Les baptistes du Codex manichéen de Cologne sont-ils des elkasaïtes ? 9782503589244, 2503589243


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Chapitre I. INTRODUCTION
Chapitre II. LE BAPTISME
Chapitre III. LE MANICHÉISME
Chapitre IV. ÉTUDE LITTÉRAIRE ET HISTORIQUE DES DIVERSES NOTICES RELATIVES AUX « BAPTISTES » DANS LA VITA MANI : CMC 79, 13-107, 23
Chapitre V. L’ELKASAÏSME ET LE MANICHÉISME
Chapitre VI. LE MANDÉISME ET L’ELKASAÏSME
Chapitre VII. CONCLUSION
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Les baptistes du Codex manichéen de Cologne sont-ils des elkasaïtes ?
 9782503589244, 2503589243

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LES BAPTISTES DU CODEX MANICHÉEN DE COLOGNE SONT-ILS DES ELKASAÏTES ?

Judaïsme ancien et origines du christianisme Collection dirigée par Simon Claude Mimouni (EPHE, Paris) Équipe éditoriale: José Costa (Université de Paris-III) David Hamidović (Université de Lausanne) Pierluigi Piovanelli (Université d’Ottawa)

LES BAPTISTES DU CODEX MANICHÉEN DE COLOGNE SONT-ILS DES ELKASAÏTES ? Simon Claude Mimouni

Préface de Paul-Hubert Poirier, Membre de l’Institut

F 2020

© 2020, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-58924-4 E-ISBN 978-2-503-58925-1 DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.119980 ISSN 2565-8492 E-ISSN 2565-960X Printed in the EU on acid-free paper. D/2020/0095/188

TABLE DES M ATIÈRES Préface de Paul-Hubert Poirier, Membre de l’Institut . . . . . 15 Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Chapitre I. I ntroduction . . . . . . . . . . . . . . . 25   I.1. Le judaïsme chrétien : bref état des questions et des recherches 27     I. Historiographie et terminologie . . . . . . . . . . 28      A.  Historiographie . . . . . . . . . . . . . . . 28      B.  Terminologie . . . . . . . . . . . . . . . . 34     II. Définition et Documentation . . . . . . . . . . . 37      A.  Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . 37      B.  Documentation . . . . . . . . . . . . . . . 40     III. Quelques ouvertures . . . . . . . . . . . . . . 43   I.2. Le monde iranien du i er au iv e siècle : des Parthes arsacides aux Perses sassanides . . . . . . . . . . . . . . 49   I. Éléments d’histoire politique et culturelle . . . . . . 50     A.  Esquisse géographique . . . . . . . . . . . . . 51      B. Esquisse historique : les Parthes arsacides . . . . . . 52 La formation de l ’empire parthe arsacide . . . . . . 53      C. Esquisse historique : les Perses sassanides . . . . . . 55 La formation de l ’empire perse sassanide . . . . . 56 La politique religieuse du grand mage Kartir ou Kirdir 57      D. Les guerres entre l’empire romain et l’empire iranien . 58 1. Les conflits romano-parthes . . . . . . . . . 59 2. Les conflits romano-perses . . . . . . . . . . 64 3. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . . 64     II. Le mazdéisme ou zoroastrisme . . . . . . . . . . 65 A. Zoroastre : mythe ou réalité ? . . . . . . . . . . 67 B. La littérature religieuse mazdéenne . . . . . . . . 69 C. Le mazdéisme à l’époque des Parthes arsacides . . . 72 D. Le mazdéisme à l’époque des Perses sassanides . . . 75 E. Le culte et le rituel mazdéens . . . . . . . . . . 78 F. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . . . 82   I.3. Conclusion Chapitre II.  Le baptisme . . . . . . . . . . . . . . . 85   II.1. Éléments généraux . . . . . . . . . . . . . . . . 87 I. La terminologie . . . . . . . . . . . . . . . . 87 A. Dans l’hébreu . . . . . . . . . . . . . . . 87

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B. Dans le grec . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 C. Dans le latin . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 D. Dans le syriaque . . . . . . . . . . . . . . . 92 E. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 II. Le symbolisme . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 A. Le symbolisme des eaux . . . . . . . . . . . . 94 1. Symbolisme de l’eau de la vie . . . . . . . . . 95 2. Symbolisme de l’immersion . . . . . . . . . . 95 B. Le symbolisme des eaux vives dans le judaïsme et dans le christianisme . . . . . . . . . . . . . . 96 1. Utilisation rituelle de la symbolique de l’eau vive . . 96 2. Utilisation doctrinale du symbole de l’eau vive . . . 97 3. Utilisation littéraire du symbole de l’eau vive . . . 97 C. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . . . 98 III. Histoire de la recherche . . . . . . . . . . . . . 98   II.2. Les rites d’eau dans le judaïsme en Palestine et en Diaspora 100 I. Les rites d’eau dans le judaïsme en général . . . . . . 101 A. Les données littéraires . . . . . . . . . . . . 101 1. Les rites dans les textes canoniques . . . . . . 101 2. Les rites dans les textes apocryphes . . . . . . 104 3. Chez Philon d’Alexandrie et Flavius Josèphe . . 104 B. Les données non littéraires . . . . . . . . . . 107 II. Les rites d’eau dans le mouvement pharisien ou rabbinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 III. Les rites d’eau dans le mouvement essénien ou qumrânien 111   II.3. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 Chapitre III.  Le manichéisme . . . . . . . . . . . . . . 117   III.1. Mani : sa vie, ses œuvres et ses successeurs . . . . . . 121 I. Sa vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 II. Ses œuvres . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 III. Ses successeurs . . . . . . . . . . . . . . . 127   III.2. La question de la documentation . . . . . . . . . 129 I. La documentation directe . . . . . . . . . . . . 130 A. Les documents découverts en Asie centrale . . . . 130 B. Le document découvert en Algérie . . . . . . . 131 C. Les documents découverts en Égypte . . . . . . 132 D. Les documents découverts en Sérinde . . . . . . 134 E. Citations des textes manichéens conservées dans la littérature musulmane . . . . . . . . . . . 135 F. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . . . 135 II. La documentation indirecte . . . . . . . . . . 136 A. Les sources grecques . . . . . . . . . . . . 136 B. Les sources latines . . . . . . . . . . . . . 137

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C. Les sources syriaques . . . . . . . . . . . 138 D. Les sources arméniennes . . . . . . . . . . . 139 E.  Les sources islamiques . . . . . . . . . . . 139 F. Les sources mazdéennes . . . . . . . . . . 140 G. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . 140 III. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . . 140   III.3. La question de l’écriture et de l’iconographie . . . . . 141   III.4. La question de la doctrine et de la liturgie . . . . . . 142   III.5. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 Chapitre IV. Étude littéraire et historique des diverses notices relatives aux « baptistes » dans la Vita M ani : CMC 79,  13-107,  23 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149   IV.1. Introduction : présentation générale de la Vita Mani du CMC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 I. Éléments d’approche textuelle . . . . . . . . . . 150 II. Éléments d’approche littéraire . . . . . . . . . . 156 III. Éléments d’approche historique . . . . . . . . . 159 A. Intérêt pour la connaissance de Mani . . . . . 160 B. Intérêt pour la connaissance de l’elkasaïsme . . . 161 C. Intérêt pour la connaissance du judaïsme et du christianisme . . . . . . . . . . . . . 162 V. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . . . . 164   IV.2. Préliminaire : la vision de la mer aux eaux noires (CMC 77, 4-79, 12) . . . . . . . . . . . . . . . . . 165   IV.3. Traduction de CMC 79, 13-107, 23 . . . . . . . . . 173 (p. 79, 13) Baraïes, le maître I. Conflit de Mani avec la doctrine des baptistes (79, 1480, 5) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174 II. Réaction des baptistes contre Mani (80, 6-80, 17) . . 174 III. Réfutation du sens du baptême et de la pureté par Mani (80, 18-84, 8) . . . . . . . . . . . . 174 IV. Mani oppose la pureté de la Lumière à la pureté des Ténèbres (84, 9-85, 12) . . . . . . . . . . . 175 V. Réactions des baptistes au discours de Mani (85, 13-88, 14) 176 VI. Réunion d’un synode par Sitaios et les Anciens pour juger Mani (88, 15-89, 8) . . . . . . . . . . 177 VII. Convocation de Pattikios devant le synode (89, 9-90, 6) 177 VIII. Convocation de Mani devant le synode (90, 7-91, 18) 177 IX. Début du discours de défense de Mani transmis sous l’autorité de Baraïes (91, 19-93, 23) . . . . . . . 178 (p. 94, 1) Za[chéas] X. Suite du discours de défense de Mani transmis sous l’autorité de Zachéas (94, 2-99, 9) . . . . . . . 178

 

 

 

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(p. 99, 10) Timothée XI. Fin du discours de défense de Mani transmis sous l’autorité de Timothée (99, 11-100, 1) . . . . . . 180 XII. Réaction violente des baptistes contre Mani (100, 1101, 10) . . . . . . . . . . . . . . . . 180 XIII. Apparition du Jumeau céleste et explications de Mani (101, 11-104, 10) . . . . . . . . . . . 181 XIV. Réponse du Jumeau aux explications de Mani (104, 10-105, 8) . . . . . . . . . . . . . 182 XV. Envoi en mission de Mani par le Jumeau et abandon de la communauté baptiste (105, 9-107, 23) . . . 182   IV.4. Annotation de CMC 79, 13-107, 23 . . . . . . . . 183 Baraïes, le maître (79, 13-93, 23) Résumé des extraits de Baraïes, de Abiesou-Innaios et de Timothée (CMC 72, 8-79, 12)   I. Conflit de Mani avec la doctrine des baptistes (79, 1480, 5) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189   II. Réaction des baptistes contre Mani (80, 6-80, 17) . . 193  III. Réfutation du sens du baptême et de la pureté par Mani (80, 18-84, 8) . . . . . . . . . . . . 196  IV. Mani oppose la pureté de la Lumière à la pureté des Ténèbres (84, 9-85, 12) . . . . . . . . . . . 203  V. Réactions des baptistes au discours de Mani (85, 1388, 14) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212 A. CMC 85, 13-86, 1 . . . . . . . . . . . . . 213 B. CMC 86, 1-88, 1 . . . . . . . . . . . . . . 216 C. CMC 88, 1-88, 14 : . . . . . . . . . . . . . 224 D. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . . 224  VI. Réunion d’un synode par Sitaios et les Anciens pour juger Mani (88, 15-89, 8) . . . . . . . . . . 225  VII. Convocation de Pattikios devant le synode (89, 9-90, 6) 227  VIII. Convocation de Mani devant le synode (90, 7-91, 18) 230  IX. Début du discours de défense de Mani transmis sous l’autorité de Baraïes (91, 19-93, 23) . . . . . . . 232 Zachéas (94, 1-99, 9)  X. Suite du discours de défense de Mani transmis sous l’autorité de Zachéas (94, 2-99, 9) . . . . . . . 236 Timothée (CMC 99, 10-107, 23)  XI. Fin du discours de défense de Mani transmis sous l’autorité de Timothée (99, 11-100, 1) . . . . . . 253  XII. Réaction violente des baptistes contre Mani (100, 1101, 10) . . . . . . . . . . . . . . . . 254

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 XIII. Apparition du Jumeau céleste et explications de Mani (101, 11-104, 10) . . . . . . . . . . . 255  XIV. Réponse du Jumeau aux explications de Mani (104, 10-105, 8) . . . . . . . . . . . . . 261  XV. Envoi en mission de Mani par le Jumeau et abandon de la communauté baptiste (105, 9-107, 23) . . . 262   IV.5. Complément . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264 I. Résumé de l’extrait de Timothée . . . . . . . . . 264 II. Résumé de l’extrait de Koustaïos . . . . . . . . . 265   IV.6. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266 Chapitre V. L’elkasaïsme et le manichéisme . . . . . . . . 269   V.1. L’elkasaïsme . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269  I. État des questions . . . . . . . . . . . . . . . 269  II. État des sources . . . . . . . . . . . . . . . . 273 A. Les témoignages chrétiens . . . . . . . . . . . 274 B. Les témoignages manichéens . . . . . . . . . . 275 C. Les témoignages islamiques . . . . . . . . . . 275 D. Les témoignages mazdéens . . . . . . . . . . 276  III. Le problème de l’origine du mouvement elkasaïte . . . 276 A. Le fondateur du mouvement . . . . . . . . . 277 B. La genèse du mouvement . . . . . . . . . . . 279  IV. Le problème de l’histoire du mouvement elkasaïte . . . 282 A. La localisation géographique du mouvement . . . . 283 B. La littérature du mouvement . . . . . . . . . 284 C. Les pratiques et les croyances du mouvement . . . 285 1. Les pratiques . . . . . . . . . . . . . . 285 2. Les croyances . . . . . . . . . . . . . . 286  V. Présentation d’un écrit elkasaïte : l’Apocalypse d’Elkasaï ou Révélation d’Elkasaï . . . . . . . . . . . . 288 A. Les problèmes relatifs au titre . . . . . . . . . 289 B. Les problèmes relatifs au contenu . . . . . . . . 289 C. Les problèmes relatifs à son auteur . . . . . . . 290 D. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . . 290  VI. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . 293 V.2. Rapport entre l’elkasaïsme et le manichéisme . . . . . . 295 Chapitre VI.  Le mandéisme et l’elkasaïsme . . . . . . . . . 303   VI.1. Le mandéisme . . . . . . . . . . . . . . . . . 303 I. Terminologie . . . . . . . . . . . . . . . . . 304 II. Historiographie . . . . . . . . . . . . . . . 304 III. Documentation . . . . . . . . . . . . . . . 306  A. Documentation des mandéens . . . . . . . . 306 1. Ginza-Sidra Rabba (ou Trésor-Grand Livre) . . 307

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2.  Drashia d-Jahja-Drashia d-Malke (ou Livre de Jean-Livre des rois) . . . . . . . . . . . 308 3.  Qolasta-Sidra d-nishmata (ou Quintessence-Livre des âmes) . . . . . . . . . . . . . . 308 4. Divers . . . . . . . . . . . . . . . . 308  B. Documentation sur les mandéens . . . . . . . 309 1. La documentation chrétienne . . . . . . . . 309 2. La documentation musulmane . . . . . . . 310 IV. Origines du mandéisme . . . . . . . . . . . . 310 A. Les arguments de la thèse de l’origine ancienne et de la provenance occidentale . . . . . . . . 311 B. Les arguments de la thèse de l’origine récente et de la provenance orientale . . . . . . . . . . 313 C. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . 314 V. Histoire du mandéisme . . . . . . . . . . . . 315 A. Les persécutions religieuses . . . . . . . . . 315 B. De la dissimulation à l’assimilation . . . . . . . 317 C. Les origines du christianisme et le mandéisme . . . 318 D. Les origines du mandéisme et le judaïsme . . . . 320 VI. Doctrines mandéennes . . . . . . . . . . . . 320 VII. Rituels mandéens . . . . . . . . . . . . . . 323 A. Baptême des vivants ou masbuta . . . . . . . 324 B. Le baptême des mourants ou masiqta . . . . . 324 C. Quelques compléments . . . . . . . . . . . 325 1. L’onction d’huile . . . . . . . . . . . . 325 2. Le lavage et le séchage des pieds . . . . . . 325 VIII. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . 326   VI.2. Rapport entre l’elkasaïsme et le mandéisme . . . . . 327 I. État de la question . . . . . . . . . . . . . . 328 II. Les arguments favorables au rapprochement . . . . . 332 III. Les arguments défavorables au rapprochement . . . 333 IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . 334 Chapitre VII. Conclusion : Les baptistes de la Vita M ani sontils des elkasaïtes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 337   VII.1. La position des critiques . . . . . . . . . . . . 337 I. Les partisans . . . . . . . . . . . . . . . . 337 II. Les opposants . . . . . . . . . . . . . . . 337 III. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . . . 338   VII.2. Les baptistes dans la tradition manichéenne . . . . . 338  I. Livre I, Kephalaion  VI (p. 30, 12-34, 12) . . . . . 339  II. Livre I, Kephalaion  XII (p. 44, 20-45, 15) . . . . . 339  III. Livre I, Kephalaion LXXXIX (p. 221, 18-223, 16) . 340  IV. Livre II, Kephalaion CCCXLII (p. 424, 9-10) . . . 341

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 V.  Homélie  IV . . . . . . . . . . . . . . . . 341  VI. M 1344 et M 5910 . . . . . . . . . . . . . 341  VII. M 4575 . . . . . . . . . . . . . . . . . 342  VIII. Le cas de M 28 I . . . . . . . . . . . . . 343  IX. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . . . 343   VII.3. Les baptistes de la Vita Mani sont des elkasaïtes . . . . 344   VII.4. Excursus : l’elkasaïsme dans le Fihrist d’Ibn an-Nadim . 344   I. Passage 1 (p. 328, 1.5 de l’édition Flügel) . . . . . 346 II. Passage 2 (p. 340, 1.25 à p. 341, 1.3 de l’édition Flügel) 347 III. Passage 3 (p. 341 de l’édition Flügel) . . . . . . 349 IV. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . . . 350 Chapitre VIII. E xcursus : Les origines ethnico-religieuses de M ani et de sa famille : de la tradition à l’histoire . . . . . 351   VIII.1. Le nom de Mani . . . . . . . . . . . . . . . 352   VIII.2. Date et lieu de naissance de Mani . . . . . . . . . 353 I. La question de la date . . . . . . . . . . . . 354 II. La question du lieu . . . . . . . . . . . . . 354   VIII.3. Les origines de Mani avant la découverte du CMC . . 355   VIII.4. Les origines de Mani avec la découverte du CMC . . 357   VIII.5. Récapitulatif . . . . . . . . . . . . . . . . . 359   VIII.6. Proposition . . . . . . . . . . . . . . . . . 360   VIII.7. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . 365 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367   I. Éditions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367   II. Études . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369 I ndex . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377   I. Des textes et auteurs anciens . . . . . . . . . . . . . 377 A. Littérature manichéenne . . . . . . . . . . . . . 377 B. Littérature mandéenne . . . . . . . . . . . . . . 381 C. Littérature biblique . . . . . . . . . . . . . . . 382 Ancien Testament . . . . . . . . . . . . . . . . 382 Nouveau Testament . . . . . . . . . . . . . . . 383 D. Littérature apocryphe . . . . . . . . . . . . . . 384 E. Littérature patristique . . . . . . . . . . . . . . 385 F. Littérature canonico-liturgique . . . . . . . . . . . 387 G. Littérature qumrânienne . . . . . . . . . . . . . 387 H. Littérature rabbinique . . . . . . . . . . . . . . 387 Mishnah (M) . . . . . . . . . . . . . . . . . 387 Tosephta (T) . . . . . . . . . . . . . . . . . 387 Talmud de Jérusalem (TJ) . . . . . . . . . . . . 388 Talmud de Babylone (TB) . . . . . . . . . . . . 388 I. Littérature mazdéenne . . . . . . . . . . . . . . 388 J. Littérature judéo-grecque . . . . . . . . . . . . . 388

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TABLE DES MATIÈRES

K. Littérature gréco-romaine . . . . . . . . . . . . . 388 L. Littérature juridique . . . . . . . . . . . . . . . 389 M. Littérature islamique . . . . . . . . . . . . . . 389 N. Sources épigraphiques . . . . . . . . . . . . . . 390 O. Sources papyrologiques . . . . . . . . . . . . . 390   II. Des auteurs modernes . . . . . . . . . . . . . . . 390

P RÉFACE DE PAUL-HUBERT POIRIER, M EMBRE DE L’I NSTITUT Il y a peu de domaines de l’histoire des religions de l’antiquité à avoir été autant transformés, au cours du xx e siècle, par un apport massif de sources inédites que le manichéisme. Alors que la connaissance de l’« espérance » de Mani, pour reprendre le terme par lequel lui-même désignait son innovation religieuse, dépendait presque uniquement, depuis la disparition de son fondateur, des réfutations et des comptes rendus biaisés qu’en avaient donnés historiographes, hérésiologues et controversistes, d’un coup, à partir du début du siècle dernier, les spécialistes eurent à leur disposition une quantité considérable de documents nouveaux, en provenance de Chine (Tourfan, Dunhuang, 1904), de l’Afrique romaine (Tébessa, 1918) ou de l’Égypte (Fayoum, 1929 ; Kellis, à partir des années 1990). C’est ainsi qu’on eut désormais accès, au rythme de leur publication qui n’est d’ailleurs toujours pas achevée, à des textes en chinois, iranien, ouïghour, copte ou latin. Le domaine grec ne fut pas en reste. En 1970, les papyrologues Albert Henrichs et Ludwig Koenen révélaient l’existence, dans la Papyrus-Sammlung de l’Université de Cologne, d’un manuscrit de parchemin absolument exceptionnel, un codex miniature mesurant 3,8 × 4,5 cm et totalisant 192 pages, pour 22 à 23 lignes à la page. Ce manuscrit, une biographie hagiographique de Mani, intitulée περὶ τῆς γέννης τοῦ σώματος αὐτοῦ, « Au sujet de la naissance de son corps », allait, à la suite de son édition et de sa traduction allemande par Albert Henrichs et Ludwig Koenen (1975-1982), ouvrir un nouveau chapitre dans les recherches sur le manichéisme, en particulier pour ce qui concerne la jeunesse et les années de formation de Mani. Le Codex manichaicus coloniensis (ou CMC), comme on a pris l’habitude de le désigner, a fait l’objet, depuis la première analyse qu’en ont donné les deux savants allemands dès 1970, d’un grand nombre de publications. Des traductions ont paru, en allemand, anglais, danois, italien, néerlandais et espagnol. Il n’en existe malheureusement aucune traduction intégrale en français, même si on peut en lire plusieurs extraits dans cette langue, notamment dans les nombreux articles que Michel Tardieu a consacrés au CMC ou dans le Mani et la tradition manichéenne (1974 et 2005) de François Decret. L’ouvrage de Simon Claude Mimouni intitulé Les Baptistes du Codex manichéen de Cologne sont-ils des elkasaïtes ? ne constitue pas, il s’en faut, la traduction française attendue du CMC, mais il s’agit de la première monographie en langue française – et de l’une des rares en d’autres langues

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– à être consacrée à cet important témoin direct de l’histoire de Mani telle que transmise et interprétée par ses disciples et premiers propagandistes. Dans cet ouvrage, Simon Claude Mimouni étudie un épisode déterminant de l’enfance et de la jeunesse de Mani, qui nous était déjà connu par le bibliographe arabo-musulman du x e siècle de notre ère, Ibn an-Nadim, à savoir son séjour, en compagnie de son père, dans une communauté de baptistes mésopotamiens, les mughtasila. Le CMC confirme l’information donnée par Ibn an-Nadim et documente d’une manière relativement précise le séjour de Mani dans cette communauté, fondée par un certain Elkasaï (Ἀλχασαῖος dans le CMC). Le manuscrit de Cologne consacre à la controverse entre Mani et ses coreligionnaires, « l’élément historiquement le plus sûr et le plus neuf apporté par le CMC » (Michel Tardieu), presque une trentaine de pages (79, 13-107, 23), précédées par la description d’une vision dite « de la mer aux eaux noires » (77, 4-79, 12), qui anticipe de manière allégorique la sortie de Mani de la communauté des baptistes et la naissance de l’Église manichéenne. Le long passage du CMC qui rapporte le conflit de Mani avec les baptistes et les discussions qu’il engage avec eux, leur réaction à ses arguments, sa mise en accusation, sa défense, son expulsion et finalement son envoi en mission par son « jumeau » céleste, fait l’objet, dans cet ouvrage, d’un commentaire historique et doctrinal détaillé dont le but est non seulement d’en dégager la portée pour l’histoire du manichéisme mais aussi pour celle de l’elkasaïsme et des rapports que l’un et l’autre ont pu entretenir. Plus précisément, au terme de l’analyse de cette section du CMC, Simon Claude Mimouni revient à la question dont il a fait le sous-titre de son livre : « (Les Baptistes du Codex manichéen de Cologne) sont-ils des elkasaïtes ? » Sur la base de ce nouvel examen des pièces du dossier elkasaïte, en combinant les informations tirées du CMC et de la notice d’Ibn an-Nadim, il estime avec raison pouvoir y apporter une réponse positive. Dans un passage célèbre des Kephalaia coptes de Berlin (151), Mani déclare : « Celui qui a élu son Église en Occident, son Église n’a pas atteint l’Orient. Celui qui a élu son Église en Orient, son élection n’est pas arrivée en Occident, de sorte qu’il y en a certains parmi eux dont le nom n’a pas été révélé dans d’autres villes. Mais mon espérance à moi, il est prévu qu’elle aille en Occident et qu’elle parvienne aussi en Orient […]. Mon Église à moi, il est prévu qu’elle aille dans toutes les villes et que sa bonne nouvelle atteigne tout pays ». Cette déclaration fait écho à celle que le « très glorieux », le double et le protecteur céleste de Mani, lui adresse et que rapporte le CMC : « Ce n’est pas seulement à cette religion que tu fus envoyé, mais à tout peuple, école, ville ou lieu, car par toi, cette espérance sera illustrée et proclamée dans toutes les régions et contrées du monde » (104, 11-23). C’est dire que l’étude du manichéisme ne peut se faire en vase clos et qu’elle doit être contextualisée. Cela vaut

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au premier chef pour la thématique qu’aborde Simon Claude Mimouni dans cet ouvrage. L’identification des baptistes du CMC exigeait en effet de considérer dans son ensemble l’univers religieux dans lequel Mani et le manichéisme se situent et en fonction duquel les rapports de Mani avec les baptistes doivent être décrits et compris. Cela justifie pleinement la perspective que Simon Claude Mimouni a adoptée pour son enquête. Ce témoin capital de l’histoire du manichéisme qu’est le CMC est loin d’avoir livré tous ses secrets et il mobilisera encore longtemps la curiosité et l’énergie des chercheurs. Mais on peut d’ores et déjà être reconnaissant à Simon Claude Mimouni d’avoir levé le voile sur un aspect crucial de l’évolution religieuse de Mani et du manichéisme que seul le CMC permet de documenter.

AVANT-PROPOS 1 En tête de tous ceux qui ont rendu ce livre possible, il y a un nom. C’est même celui de la personne à qui l’ouvrage aurait dû être dédié. Ce nom est celui de Paul-Hubert Poirier, un ami de longue date. Il va sans dire que cette personne n’est nullement responsable des vues exprimées dans ce livre et je le remercie chaleureusement de l’aide qu’il m’a apportée.

Cette recherche est issue d’un séminaire donné à la Section des sciences religieuses de l’École pratique des Hautes études en 1993-1994, à l’invitation de Jean-Daniel Dubois, sur la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne (CMC) 2 . Elle utilise aussi certains éléments de plusieurs autres séminaires donnés dans cette même institution en 1992-1993 sur les elkasaïtes 3, en 1998-1999 et en 1999-2000 sur les baptistes 4 . Elle reprend 1. De manière systématique, dans cette recherche, on utilise de préférence le terme « Judéen » plutôt que le terme « juif ». Pour l’époque envisagée, le premier, qui vient de l’hébreu, de l’araméen, du grec et du latin, paraît plus conforme que le second : il présente notamment l’avantage de ne pas être anachronique. 2. Voir S.C.  M imouni, « Origines du christianisme » (Résumé des conférences intitulées : « Les judéo-chrétiens elkasaïtes dans la tradition manichéenne » et « Les elkasaïtes dans la Vita Mani du CMC »), dans École pratique des Hautes études. Section des sciences religieuses, Annuaire. Résumés des conférences et travaux, CII, 19931994, Paris, 1995, p. 255-258 et p. 269-272 (= S.C.  M imouni, Origines du christianisme. Recherche et enseignement à la Section des sciences religieuses de l ’École pratique des Hautes études, 1991-2017, Préface de Paul-Hubert Poirier, membre de l’Institut, Turnhout, 2018, p. 32-38). 3. Voir S.C.  M imouni, « Origines du christianisme » (Résumé des conférences intitulées : « Le judéo-christianisme elkasaïte »), dans École pratique des Hautes études. Section des sciences religieuses, Annuaire. Résumés des conférences et travaux, CI, 1992-1993, Paris, 1994, p. 267-270 (= S.C. M imouni, Origines du christianisme. Recherche et enseignement à la Section des sciences religieuses de l ’École pratique des Hautes études, 1991-2017, Préface de Paul-Hubert Poirier, membre de l’Institut, Turnhout, 2018, p. 28-31). 4. Voir S.C.  M imouni, « Origines du christianisme » (Résumé des conférences intitulées : « La communauté nazoréenne/chrétienne de Jérusalem aux i er-ii e siècles (I) » et « Le rite du baptême aux i er-ii e siècles »), dans École pratique des Hautes études. Section des sciences religieuses, Annuaire. Résumés des conférences et travaux, CVII, 1998-1999, Paris, 2000, p. 281-290 et «  Origines du christianisme  » (Résumé des conférences intitulées : « La communauté nazoréenne/chrétienne de Jérusalem aux i er-ii e siècles (II) » et « Le rite du baptême aux i er-ii e siècles (II) »), dans École pratique des Hautes études. Section des sciences religieuses, Annuaire. Résumés des conférences et travaux, CVIII, 1999-2000, Paris, 2001, p. 289-300 (= S.C.  M imouni, Origines du christianisme. Recherche et enseignement à la Section des

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encore, sous des formes très remaniées et complétées, certains contenus de deux conférences données au Collège de France à l’invitation de Michel Tardieu et d’une conférence présentée à la Société Asiatique à l’invitation d’André Caquot, les trois en 1995. En 2001, lors d’une invitation de Guy G. Stroumsa à l’Université hébraïque de Jérusalem, comme professeur invité, on est revenu succinctement sur ce dossier, en le complétant cependant. En 2013, lors d’une invitation de Paul-Hubert Poirier à l’Université Laval de Québec et d’une demande de Louis Painchaud, on est parvenu à presque boucler la gerbe d’un dossier repris de manière épisodique durant environ une vingtaine d’années. J’ai pu ainsi bénéficier des immenses connaissances philologiques et linguistiques de Wolf-Peter Funk dont l’aide a été des plus précieuses. Tous ces éléments, avant publication, ont été enfin repris dans un séminaire de l’École pratique des Hautes études en 2014-2015 5. Il faudra pourtant attendre encore quelques années pour que l’on puisse publier cette étude. Sont abordées dans cette recherche des questions extrêmement difficiles et discutées par les chercheurs. La plupart de ces questions ne sont souvent abordées que de diverses manières souvent « périphériques », notamment par les spécialistes du gnosticisme, à l’exemple d’Henri-Charles Puech, qui, un temps, ont pensé que le manichéisme ou le mandéisme en ont été des émanations plus ou moins proches ou lointaines. Il convient de souligner que peu de chercheurs sont vraiment spécialisés, ou uniquement spécialisés, exclusivement, dans des cultes religieux comme le manichéisme ou le mandéisme dont les origines et les influences sont encore discutées, car ne faisant pas vraiment l’objet d’un consensus large ou étroit. Tous les cultes religieux évoqués dans cette recherche, en dehors du mazdéisme, du judaïsme et du christianisme sont, en effet, relativement peu connus, à savoir le manichéisme et le mandéisme, sans parler de l’elkasaïsme et du baptisme – ce dernier n’en constituant d’ailleurs pas vraiment un, mais seulement une forme rituelle, un phénomène, que l’on retrouve, sciences religieuses de l ’École pratique des Hautes études, 1991-2017, Préface de PaulHubert Poirier, membre de l’Institut, Turnhout, 2018, p. 68-76 et p. 77-87). 5. Voir S.C.  M imouni, « Origines du christianisme » (« Recherches sur des mouvements prophétiques du renouveau dans l’Antiquité tardive : les baptistes elkasaïtes dans la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne »), dans École pratique des Hautes études. Section des sciences religieuses, Annuaire. Résumés des conférences et travaux, CXXIII, 2014-2015, Paris, 2016, p. 191-198 (S.C.  M imouni, Origines du christianisme. Recherche et enseignement à la Section des sciences religieuses de l ’École pratique des Hautes études, 1991-2017, Préface de Paul-Hubert Poirier, membre de l’Institut, Turnhout, 2018, p. 256-264).

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de différentes manières, chez les trois autres. Raison pour laquelle, il est apparu naturellement nécessaire ici d’en donner pour chacune une présentation synthétique. D’autant que ces cultes religieux ont joué, à certaines époques, un rôle plus ou moins important dans l’empire iranien, mais aussi en dehors de ses frontières, tant à l’est (le monde asiatique) qu’à l’ouest (le monde européen). Que ce soit l’elkasaïsme, le manichéisme ou le mandéisme, ils ont tous constitués des groupes extrêmement minoritaires face à des « religions » 6 majoritaires, et parfois officielles. C’est dire que les approcher nécessite une méthodologie spécifique et des compétences diversifiées 7. C’est pourquoi, on trouve aussi dans cette recherche une présentation synthétique et succincte de l’histoire de l’empire iranien durant les règnes des dynasties arsacide et sassanide, qui a été le berceau de naissance et d’évolution de ces cultes religieux dont le caractère interstitiel est à souligner. Ces dernières années, la question de savoir si le manichéisme est une « religion » a été posée par un certain nombre de critiques. Certains acceptent de le considérer comme une « religion » pour caractériser la totalité des activités de Mani, d’autres refusent de manière catégorique 8. Il est important de signaler que cette recherche concerne plus le judaïsme chrétien, que j’ai appelé auparavant le judéo-christianisme, sur lequel je me sens plus à l’aise que ces champs disciplinaires, qui sont divers et variés, et pour lesquels je ne suis pas un spécialiste.

6.  Dans cette recherche, le terme « religion » n’apparaît qu’avec des guillemets, car le manichéisme comme l’elkasaïsme ou le mandéisme ne sont pas des religions, du moins dans le sens que le christianisme donnera à ce terme – il en va d’ailleurs de même du judaïsme ou du mazdéisme. Le terme religion ne devrait être réservé que pour le christianisme et pour aucune autre forme religieuse, même s’il est à l’origine du sens qu’il a pris dans la pensée occidentale jusqu’à présent. À ce sujet, voir S.C.  M imouni, Introduction à l ’histoire des origines du christianisme, Paris, 2019, p. 553-559. Voir aussi B. Nongbri, Before Religion : A History of a Modern Concept, New Haven/Connecticut, 2013. 7. Voir R.  Spears , « Group Identities : The Social Identity Perspective », dans S.J. Schwartz – K.  Luyckx – V.L. Vignoles (Éd.), Handbook of Identity Theory and Research, New York-Dordrecht-Heidelberg-Londres, 2011, p. 201-224. 8. Voir N.J. Baker-Brian, « A New Religion ? The Emergence of Manichaeism in Late Antiquity », dans J.  L össl – N.J. Baker-Brian (Éd.), A  Companion to Religion in Late Antiquity, Hoboken/New Jersey, 2018, p. 319-343. Voir aussi J.D. Be Duhn, « Mani and the Crystallization of the Concept of ‘Religion’ in Third Century Iran », dans I. Gardner – J.D. Be Duhn – P.C. Dilley (Éd.), Mani at the Court of the Persian Kings. Studies on the Chester Beatty Kephalaia Codex, Leyde-Boston, 2015, p. 247-275.

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Cette recherche montre que l’approche du judaïsme chrétien, dans toutes ses formes, n’est pas si évidente qu’il ne paraît à première vue, car elle nécessite de pouvoir s’aventurer dans des domaines fort éloignés du judaïsme et du christianisme « communs ». Les cultes religieux de l’Antiquité ne sont pas des formes religieuses fermées, ils s’inspirent et s’influencent mutuellement en permanence – et ce, peu importe qu’ils soient « monothéistes » ou « polythéistes » pour utiliser des expressions tout aussi rapides que simplistes. Raison pour laquelle ils ne sont pas faciles à étudier pour les chercheurs modernes qui ont tendance à se cloisonner et à se spécialiser dans des disciplines qu’ils organisent et structurent de manière presque fermée – ce qui les conduit parfois, souvent, à des non-sens. La méthode d’histoire connectée, tout autant que celle d’histoire globale dans laquelle elle s’insère, utilisée depuis peu pour l’étude de la période moderne, semble pouvoir être d’une grande utilité pour l’étude du judaïsme en général et de toutes les « religions » en particulier qui en sont issues, d’autant qu’elles sont assez nombreuses et initiant des cultures parfois très différentes 9. Jésus et Mani ont été des Judéens, mais très vite ils n’ont plus été considérés ainsi par leurs disciples : plutôt d’origine grecque pour le premier, plutôt d’origine iranienne pour le second. On admet depuis quelques décennies les origines judéennes de Jésus, ce n’est presque pas le cas pour les origines judéennes de Mani que seuls de rares chercheurs acceptent de considérer. Bien sûr, si Jésus et Mani ont été des Judéens, ils ont appartenu à des sphères relativement différentes, voire opposées, dans le judaïsme : le premier relevant d’une appartenance plutôt « orthodoxe » ; le second d’une appartenance plutôt « hétérodoxe » – il n’empêche qu’ils ont, l’un et l’autre, une origine judéenne. L’historien doit trier parmi la documentation intérieure (sources directes) et la documentation extérieure (sources indirectes) – les unes comme les autres doivent être soumises à la critique et ne sont pas faciles à utiliser, car elles ont tendance à dissimuler, à camoufler, les réalités historiques, ces dernières n’étant pas d’un grand intérêt pour leurs auteurs et surtout n’étant pas acceptables, « convenables » ou « vendables », pour la propagation missionnaire de la nouvelle croyance. D’autant que les disciples de ces nouvelles « religions » ont été aidés par les milieux d’origine

9.  Au sujet de l’histoire connectée, voir notamment S. Subrahmanyam, Explorations in Connected History. From the Tagus to the Ganges, Oxford, 2005 et S. Subrahmanyam, Explorations in Connected History. Mughals and Franks, Oxford, 2005. Au sujet de l’histoire globale, voir notamment P.  Frankopan, Les routes de la soie. L’histoire du cœur du monde, Paris, 2019.

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de leur maître qui les ont généralement repoussés, dénigrés comme apostats ou comme hérétiques. C’est pourquoi, une méthode comme celle de l’histoire connectée, plus d’ailleurs que celle de l’histoire comparée souvent utilisée, pourrait permettre de prendre en compte aussi bien les réalités historiques que les données littéraires, les unes comme les autres appartenant à des milieux culturels, voire linguistiques, différents et nécessitant de l’historien diverses compétences parfois très éloignées les unes des autres 10. D’autant qu’un des buts de l’histoire connectée est de briser les compartimentages, ceux des histoires nationales, comme ceux des aires culturelles, pour faire émerger les modes d’interaction entre le local et régional (ce qu’on pourrait appeler le micro) et le suprarégional qui est quelquefois global (ce qu’on pourrait appeler le macro) 11. L’histoire connectée permet ainsi de retrouver la fécondité des effets de décentrement qui font la force de la méthode de l’histoire comparative ou de celle de l’histoire croisée, soucieuses de toujours situer des acteurs, objets et pratiques effectivement comparables. Le concept d’acculturation ou de métissage joue un rôle central et avec Sanjay Subrahmanyam, il convient de récuser les barrières érigées par les rhétoriques de l’altérité, qui montent en épingle les différences pour mieux conclure à l’incommensurabilité ou incompatibilité des cultures, supposées imperméables à l’hybridation 12 . Je tiens à préciser, quitte à me répéter, que cette recherche, d’ordre historique, s’adresse spécifiquement aux spécialistes du judaïsme et du christianisme anciens, et non aux spécialistes du manichéisme et du mandéisme, qui pourront cependant y trouver des éléments prouvant que ces deux derniers mouvements religieux entretiennent d’étroites relations avec les deux premiers dans lesquels, selon toute probabilité, ils s’originent. Autrement exprimé, disons-le déjà, le manichéisme et le mandéisme viennent de certaines formes du judaïsme chrétien, l’elkasaïsme notamment, avec lesquelles il convient de les mettre en relation pour en comprendre les influences qu’elles ont subies.

10. Voir C.  M arkschies , « Globalized History of Religion in Late Antiquity ? The Problem of Comparative Studies and the Example of Manichaeism », dans G.G. Stroumsa (Éd.), Comparatives Studies in the Humanities, Jérusalem, 2018, p. 173-194. 11.  C. Douki – P. M inard, « Histoire globale, histoires connectées : un changement d’échelle historiographique », dans Revue d ’histoire moderne et contemporaine 54-4bis (2007), p. 7-21. 12.  S. Subrahmanyam, « Par-delà l’incommensurabilité : pour une histoire connectée des empires aux temps modernes », dans Revue d ’histoire moderne et contemporaine 54-4bis (2007), p. 34-53.

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Il me reste à remercier les collègues déjà mentionnés, ceux qui m’ont accompagné dans cette recherche de diverses manières, ainsi que mes étudiants et auditeurs à la Section des sciences religieuses de l’École pratique des Hautes études. Sans eux, il ne fait pas de doute que je ne serais pas parvenu à achever, à boucler, cette recherche que je porte de manière discontinue depuis tant d’années et que, malgré ses nombreuses et évidentes faiblesses, j’ai tenu à mettre à disposition du monde des chercheurs et des lecteurs éclairés. Une mention particulière à Paul-Hubert Poirier qui, par amitié, a accepté de consacrer du temps et de l’énergie à la lecture de mon manuscrit, à m’encourager aussi par des conseils tout aussi avisés que précieux. De même à Madeleine Scopello, qui, également par amitié, a investi autant de temps que d’énergie à la lecture de mon manuscrit. Toute ma reconnaissance enfin et encore à Paul-Hubert Poirier pour la préface de qualité qu’il a bien voulu me faire l’honneur de rédiger et pour laquelle je lui suis grandement redevable.

Chapitre I

I NTRODUCTION La question « Les baptistes de la Vita Mani du Codex Manichéen de Cologne (CMC) sont-ils des elkasaïtes ? », qui est le titre de cette recherche, sous-entend en réalité plusieurs autres questions : (1) celle des baptistes et des elkasaïtes en général ; (2) celle des baptistes et des elkasaïtes qui figurent dans le CMC ; (3) celle de la relation des baptistes elkasaïtes avec les manichéens qui ont produit le CMC – si tant est que les baptistes mentionnés dans ce document sont des elkasaïtes. Certaines de ces interrogations sont traitées dans des chapitres d’ordre général et d’autres dans des chapitres d’ordre spécifique. Parmi les premiers, on trouve une introduction au baptisme (II) et une introduction au manichéisme (III). Parmi les seconds, figurent une étude du rapport entre l’elkasaïsme et le manichéisme (V) ainsi qu’une étude du rapport entre l’elkasaïsme et le mandéisme (VI) – toutes deux précédées par des introductions générales à l’elksaïsme et au mandéisme. La partie centrale de cette recherche, la plus importante aussi, est celle consacrée à une étude littéraire et historique des diverses notices (de la page 79, 13 à la page 107, 23) relatives aux « baptistes » dans la Vita Mani du CMC, qui sont traduites et annotées (IV). Dans une conclusion, on répond à la question posée dans le titre de cette recherche (VII) et dans un excursus, on s’interroge sur les origines ethnico-religieuses de Mani et de sa famille (VIII). À la question posée dans cette recherche correspond une réponse qui présente toutes les chances d’être positive, mais qui demande à être démontrée et explicitée, car selon certains critiques elle n’est pas aussi évidente. Ainsi, selon Samuel N.C. Lieu, la présence du nom d’Elkasaï dans la Vita Mani du CMC n’implique pas que les baptistes en question dans ce texte soient des elkasaïtes, mais indique plutôt que ce nom a été réutilisé par les manichéens afin de consolider des origines judéo-chrétiennes à leur mouvement dans des perspectives missionnaires en milieu chrétien 1. De même, selon Albert Henrichs, l’association d’Elkasaï à Mani pourrait être une interpolation insérée dans la Vita Mani du CMC par le traditionniste

1.  S.N.C.  Lieu, Manichaeism in the Later Roman Empire and Medieval China : A Historical Survey, Manchester, 19851, Tübingen, 19922 , p. 40.

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CHAPITRE I

manichéen Zachéas 2 . Quoi qu’il en soit, on sait depuis longtemps, grâce au Fihrist d’Ibn an-Nadim, une œuvre et un auteur musulman du x e siècle, que Mani a passé ses vingt-quatre premières années dans une communauté de baptistes qui sont désignés dans son œuvre avec le terme arabe de mughtasila, c’est-à-dire « ceux qui se lavent » – une communauté dirigée par alKhasayh ou al-Ḥasayh, autrement dit Elkasaï. La recherche actuelle, grâce aux apports de la Vita Mani du CMC, a tendance, majoritairement, à accepter l’identification « baptistes = elkasaïtes », mais celle-ci, quoi qu’en disent certains critiques qui lui sont favorables, ne va pas de soi au regard de la diversité du phénomène des mouvements baptistes qui apparaissent comme une véritable nébuleuse formée par de nombreux groupuscules vivant dans les marais du sud de la Babylonie, en Characène (ou Mésène), entre l’Euphrate et le Tigre. S’il peut apparaître certain maintenant que le manichéisme en est issu, son origine précise à l’intérieur de cette galaxie baptiste est loin d’être assurée, et nécessite une démonstration plus affinée qu’on ne le pense : c’est la raison essentielle de cette recherche. Le judaïsme chrétien et en particulier l’elkasaïsme qui en relève, le baptisme aussi dans une certaine mesure, sont constitués en domaines de recherche que l’on connaît relativement grâce à une documentation assez bien reconnue et étudiée. On ne peut toutefois pas en dire autant du manichéisme et du mandéisme : d’autant que l’étude de cas des deux derniers mouvements demandent des compétences particulières et multiples, surtout en ce qui concerne les langues ayant conservé leurs littératures ou leurs témoignages dont le relevé n’est pas encore totalement achevé et sont donc en cours d’exploitation pour ne pas dire d’exploration. Il ne peut être question ici du judaïsme et du christianisme en Babylonie dont les origines sont plus ou moins mal connues et dont les caractéristiques ne sont pas toujours bien identifiées 3. L’un et l’autre ont constitué pourtant le cadre religieux de mouvements comme le manichéisme et le mandéisme, ainsi que d’un phénomène comme le baptisme. Dans la présente introduction, il est essentiellement question du judaïsme chrétien pour lequel on donne un bref état des questions et des recherches, d’autant que les chrétiens d’origine judéenne paraissent de plus en plus avoir été à l’épicentre d’un certain nombre de mouvements 2.  A. H enrichs , « The Cologne Mani Codex Reconsidered », dans Harvard Studies in Classical Philology 83 (1979), p. 355. 3.  En ce qui concerne le judaïsme babylonien, voir S.C.  M imouni, Le judaïsme ancien du vi e siècle avant notre ère au iii e siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 799-827. En ce qui concerne le christianisme babylonien, voir C.  Jullien – F. Jullien, Apôtres des confins. Processus missionnaires chrétiens dans l ’Empire iranien, Buressur-Yvette, 2002, p. 121-258.

INTRODUCTION

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religieux dont le moindre n’est pas celui issu du prophète Mahomet, les autres étant le manichéisme et le mandéisme. Il est aussi question dans cette introduction du monde iranien, des environs du i er au iv e siècle, à l’époque des Arsacides et des Sassanides, car tous les mouvements religieux qui vont être traités dans cette recherche en relèvent même si, parfois, ils sont originaires du monde romain qu’ils ont fui ou en ont été chassés. I.1. L e

j u da ï sm e ch r ét i e n  :

br e f état de s qu e s t ions et de s r ech e rch e s  4

Dans ces quelques remarques et réflexions succinctes, qui portent sur le judaïsme chrétien, souvent désigné par l’expression plus commune de « judéo-christianisme », il convient de distinguer entre celles concernant l’historiographie et la terminologie ainsi que celles concernant la définition et la documentation. Il est actuellement nécessaires d’y revenir étant donné le renouvellement incessant des études sur le judaïsme ancien au cours de ces dernières années et l’émergence continuelle de nouveaux paradigmes qui distinguent non seulement le mouvement chrétien (le christianisme) du mouvement rabbinique (le rabbinisme), mais aussi le judaïsme sacerdotal et synagogal de langue grecque comme de langue araméenne en Palestine qui provient de la période antérieure à 70, et qui perdure durant des siècles après la destruction du Temple de Jérusalem 5. On ne traite pas ici de la question des relations entre le mouvement des chrétiens et le mouvement des rabbins ni de celle de la distinction / séparation entre le christianisme et le judaïsme – ce que l’on appelle les Partings of the Ways –, mais seulement des chrétiens d’origine judéenne qui continuent à observer peu ou prou la Loi de Moïse et à relever toujours de l’ethnicité judéenne dans l’empire romain 6. Il convient cependant d’observer que cette question doit être aussi revue en profondeur, car si conflit il y a eu et il y a eu conflit, au début il n’a pas été entre rabbinisme et

4.  À partir de S.C. M imouni, « Le judaïsme chrétien ancien : quelques remarques et réflexions sur un problème débattu et rebattu », dans Judaïsme antique / Ancient Judaism 1 (2013), p. 263-279. 5.  À ce sujet, voir S.C.  M imouni, Le judaïsme ancien du vi e siècle avant notre ère au iii e siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012. Voir aussi S.C.  M imouni (Éd.), Les judaïsmes des prêtres aux chrétiens et aux rabbins, Dijon, 2012 (Religions et Histoire 42). 6.  À ce sujet, voir notamment S.C.  M imouni – B.  Pouderon (Éd.), La croisée des chemins revisitée. Quand la « Synagogue » et l ’« Église » se sont-elles distinguées ? Actes du colloque de Tours, 18-19 juin 2010, Paris, 2012.

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christianisme, comme on l’a pensé durant longtemps 7, mais entre judaïsme chrétien et judaïsme sacerdotal / synagogal 8. I. Historiographie et terminologie

A. Historiographie Depuis, 1998 et la publication de mon ouvrage sur le judéo-christianisme, les travaux sur la question sont parus à un rythme soutenu et ont participé de manière conséquente au renouvellement de la matière 9 – une traduction anglaise est parue en 2012, elle repose sur l’original français, sans être ou presque, à notre tort défendant, actualisée 10 : elle a suscité une discussion critique avec Daniel Boyarin et F. Stanley Jones 11. Dans ce premier travail, on a maintenu l’expression « judéo-christianisme », même si on savait qu’il vaudrait mieux la remplacer par une appellation moins marquée par la théologie moderne et plus ajustée aux sources antiques. Il aurait été, cependant, prématuré à l’époque de changer la terminologie, les recherches en ce domaine ayant subi une longue interruption depuis les travaux reconnus de l’école française (avec notamment Marcel Simon et Jean Daniélou) et ceux moins acceptés de l’école italienne (avec notamment Bellarmino Bagatti, Emanuele Testa et Frédéric Manns) 12 .

7. Voir S.C. M imouni, « Pour une histoire de la séparation entre les communautés ‘chrétiennes’ et les communautés ‘pharisiennes’ (ca. 70-135 de notre ère) », dans Henoch 26 (2004), p. 145-171 (= T.L. H ettema – A. van der Kooij (Éd.), Religious Polemics in Context. Papers presented to the Second International Conference of the Leiden Institute for the Study of Religions (LISOR) Held at Leiden, 27-28 April 2000, Assen, 2004, p. 303-329). Voir aussi S.C.  M imouni, « Sur la question de la séparation entre ‘jumeaux’ et ‘ennemis’ aux i er et ii e siècles », dans S.C.  M imouni – B.  Pouderon (Éd.), La croisée des chemins revisitée. Quand la « Synagogue » et l ’« Église » se sont-elles distinguées ? Actes du colloque de Tours, 18-19 juin 2010, Paris, 2012, p. 7-20. 8. Voir S.C.  M imouni, « Les frères jumeaux (christianisme et judaïsme) ou les frères triplets (christianisme, judaïsme et rabbinisme) ? Nouvelles perspectives sur une éternelle question », dans M.-A. Vannier (Éd.), Judaïsme et christianisme chez les Pères de l ’Église. Nouvelles perspectives, Turnhout, 2015, p. 21-39. 9.  S.C.  M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998. 10.  S.C.  M imouni, Early Judaeo-Christianity. Historical Essays, Louvain, 2012. 11. Voir S.C.  M imouni, « Simon Claude Mimouni, Early Judaeo-Christianity. Historical Essays, Louvain, 2012 (Éditions Peeters, Interdisciplinary Studies in Ancient Culture and Religion 13) : réponse à Daniel Boyarin et à F. Stanley Jones », dans Annali di storia dell ’esegesi 30 (2013), p. 121-132. 12.  À ce sujet, voir S.C.  M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 453-474, spécialement p. 465-468 (pour l’école française ou francophone) et p. 469-470 (pour l’école italienne ou italophone).

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Des travaux historiographiques sur le christianisme d’origine judéenne ont été aussi publiés ces dernières années : le plus important étant celui dirigé par F. Stanley Jones 13. On va essayer ici de répertorier nombre de publications, mais sans avoir la prétention d’être exhaustif, tellement la production est devenue intense et continue. Il est évident en effet que face à la masse des études qui paraissent à un rythme soutenu, pour ne pas dire effréné depuis 1998, cet inventaire ne saurait être complet et il pourrait se trouver des travaux qui ne soient pas relevés ici. Il convient de mentionner les travaux de François Blanchetière (2001 et 2002) 14 , de Frédéric Manns (2000, 2002 et 2004) 15 et de Dan Jaffé (2005 et 2007) 16 qui ont été publiés à la suite de notre ouvrage de 1998 et ne s’en écartent pas vraiment, si ce n’est sur des points particuliers qu’ils complètent, même s’ils se veulent parfois polémiques à défaut d’être vraiment critiques (notamment ceux de Frédéric Manns), afin sans doute de montrer une possible originalité par rapport à certaines recherches fondamentales forcément incomplètes. En 1998, en collaboration avec F. Stanley Jones, a été organisé à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem un colloque sur le christianisme d’origine judéenne dont les actes ont été publiés à Paris en 2001 17 – le premier colloque, faut-il le mentionner, organisé depuis celui de Marcel Simon en 1965 à Strasbourg. En 1999, Giovanni Filoramo et Claudio Gianotto ont organisé à Turin un colloque pour commémorer avec une année de retard le 50e anniversaire de la publication en 1948 du Verus Israel de Marcel Simon. Ils ont édité en 2001, à Brescia, les actes de ce colloque traduits en italien 18. Claudio Zamagni, en 2003, en a donné une longue et précieuse étude critique 19. 13.  F.S.  Jones (Éd.), The Rediscovery of Jewish Christianity : From Toland to Baur, Atlanta/Géorgie, 2012. 14.  F. Blanchetière , Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien (30135), Paris, 2001 ; F. Blanchetière , Les premiers chrétiens étaient-ils missionnaires ? (30-135), Paris, 2002. 15.  F.  M anns , Le judéo-christianisme. Mémoire ou prophétie ? Paris, 2000 ; F.  M anns , Les Enfants de Rébecca. Judaïsme et christianisme aux premiers siècles de notre ère, Paris-Montréal, 2002 ; F.  M anns , Un père avait deux fils. Judaïsme et christianisme en dialogue, Paris-Montréal, 2004. 16. D. Jaffé , Le judaïsme et l ’avènement du christianisme. Orthodoxie et hétérodoxie dans la littérature talmudique, i er- ii e siècle, Paris, 2005 ; Le Talmud et les origines juives du christianisme. Jésus, Paul et les judéo-chrétiens dans la littérature talmudique, Paris, 2007. 17.  S.C. M imouni – F.S. Jones (Éd.), Le judéo-christianisme ancien dans tous ses états. Actes du colloque de Jérusalem, 6-10 juillet 1998, Paris, 2001. 18.  G. Filoramo – C. Gianotto (Éd.), Verus Israel. Nuove prospettive sul giudeocristianesimo. Atti del Colloquio di Torino (4-5 novembre 1999), Brescia, 2001. 19.  C. Z amagni, « Étude critique : Verus Israel. Nuove prospettive sul giudeocristianesimo », dans Apocrypha 14 (2003), p. 277-286.

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En 1999, Daniel Boyarin et Guy G. Stroumsa ont organisé une rencontre sur cette question au Trinity College de Hartfort (États-Unis), dont plusieurs contributions ont été publiées, en 2001, dans le Journal of Early Christian Studies 20. Daniel Boyarin, dans son introduction, a proposé, non pas une nouvelle définition du christianisme d’origine judéenne, mais une nouvelle perception fondée sur un espace discursif des idées religieuses faisant références à la Bible dans l’Antiquité tardive – autrement exprimé, non pas sur des groupes, mais sur leurs pensées. Les trois essais réunis ne remontent pas vraiment aux chrétiens d’origine judéenne, mais aux chrétiens judaïsants d’origine non judéenne des iii e et iv e siècles : ils montrent la variété des perceptions et la manière dont ils sont regardés par les chrétiens non judaïsants, notamment d’auteurs comme Athanase ou Jérôme qui ont tendance à considérer que ce sont tout simplement des « juifs » ou des chrétiens « judaïsants ». De fait dans ces diverses et riches contributions, il s’agit de mettre au jour une nouvelle image du « juif » dans les textes chrétiens estimés comme « orthodoxes » considérant l’adversité déviante comme « hétérodoxe ». Partant de ces essais et de cette perception tout aussi nouvelle qu’originale du christianisme d’origine judéenne, Daniel Boyarin a publié en 2004 un ouvrage qui trace les grandes lignes de l’approche proposée 21. Un ouvrage qui a eu un retentissement considérable, dont de nombreux comptes rendus, enthousiastes ou réservés / nuancés ont été publiés 22 . Il

20.  D. Boyarin, « Introduction : Judaeo-Christianity Redivivus », dans Journal of Early Christian Studies 9 (2001), p. 417-419. Voir aussi H.I. Newman, « Jerome’s Judaizers », dans Journal of Early Christian Studies 9 (2001), p. 421452 ; D. Brakke , « Jewish Flesh and Christian Spirit in Athanasius of Alexandria », dans Journal of Early Christian Studies 9 (2001), p. 453-481 ; C.E. Fonrobert, « The Didascalia Apostolorum : A Mishnah for the Disciple of Jesus », dans Journal of Early Christian Studies 9 (2001), p. 483-509. 21.  D. Boyarin, Border Lines : The Partition of Judaeo-Christianity, Philadelphie/Pennsylvanie, 2004 (= La partition du judaïsme et du christianisme, Paris, 2011). 22. Voir J.  Kulp, « Border Lines : The Partition of Judaeo-Christianity », dans Shofar : An Interdisciplinary Journal of Jewish Studies 24 (2006), p. 148-151 ; R. Boustan, « Border Lines : The Partition of Judaeo-Christianity », dans Jewish Quarterly Review 96 (2006), p. 441-446 ; S.C.  M imouni, « Daniel Boyarin, Dying for God. Martyrdom and the Making of Christianity and Judaism, Stanford/Californie, Stanford University Press, 1999 (= Mourir pour Dieu. L’invention du martyre aux origines du judaïsme et du christianisme, Paris, Bayard, 2004, 242 pages) & Daniel Boyarin, Border Lines : The Partition of Judaeo-Christianity, Philadelphie/ Pennsylvanie, University of Pennsylvania Press, 2004, XVII + 374 pages », dans Revue des études juives 166 (2007), p. 299-303. Voir aussi J.  Costa, « D. Boyarin, La partition du judaïsme et du christianisme, Paris, Éditions du Cerf, 2011, 447 pages », dans Revue des études juives 171 (2012), p. 419-429.

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a lui-même répondu aux critiques et présenté quelques rectifications à sa thèse 23. Parmi ces critiques, il convient de relever l’initiative de Yaron Eliav qui, dans une livraison de la revue Henoch, a donné la parole à quatre contradicteurs (Virginia Burrus, Richard Kalmin, Hayim Lapin et Joel Marcus) auxquels Daniel Boyarin a répondu en apportant vingt-quatre réfutations 24 . On lui a reproché entre autres choses d’accorder trop de place à la doctrine dans la définition du judaïsme rabbinique et surtout de ramener le judaïsme d’après 70 au seul judaïsme rabbinique – ce qui n’est pas tout à fait exact, puisqu’il parle aussi d’un autre judaïsme que celui des rabbins, mais qu’il ne qualifie pas pour autant. D’autre ouvrages, sur des thèmes plus spécifiques, mais exploitant plus ou moins cette forme de pensée relativement neuve, ont été publiés en 2007 sous la plume de Peter Schäfer 25 et de Paula Fredriksen 26. De plus, des travaux que l’on doit à David Frankfurter 27 et à John Gager 28 ont montré qu’il ne saurait être question d’abandonner ces catégories même si elles sont issues des hérésiologues chrétiens de la Grande Église. Parmi les nombreux autres colloques, qui ont été organisés sur la question on doit relever celui dirigé par Peter J. Tomson et Doris LambersPetry à Bruxelles en 2001 29 et celui piloté par Antonio Pitta à Naples également en 2001 30. C’est toutefois en 2007 que, sous la direction d’Oskar Skarsaune et de Reidar Hvalvik, a été publiée une imposante et importante histoire 23. Voir D.  Boyarin, « Rethinking Jewish Christianity : An Argument for Dismantling a Dubious Category (to which is Appended a Correction of my Border Lines) », dans Jewish Quarterly Review 99 (2009), p. 7-36. Pour une version française des trois dernières pages de cet article, voir D. Boyarin, La partition du judaïsme et du christianisme, Paris, 2011, p. 393-396. 24.  Y. Eliav (Éd.), « Border Lines : The Partition of Judaeo-Christianity. A Conversation with Daniel Boyarin’s Work : A Critical Assessment », dans Henoch 28 (2006), p. 7-45. 25.  P. Schäfer , Jesus in the Talmud, Princeton/New Jersey, 2007. 26.  P. Fredriksen, Augustine and the Jews, New York, 2007. 27.  D. Frankfurter , « Beyond ‘Jewish Christianity’ : Continuing Religious Sub-Cultures of the Second and Third Centuries and Their Documents », dans A.H. Becker – A.Y. R eed (Éd.), The Ways That Never Parted : Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Age, Tübingen, 2003, p. 131-143. 28.  J. Gager , « Did Jewish Christians See the Rise of Islam », dans A.H. Becker – A.Y. R eed (Éd.), The Ways That Never Parted : Jews and Christians in Late Antiquity and the Early Middle Age, Tübingen, 2003, p. 361-371. 29.  P.J. Tomson – D.  L ambers-Petry (Éd.), The Image of the Judaeo-Christians in Ancient Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2003. 30.  A.  P itta (Éd.), Il giudeo-cristianesimo nel I e II sec. d.C. Atti del IX Convegno di Studi Neotestamentari (Napoli, 13-15 settembre 2001), Bologne, 2003 (Ricerche storico bibliche 2003/2).

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du christianisme d’origine judéenne sous le titre emblématique de Jewish Believers in Jesus 31. Nul doute que cette dernière publication marquera à la fois une étape dans la recherche, tout en la relançant à nouveau 32 , et ce malgré certaines difficultés de l’argumentation et de ses orientations théologiques trop marquées sur lesquelles on peut se poser des questions ainsi que l’ont fait nombre de recenseurs 33. Pourtant, en 2007, Matt Jackson-McCabe est revenu sur la question dans un ouvrage collectif qui affirme proposer une reconsidération du christianisme d’origine judéenne, mais qui ne le fait pas vraiment, s’en tenant aux reconstructions antérieures  3 4 . En 2010, James Carleton Paget a publié un ouvrage composite – un recueil d’articles dont certains sont inédits – qui porte à la fois sur les relations judéo-chrétiennes aux i er et ii e siècles, sur le christianisme d’origine judéenne et sur le judaïsme 35. Toujours en 2010, un autre ouvrage a été publié par Edwin K. Broadhead : il concerne le christianisme d’origine judéenne des débuts à la fin de l’Antiquité tardive en considérant autant les documents littéraires que les documents non littéraires 36. L’auteur tente une actualisation de la recherche en prenant en considération les avancées sur le judaïsme antique, mais de manière trop insuffisante, et en estimant que la séparation entre le christianisme et le rabbinisme ne saurait relever d’une époque ancienne – ce en quoi l’auteur a raison, même si la question est posée de manière erronée. En 2012, outre la version anglaise de mon ouvrage publié en 1998 sous une forme assez peu différente 37, F. Stanley Jones a publié aussi un recueil d’articles sur la littérature pseudo-clémentine, mais aussi sur les elkasaïtes 38. Toujours pour cette même année, décidément prolixe, on doit mentionner encore les ouvrages de Petri Luomanen 39 et de Claudio Gianotto 40, plu-

31.  O. Skarsaune – R. Hvalvik (Éd.), Jewish Believers in Jesus : The Early Centuries, Peabody/Massachusetts, 2007. 32. Voir T.  L egrand, « Étude critique : à la recherche des Juifs qui croyaient en Jésus, à propos d’un ouvrage récent », dans Apocrypha 19 (2009), p. 251-264. 33. Voir notamment S. I nolowcki-M eister , dans Revue des études juives 168 (2009), p. 291-294. 34.  M.  Jackson-McCabe (Éd.), Jewish Christianity Reconsidered, Minneapolis/ Minnesota, 2007. 35.  J.  Carleton Paget, Jews, Christians and Jewish Christians in Antiquity, Tübingen, 2010. 36.  E.K. Broadhead, Jewish Ways of Following Jesus. Redrawing the Religious Map of Antiquity, Tübingen, 2010. 37.  S.C.  M imouni, Early Judaeo-Christianity. Historical Essays, Louvain, 2012. 38.  F.S.  Jones , Pseudoclementina Elchasaiticaque Inter Judaeochristiana. Collected Studies, Louvain, 2012. 39.  P.  Luomanen, Recovering Jewish-Christian Sects and Gospel, Leyde-Boston, 2012.

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tôt historiques et littéraires, sans compter évidemment l’ouvrage collectif dirigé par F. Stanley Jones 41, plutôt historiographique 42 . De jeunes chercheurs israéliens s’intéressent de plus en plus à cette question : outre Dan Jaffé déjà mentionné, il convient de relever Jonathan Bourgel dont l’intérêt est centralisé sur Jérusalem et la communauté chrétienne d’origine judéenne 43. On doit à Dominique Bernard un ouvrage sur les ébionites qui est une somme dont l’ampleur est imposante, malgré un caractère composite trop marqué  4 4 . L’auteur tente de démontrer que les premiers chrétiens ont été ébionites et que c’est d’eux que sont issus les nazoréens – une hypothèse certes intéressante, mais qui est difficile à prouver. Enfin, last but not least, il convient de convoquer le recueil d’articles d’Annette Yoshiko Reed, qui dans une introduction remarquable discute du terme « judéo-christianisme » qu’elle trouve trop marqué par les travaux de Ferdinand Christian Bauer et son école, mais qu’elle pense pouvoir conserver, si ce n’est à des fins pédagogiques et pratiques 45. L’abondance de cette production montre tout l’intérêt du sujet pour les chercheurs, même s’ils ne parviennent toujours pas à un consensus minimum, lequel est encore à venir  4 6 : une situation normale, étant donné que les études sur le judaïsme antique des quatre premiers siècles de notre ère sont en plein renouvellement sous l’effet, le choc, des nouveaux paramètres et aussi à cause du fait qu’on refuse encore de réaliser que le mouvement 40.  C. Gianotto, Ebrei Credenti in Gesù. Le testimonianze degli autori antichi, Milan, 2012. 41.  F.S.  Jones (Éd.), The Rediscovery of Jewish Christianity : from Toland to Baur, Atlanta/Georgie, 2012. 42.  Voir aussi P.  P iovanelli, « Un nouveau recueil des témoignages des auteurs anciens au sujet des juifs croyant en Jésus », dans Annali di storia dell ’esegesi 31 (2014), p. 215-220. 43.  Voir notamment J. Bourgel , « The Jewish-Christians’s Move from Jerusalem as a Pragmatic Choice », dans D.  Jaffé (Éd.), Studies in Rabbinic Judaism and Early Christianity. Text and Context, Leyde-Boston, 2010, p. 107-138 ; J. Bourgel , « Les récits synoptiques de la Passion préservent-ils une couche narrative composée à la veille de la Grande Révolte Juive ? », dans New Testament Studies 58 (2012), p.  503-521 ; J. Bourgel , « Jacques le Juste, un Oblias parmi d’autres », dans New Testament Studies 59 (2013), p. 222-246 ; J. Bourgel , « Reconnaissances 1.27-71, ou la réponse d’un groupe judéo-chrétien de Judée au désastre du soulèvement de Bar-Kokhba », dans New Testament Studies 61 (2015), p. 30-49. Voir aussi J. Bourgel , D’une identité à l ’autre ? La communauté judéo-chrétienne de Jérusalem (66-135), Paris, 2015, qui n’est pas une monographie, mais un recueil d’articles précédemment publiés. 44.  D. Bernard, Les disciples juifs de Jésus du i er siècle à Mahomet. Recherches sur le mouvement ébionite, Paris, 2017. 45.  A.Y. R eed, Jewish-Christianity and the History of Judaism, Tübingen, 2018. 46. Voir encore A. Bedenbender (Éd.), Judäo-Christentum. Die gemeinsame Wurzel von rabbinischem Judentum und Früher Kirche, Paderborn, 2012.

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chrétien des deux premiers siècles a été plus judéen que grec, ou du moins a été plus marqué par la culture judéenne que par la culture grecque – une culture judéenne qui est essentiellement sacerdotale et synagogale qu’elle soit hellénophone ou araméophone. Toutes ces publications abordent la question des chrétiens d’origine judéenne de manière positive : elles ne présentent cependant pas la même orientation et ne considèrent pas de la même manière l’insertion du mouvement chrétien dans le judaïsme. C’est souvent leur problème essentiel, source de divergences relativement profondes. Il n’empêche que les nombreuses hypothèses, qui fleurissent en tous sens au fil des ans, paraissent renvoyer aux calendes grecques un éventuel consensus et conduisent à se demander s’il ne faudrait pas suspendre un temps les recherches en ce domaine… En tout cas, le temps des synthèses semble de plus en plus s’éloigner, si tant est qu’il arrive un jour… Soulignons encore combien des chercheurs célèbres comme Hans Joachim Schoeps et Jean Daniélou ont apporté aux recherches sur les chrétiens d’origine judéenne, mais combien aussi ils ont été une source de confusions, à cause notamment de leurs engagements idéologiques et théologiques respectifs 47.

B. Terminologie Les termes « judéo-chrétien » et « judéo-christianisme » sont la traduction de l’allemand « Judenchrist » et « Judenchristentum » : ils constituent un concept qui est habituellement considéré comme une création, une fabrication littéraire, de Ferdinand Christian Baur et de l’École de Tübingen au xix e siècle 48. En réalité, des penseurs originaux comme Daniel Zwicker 49, au xvii e siècle, et John Toland 50 , au xviii e siècle, sont sans doute les véritables inventeurs de la catégorie que l’on appelle « judéo-christianisme » – Adoph Schliemann reconnaît d’ailleurs que Toland a été le prédécesseur

47. À ce sujet, voir E. Fiano, « The Construction of Ancient Jewish Christianity in the Twenthieth Century : the Cases of Hans Joachim Schoeps and Jean Daniélou », dans B. Bitton-A shkelony – T.  de Bruyn – C. H arrison (Éd.), Patristic Studies in the Twenty-First Century. Proceedings of an International Conference to Mark. The 50 th Anniversary International Association of Patristic Studies, Turnhout, 2015, p. 279-297. 48. À ce sujet, voir D.  Lincicum, « F.C. Baur’s Place in the Study of Jewish Christianity », dans F.S.  Jones (Éd.), The Rediscovery of Jewish Christianity : From Toland to Baur, Atlanta/Géorgie, 2012, p. 137-166. 49.  D. Zwicker , Irenicum, irenicorum, Amsterdam, 1653, p. 113. 50.  J. Toland, Nazarenus : Or Jewish, Gentile, and Mahometan Christianity, Londres, 1718, p. 76, 5.

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de Baur 51. Une catégorie qui paraît toutefois remonter à la littérature anglaise élisabéthaine des xvi e-xvii e siècles comme Matti Myllikovski l’a bien mis en évidence 52 . Le « judéo-christianisme » suppose l’existence d’une autre forme de christianisme, à savoir le « pagano-christianisme ». Dans l’idée de Ferdinand Christian Baur et de l’École de Tübingen, le « judéo-christianisme » est minoritaire et hétérodoxe alors que le « pagano-christianisme » est majoritaire et orthodoxe. La recherche actuelle reconnaît qu’il n’est plus possible de parler de « judéo-christianisme » : c’est notamment le cas de Daniel Boyarin qui récuse cette terminologie sans proposer rien d’autre 53, c’est aussi le cas de François Blanchetière qui préfère parler de « protonazaréisme » 54 . On doit aussi renvoyer à Matt Jackson-McCabe qui montre les ambigüités et les difficultés de cette expression décidément problématique 55. Daniel Boyarin est revenu sur cette question proposant encore d’abandonner l’utilisation de l’expression « judéo-christianisme » en considérant qu’il s’agit d’un concept plus théologique qu’historique 56. Les composantes du mouvement chrétien aux i er-ii e siècles ne se limitant pas à deux, il paraît préférable, en effet, d’employer une autre terminologie moins marquée d’un point de vue idéologique : comme par exemple en faisant référence à l’ethnicité d’origine des croyants en Jésus de Nazareth. Mais il ne saurait être question de remettre en cause l’existence de chrétiens d’origine judéenne entre au moins le i er et le v e siècle pour les nazoréens et sans doute bien après pour les ébionites et les elkasaïtes. Ainsi, il ne saurait être question d’établir un hiatus entre ceux des i er-ii e siècles et ceux des iv e-v e siècles, encore moins de nier l’existence réelle des uns ou des autres groupes, comme certains critiques ont tendance à le faire pour diverses

51.  A. Schliemann, Die Clementinen nebst den verwandten Schriften und der Ebionitismus : Ein Beitrag zur Kirchen- und Dogmengeschichte der ersten Jahrhunderte, Hambourg, 1844, p. 364-369. 52.  M.  Myllikovski, « ‘Christian Jews’ and ‘Jewish Christians’ : The Jewish Origins of Christianity in English Literature from Elizabeth I to Toland’s Nazarenus », dans F.S. Jones , The Rediscovery of Jewish Christianity : From Toland to Baur, Atlanta/Géorgie, 2012, p. 3-44. 53.  D. Boyarin, « Introduction : Judaeo-Christianity Redivivus », dans Journal of Early Christian Studies 9 (2001), p. 417-419. 54.  F. Blanchetière , Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien (30135), Paris, 2001, p. 133-151. 55.  M.  Jackson-McCabe , « What’s in a Name ? The Problem of Jewish Christianity », dans M.  Jackson-Mc Cabe (Éd.), Jewish Christianity Reconsidered, Minneapolis/Minnesota, 2007, p. 7-38. 56.  D. Boyarin, « Rethinking Jewish-Christianity : An Argument for Dismantling a Dubious Category (to which is Appended a Correction of my Border Lines) », dans Jewish Quarterly Review 99 (2009), p. 7-36.

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raisons, notamment en mettant en cause la fiabilité des documents sous prétexte qu’ils sont essentiellement d’ordre hérésiologique. On peut proposer alors de parler de « judaïsme chrétien » pour désigner ceux des chrétiens qui sont d’origine judéenne et ceux qui sont sympathisants d’origine non judéenne devenus chrétiens. L’expression n’est sans doute pas totalement satisfaisante, car comment désigner les chrétiens d’origine non judéenne qui, dès le début du ii e siècle, semblent vouloir s’émanciper de plus en plus de l’ethnicité judéenne, de certaines de ses croyances et de ses pratiques ? Quoi qu’il en soit, c’est tout le mouvement chrétien des deux premiers siècles, ou du moins jusqu’aux années 135-150, qu’il faudrait désigner par cette expression de judaïsme chrétien. Guy G. Stroumsa a sans doute raison de considérer qu’on ne gagne rien à se priver d’un concept pour lequel il est nécessaire d’inventer un équivalent et que « la recherche ne peut s’effectuer, dans aucun domaine, sans effort intellectuel pour identifier des dénominateurs communs aux phénomènes… afin d’essayer de retracer vecteurs et courants centraux sous-jacents à des catégories, dont la fonction principale est leur utilité heuristique » – continuant alors à employer l’expression « judéo-christianisme » 57. Annette Yoshiko Reed, dans son introduction à son recueil d’articles est dans cette même ligne de pensée et tient à maintenir cette expression, même si elle lui reconnaît nombre de désavantages 58. Rosa Conte a attiré l’attention sur la terminologie utilisée dans la littérature arabo-musulmane pour désigner les chrétiens d’origine judéenne 59. On doit accorder sans aucun doute plus d’intérêt au statut ethnique des personnes dans l’empire romain comme dans l’empire iranien qu’on ne le fait habituellement 60. Dans ce cas, appartiendraient au judaïsme chrétien, principalement les disciples de Jésus de Nazareth dont l’origine ethnique est judéenne.

57.  G.G. Stroumsa, « Judéo-christianisme et islam des origines », dans Comptes rendus de l ’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres 156 (2013), p. 489-512 (= « Jewish Christianity and Islamic Origines », dans B. Sadeghi – A.Q. A hmed – A. Silverstein – R. Hoyland (Éd.), Islamic Cultures, Islamic Contexts. Essays in Honor of Professor Patricia Crone, Leyde-Boston, 2015, p. 72-96). 58.  A.Y. R eed, Jewish-Christianity and the History of Judaism. Collected Essays, Tübingen, 2018, p. xv-xxi. 59.  R.  Conte , « Terminologia connotativa dei giudeo-cristiani presso le fonti arabo-islamiche », dans F.  M azzi – P.  Carioti (Éd.), Oriente, Occidente et dintorni… Scritti in onore di Adolfo Tamburello, II, Naples, 2010, p. 621-639. 60. Voir D.K. Buell , Why this New Race : Ethnic Reasoning in Early Christianity, New York, 2005 (= Pourquoi cette race nouvelle ? Raisonnement ethnique dans le christianisme primitif, Paris, 2011).

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II. Définition et documentation

A. Définition En 1992, on a publié une définition du christianisme d’origine judéenne qui a été élaborée en 1988 dans le cadre d’un mémoire de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem portant uniquement sur les documents non littéraires à l’exclusion des documents littéraires – on l’a reprise dans un ouvrage sur la question édité en 1998 61. Cette définition s’est inscrite en faux contre la conception de Jean Daniélou comme catégorie de pensée que l’on a qualifiée de trop « large » ou « générale » 62 . Depuis plus de vingt ans, cette définition est discutée par les chercheurs qui se risquent dans le domaine des commencements du christianisme et qui prennent en considération le paramètre « judéo-chrétien » 63. De fait, la définition proposée porte sur l’ensemble des chrétiens d’origine judéenne jusque vers les années 135-150, mais aussi et surtout sur les descendants de ces mêmes chrétiens jusqu’au moment de leur disparition dans la documentation – aux environs du v e siècle pour les nazoréens, du vii e siècle pour les ébionites et du x e siècle pour les elkasaïtes. On est revenu sur cette question dans un article publié en 2004 où on a estimé que toutes les critiques apportées à cette définition ont paru être essentiellement le fruit d’une erreur d’appréciation, ou plutôt d’une incompréhension des concepts utilisés, pourtant d’ailleurs précisés  6 4 . Il ne paraît pas inutile de rappeler la définition que l’on a proposée il y a plus de vingt ans : « le judéo-christianisme est une formulation récente désignant des juifs qui ont reconnu la messianité de Jésus, qui ont reconnu ou qui n’ont pas reconnu la divinité du Christ, mais qui tous continuent à observer la Torah ». Cette définition est celle d’un historien des religions, qui viendrait d’une autre planète ou d’un autre monde pour constater l’existence à une époque donnée de gens d’origine judéenne (= critère ethnique) qui à la fois 61.  S.C.  M imouni, « Pour une définition du judéo-christianisme ancien », dans New Testament Studies 38 (1992), p. 161-186 (= S.C.  M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 39-72). 62.  J. Daniélou, Théologie du judéo-christianisme, Tournai-Paris, 19581, Paris, 19912 . Voir aussi M. Fédou, « Le judéo-christianisme selon Jean Daniélou », dans J. Fontaine (Éd.), Actualité de Jean Daniélou, Paris, 2006, p. 43-56. 63. Pour une excellente discussion relative à la définition, voir J.  Carleton Paget, « The Definition of the Terms Jewish Christian and Jewish Christianity in the History of the Research », dans O. Skarsaune – R. Hvalvik (Éd.), Jewish Believers in Jesus : The Early Centuries, Peabody/Massachusetts, 2007, p. 22-52. 64.  S.C. M imouni, « Les ‘origines’ du mouvement chrétien entre 30 et 135 : des réflexions et des remarques », dans Annali di storia dell ’esegesi 22 (2004), p. 449467 (= S.C.  M imouni, Le judaïsme ancien et les origines du christianisme. Études épistémologiques et méthodologiques, Paris, 2017, p. 131-169).

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croient en Jésus (= critère de la doctrine) et observent la Torah (= critère de la pratique). On a sensiblement reformulé cette définition il y a plus de quinze ans dans les termes suivants : « le judéo-christianisme est une formulation récente désignant des juifs et leurs sympathisants païens qui ont reconnu la messianité de Jésus, qui ont reconnu ou qui n’ont pas reconnu la divinité du Christ, mais qui tous continuent à observer en totalité ou en partie la Torah ». Oskar Skarsaune, dans l’ouvrage qu’il a dirigé avec Reidar Hvalvik, est revenu sur la définition qu’il essaie de mettre en œuvre 65. Non sans diverses ambigüités et difficultés, l’expression « Jewish Believers in Jesus » désigne à la fois le « Jew » croyant en Jésus et continuant à observer la Loi de Moïse, mais aussi le « Jew » croyant en Jésus et n’observant plus la Loi de Moïse : on peut se demander en effet ce qui distingue le Judéen croyant en Jésus n’observant plus la Loi de Moïse et le Grec croyant en Jésus n’observant pas la Loi de Moïse, si ce n’est leur statut ethnique qui est différent. Aujourd’hui, au regard des changements de la recherche historique, on a tendance à reformuler cette définition de la manière suivante : « le judaïsme chrétien est une formulation désignant des chrétiens d’origine judéenne et d’origine non judéenne qui ont reconnu la messianité de Jésus, qui ont reconnu ou qui n’ont pas reconnu la divinité du Christ, mais qui tous continuent à observer en totalité ou en partie la Torah ». La définition avancée, jugée trop restrictive par certains et trop large par d’autres, concerne l’ensemble des chrétiens jusque vers les années 135150, qu’ils soient d’origine judéenne ou d’origine non judéenne, mais, précision importante, elle concerne seulement les chrétiens d’origine judéenne à partir des années 135-150 – époque où des conflits identitaires et statutaires éclatent entre les chrétiens d’origine judéenne et les chrétiens d’origine non judéenne, ces derniers voulant se proclamer autres, ni « juifs » ni « païens », mais chrétiens, le tertium genus – le « troisième type », défendu par les apologistes chrétiens comme, par exemple, l’auteur du Kérygme de Pierre du milieu du ii e siècle, œuvre dans laquelle apparaît pour la première fois l’expression, mais qu’on retrouve notamment aussi chez Athénagore d’Athènes également du milieu du ii e siècle comme chez l’auteur anonyme de l’Épître à Diognète de la fin du ii e siècle. Holger Zellentin a proposé une autre approche, en parlant de « culture légale judéo-chrétienne » pour décrire à l’intérieur du mouvement de Jésus la séparation entre « juifs » et « païens », obligeant ces derniers à suivre les règles de pureté que la Bible hébraïque a imposé au étrangers résidents 65.  O. Skarsaune , « Jewish Believers in Jesus in Antiquity – Problems of Definition, Method, and Sources », dans O. Skarsaune – R. Hvalvik (Éd.), Jewish Believers in Jesus : The Early Centuries, Peabody/Massachusetts, 2007, p. 3-21.

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en Israël 66. Ces règles de pureté incluent l’évitement de la viande des idoles, l’excrétion injustifiée de sang humain, la consommation de sang ou des animaux morts, et l’interdiction des relations sexuelles illicites comme l’adultère, l’inceste ou des rapports avec une femme menstruée. En réalité, il s’agit des règles permettant aux sympathisants grecs de fréquenter les communautés judéennes 67, puis de celles attestées dans le Décret apostolique de Ac 15, lesquelles se sont appliquées d’abord aux chrétiens d’origine grecque pour leur permettre la coexistence avec des chrétiens d’origine judéenne 68 et ensuite aux judaïsants chrétiens pour leur permettre la fréquentation des Judéens non chrétiens 69. Ajoutons enfin qu’il ne peut faire de doute que définir les chrétiens d’origine judéenne à partir de leur théologie ou de leur doctrine, comme a essayé de le tenter jadis Jean Daniélou 70, éminent et célèbre spécialiste français du « judéo-christianisme », est un exercice difficile, car leur pensée spirituelle et leur posture culturelle ne présentent aucune unité et relèvent de catégories diversifiées et divergentes, ainsi que l’ont montré avec acribie ses critiques, notamment Antonio Orbe 71 et Manlio Simonetti 72 . Quoi qu’il en soit, le judaïsme chrétien est une « catégorie polymorphe aux contours fluctuants », comme l’affirme avec raison Jonathan Bourgel 73, qu’il convient certes de définir mais toujours de contextualiser. 66.  H. Zellentin, « Judaeo-Christian Legal Culture and the Qur’an : The Case of Ritual Slaughter and the Consumption of Animal Blood », dans F. del R ío Sánchez (É d.), Jewish-Christianity and the Origins of Islam. Papers Presented at the Colloquium held in Washington DC, October 29-31, 2015 (8th ASMEA Conference), Turnhout, 2018, p. 117-159. Voir aussi H. Zellentin, The Qur’an’s Legal Culture : The Disdascalia Apostolorum as a Point of Departure, Tübingen, 2013. Voir encore H. Zellentin, « Gentile Purity Law from the Bible to the Qur’an. The Case of Sexual Purity and Illicit Intercourse », dans H. Zellentin (Éd.), The Qur’an’s Reformation of Judaism and Christianity : Return to the Origins, New York, 2019, p. 115-215. 67. Voir S.C.  M imouni, Le judaïsme ancien du vi e siècle avant notre ère au iii e siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 638-640. 68. Voir S.C.  M imouni, « Le conflit inter-judéen (halakhique) entre Jacques, Paul et Pierre dans la réception des Actes des Apôtres », dans Judaïsme ancien / Ancient Judaism 7 (2019), p. 153-186. 69. Voir S.C.  M imouni, « Les relations entre le christianisme et le judaïsme : la question des judaïsants », dans S.C.  M imouni, Introduction à l ’histoire des origines du christianisme, Paris, 2019, p. 515-526. 70.  J. Daniélou, Théologie du judéo-christianisme, Paris, 19581,  19912 . 71.  A. Orbe , « Une théologie du judéo-christianisme », dans Recherches de science religieuse 47 (1959), p. 544-559. 72. Voir M.  Simonetti, « Cristologia giudeocristiana : caratteri e limiti », dans Vetera Christianorum 28 (1988), p. 51-69 ; M. Simonetti, « Il giudeocristianesimo nella tradizione patristica dal II al IV secolo », dans A. Strus (Éd.), Tra giudaismo e cristianesimo. Qumran – Giudeocristiani, Rome, 1995, p. 117-130. 73.  J. Bourgel , D’une identité à l ’autre ? La communauté judéo-chrétienne de Jérusalem (66-135), Paris, 2015, p. 16.

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B. Documentation La documentation doit être le point de départ et d’arrivée de toute recherche historique – c’est une évidence, mais qu’il convient parfois de rappeler. Pour leur part, les documents littéraires essaient de mettre en intrigue un remarquable argumentaire – une mise en scène comme cela est le cas dans les Actes des Apôtres et ailleurs –, fabriquant ainsi une représentation de l’altérité. Il ne faut pas oublier, en effet, le caractère « indirect » de la documentation à partir de laquelle l’historien du judaïsme et du christianisme anciens travaille pour mettre en évidence, pour ramener au jour, ces chrétiens d’origine judéenne qui sont aux commencements du mouvement religieux se réclamant de Jésus de Nazareth et le reconnaissant comme Messie ou comme Prophète – commencements que les vainqueurs, c’est-à-dire les chrétiens d’origine non judéenne, ont cherché, dès le ii e siècle, à gommer le caractère judéen, à le mettre entre parenthèses, et qui ont d’ailleurs bien failli réussir, étant aidés indirectement en cela, il faut bien le reconnaître, par les Judéens sacerdotaux / synagogaux, et aussi les Judéens pharisiens / rabbiniques non messianistes. Il convient de revenir ici sur la question importante de l’emploi ou non des concepts d’orthodoxie et d’hétérodoxie de même que sur les termes nazoréens, ébionites et elkasaïtes qui sont repris en partie, mais pas totalement de la littérature hérésiologique chrétienne. On peut dire que trop d’hypercritique tue la critique et l’ouvrage fondamental d’Alain Le Boulluec en la matière est un exemple de nuances souvent mal comprises, car explicitement ou implicitement son auteur continue à employer ces concepts et les termes en provenance de la littérature hérésiologique chrétienne 74 . Il est certain que ces concepts proviennent de la Grande Église, on l’a écrit à maintes reprises et on a même récemment publié un article sur cette question dans la revue Apocrypha 75. Il n’empêche cependant que l’on a le « droit » de reprendre des termes comme nazoréens, ébionites et elkasaïtes pour désigner des groupes de chrétiens qui sont plus ou moins proches (comme les nazoréens) ou plus ou moins éloignés (comme les ébionites et les elkasaïtes) de ceux qui s’estiment représenter la Grande Église. On peut évidemment, par purisme extrême, refuser de les utiliser : dans ce cas, il conviendrait de distinguer entre ceux qui considèrent Jésus comme un messie plutôt divin (les nazoréens) de ceux qui le considèrent comme 74. Voir A.  L e Boulluec , La notion d ’hérésie dans la littérature grecque (ii eI-II, Paris, 1985. 75.  S.C.  M imouni, « La question de l’hérésie ou de l’orthodoxie et de l’hétérodoxie. Étude critique », dans Apocrypha 20 (2009), p. 265-279 (= S.C. M imouni, Le judaïsme ancien et les origines du christianisme. Études épistémologiques et méthodologiques, Paris, 2017, p. 295-316). iii e siècles),

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un prophète plutôt humain (les ébionites) – on laisse de côté ici ceux qui sont distingués de ces deux groupes (les elkasaïtes), sans doute aussi bien d’autres formes (comme par exemple celui émanant de Cérinthe). De toute façon dans cette catégorisation, on ne fait que reprendre des schèmes christologiques issus eux-aussi des chrétiens de la Grande Église. Alors comment faire autrement ! Comment peut-on refuser une terminologie provenant des hérésiologues, mais accepter leurs informations pour reconstituer par exemple les évangiles dits « judéo-chrétiens » ou l’Apocalypse d’Elkasaï ? On pense, contrairement à d’autres, qu’il faut adopter une voie moyenne et utiliser la documentation existante non sans exercer évidemment une critique sagace, mais non excessive ou exacerbée. Il est évident qu’Hippolyte ou Épiphane rapportent des informations qui ne sont guère favorables aux chrétiens d’origine judéenne, mais l’historien ne peut pas et ne doit pas les ignorer, car elles sont attestées dans la documentation disponible. Le fait que ces informations ne leur soient pas favorables devrait être d’ailleurs une source de garantie quant à leur caractère plus ou moins authentique. De toute façon, il est question des nazoréens et des elkasaïtes dans la documentation extra-chrétienne. En tout cas, il conviendrait de se demander d’où vient l’expression « Jewish Believers », si ce n’est de l’imagination de certains critiques modernes dont les perspectives ne sont que trop marquées par une certaine théologie chrétienne 76 – dans les textes anciens, il est plutôt question d’« Hébreux croyant en Jésus », comme c’est le cas, par exemple, chez Eusèbe de Césarée 77. La question des fragments évangéliques dits «  judéo-chrétiens  » demeure et divise les critiques entre ceux qui considèrent qu’il faut les attribuer à un seul et unique évangile 78 et ceux qui estiment qu’il en a existé deux 79 ou trois 80. 76. Voir par exemple, pour un emploi de cette expression : O. Skarsaune – R. Hvalvik (Éd.), Jewish Believers in Jesus : The Early Centuries, Peabody/Massachusetts, 2007. 77.  À ce sujet, voir notamment, E. I ricinschi, « Good Hebrew, Bad Hebrew : Christians as Triton Genos in Eusebius’ Apologetic Writings », dans S. I nowlocki – C. Z amagni (Éd.), Reconsidering Eusebius. Collected Papers on Literary, Historical, and Theological Issues, Leyde-Boston, 2011, p. 69-86. 78. Voir P.F. Beatrice , « The ‘Gospel according to the Hebrews’ in the Apostolic Fathers », dans Novum Testamentum 48 (2006), p. 147-195. 79. Voir S.C.  M imouni, Les fragments évangéliques judéo-chrétiens « apocryphisés ». Recherches et perspectives, Paris, 2006 et P.  Luomanen, Recovering JewishChristian Sects and Gospels, Leyde-Boston, 2012. 80. Voir J.  Frey, « Zur Vielgestaltigkeit judenchristlicher Evangelienüberlieferung », dans J. Frey – J. Schröter (Éd.), Jesus in apokryphen Evangelienüberlieferungen. Beiträge zu ausserkanonischen Jesusüberlieferungen aus verschiedenen Sprach- und Kulturtraditionen, Tübingen, 2010, p. 93-137.

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Il faudrait reconsidérer les témoignages en arabe ou en hébreu, pouvant concerner le dossier des chrétiens d’origine judéenne dans l’Antiquité, et qui reviennent parfois au centre des débats. Parmi ces témoignages, il y a celui du document utilisé par `Abd al-Jabbar dans son Tathbit 81, il y a celui du document utilisé par Ibrahim Ibn `Awn dans son traité sur La résolution des incertitudes et la réfutation de l ’adversaire judéen ou juif   82 . On doit y ajouter encore la question de l’Évangile de Barnabé qui a fait couler beaucoup d’encre à une certaine époque 83. Ces textes reflètent peutêtre plus une postérité intellectuelle ébionite qu’un groupe ébionite, car si le groupe a dû disparaître à une époque difficile à préciser, aux alentours de l’émergence de l’islam, ce n’est pas nécessairement le cas pour leur pensée dont on trouve des traces dispersées ici ou là dans une littérature attestée en arabe et parfois traduite en langues vernaculaires européennes modernes (notamment espagnol et italien) pour des raisons apparemment apologétiques comme cela est le cas notamment pour l’Évangile de Barnabé qui est toujours au centre des offensives prosélytes musulmanes comme on peut le constater sur certains sites islamiques du WEB qui affirment qu’il n’y a qu’une seule divinité pour tout le monde, mais que son vrai messager est le dernier, c’est-à-dire Mahomet. `Abd al-Jabbar et Ibrahim Ibn `Awn semblent utiliser des documents de Judéens chrétiens aujourd’hui disparus dont la senteur est ébionite et qui pourraient refléter leur pensée transmise par des canaux musulmans : un probable héritage intellectuel avec tous les problèmes que cela présuppose, car les canaux de diffusion sont toujours difficiles à identifier clairement. Il y a aussi la question controversée de l’Évangile hébreu de Matthieu repris par Shem-Tov ben Isaac ben Shapru, célèbre Juif espagnol, lettré, médecin et homme d’affaires 84 , étant né à Tudèle au milieu du xiv e siècle et ayant vécu à Tarazona en Aragon, qui est extrait d’un ouvrage intitulé Even Bohan (« La Pierre d’Achoppement » ou, « La Pierre de Touche »), en référence à Is 8, 13-16, qui date d’entre 1380 et 1400 85. De nouveaux travaux proposent d’enrichir le patrimoine littéraire du mouvement ébionite en leur ajoutant l’Évangile de l ’Enfance de Thomas

81.  À ce sujet, voir D. Bernard, Les disciples juifs de Jésus du i er siècle à Mahomet. Recherches sur le mouvement ébionite, Paris, 2017, p. 441-555. 82.  À ce sujet, voir D. Bernard, Les disciples juifs de Jésus du i er siècle à Mahomet. Recherches sur le mouvement ébionite, Paris, 2017, p. 423-436. 83.  À ce sujet, voir D. Bernard, Les disciples juifs de Jésus du i er siècle à Mahomet. Recherches sur le mouvement ébionite, Paris, 2017, p. 557-578. 84. Voir J.M. Sanz A rtibucilla, « Los Judios en Aragon y Navarra. Nuevos datos biograficos relativos a Sem Tob ben Ishaq Saprut », dans Sefarad 5  (1945) p. 337-366. 85.  À ce sujet, voir D. Bernard, Les disciples juifs de Jésus du i er siècle à Mahomet. Recherches sur le mouvement ébionite, Paris, 2017, p. 581-633.

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(recension grecque S) 86 ainsi que les Actes de Pilate qualifiés d’évangile 87. Sans présumer de ces hypothèses qui restent encore à démontrer, il convient de souligner que des traces d’adoptianisme (doctrine religieuse selon laquelle Jésus ne serait devenu le Fils de Dieu que par adoption à la suite de son baptême dans le Jourdain par Jean le Baptiste – baptême lui conférant une adoption filiale au terme d’un combat symbolique contre les puissances maléfiques : Jésus apparaît alors comme l’homme en qui une telle adoption l’a institué comme Messie) dans un texte ne constituent pas la preuve qu’il est nécessairement ébionite. III. Quelques ouvertures La question des chrétiens d’origine judéenne paraît inséparable de la question des relations, des influences ou des interactions entre christianisme et judaïsme, non seulement vers la fin du i er siècle mais aussi dans les siècles postérieurs. Il convient cependant de ne pas les confondre et surtout de les distinguer de la question des judaïsants dans le christianisme qui ne sont pas des chrétiens d’origine judéenne, mais des chrétiens d’origine non judéenne 88. Les judaïsants, preuves de l’hybridité religieuse et culturelle dans l’Antiquité classique et tardive, semblent assez nombreux dans le monde antique, notamment en Syrie de langue araméenne durant toute la période de l’Antiquité tardive 89. Il en est de même pour les chrétiens originaires d’Éthiopie qui, malgré leurs pratiques judaïsantes (observance du sabbat et du 86. Voir A.G.  van A arde , « The Ebionite Perspective in the Infancy Gospel of Thomas », dans J. Schröter (Éd.), The Apocryphal Gospels within the Context of Early Christian Theology, Louvain-Paris-Walpole/Massachusetts, 2013, p. 611626. Voir aussi A.G.  van A arde , « The Infancy Gospel of Thomas : Allegory or Myth ? – Gnostic or Ebionite ? », dans Verbum et Ecclesia 26 (2005), p. 826-850. Voir encore A.G.  van A arde , « Ebionite Tendancies in the Jesus Tradition : The Infancy Gospel of Thomas Interpreted from the Perspective of Ethnic Identity », dans Neotestamentica 40 (2006), p. 353-382. 87. Voir R.  Gounelle , « Un nouvel évangile judéo-chrétien ? Les Actes des Pilate », dans J. Schröter (Éd.), The Apocryphal Gospels within the Context of Early Christian Theology, Louvain-Paris-Walpole/Massachusetts, 2013. 88.  À ce sujet, voir M. Simon, « Les judaïsants dans l’Église », dans Verus Israel. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l ’Empire romain (135-425), Paris, 1964 2 , p. 356-393 ; C. Guignebert, « Les demi-chrétiens et leur place dans l’Église antique », dans Revue d ’histoire des religions 88 (1923), p. 64-102. Voir aussi G. Dagron, « Judaïser », dans Travaux et Mémoires 11 (1991), p. 359-380. Voir surtout V. Déroche , « Iudaizantes », dans Reallexikon für Antike und Christantum 19 (1998), col. 130-142. 89. Voir C.E. Fonrobert, « Jewish Christians, Judaizers, and Christian AntiJudaism », dans V. Burrus (Éd.), Late Ancient Christianity, Minneapolis/Minnesota, 2005, p. 234-254. Voir aussi A. Ekenberg, « Evidence for Jewish Believers in ‘Church Orders’ and Liturgical Texts », dans O. Skarsaune – R. Hvalvik (Éd.),

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dimanche, observance de la circoncision et autres observances judéennes), ne sont pas à considérer comme des chrétiens d’origine judéenne 90. Il est possible que seule l’étude de concert entre la littérature rabbinique et la littérature patristique, sans oublier les littératures apocryphes que l’on peine à classer du côté du judaïsme ou du côté du christianisme, puisse permettre une avancée en ce domaine tellement labouré, dans lequel les éclaircies sont rares et ne valent pas longtemps. Il convient de tenir compte aussi des conflits qui ont éclaté entre le mouvement chrétien des origines et le judaïsme sacerdotal et synagogal dont les rebondissements ont été multiples, suite aux nombreuses persécutions dont il semble avoir été le maître d’œuvre depuis la mort de Jésus, en passant par celle d’Étienne, de Jacques frère de Jean et de Jacques frère de Jésus, et qui se sont poursuivies tout au long des ii e et iii e siècles 91. On ne sait pas, par exemple, si les chrétiens d’origine judéenne sont les créateurs du concept d’hérésie et d’hétérodoxie, bien avant Justin de Néapolis 92 . Ce qui est certain c’est que ce concept, attesté déjà chez les esséniens, du moins d’après Philon d’Alexandrie et Flavius Josèphe dans ce qu’ils rapportent à leur sujet, se rencontre dans le mouvement rabbinique et qu’il n’y a aucune raison pour qu’on ne le retrouve pas aussi dans le mouvement chrétien : il est plus l’apanage des mouvements interstitiels que des religiosités reconnues. En tout cas, si les chrétiens d’origine judéenne ont été les créateurs de ce concept, ce qui ne serait pas impossible, ils en ont été les victimes à partir du milieu du ii e siècle (pour les ébionites), voire peut-être plus tard au iii e ou au iv e siècle (pour les nazoréens et les elkasaïtes). Un concept qui a permis à partir du iv e siècle aux orthodoxies se déclarant comme telles, tant dans le christianisme que dans le rabbinisme, d’exclure de leurs rangs respectifs les courants minoritaires, parfois même avec l’aide de la loi romaine (voir le Code théodosien, contre les « païens », les « hérétiques » et les « juifs » [Livre XVI]). De plus en plus, on commence à parler d’un judaïsme chrétien de langue et de culture arabe qui existe avant l’émergence de l’islam et dont certaines traductions arabes du Nouveau Testament seraient issues, notamment

Jewish Believers in Jesus : The Early Centuries, Peabody/Massachusetts, 2007, p. 640-657. 90. Voir P.  P iovanelli, « Jewish Christianity In Late Antique Aksum and Himyar », dans Judaïsme ancien / Ancient Judaism 6 (2018), p. 175-202. Voir aussi E. Ullendorff, « Hebraic-Jewish Elements in Abyssinian (Monophysite) Christianity », dans Journal of Semitic Studies 1 (1958), p. 216-256 ; E. I saac , « An Obscur Component in Ethiopian Church History », dans Le Muséon 85 (1972), p. 225-258. 91. Voir S.C. M imouni, « Les frères jumeaux ou les frères triplets ? Christianisme, judaïsme et rabbinisme », dans Le Monde de la Bible 202 (2012), p. 18-23. 92. À ce sujet, voir F.S.  Jones , « Jewish Christians as Heresiologists and as Heresy », dans Rivista di storia del cristianesimo 6  (2009), p. 333-347.

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depuis l’étude fondamentale de Samir Khalil Samir 93. On postule même en effet que les premières versions arabes du Nouveau Testament pourraient être antérieures à l’émergence de l’islam (vi e siècle), qu’elles auraient été réalisées à partir de versions syriaques et qu’elles proviendraient soit de l’Arabie du Sud soit de l’Arabie du Nord 94 – une hypothèse actuellement discutée, voire considérée comme discutable, mais qu’il convient cependant de prendre en compte dans les études à venir comme le montre celle de Sara Schulthess 95. Cette question touche d’une certaine manière le problème des origines de l’islam qui est de plus en plus abordée par nombre de chercheurs, comme par exemple un article d’Amikam Elad en 2002 96 et un collectif dirigé par Herbert Berg en 2003 97, provoquant des débats féconds et soutenus 98. Tout cela n’est pas nouveau et l’on doit se tourner vers les travaux de certains chercheurs allemands (Abraham Geiger et Theodor Nöldeke) et suédois (Tor Andrae) antérieurs à 1945. Comme l’observe Guy G. Stroumsa dans un article de synthèse 99, pour situer l’émergence du mouvement prophétique de Mahomet, on se trouve actuellement confronté à trois thèses faisant appel à une origine judéo-chrétienne, à une origine chrétienne et à une origine abrahamique. Sans entrer en matière, observons que cette dernière thèse repose sur l’idée que les premières communautés musulmanes ont porté fondamentalement des valeurs morales et pieuses, les rendant alors par essence « ahistoriques » et que ce n’est que vers la fin du premier siècle de l’hégire qu’une « conscience historique » aurait émergé, conduisant au développement des

93.  S.K. Samir , « La version arabe des évangiles d’al-As’ad Ibn al-´Assâl », dans Parole de l ’Orient 19 (1994), p. 441-551. 94. Voir D.R. Thomas , The Bible in Arab Christianity, Leyde, 2007. Voir aussi H. K ashouh, The Arabic Version of the Gospels. The Manuscripts and their Families, Berlin, 2011. 95.  S. Schulthess , « Die arabischen Handschriften des Neuen Testaments in der zeitgenössischen Forschung : ein Überblick », dans Early Christianity 3 (2012), p. 518-539. 96.  A. Elad, « Community of Believers of ‘Holy Men’ and ‘Saints’ or Community of Muslims ? The Rise and Development of Early Muslim Historiography », dans Journal of Semitic Studies 47 (2002), p. 241-308. 97.  H. Berg (Éd.), Method and Theory in the Study of Islamic Origins, LeydeBoston, 2003. 98. Voir C.  Robinson, « The Study of Islamic Historiography : A Progress Report », dans Journal of the Royal Asiatic Society 7 (1997), p. 199-227. 99. À ce sujet, voir G.G. Stroumsa, « Judéo-christianisme et islam des origines », dans Comptes rendus de l ’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres 156 (2013), p. 489-512 (= « Jewish Christianity and Islamic Origines », dans B. Sadeghi – A.Q. A hmed – A. Silverstein – R. Hoyland (É d.), Islamic Cultures, Islamic Contexts. Essays in Honor of Professor Patricia Crone, Leyde-Boston, 2015, p. 72-96).

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différents thèmes historiographiques 100. Disons toutefois que cette thèse, qui tente d’éviter les écueils de telle ou telle origine bien précise, est tellement décontextualisée qu’elle paraît bien improbable. Quant à la première de ces trois hypothèses, celle du christianisme d’origine judéenne, elle est de plus en plus problématique, malgré certaines contributions comme celle par exemple de Patricia Crone 101, ainsi que semblent le montrer les travaux récents d’un certain nombre de critiques, ainsi par exemple ceux réunis par Francisco del Río Sánchez 102 . L’opposant le plus notable et le plus tranché à cette hypothèse est Sydney H. Griffith qui estime que les chrétiens qu’on retrouve dans le Coran sont les melkites, les jacobites et les nestoriens, mais pas ceux qui sont d’origine judéenne 103. Dans une contribution spécifique et limitée, on a examiné le thème du « Vrai prophète » chrétien au « Sceau des prophètes » musulman en passant par le « Sceau des prophètes » manichéen dont les significations sont tout aussi semblables que différentes. On a tenté ensuite d’établir un lien théorique entre ces trois doctrines, la chrétienne, la manichéenne et la musulmane avec la pratique de la dissimulation (en arabe la taqiyya) qui les a caractérisées, du moins dans certains de leurs cercles minoritaires plus que majoritaires. On a traité aussi de l’expression « Sceau de la Prophétie », présente dans la tradition manichéenne comme dans la tradition musulmane, qui signifie « confirmation, attestation, signe », sans être revendiquée par Mahomet. Il est apparu difficile de conclure uniquement sur la base de ces expressions prophétiques, qui entretiennent inévitablement entre elles des rapports, qu’elles s’originent et s’influencent : il manque donc un pas que l’historien doit avoir du mal à franchir 104 . 100.  À ce sujet, voir F. Donner , Muhammad and the Believers in the Origins of Islam, Cambridge/Massachusetts, 2010 (voir la recension de P.  Crone , « Among the Believers. A New Look at the Origins of Islam describes a Tolerant World that may not have existed », dans The Tablet, August 2010). 101.  P.  Crone , « Jewish-Christianity and the Qur’an (Part One) », dans Journal of Near-East Studies 74 (2015), p. 225-253 et P.  Crone , « Jewish-Christianity and the Qur’an (Part Two) », dans Journal of Near-East Studies 75 (2016), p. 1-21 (= P.  Crone , The Qur’anic Pagans and Related Matters : Collected Studies in Three Volumes, Leyde-Boston, 2015, I, p. 225-276 et p. 277-314). 102.  F.  del R ío Sánchez (Éd.), « Jewish-Christianity » and Early Islam : Papers Presented at the Eighth Annual ASMEA Conference (Washington DC, October 29-31 2015), Turnhout, 2018. 103. Voir notamment S.H. Griffith, « Al-Naṣara in the Qur’an : A  Hermeneutical Reflection », dans G.S. R eynolds (Éd.), New Perspectives on the Qur’an : The Qur’an in Its Historical Context, II, Londres, 2011, p. 201-322. Voir aussi S.H. Griffith, « Christian and Christianity », dans Encyclopaedia of the Qur’an I (2001), p. 313. 104.  S.C.  M imouni, « Du Verus propheta chrétien (ébionite ?) au Sceau des prophètes musulman », dans F. del R ío Sánchez (Éd.), Jewish-Christianity and the Origins of Islam. Papers Presented at the Colloquium held in Washington DC, October 29-31, 2015 (8th ASMEA Conference), Turnhout, 2018, p. 41-74.

