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French Pages [232] Year 2017
ORIENT
MÉDITERRANÉE
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E
n Nubie, l’archéologie funéraire décrit depuis près d’un siècle l’histoire des peuples qui vécurent le long du Nil Moyen. À défaut de fouilles urbaines extensives, hormis dans les capitales et les villes royales, les morts font donc parler les vivants. Malgré les pillages et les remplois, les tombes nous renseignent par milliers sur les évolutions qui marquèrent une région longtemps prise entre deux mondes : Égypte et empires méditerranéens au nord, continent africain et terres inconnues au sud. Dans le royaume de Méroé, ultime descendant d’un pouvoir centralisé qui vit le jour dans la région de Kerma durant l’âge du bronze, les inhumations livrent les indices d’une société complexe et hautement hiérarchisée, soumise à de multiples influences. Si les corps nous renseignent sur les conditions sanitaires et l’environnement, les coutumes d’enterrement témoignent de croyances souvent héritées de la culture pharaonique que cultivent la famille royale et les élites. Les objets qui accompagnent le mort restituent la gestuelle des derniers rites, tandis que leur dépôt permet aux archéologues d’esquisser les cartes des réseaux commerciaux, apportant souvent la preuve tangible de contacts réguliers entre régions ou avec l’étranger. Appuyée par une riche documentation archéologique, cette étude dresse un portrait détaillé des croyances dans un royaume marqué par la longévité et les évolutions.
I
n Nubia, funerary archaeology has been a major source of information for the past century regarding the history of populations that lived in the Middle Nile valley. With only a few settlements investigated, apart from capitals and royal cities, the dead speak for the living. Despite looting and multiple reuses, thousands of graves offer valuable data for a region that grew between two worlds: Egypt and Mediterranean empires to the north, African continent and unknown territories to the south. In the Kingdom of Meroe, the last descendant of a central power born during the Bronze Age in the region of Kerma, burials provide evidences of a complex society, highly hierarchical and influenced by multiple cultures. We understand from corpses the life and the environment of individuals, while from funerary customs we find that local beliefs were often connected to Pharaonic society. Artifacts accompanying a body attest to the last rituals for the dead and help archaeologists understand commercial exchanges within the kingdom and abroad. Supported by a rich and original archaeological documentation, this study gives a detailed overview of religious practices in a kingdom marked by eight centuries of evolution.
ISBN 978-2-7018-0520-7
LES COUTUMES FUNÉRAIRES DANS LE ROYAUME DE MÉROÉ
UMR 8167, Orient et Méditerranée – Textes, Archéologie, Histoire CNRS, Université Paris-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École pratique des hautes études, Collège de France
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LES COUTUMES FUNÉRAIRES DANS LE ROYAUME DE MÉROÉ les enterrements privés Vincent Francigny
Éditions de Boccard
les coutumes funéraires dans le royaume de méroé les enterrements privés
Illustration de couverture
Flûte peinte en verre bleue découverte à Sedeinga Réunion des Musées Nationaux – Grand Palais [© Musée du Louvre]
UMR 8167, Orient et Méditerranée – Textes, Archéologie, Histoire CNRS, Université Paris-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École pratique des hautes études, Collège de France
Directeur de la collection Véronique BOUDON-MILLOT, CNRS - UMR 8167, Orient et Méditerranée Responsable éditoriale Fabienne DUGAST, CNRS - UMR 8167, Orient et Méditerranée Comité scientifique Françoise BRIQUEL CHATONNET Sylvie DENOIX Vincent DÉROCHE Olivier MUNNICH Pierre TALLET Création de la maquette et mise en pages Fabien TESSIER © Éditions de Boccard - 2016 ISBN : 978-2-7018-0520-7 ISSN : 2101-3195
ORIENT
MÉDITERRANÉE
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les coutumes funéraires dans le royaume de méroé les enterrements privés
Vincent FRANCIGNY
Éditions de Boccard
11 rue de Médicis, 75006 Paris 2016
Pour Jikang
REMERCIEMENTS Au moment de mettre un point final à la rédaction de cet ouvrage, mes pensées se tournent naturellement vers Patrice Lenoble, disparu alors que je préparais une thèse dont il était à la fois l’instigateur et l’œil éclairé. Les discussions passionnantes que nous partagions le soir à Sedeinga et à el-Hassa continueront encore longtemps de porter leurs fruits. Depuis que nous nous connaissons, j’ai souvent fait appel aux remarquables intuitions de Claude Rilly pour tester mes hypothèses. Je le remercie chaleureusement d’avoir accepté d’être le relecteur et le savant correcteur du présent ouvrage. Je remercie aussi beaucoup Vincent Rondot pour sa confiance et la belle équipe formée pendant des années à la SFDAS. Je suis également redevable à Alex de Voogt d’avoir pu découvrir l’anthropologie anglo-saxonne en le rejoignant à l’AMNH de New York. Enfin, je tiens à témoigner toute ma reconnaissance à Charles Bonnet et Dominique Valbelle pour leur soutien et le partage de leur passion commune pour l’histoire du Soudan ancien.
LE ROYAUME DE MÉROÉ
Les premières étapes de cette enquête sur les pratiques funéraires furent publiées au début du xxe siècle, lorsque la construction d’un barrage à Assouan fût suivie de deux projets successifs de rehaussement1. Les campagnes de prospection menées par G. A. Reisner2 puis C. M Firth3 entre 1907 et 1911 dans la région s’étendant de la 1re cataracte à Ouadi es-Seboua, ainsi que par W. B. Emery et L. P. Kirwan4 plus au sud, apportèrent les premiers éléments sur une culture matérielle et des pratiques d’inhumations encore méconnues. Par la suite, les grandes nécropoles de Basse Nubie livrèrent des dizaines de milliers d’artefacts en précisant leur appartenance à la culture méroïtique, tandis que les cimetières royaux kouchites d’el-Kurru, Nuri, Djebel Barkal et Méroé focalisaient l’attention des premiers chercheurs égyptologues. Ces sites éclipsèrent longtemps le reste de la vallée et de ses confins, et ce n’est qu’en 1960, avec la campagne de Nubie patronnée par l’Unesco, que naquirent les « cultures nubiennes ». Depuis, les fouilles s’étant disséminées sur tout le territoire, les vides géographiques et chronologiques se résorbent, bien qu’il manque toujours pour la période méroïtique une typo-chronologie fine de la production céramique. Comment était enterrée la majeure partie des Méroïtes ? Quelles étaient les références religieuses, culturelles ou politiques qui déterminaient l’adoption d’un rituel ou d’une architecture funéraire ? Ce sont là les principales questions qui animent la réflexion de cet ouvrage sur les enterrements privés dans le royaume de Méroé ; une réflexion qui nécessite de dépasser le seul cadre de la sépulture pour se pencher sur les éléments constitutifs qui organisaient culturellement et géographiquement le royaume, et influençaient les Méroïtes sur l’attitude à adopter face à la mort et l’au-delà. 1.
2. 3. 4. 5. 6. 7.
L’achèvement du premier barrage d’Assouan en 1902 marqua le début d’un long processus d’immersion de la Basse Nubie. En 1907 il fut décidé d’augmenter la quantité d’eau retenue par le barrage (relevé de 7 m, autrement dit 113 m au-dessus du niveau de la mer) afin de permettre le développement d’un nouveau projet agricole dans le Delta, noyant la vallée jusqu’au village de Derr. Reisner 1910. Firth 1912 ; 1915 ; 1927. Emery, Kirwan 1935. Griffith 1921 ; 1922a ; 1923 ; 1924 ; 1925. Woolley 1910. Reisner 1923.
les sources La région de la Nubie, explorée depuis près de deux siècles par les voyageurs et les archéologues, devint avec la campagne de l’Unesco un laboratoire d’étude privilégié pour de nombreuses universités de par le monde. Mais si, à l’époque, des vocations se créèrent et des crédits dédiés aux recherches en Nubie affluèrent, peu de publications archéologiques définitives virent en fait le jour. Ce syndrome du « Rapport préliminaire » non suivi de synthèse finale nous place aujourd’hui encore face à un problème documentaire d’envergure, pour des sites dont la fouille est achevée depuis des décennies. Pour ce qui est de l’archéologie des tombes privées datant de l’époque méroïtique, nos principales connaissances reposent sur le matériel publié par les premiers découvreurs au début du xxe siècle que furent F. Ll. Griffith5, C. L. Woolley6, D. Randall-MacIver et G. A. Reisner7. Ensuite, dès les années 1960, vinrent des enquêtes systématiques comme celles du comité espagnol de l’Unesco pour la Nubie sur les sites d’Argin8, Masmas9, Nag Gamus10 et Nelluah11, mais aussi par l’Oriental Institute Nubian Expedition de Chicago à Qustul et Ballaña12, la Scandinavian Joint Expedition13, ainsi que par la SFDAS14 et la NCAM15 au sud de la cataracte de Dal16. Chez les auteurs contemporains, nous bénéficions des productions régulières venant de sites ou prospections menées par W. Y. Adams17, D. A. Welsby18, Ch. Bonnet (dans la revue Genava de 1978 à 2005) et D. N. Edwards19. Certains théoriciens de la discipline ont exploité de façon décisive ces ressources, à l’instar de D. Dunham (qui publia entre 1950 et 1963 les fouilles menées sur les sites royaux par G. A. Reisner), L. Török et P. Lenoble20 qui apportèrent avec eux les références nécessaires de l’hellénisme 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20.
Pellicer Catalan 1963. Almagro et al. 1964. Almagro 1965. Garcia Guinea, Teixidor 1965. Williams 1991. Säve-Söderbergh 1981. Section Française de la Direction des Antiquités du Soudan. National Corporation for Antiquities and Museums. Vila 1982a. Adams 2005. Welsby 2003a. Edwards 1998. Török 1997 ; Lenoble 1994d.
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et du monde romain. Un premier bilan des coutumes funéraires privées fut d’abord dressé par F. Geus21, suivi d’une synthèse de Kh. A. Eisa qui ouvrait le sujet à des analyses ethnoarchéologiques22, tandis que Ch. Bonnet publiait la même année une étude propre à la Moyenne Nubie23. Dans un contexte particulièrement propice aux recherches dans le domaine funéraire et à la confrontation rapide des découvertes via les colloques dédiés aux « Études nubiennes » et aux « Études méroïtiques », il est donc regrettable de constater l’absence de publication synthétique pour les nécropoles de certains sites majeurs. C’est le cas notamment pour Aniba, Djebel Adda, Saï24, Sedeinga25, Méroé (pour la nécropole qui jouxte la ville) et el-Kadada, tous ces sites détenant des clefs de lecture essentielles pour l’étude des périodes de transition anciennes ou tardives. La focalisation des interventions archéologiques sur certaines zones géographiques limite également la validité des hypothèses à vérifier. Ainsi, les coutumes funéraires méroïtiques entre la 3e et la 4e cataracte sont confinées à celles décrites dans les grands centres de Kerma, Kawa ou Napata où règne l’influence des modèles royaux, tandis que plus en amont, dans la zone de la 4e cataracte, un récent sauvetage archéologique dresse désormais un tableau d’une grande densité pour les sites d’enterrement aux époques tardives. Ces inégalités dans la géographie et les méthodes des interventions archéologiques peuvent avoir de lourdes conséquences sur les études globales et les essais de répartition qui ne peuvent donc que refléter l’état lacunaire de notre documentation actuelle. Au Soudan central, un autre obstacle se fait jour dans la compréhension globale de l’implantation géographique des Méroïtes, en raison d’une archéologie dominée par des chantiers situés sur la rive droite du Nil, proche de l’épicentre royal, qui se focalise sur les vestiges monumentaux. Plus au sud, dans les régions qui jouxtent le Nil Bleu et le Nil Blanc, l’engagement des missions archéologiques se fait aussi a minima, la sphère culturelle en usage dans la vallée du Nil Moyen n’étant peutêtre plus adaptée pour y décrire les découvertes, alors que des explorations menées aux confins des oueds contraignent notre vision nilo-centriste d’une antiquité tardive où les « déserts » étaient pratiqués, sinon habités.
21. 22. 23. 24.
Geus 1990. Eisa 1999. Bonnet 1999b. Un nouveau projet de fouille a été engagé en 2009, afin de publier l’un des cinq ensembles funéraires méroïtiques de l’île (Francigny 2009a ; 2010a ; 2010b). 25. En 2009, les fouilles ont repris dans le Secteur II de la grande nécropole (Rilly, Francigny 2010).
le contexte politique et historique Bien qu’il soit anachronique de parler de « géopolitique » à propos de la Nubie ancienne, il faut admettre que la géographie singulière du Nil, seul au milieu d’un désert, a engendré un effet de couloir nord-sud entre le monde méditerranéen et l’Afrique de l’Est. Si l’on ajoute à cette particularité un contexte politique dans lequel la Nubie a presque toujours été soumise aux velléités de contrôle du puissant voisin égyptien, on ne peut apprécier l’évolution de la trame historique des cultures nubiennes qu’au travers de ces deux prismes.
Conquêtes et territoires Après une période d’unification du territoire nubien et de ses habitants qui vit naître un premier royaume indépendant autour de la capitale Kerma, cinq siècles de colonisation égyptienne marquèrent durablement les lieux et les esprits jusqu’au début du Ier millénaire avant notre ère. Appartenant à une phase tardive de l’histoire kouchite, la période méroïtique doit son nom à la fin d’un processus qui amena autour de la ville de Méroé les principaux acteurs de la royauté, ainsi que leurs théâtres de vie et de mort. Depuis l’émergence au viiie siècle avant notre ère dans la région du Djebel Barkal d’une élite régionale convertie en famille royale puis, pour un temps, en dynastie pharaonique (la XXVe dynastie), une première phase dite « napatéenne » avait donc vu le jour, marquée par l’omniprésence d’un héritage culturel égyptien. Les contacts, jamais rompus, entre Nubiens et Égyptiens, connurent cependant un épisode tragique lorsqu’en 591 avant notre ère, les armées du roi saïte Psammétique II s’abattirent sur le territoire nubien et vinrent semer le chaos jusqu’à la capitale Napata. Ce raid lança sans doute au sein des élites kouchites une importante réflexion qui obligea le pouvoir à repenser la distribution géographique de ses centres névralgiques, afin de les protéger d’un voisin pouvant se montrer menaçant. La conséquence en fut une migration progressive des institutions vers la région naturellement protégée du Boutana26, où la ville régionale de Méroé tenait déjà un rôle important depuis plusieurs siècles27. La ville devint donc capitale administrative
26. Il s’agit de la partie du Boutana longeant la rive est du Nil, parfois appelée Keraba. 27. Durant la période napatéenne, son élite a certainement joué un rôle important dans la capitale, au point que certaines pyramides funéraires dans le Cimetière Sud de Méroé possèdent un mode de construction et des décors similaires aux monuments de Nuri (Yellin 2009). Puisque chez les Kouchites, l’enterrement au sein d’un
LE ROYAUME DE MÉROÉ • 11
permanente dès le vie siècle avant notre ère, sous le règne d’Aspelta, bien que Napata conserva encore longtemps un statut de capitale religieuse dans laquelle avait lieu l’intronisation du souverain, et où de nombreux cultes étaient rendus aux divinités tutélaires du royaume. Quelles qu’aient été les modalités de ce changement, on considère généralement que c’est le déplacement de la nécropole royale au milieu du iiie siècle avant notre ère28, qui clôt la transition et marque symboliquement le début de la période dite « méroïtique ». Dans le domaine funéraire, il ne se fit apparemment pas directement de l’ancienne nécropole royale Nuri vers Méroé, mais plutôt du Djebel Barkal vers Méroé. C’est en effet au pied de la « montagne sacrée » qu’une partie des souverains napatéens qui succédèrent à Nastasen (pyramide Nu. 15) choisirent de se faire enterrer. C’est également au début du iiie siècle avant notre ère, sous Ptolémée II, que la frontière avec l’Égypte fut fixée au niveau de la seconde cataracte29, les Méroïtes ayant à plusieurs reprises tenté des incursions sur le territoire égyptien depuis l’avènement d’Alexandre le Grand. Une fois la région passée sous domination romaine, une expédition de Méroïtes en 25 avant notre ère prit d’assaut le sanctuaire de Philae, l’île d’Éléphantine et la ville de Syène (Assouan). La réponse militaire du préfet d’Égypte Cornelius Petronius fut à la hauteur de l’affront, puisqu’il repoussa les Méroïtes et poursuivit son expédition jusqu’à leur capitale religieuse Napata, qu’il mit peut-être à sac. Revenu à Alexandrie avec butin et prisonniers, il prit soin de laisser une garnison en station à Primis (Qasr Ibrim) qui, peu de temps après, fut à nouveau la cible des Méroïtes, enclins à la revanche. Cette fois encore, C. Petronius intervint militairement et contraignit la candace défaite, Amanirenas, à envoyer des émissaires pour signer un traité de paix durant l’hiver de l’an 21 avant notre ère sur l’île de Samos, où
groupe familial se révèle être un élément décisif dans le choix de l’emplacement d’une sépulture, il est possible que le déplacement de la nécropole royale vers Méroé, ait correspondu à l’avènement d’une nouvelle dynastie originaire de cette région (Török 1997a, p. 423 ; Yellin 2009, p. 11). 28. Tombe du souverain Arkamani I (dans le Cimetière Sud), sans doute le roi Ergaménès décrit par Diodore de Sicile comme le pourfendeur de la tutelle des prêtres sur la monarchie. Il est vraisemblable que son opposition au clergé, si elle a réellement existé, ait découlé en fait de sa décision de se faire enterrer à Méroé, et non dans la région de Napata, comme il était de coutume. 29. La frontière évolua beaucoup au gré des appétits politiques et militaires des deux forces occupant la région. Lorsque la Basse Nubie, entre la 1re et la 2e cataracte, fut entièrement contrôlée par l’Égypte, elle reçut le nom de Triacontaschène.
se trouvait l’empereur Auguste. Celui-ci partagea le contrôle de la Basse Nubie entre Rome et Méroé et plaça la frontière de la Dodécaschène au niveau de Hiera Sykaminos (Maharraqa). L’archéologie démontre que cette paix durable, instaurée pour la première fois dans la région, favorisa grandement les échanges commerciaux entre les deux camps et la richesse qui l’accompagnait30. S’ensuivit alors un processus de renforcement des élites provinciales qui tissèrent des liens privilégiés avec les principaux acteurs de la royauté, comme en témoignent à la fois les inscriptions funéraires, les nombreuses découvertes dans les tombes privées d’objets fabriqués dans les ateliers de la capitale, ainsi que la réactivation d’un programme de construction d’édifices religieux dans tout le royaume. Les Méroïtes reprirent peut-être possession de la Basse Nubie vers la fin du iiie siècle de notre ère, après le retrait des forces romaines vers Assouan sous Dioclétien. Mais selon l’historien Procope31, qui vécut au vie siècle de notre ère, l’accord passé avec l’empereur n’aurait déjà plus concerné les Méroïtes, mais les Nobades, afin que ces derniers s’installent dans la vallée et fassent rempart aux populations blemmyes du désert oriental. Il est cependant probable qu’un tel accord n’ait jamais eu lieu, et que Procope ait ainsi créé de toute pièce un passé fictif à ce qui ne devint une réalité qu’au début du ve siècle de notre ère, lorsque les Nobades prirent effectivement possession des lieux, sans y avoir été invités par les Romains. Après 360 de notre ère, plus aucune tombe royale ou élitaire n’apparaît dans les Cimetières Nord et Ouest de Méroé, alors qu’en province naissent à Qustul (vers 370), puis à Ballaña (vers 410), Tanqasi, el-Zuma ou encore el-Hobagi, des nécropoles reprennent une partie des prérogatives de l’enterrement royal et aristocratique, traduisant ainsi la nouvelle donne d’un royaume morcelé en de multiples territoires et pouvoirs locaux. L’un de ces souverains, Kharamadoye32, nous a livré la dernière inscription méroïtique connue, gravée sur les parois du temple de Mandoulis à Kalabcha et datée des environs de 410-420 de notre ère. Il sera suivi peu de temps après par le roi des Nobades, Silko, qui y laissera, en grec cette fois, un témoignage de son triomphe sur les Blemmyes. Ces exemples traduisent la survivance
30. Ce ne fut cependant pas la conclusion des premiers découvreurs, qui virent longtemps dans les vestiges méroïtiques de Basse Nubie, les signes d’un déclin généralisé que seuls quelques îlots de population seraient arrivés à juguler (Emery 1965). 31. De Bello Persico, I, 19. 32. D’après l’étymologie de son nom, il s’agirait d’un roi blemmye (C. Rilly, communication personnelle).
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d’une partie des usages kouchites durant les périodes tardives, que les envahisseurs nobades et blemmyes auraient en partie assimilés.
Nature divine et expression du pouvoir royal L’évolution rapide qui marque les sociétés méditerranéennes durant la période gréco-romaine s’accompagne d’une accentuation du syncrétisme religieux et d’une assimilation de nombreux cultes locaux à des figures sacrées anciennes. Ce phénomène touche largement Méroé qui, très tôt, adapte l’héritage égyptien et napatéen, tout en affirmant la reconnaissance de divinités autochtones. L’Amon de Napata conserve ainsi son trône, mais il est relayé par une multitude d’hypostases (les Amons de Méroé, Naga, Kawa, Pnoubs). Les dieux honorés autour du Djebel Barkal se maintiennent, tandis que d’autres, comme Apedemak et Sebioumeker33, font leur apparition dans le panthéon officiel kouchite. Apedemak en particulier, guerrier léontocéphale, vient renforcer les prétentions triomphales de la royauté. La religion funéraire révèle également le ralliement de la famille royale aux croyances sotériologiques et à la montée de l’isisme et du culte osirien, représentés dès lors abondamment sur les chapelles funéraires. L’exercice du pouvoir royal à Méroé se démarque des siècles qui précèdent, puisque le titre de qore (roi) méroïtique peut désormais être attribué au personnage de la candace, en qui il faut reconnaître une sorte de « reine-mère ». L’iconographie du couple royal peut dès lors figurer le roi accompagné de la candace et non de l’épouse royale (comme on le suppose par exemple pour les souverains Natakamani et Amanitore à Naga). La fonction de pqr, en qui l’on reconnaît l’héritier (qui pourrait également être le frère du roi plutôt que le fils), s’ajoute aux précédentes pour former un organe royal complexe et singulier. Pendant près de sept siècles, la famille régnante fut au cœur d’un commerce fructueux avec les centres méditerranéens, en important des produits de luxe et des denrées par le biais d’une Égypte ptolémaïque et romaine soucieuse de s’approvisionner en matières premières rares ou animaux sauvages. Ce négoce fut un véritable cheval de Troie qui introduisit au cœur du royaume méroïtique des idées neuves en matière de religion et les préceptes d’une nouvelle architecture sacrée. La culture matérielle dans son ensemble épousa alors les formes issues de ces échanges, en adaptant ses productions locales, tant dans le domaine utilitaire que funéraire, aux nouvelles exigences. L’effervescence provoquée par ces changements entraîna également
33. Sebioumeker accompagne généralement le dieu Arensnouphis.
une multiplication de tentatives iconographiques pour adapter en ce sens le répertoire symbolique kouchite et les représentations de ses figures divines. L’apparition d’une nouvelle écriture officielle, d’abord cursive puis hiéroglyphique, joua également un rôle majeur dans la mutation d’un royaume qui n’eut de cesse de glorifier les aspects indigènes de sa puissance, tout en jetant les bases d’une culture impériale d’influence méditerranéenne. Le « méroïtique », langue vernaculaire parlée en Nubie depuis le milieu du iiie millénaire avant notre ère, est ainsi fondé sur un système alphasyllabique, mais noté par une cursive34 inspirée du démotique égyptien.
la régionalisation du royaume L’extension géographique du royaume de Méroé pose un problème loin d’être résolu, qui tient essentiellement à l’insuffisance des investigations dans la région des deux Nils, le centre de la Nubie et les déserts adjacents à l’est et l’ouest. La cartographie de la vallée est elle-même soumise à des découpages territoriaux et des désignations qui ne furent jamais utilisées de façon homogène par les auteurs. Il convient donc de préciser la terminologie que nous employons dans cet ouvrage (carte 1).
La Basse Nubie Située entre la 1re et la 2e cataracte du Nil, elle recouvre durant la période méroïtique les établissements installés entre Hiera Sykaminos et les rapides du Batn el-Haggar35. Les études récentes y font apparaître la plus importante concentration de sites méroïtiques en Nubie36, même si tous ne durent pas fonctionner comme des foyers de population, contrairement à la vision prospère et à l’idée d’un repeuplement massif par des agriculteurs véhiculée dans les rapports de la campagne de Nubie. Depuis la publication d’Edwards (1996a), il nous faut en effet admettre l’arrivée relativement tardive de la saqqieh en Basse Nubie, à la fin de la période méroïtique. Les faibles ressources agricoles de la région auraient donc été compensées par son rôle stratégique et commercial, et l’importation de vivres. La plupart des établissements de la région semblent n’avoir été que des postes de contrôle commerciaux, florissant entre le
34. Les plus anciens témoignages de cursive datent du milieu du iie siècle avant notre ère, tandis que la version hiéroglyphique n’est attestée qu’un siècle plus tard (Rilly 2007 ; 2010). 35. Expression arabe signifiant le « ventre de pierre », correspondant à une zone rocheuse s’étendant au sud de la 2e cataracte jusqu’au village de Dal. 36. Jusqu’à 200 sites y sont attestés (Edwards 2004, p. 156).
LE ROYAUME DE MÉROÉ • 13
siècle avant notre ère et le ier siècle après notre ère37. Les nombreuses zones de rapides nécessitant un recours à la voie terrestre pourraient en partie expliquer ces installations. On trouve ainsi chez Pline l’Ancien le témoignage d’Aristocréon qui décrit le transbordement des embarcations nubiennes au niveau de l’île d’Éléphantine : iie
Dans ce lieu arrivent les bateaux éthiopiens. Ils peuvent être repliés et transportés sur les épaules chaque fois qu’arrive une cataracte. Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, V, 59.
Faras semble avoir été le centre administratif le plus important de la région à l’époque méroïtique, tandis que Philae38 et Qasr Ibrim39 faisaient l’objet de nombreux pèlerinages.
les grands centres religieux de Doukki Gel, de Kawa et de l’ancienne capitale Napata. C’est la région où émergea la royauté kouchite et où furent enterrés ses souverains avant le déplacement vers Méroé. Les premiers le furent à el-Kurru puis, sous l’impulsion de Taharqa, à Nuri, et enfin au pied du Djebel Barkal où quelques rois méroïtiques choisirent à nouveau de se faire enterrer entre le ier siècle avant notre ère et le début du ier siècle de notre ère.
Le Soudan central
Elle comprend le territoire s’étendant de la 3e cataracte jusqu’à Abou Hamed, en haut de la courbe du Nil. On compte parmi ses principaux établissements
On entend généralement par Soudan central la région située en amont d’Abou Hamed et s’étendant jusqu’à la confluence du Nil Bleu et du Nil Blanc. Elle comprend la mythique « île de Méroé » décrite par Strabon, qui correspond à l’actuel Boutana occidental42. Cette zone qui entoure la capitale a ceci de particulier qu’elle est un foyer de développement le long de la vallée ainsi que dans l’intérieur des terres. L’essaimage des sites d’habitats et des centres de culte y fut rendu possible par l’exploitation des ressources en eau d’un prolifique réseau d’oueds. Celui-ci cependant n’aurait pas suffi sans les efforts réalisés pour canaliser et conserver cette richesse. C’est à l’époque méroïtique qu’on y entreprit la réalisation de hafirs43, ainsi que d’énormes murs aux abords des lits des rivières la plupart du temps à sec, soit pour retenir l’eau, soit pour l’orienter vers un bassin44. Ne pouvant être ordonnés que par le souverain, ces chantiers, grands consommateurs de temps et de moyens avaient aussi pour but d’assurer une stabilisation des populations vivant en marge de la sédentarité, en fixant hommes et troupeaux autour de ressources contrôlées. La présence de nombreux sanctuaires autour de ces réserves témoigne de cette volonté d’assimiler les ressources naturelles à la volonté divine, créant ainsi une dépendance des populations vis-à-vis du pouvoir royal. Aucun site méroïtique n’ayant été recensé à l’est de l’Atbara, on considère le dernier affluent saisonnier du Nil comme une frontière naturelle de la zone d’influence de Méroé45.
37. Les populations ne pouvant s’installer de façon permanente hors de la vallée, les habitats étaient par conséquent très vulnérables dans les périodes d’instabilité politique et de conquête militaire, se trouvant forcément sur le chemin des belligérants. Le raid mené par C. Petronius en 21 avant notre ère dut ainsi affecter leur développement sur le court terme. Un arrêt relatif de la dynamique d’expansion vers le iie siècle de notre ère nous laisse penser que la région fut peut-être touchée par la peste « antonine » qui ravagea l’Égypte en l’an 165. 38. Griffith 1912, p. 33-52. 39. Rose 2011. 40. Francigny 2012a. 41. Edwards 1995a.
42. Territoire situé entre le Nil et l’Atbara. 43. Grands bassins à ciel ouvert permettant de recueillir et stocker l’eau des pluies ou des oueds. 44. Kleinschroth 1986. 45. Les recherches menées à l’est de l’Atbara ont montré qu’au début de notre ère, jusqu’au ive siècle, une population semi-nomade identifiée sous le nom de « Hagiz Group » habitait un territoire allant des rives de l’Atbara jusqu’au delta du Gash en Érythrée. Remplacée le « Khatmya Group », on pense que ces populations migraient entre les deux zones de façon saisonnière. La présence de quelques champs tumulaires sur leur territoire témoignerait d’une intensification des contacts à la période post-méroïtique (Fattovitch 1990 ; Manzo 2004).
La Moyenne Nubie Elle s’étend des abords de la cataracte de Dal au nord, jusqu’aux méandres de la 3e cataracte au sud. Hormis dans la région de l’île de Saï où la densité des sites reflète singulièrement celle rencontrée en Basse Nubie40, son territoire n’a pas fait l’objet d’un grand nombre de prospections ou de fouilles41. La zone est notamment marquée par l’imposant massif du Djebel Gorgod, que le Nil contourne par l’est. Durant l’époque méroïtique, la principale implantation semble avoir été Sedeinga, comme le montre notamment l’étendue exceptionnelle de sa nécropole. Bien que les vestiges de la ville n’aient jamais été retrouvés, Sedeinga est l’un des rares établissements situé sur la rive ouest du Nil. Peut-être faut-il voir en cette singularité une indication des conflits qui ont longtemps opposé les Kouchites aux tribus désertiques, n’incitant guère les villages modestes et vulnérables à s’établir de ce côté du fleuve.
La Haute Nubie
14 • VINCENT FRANCIGNY
Le Sud Par ce terme, il faut comprendre la zone d’influence au sud du Boutana et du Keraba dans laquelle des vestiges méroïtiques seraient attestés. Il s’agit d’un territoire aux limites incertaines et encore peu documenté, avec des sites principalement recensés entre le Nil Blanc et le Nil Bleu, dans ce que l’on appelle aujourd’hui la Gezira. Ce découpage géographique succinct, auquel on pourrait ajouter le désert oriental nubien, les marges sahariennes à l’ouest et la Bayouda au centre, permet d’aborder la question du royaume de Méroé, non pas comme un espace naturellement unifié, mais comme un ensemble de territoires soumis à un pouvoir central. Cette notion, essentielle pour comprendre la diversité archéologique exhumée sur le territoire méroïtique, pose la question de l’organisation sociale, administrative et religieuse du royaume. Quels étaient en effet les outils d’influence de la capitale sur ses provinces dans une économie non monétaire ? On a souvent avancé la maîtrise des ressources alimentaires comme le principal d’entre eux. Cependant, l’archéologie n’a encore jamais fourni de preuves conséquentes de cette captation des ressources par le souverain, avant qu’une redistribution ne soit opérée. L’unique « silo » retrouvé à Wad ben Naga et les quelques entrepôts palatiaux peinent à justifier une pratique censée répandue. La prérogative royale sur la production du fer, et donc des armes, pourrait faire croire à un contrôle de type militaire par la dynastie régnante. Mais dans quelle mesure la population aurait-elle été soumise à pareille autorité sur un territoire aussi vaste, sans la présence apparente de garnisons ou de postes militaires réguliers ? La souveraineté du territoire méroïtique devait donc reposer sur deux principes fondamentaux : une administration savamment relayée en province, et le maintien d’une sphère d’influence avec des populations culturellement différentes mais intégrées à l’économie du royaume. Il importait en effet à la capitale d’exercer son contrôle sur le couloir commercial au nord, tout en s’assurant une collaboration des populations plus au sud pour l’approvisionnement en produits commerçables avec l’Égypte. Ce jeu d’influence, rappelé par la découverte dans nombre de tombes de dignitaires provinciaux de produits de luxe d’importation propres aux circuits royaux, se déclinait sous la forme de richesses matérielles redistribuées, ainsi que par l’attribution de titres administratifs et charges religieuses. En Basse Nubie, nous savons que le pouvoir régional était entre les mains du pesto (vice-roi), attaché de facto à la famille régnante, mais peut-être plus encore attaché à de grandes famille locales. On connaît peu l’état réel des déplacements de la royauté dans
les provinces du royaume46, la région entre Doukki Gel et le Djebel Barkal concentrant la plupart des témoignages impliquant la famille royale dans des cérémonies religieuses ou des opérations militaires. Pour les autres territoires, vers le sud ou vers les déserts bordant la vallée, les données sont encore trop limitées pour savoir s’il existait une véritable suzeraineté ou une influence moins formelle. La cartographie utilisée dans cet ouvrage laisse volontairement apparaître une partie du réseau hydrographique saisonnier composé par les oueds. Elle replace la géographie de la Nubie antique au cœur d’un royaume où les populations n’étaient pas cantonnées exclusivement sur les rives du Nil47. Les déplacements à travers des zones réputées désertiques n’étaient guère insurmontables pour les Méroïtes qui avaient, en outre, une bonne maîtrise des ressources pluviales grâce à leurs réseaux de hafirs et de puits. La conquête des terres intérieures, sous-représentées par l’archéologie, était en partie liée à la domestication d’espèces végétales comme le sorgho, apparu dans la seconde moitié du ier millénaire avant notre ère. La multiplication des habitats et centres religieux dans le Boutana et le long des oueds s’écoulant vers le Nil principal ou le Nil Bleu illustre parfaitement l’essor de la société méroïtique dans des zones délaissées aux époques antérieures. Méroé, carrefour géographique et culturel idéalement placé entre le Bassin Méditerranéen, la mer Rouge, les pistes sahariennes et les confins de l’Afrique des grands lacs, n’égalait certes pas la puissance des grands empires de l’Antiquité, mais a su intégrer la diversité de ses populations pour forger un modèle pérenne de royauté. L’extension de ses frontières restera longtemps encore une énigme pour laquelle il sera difficile de faire la part des choses entre zones sous contrôle et zones indépendantes mais sous influence kouchite. Une étude du domaine funéraire privé à travers son architecture, sa répartition et ses coutumes, permet d’appréhender un peu mieux un royaume moins homogène qu’il n’y paraissait précédemment.
46. Durant le règne du (dernier ?) souverain méroïtique Yesebokhe-Amani, des inscriptions témoigneraient de son passage à Philae et Qasr Ibrim (Rilly 2011, p. 488). 47. La carte archéologique de la région de Méroé témoigne de cette réalité, comme le rappelle P. Lenoble : « Le déficit de cartographie historique a toujours écarté des dizaines de signaux archéologiques de toutes sortes, dont la plupart des cimetières, plusieurs villes et presque tous les villages. La figuration du peuplement méroïtique autour de l’ancienne capitale demeure désuète et l’outil cartographique obsolète pérennise des théories historiques dépassées » (Lenoble 2008, p. 61).
LA PYRAMIDE ET SA CHAPELLE
Depuis la fin du viiie siècle avant notre ère et la tombe du souverain Piankhy dans la nécropole d’elKurru, jusqu’au ive siècle de notre ère, la pyramide funéraire connaît une évolution tant du point de vue de son architecture que de son statut au sein de la société kouchite. D’abord réservée au marquage des tombeaux de certains membres de la famille royale, confinée dans cette sphère restreinte durant la XXVe dynastie, elle apparaît ensuite à la surface de quelques nécropoles napatéennes privées, avant de se diffuser très largement chez les notables provinciaux du royaume de Méroé. Les raisons de son adoption, ainsi que les canons particuliers qui déterminent sa réalisation, sont à rechercher en Égypte et dans l’histoire de ses grandes figures que les souverains kouchites avaient prises pour référence1. Symbole de la naissance du monde qui s’identifie à la butte primordiale héliopolitaine, la pyramide permet de créer un lien entre la tombe et l’astre solaire. Elle fut très tôt flanquée d’une chapelle sur son flanc est, destinée à pérenniser le culte du défunt en lui donnant un cadre officiel. L’architecture de la chapelle reprend celle des temples méroïtiques dédiés aux divinités indigènes. Outil idéologique et politique, cet ensemble architectural joue également un rôle dans la transmission du pouvoir, l’héritier au trône pouvant être associé à sa construction. Prérogative royale qui s’affaiblit au fil des siècles, le droit à posséder une pyramide funéraire et la reconnaissance sociale qu’elle offre se diffusent pour faire du monument un marqueur privilégié non plus d’une tombe, mais de plusieurs à la fois au sein d’un groupe d’inhumés. Durant la phase la plus tardive du royaume, on assistera à la multiplication des pseudomonuments2, dont la taille ne se compte plus en mètres mais en centimètres, annonçant une forme de démocratisation du concept de pyramide et sa fin toute proche. Histoire d’un emprunt puis d’une adoption par une frange de la population toujours plus importante, la longue vie du monument pyramidal et sa diffusion reste cependant une exception dans une tradition funéraire qui a, depuis des millénaires en Nubie, privilégié la structure tumulaire pour marquer la demeure du mort. Témoin d’une évolution religieuse
tardive, la pyramide kouchite n’est qu’un élément parmi d’autres des changements apportés par une royauté nubienne qui naquit et grandit sous influence des modèles égyptiens.
la pyramide : un symbole de royauté Si les pyramides royales en Nubie étaient connues et recherchées par les voyageurs du xixe siècle, nul n’imaginait alors que la région allait être le théâtre de la découverte de plusieurs nécropoles royales, et d’un chapelet de cimetières pyramidaux bâtis loin de la capitale et des grands centres religieux. Au début du xxe siècle, les premières structures funéraires privées mises au jour à Shablul et Karanog, aux abords de la frontière entre l’Égypte et le Soudan, instiguèrent le doute chez leurs découvreurs qui puisèrent dans leurs références égyptiennes pour décrire d’éventuels mastabas, ou dans l’observation des qubbas musulmanes pour supposer l’existence d’un dôme arrondi recouvrant la tombe. Très vite cependant, la possibilité d’avoir affaire à des constructions pyramidales fut avancée, mais faute de n’avoir pas retrouvé un seul monument ayant conservé suffisamment de hauteur, l’hypothèse ne fut confirmée que bien plus tard, lorsque les fouilles se multiplièrent sous l’impulsion de la campagne de l’Unesco. Depuis, nos connaissances se sont affinées et la pyramide ou ses attributs, même fragmentaires, sont devenus aisément identifiables pour l’archéologue.
Une origine allochtone C’est durant la phase de conquête de l’Égypte, achevée sous le règne de Piankhy3, que les souverains kouchites adoptent la superstructure pyramidale pour recouvrir leurs tombeaux, bien que les pharaons n’y recourent plus depuis près de huit siècles, au profit d’hypogées creusés dans le socle rocheux des falaises de la vallée du Nil. Ce n’est cependant pas les édifices royaux qui vont servir de modèles, mais plutôt l’architecture funéraire privée égyptienne, visible en haute Égypte et sur le territoire nubien. 3.
1. 2.
Francigny 2010c, p. 258. Rilly, Francigny 2010 ; 2011.
Comme l’indique sa stèle découverte au Djebel Barkal (Grimal 1981). Son prédécesseur Kashta, bien que revendiquant le titre de pharaon, n’avait étendu son pouvoir que sur le sud de l’Égypte (jusqu’à Thèbes ?).
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Figure 1 – El-Kurru. Reconstitution des structures funéraires. [D’après Kendall 1999, p. 101, fig. 4]
Si l’on veut comprendre les raisons de cette adoption, il importe de replacer la démarche des souverains kouchites dans un contexte politique où ces derniers se tournent vers les grandes figures de l’Empire égyptien, ancien colonisateur, pour affermir leur rôle à la tête d’un royaume naissant et bâtir une sorte d’identité victorieuse. Ce renforcement idéologique, qui a pour but de légitimer le pouvoir du roi, fait appel à l’histoire des grands pharaons conquérants et bâtisseurs du Moyen et du Nouvel Empire, auxquels les Kouchites empruntent parfois leur nom de couronnement. Ce mélange d’honneurs sincères et d’ambitions locales semble même faire oublier aux Kouchites les défaites et la soumission culturelle que ces pharaons infligèrent à leurs propres ancêtres sur le sol nubien. Ainsi s’engage un long processus de réappropriation des symboles égyptiens, qui se traduit sur le plan funéraire par une nouvelle orientation architecturale en phase avec le patrimoine monumental d’une Égypte fraichement conquise. D’après Reisner4, c’est à el-Kurru, où les tombes les plus anciennes sont recouvertes par des tumuli, que la superstructure est progressivement maçonnée, puis
évolue vers la forme d’un mastaba quadrangulaire5. Ce dernier point fut remis en cause par T. Kendall6, lorsqu’il entreprit de réviser les notes et dessins de l’égyptologue américain, à la lumière des nouvelles découvertes faites par l’archéologie nubienne depuis l’époque des fouilles anciennes. Selon lui, G. A. Reisner opta pour l’interprétation du mastaba par mimétisme avec la classification et l’évolution des structures funéraires en Égypte, tout en notant qu’aucune tradition du mastaba n’est attestée en Nubie jusqu’au ier millénaire avant notre ère. Il propose donc d’interpréter lesdites constructions comme des pyramides pouvant éventuellement reposer sur une base carrée surélevée (figure 1). Cette hypothèse permettrait alors d’expliquer l’architecture particulière, avec une plateforme,
4.
6.
Dunham 1950.
5.
La nécropole ayant subi de nombreuses phases de pillage, l’archéologie n’a jamais apporté l’assurance définitive d’une continuité entre les tombes tumulaires anciennes et les tombes pyramidales qui les jouxtent. Pour un résumé des principales théories d’interprétation, depuis la thèse des tombes Kerma jusqu’à celle des souverains pré-napatéens, voir Edwards 2004, p. 118. Notons que les tumuli d’el-Kurru devaient être munis d’un parement externe rudimentaire en pierre. Kendall 1999.
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Figure 2 – Méroé Nord. Pyramide d’Amanitore. [© V. Francigny]
de la pyramide de la reine Amanitore (figure 2) qui, quelques siècles plus tard tenta de renouer avec les symboles du passé7. Mais que l’évolution tardive de la forme tumulaire à el-Kurru soit ou non passée par l’étape intermédiaire du mastaba affecte peu les conditions d’apparition de la pyramide kouchite en Nubie qui, d’emblée, marque sa différence par rapport aux modèles égyptiens anciens. Par la suite, tous les souverains de la XXVe dynastie choisirent ce type de monument funéraire sur le site d’el-Kurru, jusqu’au règne de Taharqa qui décida de fonder une nouvelle nécropole royale à Nuri8, situé à 25 km en amont sur la rive opposée.
7. 8.
Cette idée est déjà présente à l’esprit de D. Dunham (1957, p. 120). On y a retrouvé les monuments funéraires de 19 souverains et 50 reines. Les principales interprétations sur le choix d’établir une nouvelle nécropole royale sur ce site sont partagées entre T. Kendall (2008), qui y voit un symbole religieux lié à un phénomène astral, et L. Török (2001, p. 39) qui lie l’emplacement du cimetière à la proximité du temple de Sanam. J. Yellin (2009, p. 14) suit la proposition de Kendall, en faisant remarquer que le rapprochement avec Sanam pourrait être liée non pas au temple, mais au cimetière adjacent, dans lequel Taharqa pourrait avoir eu une partie de sa famille enterrée.
L’architecture pyramidale en Nubie Le modèle égyptien de Basse et Moyenne Nubie Dans l’Égypte du Nouvel Empire, le modèle des tombes pyramidales privées qui prévaut par exemple dans le cimetière de Deir el-Medineh9, est également en usage dans la colonie nubienne. Des pyramides de petite taille (figure 3), aux pentes raides et construites en briques crues, viennent en effet marquer l’emplacement des tombes de certains princes égyptianisés10, ainsi que celles de l’élite administrative et religieuse des établissements égyptiens11. Dans le Cimetière Sud de Méroé, où une partie de la cour napatéenne fut enterrée, on trouve aujourd’hui le plus grand ensemble privé de monuments pyramidaux napatéens. Mais de récentes découvertes
9. Bruyère 1959 ; Hodel-Hoenes 2000. 10. On en trouve un exemple à Debeira Ouest avec la tombe d’Amenemhat, prince de Teh-Khet, qui vécut sous le règne de Thoutmosis III (Söderbergh 1963b, fig. 2 ; 1991). 11. À Aniba (Weigall 1907, pl. 63/1), Soleb (Schiff Giorgini 1971, p. 81, fig. 119) et Saï.
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Figure 3 – Aniba. Tombe pyramidale. [D’après Steindorff 1937, Bl. 45]
en province12, à Kawa13 et à Tombos14 indiquent un phénomène similaire dans quelques grands centres provinciaux. Parmi les plus récentes découvertes se trouvent les monuments pyramidaux de Tombos, où un cimetière du Nouvel Empire a notamment livré la tombe d’un notable égyptien nommé Siamun, enterré avec son épouse Meran. L’ensemble architectural possède une cour, une chapelle avec un puits d’accès vertical à la chambre funéraire, et une superstructure pyramidale en briques crues de 7 m de côté, pour une hauteur estimée à au moins 10 m. À quelques mètres de là, une nécropole napatéenne prend le relais en conservant parfois le modèle pyramidal avec chapelle attenante. Le prototype kouchite La taille des pyramides royales kouchites ne dépasse généralement pas la trentaine de mètres de haut (exception faite pour le monument de Taharqa, construit en deux temps et rehaussé à environ 50 m). Certaines sont coiffées d’une pierre sommitale – différente du pyramidion de tradition égyptienne à forme pointue15 – qui recevait peut-être un disque solaire
12. 13. 14. 15.
Welsby 2003b. Welsby 2010 ; 2011. Smith 2007. Hinkel 1982a, pl. 2a.
en métal ou une statue16. L’apparence générale du monument est celle d’une pyramide tronquée au sommet, en raison de l’aménagement d’une plateforme située en général au 9/10e de la forme théorique de la structure. Les restes de mâts en cèdre17 découverts au centre de certains monuments indiquent l’utilisation probable d’un balancier de type chadouf18 permettant le levage des blocs pendant la phase de construction. Cette hypothèse est renforcée par la découverte sur un mur de la chapelle de Beg. N.2 d’un graffito « métré » représentant un monument au 1/10e reproduisant cette forme particulière de monument. La pyramide kouchite possède des flancs présentant une inclinaison très aiguë (de 65 à 73°19, contre un maximum de 52° pour celles de l’Ancien Empire en Égypte). Cette structure confère à l’édifice, malgré ses dimensions modestes, une allure imposante à qui l’observe depuis le sol, en raison de parois qui paraissent presque verticales.
16. Hinkel 1997, p. 411. 17. Le cèdre du Liban était déjà importé en Nubie à l’époque de Taharqa, comme il est mentionné sur la stèle (lignes 3-4) érigée à Kawa pour l’inauguration du temple à Amon en 680 avant notre ère (Eide et al. 1996, p. 178). 18. Ce dispositif est connu dans la vallée du Nil depuis le xve siècle avant notre ère. 19. Hinkel 1997.
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C’est toujours sur son côté est, correspondant symboliquement au soleil levant, qu’elle est flanquée d’une chapelle constituée d’un pylône puis d’une salle unique. Des constructions complémentaires peuvent s’ajouter à cet ensemble architectural funéraire, comme une colonnade devant le pylône, un mur bas délimitant le temenos20, ou encore une rampe d’accès vers la plateforme de l’espace sacré (figure 4). La grande longévité d’une nécropole royale comme celle de Méroé Nord permit aux bâtisseurs de faire évoluer les solutions architectoniques ainsi que le traitement des surfaces de la pyramide. F. Hinkel, architecte de la reconstruction du site, les réunit en trois groupes distincts21 : la pyramide à flancs en gradins, celle à gradins ornés d’arêtes lisses ou en tore, et enfin celle à flancs lisses. Cette typo-chronologie vaut pour la plupart des monuments, même si des exceptions existent, particulièrement au ier siècle de notre ère. Les matériaux de construction évoluèrent eux aussi au fil des siècles. À el-Kurru et à Nuri, les pyramides ont un parement en pierres taillées et un remplissage en pierres dégrossies (figure 5). À Méroé, les constructions les plus anciennes ont également un parement en pierre taillée, constitué de plusieurs rangs dans le sens de l’épaisseur, mais le remplissage interne est constitué d’un blocage pierreux hétérogène. Au iie siècle de notre ère, ce type de parement externe est remplacé par des briques cuites, puis, pour les derniers monuments royaux, par des moellons qui ressemblent à ceux des constructions en pierres sèches. La nature irrégulière du remplissage favorisant les tassements et augmentant les risques d’affaissement, de nombreuses structures finirent par s’éventrer naturellement et s’écrouler en partie. À l’origine, la plupart des superstructures de la tombe étaient recouvertes d’un mortier épais (1 à 2 cm), lui-même revêtu d’un enduit plus fin qui était peint. Ces deux couches offraient la protection nécessaire au parement en grès nubien, de nature très friable. De plus, elles permettaient aussi dans certains cas de masquer les nombreuses imperfections d’une architecture composite, comme celle utilisant la brique. Les analyses de ces enduits indiquent que le corps de certaines pyramides était de couleur rouge, orné d’une frise d’étoiles blanches à la base. Le sommet, généralement peint en jaune, pouvait accueillir des incrustations discoïdes en faïence.
20. Au-delà de l’aspect symbolique d’un mur délimitant un espace sacré, il est vraisemblable que dans l’environnement si particulier de la Nubie et de ses édifices en grès tendre, le temenos ait aussi servi à limiter l’ensablement et la dégradation des monuments funéraires. 21. Hinkel 1997, p. 411, fig. 67.
La pyramide royale est un marqueur de surface qui recouvre un hypogée creusé selon la tradition, en sous-sol. Le lieu de son implantation était décidé du vivant du souverain, qui veillait également à la réalisation du caveau funéraire. Il est communément admis que c’était le successeur qui avait pour tâche d’ériger le monument en l’honneur du souverain défunt. Ce geste de transition aurait eu une portée politique en le faisant légitimement entrer dans ses fonctions. Cependant, certains monuments ne recouvrent pas la descenderie qui permet d’accéder au caveau22, si bien que leur postériorité par rapport aux funérailles ne peut être formellement démontrée. La séquence chronologique habituellement admise, comprenant le creusement des appartements funéraires, suivi de la cérémonie d’enterrement, du comblement de l’accès à la tombe puis de la construction de la pyramide, pourrait également être remise en cause par les exemples de remaniements architecturaux apportés sur certains édifices et qui semblent être le fait du roi et non de son successeur. Les cas de Taharqa et d’Irike-Amannote à Nuri, qui ont vu leurs pyramides agrandies par un second édifice recouvrant le premier, pourraient indiquer que seule la chapelle était laissé à la charge du nouveau souverain. La pyramide kouchite sera pendant près d’un millénaire l’expression architecturale des aspirations du roi divinisé, devenu immortel, destiné à rejoindre l’astre solaire dans son combat quotidien pour renaître. Alors que les proportions architecturales des monuments diminuent et que la qualité des matériaux se dégradent au fil du temps, la forme se maintient cependant jusqu’au milieu du ive siècle de notre ère pour un usage spécifiquement funéraire23, dont témoignent pas moins de 200 édifices royaux.
l’adoption de la pyramide dans la sphère privée
Premier constat tiré de la répartition géographique des sites en Nubie (carte 2) : la pyramide est une forme architecturale de la vallée, ayant pour seule exception la triple nécropole royale et élitaire de Méroé, qui exploite en partie les hauteurs des premiers affleurements rocheux à l’intérieur des terres du Keraba. Le transfert du monument pyramidal de la sphère royale vers les nécropoles privées est déjà effectif durant la période napatéenne, mais reste très limité,
22. Francigny 2010c, p. 251, fig. 336. 23. Dans l’archéologie méroïtique, seules deux découvertes de monuments en contexte non funéraire ont laissé penser à une forme pyramidale : une structure quadrangulaire retrouvée devant le Temple II A à Musawwarat es-Sufra (Hintze 1968, pl. 41a), ainsi qu’un podium mis au jour à Soba (Welsby-Sjöström 1993, p. 13).
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Figure 4 – Méroé Nord. Pyramides royales. [D’après Hinkel 1986, p. 102]
Figure 5 – Nuri. Pyramides royales. [© V. Francigny]
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Figure 6 – Nag Gamus. Reconstitution fictive d’un mastaba méroïtique et de sa chapelle. [D’après Almagro et al. 1964, p. 79, fig. 61]
indiquant un contrôle strict de cette prérogative. On le rencontre à Sedeinga dans les Secteurs I, II et Ouest24, à Kawa25, à Tombos26, à Tabo27 et à Méroé28. Une structure isolée, construite de façon inhabituelle avec des blocs de gneiss, fut aussi découverte lors du « Amri to Kirbekan Survey » dans la région en amont de la 4e cataracte29. Durant la phase méroïtique, l’accès au monument pyramidal se répand, réservant à l’édifice un traitement de moins en moins canonique. Il est cependant difficile de comprendre dans quelle mesure cette forme de démocratisation fut le fruit d’une évolution de la pensée religieuse ou le signe d’un renforcement des puissances provinciales face au pouvoir central.
D’une pyramide dite « mastaba » Dès les premières fouilles de cimetières méroïtiques privés, les chercheurs eurent du mal à définir la nature architecturale des superstructures qu’ils venaient de mettre au jour. D’abord décrites comme de simples enclos funéraires (à Shablul), elles acquirent ensuite le statut de structures à couverture plate ou bombée (à Karanog), à l’image des qubbas modernes 24. 25. 26. 27. 28. 29.
Schiff-Giorgini 1965 ; Rilly, Francigny 2012. Welsby 2010 ; 2011. Smith 2007. Bonnet 1999b ; 2011, p. 288. Yellin 2009. Welsby 2003b ; 2004a.
signalant les cimetières musulmans. La difficulté à trancher sur la nature exacte de ces couvertures de briques, fussent-elles planes ou en forme de dôme, engagea les inventeurs dans la voie du compromis, en puisant dans l’égyptologie le terme et le concept du « mastaba » pour désigner toutes les constructions funéraires en briques crues marquées d’un fruit penchant vers l’intérieur. Ainsi naquit le mythe du mastaba « romano-nubien », aussi pratique qu’ambigu, bien que l’hypothèse pyramidale ne fut pas totalement exclue dans les publications de certains sites – à Faras par exemple. Non par certitude, mais plutôt par précaution, la théorie du mastaba fut ensuite largement reprise par les archéologues qui fouillèrent les nécropoles privées dans lesquelles aucun monument n’était demeuré intact (figure 6). Cette situation demeura inchangée, jusqu’à ce qu’on réunisse suffisamment d’éléments en faveur d’une forme pyramidale. On continua cependant à croire à l’existence des deux structures architecturales. Jusqu’alors, la documentation ancienne sur le sujet, très laconique en termes de photos ou de plans, n’a pas fait l’objet d’une révision, si bien que l’hypothèse du mastaba est restée une alternative courante dans les interprétations des nubiologues. Il semble pourtant que la théorie du mastaba, qu’il faut considérer comme une pyramide tronquée et donc un monument d’aspiration solaire, ne peut être conservée qu’en de rares cas où l’enquête ne peut être menée plus avant, faute de documentation disponible (à Shablul et à Qasr Ibrim par exemple).
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Dans tous les autres cimetières où le mastaba a été décrit, on retrouve en effet des structures quadrangulaires associées à des murs de refend intérieurs, ainsi que des pyramidions et des niches monolithiques désignant inévitablement l’édifice pyramidal. Ces éléments, souvent fragmentaires et mal interprétés, ont pourtant laissé se perpétuer le mythe du mastaba. Cette interprétation fut aussi entretenue par la confusion générée par les réoccupations tardives de certains hypogées méroïtiques. Ainsi, il fut fréquent aux alentours des iiie et ive siècles de notre ère, de voir des caveaux surmontés par des pyramides ruinées être réoccupés30, le monument initial étant réduit à une sorte d’enclos qui ressemble effectivement à un mastaba. Parfois aussi, la grande concentration de tombes dans un espace réduit a fait croire à l’impossibilité de placer en surface des superstructures de grande taille. B. Trigger31 a ainsi proposé l’idée que les sépultures pouvaient être recouvertes de petits mastabas ou « banquettes », à l’image des tombes modernes. Nous savons aujourd’hui qu’un nombre élevé de tombes n’est pas un facteur limitant pour les constructions de surface, puisqu’il signifie en fait que plusieurs descenderie et cavités sont connectées à un édifice unique, qui peut lui-même recouvrir en partie les accès de tombes plus anciennes. Nous sommes d’avis que toutes les constructions funéraires méroïtiques en briques crue ou en pierre avaient une aspiration pyramidale, y compris lorsqu’elles ont au sol un plan rectangulaire, ce qui techniquement n’empêche pas l’élévation en pointe32. L’apparente verticalité des premières assises en pierres ou en briques crues de certains monuments, comme par exemple au Djebel Adda33, ne signifie pas que le reste de l’élévation était construite selon le même angle. Les vestiges des soi-disant « mastabas » présentant les mêmes caractéristiques architecturales et le même mobilier que ceux des monuments pyramidaux, il n’y a aucune raison pour les maintenir dans une catégorie qui n’a d’ailleurs jamais été attestée en Nubie auparavant, contrairement à la pyramide. Cette absence d’antécédents, doublée d’une répartition aléatoire au sein des nécropoles dans lesquelles le « mastaba » ne remplace pas le modèle pyramidal, hypothèque fortement son existence, au contraire de la pyramide dont les origines et les évolutions nous sont connues tout au long de l’histoire de la Nubie.
30. Fuller 1999. 31. Trigger 1969. 32. Les qubbas musulmanes, par exemple, sont parfois décrites comme une résurgence tardive de la forme pyramidale en Nubie. 33. Huber, Edwards 2012, p. 83.
Deux facteurs sont à prendre en compte pour comprendre l’adoption de la pyramide dans les tombes privées kouchites : le choix de refléter l’architecture du monument funéraire royal, et l’influence grandissante de pratiques populaires d’enterrements qui marque une évolution des croyances religieuses, comme c’est le cas par exemple en Égypte romaine. Le processus qui s’engage en Nubie durant la période méroïtique va lentement inscrire la pyramide dans la sphère des constructions funéraires privées de l’élite du royaume, d’abord méroéennes puis provinciales. Si le monument royal ou celui de l’élite napatéenne ont été les modèles de la pyramide privée méroïtique, il ne faut pas non plus négliger l’influence de l’architecture funéraire privée en Égypte à la même époque. Comme nous le verrons dans de nombreux cas, l’Égypte romaine semble avoir joué un rôle constant dans l’évolution des modèles artistiques et des usages méroïtiques aux époques tardives. On trouve ainsi dans les cimetières contemporains égyptiens – par exemple dans l’ancienne Térénouthis, des installations quasi-similaires en briques crues34, avec de grandes similitudes dans l’aménagement de la façade est des monuments, dédiée à la stèle du défunt35.
Conventions et construction La pyramide est par essence un marqueur de différenciation sociale qui n’apparaît que dans certaines nécropoles, qui plus est de façon minoritaire, la tombe commune méroïtique ne recevant apparemment pas de superstructure. Son érection au-dessus de tombes privées devait engager des moyens en hommes et en temps très différents selon la taille, les matériaux de construction retenus et leur disponibilité dans l’entourage du site d’enterrement. Arpentage Avant le montage des assises, la préparation du sol consistait en général à dégager une zone quadrangulaire plane sur un sol suffisamment dur. Lorsque le monument était installé sur une surface accidentée, cette dernière pouvait être légèrement retaillée, ou le plus souvent compensée dans ses pentes par un mélange de mortier, de pierre et / ou de briques36.
34. McCleary 1987, fig. 1. 35. « There are rectangular tombs in a semi-pyramidal shape; a second type is oblong with a barrel roof; others are shaped like a pyramid. […] Most of the funerary structures were accompanied by an offering table or altar, usually located on the eastern side. Funerary stelae were also discovered in niches, most often oriented to the east […] » (El-Sawy 2007, p. 269). 36. Francigny 2009a.
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Bien que la plupart du temps les monuments étaient fondés à même le sol, il a récemment était prouvé que des fondations constituées d’un premier niveau de briques pouvaient être enterrées sous le sol de circulation37. Le plan de l’édifice était tout d’abord tracé sur le sol, déterminant ainsi sa localisation précise, sa taille et son orientation. La tradition royale égyptienne, connue par la cérémonie Pedj-shes qui débutait par ces mêmes gestes n’est pas attestée en Nubie, mais le fait que les monuments kouchites continuent de respecter des alignements stellaires (quand ils ne prennent pas le Nil comme référence), et comportent parfois des dépôts de fondation dissimulés sous leurs angles, tend à prouver qu’un rituel avait également cours chez les Napatéens et les Méroïtes. La construction d’une pyramide privée, du moins pour les plus importantes, devait nécessiter la présence d’un représentant du clergé chargé de purifier l’aire d’installation et consacrer l’édifice funéraire. Dépôts de fondation Durant la période napatéenne, le recours à un dépôt de fondation est courant à la fois dans les sanctuaires et les tombes royales. Dans la nécropole de Nuri, toutes les pyramides, excepté celle de Taharqa, ont livré ce type de matériel. Disposés aux quatre angles de la pyramide, ces dépôts étaient constitués de pièces de boucherie provenant de bovidés, de vases contenant des matières naturelles (pigments, terres), de plaquettes en faïence décorées et de fragments de pierres rares à l’état brut, tous censés assurer la pérennité du monument funéraire et placer sa construction sous protection divine. D’autres dépôts pouvaient être aménagés aux angles du temenos, contenant cette fois des modèles de briques, des amulettes et des figurines divines en terre crue servant à protéger le bâtiment contre les agressions extérieures. À l’approche de l’ère méroïtique, les témoignages en provenance des tombes royales ou privées se font rares, mais la recherche de dépôts de fondation n’ayant pas toujours été programmée par les archéologues, nombre d’entre eux ont pu être omis. Concernant la sphère privée, les fouilleurs notent souvent la présence de tessons ou de vases fragmentaires mélangés au blocage intérieur qui sert à remplir la pyramide, mais le caractère aléatoire des découvertes laisse plutôt penser à des débris de surface amalgamés au substrat sur lequel est implanté le cimetière. Quelques cas de vases complets38 laissent pourtant
37. Francigny 2009a ; 2010a. 38. Simpson 1964.
penser qu’un dépôt devait avoir lieu, même s’il n’était ni systématique, ni placé au fond d’une fosse comme à l’époque napatéenne. Un cas d’école survenu en 2003 dans le Cimetière Ouest de Sedeinga, montre qu’une vérification du remplissage des monuments est nécessaire lorsque l’on fouille des ensembles funéraires méroïtiques. C’est ainsi qu’une jarre fut retrouvée dans l’angle nord-est d’une pyramide méroïtique (figure 7), dont la fouille initiale avait eu lieu près de 40 ans plus tôt. Toujours à Sedeinga, mais cette fois en relation avec des structures privées napatéennes du Secteur I, on a découvert qu’il était de coutume de mélanger des perles en pâte émaillée au ciment qui faisait le lien entre le premier lit de briques d’un monument et le sol. Pratiqué aux angles de la pyramide, ce dépôt représentait une forme de consécration au moment de commencer l’élévation. Notons enfin que des objets déposés dans des fosses creusées à proximité d’hypogées méroïtiques peuvent s’apparenter à la pratique du dépôt de fondation, bien qu’en apparence aucun monument ne viennent recouvrir la sépulture39. Matériaux Le plus rare et le plus noble est bien entendu la pierre : grès nubien ou schiste local noir. Le grès, largement préféré pour sa facilité d’extraction et ses possibilités de taille, provient des carrières proches des djebels ou des falaises rocheuses qui affleurent parfois près du Nil. Simplement équarris en moellons homogènes ou taillés avec un parement externe, les blocs de grès permettent un appareillage sans ciment de liaison, par empilage brut40. Pour le schiste noir, plus rare, il est difficile d’employer l’expression de « pierre taillée », tant le travail sur le matériau brut s’apparente plutôt à de la « pierre cassée ». Le schiste a en effet l’avantage de présenter des cassures à angle droit suffisamment régulières pour faire office de parement dans une construction. Mais quelle que soit la pierre choisie, en contexte non royal, le monument funéraire pyramidal amorcé en grès ou en schiste sur quelques assises était systématiquement terminé par un massif de briques crues41.
39. Bates, Dunham 1927, p. 27. 40. Aucune étude n’a été effectuée sur la taille des blocs de grès utilisés pour la construction des pyramides en contexte provincial, contrairement aux cimetières royaux où l’on constate une relative homogénéité des monuments de Nuri, Djebel Barkal et Méroé Sud, par opposition à ceux de Méroé Nord. Une étude sur les blocs d’angle des édifices royaux est également disponible (Hakem 1989). 41. Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 112.
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Figure 7 – Sedeinga. Jarre déposée dans l’angle d’une pyramide méroïtique. [© V. Francigny]
La brique crue, séchée au soleil, est en fait le principal matériau de construction des pyramides kouchites privées. D’une taille standard d’environ 33 × 17 × 10 cm, il est important de noter – bien que la taille d’une brique puisse légèrement varier – que le modèle méroïtique suit de très près la mesure (absolue) de base de la brique crue égyptienne : 32,5 × 16,25 × 8,125 cm42. Façonnable en grande quantité près des cimetières grâce aux terres limoneuses des dépôts alluviaux ou aux terres sableuses riches en fer (donnant une couleur rosée aux briques et aux enduits), on pouvait l’enrichir d’éléments végétaux ou de déjections animales jouant le rôle de dégraissant. Pour assurer une parfaite liaison entre les modules lors de la construction d’un mur, on employait un mortier également fait à base de terre, et éventuellement enrichi par de la terre cuite broyée. Dans certaines nécropoles, comme par exemple à Saï et à Sedeinga, les carrières d’extraction de la terre utilisée dans les monuments funéraires étaient littéralement incluses dans l’espace funéraire. Les fosses de mélange pour fabriquer briques, ciments et enduits se trouvaient en général à proximité (figure 8).
Durant toute la période méroïtique, la brique crue servait aussi dans l’architecture des palais, des temples, des bâtiments administratifs et de certains habitats43. Le choix du matériau utilisé pour les pyramides ne relevait cependant pas uniquement de contraintes liées aux ressources disponibles dans l’environnement de la nécropole. La pierre faisait en effet l’objet d’une prérogative, réservée à quelques personnages importants inhumés au Soudan central et en Nubie. Plus répandue dans la sphère privée en Basse Nubie, elle montre que dans cette région de plus grandes concessions furent faites par le pouvoir central envers les élites locales.
42. Roik 2000.
43. Edwards 1999b.
Architecture Tous les monuments pyramidaux privés méroïtiques ont en commun un fruit versant vers l’intérieur qui commence dès les premières assises. La technique d’élévation consistait à former un premier rang de briques ou de pierres au sol, puis à remplir l’espace intérieur de la surface ainsi délimitée avec un mélange hétérogène de gravats et de sable. La seconde assise, légèrement décalée, ne surplombait donc jamais le vide.
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Figure 8 – Sedeinga. Fosse d’extraction de terre sableuse (à droite) et fosse de mélange (à gauche) pour la fabrication de briques et ciments dans la nécropole. [© V. Francigny]
Figure 9 – Sedeinga. Pyramide comportant un croisillon interne au centre duquel un cercle se dessin. [© V. Francigny]
Les pyramides étant remplies d’un blocage hétérogène, instable et à densité variable provoquant au fil du temps des tassements, des affaissements et des espaces vides. On tentait de pallier à cette faiblesse par l’ajout de contreforts internes, divisant la structure en caissons étanches les uns par rapports aux autres. Ces murs de refend, eux aussi construits en briques crues, concernent généralement les pyramides de grande taille et forment des combinaisons variables, sans qu’aucune n’ait encore donné d’information
significative en termes de chronologie. On observe ainsi des murs en forme de croix reliant les angles ou les quatre côtés de la pyramide, des murs formant un damier à six ou huit compartiments internes, et exceptionnellement des murs constituant un cercle intérieur (figure 9) rappelant la forme tumulaire44.
44. Rilly, Francigny 2012.
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Figure 10 – Sedeinga. Pyramide à l’intérieur de laquelle subsiste un sol de ciment. [© V. Francigny]
Figure 11 – Méroé Ouest. Restes d’enduit sur le flanc d’une pyramide. [© A. de Voogt]
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Jusqu’à une date récente, aucune solution architectonique n’était envisagée pour expliquer la présence de pyramides de grande taille qui ne présentaient pas de contreforts en leur sein. Une nouvelle piste peut désormais être explorée grâce à la fouille de Sedeinga dans laquelle un monument préservé sur sept assises de hauteur a livré un système de renforcement intérieur jusqu’alors inédit45. En dégageant le blocage d’un monument pour en étudier l’architecture et rechercher d’éventuels dépôts de fondation46, un sol de ciment d’au moins 5 cm d’épaisseur est apparu sur toute la surface interne de la pyramide au niveau de la 5e assise (figure 10). Scellant parfaitement le blocage se trouvant en dessous, il indique un compartimentage interne du remplissage en strates horizontales. En plus de renforcer le monument, cette technique, répétée à intervalles réguliers, à l’avantage d’offrir aux ouvriers un sol de travail stable à différents niveaux de la pyramide, facilitant le montage des murs externes. D’après les structures les mieux conservées, il semble que l’utilisation de la brique crue comme principal matériau de construction n’ait pas empêché les Méroïtes d’élever des pyramides privées aux proportions similaires à celles des tombes royales (y compris la forte inclinaison des flancs extérieurs), mais dans des volumes plus modestes. La base au sol du monument pyramidal privé varie de moins de 1 m47 à plus de 10 m de côté48, selon l’importance de la tombe et de ses occupants, mais aussi de son caractère ancien ou tardif. Les dernières pyramides érigées au méroïtique tardif ont en effet tendance à présenter des dimensions et une facture amoindries. Notons aussi que les monuments les plus petits sont généralement associés à des inhumations d’immatures49. Si la hauteur des pyramides privées ne devait que rarement excéder une dizaine de mètres de hauteur, l’architecture rudimentaire et l’utilisation des briques crues devaient considérablement alléger le travail des ouvriers. Il est probable que le chantier de construction ne devait guère durer plus de quelques jours. L’identité des bâtisseurs nous est inconnue et jamais aucune marque ou inscription les concernant n’a été découverte au sein des monuments funéraires privés ou royaux50. Les preuves de démontage ou de 45. Rilly, Francigny 2011. 46. Une tête d’oiseau-ba aviforme fortement érodée et donc plus ancienne, a été découverte au centre du monument dans un niveau parfaitement scellé et non perturbé. 47. Rilly, Francigny 2011. 48. Francigny 2012b. 49. Griffith 1924, pl. 39/3. 50. On a longtemps cru à l’existence de graffiti attestant d’une date de construction ou de rénovation pour les pyramides royales (Griffith 1912, p. 1-6). Repris et développée
reconstruction sont également difficiles à établir pour les édifices privés, mais elles sont attestées pour les édifices royaux (par exemple pour Beg. N.53)51. Traitement de surface Marqueur de surface pour la tombe, bâtiment sacré reflétant une forme de hiérarchie sociale, la pyramide avait aussi pour but de protéger les appartements funéraires et ses occupants. Quels qu’aient été ses matériaux, elle avait elle-même besoin d’être défendue contre les intempéries, dans une Nubie où règnent des vents violents chargés de sable riches en quartz abrasif. C’est pour cette raison qu’on avait coutume d’appliquer sur les monuments un enduit à base de terre ou de calcite pour les pyramides royales ou princières52 (figure 11). Cette pratique était courante et étendue à la plupart des édifices officiels méroïtiques, qu’ils soient en briques cuites, crues ou en pierre53. Dans ce dernier cas, la surface de la pierre pouvait être laissée brute ou piquetée dans le but d’augmenter son adhérence. L’enduit employé, un mélange de chaux, pouvait s’appliquer en une ou plusieurs couches, avec un changement de composition pour la fine couche externe. Cette méthode, dans laquelle on différencie le mortier (couche épaisse) et l’enduit (couche fine en surface du mortier), permettait ensuite de peindre selon la méthode de la fresque, c’est à dire sur un enduit frais dans lequel les pigments pénètrent en profondeur. La couleur rouge54 semble avoir été privilégiée, à la fois sur les pyramides privées55 et sur leurs chapelles56, puisqu’elle est la seule observée par les archéologues57, et qu’elle est également attestée en contexte royal sur les monuments postérieurs au iie siècle de notre ère.
51. 52. 53. 54.
55. 56. 57.
par E. Zylarz, F. Hintze et I. Hofmann, cette hypothèse fut cependant levée par C. Rilly (2007, p. 208-213), qui montra que ces inscriptions étaient en fait des textes de dévotion. Hintze 1973, p. 42. Hinkel 1989, p. 827. Au Djebel Adda, des résidus d’enduit blanchâtre furent retrouvés à la base de certaines pyramides dont les premières assises étaient en pierre (Millet 1963, p. 161). L’ocre rouge est aussi la couleur utilisée dans l’art pour représenter les visages et les corps des Méroïtes. C. Rilly y voit un lien potentiel avec le pigment rouge qui emplit les signes incisés des inscriptions funéraires (communication personnelle). L’influence de l’Égypte, où l’on écrivait parfois en rouge, n’est cependant pas à écarter, même si la raison première de son emploi tient sans doute aussi à l’abondance de l’ocre rouge en Nubie. Schiff-Giorgini 1965, p. 116. Millet 1964, p. 8. Notons que les coulures indurées des enduits sur les monuments privés, qui nécessitent un long travail de destruction à la pioche, cachent généralement aux fouilleurs une partie des sépultures d’enfants aménagées sur les flancs des pyramides.
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Figure 12 – Île de Saï. Traces de peinture rouge à la surface d’une brique de pyramide. [© V. Francigny]
Mais l’enduit et sa peinture rouge ne couvraient par forcément l’ensemble du monument pyramidal privé, puisque de récentes observations ont prouvé la présence d’enduit et de peinture rouge (figure 12) sur un édifice dont les premières assises de briques étaient restées vierges de tout traitement58. Si l’on étendait ce principe à l’ensemble des bases de pyramides encore en place, on pourrait conclure que la pratique courante consistait à enduire et peindre uniquement la partie sommitale des monuments, la seule que l’on voyait de loin.
Les pièces architecturales rapportées Communes à la fois aux monuments funéraires privés et royaux, des pièces architecturales en pierre pouvaient être ajoutées aux édifices, y compris ceux en briques crues, soit pour coiffer la pyramide, soit pour y permettre le dépôt d’objets votifs. La niche Située dans le dernier quart supérieur du monument59, la niche est soit un élément monolithique incrusté sur le flanc est des pyramides privées (figure 13), soit une partie intégrante de la construction des édifices royaux (figure 14)60. Dans le cas de la niche 58. Francigny 2009a. 59. On la retrouve souvent maculée de fientes d’oiseaux, confirmant son positionnement sur un point culminant. 60. Sa position exacte est connue grâce aux pyramides royales de Méroé, puisqu’elle figure sur plusieurs monuments dessinés par les voyageurs au xixe siècle, et était toujours en place sur la pyramide Beg. N.19 lorsque F. W. Hinkel entreprit de la restaurer.
monolithe, la pièce est taillée dans un seul bloc de grès. On ne possède malheureusement aucun témoignage de ce qu’elle abritait, bien que des parallèles avec les niches funéraires contemporaines en Égypte romaine montrent qu’on y attendrait une statuette représentant le défunt ou une divinité protectrice. Le modèle le plus répandu possède des montants droits surmontés d’un tore horizontal et d’une gorge que coiffe un second tore. Il dérive d’une forme architecturale d’inspiration pharaonique, également construite ou taillée en pierre et qui survécu jusqu’à l’époque romaine61. Des variantes semblent cependant avoir existé, puisque dans le Secteur I de la nécropole de Sedeinga, qui mélange à la fois des monuments pyramidaux napatéens et méroïtiques, on trouve parmi d’autres éléments architecturaux en grès, une niche monolithe cintrée, dont le cadre intérieur creusé possède la forme typique des portes de sanctuaires méroïtiques, avec ses montant latéraux inclinés vers l’intérieur (figure 15). Bien souvent fragmentaires, ces vestiges ne sont pas toujours publiés, quand on ne les confond pas avec des pièces de linteaux ou de portes de chapelles funéraires. L’exemple du Cimetière 3 au Djebel Adda62 montre qu’à partir des fragments éparpillés dans les débris de pyramides, on arrive à comptabiliser jusqu’à cinq niches, indiquant que la plupart des monuments à base en pierre présent sur le site en possédaient une.
