banque du Canada. Des comités furent mis sur pied pour servir de secrétariat entre deux conférences. À mesure que la Division se rapprochait de ses objectifs fondamentaux, elle était de plus en plus capable de contribuer à d'autres volets du mandat du Bureau, comme la collecte et l'analyse de données sur les finances provinciales aux fins des estimations trimestrielles du revenu national, ainsi que de données sur les investissements actuels et prévus, destinées à la nouvelle Division des affectations générales. Dans le domaine de la statistique de l'état civil, la loi-cadre que Coats avait élaborée et fait adopter par les provinces, avait jeté les bases d'un système national qui s'avéra fort efficace. Après les deux conférences fédérales-provinciales sur la statistique de l'état civil tenues en 1918, il se passa 25 ans avant que la troisième n'eût lieu, en 1943. De nouveaux problèmes avaient surgi entre-temps. Le besoin d'une statistique de l'état civil plus détaillée, plus actuelle et produite avec plus d'efficacité se faisait sentir tant dans les provinces qu'à Ottawa, où les données serviraient aux fins des nouveaux programmes de sécurité sociale, notamment au chapitre de l'admissibilité. Ainsi, deux conférences fédérales-provinciales sur la statistique de l'état civil se déroulèrent en octobre 1943 et en septembre 1944. On s'entendit sur la rédaction d'une nouvelle loi-cadre sur la statistique de l'état civil qui serait adoptée par chacune des provinces, et sur l'élaboration d'indices nationaux des naissances, des mariages et des décès. Le Conseil de la statistique de l'état civil, créé pour suivre l'évolution de ces travaux et d'autres encore, tint sa première assemblée annuelle en mai 1945. La statistique de l'état civil ne fut qu'une des attributions de la Division de la santé et du bien-être social; celle-ci s'occupait aussi de la statistique juridique et de celle des institutions et de la santé publique. S'agissant des institutions, la division fonctionna — encore une fois — surtout en partenariat avec les autorités provinciales. À cet égard, des conférences fédérales-provinciales sur la statistique hospitalière eurent lieu en février 1949 et en mai 1951 dans le but de définir de nouvelles exigences de déclaration, des normes de classification, etc. Parallèlement, une conférence fédérale-provinciale sur la statistique de la criminalité se tint en mai 1949. Dans le domaine de la santé publique, la division collabora avec le ministère national de la Santé et du Bien-être social, qui n'avait pas tardé à constituer un service de recherche fort compétent. C'est ainsi qu'ils menèrent l'Enquête sur la maladie au 204
LES DÉFIS DE L'APRÈS-GUERRE Canada au début des années 1950. Les résultats de cette enquête, qui portait sur l'étendue des maladies et le profil des soins de santé, et sur les dépenses des familles au titre des services de santé, firent beaucoup parler d'eux à l'époque et inspirèrent une bonne partie des recherches ultérieures sur la nécessité et le coût d'un régime national public de soins de la santé. La formule des conférences s'avéra fort utile à la Division de l'agriculture, qui avait besoin d'aide et de conseils afin de planifier et de réaliser ses enquêtes ponctuelles sur les cultures et le bétail, et à la Section du recensement de l'agriculture de la Division du recensement. Les ministères provinciaux de l'Agriculture exprimaient de temps à autre des suggestions sur le contenu du recensement, tandis que les résultats de celui-ci constituaient des points de repère périodiques pour les enquêtes semestrielles sur les cultures et le bétail. Les ministères provinciaux jouèrent un rôle particulièrement actif dans ces enquêtes, choisissant les correspondants agricoles conjointement avec le Bureau et participant souvent au dépouillement des résultats. La multiplicité des groupes de pression dans le domaine agricole et la complexité de leurs rapports réciproques nécessitèrent le recours à un système exceptionnellement ingénieux de conférences et de comités. Pendant le mandat de Marshall, il se tint cinq conférences fédérales-provinciales sur la statistique agricole, un comité permanent assurant la continuité entre-temps. De plus, au niveau fédéral, un comité interministériel de la statistique agricole compta au moins six sous-comités, auxquels participaient périodiquement des associations nationales telles que le Conseil national de l'industrie laitière et la Fédération canadienne de l'agriculture. En janvier 1953 eut lieu la première d'un nouveau type de conférence fédéraleprovinciale, portant cette fois sur la statistique économique. Cette conférence se démarqua des précédentes du fait que la responsabilité des sujets abordés était répartie entre plusieurs divisions spécialisées du Bureau; par conséquent, aucune organisation des diverses provinces n'avait une responsabilité manifeste à cet égard. Au fil du temps, certaines provinces s'étaient montrées intéressées par l'utilité de la statistique économique dans la formulation et la mise en oeuvre des politiques. Mais toutes s'y intéressèrent davantage lorsqu'il leur fallut fournir une masse d'informations détaillées à la commission Rowell-Sirois vers la fin des années 1930. Après 1939, l'intérêt fut atténué par la gestion centralisée de l'économie de guerre. Une fois la paix revenue, par contre, les provinces se mirent à jouer un rôle de premier plan dans le processus de la reconstruction. Elles furent donc aussi intéressées que l'administration fédérale à mettre au point un ensemble de statistiques leur permettant d'assumer leurs devoirs respectifs : favoriser la croissance sans inflation et assurer des niveaux stables et élevés d'emploi et de revenu. Le Bureau avait toujours tâché de combler les besoins statistiques des provinces, mais il existait de nombreux types de données locales impossibles à obtenir à partir des programmes nationaux; c'est pourquoi certains ministères provinciaux formèrent de petites sous-sections statistiques. Dans certaines grandes provinces, le succès manifeste de la centralisation au niveau fédéral incita les bureaux provinciaux à centraliser eux aussi leurs travaux43. C'est vraisemblablement R.M. Putnam, directeur du Bureau de la statistique de l'Alberta, qui aborda le premier l'idée d'une conférence fédérale-provinciale sur la statistique économique. Dans une lettre à Marshall datée de septembre 1947, il observa : 205
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE
« Les statisticiens des ministères provinciaux et fédéraux se sont réunis à l'occasion de conférences sur l'agriculture, la santé publique, la statistique de l'état civil et les finances (comptes publics, etc.), mais je ne crois pas qu'on ait tenu de conférences regroupant la totalité des personnes qui agissent à titre de statisticien provincial44. » Pendant les 18 mois suivants, l'idée d'une telle conférence fit son chemin. Le 11 juillet 1949, Marshall s'adressa aux chefs de tous les bureaux statistiques provinciaux et leur posa trois questions : « (1) Comment une conférence fédérale-provinciale sur la statistique économique pourraitelle favoriser les travaux dans votre province? (2) Si elle avait lieu, devrait-elle aborder d'autres sujets que la statistique économique? (3) Quel est le principal enjeu que vous aimeriez inscrire à l'ordre du jour de la conférence?45 » Certains, comme H.J. Chater de l'Ontario, se montrèrent peu enthousiastes au début. Toutefois, lorsqu'il devint évident que Marshall était décidé à aller de l'avant, aucun représentant provincial ne voulut être exclu. Aussi la conférence eut-elle lieu du 26 au 28 janvier 1953, présidée par Marshall. L'allocution d'ouverture fut prononcée par le ministre du Commerce, l'honorable C.D. Howe. À la lumière des consultations préalables, la conférence aborda les moyens d'éviter les dédoublements dans la collecte de données économiques et l'obtention d'une collaboration maximale, compte tenu des ressources, pour concilier les besoins parfois divergents des autorités fédérales et provinciales et les dispositions permissives et restrictives de la Loi sur la statistique. Le Bureau voulut profiter de l'occasion pour informer les provinces de ses réflexions concernant le recensement industriel, notamment la réduction du fardeau de réponse, l'augmentation de l'utilité des données et le raccourcissement des délais de publication. Le rapport entre la statistique industrielle et la comptabilité nationale figura aussi à l'ordre du jour. Parmi les résolutions adoptées, l'une autorisa le remplacement de la valeur brute de production par le chiffre des ventes (ou des livraisons) dans le recensement industriel. Une autre recommanda la tenue de conférences périodiques sur la statistique économique, tandis qu'une troisième prôna la formation d'un comité permanent chargé de passer en revue les questionnaires et de préparer les conférences ultérieures. En avril 1955, la deuxième de ce qui devint une série continue de conférences se pencha sur les statistiques régionales. V
A L'AUBE DE L'ÈRE INFORMATIQUE Pendant l'époque Marshall, la technologie utilisée pour les opérations les plus complexes de la Division de la tabulation mécanique du Bureau fit appel aux cartes perforées et se perfectionna à mesure que le fournisseur principal, International Business Machines 46 , mettait au point une version plus rapide ou plus polyvalente de ses appareils — machines à perforer, vérificatrices, trieuses, interclasseuses, tabulatrices, etc. Cette division comptait une sous-section de la perforation, qui répondait aux besoins des divisions clientes47; plusieurs sous-sections de la tabulation, adaptées aux exigences
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LES DÉFIS DE L'APRÈS-GUERRE particulières de certains clients; et une sous-section de machines auxiliaires, qui assurait un soutien spécialisé aux sous-sections de la tabulation. La division englobait aussi une sous-section des calculs, dotée de machines à calculer et à additionner et d'un système de cartons perforés, qui exécutait les totalisations les plus simples à partir des réponses aux questionnaires. À la fin de mars 1949, la division avait un effectif de 202 employés, ainsi que 173 machines tabulatrices et 27 machines à additionner ou à calculer (comptomètres)48. La division participa à la planification des besoins de calculs pour les recensements de 1951 et de 1956 et à la mise en oeuvre des moyens nécessaires. La responsabilité en cette matière incomba toutefois à la Division du recensement, qui avait à la fois l'expérience et les ressources voulues pour accomplir l'énorme volume de travail qu'entraînait le traitement, à Ottawa comme dans les bureaux régionaux. La Division de la tabulation mécanique effectua néanmoins de temps à autre des tâches particulières pour la Division du recensement, notamment la production d'un répertoire alphabétique des personnes dénombrées au recensement de 1921, dans le but d'aider les personnes qui demandaient des prestations fédérales de sécurité de la vieillesse. Vers le milieu des années 1950, C. Scott fut nommé à la tête de l'administration et remplacé par son adjoint, W.I. Moore. Quelques années plus tard, Moore changea de poste avec A.B. McMorran, directeur de la Division des enquêtes spéciales, et celui-ci resta directeur de la tabulation mécanique (et des divisions qui lui succédèrent) jusqu'au moment de prendre sa retraite dans les années 1970. Dans son dernier rapport annuel portant sur l'exercice 1955-1956, Marshall indiquait : « Le Bureau envisage sérieusement la possibilité d'ajouter un calculateur électronique au matériel mécanique49. » Pendant près de dix ans, le Bureau avait pu suivre l'expérience du Bureau du recensement des États-Unis; ce dernier avait fait appel à UNIVAC pour le recensement de 1950 et s'en servait, au milieu des années 1950, pour une enquête courante sur les entreprises, une enquête courante sur la population, l'enquête annuelle sur les manufactures et la compilation des statistiques sur le commerce extérieur. L'expérience américaine ne se déroula pas sans heurts. D'aucuns se demandaient toujours si l'on avait choisi le bon système, et certains problèmes seraient survenus peu importe le système adopté. Un fonctionnaire du Bureau, R. Ziola, au terme d'une visite au Bureau du recensement au début de 1956, fit part de ces difficultés à Marshall : « Les spécialistes américains ne sont pas tout à fait convaincus que le système UNIVAC leur a donné les résultats auxquels on pouvait s'attendre d'un système informatique. UNIVAC est à l'origine de nombreux problèmes, mais une bonne part de la responsabilité ne peut certainement pas lui être imputée. Son rendement insatisfaisant est dû à plusieurs facteurs : une programmation lacunaire, une analyse incomplète des besoins, l'inexpérience du personnel d'exploitation, des problèmes de maintenance et même les conflits entre les trois groupes d'exploitation, à savoir le personnel spécialisé, le groupe des opérations centrales et l'unité électronique centrale50. »
À l'époque, le Bureau du recensement étudiait sérieusement le recours à d'autre matériel de traitement pour le recensement de 1960. Les difficultés évoquées par Ziola persuadèrent peut-être Marshall de l'urgence de 207
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE s'occuper de l'informatisation du Bureau. De toute façon, il orienta bientôt le Bureau dans une direction que celui-ci poursuit 40 ans plus tard et qui transforma de fond en comble la nature de l'exploitation statistique. « Pour le Bureau, annonça-t-il dans une note, le moment est venu d'amorcer un programme systématique de préparation à l'installation d'un ordinateur électronique51. » À cet égard, un comité avait été mis sur pied pour étudier quelles séries statistiques des divisions se prêtaient au traitement par ordinateur électronique et quels avantages on pouvait en tirer52. Dans la même note, Marshall forma un deuxième comité, regroupant notamment Goldberg et Rubinoff, de la Division de la recherche et du développement, ainsi que Moore et Ziola. Ces personnes devaient faire ressortir en quoi le traitement électronique permettrait de fournir un service amélioré, voire exclusif, aux ministères qui utilisaient les données du Bureau. Marshall souligna que la désaisonnalisation massive des séries économiques semblait bien se prêter aux machines électroniques53. Ce deuxième comité recommanda peu après, au terme de discussions avec le ministère du Travail et le ministère du Commerce et avec la Banque du Canada, la désaisonnalisation par ordinateur de 300 séries économiques mensuelles de l'après-guerre. Il avait déjà lancé un appel d'offres et découvert que les travaux pouvaient se réaliser au meilleur prix en faisant appel au programme UNIVAC du Bureau du recensement des États-Unis, au coût de 5 $ par série54. La note de Marshall avait réussi à rallier le personnel du Bureau, mais elle laissait croire, à tort, que le Bureau pouvait décider unilatéralement d'acquérir un ordinateur. En effet, au moment où elle fut rédigée, le Bureau participait bon gré mal gré aux travaux d'un comité que le gouvernement avait mis sur pied pour étudier le progrès des machines à calculer électroniques et qui avait vraisemblablement son mot à dire dans toute décision ministérielle. Plus tard, ce comité devint le comité interministériel des ordinateurs électroniques; son mandat consista à évaluer les besoins des ministères dans le contexte d'un service global et à définir un ordre de priorités pour l'utilisation du matériel installé. Ainsi, la décision d'installer un ordinateur IBM 705 au Bureau — auquel devait s'ajouter un IBM 1401 plus tard — fut ostensiblement influencée par les besoins éventuels non seulement du Bureau, mais aussi d'autres ministères. Le principal souci du Bureau, à l'époque, était bien entendu le traitement du recensement de 1961. NOUVEL IMMEUBLE DU BUREAU
L'une des principales réalisations de Marshall, qu'il considéra à juste titre comme essentielle pour rehausser le moral et la productivité des employés, fut le déménagement du Bureau dans un nouvel immeuble du Parc Tunney55, dans l'ouest d'Ottawa, en 1952. Ce geste consacra en quelque sorte la maturité du Bureau. Plus de 30 ans de service à la collectivité, en temps de paix comme en temps de guerre, avaient fermement assis sa réputation à titre de rassembleur et d'éditeur de l'information statistique du pays; après avoir occupé tant d'années des locaux de fortune, il se trouvait enfin chez lui. Jusque-là, il était logé dans l'ancienne scierie Edwards, sur l'île Verte, depuis 1928. Même si la proximité de la rivière des Outaouais avait ses avantages, on ne put éliminer toutes les contraintes imposées par sa vocation première. La hausse soutenue de l'effectif après 208
LES DÉFIS DE L'APRÈS-GUERRE 1939 entraîna un surpeuplement scandaleux56, atténué en partie par la construction de bâtiments temporaires. Un journaliste, venu interviewer Cudmore en 1943, lorsque les conditions étaient les plus mauvaises, décrivit les lieux en ces termes : « Le Bureau est installé dans le plus infect des immeubles du gouvernement, un véritable terrier. Il réussit à fonctionner malgré l'excroissance de brique en ruines qui défigure un magnifique site en amont des chutes Rideau, surplombant la rivière des Outaouais, et qui ressemble davantage à une brasserie désaffectée qu'aux locaux d'un ministère. « Si vous cherchez le professeur Cudmore, vous devez d'abord franchir l'entrée — on dirait la porte d'une grange et une série de stalles — avant de gravir l'escalier à l'arrière et parcourir un étroit corridor en veillant à ne pas heurter les femmes qui consultent des dossiers. Arrivé à destination, vous trouvez le professeur Cudmore dans un bureau peu avenant qui se distingue uniquement par sa vue magnifique de la rivière57. »
L'immeuble fut inauguré le 26 septembre 1952. Dans un article soulignant l'étendue et la clarté de la nouvelle « usine à statistiques », Marshall affirma : « Le personnel du Bureau de la statistique n'a plus l'impression d'être dans un vieil atelier ou une écurie désaffectée. Nous ne travaillons plus dans des conditions minables, coude à coude58. » La planification de l'immeuble avait été amorcée à la fin des années 1940, et le choix du Parc Tunney fut dicté par le Plan d'amélioration de la capitale nationale, qui visait notamment à décentraliser le parc immobilier de l'administration fédérale. Dès le début, la direction du Bureau collabora avec les architectes pour s'assurer que la conception et l'aménagement de l'immeuble tiendraient compte des exigences particulières de la statistique. Il s'agissait d'un immeuble à trois étages, sauf la partie centrale qui en comptait cinq, et avec quatre paires d'ailes. On ne manqua pas de souligner l'abondante fenestration, considérée comme « particulièrement importante pour l'étroite collaboration nécessaire à la production de statistiques59 ». Vers le milieu de 1950, lorsque la guerre froide menaça de s'intensifier, on envisagea de mettre un terme à la construction. Or, Marshall rappela au sous-ministre qu'advenant une guerre, le Bureau aurait de nouveau beaucoup de travail supplémentaire à accomplir et aurait besoin de locaux additionnels; il fallait donc accélérer la construction, et non l'interrompre60. Puis, au début de 1952, on craignit que l'immeuble et les salles de conférence ne fussent pas prêts pour accueillir deux conférences internationales qui devaient se tenir en octobre. La construction avança toutefois à un bon rythme, et l'inauguration eut lieu peu avant l'arrivée de la première vague de délégués. Le communiqué émis par le Bureau à l'occasion de l'inauguration ne tarissait pas d'éloges : « II est étonnant de constater la beauté et la variété qu'on a réussi à incorporer à peu de frais. [...] L'immeuble est à toutes fins utiles doté d'un système de climatisation complète; il ne reste qu'à ajouter les unités de réfrigération61. »
Pourtant, en insistant sur le fait que le nouvel immeuble constituait une « usine à statistiques62 », le Bureau affaiblissait sa position dans la longue lutte qu'il menait pour rehausser le statut du statisticien fédéral et la classification de son personnel professionnel.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE L'euphorie au sujet des nouveaux locaux eut tôt fait de se dissiper, et on entendit souvent des plaintes concernant les courants d'air, le froid en hiver et la chaleur excessive en été. Ces plaintes trouvèrent parfois leur écho dans la Chambre des communes. Lors de l'étude des crédits du Bureau pour l'exercice 1955-1956, par exemple, le député Nicholson, qui n'avait manifestement pas lu le communiqué du 26 septembre 1952, déclara : « II est pitoyable qu'un immeuble aussi coûteux ne soit pas climatisé63. » Le ministre C.D. Howe lui répondit : « Autant que je sache, [...] les seuls serviteurs du public à bénéficier de la climatisation, à Ottawa, sont les députés. La règle au gouvernement veut qu'il n'y ait pas de climatisation à Ottawa64. » Le nouvel immeuble apporta également de l'eau au moulin de ceux qui s'en prenaient périodiquement au gouvernement pour l'érosion du terme « Dominion ». Par exemple, John Diefenbaker, chef de l'opposition à l'époque, déclara : « J'en ai vu un exemple à l'édifice du bureau fédéral de la statistique à Ottawa, construction superbe dont le nom exact, d'après les statuts, est Dominion Bureau of Statistics. Mais sur les deux piliers édifiés devant l'édifice, on n'a pas ajouté dans l'inscription le mot "Dominion" qui fait pourtant partie du titre fixé par le statut. On y lit simplement: Bureau of Statistics Building65. » Aucune explication ne fut proposée à ce moment-là, mais lorsque le sujet fut abordé de nouveau, le ministre C.D. Howe lança imprudemment qu'il pouvait peut-être s'agir d'« une question d'économie de la part du ministère des Travaux publics ». Et Diefenbaker de répondre : « J'ai entendu toutes sortes d'explications en ce qui concerne la suppression du mot dominion, mais le ministre du Commerce me semble être arrivé ici à la fin de tout. Si le mot ne figure pas sur les plaques au bureau de la statistique, c'est à cause d'une question de prix... Je félicite le ministre de la nouveauté de son explication66. » Sur le plan fonctionnel, le nouvel immeuble répondit aux besoins du Bureau pendant une dizaine d'années, mais l'expansion qui eut lieu au cours des années I96067 nécessita encore le recours à des locaux temporaires68. À la fin des années 1960, on étudiait le projet de construire un ajout important, à savoir l'immeuble R.-H.-Coats, qui s'élèverait sur 26 étages, avenue Holland, juste au sud de ce qui allait désormais s'appeler l'immeuble Principal.
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CHAPITRE XII
1945-1956:
Les années Marshall II-Innovations en matière de programmes INTRODUCTION
En matière de programmes, les années Marshall furent caractérisées par l'élaboration du Système de comptabilité nationale et par l'avancement des travaux dans certains domaines comme les projections démographiques et les ventilations selon la taille du revenu. Les nombreuses innovations apportées au recensement décennal de 1951, sur le plan du contenu et de la méthodologie, formèrent un contraste frappant avec les changements plus timides de l'ère Coats. On doit à Marshall le premier recensement national de midécennie, mené en 1956 et répété tous les dix ans par la suite. Le Bureau collabora par ailleurs aux travaux de la Commission royale d'enquête sur les prix (Curtis) de 1948 et de la Commission royale d'enquête sur les perspectives économiques du Canada (Gordon), de 1955 à 1957. Vers la fin des années 1940 s'amorça la rationalisation du programme des publications, qui permit de réaliser des économies importantes. Des ententes de diffusion furent conclues avec l'Imprimeur de la Reine et se trouvaient à confirmer le rôle primordial que le Bureau avait acquis dans les faits depuis longtemps. Si Marshall ne cessa de veiller au programme national, il fut néanmoins, à l'instar de Cudmore et de Coats, un internationaliste engagé. Ainsi, à mesure que les organismes statistiques intergouvernementaux de l'avant-guerre reprenaient leurs activités et que d'autres voyaient le jour pour répondre à de nouveaux besoins, Marshall réaffirma la vocation du Bureau à titre de chef de file dans l'élaboration de normes statistiques internationales et pour la prestation d'une assistance technique aux bureaux statistiques de divers pays en développement.
INNOVATIONS EN COMPTABILITÉ NATIONALE Comme nous l'avons vu dans un autre chapitre, le nouveau Service central de la recherche et du développement fut appelé à établir les estimations des comptes
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE nationaux des revenus et dépenses, pour les besoins d'une conférence fédéraleprovinciale sur la reconstruction. Les travaux menés au printemps et à l'été de 1945, sous la direction de Claude Isbister, le successeur de Luxton, furent surveillés de près par le sous-comité du revenu national relevant du Comité interministériel des arrangements financiers de la conférence fédérale-provinciale sur la reconstruction. Ce sous-comité, présidé par Herbert Marshall, compta Claude Isbister comme secrétaire et, comme membres, Agatha Chapman, J.R. Beattie et Walter Duffett, de la Banque du Canada; O.J. Firestone et M.C. Urquhart, du ministère de la Reconstruction; R.B. Bryce, du ministère des Finances; et Simon Goldberg, A.S. Abell et C.D. Blyth, du Bureau. À l'automne 1945 fut diffusée, sur une petite échelle, une publication sur les comptes nationaux des revenus et dépenses pour 1938-1944, sous-titrée « guide de référence pour la conférence fédérale-provinciale sur la reconstruction ». Des remerciements étaient adressés aux trois membres du sous-comité provenant du Bureau, ainsi qu'à Clarence Barber, Mlle K. Muttitt, Mlle E. Ferguson, D.H. Jones, S.B. Smith et R.G. Bangs pour leur collaboration. La presse mit la main sur l'ouvrage, et dans le Financial Post du 1er décembre 1945, J.W. Edmonds salua cette nouvelle estimation de la « production nette du Canada », qui était plus valable que l'ancienne et qui pouvait se comparer à celles du Royaume-Uni et des États-Unis. En avril 1946 paraissait, cette fois sur une grande échelle, une autre publication sur les comptes nationaux des revenus et dépenses, dont les chiffres avaient été révisés pour couvrir la période 1938-19451. La publication présentait les concepts et des méthodes d'estimation, ainsi que des données provinciales sur les salaires et traitements, le revenu du travail supplémentaire et les bénéfices d'entreprises individuelles. En septembre 1947, aux termes des accords fédéraux-provinciaux en matière fiscale, le statisticien fédéral diffusa les estimations du produit national brut par habitant et des ratios de la population au niveau provincial, aux fins du calcul des sommes versées aux provinces. Ces chiffres seraient publiés chaque année et leur diffusion constituait une étape marquante de la reconnaissance du Bureau, ne le cédant en importance qu'au rôle du recensement pour la définition de la représentation parlementaire. Dans son rapport annuel pour l'exercice terminé le 31 mars 1949, Marshall faisait état d'une nette amélioration dans la présentation des comptes nationaux. Un système d'arrêté de compte couvrant les années 1938 à 1947 permettait de suivre le flux des revenus et dépenses, chaque compte résumant un groupe important d'opérations économiques. Les résultats avaient servi en bonne partie à la préparation de deux livres blancs durant l'année. On avait établi pour les années 1926 à 1937 une série historique sur le revenu national, le produit national brut, la dépense nationale brute et le revenu et les dépenses des particuliers2. Par la suite, on s'occupa de terminer et de publier les données sur la répartition sectorielle du revenu national et la ventilation provinciale du revenu personnel. On amorça les travaux sur la déflation des éléments de la dépense nationale brute. Deux ans plus tard, les résultats furent incorporés dans la publication sur les comptes nationaux des revenus et dépenses, 1926-1950, qui allait faire date, puisqu'elle consolidait les travaux des cinq années antérieures. Dans le rapport annuel de 1951-1952, il était signalé qu'un membre de la division avait amorcé une étude statistique des rapports entre les
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INNOVATIONS EN MATIÈRE DE PROGRAMMES marchandises au niveau intersectoriel3. Il s'agissait de J.A. Sawyer, dont le travail, s'inspirant de l'étude originale de W.W. Leontief sur les rapports d'entrées-sorties dans l'économie américaine d'avant-guerre, se concrétisa par la publication, en 1956, d'un ouvrage sur le flux intersectoriel des biens et des services au Canada en 1949. La préface disait : « La construction de cet ensemble de comptes intersectoriels a été motivée surtout par le souci de rassembler, dans un cadre intégré, des statistiques sectorielles et économiques recueillies par le Bureau fédéral de la statistique afin de mettre en lumière les éventuelles incohérences de classification et les erreurs ou lacunes dans les données. [...] Le tableau peut être considéré comme un prolongement des comptes nationaux du fait qu'il présente les données sectorielles sur lesquelles s'appuie la comptabilité nationale. Ces données peuvent servir à approfondir l'analyse des déterminants de la comptabilité nationale4. »
Les estimations trimestrielles du revenu et des dépenses des particuliers, du produit national brut et de la dépense nationale brute commencèrent à paraître plus tard en 1953, sur une base désaisonnalisée et en dollars courants et constants. Remontant à 1947, ces données offraient un nouvel outil statistique très efficace pour l'étude des tendances économiques. En outre, on mit au point un indice mensuel de la production industrielle et on chercha à en élargir le champ d'application afin de pouvoir mesurer la production réelle pour l'économie dans son ensemble et ainsi réaliser un contrôle indépendant de la validité des comptes des revenus et dépenses. La dernière réalisation digne de mention des années Marshall fut le lancement d'une étude pilote visant à étendre le cadre de la comptabilité nationale aux opérations purement financières. Aucune de ces initiatives n'eût été possible sans l'élaboration des statistiques primaires sous-jacentes, notamment les données mensuelles sur les stocks, d'abord recueillies, avec les données sur les livraisons et les commandes, auprès des industries manufacturières, puis des entreprises du commerce de gros et de détail, de même que les estimations mensuelles des dépenses des consommateurs et l'enquête trimestrielle sur les bénéfices des entreprises5. Enfin, on améliora les données sur l'épargne et on combla certaines lacunes dans le domaine du revenu au moyen d'enquêtes sur les revenus professionnels.
AUTRES TRAVAUX DE RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT Le Service central de la recherche et du développement publia en outre des ventilations des familles non agricoles selon la taille du revenu en 1951 et en 1954, d'après les données tirées des enquêtes périodiques sur la population active. Une première tentative de répartition des revenus, effectuée par L.M. Read, était parue en annexe à la publication sur les comptes nationaux pour 1938-1945. Portant sur l'année 1942, la répartition avait été établie à partir des données du recensement de 1941 et des statistiques de l'impôt sur le revenu de 1941 et de 1942. Ces statistiques étaient évidemment très peu représentatives de la population dans son ensemble. L'enquête sur les revenus et dépenses de 1948 permit de recueillir des données sur les revenus, mais elle mettait plutôt l'accent sur les dépenses. Puis il fut décidé de mener en permanence des enquêtes distinctes sur les revenus et les dépenses des ménages. La responsabilité 213
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE des enquêtes sur le revenu fut confiée à la Division de la recherche et du développement, alors que la Division du travail et des prix se chargeait des enquêtes sur les dépenses des familles. En marge de la deuxième enquête sur la population active réalisée en février 1946, le groupe de l'échantillonnage réalisa la première d'une série régulière d'enquêtes supplémentaires, souvent parrainées par d'autres ministères aux fins de la planification de leurs programmes. L'enquête initiale portait sur l'occupation multiple des logements et sur les conditions de surpeuplement. Peu après, une enquête fut menée au sujet de la réadaptation des anciens combattants à la vie civile. En août 1947 fut lancée l'enquête annuelle sur l'équipement ménager. L'année suivante, une première enquête sur les dépenses des familles de l'après-guerre visait à actualiser l'indice du coût de la vie. Elle représentait un défi de taille pour les bureaux régionaux, puisque les répondants trouvaient le questionnaire long et fastidieux et que les questions sur le revenu, l'épargne, la dette, etc., étaient de caractère délicat. Le 1er janvier 1949, comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, la Soussection de l'échantillonnage accéda au rang de Division des enquêtes spéciales. Celle-ci regroupait les représentants régionaux de la Division du travail et des prix, qui avaient été nommés pendant la guerre pour garantir la qualité des relevés des prix. Forts de cet apport, les bureaux régionaux prirent en charge le suivi des non-répondants aux enquêtes postales d'autres divisions, comme celles de l'industrie et du commerce, et de la Section de l'emploi de la Division du travail et des prix. Un bureau régional fut inauguré à St. John's, lorsque Terre-Neuve fut prise en compte dans l'enquête sur la population active. En septembre 1952, le Bureau reçut instruction de mener tous les mois l'enquête sur la population active, qu'il tenait jusque-là tous les trimestres, et d'en accélérer le traitement pour permettre d'obtenir des résultats dans les quatre semaines et demie suivant le début du dénombrement. Afin de répondre à la première exigence, des bureaux furent inaugurés à Edmonton et à Ottawa-Hull.
PROJECTIONS DÉMOGRAPHIQUES Peu après la fin de la guerre, le Bureau établit ses premières projections démographiques. Quelques années plus tôt, en 1938, à une demande de la commission Rowell-Sirois, Robert Coats avait répondu qu'il n'était pas opportun d'émettre un énoncé quelconque sur la population future du Canada6. Pourtant, en 1946, le Bureau publia Future population du Canada (bulletin F-4 de la série des monographies du recensement de 194l)7. Dans l'introduction, il était précisé que le Bureau ne doutait plus de la validité ou de l'à-propos d'une telle entreprise : « La valeur des projections de population repose non dans leur caractère prophétique, car il ne peut être insisté trop fortement sur le fait qu'aucune tentative n'est faite pour prédire ce que sera la population totale de telle communauté à telle future époque, mais dans leur examen des conséquences qui doivent en découler si aucun agent imprévu n'intervient pour modifier radicalement les tendances passées8. »
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INNOVATIONS EN MATIÈRE DE PROGRAMMES La méthodologie était fort simple. Les tendances furent extrapolées jusqu'en 1971 selon diverses hypothèses sur la mortalité et la fécondité. L'effet de la migration n'entra pas en ligne de compte. Les garanties du Bureau ne réussirent cependant pas à satisfaire le ministère du Commerce. Le 6 mars 1946, le sous-ministre M.W. Mackenzie s'adressa au sousministre adjoint Oliver Master pour commenter les débats soulevés par le bulletin F-4 : « Le ministre se préoccupe — ajuste titre, selon moi — de l'opportunité de se lancer dans un domaine qui tient de la prophétie. J'avais l'impression que le Bureau se formait à la publication de données factuelles, à partir desquelles les utilisateurs ont toute la latitude voulue pour dégager des prédictions ou des conclusions9. »
Marshall défendit cette démarche dans une longue note, soulignant que dans bien des pays, les tendances démographiques préoccupaient grandement les hommes d'État, les économistes et les sociologues et que les projections avaient été établies à l'origine afin de fournir au comité fédéral-provincial de la reconstruction les données voulues pour ses délibérations sur les pensions de vieillesse et les subventions aux provinces. Il précisa : « Le contenu de nos bulletins est purement statistique et ne laisse rien entendre en matière de politique démographique. [...] Étant donné le grand nombre d'estimations de la population future du pays, réalisées en majorité par des gens qui prennent leurs désirs pour des réalités, nous croyons souhaitable de publier une estimation officielle fondée sur des hypothèses soigneusement énoncées et non biaisées10. »
Ces arguments, semble-t-il, furent acceptables. Vers la fin de l'ère Marshall, le bureau de Keyfitz rédigea un mémoire sur la projection des statistiques démographiques, assorti d'une mise en garde encore plus énergique : « Malgré l'utilisation de procédés améliorés, rien ne permet actuellement de prévoir, avec suffisamment d'exactitude, les forces qui déterminent les niveaux et les variations de la population. [...] En raison de cette lacune et du fait que ce calcul n'est pas fondé sur des données du même ordre que d'autres publications du Bureau, le présent mémoire, à l'instar du précédent, fera l'objet d'une diffusion restreinte. Il ne sera remis qu'aux intéressés qui en font la demande, à leurs propres fins". »
II s'agissait vraisemblablement d'une précaution raisonnable contre l'éventualité d'autres plaintes officielles, bien que la diffusion du bulletin F-4 n'ait certainement pas été restreinte. Il n'empêche que le Bureau maintint une attitude discrète dans ce dossier et attendit le début des années 1970 pour publier des projections démographiques « officielles12 ».