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Même si on se trouve en accord avec Jan M.F. Van Reeth qui estime qu’il est difficile de « réduire les origines de l’islam à une seule communauté ou un seul mouvement religieux, fût-ce le judéo-christianisme », il est difficile en revanche de l’être quand il considère, à partir d’une analyse des plus succinctes et d’affirmations peu argumentées, que « l’ébionisme et l’elkasaïsme ne sont probablement que les variantes d’un seul et même mouvement judéo-chrétien […], qui a fait son apparition vers la fin du ii e siècle dans un milieu de juifs convertis qui est au fond le même que celui dont provient l’Église syriaque d’Édesse et d’Adiabène […] et dont Bardesane et Tatien sont les premiers représentants, puis, une génération plus tard Mani » 105. Le problème des origines de l’islam pose celui de l’identification d’un judaïsme en Arabie du nord et du sud qui est de plus en plus étudié en fonction des nouveaux paramètres comme le montrent notamment les nombreuses et décapantes recherches de Christian Julien Robin 106. Un judaïsme qui paraît assez proche de celui que l’on appelle sacerdotal et synagogal dans l’empire romain et dans lequel celui qui est chrétien s’insère assez bien – dans tous les cas, il s’agit d’un judaïsme non rabbinique dont le caractère sacerdotal demeure encore marqué. Il importe donc de revenir de nouveau vers l’hypothèse du judaïsme chrétien de langue et de culture araméenne en Syrie romaine et en Syrie iranienne, voire de l’Arabie septentrionale, surtout s’il paraît se trouver à l’origine des versions arabes du Nouveau Testament et sans doute de bien d’autres textes conservés en arabe. Les influences issues de l’Arabie méridionale, aussi bien sacerdotales / synagogales (entre 380 et 525, voire avant comme après) que chrétiennes, ne sauraient être pour autant négligées comme le montrent l’étude des guerres de la mer Rouge à la veille de l’émergence de l’islam 107. Les documents, essentiellement transmis en syriaque, sont abondants et ils demanderaient à être réexaminés en fonction d’un paradigme n’établissant plus de frontières fixes entre le christianisme et les autres formes du judaïsme (la sacerdotale / synagogale et la rabbinique). 105.  J.M.F. Van R eeth, « Les courants judéo-chrétiens et chrétiens orientaux de l’Antiquité tardive », dans M.A. A mir-Moezzi – G. D ye (Éd.), Le Coran des historiens, I. Études sur le contexte et la genèse du texte coranique, Paris, 2019, p. 427-465, spécialement p. 429 et p. 436. 106.  Voir par exemple C.J. Robin, « Les religions pratiquées par les membres de la tribu de Kinda (Arabie) à la veille de l’Islam », dans Judaïsme ancien / Ancient Judaism 1 (2013), p. 203-261. Voir aussi et surtout C.J. Robin, « Quel judaïsme en Arabie ? », dans C.J. Robin (Éd.), Le judaïsme de l ’Arabie antique. Actes du Colloque de Jérusalem (février 2006), Turnhout, 2015, p. 15-295. 107.  À ce sujet, voir G. Bowersock , The Throne of Adulis. Red See Wars on the Eve of Islam, Oxford-New York, 2013 (= Le trône d ’Adoulis. Les guerres de la mer Rouge à la veille de l ’islam, Paris, 2014).

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La brève contribution que l’on a rédigée en 1992 et publiée en 1994 sur la question dans le cadre d’un congrès de syriacisants est sans aucun doute caduque, mais elle pourrait être un point de départ commode pour une recherche qui devrait envisager les communautés chrétiennes de la Syrie araméenne en fonction de leur appartenance à tel ou tel groupe : marcionite, tatianite et nazoréen 108. D’autant que des travaux récents ont attiré l’attention sur certains caractères judéens, non rabbiniques apparemment, des œuvres d’Aphraate ou d’Éphrem. Le Proche et le Moyen Orient, englobant la péninsule arabique dans sa totalité, ont été jusqu’au iii e siècle non seulement un immense « marché des religions », mais aussi un « melting-pot des religions », où a régné ce que l’on appelle maintenant l’« hybridité religieuse et culturelle ». À partir du iv e siècle, l’intolérance en matière de culte s’installe tant dans l’empire romain que dans l’empire iranien, avec la mise en place de « religions » qui veulent se conjuguer non plus dans la diversité, mais dans l’unicité : c’est le cas du christianisme à l’ouest, c’est aussi le cas du mazdéisme à l’est, l’une et l’autre devenant progressivement des religions d’état, repoussant leurs marges dans l’interstitiel – ce sont justement ces mouvements interstitiels qui intéressent cette recherche. Ces mouvements, chacun à sa manière, ont développé une eschatologie que l’on retrouve dans des écrits apocalyptiques dont l’apothéose aura été l’émergence du mouvement de Mahomet et la guerre de « conquête » ou de « libération » de la Terre sainte biblique aux mains des empires byzantin et sassanide 109. Ces mouvements, qui se caractérisent par un messianisme ou un prophétisme d’essence biblique, annoncent de différentes manières le proche évènement de la « monarchie universelle » par des souverainetés concurrentes ou en conflit. On assiste ainsi à l’émergence progressive d’un millénarisme étatique qui se met au service des ambitions dynastiques, lequel peut être l’objet d’une double lecture : d’une part, celle qui identifie les traits communs qui le constituent ; d’autre part, celle repère la transmission et le réemploi des mêmes références dans des contextes différents 110. C’est notamment l’ambition du mouvement de Mani, mais aussi de celui de Jésus ou de celui de Mahomet – au niveau des maîtres, mais plus surtout au niveau de leurs disciples proches ou lointains. Une dernière remarque en guise de point final « provisoire » à ce bref état des recherches et des questions qui ne prend en compte de manière suc108.  S.C.  M imouni, « Le judéo-christianisme syriaque : fiction littéraire ou réalité historique ? » dans R.  L avenant (Éd.), VI Symposium Syriacum (1992). Cambridge, 30 août-2 septembre 1992, Rome, 1994, p. 269-279. 109. Voir S.J. Shoemaker , The Apocalypse of Empire. Imperial Eschatology in Late Antiquity and Early Islam, Philadephie/Pennsylvanie, 2018. 110. Voir G.L.  Potestà, Le dernier messie. Prophétie et souveraineté au Moyen Âge, Paris, 2018.

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cincte que des travaux publiés entre 1998 et 2018 et qui sera, comme il se doit pour ce genre d’exercice, fatalement assez vite dépassé si tant est qu’il ne soit pas déjà dépassé lors de sa publication. Il ne faut pas oublier que toute conscience religieuse spécifique – comme l’est celle des chrétiens des deux ou trois premiers siècles – se forge au regard de l’altérité et que par conséquent la représentation de l’autre relève de la seule rhétorique de l’altérité : ce qui doit conduire l’historien à bien des nuances et à beaucoup d’humilité dans ses résultats dont le caractère fluctuant doit être souligné en permanence. Les documents qui sont utilisés pour atteindre ces chrétiens sont certes plus ou moins ceux de leur époque, mais le regard de l’historien est celui d’aujourd’hui et l’écart ne saurait être réduit d’une quelconque manière et ne pourra jamais l’être 111. I.2 . L e mon de i r a n i e n du i e r au i v e si ècl e  : de s Pa rt h e s a r saci de s au x P e r se s sa s sa n i de s Un survol du monde iranien du i er au iv e siècle, de son histoire politique et religieuse, est nécessaire, car la Babylonie, cadre géographique principal des mouvements religieux dont il est question dans cette recherche (elkasaïsme, manichéisme et mandéisme), s’est successivement trouvée à cette époque sous la domination des Parthes arsacides et des Perses sassanides 112 . Le mazdéisme ou zoroastrisme, qui est le culte des Parthes et des Perses à cette époque, a exercé des influences déterminantes non seulement sur le manichéisme et le mandéisme (avec le dualisme et la cosmologie), mais aussi sur le judaïsme (avec l’eschatologie et l’apocalyptique) 113 et le christianisme (avec l’eschatologie et la sotériologie) 114 – des influences qui ne 111. Voir J.-M. Auwers , « Où en est la question du judéo-christianisme ? Présentation de quelques publications récentes », dans Revue d ’histoire ecclésiastique 109 (2014), p. 857-874. 112.  Pour une première approche, voir E. Yarshater , The Cambridge History of Iran, III, 1 et 2, The Seleucid, Parthian and Sasanian Periods, Cambridge, 1983 (voir bibliographie, III, 2, p. 1284-1296) ; R. Ghirshman, L’Iran des origines à l ’Islam, Paris, 1976, p. 235-279 (pour les Parthes arsacides) et p. 280-342 (pour les Perses sassanides) ; P. Huyse , La Perse antique, Paris, 2005 ; M. Brosius , The Persians : An Introduction, Londres, 2006. Voir aussi R. Ghirshman, Parthes et Sassanides, Paris, 1962 (L’Univers des Formes) ; V.  Lukonin, Iran, II. Des Séleucides aux Sassanides, Genève, 1967 (Archaeologia Mundi). Voir encore D.T.  Potts , The Oxford Handbook of Ancient Iran, Oxford, 2013. 113. Voir C.  Bakhos – M.R. Shayegan (Éd.), The Talmud in Its Iranian Context, Tübingen, 2010 ; S. Secunda, The Iranian Talmud. Reading the Bavli in Its Sasanian Context, Philadelphie/Massachusetts, 2014. 114. Voir R.E. Payne , A State of Mixture : Christians, Zoroastrians, and Iranian Political Culture in Late Antiquity, Oakland/Californie, 2015.

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sont pas toujours reconnues dans tous leurs impacts, ou qui sont mal identifiées. Il y a eu des contacts entre les Judéens et leurs voisins babyloniens ou iraniens avec des connections culturelles et sociétales. Ils ont été souvent négligés par les chercheurs qui commencent toutefois à s’y intéresser 115. Cette présentation est celle d’un historien non spécialiste, elle s’appuie sur un cours donné il y a une vingtaine d’années, réactualisé par endroit mais pas partout. I. Éléments d’histoire politique et culturelle Sous les Parthes arsacides comme sous les Perses sassanides, la Babylonie, de par son influence religieuse, joue un rôle déterminant dans l’histoire du Proche-Orient ancien 116. Outre que cette région soit un point de passage commercial essentiel (notamment à cause de la célèbre route de la soie qui la traverse, avant d’aboutir à Palmyre), elle est surtout au centre des rencontres culturelles, et donc religieuses, entre l’ouest méditerranéen, hellénophone et araméophone, et l’est asiatique. Les Grecs, depuis l’époque d’Alexandre le Grand, ont joué un rôle important en Babylonie, même après la défaite de la dynastie des Séleucides et la victoire de la dynastie des Arsacides, qui n’a pas entrainé leur départ 117. Au-delà de la période envisagée, aux vi e et vii e siècles, il faut savoir que la Babylonie (notamment à Ḥira, capitale du royaume des Lakhmides – vassaux des Sassanides) abrite les derniers philosophes et théosophes païens, néoplatoniciens, de langue grecque. Cette région est le siège, à Séleucie-Ctésiphon, de la capitale de l’empire parthe. Il en est d’ailleurs de même, mais de façon épisodique, à l’époque de l’empire sassanide. Dans cette présentation, il n’est pas question d’exposer en détail l’histoire des dynasties arsacides et sassanides durant cette période, ce n’est évidemment pas le lieu. Aussi, après une courte esquisse géographique, on consacre uniquement trois moments respectivement aux Parthes arsacides, 115. Voir U.  Gabbay – S. Secunda (Éd.), Encounters by the Rivers of Babylon. Scholarly Conversations between Jews. Iranians, and Babylonians in Antiquity, Tübingen, 2014. 116. Au sujet de l’influence religieuse de la Babylonie sur le monde iranien voir M.A. Dandamayev – G. Gnoli, « Babylonia », dans Encyclopaedia Iranica III (1989), p. 326-336. 117.  À ce sujet, voir A. Kurt – S. Sherwin-White (Éd.), Hellenism in the East : The Interaction of Greek and Non-Greek Civilizations from Syria to Central Asia after Alexander, Londres, 1987. Voir aussi L. Graslin-Thomé , « La Babylonie hellénistique, le point de vue ‘des dominés’ », dans G. Feyel – J. Fournier – L. GraslinThomé – K. K irbihler (Éd.), Communautés locales et pouvoir central dans l ’Orient hellénistique, Nancy, 2012, p. 237-258.

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aux Perses sassanides et aux guerres entre l’empire romain et l’empire iranien dont la permanence a joué un rôle assez déterminant dans le développement de certains mouvements religieux comme celui, par exemple, des elkasaïtes à l’époque de Trajan. La problématique de l’approche proposée porte essentiellement, quand c’est possible, sur la délicate question des sources de l’histoire iranienne dans l’Antiquité. Les sources peuvent être réparties en quatre corpus principaux : l’Avesta, les inscriptions achéménides, les inscriptions sassanides ainsi que la littérature religieuse et cultuelle en pehlevi (ou moyen-perse) produite par des prêtres mazdéens des iii e-vii e siècles, mais reproduite aux ix e-x e siècles.

A. Esquisse géographique L’Iran actuel ne couvre qu’une partie du territoire occupé par les Iraniens au cours de leur histoire durant cette période. Il faut y ajouter au moins, pour ce qui est des territoires de l’est, le Gandhara et la Bactriane (régions situées actuellement à l’intérieur des frontières du territoire de l’Afghanistan et du Pakistan), la Sogdiane et la Margiane (régions situées actuellement à l’intérieur des frontières de l’Asie centrale anciennement soviétique, notamment le Turkestan). Il est évident que les frontières de l’empire iranien à l’époque des Parthes et des Perses ont varié au cours de ces siècles arsacide et sassanide, aussi bien à l’est qu’à l’ouest. Toutefois, la Babylonie, la région qui intéresse principalement cette recherche, car berceau de nombreux cultes religieux, est toujours restée sous la domination iranienne à l’exception de certaines brèves périodes durant lesquelles elle est passée sous la domination romaine – de ce fait, les nombreuses fluctuations de la frontière jouent un rôle important dans les développements religieux de certains mouvements comme par exemple le christianisme ou le manichéisme qui en ont profité pour passer d’un empire à l’autre 118. Précisons que c’est surtout le sud de la Babylonie, connu sous le nom de Characène (selon le grec) ou de Mésène (selon le pehlevi ou moyenperse), qui a été un centre important pour les baptistes qui y ont trouvé refuge 119. La Mésène a été constituée en monarchie indépendante par le roi Hyspaosines (209-124 avant notre ère), avec pour capitale, Charax et pour port, Pharat, au cours du ii e siècle avant notre ère, lors de l’effritement 118. Voir E.  Frézoul , « Les fluctuations de la frontière orientale de l’Empire romain », dans La géographie administrative et politique d ’Alexandre le Grand à Mahomet. Actes du colloque de Strasbourg 14-16 juin 1979, Leyde, 1981, p. 177-225. 119. Voir J.  H ansman, « Characene and Charax », dans Encyclopaedia Iranica  V (1991), p. 363-365.

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du pouvoir séleucide dans cette région – une royauté qui va accepter la vassalité des Parthes arsacides puis des Perses sassanides.

B. Esquisse historique : les Parthes arsacides 120 S’il est une période obscure de l’histoire de l’Iran ancien, c’est bien celle des cinq siècles durant lesquels les Parthes arsacides imposent leur autorité à l’ensemble du plateau iranien. Cette obscurité pourrait en partie s’expliquer de deux points de vue, celui du philologue et celui de l’archéologue. L’abondance relative des sources étrangères, qui proviennent principalement de l’historiographie gréco-latine, a pu conduire le philologue à négliger la recherche de documents proprement iraniens. L’intérêt que l’archéologue a porté en premier lieu aux civilisations les plus anciennes a pu l’amener à ne pas prendre garde aux témoins qui subsistent encore de l’époque parthe, plus récente. Cela est tout de même insuffisant pour rendre compte de l’indigence des sources iraniennes concernant la période parthe. Force est donc d’admettre, semble-t-il, qu’à cette époque, aussi bien qu’au cours des périodes antérieures, les Iraniens ont manifesté une certaine répugnance envers les documents écrits, privilégiant en revanche la tradition orale. L’écriture n’a été pour eux qu’un luxe, souvent passager, héritée des civilisations voisines, et les Arsacides ont, mieux que d’autres, illustré cette tendance à se contenter de la transmission orale de leur culture – même si elle a été largement utilisée dans le domaine de l’administration et de la chancellerie, comme en témoigne l’archive de la capitale parthe de Nisa. Un autre phénomène tend à obscurcir considérablement certains aspects du monde parthe : c’est essentiellement l’apport de l’hellénisme, dont l’impact exact demeure difficile à déterminer, mais qui a certainement exercé, on l’a déjà laissé entendre, une forte influence sur l’art en particulier et sur la culture en général, voire sur la « religion » iranienne, au-delà même de la période parthe. Quoique réceptifs à cet apport grec, et capable de s’en enrichir, les Parthes ont-ils su créer une civilisation originale ? À cette question, il n’y a pas encore de réponse définitive, sinon très partielle. Si le fait d’avoir gravé un bas-relief au-dessous d’un relief achéménide a une signification précise, il semble peut-être que les Arsacides aient voulu être considérés comme les héritiers des Achéménides, et ils l’ont sans doute été. Quoi qu’il en soit, pour tout ce qui touche l’histoire des Parthes arsacides, il faut s’en remettre essentiellement à Polybe, à Strabon, à Arrien, à 120.  Pour une première approche, voir P. Gignoux – G.  Jucquois , « Parthes », dans Encyclopaedia Universalis 12 (1968), p. 564-568 ; N.C. Debevoise , A  Political History of Parthia, Chicago/Illinois, 1938 ; M.A.R.  Colledge , The Parthians, Londres, 1967 ; J. Wolski, L’Empire des Arsacides, Louvain, 1993. Voir aussi Les Parthes, Quétigny, 2002 (Dossiers d ’archéologie 271).

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Dion Cassius, sans négliger pour autant les sources chrétiennes en langue syriaque ou arménienne. Les Parthes ont joué un rôle important dans l’histoire du Proche-Orient ancien, du début du ii e siècle avant notre ère à la fin du ii e siècle de notre ère. C’est grâce au rôle que les Parthes ont tenu dans l’affaiblissement permanent de l’empire séleucide que se sont formés de petits royaumes ethniques et marginaux comme ceux de Judée, de Nabatène, de Palmyrène, d’Osroène et d’Adiabène… Plus tard, les Parthes ont été les seuls à leur époque, à s’opposer véritablement à l’expansion et à l’hégémonie de l’empire romain en Orient. Les Parthes sont devenus, de ce fait, les champions du monde oriental vers qui tous les peuples orientaux en lutte contre l’empire romain ont tourné leurs regards, aussi bien les Judéens de Jérusalem que les Arabes de Pétra, de Palmyre, d’Édesse ou d’Arbèles. Les Parthes ont ainsi toujours été accueillis en libérateur par les Judéens de Judée, autant à l’époque des luttes contre les Séleucides qu’à l’époque des luttes contre les Romains. Prenons deux faits pour exemple :   - en 40 avant notre ère, les Parthes interviennent en Judée, chassent Hyrcan II, alors vassal des Romains, et le remplacent par Aristobule II, un autre membre de la famille des Hasmonéens, ami de longue date ;   - en 114-117 de notre ère, alors que Trajan a envahi l’empire parthe, les Judéens de toute la Diaspora, aussi bien romaine qu’iranienne, se révoltent pour nuire aux Romains et ralentir leurs troupes.   Ce n’est donc pas un hasard, si en Babylonie, alors sous domination parthe, une communauté judéenne, présente depuis longtemps, s’est orga­ nisée, s’est développée et a prospéré au point de devenir un des centres les plus brillants du judaïsme.

C’est pourquoi, la connaissance de l’empire parthe, de son histoire, de sa culture et de ses cultes religieux, est importante pour la compréhension de l’histoire du Proche-Orient méditerranéen aux alentours de notre ère, et cela autant pour l’étude du judaïsme que pour celle du christianisme. Après ces considérations générales, on s’intéresse uniquement à la question de la formation de l’empire parthe arsacide. La formation de l’empire parthe arsacide L’origine de l’empire parthe arsacide est une question difficile et controversée, tellement on est peu ou mal documenté sur ce point : en effet, il n’y a aucun consensus à ce sujet parmi les spécialistes. Dans la première moitié du iii e siècle avant notre ère, des tribus scythes font irruption en Iran. Appelées par les historiographes anciens Parnes ou Aparnes, elles auraient émigré de la région de la mer d’Aral pour s’installer en Parthie, après avoir été refoulées par le satrape Diodote Ier de Bactriane, qui se rend indépendant du pouvoir séleucide vers 240. Conduits

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par Arsace, qui donne son nom à la dynastie, ces nomades vont, comme Diodote Ier et avec l’aide de Diodote II, profiter de l’incapacité des Séleucides à maintenir leur autorité sur les régions orientales, pour s’y implanter : s’emparant des territoires de l’ouest, ce qui ne va pas être facile ni acquis de manière définitive avant 140. Sans entrer dans les détails d’une histoire complexe, observons que six souverains parthes appartenant aux Arsacides se sont succédé à la tête de leur royaume en formation. Certains sont très connus et ont joué un rôle fondamental dans la formation de leur royaume, d’autres le sont moins. Arsace (mort en 248), le fondateur de la dynastie, s’affranchit pratiquement de la tutelle des Séleucides, mais ne peut mener ses ambitions jusqu’à leur terme et il meurt au combat dans une bataille contre les Bactriens. Tiridate Ier (248-211), son frère, profite des luttes que se livrent les Lagides et les Séleucides en Syrie pour reprendre le flambeau de l’émancipation parthe et de la renaissance iranienne. Il accroit le territoire par la conquête de l’Hyrcanie, vainc les forces séleucides et prend les titres de « Grand Roi » et de « Rois des Rois », inaugurant ainsi l’ère des Parthes (247). Il organise la divinisation d’Arsace et le rattachement de la dynastie des Arsacides à celle des Achéménides par une généalogie « fictive » qui fait de son frère et de lui-même les petits-fils d’Artaxerxés II. Vers 228, le roi séleucide Séleucos II (247-226) marche vers l’est, et Tiridate doit battre en retraite, mais il semble que ce dernier n’a pas été menacé outre mesure et qu’il est parvenu à se maintenir en Parthie et à Hécatompylos, la première grande capitale des Parthes, la capitale originelle des Parthes étant Nisa. Artaban Ier (211-191) est le fils de Tiridate Ier : c’est lui qui s’empare d’Ecbatane. Mais le roi séleucide Antiochus III (223-187) réagit : il entreprend avec succès une expédition vers l’est, bat Artaban Ier, s’empare de sa capitale Hécatompylos et parcourt tout le territoire parthe jusqu’à l’Hyrcanie, peut-être en vue de rétablir la liberté des voies commerciales vers l’Extrême-Orient. La Parthie se retrouve ainsi à nouveau dépendante des Séleucides, toutefois Artaban Ier n’a pas été déposé par son vainqueur qui lui a reconnu le titre de « roi des Parthes ». Après les règnes peu marquants de Priapatius (191-176) et de Phraates Ier (176-171), Mithridate Ier (171-138/137) monte sur le trône. Ce monarque doit être considéré comme le véritable fondateur de l’empire arsacide. C’est avec lui que les Parthes envahissent les régions de l’ouest, causant le départ précipité du roi Antiochus IV Épiphane (175-164) de la Palestine, où a éclaté une insurrection dirigée par la famille des Hasmonéens vers l’est. Après les règnes également peu saillants de Phraates II (138/137128/127) et d’Artaban II (128/127-124), Mithridate II le Grand (124-88) accède au pouvoir. Il a été le grand organisateur du royaume parthe qui, sous son règne, atteint sa plus grande superficie.

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C. Esquisse historique : les Perses sassanides 121 Le règne en Iran des Perses sassanides, qui dominent un immense territoire de 224, après la victoire d’Hormizdagan, à 642 sur les Parthes, après la défaite de Qadisiya face aux arabes, peut être considéré comme une transition entre l’Iran hellénisé des Parthes imprégnés de culture grecque et l’Iran islamisé des Perses pénétrés par la culture arabe. Les spécialistes ont souvent qualifié la période sassanide comme étant un retour à l’âge d’or de la période achéménide, en insistant sur une réaction nationaliste hostile aux influences étrangères. Il existe des analogies certaines entre les périodes achéménide et sassanide, pas moins de deux : (1) de même que les Perses d’Archéménès ont supplanté les Mèdes, de même les Perses d’Ardachir ont succédé aux Parthes ; (2) de même que l’empire des Achéménides s’est effondré sous les assauts des armées d’Alexandre, de même l’empire des Sassanides n’a pas résisté longtemps aux assauts des armées de Mahomet. De plus, les Achéménides comme les Sassanides ont su profiter de l’expérience de leurs devanciers, en ne les écartant pas immédiatement des postes de responsabilité. Néanmoins, à l’époque sassanide, la présence de la langue parthe à côté de la langue pehlevi (ou moyen-perse), qui ne sont pourtant associées que dans des corpus épigraphiques et seulement pour le iii e siècle de notre ère, atteste tout de même une certaine continuité entre les Arsacides et les Sassanides – laquelle repose essentiellement sur des infrastructures administratives et militaires ainsi que sur des traditions iconographiques. C’est pourquoi, il serait vain d’exagérer la portée de ces analogies entre les Achéménides et les Sassanides. L’Iran des Perses sassanides a été marqué essentiellement par la pénétration de « cultes » relativement anciens comme le christianisme à l’ouest (Syrie, Babylonie et Perside) et le bouddhisme à l’est (Asie centrale), et aussi l’éclosion de mouvements relativement nouveaux et originaux comme le manichéisme ou le mandéisme. Conséquence : à cause du développement de ces nouveaux mouvements religieux, il s’est produit en Iran un fait original, capital même, qui permet de comprendre son histoire religieuse : le foisonnement sur son sol de cultes religieux concurrents et prétendant à l’universalisme a conduit le mazdéisme non seulement à s’organiser en un culte d’état, puissant et hiérarchisé, mais aussi à se faire le persécuteur de tous les cultes qui sont d’origine étrangère. En effet, dès le milieu du iii e siècle, les prêtres du culte de Zoroastre, qui ont, durant longtemps, toléré tous les cultes d’origine étrangère (assyro-babyloniens, chaldéens, 121.  Pour une première approche, voir : P. Gignoux, « Sassanides », dans Encyclopaedia Universalis 14 (1968), p. 686-687 ; A.  Christensen, L’Iran sous les Sassanides, Copenhague, 1936 ; J. Gagé , La montée des Sassanides à l ’heure de Palmyre, Paris, 1964.

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égyptiens, grecs et judéens), deviennent véritablement «  intolérants  » à l’égard des autres et « exclusifs » pour les Iraniens. C’est, selon toute apparence, la fin d’un monde où la cohabitation des croyances a été auparavant possible. Toutefois sur le plan de la culture profane, l’Iran sassanide continue toujours à demeurer perméable aux apports étrangers. En ce qui touche l’histoire des Perses sassanides, les sources sont relativement abondantes. Outre les sources iraniennes profanes et sacrées parvenues en parthe et en pehlevi (ou moyen-perse), ainsi que les traditions sassanides conservées dans les littératures arabe et persane, il faut s’en remettre essentiellement à Dion Cassius, à Ammien Marcellin et à Procope de Césarée, sans négliger pour autant les sources chrétiennes d’origine syriaque ou arménienne, de même que les quelques rares sources chinoises. On dispose aussi d’inscriptions rupestres (de rois, de notables et de prêtres) et de légendes monétaires et sigillaires : ces dernières sont apparemment les seules à documenter l’organisation administrative de l’empire sassanide ainsi que l’organisation sacerdotale et hiérarchique des Mages. Après ces considérations générales, on s’intéresse seulement à la question de la formation de l’empire perse sassanide et à celle de la politique religieuse du grand mage Kartir ou Kirdir. La formation de l’empire perse sassanide C’est à Istaxr, en Perside, qu’Ardachir Ier (224-241), petit-fils de Sasan, l’éponyme de la dynastie, et fils de Pabag, attaché au temple d’Anahita, fomente une révolte, puis bat et tue le roi des rois arsacide Ardavan IV dans la plaine d’Hormizdagan en 224. Il soumet la Babylonie et la capitale Séleucie-Ctésiphon, ainsi que d’autres provinces de l’empire. Son fils Shapur Ier (241-272), tout en consolidant le nouvel empire, s’illustre par plusieurs victoires remportées sur les Romains : il tue Gordien, oblige Philippe l’Arabe à faire la paix et capture Valérien comme l’attestent les bas-reliefs que ce « roi des rois » a fait sculpter en plusieurs endroits, notamment à Naqsh-e Rostam et à Naqsh-e Rajab (non loin de Persépolis). Les succès des deux premiers sassanides, dans la fondation de leur empire, sont dus essentiellement à une conjoncture intérieure et extérieure qui sont exceptionnelles. Ils ont su profiter aussi bien de la désagrégation de la monarchie arsacide, résultant de la sécession des satrapies et de l’insoumission des nobles, que de la faiblesse des Romains qui vivent alors une période d’anarchie politique et militaire caractérisée. Sous Ardachir et Shapur, ont été édifiées de nouvelles cités portant le nom de ces souverains. Séleucie a été rebâtie sous le nom de Veh-Ardachir, mais n’est probablement pas restée la capitale de l’empire. En comparant les listes des provinces au iii e siècle, on s’aperçoit que la Babylonie n’apparaît qu’au cinquième rang, et il y a tout lieu de penser que ces rois ont vécu en Perside et gouverné de là leur empire. Les bas-reliefs et inscriptions gravées sur l’ordre de Shapur, et les nombreuses villes qu’il a fait bâtir, se

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trouvent pour la plupart en Perside ou en Susiane. Ainsi Shapur a fondé, en Perside, Veh-Shapur (ou Bichapour), une sorte de résidence princière. Le roi des rois fait aussi construire Nev-Shapur (ou Nichapour) en Parthie, Hormizd-Ardachir et Veh-Andiyok-Sappur (ou Gundeshapur) en Susiane, Peroz-Shapur sur l’Euphrate. Personnalité de premier plan, ayant accédé au pouvoir avant même la mort de son père, Shapur s’est intéressé aussi aux domaines artistiques et religieux, notamment en manifestant une curiosité bienveillante pour les nouvelles doctrines de Mani et du manichéisme. La politique religieuse du grand mage Kartir ou Kirdir Kartir ou Kirdir est une figure célèbre de l’empire perse sassanide du iii e siècle. Il est assez bien connu aujourd’hui grâce aux quatre inscriptions en pehlevi ou moyen-perse qu’il a laissées, et qui retracent sa prestigieuse carrière religieuse 122 – on connaît même son visage grâce au bas-relief de Nasqsh-e Rajab. Durant le règne de Vahram II (276-293), Kartir a été, en effet, l’organisateur, non pas le fondateur comme on le dit parfois, d’un certain mazdéisme d’état, dont il est devenu le chef suprême, et par làmême, un des personnages importants de l’empire. Le « Grand Mobad », tel a été son titre, a employé toute son énergie à développer le culte, à accroître le clergé, à établir partout des temples du feu. Les fouilles semblent confirmer largement cette dernière affirmation, car c’est de l’époque sassanide qu’on date le plus grand nombre de ces monuments, soit 49 sur les 66 connus à ce jour. Parmi ces temples, une quarantaine sont de simples petits bâtiments carrés à quatre murs ouverts sur l’extérieur et surmontés d’une coupole (« Chahâr tâq ») : la moitié d’entre eux sont situés en Perside. Kartir ne s’est pas borné à promouvoir le « culte des mazdéens ». À la suite des progrès réalisés en Iran et ailleurs par les cultes reposant sur un corpus scripturaire spécifique, comme le judaïsme, le christianisme, l’elkasaïsme et le manichéisme, Kartir en a persécuté les adeptes, comme il le dit d’ailleurs lui-même dans une inscription fort remarquée 123. Kartir n’a pas épargné non plus, semble-t-il, ceux qui, à l’intérieur du mazdéisme, ne professent pas des doctrines qu’il considère comme orthodoxes ou normatives. Tels peut-être les maguséens, qui se sont laissé séduire 122. Voir P.  Gignoux, Les quatre inscriptions du mage Kirdir : Textes et concordances, Paris, 1991. 123.  À ce sujet, voir S.C.  M imouni, « Les Nazoréens. Recherche étymologique et historique », dans Revue biblique 105 (1998), p. 208-262, spécialement p. 251260. Voir aussi C.  Jullien & F.  Jullien, « Aux frontières de l’iranité : ‘nasraye’ et ‘kristyone’ des inscriptions du Mobad Kirdir : enquête littéraire et historique », dans Numen 49 (2002), p. 282-335 ; S. Brelaud – F. Briquel Chatonnet, « Quelques réflexions sur la désignation des chrétiens dans l’inscription du Mage Kirdir et dans l’empire sassanide », dans Parole de l ’Orient 43 (2017), p. 113-136.

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par l’astrologie chaldéenne, ou les zurvanites, qui croient en un mythe des origines foncièrement dualiste, selon lequel le dieu du temps, Zurvan, a engendré deux jumeaux, Ohrmazd et Ahriman, dieux du bien et du mal : comme ce mythe est connu surtout par des sources étrangères (syriaques et arméniennes), on pense aujourd’hui qu’il n’a toutefois représenté sans doute qu’une forme de croyance populaire, dont l’orthodoxie officielle n’a guère eu à s’inquiéter et au sujet de laquelle il a été aisé pour les apologètes chrétiens de polémiquer. Les circonstances de la fin de Kartir demeurent obscures. On se demande s’il a conservé sa charge ou s’il est mort avant l’usurpation de Narseh, oncle de Vahram II, qui a profité de la présence sur le trône de Vahram III (293), encore mineur, pour s’emparer du pouvoir. Kartir, en effet, est tout juste nommé sur le monument inscrit que Narseh a fait ériger à Paikuli, en souvenir de son retour d’Arménie, où il a été roi, à Séleucie-Ctésiphon, où l’attendent ses partisans. Les persécutions de Kartir semblent avoir été la cause de nombreux troubles dans tout l’empire iranien 124 . La paix interne ne paraît être finalement revenue qu’avec les règnes de Narseh (293-302) et d’Ohrmazd II (302-309).

D. Les guerres entre l’empire romain et l’empire iranien 125 Une fois la puissance séleucide vaincue, c’est à celle de Rome qu’ont été confrontés les Parthes arsacides d’abord, les Perses sassanides ensuite. Il faut savoir, pour bien comprendre ces guerres incessantes, que Rome a toujours cherché à récupérer entièrement l’héritage territorial des Séleucides auxquels elle estime avoir succédé en 64 avant notre ère. La question des guerres, qui ont opposé l’empire romain et l’empire iranien, est essentielle pour comprendre l’histoire du Proche-Orient à cette époque. Du milieu du i er siècle avant notre ère à la première moitié du vii e siècle de notre ère, de nombreux conflits, souvent défavorables aux Romains, ont eu lieu pour la domination des régions situées entre l’Euphrate et le Tigre, sans compter l’Arménie qui a joué un rôle clef. 124. À ce sujet, voir A.  de Jong, « Zoroastrian Religious Polemics and their Contexts : Interconfessional Relations in the Sassanian Empire », dans T.L. H ettema – A. van der Kooij (É d.), Religious Polemics in Context. Papers Presented to the Second International Conference of the Leiden Institute for the Study of Religions (LISOR) Held at Leiden, 27-28 April 2000, Assen, 2004, p. 48-63. 125.  Pour une première approche, voir V. Chapot, La frontière de l ’Euphrate de Pompée à la conquête arabe, Paris, 1907 ; J. Wolski, « Iran und Rom. Versuch einer historischen Wertung der gegenseitigen Beziehungen », dans ANRW II, 9.1 (1976), p.  195-214 ; G. Widengren, « Iran, der grosse Gegner Roms », dans ANRW II, 9.1 (1976), p. 219-306 ; B. I ssac , The Limits of Empire. The Roman Army in the East, Oxford, 19901,  19922 ; B. Dignas – E. Winter , Rome and Persia in Late Antiquity : Neighbours and Rivals, Cambridge, 2007.

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Aucun camp n’étant capable de vraiment dominer l’autre, les guerres romano-iraniennes n’ont pris fin qu’avec les conquêtes des Arabes musulmans qui ont su profiter, apparemment sans le savoir, de l’épuisement des deux camps. Ces guerres ont joué un rôle fondamental dans l’expansion ou la régression de certains mouvements religieux missionnaires comme le christianisme originaire de l’ouest ou le manichéisme originaire de l’est. L’elkasaïsme, tout comme d’ailleurs le manichéisme, a été considérés par les auteurs chrétiens vivant dans l’empire romain comme un culte originaire de l’empire parthe, et donc comme un culte étranger et suspect sur le plan politique. L’histoire de l’image du Parthe ou du Perse dans l’imaginaire romain est de première grandeur comme clef de compréhension de ces guerres. Nul doute que cette image, négative et craintive, a été utilisée ensuite à des fins apologétiques par les hérésiologues chrétiens dans le but d’éliminer de sérieux concurrents sur le plan de la mission (les elkasaïtes comme les manichéens ayant été d’ardents propagateurs de leurs croyances et de leurs pratiques, sans parler des nestoriens) 126. Il convient de distinguer les conflits qui ont eu lieu sous les Parthes arsacides de ceux qui ont eu lieu sous les Perses sassanides. On ne fait dans un cas comme dans l’autre que donner des indications informatives. 1. Les conflits romano-parthes 127 Les guerres avec Rome, qui se déroulent sur deux aires principales, en Mésopotamie et surtout en Arménie, constituent comme un tournant dans l’histoire des Arsacides. Du côté romain, l’entreprise s’est le plus souvent soldée par des échecs tant que des plans grandioses, visant à la domination de l’Arménie, ont été conçus. Les menées des Romains en Mésopotamie ont été davantage couronnées de succès, au cours du ii e siècle de notre ère, et elles ont entraîné le déclin de la monarchie devenue une proie facile pour d’autres Iraniens. Du côté parthe, l’affrontement avec les Romains a obligé le roi des rois à déplacer sa capitale de Parthie en Babylonie, où a été créée Ctésiphon pour des raisons stratégiques, Hécatompolys étant par trop excentrique. Mais de fait, la défense de l’empire n’est non plus tant assurée par le roi que par de vaillants généraux issus des grandes familles vassales disposant de forces armées autonomes. 126. Á ce sujet, voir C.  L erouge , L’image des Parthes dans le monde grécoromain. Du début du i er siècle av. J.-C. jusqu’ à la fin du Haut-Empire romain, Stutt­ gart, 2007. 127. Pour une première approche, voir M.G. A ngeli Bertinelli, « I Romani oltre l’Eufrate nel II secolo d. C. (le province di Assiria, di Mesopotamia e di Osroene) », dans ANRW II, 9.1 (1976), p. 3-45.

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On ne retient de ces conflits de trois siècles entre les Romains et les Parthes que l’essentiel. Outre les campagnes de Crassus (54 avant notre ère), d’Antoine (36 avant notre ère) et de Corbule (57-58 de notre ère) qui ont été des échecs parfois désastreux, les expéditions de Trajan (en 114-117), de Lucius Verus (en 161-165) et de Septime Sévère (en 193-195) ont été pour leur part des succès même s’ils ont été assez relatifs puisque les conquêtes de territoires ont été minimes ou temporaires. On examine uniquement les campagnes de Crassus et d’Antoine, ainsi que l’expédition de Trajan. Ces trois guerres ont tenu, d’une certaine façon, un rôle important dans l’histoire des Judéens de Palestine et de Babylonie et il est possible que ce soit durant la dernière que l’elkasaïsme, comme on l’a déjà dit, ait été fondé, d’où leur intérêt. Observons toutefois qu’entre 95 et 64 avant notre ère trois traités avec les Parthes ont été conclus par Sylla, Lucullus et Pompée – le dernier en 66 128. La campagne de Crassus (53 avant notre ère) 129 Après les tentatives infructueuses de Lucullus et de Pompée pour s’imposer en Arménie, la première campagne importante contre les Parthes est due à Crassus. En 53 avant notre ère, à la tête d’une armée de quarantedeux mille hommes, il attaque en Mésopotamie avec Séleucie pour objectif. Mais près de Carrhes (= Ḥarran), l’infanterie romaine est détruite par les dix mille cavaliers parthes placés sous le commandement du général parthe Suren. Crassus fuit alors en Arménie. Suren propose la paix, mais la rencontre est troublée par un incident au cours duquel un Parthe est tué. Aussitôt une mêlée s’ensuit, dans laquelle Crassus trouve la mort. Les Romains perdent vingt mille hommes, et dix mille autres, faits prisonniers, ont été déportés en Margiane. Le roi Orodes II (57-37/36), jaloux du succès du général Suren, le fait mettre à mort. La campagne d’Antoine (36 avant notre ère) La politique se déplace pour un temps en Syrie où Rome est désormais en situation dangereuse par suite de la suprématie parthe. Les appels au secours de Cicéron demeurent vains : César, qui a bien vu le danger et prépare une expédition avec Octave, est assassiné avant d’avoir pu mettre à exécution son projet. Celui-ci est repris par Antoine, alors que le roi parthe Pacore Ier (37/36) a envahi la Syrie et s’est avancé en Judée jusqu’à Jérusa128. Voir A.  K eavenay, « Roman Treaties with Parthia : 95-64 B.C.A. », dans American Journal of Archaeology 102 (1981), p. 195-202. 129. Voir G.  Sampson, The Defeat of Rome : Crassus, Carrhae and the Invasion of the East, Barnsley, 2008 ; G. Traina, Carrhae 9 juin 53 avant J.-C. : anatomie d ’une défaite, Paris, 2011.

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lem, qui passe sous son contrôle et reçoit un roi judéen à sa convenance – ce n’est que pour quelques années, car la ville est réoccupée par Rome en 37. Après la récupération de la Syrie par les Romains, une deuxième campagne en Arménie, conduite par Antoine, est organisée, elle est aussi un désastre : en 36, le Romain, allié du roi d’Arménie Artavasde, décide, avec une armée de cent mille hommes d’entreprendre le siège d’Atropatène, la capitale de la Médie : cependant, tous ses engins et son matériel de guerre, demeurés en arrière, sont détruits par les Parthes. Artavasde déserte avec une partie des forces alliées, Antoine doit, à l’approche de l’hiver, lever le siège et subir les attaques répétées de la cavalerie parthe dans des régions montagneuses. La famine s’installe parmi les Romains qui battent péniblement en retraite sur l’Araxe, et Antoine perd, dit-on, trente-cinq mille hommes. Après un séjour en Égypte auprès de Cléopâtre, Antoine a plus de succès, en s’assurant le contrôle de l’Arménie par ruse : faisant prisonnier Artavasde, il le livre à la cruauté de Cléopâtre qui le fait mettre à mort. Cette lutte entre les trois partis en cause se poursuit jusqu’en 20 avant notre ère sous la direction d’Octave : l’apaisement se fait cette année-là, grâce à la remise aux Romains des étendards et au retour des prisonniers dont les Parthes se sont emparés au cours des campagnes de Crassus et d’Antoine. L’expédition de Trajan (114-117) 130 L’expédition de Trajan en Orient iranien, qui a été la plus importante et la plus victorieuse de toutes celles entreprises par Rome, est d’éliminer le danger séculaire et permanent que représente, pour l’empire romain, l’empire parthe, la seule grande puissance, qui subsiste encore dans le monde, face à Rome. Pour réaliser son audacieux programme, Trajan procède à une préparation militaire minutieuse en Syrie, où il établit sa base d’opération, et où il attend le moment favorable, qui lui est justement donné par l’éclatement d’une guerre civile dans l’empire parthe. Après l’annexion de Pétra et de Palmyre, en 106, et la constitution du limes d’Arabie, Trajan réunit en Syrie une puissante armée de campagne, dont le noyau est formé par les légions permanentes d’Orient. Instruit par l’exemple de ses prédécesseurs, Trajan, au lieu de marcher directement vers Ctésiphon, préfère atteindre son adversaire en conquérant d’abord l’Arménie (en 114), puis l’Assyrie (en 115), et enfin la Babylonie (en 116).

130. Voir J.  Guey, Essai sur la guerre parthique de Trajan (114-117), Bucarest, 1937 ; F.A.  L epper , Trajan’s Parthian War, Oxford, 1948.

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- Conquête de l’Arménie (en 114)   Trajan commence par s’assurer, dans la région du Caucase, une base so­lide d’opération, en liant étroitement la cause romaine aux peuples de cette zone septentrionale.   La politique traditionnellement anti-romaine des Parthes en Arménie enlève à l’intervention militaire de l’empereur tout caractère d’agression. Le roi des Parthes Osroès Ier (107-130), successeur de Pacorus II (78115/116 ?), vient, en effet, de chasser du trône d’Arménie un roi vassal de Rome et de le remplacer par son propre neveu, Parthamasiris. Arrivé en Syrie, dans les premiers jours de 114, Trajan part d’Antioche au printemps de la même année à la tête de son armée et, en quelques mois, conquiert tout l’Arménie. - Conquête de l’Assyrie et de la Babylonie (en 115-116)   Maître du Caucase et de l’Arménie, appuyé par les provinces de Cappadoce et de Syrie, Trajan ouvre la campagne contre les Parthes par une offensive foudroyante.   La Médie et l’Assyrie sont occupées partiellement dès 114. Le roi d’Osrhoène, Abgar, abandonnant les Parthes, se rallie à la cause des vainqueurs, et l’armée romaine prend ses quartiers d’hiver à Édesse, capitale de ce monarque.   Revenant à la charge au printemps de 115, Trajan achève la conquête de la Mésopotamie du nord. Des discordes intérieures survenues chez les Parthes ont facilité les succès des Romains, notamment en empêchant Osroès Ier de venir au secours de ses villes fortes.   Au printemps 116, Trajan, quittant de nouveau Antioche où il est revenu prendre ses quartiers d’hiver, reprend les opérations avec pour objectif la Mésopotamie du sud, centre politique et administratif de la monarchie parthe et siège de ses villes orientales. Les trois capitales parthes tombent successivement : Babylone, partiellement évacuée, est prise rapidement ; Ctésiphon et Séleucie sont prises à leur tour. Le roi parthe Osroès Ier s’enfuie vers l’est, laissant une de ses filles prisonnière des Romains et abandonnant son trône d’or, celui des Arsacides, aux mains de l’empereur. Maître de l’Assyrie et de la Babylonie, Trajan prend officiellement le titre de « Parthicus » et fait battre des monnaies portant le nom de Parthia capta. - Arménie, Assyrie et Babylonie : érigées en provinces romaines (en 116)   Pour la première fois, le Proche-Orient romain s’étend jusqu’au golfe Persique au sud, et jusqu’au mont Zagros au nord, les Parthes étant refoulés dans leurs plateaux d’Iran. L’Arménie jointe à la Cappadoce est organisée en province romaine. Deux autres provinces sont constituées par l’Assyrie et la Babylonie (que les Romains appellent la Mésopotamie). Cependant, loin d’être définitivement résolu par ces conquêtes, le problème parthe n’est que partiellement et temporairement réglé. Les facteurs essentiels qui

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opposent les deux grands adversaires sont toujours présents : l’isthme iranien est toujours fermé aux Romains et la monarchie des Parthes refoulée dans ses plateaux y monte une garde vigilante. Elle ne tarde pas d’ailleurs à en descendre pour s’étendre de nouveau en direction de la Mésopotamie et de l’Arménie. - Révolte des provinces romaines d’Arménie, d’Assyrie et de Babylonie (en 117)   Alors que Trajan, qui vient d’achever son entreprise de conquête, s’apprête à regagner Rome, une révolte générale des Judéens éclate et s’étend dans tout le Proche-Orient romain – tout au moins, outre la Mésopotamie (Assyrie et Babylonie), l’Égypte, la Cyrénaïque et Chypre où elle surgit dès 116 131.   Les Parthes, qui semblent avoir provoqué ou tout au moins encouragé cette révolte judéenne de 117, en profitent et se lancent dans une guerre de partisans, à leur suite l’Arménie se soulève. Trajan, réagissant avec promptitude, prend des mesures de répression très sévères. Les villes fortes d’Édesse et de Nisibe sont reprises, il en va de même pour Séleucie sur le Tigre qui est incendiée. Jugeant comme précaire sa conquête, Trajan place Parthamaspates, un des fils d’Osroès Ier, sur le trône de l’empire parthe moribond, au cours d’une grande cérémonie tenue près de Ctésiphon.   Les Judéens révoltés sont aussi l’objet d’une répression impitoyable, aussi bien en Mésopotamie (Assyrie et Babylonie), qu’en Égypte, en Cyrénaïque ou à Chypre, où de sanglantes exécutions massives mettent fin à leur insurrection. C’est au cours de ces événements dramatiques qu’émerge un mouvement prophétique d’origine chrétienne qui, sous la direction d’Elkasaï, quitte la Palestine ou l’Arabie, pour s’installer en Babylonie. - Hadrien ramène les frontières de l’empire romain du Tigre à l’Euphrate (en 123)   Revenant à la politique traditionnelle et défensive de l’empire romain, Hadrien, le successeur de Trajan qui est mort en 117, accepte de rétablir, pour l’Orient, l’état des choses antérieures. Profitant des luttes intestines qui déchirent à ce moment-là la monarchie parthe et des invasions asiatiques qui désorganisent l’Iran, Hadrien conclut la paix avec Osroès Ier et lui abandonne les trois provinces récemment conquises par Trajan : l’Arménie, l’Assyrie et la Mésopotamie. Le roi des Parthes se réinstalle à Ctésiphon, et les frontières romaines sont ramenées à l’Euphrate.

131.  À ce sujet, voir S.C.  M imouni, Le judaïsme ancien du vi e siècle avant notre ère au iii e siècle de notre ère : des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 829-837.

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2. Les conflits romano-perses Avec l’accession au pouvoir des Sassanides la lutte contre Rome prend une forme nouvelle. En effet, de défensive, elle devient offensive. L’enjeu de cette lutte étant plus la domination sur l’Arménie (voire le maintien du limes sur l’Euphrate) que la destruction d’un des deux belligérants. Il n’est pas possible d’entrer dans le détail de ces guerres qui ne s’achèvent qu’avec la conquête islamique du vii e siècle. Shapur Ier (241-272) mène trois campagnes offensives et victorieuses contre Rome qui sont des expéditions punitives et aventureuses durant les règnes des empereurs Gordien III et Valérien. Les campagnes de Shapur Ier posent de difficiles problèmes chronologiques : la première date du règne de l’empereur Gordien III (241/242-244) 132 ; la deuxième (253 ou 256 : 1re prise d’Antioche) du règne de Philippe l’Arabe et la troisième (259/260 : 2e prise d’Antioche) du règne de l’empereur Valérien. Ces campagnes ont eu une incidence fondamentale sur le développement du christianisme dans l’empire sassanide, à cause notamment de la déportation de chrétiens de langue grecque originaires d’Antioche dans l’empire iranien. Sous le règne de Vahram II (276-293) la guerre avec Rome recommence. L’empereur Carus et son fils Numérien pénètrent jusqu’à Ctésiphon, ils prennent même la ville, mais à la suite de la mort subite de l’empereur en 283, les Romains se retirent et en 287-288 une paix est conclue avec Dioclétien et Rome obtint la possession d’une partie de l’Arménie et de la Mésopotamie. Narseh (293-302), le successeur de Vahram II reprend la guerre contre Rome en Arménie. Il est vaincu par l’empereur Galère, et la paix conclue en 298 dure environ quarante ans. Shapur II (309/310-379) refait la guerre contre Rome pour la possession de l’Arménie. Deux campagnes se déroulent durant le règne de Constance II, qu’il est même obligé de mener, afin de se dégager, des opérations offensives en Mésopotamie. Deux autres campagnes, elles aussi désastreuses, ont lieu durant les courts règnes de Julien (363) et de Valens (371-377), qui sont tués au cours des combats. Bien d’autres guerres contre Rome ont occupé les rois des rois sassanides et ont affaibli progressivement la dynastie au point que les Arabes islamiques, au vii e siècle, n’ont aucune peine à conquérir l’empire iranien. 3. Récapitulatif On ne doit jamais manquer d’apprécier les guerres parthes et perses de Rome dans ses rapports avec le judaïsme et le christianisme, même si 132.  À ce sujet, voir X. L oriot, « La guerre persique de 241/2-244 et la mort de Gordien III », dans ANRW II, 2 (1975), p. 757-775 et p. 786-787.

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leurs rôles ont parfois été mineurs. Les rois des rois parthes arsacides et perses sassanides ont souvent utilisé le vecteur religieux du judaïsme et du christianisme dans leurs luttes contre l’empire romain. C’est là un élément important qui explique en partie la gratitude ou la persécution qu’ont subie tour à tour les fidèles du judaïsme et du christianisme dans l’un ou l’autre empire. De nombreux responsables romains ont trouvé la mort sur le champ de bataille ou à proximité. Outre Crassus en 53 avant notre ère, il convient de mentionner Gordien III en 244, Valérien en 260 (lequel meurt en captivité), Carus en 283, Julien en 363 et Valens en 370. Nonobstant la récurrence de ces conflits, il y a eu entre les deux empires des périodes de paix qui ont été propices aux échanges commerciaux à longue distance le long des routes de la soie en direction de l’Asie centrale, ainsi qu’à la navigation le long de la mer Rouge et sans doute jusqu’au golfe Persique en passant par la mer Arabique (avec escale ou non à l’île de Socotra). II. Le mazdéisme ou zoroastrisme 133 L’elkasaïsme comme le manichéisme ont été en contact avec le mazdéisme ou zoroastrisme. Certaines de leurs doctrines, comme par exemple 133.  Pour une première approche, voir J.  de M enasce , « Zoroastrisme », dans Encyclopaedia Universalis 16 (1968), p. 1084-1087  ; J. Duchesne-Guillemin, « L’Iran antique et Zoroastre », dans H.-C.  P uech (Éd.), Histoire des religions, I, Paris, 1970, p. 625-694 ; « L’Église sassanide et le mazdéisme », dans H.-C.  P uech (Éd.), Histoire des religions, II, Paris, 1972, p. 3-32 ; M. Eliade , « Zarathustra et la religion iranienne », dans Histoire des croyances et des idées religieuses, I. De l ’ âge de la pierre aux mystères d ’Éleusis, Paris, 1976, p. 316-347 et p. 466-473 ; J. Duchesne-Guillemin, « Mazdéisme », dans P.  Poupard (Éd.), Dictionnaire des Religions, Paris, 19852 , p. 1068-1075 ; S. A zarnouche – J. K ellens (Éd.), Zoroastrisme. Le rite pour l ’éternité, Dijon, 2012 (Religions et histoire 44). Pour une approche approfondie, voir J. Duchesne-Guillemin, La religion de l ’Iran ancien, Paris, 1962 ; M.  Molé , Culte, mythe et cosmologie dans l ’Iran ancien. Le problème zoroastrien et la tradition mazdéenne, Paris, 1963 ; G.  Widengren, Les religions de l ’Iran, Paris, 1968 ; M. Boyce , Zoroastrians. Their Religious Beliefs and Practices, Londres, 1979 ; P.  du Breuil , Zarathoustra et la transfiguration du monde, Paris, 1978 ; P.  du Breuil , Le zoroastrisme, Paris, 1982. Voir aussi J. R ies , La religion de Zarathustra et le mazdéisme depuis les origines jusqu’ à l ’avènement des Achéménides, Louvain-la-Neuve, 1983 ; J. R ies , Les religions de l ’Iran sous les Achéménides et sous les Arsacides : mazdéisme, mages, mithriacisme, zervanisme, Louvain-la-Neuve, 1984 ; J. Rose , Zoroastrianism. An Introduction, Londres-New York, 2011 ; J. Rose , Zoroastrianism. A Guide for the Perplexed, Londres-New York, 2011. Voir surtout M. Boyce , A  History of Zoroastrianism, I. The Early Period, Leyde, 1975 ; A  History of Zoroastrianism, II. Under the Achaemenians, Leyde, 1982 ; A  History of Zoroastrianism, III. Zoroastrianism under Macedonian and Roman

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le dualisme 134, l’eschatologie et l’apocalyptique, ont sans doute été influencées par les cultes iraniens 135. Il en est de même pour certains de leurs cultes et de leurs rituels, comme par exemple les rites de purification par l’eau dont l’importance dans le mazdéisme ou zoroastrisme est déjà à souligner. C’est pourquoi, dans le cadre de cette introduction, il est nécessaire de consacrer une présentation générale et succincte du mazdéisme ou zoroastrisme aux époques arsacide et sassanide. Le mazdéisme ou zoroastrisme est le culte officiel de l’Iran – tous au moins sous les Sassanides – avant que le pays ne soit islamisé après la conquête arabe. Il est enraciné sur tous les territoires de peuplement iranien, en Sogdiane et en Bactriane, dans les oasis du Tarim et dans les oasis du Tourfan. En se fondant sur certains éléments de l’Avesta et sur des sources archéologiques, on peut penser que le mazdéisme ou zoroastrisme pourrait être originaire d’Asie centrale et qu’il n’aurait été au minimum, à l’époque des empires achéménide et les Arsacides, que la religiosité de la famille royale et de l’aristocratie gouvernante 136. Zoroastre (forme grecque de Zarathushtra) est considéré comme le fondateur de ce culte. On le nomme aussi « mazdéisme » du nom de son dieu suprême, Ahura Mazda. On le nomme encore « parsisme », du nom des Parsis ou Persans qui, vers le x e siècle, pour échapper à la domination musulmane, ont émigré de la Perse vers l’Inde du nord-ouest, où ils forment encore une communauté solide et prospère, quoique déclinante depuis plusieurs décennies. C’est d’ailleurs par le parsisme que la langue et les textes de l’antique « religion » de l’Iran sont parvenus à la science européenne grâce à l’enquête d’Abraham Hyacinthe Anquetil-Duperron (1771) 137 qui a été d’avant-garde 138. Le mazdéisme est donc encore une « religion » vivante, dont on peut suivre l’histoire des croyances dans ses livres anciens, et le culte dans sa pratique actuelle, fort traditionnelle, tant en Inde qu’en Iran : en 1976, on Rule, Leyde-Cologne, 1991(avec F. Grenet) ; M. Stausberg, Die Religion Zarathustras. Geschichte – Gegenwart – Rituale, I-III, Stuttgart, 2001-2002-2004. 134. Voir J. K ellens , « Les origines du dualisme mazdéen », dans Chôra. Revue d ’études anciennes et médivales 13 (2015), p. 21-29. 135. Voir J.M. Siverman, Persepolis and Jerusalem : Iranian Influence on the Apocalyptic Hermeneutic, New York, 2012. 136. Voir F.  Grenet, « Le zoroastrisme a-t-il été l’une des religions de l’Asie centrale », dans S. A zarnouche – J. K ellens (Éd.), Zoroastrisme. Le rite pour l ’éternité, Dijon, 2012, p. 47-51 (Religions et histoire 44). 137. Voir J. Deloche – M. & P.S. Filliozat, Anquetil Duperron, Voyage en Inde (1754-1762). Relation de voyage en préliminaire à la traduction du Zend Avesta, Paris, 1997. 138. Voir C.  H errenschmidt, « Les études zoroastriennes », dans S. A zarnouche – J. K ellens (É d.), Zoroastrisme. Le rite pour l ’éternité, Dijon, 2012, p. 25-29 (Religions et histoire 44).

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a recensé environ 130 000 mazdéens ou zoroastriens dans le monde, dont 25 000 en Iran, 5 000 au Pakistan et 77 000 en Inde. Il existe plusieurs anthologies de textes traduits depuis l’avestique, le vieux-perse et le perse-moyen : celle de Mary Boyce 139 et celle de Prods Oktor Skjærvø 140 sont les plus importantes.

A. Zoroastre : mythe ou réalité ? Les témoignages anciens, portés de l’extérieur, sont souvent difficiles à interpréter et à concilier avec les textes mazdéens, dont les principaux sont notoirement obscurs. Il en résulte parmi les chercheurs des divergences d’opinion considérables sur presque toutes les questions importantes : historicité, datation et localisation de Zarathushtra ; sens obvie des textes fondamentaux sur la doctrine et le culte. Cette absence quasi totale de consensus est un cas unique dans l’histoire des religions. C’est une situation que cette présentation n’entend pas masquer : son éclectisme même laisse subsister les incertitudes 141. Observons que, tandis que certains ouvrages modernes de grands iranologues, tels ceux de Henrik Samuel Nyberg (1889-1974), Ernst Herzfeld (1859-1948), Walther Hinz (1906-1992), sont axés sur Zarathushtra et les textes de son culte, d’autres, tels ceux de Richard Nelson Frye (19202014), Roman Ghirshman (1895-1979), traitent de l’Iran ancien sans accorder plus d’une page ou deux au prophète et aux livres sacrés. Comment ne pas constater cette curieuse disparité : les premiers partant des textes religieux, ne parviennent pas, même quand ils croient y réussir, à enraciner Zarathushtra dans l’histoire ; les seconds, partant des documents archéologiques et épigraphiques, écrivent une histoire où Zarathushtra n’a quasiment aucune place. Cette double carence ne tient pas seulement à la différence des méthodes : philologie dans le premier cas, archéologie dans le second, car elles devraient pouvoir se concilier et se combiner en une synthèse historique. Elle tient au fait que les documents historiques, pour l’époque ancienne, fournissent des informations presque exclusivement sur l’Iran occidental, tandis que Zarathushtra et sa réforme, selon toute apparence, ont eu pour théâtre l’Iran oriental 142 . Quelle que soit la difficulté de déterminer avec précision le temps et le lieu où Zarathushtra a vécu, on peut, avec Jacques Duchesne-Guille139.  M. Boyce , Textual Sources for the Study of Zoroastrianism, Chicago/Illinois, 1984. 140.  P.O. Skjærvø, The Spirits of Zoroastrianism, New Haven/ConnecticutLondres, 2011. 141.  À ce sujet, voir J. K ellens , La quatrième naissance de Zarathustra, Paris, 2006. 142. Voir M.  Molé , La légende de Zoroastre selon les textes pehlevis, Paris, 19671,  19932 .

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min (1910-2012), retenir pour probable qu’il a existé antérieurement à la formation de l’empire achéménide et dans l’Iran oriental (le Khwarezm) : les données de la tradition mazdéenne, si elles étaient reconnues, permettraient de fixer la vie du prophète entre 628 et 551 avant notre ère 143. Observons cependant que selon Jean Kellens, Zarathushtra aurait vécu aux alentours de l’an mil avant notre ère 144 . Les informations sur Zarathushtra sont accessibles essentiellement par les Gathas qui sont très anciens, mais aussi par le reste de l’Avesta qui est bien plus récent. La mythologie mazdéenne place Zarathushtra avant tout sous le signe de la lumière 145. Sa mère l’aurait conçu de manière merveilleuse, comme de nombreux grands personnages, alors qu’une grande lueur avait enveloppé son corps et qui se serait encore manifesté trois jours avant sa naissance. Ainsi se trouve affirmée la prééminence de la lumière dans le mazdéisme dont le culte se concentre sur le feu qui brûle sans jamais s’éteindre – le feu éternel. Le peuple, dont fait partie Zarathushtra, semble ignorer la civilisation urbaine et tire sa subsistance de l’élevage du bétail. Lui, selon son dire, est prêtre (= mage), c’est-à-dire qu’il a été instruit dans les rites et les croyances du culte traditionnel. Ces rites et ces croyances, qu’il n’est possible de reconstituer que dans leurs grandes lignes tellement la documentation manque cruellement, gravitent autour de l’espérance d’immortalité. Trois voies s’ouvrent, en principe, vers un destin de béatitude éternelle. La première est caractérisée par l’absorption d’une liqueur sacrée, soma en Inde, haoma en Iran. La deuxième voie est celle qui délivre de la mort par la connaissance. La troisième voie, celle que prêche Zarathushtra, est celle de l’adhésion à une Justesse, ordre juste et vrai, en pensées, en paroles et en actions. Zarathushtra, alors qu’il annonce la bienheureuse immortalité, n’a certainement pas eu conscience d’abolir l’ancien culte de son peuple. En tout cas, il l’a réactualisé par un contact direct, visionnaire, avec Ahura Mazda (le Seigneur Sage), avec Vohu Mana (la Bonne Pensée), etc. L’histoire du mazdéisme depuis son origine (vers ou avant la période des Perses achéménides) jusqu’à la fin de la période des Parthes arsacides est 143. Voir J.  K ellens , « Zoroastre dans l’histoire ou dans le mythe ? À propos du dernier livre de Gherardo Gnoli », dans Journal asiatique 289 (2001), p. 171184. Voir aussi J. K ellens , « Réflexions sur la datation de Zoroastre », dans Studies in Honour of Shaul Shaked, I, Jérusalem, 2002, p. 14-28 (JSAI 26). 144.  J. K ellens , Qui était Zarathoustra ? Lièges, 1984 2 . 145. Voir S.  A zarnouche , « La biographie de Zarathoustra : formation d’une légende sassanide », S. A zarnouche – J. K ellens (Éd.), Zoroastrisme. Le rite pour l ’éternité, Dijon, 2012 (Religions et histoire 44), p. 31-35.

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difficile à retracer avec précision 146. C’est avec la réorganisation et le renforcement qu’il reçoit au début de la période des Perses sassanides qu’on est en mesure de constater la persistance de ce culte à travers les périodes des Séleucides et des Arsacides. On examine principalement le mazdéisme à l’époque des Perses sassanides avec un excursus sur le rituel mazdéen. Auparavant, on présente de manière succincte la littérature religieuse mazdéenne.

B. La littérature religieuse mazdéenne La littérature religieuse du mazdéisme a été rédigée à partir du iv e ou du vi e siècle de notre ère, mais elle remonte à une époque bien plus ancienne et consiste en plusieurs couches. Il est possible que certaines strates de cette vaste littérature appartiennent à l’époque arsacide, même si elles peuvent être datées, à partir de critères linguistiques, d’entre 1200 à 500 avant notre ère – la question demeure cependant âprement discutée par les spécialistes. À cela, on peut ajouter une littérature savante produite par des prêtres qui sont des théologiens de l’époque des Sassanides, mais transmise dans des rédactions bien plus tardives des ix e-x e siècles. L’étude des textes mazdéens est complexe à cause des diverses langues iraniennes anciennes dans lesquels ils ont été conservés. Parmi les langues iraniennes anciennes, outre le vieux-perse, il convient de distinguer le parthe du pehlevi (ou moyen-perse) 147. Le parthe est la langue des Arsacides. Le pehlevi (ou moyen-perse) (écriture araméenne) est la langue des Sassanides, c’est celle aussi des inscriptions ainsi que des textes mazdéens et manichéens. Quant au vieux-perse, c’est la langue des inscriptions en cunéiforme. En ce qui concerne l’avestique, c’est la langue l’Avesta et des Gathas, mais ces derniers sont dans un dialecte plus archaïque que le reste du texte.

Plusieurs approches de cette immense littérature ont été proposées par les chercheurs, qui ont été définies par Albert de Jong de la manière suivante 148 : une approche « fragmentante » (dans les années 1920-1960), rejetant une quelconque notion de tradition zoroastrienne unique et retraçant un monde religieux iranien extrêmement divisé par des conflits sec146.  J. Duchesne-Guillemin, «  L’Iran antique et Zoroastre  », dans H.-C.  P uech (Éd.), Histoire des religions, I, Paris, 1970, p. 625-694, donne une étude bien documentée du zoroastrisme, organisée en trois parties intitulées : « Avant le zoroastrisme » (p. 628-656) ; « Zoroastre » (p. 656-667) ; « Après le zoroastrisme » (p.  667-692). 147. Voir M.  Oranskij, Les langues iraniennes, Paris, 1977. 148.  A.  de Jong, « Views of Zoroastrian History », dans Traditions of the Magi : Zoroastrianism in Greek and Latin Literature, Leyde-New York, 1997, p. 39-75.

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taires ; une approche « harmonisante » (dans les années 1960-1980), se fondant sur la notion d’une tradition zoroastrienne unique, monolithique et conservatrice ; une approche « diversifiante » (dans les années 1990 à nos jours), tendant à tempérer les deux premières et s’appuyant sur une définition plus large du zoroastrisme dont la tradition ne serait pas dogmatique, mais souple et variée. Une présentation historiographique qui a été complétée et nuancée par Jean Kellens 149 et par Michael Stausberg 150. L’Avesta (ou « Éloge ») est considéré comme le principal livre sacré du mazdéisme 151. Le mot « avesta » pourrait aussi signifier « savoir », selon une explication toute récente. L’Avesta actuel ne représente environ que le quart de l’Avesta dont les 21 livres qu’il a jadis comptés sont résumés dans le Denkart. Un seul des livres de l’Avesta a été conservé tel quel, il s’agit du Videvdad. Ce qu’il reste de l’Avesta se divise en trois grandes parties : le Yasna, les Yashts et le Videvdad 152 . À l’exception des Gathas, tout l’Avesta est rédigé en avestique. Le Yasna (ou « Sacrifices ») est le livre que récitent les prêtres pendant la cérémonie de ce nom. Il comprend 72 chapitres, masse d’invocations et d’offrandes directement données aux prêtres et aux fidèles, d’où émergent quelques morceaux intéressants. Les Gathas (ou « Chants »), au nombre de 17, qui représentent les parties les plus anciennes et les plus sacrées de l’Avesta, sont constituées par certains chapitres du Yasna (28 à 34, 43-46, 47-50, 51 et 53) 153. Les Gathas, écrits en gathique (vieil-avestique), constituent la seule source première pour la connaissance de Zarathushtra, on prétend même qu’elles ont été composées par Zarathushtra : ce sont en tout cas des textes denses et obscurs. 149.  J. K ellens , « Sur quelques grandes tendances des études avestiques et mazdéennes au xx e siècle », dans G.  Cereti – M.  M agg – E.  Provasi (Éd.), Religious Themes and Texts of Pre-Islamic Iran and Central Asia. Studies in Honour of Professor Gherardo Gnoli on the Occasion of His 65th Birthday on 6th December 2002, Wiesbaden, 2003, p. 213-222. 150.  M. Stausberg, « On the State and Prospects of the Study of Zoroastrianism », dans Numen 55 (2008), p. 561-600. 151. Voir P.O. Skjærvø, « The Avesta as Source for the Early History of the Iranians », dans G. Erdosy (Éd.), The Indo-Aryans of Ancient South Asia, BerlinNew York, 1995, p. 155-176. 152.  On dispose d’une traduction française de l’Avesta, voir P.  L ecoq, Les livres de l ’Avesta. Les textes sacrés des zoroastriens, Paris, 2017. Voir aussi J. Darmesteter , Le Zend-Avesta, I-III, Paris, 1892-1893. 153. Voir K.K. Pardis , Les Gathas. Le livre sublime de Zarathoustra, Paris, 2011.

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Le Visprad (ou « Normes » ou « Prières ») est un Yasna augmenté çà et là d’invocations supplémentaires et d’appels aux seigneurs des diverses classes d’êtres. Il est divisé en 34 sections. Les Yashts sont un recueil d’hymnes, adressés à chacune des vingt-et-une divinités : ils sont d’importance inégale. Les plus importants d’entre eux sont, avec les Gathas, ce qu’il y a de plus intéressant dans l’ Avesta. Le Videvdad (ou « Loi contre les méchants »), qui est un code religieux contenant des dogmes et des règles, comporte vingt sections introduites par deux sections racontant comment la loi a été donnée aux hommes. D’autres fragments de l’ Avesta sont connus comme par exemple la Siroza qui est une prière composée de trente invocations adressées aux divinités pour se protéger de ses ennemis lors des guerres, etc. Il faut aussi mentionner le Denkart, œuvre tardive du ix e siècle, rédigée en pehlevi (ou moyen-perse), qui présente, comme on l’a déjà dit, aux livres VIII et IX un résumé de tout l’Avesta 154 . On s’intéresse principalement à la fixation de l’ Avesta : il importe beaucoup, en effet, à l’interprétation de cette œuvre de savoir quand et comment le texte a été fixé. L’une des principales questions débattues est celleci : l’ Avesta, avant d’être noté en alphabet avestique, l’at-il été, à l’époque arsacide, en écriture pehlevi ? Il faut savoir que l’écriture pehlevi est un alphabet consonantique, dérivé de l’alphabet araméen et qu’elle s’est constituée, à l’époque arsacide, en plusieurs variantes, épigraphiques ou cursives, parthe ou perse. L’alphabet avestique est le résultat de certaines modifications de l’alphabet pehlevi par différenciation de quelques signes et addition de quelques autres signes. Ce perfectionnement a eu pour but de noter avec précision la prononciation de l’Avesta. Mais l’alphabet avestique a servi secondairement, à transcrire les textes pehlevis. Un texte pehlevi transcrit en caractères avestiques est un « texte pazend ». À cause de l’ambiguïté des signes pehlevis, cette opération a comporté beaucoup d’incertitudes, même si pour la pratiquer, les mazdéens ont disposé de lexiques pehlevi-pazend. Les témoignages dont l’on dispose au sujet de la fixation de l’Avesta sont apparemment contradictoires. Il n’en demeure pas moins qu’une forme de l’Avesta est attestée vers la fin du iii e siècle. C’est ce que prouve un passage des Kephalaia coptes manichéens dans lequel on peut lire au Livre I (Berlin) : « Zoroastre n’écrivit pas de livres. Mais ses disciples, après sa mort, se souvinrent et écrivirent les livres qu’ils lisent aujourd’hui » (Prologue, 154. On dispose aussi d’une traduction française du Denkart, voir J.  M enasce , Une encyclopédie mazdéenne, le Denkart, Paris, 1958.

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p. 7, 27-34). Si les mazdéens avaient dû se fonder sur la seule tradition orale, Mani se serait empressé de le dire. On ne peut donc douter qu’il ait existé une forme écrite de l’Avesta, à l’époque arsacide, tout au moins vers la fin. À l’origine, il y a eu tout d’abord une forme écrite de l’Avesta, probablement dès l’époque arsacide, en alphabet pehlevi. Cet écrit n’a été qu’une sorte d’étalon, déposé dans le « Trésor royal » ou dans la « Maison basse » (il s’agit de la Ka’ba-ye-Zartosht). Il n’a certainement pas été d’un usage courant : il n’en a existé peut-être pas plus de deux exemplaires. C’est la tradition orale qui a donc été fondamentale : elle semble avoir été excellente, précise et fidèle. Sans quoi on ne pourrait pas expliquer que le texte actuel, résultant d’une fixation ultérieure, en un alphabet perfectionné, puisse refléter de façon exacte et systématique une foule de nuances phonétiques que n’a pas pu noter l’alphabet pehlevi à cause de son absence de voyelles. Il semblerait, selon les recherches les plus récentes, que la littérature pehlevi ait été composée à la suite d’une crise socioreligieuse attribuée à un hérétique nommé Mazdak, qui aurait ébranlé l’appareil étatique et religieux des Sassanides aux v e et vi e siècles. La datation de l’Avesta, qui est très discutée par les critiques, pourrait selon Jean Kellens relever de trois périodes différentes : (1) un Avesta ancien, constitué par le noyau du Yasna, aurait été composé entre 1500 et 550 avant notre ère ; (2) un « vieil » Avesta récent, constitué par certaines parties du Yasna et des Yashts, serait à situer entre 850 et 330 avant notre ère ; (3) un « jeune » Avesta récent, constitué du Videvdad, aurait été composé entre 330 avant notre ère et 400 de notre ère.

C. Le mazdéisme à l’époque des Parthes arsacides À l’époque des Parthes arsacides, le mazdéisme est difficile à définir avec clarté et les critiques sont extrêmement partagés à son sujet. Certaines recherches refusent au zoroastrisme le rôle prépondérant que certaines tendances de la critique cherchent à lui attribuer : autrement dit selon cette hypothèse, les Arsacides ne seraient pas plus zoroastriens que ne l’étaient les Achéménides 155. On a invoqué en faveur de la thèse contraire le fait rapporté par Tacite que Tiridate d’Arménie, frère de Vologèse Ier (51/51-79/80), quand il est parti pour Rome afin d’y recevoir sa couronne des mains de Néron, a refusé de faire le voyage par mer par crainte de souiller l’eau qui est, pour lui, un élément sacré (Annales  XV, 24). Or, l’eau a été, de tout temps, vénérée des Iraniens : Hérodote le confirme, et on sait que la divinité qui symbolise cet élément est la déesse Anahita. En revanche, on n’a pas souvent fait ressortir l’importance d’un autre passage de Tacite qui dit qu’au 155.  C’est l’hypothèse défendue par R. Ghirshman, L’Iran des origines à l ’Islam, Paris, 1976, p. 259-263.

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cours d’une cérémonie préliminaire qui a eu lieu en Arménie ce même Tiridate a déposé sa couronne aux pieds d’une statue de Néron, et qu’il a fait ce geste symbolique « après avoir, suivant l’usage, immolé des victimes » (Annales XV, 29). Les sacrifices sanglants existent donc en Iran au i er siècle de notre ère et font partie des rites religieux de la famille royale, ce qui est contraire aux préceptes du zoroastrisme qui s’élève avec force contre l’immolation des animaux. De fait, il est quasiment impossible de retracer l’histoire religieuse de la période parthe : tout au plus peut-on réunir quelques données éparses. Ce qui est certain, c’est que le mazdéisme est mêlé, après la conquête d’Alexandre, d’éléments étrangers. Il a manifestement subi l’influence de l’hellénisme, mais celle-ci reste difficile à évaluer. Les rois parthes portent le titre de « philhellène », comme ils l’indiquent sur leurs monnaies, où sont représentés les dieux grecs. Certains souverains se font appeler dieux comme Alexandre, ou représenter comme tels : ainsi Phraate Ier (176-171) avec une massue sur l’épaule est figuré en Héraclès. Une réaction contre l’hellénisme semble s’affirmer vers le milieu du i er siècle de notre ère : les dieux iraniens réapparaissent ainsi que les légendes en caractères pehlevi. Le culte du feu est aussi attesté, toutefois aucune littérature religieuse de cette époque n’a été conservée. Plus tard, les sites d’Assour, de Hatra et de Doura font entrevoir la situation religieuse de ces villes cosmopolites, où le culte astral des Sémites a accueilli des apports grecs et iraniens, et voisine avec de nouvelles religiosités, telles que le mithraïsme, le judaïsme et le christianisme. Mais les vrais centres religieux des Parthes ont été Nisa (Parthie), Istaxr (Perside), Shiz (Azerbaïdjan) et Ray (Médie). La triade Ahura Mazda – Mithra – Anahita, qui est adorée sous les Achéménides, semble avoir gardé sous les Arsacides les faveurs de la religiosité populaire, et aussi de la religiosité officielle. Pour la première fois en Iran, et sans doute en héritage laissé par les Grecs, s’élèvent les premiers temples consacrés à des divinités iraniennes, et que leurs représentations figuratives apparaissent, à l’exception de celle d’Ahura Mazda. Sous les Parthes, le culte de la déesse Anahita, déjà important à l’époque du règne d’Artaxerxès II, semble devenir prépondérant, et cela jusqu’en Arménie. D’ailleurs, Arsace Ier, le premier souverain de la dynastie arsacide, se fait couronner dans la ville d’Arsak, dans un temple d’Anahita. À Ecbatane, résidence d’été des rois parthes, a existé un temple d’Anahita que pille d’ailleurs en 211 avant notre ère Antiochos III le Grand lors de son « anabase ». À Istaxr (Perside), les ancêtres de la famille sassanide sont les gardiens du temple d’Anahita où brûle le « feu d’Anahita » et, d’après certains chercheurs, le culte du feu est particulièrement lié à celui de cette déesse.

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À Shiz (Azerbaïdjan), grand centre religieux du nord de l’Iran, un temple est dédié à Anahita. Il abrite une communauté très ancienne de Mages qui semble avoir adopté, en partie, depuis une époque qu’on ne peut préciser, les idées directrices de la réforme zoroastrienne tout en conservant leurs anciennes traditions et pratiques qui sont profondément ancrées chez eux, et qu’on retrouve dans le passage de Tacite dont il a déjà été question. La plupart des chercheurs refusent le mythe qui prétend qu’Alexandre le Grand a détruit l’Avesta, le livre sacré des Iraniens qui aurait été écrit sur des milliers de peaux en lettres d’or, et n’accorde que peu de crédibilité à la tradition suivant laquelle ce livre a été rédigé sur l’ordre de Vologèse Ier (51/52-79/80). La grande inscription de Shapur Ier, gravée sur les murs du temple du feu de Naqsh-e Rostam, découverte récemment, prouve, pour certains d’entre eux, que le recueil de textes sacrés connu sous le nom de l’Avesta n’existe pas encore au moment où l’inscription a été rédigée et gravée (seconde moitié du iii e siècle de notre ère), et les plus grandes autorités en la matière ne datent pas l’invention de l’alphabet avestique avant le milieu du iv e ou même du vi e siècle de notre ère. Toutefois, certains chercheurs soutiennent que le zurvanisme et le mithriacisme sont deux cultes de l’Iran à l’époque des Parthes arsacides. Le culte de Mithra comme le culte de Zurvan sont célébrés par les prêtres mèdes, les Mages. Le culte du dieu Mithra prend place à l’intérieur du zurvanisme. Le culte du dieu Zurvan, père d’Ormazd et d’Arihman, les deux dieux du bien et du mal, semble fort répandu. Dans le zurvanisme, Mithra a une place précise : il est le médiateur entre le bien et le mal. Cette notion de Mithra médiateur est importante pour comprendre les mystères de Mithra dans le monde gréco-latin. La mise en situation du zurvanisme et du mithriacisme à l’époque arsacide est difficile à évaluer devant l’absence de documents directs datables et localisables. Les Parthes, tout comme les Kouchans, deux dynasties issues des peuples iraniens nomades de l’Asie centrale, paraissent avoir été d’une grande tolérance envers les religiosités étrangères qu’ils respectent. En Mésopotamie, les Parthes adoptent les cultes des pays qu’ils ont conquis en les modifiant et en leur donnant un aspect un peu différent. Les dieux étrangers des régions occidentales qui font partie de leur empire sont considérés par eux comme leur étant bienveillants et les protégeant, mais ils ne semblent pas avoir encouragé le prosélytisme en faveur de leur religiosité parmi les peuples conquis. La tolérance des Parthes se manifeste en particulier dans leurs rapports avec le judaïsme. Les Judéens de Palestine comme de Babylonie ont tendance à considérer les rois arsacides comme les vrais défenseurs de leur propre religiosité, et pour avoir été opprimés par les Séleucides et par les

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Romains, ils pensent que l’Iran, toujours bienveillant envers eux, est la seule grande puissance capable de les délivrer du joug étranger, comme il l’a déjà fait du temps des rois achéménides.

D. Le mazdéisme à l’époque des Perses sassanides À l’époque des Perses sassanides, le mazdéisme devient nationaliste et légalitaire. Contrairement à l’éclectisme des Arsacides, les Sassanides instaurent un culte intégriste et conservateur de la succession du zoroastrisme et de l’Iran des Achéménides qu’ils revendiquent par-delà les Parthes qu’ils jugent trop indulgents à l’égard de l’hellénisme. L’ère nouvelle sassanide, celle d’une monarchie nationale forte et centralisée, marque la fondation d’un mazdéisme comme culte d’état, qui a les mêmes caractères que le régime civil, et jouit de son appui. Les rois des rois sassanides, notamment Ardachir, le premier d’entre eux, auraient joué un rôle décisif dans cette fondation : à en croire le rapport historique que l’on trouve au début du iv e livre du Denkart, leur première tâche aurait été de recueillir et de codifier les Écritures mazdéennes jusque-là conservées, semble-t-il, en de rares exemplaires, dans les sanctuaires importants, la tradition orale étant alors prédominante dans la classe sacerdotale. Le grand herbad Tansar (lu aussi Tosar) aurait été le principal artisan et sans doute l’instaurateur de cette activité, qui a eu pour objet non seulement de fixer l’Avesta ancien, mais aussi de l’enrichir de données empruntées au monde indien et au monde grec. À cet effet, une écriture beaucoup plus précise, qui a reçu l’appellation d’écriture avestique, a été inventée à partir des écritures défectives d’origine sémitique en usage jusque-là. On se mit aussi à traduire dans la langue vernaculaire, le pehlevi (ou moyenperse), ces vieux textes rédigés dans un dialecte oriental qu’on ne comprend plus. Cette activité littéraire, suscitée sans doute par la présence au cœur même de l’empire, qui est alors la Mésopotamie, de nombreux adeptes du judaïsme et du christianisme (« religions » dites du « Livre »), couronne le développement de la vie proprement cultuelle, où le rôle exemplaire du pouvoir n’est pas moins grand. Le principal instigateur de cette politique religieuse aurait été (à en croire son propre témoignage, publié par ses soins dans quatre importantes inscriptions rupestres qu’il a mises en bonne place) le grand mobad Kartir (lu aussi Kirdir), qui a été une sorte de « pontife des cultes » sous les règnes de Shapur Ier, Vahram Ier et Vahram II. Or, du fait qu’il ne soit nommé nulle part dans la littérature pehlevi ou chez les auteurs islamiques pourtant richement documentés, certains chercheurs pensent que son action a été moins éclatante qu’il ne le donne à entendre, et qu’il a surtout

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marqué ses contemporains par une sorte de vision qu’il raconte avoir reçue afin de confirmer les fidèles dans l’existence du paradis et de l’enfer. Quoi qu’il en soit, l’ère sassanide voit se réaliser la suprématie du mazdéisme par la constitution d’une théocratie placée sous l’autorité d’un grand prêtre. Cette institution d’une « religion » d’état placée sous l’autorité d’un pontife légiférant les cultes et les rites est inédite en Iran. Cette réforme mazdéenne sera source, on l’a déjà vu, d’une intolérance théocratique à l’égard des cultes d’origine étrangère. En réalité, les communautés non-mazdéennes n’ont été que sporadiquement tourmentées en Iran, l’intolérance nouvelle contrariant les traditions et les intérêts d’un empire dont l’économie s’ouvre largement à l’extérieur. Ainsi un souverain sassanide, invité à sévir contre les chrétiens, est censé avoir fait, en ouvrant sa main, cette réponse aux prêtres zélés : « La paume c’est le culte mazdéen, mais que serait la paume sans les doigts ? Les doigts sont les autres cultes de l’Iran ». Il n’empêche que régulièrement, à partir du règne de Vahram II, les tenants du manichéisme, du christianisme, du judaïsme et autres ont été inquiétés par des persécutions religieuses plus ou moins sévères selon les circonstances de la politique extérieure. Pour les tenants du christianisme et du judaïsme, il faut mentionner les persécutions de Shapur II (309-379), de Yazdagird II (438-459) et de Péroz (459-484). À l’époque des Sassanides, un dogmatisme mazdéen s’impose, essentiellement sur le plan de la morale. Le clergé légifère sur la santé publique, définit ce qui est pur et impur et établit une division formelle entre animaux bienfaisants et malfaisants. La pureté de l’eau et de la terre impose des précautions permanentes pour qu’un cadavre ne les souille pas. La coutume d’exposer les morts aux oiseaux sur des lieux élevés et, plus tard sur des « tours du silence », aménagées à cet effet, se généralise alors que l’incinération et l’inhumation sont interdites. La morale publique de l’époque sassanide renferme un nombre important de tabous de toutes sortes qui, parfois, passeront dans le judaïsme. La rigueur du code moral frappe impitoyablement la femme en couches et celle qui a ses règles, lesquelles restent impures longtemps, au même titre que l’homosexuel ou que celui qui brûle ou jette à l’eau un cadavre. En revanche, la morale protège le mariage, la famille, condamne l’avortement, encourage l’adoption et admet la polygamie. Le mazdéisme, doiton souligner, incline traditionnellement à la monogamie, pratique gardée dans les classes moyennes et pauvres, alors que l’aristocratie entretient des harems à l’exemple du sérail royal. Cependant, la femme jouit d’une liberté jusqu’alors inconnue dans le monde ancien et surtout du monde romain : elle peut gérer son patrimoine, diriger le foyer et divorcer de son époux. À l’époque sassanide, l’endogamie se raréfie considérablement.

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En guise de conclusion sur le mazdéisme à l’époque des Perses sassanides, on voudrait aborder la délicate question du zurvanisme 156. Le zurvanisme est un courant religieux mazdéen que l’on discerne, dès les âges les plus anciens, par les témoignages grecs, et jusqu’aux époques où l’information est fournie en abondance par les auteurs syriens et arabes. Le zurvanisme repose principalement sur un mythe qui se rattache à un concept de temps tel que le dessine l’Avesta, où il est question d’un temps illimité et d’un temps souverain, ce qui laisse entendre qu’un temps cyclique s’inscrit à l’intérieur d’un temps infini. Il existe quatre versions différentes du mythe zurvaniste. Une des versions les plus complètes de ce mythe, celle transmise par l’auteur arménien et chrétien Eznik de Kolb, est exposée de la manière suivante : au commencement, étant seul, Zurvan, l’être primordial, a fait des sacrifices pendant mille ans afin d’obtenir un fils ; comme il s’est pris à douter qu’il n’en n’a jamais eu un, voici qu’en récompense de ses sacrifices, un bon fils, Ohrmazd, le principe du bien, s’est formé dans son ventre, tandis qu’en châtiment pour son instant de doute, s’est formé simultanément un fils pervers, Ahriman, le principe du mal ; Zurvan ayant déclaré qu’il donnerait la souveraineté au premier des deux qui naîtrait, Ahriman s’est empressé de devancer son frère ; et Zurvan le reconnaissant comme l’adversaire, mais, tenu par sa parole, lui a accordé une souveraineté avant sa défaite finale. Dans le mythe zurvaniste, le jumelage des deux esprits n’est pas antérieur au choix éthique qui les oppose : le principe du mal est de la même origine que le principe du bien. Ainsi dans ce mythe, se concilient les thèmes du dieu unique, des principes antagonistes et des âges du monde servant à assurer la défaite du mal et la victoire du bien – des thèmes eschatologiques et apocalyptiques que l’on rencontre aussi dans certains écrits judéens de tendance mystique. Il est fort possible qu’à l’époque des premiers sassanides, le dieu suprême du mazdéisme a dû être Zurvan et non Ohrmazd. En tout cas, le nom de Zurvan a été très certainement à l’honneur à cette époque. C’est le nom de Zurvan que le manichéisme iranien a choisi pour désigner le « Père des Grandeurs », réservant le nom d’Ohrmazd à l’« Homme Primordial ». Le mythe du jumelage des deux principes a dû obtenir une certaine créance en Iran, puisqu’il est répudié explicitement et fortement par le mazdéisme orthodoxe (ainsi que par le manichéisme). Il convient de préciser que le zurvanisme n’a pas constitué un culte officiel et établi. Il a été seulement une hérésie larvée, dont la persistance a dû certainement justifier l’acharnement des polémistes à l’époque islamique.

156. Voir R.C. Z aehner , Zurvan. A Zoroastrian Dilemma, Oxford, 19551, New York, 19722 .

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Il est possible de penser à une étroite relation entre manichéisme et zurvanisme à l’époque de Shapur Ier, ce qui pourrait expliquer l’adoption du nom de Zurvan dans la cosmologie manichéenne.

E. Le culte et le rituel mazdéens La persistance du culte et du rituel dans le mazdéisme offre des données d’appréciation relativement sûres. Il est difficile cependant de dater la genèse et l’évolution de certains rituels mazdéens 157. Avant d’examiner en détail les rites de purification, quelques éléments d’approche sont nécessaires. Auparavant, une remarque préliminaire s’impose : le culte et le rituel mazdéens entretiennent d’importants parallélismes ave le culte et le rituel védiques – on ne peut ici que le signaler. Le livre du Yasna (ou « sacrifices »), qui est un rituel, est tout entier consacré au sacrifice du haoma (= liqueur sacrée aux propriétés hallucinogènes) 158. Les rubriques du Yasna, notées en pehlevi, sont, dans l’ensemble et avec des variantes assez légères, encore en vigueur aujourd’hui. Le pressurage de tiges de haoma (= éphédrine, du latin ephedra 159) fournit une liqueur sacrée, qui est consommée dans un mélange de lait et d’eau en offrande aux dieux et aux éléments du feu et de l’eau. Y sont associées des offrandes de lait, d’eau et d’un peu de beurre, reste probable d’une offrande de sacrifice animal attestée dans les écrits. Par ailleurs, il faut savoir que le haoma, dont le culte et le rituel sont sans doute antérieurs à Zoroastre, n’est pas seulement une plante et une liqueur, c’est également, comme le soma en Inde, un dieu. On fait à haoma des sacrifices, et certaines parties de la victime sanglante lui sont réservées. La consommation du haoma est un instrument d’immortalité, il doit donc être considéré comme un sacrifice de communion. Dans le rituel mazdéen, un feu est présent à la plupart des rites. Le feu ne reçoit, dans le Yasna, aucune offrande solide ni liquide. La place occupée par le feu est néanmoins très importante, et de beaucoup, que les textes du Yasna ne le laissent supposer. Dans les Gathas, le Feu, fils d’Ahura Mazda, n’est nommé que deux fois (Yasna 31, 19 et Yasna 51, 9), dans le contexte d’un jugement eschatologique qui annonce à la fois la pratique de l’ordalie judiciaire et la transfiguration eschatologique du monde.

157.  Voir C. H errenschmidt – J. K ellens , « La question du rituel dans le mazdéisme ancien et achéménide », dans Archives de sciences sociales des religions 95 (1004), p. 45-67. 158. Voir M.  Boyce , « Haoma, Priest of the Sacrifice », dans M. Boyce – I. Gerxshevitch (Éd.), W.B. Henning Memorial Volume, Londres, 1970, p. 62-80. 159.  L’éphédrine est un alcaloïde extrait des rameaux d’arbustes du genre éphédra, employé généralement en pharmacologie pour décongestionner les narines, dilater les pupilles ou les bronches.

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Dans la littérature mazdéenne, on trouve le classement en deux, trois ou cinq feux sacrés : le dernier distingue le feu qui brille devant le Seigneur, les feux qui se trouvent dans le corps des hommes et des animaux, dans les plantes et dans les nuages, enfin le feu qui est utilisé pour le travail. Un texte des Yashts (Yasht 17) énumère les feux selon leur origine naturelle, y comprenant celui qui entretient la vie, celui de la foudre céleste et celui qui brûle au paradis suprême. Une autre classification, beaucoup plus intéressante sur le plan de la sociologie religieuse, rattache chacun des feux à une classe sociale : prêtres, guerriers et paysans. Quelques éléments d’information sur les temples et les prêtres mazdéens sont nécessaires pour mieux comprendre les fondements matériels de ce culte. Les temples Exception faite de Persépolis, il ne reste quasiment rien de l’architecture religieuse de l’Iran ancien, sinon, datant pour la plupart de l’époque sassanide, de très nombreux vestiges de temples du feu. Ces temples du feu sont de petits édifices comportant une salle où brûle le feu et où, sans doute, on procède au pressurage du haoma . Ils sont couverts d’une coupole reposant sur une structure à quatre pieds, les plus importants sont sans doute flanqués de salles annexes ainsi que de dépôts d’archives officielles, comme l’est probablement la tour dite « Ka’ba-ye-Zartosht » à Naqsh-e Rostam. Dans les ruines de temples fouillés récemment se trouvent, en effet, de nombreuses bulles ayant servi à sceller des documents. Le culte dans les temples de feu doit être assuré par deux prêtres qui se répondent dans la liturgie du Yasna. Les prêtres 160 Les prêtres du culte mazdéen ont été à l’origine au nombre de sept, lesquels peuvent se comparer à ceux du culte védique – ils ne sont plus maintenant que deux. Leur initiation et leur ordination ont comporté des degrés marqués par des cérémonies d’investiture. Leurs fonctions ont embrassé aussi bien le culte sacrificiel que les purifications auxquelles ils sont tenus avant d’être habilités à les administrer aux autres, mais ne sont ordonnés que les membres des familles sacerdotales. À l’époque sassanide, ils ont exercé également le pouvoir judiciaire. Dans l’Avesta, les prêtres du feu, du sacrifice, des purifications, en bref les ministres du culte mazdéen, ne sont jamais désignés sous le nom de « mages » que leur donnent de tout temps les auteurs grecs classiques, et plus tard les auteurs grecs byzantins, syriens et arabes : majous désignant, pour ceux-ci, tous les mazdéens. Dans l’Avesta, le mot « mage », qui ne se 160. Voir M.  Boyce , « Priests, Cattle and Men », dans Bulletin of the School of Oriental and African Studies 50 (1987), p. 208-226.

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présente qu’une fois et dans une expression composée, n’a vraisemblablement pas de sens religieux. Les plus anciens témoignages classiques laissent entendre que le mot a pu désigner d’une part, des prêtres ou des sages et d’autre part, des magiciens chaldéens de moins bon renom. Toujours est-il que, dès le début de l’époque sassanide, le mot « mage » désigne clairement une catégorie sacerdotale, comportant des fonctions variées et des degrés dont les noms sont certainement anciens. Selon une opinion admise par de nombreux chercheurs, les mages seraient originellement une caste sacerdotale des Mèdes : ce serait ainsi, après leur « conversion » au mazdéisme, qu’ils auraient émigré vers l’Iran occidental 161. À l’époque des Sassanides, on connaît l’institution du prêtre-enseignant (le herbed) avec son séminaire (le herbedestan) dont la fonction, qui a souvent varié à travers les textes et les époques, représente un témoin des évolutions du clergé mazdéen 162 . Les rites de purification 163 En maintes circonstances, les mazdéens, les femmes comme les hommes, ont recours à des rites de purification physique par l’eau dont il est question dans le Videvdad. Ces rites sont de trois espèces, par ordre d’importance décroissante : le padyab ou ablution, le nahn ou bain, le baresnum ou grande purification. La purification est une opération à double sens : elle fait entrer un objet ou une personne dans la sphère du sacré et elle l’en fait sortir. Le padyab consiste à se laver le visage, les mains et les pieds, après l’invocation d’Ormazd et la récitation d’une formule d’hommage, après quoi, on dénoue et renoue le kustî, qui est le cordon sacré. On accomplit ce rite de purification au lever, aux repas, lors des fonctions naturelles et avant de prier. Le nahn commence comme le padyab, sauf qu’il exige le concours d’un prêtre. En plus des rites du padyab, on mange une feuille de laurier et l’on boit du gomez, qui est une urine de vache consacrée, additionnée d’un peu de cendre provenant d’un temple du feu. On récite ensuite une formule de confession, et enfin on se baigne après s’être frotté de gomez, de sable et 161. À ce sujet, voir J. Duchesne-Guillemin, « Mages », dans P.  Poupard (Éd.), Dictionnaire des Religions, Paris, 19852 , p. 988-989. 162. Voir M.-L.  Chaumont, « Recherches sur le clergé zoroastrien : le herbed », dans Revue d ’histoire des religions 158 (1960), p. 55-80 et p. 161-179. 163. Voir J.K.  Choksy, Purity and Pollution in Zoroastrianism : Triumph over Evil, Austin/Texas, 1989. Voir aussi A.  de Jong, « Purification in abstentia : On the Development of Zoroastrian Ritual Practice », dans J. A ssmann – G.G. Stroumsa (Éd.), Transformation of Inner Self in Ancient Religions, Leyde-Boston-Cologne, 1999, p. 301-329.

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d’eau consacrée. Cette purification a lieu : (1) pour l’enfant lors du Naojot, qui est l’investiture et de la chemise et du cordon sacré ; (2) au mariage ; (3) aux relevailles ; (4) au cours des dix derniers jours de l’année. Ces deux premières espèces de purification, l’une quotidienne, l’autre marquant les moments ou passages importants de la vie, sont ouverts à tous les fidèles. Il n’en est pas de même de la troisième. Le baresnum ou grande purification est essentiellement le rite d’initiation des prêtres et des porteurs de cadavres qui forment une corporation (nasâsâlâr). Pour les premiers c’est un rite d’entrée, pour les seconds c’est un rite de sortie. Il s’agit d’une cérémonie compliquée, son nom est un mot du texte avestique, le chapitre IX du Videvdad, qui la décrit. La purification occupe une durée de neuf jours et consiste en ablutions sur tout le corps avec une eau consacrée par addition de gomez, qui est dans ce cas une urine de taureau. Le rite s’opère dans un espace ouvert, délimité par des sillons, à l’intérieur duquel sont creusés des trous pour l’écoulement des eaux purificatrices et sont disposées des pierres où peut s’asseoir le candidat, tandis que le purificateur se tient hors de l’enceinte et verse l’eau au moyen d’un gobelet maintenu par une chaîne rattachée à une canne. En général, le baresnum met le prêtre qui s’y soumet en état de pureté rituelle, laquelle le rend apte à accomplir les cérémonies du temple du feu. Mais il peut perdre cet état s’il commet l’une des infractions suivantes : (1) manger de la nourriture préparée par des non-mazdéens ; (2) ne pas observer les offrandes (les baj) ; (3) faire de longs voyages par terre ou par mer ; (4) jurer ou prêter serment ; (5) laisser choir de sa tête son turban. Dans tous ces cas, il devra subir un nouveau baresnum. Il faut insister sur le fait que la distinction n’est pas aussi tranchée que l’on pourrait croire entre rites de purification et rites destinés à promouvoir la fécondité. Le gomez, agent purificateur par excellence, est aussi un fluide vital. S’il lutte efficacement contre notamment l’impureté que donne le contact d’un mort, c’est qu’il est une essence de vie. En effet, bien que l’urine de vache suffise aux purifications ordinaires, l’urine utilisée dans les baresnums est celle d’un taureau, indice évident d’une valeur fécondante. Comme l’affirme Mary Boyce, dans le mazdéisme, « les lois de pureté puisent leur force dans une base doctrinale fondée sur le dualisme de Zoroastre qui conçoit le monde comme le champ d’un conflit éternel entre le bien, dont la pureté fait évidemment partie, et le mal, qui met constamment en danger le bien et la pureté » 164 . 164.  M. Boyce , A  History of Zoroastrianism, I. The Early Period, Leyde, 1975, p. 295-296.

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Les rites de purifications mazdéens, dont l’origine indienne est probable, voire certaine, se retrouvent d’une certaine manière dans le rituel des chrétiens d’origine judéenne elkasaïtes. On peut se demander lequel des deux rituels a influencé l’autre. D’un point de vue chronologique, il est évident que le rituel mazdéen, plus ancien, a dû influencer le rituel elksasaïte, plus récent – à condition toutefois de considérer que les rites de purifications mazdéens sont antérieurs à la période sassanide. D’un point de vue dialectique, il est évident que la réponse est plus complexe. Cela pose la question de l’origine des rites de purification par l’eau que l’on retrouve dans le judaïsme baptiste comme dans le christianisme baptiste. À noter que l’origine iranienne des rites de purification par l’eau dans le judaïsme pharisien / rabbinique se pose dans les mêmes termes 165. Il existe des ressemblances remarquables entre les lois régissant la pureté et l’impureté dans le mazdéisme et dans l’islam shi’ite 166. En effet, de nombreuses restrictions posées dans le mazdéisme, afin de protéger la pureté des fidèles en contact avec un non-mazdéen ou un mazdéen pêcheur ou apostat, sont quasiment identiques aux règles de pureté shi’ites. Ainsi par exemple, il est proscrit à un mazdéen ou à un shi’ite de se mettre à table avec un non-mazdéen. Il leur est interdit, à l’un comme l’autre, de consommer la viande ou de la graisse d’une bête rituellement abattue par un non-mazdéen. Il ne leur est pas permis d’utiliser l’eau ou des ustensiles manipulés par un non-mazdéen ou d’accéder à un lieu de culte autre que mazdéen ou shi’ite ou de toucher les objets de cultes qui s’y trouvent 167. Ces lois se retrouvent plus ou moins dans le judaïsme, c’est pourquoi il n’est pas aisé d’expliquer l’origine des influences : rien ne permettant de déterminer clairement d’où vient la position rigoriste du chiisme concernant l’impureté des non-musulmans, même si une influence judéenne n’est pas à exclure 168.

F. Récapitulatif Il convient encore de souligner que le système religieux du mazdéisme ou zoroastrisme est fondé sur une symétrie entre le début et la fin du 165. Voir P.  Gignoux, « L’eau et le feu dans le zoroastrisme », dans G.  Capde(Éd.), L’eau et le feu dans les religions antiques, Paris, 2004, p. 269-282. 166.  I. Goldziher , « Islamisme et Parsisme », dans Revue d ’histoire des religions 43 (1901), p. 1-29. 167. Voir S.  Soroudi, « The Concept of Jewish Impurity and its Reflection in Persian and Judeo-Persian Traditions », dans Iranico Judaica 3  (1993), p. 1-29. 168. À ce sujet, voir A.J. Wensinck , « Nadjis », dans Encyclopédie de l ’islam 7 (1993), p. 871-872. Voir aussi M.  Cook , « Early Islamic Dietary Law », dans Jerusalem Studies in Arabic and Islam 7  (1986), p. 217-277. Pour un point de vue plus général, voir K. R einhart, « Impurety/No Danger », dans History of Religion 30 (1990), p. 1-24. ville

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monde 169. Raison pour laquelle les concepts de cosmogonie et d’eschatologie entretiennent un lien étroit, des concepts qui ont sans doute exercé une influence non négligeable sur ceux que l’on trouve dans le judaïsme et le christianisme anciens. Les relations entre les divers cultes coexistant dans le monde iranien n’ont pas toujours été iréniques, le mazdéisme de l’époque sassanide a souvent imposé sa volonté unificatrice et persécutrice à des minorités religieuses comme celles du christianisme ou du manichéisme 170. I.3. C onclusion Au terme de ce parcours à la fois incisif et général, on peut constater les nombreuses difficultés qui vont jalonner le cheminement proposé dans cette recherche, à cause notamment des connaissances nécessaires qui doivent d’être d’une grande étendue, couvrant de nombreuses spécialités – d’où l’intérêt de la méthode de l’histoire connectée qui permet de prendre en considération de nombreuses traditions et cultures religieuses. La question du judaïsme chrétien est des plus complexes, car son étude impose des connaissances historiques et philologiques, ainsi qu’une navigation dans de nombreux domaines de recherche qui ne s’entrecroisent pas obligatoirement, demandant un meilleur savoir sur le monde gréco-romain et sur le monde irano-babylonien. Cette question est d’autant plus fondamentale, car ce devrait être sous son étiquette que pourraient être approchés la totalité des écrits incorporés dans le Nouveau Testament dont les auteurs semblent être tous d’origine judéenne – ce pourrait même être le cas de Luc, du moins s’il faut en croire la monographique remarquable d’Isaac W. Oliver publiée en 2013 171. Leur exégèse par les théologiens chrétiens aurait alors la charge d’en faire ressortir une herméneutique contextualisée sur le plan historique, sans que cela ne les empêcherait de l’actualiser en fonction des développements dogmatiques ultérieurs. Sans la connaissance de l’histoire de l’Iran des Arsacides et des Sassanides, ainsi que du mazdéisme qui lui est attaché, il est malaisé de comprendre les développements successifs et hiératiques de l’elkasaïsme, du manichéisme et du mandéisme. Il devrait en être de même du judaïsme et du christianisme babyloniens, dont l’influence du premier comme du 169. Voir M.  Timus , Cosmogonie et eschatologie. Articulations conceptuelles du système religieux zoroastrien, Paris, 2015. 170. Voir G.  H erman (Éd.), Jews, Christians and Zoroastrians : Religions Dynamics in a Sassanian Context, Piscataway/New Jersey, 2015. 171.  I.W. Oliver , Torah Praxis after 70 CE : Reading Matthew and Luke-Acts as Jewish Texts, Tübingen, 2013.

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second est loin d’avoir été marginale étant donné l’extension qu’ils auront, dans certaines de leurs formes (rabbinisme pour le premier et nestorianisme pour le second) tant à l’ouest (en Espagne et ensuite dans toute l’Europe) qu’à l’est (en Chine et ensuite dans toute l’Asie). On le constate, cette connaissance est loin d’être secondaire pour aborder tous ces cultes religieux. Les recherches historiques actuelles relatives aux « origines du christianisme » sont volontiers déconstructrices, mais elles sont aussi reconstructrices : elles sont bien plus exigeantes que dans le passé, car elles demandent des connaissances plus déployées et plus performatrices comme le montre l’étude récente de Michel-Yves Perrin 172 . Elles doivent être en distanciation constante avec la théologie dont les méthodes et les objectifs ne sont nullement les mêmes, car non ancrées dans la foi et dans l’apologétique.

172.  M.-Y.  Perrin, « À propos de l’émergence de la ‘Grand Église’ : quelques notations introductives », dans Recherches de science religieuse 101 (2013), p. 489497.

Chapitre II

L E BAPTISME Tous les mouvements religieux dont il va être question dans cette recherche – l’elkasaïsme, le manichéisme et le mandéisme – relèvent d’une manière ou d’une autre, du baptisme en général. C’est à cause de leurs rites lustraux, ou de leur opposition à ces rites comme cela est le cas pour le manichéisme, que l’on peut qualifier ainsi ces groupes qui fleurissent en Palestine et dans tout le Proche et Moyen Orient aux premiers siècles de notre ère. Par « groupes baptistes judéens », qu’ils relèvent de près ou de loin du judaïsme ou du christianisme, il faut entendre des groupes religieux pour qui les bains, considérés de diverses manières comme sacrés, prennent une importance capitale. En d’autres termes, le baptisme est un phénomène religieux qui reporte sur les bains ce qui, à une période antérieure, a correspondu à des sacrifices dans les sanctuaires : le salut par le bain et non plus par les sacrifices, ou si l’on préfère le salut par l’eau et non plus par le sang. Notons que dans les groupes baptistes judéens de quelque obédience qu’ils soient, les bains sacrés revêtent la forme de rites de purification par l’eau. On le constate, pour la problématique envisagée dans cette recherche, la question est d’importance. De nombreuses « religions », en effet, ont pris position vis-à-vis du baptisme. Notamment, le judaïsme et le christianisme qui, en devenant de plus en plus institutionnels et normatifs, ont progressivement marginalisé certains de leurs groupes baptistes, qui se sont néanmoins réclamés de Moïse ou de Jésus, quand ce n’est pas des deux à la fois. D’autres mouvements religieux, comme le manichéisme et le mandéisme, ont aussi pris position contra ou pro le baptisme. Le manichéisme a pris naissance dans un de ces groupes baptistes et il est le résultat d’une réaction contre les rites baptistes. Le mandéisme, quant à lui, se situe tout entier dans la lignée des groupes baptistes d’origine judéenne, mais aussi plus ou moins d’obédience chrétienne. On le voit, le baptisme est un élément important des « religions » que l’on appelle judaïsme et christianisme au sens large, mais il l’est également dans de nombreuses autres religiosités qui en sont ou non issues directement ou indirectement. Il n’empêche que le judaïsme et le christianisme « normatifs » ont conservé, et conservent encore, certains rites d’eau, sans leur donner toutefois le sens que l’on a retenu ici.

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La question du baptisme est partiellement à mettre en relation avec les notions de pureté et impureté 1. En effet, ces notions de pureté et impureté demandent une approche qui relève de la phénoménologie religieuse ou si l’on préfère de la philosophie religieuse : ces notions représentent une abstraction, qui se concrétise dans les rites lustraux. De ce point de vue, il convient de relever que l’eau n’est qu’un des moyens envisagés pour passer de l’état d’impureté à l’état de pureté, mais que ce n’est pas le seul 2 . Quoi qu’il en soit, il n’en sera pas question ici, d’autant que l’approche proposée se veut par ailleurs plus historique que phénoménologique. Observons cependant qu’il existe un lien entre la pureté et le péché, comme entre les différentes formes d’impureté et la pureté 3, notamment dans les milieux chrétiens en général et en particulier dans les milieux chrétiens d’origine judéenne 4 . Il est difficile, sinon impossible, de faire l’histoire des groupes baptistes comme celle d’un vaste courant unifié : en dépit des traits récurrents d’un groupe à un autre, il n’y a guère d’unité entre eux, même si des influences mutuelles et des filiations éventuelles sont perceptibles, mais sans vraiment s’imposer. C’est pourquoi, on doit souvent se contenter d’un inventaire des particularités significatives et distinctives possédant entre elles un certain nombre d’affinités communes. Certain de ces groupes ont un fondateur ou un promoteur resté célèbre, un seul courant vraiment baptiste a persisté jusqu’aujourd’hui, celui des mandéens – lequel ne se rattache à aucune figure étiologique. Après des éléments généraux (terminologie et symbolisme), l’attention porte uniquement sur les pratiques baptismales de certains groupes judéens, notamment les pharisiens ou rabbiniques et les esséniens ou qumrâniens qui ne sont pas spécifiquement baptistes.