61. Adriani 1963, pl. 99 et fig. 336. 62. Millet 1963, p. 161.
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Figure 13 – Qasr Ibrim. Niche monolithe à corniche. [D’après Mills 1982, pl. 90/3]
Figure 15 – Sedeinga. Niche monolithe cintrée. [© V. Francigny]
Figure 14 – Méroé Nord. Niche de la pyramide Beg. N. 19. [© V. Francigny]
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Il n’existe pas d’exemplaire décoré ou inscrit, mais un bloc retrouvé près d’Abou Simbel pourrait constituer une exception63. Il s’agit d’une sorte de montant en grès sur lequel est incisée une représentation d’Anubis, qui pourrait bien appartenir à la partie gauche d’un encadrement de niche monolithe en pierre. Le pyramidion Aussi égyptien par ses origines que l’est la pyramide kouchite, il est le point focal entre un édifice bâti sur la terre par les hommes et le ciel, domaine sacré du dieu-soleil. Coiffant d’une forme pointue les pyramides et les obélisques d’Égypte64, il ne fut cependant pas adopté sous cette forme par les Kouchites. En contexte royal, le pyramidion arbore la forme d’une pyramide tronquée au centre de laquelle un court cylindre taillé en saillie devait recevoir un élément rapporté (disque solaire ou statue en métal ?), comme l’indiquent les trous creusés à cet effet65. On a longtemps pensé que ce caractère était exclusivement royal66, mais la découverte d’un exemplaire similaire napatéen dans la région de la 4e cataracte remet en cause ce lien67. Ce modèle, qui ne concerne apparemment que les pyramides en pierre, aurait donc été façonné à l’origine pour les monuments funéraires d’importants personnages de l’ancienne aristocratie kouchite, avant d’être adopté par les souverains méroïtiques. Le pyramidion méroïtique coiffant les tombes privées est d’un aspect très différent de celui qui orne les édifices royaux. Il fut par conséquent longtemps ignoré des fouilleurs, tantôt décrit comme une stèle, une pierre tombale, ou un élément architectural servant à marquer les angles des supposés « mastabas ». En grès, fiché dans un massif en briques crues, sa morphologie ne connaît pas d’antécédents dans la vallée du Nil. Disposant d’un long tenon à quatre faces droites ou légèrement inclinées, il se termine en son sommet par un ressaut sphéroïde surmonté d’une sorte de panache (figure 16). Il faut en fait y reconnaître un bouton de fleur de lotus sur le point de s’ouvrir (figure 17). Selon le degré d’exécution de la pièce et les détails apportés par le sculpteur, il est possible de distinguer les pétales de la fleur, ainsi qu’un lien permettant de les maintenir ensemble (figure 18).
63. 64. 65. 66. 67. 68.
Smith 1962, pl. 6/3. Malek 1990. Hinkel 1982a, pl. 2a. Hinkel 1982b. Welsby 2003b, p. 30, pl. 9. Berger el-Naggar 1994, p. 137, fig. 7.
Le tenon présente souvent des parois inclinées se rétrécissant de la base vers le sommet, cette forme offrant un meilleur ancrage avec le monument dans lequel il était fiché et une résistance accrue contre des vents qui peuvent être particulièrement violents le long de la vallée nubienne. Lorsque les parois étaient droites, le pyramidion pouvait se loger dans un cadre intermédiaire en pierre posé au sommet de la pyramide67, afin d’éviter l’érosion progressive de la pierre sur la brique. En général, la partie basse du tenon était à peine équarrie, puisqu’elle était destinée à disparaître dans le bâti. Hormis ceux qui représentent une fleur de lotus, le décor des pyramidions se limite le plus souvent à quelques lignes incisées. On notera toutefois deux exemplaires décorés exceptionnels. L’un provient des fouilles de J. Garstang à Méroé69 et figure un personnage debout70. L’autre, plus ancien, constitue peut-être un stade intermédiaire entre le modèle égyptien et l’adaptation kouchite. En terre cuite, il fut retrouvé à Kerma71 durant la fouille d’un habitat napatéen et porte une inscription difficilement lisible, tant une longue exposition extérieure semble avoir érodé sa surface. Une fois identifié, y compris sur des sites fouillé par le passé, le pyramidion des tombes privées, même fragmentaire, devient un élément essentiel pour prouver l’existence de structures pyramidales ayant éventuellement disparues. Il constitue également un argument irréfutable contre le mythe du « mastaba ». Notons enfin qu’aux époques les plus tardives, on le retrouve parfois en remploi comme dépôt funéraire, gisant auprès de dépouilles d’immatures72. Il doit alors être considéré comme une pièce votive ayant conservé une dimension religieuse importante, toujours associée à une croyance d’ordre solaire.
la chapelle funéraire On attribue à la tombe de Taharqa dans le cimetière royal de Nuri, la première construction d’une chapelle funéraire accolée au flanc est d’un édifice pyramidal kouchite73. Il ne s’agit cependant pas d’une innovation, puisque ce type d’ajout est déjà attesté devant les tumuli d’el-Kurru74, et bien avant cela devant certaines tombes du Nouvel Empire construites en Égypte et en Nubie75. On pourrait ainsi remonter
69. Il fut retrouvé dans la nécropole privée (Cimetière 200) mitoyenne de la ville. 70. Ali Hakem 1988, p. 278. 71. Bonnet, Valbelle 1987. 72. Geus 2002, p. 132, pl. 14a. 73. Hinkel 2000, p. 12. 74. Welsby 1996, p. 101 et fig. 35. 75. Par exemple à Serra Est (Hughes 1965, pl. 26a).
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Figure 17 – Sedeinga. Pyramidion fragmentaire avec détail gravé de fleur de lotus. [© V. Francigny]
Figure 16 – Sedeinga. Pyramidion. [© V. Francigny]
Figure 18 – Sedeinga. Pyramidion fragmentaire avec détail du lien maintenant ensemble les pétales. [© V. Francigny]
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jusqu’à la tradition la plus ancienne observée sur les tombes du Groupe C en Basse Nubie, où les chapelles flanquent déjà certaines superstructures funéraires. Dans le domaine privé à la période méroïtique, la chapelle apparaît dès les premières découvertes, répondant à la volonté de créer un lieu consacré au culte du mort, à l’instar des modèles royaux. Le plus souvent, ses dimensions en font une simple évocation architecturale d’un bâtiment réel, ce que J. Leclant76 a désigné sous le nom de « chapelles simulacres » (figure 19). Quelle que soit sa taille, la chapelle marque de façon tangible les espoirs de pérennité d’une famille à travers un espace dédié à l’hommage funéraire. Couplée à un éventuel temenos qui enserre la tombe ou se restreint simplement à la face est de la pyramide, la chapelle est au cœur d’un dispositif comprenant d’autres éléments cultuels, comme la table d’offrandes ou la stèle funéraire. C’est devant elle ou en son sein que l’on dépose les offrandes et que l’on effectue les libations. Elle est aussi le théâtre d’une intercession dans laquelle, par la magie du texte et de la récitation, les paroles se muent en formules capables de rejoindre le défunt et de le préserver de l’oubli.
méroïtique, à l’image de ce qui a cours dans bien d’autres sociétés, de l’Antiquité à nos jours. Le défunt est un intermédiaire direct avec l’univers du sacré, plus proche et accessible que les prêtres et les oracles des temples, dont l’accès est souvent réservé à une élite ou limité par un calendrier restreint de célébrations ouvertes au peuple. Le culte du mort permet donc d’intercéder régulièrement auprès des dieux par le biais d’ancêtres enterrés dans les proches nécropoles. Grâce à la chapelle, la tombe se place au centre d’un processus qui entretient un lien privilégié entre la communauté des vivants et le monde invisible qu’est censé avoir rejoint le défunt. Elle abrite des ustensiles propres au service funéraire (ainsi des vases retrouvés in situ76) et offre un cadre au culte des morts, même si ce dernier, au sein d’une communauté, relève parfois d’intentions profanes liées aux ambitions familiales.
Architecture
Cependant, on ne peut imaginer la relation des vivants avec le monde des morts, via la chapelle, comme une simple commémoration à sens unique, ou une astreinte à la tradition. Si culte des morts il y a, c’est que la passerelle vers l’au-delà et le monde souterrain joue un rôle actif dans la société rurale
En contexte royal, on a souvent rapproché la forme prise par la chapelle funéraire de celle des temples méroïtiques dédiés aux divinités locales, comme à Naga ou Musawwarat es-Sufra78. Son architecture, bien que de proportions plus petites, est en effet constituée d’un pylône d’entrée au centre duquel une porte donne accès à l’unique pièce de l’édifice, caractérisée par une abondante décoration murale. Puisque, le modèle existait déjà à l’époque napatéenne dans la nécropole de Nuri, il serait tentant de retourner la question et d’y voir une influence de l’architecture funéraire sur la création de ces temples si particuliers. Mais depuis 2008, grâce aux fouilles de T. Kendall, nous savons que cette architecture singulière qui correspond en fait aux chapelles égyptiennes du Nouvel Empire, était bien présente dans le paysage de la Nubie. La découverte de plusieurs de ces édifices remontant au règne d’Amenhotep III79, et érigés au pied du Djebel Barkal, indique en effet qu’en Nubie, le temple à salle unique est bien d’origine égyptienne. En Égypte, la présence d’un espace de culte inspiré des temples était également assez courante à cette époque devant les tombes privées des grands dignitaires de la région thébaine. Mais leur évolution jusqu’à la période ramesside privilégia le développement d’une cour sacrée et non d’une chapelle, le pylône perdant de son importance, un toit n’étant plus requis. En Nubie, en revanche, les nombreuses rénovations constatées sur les chapelles durant l’époque kouchite confirment la pérennité de ce modèle à salle unique.
76. Leclant 1970a. 77. Williams 1991, pl. 6a ; Welsby 1996, p. 148.
78. Il s’agit des sanctuaires consacrés au dieu Apedemak. 79. Kendall 2009.
Figure 19 – Reconstitution et plan d’une pyramide et de sa chapelle. [© V. Francigny]
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Figure 20 – Méroé. Pyramide Beg. N.16 avec sa chapelle intérieure. [© V. Francigny]
Un seul cas de monument funéraire, Beg. N.16, semble se démarquer de ce plan, et présente une superstructure mêlant à la fois forme pyramidale et chapelle intérieure (figure 20)80. Les chapelles royales anciennes étant toujours en grès, c’est à partir du iie siècle de notre ère (avec Beg. N.32 ?) que la pierre est remplacée par la brique cuite (à l’instar de la pyramide), même si un revêtement intérieur en pierre demeure pour supporter le programme ornemental, de même que certaines pièces architecturales-clés sont conservées dans ce matériau (corniche, linteau…).
80. Érigée pour Amanitaraqide selon F. Hintze, I. Hofmann et L. Török, et contrairement à ce que pensait D. Dunham qui proposait d’y voir la tombe d’Aryesbokhe, les deux noms figurant sur les tables d’offrandes découvertes dans la chambre funéraire. L’originalité de la construction résulte peut-être de la destruction de la chapelle originale, et la reconstruction d’une « chapelle-pyramide » par un souverain plus tardif qui aurait eu besoin d’une partie de l’espace en surface pour la construction de son monument.
Le modèle en vigueur pour les tombes privées, s’il reproduit celui de la chapelle royale, est souvent à peine reconnaissable, en raison de la taille extrêmement réduite de la construction et d’une facture générale très inférieure. Devant ces intrigants vestiges, les premiers découvreurs choisirent donc d’employer le terme « d’approche » de la tombe plutôt que d’évoquer un lieu de culte81, sans doute en référence aux approches maçonnées aménagées devant certains tombeaux ptolémaïques en Égypte82. La chapelle privée est presque toujours bâtie en briques crues, même lorsque la pyramide possède une base en pierre83. L’épaisseur de ses murs varie d’une demi-brique à une brique et demie, et l’espace intérieur entre les deux murets est toujours extrêmement étroit. Sa construction intervient légèrement après celle de la pyramide, puisqu’elle se colle à son
81. Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 9. 82. Boyrivent et al. 1998, pl. 18a. 83. Simpson 1964, pl. 9/1.
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flanc sans forcément respecter les mêmes niveaux d’assises. L’espace entre le mur du fond de la chapelle (qui correspond à la paroi est de la pyramide) et les murets nord et sud était souvent comblé par une maçonnerie sommaire. Parfois, un mur vertical était adossé au flanc de la pyramide, pour éviter qu’un fruit trop prononcé soit visible au fond de la chapelle. Sa couverture répondait à différentes solutions architecturales en fonction de sa largeur : briques crues posées à plat ou en chevron, voûte nubienne ou revêtement sur poutre en bois. Dans la grande majorité des cas, la brique crue servait à couvrir tous les besoins architecturaux de la chapelle, des coulures caractéristiques nous rappelant qu’elle pouvait aussi être enduite et peinte. L’apparente absence de chapelle sur certains monuments de taille imposante trouve peut-être une solution avec la découverte faite en 2011 à Saï. Sur un site d’enterrement réservé à une petite mais riche élite régionale84, se dressent en effet quelques pyramides privées dont l’une couvre une importante surface au sol d’environ 100 m2. Cette dernière, idéalement placée au centre du cimetière, n’a livré aucun élément en brique ou en pierre indiquant la présence d’une chapelle, mais une série de trous de poteaux dont le plan rappelle la forme de l’édifice. Six poteaux en bois étaient également insérés en bordure de la descenderie et de la pyramide (trois de chaque côté), tandis que d’autres étaient plantées plus en avant pour former une sorte de pylône. La couverture devait être assurée par une pièce de tissu fixée au sommet des mâts ou par un treillis de palmes. La découverte exceptionnelle d’une série de graffiti incisés sur des jarres retrouvées lors de la fouille d’un cimetière méroïtique à Kerma (figure 21), nous renseignent sur la question du plan de la tombe et des alternatives concernant la chapelle. On y voit le creusement de la substructure (descenderie et cavité profonde indiquée par des traits rayonnants), ainsi que les divers éléments présents en surface (pyramide, cour et table d’offrandes). Si la chapelle est absente, elle est ici remplacée par une solution intermédiaire qui consiste en une cour dont les murs partent directement depuis la face est de la pyramide, puis effectuent un retour à angle droit vers l’intérieur en laissant un passage pour entrer dans l’espace sacré ainsi délimité85. Courant dans l’architecture royale, le temenos est cependant rare dans les cimetières privés napatéens, et presque totalement absent à l’époque méroïtique. 84. Francigny 2012a. 85. D’après les planches publiées par F. Cailliaud (1826, pl. 56), cette solution architecturale serait attestée dans la nécropole attenante au Djebel Barkal, bien que le plan reproduit par Reisner n’en fasse pas état (Dunham 1957, plan 1).
Lorsque la chapelle funéraire atteignait une certaine taille, et donc un certain degré de richesse, on la renforçait avec des éléments architectoniques en pierre, généralement décorés de sculptures en relief qui étaient ensuite peintes. Ces pièces inamovibles sont au nombre de trois : le seuil, les montants de porte et le linteau.
Figure 21 – Kerma. Graffito méroïtique représentant le plan d’une pyramide. [D’après Bonnet, 1980b, fig. 29]
Le seuil et les montants de porte Signalé par un bloc de grès à demi enterré dans le sol vierge, le seuil des chapelles privées n’atteint que très rarement des proportions lui permettant d’être usé par le passage. Dans la nécropole du Djebel Adda cependant, des traces de portes ont été notées sur certains seuils en pierre86. Dans le cas de la Pyramide 1 du Cimetière 3, ces traces indiquent même la présence d’une porte à deux battants. Ces éléments nous montrent que la chapelle devait donc rester fermée en dehors des périodes dédiées aux rituels pour le mort. La présence de portes est le plus souvent prouvée par un ressaut vertical taillé à l’arrière des montants en pierre, indiquant qu’elles s’ouvraient vers l’intérieur de la chapelle.
86. Millet 1963, p. 163.
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De forme quadrangulaire, le seuil comporte parfois à ses deux extrémités un système de fichage taillé en fourche qui permet de le chaîner avec les deux montants. Jusqu’à présent, seul le site de Sedeinga a produit un seuil doté d’une inscription funéraire méroïtique (figure 22). Les montants, taillés en grès, comportent presque toujours une représentation d’un couple de divinités se faisant face de part et d’autre de la porte, sans que le choix du côté ne soit déterminant. C’est à partir du iie siècle de notre ère que cette iconographie apparaît sur les montants, avec pour principaux protagonistes Anubis face à Nephtys ou Isis-Hathor87. Le plus souvent le dieu ou la déesse est figuré en train de verser une libation dans une posture très caractéristique de l’art méroïtique où le personnage a le corps légèrement fléchi et penché vers l’avant (figure 23). Cette scène de libation semble avoir été empruntée à l’iconographie des tables d’offrandes sur lesquelles elle voit le jour quelques siècles plus tôt. Anubis y est vêtu d’une longue jupe à laquelle est attachée la queue de vache, et accomplit la libation directement sur le sol à l’aide d’une situle à anse. Plus rarement, il est figuré avec les bras levés, les paumes tournées vers l’extérieur en signe d’adoration solaire (figure 24). On retrouve généralement cette posture dans l’iconographie méroïtique mettant en scène le babouin du dieu Thot88.
Les montants et les seuils en pierre restent toutefois des éléments rarissimes et l’apanage de monuments abritant de puissantes familles. Pour ne donner qu’un exemple, à Karanog, trois des quatre montants de portes en pierre découverts sur le site de la nécropole appartenaient à des chapelles dédiées au pesto. Le linteau Bien qu’il existe quantité de variations dans les exemplaires retrouvés, un modèle standard peut être avancé sous la forme d’un bloc rectangulaire en grès portant un décor en relief sur une de ses faces dans le sens de la longueur. Ce décor comporte en général un tore horizontal surmonté d’une gorge, sur laquelle est représenté un disque solaire ailé flanqué d’uræi. Il se termine ensuite par une corniche en saillie à angle droit. La plupart du temps il est anépigraphe, mais quelques exemples comportant une inscription funéraire sont attestés, notamment à Sedeinga (figure 25). Le disque ailé, largement répandu sur les monuments cultuels, était déjà employé en contexte funéraire à l’époque napatéenne sur les linteaux des chapelles de Nuri89, alors qu’à Méroé on l’observe à l’intérieur de la tombe, peint au-dessus de la porte séparant l’antichambre de la chambre sépulcrale90.
Figure 22 – Sedeinga. Seuil inscrit de chapelle funéraire. [© SEDAU]
87. Simpson 1964, pl. 11/6. 88. Leclant 1967, pl. 2.
89. Dunham 1955, pl. 65f. 90. Dunham 1957, pl. 15a.
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Figure 23 – Sedeinga. Montant droit de porte de chapelle montrant Anubis en train d’exécuter une libation. [© SEDAU]
Figure 24 – Sedeinga. Montant droit de porte de chapelle montrant Anubis en position d’adoration solaire. [© V. Francigny]
Figure 25 – Sedeinga. Linteau de chapelle portant une inscription funéraire. [© SEDAU]
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Au méroïtique tardif, il arrive que le symbole solaire central évolue en forme de rosette, le motif étant devenu courant sur les cartonnages des momies romaines en Égypte. Parmi les associations de décors qu’il nous est possible d’observer sur les linteaux, celle des motifs liés à la vigne et au vin91 marque le degré de pénétration particulièrement avancé du dionysisme dans la religion funéraire méroïtique (cf. infra p. 93 - Dionysos-Osiris). De même que sur les montants de portes en pierre, des restes de polychromie sont généralement conservés en surface du linteau, indiquant l’utilisation de peinture rouge, jaune, noire et verte. Une découverte faite à Karanog92 montre par ailleurs que l’ensemble composé par les montants et le linteau pouvait être remplacé par une peinture incluant les divinités, et réalisée directement sur l’enduit recouvrant les briques. Le linteau, élément central placé relativement bas sur la façade des chapelles privées, constituait une surface de choix pour les ajouts postérieurs à l’édification du monument. C’est pourquoi on y observe la
présence de graffiti92, dont l’un des motifs privilégié semble avoir été le chien (figure 26). Canidé longiligne plutôt que molosse, rappelant le chien sauvage ou le chacal, sa présence sur une tombe pourrait se référer à Anubis, dieu protecteur du tombeau et psychopompe guidant le défunt. À la même époque, il était d’ailleurs courant de peindre Anubis sous la forme d’un chacal assis ou couché sur les parois des tombes décorées de la région thébaine94, ou de représenter des chiens sur les stèles funéraires d’Égypte romaine95.
Le mobilier lapidaire Aux éléments en pierre constitutifs de la chapelle, il faut ajouter trois pièces majeures du dispositif funéraire méroïtique que sont la statue-ba, la table d’offrandes et la stèle. Éléments rapportés qu’il était possible de déplacer, ils témoignent à la fois de l’aspect solaire de la religion funéraire, ainsi que de la nature isiaque des rituels accomplis pour le mort.
Figure 26 – Sedeinga. Graffito représentant un chien, incisé sur un linteau de chapelle. [© V. Francigny]
91. Simpson 1964, pl. 11/5. 92. Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 111. 93. À travers tout le royaume, les Méroïtes avaient amplement recours aux graffiti sur les parois des bâtiments sacrés toujours en activité, comme le démontrent les centaines
d’exemplaires découverts à Musawwarat es-Sufra. Il s’agit la plupart du temps de témoignages de pèlerins, de marques prophylactiques, de symboles votifs ou de proscynèmes. 94. Hodel-Hoenes 2000, p. 117. 95. McCleary 1987, p. 3, fig. 6.
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La statue-ba C’est lors de la fouille du cimetière méroïtique de Shablul96 que le nom de statue-ba97 fut donné à cette sculpture originale mi-homme mi-oiseau évoquant aux premiers découvreurs le symbole de l’âme des anciens Égyptiens. Des 120 exemplaires exhumés par la suite à Karanog, 30 furent envoyés au Musée du Caire où G. Maspero98 livra ce commentaire : Les personnages, hommes ou femmes, sont habillés, coiffés, parés à l’éthiopienne, et on les dirait descendus des bas-reliefs qu’on voit sur les temples méroïtiques ; ils ont la silhouette floue, les chairs abondantes, la face souriante, l’expression calme mais niaise, et ils ne retiendraient point l’attention des visiteurs, s’ils ne
traînaient derrière eux, pendant diagonalement à leurs épaules en guise de manteau, un plumage de faucon ou d’épervier, dos, ailes et queue.
À une époque où les jugements de valeur étaient encore courants dans la sphère académique, cette citation témoigne de la difficulté qu’eurent des égyptologues à considérer la statuaire funéraire méroïtique autrement qu’une forme appauvrie de l’art égyptien. La confusion des fouilleurs fait écho à celle du directeur du Musée du Caire : The execution of the figure is rude and will not bear comparison with that of Egyptian statuary of any good period; clearly the Nubians shared the weakness in plastic art of most barbaric Africans, whose achievements in sculpture seldom rise above the mediocre.
Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 47.
Pour comprendre le rapprochement effectué entre l’art égyptien et l’art kouchite, il faut tout d’abord revenir à la nature de ce qui est représenté par la statuaire funéraire méroïtique, et à l’origine de sa présence en Nubie. Dans l’Égypte ancienne il existait plusieurs façons de définir les forces internes qui animent chaque individu, dont le ba et le ka. Le ka, sorte de force vitale qui habite le corps dès sa naissance, est censé survivre à la mort physique. C’est pourquoi des prières et des offrandes post mortem peuvent lui être dédiées, et qu’il est souvent décrit comme habitant la statue du défunt. Le ba, au contraire du ka, s’anime au moment de la mort, sorte d’émanation de l’âme du défunt qui a la capacité de quitter le corps et de se déplacer sous la forme d’un oiseau à tête humaine99.
96. 97. 98. 99.
Randall-MacIver, Woolley 1909, p. 29. Le terme n’a jamais été employé par les Méroïtes. G. Maspero, Journal des débats (25 septembre 1908). Il faut sans doute y reconnaître un faucon, bien qu’on ne puisse totalement exclure la cigogne jabiru, dont le hiéroglyphe sert à écrire le mot ba (Vernus, Yoyotte 2005, p. 664). 100. Dunham 1950, pl. 18b.
Depuis le Nouvel Empire, il constitue un motif courant des tombes et des vignettes du Livre des morts, volant autour de la dépouille et dans la tombe, ou recevant l’eau de la libation. Il est possible qu’à l’époque méroïtique l’image offerte par la statuaire funéraire ait en fait recouvert ces deux aspects (le ba dans le ciel et le ka habitant la statue). La tendance au syncrétisme religieux dans les premiers siècles de notre ère s’accorderait avec cette union de symboles dont la complexité n’était peut-être plus évidente aux yeux des Méroïtes. Le prototype égyptien du ba existait bien en Nubie durant la XXVe dynastie et l’époque napatéenne. On trouve ainsi sur les peintures murales des tombes d’el-Kurru des scènes sur lesquelles figure le ba du défunt99, puis d’autres représentations dans les tombes de Nuri, où ce dernier étend ses ailes au-dessus de la momie101. Il est difficile de savoir dans quelle mesure l’emprunt d’une forme sacrée égyptienne comme le ba a également signifié pour les Méroïtes une adhésion aux concepts religieux qui l’accompagnent. L’adaptation sous la forme d’une statue composite dénote en tout cas une conception de l’être réunissant à la fois des éléments visibles et invisibles, qui semble en accord avec l’héritage de la religion égyptienne. La description de la statue-ba est difficile, car il n’existe pas un modèle standard, mais une série de vestiges signalant une profonde évolution morphologique. Cette chronologie102, qui démarre avec une statue aviforme et se termine par une sculpture presque totalement humanisée (figure 27), n’indique pas forcément une évolution du concept religieux, mais plutôt une nouvelle orientation dans le rôle tenu par la statue au sein de la structure funéraire. D’abord monolithe, elle représente intégralement un oiseau, le faucon, comme le montrent les détails caractéristiques du décrochement de plumage à la base de la tête103. On la trouve au nord et dans le Boutana104, bien que le petit nombre de cimetières fouillés ait souvent laissé penser que la statue-ba, quelle que soit sa forme, était une particularité de la Basse Nubie. Il n’en est rien, et les vestiges découverts à Naga105, ainsi que trois statues à Méroé Nord106 et quatre à Méroé Ouest le prouvent (dans W.33, W.11, W.225 et W.384). Représentation du défunt transfiguré, elle évolue lentement vers la forme humaine, en se dotant d’éléments anthropomorphes, à commencer par le visage
101. Dunham 1957, p. 106, fig. 80. 102. Hofmann 1991b ; Francigny 2007. 103. Un exemple parfaitement détaillé est visible dans Emery, Kirwan 1935, p. 71, fig. 51/7. 104. Dunham 1963, p. 111, fig. 83b. 105. Kroeper et al. 1999, pl. 84. 106. Dunham 1957, pl. 38d-e.
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et les pieds107. Le corps de l’oiseau est ensuite remplacé par celui du défunt, qui conserve cependant en guise de cape le souvenir des ailes de l’oiseau originel108. Arrivée à ce stade, la statue composite anthropomorphe peut alors recevoir une tête préparée séparément, sans doute pour répondre aux nouvelles exigences de ressemblance avec les traits réels du défunt. Des découvertes archéologiques confirment cette typo-chronologie, comme dans les cimetières de Qustul et Ballaña où, dans le premier, qui est aussi le plus ancien, seule la statue aviforme fut retrouvée, tandis que dans le second les deux furent mises au jour109. En Égypte ptolémaïque et romaine, des statuettes représentant le ba existaient également109. En bois stuqué et peint, elles étaient placées au-dessus des sarcophages ou des cartonnages et portaient un
disque solaire fiché sur la perruque. Leur diffusion était cependant limitée, et il est difficile d’établir un lien entre elles et le modèle kouchite. Les amulettes représentant l’oiseau-ba se retrouvent également dans le mobilier funéraire de certaines tombes d’époque gréco-romaine en Égypte, mais pas en Nubie. Un exemplaire en verre découvert à Akhmîm110, datant du ier siècle avant notre ère-ier siècle de notre ère, possède un corps d’oiseau avec une tête humaine qui correspond cependant parfaitement aux critères de la statue méroïtique. La question reste donc ouverte. La tête, qui n’était pas toujours solidaire du corps de la statue, mérite d’être analysée à part. Elle représente en moyenne un peu plus du quart de la hauteur totale de la statue, une proportion élevée qui focalise naturellement l’attention de celui ou celle qui la regarde. Lorsqu’un fichage était nécessaire, elle était maintenue par un tenon en pierre (ou en bois ?), comme le laisse supposer le logement percé à cet effet sur le sommet aplani du corps, entre les épaules (figure 28). Une grande variabilité existe dans son traitement esthétique, allant de la simple incision jusqu’aux volumes réalistes donnant une plastique à l’ouvrage. Certains traits stylistiques demeurent constants, notamment la fixité du regard et la grande symétrie apportée à l’ensemble du visage. L’expression très marquée de quelques visages « grimaçants » tient peut-être à la tension exprimée par le passage postmortem et la transfiguration111, à moins qu’elle ne relève de la défiance caustique d’une figure d’inspiration dionysiaque. Malgré ces différences, le style général est celui véhiculé par l’art kouchite figuratif, qui se distingue notamment par une brachycéphalie récurrente des têtes sculptées, que ce soit sur les murs des temples ou des palais. La comparaison avec une applique en terre cuite de Soniyat112, ou un vase à onguent d’el-Kadada113 suffit à mettre en avant un terreau culturel commun. Comme cela a été fait avec la céramique peinte, pour laquelle des « écoles » ou des « mains » d’artistes ont été reconnues, il est possible de reconnaître le travail d’un atelier de sculpteur qui imposait des canons stylistiques particuliers à sa production. Deux exemplaires provenant de Sedeinga permettent d’illustrer cette sorte de signature, marquée ici par un visage étroit, un cou massif et une expression de sérénité souriante (figure 29).
107. Dunham 1963, pl. 164/2. 108. Randall-MacIver, Woolley 1909, pl. 16, no 5001. 109. Williams 1991, p. 96.
110. Francigny 2010c, p. 259. 111. Pomerantseva 2007, p. 219. 112. Zurawsky 2002, pl. 55. 113. Lenoble 1998, p. 133, fig. 3.
Figure 27 – Karanog. Statue-ba du pesto Maloton. [© Musée d’Assouan]
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Figure 28 – Sedeinga. Logement pour la fixation de la tête sur une statue-ba. [© V. Francigny]
Dans le mobilier lapidaire retrouvé dans les nécropoles méroïtiques, il existe aussi quelques exemplaires de têtes isolées qui n’étaient pas raccordés à un corps de statue (figure 30). D’un format plus grand, elles possèdent un long cou qui se termine par une extrémité à peine dégrossie servant de tenon. On peut en déduire qu’elles étaient fichées à la manière des pyramidions, bien que leur localisation reste un mystère. Leur style plus épuré, l’absence d’ornements et le rendu anonyme donné au visage montrent qu’elles ne sont pas à mettre en relation avec un défunt en particulier et qu’elles pouvaient servir à plusieurs personnes à la fois. Parfois retrouvées enterrées seules ou accompagnant une inhumation tardive, elles ne sauraient être mises en parallèle avec les « têtes de remplacement » retrouvées en Égypte, tant la pratique est éloignée dans le temps (Ancien Empire) et l’espace (Basse Égypte). On peut au mieux les rapprocher des représentations de visages parfois retrouvées taillés dans la pierre au sein de quelques cimetières méroïtiques114. 114. Pellicer Catalan 1963, fig. 21/4.
Aborder la question de la fixation de la statue-ba revient à soulever l’épineux problème de sa localisation115. En effet, après un siècle de découvertes, rien n’est encore assuré à ce sujet, faute d’objet retrouvé in situ. Une analyse complète des vestiges à notre disposition permet pourtant d’avancer des pistes. Le premier dispositif d’ancrage qui peut être avancé est celui qui consiste à poser tout simplement la statue au-dessus de la chapelle116, surtout si cette dernière possède deux excroissances de briques en façade à la façon d’un pylône, qui permettent de flanquer l’objet. Il est également possible que la statue ait été rattachée à la structure à l’aide d’une cheville en bois, comme le laisse penser le trou central qui existe sur certaines bases117.
115. On a longtemps supposé à Sedeinga qu’elle pouvait se trouver à l’intérieur de la pyramide (Leclant 1970b, p. 259), mais le réexamen des monuments en question confirme l’absence de seuil vers une salle interne, et donc l’impossibilité que s’y soit trouvé un serdab. 116. Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 114. 117. Garcia Guinea, Teixidor 1965, pl. 40d.
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Figure 29 – Sedeinga. Face et profil de deux têtes de statues-ba ayant été réalisées dans le même atelier. [© V. Francigny]
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Figure 31 – Karanog. Statue-ba posée sur glissière. [D’après Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 2]
Figure 30 – Emir Abdallah. Tête funéraire avec tenon. [© SFDAS]
Figure 32 – Sedeinga. Glissière à butoir pour statue-ba. [© V. Francigny]
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Le second, qui prolonge la première hypothèse, consiste à loger la statue sur un socle à glissière (figure 31), celui-ci pouvant comporter un butoir
Figure 33 – Sedeinga. Statue-ba avec tenon. [© V. Francigny]
(figure 32) ou être ouvert des deux côtés118. Cette fois encore, ces objets incongrus sont souvent interprétés comme des tables à libations dans la plupart des publications anciennes. Le troisième système de fixation attesté est celui du tenon en pierre solidaire de la statue (figure 33). Il est assez rare cependant de retrouver l’ensemble en un seul morceau, et bien souvent ne reste que le tenon avec le début des pattes d’oiseaux, ou la statue privée de sa base. Dès lors une question se pose : pourquoi les Méroïtes auraient-ils eu recours à des systèmes de fichage aussi diamétralement opposés sur un même site ? L’hypothèse la plus rationnelle est qu’il existe une différence chronologique entre ces systèmes, ce qui permet de réduire les catégories à deux possibilités au lieu de trois, avec d’un côté les statues à tenon, et de l’autre les statues à base plane. Une fois cette distinction faite, un premier élément de réponse se fait jour : toutes les statues à tenon comportent des caractères aviformes prononcés, et peu d’éléments anthropomorphes. Si l’on en croit la chronologie d’évolution de la statue-ba évoquée précédemment, l’oiseau est plus ancien que la version anthropomorphique associée aux tombes les plus tardives. Les exemplaires à tenon précéderaient donc ceux à base plane. Comment expliquer la présence du tenon sur ces statues ? Jusqu’à présent, il n’a jamais été possible de rattacher cette imposante excroissance en pierre à un quelconque dispositif de fichage observé dans une chapelle funéraire, de même qu’aucun trou isolé aux abords de la tombe ne correspond aux dimensions du tenon. Par contre, le tenon des statues aviforme est sensiblement similaire à celui présent sur les pyramidions. On peut en conclure qu’ils avaient donc la même fonction et étaient fichés au même endroit : au sommet de la pyramide. Tout comme pour les pyramidions, la taille du tenon permet une fixation solide nécessaire pour résister à des vents puissants. Seul le sommet d’un monument pyramidal offre ce type de situation. La présence de statues aviformes au sommet des édifices funéraires pourrait ainsi expliquer les découvertes de fragments d’oiseaux dans les couches de destructions de certains monuments119. L’absence de nombreux détails dans la sculpture des oiseaux s’accorde également avec cette explication du fichage en hauteur, ou la forme importe plus que la finesse d’exécution. 118. Almagro 1965, pl. 29. 119. L’oiseau-ba était peut-être le symbole ornant les pyramides des souverains (cf. la découverte de fragments d’une statue d’oiseau en bronze fichée sur une base à el-Kurru ; Kendall 1999a, p. 31), et les tombes privées n’auraient donc fait que suivre, une fois de plus, l’exemple royal.
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Cette hypothèse selon laquelle les statues aviformes étaient placées au sommet des pyramides oblige à reconsidérer le positionnement chronologique du pyramidion, tel qu’on le connaît dans les nécropoles privées méroïtiques. Celui-ci n’apparaît, selon nous, qu’au moment où la statue-ba va peu à peu se charger d’éléments anthropomorphes et, par conséquent, devenir un objet rituel qui demande à être vu en détail par les pèlerins ou les personnes venant se recueillir sur une tombe. En d’autres termes, lorsque la statue-ba est finalement placée dans ou sur la chapelle funéraire, avec cette fois une simple base plane (le fichage lourd n’étant plus nécessaire), la pyramide se voit alors coiffée par le pyramidion et sa fleur de lotus. Quelle que fut la position de la statue-ba, au sommet de l’édifice funéraire ou sur la chapelle, son orientation vers l’est ne fait aucun doute, l’important étant d’accompagner du regard le soleil dans sa résurrection matinale. Les exemplaires de statues aviformes à tenon commençant à présenter des traits humanisés possèdent parfois un trou percé sous le tenon (figure 34),
indiquant un possible fichage temporaire sur une hampe et une présentation de la statue lors de la cérémonie funéraire avant le positionnement sur le monument. Cette phase de transition annonce le rôle que jouera bientôt la statue-ba auprès de la communauté des vivants. Alors que les élites enterrées dans les derniers siècles de l’ère méroïtique s’entourent de toujours plus d’honneurs et de richesses, la personnification de la statue-ba porte un message idéologique qui se lit dans le détail donné aux costumes d’apparat et aux insignes de pouvoir qui parent l’image du défunt. Le culte du mort s’oriente alors de plus en plus vers un culte de la personne, et donc de la famille et du clan qui démontrent leur puissance durant les funérailles. Bien que la statue-ba appelle une étude de plus grande ampleur, il convient de poursuivre cette première approche par la revue des principaux attributs portés ou tenus par le défunt ainsi personnifié. Derrières ces symboles, se cachent des messages à portée religieuse et sociale qui devaient être compris du temps des Méroïtes, mais nous échappent encore bien souvent.
Figure 34 – Sedeinga. Logement de fixation sous le tenon d’une statue-ba. [© V. Francigny]
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Commençons par le disque solaire. Celui-ci est soit solidaire de la tête de la statue120, soit possède un tenon et se fiche dans un logement situé au-dessus de la tête. Il peut alors être en pierre, mais aussi en bois (figure 35). Il était peint en ocre jaune et parfois rehaussé d’un motif. L’exemple de la statue reconstituée du pesto Maloton121 propose par exemple le dessin d’une guirlande végétale ressemblant à une couronne de laurier ou de myrte. Cela n’est pas sans rappeler la couronne que portent autour de la tête certains défunts en Égypte romaine122, et dont l’image nous est conservée grâce notamment aux portraits du Fayoum123. Le passage de vie à trépas faisant entrer
l’individu dans un cycle lié à la perpétuelle destinée du soleil voué à renaître chaque jour, on comprend que le symbole solaire ait logiquement coiffé la statue du mort. Toutefois, son positionnement au sommet du crâne, pourrait aussi indiquer la volonté de réchauffer symboliquement le corps du défunt et d’en ranimer les fonctions vitales, à la façon du disque qui était peint dans les sarcophages romains d’Égypte, sous la tête des momies124. Les parures et les tenues que porte la statue sont également signifiantes, mais indiquent cette fois la position sociale qu’occupait le défunt. L’une des parures les plus fréquentes est le collier. Les exemplaires les plus emblématiques comportent en leur centre une effigie du dieu Amon, et ne se retrouvent qu’au cou du pesto125. Il est souvent accompagné d’autres longs colliers, le collier court à grosses perles étant semble-t-il réservé au prince royal. Le serre-tête, bandeau simple, à chevrons (figure 36) ou ouvragé sur plusieurs registres (figure 37), indiquait un rang particulier difficilement définissable, bien que sa présence soit attestée sur la tête de dizaines de personnages dans les processions funéraires figurées sur les murs des chapelles royales. Il pourrait d’ailleurs n’être qu’un simple attribut en rapport avec la cérémonie de l’enterrement, héritier d’une tradition d’origine égyptienne dans laquelle il était porté par les personnages suivant les pleureuses, comme l’indique par exemple le décor peint des vases retrouvés brisés rituellement à la surface des tombes d’el-Kurru126. Les tuniques, robes ou longues jupes à franges participent de même à la différenciation sociale d’une élite, les Méroïtes exerçant des fonctions moins prestigieuses étant représentés torse nu, portant un pagne court ou une jupe sans décoration. Chaussant les pieds de quelques individus seulement127, des sandales pouvaient être gravées directement dans la pierre de la statue (figure 38), ou rapportées (vraisemblablement en métal) et fixées dans des trous percés entre le premier et le deuxième orteil128. Les distinctions de rang et de fonction s’appuient donc en partie sur les vêtements figurés sur la statue et le détail de ses ornements. Pour autant, la portée éminemment politique de cette démonstration d’attributs n’enlève pas totalement le caractère religieux
120. Wenig 1978, p. 230. 121. Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 1. 122. Le caractère funéraire de ces couronnes est d’autant plus assuré que les portraits étaient fabriqués du vivant de la personne et n’étaient « recyclés » sur les momies qu’au moment de la mort. C’est lors de ce changement qu’était ajoutée la couronne à la feuille d’or par-dessus la peinture. Cette couronne était d’ailleurs connue des Méroïtes, puisqu’on la retrouve sur la tête d’une des statues colossales provenant du temple de Tabo (Rondot 2011, pl. 5a-b). 123. Doxiadis 1995, p. 174.
124. Meeks 1991. 125. Griffith 1924, p. 176. 126. Dunham 1950, p. 22, fig. 5b. 127. Dans les bas-reliefs méroïtiques, les sandales sont généralement associées à la famille royale, aux prêtres, ainsi qu’à quelques dieux comme Arensnouphis. Selon la tradition égyptienne, le port de sandales revêtait une grande importance dans le passage vers l’inframonde (Whitehouse 2009, p. 141). 128. Griffith 1924, pl. 67/2.
Figure 35 – Sedeinga. Disque solaire en bois se fichant sur la tête d’une statue-ba. [© V. Francigny]
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Figure 36 – Sedeinga. Tête de statue-ba dotée d’un serre-tête. [© SEDAU]
Figure 37 – Karanog. Tête de statue-ba dotée d’un serre-tête. [© SEDAU]
Figure 38 – Sedeinga. Base de statue-ba avec sandales. [© V. Francigny]
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de ces figurations qui sont là pour faire autorité sur les vivants par-delà la mort, autant qu’elles servent à présenter le défunt dans ses meilleures dispositions devant l’épreuve de la mort. D’autres objets tenus par le défunt viennent compléter l’équipement funéraire de la statue129, à commencer par le « bâton » ou la « canne ». Cet attribut, qui accompagne les figures de notables ou de rois dans la vallée du Nil, est présent en Égypte dès les premiers mastabas de l’Ancien Empire. Il représente l’autorité exercée sur autrui, mais incarne également, en contexte funéraire, la sagesse guidant les pas du défunt dans son voyage vers l’inframonde. Tenu indistinctement de la main droite ou de la main gauche (figure 27), il est rarement placé de côté, et le plus souvent se trouve au centre de la sculpture, devant le mort. Il est alors serré d’une ou deux mains, bras fléchi et extrémité du bâton posée sur le sol, ou bras replié sur la poitrine et bâton maintenu en l’air. On le trouve non seulement dans la statuaire, mais aussi sur les stèles funéraires méroïtiques, qu’elles soient sculptées130, incisées ou peintes131. La forme standardisée de ces figures funéraires au bâton partagent de nombreuses affinités avec les reliefs funéraires exécutés en Égypte durant l’époque romaine, et c’est sans doute dans cette proximité qu’il faut chercher l’inspiration des représentations kouchites132. L’attribut du bâton pourrait n’avoir qu’une valeur symbolique, s’il n’était confirmé par l’archéologie funéraire. En Basse Nubie, où l’hygrométrie est plus stable que partout ailleurs dans la vallée, des tombes méroïtiques ont livré quelques exemplaires de bâtons accompagnant le défunt dans l’au-delà. On retiendra notamment le cas intact d’un exemplaire mesurant 1,36 m, retrouvé dans une tombe à Abou Simbel133, ainsi que celui retrouvé dans la Tombe 550 de Karanog, et qui, selon les fouilleurs avait conservé son aspect poli134. Autre attribut représenté dans la main de la statueba : l’épi de sorgho. C’est ainsi qu’il faut interpréter l’objet tenu verticalement en forme de boule végétale légèrement pointue, serré dans la main du défunt135, et qui fait écho à l’épi tenu en signe de pouvoir fécond par les souverains de Méroé. On a longtemps
129. Francigny 2009b. 130. Priese 1997, p. 291. 131. Griffith 1911, pl. 9. 132. À titre d’exemple, on notera les ressemblances qui existent entre un exemplaire méroïtique venant de Nubie et une stèle impériale retrouvée à Samallut en Égypte (Francigny 2009b, p. 72, pl. 1a-b). 133. Emery, Kirwan 1935, p. 444, fig. 426/1. 134. Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 206. 135. Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 5, no 7000.
soutenu l’hypothèse qu’il représentait la pomme de pin coiffant le thyrse dionysiaque. Cette interprétation semble cependant erronée à plusieurs titres. Tout d’abord, l’association du thyrse avec le monde funéraire n’est rien moins qu’évidente. Ensuite, l’hypothèse se base principalement sur des reconstitutions anciennes et abusives de statues-ba136. Le rapprochement avec l’épi de sorgho est par contre corroboré par une abondante iconographie dans laquelle l’objet est reconnaissable. La symbolique de renaissance véhiculée par l’épi végétal est de plus un thème qui s’accorde parfaitement avec les aspirations religieuses du défunt, le cycle de la mort et de la régénérescence étant généralement associé à la crue, aux cultures et aux moissons. Un autre élément de la statue-ba consiste en une sorte de boucle tenu dans une main et ramenée sur la poitrine, pour laquelle les découvreurs ont successivement reconnu la croix ankh137 ou le sistre. Il nous paraît plus approprié d’y voir une guirlande, typique de l’iconographie funéraire en Égypte romaine138. Sa représentation est d’ailleurs circonscrite à la marche septentrionale du royaume de Méroé, son iconographie, très répandue de l’autre côté de la frontière, ayant pénétré la Nubie de la Dodécaschène, comme le prouvent par exemple les reliefs funéraires sculptés dans les carrières de Qertassi139. Le traitement lisse de la surface de cet objet cylindrique, censé reproduire des corolles de fleurs enfilées, relève d’une simplification commune sur les sarcophages romains140, et tient également au fait que ses détails étaient généralement peints et non figurés en relief sur les statues-ba. La guirlande pourrait parfois remplacer le mouchoir tenu le long du corps, comme semble l’indiquer l’iconographie d’une stèle peinte de Karanog141, sur laquelle un personnage tient un objet où apparaissent encore les chevrons et les épis reproduisant sa structure typiquement spiciforme.
136. Voir par exemple le cas de la statue E 7005 du University of Pennsylvania Museum of Archaeology and Anthropology, pour laquelle les pieds, une partie des ailes, la tête, le disque solaire, les deux avant-bras, ainsi que le bâton et la boule végétale furent rajoutés aux vestiges retrouvés durant la fouille (O’Connor 1994, pl. 13 ; Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 5). 137. Randall-MacIver, Woolley 1909, pl. 16, ph. 5000 et pl. 8, ph. 7029. 138. Francigny 2009b, p. 72, pl. 2a-c. 139. Weigall 1907, pl. 22/1. Dans la région, des décors de sarcophages d’époque romaine offrent une iconographie similaire (Reisner 1910, p. 75-76). 140. Parlasca 1966, pl. 5/4 et 31/3. 141. Woolley, Randall-MacIver, pl. 13, no 7085.
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Le rôle de cette guirlande, peut-être associée à la couronne funéraire incarnant en Égypte la sagesse du défunt, est à rapprocher des symboles de richesse des cycles de la nature sur lesquels se calquent les modèles religieux142. Tout comme pour le bâton, des découvertes archéologiques viennent confirmer l’existence de ces ornements floraux dans les tombes méroïtiques. On note ainsi la découverte d’une couronne placée près de la tête du défunt dans la Tombe 2006 de Faras143, des traces de couronnes placées au même endroit dans les Tombes 11, 19 et 184 de Karanog144, ainsi qu’un décor peint de vase méroïtique provenant de Shablul représentant un chrysanthenum coronarium145, utilisé notamment dans la fabrication de guirlandes en Égypte romaine146. La technique coronaire de fabrication des guirlandes à corolles était d’ailleurs connue des Méroïtes, qui les représentèrent sur des jarres peintes, sous des formes très longues recouvrant des autels147. Rappelons enfin que les statues-ba étaient à l’origine peintes de couleurs vives, et qu’il est fréquent au moment de leur découverte d’observer des résidus d’ocre rouge sur les parties correspondant à la peau, d’ocre jaune sur les chevelures148, et de vert sur les plumes. La table d’offrandes Deuxième élément rapporté appartenant au dispositif liturgique installé en surface de la tombe méroïtique, la table d’offrandes (figure 39) est située devant la face est de la pyramide. Posée sur un petit massif en briques crues, sorte de podium pouvant atteindre une cinquantaine de centimètres, elle fait habituellement face à la chapelle149, lorsqu’elle ne se substitue pas à cette dernière. C’est par exemple le cas dans le Cimetière 192C de Qasr Ibrim, où la seule pyramide à ne pas avoir de chapelle possède en contrepartie un promontoire avec table d’offrandes150. Souvent placée à la lisière du creusement de la descenderie, apex tourné vers la tombe, elle incarne l’outil qui permet une interaction physique entre les vivants et les morts. Recevant le liquide de la libation, qui peut ensuite s’écouler sur le sol, elle transforme et véhicule l’offrande qui doit rejoindre le mort et le régénérer.
142. Dans le monde méditerranéen, des guirlandes célébrant les cycles de la nature étaient fréquemment représentées aux mains des satyres, des cômastes et des ménades (Isler-Kerényi 2007). 143. Griffith 1925, p. 138. 144. Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 29. 145. Randall-MacIver, Woolley 1909, p. 40, pl. 26/5. 146. Guillaume-Coirier 2002. 147. Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 45, no 8157. 148. Whitehouse 2009, p. 141. 149. Millet 1963, pl. 47. 150. Mills 1982, pl. 50.
À l’origine prévues pour servir les divinités des temples en Égypte, les tables d’offrandes furent adaptées au service funéraire et passèrent en Nubie durant la conquête égyptienne. Elle y présente plus tardivement une connexion particulière avec le mythe d’Isis se rendant quotidiennement sur l’île de Biggeh (l’Abaton) pour y effectuer une libation de lait à Osiris sur l’une de ses 365 tables d’offrandes, une pour chaque jour de l’année151. Retrouvées dans certaines tombes napatéennes152, elles se multiplient à l’époque méroïtique. Elles sont généralement en pierre, mais on connaît quelques exemplaires en terre cuite (figure 40)153, plus rarement en bronze154, tandis la faïence semble réservée aux inhumations royales155. Sa forme est celle de la table égyptienne héritée du hiéroglyphe trilitère ḥtp représentant une offrande sur une table ou une natte. Carré ou rectangulaire, c’est le modèle à apex qui domine largement156, bien que de nombreuses variations soient possibles157. Son décor complexe répond à l’influence des modèles utilisés en Égypte ptolémaïque et romaine, et à leur évolution stylistique au fil des siècles. Les tables égyptiennes offrent ainsi une source continue de comparaison avec les prototypes kouchites, au point parfois que l’on peine à les distinguer. Si l’on prend l’exemple d’une table d’offrandes provenant d’Éléphantine158, on a de grandes chances d’y retrouver les principales composantes décoratives d’une table méroïtique contemporaine (figure 41), à savoir l’autel central surmonté d’offrandes, des vases à libation et des bouquets de lotus. Même l’inscription funéraire, qui commencera généralement par une invocation à Ptensenes, l’Osiris de Biggeh, ne sera pas sans rappeler l’invocation initiale méroïtique à Isis et Osiris. Cette correspondance stylistique vaut d’ailleurs pour tout le territoire égyptien, comme le montre les découvertes d’Akhmîm159, Térénouthis160 ou Maréotis161.
151. D’autres versions du mythe évoquent une visite hebdomadaire, chaque premier jour de la semaine. 152. Smith 2007, pl. 7. 153. Le dessous de ces tables d’offrandes présente des traces d’impression correspondant le plus souvent à un montage sur natte. 154. Napatéenne (Welsby 2010, pl. 19). Méroïtique (Garstang et al. 1916, p. 15, pl. 4/2). 155. Cf. les exemplaires inscrits REM 0061, 0073 A-E, 0805, 0811 A-B, 0817-0820, 0828, 0834 et 0851. 156. Une étude sur un ensemble de tables inscrites a montré que 132 exemplaires sur 196 étudiés étaient de cette forme, soit un ratio de 67 % (Hainsworth 1976). 157. Certaines présentent par exemple deux apex, chacun sur une face opposée. 158. Bernand 1992, pl. 11/15. 159. Kamal 1906, pl. 37, no 23148. 160. El-Nassery, Wagner 1978, pl. 76/29. 161. Abd el-Fattah 2006, p. 33, fig. 5.
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Figure 39 – Île de Saï. Table d’offrandes en grès. [© V. Francigny]
Tandis que les anciennes tables d’offrandes égyptiennes accordaient une place prépondérante aux textes des prières, ces derniers tendent progressivement à disparaître au profit d’une iconographie plutôt sommaire qui s’impose largement durant la période romaine. C’est de ce modèle que découle la production méroïtique. La technique décorative y alterne entre figuration en relief et gravure, tout en respectant une grande symétrie dans la composition. Deux catégories dominent dans le programme décoratif : les offrandes (figure 41) et les scènes d’offrandes (figure 39)162. La première montre des victuailles vues du dessus ou de face, reposant sur un autel. Ces images agissent comme des substituts magiques qui s’activent grâce à la libation. Les motifs dominant sont le pain, le
162. Pour une typologie partielle des décors n’abordant pas les scènes avec des divinités, voir Hofmann 1991b.
vase ḥst163, l’amphore164 (parfois dotée d’une louche), la viande (volaille ou pièces de boucherie) et les végétaux. Le pain est toujours figuré en nombre pair (4 ou 8), et sa forme est celle d’une galette plate et circulaire. Il correspond à la « Formule B » définie par F. Ll. Griffith pour les bénédictions funéraires, et semble être l’élément privilégié recevant la libation. La seconde catégorie met en scène un couple de divinités165, dans lequel Anubis peut être accompagné par Nephtys, Isis, Maât, Meret ou Nout. Les personnages qui se font face sont alors représentés en train 163. Emery, Kirwan 1935, pl. 29a. Il s’agit là d’une iconographie de convention, car aucun de ces vases n’a jamais été retrouvé dans une tombe méroïtique. Souvent tenu par un dieu opérant une libation, le vase peut aussi être posé, l’eau s’écoulant malgré tout du bec verseur. 164. Griffith 1911, pl. 23, no 117. 165. De rares digressions présentent un couple de déesses, ou le défunt lui-même face à une divinité.
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Figure 40 – Sedeinga. Table d’offrandes fragmentaire en terre cuite. [© V. Francigny]
d’effectuer une libation à l’aide d’une situle ou d’un vase ḥst, soit sur un autel, soit directement sur les offrandes. Cette scène, qui traduit une profonde influence de la religion isiaque, est attestée pour la première fois à l’époque méroïtique sur la table d’offrandes de Tedeqene, prince royal enterré dans le cimetière de Méroé Ouest vers la fin du iie siècle avant notre ère. Elle s’accorde alors parfaitement avec les scènes présentes sur les tables d’offrandes ptolémaïques retrouvées en Égypte, où des divinités effectuent également des libations sur des offrandes ou sur les mains du défunt. En Nubie, ce modèle se répand progressivement au cercle des élites non royales, surtout dans l’extrême nord du royaume166. La répartition géographique des découvertes archéologiques de tables d’offrandes permet d’ailleurs de mettre en avant des jalons du dispositif administratif provincial comme Sedeinga, Saï, Faras et Karanog.
166. Voir par exemple la table du pesto Tasemerese vers 100 avant notre ère (Török 2002, p. 65).
La dispersion de ces représentations indique assez tôt un nivellement des différences qui séparent l’élite de la capitale et celle officiant en province. C’est aussi un des rares cas où une iconographie utilisée dans la sphère privée va finalement être abondamment reprise dans la sphère royale au début de notre ère, comme le montrent une table d’offrandes retrouvée au Djebel Barkal (REM 0812), ainsi que les reliefs des chapelles funéraires de Méroé. Beaucoup d’autres éléments décoratifs et symboliques sont recensés sur les tables d’offrandes méroïtiques. Parmi eux, l’un des plus courant est la représentation d’un bassin, isolé ou communiquant avec l’apex pour faciliter l’écoulement du liquide de libation. Il revêt des formes diverses, depuis le simple creusement quadrangulaire, parfois garni d’escaliers167, jusqu’à la forme ovale d’un cartouche168. 167. Randall-MacIver, Woolley 1909, pl. 36, no 5115. Modèle commun dans les sanctuaires d’Égypte romaine, sur lequel on figure une miniature du lac sacré. 168. Griffith 1911, pl. 12, no 57.
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Figure 41 – Méroé. Table d’offrandes en grès. [D’après Garstang 1911, pl. 55/4]
La croix ankh peut également figurer au centre de l’objet, ou dans le sillon d’écoulement de l’eau. Toutes sortes de symboles peuvent ainsi être disposées sur la surface de la table, afin de charger le liquide de la libation de vertus favorisant la régénérescence du défunt. Certains animaux peuvent aussi jouer un rôle dans ce théâtre magique, comme les grenouilles169, les crocodiles170 associés à l’eau du Nil, ou les vaches (REM 0820) renvoyant à l’image du troupeau sacré allaitant le roi. Les éléments végétaux sont également courants : fleurs ou bouquets de lotus et tiges de palmier. Ces dernières connaissent un traitement qui va de la simple évocation incisée (REM 1023) à une gravure plus aboutie (REM 0502). Une autre forme végétale171 pourrait être assimilée à cette tige de palmier, comme elle semble figurer entre les mains des officiels défilant sur les murs de la « chambre méroïtique » à Philae172, bien que cette dernière ne soit 169. Randall-MacIver, Woolley 1909, pl. 32, no 5100. 170. Abdalla 1982a, p. 86. 171. Abdalla 1982a, pl. 39, no 5124. 172. Griffith 1912, pl. 18.
pas sans rappeler les empilements de fleurs de lotus, sortes de bouquets montés, visibles sur les chapelles de Méroé173 ou les temples ptolémaïques de Basse Nubie174. De façon générale, l’iconographie des tables d’offrandes démontre une nouvelle fois que la source constante d’inspiration pour la liturgie funéraire kouchite fut d’origine allochtone. Un texte s’ajoute parfois aux scènes figurées sur les tables d’offrandes. Des pigments rouges incrustés dans la gravure de certains signes nous indiquent que la polychromie devait jouer un rôle important sur ce type d’objet. L’inscription court généralement sur une bande lévogyre, rarement dextrogyre, qui épouse le bord extérieur en surface de l’objet. C’est la langue méroïtique qui est employée, bien que l’on note quelques exceptions175. Le corpus, qui représente 173. Chapman, Dunham 1952, pl. 21g. 174. Roeder 1930, pl. 44. 175. Par exemple dans le cimetière privé de la ville de Méroé (Garstang 1911, pl. 57/2), où une table d’offrandes arbore un texte en grec, qui pourrait avoir pour source une petite communauté étrangère installée dans la capitale (Abdalla 1982b).
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Figure 42 – Sedeinga. Représentation peinte d’une table d’offrandes. [© V. Francigny]
plus du quart des textes connus dans cette langue, suit la structure classique des formules funéraires (cf. infra p. 54 – Structure des formules). Durant la période méroïtique, la table d’offrandes n’était pas qu’un objet du culte funéraire, mais également un symbole largement répandu et utilisé dans tout le royaume. On la trouve ainsi grossièrement incisée sur de grandes dalles en pierre retrouvées dans certaines nécropoles176. Interprétées à tort comme des tables à libation, il s’agit en fait de dalles utilisées dans le système de fermeture de la tombe, sur lesquelles on a esquissé une représentation de table d’offrandes à titre propitiatoire. De même, il est courant de la voir incisée ou peinte sur des céramiques, surmontée de cornes de vaches enserrant un disque solaire (figure 42). Elle réunit alors deux symboles de la religion isiaque : la table qui reçoit la libation, et la couronne hathorique qui, à Méroé, est l’apanage d’Isis, la déesse du Sud177. Signe de dévotion à Isis, souvent retrouvé isolé sur les falaises du Nil ou des djebels178, ce symbole devait pallier à l’absence de véritables sanctuaires. Il souligne l’importance du culte de la déesse dans la sphère privée179.
qu’à partir de la période méroïtique que les tombes privées commencent à en être pourvues. Son emplacement reste difficile à préciser, comme toujours dans le cas d’éléments rapportés, bien que l’on préconise souvent l’intérieur de la chapelle funéraire ou sa façade. Il existe deux catégories de stèles, la première constituant uniquement un support pour le texte funéraire. De forme cintrée (figure 43)180 ou rectangulaire, elle peut aussi imiter la forme carrée de la table d’offrande et être munie d’un apex181. La seconde catégorie, figurative, accueille une représentation du défunt (figure 44), seul ou accompagné. Elle comporte parfois un texte, le plus souvent complémentaire de l’iconographie et rajouté en fin d’exécution dans les espaces laissés vierges182. Alors que la première catégorie n’utilise que la gravure, les stèles figuratives disposent quant à elles d’un large spectre de techniques affecté à leur réalisation : incision183, relief (figure 45) et peinture184. Les attributs portés par le personnage sont ceux décrits pour la statue-ba ; parures, vêtements, sandales, bâton, épi de sorgho, mouchoir funéraire, guirlande, auxquels
La stèle
180. Elle comporte parfois la représentation d’un disque solaire ailé. 181. Dans ce cas, deux hypothèses peuvent être formulées : soit la stèle pouvait servir de table à libation ; soit un cadre de table d’offrandes pouvait être recyclé en stèle. Voir Vila 1982a, fig. 195. 182. Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 11, no 40229. 183. Williams 1991, pl. 98. 184. Un exemplaire fragmentaire unique retrouvé à Shablul livre une représentation peinte d’Anubis portant un vase ḥst, et effectuant une libation (Randall-MacIver, Woolley 1909, pl. 38, no 5122). Il pourrait cependant s’agir d’un fragment du montant gauche d’une porte de chapelle, auquel cas ce serait l’unique exemple connu à décor peint. Voir Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 14, no 7082.
À l’époque napatéenne, tandis que le modèle pyramidal se diffuse et, avec lui, les éléments du mobilier cultuel, la stèle funéraire reste une prérogative royale réservée au souverain et parfois à son épouse. Ce n’est 176. Junker 1925, pl. 12/145. 177. Kendall 1982, p. 27, fig. 23 ; 1997, p. 187, no 188. 178. Boyaval 1967, pl. 2. 179. Pour une cartographie partielle des découvertes d’objets portant ce symbole, voir Tomandl 1987.
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Figure 43 – Île de Saï. Stèle funéraire inscrite au nom de Maliqebase. [© V. Francigny]
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s’ajoute la tige de palmier (figure 44). Ces représentations humaines assez détaillées (rang social de l’individu mis en avant, nudité des femmes soulignant la fécondité, etc.) sont contemporaines des statuesba anthropomorphes, et se placent donc plutôt au méroïtique tardif. Comme souvent dans le travail de la pierre pendant la période méroïtique, le grès était préféré pour son abondance et sa taille plutôt aisée. Hautement friable, il a souvent légué des vestiges en très mauvais état de conservation, difficiles à lire et à restaurer. Quelques stèles cependant arborent encore des restes de polychromie185 : rouge pour le texte, jaune pour le disque solaire et les ailes de vautour, et rouge à nouveau pour les uræi.
Les inscriptions funéraires
Figure 44 – Faras. Stèle funéraire peinte. [D’après Griffith 1924, pl. 65/4]
Dès le ier siècle de notre ère se répand dans le nord du royaume l’habitude d’inscrire sur la stèle funéraire un texte indiquant notamment les fonctions exercées au moment du décès, et la carrière accomplie. Précieuse source documentaire que nous savons en partie traduire, elle permet de tisser les grandes lignes d’une administration diversifiée et structurée, dont nous ne connaissons pas encore l’équivalent dans le reste du territoire méroïtique. Réservées à une élite, les inscriptions concernent jusqu’à 10 % des sépultures dans certaines nécropoles, et montrent que leurs destinataires pouvaient cumuler charges administratives et dignités religieuses. Les modèles de textes funéraires apparaissent d’abord dans le cadre du culte du souverain186, puis des membres de la famille royale, avant d’être appliqués aux élites non royales. L. Török187 remarque à juste titre que ce processus d’adaptation se fait non sans pertes ou modifications. Structure des formules Il existe deux types d’inscriptions funéraires : celles contemporaines de l’enterrement et d’autres beaucoup plus rares, qui sont des ajouts « commémoratifs »188. En contexte non royal, toutes deux
Figure 45 – Nag Gamus. Stèle funéraire inscrite, avec décor en bas-relief. [D’après Almagro 1965, pl. 16]
185. Rilly, Francigny 2011. 186. Les premières attestations remontent à la fin du iie siècle avant notre ère. L’inscription funéraire porte alors une invocation aux dieux, signale la parenté du défunt, et se termine par une bénédiction, tandis que l’iconographie se précise au profit des scènes anthropiques ou divines, et que le granit utilisé laisse progressivement place au grès. 187. Török 2002. 188. Moins d’une dizaine de documents, qui présentent les offrandes consacrées par un individu pour le culte d’un ancêtre, ravivant les prières et les formules gravées jadis lors des funérailles. On place généralement cette nouvelle inscription à la suite de l’ancienne (Rilly 2003).
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sont inscrites en cursive méroïtique. La structure classique de l’inscription se construit ainsi : - l’invocation aux dieux. Sous forme d’un vocatif, pouvant se répéter à plusieurs reprises dans le texte, on invoque les dieux de l’au-delà, en privilégiant Isis, qui précède presque toujours le nom d’Osiris, à l’image du développement de son culte dans le bassin méditerranéen à la même époque ; - la nomination du défunt. Partie la plus importante dans le cadre d’une récitation, elle comporte de nombreuses variantes et s’accompagne presque toujours d’un prédicatif189 ; - la filiation. Elle commence le plus souvent par le nom de la mère, ce qui n’a cessé d’alimenter les discussions sur le rôle de la femme dans le royaume de Méroé190. À défaut de matriarcat à la tête de la société méroïtique, cette préférence peut laisser supposer la matrilinéarité, ou plus simplement indiquer un privilège lié à la maternité et aux auspices de la déesse Isis ; - les titres, fonctions et parentés. Cette partie de l’inscription funéraire n’apparaît que dans les premiers siècles de notre ère, en Basse et en Moyenne Nubie. Le texte vise à décrire le statut social du défunt, par l’énumération de ses titres et de sa parenté à d’autres personnages exerçant des fonctions importantes. Il permet de dresser un répertoire des prêtrises exercées, des dieux honorés et des lieux où se situaient leurs sanctuaires. Le caractère emphatique de certaines de ces descriptions (voir par exemple REM 1091) rappelle combien la tombe dans son ensemble met en scène le pouvoir et l’influence de l’ensemble d’une famille ou d’un clan. L’inscription en bonne place de ce cursus honorum se retrouve d’ailleurs à la même époque dans les stèles funéraires exhumées en Égypte191. Cl. Rilly opère un distinguo entre description « individuelle » du défunt et description « relative » dédiée à ses affiliations192. Dans la première, les charges administratives et sacerdotales dominent (ant / prêtre ; perite / intendant ; pelmos / stratège ; pes(e)to / vice-roi ; apote / envoyé ; beloloke / grandprêtre), associées à une ville ou une région. Dans 189. -qo ou qowi (var. qe, qewi) et parfois l-o ou l-owi (si le nom comporte un article final), qu’on pourrait traduire par « celui-ci / celle-ci / c’est » (Rilly 2007, p. 97-98). 190. Morkot 1999, p. 210-214. 191. Tout comme en Nubie, c’est le lignage et les fonctions exercées qui sont au cœur des inscriptions funéraires, comme le montre l’exemple de la traduction d’une stèle retrouvée à Abydos et conservée au Musée du Louvre, datant des ier-iie siècles de notre ère : « Apollônios, fils d’Hermoénés, qui a été gymnasiarque, agoranome, grand prêtre, commissaire aux sacrifices, a pareillement parcouru toutes les magistratures de Lycopolis. L’an 10, le 20 Pharmouti ». 192. Rilly 2007, p. 106.
la seconde, le texte met en avant les parentés illustres du défunt, qu’elles soient directes ou lointaines (wi / frère ; kdise / sœur ; ste / mère ; yetmde / neveu ou nièce). En Basse Nubie, les titres religieux nourrissent généralement un lien étroit avec le culte d’Isis, et la proximité géographique de son sanctuaire à Philae. La position stratégique de la région pour les activités commerciales devant aussi imposer un lourd dispositif administratif et hiérarchique, on note la fréquence des titres de « stratège des eaux » (pelmos ato-li-se) ou des « terres / provinces (?) » (pelmos abd-li-se), dont on comprend les implications sur la gestion de la navigation nilotique, les activités commerciales et les bâtiments officiels. On trouve peut-être une trace de ces activités de convoyage dans certains passages de stèles funéraires retrouvées à Qasr Ibrim193. Il arrive qu’un titre lié à la capitale Méroé ait la primeur sur ceux indiquant des charges locales. Cela témoigne d’une forme de loyauté envers le pouvoir central, autant que de l’instrumentalisation des dignitaires provinciaux. Selon L. Török194, la propension tardive à multiplier les parentés illustres et les titres « familiaux » est autant un témoignage de puissance que la marque d’un essoufflement du pouvoir réel, qu’on tente de justifier par tous les moyens. Cette idée semble confirmée par les derniers témoignages épigraphiques funéraires, sur lesquels les affiliations avec des vice-rois ou des princes royaux sont gravées sur des stèles grossièrement exécutées, comme une ultime affirmation d’une puissance déchue. Le regroupement des sépultures par famille, constaté dans nombre de nécropoles méroïtiques va dans ce sens, et indiquerait la volonté de conserver certaines prérogatives, titres et fonctions à l’intérieur d’une communauté. Bien que l’hérédité des charges ne soit pas prouvée, les élites locales devaient veiller à perpétuer ces attributions administratives ou religieuses au sein de la nouvelle génération en âge d’occuper ces fonctions195. Tous les textes ne s’accordent cependant pas avec cette trame simplifiée, et beaucoup d’inscriptions comportent des éléments supplémentaires sur la qualité du défunt ou ses activités. Le développement de ces parties à géométrie variable est souvent fonction de l’espace disponible pour la gravure du texte196.
193. Millet 1982. 194. Török 2002, p. 73. 195. Au Djebel Adda, par exemple, on observe la transmission du titre (?) temey-lḫ dans la même famille durant trois générations (Abdalla 1984, p. 59). 196. Les textes des linteaux sont ainsi plus fournis du fait de la plus grande surface offerte à la gravure.
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- les bénédictions. Autre influence égyptienne sur la religion méroïtique et ses textes liturgiques, les inscriptions funéraires se terminent par une formule de bénédiction et d’offrande pour le défunt197. C’est une prière tournée vers les dieux et non les hommes, afin que ceux-ci procurent au défunt de quoi nourrir et régénérer sa vie éternelle. Elle commence souvent par celle « de l’eau » (ato) évoquant la libation, puis celle « du pain » (at), suivie dès les premiers siècles de notre ère par une troisième formule lui souhaitant « un bon repas » (ḫ-mlo-l) (Rilly 2010). Ces trois formules (A, B et C) forment la base la plus courante des bénédictions et il est pour le moment difficile de comprendre à quoi se réfèrent les autres, bien que le « lait » soit par exemple envisagé pour la libation en contexte royal. Géographie des fonctions Au méroïtique tardif, les mentions accrues des affiliations et du parcours du défunt nous permettent d’identifier certaines grandes familles, ainsi que des corporations religieuses associées à un même lieu de culte. Il est vraisemblable qu’à l’époque, des collèges de prêtres pouvaient englober la pratique cultuelle de plusieurs sanctuaires, ou à l’inverse, exercer différents offices dans un même temple. La revue systématique des listes de charges exercées par des séries de personnages enterrés dans un cimetière permet de différencier quelques ensembles géographiques concentrant ces communautés ou corporations. Ainsi, Nlote (Karanog) est un lieu d’enterrement pour le pesto (vice-roi) administrant la Nubie septentrionale et pour sa famille. La capitale régionale aurait ainsi migré au ier siècle de notre ère depuis Faras, un autre grand centre administratif de Basse Nubie. Tene (Shablul) concentrait un nombre élevé d’émissaires auprès de l’Égypte romaine. Djebel Adda était le fief de la puissante famille Wayekiye. Sedeinga, plus au sud, abrite des sleqene (le titre le plus important connu en Moyenne Nubie). Arminna Ouest rassemblait un nombre élevé de prêtres, et Nag Gamus aurait servi de nécropole aux prêtres de Qasr Ibrim.
197. Classées de A à L par F. Ll. Griffith, avec un ajout X par I. Hofmann, elles sont toujours présentes sur au moins un monument (linteau, seuil, table d’offrandes ou stèle).
Mais la réunion des tombes d’un même clan dans une nécropole donnée ne signifie pas qu’un individu occupait forcément des fonctions sur son lieu d’enterrement. La mobilité des élites, confirmée par les titres et leurs affectations géographiques souvent très différentes entre parents, semble avoir toujours existé. Le cas de H̱ llhor, pesto appelé à exercer des fonctions à Méroé et qui fut envoyé au nord avec le titre de qore est remarquable. Autre exemple de mobilité, le parcours d’Abratoye198, enterré à Karanog, et dont on sait par sa stèle et sa table d’offrandes qu’il fut madasemete en Basse Nubie, prophète princier (?) d’Amon, vice-roi de Nubie, premier prophète d’Amon en Basse Nubie, prêtre d’Amanap du territoire de Qasr Ibrim, prêtre depuis Boqa sur toute l’étendue jusqu’au territoire de Qasr Ibrim, aribet de Twete, stratège de la province, gouverneur de Faras, Grand de Simlo, tabaqo depuis le territoire de Basse Nubie sur toute l’étendue jusqu’au territoire de Twete, et enfin grand scribe (royal ?). De même, les unions entre les membres d’une famille de prêtres méroïtiques et ceux de familles égyptiennes sont connues, lorsque ceux-ci servaient dans un même temple. Le cas de la famille des Wayekiye illustre bien cette passerelle culturelle entre les deux mondes. Ses inscriptions sur des stèles funéraires, ainsi qu’un graffito en démotique sur le temple de Philae199, nous renseignent sur les possibilités pour un dignitaire d’origine kouchite d’occuper des fonctions dans la partie égyptienne de la Dodécaschène, tout en se faisant enterrer en territoire méroïtique. Reste la question de l’important déséquilibre entre le nord et le cœur du royaume, concernant l’utilisation des textes funéraires. Il repose en partie sur le fait qu’un nombre plus important de sites funéraires ont été explorés en Basse Nubie, par rapport aux régions du Keraba et du Boutana. Les fouilles du cimetière privé de Méroé et plus récemment la découverte d’une nécropole à Berber200, nous rappelle en effet que les textes sont bien là, mais que les découvertes potentielles reposent plus sur des trouvailles fortuites, donc rarissimes. Suivant une règle commune à toutes les anciennes civilisations, seule une frange infime de la population devait savoir lire et interpréter les inscriptions, d’où le recours systématique à une abondante iconographie dans les sanctuaires et autres lieux de pèlerinage ou de dévotion comme la tombe.
198. Carrier 2001. 199. Griffith 1935, ph. 421. 200. Bachir 2010.
LE TUMULUS
Conséquence d’une vision répandue depuis le siècle, qui fait de Méroé un royaume surtout connu pour ses pyramides royales, l’association de son territoire à la forme tumulaire suscite encore les interrogations. Une simple visite dans le berceau de l’ancienne capitale et ses nombreux établissements satellitaires, suffit pourtant à se poser cette question : où se trouvent les tombes des populations civiles, celles qui firent la prospérité d’un royaume capable de fasciner au-delà de ses frontières les auteurs antiques, autant que les voyageurs modernes ? Au Soudan central, durant les premiers siècles de notre ère, la multiplication des villes périphériques munies de temples et de palais ne semble en effet pas trouver de parallèle sur le plan funéraire, à moins de porter attention aux milliers de nécropoles tumulaires et aux centaines de milliers de tombes qui tapissent le paysage le long du Nil, sur les bords des oueds et sur les pentes des djebels. Association risquée, chronologiquement très large et qui a souvent dissuadé le travail d’investigation des archéologues, le doute semble donc régner sur la nature architecturale des superstructures funéraires méroïtiques, dans une région qui n’a quasiment livré aucun reste pyramidal en dehors de Méroé. La mauvaise conservation des matériaux de construction comme la brique crue sous des latitudes à hygrométrie variable et soumise à des pluies saisonnières donne lieu d’argument, mais n’explique pas l’extrême isolement de ces découvertes et entre en contradiction avec les multiples mises au jour de bâtiments en briques crues dans les fouilles urbaines (à Méroé, Hamadab, el-Hassa et el-Mouweis). Plus encore que de simples murs, les massifs plus résistants formés par les superstructures pyramidales auraient dû nous parvenir en grand nombre, ce qui nous amène à cette conclusion : sur le plan archéologique, la pyramide ne dominait pas le paysage funéraire méroïtique. Si le tumulus a ainsi pu concurrencer l’édifice pyramidal d’origine égyptienne, il est cependant beaucoup plus difficile de le dater. Tenter d’affiner la périodisation des tumuli sur des bases morphologiques montre en effet rapidement ses limites, tant ces constructions hétérogènes sont étroitement liées à l’environnement minéral sur lequel elles sont implantées. Dans la grande majorité des cas, à moins qu’un pillage n’ait fait ressurgir des marqueurs chronologiques connus du mobilier funéraire, il faut sonder
xixe
la tombe et, en l’absence de matériel, établir des séries archéométriques (taille, profondeur, orientation de la fosse et des corps, etc.) pour espérer obtenir des informations signifiantes sur la datation. Un travail qui, à moyenne ou grande échelle, nous fait toujours défaut pour la période méroïtique. Les superstructures tumulaires n’ayant jamais fait l’objet d’un programme extensif de recherche, la collecte de données publiées lors d’opérations de fouilles isolées ou de prospections1, permet cependant de dessiner un modèle de répartition – certes imparfait – d’une pratique funéraire connue et répandue chez les Méroïtes.
la superstructure tumulaire en nubie Les tertres soudanais furent pour la première fois relevés sur les plans des sites visités par l’expédition prussienne en Égypte et en Nubie menée par C. R. Lepsius2, entre 1842 et 1845. Ils retinrent ensuite l’attention de quelques voyageurs et chercheurs, à commencer par E. A. W. Budge3, puis J. Garstang4 et J. W. Crowfoot5. Mais ce n’est qu’au milieu du xxe siècle qu’ils firent l’objet d’investigations systématiques6. Tradition multimillénaire dans les pays du Sahel, l’enterrement sous tumulus n’a jamais réellement trouvé sa place dans une recherche nubienne longtemps concentrée sur les vestiges égyptiens ou égyptisants de la vallée soudanaise. Une focalisation qui laissa dans l’ombre les données archéologiques liées à ce type de construction, nourrissant le décalage entre nos connaissances historiques de Méroé et nos lacunes dans la maîtrise du paysage funéraire qui l’entoure. Hormis les fouilles des tumuli royaux ou élitaires tardifs de Ballaña7, Qustul8, Firka9, Tanqasi10, el-Ushara11, el-Hobagi12 et Sururab13, les tombes 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13.
Lenoble 2008 ; Paner et al. 2010. Lepsius 1849. Budge 1907. Garstang 1911. Crowfoot 1911. Crawford 1953, p. 2-29 ; Chittick 1955, p. 86-92. Emery, Kirwan 1938. Emery, Kirwan 1938. Kirwan 1939. Shinnie 1954, p. 66-85. Marshall, Abdel Rahman 1953, p. 40-46. Lenoble 1994a ; 1994b ; 1994d. Ali Hakem 1979, p. 151-155.