RECENSEMENTS DE 1951 ET DE 1956 Le recensement de 1951 offrit une excellente occasion de faire la lumière sur l'évolution économique et sociale du pays pendant une décennie fort mouvementée. Marshall écrivit : « Le recensement [...] a été l'un des plus importants de l'histoire du pays. Effectué à la misiècle, il sert à mesurer les progrès du Canada durant la première moitié du siècle. Faisant
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE suite à une décennie de grands bouleversements internationaux, soit la seconde guerre mondiale et la période d'ajustement de l'après-guerre immédiat, il reflète les profonds changements économiques et sociaux qui se sont produits durant cette période. En raison de l'union de Terre-Neuve et du Canada en 1949, il est le premier recensement national depuis que le Canada compte dix provinces13. »
La méthodologie du recensement avait fait l'objet de nombreuses innovations très intéressantes. Puisqu'elle est décrite en détail dans le rapport administratif14, nous n'en verrons que les points saillants. La planification, qui s'amorça au début de 1947, était confiée à un comité présidé par le statisticien fédéral et regroupant les principaux experts des services spécialisés et fonctionnels qui seraient mis à contribution. La responsabilité première incombait à O.A. Lemieux, qui avait succédé à A.J. Pelletier à la tête de la Division du recensement en 1945. Le délai de mise en route n'avait jamais été aussi long, car il fallait préparer, réaliser et évaluer un recensement d'essai visant à juger de l'opportunité de confier aux bureaux régionaux le travail de dénombrement et le traitement initial des questionnaires au moyen de la technique « électrographique ». Celle-ci consistait à enregistrer les renseignements fournis par le répondant au moyen de l'indication de marques spéciales; une machine produisait alors directement des cartes perforées, ce qui évitait l'étape de la perforation manuelle 15 . Le traitement ultérieur des cartes était effectué par une « machine statistique électronique », c'est-à-dire une tabulatrice à grande vitesse. Même si elle n'était pas nouvelle, la technique n'avait pas encore servi dans le cadre d'une grande enquête statistique. L'empressement de l'industrie de la tabulation commerciale à collaborer avec le Bureau aux applications électrographiques à des fins statistiques mit un terme à une longue tradition du Bureau, à savoir la construction de ses propres machines16. L'électrographie servit uniquement aux questionnaires sur la population et le logement et elle permit de réduire de beaucoup les dépenses et le délai de traitement. Le rapport administratif faisait état de ce qui suit : « [...] pour produire un million de cartes perforées, vérifiées et prêtes à la tabulation, comme on l'a fait durant la semaine de production maximum de 1951 au moyen de 17 lectricesperforatrices, il aurait fallu 650 opérateurs de perforatrice à clavier. Même alors, les lectricesperforatrices ne fonctionnaient qu'à 70 p. 100 de leur rendement réel17. »
Par suite de l'intérêt suscité après la guerre par certaines caractéristiques de la population active, comme la taille, la composition et l'activité, qui avaient été observées par enquête échantillonnale périodiquement depuis 1945, une dizaine des 25 questions figurant dans le questionnaire de base du recensement de la population cherchaient à obtenir des renseignements de référence semblables pour chaque personne âgée de 14 ans ou plus. Ce fut donc par souci d'harmonisation avec les mesures de l'époque, que la notion de situation habituelle vis-à-vis de la population active, utilisée lors des recensements antérieurs, fut remplacée par la notion de situation actuelle par rapport à l'emploi. L'évolution de la structure industrielle et de sa composition professionnelle dans les années 1940 fit ressortir la nécessité de l'exactitude pour le codage des données sur la population active. D'où la révision détaillée des manuels de classification; le 216
INNOVATIONS EN MATIÈRE DE PROGRAMMES réaménagement des principaux groupes de professions et d'activités économiques; et l'ajout de diverses sous-catégories. Les grandes entreprises industrielles et commerciales furent appelées à fournir à chaque employé un énoncé de fonctions à remettre au recenseur. Sur le questionnaire, il fallait aussi indiquer les données-repères de l'entreprise et la nature de son activité. Enfin, le personnel de codage eut à sa disposition la clé du codage des noms d'entreprise. En 1941, les occupants d'un logement sur dix avaient répondu à une série de questions conçues pour obtenir un portrait exhaustif des conditions de logement au pays. En 1951, le parc immobilier était devenu un enjeu encore plus important de la politique sociale, de sorte que l'échantillon fut élargi pour englober un logement sur cinq et permettre la publication des résultats pour les petites régions. Par contre, on avait constaté en 1941 que certaines questions — valeur du logement, impôts fonciers, paiements hypothécaires, taux d'intérêt, par exemple — donnaient des résultats d'une exactitude douteuse lorsqu'elles étaient posées dans le cadre d'un recensement. Aussi décida-t-on de mener après le recensement une autre enquête par sondage. Aux fins de l'enquête réalisée en juin 1952 auprès d'une variante élargie de l'échantillon aréolaire trimestriel qui servait à mesurer la population active, les questions sur le logement furent appariées à des questions tirées du recensement de l'agriculture et portant notamment sur la dette hypothécaire et le coût d'exploitation du matériel agricole mécanisé, qui avaient créé des problèmes semblables en 1941. Le recensement de l'agriculture fut de beaucoup raccourci par rapport à celui de 1941, qui avait comporté 941 questions nécessitées par l'effort de guerre. En comptant certaines questions réservées à un échantillon de 20 %, le total pour 1951 atteignit seulement 337. Par ailleurs, on haussa le seuil de la superficie et de la valeur de production servant à déterminer ce qui était considéré comme une « ferme »; cette décision serait à l'origine d'environ la moitié de la baisse du nombre de fermes au Canada (sans Terre-Neuve), qui passa de 733 000 en 1941, à 620 000 dix ans plus tard. L'industrie de la pêche fit l'objet d'un recensement décennal pour la première fois depuis 1911, sans doute parce que Terre-Neuve venait d'accéder à la Confédération. Tout comme l'agriculture, ce secteur se composait surtout de ménages; pourtant, le recensement d'essai avait montré qu'il était inutile de remettre à tous les ménages un questionnaire détaillé sur la quantité, les espèces et la valeur des prises, le nombre et le type de bateaux, les engins et le matériel. On préféra utiliser un formulaire simplifié dans certaines régions halieutiques du Canada afin d'obtenir les noms et adresses des pêcheurs commerciaux et de recueillir des données comme le nombre de jours consacrés à la pêche et le revenu tiré de cette activité. On effectua ensuite une enquête de suivi, à partir d'échantillons aréolaires, pour accroître le détail des renseignements. La démarche retenue pour le recensement de la distribution, ainsi qu'il fut appelé, ressemblait à celle des recensements menés en 1931 et en 1941 auprès des établissements du secteur du commerce et des services : les agents sur le terrain recueillirent, dans le cadre des recensements sur la population, le logement et l'agriculture, des éléments d'information qui servirent à dresser la liste postale des entreprises commerciales à recenser. L'enquête postale fut menée en janvier 1952; elle couvrait l'année civile 1951.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Le programme de traitement des questionnaires du recensement de 1951 fut planifié à partir des tableaux statistiques destinés à la diffusion. Les responsables cherchèrent ainsi à éviter toute tabulation non destinée expressément à la publication ou à l'analyse. La production de tabulations spéciales fut reportée à la période postcensitaire, lorsqu'il serait possible de recourir à des méthodes d'échantillonnage en vue de répondre aux besoins ponctuels. Le recensement de 1951 se démarqua également par la publication de rapports et de volumes reliés. Jusque-là, les tableaux étaient préparés sur des sujets d'intérêt général, puis imprimés en offset sous forme de rapport. Puis ils subissaient un second traitement, dans un format différent, aux fins de l'impression à la linotype des volumes du recensement. Lorsque le Bureau adopta l'impression en offset par VariTyper (voir plus loin), il mit fin à ce double emploi, de sorte qu'il suffisait de rassembler les négatifs des photocopies des tableaux utilisés pour chaque rapport du recensement, aux fins de l'impression des volumes. Le nombre de rapports produits en 1951 (97) représentait un peu plus du quart du chiffre de 1941 (353), et environ les trois quarts des tableaux qui y figuraient furent incorporés directement aux volumes. Grâce à la planification méticuleuse et à l'amélioration de la technologie qui marquèrent chaque étape du recensement de 1951, les délais de publication furent nettement plus courts que ceux des trois recensements précédents. Sur les neuf volumes spécialisés prévus à l'origine, six étaient parus moins de trois ans après le dénombrement, et les autres étaient censés sortir au plus tard en mars 1954. Toutefois, le recensement de 1951 ne fut pas accompagné de monographies comme celles qui avaient enrichi le recensement de 1931 et qui auraient sans doute paru après celui de 1941 si la guerre n'avait pas éclaté. On choisit plutôt de publier une revue générale et d'en faire le dixième volume de la série, chaque chapitre s'articulant autout d'un thème : accroissement démographique, population rurale et population urbaine, familles, etc. Une dernière innovation importante du recensement de 1951 consista dans le recours à des vérifications comparatives pour établir l'importance des écarts d'un recensement à l'autre. Les chiffres indépendants servant aux vérifications provenaient de l'enquête sur la population active de juin 1951. La comparaison de documents des deux enquêtes fit ressortir le degré de divergence dans les réponses fournies à la même question par un groupe apparié de répondants, et permit de quantifier le sous-dénombrement. Par la suite, on dénombra à nouveau des échantillons des documents appariés dans lesquels on avait constaté des écarts appréciables pour les régions métropolitaines de recensement de Montréal et Toronto, afin de préciser le motif des écarts, les questions ambiguës et l'efficacité relative des deux ensembles de recenseurs18. Avant 1956, seuls le Manitoba, la Saskatchewan et l'Alberta avaient fait l'objet de recensements quinquennaux, ou de mi-décennie. Ces recensements sur la population et sur l'agriculture remontaient à l'époque de l'admission des deux dernières provinces à la Confédération et reconnaissaient l'essor économique rapide de cette région. En 1956, ils furent remplacés par un recensement national simplifié. Le rapport administratif précisait :
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INNOVATIONS EN MATIÈRE DE PROGRAMMES « [La décision] tient aux augmentations et aux migrations démographiques extrêmement considérables relevées par les estimations intercensales depuis 1951 et aux changements rapides qui surviennent dans l'économie agricole du pays19. »
Le rapport aborda l'incidence de ces changements sur la statistique : « Des progrès aussi rapides de la population et de l'agriculture créaient la nécessité d'établir des points de repère quinquennaux afin de procéder plus sûrement aux estimations annuelles. En outre, un des principaux avantages du recensement de 1956, tant en ce qui concerne la population que l'agriculture, a été de fournir sur les petites régions [...] des renseignements que les estimations intercensales ne peuvent donner20. »
À la fin des années 1930, Cudmore avait prôné dans les mêmes termes un recensement national pour 1936, en vue d'actualiser certains chiffres, notamment en matière de chômage. « Le changement économique, avait-il avancé, se réalise au moins deux fois plus rapidement qu'il y a à peine une génération21. » Fourbissant ses armes pour faire approuver le recensement de 1956 par le cabinet, le Bureau ajouta à ces arguments des assurances concernant les coûts. Par le passé, le caractère onéreux de l'opération avait fait obstacle à l'accroissement de la fréquence des recensements nationaux. Or, «[...] des méthodes inédites et du matériel nouveau avaient réduit ce coût. Le perfectionnement des méthodes économiques utilisées lors du recensement de 1951 et l'emploi de nouvelles méthodes permettront au Bureau de réaliser un recensement de la population et de l'agriculture à l'échelle du Canada moyennant un coût à peine supérieur à celui du recensement mené dans les Prairies22. »
Le recensement fut qualifié de dénombrement « simplifié », car il ne comporta que cinq questions fondamentales sur la population et environ 70 sur l'agriculture. On estimait que le contenu allégé du questionnaire agricole définirait, dans une large mesure, la structure des recensements ultérieurs et en diminuerait le coût 23 . Les économies ainsi réalisées permettraient de mener des enquêtes par sondage au cours des années intercensitaires. L'idée du recensement quinquennal se buta toutefois à une certaine opposition. Dans l'administration fédérale, des utilisateurs de statistiques croyaient même que l'abandon du recensement quinquennal des provinces des Prairies n'allait pas nuire à l'intérêt public. Mitchell Sharp, sous-ministre délégué au Commerce, reconnut être de cet avis dans une lettre adressée à R.B. Bryce, devenu greffier du Conseil privé, et accompagnée d'une liste des arguments du Bureau. Il ajouta toutefois : « [...] après avoir quelque peu approfondi la question, j'estime que l'exactitude de nos estimations agricoles dans les Prairies est largement tributaire des chiffres sur la superficie et le bétail recueillis au moyen du recensement quinquennal. C'est pourquoi, à mon avis, les arguments en faveur de la conversion du recensement quinquennal en un dénombrement national de la population et en une enquête sur l'agriculture à l'échelle du pays sont extrêmement convaincants24. »
Bryce répondit presque immédiatement à Marshall : « Dans l'ensemble, je trouve que c'est une bonne idée d'élargir et de simplifier le recensement quinquennal25. » Mais K.W. Taylor, sous-ministre des Finances, qui avait reçu les mêmes documents, fut
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE nettement plus sceptique. Évoquant des consultations avec ses principaux collaborateurs, il signala à Sharp : « Je constate que nous avons des vues plutôt partagées. La plupart d'entre nous penchent pour l'abandon pur et simple du recensement quinquennal. Pour ma part, j'hésite toujours, notamment en raison du manque de données sur les coûts. » Rappelant les approximations déjà citées, Taylor estima qu'il devait y avoir des arguments solides pour justifier une dépense de 4 millions à 5 millions de dollars. Il fit aussi remarquer : « Les statisticiens professionnels semblent divisés quant à la valeur réelle d'un repère quinquennal. À mes yeux de profane, le recensement semble très utile pour établir un échantillonnage efficace. Je crois cependant que certains experts ne partagent pas cet avis. Je n'attache pas beaucoup d'importance aux arguments fondés sur l'analyse du marché ou les subventions provinciales26. » Le Bureau vit néanmoins son projet de recensement national pour 1956 approuvé par le Conseil des ministres le 26 octobre 1955 (C.P. 1955-1609). Au terme de discussions sur son fondement juridique, il fut conclu que les dispositions relatives aux « statistiques générales » de l'article 32 de la Loi sur la statistique autorisaient l'élargissement de l'article 17 — portant sur le recensement quinquennal des provinces des Prairies — à l'ensemble du Canada. La planification avait débuté vers la fin de 1953, dans un cadre assimilé à la structure fondée sur le comité de direction retenue pour le recensement de 1951. On fit un essai en mars 1954 afin d'évaluer si la technique électrographique pouvait s'appliquer au recensement de l'agriculture, et s'il était possible de supprimer le codage manuel des ménages et familles qui, en 1951, avait nécessité l'inscription d'un ou de plusieurs codes dans 14 millions de documents. Dans un cas comme dans l'autre, les résultats furent positifs. Le contenu simplifié du recensement de 1956 facilita grandement la collecte, le traitement et la publication des données. Comme en 1951, les bureaux régionaux veillèrent au dénombrement et au premier contrôle d'acceptabilité des questionnaires; le traitement machine, moins exigeant cette fois, fut cependant exécuté au bureau central. En outre, la planification des tableaux s'avéra beaucoup plus facile qu'au moment du recensement décennal, puisque l'on en publia seulement 1 500 pages environ, comparativement à 8 000 en 1951. Par exemple, les caractéristiques démographiques purent être mises en tableaux directement à partir des cartes perforées sommaires. Les résultats définitifs furent publiés en plusieurs séries de rapports imprimés en offset et préparés de manière à permettre de réunir les tableaux dans une reliure à feuillets mobiles ou sous la forme d'un volume. L'enquête sur la population active — en l'occurrence, les données de mai 1956 — servit encore une fois au contrôle qualitatif du recensement de la population. Pour la première fois, on vérifia la qualité du recensement de l'agriculture. On dénombra de nouveau les exploitations agricoles à l'occasion d'une enquête par sondage aréolaire menée en juillet et août 1956. Par ailleurs, le recensement de 1956 fut le premier à faire de la publicité à la télévision. Les quelque 4 500 municipalités purent contester les chiffres provisoires de la population, de sorte qu'il fut possible de les réviser avant la
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INNOVATIONS EN MATIÈRE DE PROGRAMMES publication. Seules 135 municipalités, soit 3 % du total, se prévalurent de la disposition. Après enquête, le total provisoire fut modifié dans le cas de 52 municipalités : les chiffres furent haussés de 22 837 pour 47 d'entre elles, et baissés de 5 256 pour les cinq autres.
COLLABORATION À DEUX COMMISSIONS ROYALES D'ENQUÊTE La réussite apparente de la gestion macroéconomique et de l'ingénierie sociale pratiquées par la nouvelle génération de technocrates à Ottawa pendant et après la guerre ne porta pas le coup fatal appréhendé à l'industrie des commissions royales d'enquête. Dès la fin de la guerre, une commission royale sur le charbon était à pied d'oeuvre et, trois ans plus tard, l'industrie du transport — un secteur de prédilection pour ce genre d'analyse — était de nouveau scrutée à la loupe. Plusieurs autres commissions, dont certaines à vocation non économique, furent instituées à l'époque de Marshall. Le point culminant fut la création, en juin 1955, de la Commission royale d'enquête sur les perspectives économiques du Canada, peut-être la plus ambitieuse de toute l'histoire canadienne. Avant d'en examiner l'incidence sur le Bureau, penchons-nous d'abord sur les travaux de la commission Curtis. Le 10 février 1948, la Chambre des communes adopta une résolution instituant un comité spécial d'enquête sur les causes de la récente augmentation du coût de la vie. Les prix à la consommation avaient été remarquablement stables pendant la guerre, grâce en partie à l'imposition de prix plafonds vers la fin de 1941. Au cours des six années du conflit, l'indice du coût de la vie établi par le Bureau avait augmenté de moins de 20 %, plus de la moitié de la hausse étant survenue pendant les deux premières années. Par contre, l'indice avait bondi de plus de 9 % de 1946 à 1947, puis de 14 % l'année suivante. Vers le milieu de 1948, le comité parlementaire s'en remit à une commission royale d'enquête présidée par C.A. Curtis, professeur à l'Université Queen's, dont les membres furent chargés « [...] de poursuivre, après s'être familiarisés avec le travail commencé par le Comité spécial [...], l'enquête sur le régime des prix, sur les facteurs causant l'augmentation des prix et des frais, et sur les marges de bénéfices au Canada, au point de vue, en particulier, des denrées et services essentiels d'usage général et quotidien27 ».
Le Bureau fournit une bonne partie de l'appui statistique aux conclusions de la commission. Cependant, parce qu'il avait conforté son rôle dans l'administration fédérale, il ne se servit pas des travaux de la commission pour rehausser son image de marque, comme il l'avait fait dans des situations semblables au cours des années 1930. Déposé le 8 avril 1949, le rapport de la commission énonça des conclusions complexes et variées, et fit le constat suivant : « Dans le fond, la hausse des prix au Canada est la conséquence de la guerre, de l'augmentation des prix de l'extérieur, des grosses exportations financées jusqu'à un certain point par le gouvernement canadien et de la surabondance de nos placements. »
Au sujet des plafonds sélectifs des prix réimposés en 1947 et en 1948, la commission était de l'avis suivant :
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE « [...] on ne doit pas compter sur la réglementation générale des prix comme un important moyen de stabiliser les prix en temps de paix [car cela] ne peut pas tenir lieu de mesures destinées à équilibrer l'ensemble de l'offre et de la demande28. »
La commission formula plusieurs recommandations sur les statistiques des prix. À l'époque, l'indice du coût de la vie était fondé sur les résultats d'une enquête budgétaire menée auprès des familles des salariés urbains en 1938. Faut-il s'étonner que l'on ait senti le besoin « [...] d'élaborer un programme continu de petits relevés d'épreuve, tels que ceux qui sont effectués actuellement à de longs intervalles. Ainsi quand les éléments du budget de base varient en importance, ou lorsqu'il est nécessaire d'en inclure de nouveaux, des rectifications pourraient être faites, afin de présenter un nombre-indice plus précis29 ».
La commission exprima son insatisfaction quant à la méthodologie utilisée pour mesurer les variations des coûts du logement et à l'impossibilité de calculer les changements explicites des prix des vêtements d'enfants. S'agissant d'autres secteurs statistiques, elle fit sienne la recommandation du comité parlementaire voulant que le Bureau « publie périodiquement une analyse indiquant la façon dont le dollar du consommateur est réparti parmi les divers éléments de production et de distribution qui entrent dans le prix des denrées essentielles30 ». De plus, elle convia le Bureau à « étendre et préciser » les statistiques du crédit à la consommation, à publier des données trimestrielles sur les bénéfices des entreprises et à mener une étude statistique de la productivité, qu'elle considérait comme un facteur important des variations des prix. Le Bureau, semble-t-il, ne prit pas acte des recommandations, non plus qu'il en assura un suivi. Il s'employait d'ailleurs à réviser l'indice du coût de la vie au moment où fut constitué le comité spécial des Communes, et il réalisa une nouvelle enquête sur les dépenses des familles en 1948-1949. Le contenu et les pondérations d'un nouvel indice furent publiés en 195231; l'année 1949 constitua la période de référence et l'indice fut relié au précédent pour permettre de mesurer les variations des prix de détail. Cette solution répondait à deux recommandations de la commission royale : elle fournissait d'abord une estimation directe et distincte de l'évolution du prix des logements32, puis incluait les vêtements d'enfants dans les éléments dont le prix faisait l'objet d'un relevé périodique. Enfin, le changement de nom — l'indice du coût de la vie devint l'indice des prix à la consommation — visait à rappeler aux utilisateurs que l'indice mesurait non pas tous les changements survenus dans les coûts de la vie, mais plutôt ceux qui résultaient des variations du coût d'achat d'une « corbeille de biens » par rapport à une période de référence33. Le Bureau commença à publier en 1954 des statistiques sur les bénéfices trimestriels des entreprises industrielles et en 1957 des statistiques sur le crédit à la consommation. En 1949, un comité interministériel de l'analyse de la productivité se pencha sur les difficultés d'ordre conceptuel et les problèmes d'estimation en cause, mais c'est seulement vers la fin des années 1950 que le Bureau entreprit vraiment de mesurer la productivité de chaque secteur d'activité et de l'économie dans son ensemble. Le Bureau ne donna toutefois pas suite à la recommandation de la commission Curtis d'effectuer la répartition périodique des dépenses de consommation entre les processus successifs de
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INNOVATIONS EN MATIÈRE DE PROGRAMMES la production et de la distribution; il mit en doute la faisabilité technique de ces calculs, de même que leur crédibilité auprès des groupes d'utilisateurs. Le 17 juin 1955, une commission royale fut nommée pour examiner les perspectives à long terme de l'économie canadienne. Quelques semaines plus tôt, dans son exposé budgétaire34, le ministre des Finances, l'honorable Walter Harris, avait reconnu que l'économie était en perte de vitesse à l'automne 1953, tout en se disant convaincu qu'elle pouvait remonter la pente. Or, il jugeait opportun de consacrer un peu de temps, de réflexion et de fonds à une étude approfondie de l'euphorie généralisée résultant des perspectives fort prometteuses du Canada. Walter L. Gordon, nommé à la présidence de la Commission royale d'enquête sur les perspectives économiques du Canada, en fut le vrai père. Depuis longtemps mal à l'aise avec ce qu'il considérait comme les politiques économiques « continentalistes » du gouvernement Saint-Laurent, il rappela par la suite, dans ses mémoires, ses inquiétudes suscitées par la complaisance avec laquelle les Canadiens assistaient à la vente systématique de leurs ressources et entreprises aux Américains et aux autres étrangers dynamiques35. Invité à se joindre au Conseil des ministres en 1954, Gordon avait refusé, parce qu'on ne lui avait pas offert de portefeuille. Gordon pensa plutôt qu'un article remettant en question divers aspects des politiques publiques et proposant la création d'une commission royale pour étudier les enjeux saurait pousser le gouvernement à l'action. Il en remit un projet à K.W. Taylor, sousministre des Finances, et lui demanda si le ministère s'en trouverait gêné. Taylor lui répondit qu'il appuyait l'idée d'une commission royale d'enquête, et que le ministre Harris allait bientôt se mettre en contact avec lui. Dans ses mémoires, Gordon écrivit : « Harris m'a demandé si j'accepterais que le gouvernement prenne mon idée à son compte. Il me dit qu'il entendait proposer la création d'une commission royale dans son prochain exposé budgétaire, mais que je devrais alors abandonner mon intention de publier un article36. »
Gordon s'empressa d'accepter, et Harris l'informa ultérieurement que le premier ministre lui demandait de présider la commission. Il s'agissait d'un geste audacieux qui illustrait l'influence grandissante de Harris au Conseil des ministres aux dépens de C.D. Howe, qui s'opposa dès le début à la tenue de l'enquête. La commission fut investie du mandat suivant : « Faire enquête et rapport sur les perspectives à long terme de l'économie canadienne, c'està-dire sur l'essor économique probable du Canada et sur les problèmes qu'il semble devoir poser et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, [...] faire enquête et rapport sur a) b) c) d) e)
la situation future des approvisionnements de matières premières et d'énergie; l'accroissement de la population du Canada et les changements devant intervenir dans sa répartition; les perspectives de progression et de changement du marché intérieur et extérieur des productions canadiennes; les tendances de la productivité et du niveau de vie; et les besoins de capital industriel et social37. »
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE De par son envergure, le mandat se compare à celui de la commission Rowell-Sirois, instituée 18 ans plus tôt. Avant de publier son rapport final en novembre 1957, la commission tint 50 jours d'audiences à la grandeur du pays et entendit 750 témoins venus exposer 260 des 330 mémoires déposés. Le personnel de recherche de la commission publia lui-même 33 études complémentaires. Bon nombre des mémoires citèrent les données du Bureau, dont l'exhaustivité et la fiabilité étaient de loin supérieures à ce qu'elles avaient été à l'époque de la commission Rowell-Sirois. Le Bureau s'occupa non seulement de transmettre des séries standard au personnel de recherche, mais aussi de collaborer avec lui à l'élaboration de nouvelles analyses et totalisations. Par exemple, un ensemble de comptes des opérations financières fut constitué pour les années 1946 à 195438. Les travaux consistaient à relier à la production de biens et services les variations du stock de créances financières pour les secteurs de l'économie. Ils servirent de base conceptuelle à l'élaboration, puis à la publication des comptes des flux financiers, ce qui formait un autre jalon du développement du Système de comptabilité nationale39. En exprimant sa gratitude au Bureau pour sa collaboration et, en particulier, à Herbert Marshall et à Simon Goldberg, la commission témoignait de la facilité avec laquelle les professionnels du Bureau avaient su, après la guerre, travailler de concert avec l'élite de l'establishment économique des milieux publics et universitaires. Cette opinion favorable fut d'une grande utilité quelques années plus tard lorsque, pour la première fois, le rôle du Bureau dans l'administration fédérale et ses rapports avec les utilisateurs en général furent passés au peigne fin par la commission Glassco. PUBLICATIONS ET DIFFUSION Dans son rapport annuel pour l'exercice terminé le 31 mars 1950, le statisticien fédéral fit remarquer que depuis trois ou quatre ans, le Bureau avait consacré une large part de son programme à la rationalisation des opérations. La demande de statistiques formulée par la population, les ministères et organismes publics et les organisations internationales avait augmenté au point où il avait fallu déployer des efforts pour accroître l'efficacité des opérations, tout en maintenant au strict minimum les frais généraux et les dépenses afférentes au personnel40. Une partie de cette « rationalisation » fut conçue et mise en oeuvre par les divisions spécialisées. Parmi les mesures énoncées, mentionnons l'adoption, par le recensement industriel, de formulaires abrégés à l'intention des quelque 10 000 petites entreprises qui comptaient pour seulement 5 % de la valeur brute de la production déclarée dans le recensement41. Pourtant, la Division de l'administration de J.T. Marshall avait le mandat le plus lourd. Elle devait étudier et appliquer les plus récents principes afférents aux structures et méthodes aux fins d'utiliser les machines les plus efficaces, d'améliorer le circuit des opérations et d'éliminer les tâches superflues42. La création, le 1er septembre 1948, du Conseil consultatif des publications fut peut-être la mesure la plus durable et la plus importante. Son rôle consista à examiner en permanence le programme des publications du Bureau pour en supprimer les titres inutiles; veiller à ce que chaque publication maintenue ou proposée pût répondre à un besoin réel; améliorer la
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INNOVATIONS EN MATIÈRE DE PROGRAMMES présentation et la structure des tableaux et des textes; et promouvoir des normes de rédaction et de production uniformes à l'échelle du Bureau. Le conseil avait du pain sur la planche. Entre les deux guerres, les publications du Bureau s'étaient développées non dans le cadre d'un programme bien organisé, mais à la suite des initiatives des divisions. La censure et le manque de ressources résultant de la guerre avaient entraîné une forte diminution des publications, mais l'activité reprit après 1945. Ainsi, le rapport annuel du statisticien fédéral pour l'exercice terminé le 31 mars 1948 signala que la Section de l'édition avait réalisé 28 900 000 impressions43, ce qui représentait un bond de 64 % par rapport à l'exercice précédent. La plus grande partie de cette hausse aurait été attribuable aux publications plutôt qu'aux questionnaires et formulaires. D'ailleurs, 2 470 publications furent produites au cours de cet exercice, y compris les numéros distincts des publications paraissant plus d'une fois l'an. On fit appel à au moins trois techniques pour ce travail : les machines à polycopier, les multigraphes et les presses rotatives (des presses typographiques, pour l'essentiel). En ce qui concerne les techniques d'impression, une certaine rationalisation avait déjà eu lieu au moment de la création du conseil consultatif. En effet, l'impression typographique cédait le pas au processus en offset, moins onéreux, qui avait recours à des machines VariTyper pour la composition. Le rapport annuel de 1949-1950 fit état d'une économie de 55 000 $ réalisée grâce à l'impression en offset des quatre volumes du recensement des Prairies de 1946 et annonça que le Bureau allait pouvoir économiser 200 000 $ en recourant à ce procédé pour imprimer les volumes du recensement décennal de 1951. Le Bureau songeait depuis longtemps à réaliser des économies encore plus importantes en cédant la Section de l'édition au département des Impressions et de la Papeterie publiques. Aux termes de l'entente intervenue en 1949-1950, la section continuait d'occuper les locaux du Bureau et accordait la priorité à celui-ci dans sa charge de travail. Les réalisations du conseil consultatif furent traitées en détail dans les rapports annuels ultérieurs. L'une des premières tâches consista à publier une série de règles à suivre pour la préparation des rapports, à l'intention des agents du Bureau fédéral de la statistique. Le guide incorporait une directive que Herbert Marshall avait émise vers la fin de 1946 et qui interdisait la mention des titres universitaires des auteurs et collaborateurs cités dans les publications du Bureau. Cette interdiction incita un plaisantin anonyme à pondre les vers suivants : « La démocratie se pointe en gros sabots / Adieu aux diplômes et aux titres trop beaux / Bienvenue à l'influence américaine / Fidélité et tradition seront bien vaines / Les symboles du savoir sont interdits / L'honneur de diriger — hélas! — suffit44. »
Le rapport annuel de 1948-1949 fit le point sur l'examen des publications existantes45. Sur un total d'environ 450, on en supprima 83, mais il faut dire qu'il s'agissait des publications les plus faciles à éliminer, ce qui explique que les progrès ne furent pas aussi remarquables par la suite. En revanche, de grandes économies furent réalisées par l'abandon de la réimpression typographique — aux fins de l'archivage — des publications périodiques imprimées en offset. Les rapports en offset furent désormais imprimés une seule fois, par VariTyper, pour être reliés ensuite en volumes annuels; on évita ainsi le dédoublement des coûts de révision, de correction d'épreuves 225
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE et d'impression. Le rapport annuel de 1951-1952 traitait de l'impact cumulatif des travaux du conseil; 56 bulletins avaient été supprimés et 120 étaient passés aux catégories documents de référence ou mémoires 46 . Ces suppressions et transferts, conjugués à la réduction de la taille des publications et à l'élimination des abonnements à titre gracieux, avaient permis de réduire le volume de plus de 5 millions de pages par année. S'il est vrai que le Bureau avait confié ses activités d'impression au département des Impressions et de la Papeterie publiques au début des années 1950, il demeurait néanmoins convaincu qu'il était mieux à même de diffuser ses publications. Il incombait au département de diffuser exclusivement les publications des autres ministères, mais à part quelques publications — comme Y Annuaire du Canada et le guide Canada —, la grande majorité des bulletins du Bureau étaient diffusés directement par la Sous-section de la diffusion des publications. Depuis la création du Bureau, Coats avait soutenu que la publication était sa raison d'être et que la Loi sur la statistique lui garantissait le droit de publier sans égard aux contraintes externes. Il jugeait que le Bureau comprenait sa clientèle et pouvait mieux répondre à ses besoins qu'un service d'édition à vocation générale. Dans les années 1930, on avait tenté en au moins deux occasions — vraisemblablement par souci d'efficacité — de ramener le Bureau au même rang que les ministères, mais Coats s'y était opposé avec succès47. Puis, en 1956, la question refit surface lorsque John Deutsch, secrétaire du Conseil du Trésor, s'adressa à Herbert Marshall pour lui rappeler que le Conseil des ministres avait autorisé, deux années plus tôt, la création d'un comité mixte du Conseil du Trésor et du département des Impressions et de la Papeterie publiques chargé d'examiner avec les ministères « a) la réduction éventuelle de leurs listes d'envoi et b) l'opportunité de transférer ces listes et l'impression à l'Imprimeur de la Reine, qui s'occuperait de l'envoi de ces publications dès que les installations prévues seraient prêtes dans le nouvel immeuble48 ».