1.  À ce sujet, voir W. Rogan, « Purity in Early Judaism : Currents Issues and Questions », dans Currents in Biblical Researchs 16 (2018), p. 309-339. Voir aussi M.J.H.M.  Poorthuis – J. Schwartz (Éd.), Purity and Holiness. The Heritage of Levitus, Leyde, 2000. Voir encore H.  Cazelles  – É.  Cothenet, « Pureté et impureté. AT et NT », dans Dictionnaire de la Bible. Supplément 9 (1976), col. 491-455. 2. Voir A.  K lostergaard Petersen, « Rituals of Purification, Rituals of Initiation. Phenomenological, Taxonomical and Culturally Evolutionary Reflection », dans D. H ellholm  – T. Vegge – O. Norderval – C. H ellholm (Éd.), Ablution, Initiation, and Baptism – Waschungen, Initiation und Taufe. Late Antiquity, Early Judaism, and Early Christianity – Spätantike, Frühes Judentum und Frühes Christentum, I, Berlin-Boston, 2011, p. 3-40. 3.  À ce sujet, voir J. K lawans , Impurety and Sin in Ancient Judaism, Oxford, 2000 ; J. K lawans , Purity, Sacrifice, and the Temple. Symbolism and Supersessionism in the Study of Ancient Judaism, New York-Oxford, 2006 ; T. K azen, Issues of Impurety in Early Judaism, Winona Lake/Indiana, 2010. 4.  À ce sujet, voir M. Blidstein, Purity, Community, and Ritual in Early Christian Literature, Oxford, 2017.

LE BAPTISME

II.1. É l é m e n ts

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gé n é r au x

I. La terminologie 5 Les termes qui ont servi à désigner le rite du baptême dans le christianisme ne sont pas une création ex nihilo, mais dérivent du vocabulaire en usage dans le judaïsme, voire dans une certaine mesure en usage dans le paganisme. Considérer la terminologie en question est donc chose nécessaire et même indispensable tant pour mettre en lumière l’héritage « juif », voire dans une certaine mesure l’héritage « païen », que pour faire ressortir, dans une même ligne de vocabulaire, les différences qui se sont introduites lors du passage d’un milieu à l’autre. Le substantif français « baptême » dérive des verbes grecs βάπτειν (à l’actif) ou βάπτεσθαι (au moyen) et βαπτίζειν (à l’actif) ou βαπτίζεσθαι (au moyen) qui, dans une acception religieuse, autant dans le judaïsme que dans le christianisme, signifient « plonger » et « immerger ». Disons donc que le baptême, tant dans le judaïsme que dans le christianisme, renvoie à une notion très spécifique de « plongeon » et d’« immersion », voire à la limite à une notion plus générale d’« ablution » ou d’« aspersion », avant d’indiquer une notion d’« initiation », c’est-à-dire d’« entrée » dans une communauté précise. En globalisant ces termes, on peut dire qu’il s’agit de lustrations qui renvoient à des purifications de personnes, de lieux ou d’objets au moyen d’un liquide, eau, sang ou huile 6. La lustration d’eau, la seule dont il est question ici, se fait par immersion, ablution ou aspersion. L’eau lave en dissolvant les taches : cette propriété réelle de l’eau explique son usage dans les purifications. L’exposé terminologique prend pour point de départ l’hébreu et ses dialectes dérivés, avant de se déployer dans une large mesure au grec et dans une moindre mesure au latin et au syriaque – en se limitant principalement mais pas seulement, dans ces trois derniers cas, aux occurrences figurant dans le Nouveau Testament.

A. Dans l’hébreu Pour comprendre la notion de baptême dans l’hébreu, il est important de souligner qu’elle repose sur une évolution sémantique entre la notion 5. Voir A.  Oepke , « Βάπτω, Βαπτίζω, Βαπτισμός, Βάπτισμα, Βαπτιστής », dans G. K ittel (Éd.), Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament 1 (1933), p. 527-544 (= A. Oepke , « Βάπτω, Βαπτίζω, Βαπτισμός, Βάπτισμα, Βαπτιστής », dans G. K ittel (Éd.), Theological Dictionary of New Testament 1 [1964], p. 529546). Voir aussi S.  L égasse , Naissance du baptême, Paris, 1993, p. 15-25. 6. Voir H.  L esêtre , « Lustration », dans Dictionnaire de la Bible IV (1908), col. 422.

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de pureté et la notion d’entrée, mais tout en conservant le sens général de passage d’un état à un autre. Cette évolution s’est effectuée sur plusieurs siècles et grâce à l’apport, non pas nécessairement des institutions officielles du culte judéen, mais plutôt de ses mouvements minoritaires. En hébreu, à époque ancienne, le mot le plus important du vocabulaire de la purification est la racine verbale ‫( טהר‬taher), qui signifie « être pur » ou « devenir pur » : cette même racine, dans une perspective profane, prend le sens d’« être propre » ou de « devenir propre ». Au paal (action simple), cette racine, peut revêtir principalement trois sens : le premier est d’ordre physique (voir 2 R 5, 12.14) ; le deuxième est d’ordre sacerdotal (voir Lv 22, 7) – dans ce cas, parfois, ‫( טהר‬taher), « être pur », peut être opposé à ‫( טמא‬tam´e), « être impur » – (voir Lv 11, 32) ; le troisième est d’ordre moral (voir Jb 4, 17 ; Pr 20, 9). Au piel (action répétitive), cette racine prend le sens de « purifier », « épurer » ou « être déclaré pur » (voir Ez 39, 16 ; 37, 23 ; 2 Ch 29, 18 et surtout Lv 13, 59 ou ‫[ טהר‬taher], « être déclaré pur », est opposé à ‫[ טמא‬tam´e], « être déclaré impur »). Il est aussi parfois question de la racine ‫( חטא‬ḥat´a), qui paraît être un synonyme de ‫( טהר‬taher). La racine verbale ‫( טבל‬tabal) signifiant « plonger », « tremper », « immerger », est beaucoup moins fréquente à époque ancienne, du moins avec un sens religieux. On plonge, on trempe, on immerge en vue de purifier quelque chose, un corps ou un objet : par exemple, on plonge un doigt ou un objet dans le sang (voir Lv 4, 6), dans l’eau (voir Nb 19, 18), dans l’huile (voir Dt 33, 24). On doit signaler un cas intéressant où sont employés en même temps les racines verbales ‫( טהר‬taher) et ‫( טבל‬tabal) : en 2 R 5, 10.12.13, le prophète Élisée envoie Naaman le Syrien lépreux, « se laver » tout le corps (‫רחץ‬ [raḥaṣ]), afin, en 2 R 5, 10.13.14, de « se rendre pur » (‫[ טהר‬taher]) et, en 2 R 5, 14, obtempérant, celui-ci le fait par l’acte de « se plonger », de « se tremper », de « s’immerger » (‫[ טבל‬tabal]) sept fois dans l’eau du Jourdain. Selon la Septante, en 2 R 5, 10.12.13, le verbe grec utilisé est λούειν alors qu’en 2 R 5, 14 le verbe grec utilisé est βαπτίζειν. La racine verbale ‫( רחץ‬raḥaṣ), dans un sens non profane, peut s’employer pour le lavage du visage (voir Gn 43, 31), des mains (voir Lv 15, 11 ; Ps 26, 6 ; Jb 9, 30), des pieds (voir Gn 19, 2), mais aussi pour le lavage du corps au complet (voir Lv 15, 13) – 77 fois dans la Bible. La racine verbale ‫רחץ‬ (raḥaṣ) est encore utilisée pour les bains rituels des prêtres, au moment de leur investiture (voir Ex 29, 4) ou lors de leur qualification pour officier lors de la célébration du Jour des Expiations (Yom ha-Kippourim) (Lv 16, 4). D’un emploi plus tardif, on rencontre, en araméen, la racine verbale ‫צבע‬ (ṣab`a) qui signifie « plonger » ou « immerger » dans le vocabulaire religieux et « tremper » ou « mouiller » dans le vocabulaire profane. Cette

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racine ‫( צבע‬ṣab`a) correspond à l’araméen occidental ‫( צבע‬ṣeb`a) (voir Dn 4, 22 ; 5, 21) et à l’araméen oriental ‫( צבא‬ṣab´a).

B. Dans le grec 7 Il est question du verbe βάπτειν ou βάπτεσθαι à toutes les périodes de la langue grecque depuis Homère (Odyssée  IX, 392), avec un sens transitif et un sens intransitif : les emplois sont nombreux et se trouvent autant chez les philosophes comme Platon (Euthydème 277d) que chez les historiographes comme Polybe (Histoires I, 51, 6 ; XVI, 6, 2) ou encore chez les médecins comme Hippocrate (Des épidémies 5, 63). Parmi les divers emplois transitifs, le verbe βάπτειν est utilisé pour « plonger un objet dans l’eau », mais aussi pour « plonger une arme dans le corps d’un homme afin de le tuer » comme pour « plonger un objet dans une teinture afin de le teindre ». Parmi les divers emplois intransitifs, le verbe βάπτεσθαι est utilisé pour « se plonger dans l’eau en parlant d’un navire ou d’un homme », mais aussi pour « se faire teindre les cheveux » ou « se teindre les cheveux ». On rencontre aussi le verbe βαπτίζειν, qui est la forme intensive du verbe βάπτειν, notamment dans les œuvres de Platon, de Polybe et de Plutarque. Les deux formes, βάπτειν ou βάπτεσθαι et βαπτίζειν ou βαπτίζεσθαι, semblent avoir le même sens : en tout cas, s’il a existé des différences, elles ont dû être de l’ordre de la nuance. Chez Flavius Josèphe, Guerre des Judéens III, § 368 et III, § 323, où le verbe, à l’actif, prend la nuance d’« engloutir », « couler », « noyer » et Guerre des Judéens III, § 525, où au moyen, il prend la nuance de « sombrer », « se noyer ». Chez Flavius Josèphe encore, toujours à l’actif, le verbe en vient même à signifier « perdre (quelqu’un) », « faire périr (quelqu’un) » (Guerre des Judéens IV, § 137). Chez Platon (Euthydème 277d ; Banquet 176B) et Hippocrate (Des épidémies 5, 63), il est employé au sens figuré. Il convient d’ajouter aussi les cas où la plongée métaphorique est qualifiée défavorablement, comme le montrent les emplois chez Philon (Legum allegoriae 3, 18, « le fleuve des sensibles […] baignant l’âme du flot des passions »), Plotin (Ennéades, I, 8, 13, l’âme « plongée dans la matière » ; I, 4, 9, « plongée dans les maladies ou les artifices de la magie ») et d’autres. Dans la langue grecque classique, les verbes βάπτειν ou βάπτεσθαι et βαπτίζειν ou βαπτίζεσθαι sont utilisés dans un sens profane, rarement dans un sens sacré. D’une manière générale, ils sont employés pour expri7. À ce sujet, voir J. Ysebaert, Greek Baptismal Terminology, Its Origins and Early Development, Nimègue, 1962.

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mer un changement d’état, le passage de la vie à la mort par exemple ou le passage d’une couleur à l’autre. À partir de l’époque hellénistique, les verbes βάπτειν ou βάπτεσθαι et βαπτίζειν ou βαπτίζεσθαι sont de plus en plus utilisés dans un sens religieux, tant dans des milieux grecs que dans des milieux judéens d’abord ou dans des milieux chrétiens par la suite. Ils vont aussi exprimer un changement d’état, mais dans un sens parfois plus positif : pour les chrétiens, par exemple, le passage de la mort à la vie, le baptême étant pour eux une nouvelle naissance. Les traducteurs de la Bible grecque de la Septante utilisent généralement le verbe βάπτειν pour rendre le radical verbal ‫( טבל‬tabal) (voir Jos 3, 15 ; Lv 4, 6.17) – βαπτίζειν n’apparaissant qu’une seule fois (voir 2 R 5, 14). Mais ils l’utilisent aussi pour exprimer l’action de plonger quelque chose dans l’eau afin de rendre pur ce qui est impur, même quand le radical verbal ‫( טבל‬tabal) n’est pas employé (voir Lv 11, 32, où le pur et l’impur sont désignés par les expressions καθαρός (pour ‫[ טהר‬taher]) et ἀκαθαρός (pour ‫[ טמא‬tam´e]) 8. Ce verbe est parfois employé de façon extrêmement anarchique : voir, par exemple, Is 21, 4, où il prend même le sens d’« engloutir » pour traduire le radical ‫( בעת‬ba´at), « être saisi de terreur ». Il en va de même dans les versions grecques postérieures à la Septante : ainsi le grec βαπτίζειν rend soit l’hébreu ‫( טבל‬tabal) (voir Jb 9, 31 Aquila) soit l’hébreu)a`bat( ‫( טבע‬voir Ps 69, 3 Symmaque ; Jr 38, 22 Symmaque ; voir aussi Ps 9, 16 selon l’édition Aldina 9) – ce dernier signifiant plus précisément « sombrer », « couler », « se noyer ». On rencontre aussi, une occurrence, le grec ἐκκλύζειν qui signifie « effacer en lavant » (voir Lv 6, 21). Il convient d’ajouter que ces deux verbes grecs traduisent aussi le verbe hébreu ‫( שטף‬shataf) « être rincé » ou « être lavé », en Lv 6, 21 selon l’édition Aldina. Deux exemples, n’ayant pas de correspondant dans la Bible hébraïque, sont intéressants à relever, car ils rendent des emplois datables du ii e siècle avant notre ère : (1) En Jdt 12, 7, il est rapporté comment Judith, alors qu’elle est dans le camp d’Holopherne, se baigne (il s’agit du verbe βαπτίζεσθαι), chaque nuit, dans l’eau d’une source avant de prier, se purifiant ainsi de la présence des païens qui l’entourent (voir aussi Jdt 12, 9). (2) En Si 34, 25, il est avancé sur une manière polémique : « Celui qui se baigne (il s’agit du verbe βαπτίζεσθαι), après le contact d’un mort et de 8.  Au sujet de ces expressions grecques, voir P. H arlé – D.  Pralon, La Bible d ’Alexandrie. Le Lévitique, Paris, 1988, p. 30-32. 9.  Il s’agit d’une édition imprimée des LXX faite à Venise en 1587.

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nouveau le touche, qu’a-t-il gagné de sa lustration (il s’agit du substantif λουτρόν) ? » 10. À noter que la racine verbale ‫( רחץ‬raḥaṣ) est traduite par le verbe λούω pour le lavage du corps (voir Lv 15, 11.13 ; voir aussi Gn 43, 31 ; Ex 2, 5 ; 2 S 11, 2) et que la racine verbale ‫( כבס‬kabas) l’est par les verbes πλύνω pour le lavage des vêtements (voir Lv 13, 55.58 ; voir aussi Rt 3, 3) et νίπτω pour le lavage des pieds et des mains (Gn 18, 4 ; 19, 2 ; 24, 32 ; Jg 19, 21 ; 1 S 25, 45 ; 2 S 11, 8) – preuve, avec les emplois de ces trois verbes grecs, que les Judéens de la Diaspora hellénophone établissent apparemment une nuance entre les emplois concernant la purification du corps et les emplois concernant la lavage du corps, des vêtements, des mains et des pieds, réservant le verbe βαπτίζειν pour les premiers. À l’exception de l’Apocalypse de Sédrach, texte qui de toute évidence a été sous influence chrétienne, aucun texte apocryphe grec ne semble avoir employé les verbes βάπτειν ou βάπτεσθαι et βαπτίζειν ou βαπτίζεσθαι pour un bain rituel au sens strict. On peut en dire tout autant des emplois que l’on rencontre dans les œuvres de Philon d’Alexandrie et de Flavius Josèphe. Les verbes βάπτειν ou βάπτεσθαι et βαπτίζειν ou βαπτίζεσθαι sont employés l’un et l’autre dans la langue du Nouveau Testament. Les occurrences sont nombreuses : pas moins de soixante et onze cas. On les rencontre tant dans les évangiles que dans les épîtres, celles de Paul de Tarse en particulier 11. Entièrement absent des écrits judéens et grecs, le substantif βάπτισμα est utilisé dans le Nouveau Testament pour signifier le baptême dans le sens chrétien. Les emplois sont assez nombreux. Chez les Judéens et les Grecs, on trouve, en revanche, plutôt le substantif βαπτισμός ou βαπτισμής. Chez les Grecs, le terme βαπτισμός est attesté dans la littérature médicale à partir du ii e siècle de notre ère 12 . Le substantif βαπτισμός est utilisé dans le Nouveau Testament pour signifier soit le « bain de pureté » dans le sens judéen général (voir Mc 7, 4 ; He 6, 2 et 9, 10), soit le « baptême de pardon » dans le sens johannite (voir Mt 3, 1 ; 11, 11-12 ; Mc 6, 25 ; 8, 28 ; Lc 7, 33 ; 9, 19). Le terme est rare, en dehors du Nouveau Testament, il est notamment absent de la Septante.

10.  Ce passage n’a pas été retrouvé en hébreu. 11.  Pour une liste exhaustive, Voir J.  Coppens – A.  d’A lès , « Baptême », dans Dictionnaire de la Bible. Supplément 1 (1928), col. 852-853. 12. Les remarques de J. Barr , Sémantique du langage biblique, Paris, 1971, p. 163-169, sont tellement absconses qu’elles ne débouchent sur aucune hypothèse concrète.

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Le substantif βαπτιστής désigne celui qui immerge, celui qui baptise, autrement dit le baptiste ou le baptiseur : on le rencontre dans le Nouveau Testament (voir Mt 3, 1 ; 11, 11-12 ; Mc 6, 25 ; 8, 28 ; Lc 7, 33 ; 9, 19), et dans Flavius Josèphe, uniquement appliqué à Jean le Baptiste (voir Antiquités judéennes XVIII, § 116-119). De plus, toujours dans le Nouveau Testament, le baptême chrétien est parfois désigné par le substantif λουτρόν (= un bain, une lustration) (voir Ep 5, 26 ; Tt 3, 5 ; 1 Co 6, 11 et He 10, 22). À noter que dans Tt 3, 5, il est question d’un λουτρὸν παλιγγνεσίας, dans le sens d’une lustration de régénération). De fait, dans le Nouveau Testament, le terme λουτρόν semble aussi désigner les eaux du baptême : dans la langue grecque classique, le terme λουτρόν est utilisé afin de désigner les eaux lustrales pour les purifications (voir Sophocle, Euripide).

C. Dans le latin La Vulgate a rendu communément le grec βαπτισμός par le latin baptismus (=  l’ablution) et le grec βάπτισμα par le latin baptisma (= le baptême). À  noter encore que le grec λουτρόν est rendu par le latin lavacrum (= lustration), dans les mêmes occurrences. On rencontre aussi les substantifs ablutio, aspersio, lustratio pour rendre compte des termes grecs ἅγνισμα, ἁγνισμός, ῥαντισμός.

D. Dans le syriaque

En syriaque, la racine verbale ‫`[ ܥܡܕ‬amad] peut prendre plusieurs sens qui, tous, d’une certaine manière, se recoupent. Cette racine rend en effet le sens des verbes « plonger », « pénétrer », « se baigner », « se laver », « immerger » et « baptiser » 13. La même racine verbale a donné les substantifs suivants : ‫ܥܡܘܕܐ‬ [`amud´o] (= un plongeur, un candidat au baptême) ; ‫`[ ܥܡܝܕܐ‬amid´o] (= un baptisé) ; ‫`[ ܥܡܕܐ‬amod´o] (= un baptême) ; ‫[ ܡܥܡܕܢܐ‬m`amdon´o] (= un baptiseur) ; ‫[ ܡܥܡܘܕܝܬܐ‬m`amudit´o] (= une piscine, un bain, un baptême) ; ‫[ ܒܝܬ ܡܥܡܘܕܝܬܐ‬bet-m`amudit´o] ou ‫[ ܒܝܬ ܥܢܕܐ‬bet-`amod´o] (= un baptistère). La racine verbale ‫`[ ܥܡܕ‬amad] se trouve aussi dans l’expression ‫ܥܐܕܐ‬ ‫`[ ܕܥܡܕܐ‬i’do’-d`amod´o], qui désigne la « fête du Baptême » (= l’Épiphanie). Il convient de noter encore que cette même racine verbale ‫`[ ܥܡܕ‬amad] est utilisée dans la terminologie technique astrologique pour signifier l’action de « se coucher » pour un astre (c’est-à-dire le soleil ou les étoiles). De même, le substantif ‫`[ ܥܡܕܐ‬amod´o] désigne « le coucher » de l’astre (c’est-à-dire le soleil ou les étoiles). 13.  Selon certains critiques, cette racine signifie aussi « confirmer sa foi » ou « professer sa foi ».

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Observons que la racine syriaque ‫`[ ܥܡܕ‬amad] ne dérive pas des racines hébraïques ‫( טבל‬tabal) et ‫( טהר‬taher), mais de la racine hébraïque ‫עמד‬ (´amad), qui signifie « se tenir debout » – d’où le sens liturgique qu’elle prend parfois, la prière se faisant en position debout. Il convient de souligner que les prières baptismales (le « Notre Père » et le « Crédo ») sont appelées ‫`[ ܥܡܕܐ‬amad´o] en syriaque, car elles se prononcent obligatoirement debout. On ne peut que constater en ce domaine la richesse du vocabulaire syriaque comme d’ailleurs du vocabulaire hébraïque, d’autant qu’on trouve en araméen une autre racine, qui désigne le baptême, il s’agit du radical verbal ‫( צבע‬ṣab`a) (dans la forme occidentale) ou ‫( צבא‬ṣab´a) (dans la forme orientale), l’une et l’autre venant, comme on l’a déjà vu, de l’araméen biblique ‫( צבע‬ṣab`a) 14 – on rencontre cette dernière forme verbale dans les parties araméennes du Livre de Daniel (voir Dn 4, 22 ; 5, 21).

E. Récapitulatif La question de la terminologie est importante, d’autant qu’elle reflète des pratiques rituelles parfois populaires. Elle soulève toutefois de nombreux problèmes qui méritent attention. Ces derniers ne peuvent être généralement résolus qu’au cas par cas, en fonction du contexte : chaque emploi doit être situé dans le temps et dans l’espace, même s’il faut reconnaître que ce n’est pas toujours évident. En résumé, en hébreu, pour signifier le rite d’eau, dans ses diverses significations, on dispose somme toute de trois racines verbales, qui sont : ‫( טהר‬taher), ‫( טבל‬tabal) et ‫( צבע‬ṣab`a). La première exprime la notion de pureté, les deux autres expriment la manière de se rendre pur : c’est-à-dire le rite d’eau par plongeon ou par immersion. Disons aussi que si la racine ‫( טבל‬tabal) se retrouve dans le judaïsme pharisien ou rabbinique, il en va de même pour la racine ‫( צבע‬ṣab`a), à la différence que, dans le premier cas, il s’agit d’emplois rituels (religieux), alors que, dans le second cas, il s’agit d’emplois non rituels (profanes). Seul le radical verbal ‫( טבל‬tabal) a été traduit, dans la Septante, par le verbe grec βάπτειν, à l’exception d’un seul cas. Dans le Nouveau Testament, on rencontre les verbes βάπτειν ou βάπτεσθαι et βαπτίζειν ou βαπτίζεσθαι, qui sont rendus en syriaque par la racine verbale ‫`) ܥܡܕ‬amad(, qui, elle, dérive de la racine hébraïque ‫עמד‬ (`amad).

14. Voir J.C. Greenfield, «  The Verbs for Washing in Aramaic  », dans A.S. K aye (Éd.), Semitic Studies in honor of Wolf Leslau on the Occasion of his Eighty-Fifth Birthday November 14 th, 1991, Wiesbaden, 1991, p. 588-594.

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Dans tous les cas et dans tous les milieux, l’acte de baptiser implique un baptiseur et ce à la différence de l’acte de purifier pour lequel il n’est pas nécessaire de faire appel à un purificateur. II. Le symbolisme La question du symbolisme concerne le symbolisme des eaux, et tout particulièrement le symbolisme des eaux vives dans le judaïsme et dans le christianisme. Il faut bien reconnaître que la question du symbolisme est immense, et surtout qu’elle peut être abordée selon de multiples approches. Dans le cadre de cette recherche, on est obligé d’être assez bref, d’autant que cette question relève essentiellement d’une approche plutôt philosophique (c’est-à-dire phénoménologique) de l’histoire des religions, qui n’est pas nécessairement celle envisagée ici.

A. Le symbolisme des eaux 15 Les significations symboliques de l’eau peuvent se réduire à trois thèmes dominants : source de vie, moyen de purification, centre de régénération. Ces trois thèmes se rencontrent dans les traditions les plus anciennes et ils forment les combinaisons imaginaires les plus variées, en même temps que les plus cohérentes. Dans les traditions issues du judaïsme et du christianisme, l’eau symbolise d’abord l’origine de la création. Source de toutes choses, l’eau manifeste le transcendant, et de ce fait elle doit être considérée comme une hiérophanie. Toutefois l’eau, comme d’ailleurs tous les symboles, peut être envisagée sur deux plans rigoureusement opposés, mais nullement irréductibles, et cette ambivalence se situe à tous les niveaux. L’eau est source de vie et source de mort, elle est créatrice et destructrice. Dans toutes les autres traditions religieuses du monde, l’eau joue également un rôle primordial qui s’articule autour des trois thèmes déjà définis, mais avec une insistance particulière sur les origines. D’un point de vue cosmogonique, l’eau recouvre deux complexes symboliques antithétiques, qu’il ne faut pas confondre : (1) l’eau descendante et céleste (c’est l’eau de pluie) ; (2) l’eau ascendante et terrestre (c’est l’eau de source). Dans son Traité d’Histoire des Religions, le célèbre historien des religions Mircea Eliade consacre un chapitre aux eaux et au symbolisme aquatique 16. Malgré leur caractère général, ses observations sont d’un certain intérêt. C’est ainsi qu’il constate que toutes les valeurs métaphysiques et religieuses 15. Voir J.  Chevalier – A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, 1982, p. 374-382. 16.  M. Eliade , Traité d ’Histoire des Religions, Paris, 1975, p. 165-187.

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des eaux constituent un ensemble de cohérence parfaite. À la cosmogonie aquatique correspondent – au niveau anthropologique – les hylogénies, c’est-à-dire les croyances que le genre humain est né des eaux. Aussi bien au niveau cosmologique qu’au niveau anthropologique, l’immersion dans les eaux n’équivaut pas à une extinction définitive, mais seulement à une réintégration passagère dans l’indistinct, à laquelle succède une nouvelle création, une nouvelle existence, un homme nouveau. Ainsi, du point de vue de la structure le « déluge » est comparable au « baptême ». Quelle que soit la tradition religieuse et culturelle où elles sont présentes, la fonction des eaux s’avère toujours la même : elles « lavent les péchés », purifiant et régénérant en même temps. Les lustrations et les purifications rituelles avec l’eau ont comme but l’actualisation fulgurante de « ce temps-là », in illo tempore, où a eu lieu la création. Autrement exprimé, elles sont la répétition symbolique de la naissance des mondes ou de l’« homme nouveau ». Bref, tout contact avec l’eau, quand il est pratiqué avec une intention religieuse, résume les deux moments fondamentaux du rythme cosmique : la réintégration dans les eaux et la création. Dans une formule plus que sommaire, on pourrait dire que les eaux symbolisent la totalité des potentialités : la matrice de toutes les possibilités de l’existence. La tradition des eaux primordiales, d’où les mondes ont pris naissance, se rencontre, en un nombre considérable de variantes, dans les cosmogonies archaïques et primitives. 1. Symbolisme de l’eau de la vie Symbole cosmogonique, réceptacle de tous les germes, l’eau devient la substance magique et médicinale par excellence : elle guérit, elle rajeunit, elle assure la vie éternelle. Le prototype de l’eau est l’eau vive. L’eau vive, les fontaines de jouvence, l’eau de la vie, etc. sont les formules mythiques d’une même réalité métaphysique et religieuse : dans l’eau réside la vie, la vigueur et l’éternité. 2. Symbolisme de l’immersion Désintégrant toute forme et abolissant toute histoire, les eaux possèdent une vertu de purification, de régénération et de renaissance. Dans l’eau tout se « dissout », toute « forme » est désintégrée, toute « histoire » est abolie : rien de ce qui a existé auparavant ne subsiste après une immersion dans l’eau, aucun profil, aucun signe, aucun événement. L’immersion équivaut sur le plan humain à la mort, et sur le plan cosmique à la catastrophe (le déluge) qui dissout périodiquement le monde dans l’océan primordial. Comme on peut le lire dans le Livre d’Ézéchiel, en 36, 25 : « Je ferai sur vous une aspersion d’eaux pures et vous serez purs » et comme on peut le lire aussi dans le Livre de Zacharie, en 13, 1 : « en ce temps-là une source jaillira pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem, afin d’effacer leur péché et leur souillure ».

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À observer que c’est le même mécanisme de la régénération par les eaux qui explique l’immersion des statues des divinités dans le monde antique comme dans le monde moderne.

B. Le symbolisme des eaux vives dans le judaïsme et dans le christianisme Le sujet est important, voire fondamental. Il a d’ailleurs été abondamment traité 17. Seules quelques observations suffisent, on les emprunte à un article de Jean Daniélou 18. L’expression ὕδωρ ζῶν, « eau vive », peut revêtir quatre significations différentes. Au sens profane, elle désigne l’eau de source par opposition à l’eau stagnante. Au sens rituel, elle désigne l’eau des purifications ou des baptêmes. Au sens doctrinal, dans le judaïsme, elle symbolise Dieu comme source de vie. Au sens doctrinal, dans le christianisme, elle symbolise l’Esprit saint. Ces divers sens ne sont pas nécessairement liés. Il y a cependant entre ces divers sens des liaisons plus ou moins normales ou plus ou moins logiques. Le symbolisme de l’eau vive a pu être déterminant pour un usage rituel. Réciproquement l’usage rituel a contribué à développer le symbolisme doctrinal. 1. Utilisation rituelle de la symbolique de l’eau vive L’expression « eau vive » peut s’appliquer à des réalités diverses et variées. Elle désigne avant tout l’eau de source, elle peut désigner aussi l’eau d’un ruisseau, d’une rivière ou d’un fleuve, elle peut désigner encore l’eau de mer. Enfin, l’eau vive peut être l’eau amenée par une canalisation à jaillir dans un bassin : ceci a dû être le cas le plus fréquent, ainsi que l’atteste, par exemple, le baptistère de Latran à Rome où l’eau jaillit de la bouche de sept cerfs de bronze. L’usage rituel de l’eau vive relève d’un contexte très étendu. On le retrouve dans les traditions religieuses gréco-romaines. Mais plus particulièrement il apparaît dans le judaïsme et dans le christianisme. Les baptistes en général, comme les elkasaïtes et les mandéens en particulier, recommandent de manière expresse l’eau vive pour les purifications – les exemples sont nombreux.

17.  Voir par exemple F.  M anns , Le symbole eau-esprit dans le judaïsme ancien, Jérusalem, 1983. Voir aussi G. Dorival , La Bible d ’Alexandrie. Les Nombres, Paris, 1994, p. 120-125, qui donne un excellent aperçu de la fonction de l’eau dans le Livre des Nombres. 18.  J. Daniélou, « Le symbolisme de l’eau vive », dans Revue des sciences religieuses 32 (1958), p. 335-346.

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2. Utilisation doctrinale du symbole de l’eau vive Là encore, on se limite à des éléments de réflexion à partir de quelques textes originaires du judaïsme ou du christianisme. Le point de départ de cette réflexion est toujours l’article de Jean Daniélou. L’eau vive est dans l’Ancien Testament un symbole de Dieu comme source de vie. Dans le Livre d’Ézéchiel (voir 36, 25-27) et dans le Livre de Zacharie (voir 14, 8), cette eau vive désigne l’effusion eschatologique de la vie de Dieu – c’est évidemment une interprétation. Il convient de relever que dans le passage de Za 14, 8, l’image du torrent eschatologique, qui jaillit de Jérusalem, se trouve rapprochée de la fête de Souccoth, comme figure du rassemblement eschatologique. Dans ce passage, on se représente l’eau vive d’une part, comme sortant de Jérusalem et se répandant à la fois vers l’Orient et vers l’Occident et d’autre part, comme symbolisant les nations montant à Jérusalem pour la fête de Souccoth. Au retour de la déportation babylonienne, la fête de Souccoth ayant pris un caractère eschatologique appuyé, il est normal que les libations d’eaux vives apparaissent comme la figure de l’effusion de la vie divine, conçue comme un fleuve d’eau vive. Ce symbole de l’eau vive apparaît aussi dans les textes retrouvés dans les grottes proches de Khirbet Qumrân. Dans le Manuel de Discipline, l’eau vive de la purification est un préalable au don de l’Esprit (IV, 20). Dans les Hymnes, où l’eau vive est assimilée à la Torah, le Maître de Justice est présenté alors comme donnant cette eau vive (Hymne O, col. 8). L’eau vive est dans le Nouveau Testament un symbole de l’Esprit saint. Dans l’Évangile selon Jean, deux passages font référence à l’expression ὕδωρ ζῶν (voir Jn  4,  10-14 et Jn 7, 37-39). Il est vraisemblable que ces deux textes johanniques ont des résonances sacramentaires. Ceci est important car Jean serait ainsi le premier auteur chrétien chez qui le baptême dans l’eau vive et le symbolisme de l’eau vive comme désignant l’Esprit saint soient explicitement liés. Cette union du rite d’eau vive et de la symbolique de l’eau vive se retrouverait dans les Odes de Salomon (XI, 6), à condition d’admettre une interprétation baptismale de l’ode – ce qui n’est pas prouvé 19. 3. Utilisation littéraire du symbole de l’eau vive Le symbolisme de l’eau vive apparaît dans divers contextes littéraires, pas moins de quatre, qu’on se permet de simplement citer. Le premier est celui des eaux primordiales (voir Gn 1, 2 et 20) : les eaux créatrices sont en relation avec le thème de l’eau vive en tant qu’elle produise des êtres vivants. Le deuxième est celui du paradis en relation avec la thématique de l’arbre de vie ou des arbres de vie : notons qu’un des traits caractéristiques 19. Voir M.-J.  P ierre , Les Odes de Salomon, Turnhout, 1994, p. 86-90.

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de cette symbolique est l’identification des quatre fleuves aux quatre évangiles. Le troisième est celui du rocher du désert : son interprétation remonte à 1 Co 10, 3, qui montre dans le rocher du désert le Messie d’où jaillit l’eau vive. Le dernier est celui du Jourdain : les liens avec le baptême sont évidents au plan rituel. Rappelons que dans le mandéisme, « Jourdain » devient le nom de toute eau purificatrice. On y compare aussi le baptême à la plantation d’un arbre de vie, celle-ci donne lieu à un rite particulier : la plantation d’une branche d’olivier dans l’eau purificatrice.

C. Récapitulatif La question du symbolisme touche aussi la question du pur et de l’impur, du fait même que le symbole du mal correspond à l’impur, à la souillure. Comme l’a très bien montré Paul Ricœur, c’est par des symboles fondamentaux, comme la souillure, que se manifeste dès l’époque ancienne le sens du péché 20. Cependant, la distinction qu’établit la raison entre impureté (rituelle) et mal (moral) n’a jamais été perçue sous cette forme tranchée, pas même dans le christianisme des premiers siècles, comme l’a souligné fort justement Marcel Simon 21. Il n’est pas possible d’entrer plus en matière sur la question du pur et de l’impur. Il n’en demeure pas moins qu’il convient de ne pas oublier que les rites d’eau sont à l’origine fondés pour permettre le passage du pur à l’impur afin de pouvoir approcher la sacralité – ils permettent aussi de repasser du monde sacré au monde profane. III. Histoire de la recherche Les mouvements baptistes relevant aussi bien du judaïsme que du christianisme ont été rarement étudiés pour eux-mêmes. Les travaux de Wilhelm Brandt et de Joseph Thomas, les seuls qui leur soient vraiment consacrés, datent de 1910 22 et de 1935 23. Ils n’ont pas été renouvelés depuis, si ce n’est que partiellement. Wilhelm Brandt, dans une recherche pionnière, a étudié les groupes baptistes dans le judaïsme et dans les mouvements qui en sont issus. Par baptisme, il entend « la pratique régulière du bain ou de l’ablution pour 20.  P. R icœur , La symbolique du mal, II. Finitude et culpabilité, Paris, 1960, p. 13. 21.  M. Simon, « Souillure morale et souillure rituelle dans le christianisme primitif », dans Studi in onore di Alberto Pincherle, Rome, 1967, p. 498-511. 22.  W. Brandt, Die jüdischen Baptisten oder das religiöse Waschen und Baden im Judentum mit Einschluss des Judenchristentums, Giessen, 1910. 23.  J. Thomas , Le mouvement baptiste en Palestine et en Syrie (150 av. J.-C.-300 ap. J.-C.), Gembloud, 1935, p. 2-60.

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accomplir un devoir religieux et atteindre un but religieux qu’on s’est proposé ». On trouve dans son ouvrage un exposé très clair de la législation du Code Sacerdotal, œuvre des prêtres judéens, sur laquelle reposent les idées de pureté et d’impureté, soulignant la notion que le contact du pur rend impur, laquelle renvoie au tabou. L’auteur estime que l’état hydrographique de la Palestine ne permet pas des bains à volonté, et que ce n’est qu’en Diaspora que l’abondance des eaux et l’exemple des Grecs ont conduit les Judéens à prescrire des bains d’eau vive pour le corps. Dans une dernière partie de l’ouvrage, sont présentés et discutés des textes rabbiniques sur la question, ils ont trait presque uniquement aux ablutions des mains avant et après le repas (voir par exemple M Edouyot  V, 6). L’ouvrage est du plus grand intérêt, d’autant qu’il porte à son époque sur un sujet peu ou pas étudié. Il est à percevoir avec un autre ouvrage du même auteur publié la même année qui porte sur les « baptismes alimentaires », tels qu’ils sont énumérés dans la glose de Mc 7, 3-4 24 . Joseph Thomas, dans une recherche magistrale, a écrit « une histoire des sectes baptistes judéo-chrétiennes et gnostiques de Syrie et de Palestine ». Pour ce faire, il a divisé son travail en deux grandes parties : (1) une première, analytique, examine en quatre chapitres distincts les données sur les différentes sectes baptistes occidentales judéennes ou chrétiennes, sur les johannites et sur les mandéens ; (2) une seconde, synthétique, dresse en trois chapitres distincts un tableau d’ensemble du mouvement baptiste de Syrie et de Palestine au niveau de sa description, de son originalité et de son histoire. Les nombreuses recensions de ce livre montrent tout son intérêt et sa nouveauté 25. On s’est toutefois demandé si l’auteur n’a pas une tendance à exagérer l’importance, la spécificité et l’originalité du baptisme, car de fait il brasse large. Le grand mérite de ce livre est de réunir autant de données disparates sur un sujet souvent abordé de manière dispersée et limitée. C’est une véritable mine à laquelle il ne faut pas oublier de se référer dès qu’il est question de baptistes au sens large ou au sens étroit. On doit ajouter maintenant l’œuvre magistrale publiée en 2010-2011 et dirigée par David Hellholm, Tor Vegge, Oyvind Norderval et Christer Hellholm 26. Il s’agit de trois volumes consacrés aux ablutions, aux initiations et aux baptismes dans l’Antiquité, le judaïsme et le christianisme antiques. Toutes les sources littéraires et non littéraires y ont été réunies, ce qui facilite la recherche. Le problème de ce riche ensemble est son carac24.  W. Brandt, Jüdische Reinheitslehre und ihre Beschreibung in den Evangelien, Giessen, 1910. 25. Voir G.  Bardy, dans Revue d ’histoire ecclésiastique 32 (1936), p. 113-117 et W. Goossens , dans Ephemerides Theologicae Lovanienses 14 (1937), p. 467-476. 26. D. H ellholm – T. Vegge – O. Norderval – C. H ellholm (Éd.), Ablution, Initiation, and Baptism – Waschungen, Initiation und Taufe. Late Antiquity, Early Judaism, and Early Christianity – Spätantike, Frühes Judentum und Frühes Christentum, I-III, Berlin-Boston, 2010-2011.

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tère christianocentrique : les mouvements baptistes, au sens où ils sont entendus ici, sont complètement absents, ou presque. Autrement dit, il y a focalisation sur les origines et les évolutions du baptême chrétien. II.2 . L e s r i t e s d ’ e au e n Pa l e s t i n e et

da ns l e j u da ï sm e en

D i a spor a

Comme dans bien d’autres cultes de l’Antiquité, les rites d’eau tiennent une place importante et fondamentale dans le judaïsme ancien, que ce soit en Palestine ou en Diaspora, dans l’empire romain ou dans l’empire iranien. Dans le judaïsme, il est certes délicat de préciser l’origine de ces rites, mais il semble possible globalement de les faire remonter aux rites d’eau qui se sont pratiqués tant en Égypte qu’en Assyrie-Babylonie – des pays qui ont beaucoup influencé les Judéens. De plus, il est envisageable qu’ils aient pris plus d’ampleur à partir de la déportation en Babylonie d’une partie du peuple judéen, qui se trouve alors au contact avec les cultes assyro-babyloniens et iraniens où l’eau joue souvent un rôle fondamental, notamment lors des nombreuses purifications qui se déroulent en diverses occasions. Car de fait dans la culture judéenne, les rites d’eau reposent pour l’essentiel sur les notions du pur et de l’impur, qui contribuent au passage du domaine du profane (considéré comme impur) au domaine du sacré (considéré comme pur) 27. On procède ici à l’examen des rites d’eau dans le judaïsme en Palestine et en Diaspora en trois moments : le premier, partant des données littéraires et des données non littéraires, sera consacré au judaïsme en général ; le deuxième au judaïsme pharisien ou rabbinique ; le troisième au judaïsme essénien ou qumrânien. On laisse de côté les rites d’eau qui se sont pratiqués dans les groupes baptistes (les johannites, les nasaréens et les dosithéens – pour ne citer que les moins mal connus). Il faut cependant savoir que dans le judaïsme en général comme dans les groupes pharisien ou rabbinique et essénien ou qumrânien, à l’inverse des groupes baptistes, les rites d’eau sont surtout des rites de pureté qui n’absolvent nullement du péché : en effet, il semble qu’ils ne permettent que le passage du profane au sacré. À noter aussi, comme on va le voir, que dans les groupes pharisien ou rabbinique et essénien ou qumrânien notamment, certains rites d’eau sont à interpréter comme des rites d’entrée, du fait même qu’ils permettent le passage dans les diverses confréries, en laissant l’état du « commun du peuple ». 27.  À ce sujet, pour une première approche, voir J. Neusner , The Idea of Purity in Ancient Judaism, Leyde, 1973.

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I. Les rites d’eau dans le judaïsme général 2 8 Par judaïsme général, on comprend ce que certains appellent le judaïsme commun et d’autres le judaïsme sacerdotal et synagogal. Les rites d’eau connus dans le judaïsme ancien sont évidemment semblables aux gestes analogues pratiqués dans les paganismes contemporains, mais ils présentent aussi de sensibles différences. De plus, s’ils ne sont nullement des rites d’initiation, en ce sens qu’ils n’accordent aucune vie nouvelle sur un quelconque plan eschatologique, ils n’en demeurent pas moins liés pourtant au motif de la pureté du corps ou de la chair et d’une certaine purification intérieure. On parcourt assez rapidement les données littéraires d’abord et les données non littéraires ensuite.

A. Les données littéraires Il convient de distinguer entre les textes dits « bibliques » qui remontent à l’époque monarchique et à l’époque sacerdotale – plus à la seconde qu’à la première, selon toute apparence – et les textes dits « intertestamentaires » ou « extratestamentaires » qui appartiennent aux époques grecque et romaine 29. 1. Les rites dans les textes canoniques 30 Dans la Bible, il est souvent question de gestes d’ablution rituelle : ils ne sont pas tous directement liés au motif d’une faute et d’un péché plus ou moins graves qui seraient à effacer. Les rites d’eau – dans l’eau courante ou dans l’eau vive (voir Lv 14, 6 ; 15, 13) ou dans un bassin spécial (voir Ex 30, 17-21) – sont censés assurer à l’homme, comme on l’a déjà dit, la possibilité de passage du domaine profane au domaine sacré. Il s’agit de rites de pureté qui n’ont nullement été établis pour exclure ou séparer, mais pour permettre un authentique accès au divin – ils sont donnés comme ayant été fixés par un dieu, en l’occurrence Yahweh, car seul un dieu est censé pouvoir fixer les normes du passage au domaine sacré, du passage à son domaine. Il ne s’agit pas ici de faute morale, dont s’occupent d’ailleurs bien largement les multiples

28. Voir J. Thomas , Le mouvement baptiste en Palestine et en Syrie (150 av. J.-C.300 ap. J.-C.), Gembloud, 1935, p. 341-376 ; J. Delorme , « La pratique du baptême dans le judaïsme contemporain des origines chrétiennes », dans Lumière et Vie 26 (1956), p. 21-60 ; C.  P errot, « Les rites d’eau dans le judaïsme », dans Le Monde de la Bible 65 (1990), p. 23-25. 29.  J.D.  L awrence , Washing in Water : Trajectories of Ritual Bathing in the Hebrew Bible and Second Temple Literature, Leyde-Boston, 2006. 30. Voir C.  Kongolo, « Les lustrations d’eau dans les écrits bibliques », dans Laval théologique et philosophique 57 (2001) p. 305-318.

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sacrifices d’expiation pour la rémission des péchés, ainsi que la fête du Yom ha-Kippourim. Toutefois refuser, volontairement ou non, de se conformer aux rites de pureté, ce serait pour l’homme judéen affirmer, de sa propre initiative, la possibilité d’accéder au divin, en niant la prévenance divine qui décide comme elle l’entend des diverses règles de cette rencontre. En conséquence, certaines impuretés rituelles au moins pourront être lavées par un sacrifice d’expiation (voir Lv 5, 2 ; 12, 1-2). Mais comme tel, le rituel de purification ne permet aucunement l’expiation du péché – il n’est pas un geste magique, mais la reconnaissance, par ceux qui le pratiquent, du souverain domaine du divin et de sa prévenance gracieuse dans l’instauration du dialogue entre lui et les hommes. À l’époque monarchique et sacerdotale, les rites de pureté s’appliquent tout spécialement aux prêtres en vue de les rendre aptes au culte du temple de Jérusalem. Aaron est présenté comme devant se laver lors de sa consécration (voir Ex 29, 4 ; 40, 12 ; Lv 8, 6 ; Nb 8, 6.21). Les prêtres, de manière semblable, doivent se laver avant d’entrer au sanctuaire (voir 2 Ch 4, 2-6 ; 30, 17-20), avant et après les cérémonies, ainsi que lors de la fête du Yom ha-Kippourim (voir Lv 16, 4.24.26). Il convient de préciser qu’aux époques monarchiques et sacerdotales, ces obligations ne touchent aucunement l’ensemble du peuple judéen, se limitant seulement aux prêtres et aux lévites – bref, aux membres de la classe sacerdotale. On peut cependant remarquer que d’une part, David, un roi donc, est présenté aussi comme se baignant, se parfumant et se changeant de vêtements avant de se rendre au sanctuaire (voir 2 S 12, 20) et d’autre part, les membres du peuple judéen, sur ordre divin, doivent laver leurs vêtements, en signe de sanctification, avant de recevoir la Torah au Sinaï (voir Ex 19, 10-14). D’une manière générale, les rites de pureté rendent possible le culte authentique et légitime – y compris le pardon des péchés – et, en certains cas, ils se présentent comme des rites de réintégration dans la communauté cultuelle. Quelques exemples : Lv 14, 8-9, la purification des lépreux exclus du sanctuaire ; Lv 15, 2-30, la purification à la suite d’impuretés sexuelles, y compris l’acte conjugal ; Lv 21, 2 / Nb 19, 11 / Ag 2, 13 / Si 34, 25, la purification à la suite du contact d’un cadavre ou après avoir touché des ossements humains ou un tombeau. Pour lever ces empêchements, qui ne sont pas des souillures morales mais plutôt corporelles, on n’utilise pas de l’eau ordinaire, mais de l’eau lustrale : c’est-à-dire fabriquée à l’aide d’eau courante, de plantes comme l’hysope et des cendres de la Vache Rousse, selon le rituel donné en Nb 19, 1-2 31. 31.  À ce sujet, voir P.M. Muzinga, « Les Rites de la Vache Rousse et de la Purification par l’eau lustrale selon Nombres 19 et à l’époque du Second Temple », dans

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Ces rites procurent l’état de pureté réclamé par l’approche du sacré. L’impur, il est important de le souligner, se transmet par contact, indépendamment de la volonté et sans qu’il y ait toujours faute morale. Ainsi, la purification par l’eau est-elle appliquée aux choses comme aux personnes. La racine verbale principalement utilisée en hébreu, dans les textes dits « bibliques », est la racine ‫( טהר‬taher) – qui renvoie à la notion du pur – et non pas la racine ‫( טבל‬tabal) – qui renvoie au rite du bain. On rencontre aussi la racine ‫( חטא‬ḥat’a) qui signifie « purifier ». Ces deux verbes hébraïques, qui sont presque synonymes, sont traduits indifféremment par les verbes grecs καθαρίζω et ἀγνίζω qui signifient, l’un et l’autre, « purifier ». Dans les milieux prophétiques, qui se trouvent souvent en opposition avec la monarchie et le sacerdoce, on assiste à une spiritualisation progressive du thème de l’eau, leur permettant d’employer l’image de l’eau et des rites d’eau pour désigner non plus seulement une purification extérieure, mais une purification intérieure. Les prophètes ne mettent cependant pas en cause les rites d’eau, si ce n’est peut-être la remarque ironique de Jérémie : « Même si tu te lessiveras avec de la potasse et que tu emploies des flots de lessive, la crasse de ta perversion subsiste devant moi » (voir Jr 2, 22). À l’époque d’avant la déportation (dite préexilique), les prophètes utilisent les rites d’eau à titre d’image et de signe de purification intérieure (voir Is 1, 16 ; 4, 4). À l’époque d’après la déportation (dite postexilique), les prophètes mettent tout leur espoir en une purification totale (voir Za 13, 1 ; Is 32, 15 ; 44, 3 ; Jl 3, 1). D’autres textes prophétiques reprennent aussi le thème de l’eau, ainsi, dans un passage déjà cité, en Ez 36, 25, il est dit : « Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifié », sans parler du Ps 51, 9, où il est rapporté : « Purifiez-moi avec l’hysope » – c’est-à-dire avec de l’eau lustrale comprenant de l’hysope et des cendres de la Vache Rousse, selon le rituel donné dans Nb 19, 1-2. Dans les milieux prophétiques, on ne trouve jamais la terminologie du plongeon ou de l’immersion (c’est-à-dire la racine verbale ‫[ טבל‬tabal]). En résumé, au moins, jusqu’à l’époque des Macchabées et des Hasmonéens, les rites d’eau ne semblent être envisagés que comme des rites de pureté, fonctionnant sur les notions de pur et d’impur par rapport au sacré et au profane – la racine verbale ‫( טהר‬taher) est opposée à la racine Annuaire de l ’École pratique des Hautes études, Section des sciences religieuses, Résumé des conférences et travaux CVIII, 1999-2000, Paris, 2001, p. 487-490. Voir aussi P.M.  Muzinga, La pratique des rituels de Nombres 19 pendant la période hellénistique et romaine, Paris, 2008.

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verbale ‫( טמא‬tam´e) Ces rites ne reposent pas, selon toute apparence, sur la notion de rémission des péchés, qui elle fonctionne plutôt sur le radical verbal ‫( טבל‬tabal) mais qu’on retrouve bien plus tard. 2. Les rites dans les textes apocryphes La recherche se limite ici à quelques textes dont certains relèvent de la Palestine et d’autres de la Diaspora. Dans le Livre des Jubilés (ii e siècle avant notre ère, en Palestine), on peut lire le passage suivant : Sois en tout temps propre de corps. Lave-toi à l’eau avant de t’approcher de l’autel. Lave-toi les mains et les pieds avant de monter à l’autel. Après avoir fini de sacrifier, lave-toi de nouveau les mains et les pieds (XXI, 16) 32 .

Dans ce passage, qui fait partie d’un ensemble d’instructions cultuelles censées être données par Abraham à Isaac, les rites d’eau permettent d’accéder au sacré, et d’en sortir – ce qui est classique dans l’Antiquité, notamment dans le monde judéen. Il s’agit ici plutôt d’ablutions que de bains, à l’instar de Lv 17, 12-14. Contrairement à Ex 30, 19-21 et à Ex 40, 30-32, où les ablutions sont prescrites avant les sacrifices seulement, ici elles le sont après. Dans le Testament de Lévi (i er siècle avant notre ère, en Palestine), est rapporté un rituel d’initiation en trois séquences : 2. Je vis sept hommes en blanc qui me disaient : « Lèves-toi et revêts la robe du sacerdoce, la couronne de justice, le pectoral d’intelligence, la tunique de vérité, la plaque de foi, le diadème du miracle et l’éphod et de la prophétie ». 3. Chacun de ces hommes me remit ce dont il était chargé, en ces mots : « Dorénavant sois prêtre du Seigneur, toi et ta descendance à jamais ». 4. Le premier m’oignit d’une huile sainte et me donna le sceptre du jugement. 5. Le deuxième me lava d’une d’eau pure, me nourrit de pain et de vin, aliments suprêmement saints et me revêtit d’une robe sainte et glorieuse. 6. Le troisième me revêtit d’un vêtement de lin semblable à un éphod. 7. Le quatrième me passa une ceinture semblable à la pourpre. 8. Le cinquième me donna un rameau d’olivier plein de sève. 9. Le sixième me mit une couronne sur la tête. 10. Le septième me mit le diadème du sacerdoce et remplit mes mains d’encens, pour que je pusse être prêtre du Seigneur (VIII, 2-10) 33.

Quelles que soient l’origine et l’application du rituel rapporté dans ce passage sous forme de vision (dans laquelle le « sept hommes en blanc » sont probablement des anges), son caractère sacerdotal ne fait aucun doute. 32.  Traduction d’après A. Caquot, dans A. Dupont-Sommer – M. Philonenko (Éd.), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p. 718. 33.  Traduction d’après M.  Philonenko, dans A. Dupont-Sommer – M.  Philo nenko (É d.), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p. 843.

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Les trois séquences de ce rituel reposent sur l’onction d’huile sainte, l’ablution d’eau pure et les aliments saints (pain et vin) – les deux premiers de ces éléments sont ceux qui accompagnent la consécration d’Aaron et de ses fils (voir Ex 29, 7). On laisse de côté les autres éléments de ce rituel qui n’en sont pas moins importants : observons seulement que le sceptre du jugement, la ceinture de pourpre et le rameau d’olivier sont des attributs royaux. Dans le Livre des antiquités bibliques du Pseudo-Philon (i er siècle de notre ère, en Palestine), il est rapporté comment le juge Qénaz se lave dans le fleuve après sa victoire contre les Amorites : Cenez s’en alla, se dépouilla de ses vêtements et, se jetant dans le fleuve, il se lava. Puis, étant monté, il changea ses vêtements et revint vers ses serviteurs (XXVII, 12)  3 4 .

Là encore, le rite d’eau permet de se purifier de la souillure contractée au combat, afin de pouvoir de nouveau accéder au sacré. Dans les Oracles sibyllins, au Livre IV, qui date des années 80 de notre ère et qui est sans doute originaire de l’Anatolie, on lit : Ah ! Malheureux mortels, changez de conduite, ne poussez pas le Grand Dieu à manifester toute sa colère ! Laissez là les épées, les afflictions, les meurtres, les violences ! Purifiez-vous tout le corps dans des fleuves d’eau vive ! Puis, les mains tendues vers le ciel, de vos œuvres passées, demandez le pardon, et par des prières expiez votre impiété funeste ! Dieu vous donnera la conversion, il ne vous perdra pas, il apaisera sa colère à nouveau, si tous vous cultivez en vos cœurs la piété précieuse (IV, 162-170) 35.

Dans ce passage, le rite d’eau ne permet pas de passer de l’impur au pur, mais donne la rémission des péchés et la conversion – à l’instar des milieux prophétiques baptistes. On a souvent pensé que ce passage pourrait faire référence au baptême des prosélytes. Il demeure qu’il s’agit là d’une hypothèse très conjecturale. Quoi qu’il en soit, l’auteur est un Judéen de la Diaspora romaine largement ouvert au monde grec, et allègrement détaché, surtout depuis sa destruction, du temple de Jérusalem : il témoigne de la présence de rites d’eau dans un judaïsme éloigné du temple 36.

34.  Traduction d’après P. H adot, dans A. Dupont-Sommer – M.  Philonenko (Éd.), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p. 843. 35.  Traduction d’après V. Nikiprowetzki, dans A. Dupont-Sommer – M.  Philonenko (É d.), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p. 1105. 36.  À ce sujet, voir J. Thomas , Le mouvement baptiste en Palestine et en Syrie (150 av. J.-C.-300 ap. J.-C.), Gembloux, 1935, p. 46-60, qui considère que ce passage provient des milieux baptistes, sans doute les johannites.

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3. Chez Philon d’Alexandrie et Flavius Josèphe Dans le Quod Deus sit immutabilis de Philon d’Alexandrie, on peut lire le passage suivant : le corps ne doit pas s’approcher (des sanctuaires) … sans avoir procédé aux ablutions (περιρραντηρίοις) et aux purifications sanctifiantes (καθαρσίοις ἀγνευτικοῖς) (8) 37.

Un peu plus loin, dans cette même œuvre, il est précisé qu’à plus forte raison, l’âme doit être pure et pleine de repentir : peut-on avoir le front d’approcher Dieu, saint entre tous, avec une âme impure (ἀκάθαρτος ὢν ψυχήν), et encore sans avoir l’intention de se repentir ? (8) 38.

Le même auteur, dans un autre de ses traités, le De Plantatione, rappelle que les anciens ont fait des prières et ont célébré des sacrifices, en étant : purifiés corps et âme (σώματα καὶ ψυχὰς καθηράμενοι), par des bains (λουτροῖς) d’une part, et, d’autre part, dans les eaux des lois et de l’éducation droite (162) 39.

Dans le premier passage, Philon se situe dans la notion du pur et impur, le rite d’eau permettant d’accéder au sacré. Dans le dernier passage, le rite d’eau rend purs le corps et l’âme, et il semble alors plutôt se situer du côté de la rémission permettant la conversion, mais selon des critères apparemment stoïciens. Le vocabulaire utilisé dans l’un et l’autre passage relève aussi du stoïcisme ou en tout cas de la terminologie philosophique relative à la κάθαρσις concernant le corps et l’âme. Flavius Josèphe, dans le Contre Apion, souligne l’obligation de certains rites d’eau afin de passer de l’état impur à l’état pur : Des purifications (ἁγνείας) en vue des sacrifices sont ordonnées par la Loi après un enterrement, un accouchement, après les rapports sexuels et dans bien d’autres cas (II, § 198)  4 0.

Il est mentionné que les purifications sont prescrites afin de pouvoir procéder à des sacrifices. Il s’agit donc bien de se purifier de la souillure contractée dans certains cas. 37.  Traduction d’après A.  Mosès , Philon d ’Alexandrie. De Gigantibus – Quod Deus sit immutabilis, Paris, 1963, p. 67. 38.  Traduction d’après A.  Mosès , Philon d ’Alexandrie. De Gigantibus – Quod Deus sit immutabilis, Paris, 1963, p. 67. 39.  Traduction d’après J. Pouilloux, Philon d ’Alexandrie. De Plantatione, Paris, 1963, p. 99. 40.  Traduction d’après T. R einach – L. Blum, Flavius Josèphe. Contre Apion, Paris, 1930, p. 92.

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Un peu plus loin, toujours dans le Contre Apion, Flavius Josèphe précise la nature des souillures nécessitant des purifications, des ἁγνείας : Même après les rapports légitimes du mari et de la femme, la Loi ordonne des ablutions (ἀπολούσασθαι). Elle a supposé que l’âme contracte par là une souillure étant passée d’un endroit à un autre ; car l’âme souffre par le fait d’être logée par la nature dans le corps et aussi quand elle est séparée par la mort. Voilà pourquoi la Loi a prescrit des purifications (ἁγνείας) pour tous les cas de ce genre (II, § 203) 41.

L’auteur ne fait que rapporter là des éléments rituels que l’on trouve dans le Livre du Lévitique, sans donner plus de précisions, si ce n’est qu’ils expliquent en des termes fort proches des purifications pythagoriciennes qu’on retrouve aussi dans les milieux stoïciens. Contrairement à Lv 15, 18, qui ne vise que le cas où l’homme est affligé d’un flux, Flavius Josèphe rapporte que des ablutions sont nécessaires après les rapports conjugaux. Il convient de souligner que dans le Talmud, il est prescrit des ablutions pour les hommes après les rapports conjugaux, mais seulement dans deux cas précis : (1) pour les prêtres, avant la consommation des prémices – voir TB Baba Qamma 82b ; (2) pour tous les hommes, avant la prière ou l’étude – cette dernière indication a été abrogée en TB Berakhot 22 et Houllin 126.

B. Les données non littéraires Les Judéens pratiquent, comme tous les peuples de l’Antiquité, de nombreuses ablutions rituelles. Ils le font, pour les immersions totales, dans des bassins réservés à cet effet qui sont appelés ‫( מקוות‬miqwaot) au pluriel et ‫( מקוה‬miqweh) au singulier 42. Dans la Bible, le terme ‫( מקוה‬miqweh), au masculin, signifie un « ensemble aquatique », une « confluence » (voir Gn 1, 10 ; Ex 7, 19), et le terme ‫( מקוה‬miqwah), au féminin, désigne un « bassin », un « réservoir » (voir Is 4, 4 ; Jr 17, 13) – le pluriel des deux termes est identique, c’est-à-dire ‫( מקוות‬miqwaot). Le terme ‫( מקוה‬miqwah) signifie aussi « espoir », c’est pourquoi, chez les Prophètes, la purification apparaît comme essentiellement spirituelle (voir Ez 36, 24-28 ; Is 4, 4 ; Jr 17, 13) : autrement dit, c’est Dieu qui lavera la souillure des hommes, d’où parfois les analogies dans la littérature rabbinique entre la purification eschatologique ou messianique et le bain rituel – une analogie qu’on retrouve encore dans le mouvement hassidique. 41.  Traduction d’après T. R einach – L. Blum, Flavius Josèphe. Contre Apion, Paris, 1930, p. 94. 42.  Pour une première approche, voir D. Kotlar , « Mikveh », dans Encyclopedia Judaica 11 (1972), col. 1534-1544. Voir aussi R. R eich, « Les bains rituels juifs », dans Le Monde de la Bible 60 (1989), p. 29-33.

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Ces bains rituels obéissent à des règles précises d’architecture et de technique qui sont tributaires de la loi religieuse sur la nature de l’eau, son adduction, son contenant et son volume 43. En règle générale, l’eau des bains rituels doit être une « eau vive » ou une « eau stagnante » (eau de pluie, de source, de mer, de rivière, d’étang), c’est-à-dire de l’eau venant uniquement de l’eau de pluie, descendant directement des mains divines. Par ailleurs, l’eau doit alimenter directement un bassin qui contient les « eaux dormantes », lieu de l’immersion. Ce bassin, de 2m sur 4m environ avec une profondeur pouvant atteindre 5m, en raison de l’évaporation abaissant le niveau d’eau au fur et à mesure de la saison sèche, qui comprend deux ou trois marches, voire plus, afin de pouvoir facilement s’immerger, doit être construit d’une seule pièce à même la terre ou le roc, parfois couverte d’une voûte en berceau, et contenir un volume minimal de 40 se’ah d’eau, c’est-à-dire 720 litres d’eau  4 4 . L’eau ne peut pas être puisée par les mains de l’homme, ni être transportée dans un quelconque récipient ou encore par des canalisations de métal 45. C’est pourquoi les constructeurs ont toujours été confrontés aux mêmes problèmes, celui du stockage de l’eau vive pour alimenter le bassin, notamment pendant la saison sèche. En Palestine, aux alentours du ier siècle de notre ère, on trouve souvent le système du double bassin qui permet de résoudre l’absence de précipitations régulières : le premier bassin est une citerne (‫[ בור‬bor]), recueillant l’eau de pluie à partir des toitures et des rigoles ; le second bassin est une piscine (‫[ מקוה‬miqweh]), alimentée par de l’eau courante ou stagnante. Les deux bassins, qui sont souvent de dimensions identiques, communiquent entre eux par une vanne et une petite canalisation de pierre ou de poterie : le second se différencie du premier par des marches qui en permettent l’accès. Au cours de ces dernières décennies, en Israël, les fouilles archéologiques ont permis la mise au jour de plusieurs centaines de miqwaot dont les plus anciens pourraient remonter au ii e siècle avant notre ère et seraient dus à l’introduction des bains gréco-romains par les princes hasmonéens – c’est en tout cas l’hypothèse de certains archéologues, car on ne sait rien de la diffusion de ce rituel hors du temple de Jérusalem  4 6. Les archéologues ont remarqué l’absence apparemment totale de miqwaot pour la période 135300, une absence qu’ils ne parviennent pas à expliquer, même si l’on sait que cette époque a été difficile pour les Judéens de Palestine. 43. Voir S. Hoss , Baths and Bathing : The Culture of Bathing and the Baths and Thermae in Israel from the Hasmoneans to the Moslem Conquest (with an Appendix on Miqva’ot), Oxford, 2005. 44. Un she’ah, ancienne mesure biblique, équivaut à environ dix-huit litres d’eau. 45.  Aujourd’hui, on a résolu ces difficultés en utilisant le plastic : véritable symbole des xx e-xxi e  siècles ! 46. Voir S.S. M iller , At the Intersection of Texts and Material Finds : Stepped Pools, Stone Vessels, and Ritual Purity among the Jews of Roman Galilee, Göttingen, 2015.

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Des miqwaot ont été mis au jour près des portes du temple de Jérusalem, au pied du mur septentrional et du mur occidental du sanctuaire. D’autres ont été découverts dans les sous-sols des riches maisons de prêtres à Jérusalem, dans un quartier non loin du sanctuaire, ainsi que dans les environs de la ville 47. Des miqwaot ont encore été mis au jour dans les palais hasmonéens ou hérodiens à Jéricho, à Masada et à Hérodium – ils sont tous du i er siècle de notre ère, mais leur fondation pourrait remonter pour certains au ii e siècle avant notre ère. Les miqwaot, dans de nombreux cas, se trouvent dans les maisons de bains ou à proximité des salles de bains et certaines sont même chauffées 48. Quoi qu’il en soit, le plus ancien miqweh découvert date de l’époque d’Alexandre Jannée – c’est du moins l’avis des archéologues. À Khirbet Qumrân, sans doute dans un contexte essénien, plusieurs citernes et piscines semblent avoir été tout particulièrement consacrées aux ablutions rituelles, même si les critiques ne sont pas d’accord sur leur fonction ils admettent tous cependant leur importance 49. Il semble que dans certains groupes, les bains rituels ne peuvent être alimentés que par l’eau du ciel, à l’aide de quelques déversoirs au besoin, mais sans que l’on puisse recourir à l’eau de rivière, le Jourdain par exemple, ou à l’eau de mer. Dans la Diaspora cependant, ces règles ont dû être moins strictes, puisqu’on voit des proseuques (maisons de prière) sises plutôt près des cours d’eau : ainsi à Halicarnasse en Anatolie d’après Flavius Josèphe (voir Antiquités judéennes XIV, § 258) ou à Philippes en Macédoine d’après Luc (voir Ac 16, 13-15). II. Les rites d’eau dans le mouvement pharisien ou rabbinique 50 Contrairement aux sadducéens et à l’ensemble du judaïsme général (commun ou sacerdotal et synagogal), qui se contentent des rites d’eau 47.  R. R eich, « A Miqweh at ‘IIsawiya near Jerusalem », dans Israel Exploration Journal 34 (1984), p. 220-223. 48.  E. Netzer , « Ancient Ritual Baths (Miqvaot) in Jericho », dans The Jerusalem Cathedra 2 (1982), p. 106-119. 49. À ce sujet, voir notamment l’importante contribution de P. Hidiroglou, « L’eau et les bains à Qumrân », dans Revue des études juives 159 (2000), p. 19-47. Voir aussi K. Galor , « Plastered Pools : A New Perspective », dans J.-B. Humbert – J. Gunneweg (Éd.), Fouilles de Khirbet Qumrân et de Ain Feshkha, II. Études d ’anthropologie, de physique et de chimie. Studies of Anthropology, Physics and Chemistry, Fribourg-Göttingen, 2003, p. 291-320. 50. Voir J.  Coppens – A.  d’A lès , « Baptême », dans Dictionnaire de la Bible. Supplément 1 (1928), col. 892-894 ; A. Finkel , The Pharisees and the Teacher of Nazareth, Leyde, 1964, p. 42-57.

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prescrits dans la Torah et concernant essentiellement les prêtres comme cela est mentionné dans tout le Livre du Lévitique, les pharisiens ou rabbiniques donnent une grande importance aux ablutions rituelles avec le langage du plongeon et de l’immersion – selon la racine verbale ‫( טבל‬tabal). Les dirigeants du mouvement pharisien ou rabbinique ont appliqué à l’ensemble de leurs fidèles, les rites de pureté qui ne concernent à l’origine que les prêtres : les Judéens pieux, qui entrent dans les groupes pharisiens ou rabbiniques, doivent donc suivre scrupuleusement les prescriptions sacerdotales de pureté. Désormais, non seulement les objets du temple, mais chaque objet du commun, d’origine plus ou moins suspecte, doit soigneusement être plongé dans l’eau et en particulier, l’ensemble des produits qui proviennent d’une manière ou d’une autre des non Judéens, et même des Judéens non rabbiniques (chrétiens ou sacerdotaux / synagogaux). De même, avant de pénétrer dans les lieux d’étude ou de prière, les lustrations sont de rigueur pour les sages d’affinité pharisienne ou rabbinique. À cette fin, toutes les eaux, des bains publics aux petits bassins, sont mises à contribution pour le lavage des mains avant de manger des viandes sacrées. Une installation balnéaire semble même avoir été installée par des pharisiens ou des rabbiniques sur le mont des Oliviers (voir M Parah III, 7). Les pharisiens ou rabbiniques ont donc maximalisé les règles de pureté, les durcissant de manière extrême. Devant cette exagération, les sadducéens, considérés comme les ennemis des pharisiens ou rabbiniques, n’ont guère ménagé les sarcasmes à leur endroit, même s’ils se sont vus obligés sans doute de se plier à nombre de certaines de leurs règles halakhiques concernant la pureté et nécessitant des rites d’eau – voir notamment les règles halakhiques sadducéennes prescrites dans 4 QMMT. Les pharisiens ou rabbiniques se sont mis à surveiller les rituels des prêtres, ceux portant sur la pureté. C’est ainsi que l’immolation de la Vache Rousse, dont les cendres sont nécessaires pour faire de l’eau lustrale, a été, vers la même époque, attentivement surveillée par les pharisiens ou rabbiniques. Il en va de même pour les rites d’eau pratiqués par le grand prêtre : le jour d’avant la célébration du Yom ha-Kippourim, certains pharisiens ou rabbiniques semblent même avoir exigé du grand prêtre que dans un lieu désigné sous le nom de « Beth Parvah » attenant au temple, il s’« immerge » cinq fois dans l’eau et se « lave » dix fois les mains et les pieds, d’où le nom de ‫( טבול יום‬teboul yom), c’est-à-dire le « Jour de l’immersion », pour désigner l’occasion (voir M Yoma III, 3). Quoi qu’il en soit de cette surenchère, les Judéens pieux de la tendance pharisienne ou rabbinique pratiquent tous la ‫טבילה‬, (tebilah) c’est-à-dire le lavage des mains, des coupes, des cruches et des plats, comme le rappelle entre autres Mc 7, 4 (usant alors du mot grec βαπτισμοί). Ils pratiquent aussi le lavage non seulement des mains, mais des pieds, comme les prêtres – ce qui pourrait être un indice supplémentaire relatif à la sacerdotalisa-

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tion de certains milieux chrétiens. Ces rites d’eau séparent désormais les purs des impurs et a fortiori les justes des pécheurs, au sens socioreligieux, c’est-à-dire de ceux qui sont dans l’incapacité permanente de vivre selon la pureté rituelle exigée par la Torah orale (voir Mc 2, 13-17). Les règles de pureté pharisiennes ou rabbiniques sont enseignées avec grand détail durant trente jours chez certains maîtres ou un an selon l’école plus rigoriste de Shamaï, dont les principales d’entre elles répondent aux questions suivantes : comment se garder de l’impureté ? comment se transmet l’impureté ? comment préparer sa nourriture ? comment distinguer les eaux purifiantes, réparties en six classes de valeur différente ? Sur toutes ces questions, on doit se reporter au traité Miqwaot de la Mishnah où elles sont traitées. Ces règles de pureté ont contribué, dès le i er siècle avant notre ère, à provoquer des cloisonnements sociaux, fondés non pas tellement sur la richesse, mais sur le degré de pureté – isolant de la sorte ceux qui ne les pratiquent pas avec rigueur. Pour les pharisiens ou rabbiniques, les rites d’eau, soigneusement pratiqués, n’ont nullement pour but d’enlever le péché, et cela même s’ils ont pour objectif de séparer les justes des pécheurs. Un baptême pour la rémission des péchés, comme le pratiquent les baptistes, a dû leur sembler bien incongru – d’autant que pour le pardon des péchés, il existe encore les sacrifices d’expiation au temple, ainsi que l’aumône – la ‫( חסד‬ḥesed) – et l’étude prescrites par la Torah orale, qui sont pour eux amplement suffisants. Flavius Josèphe, rabbiniques le Contre Apion, raconte, avec une pointe d’humour, comment dans les rues étroites de Jérusalem, chacun s’efforce de ne pas toucher le passant qu’il croise au risque de se rendre impur ! À noter que les rabbiniques, dans la Mishnah, ont consacré pas moins de douze traités aux questions de purifications, ce qui représente environ 25 % de la totalité de cette compilation. On trouve, par exemple, une classification des impuretés d’après leur gravité dans le traité Kelim, et des eaux lustrales selon leur degré de pureté dans le traité Miqwaot 51. Ce qui montre l’intérêt et l’importance que les pharisiens ou rabbiniques accordent à ce problème. III. Les rites d’eau dans le mouvement essénien ou qumrânien 52 Faut-il oui ou non distinguer entre les esséniens et les qumrâniens ? C’est une question qui a été fort discutée, et dans laquelle on ne souhaite pas entrer nécessairement. 51. En ce qui concerne les règles de pureté pharisiennes, voir A.  M ichel – J.  L e Moyne « Pharisiens », dans Dictionnaire de la Bible. Supplément 7 (1966), col. 1086-1087 (pour le lavement des mains et la purification des ustensiles). 52. Voir J. Thomas , Le mouvement baptiste en Palestine et en Syrie (150 av. J.-C.300 ap. J.-C.), Gembloud, 1935, p. 4-32. Voir aussi J. Delorme , « La pratique du

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CHAPITRE II

Chez les esséniens comme chez les qumrâniens, les rites d’eau paraissent occuper une place importante, à un point tel que certains critiques ont pensé qu’ils ont relevé les uns comme les autres du mouvement baptiste, d’autant que pour ces mêmes critiques rien n’oblige à une distinction entre deux groupes. En bref, concernant le mouvement baptiste, on peut résumer la position des critiques de la manière suivante : (1) ceux qui distinguent entre esséniens et qumrâniens, estiment que les premiers ne sont pas des baptistes alors que les seconds le sont ; (2) ceux qui ne distinguent pas entre esséniens et qumrâniens, pensent que ni les uns ni les autres ne sont des baptistes. La première de ces deux positions remonte à une époque où les documents dits de la mer Morte ne sont pas encore découverts 53. Deux observations : (1) malgré l’importance des rites d’eau, les esséniens ou les qumrâniens n’usent cependant pas pour autant de la racine verbale ‫טבל‬, mais plutôt de la racine verbale ‫ – טהר‬preuve supplémentaire, s’il en fallait encore, qu’ils sont originaires des milieux sacerdotaux ; (2) il n’est jamais question, dans les nombreuses sources, de se tremper dans la mer Morte toute proche dont les eaux sont d’ailleurs impraticables, ou même dans le Jourdain situé à 12 km du Khirbet Qumrân qui, elles, le sont. Flavius Josèphe rapporte que les esséniens doivent souvent se baigner dans des « eaux pures », tout particulièrement le matin et plus encore le soir, sans omettre ce bain dès qu’un membre de cette société, très hiérarchisée, a la malchance de toucher quelqu’un du groupe qui n’est pas encore reconnu comme un membre à part entière de la communauté, comme s’il s’agit d’un « étranger » (Guerre des Judéens II, § 150). De plus, toujours selon Flavius Josèphe, ils ne doivent entrer au réfectoire (de la communauté) qu’en état de pureté, comme dans un « sanctuaire sacré » (Guerre des Judéens II, § 122). Ces rites d’eau esséniens ou qumrâniens peuvent donc apparaitre seulement comme des rites de pureté permettant le contact avec le sacré. Ce pourrait être le cas, par exemple, dans un passage d’un texte essénien ou qumrânien comme l’Écrit de Damas : Au sujet de la purification de l’eau (‫)הטהר במים‬. Qu’on ne se baigne (‫)רחץ‬ pas dans de l’eau sale ou en trop petite quantité pour envelopper complètement un homme. Qu’on ne purifie (‫ )טהר‬pas avec cette eau un vase. En toute mare se trouvant dans (le creux d’) un rocher dans laquelle il n’y a pas assez d’eau pour couvrir entièrement , si une personne

baptême dans le judaïsme contemporain des origines chrétiennes », dans Lumière et Vie 26 (1956), p. 27-43. 53.  Voir notamment L. Cerfaux, « Le baptême des esséniens », dans Recherches de science religieuse 19 (1929), p. 248-265 (= Recueil Lucien Cerfaux, I, Gembloux, 1954, p. 321-336).

LE BAPTISME

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impure (‫נגע‬ / nég´a = un lépreux) l’a touchée, celle-ci rend impure (‫)טמא‬ l’eau de la mare elle ferait l’eau d’un vase (CD 10, 10-13) 54.

Les membres de la communauté sont tous purs ou ont été purifiés par l’eau lustrale, au point que le groupe se désigne lui-même comme la « purification » (‫ הטהרה‬/ ha-taharah) (voir CD 9, 21). Par ailleurs, comme dans les milieux prophétiques anciens, le lien entre les gestes de pureté et le motif du pardon des péchés apparaît quelque fois, mais à titre d’image surtout, et à la condition de bien marquer alors l’importance première accordée à la contrition du cœur et à la purification intérieure opérée par l’esprit de sainteté. La question ayant été abondamment traitée, on ne cite ici que quatre passages significatifs de la Règle de la Communauté : Il ne sera pas absous par les expiations, ni purifié par les eaux lustrales (‫)מי נדה‬, ni sanctifié par les mers et les fleuves, ni purifié par toutes les eaux de lavage (‫)מי רחץ‬. Impur, impur, il sera tout le temps qu’il méprisera les ordonnances de Dieu (‫)משפטי אל‬, sans se laisser instruire par la Communauté )‫ )יחד‬de son conseil. Car c’est par l’esprit de vrai conseil à l’égard des voies de l’homme que seront expiées toutes ses iniquités, quand il contemplera la lumière de vie ; et c’est par l’Esprit saint de la Communauté (‫)יחד‬, dans sa vérité, qu’il sera purifié de toutes ses iniquités ; et c’est par l’esprit de droiture et d’humilité que sera expié son péché. Et c’est par l’humilité de son âme à l’égard de tous les préceptes de Dieu (‫ )חוקי אל‬que sera purifiée sa chair, quand on l’aspergera avec les eaux lustrales (‫)מי נדה‬ et qu’il se sanctifiera dans les eaux courantes (‫( )מי דוכי‬1QS 3, 4-9) 55. Et alors Dieu, par sa vérité, nettoiera toute les œuvres de chacun, et il épurera pour soi la bâtisse (du corps) de chaque homme pour supprimer tout l’esprit de perversité de ses membres charnels et pour les purifier par l’esprit de sainteté de tous les actes d’impiété ; et il fera jaillir sur lui l’esprit de vérité comme les eaux lustrales (‫( )מי נדה‬1QS 4, 20-21) 56. Que (l’impie) n’entre pas dans l’eau pour toucher à la purification (‫)טהרה‬ des hommes saints : car on n’est pur que si l’on se convertit de sa malice (1QS 5, 13-14) 57.

54. Traduction d’après A. Dupont-Sommer , dans A. Dupont-Sommer – M.  Philonenko (Éd.), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p. 170-171. 55. Traduction d’après A. Dupont-Sommer , dans A. Dupont-Sommer – M.  Philonenko (Éd.), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p. 14-15. 56. Traduction d’après A. Dupont-Sommer , dans A. Dupont-Sommer – M.  Philonenko (Éd.), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p. 20-21. 57. Traduction d’après A. Dupont-Sommer , dans A. Dupont-Sommer – M.  Philonenko (Éd.), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p. 23.

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CHAPITRE II

Et quand il s’approchera du Conseil de la Communauté, il ne touchera pas à la purification des nombreux (‫ )טהרת הרבים‬avant qu’on ne l’ait examiné sur son esprit et sur ses actes (1QS 6, 16-17) 58.

Le lien entre les rites d’eau et la purification intérieure est davantage exprimée dans le premier passage que dans le deuxième. Dans le premier de ces quatre passages, sont distinguées plusieurs catégories d’eaux : (1) « les eaux lustrales » (‫)מי נדה‬, (2) « les eaux de lavage » (‫)מי רחץ‬, (3) « les eaux courantes » (‫)מי דוכי‬. Toujours, dans ce même passage, les purifications, peu importe lesquelles, sont soumises aux « ordonnances de Dieu » (‫ )משפטי אל‬et aux « préceptes de Dieu » (‫חוקי‬ ‫)אל‬, sans compter aussi la « Communauté » (‫)יחד‬. Comme on peut le constater, même si un certain lien est opéré entre l’eau et l’effacement du péché – dans ce milieu essénien ou qumrânien qui ne peut plus offrir de sacrifices pour l’expiation des péchés au temple de Jérusalem, considéré comme souillé –, l’accent n’en reste pas moins fortement mis sur la contrition intérieure et l’action de l’Esprit saint. Il est important de souligner que chez les esséniens ou qumrâniens, l’homme se purifie lui-même, sans être « immergé » dans l’eau par un autre. Par rapport aux rites d’eau pratiqués dans les milieux sacerdotaux tels qu’ils sont rapportés dans les textes bibliques, ceux des esséniens ou qumrâniens se trouvent bien plus en filiation directe que ceux des pharisiens ou rabbiniques. Par ailleurs, les documents de la mer Morte ainsi que les passages de Flavius Josèphe concernant ensemble les esséniens ou qumrâniens et ont conservé diverses formes d’un rite d’entrée reposant sur une longue probation de deux années, mais qui comporte aussi un rite d’eau auquel le novice n’accède qu’à un certain moment, non précisé, de cette période. Les passages examinés ici laissent entendre que les rites d’eaux pratiqués par les esséniens ou qumrâniens ne sont pas nécessairement des rites baptistes, mais des rites de pureté du corps ou de la chair. II.3. C onclusion L’elkasaïsme comme le mandéisme, à cause notamment de leurs rituels lustraux, se caractérisent avant tout et surtout parmi les nombreux mouvements baptistes qui ont fleuri en Palestine et dans tout le Proche-Orient et le Moyen-Orient aux premiers siècles de notre ère. Ils semblent avoir émergé dans les marges du judaïsme, en particulier dans la région du Jourdain et aux abords de la mer Morte.

58. Traduction d’après A. Dupont-Sommer , dans A. Dupont-Sommer – M.  Philonenko (Éd.), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p. 27.

LE BAPTISME

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Tous ces mouvements recherchent l’eau courante d’un fleuve pour le bain par immersion qui les caractérise. Mais cela ne suffit pas pour les distinguer, même si l’acte baptismal répété parfois quotidiennement demeure central dans leur système rituel et doctrinal. En effet, il doit aussi être sacramental sinon magique, dénotant les influences de courants syncrétistes originaires de Grèce ou d’Orient.

Chapitre III

L E MANICHÉISME Le manichéisme est un mouvement religieux qui s’est développé au cours du iii e siècle dans l’empire iranien, et qui s’est répandu assez rapidement à l’est et à l’ouest de la Babylonie 1. Le manichéisme est généralement considéré comme un syncrétisme puisant aux doctrines chrétiennes (notamment de type elkasaïte), mazdéennes et bouddhiques. Cependant, malgré des influences évidentes de l’elkasaïsme et du mazdéisme, le manichéisme n’est ni une religiosité de l’eau, ni une religiosité du feu – l’eau et le feu étant les symboles qui caractérisent respectivement l’elkasaïsme et le mazdéisme 2 . On définit souvent le manichéisme comme une religiosité gnostique et dualiste, développement syncrétiste de « religions » gnostiques qui sont censées exister déjà dans le bassin oriental de la Méditerranée, au nombre desquelles on fait figurer de manière non fondée Marcion et Bardesane. Actuellement, les recherches sur le manichéisme s’orientent de plus en plus vers une distanciation de la nébuleuse du gnosticisme, dans laquelle l’ont engagé, dans le passé, certains courants de recherche en considérant 1.  Pour une première approche, voir : H.-C.  P uech, « Le manichéisme », dans Histoire générale des religions, II, Paris, 1945, p. 85-116 et p. 446-449 ; H.-C. P uech, « Le manichéisme », dans Histoire des Religions, II, Paris, 1972, p. 523-645 (Bibliothèque de la Pléiade) ; H.-C.  P uech, « Manichéisme », dans Encyclopaedia Universalis, X, Paris, 1971, p. 429-439 ; J. R ies , « Mani et Manichéisme », dans Dictionnaire de Spiritualité 10 (1980), col. 198-215 ; A. Böhlig, « Manichäismus », dans Theologische Realenzyklopädie 22 (1992), p. 25-35 ; M. Tardieu, « Mani et le manichéisme. Le dernier prophète », dans Encyclopédie des religions, I, Paris, 1997, p. 225230 ; W. Sundermann, « Manichaeism : General Survey », dans Encyclopaedia Iranica  (2009) (http://www.iranicaonline.org/articles/manicheism-1-general-survey). Pour une approche approfondie, voir H.-C.  P uech, Le manichéisme. Son fondateur – Sa doctrine, Paris, 1949 ; G. Widengren, Mani und der Manichäismus, Stuttgart, 1961 (= Mani and Manichaism, Londres, 1965) ; F. Decret, Mani et la tradition manichéenne, Paris, 1974 ; M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811,  19972 ; M. Tardieu – G. Sfameni Gasparro, Il manicheismo, Cosenza, 1988 ; M. Tardieu, Manichaeism, Chicago/Illinois, 2008 ; N.J. Brian, Manichaeism : An Ancient Faith Rediscovered, Londres, 2011. 2. Voir T.  Pettipiece , « Manichaeism at the Crossroad of Jewish, Christian, and Muslim Traditions », dans B. Bitton-A shkelony – T.  de Bruyn – C. H arrison (É d.), Patristic Studies in the Twenty-First Century. Proceedings of an International Conference to Mark. The 50 th Anniversary of the International Association of Patristic Sudies, Turnhout, 2015, p. 299-313.

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CHAPITRE III

que ces deux pensées religieuses sont centrées sur une connaissance salvatrice révélée à des Élus. Cette nouvelle orientation est notamment due, en France, à l’impulsion de Michel Tardieu, qui a tendance à considérer le manichéisme comme une pratique et une idéologie originales quoiqu’issues du christianisme elkasaïte et de son prophétisme. En effet, même si on retrouve dans le manichéisme un dualisme entre deux substances, il n’est que fort peu identifiable comme tel dans le gnosticisme. À cause de la relation du manichéisme avec la figure de Jésus et avec la figure de Paul ainsi que de son attention au Nouveau Testament, les auteurs chrétiens depuis Eusèbe de Césarée, ont été conduits à interpréter le manichéisme comme une hérésie chrétienne 3. Ils ont gommé de ce fait la dimension de religiosité à part entière, ayant sa place parmi les grandes religiosités issues directement ou indirectement du judaïsme : une religiosité à vocation universelle qui s’adresse à plusieurs peuples et cultures. Quoi qu’il en soit, même si la figure du Christ relève du panthéon manichéen, au même titre d’ailleurs que les figures de Zoroastre et du Bouddha, il importe de ne pas considérer pour autant le manichéisme comme une hérésie issue du christianisme. L’expansion du manichéisme a été considérable dans l’espace comme dans le temps : durant près de douze siècles, du iii e au xv e, cette religiosité missionnaire a déployé ses communautés, persisté ou suscité des échos sur une large surface du monde, des rivages européens de l’Atlantique aux bords asiatiques du Pacifique 4 . Ce qui ne signifie nullement que ses adeptes aient été nombreux, car il s’est apparemment plutôt répandu parmi les classes cultivées, prospères et parfois puissantes des espaces culturels qu’il a touchés. Outre la question de la vie et de l’œuvre de Mani, plusieurs grandes problématiques sont abordées dans cette présentation générale du manichéisme : d’abord celle de la documentation, ensuite celle de l’écriture et enfin celle de la doctrine. Auparavant, on va dresser de manière succincte un état des recherches et un état des découvertes. É tat

de s r ech e rch e s

Il faut attendre les querelles religieuses entre catholiques et protestants des xvi e-xvii e siècles – les premiers traitant les seconds de « manichéens » – pour que l’ouvrage célèbre d’Isaac de Beausobre fasse entrer l’étude du 3. Voir J.  R ies , « Jésus-Christ dans la religion de Mani. Quelques éléments d’une confrontation de saint Augustin avec un hymnaire christologique manichéen copte », dans Augustiniana 14 (1964), p. 437-454. Voir aussi et surtout E. Rose , Die manichäische Christologie, Wiesbaden, 1979. 4. Voir J.  R ies , « Manichéisme (Routes missionnaires du) », dans P.  Poupard (Éd.), Dictionnaire des Religions, Paris, 19852 , p. 1036-1038.

LE MANICHÉISME

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manichéisme dans une perspective historique moderne, détachée des polémiques partisanes 5. Ferdinand Christian Bauer, au xix e siècle, a aussi attiré l’attention sur le manichéisme comme il l’a fait pour d’autres domaines et en particulier le « judéo-christianisme » 6. D’autres noms seraient encore à évoquer pour cette époque comme, par exemple, celui de Gustav Flügel 7. Mais ce sont les grandes découvertes, au xx e siècle, de textes manichéens importants qui vont véritablement renouveler les recherches sur le manichéisme, indépendamment des documents des hérésiologues chrétiens anciens qui donnent des informations tout aussi partiales que partielles sur cette religiosité qu’ils considèrent comme une hérésie chrétienne. Pour une histoire de la recherche sur le manichéisme, il faut se reporter en premier lieu à l’ouvrage de Julien Ries édité en 1988 dont les deux premières parties reproduisent, avec quelques modifications et corrections, deux articles publiés en 1957 et 1959 : y est dressé le bilan des études couvrant les xvi e-xx e siècles 8. On doit aussi se référer à deux autres ouvrages fondamentaux pour appréhender la bibliographie manichéenne : le premier est celui de Michel Tardieu, édité en 1988 9 ; le second est celui de Gunner B. Mikkelsen, édité en 1997 10 – voir aussi les articles d’Alois van Tongerloo (1991) 11, de Kurt Rudolph (1992) 12 et de Michel Tardieu (2006) 13. 5.  I.  de Beausobre , Histoire critique de Manichée et du Manichéisme, I-II, Am­sterdam, 1733-1739. 6.  F.C. Bauer , Das Manichäische Religionssystem nach den Quellen neu untersucht und entwickelt, Tübingen, 1831 (Réimpression : Göttingen, 1928). 7.  G. Flügel , Mani. Seine Lehre und seine Schriften, Leipzig, 1862. 8.  J. R ies , Les études manichéennes. Des controverses de la Réforme aux découvertes du xxe siècle, Louvain-la-Neuve, 1988 (= « Introduction aux études manichéennes », dans Études théologiques de Louvain 33 (1957), p. 453-482 et 35 (1959), p. 362-409) (= Gnose, gnosticisme, manichéisme, Turnhout, 2011, p. 310-419). Voir aussi J. R ies , « La Bible chez saint Augustin et chez les manichéens », dans Revue des études augustiniennes 7 (1961), p. 231-243 ; 9 (1963), p. 201-215 ; 10 (1964), p. 309-329, où l’on trouve une histoire de la recherche du xvi e au xx e siècle relative à l’utilisation de la Bible par les manichéens. 9.  M. Tardieu, Études manichéennes. Bibliographie critique 1977-1986, Téhéran-Paris, 1988 (= Abstracta Iranica 1 à 10). 10.  G.B.  M ikkelsen, Bibliographia Manichaica. A Comprehensive Bibliography of Manichaeism through 1996, Turnhout, 1997. 11.  A.  van Tongerloo, « Manichaeism in Recent Studies », dans Études théologiques de Louvain 67 (1991), p. 204-212. 12.  K. Rudolph, « Stand und Aufgaben der Manichäismus-Forschung. Einige Überlegungen », dans G. Wiessner – H.J. K limkeit (Éd.), Studia Manichaica, II.  Internationaler Kongress zum Manichäismus, 6.-10. August 1989, St. Augustin/ Bonn, Wiesbaden, 1992, p. 1-18. 13.  M. Tardieu, « Recherches et publications sur le manichéisme », dans A. Boudh’hors – D. Vaillancourt (Éd.), Huitième congrès international d ’études coptes (Paris 2004), I. Bilans et perspectives 2000-2004, Paris, 2006, p. 270-301.

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CHAPITRE III

Pour prendre connaissance de l’avancée des recherches et des travaux dans le domaine du manichéisme, il existe une Manichaean Studies Newsletter publiée annuellement, depuis 1988, par « The International Association of Manichaean Studies » qui est d’une grande utilité 14 . É tat

de s décou v e rt e s

À la fin du xix e et au début du xx e siècle, dans l’Asie centrale, région alors sous occupation russe et chinoise, une série d’expéditions scientifiques finno-russes (de 1889 à 1918), allemandes (de 1902 à 1914 avec notamment Albert Grünwedel et Albert von Le Coq), anglaises (de 1888 à 1930 avec notamment Aurel Stein) et françaises (de 1908 à 1912 avec notamment Paul Pelliot) a exhumé, le long de la « route de la soie », à l’oasis du Tourfan (sur le tronçon nord) et dans des grottes de TouenHoueng (= Dunhuang) dont certaines sont à peintures (sur le tronçon sud), un ensemble impressionnant de textes manichéens, complets ou fragmentaires, parfois ornés de miniatures, rédigés en trois dialectes iraniens (pehlevi, parthe et sogdien), en ouïgour (ou vieux-turc) et en chinois : c’est ainsi qu’ont été retrouvés des milliers de documents manichéens en usage dans les communautés orientales au cours des vii e, viii e et ix e siècles – la plupart d’entre eux se trouvent à Berlin, d’autres ailleurs en Europe 15. En 1918, a été découvert au sud-ouest de Tébessa en Algérie, un manuscrit latin, datant des environs de 400 et traitant des relations, dans le manichéisme, entre les Élus et les Auditeurs : il est déposé à la Bibliothèque Nationale de France. En 1930 et 1931, Chester Beatty et Carl Schmidt, chacun de leur côté, ont mis la main, chez un antiquaire du Caire (Maurice Nahman), sur deux lots de papyrus manichéens traduits en copte subakhmimique et exhumés du sol marécageux de Medinet Madi, au Sud-Ouest du Fayoum, dans la Moyenne-Égypte : c’est ainsi qu’a été mise au jour une bibliothèque manichéenne composée notamment de psaumes, d’homélies et surtout de kephalaia, c’est-à-dire des « chapitres » de commentaires doctrinaux provenant des premières générations de disciples manichéens après la mort de Mani – certains de ces papyrus, qui remontent vraisemblablement 14. Voir aussi J.-D. Dubois , « Les recherches manichéennes actuelles », dans Rivista di storia del cristianesimo 9 (2012), p. 445-460. 15.  Pour l’histoire de ces découvertes, voir Z. Guangda – R. X injiang, « History of Turfan Oasis and Its Exploration », dans Asia Major 11 (1998), p. 13-36. Voir aussi S.N.C.  Lieu, « Manichaean Art and Texts from the Silk Road », dans Manichaeism in Central Asia and China, Leyde-Boston-Cologne, 1998, p. 1-58. Voir encore H.  de Lubac , « Les secrets arrachés aux sables du Gobi », dans Études, 1933, p. 641-664.

LE MANICHÉISME

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au v e siècle, se trouvent maintenant, après diverses péripéties, à Berlin, d’autres à Dublin 16. Ces manuscrits, feuillets de volumes autrefois richement reliés, et qui ont dû faire partie de quelque bibliothèque manichéenne, proviennent en fait de la Haute-Égypte, de la région d’Assiout, centre, dès la fin du iii e siècle, de propagande et de diffusion du manichéisme. En 1964, parmi un lot de parchemin en provenance d’une tombe d’Oxyrhynchos, également dans le Fayoum en Égypte, on a découvert une Vie grecque de Mani, datée paléographiquement de la fin du iv e ou du début du v e siècle : proposé sur le marché des antiquités, ce codex minuscule de 45 mm de hauteur et de 38 mm de largeur, a été acquis en 1968 par l’Université de Cologne où il se trouve depuis – d’où son appellation conventionnelle de « Codex manichéen de Cologne » (CMC). Plus récemment encore, le hasard des découvertes archéologiques, aussi en Égypte, a mis au jour un complexe de maisons occupées par des manichéens tout au long du iv e siècle, dans l’Oasis de Dakhleh, de l’ancienne Kellis, ainsi qu’un certain nombre de documents littéraires retrouvés in situ. Ainsi, pour la première fois, une documentation manichéenne originale, préservée sur un site, peut être comparée à la documentation littéraire sur le manichéisme, directe et indirecte, retrouvée jusqu’à présent. III.1. M a n i  :

sa v i e , se s œu v r e s et se s succe s seu r s

I. Sa vie Le manichéisme tire son nom de celui de son fondateur Mani, c’est-àdire en grec « Manikhaios » et en araméen, « Mani Hayya » qui signifie « Mani le Vivant » ou « Mani le Caché », mais qui pourrait aussi correspondre à l’interrogation : « Qui suis-je ? » 17 – c’est un vieil appellatif araméen signifiant « vase » qui est déjà attesté au xi e siècle avant notre ère dans une inscription, celle de la statue de Tell Fekherye 18. Mani est aussi connu sous plusieurs noms et titres qui varient selon que l’on s’exprime en araméen, en iranien ou en d’autres langues 19. 16. Voir J.M. Robinson, The Manichean Codices of Medinet Madi, Eugene/Orégon, 2013. 17. Voir J.  Tubach – M. Z akeri, « Mani’s Name », dans J.  van Oort – O. Wermelinger – G. Wurst (Éd.), Augustine and Manichaeism in the Latin West. Proceedings of the Fribourg-Utrecht Symposium of the International Association of Manichaean Studies (IAMS), Leyde, 2001, p. 272-286. 18. Voir A.  A bou A ssaf – P. Bordreuil – A.R.  M illard, La statue de Tell Fekherye et son inscription bilingue assyro-araméenne, Paris, 1982, ligne 16. 19.  D. Shapira, « Manichaios, Jywndg Gryw and Other Manichaean Terms and Titles », dans Irano-Judaica 4 (1999), p. 122-150.

122

CHAPITRE III

Comme il est aujourd’hui permis de le préciser de manière assez certaine, Mani est né en Babylonie, dans un lieu proche de Séleucie-Ctésiphon, non loin du site de l’actuelle ville de Bagdad. Les grandes dates de la vie de Mani fournies par l’hagiographie manichéenne dans la Vita Mani du CMC sont les suivantes 20 : -

Naissance de Mani : 12 e anniversaire de Mani : 24 e anniversaire de Mani : 1ère révélation du « syzygos » Mani : 2 e révélation du « syzygos » Mani : Mort de Mani :

8 Nisan-Pharmouti 527 (= 14 avril 216) ; 8 Nisan-Pharmouti 539 (= 1er avril 228) ; 8 Nisan-Pharmouti 551 (= 19 avril 240) ; 7 avril 228 ; 24 avril 240 ; 26 février 277.

D’après Michel Tardieu, la date du 14 avril 216 n’a aucune valeur historique : elle a seulement servi aux manichéens à établir la doctrine de leurs fêtes – il en est de même pour la date du 26 février 277 21. On peut cependant affirmer que Mani a vécu entre 216 et 277 sans pour autant être plus précis. Le père de Mani, avant sa naissance, semble avoir adhéré à un groupe de chrétiens baptistes : sans doute celui des elkasaïtes – c’est l’hypothèse retenue dans cette recherche et que l’on va essayer de démontrer. La tradition manichéenne a enjolivé les origines de son fondateur en le faisant descendre, sinon par son père, du moins par sa mère, d’une famille princière apparentée aux Parthes arsacides. La tradition hérésiologique islamique, notamment Ibn an-Nadim du x e siècle, rapporte que le père de Mani, avant d’adhérer à l’elkasaïsme, aurait été un adorateur du dieu Nabu (= Hermès), c’est-à-dire un fidèle de la religiosité traditionnelle (= païenne) encore très vivante et active en Mésopotamie, notamment à Ḥarran. Il s’agit d’une représentation qui repose sur l’hagiographie manichéenne d’époque relativement tardive qu’il est difficile d’historiciser. La tradition hérésiologique chrétienne, notamment la Chronique Maronite, la Chronique de Michel, la Chronique de Bar Hebraeus, la Chronique de Se’ert, considère que Mani a même été un prêtre apostat de l’Église perse 22 . Il s’agit peut-être d’une représentation qui est fondée sur la volonté des manichéens de chercher à se faire passer pour une sorte de chrétiens afin de bénéficier de leurs avantages auprès des autorités politique. 20.  À ce sujet, voir M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 113-123, 19972 , p. 112-121. 21.  M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 4, 19972 , p. 4. 22. Voir W.  K lein, « War Mani Priester der Perserkirche ? », dans A.  van Tongerloo – L. Cirillo (É d.), Quinto congresso internazionale di studi sul manicheismo. Atti. Il manicheismo. Nuove prospettive della ricerca. Dipartimento di Studi Asiatici. Università degli Studi di Napoli « L’Orientale ». Napoli, 2-8 settembre 2001, Turnhout, 2005, p. 201-216.

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Quoi qu’il en soit, à l’âge de quatre ans, Mani semble rejoindre son père en Mésène, dans le sud de la Babylonie, qui vit dans une communauté de baptistes elkasaïtes : il va y demeurer durant vingt ans. Mani a bénéficié de deux appels ou songes – de véritables révélations – sous la forme de l’apparition d’un ange sous plusieurs formes et notamment celle d’un « Jumeau céleste » : le premier à l’âge de 12 ans et le second à l’âge de 24 ans 23. La seconde apparition du « Jumeau céleste » marque dans la vie de Mani à la fois la rupture avec l’elkasaïsme et la naissance du manichéisme. Ce « Jumeau céleste » joue deux rôles complémentaires : il est à la fois un ange interprète et un ange révélateur, mais plus révélateur qu’interprète. Il correspond à l’ange Gabriel dans le judaïsme (comme par exemple dans Ḥazon Gabriel), le christianisme (comme par exemple dans l’Évangile selon Luc) et l’islam (comme par exemple dans le Coran) 24 . Ainsi comme ange révélateur, le « Jumeau céleste » répond à un besoin de légitimation et d’autorité spécifiques qui est propre à des formes religieuses opérant sur le mode prophétique. Dans la révélation manichéenne, le « Jumeau céleste » donne une légitimation à des savoirs nouveaux et contestés, ainsi qu’à des revendications en compétition. Il donne une autorité à un savoir nouveau, à un écrit nouveau et à un porteur nouveau. Le « Jumeau céleste » légitimise et autorise l’autonomie d’un mouvement de renouveau par rapport à ses origines. Il est désormais admis que Mani a eu comme langue maternelle une variété d’araméen et que c’est dans cette langue qu’il a rédigé la plupart de ses écrits. Tout au long de son existence, Mani a été un missionnaire de l’itinérance : de ce point de vue, il est à rattacher à ces mouvements religieux dont l’expansion repose essentiellement sur les voyages tout azimut 25. Au début de sa mission, quittant la Mésène par bateau, Mani gagne l’Inde où il séjourne durant environ deux ans (de 240 à 242), fréquentant notamment des communautés bouddhiques de l’estuaire de l’Indus. Cette rencontre avec le bouddhisme a sans doute profondément marqué Mani qui, tout en se disant apôtre de Jésus, mentionne aussi Zoroastre et Bouddha comme ses précurseurs 26. On pense qu’il a pu également recevoir, au cours 23. Voir S.C.  M imouni, « Le jumeau et le paraclet céleste de Mani : quelques éléments de lecture et de réflexion », dans A. Van den K erchove – L.G. Soares Santoprete (Éd.), Gnose et manichéisme. Entre les oasis d ’Égypte et la Route de la Soie. Hommage à Jean-Daniel Dubois, Turnhout, 2017, p. 215-239. 24. Voir E.  Muehlberger , Angels in Late Ancient Antiquity, Oxford-New York, 2013 et R.H. Cline , Ancient Angels : Conceptualizing Angeloi in the Roman Empire, Leyde-Boston, 2011. 25. À ce sujet, voir P.A. H arland (Éd.), Travel and Religion in Antiquity, Waterloo/Ontario, 2011. 26. Voir J.  R ies , « Bouddhisme et manichéisme, les étapes d’une recherche », dans D. Donnet (Éd.), Indianisme et bouddhisme. Mélanges offerts à Mgr Étienne

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de ce même voyage en Inde, une influence du jaïnisme quant à l’organisation, aux vœux et aux vertus qu’on retrouve de part et d’autre 27. Au début du règne de Shapur Ier, devenu roi à la mort d’Ardashir, le fondateur de la dynastie sassanide, Mani revient en Iran, et commence sa véritable prédication itinérante dans tout l’empire. Protégé par ce même Shapur Ier, il peut, trente ans durant, former ses disciples, rédiger ses Écritures, organiser son Église, envoyer ses missionnaires vers l’Orient et vers l’Occident. Après la mort de Shapur Ier en 272, ses fils Hormizd Ier (272-273) et Vahram Ier (273-276) continuent plus ou moins la politique religieuse de leur père. Cependant, en 274, Vahram II (276-293), le frère de Shapur Ier, prend la direction de l’empire. C’est alors que Kirdir (ou Kartir), un des grands chefs du clergé mazdéen, ennemi farouche de Mani, s’oppose de manière radicale à l’influence et à l’expansion du manichéisme. À son instigation, Vahram II ordonne l’arrestation de Mani en 277 : au terme d’un procès très bref, il le fait jeter en prison à Gundeshapur en Susiane et après vingt-six jours de souffrances (que l’hagiographie manichéenne, à l’instar de l’hagiographie chrétienne, considérera par la suite comme une « passion ») le Prophète de Babylone meurt d’épuisement. L’histoire du manichéisme ne se comprend qu’à condition de tenir compte du caractère que Mani a entendu attacher à sa propre Révélation, du but et du rôle qu’il a assignés à l’Église fondée par lui, à la « Sainte Église » ainsi que la nomment les manichéens. Élargissant et adaptant à son profit une conception vraisemblablement empruntée à l’elkasaïsme, Mani se tient pour le dernier successeur d’une longue suite de Messagers célestes envoyés l’un après l’autre à l’humanité, et dont, à partir d’Adam, Zoroastre, le Bouddha et le Christ sont les principaux représentants. À ce titre, il estime ne pas être seulement l’incarnation la plus récente du « Vrai Prophète », mais le « Sceau des Prophètes » – une hypothèse qui n’est pas assurée 28. Mani considère que son « Église » est destinée à Lamotte, Louvain-la-Neuve, 1980, p. 281-295 (= L’Église gnostique de Mani, Turnhout, 2011, p. 259-272). 27. Voir A.J. A laharansan, « Jainism and Manichaeism : Their Ethics and Practices », dans Papers from Harvard University, New York, 1991, p. 3-19 ; R.C.C.  Fynes , « Plant Souls in Jainism and Manichaeism : The Case for Cultural Transmissions », dans East and West 46 (1996), p. 21-44 ; M. Deeg – I. Gardner , « Indian Influence on Mani Reconsidered : The Vase of Jainism », dans International Journal of Jaina Studies (Online), 5/2 (2009), p. 1-30 (http://www.soas.ac.uk/ research/publications/journals/ijjs/14918.pdf) ; F.S.  Jones , « Some Things Learned from Jains », dans F. Briquel Chatonnet – M. Debié (Éd.), Sur les pas des Araméens chrétiens. Mélanges offerts à Alain Desreumaux, Paris, 2010, p. 383-397. 28. Voir S.C.  M imouni, « Du Verus propheta chrétien (ébionite ?) au Sceau des prophètes musulman », dans F. del R ío Sánchez (Éd.), Jewish-Christianity and the Origins of Islam. Papers Presented at the Colloquium held in Washington DC, October 29-31, 2015 (8th ASMEA Conference), Turnhout, 2018, p. 41-74.