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Figure 46 – Naga. Cimetière pyramidal (et tumulaire ?) en marge de la ville. [© V. Francigny]
Figure 47 – Djebel Makbor. Tumuli construits avec des blocs de grès. [D’après Lenoble 1987b, fig. 2a]
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modestes ne firent l’objet que de peu d’attention. Ce n’est que récemment, suite à la campagne de sauvetage organisée dans la région de la 4e cataracte, que les archéologues contraints de s’intéresser aux nécropoles tumulaires communes établirent les bases méthodologiques appropriées pouvant s’appliquer à l’analyse des séries tumulaires toutes périodes confondues. Connu au moins depuis la fin du iiie millénaire avant notre ère14, le tumulus caractérise surtout la tombe kermaïque, avant de recouvrir les sépultures des premiers membres de la famille royale établie à el-Kurru (figure 1), qui passeront à la pyramide sitôt la conquête de l’Égypte entreprise. Concurrencé par la mode pyramidale en usage chez les élites administratives et religieuses du nord du royaume, envers qui le pouvoir se montre prévenant, le tumulus est pour un temps confiné aux populations provinciales en marge de ce réseau. Il n’en reviendra que plus massif, dès lors que certains clans en rupture avec l’entité royale chercheront à marquer leur détachement envers la pyramide, symbole monumental de l’ancien pouvoir centralisateur. L’ancrage de la forme tumulaire dans la tradition funéraire nubienne devient alors si fort que même la christianisation n’imposera que très progressivement son modèle de superstructure quadrangulaire. Au-delà de l’aspect architectural, le tumulus suscite l’intérêt par sa localisation qui, à la différence de la pyramide, se diffuse à la fois sur les rives du Nil et à l’intérieur des terres, dans la Bayouda et le Boutana. Faut-il pour autant envisager par leurs emplacements une distinction entre des tombes d’agriculteurs bâties sur les terrasses fluviatiles, et celles de pasteurs semi-nomades accompagnant leurs troupeaux dans les espaces situés entre les oueds ? Rien n’est moins sûr, tant la structure interne de la population méroïtique nous est encore difficilement identifiable. L’enterrement d’importants dignitaires le long des oueds, comme à Naga (figure 46), indique d’ailleurs que certaines élites auraient pu avoir recours au tumulus.
Des matériaux bruts L’identification de la structure tumulaire est toujours difficile puisque « par nature » elle réorganise pour un temps un espace minéral qui, au fil des siècles, se fond à nouveau dans le paysage. Seules les régularités dans la taille ou dans la concentration des édifices en permettent souvent un premier repérage.
14. Un tumulus protohistorique a été découvert et fouillé dans la région du Boutana (Lenoble 1987b, p. 236).
Les matériaux utilisés pour ériger des tumuli ne parcourent jamais de longues distances, et sont ceux du terrain sur lequel la nécropole est implantée. Le limon, le sable, les graviers et les blocs de pierres qui entrent dans de multiples combinaisons de construction sont, par conséquent, peu déterminants pour établir une identification chronologique. L’établissement d’un caractère régional, voire local15, des constructions dépend donc directement du milieu naturel et ne repose pas sur une base culturelle définissant une règle. Ainsi, les tumuli construits dans l’intérieur des terres, proches des djebels, utilisent massivement les blocs de grès ferrugineux (figure 47), tandis que ceux élevés sur les terrasses fossiles du Nil sont généralement des agglomérats de gravier et de sable de surface (figure 48). Proches d’affleurements rocheux, ils privilégient alors l’usage de la pierre sèche, dans un ramassage granulométrique généralement indifférencié. Sur des sols constitués d’une faible couche meuble en surface, reposant sur un sous-sol induré de limon, la structure tumulaire des sépultures privées est souvent réduite à sa plus simple expression. En l’absence de creusement observé autour de la tombe, tout indique alors que seule la surface a été raclée, limitant considérablement l’élévation atteinte par le tertre, et précipitant avec le temps son érosion et sa disparition. La nature des matériaux utilisés, façonnant des ensembles homogènes accessibles en surface, a aussi beaucoup facilité l’exploitation moderne des superstructures en tant que carrières. Partout où le développement urbain sévit, les tumuli représentent une source d’exploitation avantageuse puisque les bulldozers se chargent de remblais homogènes sans nécessité de creusement. Ces bouleversements affectent a posteriori notre lecture cartographique des zones tumulaires. En découle une vision déformée du paysage archéologique, en raison de la meilleure conservation des ensembles pierreux par rapport aux unités meubles des terrasses alluviales. Ainsi, dans la région entre Khartoum et Abou Hamed, où le tissu tumulaire est presque ininterrompu sur la rive ouest, le développement moderne de l’habitat et des cultures a fait disparaître le continuum des champs tumulaires de la rive est, en fractionnant et en isolant ses sites. Mais ces récentes vicissitudes ne sont pas les seuls freins à la connaissance des structures tumulaires. L’extrême diversité des formes notamment rend difficile un classement chronologique systématique. 15. Par exemple dans le Ouadi Dosheim, charriant une importante quantité de Hudi Chert, les tumuli sont exclusivement composés de ce matériau. De même sur le Djebel Kereiba appartenant au Shendi Iron Enriched Surface, les pentes sont couvertes de tumuli en plaques de grès ferrugineux particulièrement noirci par l’oxydation.
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Figure 48 – El-Kadada. Coupe d’un tumulus. [D’après Lenoble 1987a, pl. 9]
Une architecture hétéroclite L’exception pyramidale napato-méroïtique mise à part, la tombe nubienne est généralement tumulaire. En la replaçant dans un contexte géographique large, on remarque d’ailleurs qu’elle est l’expression multimillénaire de l’ensemble du Sahel africain16. Durant l’Antiquité tardive, on retrouve ainsi le tumulus en dehors du territoire contrôlé directement par les Méroïtes, dans les confins du désert oriental et les collines de la mer Rouge17. Chez certaines populations anciennes de Nubie, comme le Groupe C, la superstructure funéraire affina rapidement ses canons de construction, si bien que l’extension de son territoire peut être immédiatement déduite de l’observation de ses structures funéraires. Il n’en fut pas de même pour le royaume contemporain de Kerma18, ni pour aucun de ses successeurs, pour lesquels l’architecture des tombes royales ou élitaires nous est connue, tandis que l’identification des sépultures communes se révèle souvent difficile. Les vestiges tumulaires ont en effet tendance à tous se ressembler, dans un paysage portant les stigmates de plusieurs milliers d’années d’occupation et d’enterrement sous tertre.
16. Palmer 1922, p. 225-233 ; Victor, Becker 1980 ; Mauny 1993, p. 73-101. 17. On citera par exemple le tertre M-B1 de Mendilo, contemporain du méroïtique tardif (Magid et al. 1995, p. 172). Pour les périodes plus tardives, voir Castiglioni et al. 1997, p. 163-167). 18. Gratien 1986.
Précédant l’épisode méroïtique, la période napatéenne offre de nombreuses sépultures sous cairns de pierres, depuis le nord du royaume jusqu’à la région de la 4e cataracte. Le défunt est parfois accompagné d’une bouteille de pèlerin qui facilite la datation. On privilégie alors les affleurements rocheux comme lieux d’inhumation, le corps reposant sur le sol naturel sans qu’aucune cavité ne soit creusée. Plus rares, des tombes napatéennes sous tumulus furent également identifiées dans la région du Keraba, à el-Kadada, au sud d’un cimetière tumulaire méroïtique et postméroïtique19. Elles se présentent sous forme de fosses simples recouvertes par des blocs de poudingue formant un tertre oblong, possèdent très peu de mobilier archéologique, sinon des ensembles caractéristiques de parures, et les corps y reposent en position contractée selon une orientation variable. Les premières typologies dont nous disposons prouvent en fait la pérennité des modèles tumulaires à travers les époques20. L’exemple du Djebel Makbor21 a ainsi montré que quatre tertres appartenant à un même ensemble tumulaire, pouvaient correspondre à des enterrements protohistoriques22, de l’antiquité tardive et de la période médiévale. Seules quelques exceptions, comme les Dome Graves23 (du Nouvel
19. 20. 21. 22.
Geus 1984. Welsby 2003a, p. 122 ; Paner, Borcowski 2005b, fig. 36. Lenoble 1987b. Une autre attestation de tombe tumulaire antérieure à la période méroïtique aurait été reconnue près de Gabati au Djebel Abou Sheifa (Mallinson 1994, p. 20). 23. Quelques exemples de Dome Grave possèdent également des restes osseux méroïtiques, mais ceux-ci témoignent en fait de leur remploi à cette époque (Paner et al. 2010), et illustrent un phénomène propre à l’ensemble de la vallée.
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Empire ou d’époque napatéenne), et les Box Graves (chrétiennes), affichent leur association avec une période donnée et un type d’assemblage culturel spécifique. Hormis ces quelques cas, la forme tumulaire est variable, pour ne pas dire inconstante. Elle contraint à regrouper sous le terme de tumulus de multiples acceptions morphologiques que seul un plus grand nombre de fouilles pourrait circonscrire. Il convient donc, pour la période méroïtique, de lui donner une définition qui couvre tous les types rencontrés et qui pourrait être la suivante : le tumulus procède de toute construction de forme circulaire ou ovale, en matériau minéral brut ou en brique, marquant l’emplacement d’une sépulture. Qu’il s’agisse du monticule agencé de terre extraite du creusement de la fosse sépulcrale, d’un simple cerclage de pierre avec ou sans sédiments raclés à l’intérieur, ou du plus élaboré tertre de pierre, tous participent du principe tumulaire de couverture de la tombe par une architecture réorganisant la nature, en s’en démarquant grâce à une forme arrondie d’inspiration sacrée. À l’instar des larges séries sahéliennes, le tumulus méroïtique connaît à l’intérieur d’un territoire confiné de multiples variations dans sa forme, son appareillage et sa taille. Son diamètre peut osciller de un à plusieurs mètres. Un exemple moyen tiré des fouilles d’el-Kadada24 donne le ratio suivant : une superstructure d’environ 10 m de diamètre possédait une élévation d’environ 3 m, dont il ne reste aujourd’hui qu’un maximum de 1,5 m, soit une déflation d’au moins 50 % de la superstructure. Tertre artificiel, il exploite parfois les variations topographiques du terrain. Aussi, dans le cas d’une éminence naturelle, on retrouve toujours une concentration de tumuli plus importante dans la partie sommitale d’un kôm. La variabilité des structures funéraires de forme tumulaire, qu’il s’agisse de la taille, des matériaux, des techniques de creusement ou de fermeture des hypogées, désigne pour certains auteurs le caractère lâche d’un rituel funéraire peu uniformisé25. Un jugement qu’il paraît prudent de nuancer, puisque les tombes privées, aussi diverses soient-elles dans leur apparences, abritent des substructures et des rituels d’enterrement relativement homogènes. L’intérêt accordé aux structures édifiées en l’honneur du roi ou de quelques notables, pour qui les ressources ne manquaient pas, génère ainsi une impression de décalage dans le rituel funéraire. Pourtant, tout montre que dans le royaume de Méroé, l’adoption d’une superstructure pyramidale ou tumulaire, riche ou pauvre, n’a jamais empêché
24. Geus, Lenoble 1985, p. 67-92. 25. Adams 1977, p. 426
l’observation de caractères communs dans la religion pratiquée : purification du mort, protection du corps, rituel d’accompagnement et enterrement des outils liturgiques. Protéger les corps, enterrer les morts Bien que les cérémonies funéraires se déploient autour du corps, elles ont pour but d’atteindre l’âme de l’individu qui demeure par-delà la mort physique. Transformant le corps en une enveloppe sacralisée, les rituels aspirent à la renaissance de l’être tout entier, et accordent donc une grande importance au résidu post-mortem qu’est la dépouille. La protéger, mais aussi l’isoler et la cacher font partie de ce processus de rénovation et de passage. Cependant, il est peu probable que l’origine du tertre remonte à ces considérations religieuses élaborées. Protection directe d’une structure sur le corps en déliquescence, la pierre ou une quantité suffisante de remblais étaient avant tout les seuls moyens efficaces d’éviter qu’un chien, un chacal ou une hyène nécrophage ne viennent le déterrer. Le tumulus, à l’instar de la pyramide, favorise également le marquage familial au sein d’une nécropole et permet d’être utilisé pour plusieurs enterrements. Ces derniers ne viennent que rarement perturber la tombe originale et privilégient surtout le creusement de nouvelles fosses à moindre profondeur dans les espaces laissés libres sur le sol recouvert par le tertre. Le démontage aisé de la structure tumulaire rend cette pratique courante, et impose aux archéologues de sonder l’intégralité de la structure pour n’omettre aucune tombe. Regroupements et corporations À l’intérieur des champs tumulaires nubiens, certaines sépultures marquent leur différence et potentiellement le rang social de l’inhumé, par leur taille ou par un emplacement privilégié plus élevé ou à l’écart. Bien que dans les premiers siècles de notre ère, le rituel royal semble avoir été copié et développé dans la sphère privée sur une base commune à tous les individus, cela n’a jamais enrayé le processus de différenciation sociale qui s’applique aux funérailles et aux structures d’enterrement. Il est ainsi possible qu’au sein de certaines communautés du Boutana utilisant traditionnellement l’enterrement sous tumulus, les plus grands notables aient eu le privilège de rejoindre le Cimetière Ouest de Méroé dans lequel domine la pyramide. Les cimetières tumulaires de grande taille présentent toujours une forme de gradation entre les tombes les plus riches et un épandage de sépultures communes. Mais pour les ensembles de taille modeste,
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cette différence s’efface pour laisser place à une certaine homogénéité. Celle-ci peut être interprétée soit comme le signe d’un nivellement social, indiquant que tous les individus inhumés sont de rang égal, soit comme la marque d’une sélection raisonnée, privilégiant ainsi la piste corporatiste. Dans le cas des nécropoles jouxtant des carrières, par exemple autour de Musawwarat es-Sufra ou du Djebel Makbor (sans doute utilisées pour les temples d’Awalib et d’Abou Erteila), il se peut que les tombes abritent exclusivement les dépouilles des ouvriers travaillant à l’extraction et à la taille de la pierre. La proximité entre un lieu de vie, une zone d’activité et un site d’enterrement signifie alors une forme de corporatisme auquel s’identifie une population spécifique. Les carrières étant généralement cachées dans le piémont des djebels, alors que les nécropoles occupent des espaces bien visibles depuis la plaine, montre également que l’inscription des tombes dans le paysage nubien était porteuse d’un message auprès des communautés vivant aux alentours. Les regroupements spécifiques de certains corps de métier, groupes ethniques ou religieux contrarient l’idée selon laquelle les populations sédentaires étaient enterrées dans de vastes cimetières tandis que les groupes semi-nomades se faisaient inhumer dans de petits ensembles funéraires. L’absence apparente d’habitat à proximité des petits cimetières n’est pas suffisante pour arguer du nomadisme des populations. L’archéologie nous démontre régulièrement qu’en l’absence de fouilles, le repérage de pareils vestiges dans des régions affectées par les pluies est extrêmement aléatoire et difficile. Les réseaux de pistes ponctués par des nécropoles tumulaires ne donnent ainsi qu’une image fossile et amoindrie de la véritable activité humaine passée. Le regroupement de certaines catégories sociales dans les nécropoles ne peut cependant dépasser certains cadres spécifiques et être appliqué à des catégories plus larges comme celles des éleveurs et des agriculteurs. L’exemple du Boutana, avec son réseau de réservoirs et de puits favorisant les activités agricoles et la stabilisation des populations le long des oueds26, permet en effet de prôner un modèle mixte, agricole et pastoral, dans la société méroïtique27. Les fouilles d’el-Kadada28 ou de Geili29 offrent des indices attestant de cette mixité.
26. 27. 28. 29.
Abd el-Magid 1989. Khazanov 1983 ; Bradley 1992 ; Ali Hakem 1999, p. 291-311. Geus, Lenoble 1984a. L’analyse chimique des ossements humains des tombes du méroïtique ancien indique que la population avait un accès régulier à des protéines d’origine animale, en complément d’une alimentation basée sur les produits agricoles (Caneva et al. 1988, p. 208).
géographie tumulaire L’adaptation de la structure tumulaire à son environnement rend difficile toute identification culturelle des tombes nubiennes, et pousse les archéologues à accorder une importance particulière aux éléments récoltés à leur surface. L’attribution culturelle et chronologique des champs tumulaires soudanais repose ainsi en grande partie sur un diagnostic généralement non vérifié par la fouille. Sur la base de ces informations, il est possible de cartographier les zones et les régions dans lesquelles le tumulus méroïtique est attesté (carte 3), et constater son abandon (total ?) dans la partie septentrionale du royaume. La limite géographique entre l’utilisation de la pyramide et du tumulus se situe entre Kawa et la zone du Djebel Barkal, une boucle que semblaient éviter les pistes courantes reliant la capitale religieuse à la marche frontière du nord de la Nubie. Toutefois, des exceptions de part et d’autre de cette frontière existent.
Une sépulture transitionnelle au nord du royaume ? Excepté à Semna Sud30, Arminna Ouest31 et au travers des interrogations de H. S. Smith32, les fouilles en Basse Nubie n’ont jamais mis en évidence d’enterrements méroïtiques sous tumulus33. Mais les champs tumulaires renfermant des tombes communes firent l’objet de peu d’investigations dans cette région et furent systématiquement associés par les auteurs à la période post-méroïtique, dite ballanéenne ou Groupe X. Une périodisation qu’il faudrait peut-être nuancer34, comme le montre les fouilles de la région de la 4e cataracte et ses cimetières de transition. Il est en effet probable que dès l’étiolement politique qui marqua la fin du pouvoir central à Méroé, la tombe tumulaire fit sa réapparition chez les élites, avalisée ensuite par les sépultures royales des nouveaux potentats locaux de Ballaña et Qustul. Le cas d’Arminna Ouest présente d’ailleurs tous les aspects d’une population méroïtique utilisant pour un temps des briques crues pour l’édification de cercles autour des cairns funéraires35. Peut-être s’agit-il d’une transition architecturale entre la pyramide et le retour au tumulus ? Seuls quelques sites au sud du Batn 30. Vercoutter 1966, p. 125-164. 31. Fuller 1999, p. 203-217. 32. Il nomme en effet prudemment certains cairns de pierre « cleft graves » (Smith 1962). 33. Geus 1990, p. 40. 34. On trouve dans les études récentes une périodisation de la transition vers le post-méroïtique divisée en deux phases dites de Kalabcha (330-380 de notre ère) et de Qustul (370-420 de notre ère) ; cf. Fuller 1999. 35. Simpson 1967a, pl. 1bis.
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el-Haggar pourraient encore nous donner confirmation de l’usage à grande échelle du tumulus au méroïtique tardif. À la fin de la période napatéenne, on constate à Sedeinga qu’une construction hybride a vu le jour sous la forme d’une pyramide comportant en son centre un cercle en brique rappelant la forme tumulaire. À proximité, plusieurs tombes d’enfants étaient recouvertes d’un simple cerclage de briques maçonnées (figure 49), que l’on peut qualifier de tumulus. L’une, inviolée, a été datée au 14C de la première moitié du ive siècle avant notre ère. Cependant, et malgré ces exemples, il convient de voir la pratique tumulaire comme une exception dans le nord du royaume. La rupture avec la forme pyramidale, rapide et généralisée, repose sur une vague de changements qui affectent la société méroïtique au-delà des coutumes funéraires, le passage du méroïtique au postméroïtique étant, au nord comme au Soudan central, affaire de transition. Cette dernière s’illustre parfaitement à Arminna Ouest où l’on voit se succéder les pyramides méroïtiques et les tumuli post-méroïtiques dans la même nécropole, le site d’habitat attenant montrant aussi une continuité d’occupation allant au moins jusqu’à la période chrétienne. La réutilisation d’éléments architecturaux méroïtiques dans les tombes tumulaires atteste bien d’une transition chronologique, mais en l’absence de mobilier de type Groupe X, rien ne prouve que nous sommes sortis de l’ère méroïtique. Les similitudes dans le lieu d’enfouissement et dans le type de cavité utilisée pour le dépôt des corps vont même plutôt dans le sens d’un remplacement des élites par un nouveau groupe d’individus assimilant en partie les traditions funéraires kouchites. Ces vestiges d’un « méroïtique post-pyramidal »36 septentrional ne sont pas les seuls témoins de cette transition, et d’autres éléments en faveur d’un changement progressif de la société méroïtique sont visibles dans le mobilier funéraire. La réinterprétation de quelques documents publiés et provenant du Djebel Adda illustre la nécessité de revoir le matériel issu des fouilles anciennes. Dans la nécropole méroïtique présente sur le site (Cimetière 3, comprenant au moins 400 tombes), tout le mobilier provenant des cavités remonterait à la période post-méroïtique, alors que la forme des hypogées serait typiquement méroïtique37.
36. Terminologie inventée par Patrice Lenoble pour désigner la phase méroïtique tardive pendant laquelle on abandonne la superstructure pyramidale au profit du tumulus nubien. 37. Millet 1963, p. 147-165 ; 1964, p. 7-14 ; 1967, p. 123-126.
Selon N. B. Millet, toutes les tombes auraient été pillées, vidées et réutilisées à l’époque post-méroïtique. Quelques éléments cependant ne semblent pas soutenir la démonstration, à commencer par le parfait « nettoyage » opéré et la présence d’une vaste nécropole post-méroïtique tumulaire contiguë au sud du site. Pourquoi aurait-on vidé et fait disparaître le mobilier de centaines de tombes puis, une fois le filon épuisé, commencé à en creuser de nouvelles ? Où serait passé le matériel en question ? Aucun dépotoir n’ayant été trouvé, on imagine difficilement les populations dites « Groupe X » emporter avec eux des milliers de tessons inutiles ou d’objets en fin de vie loin de la nécropole par souci de nettoyer les lieux. L’hypothèse chronologique la plus vraisemblable est la suivante : une nouvelle élite méroïtique d’origine exogène enterre ses morts dans la même nécropole, avec un mobilier en partie différent mais servant un rituel funéraire d’origine kouchite. Les fouilleurs auraient donc retrouvé le stade final d’exploitation du cimetière, qui se serait ensuite développé vers le sud sous forme d’un champ tumulaire, la pratique de la réinhumation devenant moins courante. D’ailleurs, toutes les tombes n’ont pas été vidées, comme le suppose N. B. Millet, puisque certaines ont conservé un mobilier funéraire méroïtique qui fut mal interprété. C’est par exemple le cas des anneaux d’archers qui n’ont pas une morphologie tardive, d’une main en bois38 appartenant sans doute à un bras encensoir composite (bois et bronze) connu dans l’iconographie des chapelles royales au Djebel Barkal39, ou encore des incrustations en ivoire40 dont la découpe épouse la forme de la silhouette41. Enfin, le mobilier de la Pyramide 2 contient un étui à khôl en forme de rapace42, dont la base du décor est identique à celle d’un pectoral en faïence portant une inscription méroïtique, retrouvé dans le sanctuaire du temple d’Amon à el-Hassa43. Tous ces objets attestent l’existence d’une phase de transition qui a d’abord vu le remplacement des élites de quelques grands centres de la Basse Nubie, et n’a donc pas eu d’importantes conséquences sur le plan démographique. La mixité alors introduite ne signifia donc pas la désintégration rapide du profil culturel et religieux kouchite qui s’était développé durant près de huit siècles au sein du royaume.
38. 39. 40. 41. 42. 43.
Millet 1963, fig. 15. Chapman, Dunham 1952, pl. 13. Millet 1963, fig. 8. Typique du méroïtique tardif (Francigny 2008). Millet 1963, fig. 12. Rondot 2010, p. 237, fig. 311.
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Figure 49 – Sedeinga. Superstructure tumulaire en briques crues. [© V. Francigny]
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L’occupation marginale de la 4e cataracte À mi-distance de la Basse Nubie et de la région du Keraba qui abrite la capitale, la zone s’étendant de la 4e cataracte jusqu’à l’île de Mograt44, n’est cependant pas à « mi-parcours » de ces deux territoires. À l’écart des routes reliant Méroé à Djebel Barkal, il serait même imprudent d’y rechercher un profil méroïtique doté d’une culture matérielle équivalente à celle du nord ou du Soudan central, tant la céramique tournée et décorée semble avoir été confinée aux « villes » du royaume et à ses relais administratifs et commerciaux. Pourtant bien représentés à l’époque Kerma, les sites funéraires, à l’instar des habitats, y sont rares à la période méroïtique. Les tombes y perpétuent la tradition tumulaire ancienne, bien que sous une forme souvent rudimentaire. Repérées pour la plupart grâce aux récentes prospections menées suite à la construction d’un barrage à Hamdab (Merowe Dam Project), les nécropoles méroïtiques ont pour particularité d’être implantées dans des zones basses (contrairement aux époques précédentes), bien que le paysage offre un découpage rocheux le long des rives du Nil, recelant nombre de hauteurs naturellement protégées mais impropres à l’installation de villages ou de champs. Il n’est donc pas rare de trouver les cimetières méroïtiques en contrebas des djebels, voire dans les lits sableux des oueds45. Cette « migration » vers les terres basses indique sans doute un changement significatif du régime hydrographique dans cette zone durant l’Antiquité tardive. Les tumuli de la région de la 4e cataracte ont aussi pour caractéristique de couvrir l’ensemble de la chronologie allant du méroïtique ancien au méroïtique tardif46. Comme ailleurs, ils se déclinent en de nombreuses variations morphologiques, depuis le simple cerclage de pierres jusqu’au tertre composite de grande dimension. Dans une région en marge des centres névralgiques économiques ou religieux du royaume, et des pistes qui les relient, la tombe méroïtique s’est développée dans un environnement peu enclin à l’intégration d’influences nouvelles. La relative pauvreté47 et la faible quantité du mobilier accompagnant les défunts – tandis que de nombreux tessons s’accumulent
44. 45. 46. 47.
Näser 2006 ; 2008. El-Tayeb, Kolosowska 2005, p. 62, fig. 17. Paner et al. 2010. Le pillage des tombes méroïtiques dans la région semble moins intense que dans le reste du royaume, touchant environ 50 % des enterrements (Paner et al. 2010). 48. Il s’agit de céramique commune montée sans le tour, avec quelques exemplaires à décor impressionné. La céramique tournée et peinte y est exceptionnelle. Le manque de matières premières comme la kaolinite dans la région,
en surface de tertres non pillés48 – témoignent de l’existence de dépôts ou de rituels funéraires effectués en dehors de la tombe, plutôt qu’au moment de l’enfouissement du corps. Selon P. Wolf, la part importante de cimetières isolés, sans association à des sites d’habitat, indique une population non sédentaire49, à l’image de celle étudiée par R. J. Bradley dans le Nord Kordofan, qui, malgré les déplacements, enterre ses morts dans un cimetière « familial » fixe50. On constate d’ailleurs que la pratique très répandue dans le royaume des inhumations multiples est ici un phénomène quasi exceptionnel.
La Bayouda La région de la Bayouda, circonscrite par la courbe du Nil qui forme un renflement nord-est entre Khartoum et Ganetti, est une zone désertique, sableuse par endroits, que les Méroïtes ont toujours pratiquée pour relier leur capitale aux zones cultuelles de la Haute Nubie, ou pour alimenter en produits « africains » les échanges avec le voisin égyptien et les puissances méditerranéennes. Aujourd’hui simple lieu de passage abritant des îlots de population souvent semi-nomades, les vestiges antiques nous renvoient au contraire l’image d’une contrée habitée par une population dense, peut-être sédentarisée le long des oueds. Les nécropoles y sont nombreuses, et le nombre élevé de tombes qu’elles renferment rendrait caduque toute interprétation d’enterrements d’origine uniquement nomade. Le désert de la Bayouda est le plus vaste territoire oublié par les investigations archéologiques en relation avec la Nubie. Jusqu’à récemment, seules quelques méharées anciennes51, une prospection précédant la construction de routes52 et une découverte fortuite53, nous renseignaient sur le domaine funéraire dans cette région où la forme tumulaire est omniprésente. Depuis 2009, la prospection systématique du Ouadi Abou Dom du nord vers le sud54, permet cependant de clarifier la situation et le positionnement chronologique de nombreux sites connus, auxquels s’ajoutent les découvertes de nouvelles nécropoles.
49. 50. 51. 52. 53. 54.
pourrait expliquer l’absence d’une production de fine ware (céramique fine méroïtique) mais non pas le déficit généralisé des productions tournées. Wolf, Nowotnik 2005a, p. 189. Bradley 1992. Crawford 1953 ; Chittick 1955. Mallinson 1997. Kendall 2001 ; 2006. Lohwasser 2012 ; Lohwasser, Karberg 2012.
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Les pistes de Méroé à Napata Le cœur de la Bayouda semble ne produire aucun témoin archéologique (faute de recherches ?) entre la fin de la préhistoire et le début de la période kouchite, où de nouveaux foyers apparaissent enfin (carte 4). Les sites semblent ensuite se multiplier aux périodes tardives, au point de représenter une population de passage ou sédentaire sans doute supérieure à celle ayant vécu aux époques modernes. Dans cet espace qui sépare la région de Napata et celle de Méroé, les pistes empruntées depuis l’Antiquité comportent encore les vestiges de nombreuses installations, habitats et nécropoles. Plus facile à repérer depuis un chameau ou un véhicule, et plus résistantes à l’épreuve du temps, les nécropoles dotées de superstructures en pierre nourrissent en grande partie les rapports archéologiques sur la région. Elles possèdent des vestiges qui sont essentiellement de deux types : tumuli et box-graves. Les tumuli sont en général attribués à la période post-méroïtique mais, en l’absence de fouilles, une partie d’entre eux pourrait être méroïtique. Comme le montrent les découvertes effectuées le long de la 4e cataracte, l’association systématique de la forme tumulaire à l’ère post-méroïtique est une erreur. Depuis le confluent du Ouadi Abou Dom au nord jusqu’à Méroé au sud, nombreux sont les sites d’habitat et les cimetières tumulaires anciens non datés avec précision. Sur la rive sud du Ouadi Abou dom, en face du site d’Umm Ruweim I, trois nécropoles tumulaires pourraient ainsi avoir été connectées à cette énigmatique structure dont une date 14C nous donne une phase de construction entre 240 et 330 de notre ère55. Alors que les données chronologiques ne sont pas encore définies pour Umm Ruweim II, Quweib et Umm Khafour, on notera au cœur de la Bayouda les importants regroupements de tombes au sud des collines de Gilif (principalement Bir Fiki, Abou Halfa, Jakdul et Fura), et dans la zone s’étendant d’Abou Tulein à Metemma. La particularité de Jakdul et Fura tient à la présence de bassins d’eau dans la roche qui, encore aujourd’hui, sont des lieux de convergence pour les hommes et les troupeaux qui se déplacent dans la région. Leur utilisation durant l’Antiquité ne fait aucun doute, puisqu’à Fura une forteresse dite méroïtique56, en régule l’accès. Elle est associée à une nécropole tumulaire distante d’une cinquantaine de mètres et se fait le pendant d’une forteresse comme Gala Abou Hamed sur le Ouadi elMelik, que l’on suppose avoir abrité des « garnisons »
55. Lohwasser 2012, p. 114. 56. Elle a pu être datée grâce à la céramique retrouvée dans l’enceinte (Crawford 1953, p. 23).
assurant la sécurité des certains axes de communication à l’époque napatéenne57. À l’est de la Bayouda, une alternative s’offrait sans doute aux voyageurs quittant Fura ou Abou Ushar en direction du Boutana et de Méroé, grâce à une piste située plus au nord que la précédente et qui devait déboucher en face de l’actuel confluent entre le Nil et l’Atbara. Elle est marquée par deux très grandes nécropoles tumulaires, la première se trouvant à miparcours, et la seconde peu avant l’arrivée au fleuve. La découverte d’un établissement méroïtique ancien à el-Meragh58 montre qu’une voie de communication suivant les ramifications du Ouadi Muqaddam était également empruntée. Le recensement de nombreuses nécropoles tumulaires le long de cet oued (figure 50), la présence d’un relais nobiliaire59 et l’existence d’un réseau de puits anciens, nous renvoient une fois de plus l’image d’un désert moins hostile qu’aujourd’hui. La prospection entreprise sur le tracé de la route reliant Khartoum à Ganetti confirme d’ailleurs que le Ouadi Muqaddam possédait un imposant réseau de puits anciens, ponctué de sites d’habitat d’époque historique, dont le nombre ne cesse de croître à la période post-méroïtique60. Deux cimetières tumulaires méroïtiques y sont répertoriés, au niveau des Bench Mark (BM) 61 et 90, qui jalonnent la route asphaltée traversant la Bayouda. En l’absence de fouilles, les datations reposent essentiellement sur les échantillons de céramique collectés en surface, et la découverte d’autres artefacts comme des anneaux d’archers fragmentaires de forme analogue à ceux de la période méroïtique61. Des rives méconnues Plus nombreuses encore que dans les vastes étendues de la Bayouda, des nécropoles tumulaires tracent un tissu quasi continu le long de la rive ouest du Nil, entre Omdurman et la région d’Abou Hamed. O. G. S. Crawford, qui prospecta cette bordure entre Atbara et Abou Hamed, dit y avoir eu l’impression d’une concentration ininterrompue, dense et homogène de nécropoles62. Il dressa une première liste localisant les cimetières les plus importants du sud vers le nord : au nord du Djebel Nakharu, à l’ouest de Bauga, en face de l’île d’Artul, en face de Marra et à
57. Quatre datations au 14C assurent un fonctionnement entre les viiie et ive siècles avant notre ère (Jesse, Kuper 2006). 58. Kendall 2001. 59. La nature des vestiges retrouvés à el-Meragh indique la présence de bâtiments destinés à accueillir la famille royale lors de ses déplacements (Kendall 2001). 60. Mallinson 1997. 61. Smith 2003, p. 131-156. 62. Crawford 1953, p. 11.
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Figure 50 – El-Meragh. Zone tumulaire proche de l’habitat. [© T. Kendall]
el-Zuweira. D’après lui, ces cimetières méroïtiques sont ceux d’une population se démarquant de l’élite ayant choisi le modèle royal pyramidal. La localisation des tombes sur la rive ouest semble s’expliquer par l’absence d’habitats majeurs, et la nature rocheuse et inhospitalière des sols de la rive est dans la région de la 5e cataracte. À cette première liste de sites, il convient d’ajouter les cimetières d’Abou Haraz, Aslang, Kali Nord, Qoz Burra, Bauda, Nofalab, Urdi, Herizab et Omdurman Bridge63. Deux prospections complètent cet inventaire, l’une aux alentours de la 5e cataracte64, une autre sur les rives est et ouest dans la région de Dangeil65. Le projet de cartographie des nécropoles dans la région de Méroé amorcé par P. Lenoble66 a mis en évidence ce tissu funéraire continu sur la rive ouest, constitué de cimetières de tailles diverses colonisant presque systématiquement les terrasses alluviales du Nil. Plus récemment, les recherches menées autour des grandes forteresses de la région allant de l’île de Mograt jusqu’à la 6e cataracte du Nil67 ont permis de compléter l’inventaire des champs tumulaires connus (à Hosh el-Kab, Hosh el-Sheitan, Djebel Umm Marrahi 2, Abou Sideir, Abou Mereikh et sur l’île de Karni), certains étant rattachés à des zones d’habitat et des structures défensives. 63. 64. 65. 66. 67.
Edwards 1989. El-Amin, Edwards 2000. Mohamed Ahmed, Anderson 2000. Lenoble 2008. Drzewiecki et al. 2008 ; Drzewiecki 2011 ; 2012.
Le Boutana et le Soudan central La région du Soudan central, qui vit l’émergence de la dernière capitale kouchite, tient naturellement une place importante dans le royaume. Mais au-delà du caractère officiel des institutions méroéennes, c’est la dualité de son milieu naturel et de sa population qui caractérise son identité particulière. Le Nil y offrait à l’époque des terres inondables propres à l’agriculture et l’élevage de bovins et de caprins, tandis que ses terres intérieures étaient couvertes d’une semi-savanne arborée relayée par un réseau d’oueds permettant une agriculture pluviale68. L’île de Méroé Connue sous ce nom chez les auteurs antiques, l’île de Méroé est flanquée par la vallée du Nil à l’ouest, celle de son dernier affluent l’Atbara à l’est et le Nil Bleu au sud. De nombreuses nécropoles tumulaires y furent repérées depuis le xixe siècle69, la plupart proches du fleuve, d’autres aux abords des djebels et, plus rarement, dans l’intérieur des terres. Des indices de datation recueillis en surface témoignent d’une activité durant l’antiquité tardive et la transition préchrétienne, mais pour la grande majorité, aucune information n’est disponible.
68. Baud 2010. 69. Budge 1907, p. 225.
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Il est, par exemple, possible de dresser la liste des cimetières tumulaires qui se trouvent directement associés à des centres méroïtiques, qu’il s’agisse d’habitats, de lieux de culte ou de hafirs antiques. La probabilité qu’ils soient contemporains de ces sites est d’autant plus forte qu’on n’y trouve aucun autre cimetière. Aussi, aux rares sites explorées (Zeidab, Aliab, Mutmir, Hagar el-Asal et Djebel Kereiba), on peut ajouter les localités suivantes : Abou Deleiq, Djebel Geheid, Gerein Basa, Djebel Khereik, Djebel Matruka, Qoz Kefeita, Shaq el-Ahmar, Isnabir, Rufaa, Wad Abou Hadida, Djebel Dayiqa, Nasb el-Sami, Idd el-Addad, Daru, Umm Usuda, el-Hatra et Shaqalu. La liste pourrait s’agrandir, si l’on prenait en compte les sites identiques de champs tumulaires isolés, pour lesquels aucune datation n’a encore été suggérée70. L’exemple de la rive entre el-Kadada et Shendi nous rappelle en effet qu’on peut compter jusqu’à un cimetière tumulaire tous les 2 km environ71, et que c’est donc par dizaines de milliers qu’il faudrait dénombrer les structures sur un territoire pourtant moins bien conservé que la rive ouest. Enfin, le long d’une bande en retrait de la rive actuelle et s’étendant jusqu’au piémont des premières collines rocheuses, d’autres sites funéraires méroïtiques ont été repérés lors de la prospection menée sur le tracé de la route reliant Khartoum à Atbara72. À l’extérieur de la vallée, les tumuli jalonnent le pourtour des djebels et accompagnent les habitats installés le long des oueds, des puits ou des hafirs. Parmi eux, le site du Djebel el-Sadda mérite d’être mentionné, en raison de sa taille. Cette nécropole, très distante du Nil, est en effet couverte par un ensemble d’au moins un millier de structures tumulaires, avec des variations de formes qui pourraient cette fois indiquer une typo-chronologie d’enterrements sur plusieurs siècles. Un grand nombre de champs tumulaires, tel Umm Mohar, existe également plus au sud, aux abords de la rive est du Nil Bleu et des petits oueds ou khors qui s’y rattachent73. Ils forment les derniers témoins reconnaissables d’une frontière invisible séparant à l’époque le territoire sous contrôle du Boutana de celui d’une zone d’influence s’étendant vraisemblablement jusqu’aux confins du Sudd. Dans l’île de Méroé, les cimetières attenants à la capitale, malgré les fouilles anciennes, n’échappent pas à la nécessité de nouvelles investigations archéologiques pour mettre à jour nos connaissances sur l’architecture funéraire employée et la chronologie de certains enterrements. Le cimetière le plus proche de 70. 71. 72. 73.
Bradley 1992. Geus et al. 1986. Mallinson 1993 ; Paner 1997. Fernandez 2003.
la ville, dégagé partiellement par J. Garstang en 1910 pour le compte de l’institut d’archéologie de Liverpool, nous montre l’absence apparemment totale de la structure pyramidale sur l’ensemble de la zone funéraire – dont la chronologie actuellement reconnue s’étend du ier siècle avant notre ère au ive de notre ère74, au profit de diverses formes d’élévations tumulaires. L’autre ensemble funéraire est celui généralement connu sous l’abréviation « Beg. » (pour Begrawiya), qui se divise en trois sites : Nord (N), Sud (S) et Ouest (W), dont seul le premier ne recouvre que des enterrements royaux ou princiers. Dans les nécropoles Beg. S (environ 200 tombes privées en plus du corps royal) et Beg. W, les tombes de la famille royale et de la cour sont voisines de sépultures remontant parfois au viiie avant notre ère75, dont certaines ne revêtent pas toujours un caractère élitaire explicite. Parmi elles, on compte de simples tombes à fosse verticale ou d’autres plus grandes avec descenderie taillée et chambre funéraire, recouvertes par un tumulus. L’exemple de Beg. W. 12676 appartiendrait donc à ces tombes méroïtiques tardives indiquant, même chez les élites, un retour progressif à la forme tumulaire. Un passage facilité par la technique de construction utilisée à Méroé de la « rubble pyramid » (désignée par les types XII et XIII de D. Dunham), qui consistait à remplir l’édifice en pierres appareillées avec un blocage totalement hétérogène, et annonçait déjà le déclin de l’architecture pyramidale traditionnelle. Vers la mer Rouge et les Troglodytes Bien que les Troglodytes soient cités par de nombreux auteurs de l’Antiquité, les coutumes funéraires de ces populations vivant en marge du royaume dans les déserts de l’est, ne sont abordées que chez Diodore de Sicile, qui reprend les écrits aujourd’hui perdus d’Agatharchide de Cnide : Leurs coutumes funéraires sont pour le moins étonnantes, puisqu’ils attachent le corps du mort avec des liens végétaux qui relient le cou et les jambes. Ils placent ensuite le défunt sur une butte rocheuse ou une autre surface et, tout en riant, ramènent les pierres les plus grosses pouvant tenir dans leurs mains afin de le cacher totalement. Enfin ils y déposent des cornes de chèvre et partent sans ressentir la moindre pitié. Agatharchide de Cnide, dans Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, III, 33. 74. Hinkel 1999, p. 505. 75. Des tombes associées à un établissement fonctionnant déjà durant la XXVe dynastie. Les fouilles menées par J. Garstang ont par ailleurs mises au jour des éléments d’un temple d’Amon remontant au moins au viie siècle avant notre ère 76. Dunham 1963.
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Cette source, bien qu’imprécise, n’en demeure pas moins une parfaite illustration des conditions d’édification d’un tumulus, pour des populations proches du royaume de Méroé. La description du corps attaché relève d’une pratique nubienne plus ancienne qui, depuis l’époque du néolithique délivre des séries de squelettes dans des positions dépassant les capacités naturelles de contraction du corps, et qu’on attribue en général à la présence de ligatures ou à l’inhumation dans un sac en peau. Le caractère nomade de ces peuplades est souligné par la mention que fait l’auteur du départ des participants, qui une fois la cérémonie conclue ne semblent pas amenés à revenir sur les lieux de l’enterrement pour y perpétuer un rituel. Noba, Kasou et le mythe de l’envahisseur ? À l’époque de Napata, puis de Méroé, les souverains kouchites ont toujours eu recours à des opérations militaires en dehors de la vallée, pour répondre à la menace permanente représentée par les populations installées en marge du royaume77. Ératosthène, au iiie siècle avant notre ère, cité par Strabon dans sa Géographie rédigée au ier siècle de notre ère, nous décrit la situation suivante autour de Méroé : au nord et à l’est se trouvent les Megabaroi et les Blemmyes, tandis qu’à l’ouest, divisés en plusieurs clans, vivent les Noubai. Toujours au Soudan central, mais cette fois concernant la fin de l’époque kouchite, c’est d’une source étrangère, la stèle du souverain axoumite Ezana, que nous viennent les informations au sujet de ces peuples. Érigée vers 350 de notre ère à Axoum, elle nous décrit la progression de l’expédition armée axoumite au travers du territoire qui constituait le cœur du royaume des Méroïtes. On y apprend notamment l’existence du peuple xasa entre l’Atbara (Takkaze) et la mer Rouge, et surtout la présence de populations Noba à l’ouest de la rivière, jusqu’au Nil Bleu. Viennent ensuite les Kasou habitant la vallée jusqu’à la confluence de l’Atbara, au nord duquel commence le territoire des Noba « rouges ». Il semble en fait qu’Ezana ait mené campagne non contre Méroé, mais contre des populations représentant les nouvelles puissances nubiennes et par conséquent une certaine forme de menace pour son royaume78.
77. En témoigne l’inscription d’Irike-Amannote (Kawa IX), décrivant la poursuite des rebelles nomades Rhrh et leur massacre dans le désert (Macadam 1949, p. 50-67, pl. 17-26). 78. Hintze 1967 ; Wenig 2000.
La présence des Noba serait donc assurée dans la vallée au milieu du ive siècle de notre ère. Cependant faut-il encore la comprendre comme une simple invasion, au risque de raviver le mythe d’une culture matérielle totalement allochtone : le Alwa Ware ? Les analyses effectuées sur la céramique tardive ont en effet montré l’existence d’une continuité entre méroïtique et post-méroïtique, dans l’utilisation des matériaux et dans leur provenance, pour des productions n’épousant pourtant plus les mêmes formes, une constance également observée dans la nature des rituels funéraires, leur déroulement et la fonction du mobilier liturgique employé. Les Kasou, autrement dit les Kouchites (qui à l’époque sont les Méroïtes), en voie d’être supplantés sur leur territoire de la vallée par les Noba, n’affrontèrent peut-être pas une population extérieure à leur royaume, mais plutôt une frange de leur propre société. Les Noba, littéralement les « esclaves » des Méroïtes79, devaient en effet représenter une force vive de travail considérable que les Kouchites devaient rafler dans les territoires périphériques à la vallée. La pression de ces populations à l’intérieur du royaume (Nobades au nord et Makourites au centre ?), longtemps contenue par la royauté, aurait finalement renversé le pouvoir en place et favoriser l’arrivée de nouveaux groupes assimilés en provenance de l’ouest (Kordofan ?). Si les Noba adoptèrent les rites kouchites80, c’est certainement en raison d’un terreau culturel et religieux relativement proche et lié depuis longtemps à l’histoire méroïtique. L’association des tombes tumulaires post-méroïtiques ou post-pyramidales aux populations Noba est donc possible dès l’époque d’Ezana pour la Haute Nubie et le Soudan central. Leur arrivée sur l’échiquier du Nil moyen s’apparente plus à une conversion des Méroïtes à la souveraineté d’un nouveau clan d’origine étrangère, qu’à l’idée d’une intrusion d’un peuple « barbare ». Un changement de pouvoir poussé par de nouvelles élites qui auraient appelé à une réorganisation du territoire et des échanges, donc à de nouvelles formes matérielles et culturelles. Des changements, dont le retour au tumulus dans les coutumes funéraires royales et privées ne serait qu’un exemple.
79. Rilly 2008a, p. 218. 80. Török 1999.
LES SUBSTRUCTURES
Durant la période méroïtique, les substructures, autrement dit l’ensemble des aménagements souterrains relatifs à la tombe, sont communes à la fois aux pyramides et aux tumuli. Elles affichent une grande diversité de formes et s’adaptent à tous les types de terrain rencontrés en Nubie. Elles comprennent les travaux d’accès à la tombe et son creusement, mais aussi les constructions de chambres funéraires en briques crues et les différents systèmes retenus pour son scellement. Comme souvent à cette époque, les substructures reprennent des solutions architecturales connues depuis longtemps en Nubie, tout en s’adaptant progressivement aux innovations techniques de l’Antiquité tardive, ou à de nouvelles influences dictées par la religion funéraire. Sur l’ensemble du royaume, on peut dire des substructures méroïtiques qu’elles sont standardisées, ce qui permet l’établissement de typologies et donne parfois des indices de chronologie relative à l’intérieur d’un site. Depuis que le Nil s’est stabilisé autour d’un tracé unique et que la sédentarisation des populations dans la vallée a été amorcée, les sociétés implantée en Nubie ont eu tendance à toujours rejeter les nécropoles à la lisière des sols stériles, réservant les terres cultivables aux activités agricoles et l’implantation d’habitats. Lorsque les zones arables dépassent largement les capacités de mise en culture d’un village, cette règle n’est cependant plus de mise, et nombre de cimetières méroïtiques se trouvent ainsi construits sur des terres riches, le plus souvent constituées par des dépôts de limon fossile. Parfois aussi, la distance qui sépare ces terres du fleuve étant trop grande pour les techniques habituelles d’irrigation, des zones cultivables n’étaient tout simplement pas exploitées et pouvaient donc accueillir des tombes. La crue du Nil était aussi un élément déterminant dans le choix de l’emplacement d’une nécropole et de ses hypogées. On constate par exemple, dans la région de la capitale Méroé, une étonnante concordance entre les terrasses surélevées non inondable et l’implantation des cimetières d’époque historique.
Figure 51 – El-Kurru. Chambre sépulcrale de la tombe de Tanouétamani. [© V. Francigny]
l’infrastructure funéraire Pour comprendre comment les hypogées méroïtiques se placent dans la continuité des structures d’inhumation kouchites, il faut se tourner vers les modèles introduits et développés aux environs de la XXVe dynastie. À l’époque, la tombe abritant les rois locaux reprend la forme des caveaux égyptiens à double ou triple chambre et plafond voûté, creusés dans la roche (figure 51). D’abord à el-Kurru puis à Nuri, la tradition sera maintenue avec des variations tout au long de la période napatéenne, et jusqu’aux dernières sépultures royales de Méroé au ive siècle de notre ère. L’accès au tombeau se fait alors par un escalier monumental taillé dans le sous-sol, et sa porte est condamnée à l’aide d’un mur en pierre cimenté. Les tombes aristocratiques napatéennes adoptent ce format, tandis que celles des élites moins fortunées optent pour le modèle, lui aussi d’origine égyptienne, de la tombe à descenderie et cavité axiale fermée par un mur de briques crues (figure 52). Le plus grand
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Figure 52 – Abri. Tombe napatéenne à cavité axiale. [D’après Vila 1982b, 109, fig. 5]
Figure 53 – El-Kadada. Tombe à cavité transversale. [D’après Geus 1979, fig. 5c]
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cimetière témoin de cette architecture funéraire se trouve à Sanam Abou Dom1, près de la capitale Napata. Un autre exemple de site provincial d’importance est situé plus au nord à Abri2. Dans chacune des nécropoles, on observe quatre types dominants de substructure : 1. fosse verticale de forme ovale ou rectangulaire ; 2. fosse verticale de forme rectangulaire avec un caveau étayé de briques ; 3. fosse verticale de forme rectangulaire avec une cavité latérale ; 4. descenderie donnant accès à une cavité axiale ou à un caveau construit. Cependant, il ne s’agit pas là d’une innovation, puisque ces quatre modèles sont déjà connus sur le territoire nubien à travers des tombes privées datant du Nouvel Empire. C’est plutôt leur adoption à très large échelle durant la période kouchite qui constitue un réel changement ; un héritage que la tombe méroïtique va développer, en multipliant les variantes pour chaque type, et en ajoutant une cinquième catégorie : 5. Descenderie donnant accès à une cavité transversale (figure 53). Cette dernière, qui semblait n’être qu’un développement tardif de la cavité latérale (par exemple à Gemai Est, Djebel el-Ghaddar, el-Kadada et Gereif Est), pourrait en fait remonter à la période classique, si l’on en croit les datations au 14C effectuées à Gabati3 et le profil d’une partie du mobilier retrouvé à Dangeil4 et à Berber5. Malgré une documentation inégale pour l’ensemble du territoire méroïtique, ce type de tombe semble particulièrement fréquent dans la région située entre la 5e et la 6e cataracte.
les caveaux La difficulté qu’il y a à décrire les substructures des tombes méroïtiques tient en partie au fait que les archéologues n’ont jamais adopté de règle commune, ni dans le vocabulaire, ni dans la forme qu’ils donnent à leurs planches, lorsqu’ils présentent l’architecture funéraire souterraine. Une des références les plus répandues, mais aussi l’une des plus anciennes, consiste en un essai de typo-chronologie mis au point par F. Ll. Griffith6 d’après la fouille de la nécropole de Faras. Malheureusement, la chronologie relative qu’il propose souffre aujourd’hui de trop de cas particuliers contradictoires pour servir de référence, de même
1. 2. 3. 4. 5. 6.
Griffith 1923 ; Lohwasser 2010. Vila 1982b. Edwards 1998, p. 245. Cimetière de Wad Toum (Anderson, Mohamed Ahmed 2011, p. 85-86). Bachir 2010 ; Bachir, David 2012. Griffith 1925.
que son phasage historique qui assimile le méroïtique tardif au sein d’une période « Nubian-Blemmye » n’est plus recevable. Mieux vaut en fait utiliser les appellations générales énoncées précédemment, augmentées de nouvelles catégories lorsqu’elles paraissent indispensables, et afin de couvrir au maximum la diversité des structures observées sur le terrain.
Les cavités naturelles réutilisées Plutôt que de creuser le sol pour y dessiner un caveau, il arrive que des sépultures exploitent des anfractuosités naturelles. Cette exception n’est évidemment possible que dans le cas de zones funéraires implantées sur des massifs rocheux, et concerne toujours des enterrements modestes dotés d’un mobilier relativement limité en quantité et en qualité. Ces configurations originales peuvent par ailleurs bénéficier d’aménagements sous forme de murets de pierres sèches, visant, par exemple, à délimiter les limites de l’hypogée dans une faille naturelle du sol. Uniquement attestées en Basse Nubie (Arminna Ouest, Naga el-Oqba, Nag el-Shima), ces tombes se rencontrent également dans certains cimetières contemporains en Égypte romaine, par exemple à Sayala7.
Les tombes creusées dans les murs Plus rares encore que les tombes utilisant des failles naturelles, les sépultures méroïtiques installées dans les murs de bâtiments plus anciens ne se rencontrent que dans deux forteresses de Basse Nubie. À Dorginarti tout d’abord, où une dizaine d’hypogées était en partie ou totalement creusé dans les massifs de briques crues de la forteresse du Nouvel Empire, leur datation étant rendue possible grâce au mobilier funéraire classique qui accompagnait les corps8. À Mirgissa enfin, où 27 tombes de ce type ont été identifiées dans l’angle nord-est de la forteresse du Moyen Empire9. L’aménagement des sépultures dans les massifs de briques crues y indique, tout comme à Dorginarti, que les structures défensives devaient être fortement ruinées au moment de leur remploi dans un cadre funéraire. Il s’agit là d’une pratique qui ne se limite pas à la période méroïtique, puisqu’il est courant, par exemple, de trouver des sépultures d’époque tardive et médiévale dans les murs des palais méroïtiques (figure 54).
7. 8. 9.
Kromer 1963, pl. 13. Knudstad 1966, p. 180-181. Vercoutter 1973, p. 277-278.
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Figure 54 –Wad ben Naga. Sépulture tardive installée dans un mur du palais. [© SFDAS]
Les caveaux creusés dans le sol Cette catégorie comprend la grande majorité des sépultures creusées dans le sol naturel, sans ajout de construction hormis le système de fermeture. À l’origine, elle caractérise la volonté de protéger et de dissimuler le corps, couplée à une démarche dictée par une croyance religieuse qui, chez les Méroïtes, affirme l’existence d’un inframonde. La réalisation de cette demeure d’éternité, conception bien plus ancienne, s’accorde durant la période méroïtique avec la montée de la foi osirienne et son principe de régénération de la dépouille et de l’âme au sein d’un milieu fertile. Techniquement, la tombe consiste en une fosse simple au fond de laquelle un espace vide est aménagé pour le dépôt du corps et de son mobilier d’accompagnement. Les cas d’enterrement en pleine terre sont extrêmement rares. Le plus souvent la fosse n’est qu’un accès vers une cavité, latérale (figure 55) ou axiale (figure 56), qui peut devenir une sorte de palier entre morts et vivants dans lequel on va rendre un dernier rituel en l’honneur du défunt, ou déposer des offrandes après la fermeture du tombeau.
Dans les quelques essais de typo-chronologie disponibles dans les publications de nécropoles, on constate une évolution des dispositifs architecturaux dans presque tous les cimetières, sauf à Méroé Ouest, où, sur plusieurs siècles, les tombes restent fidèles au modèle à cavité axiale que privilégie aussi la famille royale. En province, le contexte funéraire offre au contraire une grande diversité dans les substructures. F. Ll. Griffith avait ainsi remarqué qu’à Faras, les tombes à cavité latérale pouvaient être postérieures à celles possédant une cavité axiale, mais presque jamais l’inverse. La confirmation de cette hypothèse vint beaucoup plus tard, dans la seconde moitié du xxe siècle, lors de la fouille opérée à Emir Abdallah. Le site, très peu affecté par le pillage, révéla un schéma chronologique de développement montrant que les tombes à cavité axiale y furent utilisées dès le méroïtique ancien10, et ce jusqu’à la période tardive, concurrencées par les tombes à cavité latérale uniquement à partir du tournant de notre ère ; époque à laquelle apparurent aussi 10. Fernandez 1989, 478, fig. 1.
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Figure 55 – Sedeinga. Tombe d’enfant à fosse et cavité latérale. [© V. Francigny]
Figure 56 – Sedeinga. Tombe collective à descenderie et cavité axiale. [© V. Francigny]
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Figure 57 – Sedeinga. Façade et porte d’entrée vers les appartements funéraires. [© V. Francigny]
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les cavités axiales s’ouvrant vers l’ouest11. Cet exemple permet de nuancer le point de vue émis par A. M. Abdallah12, qui voudrait que les tombes à fosse verticale ou à cavité latérale appartiennent aux basses couches de la société méroïtique. En marge des grandes catégories citées précédemment, notons qu’au sud de Khartoum et dans la région du Nil Bleu en particulier, nous connaissons encore très peu de choses sur la physionomie générale des hypogées datant de l’Antiquité tardive. On fait ainsi référence à de nombreuses reprises aux tombes dites « en ruche », du fait de leur ouverture ovale ou circulaire. En raison de la présence de récipients en bronze et de bouteilles céramique de petite contenance13 qui rappellent les bouteilles « kadadiennes » caractérisées par P. Lenoble14, elles pourraient être contemporaines du royaume de Méroé. Il est aussi important de souligner que les transitions culturelles et historiques ont parfois influé sur
la forme des substructures, comme on peut l’observer dans le cimetière d’ab-Heregil dans la région de la 4e cataracte, où une forme hybride apparaît constituée d’une pseudo-descenderie se transformant à mi-course en une fosse verticale15. Elle préfigure la tombe post-méroïtique à puits vertical, cavité latérale et enterrement unique, qui dominera par la suite tout le nord de la Nubie pendant deux siècles. Enfin, il nous faut aborder le cas isolé d’une tombe (figure 57) découverte à Sedeinga en 2012 lors de la construction d’une route, et dont la taille et l’architecture évoquent sans ambiguïté les appartements funéraires taillés pour les souverains16. Dotée d’une descenderie avec un escalier monumental, d’une antichambre comportant quatre piliers (figure 58), et d’une chambre funéraire à deux piliers, elle fut datée par 14C de la fin du iie siècle avant notre ère, une période justement marquée par des troubles dynastiques17.
Figure 58 – Sedeinga. Antichambre disposant de quatre piliers taillés dans la masse. [© V. Francigny]
11. 12. 13. 14.
Fernandez 1986, p. 59. Abdallah 1984, p. 32. Edwards 1991, p. 49. Lenoble 1996a.
15. El-Tayeb, Kolosowska 2005, p. 66, fig. 2. 16. Bien qu’elle soit inachevée, son plan particulier est strictement parallèle aux tombes Bar. 5 et Beg. N. 8. 17. Török 1997, p. 461.
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Les hypogées construits Les constructions les plus sommaires rencontrées dans les substructures méroïtiques prennent la forme de simples murs de support qui flanquent une ou plusieurs parois de la fosse verticale. Il s’agit alors de renforcer un côté particulièrement meuble du creusement, ou de bâtir un système capable de soutenir des dalles de fermeture posées à l’horizontale. Un autre système plus élaboré consiste en un caveau construit en pierres maçonnées. Rarissime en contexte privé, il n’est attesté que sur un site (24V-5) en Basse Nubie, et ne concerne que deux tombes découvertes lors de la prospection menée sur la rive ouest du Nil entre Faras et Gemai18. L’agencement le plus répandu est en fait le caveau voûté construit en briques crues (figure 59). C’est un modèle courant chez les particuliers en Égypte ptolémaïque, où la couverture de brique pouvait prendre un aspect anthropomorphe, et un prototype déjà bien répandu en Nubie dès le Nouvel Empire et la période napatéenne. Techniquement, le procédé consiste à creuser une fosse rectangulaire délimitant le caveau, puis à élever deux murs bas de soutien dans le sens de la longueur et deux murs hauts dans le sens de la largeur, dont l’un est percé d’une porte donnant sur un accès en pente qui servira plus tard lors de l’enterrement. Sur les murs bas, on élève une voûte en berceau, également connue sous le nom de voûte nubienne, dans laquelle les briques sont inclinées et disposées suivant des joints rayonnants (figure 60). Il ne s’agit pas là d’une création originale, mais de la simple transposition dans la sphère funéraire d’une technique en usage dans l’architecture civile ou sacrée méroïtique, comme on la retrouve par exemple dans les maisons de Shaukan19, ou le sanctuaire d’el-Hassa (avec dans ce cas des sillons creusés avec les doigts sur le plat des briques cuites, afin d’améliorer la prise du ciment). Selon la taille du caveau la portée de la voûte peut varier et se réduire à sa plus simple expression : un arc composé uniquement de trois briques20. Dans le Cimetière 3 à Djebel Adda, un caveau construit avec une voûte sert d’hypogée pour les pyramides à base en pierre. Au nombre de cinq, ils sont systématiquement excentrés par rapport au monument, et situés dans le quart nord-est de sa forme quadrangulaire. Comme le remarque D. N. Edwards21, ce choix vise à réduire la pression du monument pyramidal sur l’espace vide de la substructure.
18. 19. 20. 21.
Adams 2005, p. 55-56. Jacquet 1971. Randall-MacIver, Woolley 1909, pl. 40. Huber, Edwards 2012.
Figure 59 – Sedeinga. Tombe à caveau voûté construit en briques crues. [© V. Francigny]
Figure 60 – Karanog. Dessin d’une voûte en berceau. [D’après Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 18]
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L’option de recourir à un caveau en briques au fond d’un puits est parfois dictée par des contraintes de terrain liées aux propriétés d’un sous-sol trop meuble pour recevoir une cavité ou supporter un monument funéraire en surface. La répétition des effondrements constatée dans des caveaux anciens réutilisés pourrait aussi avoir motivé ce choix. Lorsque F. Ll. Griffith fouilla le site de Faras, il comprit, grâce au recoupement chronologique des tombes, que les sépultures à caveaux construits étaient ainsi un développement relativement tardif de la nécropole22. Il expliqua alors leur apparition par la nécessité de continuer à créer des sépultures au sein de la même zone funéraire, bien que celle-ci n’offrît plus d’espaces adéquats pour le creusement de cavités. Il démontra comment la tombe à descenderie et cavité axiale fut rapidement supplantée par celle à fosse latérale utilisant moins de surface, puis par la fosse à caveau construit permettant de s’installer en terrain meuble. Ce schéma de développement est d’ailleurs confirmé par d’autres nécropoles de Basse Nubie comme Ballaña et Qustul, où les tombes à caveaux voûtés sont presque toutes situées dans le second site, plus tardif. Dans certains cas, il apparaît qu’un simple creusement plus profond aurait suffi à contourner la difficulté d’un sol trop friable. Dans d’autres, c’est même dans un substrat parfaitement compact qu’on les trouve bâties. Au-delà de l’aspect technique, on peut donc s’interroger sur le choix délibéré d’employer ce type de structure funéraire, et le rang social des personnes qui en bénéficiaient. La répartition géographique des hypogées voûtés en briques crues (carte 5) met en évidence plusieurs phénomènes en rapport avec les us et coutumes des Méroïtes. Le premier est celui de la densité des occurrences en Basse Nubie, qui contraste avec une absence totale dans le cœur du royaume, autour de la capitale. Le second montre une étonnante régularité dans la répartition des sites concernés au sud du Batn el-Haggar. Dans cette partie de la vallée du Nil, il semble en effet que la présence de ces tombes nous renseigne sur l’importance des zones d’inhumations et, par conséquent, sur l’importance de certaines localités et de leurs occupants. Il y a donc une disparition progressive du prototype à voûte, au fur et à mesure que l’on remonte le cours du Nil. La prospection menée en amont de la 4e cataracte et les récentes fouilles lancées dans le Keraba (à Berber et Hamadab) confirment son absence dans ces régions. Il nous faut donc comprendre que la scission entre ces territoires, quant à l’utilisation de cette forme architecturale, est
22. Griffith 1924, p. 145.
plutôt d’ordre culturelle que structurelle. Après la chute de Méroé, les caveaux voûtés en briques crues continueront en effet d’être utilisés dans le nord de la Nubie, jusqu’à l’avènement du christianisme.
les aménagements annexes Mis à part l’espace creusé ou construit pour la dépose du ou des corps, il existe des séries de travaux complémentaires qui peuvent être effectués sur une tombe. Certains revêtent un caractère indispensable, comme la mise en place d’un système de fermeture ou l’aménagement d’un accès. D’autres font figure de cas isolés, relevant plutôt d’un soin particulier apporté à l’ouvrage. C’est le cas par exemple des enduits et de la peinture23, parfois présents sur les murs des caveaux construits ou creusés, comme en témoigne les fragments d’enduits peints d’ocre jaune retrouvés dans quelques tombes du Cimetière 3 à Djebel Adda24. Ce dernier site présente d’ailleurs plus d’une originalité, puisqu’on trouve dans ses hypogées des aménagements atypiques comme des piquets en bois fichés à la manière de patères, peutêtre destinés à la suspension de certains éléments du mobilier funéraire.
La descenderie Rampe au plan incliné descendant vers le caveau funéraire, parfois garnie de marches ou de paliers taillés, elle est utilisée en Égypte depuis les débuts de l’époque pharaonique, et n’est introduite en Nubie qu’à partir de la colonisation au Nouvel Empire. Généralement située à l’est du monument funéraire et de la tombe, elle est simplement taillée dans le sol naturel, et ne bénéficie d’aucun renforcement construit25. Les descenderies méroïtiques les plus profondes font systématiquement l’objet d’un soin minutieux dans leur réalisation, et revêtent un caractère ancien. Elles sont en cela les héritières des descenderies taillées pour les tombes de l’élite napatéenne, qui ont cette particularité d’être étroites au sommet (équivalent au niveau du sol), et plus larges au fond (figure 61), une forme qui s’explique par le fait que les
23. Dans la lignée d’une tradition d’origine égyptienne, l’emploi de l’enduit et de la peinture est fréquent en Nubie dans les tombes d’élite napatéennes. Sur le site de Sedeinga, la tombe W T1 avait son antichambre couverte d’enduit peint en rouge, alors que W T3 possédait une antichambre et une chambre funéraire recouverte d’enduit peint en blanc. 24. Millet 1963, p. 161. 25. À l’époque kouchite, on note des traces d’enduits peints dans certaines descenderies des tombes royales à el-Kurru.
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Figure 61 – Sedeinga. Deux vues d’une descenderie de tombe napatéenne. [© V. Francigny]
descenderies napatéennes n’étaient pas nécessairement remplies de sédiments après l’enterrement, mais couvertes soit par un plafond en bois soutenu par des poutres26, soit par une simple couverture végétale27. Selon l’époque ou le lieu, on assiste à des évolutions notables dans la forme de l’accès à la tombe. On note ainsi que dans les premiers siècles de notre ère, les fosses verticales des tombes à cavité latérale présentent souvent une inclinaison importante de leur paroi est qui évoque une descenderie, dans un espace funéraire trop restreint cependant pour en creuser une. Dans la région du Keraba, comme l’attestent par exemple les tombes de la nécropole attachée au site de Dangeil28, la descenderie abandonne parfois la forme quadrangulaire aux angles arrondis pour adopter un profil aux formes plus aiguës, presque triangulaire.
Durant la transition vers le post-méroïtique, à Méroé29, Akad30 et Berber31, on trouve quelques exemples de tombes où deux descenderies sont creusées en parallèle pour une même cavité. D’un point de vue architectonique, la formation d’un pilier central qui déborde dans la cavité entre les deux creusements, permet une meilleure répartition des charges pour le plafond voûté de l’espace intérieur. Cependant, le choix de cette double entrée est plus certainement motivé par le besoin de différencier d’une part un accès réel à la tombe, et d’autre part un espace dédié aux rituels effectués lors des multiples enterrements. Cela montre que la descenderie peut jouer un rôle dans la liturgie funéraire, notamment lorsqu’elle devient le lieu dans lequel des offrandes sont déposées (nourriture, encens, sacrifice animal).
26. Schiff Giorgini 1965, p. 126-127. 27. Janot et al. 1997. 28. Anderson, Mohamed Ahmed 2011, p. 85.
29. Garstang 1911, pl. 36. 30. Faroug, Tsakos 2005. 31. Lenoble 1991b.
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Dans le paysage plat d’une grande partie de la vallée nubienne où les vestiges anciens peinent à survivre face à la forte érosion et déflation des sols, l’apparition d’une descenderie constitue souvent l’un des éléments clefs de la découverte d’une nouvelle nécropole méroïtique. Au moment de la fouille, elle se signale par un remplissage hétérogène et compact à l’intérieur duquel il est facile d’identifier le trou de pillage et son cordon ombilical de sable éolien reliant la surface à l’entrée du caveau. La stratigraphies de chaque descenderie, bien que difficile à établir, présente aussi tous les stigmates des multiples réouvertures qu’a subi la tombe, que ce soit pour y enterrer un nouvel individu, ou pour en piller le contenu.
La diversité des fermetures employées pour sceller les caveaux méroïtiques est à la fois fonction du
type de sépulture creusée ou construite, et de l’environnement géologique dans lequel est implantée la nécropole. Le système le plus léger connu est une armature de branchages créant un treillis végétal rudimentaire. Il était peut-être couplé à des nattes, et n’est attesté qu’à la période du méroïtique ancien, dans des tombes à fosse verticale, le plus souvent dotées d’un rebord37. Le plus courant est sans conteste le muret en briques crues, qui scelle tout type de caveau à porte axiale, ainsi que les cavités latérales. La qualité de sa maçonnerie varie fortement à l’intérieur d’un même cimetière, tout comme le mélange de terre utilisé comme ciment. Généralement d’une brique d’épaisseur, posée dans le sens de la longueur et perpendiculaire au sens de circulation (appareil en panneresse), le muret s’élève un peu plus haut que la limite de l’ouverture, sans jamais atteindre le niveau du sol en surface. Il s’étend souvent en largeur au-delà de la porte, jusqu’à toucher les parois latérales de la descenderie. Lorsque les briques sont posées dans le sens de circulation (figure 62), elles offrent une structure plus épaisse et solide (appareil en boutisse traversante), mais nécessite deux fois plus d’unités pour atteindre une hauteur similaire. Dans le cas des cavités latérales, seules les premières assises sont montées à plat, la dernière étant disposée de biais contre l’ouverture (figure 63). Le mélange des styles est souvent imputable aux réouvertures de la cavité, qui entraînent un démontage partiel du système de fermeture. La pratique de recouvrir le mur d’un enduit semble tardive et n’est, pour le moment, associée qu’à très peu de sites38. Une variante dans la construction du système de fermeture, visible notamment à Dangeil, consiste à mélanger des briques crues avec des cassons de briques cuites, qui indiquent alors le démantèlement proche d’un bâtiment à caractère officiel. Il est important de noter qu’il n’existe pas de rapport direct entre la facture sommaire et désordonnée d’un système de fermeture (figure 64) et le caractère tardif d’une tombe. En 2010, dans la nécropole de Sedeinga, la tombe de l’un des plus grands édifices funéraires (Pyramide 216), fut ainsi découverte avec ce type de porte. La forme importait donc peu aux yeux des Méroïtes, qui ne considéraient le plus souvent que l’aspect technique et pratique de ces constructions cachées sous la surface du sol.
32. 33. 34. 35. 36.
37. Caneva 1988, p. 151-225. 38. Millet 1963, p. 163.
Les chambres à offrandes En dehors de la cavité sépulcrale dans laquelle repose le (ou les) corps, il arrive qu’un aménagement supplémentaire, accolé ou intégré à la construction, serve à entreposer des offrandes et du mobilier liturgique. Cet espace peut prendre plusieurs formes, la plus courante étant celle d’un muret de fermeture très en retrait du passage de la porte ouvrant sur la cavité32. La surface dégagée et non couverte sert notamment à entreposer le mobilier encombrant comme les amphores33. Une alternative consiste à bâtir une avancée voûtée, ouverte ou fermée, à la façon d’une antichambre en modèle réduit qui viendrait se placer devant le caveau34. Parmi les premiers découvreurs, certains identifièrent à l’arrière de la superstructure pyramidale une fosse pouvant également contenir des offrandes funéraires35. Il s’agit cependant d’une erreur d’interprétation, les pilleurs ayant parfois creusé leur accès vers le caveau à l’arrière du monument funéraire36. La fosse béante était alors étayée par des briques crues empêchant le sable de retomber, d’où la possible confusion avec les vestiges d’une structure bâtie. Finalement, le recours à une chambre à offrandes, sorte d’antichambre miniaturisée, est un phénomène minoritaire et élitaire qui ne concerne que la tombe à caveau voûté.
Les systèmes de fermeture
Emery, Kirwan 1935, p. 86. Millet 1963, p. 161. Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 32. Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 16. Almagro 1965, p. 48.
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Figure 62 – Sedeinga. Système de fermeture en brique avec appareil en boutisse. [© V. Francigny]
Figure 63 – Sedeinga. Système de fermeture en brique pour cavité latérale. [© V. Francigny]
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Figure 64 – Île de Saï. Système de fermeture en brique. [© V. Francigny]
Figure 65 – Île de Saï. Vue de l’intérieur d’une tombe ayant conservé deux blocs en grès du système de fermeture original, remplacé plus tard par des dalles en schistes dont l’une est visible en arrière-plan. [© V. Francigny]
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Figure 66 – Sedeinga. Système de fermeture utilisant des dalles en schiste. [© V. Francigny]
Figure 67 – Île de Saï. Système de fermeture remployant un bloc d’architecture égyptien. [© V. Francigny]
LES SUBSTRUCTURES • 85
La pierre était aussi employée, notamment lorsqu’elle figurait sur le site d’implantation du cimetière. On utilisait alors des blocs de grès taillés (figure 65) ou des grandes dalles de schiste, dont deux ou trois placées à la verticale suffisent généralement à boucher l’entrée du tombeau (figure 66). Ces dalles reposaient généralement sur une assise en briques crues plutôt que sur le sol, et étaient jointes entreelles et à la paroi par un épais mortier de liaison. Plus rarement, l’ensemble du système était en pierre39. Un graffito pouvait être incisé sur la surface extérieure de la porte, représentant le symbole isiaque de la table d’offrandes surmonté des cornes hathoriques enserrant le disque solaire40. Le blocage fait avec des dalles devait, en théorie, offrir une meilleure résistance au pillage, puisqu’il nécessitait de vider une partie substantielle de la descenderie pour pouvoir faire basculer la porte et pénétrer dans la cavité. Mais le substrat dans lequel les nécropoles sont le plus souvent établies étant habituellement constitué de limons indurés, les voleurs n’avaient aucun mal à entamer directement le sol au-dessus des dalles (figure 66), plutôt que de s’attaquer à la porte en pierre. Ce faisant, ils provoquaient la chute d’une partie du plafond, scellant parfois des pièces du mobilier funéraire et une partie de la dépouille. Dans les tombes où la structure funéraire se résume à une fosse verticale creusée en pleine terre, parfois étendue à une petite cavité, la fermeture pouvait être assurée par des dalles ou des blocs de pierre posés à l’horizontale comme à Ouadi es-Seboua41, ce qui permettait de conserver un espace vide pour l’inhumation et son mobilier.
39. Edwards, Osman 2000, p. 63, fig. 6. 40. Williams 1991, pl. 16. 41. Firth 1927, p. 230.
En plus du schiste et du grès, on a parfois eu recours à des blocs de poudingue, roche détritique constituée par des cailloux roulés, liés entre eux par un ciment naturel. En raison de leur faible résistance, ces agglomérats étaient alors mélangés à un mortier de terre plaqué contre l’entrée des tombes42. Un autre système, qualifié de « mixte », qui utilise la pierre et la brique dans un mélange chaotique, se rencontre dans certaines inhumations tardives. À Aksha43 on constate que ce dernier n’est pas employé dans les inhumations primaires, mais concerne près de la moitié des enterrements secondaires. Le remploi d’objets ou d’éléments architecturaux plus anciens fait également partie de ces pratiques tardives, qui donnent aux portes des tombes méroïtiques un aspect iconoclaste. On peut citer ici l’exemple d’une statue de Houy, vice-roi de Nubie, servant à fermer la Tombe 153 sur la nécropole de Faras, ou d’un fragment de linteau de Thoutmosis III constituant une partie de la fermeture de la Tombe T 028 à Saï (figure 67). Bien que ces derniers paraissent n’être que d’habiles réutilisations de solides blocs de pierre déjà taillés, il ne faut pas exclure toute symbolique religieuse ou sacrée dans ces remplois d’un type particulier. Le choix des objets, leur disposition et leur iconographie sont autant d’indices qui laissent penser à un agencement volontairement signifiant. Comment expliquer autrement le cas de ces tables d’offrandes réutilisées en couverture d’une tombe, et dont le décor était orienté vers le défunt44 ?
42. Geus 1986a, p. 77, fig. A. 43. Vila 1967. 44. Dunham 1963, fig. 145.
LE RITUEL FUNÉRAIRE
Comprendre les cérémonies funéraires données dans le cadre privé, c’est avant tout rechercher les modèles d’où elles sont issues. À cet égard, l’enterrement royal est certainement celui qui a le plus compté pour les Méroïtes, et les élites en particulier. Les cultes privés offrent ainsi une résonnance particulière, dès lors qu’on les compare avec les rites dévolus aux rois défunts. Qu’elles se déroulent aux abords de la capitale ou aux marges du royaume, les cérémonies funéraires privées subissent l’influence de la doctrine religieuse en vigueur à Méroé, reproduisant à moindre échelle un subtil mélange de piété religieuse et de souci pratique liés aux questions de succession, et au maintien de l’influence du clan sur la communauté environnante. Si l’abondante iconographie offerte par les chapelles royales permet un premier examen des rituels accomplis lors des funérailles de la famille régnante, l’analyse des vestiges privés est à première vue moins diserte. Échappant en partie au conservatisme lié à la sphère royale, le commun des mortels développe en effet des modèles funéraires qui évoluent en fonction de nombreux paramètres locaux et influences externes. Les sources funéraires, bien que nombreuses, sont ici moins explicites qu’un décor de chapelle, absent chez les particuliers, et la reconstruction des rituels privés se fonde donc presque entièrement sur l’exploitation des données archéologiques. La tâche incombe aux acteurs de terrain de documenter tous les éléments susceptibles de nous renseigner sur la nature des pratiques d’enterrement, mais cette reconnaissance se fait généralement dans un contexte fortement perturbé par les pillages et les multiples réutilisations des caveaux funéraires. C’est ainsi que depuis plus d’un siècle les découvertes en provenance des cimetières privés s’accumulent et que de nombreux musées de par le monde ont vu naître des collections d’objets funéraires méroïtiques, alors même que le rôle attribué à chacun d’entre eux demeure souvent méconnu.
ces décors1 offre un parallèle sans équivalent pour identifier le mobilier funéraire retrouvé in situ dans les tombes. Les rituels accomplis et leurs acteurs présentent un mélange complexe entre figuration idéologique et transcription du réel, le tout participant d’une sublimation des richesses et du pouvoir. Ainsi ces fresques rendent-elles compte de ce que symbolisait la mort du souverain et de la nécessité de combler immédiatement un vide, synonyme de chaos et facteur d’instabilité pour la famille régnante et le royaume.