Pour le Bureau, cette démarche donna lieu à la recommandation qu'il « [...] continue de s'occuper de la diffusion automatique, c'est-à-dire la distribution des publications aux abonnés, au nom de l'Imprimeur de la Reine. Toutes les autres ventes devront passer par l'Imprimerie nationale49 ».
Cette recommandation incita Marshall à reprendre les arguments des années 1930 : « Le Bureau subit constamment la pression des utilisateurs qui réclament la diffusion la plus rapide possible des données. [...] Il est à mon avis incontestable que le Bureau, bien au fait de la situation, est plus intéressé à répondre à ces attentes que ne le serait tout organisme appelé à servir de nombreux ministères ayant des impératifs divergents. le tiens cette affirmation pour vraie même si l'autre organisme fait un travail des plus consciencieux50. »
Le Bureau l'emporta encore une fois, mais dans un climat caractérisé par une collaboration exceptionnelle, à en juger par les félicitations réciproques échangées par la suite. Voici les points clés de l'accord liant l'Imprimeur de la Reine et le statisticien fédéral :
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INNOVATIONS EN MATIÈRE DE PROGRAMMES « 1 Le Bureau fédéral de la statistique continue de diffuser automatiquement ses publications proposées au grand public par abonnement. 2 Les abonnements aux publications et les exemplaires destinés à la vente au comptoir sont mis à la disposition du Bureau fédéral de la statistique, ean sa qualité de mandataire du département des Impressions et de la Papeterie publiques. 3 Les exemplaires excédentaires des publications mentionnées en 1 et 2 ci-dessus sont remis au département des Impressions et de la Papeterie publiques afian dasae répondre à la demande du public, ou encore entreposés pour vente ultérieure51. »
L'accord allait définir les modalités financières pour les 25 années suivantes. Le Bureau prenait à sa charge les frais d'impression, mais pouvait recouvrer la moitié du prix de vente auprès du département des Impressions et de la Papeterie publiques; le produit de la vente de ses publications devait être versé dans le Trésor, appelé à l'époque le Fonds du revenu consolidé.
COLLABORATION INTERNATIONALE En 1945, l'Organisation des Nations Unies succéda à la Société des Nations, et en parallèle il fut créé ou réinstitué un certain nombre d'organismes fonctionnels relativement autonomes. Une commission statistique des Nations Unies fut établie en juin 1946 dans le but de mener à bien les travaux statistiques amorcés par la SON avant la guerre. Relevant du Conseil économique et social, elle avait le mandat suivant : « a) b) c) d)
Favoriser l'essor de la statistique nationale et en améliorer la comparabilité; Coordonner les travaux statistiques des organismes spécialisés; Mettre sur pied les services statistiques centraux du Secrétariat; Conseiller les organes des Nations Unies sur les questions générales touchant la collecte, l'interprétation et la diffusion des renseignements statistiques; e) Promouvoir l'amélioration des statistiques et des méthodes statistiques dans leur ensemble52. »
Le Canada, représenté par Herbert Marshall, assista aux neuf premières séances, mais fut absent de la cinquième, en 1950, puisqu'il n'en était pas membre53. Le prestige international de Marshall fut confirmé par son élection à la présidence au cours des trois premières séances. D'emblée, le Canada prit une part active aux travaux de la commission concernant le revenu national. L'un des premiers projets, auquel collaborèrent C.M. Isbister et Agatha Chapman, consistait à examiner et compléter, à la lumière des progrès accomplis pendant la guerre, l'estimation du revenu national et la construction de comptes sociaux amorcées dans les années 1930 par le comité d'experts statistiques de la SON54. Encore une fois, N.L. McKellar, à l'instar de son homologue américain V.S. Kolesnikoff, s'imposa rapidement comme une sommité internationale en classification statistique. Du fait que le Bureau avait su appliquer avec succès des méthodes d'échantillonnage modernes, il prêta son concours à la sous-commission de l'échantillonnage statistique, mise sur pied en mai 1946 afin d'évaluer dans quelle mesure les méthodes d'échantillonnage pouvaient répondre à l'accroissement des besoins en statistique.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Si la commission statistique avait pour mandat d'améliorer les statistiques et de les rendre comparables à l'échelle mondiale, les problèmes auxquels elle fut confrontée — et, d'ailleurs, les éléments de solution — étaient différents d'une région à une autre. La définition de normes mondiales devait prévoir l'adaptation régionale et permettre l'étude de problèmes propres aux régions. C'est pourquoi le Conseil économique et social s'ingénia à favoriser la consultation parmi les représentants des organismes statistiques nationaux dans les régions du monde. La Commission économique pour l'Europe (CEE) rassembla les statisticiens européens en 1949, en 1951 et en 1953, et les participants convinrent de se réunir par la suite au sein d'un nouvel organisme, la Conférence des statisticiens européens. Même si le Canada ne fut pas, à l'époque, membre de la CEE (il s'y joignit seulement en 1973), le Bureau participa à titre officieux aux travaux de la Conférence dès le milieu des années 1960. La Commission de la population relevait aussi du Conseil économique et social. Sa vocation était essentiellement statistique et consistait à mener des études et à fournir des conseils en matière d'évolution démographique, de mouvements migratoires et de rapports entre les conditions économiques et sociales et les tendances démographiques. Le Canada en fit partie de 1947 à 1950, puis de 1954 à 1957; J.T. Marshall y fut délégué pendant les deux mandats et assuma même la présidence de la huitième séance en 1954. La Commission se pencha sur plusieurs dossiers prioritaires, dont l'amélioration des statistiques sur la migration et l'établissement de principes directeurs pour la série de recensements de la population de 1950 en vue d'accroître la comparabilité des résultats nationaux. Avant la guerre, l'Organisation internationale du travail (OIT) et l'Institut international d'agriculture avaient été les deux principaux collaborateurs intergouvernementaux de la SDN en matière de statistique à l'échelle internationale. L'OIT, réfugiée à Montréal pendant la durée des hostilités, rentra à Genève et reprit aussitôt les activités statistiques interrompues par la guerre. En août 1947, elle tint la sixième Conférence internationale des statisticiens du travail — la première depuis la guerre — et en organisa d'autres en 1949, en 1954 et en 1957. La conférence adopta une résolution sur la statistique du coût de la vie qui remplaça celle de la deuxième conférence de 1925, puis amorça des travaux sur la statistique de la population active, de l'emploi et du chômage qui furent élargis et approfondis par une résolution adoptée lors de la huitième conférence en 1954. La réalisation marquante de ces conférences, à laquelle l'apport de McKellar fut déterminant, fut l'adoption en 1957, par la neuvième conférence, de la Classification internationale type des professions, divisée en grands groupes, en sous-groupes et en groupes de base. Pendant la première décennie de l'après-guerre, des dirigeants du Bureau siégèrent par deux fois au prestigieux comité d'experts statistiques de l'orr55, convoqué périodiquement pour aider celle-ci à définir les critères de l'importance industrielle des États membres et leur droit de faire partie de l'organe directeur. L'Institut international d'agriculture, jugé incapable de rétablir la production alimentaire mondiale et les circuits de distribution des aliments après la guerre, fut remplacé en octobre 1945 par l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (PAO). Les objectifs à long terme de la FAO englobaient non seulement les fonctions de l'Institut concernant les marchés, mais aussi l'étude des problèmes nutritionnels et de leur
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INNOVATIONS EN MATIÈRE DE PROGRAMMES incidence sur la santé menée par la SON dans les années 1930. La Division de l'agriculture du Bureau participa d'emblée aux travaux statistiques de la PAO. Son directeur, J.B. Rutherford, assista à cinq réunions en 1946 et fut embauché par la PAO dès l'année suivante. Par ailleurs, le directeur de la Division du recensement joua un rôle de premier plan dans la planification d'un des premiers projets statistiques, à savoir le recensement mondial de l'agriculture de 1950. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) fut créée en juillet 1946 pour promouvoir, chez tous les peuples du monde, le meilleur niveau de santé possible. Les origines de cet organisme spécialisé remontaient aux fonctions accomplies par la SDN avant la guaerre. En effet, le Bureau collaborait avec la Section de la santé de la SDN depuis le début des années 1920, et cette association lui avait été particulièrement utile dans l'élaboration de son programme de statistiques sur la santé publique. Avant 1939, le Bureau avait participé à deux révisions décennales de la nomenclature internationale des maladies et causes de décès56. Pendant plus de 40 ans, ces révisions avaient été effectuées sous les auspices du gouvernement français. Après la guerre, cependant, c'est TOMS qui s'en chargea. Le Bureau participa dès le début aux préparatifs de la sixième révision décennale de la nomenclature, adoptée à Paris en 1948, et fut même l'hôte d'une conférence préparatoire à Ottawa en février 1947. L'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) prit la relève d'une autre fonction d'avant-guerre de la SDN. Constituée en novembre 1945 avec le mandat de favoriser la paix en faisant la promotion de la collaboration dans les domaines de l'éducation, de la science et de la culture, 1'UNESCO succéda à l'Institut international de coopération intellectuelle, établi par la SDN en 1925. John E. Robbins, chef de la Division de l'éducation du Bureau, avait collaboré avec l'Institut dans les années 1930, ce qui lui valut sans doute d'être nommé délégué canadien à la conférence de fondation de 1'UNESCO, qui eut lieu à Londres en novembre 1945. Plus tard, il fit partie d'un groupe d'experts chargé de conseiller l'organisme en matière de collecte de données internationales sur l'éducation et siégea, à titre de délégué, à la deuxième conférence annuelle générale de I'UNESCO à Mexico, puis à une troisième conférence à Beyrouth. Parmi les nombreux autres organismes spécialisés des Nations Unies, il convient de mentionner le Fonds monétaire international (FMI), créé lors de la Conférence monétaire et financière de Bretton Woods en juillet 1944 afin de stabiliser les taux de change internationaux, et dont les activités s'amorcèrent en 1947. C.D. Blyth, alors chef de la Division des paiements internationaux, travailla en étroite collaboration avec les fonctionnaires du FMI à l'établissement de principes uniformes pour la construction des comptes internationaux. L'Institut international de statistique (us) avait pratiquement cessé ses activités dès le début des hostilités en 1939. Sa première réunion de l'après-guerre eut lieu à Washington en septembre 1947, en marge du congrès statistique mondial parrainé par les Nations Unies et des réunions d'autres organismes apparentés, dont la nouvelle Association internationale de recherches sur le revenu et la fortune57. La réactivation de l'us fut largement l'oeuvre de Stuart A. Rice58, à qui l'on doit également la révision de sa constitution — inchangée depuis 1887 — en fonction du rôle des Nations Unies comme
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE lieu de convergence de la coopération statistique internationale. De la nouvelle constitution furent exclues certaines dispositions de la constitution de 1887, à savoir celles qui visaient à attirer l'attention des gouvernements sur les problèmes susceptibles d'être réglés par l'observation statistique et à stimuler l'intérêt des gouvernements pour l'étude des phénomènes sociaux59. L'us y fut défini comme une société autonome vouée à la mise au point et à l'amélioration des méthodes statistiques et à leur application dans le monde entier60. Les effectifs de l'us augmentèrent régulièrement à cette époque, passant de 171 à 307 au cours des dix premières années de l'après-guerre. Au terme de la séance de 1947 à Washington, on recommença à tenir des réunions biennales. À compter de la 28e séance, tenue à Rome en 1953 et à laquelle le Canada fut officiellement représenté par Herbert Marshall et J.W. Hopkins du Conseil national de recherches, le Bureau ne manqua jamais de déléguer au moins un représentant. Au moment de la retraite de Herbert Marshall, O.A. Lemieux, J.T. Marshall, Nathan Keyfitz et Simon Goldberg avaient été élus membres de l'us, et Herbert Marshall lui-même en fut le vice-président de 1953 à I96061. À l'occasion de la séance de 1955 à Rio de Janeiro, le statisticien fédéral lança l'idée d'accueillir la séance de 1959 au Canada. Une fois rentré au pays, il amorça le long processus d'autorisation. Les pays non européens trouvaient qu'il en coûtait cher pour tenir ces réunions, puisque le pays hôte avait coutume de subventionner le coût du transport aérien. Fort de l'appui du comité consultatif sur la politique scientifique du Conseil national de recherches du Canada et du soutien du ministre Gordon Churchill, Herbert Marshall soumit une présentation au Conseil des ministres juste avant de s'envoler pour la 30e séance à Stockholm, en juillet 1957. Souhaitant annoncer la bonne nouvelle pendant son séjour là-bas, il télégraphia pour savoir si le Conseil des ministres avait donné son aval. Malheureusement, ce n'était pas le cas, si bien que le Japon en profita pour accueillir la 32e séance, reportée d'un an jusqu'en 1960. Le Canada sauva son honneur lorsque la 34e séance eut lieu à Ottawa en 1963. Puisque la guerre de 1939 avait coupé les ponts avec l'Europe, il s'avéra nécessaire de renforcer les rapports politico-économiques entre les États-Unis et le reste de l'hémisphère, et de resserrer les liens de la collaboration statistique. Stuart Rice, président du comité des préparatifs en vue de la réunion de l'us de 1939 à Washington, avait pensé donner un cachet interaméricain à la rencontre. Lorsque l'événement fut annulé, Rice persuada le département d'État américain d'incorporer son programme à celui du huitième Congrès scientifique américain, tenu en mai 1940. Au même moment, une nouvelle organisation permanente de collaboration statistique, l'Institut interaméricain de statistique, voyait le jour, et le groupe de Rice agit à titre de comité organisateur provisoire. Lorsque les relations politiques entre les Amériques furent officialisées par la création de l'Organisation des États américains (OEA) en 1948, l'Institut devint l'organe statistique du système interaméricain. L'Institut pouvait accueillir à la fois des particuliers et des institutions, qui étaient surtout des membres de I'OEA, principale source de financement. Comme le Canada ne s'est joint à I'OEA que dernièrement, il fut autorisé à verser directement une subvention à l'Institut.
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INNOVATIONS EN MATIÈRE DE PROGRAMMES La première grande réalisation de l'Institut fut le recensement des Amériques de 1950, planifié et supervisé par un comité international directement responsable de la tenue des divers recensements nationaux. Le précieux apport d'O.A. Lemieux et de Nathan Keyfitz à ces travaux valut au Canada la réputation de partager généreusement ses connaissances spécialisées sans exiger de tribut politique. Dans la foulée du recensement des Amériques, on constitua dès 1950 un comité pour l'amélioration des statistiques nationales, dans le but d'appliquer des méthodes semblables à l'ensemble des travaux statistiques. Le comité se réunit pour la première fois à Washington en 1951, puis de nouveau l'année suivante, au Canada, dans le cadre de l'Inter-American Statistical Conférence62. Une troisième réunion eut lieu au Brésil en 1955. Par la suite, les conférences se tinrent environ tous les deux ans, le comité mettant l'accent sur les questions intergouvernementales. De son côté, l'Institut interaméricain, à l'instar de l'us, se pencha sur des questions d'ordre professionnel. En fait, le comité assuma pour ainsi dire la tâche de développer et de coordonner les statistiques régionales, qui, ailleurs dans le monde, finit par incomber aux commissions régionales des Nations Unies. Le Bureau fut d'emblée un collaborateur actif et enthousiaste de l'Institut interaméricain. Il fut sans aucun doute encouragé par le ministère du Commerce, qui étendait à l'époque ses relations commerciales avec l'Amérique latine63. Robert Coats fut le premier trésorier de l'Institut, et Herbert Marshall en assura la présidence pendant plusieurs années. La première conférence des statisticiens du Commonwealth de l'après-guerre se déroula à Canberra en 1951. Par rapport à la conférence d'Ottawa de 1935 et à la première conférence tenue à Londres en 1920, on constata de nets changements dans sa composition, qui reflétaient l'évolution du Commonwealth lui-même. Ainsi, l'Inde et le Ceylan assistèrent à titre de membres en règle du Commonwealth. Invité, le Pakistan se désista, prétextant que des problèmes internes urgents d'ordre statistique l'empêchaient d'accepter l'invitation64. D'autre part, l'État libre d'Irlande de 1935 avait cessé d'exister, mais son successeur, la République d'Irlande, délégua un observateur. Le Canada fut représenté par Herbert Marshall, Nathan Keyfitz et Frank Leacy. Marshall fut le seul délégué à avoir participé à la conférence de 1935. Sous la présidence de l'Australien S.R. Carver, la conférence se pencha sur une vaste gamme de sujets habituels — agriculture, commerce, classifications, recensements, etc. — et sur de nouveaux thèmes — comptabilité nationale et application des méthodes d'échantillonnage, par exemple. Les classifications des biens et des branches d'activité économique suscitèrent un vif intérêt, en raison sans doute de l'établissement, en 1950, des classifications internationales types des activités économiques et du commerce par les Nations Unies. Les participants à la conférence s'entendirent sur l'opportunité de tenir d'autres conférences, au moins tous les cinq ans. Les conférences suivantes se déroulèrent effectivement à Londres en 1956, à Wellington en 1960, à Ottawa de nouveau en 1966 et à New Delhi en 1970. À mesure qu'elles obtinrent leur indépendance dans les années 1950 et 1960, les anciennes colonies des Antilles, de l'Afrique et de l'Asie du Sud-Est envoyèrent leurs délégués, au lieu d'être représentées collectivement par l'Office des colonies britannique. Les délibérations portèrent ainsi de plus en plus sur l'analyse des difficultés des pays en développement à mettre en place des systèmes statistiques viables. 231
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Dans les années 1950, de grands programmes d'assistance technique furent lancés sous les auspices du programme Truman Point iv aux États-Unis, du Plan de Colombo du Commonwealth et du Programme d'assistance technique des Nations Unies. Pour obtenir une aide appréciable, les pays devaient déjà disposer d'un système statistique viable; le Bureau contribua donc à la mise en place d'infrastructures et de programmes statistiques dans différentes parties du monde, il donna une formation pratique à Ottawa et détacha à l'étranger des spécialistes de divers domaines. Parmi ses nombreux cadres qui acceptèrent des missions d'assistance technique, nul ne fut plus actif que Nathan Keyfitz : il séjourna en Birmanie en 1951 et en Indonésie en 1953 et occupa le poste de directeur du bureau de coopération technique pour les pays visés par le Plan de Colombo en 1956. Deux ans plus tard, il passa trois mois à Calcutta, en Inde, auprès de l'International Statistical Education Centre. En 1958, ces efforts lui valurent la médaille d'or de l'Institut professionnel du Service public du Canada.
DÉPART DE MARSHALL Herbert Marshall eut 65 ans en novembre 1952, mais il était manifestement résolu à ne pas glisser tranquillement dans l'ombre. On prolongea son mandat à plusieurs reprises pour diverses raisons, dont la nécessité de mener à bien le recensement de 1951 et « le besoin continu de ses services en vue de faire avancer le programme d'amélioration des procédés et des techniques au sein de l'organisme 65 ». Il dut finalement prendre sa retraite le 31 décembre 1956. Même pendant les derniers mois de son mandat, il sollicitait d'être nommé après sa retraite conseiller du statisticien fédéral (ou agent de liaison statistique internationale, dans une seconde version de la proposition), de manière à demeurer vice-président de l'Institut international de statistique et président de l'Institut interaméricain de statistique. Malgré un certain appui du ministre C.D. Howe, le Secrétariat du Conseil du Trésor insista sur le fait que « la retraite, c'est la retraite », sans doute au soulagement du successeur de Marshall, Walter Duffett. Lors de la réception d'adieu donnée en son honneur le 7 janvier 1957, Marshall reçut, en témoignage d'estime, un document signé par quelque 1 700 collègues passés et présents, qui s'ouvrait par une citation quelque peu ésotérique de Tennyson : « Toute expérience est une arche à travers laquelle luit ce monde inexploré dont les limites s'évanouissent toujours, toujours, à mesure que j'avance. » L'orateur poursuivit en ces termes : « Ces paroles, monsieur Marshall, décrivent bien l'esprit qui anime votre apport novateur à la statistique canadienne et internationale. Vous laissez derrière vous un Bureau très conscient de vos réalisations et fort reconnaissant de vos qualités personnelles — de noblesse, de justice, de bienveillance — que vos compagnons de travail ne sont pas près d'oublier66. »
C'était un hommage mérité pour ses 35 années de loyaux services. Entre les deux guerres, Marshall avait joué un rôle exceptionnel dans l'expansion du programme du Bureau, notamment dans les domaines des prix et des statistiques de la distribution et du commerce international. En 1936, il avait cosigné une étude originale sur les investissements réciproques au Canada et aux États-Unis67. En 1939, ses travaux dans le domaine du commerce international lui avaient valu la Médaille d'or de l'Institut 232
INNOVATIONS EN MATIÈRE DE PROGRAMMES professionnel du Service public du Canada. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il s'était dépensé pour la Commission des prix et du commerce en temps de guerre et avait collaboré à la mise sur pied des fichiers régionaux de la main-d'oeuvre pour le Service sélectif national; sa nomination ultérieure à titre d'officier de l'Ordre de l'Empire britannique constitua une reconnaissance plutôt sommaire de ses services. Après la guerre, faisant siens les plans de Cudmore, Marshall mit en place le fondement statistique de l'expansion économique du Canada. Il eut sans doute raison de réclamer avec insistance plus de temps pour exécuter une tâche qu'il se croyait, vraisemblablement, être seul à pouvoir terminer. Doué pour la politique68, Marshall continua l'élaboration rigoureuse de la comptabilité nationale, favorisa l'application de la méthodologie scientifique et ouvrit la voie à l'informatique. Le Bureau était méconnaissable par rapport à l'organisme dont il avait hérité. Le recrutement d'une nouvelle génération de diplômés, après la guerre, contribua énormément à son succès; ces personnes devinrent les cadres intermédiaires et supérieurs qui allaient assurer la bonne marche du Bureau durant une vingtaine d'années. Enfin, le Bureau joua un rôle de premier plan au sein des organismes nouveaux et ressuscites de la communauté statistique internationale. Herbert Marshall fut nommé fellow de la Société royale du Canada, présida l'Association canadienne de science politique en 1952-1953, puis l'American Statistical Association en 1954, et devint fellow honoraire de la Royal Statistical Society en 1954. Il fut vice-président de l'Institut international de statistique de 1953 à 1960 et président de l'Institut interaméricain de statistique de 1955 à 1962. Dès son départ à la retraite, il assuma, pendant un certain temps, les fonctions de conseiller statistique à la Fédération des Antilles. En 1960, il réintégra le Bureau pendant six mois pour surveiller la compilation de la balance des paiements internationaux et de matériel connexe en vue de la publication d'un volume de statistiques historiques69. En 1967, à l'approche du 75e anniversaire du Bureau, on demanda à Marshall de préparer une histoire du Bureau. Marshall commençait cependant à se faire vieux, et son projet d'histoire détaillée de chaque programme spécialisé s'avéra trop ambitieux70. On le vit pour la dernière fois au Bureau à l'inauguration de l'immeuble R.-H.-Coats, au Parc Tunney, en mai 1975. L'héritage laissé par Marshall ne fut pas exclusivement statistique; il était aussi connu parmi les skieurs de la région outaouaise que chez les utilisateurs des données du Bureau. Passionné de ski alpin sa vie durant, Marshall prit une part active à l'essor du Club de ski d'Ottawa, dont il fut président pendant bien des années; une des pistes les plus fréquentées du Camp Fortune, au Québec, porte d'ailleurs son nom. Marshall mourut paisiblement chez lui, à Ottawa, le 1er octobre 1977, à l'âge de 89 ans. Il laissait dans le deuil son épouse Muriel Meek, née à St. Thomas, en Ontario, sa fidèle compagne pendant 53 ans.
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CHAPITRE XI II 1957-1972:
Les années Duffett I - Les changements à l'administration et à l'infrastructure
INTRODUCTION Walter Elliott Duffett devint statisticien fédéral le 1er janvier 1957, aà l'âge de 46 ans, et il demeura en poste jusqu'au 30 juin 1972, soit plus longtemps que ses deux prédécesseurs réunis. C'était le premier statisticien fédéral qui fut choisi à l'extérieur du Bureau. Il avait toutefois travaillé de près avec les cadres supérieurs de l'organisme et avec de nombreux ministères clients, et il connaissait bien le dossier de la statistique depuis la guerre. Né à Galt, en Ontario, il avait étudié à l'Université de Toronto et à la London School of Economies. Il avait occupé un poste d'économiste à la compagnie d'assurance-vie Sun Life, à Montréal, avant de venir à Ottawa en 1942 pour se joindre à la Commission des prix et du commerce en temps de guerre. Deux ans plus tard, il était passé au service de recherche de la Banque du Canada. Le Bureau avait songé à lui pour réorganiser la statistique du revenu national, mais avait désigné à cette fin George Luxton. Depuis 1954, Duffett était directeur de l'économie et de la recherche au ministère du Travail. Si Claude Isbister était resté au Bureau, il aurait été un candidat sérieux au poste de statisticien fédéral. Après son départ, Simon Goldberg s'était signalé par sa contribution à l'élaboration des comptes nationaux et aux activités de recherche connexes, mais on jugea peut-être qu'il n'avait pas assez d'expérience. J.T. Marshall fut déçu de ne pas être choisi1, mais il lui manquait l'expérience de la statistique économique. Par une ironie du sort, c'est dans le domaine social que furent lancés plusieurs grands programmes pendant les 15 années suivantes. L'époque de Duffett fut caractérisée par une croissance économique soutenue et par une évolution sociale sans précédent. La population augmenta de 6,2 millions ou de 31 %, ce qui était surtout attribuable à l'explosion des naissances après la guerre et, sauf l'accalmie du début des années 1960, à des taux élevés de migration nette. La population active fit un bond de 48 %, en grande partie à cause de l'arrivée des femmes sur le marché du travail. Cependant, le taux de chômage ne fut jamais aussi bas qu'entre 1946
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE et 1956, et il se fixa en moyenne à 5 % par année pendant les 16 années suivantes. Le produit national brut, mesuré en dollars constants, s'accrût de 106 % de 1956 à 1972, ce qui représentait 4,6 % en rythme annuel. L'indice des prix à la consommation connut une lente progression dans les années 1960 et, malgré la hausse de 4,8 % en 1972, il s'établit en moyenne à 2,5 % entre 1957 et 1972. En bref, ce fut une période de grande prospérité. Les dépenses fédérales étaient plutôt stables au début des années Duffett, mais leur croissance fut très rapide pendant la décennie 1960, surtout du fait de la création des programmes sociaux. Dans ses rapports annuels, le statisticien fédéral revenait souvent sur la hausse soutenue des demandes de services statistiques formulées à l'échelon fédéral et provincial non seulement par les utilisateurs habituels, mais aussi par de nouveaux clients, tels que le Conseil économique du Canada, le Secrétariat de la planification spéciale du Conseil privé ainsi que des organismes axés sur le développement régional2. Le statisticien fédéral signalait par ailleurs que ces nouvelles demandes de données raffinées nécessitaient une augmentation des ressources mises à sa disposition. Du 31 mars 1957 au 31 mars 1972, l'effectif permanent du Bureau passa de 1 449 à 3 545. Malgré la hausse du nombre de professionnels, la composition de la catégorie essentielle des économistes et des statisticiens demeura toujours inférieure aux niveaux autorisés. Au début, la situation s'expliquait surtout par des problèmes de classification et de rémunération. Puis une fois que le Bureau eut apporté les correctifs et qu'il put offrir aux professionnels des conditions d'emploi équivalentes à celles des ministères, les programmes du secteur public prirent une telle ampleur qu'il se creusa un écart permanent entre la croissance de la demande et la pénurie de candidats. Pendant les six dernières années de l'ère Duffett, toutes les catégories d'emploi du Bureau affichèrent un taux de roulement sans précédent, ce qui eut un effet d'entraînement sur la qualité du personnel et sur le rendement des programmes. Les années Duffett furent surtout marquées par l'étude des programmes et des méthodes de gestion que mena la Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement (Glassco) de 1960. C'est probablement sur la foi du rapport de la commission que le Bureau finit par être accepté comme un organisme de plein droit en 1965. Cette reconnaissance l'aida à régler ses vieux problèmes de classification et ouvrit la voie à une vaste réorganisation en 1967. Avant la fin de la décennie, les programmes du Bureau firent l'objet de deux autres enquêtes externes. En novembre 1967, préoccupé par l'absence de compétences scientifiques et technologiques au pays, le Sénat chargea un comité spécial d'étudier et d'évaluer la politique scientifique canadienne. Le mandat du comité englobait les sciences humaines, les sciences physiques et les sciences de la vie. Le Bureau compta parmi les nombreux ministères et organismes fédéraux à présenter des mémoires et à prendre part aux audiences. L'expérience se révéla positive, même si le rapport du comité ne lui accorda pas une attention particulière. En août 1968, le premier ministre mit sur pied un groupe de travail sur l'information gouvernementale et le chargea d'examiner la structure et les activités des services d'information des ministères fédéraux. Le groupe considérait le Bureau comme une institution orientée vers l'information, et le soumit à un examen particulièrement 236
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minutieux. Ses conclusions s'avérèrent utiles et constructives et même s'il n'en ressortit rien de concret à l'époque de Duffett, elles allaient néanmoins porter fruit sous la gouverne de son successeur et mettre en lumière les activités liées à l'information et à la promotion. La technicisation de la statistique constitua le progrès le plus marquant des années 1960. L'informatique fut exploitée, pour ne pas dire asservie, et, alliée à l'échantillonnage probabiliste et à d'autres méthodes statistiques, elle révolutionna l'élaboration des plans de sondage et leur mise en oeuvre. Cependant, l'automatisation des méthodes de sondage traditionnelles se révéla longue et difficile, et le potentiel d'améliorations et d'économies ne fut que partiellement réalisé à l'époque de Duffett. Vers la fin des années 1960, le Conseil du Trésor adopta une méthode d'affectation des crédits qui consistait en la rationalisation des choix budgétaires (RCB). Le Bureau mit sur pied un service central de planification et de programmation et entreprit la lourde tâche de passer ses programmes au crible afin d'établir s'ils répondaient aux besoins des utilisateurs. La dernière réalisation de Duffett à titre de statisticien fédéral fut de préparer la nouvelle Loi sur la statistique. Cette loi entra en vigueur le 1er mai 1971 et devait permettre d'alléger le fardeau de déclaration. Elle eut pour effet de changer l'appellation du Bureau pour Statistique Canada, et le statisticien fédéral fut renommé statisticien en chef du Canada.