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supplanter toutes les autres avant la fin des temps. Pour lui, parce qu’elles ne détiennent qu’une vérité incomplète, les « Églises » instituées par Zoroastre en Iran, par le Bouddha en Orient et par le Christ en Occident, n’ont réussi à s’implanter qu’ici ou là, en telle ou telle région. Dépositaire de la « Vérité intégrale », l’Église de Mani ne doit au contraire connaître aucune limite à sa diffusion. Elle est ainsi vouée, dès le départ, à un avenir et à une tâche missionnaire fondamentale : la propagande et la conversion de l’univers sont un devoir permanent pour Mani et ses disciples et le resteront. Mani, le fondateur de cette tradition religieuse, a cru donc, lui aussi, être le dernier prophète : il n’a cessé de justifier cette conviction par des emprunts à toutes sortes de traditions religieuses. Il en ressort la richesse du manichéisme, mais aussi sa complexité à cause de l’entrecroisement des multiples croyances et traditions religieuses. II. Ses œuvres Mani, contrairement à ses prédécesseurs (Zoroastre, le Christ et le Bouddha) a beaucoup écrit. Il a écrit pour communiquer la « Bonne Nouvelle » de sa prophétie, pour la fixer dans la mémoire de ses communautés et dans leurs chants liturgiques, pour l’expliquer et la commenter soit sous forme d’exégèses allégoriques et théologiques, soit sous forme de représentations graphiques, soit encore par l’intermédiaire de légendes originaires de son milieu culturel babylonien. On possède de lui plusieurs listes de ses œuvres, rassemblées dans un corpus canonique, composé soit de cinq écrits (un pentateuque), soit de sept écrits (un heptateuque). Il s’agit de l’Évangile, du Trésor, des Mystères, des Légendes, des Géants, des Lettres, des Psaumes et Prières 29. En dehors de ce corpus canonique, on connaît encore deux autres écrits : l’Image et le Shabuhragan. Aucune de ces œuvres, composées en araméen oriental, n’a survécu ni n’a été retrouvée dans sa forme originale ou en traduction. Seuls des fragments dispersés en subsistent dans des compilations postérieures de ses disciples et chez des auteurs chrétiens ou musulmans. L’œuvre la plus ancienne composée par Mani est sans doute le Shabuhragan, rédigé en pehlevi et dédié à Shapur Ier. Dans cet écrit, presque entièrement reconstitué grâce aux fragments en moyen-perse retrouvés en Asie centrale 30, Mani formule ses intuitions de fondateur d’une nouvelle 29. Voir G.  Wurst, « L’état de la recherche sur le canon manichéen », dans G. A ragione  – É.  Junod – E. Norelli (Éd.), Le canon du Nouveau Testament. Regards nouveaux sur l ’histoire de sa formation, Genève, 2005, p. 237-267. 30. Voir D.N. M acK enzie , « Mani’s Šhābuhragān », dans Bulletin of the School of Oriental and African Studies 42 (1979), p. 500-534 et 43 (1980), p. 288-310. Voir

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religiosité, qui sont fondées sur une prophétologie et une apocalyptique qui constituent les deux grandes parties de l’œuvre. Dans la partie prophétologique, est proclamée « la sagesse de la connaissance » depuis Adam jusqu’à Mani qui se déclare apparemment le « sceau des prophètes » : c’est-à-dire celui qui, en étant le dernier, met un terme au temps présent et prépare l’avènement du temps nouveau. Dans la partie apocalyptique, est décrite la « grande guerre », époque de conflits et de troubles entre les empires, les religiosités et les astres dont les prodromes ouvrent la voie au temps messianique marquée par la venue du Fils de l’Homme, appelé « Xradeshahryazd » (= « dieu du monde de la sagesse »), c’est-à-dire Jésus-Splendeur : c’est lui qui assure le jugement des bons (les adeptes) et des méchants (les ennemis) – Mani cite littéralement tout le texte de Mt 25, 31-46 relatif au jugement dernier. Une séparation suit alors le jugement, laquelle marque le retour à la première prophétie scellée dans la révélation adamique et la situation paradisiaque : par ce retour commence l’apocatastase avec l’entrée en scène de Mihryazd descendant du char du soleil, lequel déclenche alors le grand feu destructeur des mondes et opérant le rassemblement de l’âme – c’est-à-dire le règne des Élus sur une terre céleste rénovée, le nouveau paradis. La partie prophétologique a servi de cadre théologique à l’auteur du Kephalaia I, 1, du Livre I (Berlin), intitulé « Sur la venue de l’apôtre ». La partie apocalyptique a été commentée par Kustai dans l’Homélie  II, intitulée « Sermon sur la grande guerre ». L’autre œuvre importante de Mani est l’Évangile Vivant composé en syriaque et divisé en vingt-deux sections selon les vingt-deux lettres de l’alphabet araméen 31. Elle n’est connue que par quelques fragments dont trois figurent dans la Vita Mani du CMC (66, 4-68, 5 ; 68, 6-69, 8 ; 69, 9-70, 10). D’après le résumé qu’en donne l’érudit persan Ibn al-Biruni, au xi e siècle, dans son al-Athar, Mani y expose qu’il est « le paraclet annoncé par le Christ et le sceau des prophètes ». Il a été le livre de poche des missionnaires manichéens et a été traduit dans toutes langues que parlent les communautés manichéennes : en grec (fragments dans le CMC) ; en moyen-perse (M 17 et M 733) et en parthe d’où dérive la version sogdienne (M 172).

aussi M. Hutter , Manis kosmogonische Šābuhragān-Texte. Edition, Kommentar und literaturgeschichtliche Einordnung der manichäisch-mittelpersischen Handschriften M 98/99 I und M 7980-7984, Wiesbaden, 1992. 31. Voir P.  Nagel , « Das ‘Evangelium’ des Mani », dans C.  M arkschies – J. Schröter (Éd.), Antike christliche Apokryphen in deutscher Übersetzung. I. Band : Evangelien und Verwandtes, Teilband 2, Tübingen, 2012, p. 1030-1050.

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D’après Michel Tardieu, nombre de fragments retrouvés dans l’oasis du Tourfan relatifs à la prophétologie manichéenne et à l’exégèse des paraboles chrétiennes pourraient être rattachés à l’Évangile Vivant, de même que le recueil de Synaxeis. III. Ses successeurs C’est Mani lui-même qui, peu de temps avant de mourir, en 277, a désigné, dans la prison de Gundeshapur (Balabad), son successeur à la tête de son Église. Il s’agit de Sisinnios de Khaskhar, Mar Sisin, qui a exercé la fonction durant dix années avant d’être arrêté sur dénonciation par des manichéens ralliés au mazdéisme et d’être exécuté de la main du roi Vahram II, ennemi irréductible des manichéens, probablement à Bih-Sapur 32 . Ce même Sisinnios a vraisemblablement été le collaborateur de Mani à la direction de l’Église, chargé en particulier des Auditeurs. Vers 291-292, Innaios, frère de Zabed, a pris la tête de l’Église manichéenne. On ne sait pas combien de temps il en a été le responsable. Il n’existe qu’une seule liste, dressée par les manichéens, des grandes figures de leur Église : elle est conservée dans une doxologie, mutilée, d’un psaume pour la fête du Bêma (Ps 2, 34, 9-16). On y trouve mentionnés les noms suivants : (1) Mannikhaios, (2) Sisinnios, (3) Innaios, (4) Gabriab, (5) Ammôs, (6) Salmaios, (7) Pappos, (8) Abiesou, (9) Ozeos, (10) Addas, (11) Suros, (12) Plousiane, (13) Theona, (14) Maria 33. Observons que Ammôs est le Mar Ammo qui a fondé les communautés manichéennes dans l’empire iranien et que Addas est le Mar Adda qui a fondé les communautés manichéennes dans l’empire romain (en Syrie et en Égypte). Quant à Abiesou, dit « le Maître », qui a été un des successeurs de Mar Adda, il est connu pour avoir envoyé à Ḥira, deux autres missionnaires manichéens. Sêthêl le diacre et Abizakhias. La pénétration du manichéisme dans l’Empire romain est datée de 270 – en Syrie, en Palestine et en Égypte –, elle s’est réalisée dans le sillage de l’armée palmyrénienne de la reine Zénobie, commandée par Septimius Zabda, dont la sœur Nafshâ a été une convertie à la nouvelle religiosité  3 4 . 32. Voir M.  Tardieu, « Le successeur de Mani à la tête de l’Église manichéenne », dans Annuaire du Collège de France 91 (1990-1991), p. 496-498. Voir aussi M. Tardieu, « La nisba de Sisinnios », dans Altorientalische Forschungen 18 (1991), p. 3-8. 33. Voir M.  Tardieu, « Les disciples araméens de Mani », dans Annuaire du Collège de France 92 (1991-1992), p. 506-509. Voir aussi G. Wurst, The Ma­nichaean Coptic Papyri in the Chester Beatty Library. Psalm-Book, Part II, 1. Die Bema-Psalmen, Turnhout, 1996, p. 86-87. 34. À ce sujet, voir M. Tardieu, « Les manichéens avant l’islam », dans T. Bianquis – P. Guichard – M. Tillier (Éd.), Les débuts du monde musulman,

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Dans les formules d’abjurations grecques imposées aux manichéens convertis, on trouve de nombreux noms de manichéens, mais aussi de non manichéens, comme par exemple des philosophes néoplatoniciens. Mentionnons encore le nom d’Ardaban, prince iranien, qui a été envoyé par Mani à Abarshahr (= Nishapur) et à Marw, pour diffuser la nouvelle religiosité dans l’Asie centrale sous domination sassanide – une mission qui va la répandre avec succès dans le Khurasan, la Bactriane et la Sogdiane. Le manichéisme a donc eu une intense activité missionnaire tant en Orient qu’en Occident. Elle a eu pour objectif de recruter des adeptes dans les classes dirigeantes des diverses sociétés où il s’est implanté, afin d’obtenir une reconnaissance officielle et l’assurance d’une protection politique. Le scénario de conversion est toujours le même : de par leurs connaissances en médecine, les maîtres manichéens opèrent des guérisons qui suscitent curiosité et appétence de la part du pouvoir. Dans l’empire romain, les manichéens ont subi des persécutions : on connaît celle de Dioclétien (en 297 ou 302) 35 et celle instaurée par la législation de Théodose (en 381, 382, 383) 36. Il en a été de même dans l’empire iranien. L’histoire du manichéisme peut être reconstituées grâce aux Actes de la mission orientale, dont le récit est conservé en moyen-perse, en parthe et en sogdien. On n’en donne ici que quelques éléments. Après la mort de Mani et de ses successeurs immédiats, la direction de la religiosité manichéenne est demeurée à « Babylone » (nom symbolique donné à une des capitales de l’empire sassanide, Séleucie-Ctésiphon). Dès le v e ou le vi e siècle, le manichéisme, à l’égal du nestorianisme, s’implante en Sogdiane et est ensuite diffusé dans toutes les communautés immigrées sogdiennes. Ce sont des Sogdiens manichéens qui obtiennent la protection pour leurs coreligionnaires et leurs compatriotes de la part des Ouïgours, principale puissance militaire de la Chine du Nord. Dans la seconde moitié du vi e siècle, on assiste à l’émergence d’un schisme, celui des « Porteurs de Religion », dont le fondateur est ShâdOhrmizd (mort en 600-601). Il s’agit d’une dissidence de stricte observance dont les dirigeants résident dorénavant à Samarkand en Sogdiane. Lors de l’arrivée des Arabes musulmans en Irak, les manichéens de cette région ont été d’abord protégés, avant d’être persécutés pas le calife abbasvii e -x e siècle, de Muhammad aux dynasties autonomes, Paris, 2010, p. 69-75, spécialement p. 71-75. 35. Voir S.N.C.  Lieu, Manichaeism in the Later Roman Empire and Medieval China : A Historical Survey, Manchester, 19851, Tübingen, 19922 , p. 121, n. 1. 36. Voir P.  Beskow, « The Theodosian Laws against Manichaeism », dans P.  Bryder (Éd.), Manichaean Studies : Proceedings of the First International Conference on Manichaeism : August 5-9, 1987, Department of History of Religions, Lund University, Sweden, Lund, 1988, p. 1-11.

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side al-Mahdi en 782-785, ce qui a conduit à leur disparition progressive en Babylonie. Seule subsiste alors la branche schismatique d’Asie centrale grâce à la conversion des Ouïgours orientaux, alors en Mongolie, par des missionnaires sogdiens. Le manichéisme devient « religion » d’état des Ouïgours, et il l’est resté probablement jusque dans la seconde moitié du x e siècle, avant de décliner au profit du bouddhisme. Dans la seconde moitié du viii e siècle, éclate un nouveau schisme dans l’Église manichéenne d’Asie centrale. Il semble avoir duré jusque vers la fin du ix e siècle. Il est connu par deux lettres manichéennes fragmentaires conservées en sogdien 37. III.2 . L a

qu e s t ion de l a docu m e n tat ion

L’exposé du manichéisme, l’interprétation qu’on en peut donner, les problèmes qu’il soulève, l’histoire même de cette interprétation et de ces problèmes dépendent de la documentation que l’on a eue successivement ou que l’on a actuellement sur Mani, sa doctrine et son mouvement. Or, cette documentation complexe et dispersée, dans l’espace comme dans le temps, est d’accès difficile, de contenu très divers et de valeur fort inégale. De plus, elle ne s’est enrichie que par étapes, et ce n’est guère que depuis 1904 que l’on commence à disposer de sources directes, c’est-à-dire d’écrits manichéens originaux. Les persécutions impitoyables auxquelles le manichéisme a été en butte dans presque tous les temps et tous les pays ont été accompagnées par la destruction systématique des Écritures qui lui ont été propres. En effet, la littérature manichéenne paraît avoir disparu dès le vi e siècle dans l’Occident chrétien, vers le ix e siècle dans l’Orient byzantin, depuis le xi e siècle dans le monde islamique, aux environs du xiv e siècle dans la majeure partie du monde chinois. Aussi pendant longtemps la critique a-telle été réduite à emprunter l’image qu’elle s’est faite du manichéisme à des exposés indirects, dus, dans la plupart des cas, à des adversaires du manichéisme. Des instruments de travail, notamment des dictionnaires, commencent à être régulièrement publiés dans le Corpus Fontium Manichaeorum 38. 37. Voir W.  Sundermann, « Probleme der Interpretation manichäisch-soghdischer Briefe », dans J. H armatta (Éd.), From Hecateus to al-Khuwarismi, Budapest, 1984, p. 289-316. 38. Voir S.  Clackson – E. Hunter – S.N.C.  Lieu (Éd.), Dictionary of Mani­ chaean Texts, I. Texts from Roman Empire (Texts in Syriac, Greek, Coptic and Latin), Turnhout, 1998 ; F.  de Blois – N. Sims-William (Éd.), Dictionary of Mani­chaean Texts, II. Texts from Iraq and Iran (Texts in Syriac, Arabic, Persian and Zoroastrian Middle Persian), Turnhout, 2006 ; D. Durkin-M eisterernst, Diction-

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CHAPITRE III

Dans cette même collection, des études sur les sources bibliques utilisées dans la documentation manichéenne commencent à être publiées 39. On dispose aussi du « Working Catalogue of Published Manichaean Texts » publié par Samuel N.C. Lieu qui est d’une précieuse utilité  4 0. I. La documentation directe La documentation directe sur le manichéisme peut être classée aussi sous trois rubriques, qui sont fonctions des découvertes successives. Mentionnons aussi les restes archéologiques qui ont été retrouvés notamment en Chine 41.

A. Les documents découverts en Asie centrale La publication de ces documents, commencée lentement en 1904, est loin d’être encore achevée 42 . De ces textes, les plus importants par leur contenu ou leur longueur sont : - le Shabuhragan, en pehlevi ; - un recueil de pièces liturgiques, en pehlevi et en parthe, à l’usage de la grande fête du manichéisme, le Bêma ; - un recueil d’hymnes en pehlevi et en parthe ; - deux formulaires de confession, l’un en sogdien pour les « Élus », l’autre en ouïgour pour les « Auditeurs » ou « catéchumènes » ; - un traité de dogmatique, en chinois ; - un Compendium ou Catéchisme de la religion du Bouddha de Lumière, Mani, en chinois 43 ; ary of Manichaean Texts, III, Part 1. Texts from Central Asia and China (Texts in Middle Persian and Parthian), Turnhout, 2004 ; N. Sims-William – D. DurkinM eisterernst, Dictionary of Manichaean Texts, III, Part 2. Texts from Central Asia and China (Texts in Sogdian and Bactrian), Turnhout, 2012 ; G.B. M ikkelsen, Dictionary of Manichaean Texts, III, Part 4. Texts from Central Asia and China (Manichaean Texts in Chinese), Turnhout, 2006. 39. Voir N.A.  Pedersen – R. Falkenberg – J.  Møller L arsen – C.  L eurini, The Old Testament in Manichaean Tradition : The Sources in Syriac, Greek, Coptic, Middle Persian, Parthian, Sogdian, New Persian, and Arabic, with an Appendix on General References to the Bible, Turnhout, 2017. 40.  S.N.C.  Lieu, Manichaeism in Central Asia and China, Leyde-BostonCologne, 1998, p. 196-246. 41. Voir S.N.C.  Lieu – L. Eccles – M. Franzmann – I. Gardner – K.  Parry, Medieval Christian and Manichaean Remains from Quanzhou (Zayton), Turnhout, 2012. 42. Voir notamment W. Sundermann, Iranian Manichaean Turfan Texts in Early Publications (1904-34) Photo Edition, Londres, 1996. 43.  Voir N. Tajadod, Mani le Bouddha de Lumière, Catéchisme manichéen chinois, Paris, 1990.

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- un recueil d’hymnes en chinois  4 4 . Il existe aussi de nombreux textes cosmogoniques, paraboliques et historiques conservés en pehlevi, en parthe et en sogdien qui ont été peu à peu publiés par Werner Sundermann 45.

B. Le document découvert en Algérie Le manuscrit manichéen en latin, antérieur à 400, mis au jour dans des grottes au Sud-Ouest de Tébessa, qui est relatif aux rapports entre « Élus » et « Auditeurs », a été publié une première fois en 1920 par Pierre Alfaric  4 6 et une seconde fois en 2006 par Markus Stein 47. Les études sur ce document sont assez nombreuses 48.

44.  Voir L. R ault, L’Hymnaire manichéen chinois Xiabuzan 下部讚 à l ’usage des Auditeurs : Un manuscrit trouvé à Dunhuang, traduit, commenté et annoté, LeydeBoston, 2018. 45.  Voir notamment W. Sundermann, Mittelpersische und parthische kosmogonische und Parabeltexte der Manichäer, Berlin, 1973 (BTT 4) ; W. Sundermann, Mitteliranische manichäische Texte kirchengeschichtlichen Inhalts, Berlin, 1981 (BTT 11) ; W. Sundermann, Ein manichäisch-sogdisches Parabelbuch, Berlin, 1985 (BTT 15) ; W. Sundermann, The Manichaean Hymn Cycles HUYADAGMAN and ANGAD ROSNAN in Parthian and Sogdian, Londres, 1990 ; W. Sundermann, Der Sermon vom Licht-Nous. Eine Lehrschrift des östlichen Manichaïsmus. Edition der parthischen und soghdishen Version, Berlin, 1993 (BTT 17) ; W. Sundermann, Der Sermon von der Seele. Eine Lehschrift des östlichen Manichäismus. Edition der parthischen und soghdischen Version, Berlin, 1997 (BTT 19). On consultera avec intérêt le recueil d’articles : W. Sundermann, Manichaica Iranica. Ausgewählte Schriften, I-II, Rome, 2001. 46.  P. A lfaric , « Un manuscrit manichéen (Le document de Tébessa) », dans Revue d ’histoire et de littérature religieuses 6 (1920), p. 62-98. 47. M. Stein, Manichaica latina, 3.1. Codex Thevestinus, Text, Übersetzung, Erläuterungen (Papyrologica coloniensia, XXVII, 3, 1), Paderborn, 2004 et M. Stein, Manichaica Latina, 3.2. Codex Thevestinus. Photographien (Papyrologica coloniensia, XXVII, 3, 1), Paderborn, 2006. 48.  Voir notamment R. M erkelbach, « Der manichäische Codex von Tebessa », dans P. Bryder (Éd.), Manichaean Studies : Proceedings of the First International Conference on Manichaeism : August 5-9, 1987, Department of History of Religions, Lund University, Sweden, Lund, 1988, p. 229-264 ; J.D. Be Duhn – G. H arrison, « The Tebessa codex : A manichean Treatise on Biblical Exegesis and Church Order », dans P. M irecki – J.D. Be Duhn (Éd.), Emerging from Darkness. Studies in the Recovery of Manichaean Sources, Leyde, 1997, p. 33-87 ; F. Decret, « En marge du manuscrit manichéen africain de Tébessa », dans A.  van Tongerloo – L.  Cirillo (Éd.), Quinto congresso internazionale di studi sul manicheismo. Atti. Il manicheismo. Nuove prospettive della ricerca. Dipartimento di Studi Asiatici. Università degli Studi di Napoli « L’Orientale ». Napoli, 2-8 settembre 2001, Turnhout, 2005, p. 85-93.

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CHAPITRE III

C. Les documents découverts en Égypte Ces documents, qui sont des traductions coptes faites probablement entre 300 et 400, paraissent avoir été rédigées originairement en araméen (plutôt qu’en grec) et pourraient remonter pour la plupart à la fin du iii e ou du début du iv e siècle : ils appartiendraient ainsi à la première génération manichéenne. Le catalogue de la collection manichéenne d’Égypte, exclusivement conservée en copte, peut être reconstitué selon six titres majeurs : - Les Epistolai : Corpus de la correspondance de Mani et de ses premiers disciples, conservé à Berlin – en cours de publication par Wolf-Peter Funk et Ian Gardner 49. - Les Logoi : Homélies sur la mort de Mani et les premières persécutions, conservées à Dublin – éditées une première fois par Hans Jakob Polotsky en 1934 50 et une seconde fois par Nils Arne Pedersen en 2006 51. - Les Kephalaia : Commentaire doctrinal et exégétique des logia de Mani par la tradition manichéenne, conservé à Berlin (Varsovie) et Dublin – édités partiellement pour le Livre I dit du Maître (Berlin) par Hans Jakob Polostky et Alexander Böhlig de 1940 à 1966 52 et par Wolf-Peter Funk de 1999 à 2018 53, en cours de publication pour le Livre II dit de la Sagesse (Dublin par Iain Gardner, Jason David BeDuhn et Paul C. Dil-

49.  W.-P. Funk – I. Gardner , Manichäische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin, II. Mani’s Epistles. The Surviving Parts of the Coptic codex Berlin P. 15998 (à paraître). 50.  H.J.  Polotsky, Manichäische Homilien, Stuttgart, 1934. 51.  N.A.  Pedersen, The Manichaean Coptic Papyri in the Chester Beatty Library, Manichaean Homilies. With a Number of Hitherto Unpublished Fragments, Turnhout, 2006. 52.  H.J.  Polotsky – A. Böhlig, Manichäische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin, I. Kephalaia [I], 1. Hälfte (Lieferung 1-10) [Codexseiten 1-244], Stuttgart, 1940 ; A. Böhlig, Manichäische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin, [I]. Kephalaia, Zweite Hälfte. Lieferung 11/12 (Codexseiten 244-291), Stuttgart-Berlin-Köln-Mainz, 1966. 53.  W.-P. Funk , Manichäische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin, I.  Kephalaia  I.  Zweite Hälfte, Lieferung 13-14 (Codexseiten 292-366), Stuttgart-Berlin-Köln-Mainz, 1999 ; W.-P. Funk , Manichäische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin, I. Kephalaia  I.  Zweite Hälfte, Lieferung 15-16 (Codexseiten 366440), Stuttgart-Berlin-Köln-Mainz, 2000 ; W.-P. Funk , Manichäische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin, I. Kephalaia  I.  Zweite Hälfte, Lieferung 17-18 (Codexseiten 441-522), Stuttgart-Berlin-Köln-Mainz, 2018. Voir aussi W.-P. Funk , Manichäische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin, I.3, Kephalaia, Supplementa. Kodikologishche Enleiteutung, Addenda et Corrigenda, Register, Stuttgart-Berlin-Köln-Mainz (à paraître).

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ley 54 . Ce dernier Livre II a été partiellement traduit en anglais par Iain Gardner (Kephalaia  I à CXXII, p. 1 à 295) 55. - Les Synaxeis : Commentaire suivi de l’Évangile Vivant de Mani, conservé à Berlin et Dublin – en cours de publication par Wolf-Peter Funk 56. - Les Psalmoi : Antiphonaire de la communauté manichéenne d’Égypte, conservé à Dublin – édités par Charles Robert Cecil Allberry en 1938 pour la seconde partie 57 et en attente de publication pour la première partie 58. Depuis, d’autres sections de la seconde partie ont été rééditées, comme les Psaumes du Bêma par Gregor Wurst en 1996 59 ou les Psaumes d’Héraclide par Siegfried Richter en 1998 60. - L’Histoire de l ’Église manichéenne : évocation des dernières années de Mani et de la naissance de son Église – en cours de publication par WolfPeter Funk et Stephen Patterson 61. Ce dernier texte, subsistant de manière très fragmentaire, pourrait être la suite de la version grecque de la Vita Mani qui a été découverte en 1968 : il s’agit de celle figurant dans le « Codex manichéen de Cologne » dont il sera question plus loin. 54.  I. Gardner – J.D. Be Duhn – P.C. Dilley, Manichaean Manuscripts in the Chester Beatty Library. The Kephalaia Codex. The Chapters of the Wisdom of My Lord Mani, Part III. Pages 343-442 (Chapters 321-347), Leyde-Boston, 2018. Pour le reste, voir en attendant S. Giversen, The Manichaean Coptic Papyri in the Chester Beatty Library, I. Kephalaia, Facsimile Edition, Genève, 1986. 55.  I. Gardner , The Kephalaia of the Teacher. The Edited Coptic Manichaean Texts in Translation with Commentary, Leyde, 1995. 56.  W.-P. Funk , Manichäische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin, IV.  Manichäische Synaxeis. Lesungen aus dem Lebendigen Evangelium des Mani (à paraître) et W.-P. Funk , Manichäische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin, V. Die Nicht-Synaxis-Teile des sogenannten Synaxeis-Codex (à paraître). Voir pour le moment P.A. M irecki, « The Coptic Manichaean Synaxeis Codex : Descriptive Catalogue of Synaxis Chapter Titles », dans P.  Bryder (Éd.), Manichaean Studies : Proceedings of the First International Conference on Manichaeism : August 5-9, 1987, Department of History of Religions, Lund University, Sweden, Lund, 1988, p. 135-145. 57.  C.R.C. A llberry, Manichaean Manuscripts in the Chester Beatty Collection. Volume II. A  Manichaean Psalmbook, Part II, Stuttgart, 1938. 58.  Voir en attendant S. Giversen, The Manichaean Coptic Papyri in the Chester Beatty Library, III. The Psalm-Book, Part I, Genève, 1988. Voir aussi S. Giversen, The Manichaean Coptic Papyri in the Chester Beatty Library, IV. The Psalm-Book, Part II, Genève, 1988. 59.  G. Wurst, The Manichaean Coptic Papyri in the Chester Beatty Library. Psalm-Book, Part II, 1. Die Bema-Psalmen, Turnhout, 1996. 60.  S. R ichter , The Manichaean Coptic Papyri in the Chester Beatty Library. Psalm Book, Part II, 2. Die Herakleides-Psalmen, Turnhout, 1998. 61.  W.-P. Funk – S.  Patterson, Manichäische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin, III. A  Manichean Church History. The Surviving Parts of the Coptic Codex Berlin P. 15997 (à paraître).

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CHAPITRE III

Une bonne partie des textes conservés à Berlin a été malheureusement détruite ou perdue en 1945, des suites de la seconde guerre mondiale : on les connaît cependant grâce à un signalement de Carl Schmidt effectué en 1932 qui répertorie pas moins de 2 000 feuillets 62 , alors que seuls 971 sont maintenant accessibles 63. Par ailleurs, à la fin du Livre II des Kephalaia, conservé à Dublin, on trouve en appendice, une trentaine de feuillets rapportant une Histoire de Mani (y compris la « passion »)  6 4 – un texte qui entretient des rapports étroits avec le Synaxeis 65. Il convient aussi de mentionner la Vie grecque de Mani du « Codex manichéen de Cologne » : il s’agit d’une biographie du fondateur de la tradition religieuse manichéenne censée avoir été composée d’après ses propres témoignages et ceux de ses disciples immédiats – de fait, c’est un récit hagiographique des premières années du Prophète de Babylone, et de l’exposé de ses débats avec des cercles chrétiens d’origine judéenne « baptistes » d’où il est issu. Elle a été plusieurs fois éditée, notamment en 1988 par Ludwig Koenen et Cornelia Römer 66. Depuis, lors des fouilles de Kellis, toujours en Égypte, de nombreux documents manichéens ont été découverts et sont en cours de publication 67.

D. Les documents découverts en Sérinde On a retrouvé de très nombreux documents manichéens en Sérinde et dans de nombreuses langues et écritures 68. Ces documents rédigés en parthe, moyen-perse, sogdien ou ouïgour sont dans un état fragmentaire qui rend difficile le travail patient du philologue.

62.  C. Schmidt, « Ein Mani-Fund in Aegypten », dans Sitzungsberichte der Preussischen Akademie der Wissenschaften, 1933, p. 6-8. 63. Voir R. I bscher , « Mani und kein Ende », dans Atti del IX Congresso Internazionale di Papirologia, Milan, 1966, p. 223. 64. À ce sujet, voir W.-P. Funk , « The Reconstruction of the Manichaean Kephalaia », dans P. M irecki – J.D. Be Duhn (Éd.), Emerging from Darkness. Stu­ dies in the Recovery of Manichaean Sources, Leyde, 1997, p. 143-159. 65.  Communication orale de Wolf-Peter Funk remontant à l’automne 2013. 66.  L. Koenen – C. Römer , Der Kölner Mani-Kodex. Über das Werden seines Leibes. Kritische Edition, Opladen, 1988. 67. Voir notamment I. Gardner , Kellis Literary Texts, I, Oxford, 1996  ; K.A. Worp, Greek Papyri from Kellis, I, Oxford, 1995 ; I. Gardner , Kellis Literary Texts, I, Oxford, 1996 ; I. Gardner – A. A lcock – W.-P. Funk , Coptic Documentary Texts from Kellis, I, Oxford-Oakville, 1999 ; I. Gardner , Kellis Literary Texts, II, Oxford, 2007. 68. Voir X. Tremblay, Pour une histoire de la Sérinde. Le manichéisme parmi les peuples et religions d ’A sie Centrale d ’après les sources primaires, Vienne, 2001.

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E. Citations de textes manichéens conservées dans la littérature musulmane 69 Dans la littérature musulmane, de nombreuses citations de textes manichéens ont été reprises et conservées : en particulier dans le al-fihrist de an-Nadim (x e siècle) 70 ; le al-Athar de al-Biruni (xi e siècle) 71 ; le Livre des religions et des sectes de al-Shahrastani (xii e siècle) 72 .

F. Récapitulatif Les sources manichéennes directes doivent être appréciées au regard de leurs caractères hagiographique et apologétique. Ce qui est dit de Mani lui-même et de sa doctrine dans cette littérature ne peut pas être toujours considéré comme relevant de l’information historique, car les auteurs manichéens composent, arrangent, réécrivent la biographie de leur fondateur en fonction des nécessités temporelles et spatiales qui elles sont des plus variables. Pour illustrer cette question, on peut prendre un exemple tiré d’un article de Michel Tardieu 73 : il s’agit de la narration, conservée en trois versions différentes (moyen-perse, parthe et sogdien) dont il a déjà été question, de l’arrivée et de l’installation des manichéens dans le Khorasan (Turkménistan et Afghanistan actuels) et en Transoxiane (Ouzbékistan actuel). Il y est raconté, de manière cohérente, que c’est Mani en personne qui, de Ḥulwan (à 150 km au nord-est de l’actuelle Bagdad), dernière ville étape de la plaine mésopotamienne avant d’aborder le plateau iranien, a envoyé Ardaban et un petit groupe de disciples à Abarshahr (= Nishapur) et à Merw, puis de là vers le pays des Kouchans en Bactriane et Sogdiane, où ils ont fondé des maisons (c’est-à-dire des sortes de couvents) et ont effectué des conversions parmi les dignitaires (des aristocrates et des marchands) de ces contrées. Ce récit merveilleux, décalque de la mission vers les pays de l’Ouest (Syrie et Égypte), est une légende étiologique fabriquée par des manichéens sogdiens des vi e-vii e siècles pour donner à leurs communautés, dissidentes de l’Église de Babylone, un fondement et une légitimité apostolique avec Mani. Ce récit est évidemment très précieux comme témoin des croyances et des préoccupations des religieux, disciples 69. Voir J.C. R eeves , Prolegomena to a History of Islamicate Manichaeism, Scheffield-Oakville, 2011. 70. Voir B.  Dodge , The Fihrist of al-Nadim, II, New York, 1970, p. 773-807. 71. Voir M.H. Browder , Al-Bīrūnī as a Source for Mani and Manichaeism, Durham/Caroline du Nord, 1982 (PhD de Duke University). 72. Voir D. Gimarest – G. Monnot, Livre des religions et des sectes, I, Louvain, 1986, p. 655-662. 73.  M. Tardieu, « Mani et le manichéisme. Le dernier prophète », dans Encyclopédie des religions, I, Paris, 1997, p. 225-226.

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CHAPITRE III

de Shad-Ormizd, mort vers 600-601, qui ont organisé l’Église du Khorasan, mais l’appliquer à Mani lui-même et aux débuts de sa mission serait anachronique. C’est dire combien certaines sources manichéennes directes doivent être comprises en fonction des divisions et des ruptures à l’intérieur même du mouvement, ce dès la disparition du fondateur. II. La documentation indirecte La documentation indirecte sur le manichéisme peut être classée de manière pratique sous six rubriques. Il s’agit d’œuvres de polémique composées pour réfuter Mani et le manichéisme, de notices insérées dans des catalogues d’erreurs ou de formules d’abjuration.

A. Les sources grecques Elles se répartissent entre sources d’origine païenne et sources d’origine chrétienne. Les sources grecques d’origine païenne 74 : Alexandre de Lycopolis (début du iv e siècle) 75 ; Ammonius Hermeias (fin du v e-début du vi e siècle) ; Jean Philopon (fin du v e-début du vi e siècle) ; Simplicius (fin du v e-début du vi e siècle). Les sources grecques d’origine chrétienne : Théonas d’Alexandrie (fin du Eusèbe de Césarée [Histoire ecclésiastique VII, 31] (début du iv e siècle) 76 ; les Acta Archelai (iv e siècle)  7 7 ; Cyrille de Jérusalem [Catéchèse baptismale VI] (iv e siècle) ; Sérapion de Thmuis (iv e siècle) 78 ; Titus de iii e siècle) ;

74. Tous les auteurs grecs d’origine païenne sont des philosophes néoplatoniciens. 75. Voir A.  Villey, Alexandre de Lycopolis. Contre la doctrine de Mani, Paris, 1985. 76. Voir J.-D. Dubois , « Le manichéisme vu par l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée », dans Études théologiques et religieuses 68 (1993), p. 333-339. 77. Voir M. Scopello, « Hégémonius, les Acta Archelai et l’histoire de la controverse anti-manichéenne », dans W. Sundermann – P. Zieme (Éd.), Studia Manichaica. IV. Internationaler Kongress zum Manichäismus, Berlin, 14-18 Juli 1997, Berlin, 2000, p. 528-545 ; M. Scopello, « Persica adversaria nobis gens : controverse et propagande anti-manichéenne d’après les Acta Archelai », dans Comptes rendus de l ’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres 152 (2008), p. 929-950. 78. Voir O.  H erbel , Serapion of Thmuis. Against the Manichaeans and Pastoral Letters, Brisbane, 2011.

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Bostra (iv e siècle) 79 ; Épiphane de Salamine [Panarion LXVI] (iv e siècle) 80 ; Théodoret de Cyr (v e siècle) ; Zacharie de Mytilène (v e-vi e siècle) 81 ; Sévère d’Antioche (vi e siècle) 82 ; Paul le Perse (vi e siècle) ; une formule (longue) d’abjuration imposée aux manichéens convertis (vi e siècle) 83 ; Jean de ; une formule (courte) d’abjuration imposée aux Damas (viii e siècle)  manichéens convertis (ix e siècle) 84 ; Pierre de Sicile (ix e siècle) ; Photius (ix e siècle) ; Georges le Moine (ix e siècle) ; Pierre l’Higoumène (ix e siècle). Les Acta Archelai, attribués à un certain Hégémonius, ont été rédigés en grec vers 340, et traduits en latin vers 360. Le Contra Manichaeos de Titus de Bostra, écrit d’abord en grec vers 365, a été ensuite traduit en syriaque du vivant même de son auteur. Dans le Panarion d’Épiphane de Salamine, composé vers 375-376, on trouve une longue notice sur les manichéens, fournissant de nombreuses informations sur le mythe et la doctrine, ainsi que sur leur expansion en Égypte et en Palestine.

B. Les sources latines Elles sont toutes d’origine chrétienne : le Pseudo-Marius Victorinus (iv e  siècle) ; Augustin d’Hippone (iv e  siècle) ; Évode d’Uzalis (v e  siècle) ; trois formules d’abjuration imposées aux manichéens convertis (v evi e siècle) 85 .

79. Voir A.  Roman – T.S. Schmidt – P.-H.  Poirier , Titus de Bostra, Contre les Manichéens, Turnhout, 2014. 80. Voir C.  R iggi, Epifani contro Mani. Revisione critica, traduzione italiana e commento storico del Panarion di Epifanio, Haer, LXVI, Rome, 1967. 81. Au sujet de Zacharie de Mytilène et des formules d’abjuration, voir S.N.C.  Lieu, « An Early Byzantine Formula for the Renunciation of Manichaeism – The Capita VII Contra Manichaeos of  », dans Manichaeism in Mesopotamia and the Roman East, Leyde, 1994, p. 203-305. 82. Voir F.  Cumont, Recherches sur le Manichéisme, III. Extrait de la CXXIII homélie de Sévère d ’Antioche, Bruxelles, 1910. 83.  Voir PG I, col. 1461C-1471A. Traduction anglaise dans S.N.C.  Lieu, « An Early Byzantine Formula for the Renunciation of Manichaeism – The Capita VII Contra Manichaeos of  », dans Manichaeism in Mesopotamia and the Roman East, Leyde, 1994, p. 235-255 et p. 297-298. 84. Voir PG C, col. 1217-1225. Traduction anglaise dans S.N.C.  Lieu, « An Early Byzantine Formula for the Renunciation of Manichaeism – The Capita VII Contra Manichaeos of  », dans Manichaeism in Mesopotamia and the Roman East, Leyde, 1994, p. 299-300. 85.  Traduction anglaise dans S.N.C.  Lieu, « An Early Byzantine Formula for the Renunciation of Manichaeism – The Capita VII Contra Manichaeos of  », dans Manichaeism in Mesopotamia and the Roman East, Leyde, 1994, p. 300-305.

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CHAPITRE III

Augustin, qui a été manichéen pendant neuf ans (de 373 à 382) 86, fournit des renseignements fondamentaux car de première main, même s’ils paraissent souvent gauchis par la polémique qu’il a conduite contre ses anciens coreligionnaires 87. Parmi les nombreux traités qu’il écrit contre les manichéens, il convient de citer les deux premiers, portant le titre De Moribus, qui forment un diptyque dont le premier volet concerne la doctrine et la conduite des catholiques et le second celles des manichéens 88. Les études sur Augustin et le manichéisme sont nombreuses 89, notamment sur l’exégèse manichéenne 90. François Dolbeau, qui a découvert des sermons inconnus d’Augustin dans lesquels figurent la question manichéenne 91, a retrouvé aussi des morceaux anti-manichéens attribués à tort à Augustin 92 . Évode d’Uzalis est l’auteur d’un traité Adversus Manichaeos écrit probablement vers 420-425 93.

C. Les sources syriaques Elles sont toutes d’origine chrétienne et se répartissent entre sources syriaques de l’Est et sources syriaques de l’Ouest. On ne mentionne ici que les plus importantes, mais on en trouve une liste exhaustive dans un article de Flavia Ruani 94 . 86.  J.D. Be Duhn, Augustine’s Manichaean Dilemma. I. Conversion and Apostasy, 373-388 C.E., Philadelphie/Pennylvanie, 2010. 87. Voir V.H. Drecoll – M. Kudella, Augustin und der Manichäismus, Tübingen, 2011. Voir aussi J.K.  Coyle , « Augustin et le manichéisme », dans Connaissance des Pères de l ’Église 83 (2001), p. 45-55. 88. Voir E.  Rutzenhöfer , Augustinus. De moribus ecclesiae catholicae et de moribus manichaeorum. Paderborn, 2004. 89. Voir J.  van Oort, «  Manichaean Christians in Augustine’s Life and Works », dans Church History and Religious Culture 90 (2010), p. 505-546. Voir aussi J.  van Oort – O. Wermelinger  – G. Wurst (Éd.), Augustine and Mani­ chaeism in the Latin West, Leyde-Boston, 2001. 90. Voir J.A. Van den Berg, Biblical Argument in Manichaean Missionary Practice, The Case of Adimantus and Augustine, Leyde-Boston, 2009. Voir aussi A. M assie , Peuple prophétique et nation témoin. Le peuple juif dans le Contra Faustum manichaeum de saint Augustin, Paris, 2011. 91.  F. Dolbeau, Augustin d ’Hippone. Vingt-six sermons au peuple d ’Afrique retrouvés à Mayence, Paris, 19961,  20012 . 92.  F. Dolbeau, « Un opuscule latin contre les Manichéens, placé sous le nom d’Augustin », dans Archiv für Religionsgeschichte 2 (2000), p. 232-254 ; F. Dolbeau, « Un témoignage inconnu contre des Manichéens d’Afrique », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 150 (2004), p. 225-232. 93. Voir A.  Vanspauwen, « The Anti-Manichaean Treatise De fide contra Maichaeos, Attributed to Evodius of Uzalis. Critical Edition and Translation », dans Sacris Erudiri 57 (2018), p. 7-116. 94.  F. Ruani, « Recherches sur la place d’Éphrem de Nisibe dans la littérature syriaque anti-manichéenne », dans Parole de l ’Orient 38 (2013), p. 83-108, spécialement p. 84-85.

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Sources syriaques de l ’Est : Aphraate (iv e siècle) ; Théodore bar Koni (viii e siècle) Pour Aphraate, les manichéens sont mentionnés dans Les démonstrations, III, Sur les jeûnes, § 9. Pour Théodore bar Koni, il est question des manichéens dans le Livre des scolies, Mimrā  IX 95. Sources syriaques de l ’Ouest : Éphrem (iv e siècle) 96 Pour Éphrem de Nisibe. Il est question des manichéens dans les Hymnes contre les doctrines erronées et dans la Réfutation en prose contre Mani, Marcion et Bardesane.

D. Les sources arméniennes Elles sont toutes d’origine chrétienne. On ne peut mentionner ici que le plus ancien et le plus éminent des auteurs arméniens sur la question : Eznik de Kolb (v e siècle) 97.

E. Les sources islamiques 98 Il s’agit d’œuvres de polémistes ou d’historiens arabes ou persans : Djahiz (ix e siècle) ; al-Qasim ben Ibrahim (ix e siècle) ; Ya`qubi (ix e  siècle) ; `Abd al-Jabbar (x e siècle) 99 ; Tabari (x e siècle) ; Ma`dudi (x e siècle) ; Hamza Isfahani (x e siècle) ; al-Maturidi (x e siècle) 100 ; Ibn al-Nadim (x e siècle) 101 ; Ibn al-Biruni (xi e siècle) ; Firdausi (xi e siècle) ; Ta`alibi (xi e siècle) ; Abu’lMa`ali (xi e siècle) ; al-Shahrastani (xii e siècle) ; al-Makin (xiii e  siècle) ;

95. Voir F.  Cumont, Recherches sur le manichéisme, I. La cosmogonie manichéenne d ’après Théodore bar Khôni, Bruxelles, 1908. 96. Voir F.  Ruani, « Recherches sur la place d’Éphrem de Nisibe dans la littérature syriaque anti-manichéenne », dans Parole de l ’Orient 38 (2013), p. 83-108. 97. Voir D.  Durkin-M eisterernst, « Eznik on Manichaeism », dans Iran and Caucasus 16 (2012), p. 1-11. 98. Voir J.C. R eeves , Prolegomena to a History of Islamicate Manichaeism, Scheffield-Oakville, 2011. 99. Voir G. Monnot, « Quelques textes de `Abd al-Jabbar sur le manichéisme », dans Revue d ’histoire des religions 183 (1973), p. 3-9. 100. Voir G.  Vajda, « Le témoignage d’al-Maturidi sur la doctrine des manichéens, des daysanites et des marcionites », dans Arabica 13 (1966), p. 1-38 et p. 113-128. Voir aussi G.  Monnot, « Matoridi et le manichéisme », dans Mélanges de l ’Institut dominicain d ’études orientales 13 (1977), p. 39-66. 101. Voir F.  de Blois , « New Light on the Sources of the Manichaean Chapter of the Fihrist », dans A.  van Tongerloo – L. Cirillo (Éd.), Il manicheismo. Nuove prospettive della ricerca. Dipartimento di Studi Asiatici, Università degli Studi di Napoli « L’Orientale ». Napoli, 2-8 settembre 2001, Louvain-Naples, 2005, p. 37-45.

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CHAPITRE III

Abu’l-Fida (xiv e-xv e siècle) ; al-Murtada (xiv e-xv e siècle) ; Mirkhond (xiv exv e siècle) 102 .

F. Les sources mazdéennes Des passages de deux ouvrages en pehlevi du ix e ou x e siècle, le Škand Gumānīg Wizārd et le Denkart, sont consacrés aux manichéens.

G. Récapitulatif Il convient de remarquer que cette documentation indirecte n’a conservé çà et là, et par accident, que quelques fragments des Écritures manichéennes qui n’en sont pas moins précieux étant donné leur disparition en transmission directe. Cette tradition indirecte est, le plus souvent, le fait d’écrivains hostiles au manichéisme : l’exposé y est mêlé à la réfutation ou il y est fait en vue d’une critique qui tend à faire ressortir les absurdités de la doctrine et du rituel. C’est dire combien cette documentation indirecte est aussi bien partielle que partiale. Ajoutons que la critique s’en est longtemps tenue exclusivement aux renseignements classiques, grecs et latins, à Augustin avant tout, négligeant ainsi les renseignements orientaux. III. Récapitulatif Une grande partie de la documentation manichéenne est maintenant accessible de manière pratique en traduction anglaise dans l’ouvrage dirigé par Iain Gardner et Samuel N.C. Lieu 103, en traduction italienne dans l’ouvrage dirigé par Gherardo Gnoli 104 et en traduction espagnole dans l’ouvrage de Fernando Bermejo Rubio et Josep Montserrat y Torrents 105. On peut aussi se reporter à l’ouvrage ancien, mais toujours utile de Pierre Alfaric où l’on trouve réunie, en traduction française, la documentation directe et indirecte connue à l’époque 106. 102. Voir G.  Vajda, « Les zindiqs en pays d’islam au début de la période abbasside », dans Rivista degli Studi Orientali 17 (1938), p. 173-229. 103.  I. Gardner – S.N.C.  Lieu (Éd.), Manichaean Texts from the Roman Empire, Cambridge, 2004. 104.  G. Gnoli (Éd.), Il manicheismo, I. Mani e il manicheismo, Milan, 2003 ; G.  Gnoli (Éd.), Il manicheismo, IΙ. Il mito e la dottrina. I testi manichei copti e la polemica antimanichea, Milan, 2006 ; G. Gnoli (Éd.), Il manicheismo, III. Il mito e la dottrina. I Testi manichei dell ’A sia Centrale e della Cina, Milan, 2008. 105.  F. Bermejo Rubio, El Maniqueísmo, I. Estudio introductorio, Madrid, 2008 ; F. Bermejo Rubio – J.  Montserrat y Torrents , El Maniqueísmo, II. Textos y Fuentes, Madrid, 2008. 106.  P. A lfaric , Les écritures manichéennes, I-II, Paris, 1918-1919.

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Tous ces recueils sont toutefois incomplets et ne permettent pas de ne pas recourir directement aux documents en langue originale, du moins quand ils sont publiés. III.3. L a

qu e s t ion de l’ écr i t u r e et de l’ iconogr a ph i e

Mani ou ses disciples ont inventé une écriture originale qu’on appelle « écriture manichéenne » 107. C’est lors des quatre expéditions allemandes réalisées au Tourfan en Asie centrale entre 1902 et 1914 qu’ont été découverts des textes composés en écriture manichéenne – une écriture jusque-là inconnue. Elle a été déchiffrée par l’orientaliste allemand Friedrich Wilhelm Müller grâce à une comparaison avec le syriaque estranghelo. Cette écriture manichéenne a servi à transcrire des textes en huit langues différentes : le sogdien, le parthe, le moyen-perse, le persan, le bactrien, le tokharien l’ouïgour et le chinois. Elle a été employée pour noter des langues pour lesquelles il n’existe pas d’écriture ou qui ne disposent pas d’une écriture alphabétique. Elle a été ainsi mise au point à des fins essentiellement pratiques, pour pouvoir transcrire plus facilement et plus clairement des textes provenant d’une variété de langues : ce qui a été essentiel pour les propagandistes d’une religiosité que son fondateur a voulu universelle. L’invention de l’écriture manichéenne est un témoignage éloquent de la remarquable adaptabilité et de la compétence linguistique de Mani et de ses disciples, comme de leur contribution à l’art du livre et de la copie. Mani, fondateur conscient d’une religiosité universelle, a voulu la doter dès le début de fondements scripturaires incontestables, comme il l’affirme lui-même dans le Kephalaion copte CLIV du Livre I (Berlin) et dans le fragment moyen-perse M 5794, lorsqu’il énumère les avantages à y adhérer 108. La peinture manichéenne, pour sa part, a été développée pour la diffusion du discours missionnaire 109. Outre les peintures du Tourfan conser107. Voir J.  Fariwar-Mohseni-Najafi, Die manichäische Schrift der mitteliranischen Sprachen, Berne, 2005. Voir aussi R.  Contini, « Hypothèses sur l’araméen manichéen », dans Annali di Ca’Foscari 34 (1995), p. 65-107. 108.  Z. Gulásci, Medieval Manichaean Book Art. A Codicological Study of Iranian and Turkic Illuminated Book Fragments from 8th-11th Century East Central Asia, Leyde-Boston, 2005. 109. Voir Z.  Gulácsi, Mani’s Pictures. The Didactic Images of the Manichaeans from Sasanian Mesopotamia to Uygur Central Asia and Tang-Ming China, LeydeBoston, 2015.

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CHAPITRE III

vées au Museum für Indische Kunst de Berlin 110, il convient de mentionner aussi les peintures qui ont été découvertes au Japon (conservées au Musée Yamato Bunkakan de Nara) et qui sont originaires de la Chine du sud 111. L’iconographie donne un accès direct aux doctrines manichéennes, et permet parfois de mieux comprendre ce que disent des textes comme les Kephalaia. III.4. L a

qu e s t ion de l a doct r i n e et de l a l i t u rgi e

La doctrine de Mani a été une « terre d’accueil » pour des fidèles de provenance culturelle, religieuses et géographiques extrêmement diverses. Toutefois, il ne peut être question ici d’examiner la doctrine manichéenne dans son ensemble dont on trouve par ailleurs d’excellentes présentations, c’est pourquoi on se limite au cas de l’eau qui, dans le manichéisme, relève de la doctrine et non pas du rituel – la nuance est importante. Pour ce faire, on part de la lecture d’un article de Julien Ries sur « Le rite baptismal elchasaïte et le symbolisme manichéen de l’eau », qui est une recherche sur le symbolisme manichéen de l’eau à partir du rituel baptismal de l’elkasaïsme contre lequel s’est dressé Mani en lui déniant toute valeur salvifique – recherche fondée essentiellement sur la Vita Mani du CMC 112 . Ce critique considère qu’au rituel Mani oppose la gnose : il ajoute : « aux eaux mortes » des elkasaïtes, ont été substituées les « eaux vivantes » des manichéens. C’est précisément au sujet de la signification exacte de cette doctrine manichéenne que ce critique veut s’interroger. Il convient de relever que les recherches récentes sur le manichéisme ne permettent plus d’opposer le rituel à la gnose. Pour ce faire, il faudrait que le manichéisme, à ses débuts, se soit développé selon une pensée gnostique – hypothèse qui

110. Voir Z.  Gulácsi, Manichaean Art in Berlin Collections, Turnhout, 2001. 111. Voir Y.  Yoshida, « A New Recognized Manichaean Painting : Manichaean Daena from Japan », dans M.A. A mir-Moezzi – J.-D. Dubois – C.  Jullien – F.  Jullien (Éd.), Pensée grecque et sagesse d ’Orient. Hommage à Michel Tardieu, Turnhout, 2009, p. 697-714. Voir aussi Y. Yoshida, « Découvertes récentes en Chine et au Japon. Peintures manichéennes et documents sogdiens (viii e-xiii e  s.) », dans Annuaire de l ’École pratique des Hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques 142 (2011), p. 57-59. 112.  J. R ies , « Le rite baptismal elkasaïte et le symbolisme manichéen de l’eau », dans Instrumenta Patristica XXIII, Steenbrugge, 1991, p. 367-378 (= L’Église gnostique de Mani, Turnhout, 2011, p. 167-178).

LE MANICHÉISME

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est à abandonner, malgré les affirmations d’un certain nombre de savants et non des moindres comme par exemple Henri-Charles Puech 113 . Dans une première partie, la position de Mani à l’égard du rituel elkasaïte est examinée à partir de trois textes, dont deux sont des controverses. En CMC 77, 4 à 79, 5, est relatée par le traditionniste Timothée une vision de Mani, qui repose sur une symbolique dualiste opposant de façon suggestive les deux doctrines et les deux pratiques, à savoir le baptisme elkasaïte et le spiritualisme manichéen (le baptisme elkasaïte est symbolisé par la mer et ses eaux noires). En CMC 94, 1-95, 14 et en CMC 95, 14b-96, 17, provenant du traditionniste Zachéas, on trouve deux récits de controverse concernant les ablutions : ces textes sont tirés de divers récits qui ont circulé dans les cercles manichéens de la première génération et qui ont servi à illustrer la discussion entre Mani et les elkasaïtes. Au cours du synode convoqué par Sitaios / Sitan, le chef de la communauté elkasaïte, Mani est accusé de rejeter la pratique des ablutions. Afin de justifier son refus du baptême des elkasaïtes, Mani présente deux épisodes tirés de la vie même d’Elkasaï, le fondateur du mouvement. Dans les deux récits, sur lesquels on aura l’occasion de revenir plus longuement, Mani valorise l’eau à cause des parcelles lumineuses qu’elle renferme, mais refuse de manière radicale qu’elle serve à des ablutions baptismales. Il cherche à fonder son refus sur l’expérience d’Elkasaï, mettant ainsi les elkasaïtes en contradiction avec leur fondateur : ce qui relève plus de la rhétorique que de la réalité. Ces deux textes sont des élaborations de la tradition manichéenne : c’est tellement évident qu’on ne comprend pas pourquoi Julien Ries hésite à se prononcer sur ce point. Dans une deuxième partie, il est question de Mani et du symbolisme de l’eau. La position doctrinale de Mani à l’égard de l’eau est examinée tout particulièrement. Il est constaté d’abord que dans les deux derniers textes du CMC, précédemment présentés, Mani s’attaque au rituel et non pas à l’eau – c’est en effet le geste de l’ablution qui est dénoncé comme maléfique, car il s’agit d’une agression à l’égard de l’eau. À des fins démonstratives, deux passages du CMC sont encore analysés. Dans un premier long développement, à tendance théologique (CMC 45, 1-72, 7), consacré à la description de la révélation céleste et de sa transmission au cours de l’histoire, le message de Mani est comparé à « des eaux lumineuses qui donnent la croissance » (CMC 63, 12). Cette formule est composée à partir d’une symbolique double : celle de la croissance et celle de la lumière. Pour Julien Ries, il est clair que cette formule reflète une attitude très favorable à l’égard de l’eau qui est source de salut. Si Mani, refuse les ablutions c’est parce qu’elles souillent les eaux lumineuses, 113.  H.-C.  P uech, Le manichéisme. Son fondateur – Sa doctrine, Paris, 1949 et H.-C.  P uech, Sur le manichéisme et autres essais, Paris, 1979.

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CHAPITRE III

les eaux de la lumière, elles les transforment en eaux ténébreuses, les eaux de la ténèbre. Dans un second long développement, à tendance polémique (CMC 79, 13-93, 20), une formulation radicale de la doctrine de Mani est donnée : « La pureté dont il est écrit est la pureté de la connaissance, à savoir la séparation de la Lumière et de la Ténèbre, de la mort et de la vie, des eaux vivantes et des eaux mortes » (CMC 84, 9b-16a). Julien Ries utilise le terme « gnose », sans le traduire, et non pas le terme « connaissance » – pourtant ce dernier paraît plus exact. Pour Julien Ries, l’exégèse des deux expressions « eaux lumineuses » et « eaux vivantes » (CMC 84, 15-16) éclairent la pensée de Mani. À savoir : l’eau renferme une âme vivante et lumineuse que l’homme ne doit ni blesser ni souiller. Selon lui, si Mani rejette radicalement la purification par les ablutions corporelles c’est pour s’en tenir à la purification par les ablutions spirituelles, et il ajoute : « celle qui est opérée par la Gnose ». Dans une dernière partie, la thèse que l’eau est le reflet du salut gnostique est développée. Julien Ries se demande si, dans la doctrine manichéenne, l’eau n’a pas un rôle direct à jouer quant au mystère du salut. Il pense trouver la réponse à cette question dans le Kephalaion CI du Livre I (Berlin). L’explication est limitée aux deux diadoques, Tôchme (= Appel) et Sôtme (= Écoute), symbolisés par le mirage qu’est la position du corps de l’homme se réfléchissant dans l’eau. La fonction de ces deux personnages mythiques est de purifier la Lumière. Pour ce chercheur, ces deux hypostases sont la mise en route du salut gnostique. Dans le manichéisme, elles ont joué un rôle essentiel au cours du combat de la Lumière contre la Ténèbre qui l’envahit. Par rapport au CMC, dans les Kephalaia, toujours pour Julien Ries, l’eau a une place importante : elle est le reflet du dialogue gnostique du salut et un signe sur la route des Élus et des Auditeurs. Dans la conclusion, il résume sa position de la manière suivante : « Si Mani rejette totalement le ritualisme des ablutions de l’homme et des aliments, par contre il accorde une grande importance à l’eau ». Pour lui, l’eau a « une fonction dans la croissance, une symbolique qui garde tout son sens dans le salut par la Gnose, car l’âme de l’eau est composée de Lumière », et il termine en estimant que l’eau « est le reflet du dialogue gnostique du salut, à l’œuvre dans le cosmos ». Si l’on fait abstraction du paramètre gnostique, qui n’est nullement nécessaire à la démonstration de Julien Ries, la thèse proposée, quant à la position doctrinale de Mani et de la première génération de manichéens vis-à-vis de l’eau, paraît fondée. Mani ne s’est pas véritablement opposé à l’eau, mais plutôt aux ablutions des aliments et des corps, qui, selon lui, la souillent. La seule purification préconisée par Mani est celle de l’âme. La qualification « gnosticisme » proposée par ce critique repose essen-

LE MANICHÉISME

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tiellement sur le dualisme. En effet, dès qu’il y a une opposition de type dualiste, l’auteur considère qu’il s’agit d’une caractéristique gnostique. Or, s’il est certain que le manichéisme a été gnostique, ce n’est du moins pas dans le sens grec de l’appellation. Il est vrai que la doctrine manichéenne a reposé sur la connaissance et sur l’élévation de l’âme par la connaissance, mais cette connaissance n’a nullement été salvifique. Le manichéisme est une tradition religieuse dualiste et cosmique qui prétend libérer la Lumière retenue par la Ténèbre, mais il est difficile de dire, avec Julien Ries, que seule la gnose est capable d’opérer le salut. Quoi qu’il en soit, les caractéristiques doctrinales du manichéisme reposent plus sur les perspectives apocalyptiques répondant à l’imaginaire araméen que sur les perspectives gnostiques relevant de l’imaginaire grec. La conception de la divinité dans le manichéisme n’est pas facile à étudier, étant donné la diversité des sources et une certaine complexité dans ses représentations qui sont d’ordre cosmologique 114 . Globalement, elle est empreinte de dualisme et teintée de gnosticisme 115, qui lui donne une vision élitiste produite par un certain ésotérisme 116. Elle est assez éloignée de la conception dite « monothéiste » du judaïsme et du christianisme, au point qu’on parle du « panthéon » manichéen 117. Pour échapper à l’alternative dithéisme-monothéisme, Guy Monnot observe que le dualisme manichéen est « un monisme clivé, qui postule l’unité verticale rigoureuse : ce qui n’a pas toutes les qualités d’un principe doit découler d’un autre principe » 118. Cinq éléments composent souvent la divinité manichéenne : le Père, les douze éons, les éons des éons, l’air vivant, la terre de lumière 119 – la divi114. À ce sujet, voir M. Tardieu, « La conception de Dieu dans le manichéisme », dans R. van den Broeck – T. Barada – J.  M ansfeld (Éd.), Knowledge of God in the Graeco-Roman World, Leyde, 1988, p. 262-270. 115.  À ce sujet, voir C. Giuffré Scibona, « How Monotheistic is Mani’s Dualism ? Once More on Monotheism and Dualism in Manichaean Gnosis », dans Numen 48 (2001), p. 444-467. Voir aussi G.G. Stroumsa, « König und Schwein. Zur Struktur des manichäischen Dualismus », dans J. Taubes (Éd.), Gnosis und Politik, Paderborn, 1984, p. 141-153 (= « Le roi et le porc : de la structure du dua­ lisme manichéen », dans G.G. Stroumsa, Savoir et salut, Paris, 1992, p. 243-258). 116.  À ce sujet, voir G.G. Stroumsa, « Esoterism in Mani’s Thought and Background », dans L.  Cirillo (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 153-168 (= « L’ésotérisme dans le passé et l’univers de Mani », dans G.G. Stroumsa, Savoir et salut, Paris, 1992, p. 227-242). 117. À ce sujet, voir M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 94-112 ; 19972 , p. 93-111. 118.  G.  Monnot, Penseurs musulmans et religions iraniennes. `Abd al-Jabbar et ses devanciers, Le Caire-Beyrouth, 1974, p. 184, n. 4. 119. Voir C.R.C. A llberry, Manichaean Manuscripts in the Chester Beatty Collection. Volume II. A  Manichaean Psalmbook, Part II, Stuttgart, 1938, p. 9, 12-16.

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nité est un ensemble et aucune partie ne peut être dissociée du tout. Cette divinité suprême est perceptible par les manichéens à travers des catégories spatiales : elle occupe un espace bien défini au sommet de l’univers, elle est coextensive à cette espace. Ce qui marque le plus la doctrine manichéenne est une prophétologie qui est extrêmement personnalisée. Une prophétologie qui provient de l’apocalyptique chrétienne d’origine judéenne et dont le point d’aboutissement sera le Coran. C’est ainsi qu’on est passé de la thématique du Verus Propheta chrétienne d’origine judéenne qu’on rencontre dans la littérature chrétienne, à celle du Sceau des Prophètes qui est attestée aussi bien dans le manichéisme que dans la nouvelle « religion » fondée par Mahomet. D’un point de vue plus strictement doctrinal, l’influence du christianisme sur le manichéisme n’est pas sans poser un certain nombre de problème : elle est souvent discutée et peut apparaître comme discutable 120. C’est notamment le cas du rôle de Jésus ou de Paul qui sont souvent nommés dans les textes manichéens conservés en copte 121, parfois en grec. Il est toutefois difficile de considérer que le rôle de Jésus ou de Paul ainsi que les éléments chrétiens aient constitué le noyau du manichéisme – ils ont été l’objet d’une récupération à des fins missionnaires. La liturgie manichéenne est focalisée sur la passion de Mani qui a été commémorée pendant un mois de jeûne de trente jours. La fête du Bêma suit le jour de sa mort, tombant le trentième jour de ce mois ou le premier jour du mois suivant 122 . Le calendrier rituel manichéen comprend donc cinq jeûnes de deux jours chacun, un jeûne d’un mois et la fête du Bêma 123. Pour reconstituer la liturgie manichéenne, on dispose d’une documentation diverse et variée retrouvée parmi des textes en copte, en iranien et en chinois, dont beaucoup ont été publiés, mais d’aucun ouvrage de synthèse.

120. Voir par exemple J.K.  Coyle , « The Cologne Mani-Codex and Mani’s Christian Connections », dans Église et théologie 10 (1979), p. 179-193. 121.  À ce sujet, voir M. Franzmann, Jesus in the Manichaean Writings, Londres-New York, 2003. 122. Voir J.  R ies , « La fête du Bêma, solennité pascale de l’Église de Mani », dans C.  Cannuyer – J. R ies – A. Van Tongerloo (Éd.), La fête dans les civilisations orientales, Bruxelles-Louvain-la-Neuve, 1997, p. 135-145 (= L’Église gnostique de Mani, Turnhout, 2011, p. 179-189). 123. Voir W.B. H enning, « The Manichaean Fasts », dans Journal of the Royal Asiatic Society, 1945, p. 146-164 (= Selected Papers, II, Leyde, 1977, p. 205-223).

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III.5. C onclusion Au terme de cette présentation générale du manichéisme, forcément trop réductrice, car dès lors plus succinctes, une question fondamentale doit être posée : le manichéisme, à ses débuts, a-t-il été influencé par l’apocalyptique de la culture araméenne ou par le gnosticisme de la culture grecque ? Les critiques sont partagés en la matière. Il est possible qu’il faille ne pas choisir entre ces deux orientations d’autant qu’elles ne sont pas nécessairement pertinentes, car l’apocalyptique comme le gnosticisme relèvent de ce que l’on appelle le mysticisme au sens large, la distinction étant ensuite une question culturelle. Quoi qu’il en soit, c’est en fonction de deux paramètres, à savoir l’apocalyptique ou le gnosticisme – auxquels on pourrait ajouter celui des influences mazdéennes et des influences bouddhiques –, que les études manichéennes devraient s’orienter afin de pouvoir répondre à cette question. Autre question : le manichéisme est-il une forme de religiosité iranienne comme on l’a pensé durant longtemps 124 ou une forme de religiosité issue du judaïsme et du christianisme ? C’est la mise au jour des documents manichéens en copte réalisée en Égypte, qui a conduit, à de rares exceptions près 125, à un changement de paradigme 126. Après la découverte du CMC et de la Vita Mani, le manichéisme a été considéré de manière plus affirmée comme une religiosité ayant ses origines dans l’elkasaïsme, qui est une forme plutôt hétérodoxe ou minoritaire du judaïsme chrétien 127. Il apparaît de plus en plus évident en effet que le manichéisme s’est développé sur les fondements d’une culture et d’un imaginaire araméens et iraniens, qui ont coexisté en Babylonie. Sans compter que les récentes recherches sur le Livre des Géants, dans sa recension manichéenne, montrent que les bagages « juifs » du manichéisme ne sont pas négli-

124. Voir F.C. Burkitt, The Religion of Manichees, Cambridge, 1925 ; G. Widen­Mani and Manichaeism, Londres, 1965. 125. Voir G.  Gnoli, De Zoroastre à Mani. Quatre leçons au Collège de France, Paris, 1985. 126. Voir P.  Brown, « The Diffusion of Manichaeism in the Roman Empire », dans Journal of Roman Studies 59 (1969), p. 92-103 ; J. Neusner , « How much Iranian in Jewish Babylonia ? », dans Journal of the American Oriental Society 95 (1075), p. 184-190. 127. Pour une résurgence de l’origine iranienne du manichéisme, voir A.  de Jong, « A quodam Persa exstiterunt. Re-Orienting Manichaean Origins », dans A. Houtman – A.  de Jong – M.  M isset-van de Weg (Éd.), Empsychoi Logoi – Religious Innovations in Antiquity. Studies in Honour of Pieter Willem van der Horst, Leyde-Boston, 2008, p. 81-106. gren,

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CHAPITRE III

geables – même s’il s’agit d’un judaïsme hétérodoxe aux tendances mystiques extrêmement marquées 128. Ce qui ne l’a pas empêché de s’étendre, surtout dans l’empire romain, en se faisant passer pour une forme de christianisme, au point que ses adeptes ont souvent eu le sentiment d’appartenir à une spécificité chrétienne. Dernière question et non des moindres : le manichéisme a-t-il été une religiosité des élites commerciales et politiques ? L’exemple, certes tardif, de la conversion des élites ouïgoures de Sogdiane tendrait à le prouver. En effet, peu de Sogdiens se sont convertis au manichéisme, même à la suite de la conversion, pour des raisons de politique étrangère, de Mo-Ho en 761, le Kayan ouïgour. Le manichéisme en Sogdiane est toujours demeuré la religiosité d’une « classe fermée » : celle des marchands, puis celle des ambassadeurs qui ont été des missionnaires par devoir au service de l’empire ouïgour 129. Peut-on généraliser et affirmer que le manichéisme n’a pas touché les classes populaires ou déshéritées des sociétés qu’il a pénétrées ? Étant donné le niveau intellectuel très élevé des textes manichéens connus, on a l’impression que cette religiosité a été réservée aux élites, tant en Orient qu’en Occident – une sorte de « club » fermé. De fait, seules des études anthropologiques et sociologiques précises, peu nombreuses ou quasiment inexistantes actuellement, pourraient permettre de répondre clairement à cette question.

128.  Voir notamment J.C. R eeves , Jewish Lore in Manichaean Cosmogony. Studies in the Book of Giants Traditions, Cincinnati/Ohio, 1992. 129. À ce sujet, voir X. Tremblay, Pour une histoire de la Sérinde. Le manichéisme parmi les peuples et religions d ’A sie centrale d ’après les sources primaires, Vienne, 2001, p. 97-122. Voir aussi É. de la Vaissière , Histoire des marchands sogdiens, Paris, 2004.

Chapitre IV

ÉTUDE LITTÉRAIRE ET HISTORIQUE DES DIVERSES NOTICES RELATIVES AUX « BAPTISTES » DANS LA VITA M ANI : CMC 79, 13-107, 23 On procède en quatre étapes dont la première et la deuxième sont une introduction qui consiste en une présentation générale de la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne (CMC) et un préliminaire qui repose sur une étude du récit de la vision des eaux noires dont a bénéficié Mani avant sa rupture avec sa communauté d’origine et avant sa fondation d’une nouvelle communauté. Ce n’est qu’ensuite, dans une troisième et une quatrième étape, qu’on propose une traduction et une annotation de CMC 79,  13-107,  23 qui est le récit des relations de plus en plus conflictuelles entre les baptistes et Mani. Ce récit contient, en effet, des informations fondamentales sur cette communauté dont on postule qu’elle est elkasaïte. IV.1. I n t roduct ion  : pr é se n tat ion gé n é r a l e de l a Vi ta M a n i du CMC  1 La Vita Mani, intitulée ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ, « Sur la naissance (ou la croissance) de son corps », est une biographie de l’enfance et de la jeunesse, plus que de la naissance, du fondateur du manichéisme. Il s’agit d’un document, retrouvé dans ce que l’on appelle le Codex Manichaicus Coloniensis (CMC), qui est à considérer comme un document fondamental pour comprendre l’évolution spirituelle de Mani dans son milieu d’origine jusqu’à sa décision, à la suite d’un conflit, de rompre avec son groupe religieux pour fonder une nouvelle religiosité.

1.  À partir de S.C.  M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 308-316. Voir aussi W. Sundermann, « Cologne Mani Codex », dans Encyclopaedia Iranica VI (1992), p. 43-46 (http://www.iranicaonline.org/ articles/cologne-mani-codex-parchment).

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CHAPITRE IV

I. Éléments d’approche textuelle La Vita Mani n’est actuellement accessible que dans une traduction grecque, réalisée sans doute à partir d’un original araméen. Pourtant, l’analyse philologique a conduit Albert Henrichs et Ludwig Koenen à considérer que l’original a été vraisemblablement rédigé en syriaque 2 . On aurait cependant intérêt, en affinant l’analyse, notamment celle concernant les termes techniques, à s’orienter plutôt vers un original araméen, et même, de manière plus précise, vers un original en araméen oriental ou babylonien. Ce dialecte, il est vrai, est aussi mal que peu attesté dans les sources littéraires, mais il a dû être assez proche du judéo-araméen babylonien, en revanche bien attesté, notamment par le Talmud de Babylone. En tout cas, sans nul doute, l’araméen oriental a été la langue de Mani, ou du moins une des langues dans lesquelles il a dû s’exprimer. La Vita Mani pourrait aussi avoir été partiellement attestée dans une traduction copte, qui aurait été retrouvée dans un lot important de manuscrits manichéens provenant de Madinat Madi, dans le Fayoum, en Égypte 3. Malheureusement ce codex, inédit, conservé alors à Berlin, semble avoir été perdu ou détruit en 1945, à la suite de la Seconde Guerre mondiale – il s’agit du Codex de Berlin P 15997. Selon toute apparence, il ne subsisterait, outre celui conservé à Dublin 4 , que neuf feuillets, dont huit seraient encore à Berlin et un à Varsovie : il serait peut-être envisageable maintenant de rechercher à Leningrad, l’actuelle Saint Petersburg, les autres feuillets si vraiment ils existaient. Ces feuillets seraient tout ce qui subsisterait des Actes (Praxeis) concernant les récits de la « passion » de Mani et des débuts de l’Église manichéenne en cours de publication par Wolf-Peter Funk – autrement exprimé, la suite des récits figurant dans le CMC. 2. Voir A.  H enrichs – L. Koenen, « Ein griechischer Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780) », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 5 (1970), p. 104105. Outre A. H enrichs – L. Koenen, « Ein griechischer Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780) », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 5 (1970), p. 104-105, l’hypothèse de l’origine araméenne a été discutée par R. Koebert, « Orientalische Bemerkungen zum Kölner Mani-Codex », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 8 (1971), p. 243-247 ; A. H enrichs , « Mani and the Babylonian Baptists : a Historical Confrontation », dans Harvard Studies in Classical Philology 77 (1973), p.  35-39 ; A. H enrichs , « The Cologne Mani Codex Reconsidered », dans Harvard Studies in Classical Philology 83 (1979), p. 352-353 ; A. Böhlig, « Der Synkretismus des Mani », dans A. Dietrich (Éd.), Synkretismus im syrisch-persischen Kulturgebiet, Göttingen, 1975, p. 149-150. 3. Voir C.  Schmidt, « Neue Originalquellen des Manichäismus in Ägypten », dans Zeitschrift für Kirchengeschichte 52 (1933), p. 1-33. 4. Voir S. Giversen, Manichaean Coptic Papyri in the Chester Beatty Library, II, Genève, 1986, pl. 88-100.

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On possède aussi quelques fragments dispersés relatifs à une Vita Mani qui ont été retrouvés en Sérinde (Asie centrale) et conservés en moyenperse, persan et parthe, mais qui porte plus sur la mission et la mort que sur les débuts 5. Le grec de la Vita Mani, qui est donc le produit d’une traduction, ressemble au grec de la Septante ou du Nouveau Testament. On y rencontre aussi plusieurs mots attestés dans la littérature grecque d’origine païenne et dans celle d’origine manichéenne. Le Codex Manichaicus Coloniensis, qui contient la Vita Mani, est un cahier de parchemin de très petit format (38 × 45 mm), dont le texte écrit est encore plus petit (25 × 38 mm), le plus petit format connu à ce jour (c’est la taille d’une petite boîte d’allumettes !). Il contient 192 pages de 23 lignes chacune : les 24 premières pages et les 76 dernières pages sont soit fragmentaires, soit illisibles. D’un point de vue paléographique, le CMC est daté par la plupart des critiques de la fin du iv e siècle ou du début du v e siècle : le iv e siècle correspond mieux à ce que l’on sait de l’histoire des manichéens en Égypte, d’où la version grecque de la Vita Mani est originaire – en effet, après cette époque, le manichéisme, à la suite de persécutions de la part des chrétiens, n’est plus attesté dans ce pays 6. Quoi qu’il en soit, il paraît impossible de prendre en considération la date du ix e siècle proposée par B.L.  Fonkič et F.B.  Poljakov 7 – datation qui se fonde sur une comparaison avec des manuscrits grecs onciaux du ix e siècle, de caractère liturgique, qui sont originaires de la Palestine. Le Codex Manichaicus Coloniensis aurait été retrouvé dans un lot de manuscrits et de papyrus en provenance d’une tombe d’Oxyrhynque en Égypte, l’antique Pimazi et l’actuelle al-Bahnasa, mais son lieu de provenance pourrait être aussi Asyout (Lycopolis) 8. En tout cas, sa provenance exacte reste inconnue, étant donné qu’il a été amené sur le marché des antiquités par un collectionneur privé de Louxor. Il est conservé à la Bibliothèque de l’Université de Cologne en Allemagne, qui l’a acquis en 1968, d’où son appellation traditionnelle de « Codex Manichéen de Cologne » (pour le français) ou de « Cologne Mani Codex » (pour l’anglais).

5.  Voir X. Tremblay, Pour une histoire de la Sérinde. Le manichéisme parmi les peuples d ’A sie centrale d ’après les sources primaires, Vienne, 2001, p. 237. 6.  À ce sujet, voir E.G. Turner – P.J. Parsons , Greek Manuscripts of the Ancient World, Londres, 1987, p. 129 (notice n° 83). 7. Voir B.L.  Fonkič – F.B.  Poljakov, « Paläographische Grundlagen der Datierung des Kölner Mani-Kodex », dans Byzantinische Zeitschrift 73 (1990), p. 22-30. 8.  À ce sujet, voir L. Koenen, « Zur Herkunft des Kölner Mani-Codex », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 11 (1973), p. 240-241.

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CHAPITRE IV

Pour la petite histoire, relevons que le CMC a été déposé un temps à l’Institut français d’archéologie orientale du Caire pour expertise à des fins d’achat. Mais, faute de moyens financiers, il n’a pu être acquis. En 1969, à Vienne en Autriche, Anton Fakelmann et Albert Henrichs ont identifié de manière remarquable le codex comme étant d’origine manichéenne 9. En 1970, Albert Henrichs et Ludwig Koenen ont donné une toute première analyse du contenu de ce codex dans la Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 10. De 1975 à 1982, en quatre livraisons, Albert Henrichs et Ludwig Koenen ont édité le texte grec de la Vita Mani, accompagné d’une traduction allemande, qui a été fort bien introduit et annoté 11. L’édition photographique et diplomatique de cette Vie de Mani a été ensuite publiée en 1985 par Ludwig Koenen et Cornelia Roemer 12 . Une nouvelle édition, critique, accompagnée d’une traduction allemande a été encore publiée par les mêmes Ludwig Koenen et Cornelia Roemer en 1988 13. Il convient également de se référer aux très nombreuses contributions, sous forme de notules, dues à Reinhold Merkelbach, et publiées dans la Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik de 1984 à 1988 14 . Ces notes 9. Le récit de l’identification du codex est raconté par A. H enrichs , « The Cologne Mani Codex Reconsidered », dans Harvard Studies in Classical Philology 83 (1979), p. 342-349. 10.  A. H enrichs – L. Koenen, « Ein griechischer Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780) », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 5 (1970), p. 97-217. 11.  A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). Edition der Seiten 1-72 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 19 (1975), p. 1-85 ; A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 87-199 ; A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 99,  10-120 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 44 (1981), p. 201-318 ; A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P.  Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 121-192 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 48 (1982), p. 1-59. 12.  L. Koenen – C. Roemer , Der Kölner Mani-Kodex. Abbildungen und diplomatischer Text, Bonn, 1985. 13.  L. Koenen – C. Roemer , Der Kölner Mani-Kodex. Ueber das Werden seines Leibes. Kritische Edition, Opladen, 1988. 14. Voir R.  M erkelbach, « Manichaica (1-3) », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 56 (1984), p. 45-54 ; R.  M erkelbach, « Manichaica (4) », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 57 (1984), p. 73-78 ; R.  M erkelbach, « Manichaica (5-6) », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 58 (1985), p.  55-58 ; R.  M erkelbach, « Manichaica (7) », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 63 (1986), p. 303-304 ; R.  M erkelbach, « Manichaica (8) », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 64 (1986), p. 53-68 ; R.  M erkelbach, « Manichaica (9) », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 71 (1988),

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apportent d’utiles compléments ou rectificatifs philologiques et historiques au texte alors édité par Albert Henrichs et Ludwig Koenen. En 1985, Luigi Cirillo, Adele Concolino Mancini et Amneris Roselli ont publié une précieuse concordance de la Vita Mani 15. En 2001, Luigi Cirillo, seul, a republié cette concordance corrigée et augmentée 16. À partir de l’édition préliminaire et incomplète publiée par Albert Henrichs et Ludwig Koenen, une traduction anglaise a été réalisée en 1979 par les soins de Ron Cameron et Arthur J. Dewey 17. Cette traduction, de type non scientifique, est partielle : elle se limite aux chapitres 1, 1-99, 9, alors les seuls accessibles à l’époque. Depuis, cinq nouvelles traductions plus ou moins complètes ont été publiées : de Soren Giversen en danois 18, de Ludwig Koenen et Cornelia Roemer en allemand 19, d’Aldo Magris en italien 20, d’Ellen Bardshaw Aitken en anglais 21, de Luigi Cirillo en italien 22 , de Judith M. et Samuel N.C.  Lieu. en anglais 23, de Johannes van Oort et Gilles Quispel en néerlandais 24 , de Fernando Bermejo Rubio et José Montserrat y Torrents en espagnol 25. Enfin, une traduction française, introduite et annotée, est en préparation sous la direction de Michel Tardieu 26.

p.  51-54 ; R. M erkelbach, « Manichaica (10) », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 75 (1988), p. 93-94. 15.  L.  Cirillo – A.  Concolino M ancini – A. Roselli, Codex Manichaicus Coloniensis. Concordanze, Cosenza, 1985. 16.  L.  Cirillo, Concordanze del « Codex Manichaicus Coloniensis », Bologne, 2001. 17.  R.  Cameron – A.J. Dewey, The Cologne Mani-Codex (P. Colon. inv. nr. 4780) « Concerning the Origin of his Body », Missoula/Montana, 1979. 18.  S. Giversen, Jeg Mani, Jesu Kristi Apostel. Religionsstifteren Manis selvbiografi i oversoettelse med indledning og noter, Copenhague, 1987. 19.  L. Koenen – C. Römer , Der Kölner Mani-Kodex. Ueber das Werden seines Leibes. Kritische Edition, Opladen, 1988, p. 2-117. 20.  A.  M agris , Il manicheismo. Antologia dei testi, Brescia, 2000, p. 51-88. 21.  E. Bradshaw A itken, « The Cologne Mani Codex », dans R. Valantasis (Éd.), Religions of Late Antiquitty in Practice, Princeton/New Jersey-Oxford, 2000, p. 161-176. 22.  L.  Cirillo, « La Vita di Mani. Il codice greco di Colonia », dans G. Gnoli (Éd.), Il manicheismo, I. Mani e il manicheismo, Milan, 2003, p. 38-127. 23.  J.M.  Lieu – S.N.C.  Lieu, « The Life of Mani », dans I. Gardner – S.N.C.  Lieu (Éd.), Manichaean Texts from the Roman Empire, Cambridge, 2004, p. 46-108. 24.  J.  van Oort – G. Quispel , De Keulse Mani-Codex, Amsterdam, 2005. 25.  F. Bermejo Rubio – J. Montserrat y Torrents , El Maniqueísmo, II. Textos y Fuentes, Madrid, 2008, p. 73-124. 26.  On trouve cependant une traduction française des passages concernant les elkasaïtes dans L.  Cirillo, « Livre de la Révélation d’Elkasaï », dans F. Bovon – P. Geoltrain (Éd.), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, 1997, p. 864-872.

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CHAPITRE IV

Le débat scientifique sur le texte et sa compréhension se poursuit toujours, même si une édition critique définitive manque encore. La compréhension du titre même de la Vita Mani, περὶ τῆς τοῦ σώματος αὐτοῦ, qui figure sur les doubles pages, divise les critiques : selon certains, il est fait référence au corps physique de Mani et le mot grec γέννα peut être traduit par « naissance » ; selon d’autres, il est fait référence à une thématique paulinienne et ainsi que Paul dans ses lettres décrit l’Église chrétienne comme le corps du Christ, de même ici l’Église manichéenne est décrite comme le corps de Mani. La majorité des chercheurs, actuellement, se rallient à la première proposition – celle retenue ici – qui est plus en rapport avec ce que l’on sait par ailleurs du manichéisme. Ludwig Koenen, qui a défendu d’abord une compréhension plutôt christianisante 27, est revenu ensuite à une compréhension plutôt manichéisante 28. En tout état de cause, le terme γέννα doit être plutôt compris comme « croissance » et non comme « naissance » 29 et le terme σῶμα peut être compris non seulement comme le corps physique de Mani, mais aussi comme le corps spirituel de l’Église manichéenne. Quoi qu’il en soit, le nom de Mani n’y est mentionné nulle part. Les études sur le CMC sont très nombreuses comme le montre déjà le relevé établi et publié en 1996 par Johannes van Oort 30. Parmi elles, il faut signaler les plus importantes, notamment celles parues sous la signature d’Albert Henrichs et Ludwig Koenen dans des revues comme la Harvard Studies in Classical Philology et la Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 31.

27.  L. Koenen, « Das Datum der Offenbarung und Geburt Manis », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 8 (1971), p. 250. 28.  L. Koenen, « Augustin and Manichaeism in Light of the Cologne Mani Codex », dans Illinois Classical Studies 3 (1978), p. 164-166 et L. Koenen, « How Dualistic is Mani’s Dualism », dans L. Cirillo (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del secondo simposio internazionale (Cosenza 27-28 maggio 1988), Cosenza, 1990, p. 19-20. 29.  On doit cette précision à une suggestion de Wolf-Peter Funk. 30.  J.  van Oort, « The Study of the Cologne Mani Codex, 1969-1994 », dans Manichaean Studies Newletter 13 (1996), p. 22-30. 31. Seuls les principaux travaux de ces auteurs sur ce sujet sont cités ici : A. H enrichs , « Mani and the Babylonian Baptists : a Historical Confrontation », dans Harvard Studies in Classical Philology 77 (1973), p. 23-59 ; A. H enrichs , « The Cologne Mani Codex Reconsidered », dans Harvard Studies in Classical Philology 83 (1979), p. 339-367 ; L. Koenen, « Das Datum der Offenbarung und Geburt Manis », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 8 (1971), p. 247250 ; L. Koenen, « Zur Herkunft des Kölner Mani-Kodex », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 11 (1973), p. 240-241.

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Même s’ils sont extrêmement gauchis par le paramètre du gnosticisme, il convient toutefois de souligner que les nombreux travaux de Julien Ries sur la question sont toujours utiles à consulter 32 . On doit aussi ne pas manquer de consulter les actes des trois symposiums internationaux, organisés en 1984, en 1988 et en 1993 par Luigi Cirillo à Rende-Amantea et à Cosenza, sur le Codex Manichaicus Coloniensis, qui constituent de très riches recueils de contributions sur la question 33. 32.  Pour la plupart, on les trouve maintenant réunis dans deux recueils : J. R ies , L’Église gnostique de Mani, Turnhout, 2011 et J. R ies , Gnose, gnosticisme et manichéisme, Turnhout, 2011. Voir toutefois J. R ies , « Enfance et jeunesse de Mani à la lumière des documents récents », dans L’enfant dans les civilisations orientales, Louvain, 1980, p. 133-143 (= Gnose, gnosticisme et manichéisme, Turnhout, 2011, p. 427-437) ; J. R ies , « La doctrine de l’âme du monde et des trois sceaux dans la controverse de Mani avec les Elchasaïtes », dans L.  Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 169-181 (= L’Église gnostique de Mani, Turnhout, 2011, p. 103-114) ; J. R ies , « Aux origines de la doctrine de Mani. L’apport du Codex Mani », dans Le Muséon 100 (1987), p. 283-295 (= Gnose, gnosticisme et manichéisme, Turnhout, 2011, p.  438-449) ; J. R ies , « La formation de la pensée manichéenne. De l’elkasaïsme à la gnose », dans Studia Patristica XIX, Louvain, 1989, p. 328-334 (= Gnose, gnosticisme et manichéisme, Turnhout, 2011, p. 450-456) ; J. R ies , « Saint Paul dans la formation de Mani », dans J. R ies – F. Decret – W.H.C. Frend – M.G.  M ara (Éd.), Le epistole paoline nei manichei, i donastisti e il primo Agostino, Rome, 1989, p. 479-499 (= Gnose, gnosticisme et manichéisme, Turnhout, 2011, p. 479-499) ; J. R ies , « Le rite baptismal elkasaïte et le symbolisme manichéen de l’eau », dans Instrumenta Patristica XXIII, Steenbrugge, 1991, p. 367-378 (= L’Église gnostique de Mani, Turnhout, 2011, p. 167-178) ; J. R ies , « Le Codex de Cologne et les débuts de l’enseignement de Mani », dans G. Wiessner – H.-J. K limkeit (Éd.), Studia Manichaica, II. Internationaler Kongress zum Manichäismus, 6.-10. August 1989, St. Augustin/Bonn, Wiesbaden, 1992, p. 167-180 (= Gnose, gnosticisme et manichéisme, Turnhout, 2011, p. 500-511) ; J. R ies , « L’émergence de la figure prophétique de Mani selon le Codex de Cologne (CMC) », dans Studia Patristica XXIV, Louvain, 1993, p. 399-405 (= Gnose, gnosticisme et manichéisme, Turnhout, 2011, p.  457-463) ; J. R ies , « La figure prophétique de Mani et les origines de sa doctrine à la lumière des Kephalaia coptes et du Codex de Cologne », dans S. Giversen – M. K rause – P. Nagel (Éd.), Coptology : Past, Present and Future. Studies in Honour of Rodolphe Kasser, Louvain, 1994, p. 109-121 (= Gnose, gnosticisme et manichéisme, Turnhout, 2011, p. 464-478) ; J. R ies , « Baraiès le Didascale dans le Codex Mani. Nature, structure et valeur de son témoignage sur Mani et sa doctrine », dans L.  Cirillo – A.  van Tongerloo (Éd.), Atti del terzo congresso internazionale di studi « Manicheismo e oriente cristiano antico ». Arcavacata di Rende – Amantea, 31 agosto – 5 settembre 1993, Louvain-Naples, 1997, p. 305-311. 33.  L.  Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986 ; L.  Cirillo (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del secondo simposio internazionale (Cosenza 27-28 maggio 1988), Cosenza, 1990 ; L.  Cirillo – A.  van Tongerloo (Éd.), Atti del terzo congresso internazionale di studi « Manicheismo e oriente cri-

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CHAPITRE IV

II. Éléments d’approche littéraire La Vita Mani est un document de première importance pour la connaissance du manichéisme à ses débuts, et surtout pour la connaissance du fondateur de cette nouvelle religiosité  3 4 . Ce document est d’un intérêt tout particulier : la biographie de Mani, qui y est proposée, s’attache aux années de sa formation, de quatre à vingt-quatre ans. C’est évidemment une biographie idéalisée de l’enfance et de la jeunesse de Mani, ayant même parfois l’allure d’une autobiographie. En effet, souvent le compilateur et les traditionnistes donnent la parole à Mani pour lui faire raconter divers épisodes de sa vie et pour l’entendre dialoguer avec les baptistes elkasaïtes devenus ses adversaires et contradicteurs. Il ne rapporte cependant pas une biographie authentique, car il ne donne aucunement une chronologie des gestes et des paroles de Mani dans leur totalité. Il éclaire uniquement certains épisodes de sa vie : son enfance, sa jeunesse, sa culture, sa pensée et les débuts de sa mission hors de son groupe d’origine. Il fournit notamment des informations sur une première et une seconde révélation qu’est censé avoir reçue Mani de son σύζυγος, « jumeau », à douze et à vingt-quatre ans. Il donne ainsi accès à de précieux renseignements sur la jeunesse de Mani au milieu d’une communauté de baptistes à laquelle son père s’est converti lorsque lui-même est âgé de quatre ans. De ce dernier point de vue, il fournit des informations uniques sur les parents du fondateur de la religiosité manichéenne, tout particulièrement sur son père appelé Pattikios, forme grécisée de l’iranien Pattig ou Patteg et de l’araméen Patiq – ces informations corroborent celles que fournit au x e siècle (377 H / 987) Mohammed Ibn an-Nadim dans son al-Fihrist dont les notices concernent d’une part, les manichéens et d’autre part, les mughtasila – ces derniers étant généralement identifiés aux elkasaïtes 35.

stiano antico ». Arcavacata di Rende – Amantea, 31 agosto – 5 settembre 1993, Louvain-Naples, 1997. 34. Au sujet de l’importance de la Vita Mani pour les études manichéennes, voir K. Rudolph, « Die Bedeutung des Kölner Mani-Codex für Manichäismusfor­ schung », dans Mélanges d ’Histoire des Religions offerts à Henri-Charles Puech, Paris, 1974, p. 471-486 et A. Böhlig, « Die Bedeutung des CMC für den Manichäismus », dans L.  Cirillo (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del secondo simposio internazionale (Cosenza 27-28 maggio 1988), Cosenza, 1990, p. 35-56. 35.  À ce sujet, voir F.  de Blois , « New Ligh on the Sources of the Manichaean Chapter of the Fihrist », dans A.  van Tongerloo – L.  Cirillo (Éd.), Il manicheismo. Nuove prospettive della ricerca. Dipartimento di Studi Asiatici, Università degli Studi di Napoli « L’Orientale ». Napoli, 2-8 settembre 2001, Louvain-Naples, 2005, p. 37-45.

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Enfin, on y rencontre relatées les premières expéditions missionnaires de Mani après sa rupture définitive avec sa communauté d’origine 36. On trouve des éléments narratifs relativement similaires dans les Synaxeis, recueil copte d’exégèse des paroles de Mani et de citations commentées de ses ouvrages, notamment dans certains fragments du Codex de Berlin P 15995 (383, 12-23 = Serie 1955, fol. 6 vert ; 383, 10-26 = Serie 1955, fol. 2 hor ; 379 = Serie 1955, fol. 8 vert ; 422 = Serie 1, 1951, fol. 12 hor) où il est notamment question du conflit avec les baptistes et de sa séparation avec son groupe d’origine – des passages qui pourraient être des citations de l’Évangile Vivant 37. La Vita Mani du CMC est sans aucun doute un écrit hagiographique dans lequel les éléments historiques sont difficiles à distinguer des éléments traditionnels. Il existe d’ailleurs une autre biographie de Mani dans le Kephalaion  I du Livre I (Berlin), en copte, où il est présenté comme le « sceau des messagers du salut » 38. Outre ces deux vies de Mani, proprement manichéennes, il convient d’en mentionner une autre qui, elle, est de provenance chrétienne : il s’agit de celle rapportée dans les Acta Archelai qui est mise en scène selon des schémas hérésiologiques 39. En somme, la Vita Mani du CMC est une compilation qui a été rédigée, peu après la mort de Mani, vers la fin du iii e siècle ou le début du iv e siècle, à partir de traditions mises sous la garantie de certains disciples du fondateur parfois connus par ailleurs : Salmaios l’Ascète (cité dans un rituel grec d’abjuration comme un des douze apôtres de Mani) ; Baraïes le Maître (un apologiste réputé connu dans les Actes où un passage est rapporté sous son nom) ; Timothée, Abiesou le Maître ; Innaios le frère de Zabed (ces trois derniers sont connus comme disciples de Mani) ; Zachéas (peut-être le Mar Zachou des textes iraniens) ; Koustaïos le Fils du Trésor de Vie ; Ana le frère de Zachéas le Disciple. De ce grand nombre de traditionnistes différents, certains critiques en ont conclu que Mani a dû avoir pour habitude de parler fréquemment de 36. À ce sujet, voir J. R ies , « Les premiers voyages missionnaires de Mani », dans C.  Cannuyer – J. R ies – A.  van Tongerloo (Éd.), Les voyages dans les civilisations orientales, Bruxelles-Louvain-la-Neuve, 1998, p. 133-142 (= J. R ies , Gnose, gnosticisme et manichéisme, Turnhout, 2011, p. 555-564). 37.  À ce sujet, voir W.-P. Funk , « Mani’s Acount of Other Religions according to the Coptic Synaxeis Codex ». dans J.D. Be Duhn (Éd.), New Light on Manichaeism. Papers from the Sixth International Congress on Manichaeism Organised by the International Association of Manichaean Studies, Leyde-Boston, 2009, p. 115127, spécialement p. 118, p. 120, p. 121, p. 123. 38. Voir S. Demaria, « I capitoli del Maestro (P. Berol. 15996) », dans G. Gnoli (Éd.), Il manicheismo, I. Mani e il manicheismo, Milan, 2003, p. 141-151. 39. Voir M.  Scopello, « Vérités et contre-vérité : la vie de Mani selon les Acta Archelai », dans Apocrypha 6 (1995), p. 203-234.

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CHAPITRE IV

lui-même et de ses expériences surnaturelles à ses disciples les plus proches – lesquels ont ensuite transmis ses propos. On y trouve encore des citations extraites d’œuvres de la première génération manichéenne, voire des extraits de livres rédigés par Mani. C’est ainsi que trois citations de son Évangile ainsi qu’un fragment de son Épître à la communauté d’Édesse y sont réunis. Étant donné la forme autobiographique de la Vita Mani, certains chercheurs ont pensé qu’elle pourrait reposer sur une Grundschrift araméenne remontant à Mani lui-même qui est connu pour écrire en araméen et non en grec. Les sutures rédactionnelles, relevant sans doute du compositeur et non des traditionnistes, semblent pouvoir autoriser, il est vrai, une telle hypothèse. Mais est-ce suffisamment déterminant pour évoquer l’hypothèse d’une Grundschrift qu’on ne pourra jamais réellement mettre au jour ? Observons qu’Albert Henrichs distingue trois étapes successives dans la rédaction de la Vita Mani  4 0. Le niveau le plus ancien est constitué de souvenirs autobiographiques transmis par Mani lui-même à ses disciples. L’étape suivante se fait l’écho de témoignages des premiers. Le niveau le plus récent provient d’un compilateur qui combine les deux sources selon cinq unités thématiques embrassant les vingt-quatre premières années de la vie de Mani, chaque unité étant composée de la même façon : une narration de faits servant à illustrer une expérience religieuse particulière. La première unité (CMC 2-14) concerne l’enfance de Mani et met l’accent sur le miraculeux (visites d’anges, visions, voix, etc.). La deuxième (CMC 14-72), qui décrit le premier « appel » de Mani, est un discours de révélation. La troisième (CMC 72-99), qui raconte la rupture de Mani avec les elkasaïtes appelés « baptistes », est constituée de dialogues et de controverses apologétiques. La quatrième (CMC 99-116), qui expose la rupture définitive consécutive au second « appel », est un discours de révélation. La cinquième (CMC 116-192) relate, avec de nombreuses histoires miraculeuses, les premières activités missionnaires de Mani. On peut dire, en suivant Albert Henrichs que la Vita Mani fournit une structure absolument chiasmatique, dont le noyau est constitué par la troisième unité, celle qui insiste sur la rupture avec les baptistes elkasaïtes. La Vita Mani ne doit probablement pas être considérée comme l’œuvre d’un seul auteur, mais comme celle d’un compilateur réunissant des matériaux composés auparavant par plusieurs traditionnistes, qui ont été des disciples proches de Mani, ou des adeptes de la première heure. Sans compter l’étape de Mani lui-même, il y a donc deux étapes : celle du compilateur et celle des traditionnistes. 40.  A. H enrichs , « Literary Criticism of the Cologne Mani Codex », dans B. L ayton (Éd.), The Rediscovery of Gnosticism, II. Sethian Gnosticism, Leyde, 1981, p. 724-733.

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Il convient de souligner enfin que la perfection de l’écriture de la Vita Mani du CMC est des plus conformes à la meilleure des traditions graphiques manichéennes, fort connues pour leur respect du texte sacré. III. Éléments d’approche historique La Vita Mani du CMC est sans doute plus un livre « bréviaire », comme le pensent Albert Henrichs et Ludwig Koenen, qu’un livre « amulette », comme le soutient Julien Ries. L’Antiquité a certes connu le « petit format », fort pratique pour le transport des livres : comme par exemple le papyrus Oxyrhynque 840, découvert en 1905, qui semble provenir d’un livre miniature du iv e ou du v e siècle, mais que certains considèrent comme une amulette 41. Cependant, il est possible que le compositeur de la Vita Mani ait eu une motivation bien plus existentielle : on sait, en effet, que les édits de persécution contre les manichéens promulgués par Dioclétien en 297 ou en 302 42 et par Valentinien en 372 obligent à livrer à la destruction par le feu tous les écrits originaires de ce groupe. C’est pourquoi, le format du CMC aurait ainsi permis aux missionnaires manichéens, toujours en itinérance, de se déplacer avec cette Vita Mani, sans mettre pour autant leur vie en danger. Un autre élément semble corroborer cette éventualité. On a l’impression que le style de la Vita Mani est « initiatique », en ce sens qu’un pronom personnel, αὐτοῦ, désigne Mani, qui n’y figure jamais, on l’a déjà dit, sous son nom propre. De ce fait, seuls les initiés peuvent savoir de qui il s’agit : il en va d’ailleurs de même dans certains textes chrétiens où Jésus se trouve désigné uniquement par le pronom personnel αὐτος – comme dans l’Évangile selon Pierre – ou par le titre de κύριος – comme dans le Pasteur d’Hermas – ou par le titre de σωτήρ – comme ici. Pareille formulation a pu avoir pour objectif de permettre à l’ouvrage d’échapper aux malfaisants, indiscrets ou étrangers à la religiosité manichéenne, et surtout à la police romaine dont les moyens d’investigation sont largement puissants au iv e siècle, comme cela a été le cas pour des écrits chrétiens comme le Pasteur d’Hermas (du milieu du ii e siècle) où jamais le nom de Jésus ne figure. La découverte de la Vita Mani du CMC présente de l’intérêt pour la connaissance de Mani, pour la connaissance de l’elkasaïsme et pour la connaissance du judaïsme et du christianisme. Elle est aussi sollicitée pour 41. Voir J. Jeremias , Les paroles inconnues de Jésus, Paris, 1970, p. 50-62, p. 102104 et D.A. Bertrand, « Fragments évangéliques », dans F. Bovon – P. Geoltrain (Éd.), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, 1997, p. 407-410. 42.  À ce sujet, voir S.N.C.  Lieu, Manichaeism in the Later Roman Empire and Medieval China : A Historical Survey, Manchester, 19851, Tübingen, 19922 , p. 121, n. 1.

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CHAPITRE IV

la connaissance du mazdéisme – une question dont il ne sera pas question ici 43.

A. Intérêt pour la connaissance de Mani Dans la Vita Mani, on cherche à démontrer que l’inspiration de Mani est le fondement de sa mission et de sa fonction d’envoyé comme porteur de révélations célestes. Les preuves et les étapes de l’inspiration y sont exposées de manière graduelle en deux grands moments : (1) des traditions orales faisant découvrir que visions et signes ont précédé chez Mani la descente et l’apparition de son Jumeau céleste, ange qui lui révèle les « secrets du monde » et lui donne l’ordre à 24 ans de sortir et de voyager afin de transmettre la révélation dont il est porteur ; (2) des traditions écrites qui forment un ensemble d’extraits d’apocalypses judéennes, non connues par ailleurs et attribuées à Adam, Seth, Énosh, Sem, Hénoch  4 4 , de lettres de Paul (Galates [Ga 1, 1 et 1, 11-12] et Corinthiens [2 Co 12, 1-5]) 45 et de livres de Mani lui-même (Lettre à Édesse et Évangile Vivant) – par toutes ces citations ou mentions, toutes du même traditionniste (Baraïes), le compositeur veut indiquer que Mani n’est pas différent de ceux qui, avant lui et comme lui, ont été gratifiés de visions et de révélations, puis les ont mis par écrit. Mani est donc présenté comme un prophète de type « judéo-chrétien » que les lecteurs ou auditeurs sont invités à reconnaître et il est placé dans la chaîne prophétique après Adam, Seth, Énosh, Sem, Hénoch et Paul : il est le sceau des prophètes. C’est un porteur d’un message qui vient du ciel et qui lui est révélé par son « Jumeau céleste » : il entre ainsi dans les catégories du prophétisme que l’on connaît dans le judaïsme et dans le christianisme  4 6 – ce qui n’exclut aucunement qu’il puisse avoir été com43.  À ce sujet, voir A.  de Jong, « The Cologne Mani Codex and the Life of Zara­thoustra », dans G. H erman (Éd.), Jews, Christians and Zoroastrians : Religions Dynamics in a Sassanian Context, Piscataway/New Jersey, 2015, p. 129-147. 44.  À ce sujet, voir D. Frankfurter , « Apocalypses Real and Alleged in the Mani Codex », dans Numen 44 (1997), p. 60-73. Voir aussi M. Philonenko, « Une citation manichéenne du livre d’Hénoch », dans Revue d ’histoire et de philosophie religieuses 52 (1972), p. 227-340. 45.  À ce sujet, voir J.-M. Rosenstiehl , « C.M.C. 60, 13-62, 9 : contribution à l’étude de l’Apocalypse apocryphe de Paul », dans L.  Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 345-354. 46. Voir M.  Tardieu, « Mani et le manichéisme. Le dernier prophète », dans Encyclopédie des religions, I, Paris, 1997, p. 225-230 ; J.-D. Dubois , « Mani, le prophète de l’humanité entière », dans J.-C. Attias – P. Gisel – L. K aennel (Éd.), Messianismes. Variations sur une figure juive, Genève, 2000, p. 195-212. Voir aussi S.C. M imouni, « Origines et influences de la prophétologie manichéenne : quelques remarques et réflexions » (à paraître).

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pris aussi selon les catégories du prophétisme que l’on connaît dans le mazdéisme 47. La Vita Mani donne de précieuses informations sur les premières activités missionnaires du fondateur du manichéisme qui le conduisent, sans doute autour des années 240-242, de la Babylonie à Ganazak en Arménie (CMC 121, 12) et de nouveau en Babylonie où à Pharat (CMC 140, 4), dans l’estuaire de l’Euphrate et du Tigre, il embarque pour Deb (absent dans le CMC, mais présent dans le fragment parthe M 4575), dans l’estuaire de l’Indus (CMC 136, 18-151, 8) 48.

B. Intérêt pour la connaissance de l’elkasaïsme Avec la découverte du CMC, la documentation sur le judaïsme chrétien baptiste, vraisemblablement elkasaïte, s’est enrichie d’une notice importante 49. La Vita Mani transmet, en effet, des traditions baptistes / elkasaïtes originales qui recoupent non seulement les traditions chrétiennes, mais aussi les traditions islamiques. Il convient cependant de souligner que cette œuvre ne contient aucune information sur l’histoire de l’elkasaïsme avant l’époque de Mani 50. Les passages sur les baptistes / elkasaïtes se trouvent parmi des traditions transmises par Baraïes et Zachéas, qui révèlent les nombreuses controverses entre Mani et les membres du groupe religieux dans lequel il 47. Voir A.  de Jong, « A quodam Persa exstiterunt. Re-Orienting Manichaean Origins », dans A. Houtman – A.  de Jong – M. M isset-van de Weg (Éd.), Empsychoi Logoi – Religious Innovations in Antiquity. Studies in Honour of Pieter Willem van der Horst, Leyde-Boston, 2008, p. 81-106, spécialement p. 95-106. 48. Voir M.  Tardieu, « L’Arabie du Nord-Est d’après les documents manichéens », dans Studia iranica 23 (1994), p. 59-75, spécialement p. 61-65. Voir aussi M. Tardieu, « Sur la naissance de son corps. Chronologie et géographie dans le Codex Manichéen de Cologne (suite) », dans Annuaire du Collège de France 95 (1994-1995), p. 534-539, spécialement p. 535-356. 49.  On doit se référer aux précieuses études de L. Cirillo, « Elchasaiti e Battisti di Mani : i limiti di un confronto delle fonti », dans L. Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 97-133 et de G. Strecker , « Das Judenchristentum und der Manikodex », dans L.  Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 81-96. Voir également les travaux de A.F.J. K lijn – G.J. R einink , « Elchasai and Mani », dans Vigiliae christianae 28 (1974), p. 277-289 et de A.F.J. K lijn, « Alchasaios et CMC », dans L.  Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 141-152 ; G.P.  Luttikhuizen, « The Baptists of Mani’s Youth and the Elchasaites », dans Gnostic Revisions of Genesis Stories and Early Jesus Traditions, Leyde-Boston, 2006, p. 170-184. 50.  C’est l’avis de A. H enrichs , « The Cologne Mani Codex Reconsidered », dans Harvard Studies in Classical Philology 83 (1979), p. 362. Voir aussi M. Tardieu, dans Abstracta Iranica 3 (1980), n° 484.

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a été élevé (voir CMC 79, 13-93, 23 [Baraïes] et 94, 1-99, 9 [Zachéas]). On trouve aussi quelques références aux baptistes / elkasaïtes dans les traditions transmises par Timothée (voir CMC 99, 10-114, 5) et par Koustaïos (voir CMC 114, 6-116, 2). D’après cette œuvre, Mani a passé son enfance dans une communauté baptiste / elkasaïte. C’est dans ce contexte qu’il est question d’un certain Alkasaïos que l’on peut facilement identifier à Elkasaï. Un des passages relatifs à Alkasaïos est particulièrement important pour deux raisons : d’une part, parce qu’il est nommé, en CMC 94, 11, le « fondateur de votre loi » ὁ ἀρχηγὸς τοῦ νόμου ὑμῶν) ; d’autre part, parce qu’il contient, en CMC 94, 11-96, 16, des idées qui lui sont explicitement attribuées. Il est souvent question d’un Sauveur dans la Vita Mani qui peut être identifié à Jésus, même si son nom dans les nombreux cas n’est jamais précisé. Mani semble avoir une grande vénération pour ce personnage et il est possible qu’il la doive à son milieu d’origine. Auquel cas, il s’agirait d’un témoignage important en faveur de la croyance des elkasaïtes en Jésus – seul le CMC, en effet, la rapporte, car dans les témoignages hérésiologiques sur ce groupe, il n’est pas précisé si Jésus est leur messie ou leur prophète. Il convient de souligner que la Vita Mani ne cite jamais l’Apocalypse d’Elkasaï, connue surtout – à condition d’en accepter la réalité – par la tradition chrétienne sur les elkasaïtes. Le seul passage qui pourrait faire référence à cet éventuel ouvrage est CMC 102, 11-16, dans lequel Mani rappelle « cette communauté (τὸ δόγμα) de persuadeurs  / sermoneurs (ἀνεγνωκότων, de ἀναγιγνώσκω) au sujet de la purification (ἡ ἁγνεία), de la mortification de la chair (ἡ σαρκοδερία) et de l’observance (ἡ κατοχή) du repos des mains (ἡ ἀνάπαυσις τῶν χειρῶν) ». Reinhold Merkelbach pense en effet qu’il s’agit là d’une citation de l’Apocalypse d’Elkasaï  51. Cependant, il n’y a pas réellement de preuve certaine, la référence peut aussi bien indiquer d’autres textes, inconnus à ce jour, de la bibliothèque de la communauté baptiste à laquelle Mani a appartenu.