Le nouvel Osiris : l’enterrement royal Les premières représentations d’Osiris mises au jour dans les tombes kouchites, qui perpétuent l’héritage religieux égyptien, apparaissent dans les caveaux et les chapelles de Nuri2. Dans les chambres à décors peints ou sculptés sur des parements de pierre rapportée, le dieu est figuré assis sur son trône sous la protection d’Isis, recevant le défunt qui se tient devant lui3. Il peut aussi être représenté debout, au centre d’une stèle placée dans la chapelle funéraire4. Cette iconographie migre ensuite vers Méroé et Djebel Barkal, où les vestiges méroïtiques les plus anciens conservent encore l’image du dieu, avant qu’elle ne soit littéralement remplacée par celle du roi défunt (figure 68), ou nouvel Osiris. Comme nous le montrent les reliefs de chapelles royales représentant les processions défilant devant le souverain défunt trônant sous la tutelle d’Isis dans sa demeure d’éternité, les cérémonies faisaient appel
1.
la religion funéraire Grâce à la longue tradition iconographique amorcée dans les caveaux des premiers souverains kouchites à el-Kurru puis Nuri, on trouve sur les murs des tombes et des chapelles royales de Méroé des représentations de la transfiguration du défunt, ainsi que des scènes figurant la cérémonie d’enterrement. L’analyse de
2.
3. 4.
Cette documentation, à ce jour, n’a fait l’objet d’aucune synthèse. Les obstacles techniques sont nombreux, puisque la publication d’origine (Dunham, Chapman 1952) ne reproduit qu’une partie des décors des chapelles, avec des dessins parfois effectués d’après des photos ou des facsimilés provenant de sources aussi diverses que les Denkmäler aus Ägypten und Äthiopien de C. R. Lepsius, les archives de J. H. Breasted et celles de G. A. Reisner. Les fouilles et les reconstructions de chapelles et pyramides par F. W. Hinkel ont depuis considérablement enrichi le corpus. Une occurrence plus ancienne est possible dans le décor de la tombe de la reine Qalhata à el-Kurru si on interprète la figure principale de la chambre funéraire comme un Osiris et non comme celle d’un roi (Tanouétamani) pour qui la tombe aurait été initialement prévue. Dunham 1955, p. 36, fig. 21. Dunham 1957, pl. 11b.
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Figure 68 – Djebel Barkal. Décor de chapelle funéraire. [D’après Lepsius 1849-59, Abth. 5, Bl. 20]
aux dieux, à la famille royale, au clergé, aux dignitaires du royaume et à d’autres acteurs de moindre importance encore difficiles à identifier. Le protocole liturgique dûment observé devait permettre de favoriser la métamorphose du souverain en un nouvel Osiris. Cette transfiguration, dont la portée religieuse ne fait aucun doute, était doublée d’un message politique que l’ensemble des parties présentes approuvait de fait : orchestrer les funérailles, donner au souverain défunt les moyens de franchir les étapes vers l’inframonde, c’est se poser en digne successeur de son trône. Un texte d’époque napatéenne nous renseigne sur la représentation qu’avaient les Kouchites du passage post-mortem, et sur la nécessité pour le défunt de se présenter devant Osiris le cœur pur. Vers la fin du viie siècle avant notre ère, on pouvait ainsi lire sur la stèle érigée par Aspelta au Djebel Barkal pour le culte de Khaliout, fils de Piankhy décédé au viiie siècle avant notre ère : (Paroles dites par Khaliout) Lorsque je vivais sur terre, j’étais (toujours) fidèle aux dieux, loyal envers eux, organisant des fêtes pour eux et pour le roi, durant chaque festival dans le ciel et sur terre, présentant offrandes de pain et de bière, taureaux et oiseaux, au dieu célébré ce jour. J’ai fait, durant ces festivités, le deuil en temps (voulu), afin d’apaiser le cœur de la déesse Isis, la grande, mère du dieu. Je n’ai pas menti, cette atteinte faite aux dieux. Je n’ai pas volé le peuple. Je n’ai pas commis d’injustice.
Mon cœur n’a pas commis d’écart au détriment des plus humbles. Je n’ai pas reçu de pots de vin en échange d’actions illicites. Je n’ai pas livré un serviteur aux mains de son maître. Je n’ai pas copulé avec une femme mariée ou un homme. Je n’ai pas pris de décisions à tort. Je n’ai pas touché aux oiseaux des dieux. Je n’ai pas dépossédé les dieux de leurs propriétés, mais leur en ai offert ainsi qu’aux déesses. J’ai donné du pain aux affamés, de l’eau aux assoiffés, des vêtements aux indigents. J’ai fait tout cela sur terre, dans le sillage des dieux, me tenant à l’écart de leur courroux pour le bien de ceux qui sont nés après moi ici-bas et à jamais. Stèle de Khaliout (d’après FHN 1, 270-272).
Cette confession, qui reprend le principe du chapitre 125 du Livre des morts5, est utilisée par Aspelta afin que rejaillisse sur lui les valeurs morales du défunt auquel il voue un culte. Elle montre la continuité des principes religieux égyptiens en territoire nubien, qui forment la base des rites et des croyances funéraires napatéennes et méroïtiques dans lesquels le dessein de chaque être influe sur la stabilité du cosmos, en honorant les dieux, en respectant la balance morale et l’ordre social entre les hommes, et en acceptant le jugement de ses actes par-delà la mort.
5.
On en trouve également des passages reproduits sur les murs des tombes de Tanouétamani et Senkamanisken.
LE RITUEL FUNÉRAIRE • 89
Lorsqu’il n’est pas directement associé au souverain défunt, en se tenant debout près du trône, le successeur est représenté offrant l’encens qui anime la vie dans le corps ressuscité (figure 68). Le roi, nouvel Osiris, le prend alors symboliquement comme fils et héritier, une action qui fait écho à la remise du pouvoir entre les mains d’Horus, et permet à l’impétrant d’être reconnu par les grands dignitaires avant de se faire adouber dans les principaux sanctuaires du royaume. Horus6, nouveau roi, ne tire cependant pas son droit à régner uniquement de cette passation de pouvoir. L’abondante iconographie traitant de la protection de l’enfant héritier par la déesse Isis, prépare depuis longtemps cette succession symbolique où la prédestination est un principe fondamental. La relation établie entre Isis (mère de l’héritier), Osiris (divinisation du souverain défunt) et Horus (fils rétablissant la stabilité du royaume) engendre une dialectique de la succession qui vise à protéger les intérêts de la famille régnante contre les appétits extérieurs. La plongée dans l’exercice du pouvoir n’était d’ailleurs pas toujours brutale, l’héritier ayant semble-t-il parfois été associé au pouvoir du vivant des souverains7. L’une des sources d’information qui nous renseigne le mieux sur la religion funéraire et ses aspirations se trouve dans le décor des chapelles des pyramides royales. Dans leur évolution au fil des siècles, nous distinguons quatre phases majeures : - du début du iiie siècle au milieu du iie siècle avant notre ère, le roi est assis sur son trône. Derrière lui se tient Isis, déesse tutélaire. En face d’eux sont généralement gravés trois registres, représentant des théories de dieux et des personnages accompagnés d’offrandes. La libation accomplie par Anubis, ainsi que la représentation du troupeau sacré, semblent y jouer un rôle proéminent. Le pouvoir royal se place en intermédiaire entre le sacré et les hommes, sa doctrine est d’essence théocratique ; - du milieu du iie siècle à la fin du ier siècle avant notre ère, Isis est rejointe par les membres de la famille royale. Le nombre de registres croît considérablement, comportant notamment des représentations de vignettes du Livre des morts comme celle de la psychostasie, ainsi que des scènes appartenant à l’iconographie des temples funéraires égyptiens de la région thébaine. Sous 6. 7.
Cf. l’iconographie du môle sud de la chapelle funéraire de Beg. N. 11 (Chapman, Dunham 1952, pl. 9). Comme nous le montre au ier siècle de notre ère l’exemple du « couple » royal Natakamani et Amanitore, représentés avec le prince Arikankharor sur le temple d’Apedemak à Naga et sur le kiosque M 279 dans le temple d’Amon de Méroé, puis avec le prince Arakakhataror sur le temple d’Amon à Naga (peut-être également d’Amon B 500 de Napata).
une profusion d’offrandes de nourritures et de breuvages, témoins des richesses du banquet funéraire, des défilés de dignitaires porteurs de la tige de palmier assistent à l’encensement du défunt par le prince héritier, qui revêt sa tenue de prêtre. La procession de la barque Henou de Sokar apparaît dans le registre supérieur, laissant supposer l’accomplissement d’un rite proche de la fête de Choiak lors des funérailles8. Le pouvoir royal est d’essence divine, et s’appuie sur les célébrations religieuses. Le souverain défunt est immortalisé à travers les nombreux rites accomplis, dans lesquels les influences grecques et alexandrines du dionysisme se font jour9 ; - de la fin du ier siècle avant notre ère à la fin du ier siècle de notre ère : l’iconographie triomphale apparaît sur les murs du pylône d’entrée (sur la pyramide Beg. N. 6 de la reine Amanishakheto), un renforcement de l’exaltation militaire qui pourrait répondre à des problèmes dynastiques et des incertitudes dans le mécanisme de succession. Le nouveau souverain fait appel à la thématique de l’ordre au sein du royaume et souligne la capacité de sa famille à vaincre et donc à régner. En marge de ce phénomène, un regain d’intérêt se développe pendant quelques générations pour des éléments empruntés directement à la tradition égyptienne. Les déesses Meret font leur apparition entourant le fétiche abydénien, tandis que l’association du culte de Sokar et d’Osiris est mise en scène dans la procession de la barque Henou ou la représentation de la momie de Sokar sous le lit du défunt ; - de la fin du ier siècle à la fin du ive siècle de notre ère : les anciennes figurations du Livre des morts sont remplacées par de simples représentations d’Anubis et de Nephtys effectuant des libations à la situle sur des tables d’offrandes. Ces scènes font face à celles de l’encensement où le roi, exhibant ses insignes militaires, s’entoure des membres de la famille royale. La représentation d’une fausse porte sur le mur ouest de la chapelle, supplante une iconographie autrefois plus complexe. L’évolution de ces décors traduit la pérennité et l’intense pénétration des idées religieuses égyptiennes, depuis la conquête d’une partie du territoire nubien par les armées de Pharaon. Composés d’éléments majoritairement issus de la mythologie osirienne, ces tableaux possèdent cependant un agencement original, dont la logique est à mettre au bénéfice des Méroïtes et de leur capacité à adapter ces coutumes 8. 9.
Yellin 1990. On notera par exemple la représentation d’amphores à vin et d’oiseaux picorant une grappe de raisin dans la chapelle de Beg. N. 11.
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dans un contexte culturellement différent. Cette réappropriation se ponctue régulièrement d’éléments iconographiques locaux, comme le montre par exemple la scène de danse au son du daluka sur les parois de Beg. N.11. Elle ne saurait être assimilée à une simple copie du modèle égyptien, tant elle implique un processus complexe de sélection et de mélange des traditions, afin de produire une cérémonie d’enterrement du souverain qui fasse écho à la triple fonction royale qui unit le pouvoir politique aux sphères religieuses et militaires.
Isisme « populaire » : adoption d’un rite régalien
(superstructure tumulaire, position contractée du défunt, présence d’un lit funéraire, etc.) s’effacent au profit d’une influence égyptienne, dont l’apport principal provient non pas de l’ancienne colonisation du territoire nubien par les Égyptiens, mais plutôt du renouveau religieux suscité par les souverains de la xxve dynastie, marquée notamment par l’affirmation d’une théologie solaire et l’adoption de la doctrine osirienne. Les Méroïtes continuèrent ainsi à développer des cultes d’ascendance égyptienne, jusqu’à s’en approprier l’origine en certaines occasions. Agatharchide de Cnide, cité par Diodore au iie siècle avant notre ère, nous décrit ce renversement des réalités historiques : Ils [les Kouchites] disent que les Égyptiens sont des
Souvent dépourvues de textes ou isolées dans une iconographie de convention au service de la famille royale, les figures des dieux locaux ou égyptiens, pourtant nombreuses, nous livrent difficilement des indices précis sur le rôle qu’on leur attribuait dans la religion méroïtique. Amon trône au sommet du panthéon avec Apedemak, tandis qu’Osiris, Anubis, Isis et Nephtys conservent une attribution principalement funéraire. Sebioumeker et Arensnouphis apparaissent en tant que dieux protecteurs des figures royales, suivis par Aritene (dieu solaire ?), Amesemi (parèdre d’Apedemak) et Aqedis (divinité lunaire, assimilée à Khonsou ?). L’ensemble est complété par un répertoire sacré importé comprenant Hathor, Horus, Thot, Sekhmet, Shou, Tefnout, Thoueris, Bès, Hâpy, Min et Montou10. Il est toutefois possible de distinguer les divinités que les Méroïtes adoptèrent pleinement de celles dont ils adaptèrent les attributs, en vue d’une intégration à un panthéon local ou de la création de nouvelles triades et associations inédites. On constate ainsi qu’en règle générale les divinités représentées en Nubie conservent des attributs plus égyptiens qu’au Soudan central, tout comme on évoque un distinguo chronologique entre une phase napatéenne plutôt canonique, et une période méroïtique développant davantage les aspects locaux. Les premiers souverains napatéens instituèrent un modèle de société centralisée dont les vestiges funéraires d’el-Kurru traduisent le caractère en partie indigène. La base étatique et religieuse, cependant, se développa principalement selon un modèle d’essence égyptienne offrant à la dynastie locale un appareil de pouvoir solide jouant sans doute un rôle stabilisateur et fédérateur sur un territoire encore divisé en de possibles chefferies11. Dans la religion dite funéraire, les caractères locaux des premiers temps
Bien entendu, cette description reflète avant tout un contexte particulier dans lequel les sources grecques désignent l’Éthiopie (nom qu’elles donnent au Soudan ancien) comme la terre mythique des origines, la première à avoir émergé des eaux primordiales, au plus proche du soleil qui assèche. Une terre à laquelle on attribue l’apparition de la vie et des premiers hommes, donc des premiers offices aux dieux pour qui cette contrée est de fait bénie plus que tout autre. Ces récits montrent comment la perception du territoire nubien par les peuples étrangers, malgré une présence égyptienne longue de plusieurs siècles, est à nouveau repoussée aux limites de la mythologie durant l’Antiquité tardive. Au cours de la période méroïtique, l’adoration de la triade traditionnelle Isis, Osiris et Horus se renforce en Nubie, tandis qu’elle mue en Égypte romaine vers une nouvelle forme syncrétique Isis, Sérapis et Horus / Harpocrate. À Méroé, la figure d’Isis se rapproche de celle d’Hathor, au point de les rendre parfois indissociables dans la forme qu’on leur attribue tant dans les textes que dans l’iconographie12. L’image d’Anubis se diffuse également au sein du royaume, renforçant son rôle de protecteur de la dépouille mortelle et de la tombe.
10. Kormysheva 1990 ; Lohwasser 1997a ; 1997b. 11. Yellin 1995.
12. Francigny 2008.
colons venus de chez eux et qu’Osiris prit la tête de cette colonisation (…) La plupart des coutumes des Égyptiens sont selon eux éthiopiennes, les colons ayant conservé leurs traditions anciennes. Ainsi l’idée selon laquelle les rois sont des dieux, le soin extrême apporté aux sépultures, et bien d’autres choses similaires sont des habitudes éthiopiennes, comme sont éthiopiens l’aspect des statues et la forme des signes d’écriture. Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, III, 2 (Traduction Cl. Rilly).
LE RITUEL FUNÉRAIRE • 91
À partir du iiie siècle avant notre ère apparaît en Égypte une nouvelle forme d’Isis, qui va se diffuser depuis Alexandrie vers l’ensemble de la Méditerranée. Avec un champ d’attribution élargi, elle continue d’accompagner l’image d’Osiris en contexte funéraire, et incarne plus que jamais la figure populaire qui exauce tout désir de renaissance après la mort. Dans un contexte d’universalisation, typique de l’hellénisme, son image transcende les formes locales au profit d’assimilations à un nombre croissant de divinités préexistantes. Apulée, au iie siècle de notre ère13, décrivant un rêve où Isis lui est apparue, dépeint ainsi la fusion de ces déesses en une seule hypostase divine : (…) je suis […] Junon pour les uns, Bellone pour les autres, Hécate pour ceux-ci, pour ceux-là, Celle-deRhamnonte, mais les peuples que le dieu Soleil, à son lever éclaire et qu’il éclaire à son coucher de ses rayons déclinants, les Éthiopiens des deux Éthiopies et les Égyptiens puissants d’un antique savoir m’adorent
selon les rites qui sont propres et c’est de mon vrai nom qu’ils m’appellent Isis reine. Apulée, Les Métamorphoses (Traduction P. Grimal, 1958, p. 357).
Cette dynamique, qui n’a de nouveau que sa rapide propagation géographique, va de pair avec un bouleversement du culte lui-même, de plus en plus répandu via des sanctuaires locaux de petite taille dans lesquels aucun clerc ne réside. La faiblesse de la documentation sur les habitats méroïtiques ne nous permettant pas d’attester la présence de cultes domestiques, il est probable que la création de ces nouveaux lieux de cultes secondaires ait entraîné, comme en Égypte14 la mise en place de « circuits cultuels » pratiqués par quelques prêtres pour des consécrations occasionnelles. Au début de notre ère, le rituel isiaque domine donc la sphère royale et privée. Agatharchide de Cnide15 cite d’ailleurs en premier lieu des croyances éthiopiennes le culte rendu à Isis et à Pan, puis Héraclès et Zeus. Il est suivi plus tard par Strabon16 qui confirme l’importance de la déesse dans le panthéon, derrière Héraclès et Pan. À Méroé, le rôle particulier de la femme dans la sphère royale a sans doute renforcé la place tenue par la déesse tutélaire Isis. On remarque ainsi que, si au début de la période kouchite le titre de « grande épouse royale » était
13. Notons que Plutarque, vers 120 de notre ère enrichit le mythe osirien par l’arrivée d’une reine éthiopienne aidant Seth dans son projet d’assassiner Osiris, et dépeint une Isis symbolisant plus que jamais la vertu divine (Froidefond 1988). 14. Frankfurter 1998. 15. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, III, 2. 16. Géographie XVII, 2,3.
absent des titulatures des reines napatéennes17, celui de « mère du roi » (mwt nsw) était par contre fréquent, renforcé par l’iconographie atypique de la déesse Isis allaitant une reine18. L’importance de cette relation, via la figure de la candace, s’en trouve accrue durant la période méroïtique. La popularité de la figure isiaque s’affirme dans le royaume de Méroé en même temps qu’elle se diffuse dans les marges du monde méditerranéen et se confond avec certaines formes de la déesse Aphrodite. L’accomplissement d’un rituel funéraire qui transforme la mort en une étape que tout fidèle peut franchir, séduit inéluctablement les foules qui s’approprient ainsi une prérogative longtemps restée l’apanage des rois et des élites. La diffusion de ce principe autorisa jusqu’aux confins du royaume un rituel basé sur un mobilier modeste et des outils liturgiques des plus humbles, dominés par les récipients destinés à la libation, et dans lesquels il n’est pas toujours évident de déceler le caractère sacré, si ce n’est de par le contexte de découverte. Au temple de Philae, qui était orienté vers le sud et la Nubie, et recevait entre autres des subsides privés et royaux en provenance du royaume de Méroé, les nombreux graffiti19 laissés par des pèlerins et des dignitaires entre les ier et iiie siècles de notre ère témoignent du rôle majeur joué par la déesse dans les relations entre Méroé et le monde gréco-romain. En 253 de notre ère, sous le règne de Teqorideamani, l’inscription de l’émissaire Pasan nous révèle les fastes et les modalités de certains de ces contacts au sein du sanctuaire : Je suis venu en (terre) noire [Égypte] afin d’accomplir les rites que mon dieu m’avait ordonné. Je les ai accomplis. Il m’avait également ordonné de peser dix talents d’or et de les apporter au temple d’Isis (…). Nous leur envoyâmes un (don) supplémentaire en transformant (l’or) en un vase à libation sur lequel nous inscrivîmes le nom de notre dieu, (l’or) en question se montant à quatre livres et demi (…). Weyenegeya, le « stratège de l’eau », avait contribué à hauteur de deux livres d’or (…). Pasan et Qêren, son frère, avait envoyé une livre d’or (…). Nous passâmes huit jours à banqueter sur le dromos (du temple) d’Isis, à boire du vin et de la bière, à manger de la viande, tandis que toute la ville célébrait et rendait allégeance au roi, leur suzerain, et à notre fête (…).
17. Yellin 1995, p. 255. 18. Lohwasser 1998. 19. On dénombre 27 proscynèmes en démotique, 2 en grec et 31 en méroïtique (Bumbaugh 2011, p. 66).
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Figure 69 – Sedeinga. Fragment de figurine d’Osiris en bronze. [© SEDAU]
Figure 70 – Sedeinga. Empreinte d’une bague sceau représentant un buste de Sérapis. [© SEDAU]
Figure 71 – El-Hobagi. Scène dionysiaque gravée sur une coupe en bronze. [D’après Lenoble 2004, 332, fig. 1]
LE RITUEL FUNÉRAIRE • 93 Abratoye, le fils royal, vint sur la dernière île (Philae), et nous fîmes une réception pour lui dans le temple d’Isis. Il apporta un autre vase-wsb en or que Teqorideamani avait envoyé au temple d’Isis (…). F. Ll. Griffith, Catalogue of the Demotic Graffiti of the Dodecaschoenus, Ph. 416.
D’autres inscriptions nous apprennent qu’à la même époque des prêtres d’origine kouchite pouvaient être en fonction à Philae. Ce fut le cas, par exemple, du prêtre Tami20, qui officia au temple d’Isis pendant 13 ans. Il existe aussi des témoignages laissés par des émissaires qui venaient à Philae depuis le royaume de Méroé, comme l’atteste la fameuse « chambre » couverte d’inscriptions et de gravures méroïtiques21. Enfin des pèlerins venus également du royaume de Méroé, et en particulier au moment de la célébration des fêtes de Choiak, laissèrent des graffiti partout dans la région, afin de placer leur voyage de retour sous la protection de la grande déesse. Isis, qui recevait à Philae les épithètes de « Dame des pays du Sud » et « Dame de la Nubie »22, joua donc un rôle important dans l’orientation de la religion funéraire pratiquée par les Méroïtes. Ses multiples représentations et occurrences dans les textes et objets qui la consacrent témoignent de la ferveur populaire dont elle jouissait partout dans le royaume.
Dionysos-Osiris Depuis les Textes des Pyramides, et donc bien avant l’arrivée de l’influence grecque, Osiris était connu en Égypte comme le « Maître du vin »23. La popularité, par exemple, de la fête Ouag, dans laquelle Osiris préside et où le vin est censé vivifier le ka du défunt, a certainement favorisé plus tard l’assimilation d’Osiris à Dionysos. Car si le culte d’Osiris prend de l’ampleur (figure 69), il agrandi également l’influence du cercle des divinités qui lui sont proches. Sous la domination romaine, cette prééminence se tourne vers la forme syncrétique de Sérapis, qu’accompagne régulièrement Isis, tandis qu’Anubis gagne en popularité dans son rôle de passeur emprunté à Charon. Anubis, continuellement absent des textes funéraires méroïtiques, devient alors l’exécuteur inconditionnel de la libation dans l’iconographie
20. Eide et al. 1998, p. 1010-1016. 21. Cette pièce, à l’origine une « chambre de purification » construite sous le règne de Ptolémée VIII, devait avoir perdu sa fonction lorsque les Méroïtes l’investirent. Elle devait aussi être très encombrée, puisque leurs inscriptions sont situées à 1,80 m de hauteur par rapport au sol d’origine. 22. Dunand 2000, p. 205-207. 23. Grimal 1969.
des tables d’offrandes nubiennes, rétablissant ainsi le déséquilibre rendu par la rédaction de formules funéraires entièrement dédiées à Isis et Osiris. L’importance grandissante de la figure d’Anubis est d’ailleurs démontrée par la découverte d’une table d’offrande24, sur laquelle il est représenté portant le Pschent, symbole de souveraineté. Si Méroé reste étanche à nombre de processus qui résultent en réalité d’une volonté politique propre à une Égypte multiculturelle, en témoigne l’absence presque totale de la figure de Sérapis sur l’ensemble du territoire (figure 70), le royaume semble cependant très réceptif à l’association de plus en plus courante d’Osiris et de Dionysos. Néanmoins, et malgré une iconographie abondante, il est important de noter qu’aucun sanctuaire dédié au culte d’Osiris ou de Dionysos n’a été révélé par l’archéologie méroïtique. À la faveur de la découverte des bronzes décorés d’el-Hobagi25, ou des céramiques peintes de Karanog26, portant des décors de satyres dansant autours d’amphores à vin (figure 71), on place traditionnellement l’influence de Dionysos sur les cultes nubiens à la fin de la période méroïtique27. Il est pourtant difficile de croire que l’association de cette divinité à la figure osirienne ne toucha la Nubie qu’aussi tardivement. Osiris, également connu en Égypte par ses figurines végétantes, parfois simples boules de terre truffées de graines d’orge placées dans les tombes, et son culte en faveur de la terre au moment de la décrue du Nil, incarnait depuis longtemps bien plus qu’un simple espoir de renaissance après la mort. Force fécondante liée à un pays d’agriculteurs, l’Égypte, sa filiation sacrée liée à l’union du ciel (Nout) et de la terre (Geb), fut transposée plus tard chez Dionysos sous la forme d’une union entre Zeus et Déméter. Puissance chtonienne, Osiris complète et équilibre l’imagerie solaire qui domine les cultes funéraires de l’époque. Associé à Dionysos, il n’intègre cependant pas le royaume de Méroé sous une forme syncrétique, mais par le biais de références iconographiques aux Dionysies ou Bacchanales. En Nubie soudanaise, bien que son image soit évoquée par quelques figures de son thiase28, son culte est honoré par le truchement de divinités déjà présentes sur le territoire. La principale figure de cette entremise est sans conteste Bès qui, par son apparence ventrue et sa laideur véhiculant
24. 25. 26. 27. 28.
Non publiée, elle provient de Djebel Adda. Lenoble 1994f. Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 45. Millet 1984. on en trouve des exemples sur des chatons de bagues provenant de Sedeinga (Schiff Giorgini 1966, pl. 29), sur les murs d’un temple à Duanib Wadi el-Banat (LD V, pl. 68f), et sur des appliques provenant du palais de Natakamani et Amanitore au Djebel Barkal (Kendall 2004, p. 162).
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une forme d’exaltation, est aisément assimilable aux silènes et satyres du cortège dionysiaque. Bès, déjà très populaire chez les Napatéens (figure 72), était fréquemment représenté sous sa forme classique sur les amulettes retrouvées dans les premières tombes du Cimetière Ouest de Méroé. Durant la période méroïtique, son image évolue pour épouser des caractères proches de l’iconographie dionysiaque. On le trouve ainsi dansant et jouant de la flûte, de la harpe ou du tambourin sur les reliefs des temples de Basse Nubie29. Sous l’impulsion de thèmes hellénistiques en provenance d’Égypte et en particulier d’Alexandrie, l’iconographie de la vigne et donc du vin se répand aussi à Méroé durant les premiers siècles de notre ère. Le culte de Dionysos, que célèbre l’ivresse, est popularisé sur tout type de support, depuis les murs des palais jusqu’aux motifs des céramiques placées auprès du mort. Dans les fameux « bains » de Méroé, sanctuaire sans doute dédié aux cérémonies de la crue du Nil et du nouvel an, durant lesquelles le souverain était assimilé à Dionysos30, on retrouva ainsi de nombreuses statues dont un aulète, un joueur de syrinx et des têtes de satyres ou de silènes, accompagnées de représentations léonines coiffées de la couronne hmhm désignant Apedemak. Ce dernier, dieu guerrier et protecteur de la royauté, possédant aussi des attributs créateurs, était ici associé à des rites de fertilité typiques de la relation Dionysos Osiris31. Le lien entre le dieu léontocéphale et les rites dionysiaques pourrait également se reconnaître dans l’utilisation de protomés de lion en guise de déversoir dans les pressoirs à vin du royaume. À l’extrême fin de la période méroïtique, et même au-delà, cette imagerie typiquement méditerranéenne du symposion subsistera, comme le prouvent les décors de satyres dansant autour d’amphores retrouvées sur les bronzes d’el-Hobagi (figure 71). Par-delà le corpus de mobilier portant une iconographie qu’on pourrait qualifier de dionysiaque, il faut également évoquer les objets funéraires ayant servi à la conservation ou à la consommation de vin lors des cérémonies d’enterrement. Outre les amphores, stockées dans la chambre sépulcrale ou devant la porte de la tombe, on compte par exemple des louches en bronze32, ainsi que des coupes et bols en céramique ou métal cuivreux.
La multiplication des références dionysiaques aux époques tardives en Nubie, via les images de Bès ou de satyres33, pourrait aussi témoigner d’un repli conservateur du paganisme observé en Égypte, par effet de résistance contre la christianisation. Cette dernière héritera d’ailleurs, dans sa doctrine de l’eucharistie et de la transsubstantiation, d’une relation au vin qui régénère d’ascendance païenne. Le processus de fermentation du vin et le changement d’état qu’il procure lorsqu’on le consomme étaient, pour les habitants de la vallée du Nil, autant de paraboles soutenant la transformation du défunt et sa possible renaissance sous les auspices divines de Dionysos-Osiris.
Figure 72 – Sedeinga. Amulette du dieu Bès. [© V. Francigny]
29. Verwers 1962, p. 184 ; Daumas 1968. 30. Wolf, Onasch 2002. 31. Apedemak prenant parfois place dans la triade osirienne aux côtés d’Isis et d’Horus (Manzo 2006, p. 87). 32. Millet 1963, fig. 14.
33. Sackho-Autissier 2007.
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Le culte solaire La religion funéraire kouchite manifeste son ascendance solaire sous plusieurs formes, dont une part importante nous est communiquée par l’iconographie présente à l’intérieur de la tombe ou de la chapelle, ainsi que par certains éléments architecturaux du monument funéraire. L’une des principales influences provient de la XXVe dynastie qui emprunte abondamment aux hymnes solaires thébains. Rê-Horakhty, régulièrement cité dans les textes napatéens, reçoit en particulier de la part des souverains des prières visant à assurer l’avenir dynastique et confirmer le choix du prétendant au trône. Une parabole sur l’omniprésence de la divinité solaire dans les questions de succession et d’ascendance royale chez les kouchites, se trouve dans les commentaires sur les Actes des Apôtres faisant référence aux écrits de Bion de Soles (début iiie siècle avant notre ère) :
sur la relation intrinsèque entre le cycle du soleil et le destin du défunt. Une abondante iconographie solaire décore enfin le mobilier funéraire accompagnant le mort vers l’inframonde. La céramique est particulièrement prolixe (figure 74), notamment par le biais de frises d’uraei35, d’ibis ou de grenouilles36 portant le disque solaire sur la tête. La peinture sur verre, connue notamment par un couple exceptionnel de flutes provenant de Sedeinga, donne un exemple de représentation d’un dignitaire nubien portant un disque
Les Éthiopiens ne révèlent pas qui sont les pères de leurs rois, mais ces derniers sont traditionnellement connus comme les fils du soleil. Bion de Soles, (scholie des Actes des Apôtres, VIII, 27).
Durant la période méroïtique, plusieurs éléments de la culture matérielle perpétuent la tradition religieuse autour de l’astre solaire, qui figure toujours en bonne place dans le programme décoratif des tombeaux (figure 73) et des sarcophages royaux. Chez les élites provinciales, les occurrences sont elles aussi nombreuses, notamment sous la forme d’un disque solaire surmontant la statue du défunt (figure 35). Le monument pyramidal employé pour couvrir la tombe est lui-même d’ascendance solaire, tandis que le disque ailé, le Behedety égyptien originaire d’Edfou, est présent sur la plupart des linteaux de chapelle (figure 25). La présence d’un cartouche shenou sur certaines tables d’offrandes34 insiste aussi
Figure 74 – Sedeinga. Gobelet peint représentant des babouins (Thot) adorant l’astre solaire. [© SEDAU, dessin R. David]
Figure 73 – Méroé. Représentation de la barque solaire dans la chapelle de Beg. N. 7. [D’après Chapman, Dunham 1952, pl. 5b] 34. J. Yellin (1982a, p. 154) associe à tort ce cartouche à un contexte royal, puisque le motif existe en province, et qu’il tient son origine d’un modèle égyptien, lui aussi présent dans la sphère privée.
35. Wenig 1986, fig. 11. 36. Griffith 1924, pl. 46/10.
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solaire sur la tête, en train de faire des offrandes à Osiris (figure 75). Hors iconographie, la position du défunt, sur le dos et tête à l’ouest, adoptée par une partie de la population méroïtique, fait également écho au cycle solaire : le visage du mort, à l’instar d’une fausse porte de chapelle, reçoit chaque matin les rayons de l’astre renaissant. On pourrait ainsi multiplier les exemples qui prouveraient que l’astre solaire, au cœur des cycles de la nature appréhendés par la religion funéraire égyptienne, continue d’être à Méroé un pilier fondamental de l’ordre cosmique, incarnant les phases de vie et de mort de chaque individu.
Langage iconographique d’une renaissance La religion funéraire méroïtique, avec son ascendance solaire et des principes en partie identifiés au dogme osirien, ne traduit en fait qu’un unique espoir bien plus vieux que le panthéon des divinités égyptiennes, celui d’une renaissance après la mort. Ce principe, repris et développé durant des siècles dans l’art et la culture matérielle de Méroé, s’appuie sur un langage iconographique dans lequel un petit nombre de thématiques originales domine. Le règne animal L’une des allégories les plus fréquentes mettant en scène des représentations animales dans l’art méroïtique est celle de la grenouille37. S’il existe bien une espèce (Rana mascareniensis) vivant dans les zones inondées de la plaine alluviale, celle-ci est suffisamment rare en Nubie pour qu’on reconnaisse en fait dans le bestiaire méroïtique une variété de crapaud plus courante : Bufo regularis. Ce dernier, parfaitement adapté au climat aride, ne recherche l’eau que pour une courte période de reproduction chaque année, durant la crue. Son aspect massif avec des excroissances et des tubercules sur le dos est d’ailleurs parfaitement reconnaissable sur les plus fines réalisations peintes (figure 76).
Figure 76 – Faras. Détail d’une grenouille peinte sur un gobelet. [D’après Griffith 1924, pl. 50/13]
Sortant du sol dès que l’humidité augmente, et par conséquent associé à la fertilité de la terre, il fut naturellement érigé en un symbole de renaissance annuelle, à l’instar de bien d’autres éléments empruntés à la nature cyclique environnant la vallée du Nil. Les jarres à eau placées dans la tombe sont un support privilégié pour sa représentation. La présence de cette eau dans la tombe se justifie, non seulement Figure 75 –Sedeinga. Détail du décor peint sur une flûte en verre représentant un kouchite portant un disque solaire sur la tête. [© SEDAU]
37. Sciegienny-Duda 1974.
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comme une boisson, mais aussi comme l’enterrement d’une substance sacrée rendant propice la résurrection du défunt. Si le crapaud peut en assurer la garde et la conservation sur une jarre, il le peut aussi à plus grande échelle sur certains hafirs, comme à Basa, autour desquels des statues à son image ont été découvertes. Comme souvent avec l’art méroïtique, la piste de l’influence égyptienne n’est pas à exclure, car dès la période prédynastique, des objets figurant la grenouille étaient déposés dans les tombes. D’abord associée à la naissance de Rê, l’image de la grenouille prend peu à peu la forme d’une divinité à part entière (Heqet) qui symbolise la fertilité et la fécondité, protège les enfants, et finit par être associée à la régénérescence et à Isis durant l’antiquité tardive. Exceptionnellement, la grenouille tient entre ses pattes un épi qui symbolise la phase de la récolte38. Cependant, c’est le plus souvent à des éléments végétaux stylisés comme les lotus, en bouton ou en fleur (figure 76), qu’elle est associée. D’autres espèces empruntées à l’environnement nilotique jouissent des mêmes juxtapositions, comme par exemple le crocodile avec des lotus lui poussant sur le dos39, ou l’ibis une fleur entre les pattes. Dans le cas de cet échassier, ce n’est pas seulement dans les eaux du fleuve qu’il faut rechercher un lien avec le sacré, mais aussi dans le cycle migratoire de l’espèce dont la réapparition annuelle s’apparentait à une forme de renaissance. Cette iconographie foisonnante a fait pencher certains chercheurs vers la thèse d’un culte généralisé des Méroïtes envers les puissances de la nature et des animaux sauvages en particulier40. Les vases aux décors peints no 8156 et no 8157 de Karanog41, sont régulièrement cités pour étayer ce point de vue. On y voit représentés des autels portant des offrandes de nourriture recouverts de guirlandes de fleurs, où des girafes et des oies semblent venir se nourrir.
la céramique, retrouvée en nombre dans les tombes, bien que ses motifs religieux n’aient sans doute pas été conçus à des fins funéraires. Le lotus (figure 77), adopté de la tradition égyptienne42, est l’ornement végétal le plus populaire de l’iconographie méroïtique, qu’elle soit ou non funéraire. La plante, originaire d’Asie et naturalisée dans la vallée du Nil via l’espèce du lotus sacré (Nelumbo nucifera), réunit physiquement les éléments essentiels matérialisant le monde, puisque ses racines traversent l’eau pour atteindre la terre, tandis que sa fleur apparaît symboliquement tournée vers le ciel. Son bourgeon émergeant à la surface de l’eau rappelle immanquablement l’apparition de la vie sortant des eaux primordiales, une parabole de la création qui fut associée aux cycles de naissance et, par extension, de renaissance par-delà la mort. Supportant la déesse Isis étendant ses ailes derrière le souverain défunt dans les chapelles des pyramides du Djebel Barkal et de Méroé, protégeant de ses fleurs le fragile enfant Horus43, le lotus se retrouve aussi dans l’art kouchite sous forme de bouquets flanquant ou surmontant les principales scènes des tables d’offrandes déposées devant les tombes (figure 41).
Le règne végétal En Égypte, le lien entre la nature et l’au-delà s’incarnait dans la figure d’Osiris, personnification du règne végétal et de sa constante renaissance. La religion funéraire méroïtique, elle aussi marquée par la présence de la figure osirienne, faisait appel à un large répertoire iconographique mettant en scène toutes sortes de plantes à la portée hautement symbolique. Le principal support pour ces représentations était
Figure 77 – Sedeinga. Tesson de céramique figurant un bouton et une fleur de lotus. [© SEDAU, dessin R. David]
38. Griffith 1924, pl. 47/4. 39. Reisner 1923, p. 44. 40. Sciegienny-Duda 1974 ; Seguenny 1984 ; Hofmann, Tomandl 1987. 41. Woolley, Randall-MacIver 1910.
42. Dans le livre des morts (chap. 81a-b), le défunt souhaite « prendre la forme d’un bouton de lotus », dont l’ouverture est associée à la naissance (Faulkner 1972). 43. Griffith 1924, pl. 56 ; Whitehouse 2009, p. 138-140.
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10 cm Figure 78 – Sedeinga. Pampres de vignes peints sur des bouteilles à long col. [© SEDAU, dessin R. David]
D’autres éléments végétaux reviennent régulièrement dans la décoration des objets formant l’assemblage funéraire, sans qu’on soit capable de les rapprocher d’espèces connues. La thématique générale véhiculée par ces représentations est celle de la régénérescence, et justifie en partie la sélection du mobilier accompagnant le mort. Plantes, fleurs, boutons, feuilles et fruits figurent ainsi l’exaltation de la renaissance, par la fusion des éléments de l’eau et de la terre. Dans un contexte où les Méroïtes sont en contact avec une Égypte dont les puissantes traditions se matérialisent en de nombreux lieux de cultes qu’eux-mêmes ont la possibilité de fréquenter périodiquement dans la région de la Basse Nubie, il faut en effet se garder d’avoir une lecture égyptisante sur l’ensemble des symboles kouchites liés à la représentation de la nature. Ainsi, les figurations d’arbres et de feuilles, peints ou estampés sur la
céramique méroïtique44, et qui rappellent l’arbre d’éternité ’Išd45 (Perséa, Mimusops schimperi Hochst) ne sont pas nécessairement chargés de la même symbolique. A contrario, certains décors végétaux ont une signification précise, puisqu’ils renvoient directement à des mythes ou des figures divines populaires. C’est le cas par exemple des pampres de vigne (figure 78) ou des feuilles de lierre, qu’il est possible d’associer à l’image de Dionysos-Osiris. L’épi, principalement 44. Wenig 1986, fig. 17. 45. Selon le mythe égyptien, son ombre couvrait la butte osirienne. À Dendera, le tombeau d’Osiris est appelé « la crypte qui est sous les ’Išd » (El-Kordy 1983, p. 269). Au cœur de la Basse Nubie, on en retrouve plusieurs représentations dans les temples de Ramsès II à Derr. Branches et feuilles de Perséa entraient aussi dans l’élaboration de bouquets funéraires en Égypte, aux époques tardives.
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celui du sorgho46, soutient la même comparaison, ne faisant que suivre la diffusion dans l’ensemble du bassin méditerranéen d’un culte où Dionysos fusionne avec des entités locales traditionnellement liées aux récoltes47. Enfin, la tige de palmier semble, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours48, tenir une place particulière dans les cérémonies funéraires nubiennes. Symbole d’éternité tenu par les dieux Heh égyptiens49, et de fertilité accompagnant Isis (sur le temple du lion à Musawwarat es-Sufra et à Naga) ou ses prêtres50, la palme est, chez les Méroïtes, d’abord réservée à la famille royale, avant d’être couramment représentée entre les mains des dignitaires assistant aux funérailles officielles (figure 68). Sa fusion avec les croix ankh qui remplacent parfois ses feuilles51, révèle une symbolique marquée par la renaissance. C’est sous cet aspect qu’on la retrouve portée par le défunt, qu’il soit seul (figure 44) ou se présentant face à Osiris52. Certains auteurs pensent que la palme avait un rôle vivifiant, à l’instar de l’encens, qui aidait à éveiller les sens du mort53. Pourtant, il est plus vraisemblable que l’encens ait joué un rôle purificateur autour du corps et de la tombe et que les palmes aient simplement aidé à la renaissance du défunt. Sinon pourquoi les auraient-on parfois déposées directement sur le cercueil, comme on l’a constaté dans la nécropole méroïtique de Qustul54 ?
du monde. Cette cosmogonie, qui attribue aux objets célestes un rôle créateur et régénérateur, constitue également une base pour la religion funéraire méroïtique, dont les dieux sont à la fois les garants et les intercesseurs. Mais les figures divines, qui occupent une place notable dans l’iconographie, ne doivent pas occulter la représentation directe d’éléments célestes, comme le soleil, le croissant lunaire ou l’étoile. Reproduits sur différents types de récipients, le croissant de lune55 dévoile sa fonction lorsqu’il est surmonté d’un motif végétal. Comme il est de coutume dans l’art méroïtique, ce dernier prend la forme d’une tige coiffée d’un bouton56 ou d’une fleur de lotus émergeant au centre du croissant. Plus rarement, il est remplacé par un épi de sorgho57 ou une croix ankh (figure 79) parfois très stylisée58. La jeune pousse qui croît symbolise alors la naissance de la vie, tandis que le croissant lunaire annonce le début d’un nouveau cycle.
Les cycles astraux L’aspiration solaire des croyances kouchites se place dans la continuité des principes nés en Égypte, qui font des astres, de leurs combinaisons et de leurs déplacements, une source de lecture cyclique de l’ordre 46. Geus 1979, fig. 6. 47. La divinité nord-africaine (carthaginoise) Baal Hamon, par exemple, tient entre ses mains raisins et épis. Pour une synthèse de l’interpretatio romana sur la côte africaine du bassin méditerranéen, voir A. Cadotte, 2007. 48. En Nubie moderne, il est de coutume que les femmes âgées appartenant à la famille du défunt tiennent entre leurs mains des palmes encore vertes pendant les cérémonies, afin de les distinguer des autres participantes (Kennedy 2005, p. 225). On associe aussi l’utilisation de la palme au fait de chasser les esprits malins qui, penset-on, s’activent lorsque la mort frappe un individu. Enfin, au quarantième jour après la mort, des femmes appartenant à la famille du mort vont sur sa tombe pour y planter 3 palmes (une à chaque extrémité et une au centre). Elles passent ensuite 7 fois de l’encens autour des tiges et terminent par une libation d’eau ; un rite qui peut dès lors être répété sur une base annuelle. 49. Gamer-Wallert 1962. 50. Dunand 2000, p. 103. 51. Lepsius 1849-1859, Abth. 5, Bl. 32. 52. Priese 1997, p. 284. 53. Gasm el-Seed 2004. 54. Williams 1991, p. 100.
Figure 79 – Sedeinga. Amulette en faïence représentant le croissant lunaire surmonté d’une croix ankh. [© V. Francigny]
55. Comme il est parfaitement reconnaissable au sein de composition souvent très détaillées, il nous faut ici rejeter l’hypothèse selon laquelle il pourrait s’agir d’une forme stylisée de lotus (El-Hassan 2004, p. 10). 56. Wenig 1986, fig. 8. 57. Williams 1991, pl. 73g. 58. Woolley, Randall MacIver 1910, pl. 54.
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59. La scarification frontale apparaît également sur une statuette romaine en terre cuite représentant un gladiateur d’origine nubienne (Snowden 1991, no 317). 60. Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 49. 61. Williams 1991, pl. 32. 62. Dunand 2000, p. 106. 63. Traunecker 1986, p. 104. 64. Porter, Moss 1952, p. 269. 65. Wildung 1997, p. 336. 66. Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 44/8249 ; Zach 1988, p. 139.
Figure 80 – Karanog. Décor peint sur une jarre montrant des visages portant un croissant lunaire au niveau du front. [D’après Woolley et Randall MacIver 1910, pl. 49]
10 cm
Le croissant lunaire existe aussi sous la forme d’une scarification frontale que l’on trouve à la fois sur les statues-ba (cf. supra p. 38 – La statue-ba) et les représentations de visages peints sur la céramique (figure 80)59. L’association à la fleur de lotus reste courante sur ce support60, avec de nombreuses variantes comme le montre un exemple de Ballaña dans lequel un visage porte la marque frontale sous une frise de croissants lunaires61. À travers ces exemples, il est difficile de désigner quelles divinités du panthéon méroïtique pouvaient se prévaloir du symbole lunaire. Depuis les premières découvertes au début du xxe siècle, les théories les plus fantaisistes ont circulé à ce sujet, allant de l’influence du culte d’Astarté jusqu’à la reconnaissance des « cornes de consécration » mycéniennes. Pourtant, l’origine de ces croissants lunaires est sans doute plus proche, selon une vieille tradition d’emprunt de concepts religieux au voisin Égyptien. En premier lieu vient le mythe de la lune, œil d’Osiris pendant la nuit, dont la phase d’invisibilité cyclique est assimilée à sa mort. Vient ensuite la figure d’Isis-lune, souveraine des astres portant un croissant de lune sur la tête62. Populaire en Égypte durant la domination romaine, sa forme hellénisée se distingue de celle issue de la tradition pharaonique, notamment par son manteau sombre qui s’orne d’étoiles et de croissants lunaires, tandis que ses prêtresses portent l’étole isiaque à croissants et étoiles63. À travers le croissant de lune, on peut aussi penser à la célébration du dieu Aqedis, porteur de la couronne lunaire, et dont l’apparence se confond avec celle de Khonsou sur les monuments méroïtiques64. Enfin, le croissant lunaire apparaît couramment sous l’image frontale d’une tête de lion. Cette figure léonine pourrait être une réminiscence de l’image de Tefnout65, honorée au Djebel Barkal en compagnie de Shou, mais il est plus vraisemblable qu’il s’agisse en fait d’une référence à Bès ou à Apedemak sous les traits d’un dieu de fertilité. L’étoile (figure 81), autre symbole astral représenté par les Méroïtes, est souvent interprétée dans la littérature comme un simple motif floral. Pourtant, jamais les artistes méroïtiques ne le traitent accompagné d’un élément végétal tel qu’une tige ou une feuille. La corolle foliacée66 n’est donc pas forcément l’organe
Figure 81 – Sedeinga. Bouteille à long col au décor peint d’un plumage ponctué d’étoiles. [© SEDAU, dessin R. David]
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circulaire d’une plante, mais peut-être l’illustration d’un astre de la voûte céleste, à l’instar du symbole égyptien vers lequel s’élève l’âme du défunt « justifié ». On retrouve d’ailleurs des étoiles aux branches effilées ornant le buste d’Osiris dans la statuaire alexandrine des premiers siècles de notre ère67.
la liturgie La tombe, par-delà les restes humains, les vestiges de culture matérielle et les informations limitées livrées par les textes ou l’iconographie, autorise une reconstruction partielle du rite funéraire tel qu’il fut accompli, sur la base d’une accumulation de faits archéologiques distincts. Retracer la pensée qui ordonne les assemblages d’objets dans la tombe nécessite, en théorie, une bonne connaissance des dogmes régissant les croyances qui font naître et disparaître les rituels funéraires. Dans le cas du royaume de Méroé, nos bases en ce domaine sont pour le moins limitées. Bien que nous comprenions un peu mieux les origines du cadre religieux, ses modalités d’expression via l’architecture sacrée et l’iconographie de ses temples et chapelles, l’analyse fonctionnelle du mobilier funéraire demeure souvent cantonnée au simple inventaire de l’équipement accompagnant le mort. Ces dernières années cependant, des avancées notoires ont été réalisées, notamment sous l’impulsion de Patrice Lenoble au Soudan central68, et un véritable processus d’identification et de sériation des objets extraits des tombes s’est mis en place. L’une des découvertes majeures de cette recomposition des gestes liturgiques tient au fait qu’à fonction égale, la morphologie d’un objet varie considérablement selon la région étudiée. Il est donc important, lorsqu’on s’attelle à l’étude d’une tombe, de définir les différents groupes composant le mobilier funéraire (outils liturgiques, objets propitiatoires, insignes de pouvoir, ustensiles personnels et collections d’apparat) et de les replacer dans leur contexte régional, avant de lancer les premières interprétations.
La préparation du mort Bien qu’aucune iconographie ni aucun texte ne nous décrivent quelles étaient les mesures prises par son entourage lorsque la mort frappait un individu, un certain nombre d’observations dictées par le milieu naturel et l’analyse des restes archéologiques s’imposent à nous. Un examen qui permet d’aborder au préalable la question de la momification, tant l’emploi
67. Adriani 1961, pl. 101/219. 68. Lenoble 1991a ; 1996a ; 1997 ; 1998.
de ce terme dans la littérature traitant de Méroé est sujet à controverses. Abondamment usité, il désigne par exemple le traitement des corps d’une partie des enterrements dans la nécropole napatéenne de Sanam Abou Dom. L’intense activité des pillards n’a pas permis cependant de mener sur place une analyse des procédés utilisés, et la confusion règne dans les descriptions entre corps « momifiés » et corps simplement placés dans un cercueil anthropomorphe, tandis que la présence de bandelettes entourant certains défunts rappelle en effet le procédé69. Plus récemment, les fouilles menées à Tombos permettent de mettre en évidence une certaine continuité dans les structures et les coutumes funéraires, dont la momification, entre les enterrements datés du Nouvel Empire et ceux de la nécropole attenante napatéenne70. La pratique réelle de la momification par les Kouchites, selon les usages connus en Égypte, reste cependant problématique, d’autant que la première tombe à recevoir des vases canopes (celle de Piankhy à elKurru), a en fait livré des vases factices71. Par la suite, les vases sont bien réels (plusieurs exemplaires furent retrouvés dans les tombe de Nuri), et la pratique a donc pu s’appliquer aux membres de la famille royale au moins jusqu’à la fin du ve siècle avant notre ère, date à laquelle les vases disparaissent presque totalement. Certains auteurs pensent que la pratique se maintient, avec l’argument non prouvé que les viscères sont alors replacés à l’intérieur du corps72. Par la suite, rien n’indique que la momification ait réellement été adoptée dans le royaume de Méroé, bien que des références iconographiques continuent d’exister sur certaines stèles73, ou sur les murs des chapelles royales. Il s’agit là d’un phénomène bien singulier qui montre que les pratiques funéraires égyptiennes ne pénétraient pas Méroé de façon unilatérale, mais bien de façon sélective, car c’est paradoxalement durant la période romaine que l’Égypte voisine connaît son apogée en matière de momification dans la sphère privée. Au Soudan, l’abus de vocabulaire est donc courant pour désigner ce qui ressemble plutôt à une dessiccation naturelle des corps en milieu sec, reconnue et utilisée comme telle par les Kouchites. L’absence de momification dans les tombes privées méroïtiques supprime d’emblée l’existence d’ateliers spécialisés dans l’embaumement, d’où aurait pu partir le mort pour rejoindre sa tombe. Les soins restreints apportés au corps du défunt, comme le lavage ou 69. 70. 71. 72. 73.
Griffith 1923, p. 80. Smith 2007. Welsby 1996, p. 82. Gasm el-Seed 1996, p. 54. Priese 1997, p. 284.
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Figure 82 – Île de Saï. Lécythe. [© V. Francigny]
1 cm (1/1)
l’habillement, devaient donc être opérés au sein de la cellule familiale, la dégradation rapide de la dépouille sous ces latitudes imposant sans doute un calendrier de mise en terre relativement court. La nécessité de prévenir une putréfaction trop hâtive obligeait sans doute à laver le corps, éloigner les insectes par de l’encens, et si possible recourir à des onctions d’essences fortes. Cette dernière action serait attestée par la présence régulière de petits conteneurs à huiles parfumées dans le mobilier funéraire de la tombe74. L’huile, et non l’onguent75, est supposée venir d’Égypte ou de la Méditerranée, par assimilation des formes de conteneurs à celles des productions septentrionales. Cependant, la copie d’exemplaires importés renvoie à de possibles productions nubiennes. Locaux ou importés, les vases de petite taille contenant les huiles parfumées reproduisent parfois les spécificités de petits conteneurs en bronze76. Dotés d’un col étroit 74. Dans certains cas, l’association de ces conteneurs à des coupelles en métal laisse planer le doute sur la possibilité qu’on ait pratiqué une respiration divine similaire à l’action de porter l’encens aux narines du roi défunt (Lenoble 1998). 75. Ce terme, renvoyant à une matière de consistance épaisse contenant des dérivés de substances résineuses, est souvent employé à tort dans la littérature méroïtique. 76. Griffith 1924, pl. 55/4-6.
s’évasant brutalement en une large ouverture permettant de contrôler la sortie du liquide goutte à goutte, ces vases étaient conçus pour un usage parcimonieux du liquide. Le plus répandu est le lécythe, conteneur d’origine grecque qui se présente en Nubie sous une forme tardive caractérisée par une panse ronde, ce qui lui vaut l’appellation de lécythe aryballistique (figure 82). Sous une forme miniaturisée, il servait sans doute à des huiles plus raffinées, comme celles contenues dans les verreries (balsamaires et aryballes). Des exemplaires provenant d’Aksha au nord77, et de Sennar au sud78, illustrent sa diffusion à travers l’ensemble du royaume. L’onction devait participer à une purification autant sanitaire que religieuse. Une sacralisation, mais aussi une dissimulation des effets néfastes de la mort sur les chairs, rappellent en effet l’action d’Anubis sur le corps d’Osiris. Une fois purifiés, les défunts les plus importants pouvaient être munis de leurs vêtements et de leurs parures rappelant leur rang et leur fonction. Il s’agissait d’entrer dans l’au-delà sous les meilleurs auspices, mais aussi d’être sublimé aux yeux des personnes assistants aux funérailles.
77. Vila 1967, p. 351, pl. 2/5. 78. Addison 1935, pl. 6/21.
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Une fois préparé, le défunt pouvait être placé dans un cercueil79 ou entouré d’un linceul, puis porté vers la nécropole et sa tombe. Ce transport représentait un temps très court, les cimetières provinciaux étant rejetés à peu de distance des habitats installés sur le bord des oueds ou du Nil. Le lit en bois qui servait à la dépose du cadavre pendant son traitement pouvait être utilisé pour ce voyage, y compris en la présence d’un cercueil, et parfois même, rejoindre la tombe. Comme l’attestent de nombreux témoignages, le fait que les pieds du lit pouvaient être démontés montre qu’il ne s’agissait pas forcément de surélever le défunt par rapport au sol, mais bien d’enfouir un support souillé de substances délétères et devenu impropre au monde des vivants.
La libation L’antiquité tardive durant laquelle se développe le royaume de Méroé, constitue à elle seule un contexte favorable à la libation, qu’on trouve à cette époque géographiquement disséminée entre l’Arabie Pétrée et le royaume d’Axoum. Dans la religion funéraire kouchite d’inspiration osirienne, elle est un des rituels les plus importants et utilise un mobilier liturgique particulier, pour purifier le corps du défunt ou les nourritures qui lui sont offertes.
Consécrations des offrandes Depuis les tombes des premiers souverains napatéens enterrés à el-Kurru80, jusqu’à la fin de la période méroïtique, l’archéologie a révélé des traces du rituel de libation. Connue par divers objets liturgiques, la consécration d’offrandes par la libation est également corroborée par l’iconographie présente sur les tables d’offrandes (figure 39), les montants (figure 23) et les reliefs internes des chapelles funéraires (figure 68). Ces scènes, sur lesquelles Anubis accompagné d’une déesse du cortège isiaque sont les principaux exécutants81, nous renseignent sur l’outillage mis en œuvre, et notamment la céramique. Les vases employés y sont toujours à fond arrondi, une référence au sein d’Isis et son lait régénérateur selon J. W. Yellin82. La gestuelle classique voit une main faire basculer le conteneur, tandis que l’autre en contrôle le débit au niveau du col ou grâce à une anse. P. Lenoble a identifié à el-Kadada une « petite bouteille noire »83, comme l’un des conteneurs caractérisant la libation dans la sphère non royale (figure 83). Sa contenance moyenne (entre 0,5 et 1,5 litre), son profil en « S », sa fabrication à diffusion restreinte, son emplacement près de la tête (ou de la moitié supérieure du corps), et sa datation exclusivement liée à la période tardive, caractérisent ce récipient
Figure 83 – El-Kadada. Trois petites bouteilles noires à libation. [D’après Lenoble 1996a, p. 161, pl. 3]
79. La découverte de vases à onction dans des cercueils bien conservés, renforce l’hypothèse de cette chronologie des événements.
80. 81. 82. 83.
Dunham 1948. Yellin 1978. Yellin 1982a. Lenoble 1996a.
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Figure 84 – Sedeinga. Bouteilles et jarres, dont l’une est coiffée d’un gobelet fineware et une autre d’une coupelle en bronze. [© V. Francigny]
typique du Soudan central et de la région plus au sud84. Des traces de vannerie au niveau de l’étranglement du col et des trous de suspension sont autant d’indices qui rappellent la traditionnelle situle des scènes de libation. Les influences régionales sur la production céramique étant fortes, les vases à libation subissent des variations de forme qui font que seuls leurs caractères pratiques les réunissent dans une même catégorie d’outils liturgiques. Qu’il s’agisse d’une bouteille noire montée sans le tour provenant du Soudan central, ou d’une bouteille tournée à long col du nord du royaume (figure 81), le vase à libation est généralement accompagné d’une coupe en bronze85, ou d’un gobelet fineware se substituant au métal (figure 84).
84. On en a découvert à el-Firaikha, Méroé (Nécropole Nord, Ouest et Cimetière 300), el-Kadada, el-Kabbashi, Abu Geili et Sennar. 85. À Sedeinga, les bols en bronze portent régulièrement des traces d’étoffes signalant la volonté de garder intacte la pureté de l’objet après usage.
Si le gobelet peut servir à puiser ou verser, la présence d’une forme plus ouverte renvoie plutôt à la fonction de réceptacle. Comme on le suppose grâce à des exemplaires de coupelles, comme celle retrouvée à el-Kadada portant un motif isiaque de table d’offrandes sur sa surface interne86, la libation devait être effectuée avec ce type de récipient. Selon Lenoble87, le décor interne qui ne se dévoilait qu’au moment du versement, se ferait l’écho d’une sorte d’épiphanie héritée des rites méditerranéens dits « à mystères ». Au sein d’une même aire géographique, des variations de formes existent aussi. Comme le montre l’iconographie des tables d’offrandes et des chapelles, elles s’expliquent par la diversité des opérations de libation, selon que l’on verse le liquide sur le sol, une table, ou des offrandes bien réelles. La présence de plateaux de gobelets dans la région de Méroé, entre el-Kadada et Dangeil, illustre ainsi une libation fragmentée en plusieurs récipients selon un ordre dont
86. Lenoble 1991a. 87. Lenoble 1994e, p. 93.
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la signification nous échappe encore. On peut tout de même reconnaître l’origine royale du rite grâce aux libations effectuées pour le souverain par Nephtys et Anubis sur des tables couvertes de récipients88. La fouille de la tombe du prince Tedeqene dans le Cimetière Ouest de Méroé, nous renseigne sur l’existence de multiples libations et la présence d’autres types de réceptacles comme la table d’offrandes, le bassin et la colonne réceptacle89. Les nombreuses découvertes effectuées dans les nécropoles méroïtiques confirment la popularité de la table d’offrandes parmi les élites. Par activation magique des objets représentés à sa surface, où par le dépôt réel d’offrandes90, le liquide de la libation se charge de principes régénérateurs maintenus dans un réservoir, ou partant rejoindre le mort par le biais d’un canal d’écoulement. Cependant, la présence de la table d’offrandes n’était pas assurée au moment de l’enterrement, en raison du décalage qui pouvait exister entre sa fabrication et la nécessité d’une rapide mise au tombeau du mort. La localisation d’un promontoire construit le plus souvent au-dessus de la descenderie rebouchée, une fois les funérailles terminées, va également dans ce sens. Disparaissant rapidement par évaporation au soleil, absorption de la pierre ou du sol, la libation, en plus de convoyer les offrandes magiques vers le mort, devait symboliquement redonner au corps la quantité de liquide perdue par la déshydratation engagée après le décès. Identification du liquide Souvent évoquée mais jamais prouvée, la nature du liquide utilisé pour les libations funéraires suscite hypothèses et interrogations. Trois suppositions concentrent les débats : le vin, le lait et l’eau. Sur les murs des chapelles royales, la libation opérée par les dieux sur les tables d’offrandes est parfois accompagnée d’une représentation d’amphore, identifiant peut-être un des liquides utilisés pour le rituel. La libation au vin pour le mort était pratiquée par les Grecs et les Romains, l’amphore figurant également dans l’iconographie funéraire. Les Égyptiens utilisaient le vin pour sacraliser les bovinés destinés au sacrifice divins91, tandis qu’en Nubie il figurait au registre des offrandes offertes à Osiris92 et à Mandoulis dans les sanctuaires de Philae.
88. 89. 90. 91. 92.
Chapman, Dunham 1952, pl. 21. Dunham 1963, p. 80-81. Lepsius 1849-59, Abth. 5, Bl. 50. Hérodote, L’enquête, II, 38. Le papyrus Dogson (Cenival 1987) livre une anecdote selon laquelle vers 180 avant notre ère, le jeune Petrah est reconnu coupable d’avoir détourné du vin sacré destiné
Le vin était produit en Égypte depuis l’Ancien Empire, avec des vignobles principalement implantés dans le Fayoum et le Delta. Cependant, les récits recueillis par Hérodote laissent supposer qu’il était méconnu des Kouchites et du roi de Méroé. Ainsi, lorsque ce dernier reçut les fameux « espions » de Cambyse, il se serait fait expliquer le sens et la fabrication des cadeaux du souverain perse : (…) lorsqu’il en fut au vin et qu’il sut comment on le fabriquait, ce breuvage l’enchanta ; il voulut alors savoir ce que mangeait leur roi, et quel âge extrême pouvait atteindre un Perse. Il répondirent que le roi se nourrissait de pain, et lui expliquèrent comment on cultive le blé ; puis ils lui dirent que la vie la plus longue que peut espérer un homme ne dépasse pas quatre-vingts ans ; sur quoi l’Éthiopien s’écria qu’il ne s’étonnait nullement que, nourris de fumier, ils eussent si peu d’années à vivre : ils ne pourraient même pas durer si longtemps s’ils n’avaient cette boisson [le vin] pour se soutenir ; car sur ce point, dit-il, les Éthiopiens s’avouaient inférieur aux Perses. Hérodote, L’enquête, III, 22.
Cela est évidemment faux, puisque le vin apparaît déjà sur une liste d’offrandes divines faites par Taharqa au temple de Kawa, dans laquelle le souverain vante les vignes de Gematon, donnant plus de vin que celles de l’oasis de Bahariyya93. Au Djebel Barkal, la vigne figure également dans les plantations offertes au temple par Harsiyotef : J’ai fait planter six palmeraies pour toi, ainsi qu’une vigne, ce qui en fait six à Napata. Annales d’Harsiyotef, FHN 2, p. 455.
Les fouilles archéologiques ont par ailleurs mis au jour quelques éléments liés à l’activité du pressage des grappes de raisin à l’époque napato-méroïtique, notamment à Ikhmindi, Sayala94, Ouadi el-Arab, Tomas, Khor Shaduf Owshi, Tunqala, Arminna, Faras, Meinarti et Kawa, qui attestent tous une production locale de vin95.
à Osiris, pour le boire en compagnie d’un Blemmye. Un scandale où la pluriethnicité de la région est établie, comme l’exposera plus tard Strabon (Géographie, I, 2, 32) à travers ces mots : « (…) Syène appartient à l’Égypte, tandis que Philae est un établissement commun aux Éthiopiens et aux Égyptiens ». 93. Seguenny 1989, p. 864. 94. Sur le site fut aussi découvert une « taverne », dans laquelle un premier autel arborait une amphore gravée, tandis qu’un second montrait une image du dieu Bès (Kromer 1967 ; Millet 1984, p. 114). 95. Les pressoirs de Ouadi el-Arab, Arminna et Meinarti sont datés de la période méroïtique et possédaient chacun un protomé de lion en guise de déversoir (Adams 1966, p. 264-265).
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4 cm (1/4)
Figure 85 – Sedeinga. Amphore vinaire de type Dressel 2-4. [© SEDAU, dessin R. David]
Les importations sont connues, tant par les dépôts d’amphores dans les tombes (figure 85) que par les découvertes effectuées dans les palais et les sanctuaires de la région de Méroé. Contrairement à ce que dit Strabon96, pour qui les Éthiopiens n’utilisaient que le beurre et la graisse, il est certain que ces derniers importaient aussi de l’huile par le biais d’amphores. Pour preuve, l’exemplaire 21-3-375 trouvée dans la Tombe 28 du Cimetière Nord de Méroé, dont l’inscription ex prov(incia) ma(u)r(etania) Caes(ariensi) Tubus(uctus) désigne l’ancienne colonie romaine de l’actuelle Tiklat en Algérie ; un site particulièrement connue pour ses exportations d’amphores d’huile97.
96. Strabon, Géographie, 17, 2, 2. 97. Desanges 1972.
La découverte à Qasr Ibrim d’une « taverne »98, accompagnée d’un dépotoir rempli de gobelets et d’amphores vinaires rappelle que dans les derniers siècles de Méroé au moins, la consommation de vin et les circuits d’approvisionnement avaient été introduits dans le nord de la Nubie. À Dakka, en bordure de la Dodécaschène, on découvrit une zone de stockage remplie d’amphores à vin (des traces organiques correspondant à la lie du vin furent retrouvées), qui servait au camp romain installé à proximité. La présence d’un vase méroïtique décoré au sein de cet ensemble céramique99, atteste de contacts entre Romains et Méroïtes au sujet du vin. L’étude des restes d’amphores en Nubie nous apprend que le commerce du vin était principalement pratiqué avec le voisin égyptien, impliquant parfois un circuit plus large de distribution couvrant le bassin méditerranéen100. Boisson de l’élite et de l’aristocratie, les découvertes liées au vin en contexte funéraire sont toujours associées aux tombes des souverains ou des notables. Les copies d’amphores réalisées par les potiers méroïtes laissent penser que la demande était importante et ne pouvait se satisfaire des seules importations, sans doute réservées à un cercle restreint d’individus. À Sanam Abou Dom, de nombreux sceaux associés au contrôle des amphores importées arboraient ainsi le symbole royal du dieu Apedemak. Le vin, boisson de prédilection des voisins grecs et romains, était surtout associé au domaine des cérémonies religieuses dans la vallée du Nil. Vanté par les élites, il ne devint jamais aussi populaire que la bière. En effet, bien que les Ptolémées aient encouragé la viticulture chez les nouveaux colons, la bière conserva toujours la faveur des Égyptiens de souche. Le vin, résultat d’une fermentation et traversant donc un cycle de transformation, devait être perçu comme ayant des vertus propices à la métamorphose du défunt. Sa présence à Méroé concorde avec le développement du culte de Dionysos-Osiris. Son utilisation en tant que liquide de libation n’est cependant pas certaine. Le fait, par exemple, que l’équivalent méroïtique du mot « vin » ne semble pas apparaître dans les treize formules d’offrandes funéraires connues, tend à l’exclure du cadre liturgique. Sans être absent des funérailles101, sa présence serait donc plutôt liée à la consommation dans le cadre du banquet funéraire, expliquant la présence de quelques amphores de très grande taille dans les nécropoles.
98. Elle était indiquée par une amphore et une grappe sculptées sur l’un des murs extérieurs (Plumley, Adams 1974, p. 218). 99. Non reconnu par les fouilleurs (Firth 1915, p. 36, fig. 6/21). 100. Hofmann 1991a ; 1994. 101. Rilly 2008b, p. 4.
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Supporté par une riche iconographie invoquant la vigne et Dionysos, le vin devait n’avoir, comme en Égypte, que bien peu affecté l’engouement local pour une marisa proche de la bière (figure 86), déjà présente à l’époque napatéenne dans les listes d’offrandes destinées aux temples. Dionysos-Osiris lui-même, vu à travers le mythe recomposé par Diodore de Sicile, ne semble pas indigné par cette possible substitution :
scène des situles ou vases à fond arrondi, on a souvent associé ces conteneurs à ceux utilisés pour la libation accomplies symboliquement par Isis sur l’île de l’Abaton102, et qui renvoient implicitement au sein et au lait de la déesse.
Pour conclure, Osiris, en parcourant tout le monde habité, fit bénéficier la vie de tous du don des productions les plus civilisées. Et quand le terroir ne permettait pas d’y planter la vigne, il enseigna la boisson préparée à partir de l’orge, guère inférieure au vin pour l’arôme et la force. Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, I, 20, 3-4.
Une alternative également décrite par Strabon au tournant de notre ère : Les Éthiopiens vivent de millet et d’orge, dont ils font aussi une boisson (…). Strabon, Géographie, XVII, 2, 2.
et confirmé quelques années plus tard par Pline l’Ancien : Les Éthiopiens ne connaissent aucune autre graine que le millet et l’orge. Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XVIII, 100.
10 cm Figure 87 – Sedeinga. Jarre à bière. [© SEDAU, dessin R. David]
Chez les Kouchites, la faculté régénératrice du lait pouvait être associée à l’idée de purification. Un texte figurant sur un vase en argent appartenant à Senkamanisken, mais retrouvé dans la tombe d’Aspelta (Nu. 8), exprime ce lien étroit dès le viie siècle avant notre ère :
Figure 86 – Musawwarat es-Sufra. Graffito représentant deux Méroïtes buvant dans une jarre à l’aide d’une paille. [D’après Hintze 1979, p. 141, fig. 16]
Les vases dits « jarres à bière » ou burma (figure 87), que l’on trouve dans les tombes méroïtiques, semblent appuyer ces assertions. Le lait, autre liquide potentiellement utilisé pendant la libation, joue un rôle crucial dans de nombreux mythes égyptiens liés à la naissance. De par son rôle irremplaçable aux premières heures de la vie, il est devenu un symbole de pureté capable de transmettre la force nécessaire à toute transformation. L’iconographie liée aux libations méroïtiques mettant en
Salut à toi, Ô beau liquide, Ô bon produit qui évite le mal au nom du fils de Rê, Senkamanisken, doué de vie. Puisses-tu repousser tout mal et écarter toute abomination. Il a porté ses lèvres à ce vase, sa bouche étant celle du veau s’allaitant entre les jambes de sa mère. Sa purification est la purification d’Horus, et vice versa. Sa purification est la purification de Douenanwy
et vice versa.
Inscription de Senkamanisken (d’après Kendall 1982, p. 41)
Liquide nourricier par excellence, produit par le corps donnant la vie, son utilisation en contexte funéraire ne pouvait être mu que par la croyance en une renaissance. Dans les textes, il correspond peutêtre à la formule « L » des bénédictions pour le mort yer (:) mlo-lw : (p)twd-kete(se), qui n’est retrouvée 102. Yellin 1982a.
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Figure 88 – Karanog. Scène de traite gravée sur un bol en bronze. [D’après Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 27]
que sur des tables d’offrandes royales103. C’est aussi sur les décors des chapelles de Méroé, en contexte funéraire, que l’on voit défiler les troupeaux de vaches sacrées accompagnées par des situles pour la traite104. Qu’une libation de lait ait eu lieu en l’honneur de membres de la famille royale semble plausible. Qu’elle se soit répandue aux élites provinciales est probable, comme semble l’attester la découverte à Karanog de deux récipients en bronze portant un décor de traite sacrée (figure 88) durant laquelle Isis est allongée devant des bols et des situles visant à recueillir le lait105. Rien n’indique cependant qu’elle ait été populaire ou largement diffusée. Devant la rareté du vin importé ou produit localement, et du lait censé provenir d’un cheptel sacré, il paraît naturel de reconnaître dans l’eau le principal liquide utilisé par les Méroïtes pour la libation offerte au mort. À la même époque, les textes des formules égyptiennes appliquées au rituel de la libation vont également dans ce sens : Puissiez-vous recevoir chaque jour des cadeaux, des offrandes et de la nourriture de Khonsou à Thèbes. Puissiez-vous recevoir de l’eau fraiche (libation) d’Aménophis de Djeme le premier jour de chaque semaine. Papyrus Berlin 3162, 1. 3-5 (ier siècle de notre ère).
En Égypte, l’association entre l’eau du Nil et les sécrétions du corps d’Osiris était au cœur de nombreux rituels, notamment chez les choachytes thébains (« verseurs d’eau »), dont la corporation jouait un rôle important durant la période gréco-romaine, dans les cultes funéraires et les libations d’eau faites pour le mort. Le foisonnement de l’iconographie méroïtique relative au monde nilotique va sans doute dans ce sens.
103. Rilly 2010, p. 72-73 et 369. 104. Hofmann et al. 1984. 105. Török 1987, p. 87.
La présence d’un bassin miniature muni d’escaliers sur certaines tables d’offrandes rappelle que l’eau est bien un liquide attendu pour le versement de la libation. L’hypothèse soulevée par A. M. Abdallah106, qui rapproche ces réservoirs des fameux hafirs soudanais semble fausse, puisque pour la période méroïtique les tables portant ce décor ont presque toutes été découvertes en Basse Nubie, région dans laquelle aucun bassin à ciel ouvert ne fut jamais signalé. L’iconographie de ces tables d’offrandes n’est d’ailleurs pas une création kouchite, mais un emprunt à un décor ptolémaïque puisant lui-même dans un répertoire remontant jusqu’à l’Ancien Empire. Évoquant autant dans leurs formes les puits nubiens actuels que les lacs sacrés égyptiens anciens, ces bassins miniatures rappellent surtout l’intérêt constant des Méroïtes pour les sanctuaires dédiés à l’eau, que ce soit dans la capitale, avec les prétendus « bains » de Méroé, où à Doukki Gel, avec la restauration d’un puits sacré dans le quartier religieux. L’augmentation du niveau de l’eau d’un puits ou du Nil, à mettre en relation avec la crue, était perçue comme une phase de régénérescence, un symbole largement repris dans les rituels funéraires utilisant de l’eau. Cette eau versée et recueillie en partie par la table d’offrandes, s’accorde d’ailleurs parfaitement avec la description de la formule (A) méroïtique des bénédictions funéraires, qui commence généralement par ato mhe : pso-h-te, traduit : « Faites qu’il boive de l’eau en abondance ». Si l’identification du liquide de la libation est aussi disputée, c’est sans doute parce qu’il existait plusieurs types de libations, impliquant différents liquides, selon que l’on soit un membre de la famille royale ou un simple notable provincial. La variété des récipients et conteneurs qui peuvent indiquer le type de libation déroute en apparence, mais elle s’accorde 106. Abdallah 1982a.
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Figure 89 – Méroé Ouest. Stèle de Tedeqene. [D’après Dunham 1963, p. 80, fig. 60c]
avec la diversité de la culture matérielle méroïtique qui préfère accumuler les traditions régionales plutôt que de s’uniformiser.
L’encensement Le rituel de l’encensement est couramment évoqué pour les enterrements kouchites et méroïtiques en particulier, notamment en raison de la présence répétée de traces charbonnées associées à certaines céramiques du mobilier funéraire Pour comprendre vers qui ou vers quoi était orientée cette pratique, on peut se référer à l’iconographie royale. Plusieurs chapelles de pyramides au Djebel Barkal (figure 68) montrent par exemple une scène dans laquelle le prince héritier tend un bras-encensoir vers le visage du souverain défunt (pour ranimer ses sens ?). La représentation, bien que totalement symbolique dans sa forme, pourrait indiquer l’existence d’un rituel proche de celui de l’ouverture de
la bouche pratiqué sur les momies égyptiennes. Sur la stèle de Tedeqene découverte à Méroé Ouest (figure 89), on voit que l’encensoir peut prendre une forme moins sophistiquée, et que son action est complémentaire de l’autre rite de purification qu’est la libation. Identifié par le brûle-parfum, l’encensement se reconnaît aussi par la présence de petits conteneurs destinés à l’onction, dont les huiles parfumées peuvent être répandues sur des braises. Le royaume de Méroé ne produisant pas d’encens, ces huiles pouvaient constituer une alternative, au même titre que les résines et gommes locales, ou les bois odoriférants. À Arminna Ouest, on a ainsi identifié des sarments de vigne calcinés dans la nécropole107.