COMMISSION GLASSCO ET RÉPERCUSSIONS Le 16 septembre 1960 fut créée la Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement, dont les membres étaient chargés : « [...] de faire enquête et rapport sur l'organisation et le mode de fonctionnement des ministères et organismes du gouvernement du Canada et de recommander à leur égard les changements qu'ils estiment les plus propres à assurer l'efficacité et l'amélioration des services publics tout en réalisant des économies3. »
Présidée par J. Grant Glassco, la commission devait se pencher sur diverses questions — chevauchement de services; élimination d'activités inutiles; avantages d'une plus grande décentralisation sur le plan opérationnel et administratif; changements aux attributions des ministères et organismes, d'une part, et des organismes centraux, d'autre part; et amélioration de la gestion par une meilleure utilisation du budget, de la comptabilité et d'autres outils financiers. À première vue, le Bureau pouvait ainsi se faire la place au soleil à laquelle il aspirait depuis qu'il avait perdu l'appui de sir George Poster 40 ans plus tôt. Même si l'élaboration des comptes nationaux avait permis d'accomplir des progrès auprès des décideurs, les statisticiens étaient considérés à peine mieux que des bûcherons ou des porteurs d'eau4. Non seulement au pays mais ailleurs également, on estimait que leur rôle se limitait à la collecte et au regroupement de données et qu'il fallait laisser à d'autres les travaux d'analyse et d'interprétation 5 . À n'en point douter, une étude objective du mandat, des programmes et des activités du Bureau allait démontrer que la statistique ne se résumait pas à un simple exercice de collecte et de compilation de 237
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE données. La reconnaissance des aspects de planification et d'analyse, alliée à l'autonomie au niveau de l'exécution, contribuerait à élever le statisticien fédéral au rang de sous-ministre et à étendre ses pouvoirs pour recruter des candidats qualifiés et les maintenir en fonction. S'il est vrai que Herbert Marshall avait réussi peu après la guerre à créer de nouveaux postes et à relever le niveau de l'effectif de la direction, il reste que les difficultés s'étaient multipliées dans le recrutement de chercheurs et d'analystes. De nombreux sujets brillants, recrutés par Marshall, eurent tôt fait de préférer au Bureau l'université ou d'autres ministères6. Les échelles de traitement des statisticiens et des économistes n'avaient presque pas bougé dans les années 1950, non seulement au Bureau, mais dans d'autres ministères et très probablement dans les universités. Le problème s'inscrivait dans la relativité des choses. Comme l'écrivit Goldberg à l'époque : « De nombreux professionnels du Bureau [...] sont sous-payes par rapport aux employés d'autres ministères7. » Ainsi était-il plus facile de trouver ailleurs un emploi plus rémunérateur, sans oublier que les possibilités d'avancement étaient meilleures. Les avantages pécuniaires mis à part, le Bureau offrait moins de chances de satisfaire son amour-propre et d'obtenir la reconnaissance d'autrui. Le manque à gagner était moins évident aux échelons inférieurs, mais l'image projetée avait certes un effet dissuasif. Quelques années plus tôt, le Bureau n'hésitait pas à s'appeler « l'usine à statistiques »8. L'examen d'une commission royale souleva néanmoins autant d'appréhensions que d'espoirs. Au fil des ans, le Bureau avait réussi à protéger les pouvoirs qui lui étaient dévolus par la Loi sur la statistique. Mais pour l'administration interne, il ne pouvait se permettre d'être aussi confiant, d'autant que la commission fit ressortir des problèmes en ce domaine. La commission répartit ses travaux en plusieurs groupes de projet. Celui des services économiques et statistiques était dirigé par le professeur E.F. Beach, de l'Université McGill, et il ne tarda pas à transmettre au Bureau ses exigences en matière d'information. Dans une note adressée à ses chefs de division le 28 octobre I9609, Duffett donnait une longue liste de points sur lesquels il devait faire rapport, notamment la structure du programme statistique de chaque division, la clientèle, les utilisations et les coûts; la marche à suivre et les critères retenus pour l'adoption, l'abandon ou la modification du contenu d'enquêtes; les méthodes de facturation de travaux particuliers; les problèmes des répondants et les mesures correctives; les moyens d'évaluation ou d'élimination du double emploi dans les divisions et entre celles-ci et d'autres ministères; les principaux facteurs de croissance du Bureau au cours des cinq années précédentes et les perspectives à l'horizon de cinq ans. Il fallait aussi examiner l'efficacité des installations et des méthodes administratives, et les dispositions prises pour maintenir les liens avec les utilisateurs, les fournisseurs et d'autres organismes publics. Une note du 12 avril 1961, non signée, énonçait sous forme sommaire un certain nombre de constatations. Elle révélait que les méthodes administratives du Bureau étaient rudimentaires et qu'il leur manquait une dimension officielle. Parmi les observations figurait ce qui suit :
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« — II n'y avait pas de réunion régulière des directeurs avant 1957. Les pouvoirs ne sont pas délégués, et il ne se tient pas de revues périodiques. — Aucun moyen n'est en place pour l'étude des enquêtes ou des activités superflues. — Les méthodes d'évaluation du personnel et de désignation des fondés de signature ne sont pas appliquées uniformément. — L'examen des effectifs manque d'uniformité, et rien n'est consigné à ce sujet. — Les méthodes administratives varient d'une division à l'autre, et l'on ne sait pas en quoi elles consistent. — Dans l'ensemble, une grande autonomie est accordée sur le plan administratif, mais les relations se font très étroites pour certaines questions conceptuelles10. »
Dans la deuxième partie de la note, des éléments d'explication étaient fournis. « — Les divisions s'occupent de travaux de nature complexe et spécialisée, d'où la difficulté de surveiller le détail de leurs opérations. — Les directeurs et les employés des divisions sont surchargés. Il serait utile d'adopter des méthodes, mais la haute direction hésite à le faire. — La haute direction ne manifeste ni intérêt, ni aptitude pour la gestion. — Le Bureau a connu une croissance rapide et soutenue depuis la fin de la guerre. [...] Il continue d'évoluer mais n'a pas encore réussi a) à établir des critères qui permettront de limiter sa croissance en fonction de ses ressources et b) à obtenir assez de ressources pour respecter ses obligations. — De façon générale, étant donné le manque de personnel et les pressions du Conseil du Trésor, les ressources sont affectées en priorité aux enquêtes plutôt qu'à la gestion. — Les cours d'administration offerts par la fonction publique ne sont pas utiles. Le recrutement d'administrateurs compétents piétine, tout comme la formation et la rémunération". »
Plus tard cette année-là, en voulant expliquer l'absence de rigueur des dispositions administratives et l'autonomie dont jouissaient les directeurs, on affirma qu'en matière d'organisation, les problèmes du Bureau différaient quelque peu de ceux des autres ministères et que ses besoins s'apparentaient à ceux d'une université12. Duffett fut en terrain plus sûr lorsqu'il rédigea à l'intention de Beach, le 23 mai 1961, une note sur la centralisation et la coordination de la statistique13. Il y signalait que la centralisation n'était pas une fin en soi, même si l'on pouvait en démontrer les nombreux avantages sur le plan opérationnel. Il s'agissait plutôt d'un moyen — parmi d'autres — d'assurer la coordination de la statistique. Dans des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni, où les statistiques constituaient un sous-produit de l'administration des ministères chargés de programmes, il avait fallu établir des mécanismes de coordination pour s'assurer que les données tirées de sources diverses étaient compatibles au point de vue conceptuel et pouvaient servir à des fins communes. Le poids de la tradition ne permettait peut-être pas de modifier le type d'organisation, mais il reste que la centralisation caractérisa la plupart des systèmes de statistique nationaux mis sur pied après la Seconde Guerre mondiale. De l'avis de Duffett, la centralisation ne pouvait à elle seule garantir une coordination efficace. La Loi sur la statistique énonçait des objectifs admirables aux fins d'assurer la
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE coordination, mais n'accordait pas au statisticien fédéral les pouvoirs nécessaires pour les réaliser. Il lui fallait plutôt consulter et conseiller les ministères qui, eux, n'étaient pas tenus d'en faire autant. Ils étaient donc libres de recueillir des données, sans égard aux risques de double emploi, de chevauchement ou d'incohérence par rapport aux statistiques produites par le Bureau. Duffett fit mention d'une note du 11 mars 1957, par laquelle le Conseil du Trésor tentait de combler cette lacune. Le Conseil espérait que les ministères et organismes solliciteraient l'avis du Bureau pour leurs problèmes en matière de statistique et que la consultation précéderait le lancement des activités en ce domaine. Il entendait veiller au bon déroulement du processus, alors que les comités de gestion étudieraient les demandes de personnel occasionnées par des travaux statistiques. Mais, comme l'écrivit Duffett, rien n'indiquait que la note avait influencé le fonctionnement des ministères ou avait changé quoi que ce soit à la situation14. C'est pourquoi il préconisait la mise en place d'un dispositif qui garantirait l'application de la politique de coordination de la statistique. Dans son rapport provisoire concernant le Bureau, le professeur Beach adopta une attitude bienveillante; il reconnut les problèmes administratifs de longue date et signala les mesures prises par Duffett pour y remédier. Au sujet de la sous-classification des cadres supérieurs du Bureau, il appuya sans réserve les demandes du statisticien fédéral qui visaient à faire attribuer aux directeurs le rang de haut fonctionnaire. Il affirmait que le statut du Bureau devait faire l'objet d'un examen; et que le Bureau était bien plus en droit d'obtenir le statut d'organisme que le département des Assurances ou l'Imprimeur de la Reine15. Beach s'étendit sur les relations du Bureau avec les ministères et organismes fédéraux, les administrations provinciales, les entreprises et le grand public, mais ne tira aucune conclusion. Il revenait à d'autres équipes d'étudier les problèmes qui se rattachaient, par exemple, au fardeau de réponse et aux efforts du Bureau en matière de promotion. Le rapport signala des éléments de difficulté dans les relations entre le Bureau et trois ministères fédéraux — Travail, Transports, Santé nationale et Bien-être social — et comportait l'engagement à mener ultérieurement une étude détaillée. La note de Duffett sur la centralisation fut annexée au rapport de Beach, mais la coordination de la statistique ne reçut pas plus d'attention. Le 3 décembre 1962 fut publié le troisième tome du rapport de la commission Glassco, qui traitait des services économiques et statistiques, notamment des avantages et inconvénients de la centralisation des services statistiques. Il y était indiqué : « II est impossible d'évaluer les arguments [...] sur une base qui ne soit pas, au fond, subjective16. » La commission préconisait la centralisation, en se fondant largement sur le succès obtenu par le Bureau, mais elle considérait ni nécessaire, ni souhaitable de retendre à tous les aspects du système statistique. Les ministères devraient avoir toute liberté de recueillir et traiter certaines catégories de données, mais dans les cas qui engageaient une quantité appréciable de ressources, il convenait de soumettre les activités à l'examen du statisticien fédéral.
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La commission reconnut que, sans égard aux avantages observés à d'autres points de vue, la Loi sur la statistique avait constitué un bien faible instrument de coordination. « Le fait que le Statisticien fédéral n'a pas le rang de sous-ministre et la distinction plutôt rigide et contestable de la Commission du service civil entre les fonctionnaires qui participent à l'orientation de la politique des ministères et ceux qui n'y participent pas, situent la structure des traitements du Bureau un cran (ou plusieurs) en dessous de celle des autres ministères17. » Elle déplorait le manque de personnel dans de nombreux programmes statistiques importants. Par exemple, la statistique de la balance des paiements internationaux reposait sur les compétences de deux cadres supérieurs18. Au sujet du rang du statisticien fédéral, la commission précisait : « II est essentiel [...] que les services statistiques fassent preuve d'une grande intégrité. Le Statisticien fédéral doit avoir un rang qui cadre avec ses fonctions et il doit être libre de refuser les demandes qui pourraient compromettre l'objectivité de la statistique. » Ce qui ne pouvait être assuré tant qu'il occupait ses fonctions « à titre amovible », d'où la recommandation qu'il devrait demeurer en poste « durant bonne conduite » et que seule une raison suffisante permettrait de révoquer son mandat19. En vue de renforcer la coordination de la statistique, la commission estimait qu'il n'y avait pas lieu d'accorder des pouvoirs d'intervention au statisticien fédéral, étant donné les responsabilités que lui conférait la loi en matière de statistique. Il lui incombait plutôt de vérifier les programmes statistiques des ministères et organismes et de rendre compte chaque année au Parlement des services statistiques. En outre, il devait étudier les demandes des ministères et organismes qui visaient la tenue de nouvelles enquêtes statistiques portant sur plus de dix répondants, afin d'éviter de recueillir des renseignements qui existaient déjà20. La commission soulignait la nécessité d'améliorer la statistique dans les secteurs de la gestion et de l'élaboration de politiques. Elle recommanda que le Conseil du Trésor s'adressât au statisticien fédéral pour obtenir les données nécessaires à la gestion et à la prise de décisions, et qu'il en fît son principal conseiller pour les programmes statistiques et le recrutement de statisticiens dans la fonction publique. Le rapport provisoire de Beach avait fait ressortir certains problèmes dans les domaines de la santé, du travail et des transports. La commission préconisait une revue des programmes aux fins d'établir ceux qu'il serait bon de confier au Bureau. Eu égard aux problèmes d'effectif, il était recommandé d'harmoniser la rémunération du personnel professionnel et auxiliaire du Bureau et celle des postes équivalents de la fonction publique. Une autre recommandation concernait la création d'un conseil consultatif, composé de représentants des principaux utilisateurs de statistiques et des organismes publics, lequel se réunirait périodiquement avec le statisticien fédéral afin d'étudier les programmes statistiques et les sources de difficulté pour les répondants. Il ferait rapport tous les ans au ministre responsable. Les recommandations étaient teintées de bienveillance, mais celle qui se rattachait à l'effectif suscita une réaction défavorable. Depuis le 28 juin 1962, le gouvernement avait bloqué l'embauche de personnel, dans le cadre d'un vaste programme d'austérité. Le
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Bureau devait ramener son effectif permanent, par attrition, à 85 % de l'effectif autorisé pour 1962-1963, qui se chiffrait à 1 863. Pour compenser la perte de spécialistes, il reçut l'autorisation d'embaucher une personne de l'extérieur pour dix départs. L'effectif autorisé du Bureau avait augmenté peu à peu au fil des ans, mais le recrutement avait tiré de l'arrière; un assouplissement du blocage de l'embauche n'était donc pas d'une grande utilité. Le Bureau vit cette situation comme une menace à l'intégrité de ses programmes et, dans un rapport adressé au Conseil du Trésor, il exposa sèchement les conséquences des mesures d'austérité21. Le ministre et le statisticien fédéral furent inondés de lettres d'organismes provinciaux et d'entreprises qui protestaient contre ces mesures et en craignaient les répercussions. Le Conseil du Trésor décida ainsi d'exempter le Bureau des mesures d'austérité à partir du 2 janvier 1963; ce fut le premier organisme public à bénéficier de ce traitement22. Entre-temps, un comité spécial fut mis sur pied par James A. Roberts, sous-ministre du Commerce, dans le but d'examiner les recommandations de la commission Glassco23. Dans son rapport déposé en avril 1963, il acceptait l'ensemble des recommandations, tout en formulant des réserves. Il se disait d'avis qu'il faudrait non seulement harmoniser les traitements des professionnels et autres employés du Bureau et ceux du personnel équivalent dans d'autres secteurs, mais aussi réviser l'effectif autorisé du Bureau en fonction de la charge de travail et de l'essor prévu de la statistique. La mise en oeuvre des recommandations fut cependant une tout autre histoire. Dans la plupart des cas, le statisticien fédéral aurait difficilement pu prendre l'initiative, et il ne pouvait pas, de façon réaliste, compter sur l'aide du Conseil du Trésor lorsqu'il y avait empiétement sur ses fonctions, par exemple lorsqu'il lui était recommandé d'examiner d'autres programmes statistiques, de fournir des conseils à leur sujet et d'agir à titre de spécialiste de la statistique en matière de gestion et de prise de décisions. Le Conseil ne voulait pas, non plus, intervenir dans des luttes de pouvoir entre le Bureau et le ministère des Transports, le ministère du Travail et le ministère de la Santé nationale et du Bienêtre social. Le Conseil du Trésor put néanmoins prendre une mesure qui ne lui occasionnait pas trop de conséquences : instituer un mécanisme selon lequel le Bureau administrerait une « règle des dix répondants », comme nous l'avons vu plus tôt24. Dans les faits, les ministères omirent souvent d'aviser le Bureau de leurs projets ou l'en informèrent après coup. À l'époque de Duffett, cette règle eut donc une incidence minime sur l'ensemble du problème de coordination. Quant au comité consultatif, le Bureau semblait avoir des réserves. Coats avait souvent réclamé la création d'un tel comité, mais à l'idée que les programmes et priorités du Bureau feraient l'objet d'un examen externe, Duffett perdit un peu de son aplomb. En décembre 1964, il nota l'existence de 45 à 50 comités spécialisés, outre le Comité interministériel de la statistique économique, le Comité interministériel de la statistique financière et le Comité fédéral-provincial de la statistique économique. L'étude de cette structure était en cours, semblait-il, et devait permettre au gouvernement de mieux juger le rôle d'un conseil consultatif, comme celui que préconisait la commission Glassco, et d'en déterminer la composition25. Il faudrait encore 20 ans pour régler la question.
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D'un point de vue symbolique, le décret C.P. 1965-29, pris le 25 janvier 1965, constitua la répercussion la plus importante de la commission Glassco pour le Bureau : celui-ci devint un organisme du gouvernement fédéral, à des fins administratives et juridiques, et le statisticien fédéral accéda au rang de sous-ministre. Après avoir passé près de 50 ans sous la tutelle du ministère du Commerce, le Bureau volait de ses propres ailes. En pratique, les effets de ce changement de statut furent à peine visibles. Les relations de travail avec le ministère du Commerce s'étaient déjà beaucoup améliorées comparativement aux rapports tendus que Coats avait vécus pendant la majeure partie des années 1920 et 1930. Et le Bureau avait toujours fait preuve de professionnalisme envers les utilisateurs exigeants et chevronnés qui avaient géré l'économie pendant la guerre et la reconstruction. La question du statut contribua peut-être indirectement à la résolution des problèmes de classification, mais au bout du compte c'est grâce à sa ténacité que le Bureau put arriver à ses fins. Un rapport remis en février 1964 à la Commission du service civil sur la structure de la classification du Bureau semble l'avoir aidé à faire une percée26. Il s'appuya sur cette remarque de la commission Glassco : « On réclame sans cesse plus de renseignements statistiques, parce qu'on reconnaît aujourd'hui que les décisions en affaires, les programmes d'action des gouvernements et la discussion des questions d'intérêt public exigent des données tangibles et concrètes solidement étayées27. »
Le Bureau avait peine à répondre à la demande croissante de données statistiques nouvelles, raffinées et mieux intégrées, en raison de la pénurie chronique de professionnels imputable au fait que la Commission du service civil établissait depuis longtemps une distinction entre les décideurs et les exécutants. Il fut signalé que 12 mois plus tôt, le Conseil du Trésor avait autorisé le Bureau à se soustraire au blocage de l'embauche qui avait été décrété. Il avait donc une attitude favorable à l'égard du Bureau et avait autorisé une forte augmentation de postes permanents pour les exercices 1963-1964 et 1964-1965. On attendait pareille reconnaissance de la part de la Commission du service civil au sujet des classifications, afin d'assurer l'utilité des mesures prises par le Conseil. Le rapport indiquait en outre que les demandes de dotation urgentes présentées à la Commission avaient donné lieu à des négociations longues, répétitives et frustrantes, et à la production d'une montagne de documents 28 . Dans certains cas, lorsque la Commission accordait son approbation, le titulaire avait cessé d'occuper le poste en question. Aussi, à l'exception de la Division des comptes nationaux et de la balance des paiements, de la Division de l'industrie et du commerce et de la Division du recensement, où les postes de directeur justifiaient la classification de cadre supérieur de niveau 2, on recommanda de classer les directeurs de division parmi les cadres supérieurs de niveau 1. Les trois postes de statisticien fédéral adjoint devraient donc être reclassés en conséquence — vraisemblablement parmi les cadres supérieurs de niveau 3. Le niveau de travail des professionnels serait le niveau 4 de la catégorie des statisticiens, et les professionnels hautement qualifiés et chevronnés pourraient accéder au niveau le plus élevé de cette catégorie, celui de statisticien en chef de niveau 2, qui se situait à un
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE rang au-dessous du cadre supérieur de niveau 1, sans comporter d'importantes responsabilités administratives. La Commission du service civil semblait toujours imperméable aux arguments du Bureau. Cependant, dans un rapport adressé aux statisticiens fédéraux adjoints le 18 décembre 1964, Duffett mentionna que lors d'une réunion avec des agents de la Commission, il avait été convenu que les modifications proposées par le Bureau devraient manifestement être effectuées par la Commission29. Le vent avait tourné et, l'année suivante, la plupart des reclassifications recommandées furent mises en oeuvre. Ainsi que le Bureau l'avait prévu, ces mesures eurent une forte incidence sur le recrutement. Pendant les cinq exercices précédents, 134 économistes et statisticiens étaient entrés en fonction, comparativement à 124 pour les deux exercices de 1964-1965 et 1965-196630. Malgré l'accroissement des départs parmi les économistes et les statisticiens, le Bureau bénéficiait dorénavant d'une meilleure marge de manoeuvre. Cependant, sa compétitivité en matière de recrutement ne serait pas pleinement assurée tant que n'auraient pas été révisées d'autres catégories d'emploi importantes, comme la programmation informatique, pour laquelle la plupart des candidats étaient recrutés à l'extérieur de la fonction publique. Il fallut pour cela attendre les résultats de l'examen des catégories professionnelles accompli par le Bureau de révision de la classification, créé vers la fin des années 1960 par la nouvelle Commission de la fonction publique. Mais pendant le reste de la décennie, il y eut une véritable explosion des dépenses de programmes dans l'administration fédérale, qui conduisit à une hausse sans précédent des effectifs. Du 31 mars 1966 au 31 mars 1971, le nombre d'employés permanents passa de 2 248 à 3 440. Pour l'exercice terminé le 31 mars 1970, ce nombre s'éleva à 1 127 dans l'ensemble des catégories professionnelles, et l'on compta 748 cessations d'emploi, sur une moyenne de 3 000 employés. La demande d'économistes et de statisticiens était plus forte que jamais. Le Bureau chercha assidûment à attirer les nouveaux diplômés universitaires et dépêcha des équipes de recrutement aux États-Unis et en Europe pour trouver des candidats expérimentés. En 1969-1970, il embaucha 110 économistes et statisticiens, et il y eut 67 cessations d'emploi. Sur quelque 450 postes permanents, ce taux de roulement était plus faible que celui du personnel dans son ensemble, mais dangereusement élevé à l'égard de la gestion de programmes, puisque cette catégorie d'employés était censée en garantir la continuité et la stabilité. Le tableau présenté à l'annexe A donne une idée de l'expansion du Bureau dans les années 1960. Il montre les dépenses budgétaires totales, dont le coût des recensements sur la période de 25 ans comprise entre 1947-1948 et 1971-1972; et les chiffres correspondants pour les dépenses fédérales et le produit national brut aux prix du marché. Les dépenses fédérales par rapport au PNB furent d'une remarquable stabilité, tout comme les dépenses du Bureau se maintinrent jusqu'au début des années 1960, exception faite des pointes enregistrées en 1951-1952 et en 1956-1957, en raison des recensements. À partir de 1960-1961, cette proportion augmenta avec régularité. Les exercices 1961-1962, 1966-1967 et 1971-1972 constituèrent des anomalies, mais la tendance était évidente.
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LES CHANGEMENTS À L'ADMINISTRATION ET À L'INFRASTRUCTURE
VASTE RÉORGANISATION Le Bureau fut l'objet d'une réorganisation historique le 1er janvier 1967 : les divisions spécialisées et leurs sections d'appoint furent regroupées en sept directions, ce qui ajouta un autre échelon à la hiérarchie. Au moment de l'arrivée de Duffett, le Bureau comptait 11 divisions spécialisées, dont la Division des enquêtes spéciales, chargée surtout de l'enquête sur la population active, et le Service central de la recherche et du développement, qui s'occupait de divers projets au stade embryonnaire. Dix ans plus tard, il regroupait 15 divisions spécialisées, dont certaines étaient mûres pour être subdivisées de nouveau. Les services de soutien s'étaient eux aussi multipliés. L'étendue des responsabilités du statisticien fédéral s'en trouva nettement élargie, ce qui risquait de nuire sérieusement à l'intégration des programmes statistiques et à l'efficacité de la gestion du Bureau dans son ensemble, étant donné la propension des directeurs de division à agir à leur guise. Au moment de la commission Glassco, la haute direction s'était vivement opposée à l'ajout d'un échelon administratif entre ceux du statisticien fédéral et des directeurs de division : « Une telle structure a été sérieusement envisagée à certains moments; elle n'a cependant jamais présenté beaucoup d'intérêt, surtout parce que les besoins des divisions spécialisées n'ont pas de lien entre eux mais plutôt avec les installations et les contrôles fournis par le BFS dans son ensemble. En fait, il n'y a que très peu de place pour des "super-directeurs"; ceuxci amoindriraient le sens des responsabilités des directeurs et ne pourraient fournir l'aide fonctionnelle actuellement assurée par les cadres supérieurs en poste au bureau du statisticien fédéral31. »
La dernière partie de la citation semble faire allusion à la nomination, en 1959-1960, de L.E. Rowebottom, directeur de la Division des prix, au poste de statisticien fédéral adjoint. Celui-ci devait resserrer les liens entre l'administration du Bureau et les directeurs de division. Quatre ans plus tard, en 1963-1964, Rowebottom fut nommé statisticien fédéral adjoint aux Affectations générales. S'il put soulager Duffett d'une partie de son travail administratif, il ne suffisait déjà plus à la tâche vers le milieu des années 1960. Le 1 er janvier 1967, on annonça la création de quatre nouvelles directions spécialisées, de deux divisions d'infrastructure — Finances et administration, Opérations et développement des systèmes — et de la Direction de l'intégration et du développement, ce qui plaçait sept directeurs généraux32 entre le statisticien fédéral et plus de 30 unités organisationnelles, dont la plupart avaient le rang de division. La Division du personnel et celle de l'information et de l'Annuaire du Canada continuèrent à relever directement du statisticien fédéral. La restructuration s'appuyait sur des motifs étonnants. « Le principal obstacle avait été le manque de personnel pour diriger une pareille organisation, mais vers 1966, il est apparu que le recrutement et l'expansion des cadres du B.F.S. pourraient fournir les ressources nécessaires33. »
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE L'argument est difficile à comprendre. Le recrutement de personnel professionnel avait alors pris de l'ampleur, mais surtout aux échelons subalternes. Même s'il était loisible aux cadres de suivre des cours de gestion34, la formation n'était certes pas considérée comme essentielle pour de nombreux directeurs en poste depuis longtemps et qui auraient été parfaitement aptes à assumer plus de responsabilités. La restructuration résulta très probablement du fait que le Bureau venait d'être reconnu comme un véritable organisme, que l'on admettait enfin que les postes des cadres supérieurs étaient sous-classes, et qu'il était donc possible de relever le rang du statisticien fédéral et des personnes qui lui étaient comptables35. Les quatre nouvelles directions spécialisées étaient : les Comptes économiques, la Statistique financière, la Statistique économique et la Statistique socio-économique. La Direction des comptes économiques, chapeautée par C.D. Blyth, scinda l'ancienne Division des comptes nationaux et de la balance des paiements en deux divisions : la balance des paiements et des flux financiers, et les comptes nationaux, la production et la productivité. La Direction de la statistique financière, confiée à G.A. Wagdin, englobait la Division des administrations publiques36; la Division CALURA (chargée de l'application de la Loi sur les déclarations des corporations et des syndicats ouvriers); la Division des finances des entreprises; un coordonnateur de la statistique financière; et une section centrale des dossiers du personnel. V.R. Berlinguette fut nommé directeur général de la Direction de la statistique économique, qui regroupait la Division du travail; la Division des prix; la Division des transports et des services d'utilité publique; la Division des industries manufacturières et primaires37; la Division du commerce extérieur; et la Section de recherche et développement en entrées-sorties provenant du Service central de la recherche et du développement. L.E. Rowebottom fut nommé à la tête de la Direction de la statistique socio-économique. Tout en conservant son titre de statisticien fédéral adjoint, il avait la responsabilité des divisions suivantes : Recensement; Agriculture; Santé et bien-être social; Éducation; et Enquêtes spéciales (y compris les bureaux régionaux). Il était chargé en outre du Service de liaison et de consultation avec les provinces et du Service de la recherche sur les finances des consommateurs. Le Service central de la recherche et du développement, renommé Service de l'intégration et du développement, était confié à Simon Goldberg. Il s'y trouvait le conseiller en recherche démographique et les sections suivantes : Recherche et développement en classifications; Recherche en sondages et enquêtes; Recherche en économétrie; Recherche et intégration de la statistique régionale, recherche et intégration; Intégration des sociétés et des établissements38; et Études spéciales sur la main-d'oeuvre et consultation. La Direction des opérations et du développement des systèmes, confiée à L.A. Shackleton, regroupait la Division des services de tabulation, la Division centrale de la programmation, la nouvelle Section des services de gestion et la Section centrale des dossiers. La Direction des finances et de l'administration continua de relever de H.L. Allen. Cette structure fut en place jusqu'à la fin de la période Duffett, à l'exception de deux modifications majeures : le démantèlement de la Direction des opérations et du développement des systèmes, et la création d'un service de planification. Les deux sont
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décrites plus loin dans le présent chapitre, alors que l'annexe F décrit l'organisation en place le 31 mars 1972. COMITÉ SÉNATORIAL DE LA POLITIQUE SCIENTIFIQUE
En novembre 1967, le Sénat mit sur pied un comité spécial sous la présidence de l'honorable Maurice Lamontagne et le chargea d'étudier la pertinence de la politique scientifique et des activités afférentes. Le comité innova en se penchant sur les sciences humaines, les sciences physiques et les sciences de la vie, et le Bureau saisit alors l'occasion de présenter un mémoire 39 . Comme on pouvait s'y attendre, il traita uniquement de son mandat et de ses programmes, sans formuler de recommandation d'ordre général. Plus téméraire, la Banque du Canada prôna la mise sur pied d'un système d'information efficace sur les sciences et les techniques et proposa un rôle pour le Bureau : « II semblerait maintenant opportun d'accentuer davantage le développement des méthodes d'information au Canada, et d'entreprendre (peut-être par l'entremise du B.F.S.) de nouveaux projets pour s'assurer que les Canadiens puissent vraiment profiter de l'accessibilité croissante des informations, d'ordre économique ou autre, techniquement mises à notre portée par l'ordinateur40. »
De nombreux mémoires déplorèrent le retard du Canada en sciences humaines et sociales par rapport aux États-Unis. Là aussi, on argua qu'afm de répondre efficacement aux nouveaux besoins, il fallait définir une politique scientifique globale et cohérente et créer un mécanisme central qui la mettrait en oeuvre. Le comité formula plus de 70 recommandations, qui allaient se concrétiser seulement en 1972 et en 197341; leur mise en oeuvre dépasse cependant le cadre du présent ouvrage. En fait, aucune d'entre elles ne portait directement sur le Bureau, et la plupart de celles qui auraient pu avoir une incidence indirecte, comme l'examen spécial des projets de dépenses de l'organisme en matière scientifique et leur regroupement dans un budget distinct consacré aux sciences, ne furent pas appliquées. Le mandat du comité était le genre d'instrument que Coats aurait exploité dans les années 1930 afin de démontrer les capacités et les besoins du Bureau. Mais à la fin des années 1960, le comité ne pouvait guère être utile à cet égard. La réputation professionnelle du Bureau était bien assise depuis 20 ans, et la commission Glassco avait finalement accordé à celui-ci l'autonomie administrative. Les ressources financières abondaient, et le comité ne pouvait aider le Bureau à résoudre ce qu'il considérait à l'époque comme son principal problème : le recrutement de professionnels chevronnés. Cependant, les travaux du comité attirèrent l'attention sur les programmes du Bureau en matière de statistique scientifique, ce qui en favorisa l'amélioration et l'élargissement. Aux fins de la préparation du mémoire destiné au comité, le Bureau put faire le point sur les réalisations des 50 premières années de son existence et cerner les défis qui se présentaient à lui. Le mémoire était agréablement exempt de l'aspect intéressé qui caractérise habituellement ce genre de document et brossait un tableau fascinant du Bureau vers la fin des années 1960.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE INFORMATION En août 1968, un groupe de travail sur l'information gouvernementale fut chargé d'examiner la structure, le fonctionnement et les activités des services d'information des ministères fédéraux. Le Bureau fut l'une des quatre institutions retenues pour une étude concentrée ou verticale qui visait à « suivre le cheminement de l'information à partir de son traitement au sein de chacune d'entre elles et jusqu'à sa réception par le public42 ». Le Bureau avait souvent été la cible d'études sur les activités d'édition du gouvernement qui menaçaient, pour des raisons d'efficacité ou de rationalisation, de lui retirer ou de restreindre ses responsabilités en matière de distribution. Mais il avait toujours résisté aux attaques, en s'appuyant sur le mandat de diffusion que lui attribuait la Loi sur la statistique. Le groupe de travail de 1968 ne se voulait pas menaçant à l'égard du Bureau, mais il trouva matière à reproches dans certains domaines. Une enquête menée auprès des utilisateurs révéla que de nombreuses plaintes avaient été enregistrées sur les pratiques de marketing, notamment l'actualité, l'utilité, la clarté et l'accessibilité des données. Bon nombre de personnes interrogées croyaient que, malgré son nouveau statut d'organisme, le Bureau avait bien peu de pouvoirs dans la hiérarchie gouvernementale; il était perçu uniquement comme un organisme de services, et ne pouvait contribuer pleinement à l'élaboration et à l'évaluation des politiques nationales. L'une des principales recommandations du groupe de travail fut donc que l'on reconnût au Bureau une fonction d'information d'importance primordiale et spécialisée. « En conséquence, [que] le B.F.S. passe, tout en conservant son autonomie, du ministère où il se trouve et qui possède ses propres publics, à un autre qui soit plus conforme au rôle de service central du B.F.s.43 »
La plupart des recommandations relatives au Bureau visaient à accroître la notoriété et l'efficacité de la Division de l'information. Mais elles ne furent pas mises en oeuvre à cette époque et nous passerons donc par-dessus. Au sujet de l'actualité des données, le groupe formula une observation générale. Il avait été étonné d'apprendre qu'il existait au Bureau un comité qui, sous la direction de Simon Goldberg, se penchait sur le problème depuis plus d'un an et qu'il avait obtenu des résultats impressionnants. Mais, étrangement, personne à l'extérieur du Bureau ne semblait au courant de ces travaux. « Un haut fonctionnaire a signalé que le B.F.S. se proposait "d'organiser une vraie campagne de publicité" autour du programme d'optimisation de la production, mais qu'il avait changé d'avis, de peur qu'on ne dise dans le public : "Enfin. Il était temps!", ou "Pourquoi ne pas en faire autant pour le reste"44? »
Environ trois ans plus tard, dans les derniers mois de l'ère Duffett, un groupe d'étude interne fut formé en vue de déterminer l'image que le Bureau devrait projeter et les mesures à prendre à cet égard. Le groupe observa un net déséquilibre entre les installations et les compétences du Bureau en matière de production de données et les outils de marketing dont il disposait45. Pour y remédier, il recommanda de renforcer les activités de marketing et de communication du Bureau et, à cette fin, de restructurer et d'augmenter les ressources. Une quarantaine de recommandations furent ainsi formulées
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dans des domaines comme le recours à la publicité payée, l'aide à la rédaction aux auteurs de publications, l'expansion des services consultatifs dans les bureaux régionaux, l'amélioration des communications internes et l'accroissement de la diffusion dans les médias autres que les imprimés. Lorsque le rapport fut publié, il ne restait guère de temps pour l'étudier et le mettre en oeuvre. Walter Duffett prit sa retraite à la fin du mois de juin et son successeur, Sylvia Ostry, décida de repartir à zéro. Mais le groupe de travail sur la restructuration qu'elle mit sur pied dès son entrée en fonction constata le même déséquilibre entre la production et le marketing46; il recommanda la création d'un secteur des services de marketing, dirigé par un statisticien en chef adjoint. Il s'agissait d'un appui manifeste au rapport antérieur.