C. Intérêt pour la connaissance du judaïsme et du christianisme La Vita Mani revêt également une certaine importance pour les études sur les littératures issues du judaïsme et du christianisme anciens 52 . En 51.  R.  M erkelbach, « Manichaica (1-3) », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 56 (1984), p. 45-53, plus précisément p. 49. 52.  Pour le judaïsme ancien, voir les travaux de I. Gruenwald, « Manichaeism and Judaism in Light of the Cologne Mani Codex », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 50 (1983), p. 29-45 ; B.L. Visotzky, « Rabbinic Randglossen to the Cologne Mani Codex », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 52 (1983), p. 295-300 ; J.  M aier , « Zum Problem der jüdischen Gemeinden Meso-

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effet, on y trouve des références à des textes judéens connus comme l’Apocalypse d’Adam, l’Apocalypse d’Hénoch et l’Apocalypse de Sem ou inconnus comme l’« Apocalypse de Seth » et l’« Apocalypse d’Énosh », mais aussi à des textes chrétiens relevant aussi bien du corpus évangélique que du corpus paulinien. Cela ne signifie pas pour autant que les apocalypses connues dont il est question dans le CMC soient nécessairement à identifier à celles que l’on a par ailleurs. Johannes van Oort, dans une contribution encore non publiée mais diffusée sur internet, a étudié de manière convainquante les éléments judéens qu’il repère dans la Vita Mani du CMC. Dans une localité non identifiée, mais se trouvant sur la route de Pharat – peut-être Charax –, Mani et son père Pattikios (Patteg) sont hébergés dans une communauté, une συναγωγή et non une ἐκκλησία, dans laquelle éclate une controverse qui les obligent à fuir (CMC 137, 1-140, 7). Il pourrait s’agir, contrairement à certaines opinions 53, d’une communauté relevant du judaïsme sacerdotal et synagogal et non du mouvement rabbinique ou du mouvement chrétien elkasaïte (où c’est le terme ἐκκλησία qui est utilisé [voir notamment CMC 140, 14 où il est question de l’ἐκκλησὶα τῶν βαπτισμῶν]), d’autant que l’usage d’incantations magiques, qui sont mentionnées dans le passage de la Vita Mani, est habituellement interdit chez les rabbinniques alors que ce n’est pas nécessairement le cas chez les Judéens sacerdotaux et synagogaux. potamiens im 2. und 3. Jh. n. Chr. im Blick auf den CMC », dans L.  Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 37-67 ; J.  M aier , « Il codice ‘Mani’ di Colonia come fonte per la storia giudaica », dans L. Cirillo (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del secondo simposio internazionale (Cosenza 27-28 maggio 1988), Cosenza, 1990, p. 57-65. Pour le christianisme ancien, voir les travaux de L. Koenen, « Augustin and Manichaeism in Light of the Cologne Mani Codex », dans Illinois Classical Studies 3 (1978), p. 154-195 ; J.K.  Coyle , « The Cologne Mani-Codex and Mani’s Christian Connections », dans Église et Théologie 10 (1979), p. 179-193 ; H.D. Betz , « Paul in the Mani Biography (Codex Manichaicus Coloniensis) », dans L. Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 215-234 ; P.-H.  Poirier , « L’hymne de la perle et le manichéisme à la lumière du Codex Manichéen de Cologne », dans L.  Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p.  235-248 ; L. Cirillo, « Il Pastore nell’opera di Erma e il syzygos di Mani », dans L.  Cirillo (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del secondo simposio internazionale (Cosenza 27-28 maggio 1988), Cosenza, 1990, p. 93-113. 53. Voir J.  Lieu – S.N.C.  Lieu, « Mani and the Magians (?) : CMC 137-140 », dans A.  van Tongerloo – S. Giversen (Éd.), Manichaica Selecta. Studies Presented to Professor Julien Ries on the Occasion of His Seventieth Birthday, Louvain, 1991, p. 202-233 (= S.N.C.  Lieu, Manichaeism in Mesopotamia and the Roman East, Leyde, 1994, p. 1-21).

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Sans chercher ici à aller plus loin, il convient encore de signaler l’importante étude de John C. Reeves, qui démontre de manière convaincante, à partir des informations relatives aux elkasaïtes dans la Vita Mani, la connexion entre ce groupe chrétien d’origine judéenne et certains groupes judéens baptistes remontant à la période d’avant 70 ou 135 de notre ère 54 . On peut se demander si le CMC tout entier n’a pas été un outil de propagande utilisé à des fins de controverses par les manichéens contre les baptistes elkasaïtes ou les chrétiens en général : un outil utilisant la persuasion par l’exemplarité, qui souligne l’appétence et non la compétence du public auditeur. Observons encore que les garants de la Vita Mani sont des disciples du Maître. Ce ne sont pas des historiens, mais des témoins engagés dans leur communauté qui cherchent à conforter la croyance des Auditeurs manichéens, peut-être aussi des Élus. C’est pourquoi, toute information à tirer de ce texte doit être passée au crible de la critique historique. IV. Récapitulatif Grâce à la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne, on dispose désormais d’un document qui permet un nouveau regard sur les origines du manichéisme et de son fondateur, laquelle fournit des indications chronologiques et géographiques qui ne sont nullement négligeables pour la connaissance historique de l’Antiquité 55. La découverte de la Vita Mani confirme, ce qu’ont suggéré précédemment les sources indirectes, à savoir que le manichéisme n’est pas une religiosité iranienne, comme supposé auparavant par nombre de critiques, mais plutôt une religiosité issue du judaïsme chrétien – une position qui n’est pas unanimement acceptée par tous 56. Les récits qui constituent la Vita Mani témoignent, en effet, des croyances manichéennes des origines. Ils permettent de voir comment les premiers disciples manichéens ont compris la personne de Mani et ses relations avec les mondes célestes, notamment aussi le développement de sa conscience prophétique dans un contexte où l’apocalyptique et l’eschatologie tiennent 54.  J.C. R eeves , « The Elchasaite Sanhedrin of the Cologne Mani Codex in Light of the Second Temple Jewish Sectarian Sources », dans Journal of Jewish Studies 42 (1991), p. 68-91. 55.  À ce sujet, voir M. Tardieu, « ’Sur la naissance de son corps’. Chronologie et géographie dans le Codex manichéen de Cologne », dans Annuaire du Collège de France 43 (1993-1994), p. 587-590. 56. Voir A.  de Jong, « A quodam Persa exstiterunt. Re-Orienting Manichaean Origins », dans dans A. Houtman – A.  de Jong – M.  M isset-van de Weg (Éd.), Empsychoi Logoi – Religious Innovations in Antiquity. Studies in Honour of Pieter Willem van der Horst, Leyde-Boston, 2008, p. 81-106.

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une place primordiale, non pas comme des innovations, mais comme un retour aux origines – une sorte de conservatisme 57. On peut discerner dans cet écrit manichéen, ce qu’Uri Rubin a vu dans les recueils de la Sîra de Mahomet, à savoir : un « miroir qui reflète l’état d’esprit des croyants parmi lesquels ces textes ont été écrits, préservés et transmis » 58. La Vita Mani est donc un recueil de traditions autobiographiques composé pour assurer une performance prophétique qui laisse une place importante aux visions auditives de Mani lui permettant des messages laconiques à valeur monitoire. Avec ce document, on sait maintenant avec certitude que Mani a passé toute son enfance et son adolescence, jusqu’à l’âge adulte, dans une communauté chrétienne elkasaïte. Dans cette communauté, il a entendu parler de baptêmes et d’ablutions et il les a rejetés. Il y a entendu parler aussi de la Loi judéenne, qu’il a rejetée également. Mais c’est au milieu des baptistes / elkasaïtes qu’il a appris aussi que Jésus est le véritable prophète, une manifestation de la gloire divine qui a pris corps en Adam pour être révélé ensuite aux patriarches avant de s’incarner finalement dans le Messie Jésus. Cela peut expliquer ainsi la place particulière de Jésus dans le système doctrinal de Mani. IV.2 . P r é l i m i na i r e  : l a v i sion de l a m e r (CMC 77,  4 -79,  12)  59

au x e au x noi r e s

Dans la Vita Mani du CMC, en 77, 4-79, 12, on trouve une vision assez particulière qui semble représenter une excellente entrée en matière à la problématique dont il est question dans cette recherche. Elle est transmise par le traditionniste Timothée. Cette vision, connue sous le titre de la mer aux eaux noires, précède la longue partie concernant les baptistes (CMC 79, 13-107, 23). C’est alors que, peu de temps après, pensant à Sita (Sitaios / Sitan) et à ceux qui faisaient partie de son assemblée (συνεδρίου), j’ai voulu leur parler de ce que m’avait révélé mon très bienheureux Père et leur montrer le chemin de la vérité. Livré à ces réflexions, j’eus la vision suivante : Le monde entier était devenu comme une mer remplie d’eaux très noires, et je vis des milliers de myriades être précipitées en elle et y être submergées, (puis) 57.  À ce sujet, voir G. Dumézil , Mythe et épopée, I, Paris, 1968, p. 222-230, qui estime que l’eschatologie relève du conservatisme et non de l’innovation. 58.  U. Rubin, The Eye of the Beholder. The Life of Muḥammad as Viewed by the Early Muslims. A Textual Analysis, Princeton/New Jersey, 1995, p. 3. 59. À partir de M. Tardieu, « La vision de la mer aux eaux noires (CMC 77, 4-79, 12) », dans Res Orientalia 7 (1995), p. 303-311.

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resurgir et tournoyer en tous sens sur le pourtour des quatre directions de la mer. Et je vis sur le pourtour des quatre directions de la mer une assise (κρηπίς)  6 0 qui y avait été jetée. Elle était très très haute, et sur elle seule une lumière se levait. Une voie (ὁδός) s’y étirait, et moi-même je marchais dessus. En me retournant, j’aperçu derrière moi Sita (Sitaios / Sitan) retenant un homme tenu par quelqu’un : au milieu de la mer et des ténèbres, il (Sita – Sitaios / Sitan) retourna et tomba, et il s’enfonçait sous les flots. Je ne pouvais apercevoir que des bouts de ses cheveux, tant et si bien que j’étais fort affligé à cause (de Sita – Sitaios / Sitan). Celui qui l’avait rejeté me dit « à quoi bon t’affliger sur Sita (Sitaios / Sitan) ? Car il ne fait pas partie de ton élection (τῆς σῆς ἐκλογῆς), et il n’empruntera pas ta voie (ὁδός) ». Après avoir eu cette vision, je ne lui ai rien révélé. Je m’aperçus de fait par la suite, lorsque je me mis à prêcher la parole de vérité que c’était bien un adversaire (ἀντιπάσκοντα) de ma parole 61.

Cette vision relève de la catégorie des visions allégoriques que l’on rencontre aussi dans la littérature apocalyptique issue du judaïsme comme du christianisme. Dans cette catégorie littéraire, la vision est comme un cadre imposé au développement de l’allégorie : c’est elle qui permet d’exprimer des réalités spirituelles et mystiques. Par ailleurs, il s’agit d’une vision de fondation, de type auditif, dont le bénéficiaire rapporte des messages laconiques à valeur monitoire, qui est sensiblement différente d’un autre type de vision, également présent dans la Vita Mani, qui se présente essentiellement sous la forme de descriptions de lieux célestes à la suite d’un voyage ascensionnel du bénéficiaire : voir, par exemple, la vision de l’homme chevelu (CMC 126, 4-129, 7). Dans la Vita Mani, on trouve d’autres visions de fondation de type auditif : celle de la voix « miroir » qui d’adresse à Mani (CMC 17, 7-16) ou celle de la manifestation du Jumeau céleste à l’intention d’un roi et de ses princes lors de leur conversion au manichéisme (CMC 133, 7-14). La vision de la mer aux eaux noires, au sujet de laquelle Michel Tardieu a consacré une étude remarquable sur laquelle on va principalement se fonder 62 , est transmise par le traditionniste manichéen Timothée dont le narrateur à la première personne est Mani. Albert Henrichs et Ludwig Koenen se sont appliqués, les premiers, à expliquer les composantes littéraires et doctrinales de cette vision en se

60.  Littéralement le grec κρηπίς correspond au français « môle ». La traduction retenue, suivant la proposition de Michel Tardieu, est donc métaphorique. 61. Traduction d’après M. Tardieu, « La vision de la mer aux eaux noires (CMC 77, 4-79, 12) », dans Res Orientalia 7 (1995), p. 304, sensiblement rectifiée par l’auteur durant un cours au Collège de France. 62.  Voir M. Tardieu, « La vision de la mer aux eaux noires (CMC 77, 4-79, 12) », dans Res Orientalia 7 (1995), p. 303-311.

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référant à la dogmatique manichéenne 63. Selon eux, cette péricope repose sur la dogmatique manichéenne avec des renvois au mandéisme : (1) les eaux noires de la mer correspondent au monde entier ; (2) les milliers de myriades à l’impiété universelle (= les cultes païens)  6 4 . Michel Tardieu, dans son article, propose, pour sa part, « d’essayer de retrouver une cohérence à la vision en prenant les signifiants pour des emprunts à la culture commune judéo-chrétienne […] et […] en expliquant l’ensemble dans la perspective du contexte de la vision dans le CMC, à savoir comme allégorie de l’histoire de Mani et des débuts de son Église » (p. 305). Ainsi, selon ce critique, contrairement à ses prédécesseurs, « le point de départ de la vision aux eaux noires est à chercher […] du côté de l’apocalyptique juive » (p. 305). Cette approche paraît amplement justifiée à Michel Tardieu par le fait que le compilateur de la Vita Mani utilise de manière abondante cette littérature « pour montrer que les modalités de la prophétie et du plan divin réalisée en Mani sont identiques aux visions et signes attribués aux grands anciens » (p. 305), notamment à partir des cinq apocalypses qui y sont mentionnées (Apocalypse d’Adam en CMC 48, 16-50, 7 ; Apocalypse de Seth en CMC 50, 8-52, 7 ; Apocalypse d’Énosh en CMC 52, 8-55, 9 ; Apocalypse de Sem en CMC 55, 10-58, 5 ; Apocalypse d’Hénoch en CMC 58, 6-60, 12), dont certaines apparemment sont connues par ailleurs, et dont « l’examen de la forme et du contenu des fragments cités à l’appui montre que leur terminologie et leurs thématiques sont celle et ceux des apocalypses juives dont les textes nous sont parvenues » (p. 306) – il semble bien qu’elle le soit même si cela ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes. Pour comprendre la structure littéraire de ce passage, Michel Tardieu dresse une liste des éléments signifiants et thématiques de la vision que l’on reprend ici intégralement : 1. les eaux noires de la mer ; 2. les milliers de myriades dans les eaux noires ; 3. l’assise au milieu de la mer ; 4. la lumière qui s’est levée sur l’assise ; 5. la voie sur l’assise ; 6. celui qui ouvre la marche sur la voie et qui s’auto-désigne (Mani) ; 63. Voir A.  H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 128132, n. 161-174. 64. Voir A.  H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72,  8-99,  9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 129, n. 166.

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7. le groupe des suiveurs : (a) un premier individu qui est nommé (Sita – Sitaios / Sitan) et rejeté par les eaux noires ; (b) un deuxième individu, qui n’est pas nommé ; (c) un troisième individu, qui n’est pas nommé ; 8. celui qui a rejeté Sita (Sitaios / Sitan) à la mer. Ces éléments sont regroupés ensuite, toujours par le même critique, en quatre grandes unités : (1-2) les eaux et les milliers de myriades ; (3-5) l’assise, la lumière et la voie ; (6-7) les marcheurs ; (8) l’agent du rejet de Sita (Sitaios / Sitan). Il convient de les reprendre non sans les résumer succinctement. Le sens du premier élément, celui des eaux noires de la mer est fourni par le récit même de la vision : « Le monde entier était devenu comme une mer remplie d’eaux très noires ». Ainsi, pour Michel Tardieu, « le modèle littéraire sous-jacent est d’évidence ici la vision des eaux blanches et noires, qui occupe toute la sixième section de l’Apocalypse syriaque de Baruch (II Baruch) » (p. 306) – notamment les chapitres 53 à 74. Il renvoie alors à deux passages de ce texte : dans le premier, il est mentionné que les eaux blanches et noires tombent en alternance sur la terre et qu’elles proviennent d’un nuage monté de la mer (II Baruch 53, 1) ; dans le second, il est précisé que certaines de ces eaux sont plus noires que toutes les précédentes et qu’elles touchent le monde entier (II Baruch 69, 1). Le sens du deuxième élément, celui des milliers de myriades dans les eaux noires, n’est pas vraiment indiqué dans le récit de la vision : il paraît pouvoir se trouver dans II Baruch 70, 1-10, où elles représentent l’impiété universelle, les péchés des nations livrées au blasphème et à l’idolâtrie. Alors que dans le contexte historique de II Baruch, œuvre rédigée sous Nerva (96-98) ou sous Trajan (98-117) – plus d’ailleurs sous Trajan que sous Nerva (à cause de la guerre avec les Parthes et de la révolte des Judéens de Mésopotamie contre les Romains) –, cette impiété est le fait des cultes gréco-romains, dans la Vita Mani, selon Michel Tardieu, elle est plutôt à imputer aux « adeptes des religions du monde, et parmi elles, […] le judaïsme » (p. 307). Cette indication avancée repose certes sur un passage des Kephalaia du Livre I (Berlin) où il est mentionné : « Le monde, la religion des Judéens » (Kephalaion  I, p. 12, 26-27), mais on peut toutefois se demander s’il ne pourrait pas s’agir tout simplement, sans faire ce détour trop général, du groupe baptiste elkasaîte dont il est question dans le CMC, d’autant que dans la vision il est question du personnage de Sita (Sitaios / Sitan) qui est le chef de la communauté à laquelle appartient Mani.

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Les troisième et quatrième éléments où il est question de l’« assise » sont situés non pas en fonction des représentations de l’apocalyptique issue du judaïsme, mais de celle issue du christianisme. Pour Michel Tardieu, « la double caractéristique de cette assise (κρηπίς) est d’avoir été ‘jetée (βεβλημένην) au milieu de la mer’, comme on jette, c’est-à-dire pose et établit, les fondations d’une cité ou d’un édifice » (p. 307). Ainsi, si l’on suit cette ligne de compréhension, « le sens courant […] est celui d’assise ou de fondation, ainsi que le montre cet hendiadis [une figure de rhétorique consistant à remplacer la subordination ou la détermination, qui solidarise deux mots, par une relation de coordination ou toute autre dissociation syntaxique : elle se rencontre le plus souvent avec le remplacement de deux mots inclusifs, ou d’un substantif et son épithète, par deux substantifs coordonnés] dans un psaume d’Héraclide du Psautier manichéen copte : snte hikrepis (Ps2 ,  200, 27) » (p. 307) – par conséquent, le grec κρηπίς (assise) rend le syriaque shetesta (fondation), et dans cette attestation liturgique le grec κρηπίς est ajouté au copte snte (un terme qui est assez fréquent dans le Psautier manichéen copte : voir par exemple en Ps2 ,  155, 21 [où Jésus est l’assise] ; Ps2 188, 27 [le Christ est l’assise] ou en Ps2 ,  53, 22-23 [où Salomé est l’assise]). Michel Tardieu établit ainsi un rapprochement entre le terme κρηπίς de la Vita Mani et le terme shetesta que l’on trouve dans la littérature syriaque et notamment dans deux textes qu’il rapproche 65 : - chez Aphraate d’abord, où en Démonstrations  I, 2, on peut lire : « La fondation (shetesta), c’est la base de tout l’édifice. Si quelqu’un accède à la foi, il est posé sur la pierre (kefa), c’est-à-dire notre Seigneur Jésus le Messie. Son édifice ne sera pas ébranlé par les flots, ni endommagé par les vents, il ne tombera pas, (renversé) par les tempêtes, car son édifice s’élève sur le roc (shua`a) de la vraie pierre (kefa) » ; - dans les Odes de Salomon, ensuite, où en XXXI, 11, on peut lire : « Mais je (le Christ) me tenais inébranlable comme la pierre solide (kefa sharrirta) qui est battue par les vagues qui lui résiste ». Les rapprochements terminologiques établis entre le grec κρηπίς, le copte snte et le syriaque shetesta, qui sont des termes très courants et fréquents dans leurs littératures respectives, sont intéressants, mais suffisentils à convaincre de leur filiation et surtout de leur éventuel emploi métaphorique dans leurs contextes d’origine ? Par ailleurs, les milliers de myriades sont dites « être retournées en tous sens sur le pourtour des quatre directions de la mer » : ce qui semble signi65.  À ce sujet, il est renvoyé à R. Murray, Symbols of Church and Kingdom. A Study in Early Syriac Tradition, Cambridge, 1975, p. 218-228.

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fier, toujours selon Michel Tardieu, « que les adeptes des religions sont portés par les flots jusqu’aux bornes de la mer, c’est-à-dire aux limites du cercle que les points extrêmes des quatre κλίματα, autrement dit, ils se situent dans des lieux géographiques très éloignés du milieu de la mer où se trouve l’assise » (p. 307). Les cinquième et sixième éléments de la vision sont d’une part, la voie et d’autre part, celui qui marche sur la voie. Comme le relève Michel Tardieu, ces traits sont absents dans, mais appartiennent aux représentations syriaques de la fondation (shetesta). Le sens de la voie ici est celle que l’on trouve attestée dans les littératures biblique, apocalyptique, gnostique et patristique, où ce terme désigne tour à tour les croyants appartenant au judaïsme et au christianisme, mais aussi tel ou tel courant particulier relevant de l’un ou de l’autre, voire des deux – ainsi présentement les baptistes de la Vita Mani. La voie ici sert à désigner les manichéens, ce terme est souvent repris dans la littérature de ce groupe (voir par exemple Kephalaion  I, p. 13, 28, du Livre I [Berlin]) – il en est aussi question dans le Nouveau Testament, notamment dans les Actes des Apôtres, pour désigner le groupe chrétien. Le septième élément de la vision est constitué par un groupe de personnes désignées par le terme συνοπαδοί : il s’agit des premiers disciples de Mani, ceux qui sont issus du milieu baptiste et qui l’ont suivi sur la voie. Si l’on accepte la compréhension de Michel Tardieu, dans la vision on peut distinguer deux temps : dans le premier, Mani voit Sita (Sitaios / Sitan), un des personnages – qu’il aperçoit derrière lui en se retournant –, qui tente de se retenir à un autre individu non nommé, lui-même se tenant à un autre individu également non nommé ; dans le second, Mani voit que Sita (Sitaios / Sitan) est rejeté de la voie de l’assise et tombe à l’eau, au milieu de la mer et des ténèbres, il s’enfonce sous les flots. Le sens est donné par le Jumeau céleste (σύζυγος) de Mani qui intervient alors dans le récit en disant : « Il ne fait pas partie de ton élection, il n’empruntera pas ta voie » (CMC 79, 4). Comme le dit Michel Tardieu, « Sita a donc été exclu du groupe des disciples et est revenu à son élément naturel, la mer, symbole de l’impiété, c’est-à-dire des religions autres que le manichéisme » (p. 309). En CMC 74, 11-16, il est rapporté en effet que Sita (Sitaios / Sitan), fils de Gara, qui a rang de prêtre ou d’ancien chez les baptistes, a eu pour Mani « beaucoup d’affection », le considérant « comme son fils bien-aimé ». Le différend qui va opposer Mani et Sita lui est annoncé dans cette vision, le résultat lui est aussi précisé. L’enseignement immédiat de la vision de la mer aux eaux noires est de montrer le vrai visage de Sita (Sitaios / Sitan), de ce faux ami, comme le

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précise la conclusion : « Je m’aperçus de fait par la suite, lorsque je me mis à prêcher la parole de vérité que c’était bien un adversaire de ma parole ». En CMC 88, 15-89, 8, il est effectivement raconté que Sita (Sitaios / Sitan) a fait tenir une assemblée des baptistes pour mettre un terme aux paroles et aux actions de Mani, considérées comme contraires à la Loi, et l’amener à résipiscence. Selon Michel Tardieu, les deux individus non nommés dans la vision pourraient être Siméon et Abizakhias dont il est question en CMC 105, 9-106, 23, dans les termes suivants : « [En ce temps-là], deux jeunes gens (νεανίαι) d’entre les baptistes, [Siméo]n ([Συμεώ]ν) et Abizakhias (Ἀβιζαχίας), qui étaient mes voisins, se rallièrent à moi pour m’accompagner en tout lieu [en toute terre et en toute nation]. Ils [m’assistèrent] comme aides (συνεργοί) [là où nous dûmes aller] ». Ce serait les seuls qui resteraient sur la voie de l’assise comme compagnons de route de Mani après le rejet à la mer de Sita (Sitaios / Sitan) – une hypothèse qui n’est pas autrement documentée et demeure, de ce fait, conjecturelle. On revient sur tous ces éléments plus loin lors de l’analyse détaillée de CMC 79, 13-107, 23. Quant au huitième et dernier élément, responsable du rejet à la mer de Sita (Sitaios / Sitan), il s’agirait, selon Michel Tardieu, de celui qui parle à Mani, autrement dit le Jumeau céleste (σύζυγος) – c’est lui qui a le pouvoir d’évincer et d’exclure, et c’est aussi lui qui donnera l’ordre de sortir du groupe et annoncera que deux baptistes vont le suivre dans sa mission (voir CMC 104, 10-105, 8 et 105, 9-106, 23 – passages qui sont aussi rapportés par le traditionniste Timothée). Si l’on acceptait la proposition et il n’y aucune raison de la contester, la vision de la mer aux eaux noires introduirait ainsi dès le début l’existence d’un pouvoir absolu entre les mains du Jumeau céleste de Mani, mais qui, de fait, reviendrait par droit au fondateur du manichéisme, autrement dit à Mani. Dans la Vita Mani, la vision est placée avant le conflit qui oppose Mani à sa communauté et qui va le conduire à sa rupture avec les baptistes : elle anticipe d’une manière métaphorique sa sortie. L’une et l’autre sont d’ailleurs rapportées sous l’autorité d’un même traditionniste, à savoir Timothée : ce qui leur donne une certaine unité. La vision de la mer aux eaux noires est des plus importantes, car elle sert à illustrer de manière allégorique la fondation de l’Église manichéenne : Mani marche en tête suivi de trois disciples dont le premier est rejeté, les deux autres le suivant. Michel Tardieu estime que cette vision a été « fabriquée après coup par son narrateur comme un songe prémonitoire, et placée non sans raison

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par son transmetteur en exergue de sa version de l’histoire de la mission » (p. 310). Mais elle pourrait aussi être tirée d’un texte écrit par Mani luimême et reprit ensuite par le traditionniste Timothée comme c’est le cas aussi pour le passage de l’Évangile Vivant qui figure en CMC 66, 4-70, 9. En conclusion, si l’on suit, les hypothèses, souvent ingénieuses et originales, de Michel Tardieu, comme on a en substance tendance à le faire, les « composantes » de la vision de la mer aux eaux noires « ne relèvent pas du manichéisme standard » (p. 311), mais de l’ancienne apocalyptique judéenne (II Baruch) et des représentations attestées par l’ancienne littérature chrétienne d’origine judéenne conservée en langue syriaque (Odes de Salomon). De plus, comme Michel Tardieu le souligne avec raison, le but de la vision est d’illustrer, sous forme de songe annonciateur, la rupture de Mani avec les baptistes et les débuts de l’Église manichéenne. Quoi qu’il en soit, ces deux textes ont eu une certaine diffusion dans des milieux judéens en Mésopotamie, d’obédience sacerdotale et synagogale comme d’obédience chrétienne, mais non pas selon toute vraisemblance d’obédience rabbinique. L’étude de la vision de la mer aux eaux noires montre clairement l’influence du judaïsme et du christianisme dans les origines religieuses et culturelles du manichéisme, et surtout dans la formation de son fondateur Mani tant dans ses idées que dans ses concepts, lesquels relèvent de la prophétologie que l’on retrouve dans les « religions » bibliques 66, mais encore dans le mazdéisme qui développe aussi une idéologie semblable que l’on ne peut et ne doit pas ignorer 67, d’autant que les croisements entre les deux types sont à envisager. En ce qui concerne II Baruch, qui n’est sans doute pas un produit du judaïsme pharisien ou rabbinique, comme on le pense souvent, mais plutôt du judaïsme sacerdotal et synagogal de la tendance apocalypticienne – cette dernière n’existant apparemment pas chez les pharisiens ou rabbiniques qui récusent ses divers contenus idéologiques –, il convient de conjecturer une récupération de ce texte, sans doute assez vite dans le temps, par des communautés chrétiennes d’origine judéenne de langue ara-

66. À ce sujet, voir M. Tardieu, « Mani et le manichéisme. Le dernier prophète », dans Encyclopédie des religions, I, Paris, 1997, p. 225-230 ; J.-D. Dubois , « Mani, le prophète de l’humanité entière », dans J.-C. Attias – P. Gisel – L. K aennel (Éd.), Messianismes. Variations sur une figure juive, Genève, 2000, p. 195-212. Voir aussi S.C. M imouni, « Origines et influences de la prophétologie manichéenne : quelques remarques et réflexions » (à paraître). 67. À ce sujet, voir A.  de Jong, « A quodam Persa exstiterunt. Re-Orienting Manichaean Origins », dans A. Houtman – A.  de Jong – M.  M isset-van de Weg (Éd.), Empsychoi Logoi – Religious Innovations in Antiquity. Studies in Honour of Pieter Willem van der Horst, Leyde-Boston, 2008, p. 81-106, spécialement p. 95-106.

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méenne ou syriaque dans l’empire iranien – peut-être à la suite de la mise à l’écart de cette tendance dans l’empire romain. En ce qui concerne les Odes de Salomon qui, elles, sont proprement originaires d’une communauté chrétienne d’origine judéenne, également de langue araméenne ou syriaque, il pourrait en avoir été de même, mais de la part des manichéens. Il reste à voir si cette influence du judaïsme chrétien non elkasaïte remonte vraiment à l’époque de Mani ou si elle n’est pas postérieure à sa mort, car des œuvres comme l’Apocalypse syriaque de Baruch (= II Baruch) et les Odes de Salomon pourraient avoir été diffusées en Syrie sous domination romaine, mais pas nécessairement en Syrie sous domination iranienne – tout en sachant que les frontières ont souvent bougé et sont de toute façon poreuses du point de vue intellectuel. À moins qu’il convienne de supposer déjà une pénétration du manichéisme en Syrie romaine, une hypothèse qui n’est pas à exclure : d’autant que l’on pense savoir, grâce à quatre fragments de Tourfan (M 2 en moyen-perse, M 216c en parthe, M 13941 / 14285 et M 18220 en sogdien), que la pénétration du manichéisme en Occident, en Syrie et en Égypte, daterait du vivant même de Mani qui aurait envoyé à Palmyre sous le règne d’Odenath, entre 262 et 267, une mission dirigée par Patteg et Adda 68. C’est pourquoi, une telle influence du vivant même de Mani ne saurait être exclue : ce qui donne encore plus d’intérêt aux traditions rapportées dans la Vita Mani du CMC. Rien n’empêche de penser que la vision de la mer aux eaux noires de CMC 77, 4-79, 12 ne provienne plus ou moins directement d’un écrit composé par Mani, sans qu’il soit possible de préciser lequel. IV.3. Tr a duct ion

de

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Cette traduction permet au lecteur d’accéder entièrement à la partie du texte du CMC dont il va être question. Elle est reprise ensuite dans l’annotation, mais de manière structurée. 68.  À ce sujet, voir M. Tardieu, « Les manichéens en Égypte », dans Bulletin de la Société française d ’Égyptologie 94 (1982), p. 5-19, spécialement p. 8-10. 69.  Elle se fonde sur le texte grec, quelques fois rectifié, édité par L. Koenen – C. Römer , Der Kölner Mani-Kodex. Abbildungen und diplomatischer Text, Bonn, 1985 et aussi sur celui édité par L. Koenen – C. Römer , Der Kölner Mani-Kodex. Ueber das Werden seines Leibes. Kritische Edition, Opladen, 1988. Elle est revue à partir de la traduction allemande de L. Koenen – C. Römer , Der Kölner Mani-Kodex. Ueber das Werden seines Leibes. Kritische Edition, Opladen, 1988, p. 55-77, de la traduction française de L.  Cirillo, « Livre de la Révélation d’Elkasaï », dans F. Bovon – P. Geoltrain (Éd.), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, 1997, p. 864-872 (partielle), de la traduction italienne de L.  Cirillo, « La

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(p. 79, 13) Baraïes, le maître I. Conflit de Mani avec la doctrine des baptistes (79, 14-80, 5) Mon seigneur (il s’agit de Mani) disait : « Dans cette Loi (νομός), j’ai passé assez de temps à dialoguer avec chacun, je me suis levé et je les ai interrogés au sujet de la Voie de Dieu (ὁδοῦ τοῦ θεοῦ), au sujet des préceptes du Sauveur (τοῦ σωτῆρος ἐντολ[ῶν]), au sujet du (p. 80) baptême (βάπτισμα), au sujet des légumes qu’ils baptisent (βαπτίζω), et au sujet de chaque règlement (θεσμός) et de chaque prescription (τάξις), d’après lesquels ils vivent. II. Réaction des baptistes contre Mani (80, 6-80, 17) Lorsque je détruisais (καταλύω) et accusais (κατηγορέω) leurs paroles (λόγος) et leurs secrets (μυστήριον), leur démontrant comment les choses qu’ils suivaient, ils ne les avaient pas reçues des préceptes du Sauveur, certains d’entre eux étaient dans l’admiration à mon sujet, d’autres en revanche se mettaient en colère et irrités disaient : « Ne veut-il pas, par hasard, s’en aller chez les Grecs (Ἕλληνες) ? ». III. Réfutation du sens du baptême et de la pureté par Mani (80, 18-84, 8) Dès que je connus leurs intentions (φρόνημα), je leur disais avec bonté (χρηστότης) : « Le baptême (βάπτισμα) par lequel vous (p. 81) baptisez (βαπτίζω) vos nourritures (ἔνδεσμα) n’a [aucune] valeur ; ce corps (σῶμα), en effet, est impur (μιαρός) et fut façonné (πλάσσω) par une fabrication impure (πλάσεως μιαρότης). Voyez, quand quelqu’un purifie (καθαρεύω) son aliment (ἐδωδή) et le mange, même s’il a été déjà baptisé (βαπτίζω) nous savons qu’à partir de lui se forment sang, bile, flatuosités, excréments honteux et impureté du corps (σώματος μιαρότης). Mais si quelqu’un retient de sa bouche cette nourriture (τροφή) pour peu de jours, on se rend compte aussitôt que [tous] ces rejets honteux et dégoûtants viennent à manquer et diminuent dans le corps. Mais s’il prend à nouveau un aliment (ἐδωδή), (p. 82) ils abondent de la même façon dans le corps, si bien qu’il est clair qu’ils se multiplient à partir de la nourriture (τροφή) elleVita di Mani. Il Codice greco di Colonia », dans G. Gnoli (Éd.), Il Manicheismo, I.  Mani e il Manicheismo, Bologne, 2003, p. 84-99 et de la traduction anglaise de J.M.  Lieu – S.N.C.  Lieu, « The Life of Mani », dans I. Gardner – S.N.C.  Lieu (Éd.), Manichaean Texts from the Roman Empire, Cambridge, 2004, p. 63-67. Je remercie Wolf-Peter Funk d’avoir accepté de revoir cette traduction et de m’avoir suggéré maintes propositions. Je reste responsable des erreurs qui peuvent se trouver encore.

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même. Mais si quelqu’un prend un aliment (βρῶμα) baptisé (βαπτίζω) et purifié (καθαρεύω), et (puis) celui qui n’est pas baptisé (ἀβάπτιστος), il apparaît que la beauté et la force du corps demeure la même. De même, on voit que le dégoût et le dépôt (ἡ βδελυρότης καὶ ἡ τρύξ) 70, dans les deux cas, ne diffèrent pas l’un de l’autre ; il s’ensuit que celui (l’aliment) qui a été baptisé (βαπτίζω) et que (le corps) a expulsé et évacué n’est pas meilleur qu’un [autre] qui n’a pas été baptisé (ἀβάπτιστος). Mais cela aussi (p. 83) n’a aucune valeur : le fait que vous vous baptisez (βαπτίζω) chaque jour dans l’eau. En effet, ayant été baptisés (βαπτίζω) et purifiés (καθαρεύω) une fois pour toutes, pourquoi est-ce que vous vous baptisez (βαπτίζω) chaque jour ? En cela aussi, il est donc clair que vous vous prenez en dégoût chaque jour et que, à cause du dégoût (βδελυρότης), vous vous baptisez (βαπτίζω) sans être purifiés (ἀποκαθαρεύω). Il est tout à fait évident par-là que toute souillure (μυσαρότης) vient du corps. Et voilà, vous aussi l’avez revêtu. C’est pourquoi, voyez par vous-mêmes quelle est (la valeur de) votre pureté (καθαρότης). En effet, il est impossible (p. 84) de purifier (καθαρεύω) complètement vos corps. Chaque jour, en effet, le corps se met en mouvement et s’arrête à cause des sécrétions du sédiment (ἐκκρίσεις τῆς ὑποστάθμης) 71 qui proviennent de lui, si bien que la chose se fait indépendamment d’un précepte du Sauveur. IV. Mani oppose la pureté de la Lumière à la pureté des Ténèbres (84, 9-85, 12) C’est pourquoi la pureté (καθαρότης) dont il a été écrit est celle qui se fait par la connaissance (γνῶσις) : la séparation 72 (χωρισμός) entre lumière (φωτός) et ténèbres (σκότος), mort (θάνατος) et vie (ζωή), eaux vivantes (τῶν ζώντων ὑδάτων) et eaux stagnantes (τῶν τεθαμβωμένων) ; et [vous] saurez que chaque chose est différente de l’autre et [observerez / garderez (κατέχω) 73] les préceptes du Sauveur, afin qu’il libère [votre] âme de l’[anéantissement (ὄλεθρος)] et de la (p. 85) perdition (ἀπώλεια). Celleci, en vérité, est la pureté (καθαρότης) très droite (εὐθύς) qui vous a été 70.  Ou « le sédiment ». 71.  Ou « le dépôt ». 72.  Ou « la distinction ». 73. Cette traduction est fondée sur une reconstitution qui correspond à κα[τέχετε] (=  vous observerez), mais on pourrait avoir aussi eu soit κα[τέχοιτε] (= vous pourrez garder) soit κα[τ’ αὐτὰς] (=  accord avec) – cette dernière possibilité est celle qui a été retenue par L.  Cirillo – A.  Concolino M ancini – A. Roselli, Codex Manichaicus Coloniensis. Concordanze, Cosenza, 1985, p. 118.

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ordonnée de réaliser. Mais vous vous êtes lavés et, en vous éloignant d’elle, vous avez observé  / gardé (κατέχω) la pureté (κάθαρσις) du corps très souillé (μιαρωτάτου) et façonné par la souillure (μυσαρός), et par elle (la souillure), il (le corps) a été caillé 74 (τυρόω) et construit (οἰκοδομέω) (afin d’exister) ». V. Réactions des baptistes au discours de Mani (85, 13-88, 14) Quand je leur eus dit ces mots, et détruit (καταλύω) et aboli (καταργέω) ce qu’ils faisaient avec zèle, quelques-uns parmi eux étaient dans l’admiration à mon sujet, me louèrent et me considérèrent comme un chef 75 (ἀρχηγός) et un maître (διδάσκαλος), mais [il s’éleva beaucoup] de calomnies [dans cette communauté (δόγμα)] 76 (p. 86) à mon sujet. Quelques-uns parmi eux me regardèrent comme un prophète (προφήτης) et un maître (διδάσκαλος). Quelques-uns parmi eux dirent : « Le Verbe Vivant (ζῶν λόγος) est annoncé par lui ; faisons-nous de lui un maître de notre communauté (διδάσκαλος τοῦ δόγματος) ». D’autres dirent : « Est-ce qu’une voix lui a parlé en secret et est-ce qu’il dit des choses qui lui ont été révélées (ἀποκαλύπτω) ? ». Quelques-uns dirent : « Est-ce que quelque chose lui est apparue (ᾤφθη) dans un rêve et qu’il dit ce qu’il a vu ? ». D’autres dirent : « N’est-ce pas celui dont prophétisaient nos maîtres ainsi : ‘Un jeune homme (ἠΐθεος) s’élèvera (ἀνίστημι, de ἀνάστασις) d’entre nous et un nouveau [maître] viendra (p. 87), pour renverser toute notre communauté (δόγμα) de la même façon que nos pères l’avaient annoncé en ce qui concerne le Repos du Vêtement (τῆς ἀναπαύσεως τοῦ ἐνδύματος) ’ ». D’autres dirent : « N’est-ce pas l’erreur (πλάνη) qui parle en lui, et ne veutil pas égarer notre peuple (ἔθνος) et diviser notre communauté (δόγμα) ? ». D’autres, parmi eux, étaient remplis de jalousie et de colère ; et parmi ceuxci, certains se déclarèrent en faveur de ma mort. D’autre dirent : « Celui-ci est l’ennemi (ἐχθρός) de notre [Loi (νόμος)] ». Et les uns [dirent] : « Veut-il aller chez les païens (ἔθνη) et manger du pain [grec] (ἑλλη[νικὸν] ἄρτον) ? ». […] : « Nous l’avons entendu dire : ‘Il faudrait manger du pain (p. 88) [grec] ([ἑλληνι]κοῦ ἄ[ρτου])’ ? ». De plus, il dit que c’est convenable de consommer une boisson, du froment, des légumes et des fruits, que nos pères et maîtres nous avaient 74.  Ou « coagulé ». 75.  Ou « un fondateur ». 76.  Le grec δόγμα est traduit ici par « communauté » et non par « religion » ou par « secte » comme on le propose parfois.

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strictement interdit de manger. De plus, le baptême (βάπτισμα) par lequel nous nous baptisons (βαπτίζω), il le détruit (καταλύω), et lui-même ne se baptise (βαπτίζω) plus comme nous, et il ne baptise (βαπτίζω) pas non plus sa nourriture (ἄριστον) comme nous le faisons. VI. Réunion d’un synode par Sitaios et les Anciens pour juger Mani (88, 15-89, 8) Aussi, [en ce temps-là], quand Sitaios et ses [compagnons] ([ἑταῖρ]ος) virent que je ne pourrais pas être persuadé par leur [conviction, mais] que petit à petit j’étais en train de détruire (καταλύω) et d’abolir (καταργέω) leur propre [Loi et] leurs interdits alimentaires (τὰ ἐδέσματα ἅπερ ἀπέκριναν), et les (p. 89) baptêmes (βάπτισμα) que je ne pratiquais plus, littéralement « je ne me baptisais plus » (βαπτίζω) comme ils les faisaient ; quand ils virent mon opposition à toutes ces choses, alors Sitaios et le groupe 77 de ses compagnons, les Anciens (τὸ πλῆθος τῶν ἑταίρων αὐτοῦ), convoquèrent un conseil 78 (σύνοδος) à mon sujet 79. VII. Convocation de Pattikios devant le synode (89, 9-90, 6) Ils convoquèrent aussi le maître de la maison (οἰκοδεσπότην), Pattikios, et lui dirent : « Ton fils s’est retourné contre notre Loi et souhaite aller dans le monde (εἰς τὸν κόσμον). Le pain de froment (σίτινον ἄρτον), et (certains) fruits et légumes que nous excluons (ἀφορίζω) et ne mangeons pas, tous ces (interdits) il ne les respecte pas et déclare qu’il est nécessaire de les supprimer ». D’autres dirent : « Il ne se baptise (βαρτίζω) pas par [des baptêmes (βάπτισμα)] de la même façon qui est pratiquée par nous. (p. 90) Et il souhaite manger le pain [grec] ([Ἑλληνικὸν] δὲ ἄρτον) ». Alors Pattikios, parce qu’il s’était aperçu de leur très grand tumulte leur dit : « Convoquez-le vous-mêmes et persuadez-le ». VIII. Convocation de Mani devant le synode (90, 7-91, 18) Alors, ils me convoquèrent auprès d’eux, et rassemblés, ils me dirent : « Depuis ton jeune âge tu as été parmi nous, vivant (δίαγω) bien les prescriptions (τάξις) et coutumes (ἀναστροφή) de notre Loi. Tu as été dans notre milieu comme une fiancée (νύμφη) soumise 80. Maintenant que t’est-il arrivé, qui t’est apparu (ὁράω) ? Tu détruis (καταλύω) notre Loi et tu abolis (καταργέω) notre [communauté (δόγμα)]. Tu prends (p. 91) un autre 77.  Ou « la foule ». 78.  Littéralement « une assemblée ». 79.  Littéralement, « me rendant grâce » (ποιήσαντο ἐμοῦ χάριν). 80.  Ou « vertueuse ».

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chemin que le nôtre. Nous tenons ton père en grande estime. Pourquoi, alors, veux-tu détruire (καταλύω) maintenant le baptême (βάπτισμα) de notre Loi et de nos Pères, d’après laquelle nous avons vécu de tout temps ? Tu as même détruit (καταλύω) les préceptes du Sauveur ! Tu as même souhaité manger du pain de froment et de ces légumes que nous ne mangeons pas ! Pourquoi vis-tu ainsi et pourquoi ne te charges-tu pas de cultiver la terre de la même façon que nous le faisons ? ». IX. Début du discours de défense de Mani transmis sous l’autorité de Baraïes (91, 19-93, 23) Alors, je [leur] dis : En aucun cas, je ne voudrais [détruire (καταλύω) les] préceptes du Sauveur. Mais, si vous me [reprochez] [au sujet] du pain de [froment] ([σίτι]νος ἄρτος) (p. 92) parce que j’ai dit : « C’est nécessaire de le manger », cela le Sauveur l’avait fait ; comme il est écrit, que quand il (l’) a bénit et (l’) a partagé avec ses disciples, « sur le pain, il dit une bénédiction et (le) leur donna » 81. Ce pain, n’était-il pas de froment ? Elle (l’Écriture) montre qu’il acceptait de manger avec les publicains (τελώνης) et les idolâtres (εἰδωλολάτρης) 82 . De même, il acceptait aussi de manger dans la maison de Marthe et de Marie. Lorsque Marthe lui dit : « [Seigneur], ne te soucies-tu pas de moi et ne veux-tu pas dire à ma sœur qu’elle devrait m’aider » ; le Sauveur lui dit : « Marie a choisi la [meilleure] part (p. 93) et elle ne lui sera pas enlevée » 83. Considérez d’ailleurs comment même les disciples du Sauveur mangèrent le pain des femmes et des idolâtres (ἄρτον ἀπὸ γυναικῶν καὶ αἰδ[ω] λολατρῶν) sans faire aucune distinction entre un pain et un autre pain, et entre un légume et un autre légume ; et qu’ils ne se procurèrent pas leur nourriture par leur propre travail et par la culture de la terre, de la même façon que vous le faites aujourd’hui. De même, lorsque le Sauveur envoyait ses disciples annoncer son message dans chaque lieu, ils ne transportaient avec eux ni meule ni four, en outre [aussi] … ; ne pas prendre de [vêtement] de […]. (p. 94, 1) Za[chéas] X. Suite du discours de défense de Mani transmis sous l’autorité de Zachéas (94, 2-99, 9) Si donc vous m’accusez au sujet du baptême (βάπτισμα), alors je vous démontrerai (δείκνυμι) encore, en parlant de votre Loi et des choses qui 81.  Voir Mc 14, 22. 82.  Voir Mt 9, 10-11 et Mt 11, 18-19. 83.  Voir Lc 10, 38-42.

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ont été révélées (ἀποκαλύπτω) à vos dirigeants (μείζοσιν), qu’il ne faut pas se baptiser (βαπτίζω). En effet, Elkasaï (Ἀλχασαῖος), le chef 84 (ἀρχηγός) de votre Loi le montre 85. Quand il (Elkasaï) allait se laver (λούομαι) dans les eaux, l’image d’un homme (εἰκὼν ἀνδρός) lui apparut de la source des eaux (τῆς πηγῆς τῶν ὑδάτων) et lui dit : « Ne suffit-il pas que tes animaux me frappent, même toi [aussi] tu maltraites [mon lieu] et tu profanes (ἀσεβέω) mes eaux ». Si bien qu’Elkasaï [fut étonné] et dit à (p. 95) l’image 86 (qui lui était apparue) : « La fornication (πορνεία), l’impureté (ἡ μιαρότης), la souillure (ἀκαθαρσία) du monde sont jetées sur toi et tu ne t’en défends pas, et toi tu t’es affligée (λυπέω) à cause de moi ! ». Elle lui dit : « Même si tous les autres ne savent pas qui je suis, toi, qui déclares être un serviteur (λάτρις) et un juste de Dieu (δίκαιος), pourquoi n’as-tu pas protégé mon honneur (τιμή) ? ». Alors, Elkasaï, troublé (κινέω), ne se lava pas (οὐκ  +  λούομαι) dans l’eau. De nouveau, après beaucoup de temps, il (Elkasaï) voulut se laver (λούομαι) dans les eaux et il demanda à ses disciples (μαθητής) de chercher un lieu [avec peu] d’eau, pour se laver (λούομαι). Ses disciples (p. 96) lui [trouvèrent le] lieu. Lorsqu’il [s’apprêtait] à se laver (λούομαι), de nouveau, une seconde fois, lui apparut l’image d’un homme (εἰκὼν ἀνδρός) dans cette source et lui dit : « Nous et les eaux qui sont dans la mer, sommes une seule chose. Ici aussi es-tu donc venu pécher (ἀμαρτάνω) et nous frapper ? ». Elkasaï, alors tout tremblant et agité, laissa sécher la boue qui était sur sa tête, et l’enleva 87 (ou la souleva 88) ainsi ». [De nouveau], il (Mani) démontre qu’Elkasaï avait des charrues [laissées à l’écart] et qu’il se rendit [vers] elles. [La terre] (γῆ) parla et lui dit (p. 97) : « Pourquoi réalisez-vous votre revenu à partir de moi ? ». Alors, Elkasaï, ayant pris un peu de cette terre qui lui avait parlé, l’embrassa en pleurant, la mit sur sa poitrine et commença à dire : « Celle-ci est la chair (σάρξ) et le sang (αἷμα) de mon Seigneur » 89. De nouveau, il (Mani) dit qu’Elkasaï trouva ses disciples en train de faire cuire du pain, et le pain parla à Elkasaï. Celui-ci ordonna (donc) de ne plus le cuire. 84.  Ou « le fondateur ». 85.  La traduction retenue repose sur une correction de δείκνυσι en δευκνύσιν. 86.  Littéralement « lui dit ». 87.  Si l’on retient la restitution ἀπέσμηξεν. 88.  Si l’on retient la restitution ἀπετίναξεν. 89.  Voir Mt 26, 26-27.

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De nouveau, il (Mani) démontre [que Sab]baios, le Baptiste (βαπτιστής), portait des légumes à l’Ancien de la ville (τὸν πρεσβύτε[ρον τῆς πόλεως). Alors ce [légume]-là [pleura] et (p. 98) lui dit : « N’es-tu pas un juste (δίκαιος) ? N’es-tu pas un pur (καθαρός) ? Pourquoi nous conduis-tu chez les fornicateurs (πόρνος) ? ». Sabbaios fut agité à cause de ce qu’il avait entendu et ramena les légumes. De nouveau, il (Mani) démontre comment un palmier parla à Aianos, le Baptiste (βαπτιστής) de Kokhe (Κωχῆς), et lui ordonna de dire à son seigneur (κυρίωι μοῦ) 90 : « Ne me coupe pas parce que mes fruits ont été volés, mais laisse-moi pour cette année, et durant cette période je te donnerai les fruits correspondants [à ceux] qui [m’]ont été volés [durant] toutes [ces] années ». (p. 99) Mais il ordonna de dire à cet homme qui avait volé ses fruits : « Ne viens pas durant ce temps voler mes fruits. Si tu viens, je te jetterai d’en haut et tu mourras ». (p. 99, 10) Timothée XI. Fin du discours de défense de Mani transmis sous l’autorité de Timothée (99, 11-100, 1) Alors je leur dis : « Observez ces hommes extraordinaires (προφανεῖς) 91 de votre Loi (νόμος) qui ont vu ces visions, en ont été émus et les ont annoncées aux autres. De la même façon, moi aussi, je fais [tout ce que] (p. 100) j’ai appris d’eux ». XII. Réaction violente des baptistes contre Mani (100, 1-101, 10) « Après que je leur ai dit ces choses annulant leurs discours, ils sont tous devenus très mécontents, immédiatement ils ont été pris d’un mouvement de colère, à tel point que l’un d’entre eux s’est levé et m’a frappé. Ils m’ont retenu au milieu d’eux et ils m’ont battu. Ils m’ont attrapé par les cheveux comme un ennemi (ἐχθρός). Ils ont crié contre moi avec acrimonie et colère comme contre un superstitieux (δεισιδαίμων) 92 , et ils ont voulu m’étrangler, submergés par la jalousie. Mais par égard pour Pattikios, le maître de la maison (οίκοδεσπότης), qui leur demanda de ne pas commettre un acte impie [sous l’emprise de la colère ?] (p. 101) à l’égard de ceux qui demeurent parmi eux, ils se sont ressaisis et ils m’ont laissé aller. 90.  Littéralement « à mon seigneur ». 91.  Littéralement « ces illustres ». 92.  Ou « hérétique ».

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Après cette épreuve (πειρασμός), je me suis mis à l’écart, et me mettant en prière j’ai supplié instamment notre Seigneur de me venir en aide ». XIII. Apparition du Jumeau céleste et explications de Mani (101, 11-104, 10) Lorsque j’ai terminé ma prière et que j’étais très affligé, mon bienheureux Jumeau 93 (σύζυξ) est (apparu) en face – il est (mon) seigneur et mon secours. Alors il me dit : « ne sois pas affligé et ne pleure pas ! ». Et moi, je lui dis : « Comment ne pourrais-je pas être affligé ! Car (les hommes) de cette [communauté], avec qui je demeure [depuis mon enfance] (p. 102), ont changé leur opinion sur moi et sont devenus mes ennemis (ἐχθρος) parce que je me suis séparé de leur Loi (νόμος). Où pourraisje aller désormais : en effet toutes les communautés (δόγμα) et les sectes (αἵρεσις) sont les adversaires (ἀντίπαλος) du bien (ἀγαθὀν) 94 . Et moi, je suis seul, étranger (ὀθνεῖος) et solitaire (μονογενής) dans le monde. Lorsque j’étais dans cette communauté (δόγμα) de persuadeurs  / sermoneurs (ἀναγιγνώσκω) 95 au sujet de la purification (ἀγνεία), de la mortification de la chair (σαρκοδερία) et de l’observance (κατοχή) du repos des mains (ἀναπαύσεως τῶν χειρῶν), qui d’autre part faisaient tous partie de mes connaissances 96, [de sorte] que l’essor de [mon] corps était tout à fait [à l’écart des autres] communautés (δόγμα) 97, et pour cette raison, plus que [les adeptes] des [autres] communautés (δόγμα), ils savaient apprécier [la valeur ?] de [mon] corps (σῶμα), dès lors en effet que la croissance (ἀνατροφή) de mon corps (σῶμα) (p. 103) et les soins (τιθήνησις) et le bien-être 98 (βαυκαλισμός) ont eu lieu dans cette communauté (δόγμα) là, et que, de ce fait, j’étais en relation avec ses responsables (προεστῶσιν) et les anciens (πρεσβύτερος) durant la croissance (ἀνατροφή) de mon corps. Du moment que ceux-ci (c’est-à-dire les baptistes) ne m’ont pas donné une place pour accueillir (ὑποδέχομαι) la vérité (ἀλήθεια), comment alors le monde et ses nobles 99 (μεγιστᾶνες), et les maîtres 100 (διδασκαλία), pourront-ils m’accueillir (ὑποδέχομαι) pour entendre ces secrets (ἀπόρρητος) 93.  Ou « compagnon ». 94.  C’est-à-dire de la « bonne communauté », à savoir le manichéisme. 95.  Littéralement « la communauté de ceux qui lisent ». 96.  Littéralement « me connaissaient tous de nom ». 97. La traduction repose sur une reconstitution de Michel Tardieu proposée dans son cours au Collège de France en 1993-1994 : [ὡς κ]αὶ τῆν τοῦ σώμα[τός μοῦ ἀ]ξίαν μᾶλλον [εἶναι ἀπὸ] τῶν δογμά[ων. 98.  Littéralement « les berceuses ». 99.  Littéralement « grands ». 100.  Littéralement « écoles ».

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et pour accueillir (ὑποδέχομαι) ces préceptes (ἐντολή) qui sont difficiles ? Comment pourrais-je prendre la parole devant les rois, [les gouverneurs] et [les magistrats] (p. 104) de ce monde et les chefs (ἀρχηγός) des communautés (δόγμα) ? Eux, voilà qu’ils sont puissants et exercent le pouvoir avec leur richesse, leur superbe et leurs moyens matériels, alors que moi, je suis isolé et dépourvu de toutes ces choses ». XIV. Réponse du Jumeau aux explications de Mani (104, 10-105, 8) Puis donc, le très glorieux me dit : « Non seulement à cette communauté (δόγμα) tu as été envoyé, mais à chaque peuple et à chaque école et à chaque ville et à chaque lieu. Car par toi cette espérance sera déclarée et annoncée dans tous les [pays] et dans toutes les régions [du monde] et des hommes en grand nombre accepteront (p. 105) ta parole. Par conséquent, sors et voyage. Car je serai avec toi comme soutien et protecteur en tout lieu où tu proclames tout ce que je t’ai révélé. Donc, ne te fais pas de soucis et ne sois pas triste ». XV. Envoi en mission de Mani par le Jumeau et abandon de la communauté baptiste (105, 9-107, 23) Nombreuses étaient alors les choses qu’il m’a dites : il m’a encouragé et il m’a rendu plus confiant dans son espoir. Je me suis jeté devant lui et mon cœur s’est réjoui de la grande vision de mon bienheureux jumeau, très glorieux et très noble. Et je lui ai dit : « […] (p. 106) Voici en effet que Pattikios est un vieil homme et qu’il a déjà été bouleversé quand il a vu s’abattre sur moi un unique combat ». Alors il m’a dit : « Sors et voyage, car, vois-tu, deux hommes de cette Loi (νόμος) vont venir à toi, et ils seront tes compagnons (συνόπαδος). De la même façon, Pattikios aussi sera le premier de ton élection (ἐκλογή) et te suivra ». [En ce temps-là], deux jeunes gens (νεανίαι) d’entre les baptistes, [Siméo]n ([Συμεώ]ν) et Abizakhias (Ἀβιζαχίας), qui étaient mes voisins, se rallièrent à moi pour m’accompagner en tout lieu [en toute terre et en toute nation]. Ils [m’assistèrent] comme aides (συνεργός) [là où nous dûmes aller]. (p. 107) Aussi, selon la volonté de notre seigneur, je suis sorti de cette Loi (νόμος) pour semer son plus beau grain 101, enflammer ses bougies les plus lumineuses 102 , délivrer les âmes vivantes de leur soumission aux rebelles (στασιαστής), marcher dans le monde à l’image de notre Sei101.  Voir Mt 13, 37. 102.  Voir Gn 2, 7 ; 1 Co 15, 45.

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gneur Jésus, jeter à terre épée 103, division 104 et glaive de l’esprit 105, émietter le [pain] sur [mon] peuple 106 et vaincre la honte [infinie] qui est dans le [monde] […] 107. IV.4. A n notat ion

de

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Dans ces éléments d’annotation des extraits de la Vita Mani, portant sur la question des baptistes / elkasaïtes, qui vont suivre, on se limite généralement et exclusivement à une critique littéraire et à une critique historique, la seconde suivant toujours la première 108. Il est apparu souhaitable que cette annotation soit essentiellement explicative et non pas interprétative, d’autant, en effet, que l’explication relève du travail de l’historien alors que l’interprétation relève du travail du philosophe, pour ne pas dire du théologien. Autrement dit, il est à considérer que la démarche entreprise ici relève plus de l’annotation que du commentaire. Toujours dans le même esprit, il convient d’ajouter que, théoriquement, l’annotation pourrait bien relever de l’explicatif et le commentaire de l’interprétatif. Il est important de préciser, de redire, un principe fondamental valable pour la compréhension de l’ensemble de cet écrit manichéen. Il s’agit d’une biographie hagiographique, d’une « histoire sainte », de Mani, rédigée bien après les événements relatés : on y trouve par conséquent déjà une interprétation des événements de la vie du fondateur de la religiosité manichéenne – de ce fait, il convient de distinguer entre les événements relatés et les interprétations avancées. Dans le cas présent, cette distinction n’est pas évidente : il peut même paraître parfois impossible de distinguer entre l’événement et l’interprétation. Comment peut-on alors espérer remonter à la période baptiste / elkasaïte de la vie de Mani afin d’en tirer des informations d’ordre historique ? C’est ce que l’on va essayer cependant de faire tout au long de cette annotation, avant de donner un élément de réponse à cette question dans les conclusions. Il est extrêmement difficile de savoir, par exemple, si les 103.  Voir Mt 10, 34. 104.  Voir Lc 12, 51. 105.  Voir Ep 6, 17. 106.  Voir Ex 16, 4. 107.  Ce discours de Mani continue jusqu’à la p. 114, 7. 108. Pour un commentaire plus complet, voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P.  Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72,  8-99,  9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 87-199 ; « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 99, 10-120 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 44 (1981), p. 201-318.

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motifs de la rupture entre Mani et les baptistes / elkasaïtes sont authentiques ou pas – autrement dit, il est difficile de savoir s’ils remontent à l’époque de Mani ou seulement à celle de ses successeurs immédiats. Il est extrêmement difficile de savoir, autre exemple, si la critique des rites de purification baptiste / elkasaïte, en totalité ou en partie, se fonde soit sur une influence chrétienne, soit sur une influence bouddhique, soit même sur les deux. Par ailleurs, la controverse entre Mani et les baptistes / elkasaïtes semble correspondre à la controverse entre Jésus et les pharisiens (des années 30) qui d’ailleurs renvoie à la controverse entre les Judéens chrétiens et les Judéens non chrétiens (des années 80) – elle supposerait donc la connaissance d’un milieu chrétien de type orthodoxe, et non pas de type hétérodoxe, ce dernier ignorant ce genre de controverse qui est attestée dans les Évangiles synoptiques. Sans compter, comme l’a souligné Michel Tardieu, que la Vita Mani est un texte tout autant pour servir à l’édification qu’à la polémique, fournissant une chronologie symbolique et une toponymie archaïsante – autrement dit, pour ce critique, le texte relève de la « géo-ethnographie religieuse », expression qu’il convient cependant de ne pas trop maximaliser 109. Pour l’historien de l’elkasaïsme, la Vita Mani pose une difficulté majeure qui est de l’ordre de la critique : il faut être conscient, en effet, que la distinction entre éléments baptistes / elkasaïtes et éléments manichéens est source d’embarras. Celui-ci provient essentiellement du fait qu’on n’est vraiment pas au clair quant aux destinataires de cette œuvre : on a parfois l’impression que l’on est en présence à la fois d’un texte apologétique dans un but catéchétique et d’un texte de polémique dans un but de controverse. À titre d’exemple, il convient de rappeler que les baptistes / elkasaïtes, comme plus tard les manichéens, croient en la métempsycose – au sujet du phénomène de la métempsycose dans l’elkasaïsme, voir Elenchos  IX, 14, 1 et Panarion LIII, 1, 8 : dans ces deux passages, il s’agit de la métempsycose de Jésus. Mais dans le manichéisme, à la différence de l’elkasaïsme, le « transvasement » est le sort qui attend ceux dont l’âme n’est pas montée au ciel. Quoi qu’il en soit de ces problèmes, qui demanderaient des études spécifiques, cette annotation sera tout particulièrement orientée en fonction d’une recherche d’informations sur les baptistes / elkasaïtes. De ce fait, la problématique manichéenne n’est abordée que par nécessité, elle se limite donc, de ce point de vue, au plan strictement explicatif. 109.  M. Tardieu, « Sur la naissance de son corps. Chronologie et géographie dans le Codex Manichéen de Cologne », dans Annuaire du Collège de France 94 (1993-1994), p. 587-590.

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En fin de parcours, autant que cela est possible, on dresse un tableau des informations réelles sur les baptistes / elkasaïtes, en faisant la part des détournements à des fins apologétiques et polémiques. Les extraits de la Vita Mani considérés dans cette annotation sont ceux transmis sous l’autorité de trois des traditionnistes manichéens qui y sont mentionnés : (1) Baraïes (pour CMC 79, 13-93, 23) ; (2) Zachéas (pour CMC 94, 1-99, 9) ; (3) Timothée (pour CMC 99, 10-107, 23). Il convient de savoir cependant que c’est dans toute l’œuvre qu’il est aussi possible de glaner des informations sur les baptistes / elkasaïtes. Pour les parties annotées ici, il s’agit dans tous les cas de récits portant sur une controverse entre Mani et sa communauté d’origine, c’est-à-dire une communauté « baptiste » qui pourrait relever du mouvement elkasaïte. En réalité, la controverse se poursuit encore tout au long de l’extrait transmis sous l’autorité de Timothée (en CMC 108, 1-114, 5) et plus ou moins dans l’extrait transmis sous l’autorité de Koustaïos (en CMC 114, 6-116, 2) – extraits qui ne vont pas être vraiment examinés ici. De fait, l’opposition de Mani aux baptistes / elkasaïtes se manifeste tout au long de la Vita Mani, et non seulement dans les extraits transmis par Baraïes, Zachéas et Timothée. En effet, dès CMC 5, 3-13, Mani présente tout son programme de réformation qui consiste à se soustraire à la « Loi des Baptistes » (τῶι νόμωι τῶν βαπτιστῶν) : à cette fin il observe déjà le « sceau des mains » (κατέχων τὴν ἀνάπαυσις). Observons que le sceau des mains, l’un des trois grands principes manichéens, consiste à respecter les cinq éléments (lumière, feu, eau, vent, air), à l’état mélangé dans les créatures animales et végétales et dans la nature elle-même 110. On a l’impression que le CMC s’adresse en premier lieu à des baptistes / elkasaïtes, leur racontant la controverse qui a opposé Mani aux siens et justifiant son attitude. Ce qui n’est pas sans poser la question des destinataires de cet écrit, qui pourraient d’ailleurs être multiples. Quoi qu’il en soit, le conflit qui oppose Mani aux baptistes / elkasaïtes se retrouve aussi et notamment dans deux passages des Kephalaia : il s’agit du Kephalaion VI, p. 33, 29-32 et du Kephalaion  XII, p. 44, 24-25 – tous deux du Livre I (Berlin) 111. On le trouve aussi dans les Kephalaia non encore publiés dans lesquels la controverse serait plus christologique que baptismale, portant plus sur la doctrine que sur la pratique : voir notam-

110.  À ce sujet, voir M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 81-82, 19972 , p. 80-81 – voir aussi plus bas, ce qui est dit de l’ἀνάπαυσις τῶν χειρῶν. 111.  À ce sujet, voir A. H enrichs , « Mani and the Babylonian Baptists : A Historical Confrontation », dans Harvard Studies in Classical Philology 77 (1973), p. 43-44, n. 74.

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ment Kephalaion CXXX, p. 308, 11 et 14, du Livre I (Berlin) où l’eau est opposée au feu 112 . On rencontre encore un écho de ce conflit entre Mani et les baptistes / elkasaïtes dans la notice 58 du mimrā XI du Livre des scolies (Recension de Séert) de Théodore bar Koni, auteur chrétien nestorien du viii e siècle, où il est rapporté : Sur cet impie (il s’agit de Mani) on dit beaucoup d’histoires. Il en est qui ont dit qu’il s’appelait Qourqabios (Panarion LXVI, 1, Κούβρικος) et qu’il apprit d’abord l’hérésie des « purs », car eux l’avaient acheté. Son village s’appelait Abroumia, et son père Patig. Les « purs », qui s’appellent « vêtements blancs », n’ayant pu le supporter, ils l’expulsèrent de chez eux et le dénommèrent « instrument » (mana) du mal, d’où il fut appelé Mani (Panarion LXVI, 1) 113.

Ce texte recoupe en abrégé, les données essentielles de la Vita Mani du CMC : Mani a vécu dans une communauté baptiste / elkasaïte (= « vêtements blancs ») de laquelle il a été exclu. D’ores et déjà, il convient de préciser que dans cette recherche, l’identification des baptistes de la Vita Mani aux elkasaïtes, que l’on connaît par diverses autres traditions, est non seulement postulée, mais qu’elle est aussi acceptée – il ne s’agit toutefois pas d’un a priori : l’avancée des recherches permet dorénavant d’accepter un tel postulat 114, sur lequel d’ailleurs on va avoir l’occasion de revenir. On utilise donc indifféremment l’appellation « baptiste » ou l’appellation « elkasaïte ». Enfin avant d’entrer dans l’annotation proprement dite, soulignons que la Vita Mani est une œuvre entièrement rédigée en fonction de deux pensées religieuses, qui se donnent pour radicalement opposées : celle de Mani et celle d’Elkasaï. De ce fait, il est possible d’envisager, tout au moins à titre d’hypothèse, qu’à l’origine, elle a été rédigée à l’intention de la mission manichéenne dans les milieux baptistes / elkasaïtes – une mission qui est d’ailleurs documentée dans la Vita Mani elle-même puisque c’est dans des communautés elkasaïtes que Mani propage son message, ce qui est normal selon la culture antique où, lorsqu’on se déplace, on trouve l’hospitalité d’abord chez les siens et ensuite chez les autres. Baraïes, le maître (79, 13-93, 23) L’activité de Baraïes, l’un des plus anciens adeptes de l’Église manichéenne après la mort de Mani, se situe entre la fin du iii e siècle et le début 112.  Je dois cette précieuse information à Wolf-Peter Funk que je remercie. 113.  À ce sujet, voir R. H espel – R. Draguet, Théodore bar Koni. Livre des scolies (Recension de Séert), II. Mimre VI-XI, Louvain, 1982, p. 232 (CSCO 432). 114.  Voir par exemple M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 15-19, 19972 , p. 15-18.

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du iv e siècle 115. C’est le plus important traditionniste mentionné dans la Vita Mani, tout au moins quant au nombre et à la longueur de ses citations. Quatre parties peuvent lui être attribuées : CMC 14, 3-26, 5 ; 45, 1-72, 7 ; 72, 8-75, 5 ; 79, 13-93, 23. Comme il le dit lui-même, Baraïes s’adresse à ses « frères » : c’est-à-dire les manichéens. Dans le prologue et l’épilogue de sa section, il dit que son but est de contrer ceux qui ont changé de religiosité et revêtu l’infidélité : il s’agit sans doute de manichéens devenus renégats, car mettant en doute l’authenticité des visions et signes du fondateur en prétendant qu’il n’a rien écrit. C’est Baraïes, tout au moins sous son autorité, que sont rapportés des passages sur les apparitions du Jumeau céleste de Mani en CMC 14, 3-26, 5. On peut se demander quelle est la source de Baraïes ? Il se pourrait qu’il tire les passages qu’il cite de l’Évangile Vivant de Mani. Mais ce n’est là qu’une hypothèse, car rien n’est précisé dans la Vita Mani comme cela est le cas, plus loin, quand il donne trois extraits de l’Évangile Vivant (CMC 65, 23-68, 4 ; 68, 5-69, 8 ; 69, 9-70, 9 – l’origine de ces deux derniers n’est pas assurée). Le premier extrait dont il est question ici contient le récit du conflit qui oppose Mani aux baptistes / elkasaïtes : il figure dans un ensemble beaucoup plus important transmis non seulement par Baraïes, mais aussi par Abiesou, Innaios et Timothée, qui commence en CMC 72, 8 et s’achève en CMC 79, 12. Résumé des extraits de Baraïes, de Abiesou-Innaios et de Timothée (CMC 72, 8-79, 12) Sous l’autorité de ces quatre maîtres manichéens, trois morceaux, en effet, sont transmis en CMC 72, 8-79, 12 : - Le premier (CMC 72, 8-74, 5), extrait d’une homélie de Baraïes, est un sommaire de la « parousie » de Mani, construit sur la dialectique « reconnaissance de la venue spirituelle » par les disciples / « comportement selon la considération du corps » de la part des opposants. 115. À son sujet, voir J. R ies , « Baraiès le Didascale dans le Codex Mani. Nature, structure et valeur de son témoignage sur Mani et sa doctrine », dans L.  Cirillo – A.  van Tongerloo (Éd.), Atti del terzo congresso internazionale di studi « Manicheismo e Oriente cristiano antico ». Arcavacata di Rende  – Amantea, 31 agosto-5 settembre 1993, Louvain-Naples, 1997, p. 305-312. Voir aussi E. Tig chelaar , « Baraïes on Mani’s Rupture, Paul, and the Antediluvian Apostles’ », dans A. Hilhorst – G.H.  van Kooten (Éd.), The Wisdom of Egypt. Jewish, Early Christian and Gnostic Essays in Honour of Gerard P. Luttikhuizen, Leyde-Boston, 2005, p. 429-441.

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- Le deuxième (CMC 74, 6-77, 2), qui provient d’une tradition commune à Abiesou et à Innaios, présente une exégèse moraliste de la parabole du trésor caché et difficile (= la révélation faite à Mani) opposé aux trésors terrestres et faciles que l’elkasaïte Sitaios / Sitan propose au jeune Mani. - Le troisième (CMC 77, 3-79, 12), qui provient d’une tradition transmise par Timothée, est le récit d’une vision visant à confirmer Mani dans son rejet du pseudo-trésor proposé par l’elkasaïte Sitaios / Sitan 116. Dans l’extrait de Baraïes (CMC 79, 13-93, 23), l’intervention du traditionniste est assez réduite : au début (79, 14) et au milieu (88, 1-15), la forme est toujours impersonnelle (à la troisième personne) ; partout ailleurs, c’est Mani qui parle à une forme personnelle (à la première personne) et sur un mode discursif. Le point est important à souligner, les testimonia de Baraïes sont, en effet, présentés quasiment comme de véritables ipsissima verba de Mani – ce qui pourrait être une certaine assurance sur le fait qu’ils proviendraient de l’Évangile Vivant qui aurait été écrit par Mani. À noter l’expression ἔφη ὁ κύριός μου (= « mon seigneur disait »), qui renvoie plus ou moins aux phrases d’introduction que l’on trouve dans les Kephalaia 117 – cette expression fonde d’ailleurs l’autorité du traditionniste. Le même procédé se rencontre dans la tradition islamique où les traditionnistes introduisent souvent une tradition du prophète Mahomet (= un ḥadith) par les formules « L’envoyé (dans le sens d’apôtre) de Dieu a dit », « Le Prophète a dit » ou tout simplement « Il disait ». Au sujet du terme βαπτιστής Ce terme est repris 13 fois dans le CMC en référence à la Loi, à la doctrine et à la communauté des baptistes / elkasaïtes : 5, 11 ; 6, 8 ; 7, 6 ; 9, 15 ; 10, 11 ; 11, 4 ; 73, 10 ; 97, 19 ; 98, 10 ; 106, 17 ; 109, 21 ; 110, 10 et 140, 13. Il permet de qualifier, d’un point de vue rituel, la communauté religieuse dans laquelle Mani a passé toute son enfance et sa jeunesse. Rappelons que les pratiques baptismales dans le judaïsme trouvent leurs fondements en Lv 11, 31-45, en Lv 15, 31 et en Nb 19, 13-20. Redisons que, dans la Vita Mani, il n’est jamais question d’elkasaïtes, mais de baptistes. En revanche, le nom d’Elkasaï, le fondateur historique ou éponyme du mouvement elkasaïte, est plusieurs fois mentionné. Dans le CMC, le terme βαπτιστής pourrait bien avoir un sens péjoratif. Étant donné que ce texte est anti-baptiste, il ne serait pas étonnant 116.  À ce sujet, voir M. Tardieu, « La vision de la mer aux eaux noires (CMC 77, 4-79, 12) », dans Res Orientales 7 (1995), p. 303-311. 117. Pour une liste des formules d’introduction dans les Kephalaia, voir A. Böhlig, Mysterion und Wahrheit. Arbeiten zur Geschichte des späten Judentums und des Urchristentums, Leyde, 1968, p. 234.

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qu’en les désignant ainsi les traditionnistes s’expriment au nom des manichéens qui sont encore, pour certains d’entre eux, d’anciens baptistes. Le terme βαπτιστής dans le CMC pose un problème de traduction. On le rend par « baptiste », mais on devrait le comprendre dans le sens de « immergeur », car ce sont des gens qui immergent dans des eaux vives leurs corps et toutes sortes de choses à des fins de purification, y compris leurs aliments. I. Conflit de Mani avec la doctrine des baptistes (79, 14-80, 5) Mon seigneur (il s’agit de Mani) disait : « Dans cette Loi (νόμος), j’ai passé assez de temps à dialoguer avec chacun, je me suis levé et je les ai interrogés au sujet de la Voie de Dieu (ὁδου τοῦ θεοῦ), au sujet des préceptes du Sauveur (σωτῆρος ἐντολ[ῶν]), au sujet du (p. 80) baptême (βάπτισμα), au sujet des légumes qu’ils baptisent (βαπτίζω), et au sujet de chaque règlement (θεσμός) et de chaque prescription (τάξις), d’après lesquels ils vivent ». D’après Baraïes, Mani, dans ce passage, énumère les points de divergence lors d’une discussion qu’il a eue durant un certain temps avec les baptistes / elkasaïtes. Ils sont au nombre de cinq : 1. au sujet de la Voie de Dieu ; 2. au sujet des préceptes du Sauveur (= Jésus) ; 3. au sujet du baptême (du corps) ; 4. au sujet du baptême des légumes ; 5. au sujet de chaque règlement et de chaque prescription. Tous relèvent de l’éthique (1) et de la pratique (2 à 5), aucun ne semble porter sur la croyance. Le grec νόμος peut se comprendre dans le sens habituel de Loi (= Torah), mais il peut avoir un sens métaphorique pour exprimer la communauté – un sens qu’on ne retient généralement pas. Il est cependant à comprendre ici dans le sens de « communauté religieuse » (Religionsgemeinschaft), comme d’ailleurs en Panarion  XIX, 3, 6 – selon la proposition d’Albert Henrichs 118 . Dans la Vita Mani, le grec νόμος peut ainsi signifier soit la communauté vivant selon la Loi de Moïse, soit la Loi de Moïse elle-même – ce dernier sens est celui du mot Torah dans le judaïsme rabbinique. 118.  A. H enrichs , « Mani and the Babylonian Baptists : A Historical Confrontation », dans Harvard Studies in Classical Philology 77 (1973), p. 47-48.

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La première signification n’a rien de surprenante. L’histoire des religions offre de nombreux exemples semblables. Les adeptes de l’hindouisme, par exemple, se pensent et se disent comme ceux qui suivent : sanatana dharma. Or dharma signifie l’usage, ce qui est établi conformément à l’ordre et à la justice : de ce fait, sanatana dharma représente donc la Loi éternelle. La religiosité que cette expression désigne consiste pour le croyant à agir selon la Loi des ancêtres, la Loi de toujours. Pour les elkasaïtes, la Loi de Moïse (= la Torah) est relativement différente de celle des Judéens rabbiniques notamment, car elle est généralement expurgée de tout ce qui concerne le Temple et le culte sacrificiel qu’ils refusent systématiquement (Panarion  XIX), raison pour laquelle ils ne consomment d’ailleurs pas de viande (Panarion LIII, 1, 4). De plus, dans la Vita Mani, le chef de la Loi est Elkasaï comme il est rapporté en CMC 94, 10-12 : « Elkasaï, le chef de votre Loi, le montre ». Le terme νόμος dont les occurrences sont nombreuses dans la Vita Mani (23 fois), est un des arguments permettant de fonder l’origine judéenne de la communauté baptiste et de la considérer comme elkasaïte. Il n’y a pas lieu de retenir, car non fondée dans la documentation, la proposition de Christelle et Florence Jullien qui estiment de manière imprécise que cette Loi est « avant tout… une réglementation baptismale établie depuis longtemps » 119. Au sujet de l ’expression ὁδοῦ τοῦ θεοῦ (CMC 79,  20) Cette expression ὁδοῦ τοῦ θεοῦ (Voie de Dieu) représente ici le chemin du baptisme et non celui de Mani et du manichéisme comme certains critiques le supposent en se fondant sur le fait qu’elle se trouve aussi dans la littérature manichéenne, mais qui est plus tardive. Elle se rencontre dans certains écrits chrétiens comme la Didachè, la Doctrine des Apôtres, l’Épître de Barnabé et le Pasteur d’Hermas (écrits chrétiens d’origine judéenne de la fin du ier siècle ou de la première moitié du iie siècle) – elle figure aussi dans les écrits de Qumrân (1QS 3, 10 – ‫)דרכי אל‬. Elle renvoie à la doctrine des « Deux Voies » qui est un des thèmes majeurs apparaissant dans la littérature chrétienne la plus ancienne 120. La question qui se pose dans la doctrine des « Deux Voies » est non pas celle de l’idolâtrie, mais celle de la tentation. Autrement exprimé : quelle est l’origine de la sollicitation au mal dans le cœur de l’homme ? La doc119.  C.  Jullien – F.  Jullien, « Le mouvement baptiste en Orient, un phénomène marginal pour la christianisation ? », dans Apôtres des confins. Processus missionnaires chrétiens dans l ’Empire iranien, Bures-Yvette, 2002, p. 142 (Res orientales XV). 120. Pour une première approche, voir D.  Cerbelaud, « Le thème des deux voies dans les premiers écrits chrétiens », dans Pardès 30 (2001), p. 103-110.

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trine des « Deux Voies » ou des « Deux Esprits » est une réponse à ce problème. Mais cette réponse présente une ambiguïté que l’on rencontre dans tous les développements littéraires de la doctrine. En effet, cette sollicitation est parfois présentée comme procédant de l’homme lui-même, des dispositions de son cœur. De ce fait, se pose alors l’origine de ces dispositions : est-ce le divin qui les a créées, ou viennent-elles d’une autre cause ? Parfois, dans certains développements littéraires, cette sollicitation est présentée comme provoquée par un esprit personnel, le démon. L’étude de la doctrine des « Deux Voies » relève d’une certaine manière de la démonologie chrétienne d’origine judéenne, d’autant que les deux aspects de la tentation, psychologique et démoniaque, sont inséparables. Il ne serait pas impossible que la version des « Deux Voies » de la Doctrine des Apôtres (CPG 1736) soit la plus ancienne attestée en milieu chrétien d’origine judéenne. La Doctrine des Apôtres est un texte conservé en latin pour lequel on ignore tout de sa datation, de sa localisation et de ses origines, si ce n’est qu’il pourrait s’agir d’une traduction antérieure au début du iii e siècle 121. Il n’est donc pas étonnant de retrouver la « Voie de Dieu », sous une forme sensiblement différente, parmi les doctrines éthiques et les rituels des baptistes elkasaïtes, mais dont il est question aussi en CMC 84, 13 dans l’opposition entre la lumière et les ténèbres 122 . Au sujet de l ’expression σωτῆρος ἐντολῶν (CMC 79,  21) Cette expression σωτῆρος ἐντολῶν (= préceptes du Sauveur) correspond aux normes qui règlent la vie de la communauté (tout spécialement les préceptes de la purification du corps et des aliments), et que les elkasaïtes font remonter au Sauveur lui-même, c’est-à-dire, en principe, à Jésus. Il s’agit d’une expression que l’on rencontre plusieurs fois dans la Vita Mani : outre CMC 79, 21, on la trouve en CMC 80, 11-12 ; 84, 8-9 et 20-21 ; 91, 20-21. Il n’est jamais précisé ce que sont ces préceptes, quel est leur contenu, si ce n’est qu’ils renvoient au δίκαιος (= juste) c’est-à-dire à celui qui les respecte, les observe, qualifié ainsi pour cela, à l’exemple de Jacques le frère de Jésus, mais pas seulement. On identifie généralement le « Sauveur » dont il est question dans ce passage à Jésus de Nazareth. Or, on trouve des ἐντολαί dans l’Elenchos IX, 17, 1, justement dans un passage relatif aux elkasaïtes. C’est pourquoi, on devrait se demander si le « Sauveur » ne pourrait pas être ici Elkasaï plutôt que Jésus (l’intercesseur prophétique et non pas le maître divin), d’autant qu’il est question par la suite, dans la Vita Mani, de ce 121.  Le texte a été édité par W. Rordorf – A. Tuillier , La Doctrine des Douze Apôtres (Didachè), Paris, 1978, p. 207-210 (SC 248). 122.  À ce sujet, voir plus bas.

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personnage, fondateur du groupe – c’est une hypothèse qui donnerait plus de cohérence au contenu de la Vita Mani dans le contexte babylonien où les chrétiens d’origine non judéenne ne sont pas encore très répandus ni très nombreux jusque vers la fin du iii e siècle en dehors des elkasaïtes, même s’il y a sans doute aussi des marcionites et des tatianites – groupes qui ont été marginalisés dans les communautés chrétiennes de l’empire romain et qui ont trouvé refuge dans l’empire iranien. Quoi qu’il en soit, pour les manichéens, le Nouveau Testament n’est pas un écrit de révélation, mais un sommaire de prédication, autrement dit le mémento des commandements de Jésus. Pour eux, en effet, le Nouveau Testament transmet ce qu’il faut pratiquer pour être sauvé : il signifie le salut, mais ne le cause pas. C’est ainsi, semble-t-il, qu’il faut comprendre la règle édictée par Faustus le manichéen et rapportée par Augustin le chrétien : Quod a Regnum Dei non sit in verbo sed in virtute (= le Royaume de Dieu n’est pas dans le mot, mais dans la vertu), c’est-à-dire dans la pratique effective de l’Évangile – voir Augustin, Contre Fauste 5, 2. Dans la Règle de la Communauté, on rencontre souvent le terme ‫חוקים‬ (= les préceptes), mais il s’agit des « préceptes de Dieu » (voir par exemple 1QS 5, 11-12). Dans l’Écrit de Damas, on trouve l’expression ‫ =( חוקים המורה‬les préceptes du Maître). Mais de fait, cette expression paraît renvoyer aux « préceptes de justice » (CD 20, 11). Leur observance équivaut au « culte de vérité » (Pesher d’Habacuc 7, 11) ou au « culte de justice » (1QS 9, 4 ; 19, 6), ou encore aux « voies de justices » (CD 1, 16). Au sujet du terme τάξις (CMC 80,  4) Ce terme technique est utilisé par trois fois dans la Vita Mani pour qualifier les « prescriptions » elkasaïtes (outre CMC 80, 4 ; on le trouve en CMC 44, 5 et 90, 1). De manière générale, il connote l’idée de « succession », d’« ordre » et de « norme ». Dans la littérature qumrânienne, le terme ‫ סרך‬est celui qui rend le mieux l’équivalence sémantique de τάξις. Les termes ‫ סרך‬et τάξις se retrouvent employés par exemple dans le Testament de Lévi tant en araméen qu’en grec : on peut donc dire que l’arrière-plan du grec τάξις est judéen et qu’il doit vraisemblablement traduire l’hébreu ‫  סרך‬123. Au sujet du terme θεσμός (CMC 80,  4) Ce terme technique est un hapax dans la Vita Mani. Il semble avoir été très employé dans la littérature chrétienne avec les sens suivants : (1) loi 123.  À ce sujet, voir J.C. R eeves , « The ‘Elchasaite’ Sanhedrin of the Cologne Mani Codex in Light of the Second Temple Jewish Sectarian Sources », dans Journal of Jewish Studies 42 (1991), p. 82-83.

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naturelle ; (2) loi révélée ; (3) loi promulguée [par l’Église] en matière de doctrine, de morale et de liturgie – dans ce dernier cas, θεσμός  = rituel. Si τάξις paraît remonter à ‫ סרך‬et donc à une terminologie d’origine judéenne, θεσμός pourrait renvoyer, quant à lui, à une terminologie d’origine strictement chrétienne. En ce qui concerne le baptême des légumes, il faut reconnaître qu’il s’agit d’une originalité de la communauté elkasaïte de Mani – le judaïsme pharisien ou rabbinique ne connaît pas cette règle de purification rituelle des aliments. Il se peut cependant qu’elle soit calquée sur le lavage rituel de la viande pour en éliminer le sang qui, lui, est bien attesté dans le judaïsme pharisien ou rabbinique. Cette originalité, celle de baptiser les légumes, se retrouve également chez les mandéens, mais sous une forme toutefois plus atténuée. En résumé, il convient de constater que, dans ce premier passage transmis par Baraïes, le vocabulaire technique est des plus précis : il est d’abord question des σωτῆρος ἐντολῶν (= préceptes du Sauveur), puis de θεσμός (= règlement) et enfin de τάξις (= prescription). Mani donne ainsi un résumé succinct, mais complet des observances chez les baptistes / elkasaïtes, du point de vue de leurs pratiques rituelles : il n’entre cependant pas dans les détails. Il y est aussi question de l’ὁδοῦ τοῦ θεοῦ (Voie de Dieu) et des σωτῆρος ἐντολῶν (= préceptes du Sauveur) qui semblent être plus d’ordre éthique que rituel. II. Réaction des baptistes contre Mani (80, 6-80, 17) Lorsque je détruisais (καταλύω) et accusais (κατηγορέω) leurs paroles (λόγος) et leurs secrets (μυστήριον), leur démontrant comment les choses qu’ils suivaient, ils ne les avaient pas reçues des préceptes du Sauveur, certains d’entre eux étaient dans l’admiration à mon sujet, d’autres en revanche se mettaient en colère et irrités disaient : « Ne veut-il pas, par hasard, s’en aller chez les Grecs (Ἕλληνες) ? ». Mani souligne fort expressément que son argumentation détruit et abolit les paroles et les secrets des baptistes / elkasaïtes. Les verbes καταλύω et καταργέω, que l’on peut traduire soit par « détruire » soit par « abolir », sont souvent utilisés par Mani pour signifier la chute et la fin du rituel baptiste / elkasaïte. Ces deux verbes apparaissent ensemble en quatre occasions : CMC 80, 6-7 ; 85, 14-15 ; 88, 20 ; 90,  21-22 – de plus, le verbe καταλύω seul, apparaît en trois autres occasions : CMC 91, 5 ; 91, 9 ; 91, 21. Ces deux verbes apparaissent toujours dans le même contexte, à savoir la destruction et l’abolition de l’éthique

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et du rituel elkasaïtes – le verbe καταλύω quant à lui, n’apparaît jamais en dehors de la controverse contre les elkasaïtes. Le verbe καταργέω se retrouve dans une lettre de Paul de Tarse : à l’actif, en Rm 3, 3 (= abolir la Loi) et au passif, en Rm 7, 6 (= être affranchi de la Loi). D’après Jean-Daniel Dubois, en CMC 80, 6-7, contre les éditeurs, il faudrait conjecturer κατηγόρουν (= accuser) – lecture fondée sur CMC 94, 3 où le verbe κατηγορέω est utilisé (communication orale). Il faudrait ajouter aussi l’attestation de Kephalaion  I, p. 12, 32, du Livre  I (Berlin), où est employé le verbe copte ⲁϥⲕⲁⲧⲏⲅⲟⲣⲉ (afkatêgore) (= le verbe grec κατηγορέω), à propos de Jésus qui a été accusé par les ⲛⲇⲟⲅⲙⲁ ⲛⲛⲓⲟⲩⲇⲁ (ndogma nniouda), les communautés des Judéens. Contre cette lecture, on doit relever les trois occurrences où le couple verbal καταλύω / καταργέω apparaît. Dans le cas où l’on accepte de maintenir κατηγόρουν il faudrait envisager un renvoi à une accusation contre les paroles – il conviendrait alors de faire référence à la question des « fausses péricopes » (voir Augustin dans le Contre Fauste). On peut se demander cependant si cette problématique n’est pas trop anticipée, étant donné le milieu de vie de la Vita Mani. En effet, une question se pose : est-ce que vers la fin du iii e siècle, il est déjà question des « fausses péricopes » dans le manichéisme d’autant qu’elles supposent une Écriture normative dont l’on détourne le sens ? À l’époque d’Augustin et de Fauste, il n’y a certes aucun problème à répondre positivement, mais à l’époque de la Vita Mani en Babylonie (ou en Égypte), il paraît difficile d’être aussi affirmatif 124 . Ceci étant, il est question des « fausses péricopes » dans certains passages de la littérature pseudo-clémentine, dans les Homélies mais apparemment pas dans les Reconnaissances, qui seraient du iii e siècle 125. Mani décrit alors à son auditoire (étant donné le mode discursif) la réaction des baptistes / elkasaïtes, qui se partagent entre ceux qui sont étonnés et ceux qui sont irrités. Le terme μυστήριον (= secret) renvoie aux secrets des baptistes  / elkasaïtes qui, d’après Elenchos  IX, 15, 2 et Elenchos  IX, 17, 1, sont les rites des baptistes / elkasaïtes – un terme technique que l’on trouve aussi dans les textes coptes manichéens 126. De fait, l’auteur de l’Elenchos utilise ce vocable afin de dénigrer les pratiques baptistes : son emploi dans l’Elenchos 124. Voir K.E. Shuve , « The Doctrine of the False Pericopes and Other Late Antique Approaches to the Problem of Scripture’s Unity », dans F. A msler – A. Frey – C. Touati – R. Girardet (Éd.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines – Plots in the Pseudo-Clementine Romance, Prahins, 2008, p. 437-445. 125. Voir G.B. Bazzana, « Apelles and the Pseudo-Clementine Doctrine of the False Pericopes », dans G. A ragione – R. Gounelle (Éd.), « Soyez des changeurs avisés ». Controverses exégétiques dans la littérature apocryphe chrétienne, Strasbourg, 2012, p. 12-32. 126. À ce sujet, voir N.A.  P edersen, « The Term ΜΥΣΤΗΡΙΟΝ in CopticManichaean Texts », dans C.H. Bull – L.I. Lied – J.D. Turner (Éd.), Mystery and

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est donc assimilable à un des nombreux procédés hérésiologiques – il ne serait pas étonnant qu’il en soit de même dans la Vita Mani. On pourrait s’étonner de voir traduire μυστήριον par « secret » et non par « mystère ». Cela ne l’est pas nécessairement quand on réalise le caractère secret des cultes à mystères dans l’Antiquité. Au sujet de μυστήριον que l’on trouve en CMC 80,  8 et 112,  10 (+  10 autres occurrences), pour Guy G. Stroumsa, qui étudie le champ sémantique de ce terme dans toute la Vita Mani, il ne désignerait pas uniquement le rituel baptiste, mais aussi « les secrets de la croyance » (Glaubensgeheimnisse), d’où par conséquence son sens ésotérique 127. En Elenchos IX, 15, 2, on lit au candidat au baptême elkasaïte le Livre contenant la doctrine secrète avant qu’il ne soit baptisé une seconde fois « au nom du Dieu grand et haut ὕψιστος = ‫ » )עליון‬et « au nom de son Fils le roi puissant ». Ce n’est qu’ensuite que le candidat se purifie par une nouvelle immersion, tout en invoquant le nom des « sept témoins » : le ciel, l’eau, les esprits saints, les anges de la prière, l’huile, le sel et la terre. L’auteur de l’Elenchos conclut alors en disant : « Tels sont les secrets (μυστήρα) merveilleux, ineffables et grands d’Elkasaï, qu’il transmet aux disciples méritants » – il est clair que par μυστήριον, l’auteur de l’Elenchos désigne le baptême donné une première fois au nom de Dieu et de son Fils et une seconde fois au nom d’Elkasaï. Pour Guy G. Stroumsa, l’auteur de l’Elenchos étend également les doctrines ésotériques révélées, durant ce rite de passage, à ceux qui en ont été jugés dignes 128. En Elenchos  IX, 17, 1, ils semblent viser d’une part le Livre d’Elkasaï et d’autre part les préceptes : c’est-à-dire, selon l’auteur de l’Elenchos, le baptême. Le caractère ésotérique de l’elkasaïsme semble évident, mais est-ce qu’on peut en dire autant du manichéisme ? Les Grecs (Ἕλληνες), dans la version grecque de la Vita Mani, sont soit des païens soit des chrétiens hellénophones. Ils sont certainement oppoSecrecy in the Nag Hammadi Collection and Other Ancient Literature : Ideas and Practices. Studies for Einar Thomassens at Sixty, Leyde-Boston, 2012, p. 133-143. 127.  G.G. Stroumsa, « Esoterism in Mani’s Thought and Background », dans L.  Cirillo (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 153-168 (= « L’ésotérisme dans le passé et l’univers de Mani », dans G.G. Stroumsa, Savoir et salut. Traditions juives et tentations dualistes dans le christianisme ancien, Paris, 1992, p. 227-242). 128.  G.G. Stroumsa, « Esoterism in Mani’s Thought and Background », dans L.  Cirillo (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 153-168 (= « L’ésotérisme dans le passé et l’univers de Mani », dans G.G. Stroumsa, Savoir et salut. Traditions juives et tentations dualistes dans le christianisme ancien, Paris, 1992, p. 227-242).

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sés à des milieux coptophones dans lesquels le manichéisme s’est diffusé en Égypte. Dans l’original araméen, il est possible que les baptistes araméophones aient été opposés aux Judéens et aux Grecs araméophones. Il ne peut en tout cas pas être question de chrétiens hellénophones d’origine païenne, comme le soutiennent Albert Henrichs et Ludwig Koenen 129. En effet, en 240, date de cette controverse, il n’y a pas encore dans l’empire iranien de communautés chrétiennes hellénophones d’origine païenne, qui ne se formeront que quelques années plus tard, à la suite des raids de Shapur Ier dans l’empire romain et des déportations de populations (parmi lesquelles des chrétiens, notamment d’Antioche) qui s’en sont suivies. L’attitude critique de Mani laisse à penser qu’il veut quitter les baptistes / elkasaïtes, pour vivre à la manière grecque, ou plus généralement pour aller dans le monde – c’est d’ailleurs l’expression qui est utilisée en CMC 89, 13. À ce sujet, voir par exemple l’Évangile selon Jean, en 7, 35, où les Judéens estiment, à cause de son attitude considérée comme hostile, que Jésus va rejoindre les Grecs, c’est-à-dire les non Judéens. III. Réfutation du sens du baptême et de la pureté par Mani (80, 18-84, 8) Dès que je connus leurs intentions (φρόνημα), je leur disais avec bonté (χρηστότης) : « Le baptême (βάπτισμα) par lequel vous (p. 81) baptisez (βαπτίζω) vos nourritures (ἔνδεσμα) n’a [aucune] valeur ; ce corps (σῶμα), en effet, est impur (μιαρός) et fut façonné (πλάσσω) par une fabrication impure (πλάσεως μιαρότης). Voyez, quand quelqu’un purifie (καθαρεύω) son aliment (ἐδωδή) et le mange, même s’il a été déjà baptisé (βαπτίζω) nous savons qu’à partir de lui se forment sang, bile, flatuosités, excréments honteux et impureté du corps (σώματος μιαρότης). Mais si quelqu’un retient de sa bouche cette nourriture (τροφή) pour peu de jours, on se rend compte aussitôt que [tous] ces rejets honteux et dégoûtants viennent à manquer et diminuent dans le corps. Mais s’il prend à nouveau un aliment (ἐδωδή), (p. 82) ils abondent de la même façon dans le corps, si bien qu’il est clair qu’ils se multiplient à partir de la nourriture (τροφή) elle-même. Mais si quelqu’un prend un aliment (βρῶμα) baptisé (βαπτίζω) et purifié (καθαρεύω), et (puis) celui qui n’est pas baptisé (ἀβάπτιστος), il apparaît que la beauté et la force du corps demeure la même. De même, on voit que le dégoût et le dépôt (ἡ

129.  A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 137, n. 186.

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βδελυρότης καὶ ἡ τρύξ) 130, dans les deux cas, ne diffèrent pas l’un de l’autre ; il s’ensuit que celui (l’aliment) qui a été baptisé (βαπτίζω) et que (le corps) a expulsé et évacué n’est pas meilleur qu’un [autre] qui n’a pas été baptisé (ἀβάπτιστος). Mais cela aussi (p. 83) n’a aucune valeur : le fait que vous vous baptisez (βαπτίζω) chaque jour dans l’eau. En effet, ayant été baptisés (βαπτίζω) et purifiés (καθαρεύω) une fois pour toutes, pourquoi estce que vous vous baptisez (βαπτίζω) chaque jour ? En cela aussi, il est donc clair que vous vous prenez en dégoût chaque jour et que, à cause du dégoût (βδελυρότης), vous vous baptisez (βαπτίζω) sans être purifiés (ἀποκαθαρεύω). Il est tout à fait évident par-là que toute souillure (μυσαρότης) vient du corps. Et voilà, vous aussi l’avez revêtu. C’est pourquoi, voyez par vous-mêmes quelle est (la valeur de) votre pureté (καθαρότης). En effet, il est impossible (p. 84) de purifier (καθαρεύω) complètement vos corps. Chaque jour, en effet, le corps se met en mouvement et s’arrête à cause des sécrétions du sédiment (ἐκκρίσεις τῆς ὑποστάθμης) 131 qui proviennent de lui, si bien que la chose se fait indépendamment d’un précepte du Sauveur. La réfutation du sens du baptême et de la pureté chez les baptistes / elkasaïtes est maintenant développée de manière dialectique : (1) d’abord par une critique de la purification des aliments et (2) ensuite par une critique de la purification du corps. Mani critique d’abord la purification des aliments qui est inutile, essentiellement pour trois raisons : 1) il ne sert à rien d’introduire un aliment pur dans un corps qui, de par son origine, est impur  contexte elkasaïte ; 2) l’aliment ingurgité par l’homme se transforme toujours en impureté  contexte elkasaïte ; 3) l’aliment, qu’il soit purifié ou non, ne change pas la beauté et la force du corps  contexte manichéen (le jeûne !). Dans ces deux derniers cas, la laideur des excréments, par l’effet de la digestion, est toujours la même : c’est pourquoi l’unique remède est évidemment le jeûne. Mani critique ensuite la purification journalière du corps, qui est dépourvue de valeur, essentiellement pour deux raisons :

130.  Ou « le sédiment ». 131.  Ou « le dépôt ».

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1) le corps est impur et source d’impureté, il n’y a pas d’eau, qui puisse le purifier  contexte elkasaïte ; 2) la répétition du rite baptismal démontre que celui-ci n’a pas d’efficacité et, en outre, elle démontre aussi que le premier baptême (le baptême d’initiation de la tradition chrétienne) n’a pas d’efficacité  contexte elkasaïte + contexte chrétien général. Ce passage sur l’impureté du corps défend un dogme capital du manichéisme concernant l’impureté radicale du corps  contexte manichéen. Observons que ce dogme vient de l’elkasaïsme, mais qu’il a été transformé en remplaçant les baptêmes par les jeûnes. La question du second baptême s’est posée dans le christianisme du iii e siècle, mais un baptême limité au cas des lapsi et des hérétiques – notamment à Rome avec l’affaire de Callixte dont la relation avec le missionnaire elkasaïte Alcibiade est discutée 132 . Le vocabulaire technique, dans ce passage, est encore une fois très précis et très riche. Concernant la pureté, outre le verbe βαπτίζω (= baptiser) et le substantif βάπτισμα (= baptême) dont il a déjà été question, on rencontre aussi le verbe καθαρεύω (= purifier) et le substantif καθαρότης (= pureté) – on peut noter que βαπτίζω et βάπτισμα sont toujours utilisés pour exprimer la concrétisation de l’acte (c’est-à-dire le baptême) alors que καθαρεύω et καθαρότης le sont pour exprimer l’abstraction de l’acte (c’est-à-dire la pureté). Dans le Kephalaion  VI, p. 33, 29-32, du Livre I (Berlin), qui est une diatribe contre « les archontes de l’eau » (ⲁⲣⲭⲱⲛ ⲙⲡⲙⲁⲩ [nnarchon mpmau]) et « la communauté de l’erreur » (ⲇⲟⲅⲙⲁ ⲧⲉ ⲧⲡⲗⲁⲛⲏ [ndogma nte tplane]) – autrement dit les baptistes / elkasaïtes –, on trouve l’expression copte ⲡⲃⲁⲡϯⲥⲙⲁ ⲙⲙⲟⲩⲉⲩⲉ (pbaptisma nmmouieue) (= le baptême par l’eau), qui renvoie à CMC 82, 23-83, 3, où il est question du baptême de tous les jours dans l’eau. Concernant l’impureté, outre les verbes ἀβαπτίζω (= ne pas être baptisé) et ἀποκαθαρεύω (= ne pas être purifié) qui ne présentent aucune difficulté et pas grand intérêt, car assez commun, on rencontre l’adjectif μιαρός (= impur) et le substantif μιαρότης (= impureté), ainsi que le substantif μυσαρότης (= souillure), qui eux sont en revanche importants. On devrait se demander pourquoi une telle abondance de termes techniques pour désigner la même chose : l’impureté, la souillure. Il est vrai 132.  À ce sujet, voir d’abord A.  d’A lès , L’Édit de Callixte. Étude sur les origines de la pénitence chrétienne, Paris, 1914. Voir aussi G.P. Luttikhuizen, « Hippolytus’ Polemic against Bishop Calixtus and Alcibiades of Apamea », dans Studia Patristica  XVII/2, Oxford, 1982, p. 808-812.

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cependant que l’hébreu ou l’araméen sont également très riches en la matière 133. Au sujet du terme μιαρός (CMC 81,  2) L’adjectif μιαρός que l’on rencontre aussi en CMC 85, 8, vient du verbe μιαίνω (= souiller, profaner) qui a également donné le substantif μίανσις (= souillure, profanation). Le verbe μιαίνω revêt deux sens : celui de teindre dans un contexte profane et celui de souiller dans un contexte sacré – les teinturiers dans l’Antiquité représentent la souillure par excellence, sans doute à cause des saletés et des odeurs qui leur sont attachées. On peut observer que dans la Vita Mani, on ne trouve pas le verbe μιαρο-φαγέω (= manger des aliments impurs) ni le substantif μιαρο-φαγία (= faire usage d’aliments impurs) que l’on rencontre par exemple dans le Livre IV des Macchabées – un texte judéo-grec du Ier siècle de notre ère. Au sujet du terme μιαρότης (CMC 81,  4) Le substantif μιαρότης que l’on rencontre aussi en CMC 81,  13 et 95,  1, présente le même sens que le substantif μίασμα La première forme est attique tandis que la seconde est ionienne. C’est le substantif μιαρία – signifiant impureté, perversité, scélératesse – qui a donné le substantif μιαρότης. Initialement, le terme μίασμα a deux sens : (1) souillure provenant d’un meurtre ; (2) personne souillée par un meurtre. Par la suite, dans la Grèce archaïque par exemple, le terme μίασμα désigne tout ce qui constitue un obstacle entre les hommes et le sacré, parfois même entre l’individu et le groupe social auquel il appartient. Notions aux origines matérielles et entourées de tabous (Homère et Hésiode), μίασμα a donc recouvert peu à peu un champ plus large allant jusqu’à connoter des phénomènes anormaux, maladie, épidémie, sécheresse, famine, etc. La souillure apparaît ainsi comme contagieuse, comme contaminée : d’où l’intervention de rituels nécessaires à une purification et à une réintégration dans le sacré commun. Au sujet du terme μυσαρότης (CMC 83,  16) Le substantif μυσαρότης également attesté en CMC 85, 9, vient de l’adjectif μυσαρος qui lui-même vient du substantif μύσος : le sens sémantique est toujours le même, la souillure.

133. Voir J.  Neusner , The Idea of Purity in Ancient Judaism, Leyde, 1973, p. 120-123.

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Au sujet du terme καθαρότης (CMC 83,  21) Le substantif καθαρότης signifiant « pureté », qui revêt une certaine importance du point de vue de l’anthropologie, se trouve aussi en CMC 84, 10 et 85, 3. L’argumentation de Mani contre les baptêmes répétés est analogue à celle de l’auteur de l’Épître aux Hébreux, pour qui le sacrifice unique du Christ remplace les sacrifices répétés au Temple (He 9, 11-14). En CMC 83,  21 et en He 9,  13, il est question de καθαρότης. Il en est de même en CMC 83,  3 et en He 9,  12 où on rencontre l’adverbe ἅπαξ (= unique). L’étymologie de καθαρότης qui vient de κάθαρος est incertaine : ce terme, qui peut avoir le sens physique de propre, concerne avant tout la condition de l’homme, sur le plan cultuel, moral ou spirituel. Dans ce passage, on rencontre aussi toute une gamme de termes techniques pour désigner ce que l’on peut regrouper sous l’expression « impuretés corporelles » ou « impuretés du corps », expression que l’on trouve d’ailleurs dans le texte sous la forme de σώματος μιαρότης, à savoir : αἷμα (= sang), χολή (= bile), πνεῦμα (= flatuosité), σκύβαλα (= excrément), qui sont qualifiés de rejets honteux et dégoûtants (τὰ ἀκπεκδ[ύμα]τα τῆς αἰσχύνης κ[αὶ βδε[λυπότητος). Relevons aussi des termes comme τρύξ (CMC 82, 15) – signifiant aussi la lie du vin – et ὑποστάθμη (CMC 84, 6), qui sont utilisés pour désigner le sédiment corporel ou les déjections. Il s’agit d’un vocabulaire spécifique dont l’intérêt lexicographique n’est certainement pas dédaignable pour les hellénistes classicistes et tardivistes, voire surtout pour les spécialistes de philosophie grecque. En effet, des termes comme σκύβαλα (= excrément), τρύξ (= sédiment) et ὑποστάθμη (= sédiment) ont été utilisés par les philosophes médioplatoniciens et néoplatoniciens pour signifier la moindre des parcelles de la matière, la dernière des parcelles de la matière : le terme technique ὑποστάθμη (= sédiment ou dépôt humain [c’est-à-dire, urine ou sang]) est déjà utilisé par Platon, en Phédon 109c 134 . Selon Albert Henrichs, Mani aurait emprunté ce vocabulaire à Bardesane 135 : une hypothèse improuvable – on simplifierait la recherche si l’on 134.  À ce sujet, voir L.  Moulinier , Le pur et l ’impur dans la pensée des Grecs, d ’Homère à Aristote, Paris, 1952 (voir le compte rendu critique de J.-P. Vernant, Mythe et société en Grèce ancienne, Paris, 1974, p. 121-140). Voir aussi R.  Parker , Miasma : Pollution and Purification in Early Greek Religion, Oxford, 1983 (= Miasma. Souillure et purification dans la religion grecque archaïque et classique, Paris, 2019). 135.  A. H enrichs , « Mani and the Babylonian Baptists : A Historical Confrontation », dans Harvard Studies in Classical Philology 77 (1973), p. 58.