107. Fuller 1999, p. 208.
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Une fumigation de la tombe devait avoir lieu au moment de l’enterrement, ne serait-ce que pour limiter les interférences avec les insectes et autres éléments impurs pouvant nicher à l’intérieur de la cavité. Cette hypothèse repose sur l’observation récurrente de traces charbonnées sur le sol de la descenderie, et la découverte de brûle-encens brisés rituellement, dont les tessons se retrouvent parfois incorporés au ciment utilisé pour bâtir le système de fermeture (figure 90).
Figure 90 – Sedeinga. Encensoir brisé rituellement. [© V. Francigny]
L’animal En Nubie, le dépôt d’animaux dans une tombe appartient à une tradition ancienne dont les premières attestations remontent à la période paléolithique108. Chez les Kouchites, principalement associé aux rituels funéraires royaux et princiers, il est pratiqué en continue jusqu’à la fin de l’Antiquité. Rare chez les Napatéens (chevaux à el-Kurru, pièces de bovidés en dépôt de fondation à Nuri, lions à Sanam), il s’élargit et s’accentue chez les Méroïtes (chevaux, bovidés, chameaux et chiens). Dans la littérature archéologique, on s’est en général peu intéressé à la question du sacrifice animal funéraire, surtout lorsque le dépôt a été effectué hors du caveau, voire dans des chambres aménagées à cet effet109. Les rares informations disponibles indiquent cependant avec assurance le sacrifice d’une faune limitée, plutôt représentative de l’économie kouchite. Les bovidés sont absents des tombes privées110, tandis que la boucherie sacrificielle du taureau, du bœuf ou de la vache est bien représentée sur les reliefs des chapelles funéraires royales111. On trouve ainsi sur les parois de Beg N. 11112, des troupeaux conduits vers la libation, et d’autres abattus et dépecés sur les reliefs de Beg. S. 4 et S. 5113. Le sacrifice du cheval est plus courant mais, cette fois encore, demeure un privilège du corps royal114. Bien qu’il ait été introduit en Afrique à la fin du Moyen Empire et durant la Deuxième Période Intermédiaire115, le cheval n’a été élevé et utilisé en Nubie qu’à partir du Nouvel Empire. Son sacrifice en contexte funéraire apparaît à la XXVe dynastie, avec l’abattage de l’attelage du char royal. Sur le site d’el-Kurru, on a ainsi identifié 24 inhumations de chevaux dans quatre fosses, dont deux étaient associées à Shabaqa et Shabataqa116. Tous étaient enterrés debout, tête manquante, couverts de parures et entourés d’un riche mobilier117. Le cheval étant un élément déterminant de l’armée kouchite118, son sacrifice devait honorer
Les sacrifices Parmi les offrandes qu’on a coutume de présenter au défunt, certaines proviennent de la mise à mort volontaire d’un être vivant. Dans une symbolique de la dépossession et du renouvellement, les animaux ou les êtres humains abattus ne sont pas toujours destinés à nourrir ou favoriser le parcours du mort dans l’inframonde, mais participent plutôt à la mise en scène de l’enterrement où l’opulence se dispute aux marques de prestige et de pouvoir. Ce qui est vrai d’une cérémonie à caractère officiel, comme les funérailles du souverain, l’est cependant beaucoup moins dans la sphère privée, à la fois pour des raisons de moyens et de prérogatives.
108. Flores 1996. 109. Emery, Kirwan 1938. 110. Il faut de même mentionner la présence de restes de bovidés à Méroé Ouest, dans les Tombes W 410, W 114 et W 122 (Dunham 1963). 111. Lenoble 1994d. 112. Chapman, Dunham 1952, pl. 8. 113. Chapman, Dunham 1952, pl. 3a et f. 114. Lenoble 1994g. 115. Chaix, Gratien 2002. 116. Bökönyi 1993. 117. Kendall 1982, p. 32. 118. On connaît l’existence d’une cavalerie aux ordres du roi via la stèle de Piankhy, puis celle d’Harsiyotef (Heidorn 1997). Une représentation de la cavalerie kouchite est visible sur les parois du « temple du soleil » à Méroé (Hinkel et al. 2001).
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la fonction militaire du souverain et sa capacité à vaincre, y compris par-delà la mort. Le chameau figure parmi les restes d’animaux inhumés dans les cimetières méroïtiques. Plus rare que le cheval, il appartient cependant à la même prérogative de rang royal. Introduit dans la vallée du Nil dans les premiers siècles du Ier millénaire avant notre ère119, son iconographie se borne à des graffiti sur les murs de quelques sanctuaires et sur les monuments funéraires de Méroé. On retrouve son squelette à Méroé et à Qustul, disposant du même harnachement que le cheval, signifiant sans doute son rôle de monture royale. Rien ne prouve que le chameau, déjà très rare dans l’armée romaine voisine120 ait été utilisé par l’armée méroïtique. Il pourrait cependant avoir joué un rôle important dans la mobilité des populations blemmyes, en renforçant leur capacité à se retirer dans les hautes terres désertiques après raids et pillages dans la vallée du Nil. En Nubie, le sacrifice du chien en contexte funéraire est attesté depuis le néolithique121, sur les sites d’el-Kadada et de Kadruka, puis au Groupe C et à Kerma (Bonnet et al. 1989). Durant la période méroïtique, où plusieurs races cohabitent (lévriers et dogues122), il est d’abord présent en contexte royal, des squelettes de chiens ayant été retrouvés par G. Ferlini dans quelques descenderies de Méroé123. Selon L. Török124, les premiers apparaissent dans le Cimetière Ouest, dans la Tombe Beg. W. 20, et dateraient du iie siècle avant notre ère Aux périodes tardives, notons la découverte de 66 chiens répartis dans 9 tombes de Ballaña et Qustul, qui s’apparenterait au sacrifice de la meute accompagnant le souverain à la chasse125. Le chien en contexte funéraire (figure 26) ne semble regagner la sphère privée qu’à la toute fin de la période méroïtique et la transition vers le post-méroïtique126. L’animal semble alors accompagner son maître au moment des funérailles, ne pouvant symboliquement pas lui survivre, ni le quitter. Peut-être faut-il y voir aussi la résurgence de l’animal psychopompe, guidant l’âme vers l’inframonde et rappelant Anubis, devenu populaire en Nubie dans l’iconographie des derniers siècles de Méroé127.
119. Rowley-Conwy 1988. 120. Welsby 1996, p. 39. 121. Période à laquelle il fut introduit en Afrique ; cf. Brewer et al. 2001 ; Gransard-Desmond 2004. 122. Chaix 2010. 123. Budge 1907, p. 35. 124. Török 1989, p. 126. 125. Lenoble 1991b. 126. Geus 1986b, p. 25. 127. Yellin 1982b.
L’humain La notion de sacrifice humain en Nubie a longtemps servi une idéologie taxant de barbarie les populations anciennes, pour mieux fustiger les désirs d’indépendance des populations modernes. Passant sous silence les « joyeuses » mises à mort des jeux dans l’empire romain, les sacrifices humains aux périodes méroïtique et post-méroïtique ont longtemps contribué à illustrer une thématique de la décadence d’un pouvoir fort et impitoyable chez nombre d’auteurs128. Les sources antiques sont pourtant peu prolixes, et seul Strabon aborde le sujet : Voici encore une coutume éthiopienne : quand un des rois est mutilé dans une partie du corps quelle qu’elle soit, ses compagnons les plus proches endurent la même mutilation, et vont même jusqu’à mourir avec lui (…). Strabon, Géographie, XVII, 2, 3.
Faut-il y voir un phénomène qui ne toucherait que la plus haute sphère ? Les témoignages archéologiques plaident en ce sens, les tombes royales ou aristocratiques renfermant parfois plusieurs dizaines de cadavres supplémentaires129. À Méroé, on compte ainsi des sacrifices humains dans 8 tombes130 de la Nécropole Nord131 et 14 dans la Nécropole Ouest132 (Zach 2010). Si certains décrivent la présence de ces morts d’accompagnement comme des serviteurs proches du défunt en remplacement des ouchebtis133, il est plus vraisemblable qu’il s’agisse en fait du sacrifice de prisonniers appartenant à des tribus hostiles au royaume134, dont l’art méroïtique nous a d’ailleurs livré quelques représentations de mise à mort par empalement. Jusque dans la mort, la caste dirigeante prouvait ainsi sa capacité à vaincre les ennemis, et
128. W. Y. Adams (1976, 25), par exemple, écrit à propos de la position contractée et de la présence de sacrifiés dans les tombes de Ballaña : « In this respect as in many others it was typical of « Barbarian successor-states » around the world », ce qui rentre en contradiction avec la diffusion de la position contractée dans une bonne partie du royaume de Méroé (cf. infra p. 147 – La position du corps), et les nombreuses occurrences plus anciennes du sacrifice humain en Nubie, comme par exemple à Kerma, où 20 % des tombes de la nécropole orientale possédaient au moins un sacrifié (Simon 1995, p. 63). 129. Dans Beg. N. 17, on suspecte l’enterrement vivant de deux femmes (Dunham 1957, p. 143), tandis que dans Beg. W. 118 on décrit la dépouille d’un homme mort par suffocation (Dunham 1963, p. 19). 130. Dont celles de Natakamani, Amanitenmomide, Amanakhatashan et Aritene-yesbokhe, entre le ier et le iiie siècle de notre ère. 131. Török 1999. 132. Dans les Tombes W 4, 5, 32, 102, 108, 109, 118, 122, 177, 179, 193, 231, 263 et 369. 133. Trigger 1969. 134. Lenoble 1996b.
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donc à continuer son œuvre à la tête du royaume. L’iconographie des chapelles funéraires nous le rappelle via de nombreuses représentations de prisonniers ligotés, dont certains reçoivent une libation effectuée par Isis, acte de purification les destinant inévitablement à l’offrande et au sacrifice. Dans les enterrements privés, la présence de plusieurs dépouilles s’explique avant tout par les multiples réutilisations du caveau135. La possibilité d’un sacrifice humain n’est pourtant pas exclue dans certains cas, mais paraît exceptionnelle. À el-Kadada, on a ainsi découvert le corps d’un individu qui semble avoir été jeté par-dessus le mobilier funéraire, tandis que l’inhumation primaire fut retrouvée en dessous parfaitement en place136. De même, à Saï furent mis au jour plusieurs cadavres pêle-mêle dans la descenderie d’une tombe inviolée contenant une inhumation intacte137. Une scène peinte figurant sur une jarre retrouvée dans une tombe à Faras fait vraisemblablement référence à cette cérémonie si particulière (figure 91). On y voit un prisonnier étranger (caractérisé par sa coiffure) les bras attachés dans le dos, suivi de deux individus portant des tiges végétales et d’un chien assis portant entre ses pattes une lame de couteau. Tout laisse à penser que le prisonnier est condamné et que le sacrifice va avoir lieu, attestant la pratique en province.
Qu’il soit accompli sur un animal ou un individu, le rite du sacrifice fut plus tard vivement combattu par la chrétienté, puisque ni l’iconographie ni l’archéologie ne procurent de preuve de son existence en Nubie passé le vie siècle de notre ère.
Le banquet funéraire Une partie de l’abondante vaisselle entourant le mort caractérise ce qu’il est convenu d’appeler le « banquet funéraire », bien qu’il ne faille pas voir dans ce terme l’exacte définition d’un symposion hellénistique. Une fois écartés les vases à libation et les objets liturgiques les accompagnant, il reste en effet dans la tombe quantité de conteneurs vides dont le stockage à cet endroit signifie forcément un usage durant les funérailles. Leur position varie beaucoup en fonction des hypogées, et leur enfouissement se fait généralement après la dépose du défunt. Le caveau funéraire méroïtique ne renferme pas d’offrandes sous forme de victuailles, de boucherie sacrificielle ou de mobilier de substitution les représentant. On ne peut donc penser au caractère oblatif de ces dépôts de conteneurs. Les jarres retrouvées in situ avec leur bouchon, par exemple, ne procurent aucun reste de denrées stockées, mais simplement des résidus indiquant leur présence passée138. Les vivres étaient donc consommés par les personnes assistant
Figure 91 – Faras. Scène figurant un prisonnier sur le point d’être sacrifié. [D’après Griffith 1924, pl. 33]
135. De Voogt, Francigny 2012. 136. Geus 1983, pl. 12a. 137. Geus 1998, p. 118, pl. 12.
138. On note le cas d’un résidu de bière dans un conteneur de la Tombe 75 d’Arminna, et une noix (de muscade ?) dans la Tombe 192 de Karanog (Näser 1999, p. 22). P. Lenoble (1987a, p. 97) évoque la possibilité d’une « part du mort », qui verrait une partie du banquet réservée et enfouie dans la tombe.
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aux cérémonies d’enterrement, mais sans doute ailleurs que dans le cimetière, où les traces de banquets font défaut et où les espaces disponibles aux abords d’une tombe étaient parfois extrêmement réduits. L’abondance des denrées reflétant la richesse et le pouvoir d’une famille, l’arrivée de la vaisselle dans la tombe devait à elle seule jouer un rôle important dans les cérémonies des personnages de haut rang. La jouissance d’un repas idéal devait aussi symboliquement aider le défunt dans sa découverte de l’inframonde. Si le repas consacré au mort pouvait donc se tenir dans la zone d’habitat avant que la procession ne rejoigne le cimetière, il n’est pas exclu que le banquet ait pu aussi avoir lieu dans un autre espace consacré à cet effet. P. Lenoble139, selon une lecture des indices archéologiques souvent influencée par la tradition méditerranéenne antique, place ces zones sur les hauteurs avoisinant les nécropoles. Mais les exemples qu’il donne pour la région du Keraba (Djebel Ardab et Djebel el-Amera), dans lesquels des flancs de collines sont couverts de tesson issus de jarres, bouteilles, gobelets et amphores, pourraient n’être en fait que les déchets laissés par des postes de garde pour ces mêmes nécropoles.
Les supports funéraires Par « support funéraire », nous entendons la partie du caveau spécifiquement préparée pour recevoir le corps du défunt. Le plus souvent, aucun dispositif particulier n’était prévu, la couche souterraine rocheuse atteinte par exemple à travers les limons fossiles des terres alluviales, étant jugée suffisante pour la dépose du corps. La surface de ce sol était généralement laissée vierge, mais pouvait exceptionnellement être retravaillée, par exemple, pour y pratiquer un creusement anthropomorphe conçu pour accueillir la dépouille140. Ne concernant que les tombes à descenderie et cavité axiale, ce système offrait une alternative pérenne à celles des cercueils et coffrages fait de matériaux périssables. À l’inverse, on pouvait rendre immuable la couche funéraire en taillant141 ou construisant (en pierre ou en brique) une banquette au centre du caveau. Mais cette pratique, répandue dans la sphère royale, était très rare dans les tombes privées, et réservée à quelques sépultures exceptionnelles pour lesquelles une origine napatéenne et un remploi à l’époque méroïtique ne sont d’ailleurs pas exclus. Enfin, un exemple atypique provient de Sedeinga, où un panneau décoré
139. Lenoble 1992. 140. Abou Bakr 1967, pl. 30. 141. Vila 1967, p. 136, fig. 106.
du temple de Tiyi fut retaillé pour servir de banquette funéraire dans une tombe (figure 92). Des éléments intermédiaires pouvaient être glissés entre le sol naturel et le corps du défunt. L’un d’eux, qui n’affecte que le haut de la dépouille, est le repose-tête (figure 93). Bien que rarissime à la période méroïtique, il était déjà présent en Nubie dans le mobilier funéraire accompagnant le mort à l’époque Kerma, et continua à être utilisé jusqu’à la période post-méroïtique. Taillé d’une seule pièce dans du bois, la mauvaise conservation de ce matériau dans les tombes méroïtiques pourrait masquer une diffusion plus importante que les quelques occurrences connues142. D’autres objets pouvaient également remplir sa fonction, comme des pierres plates143, ou des briques crues144. La natte végétale, fabriquée avec des feuilles de palmiers, est également attestée sous le corps145. Le support le plus marquant de la tombe méroïtique reste le lit funéraire146, témoin d’une longue tradition nubienne147 remontant à l’époque Kerma148. Dès le début de la période kouchite, il figure dans certaines tombes provinciales149, et perdure jusqu’au post-méroïtique, où il semble se diffuser plus largement encore. Simplement descendu dans la fosse verticale de la tombe Kerma, le lit était plus difficile à manipuler dans les descenderies et les fosses étroites des sépultures méroïtiques. Témoin de ces opérations, des cordages faits de feuilles de palmiers tressées, ou des restes d’échelles en bois, sont parfois retrouvés dans les cavités, les descenderies et les puits d’accès à la tombe150. Il n’est pas non plus rare de découvrir la couche funéraire séparée de ses quatre pieds, ceuxci ayant été démontés au préalable pour faciliter l’insertion du lit dans la chambre mortuaire.
142. Des repose-têtes ont été retrouvés à Ouadi es-Seboua (Emery, Kirwan 1935, 74, fig. 54/3), Saï et Qustul (Tombes 308, 417 et 475 ; cf. Williams 1991a, 286 et 297). 143. Caneva 1988. 144. Vila 1982a. 145. Lenoble 1987b. 146. Comme l’écrit S. Wenig à la fin des années 70 (1978, p. 73), le lit funéraire fut longtemps considéré comme étranger à la tradition méroïtique : « As the bed burial was again revived in the post-Meroitic Period, it is possible that this custom may have persisted among non-royal persons during the Meroitic Period. In the absence of evidence, however, this remains supposition ». 147. F. Dunand (1982) voit dans la pratique de l’enterrement sur lit funéraire dans un secteur de la nécropole de Douch une forme d’influence kouchite. Des exemplaires très bien conservés permettent d’observer des détails techniques de fabrication qui valent aussi pour les lits nubiens (Castel, Dunand 1981). 148. Mills 1973, p. 20, fig. 4. 149. Geus 1995, p. 87, fig. 6. 150. Fernandez 1983.
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Figure 92 – Sedeinga. Banquette funéraire en pierre réutilisant un bloc décoré datant du Nouvel Empire. [© V. Francigny]
Pour les pièces finement ouvragées, les pieds pouvaient représenter des signes Sa. (figure 94), créant symboliquement une protection entre la dépouille et son environnement. À Emir Abdallah, V. M. Fernandez constate qu’il existe une distinction chronologique entre les enterrements sur lit avec cadre et pieds (iiie-iie siècle avant notre ère), et ceux sur simple couche faite d’un cadre avec son treillis (ier siècle avant notre ère)151. Des trous ou des tranchées pouvaient aussi être aménagés dans le sol de la tombe pour accueillir les pieds du lit et éviter les problèmes liés à la faible hauteur de plafond (figure 95). 151. Fernandez 1984b.
Figure 93 – Île de Saï. Repose-tête en bois. [© V. Francigny]
LE RITUEL FUNÉRAIRE • 115
Figure 94 – Sedeinga. Pieds de lits en bois sculptés en forme de signe Sa. [© V. Francigny]
Figure 95 – Île de Saï. Trous (en haut) et tranchées (en bas) destinées à accueillir les pieds d’un lit funéraire. [© V. Francigny]
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Les enveloppes corporelles Les premiers éléments connus sur la façon qu’avaient les Méroïtes de conserver leurs morts nous sont parvenus grâce à Hérodote, qui raconte comment Cambyse, roi des Perses, envoya deux émissaires « ichthyophages » espionner le royaume de Méroé. Voici ce qu’il nous dit, après leur rencontre avec le souverain kouchite : Pour en finir on leur montra les sépultures des Éthiopiens, que l’on fait, dit-on, dans une matière transparente, de la façon que voici : on momifie le corps, à la manière des Égyptiens ou par tout autre procédé, puis on l’enrobe d’une couche de plâtre que l’on peint entièrement et le plus fidèlement possible à la ressemblance du défunt ; ensuite, on le glisse debout dans un étui fait d’une pierre transparente, qu’on tire en abondance de leur sol et qui se laisse facilement travailler. Le corps enfermé dans cet étui demeure visible, il ne dégage aucune mauvaise odeur et n’a rien de répugnant, et il est en tous points exactement semblable à la personne défunte. Pendant un an, les plus proches parents du mort gardent chez eux cet étui de pierre et lui offrent les prémices de toute chose ainsi que des sacrifices ; après quoi, ils l’enlèvent de leur demeure et le dresse aux environs de la ville. Hérodote, L’enquête, III, 24.
Le maître d’Halicarnasse n’ayant jamais dépassé l’île d’Éléphantine, son récit repose vraisemblablement sur ceux de mercenaires circulant en Nubie, ou sur des textes plus anciens entretenant l’image d’une contrée mythique remontant à la tradition des récits grecs. On retrouve en partie cette description fantastique chez Agatharchide de Cnide, cité par Diodore de Sicile quelques siècles plus tard : (…) le corps est en effet embaumé, mais on ne fait pas fondre du verre autour du corps nu ; car celui-ci serait brûlé, entièrement défiguré et ne conserverait aucune trace de ressemblance. On fabrique donc une image d’or creuse dans laquelle on met le cadavre ; c’est cette statue qu’on enveloppe d’une couche de verre fondu ; on place ensuite le tout dans le tombeau, et on voit à travers le verre l’image en or du défunt. Ce mode de sépulture n’est employé que par les riches, ceux qui sont moins fortunés reçoivent une image d’argent, et les pauvres l’ont en terre de poterie. Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, II, 15. Ils (les Éthiopiens) ont également d’étranges coutumes en ce qui concerne leurs morts. Certains s’en débarrassent en les jetant dans le Nil, considérant cela comme la meilleure des tombes. D’autres recouvrent les morts de verre et les conservent dans leurs maisons, croyant que les traits du défunt gagnent à être connus de leur entourage, et que les membres de la famille ne doivent
pas oublier leurs parents. D’autres encore les mettent dans des sarcophages en terre cuite, les enterrent autour de leurs temples, et prêtent serment à ceux qu’ils considèrent comme les plus forts de tous. Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, III, 9.
De même chez Strabon au début de notre ère : Pour ce qui est des morts, certains les jettent dans le fleuve, d’autres les entourent de verre et les gardent chez eux ; il en est aussi qui les enterrent autour des temples dans des cercueils faits de terre cuite ; ils
exigent que les serments soient prêtés au-dessus d’eux, et les tiennent pour ce qu’il y a de plus sacré. Strabon, Géographie, XVII, 2, 3.
De ces descriptions, bien peu sera retenu par l’historien, l’utilisation d’un cercueil pour enfermer le corps étant la seule affirmation tant soit peu fondée. Le cercueil Le coffrage funéraire régulièrement attesté dans les tombes méroïtiques confirme l’influence du principe osirien selon lequel l’enveloppe corporelle doit demeurer intacte. Dans son expression la plus basique, il était réalisé à l’aide de briques crues formant une sorte de sarcophage rectangulaire autour du défunt152, le plus souvent pour des sépultures de petite taille destinées à des enfants. Beaucoup plus sophistiquée, une autre enveloppe consistait en une cuve en terre cuite, parfois anthropomorphe. Singulier et d’inspiration étrangère (l’Égypte romaine en fournissant d’énormes séries), on trouve ce type de cercueil avec un couvercle figurant un visage à Méroé Ouest153, et sans couvercle à Faras154. À Argin, un autre exemplaire est connu (figure 96). Atypique, il est doté d’un décor anthropoïde dont le haut figure un personnage allongé sur le ventre, tandis que les pieds reprennent la position classique d’un individu reposant sur le dos. Dans le royaume de Méroé, le plus répandu des sarcophages est en fait le cercueil en bois155. Déjà à l’époque Kerma, quelques cercueils égyptiens d’importations sont attestés dans la capitale nubienne, entre la phase du Kerma Moyen et du Kerma Classique156. Courant durant la période napatéenne157,
152. Pellicer Catalan 1963, pl. 2/1. 153. Dunham 1963, p. 207, fig. 150b. 154. L. Cotelle-Michel le classe à tort dans le registre ptolémaïque (2004, p. 194). 155. Contrairement à ce que l’on observe en Égypte à la même époque, le cercueil méroïtique ne porte pas de traces de réinhumation. Griffith 1924, pl. 35/2. 156. Bonnet 1984, p. 18-19. 157. Bonnet 1995, p. 51, fig. 22.
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c’est un élément majeur de la tradition égyptienne qui gagne progressivement les élites kouchites, et favorise la position osirienne du défunt, allongé sur le dos avec les membres inférieurs tendus. Le cercueil revêt trois formes possibles : anthropomorphe (figure 97), trapézoïdal158, et rectangulaire (figure 98)159. La fouille de Missiminia nous apporte un élément de chronologie important, puisque sur l’ensemble des cercueils en bois découverts dans les tombes, seuls ceux de forme rectangulaire à sommet cintré et les sarcophages anthropomorphes étaient directement
posés sur le sol vierge de la cavité160. Cela pourrait indiquer leur ancienneté par rapport aux autres types de coffrages en bois, bien qu’on observe des similitudes entre certains exemplaires trouvés en Nubie et les productions égyptiennes des premiers siècles de notre ère. Cette catégorie de cercueils est souvent rapprochée des cartonnages, dès lors qu’on y trouve des restes de polychromie. Cependant, en l’absence d’utilisation massive de résine, il semble plus adapté pour la période kouchite de parler de cercueils plâtré polychromes, le décor étant peint directement sur le
Figure 96 – Argin. Cercueil anthropomorphe en terre cuite. [D’après Dunham 1963, 80, fig. 60c]
Figure 97 – Sedeinga. Cercueil anthropomorphe en bois. [© V. Francigny]
158. Geus et al. 1995, p. 113, fig. 11. 159. La forme peut parfois prendre un aspect cintré dans la partie supérieure.
160. Vila 1982a.
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Figure 98 – Sedeinga. L’ostéologue J.-C. Mandard sur le point d’ouvrir un cercueil d’enfant en bois. [© V. Francigny]
plâtre161 ou le tissu collé au bois (figure 99)162. Des inhumations napatéennes à Sedeinga ont ainsi livré des exemples de cercueils plâtrés avec des décors de couleur jaune, rouge et bleu163. À Kerma, les tombes napatéennes du site de l’école et de l’agglomération secondaire de la ville antique livrèrent un répertoire décoratif encore plus étoffé, allant des figures géométriques aux représentations de divinités164.
161. Welsby 2002, p. 36, pl. 9. Le plâtre pouvait être un enduit sur bois dont 90 % de la masse était faite d’un mélange d’argile (kaolin et faible quantité de chlorite et d’illite) et de quartz (sables). 162. Quelques exemples trouvés dans le Secteur II de la nécropole de Sedeinga présentent une décoration polychrome reprenant le répertoire iconographique des sarcophages d’époque romaine (collier ousekh, déesse Isis agenouillée, vignettes du livre des morts, etc.). La technique, empruntée à l’Égypte, consistait à enduire une pièce de lin avec de la peinture à la colle, phase préparatoire qui raidissait le tissu et permettait la fixation de la peinture. 163. Janot et al. 1997. 164. Bonnet, Valbelle 1980 ; Bonnet 1997a.
Une autre distinction liée à la fabrication des cercueils tient au fait qu’ils peuvent tous être assemblés, mais que seuls ceux à forme rectangulaire peuvent être creusés dans une pièce de bois unique. Dans le cas d’un assemblage, l’objet est monté à l’aide de planches qui sont attachées par des cordelettes165 ou chevillées166. Le couvercle ne semble pas avoir été obligatoire, et n’est attesté que de façon sporadique. Il se présente soit sous la forme d’une planche en bois taillée aux dimensions du coffrage, soit sous une forme beaucoup plus improvisée de planchettes irrégulières liées au cercueil par des cordelettes167. Il arrive aussi que la couverture ne soit faite que d’un tapis végétal, par exemple à base de tiges de doura liées entre elles168. 165. Fernandez 1984b, p. 56. 166. Ce procédé n’est visible que sur les exemplaires les mieux conservés, et confirmé par l’absence totale de clous métalliques. 167. Williams 1991, pl. 19. 168. Bates, Dunham 1927, pl. 13/1.
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Dans le cas des cercueils creusés, on utilise une section de tronc de palmier que l’on évide à l’aide d’un outil de type herminette, afin d’obtenir une « gouttière » dans laquelle est insérée le corps169. Les deux extrémités peuvent êtres closes par des morceaux de bois, souvent associés à des résidus de cordelettes. Ce modèle semble plus fréquent au méroïtique classique qu’à la période tardive, et particulièrement prisé pour les inhumations d’enfants. Le bois commun utilisé pour la fabrication des cercueils n’a souvent pas résisté à l’action conjointe de la décomposition des corps et de l’appétit des termites. Lorsque pour des raisons exceptionnelles, la conservation des matières périssables est bonne, les occurrences de cercueils en bois peuvent être très élevées dans un même cimetière. À Aksha170, par exemple, on a retrouvé 85 exemplaires fragmentaires ou pulvérulents, pour un total de 97 tombes. Une fois n’est pas coutume, le pillage peut jouer un rôle positif dans la conservation de ces cercueils, puisque
l’éclatement du coffrage au moment du larcin permet à de nombreux fragments d’être ensevelis dans du sable, évitant ainsi les déprédations extérieures et diminuant aussi les effets des variations hygrométriques. Les espèces de bois reconnues par analyse sont le palmier doum (Hyphaene thebaica), surtout pour les cercueils creusés, ainsi que le ficus (Ficus sp.) et le sycomore (Ficus sycomorus)171, utilisés depuis longtemps en Égypte pour la fabrication de sarcophages. Rappelons enfin que la présence d’un cercueil n’empêchait nullement l’utilisation d’un support funéraire comme le lit. À Tombos, les tombes napatéennes qui jouxtent la nécropole du Nouvel Empire ont révélé des inhumations placées dans des sarcophages en bois de tradition égyptienne, posés sur des lits funéraires172. C’est également le cas, par exemple, dans la tombe méroïtique 1075 à Kawa173. Tout comme le lit, le cercueil pouvait être descendu dans la tombe à main d’homme ou à l’aide de cordages parfois laissés sur place après l’enterrement.
Figure 99 – Sedeinga. Fragment de cercueil avec tissu peint collé sur le bois. [© V. Francigny]
169. On les rencontre parfois dans les publications sous l’appellation « bark coffin ». 170. Vila 1967.
171. Ce matériau n’a été formellement identifié jusqu’à présent qu’à Emir Abdallah. 172. Smith 2007. 173. Welsby 2001, p. 69.
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Le linceul et les vêtements Qu’il repose sur le sol, sur un lit ou dans un cercueil, le mort portait tout ou une partie de ses vêtements en plus d’un éventuel linceul. Si durant la période napatéenne, la résille de perles était utilisée, elle se raréfie dans les enterrements royaux méroïtique, et semble même disparaître dans les usages funéraires privés. Comme souvent, le rang ou la richesse de l’inhumé influe sur la qualité et la quantité des enveloppes corporelles. La découverte de quelques fragments de ces enveloppes, de par la qualité du matériau ou la sophistication du décor, permet ainsi de juger en partie du statut social d’un individu. Le linceul est répandu sur la majeure partie du territoire où l’on signale des enterrements privés méroïtiques, tout comme il est courant en Égypte durant la période gréco-romaine. Il enveloppe en général entièrement le défunt, y compris la tête, et peut être maintenu par des ligatures pouvant faire plusieurs fois le tour du corps174. Lorsque plusieurs linceuls sont présents sur un même individu, il arrive qu’on utilise une pièce de tissu enroulée autour du bassin, afin de maintenir l’ensemble à la façon d’une ceinture.
La technique utilisée pour le tissage du linceul correspond presque toujours à « l’armure toile », qui désigne le simple entrecroisement des fils de chaine (longueur) et de trame (largeur). On note aussi l’utilisation de tissus bouclés avec une face épaisse et laineuse174 qui avaient sans doute pour fonction de servir de couche funéraire, à l’image de ce qui se faisait à l’époque dans le monde romain. D’autres se terminent par un travail en ajouré, des franges (figure 100) ou des lisières renforcées, et possèdent des insertions décoratives en tapisserie175. La laine entre fréquemment dans sa composition, cependant c’est le coton qui devient vite majoritaire, à l’image du changement opéré dans la production de textiles à Méroé177. C’est d’ailleurs depuis le royaume nubien que sa culture et son utilisation se répandront en Égypte. La possibilité d’un linceul en cuir est évoquée par A. Vila178, mais l’absence d’autres indices sur l’ensemble des nécropoles méroïtiques rend l’hypothèse incertaine. La plupart des linceuls ne sont pas décorés, leur couleur, naturelle ou obtenue par teinture, oscillant entre un blanc écru et le beige. Les rares décors offrent peu de diversité et renvoient systématiquement à des symboles de vie179 ou de protection. Un cas exceptionnel est toutefois à noter, puisqu’il semble
Figure 100 – Île de Saï. Pièce tissée se terminant par un travail en ajouré et des franges. [© V. Francigny]
174. Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 37. 175. Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 108, fig. 1. 176. Yvanez 2012.
177. Mayer-Thurman 1979, p. 36 ; Adams 2010. 178. Vila 1967, p. 331. 179. Geus et al. 1995, p. 135, pl. 7d.
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Figure 101 – Île de Saï. Fragments d’un linceul peint sur lequel un dieu à tête de crocodile tient dans sa main un vase à libation. [© V. Francigny]
reproduire sur du tissu, un décor habituellement peint sur des sarcophages d’Égypte romaine. Découvert à Saï, dans une tombe de la nécropole élitaire 8-B-5.A, ce linceul peint contient notamment l’unique représentation connue dans le royaume de Méroé, d’un dieu à tête de crocodile et à corps humain (figure 101)180. Certains linceuls de grande taille retrouvés in situ montrent des assemblages sommaires de pièces de tissus hétérogènes. On peut donc en conclure qu’une partie des enveloppes corporelles méroïtiques était faite de textiles recyclés ayant pour ultime destination la tombe, tandis qu’une minorité de linceuls décorés ou finement ouvragés devait avoir un rôle spécifiquement religieux voire, pour certains d’entre eux, funéraire. Les vêtements, qui constituent l’enveloppe minimale emportée par chacun dans sa tombe, sont également significatifs d’un ordre social. La statue-ba et
les stèles nous montrent quels pouvaient être les attributs des personnes de haut rang, mais les tombes où nous serions en droit d’espérer retrouver ces compositions raffinées étant aussi les plus riches, le pillage intensif qu’elles ont subi nous prive de la plupart des témoignages vestimentaires. Quelques vestiges nous sont toutefois parvenus, comme une jupe à frange à Karanog181, un tablier d’inspiration égyptienne fait d’une ceinture en deux parties tombantes et symétriques à Faras182, ou une tunique décorée en coton associée à un pagne dans une tombe de Djebel Adda183. Les tombes plus modestes livrent aussi des éléments sur les tenues vestimentaires, ces dernières se bornant la plupart du temps à une simple dissimulation des parties génitales (figure 102). À Emir Abdallah, on a ainsi exhumé 23 exemplaires de cache-sexe en cuir noués autour de la taille184, tandis qu’à Ashkeit, c’est un modèle en tissu qui fut retrouvé in situ185.
180. Le contexte funéraire semble favorable à l’identification du dieu Sobek originaire du Fayoum, dont Isis se rapproche dans les premiers siècles de notre ère, notamment pour ses vertus fertilisantes. Un exemple de cette proximité nous est donné par l’arétologie d’Isis du papyrus Oxyrhynchus (P. Oxy XI.1380 ; Frankfurter 1998, p. 100). Un rapprochement similaire avec Osiris s’observe sur des séries de terres cuites (Bricaut et al. 2007, p. 29).
181. Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 11/40229 et 108/5. 182. Griffith 1924, pl. 65/4 ; Adams 1989, pl. 11c. 183. Vogelsang-Eastwood 1993, pl. 17. 184. Fernandez 1984b. 185. Bergman 1975, p. 75.
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5 cm
Figure 102 – Île de Saï. Cache-sexe en cuir. [© E. Yvanez] Figure 103 – Île de Saï. Sandale en cuir. [© V. Francigny]
À ces quelques éléments, il convient d’ajouter les chaussures parfois associées aux dépouilles méroïtiques. Tous les exemplaires connus sont en cuir (figure 103), un matériau utilisé sous une forme brute et non tannée, qui devrait en fait lui valoir l’appellation de simple peau animale. La précision des décors au poinçon ou impressionnés, et la finesse des pièces assemblées indiquent cependant que les opérations de nettoyage des peaux étaient maîtrisées avec dextérité. Ces chaussures, qui jouaient peut-être un rôle dans le passage post-mortem, étaient probablement portées du vivant des individus, et faisaient à ce titre partie des quelques effets personnels les accompagnant dans la tombe. On distingue parmi elles les sandales ouvertes186, maintenues par un jeu de lanières autour de la cheville, et les chaussures fermées187, composées de pièces découpées et cousues.
186. Vila 1967, p. 85, fig. 61/4. 187. Vila 1967, p. 261, fig. 232.
Le mobilier funéraire Le nombre et la diversité des objets qui pouvaient accompagner le défunt dans sa tombe étant suffisants pour remplir les pages d’un ouvrage à part entière, nous traiterons ici des catégories les plus représentées, ainsi que celles qui contribuent à éclairer le champ des pratiques funéraires méroïtiques. Bien que redonner une fonction à chaque objet soit impossible, des pistes d’interprétations seront avancées sur la base d’observations archéologiques et de parallèles connus à la même époque en Égypte. Des informations sur la diffusion des objets et des pratiques au sein du royaume seront également fournies, notamment pour les outils du sacrement et les vestiges du banquet. Les tombes méroïtiques servant souvent à plusieurs enterrements, il semble que déranger les morts et se retrouver nez à nez avec d’anciennes dépouilles et leur mobilier funéraire n’ait pas été une chose si incongrue pour les Méroïtes. Les personnes chargées des enterrements avaient sans doute pour mission
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de gérer les espaces funéraires et d’apporter des solutions pour les nouvelles mises au tombeau. Cela devait aller de la simple réorganisation de l’intérieur d’un caveau, à l’enlèvement d’une partie des corps et des objets. On peut donc considérer que pour les Méroïtes au fait de ces usages, la valeur des assemblages funéraires était véritablement symbolique, ces derniers n’étant pas réellement voués à traverser les siècles. Les parures Bien que le port de bijoux soit commun aux deux sexes, on note que leur présence s’accroît dans les sépultures de femmes et d’enfants, notamment pour les ornements à valeur prophylactique. Contrairement à certaines catégories d’objets rencontrés uniquement dans les tombes de personnages de haut rang, les colliers et autres éléments de parures sont courants dans tous les types de sépultures, avec toutefois des différences dans les matériaux et la qualité de la façon. Quelques objets semblent aussi limités à certaines fonctions, comme par exemple le long collier de grosses perles comportant en son centre une effigie du dieu Amon, qui est systématiquement associé à la statue du pesto. De même, le collier court de grosses perles ne semble porté que par le prince héritier. On dit souvent des parures ornant le cou, les poignets et les chevilles, qu’elles protègent la force vitale du corps incarnée dans les pulsations du sang, particulièrement sensibles à ces endroits. Cependant, on peut arguer qu’il s’agit là de zones naturellement exposées, sur lesquelles il est facile d’attacher un objet sans que celui-ci entrave les mouvements du corps. D’ailleurs des colliers de perles pouvaient aussi être portés à d’autres endroits, par exemple au niveau des hanches188. L’incroyable diversité des parures indique des productions régionales, voire locales, enrichies de pièces plus standardisées et à plus large diffusion. En l’absence d’autre mobilier, les parures montrent au mieux à l’archéologue qu’une inhumation est méroïtique. Leur pertinence dans un calage chronologique plus fin reste exceptionnelle. Les amulettes et les talismans. Témoins d’une croyance en la protection magique d’un objet sur son porteur, les amulettes deviennent plus rares à mesure que l’on s’éloigne de la période napatéenne, bien que les sujets et les symboles restent les mêmes. Dans le royaume de Méroé, on compte ainsi des amulettes oudjat ou cordiformes montées à l’intérieur de colliers de perles, le plus souvent associées à des corps d’immatures. 188. Longa 2008, p. 80.
Osiris, dont l’effigie incarne la base de la religion funéraire est également présent189. Il est rejoint par Isis190, dont on privilégie la forme Isis lactans, qui incarne la protection sur l’être en devenir en la personne du jeune Horus ; une protection ardemment recherchés par les défunts prêts à renaître. Les représentations de Bès (figure 72) ou les amulettes patèques sont aussi présentes. Fabriquée parfois localement191, leur popularité en Nubie fait écho au mythe de l’œil de Rê, et atteste la profonde intégration de la mythologie solaire chez les Kouchites. Beaucoup d’autres motifs sont attestés, comme le crocodile, ou la croix ankh montée sur un croissant de lune (figure 79). Sur le site de la Nécropole 8-B-5.A de l’île de Saï, on a retrouvé deux pièces de cuir inscrites recto verso, visiblement pliées plusieurs fois et liées jadis par une cordelette. Elles étaient portées en talisman, et contiendraient un texte reproduisant l’oracle rendu par les prêtres d’Amon de Primis (Qasr Ibrim). Écrites à l’origine sur papyrus ou ostraca, ces inscriptions se rattachent à la famille égyptienne des décrets oraculaires amulétiques192. La reproduction du texte sur un matériau épais et solide attesterait la volonté de pérenniser la prédiction, pour la transformer en un talisman propitiatoire dépassant le simple cadre de la réponse oraculaire. Les pendentifs. À valeur intermédiaire entre l’amulette et le pendentif décoratif, le scarabée est souvent présent parmi les parures kouchites anciennes portées au niveau de la poitrine ou aux poignets. À l’origine, le scarabée était associé à l’astre solaire, l’insecte aidant symboliquement à sa remontée de l’inframonde vers l’horizon chaque matin. L’iconographie à son revers copie les thèmes égyptiens courants des scaraboïdes de Nubie, avec quelques digressions originales comme le montre un exemplaire à lotus et antilope retrouvé à Kawa193. Un pendentif peut, dans sa plus simple expression, se résumer au remploi d’un objet devenu inutilisable bien que toujours signifiant, comme par exemple une empreinte de sceau194. Il se retrouve aussi sous la forme d’objets empruntés à la nature, comme les coquillages du Nil ou de la mer Rouge, les plus courant étant le cauri (Cypraea annulus ou Cypraea obtusa) à péristome abrasé, le Marginella monilis et le Conus.
189. Geus 1998, p. 102. 190. Geus 2002, p. 108. 191. Sackho-Autissier 2004. 192. Rilly 2007, p. 216. 193. Welsby 2004b, pl. 153. 194. Geus et al. 1995, p. 114.
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Les pendentifs, à l’instar des perles, sont rarement des éléments chronologiques déterminants et se raréfient dans les tombes au fur et à mesure que l’on se rapproche de la période gréco-romaine. En comparant les découvertes archéologiques faites en Nubie, à l’iconographie des portraits peints égyptiens de l’époque tardive, on trouve d’étonnants parallèles qui sont autant d’indicateurs sur la diffusion de certaines modes à travers la vallée du Nil. Parmi les nombreux pendentifs représentés sur ces peintures, on trouve notamment la lunule (en forme de croissant), portée par les femmes195, et aux vertus protectrices chez les enfants196, dont des exemplaires furent retrouvés à Méroé197 et en province198. La chronologie de ces portraits d’Égypte, souvent bien établie à travers la forme de certains motifs et la technique utilisée, permet d’envisager une utilisation de la lunule dans le royaume de Méroé entre 25 et 100 de notre ère. Généralement réalisé en métal précieux dans les parures égyptiennes, le modèle méroïtique est soit en argent, en bronze ou en pâte émaillée.
Les colliers. Les perles utilisées dans les parures méroïtiques (figure 104) couvrent un nombre important de formes : annulaire, discoïde, sphérique, sphéroïde, tubulaire, cylindrique, en barillet, rhomboïdale, cannelée, tronconique, piriforme, biconique et en goutte. La liste des matériaux utilisés pour les confectionner n’est pas moins longue : œuf d’autruche, os, coquillage, cornaline, quartz, serpentine, pâte émaillée, verre (translucide, opaque, doré, argenté, multicolore, avec incrustations ou inclusions), bronze, argent et or. Cette grande diversité de formes et de couleurs régressera dès l’effondrement du royaume au ive siècle de notre ère. Les anneaux. Ils se portaient aux chevilles, aux poignets et sur la partie supérieure des bras. Hormis les représentations de souverains et de dignitaires, les seuls personnages de l’iconographie méroïtique à porter des anneaux sont les satyres dansant dans le cadre des fêtes dionysiaques. En fer ou en bronze, les anneaux de chevilles caractérisent des inhumations en décubitus dorsal. À Faras, F. Ll. Griffith suggère qu’il s’agit d’une pratique courante du méroïtique classique, soit la phase la plus ancienne de cette nécropole. Ce positionnement chronologique est remis en cause par A. Vila qui y voit en fait la pratique d’une population tardive qui réutilise des tombes plus anciennes199. Mais sa démonstration souffre d’importantes carences et résiste mal à la revue de l’ensemble des sites funéraires du royaume, qui penchent plutôt pour un phénomène ancien. À Sedeinga, par exemple, une inhumation intacte d’enfant datant du ive avant notre ère a produit deux anneaux de chevilles en bronze (figure 105). Il n’est pas rare que les extrémités de ces anneaux soient décorées d’incisions. Une version miniaturisée est aussi attestée, enfilée sur un orteil du défunt200. Les boucles et boutons d’oreilles. Les ornements d’oreilles retrouvés dans les enterrements privés sont bien loin des luxueux spécimens représentés sur les chapelles royales. Il s’agit principalement de boucles faites d’un anneau ovale ou circulaire en bronze, auquel s’ajoute parfois un pendant fixe ou libre. Le bouton est aussi attesté, en pierre201 ou en faïence (figure 106), avec une partie étroite en son centre pour assurer la fixation. Les bagues-cachets. Ces bagues, dont on pense qu’elles étaient faites pour apposer une empreinte sur un sceau, possèdent des chatons décorés en creux (figure 107), dont le motif rend chaque objet
195. Walker 1997, pl. 1/1. 196. Doxiadis 1995, p. 56. 197. Dunham 1963, p. 129, fig. 96b ; Wildung 1997, p. 335. 198. Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 40 ; Griffith 1924, pl. 61/49.
199. Vila 1982a, p. 191. 200. Vercoutter 1979, p. 227. 201. Vila 1967, p. 227.
Figure 104 – Île de Saï. Collier de perle. [© V. Francigny]
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Figure 105 – Sedeinga. Enterrement d’enfant portant des colliers autour du cou et des anneaux en bronzes aux chevilles. [© V. Francigny]
unique, malgré des thématiques récurrentes comme celles des divinités (surtout Apedemak et Amon), des scènes royales ou de la domination envers les ennemis du royaume. La rareté des découvertes d’empreintes correspondant à leur format dans les sites d’habitat ou dans les nécropoles, indique sans doute une utilisation très limitée et un rôle plus symbolique que pratique. Dans les chambres funéraires, on retrouve les bagues soit aux doigts du défunt202, soit dans des boîtes en bois pouvant contenir d’autres ornements. Parés d’un maximum d’éléments prophylactiques et de signes de pouvoir pour affronter la mort, certains défunts sont retrouvés portant plus de bagues cachets qu’ils n’ont de doigts. Figure 106 – Sedeinga. Bouton d’oreille en forme de rosette. [© V. Francigny]
Figure 107 – Île de Saï. Bague cachet portant un décor en creux de double signe Sa. [© V. Francigny]
Les armes La découverte d’armes déposées dans les tombes privées méroïtiques pourrait, à première vue, ne poser aucun problème d’interprétation, ces objets accompagnant apparemment leur propriétaire. Mais la nature particulière de certains dépôts, leur nombre et leur répartition dans des sépultures d’hommes, de femmes, d’enfants203 et même d’animaux, obligent à identifier l’armement en contexte funéraire non seulement comme un outil du rituel, mais aussi comme un symbole déterminant à la fois la fonction militaire et l’enterrement d’insignes de pouvoir204. En moyenne, 2 à 3 % des sépultures offrent des vestiges en rapport avec l’armement ou le combat. D’abord cantonné à quelques objets classiques, le fourniment s’enrichit et se diversifie dans les premiers siècles de notre ère, par exemple avec les lances à
202. Vila, p. 45, fig. 27. 203. Thabit 1949 ; Quesada 2011. 204. Lenoble 2006, p. 17.
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grand fer, dont d’importantes collections ornent les tombeaux royaux. C’est dans la lignée de ces enterrements exaltant le triomphe militaire du souverain et sa capacité à se montrer victorieux aux yeux de son peuple, rejoint par une iconographie explicite de mise à mort de prisonniers, que se répand la pratique d’enterrer des armes, parfois même factices, dans les tombes des notables régionaux du royaume. Cela souligne une nouvelle fois le processus de basculement d’une inspiration divine réservée au souverain, vers un ensemble élargi de bénéficiaires animés par le même désir de puissance. En dehors de ces tombes d’exception, l’enterrement des armes renseigne sur la capacité guerrière du royaume. En l’absence de titres militaires assurés dans les textes, c’est l’iconographie et l’archéologie qui procurent l’essentiel de nos connaissances dans ce domaine. Si une élite militaire permanente autour du souverain paraît indissociable de tout exercice du pouvoir, la dissémination des découvertes de petite envergure partout à travers le royaume semble indiquer une armée de réserve, levée en cas de besoin et capable de répondre rapidement sur des fronts disséminés sur un vaste territoire. Nous savons en effet qu’au fil des siècles, le principal facteur de combat à Méroé ne fut pas généré par la défense des frontières contre un puissant envahisseur, mais bien par la répétition de raids par des groupes de population semi-nomades vivant en marge de la vallée et pouvant attaquer à n’importe quel moment et n’importe où. Un exemple de ces combats nous est donné par la stèle d’Abratoye205, dans laquelle figurent le nombre des belligérants tués et les quantités de chevaux capturés. Face à cette menace dispersée, la réponse la mieux adaptée tenait sans doute dans la présence de quelques « soldats » dans chaque localité, avec quelques concentrations plus élevées dans les établissements stratégiques. Une reconstruction d’une partie de la hiérarchie militaire grâce au mobilier des tombes aboutit à une répartition de type pyramidal. Au plus bas se trouvent les arcs et les flèches, nombreux et disséminés partout sur le territoire, marquant la fonction de base défensive et l’activité de la chasse206. À un stade intermédiaire, figurent les haches et les épées, ajoutées aux arcs, anneaux, carquois et flèches pour honorer le rôle d’administrateur du pouvoir en province. Enfin, pour le chef suprême, les lances et autres armes assimilées complètent l’attirail en vue d’une
forme d’apothéose royale. Le distinguo entre la fonction réelle et les honneurs aristocratiques est renforcée par le fait que les armes accompagnant le roi étaient pour la plupart inaptes au combat, en raison d’un fer trop pauvre pour résister à l’impact, au contraire de l’archerie qui était presque toujours fonctionnelle. L’armure et le bouclier. Témoignage rare, le bouclier est évoqué dans les fouilles d’el-Kadada, alors qu’un exemplaire bien conservé figure dans les objets provenant des fouilles à Aniba207. Ce dernier se présente sous la forme d’une pièce en cuir oblongue tenue verticalement, avec un espace concave intérieur sur chaque côté, favorisant peut-être le maniement d’une arme. Des traces de polychromie y sont visibles, mais aucune description d’est donnée dans la publication. À Sedeinga, un objet en peau animale, décoré de bandes polychromes, pourrait constituer un autre vestige de bouclier (figure 108). L’armure, bien que souvent portée par les souverains et les dieux dans l’iconographie des temples et des chapelles, n’a jamais été retrouvée in situ dans une tombe méroïtique. La découverte d’une cuirasse décorée en cuir, dans le trou pratiqué par des pilleurs pour atteindre la cavité de la Tombe 64 à Karanog208, rend cependant possible sa présence au sein du mobilier funéraire. Les armes de taille. Représentant une manne importante pour le pillage, les armes principalement constituées de métal, ainsi que les fers montés des armes d’hast, ont souvent disparu. Quelques exemplaires ont cependant échappé aux voleurs, comme la dague en fer retrouvée avec son fourreau en cuir attachée au bras gauche209 d’un défunt à Abou Simbel210. D’autres découvertes attestent la présence de la hache en fer à Soleb211, ainsi qu’à Faras, Karanog et au Djebel Adda. L’archerie. L’art du tir à l’arc est celui qui représente de façon emblématique la force guerrière des Kouchites. L’archerie méroïtique est en cela l’héritière d’une tradition vivace en Nubie, un prisonnier nubien étant déjà, aux environs de la ire dynastie, représenté un arc à la main sur le relief découvert au Djebel Sheikh Suleiman. La réputation des archers de Nubie donnera d’ailleurs son nom égyptien à la région (Tȝ Sti, « le pays de l’arc »), et ne cessera de marquer les esprits jusqu’à la conquête ottomane. Les représentations égyptiennes associant les Kouchites à l’archerie sont courantes, et l’iconographie méroïtique diversifiée : des graffiti à Musawwarat
205. Carrier 2001. 206. Les nombreux graffiti de Musawwarat es-Sufra semblent montrer que l’arc est l’arme de prédilection pour la chasse.
207. Abou Bakr 1963, pl. 8a. 208. Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 125. 209. Cette façon de la porter existe aujourd’hui encore chez de nombreux soudanais, notamment chez les Bisharin. 210. Emery, Kirwan 1935, p. 429, pl. 405/7 et 24. 211. Schiff Giorgini 1971, p. 354, fig. 691.
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10 cm
Figure 108 – Sedeinga. Fragments d’un bouclier en cuir offrant des traces de polychromie. [© V. Francigny]
es-Sufra, des reliefs de chapelles funéraires et de temples, de la statuaire212, et des scènes peintes sur céramique213. Ces archers sont décrits au ve avant notre ère par Hérodote, à propos de quelques supplétifs enrôlés dans la grande armée de Xerxès : Les Éthiopiens, revêtus de peaux de panthères et de lions, portaient des arcs de grande taille faits d’une tige de palmier, longs de quatre coudées au moins ; avec cet arc ils employaient des flèches de roseau, courtes, et garnies à leur extrémité, au lieu d’une pointe de fer, d’une pierre aiguisée, celle dont ils se servent aussi pour graver les sceaux.
Nubiens. Déjà sous Hatchepsout, les Égyptiens ramenaient de Pount des arcs fabriqués avec des bois rares214. À propos de la Nubie, Strabon écrit : Les Éthiopiens se servent aussi d’arcs longs de quatre coudées, en bois durci au feu. Strabon, Géographie, XVII, 1, 3.
D’un point de vue technique, les essences de bois exotiques disponibles au Soudan ont sans doute favorisé très tôt la maîtrise de l’archerie par les
L’arc était fait d’éléments composites en bois, en cuir, et parfois en corne. La découverte archéologique est rare, en raison de la mauvaise conservation des matériaux périssables dans la vallée soudanaise. Quelques exemples royaux sont connus, comme ceux de Tarekenidal retrouvés dans Beg. N. 18215, tandis que l’iconographie est prolixe, par exemple dans les mains de la reine Amanishakheto à Méroé, ou dans celles du souverain Shorkaror au Djebel Qeili. La symbolique propagandiste égyptienne des « neuf arcs » foulés au pied est même reprise par les souverains kouchites dans leur statuaire. Durant la fin de la période méroïtique et la transition post-méroïtique, la présence d’éléments d’archerie s’accroît dans les tombes communes et royales. Selon P. Lenoble, dans le cas du souverain, il s’agit de désigner le nombre et l’importance des ennemis vaincus ou soumis par ce dernier216.
212. Priese 1997, p. 245. 213. Wenig 1986, fig. 6.
214. Breasted 1906, p. 112. 215. Un arc complet et deux fragmentaires (Dunham 1957, p. 149). 216. Lenoble 1997.
Hérodote, L’enquête, VII, 69.
Au ive siècle avant notre ère, ils sont cités sur la stèle d’Harsiyotef et quelques décennies plus tard, apparaissent comme l’un des éléments déterminants de l’armée de Nastasen : J’ai envoyé les archers contre les rebelles de Rebala et Akulakuro. J’ai fait un grand massacre.
Nastasen, stèle de l’an 8 (l. 50-51, d’après FHN 2, 489).
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L’un des témoins archéologique les plus courants à propos de l’archerie est l’anneau d’archer. Le premier exemplaire retrouvé en Nubie provient de la Tombe 58 à el-Kurru, et date du début du vie siècle avant notre ère Par la suite, sa répartition géographique ne cesse de s’accroître, les découvertes couvrant toute la vallée du Nil Moyen, le Boutana, le Keraba, les rives du Nil Bleu et du Nil Blanc, ainsi que le Darfour et le Kordofan. Ces anneaux de pierre, parfois en grès, mais le plus souvent en roche métamorphique (granite, pseudo-diorite, etc.), sont obtenus par bouchardage. La forme et la taille requises une fois atteintes, on perce le trou central pour le pouce, et on termine l’objet par polissage. D’autres matériaux sont attestés, comme le bois217 et l’électrum218. Sa morphologie évolue au fil des siècles219, depuis un anneau court d’époque napatéenne à paroi presque droite, jusqu’à une forme plus allongée et courbe au méroïtique et post-méroïtique. Sa position sur le pouce, dans le cas d’une utilisation réelle, se doit d’avoir le côté le plus large placé à la base du doigt220. Lorsque l’anneau est à l’envers, c’est qu’il est porté de façon symbolique ou a été placé ainsi sur le défunt par inadvertance. Techniquement, il permet de tendre plus fermement la corde de l’arc, en évitant que celle-ci n’appuie directement sur la peau du pouce ou de deux doigts recourbés. La puissance délivrée au moment du relâchement est plus forte, la flèche plus rapide, et donc plus précise. Cette technique d’archerie impliquant un anneau est connue dans d’autres parties du globe, comme par exemple chez les archers mongols des plaines d’Asie centrale221. La présence d’anneaux en matériaux nobles de taille surdimensionnée222, découverts dans des sanctuaires et des palais, indique aussi leur utilisation comme éléments d’apparat, glorifiant sans doute la fonction militaire. C’est ainsi qu’on les voit portés
217. Découverts au Djebel Adda, les anneaux affichaient une usure prononcée signalant le frottement de la corde. 218. Un exemplaire provient de la fouille du tumulus E de Gemai, à l’intérieur d’une boîte en bronze, et interprété par les fouilleurs comme de l’or (Bates, Dunham, p. 77, pl. 33 et 66). Une hypothèse plus récente propose d’y voir un anneau qui devait coiffer un bâton sacré (Wenig 1978, p. 274). 219. Hayes 1973. 220. Kendall 1982, p. 52, fig. 66. 221. Longman, Walrond 1894, p. 80-81, fig. 70-71. 222. L’hypothèse de R. O. Hayes (1973), selon laquelle ces anneaux seraient des instruments de percussion utilisés lors de danses semble peu crédible. De même, l’idée avancée par A. Kronenberg (1962) qui veut que les anneaux d’archers aient survécus en tant qu’outils rituels dans les tribus Longarim du Sud Soudan paraît douteuse. Leur possible utilisation comme support de jarre évoquée par J. W. Crowfoot (1920) est à ranger dans la même catégorie des postulats improbables et invérifiables.
par les membres de la famille royale en procession devant le dieu Apedemak, sur les murs du temple du lion à Naga. Un autre vestige confirmant la présence d’archerie dans la tombe tient à la découverte d’éléments de carquois. Les exemplaires méroïtiques sont en général fait à partir d’une peau non tannée223, qui devait venir d’un animal de petite taille comme la chèvre ou la gazelle. Il comprend un réceptacle pour les flèches, une bandoulière pour le transport, et s’accompagne souvent de quelques lanières flottantes décoratives. Entièrement en cuir et cousus, quelques exemplaires furent retrouvés avec des anneaux de bronze et de fer servant à rassembler toutes les parties de l’objet et à lui procurer plus de souplesse dans son maniement. Le cuir est généralement décoré au poinçon ou peint, et sa dégradation se matérialise par une trace rougeâtre sur le sol de la tombe. Bien que les matières putrescibles comme le cuir aient souvent disparu, le regroupement en faisceau des flèches arrive souvent à prouver son existence au sein du dépôt funéraire. Le témoin archéologique le plus fréquent pour évoquer l’archerie reste cependant la flèche (figure 109). P. Lenoble, paraphrasant Pline, rappelle avec raison qu’au début de notre ère, « la moitié de l’humanité (…) vit assujettie à la flèche »224. Bien qu’Hérodote (L’enquête, VII, 69) ne parle que des pointes de flèches nubiennes en pierre, c’est surtout le métal, en l’occurrence le fer, qui était utilisé dans l’archerie kouchite. L’armement méroïtique en fer dépendait d’un processus de fabrication initié par le pouvoir royal, qui semble avoir contrôlé les ateliers de production dans et hors de la capitale. En Nubie, l’émergence d’une production de fer est généralement admise aux environs du vie siècle avant notre ère225. On suppose même un foyer nubien indépendant des grands ensembles asiatiques et africains, avec un possible recul de deux siècles de la date d’apparition226. Les pointes en fer méroïtiques sont généralement à soie, à section rectangulaire, carrée ou subcirculaire, et peuvent être ponctuées d’encoches pour permettre une meilleure fixation sur la hampe. Elles sont déposées seules ou en faisceaux, et il existe quelques cas isolés de flèches retrouvées fichées dans le corps d’un individu, à Ouadi es-Seboua227 et à Karanog228. Dans les tombes les plus riches, le corps de la flèche peut être lancéolé
223. On notera toutefois un carquois en bronze découvert dans la Tombe 122 à Méroé Ouest. 224. Lenoble 1999, p. 137. 225. Shinnie 1985. 226. Abdu, Gordon 2004 ; Smith 2007. 227. Emery, Kirwan 1935, p. 93. 228. Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 237 et 317.
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Figure 109 – Abri. Pointe de flèche inscrite. [© V. Francigny]
ou foliacé, mais le modèle dominant est la flèche à barbelure recourbée vers l’intérieur ou l’extérieur, détachée du corps central grâce à un coup de burin. Lorsque la barbelure se trouve d’un seul côté, elle est dite « monolatérale », par opposition à celle sur les deux côtés, dite « bilatérale ». Un type de pointe muni d’un dard en croc se distingue par ses séries retrouvées en Basse Nubie229, confirmant l’existence de production régionales. Les prototypes rencontrés dans le royaume de Méroé sont également assez différents de ceux connus en Égypte ou dans le bassin méditerranéen à la période gréco-romaine230, de même que l’anneau d’archer restera cantonné à la Nubie, pour la vallée du Nil. La taille de la pointe de flèche varie en général dans un intervalle contenu entre 3 et 6 cm de longueur, pour une épaisseur atteignant généralement les 2 mm. Quelques exceptions existent toutefois, que l’on peut qualifier de « longues pointes ». Une fois emmanchées sur une hampe en phragmite (sans doute du roseau) ou en bois d’arbre feuillu231, la flèche ainsi constituée atteint une taille oscillant entre 50 et 80 cm de longueur. La présence constatée à maintes reprises d’une unique pointe de flèche en bronze au milieu d’autres toutes en fer, soulève la question de la valeur symbolique de cette dernière. Le caractère étroit qui unit certaines liturgies purificatrices aux ustensiles en bronze laisse penser qu’on cherchait peut-être à sacraliser l’ensemble du dépôt par l’introduction d’une pointe forgée dans ce métal. F. Ll. Griffith propose d’y voir un procédé servant à augmenter de façon magique
229. Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 34. 230. Pour un exemple, voir Huret 1990, fig. 7. 231. Couton-Perche, Leroux 2010. Une analyse du bois utilisé pour la hampe d’une flèche provenant de Shaheinab (Arkell 1953, p. 93) a permis d’identifier une espèce dérivée du Dalbergia melanoxylon, indiquant le bois d’ébène. Il est d’ailleurs toujours utilisé dans l’archerie soudanaise chez les populations dinka.
la puissance des flèches en fer d’un carquois232. De même, la présence de pointes ajourées ne peut être considérée comme un dépôt de flèches réelles, mais plutôt comme un insigne de pouvoir, à l’instar des lances à fers mous accompagnant certains souverains. Les arcs, les anneaux, les carquois et les flèches, apparus dans les tombes privées au moins dès le ier siècle de notre ère, n’y figurent plus à partir du vie siècle, la chrétienté excluant progressivement tout mobilier funéraire accompagnant le défunt. L’archerie restera cependant la colonne vertébrale de la tradition armée nubienne, comme en témoigne la découverte d’un anneau d’archer datant du ixe siècle à Soba Est233. Les accessoires Sous le terme d’accessoires, on désigne les nombreux effets personnels qui sont déposés dans la tombe mais ne sont pas portés par le défunt. Depuis le matériel de toilette jusqu’à l’outil signalant la pratique d’un art ou une fonction, les accessoires représentent un corpus d’objets dans lequel les éléments uniques ou relativement isolés sont majoritaires. Parmi ceux de petite taille, on compte des ciseaux, des pinces (figure 110), des spatules et des aiguilles, parfois attachés ensemble à un anneau à la façon d’une châtelaine. Ils rappellent le nécessaire de base indispensable, par exemple, à l’entretien des pieds dans une région où acacias et autres épineux dominent le paysage arboricole. Rattachés aux soins physiques, on trouve aussi des exemplaires de petits mortiers et des palettes avec leurs pilons234, utilisés sans doute dans le cadre de décorations corporelles et autres préparations.
232. Griffith 1924, p. 166. 233. Welsby 2004c, p. 237. 234. Griffith 1924, pl. 57.
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Figure 110 – Île de Saï. Pince et spatule en fer. [© V. Francigny]
Les restes d’étuis à khôl sont assez fréquents, caractérisant les périodes méroïtique et post-méroïtique. En bois ou en ivoire (figure 111), ils sont parfois décorés de cercles ou de lignes incisées, d’incrustations, ou de reliefs dans le creux représentant des motifs floraux. Souvent très étroit, il arrive que l’étui se voit adjoindre un petit socle en métal ajusté à la base du cylindre pour le faire tenir debout. Il est en général accompagné d’une spatule en bois ou en bronze, prenant la forme d’une fine tige se terminant d’un côté par une extrémité lancéolée, et de l’autre par un renflement piriforme. Parfois décorée d’incisions, cette spatule prend exceptionnellement la forme d’une main. Remplissant normalement l’étui, il arrive que seule la galène235 soit conservée sous la forme d’un tube solidifié reproduisant la forme intérieure de l’objet. Quelques exemplaires de miroirs existent, composés d’un disque de cuivre ou de bronze fortement poli. Connus en Nubie depuis l’époque du Groupe C, ils sont en général montés sur un manche en bois, et parfois protégés par un couvercle en bronze attachés par une charnière236.
235. Minéral naturel composé de sulfure de plomb, et utilisé comme base de nombreux maquillages, la galène (pbs) est le principal minéral utilisé dans les fards noirs de l’Égypte ancienne et les khôls actuellement produits en Afrique du Nord. 236. Whitehouse 2009, p. 138.
Figure 111 – Sedeinga. Étui à khôl en ivoire. [© V. Francigny]
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L’ensemble des outils relatifs aux soins ou décorations du corps peut être regroupé dans une vannerie237 ou un coffre en bois. Ces derniers, placés en fin de vie dans la tombe238, ont le plus souvent un décor élaboré fait d’incrustations en plaquettes d’os ou d’ivoire d’hippopotame, ayant pour thématique la protection du corps : figures d’Isis-Hathor, Harpocrate et Bès principalement (figure 112). Fréquemment réduits à l’état de résidu pulvérulent laissé par les termites, la présence de coffres n’est parfois attestée que par la découverte d’un système de fermeture ou d’ornières en métal.
Les boîtes en bois sont également connues dans les tombes méroïtiques. Assemblées et compartimentées pour les grandes, creusées dans une pièce unique pour les plus petites, elles peuvent être circulaires (figure 113), rectangulaires, lotiformes, ou prendre l’apparence d’un signe Sa239. Certaines sont associées à des plateaux de jeu (Duodecim Scripta), des dés en ivoire (figure 114), et des pions en ivoire, en verre ou en bois. D’autres types d’ustensiles semblent accompagner spécifiquement un défunt en fonction de sa profession. C’est peut-être le cas des calames en plume ou
Figure 113 – Île de Saï. Boîte circulaire en bois avec couvercle. [© V. Francigny]
Figure 112 – Île de Saï. Incrustation en ivoire représentant le dieu Bès. [© V. Francigny]
Figure 114 – Sedeinga. Dés en ivoire. [© V. Francigny]
237. Adams 2005, pl. 7e-f. 238. Francigny 2008.
239. Williams 1991, pl. 88d.
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piquant de porc-épic retrouvés dans une tombe de Saï240, qui pourraient identifier un scribe. De même, à Aksha, deux épines dorsales de poissons-chats retrouvés dans les Tombes 17 et 40241, évoquent les outils permettant de façonner et décorer certaines productions céramiques, signalant la possible fonction de potier des défunts. Citons enfin, le cas des instruments de musiques, connus dans les tombes royales, mais très rares dans les tombes privées, comme le montre le cas isolé d’une calebasse découverte à Aksha, avec une peau originellement tendue pour former une caisse de résonnance242. Les végétaux La présence d’éléments végétaux dans une sépulture relève toujours d’un choix symbolique. Ainsi, lorsque dans les tombes sont découvertes des tiges de doura (sorgho) sur un cercueil, ou des feuilles de myrte près du crâne du défunt243, leur dépôt tend à associer les cycles de la nature à la destinée du mort renaissant. Des rituels font appel à des bouquets placés directement sur le corps. Dans les Tombes 20, 38 et 46 d’Aksha, sont ainsi déposés sur la poitrine du mort des faisceaux de brindilles avec leurs feuilles. À Qustul, outre la récurrence des tiges de palmier, on note aussi la présence de feuilles végétales dans le Cimetière Q, avant le iie siècle de notre ère244. Une autre manifestation tient à la présence d’éléments d’une couronne végétale, dont la signification funéraire est avérée (cf. supra p. 47 - La statue-ba), reconnue dans les vestiges de tombes à Faras245, et à Karanog246. Il faut aussi prendre en compte les découvertes de boîtes contenant des graines, par exemple à Saï, dans la Tombe 315247. À Aniba, des graines d’orge retrouvées dans de petites fosses creusées en surface des tombes248 semblent définir une pratique analogue, qui n’est pas sans rappeler le dépôt des figurines végétantes d’Osiris rencontrées en Égypte. Bien qu’en Nubie on ne semble pas ajouter d’eau pour les faire germer, la symbolique d’enfouissement de graines porteuses des principes de renaissance et de métamorphose reste inchangée. Bien que peu probable, la possibilité d’un rite définissant une profession 240. Geus et al. 1995, p. 115, fig. 13. 241. Vila 1967, p. 93, fig. 69. 242. Vila 1967, p. 358. 243. Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 29. 244. Williams 1991, p. 100. 245. Griffith 1925, p. 138. 246. Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 29. 247. Geus 2002, p. 108. 248. Abou Bakr 1967, p. 11.
agricole n’est pas totalement à exclure, un parallèle ethnologique moderne dans la région montrant qu’il était d’usage de déposer une poignée de graines près de la tête du défunt, lorsque ce dernier possédait un champ249. N’oublions pas enfin, qu’au-delà du dépôt d’éléments végétaux réels, ceux qui étaient peints sur la céramique accompagnant le mort était censés lui procurer les mêmes capacités protectrices et propitiatoires. La vaisselle La vaisselle occupe la plus grande partie des objets habituellement mis au jour dans les tombes méroïtique. Elle se décline sous une multitude de formes et de matériaux. Plus souvent brisée et fragmentaire que complète, elle souffre souvent de n’avoir longtemps eu pour seul interprète que l’archéologue, dont l’analyse limitée sur le plan des composants et de la technique utilisés aboutit à des typologies souvent hermétiques, rendant les données difficiles d’utilisation hors des sites étudiés. Cette tendance, dont le legs persiste dans les publications anciennes, s’inverse peu à peu, avec l’entrée des études céramologiques dans la littérature nubiologique. Ainsi, les progrès réalisés permettent d’affiner la question essentielle de la chronologie, bien que pour le verre et la vaisselle en bronze, l’absence d’ateliers fouillés pèse encore, et instigue le doute sur les réelles capacités de production du royaume. La vaisselle métallique. Dans les tombes privées, elle est surtout en alliage cuivreux et très rarement en argent ou en fer. Déclinée sous forme de bassins, coupes et gobelets, elle produit aussi des conteneurs aux silhouettes complexes, comme des pichets aux anses décorées ou des vases à huiles parfumées dont la ressemblance avec les productions romaines circulant en Méditerranée est frappante. Elle était en partie importée mais une production locale devait suppléer aux besoins les plus courants, selon une tradition remontant à l’époque Kerma, un atelier de bronzier ayant été découvert et fouillé dans la capitale de ce royaume250. L’origine de cette vaisselle a longtemps fait débat251, les copies méroïtiques devant circuler au même titre que les productions importées. À défaut d’analyses sur les lieux d’extraction des minerais utilisés, il est en effet admis que les Méroïtes disposaient de la technologie et des modèles nécessaires à l’élaboration
249. Kronenberg 1979, p. 174. 250. Bonnet 2004, p. 33. 251. Török 1976.
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Figure 115 – Sedeinga. Coupelle en bronze décorée au poinçon. [© V. Francigny]
de leur vaisselle métallique. La découverte à Méroé de lampes en bronze de style hellénistique, mais portant le sceau royal kouchite, va dans ce sens252. De même, la nature des scènes gravées sur les bols en bronze de Karanog indique un répertoire iconographique proprement méroïtique (figure 88). Il faudrait un réexamen au cas par cas des grandes séries de bronzes déjà publiées, pour affirmer la nature de la méthode de façonnage employée, et les caractéristiques autochtones ou allochtones de chaque pièce. Un bronze découvert à Méroé Ouest (Tombe 154, SNM 2398) en est le parfait exemple. Publié par D. Dunham en tant que « bronze stand »253, il est requalifié par L. Török de « moulded bronze, leg of furniture piece »254, bien qu’il s’agisse en fait d’un objet tripartite qui, une fois assemblé, prend la forme d’un autel portatif à encens. Sa fabrication locale, à l’image d’un exemplaire découvert à elHassa255, imite une production diffusée partout dans le monde romain256. La vaisselle en bronze se trouve parfois enveloppée de tissus, marquant son utilisation dans le cadre d’un sacrement, la pureté de l’objet devant être conservée après usage. Le traitement de la surface est en général limité à un simple polissage. L’étamage intérieur est courant, tandis que les rares décors se font à l’aide de lignes incisées ou de pointillés obtenus par repoussé et poinçonnage (figure 115).
252. Sakoutis 2009. 253. Dunham 1963, p. 235, no 22-2-359. 254. Török 1989, p. 131. 255. Rondot 2010. 256. Willems, Clarysse 2000, p. 256, no 180.
Sa diffusion couvre tout le royaume, et atteint même certains territoires en marge, comme le montre les découvertes de Sennar257, où l’on retrouva par exemple un bol caréné de type « achéménide », typique de la période du méroïtique classique258, ainsi qu’un pichet et une coupe à pied259 rappelant celle découverte à Gemai dans l’extrême nord260. Au Soudan central, la vaisselle en bronze se raréfie à l’approche de la période post-méroïtique, à l’instar des fabrications tournées pour la céramique, indiquant que la production des ateliers centraux de la capitale périclite. La présence du fer, en revanche, semble se maintenir grâce à une décentralisation de la production amorcée dès les premiers siècles de notre ère. Les verreries. Comme le montre une étude comparative publiée par I. Hofmann261, la grande majorité des objets en verre retrouvée dans les tombes méroïtiques date des premiers siècles de notre ère. L’augmentation des importations de verreries, significative d’une phase de stabilité des relations diplomatiques
257. Dixon 1963, p. 229. La malchance s’abattit sur la découverte méroïtique la plus significative faite au sud de Khartoum, dont il ne reste aujourd’hui que quelques pièces et de mauvaises photographies : parmi les objets découverts, certains bronzes furent conservés par les découvreurs et responsables des travaux de la ligne de chemin de fer, d’autres furent volés dans le magasin aménagé sur place, tandis que le reste de la collection en route pour Londres disparut dans le naufrage du S.S. Maidan dans la mer Rouge en juin 1932. 258. Addison 1935, pl. 5/4. 259. Dixon 1963, fig. 2. 260. Bates, Dunham 1927, pl. 65/13. 261. Hofmann 1979.