AUTOMATISATION L'automatisation est essentiellement le mariage de la méthodologie scientifique et de la puissance de l'informatique en vue de planifier et d'exécuter une activité statistique, depuis la définition des objectifs de l'enquête et des impératifs de qualité du produit fini, jusqu'à l'évaluation de la qualité, l'analyse et l'accès aux utilisateurs, en passant par la conception d'un questionnaire, l'établissemenet du plan de sondage, la collecte et le traitement des données, le contrôle et l'imputation. Ce n'est qu'au début des années 1960 que l'on eut recours à l'informatique (pour le recensement de 1961), mais la méthodologie scientifique était apparue vers la fin des années 1940, lorsque le Bureau fit appel à l'échantillonnage probabiliste pour une enquête trimestrielle sur la population active du Canada. L'enquête relevait du groupe de l'échantillonnage au sein du Service central de la recherche et du développement, qui devint plus tard la Division des enquêtes spéciales. Cette division comptait une section de l'échantillonnage et de l'analyse qui fut le berceau des progrès méthodologiques accomplis au cours des 40 ans suivants. À partir de la fin des années 1940, la division s'occupa non seulement de sa tâche principale, l'enquête mensuelle sur la population active, mais aussi d'enquêtes supplémentaires auprès des ménages, fondées sur l'échantillon de la population active et menées de plus en plus souvent pour d'autres divisions du Bureau et des clients externes. Dans les années 1950, les fonctions de la Section de l'échantillonnage et de l'analyse furent élargies afin d'englober les problèmes comme les erreurs de déclaration, de traitement et de contrôle, ainsi que leur incidence collective. L'activité statistique fut examinée dans son ensemble. À preuve, le sondage de la qualité, effectué lors du recensement de l'agriculture de 1956, visa à cerner l'étendue de la couverture et à vérifier la qualité de certaines variables. Les trois recensements qui eurent lieu à l'époque de Duffett profitèrent des améliorations apportées progressivement à la méthodologie, et c'est à la suite d'une étude approfondie des problèmes causés par les réponses erronées que l'on décida de recourir à l'autodénombrement pour le recensement de 1971. Au début des années 1960, l'enquête sur la population active fut remaniée afin de répondre à la demande de données géographiques plus fines, et de tenir compte des changements survenus depuis 15 ans dans les caractéristiques démographiques de la population. Le remaniement s'appuyait sur des études techniques 249
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE inédites. C'est ainsi que fut délaissé le recours à l'échantillon national uniforme au profit de l'élargissement des échantillons dans les provinces de moindre taille, de manière à améliorer la fiabilité des données provinciales47. À l'aide des données du recensement de 1961, on effectua la stratification d'un nouvel échantillon adaptable aux besoins de différentes enquêtes et offrant la souplesse nécessaire pour faciliter la modification ou l'amélioration du plan de sondage, le cas échéant. De nouvelles techniques de modélisation permirent d'évaluer la variabilité d'échantillonnage et les coûts des échantillons. En 1960 et en 1961, la Section de l'échantillonnage et de l'analyse passa de la Division des enquêtes spéciales au bureau du conseiller supérieur en mathématiques. Elle fut renommée le Service de recherche et de consultation en échantillonnage. En 1963-1964, le personnel joignit les autres services centraux sous la direction du statisticien fédéral adjoint à l'Intégration. Dirigé par Ivan Fellegi, le service prit en charge des techniques d'enquête autres que l'échantillonnage. Son appellation fut alors changée pour celle de Service de recherche en sondages et enquêtes, puisque l'on cherchait à cibler les nombreuses enquêtes auprès des entreprises et des institutions. Alors que la méthodologie était presque intégrée enquêtes auprès des ménages, la situation était bien différente dans les autres secteurs du Bureau, et les progrès furent lents. Une telle situation s'expliquait en partie par le cloisonnement étanche du secteur et par l'absence d'éléments communs tels que des systèmes d'information et de classification pour les bases de sondage. La culture du Bureau était aussi en cause : tout en prônant l'intégration de la statistique économique, Coats avait laissé une grande marge de manoeuvre aux directeurs. Cependant, les attitudes seraient appelées à changer sous l'effet des exigences à satisfaire pour le futur Système de comptabilité nationale. Ce système allait fournir le cadre qui avait manqué jusque-là pour l'intégration de la statistique économique. C'est ainsi que pour l'enquête mensuelle sur le commerce de détail, un nouveau plan de sondage fut élaboré à partir des données du recensement de 1961. L'enquête sur le trafic routier fit l'objet de modifications touchant le plan de sondage, le traitement des données et les méthodes d'estimation. Aux fins du remaniement de l'enquête mensuelle sur l'emploi, qui constituait un projet ambitieux, on eut recours à l'informatique pour sélectionner l'échantillon, envoyer les questionnaires par la poste, les vérifier à leur retour, et calculer des résultats à l'aide de nouvelles méthodes d'estimation. Il s'agissait d'un pas important vers l'automatisation complète d'une enquête. Plus tard dans la décennie, l'enquête sur les postes vacants fut la première à être automatisée entièrement. On s'attarda par ailleurs à la mise au point des systèmes généraux qui assuraient le traitement de plusieurs enquêtes. À la fin de la période Duffett, les travaux les plus avancés avaient consisté à instaurer le Système de stockage et d'extraction des données codées suivant une grille géographique (GRDSR) et à créer la banque de données chronologiques appelée le Système canadien d'information socio-économique (CANSIM), décrit dans le prochain chapitre. L'équipement informatique du Bureau, qui se trouvait dans la Division des services de tabulation, avait été installé pour le recensement de 1961 et fut peu utilisé à d'autres fins avant le milieu des années 1960. Il fallut même impartir des travaux informatiques 250
LES CHANGEMENTS À L'ADMINISTRATION ET À L'INFRASTRUCTURE
par l'intermédiaire du Bureau central de traitement des données. Au début, de nombreuses applications étaient de portée restreinte; pour le recensement des manufactures, par exemple, le traitement informatique se limitait à la totalisation et au contrôle des principales statistiques. Ce genre d'informatisation revêtait un sens plus étroit que le concept d'automatisation décrit plus haut. En 1963-1964, une section scientifique fut créée dans la Division centrale de la programmation. Elle était appelée à collaborer avec le Service de recherche en sondages et enquêtes, le Service de recherche et développement, les économistes et les statisticiens des divisions spécialisées afin de produire et de modifier des programmes destinés à l'analyse de données totalisées, à la désaisonnalisation des séries chronologiques et au perfectionnement de techniques d'échantillonnage et de la délimitation de zones d'échantillonnage. Au milieu de la décennie, il apparat que les installations informatiques ne suffiraient pas aux besoins prévus. La situation eut une incidence défavorable sur le recrutement et le maintien en fonction de programmeurs chevronnés, qui n'étaient pas enchantés de travailler avec du matériel désuet. En 1966-1967, la Division des services de tabulation tenta de remédier à la situation en faisant l'acquisition d'un ordinateur IBM 360/30. Malgré la mise à niveau apportée l'année suivante, le problème ne fut résolu entièrement qu'en juin 1969, à l'achat d'un ordinateur IBM s/360/6548. Là encore, la conversion ou l'adaptation des travaux informatiques en cours imposa une lourde tâche aux programmeurs et au matériel, ce qui ralentit le développement de nouvelles applications pendant une longue période. Cependant, les principaux obstacles à l'automatisation, vers la fin des années 1960, ne vinrent pas du manque de matériel ou de personnel, mais plutôt de l'incapacité à obtenir la collaboration des spécialistes des différents domaines, des méthodologistes, des programmeurs et des autres en vue d'envisager les applications possibles dans une perspective globale et non comme une série d'éléments disparates dont certains pourraient profiter de la puissance de l'ordinateur. Pour ce faire, les chefs des divisions spécialisées et des services fonctionnels devaient trouver un terrain d'entente. Malheureusement, il fallut dix ans de plus pour y parvenir tout à fait. À cette époque, la Division des services de tabulation et la Division centrale de la programmation avaient été intégrées à la Direction des opérations et du développement des systèmes, à la suite de la grande réorganisation de 1967. Mais à la fin de la décennie, il sembla souhaitable d'éliminer une importante source de conflit en regroupant les techniques d'enquête et la programmation informatique. La Direction des opérations et du développement des systèmes fut alors démantelée. La nouvelle Direction de la méthodologie et des systèmes, dirigée par Ivan Fellegi, accueillit la Division centrale de la programmation, renommée Division du développement des systèmes informatiques, ainsi que le Service de recherche en sondages et enquêtes49. La Division des services de tabulation continua à relever du statisticien fédéral.
AVÈNEMENT DE LA PLANIFICATION FORMELLE À la fin des années 1960, le Conseil du Trésor mit fin à la revue des effectifs aux fins de l'attribution des crédits annuels des ministères. Il adopta plutôt une méthode de prévision des programmes, inspirée des principes de gestion définis par 251
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Robert McNamara, ancien secrétaire américain de la Défense au début des années 1960. La méthode RCB (rationalisation des choix budgétaires) obligeait les ministères à établir leurs objectifs et à envisager les différents moyens d'exécution. Elle visait à corriger les défauts des processus budgétaires et, en particulier, le « gradualisme », qui consistait à majorer tout simplement les crédits de l'année précédente. La RCB devait s'implanter au pays sur une période de cinq ans, qui fut ramenée par la suite à trois ans. Elle comportait un vocabulaire particulier et donna lieu à des expressions nouvelles comme l'analyse coûts-avantages. Apparemment, il importait peu que la méthode eût déjà perdu de son utilité au sein de l'administration américaine, ou qu'il ne fût possible d'approuver les crédits budgétaires qu'une année à la fois au Canada50. Elle demeura en vigueur jusqu'au milieu des années 1970. Le Bureau eut l'impression de troquer un processus bureaucratique contre un autre, mais il fit de son mieux pour respecter les règles du jeu, même si les directives du Secrétariat du Conseil du Trésor n'étaient pas toujours claires. De toute façon, les fonds ne manquaient pas, et le Bureau en obtenait sa juste part. En 1969, le Conseil du Trésor nomma le professeur D.G. Hartle, de l'Université de Toronto, au poste de sous-secrétaire à la Planification. Celui-ci devait rationaliser le processus d'affectation des ressources et corriger l'application mécaniste du processus de prévision des programmes. Simon Goldberg désirait obtenir d'autres ressources autant que ses collègues, mais il tenait par ailleurs à démontrer qu'il en faisait le meilleur usage possible. C'est donc en grande partie à sa demande qu'en octobre 1968 un consultant en gestion de Montréal, sans expérience du secteur public, fut nommé directeur du Service central de la planification et de la programmation. J'avais moimême été nommé au poste de directeur adjoint. Or, le problème transcendait la culture de l'organisme et, pour tout dire, le nouveau directeur ne réussit pas à gagner la confiance de la haute direction, et réintégra le secteur privé moins de deux ans plus tard. Je fus par la suite nommé au poste et, malgré l'appui indéfectible que m'accordèrent Duffett, Goldberg et d'autres hauts fonctionnaires, la tâche était loin d'être de tout repos. Idéalement, le programme statistique était établi de la manière suivante. Chacun des éléments, en place ou à l'état de projet, était soumis à une étude coûts-avantages, puis était classé selon l'ordre des avantages nets. Comme il était possible de calculer les coûts internes, un système efficace de comptabilité des projets et des coûts fut institué avant la fin de la décennie. Le fardeau de déclaration devait aussi entrer en ligne de compte. Quant à l'évaluation des avantages, il s'agissait de déterminer les séries statistiques qui intervenaient dans la prise de décisions, évaluer l'importance de ces décisions, et d'établir en quoi leur qualité était influencée par les statistiques. La comparabilité posait des problèmes lorsqu'il fallait passer des projets individuels aux programmes d'une division, puis à l'ensemble des activités. Par exemple, comment pouvait-on mettre en relation les avantages d'une augmentation des données sur la santé ou la criminalité et ceux d'un accroissement des données sur les transports ou la balance des paiements? En réalité, on ne pouvait se soustraire au « gradualisme ». La gamme de produits statistiques, malgré ses imperfections, comportait une assez bonne indication de l'ordre des priorités, du fait qu'elle tenait compte de l'utilité de ses parties, considérées séparément ou collectivement. Les compromis faits en marge du corpus existant furent,
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au bout du compte, le fruit de décisions intuitives, mais prises en étroite collaboration avec les utilisateurs. Il aurait été beaucoup plus facile de cerner les besoins de l'administration fédérale si le statisticien fédéral avait eu accès aux documents du Conseil des ministres remis à la plupart des sous-ministres. Celui-ci aurait pu ainsi se faire une meilleure idée des orientations à long terme et des priorités à court terme du gouvernement. Malheureusement, il dut attendre encore une dizaine d'années avant d'avoir accès à ces documents. À la fin de 1971, Duffett tenta d'obtenir un aperçu des objectifs que le Bureau devrait se fixer et des moyens de les réaliser. Il mit sur pied un comité consultatif interministériel sur la statistique, pour le conseiller sur le contenu du programme statistique et sur la capacité à fournir un service utile, particulièrement du point de vue des utilisateurs de l'administration fédérale. Malgré le rang élevé de la plupart de ses membres, ce qui, croyait-on, assurerait l'objectivité de la démarche, le comité se transforma peu à peu en un groupe de promotion des intérêts des ministères. Il avait cessé d'exister lorsque Duffett prit sa retraite.
NOUVELLE LOI SUR LA STATISTIQUE Le 11 février 1971, la Loi sur la statistique^ reçut la sanction royale. Il s'agissait de la première révision majeure depuis 1948, et la deuxième depuis la création du Bureau. La rédaction de la nouvelle loi avait commencé au milieu des années 1960, sous l'orientation du Comité de la législation statistique, présidé par L.E. Rowebottom, et elle donna lieu à une vaste consultation des ministères fédéraux et provinciaux. La révision visait essentiellement à réduire le fardeau de déclaration, devenu un grand sujet de préoccupation pour le public, et à éviter d'imposer d'autres exigences aux enquêtes, puisque des pressions continuaient de s'exercer sur le Bureau pour faire accroître le nombre et le détail des données. Les provinces formaient un élément du problème autant que de sa solution. Elles faisaient une forte utilisation des statistiques économiques et, bien souvent, elles étaient à même de recueillir des données que le Bureau ne pouvait leur fournir rapidement, ce qui risquait d'alourdir davantage le fardeau de déclaration. D'une importance particulière pour le Bureau, l'accès aux déclarations de revenu des sociétés accordé au statisticien fédéral pour qu'il pût s'acquitter de ses obligations en vertu de la Loi sur les déclarations des corporations et des syndicats ouvriers fut dorénavant étendu à ses attributions générales visées par la Loi sur la statistique. L'accès aux déclarations de revenu des entreprises non constituées en société et des particuliers fut aussi autorisé. À l'époque, cette disposition était censée décharger 10 000 petites entreprises de l'obligation de répondre au recensement des manufactures, cependant que quelque 80 000 entreprises n'auraient plus à participer à diverses enquêtes. Des ententes sur le partage de l'information avec les provinces furent conclues afin d'éviter, autant que possible, le dédoublement des activités de collecte. Le Bureau pouvait dorénavant communiquer des données à un organisme statistique provincial qui respecterait les mêmes règles de confidentialité, tout en avisant le répondant de cette entente.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Certaines restrictions en matière de confidentialité furent assouplies. Alors qu'il était interdit auparavant de divulguer tout renseignement contenu dans une déclaration, l'interdiction se limitait désormais aux éléments d'information permettant une identification. Les données provenant d'un autre organisme seraient assujetties aux mêmes règles de confidentialité en vigueur au Bureau. La Loi prévoyait la communication des données relatives aux institutions publiques, comme les hôpitaux, sous réserve d'en retirer tout élément facilitant l'identification. En outre, le Bureau pouvait publier des listes d'entreprises et les produits ou services qu'elles offraient, ainsi que les noms et adresses d'établissements ou d'entreprises selon la taille déterminée par l'effectif. Enfin, aux termes du paragraphe 3 à), le Bureau devait « veiller à prévenir le double emploi dans les renseignements recueillis par les départements de l'État ». Cette disposition était plus symbolique que pratique, étant donné que rien n'obligeait les ministères à collaborer. Le Bureau fédéral de la statistique fut renommé Statistique Canada, et le statisticien fédéral, qui avait rang de sous-ministre, devint le statisticien en chef du Canada. Les deux appellations purent être utilisées pendant une période de transition, ce qui répondit aux besoins du recensement de 1971, puisque la publicité et les questionnaires avaient déjà été imprimés au moment de l'adoption de la Loi. Au cours de la deuxième lecture du projet de loi, Bruce Howard, secrétaire parlementaire du ministre, fit valoir ce qui suit : « Le nom d'un ministère ou d'une organisation est un indice important quant à la fonction, voire à l'attitude de cet organisme. C'est en songeant à cela, que nous proposons la dénomination « Statistics Canada ». En français, « Statistique Canada », un nom simple et moderne, en anglais ou en français, un nom presque bilingue. Ces deux seuls mots suffisent à indiquer ce qu'est cet organisme et ce qu'il fait. C'est une appellation efficace et définitive. À mon sens, la dénomination de notre institut de la statistique est ainsi nettement améliorée52. »
Son observation n'impressionna pas les traditionnalistes de la Chambre des communes. L'honorable D.S. Harkness répondit : « A mon avis, rien ne justifie ce changement. On voit ici se poursuivre une attaque engagée depuis plusieurs années contre les noms traditionnels, particulièrement ceux qui contiennent le mot « Dominion »; c'est un nom respectable qui a acquis une certaine valeur aux yeux du public. Je crois que nous devrions le conserver53. »
Au Bureau, on s'inquiéta davantage de l'inélégance d'un nom qui pouvait facilement s'abréger en « StatCan ». On avait déjà proposé le nom de « Bureau canadien de la statistique », mais la suggestion ne fut pas retenue. Les employés purent continuer à parler du « Bureau54 », comme ils le faisaient depuis longtemps, mais le nouveau nom entra bientôt dans les moeurs, au Bureau comme ailleurs.
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CHAPITRE XIV
1957-1972:
Les années Duffett II - Les programmes et autres enjeux
INTRODUCTION Pendant les 15 années où Walter Duffett fut statisticien fédéral, le Bureau s'occupa de quatre recensements. Il mena à terme celui de 1956, plus précisément les totalisations finales, l'analyse et la diffusion des résultats, puis exécuta les recensements de 1961 et de 1966. Il veilla aussi à la planification et à la tenue du recensement de 1971 et à la production des totalisations provisoires. Le recensement de 1971 fut le plus complexe et le plus coûteux de l'histoire du pays. Outre leur valeur informative, les recensements de l'ère Duffett contribuèrent largement à faire avancer la méthodologie statistique. Le Bureau multiplia aussi les progrès dans d'autres domaines, notamment la mise en place du Système de comptabilité nationale, parachevée à la fin des années 1960. Dès le milieu de la décennie, il fit converger les efforts sur l'amélioration des délais de diffusion des statistiques, surtout dans le cas des indicateurs économiques. Les chiffres du chômage retenaient grandement l'attention à la fin des années 1950. La hausse soutenue du chômage était devenue une source d'embarras pour le gouvernement, d'autant que le phénomène était mesuré d'après deux concepts officiels, d'où les écarts dans les statistiques afférentes. Le Bureau occupa un rôle de premier plan dans la correction de cette anomalie. Du temps de Duffett, le Bureau afficha sa présence sur la scène statistique internationale, même s'il accorda une moindre importance à l'assistance technique. Dans les années 1960, il fut l'hôte de deux grands rassemblements statistiques intergouvernementaux et il commença à participer aux travaux de la Conférence des statisticiens européens. En matière de bilinguisme, par ailleurs, des politiques et des règles étaient en voie d'élaboration dans la fonction publique. Le Bureau avait beaucoup à faire pour parvenir à une utilisation équilibrée des deux langues officielles dans ses opérations, et il réalisa des progrès en ce domaine. Son programme des publications fut le plus touché par la politique du bilinguisme.
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE RECENSEMENTS DE 1961, DE 1966 ET DE 197l1 En 1957, la planification du recensement de 1961 s'amorça par la mise sur pied d'un comité de direction, assisté de comités spécialisés et fonctionnels. Le comité eut tôt fait de reconnaître que la charge de travail dépassait les capacités de traitement du système utilisé en 1951. En ajoutant à cela le bilan positif du recensement de 1950 aux ÉtatsUnis, il décida de recourir à l'informatique pour le recensement de 1961. Il opta pour un IBM 705 Mark III à dix entraîneurs de bande, complété par un IBM 1401 à deux entraîneurs de bande. Les données étaient recueillies à l'aide de documents électrographiques, puis transférées par lecteur optique sur une bande magnétique en vue du traitement par l'ordinateur. Par rapport au recensement de 1951, celui de 1961 fut caractérisé par la couverture élargie de la population et du logement. La seule question nouvelle concernait la scolarité. Un ménage sur cinq devait fournir des renseignements additionnels sur la migration intérieure, la fécondité et le revenu, et le même échantillon servit au recensement du logement. Quant au recensement de l'agriculture, le quart des questions avait été supprimé par rapport à celui de 1951, et les changements apportés aux définitions avaient contribué à réduire le nombre d'exploitations agricoles à recenser. C'est aussi en 1961 que fut tenu le quatrième recensement décennal du commerce et des services. Les huit bureaux régionaux se chargèrent d'effectuer le dénombrement de la population, le recensement du logement et celui de l'agriculture ainsi que le traitement initial des deux premiers. Le dénombrement nécessita un contrôle postal de 60 % des ménages canadiens. Les facteurs de 170 zones urbaines comparèrent les listes d'adresses des recenseurs aux leurs. Un suivi auprès des ménages oubliés permit d'ajouter plus de 40 000 personnes au chiffre de la population totale. Des vérifications semblables eurent lieu en 1966 et en 1971. Comme il n'y avait pas à Ottawa assez de personnel compétent et d'installations pour mener à bien une entreprise de cette taille en si peu de temps, il fallut mettre à contribution les bureaux régionaux. Ceux-ci s'assuraient que les questionnaires étaient complets et cohérents, puis vérifiaient le code des professions inscrit sur les documents électrographiques. Dans le cas du recensement de l'agriculture, qui s'appuyait sur des questionnaires ordinaires, le traitement initial consistait à vérifier les codes et surtout à transcrire les données sur des documents électrographiques aux fins du traitement effectué au bureau central. Les centres de traitement du recensement de l'agriculture étaient situés à Cornwall, à Ottawa et à Winnipeg. Pour renforcer la surveillance du recensement, on augmenta le nombre de commissaires, chacun d'eux étant responsable de 24 recenseurs en moyenne, comparativement à 65 en 195l2. On supprima toutefois les postes des surveillants des opérations sur le terrain, chargés d'assister les commissaires au recensement. Au bureau central, le traitement commençait par la transcription sur bandes magnétiques des documents électrographiques. Les lecteurs optiques enregistraient les données sur des bandes à faible densité, puis F IBM 1401 les comprimait sur des bandes à haute densité. Pendant les six mois que dura cette opération, les lecteurs atteignirent
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tout au plus de 30 % à 50 % de leur vitesse maximale. L'IBM 705 vérifiait si les bandes étaient complètes et cohérentes; les erreurs supérieures aux écarts acceptés par le programme étaient corrigées manuellement. Un grand nombre de données furent rejetées parce que les lecteurs optiques avait omis d'enregistrer des renseignements inscrits sur les documents électrographiques. Les totalisations informatiques furent amorcées au début de 1962; jusqu'en 1965, elles étaient destinées aux publications du recensement. Puis elles furent réalisées pour répondre à certaines demandes, y compris les monographies du recensement. Les programmes de contrôle, de totalisation, etc., constituèrent un défi de taille. Les programmeurs qualifiés étaient une denrée rare à la fin des années 1950, d'où la nécessité de mettre sur pied un programme de formation accélérée. Le recensement de 1961 se révéla le chant du cygne du directeur de la Division du recensement, O.A. Lemieux, qui avait pris une part active au recensement de l'agriculture de 1931. Lui succéda à titre intérimaire J.L. Forsyth, et plus tard dans la décennie, ce fut au tour de W.D. Porter, qui avait travaillé au recensement de l'agriculture après avoir été en poste à l'Organisation de coopération et de développement économiques. En 1966 eut lieu le deuxième recensement national de mi-décennie, autorisé en vertu du décret C.P. 1965-449 du 12 mars 19653. Les méthodes de collecte et de traitement étaient calquées sur celles du recensement de 1961. Le questionnaire de la population et du logement ressemblait à celui de 1956 et visait à obtenir les renseignements suivants : nom, sexe, âge, état matrimonial, lien avec le chef de ménage, type de construction de l'habitation et mode d'occupation du logement. Le questionnaire de l'agriculture comportait 138 questions, alors qu'il y en avait eu 251 en 1961. L'évaluation du recensement de 1961 avait fait ressortir le besoin d'améliorer la formation et l'encadrement du personnel sur le terrain. En 1966 furent nommés 60 nouveaux représentants de bureaux régionaux (RBR), qui reçurent une formation au bureau central avant de donner des cours intensifs aux commissaires au recensement. Le système informatique utilisé en 1966 était sensiblement le même qu'en 1961, mais des modifications furent apportées aux lecteurs optiques. En 1967, un IBM 360/30 fut mis en place pour assurer l'exécution des dernières étapes du traitement. Les lecteurs optiques furent installés dans des locaux provisoires aménagés loin des salles d'ordinateurs à atmosphère contrôlée, ce qui provoqua des erreurs de lecture. Il fallut donc vérifier chaque unité de travail avant de l'accepter pour traitement. Une fois de plus, les lecteurs optiques ne fonctionnèrent qu'à une fraction de leur capacité. En 1966, l'offre de programmeurs qualifiés avait augmenté et elle permit de combler plus facilement les besoins en matière de programmation. Le contenu allégé du questionnaire de la population eut pour effet de réduire de beaucoup le nombre de tableaux de recoupement, et il fut possible de produire de nombreuses totalisations à partir d'un seul programme général. Les méthodes de contrôle et de correction subirent des modifications. En 1961, les erreurs qui subsistaient après cette étape étaient rectifiées par ordinateur, alors qu'en 1966, elles étaient examinées et corrigées manuellement, ce qui occasionna de longs retards. En 1971, cependant, il fut décidé de revenir aux méthodes utilisées en 1961.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE L'année 1971 marqua le centenaire du premier recensement national. Mais l'on s'en souviendra davantage pour les multiples innovations apportées en matière de méthodologie. Le nombre de questions augmenta considérablement. Le questionnaire de la population contenait de nouvelles questions sur l'enseignement professionnel, la langue parlée à la maison, l'emploi à temps plein et à temps partiel, le lieu de travail et les revenus agricoles4. Et afin de tenir compte de l'intérêt accru pour l'environnement, le questionnaire de l'agriculture renfermait de nouvelles questions sur l'utilisation de produits antiparasitaires, d'herbicides et d'engrais. La planification du recensement de 1971 prit une dimension plus vaste et plus complexe que jamais auparavant. À cette fin, il fut créé un comité des politiques, un comité de direction, un groupe de gestion et une foule de comités, sous-comités, groupes d'étude et groupes de travail, de quoi remplir une soixantaine de cases dans la structure des comités5. Le Service de recherche et de consultation en sondages évalua la qualité du recensement de 1961, puis étudia les recensements menés dans d'autres pays. Il conclut que le recenseur était à l'origine de l'erreur la plus fréquente en matière de statistiques. Cette raison, conjuguée à la longueur et à la complexité du questionnaire de la population de 1971, mena à la décision de restreindre le rôle du recenseur, par le recours à l'autodénombrement dans toute la mesure du possible. Après des essais concluants, on opta pour un questionnaire livré et à retourner en zone urbaine, tandis qu'en région rurale, les recenseurs se chargeraient de livrer et de ramasser les questionnaires. Le reste de la population — régions nordiques, ports isolés, institutions, etc. — serait recensé de la façon habituelle, par interview sur place. Deux questionnaires furent utilisés. La version abrégée fut remise aux deux tiers des ménages canadiens; il comportait les questions de base sur la population et neuf questions sur le logement. L'autre tiers reçut la version complète qui renfermait, en plus, 20 questions sur le logement et 30 questions d'ordre socio-économique. Pour le recensement de l'agriculture, le nombre de questions fut ramené à 199, par rapport à 251 en 1961. Étant donné l'accroissement démographique et la complexité du recensement de la population et du logement, le nombre de recenseurs passa à 41 000 en 1971, alors qu'il avait été de 30 000 en 1961. Pour remédier aux difficultés de surveillance éprouvées en 1961, il fallut mettre à contribution non seulement les commissaires au recensement et les représentants des bureaux régionaux comme en 1966, mais aussi des RBR principaux, des techniciens RBR, des adjoints administratifs RBR, des adjoints aux commissaires au recensement et, dans chaque bureau régional, un agent des opérations du recensement, placé sous l'autorité du directeur. Un système d'information des opérations sur le terrain permit d'établir le calendrier d'exécution des tâches du recensement, de surveiller les dépenses et l'avancement des activités en regard des plans et de fournir des rapports périodiques aux membres du groupe de gestion du recensement ainsi qu'aux directeurs régionaux. Des bureaux provisoires furent aménagés dans les régions à l'intention des 3 000 commis et des 300 surveillants affectés aux opérations du traitement. Les travaux consistaient surtout à coder manuellement les réponses indiquées par écrit sur les questionnaires de la population et du logement et à contrôler la qualité avant l'étape
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d'expédition au bureau central. Par ailleurs, les questionnaires de l'agriculture étaient appariés avec ceux de la population et du logement, en vue du couplage informatique dont se chargeait le bureau central. Les travaux exécutés au bureau central étaient tout à fait différents de ceux qui avaient été réalisés en 1966 et en 1961, ce qui s'expliquait surtout par l'insatisfaction ayant découlé de l'utilisation des lecteurs optiques. En 1971, les questionnaires de la population et du logement furent reproduits sur microfilms à l'aide de 12 appareils photo fixes fournis par le Bureau du recensement des États-Unis. Les données du film furent ensuite transférées sur bande magnétique au moyen du FOSDIC, un nouveau genre de lecteur optique qui avait servi aux recensements américains de 1960 et de 1970. Le Bureau s'en était procuré deux pour en faire l'essai en 1967 et les soumettre à un test général en 1969. Le FOSDIC avait alors montré qu'il pouvait transférer les données plus rapidement à partir de microfilms que de documents originaux. Le traitement fut réalisé par I'IBM 360/65 dont le Bureau avait fait l'acquisition en juin 1969 et dont on avait doublé la mémoire de base. Le traitement des questionnaires de l'agriculture s'effectua surtout à la main, et après la transcription des données sur des documents lisibles par machine, les totalisations furent exécutées sans problème. Il en alla autrement pour le recensement de la population et du logement, en particulier dans le cas du questionnaire complet (formule 2s); le contrôle informatique des données et la rédaction des programmes de totalisation entraînèrent de longs retards. Les données-échantillon devaient être étendues à l'ensemble de la population à l'aide d'une méthode de pondération appelée méthode itérative du quotient. Dans les rapports présentés pour les deux ou trois années qui suivirent le recensement, le statisticien fédéral fit état des difficultés posées par la validation de la base de données du questionnaire complet. Il survint un autre genre de problème dans le cas du recensement des établissements de commerce de 1971, qui devait se faire par la poste à partir d'une liste de répondants établie par des recenseurs spéciaux au moment du recensement de la population — méthode adoptée à l'époque de Coats. Les lacunes de la liste causèrent des difficultés et des retards considérables dans le traitement des données. Le recensement de 1976 fut donc annulé, puisque la réussite des travaux reposait sur l'élaboration d'une liste centrale cohérente et détaillée des établissements. Au début de la planification du recensement de 1971, il s'avéra nécessaire de constituer un système qui permettrait de fournir des données du recensement par petites régions. Les travaux aboutirent à la mise sur pied du système de géocodage (appelé officiellement le Système de stockage et d'extraction des données codées suivant une grille géographique). Pour faciliter la préparation des totalisations ordinaires et spéciales à l'aide du système de géocodage, le système d'extraction général STATPAK fut créé. Le programme de couplage des données sur l'agriculture et la population permit d'apparier chaque questionnaire de l'agriculture avec le questionnaire correspondant de la population et du logement (abrégé ou complet). Il en résulta une base de 130 410 documents appariés, qui offrait des possibilités d'analyse jusque-là irréalisables.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE La méthodologie du recensement fit l'objet d'une grande innovation en 1961, lorsque fut menée la contre-vérification des dossiers (CVD) par le Service de recherche et de consultation en sondages. Il s'agissait d'évaluer le sous-dénombrement d'un échantillon de 6 000 personnes recensées en 1956, qui avait été mis à jour d'après les registres de naissance et d'immigration et pouvait être considéré indépendamment du recensement de 1961. En raison du succès obtenu, la CVD servit de nouveau aux recensements suivants, si bien que la communauté internationale la considéra comme l'une des méthodes les plus fiables pour l'évaluation du sous-dénombrement. Une étude de moindre envergure fut aussi réalisée au moyen du redénombrement afin d'analyser l'incidence des réponses erronées sur les résultats définitifs; elle fut un facteur prépondérant dans la décision de recourir à l'autodénombrement. Par ailleurs, le recensement de l'agriculture de 1961 fit l'objet d'un contrôle qualitatif destiné à mesurer l'exactitude des certaines réponses obtenues au niveau national et régional; à cerner les principales caractéristiques des exploitations agricoles non dénombrées; et à estimer l'étendue et le sens des erreurs de déclaration. En 1966, une CVD fut effectuée à partir d'un échantillon quatre fois plus important qu'en 1961, pour établir la proportion de personnes omises du recensement de la population. Un autre contrôle qualitatif consista en l'appariement des données sur la population active et des résultats du recensement. Il permit d'évaluer le sousdénombrement et le surdénombrement des ménages et de mesurer les erreurs de contenu. C'est ainsi que les données recueillies en mai 1966 auprès d'environ la moitié des ménages ayant répondu à l'enquête sur la population active furent comparées avec les données obtenues des mêmes ménages ayant participé au recensement. Enfin, le contrôle qualitatif du recensement de l'agriculture fut assuré par le redénombrement d'un échantillon de segments aréolaires et des exploitations agricoles faisant partie de ces segments. En 1971, la CVD porta sur un échantillon encore plus vaste qu'en 1966; on put ainsi ventiler par âge et par province la liste des personnes non dénombrées. Les résultats permirent d'analyser les caractéristiques de ces personnes et d'estimer l'incidence des erreurs de couverture sur les totalisations du recensement. Afin de justifier le recours à l'autodénombrement en 1971, on réalisa une étude de la variance des réponses à l'échelle nationale. Le Service de recherche en sondages et enquêtes entreprit en 1971 un vaste programme de contrôle qualitatif des données sur l'agriculture, qui consistait à recueillir au niveau national et provincial d'autres données que des utilisateurs avaient demandées, mais qui n'avaient pas été obtenues au recensement. Pour les trois recensements — 1961, 1966 et 1971 —, une vaste campagne de promotion permit de sensibiliser la population à l'importance de l'opération et à l'inciter à participer en grand nombre et à fournir l'information la plus exacte possible. En vue de l'autodénombrement en 1971, on créa le slogan « Soyez du nombre », pour aider la population à s'identifier à l'objet du recensement. D'autres outils de promotion consistaient dans la production d'un film intitulé Les temps ont changé, n 'est-ce pas, M. Talon?\ l'émission d'un timbre commémoratif le 1er juin; et l'utilisation d'un cliché d'oblitération dans les bureaux de poste de 200 villes au Canada.