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ne faisait pas constamment appel à des personnages qui, à force d’être cités indûment, sont devenus des « mythes historiographiques ». Dans le même ordre d’idée, il n’est pas sans intérêt de relever que, quoique synonymes, pas moins de quatre termes différents sont utilisés dans ce passage pour désigner le domaine de l’alimentaire (aliment ou nourriture) : τὀ ἔδεσμα, ἡ ἐδωδή, ἡ τροφή et τὀ βλῶμα. Un cinquième terme apparaîtra un peu plus loin dans cet extrait de Baraïes : il s’agit du mot ἄριστον qui signifie « nourriture » (CMC 88, 14). Chez les elkasaïtes, comme chez la plupart des Judéens « hétérodoxes », on attribue un pouvoir de bénédiction au crachat émit par les détenteurs d’une quelconque autorité religieuse d’ordre prophétique (voir notamment en Panarion  XIX, 2, 4-5 et LIII, 1, 5). Il en va de même, par exemple, aujourd’hui dans les communautés hassidiques où les miettes de table du rab sont extrêmement recherchées par les disciples. Tout comme en CMC 80, 18-84, 10, mais apparemment sur un tout autre registre, dans le Livre du Lévitique, au chapitre 15 136, il est question des sécrétions, ordinaires et pathologiques, des organes génitaux de l’homme comme de la femme. Il convient de relever que dans ce même Livre du Lévitique, au chapitre 12, il est question du problème des pertes de sang chez la femme à propos de l’accouchement. D’une manière générale, toutes les sécrétions sont, pour les Judéens, sources de pollution (sang, pus, sperme, urine, etc.). En revanche, le sang peut être considéré aussi comme une source de vie : on ne doit y toucher que dans certaines circonstances sacrées, comme celles du sacrifice. En ce qui concerne les instructions sur la pureté et l’impureté en Lv 15, quelques remarques s’imposent : 1. Les manifestations pathologiques, décrites en Lv 15, n’ont pas de prétention scientifique, car ce n’est pas l’aspect médical des choses qui intéresse l’auteur : la contagion à éviter n’est pas d’abord celle d’une maladie, mais celle d’une impureté religieuse. 2. En Lv 15, la notion d’impureté n’est pas liée à une notion de faute morale. Même si la relation sexuelle conjugale provoque un état d’impureté temporaire, elle n’en est pas moins considérée avec un très grand respect comme un acte éminemment positif dans une société qui attribue autant d’importance à la descendance (Lv 15, 18).

136.  Pour un commentaire de Lv 15, voir R.  Péter-Contesse , Lévitique 1-16, Genève, 1993, p. 231-239 (Commentaire de l ’Ancien Testament, IIIa).

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Il convient enfin de souligner que la casuistique rabbinique ultérieure a fortement développé les directives vétérotestamentaires dans deux traités spécifique – Zabim et Niddah – de la Mishnah. Il est évidemment difficile de savoir jusqu’à quel point on est en droit de rapprocher les données de CMC 80, 18-84, 10, de celles de Lv 15. La relation n’est certainement qu’analogique, mais elle mérite d’être relevée, si ce n’est à titre indicatif. Toujours est-il que Mary Douglas, dans son célèbre ouvrage De la souillure, a montré que, dans beaucoup de cultures, les sécrétions des orifices du corps (crachats, sang, lait, urine, excréments, larmes, sueur, etc.) sont liées au thème de l’impureté 137. Cela est vrai tout particulièrement des sécrétions des organes par lesquels se transmet la vie, puisqu’il y a en somme une perte de vitalité lors de l’écoulement de la sécrétion, ce qui interdit à la personne concernée des relations normales avec les autres et avec le sacré ou le divin. Relevons, avant de quitter ce passage, qu’on trouve en CMC 83, 7 une expression tout aussi originale qu’intéressante : il s’agit de ἡμέραν βαπτίζετε (littéralement = vous vous baptisez chaque jour), qui renvoie, au moins lexicalement, aux «  héméro-baptistes  », «  secte  » judéenne figurant dans des listes hérésiologiques chrétiennes (notamment la liste d’Hégésippe via Eusèbe de Césarée [Histoire ecclésiastique IV, 22, 7], la liste d’Épiphane de Salamine, Panarion XIV à XX et la liste des Constitutions apostoliques VI, 6) et documentée dans la littérature rabbinique 138. En effet, l’expression grecque ἡμέραν βαπτίζεσθε renvoie à l’expression hébraïque ‫( טבלי שחרין‬tobli shaḥarin) que l’on trouve dans la littérature rabbinique (TB Berakhot 22a) – l’une et l’autre peuvent se traduire littéralement par « baptistes du matin ». Il s’agit sans doute d’une appellation générique, employée de manière péjorative par les rabbins, pour désigner les groupes baptistes judéens en général. Ce passage est d’une grande richesse de par la terminologie technique utilisée qui témoigne de la part de l’auteur, en l’occurrence le traditionniste Baraïes, d’une certaine connaissance en la matière. Les rites de purification dont il est question ici font référence à ceux en cours dans l’ethnicité judéenne de cette époque qui plonge ses racines dans la Bible, mais qui 137. Voir M.  Douglas , De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, Paris, 1992, p. 137 (l’édition anglaise date de 1967, la première traduction française de 1971). 138.  À ce sujet, voir M. Simon, « Les sectes juives dans les témoignages patristiques », dans Studia Patristica I, Berlin, 1957, p. 526-539 ; M. Black , « The Patristic account of Jewish Sectarianism », dans Bulletin of the John Rylands Library 41 (1959), p. 285-303.

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ont été poussés à un certain extrême du fait même que le sang et le feu ont été remplacés par l’eau alors qu’à l’époque du Temple ces trois éléments se complètent parfaitement 139. La terminologie permet de penser que les destinataires de la Vita Mani du CMC sont des intellectuels qui la comprennent, notamment son sens rituel avec les multiples implications éthiques. Elle n’est pas typiquement manichéenne, c’est pourquoi les destinataires premiers de cette œuvre de propagande ont dû être des baptistes / elkasaïtes. On doit relever que ces rites de purification devraient concerner surtout la classe des prêtres qui doivent veiller à ne pas être contaminés par toutes sortes de souillures humaines ou animales. S’ils sont repris par les baptistes / elkasaïtes, on peut penser qu’ils ont comptés parmi eux un certain nombre de prêtres ou de lévites – tout au moins lors de la formation du groupe. IV. Mani oppose la pureté de la Lumière à la pureté des Ténèbres (84, 9-85, 12) C’est pourquoi la pureté (καθαρότης) dont il a été écrit est celle qui se fait par la connaissance (γνῶσις) : la séparation 140 (χωρισμός) entre lumière (φωτός) et ténèbres (σκότος), mort (θάνατος) et vie (ζωή), eaux vivantes (τῶν ζώντων ὑδάτων) et eaux stagnantes (τῶν τεθαμβωμένων) ; et [vous] saurez que chaque chose est différente de l’autre et [observerez  / garderez (κατέχω) 141] les préceptes du Sauveur, afin qu’il libère [votre] âme de l’[anéantissement (ὄλεθρος)] et de la (p. 85) perdition (ἀπώλεια). Celle-ci, en vérité, est la pureté (καθαρότης) très droite (εὐθύς) qui vous a été ordonnée de réaliser. Mais vous vous êtes lavés et, en vous éloignant d’elle, vous avez observé  / gardé (κατέχω) la pureté (κάθαρσις) du corps très souillé (μιαρωτάτου) et façonné par la souillure (μυσαρός), et par elle (la souillure), il (le corps) a été caillé 142 (τυρόω) et construit (οἰκοδομέω) (afin d’exister).

139.  À ce sujet, voir A.  L emaire , « La purification par l’eau et par le feu dans l’ancien Israël », dans G. Capdeville (Éd.), L’eau et le feu dans les religions antiques, Paris, 2004, p. 283-289. Voir aussi P. R eymond, L’eau, sa vie et sa signification dans l ’Ancien Testament, Leyde, 1958. 140.  Ou « la distinction ». 141. Cette traduction est fondée sur une reconstitution qui correspond à κα[τέχετε] (=  vous observerez), mais on pourrait avoir aussi eu soit κα[τέχοιτε] (= vous pourrez garder) soit κα[τ’ αὐτὰς] (=  accord avec) – cette dernière possibilité est celle qui a été retenue par L.  Cirillo – A.  Concolino M ancini – A. Roselli, Codex Manichaicus Coloniensis. Concordanze, Cosenza, 1985, p. 118. 142.  Ou « coagulé ».

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CHAPITRE IV

Mani tire maintenant les conséquences de sa réfutation sur le sens du baptême et de la pureté dont il a été question dans le passage précédent. Il semble nécessaire de prendre en considération le fait que plusieurs interprétations de ce passage sont possibles : une première de type « apocalyptisant », une seconde de type « docétisant » – et de penser que ces deux interprétations ne s’excluent pas nécessairement, du moins si l’on accepte que les destinataires visés aient pu appartenir à divers milieux religieux et culturels (les elkasaïtes pour les « apocalyptisants », les chrétiens – marcionites par exemple – pour les docétisants) : il s’agirait donc d’un texte amphibologique, c’est-à-dire pouvant être l’objet d’interprétations multiples. Quoi qu’il en soit des destinataires, c’est l’un des passages les plus importants de cette controverse, le passage clef où sont opposés la Lumière et les Ténèbres. Une opposition qui renvoie à la doctrine des « Deux Voies », bien connue dans les milieux chrétiens d’origine judéenne et provenant des cercles mystiques judéens ayant produit par exemple la littérature hénochite (voir II Hénoch) 143. Cette doctrine des « Deux Voies », dont il a déjà été question plus haut à propos de l’expression ὁδοῦ τοῦ θεοῦ (CMC 79,  20), est à l’origine, dans le manichéisme, de la doctrine des « Deux Principes ». Aussi, après une lecture critique de CMC 84, 9-85, 12, il est proposé quelques éléments d’explication. Dans cette conclusion à son premier discours, Mani, dans une tournure rhétorique, distingue ou sépare (χωρισμός) la pureté καθαρότης de la Lumière de la purification κάθαρσις des Ténèbres, de même qu’un certain nombre d’oppositions que l’on peut mettre en structure de la manière suivante :

143.  À ce sujet, voir P.  P rigent – R.R. K raft, Épître de Barnabé, Paris, 1971, p. 12-20 (SC 172) ; P.W. Rordorf, « Un chapitre d’éthique judéo-chrétienne : les deux voies », dans Recherches de science religieuse 60 (1972) 109-128 ; M.J. Suggs , « The Christian Two Ways Tradition : Its Antiquity, Form and Function », dans Studies in New Testament and Early Christian Literature, Leyde, 1972, p. 60-74 ; S. Brock , « The Two Ways and the Palestinian Targum », dans P.R. Davies – R.T. White (Éd.), A  Tribute to Geza Vermes : Essays on Jewish and Christian Literature and History, Sheffield, 1990, p. 139-152 ; J.A. Draper (Éd.), The Didache in Modern Research, Leyde, 1996, p. 8-16 ; S.C.  M imouni, Le judéo-christianisme ancient. Essais historiques, Paris, 1998, p. 199-201 ; G.W.E. Nickelsburg, « Seeking the Origins of the Two Ways Traditions in Jewish and Christian Ethical Texts », dans B. Wright (Éd.), A  Multiform Heritage, Atlanta/Georgie, 1999, p. 95-108 ; D.  Cerbelaud, « Le thème des deux voies dans les premiers écrits chrétiens », dans Pardès 30 (2001), p. 103-110 ; H. Van de Sandt – D. Flusser , The Didache. Its Jewish Sources and its Place in Early Judaism and Christianity, Assen-MaastrichtPhiladelphie/Pennsylvanie, 2002, p. 140-190.

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καθαρότης  « très droite »

κάθαρσις  « très souillée »

 « connaissance » (γνῶσις)

 « souillure » (μυσαρότης)

- « lumière »

- « ténèbres »

- « vie »

- « mort »

- « eaux vivantes »

- « eaux stagnantes »

- « âme »

- « corps »

 « préceptes du sauveur »

 ?

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* la καθαρότης (pureté) de l’âme * la κάθαρσις (purification) du est « droite » corps est « souillée » Cette mise en opposition structurale permet de faire ressortir une opposition fondamentale non pas entre la « connaissance » (γνῶσις) et la « pureté » (κάθαρσις), mais entre la « connaissance » (γνῶσις) et la « souillure » (μυσαρότης). Il convient alors de constater que ce qui est visé dans ce passage ce ne sont ni la « connaissance » ni la « souillure », mais la καθαρότης qui est qualifiée de « très droite » et la κάθαρσις qui est qualifiée de « très souillée ». L’enjeu de ce passage est donc, en premier lieu, l’opposition entre la καθαρότης « droite » et la κάθαρσις « souillée ». De fait, c’est le corps qui est qualifié de « très souillé », mais il est possible de penser que ce qui est visé, c’est la κάθαρσις – il eût été difficile de qualifier ainsi directement la κάθαρσις, pour des raisons, dirait-on maintenant, de convenance – d’ailleurs, dans le Kephalaion  I, XII, p.  44,  27, les baptistes sont appelés ⲛ ̄ⲕⲁⲑⲁⲣⲓⲟⲥ (nkatharios). Dans ce passage, Mani tire les conséquences de sa réfutation sur le sens du baptême et de la pureté : il oppose donc ainsi la καθαρότης de la Lumière, qualifiée de « juste », à la κάθαρσις des Ténèbres, qualifiée d’« impure », et non pas la connaissance à la purification. Ainsi, selon Mani, la seule purification possible de l’homme se fait par la connaissance, mais, ajoute-t-il, et cela paraît fondamental, la connaissance soit, mais aussi ce qui en découle essentiellement, c’est-à-dire la « séparation » (χωρισμός), dans sa propre vie, des deux principes primordiaux, celui de la lumière et celui des ténèbres, la vie et la mort. Il le fait en retournant l’orientation de deux mots proches l’un de l’autre, en les considérant tour à tour comme positif pour le premier (καθαρότης) et comme négatif pour le second κάθαρσις), selon un procédé typiquement rhétorique qui consiste par une modalité de transformation performative aboutissant à la pureté (καθαρότης) de l’âme considérée comme « très droite » opposée à la purification (κάθαρσις) du corps considérée comme « très souillée ».

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CHAPITRE IV

Cette purification par la connaissance, ou plutôt la pureté de la Lumière opposée à la pureté des Ténèbres, remonte, d’après Mani, à une tradition écrite, à savoir τοῦ σωτῆρος ἐντολῶν (= les préceptes du sauveur). Il s’agit très probablement d’une tradition anti-baptiste et non pas d’une tradition anti-baptismale comme certains critiques la désignent 144 , dont les traces se repèreraient déjà dans certains textes néotestamentaires, fonctionnant sur une opposition aux baptistes et non pas aux baptêmes. Dans les Évangiles synoptiques, en effet, on rencontre une opposition aux baptistes à travers la figure de Jean le Baptiste. Mais il est inexact, comme le fait Ludwig Koenen, d’opposer les Évangiles synoptiques (= baptême dans l’Esprit saint) à l’Évangile selon Jean (= baptême dans l’eau) 145. Alors que la καθαρότης repose sur les « préceptes du sauveur », c’est-àdire sur une tradition écrite chrétienne, la κάθαρσις ne s’appuie sur rien – du moins dans ce texte. La καθαρότης renvoie au résultat qualifié positivement alors que la κάθαρσις renvoie au processus qualifié négativement. Ludwig Koenen situe cette opposition dans les courants chrétiens issus de la pensée paulinienne, à savoir ceux de Marcion et de Valentin 146. Mani s’oppose à la Loi, aux interdits et aux purifications, en proposant une autre Loi, d’autres interdits et d’autres purifications. Aux préoccupations du corps, il oppose les préoccupations de l’âme. En fait, il déplace la notion de souillure, il ne la supprime pas, mais la rend invisible. On doit souligner aussi que l’« âme » (ou les « eaux vivantes ») est située du côté de la καθαρότης « très droite » et le « corps » (ou les « eaux stagnantes ») du côté de la κάθαρσις « très souillée ». Cette opposition entre l’âme pure et le corps souillé est typiquement manichéenne et non pas elkasaïte, on la retrouve dans de nombreux textes. Contrairement aux interprétations gnosticisantes proposées par certains critiques, la « connaissance » ne constitue pas le point principal de l’enjeu : raison selon laquelle il ne s’agit pas d’un passage « gnosticisant » 147. Il en est de même pour l’opposition radicale entre l’âme et le corps que l’on 144. Voir notamment L. Koenen, « From Baptism to the Gnosis of Manichaeism », dans B.  L ayton (Éd.), The Rediscovery of Gnosticism, II. Sethian Gnosticism, Leyde, 1981, p. 755-756. 145.  L. Koenen, « From Baptism to the Gnosis of Manichaeism », dans B. L ayton (É d.), The Rediscovery of Gnosticism, II. Sethian Gnosticism, Leyde, 1981, p. 755-756. 146.  L. Koenen, « From Baptism to the Gnosis of Manichaeism », dans B. L ayton (É d.), The Rediscovery of Gnosticism, II. Sethian Gnosticism, Leyde, 1981, p. 755-756. 147.  Une des dernières en date est la contribution de G.G. Stroumsa, « Purification and Its Discontents : Mani’s Rejection of Baptism », dans J. A ssmann – G.G. Stroumsa (Éd.), Transformations of the Inner Self in Ancient Religions, LeydeBoston-Cologne, 1999, p. 405-420 (= Barbarian Philosophy. The Revolution of Early Christianity, Tübingen, 1999, p. 268-281).

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rencontre dans ce passage qui relève certes d’une dichotomie, mais nullement du dualisme 148 – dichotomie qui est à rapprocher de celle figurant dans la littérature apocalyptique et non pas dans la littérature gnostique 149. On ne peut donc pas se reposer sur ces éléments pour renvoyer d’une manière ou d’une autre la Vita Mani du côté du gnosticisme. Si l’interprétation gnosticisante de ce passage ne doit pas être retenue, il n’en demeure pas moins que le terme γνῶσις figure dans le texte, mais avec un sens courant et non avec un sens spécifique que l’on induit souvent. Une question se pose alors : Comment faut-il comprendre le terme γνῶσις dans ce passage ? Il est possible que l’on puisse trouver des éléments de réponse du côté de l’apocalyptique, et notamment du côté des milieux apocalyptisants chrétiens que l’on qualifie habituellement, et peut-être abusivement d’après certains, de « gnostiques séthiens ». Dans ce passage de la Vita Mani, le grec γνῶσις pourrait apparemment renvoyer à l’hébreu ‫דעת‬. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que le terme γνῶσις fonctionne avec les « préceptes du sauveur », autrement dit avec la Loi écrite, dans le sens rabbinique ou dans le sens chrétien de la formule. Or, le terme ‫ דעת‬est souvent mis en relation avec la Loi, c’est le cas notamment dans certains des écrits dits « sectaires » retrouvés aux environs de Khirbet Qumrân. Dans la Règle de la Communauté, par exemple, il est question de la « connaissance » (‫)דעת‬, qui est opposée aux « souillures » (‫)גואלים‬. Il s’agit d’un passage antibaptiste qui fonctionne sur une opposition entre la purification spirituelle et la purification rituelle – de plus, dans ce même texte, la « connaissance » (‫ )דעת‬est mise en relation avec les « ordonnances de justice » (1( )‫( )משפתי אל‬QS 3, 1-12). À première approche, il peut paraître étonnant de constater qu’une problématique de la Vita Mani se retrouve dans un texte qumrânien comme celui de la Règle de la Communauté – évidemment l’origine judéenne des esséniens comme des elkasaïtes pourraient parfaitement l’expliquer, le caractère baptiste des esséniens comme des elkasaïtes pourrait également l’expliquer. Il est d’autre part possible que, dans ce passage de la Vita Mani, la notion de γνῶσις renvoie à celle de σωτῆρια dans le sens de « connaissance du salut ». Auquel cas, il faudrait citer un passage de l’Évangile selon 148.  Au lieu de « dualisme », il paraît préférable en effet de parler de « dichotomie » : la pensée manichéenne est dichotomique, elle n’est pas dualiste, même si elle repose sur l’opposition de deux principes comme le bien et le mal, la lumière et les ténèbres. 149.  Pour illustrer la position privilégiant le gnosticisme contre l’apocalyptique, voir L. Koenen, « From Baptism to the Gnosis of Manichaeism », dans B.  L ayton (Éd.), The Rediscovery of Gnosticism, II. Sethian Gnosticism, Leyde, 1981, p. 734756.

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CHAPITRE IV

Luc, où il est également question de la « connaissance du salut », à propos de Jean le Baptiste (Lc 1, 77). Nul doute que dans cette péricope évangélique, où il est question de « connaissance du salut » par la « rémission des péchés », on soit dans un contexte baptiste de type johannite. Ce verset de Lc 1, 77 se situe dans le Psaume prophétique de Zacharie : « Afin de donner la connaissance du salut (γνῶσιν σωτηρίας) à son peuple en vue de la rémission des péchés (ἀφέσει ἀμαρτιῶν) ». Contrairement aux interprétations généralement proposée (voir par exemple celle de Marie-Joseph Lagrange dans son Commentaire), il faut bien constater que dans ce verset Jean le Baptiste donne la rémission des péchés par la connaissance du salut. Cette notion de « rémission des péchés » est aussi largement connue des elkasaïtes (Elenchos  IX, 13, 4 et IX, 15, 1, où cette rémission des péchés est proposée par Alcibiade d’Apamée, un missionnaire elkasaïte de la première moitié du iii e siècle). Ce passage du discours de Mani semble utiliser des représentations elkasaïtes afin de convaincre son auditoire. Les notions de « connaissance » et de « souillure », ainsi que la référence aux « préceptes du sauveur », renvoient à un contexte elkasaïte, du moins si l’on accepte de faire le détour par des occurrences « qumrâniennes » (esséniennes) ou « lucaniennes » (johannites), visant des baptistes. Il n’empêche, et c’est tout là la difficulté de ce type de repérage, ces notions pourraient renvoyer aussi à un contexte manichéen. Auquel cas, il faudrait penser à une récupération manichéenne des notions elkasaïtes à des fins de propagande en milieu baptiste. En tout cas, avec ce passage, on est au centre du débat qui oppose Mani à sa communauté d’origine. À  la purification selon la κάθαρσις, Mani oppose la purification selon la καθάροτης, c’est-à-dire, précise-t-il, la séparation de la « Lumière » et des « Ténèbres », de la « vie » et de la « mort », de l’« âme » et du « corps », des « eaux vivantes » ou « ruisselantes » et des « eaux stagnantes » ou « croupissantes ». De fait, Mani ne s’oppose pas à la pureté en tant que telle, il s’oppose plutôt à la pureté du corps lui préférant la pureté de l’âme. De façon très habile, dans ce discours, le débat est déplacé du plan ritualiste (c’est-à-dire de la καθάρσις du corps) au plan spiritualiste (c’està-dire de la καθάροτης de l’âme). À cette fin, un nouveau terme désignant la purification est introduit, il s’agit du vocable καθάρσις (c’est d’ailleurs la seule occurrence dans tout le CMC). Au sujet du terme καθάρσις Le terme καθάρσις est polysémique de par son utilisation en de nombreux domaines, tant politique que philosophique, voire médical puisqu’il relève aussi de la théorie des humeurs. Il est lié à des rituels de purification relativement précis et non pas à des théories.

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Aristote, dans les traités sur la Poétique (1449b 28) et sur la Politique (1342a 10), a investi et infléchi son sens en soutenant, contre Platon, que la tragédie et le théâtre peuvent soigner l’âme en lui donnant du plaisir, le renvoyant dans le domaine de la théorie et non plus de la pratique. On va examiner ses emplois dans le domaine politique et dans le domaine philosophique, laissant de côté le domaine médical. La purification dans le domaine politique : la séparation entre les hommes purs et les hommes souillés L’adjectif καθαρός associe la propreté matérielle, celle du corps (comme cela est le cas dans l’Iliade d’Homère pour désigner un « endroit découvert » et s’appliquant à l’eau et au grain), et la pureté spirituelle, celle de l’âme (comme cela est le cas dans les Purifications d’Empédocle pour désigner l’idée d’un projet de paix perpétuelle, construit aussi bien autour de la métempsychose que des interdits alimentaires). Le substantif καθάρσις est le nom d’action correspondant au verbe καθαίρω qui a le sens de « nettoyer, purifier, purger ». D’un point de vue religieux, il s’agit de la « purification », et il renvoie en particulier au rituel d’expulsion pratiqué à Athènes la veille des Thargélies : au cours de ces fêtes, traditionnellement dédiées à Artémis et à Apollon, on offre un pain, le θάργηλος fait à partir des prémices de la moisson, mais il faut auparavant purifier la cité, en expulsant, selon le rituel du φαρμακός, des criminels (comme c’est le cas dans le Lexique des orateurs attiques d’Harpocration [ii e siècle de notre ère] : « Les Athéniens, lors des Thargélies, excluent deux hommes, comme exorcismes purificatoires, de la cité, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes »), puis des boucs émissaires. Apollon est dit καθάρσιος, purificateur, d’ailleurs contraint lui-même à la purification après le meurtre de Python à Delphes : selon Socrate, il est bien nommé ἀπολούων, « qui lave », dans la mesure où la musique, la médecine et la divination qui le caractérisent sont autant de καθάρσεις et de καθάρμοι de pratiques de purification (Platon, Cratyle 405a-c). La purification dans le domaine philosophique : la séparation de l ’ âme et du corps La méthode purgative qui vaut pour le corps (selon les καθαίροντες, les purgateurs, « pour que le corps puisse profiter de la nourriture, il faut d’abord évacuer les obstacles », Platon, Sophiste 230c) vaut pour l’âme, qui ne peut assimiler les savoirs sans avoir été purgée de ses opinions par l’ἔλεγχος, la réfutation (« elle est pure quand elle pense savoir juste ce qu’elle sait, et rien de plus », Platon, Sophiste 230c-d). Il existe une purification assez radicale que Platon transpose du domaine orphique et pythagoricien, à sa philosophie (le platonisme) qu’il déploie dans trois directions et que l’on peut ramener à trois citations :

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CHAPITRE IV

(1) « La purification (κάθαρσις), n’est-ce pas justement ce qui se produit comme dit l’antique formule : séparer (χωρίζειν) le plus possible l’âme du corps ? » (Platon, Phédon 67c) ; (2) « seul le pur, la pensée épurée, peut se saisir du pur, du sans mélange (εἰλικρινές) », (Platon, Phédon 67b) ; (3) « qu’est-ce que la vérité, ne faut-il pas que l’âme évacue le corps ? » (Platon, Phédon 67b). Autrement exprimé : (1) la pureté, c’est la séparation de l’âme et du corps ; (2) la pureté est pure de toute souillure ; (3) la pureté implique l’évacuation du corps par l’âme. Il ne peut y avoir de mélange ; la pureté évacue tout. Dans ce passage du CMC, l’emploi du terme κάθαρσις ne paraît pas sans rapport avec le domaine de la philosophie platonicienne et sans doute aussi de ses interprétations plus tardives, étant donné la présence « positive » de l’âme et « négative » du corps et aussi l’emploi du verbe χωρίζειν renvoyant à la notion de séparation ou de distinction (comme dans le Phédon de Platon). Au risque d’être réducteur, il faut bien avouer, qu’au stade de la Vita Mani tout au moins, la différence entre l’elkasaïsme et le manichéisme se trouve résumée dans ce déplacement. En ce qui concerne l’opposition entre les termes καθαρότης et κάθαρσις, il convient de souligner que le premier se rencontre fréquemment dans les textes dits « bibliques » (voir par exemple Ps 24, 4 [LXX]) et le second dans les textes dits « philosophiques ». Le premier peut avoir un aspect moral (= pureté, voir Platon, Phédon 111b), le second un aspect matériel (= purification, voir Platon, Lois 528d ; Cratyle 405a). Ils peuvent aussi être employés l’un pour l’autre : être interchangeables. Étant donné la terminologie philosophique que l’on trouve dans le premier discours de Mani (CMC 80, 18-84, 8), on peut se demander s’il ne faudrait pas situer certains des destinataires de cette œuvre, en partie ou en totalité, dans un milieu hellénophone aux tendances philosophiques, probablement néoplatoniciennes, des païens ou des chrétiens – Alexandre de Lycopolis et son traité contre les manichéens représentent un excellent exemple d’une telle opposition des philosophes à leur égard 150. On ne peut que signaler l’hypothèse de l’interprétation « docétisante », en soulignant simplement l’idée platonicienne qu’on peut lire à la fin de ce passage, à savoir que le corps a été caillé (τυρόω) et construit (οἰκοδομέω) dans la souillure (μυσαρότης). À  partir de ce passage, et de quelques autres indices, il semble que certaines parties de la Vita Mani, notamment les extraits transmis sous l’autorité de Baraïes, puissent s’adresser à des destinataires aux tendances idéologiques plutôt « docétisantes » qui sont 150. Voir A.  Villey, Alexandre de Lycopolis. Contre la doctrine de Mani, Paris, 1985.

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fondées sur le dénigrement du corps (σῶμα) et la valorisation de l’âme (ψυχή). Il est possible que les destinataires aux tendances philosophiques et aux tendances docètes soient les mêmes 151. Au sujet du terme κατέχω (CMC 85,  6) Outre le verbe κατέχω, qui apparaît aussi dans huit autres occurrences de la Vita Mani, on trouve aussi le substantif κατοχή (= observance) en CMC 102, 15 pour signifier « l’observance du repos des mains », autrement dit l’observance du sabbat, du moins si l’on se place dans un contexte elkasaïte. L’occurrence de CMC 84, 19-20 est le fruit d’une reconstitution : si elle s’avérait, on aurait une attestation de l’emploi du verbe κατέχω pour signifier « garder ou observer les préceptes du sauveur ». L’emploi caractéristique du verbe grec κατέχω ou observer / garder, qui est apparemment une traduction littérale du verbe hébreu ‫ נצר‬ou observer / garder (CMC 85, 6). Il s’agit sans doute de la racine verbale qui a été utilisée pour former le substantif désignant les chrétiens d’origine judéenne, c’est-à-dire les « nazoréens ». En 1 Jn 2, 3, « nous gardons (observons) les commandements de Dieu », le contexte est similaire, mais le vocabulaire est original : il n’est pas le fruit d’une traduction comme dans la Vita Mani – on y trouve le verbe τηρέω (= garder, observer), très employé dans le Nouveau Testament, et non pas le verbe κατέχω. Au sujet des « eaux vivantes » (ὕδατα ζῶντα) et des « eaux stagnantes » (ὕδατα τεθαμβωμένα) 152 L’adjectif τεθαμβωμένα pourrait être la traduction du verbe mandéen ‫( תאהמא‬tahma) qui exprime la notion d’eau usée ou d’eau stagnante. Gn 1, 1 et 1, 6 (surtout) sont à l’origine de cette tradition : l’interprétation mandéenne ne serait que l’aboutissement de cette tradition. Philon d’Alexandrie, dans le Quis rerum divinarium heres sit, en 207208, oppose les eaux sucrées aux eaux amères (ὕδατος τὸ γλυκὺ τῷ πικρῷ). La réinterprétation manichéenne de cette opposition est faite à partir de l’interprétation elkasaïte : elle est spiritualisée, et donc déritualisée, mais à partir de l’ensemble narratif dans lequel elle est incorporée. 151. À ce sujet, voir R.  van Vliet, « Adoptianismus in der manichaïischen Christologie », dans M. K nüppel – L.  Cirillo (Éd.), Gnostica et Manichaica. Festschrift für Alois van Tongerloo. Anlässlich des 60. Geburtstages überreicht von Kollegen, Freunden und Schülern, Wiesbaden, 2012, p. 217-231. 152. Voir L.  Koenen, « From Baptism to the Gnosis of Manichaeism », dans B. L ayton (Éd.), The Rediscovery of Gnosticism, II. Sethian Gnosticism, Leyde, 1981, p. 745-749.

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CHAPITRE IV

Au vu de la mise en évidence des diverses interprétations de ce passage, et à condition de pouvoir les retenir toutes, on peut postuler que dans une première étape, la Vita Mani a eu pour destinataires des judéo-chrétiens araméophones et dans une seconde des pagano-chrétiens hellénophones. Auquel cas, il faudrait considérer que la première étape corresponde à l’original araméen et la seconde à la version grecque. Il s’agit là d’hypothèses qu’il ne faudrait pas trop forcer : d’autant qu’il conviendrait de les confronter à l’ensemble de l’œuvre, et non pas uniquement à un seul passage ou à un seul extrait. Notons que dans ce passage, on rencontre de nombreux termes techniques concernant la purification. De ce point de vue, il faut constater que le vocabulaire est très riche. Enfin, avant de laisser ce passage fondamental, il est important de constater qu’il y est toujours question de καθαρότης (= pureté) et jamais d’ἀγνεία (= purification) : la différence entre ces deux termes est importante, le premier renvoyant à des pratiques, le second à des théories. V. Réactions des baptistes au discours de Mani (85, 13-88, 14) (1) Quand je leur eus dit ces mots, et détruit (καταλύω) et aboli (καταργέω) ce qu’ils faisaient avec zèle, quelques-uns parmi eux étaient dans l’admiration à mon sujet, me louèrent et me considérèrent comme un chef 153 (ἀρχηγός) et un maître (διδάσκαλος), mais [il s’éleva beaucoup] de calomnies [dans cette communauté (δόγμα)] (p. 86) à mon sujet. (2) Quelques-uns parmi eux me regardèrent comme un prophète (προφήτης) et un maître (διδάσκαλος). Quelques-uns parmi eux dirent : « Le Verbe Vivant (ζῶν λόγος) est annoncé par lui ; faisons-nous de lui un maître de notre communauté (διδάσκαλος τοῦ δόγματος) ». D’autres dirent : « Est-ce qu’une voix lui a parlé en secret et est-ce qu’il dit des choses qui lui ont été révélées (ἀποκαλύπτω) ? ». Quelques-uns dirent : « Est-ce que quelque chose lui est apparue (ᾤφθη) dans un rêve et qu’il dit ce qu’il a vu ? ». D’autres dirent : « N’est-ce pas celui dont prophétisaient nos maîtres ainsi : ‘Un jeune homme (ἠΐθεος) s’élèvera (ἀνίστημι, de ἀνάστασις) d’entre nous et un nouveau [maître] viendra (p. 87), pour renverser toute notre communauté (δόγμα) de la même façon que nos pères l’avaient annoncé en ce qui concerne le Repos du Vêtement (τῆς ἀναπαύσεως τοῦ ἐνδύματος)’ ». 153.  Ou « un fondateur ».

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D’autres dirent : « N’est-ce pas l’erreur (πλάνη) qui parle en lui, et ne veut-il pas égarer notre peuple (ἔθνος) et diviser notre communauté (δόγμα) ? ». D’autres, parmi eux, étaient remplis de jalousie et de colère ; et parmi ceux-ci, certains se déclarèrent en faveur de ma mort. D’autre dirent : « Celui-ci est l’ennemi (ἐχθρός) de notre [Loi (νόμος)] ». Et les uns [dirent] : « Veut-il aller chez les païens (ἔθνη) et manger du pain [grec] (ἑλλη[νικὸν] ἄρτον) ? ». […] : « Nous l’avons entendu dire : ‘Il faudrait manger du pain (p. 88) [grec] ([ἑλληνι]κοῦ ἄ[ρτου])’ ? ». (3) « De plus, il dit que c’est convenable de consommer une boisson, du froment, des légumes et des fruits, que nos pères (πατήρ) et maîtres (διδάσκαλος) nous avaient strictement interdit de manger. De plus, le baptême (βάπτισμα) par lequel nous nous baptisons (βαπτίζω), il le détruit (καταλύω), et lui-même ne se baptise (βαπτίζω) plus comme nous, et il ne baptise (βαπτίζω) pas non plus sa nourriture (ἄριστον) comme nous le faisons ». Le récit aborde maintenant la réaction des baptistes à l’égard de la réfutation de Mani. La narration est bien évidemment partiale : elle va crescendo, indiquant une tension et une violence qui se manifestent à l’égard de Mani. Il convient de distinguer trois parties principales, qui relèvent, comme on le constatera, de trois traditions différentes, en tout cas sur le plan de la transmission.

A. CMC 85, 13-86, 1 Comme en CMC 80, 6-80, 17, Mani précise que son argumentation a détruit et aboli le rituel baptiste : là encore on retrouve les mêmes verbes – il s’agit toujours des verbes καταλύω et καταργέω Les baptistes se partagent entre ceux qui se déclarent partisans et ceux qui se déclarent opposants. Les partisans considèrent alors Mani comme un chef ἀρχηγός et comme un maître (διδάσκαλος). Au sujet du terme ἀρχηγός (= chef) (CMC 87,  17-20 et 94,  10-12) 154 Ce terme est utilisé en CMC 85, 17-20 pour qualifier une fonction dans la communauté elkasaïte et en CMC 94, 10-12 pour qualifier Elkasaï – on le retrouve en CMC 104, 2, mais pour qualifier les dirigeants des communautés dans le monde. 154.  J.C. R eeves , « The ‘Elchasaite’ Sanhedrin of the Cologne Mani Codex in Light of the Second Temple Jewish Sectarian Sources », dans Journal of Jewish Studies 42 (1991), p. 72-74.

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CHAPITRE IV

Selon une formule grecque d’abjuration, ce terme a été utilisé, dans le manichéisme, pour désigner le chef suprême de l’Église manichéenne. D’après John C. Reeves, l’arrière-plan de ce terme serait judéen : du moins si l’on accepte de le mettre en relation avec le ‫מורה הצדק‬, qui figure dans la littérature qumrânienne (voir par exemple CD 1, 11) – cette connexion a déjà été proposée par Carsten Colpe 155. Il convient toutefois de relever que pour John C. Reeves, le ‫ מורה הצדק‬est un « True Lawgiver » (= un « Législateur de Vérité ») 156. On a traduit ce terme par « chef », mais il est possible que « fondateur » convienne mieux – surtout qu’il s’agit de Mani. Autrement dit, Mani est placé sur le même plan qu’Elkasaï. Au sujet du terme δόγμα (= communauté) (CMC 85,  23 et 87,  11) Le terme δόγμα est traduit ici par « communauté » et non par « religion » ou par « secte » comme on le propose parfois de manière trop anachronique 157. Ce terme se retrouve dans vingt-quatre occurrences parmi lesquelles, outre CMC 85, 23, CMC 86, 8 ; 87, 2 ; 87, 11 ; 90, 23 – pour ces cinq occurrences il convient de le traduire par communauté, en tout cas il ne faut surtout pas le traduire par Glaubensgemeinde (= communauté de croyance) comme c’est parfois le cas. Quoi qu’il en soit, dans le manichéisme, δόγμα prend toujours une connotation négative. Or, en CMC 86,  2, dans l’expression διδάσκαλος τοῦ δόγματος, le terme a une connotation positive, à la limite une connotation neutre. Ce serait un argument en faveur de la traduction proposée : δόγμα  = communauté. Autrement dit, la règle de traduction pour ce terme serait la suivante : (1) connotation négative, δόγμα  = religion ; (2) connotation négative ou positive (neutre), δόγμα  = communauté – en dernier ressort, il convient de toujours regarder le contexte et de trancher au cas par cas. D’après le Bailly, δόγμα  = (1) une opinion ; (2) un décret. D’après le Lampe, δόγμα  = (1) une opinion ; (2) une croyance ; (3) une religion ; (4) un précepte 158.

155.  C.  Colpe , « Die Thomaspsalmen als chronologischer Fixpunkt in der Geschichte der orientalischen Gnosis », dans Jahrbuch für Antike und Christentum 7 (1964), p. 87-88. 156.  J.C. R eeves , « The Meaning of Moreh Sedeq in Light of 11 Q Torah », dans É.  P uech  – F. Garcia M artinez (Éd.), Études qumrâniennes : Mémorial Jean Carmignac, Paris, 1988, p. 297-298. 157.  Au sujet de δόγμα voir H.-C.  P uech, Sur le manichéisme et autres essais, Paris, 1979, p. 103-151. 158.  Voir aussi G. K ittel , « δόγμα, δογματίζω », dans G. K ittel (Éd.), Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament 2 (1935), p. 233-235 (= G. K ittel ,

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Chez Platon, δόγμα prend le sens d’opinion (Sophiste 265c), de principe (République  VI, 493a ; VII, 538c), de manière de penser (République  V, 464a). Par la suite, il a le sens de doctrine philosophique comme par exemple chez Flavius Josèphe (Contre Apion II, § 169) ou chez Plutarque (Quasetiones platonicae I, 4). Mais il désigne aussi une décision publique et il est souvent employé pour les édits officiels notamment dans le Nouveau Testament (Lc 2, 1 ; Ac 17, 7 ; He 11, 23). Dans le judaïsme hellénistique, il est question des δόγματα pour indiquer les observances de la Loi mosaïque. Pour Michel Tardieu, le terme δόγμα désigne toute « religion » organisée non manichéenne : il est d’origine manichéenne et non pas elkasaïte – l’auteur se fonde sur l’hypothèse que le grec δόγμα traduirait la racine kes qui, en moyen-perse, signifie l’« enseignement » ou le « commandement » des fausses religions – ce serait par conséquent un iranisme (communication orale). Pour Nils Arne Pedersen, ce terme dans les Kephalaia de Berlin, où il se rencontre une quarantaine de fois, désignerait un « système religieux » ou un « groupe religieux » 159. Jean-Daniel Dubois considère que le terme δόγμα peut être rendu par « doctrine » ou par « religion », mais à condition de le comprendre comme un système de normes réglant l’existence ascétique des manichéens 160. La proposition de Nils Arne Pedersen se rapproche le plus de la traduction retenue, comme on peut le constater dans deux exemples tirés des Kephalaion ou des Homélies coptes. Dans le Kephalaion VI, p. 33, 30, du Livre I (Berlin), on trouve l’expression ⲛⲇⲟⲅⲙⲁ ⲛⲧⲉ ⲧⲡⲗⲁⲛⲏ (ndogma nte tplane) (= les communautés de l’erreur), qui renvoie à CMC 87, 6-12 où il est question de la communauté (δόγμα) et de l’erreur (πλάνη), mais sans aucun lien entre l’une et l’autre ! Dans le Kephalaion  XII, p. 44, 26, du Livre I (Berlin), comme dans l’Homélie  IV, p.  87,  13, on trouve l’expression ⲡⲇⲟⲅⲙⲁ ⲃⲁⲡⲧⲓⲥⲧⲏⲥ

« δόγμα, δογματίζω », dans G. K ittel (Éd.), Theological Dictionary of New Testament 2 [1964], p. 230-232). 159.  N.A.  P edersen, « Manichaean Self-Designations in the Western Tradition », dans J.  van Oort (Éd.), Augustine and Manichaean Christianity, Selected Papers from the First South African Conference on Augustine of Hippo, University of Pretoria, 24-26 April 2012, Leyde-Boston, 2013, p. 192 ; « Die Manichäer in ihrer Umwelt, Ein Beitrag zur Diskussion über die Soziologie des Gnostiker », dans C.  M arkschies – J.  van Oort (Éd.), Zugänge zur Gnosis, Akten der Tagung der Patristischen Arbeitsgemeinschaft vom 02-05.01.2011 in Berlin-Spandau, Leyde-Boston, 2013, p. 251-252. 160.  J.-D. Dubois , « L’usage du terme ⲇⲟⲅⲙⲁ que l’on traduit par secte dans les Kephalaia copte », dans F. Ruani – M. Timus (Éd.), Quand les dualistes polémiquaient : zoroastriens et manichéens, Paris, 2020, p. 229-239.

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CHAPITRE IV

(pdogma nn baptistes) que l’on peut aussi traduire par l’expression « communauté des baptistes » 161.

B. CMC 86, 1-88, 1 À partir de CMC 86, 1, vis-à-vis de Mani, les baptistes paraissent, avec plus ou moins de nuances, se diviser en trois groupes principaux : (1) ceux qui sont favorables (c’est le groupe le plus clairement établi) ; (2) ceux qui sont hésitants ou sceptiques (il y a trois sous-groupes) et (3) ceux qui sont opposés (il y a quatre ou cinq sous-groupes). Les partisans sont unis, les hésitants ou sceptiques et les opposants sont divisés sur le plan de leur scepticisme ou de leur opposition. La présentation des hésitants sceptiques et des opposants est donc forcément négative. Le récit de la réaction des baptistes, un très beau morceau dans le genre de la polémique, est organisé sur un mode « crescendo ». On part des partisans et on arrive progressivement aux opposants, selon une gradation relativement savante en passant par les hésitants ou sceptiques. Les propos de Mani provoquent la formation de trois tendances et de deux factions. Les trois tendances sont : les partisans, les hésitants et les opposants. Les deux factions sont respectivement les partisans et les opposants : pour les partisans, voir CMC 86, 1-4 ; pour les hésitants, voir CMC 86, 4-13 ; 86, 14-17 et 86, 17-87, 6 et pour les opposants, voir CMC 87, 6-12 ; 87, 12-15 ; 87, 16-18 ; 87, 18-21 ; 87, 21-88, 1. Le passage CMC 86, 1-88, 1 développe ce qui vient déjà d’être dit en CMC 85, 13-86, 1. On est alors très précisément dans une perspective apologétique. Le récit paraît en effet rédiger pour l’édification des Auditeurs ou Catéchumènes manichéens. Il redouble CMC 85, 13-86, 1, et ne répond à CMC 80, 18-84, 8 et 84, 9-85, 12, que de fort loin 162 . C’est pourquoi, il apparaît possible de considérer CMC 86, 1-88, 1, comme une insertion en rupture rédactionnelle avec ce qui précède et ce qui suit 163. Pour ceux qui sont favorables, Mani est à la fois un prophète (προφήτης) et un maître (διδάσκαλος) : ils le qualifient comme celui qui annonce la « Parole vivante » ou le « Verbe vivant » (ζῶν λόγος) – correspondant au rôle d’un prophète – et veulent en faire le maître de la communauté (διδάσκαλος τοῦ δόγματος).

161.  Voir encore M. Scopello, « Controverses manichéennes dans la littérature du Fayoum. L’exemple des δόγματα », dans F. Ruani – M. Timus (Éd.), Quand les dualistes polémiquaient : zoroastriens et manichéens, Paris, 2020, p. 243-254. 162.  On revient ultérieurement sur cette question. 163. Au sujet de l’origine traditionnelle de cette insertion, on y revient aussi plus loin.

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Au sujet du terme διδάσκαλος (= maître) (CMC 85,  20  et 86,  3) Dans les communautés chrétiennes du i er  siècle, le titre de διδάσκαλος correspond à une charge importante 164 . Il est très fréquemment utilisé dans la Vita Mani, puisque, outre ces deux occurrences, on le rencontre encore 17 fois. Ce titre de διδάσκαλος, très souvent donné à Jésus dans les Évangiles canoniques, est très rarement employé seul pour des autres personnages du Nouveau Testament – de plus, lorsqu’on parle des διδάσκαλοι, au pluriel, ce n’est pas sans une certaine réserve (2 Tm 4, 3 ; Jc 3, 1 ; Mt 23, 8). Dans la Didachè, le titre de διδάσκαλος n’est mentionné qu’en passant (13, 2). Dans le Pasteur d’Hermas, les διδάσκαλοι appartiennent au passé (Précepte IV, 3, 1). Selon Ignace d’Antioche, il n’y a qu’un seul διδάσκαλος : il s’agit du Christ (Épître aux Éphésiens 15, 1 ; Épître aux Magnésiens 9, 2). Clément de Rome et Polycarpe de Smyrne ne mentionnent jamais ce titre. Il semble donc que ce titre de διδάσκαλος, équivalent du titre de ‫ רבי‬en hébreu ou de ‫ מרי‬en araméen (syriaque ‫( )ܡܪܝ‬Jn 1, 38 ; 20, 16), soit rapidement tombé en désuétude, du moins dans le christianisme de l’empire romain : on ne l’a probablement donné qu’à ceux qui ont été des « rabbins » ou des « maîtres » judéens avant leur reconnaissance de la messianité de Jésus et qui, une fois devenus croyants, se sont faits les propagateurs de la foi nouvelle (voir le cas d’Apollos d’Alexandrie qui est rapporté en Ac 18, 24-28). En Babylonie ou en Assyrie, on a continué à employer le titre de ‫( מרי‬syriaque ‫ )ܡܪܝ‬pour désigner de grands maîtres comme par exemple Mar Zouta ou Mar Éphrem. En partant de la documentation du Nouveau Testament, on peut distinguer deux contextes avec deux sens différents : (1) un διδάσκαλος est un chrétien qui a reçu la fonction de l’enseignement (Lc 2, 46 ; Jn 3, 10 ; Rm 2, 20) – sous la forme νομο-διδάσκαλος il s’agit d’un docteur ou d’un maître de la Loi (Lc 5,  17 ; Ac 5,  34 ; 1 Tm 1,  7) ; (2) un διδάσκαλος est un chrétien qui est considéré comme avoir reçu le don du charisme et la fonction de l’enseignement (Ac 13, 1 ; 1 Co 12, 28-29 ; Ep 4, 11 ; 1 Tm 2, 7 ; 2 Tm 1, 11 ; 4, 3 ; He 5, 12 ; Jc 3, 1) 165. Quoi qu’il en soit, le substrat du grec διδάσκαλος semble être l’hébreu ‫ רבי‬ou l’araméen ‫( מרי‬syriaque ‫ )ܡܪܝ‬: outre le fait que le terme a un sens religieux, il est possible que son usage ait été repris dans un sens profane, signifiant tout simplement « enseignant ».

164.  À ce sujet, voir pour une première approche, A.  L emaire , Les ministères aux origines de l ’Église, Paris, 1971, p. 181-182. Voir aussi E.  Cattaneo, I ministeri nella Chiesa antica. Testi patristici dei primi tre secoli, Milan, 1997, p. 79-92 (= Les ministères dans l ’Église ancienne, Paris, 2017, p. 70-78). 165. À ce sujet, voir X.  L éon-Dufour , Dictionnaire du Nouveau Testament, Paris, 1975, p. 211-212.

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CHAPITRE IV

Au sujet du terme προφἠτης (= prophète) (CMC 86,  3) Dans les communautés chrétiennes du i er siècle, la fonction de προφήτης correspond à une charge importante, qui est demeurée en usage dans certaines d’entre elles (les chrétiennes d’origine judéenne notamment) jusqu’au milieu du ii e siècle 166. Par l’emploi de ce terme, devenant non seulement une fonction, mais aussi une titulature, on veut montrer que Mani a été reconnu comme un « charismatique » ayant des révélations à transmettre : voir en CMC 62, 14, où il est question des « prophètes de la vérité » pour désigner toute une série de personnages prédécesseurs de Mani, parmi lesquels Paul de Tarse est mentionné. En désignant Mani comme « prophète », dans la lignée de grands personnages comme Adam, Seth, Énosh, Sem, Hénoch et Paul (voir CMC 47, 1 à 63, 1), l’origine de sa mission bénéficie ainsi de l’autorité et de la légitimité nécessaires à son développement – il est placé dans ce que l’on appelle une chaîne de la tradition. Le prophétisme a été une institution typique du judaïsme ancien, on la retrouve parmi les institutions reprises par les communautés chrétiennes anciennes, mais avec un rôle sensiblement différent. Paul de Tarse réglemente l’activité prophétique dans les communautés chrétiennes (1 Co 14, 29.32.37). Dans l’Évangile selon Matthieu, il est fait sans doute quelques allusions aux prophètes chrétiens (Mt 7, 22 ; 10, 41 ; 13, 57 ; 23, 34). Dans les Actes des Apôtres, il est donné quelques exemples de l’activité des prophètes chrétiens (Ac 4, 36 ; 11, 27 ; 15, 32 ; 21, 10). Dans l’Apocalypse de Jean, dont l’auteur se présente comme un prophète, il est fait aussi mention plusieurs fois des prophètes (Ap 10, 7 ; 11, 10.18 ; 16, 6 ; 18, 20.24 ; 22, 6). Dans la Didachè, on voit une communauté où les prophètes sont en pleine activité, on y donne même des règles pour discerner le vrai du faux prophète (Didachè 10, 7 ; 11, 7.8.9.10.11) : ces prophètes, au début, semblent surtout accomplir un ministère itinérant (Didachè 11 [voir aussi Lc 11, 27 ; 21, 10]), mais ils peuvent aussi décider de s’installer dans une communauté selon des règles très précises (Didachè 13, 1.3.4.6). Dans les écrits de la littérature chrétienne la plus ancienne, les prophètes chrétiens semblent disparaître, excepté dans le Pasteur d’Hermas où ils sont présentés comme définitivement installés dans une communauté chrétienne d’origine judéenne à Rome (?)  : l’auteur de cette œuvre, sans doute un prophète, réglemente leur activité de telle façon qu’elle

166.  À ce sujet, pour une première approche, voir A.  L emaire , Les ministères aux origines de l ’Église, Paris, 1971, p. 180-181. Voir aussi E.  Cattaneo, I ministeri nella Chiesa antica. Testi patristici dei primi tre secoli, Milan, 1997, p. 69-78 (= Les ministères dans l ’Église ancienne, Paris, 2017, p. 61-69).

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respecte l’autorité des presbytres locaux (Pasteur d’Hermas, Précepte 11, 7, 12, 15, 16) 167. Au féminin, le titre n’est employé que pour désigner la prophétesse Anne (Lc 2, 3), et la femme de « l’ange » de Thyatire (Ap 2, 20), mais on peut encore rapprocher de ce titre le rôle des quatre filles de Philippe (Ac 21, 9). Au sujet du terme πατήρ (père) Dans les communautés chrétiennes du i er siècle, le titre de πατήρ correspond à une charge fondamentale : il s’agit des « pères du peuple » – comme en Mt 3, 9 ; Lc 3, 8 ; Jn 4, 12 et 8, 39, 56 – selon le mode de pensée judéenne qu’on rencontre dans les livres des Macchabées : Abraham, Jacob et Isaac. Il s’agit d’un titre honorifique, extrêmement polysémique, que l’on trouve aussi dans le judaïsme synagogal comme l’atteste le Code théodosien (XVI, 8, 4 où il est question des patribus synagogarum). On retrouve l’expression « loi de nos pères » dans l’Apocalypse de Paul (47), Actes de Thomas (101) et les Actes de Pilate (1). Ici, dans ce passage où il figure deux fois (CMC 87, 4 et 88, 5), comme souvent dans le CMC, les pères, une expression qui revient de manière fréquente (pas moins de 38 fois), sont les anciens ou les dirigeants, c’est-àdire les garants de la Loi. D’ailleurs en CMC 94, 7-8, on trouve une équivalence très intéressante entre les expressions πατήρ (= père) et μείζοσιν (= dirigeants). Au sujet de l ’expression ζῶν λόγος (= Parole vivante ou Verbe vivant) (CMC 86, 5) 168 En milieu chrétien du i er siècle, on trouve cette expression dans l’Épître aux Hébreux, en 4, 12 (voir aussi Ac 13, 26 et Ap 1, 16). Le grec λόγος traduit l’hébreu ‫דבר‬. Le sens est double, il s’agit soit d’une parole, soit d’une réalité. Ici, l’expression ζῶν λόγος renvoie certainement à un registre d’ordre divin. Il est cependant difficile de dire qu’il est question de la « Parole de Jésus » comme on le suppose souvent en se fondant sur des références du Nouveau Testament.

167. Voir aussi X.  L éon-Dufour , Dictionnaire du Nouveau Testament, Paris, 1975, p. 448-449. 168. Voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 153-154, n. 220.

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CHAPITRE IV

Ce sont les disciples de Mani, ceux qui, dans la communauté baptiste, veulent le suivre, qui pensent que c’est la « Parole vivante » qui parle à travers lui – ce peut être tout simplement la prophétie. Il n’est peut-être pas inutile de reprendre ce que dit Erwin R. Goodenough de la théologie du Logos dans les premiers siècles de notre ère : « Le Logos, dans tous les cercles exceptés les stoïciens… est alors une sorte de lien qui relie un absolu transcendant avec le monde et l’humanité. Le Logos est devenu largement populaire, car il rejoint le désir très répandu d’un dieu à la fois transcendant et immanent. Le terme philosophique du Logos n’a pas été habituellement le titre d’un attribut divin unique, mais plutôt le terme le plus important, parmi de nombreux autres, s’appliquant à l’éclatante puissance divine qui a donné une forme raisonnable au monde et le gouverne… » 169. Pour Daniel Boyarin, « le judaïsme du i er siècle a parfaitement absorbé (et même coproduit) ces notions théologiques centrales du moyen-platonisme » 170. Le Logos dont il est question dans le CMC, correspondant à la Memra en araméen, pourrait être rattaché à la forme de pensée judéenne fondée sur la croyance en « deux puissances dans le ciel » (une qualification hérésiologique provenant du mouvement rabbinique), telle qu’elle a été étudiée, après d’autres (notamment Alan F. Segal 171), par Daniel Boyarin 172 . C’est ainsi qu’il a comparé le Logos de Philon et la Memra du Targum, pour montrer surtout qu’il s’agit d’une théologie d’abord judéenne avant de devenir chrétienne. Ainsi pour les Judéens, non pas les rabbiniques qui y sont opposés, mais pour les sacerdotaux et synagogaux, le Logos ou la Memra est un être théologique d’une importance essentielle. Au iii e siècle, il existe un lien difficilement sécable sur cette question entre les pensées doctrinales spéculatives grecque et judéenne (y compris dans ses mouvances chrétiennes), il n’est pas étonnant de le retrouver chez les manichéens, d’autant qu’il se trouve déjà chez les elkasaïtes. On est dans des milieux mystiques où les êtres intermédiaires (dont les noms sont tout aussi divers que variés, comme par exemple Shekhinah [Présence] ou Yeqarah [= Gloire], ce sont aussi des anges, comme par exemple Métatron) tiennent une place fondamentale entre la divinité céleste et l’humanité terrestre – aboutissant à une croyance binitaire distinguant entre la divi169.  E.R. Goodenough, The Theology of Justin Martyr : An Investigation into Conceptions of Early Christian Literature and its Hellenistic and Judaistic Influences, Amsterdam, 1968, p. 140-141. 170.  D. Boyarin, La partition du judaïsme et du christianisme, Paris, 2011, p. 211. 171.  A.F Segal , Two Powers in Heaven. Early Rabbinic Reports about Christianity and Gnosticism, Waco/Texas, 2002. 172.  D. Boyarin, La partition du judaïsme et du christianisme, Paris, 2011, p. 211-237.

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nité et son médiateur auprès des humains (voir la discussion entre un min [binitariste] et un rab [unitariste] rapportée en TB Sanhédrin 38b). En ce qui concerne le binitarisme, bien étudié par Daniel Boyarin, qui a établi un lien étroit avec un judaïsme non-rabbinique ou para-rabbinique étroitement lié à la synagogue, il y aurait intérêt à le qualifier de judaïsme sacerdotal et synagogal. Observons que ce binitarisme peut prendre deux formes : une première (unithéiste) portant sur la relation entre la divinité et le Logos ou la divinité et la Memra telle qu’on la trouve attestée chez Philon en milieu grec et dans le Targum en milieu araméen ; une seconde (bithéiste) portant sur la relation entre le dieu d’Israël et le dieu Hélios en milieu grec ou le dieu d’Israël et l’ange Métatron en milieu araméen. On peut établir un parallélisme frappant entre les expressions ἀρχηγὸν καὶ διδάσκαλος (CMC 85,  20) et προφήτην καὶ διδάσκαλον (CMC 86, 3). Notons cependant qu’en CMC 86, 3, Mani n’est plus qualifié de chef et de maître (comme en CMC 85, 20), mais de prophète et de maître. La première titulature est d’origine elkasaïte – n’oublions pas qu’en CMC 94,  10, c’est Elkasaï lui-même qui est qualifié d’ἀρχηγός. La seconde titulature est d’origine manichéenne. Dans la littérature manichéenne, Mani est souvent qualifié de « prophète », et notamment de « Prophète de Babylone ». Parmi les hésitants ou sceptiques, les uns se demandent quelle révélation Mani aurait reçue, les autres quelle apparition il aurait eue. Les derniers, en CMC 87, 5-6, rappellent la prophétie dite du « Repos du Vêtement » ou « Repos du Corps » (τῆς ἀναπαύσεως τοῦ ἐνδύματος). Selon une interprétation chrétienne d’origine judéenne, cette expression renverrait au repos du corps d’Adam après sa course à travers les siècles : il s’agit du repos du Verus Propheta, Adam-Christ (Homélie  III, 20, 2 et Reconnaissance  II, 22, 4) 173. Elle rend le concept de la résurrection, selon lequel le terme ἔνδυμα (= vêtement) équivaut soit au corps soit à l’âme (en contexte néoplatonicien) et le terme ἀναπαυσις (= repos) soit au repos eschatologique du corps de l’homme à la fin du monde soit au repos du « Prophète de Vérité » 174 . Le terme ἔνδυμα se retrouve sous la forme ἐνδύμαι dans le Panarion, notamment en XXX, 3, 5 et LIII, 1, 8, où il

173. Voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 160-161, n. 225. 174. Voir L. Cirillo, Elchasai e gli Elkasaiti. Un contributo alla storia delle communità giudeo-cristiane, Cosenza, 1984, p. 102-103.

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est fait mention de l’expression ἐκδύομαι τὸ σῶμα (= revêtu du corps [d’Adam)] 175. Les uns et les autres sont réunis par leur hésitation, et divisés sur les raisons de cette dernière qui sont toutefois d’ordre apocalyptique (les thèmes de la révélation, de l’apparition et de la résurrection autorisent une telle possibilité). D’après Michel Tardieu, les hésitants, qu’il qualifie de « sceptiques », pourraient être des renégats ou apostats au manichéisme (communication orale). Parmi les opposants, les premiers l’accusent d’égarer et de diviser la communauté, les deuxièmes veulent le mettre à mort, les troisièmes le qualifient d’ennemi de la Loi, les quatrièmes disent qu’il veut aller chez les païens manger du pain grec et les derniers, enfin, qu’il ordonne de manger du ἑλληνικὸν ἄρτον ou « pain grec » (CMC 87, 21 et 88, 1) : on rencontre une expression semblable en Tb 1,  10, où il est question des τῶν ἄρτον τῶν ἐθνῶν ou « pains des païens » 176. Ils sont réunis par leur opposition, et divisés sur les motifs de cette opposition, qui ne sont toutefois pas d’ordre rituel (sauf peut-être la question du « pain grec »). Parmi les dix-huit mesures décrétées par les pharisiens de Beth Shamaï à Jérusalem, vers 68 de notre ère 177, figure l’interdiction pour les Judéens de consommer le « pain grec » 178 – cette mesure a apparemment été maintenue dans les communautés judéennes rabbiniques jusqu’au iii e siècle.

175. Voir S.C.  M imouni, « La doctrine du Verus Propheta de la littérature pseudo-clémentine chez Henry Corbin et ses élèves », dans M.A. A mir-Moezzi – C.  Jambet – P.  L ory (Éd.), Henry Corbin. Philosophies et sagesses des Religions du Livre. Actes du Colloque « Henry Corbin ». Sorbonne, les 6-8 novembre 2003, Turnhout, 2005, p. 165-175. 176.  Au sujet de l’expression ἑλληνικὸν ἄρτον que l’on trouve deux fois, en CMC 87, 20 et 88, 1, voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 162, n. 229. 177.  À ce sujet, voir C. Touati, « Les dix-huit mesures », dans École pratique des Hautes études. Section des sciences religieuses, Annuaire. Résumés des conférences et travaux, XCVI, 1987-1988, Paris, 1988, p. 202-204. Voir aussi S. Zeitlin, « Les ‘dix-huit mesures’ », dans Revue des études juives 68 (1914), p. 22-36 ; A. Gold berg , «  Les dix-huit mesures selon les écoles de Shammay et de Hillel », dans A.M. R abello (Éd.), Mélanges D. Kotler, Tel Aviv, 1974, p. 216-225 [en hébreu]. 178. À ce sujet, voir Z.A. Steinfeld, « Concerning the Prohibition against Gentile Bread », dans Proceeding of the Ninth World Congress of Jewish Studies 33 (1985), p. 31-35 [en hébreu].

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Au sujet de la qualification ὁ ἐχθρὸς τοῦ νόμοῦ (= ennemi de la Loi ») (CMC 87, 17 + 3 autres occurrences) Mani est qualifié d’« ennemi de notre Loi », comme Paul l’est dans la littérature pseudo-clémentine (Lettre de Pierre à Jacques II,  3 ; Reconnaissances  I, 70, 1 ; 71, 3 et 73, 4). Il semble que soit utilisé dans le cas présent un modèle hérésiologique reposant sur deux postulats : (1) Mani = Paul ; (2) la communauté baptiste = la communauté chrétienne d’origine judéenne. Si tel était le cas, il apparaîtrait évident que ce procédé met en valeur Mani qui, comme Paul, est devenu l’ennemi de la communauté. Les éléments de la réaction des opposants ne correspondent pas du tout aux éléments de la réfutation de Mani. Ils s’opposent en effet pour de tout autres motifs que ceux énoncés par Mani. Dans la réaction, il n’est aucunement question de purification. Il y a là une incohérence narrative qui tient certainement à la diversité des traditions retenues dans la Vita Mani et à des défauts rédactionnels qui sont par ailleurs apparents tout au long de l’œuvre. L’incohérence entre CMC 80, 18-84, 8 et CMC 86, 1-88, 1, pourrait aussi s’expliquer par des raisons qui tiennent à la rhétorique du discours. La réfutation est aussi bien explicative qu’interprétative, la réaction est seulement interprétative. On veut montrer qu’on ne parle plus de la même chose : dans la réaction des opposants Mani est surtout accusé d’être du côté de l’altérité… il veut égarer et diviser la communauté, on veut le mettre à mort (comme un ennemi), il veut ou il ordonne de manger du pain grec (c’est-à-dire le pain du dehors). Dans ce qui est attribué aux partisans, aux hésitants et aux opposants, il n’est jamais question de pureté corporelle. En revanche, il en est question dans le sommaire (CMC 88, 1-88, 14). Au regard de la critique littéraire de CMC 86, 1-88, 1, la question qui se pose est la suivante : peut-on y trouver des informations sur les elkasaïtes ? Ce passage relève de l’apologétique manichéenne, même si l’expression οἱ πατέρες de CMC 87,  3-4 se retrouve en Épiphane de Salamine, Panarion  XIX, 3, 6. Il a été apparemment destiné à l’instruction des Auditeurs ou catéchumènes manichéens et ses références à l’elkasaïsme sont, somme toute, relativement négligeables, en dehors de la mention relative à la résurrection. Dans cette partie de la narration, on rencontre deux emplois significatifs du terme ἔθνος. En CMC 87,  10, au singulier, il signifie le peuple. En CMC 87, 19, au pluriel, il renvoie aux païens. Il est important de constater que, dans le contexte, les termes « païen » et « grec » sont synonymes. De plus, le grec ἔθνη renvoie au syriaque

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‫‘( ܥܡܡܐ‬amm’e) qui, au pluriel comme au singulier, peut désigner des païens ou un païen. Il convient d’attirer l’attention sur le terme ἔθνος, dont les emplois sont très polysémiques et il convient de ne pas généraliser les différents sens qu’il peut prendre. Mentionnons encore que les expressions ζῶν λόγος (« Parole vivante » ou « Verbe vivant ») et τῆς ἀναπαύσεως τοῦ ἐνδύματος (« Repos du Corps ») renvoient à un contexte apocalyptisant dont l’origine elkasaïte a été reconnue par de nombreux critiques, surtout pour la seconde de ces expressions 179.

C. CMC 88, 1-88, 14 Entre la réaction des baptistes et la convocation d’un synode sur Mani par Sitaios et les Anciens, on trouve une note rédactionnelle sous la forme (impersonnelle, troisième personne du singulier) d’un sommaire résumant la controverse en reprenant les éléments de la réfutation de Mani et en ignorant ceux de la réaction des baptistes. Dans le sommaire, que l’on peut raisonnablement attribuer à Baraïes, il est en effet question du baptême des corps et des aliments : à Mani sont attribuées la levée des interdictions alimentaires de « nos pères et maîtres », ainsi que la suppression des baptêmes qui sont déclarés « détruits ». Notons, en ce qui concerne le domaine de l’alimentaire, qu’un cinquième vocable est utilisé : à savoir, le terme ἄριστον qui est très général et signifie simplement « nourriture ».

D. Récapitulatif Au-delà de la réaction des baptistes à la réfutation de Mani, ce récit contient sans doute beaucoup d’informations sur le groupe auquel il appartient. Elles portent sur : 1. la hiérarchie : avec les termes ἀρχηγός (= chef) (CMC 87,  17-20 et 94, 10-12), διδάσκαλος (= maître) (CMC 85, 20 et 86, 3), προφήτης (= prophète) (CMC 86, 3) ; 2. les pratiques : notamment au sujet du ἑλληνικὸν ἄρτον (CMC 87, 21 et 88, 1), le pain grec pouvant s’opposer au pain judéen ; 3. les doctrines : notamment au sujet du ζῶν λόγος (= Parole vivante ou Verbe vivant) (CMC 86, 5). 179.  Voir notamment L. Koenen, « Manichaean apocalypticism at the Crossroads of Iranian, Egyptian, Jewish and Christian Thought », dans L.  Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 285-332.

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Dans ce récit, nombre d’expressions semblent renvoyer aux elkasaïtes, à leur hiérarchie, à leurs pratiques et à leurs doctrines, mais, étant donné leur caractère trop général, il est difficile de dire qu’elles leurs sont vraiment spécifiques : ce qui n’empêche nullement de les leur rattacher, complétant ainsi la connaissance que l’on a de ce groupe. VI. Réunion d’un synode par Sitaios et les Anciens pour juger Mani (88, 15-89, 8) Aussi, [en ce temps-là], quand Sitaios et ses [compagnons] ([ἑταῖρ] ος) virent que je ne pourrais pas être persuadé par leur [conviction, mais] que petit à petit j’étais en train de détruire (καταλύω) et d’abolir (καταργέω) leur propre [Loi et] leurs interdits alimentaires (τὰ ἐδέσματα ἅπερ ἀπέκριναν), et les (p. 89) baptêmes (βάπτισμα) que je ne pratiquais plus (littéralement « je ne me baptisais plus » (βαπτίζω) comme ils les faisaient ; quand ils virent mon opposition à toutes ces choses, alors Sitaios et le groupe 180 de ses compagnons, les Anciens (τὸ πλῆθος τῶν ἑταίρων αὐτοῦ), convoquèrent un conseil 181 (σύνοδος) à mon sujet 182 . Devant l’opposition de Mani et la réaction des baptistes, Sitaios et les Anciens convoquent une assemblée afin de délibérer sur cette affaire. Les motifs d’une telle convocation sont de trois ordres : Mani veut détruire et abolir (il s’agit toujours et encore des verbes καταλύω et καταργέω) la Loi, les interdits alimentaires et les baptêmes. Il convient sans doute de traduire par « interdits alimentaires », l’expres­sion τὰ ἐνδέσματα ἅπερ ἀπέκριναν, alors que littéralement on devrait traduire « les aliments (τὰ ἐνδέσματα) à cause de quoi ou au sujet desquels (ἅπερ) ils se séparent ou ils se distinguent (ἀπέκριναν) ». Sitaios, fils de Gara, est un Ancien du Sanhédrin elkasaïte (CMC 74, 11) : il apparaît comme le chef de la communauté des elkasaïtes dans laquelle vit Mani. À propos de l ’anthroponyme Σιταῖος ou Σιτᾶν (CMC 88,  16) Il s’agit du nom d’un elkasaïte important qui apparaît en maints endroits de la Vita Mani : outre CMC 88, 16 et 89, 5, voir aussi CMC 74, 11 ; 75, 22 ; 7, 21 ; 77, 6 ; 78, 13 ; 78, 23 ; 79, 3. En CMC 74, 13, Sitaios / Sitan est appelé « le fils de Gara » (Σιταῖος … ὁ τοῦ Γαρᾶ υἱός) : en araméen « Sitan bar Gara ». 180.  Ou « la foule ». 181.  Littéralement « une assemblée ». 182.  Littéralement, « me rendant grâce » (ποιήσαντο ἐμοῦ χάριν).

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Dans le Talmud de Babylone, il est parfois question d’un ‫שמעי בן גרא‬ (Shem`ai ben Gar’a) qui apparaît en Berakhot 8a, Megillot 12b-13a, Gittin 59a et Sanhedrin 36a 183 : il est toutefois difficile de l’identifier au personnage elkasaïte, le contexte de ces mentions ne le permettant pas. La Bible rapporte l’existence d’un Gar’a qui est le fils de Benjamin (Gn 46, 21). En hébreu biblique, un ‫ גר‬est un étranger : ce substantif est formé à partir de la racine verbale ‫ גור‬qui signifie « demeurer, habiter, séjourner » – comme étranger. Toujours en hébreu biblique, on trouve aussi la racine verbale ‫ אגר‬qui renvoie à la notion de s’assembler, de se réunir – pour un complot. C’est pourquoi, on peut se demander, en se référant à cette dernière forme, si Sitan ben Gara ne serait pas un sobriquet pour désigner de manière négative ce personnage et donc à comprendre et traduire « Sitan fils du complot ». Sitan pourrait correspondre au personnage de Scythianus dont il est question dans les Acta Archelai en tant que précurseur et opposant de Mani. Dans ce texte chrétien, il est mentionné que Mani a hérité des biens et des livres de Scythianus sur lesquels il apposé son nom après avoir effacé celui de ce dernier 184 . En CMC 74, 11, Sitaios / Sitan est désigné comme l’« Ancien du Sanhédrin » : c’est pourquoi, on a tendance à considérer que ce personnage est le chef de la communauté dans laquelle vit Mani et que le Sanhédrin est le conseil de la communauté – reste à savoir s’il s’agit d’un conseil au sens étroit (au niveau d’une communauté) ou au sens large (au niveau du mouvement) : difficile à dire. On rencontre dans ce passage deux termes techniques au sujet desquels il est nécessaire de s’étendre un peu. Il s’agit des termes πρεσβύτερος et σύνοδος, qui qualifient les membres du sanhédrin elkasaïte et l’assemblée convoquée par Sitaios, à ce sujet. Au sujet du terme πρεσβύτερος (= ancien) 185 En CMC 74, 11-13 ; 76, 22-23 ; 89, 6-7 ; 103, 4-6 ; 143, 4, il est employé pour qualifier la fonction des membres du sanhédrin elkasaïte alors qu’en CMC 97, 21-22, il l’est pour qualifier les « anciens de la ville ». 183. Voir B.  Kosowski, Thesaurus Nominum quae in Talmude Babylonico Reperientur, V, Jérusalem, 1983, p. 1748. 184.  À ce sujet, voir M. Scopello, « Vérités et contre-vérité : la vie de Mani selon les Acta Archelai », dans Apocrypha 6 (19959, p. 203-234, spécialement p. 214-218. 185.  Pour le champ sémantique de πρεσβύτερος dans le monde grec et judéen, voir A.  L emaire , Les ministères aux origines de l ’Église, Paris, 1973, p. 17-21 et p. 21-27 ; pour le monde chrétien, voir A.  L emaire , Les ministères aux origines de l ’Église, Paris, 1973, p. 184 et X.  L éon-Dufour , Dictionnaire du Nouveau Testament, Paris, 1975, p. 441. Voir aussi E.  Cattaneo, I ministeri nella Chiesa antica. Testi patristici dei primi tre secoli, Milan, 1997, p. 104-106 (= Les ministères dans l ’Église ancienne, Paris, 2017, p. 89-91).

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Selon John C. Reeves, l’arrière-plan de ce terme est judéen. Il est alors à mettre en relation avec le terme ‫ זקן‬qui, dans la littérature qumrânienne, désigne les membres du ‫( מושב הרבים‬moshav ha-rabim), l’assemblée générale de la communauté (1QS 6, 8-9) 18 . En CMC 89, 6-7, les πρεσβύτεροι sont qualifiés de « compagnons » de Sitaios, dans le sens de « partisans ». Au sujet du terme σύνοδος (= conseil) 187 Le terme σύνοδος, que l’on trouve en CMC 89, 7 et 110,  7, pour qualifier « l’assemblée » ou « le synode » des elkasaïtes, est très employé dans le christianisme des premiers siècles pour désigner les assemblées ecclésiastiques : cependant, en Elenchos  IX,  23, le terme σύνοδος est utilisé pour qualifier une assemblée d’hérétiques. Le terme σύνοδος doit être distingué du terme συνέδριον (quatre occurrences en CMC 65, 5 ; 74, 12 ; 77, 7 et 159, 2), car le premier paraît avoir une portée restreinte (= une assemblée de communauté) et le second une portée étendue (= une assemblée de groupe). Il est évident que le sanhédrin de Jérusalem a inspiré le sanhédrin des elkasaïtes : ce dernier est cependant à distinguer du premier 188. Par deux fois, dans ce passage, les membres de l’assemblée sont qualifiés avec le terme ἑταῖρος (= compagnon). Dans les deux cas, le terme paraît péjoratif. Il pourrait être employé afin de dénigrer aux yeux des manichéens les membres de l’assemblée convoquée par Sitaios. VII. Convocation de Pattikios devant le synode (89, 9-90, 6) Ils convoquèrent aussi le maître de la maison (οἰκοδεσπότην), Pattikios, et lui dirent : « Ton fils s’est retourné contre notre Loi et souhaite aller dans le monde (εἰς τὸν κόσμον). Le pain de froment (σίτινον ἄρτον), et (certains) fruits et légumes que nous excluons (ἀφορίζω) et ne mangeons pas, tous ces (interdits) il ne les respecte pas et déclare qu’il est nécessaire de les supprimer ». D’autres dirent : « Il ne se baptise (βαρτίζω) pas par [des baptêmes (βάπτισμα)] de la même façon qui est pratiquée par nous. (p. 90) Et il souhaite manger le pain [grec] ([Ἑλληνικὸν] δὲ ἄρτον) ». Alors Pattikios, parce qu’il s’était aperçu de leur très grand tumulte leur dit : « Convoquez-le vous-mêmes et persuadez-le ». 186.  J.C. R eeves , « The ‘Elchasaite’ Sanhedrin of the Cologne Mani Codex in Light of the Second Temple Jewish Sectarian Sources », dans Journal of Jewish Studies 42 (1991), p. 77-78. 187.  Au sujet du terme σύνοδος voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P.  Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72,  8-99,  9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 166, n. 241. 188. Voir G.  Schöllgen, «  Eine elchasaitische Synode im Kölner ManiKodex ? », dans Jahrbuch für Antike und Christentum 51 (2008), p. 55-67.

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Pattikios, le père de Mani, est convoqué devant le synode à la demande du chef de la communauté. On lui énumère les griefs de son fils au sujet des pratiques baptistes et des règles alimentaires. Devant la gravité des faits, Pattikios, indirectement, se déclare incompétent et se refuse de persuader Mani de renoncer à son retournement contre la Loi. Il convient de souligner que les accusations contre Mani fusent de deux groupes différents : 1. les uns qui accusent Mani de se retourner contre la Loi et de souhaiter aller dans le monde, les mêmes l’accusent aussi de vouloir manger le pain de froment ainsi que les fruits et légumes habituellement exclus de l’alimentation de la communauté ; 2. les autres qui accusent Mani de ne pas se baptiser par des baptêmes et de souhaiter manger du pain grec. Il est fort vraisemblable que les accusations du premier groupe aient été insérées par le traditionniste. Elles correspondent, en effet, exactement au sommaire que l’on peut lire en CMC 88, 1-88, 14, au sujet du froment (sous-entendu pain), ainsi que de certains légumes et fruits. Pattikios est qualifié de οἰκοδεσπότης (= maître de la maison), au sujet de ce terme important voir plus bas. Au sujet du nom de Pattikios, le père de Mani, il y a une relative abondante littérature secondaire 189. Dans cet épisode, il y est question du « pain grec », mais aussi du « pain de froment » (σίτινον ἄρτον). L’expression « pain de froment » ou « pain de blé » se trouve en CMC 89, 15 ; 91, 11-12 ; 91, 22-23 : on peut préciser que σίτινος vient de σιτικός – terme technique pour désigner une céréale 190. Il est possible que l’appellation « pain de froment » remonte à la rédaction et que l’appellation « pain grec » remonte à la tradition. En ce qui concerne le pain grec et le pain de froment, une question se pose : s’agit-il du même pain ? C’est fort possible. Est-ce à dire que les elkasaïtes de cette communauté consomment uniquement du pain sans froment, autrement dit du pain non-levé ? C’est bien possible. Il faut avouer que l’on est trop peu informé sur ce plan pour aller plus loin. Pour Michel Tardieu, il y a là une opposition entre le « pain judéen » autorisé et le « pain grec » interdit comme il y a une opposition entre le « pain des pauvres » et le « pain des riches » 191. Si la première opposition 189. Voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 169-171, n. 243. 190.  Au sujet de cette expression, voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72,  8-99,  9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 162, n. 229. 191.  M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 9, 19972 , p. 8-9.

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peut se déduire du texte, ce n’est en revanche nullement le cas pour la seconde. Jean-Daniel Dubois se demande si l’expression « le pain de froment » ne pourrait pas renvoyer à un jeu de mot signifiant « le pain de Sitan » (communication orale.). Quoi qu’il en soit, d’un côté, on a le pain fait dans la communauté, de l’autre, le pain des étrangers : la frontière entre le permis et l’interdit semble reposer sur ce qui est produit à l’intérieur de la communauté et ce qui ne l’est pas. Au sujet du terme οἰκοδεσπότης (= maître de la maison) (CMC 89,  9) Ce terme, que l’on trouve aussi en CMC 100, 21 et 140, 12, est employé pour la fonction de Pattikios, le père de Mani. Pour expliquer le titre de οἰκοδεσπότης appliqué à Pattikios, dans une véritable monographie, Albert Henrichs et Ludwig Koenen distinguent le sens obvie du texte (= fonction paternelle, dans CMC 89, 9 et 100, 21) du sens ecclésiastique tributaire de l’organisation de la hiérarchie manichéenne postérieure (dans CMC 140, 12) 192 . Selon John C. Reeves, l’arrière-plan du terme grec οἰκοδεσπότης serait typiquement judéen, à condition d’accepter de le mettre en relation avec le terme hébreu ‫ מבקר‬qui, dans la littérature qumrânienne ou essénienne, désigne une fonction dans la communauté (1QS 1, 21-2, 20 ; 3, 4-5, 8 ; CD 14, 11-12) 193 – d’ailleurs, il convient d’observer que la traduction de ce terme hébreu est discutée : « inspecteur de la communauté » ou « intendant de la communauté », ce qui est dans un cas comme dans l’autre un poste important. Le terme οἰκοδεσπότης, le « maître de maison », est abondamment utilisé dans le Nouveau Testament pour désigner une fonction civile (Mt 10, 25 ; Mt 13, 27…) 194 . Henri-Charles Puech a suggéré de considérer ce terme comme désignant la fonction d’économe dans la communauté, le « maître de la maison », que l’on rencontre souvent dans la littérature syriaque monastique 195. La proposition de John C. Reeves paraît discutable, notamment à cause du fait de la signification de ‫ מבקר‬qui n’est pas fermement établie. Il est 192.  A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 166-169, n. 242. 193.  J.C. R eeves , « The ‘Elchasaite’ Sanhedrin of the Cologne Mani Codex in Light of the Second Temple Jewish Sectarian Sources », dans Journal of Jewish Studies 42 (1991), p. 74-76. 194. Voir X.  L éon-Dufour , Dictionnaire du Nouveau Testament, Paris, 1975, p. 350-351. 195.  H.-C.  P uech, Sur le manichéisme et autres essais, Paris, 1979, p. 384.

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difficile, en effet, de penser que l’οἰκοδεσπότης de la Vita Mani ait eu les mêmes fonctions que le ‫ מבקר‬de la Règle de la Communauté, du moins sur la base des informations transmises – d’autant que le ‫ מבקר‬de la littérature qumrânienne a été mis en corrélation avec l’ἐπίσκοπος 196. On doit observer que certaines questions posées dans la Vita Mani trouvent des points de contact dans le Livre du Lévitique : - au sujet du pain de froment, voir Lv 2, 4-8a, en ce qui concerne les trois ou quatre modes de préparation et de présentation de l’offrande végétale cuite ; - au sujet de la meule et du four, dont il sera question plus loin, voir Lv 11, 35, en ce qui concerne l’impureté du four. De plus dans le Livre du Lévitique, on trouve des attestations du terme ‫ תורה‬avec le sens de « directive / prescription / instruction » (Lv 6, 2a ; 11, 46, etc.) comme le terme τάξις (= prescription) dans la Vita Mani. Relevons aussi les expressions « le baptême par lequel nous nous baptisons » (en CMC 88, 9-10) ou « il ne se baptise pas par des baptêmes » (en CMC 89, 1-2). Ces expressions, qui renvoient à des aramaïsmes (phénomène de l’intensification et du renforcement, classique dans toutes les langues sémitiques), figurent à la fois dans le sommaire du traditionniste et dans ce passage, ce qui pourrait le rendre suspect d’être totalement son œuvre sous une quelconque forme rédactionnelle (écriture partielle ou totale, réécriture partielle ou totale). VIII. Convocation de Mani devant le synode (90, 7-91, 18) Alors, ils me convoquèrent auprès d’eux, et rassemblés, ils me dirent : « Depuis ton jeune âge tu as été parmi nous, vivant (δίαγω) bien les prescriptions (τάξις) et coutumes (ἀναστροφή) de notre Loi. Tu as été dans notre milieu comme une fiancée (νύμφη) soumise 197. Maintenant que t’est-il arrivé, qui t’est apparu (ὁράω) ? Tu détruis (καταλύω) notre Loi et tu abolis (καταργέω) notre [communauté (δόγμα)]. Tu prends (p. 91) un autre chemin que le nôtre. Nous tenons ton père en grande estime. Pourquoi, alors, veux-tu détruire (καταλύω) maintenant le baptême (βάπτισμα) de notre Loi et de nos Pères, d’après laquelle nous avons vécu de tout temps ? Tu as même détruit (καταλύω) les préceptes du Sauveur ! Tu as même souhaité manger du pain de froment et de ces légumes que nous ne mangeons pas ! Pourquoi vis-tu ainsi et pourquoi ne te charges-tu pas de cultiver la terre de la même façon que nous le faisons ? ». 196. Cette corrélation a été établie une première fois par I.  L évi, « Un écrit sadducéen antérieur à la destruction du Temple », dans Revue des études juives 61 (1911), p. 195, n. 1 et 63 (1912), p. 8-9. 197.  Ou « vertueuse ».

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Mani, à son tour, est alors convoqué devant l’assemblée. Le discours des membres de cette assemblée est transmis sous une forme générale, on ne dit pas qui s’adresse à Mani, mais il est possible de présumer qu’il puisse s’agir de Sitaios, l’Ancien du Sanhédrin (CMC 74, 11). On lui rappelle d’abord qu’il a vécu durant toute son enfance et son adolescence dans la communauté, respectant (δίαγω, vivant, dit le texte) les prescriptions (τάξις) et les coutumes (ἀναστροφή) 198 : en Ga 1, 13, il est question de ce même terme pour désigner le comportement des Judéens, c’est-à-dire leur mode de vie. On compare même Mani à une fiancée soumise (νύμφη καταστέλλω). Une telle métaphore se retrouve aussi bien dans la littérature manichéenne que dans la littérature chrétienne d’origine judéenne, notamment dans le corpus pseudo-clémentin (voir par exemple, Homélie  III, 27, 3) 199. Cette expression relève fort certainement de la tradition manichéenne plutôt que de la tradition elksasaïte. On passe ensuite aux reproches à l’égard de Mani, ils sont principalement de cinq ordres : a) tu t’opposes à la Loi ; b) tu ne reconnais pas le baptême ; c) tu t’opposes aux préceptes du sauveur ; d) tu ne respectes pas les interdits alimentaires ; e) tu te tiens éloigné du travail agricole. En ce qui concerne ce dernier reproche, il convient de souligner qu’il s’agit d’un élément nouveau qui apparaît dans le dossier de la procédure contre Mani. Il ne répond apparemment à aucune critique de Mani émise antérieurement. Le travail agricole est lié d’une certaine manière aux interdits alimentaires. La pureté alimentaire implique de connaître l’origine des aliments. C’est une caractéristique qui est en faveur de l’origine judéenne de cette communauté. En effet, dans certaines formes du judaïsme, proches de milieux sectaires, afin de garantir la pureté alimentaire, il y a obligation de ne consommer que des aliments que l’on a produits. D’autre part, le 198.  Au sujet d’ἀναστροφή, voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P.  Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72,  8-99,  9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 171, n. 249. 199. Voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 171-172, n. 250.

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travail agricole impose un mode de vie à la communauté, on peut même dire qu’il impose un mode de vie communautaire. L’expression τὸ βάπτισμα τοῦ νόμου ἡμων καἰ τῶν πατέρων, « le baptême de notre Loi et de nos Pères », fait référence, dans ce cas, à la réglementation baptismale – autrement dit, la halakhah elkasaïte sur les rites d’eau pratiqués par le groupe. Dans ce cas, comme l’observent Christelle et Florence Jullien, les Pères dont il est question ici sont les Anciens du groupe elkasaïtes qui deviennent ainsi les « garants » des baptêmes 200 – il en est question encore en CMC 94, 7 sous un terme différent, mais équivalent, δείζοσιν, « dirigeants ». Cette halakhah baptismale légitimée par les Pères, qui sont les Anciens du groupe, trouve ses fondements dans les rites d’eau pratiqués par le mouvement baptiste en général, lesquels représentent une critique de ceux du judaïsme reconnu comme non hétérodoxe et qui repose, en la matière, sur Lv 11, 31-45 et 15, 31. IX. Début du discours de défense de Mani transmis sous l’autorité de Baraïes (91, 19-93, 23) Alors, je [leur] dis : En aucun cas, je ne voudrais [détruire (καταλύω) les] préceptes du Sauveur. Mais, si vous me [reprochez] [au sujet] du pain de [froment] ([σίτι]νος ἄρτος) (p. 92) parce que j’ai dit : « C’est nécessaire de le manger », cela le Sauveur l’avait fait ; comme il est écrit, que quand il (l’) a bénit et (l’) a partagé avec ses disciples, « sur le pain, il dit une bénédiction et (le) leur donna » 201. Ce pain, n’était-il pas de froment ? Elle (l’Écriture) montre qu’il acceptait de manger avec les publicains (τελώνης) et les idolâtres (εἰδωλολάτρης) 202 . De même, il acceptait aussi de manger dans la maison de Marthe et de Marie. Lorsque Marthe lui dit : « [Seigneur], ne te soucies-tu pas de moi et ne veux-tu pas dire à ma sœur qu’elle devrait m’aider » ; le Sauveur lui dit : « Marie a choisi la [meilleure] part (p. 93) et elle ne lui sera pas enlevée » 203. Considérez d’ailleurs comment même les disciples du Sauveur mangèrent le pain des femmes et des idolâtres (ἄρτον ἀπὸ γυναικῶν καὶ αἰδ[ω]λολατρῶν) sans faire aucune distinction entre un pain et un autre pain, et entre un légume et un autre légume ; et qu’ils ne se procurèrent 200. Voir C.  Jullien – F.  Jullien, « Le mouvement baptiste en Orient, un phénomène marginal pour la christianisation ? », dans Apôtres des confins. Processus missionnaires chrétiens dans l ’Empire iranien, Bures-Yvette, 2002, p. 142 (Res orientales XV). 201.  Voir Mc 14, 22. 202.  Voir Mt 9, 10-11 et Mt 11, 18-19. 203.  Voir Lc 10, 38-42.

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pas leur nourriture par leur propre travail et par la culture de la terre, de la même façon que vous le faites aujourd’hui. De même, lorsque le Sauveur envoyait ses disciples annoncer son message dans chaque lieu, ils ne transportaient avec eux ni meule ni four, en outre [aussi] … ; ne pas prendre de [vêtement] de […]. Tout le discours de Mani qui, en réalité, va de CMC 91, 19 à CMC 99, 21, se place dans une dimension apologétique. Dans une contribution, Soren Giversen considère la Vita Mani comme un texte historique pouvant être utilisé à des fins polémiques : ainsi selon ce critique, il ne s’agit nullement d’un texte apologétique et seule cette partie relève de ce genre littéraire 204 . Il a été rédigé à destination des manichéens sans doute originaires de l’elkasaïsme. Un élément milite en faveur de cette hypothèse : il a été transmis sous l’autorité non pas d’un traditionniste, mais de trois traditionnistes : Baraïes, Zachéas et Timothée. On pourrait penser aussi qu’il s’agit là d’un discours de fondation du mouvement manichéen. Pour l’instant, on se limite à de brèves notules. On revient ultérieurement plus en détail sur cette partie du discours de défense de Mani lorsqu’on aborde CMC 97, 11-17 (où il est question de l’histoire du pain parlant à Elkasaï). Les arguments de Mani contre les elkasaïtes peuvent être ramenés principalement à trois niveaux : a) Mani ne supprime pas les préceptes du Sauveur (91, 19-92, 1) ; b) Mani considère que les interdits alimentaires ne relèvent pas des préceptes du sauveur (92, 2-93, 3) ; c) Mani rappelle que les disciples du sauveur ne respectaient pas les interdits alimentaires et ne pratiquaient pas le travail agricole (93, 4-93, 23). 1er niveau (91, 19-92, 1) Mani réfute l’argument selon lequel il s’oppose aux préceptes du sauveur. Mani démontre, au contraire, que sa réfutation repose entièrement sur les préceptes du sauveur. C’est ce qu’il va d’ailleurs chercher à démontrer aux deuxième et troisième niveaux de sa propre argumentation.

204. Voir S.  Giversen, «  Mani’s Apology (CMC 91, 19-97, 21)  », dans L.  Cirillo (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del secondo simposio internazionale (Cosenza 27-28 maggio 1988), Cosenza, 1990, p. 67-76.

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2e niveau (92, 2-93, 3) Il concerne les interdits alimentaires. Mani démontre qu’ils ne reposent pas sur les préceptes du sauveur. À cette fin, quatre péricopes ou citations néotestamentaires viennent à l’appui du discours. Au sujet du pain de froment, Mani évoque la péricope (citation) de Mc 14, 22 205. Il montre ensuite que le sauveur, à savoir Jésus, a accepté de manger avec les publicains et les idolâtres selon les péricopes de Mt 9, 10-11 et de Mt 11, 18-19 206, et même, ajoute-il, avec des femmes, selon la péricope (citation) de Lc 10, 38-42 207. On n’entre pas ici dans le problème de l’origine de ces citations. À savoir si elles sont citées d’après le Diatessaron de Tatien ou d’après la forme ordinaire des Évangiles synoptiques à cette époque 208. En CMC 92,  11-12, l’expression δείκνυσι  … ὡς (= elle (c’est-à-dire l’Écriture) montre…) sert à introduire une argumentation reposant sur les péricopes de Mt 9, 10-11 et Mt 11, 18-19 209. 3e niveau (93, 4-93, 23) Il concerne les interdits alimentaires et le travail agricole. L’exemple des disciples des sauveurs est utilisé dans l’argumentation. On ne peut s’empêcher de penser à la péricope de Mt 10, 5-15 (et parallèles) sur l’envoi en mission des Douze par Jésus 210. À noter toutefois que dans la péricope néotestamentaire, il n’est jamais question de meule (μύλος) ou de four (κλίβανος) 211. 205.  Au sujet de cette citation, voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P.  Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72,  8-99,  9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 174, n. 260. 206. Au sujet de ces deux péricopes, voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P.  Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72,  8-99,  9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 175, n. 262. 207.  Au sujet de cette citation, voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P.  Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72,  8-99,  9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 175-176, n. 264. 208.  Au sujet des traces de l’utilisation du Diatessaron de Tatien dans la Vita Mani, voir L. Koenen, « Augustin and Manichaeism in Light of the Cologne Mani Codex », dans Illinois Classical Studies 3 (1978), p. 193. 209.  Le commentaire de A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 174, n. 261, est hors sujet. 210.  Au sujet de cette péricope, voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P.  Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72,  8-99,  9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 177-178, n. 268. 211.  La fin du passage est lacuneuse.

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La meule et le four symbolisent la fabrication du pain à l’intérieur de la communauté elkasaïte. En effet, les règles de purification alimentaire imposent la pureté des instruments concourant à la fabrication du pain. C’est le cas dans le judaïsme rabbinique qui ne considère comme « pur » que le pain et le vin issus de meules, de fours, de pressoirs et cuves strictement « purs » – des polémiques à ce sujet sont rapportées dans la littérature du mouvement, voir par exemple l’épisode du four d’Akhnay dont les protagonistes (notamment R. Eliézer ben Hyrkanos et sa sœur Imma Shalom) sont de la fin du i er siècle de notre ère (TJ Moed Qatan III, 1 ; TB Baba Metsia 59a-b) 212 . Ces questions posées dans la Vita Mani se retrouvent dans le Livre du Lévitique, ce qui n’est guère étonnant : en Lv 11, 35, il est question de l’impureté du four (‫ )תנור‬ou du foyer (‫)כירים‬, qui sont rendus impurs par le cadavre d’un animal, et qui doivent être détruits ; en Lv 11, 33, il est question de l’impureté des récipients en terre cuite, mais pas précisément de meules. De plus, afin de fabriquer du pain « pur », la meule et le four doivent être également purs, selon la prescription de Lv 11, 35 (du moins pour le four). En acceptant la nourriture sans se soucier de sa provenance, les interdits alimentaires deviennent ainsi caducs. Ce sont aussi les structures communautaires elkasaïtes, reposant sur ces interdits alimentaires, qui disparaissent de ce fait. Au cours de ces trois niveaux de l’argumentation, Mani montre que, contrairement aux attaques polémiques dont il est la victime, il respecte les préceptes du sauveur. Il les respecte à un tel point qu’il les retourne contre ses détracteurs en leur montrant que c’est eux, précisément, qui ne respectent pas les préceptes du sauveur en imposant des règles qui ne furent pas celles de Jésus et de ses disciples. Notons toutefois que pour l’instant les règles concernent exclusivement les interdits alimentaires et la pratique du travail agricole. Zachéas (94, 1-99, 9) Le nom du traditionniste transmettant cet extrait est mutilé : le nom de Zachéas est le résultat d’une restitution proposée par Albert Henrichs et Ludwig Koenen 213 . Elle se fonderait sur la mention de Zachéas, un disciple 212. Voir J.F. Rubinstein, « The Story of the Oven of Akhnai : Literary Analysis », dans J.  L evinson (Éd.), Higayon L’Yoma : … in Honor of Yohan Fraenkel, Jérusalem, 2006, p. 457-478 [en hébreu]. Voir aussi I. E ngland, « Majority Decision vs. Individual Truth : The Interpretation of the `Oven of Achnaï´ Aggadah », dans Tradition 15 (1975), p. 137-152. 213. Voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten

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de Mani, que l’on trouve en CMC 140, 9. Il pourrait s’agir cependant d’un autre Zachéas, « maître » de la hiérarchie manichéenne, le Mar Zaqou des textes manichéens en langue iranienne, dont le nom a été transmis sous différentes formes. Il est en effet difficile d’identifier avec certitude le Zachéas, « maître » de la hiérarchie manichéenne avec le Zachéas, disciple de Mani. On peut aussi se demander s’il ne s’agit pas du même personnage qui figure plus loin sous le nom d’Abizachias que l’on trouve en CMC 106, 19 : Ἀβιζαχίας (= Père de Zachéas) étant la forme complète de Ζαχέας. Ce deuxième extrait contient la suite du récit sur le conflit opposant Mani aux baptistes. Cette rupture dans la transmission de ce discours de Mani est curieuse : en effet, pourquoi le rédacteur a-t-il incorporé un discours transmis par deux traditionnistes, Baraïes et Zachéas 214 ? L’intervention du traditionniste est quasiment inexistante – à moins que la majeure partie de cet extrait en soit son œuvre 215. En revanche, il se pose un problème de critique littéraire sur lequel on revient plus longuement. Zachéas, comme Baraïes, parle du synode des baptistes, qui a été réuni pour juger la nouvelle doctrine de Mani. À cette occasion, Mani défend sa position en citant six anecdotes qui sont censées remonter à la tradition elkasaïte primitive, du fait même qu’elles sont bien évidemment mises sous l’autorité d’Elkasaï le fondateur de l’elkasaïsme ou de Sabbaios et Aianos des maîtres elkasaïtes. X. Suite du discours de défense de Mani transmis sous l’autorité de Zachéas (94, 2-99, 9) Si donc vous m’accusez au sujet du baptême (βάπτισμα), alors je vous démontrerai (δείκνυμι) encore, en parlant de votre Loi et des choses qui ont été révélées (ἀποκαλύπτω) à vos dirigeants (μείζοσιν), qu’il ne faut pas se baptiser (βαπτίζω). En effet, Elkasaï (Ἀλχασαῖος), le chef 216 (ἀρχηγός) de votre Loi le montre 217. Quand il (Elkasaï) allait se laver (λούομαι) dans les eaux, l’image d’un homme (εἰκὼν ἀνδρός) lui apparut de la source des eaux 1-72 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 19 (1975), p. 80, n. 80. 214. Voir la tentative de réponse à cette question de A. H enrichs , « The Cologne Mani Codex Reconsidered », dans Harvard Studies in Classical Philology 83 (1979), p. 355-356, qui n’en étant pas vraiment une, est de ce fait insatisfaisante. 215.  On revient sur cette hypothèse ultérieurement. 216.  Ou « le fondateur ». 217.  La traduction retenue repose sur une correction de δείκνυσι en δευκνύσιν.

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(τῆς πηγῆς τῶν ὑδάτων) et lui dit : « Ne suffit-il pas que tes animaux me frappent, même toi [aussi] tu maltraites [mon lieu] et tu profanes (ἀσεβέω) mes eaux ? ». Si bien qu’Elkasaï [fut étonné] et dit à (p. 95) l’image 218 (qui lui était apparue) : « La fornication (πορνεία), l’impureté (ἡ μιαρότης), la souillure (ἀκαθαρσία) du monde sont jetées sur toi et tu ne t’en défends pas, et toi tu t’es affligée (λυπέω) à cause de moi ! ». Elle lui dit : « Même si tous les autres ne savent pas qui je suis, toi, qui déclares être un serviteur (λάτρις) et un juste de Dieu (δίκαιος), pourquoi n’as-tu pas protégé mon honneur (τιμή) ? ». Alors, Elkasaï, troublé (κινέω), ne se lava pas (οὐκ  +  λούομαι) dans l’eau. De nouveau, après beaucoup de temps, il (Elkasaï) voulut se laver (λούομαι) dans les eaux et il demanda à ses disciples (μαθητής) de chercher un lieu [avec peu] d’eau, pour se laver (λούομαι). Ses disciples (p. 96) lui [trouvèrent le] lieu. Lorsqu’il [s’apprêtait] à se laver (λούομαι), de nouveau, une seconde fois, lui apparut l’image d’un homme (εἰκὼν ἀνδρός) dans cette source et lui dit : « Nous et les eaux qui sont dans la mer, sommes une seule chose. Ici aussi es-tu donc venu pécher (ἀμαρτάνω) et nous frapper ? ». Elkasaï, alors tout tremblant et agité, laissa sécher la boue qui était sur sa tête, et l’enleva 219 (ou la souleva 220) ainsi. [De nouveau], il (Mani) démontre qu’Elkasaï avait des charrues [laissées à l’écart] et qu’il se rendit [vers] elles. [La terre] (γῆ) parla et lui dit (p. 97) : « Pourquoi réalisez-vous votre revenu à partir de moi ? ». Alors, Elkasaï, ayant pris un peu de cette terre qui lui avait parlé, l’embrassa en pleurant, la mit sur sa poitrine et commença à dire : « Celle-ci est la chair (σάρξ) et le sang (αἷμα) de mon Seigneur » 221. De nouveau, il (Mani) dit qu’Elkasaï trouva ses disciples en train de faire cuire du pain, et le pain parla à Elkasaï. Celui-ci ordonna (donc) de ne plus le cuire. De nouveau, il (Mani) démontre [que Sab]baios, le Baptiste (βαπτιστής), portait des légumes à l’Ancien de la ville (τὸν πρεσβύτε[ρον τῆς πόλεως). Alors ce [légume]-là [pleura] et (p. 98) lui dit : « N’es-tu pas un juste (δίκαιος) ? N’es-tu pas un pur (καθαρός) ? Pourquoi nous conduis-tu chez les fornicateurs (πόρνος) ? » Sabbaios fut agité à cause de ce qu’il avait entendu et ramena les légumes.

218.  Littéralement « lui dit ». 219.  Si l’on retient la restitution ἀπέσμηξεν. 220.  Si l’on retient la restitution ἀπετίναξεν. 221.  Voir Mt 26, 26-27.

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De nouveau, il (Mani) démontre comment un palmier parla à Aianos, le Baptiste (βαπτιστής) de Kokhe (Κωχῆς), et lui ordonna de dire à son seigneur (κυρίωι μοῦ) 222 : « Ne me coupe pas parce que mes fruits ont été volés, mais laisse-moi pour cette année, et durant cette période je te donnerai les fruits correspondants [à ceux] qui [m’]ont été volés [durant] toutes [ces] années ». (p. 99) Mais il ordonna de dire à cet homme qui avait volé ses fruits : « Ne viens pas durant ce temps voler mes fruits. Si tu viens, je te jetterai d’en haut et tu mourras ». On est toujours dans la dimension apologétique et démonstrative à des fins missionnaires. Mani passe maintenant à la critique du baptême, il déborde aussi sur la question du travail agricole. L’argumentation ne repose plus maintenant sur l’autorité des « préceptes du sauveur », mais plutôt sur l’autorité d’Elkasaï le fondateur du mouvement religieux elkasaïte et sur l’autorité de maîtres elkasaïtes comme Sabbaios le Baptiste et Aianos le Baptiste. Suite des arguments de Mani contre les baptistes : d) Mani raconte alors six histoires exemplaires dans lesquelles Elkasaï le fondateur du mouvement elkasaïte et d’autres baptistes n’ont pas respecté les prescriptions actuelles. L’interprétation de ces six anecdotes est délicate : elle peut s’envisager de deux points de vue selon que l’on se place du côté manichéen ou selon que l’on se place du côté elkasaïte. Ceci étant, le contexte paraît plutôt manichéen que baptiste. 1-2. Dans les deux premières histoires, les eaux parlent à Elkasaï, à travers l’image d’un homme, afin de lui interdire de se laver (94, 10-96, 17). En Vita Mani 94, 10-95, 14a et en Vita Mani 95, 14b-96, 17, il est question de deux dialogues entre Elkasaï et les eaux à travers l’apparition de l’image d’un homme (εἰκὼν ἀνδρός) 223. On ne connaît pas de parallèles manichéens, même si dans un fragment parthe, M 2, un esprit sous la forme d’un être humain parle à Mar Ammo. Ces dialogues montrent la différence entre l’interprétation elkasaïte et l’interprétation manichéenne du baptisme. Pour les elkasaïtes, l’eau est un élément divin qui, par le contact rituel, efface les péchés. Pour les manichéens, l’eau est également un élément divin, mais le contact rituel ne rend 222.  Littéralement « à mon seigneur ». 223. Au sujet de cette image d’homme, voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P.  Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72,  8-99,  9 », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 187, n. 274.

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pas pur le corps, mais rend impure l’eau : cette remarque est importante, car elle n’est concevable que dans un contexte manichéen et non pas baptiste. Pour les manichéens, la purification du corps dans l’eau est donc assimilée à une profanation de l’eau. Cette doctrine transparaît peut-être dans le Kephalaion CI, p. 253-255, du Livre I (Berlin), dans lequel, sous une enveloppe poétique et symbolique des formes humaines, des formes d’étoiles et d’astres se reflètent dans l’eau. Dans ce passage, Mani développe tout le symbolisme du Tôchme-Sôtme, de l’Appel et de l’Écoute, opposant ainsi son interprétation du salut par la purification de l’âme et non pas par la purification du corps. Certains critiques voient dans ce Kephalaion CI, une opposition entre la connaissance et la purification 224 . Dans ces deux histoires, placées sous l’autorité d’Elkasaï, on peut repérer assez clairement une opposition radicale entre l’elkasaïsme et le manichéisme. Au sujet de l’eau qui parle, voir Panarion  XIX, 3, 7 : « Approchezvous plutôt de la voix de l’eau », passage dans lequel Elxai recommande de s’approcher de la voix de l’eau. La présentation est positive par rapport à la Vita Mani. Au sujet de la fornication, de l’impureté et de la souillure du monde, voir Elenchos IX, 15, 1 (pour la fornication) et IX, 13, 4 (pour la souillure). Pour le premier cas, c’est Alcibiade, au nom d’Elkasaï, qui recommande la purification par le baptême à ceux qui ont commis ce péché. Pour le second cas, c’est Elkasaï qui prescrit la purification par le baptême afin de se débarrasser de cette impureté. Il s’agit de prescriptions qui sont censées être dans le Livre d’Elkasaï : de ce fait, il y a donc de fortes chances pour que la Vita Mani dise le contraire, et ce pour des raisons apologétiques et polémiques. Dans le premier de ces deux passages, on rencontre trois terminus technicus pour désigner tout ce qui n’est pas pur : la πορνεία (= la fornication) ; la μιαρότης (=  l’impureté) et l’ἀκαθαρσία (= la souillure). Le premier et le dernier de ces termes sont des hapax dans la Vita Mani. Au sujet de la πορνεία On trouve ce terme dans le célèbre Décret apostolique rapporté en Ac 15, 29 et en Ac 21, 25. 224. Voir par exemple J. R ies , « La doctrine de l’âme du monde et des trois sceaux dans la controverse de Mani avec les Elchasaïtes », dans L.  Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 169-181.