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et de prospérité des échanges, va de pair avec une industrialisation des productions dans le bassin méditerranéen, qui fait passer nombre de produits de luxe à l’état d’objets relativement courants. On ne sait pour autant localiser avec précision les foyers de production connectés aux échanges avec le royaume de Méroé, sinon en rappelant les liens privilégiés que semblent tisser les ateliers alexandrins et syénites avec la vallée nubienne. D’autres pistes existent, comme par exemple l’hypothèse proposée par L. Török de rapprocher les découvertes de millefiori sur le sol soudanais avec les productions des ateliers égyptiens de Tanis262. La part des importations dans le total des découvertes de verreries pourrait avoir été considérable, puisqu’on en retrouve proportionnellement des quantités plus importantes dans les tombes des sites frontaliers ou situés aux débouchés des pistes caravanières, comme Sedeinga, que dans celles du reste du territoire et de la capitale. En plus du nombre, la diversité est aussi plus étoffée dans le nord du royaume, avec toutefois des standards communs à tout le territoire en ce qui concerne les petits conteneurs. Bien qu’on n’ait jamais localisé de centre de fabrication dans le royaume, une partie des verreries retrouvées dans les sépultures, à l’instar des bronzes, devait être produite par les Méroïtes. Quelques objets en verre reprennent en effet des formes céramiques purement kouchites, et ne semblent pas être le fruit d’une production égyptienne orientée vers le marché nubien. C’est le cas par exemple d’une « jarre à bière » en verre violacé retrouvée dans le Cimetière Ouest de Sedeinga263. Hormis les exemplaires uniques aux formes originales, les récipients en verre présents dans les tombes couvrent globalement deux types d’objets : les ustensiles pour la boisson, et les conteneurs pour huiles parfumées. Dans la première catégorie, on compte surtout les flûtes et les gobelets, parfois décorés de motifs peints ou incisés, déposés auprès du mort ou brisés rituellement devant l’entrée du caveau. D’autres formes plus grandes comme les bouteilles et les pichets sont aussi attestées, bien que rarement conservées dans leur totalité. La seconde catégorie comprend en premier lieu les balsamaires, répandus dans tout le monde romain sous une forme évoluant très peu. Viennent ensuite les vases globulaires de petite taille, dont le principal représentant est l’aryballe (figure 116), bien connue des ateliers alexandrins. La grosseur du verre et la compacité de l’objet font de l’aryballe un témoin privilégié de la production de verreries, de nombreux exemplaires complets
262. Török 1989, p. 98. 263. Leclant 1970b, p. 273, fig. 17.
Figure 116 – Île de Saï. Aryballe en verre. [© V. Francigny]
ayant été retrouvés in situ, parfois même avec un résidu déshydraté d’huile végétale toujours en place à l’intérieur264. Qu’elle soit liée à la boisson, au banquet, ou à l’application de liquides purificateurs, la présence de verreries dans les tombes méroïtiques est à mettre en connexion avec le rituel funéraire. Le cas exceptionnel de la Tombe W T 8 à Sedeinga, dans laquelle une trentaine de verreries différentes furent extraites, pointe cependant le rôle ostentatoire que pouvaient jouer les verreries lors des funérailles de notables. La céramique. Dès le iiie siècle avant notre ère, la céramique méroïtique témoigne d’une production massive et dynamique, affirmant l’existence d’ateliers de production dans et hors de la capitale. Au sein d’une économie non monétaire, les objets et leur contenu voyagent ainsi depuis ou vers Méroé, en suivant des circuits jalonnés de relais provinciaux administrés pour le compte du pouvoir royal. Dans ces flux, où la céramique en tant que conteneur est sans doute majoritaire, on distingue les productions des ateliers royaux, celles des centres régionaux et les importations. Bien que ces catégories soient en apparence complémentaires, il arrive que les productions céramiques méroïtiques imitent des conteneurs étrangers, comme les amphores, pour pallier à la faiblesse de certaines importations, tout en assurant la diffusion de denrées équivalentes produites localement.
264. Geus 2004, p. 304.
LE RITUEL FUNÉRAIRE • 135
Du point de vue technique, la céramique méroïtique marque son évolution par rapport aux périodes précédentes en augmentant le volume des productions à température de cuisson élevée (800° C à 950° C), et en modifiant les proportions des composants de certaines pâtes, avec par exemple l’utilisation de la kaolinite. Une production à basse température de cuisson (700° C) est également conservée. Les analyses chimiques et pétrographiques montrent que cette dernière est en partie de fabrication locale, et n’a pas vocation à beaucoup voyager265. Comme souvent, la qualité des productions orientées vers une fabrication de masse se détériore, et les céramiques issues des grands ateliers de la capitale arborent une décoration succincte, marque paradoxale de « croissance ». Cette céramique tournée industrielle, même à l’échelle de petits centres régionaux, répond à la demande continue de la population pour les activités domestiques et cultuelles266. Deux fabrications coexistent dans les assemblages funéraires : la céramique tournée267, et celle montée sans le tour. La fouille du cimetière d’Emir Abdallah268 montre que cette dernière est majoritaire dans les tombes du méroïtique ancien. Mais dès le méroïtique classique, les productions tournées inversent très largement cette tendance. Les données quantitatives sont toutefois rares, les publications archéologiques préférant souvent présenter une sélection sous la forme d’une typologie. Des indices de cette répartition existent cependant, comme à el-Kadada, où 95 % de la céramique datant du méroïtique tardif est tournée, pour un corpus de seulement quatre formes principales (jarres, bouteilles, coupes et gobelets). Les 5 % restant correspondent au maintien d’une production dite « traditionnelle », présente depuis les débuts de la période kouchite. Dans les fouilles de la capitale, P. L. Shinnie note une proportion relativement similaire de 6 % de céramique montée sans le tour269. Des exceptions existent, puisque dans la région de la 4e cataracte, c’est la céramique montée sans le tour qui domine, indiquant le maintien d’une production locale en marge des grands circuits de circulation et de distribution du royaume. Des nuances existent également au sein de ce modèle de production, puisque P. Lenoble a démontré le caractère industriel de la fabrication de certaines petites bouteilles noires (figure 83), largement diffusées bien que montées sans le tour270.
265. Daszkiewicz et al. 2004. 266. Nordström 2004. 267. Le tour fut introduit en Nubie par les Égyptiens au Nouvel Empire. 268. Fernandez 1986, p. 60. 269. Shinnie 1980. 270. Lenoble 1996a.
Le traitement de la surface de la céramique connaît aussi de nouveaux développements à la période méroïtique. Deux engobes dominent la majorité des productions : l’un rouge (le plus courant), et l’autre blanc (particulièrement prisé lorsqu’il s’agit d’y peindre un décor fin). Au début de notre ère, et malgré l’influence des formes et des décors produits par les ateliers alexandrins et syénites, les motifs peints sur la céramique méroïtique se multiplient et se diversifient, se distinguant en apparence des productions égyptiennes. Le mélange iconographique, qui comporte toujours des références à l’hellénisme et à la tradition pharaonique (figure 117), utilise la même palette restreinte de couleurs (noir, rouge blanc et parfois jaune) pour nourrir un style de plus en plus singulier au sein de la vallée du Nil. Le vaste répertoire de formes sur lequel apparaissent les mêmes motifs laisse penser que bien souvent les peintres n’étaient pas eux-mêmes les potiers. Il est donc possible de retrouver la « main » d’un artiste ou d’un atelier à travers les collections
Figure 117 – Sedeinga. Gobelet peint d’une frise d’uræi alternant avec des croix ankh. [© SEDAU, dessin R. David]
céramiques provenant de plusieurs sites. S. Wenig fut le premier à parler d’écoles de styles, à la façon des spécialistes étudiant les productions signées de l’art grec271. C’est ainsi que naquirent les « cartoonist painter », « prisonners’ painter » (figure 91), « antelope painter », « vine leaf school » et « academic school ». L’usage d’une pareille nomenclature paraît toutefois abusif, car le nombre de vases impliqués est bien souvent dérisoire. L’étude des styles et motifs au regard d’une forme permet néanmoins de mener un réel travail sur la diffusion d’un atelier ou les possibles itinéraires d’artistes ambulants. 271. Wenig 1979.
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L’analyse des décors et de leurs implications dans un cadre idéologique ou religieux reste encore limitée pour la céramique retrouvée en contexte sépulcral. Il est peu vraisemblable qu’une production spécifiquement funéraire ait existé, le recyclage étant déjà la règle pour une bonne partie du mobilier accompagnant le mort. Cependant, le transfert d’un choix limité de vases de la sphère religieuse vers la tombe, depuis un sanctuaire ou un groupe d’objets liturgiques appartenant à la famille, est plausible. La sélection opérée au moment des funérailles pourrait ainsi signaler une démarche religieuse (par exemple le choix d’une iconographie particulière), autant qu’un choix de produits contenus dans les récipients eux-mêmes. Une classification sommaire des motifs peints sur la céramique méroïtique distingue trois phases. Au méroïtique ancien, on privilégie les imitations hellénistiques de vases alexandrins comme les hydries, elles-mêmes influencées par l’iconographie des importations crétoises. Au méroïtique classique, l’arrivée des productions fineware272, parfois appelées eggshell ware, s’accompagne d’un répertoire encore naissant, multipliant les références symboliques et religieuses d’origine égyptienne. S’y ajoute très tôt la tradition de peindre des bandes et lignes ondulées esseulées, notamment sur l’épaule des jarres. Au méroïtique tardif enfin, la diversité des motifs atteint son apogée, reposant essentiellement sur des thèmes religieux, végétaux et animaliers (figure 118). Selon F. Geus, la multiplication des motifs peints empruntés à l’iconographie égyptienne se substitue aux amulettes, dont l’usage se réduit considérablement aux époques tardives273. Cependant il faut garder à l’esprit que les scènes et symboles concernés appartiennent à des ensembles qui vont bien au-delà du simple répertoire des signes prophylactiques, et que la disparition des amulettes semble précéder de plusieurs siècles la prolifération des symboles peints sur la céramique. Les anciens motifs végétaux d’inspiration hellénistique continuent d’être utilisés par les Méroïtes, alors même qu’à partir du iie siècle de notre ère on n’en trouve plus trace en Égypte romaine. L’apparition au iiie siècle de notre ère d’une production de pseudosigillée fabriquée à Assouan, principalement sur l’île d’Éléphantine, qui reprend la même technique picturale et une partie de ce registre décoratif274, laisse d’ailleurs penser que c’est du royaume de Méroé frontalier qu’est revenue sur le territoire égyptien cette
ancienne tradition hellénistique. Vers la fin du ive siècle de notre ère, les décors s’appauvrissent brutalement, et l’engobe rouge externe devient presque le seul traitement de surface visible sur les productions nubiennes du nord275, tandis qu’au Soudan central, c’est l’impression sur natte qui devient populaire, appliquée à une céramique désormais massivement montée sans le tour276.
Concernant les formes, la vaisselle céramique retrouvée en contexte funéraire comprend tout d’abord des grands conteneurs, représentés par les jarres (figure 84), les amphores, l’askos et les bouteilles (figure 81). Ils se caractérisent souvent par une pâte grossière à cuisson insuffisante pour saisir le cœur du matériau. Selon l’emplacement dans la tombe, et l’association éventuelle à des ustensiles liturgiques comme la coupe en bronze, on peut reconnaître les vases contenant le liquide de la libation, la nourriture ou la boisson du banquet. Viennent ensuite des petits récipients et ustensiles, comme les lécythes (figure 82), les coupes, les bols (figure 118), les gobelets (figures 74 et 117), les biberons277 et les filtres, auxquels s’ajoutent quelques récipients en faïence. C’est dans cette grande famille qu’apparaissent au début de la période classique les premières productions fineware méroïtiques. Surtout représentées par des gobelets et des bols, celles-ci portent généralement un décor peint ou impressionné
272. La genèse de ces productions de terre cuites finement peintes et de haute technicité s’appuie sans doute sur les sigillées orientales égyptiennes de type A, et peut-être sur quelques productions de Pergame, toutes deux retrouvées à Méroé (Török 1989, p. 98, no 62). 273. Geus 1994. 274. Pierrat 1995.
275. Adams 1986, p. 458. 276. Cette tradition s’est perpétuée dans la région à l’époque chrétienne, dans certaines productions de Soba. 277. Parfois décrits à tort comme des lampes à huiles, malgré l’absence de traces carbonées, ils sont surtout associés à des corps d’enfants.
Figure 118 – Sedeinga. Bol peint d’une frise alternant pintades et motifs végétaux. [© SEDAU, dessin R. David]
LE RITUEL FUNÉRAIRE • 137
à forte connotation religieuse, imitant souvent les récipients en bronze278. C’est d’ailleurs la substitution au métal qui a prévalu dans le développement de la fineware, celle-ci semblant jouer le rôle d’ustensile dans les divers rituels de l’enterrement. La découverte d’un atelier de production dans le complexe cultuel de Musawwarat es-Sufra279, confirme le lien entre ce
type de céramique, la sphère religieuse et le contrôle des clercs. Des analyses macroscopiques menées sur des échantillons provenant de plusieurs sites ont montré la différence notoire des matériaux entrant dans la composition des fineware de Basse Nubie, par rapport à celles du Soudan central280, indiquant la variété des régions de production. Une évolution morphologique est également perceptible à travers les siècles, les formes devenant plus anguleuses, tandis que l’épaisseur des parois diminue. En dehors du métal et de la fineware, d’autres types de substitutions sont avérés, comme l’utilisation de céramiques pour remplacer les verreries. C’est notamment le cas des aryballes281 qui sont copiés au méroïtique tardif et au post-méroïtique, alors que les importations de verreries ralentissent, puis disparaissent. L’analyse fonctionnelle des conteneurs atteint cependant très vite ses limites, comme par exemple dans le cas des calebasses reproduites en terre cuite (figure 119). Une vingtaine de céramiques retrouvées dans des tombes méroïtiques, dont seulement quelques-unes en contexte non royal, portent une inscription peinte ou gravée. Le plus souvent il s’agit d’un graffito situé en haut de la panse ou sur l’épaule d’une jarre282, qui comporte un nom, un titre, ou les deux à la fois, suivi du suffixe -so283. Il pourrait désigner le propriétaire de l’objet284, et prouver qu’un important personnage pouvait participer à l’hommage rendu au défunt en offrant des vivres, sans nécessairement appartenir au cercle familial, ou vivre dans la localité. Quel que soit le type de production, les fouilles d’ateliers et de fours dans les centres urbains régionaux méroïtiques sont encore peu répandues285. Il est donc difficile de localiser la région ou le centre d’origine de la plupart des productions, autrement que par la répartition géographique des découvertes en contexte funéraire. Les céramiques produites localement ou provenant de la capitale peuvent recouper des formes et des décors similaires, bien que les fabrications régionales se démarquent parfois par des différences morphologiques ou stylistiques remontant à des traditions plus anciennes, ou répondant à des besoins liturgiques propres à certains rites locaux. La religion commune et son mobilier spécifique se fondent donc sur la diversité des histoires, des traditions et des influences propres à la sorte de « fédération » que forme le royaume.
278. À titre d’exemple, on comparera un gobelet fineware de Faras (Wildung 1997, p. 357, no 423) au gobelet en bronze de Karanog (Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 31, no 7133). 279. Edwards 1999a.
280. Smith 1995 ; 1996 ; 1997a. 281. Geus 1986b, pl. 9/2 ; Edwards, Fuller 2005, fig. 8/26. 282. Griffith 1924, pl. 19/4. 283. Rilly 2007, p. 205. 284. Welsby Sjöström, Thomas 2011, p. 67. 285. Adams 2005 ; Baud 2008.
3 cm Figure 119 – Sedeinga. Bouteille en terre cuite en forme de calebasse. [© SEDAU, dessin R. David]
138 • VINCENT FRANCIGNY
Les importations, dont on maîtrise encore mal la part réelle dans les découvertes archéologiques, suivaient sans doute plusieurs circuits avant de rejoindre le royaume. Outre la vallée et les échanges au niveau de la zone frontière, il existait des pistes caravanières dans lesquelles les grandes oasis de l’ouest ont peut-être joué un rôle. Malgré l’absence apparente de contrôle direct de la part de Méroé, des réseaux devaient aussi exister à l’est entre la vallée et la mer Rouge, à l’image des axes florissants reliant en Égypte la région d’Edfou à Bérénice, Coptos et Myos-Hormos286. La chronologie développée par G. A. Reisner, améliorée depuis, nous permet de rattacher des monuments et certains documents à des noms de souverains plus ou moins bien situés dans le temps. Cependant, elle nous est relativement peu utile pour traiter la masse des découvertes céramiques issues des villes et des nécropoles, étant donné la longue durée de vie des objets et la pérennité de certaines productions à travers toute la période kouchite. Nous devons à L. Török un important travail sur les importations au sein des assemblages funéraires, bien qu’il se concentre sur les cimetières de la capitale287. Le problème d’une absence de typologie céramique générale pour le royaume se double d’un éclatement des collections nous privant de recherches diachroniques288. La plus vaste étude publiée sur la céramique nubienne au Soudan289, aboutit à la formation de groupes basés sur les analyses des pâtes et des formes, sans pour autant donner de chronologie évolutive des grandes familles ainsi répertoriées. L’outil est donc aussi pointu que difficile à manipuler par l’archéologue désirant dépasser la description technique pour replacer l’objet dans une démarche interprétative. L’étude la plus précise, bien que limitée au mobilier des sites de Saï et Sedeinga, se trouve dans la thèse de R. David qui livre une typo-chronologie régionale des productions qu’il a pu traiter, un examen complet des décors et des formes, ainsi qu’une analyse sur leur diffusion et les technique de façonnage employées290. Les productions régionales commencent donc à être mieux cernées et définies, tant en province qu’autour de la capitale. L’étude menée par D. N. Edwards sur la céramique du Cimetière Ouest de Méroé (40 types répartis en 5 phases)291, laisse ainsi apparaître de
286. Ballet 1996 ; Sidebotham 1996. 287. Török 1989. 288. Francigny 2007, p. 100. 289. Adams 1986. 290. David 2012. 291. Edwards 1999c ; 1999d.
nombreux parallèles avec les proches nécropoles d’el-Kadada et Gabati, et très peu avec celles de Basse Nubie. La chronologie relative des formes céramiques qu’il étudie, calée sur une chronologie absolue par l’inclusion de deux tombes royales (Amanitenmomide et Teqorideamani), nous en donne l’évolution entre le ier siècle avant notre ère et les environs du ive siècle de notre ère, et permet quelques observations sur les changements morphologiques : les bols carénés, les fineware arrondies et les jarres à col allongé caractérisent la période classique, tandis que les jarres carénées à col court ou montées sans le tour désignent une phase tardive. Enfin, une production spécifique pour un usage funéraire ne peut être complètement exclue, bien que tout indique que la plupart des conteneurs sont utilisés avant de rejoindre la tombe, en provenance soit de collections privées, soit d’institutions. La céramique retrouvée dans l’habitat à Méroé montre d’ailleurs que les thèmes iconographiques courants du répertoire peint sur la céramique retrouvée en contexte funéraire y sont également présents. On y trouve par exemple, dans un traitement stylistique tout à fait comparable, les divers symboles prophylactiques292 et thèmes religieux relatifs aux cultes d’Isis293 ou de Dionysos-Osiris294.
La fermeture de la tombe Avant de laisser la dépouille face à sa destinée souterraine, un ultime rituel pouvait avoir lieu devant l’entrée du caveau. Les premiers témoignages à ce sujet proviennent de la présence de vases brisés au fond de la descenderie, dont il existe déjà des traces à la période napatéenne. Si la cassure d’objets déposés devant la porte résulte le plus souvent de la pression du remblai ou des destructions inhérentes aux pillages, il est clairement établi par la répartition des éclats et la nature intacte des soubassements des systèmes de fermeture, que des récipients étaient parfois volontairement jetés et brisés à cet endroit. À Sedeinga, des verreries sont concernées295, ainsi que des brûleencens dont une partie des tessons sont mélangés au ciment servant à bâtir le mur de fermeture (figure 90). En dehors de la boisson et de l’encensement, l’hypothèse d’une libation est également envisagée296.
292. Shinnie 1980, p. 125, fig. 54-55. 293. Shinnie 1980, p. 117, fig. 47d. 294. Shinnie 1980, p. 115, 45c. 295. Leclant 1971. 296. Bonnet 1991, p. 19.
LE RITUEL FUNÉRAIRE • 139
Une fois la porte érigée, un dépôt de conteneurs297, le plus souvent complets et parfois même fermés298, peut aussi avoir lieu au fond de la descenderie ou du puits. Il comprend à la fois des jarres et des amphores, mais aussi des bols à encens retournés sur de la matière consumées. Les offrandes faites en dehors du caveau amorcent un cycle de rituels destiné à veiller sur l’âme du défunt durant son voyage vers l’inframonde. Les dévotions sont ensuite accomplies en surface de la tombe, où un certain nombre d’objets rituels permanents prennent place (cf. supra p. 37 – Le mobilier lapidaire). Les visites au défunt se matérialisent aussi parfois sous la forme d’empreintes de pieds gravées devant le monument funéraire299, une coutume bien connue autour de la Méditerranée, pratiquée notamment par les pèlerins visitant des lieux à caractère sacré. Les rituels d’offrandes réelles ou via la libation sur une table devaient s’accompagner de récitations de prières, à l’image des textes gravés ou peints. C. Rilly, rappelle avec justesse que, dans les textes funéraires, il n’existe pas d’épitaphe sans nomination, selon la règle prisée en Égypte de faire de la répétition et de la conservation du nom, le garant d’une forme d’éternité300. Les nécropoles tumulaires méroïtiques situées dans la région entre Karima et Abou Hamed n’offrent qu’en de rares occasions de la céramique dans les caveaux. Cette absence de poterie, même sous forme fragmentaire, contraste avec les grandes quantités de tessons qui jonchent les superstructures. Le pillage
de la tombe laissant d’habitude gésir des vases brisés dans la substructure, il est probable que cette dernière en était souvent exempte, et que les céramiques étaient en fait placées en dehors de la tombe après l’enterrement, sur ou en bordure du tertre. En l’absence de textes et d’iconographie, il est difficile de savoir comment et selon quelle fréquence se déroulaient les visites sur les tombes méroïtiques. Tout au mieux sommes-nous sûr qu’elles ont existé. Malgré l’arrivée de la religion chrétienne puis de l’islam, les quelques études ethnoarchéologiques menées en Nubie décrivent des rituels et des règles dont les origines pourraient indiquer quelques survivances des temps païens. Au début du xixe siècle, l’aventurier J. L. Burckhardt évoque déjà le dépôt de petits galets jaunes ou blanchâtres sur les tombes, accompagné de prières et de libations301. A. E. P. Weigall302 puis M. A. Blackman303 et J. G. Kennedy304 détaillent ensuite divers rituels impliquant le dépôt de tiges de palmiers, l’utilisation d’un encensoir, ainsi que le remplissage régulier d’un conteneur à eau en surface de la tombe. Dans le cadre de ces cérémonies modernes, notons que des objets cultuels méroïtiques sont parfois remployés. C’est le cas par exemple d’une stèle de Faras, devant laquelle chaque cortège mortuaire marquait une halte accompagnée de prières et d’encens305. Il n’est pas non plus rare de trouver dans les cimetières modernes de Nubie des stèles, autels et tables d’offrandes kouchites réutilisés en pierres tombales.
297. Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 23. 298. Williams 1991, pl. 23a. 299. Török 2002, p. 68 ; Sackho-Autissier 2006. 300. Rilly 2007, p. 96.
301. Burckhardt 1819, p. 32. 302. Weigall 1907. 303. Blackman 1922. 304. Kennedy 2005. 305. Griffith 1922b, p. 598.
LE CORPS ET L’INDIVIDU
La structure d’une tombe ainsi que les modèles de pensée religieuse qui l’ont engendrée ne renseignent pas ou peu sur l’individu physique à qui ils sont destinés. Dans une perspective funéraire, l’examen bio-anthropologique est par conséquent l’outil complémentaire par excellence de l’analyse archéologique. Savoir à quoi ressemblaient les Méroïtes, connaître les caractéristiques physiques et les particularités susceptibles de différencier certains inhumés au sein d’un groupe sont autant de chances d’affiner la reconstruction historique qui résulte d’un travail de fouille. Avec une technique documentaire sans cesse améliorée, il est possible de dresser un inventaire des critères récurrents qui décrivent les dépouilles enterrées dans le royaume de Méroé, et d’en observer les grandes orientations par type et répartition. Bien que la quantité et la qualité des sources varient considérablement en fonction des échantillons et de la profondeur de champ des études menées par les anthropologues officiant en Nubie depuis un siècle, la synthèse des données dresse une cartographie du royaume où, comme pour l’architecture des tombes, plusieurs courants dominent. La confrontation des observations bio-anthropologiques aux quelques sources iconographiques antiques conforte cette vision dans laquelle les particularités régionales et culturelles s’expriment au sein d’une Nubie hétérogène. Par-delà les apparences physiques, les vestiges humains offrent un large spectre d’analyses pouvant nous renseigner sur l’état de santé d’un individu, ses habitudes alimentaires et son espérance de vie. Les causes du décès et la détermination du sexe sont parmi les informations qui entrent directement en jeu pour recréer un environnement social, ou juger des coutumes funéraires qui furent mises en œuvre. La question du genre fait basculer l’étude du corps dans l’exploration sociologique de la tombe, et conduit à s’interroger sur les schémas de répartition des hypogées, des monuments funéraires, ainsi que des liens familiaux pouvant les unir. La fouille dévoile en partie certains de ces phénomènes, lorsque par exemple elle met en évidence des pratiques d’inhumation réservées à certaines catégories d’âge, ou apporte la preuve que des enterrements collectifs ont eu lieu dans un même caveau ou sous un même édifice.
anthropologie funéraire L’étude des restes osseux et organiques, témoins de la vie et de la mort d’un individu, complète l’analyse des faits archéologiques retraçant le déroulement de l’enterrement et de la fonction remplie par le mobilier funéraire. En s’appuyant sur les traces « inscrites » dans le corps par divers modes de vie, contextes d’évolution, alimentations et biotopes environnementaux, l’anthropologie dresse un portrait biologique fragmentaire du défunt. Elle permet cependant presque toujours, à partir de preuves souvent ténues, de retrouver la position initiale dans laquelle les corps étaient déposés dans la tombe, rendant possible à grande échelle la cartographie globale de différentes pratiques d’inhumation.
La représentation des Méroïtes Plusieurs sources antiques décrivent les habitants du royaume de Méroé comme une population mélanoderme vivant à l’extrémité du monde, au plus proche de l’astre solaire1. C’est ainsi que sont figurés les archers nubiens sur la mosaïque de Palestrina2, ou les officiants d’une cérémonie dédiée à Isis sur une peinture d’Herculanum3. Cependant, toute représentation de Noirs dans l’antiquité n’indique pas forcément l’ancienne Éthiopie. Comme le remarque J. Desanges, l’assimilation des populations de la bordure nordafricaine de la Méditerranée à des « faces brûlées » fut fréquente, y compris au sujet des Égyptiens4. Diodore de Sicile décrivait les Éthiopiens comme des individus à la peau noire et au nez aplati, définissant les caractères dits « négroïdes » communs de l’iconographie des Nubiens en usage chez les Égyptiens ou chez les Méroïtes eux-mêmes. Au début de notre ère, Pline l’Ancien nous livre ces quelques remarques sur leur apparence physique :
1.
2. 3. 4.
Dans la mythologie grecque, il s’agit des premières terres asséchées d’où ont émergé les premiers hommes, ceux que les dieux préfèrent et avec qui ils s’assoient pour banqueter. Trinquier 2007, p. 221, fig. 3. Berger et al. 1997, p. 98. Desanges 1995.
142 • VINCENT FRANCIGNY Il n’y a aucun doute quant au fait que les Éthiopiens sont atteints par la chaleur qui résulte de la proximité avec le soleil ; ils ont une apparence brûlée dès la naissance, et les poils de leurs barbes et de leurs cheveux sont bouclés. Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, II, 189.
Du point de vue des Méroïtes, c’est à leurs voisins vivant plus au sud qu’ils attribuent la couleur noire brûlée par le soleil. Voici ce que confie un officiel « éthiopien » installé en Basse Nubie à Aelius Aristides au milieu du iie siècle de notre ère : Au-delà de Méroé, il dit que le fleuve n’était plus un, mais qu’il y en avait deux, l’un étant de couleur terre, l’autre de celle du ciel. Quand les deux se rencontrent et se mêlent, alors le Nil est créé. Au sujet de la région plus en amont, il dit qu’il n’en savait pas plus lui-même et qu’il en était ainsi pour tous les Éthiopiens, sinon que les gens (qui y vivent) sont noirs, plus noirs qu’eux-mêmes et que leurs voisins (…). Publius Aelius Aristide, Œuvres complètes, XXXVI, 56.
Philostrate, vers 220 de notre ère, se fait plus précis dans la description des Kouchites de la frontière septentrionale : Ceux qui vivent à la frontière ne sont pas vraiment noirs, mais tous sont de la même couleur, moins noire que les Éthiopiens et plus noire que les Égyptiens.
Philostrate, La vie d’Apollonios de Thyane, VI, 2.
Dans une étude portant sur un échantillon de population méroïtique à Kerma, C. Simon conclut à une position intermédiaire de cette dernière, entre Égypte et Afrique subsaharienne5. L’étude des crânes méroïtiques de Sedeinga6 tâche de définir un profil morphologique standard pour la région, à savoir : un crâne étroit, un développement vertical moyen, une face étroite, un nez large et l’orbite haute. Cependant, l’examen d’échantillons de cheveux au microscope à balayage électronique ne livre pas toujours de preuves d’aspect crépu7, ce qui va dans le sens d’une forme de diversité biologique. L’approche raciale des données anthropologiques extraites des tombes kouchites8, a globalement été abandonnée en raison de la variabilité du peuplement de la vallée du Nil sur plusieurs millénaires. En revanche, les questions liées aux invasions, aux migrations et donc à la mixité biologique des Nubiens
attendent beaucoup des progrès réalisés par l’archéogénétique et en particulier les analyses ADN9, malgré les difficultés propres à la préservation de telles données en milieu chaud et aride10. En contexte funéraire, les éléments iconographiques représentant les Méroïtes se résument aux stèles et aux statues-ba. Outre les vêtements et les parures qui peuvent nous renseigner sur le rang social ou l’exercice d’une charge importante, la plupart des individus sont représentés torse nu (figures 31, 44 et 45), aussi bien les hommes que les femmes. Cette semi nudité, présente également sur les décors peints des céramiques, n’évoque pas forcément le dénuement des couches paysannes, puisqu’elle caractérise des personnages de rang suffisamment élevé pour s’offrir un monument funéraire, une stèle ou une statue. Il est donc vraisemblable que la grande majorité de la population ne portait en fait rien d’autre qu’un pagne ou un cache-sexe. Quel que soit le support, c’est l’ocre rouge qui servait à rendre la couleur de la peau. Le noir, couleur correspondant aux limons fertiles et parfois appliquée au dieu Osiris, n’était donc pas utilisé par les Méroïtes qui continuaient ainsi à suivre les canons de l’art égyptien.
Les décorations corporelles L’exceptionnelle conservation de certaines dépouilles découvertes dans des tombes méroïtiques, notamment en raison d’un processus de dessiccation lent et d’une hygrométrie stable, permet d’observer des pratiques de décorations corporelles variées. Toutes semblent dater du vivant de la personne, et ne constituent donc pas une étape préparatoire du corps, ni un rituel avant enfouissement. Parmi les plus rares figurent les ongles ornés d’une sorte de henné, attestés sur l’île d’Arduan11 et à Nag el-Arab12. Ayant souvent disparu, les coiffures nous sont surtout connues par l’iconographie, la plus courante étant faite de cheveux très courts formant une grille dite en « grains de poivre » (figure 29). Quelques spécimens archéologiques nous livrent des coiffures de femmes ou d’enfants plus denses et plus longues, dans lesquelles sont présents des éléments tressés ou simplement attachés en longues mèches à l’arrière du crâne13. Dans le cimetière de Nag el-Arab, certaines femmes avaient les cheveux teints au henné, tandis qu’à Qustul quatre boules de cheveux ont été 9.
5. 6. 7. 8.
Simon 1991, p. 40. Janot et al. 1995. Janot et al. 1994, 133, fig. 4. Trigger 1978.
10. 11. 12. 13.
Lalueza Fox 1997 ; Krings et al. 1999 ; Manni et al. 2002 ; Buzon 2008. Francigny et al. 2013. Edwards, Osman 2000. Almagro et al. 1965, p. 88. Williams 1991, pl. 21b.
LE CORPS ET L’INDIVIDU • 143
Figure 120 – Aksha. Tatouages sur l’abdomen. [D’après Vila 1967, p. 373, pl. 15]
retrouvées à l’intérieur d’une vannerie en forme de bol14, indiquant peut-être cette fois un prélèvement post-mortem. La peau, en grande partie exposée, fait également office de support pour les tatouages. Il s’agit là d’une pratique identifiée dans la vallée du Nil15 dès la période du Groupe C, par le biais de dépouilles bien conservées16, et de figurines de fécondité décorées en
14. Williams 1991, p. 162. 15. Dans le reste du monde, les premiers exemples retrouvés sur les corps naturellement momifiés remontent au IIIe millénaire avant notre ère, par exemple avec la découverte d’Ötzi (Renaut 2004) ou des momies chinoises du Tarim (Mallory, Mair 2000). 16. Friedman 2004, p. 47.
terre cuite17. La couleur des tatouages oscille du bleu foncé au noir (qui constitue une possible altération du bleu). Ils concernent principalement les zones de l’abdomen (figure 120), des hanches et des cuisses, et semblent avant tour caractériser une pratique propre aux femmes. D’autres tatouages plus petits se retrouvent sur les mains et le visage18, sans distinction de sexe cette fois. La technique employée consistait apparemment à inciser ou piquer la peau, puis à introduire dans la blessure un pigment ; une technique proche de la scarification. On obtenait ainsi l’apparition d’un point coloré de quelques millimètres de circonférence et légèrement en relief, sorte d’unité de base utilisée ensuite pour la composition de figures complexes. Les motifs élaborés observent le plus souvent une forme de symétrie par rapport à l’axe central et vertical du corps. Parmi les symboles visibles, certains sont connus sous forme d’incisions sur des artefacts méroïtiques (céramique, pointes de flèches, etc.). Leur présence sur des corps de femmes est difficile à interpréter. Faut-il y voir des images renforçant la fécondité ou protégeant la matrice qui enfante ? Sont-ils au contraire les marqueurs d’une origine ethnique au sein des communautés vivant dans le royaume ? L’absence de ces tatouages sur les stèles figuratives peintes pour certains personnages de haut rang va peut-être dans ce sens. Les scarifications, bien que difficiles à vérifier par l’anthropologie biologique, apparaissent régulièrement dans l’iconographie des Méroïtes19, et sont par conséquent un élément de décoration culturellement déterminant. Absentes de la documentation iconographique napatéenne20, elles sont fréquentes dans l’iconographie égyptienne désignant les Nubiens dès le Nouvel Empire. La forme de scarification la plus répandue dans la vallée du Nil Moyen est constituée de trois courtes incisions verticales sur les joues ou les tempes. Elle est encore pratiquée de nos jours en Nubie sous le nom de thalata matarik (les « trois brindilles »), dont l’adoption populaire tiendrait à l’arrivée des Arabes, et la volonté des populations indigènes de marquer leur différence vis-à-vis de ces migrants21, bien que la tradition semble en fait
17. Bonnet 1997b, 55, no 45. On en retrouve aussi à la période méroïtique (Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 96). 18. Vila 1967, p. 370, pl. 12/4. 19. Elles ornent même le visage de certaines divinités, comme c’est le cas par exemple pour Amesemi (Wildung, Kroeper 2006, pl. 27a). 20. C’est le point de vue défendu par T. Kendall (1989, p. 676), bien qu’une occurrence gravée sur la joue d’un prêtre (une incision verticale surmontée d’une incision horizontale) apparaisse sur un relief du temple de Sanam (Griffith 1922, p. 96). 21. Blazynski 2003.
144 • VINCENT FRANCIGNY
remonter à l’Antiquité. D’une façon générale, le développement des scarifications et de leur multiples variantes s’accorde avec un processus de différenciation et de reconnaissance entre les principales tribus du Soudan, de la Nubie jusqu’aux confins méridionaux. Elles témoignent aussi d’actes rituels ou médicaux visant à protéger de certaines maladies ou infections, surtout au niveau du visage et des yeux22.
Paléopathologies La bonne conservation des corps dans certaines régions de Nubie, grâce à la momification partielle et naturelle des parties molles, permet nombre de prélèvements et d’observations pouvant nous renseigner sur la santé passée des individus enterrés. La plupart des pathologies décelées dans les diverses études qui accompagnent la fouille de cimetières méroïtiques caractérisent cependant un processus naturel propre à la vieillesse aux époques anciennes. On observe ainsi des maladies et usures du corps liées à des surcharges régulièrement portées, touchant particulièrement le système de la colonne vertébrale, ainsi que des lésions inflammatoires courantes de la mâchoire, de type abcès. Les autres affections osseuses sont plus rares et relèvent du cas par cas. Les cas de traumas sont rarement signifiants, tant leur rareté les ramène à des phénomènes isolés qui n’engendrent pas d’autres diagnostics que des fractures courantes naturellement cicatrisées, généralement concentrées sur les côtes et les os longs. Notons tout de même un nombre de fractures élevé sur les squelettes de la population majoritairement masculine enterrée à Sayala, et susceptible d’être une sorte de garnison militaire. Une étude menée sur la petite communauté méroïtique du cimetière 3-Q-33 de la 4e cataracte a mis en évidence la récurrence d’anomalies dégénératives sur les ossements23. Celles-ci tiennent au confinement et l’isolement des populations dans une zone donnée, et à la rareté des unions allogènes. Cette conclusion traduit à petite échelle un phénomène récurrent sur l’ensemble de la zone, apparemment délaissée par les Kouchites. C’est ce que montrent les données recueillies sur la concession de la SARS24, où sur 1 151 individus exhumés des multiples nécropoles fouillées, 40 seulement sont méroïtiques, contre 201 pour la période Kerma, et 852 pour la phase chrétienne. Les exemples de carences alimentaires pouvant entraîner une porosité osseuse ou un déficit de croissance dentaire existent, mais dans des proportions 22. Cf. les scarifications sur certaines statues-ba (Leclant 1991, no 139), ou sur le cercueil en terre cuite d’Argin (fig. 96). 23. Wolf, Nowotnik 2006, p. 22. 24. Jakob 2007.
relativement mesurées, n’offrant guère plus que des renseignements sur la rudesse des conditions de vie, toujours d’actualité en Nubie. À Sedeinga, par exemple, l’étude des dentitions confirme cette vision, en relevant très peu de lésions carieuses et une forte usure de l’émail, caractéristiques d’une alimentation riche en fibres végétales et en graines. La récurrence massive sur les crânes méroïtiques de cribra orbitalia (porosité des structures criblées du toit de l’orbite) est reconnue par certains anthropologues comme une preuve d’anémie résultant d’une déficience en fer propre à un régime alimentaire basé sur les céréales comme le millet ou le sorgho25 ; une position nuancée par une étude plus récente portant sur la série de crânes de Missiminia26, qui montre que les mêmes symptômes peuvent résulter de certaines infections aiguës. La littérature antique évoque parfois de façon détournée les conditions sanitaires des populations vivant en Nubie. Ainsi, dans la seconde moitié du ve siècle avant notre ère, des foyers de peste furent peut-être originaires de la région, comme l’écrit Thucydide : Il est dit que la peste prit naissance en Éthiopie, au sud de l’Égypte, puis se répandit en Égypte et en Libye, avant de gagner la majeure partie du territoire royal (Perse). Thucydide, Les guerres du Péloponnèse, II, 48.
L’épidémie aurait durement affecté la population de la vallée du Nil Moyen, au plus fort de sa propagation, comme ce fut peut-être à nouveau le cas en l’an 165 de notre ère, lorsque la peste fit à nouveau des ravages en Égypte, bien qu’à chaque fois les preuves archéologiques manquent du côté nubien. N’oublions pas, en effet, qu’en fonction du contexte diplomatique, les écrits romains s’évertuaient à rendre une image négative de la région. C’est ainsi, par exemple, qu’il est fait état de la pestilence censée toucher le territoire nubien, et donc les Méroïtes, au point que l’empereur Septime Sévère, en visite sur la frontière sud de l’Empire vers 200 de notre ère, aurait rebroussé chemin27. C’est en définitive une impression de robustesse des individus qui se dégage de l’analyse pathologique des dépouilles méroïtiques. En excluant les rares maladies ou déficits pouvant affecter le squelette, la mort intervenait de façon classique par le biais de causes ordinaires d’origine cardiaque, infectieuse ou parasitaire.
25. Coppa, Palmieri 1988, p. 288. 26. Wapler 1998. 27. Dion Cassius, Histoire Romaine, lxvi, 13,1.
LE CORPS ET L’INDIVIDU • 145
Paléodémographie S’ajoutant à l’analyse du corps, les études démographiques renseignent l’archéologue sur trois points majeurs : l’espérance de vie, l’estimation du nombre de personnes enterrées et leur répartition par origine et par genre. À travers les courbes estimant l’âge des individus au moment du décès, on découvre sans surprise que les « Éthiopiens longue-vie » dont parlait Hérodote n’avaient de durable que leur mythe, et ne mourraient guère âgés. Dans le cimetière 3-Q-33 de la région de la 4e cataracte, on estime qu’un tiers de la population ne dépassait pas les 20 ans, et que seulement 5 personnes sur 36 atteignaient les 40 ans28. Durant la période méroïtique, l’espérance de vie est en général estimée entre 20 et 30 ans29. Pour le méroïtique ancien, l’analyse effectuée sur les squelettes d’Emir Abdallah nous livre une estimation d’environ 25 ans30. Pour comparaison, en Égypte romaine, elle ne dépasse pas 25 ans pour les hommes et 22 ans pour les femmes, l’ensemble de ces chiffres étant bien entendu artificiellement tiré vers le bas en raison de la forte mortalité infantile. Aussi, en ne prenant en compte que les données pour les personnes ayant au moins atteint l’âge de 10 ans, on obtient des espérances de vie corrigées d’environ 48 ans pour les hommes, et 45 ans pour les femmes31 ; des chiffres sans doute applicables à la vallée du Nil Moyen. L’étude anthropologique menée sur les restes osseux de quatre tombes méroïtiques du site HP 87, situé dans la région de la 4e cataracte, donne un échantillonnage restreint mais précis sur l’espérance de vie en fonction du sexe des individus. Celle-ci était comprise entre 25 et 35 ans pour les femmes, tandis que le seul homme adulte étudié avait atteint une cinquantaine d’années32. Une autre enquête menée dans la même région propose une étude comparée de plusieurs squelettes allant du néolithique jusqu’à la période islamique, avec un échantillon de 29 individus provenant de tombes méroïtiques réparties sur 6 nécropoles33. Les résultats, couplés à ceux de la période post-méroïtique, affichent une nette différence entre les hommes et les femmes. En faisant la moyenne des chiffres donnés par un échantillon de 22 personnes divisé à part égale entre les deux sexes, on constate que 2 hommes pour 5 femmes décèdent
28. 29. 30. 31. 32. 33.
Wolf, Nowotnik 2006. Strouhal 1999, p. 349. Trancho 1982. Verreth 2000. Pudlo 2005. Hagar Saile (HP 14), el-Higliega (HP 19), el-Mereikh (HP 142), Kassinger Bahri (HP 87), Gabama (HP 151) et elBisharya (HP 506) ; Gladykowska-Rzeczycka, Pudlo 2005.
entre 20 et 30 ans, 2 pour 4 entre 30 et 40 ans, 5 pour 1 entre 40 et 50 ans, et enfin que 2 hommes pour une femme atteignent un âge de 50 ans et plus. Cette différence s’explique essentiellement par la vulnérabilité des femmes durant la phase de grossesse et au moment de l’accouchement. Les résultats d’une autre étude menée cette fois à Geili, dans le Keraba, indiquent d’ailleurs que passé la première grossesse, les femmes avaient une espérance de vie égale et même parfois légèrement supérieure à celle des hommes34. La mortalité infantile élevée se matérialise dans les nombreuses tombes et ossements d’enfants qui jonchent la surface des nécropoles méroïtiques. Bien qu’aucune statistique ne soit disponible à ce sujet, les chiffres avancés pour l’Égypte romaine contemporaine donnent une idée de l’ampleur du phénomène : 35 % des nouveau-nés mourraient durant la première année, tandis que 50 % des filles et 54 % des garçons seulement atteignaient l’âge de 5 ans35. En lien direct avec l’espérance de vie des populations, l’estimation de la durée de vie des nécropoles méroïtiques, et par conséquent des établissements qui s’y rattachent, est rarement connue. Rappelons tout d’abord qu’on observe une hausse démographique entre la période du Groupe C et la période postméroïtique, et que l’estimation globale du royaume de Méroé à son apogée est d’environ 500 000 habitants36. Karanog, dont la nécropole fut en grande partie fouillée, regroupait au moins 2 500 sépultures, dont beaucoup à multiples enterrements, pour un établissement attenant d’une superficie minimum de 8 ha, constituée d’une zone d’habitat dense faite de maisons en briques crues, jouxtée de palais pour l’élite locale37. Une taille relativement modeste, si on la compare à d’autres centres urbains plus méridionaux comme Kawa (17 ha pour 8 000 habitants), el-Hassa (20 ha), el-Mouweis (18 ha), et Méroé (50 ha pour 25 000 habitants). En regroupant les quelques informations disponibles sur les nécropoles de Basse Nubie, avec un taux annuel de mortalité d’environ 3,5 %38, on arrive à un intervalle lato sensu de 50 à 100 ans, pour qu’une population d’une centaine de personnes produise une nécropole de 100 tombes, équivalentes à un minimum de 200 décès. À Abou Simbel, on estime ainsi la population de l’implantation méroïtique à environ 70 individus, avec une mortalité de 1 à 2 individus par an39.
34. 35. 36. 37. 38. 39.
Coppa 1988, p. 254. Coenen 2000, p. 204. Hinkel 1997, p. 393. Woolley 1911. Vila 1967, p. 238. Näser 1999, p. 19.
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Une comparaison des différentes populations enterrées dans un même cimetière à Geili40 affiche une courbe où deux fois plus d’individus (en pourcentage d’un échantillon de même taille) de la période chrétienne meurent âgés de 50 ans et plus (> 10 %), par rapport à ceux de la période méroïtique (< 5 %). Ce résultat s’accorde avec les observations générales de l’amélioration des conditions de vie pour les personnes adultes d’âge mûr à l’époque médiévale, bien que les chiffres restent pratiquement inchangés pour les jeunes générations. Un graphique publié par E. Strouhal, regroupant les courbes d’espérance de vie pour les populations méroïtiques, post-méroïtiques et chrétiennes de Ouadi Halfa Ouest confirme ce constat : la mortalité en bas âge est globalement la même pour tous, tandis que l’espérance de vie des adultes est plus élevée à l’époque chrétienne41. Notons que les études anthropologiques fondées sur l’ensemble des données prélevées par les archéologues lors de la fouille de cimetières donnent en général de meilleurs résultats que celles basées sur des échantillons. Un exemple flagrant nous est donné à Missiminia, où l’on compte 63 % de femmes selon une étude portant sur l’ensemble des squelettes, et 49,3 % selon une étude effectuée sur un échantillon examiné par G. Billy42. Cela est dû aux irrégularités propres à la préservation aléatoire des tombes fortement bouleversées par les pillages et les variations du milieu naturel, qui ne peuvent être compensés que par la collecte de l’ensemble des informations sur tous les enterrements d’un même cimetière. La manipulation des données anthropologiques extraites d’ensembles aussi perturbés que les nécropoles méroïtiques nécessite toujours d’énormes précautions, surtout lorsqu’il s’agit d’aborder l’origine des populations enterrées. Deux grandes théories ont dominé les débats à ce sujet. La première fut exposée par D. L. Greene, lorsqu’en étudiant les dentitions des populations enterrées en Basse Nubie aux époques méroïtiques, post-méroïtiques et chrétiennes, il observa qu’apparemment tous les individus devaient appartenir à la même population43. Elle fut reprise par G. Billy qui, à propos des vestiges humains napatéens, méroïtiques, post-méroïtiques et chrétiens du site de Missiminia, fit la synthèse des examens crâniens et des caractères morpho-
logiques de la face et la mandibule, pour conclure à une évolution in situ des populations anciennes44. La deuxième théorie, celle de la rupture, admet la présence d’une évolution intrinsèque de la population nubienne (reprenant ainsi la première hypothèse), ainsi que l’arrivée de populations exogènes sur le territoire occupé par les royaumes kouchites. E. Strouhal, propose un schéma anthropologique attestant deux phases d’immigration en Nubie : la première au Nouvel Empire, et la seconde à l’époque méroïtique et post-méroïtique45. Il sera rejoint par d’autres spécialistes qui placent l’origine de ces migrations dans la région nord du Tchad actuel46, les populations étant poussés vers la vallée du Nil en raison d’une désertification galopante. L’hypothèse d’invasions, voire d’un remplacement des élites dirigeantes dans certaines communautés méroïtiques du royaume n’est donc plus écartée. Les appétits connus des Nobades et des Blemmyes pour le contrôle de la vallée, mais aussi les pistes linguistiques renvoyant aux populations du Kordofan et du Darfour, pourraient à l’avenir trouver des réponses concrètes par le biais de l’archéogénétique. Malgré cela, un fossé existe entre la plupart des anthropologues utilisant la Nubie méroïtique dans leurs recherches globales, et la réalité de nos connaissances historiques sur la région. Ainsi, jusque dans les études les plus récentes47, on maintient encore régulièrement le mythe d’une exception nubienne en raison d’une supposée dépopulation de la Basse Nubie pendant près de 1 000 ans ; ce qui, depuis le début des années 90 a été remis en cause et revu comme un hiatus documentaire, plutôt qu’une réalité démographique48. Autre exemple de contradiction courante, l’important flottement de la frontière entre Méroé et le monde grécoromain, et la mixité biologique évidente qui en découle, n’entrent pas en ligne de compte dans beaucoup d’études portant sur des collections anthropologiques de Basse Nubie49, qu’on prétend représentatives de l’ensemble du royaume de Méroé. Si l’on ajoute à cette complexité historique, les problèmes méthodologiques liés au prélèvement et à la préservation d’échantillons biologiques en milieu aride50, on comprend pourquoi la Nubie n’en est encore qu’à ses balbutiements dans ces domaines de recherche.
40. Coppa 1988, p. 267, fig. 8. 41. Strouhal 1999, p. 361, fig. 2. 42. Cette prédominance des sujets féminins dans les nécropoles méroïtiques et post-méroïtiques est visible à Aksha, Nag el-Arab, Argin Sud, Ouadi Halfa, Emir Abdallah, Missiminia, Sedeinga, Soleb et Kerma. 43. Greene 1966.
44. 45. 46. 47. 48. 49. 50.
Billy 1987. Strouhal 1982. Hofmann et al. 1989. Irish 2005 ; Godde 2009 ; Stynder et al. 2010. Williams 1990 ; Török 2009, p. 328. Par exemple Godde 2010. Francigny et al. 2013.
LE CORPS ET L’INDIVIDU • 147
Figure 121 – Djebel Makbor. Inhumation méroïtique en position contractée. [D’après Lenoble 1987b, p. 233, fig. 11]
La position du corps
Dans les cimetières napatéens les plus au nord de la Nubie, comme à Missiminia51, c’est la position allongée qui domine. Elle est fortement concurrencée plus au sud par la position fléchie, par exemple à Sanam et à Méroé (Cimetières Sud et Ouest), qui s’inscrit dans une tradition nubienne remontant à la préhistoire. La position allongée, d’abord interprétée comme l’indice d’une population intrusive égyptienne, puis la marque d’une simple différenciation sociale ou de genre, finit par être comprise comme l’expression d’une certaine égyptianisation des pratiques funéraires napatéennes52. La relecture des fouilles de Sanam Abou Dom53, et les travaux menés à Tombos54 montrent que les deux hypothèses ne s’opposent pas
forcément, et que la mixité culturelle et ethnique était possible au sein d’un même groupe familial. La division géographique entre les traditions, amorcée à la période napatéenne, se renforce à la période méroïtique (carte 6), la coutume ancienne de la position fléchie ne semblant être conservée qu’en amont de la zone jadis conquise par les Égyptiens. Dans la partie septentrionale, la proximité avec l’Égypte et la fréquence des contacts semblent avoir favorisé l’adoption de la position dite « osirienne » (decubitus dorsal, membres supérieurs et inférieurs en extension) (figures 53 et 56), appelée ainsi bien que les bras ne soient pas croisés sur la poitrine, mais ramenés sur le pubis (dans environ 50 % des cas) ou tendus le long du corps55. C’est la position privilégiée, notamment lors de l’utilisation d’un coffrage en bois. Dans la région de Méroé, cette position est également attestée au sein des tombes royales et des nécropoles adjacentes, mais se fait plus rare à mesure que l’on s’éloigne de ce regroupement élitaire. L’influence égyptienne, visible dans le choix de la structure funéraire et dans la position du mort, ne va donc pas de soi pour le reste d’une population qui conserve la position contractée traditionnelle (decubitus latéral, membres supérieurs et inférieurs fléchis) (figure 121).
51. 52. 53. 54.
55. Il existe quelques variantes, notamment dans les tombes d’archers où la main droite peut reposer sur le carquois, ou par exemple avec le cas isolé d’un défunt tenant son sexe dans la main à Aksha (Vila 1967, p. 191, fig. 168).
Malgré les pillages et les bouleversements liés à de nouveaux enterrements, l’étude taphonomique des restes humains permet le plus souvent de préciser quelle était la position initiale d’un individu. Sur l’ensemble des fouilles de cimetières napatéens et méroïtiques, les données recueillies montrent que dans ce domaine les pratiques n’évoluent guère au fil des siècles.
Vila 1980b. Vila 1980a. Lohwasser 2010. Smith 2007 ; Buzon 2008.
148 • VINCENT FRANCIGNY
À Tombos56, Tabo et Kerma57, on constate que même sous la période d’occupation du Nouvel Empire, la tradition nubienne de la position contractée perdure chez une partie de la population. Les ancêtres des souverains kouchites enterrés dans la première nécropole royale d’el-Kurru affectionnent aussi cette tradition, comme le montre le Ku. Tum. 1 avec son tumulus et son défunt reposant sur un lit en position contractée, tête au sud58. Plus loin en amont, au Soudan central, des contractions extrêmes observées sur certains individus enterrés, naturellement impossibles pour le corps humain, devaient être obtenues grâce à des ligatures59. Les régions du Keraba et du Boutana n’ayant jamais été conquises par les Égyptiens, la position osirienne y aurait donc migré par le biais des élites napatéennes, encouragée et consolidée ensuite par le déplacement de la nécropole royale. La position contractée, longtemps perçue comme un indice d’africanisme60, se rencontre tout de même parfois dans les tombes méroïtiques du nord de la Nubie, mais elle caractérise le plus souvent l’incapacité, faute de place, à étendre le défunt dans une position allongée. À l’inverse, on note qu’au cœur de la Gezira, sur le site du Djebel Moya, la position allongée est majoritaire, bien qu’en fait elle traduise ici le maintien d’une tradition locale couvrant près de 80 % des enterrements sur près de cinq millénaires, sans lien avéré avec l’influence de la religion égyptienne.
L’orientation du corps L’orientation d’une tombe ou d’un corps se réfère à un système de repères adopté par une communauté sur la base de croyances religieuses ou de superstitions. Le choix de s’y conformer témoigne d’une appartenance à une sphère culturelle, qu’elle soit voulue ou subie. Ainsi, la différence d’orientation des corps dans l’ensemble du royaume dresse une cartographie relativement fiable (carte 7)61 du degré de pénétration de la religion funéraire appliquée par le pouvoir et les élites par rapport aux conservatismes locaux et régionaux du reste de la population. À l’époque napatéenne, les fouilles ont montré que bien souvent, en aval de la 5e cataracte, cohabitaient deux types de position pour le défunt (corps allongé
56. 57. 58. 59. 60. 61.
Smith 2007. Bonnet 1980a Kendall 1999, p. 35. Arkell 1949, pl. 105/2. Reisner 1923, p. 41. Comme pour la cartographie des positions funéraires, seules les tendances majoritaires sur chaque site sont prises en compte. À Aksha (Vila 1967), par exemple, 1 tombe sur 97 était orientée vers le sud.
ou fléchi), avec une grande majorité des corps orientés est-ouest, la tête à l’ouest. Il s’agit là d’une influence typique de la religion égyptienne, selon laquelle cette position permet symboliquement au défunt de recevoir les premiers rayons du soleil levant associé à la renaissance de l’astre solaire. Cette orientation est-ouest des structures funéraires ou cultuelles, normalement basée sur l’observation des astres, fut régulièrement abandonnée au profit d’une orientation théorique en rapport avec l’axe du Nil. Celui-ci effectuant maintes circonvolutions en Nubie, il est fréquent de constater que dans une même zone géographique les orientations des bâtiments et des tombes peuvent varier selon qu’on a choisi l’un ou l’autre système de référence. La possibilité d’aligner un temple ou une pyramide par rapport au cours du fleuve souligne une nouvelle fois le rôle majeur de ce dernier dans les croyances kouchites. Pour la période méroïtique, la cartographie des orientations révèle une scission dans le royaume, entre une Nubie dans laquelle l’enterrement tête à l’ouest domine, et un Soudan central couplé aux régions plus méridionales, où la dépose des corps tête au sud est courante dans les tombes communes. Dans la région de la 4e cataracte la position allongée tête à l’ouest continue de dominer, bien qu’un tiers environ des dépouilles méroïtiques aient été déposées en position contractée, dont certaines avec la tête au sud62. La rareté des dépôts funéraires dans la première catégorie, tandis que la seconde est fréquemment associée à du matériel d’archerie laisse présager d’une différence de statut social entre ces groupes d’individus. D’une façon générale, orientation et position du corps s’accordent de façon remarquable, si bien qu’on peut en de nombreuses occasions opposer la tradition allongée tête à l’ouest, à celle fléchie tête au sud. On observe également que la cartographie des structures tumulaires se confond assez bien avec la répartition des tombes à position fléchie, et peu avec la carte des sépultures dominées par la position allongée.
l’individu Par-delà la dépouille et les chairs, l’individu social émerge aussi grâce à l’étude des modes d’enterrement et de la répartition des sépultures. Dès leur création, les tombeaux méroïtiques étaient voués à des destins différents, selon qu’ils étaient prévus, ou non, pour être rouverts, ou qu’ils eurent à subir des occupations tardives non programmées.
62. Paner et al. 2010.
LE CORPS ET L’INDIVIDU • 149
En marge des adultes, la mort des immatures bénéficiait d’un traitement particulier par le biais de tombes simples ou collectives creusées dans les espaces laissés vacants, voire sous les flancs des monuments funéraires.
La répartition des tombes et des individus Les regroupements d’enterrements autour d’un même édifice soulèvent la question de la spatialisation des tombes en fonction d’une règle familiale, corporatiste ou religieuse. Bien qu’il soit difficile, ne disposant d’étude ADN sur aucun de ces ensembles, de prouver les liens biologiques entre plusieurs squelettes découverts au même endroit, d’autres indices, comme les textes funéraires, vont dans ce sens. Malgré un système en îlots (figure 122), la plupart des cimetières méroïtiques ont tendance à se développer en formant des alignements de tombes et de monuments. Cela tient en partie à la forme quadrangulaire des superstructures, et à la nécessité
de laisser un espace vierge à l’est, correspondant à l’accès vers la substructure. L’espace entourant un monument fondateur étant celui le plus rapidement colonisé, on assiste ensuite à un développement longitudinal de la zone funéraire au nord et au sud de ce dernier. En l’absence de monument funéraire, les regroupements de tombes sont également courants, sans doute pour les mêmes raisons liées à la présence d’enterrements fondateurs pour un groupe familial. Le fait que les alignements se développent au nord et au sud s’explique aussi par la nécessité d’éviter de rentrer en contact avec les zones d’habitat. Cela profite aux archéologues qui peuvent ainsi suivre plus facilement depuis la surface le schéma de développement des cimetières, et isoler des séquences de chronologie relative entre les structures. Au-delà des alignements et des îlots, on observe un phénomène de différentiation sociale qui consiste à séparer certaines tombes du reste de la population commune. Cela se traduit par le détachement d’un
Figure 122 – Sedeinga. Plan schématique de la fouille du Secteur II en 2012. [© V. Francigny]
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groupe de sépultures par rapport à la zone funéraire principale63, ou par un regroupement singulier de tombes en bordure de nécropole64. Cette division s’accompagne presque toujours d’une autre distinction, qui se traduit par l’architecture élaborée du monument ou de la substructure funéraire. On suppose d’autant mieux la présence d’ensembles familiaux au travers de ces groupes, que les inscriptions funéraires qui s’y rattachent attestent parfois certaines parentés. À Karanog, il est ainsi possible de séparer des groupes de tombes de trois familles dans un même périmètre65. On en conclue que les regroupements familiaux existent, et qu’ils se confondent avec ceux de l’administration66, en raison d’un fort taux de reproduction sociale, et peut-être d’une sorte d’hérédité des charges au sein d’une même lignée. La dynamique de répartition des tombes se double toujours d’une dynamique de répartition des individus, en fonction notamment du sexe et de l’âge. À Kerma, par exemple, les données issues des fouilles de la grande nécropole méroïtique (1979-1980 et 19841985) indiquent une proportion inégale des enterrements entre hommes et femmes67, classique en Nubie, et un taux d’ensevelissement des immatures de 32,5 %68, proche de la moyenne régionale d’environ 25 %. Ces statistiques étant représentatives de la grande majorité des cimetières, les anomalies sont aisément détectables. C’est le cas par exemple au Djebel Adda, qui possède une proportion élevée de corps masculins, qui plus est accompagnés d’armes, désignant la présence de soldats attachés au fonctionnement de la citadelle durant les premiers siècles de notre ère. Le même phénomène de concentration d’hommes se retrouve à Sayala, avec une proportion atteignant 63 % des inhumations, qui rappellent le chiffre de 60 % observé dans la forteresse de Mirgissa au Moyen Empire, et marquant la présence d’une force armée. L’analyse anthropologique renforce d’ailleurs cette hypothèse à Sayala, puisqu’elle fait état d’un nombre anormalement élevé de blessures au sein de la population inhumée69. Les différences de localisation des sépultures et les regroupements d’individus établis par l’archéologie nous renseignent sur l’organisation du royaume, et ce qui semble être le schéma typique d’une société traditionnelle ancienne stratifiée ayant à son sommet le roi ou la candace, puis les dignitaires possédant
63. 64. 65. 66. 67.
Lenoble 1987b, p. 127, fig. 3. Abou Bakr 1963 ; Huber, Edwards 2012. Abdalla 1984, p. 76, fig. 3. O’Connor 1994. Sur 43 individus adultes, 7 se révèlent impossibles à identifier, 22 sont des femmes et 14 sont des hommes. 68. Simon 1986. 69. Strouhal 1982, p. 250.
une charge administrative ou religieuse importante, de possibles individus lettrés ou artisans étrangers, la population commune, et enfin des personnes au statut proche de celui d’esclave, et probablement d’origine allochtone.
L’enterrement des immatures Durant la période méroïtique, les immatures70 étaient enterrés au sein des mêmes nécropoles que le reste de la population. L’inhumation d’un immature dans une tombe particulière ou dans un caveau pour adulte71 supposait la reconnaissance de l’enfant dans la hiérarchie familiale ; l’enterrement tenant une place importante dans les rites sociaux communautaires. Les immatures représentent entre 15 et 30 % des tombes dans les nécropoles méroïtiques et post-méroïtiques72, marquant de fait les grandes disparités dans la prise documentaire faite sur le terrain, pour des sépultures petites et souvent mal conservées en raison de leur proximité avec la surface. Les fouilles ont en effet longtemps ignoré les couches stratigraphiques à la limite de la surface moderne, généralement raclées à la pelle ou la houe par les ouvriers, bien qu’elles regorgent de restes osseux appartenant à des sujets périnataux. L’exemple de Sedeinga, où les superstructures pyramidales sont nombreuses et bien conservées, montre par exemple que les sépultures d’enfants ont tendance à être dissimulées par les coulées d’enduit indurées à la base des monuments73. Les tombes d’immatures vont de la simple fosse74 ou aménagement d’une cavité dans la superstructure familiale, à la réalisation d’une structure individuelle, parfois dotée d’un édifice funéraire indépendant. La typologie des tombes d’adultes est reproduite dans ses généralités pour les tombes d’enfants, avec des fosses à cavité latérale et des descenderies à cavité axiale, parfois intercalées entre la surface et l’hypogée familial. En général peu de mobilier accompagne les tombes d’immatures, mais le fait qu’elles soient systématiquement pillées, prouve qu’elles étaient tout de même une source intéressante de butin. Les rares découvertes ayant échappé aux déprédations livrent des parures se réduisant souvent à des colliers et bracelets de perles comportant peu ou pas d’amulettes (contrairement à la période napatéenne), portés aux
70. On distingue le sujet périnatal désignant un individu enterré à un stade de développement biologique précédant ou suivant l’accouchement, de l’immature, qui qualifie toute personne n’ayant pas encore atteint le stade adulte. 71. Randall-MacIver, Woolley 1909, p. 25. 72. Strouhal 1982, p. 50. 73. Rilly, Francigny 2010 ; 2011 ; 2012. 74. Geus 1979, pl. 9b.
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chevilles, aux poignets et autour du cou. Des bracelets en alliage cuivreux sont également attestés. La céramique se résume aux biberons et à quelques bouteilles de petit calibre. Le corps d’un immature pouvait être placé dans un cercueil en bois (figures 55 et 98) constitué de planches ou creusé dans une section de tronc d’arécacée. Les cas de linceuls et de pagnes en cuir sont rarement attestés, en raison de la disparition souvent presque totale de l’objet75. À Missiminia76, il est fait état de la présence d’enterrements de périnataux dans les descenderies méroïtiques. Il s’agit là cependant d’une mauvaise interprétation, les fouilleurs ne faisant pas le lien entre ces sujets et la présence d’enterrements chrétiens plus tardif, dont certains vont jusqu’à éventrer les caveaux kouchites. Les Méroïtes n’enterrent en effet jamais les enfants en bas âge dans l’accès menant à la tombe, le fonctionnement collectif de celles-ci pouvant nécessiter la réouverture de la cavité à tout moment. Grâce à la fouille du Cimetière 8-B5.A sur l’île de Saï, et la fouille d’enterrements de sujets périnataux chrétiens placés dans des amphores, des cooking pots et des linceuls déposés en surface des descenderies méroïtiques, nous savons désormais que ces découvertes s’expliquent en fait par des pratiques funéraires postérieures à l’antiquité77.
La tombe collective et les ensembles funéraires collectifs Les progrès constants réalisés dans l’analyse taphonomique des restes humains et dans la thanatologie, permettent désormais d’appréhender en grande partie les processus qui affectent un corps dès lors que la mort intervient et qu’il est enterré. La décomposition naturelle de la dépouille, les perturbations consécutives à un pillage ou une réinhumation, tout changement d’état dans l’espace d’enfouissement peuvent ainsi être analysés et fournir à l’archéologue une documentation complémentaire de celle basée sur la culture matérielle. Parmi ces données, l’élaboration de la chronologie des enterrements dans une tombe collective, et l’identification de l’inhumation primaire, sont les informations recherchées en priorité. Il faut tout d’abord distinguer la notion de collectivité du tombeau, voulue dès la fondation, de celle de réutilisation d’une cavité, intervenant dans une tombe initialement prévue pour un enterrement unique.
75. Geus 2006. 76. Vila 1982a. 77. Francigny 2009a ; 2010a.
Cette dernière se traduit en général par la superposition verticale des inhumations, souvent accompagnée par un dépôt stratigraphique consécutif au pillage et à l’arrivée de sédiments dans le caveau. Le système de fermeture peut alors être reconstruit bien au-dessus du niveau d’arasement de la première utilisation (figure 123), fournissant des indices sur le nombre des réouvertures, en complément des changements constatés dans le type de matériau utilisé, et les décalages survenus dans le bâti et les jointures78. Les inhumations secondaires pratiquées dans les tombes méroïtiques ne nécessitent presque jamais le vidage complet de la descenderie ou de la cavité, protégeant ainsi les niveaux les plus bas des enterrements précédents (figure 124), et rendant visible les ruptures dans la stratigraphie de remplissage. En résumé, on empile les enterrements sur les couches accumulées dans la chambre funéraire, tant qu’on dispose d’un espace suffisant sous le plafond. L’archéothanatologie, qui mélange les données concernant l’anthropologie biologique et l’étude taphonomique avec les informations relatives aux rites funéraires et à l’environnement social des individus, est manifestement l’approche méthodologique la mieux adaptée à ce type de vestige79. Malheureusement, la prise documentaire sur les sites funéraires méroïtiques a souvent été réduite à son minimum, en raison de l’urgence des contextes de fouille, ou du désir de comprendre en seulement quelques saisons, des phénomènes à grande échelle. La proportion des tombes collectives sur l’ensemble des nécropoles privées révèle que cette pratique est minoritaire. Malgré le peu de sites fouillés pour cette période, on peut dire qu’elle est rare au méroïtique ancien80, qu’elle se développe au méroïtique classique et tardif, pour disparaître à la période postméroïtique. L’exemple d’Abou Simbel nous donne les proportions suivantes : 62,9 % de tombes à enterrement unique, 26,2 % de tombes réutilisées une ou deux fois, et 9,1 % de tombes possédant au moins quatre enterrements81. Au Soudan central, l’exemple de Gabati affiche des proportions plus élevées : 41,9 % de tombes individuelles, 29 % de tombes avec 2 inhumations, et 25,8 % d’hypogées renfermant entre 3 et 6 individus82. La tombe collective semble donc significative d’une pratique maintenue dans un espace privilégié de la nécropole et, en général, associé à des superstructures d’exception, comme par
78. 79. 80. 81. 82.
De Voogt, Francigny 2012. Duday 2009. Fernandez 1980. Näser 1999. Edwards 1998.
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Figure 123 – Île de Saï. Système de fermeture tardif construit au-dessus du niveau de sol d’origine de la tombe. [© V. Francigny]
Figure 124 – Île de Saï. Séquence stratigraphique dans une tombe. De bas en haut : le sol de la cavité, une inhumation secondaire (partie supérieure en place), et une inhumation tardive (très perturbée) avec des restes de cercueil en bois. [© V. Francigny]
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exemple avec le Cimetière 8-B-5.A de l’île de Saï83, ou le Secteur II à Sedeinga (figure 122). L’importance du monument fondateur était donc capitale, au point que sur plusieurs générations on tentait, bon an mal an, de placer sa sépulture au plus proche de ce dernier, générant ainsi une sorte de dynamique dans l’organisation spatiale des cimetières d’élite. Il est courant, dans les nécropoles méroïtiques disposant de tombes collectives, d’identifier un grand nombre d’individus éparpillés entre la descenderie et la cavité. Ce NMI (Nombre Minimum d’Individus) est cependant à manipuler avec précaution, puisqu’il n’opère pas de recoupement entre les sépultures, alors qu’il est prouvé qu’à certaines époques on ouvrit massivement les tombes pour les piller, mélangeant à grande échelle les vestiges funéraires, fussent-ils humains ou issus du mobilier d’accompagnement. L’exemple d’une tombe de Saï, où le NMI obtenu grâce au nombre de tibias et de crânes prélevés est de 13 individus, montre en fait qu’il faut ramener à 6 le nombre d’inhumations réelles ayant eu lieu dans la cavité84. Le besoin de faire de la place dans un tombeau collectif nécessitait de déplacer les précédentes inhumations ou de réduire l’espace qu’elles occupaient (figure 56). Si la réduction était pratiquée, l’exemple de la Tombe T 91 de Kerma85, montre qu’on savait aussi concevoir des chambres funéraires de très grande taille et éviter ainsi de toucher aux inhumations anciennes. Certaines tombes collectives montrent qu’on a parfois totalement nettoyé la cavité avant de procéder à une ou plusieurs nouvelles inhumations. Difficilement concevable dans le cadre d’un fonctionnement familial, le phénomène était peut-être rendu possible par les nombreuses dégradations qu’entraînaient les pillages anciens et la durée de vie très longue des tombes. Après une ou plusieurs phases d’abandon, on pouvait donc se réapproprier un tombeau, peutêtre même sans avoir de lien de parenté avec les anciens propriétaires. Le fait de rouvrir une tombe pose inévitablement le problème de l’accès à la cavité. Ainsi, les superstructures des tombes collectives ne peuvent en théorie jamais sceller la descenderie ou la fosse d’accès, au contraire des tombes individuelles. Le tumulus offre de façon similaire la possibilité de recourir à de multiples enterrements, le démontage de l’appareil de 83. Francigny 2009a ; 2010a. 84. Lefebvre 2007. 85. Bonnet, el-Tayeb 1991, fig. 5. De forme rectangulaire, sa cavité voûtée abritait les restes de 13 individus (dont 7 enfants, 1 adolescent et 5 adultes) accompagnés de leur mobilier funéraire respectif.
pierre étant aisé. Cependant, plutôt que d’ouvrir la tombe primaire, on s’attachait généralement à creuser une nouvelle fosse moins profonde dans l’espace disponible sous le tertre. La présence de deux individus intacts dans un hypogée ne signifie pas nécessairement qu’il y ait eu un unique enterrement86, mais plutôt deux, pratiqués à peu d’intervalle dans une cavité prévue pour accueillir plusieurs défunts. À Gerf el-Humar, par exemple, on remarque un cas dans lequel deux corps sont séparés par une rangée de briques crues87, tandis qu’à Saï88 et à Qasr Ibrim89, des tombes montrent des défunts reposant côte à côte, intacts et sans séparation. Les céramiques, elles aussi affectées par l’évolution de l’occupation d’un caveau, se retrouvent en quantité supérieure à la moyenne dans les tombes collectives. Au-delà du fait que le mobilier est plus abondant dans les tombes prestigieuses, cela tend à prouver qu’une partie des céramiques était conservée dans la cavité après l’introduction d’un nouvel individu. On observe, par exemple, à Gabati, que 46 % des tombes individuelles n’ont pas de céramique, contre 23 % des tombes à deux inhumations, et moins encore dans les grandes tombes collectives90. Notons enfin que la tombe collective est aussi attestée chez les immatures, le plus souvent installée dans la paroi d’un monument, sous la forme d’une fosse verticale à cavité latérale pouvant avoir plusieurs paliers d’inhumation91. À l’instar des tombes réutilisées ou prévues dès l’origine pour être collectives, un second dispositif à multiples enterrements était utilisé par les Méroïtes : l’ensemble funéraire collectif. Il consiste en plusieurs sépultures individuelles très rapprochées, rayonnant sous un unique monument de surface, la collectivité du caveau étant donc suppléée par celle de la superstructure. Cette approche collective du monument funéraire s’accorde aussi avec l’hypothèse familiale, bien qu’il faille sans doute ici la comprendre dans un sens élargi. Un exemple nous est donné dans le cimetière d’Arminna Ouest92, où la pyramide AWB 9 recouvre deux tombeaux distincts, tandis qu’une 86. 87. 88. 89. 90. 91.
Schiff Giorgini 1971, p. 347. El-Tayeb, Kolosowska 2005, p. 63, fig. 19. Geus 1998, p. 116, pl. 10a. Mills 1982, pl. 46. Edwards 1998. Dans la Tombe T 15 du Cimetière 8-B-5.B de l’île de Saï, on a recensé 9 immatures en bas âge, la plupart ayant fait l’objet d’une réduction afin de laisser la place aux nouveaux arrivants. 92. Fuller 1999, p. 204.
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inscription funéraire retrouvée en surface commémore la mémoire d’un frère et d’une sœur. Le Secteur II de la nécropole de Sedeinga offre également une parfaite illustration de ces ensembles funéraires collectifs (figure 122). De nombreuses tombes individuelles et étroites y occupent de façon plus ou moins organisée tous les espaces vierges disponibles autour des monuments funéraires. Au fil des siècles, l’espace conquis en marge de ces ensembles arrivant lui aussi à saturation, les réutilisations se multiplièrent dans les zones les plus anciennes au centre des îlots, recolonisés par de nouvelles inhumations accompagnées de petits monuments pyramidaux s’installant par-dessus les ruines des chapelles.
Les ensembles funéraires collectifs étaient programmés pour accueillir un nombre limité de caveaux, souvent deux par monument, comme c’est le cas par exemple à Emir Abdallah93. Bien souvent cependant, l’utilisation intensive des espaces funéraires a bouleversé cette organisation initiale et laissé place à des regroupements chaotiques de descenderies et cavités, non sans provoquer quelques accidents et recoupements inopportuns.
93. Vila 1978a, p. 70, fig. 27.
CONCLUSION
Il est difficile d’estimer comment la mort d’un individu au sein d’une communauté méroïtique pouvait agir sur l’unité d’une famille, ou affecter le fonctionnement d’une institution, si le défunt exerçait une charge officielle. À ce déséquilibre momentané qui pouvait s’installer dans les consciences et l’entente collective, l’archéologie nous montre que la société méroïtique répondait par des rituels funéraires visant à accepter et officialiser la disparition de l’être vivant. Dans cette procédure, qu’elle fût complexe, fastueuse ou sommaire, l’intention était de conjurer la peur de l’inconnu en faisant allégeance aux forces invisibles qui se manifestent dans la mort. La réaction collective au sentiment de perte semble avoir constitué, du moins chez les élites, une opportunité pour réaffirmer et afficher l’unité et la puissance d’une famille ou d’un clan. L’enterrement était en effet un formidable outil d’observance pour les membres d’une communauté, difficile à contrarier sous peine de rejet. À l’aide de ressources plus ou moins étendues, les funérailles cherchaient donc à orchestrer ce deuil, à la fois pour placer le défunt dans les meilleures dispositions face à la mort, et préserver les intérêts familiaux.
son existence, et définir leurs espaces de diffusion. La cartographie synthétique révèle combien l’archéologie funéraire, même lacunaire dans sa géographie d’intervention, permet d’isoler et d’identifier des pratiques religieuses, qu’elles soient uniformément répandues ou le reflet de traditions régionales. Il est ainsi montré comment au sein du royaume, la religion osirienne et ses avatars tardifs ont gagné en influence, au point d’offrir au plus grand nombre un modèle de procédure funéraire.
Les vestiges des enterrements privés nous livrent des clefs de lecture pour comprendre l’évolution des principes religieux adoptés à Méroé tout au long de
L’archéologie funéraire méroïtique participe aussi au lent dépoussiérage des mythes véhiculés par les sources antiques et les fictions anciennes. Pour autant, elle n’est pas exempte de tout reproche, les lacunes documentaires demeurent importantes, et certaines interprétations restent sujettes à caution. Interroger la tombe par le biais de son contenu aboutit encore aujourd’hui à nombre de questions sans réponses, mais permet également de dresser la liste des éléments récurrents sur lesquels se fondent la reconnaissance des rituels et l’ossature d’une religion. L’origine égyptienne de la plupart des concepts utilisés dans la liturgie funéraire kouchite napatéenne, puis méroïtique, rappelle le caractère sélectif et ordonné de ces appropriations qui commencèrent avec une royauté naissante, en quête d’outils pour asseoir sa domination sur des populations et un territoire à l’unité incertaine. L’égyptianisation des pratiques funéraire en Nubie ne semble d’ailleurs jamais avoir été forcée, pas plus que les traditions locales ne semblent avoir été occultées. On présente fréquemment le début de l’ère kouchite comme une phase frappée du sceau de l’égyptianité2, tant dans le fonctionnement de l’administration royale que sur le plan des croyances religieuses, par opposition à la période méroïtique, qui s’évertuerait à en développer les aspects autochtones. À la lumière des données funéraires, c’est en fait une approche territoriale et sociale des influences exprimées dans les vestiges archéologiques qu’il faut préconiser, comme le montre par exemple la superposition des cartes de répartition des orientations des corps, des positions adoptées et des superstructures bâties pour les élites. L’influence égyptienne à l’époque méroïtique n’est
1.
2.