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L'outil de promotion le plus original fut sans doute le recensement de près d'un million d'élèves de 6 000 écoles primaires et secondaires, pendant les deux dernières semaines de mai 1971. Le but visé était de les sensibiliser à l'objet et à l'importance du recensement, de sorte qu'ils pourraient renseigner leurs parents sur l'autodénombrement. Le même modèle fut retenu pour la diffusion des résultats des trois recensements. Les premiers chiffres à paraître — le plus souvent, dans les trois mois suivant le recensement — concernaient la population par municipalité et avaient été obtenus par comptage manuel d'après les registres des visites. Les municipalités avaient alors l'occasion d'exprimer leurs réserves, le cas échéant, avant la diffusion des chiffres. Elles furent peu nombreuses à le faire, ce qui pouvait s'expliquer en grande partie par l'efficacité du contrôle postal. Le programme des publications se répartissait en plusieurs volets. La série préliminaire fournissait les données de base sur les caractéristiques démographiques et socio-économiques de la population et sur le logement et la famille, en plus des données sur l'agriculture. Les volumes définitifs — dont la préparation prenait plus de temps — présentaient l'essentiel des données et de nombreux recoupements en divers domaines. Pour le recensement de 1961, le volume définitif comportait une analyse des statistiques publiées dans d'autres volumes et plusieurs rapports distincts sur un éventail de sujets tels que la population, la population active, le logement et les familles, l'agriculture et le commerce. En 1971, la série de volumes contenait également le corpus principal de données recoupées dans tous les domaines, ainsi que des études schématiques dégageant les principales tendances observées dans la croissance de la population, les caractéristiques démographiques générales, les caractéristiques économiques de la population adulte, les familles, le logement et l'agriculture. Par ailleurs, une série spéciale faisait état des données non comprises dans la série courante de volumes et se rattachant à des classifications spécialisées et, dans certains cas, ventilées par région. Enfin, la série des secteurs de recensement présentait les caractéristiques de base de la population, du logement et de la population active6 pour les unités statistiques — secteurs de recensement — des grandes villes et des régions métropolitaines de recensement. Dans le cadre du recensement de 1971, de nombreux autres tableaux furent produits sur imprimante d'ordinateurs, puis microfilmés pour distribution aux utilisateurs. En outre, un programme de transfert sur bande du sommaire du recensement permit de fournir, sur demande, des données agrégées lisibles par machine. Des bandes-échantillon à grande diffusion, assorties des garanties de confidentialité habituelles, contenaient des données ramenées au niveau des unités de déclaration; les utilisateurs pouvaient ainsi produire des totalisations adaptées à leurs besoins. Une section de diffusion se chargea de coordonner la distribution des résultats du recensement tirés de ces nouvelles sources; elle s'occupait surtout de répondre aux besoins des provinces et qui utilisait les bureaux de statistique provinciaux comme distributeurs secondaires. Chose certaine, les monographies demeurent les fleurons des recensements de 1961 et de 1971; par l'envergure et la qualité de leurs analyses, elles se comparaient à celles du recensement de 1931. Au nombre de 15 en 1961, elles portaient sur différents
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE sujets — tendances du marché canadien, chômage, revenu, migration intérieure, expansion urbaine, femmes au travail, etc. —, et firent connaître une nouvelle génération de rédacteurs, dont Frank Denton, Sylvia Ostry, Leroy Stone, M.V. George et Jenny Podoluk. En 1971, on publia 14 monographies dans la collection des études analytiques du recensement, signées pour la plupart par des universitaires invités à présenter des projets de recherche. À l'époque de Duffett, le recensement devint une activité coûteuse. Comme le montre l'annexe B, les coûts en dollars courants grimpèrent de 108 % entre 1951 et 1961, et de 137 % entre 1961 et 1971. L'accroissement n'est expliqué qu'en partie par les hausses de la population, de 30 % et de 18 % respectivement. Il faut aussi tenir compte de l'étendue et de la complexité des recensements de 1961 et de 1971. L'annexe B présente les coûts de 1871 à 1971 convertis en dollars constants, et le coût en dollars constants par habitant pour chaque recensement. Cette mesure rudimentaire révèle qu'à l'exception de 1901, les coûts sont demeurés remarquablement stables entre 1871 et 1951. Les bonds de 35 % entre 1951 et 1961 et de 45 % entre 1961 et 1971 indiquent clairement l'avènement d'une ère de recensements plus complexes.
SYSTÈME DE COMPTABILITÉ NATIONALE Outre les recensements de 1961, de 1966 et de 1971, le fait saillant du mandat de Duffett consista dans le parachèvement du Système de comptabilité nationale, sous la direction de Simon Goldberg7. Les principaux éléments du système étaient les comptes nationaux trimestriels des revenus et dépenses, publiés pour la première fois en 1945. Ils firent l'objet de deux révisions majeures : l'une vers la fin des années 1950, et l'autre dix ans plus tard. À partir de 1961-1962, les comptes trimestriels englobèrent les données désaisonnalisées en dollars constants. À l'origine, l'exécution des travaux relevait d'une section du Service central de la recherche et du développement. En 1960-1961, la section fut transformée en la Division des comptes nationaux et elle prit en charge les travaux sur les indicateurs de conjoncture et la production industrielle. Jusque-là, ces deux domaines relevaient de la Section de la statistique des entreprises du Service central de la recherche et du développement. Les indicateurs de conjoncture, publiés chaque mois dans la Revue statistique du Canada, étaient corrigés des variations saisonnières, et l'opération constitua l'une des premières incursions du Bureau dans le monde de l'informatique. C'est au début des années 1960 que des progrès marquants furent réalisés dans les travaux sur la production industrielle : on commença alors à inclure dans l'indice de la production industrielle les données trimestrielles de la production réelle par secteur d'activité et pour l'économie dans son ensemble. Ces chiffres étaient fort utiles, puisqu'ils permettaient d'exercer un contrôle indépendant sur les mesures théoriquement équivalentes des comptes nationaux des revenus et dépenses. Le Bureau s'en servit également pour mesurer et analyser les variations de la productivité. Étant donné l'instabilité des marchés boursiers et monétaires internationaux, et les déficits chroniques de la balance des paiements de certains grands pays, les regards étaient rivés sur les statistiques canadiennes de la balance des paiements8. En 1961-1962,
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les travaux passèrent de la Division du commerce international à la Division des comptes nationaux, qui devint la Division des comptes nationaux et de la balance des paiements, sous la direction de C.D. Blyth. Le reste de la Division du commerce international, responsable des données sur les importations et les exportations, prit le nom de Division du commerce extérieur. Dans les années 1960 fut élargie l'élaboration des données sur les mouvements de capitaux à court et à long terme. En 1969, les travaux entrepris à la demande de la commission Gordon aboutirent à la publication de comptes des flux financiers, qui relièrent les variations du stock de créances financières des secteurs d'activité économique à la production de biens et services. Les tableaux des entrées-sorties de 1949 marquaient l'aboutissement de travaux de nature modeste amorcés par la Section des projets spéciaux du Service central de la recherche et du développement. Après leur publication en 1956 et le départ du responsable, J.A. Sawyer, pour l'Université de Toronto, les travaux sur les entréessorties furent délaissés provisoirement. Mais en 1962, Terry Gigantes, le successeur de Sawyer, planifia l'élaboration de tableaux pour 1961 en fonction de modifications d'ordre conceptuel, ce qui servirait à fournir un portrait plus détaillé des branches d'activité, des marchandises et des secteurs de demande finale. Les tableaux furent publiés avant la fin de la décennie, une fois créée la Division de recherche et développement en entrées-sorties au sein de la Direction de la statistique économique, par suite de la réorganisation de 1967. Au début des années 1960, T.K. Rymes avait entrepris de mesurer le stock brut et le stock net de capital fixe en dollars courants et constants, au moyen de la méthode de l'inventaire permanent. Aux États-Unis, déjà, ce genre de mesures avait été utilisé dans des estimations officieuses — mais bien considérées — des variations de la « productivité globale des facteurs », c.-à-d. la variation de la production réelle non expliquée par les variations de la quantité de travail et de capital9. La question intéressa vivement le gouvernement canadien dès les premières années de l'après-guerre, lorsque par l'intermédiaire du Conseil de la productivité angloaméricain, les États-Unis mirent leurs compétences techniques au service de l'économie britannique dévastée, puis de l'économie d'autres pays d'Europe dans le cadre du Programme de relèvement européen. Un comité consultatif interministériel sur la statistique du travail était en place à Ottawa à la fin des années 1940 et au début des années 1950, et il avait formé un sous-comité de mesure de la productivité, pour lequel le Bureau effectuait périodiquement des travaux à titre expérimental. Ce n'est qu'en décembre 1960 que le gouvernement concrétisa cet intérêt en instituant le Conseil national de la productivité, sous la direction de George de Young. Son mandat consistait à renforcer la position du Canada sur les marchés au pays et à l'étranger en améliorant la productivité des industries des secteurs primaire et secondaire. Mais tel qu'il était constitué, ce conseil ne pouvait faire grand-chose à cette fin; pendant ses trois années d'existence, il servit plutôt à la collecte et à la diffusion des données destinées à sensibiliser le public et à approfondir le concept. En août 1963 — 27 ans après la disparition de son homonyme des années 1930 —, il fut créé un nouveau Conseil économique du Canada qui, sous la présidence de John Deutsch, prit en charge les fonctions du Conseil national de la productivité, lequel fut dissous.
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE À la fin des années 1950, le Bureau lança un programme de mesure de la productivité, calqué sur celui du Bureau de la statistique du travail des États-Unis. Celuici étudiait depuis longtemps les industries manufacturières, mais ce n'est qu'en 1959 qu'il publia des mesures pour l'ensemble du secteur privé. Au Canada, le programme démarra au sein du Service central de la recherche et du développement, mais il passa rapidement à la Division de l'industrie et du commerce, puis fut cédé en 1967 à la nouvelle Division des comptes nationaux, de la production et de la productivité. Dès le début, le Bureau entreprit de mesurer la productivité des branches d'activité et de l'ensemble de l'économie. Sept études sur différentes branches avaient été publiées en 1970, lorsque ces travaux furent abandonnés parce qu'ils étaient jugés trop coûteux. Les indices de la variation annuelle de la productivité globale depuis 1947 furent publiés pour les secteurs d'activité commerciaux non agricoles en 1965. Plus tard, les mesures englobèrent l'agriculture. À l'hiver 1962-1963, Simon Goldberg fut à l'origine d'une première au Bureau : il organisa un colloque interministériel sur la productivité et les éléments connexes. Une vingtaine de communications firent l'objet de discussions10. Parmi les participants de l'extérieur du Bureau, plusieurs se joignirent par la suite au service de recherche du Conseil économique, par exemple D.J. Daly et D.A. White, du ministère du Commerce, ainsi que B.J. Drabble et D.L. McQueen, de la Banque du Canada. Les travaux du colloque furent utiles au Conseil économique pour son premier grand projet de recherche, qui consistait à estimer le potentiel de production jusqu'en 1970. Mais limité par son orientation conservatrice, le Bureau ne put l'aider à mener une analyse approfondie des facteurs influant sur l'augmentation de la productivité. Le Conseil se tourna donc vers Edward F. Denison, qui réalisa une étude comparative des États-Unis et de plusieurs pays d'Europe en faisant intervenir, par exemple, les différences qualitatives des entrées du travail, y compris les écarts causés par l'éducation, les mouvements des ressources entre les secteurs d'activité économique ainsi que les économies d'échelle11. Dorothy Walters, chercheuse au Conseil, s'inspira des travaux de Denison aux fins du calcul de données comparables pour le Canada12. Le Bureau s'en tenait à une démarche conceptuelle plus simple. Il était souvent sollicité pour établir des mesures agrégées des variations de la productivité infraannuelle. Mais de trop nombreuses mesures de la production trimestrielle étaient en fait des mesures des entrées du travail ajustées en fonction de la variation présumée de la productivité. L'élaboration de mesures annuelles agrégées se poursuivit essentiellement d'après la méthodologie originelle; on y apporta quelques améliorations d'ordre analytique, comme le calcul des coûts unitaires du travail. DU NOUVEAU — CALURA
Parmi les travaux non rattachés au recensement figurait le programme CALURA, chargé de recueillir des données financières et autres sur les sociétés et les syndicats, en application de la Loi sur les déclarations des corporations et des syndicats ouvriers, promulguée en avril 1962. Ces renseignements étaient nécessaires pour évaluer l'ampleur et les effets du contrôle étranger des sociétés au Canada, et le degré d'affiliation des Canadiens à des
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LES PROGRAMMES ET AUTRES ENJEUX
syndicats internationaux. Le programme CALURA fut confié au statisticien fédéral, même s'il s'agissait d'une activité distincte de celles que prévoyait la Loi sur la statistique^. Les sociétés avaient donc la fastidieuse obligation de fournir des données qui se trouvaient en bonne partie dans leurs déclarations de revenu. La Loi fut donc modifiée en 1964, et les sociétés qui avaient déposé des états financiers en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu furent exemptées de produire la déclaration exigée aux fins du programme. Le statisticien fédéral put alors avoir accès aux déclarations de revenu des sociétés. Ce précédent facilita les choses plus tard lorsque l'on chercha des moyens de réduire ou d'éviter le fardeau de réponse dans d'autres domaines d'activité du Bureau, par le recours aux déclarations de revenu des particuliers et des entreprises non constituées en société. ÉVOLUTION DES STATISTIQUES PRIMAIRES
Au début des années 1960, la Division de l'industrie et du commerce était devenue le plus vaste groupe spécialisé du Bureau et, en 1963-1964, elle fut scindée en deux divisions, celle de l'industrie et celle du commerce et des services. La première assuma l'entière responsabilité des statistiques de l'énergie, y compris les pipelines, l'électricité et le gaz naturel, que produisait jusque-là la Division des finances publiques et des transports. En septembre 1958, la Division du travail et des prix avait elle aussi été scindée en deux. Pendant la décennie qui suivit, chacune des divisions s'occupa de nouveaux programmes d'envergure. En réaction aux préoccupations suscitées par l'inflation et la compétitivité à l'échelle internationale, on élabora différents indices des prix, par exemple pour les industries manufacturières et pour les dépenses en immobilisations engagées dans la construction résidentielle et non résidentielle ainsi que dans les travaux de génie. Par ailleurs, l'élaboration d'indices des prix à la consommation dans les grandes villes conduisit à la mise en place de politiques et à l'adoption de programmes dans les domaines de l'aide sociale, du maintien du revenu et de l'expansion régionale. Au début des années 1960, la Division du travail lança une enquête sur l'emploi dans les petites entreprises et élargit la collecte de données sur l'emploi dans le secteur non commercial en plein essor. Les nouvelles données, alliées à celles de l'enquête sur l'emploi dans les grands établissements commerciaux, permit de mesurer l'emploi total dans les principaux secteurs d'activité par province. Plus tard, de concert avec le ministère de l'Emploi et de l'Immigration, la division élabora une enquête sur les postes vacants, destinée à cerner la demande sur le marché du travail, alors que l'enquête sur la population active visait à mesurer l'offre. À la fin des années 1950, les statistiques de l'avoir et de la dette des consommateurs furent intégrées aux enquêtes biennales auprès des ménages, qui servaient à calculer la taille du revenu familial non agricole. Puis les enquêtes englobèrent les ménages agricoles et d'autres sujets, comme la détention d'actions, les antécédents du travail, ainsi que les caractéristiques économiques et démographiques des bénéficiaires d'un revenu. L'élargissement de l'échantillon permit d'affiner l'analyse régionale des caractéristiques du revenu. Les travaux étaient réalisés à l'origine par le Service central
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE de la recherche et du développement et, au moment de la réorganisation de 1967, ils furent confiés à la Division de la recherche sur les finances des consommateurs, au sein de la Direction de la statistique socio-économique. Dans les années 1960, le nombre d'inscriptions doubla aux niveaux d'enseignement primaire et secondaire, cependant que les universités virent leurs effectifs quadrupler. Il se créa en outre de nouveaux genres d'établissements d'enseignement postsecondaire, d'où la nécessité de réévaluer les programmes statistiques en ce domaine et d'en élaborer de nouveaux. On amorça la production de données sur des installations culturelles comme les bibliothèques, les musées et les théâtres. L'époque de Duffett fut marquée par une profusion de statistiques dans le domaine juridique et dans celui de la santé. La criminalité et la délinquance constituaient une source de préoccupation pour le public, et des mesures furent prises dans le domaine correctionnel, comme la mise sur pied de la Commission nationale des libérations conditionnelles. La création du Système de déclaration uniforme de la criminalité allait permettre aux secteurs de compétence d'uniformiser les définitions, les relevés et les rapports. En 1969, la Section juridique de la Division de la santé et du bien-être social accéda au rang de division. Par ailleurs, à la fin des années 1950, l'instauration d'un régime d'assurance-hospitalisation fédéralprovincial avait nécessité l'affinage des données sur le fonctionnement et l'utilisation des services hospitaliers. C'est alors que furent publiés les résultats d'une nouvelle enquête sur la maladie au Canada, qui avait été menée en 1950-1951. Lorsque l'universalité des soins de santé se concrétisa plus tard, dans les années 1960, il fut possible d'affiner les statistiques sur la santé grâce à des projets comme l'enquête sur la main-d'oeuvre sanitaire.
DONNÉES PROVINCIALES ET RÉGIONALES L'intérêt pour les données provinciales et infraprovinciales ne cessa de s'accroître à l'époque de Duffett, en partie parce que les programmes fédéraux adoptaient de plus en plus une orientation régionale, mais surtout parce que les provinces participaient davantage à la planification et au développement socio-économique. Par suite d'une recommandation de la Conférence fédérale-provinciale sur la statistique économique tenue en 1962, le Bureau créa un service de recherche et d'intégration en matière de statistique régionale en vue d'étudier les besoins de statistiques à l'échelle provinciale et de trouver les moyens de les combler. La nouvelle Loi sur la statistique donna lieu à une démarche fructueuse : la conclusion d'ententes avec les provinces sur la collecte conjointe et le partage de données. Il s'ensuivit la création d'un service de liaison et de consultation avec les provinces, chargé d'établir et de coordonner les communications du Bureau avec les ministères provinciaux, en leur qualité de producteurs et d'utilisateurs de statistiques.
MESURE DU CHÔMAGE À mesure que le chômage prenait de l'ampleur, vers la fin des années 1950, les appréhensions du public furent aggravées par l'apparente incapacité des statisticiens officiels à fournir une mesure permanente de ce phénomène. Chaque mois, le ministère 266
LES PROGRAMMES ET AUTRES ENJEUX
du Travail publiait les chiffres des registres du Bureau national de placement (BNP), sur lesquels figuraient les prestataires d'assurance-chômage et autres personnes inscrites volontairement. Par ailleurs, l'enquête mensuelle sur la population active servait notamment à calculer le nombre de personnes sans emploi et à la recherche d'un travail. Or, les résultats de l'enquête étaient constamment et de beaucoup inférieurs à ceux du BNP. En 1954, le Bureau et le BNP décidèrent de diffuser leurs données dans un même communiqué et d'y ajouter les détails pertinents, mais le problème demeura entier. Les questions se multipliaient à la Chambre des communes. Le 19 juillet 1958, l'honorable Lester B. Pearson évoqua les deux mesures en ces termes : « [...] il a toujours existé de la confusion tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Chambre, quant au rapport qui existe entre ces deux séries et quant à ce qu'ils représentent. » II demanda un rapport détaillé sur « la signification et l'importance exactes des chiffres du Bureau de la statistique relatifs au chômage, comparativement à ceux du ministère du Travail14 ». L'honorable Gordon Churchill, ministre du Commerce, répondit : « Le directeur du Bureau fédéral de la statistique a étudié ce problème avec grand soin et a préparé un rapport qu'il a, je crois, essayé de porter à l'attention d'un gouvernement ou l'autre à trois reprises. [...] J'ai songé à demander à M. Duffett [...] de présenter le rapport de nouveau15. »
Ce rapport, rédigé par le Bureau de concert avec le ministère du Travail16, décrivait les deux sources d'information sur le chômage et expliquait les variations entre les chiffres 17 . Les deux séries étaient différentes sous plusieurs aspects : champ d'observation, méthode, période de référence18. Et si les données tirées des registres du BNP (les détails sur les professions et les régions, par exemple) étaient utiles aux fins de l'analyse du marché du travail, celles de l'enquête sur la population active étaient considérées comme la seule information valable sur l'étendue de l'emploi et du chômage au pays et dans les régions. De l'avis des utilisateurs, l'enquête n'arrivait pas à fournir le chiffre du chômage, elle livrait plutôt différentes données qui ouvraient la voie à autant d'interprétations. Le rapport indiquait en conclusion que la statistique des personnes sans emploi et à la recherche d'un travail devait trouver un vaste appui auprès du public. Le rapport ne fut pas publié, contrairement à ce que Churchill avait laissé entendre, et les questions continuèrent d'affluer à la Chambre. En mars 1960, l'honorable Michael Starr, ministre du Travail, de concert avec le ministre du Commerce, forma un comité chargé de se pencher sur la question. Présidé par A.H. Brown, sous-ministre du Travail, assisté de Duffett et de Goldberg, du Bureau, ainsi que de sommités d'autres ministères dont celui du Travail, le comité devait : « 1) Délibérer sur la façon la plus judicieuse d'établir un calcul officiel du chômage dans le pays, et faire des recommandations en conséquence; 2) voir si les données statistiques existantes sont suffisantes à cette fin; 3) à la suite de ces dispositions, aviser aux changements qui s'imposeraient dans le communiqué mensuel émis conjointement par le ministère du Travail et le Bureau fédéral de la statistique. Il est demandé au comité de soumettre son rapport aussitôt que possible aux deux ministres en question19. »
Le rapport fut présenté le 5 août 1960 et publié le 7 octobre 1960; ses recommandations avaient reçu l'aval des deux ministres. Il prônait une définition du
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LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE chômage qui engloberait toute personne sans emploi et à la recherche d'un travail, et les travailleurs mis à pied temporairement, selon ce que révélait l'enquête mensuelle sur la population active. La définition ressemblait à celle en usage aux États-Unis et elle était conforme aux recommandations de l'Organisation internationale du travail en ce domaine. Les statistiques tirées des dossiers de l'assurance-chômage et du BNP comportaient de sérieuses lacunes comme mesures du chômage; il fut donc recommandé de cesser de les incorporer au communiqué mensuel. On publierait plutôt un communiqué simplifié, fondé sur le bulletin mensuel du Bureau, Population active20, et l'analyse serait rédigée par le ministère du Travail. Un comité consultatif interministériel fut établi en permanence pour traiter de la recherche sur la population active. Il favorisa une utilisation plus poussée des données sur la population active, comme les caractéristiques de la famille, la ventilation des travailleurs par profession et par secteur d'activité, la scolarité, et les entrées et sorties brutes et nettes sur le marché du travail.
NOUVEAUX SYSTÈMES DE CLASSIFICATION Au début des années 1960, il apparut que l'intégration de la statistique économique était tributaire de systèmes de classification à jour, cohérents et appliqués uniformément pour les branches d'activité, les marchandises, les professions et la géographie. En 1963, N.L. McKellar fut nommé directeur du nouveau Service central des classifications; on s'employa alors à élaborer ou réviser ces systèmes de classification et à examiner leurs applications dans des domaines comme le recensement décennal, la statistique du commerce extérieur et de l'emploi, et le recensement de l'industrie. Dans ce dernier cas, la définition de l'établissement fut remaniée de sorte qu'une déclaration suffirait à couvrir les champs d'activité et que la classification se ferait en fonction de l'activité principale. Par ailleurs, une liste centrale des entreprises et des établissements fut constituée afin d'assurer une couverture comparable des enquêtes à leur sujet. Des études de profil détaillées permirent d'examiner la relation entre les dossiers statistiques des entreprises et les établissements qui les constituaient. SÉRIES CHRONOLOGIQUES ET MODÉLISATION
Vers la fin des années 1960, le Bureau collabora avec le Conseil économique du Canada et d'autres organismes à la création du modèle économétrique CANDIDE. Ce modèle à moyen terme comportait environ 1 600 équations et s'appuyait en grande partie sur les séries chronologiques du Bureau aux fins d'examiner le fonctionnement d'un marché tout autant que l'économie dans son ensemble. Le Conseil s'en servit pour l'élaboration de ses prévisions. Le Bureau participa au projet par l'entremise de la section d'économétrie que Simon Goldberg avait créée un an ou deux plus tôt. À la suite de la réorganisation de 1967, ce service devint une division de la Direction de l'intégration et du développement. CANDIDE fut aussi l'embryon du CANSIM, la banque informatisée de séries chronologiques du Bureau C'est à cette époque que fut lancé à titre d'essai un autre modèle économétrique, le RDX de la Banque du Canada. Renommé par la suite Rox2, ce modèle trimestriel put 268
LES PROGRAMMES ET AUTRES ENJEUX
bénéficier des progrès accomplis par le Bureau pour accélérer la diffusion des statistiques et indicateurs économiques infra-annuels. L'actualité des données laissait à désirer depuis quelque temps, en partie à cause des problèmes de conversion posés par l'adoption des nouveaux systèmes de classification. Les premiers domaines ciblés furent les statistiques de l'emploi et de la rémunération, les importations et les exportations, le commerce de détail, ainsi que l'indice de la production industrielle. Grâce à des mesures énergiques, on réalisa des gains importants. Plus tôt dans la décennie, le Bureau avait collaboré avec les professeurs M.C. Urquhart et K.A.H. Buckley à réunir une importante collection de données chronologiques dans un ouvrage de 672 pages, couvrant la période de 1867 à I96021. Les chefs de section, pour la plupart des universitaires, travaillèrent avec des équipes de spécialistes à établir et décrire les séries portant sur 21 domaines spécialisés.