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CHAPITRE IV

Concernant l’interdit de la fornication (πορνεία), indiquons qu’il est vraisemblablement à situer dans l’ordre de la sexualité, car il concerne, dans une certaine mesure, « pour la femme comme pour l’homme, toute rencontre avec le corps d’autrui… devenue signe de finitude et de perte, toute manifestation du désir pour le corps d’autrui » – selon une définition de ce concept empruntée à Aline Rousselle 225. Dans la terminologie biblique, le grec πορνεία et l’hébreu ‫ זנות‬occupent un champ assez large recouvrant toutes les relations sexuelles illégitimes : relations hors mariage (Tb 4, 12 ; Si 23, 23), mariages interdits à certains degrés de parenté (Lv 18, 6-23) et prostitution (Gn 38, 15-22 ; Jg 11, 1 ; Os 1, 2 ; 2, 2-4 ; 4, 12 ; Ez 16, 30). Ce terme a aussi été appliqué de manière tout aussi globale que péjorative à l’idolâtrie des Gréco-Romains. On doit aussi noter que dans ces deux passages, les verbes λούω ou ἀλούω sont utilisés et non pas les verbes βαπτίζω ou ἀβαπτíζω. La nuance est d’importance, étant donné que les premiers ont un sens profane (ils ne figurent d’ailleurs que dans ces passages de la Vita Mani, leur emploi prend de ce fait une allure vulgarisante) et les seconds un sens sacré. Par leur utilisation, le rédacteur cherche à banaliser les lustrations baptistes : il veut leur enlever toute ritualité, les faisant passer pour de simples bains ordinaires (la souillure du corps impliquant celle de l’eau). En ce qui concerne la finale de ces passages, le texte est lacuneux. La reconstruction ἀπέσμηξεν (= et ainsi il l’enleva) a été proposée par Ron Cameron et Arthur J. Dewey, selon une suggestion de Walter Burkert 226 . Dans le premier de ces passages, Elkasaï est appelé « serviteur et observant (ou « juste ») de Dieu » (λάτρης καὶ δίκαιος). Le premier attribut « serviteur » exprime le respect d’Elkasaï pour les lois divines et les traditions ancestrales, dont celle de protéger la sainteté de l’eau. Pour le second attribut «  observant  » (ou «  juste  »), voir Elenchos  IX, 13, 1 où c’est Elkasaï qui est qualifié d’« homme juste » et Elenchos  IX, 15, 3 où c’est Elkasaï qui, à travers son Livre, promet une place auprès des justes à ceux qui auront reçu le baptême. La première citation est similaire à la mention figurant dans la Vita Mani. Elle se prête à l’option de traduction retenue. La seconde citation ne l’est pas du tout. Elle renvoie à des représentations traditionnelles que l’on rencontre aussi bien dans le judaïsme que dans le christianisme. 225.  A. Rousselle , Porneia. De la maîtrise du corps à la privation sensorielle. de l ’ère chrétienne, Paris, 1983, p. 12. 226. Voir R.  Cameron – A.J. Dewey, The Cologne Mani Codex (P. Colon. inv. nr. 4780) Concerning the Origin of his Body, Missoula/Montana, 1979, p. 77, n. 30.

ii e -iv e siècle

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Au sujet du terme δίκαιος En grec classique, un δίκαιος est un « observant de la règle », « un homme honnête et juste ». En grec biblique et en grec patristique, un δίκαιος est un « juste » : il correspond à l’hébreu ‫ צדיק‬22 . On peut se demander si en CMC 95, 10 et en CMC 98, 1, δίκαιος qui, dans les deux cas, est appliqué soit à Elkasaï soit à Sabbaios, ne devrait pas être rendu par « observant » (Elenchos  IX,  13,  1 et IX,  15,  3 [δίκαιος] et Kephalaion  I, p.  13,  30, du Livre  I (Berlin), [ⲇⲓⲕⲁⲓⲟⲥ]  / dikaios) 228. Avant de laisser ces deux premières histoires, remarquons la richesse du vocabulaire rencontré : outre les termes déjà mentionnés, on peut relever les verbes καταπονέω (= accabler) et ἀσεβέω (= profaner), le substantif τὸ τίμημα (= l’honneur). De plus, on assiste à une véritable personnification des eaux à travers une « image d’homme ». Ainsi, les eaux sont frappées, accablées, profanées. Elles subissent la fornication, l’impureté, la souillure. On devrait presque admettre que les eaux sont déifiées tellement le vocabulaire employé pourrait renvoyer à Dieu – sans compter l’expression « serviteur et observant de Dieu ». Auquel cas, on serait en pleine mythification des eaux, peu éloignée d’une docétisation de la divinité 229. 3. Dans une troisième histoire, la terre parle à Elkasaï pour lui interdire le travail agricole (96, 18-97, 10). Elkasaï vient de préparer des charrues en vue des labours. Mais voici que la terre se met à parler et demande : Pourquoi tire-t-on profit de moi ? Elkasaï ramasse alors de la poussière de cette terre et répond : « Ceci est la chair et le sang de mon Seigneur ». La terre est, tout comme l’eau, un élément sacré pour les elkasaïtes. Elle adresse un reproche à Elkasaï parce qu’il tire d’elle un profit matériel, mais l’anecdote n’interdit pas vraiment le travail agricole, qui était l’activité des baptistes (voir CMC 91, 17-18). On trouve dans cette histoire une allusion à l’eucharistie chrétienne et une citation directe de Mt 26,  26-27 : « Celle-ci est la chair (σάρξ) et le 227.  Au sujet de ce terme dans le Nouveau Testament, voir X.  L éon-Dufour , Dictionnaire du Nouveau Testament, Paris, 1975, p. 327-328. 228. À ce sujet, voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P.  Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 187, n. 274. 229. Voir R.  van Vliet, « Adoptianismus in der manichaïischen Christologie », dans M. K nüppel – L.  Cirillo (Éd.), Gnostica et Manichaica. Festschrift für Alois van Tongerloo. Anlässlich des 60. Geburtstages überreicht von Kollegen, Freunden und Schülern, Wiesbaden, 2012, p. 217-231, spécialement p. 223.

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CHAPITRE IV

sang de mon Seigneur ». Cependant dans la Vita Mani, on utilise le terme σάρξ et non pas le terme σῶμα comme dans le texte évangélique 230. Pour le terme σάρξ, voir toutefois les emplois Jn 6,  14 ; 6,  51-58 et ceux dans Ignace d’Antioche, Épître aux Philadelphiens 4 ; 5, 1 ; Épîtres aux Romains 7, 3 ; 8, 1 231. On peut penser que l’emploi du terme σάρξ pourrait correspondre à une interprétation docétisante, tout comme d’ailleurs dans l’Évangile selon Jean. À noter que par cette formule est énoncée dans la Vita Mani, la doctrine manichéenne dite du Iesus patibilis (ou « Jésus souffrant ») : la lumière qui est à nouveau crucifiée dans les plantes, les fruits, aussi bien que dans l’eau et la terre. L’expression Iesus patibilis dans le contexte latin, que l’on trouve chez Augustin, dans le De moribus manichaeorum, désigne la croix de lumière dans le contexte copte 232 . Il s’agit de veiller à ne pas blesser l’âme du monde constituée des parcelles de lumière arrachées par les ténèbres au Royaume de la Lumière : cette expression renvoie à la doctrine manichéenne de l’âme du monde 233. Dans cette histoire, également placée sous l’autorité d’Elkasaï, se trouve toutefois la justification de l’interdiction de cultiver la terre faite aux religieux (= les Élus) manichéens. 4. Dans une quatrième histoire, le pain parle à Elkasaï pour interdire à ses disciples de cuire du pain (97, 11-17). La mise en scène du pain qui parle à Elkasaï alors qu’on est en train de le cuire est fort brève. Elle rappelle l’interdiction de la cuisson du pain attribuée à Elkasaï.

230.  Le grec σάρξ renvoie au syriaque besra, que l’on retrouve dans la formule eucharistique syrienne. 231. À ce sujet, voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 192-193, n. 287. 232.  Au sujet du « Jésus patibilis », voir J. R ies , « Jésus la Splendeur, Jesus patibilis, Jésus historique dans les textes manichéens occidentaux », dans H.  P reissler – H. Seiwert (Éd.), Gnosis-Forschung und Religionsgeschichte. Festschrift für Kurt Rudolph zum 65. Geburtstag, Marburg, 1994, p. 235-245 (= L’Église gnostique de Mani, Turnhout, 2011, p. 25-36). Voir aussi M. Franzmann, « The Immanent and Suffering Jesus (Patibilis) », dans Jesus in the Manichaean Writings, Londres-New York, 2003, p. 107-118. 233. Au sujet de la « croix de lumière », voir J.-D. Dubois , « La croix de lumière chez les manichéens », dans J.-M.  P rieur (Éd.), La Croix. Représentations théologiques et symboliques, Genève, 2004, p. 49-65.

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Cependant, l’interprétation de ce passage doit se faire en fonction d’un autre passage concernant la discussion à propos du pain, que l’on trouve dans la première partie du discours de défense de Mani. Dans CMC 91, 19-93, 23, en effet, Mani répond à deux accusations : contrairement à la loi elkasaïte il prétend manger du pain de froment et des légumes. Par Augustin, De moribus manichaeorum XVI, 39, on sait que les manichéens tiennent en haute estime le pain de froment : pour eux, en effet, froments, légumes, herbes, fleurs et fruits contiennent une portion de Dieu (partem dei). L’influence chrétienne du Nouveau Testament est plus que marquante dans ce dernier passage, transmis sous l’autorité de Baraïes. Se basant effectivement sur des péricopes du Nouveau Testament, Mani répond à ses contradicteurs que Jésus a accepté de manger avec des publicains et des idolâtres (en référence à Mt 9, 10-11 et 11, 18-19), voire même avec de la nourriture préparée par des femmes (en référence à Lc 10, 38-42). On retrouve même une allusion à l’eucharistie chrétienne en CMC 92, 8-9. Mani déplace ensuite son argumentation en montrant que les disciples de Jésus ont aussi accepté du pain et des légumes offerts par les femmes et les idolâtres. Ce qui est essentiel pour Mani, c’est le don : ils ne se sont procuré leur nourriture ni par le travail de leurs mains ni par le labourage de la terre. En ajoutant que Jésus a envoyé en mission ses disciples et que ceux-ci n’ont eu ni aucune meule ni aucun four, Mani montre qu’ils ont reçu leur pain par don 234 . Autrement dit, Mani autorise de manger le pain de froment, mais interdit de le cuire, insistant ainsi sur l’aspect du don lié au refus du travail manuel, particulièrement du travail agricole. La pratique du don est l’obligation essentielle des Auditeurs manichéens. Au sujet de l’interdiction du travail manuel faite aux Élus, relevons que les deux premiers mots de l’Édit de Dioclétien de 297 ou 302 sont otia maxima (otium = loisir, repos, oisiveté). Ces mots constituent une formule lapidaire résumant la vie oisive des communautés manichéennes. Cette oisiveté a, pour une certaine part, motivé les mesures exceptionnelles de Dioclétien contre les manichéens. On se trouve devant un exemple flagrant d’une utilisation relativement orientée des Écritures chrétiennes dans le but de défendre un précepte manichéen : il s’agit là d’un détournement scripturaire, très fréquent chez les manichéens vivant en milieu chrétien.

234.  Au sujet de tout ce qui touche le manichéisme et le Nouveau Testament, voir pour une première approche M. Tardieu, « Principes d’exégèse manichéenne du NT », dans M. Tardieu (Éd.), Les règles de l ’interprétation, Paris, 1987, p. 123146.

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CHAPITRE IV

En CMC 91, 19-93, 23, l’autorisation de manger du pain de froment et l’interdiction de le cuire sont justifiées par l’autorité de Jésus. En CMC 97, 11-17, l’interdiction de cuire le pain est mise sous l’autorité d’Elkasaï. Il faudrait expliquer un tel déplacement. Au sujet de l ’anthroponyme Ἀλχασαῖος (CMC 94,  10) Outre CMC 94, 10, le nom d’« Elkasaï de notre Loi » apparaît plusieurs fois dans ces quatre anecdotes : en CMC 94, 23 ; 95, 13 ; 96, 13 ; 96, 19 ; 97, 3 ; 97, 13 et 97, 15. Cette forme grecque Ἀλχασαῖος mérite quelques remarques, d’autant que c’est un hapax qui dérive d’une forme araméenne ‘ laha hasya (= Dieu caché). Elle ne dérive pas en effet de la forme araméenne hayla hasya (= Pouvoir caché) telle qu’elle est attestée sous la forme grecque δύναμιν ἀποκεκαλυμμένην dans Panarion  XIX, 2, 2. Il s’agit d’un personnage important pour le mouvement elkasaïte dont il est le fondateur historique ou éponyme 235. Elkasaï apparaît ailleurs dans la littérature manichéenne : voir par exemple en Kephalaia CCCXLII, p. 423, l. 9-10, du Livre II (Dublin), où il figure dans une liste des prophètes avant Mani 236. Dans les quatre anecdotes où le nom d’Elkasaï apparaît un problème d’interprétation qui se pose justement à cause de la présence de ce nom, lequel correspond à un personnage pas nécessairement historique. Le problème est que la présentation de ce personnage qui en est donnée est fort différente de ce que l’on sait par ailleurs : on reviendra plus loin sur cette irritante question qui divise les critiques. Quoi qu’il en soit, ces anecdotes s’adressent à des gens sachant qui est Elkasaï. 5. Dans une cinquième histoire, les légumes parlent à Sabbaios le Baptiste pour lui interdire de les transporter en ville pour y être vendus (97, 18-98, 8). Sabbaios intervient comme auteur d’une tentative de transport de légumes à un ancien de la ville. C’est un passage difficile quant à son interprétation. 235. Voir W.  Brandt, Die jüdischen Baptisten oder das religiöse Waschen und Baden im Judentum mit Einschluss des Judenchristentums, Giessen, 1910, p. 109 ; W. Brandt, Elchasai, ein Religionsstifter und sein Werk, Leipzig, 1912, p. 8 ; G. Strecker , « Elkesai », dans Reallexikon für Antike und Christentum IV (1959), col. p. 1171-1172 ; K. Rudolph, Die Mandäer, I. Das Mandäerproblem, Göttingen, 1960, p. 233, n. 4. 236. Voir I.  Gardner – J.D. Be Duhn – P.C. Dilley, Manichaean Manuscripts in the Chester Beatty Library. The Kephalaia Codex. The Chapters of the Wisdom of My Lord Mani, Part III. Pages 343-442 (Chapters 321-347), Leyde-Boston, 2018, p. 166-167.

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De manière élogieuse, Sabbaios est qualifié de δίκαιος (= observant) et de καθαρός (= pur) : d’après Albert Henrichs et Ludwig Koenen, dès les débuts du manichéisme, les titres de δίκαιος et de καθαρός utilisés ensemble, désignent les Élus 237. Au sujet de καθαρός (CMC 98, 2) Ici, ce qualificatif, qu’on trouve aussi en CMC 49, 8, est appliqué à Sabbaios le Baptiste 238. Le πρεσβύτερος τῆς πόλεως (= l’ancien de la ville), qualifié de πόρνος (= le fornicateur), est certainement l’un des responsables des institutions de la cité (ou alors l’un des fonctionnaires municipaux). L’insulte qui le qualifie relève très certainement d’un contexte polémique précis qu’il faudrait essayer de trouver. À moins qu’il faille considérer que ce terme qualifie tout simplement un païen. Auquel cas, on comprend qu’un Baptiste, qui est pur (καθαρός), ne doit avoir aucun rapport avec un païen (= le fornicateur). Au sujet de l ’expression πρεσβύτερος τῆς πόλεως (CMC 97,  21-22) Les « anciens de la ville » forment une sorte de conseil municipal qui administre au nom de l’ensemble des habitants 239. D’après le Livre de Judith, trois hommes se trouvent à la tête des πρεσβύτεροι : Ozias qui semble être le chef (Jdt 6,  14), Chabris (Jdt 8, 10) et Carmis (Jdt 10, 6) : il convient de relever qu’ils sont appelés πρεσβύτεροι, soulignant ainsi leur appartenance au conseil local 240. Sabbaios apparaît comme un ancien elkasaïte converti au manichéisme 241. Cette narration pourrait illustrer l’interdiction manichéenne (pour les Élus) de travailler, non seulement de cultiver la terre, mais aussi de vendre le produit de cette terre. Comme dans ce récit, il n’est pas question de vente de légumes, il faudrait peut-être rappeler l’interdiction manichéenne de faire des dons aux 237. Voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 195, n. 293. 238. Voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 195, n. 293. 239. Voir R.  de Vaux, Les institutions de l ’Ancien Testament, I, Paris, 1958, p. 212. 240.  Voir M. Guerra y Gomez , Episcopos y Presbyteros, Burgos, 1962, p. 198200. 241.  Le texte n’est pas très clair à ce sujet.

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mendiants dont parle Augustin dans le De moribus manichaeorum : « Vous défendez de donner à un mendiant, qui n’est pas manichéen, du pain, des légumes ou même la chose commune à tous, de l’eau, de peur que ses péchés ne souillent le membre de Dieu mêlé à ces aliments et n’empêche son retour » 242 . Toutefois, dans la Vita Mani, il n’est pas question de mendiants, mais d’un responsable ou fonctionnaire municipal, et l’interprétation de ce passage demeure entière. Au sujet de l ’anthroponyme Σαββαῖος (CMC 97,  18) Il s’agit du nom propre d’un membre de la communauté elkasaïte, qui revient d’ailleurs en CMC 98, 5 : il vient de la racine sémitique ‫=( צבע‬ laver, baptiser) 243. C’est pourquoi, on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une tautologie : Sabbaios le Baptiste = Baptiste le Baptiste : le second nom ne serait que la traduction grecque du terme araméen. Ce type de tautologie est assez classique dans les textes anciens qui ne sont que des versions. 6. Dans une dernière histoire, un palmier parle à Aianos le Baptiste de Kokhe pour lui demander de dire à son propriétaire de ne pas l’abattre et afin d’effrayer le voleur d’autres tentatives de vols de ses fruits (98, 9-99, 9). Il convient d’abord de souligner la parenté de CMC 98, 9-99, 9 avec CMC 6, 1-8, 14. Il s’agit, dans les deux cas, de récits de miracle concernant un « palmier parlant ». En CMC 6, 1-8, 14, récit placé sous l’autorité de Salmaios l’Ascète, Mani accompagne un autre baptiste afin de couper du bois. Arrivés sur le lieu où l’on peut se procurer du bois, le compagnon de Mani grimpe sur un palmier. C’est alors que ce dernier s’écrie : « Si tu écartes de nous la souffrance, tu ne mourras pas avec les meurtriers » (7, 2-5). Saisi de frayeur, le compagnon de Mani se précipite au sol et se jette aux pieds de Mani en lui disant : « Je ne savais pas que ce mystère indicible est avec toi. Par qui te fut révélée la souffrance du palmier ? » (7, 11-15). Et Mani de lui répondre : « Pourquoi as-tu pris peur et as-tu changé de couleur quand le palmier t’a dit cela ? Combien plus sera perturbé celui avec lequel parlera la végétation » (8, 1-7). Et le compagnon de Mani, tout en admiration, de lui dire : « Garde ce mystère, ne le confie à personne, afin que personne ne

242.  Voir Augustin, De moribus manichaeorum XV, 36. 243. Voir A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 194195, n. 290.

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te supprime par jalousie » (8, 11-14). Ce récit illustre, de fait, l’interdiction de couper du bois édictée par l’ange en 6, 5-6 244 . Ce commandement négatif de CMC 6, 5-6 sur la non-violence est le suivant : « de même tu ne prendras pas de légumes du jardin ni du bois pour toi-même » 245. Il relève de la doctrine de l’âme du monde permettant aux arbres et aux végétaux de parler. En CMC 98, 9-99, 9, Aianos, le Baptiste de Kokhe, s’apprête à couper un dattier qui ne porte pas de fruit. Le dattier lui demande de le laisser en place, car ses fruits lui ont été enlevés par des voleurs et de lui accorder un délai d’une année durant laquelle il lui donnera plus de fruits que la quantité volée. Il y a certes des différences entre les deux récits, dans le premier il est question de bois, dans le second de fruits. Mais dans les deux cas, on peut ramener l’interprétation à l’interdiction manichéenne de couper du bois. De cette controverse, ressort l’importance d’une des doctrines fondamentales de Mani : le salut de l’âme du monde constituée des parcelles de Lumière prisonnières des Ténèbres 246. Pour les manichéens, les rites baptistes profanent l’âme du monde, qui est l’objet du salut, ce qui explique leur rejet des rites baptistes comme moyen de salut. Selon Michel Tardieu, les anecdotes des légumes pleurants et du palmier pleurant sont des légendes racontées par la première génération manichéenne : peut-être même sont-elles originaires de Mani lui-même ? Au sujet de l ’anthroponyme Ἀϊανός (CMC 98,  11) Aianos est un baptiste de Kokhe et rien ne permet d’infirmer ces renseignements : on peut donc considérer apparemment ce personnage comme un authentique elkasaïte. Ce nom est très attesté dans l’épigraphie originaire de la Syrie-Palestine, comme le montrent de très nombreux témoignages 247. Il s’agit vraisemblablement d’un anthroponyme d’origine grecque qui n’est surtout pas à rapprocher du nom latin d’Aianus.

244.  Voir aussi un passage des Homélies : « Un bois ouvrira sa bouche ainsi que les arbres et ils se mettront à parler et les fruits parleront aussi (H.J.  Polotsky, Manichäische Homilien, Stuttgart, 1934, p. 34, 15-17). 245.  À ce sujet, voir M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 81-82, 19972 , p. 80-81. 246.  À ce sujet, voir M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 81-82, 19972 , p. 80-81. 247. Voir A.  H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 197, n. 297.

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Au sujet du toponyme Κωχή (CMC 98,  11) Kokhe est un quartier de l’ancienne Séleucie-Ctésiphon, situé sur la rive droite du Tigre en face de la Ctésiphon sassanide. Pour désigner cette capitale de l’empire iranien, qui n’est pas la seule, on rencontre dans le CMC les toponymes suivants : Κτησιφῶν, Κωχή et Πόλεις (= Mahozé). Kokhé a d’abord été un quartier de Ctésiphon, de fondation parthe, et ensuite un quartier de Séleucie, de fondation grecque. En effet, entre 79 et 116, le Tigre a changé de cours, faisant passer Kokhé de la rive gauche à la rive droite. Vers 230, Ardachir, le premier roi de la dynastie sassanide, a fondé une nouvelle ville sur le site de Kokhé : sous le nom de Veh-Ardachir 248. Mani est arrivé dans cette ville nouvelle qui se trouve donc sur la rive droite du Tigre, face à Ctésiphon : un pont de bateaux, et non de pierre, permettant de rejoindre les deux villes. Éléments de critique littéraire de CMC 94, 1-99, 9 94, 2-8 : Cette phrase introduit les histoires exemplaires de Mani : elle est maintenue à la première personne du singulier à la forme directe. 94, 9-99, 9 : Les histoires exemplaires de Mani sont transmises à la troisième personne du singulier à la forme indirecte : laquelle commence en 94, 9 et non pas en 96, 18 249. En CMC 98, 14, l’expression « à mon seigneur » (τῶι κυρίωι μου) que l’on traduit « à son seigneur », sous peine de rendre le passage incompréhensible, présuppose un discours direct dans la source que suivait certainement le rédacteur. Nul doute, que le rédacteur éprouve des difficultés pour former un discours cohérent à partir des divers matériaux provenant de la tradition. Les premières phrases de Zachéas (94, 1-8) et de Timothée (99, 11-100, 1) sont généralement soupçonnées, et à juste raison, d’être des phrases de transition formulées par le rédacteur. Les passages à la troisième personne du singulier ne paraissent pas pouvoir être rattachés à une tradition remontant aux elkasaïtes. Ils seraient plutôt issus de la tradition manichéenne voulant justifier la rupture de Mani avec sa communauté d’origine. 248.  Au sujet de la topographie de la grande capitale de l’empire iranien, voir J.M. Fiey, « Topography of Al-Ma’in (Seleucia-Ctesiphon Area) », dans Sumer 23 (1967), p. 3-38 ; J.M. Fiey, « Topographie chrétienne de Mahozé », dans L’Orient syrien 12 (1967), p. 397-420. 249.  À ce sujet, voir A. H enrichs , « Literary Criticism of the Cologne Mani Codex », dans B.  L ayton (Éd.), The Rediscovery of Gnosticism, II. Sethian Gnosticism, Leyde, 1981, p. 727-728.

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Ces passages sont donc le fruit de l’interprétation manichéenne : ils sont, selon toute probabilité, originaires de la tradition elkasaïte, mais ils ont subi le procédé littéraire de la parodie, qui a permis d’en détourner le sens primitif au profit d’un sens nouveau : par parodie, il faut entendre le détournement d’un texte par transformation minimale 250. Est-il possible de remonter au sens primitif ? Oui, mais toute tentative ne peut relever que de l’hypothèse. Autrement dit, les interdictions manichéennes, mises sous le patronage d’Elkasaï, de Sabbaios et d’Aianos, deviendraient ainsi des préceptes elkasaïtes. À titre d’exemple, l’interdiction de pratiquer les rites de purification par l’eau (94, 10-96, 17) deviendrait une obligation de pratiquer les rites baptistes mise sous l’autorité d’Elkasaï, ce qui serait plus conforme à ce qui est rapporté dans l’Elenchos et le Panarion. 99, 11-100, 1 : Cette phrase conclut les histoires exemplaires de Mani : elle est rétablie à la première personne du singulier. Il n’est peut-être pas inutile de résumer les controverses doctrinales de Mani avec les elkasaïtes dont il vient d’être longuement question dans une présentation tout aussi générale que globale. Présentation générale et globale de la controverse 251 La controverse, exposée dans la Vita Mani, peut être structurée de la manière suivante : une introduction ; une première réaction des baptistes ; un premier discours de Mani ; une seconde réaction des baptistes ; un second discours de Mani et une conclusion. Il s’agit d’une construction littéraire fort bien élaborée : chaque réaction des baptistes est suivie d’un discours de Mani. Il s’agit d’une controverse qui est d’ordre rituel, mais qui a des conséquences sur l’appartenance de Mani à son groupe, car elle est conditionnée par l’observance des règles qui la régissent 252 . La figure d’Elkasaï est présentée ici dans la perspective de la figure de Mani dont il est question en CMC 12, 1-15 : Des eaux, un visage d’homme m’est apparu, qui m’a indiqué avec la main le repos afin que je ne pêche pas et ne lui apporte aucune douleur. De cette 250.  À ce sujet, voir G. Genette , Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, 1982, p. 17-19 et surtout p. 33. 251.  Nombre d’éléments de cette présentation proviennent en partie de M. Tardieu, Études manichéennes. Bibliographie critique 1977-1986, Téhéran-Paris, 1988, p. 28, n° 55. 252. Voir J.J. Buckley, « Mani’s Opposition to the Elchasaites : A Question of Ritual », dans O. Slater – D. Wiebe (Éd.), Traditions in Contact and Change. Selected Proceeding of the XIVth Congress of the International Association for the History of Religion, Waterloo/Ontario, 1983, p. 323-336.

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CHAPITRE IV

manière, depuis ma quatrième année jusqu’à ce que j’atteigne ma maturité corporelle, je fus protégé par les mains des anges purs et du pouvoir de la sainteté.

Comme le soulignent Christelle et Florence Jullien, il y a similitude entre les deux expériences qui placent le jeune Mani sur le même plan qu’Elkasaï, mais tandis que la première propose une libération des pratiques rituelles fondées sur l’eau, la seconde reste impliquée dans son système 253. Nonobstant cette différence fondamentale, Mani estime être dans la continuité d’Elkasaï – excellente stratégie ! Reprenons maintenant chacune des cinq parties de la controverse, afin d’en faire une présentation sommaire dont le synopsis suivant permet de mieux suivre l’exposé. Position de Mani 1. Introduction. a. Au sujet de la voie de Dieu. b. Au sujet des préceptes du Sauveur (= Jésus). c. Au sujet du baptême du corps. d. Au sujet du baptême des légumes. e. Au sujet de chaque règlement et de chaque prescription.

3. Discours de Mani (I). a. Contre la purification des aliments. b. Contre la purification du corps.

5. Discours de Mani (II).     5/1. Utilisation de la tradition chrétienne contre les accusations c, d, e.     5/2. Utilisation de la tradition elkasaïte contre l’accusation b. - Elkasaï (4 traditions). - Sabbaios (1 tradition). - Aianos (1 tradition). 6. Conclusion. Résumé du Discours de Mani.

Position des baptistes

2. Réaction des baptistes (I). a. Les uns sont étonnés. b. Les autres sont irrités.

4. Réaction des baptistes (II).     4/1. Réaction théorique. a. Les partisans. b. Les hésitants ou sceptiques. c. Les opposants.     4/2. Réaction pratique. a. Accusation au sujet de la Loi. b. Accusation au sujet du baptême. c. Accusation au sujet des préceptes du Sauveur. d. Accusation au sujet des interdits alimentaires. e. Accusation au sujet du travail agricole.

253. C. Jullien – F. Jullien, « Le mouvement baptiste en Orient, un phénomène marginal pour la christianisation ? », dans Apôtres des confins. Processus missionnaires chrétiens dans l ’Empire iranien, Bures-Yvette, 2002, p. 143 (Res orientales XV).

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1. Dans une introduction (CMC 79, 14-80, 5), Mani énumère les points de discussion qu’il a avec les baptistes et ils sont au nombre de cinq : (a) au sujet de la voie de Dieu ; (b) au sujet des préceptes du Sauveur (= Jésus) ; (c) au sujet du baptême du corps ; (d) au sujet du baptême des légumes ; (e) au sujet de chaque règlement et de chaque prescription. Ces points de discussion seront repris dans les deux discours de Mani qui respectivement suivront les deux réactions des baptistes. 2. Une première réaction des baptistes est rapportée de manière spécifique par Mani (CMC 80, 6-80, 17). Mani souligne que son argumentation détruit et accuse les paroles et les mystères des baptistes. Il décrit à son auditoire la réaction des baptistes, qui se partagent entre ceux qui sont étonnés et ceux qui sont irrités. 3. Dans un premier discours, le sens du baptême et de la pureté est réfuté (CMC 80, 18-85, 12). Mani critique d’abord la purification des aliments qui est inutile pour trois raisons : a) il ne sert à rien d’introduire un aliment pur dans un corps qui, de par son origine, est impur ; b) l’aliment ingurgité par l’homme se transforme toujours en impureté ; c) l’aliment qu’il soit purifié ou non, ne change pas la beauté et la force du corps. Mani critique ensuite la purification du corps qui est dépourvue de valeur pour deux raisons : a) le corps est impur et source d’impureté, il n’y a pas d’eau qui puisse le purifier ; b) la répétition du rite baptismal démontre que celui-ci n’a pas d’efficacité ; en outre, elle démontre aussi que le premier baptême (le baptême d’initiation de la tradition chrétienne) n’a pas d’efficacité. Dans la conclusion de ce premier discours, Mani oppose la pureté de la Lumière à la pureté des Ténèbres. Je reviendrai tout particulièrement sur ce dernier passage. 4. Une seconde réaction des baptistes est rapportée par Mani (CMC 85, 13-91, 18). On peut distinguer deux étapes dans cette réaction : la première est d’ordre théorique ou narratif ; la seconde est d’ordre pratique ou juridique. Dans la première étape (CMC 85, 13-88, 14), Mani expose comment ses propos ont partagé les baptistes en trois tendances et en deux factions. Les trois tendances sont : les partisans, les hésitants ou sceptiques et les opposants. Les deux factions sont : les partisans et les opposants. Dans la seconde étape (CMC 88, 15-91, 18), Mani raconte comment ses propos ont provoqué la convocation d’un synode à son sujet.

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CHAPITRE IV

Mani est accusé de rejeter : a) la Loi ; b) le baptême ; c) les préceptes du Sauveur ; d) les interdits alimentaires ; e) le travail agricole. À la fin de cette partie, un sommaire, probablement l’œuvre du traditionniste Baraïes, résume la position de Mani : Il est convenable de consommer une boisson, du froment, des légumes et des fruits, que nos pères et maîtres nous avaient enjoints de ne pas prendre. De plus, le baptême par lequel nous nous baptisons, il le détruit, et luimême ne se baptise plus comme nous, et il ne baptise plus sa nourriture comme nous le faisons.

Le contexte de ce sommaire est apparemment elkasaïte. Il est en tout cas destiné à un public pratiquant des rites baptistes. 5. Dans un second discours, Mani expose sa défense face aux attaques dont il est l’objet (CMC 91, 19-99, 9). Dans une première partie du discours (CMC 91, 19-93, 23), Mani réfute les accusations c, d, e, en s’appuyant sur la tradition chrétienne. Dans une seconde partie du discours (CMC 94, 2-99, 9), Mani réfute l’accusation b, en s’appuyant sur la tradition elkasaïte. Six histoires exemplaires, censées émaner d’autorités de la tradition elkasaïte – Elkasaï (4), Sabbaios (1) et Aianos (1) –, sont rapportées par Mani. On peut considérer ce discours comme un récit de réfutation, mais aussi comme un récit de fondation. Dans la première partie de sa réfutation, tissée à partir des écrits de Baraïes, Mani oppose la tradition venue de Jésus à la tradition venue d’Elkasaï. Dans la seconde partie de sa réfutation, tissée à partir des écrits de Zachéas et de Timothée, Mani illustre les motivations manichéennes du refus de la Loi des elkasaïtes par des emprunts à des épisodes censés être elkasaïtes. D’un point de vue rédactionnel, la première partie est transmise sous une forme personnelle et la seconde sous une forme impersonnelle. 6. Dans une conclusion (CMC 99, 11-100, 1), Mani résume les six histoires exemplaires pour en tirer des conséquences d’ordre doctrinal. La suite de cette controverse est racontée dans les extraits transmis par Timothée (CMC 100, 2-114, 5) et par Koustaïos (CMC 114, 6-116, 2). On va en traiter une partie et en résumer le reste. Mani se sépare de la communauté baptiste elkasaïte à laquelle il appartient et peu après la quitte définitivement. Dans les extraits rapportant la controverse, on trouve un vocabulaire technique très précis : il concerne la purification, mais aussi la hiérarchie. Les substantifs et adjectifs qui, dans la Vita Mani, expriment les notions de pureté ou d’impureté sont : (1) καθαρότης (= pureté), ἀγνεία (=

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pureté), κάθαρσις (= pureté ou purification), καθαρός (= pur) ; (2) μιαρός (= impur), μιαρότης (= impureté), μυσαρότης (= souillure), ἀκαθαρσία (= souillure), πορνεία (= fornication). Quant aux verbes qui expriment ces mêmes notions, il s’agit soit de καθαρεύω ou καθαρίζω (= être pur), soit de ἀκαθαρεύω ou ἀκαθαρίζω (= être impur). Il est certain que chacun de ces substantifs et adjectifs utilisés dans la Vita Mani ont un sens précis qu’il faudrait retrouver au regard de la terminologie hébraïque ou araméenne qui, elle aussi, est très riche. Outre la terminologie de la purification, il convient de relever un certain nombre de termes techniques concernant la hiérarchie, comme par exemple : (1) ἀρχηγός (= chef) ; (2) οἰκοδεσπότης (= maître de la maison) ; (3) πρεσβύτερος (= ancien) ; (4) σύνοδος (= assemblée) ; (5) συνέδριον (= conseil). Toute cette terminologie technique a été analysée ou va l’être. On y revient plus loin de manière plus approfondie. Timothée (CMC 99, 10-107, 23) De ce traditionniste, seul un passage intéresse la problématique envisagée : il s’agit de CMC 99, 11-107, 23. Généralement les critiques omettent de joindre ce passage à ce qui précède : il y a pourtant unité littéraire entre l’extrait de Zachéas et ce passage de Timothée, même si la transmission est apparemment polysémique. XI. Fin du discours de défense de Mani transmis sous l’autorité de Timothée (99, 11-100, 1) Alors je leur dis : « Observez ces hommes extraordinaires (προφανεῖς) 254 de votre Loi (νόμος) qui ont vu ces visions, en ont été émus et les ont annoncées aux autres. De la même façon, moi aussi, je fais [tout ce que] (p. 100) j’ai appris d’eux ». Cette suite du discours de défense de Mani est à la fois une conclusion de l’argumentation développée en 91, 19-99, 9 et une introduction à la narration concernant le départ de Mani (105, 9-106, 23) et le début de sa mission (107, 1-109, 21), à la suite de la réaction des baptistes (101, 1-105, 8). Observons que ce discours de Mani est transmis sous l’autorité de trois traditionnistes : Baraïes, Zachéas et Timothée. Suite des arguments de Mani contre les baptistes : Mani résume les six histoires exemplaires pour en tirer des conclusions doctrinales. Il cherche à se situer dans la lignée du fondateur du mouve254.  Littéralement « ces illustres ».

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ment, Elkasaï, et dans celle des grands maîtres elkasaïtes : Sabbaios le Baptiste et Aianos le Baptiste qui sont qualifiés d’« illustres de votre Loi ». Il est bien évident que l’on se trouve en présence du genre de l’apologétique et de la polémique, autrement dit de la controverse utilisant les armes de l’apologétique et de la polémique. Il est par conséquent difficile, comme on l’a déjà dit ou laisser entendre, de faire remonter à un stade historique les données rituelles transmises sous l’autorité d’Elkasaï et des grands maîtres elkasaïtes. On a l’impression que dans cette phrase de CMC 99, 11-99, 19, on détient la clef des histoires édifiantes attribuées à des maîtres elkasaïtes. 1. Elkasaï, Sabbaios et Aianos sont appelés « illustres de votre Loi », c’est-à-dire les hommes célèbres de la communauté elkasaïte (« Loi » dans ce contexte correspond à communauté). 2. Ces hommes « illustres » elkasaïtes ont bénéficié de visions : ils en ont été émus et ils les ont annoncées à tous les membres de la communauté. On peut supposer à titre d’hypothèse que des traditions plus ou moins similaires ont dû circuler dans les milieux elkasaïtes avant d’être récupérées par les manichéens qui les ont utilisées alors à des fins de propagande religieuse chez les elkasaïtes, après les avoir transformées en fonction de l’idéologie manichéenne. XII. Réaction violente des baptistes contre Mani (100, 1-101, 10) Après que je leur ai dit ces choses annulant leurs discours, ils sont tous devenus très mécontents, immédiatement ils ont été pris d’un mouvement de colère, à tel point que l’un d’entre eux s’est levé et m’a frappé. Ils m’ont retenu au milieu d’eux et ils m’ont battu. Ils m’ont attrapé par les cheveux comme un ennemi (ἐχθρός). Ils ont crié contre moi avec acrimonie et colère comme contre un superstitieux (δεισιδαίμων) 255, et ils ont voulu m’étrangler, submergés par la jalousie. Mais par égard pour Pattikios, le maître de la maison (οίκοδεσπότης), qui leur demanda de ne pas commettre un acte impie [sous l’emprise de la colère ?] (p. 101) à l’égard de ceux qui demeurent parmi eux, ils se sont ressaisis et ils m’ont laissé aller. Après cette épreuve (πειρασμός), je me suis mis à l’écart, et me mettant en prière j’ai supplié instamment notre Seigneur de me venir en aide. Le traditionniste manichéen Timothée, ayant donné la fin du discours de défense de Mani tenu devant l’assemblée des baptistes (CMC 99, 10-100, 1), raconte ensuite les conséquences de son attitude (CMC 100, 1-107, 23). 255.  Ou « hérétique ».

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Les baptistes réagissent de manière violente et leur réaction est décrite ici par Mani en termes très excessifs, allant jusqu’à préciser qu’il a failli être victime d’un lynchage comme un ennemi (ἐχθρός) ou un membre du paganisme (δεισιδαίμων) – des désignations avec une connotation très hostile. En effet, lors de cette confrontation entre Mani et les chefs de la communauté elkasaïte, l’un de ces derniers, excédé, le frappe, lui arrache les cheveux et menace de l’étrangler. Seule l’intervention de Pattikios permet, par son autorité, de sauver son fils du danger mortel qui le menace : sans doute le lynchage. Mani se met alors à l’écart pour prier. Sa prière est adressée au Seigneur, mais il s’agit, comme on peut le constater dans la suite en CMC 101, 11-12, de son Jumeau céleste. Au sujet du terme « superstitieux » (δεισιδαίμων) (CMC 100,  14) Ce terme est un hapax dans le CMC. Il est caractéristique du vocabulaire chrétien pour désigner les adeptes du paganisme à partir du ii e siècle puisqu’on le rencontre chez Clément d’Alexandrie (Protreptique 2) – on le rencontre aussi dans l’Épître à Diognète (1), mais pour désigner les adeptes du judaïsme. C’est une attaque grave dans le monde judéen, surtout dans un milieu sectaire comme celui des elkasaïtes : on connaît par exemple le cas de Jésus de Nazareth qui a été condamné pour blasphème (la peine ayant été exécutée par les Romains), également le cas de Jacques le Juste son frère. XIII. Apparition du Jumeau céleste et explications de Mani (101, 11-104, 10) Lorsque j’ai terminé ma prière et que j’étais très affligé, mon bienheureux jumeau 256 (σύζυξ) est (apparu) en face – il est (mon) seigneur et mon secours. Alors il me dit : « Ne sois pas affligé et ne pleure pas ! ». Et moi, je lui dis : « Comment ne pourrais-je pas être affligé ! Car (les hommes) de cette [communauté], avec qui je demeure [depuis mon enfance] (p. 102), ont changé leur opinion sur moi et sont devenus mes ennemis (ἐχθρος) parce que je me suis séparé de leur Loi (νόμος). Où pourrais-je aller désormais : en effet toutes les communautés (δόγμα) et les sectes (αἵρεσις) sont les adversaires (ἀντίπαλος) du bien (ἀγαθὀν) 257. Et moi, je suis seul, étranger (ὀθνεῖος) et solitaire (μονογενής) dans le monde. 256.  Ou « compagnon ». 257.  C’est-à-dire de la « bonne communauté », à savoir le manichéisme.

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Lorsque j’étais dans cette communauté (δόγμα) de persuadeurs  / sermoneurs (ἀναγιγνώσκω) 258 au sujet de la purification (ἀγνεία), de la mortification de la chair (σαρκοδερία) et de l’observance (κατοχή) du repos des mains (ἀναπαύσεως τῶν χειρῶν), qui d’autre part faisaient tous partie de mes connaissances 259, [de sorte] que l’essor de [mon] corps était tout à fait [à l’écart des autres] communautés (δόγμα) 260, et pour cette raison, plus que [les adeptes] des [autres] communautés (δόγμα), ils savaient apprécier [la valeur ?] de [mon] corps (σῶμα), dès lors en effet que la croissance (ἀνατροφή) de mon corps (σῶμα) (p. 103) et les soins (τιθήνησις) et le bien-être 261 (βαυκαλισμός) ont eu lieu dans cette communauté (δόγμα) là, et que, de ce fait, j’étais en relation avec ses responsables (προεστῶσιν) et les anciens (πρεσβύτερος) durant la croissance (ἀνατροφή) de mon corps. Du moment que ceux-ci (c’est-à-dire les baptistes) ne m’ont pas donné une place pour accueillir (ὑποδέχομαι) la vérité (ἀλήθεια), comment alors le monde et ses nobles 262 (μεγιστᾶνες), et les maîtres 263 (διδασκαλία), pourront-ils m’accueillir (ὑποδέχομαι) pour entendre ces secrets (ἀπόρρητος) et pour accueillir (ὑποδέχομαι) ces préceptes (ἐντολή) qui sont difficiles ? Comment pourrais-je prendre la parole devant les rois, [les gouverneurs] et [les magistrats] (p. 104) de ce monde et les chefs (ἀρχηγός) des communautés (δόγμα) ? Eux, voilà qu’ils sont puissants et exercent le pouvoir avec leur richesse, leur superbe et leurs moyens matériels, alors que moi, je suis isolé et dépourvu de toutes ces choses ». C’est alors que le Jumeau céleste, dont il a été souvent question dans une partie du CMC non examinée ici, apparaît devant Mani qui lui expose les motifs de son découragement face à l’insuccès de sa mission auprès de sa communauté. C’est un passage important, car des plus décisifs pour la rupture entre Mani et les baptistes / elkasaïtes ainsi que pour les débuts de sa mission. Mani donne un résumé de son existence parmi la communauté baptiste, reprenant succinctement leurs rituels de purification et de mortification. Il se demande, dans son découragement, comment il pourra franchir les limites de cette communauté et parcourir le monde en proclamant le message dont il est chargé. 258.  Littéralement « la communauté de ceux qui lisent ». 259.  Littéralement « me connaissaient tous de nom ». 260.  La traduction repose sur une reconstitution de Michel Tardieu proposée dans son cours au Collège de France en 1993-1994 : [ὡς κ]αὶ τῆν τοῦ σώμα[τός μοῦ ἀ]ξίαν μᾶλλον [εἶναι ἀπὸ] τῶν δογμά[ων. 261.  Littéralement « les berceuses ». 262.  Littéralement « grands ». 263.  Littéralement « écoles ».

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Au sujet du terme σύζυξ (CMC 101,  14) Ce terme est cité 15 fois dans le CMC pour désigner le Jumeau céleste de Mani ou son sosie. Deux fois sous la forme σύζυξ et treize fois sous la forme σύζυξ : ces deux formes sont dérivées l’une de l’autre. Le grec σύζυξ ou σύζυξ correspond à l’araméen ‫( תוםא‬tawma) et au copte ⲥⲟⲉⲓϣ (saïsh). Il équivaut aussi au parthe ymg (yamag) et au moyenperse nrjmyg (nar-jamig) 264. Dans le Kephalaion  I, du Livre  I (Berlin), le σύζυγος est appelé, sans doute une réminiscence de Jn 14,  26, ⲡⲡⲣⲕⲁⲧⲥ (pprkats), ainsi en p. 14, 32 et p. 15, 1-4 il est dit : « Le paraclet vivant descendit jusqu’à moi et conversa avec moi, il m’a parlé. Il m’a révélé le mystère caché, celui qui fut caché aux mondes et aux générations, le mystère de la profondeur et de la hauteur, le mystère de la lumière et de la ténèbre, le mystère de la calamité du conflit et de la guerre » 265. La révélation de Mani est présentée, dans ce Kephalaion  I, comme celle du paraclet promis et envoyé par Jésus, prenant place dans une réforme de l’Église de Jésus – ainsi en p. 13, 26-35. Dans le Kephalaion  VII, p.  36,  6, du Livre  I (Berlin), le σύζυγος est appelé ⲥⲟⲉⲓϣ (soïsh) et non ϩⲁⲧⲣⲉ (hatre). Il en est de même dans un des Psaumes, en CCXLI, 11, retrouvés en Égypte. Le copte ⲥⲟⲉⲓϣ (soïsh), qui signifie « paire », renvoie, dans ces deux cas, au « jumeau » de Mani 266.

264.  À ce sujet, voir A. H enrichs – L. Koenen, « Ein griechischer Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780) », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 5 (1970), p. 97-217, spécialement p. 161-171. Voir aussi G. Sfameni Gasparro, « Tradizione e nuova creazione religiosa nel manicheismo : il syzygos e la missione profetica di Mani », dans L.  Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 249283. Voir aussi F. de Blois , « Manes’ ‘Twin’ in Iranian and non-Iranian Texts », dans G. Cereti – M. M agg – E. P rovasi (Éd.), Religious Themes and Texts of PreIslamic Iran and Central Asia. Studies in Honour of Professor Gherardo Gnoli on the Occasion of His 65th Birthday on 6th December 2002, Wiesbaden, 2003, p. 7-16. Voir encore S.C. M imouni, « Le jumeau et le paraclet céleste de Mani : quelques éléments de lecture et de réflexion », dans A. Van den K erchove – L.G. Soares Santoprete (Éd.), Gnose et manichéisme. Entre les oasis d ’Égypte et la Route de la Soie. Hommage à Jean-Daniel Dubois, Turnhout, 2017, p. 215-239. 265.  À ce sujet, voir W. Sundermann, « Der Paraklet in der ostmanichäischen Überlieferung », dans P. Bryder (Éd.), Manichaean Studies. Proceedings of the First International Conference on Manichaeism, August 5-9, 1987, Department of History of Religions, Lund University, Sweden, Lund, 1988, p. 201-212 (= W. Sundermann, Manichaica Iranica. Ausgewählte Schriften, II, Rome, 2001, p. 813-825). Voir aussi P.  Nagel , « Der Parakletenspruch des Mani (Keph 14, 7-11) und die altsyrische Evangelienübersetzung », dans W.  Müller (Éd.), Festschrift zum 150-jährigen Bestehen des Berliners Ägyptischen Museums, Berlin, p. 303-313. 266. Voir C.R.C. A llberry, A  Manichaean Psalm-Book, Part II. Manichaean Manuscripts in the Chester Beatty Collection II, Stuttgart, 1938, p. 42.

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CHAPITRE IV

Dans le CMC, le σύζυγος tient une place fondamentale, car il est celui qui justifie toute l’attitude de Mani à l’égard de sa communauté, sa critique et son abandon : il est son compagnon spirituel. Sous l’autorité de Baraïes, il est rapporté dans le CMC que son Jumeau céleste est apparu plusieurs fois à Mani : une première fois à l’âge de 12 ans (CMC 17,  1-16) sous le nom de παρακλήτος et une deuxième fois à l’âge de 24 ans (CMC 18,  1-16) sous le nom de σύζυγος – d’autres fois encore. Toutefois, dans un passage extrêmement fragmentaire dont le nom du traditionniste n’a pas été conservé (CMC 13, 2), il y est indiqué comment les anges ont, tout en veillant sur lui, préparé Mani à sa mission prophétique (CMC 13, 2-15). Ce trait de la prophétologie manichéenne se rencontre aussi dans la prophétologie musulmane qui pourrait en être fortement inspirée, évidemment en faveur de Mahomet. Toujours sous l’autorité de Baraïes, ont été transmis plusieurs autres passages (CMC 18, 1-16 ; 19, 2-18 ; 20, 1-17 ; 21, 2-15 ; 22, 1-18 ; 23, 1-16) sur les paroles de Mani relatives à l’apparition de son Jumeau et aussi les instructions de ce dernier quant à son origine et à sa mission, quant à sa relation avec lui. En CMC 24,  2-16, le Jumeau est explicitement appelé χρηστός, qui littéralement signifie « excellent », mais que les manichéens égyptiens de langue grecque utilisent comme titre pour Mani comme les chrétiens le font avec χριστος pour Jésus. Par un maître non nommé, le Jumeau instruit Mani sur sa mission, ce qui le conduit à se détourner progressivement des baptistes (CMC 26, 7-15 ; 32, 1-21). Par Timothée, on sait que, désespérant de la mission qui est devant lui Mani bénéficie d’une nouvelle apparition de son jumeau pour le réconforter (CMC 35, 1-15). Par Baraïes, a été transmis un passage sur la description de la révélation du jumeau qui est un fragment de l’Évangile Vivant (CMC 69, 9-70, 10). Ce même traditionniste a transmis plus loin encore un autre passage sur le jumeau dans le cadre d’une homélie (CMC 73, 1-22). On le constate, le Jumeau céleste de Mani joue dans la Vita Mani un rôle à la fois de révélateur et de protecteur. C’est lui qui lui ordonne d’annoncer les mystères cachés. C’est lui qui le pousse à quitter sa communauté d’origine pour parcourir le monde et créer une autre communauté. D’après le al-Fihrist d’Ibn an-Nadim, le σύζυγος est l’ange at-taw’am, terme nabatéen (= araméen babylonien), selon cet auteur arabe, signifiant « compagnon » (al-qarin) 267. 267. Voir G. Flügel , Mani, seine Lehre und seine Schriften, Leipzig, 1862, p. 50 et p. 84.

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D’après le al-Athar d’Ibn al-Biruni, Mani, dans son Shabuhragan, rapporte comment la révélation est venue à lui alors qu’il est dans sa treizième année. La doctrine du σύζυγος est, selon toute apparence, d’origine elkasaïte, même si les manichéens l’ont développée dans une nouvelle direction. Pour les elkasaïtes, le Christ est apparu sur terre avec son σύζυγος comme Adam en premier et comme Jésus en dernier. Pour les manichéens, à l’instar des elkasaïtes, Mani, tout comme Jésus ou Adam, a son σύζυγος. Diverses figures du σύζυγος ont été développées dans le manichéisme, certaines sont même désexualisées, ainsi par exemple dans le Psaume manichéen CCXLI où Jésus est le σύζυγος de Mani comme, dans les Actes de Thomas où Thomas est le jumeau de Jésus 268. Michel Tardieu, dans son cours au Collège de France de 1’année 19931994, considère qu’il s’agit d’un discours de Mani, où on semble trouver une présentation de la société baptiste face à la société iranienne : Société baptiste τὸ δόγμα τῶν ἀνεγνωκότων (« la communauté de ceux qui lisent »)            = les persuadeurs             = les sermoneurs περί (au sujet de)    ἀγνεία    σαρκοδερία    κατοχῆς      ἀναπαύσεως τῶν χειρῶν

Société iranienne     μεγιστᾶνες (« les nobles ») κόσμος       διδασκαλίαι (« les prêtres »)

Michel Tardieu estime que les trois éléments, qui caractérisent ici la société baptiste, seraient manichéens et non elkasaïtes. Il s’agit (1) de la chasteté, (2) du sceau des seins, le 3e commandement 269, (3) du sceau des mains, le 2e commandement 270. Pour justifier cette interprétation, il est fait appel aux anecdotes de Sabbaios et d’Aianos qui sont comprises également du point de vue manichéen et non du point de vue baptiste – des anecdotes qui se rapporteraient au respect du 2e commandement, celui du sceau des mains. Toujours selon Michel Tardieu, chez les baptistes, on connaît des λογοί sur le repos des mains. 268.  À ce sujet, voir F.  de Blois , « Naṣrānī (Ναζωραῖος) and ḥanīf (ἐθνικός) : Studies on the Religious Vocabulary of Christianity and of Islam », dans Bulletin of the School of Oriental and African Studies 65 (2002), p. 1-30. 269.  À ce sujet, voir M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 82-83, 19972 , p. 81-82. 270.  À ce sujet, voir M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 81-82, 19972 , p. 80-81.

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CHAPITRE IV

Une telle interprétation paraît difficilement acceptable, car, dans le manichéisme, la chasteté ne constitue pas un commandement en soi, mais fait partie du 3e commandement (= le sceau des seins) : dans ces conditions, on ne voit pas pourquoi une distinction serait faite entre l’ἀγνεία et la σαρκοδερία. Ensuite, il semble difficile d’interpréter des traditions rapportées par Timothée avec des traditions rapportées par Zachéas (les anecdotes de Sabbaios et d’Aianos), car elles sont apparemment d’origine différente. Enfin, la dernière affirmation au sujet des λογοί sur le respect des mains ne se trouvent confirmées par aucune attestation. Si l’on acceptait l’interprétation proposée par Michel Tardieu, on ne devrait plus opposer dans ce discours la société baptiste à la société iranienne, mais la société manichéenne à la société iranienne : ce qui est impossible, car le δόγμα des baptistes est qualifié de communauté de persuadeurs ou de sermoneurs – jamais des manichéens ne se qualifieraient eux-mêmes ainsi, du moins à une époque où les divergences n’ont pas encore éclaté entre eux, comme ce sera le cas plus tard au vi e siècle quand des communautés de Transoxiane seront entrées en totale dissidence avec celles de Babylonie. Michel Tardieu, en revanche, a sans doute raison d’appeler « prière de l’affligé » ce discours de Mani devant son Jumeau céleste. C’est en tout cas, son attitude affligée qui provoque la manifestation de son Jumeau céleste. Au sujet du terme ἀγνεία (CMC 102,  14) Ce terme qu’on ne rencontre qu’une fois dans la Vita Mani signifie tout aussi bien « pureté » ou « purification » que « chasteté ». Il s’agit d’un mot clef de l’idéologie religieuse des baptistes/elkasaïtes : il ne renvoie pas seulement aux ablutions du corps et des aliments, mais aussi à toutes les prescriptions ordonnées pour l’idéal de la pureté. En CMC 102, 12-16, Mani met en évidence trois grandes caractéristiques de la communauté baptiste / elkasaïte : (1) l’ἀγνεία , (2) la σαρκοδερία, (3) l’ἀνάπαυσις τῶν χειρῶν. Pour l’ἀγνεία , voir le verbe ἀγνευσάτω (= purifier) que l’on rencontre en Elenchos  IX, 15, 2. Pour la σαρκοδερία (= la mortification de la chair), voir l’équivalent dans la tradition islamique pour les mughtasila figurant dans le Fihrist d’Ibn an-Nadim. Pour l’ἀνάπαυσις τῶν χειρῶν (= le repos des mains), voir l’expression τιμήσατε τὴν ἡμέραν τοῦ σαββάτου (respectez le jour du sabbat) en Elenchos  IX, 16, 3. Au sujet de l ’expression σαρκοδερία (CMC 102,  14) Ce terme qu’on ne rencontre qu’une fois dans la Vita Mani vise l’encratisme qui est pratiquée chez les baptistes qui s’abstiennent de toute nour-

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riture carnée ou boisson alcoolisée ainsi que de toute relation sexuelle comme cela est précisé dans un texte en parthe publié par Werner Sundermann 271. Au sujet de l ’expression ἀνάπαυσις τῶν χειρῶν (CMC 102,  15) On considère généralement que cette expression vise l’observance du sabbat par les baptistes (voir Livre d’Elkasaï [Elenchos  IX, 16, 3]). Il est cependant possible que cette expression soit à l’origine du signaculum ̄ⲧⲁⲛ [ⲛⲛ]ϭⲓϫ (pmtan nnkidj) manuum (= sceau des mains) 272 et du ⲡⲙ (= repos des mains) – voir Kephalaion LXXX, p. 192, 9-10, du Livre I (Berlin). Auquel cas, elle renverrait au deuxième commandement 273. Le sens de ce commandement dans le manichéisme est fort différent que dans le judaïsme : dans la première religiosité, le commandement est une interdiction générale (les 7 jours) ; dans la seconde, le commandement est une interdiction provisoire (le 7e jour). Dans le manichéisme, l’interdiction est liée au principe de la non-violence contre la nature sous toutes ses formes (ἀναπαύσις  = respect de l’âme du monde). XIV. Réponse du Jumeau aux explications de Mani (104, 10-105, 8) Puis donc, le très glorieux me dit : « Non seulement à cette communauté (δόγμα) tu as été envoyé, mais à chaque peuple et à chaque école et à chaque ville et à chaque lieu. Car par toi cette espérance sera déclarée et annoncée dans tous les [pays] et dans toutes les régions [du monde] et des hommes en grand nombre accepteront (p. 105) ta parole. Par conséquent, sors et voyage. Car je serai avec toi comme soutien et protecteur en tout lieu où tu proclames tout ce que je t’ai révélé. Donc, ne te fais pas de soucis et ne sois pas triste ». Dans cette réponse, le Jumeau céleste donne à Mani, qui le rapporte, un véritable programme missionnaire : à savoir qu’il ne doit pas limiter son message à la communauté des baptistes, mais atteindre le monde entier. À cette fin, il lui intime pour la deuxième fois l’ordre de « sortir » de sa communauté et de voyager dans le monde. Il lui promet soutien et protection tout au long de sa proclamation et lui recommande de ne pas avoir de contrariétés et de ne pas se laisser envahir par la tristesse.

271.  W. Sundermann, dans Acta Antiqua 25 (1977), p. 237-238. 272.  Au sujet du signaculum manuum chez Augustin, voir B. Roland -Gosselin, Augustin. La morale chrétienne, Paris, 1949, p. 254-367. 273. Voir M.  Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811,  82-83, 19972 , p. 81-82.

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CHAPITRE IV

XV. Envoi en mission de Mani par le Jumeau et abandon de la communauté baptiste (105, 9-107, 23) Nombreuse étaient alors les choses qu’il m’a dites : il m’a encouragé et il m’a rendu plus confiant dans son espoir. Je me suis jeté devant lui et mon cœur s’est réjoui de la grande vision de mon bienheureux jumeau, très glorieux et très noble. Et je lui ai dit : « […] (p. 106) Voici en effet que Pattikios est un vieil homme et qu’il a déjà été bouleversé quand il a vu s’abattre sur moi un unique combat ». Alors il m’a dit : « Sors et voyage, car, vois-tu, deux hommes de cette Loi (νόμος) vont venir à toi, et ils seront tes compagnons (συνόπαδος). De la même façon, Pattikios aussi sera le premier de ton élection (ἐκλογή) et te suivra ». [En ce temps-là], deux jeunes gens (νεανίαι) d’entre les baptistes, [Siméo] n ([Συμεώ]ν) et Abizakhias (Ἀβιζαχίας), qui étaient mes voisins, se rallièrent à moi pour m’accompagner en tout lieu [en toute terre et en toute nation]. Ils [m’assistèrent] comme aides (συνεργός) [là où nous dûmes aller]. (p. 107) Aussi, selon la volonté de notre seigneur, je suis sorti de cette Loi (νόμος) pour semer son plus beau grain 274 , enflammer ses bougies les plus lumineuses 275, délivrer les âmes vivantes de leur soumission aux rebelles (στασιαστής), marcher dans le monde à l’image de notre Seigneur Jésus, jeter à terre épée 276, division 277 et glaive de l’esprit 278, émietter le [pain] sur [mon] peuple 279 et vaincre la honte [infinie] qui est dans le [monde] […] 280. Mani poursuit son récit et raconte comment, pour la troisième fois, le Jumeau céleste lui a réitéré son ordre de sortir et de voyager. Devant ses craintes, il lui adjoint alors, pour le rassurer, deux collaborateurs, Siméon ([Συμεώ]ν) et Abizakhias (Ἀβιζαχίας), des baptistes elkasaïtes qu’il décrit comme ayant été ses voisins et qui seront dorénavant ses compagnons de route et ses « aides ». Ces deux disciples, qui sont à considérer comme les premiers disciples manichéens, portent des noms qui sont d’origine judéo-araméenne. Ce sont clairement des elkasaïtes dont l’origine ethnique est judéenne. 274.  Voir Mt 13, 37. 275.  Voir Gn 2, 7 ; 1 Co 15, 45. 276.  Voir Mt 10, 34. 277.  Voir Lc 12, 51. 278.  Voir Ep 6, 17. 279.  Voir Ex 16, 4. 280.  Ce discours de Mani continue jusqu’à la p. 114, 7.

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Mani décrit son envoi en mission auprès des nations dans le monde en des termes enflammés, il est en état d’excitation. Il lui est recommandé de se mettre dans les pas de Jésus qualifié non pas de sauveur ou de christ (comme en CMC 60, 21 ; 61, 22 et 66, 4), mais de seigneur. Tout comme Elkasaï et bien plus, Jésus représente une figure exemplaire dans la Vita Mani. Il est même qualifié en CMC 11, 12, comme étant la lumière (τοῦ ἰησοῦ τῆς εἴλης). Il convient d’observer que le récit de Mani sur ses premiers pas hors de sa communauté se poursuit jusqu’en CMC 114, 7. Au sujet de l ’anthroponyme Συμεών (CMC 106,  19) C’est un nom d’origine araméenne. Il s’agit d’un coreligionnaire baptiste de Mani, apparemment inconnu par ailleurs – la proposition, venant de Gottfried Flügel, a été retenue par Albert Heinrichs et Ludwig Koenen 281. Au sujet de l ’anthroponyme Ἀβιζαχίας (CMC 106,  19) C’est un nom d’origine araméenne qui signifie « Père de Zacharie ». Il s’agit d’un coreligionnaire baptiste de Mani. On le rencontre aussi mentionné dans un feuillet parmi les papyrus manichéens coptes de la Chester Beatty Library, P 15997 : un fragment qui présente un sommaire historique des implantations manichéennes à l’ouest de l’Euphrate, dans deux principautés arabes du désert, celle de Palmyre vassale des Romains et celle de Ḥira vassale des Perses. Abizachias est envoyé à la Tour d’Abiran par Abiesou le Maître pour y fonder la communauté. Dans la documentation copte, on rencontre trois fois le nom de ce personnage sous la forme de ⲁⲃⲏⲍⲁⲭⲓⲁⲥ. Il figure dans des fragments des lettres (49, 13) et des actes (27, 23 et 53, 26) 282 . Dans les Actes des martyrs de Karha d-Beyt Sloh, il est mentionné comme assistant Mar Adda dans l’édification de la communauté de Karha (l’actuelle Kirkouk) peu après 256, c’est-à-dire après la chute de Doura. C’est donc non seulement un des deux disciples manichéens parmi les plus anciens, mais aussi un missionnaire important 283.

281.  A. H enrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 99, 10-120 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 44 (1981), p. 254. 282.  Je dois cette précieuse information à Wolf-Peter Funk que je remercie. 283.  À ce sujet, voir M. Tardieu, « L’arrivée des manichéens à Al-ḥira », dans P.  Canivet – J-P. R ey-Coquet (Éd.), La Syrie de Byzance à l ’Islam. vii e-viii e siècles. Actes du Colloque international Lyon – Maison de l ’Orient Méditerranéen / Paris – Institut du Monde Arabe. 11-15 septembre 1990, Damas, 1992, p. 18, n. 12.

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CHAPITRE IV

IV.5. C ompl é m e n ts Pour être complet, du point de vue de la problématique envisagée dans cette recherche, il faudrait prendre en compte non seulement la notice transmise sous l’autorité de Timothée (99, 10-114, 5), comme on vient de le faire en partie, mais aussi la notice de Koustaïos (114, 6-116, 12). Car comme les notices transmises sous l’autorité de Baraïes et de Zachéas, elles sont certes issues de la tradition manichéenne, mais on peut y recueillir des informations sur la communauté baptiste dans laquelle Mani a passé son enfance et sa jeunesse. On va résumer le premier que l’on a examiné partiellement et le second qu’on ne peut pas présenter plus avant ici. I. Résumé de l’extrait de Timothée En CMC 99, 10-114, 7, extrait mis sous l’autorité de Timothée, il est rapporté que Mani, très accablé par l’épreuve de sa confrontation avec sa communauté d’origine, est bénéficiaire de révélations de la part de son Jumeau céleste qui lui ordonne de parcourir le monde, et lui redonne ainsi confiance. Mani déclare ensuite en CMC 108, 1-10 : « Je me rendis donc en territoire étranger et loin de ma patrie, comme une brebis sous le regard des loups, afin que par moi, une fois séparés, soient choisis les fidèles des infidèles, les bons grains de l’ivraie ». Les bons grains sont séparés de l’ivraie, permettant à la bonne semence de prospérer sans être contaminée ou suffoquée, selon une conception du pur et de l’impur que les elkasaïtes connaissent bien. On trouve déjà cette idée en CMC 28, 23-29, 8, où il est avancé dans la bouche de Mani : « avec la faux qui coupe l’ivraie et les fruits de la terre, pour sectionner toutes les branches de tous les rebelles, de sorte que seule la vérité soit glorifiée ». Ainsi, Mani et les deux jeunes elkasaïtes, Siméon et Abizakhias, qui sont devenus ses disciples, gagnent Ctésiphon, mais ils ne peuvent poursuivre leur route à cause de la crue du fleuve. Quelque temps après, Pattikios, averti par un elkasaïte, qui a vu Mani au moment où il est en train de traverser « le pont pour se rendre aux villes » (πόλεις  = syriaque : Mahozé, arabe : al-Mada’in), rejoint le petit groupe dans un village proche de la capitale, du nom de Νασήρ. C’est dans cette localité qu’a lieu la rencontre entre Mani et Pattikios et que le fils va annoncer à son père la rupture définitive avec les elkasaïtes. Au sujet du toponyme Νασήρ (CMC 111,  15) Il s’agit d’un bourg de Babylonie dont le nom est attesté dans les tablettes babyloniennes – 7 mentions. Il a existé une tribu araméenne du nom de Unasiru (?) qui paraît s’être fixée aux environs de Sippar en Babylonie.

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Selon Michel Tardieu, le village de Nasir serait à situer près de l’ancienne Sippar, à 30 km à l’ouest de Séleucie-Ctésiphon (sur le canal royal) 284 . Il est à noter qu’un κώμη est un bourg, un village, mais aussi le quartier d’une ville : ce qui laisse ouvert l’identification de ce toponyme. II. Résumé de l’extrait de Koustaïos En CMC 114, 6-116, 12, extrait mis sous l’autorité de Koustaïos, on trouve sous la forme d’une prédication fictive que Mani adresse à Pattikios l’annonce solennelle d’une nouvelle communauté. Le fils déclare à son père : « Sache une fois pour toutes que je ne fais plus partie de cette communauté (= le baptisme elkasaïte) et que je ne suivrai plus sa loi ». Cette phrase signifie la rupture définitive de Mani avec l’elkasaïsme et le début véritable du manichéisme, elle marque aussi l’attachement qu’a eu Mani avec sa communauté d’origine. Cet acte de fondation, comme Michel Tardieu le dit fort bien, met en relation la possession prophétique et le changement de nom propre : c’est ainsi que Mani explique à Pattikios que son corps n’est plus tout à fait celui dont son père a été le géniteur 285. Le père n’a fait que « construire une maison » et « préparer un vêtement » pour le fils, mettant en place un « instrument de locomotion », qui paraît toujours le même d’un point de vue extérieur, mais l’occupant du « véhicule » (ὄχημα) n’est plus désormais celui de la parenté biologique (CMC 115, 7). Cette description est un précieux témoignage d’une formulation docétisante, qui explique aussi le titre donné à la Vita Mani. Mani s’appelle désormais Μαννιχαῖος en araméen ‫מאני חיא‬, autrement dit « Mani le Vivant » (CMC 115, 15) – un nom qu’on trouve déjà appliqué à Mani dans une citation de l’Évangile Vivant (CMC 66, 4). Ce changement du nom permet de comprendre le passage du corps physique au corps apparent : une manière de transcender la mort pour perpétrer une présence éternelle parmi les disciples du fondateur. De plus, l’historien de l’elkasaïsme, utilisant la Vita Mani, ne doit pas omettre de prendre en compte la dispute entre Mani et les elkasaïtes de Pharat en Mésène, qui est rapportée sous l’autorité d’un « maître » dont le nom a disparu et de « Ana, le frère de Zachéas » (CMC 140, 8-143, 18, partie malheureusement très mutilée). 284.  M. Tardieu, « Sur la naissance de son corps. Chronologie et géographie dans le Codex Manichéen de Cologne », dans Annuaire du Collège de France 94 (1993-1994), p. 587-590, spécialement p. 590. 285. À, ce sujet voir S.C. M imouni, « Les origines ethnico-religieuses de Mani ? », dans M.A. A mir-Moezzi – J.-D. Dubois – C. Jullien – F. Jullien (É d.), Pensée grecque et sagesse d ’Orient. Hommage à Michel Tardieu, Turnhout, 2009, p. 399-410 (voir ici chapitre VIII).

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CHAPITRE IV

IV.6. C onclusion Dans la première partie de sa réfutation, tissée à partir des écrits de Baraïes, Mani oppose la tradition venue de Jésus à la tradition venue d’Elkasaï. Dans la seconde partie de sa réfutation, élaborée à partir des écrits de Zachéas et de Timothée, Mani illustre les motivations manichéennes du refus de la Loi des elkasaïtes par des emprunts à des épisodes censés être elkasaïtes. On doit se demander pourquoi le long discours de Mani est transmis par trois traditionnistes différents : est-ce peut-être pour lui donner plus de légitimité dans un contexte conflictuel ? On a l’impression que Baraïes est marqué par la tradition chrétienne tandis que Zachéas et Timothée le sont par la tradition elkasaïte : à moins que ces différences ne soient qu’un effet de rhétorique. On sait en effet que des conflits internes ont éclaté entre les disciples après la mort de leur Maître, mais on est très mal rensieigné sur leurs dévellopements. Le successeur immédiat de Mani, Sisinnios, a été en conflit avec d’autres manichéens, apparemment d’origine mazdéenne, qui l’ont dénoncé aux autorités sassanides 286. Il est possible que Sisinnios, sans doute un ancien elkasaïte soit entré en conflit avec d’anciens mazdéens ralliés au manichéisme, car ces derniers n’ont pas accepté les « prérogatives elkasaïtes » dans le mouvement. Ces conflits de succession sont fréquents dans les mouvements religieux émergeant : on connaît l’exemple bien connu des conflits entre Paul, Pierre et Jacques qui sont rapportés dans le Nouveau Testament et ailleurs dans la littérature chrétienne. Ce serait dans ce contexte de la fin du iii e siècle que la Vita Mani pourrait le mieux s’insérer. Au terme de cette controverse à une gamme, car il faut bien reconnaître que l’on n’a que la partition des manichéens, force est de constater que les prescriptions elkasaïtes deviennent les proscriptions manichéennes. L’art de la rhétorique est respecté, c’est le moins que l’on puisse dire… Avant d’achever cette annotation, il conviendrait peut-être de faire une proposition de béotien, car d’une certaine manière elle dépasse largement les compétences de son auteur. Il se pourrait bien que la Vita Mani ait été rédigée à destination des Élus plutôt que des Auditeurs. Cette hypothèse repose essentiellement sur l’interdiction de travailler la terre et d’en vendre les produits. C’est aux spécialistes du manichéisme de juger de cette propo-

286. Voir M.  Tardieu, « Le successeur de Mani à la tête de l’Église manichéenne », dans Annuaire du Collège de France 91 (1990-1991), p. 496-498. Voir aussi M. Tardieu, « La nisba de Sisinnios », dans Altorientalische Forschungen 18 (1991), p. 3-8.

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sition qui sans nul doute devrait être confirmée ou infirmée par les nombreux autres indices se trouvant dans cet écrit exceptionnel à maints égards. Dans l’annotation de la Vita Mani, il a parfois été question de la littérature pseudo-clémentine. Néanmoins, il y a tout lieu de penser qu’il faut éviter de faire intervenir les écrits de ce cycle dans la question des elkasaïtes, justement à cause de leur caractère ébionite qui est maintenant évident pour la plupart des chercheurs. Ce qui exclut d’une certaine façon du dossier de l’elkasaïsme toute la problématique autour du Verus Propheta (= Prophète de Vérité) qui relève apparemment du dossier de l’ébionisme 287. On va donner encore quelques rapides éléments pour situer la Vita Mani dans le contexte du judaïsme babylonien de son époque. De fait, situer la Vita Mani dans le judaïsme babylonien n’est pas un exercice évident, étant donné que, lors de sa composition, son auteur, manichéen, en est déjà très éloigné 288. De toute façon, la mise en situation historique de Mani et des elkasaïtes ne peut pas reposer sur une contextualisation par rapport au judaïsme rabbinique, mais par rapport à un autre judaïsme, même si ce dernier est très difficile à identifier au iii e siècle – du moins dans l’état actuel de la recherche. Or autant on dispose d’abondantes sources sur le judaïsme rabbinique, autant on n’en dispose pas sur les autres tendances du judaïsme, c’est dire combien l’exercice est périlleux. Les baptistes dont il est question dans la Vita Mani paraissent en effet assez éloignés du judaïsme rabbinique tel qu’on le connaît en Babylonie au iii e ou au iv e siècle. Pourtant, il ne fait pas de doute que l’on soit en présence de Judéens qui appartiennent alors à un autre courant inconnu ou presque par ailleurs. On trouve dans la Vita Mani au moins un indice d’un tout autre judaïsme : il se trouve en CMC 137, 1-140, 7. En effet, dans une localité non identifiée, mais se trouvant sur la route de Pharat – peut-être Charax –, Mani et son père Pattikios, selon ce passage, sont hébergés dans une communauté, une συναγωγή et non une ἐκκλησία dans laquelle éclate 287.  À ce sujet, voir S.C.  M imouni, « Origines ethnico-religieuses de Mani ? », dans M.A. A mir-Moezzi – J.-D. Dubois – C. Jullien – F. Jullien (Éd.), Pensée grecque et sagesse d ’Orient. Hommage à Michel Tardieu, Turnhout, 2009, p. 399-410 (voir ici chapitre VIII). 288. Voir I.  Gruenwald, « Manichaeism and Judaism in Light of the Cologne Mani Codex », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 50 (1983), p. 29-45 ; B.L. Visotzky, « Rabbinic Randglossen to the Cologne Mani Codex », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 52 (1983), p. 295-300 ; J.M. Baumgarten, « The Book of Elkesai and Merkabah Mysticism », dans Journal for the Study of Judaïsm in the Persian, Hellenistic and Roman Period 17 (1986), p. 212-223.

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CHAPITRE IV

avec leurs hôtes une controverse qui les obligent à fuir. Il pourrait s’agir, contrairement à l’opinion de certains critiques 289, d’une communauté relevant du judaïsme sacerdotal et synagogal et non du mouvement rabbinique ou du mouvement chrétien elkasaïte (où c’est le terme ἐκκλησία qui est utilisé [voir notamment CMC 140,  14 où il est question de l’ἐκκλησίαι τῶν βαπτιστῶν]), d’autant que l’usage d’incantations magiques, qui sont mentionnées dans le passage de la Vita Mani, est habituellement interdit chez les Judéens rabbiniques alors que ce n’est pas nécessairement le cas chez les Judéens sacerdotaux et synagogaux qui en acceptent volontiers l’usage 290.

289. Voir J.  Lieu – S.N.C.  Lieu, « Mani and the Magians (?) : CMC 137-140 », dans A.  van Tongerloo – S. Giversen (Éd.), Manichaica Selecta. Studies Presented to Professor Julien Ries on the Occasion of His Seventieth Birthday, Louvain, 1991, p. 202-233 (= S.N.C.  Lieu, Manichaeism in Mesopotamia and the Roman East, Leyde, 1994, p. 1-21). 290.  À ce sujet, voir S.C.  M imouni, « Le ‘judaïsme sacerdotal et synagogal’ en Palestine et en Diaspora entre le ii e et le vi e siècle : propositions pour un nouveau concept », dans Comptes rendus de l ’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres 159 (2015), p. 113-147. Voir aussi J.  Costa, « Qu’est-ce que le judaïsme synagogal ? », dans Judaïsme ancien / Ancient Judaism 3 (2015), p. 63-218.

Chapitre V

L’ELKASAÏSME ET LE MANICHÉISME Avant d’étudier le rapport entre l’elkasaïsme et le manichéisme, il convient de donner une introduction à l’elkasaïsme qui est un mouvement religieux assez peu ou mal connu que l’on considère comme relevant de la nébuleuse chrétienne d’origine judéenne. V.1. L’ e l k a sa ï sm e La présentation des elkasaïtes, un groupe de chrétiens d’origine judéenne se caractérisant par des traits baptistes, qui est proposée ici, va se dérouler en plusieurs temps : après un état des questions et un état des sources, vont être examinés, dans les grandes lignes, les problèmes de l’origine et de l’histoire du mouvement ainsi qu’un de ses écrits, à savoir l’Apocalypse d’Elkasaï ou Révélation d’Elkasaï 1. I. État des questions Cet état des questions est en fait un état de la recherche sous une forme programmatique – autrement dit, on y trouve une présentation de l’ensemble des dossiers relatifs aux elkasaïtes. L’elkasaïsme est un mouvement religieux documenté de manière indirecte à partir du iii e siècle et ce jusqu’au x e siècle. Il s’agit apparemment d’un mouvement interstitiel de chrétiens d’origine judéenne qui a émergé au ii e siècle et a disparu à une date difficile à déterminer. Il est attesté aussi bien dans l’empire romain que dans l’empire iranien, mais il paraît bien être plutôt originaire du l’aire iranienne, notamment des régions de Babylonie ou d’Assyrie. Définir l’elkasaïsme est un exercice difficile et périlleux, du fait même des multiples facettes qui ont dû marquer ce mouvement religieux, du moins au regard de la documentation. Une définition de l’elkasaïsme doit, en effet, envisager au moins trois aspects : le premier relève du judaïsme 1. Une première version plus ou moins similaire a déjà été publiée : voir S.C.  M imouni, « Les elkasaïtes : état des questions et des recherches », dans P.J. Tomson – D.  L ambers-Petry (Éd.), The Image of the Judaeo-Christians in Ancient Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2003, p. 209-229.

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CHAPITRE V

sacerdotal et synagogal (en rapport avec les rituels) ; le deuxième du judaïsme nazoréen (en rapport avec les croyances) ; le troisième à la fois du judaïsme sacerdotal et synagogal ains que du judaïsme nazoréen (il s’agit du phénomène baptiste qui a traversé l’un et l’autre) 2 . Voici donc une définition de l’elkasaïsme qu’il est actuellement possible de proposer : « l’elkasaïsme est une formulation plus ou moins récente désignant un mouvement religieux dont les traits caractéristiques de la doctrine et de la pratique paraissent originaires de certains groupes baptistes relevant aussi bien du judaïsme sacerdotal et synagogal que du judaïsme nazoréen, et dont les membres reconnaissent comme fondateur un personnage qu’ils nomment Elkasaï ». Cette définition présente l’avantage d’éviter de se décider sur la question fort délicate du caractère prophétique ou messianique de l’elkasaïsme, même s’il est globalement évident et assuré. Elle dispense aussi de se prononcer plus précisément sur les relations entre d’une part, l’elkasaïsme et d’autre part, le judaïsme sacerdotal et synagogal ainsi que le judaïsme nazoréen. Elle évite enfin de choisir entre le caractère historique et réel ou le caractère littéraire et fictif du personnage d’Elkasaï. Elle insiste uniquement, en revanche, sur la perspective éminemment baptiste de l’elkasaïsme, au sujet de laquelle tous les critiques sont à peu près d’accord. L’elkasaïsme est une question relevant aussi bien du judaïsme sacerdotal et synagogal que du judaïsme nazoréen, voire même, mais dans une bien moindre mesure, du mazdéisme. Cette question touche donc directement ou indirectement d’assez nombreuses « religions ». Parmi les dossiers concernés, on peut citer ceux de l’Iran arsacide et sassanide, comme ceux du mazdéisme, du judaïsme sacerdotal et synagogal ainsi que du judaïsme nazoréen coexistant dans une Babylonie au demeurant fort mal connue, du moins pour les deux premiers siècles de notre ère. Il convient aussi de citer, pour les siècles suivants, toujours en Babylonie, le judaïsme et le christianisme se considérant, l’un et l’autre, comme « orthodoxes » – sans oublier d’autres groupes marginaux présents dans la région à cette époque, les marcionites par exemple. Le dossier historiographique de l’elkasaïsme est relativement imposant, malgré la rareté des réelles monographies sur ce sujet. En effet, outre le fameux ouvrage « fondateur » de Wilhelm Brandt paru à Leipzig en 1912 3, on ne peut relever ici que les études de Luigi Cirillo parue à Cosenza

2.  La plupart des critiques, plutôt que de parler du judaïsme sacerdotal et synagogal ainsi que du judaïsme nazoréen, préfèrent parler de judaïsme et de christianisme sans autre précision. Il semble qu’une telle formulation est difficilement acceptable, du moins pour le ii e siècle et surtout en Orient iranien. 3.  W. Brandt, Elchasai, ein Religionsstifter und sein Werk, Leipzig, 1912.

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en 1984 4 et de Gerard P. Luttikhuizen parue à Tübingen en 1985 5. En revanche, d’assez nombreuses contributions, sous forme d’articles de dictionnaires 6 et d’états de la question 7, ont été publiées. L’elkasaïsme peut être abordé de plusieurs points de vue, dont les principaux sont d’ordre doctrinal ou rituel. L’approche doctrinale de l’elkasaïsme est capitale. Il serait vain cependant de tenter une synthèse de la doctrine elkasaïte, la documentation actuellement disponible ne le permettant guère. En revanche, l’étude de quelques thématiques est envisageable, notamment celle du « couple de l’ange et de l’esprit » 8, celle du « sceau des prophètes » 9, celle du « vrai prophète »10 et celle de la « rémission des péchés »11. 4.  L. Cirillo, Elchasai e gli elchasaiti. Un contributo alla storia delle communità giudeo-cristiane, Cosenza, 1984. 5.  G.P.  Luttikhuizen, The Revelation of Elchasai. Investigations into the Evidence for a Mesopotamian Jewish Apocalypse of the Second Century and its Reception by Judeo-Christian Propagandists, Tübingen, 1985. 6.  G. Bareille , « Elcésaïtes », dans Dictionnaire de théologie catholique 4/2 (1911), col. 2233-2239 ; W. Brandt, « Elkesaites », dans Encyclopaedia of Religion and Ethics V (1912), p. 262-269 ; H.  L eclercq, « Elcésaïtes », dans Dictionnaire d ’archéologie chrétienne et de liturgie 4/2 (1921), col. 2609 ; G. Bardy, « Elchasaïtes », dans Catholicisme 3 (1952), col. 1504-1505 ; G. Strecker , « Elkesaï », dans Reallexikon für Antike und Christentum 4 (1959), col. 1171-1186 (= G. Strecker , « Elkesai », dans Eschaton und Historie : Aufsätze, Göttingen, 1979, p. 320-333) ; J.P. A smussen, « Alchasai », dans Encyclopaedia Iranica I (1985), p. 824-825 ; G. Strecker , « The Baptist Sects », dans The Anchor Bible Dictionary II (1992), p.  430-431 ; J.  van Oort, « Elkesaiten », dans Die Religion in Geschichte und Gegenwart  II (19994), p. 1227-1228. 7.  En dernier lieu, voir K. Rudolph, « The Baptist Sects », dans W. Horbury – W.D. Davies  – J. Sturdy (Éd.), The Cambridge History of Judaism, III. The Early Roman Period, Cambridge, 1999, p. 483-492 ; L.  Cirillo, « Courants judéo-chrétiens », dans L.  P ietri (Éd.), Histoire du christianisme, I. Le nouveau peuple (des origines à 250), Paris, 2000, p. 308-317. Encore plus récemment, voir C.  Jullien – F. Jullien, Apôtres des confins. Processus missionnaires chrétiens dans l ’Empire iranien, Paris, 2002, p. 137-151. 8.  Cette thématique, que l’on rencontre par ailleurs dans le nazoréisme, se trouverait aussi dans le manichéisme. À ce sujet, voir G.G. Stroumsa, « Le conflit de l’Ange et de l’Esprit : traditions juives et chrétiennes », dans Revue biblique 88 (1981), p. 42-61. 9. Cette thématique appartiendrait aussi au manichéisme. À ce sujet, voir G.G. Stroumsa, « Seal of the Prophets. The Nature of a Manichaean Metaphor », dans Jerusalem Studies in Arabic and Islam 7 (1986), p. 61-74 (= « ’Le sceau du prophète’ : nature d’une métaphore manichéenne », dans G.G. Stroumsa, Savoir et salut. Traditions juives et tentations dualistes dans le christianisme ancien, Paris, 1992, p. 275-288). Voir aussi S.C.  M imouni, « Du Verus propheta chrétien (ébionite ?) au Sceau des prophètes musulman », dans F. del R ío Sánchez (Éd.), JewishChristianity and the Origins of Islam. Papers Presented at the Colloquium held in Washington DC, October 29-31, 2015 (8th ASMEA Conference), Turnhout, 2018, p. 41-74.

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CHAPITRE V

L’approche rituelle de l’elkasaïsme est également possible à partir de l’étude des rites baptistes judéens en général et des rites baptistes chrétiens en particulier, voire des rites lustraux mazdéens ; et peut-être aussi par une comparaison de ces rites avec les rites baptistes mandéens qui présentent à la fois des similitudes et des différences 12 . Bien d’autres dossiers intéressent également de près et de loin l’elkasaïsme. Mentionnons au passage ceux des villes de Ḥarran, dans le Nord de la Mésopotamie, et de Ḥira, dans le Sud de la Mésopotamie, qui ont servi de refuges aux chrétiens d’origine judéenne d’avant et d’après l’émergence de l’islam – tout comme elles l’ont été d’ailleurs pour les derniers tenants des philosophies et théosophies néoplatoniciennes issues du paganisme 13 et pour toutes une foule de minorités religieuses dites « hétérodoxes », c’està-dire en rupture avec leurs autorités se qualifiant d’orthodoxes. Au regard de cet inventaire, est-il encore besoin de souligner l’extrême diversité et étendue des dossiers touchant de près ou de loin à l’elkasaïsme, mouvement religieux dont l’importance démographique a été pourtant somme toute, vraisemblablement, assez réduite. Il est cependant important de considérer l’importance idéologique – c’est-à-dire philosophique et théosophique – de ce mouvement religieux, qui semble avoir été fondamentale, surtout quand on songe que des « religions » comme le manichéisme et le mandéisme, sans parler de l’islam d’avant les Abbassides, en sont sans doute issues ou en tout cas ont subi partiellement son influence, de manière directe ou indirecte. 10.  Cette thématique, que l’on rencontre par ailleurs dans l’ébionisme, relèverait aussi du manichéisme. À ce sujet, voir S.C.  M imouni, « La doctrine du Verus Propheta de la littérature pseudo-clémentine chez Henry Corbin et ses élèves », dans M.A. A mir-Moezzi – C.  Jambet – P.  L ory (Éd.), Henry Corbin. Philosophies et sagesses des Religions du Livre. Actes du Colloque « Henry Corbin ». Sorbonne, les 6-8 novembre 2003, Turnhout, 2005, p. 165-175. 11.  Cette dernière intéresse aussi l’ensemble des groupes baptistes plus ou moins marginaux par rapport aux judaïsme et christianisme institutionnels. À ce sujet, voir E.  P eterson, « Le traitement de la rage par les elkésaïtes d’après Hippolyte », dans Recherches de science religieuse 34 (1947), p. 232-238 ; E.  Peterson, « Die Behandlung der Tollwut bei den Elchasaiten nach Hippolyt (Ein Beitrag zur Geschichte des Ritus und der Theologie der altchristlichen Taufe) », dans Frühkirche, Judentum und Gnosis, Freiburg, 1959, p. 221-253. Voir aussi « Un rituel mystique chez les Baptistes judéo-chrétiens des premiers siècles de notre ère », dans P.B. Fenton – R. G oetschel (É d.), Expérience et écritures mystiques dans les Religions du Livre. Actes d ’un colloque international tenu par le Centre d ’études juives. Université de Paris IV-Sorbonne 1994, Leyde, 2000, p. 55-74. 12.  En ce qui concerne le baptisme, voir K. Rudolph, « Antike Baptisten. Zu den Überlieferungen über frühjüdische und frühchristliche Taufsekten », in Sitzungsberichte der Sächsischen Akademie der Wissenschaften zu Leipzig, Philologischhistorische Klasse, t. 121/4, Berlin, 1981, p. 1-37. 13.  À ce sujet, voir M. Tardieu, Les paysages reliques. Routes et haltes syriennes d ’Isidore à Simplicius, Paris, 1990.

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En ce qui concerne l’islam, il s’agit évidemment d’une hypothèse, acceptée par certains, contestée par d’autres. À l’origine, il semble que ce soit plutôt l’ébionisme qui ait exercé une certaine influence, pour ne pas dire plus, en la matière, mais, il n’est nullement exclu que ce soit l’elkasaïsme, notamment après l’arrivée de l’islam en Babylonie et en Assyrie 14 . Actuellement, on conteste complètement l’influence de ces groupes sur les origines de l’islam, préférant y voir celles du judaïsme sacerdotal et synagogal 15, mais pas du judaïsme rabbinique qui semble totalement absent de cette région à cette époque 16. II. État des sources La documentation sur l’elkasaïsme est presque uniquement indirecte. Elle provient principalement des traditions chrétienne, manichéenne et islamique, mais aussi dans une mesure bien moindre des traditions judaïque et mazdéenne 17. Il existe aussi, selon toute apparence, une documentation directe, mais qui est transmise de manière indirecte : il s’agit principalement de l’Apocalypse d’Elkasaï ou Révélation d’Elkasaï (= Livre d’Elkasaï). Le caractère indirect des attestations sur l’elkasaïsme rend particulièrement ardue leur approche à cause de leur caractère partial et partiel. Par conséquent, on convient de se résoudre, faute de mieux, à ne pouvoir atteindre les elkasaïtes que par l’intermédiaire de leurs détracteurs chrétiens, manichéens, islamiques, voire mazdéens et éventuellement judéens. D’ores et déjà, il est important de relever que les sources judéennes babyloniennes sont apparemment silencieuses sur les elkasaïtes 18. Ce 14. Voir M.P. Roncaglia, « Éléments ébionites et elkésaïtes dans le Coran. Notes et hypothèses  », dans Proche-Orient Chrétien 21 (1971), p. 101-126  ; J. Dorva-H addad, « Coran, prédication nazaréenne », dans Proche-Orient Chrétien 23 (1973), p. 148-155. Voir aussi P.  Crone , « Jewish-Christianity and the Qur’an (Part One) », dans Journal of Near-East Studies 74 (2015), p. 225-253 ; P.  Crone , « Jewish-Christianity and the Qur’an (Part Two) », dans Journal of Near-East Studies 75 (2016), p. 1-21. 15. Voir C.J. Robin, « Quel judaïsme en Arabie ? », dans C.J. Robin (Éd.), Le judaïsme en Arabie avant l ’islam. Actes du colloque de Jérusalem (février 2006), Turnhout, 2015, p. 15-296. 16. Voir J.  Costa, « Les Juifs d’Arabie dans la littérature talmudique », dans C.J. Robin (Éd.), Le judaïsme en Arabie avant l ’islam. Actes du colloque de Jérusalem (février 2006), Turnhout, 2015, p. 453-484. 17. Voir S.C.  M imouni, « Remarques et réflexions sur des travaux récents de F. Stanley Jones concernant le groupe des Judéens chrétiens elkasaïtes », dans Annali di storia dell ’esegesi 30 (2013), p. 133-150. 18. Voir cependant I. Stern, « Elisha und Elxai. Ein Beitrag zur thalmudischen Geschichte », dans Ben Chananja : Zeitschrift für jüdische Theologie 1 (1858), p. 35-37, qui a proposé de voir dans Elisha ben Abouya la figure d’Elkasaï.

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CHAPITRE V

silence ne doit pas être jugé comme étonnant, car les sources judéennes babyloniennes, à la différence de leurs homologues palestiniennes, sont très discrètes quant aux éléments étrangers au judaïsme. À moins qu’il soit possible d’identifier dans certains passages du Talmud de Babylone des traces de l’elkasaïsme, comme cela pourrait être le cas notamment en TB  Kiddushin 71b (« Babel la solitaire est en santé, la Mésène est à la mort »), ou il est question de l’inimitié entre deux communautés, l’une vivant en Babylonie et l’autre en Mésène, cette dernière étant accusée, par l’autorité de l’exilarcat, de professer une doctrine différente et de diffuser une croyance déviée 19.

A. Les témoignages chrétiens 20 La documentation sur l’elkasaïsme relève surtout de la tradition chrétienne, qui lui est bien évidemment hostile étant donné son caractère presque exclusivement hérésiologique. Il s’agit des témoignages contenus dans l’Elenchos d’Hippolyte de Rome et dans le Panarion d’Épiphane de Salamine. Auxquels, s’ajoute l’important témoignage d’Origène via Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique (VI,  38). Tous les témoignages chrétiens postérieurs à la fin du iv e siècle dépendent directement ou indirectement d’Épiphane de Salamine. Hippolyte de Rome est le premier à mentionner, dans son Elenchos rédigé à Rome vers 235, les elkasaïtes, à propos desquels ils rapportent de précieuses informations qui semblent remonter aux années 220 (Elenchos  IX, 13, 1-17, 2 et X, 29, 1-3) 21. Épiphane de Salamine, dans son Panarion composé en Palestine de 374 à 376, parle des elkasaïtes à plusieurs reprises, mais en les désignant non seulement sous ce nom, mais aussi sous celui d’« Osséens » (Panarion  XIX) et sous celui de « Sampséens » (Panarion LIII). Il est également question des elkasaïtes dans deux passages de la notice consacrée aux « Ébionites » (Panarion  XXX, 3, 1-6 et 17, 4-8). Cette terminologie diversifiée ne va pas sans poser de problèmes aux critiques 22 . 19. Voir S.  K rauss , « Dosithée et les dosithéens », dans Revue des études juives 42 (1901), p. 27-42 ; A. Büchler , « Les Dosithéens dans le Midrasch », dans Revue des études juives 42 (1903), p. 220-232 et 43 (1903), p. 50-71. Voir aussi S.J. I sser , The Dositheans : A Samaritan Sect in the Late Antiquity, Leyde, 1976. 20.  A.F.J. K lijn – G.J. R einink , Patristic Evidence for Jewish-Christian Sects, Leyde, 1973, p. 54-67. On les trouve également réunis et traduits dans F. Bovon – P. Geoltrain (Éd.), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, 1997, p. 843-864. 21. Voir S.C.  M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 293-304. 22. Voir L. Cirillo, « Courants judéo-chrétiens », dans L. P ietri (Éd.), Histoire du christianisme, I. Le nouveau peuple (des origines à 250), Paris, 2000, p. 313-315, qui estime qu’Épiphane a disposé de deux sources pour rédiger ses notices : l’une orale et l’autre écrite.

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En relation avec ces notices, il serait important de ne pas omettre en amont les sommaires de l’Hypomnesticon de Joseph de Tibériade et en aval ceux de l’Anaképhalaiosis d’un auteur inconnu (à moins qu’il faille considérer Épiphane de Salamine comme l’auteur, malgré les apparentes contradictions y figurant – lesquelles se comprendraient à condition de considérer le Panarion comme une œuvre antérieure à l’Anaképhalaiosis). Il ne faut pas oublier aussi une liste hérésiologique qui figure dans l’Ancoratus, autre œuvre d’Épiphane de Salamine présentant l’avantage d’être antérieure au Panarion. Il paraît difficile de considérer que Jean de Damas (De Haeresibus 53 – PG 94, col. 709B) constitue un témoignage indépendant de celui d’Épiphane.

B. Les témoignages manichéens 23 La documentation sur l’elkasaïsme relève aussi de la tradition manichéenne avec la Vita Mani, retrouvée dans le Codex Manichéen de Cologne, et avec quelques autres attestations, en copte et en parthe (pour la tradition directe), en syriaque et en arabe (pour la tradition indirecte). La Vita Mani, intitulée « Sur l’origine de son corps », relate les premières années de Mani au sein d’une communauté baptiste de Mésène 24 . Les chercheurs ne sont pas d’accord quant à l’identification elkasaïte ou non de cette communauté, au point de parler de « complexité des formes religieuses du baptisme elchasaïte » 25. Il paraît préférable cependant de considérer, du moins dans l’état actuel de la recherche, le caractère elkasaïte de la communauté baptiste dans laquelle Mani a passé ses vingt-quatre premières années, tout en reconnaissant la diversité sans doute extrême du point de vue rituel et doctrinal du mouvement elkasaïte – c’est l’hypothèse défendue ici dans cette recherche. On connaît aussi quelques mentions sur Elkasaï et sur les elkasaïtes dans la documentation manichéenne en copte et en parthe 26.

C. Les témoignages islamiques Dans un texte arabe du x e siècle, le Fihrist al-Ulûm, « Catalogue des Sciences » d’Ibn an-Nadim, on trouve, dans le cadre d’une notice hérésio23.  On trouve dans F. Bovon – P. Geoltrain (Éd.), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, 1997, p. 864-872, les attestations sur les elkasaïtes dans la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne. 24. Voir S.C.  M imouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 308-316. 25.  Voir par exemple C.  Jullien – F.  Jullien, Apôtres des confins. Processus missionnaires chrétiens dans l ’Empire iranien, Paris, 2002, p. 143, qui acceptent, pour la communauté baptiste de Mani, la référence à Elkasaï, mais semblent refuser le caractère elkasaïte du mouvement qui utilise sa figure. 26.  À ce sujet, voir plus bas (Chapitre VII).

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logique sur le manichéisme, des informations relatives au milieu d’origine de Mani et de ses parents – c’est-à-dire sur les elksasaïtes. Dans cet écrit, qui est une véritable encyclopédie sur la culture islamique, on peut en effet lire trois passages sur les elkasaïtes désignés par le mot arabe mughtasila, qui littéralement signifie « ceux qui se lavent », correspondant au mot grec βαπτίσται (= baptistes) – à la différence près que le terme arabe connote la pratique des ablutions et non pas celle de l’immersion comme c’est le cas pour le terme grec 27. Globalement, les données rapportées par Ibn an-Nadim confirment celles de la Vita Mani : (1) la communauté des mughtasila correspond à celle des baptistes, établie dans les environs de Séleucie-Ctésiphon ; (2) le chef des mughtasila, al-Khasayh, correspond au fondateur des baptistes, Alkasaios 28. Ces attestations semblent être les dernières concernant les elkasaïtes.

D. Les témoignages mazdéens On trouve encore de parcimonieuses mentions concernant les elkasaïtes dans la tradition mazdéenne : il s’agit essentiellement d’une mention dans l’inscription de Kartir, qui remonte au règne de Vahram II (277-293), laquelle ferait référence à ce groupe, mais sous le nom de « nazoréens » 29. III. Le problème de l’origine du mouvement elkasaïte Les chercheurs sont extrêmement divisés au sujet de l’origine du mouvement elkasaïte. Outre des éléments sur la question de son fondateur, on va présenter quelques hypothèses sur la genèse de ce mouvement. Plusieurs critiques, sans doute avec raison, ont estimé possible de distinguer entre deux formes d’elkasaïsme : l’une, la plus ancienne, s’étant développée dans l’empire iranien dès le début du ii e siècle ; l’autre, la plus récente, dans l’empire romain dès le iii e siècle. De toute évidence, les deux formes semblent avoir divergé sur le plan de leurs croyances et de leurs pratiques. Dans la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne, on trouve des renseignements sur la forme iranienne au iii e siècle. Dans l’Elenchos et dans le Panarion, on en trouve sur la forme romaine des ii e-iii e siècles dans 27.  Pour le texte arabe, voir G. Flügel , Mani, seine Lehre und seine Schriften, Leipzig, 1862, p. 328, 340, 341, pour une traduction française, voir M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 6, 19972 , p. 5-6 et G.  Monnot, Penseurs musulmans et religions iraniennes. `Abd al-Jabbar et ses devanciers, Le Caire-Beyrouth, 1974, p. 316-317. Voir aussi plus bas, Chapitre VII. 28.  À ce sujet, voir plus bas dans ce même chapitre. 29. Voir S.C.  M imouni, « Les nazoréens. Recherche étymologique et historique », dans Revue biblique 105 (1998), p. 251-260. Voir également l’opinion contrastée de C. Jullien – F. Jullien, « Aux frontières de l’iranité : nasraye et kristyone des inscriptions du mobad Kirdir. Enquête littéraire et historique », dans Numen 49 (2002), p. 282-335.

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le premier et du iv e siècle dans le second. Il faudra cependant se garder chaque fois de trop généraliser et formaliser les informations fournies dans les sources, au risque de donner une image trop synchronique de l’elkasaïsme et pas assez diachronique, c’est-à-dire distinguant les époques et les lieux – raison pour laquelle, on se doit de renvoyer le plus souvent possible aux documents. Tout comme les ébionites, les elkasaïtes paraissent avoir été antipauliniens – la seule information à ce sujet provient d’Origène, via Eusèbe de Césarée, qui affirme que ce groupe rejette entièrement l’apôtre Paul (Histoire ecclésiastique VI, 38).

A. Le fondateur du mouvement Le mot « elkasaïtes », tout comme le mot « ébionites », vient du latin Elcesaei, qui est une translittération du grec Ἐλκεσαῖοι, fabriqué à partir du nom d’un personnage historique ou mythique, différemment orthographié selon les citateurs chrétiens, manichéens et musulmans. Origène dans un passage conservé par Eusèbe de Césarée est le premier à fournir la forme Ἐλκεσαιταί pour désigner les membres du mouvement (Histoire ecclésiastique VI, 38). Méthode d’Olympe transmet la forme Ἐλχασαῖος également pour désigner les membres du mouvement (Symposium  VIII, 10). Épiphane de Salamine, pour désigner les membres, utilise le terme Ἐλκεσαῖοι (Panarion LIII, 1, 1 et aussi Anaképhalaiosis 15, 5). Hippolyte de Rome, dans l’Elenchos, appelle le fondateur du mouvement Ἠλχασαί (Elenchos  IX, 13, 1). Épiphane de Salamine, pour nommer le fondateur, donne deux formes plus ou moins semblables : d’une part, Ἠλξαί (Panarion  XIX, 1, 4) ; d’autre part, Ἠλξαίος (Panarion  XXX, 3, 2 et LIII, 1, 2). Dans Théodoret de Cyr, on rencontre encore la forme Ἐλκασαί pour désigner le même personnage (Compendium de toutes les hérésies II, 7). Augustin d’Hippone, empruntant certainement ses renseignements à Épiphane de Salamine, traduit Ἐλκεσαῖοι par Elcesaei et Ἠλξαιος par Elci (Sur les hérésies 32). Dans la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne, le nom du fondateur du mouvement est transmis sous la forme Ἀλχασαῖος : elle correspond à la forme Ἠλχασαι d’Hippolyte, mieux attestée et plus ancienne que celle d’Épiphane (CMC 94, 11.23 ; 95, 13 ; 96, 13.19 ; 97, 3.13.15-16). On rencontre aussi le nom du fondateur du mouvement dans la littérature manichéenne de langue copte, notamment dans le Livre II (Dublin) des Kephalaia (CCCXLII, p. 424, 9-10). Il en est aussi question dans quelques fragments en langue parthe (M 5910). Dans les notices du Fihrist al-Ulûm d’Ibn an-Nadim, le fondateur de la communauté est appelé al-Khasayh – ou al-Ḥasayh dans certains manuscrits.

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Ces différentes lectures ramènent toutes à l’expression araméenne ‫חיל‬ ‫כסי‬, « force/pouvoir caché », qu’essaie de rendre la translittération grecque Ἠλ, « force/pouvoir », χαί ou ξαί « caché » – selon les indications mêmes que donne Épiphane de Salamine en Panarion XIX, 2, 2 et 53, 1, 2. Les différentes orthographes grecques peuvent alors aisément s’expliquer par la translittération grecque qui ne rend pas de manière uniforme le ‫ ח‬araméen pour des raisons de phonétique – la forme grecque Ἀλχασαῖος transmise par la tradition manichéenne, est sans doute la plus proche de la forme araméenne originale 30. En dépit de l’opposition de certains savants, l’existence historique d’un personnage que ses disciples ont appelé en araméen ‫ חיל כסי‬et en grec Ἠλχασαί, ayant vécu au ii e siècle en Transeuphratène, dans l’empire parthe, est une thèse envisageable en l’absence d’arguments contradictoires 31. L’appui principal de cette hypothèse se trouve maintenant dans le Codex manichéen de Cologne où Mani, cité par ses disciples immédiats, parle d’«  Elkhasaï  » comme d’une personne réelle et d’un fondateur de mouvement religieux. De toute façon, que l’on tienne ou non pour l’historicité d’Elkasaï, on ne voit pas la différence à considérer que ce nom puisse renvoyer à un personnage historique ou à un personnage anonyme, d’autant que dans les deux cas, il est fait tout simplement référence au fondateur du mouvement elkasaïte, qui, en tout état de cause, s’est fait appeler ainsi par ses disciples, même si son nom a pu être tout autre à l’origine – le nom est de toute évidence symbolique, il a été porté cependant par un personnage historique dont le patronyme véritable demeurera à jamais dans l’anonymat. Il 30.  L’hypothèse avancée par M.-J. Lagrange , « La gnose mandéenne et la tradition évangélique », dans Revue biblique 36 (1927), p. 501-503, qui propose de voir dans le nom d’Elkasaï l’expression hébraïque ‫אל כסי‬, « dieu caché », un hapax, devenu Ἠλχασαί chez Hippolyte et Ἠλξαί chez Épiphane, n’est guère convaincante au regard des différentes translittérations grecques (‫ = ח‬esprit doux + êta). 31.  Parmi les critiques favorables à l’historicité, voir principalement W. Brandt, Elchasai, ein Religionsstifter und sein Werk, Leipzig, 1912, p. 8 ; J. Thomas , Le mouvement baptiste en Palestine et Syrie (150 av. J.-C. - 300 ap. J.-C.), Gembloux, 1935, p. 154, n. 2 ; G. Strecker , « Elkesaï », dans Reallexikon für Antike und Christentum 4 (1959), col. 1171-1186. Parmi ceux qui sont défavorables à l’historicité, voir principalement G. Bareille , « Elcésaïtes », dans Dictionnaire de théologie catholique 4/2 (1911), col. 2233-2239 ; A.F.J. K lijn – G.J. R einink , « Elchasai and Mani », dans Vigiliae christianae 28 (1974), p. 283, n. 245 (voir aussi A.F.J. K lijn – G.J. R einink , Patristic Evidence for Jewish-Christian Sects, Leyde, 1973, p. 54-67) ; H.J. Schoeps , Theologie und Ge­schichte des Judenchristentums, Tübingen, 1949, p. 325-327 ; M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 9-12, 19972 , p. 9-12. Pour  M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 9, 19972 , p. 9, par exemple, Elkasaï est « un personnage mythique », qui a été historicisé – au-delà de cette affirmation aucune démonstration n’est cependant avancée.

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est fort probable que la dimension historique d’Elkasaï demeure définitivement en un clair obscur, accessible seulement à travers la conduite des membres de son mouvement qui, elle, n’est connue que par des documents en provenance de l’adversité – c’est dire le caractère hypothétique de tout ce que l’on peut avancer en la matière. D’après Épiphane de Salamine, Elkasaï est un Judéen de naissance et de croyance, devenu fondateur d’un nouveau groupe après avoir rejeté le fondement cultuel et social du judaïsme sacerdotal et synagogal, à savoir, le sacrifice sanglant instauré par les patriarches et perpétué dans la pratique pascale, au cours de laquelle la victime animale est égorgée puis consumée par le feu sur l’autel. Ainsi, au sang et au feu des sacrifices, Elkasaï oppose l’eau, qui devient l’instrument thaumaturgique du mouvement. Il convient de noter encore que, d’après ce même Épiphane, Elkasaï aurait eu un frère du nom de Ἰεξαί (Panarion LIII, 1, 3) – il s’agit peutêtre d’une référence implicite à une tradition elkasaïte concernant la jémellité d’Elkasaï, symbolique fort développée au Proche-Orient ancien – les manichéens l’utilisent pour Mani, les chrétiens pour Jésus 32 .

B. La genèse du mouvement Si l’on en croit l’Elenchos d’Hippolyte de Rome, il semble que l’origine du mouvement elkasaïte soit à situer dans la sphère de l’empire iranien. En effet, Hippolyte de Rome dans l’Elenchos, qui qualifie Elkasaï de « parthe », témoigne plus précisément de l’« ancrage » de la figure-phare du mouvement dans le judaïsme babylonien de son temps, au demeurant fort mal connu. Quoi qu’il en soit de l’historicité de ces faits, seul ce document fournit une idée de la genèse du mouvement au tout début du ii e siècle. Pour situer la genèse du mouvement, la plupart des problématiques historiographiques récentes partent de l’Apocalypse d’Elkasaï qu’elles cherchent à situer dans le temps et dans l’espace. En revanche, pour situer le mouvement elkasaïte dans le temps et dans l’espace, elles se fondent rarement sur les éléments fournis par l’ensemble de la documentation. C’est le cas notamment de Gerard P. Luttikhuizen qui, en s’appuyant principalement sur des éléments provenant de l’Elenchos, au sujet d’une prophétie énoncée à une époque où les Parthes vaincus ont été obligés de se soumettre à l’empereur Trajan, a souligné la perspective dans laquelle aurait pris naissance l’Apocalypse d’Elkasaï, à savoir : vers la fin de la guerre de Rome contre les Parthes (114-117), au moment où la défaite de ces der-

32.  Pour la jéméllité de Jésus, voir S.C.  M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth. Histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du i er au iv e siècle, Paris, 2015, p. 154-159.