Au début du xxe siècle, F. Ll. Griffith concluait à propos du contenu des tombes communes méroïtiques : « The simple-minded Meroites laid in the graves some of the necessaries of life in a concrete form (…) »1. La compréhension des divers rituels funéraires kouchites et méroïtiques en particulier, dont le présent ouvrage se veut une synthèse, n’a depuis cessé de nous éloigner de cette vision de la tombe réduite à sa fonction de dépôt des individus et d’une partie de leurs biens. Mieux encore, la recherche sur les origines des pratiques d’enterrement au sein du royaume contribue à mettre en lumière la relative complexité des syncrétismes religieux qui se mettent en place, entre des traditions locales multimillénaires et l’arrivée d’influences étrangères dont la royauté et les élites se font les relais.
Griffith 1925, p. 72.
Abdalla 1982a, p. 62.
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pas en perte de vitesse, au contraire, son héritage se fond dans la culture matérielle locale, qui se l’approprie et la traduit dans un langage iconographique et idéologique nouveau. Cela donne naissance par exemple à une statuaire funéraire unique, une production céramique très diversifiée, et une architecture religieuse égyptisante quoique singulière. Sur le plan de la pratique religieuse, la diffusion de la libation, qui rappelle la Navigium Isidis destinée au mort, semble gagner les communautés les plus conservatrices. D’un mobilier liturgique comparable, mais en apparence différent, naissent cependant des confusions qui limitent les analyses comparatives entre les sites. Il faudra donc attendre la publication de synthèses régionales, avant de pouvoir affiner le calage chronologique de la culture matérielle méroïtique, et déterminer des équivalences entre le mobilier issu des nécropoles et celui de l’habitat. Les Méroïtes, sur une durée bien plus longue que celle de la colonisation égyptienne en Nubie, ont toujours maintenu un lien privilégié avec la basse vallée du Nil, quels qu’en fussent les modèles politiques et les évolutions religieuses. Ce manque d’émancipation, qui ressemble plus à une source d’inspiration et d’identité qu’à une fatalité, a suscité la création de formes culturelles et religieuses hybrides, d’où
les pratiques funéraires kouchites sont issues. La concordance des styles et des symboles utilisés par les artistes méroïtiques, avec ceux puisés dans la grande assemblée de formes de l’hellénisme, nécessiterait d’étendre l’enquête funéraire au sein des grandes collections d’Égypte romaine ; un aspect de la recherche sur la culture matérielle de Méroé encore peu développé. La difficulté à faire progresser l’histoire de ce royaume sur la base de sources presque exclusivement archéologiques, trahit notre manque de repères sur des questions aussi fondamentales que les limites territoriales, culturelles et ethnique de Méroé. S’il nous est, par exemple, possible de pointer çà et là les originalités de l’art méroïtique, n’est-ce pas précisément parce que nous sommes incapable d’en définir les canons intrinsèques ? En étudiant toutes les informations disponibles sur les coutumes funéraires non-royales, on obtient une mosaïque de pratiques dont certaines dessinent des ensembles géographiques et culturels cohérents. L’état de la documentation rend certes ardues les projets de synthèse, mais cette faiblesse des sources a cela de précieux, qu’elle donne aux nouvelles découvertes une importance capitale et encourage d’autant la poursuite des travaux archéologiques au Soudan.
ANNEXE RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES L’ensemble des sites comportant des vestiges funéraires datant de la période méroïtique sont ici présentés (carte 1) d’aval en amont pour la vallée du Nil Moyen, puis du Nord vers le Sud pour la région de la Gezira et des deux Nils. En général, le commentaire se limite à l’exposé des rares informations issues des publications disponibles à ce jour. Lorsqu’elle semble nécessaire, la présentation du site est suivie d’une analyse critique des interprétations et datations communément admises. Faute d’informations suffisantes, un petit nombre de sites figurant sur la carte et cités en référence dans le présent ouvrage ne sont pas renseignés dans ce répertoire, de même qu’une poignée de sites décrits ci-dessous n’apparaissent pas sur la carte. Maharraqa Ouest Le site d’une nécropole méroïtique est rapporté dans une communication de S. Donadoni1, de même que des enterrements en « cleft grave » repérés dans la zone sont définis comme méroïtiques par H. S. Smith2. Plus récemment, une table d’offrandes inscrite méroïtique fut publiée comme provenant de Maharraqa3. Sheyma Torshet (Sayala) Sur la rive droite du Nil, la mission tchécoslovaque engagée dans les fouilles de sauvetage en Basse Nubie fit halte pour la nuit dans le district de Sayala, dans la maison d’un dénommé Ibrahim Mohamed Hussein. Le propriétaire des lieux, en plus de l’hospitalité, leur offrit une visite des antiquités qu’il avait amassées non loin de chez lui, sur un site proche du Cimetière 138 de la prospection menée par C. M. Firth4. La description des pièces laisse penser qu’il s’agit d’objets funéraires méroïtiques : « He brought some of them to ours ship and we went to see the rest in his house. They were a battered head of a statue and a collection of Romano-Nubian pottery, ten in numbers (vase and bowls) (…) »5.
1. 2. 3. 4. 5.
Donadoni 1981, p. 65. Smith 1962, p. 102-103. Hallof 2011. Firth 1927, p. 45. Žába 1967, p. 218.
Naga el-Oqba Cette nécropole fouillée par l’IFAO en 19646, qui correspond au cimetière 146 repéré par C. Firth7, est composée de tombes exploitant des failles naturelles du sol rocheux ou des espaces réduits entre deux rochers, complétées de dalles verticales et horizontales en guise de fermeture et couverture. Le mobilier est rare et fragmentaire, mais l’attribution à la période méroïtique est néanmoins confirmée par la découverte d’une stèle inscrite. Medik À l’extrême nord de la zone occupée par les Méroïtes, le petit site funéraire de Medik renferme quelques tombes, dont sept, creusées dans la plateforme rocheuse, furent dégagées. Une inscription méroïtique située au sommet de l’avancée rocheuse qui surplombe la nécropole a conduit les fouilleurs à attribuer les sépultures à la même époque, malgré l’absence de restes humains en place et de mobilier funéraire8. Nag el-Shima Le site a été sondé lors d’une prospection menée par l’IFAO9. Les tombes méroïtiques se logent dans des failles naturelles du sol rocheux et reçoivent un aménagement de pierres en guise de couverture. Ouadi es-Seboua Le site, qui correspond au Cimetière 150 identifié et fouillé par C. M. Firth10, ainsi que par W. B. Emery et L. P. Kirwan, contient des sépultures dont certaines ont conservé des vestiges de pyramides en briques crues ou en grès11. On y compte une majorité de tombes à cavité axiale, à laquelle on accède par une descenderie ou un puits vertical, ainsi que quelques caveaux voûtés. 6. 7. 8. 9. 10. 11.
Sauneron 1967. Firth 1927, p. 217-218. Griffith 1912, p. 17-19. Sauneron 1967, p. 164-165. Firth 1927, p. 229-233. Emery, Kirwan 1935, p. 70-102.
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Ouadi el-Arab Seules trois tombes méroïtiques furent fouillées (135, 158 et 164), dans une zone funéraire comprenant principalement des sépultures du Nouvel Empire et de la période post-méroïtique12. Un vestige de superstructure indiquerait une pyramide en brique crue, tandis que le reste des substructures est constitué de caveaux voûtés. Des indices de la présence d’une nécropole méroïtique étaient déjà apparus lors de la fouille d’un établissement proche, dans lequel les fouilleurs avaient retrouvé une stèle funéraire inscrite et un ostracon. Shaturma Sur la rive gauche du Nil, au débouché du Khor elAqaba, se trouvait un cimetière méroïtique et chrétien repéré par la prospection menée par W. B. Emery et L. P. Kirwan, et enregistré sous le no 15513. Malki Cette nécropole, qui correspond au no 157 de la prospection effectuée par W. B. Emery et L. P. Kirwan, comprend un exemple de tombe méroïtique dont la superstructure en pierre est flanquée d’une chapelle en brique crue14. Naga el-Battikha Le site fut repéré durant la prospection de W. B. Emery et L. P. Kirwan, et enregistré sous le no 15815. Aucun détail ne fut publié, à part l’attribution du cimetière à la période méroïtique, et la mention d’un important pillage ancien et moderne. Korosko Ouest La nécropole contient principalement des tombes méroïtiques, et quelques spécimens post-méroïtiques. Elle fut fouillée par W. B Emery et L. P. Kirwan, qui l’enregistrèrent sous le no 16316. Les substructures y sont composées soit d’une fosse verticale avec un système de fermeture fait de dalles déposées à l’horizontale à mi-hauteur du puits, soit d’une descenderie donnant accès à une cavité axiale ou transversale.
12. 13. 14. 15. 16.
Emery, Kirwan 1935, p. 122-148. Emery, Kirwan 1935, p. 148. Emery, Kirwan 1935, p. 148-150. Emery, Kirwan 1935, p. 151. Emery, Kirwan 1935, p. 151-168.
Shablul Les pères de l’archéologie funéraire méroïtique ne fouillèrent que la partie élitaire de cette nécropole, car les tombes communes examinées avaient toutes été largement pillées trois ans auparavant17. Ils indiquèrent toutefois que les fosses étaient verticales, avec un rebord et une couverture de dalles en pierre. Recouvrant exclusivement des caveaux voûtés, les superstructures pyramidales dégagées y sont en pierre et s’appuient parfois sur la paroi rocheuse qui sert alors de base au quatrième côté du monument. Leurs parois marquent un léger fruit intérieur, bien visible au niveau de l’arête, et possèdent un appareillage en pierre dont le parement externe est finement taillé (contours plats et centre dégrossi), tandis que la face interne des blocs est laissée brute. Khor Ouadi Haggag Située sur la rive droite du Nil, au nord-ouest de Korosko, le site comprend une nécropole méroïtique perturbée par l’implantation d’un cimetière musulman. Il fut enregistré par W. B. Emery et L. P. Kirwan sous le no 16518. El-Gezireh À 2 km au nord-ouest de Shablul, les fouilleurs mirent au jour une zone funéraire divisée en trois cimetières dont l’un, le plus au sud, était méroïtique19. Composé d’une centaine de sépultures, le modèle dominant de substructure y correspond à une descenderie suivie d’une cavité axiale, auxquelles s’ajoutent quelques exemples de tombes à fosse verticale, parfois accompagnée d’un rebord et d’une couverture de dalles. Parmi les ruines présentes en surface, on trouve notamment une tombe dans un « enclos de pierre »20, qu’il nous faut réinterpréter comme la base d’une pyramide en ruine. Amada Dans la zone d’un temple égyptien, W. B. Emery et L. P. Kirwan ont mis au jour trois nécropoles (169-171) renfermant des inhumations méroïtiques21. Cependant, la publication ne donne de détails que sur le
17. 18. 19. 20. 21.
Randall-MacIver, Woolley 1909, p. 28. Emery, Kirwan 1935, p. 168. Randall-MacIver, Woolley 1909, p. 19-20. Randall-MacIver, Woolley 1909, p. 20. Emery, Kirwan 1935, p. 199-201. On peut y ajouter la découverte d’une inhumation méroïtique réutilisant un hypogée plus ancien dans le Cimetière 166 (Emery, Kirwan 1935, p. 168).
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 159
Cimetière 169, où les tombes étaient constituées de puits verticaux ou de fosses à cavité latérale. El-Diwan Ouest Dans cette nécropole méroïtique enregistrée sous le no 174 par W. B. Emery et L. P. Kirwan, les tombes étaient soit à fosse et cavité latérale, soit à puits vertical avec un surcreusement au niveau de la tête et des pieds22. Khor Zarqan Le cimetière fut repéré par W. B. Emery et L. P. Kirwan sous le no 185 de leur prospection23. Il contenait des tombes en grande partie détruites par les eaux du khor, qui entra sans doute en activité après la période ptolémaïque. Tomas Le cimetière méroïtique fut d’abord repéré et sondé par W. B. Emery et L. P. Kirwan, qui lui attribuèrent le no 18824. Les tombes qui furent dégagées présentaient toutes une substructure à cavité latérale, à laquelle on accédait soit par un puits vertical, soit par une descenderie courte et pentue. Dans les années 60, quelques découvertes d’objets ramassés dans les habitations modernes avoisinantes apportèrent un complément documentaire confirmant la datation méroïtique25. Aux environs du village, deux autres zones funéraires (186, 187) comportaient des inhumations méroïtiques. Elles étaient pratiquées dans des tombes à caveau voûté, ou à puits vertical avec un rebord accueillant une couverture en pierre. Karanog Le site funéraire abritait les tombes des vice-rois (pesto) de Basse Nubie, les plus hautes instances administratives de la région à l’époque méroïtique. Le modèle dominant de substructure y est la descenderie à cavité axiale, la fosse simple et la cavité latérale n’étant représentées qu’en de rares occurrences26. Les plus grandes sépultures possèdent des appartements funéraires composés de plusieurs chambres voûtées en briques crues, et les monuments pyramidaux qui les recouvrent avaient pour certains leurs premières assises construites en pierre. 22. 23. 24. 25. 26.
Emery, Kirwan 1935, p. 206-208. Emery, Kirwan 1935, p. 210. Emery, Kirwan 1935, p. 210-212. Leclant 1963, p. 17-25 ; 2001, p. 39. Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 37.
Aniba (Senesra) Dans une vaste zone funéraire déjà repérée et sondée par W. B. Emery et L. P. Kirwan sous le no 19427, les fouilles de l’Université du Caire ont, quelques décennies plus tard, mis au jour plus de 500 sépultures méroïtiques28. Les quelques tombes publiées se présentent sous la forme de descenderies donnant accès à une cavité axiale dont l’entrée est fermée par un mur en briques crues ou des blocs de grès. L’article d’Abou Bakr ne mentionne que des superstructures bâties en briques crues, bien qu’une photo indique également la présence d’assises en pierre. Qasr Ibrim Au nord de la citadelle, une vaste zone funéraire couvrant plusieurs périodes fut divisée en cinq secteurs (192, 192A-D). Pour chacun on ne fouilla que quelques tombes afin d’en assurer la datation, ce qui permit d’identifier des enterrements méroïtiques en 192A, 192B et 192C29. Dans le Cimetière 192A, trois tombes avaient conservé les premières assises d’une superstructure pyramidale construite en grès. Elles possédaient une descenderie menant à un caveau voûté construit en brique crue, et jouxtaient une zone tumulaire post-méroïtique. Dans le Cimetière 192C, cinq sépultures seulement furent fouillées, en raison de l’empiètement sur le site d’une nécropole musulmane. Elles étaient surmontées de pyramides en briques crues. Elles aussi avaient un caveau voûté construit en brique crue, mais leur accès consistait en un puits vertical. Enfin, en 1984, un nouveau cimetière d’époque historique fut découvert sur les hauteurs de la forteresse, aussitôt appelé « Hilltop Cemetery »30. Des inhumations méroïtiques réutilisant des hypogées beaucoup plus anciens y furent retrouvées31 ; un scénario également probable en 192B, en raison de la morphologie des tombes. Nag Gamus Sondée une première fois au début des années 6032, la zone funéraire méroïtique s’étendait sur un vaste espace où apparaissaient quantité de superstructures, ce qui poussa M. Almagro à reprendre les travaux sur le site et à publier l’intégralité de la nécropole dans 27. 28. 29. 30. 31. 32.
Emery, Kirwan 1935. Abou Bakr 1963 ; 1967. Mills 1982. Alexander 1999. Rose 2011, p. 6. Almagro et al. 1964, p. 39-68.
160 • VINCENT FRANCIGNY
un volume indépendant de la prospection organisée par le comité espagnol pour la campagne de l’Unesco33. Les constructions pyramidales en brique crue qui, à l’époque, furent interprétées comme des mastabas, se concentrent dans l’extrémité nord du site, montrant un clivage dans le schéma d’organisation spatiale de la nécropole. Le modèle dominant de substructure est celui à descenderie et cavité axiale, avec quelques exemples de fosses simples à rebords. On compte également quelques cas de tombeaux à caveaux voûtés. Toshka Ouest En marge d’un habitat allant du méroïtique à la période chrétienne, une nécropole de plusieurs centaines de tombes témoigne de la même suite chronologique. L’érosion ayant fait disparaître toute trace de superstructures, seules les substructures et le rare mobilier abandonné par les pilleurs permettent de redonner une date à chaque hypogée34. Par chance, les tombes méroïtiques répondent de façon quasi-systématique à la même description : une courte descenderie très abrupte donnant accès à une cavité axiale fermée par un mur de brique crue. Lorsque la descenderie est flanquée d’une tombe latérale en sus, il s’agit d’un aménagement ultérieur, témoin d’une réutilisation de ces ensembles à l’époque post-méroïtique. Arminna Ouest Les premières tombes découvertes et fouillées sur ce site le furent par H. Junker, qui nous a livré le plan de chaque sépulture35. On y voit surtout des hypogées à descenderie et cavité axiale fermées par des murs en briques crues, et quelques rares fosses verticales à cavité latérale ayant le même système de fermeture. Le sol sur lequel est implantée la nécropole étant constitué d’un socle rocheux en grès, certaines tombes ont été aménagées dans des failles naturelles (Simpson 1964). Trois tombes seulement bénéficient d’une construction voûtée en guise de caveau, auquel on accédait par un puits vertical de taille modeste. Par analogie à la méthode de fouille employée non loin, dans le Cimetière 3 au Djebel Adda36, les superstructures furent repérées en surface grâce à l’aspect quadrangulaire de certains monticules. Les pyramides y ont un parement extérieur très régulier montrant qu’on a taillé les blocs et utilisé des pierres
33. 34. 35. 36.
Almagro 1965. Simpson 1967a. Junker 1925. Simpson 1967a.
d’angle37. Leur construction sur un sol en partie rocheux a facilité le choix d’un matériau exploitable sur place, ce qui n’empêche pas les assises en pierre d’être renforcées à l’intérieur par une rangée de briques crues. La reprise de la documentation par D. Q. Fuller a permis de nous renseigner davantage sur la transition architecturale des monuments funéraires38. Parallèlement aux pyramides en pierre, des édifices en brique crue furent ainsi érigés vers le ive siècle de notre ère, abandonnant la forme quadrangulaire, pour épouser l’arrondi tumulaire. Arminna Est En face de la grande nécropole fouillée sur la rive ouest, on note la présence d’un autre ensemble funéraire méroïtique, post-méroïtique et chrétien39. Tamit À 1 km au sud du village « copte », une nécropole méroïtique fut repérée par W. B. Emery et L. P. Kirwan, et enregistrée sous le no 21340. Shaukan Situé à 2 km au nord des temples d’Abou Simbel, le site abrite un établissement provincial méroïtique, dans lequel on a retrouvé des éléments de statues-ba, ainsi qu’une table d’offrandes et un bassin à libation41. Ces éléments proviennent sans doute d’une proche nécropole, et furent réutilisés dans l’habitat à une époque tardive. C. Näser42, propose d’y reconnaître le site de la Nécropole 214 découverte par W. B. Emery et L. P. Kirwan43. Abou Simbel Connu sous le no 214 de la prospection menée par W. B. Emery et L. P Kirwan, le cimetière méroïtique se trouve à 1 km au sud du grand temple de Ramsès II44. Des 175 tombes qui y furent dégagées, la grande majorité suivait un plan à fosse verticale et cavité latérale.
37. 38. 39. 40. 41. 42. 43. 44.
Simpson 1967b, pl. 9/2. Fuller 1999. Emery, Kirwan 1935, p. 308. Emery, Kirwan 1935, p. 417. Klassens 1967, p. 82. Näser 1999. Emery, Kirwan 1935. Emery, Kirwan 1935.
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 161
Djebel Adda Au sud-est du site de la citadelle, trois saisons de fouilles permirent d’explorer le Cimetière 3, dans lequel plusieurs centaines de tombes méroïtiques furent mises au jour45. En surface, au moins 21 vestiges de pyramides avaient subsisté, dont 10 avaient leurs premières assises en pierre46. Celles-ci, conservées pour certaines sur trois niveaux, atteignaient encore jusqu’à un mètre de hauteur. L’énorme quantité de briques crues recouvrant leurs bases ne laisse aucun doute sur le fait qu’une grande partie de l’élévation était réalisée dans ce matériau. Seules les tombes recouvertes par une pyramide furent décrites dans l’article de Millet. Elles possèdent une voûte en brique crue qui repose soit sur des murets, soit sur des rebords internes taillés dans la fosse. Deux types de voûtes sont utilisées : l’une très étroite faite de trois briques, avec un apport massif de mortier dans les interstices et sur le dessus ; l’autre, plus large, selon la technique de la voûte en berceau. La publication de quelques archives permet de restituer une partie du plan, et de comprendre la répartition des structures funéraires présentes dans le Cimetière 3, dont l’extension au nord fut appelée Cimetière 447. On constate notamment que durant l’époque post-méroïtique, la zone funéraire continue d’être utilisée, avec des tombes maintenant la tradition du caveau voûté. Qustul et Ballaña Les deux sites, qui se font face de part et d’autre du Nil, fonctionnèrent ensemble à la période méroïtique. Les plus anciennes inhumations sont localisées à Qustul, où l’on trouve également le plus grand nombre de vestiges de pyramides48. Ces monuments sont tous en briques crues, le plus souvent flanqués de chapelles simulacres à l’est. Comme à Emir Abdallah, une nécropole de référence pour le méroïtique ancien, la tombe à descenderie et cavité axiale semble y précéder celle à fosse et cavité latérale. Durant la phase tardive, donc à Ballaña, les tombes construites avec un caveau voûté deviennent fréquentes, voire majoritaires.
45. Bien que la mission ait été placée sous l’égide de l’American Research Center in Egypt, 80 % des objets collectés furent déménagés vers le Royal Ontario Museum de Toronto, lorsque que N. B. Millet y devint conservateur au département d’égyptologie en 1970 (Grzymski 2010). 46. Millet 1963, p. 159. 47. Huber, Edwards 2012. 48. Williams 1991, p. 24.
Faras Cette immense nécropole n’a fait l’objet que de deux campagnes archéologiques aux hivers 1911 et 1912 sous la direction de F. Ll. Griffith49, qui tarda à livrer sa documentation, finalement publiée sous forme d’articles entre 1924 et 192550. Le plan fourni, s’il ne donne pas la forme des hypogées, indique heureusement les superstructures, qui se concentrent toutes (environ 80 monuments) à l’est du site, dans un espace qui semble réservé. De forme quadrangulaire, avec une chapelle sur le flanc est, ces vestiges furent interprétés par les fouilleurs comme des mastabas. La description de quantités colossales de briques crues retrouvées dans le blocage des édifices laisse cependant penser à l’effondrement de bâtiments hauts de type pyramidal, ce que confirment la découverte de plusieurs pyramidions51, et la présence de contreforts internes. Lors de la fouille, l’énorme superficie du site de la nécropole et la forte densité des tombes ont poussé les chercheurs à ne travailler qu’à l’est d’un axe arbitraire orienté nord-sud, et à laisser vierges les espaces trop ensablés du site, donnant au plan une forme qui ne reflète pas les contraintes réelles de la surface et des sous-sols de l’époque. Au total, près de 3 000 tombes furent fouillées, alors que la publication n’en livre que 559, dont aucune dans son intégralité. Selon la typo-chronologie établie par F. Ll. Griffith, les premières tombes (ier siècle avant notre ère) sont à descenderie et cavité axiale, avec une ouverture à l’est. Un développement plus tardif de cette tombe, comme à Emir Abdallah, se manifeste par une ouverture à l’ouest. Viennent ensuite (au ier siècle de notre ère) les tombes à fosse et cavité latérale, ces dernières étant parfois si petites que le corps y fut déposé dans une position légèrement fléchie. À la même période, les tombes dites « foot niche » deviennent courantes52. C’est au iie-iiie siècles de notre ère que les tombes à fosse et caveau voûté construit en brique crue se répandent, en général plus richement dotées que les autres types de sépultures.
49. Il fut d’abord assisté d’ A. M. Blackman, puis de D. Woolley la seconde année, qui fut en fait le véritable directeur des fouilles, en raison des longues absences de F. Ll. Griffith. 50. Griffith 1924, p. 141-180 ; 1925, p. 57-172. 51. Griffith 1924, pl. 67. 52. La plus grande nécropole de Basse Nubie est paradoxalement construite sur l’un des plus mauvais sols de la région. Les substructures nécessitant d’être renforcées, il est fréquent de constater la présence devant la cavité d’un mur de soutien ou d’une couverture construits en brique crue. F. Ll. Griffith leur donne le nom de « foot niche » graves.
162 • VINCENT FRANCIGNY
Aksha Dans cette nécropole méroïtique, les sépultures sont soit à descenderie et cavité axiale, soit à puits vertical avec une inhumation directe ou dans une cavité latérale. Quelques cas de cavités axiales placées à l’est et à l’ouest d’un même puits sont attestés, mais en l’absence de superstructure, il est difficile de reconnaître s’il s’agit d’un regroupement volontaire ou fortuit. Si A. Vila pensait avoir retrouvé les restes d’enceintes en briques crues recouvrant deux tombes53, il ne fait aucun doute que ces vestiges correspondent en fait à des pyramides fortement arasées. La cour, en tant que marqueur de la tombe, n’est en effet pas attestée à la période méroïtique, sinon en complément d’un édifice autour duquel elle délimite le temenos. L’hypothèse d’ A. Vila était en partie fondée sur la présence d’une unique assise encore en place, construite par endroit avec des briques de chant. Or nous savons que dans l’architecture méroïtique en brique, il est courant de trouver des briques de chant dans le premier lit qui sert à rectifier de possibles dénivellations du sol54. Comme souvent, les tombes recouvertes de monuments possèdent les substructures les plus élaborées, sous forme d’un caveau voûté construit en briques crues. Serra Est Fouillés lors d’une prospection archéologique menée sur la rive est du Nil, au sud de Faras55, la localité de Serra Est regroupe en fait deux sites funéraires (25 et 280) qui contiennent chacun des enterrements méroïtiques parmi d’autres plus anciens et plus tardifs. Les tombes sont à fosse et cavité latérale ou à descenderie et cavité axiale. Seules deux sépultures avaient conservé des vestiges de monuments pyramidaux en briques crues. Serra Ouest
Ashkeit Le site possède deux nécropoles (90 et 332) avec des enterrements de diverses époques57. Les sépultures méroïtiques s’y présentent sous la forme de simples puits verticaux scellés par des dalles de pierre posées à l’horizontale, ou de fosses munies d’une cavité latérale. Nag el-Arab À l’extrémité nord de la concession de fouille espagnole d’Argin, le site 24-V-1, appelé Nag el-Arab, révéla une immense nécropole ayant fonctionné de la période méroïtique jusqu’à la période chrétienne58. Sur environ 1 150 tombes, 350 furent identifiées comme méroïtiques, dont 95 furent fouillées. Presque toutes les sépultures présentaient un profil à descenderie et cavité axiale fermée par un mur en brique crue ou par des dalles, les autres étant constituées de fosses à cavité latérale. Argin Ouest Avant que l’équipe espagnole ne commençât à exploiter systématiquement les plus grands cimetières méroïtiques d’Argin Ouest (24-V-8 et 24-V-9), d’autres zones d’inhumations contemporaines avaient été mises au jour lors d’une prospection menée sur la rive ouest du Nil entre Faras et Gemai59. Celles-ci sont désignées par les références suivantes : 24-V-3 (20 tombes à cavité axiale), 24-V-5 (2 tombes à caveaux en pierre), 24-V-6 (20 tombes dont certaines sont méroïtiques, avec une fosse à cavité latérale), 6-B-3 (quelques tombes pharaoniques creusées dans le socle rocheux, réutilisées pour des enterrements méroïtiques), 6-B-16 (vaste nécropole antique et médiévale dont les tombes méroïtiques sont principalement à fosse et cavité latérale), 6-B-23 (une tombe méroïtique isolée). Argin Nord (Nag Shâyeg)
Trois nécropoles méroïtiques (24-I-3, 24-M-9 et 24-M-10) furent découvertes sur le site durant une prospection menée entre Faras et Gezira Dabarosa sur la rive ouest du Nil56. Une vingtaine de tombes au total furent fouillées sur l’ensemble des cimetières, dévoilant des sépultures à fosse simple, à fosse et cavité latérale, ainsi que des caveaux voûtés en briques crues. Des restes de pyramides en briques crues furent également notés.
La première nécropole méroïtique visitée et fouillée par l’équipe espagnole comptait 220 tombes, recouvrant les types d’hypogées suivant : fosses verticales, fosses à cavité latérale, caveaux voûtés construits en brique crue, et descenderies se terminant par une cavité axiale60. Ces dernières se concentrent essentiellement dans la moitié est de la zone funéraire,
53. Vila 1967, p. 315. 54. Des variations dans le bâti peuvent également indiquer la présence de tombes d’enfants dans la superstructure. 55. Säve-Söderbergh 1981. 56. Verwers 1962.
57. 58. 59. 60.
Säve-Söderbergh 1981. Almagro et al. 1965, p. 87. Adams 2005, p. 55-60. Pellicer Catalan 1963.
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 163
indiquant peut-être un développement chronologique d’est en ouest. Bien que, sur l’ensemble de la nécropole, les assises d’une seule pyramide aient survécu, la présence d’un pyramidion61 inhumé auprès du défunt de la Tombe 141 indique qu’il a pu y avoir d’autres monuments de ce type. Argin Sud (Nelluah) Au sud du site de Nag Shâyeg, une seconde nécropole fut découverte62. Les tombes y sont similaires : fosses à cavité latérale ou descenderies à cavité axiale, ainsi qu’un caveau voûté en brique crue. Les quelques structures apparues à la surface lors de la fouille présentent une architecture pyramidale typique en brique crue. Sahaba Sur quelques tombes sondées dans les deux zones funéraires (401 et 101) de la localité, celles d’époque méroïtique étaient à descenderie et cavité axiale, avec un système de fermeture fait de dalles63. 6-B-16 Durant les différentes prospections archéologiques menées sur la rive ouest du Nil entre Faras et Gemai, l’équipe de l’Université du Colorado récolta quatre stèles méroïtiques sur une nécropole située à midistance entre Argin Ouest et Gezira Dabarosa64. Gezira Dabarosa Une nécropole méroïtique et post-méroïtique fut mise au jour et sondée durant la prospection se déroulant sur la rive ouest du Nil entre Faras et Gemai65. Les tombes méroïtiques y possèdent un plan classique à descenderie donnant accès à une cavité axiale, tandis que celles des périodes plus tardives sont à fosse et cavité latérale. Buhen Dans la nécropole pharaonique (cimetières H et J) proche de la forteresse, une trentaine de tombes furent réutilisées par les Méroïtes66. 61. Publié comme étant un fragment de statue-ba (Pellicer 1963, p. 41, pl. 5/2) il s’agit en fait d’un morceau de pyramidion classique représentant un bouton de fleur de lotus sur le point d’éclore. 62. Garcia Guinea, Teixidor 1965. 63. Säve-Söderbergh 1981, p. 149-152. 64. Hewes 1964. 65. Adams 2005, p. 60. 66. Randall-MacIver, Woolley 1911.
Île de Meinarti Le site d’habitat fouillé par W. Y. Adams, qui fonctionna de la fin du méroïtique jusqu’à la période chrétienne, produisit plusieurs tables d’offrandes fragmentaires méroïtiques, laissant penser à la proximité d’un cimetière67. Île de Matuga Durant une prospection menée sur la rive ouest du Nil en Basse Nubie, des fouilleurs s’arrêtèrent sur une des îles de la 2e cataracte (5-T-36), qui renfermait un cimetière méroïtique au sein d’une nécropole ayant fonctionné jusqu’aux époques modernes, et en partie recouverte par des habitations modernes68. Parmi les tombes sondées, quelques-unes étaient à descenderie et cavité axiale, d’autres à fosse et cavité latérale, mais la plupart (17 sur 36) présentaient un caveau voûté construit en brique crue. Mirgissa Un unique enterrement méroïtique est attesté sur le site69. Abka (et l’île de Shirgondinarti) Sur les sites d’Abka (250) et de Shirgondinarti (418), la prospection de la Scandinavian Joint Expedition a effectué des sondages dans plusieurs nécropoles qui livrèrent chacune des tombes méroïtiques70. À Abka, la plupart sont à descenderie et cavité axiale, les rares exceptions étant des sépultures d’immatures à fosse et cavité latérale qui devaient border des superstructures aujourd’hui disparues. Gemai Ouest Les fouilles menées sur la nécropole méroïtique et chrétienne mirent au jour environ 200 sépultures méroïtiques, dont 77 furent sondées, toutes correspondant au modèle à descenderie et cavité axiale71. Les vestiges d’une quinzaine de superstructures pyramidales furent également découverts. Leur recouvrement partiel indique différentes phases d’occupation et d’inhumation dans un périmètre réduit et réservé à une petite élite locale.
67. 68. 69. 70. 71.
Adams 2000, pl. 10a. Adams, Nordström 1963. Adams, Nordström 1963, p. 13. Säve-Söderbergh 1981, p. 158-167. Adams 2005, p. 65-69.
164 • VINCENT FRANCIGNY
Gemai Est Les premières traces de sépultures méroïtiques sont apparues lors de la fouille des immenses tumuli post-méroïtiques, dont certains recouvraient en partie la Nécropole 100, dite « romano-nubienne »72. Les substructures y sont diversifiées, avec une antériorité (confirmée par les recoupements) de celles à descenderie et cavité axiale par rapport aux fosses à cavité latérale. À part égale, on y trouve aussi des tombes à fosse verticale simple, parfois recreusée sur le fond, et des caveaux voûtés en brique crue. On note qu’une partie des enterrements devant appartenir à la période de transition vers le post-méroïtique se fait dans des sépultures à descenderie et cavité transversale, avec un défunt déposé tête au sud et en position contractée, rappelant les pratiques observées au Soudan central. Par la suite, trois autres sites funéraires contenant des tombes méroïtiques furent repérés aux alentours du village73. Le premier (2-D-4) contenait 75 sépultures méroïtiques et chrétiennes. Le deuxième (2-I-5) regroupait des inhumations Kerma et méroïtiques. Le troisième (2-I-7) était constitué d’environ 200 tombes s’étalant de la période Kerma à la période chrétienne. Enfin, une dernière expédition dans la zone ajouta deux nécropoles méroïtiques à l’inventaire74. Une description des sépultures pour le site no 5 indique un plan de tombe à descenderie et cavité axiale. Les deux sites, fouillés en 1964, mais finalement publiés par la Scandinavian Joint Expedition en 1981, reçurent alors les numéros 432 et 16375.
Saras Ouest Lors de la prospection menée entre Gemai et Dal, de nombreux cimetières méroïtiques ont été recensés et sondé, mais ils ne furent presque jamais publiés. Saras Ouest (2-M-9) est l’un des seuls pour lequel nous possédons des données, avec la description de ses tombes à descenderie et cavité axiale78. Saras Est Implantés dans la plaine alluviale, deux nécropoles méroïtiques ont été repérées (11-Q-12 et 11-Q-33), à 1 km l’une de l’autre79. Semna Est Un cimetière méroïtique d’au moins 245 tombes fut repéré80. Semna Sud
Le site de la nécropole méroïtique est mitoyen d’un cimetière égyptien du Nouvel Empire, l’ensemble rassemblant un total de 156 tombes77. Les inhumations méroïtiques y sont faites dans des tombes à descenderie et cavité axiale.
Les premières découvertes funéraires méroïtiques intervinrent lorsque J. Vercoutter explora la forteresse égyptienne et décida d’effectuer quelques sondages dans les sites annexes. C’est ainsi qu’un tumulus fut sélectionné et fouillé dans la zone sud, livrant une série de vases typiquement méroïtiques81. Il leur attribua alors un caractère tardif, que l’on peut réviser aujourd’hui en proposant une datation aux alentours des ier-iie siècles de notre ère. C’est notamment le cas d’une jarre82 dont le parallèle avait été retrouvé à Faras83. La tombe de Semna Sud nous donne un exemple d’inhumation méroïtique sous tumulus qui s’oppose radicalement aux pratiques funéraires décrites dans la région, au point qu’on peut se demander si le fouilleur a bien examiné et interprété le tertre qui était devant lui. L’exemple est d’autant plus étonnant et isolé que, plus tard, lors de la fouille de la nécropole méroïtique (environ 500 tombes), les fouilleurs ne feront jamais référence à des structures tumulaires84. Doit-on envisager une lacune dans la description des vestiges de surface ? L’ensemble a livré principalement des sépultures à descenderie et cavité axiale, ainsi que quelques tombes à caveau voûté construits en brique crue. En surface, des vestiges de structures également
72. 73. 74. 75. 76. 77.
78. 79. 80. 81. 82. 83. 84.
Murshid Ouest Dans la boucle faite par le Nil entre Saras et Gemai, un cimetière méroïtique a été repéré sur la rive ouest du Nil76. Murshid Est
Bates, Dunham 1927. Mills 1966, p. 3. Donner 1973, p. 74. Säve-Söderbergh 1981, p. 174-179. Mills, Nordström 1966, p. 12-13. Donner 1973, p. 74.
Mills, Nordström 1966, p. 12-13. Mills 1973, p. 206. Edwards 1996a, p. 100. Vercoutter 1966, p. 130. Vercoutter 1966, pl. 7b. Griffith 1923, p. 138, no 2004/3. Zabkar 1982.
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 165
en briques crues conservés sur plusieurs assises indiquent la présence de monuments pyramidaux (et non de mastabas). Celles-ci, au nombre de huit, se concentrent dans la partie sud de la nécropole.
Sonki Est Un cimetière de 56 tombes méroïtiques et chrétiennes y a été localisé92.
Île de Tila Une nécropole méroïtique d’environ 30 tombes y a été identifiée85. Attiri Est Dans un cimetière contenant aussi des tombes post-méroïtiques et chrétiennes, 23 sépultures méroïtiques furent identifiées86. Attiri Ouest Une nécropole méroïtique et chrétienne y a été repérée87. Duweishat Ouest 20 tombes méroïtiques furent identifiées dans une nécropole plus vaste qui comprenait aussi des inhumations post-méroïtiques et chrétiennes88. Île d’Ambikol Le site comprend une nécropole post-méroïtique et chrétienne (16-R-11), comptant au moins 30 sépultures méroïtiques dont le plan se décline en fosses simples, fosses à cavité latérale et descenderies à cavité axiale89.
Ukma Ouest Une nécropole, en partie recouverte par des habitations modernes, y contient environ 120 tombes méroïtiques, post-méroïtiques et chrétiennes93. Ukma Est Une nécropole méroïtique (21-I-8) a été repérée lors de la prospection menée entre Gemai et Dal94. Elle contient une soixantaine de tombes. Akasha Ouest Un petit cimetière de 26 tombes méroïtiques et post-méroïtiques y a été repéré95. Akasha Est Dans le district d’Akasha étudié par la mission de Genève, plusieurs zones funéraires mixtes furent mises au jour, dont deux étaient plus particulièrement dédiées à des enterrements méroïtiques (21-N-15 et 21-N-16)96. Parmi des centaines de sépultures, on y trouve des tombes à fosse simple ou à rebords, des tombes à fosse et cavité latérale, des tombes à descenderie et cavité axiale, et enfin une tombe à caveau voûté en brique crue dont les murs se prolongent anormalement le long des parois de la fosse d’accès97.
Melik el-Nasr Ouest Un petit cimetière regroupant des tombes méroïtiques, post-méroïtiques et chrétiennes y a été repéré90. Île de Tangur Une trentaine de sépultures méroïtiques furent dénombrées au sein d’une grande nécropole comptant plus de 500 tombes post-méroïtiques et chrétiennes91.
85. 86. 87. 88. 89. 90. 91.
Edwards 1996a, p. 100. Edwards 1996a. Edwards 1996a, p. 100. Edwards 1996a, p. 101. Pour le plan du site, voir Edwards 2007, p. 69, fig. 3. Edwards 1996a, p. 101. Edwards 1996a.
Kulb Ouest Plusieurs zones funéraires y furent repérées, dont un grand cimetière de plus de 600 tombes couvrant les époques méroïtique, post-méroïtique et chrétienne98. Kulb Est Trois zones d’inhumation y ont été identifiées, avec respectivement 15, 32 et 40 tombes méroïtiques99.
92. 93. 94. 95. 96. 97.
Edwards 1996a. Edwards 1996a. Mills 1966, p. 9. Edwards 1996a, p. 101. Maystre 1980 ; 1996a ; 1996b. Ce dispositif rappelle celui utilisé dans les tombes napatéennes du Secteur Ouest à Sedeinga. 98. Edwards 1996a, p. 101. 99. Edwards 1996a.
166 • VINCENT FRANCIGNY
Dal Ouest Quelques tombes méroïtiques y ont été repérées au sein d’un cimetière chrétien100. Dal Est Plus d’une centaine de tombes datant du méroïtique ancien y ont été identifiées dans une nécropole contenant aussi des enterrements chrétiens101. Sarkamatto Le site comprend une nécropole d’une soixantaine de tombes, dont la moitié seraient méroïtiques102. Firka Durant la fouille des grandes tombes tumulaires de Firka, on découvrit plusieurs sépultures méroïtiques sous le Tumulus A.12103. Elles se présentent sous la forme de fosses verticales à cavité latérale ou de descenderies à cavité axiale, et marquent la présence d’une nécropole précédant l’installation du cimetière post-méroïtique. Gaaba Dans un vaste cimetière couvrant toute la période allant du Nouvel Empire jusqu’à l’époque chrétienne, on estime à 50 le nombre de sépultures méroïtiques104. Kossi On y trouve une nécropole méroïtique d’au moins 45 unités, repérées en surface par des tessons, mais dont les fosses ont probablement été réutilisées à la période chrétienne105. Ayun 15 tombes méroïtique y ont été découvertes106. Absari Un cimetière d’environ 80 tombes a été repéré, allant de la période méroïtique à la période chrétienne107. 100. Edwards 1996a. 101. Edwards 1996a. 102. Vila 1975. 103. Kirwan 1939, p. 7. 104. Vila 1976a, p. 95-99. 105. Vila 1976b, p. 64. 106. Vila 1976b, p. 109. 107. Vila 1977a, p. 86.
Dawki Dawi Une petite zone funéraire de seulement 7 tombes est décrite comme méroïtique108. Amara Est À environ 100 m du temple de Natakamani et Amanitore, fut découverte une zone funéraire méroïtique à la surface de laquelle apparaissaient des vestiges de structures pyramidales109. Quelques tombes furent fouillées, livrant des hypogées à fosse simple ou à descenderie et cavité axiale. Emir Abdallah La nécropole, située aujourd’hui sous la ville d’Abri, date principalement du méroïtique ancien. Repérée par le Service des Antiquités en 1973, elle fit d’abord l’objet d’une intervention de la SFDAS, qui y dégagea une dizaine de sépultures110, puis fut intégralement fouillée par la Mission espagnole menée par V. M. Fernandez111. Sur les 377 tombes dégagées, la plupart étaient intactes, autorisant des observations et des conclusions relativement fiables. Cela permit, par exemple, de prouver que sur le site, aux iie et iiie siècles avant notre ère on utilisait uniquement le modèle à descenderie et cavité axiale. L’apparition des tombes à simple fosse verticale ou à fosse et cavité latérale ne se fit donc qu’au ier siècle avant notre ère. En surface, quelques superstructures pyramidales en briques crues étaient conservées sur au moins deux assises. Selon V. M. Fernandez, elles apparaissent sur le site dans le courant du iie siècle avant notre ère. Les fouilles montrèrent qu’elles possédaient généralement les restes d’une chapelle simulacre adossée au flanc est de la construction. Notons que l’apparition au ier siècle de notre ère. de tombes à cavité axiale s’ouvrant vers l’est ne modifia pas l’orientation de la superstructure, le corps du défunt restant également orienté est-ouest, tête à l’ouest. Missiminia Sur les 293 tombes explorées, seules 3 avaient conservé des restes de petites pyramides, d’environ 3 m de côté112. La forte érosion du site suggère cependant qu’elles devaient être plus nombreuses à l’origine.
108. Vila 1977a, p. 53. 109. Vila 1977b, p. 64. 110. Vila 1978a. 111. Fernandez 1979 ; 1980 ; 1981 ; 1983 ; 1984a-c ; 1986 ; 1989. 112. Vila 1982a.
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 167
Les substructures y sont de trois types : simple fosse verticale, fosse à cavité latérale et, pour la grande majorité, descenderie à cavité axiale. Dambo Non loin des sites de Missiminia et d’Emir Abdallah, la nécropole de Dambo regroupe des inhumations allant du Nouvel Empire jusqu’à la période méroïtique113. Les tombes méroïtiques s’y présentent sous la forme de fosses à cavité latérale ou de descenderies à cavité axiale. Île de Saï Le patrimoine archéologique de l’île, qui a la particularité de couvrir toutes les périodes de l’histoire de la région, reste encore largement inexploré. Pour l’ère méroïtique, cinq zones d’inhumations ont à ce jour été sondées114. 8-B-5.SN (anciennement SAS 2 = Saï Adou Sondage 2) En 1976, devant l’impossibilité de recruter suffisamment d’ouvriers pour continuer le dégagement de la forteresse ottomane, J. Vercoutter décida de lancer des fouilles de petite envergure aux alentours de la ville antique115. Des sépultures furent mises au jour, dont quelques-unes étaient d’époque méroïtique, constituées de fosses à cavité latérale. La reprise des activités archéologiques en 1993 permit de clarifier l’étendue de la nécropole116. La surface anciennement dégagée fut agrandie, et les nouvelles tombes dégagées reçurent l’appellation SN (= Saï Nécropole). Mais la grande majorité des sépultures dégagées se révélèrent d’époque chrétienne, avec trois exceptions méroïtiques (SN 77, 141 et 194) se présentant sous la forme de fosses à cavité latérale. En 19951996, les fouilles reprirent une nouvelle fois dans cette zone, mettant au jour trois nouvelles tombes méroïtiques de même type117.
tessons, mirent au jour des alignements de briques crues et de pierres correspondant à des pyramides de petite taille. Les tombes qu’elles recouvrent sont à descenderie et cavité axiale118. 8-B-5.A Découvert en même temps que 8-B-52.B119, ce cimetière a conservé des vestiges de pyramides, en brique crue et en pierre, pouvant atteindre jusqu’à 10 m de côté. Ces monuments recouvraient les tombeaux d’une élite locale, et présentent un schéma de répartition spatiale dans lequel les plus grands sont entourés de leurs pyramides satellites120. Les sépultures y sont à descenderie et cavité axiale, avec avec des exemples de cavités latérales s’ouvrant à l’est, ainsi qu’une étonnante tombe à cavité latérale creusée dans une fosse permettant d’accéder à une tombe à chambre axiale. 8-B-5.B À l’ouest du grand champ tumulaire post-méroïtique qui couvre une partie du nord de l’île, le canal d’irrigation du village de Saïsab longe et coupe une nécropole méroïtique de plusieurs centaines de mètres de long, dans laquelle les tombes s’organisent selon des rangées parallèles nord-sud. L’absence apparente de superstructures et la forte concentration des enterrements en font un cimetière populaire, par opposition à l’enterrement des élites pratiqué dans 8-B-5.A et 8-B-52.B. Deux sondages sur le site ont livré une tombe d’adulte formée d’une descenderie menant à une cavité axiale, et des tombes d’enfants en fosse simple121. 8-G-49 Dans la moitié sud de l’île, encore peu explorée, une carrière près du village d’Arodin laisse apparaître en surface des ossements et des tessons. Un sondage effectué sur deux tombes a indiqué la présence d’enterrements méroïtiques, l’un dans une fosse à cavité latérale, l’autre dans un puits vertical122. Irki Saab
8-B-52.B (anciennement 8-B-32.B) C’est en cherchant l’extension du site de greniers pré-Kerma 8-B-52.A que fut découverte en 1996 cette nécropole méroïtique. Les premiers dégagements, sur une surface apparemment vierge excepté quelques
Sur la rive ouest, face à l’île de Saï, 30 tombes méroïtiques ont été repérées, dont une seule a été sondée, présentant une fosse à cavité latérale123.
113. Vila 1978a. 114. Francigny 2010b ; 2012a. 115. Vercoutter 1979. 116. Geus et al. 1995. 117. Geus 1995.
118. Geus 1998. 119. Geus 1998. 120. Francigny 2009a ; 2010a ; 2010b ; 2012a. 121. Geus 2006. 122. Geus 2006. 123. Vila 1978b, p. 48-51.
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Gamaa (ou Koyeka el-Gamaa) Face à l’île de Saï, sur la rive est, cette petite nécropole a livré des tombes méroïtiques à descenderie et cavité axiale124. Abudiya Situé sur la rive est du Nil, entre Sawarda et l’île de Saï, un cimetière antique fut repéré et sondé par l’équipe de la SFDAS en 1978125. Bien qu’aucun matériel n’ait été publié, le profil des substructures à descenderie et cavité axiale semble désigner des tombes méroïtiques. Sedeinga La grande nécropole de Sedeinga (divisée en cinq secteurs : I, II, III, IV et Ouest) regroupe des vestiges pyramidaux napatéens et méroïtiques (Secteurs I, II, IV et Ouest). Sur un site où l’habitat n’a jamais été retrouvé, la richesse des tombes et les centaines de pyramides funéraires indiquent le chef-lieu le plus important de Moyenne Nubie. L’ancienne Atiye jouait peut-être un rôle clef dans l’économie méroïtique liée aux routes désertiques qui viennent précisément reprendre contact avec le Nil dans cette région. Les enterrements méroïtiques s’y font majoritairement dans des tombes à descenderie et cavité axiale pour les adultes, et dans de petites fosses latérales bordant les superstructures pour les enfants. Secteur I Les plus grands monuments y sont napatéens, et furent réutilisés durant l’époque méroïtique126. Ils courent sur au moins trois rangées nord-sud, qui se prolongent avec des pyramides méroïtiques. La plupart des tombes méroïtiques sont à descenderie et cavité axiale, avec quelques exceptions à caveaux voûtés en briques dans la bordure ouest de la zone funéraire. Secteur II Cette partie du cimetière possède des monuments funéraires napatéens, dont les tombes sont réutilisées à la période méroïtique. Le site se présente sous la forme d’îlots regroupant des pyramides « patronnes » entourées de leurs pyramides satellites, qui se sont développés simultanément à différents endroits jusqu’à la période du méroïtique tardif127. Les tombes y
124. Vila 1978b, p. 37. 125. Geus 1979. 126. Schiff Giorgini 1973 ; Berger el-Naggar 2008. 127. Rilly, Francigny 2010 ; 2011 ; 2012.
sont majoritairement à descenderie et cavité axiale, avec quelques exceptions à caveau voûté construit en brique crue. Secteur IV À plus d’un kilomètre et demi à l’ouest de la grande nécropole, une tombe unique et inachevée a été découverte et fouillée en 2012. Elle présente toutes les caractéristiques d’un tombeau royal des premiers siècles avant notre ère, ce que confirme une datation au 14C obtenue sur un dépôt funéraire découvert devant l’entrée. La substructure, entièrement creusée dans une falaise en grès, possède un escalier monumental descendant jusqu’à une porte d’entrée ornée de montants et d’un linteau, qui s’ouvre sur une chambre soutenue par quatre piliers taillés dans la roche. Une seconde porte permet d’accéder à une deuxième chambre, soutenue cette fois par deux piliers taillés. Celle-ci se termine par une sorte de niche, qui correspond en fait à un passage inachevé vers ce qui aurait dû être une troisième chambre. Secteur Ouest Cette zone funéraire offre un profil particulier, avec seulement neuf tombes bâties durant l’époque napatéenne sur une butte naturelle dominant le site128. Devant cinq d’entre-elles, sans doute déjà fortement ruinées à l’époque, les Méroïtes décidèrent de construire un second monument pyramidal, mais dans des proportions plus modestes. Les enterrements méroïtiques réutilisent donc les appartements funéraires de ces anciennes tombes plus vastes qu’à l’accoutumée129. Soleb Dans la nécropole méroïtique située entre le cimetière du Nouvel Empire et le temple jubilaire d’Amenhotep III, 102 tombes (sur environ 600) furent fouillées, dont une seule livra les vestiges d’une pyramide à base en schiste130. Les substructures se divisent en fosses à cavité latérale et descenderies à cavité axiale, par ailleurs majoritaires.
128. La découverte de blocs décorés inscrits au nom de Taharqa dans ce secteur fit un temps penser que Sedeinga abritait la véritable sépulture du célèbre pharaon, renvoyant sa tombe de Nuri au rôle de simple cénotaphe. Il n’en est rien cependant, car les éléments architecturaux en question ont vraisemblablement été prélevés par les Méroïtes dans le temple voisin fondé au Nouvel Empire pour la reine Tiyi et agrandi par Taharqa. 129. Schiff Giorgini 1965 ; 1966 ; 1971. 130. Schiff Giorgini 1971, p. 364, fig. 704.
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 169
Kedurma À l’est du site d’habitat, un espace funéraire de 200 m de long sur 100 m de large possède quelques vestiges de pyramides en briques crues et chevauche en partie un champ tumulaire d’époque Kerma131. Trois tombes furent fouillées, chacune affichant un profil différent : une fosse à cavité latérale, une descenderie à cavité axiale, et une fosse à caveau voûté construit en briques crues. Fad Est Lors de la prospection organisée dans la zone de la 3e cataracte, du mobilier méroïtique fut retrouvé en surface à Fad Est, évoquant a priori le pillage de tombes132. Les tessons retrouvés, provenant de vases à décor impressionné et montés sans le tour, s’insèrent dans une production céramique qui pourrait remonter jusqu’au méroïtique ancien. Île d’Arduan Un cimetière méroïtique a été repéré dans la partie nord-ouest de l’île133. Les tombes, creusées dans du limon fossile, y apparaissent en plusieurs endroits, en raison de trous creusés par les habitants des villages adjacents pour se procurer une terre adaptée à la fabrication de briques crues et de galous (pisé). Il s’agit de tombes comportant une descenderie et une cavité axiale s’ouvrant à l’est ou à l’ouest. Kerma Trois secteurs distincts contenant des enterrements méroïtiques firent l’objet de recherches et de publications, bien qu’ils semblent appartenir à un même et gigantesque espace funéraire se développant du sud vers le nord, et fonctionnant pendant près d’un millénaire. Site fouillé par G. A. Reisner Dans l’agglomération de Kerma, les vestiges historiques méroïtiques sont dispersés entre des zones modernes d’habitat et des champs134. Sur un terrain jonché de tessons provenant de nombreux caveaux mis au jour par une forte déflation naturelle des sols, le premier cimetière méroïtique fut fouillé par la mission conjointe de l’Université de Harvard et du Musée de Boston, menée par G. A. Reisner135. Sur une 131. Edwards 1995a. 132. Edwards 1995a ; Edwards, Osman 1992, p. 62-63 ; 2012, p. 94. 133. Edwards, Osman 2000. 134. Mohamed Ahmed 1999. 135. Reisner 1923.
surface de 80 m2, il dégagea des tombes en très mauvais état, ayant perdu toute trace de superstructure. Trois types de substructure étaient représentés : descenderie et cavité transversale, simple fosse verticale, et fosse à cavité latérale. Site de la ville antique Dans le secteur de la ville antique de Kerma, au nord et à l’ouest de la Deffufa, des sépultures méroïtiques sont apparues à plusieurs reprises durant la fouille136. Les efforts s’étant concentrés sur les vestiges urbains d’époque Kerma, seules quelques-unes de ces tombes ont été périodiquement ouvertes à la fouille, en particulier lorsqu’elles se trouvaient dans des zones non construites comme des fossés. En connexion directe avec le secteur précédemment étudié par G. A. Reisner, ces tombes sont généralement à descenderie et cavité axiale. Deux exemples atypiques sont cependant à noter, le premier ayant livré des enterrements dans une substructure respectant l’espace d’un bâtiment ancien, et le second consistant en un gigantesque caveau voûté en briques crues137. C’est en 1990 que la présence de pyramides méroïtiques fut confirmée, avec la découverte de trois bases de monuments funéraires quadrangulaires138. Site de l’école Une zone située dans le sud de la grande nécropole méroïtique fut fouillée entre 1977 et 1979, à l’intérieur de l’enceinte d’une école139. 23 emplacements de sépultures appartenant aux premiers siècles de notre ère furent alors dégagés, sur une surface où la présence de briques crues laisse supposer l’existence de superstructures ayant recouvert les tombeaux. L’espacement entre les tombes et leur alignement en rangées successives renforce cette hypothèse, comme le suggère un graffito représentant une pyramide retrouvé sur une jarre, ainsi que la découverte d’une tombe orientée nors-sud, qui laisse supposer un alignement par rapport à une structure quadrangulaire140. Les tombes y sont à descenderie et cavité axiale, ou à fosse verticale avec des parois renforcées par des murs de briques soutenant une couverture voûtée141.
136. Bonnet 1980b, p. 60 ; 1982, p. 51. D’autres tombes sont apparues dans les cultures, au nord-ouest du site (Bonnet 1984, p. 19), mais aussi au nord-est, en direction de Doukki Gel (1988, p. 19). 137. Bonnet, El-Tayeb 1991, p. 33, fig. 5. 138. Bonnet 1991, p. 17-19, fig. 16. 139. Bonnet 1980a . 27 tombes méroïtiques furent aussi fouillées en-dehors de l’enceinte de l’école, révélant une zone d’inhumation beaucoup plus pauvre (Bonnet 1980b, p. 59-60). 140. Bonnet 1978, fig. 7. 141. Bonnet 1978, p. 122.
170 • VINCENT FRANCIGNY
Kadruka Lors d’une courte prospection organisée dans la région du fameux gisement néolithique, un cimetière méroïtique fut repéré à l’entrée d’un village142. Tabo À l’époque méroïtique, le temple de Taharqa subit d’importants remaniements, et de nouveaux sanctuaires voient le jour au sud du site. Les anciennes pyramides kouchite sont alors arasées pour laisser place à des dépendances liées au service cultuel, et seules des tombes tardives de transition vers le postméroïtique nous sont donc parvenues. Ces dernières, situées au nord et au sud du grand temple, sont marquées par des tumuli qui recouvrent des puits verticaux donnant accès à une cavité latérale dans laquelle le défunt était placé en position contractée143. Kawa Le site, connu en particulier pour son temple érigé par Taharqa, comprend les vestiges bien conservés d’une vaste agglomération kouchite. Le mobilier provenant de la surface et des fouilles offre des indices de datation allant de la période Kerma jusqu’à l’ère médiévale144. Les dégagements entrepris dans la zone funéraire très ensablée, et en apparence tumulaire, ont mis en évidence des vestiges de pyramides en pierre et en briques crues, remontant aux époques napatéenne et méroïtique145. La fouille de quelquesunes de ces tombes permet de suivre une séquence chronologique continue de la céramique méroïtique, depuis la phase ancienne jusqu’à la phase tardive146. L’enterrement unique y est fréquent, et l’architecture des substructures comprend la tombe à cavité axiale ou transversale, ainsi que le modèle à voûte construite en brique crue147 et en pierre. Djebel el-Ghaddar À environ 3 km au nord du site d’Old Dongola, et à 300 m au sud du Djebel el-Ghaddar, se trouve une nécropole tumulaire d’environ 200 tombes en apparence peu élevées, portant les vestiges d’anneaux en pierre noire148. Dans un contexte régional large, le
142. Reinold 1984, p. 44. 143. Bonnet 2011, fig. 8-9. 144. Welsby 1993. 145. Welsby 2000 ; 2001 ; 2002. Notons qu’un autre cimetière méroïtique (Q2) fut repéré à 3 km au sud de Kawa. 146. Welsby-Sjöström, Thomas 2011. 147. Welsby 2011, p. 61. 148. Daszkiewicz et al. 2002.
cimetière appartient à une bande d’environ 30 km de long en rive droite du Nil, sur laquelle les habitats et les cimetières se succèdent149. Les tombes qui furent fouillées montrent que la partie nord-ouest du site est occupée par des sépultures chrétiennes, la partie orientale par le post-méroïtique, tandis qu’au sud se trouvent des tombes méroïtiques à descenderie et cavité transversale. Des échantillons prélevés en surface et dans les tombes attestent d’une production céramique locale, mêlée à des importations provenant d’ateliers appartenant à des centres religieux ou royaux à grande diffusion. Hambukol Les fouilleurs qui travaillaient sur le site chrétien reçurent quatre jarres méroïtiques tardives de la part d’habitants du village voisin150. Elles furent découvertes lors du creusement des fondations d’un réservoir d’eau, et proviennent sans doute d’un cimetière méroïtique local. Usli Durant la prospection menée par une équipe polonaise entre 1997 et 2003, dans la région située entre Old Dongola et el-Zuma, de la céramique méroïtique tardive mélangée à des tessons post-méroïtiques a été découverte sur une zone funéraire appelée Usli 1, au sein d’un vaste site comportant notamment les restes d’un temple napatéen151. El-Kudrab À une dizaine de kilomètres à l’ouest du Djebel Barkal, des tessons méroïtiques jonchent les abords du village de Kudrab, indiquant probablement le pillage d’une proche nécropole152. Dahasira À quelques kilomètres à l’est de Kudrab, ce site présente les mêmes caractéristiques et marque l’emplacement d’un autre cimetière méroïtique153.
149. Zone prospectée par l’équipe du Royal Ontario Museum, dans laquelle le cimetière du Djebel el-Ghaddar est référencé sous l’appellation ROM 4 (Grzymski 1987). Deux tombeaux chrétiens creusés dans la falaise sont interprétés par S. Jakobielski (1982) comme méroïtiques et usurpés à l’époque chrétienne, où l’on aurait ajouté une croix de Malte au-dessus du linteau de porte sculpté dans le rocher. 150. Grzymski 1989. 151. Zurawski 2003, p. 401-402. 152. Garcea, Sebastiani 1998. 153. Garcea, Sebastiani 1998.
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 171
Khor el-Shakil Ce cimetière tumulaire de la région du Djebel Barkal signale des enterrements dont certains seraient méroïtiques154. Sanam Abou Dom Dans la grande nécropole napatéenne fouillée en 1912155, on mentionne la présence d’enterrements intrusifs méroïtiques au sein de tombes plus anciennes (618, 1200, 1203 et 1216). Djebel Barkal En marge des deux groupes de pyramides connus au Djebel Barkal, l’équipe espagnole de la Fondation Clos démontra qu’il fallait sans doute étendre la zone funéraire beaucoup plus loin vers l’ouest. Les découvertes de deux nouvelles structures royales en 1995156, ainsi que de tombes plus modestes à proximité, montrent qu’une nécropole privée devait jouxter les sépultures des personnages de haut rang. Trois tombes communes furent sondées, révélant des hypogées creusés dans la pierre ou le limon, soit à fosse et cavité latérale, soit à descenderie et cavité axiale. El-Mereikh (HP 142) À 30 km en amont du Djebel Barkal, le site d’elMereikh se présente sous la forme d’un large cimetière tumulaire méroïtique157. Il possède une centaine de tombes, plus ou moins marquées par des cercles ou des ovales de pierre d’environ 3 à 4 m de diamètre. La plupart sont difficiles à distinguer de la surface du sol, du fait de leurs enchevêtrements. Un dispositif singulier propre au site consiste en une fosse verticale orientée est-ouest, avec deux rebords latéraux qui soutiennent des dalles de schiste assurant la fermeture, et deux pierres dressées en surface à la façon de stèles à l’ouest du tombeau. El-Shebabeet (HP 360 et HP 362) Situé au cœur de la 4e cataracte, le site d’El-Shebabeet comporte deux nécropoles méroïtiques s. La première (HP 360), s’étend dans une petite plaine alluviale à la sortie d’un ancien oued, et renferme des cairns bien conservés, ainsi que des agglomérats pierreux à la morphologie à peine circulaire.
154. Garcea, Sebastiani 1998. 155. Griffith 1923. 156. Berenguer Soto 1997. 157. Paner 2003b ; Paner et al. 2010.
La seconde (HP 362) est une petite unité d’une vingtaine de structures d’environ 5 m de diamètre chacune, dont les cerclages de pierre ont parfois été partiellement démontés158. Les tombes présentent pour la plupart une sorte de descenderie à paliers irréguliers, menant à une cavité axiale. El-Hasaya (HP 361) Ce cimetière méroïtique de la 4e cataracte se compose de larges tumuli d’environ 8 à 10 m de diamètre159. Leur petit nombre pourrait indiquer l’enterrement d’une élite locale, volontairement séparée du reste de la population. Gerf el-Humar Dans ce cimetière tumulaire, les fouilles ont mis au jour des sépultures à fosse et cavité latérale située en général au sud, et fermées par des dalles en pierre160. 3-Q-33 Dans la région de Turqab, la zone prospectée par la mission anglo-allemande sur la 4e cataracte a livré de nombreux cimetières, principalement d’époque Kerma, post-méroïtique et chrétienne161. Le site 3-Q-33 se différencie néanmoins par sa partie proprement méroïtique à l’est d’une nécropole plus vaste. La plupart des superstructures, dont une quinzaine au moins sont tumulaires, consistent en des amas de pierres aux contours souvent imprécis, recouvrant un simple raclage de la surface environnante. Elles abritent deux types de substructures : fosse à niche latérale, ou fosse verticale avec un rebord permettant la pose de dalles de fermeture. Le site n’est pas isolé, puisque la mission recense au moins 11 cimetières de même type, dont certains ont également été sondés162. Tous semblent établir une transition entre le méroïtique tardif et le postméroïtique. Île de Mis Sur le site d’un cimetière chrétien (3-J-11) dans lequel environ 20 % des 500 tombes ont été fouillées, une sépulture méroïtique fut découverte163. Elle ne possédait plus de marqueur en surface, et consistait en une descenderie donnant accès à une cavité 158. Paner 2003a, p. 178 ; Paner et al. 2010. 159. Paner 2003a. 160. El-Tayeb, Kolosowska 2005. 161. Wolf, Nowotnik 2005b ; 2006. 162. Par exemple 3-Q-20 ; cf. Wolf, Nowotnik 2005a. 163. Wolf, Nowotnik 2006.
172 • VINCENT FRANCIGNY
axiale. D’autres indices, notamment la découverte d’un vase peint surmonté d’un gobelet en bronze164, laissent penser qu’une phase méroïtique y est plus largement représentée. Kujra (HP 557) Isolé à mi-chemin entre le Djebel Barkal et l’île de Mograt, le site enregistre au moins deux tombes tumulaires méroïtiques de 9 et 11 m de diamètre165. Île d’Us Sur l’île d’Us, de nombreux sites funéraires tumulaires semblent dater de la fin de l’Antiquité, certains étant réutilisés aux périodes chrétienne et musulmane. Parmi eux, le site US 036, qui comporte au moins une vingtaine de tombes, a livré en surface trois tessons provenant d’une céramique estampée et peinte en pâte alluviale, datant incontestablement de la période méroïtique166. Hagar el-Beida La mission polonaise prospectant la zone entre Shemkiya au nord et el-Ganaet au sud, travailla durant deux saisons sur la nécropole méroïtique et post-méroïtique de Hagar el-Beida (HB2)167. 77 tombes tumulaires (tertres circulaires en terre parfois entourés d’un cerclage de pierres) y sont réparties en 3 groupes (Nord, Est et Ouest) établis au fond d’un oued. Durant deux saisons, 24 tombes furent fouillées (17 dans le groupe Est, et 7 dans le groupe Nord). Celles à cavité latérale dominent, mais on trouve également des tombes à fosse simple ou à cavité transversale. Les systèmes de fermeture sont majoritairement en pierre, avec quelques exceptions en brique crue. La plupart des enterrements sont dotés d’un mobilier funéraire riche et varié dans lequel on note la présence unique d’un bol méroïtique fineware décoré. Les corps sont généralement déposés en position contractée. L’analyse du mobilier laisse penser que la partie Est de la nécropole est méroïtique, tandis que la partie Nord serait plus tardive. Kir (HP 550 et 551) Au bord d’une terrasse alluviale, ce cimetière tumulaire tardif possède également deux tombes méroïtiques qui semblent avoir été volontairement
164. Ginns 2007. 165. Paner, Borcowski 2005a, p. 225. 166. Näser 2012, p. 261. 167. Longa 2008.
isolées168. Les structures, repérables par leurs cercles de pierres, y ont conservé une hauteur significative grâce à l’ensablement général de la zone. Assaliya (HP 547) Comportant une vingtaine de structures, ce cimetière transitionnel entre méroïtique et post-méroïtique est fait de tumuli peu élevés, marqués au sol par leur cerclage de pierre et leur remplissage sableux169. Minnawiya (HP 546) Ce petit cimetière tumulaire d’une vingtaine de tombes appartient à la concentration de nécropoles repérée à la pointe nord de la courbe du Nil, entre 4e et 5e cataractes170. Les structures, dont le matériel de surface indique la période de transition entre le méroïtique et le post-méroïtique, sont faites d’anneaux de pierres remplis d’un sable hétérogène. Gennefab (HP 545) Dernier cimetière avant la grande île de Mograt, le site comporte deux types de structures tumulaires171. Les premières sont de larges anneaux de pierres de 8 à 12 m de diamètre, et les secondes de simples amoncellements de sable et de blocaille créant un tertre plus ovale que circulaire, d’environ 2 m de longueur. Les indices céramiques témoignent de la période de transition entre méroïtique et postméroïtique. Gereif Ouest Au milieu du xxe siècle, trois poteries méroïtiques ont été découvertes dans une nécropole tumulaire affectée par le développement des cultures172. Dangeil Au nord du sanctuaire bâti sous le règne de Natakamani et Amanitore, une nécropole s’étend chronologiquement du sud (méroïtique à Wad Toum) vers le nord (post-méroïtique et chrétien à el-Fereikha). Une prospection menée dans la région à la fin des années 90 avait mis au jour des témoignages funéraires kouchites173, qui furent ensuite confirmés par la
168. Paner, Borcowski 2005a, p. 223. 169. Paner, Borcowski 2005a, p. 222. 170. Paner, Borcowski 2005a, p. 221. 171. Paner, Borcowski 2005a. 172. Crawford 1953, p. 11. 173. Mohamed Hamed, Anderson 2000.
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 173
découverte d’hypogées lors du creusement d’un canal de drainage174. Les tombes se présentent sous la forme d’une descenderie qui mène à une cavité transversale. Berber En marge du centre-ville de Berber, la nécropole méroïtique fut découverte lors de travaux de construction d’une usine dans une zone sur laquelle aucun élément de surface n’indiquait la présence d’un site archéologique. Sur les 35 tombes qui furent affectées par les tranchées de fondation, plusieurs furent fouillées dans l’urgence, permettant un rapide diagnostic des substructures, des inhumations et du mobilier funéraire175. Les tombes possèdent une descenderie et une cavité transversale orientée nordsud, avec un système de fermeture en briques crues. La découverte d’une table d’offrandes inscrite dans un trou de pillage laissait penser qu’à l’origine les tombes étaient pourvues d’un aménagement de surface ; ce que confirma peu de temps après la mise au jour des restes d’une pyramide en brique crue. Gabati Sur le site méroïtique (63 tombes) et post-méroïtique, dont une partie seulement fut fouillée et publiée, quatre tombes avaient conservé des éléments de superstructure en briques crues de type pyramidal, accompagnée d’une cour ou d’une chapelle sur leur flanc est176. Quelques substructures se présentent sous la forme d’une descenderie menant à une cavité axiale, tandis que la grande majorité des tombes dispose d’une cavité transversale. La chambre funéraire axiale semble étroitement liée à la présence d’une superstructure. Alim Situé dans l’intérieur des terres à l’est de Méroé, Alim fait partie d’un ensemble de sites qui jalonnent la région et dans lesquels on croit reconnaître des lieux de culte ou des postes avancés méroïtiques. À 300 m au nord d’une structure quadrangulaire monumentale177, on y trouve une douzaine de tombes tumulaires de 3 à 5,5 m de diamètre, recouvertes de pierres sombres. Des fragments de jarres montées au tour, dont la forme est connue par des séries retrouvées dans les tombes royales de la proche capitale, permettent de dater au moins une partie du cimetière de la période méroïtique.
174. Anderson, Mohamed Ahmed 2011. 175. Bachir 2010 ; Bachir, David 2012. 176. Edwards 1995b ; 1998. 177. Addison, Dunham 1922.
Djebel Ardab (BM 101-2) La nécropole du Djebel Ardab, située au nord-est du Cimetière Ouest de Méroé, possède des tombes tumulaires sur ses pentes et d’autres plus grandes au sommet, qui s’échelonnent de la période du méroïtique tardif au début de la période chrétienne178. Les cairns y sont exclusivement fabriqués avec des blocs de grès ferrugineux. Une tombe peu profonde, ouverte par un engin de terrassement, permit la découverte de vases dont certains portaient un graffito méroïtique représentant une table d’offrande surmontée de signes ankh179. Méroé Nécropoles Sud et Ouest Dans la nécropole royale, divisée en trois ensembles distincts Nord, Sud et Ouest, les premières pyramides furent érigées au sein du second groupe, sur un plateau rocheux où l’élite locale napatéenne se faisait enterrer180. On y compte environ une centaine de superstructures, dont 24 sont identifiées comme étant des pyramides. C’est dans ce cimetière qu’apparaissent aussi les pyramides des premiers souverains de Méroé. Faute de place disponible, on continua à enterrer les rois un peu plus loin, dans le cimetière Nord, en compagnie de quelques candaces et princes. Le Cimetière Ouest, qui abritait à la fois des membres de la famille royale et une partie de l’élite napatoméroïtique, fonctionna en parallèle des deux autres. Cimetières de la ville Au sud de l’ancienne capitale, une nécropole composée de tombes tumulaires a livré de la céramique méroïtique181. Mais c’est dans la zone funéraire située à l’est de l’enceinte et de la zone cultuelle marquée par de nombreux temples, que la question des tombes tumulaire prend toute sa dimension. Traditionnellement on y distingue quatre cimetières (Nord, Central, Sud et Ouest), bien qu’il faille sans doute y voir une vaste nécropole unique à développement nors-sud. L’archéologue J. Garstang y ouvrit de larges sondages, malheureusement peu documentés182, dont nous pouvons extraire les informations suivantes :
178. Mallinson 1994. 179. Lenoble 1992, p. 85, fig. 11. 180. Dunham 1963, p. 394, fig. 218c. 181. Crawford, 1953, p. 11. 182. Garstang 1911. Une partie des notes et des photos des fouilles effectuées par J. Garstang ont été publiés par L. Török (1997b), mais n’apportent que peu d’éclairage sur la moitié nord de la nécropole concernée par la période méroïtique.
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Le secteur Nord est couvert de tumuli faits de sable ou de pierres, sous lesquels une descenderie conduit à la cavité. Contrairement à ce que pensait le fouilleur, il s’agit de la zone la plus ancienne de la nécropole, datant probablement du ier siècle avant notre ère au iie siècle de notre ère.
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Le secteur Central est composé de tombes à cerclage de pierres ou gravier, recouvrant parfois une double descenderie donnant sur deux cavités. Les corps y reposent allongés sur des lits en bois, la tête au sud. Ces sépultures sont tardives, sans doute vers les ive-ve siècles de notre ère.
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Le secteur Sud, également tardif, contient des tumuli de sable ou de pierres similaires au secteur Nord, mais se distingue par des descenderies plus profondes (2 à 3 m), conduisant à une cavité dans laquelle le corps reposait en position contractée.
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Le secteur Ouest nous est quasiment inconnu, mais la céramique recueillie par J. Garstang le placerait dans la série tardive.
La fouille de ces tombes, parfois qualifiées de Nobas dans la littérature183, n’a jamais apporté un éclairage définitif sur la nature des superstructures utilisées par les habitants de la capitale. Au mieux, faute de nouvelles investigations sur le terrain, peuton confirmer l’absence du modèle pyramidal qui, dans les nécropoles de Begrawiya, était de rigueur pour une partie de l’élite du royaume. Hillat Kali Dans le cadre d’une prospection menée dans la région de Shendi (archives SFDAS), ce site funéraire fut identifié par la présence de céramiques associées à des restes osseux affleurant en surface. Hillat Hasab Allah Au sud du district de Kabushiya et à l’est de la voie ferrée, le site est couvert de tessons méroïtiques provenant de vases rouges montés au tour et parfois peints, ainsi que de tessons de jarres noires montées sans le tour. La présence de nombreux ossements humains en surface permet d’y reconnaître une nécropole, tandis que des concentrations vaguement circulaires de pierres renvoient à la superstructure tumulaire184.
183. C’est le cas notamment pour les séries de Tombes 1-99 et 300-399 (Hintze 1967). 184. Geus 1977.
Djebel Makbor Située à 4 km à l’est du Nil, cette « montagne au cimetière » n’est qu’un exemple parmi des dizaines d’autres similaires qui jalonnent la région du Keraba. Elle compte sur son pourtour au moins un millier de sépultures185, et les quatre tombes qui y ont été fouillées (une protohistorique, une méroïtique et deux médiévales) montrent de façon évidente qu’une nécropole tumulaire peut avoir un caractère diachronique, couvrant une fourchette temporelle de plusieurs milliers d’années. Toutes les sépultures fouillées se ressemblaient et étaient regroupées à seulement quelques mètres de distance sur la même éminence (Butte B au nord-ouest du djebel), qui comportait environ 140 tumuli. Un autre ensemble (Butte A, également au nordouest), regroupant 63 tumuli en pierre, a fourni de grandes quantités de tessons méroïtiques et pourrait avoir un profil similaire. Sur le versant nord-est, le flanc du djebel est éventré d’une dizaine de carrières. Toutes sont accompagnées de petits cimetières tumulaires, dont au moins un (une structure unique formée d’un tumulus reposant sur une base quadrangulaire) est caractérisé par de la céramique méroïtique. Enfin, sur une terrasse fluviatile à l’ouest, quelques tertres ont livré à leur surface de la céramique méroïtique, dont un témoin de gobelet fineware, sans équivoque pour la datation. L’exemple du Djebel Makbor nous montre comment, dans un tissu dense de concentrations tumulaires, les sous-ensembles qui se détachent ne suffisent pas à délimiter un bornage culturel et chronologique unique. La périodisation extrêmement longue de la forme tumulaire en Nubie a en effet largement favorisé la juxtaposition des enterrements dans un même lieu, à des époques différentes. El-Kadada Formé de terrasses anciennes surélevées et recouvertes de gravier, le site fut révélé par la découverte de vestiges néolithiques lors de la construction d’une station de pompage sur le Nil. Situé sur la rive est, à une trentaine de kilomètres au sud de l’ancienne capitale Méroé, el-Kadada devint cependant très vite un terrain d’étude pour la période historique. Plusieurs campagnes successives ont permis d’y fouiller un grand nombre de sépultures, et d’entamer pour la première fois une étude à grande échelle des inhumations privées méroïtiques au Soudan central. Les tombes y présentent deux phases d’enterrements.