BILINGUISME L'adoption du bilinguisme dans la fonction publique procédait des recommandations de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme de 1963. La Loi sur les langues officielles ne fut promulguée qu'en 1969, mais le premier ministre, le très honorable Lester B. Pearson, en avait déjà illustré le principe dans sa déclaration du 6 avril 1966 : « Un climat se créera dans lequel les fonctionnaires des deux groupes linguistiques pourront travailler ensemble vers des buts communs, en utilisant leur propre langue et en s'inspirant de leurs valeurs culturelles respectives, tout en appréciant à leur pleine valeur et en respectant celles des autres. [...] Il sera de pratique courante que les communications orales ou écrites à l'intérieur de la fonction publique se fassent dans l'une ou l'autre langue officielle au choix de l'auteur, celui-ci ayant dorénavant la certitude d'être compris par ceux à qui il s'adressera22. »
II ajouta que lorsque les surveillants ne parlaient pas la langue des personnes placées sous leur autorité, ils devaient être en mesure de leur donner correctement des directives. Ce n'est que plus tard dans la décennie que le Bureau déploya les efforts les plus visibles et les plus productifs en vue d'offrir ses publications aux utilisateurs dans la langue de leur choix. Dès ses débuts à titre de statisticien fédéral, Coats pouvait compter sur une équipe de traducteurs, qui fut dirigée par Orner Chaput jusqu'en 1942. L'équipe était appelée à traduire surtout les rapports du recensement et l'Annuaire du Canada, dont la loi reconnaissait déjà le caractère bilingue, tout comme ce fut le cas pour le guide Le Canada au début des années 1930. En 1926 fut lancée la Revue mensuelle de la situation économique (la future Revue statistique du Canada) en français et en anglais, étant donné qu'elle visait principalement les entreprises commerciales. Le ministre dont relevait Coats en 1933, l'honorable H.H. Stevens, se fit une modeste réputation de champion du bilinguisme en insistant pour que Le Quotidien parût autant en français qu'en anglais. À ce sujet, Le Devoir souligna le 7 octobre 1933 : « C'est encore le même ministre, car le bureau fédéral de la statistique dépend du Commerce, qui a voulu que l'Annuaire et le Year Book paraissent en même temps. » Le Droit 269
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE d'Ottawa s'en réjouissait dans son numéro du 11 octobre : « Petit à petit, après bien des demandes, des protestations et des démarches, le bilinguisme officiel gagne du terrain. » L'optimisme était prématuré. Une trentaine d'années plus tard, il n'existait toujours pas en français de publications courantes comme les bulletins mensuels sur l'emploi et les prix, le bulletin trimestriel sur les comptes nationaux et les rapports sur le recensement annuel des manufactures. Cependant, les attitudes et les moeurs étaient en voie de changer. Au début des années 1960, on prépara le lancement d'un grand nombre de rapports et de séries statistiques sous forme de publications bilingues. En janvier 1967, Jean-Charles Cantin, secrétaire parlementaire du ministre du Commerce, répondit à une question posée à la Chambre : « Le Bureau fédéral de la statistique a pour ligne de conduite de publier le plus de rapports possible dans les deux langues, compte tenu des ressources dont il dispose pour la traduction. Tout en augmentant le nombre de rapports bilingues, on s'efforce d'accorder la priorité à la traduction d'ouvrages qui sont en grande demande23. »
Le travail était considérable. Chaque année paraissaient un millier de publications de périodicité variable, dont les deux tiers n'étaient offerts qu'en anglais. Outre les impératifs de la traduction et la priorité accordée à la demande du marché, les divisions spécialisées avaient chacune leur vocabulaire que les traducteurs devaient assimiler. Aussi jugea-t-on préférable de se concentrer sur les documents d'une division plutôt que de s'occuper en même temps de toutes les divisions. Il se fit néanmoins des progrès. En 1965 paraissaient 615 publications séparément en français et en anglais, et 350 sous forme bilingue. Il était plus rentable de publier une version bilingue lorsqu'il y avait une abondance de tableaux et d'éléments graphiques en commun. En 1969, les chiffres s'établissaient à 818 et à 707, respectivement. En pourcentage, les progrès furent moins évidents, puisque le nombre de publications était passé de 965 à 1 52524, sous l'effet du dynamisme des programmes entre 1965 et 1969. Les aspects généraux du bilinguisme furent quelque peu délaissés jusqu'à la fin de la décennie, lorsque fut nommé un conseiller en bilinguisme chargé d'aider à la mise en oeuvre des dispositions de la Loi sur les langues officielles. Sur les 2 700 employés du Bureau à l'époque, environ 900 étaient considérés bilingues25. Cependant, il s'agissait surtout de commis aux écritures ou d'employés de bureau aux échelons inférieurs et, en l'absence d'un mécanisme de définition des exigences linguistiques des postes, il n'était pas possible de vérifier le degré d'utilisation de la compétence linguistique. Une statistique était toutefois éloquente : sur les 41 fonctionnaires qui touchaient 17 000 $ ou plus par année en 1969 — y compris directeurs, directeurs généraux et personnes ayant une ancienneté équivalente —, seulement 8 étaient bilingues26. Étant donné le faible taux de roulement au Bureau, surtout aux échelons inférieurs, la formation linguistique offrait le meilleur moyen d'accroître la proportion d'employés bilingues. La Commission de la fonction publique avait amorcé un programme d'agrandissement de ses installations de formation, mais le Bureau dut quand même établir ses priorités avec soin. Les premiers visés furent les membres de la direction et les agents de maîtrise de la catégorie de l'administration et du service extérieur et de la catégorie scientifique et professionnelle. Dans son rapport annuel pour l'exercice terminé le 31 mars 1970, le statisticien fédéral fit mention que 242 employés avaient été désignés pour suivre une formation 270
LES PROGRAMMES ET AUTRES ENJEUX
linguistique pendant l'année. Mais les progrès ralentirent quelque peu à l'approche du recensement de 1971, et de nombreux employés durent abandonner leurs cours provisoirement. ACTIVITÉS INTERNATIONALES
À l'époque de Duffett, le Bureau occupa une large place au sein de la communauté statistique internationale, même si sa contribution fut moins marquée dans le domaine de l'assistance technique. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), créée en 1960, prit en quelque sorte la relève de l'ancienne Organisation européenne de coopération économique, qui avait administré le plan Marshall après la guerre. Organisme à vocation consultative articulé autour de la croissance durable, l'emploi et la stabilité financière des pays membres, TOCDE comptait beaucoup sur des statistiques internationales pertinentes et comparables, et le Bureau ne tarda pas à participer à la planification et à la production de ces données. Le Canada continua aussi à siéger à la Commission de statistique des Nations Unies tout au long des années 1960. En 1953, la Conférence des statisticiens européens avait été créée à titre d'antenne de la Commission économique pour l'Europe. Même si le Canada ne se joignit à la Commission qu'en 1974, Duffett assista à la conférence de 1966 en tant qu'observateur, et par la suite le Bureau y prit une part active, mais à titre officieux. Duffett suivit les traces de Marshall à l'égard de l'Institut interaméricain de statistique : le Canada en demeura un acteur de premier plan, et le Bureau fut représenté régulièrement à ses réunions et aux séances du Comité de l'amélioration des statistiques nationales. En août 1963, le Canada accueillit à Ottawa plus de 780 participants pour la 34e séance de l'Institut international de statistique, que le Bureau s'était chargé d'organiser entièrement. Plus tard dans la décennie, le Bureau n'était pas peu fier de compter huit de ses dirigeants — en poste ou à la retraite — à avoir été membres de ce prestigieux organisme non gouvernemental. En septembre 1966, la 6e Conférence des statisticiens du Commonwealth eut lieu à Ottawa. Y assistèrent 22 délégués de 15 pays et plusieurs observateurs de I'ONU et d'ailleurs. À l'instar des conférences tenues avant la guerre, l'ordre du jour comportait des sujets d'intérêt pour les pays développés et les pays en développement du Commonwealth. En 1970, l'Inde accueillit la 7 e Conférence, et le Bureau y fut représenté par une forte délégation.
DÉPART DE DUFFETT Walter Duffett prit sa retraite le 30 juin 1972. Âgé de 62 ans, il aurait pu tenir encore la barre, comme ses prédécesseurs Coats et Marshall, et travailler jusqu'à l'âge de 65 ans et au-delà. Vers la fin des années 1960, il était devenu monnaie courante pour les sousministres déjouer à la chaise musicale, mais au Bureau, on ne croyait pas que la pratique pût s'appliquer à un poste sans lien politique comme celui du statisticien en chef du Canada. Il se peut fort bien que le Bureau du Conseil privé, le Secrétariat du Conseil du Trésor et d'autres ministères craignaient que malgré les ressources additionnelles dont le Bureau disposait depuis quelques années, il ne pourrait répondre adéquatement aux 271
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE besoins de l'État en matière de statistique, non plus qu'il arriverait à prévoir la demande. Sans porter de jugement à l'égard de Duffett, on estima sans doute qu'il était temps de faire des changements, comme l'indiqua le successeur de Duffett en janvier 1973, dans un rapport qui recommandait ce qui suit : 1. 2. 3. 4.
Mieux définir les priorités du Bureau dans l'utilisation des ressources statistiques. Élargir l'accès aux renseignements statistiques. Améliorer la qualité et l'actualité des statistiques pour l'établissement de politiques. Veiller à l'adéquation des statistiques et des besoins des ministères clients27.
Simon Goldberg était le seul candidat du Bureau qui avait de réelles chances à la succession de Duffett. Il était largement respecté pour avoir veillé à la réalisation du Système de comptabilité nationale, et il jouissait d'une grande popularité au Bureau. De quatre ans plus jeune que Duffett, il aurait pu être en poste assez longtemps pour mettre en oeuvre des mesures semblables à celles qui sont mentionnées plus haut. Son talon d'Achille était sa loyauté indéfectible envers Duffett. Comme il avait été son bras droit pendant 15 ans, on jugeait, à tort ou à raison, que sa carrière était liée inéluctablement à celle de son supérieur. Le poste fut donc confié à Sylvia Ostry, directrice du Conseil économique du Canada, dont le dossier était impressionnant : elle avait fait des études de doctorat aux universités McGill et Cambridge, et enseigné à Oxford et à McGill. Au début des années 1960, Goldberg l'avait recrutée à titre de directrice des études spéciales de la main-d'oeuvre, et elle avait rédigé, seule ou en collaboration, sept monographies sur le recensement de 1961. Peu après l'entrée en fonction de Sylvia Ostry, Goldberg fut nommé, pratiquement par acclamation internationale, directeur du Bureau de statistique des Nations Unies, poste qu'il occupa jusqu'en 1979. Il renforça considérablement les compétences professionnelles de ce service qui, sous sa gouverne, s'imposa sur la scène mondiale. Il fut le créateur et la force agissante du Programme de mise en place de dispositifs nationaux d'enquête sur les ménages, qui visait à fournir aux pays en développement des moyens de tenir des enquêtes périodiques sur les ménages. Après avoir pris sa retraite en 1979, Goldberg occupa la fonction de coordonnateur du programme pendant quatre ans. Puis, jusqu'à son décès subit en 1985, il continua à offrir ses services en qualité de consultant international, et c'est à ce titre qu'on le revit à Statistique Canada en plus d'une occasion. Une fois à la retraite, Duffett accepta la vice-présidence du Conférence Board du Canada. Puis il quitta cette fonction pour se consacrer davantage à l'Institut interaméricain de statistique, qui lui tenait tant à coeur. Il en fut vice-président de 1974 à 1979 et président du 1er janvier 1980 jusqu'à sa mort en 1982, à Ottawa. Lui ont survécu son épouse Isabel Rothney et ses deux filles.
BILAN PROVISOIRE DES ANNÉES DUFFETT Tant que le gouvernement n'aura pas rendu publiques ses archives concernant la fin des années 1960 et le début des années 1970, il sera téméraire de porter un jugement définitif sur la contribution de Walter Duffett à la statistique canadienne. Il est même difficile d'en brosser un tableau provisoire, étant donné que, contrairement à ses prédécesseurs
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LES PROGRAMMES ET AUTRES ENJEUX
Coats et Marshall, qui n'ont jamais fui les feux de la rampe, Duffett était un être austère et renfermé; il n'était donc pas facile à connaître ou à comprendre. Les chefs de division le voyaient périodiquement, mais un bon nombre de cadres supérieurs recevaient leurs directives de Simon Goldberg. Le Bureau était donc dirigé selon un partenariat tacite, mais non moins réel. Duffett fit bon ménage avec les ministres qui se succédèrent, et il était populaire auprès des députés qu'il rencontrait dans les réunions des comités d'examen des affectations de crédits. Avant l'ère Trudeau, la plupart des sous-ministres avaient le même âge et la même formation que lui et le considéraient comme un collaborateur sûr et fiable. Goldberg fit appel à des personnes de l'extérieur du Bureau qui pouvaient l'aider à élaborer des programmes. Par exemple, il tissa des liens étroits avec le sénateur Maurice Lamontagne, vers la fin des années 1960, puisqu'il estimait que l'enquête sur la politique scientifique menée par celui-ci pourrait servir à faire connaître le rôle et les compétences du Bureau auprès des milieux politiques et du public. Outre le rôle prépondérant qu'il occupa dans la réalisation du Système de comptabilité nationale et dans l'expansion du corpus de statistiques primaires servant d'assise au système, Goldberg ne cessa de développer des compétences en matière de méthodologie et de parfaire les éléments d'infrastructure, comme les classifications. À cet égard, il intervint dans la nomination de personnel clé. Jamais au Bureau, avant ou après lui, un cadre supérieur n'a bénéficié d'une telle latitude en matière de gestion; il est tout à l'honneur de Duffett d'avoir donné une marge de manoeuvre à Goldberg, même s'il devait fixer des limites de temps à autre. À n'en point douter, Duffett présida à la plus vaste expansion des ressources du Bureau. L'effectif autorisé fit plus que doubler en 15 ans et sa progression se maintint dans les années 1960. Le Bureau avait beaucoup reçu, et ses réalisations furent nombreuses. S'il est vrai qu'il n'obtint pas le succès espéré en matière d'informatisation, il n'était pourtant pas seul dans cette situation. Le secteur privé et d'autres branches de l'appareil d'État se butaient à des applications beaucoup plus simples. Le Bureau avait fixé haut la barre et tentait de mettre l'ordinateur au service d'une nouvelle méthodologie statistique qu'il appelait « automatisation ». Ce n'est que vers la fin des années 1970 que le problème fut entièrement résolu. Duffett était à la barre lorsque, dans la foulée des travaux de la commission Glassco, au début des années 1960, le Bureau fut enfin reconnu comme un organisme de plein droit et cessa de relever d'un sous-ministre. Le sort l'avait voulu ainsi, et Duffett et ses collègues ne pouvaient s'en approprier le mérite. À vrai dire, ce geste ne faisait que consacrer officiellement l'autonomie que le Bureau avait acquise peu à peu depuis l'arrivée de Coats. Pendant les dernières années de son mandat, Duffett fut confronté à un véritable problème : l'augmentation presque démesurée des ressources, qui eut deux conséquences graves pour le Bureau, mais que personne ne reconnut à l'époque. D'une part, elle contribua à diluer la qualité de l'effectif, par suite du recrutement anormalement élevé, surtout dans les catégories professionnelles. Les personnes qualifiées sur papier mais sans expérience ne pouvaient s'intégrer aussi rapidement à la culture du Bureau qu'elles ne l'auraient fait autrement. La situation persista bien après le départ de Duffett et se manifesta jusqu'aux échelons supérieurs. 273
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE D'autre part, elle occasionna un flou dans les priorités, qui semblait tenir au fait que le Bureau avait carte blanche sur presque toute la ligne. Des projets furent lancés qui n'auraient jamais été acceptés dans un contexte budgétaire plus rigoureux. Il serait futile et inopportun d'en attribuer le blâme au Bureau, puisque des ministères se trouvaient dans la même situation. Le Bureau ne fit que suivre le courant. L'effet de ces phénomènes — la dilution de la qualité de l'effectif et le flou des priorités — prit du temps à se manifester et s'avéra difficile à éradiquer. Dans l'épilogue, nous aborderons les points saillants des années 1970 et nous verrons comment le vent finit par tourner.
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EPILOGUE
1972-1995 Dans la préface, j'expliquais pourquoi je ne croyais pas souhaitable, ni même réalisable, de poursuivre l'histoire du bureau central de la statistique au-delà du départ à la retraite de Duffett. Je m'en voudrais toutefois de décevoir le lecteur en le laissant sur sa faim au milieu de 1972. Aussi, malgré la difficulté à réunir une documentation solide et à porter un regard objectif sur les 25 ans qui se sont écoulés depuis, il pourrait s'avérer utile de faire un survol rapide de l'évolution du Bureau pendant cette période. Depuis la fin des années 1960, comme nous l'avons vu, on se préoccupait de plus en plus au Bureau du Conseil privé et ailleurs que malgré les ressources additionnelles, le Bureau ne pourrait satisfaire aux besoins de l'État en matière de statistique, non plus qu'il veillerait adéquatement à la prévision de la demande. Peu après sa nomination au poste de statisticien en chef, Sylvia Ostry chargea un groupe d'étude de faire le point sur le système statistique. Au début de 1973, le groupe énonça trois volets prioritaires : accroître l'utilité des statistiques et en faciliter l'utilisation; rehausser à long terme les compétences globales du pays en ce domaine; et raffermir les relations avec le public. La mission revint en grande partie au Bureau, qui formait la composante principale du système. Il lui revenait aussi de mettre en valeur ses qualités de chef auprès des intervenants et d'assurer une meilleure coordination de leurs activités. Diverses recommandations étaient formulées : élaborer un plan à moyen terme et en assurer la mise à jour; améliorer les moyens de consultation; instituer un processus d'évaluation interne des programmes, qui permettrait d'établir une distinction entre les activités d'envergure nationale, que financerait Statistique Canada, et les travaux statistiques dont les coûts seraient assumés par les clients. Il fallait aussi intensifier les efforts afin de limiter le plus possible le fardeau de déclaration; garantir la confidentialité malgré la demande croissante de microdonnées; raccourcir les délais de diffusion; et faciliter l'accès aux données à toute étape du système. Le groupe préconisait d'intercaler le niveau de statisticien en chef adjoint entre les niveaux de statisticien en chef et de directeur général. Une fois avalisé ce renforcement de la direction, on entreprit de recruter du sang neuf. Les candidats de l'extérieur nommés aux postes de statisticien en chef adjoint et de directeur général avaient de grandes compétences, mais aucun ne connaissait la culture et le fonctionnement d'un bureau central de statistique. L'expérience collective globale de la haute direction s'en trouva donc diluée.
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Sylvia Ostry resta en poste deux ans et demi et, pendant son mandat, les ressources continuèrent à affluer. En 1973-1974 et 1974-1975, les programmes du Bureau autres que le recensement reçurent 855 années-personnes de plus. Compte tenu des 637 qui s'étaient ajoutées pendant les deux années précédentes, il s'agissait d'une hausse de 48 % par rapport au total de 3 135 pour 1970-1971. Ce n'est pas sans peine que le Bureau absorba l'accroissement. En fait, un grand nombre de nouveaux postes demeurèrent vacants. Les rapports annuels signalaient toutefois des améliorations remarquables et des ajouts aux programmes statistiques. L'automatisation des nombreuses enquêtes du Bureau autres que le recensement fit certains progrès, mais il restait beaucoup à faire. Il n'était toujours pas facile d'obtenir une collaboration fructueuse entre les spécialistes des domaines d'activité, d'une part, et les méthodologistes et les informaticiens, d'autre part. La difficulté était attribuable aux changements radicaux qui se produisaient simultanément dans deux domaines critiques : la méthodologie statistique, en raison de l'adoption de techniques modernes d'échantillonnage; et le virage informatique amorcé à vive allure pour le traitement des données. Certes, le Bureau n'était pas seul dans cette situation. Les ministères et le secteur privé étaient souvent déconcertés par des applications bien moins complexes que celles que le Bureau tentait de mettre en oeuvre. Au début de 1975, Sylvia Ostry fut nommée sous-ministre de la Consommation et des Corporations. Lui succéda Peter Kirkham, qu'elle avait recruté deux ans plus tôt à l'École d'administration des affaires de l'Université Western Ontario, pour le poste de statisticien en chef adjoint aux Comptes économiques et à l'Intégration. L'année suivante, Statistique Canada ne bénéficia pas d'augmentation de crédits pour ses programmes et, en 1978, il lui fut imposé des compressions dans le cadre du régime d'austérité de l'État. Les directeurs de programmes, même les plus anciens, n'avaient pas imaginé en arriver là, puisqu'ils tablaient sur les hausses budgétaires annuelles pour satisfaire la demande soutenue en vue d'accroître et d'affiner les statistiques. Les compressions étaient assujetties à des délais inéluctables, et l'absence de lignes directrices empêchait d'établir lesquelles porteraient moins à conséquence. Il manquait aussi les systèmes et méthodes qui, dix ans plus tard, permettraient d'en tirer le meilleur parti. Une seule certitude était acquise : préserver les séries économiques nationales, dont l'importance n'était plus à démontrer. Parmi les enquêtes qui tombèrent sous le couperet en 1978, mentionnons l'enquête sur la profession des salariés et l'enquête sur les postes vacants qui, aux dires d'un bon nombre, n'avaient pas satisfait aux attentes. Le même sort fut réservé à l'enquête sur la santé au Canada, qui venait d'atteindre son rythme de croisière et qui répondait manifestement à un besoin important. La dernière année où Kirkham fut en poste, soit 1979-1980, les ressources affectées aux programmes autres que le recensement et aux activités principales du recensement étaient tombées à moins de 4 000 années-personnes. En 1978, Kirkham abolit le Secteur des services statistiques et réaffecta les divisions de méthodologie aux secteurs spécialisés correspondants. En guise de justification, il indiqua que l'intégration allait permettre d'assurer un meilleur service et de raffermir la collaboration. À une époque où les programmes et les méthodes de gestion de Statistique Canada animaient les débats au Parlement et dans les médias, on pensait peut-être que la
276
ÉPILOGUE
réorganisation ferait taire les critiques. Les méthodologistes n'étaient pas d'accord au sujet de la mesure. Ils se préoccupaient de voir s'envoler leurs recours sur le plan professionnel, dans une structure où le directeur de projet était habituellement un spécialiste non rompu à la méthodologie. Ils craignaient par ailleurs que la vue d'ensemble des activités allait s'estomper et que la recherche centrale et la formation en souffriraient. En rétrospective, ni les espoirs, ni les craintes ne furent justifiés. La compréhension mutuelle et la collaboration entre les méthodologistes et le personnel des domaines spécialisés allaient au-delà des questions de structures. L'automatisation se poursuivit, bien qu'au ralenti. La puissance de l'ordinateur central augmenta de façon exponentielle; avec le temps, l'arrivée des mini-ordinateurs et des micro-ordinateurs aida à poursuivre les activités décentralisées. On vit aussi apparaître une nouvelle génération de spécialistes qui avaient apprivoisé l'informatique et pour qui l'automatisation ne constituait pas une menace. Kirkham fut à l'origine d'un changement qui, en rétrospective, semble avoir un certain mérite. Lorsque Sylvia Ostry effectua une réorganisation en 1973, elle créa un secteur du recensement, dirigé par un statisticien en chef adjoint. Ce secteur connut une expansion rapide et acquit des compétences en matière de traitement et de diffusion des données qui rivalisaient avec celles du centre informatique. Kirkham allégea de beaucoup ce service et le fusionna avec la Direction des enquêtes auprès des ménages, issue du Secteur de la statistique des ménages et des institutions. En même temps, la Division du recensement de l'agriculture passa avec la Division de l'agriculture, qui faisait partie du Secteur de la statistique des entreprises, au Secteur de la statistique des institutions et de l'agriculture. Ivan Fellegi, de retour d'une affectation à Washington, fut nommé directeur du nouveau Secteur du recensement et des enquêtes des ménages. Il s'employa à réintégrer le recensement dans les activités générales du bureau central, dont il s'était éloigné peu à peu. Certains espoirs n'allaient pas se concrétiser. Pendant 25 ans, le développement continu du Système de comptabilité nationale, sous la direction de Simon Goldberg, avait servi de canevas à la réalisation d'un corpus de statistiques économiques et à l'évaluation de leur qualité. Mais à partir de la décennie 1970, malgré l'importance que lui accordait la nouvelle structure, l'activité perdit beaucoup de son élan, alimentant sans aucun doute les critiques qui, dès 1976, se multiplièrent au sujet des produits statistiques et des méthodes de gestion du Bureau. L'image de l'organisme s'en trouva ternie, cependant qu'il ne semblait pas y avoir de riposte efficace. En décembre 1979, le ministre responsable de Statistique Canada commanda des études externes sur la méthodologie utilisée dans les principales séries économiques et sur les méthodes de gestion et de communication. L'étude de la statistique fut confiée à sir Claus Moser, ancien directeur du service de statistique du Royaume-Uni, alors que Priée Waterhouse et Associés examina les méthodes touchant la gestion, l'organisation, le personnel et les communications. Avant même le dépôt de leurs rapports, Kirkham avait remis sa démission pour intégrer l'équipe de direction de la Banque de Montréal. Larry Fry, sous-ministre des Approvisionnements et Services, accepta de cumuler les fonctions jusqu'à la nomination d'un titulaire.
277
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE Moser s'entoura de spécialistes américains de réputation internationale dans plusieurs secteurs — comptabilité nationale, indice des prix à la consommation, statistique du travail, assurance de la qualité. Les auteurs du rapport se dirent étonnés qu'il fut même nécessaire d'évaluer la confiance du public envers Statistique Canada. Ils soulignèrent la très haute renommée que l'organisme s'était taillée, au pays comme à l'étranger, dans les décennies qui avaient suivi la guerre. Leur examen des activités du Bureau ne révéla rien qui pût attester d'un manque d'intégrité ou d'impartialité. Au sujet de la qualité des données, ils furent impressionnés par la rigueur professionnelle appliquée dans la majorité des secteurs examinés. La plupart des critiques du public étaient donc, à leur avis, dénuées de fondement ou exagérées. Certes, ils avaient relevé des lacunes dans de nombreuses séries statistiques, mais c'était souvent le cas des séries comparables à l'étranger. Cependant, plus que l'erreur occasionnelle ou la lacune technique, les auteurs déplorèrent l'épuisement de ce qu'ils appelaient la « réserve méthodologique » de Statistique Canada. Ils mentionnèrent le départ des compétences exceptionnelles, la détérioration des bases de sondage, la dispersion du service central de méthodologie et l'apparente « rétrogradation » du service central de l'intégration par le biais des comptes nationaux. Ils se préoccupaient surtout de voir les statistiques se détériorer davantage si ces problèmes n'étaient pas résolus. Le rapport contenait bon nombre de recommandations judicieuses, que nous ne pouvons énumérer ici. Ce qui retient le plus l'attention, c'est qu'en raison de son aréopage d'auteurs et de son ton généralement positif, il ne tarda pas à faire souffler un vent libérateur. Il était permis d'espérer, selon les termes du rapport, un contexte gouvernemental et public qui offrirait de meilleures perspectives à l'organisation1. Le rapport Moser éclipsa le rapport de Priée Waterhouse et Associés, qui comportait 48 recommandations pour les secteurs à l'étude. Le Bureau les passa toutes en revue et donna suite à un certain nombre; il leur manquait toutefois une orientation commune et une incidence collective. Certaines étaient fondées sur le principe voulant que l'avancement des professionnels et des gestionnaires emprunte des voies différentes. On jugea que les responsabilités du statisticien en chef étaient essentiellement de nature administrative et que le prochain titulaire du poste devrait démontrer qu'il avait la compétence requise pour un poste de haute direction. En outre, un statisticien en chef adjoint à la planification et au développement serait le professionnel de plus haut rang : « II assurerait l'orientation technique [...], travaillerait en étroite collaboration avec le statisticien en chef dont les fonctions seraient axées sur la gestion, et représenterait le Bureau dans les affaires statistiques internationales et auprès des utilisateurs à vocation technique2. »
Bien sûr, ce genre de recommandation fut difficile à faire accepter et, comme on pouvait s'y attendre, il demeura sans suite. Le rapport recommandait la création d'un conseil national de la statistique, ce qui fut fait quelques années plus tard, mais l'organisme ainsi créé, le Conseil économique du Canada, ne s'inspirait pas du modèle, manifestement inadéquat, proposé par Priée Waterhouse. En 1980, Martin Wilk fut nommé statisticien en chef du Canada. Chercheur réputé et Canadien d'origine, il avait occupé un poste de direction à l'AT&T. Il détenait un 278
ÉPILOGUE
doctorat en statistique, et ce fut le premier diplômé à exercer les fonctions de statisticien en chef. Wilk entreprit sur-le-champ de redorer le blason de Statistique Canada auprès du gouvernement et du public et de rehausser le moral de l'effectif, qui déclinait depuis dix ans. Certaines des premières mesures qu'il prit à cette fin sont exposées dans l'histoire populaire de Statistique Canada, publiée en 1993, dans le chapitre appelé ajuste titre Adoption d'une stratégie de redressement11. Dans son rapport de 1983, le vérificateur général publia les résultats d'un examen de Statistique Canada et il affirmait d'emblée : « Le Bureau s'est maintenant stabilisé et il connaît une période de renouveau, tant au plan de l'orientation que des objectifs4. » De son côté, le Groupe de travail chargé de l'examen des programmes en 1985 indiquait : « Statistique Canada, ayant depuis 1978 subi des pressions pour améliorer ses méthodes de gestion, y a répondu de façon positive et est aujourd'hui un organisme bien administré5. » L'une des réalisations les plus visibles de Wilk fut de faire revenir le gouvernement sur sa décision de réduire le recensement de la population et de l'agriculture de 1986 à sa plus simple expression, par souci d'économie. Dans un premier temps, il s'assura l'appui des principaux utilisateurs de données du recensement au sein du gouvernement afin de démontrer les graves conséquences qu'aurait la réduction prévue des statistiques pour 1986. Au fait, cette démarche illustra admirablement l'orientation clientèle que Wilk tenta d'instaurer dès son entrée en fonction. Finalement, en échange du rétablissement des fonds destinés au recensement, le Bureau s'engagea à effectuer sur cinq ans une importante réduction des dépenses de programmes et des années-personnes et à promouvoir la vente des produits statistiques pour en recouvrer les coûts. Wilk contribua à faire naître une forte collégialité au Bureau, par changements mineurs à l'organisation et par d'autres mesures : rotation accrue des cadres supérieurs; affectations de méthodologistes et de spécialistes; et création d'un système de planification intégré et transparent et de comités de gestion connexes. Ces mesures contribuèrent à rehausser le moral, tout en améliorant nettement l'efficacité du Bureau. En outre, Wilk mit en place un réseau de comités consultatifs externes dans des secteurs spécialisés, destinés à servir de stimulant et de soutien. Le recensement de 1986 fournit une précieuse expérience au Bureau pour l'aider à absorber d'autres compressions imposées à mesure que la décennie avançait. L'incidence des compressions fut atténuée par l'accroissement de la productivité qui résultait de mesures telles que la décentralisation de la collecte des données; le regroupement d'activités comme le codage et le contrôle dans les divisions spécialisées; et l'impartition de certains services, comme la mise en page des publications et la saisie des données. Dans les années 1980, le recours aux services informatiques fit plus que doubler et le nombre d'utilisateurs augmenta en conséquence, ce qui s'avéra favorable pour la productivité. L'utilisation de logiciels polyvalents et de systèmes modulaires mit fin au gaspillage de ressources causé par le développement de logiciels conçus pour des enquêtes particulières. Le Bureau pouvait, après tant d'années, tirer enfin parti de l'efficacité de l'informatique. Au total, en tenant compte des économies en annéespersonnes liées au recensement de 1986 et d'autres réductions prévues au budget de mai
279
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE 1985, le Bureau fonctionnait avec quelque 500 années-personnes en moins, à la fin de la décennie. L'informatique ouvrit la voie à la réalisation d'une gamme de produits statistiques. Le Bureau put ainsi se concentrer sur l'aspect analytique et livrer une information qui ne se limitait pas à de simples données. Il veilla en outre à promouvoir plus activement les publications au potentiel de vente élevé. En 1985, au terme de cinq années fertiles en événements, Wilk prit sa retraite, cédant son poste à Ivan Fellegi, statisticien en chef adjoint depuis 1984. Alors que Wilk avait été le premier diplômé à devenir statisticien en chef, Fellegi était diplômé et, en plus, avait gravi tous les échelons du Bureau. La transition s'effectua en douceur, et les mesures mises en route dans la première moitié des années 1980 furent poursuivies avec une énergie renouvelée. Peu après la nomination de Fellegi, le Bureau renforça les mécanismes de consultation. En 1986, pour donner suite à la recommandation du Groupe de travail chargé de l'examen des programmes dont nous avons déjà parlé, le ministre responsable de Statistique Canada créa le Conseil national de la statistique. Présidé par Thomas H.B. Symons (toujours en poste), cet organisme regroupe une quarantaine de membres aux antécédents variés, qui conseillent le statisticien en chef sur les politiques et les programmes. Fellegi comptait près de 30 ans d'ancienneté au Bureau. On lui devait presque tous les progrès accomplis en matière de méthodologie statistique depuis le recensement de 1961. Figure de proue parmi les statisticiens canadiens, il occupa aussi un rôle important sur la scène internationale. Membre de longue date de l'Institut international de statistique, il fut élu président en 1987 pour un mandat de deux ans — le premier Canadien à mériter cet honneur. En 1992, il fut décoré de l'Ordre du Canada. Il existe de nombreux exemples des réalisations de Fellegi au poste de statisticien en chef. On lui doit notamment d'avoir raffermi la collaboration avec les principaux ministères fédéraux et avec les ministères provinciaux à l'égard des activités statistiques. Par ailleurs, de nouvelles méthodes de marketing ont permis de mieux servir les clients du milieu des affaires. À son rôle traditionnel d'observateur des phénomènes socioéconomiques et environnementaux, le Bureau a ajouté une fonction d'analyse approfondie, qui vise à cerner les facteurs en jeu et leur interaction. En matière de communications, les efforts ont contribué à accroître la couverture médiatique et à en améliorer la qualité. La population est mieux informée et à même d'exercer son devoir électoral. Enfin, en réaction à la commission Moser qui craignait de voir s'épuiser la réserve méthodologique, Fellegi n'a cessé d'insister sur le besoin de consolider, malgré les compressions budgétaires, les éléments d'infrastructure essentiels à la qualité de la production : registres des entreprises, systèmes de classification, compétences en méthodologie, forte présence en région, informatique, communications, formation et perfectionnement, et ainsi de suite. En septembre 1991, le réputé hebdomadaire londonien The Economist publia les conclusions d'une étude menée par un comité international de spécialistes de la statistique sur la fiabilité perçue des statistiques officielles de dix pays membres de
280
ÉPILOGUE
I'OCDE. À l'aide de plusieurs critères — portée et fiabilité des statistiques, méthodologie, intégrité et objectivité des systèmes statistiques —, le comité classa le Canada au premier rang. Deux ans plus tard, au terme d'une évaluation semblable de 13 pays industrialisés, le Canada remporta de nouveau la palme. Ces résultats représentent un hommage bien mérité aux efforts inlassables déployés par Wilk et Fellegi pendant plus de dix ans afin de remettre sur pied Statistique Canada. Tout indique que, quels que soient les problèmes qu'amènera le xxi e siècle, les Canadiens pourront se tourner avec confiance vers le Bureau pour en connaître l'étendue et les solutions possibles.
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ANNEXES
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ANNEXES ANNEXE A DÉPENSES BUDGÉTAIRES, BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE 1947_1948À1971-1972 (1) Dépenses budgétaires BFS, incl. le recensement K$
(2) Dépenses budgétaires Administr. fédérale M$
(3) PNB
aux prix du marché .M$
(1) divisé par (2) = (4) %
(2) divisé par (3) = (5) %
1947-1948 1948-1949 1949-1950 1950-1951 1951-1952
3420 3650 3868 4396 10624
2 196 2 176 2449 2901 3733
13473 15509 16800 18491 21 640
0,16 0,17 0,16 0,15 0,28
16,3 14,0 14,6 15,7 17,3
1952-1953 1953-1954 1954-1955 1955-1956 1956-1957
5670 5339 5536 6046 10051
4337 4396 4275 4485 4849
24558 25833 25918 25528 32058
0,13 0,12 0,13 0,14 0,21
17,7 17,0 15,5 16,5 15,1
1957-1958 1958-1959 1959-1960 1960-1961 1961-1962
7478 7717 8326 10406 24621
5087 5364 5704 5958 6521
33513 34777 36846 38359 39646
0,15 0,14 0,15 0,17 0,38
15,2 15,4 15,5 15,5 16,4
1962-1963 1963-1964 1964-1965 1965-1966 1966-1967
11 883 12299 13493 15592 26635
6571 6872 7218 7735 8798
42927 45978 50280 55364 61 828
0,18 0,18 0,19 0,20 0,30
15,3 14,9 14,4 14,0 14,2
1967-1968 1968-1969 1969-1970 1970-1971 1971-1972
22475 24673 32393 39036 69185
9872 10767 11 931 13 182 14841
66409 72586 79815 85685 94450
0,23 0,23 0,27 0,30 0,47
14,9 14,8 14,0 15,4 15,7
Année
Sources : Note :
Col. (1) et (2) - Comptes publics du Canada Col. (3) -Série F! 3, Statistiques historiques du Canada, 2e éd. Les dépenses budg;étaires du BFS pour 1961-1962 et d'autres exercices p ar la suite comprennent de fortes dépenses en immobilisations engagées dans l'acquisition d'ordinateurs.
285
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE ANNEXE B
COÛTS DES RECENSEMENTS DÉCENNAUX, 1871-1971 Année
Coûts actuels K$
Indice des prix composite (1900=100)2
1871 1881 1891 1901 1911 1921 1926 1931 1941 1951 1961 1971
511 453 550 1 185 1 303 2008 s.o. 2828 3645 8292 17258 40866
107 108 104 101 126 226 205
h 2
3 4
Indice des prix implicite de la DNB (1971=100)3
37 33 36 61 72 100
Coûts en 1971 K$
Population (milliers)4
Coût par habitant ( £ de 1971
2691 2345 2957 6617 5843 4996 s.o. 8510 10211 13593 23837 40865
3689 4325 4833 5371 7207 8788 s.o. 10377 11 507 14009 18238 21568
0,73 0,54 0,61 1,23 0,81 0,57 s.o. 0,82 0,89 0,97 1,31 1,90
1871-1911, Rapport du statisticien du Dominion, 1918-1919; 1921-1971, Divers rapports administratifs du recensement. Tableau 2.9, M.C. Urquhart, "New Estimâtes of Gross National Product, Canada, 1870-1926", publié dans le volume 51 de Studies in Incarne and Wealth par l'Office national de la recherche économique. Série K172, Statistiques historiques du Canada, 2e éd. Série A2, ibid.
286
ANNEXES ANNEXE C PREMIER DIAGRAMME DE L'ORGANISATION, BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE, 1919-1920
287
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE ANNEXE D DIAGRAMME DE L'ORGANISATION, BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE, 31 MARS 1935 (Aperçu, voir les pages suivantes pour les parties 1, 2, et 3)
ORGANIZATION CHART 0F THE D O M I N I O N
288
BUREAU 0F STATISTICS
ANNEXES
ANNEXE D PARTIE 1
289
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE ANNEXE D PARTIE 2
290
ANNEXES ANNEXE D PARTIE 3
291
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE ANNEXE E DIAGRAMME DE L'ORGANISATION, BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE, 31 MARS 1955
292
ANNEXES
ANNEXE F DIAGRAMME DE L'ORGANISATION, STATISTIQUE CANADA, 31 MARS 1972
293
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE ANNEXE G
MINISTÈRES ET MINISTRES RESPONSABLES DE LA STATISTIQUE, DE 1841 À 1972 PROVINCE DU CANADA, DE 1841 À 1867 Pendant les 26 ans d'existence de la province du Canada, il y eut 16 portefeuilles ministériels, dont le plus long fut occupé par Louis LaFontaine et Robert Baldwin, de mars 1848 à septembre 1854. Lorsque s'engagea la lutte pour un gouvernement responsable, la statistique était loin de figurer parmi les priorités d'ordre politique. Les lois de 1847 et de 1852, dont il est question au chapitre premier, pourvoyaient néanmoins à l'exécution des recensements et à d'autres travaux statistiques. La statistique fut d'abord prise en charge par le Bureau de l'enregistrement et de la statistique, constitué du secrétaire de la province, du receveur général et de l'inspecteur général. Puis la loi pourvut à la création du Bureau de l'agriculture et à la nomination d'un ministre, ce qui eut pour effet d'intégrer la statistique à un mandat englobant l'immigration, la colonisation et le développement économique. T. D'Arcy McGee fut le plus notable et le plus efficace des ministres de l'Agriculture. Il était en fonction pendant les trois ou quatre ans qui précédèrent la Confédération en 1867. Il nomma au poste de sous-ministre Joseph Charles Taché, qui s'intéressait à la statistique et qui mena les deux premiers recensements après la Confédération.
294
ANNEXES DOMINION DU CANADA, DE 1867 À 1972
Premiers ministres
Parti
Durée du mandat
Ministres responsables de la statistique1
Sir John A. Macdonald
C
1er juillet 18675 novembre 1873
J.C. Chapais C. Dunkin J.H. Pope
Alexander Mackenzie
L
7 novembre 1873 9 octobre 1878
L. Letellier R.W. Scott (par int.) C.A.P. Pelletier
Sir John A. Macdonald
C
17 octobre 18786 juin 1891
J.H. Pope John Carling
Sir John J.C. Abbott
C
lôjuin 1891 24 novembre 1892
John Carling
Sir John S.D. Thompson
C
5 décembre 189212 décembre 1894
A.R. Angers
Sir Mackenzie Bowell
C
21 décembre 189427 avril 1 896
Sir Charles Tupper
C
1er mai 18968 juillet 1896
W.H. Montague
Sir Wilfrid Laurier
L
11 juillet 18966 octobre 1911
Sydney A. Fisher
A.R. Angers J.A. Ouimet (par int.) W.H. Montague
Sir Robert L. Borden
C
10 octobre 1911 12 octobre 1917
Martin Burrell Sir George E. Poster
Sir Robert L. Borden
U
12 octobre 191710 juillet 1920
Sir George E. Foster
Arthur Meighen
u
10 juillet 192029 décembre 1921
Sir George E. Foster H.H. Stevens
W.L. Mackenzie King
L
29 décembre 1921 28 juin 1926
James Robb Thomas A. Low James Robb (par int.)
Arthur Meighen
C
29 juin 192625 septembre 1 926
J.D. Chaplin
25 septembre 19266 août 1930
James Malcolm
7 août 193023 octobre 1935
H.H. Stevens R.B. Hanson
W.L. Mackenzie King Richard B. Bennett
L C
295
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE DOMINION DU CANADA, DE 1867 À 1972
Premiers ministres
Parti
Durée du mandat
Ministres responsables de la statistique1
W.L. Mackenzie King
L
23 octobre 1935 15 novembre 1948
W.D. Euler J.A. MacKinnon
Louis St-Laurent
L
15 novembre 1948 21 juin 1957
C.D. Howe
John G. Diefenbaker
C
21 juin 1957 22 avril 1963
Gordon Churchill George Hees
Lester B. Pearson
L
22 avril 1963 20 avril 1968
Mitchell Sharp R.H. Winters
Pierre E. Trudeau
L
20 avril 1968-
R.H. Winters J.-L. Pépin
1
Du 1er juillet 1867 au 31 mars 1912 - ministres de l'Agriculture; du 1er avril 1912 au 27 mars 1969 ministres du Commerce; du 28 mars 1969 au 30 juin 1972 - ministres de l'Industrie et du Commerce.
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ANNEXE H
8-9 G E O R G E V. CHAP. 43. Loi concernant le Bureau Fédéral de la Statistique. [Sanctionnée le 24 mai 1918.]
sur l'avis et du consentement du Sénat et S.R., c. 68. SA deMajesté, la Chambre des Communes du Canada, décrète: 1. La présente loi peut être citée sous le nom de Loi de Titre abrégé, a Statistique. INTERPRÉTATION.
2. En la présente loi, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente, a) «Ministre» signifie le ministre du Commerce; 6) «Bureau» signifie le Bureau Fédéral de la Statistique; c) «Compagnies de transport» signifie toute compagnie de chemin de fer, de télégraphe, de téléphone et de messageries et tout voiturier par eau; d) «Règlement» signifie tout règlement établi en vertu des dispositions de la présente loi ou de toute ordonnance du Gouverneur en conseil rendue sous l'empire de la présente loi.
Définitions.
Dispositions générales. 3. Il doit être établi un bureau, sous l'autorité du Bureau ministre du Commerce, portant le nom de Bureau Fédéral artistique1* de la Statistique, dont les attributions doivent être de recueillir, résumer, compiler et publier des renseignements statistiques se rapportant aux activités commerciales, industrielles, sociales, économiques et générales et aux conditions de la population, de collaborer avec tous les autres départements du Gouvernement en vue de la compilation et de la publication de rapports statistiques d'administration, conformément aux règlements, et de faire le recensement du Dominion suivant que ci-après stipulé. 4. 147 VOL. i—10è—F 147 4.
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE 2
Chap. 43. Bureau fédéral de la Statistique. 8-9 GEO. V.
4. (1) Le Gouverneur en conseil peut nommer un Nomaination officier, devant porter le nom de Statisticien du Dominion, et fonctions, qui restera en fonctions durant bon plaisir, et dont les devoirs doivent être, sous la direction du Ministre, de préparer tous bulletins, instructions, formules, et en général de diriger et contrôler le Bureau, et de faire rapport chaque année au Ministre en ce qui concerne le travail du Bureau durant l'année précédente. Officiers. (2) II doit être nommé tels autres officiers, commis et employés qui sont nécessaires pour la bonne conduite des affaires du Bureau, lesquels doivent tous rester en fonctions durant bon plaisir. statisticiena
Commissaires, recenseurs et agents.
Serment d'office.
Attestation.
Règlements, règles et formules.
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5. Le Ministre peut employer de temps à autre, subordonnément aux dispositions de la Loi du Service Civil, tels commissaires, recenseurs, agents ou personnes qui sont nécessaires pour compiler des statistiques et renseignements pour le Bureau, se rapportant à telles industries et affaires du pays qu'il juge utiles et dans l'intérêt public, et les devoirs de pareils agents ou personnes doivent être ceux que le Ministre détermine. 6. (1) Chaque officier, commissaire de recensement, recenseur, agent et autre personne dont l'emploi est requis pour l'exécution de tout devoir sous l'empire de la présente loi ou de tout règlement établi en vertu de la présente loi, avant d'entrer en fonctions, doit souscrire et prêter le serment suivant: Je jure solennellement que je remplirai fidèlement et honnêtement mes devoirs comme en conformité des prescriptions de la Ici, et de toutes proclamations et instructions et de tous décrets ministériels rendus en conformité desdites prescriptions, et que je ne révélerai ni ne ferai connaître, sans y avoir été dûment autorisé, aucune matière ou chose qui arrive à ma connaissance par suite de mon emploi en qualité de (2) Le serment doit être prêté devant telle personne, et retourné et enregistré de telle manière que le prescrit le Ministre. 7. Le Ministre peut établir et prescrire tels règlements et bordereaux, et telles règles, instructions et formules qu'il juge nécessaires pour conduire le travail et les affaires du Bureau, ainsi que la compilation des statistiques et autres renseignements et la confection de tout recensement autorisé par la présente loi; il doit prescrire quels bulletins, rapports et renseignements doivent être vérifiés sous serment, la forme de serment à prêter, et il doit spécifier devant et par quels officiers et personnes lesdits serments doivent être prêtés. 148 8.
ANNEXE 1918. Bureau fédéral de la Statistique. Chap. 43. 3 8. Le Gouverneur en conseil ne doit pas, et le Ministre ne doit pas non plus, dans l'exécution des pouvoirs conférés par la présente loi, établir de différence entre des particuliers distmctlon Aucune ou compagnies au préjudice de tout pareil particulier ou toute pareille compagnie. 9. (1) Le Ministre peut conclure tous arrangements Arrangements quelconques avec le gouvernement de toute province pour nJm°entsVer toute chose nécessaire ou convenable aux fins de mettre provinciaux, à exécution ou de donner effet à la présente loi, et en particulier pour tous les objets ou l'un quelconque des objets suivants: a) l'exécution par des officiers provinciaux de tout pouvoir ou devoir conféré ou imposé à tout officier en vertu de la présente loi ou des règlements; 6) la compilation par tout ministère ou officier provincial de tous renseignements d'ordre statistique ou autre nécessaires aux fins de la mise à exécution de la présente loi; et c) la communication de renseignements statistiques par tout ministère ou officier provincial au Statisticien du Dominion. (2) Tous officiers provinciaux exécutant tout ^pouvoir ou officiers devoir conféré ou imposé à tout officier en vertu de la Provmciauxprésente loi ou des règlements, comme suite à tout arrangement conclu sous l'empire du présent article, doivent, pour les fins de l'exécution dudit pouvoir ou devoir, être considérés comme étant des officiers relevant de la présente loi. 10. Quiconque a la charge ou le soin d'archives ou Accès aux de documents provinciaux, municipaux ou autres d'une publiques, nature publique, ou d'archives ou documents d'une corporation, dans lesquels peuvent être obtenus des renseignements cherchés pour les fins de la présente loi, ou qui aideraient à compléter ou à corriger ces renseignements, doit accorder libre accès à tout officier ou commissaire de recensement, recenseur, agent ou toute autre personne déléguée à ces fins par le Statisticien du Dominion. 11. Le Ministre peut, par lettre spéciale d'instruction, enjoindre à tout officier, commissaire de recensement ou à toute personne employée à la mise à exécution de la présente loi, de faire une enquête sous la foi du serment sousserment Enquêtes relativement à toute matière se rattachant à l'élaboration du recensement, à la compilation de statistiques ou autres renseignements, ou à la constatation ou à la correction de quelque défaut ou inexactitude qui peut s'y trouver; et cet officier, ce commissaire de recensement ou cette autre personne doit alors avoir le même pouvoir que celui qui est attribué à une cour de justice d'assigner toute 149 personne,
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personne, de la contraindre à comparaître et de lui demander et de la forcer de rendre témoignage sous serment, soit verbalement soit par écrit, et de produire les documents et choses que cet officier, ce commissaire de recensement ou cette autre personne juge nécessaires pour l'examen complet de la matière. Preuve de nomination, renvoi ou instructions.
12. a) Toute lettre paraissant signée par le Ministre, ou par le Statisticien du Dominion, ou par toute personne à ces fins autorisée par le Gouverneur en conseil, et portant avis de la nomination ou du renvoi de toute personne employée à l'exécution de la présente loi, ou donnant des instructions quelconques à pareille personne; et 6) Toute lettre signée par un officier, un commissaire du recensement ou une autre personne dûment autorisée à ces fins, portant avis de la nomination ou du renvoi de toute personne ainsi employée sous la surveillance du signataire, ou donnant des instructions à pareille personne; doivent respectivement constituer preuve prima fade de cette nomination, de ce renvoi ou de ces instructions, et du fait que cette lettre a été signée et adressée ainsi qu'elle paraît l'avoir été.
Présomption.
13. Tout document ou pièce manuscrite ou imprimée qui paraît être une formule autorisée pour la confection du recensement, ou pour recueillir des statistiques ou autres renseignements, ou contenir des instructions s'y rattachant, et présenté par toute personne employée à l'exécution de la présente loi, comme étant cette formule ou contenant ces instructions, doit être présumé avoir été remis par l'autorité compétente à la personne qui le présente, et doit être preuve prima fade de toutes les instructions qui y sont énoncées.
Rétribution.
14. (1) Le Ministre doit, subordonnément à l'approbation du Gouverneur en conseil, faire préparer un ou plusieurs tarifs déterminant la rétribution ou les allocations attribuées aux divers commissaires de recensement, recenseurs, agents ou autres personnestemployées à la mise à exécution de la présente loi, lesquels tarifs peuvent être une somme fixe, un taux de tant par jour, ou une échelle de rémunérations, avec en plus des allocations pour dépenses. (2) Pareilles rétributions ou allocations, et toutes dépenses encourues pour la mise à exécution de la présente loi doivent être payées sur les crédits votés à cette fin par le Parlement. (3) Aucune rétribution ou allocation ne doit être payée à qui que ce soit pour tout service exécuté par rapport à la présente loi, à moins que les services requis de pareilles personnes n'aient été fidèlement et entièrement exécutés. 15. 150
Crédits votés Parlement. Conditions de paiement.
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ANNEXE 1918. Bureau fédéral de la Statistique. Chap. 43. 5a SECRET.
15. (1) Aucun rapport individuel, et aucune partie d'un Aucun rapport individuel, qui a été fait, et aucune réponse à Individuel une question posée, pour les objets de la présente loi, ne doit être i . , A. i i i« i A j. e publié ou ne doivent être rendus publics, sans le consentement prea- divulgué, labié par écrit de la personne ou des propriétaires, dans le temps, de l'entreprise au sujet de laquelle le rapport ou la réponse a été fait ou donné; et pareillement, sauf pour les fins d'une poursuite en vertu de la présente loi, toute personne qui n'est pas engagée dans un travail se rapportant au recensement, ne doit être autorisée à prendre communication d'aucun pareil rapport individuel ni d'aucune pareille partie de tout rapport individuel quelconque (2) Aucuii rapport, sommaire de statistiques ou autre Aucun publication relevant de la présente loi ne doit contenir ^Pd^lt nt r des détails quelconques, compris dans tout rapport indi®° «îi ., .j , j. / j Iii •* j. A • des détails viduel, disposés de telle manière que toute personne puisse individuels, reconnaître que tous détails quelconques ainsi publiés sont des détails se rapportant à toute personne ou affaire quelconque. RECENSEMENT DE LA POPULATION ET DE L'AGRICULTURE.
16. Le recensement de la population et de l'agriculture Recensement du Canada. sera ifait par le« Bureau, sous lal direction du• t d^f E^^îui?" -»*-•» i • » • • i t * Hgricm wiro Ministre, a une date dans le mois de juin de Tannée mil tous les dut &na neuf cent vingt et un qui sera fixée par le Gouverneur ' en conseil, et chaque dixième année après cela. 1 T. Un recensement de la population et de l'agriculture Manitoba, des provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de Sa»kati> A il. ± e -a. i -ri 1 1 - 1 - 1 chewanet lAlberta sera fait par le Bureau, sous la direction du Aiberta. Ministre, à une date dans le mois de juin de l'année mil neuf cent vingt-six qui sera fixée par le Gouverneur en conseil, et chaque dixième année après cela. 18. Le Gouverneur en conseil divisera la région au Districts de sujet de laquelle le recensement doit être fait en districts TeceDSCIa^^de recensement, et chaque district de recensement en sousdistricts, correspondant respectivement, autant que possible, avec les divisions et subdivisions électorales alors existantes, et dans les territoires non définis ou non situés de façon à ce que l'on puisse adhérer aux bornes déjà établies, en divisions et subdivisions spéciales pour les fins du recenseméat. 19. Chaque recensement de la population et de l'agri- Détails. culture sera fait de façon à constater avec la plus grande 151 exactitude
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6 Chap. 43. Bureau fédéral de la Statistique. 8-9 GEO. V.
exactitude possible dans les diverses divisions territoriales du Canada, ou des provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta, selon le cas,— a) leur population et la classification de leur population en ce qui concerne le nom, l'âge, le sexe, l'état conjugal, la relation avec le chef de la famille, la nationalité, la race, l'instruction, le salaire gagné, la religion, la profession ou l'occupation et autres détails; 6) le nombre de maisons d'habitation, si elles sont occupées ou vacantes, en construction ou autrement, les matériaux dont elles sont construites et le nombre de chambres habitées; c) la superficie du terrain occupé et sa valeur, son état d'amélioration pour la culture, en jachère, en forêt, en prairie dont le sol n'a pas été rompu, terrains marécageux ou impropres à la culture ou autrement; la tenure et la superficie des fermes et la valeur des bâtiments de ferme et des instruments aratoires; d) les produits des fermes, avec la valeur de tels produits, et le nombre et la valeur des animaux domestiques durant le recensement précédent ou l'année astronomique précédente; e) les institutions municipales, scolaires, charitables, pénales et autres de la division territoriale ; et f) toutes les autres constatations qui pourront être prescrites par le Gouverneur en conseil.
RECENSEMENT DE L'INDUSTRIE—MINES, PÊCHERIES, FORÊTS,. MANUFACTURES, ETC.
Recensement 2O. Un recensement des produits de l'industrie sera industriel. £a^ pOUr i'année mil neuf cent dix-huit, et subséquemment à tels intervalles qui pourront être déterminés par le Ministre, lequel recensement sera fait de façon à constater avec la plus grande exactitude possible: à) les produits de toutes les mines et carrières, pêcheries, forêts, établissements manufacturiers, et le nombre et l'espèce de bâtiments et autres ouvrages de construction employés relativement à ces produits; 6) tout ' autre commerce ou affaires qui peuvent être prescrits, avec la quantité d'immeubles, et le nombre et la sorte de bâtiments et d'outillage employés relativement à ces commerces ou affaires ; et c) toutes les autres constatations qui pourront être prescrites par le Ministre. 21. (1) Le Statisticien du Dominion préparera, sous la ^oùTdéteiis. direction du Ministre, une formule pour la compilation dès données qu'il jugera opportun de recueillir pour la présen152 tation 302
ANNEXE 1918, Bureau fédéral de la Statistique. Chap. 43. 7
tation convenable des statistiques industrielles, et ladite formule comprendra des questions sur (1) le nom de la personne, société ou corporation; (2) l'espèce d'articles fabriqués ou les affaires faites; (3) le capital placé; (4) assortiment principal ou matière première employée, et valeur totale des existences; (5) quantité brute et valeur des articles fabriqués; (6) nombre de personnes employées, distinction faite quant au sexe, aux adultes et aux enfants; (7) force motrice employée ou produite; (8) total des gagea et salaires payés; (9) nombre de jours durant lesquels on a travaillé; et (10) toute autre question spécifiée. (2) Ledit bulletin sera envoyé par la poste au proprié- Distribution taire, au régisseur ou au gérant de chaque entreprise indus- et ™ppona< trielle au sujet de laquelle on désirera avoir des renseignements, et le propriétaire, régisseur, gérant ou toute autre personne à laquelle ce bulletin ou blanc de formule aura élé envoyé, répondra aux questions posées dans ladite formule ou ledit bulletin et renverra celui-ci au Bureau, convenablement certifié quant à son exactitude, pas plus tard qu'au temps prescrit dans ladite formule. Néanmoins, le Ministre peut, à sa discrétion, proroger le temps pour le renvoi des formules et, lorsqu'il le juge opportun, il peut employer des agents ou autres personnes pour recueillir ces statistiques. STATISTIQUE DU COMMERCE.
22. (1) Le Statisticien du Dominion doit, sous la statistiques direction du Ministre, préparer annuellement un rapport et",i™|™merce sur les statistiques du commerce et de la navigation du navigation. Canada avec les pays étrangers. De tels rapports comprendront tous les produits, effets et marchandises exportés du Canada à d'autres pays, tous les produits, effets et marchandises importés au Canada des autres pays, et toute la navigation employée au commerce étranger du Canada, lesquels faits seront déclarés selon la manière et d'après les principes définis dans les règlements. (2) Le ministère des Douanes enverra au Statisticien Rapports du Dominion, de la manière, sous la forme et aux périodes ^^™^orta* que le Gouverneur en conseil pourra prescrire les rapports exportations. des importations provenant de pays étrangers et des exportations destinées aux pays étrangers, arrivant au Canada ou partant du Canada par eau ou par chemin de fer, et de la navigation employée au commerce étranger du Canada. 23. Le rapport annuel des Statistiques du Commerce Contenu du et de la Navigation déclarera les espèces, les quantités nnn^" et les valeurs des marchandises entrées dans les ports de perception des douanes, sur les côtes du Canada, et des marchandises expédiées hors de ces ports. 240. 153 303
LE BUREAU FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE 8
Chap. 43. Bureau fédéral de la Statistique. 8-9 GEO. V.
Rapports mensuels.
24. Le Statisticien du Dominion, sous la direction du Ministre, préparera et publiera des rapports mensuels des exportations et des importations du Canada, comprenant les quantités et les valeurs des comptes tirés des entrepôts, et telles autres statistiques relatives au commerce et à l'industrie du pays que le Ministre pourra considérer à propos de publier.
Commerce intérieur.
25. Le Statisticien du Dominion préparera et fera annuellement un rapport contenant les résultats de tous les renseignements recueillis durant l'année précédente sur le commerce intérieur du Canada. TRANSPORT.
Rapports concernant le transport pendant l'année.
Attestation.
Période incluse.
Date de l'envoi.
Rapports mensuels de trafic.
Copies transmises.
Rapports doivent être
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26. (1) Chaque compagnie de transport est tenue de préparer tous les ans, selon les formules qui peuvent être prescrites par le Gouverneur en conseil, des rapports relativement à son capital, à son équipement de trafic, à ses frais d'exploitation, et contenant tels autres renseignements que le Gouverneur en conseil peut prescrire. (2) Ces rapports sont datés, signés et attestés sous serment par le secrétaire ou quelque fonctionnaire de la compagnie, et ils sont aussi attestés sous serment par le président ou, en son absence, par le vice-président ou le gérant de la compagnie. (3) Ces rapports sont faits pour la période écoulée depuis la date des derniers rapports annuels de la compagnie, et pour celle qui s'étend depuis le commencement des opérations de la compagnie, s'il n'en a pas encore été fait et, dans l'un et l'autre cas, s'étendent jusqu'au dernier jour de juin de l'année alors courante. (4) La compagnie doit transmettre au Statisticien du Dominion, dans un délai d'un mois à compter du premier jour de juillet de chaque année, ces rapports datés, signés et attestés comme susdit. 27. (1) Toute compagnie de transport est tenue de dresser mensuellement des rapports de son trafic, c'est-à-dire du premier au dernier jour du mois, inclusivement. Ces rapports sont faits d'après la formule préparée par le Statisticien du Dominion et approuvée par le Ministre. (2) Une copie de ces rapports, signée par le fonctionnaire de la compagnie qui est responsable de leur exactitude, est transmise par la compagnie au Statisticien du Dominion dans les sept jours qui suivent le jour où ces rapports ont été préparés. 28. Tous les rapports faits en conformité de l'une quelconque des dispositions des deux articles de la présente loi précédant immédiatement le présent article constituent 154 des
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1918. Bureau fédéral de la Statistique. Chap. 43. 9
des communications privilégiées et ne doivent servir de opmmunîcapreuve devant aucun tribunal quelconque, sauf dans toute prf"^!^. poursuite pour,— a) négligence de faire ces rapports en conformité des prescriptions de la présente loi; fe) parjure en prêtant un serment quelconque exigé par la présente loi relativement à ces rapports ; c) faux dans un pareil rapport; ou d) avoir signé l'un de ces rapports en sachant qu'il est faux. STATISTIQUES CRIMINELLES.
29. Chaque année, avant la fin d'octobre, le greffier, Les cours ou en l'absence de greffier le juge ou autre fonctionnaire transmettre présidant toute cour ou tout tribunal qui administre la statistiques . . . i-, , 2. eu. j.- j.- • criminelles. justice au criminel,i remplit et, transmet au Statisticien du Dominion, pour l'année expirée le trentième jour de septembre précédent, les bulletins qu'à toute époque il reçoit du Statisticien du Dominion, au sujet des affaires criminelles dont connaît cette cour ou ce tribunal. 30. Chaque année, avant la fin d'octobre, le directeur Directeur de tout pénitencier ou maison de réforme, et le shérif et shénf• de tout comté ou district, remplit et transmet au Statisticien du Dominion, pour l'année expirée le trentième jour de septembre précédent, les bulletins qu'à toute époque il reçoit du Statisticien du Dominion, au sujet des prisonniers envoyés au pénitencier, à la maison de réforme ou en prison. 31. Toute personne tenue de transmettre ces bulletins inscriptions tient à jour les inscriptions et les écritures de détail qui et écrituresdoivent figurer dans ces bulletins. 32. Chaque année, avant la fin d'octobre, tout fonc-Copies de tionnaire chargé de transmettre au ministre des Finances "^PP01^8des copies conformes des états fournis par les juges de paix, doit transmettre au Ministre des copies conformes de ces états pour l'année expirée le trentième jour de septembre précédent. 33. Chaque année, avant la fin d'octobre, le Secrétaire Pardons. d'Etat fait remplir et transmettre au Statisticien du Dominion, pour l'année expirée le trentième jour de septembre précédent, les bulletins relatifs aux cas d'exercice de la prérogative de clémence que le Ministre peut prescrire. STATISTIQUES GÉNÉRALES.
34. Subordonnément aux instructions du Ministre, le statistiques bureau doit recueillir, résumer et classifier tous les ans les «énérale8155 statistiques
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Chap. 43. Bureau faédéral de la Statistique. 8-9 GEO. V. statistiques qui ont trait aux matières suivantes:—(a) population;, (6) naissances, mariages et décès; (c) immigration et émigration; (d) agriculture; (e) éducation; (/) finance publique et privée; et (g) toutes autres matières que prescrira le Ministre ou le Gouverneur en conseil.
Statistiques spéciales.
35. Le Gouverneur en conseil peut autoriser le Ministre à faire faire toute enquête de statistique spéciale qui peut être jugée à propos, et peut prescrire la manière et les moyens par lesquels cette enquête doit être faite. CONTRAVENTIONS ET PEINES.
Désertion ou fausse déclaration. Renseignements non autorisés. Divulgation de renseignements.
Peine.
Refus de répondre ou réponse fallacieuse.
Refus ou négligence, fausse déclaration ou déception.
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3O. Toute personne employée à la mise à exécution d'une fonction sous le régime de la présente loi ou de tout règlement qui— a) après avoir prêté le serment requis, abandonne son poste, ou fait sciemment une fausse déclaration, un faux allégué ou un faux rapport au sujet de toute pareille matière; ou 6) sous prétexte de l'accomplissement de ses fonctions en cette qualité, obtient ou cherche à obtenir des renseignements qu'elle n'est pas autorisée à obtenir; ou c) ne garde pas intact le secret des renseignements recueillis ou inscrits sur les bulletins et sur les formules, et qui divulgue, sauf pour ce qui est, permis par la présente loi et par les règlements, le contenu d'un bulletin quelconque ou d'une formule complétée conformément à la présente loi ou à un règlement quelconque, ou tout renseignement fourni en conformité de la présente loi ou d'un règlement quelconque; est coupable d'une contravention et passible, sur conviction par voie sommaire, d'une amende de trois cents dollars au plus et de cinquante dollars au moins, ou d'emprisonnement pour une période de six mois au plus et d'un mois au moins, ou de l'amende et de l'emprisonnement à la fois. 37. Quiconque, sans excuse légitime, o) refuse ou néglige de répondre, ou sciemment répond faussement à une question nécessaire pour l'obtention de renseignements recherchés pour les fins de la présente loi ou d'un règlement quelconque ou qui s'y rapporte, et à lui faite par toute personne employée à la mise à exécution d'une charge quelconque de la présente loi ou d'un règlement; ou 6) refuse ou néglige de fournir un renseignement ou de compléter au meilleur de sa connaissance et croyance tout bulletin ou toute formule qu'il a été requis de compléter, et les remettre à l'époque et de la manière qu'il est tenu de le faire par la présente loi ou par 156 tout
ANNEXE 1918. Bureau fédéral de la SiaUitiqw. Chap. 43. Il
tout règlement, ou sciemment donne de faux renseignements ou exerce dans le domaine de ladite loi une déception quelconque; est, pour chacun de ces refus, négligence, faux renseignement Peine. ou déception, coupable d'une contravention et passible, sur conviction par voie sommaire, d'une amende de cent dollars au plus et de vingt dollars au moins, ou d'emprisonnement pour une période de trois mois au plus et de trente jours au moins, ou de l'amende et de l'emprisonnement à la fois. 38. Quiconque a la charge ou le soin d'archives ou de nefw documents provinciaux, municipaux ou autres d'une nature J^-j^" publique, ou des archives ou documents d'une corporation, d'accorder dans lesquels peuvent être obtenus des renseignements ^i^"* cherchés pour les fins de la présente loi, ou de tout règlement, ou qui aideraient à compléter ou à corriger des renseignements, et. volontairement et sans excuse légitime refuse ou néglige de donner ce libre accès ù un fonctionnaire ou commissaire du recensement, recenseur, agent ou à toute autre personne chargée de ce service par le Statisticien du Dominion, et toute personne qui volontairement empêche ou cherche à, empêcher cet accès ou y met des obstacles, ou qui autrement, de quelque façon, volontairement entrave ou? cherche à entraver une personne dans la mise à exécution d unc charge sous le régime de la présente loi ou d'un règlement quelconque, est coupable d'une contravention et Peine, passible, sur conviction par voie sommaire, d'une amende de trois cents dollars au plus et cinquante dollars au moins, ou d'emprisonnement pour une période de six mois au plus et d'un mois au moins, ou de l'amende et de l'emprisonnement à la fois. 3O. Le fait qu'un recenseur, un agent ou une autre A via lusse personne employée à la mise à exécution de la présente loi à d(»«i