185. Lenoble 1987b.
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 175
La première, ancienne, date des premiers siècles avant notre ère186. Elle se caractérise par des tombes peu profondes, pourvues d’une fosse ou d’une descenderie est-ouest et d’une cavité axiale fermée par des dalles. Le corps du défunt, en décubitus latéral, membres fléchis et tête à l’ouest, est alors accompagné par un mobilier funéraire peu abondant : une ou deux jarres, parfois une coupe, et des parures souvent limitées à des colliers de perles et anneaux de fer. La seconde, dite récente ou tardive187, concerne des tombes plus profondes et de grande taille, constituées d’une descenderie conduisant à une cavité transversale. La cavité pouvant être un mètre plus bas que la descenderie, l’accès en était facilité par un escalier. Ce dénivelé plutôt inhabituel s’explique en partie par la nécessité de stocker dans la tombe des céramiques très hautes. Le squelette repose généralement en décubitus dorsal, membres en extensions et tête au sud, accompagné d’un riche matériel et de grandes séries de terres cuites (jusqu’à 60 jarres). C’est durant cette seconde phase que des vestiges tumulaires ont été observés. Les tertres y sont d’abord élevés grâce aux sédiments provenant du creusement de la fosse et de la descenderie, puis gagnent en hauteur par le raclage de surface des sols environnants ; un modèle qui se perpétue à l’époque post-méroïtique, où seuls les assemblages du mobilier funéraire évoluent188. L’absence de céramique montée au tour et d’objets importés dans les tombes post-méroïtiques, tend à prouver que les réseaux de diffusion centralisés dans la capitale entrent dans une phase de déclin. Ce qui ne semble nullement affecter la prospérité des centres régionaux comme el-Kadada, qui affichent des séries d’objets funéraires toujours plus grandes, bien que différentes. Apportant une documentation riche et précise sur le passage du méroïtique tardif au post-méroïtique, le site d’el-Kadada permit aux fouilleurs de nuancer sensiblement la notion de rupture communément reprise à l’époque pour caractériser la chute de Méroé. La modification du paysage politique et la migration du pouvoir vers de nouvelles élites ont pu dynamiser le rôle de centres périphériques à la capitale comme el-Kadada.
Parmi elles se trouvaient des sépultures méroïtiques, post-méroïtiques et chrétiennes. Hosh Wad ben Naga À 1 km au sud de l’établissement méroïtique d’el-Mouweis, ce cimetière contemporain présente des traces de réutilisation des blocs architecturaux provenant de la ville, mêlés à de la céramique et des restes osseux témoignant du pillage et de l’érosion du site190. Wad ben Naga Au nord et au sud du site palatial et religieux, deux zones tumulaires ont été repérées par les fouilleurs, avec des structures pouvant atteindre une dizaine de mètres de diamètre191. Seule celle du nord a fait l’objet d’un sondage où deux tombes méroïtiques furent dégagées et fouillées192, mais les données en provenance de cette nécropole ne furent jamais publiées. Musawwarat es-Sufra
Lors des fouilles effectuées sur le grand kôm ayant servi d’emplacement pour un cimetière néolithique, 67 tombes d’époque historique furent découvertes189.
Premier grand site monumental à l’intérieur des terres du Boutana, le complexe de Musawwarat esSufra est encore sujet à de nombreuses interprétations divergentes. Outre les temples, les ateliers et les cours abritant des jardins, l’habitat réduit tendrait à prouver qu’il était destiné à l’accueil d’un personnel permanent relativement peu nombreux. Pour le volet funéraire, les premières fouilles eurent lieu au début des années 60 dans un cimetière qualifié de Noba, car il réutilise pour la couverture des hypogées, des blocs appartenant à la grande enceinte193. Plus récemment, une prospection menée du Ouadi es-Sufra jusqu’à la région de Naga plus au sud rassembla des données sur 17 nécropoles de la région, allant de quelques tombes isolées à des regroupements de plusieurs centaines194. Parmi elles, Mu I, Mu III, Mu VII et Mu XIV offrent des vestiges de tertres à la forme ronde ou ovale, constitués à la fois de pierres et de sable hétérogène, et datés du méroïtique classique sur la base de tessons céramiques retrouvés en surface. Une étude plus récente195 présente les résultats de fouilles opérées sur 3 zones funéraires déjà cartographiées par B. Gabriel. Dans le cas de I L (= Mu III), les tombes oblongues étaient construites en matériaux
186. Un 14C de la tombe KDD 01/15 donne une date aux alentours de 2190 ± 60 BP (Geus 1983, p. 24). 187. Un 14C de la tombe KDD 01/38 donne une date aux alentours de 1770 ± 70 BP (Geus, 1983, p. 34). 188. Geus, Lenoble 1985, p. 68. 189. Lecointe 1987.
190. Lenoble, Sokari 2005. 191. Vercoutter 1962, p. 270. 192. Geus, Lenoble 1985, p. 67. 193. Hintze 1968. 194. Gabriel 2001. 195. Jeuthe 2004.
El-Ghaba
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hétérogènes, tandis que les squelettes reposaient en position allongée suivant une orientation est-ouest, tête à l’ouest. Le mobilier de surface les daterait plutôt de la période post-méroïtique, mais des tessons méroïtiques ayant été retrouvés non loin, il pourrait s’agir d’un cimetière de transition entre les deux périodes. Autre site sondé, II N (= Mu XIII) possède des superstructures tumulaires sous lesquelles les individus reposaient en position contractée la tête au sud, avec un mélange de céramique méroïtique et post-méroïtique en surface. Naga Sur le vaste site de Naga, deux nécropoles sont établies à proximité de la ville196. La première197, située au nord-est du Djebel Naga, regroupe de larges superstructures en pierre dans lesquelles on reconnaît généralement la forme tumulaire, avec parfois des effets d’alignement de pierre en surface qui pourraient indiquer les vestiges de constructions quadrangulaires (pyramide ?). La localisation du cimetière, en piémont du Djebel Naga et d’une carrière de grès, le soumet depuis des siècles à un fort ravinement pluvial qui a lessivé les sols de la plupart des matériaux légers qui s’y trouvaient. Ce matériel se retrouve en abondance en contrebas dans la plaine, sans pour autant contenir d’ossements. Sur les plus grands tertres, des tombes oblongues plus tardives se sont installées de façon sporadique, brisant un peu plus la lecture générale des formes et de l’organisation de la nécropole. Les superstructures y sont d’autant plus perturbées qu’elles ont servi de carrière aux époques modernes, au moins jusque dans les années 50, les camions venant directement sur le site chercher des matériaux de construction prêts à l’emploi. En l’absence de fouilles, l’attribution du site à la période méroïtique repose sur des éléments d’observation de surface et quelques découvertes. Sa proximité avec la ville, sa taille et les nombreux recoupements de structures montrent qu’il fut utilisé pendant une période probablement assez longue. Malgré l’aspect stérile de la surface, on parvient à trouver çà et là quelques tessons de céramique qui se rattachent à la période méroïtique classique et tardive. S’ajoute à cela la présence de briques cuites d’un format typiquement méroïtique (environ 17 × 33 cm) recouvertes d’un épais enduit hétérogène blanchâtre, courant à l’époque et dans la région. Ces briques présument de l’existence de constructions
196. Wildung, Kroeper 2006, pl. 8b. 197. En remontant la lisière du Djebel Naga vers le nord-est, on en compte trois autres, très proches, et à la morphologie relativement analogue.
cultuelles, comme le montrent également la récurrence de blocs équarris de plus grandes dimensions, ou celle d’une sorte de piédestal taillé en grès. On peut en effet difficilement penser à une récupération tardive de matériaux en provenance de la ville éloignée de plusieurs centaines de mètres, alors que les pierres du djebel abondent en bordure du site. Enfin, une découverte majeure vient corroborer la datation méroïtique : une statue-ba féminine fragmentaire retrouvée à proximité du cimetière198. La seconde nécropole se situe au sud de la ville, à proximité du grand hafir. Elle se compose de tombes tumulaires, et d’autres dont les superstructures en pierre épousent la forme oblongue des fosses. Certains tumuli, dispersés dans la ville et à proximité des temples, attestent une datation plus tardive199. La présence dans la même zone de cercles en pierre contenant des traces importantes de débitage et des tessons aux décors de wavy lines indiquerait par ailleurs le recouvrement de sites plus anciens datant de la préhistoire. À ces données provenant des abords directs de la ville, il nous faut ajouter celles recueillies dans la région de Naga. Une prospection menée sur les marges du Ouadi Awatib a mis en évidence d’autres nécropoles méroïtiques tumulaires (Bobrowski, Jordeczka 2005). Trois groupes (WA 13, WA 19 et WA 21200) ont ainsi été identifiés grâce à de la céramique en surface des trous de pillage. Les superstructures y varient de 2 à 20 m de diamètre, et consistent généralement en un cerclage de pierres rempli d’un mélange hétérogène sableux. Au centre, la déflation laisse parfois apparaître les contours d’une fosse rectangulaire. Enfin, une série de prospections201 allant du Ouadi es-Sufra au Ouadi Abou Hashim a mis au jour un tissu continu de nécropoles le long des oueds et sur les flancs des djebels avoisinants202. Parmi les sites concernés, retenons notamment Na NI et Na NII au nord, ainsi que NA EX à la surface duquel un scarabée fut retrouvé.
198. Kroeper et al. 1999, pl. 84. 199. F. Hintze (1959, p. 186) fouilla une tombe de ce cimetière. La céramique à décor d’impression sur natte et le remploi de blocs couverts d’enduit dans l’appareillage de certains tumuli confirment l’appartenance de ces tombes à la période post-méroïtique. 200. Durant cette enquête, des tombes tumulaires isolées ont également été relevées, dont l’une (WA 3) est datée du méroïtique. 201. En 1995, 1996 et 2001. 202. Gabriel 2001.
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 177
Djebel Sabaloka (6e cataracte) Lors d’une prospection menée par l’université de Prague et l’Institut de Géologie tchèque dans la zone de 6e cataracte du Nil203, 22 sites furent attribués aux périodes méroïtiques et post-méroïtiques sur la base d’un premier diagnostic du mobilier apparaissant en surface. Parmi eux figurent des zones funéraires comprenant des tumuli en pierre construits sur les terrasses basses du Djebel Sabaloka, ainsi que des cairns édifiés dans les oueds. Quelques détails nous parviennent via la fouille d’un tumulus daté par les fouilleurs de la transition du méroïtique vers le post-méroïtique, et contenant la dépouille d’un archer enterré en position contractée, tête au sud204. Trois nécropoles de la même époque sont également décrites, dont l’une près de Khor el-Radam, qui contiendrait plus d’une centaine de structures. Enfin, une courte présentation du site AK 11/05 décrit un site d’habitat et d’enterrement sur lequel fut retrouvé un tétradrachme frappé à Alexandrie dans la seconde moitié du iiie siècle de notre ère. Tamanyat205 À quelques kilomètres au sud de Geili, le site se caractérise par un gisement préhistorique, en grande partie bouleversé par des tumuli datés du méroïtique final206. Dans les quelques tombes sondées, les fouilleurs ont découvert un système de fermeture du puits d’accès, à base de branchages disposés à la surface du sol de construction du tertre. Geili La nécropole néolithique de Geili contient également des inhumations historiques, en majorité d’époque méroïtique (43 % des tombes)207. La plupart se rattachent à la tradition funéraire du tournant de notre ère (14C 2100 ± 100 BP), tandis qu’un petit nombre date du méroïtique tardif (14C 1690 ± 60 BP). Les tombes les plus anciennes se caractérisent par une fosse verticale possédant un rebord interne sur un ou plusieurs côtés, avec parfois un court accès creusé en pente. Celles plus tardives consistent en de simples fosses peu profondes présentant parfois un léger surcreusement à l’est pouvant évoquer une descenderie. 203. Quatre campagnes de prospections et de fouilles y ont été effectuées (Sukova, Cilek 2012). 204. Sukova, Varadzin 2012, p. 128. 205. Le site n’apparaît pas sur la carte générale car son point se confond avec celui de Geili. 206. Caneva 1997. On associe parfois ces vestiges tumulaires à ceux du site voisin de Kabbashi (Caneva 1994). 207. Caneva 1988.
Sururab Situé sur la rive ouest du Nil en aval de Khartoum, le site et ses environs firent l’objet d’une prospection qui permit d’identifier des habitats et des cimetières d’époques néolithique et méroïtique208. Les superstructures recouvrant les tombes kouchites sont des tumuli, parfois cerclés de pierres, et édifiés grâce au raclage de la terre et du gravier de la surface environnante. Les tombes sont creusées dans un substrat hétérogène et sableux, en haut de terrasses découpées par des khors. Elles possèdent une courte descenderie, et la fermeture du caveau est assurée par des dalles de schistes scellées par un mortier de terre. Dans la structure même du tumulus se trouvent aussi des tombes plus tardives, utilisant les tertres anciens à la façon d’un kôm funéraire. Dans le lieu-dit Bauda, l’équipe fouilla environ 150 tombes sur un total estimé à 4000 unités. La publication succincte, malheureusement exempte de toute iconographie, renvoie au profil archéologique très similaire du site d’el-Ushara (au sud d’Omdurman). Selon Ali Hakem, la continuité affichée dans le mobilier funéraire découvert à Sururab / Bauda l’amène à réfuter la théorie invasive Noba. Il propose de reconnaître l’existence d’un groupe méroïtique au développement ininterrompu qu’il nomme Southern Provincial, correspondant selon lui à une tradition funéraire pastorale dans la région. Ignorant tout ou presque des données archéométriques et anthropologiques des tombes, l’étude passe cependant à côté des éléments caractéristiques de la transition du méroïtique tardif vers le postméroïtique, mis en évidence non loin de là, à elKadada209. La généralisation du terme « méroïtique » pour l’ensemble des tombes tumulaires de cette zone semble donc inappropriée. Saqqai (el-Ahamda Sud) Sur un site de gravière, des fragments de bronze et de céramique décorée affleuraient en surface. Un sondage (8 tombes furent fouillées) permit de prouver qu’il s’agissait d’une nécropole méroïtique tardive210. Kadero Sur ce site, plus connu pour son gisement néolithique, 17 tombes du méroïtique tardif furent découvertes et fouillées211. Les inhumations reposaient dans de simples fosses situées juste en dessous de la surface actuelle, en raison d’une forte érosion du sol. 208. Ali Hakem 1979. 209. Geus, Lenoble 1985. 210. Geus 1984, p. 13. 211. Krzyzaniak 1994.
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Khartoum Repéré par la présence de perles et de tessons en surface, une tombe d’enfant d’époque méroïtique fut fouillée au cœur de Khartoum, non loin du cimetière chrétien moderne212. En plus des parures en pâte émaillée et coquille d’œuf d’autruche, la tombe contenait les restes d’une lance en bois dotée d’une pointe en fer. Toujours à Khartoum, durant la fouille menée par A. J. Arkell à l’est de l’hôpital public de Khartoum, sur une nécropole datant du mésolithique, une douzaine de sépultures méroïtiques furent découvertes213. Gereif Est Sur le site d’une carrière à ciel ouvert, des fragments de bronze et de céramique méroïtique mêlés à des ossements indiquaient la présence d’une nécropole. La zone étant toujours en exploitation, une fouille de sauvetage y fut programmée par la SFDAS et la NCAM. Au terme de deux saisons214, 4 secteurs furent sondés, et 59 inhumations mises au jour (dont 57 appartenaient à la période méroïtique). Les tombes se présentaient soit sous la forme d’une simple fosse verticale, soit sous la forme d’une courte descenderie donnant accès à une cavité transversale. Botri Sur la rive ouest du Nil Bleu, au sud de Khartoum et en face du site chrétien de Soba Est, une tombe méroïtique fut découverte lors d’un creusement effectué dans une maison en marge d’un cimetière musulman215. Le mobilier accompagnant le mort présente toutes les caractéristiques de la période de transition entre le méroïtique et le post-méroïtique. La présence de nombreux autres tessons sur le site prouve que la tombe n’était pas isolée. Djebel Qeili À l’extrême sud du Ouadi el-Hawad, le Djebel Qeili est le point le plus éloigné dans le Boutana ayant conservé des vestiges épigraphiques de la période méroïtique. Sa proéminence ainsi que la présence d’un large bassin naturel (galta) recueillant les eaux de pluie à son sommet216, sont sans doute à l’origine du choix que firent les Méroïtes pour y affirmer leur emprise territoriale sur une frontière désertique invisible. 212. Thabit 1949. 213. Arkell 1949. 214. Geus, Lenoble 1983a ; 1983b ; 1984b. 215. Bachir 2007. 216. Berry, Graham 1973, pl. 63a.
Trois sites d’occupation y ont été relevés217. L’un d’entre eux, situé au nord, a conservé des traces de bâtiments construits en briques cuites. La céramique présente à sa surface le daterait de la période méroïtique. Sans doute associé à la partie méroïtique des décors rupestres peints et gravés sur le djebel, cet habitat jouxte une nécropole tumulaire. Sa datation, par équivalence à celle de la scène représentant le souverain Shorkaror, laisse penser à une occupation du site aux environs du ier siècle de notre ère. D’autres tumuli antiques sont connus dans la région, notamment à Khor Sabaak, se différenciant des tertres modernes par l’absence d’une aspérité orientée vers la Mecque. L’important système de hafirs et de petits habitats qui s’étend dans toute la région dresse le squelette de ce qui pourrait être d’anciennes routes reliant le Boutana et les confins de l’Atbara à la vallée du Nil. L’iconographie triomphale (le souverain foulant au pied ses ennemis) figurée sur le Djebel Qeili nous rappelle cependant que les marges orientales du royaume étaient aussi des zones d’instabilité pour les Méroïtes. El-Masra Sur un kôm situé à quelques centaines de mètres à l’ouest de la route asphaltée allant au Djebel Aulia, des restes humains apparaissant en surface marquent l’emplacement d’un site funéraire. D’après les fouilleurs, le mobilier retrouvé couvrent les périodes allant du néolithique au méroïtique218. El-Diwaihia Au sud du barrage du Djebel Aulia, sur la rive droite du Nil Blanc, un cimetière musulman possède dans son extrémité ouest du mobilier funéraire méroïtique en surface219. El-Dirwa / Sondos Située à 1 km au sud d’el-Dirwa, le site de Sondos pourrait en être la nécropole. Bien que du mobilier néolithique soit présent en surface de ce qui semble être un kôm, la découverte de restes osseux associés à des perles en pâte émaillée et des tessons peints indiquerait aussi la présence d’enterrements méroïtiques220.
217. Crowfoot 1920, p. 89. 218. Eisa 2004. 219. Eisa 2004. 220. Eisa 2004.
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 179
Goz Wad el-Naby Est (Goz Wad Gidaya) Dans cette nécropole, une seule tombe fut examinée et datée de la période méroïtique221. Elle renfermait les restes d’un archer portant son anneau au pouce, accompagné par des perles en pâte émaillée et des pointes de flèches. Goz Nuri Sur ce plateau très exposé à l’érosion, de nombreux squelettes sont apparus à l’air libre, indiquant l’emplacement d’une nécropole222. Une tombe a été fouillée, conservant dans une fosse de forme ovale les restes d’un individu en décubitus latéral, membres fléchis, que les fouilleurs rattachèrent à la période méroïtique. Fiki Mahmoud Située à 3 km au sud du site chrétien de Geteina, sur une terrasse de limon dominant le Nil, cette nécropole est marquée par la présence d’ossements en surface, mélangés à ce qui serait de la céramique méroïtique223. Qoz Nasra Sur la rive ouest du Nil Bleu, au sud de Wad Medani, ce site fit l’objet d’une rapide inspection pendant laquelle une tombe fut fouillée224. Le cimetière semble caractéristique de la période de transition du méroïtique vers le post-méroïtique. Wad el-Magzoub Sur une surface plane surélevée et exploitée par les habitants pour son sable, des restes osseux apparaissent en surface, mêlés à du mobilier funéraire éparse, dont un vase complet et des tessons de céramiques montées avec le tour qui renverraient à la période méroïtique225. Debbat Farah Sur un promontoire recouvert de sable, la surface du site est jonchée de restes osseux et de tessons dont une partie est décrite comme méroïtique226.
221. Eisa 2004. 222. Ali Mohamed 2003. 223. Eisa 1994. 224. Edwards 1991, p. 49. 225. Eisa 2004. 226. Eisa 2004.
Ab-Gou Dans cette nécropole, à la surface de laquelle de nombreux restes osseux affleurent, deux tombes ont été fouillées. L’une avait conservé les restes d’un adulte portant un bracelet de fer, inhumé aux côtés de jarres. L’hypothèse d’une datation autour du méroïtique tardif est avancée par l’auteur227. Amara el-Nasri Quelques tombes sans superstructure ont été retrouvées sur ce site de la rive ouest du Nil Bleu228. Les sépultures qui, selon l’auteur, datent de différentes périodes historiques, compteraient parmi elles des enterrements méroïtiques caractérisés par des fosses nord-sud de forme oblongue. Kawa (Nil Blanc) La découverte dans cette localité d’un scarabée kouchite d’inspiration égyptienne, rappelle une autre pièce de facture similaire, retrouvée dans une tombe méroïtique à Gabati229. La trouvaille coïncide avec la mise au jour de tombes antiques en périphérie du centre-ville, sur le lieu-dit Goz Farah Ouest, et la découverte d’autres tombes anciennes au sud d’un canal d’irrigation du White Nile Sugar Project. Abu Geili Fouillé quelques années après celui de Djebel Moya, le site renferme une vaste butte signalant un habitat, ainsi qu’une nécropole en contrebas230. Le ravinement des niveaux supérieurs par les pluies ayant entrainé un épandage du mobilier et une accumulation de sédiments à la base de la colline, les tombes du cimetière se trouvent en général à 2 m sous la surface actuelle, au lieu d’ 1 m à l’origine. Pour autant, aucune trace de superstructure funéraire n’est conservée. Globalement difficile à dater, la nécropole renferme quelques sépultures qui se rattachent à la tradition funéraire kouchite tardive et post-méroïtique. C’est le cas par exemple de la tombe 400/34, où le défunt repose en position contractée dans une simple fosse. C’est également le cas de la tombe 400/100, dans laquelle la céramique, ainsi que les parures et le fourniment seraient contemporains de la période méroïtique. La publication d’une planche de céramique à pâte fine et peinte confirme ce positionnement
227. Eisa 2004. 228. Eisa 2004. 229. Edwards 1998, fig. 3.1, no 6805. 230. Crawford, Addison 1951.
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chronologique pour une partie du site231. Cet ensemble funéraire, malheureusement mal délimité, trouve son pendant dans l’habitat, où des verreries « romaines » des iie-iiie siècles de notre ère furent mises au jour. Djebel Moya Si les fouilles menées par l’expédition de Sir Henry Wellcome entre 1910 et 1914 – publiées bien plus tard par F. Addison, nous procurent planches photos, typologies céramiques et descriptions des inhumations, elles ne sont que de peu d’utilité en ce qui concerne la chronologie d’occupation et son calage par rapport à la période méroïtique232. D’abord comprise entre 1000 et 400 avant notre ère, en raison de la découverte de parures d’époque napatéenne, la chronologie du site fut revue par F. Addison, pour qui la céramique serait à dater des environs de 400 avant notre ère à 400 de notre ère. Il fallut attendre la publication d’une nouvelle étude complète du matériel et des données de fouille par R. Gerharz pour enfin clarifier une périodisation des inhumations de la zone funéraire, sur la base non pas d’un traitement stratigraphique vertical des tombes, mais sur celle d’un développement horizontal, dans lequel plusieurs époques se croisent avec des sépultures situées les unes en-dessous des autres233. C’est ainsi qu’il fut possible de différencier trois grandes vagues d’enfouissement : vers le ve millénaire avant notre ère, durant les iiie et iie millénaires avant notre ère, et enfin aux environs de 800 jusqu’à 100 avant notre ère Cette troisième phase, contemporaine des royaumes kouchite de Napata et Méroé, présente des inhumations contenant très peu de mobilier, dont des amulettes importées en faïence d’origine napatéenne (œil oudjat, etc.) et des parures en pierres semiprécieuses ou en or234. À partir du ive siècle avant notre ère, le nombre de ces amulettes diminue fortement, tout comme en Nubie, tandis qu’apparaissent des bracelets en métal et des lames en fer appartenant à des armes typiquement kouchites (phase IIIb). Les tombes, en concentration plus forte par rapport aux périodes plus anciennes, sont regroupées dans la zone est de la nécropole, et se présentent sous la forme de simples fosses à plan rectangulaire dans lesquelles on dépose le défunt en position allongée235.
231. Crawford, Addison 1951, pl. 40/A5 232. Addison 1949. 233. Gerharz 1994. 234. Gerharz 1994, phase IIIa. 235. On trouve cette position dans environ 80 % des cas, y compris pour les tombes plus anciennes. Il ne s’agit pas là d’une influence kouchite ou égyptienne, puisque la pratique y est largement antérieure ; un constat renforcé par l’absence de règle quant à l’orientation des inhumations.
Karim’s Garden (Cemetery B) Sur la rive ouest du Nil Bleu, à 4 km au nord de Sennar, le site fut découvert lors de travaux d’agrandissement des terres agricoles. Une tombe isolée (KG 1B), située à l’est du gisement archéologique, fut fouillée236. La différence de son mobilier par rapport au cimetière principal (la nécropole A, post-méroïtique) la rattache à une période antérieure (méroïtique) ; en particulier une série de gobelets montés au tour comparable à ceux trouvés dans les tombes méroïtiques d’el-Kadada, des jarres similaires à celles provenant du Cimetière Ouest de Méroé, et un graffito correspondant à celui trouvé sur un vase de Gereif Est. Sennar (Est) / Makwar Le cimetière méroïtique fut découvert en 1921, après que des travaux sur la voie ferrée eurent commencé237. Selon la publication de F. Addison, qui intervint sur place en 1922, les tombes s’y présentaient sous la forme de cavités peu profondes et étroites, contenant plusieurs inhumations, et creusées en partie dans une couche de limon. Une certaine quantité de briques crues ayant été retrouvées, elles pourraient indiquer la présence de superstructures ou de caveaux construits. Des dalles en grès furent aussi mises au jour, probablement issues des systèmes de fermeture des tombes. Le mobilier, riche en bronzes, est typique de la période méroïtique, avec des parallèles allant jusqu’à Faras, à l’extrême nord du royaume238. El-Dinder Le site se présente sous la forme d’une vaste élévation naturelle couverte de tessons, laissant apparaître quelques ossements dans des ravines creusées par les pluies. Il a fait l’objet d’un sondage au cours duquel ont été dégagés les restes de plusieurs inhumations dont l’une accompagnée de parures (colliers de perles au niveau de la taille et de la tête, bracelet de fer au poignet), le corps reposant en position contractée239. Les tombes furent jugées contemporaines du méroïtique tardif ou de la période postméroïtique. D’autres sites similaires furent examinés dans la région, à Wad Masri, el-Sereifa, Umm Hantour et Umm’Arareib.
236. Edwards 1991. 237. Addison 1935. 238. Dixon 1963. 239. Ahmed, Mohamed Ahmed 2004.
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 181
Begawi Dans l’article publié par J. D. P. Chataway, l’auteur donne une brève description d’une dizaine de sites qu’il a lui-même visité dans la région de Roseires240. Dans l’un, le village de Begawi, il relate la découverte d’ossements associés à une forte densité de mobilier funéraire. Faisant parvenir quelques échantillons à F. Addison, ce dernier y reconnu des caractéristiques méroïtiques, notamment dans les parures en cauris et les perles en cornaline ; des indices qui paraissent cependant bien minces et peu concluants.
240. Chataway 1930.
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Carte 1 – Sites funéraires méroïtiques.
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 183
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Carte 2 – Répartition des édifices pyramidaux dans le royaume de Méroé.
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 185
Carte 3 – Répartition des sites comportant des structures tumulaires méroïtiques ou apparentées.
186 • VINCENT FRANCIGNY
Carte 4 – Potentielles voies de communication à travers la Bayouda.
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 187
Carte 5 – Répartition des tombes à caveaux voûtés.
188 • VINCENT FRANCIGNY
Carte 6 – Répartition des enterrements en position allongée ou fléchie, en fonction de la tendance majoritaire sur chaque site.
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES • 189
Carte 7 – Répartition des enterrements tête à l’ouest ou au sud, en fonction de la tendance majoritaire sur chaque site.
LISTE DES ABRÉVIATIONS
AAALiv AAASH AJA AJSL AltorForsch ANM AnnAIHV ANRW ASAE ASEg BÄBA BAR-IS BCE BCH BIFAO BMFA BMOP BSAE BSAF BSER BSFE BSOS BzS CdE CRAIBL CRIPEL DAWW EtudTrav EESEM FHN GAMAR GöttMisz HAS JARCE JAS JEA JGS JMFA JNES JRS MAGW MittSAG MNL NA OINE PAVN RCK RdE
Annals of Archaeology and Anthropology (Liverpool) Acta Archaeologica Academiae Scientiarum Hungaricae (Budapest) American Journal of Archaeology (New York, Baltimore, Norwood) American Journal of Semitic Languages and Literatures (Chicago) Altorientalische Forschungen (Berlin) Archéologie du Nil Moyen (Lille) Annales de l’Association Internationale pour l’Histoire du Verre Aufstieg und Niedergang der römischen Welt (Berlin) Annales du Service des antiquités d’Égypte (Le Caire) Archaeological Survey of Egypt (Londres) Beiträge zur ägyptischen Bauforschung und Altertumskunde (Wiesbaden) British Archaeological Reports, International Series (Oxford) Bulletin de liaison du groupe international d’étude de la céramique égyptienne (Le Caire) Bulletin de correspondance hellénique (Paris) Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale (Le Caire) Bulletin of the Museum of Fine Arts (Boston) British Museum Occasional Papers (Londres) British School of Archaeology in Egypt (Londres) Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France (Paris) Bulletin de la Société Ernest Renan (Paris) Bulletin de la Société française d’égyptologie (Paris) Bulletin of the School of Oriental and African Studies (Londres) Beiträge zur Sudanforschung (Vienne) Chronique d’Égypte (Bruxelles) Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (Paris) Cahiers de recherches de l’Institut de papyrologie et égyptologie de Lille (Lille) Denkschriften der kaiserlichen Akademie der Wissenschaften in Wien (Vienne) Études et travaux (Varsovie) Egypt Exploration Society Excavations Memoir (Londres) Fontes Historiae Nubiorum, (Bergen) Gdansk Archaeological Museum African Reports (Gdansk) Göttinger Miszellen (Göttingen) Harvard African Studies (Cambridge) Journal of the American Research Center in Egypt (Boston, New York) Journal of Archaeological Science (Londres, New York) Journal of Egyptian Archaeology (Londres) Journal of Glass Studies (New York) Journal of the Museum of Fine Arts (Boston) Journal of Near Eastern Studies (Chicago) Journal of Roman Studies (Londres) Mitteilungen der anthropologischen Gesellschaft (Vienne) Mitteilungen der Sudanarchäologischen Gesellschaft zu Berlin e.V. (Berlin) Meroitic Newsletters (Paris) Nyame Akuma (Alberta) Oriental Institute Nubian Expedition (Chicago) Prospection archéologique de la vallée du Nil au sud de la cataracte de Dal (Paris) The Royal Cemeteries of Kush (Boston) Revue d’Égyptologie (Paris)
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RevLouvre SARSN SASOP SJE SNRec SudNub VarAeg WZHU ZÄS
Revue du Louvre et des musées de France (Paris) The Sudan Archaeological Research Society Newsletter (Londres) Sudan Antiquities Service, Occasioal Papers (Khartoum) Scandinavian Joint Expedition to Sudanese Nubia (Odense) Sudan Notes and Records (Khartoum) Sudan & Nubia (Londres) Varia aegyptiaca (San Antonio) Wissenschaftliche Zeitschrift der Humboldt Universität Zeitschrift für ägyptische Sprache und Altertumskunde (Leipzig, Berlin)
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INDEX
A Abaton – 48, 107 Ab-Gou – 179 Ab-Heregil – 77 Abka – 163 Abou Deleiq – 68 Abou Erteila – 62 Abou Halfa – 66 Abou Hamed – 13, 59, 66, 139 Abou Haraz – 67 Abou Mereikh – 67 Abou Sideir – 67 Abou Simbel – 30, 47, 126, 145, 151, 160 Abou Tulein – 66 Abou Ushar – 66 Abratoye – 56, 93, 126 Abri – 72, 73, 129, 166 Absari – 166 Abudiya – 168 Abu Geili – 104, 179 Abydos – 55 Aelius Aristides – 142 Agatharchide de Cnide – 68, 90, 91, 116 Akad – 80 Akasha – 165 Akhmîm – 39, 48 Aksha – 85, 102, 119, 132, 143, 146-148, 162 Akulakuro – 127 Alexandre le Grand – 11 Alexandrie – 11, 91, 94 Aliab – 68 Alim – 173 Alwa – 69 Amada – 158 Amanakhatashan – 111 Amanap – 56 Amanirenas – 11 Amanishakheto – 89, 127 Amanitaraqide – 33 Amanitenmomide – 111, 138 Amanitore – 12, 17, 89, 93, 166, 172 Amara – 166, 179 Ambikol – 165 Amenemhat – 17 Amenhotep III – 32, 168 Amesemi – 90, 143 Amon – 12, 18, 45, 56, 63, 68, 89, 90, 123, 125 Amon de Napata – 12
Amon de Primis – 123 Amphore – 49, 89, 93, 94, 105, 106, 113, 134, 136, 139, 151 Aniba – 10, 17, 18, 126, 132, 159 Ankh – 47, 51, 99, 123, 135, 173 Anneau d’archer – 63, 66, 126, 128, 129, 179 Anubis – 30, 35-37, 49, 52, 89, 90, 93, 102, 103, 105, 111 Apedemak – 12, 32, 89, 90, 94, 100, 106, 125, 128 Apex – 48, 50, 52 Apulée – 91 Aqedis – 90, 100 Arabie Pétrée – 103 Arakakhataror – 89 Arc – 78, 126, 127, 129 Arduan – 142, 169 Arensnouphis – 12, 45, 90 Argin – 9, 116, 117, 144, 146, 162, 163 Aribet – 56 Arikankharor – 89 Aristocréon – 13 Aritene – 90, 111 Aritene-yesbokhe – 111 Arkamani I – 11 Arminna – 56, 62, 63, 73, 105, 109, 112, 153, 160 Artul – 66 Aryballe – 102, 134, 137 Aryesbokhe – 33 Ashkeit – 121, 162 Askos – 136 Aslang – 67 Aspelta – 11, 88, 107 Assaliya – 172 Assouan – 9, 11, 39, 136 Astarté – 100 Atbara – 13, 66-69 Atiye – 168 Attiri – 165 Auguste – 11 Autel – 48-50, 97, 105, 133, 139 Aviforme – 27, 38, 39, 43, 44 Awalib – 62 Axoum – 69, 103 Ayun – 166 B Ba – 37-48, 52, 100, 121, 142, 144, 160, 163, 176 Baal Hamon – 99 Bahariyya – 105
212 • VINCENT FRANCIGNY
Ballaña – 9, 11, 39, 57, 62, 79, 100, 111, 161 Balsamaires – 102, 134 Basa – 97 Batn el-Haggar – 12, 62, 79 Bâton – 47, 48, 52, 128 Bauda – 67, 177 Bauga – 66 Bayouda – 14, 59, 65, 66, 186 Begawi – 181 Begrawiya – 68, 174 Behedety – 95 Bellone – 91 Berber – 56, 73, 79, 80, 173 Bérénice – 138 Bès – 90, 93, 94, 100, 105, 123, 131 Bière – 88, 91, 106, 107, 112, 134 Biggeh – 48 Bion de Soles – 95 Bir Fiki – 66 Bisharin – 126 Blemmyes – 11, 12, 69, 111, 146 Botri – 178 Boutana – 10, 13, 14, 38, 56, 59, 61, 62, 66-68, 128, 148, 175 Box Grave – 61 Brachycéphalie – 39 Buhen – 163 Burma – 107 C Cache-sexe – 121, 122, 142 Cambyse – 105, 116 Candace – 11, 12, 91, 150, 173 Cauri – 123, 181 Cercueil – 99, 101, 103, 113, 116-120, 132, 144, 151, 152 Chadouf – 18 Chapelle – 12, 15, 18, 19, 21, 27, 28, 30, 32-37, 40, 43-45, 48, 50-52, 63, 87-89, 95-97, 101, 103-105, 108-110, 112, 124, 126, 127, 154, 158, 161, 166, 173 Charon – 93 Choachytes – 108 Choiak – 89, 93 Cômaste – 48 Coptos – 138 Cornelius Petronius – 11, 13 Corniche – 29, 33, 35 Coton – 120, 121 Couronne – 45, 48, 52, 94, 100, 132 Crocodile – 51, 97, 121, 123 Cuir – 120-123, 126, 127, 128, 151 D Dahasira – 170 Dakka – 106 Dal – 9, 12, 13, 164-166
Daluka – 90 Dambo – 167 Dangeil – 67, 73, 80, 81, 104, 172 Darfour – 128, 146 Daru – 68 Dawki Dawi – 166 Debbat Farah – 179 Debeira – 17 Deir el-Medineh – 17 Déméter – 93 Dendera – 98 Derr – 9, 98 Descenderie – 19, 22, 34, 48, 68, 71, 73, 75, 77, 79-81, 85, 105, 110-113, 138, 139, 150, 151, 153, 154, 157171, 173-175, 177, 178 Dinka – 129 Dioclétien – 11 Diodore de Sicile – 11, 68, 90, 91, 107, 116, 141 Dionysos – 93, 94, 98, 99, 106, 107, 138 Disque ailé – 35, 95 Disque solaire – 18, 30, 35, 39, 45, 47, 52, 54, 85, 95, 96 Djebel Abou Sheifa – 60 Djebel Adda – 10, 22, 27, 28, 34, 55, 56, 63, 78, 79, 93, 121, 126, 128, 150, 160, 161 Djebel Ardab – 113, 173 Djebel Aulia – 178 Djebel Barkal – 9-15, 23, 32, 34, 50, 62, 63, 65, 87, 88, 93, 97, 100, 105, 109, 170-172 Djebel Dayiqa – 68 Djebel el-Amera – 113 Djebel el-Ghaddar – 73, 170 Djebel el-Sadda – 68 Djebel Geheid – 68 Djebel Gorgod – 13 Djebel Kereiba – 59, 68 Djebel Khereik – 68 Djebel Makbor – 58, 60, 62, 147, 174 Djebel Matruka – 68 Djebel Moya – 148, 179, 180 Djebel Naga – 176 Djebel Nakharu – 66 Djebel Qeili – 127, 178 Djebel Sabaloka – 177 Djebel Sheikh Suleiman – 126 Djebel Umm Marrahi – 67 Dodécaschène – 11, 47, 56, 106 Dome Grave – 60 Dorginarti – 73 Douenanwy – 107 Doukki Gel – 13, 14, 108, 169 Doum – 119 Doura – 118, 132 Duanib – 93 Duweishat – 165
INDEX • 213
E Ébène – 129 Edfou – 95, 138 El-Ahamda Sud – 177 El-Bisharya – 145 El-Dinder – 180 El-Dirwa – 178 El-Diwaihia – 178 El-Diwan Ouest – 159 Éléphantine – 11, 13, 48, 116, 136 El-Firaikha – 104 El-Gezireh – 158 El-Ghaba – 175 El-Hasaya – 171 El-Hassa – 57, 63, 78, 133, 145 El-Hatra – 68 El-Higliega – 145 El-Hobagi – 11, 57, 92-94 El-Kabbashi – 104 El-Kadada – 10, 39, 60-62, 68, 72, 73, 103, 104, 111, 112, 126, 135, 138, 174, 175, 177, 180 El-Kudrab – 170 el-Kurru – 9, 13 El-Kurru – 15-17, 19, 30, 38, 45, 59, 71, 79, 87, 90, 101, 103, 110, 128, 148 El-Kurru – 43 El-Masra – 178 El-Meragh – 66, 67 El-Mereikh – 145, 171 El-Mouweis – 57, 145, 175 El-Shebabeet – 171 El-Ushara – 57, 177 El-Zuma – 11, 170 El-Zuweira – 67 Emir Abdallah – 42, 74, 114, 119, 121, 135, 145, 146, 154, 161, 166, 167 Encens – 63, 80, 89, 99, 102, 109, 110, 133, 138, 139 Enduit – 19, 24, 26, 27, 28, 37, 79, 81, 118, 150, 176 Ératosthène – 69 Ergaménès – 11 Éthiopie – 90, 141, 144 Ezana – 69 F Fad – 169 Faras – 13, 21, 48, 50, 54, 56, 73, 74, 78, 79, 85, 96, 105, 112, 116, 121, 124, 126, 132, 137, 139, 161-163, 164, 180 Fayoum – 45, 105, 121 Ficus – 119 Fiki Mahmoud – 179 Fineware – 65, 104, 136-138, 172, 174 Firka – 57 Flèche – 126-129, 143, 179 Fura – 66
G Gaaba – 166 Gabama – 145 Gabati – 60, 73, 138, 151, 153, 173, 179 Gala Abou Hamed – 66 Galène – 130 Galous – 169 Gamaa – 168 Ganetti – 65, 66 Gash – 13 Geb – 93 Geili – 62, 104, 145, 146, 177, 179 Gemai – 73, 78, 128, 133, 162-165 Gematon – 105 Gennefab – 172 Gereif – 73, 172, 178, 180 Gerein Basa – 68 Gerf el-Humar – 153, 171 Geteina – 179 Gezira – 14, 148, 157, 162, 163 Gilif – 66 Goz Nuri – 179 Goz Wad el-Naby – 179 Graffiti – 18, 27, 34, 37, 56, 85, 91, 93, 107, 111, 126, 137, 169, 173, 180 Grenouille – 51, 95, 96, 97 Groupe C – 32, 60, 111, 130, 143, 145 Groupe X – 62, 63 Guirlande – 45, 47, 48, 52, 97 H Hafir – 13, 14, 68, 97, 108, 176, 178 Hagar el-Asal – 68 Hagar el-Beida – 172 Hagar Saile – 145 Hamadab – 57, 79 Hambukol – 170 Hamdab – 65 Hâpy – 90 Harpocrate – 90, 131 Harsiyotef – 105, 110, 127 Hatchepsout – 127 Hathor – 35, 90, 131 Hécate – 91 Heh – 99 Hellénisme – 9, 91, 135, 156 Henou – 89 Heqet – 97 Héraclès – 91 Herculanum – 141 Herizab – 67 Hérodote – 105, 116, 127, 128, 145 Hiera Sykaminos – 11, 12 Hillat Hasab Allah – 174 Hillat Kali – 174 Horus – 89, 90, 94, 97, 107, 123
214 • VINCENT FRANCIGNY
Hosh el-Kab – 67 Hosh el-Sheitan – 67 Hosh Wad ben Naga – 175 Houy – 85 Hypogée – 15, 19, 22, 23, 61, 63, 71, 73, 77-79, 112, 141, 150, 151, 153, 158-162, 166, 171, 173, 175
Kordofan – 65, 69, 128, 146 Korosko – 158 Kossi – 166 Kujra – 172 Kulb – 165
J Jakdul – 66 Junon – 91 Jupe – 35, 45, 121
L Laine – 120 Lait – 48, 51, 56, 91, 103, 105, 107, 108 Laurier – 45 Lécythe – 102, 136 Libation – 32, 35, 36, 38, 43, 48-52, 56, 89, 91, 93, 99, 103-110, 112, 121, 136, 138, 139, 156, 160 Linceul – 103, 120, 121, 151 Linteau – 28, 33-37, 55, 56, 85, 95, 168, 170 Lit – 13, 23, 65, 89, 90, 103, 113-115, 119, 120, 148, 162, 174 Livre des morts – 38, 88, 89 Longarim – 128 Lotus – 30, 31, 44, 48, 51, 97, 99, 100, 123, 163 Lunule – 124
K Ka – 38, 93 Kadero – 177 Kadruka – 111, 170 Kalabcha – 11, 62 Kali – 67 Karanog – 15, 21, 35, 37-39, 42, 46-48, 50, 56, 78, 93, 97, 100, 108, 112, 121, 126, 128, 132, 133, 137, 145, 150, 159 Karim’s Garden – 180 Karni – 67 Kashta – 15 Kasou – 69 Kassinger Bahri – 145 Kawa – 10, 12, 13, 18, 21, 62, 69, 105, 119, 123, 145, 170, 179 Kedurma – 169 Keraba – 10, 14, 19, 56, 60, 65, 79, 80, 113, 128, 145, 148, 174 Kerma – 10, 16, 30, 34, 60, 65, 111, 113, 116, 118, 132, 142, 144, 146, 148, 150, 153, 164, 167, 169-171 Khaliout – 88 Kharamadoye – 11 Khartoum – 59, 65, 66, 68, 77, 133, 177, 178 Khôl – 63, 130 Khonsou – 90, 100, 108 Khor el-Radam – 177 Khor el-Shakil – 171 Khor Ouadi Haggag – 158 Khor Sabaak – 178 Khor Shaduf Owshi – 105 Khor Zarqan – 159 Kir – 172 Kôm – 61, 175, 177, 178
M Maât – 49 Madasemete – 56 Maharraqa – 11, 157 Malki – 158 Maloton – 39, 45 Mandoulis – 11, 105 Maréotis – 48 Marisa – 107 Marra – 66 Masmas – 9 Mastaba – 15-17, 21, 22, 30, 47, 160, 161, 165 Matuga – 163 Medik – 157 Megabaroi – 69 Meinarti – 105, 163 Melik el-Nasr – 165 Ménade – 48 Meret – 49, 89 Méroé Nord – 11, 17, 19, 20, 23, 29, 38, 104, 106, 111, 174 Méroé Ouest – 11, 26, 38, 50, 61, 74, 94, 104, 105, 109111, 116, 128, 133, 138, 147, 173, 174, 180 Méroé Sud – 10, 17, 23, 147, 173, 174 Mer Rouge – 14, 60, 68, 69, 123, 133, 138 Metemma – 66 Min – 90 Minnawiya – 172 Mirgissa – 73, 150, 163 Mis – 79, 171 Missiminia – 117, 144, 146, 147, 151, 166, 167 Mograt – 65, 67, 172 Momification – 101, 144 Montou – 90
I Ibis – 95, 97 Idd el-Addad – 68 Ikhmindi – 105 Irike-Amannote – 19, 69 Irki Saab – 167 Isis – 12, 35, 48, 49, 52, 55, 87-91, 93, 131 Isis lactans – 123 Isnabir – 68
INDEX • 215
Murshid – 164 Musawwarat es-Sufra – 19, 32, 37, 62, 99, 107, 126, 137, 175 Mutmir – 68 Myos-Hormos – 138 Myrte – 45, 132 N Naga – 12, 32, 38, 58, 59, 89, 99, 128, 175, 176 Naga el-Battikha – 158 Naga el-Oqba – 73, 157 Nag el-Arab – 142, 146, 162 Nag el-Shima – 73, 157 Nag Gamus – 9, 21, 54, 56, 159 Napata – 10-13, 15, 17-19, 22, 23, 28, 30, 32, 34, 35, 38, 48, 52, 60, 61, 66, 69, 71-73, 78-80, 88-91, 101, 105, 107, 113, 116, 118-120, 123, 128, 138, 143, 147, 148, 150, 155, 165, 168, 170, 171, 173, 180 Nasb el-Sami – 68 Nastasen – 11, 127 Natakamani – 12, 89, 93, 111, 172 Nelluah – 9, 163 Nephtys – 35, 49, 89, 90, 105 Niche – 22, 28-30, 161, 168, 171 Nil Blanc – 10, 13, 14, 128, 178, 179 Nil Bleu – 10, 13, 14, 67-69, 77, 128, 178-180 Nlote – 56 Noba – 69, 175, 177 Nobades – 11, 12, 69, 146 Nofalab – 67 Noubai – 69 Nout – 49, 93 Nuri – 9-11, 13, 17, 19, 20, 23, 30, 32, 35, 38, 71, 87, 101, 110, 168 O Obélisque – 30 Ocre – 27, 45, 48, 79, 142 Oiseau-ba – 27, 39, 43 Omdurman – 66, 67, 177 Osiris – 12, 48, 55, 74, 87-94, 96, 97, 98-103, 105-108, 116, 117, 121, 123, 132, 138, 142, 147, 148, 155 Ouadi Abou Dom – 65, 66 Ouadi Awatib – 176 Ouadi Dosheim – 59 Ouadi el-Arab – 105 Ouadi el-Melik – 66 Ouadi es-Seboua – 9, 85, 113, 128, 157 Ouadi Halfa – 146 Ouadi Muqaddam – 66 Ouag – 93 Oudjat – 123, 180 P Pagne – 45, 121, 142, 151 Pain – 49, 56, 88, 105
Palestrina – 141 Palmier – 51, 54, 89, 99, 113, 119, 127, 132, 139 Pan – 91 Pasan – 91 Pèlerin – 13, 37, 44, 56, 60, 91, 93, 139 Pergame – 136 Pesto – 14, 35, 39, 45, 50, 55, 56, 123, 159 Philae – 11, 13, 14, 51, 55, 56, 91, 93, 105 Philostrate – 142 Piankhy – 15, 88, 101, 110 Pline l’Ancien – 13, 107, 141, 142 Plutarque – 91 Pnoubs – 12 Pount – 127 Pqr – 12 Primis – 11, 123 Procope – 11 Prophylactique – 37, 123, 125, 136, 138 Proscynème – 37, 91 Psammétique II – 10 Pschent – 93 Psychostasie – 89 Ptensenes – 48 Ptolémée II – 11 Pylône – 19, 32, 34, 40, 89 Pyramide – 10, 11, 15-30, 32-34, 40, 43, 44, 48, 57-59, 61-63, 71, 78, 81, 87, 89, 97, 109, 148, 153, 157-163, 166-171, 173 Pyramidion – 18, 22, 30, 31, 40, 43, 44, 161, 163 Q Qalhata – 87 Qasr Ibrim – 11, 13, 14, 21, 29, 48, 55, 56, 106, 123, 153, 159 Qertassi – 47 Qore – 12, 56 Qoz Burra – 67 Qoz Kefeita – 68 Qoz Nasra – 179 Qubba – 15, 21, 22 Qustul – 9, 11, 39, 57, 62, 79, 99, 111, 113, 132, 142, 161 Quweib – 66 R Ramsès II – 98, 160 Rebala – 127 Rê-Horakhty – 95 Repose-tête – 113, 114 Robe – 45 Rome – 11 Roseires – 181 Rufaa – 68 S Sa – 114, 115, 125, 131 Sahaba – 163
216 • VINCENT FRANCIGNY
Saï – 10, 13, 17, 24, 28, 34, 49, 50, 53, 83, 84, 85, 102, 112-115, 120-125, 130-132, 134, 138, 151-153, 167, 168 Samallut – 47 Samos – 11 Sanam – 17, 73, 101, 106, 110, 143, 147, 171 Sandale – 45, 46, 52, 122 Saqqai – 177 Saras – 164 Sarcophage – 39, 45, 47, 95, 116-119, 121 Sarkamatto – 166 Satyre – 48, 93, 94, 124 Sayala – 73, 105, 144, 150 Scarification – 100, 143, 144 Sebioumeker – 12, 90 Sedeinga – 10, 13, 21, 23-29, 31, 35-37, 39-46, 50, 52, 56, 63, 64, 75-82, 84, 92-100, 104, 106, 107, 110, 113-115, 117-119, 124-127, 130, 131, 133-138, 142, 144, 146, 149, 150, 153, 154, 165, 168 Sekhmet – 90 Semna – 62, 164 Senesra – 159 Senkamanisken – 88, 107 Sennar – 102, 104, 133, 180 Septime Sévère – 144 Sérapis – 90, 92, 93 Serdab – 40 Serra – 30, 162 Seth – 91 SFDAS – 9, 42, 74, 166, 168, 174, 178 Shabaqa – 110 Shabataqa – 110 Shablul – 15, 21, 38, 48, 52, 56, 158 Shaheinab – 129 Shaqalu – 68 Shaq el-Ahmar – 68 Shaturma – 158 Shaukan – 78, 160 Shendi – 59, 68, 174 Shenou – 95 Shirgondinarti – 163 Shorkaror – 127, 178 Shou – 90, 100 Silène – 94 Silko – 11 Sistre – 47 Situle – 35, 50, 89, 104, 107, 108 Sleqene – 56 Soba – 19, 129, 136, 178 Sokar – 89 Soleb – 17, 126, 146, 168 Sondos – 178 Soniyat – 39 Sonki – 165 Sorgho – 14, 47, 52, 99, 132, 144 Stèle – 15, 18, 22, 30, 32, 37, 47, 52-56, 69, 87, 88, 101,
109, 110, 121, 126, 127, 139, 142, 143, 157, 158, 163, 171 Strabon – 13, 69, 91, 105-107, 111, 116, 127 Sudd – 68 Sururab – 57, 177 Sycomore – 119 Syène – 11, 105 T Table d’offrandes – 32-35, 37, 48-52, 56, 85, 89, 93, 95, 97, 103-105, 108, 139, 157, 160, 163, 173 Tabo – 21, 45, 148, 170 Taharqa – 13, 17-19, 23, 30, 105, 168, 170 Takkaze – 69 Tamanyat – 177 Tami – 93 Tamit – 160 Tangur – 165 Tanouétamani – 71, 87, 88 Tanqasi – 11, 57 Tarekenidal – 127 Tasemerese – 50 tatouage – 143 Tedeqene – 50, 105, 109 Tefnout – 90, 100 Teh-Khet – 17 Temenos – 19, 23, 32, 34, 162 Tene – 56 Teqorideamani – 91, 93, 138 Térénouthis – 22, 48 Thèbes – 15, 108 Thot – 35, 90, 95 Thoueris – 90 Thoutmosis III – 17, 85 Thucydide – 144 Tiklat – 106 Tila – 165 Tiyi – 113, 168 Tomas – 105, 159 Tombos – 18, 21, 101, 119, 147, 148 Tore – 19, 28, 35 Toshka – 160 Triacontaschène – 11 Troglodytes – 68 Tumulus – 57-69, 71, 128, 148, 153, 164, 166, 170-172, 174, 176-178 Tunqala – 105 Turqab – 171 Twete – 56 U Ukma – 165 Umm Khafour – 66 Umm Mohar – 68 Umm Ruweim – 66 Umm Usuda – 68
INDEX • 217
Unesco – 9, 15, 160 Uræi – 35, 54, 135 Urdi – 67 Us – 172 Usli – 170 V Vache – 35, 51, 52, 108, 110 Vice-roi – 14, 55, 56, 85, 159 Vigne – 37, 94, 98, 105, 107, 109 Vin – 37, 88, 89, 91, 93, 94, 105-108 Voûte – 34, 78, 79, 101, 161, 170 W Wad Abou Hadida – 68 Wad ben Naga – 14, 74, 175 Wad el-Magzoub – 179 Wad Medani – 179 Wayekiye – 56 X Xasa – 69 Xerxès – 127 Y Yesebokhe-Amani – 14 Z Zeidab – 68 Zeus – 91, 93
TABLE DES MATIÈRES Remerciements
7
LES ROYAUMES DE MÉROÉ les sources le contexte politique et historique Conquêtes et territoires Nature divine et expression du pouvoir royal la rÉgionalisation du royauMe La Basse Nubie La Moyenne Nubie La Haute Nubie Le Soudan central Le Sud
9 10 10 12 12 12 13 13 13 14
LA PYRAMIDE ET SA CHAPELLE la pyraMide : un syMBole de royautÉ Une origine allochtone L’architecture pyramidale en Nubie Le modèle égyptien de Basse et Moyenne Nubie Le prototype kouchite l’adoption de la pyraMide dans la sphère privÉe D’une pyramide dite « mastaba » Conventions et construction Arpentage Dépôts de fondation Matériaux Architecture Traitement de surface Les pièces architecturales rapportées La niche Le pyramidion la chapelle FunÉraire Architecture Le seuil et les montants de porte Le linteau Le mobilier lapidaire La statue-ba La table d’offrandes La stèle Les inscriptions funéraires Structure des formules Géographie des fonctions
15 15 17 17 18 19 21 22 22 23 23 24 27 28 28 30 30 32 34 35 37 38 48 52 54 54 56
LE TUMULUS la superstructure tuMulaire en nuBie Des matériaux bruts Une architecture hétéroclite Protéger les corps, enterrer les morts Regroupements et corporations
57 59 60 61 61
gÉographie tuMulaire Une sépulture transitionnelle au nord du royaume ? L’occupation marginale de la 4e cataracte La Bayouda Les pistes de Méroé à Napata Des rives méconnues Le Boutana et le Soudan central L’île de Méroé Vers la mer Rouge et les Troglodytes Noba, Kasou et le mythe de l’envahisseur ?
62 62 65 65 66 66 67 67 68 69
LES SUBSTRUCTURES l’inFrastructure FunÉraire les caveaux Les cavités naturelles réutilisées Les tombes creusées dans les murs Les caveaux creusés dans le sol Les hypogées construits les aMÉnageMents annexes La descenderie Les chambres à offrandes Les systèmes de fermeture
71 73 73 73 74 78 79 79 81 81
LE RITUEL FUNÉRAIRE la religion FunÉraire Le nouvel Osiris : l’enterrement royal Isisme « populaire » : adoption d’un rite régalien Dionysos-Osiris Le culte solaire Langage iconographique d’une renaissance Le règne animal Le règne végétal Les cycles astraux la liturgie La préparation du mort La libation Consécration des offrandes Identification du liquide L’encensement Les sacrifices L’animal L’humain Le banquet funéraire Les supports funéraires Les enveloppes corporelles Le cercueil Le linceul et les vêtements Le mobilier funéraire Les parures Les armes Les accessoires Les végétaux La vaisselle La fermeture de la tombe
87 87 90 93 95 96 96 97 99 101 101 103 103 105 109 110 110 111 112 113 116 116 120 122 123 125 129 132 132 138
LE CORPS ET L’INDIVIDU anthropologie FunÉraire La représentation des Méroïtes Les décorations corporelles Paléopathologies Paléodémographie La position du corps L’orientation du corps l’individu La répartition des tombes et des individus L’enterrement des immatures La tombe collective et les ensembles funéraires collectifs
141 141 142 144 145 147 148 148 149 150 151
CONCLUSION
155
ANNEXE – RÉPERTOIRE GÉOGRAPHIQUE DES SITES FUNÉRAIRES MÉROÏTIQUES
157
LISTE DES ABRÉVIATIONS BIBLIOGRAPHIE INDEX TABLE DES MATIÈRES TABLE DES ILLUSTRATIONS TABLE DES CARTES
191 193 211 219 223 226
TABLE DES ILLUSTRATIONS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43
El-Kurru. Reconstitution des structures funéraires. [D’après Kendall 1999, p. 101, fig. 4] Méroé Nord. Pyramide d’Amanitore. [© V. Francigny] Aniba. Tombe pyramidale. [D’après Steindorff 1937, Bl. 45] Méroé Nord. Pyramides royales. [D’après Hinkel 1986, p. 102] Nuri. Pyramides royales. [© V. Francigny] Nag Gamus. Reconstitution fictive d’un mastaba méroïtique et de sa chapelle. [D’après Almagro et al. 1964, p. 79, fig. 61] Sedeinga. Jarre déposée dans l’angle d’une pyramide méroïtique. [© V. Francigny] Sedeinga. Fosse d’extraction de terre sableuse (à droite) et fosse de mélange (à gauche) pour la fabrication de briques et ciments dans la nécropole. [© V. Francigny] Sedeinga. Pyramide comportant un croisillon interne au centre duquel un cercle se dessine. [© V. Francigny] Sedeinga. Pyramide à l’intérieur de laquelle subsiste un sol de ciment. [© V. Francigny] Méroé Ouest. Restes d’enduit sur le flanc d’une pyramide. [© A. de Voogt] Île de Saï. Traces de peinture rouge à la surface d’une brique de pyramide. [© V. Francigny] Qasr Ibrim. Niche monolithe à corniche. [D’après Mills 1982, pl. 90/3] Méroé Nord. Niche de la pyramide Beg. N. 19. [© V. Francigny] Sedeinga. Niche monolithe cintrée. [© V. Francigny] Sedeinga. Pyramidion. [© V. Francigny] Sedeinga. Pyramidion fragmentaire avec détail gravé de fleur de lotus. [© V. Francigny] Sedeinga. Pyramidion fragmentaire avec détail du lien maintenant ensemble les pétales. [© V. Francigny] Reconstitution et plan d’une pyramide et de sa chapelle. [© V. Francigny] Méroé. Pyramide Beg. N.16 avec sa chapelle intérieure. [© V. Francigny] Kerma. Graffito méroïtique représentant le plan d’une pyramide. [D’après Bonnet, 1980b, fig. 29] Sedeinga. Seuil inscrit de chapelle funéraire. [© SEDAU] Sedeinga. Montant droit de porte de chapelle montrant Anubis en train d’exécuter une libation. [© SEDAU] Sedeinga. Montant droit de porte de chapelle montrant Anubis en position d’adoration solaire. [© V. Francigny] Sedeinga. Linteau de chapelle portant une inscription funéraire. [© SEDAU] Sedeinga. Graffito représentant un chien, incisé sur un linteau de chapelle. [© V. Francigny] Karanog. Statue-ba du pesto Maloton. [© Musée d’Assouan] Sedeinga. Logement pour la fixation de la tête sur une statue-ba. [© V. Francigny] Sedeinga. Face et profil de deux têtes de statues-ba ayant été réalisées dans le même atelier. [© V. Francigny] Emir Abdallah. Tête funéraire avec tenon. [© SFDAS] Karanog. Statue-ba posée sur glissière. [D’après Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 2] Sedeinga. Glissière à butoir pour statue-ba. [© V. Francigny] Sedeinga. Statue-ba avec tenon. [© V. Francigny] Sedeinga. Logement de fixation sous le tenon d’une statue-ba. [© V. Francigny] Sedeinga. Disque solaire en bois se fichant sur la tête d’une statue-ba. [© V. Francigny] Sedeinga. Tête de statue-ba dotée d’un serre-tête. [© SEDAU] Karanog. Tête de statue-ba dotée d’un serre-tête. [© SEDAU] Sedeinga. Base de statue-ba avec sandales. [© V. Francigny] Île de Saï. Table d’offrandes en grès. [© V. Francigny] Sedeinga. Table d’offrandes fragmentaire en terre cuite. [© V. Francigny] Méroé. Table d’offrandes en grès. [D’après Garstang 1911, pl. 55/4] Sedeinga. Représentation peinte d’une table d’offrandes. [© V. Francigny] Île de Saï. Stèle funéraire inscrite au nom de Maliqebase. [© V. Francigny]
16 17 18 20 20 21 24 25 25 26 26 28 29 29 29 31 31 31 32 33 34 35 36 36 36 37 39 40 41 42 42 42 43 44 45 46 46 46 49 50 51 52 53
44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84
Faras. Stèle funéraire peinte. [D’après Griffith 1924, pl. 65/4] Nag Gamus. Stèle funéraire inscrite, avec décor en bas-relief. [D’après Almagro 1965, pl. 16] Naga. Cimetière tumulaire en marge de la ville. [© V. Francigny] Djebel Makbor. Tumuli construits avec des blocs de grès. [D’après Lenoble 1987b, fig. 2a] El-Kadada. Coupe d’un tumulus. [D’après Lenoble 1987a, pl. 9] Sedeinga. Superstructure tumulaire en briques crues. [© V. Francigny] El-Meragh. Zone tumulaire proche de l’habitat. [© T. Kendall] El-Kurru. Chambre sépulcrale de la tombe de Tanouétamani. [© V. Francigny] Abri. Tombe napatéenne à cavité axiale. [D’après Vila 1982b, 109, fig. 5] El-Kadada. Tombe à cavité transversale. [D’après Geus 1979, fig. 5c] Wad ben Naga. Sépulture tardive installée dans un mur du palais. [© SFDAS] Sedeinga. Tombe d’enfant à fosse et cavité latérale. [© V. Francigny] Sedeinga. Tombe collective à descenderie et cavité axiale. [© V. Francigny] Sedeinga. Façade et porte d’entrée vers les appartements funéraires. [© V. Francigny] Sedeinga. Antichambre disposant de quatre piliers taillés dans la masse. [© V. Francigny] Sedeinga. Tombe à caveau voûté construit en briques crues. [© V. Francigny] Karanog. Dessin d’une voûte en berceau. [D’après Woolley, Randall-MacIver 1910, p. 18] Sedeinga. Deux vues d’une descenderie de tombe napatéenne. [© V. Francigny] Sedeinga. Système de fermeture en brique avec appareil en boutisse. [© V. Francigny] Sedeinga. Système de fermeture en brique pour cavité latérale. [© V. Francigny] Île de Saï. Système de fermeture en brique. [© V. Francigny] Île de Saï. Vue de l’intérieur d’une tombe ayant conservé deux blocs en grès du système de fermeture original, remplacé plus tard par des dalles en schistes dont l’une est visible en arrière-plan. [© V. Francigny] Sedeinga. Système de fermeture utilisant des dalles en schiste. [© V. Francigny] Île de Saï. Système de fermeture remployant un bloc d’architecture égyptien. [© V. Francigny] Djebel Barkal. Décor de chapelle funéraire. [D’après Lepsius 1849-1859, Abth. 5, Bl. 20] Sedeinga. Fragment de figurine d’Osiris en bronze. [© SEDAU] Sedeinga. Empreinte d’une bague sceau représentant un buste de Sarapis. [© SEDAU] El-Hobagi. Scène dionysiaque gravée sur une coupe en bronze. [D’après Lenoble 2004, p. 332, fig. 1] Sedeinga. Amulette du dieu Bès. [© V. Francigny] Méroé. Représentation de la barque solaire dans la chapelle de Beg. N. 7 [D’après Chapman, Dunham 1952, pl. 5b] Sedeinga. Gobelet peint représentant des babouins (Thot) adorant l’astre solaire. [© SEDAU, dessin R. David] Sedeinga. Détail du décor peint sur une flûte en verre représentant un kouchite portant un disque solaire sur la tête. [© SEDAU] Faras. Détail d’une grenouille peinte sur un gobelet. [D’après Griffith 1924, pl. 50/13] Sedeinga. Tesson de céramique figurant un bouton et une fleur de lotus. [© SEDAU, dessin R. David] Sedeinga. Pampres de vignes peints sur des bouteilles à long col. [© SEDAU, dessin R. David] Sedeinga. Amulette en faïence représentant le croissant lunaire surmonté d’une croix ankh. [© V. Francigny] Karanog. Décor peint sur une jarre montrant des visages portant un croissant lunaire au niveau du front. [D’après Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 49] Sedeinga. Bouteille à long col au décor peint d’un plumage ponctué d’étoiles. [© SEDAU, dessin R. David] Île de Saï. Lécythe. [© V. Francigny] El-Kadada. Trois petites bouteilles noires à libation. [D’après Lenoble 1996a, p. 161, pl. 3] Sedeinga. Bouteilles et jarres, dont l’une est coiffée d’un gobelet fineware et une autre d’une coupelle en bronze. [© V. Francigny]
54 54 58 58 60 64 67 71 72 72 74 75 75 76 77 78 78 80 82 82 83 83 84 84 88 92 92 92 94 95 95 96 96 97 98 99 100 100 102 103 104
85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124
Sedeinga. Amphore vinaire de type Dressel 2-4. [© SEDAU, dessin R. David] 106 Musawwarat es-Sufra. Graffito représentant deux Méroïtes buvant dans une jarre à l’aide d’une paille. [D’après Hintze 1979, p. 141, fig. 16] 107 Sedeinga. Jarre à bière. [© SEDAU, dessin R. David] 107 Karanog. Scène de traite gravée sur un bol en bronze. [D’après Woolley, Randall-MacIver 1910, pl. 27] 108 Méroé Ouest. Stèle de Tedeqene. [D’après Dunham 1963, p. 80, fig. 60c] 109 Sedeinga. Encensoir brisé rituellement. [© V. Francigny] 110 Faras. Scène figurant un prisonnier sur le point d’être sacrifié. [D’après Griffith 1924, pl. 33] 112 Sedeinga. Banquette funéraire en pierre réutilisant un bloc décoré datant du Nouvel Empire. [© V. Francigny] 114 Île de Saï. Repose-tête en bois. [© V. Francigny] 114 Sedeinga. Pieds de lits en bois sculptés en forme de signe Sa. [© V. Francigny] 115 Île de Saï. Trous (à gauche) et tranchées (à droite) destinées à accueillir les pieds d’un lit funéraire. [© V. Francigny] 115 Argin. Cercueil anthropomorphe en terre cuite. [D’après Nur 1956, pl. 13] 117 Sedeinga. Cercueil anthropomorphe en bois. [© V. Francigny] 117 Sedeinga. L’ostéologue J.-C. Mandard sur le point d’ouvrir un cercueil d’enfant en bois. [© V. Francigny] 118 Sedeinga. Fragment de cercueil avec tissu peint collé sur le bois. [© V. Francigny] 119 Île de Saï. Pièce tissée se terminant par un travail en ajouré et des franges. [© V. Francigny] 120 Île de Saï. Fragments d’un linceul peint sur lequel un dieu à tête de crocodile tient dans sa main un vase à libation. [© V. Francigny] 121 Île de Saï. Cache-sexe en cuir. [© E. Yvanez] 122 Île de Saï. Sandale en cuir. [© V. Francigny] 122 Île de Saï. Collier de perle. [© V. Francigny] 124 Sedeinga. Enterrement d’enfant portant des colliers autour du cou et des anneaux en bronzes aux chevilles. [© V. Francigny] 125 Sedeinga. Bouton d’oreille en forme de rosette. [© V. Francigny] 125 Île de Saï. Bague cachet portant un décor en creux de double signe Sa. [© V. Francigny] 125 Sedeinga. Fragments d’un bouclier en cuir offrant des traces de polychromie. [© V. Francigny] 127 Abri. Pointe de flèche inscrite. [© V. Francigny] 129 Île de Saï. Pince et spatule en fer. [© V. Francigny] 130 Sedeinga. Étui à khôl en ivoire. [© V. Francigny] 130 Île de Saï. Incrustation en ivoire représentant le dieu Bès. [© V. Francigny] 131 Île de Saï. Boîte circulaire en bois avec couvercle. [© V. Francigny] 131 Sedeinga. Dés en ivoire. [© V. Francigny] 131 Sedeinga. Coupelle en bronze décorée au poinçon. [© V. Francigny] 133 Île de Saï. Aryballe en verre. [© V. Francigny] 134 Sedeinga. Gobelet peint d’une frise d’uræi alternant avec des croix ankh. [© SEDAU, dessin R. David] 135 Sedeinga. Bol peint d’une frise alternant pintades et motifs végétaux. [© SEDAU, dessin R. David] 136 Sedeinga. Bouteille en terre cuite en forme de calebasse. [© SEDAU, dessin R. David] 137 Aksha. Tatouages sur l’abdomen. [D’après Vila 1967, p. 373, pl. 15] 143 Djebel Makbor. Inhumation méroïtique en position contractée. [D’après Lenoble 1987b, 233, fig. 11] 147 Sedeinga. Plan schématique de la fouille du Secteur II en 2012. [© V. Francigny] 149 Île de Saï. Système de fermeture tardif construit au-dessus du niveau de sol d’origine de la tombe. [© V. Francigny] 152 Île de Saï. Séquence stratigraphique dans une tombe. De bas en haut : le sol de la cavité, une inhumation secondaire (partie supérieure en place), et une inhumation tardive (très perturbée) avec des restes de cercueil en bois. [© V. Francigny] 152
TABLE DES CARTES Carte 1
Sites funéraires méroïtiques
182
Carte 2
Répartition des édifices pyramidaux dans le royaume de Méroé
184
Carte 3
Répartition des sites comportant des structures tumulaires méroïtiques ou apparentées
185
Carte 4
Potentielles voies de communication à travers la Bayouda
186
Carte 5
Répartition des tombes à caveaux voûtés
187
Carte 6
Répartition des enterrements en position allongée ou fléchie, en fonction de la tendance majoritaire sur chaque site
188
Carte 7
Répartition des enterrements tête à l’ouest ou au sud, en fonction de la tendance majoritaire sur chaque site
189
Dans la même collection Volume 1 | 2007 Job, ses précurseurs et ses épigones, par Maria Gorea. Volume 2 | 2008 D’Ougarit à Jérusalem. Recueil d’études épigraphiques et archéologiques offert à Pierre Bordreuil, édité par Carole Roche. Volume 3 | 2008 L’Arabie à la veille de l’Islam. Bilan clinique (Actes de la table ronde tenue au Collège de France, Paris, 28-29 août 2006), édité par Jérémie Schiettecatte en collaboration avec Christian Julien Robin. Volume 4 | 2009 Sabaean Studies. Archaeological, epigraphical and historical studies, edited by Amida M. Sholan, Sabina Antonini, Mounir Arbach. Volume 5 | 2009 Les échanges à longue distance en Mésopotamie au Ier millénaire. Une approche économique, par Laetitia Graslin-Thomé. Volume 6 | 2011 D’Aden à Zafar, villes d’Arabie du sud préislamique, par Jérémie Schiettecatte. Volume 7 | 2012 Dieux et déesses d’Arabie : images et représentations (Actes de la table ronde tenue au Collège de France, Paris, 1er-2 octobre 2007), édité par Isabelle Sachet en collaboration avec Christian Julien Robin. Volume 8 | 2012 Alessandro de Maigret, Saba’, Ma’în et Qatabân. Contributions à l’archéologie et à l’histoire de l’Arabie ancienne, choix d’articles scientifiques préparé par Sabina Antonini et Christian Julien Robin. Volume 9 | 2012 Scribes et érudits dans l’orbite de Babylone (travaux réalisés dans le cadre de l’ANR Mespériph 2007-2011), édité par Carole Roche-Hawley et Robert Hawley. Volume 10 | 2012 South Arabian Art. Art History in Pre-Islamic Yemen, par Sabina Antonini de Maigret. Volume 11 | 2012 L’Orient à la veille de l’Islam. Ruptures et continuités dans les civilisations du Proche-Orient, de l’Afrique orientale, de l’Arabie et de l’Inde à la veille de l’Islam (Actes de la table ronde tenue au Collège de France, Paris, 17-18 novembre 2008), édité par Jérémie Schiettecatte en collaboration avec Christian Julien Robin. Volume 12 | 2013 Entre Carthage et l’Arabie heureuse. Mélanges offerts à François Bron, édité par Françoise Briquel Chatonnet, Catherine Fauveaud et Iwona Gajda. Volume 13 | 2013 Bijoux carthaginois III. Les colliers. L’apport de trois décennies (1979-2009), par Brigitte Quillard. Volume 14 | 2013 Regards croisés d’Orient et d’Occident. Les barrages dans l’Antiquité tardive (Actes du colloque tenu à Paris, Fondation Simone et Cino del Duca, 7-8 janvier 2011, et organisé dans le cadre du programme ANR EauMaghreb), édité par François Baratte, Christian Julien Robin et Elsa Rocca.
Volume 15 | 2014 Paradeisos. Genèse et métamorphose de la notion de paradis dans l’Antiquité (Actes du colloque international), sous la direction d’Éric Morvillez. Volume 16 | 2015 Devins et lettrés dans l’orbite de Babylone, sous la direction de Carole Roche-Hawley et Robert Hawley. Volume 17 | 2015 Les Jafnides. Des rois arabes au service de Byzance (vie siècle de l’ère chrétienne) (Actes du colloque de Paris, 24-25 novembre 2008), sous la direction de Denis Genequand et Christian Julien Robin. Volume 18 | 2015 Figures de Moïse, sous la direction de Denise Aigle et Françoise Briquel Chatonnet. Volume 19 | 2016 Le coran de Gwalior. Polysémie d’un manuscrit à peintures, sous la direction de Éloïse Brac de la Perrière et Monique Burési Volume 20 | 2016 Gli scavi italo-francesi di Tamnaʿ (RepuBblica dello Yemen). Rapporto finale A cura di Alessandro de Maigret e Christian Julien Robin Volume 21 | 2016 Architecture et décor dans l’Orient chrétien (ive-viiie siècle). Actes de la journée d’étude en hommage au Père Michele Piccirillo (INHA, Paris, 8 décembre 2011) publiés par François Baratte et Vincent Michel
ORIENT
MÉDITERRANÉE
22
E
n Nubie, l’archéologie funéraire décrit depuis près d’un siècle l’histoire des peuples qui vécurent le long du Nil Moyen. À défaut de fouilles urbaines extensives, hormis dans les capitales et les villes royales, les morts font donc parler les vivants. Malgré les pillages et les remplois, les tombes nous renseignent par milliers sur les évolutions qui marquèrent une région longtemps prise entre deux mondes : Égypte et empires méditerranéens au nord, continent africain et terres inconnues au sud. Dans le royaume de Méroé, ultime descendant d’un pouvoir centralisé qui vit le jour dans la région de Kerma durant l’âge du bronze, les inhumations livrent les indices d’une société complexe et hautement hiérarchisée, soumise à de multiples influences. Si les corps nous renseignent sur les conditions sanitaires et l’environnement, les coutumes d’enterrement témoignent de croyances souvent héritées de la culture pharaonique que cultivent la famille royale et les élites. Les objets qui accompagnent le mort restituent la gestuelle des derniers rites, tandis que leur dépôt permet aux archéologues d’esquisser les cartes des réseaux commerciaux, apportant souvent la preuve tangible de contacts réguliers entre régions ou avec l’étranger. Appuyée par une riche documentation archéologique, cette étude dresse un portrait détaillé des croyances dans un royaume marqué par la longévité et les évolutions.
I
n Nubia, funerary archaeology has been a major source of information for the past century regarding the history of populations that lived in the Middle Nile valley. With only a few settlements investigated, apart from capitals and royal cities, the dead speak for the living. Despite looting and multiple reuses, thousands of graves offer valuable data for a region that grew between two worlds: Egypt and Mediterranean empires to the north, African continent and unknown territories to the south. In the Kingdom of Meroe, the last descendant of a central power born during the Bronze Age in the region of Kerma, burials provide evidences of a complex society, highly hierarchical and influenced by multiple cultures. We understand from corpses the life and the environment of individuals, while from funerary customs we find that local beliefs were often connected to Pharaonic society. Artifacts accompanying a body attest to the last rituals for the dead and help archaeologists understand commercial exchanges within the kingdom and abroad. Supported by a rich and original archaeological documentation, this study gives a detailed overview of religious practices in a kingdom marked by eight centuries of evolution.
ISBN 978-2-7018-0520-7
LES COUTUMES FUNÉRAIRES DANS LE ROYAUME DE MÉROÉ
UMR 8167, Orient et Méditerranée – Textes, Archéologie, Histoire CNRS, Université Paris-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École pratique des hautes études, Collège de France
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LES COUTUMES FUNÉRAIRES DANS LE ROYAUME DE MÉROÉ les enterrements privés Vincent Francigny
Éditions de Boccard