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niers est apparue comme inéluctable, en 116 selon toute vraisemblance 33. Ainsi, selon ce critique, en Babylonie, la défense du territoire et de l’identité parthes aurait été très nettement marquée au sein des communautés judéennes, dont les insurrections successives montreraient suffisamment leur engagement politique aux côtés du pouvoir arsacide. Les révoltes judéennes contre les envahisseurs romains, celle du temps de Trajan, mais aussi celle du temps de Marc Aurèle, attestent en effet d’un tel sentiment en faveur des Parthes, qui semble avoir fortement animé les communautés judéennes de la Diaspora iranienne. Pour ce critique, d’après les informations de l’Elenchos, mais aussi du Panarion, les « Révélations d’Elkasaï » auraient été « reçues », rédigées et diffusées dans un milieu proche de la cause parthe, sous influence judéenne et probablement sous la mouvance des communautés de Babylonie, milieu dans lequel cette œuvre aurait été produite. En bref, les conclusions de Gerard P. Luttikhuizen sont les suivantes : l’Apocalypse d’Elkasaï, qui relèverait du genre apocalyptique, aurait été utilisée par des propagandistes chrétiens d’origine judéenne qui l’auraient christianisé – d’ailleurs, est-il précisé, la nature syncrétique de cette œuvre, malgré nombre d’observances typiques, ne présente pas une doctrine judéenne « orthodoxe ». La thèse de Gerard P. Luttikhuizen a été sévèrement malmenée par les critiques de F. Stanley Jones et de Luigi Cirillo 3 4 . Sans entrer en matière, outre l’existence indéniable d’un profond sentiment antiromain dans les milieux judéens de la Diaspora babylonienne, disons qu’il est dans tous les cas difficile de considérer avec Gerard P. Luttikhuizen que l’Apolcalypse d’Elkasaï ait été à l’origine un texte issu du judaïsme babylonien, par la suite récupéré et christianisé par des communautés chrétiennes d’origine judéenne de Transeuphratène – il apparaît plutôt comme un texte, ou le texte, de fondation du mouvement elkasaïte 35. Malgré toutes les difficultés et les risques, il semble toutefois possible d’avancer une hypothèse au sujet de l’origine du mouvement elkasaïte. Au regard de la documentation, on peut penser que ce mouvement religieux a été fondé par un personnage nommé « Elkasaï », à partir d’un groupe judéen déjà existant. Ce groupe judéen, se caractérisant essentiellement par 33. Voir G.P.  Luttikhuizen, The Revelation of Elchasai. Investigations into the Evidence for a Mesopotamian Jewish Apocalypse of the Second Century and its Reception by Judeo-Christian Propagandists, Tübingen, 1985. 34.  Voir la recension de F.S.  Jones , dans Jahrbuch für Antike und Christentum 30 (1987), p. 200-209, à laquelle a répondu G.P.  Luttikhuizen, « The Book of Elchasai : A Jewish Apocalypse », dans Aula Orientalis 5 (1987), p. 101-106. Voir aussi L.  Cirillo, « Elchasai e la sua ‘Rivelazione’ », dans Rivista di storia e letteratura religiosa 24 (1988), p. 311-330 ; L.  Cirillo, « L’Apocalypse d’Elkhasai : son rôle et son importance pour l’histoire du judaïsme », dans Apocrypha 1 (1990), p. 167-179. 35.  À ce sujet, voir plus bas.

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des pratiques baptistes, qui pourrait être celui des osséens, aurait été établi vers la fin du i er siècle en Syrie sous domination parthe (Épiphane, Panarion  XIX). Cette fondation pourrait se situer durant le règne de l’empereur Trajan, aux alentours de l’an 100 (Hippolyte, Elenchos  IX, 13-17, 1). Il est fort possible qu’Elkasaï, avant de fonder son propre groupe, ait été un ébionite (Épiphane, Panarion  XXX). Quoi qu’il en soit, en se proclamant prophète parmi les osséens 36 , Elkasaï aurait ainsi créé un nouveau groupe religieux se désignant sous le nom de sampséen (Épiphane, Panarion LIII). L’Apocalypse d’Elkasaï aurait alors très bien pu être rédigée durant les guerres romano-parthes du temps de Trajan (Hippolyte, Elenchos  IX, 13-17, 1). Le caractère chrétien d’origine judéenne de ce mouvement ne fait pas de doute. Autrement dit, il s’agit d’un groupe de chrétiens d’origine judéenne, qui semble s’être constitué, lors de la guerre entre Rome et les Parthes, à la suite d’une révélation faite à un personnage appelé Elkasaï, considéré comme « prophète » par ses disciples – les elkasaïtes étant ceux, du moins selon les Pères de l’Église, qui ont reconnu en Elkasaï un prophète. Cette hypothèse essaie de prendre en compte toutes les données des traditions chrétienne, manichéenne et islamique. Les sampséens sont les elkasaïtes des traditions chrétiennes ainsi que manichéenne et les mughtasila de la tradition islamique. Elle repose bien-entendu sur une forte part d’incertitude, inévitable en la matière. Elle est cependant à rapprocher de celle émise par Jean Daniélou, qui a considéré que « l’elkasaïsme est un mouvement chrétien d’origine judéenne hétérodoxe, voisin de l’ébionisme, mais se rattachant à la Syrie de l’Est », autrement dit, l’Osroène et l’Adiabène, régions de langue araméenne de la Transeuphratène 37. Ajoutons que ce mouvement s’est sans doute trouvé assez vite marginalisé, tant par rapport au judaïsme sacerdotal et synagogal qu’au judaïsme nazoréen, peu portés à promouvoir les groupes aux caractères prophétiques trop marqués – du moins depuis la fin du Ier siècle, même s’ils restent portés à une tendance messianique et apocalyptique comme semblent l’avoir été certains milieux, mystiques, du judaïsme sacerdoral et synagogal, laquelle a conduit à la seconde révolte judéenne de 132-135. Les membres de ce mouvement se sont très vite retrouvés dans l’empire parthe, à la suite du retrait des troupes romaines lors de l’accession au pouvoir d’Hadrien. C’est pourquoi, semble-t-il, il n’en est guère question dans les sources occidentales chrétiennes avant le début du iii e siècle, époque où 36.  Il est difficile d’identifier avec une certaine assurance ces « osséens » dont la graphie varie parfois selon les manuscrits : « osséniens » (Ὀσσηνῶν) dans l’un – pour Panarion  XIX, 1, 3 ; 2, 2 ; 5, 4 ; « esséniens » (Ἐσσηνῶν) dans un autre – pour Panarion  XIX, 5, 1. Rien n’empêche, mais rien n’autorise non plus, de penser qu’il s’agit d’esséniens ayant survécu, sous une forme ou sous une autre, à la restructuration du judaïsme sous la houlette des pharisiens. 37. Voir J.  Daniélou, Nouvelle Histoire de l ’Église, I, Paris, 1963, p. 90.

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des missionnaires elkasaïtes arrivent dans l’empire romain pour y fonder des communautés. IV. Le problème de l’histoire du mouvement elkasaïte Pour établir l’histoire du mouvement elkasaïte, jusqu’à ces dernières décennies les chercheurs ont été entièrement dépendants des sources chrétiennes dont le caractère hérésiologique ne peut évidemment que les rendre suspectes. Depuis, les apports des sources manichéennes, mazdéennes et islamiques n’ont pas encore été suffisamment exploités. Assurément, ils devront l’être à l’avenir, même s’ils ne sont pas toujours faciles à apprécier, soulevant parfois des inévitables contradictions avec les sources chrétiennes. Dans les sources chrétiennes, par rapport aux nazoréens, les elkasaïtes sont présentés comme des « hétérodoxes », essentiellement parce qu’ils n’acceptent de reconnaître que la messianité de Jésus, refusant la divinité du Christ. De ce point de vue, les elkasaïtes semblent avoir été très proches des ébionites : en réalité, les premiers sont beaucoup plus éloignés du judaïsme et du christianisme que les seconds. Épiphane souligne d’ailleurs que « n’étant ni chrétiens, ni judéens, ni grecs, mais quelque chose d’intermédiaire, au fond ils ne sont rien » (Panarion LIII, 1, 3). Le mouvement elkasaïte présente un certain nombre de traits qui le situent dans la catégorie des groupes religieux ésotériques, parmi lesquels on peut notamment relever celui de ne transmettre les « mystères ineffables » qu’aux disciples jugés dignes (Elenchos  IX, 15, 2). Sans compter, que les membres du mouvement sont autorisés à renier leur foi extérieurement pourvu qu’ils la conservent intérieurement (Panarion  XIX, 1, 4.8, 3, 1-3). L’influence du mouvement elkasaïte n’est nullement à négliger, du moins s’il faut en croire Épiphane de Salamine qui affirme que le Livre d’Elkasaï – il s’agit vraisemblablement de l ’Apocalypse d’Elkasaï – a été adopté par les osséens, les nasaréens, les nazoréens et les ébionites (Panarion  XIX, 5, 5 et 53, 1, 3). Elxaï, toujours d’après le même hérésiologue se serait affilié sous Trajan au groupe des osséens (c’est-à-dire des esséniens), formant un nouveau mouvement se désignant sous le nom de sampséens (Panarion  XIX, 1, 4 et 2, 2). Ces informations, citées à titre d’exemples, sont difficiles à évaluer d’autant que les filiations avancées par Épiphane de Salamine, doivent être considérée comme suspectes. Dans le cas présent, il est difficile en effet d’accepter que les elkasaïtes aient été unis à des esséniens comme certains critiques l’acceptent trop facilement 38, du fait même que cette affirmation d’Épiphane ne peut être recoupée d’une quelconque autre manière. Est-il alors possible d’affirmer que « les communautés baptistes du Jourdain ont presque partout été assimilées par l’elchaïsme » – 38. Voir J.  Thomas , Le mouvement baptiste en Palestine et Syrie (150 av. J.-C. 300 ap. J.-C.), Gembloux, 1935, p. 155.

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comme le fait Michel Tardieu 39 ? Difficile à le dire de manière aussi claire, devant l’absence de tout autre témoignage. Quoi qu’il en soit, Mani paraît à l’évidence avoir été très influencé par le système elkasaïte, notamment en ce qui concerne les missions qui seront une des dimensions majeures du manichéisme tout au long de son existence. Dans la Paraphrase de Sem, un des écrits retrouvés à Nag Hammadi en Égypte, il semble y avoir une polémique anti-elkasaïte. C’est du moins l’avis de Michel Roberge qui estime voir des pointes contre les pratiques des baptêmes répétés et les bains thérapeutiques (36, 25-32 : « Or, beaucoup descendront dans les eaux nuisibles par l’action des vents ainsi que des démons, ceux qui sont revêtus de la chaire qui induit en erreur et sont enchaînés à l’eau. Mais (l’eau), elle appliquera un traitement inopérant. Elle induira en erreur et enchaînera le monde »)  4 0. C’est en tout cas une polémique contre les pratiques baptistes qui sont décriées. À plusieurs reprises, Épiphane rapporte qu’à son époque, durant le règne de l’empereur Constance II (337-361), deux femmes, Marthus et Marthana, se prétendant de la descendance d’Elkaï, ont été vénérées « comme des déesses » dans les communautés elkasaïtes d’Outre-Jourdain (Panarion  XIX, 2, 4 ; 53, 1, 5). Il mentionne également que les « crachats et autres saletés du corps » de ces deux femmes sont recueillis et utilisés comme « remède contre les maladies » (Panarion  XIX, 2, 5) ou « dans des phylactères et des amulettes » (Panarion LII, 1, 6) – ce thème du recueil du crachat à propos de Mahomet est présent dans la Sîra d’Ibn Ishaq. Dans le Panarion, Épiphane affirme que Marthus est morte au moment où il écrit alors que Marthana est encore vivante. Dans l’Anaképhalaiosis, les deux femmes sont mentionnées toutes deux comme vivantes – élément qui semble renforcer l’hypothèse de l’antériorité de cet écrit par rapport au premier. Dans cette présentation du mouvement elkasaïte, on va donner des éléments quant à sa localisation géographique, avant de passer à sa littérature, à ses pratiques et croyances.

A. La localisation géographique du mouvement 41 Les sources convergent pour situer le foyer des elkasaïtes dans l’empire iranien, plus précisément en Babylonie ou en Mésopotamie du Nord s’il faut en croire Joost van Amersfoort 42 . 39. Voir M.  Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 12, 19972 , p. 12. 40.  M. Roberge , La Paraphrase de Sem (NH VII, 1), Québec-Louvain-Paris, 2000, p. 114. 41. Voir S.C.  M imouni, « Les établissements nazoréens, ébionites et elkasaïtes d’après les hérésiologues de la Grande Église », dans Annali di storia dell ’esegesi 31 (2014), p. 25-39. 42. Voir J.  van A mersfoort, dans Vigiliae christianae 41 (1987), p. 410.

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À partir du iii e siècle, le mouvement elkasaïte semble s’être introduit dans l’empire romain en Orient puis en Occident par l’intermédiaire de missionnaires. On connaît la mission elkasaïte par les Pères de l’Église. Hippolyte (Elenchos  IX, 13, 1-17, 3) rapporte l’existence d’une mission elkasaïte à Rome dans la première moitié du iii e siècle (vers 220, durant le règne d’Héliogabale [217-222]) – l’hérésiologue donne même le nom du missionnaire : Alcibiade d’Apamée en Syrie. Origène (via Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique VI, 38) mentionne également une mission elkasaïte à Césarée de Palestine plus ou moins à la même époque (vers 247, durant le règne de Philippe l’Arabe [244-249]). Toujours au iii e siècle, pour l’empire iranien, plusieurs communautés elkasaïtes sont attestées dans la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne. On doit relever notamment une communauté dans le sud de la Babylonie, en Mésène : c’est celle où Mani a vécu jusqu’à l’âge de 24 ans en Babylonie (entre 220 et 244) – il s’agit en tout cas d’une donnée de l’hagiographie manichéenne. Le même document signale d’autres communautés à Kokhé, un des quartiers de Séleucie-Ctésiphon, à Naser qui est à situer entre Séleucie et Sippar ainsi qu’à Pharat au bord du Golfe Persique. D’une manière générale, des communautés elkasaïtes semblent avoir été implantées sur tout le pourtour du Golfe Persique. On peut relever que c’est à l’époque où Alcibiade arrive à Rome que le père de Mani a intégré une communauté elkasaïte (vers 220). Au iv e siècle, Épiphane de Salamine mentionne la présence de communautés elkasaïtes, sous l’appellation d’«  osséennes  » et de « sampséennes », en Nabatée, en Iturée, en Moabitide, en Ariélitide et en Pérée (Panarion  XIX, 1, 1 ; 53, 1, 1).

B. La littérature du mouvement On est assez mal informé quant aux ouvrages en usage dans le mouvement en dehors de maigres indices dont la fiabilité est parfois sujette à caution. Les elkasaïtes rejettent certains passages de l’Ancien Testament ainsi que des Évangiles, et complètement les Lettres de Paul – du moins s’il faut en croire Origène (passage transmis par Eusèbe, Histoire ecclésiastique VI, 38), car Hippolyte et Épiphane ne disent rien du caractère antipaulinien de ce mouvement. L’usage de la théorie des fausses-péricopes pour justifier un usage sélectif des Écritures renvoie à celle que l’on rencontre fréquemment dans la littérature pseudo-clémentine ébionite. D’après la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne, les elkasaïtes, ou du moins la communauté baptiste d’où est issu le fondateur du manichéisme, utilisent et méditent un Nouveau Testament, y compris les Lettres de Paul (CMC 92, 3-93, 20). Ils lisent aussi des apocryphes

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judéens en général comme l’Apocalypse d’Adam (CMC 48, 16-50), de Seth (CMC 50, 8-52, 7), d’Énosh (CMC 52, 8-55, 9), de Sem (CMC 55, 10-58, 5) et d’Hénoch (CMC 58, 6-60, 12) ou chrétien comme l’Apocalypse de Paul 43. Concernant Paul, il y a contradiction entre l’affirmation d’Origène et ce qui est rapporté dans la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne où sont mentionnés également plusieurs passages des lettres pauliniennes (Ga 1, 1.11-12 en CMC 60, 12-23 et 61, 15 ; 2 Co 12, 1-5 en CMC 61, 1-14)  4 4 – les elkasaïtes du CMC ne paraissent pas avoir été antipauliniens. Les elkasaïtes reconnaissent surtout un livre qui semble leur avoir été propre : il s’agit de l’Apocalypse d’Elkasaï ou Révélation d’Elkasaï.

C. Les pratiques et les croyances du mouvement Pour traiter de ces questions, on exploite essentiellement les éléments fournis par Hippolyte de Rome et par Épiphane de Salamine qu’on complète avec la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne. 1. Les pratiques D’une manière générale, on peut dire que les elkasaïtes respectent à la lettre les observances de la Torah, notamment en ce qui concerne la circoncision, le sabbat et les jeûnes (Elenchos  IX, 14, 1 ; IX, 16, 3 ; Panarion  XIX, 5, 1 ; XXX, 17, 5). Ils observent aussi des prescriptions alimentaires très strictes, refusant par exemple de consommer le pain grec ou pain de froment (CMC 90, 1) – interdiction qui figure parmi une des « dix-huit mesures » édictées par les pharisiens de Beth Shamaï à la veille de la destruction du Temple de Jérusalem (M Shabbat  I, 4 ; TB Shabbat 13b-17b ; TJ Shabbat  I, 4, 3c-d). Ils maintiennent Jérusalem comme direction de la prière, disant, selon Épiphane, que ceux de l’Orient doivent prier en direction de l’Occident et ceux de l’Occident en direction de l’Orient, ceux du Nord vers le Sud et ceux du Sud vers le Nord (Panarion  XIX, 3, 5). Ce qui ne les empêche pas d’être opposés aux sacrifices qui se pratiquent au Temple de Jérusalem (Panarion XIX), et se refusent par conséquent de consommer toute viande (Panarion LIII, 1, 4) – ce trait est antérieur à 70. Les elkasaïtes procèdent à de nombreuses ablutions et immersions, à tel point qu’ils ont été catégorisés parmi les groupes baptistes chrétiens d’ori43. Voir J.-M. Rosenstiehl , « C.M.C. 60, 13-62, 9 : contribution à l’étude de l’Apocalypse apocryphe de Paul », dans L.  Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 345-354. 44.  À ce sujet, voir H.D. Betz , « Paul in the Mani Biography (Codex Manichaicus Coloniensis) », dans L.  Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 215-234.

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gine judéenne, au même titre que les ébionites 45. Ils affectent, en effet, à l’eau le pouvoir de pardonner les péchés, et non plus au sang et au feu des sacrifices, et vont jusqu’à manifester pour l’eau une vénération particulière, la considérant comme un dieu et la regardant comme le moyen par excellence de la propagation de la vie (Panarion LIII, 1, 7). C’est ainsi que sont pratiqués dans ces groupes plusieurs rituels d’immersion dont un pour la rémission des péchés et un pour la guérison des maladies notamment le traitement de la rage et le traitement de la phtisie et de la folie. Les elkasaïtes exercent l’usage de la divination et de l’astrologie (Elenchos  IX, 14, 2 ; 16, 1-4 ; X, 29, 3) qu’ils empruntent, du moins selon leurs détracteurs, au paganisme  4 6 – ce dernier point doit être nuancé, surtout quand on sait combien les Judéens de l’Antiquité ont été très actifs, ou considérés comme tels, dans ces domaines. D’après Hippolyte (Elenchos IX, 14, 3 ; X, 29, 3) et Épiphane (Panarion XIX, 4, 3-6), ils pratiquent aussi des incantations et des formules magiques. Épiphane rapporte même une formule ésotérique elkasaïte translittérée en grec de l’araméen dont il donne une traduction, erronée d’ailleurs, en soulignant que dans l’Apocalypse d’Elkasaï il est recommandé de ne pas la comprendre, mais seulement de la réciter (Panarion  XIX, 4, 3-6) : il s’agit, selon Moritz Abraham Levy, de cinq mots araméens, écrits une première fois de gauche à droite et une seconde fois de droite à gauche pour former deux vers avec les mêmes mots – la phrase commençant par ané, « je », et se terminant par selam, « paix », on obtient le dit suivant : « Moi, votre témoin, [je serai témoin pour vous] au jour du grand jugement. Paix » 47. Enfin, les elkasaïtes sont invités de manière expresse au mariage, méprisant toutes formes diverses de continence en usage dans d’autres groupes chrétiens (Panarion  XIX, 1, 7). 2. Les croyances Le mouvement elkasaïte apparaît plutôt comme un mouvement prophétique et non pas comme un mouvement messianique – c’est-à-dire mettant ses espoirs dans la médiation d’un prophète : Jésus étant le dernier des prophètes, le « sceau des prophètes » – raison pour laquelle il est désigné comme « Christ ». 45.  À ce sujet, voir J. Thomas , Le mouvement baptiste en Palestine et Syrie (150 av. J.-C. - 300 ap. J.-C.), Gembloux, 1935, p. 140-156. 46. Voir F.S.  Jones , « The Astrological Trajectory in Ancient Syriac-Speaking Christianity (Elchasai, Bardaisan, and Mani) », dans L.  Cirillo – A.  van Tongerloo (É d.), Atti del terzo congresso internazionale di studi « Manicheismo e Oriente cristiano antico ». Arcavacata di Rende – Amantea, 31 agosto-5 settembre 1993, Louvain-Naples, 1997, p. 183-200. 47.  M.A.  L evy, « Bemerkungen zu den arabischen Analekten des Herrn Prof. Hirtig », dans Zeitschrift der deutschen morgenländischen Gesellschaft 12 (1858), p. 712.

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Pour les elkasaïtes, le « Christ » est un ange révélateur qu’ils désignent comme le « Fils de Dieu » (Elenchos  IX, 13, 2). À partir de cette représentation angélique, ils décrivent le « Christ » avec des dimensions gigantesques et de manière extrêmement précise, en le doublant d’un être féminin de même stature appelé « Saint-Esprit » (Elenchos  IX, 13, 2-3) – description fantastique qui fait penser à d’autres que l’on trouve dans l’Évangile selon Pierre pour le corps de Jésus dont la tête dépasse le ciel ou dans le Shi’our Qomah pour le corps de Dieu 48. Aux dires des hérésiologues chrétiens, dans l’elkasaïsme, s’il est certes question du Père, du Fils et de l’Esprit saint, le « Fils » n’aurait jamais été identifié à Jésus en tant que tel, pas plus d’ailleurs qu’à quelqu’un d’autre. Il paraît toutefois permis de penser que l’emploi de « Christ » est une référence implicite à Jésus – du moins si l’on suit Épiphane, qui va même jusqu’à affirmer qu’il n’est pas certain que les elkasaïtes identifient en Jésus le Christ (Panarion  XIX, 3, 4) : trait hérésiologique utilisé pour les renvoyer plutôt du côté du judaïsme que de celui du christianisme, ce que ne manque d’ailleurs pas de faire l’évêque de Salamine en classant les elkasaïtes, sous le nom d’osséens, parmi les groupes sectaires judéens, et ce qui ne l’empêche nullement d’en reparler, sous le nom de sampséens, lorsqu’il traite des groupes sectaires chrétiens. Par ailleurs, pour les elkasaïtes le Christ a transmigré de corps en corps et en dernier lieu dans celui du Christ (Elenchos  IX, 14, 1 ; X, 29, 2 ; Panarion  XXX, 3, 5 ; 53, 1, 8) 49. Ce thème de la métempsycose du Christ venu à plusieurs reprises dans le monde avec un corps différent s’apparente à celui du « Vrai Prophète » que l’on rencontre fréquemment dans la littérature pseudo-clémentine ébionite. Ils croient ainsi que le Fils, qu’ils appellent le « Grand Roi » (Elenchos  IX, 15, 1 ; Panarion  XIX, 3, 4), peut bénéficier de plusieurs incarnations et apparitions, à commencer par Adam et en terminant par Jésus. En d’autres termes, l’elkasaïsme semble considérer Jésus, qui est désigné plutôt comme le « Christ », pour le dernier de la chaîne des messies issus d’Adam. L’elkasaïsme, malgré la proclamation du Messie maintient l’observance de la Torah. De ce point de vue, sa « messianologie » diffère donc pro48.  À ce sujet, voir G.G. Stroumsa, « Le conflit de l’Ange et de l’Esprit : traditions juives et chrétiennes », dans Revue biblique 88 (1981), p. 43-44 et J. Fossum, « Jewish-Christian Christology and Jewish Mysticism », dans Vigiliae christianae 37 (1983), p. 260-287, spécialement p. 260-263. Pour une datation ancienne du Shi’our Qomah, voir C.  Mopsik , « La datation du Chi’our Qomah d’après un texte néotestamentaire », dans Revue des sciences religieuses 68 (1994), p. 131-144. 49. D’après J. Fossum, « Jewish-Christian Christology and Jewish Mysticism », dans Vigiliae christianae 37 (1983), p. 270-271, Hippolyte traduirait cette théorie en termes de philosophie grecque, s’inspirant de la doctrine pythagoricienne de la métempsycose.

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fondément de celle avancée par Paul de Tarse qui s’est proposé de ne plus prescrire une telle observance pour les païens reconnaissant le Messie Jésus – on peut par conséquent comprendre leur opposition à cet apôtre. V. Présentation d’un écrit elkasaïte : l’Apocalypse d’Elkasaï ou Révélation d’Elkasaï L’Apocalypse d’Elkasaï ou Révélation d’Elkasaï, connue aussi sous le nom de Livre d’Elkasaï est un texte postulé par nombre de critiques qui estiment pouvoir en retrouver des fragments dans des écrits chrétiens, voire manichéens. Il s’agit d’une apocalypse chrétienne d’origine judéenne, s’inspirant en partie d’apocalypses judéennes non chrétiennes, mais relevant du judaïsme sacerdotal et synagogal, plus ou moins contemporaines, comme l’Apocalypse d’Esdras (= IV Esdras), l’Apocalypse de Baruch (= II Baruch)ou l’Apocalypse d’Abraham. Toutefois, à la différence de ces dernières, l’Apocalypse d’Elkasaï apparaît comme le texte fondateur d’un mouvement religieux, tout au moins d’un mouvement ayant récupéré aussi bien des éléments issus du judaïsme et du christianisme, de même que des éléments païens. Cet ouvrage, dont on ne trouve plus trace après le iv e siècle, contient un message révélé au cours d’une vision (Elenchos  IX, 13, 2-3) à la manière des textes prophétiques et inspirés – raison selon laquelle, la tradition chrétienne l’a considéré comme « un livre tombé du ciel », du moins d’après Origène dans un passage transmis par Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique VI, 38). Généralement, on estime qu’il a été rédigé en araméen pour les raisons suivantes : (1) le nom d’Elkasaï qui est de formation araméenne ; (2) le fait de considérer l’Esprit saint comme une entité féminine ; (3) la formule ésotérique rapportée par Épiphane qui est dans cette langue. Les éditions et les traductions de ces fragments sont relativement nombreuses : elles montrent l’intérêt des savants pour ce texte qui pose d’épineux problèmes d’ordre littéraire et historique 50. On va examiner successivement les problèmes relatifs à son titre, à son contenu et à son auteur. 50.  Pour les éditions, voir notamment A. Hilgenfeld (Éd.), « Elxai libri fragmenta », dans Novum Testamentum extra canonem receptum, t. III. Hermae Pastor Graece, Leipzig, 1881, p. 220-240 ; H. Waitz , « Das Buch des Elchasai, das heilige Buch der judenchristlichen Sekte des Sobiai », dans Harnack-Ehrung. Beiträge zur Kirchengeschichte, ihrem Lehrer Adolf von Harnack zu seinem siebzigsten Geburtstag (7. Mai 1921), dargebracht von einer Reihe seiner Schüler, Leipzig, 1921, p. 87-104. Pour une traduction française, voir L.  Cirillo, « Livre de la Révélation d’Elkasaï », dans F. Bovon – P. Geoltrain (Éd.), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, 1997, p. 829-872.

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A. Les problèmes relatifs au titre Le titre que l’on donne à cet ouvrage, Apocalypse d’Elkasaï ou Révélation d’Elkasaï, n’est pas attesté dans la documentation ancienne. Il repose sur une appréciation de son contenu considéré à tort ou à raison comme relevant du genre littéraire des apocalypses ou révélations. Cependant, il est certain que le mot Elkasaï ou Elxai a figuré dans le titre de l’ouvrage (Elenchos  X, 29, 1 et Panarion  XIX, 6, 4), de même que le mot traité ou livre (Elenchos  IX, 17, 1) – raison pour laquelle nombres de critiques préfèrent le désigner tout simplement sous le nom de « Livre d’Elkasaï ».

B. Les problèmes relatifs au contenu Les critiques divergent pour savoir quels sont les fragments à attribuer à l’Apocalypse d’Elkasaï, confondant parfois les attestations sur le mouvement et les fragments de l’ouvrage 51. De toute évidence, l’Elenchos et le Panarion sont les seuls écrits à avoir conservé des fragments de l’Apocalypse d’Elkasaï, à l’exclusion de la Vita Mani souvent convoquée à ce propos ainsi que d’un passage d’Origène rapporté par Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique. Dans l’Elenchos, l’Apocalypse d’Elkasaï paraît être citée d’après l’ordre des matières de l’ouvrage. Si tel est le cas, le texte de l’Elenchos, en IX, 15, 1-16, 4, redonnerait une section entière de l’œuvre qui parle des rituels d’immersion et des conditions dans lesquels ils sont effectués – on apprend, par exemple, que les officiants elkasaïtes ne peuvent pas procéder aux lustrations les jours déclarés astrologiquement néfastes (Elenchos  IX, 16, 2-3). Les fragments conservés dans le Panarion permettent de se faire une assez bonne idée de ce qu’a été la structure littéraire de l’Apocalypse d’Elkasaï, donnant aussi des indications sur les pratiques et les croyances du mouvement. Dans la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne, cette œuvre n’est pas explicitement attestée, si ce n’est par certaines expressions comme par exemple « les eaux profondes » pour les purifications (CMC 94, 13 et Elenchos  IX, 15, 4). Observons que le dernier fragment de l’ouvrage elkasaïte fourni par l’Elenchos, qui porte sur l’exhortation à cacher aux infidèles les « mystères » ineffables du traité (Elenchos  IX, 17, 1), montre le caractère ésotérique du mouvement. Il en va de même avec la citation de l’anagramme araméenne, 51.  C’est semble-t-il notamment le cas de L.  Cirillo, « Livre de la Révélation d’Elkasaï », dans F. Bovon – P. Geoltrain (Éd.), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, 1997, p. 843-872. Le même L.  Cirillo, « Courants judéo-chrétiens », dans L.  P ietri (Éd.), Histoire du christianisme, I. Le nouveau peuple (des origines à 250), Paris, 2000, p. 317, est cependant d’un avis différent.

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précédée de l’exhortation à ne pas en rechercher le sens, fournie par le Panarion, en XIX, 4, 3. Ces deux indications suggèrent que l’Apocalypse d’Elkasaï a été peut-être un texte réservé seulement à un certain nombre d’elkasaïtes, à ceux qui en l’occurrence connaissent la formule secrète. Il convient de dire encore un mot sur le genre littéraire de cette œuvre. Habituellement, il est convenu de la ranger parmi le genre dit des « apocalypses » ou des « révélations ». Pourtant, F. Stanley Jones a proposé de la considérer plutôt comme un document relevant de la littérature liturgicocanonique chrétienne, à l’égal par exemple de la Didachè 52 . Gerard P. Luttikhuizen, quant à lui, a refusé catégoriquement l’hypothèse, préférant maintenir sa position en faveur de la littérature apocalyptique 53. De fait, voir dans cette œuvre un livre de révélation, n’empêche nullement de penser qu’elle ait pu servir aussi de « livre de rituel ».

C. Les problèmes relatifs à son auteur L’Apocalypse d’Elkasaï a été, selon tout vraisemblance, rédigée en Mésopotamie durant le règne de Trajan, sans doute au cours des longues campagnes contre les Parthes menées par cet empereur (114-117) – voire au cours de la dure occupation de cette région par les Romains (116123). L’auteur de l’Apocalypse d’Elkasaï, qui parle à la première personne, s’adresse avec autorité à ses disciples qu’il appelle « enfants » (Elenchos  IX, 15, 1 et Panarion  XIX, 3, 7). Il s’agit donc d’un responsable de communauté, se présentant comme son témoin au moment du jugement dernier (Panarion  XIX, 4, 3) – à l’égal de Jésus qui, dans l’Apocalypse de Jean, est qualifié de témoin fidèle (Ap 1, 5 et 3, 14). L’auteur est par conséquent à situer dans le mouvement elkasaïte du ii e siècle et son ouvrage doit être considéré comme le premier témoignage du christianisme en Mésopotamie, d’un christianisme certes particulier, croyant à l’astrologie, à la magie et à la divinité des éléments naturels. Il est difficile de savoir si l’auteur est réellement Elkasaï, d’autant que l’historicité de ce personnage est discutée – c’est en tout cas un prophète charismatique 54 .

D. Récapitulatif L’Apocalypse d’Elkasaï est à considérer comme l’ouvrage fondateur de la communauté elkasaïte au début du ii e siècle. Une communauté chrétienne 52.  F.S. Jones , « The Genre of the Book of Elchasai. A Primitive Church Order, Not an Apocalypse », dans A. Özen (Éd.), Historische Wahrheit und theologische Wissenschaft. Gerd Lüdermann zum 50. Geburtstag, Berne, 1996, p. 87-104. 53.  G.P. Luttikhuizen, « The Book of Elchasai : a Jewish Apocalyptic Writing, not a Christian Church Order », dans Society of Biblical Literature, 1999 Seminar Papers, Atlanta/Georgie, 1999, p. 405-425. 54.  Pour plus de précisions, voir plus haut les remarques relatives à la genèse du mouvement et le rôle de l’Apocalypse d ’Elkasaï en la matière.

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d’origine judéenne attestée dans l’empire iranien mais aussi dans l’empire romain dont les origines sont incertaines, pour ne pas dire inconnues, tant par rapport au judaïsme sacerdotal et synagogal qu’au judaïsme chrétien mais dont les caractéristiques sont essentiellement mystiques à l’eschatologie imminente. Les débats sur l’Apocalypse d’Elkasaï, qui ont suivi la publication de l’ouvrage de Gerard P.  Luttikhuizen 55, auxquels F.  Stanley Jones 56 et Luigi Cirillo 57 ont participé, paraissent aujourd’hui dépassés, surtout après la mise au jour d’un judaïsme bien moins monolithique que pensé auparavant 58. Un groupe aussi disparate que syncrétiste que celui des elkasaïtes peut très bien avoir émergé d’un judaïsme sacerdotal et synagogal aux structures et aux doctrines relativement souples, mais pas, bien évidemment, d’un judaïsme rabbinique, sensiblement plus rigide. Reste à savoir s’il s’agit d’un traité canonico-liturgique comme l’estime F. Stanley Jones 59 ou d’une apocalypse comme l’a proposé Hans Waitz 60 et après lui Gerard P. Luttikhuizen, mais avec une orientation différente contextualisant l’ouvrage dans un contexte strictement judéen et non dans un contexte chrétien d’origine judéenne. Sans entrer dans cette discussion, il est à craindre que ce texte soit une apocalypse relevant plus de la catégorie mystique que de la catégorie canonico-liturgique. D’autant que le groupe des elkasaïtes présente des caractéristiques plus prophétiques dont l’établissement dans le temps est annoncé comme des plus provisoires et surtout si l’on considère ce texte, malheu55.  G.P.  Luttikhuizen, The Revelation of Elchasai. Investigations into the Evidence for a Mesopotamian Jewish Apocalypse of the Second Century and Its Reception by Judeo-Christian Propagandists, Tübingen, 1985. 56.  F.S.  Jones , « Review of the Revelation of Elchasai by Gerard P. Luttikhuizen », dans Jahrbuch für Antike und Christentum 30 (1987), p. 200-209 (= Pseudoclementina Elchasaiticaque Inter Judaeochristiana. Collected Studies, Louvain, 2012, p. 417-431). 57.  L. Cirillo, « Elchasai e la sua ‘rivelazione’ », dans Rivista di storia e letteratura religiosa 24 (1988), p. 311-330. 58.  Voir la réponse à ses contradicteurs de G.P.  Luttikhuizen, « The Book of Elchasai : A Jewish Apocalypse », dans Aula Orientalis 5 1(1987), p. 101-106. Voir aussi G.P.  Luttikhuizen, « The Book of Elchasai : a Jewish Apocalyptic Writing, not a Christian Church Order », dans Society of Biblical Literature, 1999 Seminar Papers, Atlanta/Georgie, 1999, p. 405-425. 59.  F.S.  Jones , « The Genre of the Book of Elchasai. A Primitive Church Order, Not an Apocalypse », dans A. Özen (Éd.), Historische Wahrheit und theologische Wissenschaft : Gerd Lüdemann zum 50. Geburtstag, Francfort-sur-Main, 1996, p. 87-104 (= Pseudoclementina Elchasaiticaque Inter Judaeochristiana. Collected Studies, Louvain, 2012, p. 398-416). 60.  H. Waitz , « Das Buch des Elkasai, das heilige Buch der judenchristlichen Sekte der Sobiai », dans Harnack Ehrung : Beiträge zur Kirchengeschichte, ihrem Lehrer Adolf von Harnack zu seinem siebzigsten Geburtstag (7. Mai 1921) dargebracht von einer Reihe seiner Schüler, Leipzig, 1921, p. 87-104.

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reusement conservé de manière trop fragmentaire, comme fondateur d’un mouvement eschatologique. D’ailleurs, dans un article de F. Stanley Jones, il est montré que les instructions rapportées dans le Livre d’Elkasaï ont une saveur apocalyptique bien marquée, au même titre d’ailleurs que Bardesane et Mani dont les pensées relèvent aussi de cette orientation 61. Quoi qu’il en soit, voir dans cette œuvre un ouvrage de révélations n’empêche nullement de penser qu’il ait pu servir aussi de « livre de rituel » aux pratiques théurgiques, peu éloignées de la magie, comme c’est souvent le cas dans certains cercles mystiques – on connaît celui du Shi’our Qomah chez les Judéens non chrétiens 62 et ceux de l’Évangile selon Pierre, des Périples de Pierre (les Περίοδοι Πέτρου, chers à F. Stanley Jones) et du Pasteur d’Hermas chez les Judéens chrétiens, des œuvres aux caractéristiques mystiques bien marquées qui pourraient être aussi du ii e siècle – notamment en ce qui concerne la filiation du messie aux caractéristiques angéliques plus célestes que terrestres, plus merveilleuses que réelles surtout quant à ses dimensions surnaturelles 63. Plus important, F. Stanley Jones est l’auteur d’une reconstruction de l’Apocalypse d’Elkasaï à partir essentiellement des fragments conservés par Hippolyte, Origène et Épiphane, mais sans ignorer pour autant l’apport de la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne et de la littérature pseudoclémentine ainsi que du Fihrist d’Ibn an-Nadim  6 4 . Cette reconstruction, qui n’est pas la première, est cependant la seule méritant réellement ce nom, les précédentes n’étant que des recueils, incomplets d’ailleurs, de sources sur les elkasaïtes en général 65. L’ordre des fragments qui est proposé dans cette reconstruction est des plus remarquables, et aussi convaincante. 61.  F.S.  Jones , «  The Astrological Trajectory in Ancient Syriac-Speaking Christianity (Elkasai, Bardaisan, and Mani) », dans L.  Cirillo – A.  van Tongerloo (É d.), Atti del terzo congresso internazionale di studi « Manicheismo e Oriente cristiano antico ». Arcavacata di Rende – Amantea, 31 agosto-5 settembre 1993, Louvain-Naples, 1997, p. 183-200 (= Pseudoclementina Elchasaiticaque Inter Judaeochristiana. Collected Studies, Louvain, 2012, p. 432-449). 62. Voir C. Mopsik , « La datation du Chi’our Qomah d’après un texte néotestamentaire », dans Revue de sciences religieuses 68 (1994), p. 131-144. 63.  À ce sujet, voir notamment F.S.  Jones , « La filación en algunas tradiciones judeocristianas primitivas », dans J.J. Ayán Calvo – P.  de Navascués Benlloch – M. A roztegui E snaola (Éd.), Filación : cultura pagana, religión de Israel, orígines del cristianismo, II. Actas de las III y IV jornadas de estudios « La filiación en los inicios de la reflexión cristiana », Madrid, 2007, p. 283-303 (= « Sonship in Some Early Jewish Christian Traditions », dans Pseudoclementina Elchasaiticaque Inter Judaeochristiana. Collected Studies, Louvain, 2012, p. 467-490). 64.  F.S.  Jones , « The Book of Elchasai in Its Relevance for Manichaean Institutions with a Supplement : The Book of Elchasai Reconstructed and Translated », dans Aram 16 (2004), p. 179-215 (= Pseudoclementina Elchasaiticaque Inter Judaeochristiana. Collected Studies, Louvain, 2012, p. 359-397). 65. Voir par exemple L.  Cirillo, « Livre de la Révélation d’Elkasaï », dans F. Bovon – P. Geoltrain (Éd.), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, 1997, p. 852-864.

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Une réserve cependant : il n’est pas certain que différents transmetteurs de l’Apocalypse d’Elkasaï rapportent tous la même version, laquelle a pu évoluer entre le ii e et le iv e siècle. C’est pourquoi, il conviendrait de relativiser cette reconstruction comme d’ailleurs tout exercice de ce genre, en n’omettant pas de replacer chaque fragment dans son contexte et son intertextualité en tant que citation. Pour F. Stanley Jones, l’Apocalypse d’Elkasaï date des années 116-117 et est l’œuvre d’un chrétien de langue araméenne qui affirme être en possession d’un « pouvoir caché » ou d’une « force cachée ». On peut préciser qu’il s’agit d’un chrétien d’origine judéenne de tendance mystique qui écrit à une époque troublée par la guerre romano-parthe déclenchée par Trajan et qui a conduit à l’invasion de presque toute la Mésopotamie, suscitant la révolte des Judéens et des autres populations de cette région suivie de répressions et de persécutions. Le fait qu’on ne retrouve pas l’Apocalypse d’Elkasaï parmi les ouvrages manichéens, alors même que Mani a été sans doute un elkasaïte avant de devenir le fondateur d’une nouvelle religiosité, ne doit pas retenir outre mesure l’attention, encore moins surprendre. On en sait tellement peu sur ce mouvement elkasaïte que toute explication ne peut être que partielle, d’autant que le manichéisme a été ensuite très anti-elkasaïte ou anti-baptiste en général, surtout afin de se distinguer de ses origines réelles dont les relevances ont été ethniquement judéenne et religieusement chrétienne 66. Il est intéressant de relever, comme le fait F. Stanley Jones, que l’Apocalypse d’Elkasaï a pu être une des sources de la littérature pseudo-clémentine, et notamment de la Diamarturia ou Contestatio, même si les points de contact paraissent faibles et peuvent s’expliquer par un fonds commun que partagent bien des chrétiens d’origine judéenne dont les tendances mystiques et ésotériques doivent être encore une fois soulignées 67. VI. Conclusion Il est bien évident que chaque chercheur a la fâcheuse habitude de magnifier, d’amplifier, voire d’idéaliser, d’une certaine manière, son projet ou sujet de recherche. Il faut bien reconnaître qu’il est difficile, pour ne pas dire plus, d’échapper à cette tentation. Il n’est d’ailleurs pas absolu66. Voir S.C.  M imouni, « Les origines ethnico-religieuses de Mani ? », dans M.A. A mir-Moezzi – J.-D. Dubois – C.  Jullien – F.  Jullien (Éd.), Pensée grecque et sagesse d ’Orient. Hommage à Michel Tardieu, Turnhout, 2009, p. 399-410 (voir ici chapitre VIII). 67.  F.S.  Jones , « The Pseudo-Clementine », dans M.  Jackson-McCabe (Éd.), Jewish Christianity Reconsidered, Minneapolis/Minnesota, 2007, p. 285-304 et p. 329-332 (= Pseudoclementina Elchasaiticaque Inter Judaeochristiana. Collected Studies, Louvain, 2012, p. 491-509).

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ment nécessaire d’y échapper car, cette fâcheuse habitude, à condition de s’en rendre compte et donc de la relativiser, constitue une petite part, si ce n’est une grande part, de la motivation du chercheur. Au terme de ce parcours, on doit se demander ce qu’est devenu, après le iv e siècle, le mouvement elkasaïte. On en trouve des traces très éparses ici et là dans la documentation postérieure à cette époque : toutes reposent sur la tradition littéraire, à l’exception peut-être de la dernière, qui est celle fournie par Ibn an-Nadim, au x e siècle, et qui semble attester la présence d’elkasaïtes dans les marais du bas-pays mésopotamien, en Mésène, sous le nom de mughtasila, que l’auteur musulman aurait connus. Même si on laisse de côté, son éventuelle influence sur l’islam dont il a déjà été question, pour l’historien des religions, l’elkasaïsme est un mouvement religieux relativement important, à cela au moins deux causes ou raisons majeures : (1) il est à la fois le produit du judaïsme sacerdotal et synagogal ainsi que du judaïsme nazoréen, sans oublier les mouvements baptistes qui ont tant influencé ses rituels d’eau ; (2) il a donné naissance, en milieu de parcours, au manichéisme d’une part et, en fin de parcours, au mandéisme d’autre part. Pour le manichéisme, il s’agit maintenant d’une évidence qui ne semble plus susciter de problèmes majeurs. Pour le mandéisme, en revanche, il n’en est pas de même, il s’agit toujours d’une hypothèse : on peut se demander, en effet, si l’elkasaïsme ne se trouverait pas à l’origine du mandéisme qu’il convient toutefois de distinguer du sabéisme 68 – autrement dit : on doit se demander si le mandéisme ne serait pas un développement de l’elkasaïsme 69. Enfin, relevons que les spécialistes du christianisme dans l’empire iranien ont tendance à dire que l’absence de documents empêche de retracer avec exactitude l’histoire de sa pénétration dans cette région du monde 70. Ils acceptent de faire remonter cette pénétration aux dernières années de la dynastie parthe des Arsacides, qui a régné cinq siècles avant d’être chassée du pouvoir, en 226, par la dynastie perse des Sassanides. Ils considèrent cependant que la christianisation de l’empire iranien pourrait remonter à la fin du ii e siècle : en se fondant sur la tradition de l’Église perse, ils estiment, en effet, que les premiers « missionnaires » sont venus d’Édesse, en Osroène, où le christianisme est déjà bien implanté, devenant même 68.  À ce sujet, voir M. Tardieu, « Sabiens coraniques et ‘Sabiens’ de Ḥarran », dans Journal asiatique 274 (1986), p. 1-44. Voir aussi F. de Blois , « The ‘Sabians’ (sabi’un) in Pre-Islamic Arabia », dans Acta Orientalia 56 (1995), p. 39-61 Voir encore C. Genequand, « Idôlatrie, astrolâtrie et sabéisme », dans Studia Islamica 89 (1999), p. 109-128. 69.  Voir déjà E. R enan, « Note sur l’identité de la secte gnostique des Elchasaïtes avec les Mendaïtes ou Sabiens », dans Journal asiatique 6 (1855), p. 292-294. 70. Voir en dernier lieu R.  L e Coz , Histoire de l ’Église d ’Orient. Chrétiens d ’Irak, d ’Iran et de Turquie, Paris, 1995, p. 21.

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« religion » d’état, dès le début du iii e siècle, sous le roi Abgar IX (179214). Il y a là une sorte de contradiction, provoquée sans doute par l’absence totale de documents attestant de la présence de communautés chrétiennes dans l’empire iranien avant la moitié du iii e siècle, en dehors évidemment des données de la tradition qui tente d’établir un lien entre le début du iv e siècle et « les origines », en faisant remonter la christianisation du pays à l’apôtre Thomas qui se serait arrêté à Séleucie-Ctésiphon au cours de son voyage en Inde, ou encore son disciple Addaï, lui même secondé par deux compagnons, Aggaï et Mari – il convient en l’occurrence de préciser que si la tradition attribue à Thomas ou Addaï la fondation du siège patriarcal de Séleucie, sans doute est-ce dans le but de prouver que cette Église est bien, elle aussi, de fondation apostolique, à l’égal d’Antioche. Ce faisant, ils omettent les elkasaïtes, qui sont attestés dans l’empire iranien dès le début du ii e siècle, et dont les communautés semblent relativement nombreuses et florissantes au iii e siècle, du moins si l’on accorde crédit aux informations en provenance de la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne. Il semble bien, en effet, que l’elkasaïsme ait été la première forme connue du christianisme dans l’empire iranien 71. V.2 . R a pport

e n t r e l’ e l k a sa ï sm e et l e m a n ich é i sm e

Il existe un rapport direct entre l’elkasaïsme et le manichéisme, d’autant que ce dernier est sans aucun doute issu du premier. En effet, Mani, le fondateur du manichéisme, est originaire d’une communauté elkasaïte, de même que ses premiers disciples. C’est la thèse qui est développée ici et qui s’impose d’autant plus depuis la découverte de la Vita Mani du CMC 72 . Le nom d’Elkasaï est mentionné dans la littérature manichéenne de langue copte et de langue parthe, notamment dans des listes prophétiques dites « chaîne des prophètes ». Il paraît difficile de considérer que sa présence dans ces listes relève uniquement de la volonté de légitimer le caractère prophétique de Mani, comme cela est le cas pour Zoroastre, le Bouddha ou le Christ 73. L’impact de la figure d’Elkasaï est en effet 71.  Allant dans le même sens, voir C.  Jullien – F.  Jullien, Apôtres des confins. Processus missionnaires chrétiens dans l ’Empire iranien, Paris, 2002, p. 137-151. 72.  Voir plus haut, Chapitre IV. 73. À ce sujet, voir M. Tardieu, « La chaîne des prophètes », dans Cahiers d ’A sie centrale 1-2 (1996), p. 357-366 ; M. Tardieu, « Mani et le manichéisme. Le dernier prophète », dans Encyclopédie des religions, I, Paris, 1997, p. 225-230 ; J.-D. Dubois , « Mani, le prophète de l’humanité entière », dans J.-C. Attias – P. Gisel – L. K aennel (Éd.), Messianismes. Variations sur une figure juive, Genève, 2000, p. 195-212 ; J.-D. Dubois , « La figure du prophète dans la religion manichéenne », dans M.A. A mir-Moezzi – M. De Cillis – D. De Smet – O. M ir-K asimov (É d.), L’ésotérisme shi’ite, ses racines et ses prolongements / Shi’i Esoterism, Its

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trop faible pour la considérer au même rang que celles de Zoroastre, du Bouddha ou du Christ. Si le nom d’Elkasaï est repris dans ces listes, c’est sans doute à cause de l’origine du manichéisme qui en est issu. Ce rapport repose sur l’identification que l’on propose à titre d’hypothèse, jusqu’à preuve du contraire, entre les baptistes et les elkasaïtes. On va se demander maintenant quels sont les éléments que l’historien de l’elkasaïsme peut tirer de ce document manichéen qu’est la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne ? La Vita Mani est certes un document manichéen, mais qui fournit pourtant des informations sur l’elkasaïsme. Cependant, il ne faut jamais oublier que ces informations sont marquées d’une empreinte manichéenne certaine, qu’il ne sera que très difficile de dépasser, voire impossible dans certains cas. D’un point de vue sociologique, les extraits de la Vita Mani pris en compte fournissent des renseignements sur le mode de vie des communautés elkasaïtes en Babylonie. Leur importance est à souligner, car on dispose de fort peu d’informations sur le mode de vie des elkasaïtes de l’empire romain et ce même si Épiphane de Salamine, dans son Panarion, signale des communautés elkasaïtes (osséennes ou sampséennes, pour employer sa terminologie) qui vivent dans la vallée du Jourdain (en Transjordanie), mais sans plus de précisions quant à leur mode de vie. Ce mode de vie, apparemment communautaire, est centré sur la campagne, plus précisément sur l’oasis. D’ailleurs, Mani, lorsqu’il quitte sa communauté, va à la ville, notamment à Ctésiphon, l’une des capitales de l’empire iranien. Ainsi, ce mode de vie repose sur le travail agricole, sur un certain nombre d’interdits alimentaires, et donc sur le contrôle et l’autonomie alimentaires. D’ailleurs, Mani, lorsqu’il quitte sa communauté, interdit, pour les Élus, le travail agricole, ce qui implique leur dépendance alimentaire. Dans le manichéisme, sur le plan alimentaire, les Élus, peu nombreux, dépendent des Auditeurs, plus nombreux, ce qui suppose la mission des Élus auprès des Auditeurs. En effet, sans Auditeurs, les Élus ne peuvent pas subsister. Tout le développement du manichéisme dépend de ce système qui lui a valu à la fois son succès et son échec. Il est à noter que le mode de vie des communautés elkasaïtes se retrouvera tel quel, bien plus tard, dans les communautés mandéennes du nord ou du sud de l’Irak et de l’Iran islamiques. Ceci étant, la dispute de Pharat entre Mani et les elkasaïtes (CMC 140, 8-143, 18) montre qu’il existe également des communautés elkasaïtes en milieu urbain. Roots and Developments, Turnhout, 2016, p. 113-125. Voir aussi S.C. M imouni, « Origines et influences de la prophétologie manichéenne : quelques remarques et réflexions » (à paraître).

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Il serait intéressant d’étudier le mode de vie de cette communauté elkasaïte de Mésène au regard du peu que l’on sait des communautés rurales judéennes de Babylonie, en abordant bien-entendu l’épineux dossier des `amei ha-aretz qu’on ne peut ici que signaler 74 . L’aspect communautaire de l’elkasaïsme n’est finalement documenté que par la Vita Mani. Une certaine terminologie de cet écrit renseigne sur les concepts idéologiques de la vie communautaire : il s’agit notamment des mots μόνος (CMC 78,  19), μονήρης (CMC 31,  1 ; 31,  19 ; 44,  7 et 102,  10) et μονογενής (CMC 104,  9), appliqués à Mani – on peut traduire ces termes par « le seul » pour le premier, par « le solitaire » pour le deuxième et par « l’unique » pour le dernier. Cette terminologie, dans le contexte, appartient, certes, au domaine manichéen, mais nul doute, étant donné tout ce que l’on sait sur la communauté d’origine de Mani, qu’elle provienne du domaine elkasaïte 75. Le concept de la solitude est à l’origine des premières communautés chrétiennes monastiques. Il renvoie à la terminologie syrienne signifiant l’ascétisme dans une forme encratite et exprimée par le terme syriaque ihidaya. La vie communautaire, ainsi que le travail agricole, sont évidemment suscités par le souci de la pureté rituelle : on peut difficilement éviter le rapprochement avec ce que rapporte Philon d’Alexandrie au sujet des esséniens (Quod omnis probus liber sit 76). Cet aspect de l’elkasaïsme fournit un maillon essentiel sur l’origine de l’ascétisme et du monachisme chrétiens dans l’empire iranien 76. Dans un article éclairant, Fabrizio Vecoli a posé la question du rapport en Égypte entre le manichéisme et le monachisme chrétien, en se fondant notamment sur le CMC qui a été retrouvé précisément dans ce pays 77. Il va de soi qu’un tel rapport est fondé et ne saurait être ignoré, mais il s’agit 74.  Au sujet des `amei ha-aretz dans l’empire romain, voir A. Oppenheimer , The `Am ha-Aretz. A  Study in the Social History of the Jewish People in the HellenisticRoman Period, Leyde, 1977. Voir aussi D.  Jaffé , « Les ‘amei-ha-ares durant le ii e et le iii e siècle. État des sources et des recherches », dans Revue des études juives 161 (2002), p. 1-40. 75.  À ce sujet, voir A. H enrichs , « Mani and the Babylonian Baptists : A Historical Confrontation », dans Harvard Studies in Classical Philology 77 (1973), p. 36-39. 76.  À ce sujet, voir A. Vööbus , History of Ascetism in the Syrian Orient, I. The Origin of Ascetism ; Early Monasticism in Persia, Louvain, 1958 (CSCO 184). Dans une tout autre perspective, quant au temps (le iv e siècle) et à l’espace (la Syrie romaine), voir A. Guillaumont, « Monachisme et éthique judéo-chrétienne », dans Recherches en science religieuse 60 (1972), p. 199-218. 77.  F. Vecoli, «  Communautés religieuses dans l’Égypte du iv e  siècle : manichéens et cénobites », dans Historia Religionum 3  (2011), p. 23-46.

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de la réception de la Vita Mani en Égypte et non pas de sa composition en Babylonie. Il est certain que les Élus manichéens ont mené une existence apparemment semblable à celle des moines chrétiens : c’est d’ailleurs pourquoi, notamment dans l’empire romain, les premiers se sont cachés parmi les seconds durant les périodes de persécution 78. Dans la Vita Mani, il convient de souligner qu’il n’est jamais question de la continence sexuelle et donc du mariage. Pourtant, on sait que le manichéisme impose la continence sexuelle et par conséquent l’interdiction du mariage aux Élus. Il a dû en être de même dans la communauté elkasaïte de laquelle relève Mani. On peut donc facilement expliquer cette absence : la continence sexuelle et l’interdiction du mariage n’étant pas une source de conflit entre manichéens et elkasaïtes, il n’en est pas question dans la Vita Mani. Pourtant, à en croire les auteurs de l’Elenchos et du Panarion, unanimes sur ce point, Elkasaï recommande le mariage et interdit la continence sexuelle. Il y a donc contradiction entre les sources chrétiennes et la Vita Mani. Il s’agit là d’une difficulté supplémentaire qui pourrait s’expliquer si l’on considérait que la Vita Mani a été destinée uniquement à des manichéens : quoi qu’il en soit, il est délicat de chercher à tirer parti de cet élément a silentio. Il convient encore de remarquer que dans les extraits de la Vita Mani portant sur les elkasaïtes, pourtant relativement riches en ce qui concerne les interdits alimentaires, la question de la viande n’est jamais abordée. Or l’on sait par le Panarion d’Épiphane que les elkasaïtes sont végétariens. On peut facilement expliquer cette absence en tenant compte de deux éléments : (1) les manichéens comme les elkasaïtes sont végétariens ; (2) la Vita Mani est destinée aux manichéens, peut-être d’origine elkasaïte ; (3) la question de la viande ne faisant pas l’objet d’une polémique entre les uns et les autres, elle n’est donc pas abordée par le ou les rédacteurs de l’œuvre. Outre tous ces éléments, il est temps de rassembler les informations réelles fournies par la Vita Mani sur les elkasaïtes. Cet écrit fournit des renseignements importants sur l’existence d’une communauté elkasaïte, au iii e siècle, plus précisément vers 240, en Mésène dans le sud de la Babylonie. On est également informé que cette communauté est dirigée par un nommé Sitaios ou Sitan, un Ancien du Sanhédrin elkasaïte. On peut présumer que ce Sanhédrin elkasaïte a dû fonctionner comme son 78. À ce sujet, voir G.G. Stroumsa, « Monachisme et marranisme chez les manichéens d’Égypte », dans Numen 2  (1982), p. 184-201.

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homologue rabbinique, mais il est difficile d’être plus précis à ce sujet. Outre Sitaios, on apprend le nom de deux autres maîtres elkasaïtes : Sabbaios le Baptiste et Aianos le Baptiste. Les elkasaïtes respectent la Loi : ils vivent selon la Loi (CMC 7, 34) et plus précisément selon la Loi des Pères (CMC 91, 6-9). Ils observent le sabbat, selon l’expression ἀνάπαυσις τῶν χειρῶν (= repos des mains) (CMC 102, 12-16). Ils pratiquent les ablutions rituelles de façon régulière, sous forme du baptême d’eau, tous les jours (CMC 82, 23-83, 13). Ils purifient leurs aliments, et suivent des règles alimentaires excluant certains légumes et certains fruits et ils ne mangent pas le pain de froment : notons que la purification des aliments et l’interdiction de consommer du pain de froment se retrouvent sous des formes atténuées ou différentes dans le mandéisme. Rappelons encore qu’ils cultivent la terre et qu’ils consomment les produits de leur travail agricole. Point important, les elkasaïtes de la Vita Mani croient en la résurrection du corps qu’ils conçoivent comme un ἀνάπαυσις τοῦ ἐνδύματος (= repos du corps) (CMC 87, 5-6). Il s’agit d’une eschatologie très liée à l’apocalyptique : une croyance partagée avec le judaïsme de type pharisien, puis de type rabbinique 79. L’idée est la suivante : l’âme, source de vie, quitte le corps qui repose alors jusqu’à la résurrection de par la parousie du messie venu ou à venir. En CMC 94, 1-99, 9, les seules informations dignes de foi sont les noms propres, à savoir Elkasaï, Sabbaios et Aianos. Il n’est évidemment pas possible de mettre en doute le caractère elkasaïte de ces personnages. D’autre part, de ce long extrait transmis par Zachéas, on ne peut conserver apparemment que la qualification ἀνὴρ δίκαιος (= un homme observant) pour Elkasaï et l’expression φωνὴ τοῦ ὕδατος (= la voix de l’eau), que l’on retrouve aussi dans le Livre d’Elkasaï, du moins si l’on en croit les auteurs de l’Elenchos (en IX, 13, 1) et du Panarion (en XIX, 3, 7). Mais il est évident que le fond de cet extrait utilise des matériaux elkasaïtes. Certains terminus technicus, comme la πορνεία (= la fornication) ou l’ἀκαθαρσία (= la souillure), que l’on trouve également dans l’Elenchos (en IX, 15, 1, pour la fornication et en IX, 13, 4, pour la souillure), permettent de soutenir une telle hypothèse. Ces éléments sont, bien-entendu, très insuffisants pour remonter aux matériaux elkasaïtes. On devrait rajouter également à cette liste, la μιαρότης (= l’impureté), que l’on retrouve aussi dans d’autres passages de la Vita Mani (81, 4 et 81, 13), qui ont plus de chances d’avoir été moins manipulés par la tradition manichéenne, et de représenter plus franchement la tradition elkasaïte. 79. À ce sujet, voir J. Daniélou, Théologie du judéo-christianisme, Tournai, 19581, p. 342-349, 19912 , p. 380-387.

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CHAPITRE V

On va maintenant revenir sur la terminologie de la purification et sur celle de la hiérarchie. La problématique examinée ici est fonction du groupe baptiste des elkasaïtes et non du manichéisme. Au sujet de la terminologie du pur et de l ’impur dans la Vita Mani Il y a dans la Vita Mani, une terminologie très riche se rapportant au phénomène du pur et à l’impur 80. Pour la pureté, on trouve les termes καθαρότης (= pureté), κάθαρσις (= pureté), ἀγνεία (= pureté ou purification), καθαρός (= pur). Pour l’impureté, on rencontre les termes μιαρός (= impur), μιαρότης (= impureté), μυσαρότης (= souillure), ἀκαθαρσία (= souillure), πορνεία (= fornication). La question qui se pose est la suivante : ces termes, qu’il y a partout mentionnés tant dans le monde grec que dans le monde judéen, ont-ils été empruntés à l’elkasaïsme ou sont-ils des créations manichéennes appliquées à un contexte elkasaïte ? Quoi qu’il soit difficile de répondre à cette question de manière tranchée, il est possible que la terminologie de la purification dans la Vita Mani soit d’origine elkasaïte, laquelle provient alors du monde judéen. Le pur et de l’impur sont importants dans le monde antique, car ils tracent des frontières entre les groupes culturels et religieux. Ils doivent par conséquent retenir l’attention comme indicateurs. Au sujet de la terminologie de la hiérarchie dans la Vita Mani Il y a dans la Vita Mani une terminologique non négligeable se rapportant à la hiérarchie : ἀρχηγός (= chef), οἰκοδεσπότης (= maître de maison) et πρεσβύτερος (=  ancien). Dans le contexte où on trouve ces termes, ils paraissent relever de la hiérarchie elkasaïte. Or ils se rencontrent aussi dans la hiérarchie manichéenne, du moins pour deux d’entre eux : ἀρχηγός et πρεσβύτερος – ce sont ceux sur lesquels on va se pencher, pour le troisième voir plus haut. La question qui se pose est toujours la suivante : ces titres ont-ils été empruntés à l’elkasaïsme ou sont-ils des créations manichéennes appliquées à un contexte elkasaïte ? 80. Voir L.J.R. Ort, « Guilt and Purification in Manichaeism », dans Guilt or Pollution and Rites of Purification, Leyde, 1968, p. 73-74. Voir aussi G.G. Stroumsa, « Purification and Its Discontents : Mani’s Rejection of Baptism », dans J. A ssmann – G.G. Stroumsa (Éd.), Transformation of Inner Self in Ancient Religions, LeydeBoston-Cologne, 1999, p. 405-420 (= Barbarian Philosophy. The Religious Revolution of Early Christianity, Tübingen, 1999, p. 268-281 = J.A. North – S.R.F. P rice (Éd.), The Religious History of the Roman Empire. Pagans, Jews, and Christians, Oxford, 2011, p. 460-478). Voir encore F. Garcia M artinez , « Les limites de la communauté : pureté et impureté à Qumrân et dans le Nouveau Testament », dans Text and Testimony. Essays on New Testament and apocryphal Literature in Honour of A.F.J. Klijn, Kampen, 1988, p. 110-122.

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On sait que les manichéens ont employé deux termes hiérarchiques venant du christianisme : il s’agit de διδάσκαλος et de ἐπίσκοπος. On pense savoir que les termes ἀρχηγός et πρεσβύτερος sont des calques de termes hébreux attestés dans des documents dits « qumrâniens » ou « esséniens » – du moins si l’on accepte certaines des hypothèses de John C. Reeves 81. On peut donc considérer, avec plus ou moins de certitude, que les termes ἀρχηγός et πρεσβύτερος remontent à la terminologie utilisée dans le mouvement elkasaïte puisqu’ils sont attestés dans le judaïsme 82 . On devrait encore comparer la liste hiérarchique de l’Église manichéenne produite par Augustin dans son Sur les hérésies 46 (PL 42, col. 38) avec les titres hiérarchiques figurant dans la Vita Mani – liste à laquelle, il faudrait ajouter διδάσκαλος. En CMC 45, 1-72, 8, il est question des « illustres » Pères qui ont précédé Mani dans son apostolat. Cette liste, transmise par Baraïes, commence par Adam et se termine évidemment par Mani. On y cite encore Seth, Énosh, Sem, Hénoch et Paul. Le traditionniste attribue à Adam (CMC 48, 16-50, 7), Seth (CMC 50, 8-52, 7), Énosh (CMC 52, 8-55, 9), Sem (CMC 55, 10-58, 5) et Hénoch (CMC 58, 6-60, 7) des écrits qu’il désigne comme des « apocalypses ». Un argument de plus pour considérer le manichéisme comme un des nombreux développements (ou avatars) du mouvement de pensée apocalyptisant et prophétisant issu du judaïsme et du christianisme, voire du judaïsme chrétien 83. Un certain nombre de ces textes, notamment les apocalypses, ont dû faire partie du corpus reconnu par les elkasaïtes. Les textes correspondants aux noms de Seth, Énosh et Sem, ne sont pas attestés par ailleurs. C’était certainement le cas par exemple pour l’Apocalypse d’Hénoch, d’où seraient issus les fragments du Livre des Géants retrouvé à Qumrân et ceux du Livre des Géants retrouvé au Tourfan 84 . À n’en pas douter, les autres 81.  J.C. R eeves , « The ‘Elchasaite’ Sanhedrin of the Cologne Mani Codex in Light of the Second Temple Jewish Sectarian Sources », dans Journal of Jewish Studies 42 (1991), p. 68-91. 82.  À ce sujet, voir C. Römer , « Die manichäische Kirchenorganisation nach dem Kölner Mani-Kodex », dans W. Wienner – H.J. K limkeit (Éd.), Studia Manichaica, Wiesbaden, 1992, p. 181-188. 83. Voir M.  Frenschkowki, « Sukzession der Propheten in Judentum, Judenchristentum, Alter Kirche und frühen Islam. Beobachtungen zur Kontinuität der Prophetologie », dans A.-B. R enger – M. Witte (Éd.), Sukzession in Religionen. Autorisierung, Legitimierung, Wissenstransfer, Berlin-Boston, 2017, p. 251-317. 84. Voir J.T. M ilik , « Turfan et Qumrân : Livres des Géants juif et manichéen », dans G.  Jeremias – H.-W. Kuhn – H. Stegemann (Éd.), Tradition und Glaube : Das frühe Christentum in seiner Umwelt, Göttingen, 1971, p. 117-127.

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CHAPITRE V

titres désignent aussi des écrits précis connus de l’auteur du traditionniste – apparemment aujourd’hui perdus. On a proposé que des idées hénochiennes auraient été adoptées et adaptées par Mani dans ses travaux, notamment celles figurant dans le Livre I d’Hénoch 85. Le mythe manichéen est alors rapproché du mythe hénochien qui aurait exercé une certaine influence 86. L’hypothèse est intéressante, d’autant qu’elle permettrait d’expliquer la présence de matériaux hénochiens (notamment le Livre des Géants, mais aussi le Livre des Mystères) parmi les œuvres manichéennes, et aussi la distinction entre les justes et les mauvais auxquels sont attribués différentes places fantasmagoriques dans l’univers. Pour Paul (CMC 60, 13-62, 9), il est question deux fois de l’Épître aux Galates et une fois de la Deuxième Épître aux Corinthiens 87. Toujours en ce qui concerne Paul, l’origine des paroles citées se trouve bien dans les écrits portant ces titres. On a l’impression que les elkasaïtes, tels qu’ils apparaissent à partir des éléments d’information fournis par la Vita Mani se situent, d’une certaine manière, entre d’une part, les esséniens en aval et d’autre part, les mandéens en amont. Peut-être, est-ce seulement parce que les uns et les autres ont fait partie de ce grand mouvement baptiste auquel Joseph Thomas, en 1935, a consacré son beau livre ? Pour l’instant, au risque de s’égarer, il est préférable de laisser une telle question ouverte.

85. Voir P.M. Venter , « Mani (216-276 CE) and Ethiopian Enoch », dans HTS Teologiese Studies/Theological Studies 70 (2014) (http://dx.doi.org/10.4102/hts. v70i3.2095). Voir aussi J.C. R eeves , « Jewish Pseudepigrapha in Manichaean Literature : The Influence of the Enochic Library », dans J.C. R eeves (Éd.), Tracing the Threads. Studies in the Vitality of Jewish Pseudepigrapha, Atlanta/Georgie, 1994, p. 173-203. Voir encore J.C. R eeves , « Exploring the Afterlife of Jewish Pseudepigrapha in Medieval Near Eastern Religious Traditions : Some Initial Soundings », dans Journal for the Study of Judaism 30 (1999), p. 148-177. 86.  À ce sujet, voir M. H euser – H.J. K limkeit, Studies in Manichaean Literature and Art, Leyde, 1998. 87. Voir H.D. Betz , « Paul in the Mani Biography (Codex Manichaicus Coloniensis) », dans L. Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 215234.

Chapitre VI

L E MANDÉISME ET L’ELKASAÏSME Avant d’étudier le rapport entre l’elkasaïsme et le mandéisme, il convient de donner une introduction au mandéisme qui est actuellement, en dehors des spécialistes, assez rares d’ailleurs, une religiosité assez peu ou mal connue 1. VI.1. L e

m a n dé i sm e

Le mandéisme est un mouvement ethnico-religieux dont les caractéristiques principales sont baptistes et mystiques 2 . Il s’agit d’une « religion » toujours pratiquée à l’heure actuelle par de petites communautés résidant surtout dans le sud de l’Irak et de l’Iran, sur les bords de l’Euphrate et du Tigre (dans la région des marais), mais aussi apparemment dans le nord de ces deux pays. On estime qu’il existe aujourd’hui entre 50 000 et 80 000 mandéens, répartis entre l’Irak, l’Iran et dispersés dans le reste du monde (notamment aux États-Unis) – des chiffres qui sont difficilement contrôlables, et donc sujets à caution. Ce qui est certain c’est qu’il ne reste plus actuellement en Irak qu’entre 3 000 et 5 000 mandéens. Observons déjà que le mandéisme, qui est difficile à définir de manière précise, semble provenir à la fois des marges du judaïsme et du christia1.  Il convient de remercier Edmondo Lupieri qui a pris le temps et la peine de relire ce chapitre, et de faire nombre de remarques. 2. Pour une première approche, voir W. Brandt, « Mandaeans », dans Encyclopaedia of Religion and Ethics VIII (1915), p. 380-393 ; G. Bardy, « Mandéens », dans Dictionnaire de théologie catholique 9/2 (1927), col. 1812-1824 ; J. Schmitt, « Mandéisme », dans Dictionnaire de la Bible. Supplément 5 (1957), col. 757-788 ; P.T.  Camelot, « Mandéens », dans Catholicisme 8 (1979), col. 297-299 ; C.  Perrot, « Mandéisme », dans P. Poupard (É d.), Dictionnaire des Religions, Paris, 1985, p. 1020-1021. Pour une approche plus approfondie, voir H.-C.  P uech, « Le mandéisme », dans M. Gorce – R.  Mortier (Éd.), Histoire générale des religions, III, Paris, 1948, p. 67-83 ; K. Rudolph, « La religion mandéenne », dans H.-C.  P uech (Éd.), Histoire des Religions, II, Paris, 1972, p. 498-522 ; K. Rudolph, « Zum gegenwärtigen Stand der mandäischen Religionsgeschichte », dans K.W. Tröger (Éd.), Gnosis und Neues Testament, Gütersloh, 1973, p. 121-148 ; K.T.  van Bladel , From Sassanian Mandaeans to Ṣābians of the Marshes, Leyde-Boston, 2017.

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CHAPITRE VI

nisme des premiers siècles de notre ère – autrement dit, d’une certaine forme de judaïsme chrétien, ou « judéo-christianisme ». Cela ne l’a pas empêché d’entretenir des relations difficiles avec le judaïsme comme avec le christianisme. I. Terminologie Le nom des mandéens vient du terme araméen manda qui signifie « connaissance ». Les Arabes de leur voisinage les nomment ṣoubba ou ṣoubbi, c’est-à-dire « baptistes », du verbe ṣabba signifiant « verser de l’eau ». Les mandéens se distinguent entre ‫( מאנדאייא‬mandaiia), « connaissants » et ‫( נצוראייא‬naṣoraiia), « observants » 3 – cette dernière appellation paraît désigner les membres de la classe sacerdotale, qui sont surtout connus sous le nom de ‫( גאנזיברא‬ganzibra) « grand prêtre » et de ‫טארמידא‬ (tarmida), « prêtre » 4. Dans la littérature musulmane du Moyen Âge, les « Nabat » seraient à identifier avec les mandéens, du moins en ce qui concernerait les Nabat de Wasit 5. Il s’agirait selon toute vraisemblance d’un terme assez péjoratif, s’appliquant apparemment à d’anciens mandéens convertis à l’islam. II. Historiographie En Orient, les mandéens sont surtout connus de certains auteurs chrétiens et musulmans du Moyen Âge. En Occident, ils ont été « découverts » au xvi e siècle par des marchands et des missionnaires portugais, qui les ont identifiés, à tort, comme une secte chrétienne de tendance gnostique, d’où l’appellation qu’ils leur ont généralement donnée : « Chrétiens de saint Jean » – une découverte qui remonte à la fin du xiii e siècle avec le dominicain toscan Ricoldo da Montecroce ou Ricoldo Pennini 6. De manière plus précise, l’Europe doit la révélation des mandéens au père Ignace de Jésus, carme déchaux, missionnaire à Bagdad, qui a publié un livre à Rome en 1652 : reconnaissant que les Arabes et les Perses les nomment sabbi, c’est-à-dire « baptistes » en langue arabe et qu’eux-mêmes 3. Voir B.  Gärtner , « Nazareth, Nazoräer und das Mandäertum », dans Die rätselhaften Termini Nazoräer und Iskariot, Lund, 1957, p. 18-36 (= G. Widengren (Éd.), Der Mandäismus, Darmstadt, 1982, p. 166-184). 4.  À ce sujet, voir S.C.  M imouni, « Les Nazoréens. Recherche étymologique et historique », dans Revue biblique 105 (1998), p. 208-262, spécialement p. 211, n. 9. 5.  À ce sujet, voir J.M. Fiey, « Les ‘Nabat’ de Kaskar-Wasit dans les premiers siècles de l’islam », dans Mélanges de l ’Université Saint-Joseph 51 (1990), p. 51-87. 6. On trouve une excellente présentation de la découverte des mandéens en Occident chez E.  Lupieri, The Mandaeans. The Last Gnostics, Grand Rapids/ Michigan, 2002, p. 61-126.

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se nomment mendaï, il leur donne le nom de « Chrétiens de saint Jean » : « Chrétiens » à cause du baptême, « saint Jean » parce qu’ils prétendent tenir leurs doctrines et leurs rituels de « Jean le Baptiste ». Tout au long des xvii e et xviii e siècles, des voyageurs occidentaux les ont visités et, à leur retour, ont rédigés des observations plus ou moins exactes éparpillées dans leurs récits de voyage. Au xix e siècle, Julius Heinrich Petermann (1801-1876), un Allemand, relate dans le chapitre VII du tome II de ses Reisen im Orient (1860) le séjour qu’il a fait au début de 1854 auprès d’une communauté mandéenne du sud de Wasit. Nicolas Siouffi (1829-1901), un Kurde yazidi, vice-consul de France à Mossoul, en 1880, dans un ouvrage portant le titre d’Études sur la religion des Soubbas ou Sabéens, leurs dogmes, leurs mœurs, consigne tous les renseignements que, par lui-même ou par l’intermédiaire du fils d’un prêtre mandéen converti au christianisme, il a pu acquérir sur cette communauté 7. Theodor Nöldeke (1836-1930), un Allemand, philologue orientaliste de renommée internationale, en 1875, publie une Mandäische Grammatik, qui permet dorénavant une compréhension et donc une interprétation plus sûre de la littérature mandéenne. A.J.H. Wilhelm Brandt, en 1889, est le premier savant à publier une analyse historique et philologique du mandéisme et il l’a fait dans une monographie éditée successivement en deux lieux différents 8. Laquelle, en 1915, a été reprise sous une forme sensiblement différente 9. On doit à Madame Ethel Stefana Drower (1879-1972), une Anglaise, connue aussi sous son nom de jeune fille d’Ethel Stefana Stevens, d’avoir beaucoup œuvré pour faire connaître les mandéens en Occident 10. Dans son premier ouvrage, le plus important, publié en 1937 11, elle a fourni une présentation anthropologique du groupe des mandéens qui a été saluée de manière remarquable par la critique, ouvrage qui demeure toujours de référence – une contribution capitale aux études mandéennes 12 . Lady Drower, 7. N. Siouffi, Études sur la religion des Soubbas ou Sabéens, leurs dogmes, leurs mœurs, Paris, 1880. 8. A.J.H.W. Brandt, Die mandäische Religion, ihre Entwickelung und geschichtliche Bedeutung, Leipzig, 1889 et Utrecht, 1889. Voir aussi A.J.H.W. Brandt, Die mandäische Religion. Eine Erforschung der Religion der Mandäer, in theologischer, religiöser, philosophischer und kultureller Hinsicht dargestellt, Leipzig, 1889 (Réimpression : Amsterdam, 1973). 9. A.J.H.W. Brandt, Die Mandäer, ihre Religion und ihre Geschichte, Amsterdam, 1915. 10. Voir J.J. Buckley, Lady E.S. Drower’s Correspondance : An Intrepid English Autodidact in Iraq, Leyde-Boston, 2012. 11.  E.S. Drower , The Mandeans of Irak and Iran. Their Cults, Customs, Magic, Legends, and Folklore, Oxford, 19371, Leyde, 19622 . 12. Voir par exemple la recension de H.-C.  P uech, dans Revue d ’histoire des religions 123 (1941), p. 63-74.

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qui a vécu au contact des mandéens durant de nombreuses années, tant en Irak qu’en Iran, a suivi dans ce livre une méthode concrète, rigoureusement objective et empirique. Pour ce faire, elle a assisté aux rites avant de prendre connaissance des mythes : donner aux pratiques et aux réalités le pas sur les théories, les croyances ou les légende ; observer la vie des mandéens et leurs cérémonies pour ne traduire qu’ensuite leurs manuscrits – une méthode qui s’apparente plus à l’anthropologie et au folklore qu’à l’histoire des religions. Elle a acquis, durant son séjour en Iraq et en Iran, un certain nombre de manuscrits mandéens qu’elle a ensuite traduits, facilitant ainsi l’accession à cette littérature peu connue à l’époque. Joseph Thomas, dans son livre sur les mouvements baptistes a consacré un remarquable chapitre au mandéens 13. Depuis, quelques rares auteurs se sont intéressés au mandéisme, en lui consacrant des monographies d’excellente qualité. On les doit principalement à Kurt Rudolph 14 et à Edmondo Lupieri 15. Si l’ouvrage de Kurt Rudolph est gauchi, car insistant trop sur le caractère gnostique du mandéisme, celui d’Edmondo Lupieri l’est aussi, car insistant trop sur le caractère chrétien à travers la figure de Jean le Baptiste. Il n’empêche que ce sont des ouvrages à consulter. On a laissé de côté, ce que l’on appelle la « fièvre mandéenne » qui a sévit après la première guerre mondiale parmi certains chercheurs allemands, sur laquelle on revient plus loin. III. Documentation La documentation sur le mandéisme est relativement importante et abondante, même si elle pose aux critiques de nombreux problèmes de datation et d’appréciation sur lesquels ils ne convergent pas toujours.

A. Documentation des mandéens 16 La littérature mandéenne, essentiellement religieuse, est rédigée dans un dialecte araméen dit babylonien 17. 13.  J. Thomas , Le mouvement baptiste en Palestine et Syrie (150 av. J.-C. - 300 ap. J.-C.), Gembloux, 1935, p. 184-267. 14.  K. Rudolph, Die Mandäer, I. Das Mandäerproblem, Göttingen, 1960 (recension de J. Daniélou, dans Recherches de science religieuse 48 (1960), p. 612618), II. Die Kult, Göttingen, 1962 (recension de J. Daniélou, dans Recherches de science religieuse 51 (1963), p. 125-128). 15.  E.  Lupieri, I mandei. Gli ultimi gnostici, Brescia, 1993 (= The Mandaeans. The Last Gnostics, Grand Rapids/Michigan, 2002). 16.  Pour une première approche, voir H.-C. P uech, « Littérature mandéenne », dans Histoire des littératures, I, Paris, 1956, p. 665-677. 17. Voir W.  Brandt, Mandäische Schriften. Übersetzt und erläutert, Göttingen, 1893 (Réimpression : Amsterdam, 1973).

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Cette littérature est tout aussi confuse que contradictoire. Elle est surtout liturgique et ritualiste, avec une part non négligeable de mysticisme. Elle ne se prête pas facilement à l’analyse systématique de ses données. Elle ne repose pas sur une quelconque notion de « livre inspiré ». On y trouve une certaine familiarité avec le Livre de la Genèse ou le Livre de l ’Exode, ainsi qu’avec des pseudépigraphes, tel le Testament de Lévi, de même qu’avec le Nouveau Testament. Les principaux écrits sont le Ginza-Sidra Rabba (ou Trésor-Grand Livre) et le Drashia d-Jahja-Drashia d-Malke (ou Livre de Jean-Livre des rois). Ce sont tous les deux des recueils de divers traités à l’origine plus ou moins indépendants, accompagnés de textes liturgiques. Aucun des manuscrits du Ginza-Sidra Rabba ou du Drashia d-JahjaDrashia d-Malke ne sont antérieurs au xvi e siècle. Toutefois, la composition de ces deux recueils est sans doute plus ancienne et pourrait dater du début de la période islamique. Cela ne signifie pas que certains des traités qu’ils contiennent ne soient pas encore plus anciens. Tous ces recueils sont autant de compilations anonymes mêlant en désordre des documents d’époque différente et de contenu disparate. 1. Ginza-Sidra Rabba (ou Trésor-Grand Livre) 18 Le Ginza-Sidra Rabba (ou Trésor-Grand Livre), composé vraisemblablement aux environs des vii e-viii e siècles, est l’œuvre majeure des mandéens, après l’arrivée des Arabes musulmans. C’est une compilation consacrée à l’enseignement de la mythologie et de la cosmologie, ainsi qu’à l’ascension de l’âme vers le domaine de la lumière qui est divisée en deux parties d’inégale longueur : le Ginza yemina ou « Ginza de droite » et le Ginza smala ou « Ginza de gauche ». Le premier, le Genza yemina, composé de dix-huit traités, porte plus spécialement sur la cosmologie et la morale. Le second, le Ginza smala, réunissant quatre-vingt-quatorze morceaux répartis en trois livres, porte sur la sortie de l’âme hors du corps et sur son voyage et sa destinée dans l’au-delà. Le premier correspond à une doctrine de la vie et le second à une doctrine de la mort. Dans l’un comme dans l’autre, on y trouve des hymnes liturgiques. Il a été publié pour la première fois en 1867 par Julius Heinrich Petermann sous le nom de Livre d’Adam 19.

18. Voir M.  Lidzbarski, Ginza. der Schatz oder das grosse Buch der Mandäer, Göttingen, 1925. 19. J.H. P etermann, Liber magnus vulgo Liber Adami appelatus opus Mandaeorum summi ponderis, I-II, Leipzig, 1867 (Réimpression en cours chez Gorgias Press).

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2. Drashia d-Jahja-Drashia d-Malke (ou Livre de Jean-Livre des rois) 20 Le Drashia d-Jahja-Drashia d-Malke est un recueil qui contient des récits mythologiques et cosmologiques, des hymnes et des sermons attribués à Jean le Baptiste qui est présenté en Antéchrist. Parmi, les soixante-seize pièces dont il est composé seuls les chapitres 18 à 36 ont un rapport avec Jean le Baptiste (appelé Yahya en mandéen) et les chapitres 34 et 35 avec Marie de Nazareth (appelée Miriai en mandéen). Un long traité, le sixième, relate la naissance de Jean et donne quelques événements de son existence et de sa prédication. Le reste du livre est un ensemble hétérogène d’exposés cosmologiques ou théologiques, affectant parfois la forme d’instructions dogmatiques, d’entretiens ou de paraboles, ainsi que d’exhortations morales. 3. Qolasta-Sidra d-nishmata (ou Quintessence-Livre des âmes) 21 Le Qolasta-Sidra d-nishmata est un recueil de cent treize pièces réparties en deux sections : la première rassemble les instructions nécessaires pour les lustrations des vivants, la seconde les instructions nécessaires pour les lustrations des mourants. Les deux parties contiennent trois prières des hymnes destinées aux deux rituels. Ainsi, le recueil est presque entièrement constitué de pièces poétiques avec des instructions en prose à l’intention de l’officiant. Enfin, on y trouve réunies les prières quotidiennes et les prières particulières pour chaque jour de la semaine, des chants pour les cérémonies baptismales, des prières pour la « bannière » qui est une étoffe portée sur une croix formée de longues baguettes. 4. Divers Le Haran Gawaita est une chronique relatant les origines et l’histoire de la communauté mandéenne 22 . Par ailleurs, Ethel Stefana Drower a publié et traduit un grand nombre de livres de prières et de rituels mandéens d’époque différente qu’elle a réuni en un seul volume 23. Il existe encore bien d’autres textes qui sont des rituels divers destinés aux prêtres et aux observants 24 . 20. Voir M.  Lidzbarski, Das Johannesbuch der Mandäer, I-II, Giessen, 19051,  19152 (Réimpression : Berlin, 1965). 21. Voir M.  Lidzbarski, Mandäische Liturgien, Berlin, 1920 (Réimpression : Hildesheim, 1962). 22.  E.S. Drower , The Haran Gawaita and the Baptism of Hibil Ziwa, Cité du Vatican, 1953. 23.  E.S. Drower , The Canonical Prayerbook of the Mandaeans, Leyde, 1959. 24. Voir E.S. Drower , The Thousand and Twelve Questions (Alf Trisar Suialia) : A Mandaean Text, Berlin, 1960 ; E.S. Drower , A  Pair of Naṣoraean Commentaries (Two Priestly Documents), Leyde, 1963.

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On dispose aussi d’inscriptions mandéennes, notamment celles retrouvées sur des coupes de Khouabir 25. Au xx e siècle, de nombreuses autres inscriptions et amulettes ont été découvertes et publiées 26. On dispose aussi d’une vaste collection de photographies dont la plupart sont d’Ethel Stefana Drower qui attendent d’être publiées. On dispose déjà cependant du petit volume iconographique de Kurt Rudolph 27. La langue mandéenne, qui est un dialecte araméen de Babylonie, a été étudiée dans des grammaires 28 et des dictionnaires 29 dont l’intérêt est de premier ordre pour l’approche de ce groupe religieux et de sa culture encore trop insuffisamment connus.

B. Documentation sur les mandéens 1. La documentation chrétienne La littérature chrétienne a conservé quelques informations sur les mandéens, notamment dans certaines des notices du Livre des scolies de Théodore bar Koni (de la fin du viii e siècle). Le Livre des scolies est un exposé de la foi chrétienne en onze Mimrē sous la forme d’un grand catéchisme procédant par questions et réponses. Les Mimrē I-V ont trait à l’Ancien Testament et les Mimrē VI-IX au Nouveau Testament. Le Mimrā  X est une longue discussion sur la foi chrétienne avec un « païen », dont le point de vue exprime en réalité celui d’un musulman. Le Mimrā  XI est un exposé plus ou moins étendu des différentes sectes ou hérésies apparue en Grèce, en Chaldée et en Perse. Le Livre des scolies a été transmis par des manuscrits que l’on peut répartir en deux familles (recension de Séert et recension d’Urmiah) » L’édition de la recension de Séert a été réalisée par Addaï Scher (CSCO 55, 1910 et CSCO 69, 1912), enrichie par le « complément à l’appareil de Scher » (CSCO 431, 1981, p. 23-54). Cette recension de Séert a été 25. Voir H. Poignon, Inscriptions mandaïtes des coupes de Khouabir, Paris, 1898 (Réimpresion : Amsterdam, 1979). 26. Voir M.  Lidzbarski, « Ein mandäisches Amulett », dans Florilegium dédiés à M. Vogüé, Paris, 1909, p. 349-373 ; J.A.  Montgomery, Aramaic Incantation Texts from Nippur, Philadelphie/Pennsylvanie, 1913 ; E.M. Yamauchi, Mandaic Incantation Texts, New Haven/Connecticut, 1967 ; W.S.  McCullough, Jewish and Mandaean Incantation Bowls in the Royal Ontario Museum, Toronto, 1967. 27.  K. Rudolph, Mandaeism, Leyde, 1978 (Iconography of Religions 21). 28. Voir R. M acuch, Handbook of Classical and Modern Mandaic, Berlin, 1965. Voir aussi et toujours T. Nöldeke , Mandäische Grammatik, Halle, 1875 (Réimpression : Darmstadt, 1964). 29. Voir E.S. Drower – R.  M acuch, A  Mandaic Dictionary, Oxford, 1963.

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traduite par Robert Hespel et René Draguet (CSCO 431, 1981 et CSCO 432, 1982) ; les passages différents dans la recension d’Urmiah ont été édités et traduits par Robert Hespel (CSCO 448, 1983). Les notices 84 à 87 du Mimrā  XI sont consacrées au mandéens 30. Dirk Kruisheer a montré l’unité de cet ensemble en en dégageant une structure 31 et Jean-Marie Duchemin en a donné une analyse éclairante 32 . Il est aussi question des mandéens dans la Chronique de Michel le Syrien, patriarche jacobite d’Antioche de 1166 à 1199 (en IX, 6). Christelle et Florence Jullien ont attiré l’attention sur le fait que les Actes de Mar Mari, datés du v e-vi e siècle, sont vraisemblablement un récit d’« évangélisation en milieu baptiste », mais sans plus de précisions quant au mandéisme 33. 2. La documentation musulmane Parmi les auteurs musulmans qui rapportent des informations sur les mandéens, il faut citer en premier lieu l’historiographe Ibn an-Nadim du x e siècle, qui, dans son al-Fihrist, les mentionne, mais sans trop les distinguer des elkasaïtes et même des manichéens. IV. Origines du mandéisme L’origine du mandéisme est une question qui a été fort débattue à une certaine époque, car on pensait qu’elle pourrait toucher celle des origines du christianisme  3 4 . Deux grandes thèses se sont ainsi opposées quant à l’origine du mandéisme. La première soutient une origine ancienne et une provenance occidentale (palestinienne). La seconde défend une origine récente et une provenance orientale (babylonienne). L’opposition entre ces deux thèses est radicale pour ne pas dire totale. Une autre question se pose pour les partisans de la thèse de l’origine ancienne et de la provenance occidentale : le mandéisme est-il antérieur, contemporain ou postérieur au christianisme ? Enfin, observons que les mandéens n’ont aucune conscience

30.  R. H espel – R. Draguet, Théodore bar Koni. Livre des scolies (Recension de Séert), II. Mimre VI-XI, Louvain, 1982, p. 257-259 (CSCO 432). 31.  D. K ruisheer , « Theodore bar Koni’s Ketaba d-’eskolyon as a Source for the Study of Early Mandaeism », dans Jaarbericht van het vooraziatisch-egyptisch genootschap 33 (1995), p. 151-169. 32. Voir J.-M. Duchemin, « Un réexamen des notices de Théodore Bar Koni sur les mandéens », dans Apocrypha 23 (2012), p. 171-207. 33.  C.  Jullien – F.  Jullien, Les Actes de Mar Mari, Turnhout, 2001, p. 43-46. 34.  À ce sujet, voir en particulier V.S. P edersen, « Le mandéisme et les origines chrétiennes. Á propos du livre d’Alfred de Loisy », dans Revue d ’histoire et de philosophie religieuses 17 (1937), p. 378-383 (il s’agit d’un court et bon exposé critique du livre de A.  L oisy, Le Mandéisme et les origines chrétiennes, Paris, 1934).

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d’une origine babylonienne de leur religiosité, mais lui donne une origine palestinienne, en provenance de Jérusalem.

A. Les arguments de la thèse de l’origine ancienne et de la provenance occidentale Selon les partisans de cette thèse, le mandéisme se serait formé dès le milieu du ii e siècle en Palestine cisjordanienne ou transjordanienne 35. À l’appui de cette thèse, on cite d’abord les témoignages des textes mandéens et ensuite les témoignages des textes manichéens – au sujet de ces derniers, on reprend généralement l’équation de Daniil Avraamovich Chwolsohn : mandéens = mughtasila = sabéens. Selon Joseph Schmitt, les principaux rapprochements significatifs permettant d’assurer la provenance occidentale sont de divers ordres 36. On va tous les reprendre et les apprécier au fur et à mesure de manière critique en distinguant cinq points. 1. L’écriture mandéenne, surtout celle des inscriptions, serait apparentée à l’écriture nabatéenne. Ce premier argument ne paraît guère dirimant : l’écriture palmyrénienne est également apparentée aux écritures nabatéenne et mandéenne, or elle se trouve, sur le plan géographique, à mi-chemin entre l’aire de diffusion de l’écriture nabatéenne et l’aire de diffusion de l’écriture mandéenne. 2. Le vocabulaire mandéen comprendrait de nombreux éléments « occidentaux » essentiels : termes de caractère et de provenance judéens ou palestiniens, nabatéens, égyptiens – ces expressions et formules n’auraient d’exemples et de parallèles que dans les vestiges littéraires de la « gnose palestinienne et syrienne » ou dans certains textes anti-gnostiques néotestamentaires ou patristiques. Cet argument est difficile à retenir, car le vocabulaire étant tout aussi flou que confus il paraît inacceptable aujourd’hui étant donné les avancées de la recherche : parmi les vestiges littéraires de la « gnose palestinienne et syrienne » figurent, par exemple, les Odes de Salomon et l’Apocalypse de Baruch, or le premier est un texte judéo-chrétien et le second un texte judéo-synagogal – tous les deux avec une tendance mystique fort prononcée. 3. Sur le plan religieux, la pensée mandéenne semblerait rivée à l’histoire palestinienne, et même à l’histoire judéenne. 35.  Voir par exemple V.S. P edersen, Bidrag til en analyse de mandaeiske Skrifter, Aarhus, 1940. 36.  J. Schmitt, « Mandéisme », dans Dictionnaire de la Bible. Supplément 5 (1957), col. 785-786.

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Cet argument paraît simplifier la question en considérant un attachement au judaïsme babylonien plutôt qu’au judaïsme palestinien – une distinction reposant uniquement sur un critère géographique (Babylonie ou Palestine) semble difficile quand il s’agit du judaïsme en général : en effet, au i er siècle, par exemple, les sources étant ce qu’elles sont, comment distinguer clairement l’influence du judaïsme babylonien sur le judaïsme palestinien ? 4. Par leur appellation préférée de naṣoraya, surtout par la tradition qu’ils gardent au sujet de leurs origines, et qui pour le fond viennent garantir les données de Théodore bar Koni et d’Ibn an-Nadim, les mandéens témoigneraient eux-mêmes de leurs profondes attaches judéennes et palestiniennes. Affirmations gratuites, voire simplistes : les chrétiens de langue syriaque, dès une certaine époque, s’appellent naṣorayo, sans pour autant témoigner de quelconques « attaches judéennes et palestiniennes ». 5. Sur le plan des croyances et pratiques, l’institution du dimanche et le rituel du baptême inviteraient à voir dans l’idéal religieux et le culte salvifique du mandéisme un héritage largement judéen. Encore une fois des affirmations gratuites et toujours aussi simplistes : l’institution du dimanche ne renvoie pas à l’héritage judéen, mais à l’héritage chrétien ; le rituel du baptême, en revanche, renvoie, il est vrai, aussi bien à l’héritage judéen qu’à l’héritage chrétien. Comme on peut facilement le constater, aucun de ces rapprochements ne résiste à la critique, et pourtant la thèse de l’origine ancienne et de la provenance occidentale est sans doute à maintenir, pas pour les mandéens directement, mais plutôt pour les elkasaïtes indirectement 37. Sur la base de la méthode comparatiste, on a même essayé de rapprocher les mandéens des esséniens, considérant que ces derniers pourraient être à l’origine des premiers – une thèse qui ne convainc pas, car les dissemblances sont bien plus importantes que les ressemblances 38. Observons encore que deux des mots qui dominent le système religieux des mandéens ont des formes occidentales et non orientales : ‫מנדע‬ (manda), la connaissance, et ‫( כושטא‬kushta), la vérité ou la religiosité. Ce qui pourrait donner des indices importants sur l’origine occidentale des mandéens : c’est-à-dire palestinienne et non pas babylonienne.

37.  À ce sujet, voir plus bas. 38. Voir F.M. Braun, « Le mandéisme et la secte essénienne de Qumrân », dans L’ Ancien Testament et l ’Orient. Études présentées aux VIes journées bibliques de Louvain (11-13 septembre 1954), Louvain, 1957, p. 193-230.

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B. Les arguments de la thèse de l’origine récente et de la provenance orientale Selon les partisans de cette thèse, qui remonte principalement à A.J.H. Wilhelm Brandt, le mandéisme se serait formé à une date incertaine (à la veille ou au début de l’islam) en Babylonie et pourrait même être une forme récente des anciennes religiosités babyloniennes – elle se maintient chez certains critiques récents qui considèrent que le mandéisme est un conglomérat d’éléments non seulement babyloniens mais aussi iraniens 39. Les arguments majeurs invoqués à l’appui de cette thèse sont d’ordre linguistique et d’ordre littéraire : tous les documents mandéens sont rédigés, en effet, dans un dialecte araméen que l’on appelle babylonien, et non dans son équivalent palestinien. Par ailleurs, d’après un passage du Livre des scolies (Recension de Séert) de Théodore bar Koni, il est question d’un certain Ado, qui serait le fondateur des communautés mandéennes de Mésène, lesquelles auraient émigré de l’Adiabène – le nord jouant un rôle important dans la mythologie mandéenne. La notice est introduite par la rubrique « Hérésie des Dostéens, qu’enseigna le mendiant Ado ». L’auteur affirme qu’en Mésène on les appelle « mandéens » et « maskaniens », alors qu’en Babylonie ils sont appelés « naziréens » et « dostéens ». Même si l’argumentation est nettement moins développée que celle de la thèse opposée, il faut bien reconnaître qu’elle est plus solide. Le premier des arguments repose sur une constatation incontournable. Le second des arguments est fondé sur un auteur proche des mandéens dans le temps et dans l’espace. Il n’est fait appel à aucune conjecture dans cette argumentation qui paraît incontestable. De plus, les inscriptions mandéennes sur coupes ou plaques de plomb sont à situer aux environs de 600, même si l’une d’entre elles semble dater de 400 environ  4 0. Certaines de ces inscriptions, surtout la dernière, font intervenir des formules et des divinités qui appartiennent à la mythologie mandéenne dont l’influence babylonienne est marquante. Il est possible de retenir cette dernière thèse, car elle paraît proche des témoignages intérieurs aux mandéens et des témoignages extérieurs sur les mandéens.

39. Voir par exemple E.M. Yamauchi, Gnostic Ethics and Mandaean Origins, Cambridge, 1970. 40. Voir M.  Lidzbarski, « Ein mandäisches Amulett », dans Florilegium dédiés à M. Vogüé, Paris, 1909, p. 349-373.

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C. Récapitulatif Le mandéisme est un mouvement religieux dont l’apparition dans l’histoire ne saurait être située au cours des trois premiers siècles de notre ère – l’attestation la plus ancienne, d’ordre épigraphique, étant du iv e siècle. En tout cas, les mandéens ne figurent sans doute pas, même si la question est discutée par les spécialistes 41, dans l’inscription de Kardir à Naqsh-e Rostam, qui est du iii e siècle : les baptistes dont il est question sont des elkasaïtes 42 . Comme la liste des cultes figurant sur cette inscription paraît représenter de manière exhaustive tous ceux qui existent à l’intérieur de l’empire sassanide, on peut penser que les mandéens n’ont pas encore émergé à cette époque. En dernière analyse, une telle perspective présenterait l’avantage de ne plus encombrer, voire de ne plus embrouiller, les études portant sur les origines du christianisme. Pourtant, on discute au sujet d’un éventuel fondateur du mandéisme, qui serait un certain Zazai d-Gawazta fils de Natar et Hawwa, d’après le Haran Gawaita, un scribe que l’on situe dans la première moitié du iii e siècle (avant la fin des Arsacides et le début des Sassanides)  4 3 . Quoi qu’il en soit, pour se protéger et ainsi survivre, les mandéens ont été obligés, du moins à l’époque sassanide, de se faire passer pour des « semi-mazdéens », mais cela ne doit pas faire illusion et masquer la réalité. La similarité des pratiques et des rituels mandéens avec ceux en provenance du mazdéisme est une évidence, mais l’influence ne doit pas être considérée en ligne droite, car il se peut qu’ils soient passés par le judaïsme babylonien qui a été très marqué par le mazdéisme de l’époque des Arsacides. À ce stade de la présentation, il est encore difficile de savoir clairement si, sous une forme ou une autre, l’elkasaïsme a donné naissance au mandéisme, mais il est possible déjà de dire que les idées johannites y ont été, en revanche, récupérées – le symbole du « Jourdain » que l’on rencontre dans la mythologie mandéenne paraît en effet relever de cet héritage johannite.

41. Voir D.N.  M acK enzie , « Kerdir’s Inscription », dans G. H errmann – D.N.  M acK enzie  – R.H.  Caldecott (Éd.), The Sasanian Rock Reliefs at Naqsh-i Rustam, Berlin, 1989, p. 35-72. 42. Voir S.C.  M imouni, «  Les Nazoréens. Recherche étymologique et historique », dans Revue biblique 105 (1998), p. 208-262, spécialement p. 251260. Voir aussi S. Brelaud – F. Briquel Chatonnet, « Quelques réflexions sur la désignation des chrétiens dans l’inscription du Mage Kirtir et dans l’Empire sassanide », dans Parole de l ’Orient 43 (2017), p. 113-136. 43. À ce sujet, voir E.  Lupieri, The Mandaeans. The Last Gnostics, Grand Rapids/Michigan, 2002, p. 169-172.

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Ainsi, au sujet de la question des origines du mandéisme, deux paramètres importants paraissent donc devoir être pris en considération : celui de l’elkasaïsme et celui du johannitisme. Mais il est encore difficile de dire vraiment si ces deux mouvements ont donné naissance au mandéisme, il est cependant possible toutefois d’envisager déjà au moins des influences qu’ils y auraient exercées. V. Histoire du mandéisme Retracer l’histoire du mandéisme est un exercice tout aussi périlleux que se pencher sur son origine. Les mandéens n’ont rien à voir avec les origines du christianisme, ni avec le gnosticisme ou le mysticisme qui en a émergé au ii e siècle. Ils se disent originaires de la Palestine et pourtant ils ont toutes les caractéristiques obligeant à les situer en Babylonie. Comment peut-on dirimer ce paradoxe ? C’est la question à laquelle toute recherche sur les mandéens doit répondre. Les mandéens situent l’origine de leur communauté à Jérusalem en référence à leur seul texte fournissant des informations historiques : le Haran Gawaita. C’est ainsi, y est-il mentionné, que, contrainte à l’exode à la suite de la chute de Jérusalem et des révoltes judéennes contre Rome (en 70 ou en 135, voire en 115-117 ?), la communauté aurait quitté Jérusalem et la Vallée du Jourdain pour s’installer dans les montagnes médiques de la région de Ḥarran, alors sous domination d’un roi parthe du nom d’Ar­ta­ ban, avant de poursuivre leur route vers le sud de la Babylonie. Les récits du Haran Gawaita disent peu sur le passé des mandéens, ni sur les rapports avec les pays hôtes ou les influences de leur entourage. On peut seulement retenir qu’ils situent leurs origines en Palestine et qu’ils ont été contraints à l’exode, soulignant que leur existence sous les Arsacides a été prospère, mais pas sous les Sassanides Même si l’on refuse une origine ancienne et palestinienne pour une origine tardive et babylonienne, il convient d’expliquer pourquoi les mandéens font référence à Jérusalem et à la Palestine dont ils disent être originaires  4 4 .

A. Les persécutions religieuses Les mandéens ont entretenu dans leurs traditions un certain nombre d’éléments faisant référence à des persécutions religieuses dont ils affirment avoir été victimes tout autant de la part du judaïsme que du christianisme, sans compter le mazdéisme et l’islam 45. 44.  À ce sujet, voir plus bas. 45. Voir E.S. Drower , « Mandaean Polemic », dans Bulletin of the School of Oriental and African Studies 25 (1962), p. 438-448. Voir aussi D. Shapira, « Mani-

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Dans une prière mandéenne de datation incertaine mais postérieure à l’arrivée des Arabes musulmans en Babylonie, on trouve des incantations contre tous les ennemis du mouvement. Cette prière, éditée et traduite, figure dans le recueil publié par Ethel Stephana Drower en 1959 : Les Judéens, une nation perverse, accusatrice et blasphématrice, l’ont mangé. Les kiwanaiia l’ont mangé, qui l’ont coupé en flammes de feu. Les yazuqaiia démantelés l’ont mangé avec respect pour le feu, la créature maniaque qui respectait le feu pour servir une chose impuissante. Les dumaiia l’ont mangé, qui a détruit leur virilité, rejeté, leur condition d’homme est détruite, et ils ont érigé la mort en l’adorant. Les zandiqs, qui s’appuient sur le mensonge, l’ont mangé, qui se reposent sur des piliers du mensonge et coupent leur graine du monde. Les Arabes l’ont mangé, les méchants menteurs et une race perverse qui boit du sang. Les naṣoréens l’ont mangé, un peuple, un dépôt, un groupe familial. Les justes et les croyants l’ont mangé, les baptisés dans l’eau l’ont mangé, lors de leur baptême et de leur vie, soit loué ! La vie est victorieuse ! Je témoigne à YawarZiwa qui nous a rendus plus rapides (Nº 357)  4 6.

Dans cette liste de persécuteurs on rencontre successivement : les Judéens, les kiwanaiia et les yazuqaiia (sans doute des sectes mazdéennes : si la première est à identifier aux zurvanites, la seconde, en revanche, demeure inconnue), les dumaiia (sans doute des païens, mais rien à voir avec les Iduméens comme le propose Lady Drower), les zandiqs (sans doute des manichéens) et les Arabes. La liste se termine avec les naṣoréens : ce sont des mandéens appartenant à la classe des prêtres, considérés ici en opposition avec tous les persécuteurs énumérés. Ils constituent un peuple juste et croyant pratiquant le baptême qui donne la vie.

chaeans (marmanaiia), Zoroastrians (iazuqaiia), Jews, Christians and other Heretics : a Study in the Redaction of Mandaic Texts », dans Le Muséon 117 (2004), p. 243-280. 46.  Traduction de E.S. Drower , The Canonical Prayerbook of the Mandaeans, Leyde, 1959, p. 251-252 : « The Jews, an evil nation, accused and blasphemous ate it. The kiwanaiia ate it, who cut it in flames of fire. The demanted yazuqaiia ate it who reverence fire, craze creature who reverence fire serving a thing that is powerless. Dumaiia ate it, who destroyed their virility, cast away, destroyed is their manhood, and they set up Death, worshipping him. Zandiqs, who rest on support of falsehood, ate it, on pillars of falsehood do they rest and Cut off their seed from the world. Arabs ate it, evil liars, and a wicked race who drink blood. Naṣoreans ate it, a people, a stock, a family group. Righteous and believing people ate it, those baptized in water ate it who at their baptism and life be praised ! Life is victorious ! I testify to Yawar-Ziwa who quickened us with his bounty » (Nº 357).

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Les qualifications concernant les cultes concurrents, voisins et opposés, qui sont très violentes, montrent combien les relations n’ont pas été simples, notamment à cause du prosélytisme exercé 47.

B. De la dissimulation à l’assimilation Si l’origine et l’histoire du mandéisme sont si difficiles à saisir, c’est surtout à cause des sources mandéennes qui ont tendance à les obscurcir et à les dissimuler à des fins de survie en milieu hostile 48. En effet, les mandéens ont souvent été contraints d’accommoder leurs croyances et leurs pratiques en fonction des pouvoirs en place, pratiquant ainsi ce que les Arabes et les Perses musulmans appellent la taqiya, et ce à toutes les époques jusqu’à nos jours. Après la conquête de Ctesiphon en 637 par les Arabes musulmans, selon le Haran Gawaita, un membre important de la communauté mandéenne, Anus bar Danqa, est parvenu à la faire reconnaître, vers 830, par les nouvelles autorités (sous le calife abbaside al-Ma’amum) comme un « Peuple du Livre » et ainsi obtenir le statut de minorité religieuse protégée. Il y est arrivé en alléguant que les mandéens sont des sabéens au même titre que ceux dont il est question dans le Coran 49. Le terme sabéen est une étiquette qu’ont prise certains peuples qui ont voulu appartenir aux « peuples du livre », afin de dissimuler leurs origines réelles et surtout leur culte. Il est évident que les grands érudits musulmans comme Ibn al-Nadim (x e siècle) ou Ibn al-Biruni (xi e siècle) n’ont pas été dupes de la tromperie et l’ont dénoncées. Pour ces auteurs musulmans, les mandéens sont des polythéistes (sirk). Aussi, les mandéens ont-ils été victimes de persécution durant tout le Moyen Âge. Au xx e siècle, les mandéens semblent avoir remplacé dans leurs activités traditionnelles les Juifs d’Irak qui ont immigré en Palestine ou en Europe, de charpentiers ou forgerons ils sont devenus orfèvres. En 1931, un historien irakien, ´Abd al-Razzaq al-Ḥasani a publié un livre sur les mandéens, al Ṣabi’un fi Ḥadirihim wa-Madihim (= The 47. Pour la polémique avec les Judéens, voir D. Shapira , «  ‫אין מזל לישראל‬: Celestial Race, the Jews in Mandaic Tradition », dans Kabbala : International Journal for the Study of Jewish Mystical Texts 5 (2000), p. 11-128. Pour la polémique avec les chrétiens, voir U. Schattner-R ieser , « Éléments chrétiens (?) et polémique anti-chrétienne dans la littérature mandéenne », dans Cahiers de Studia Iranica 36 (2008), p. 129-145. 48.  À ce sujet, voir C.G. H äberl , « Dissimulation or Assimilation ? The Case of the Mandaeans », dans Numen 60 (2013), p. 586-615. 49. Voir E.S. Drower , The Haran Gawaita and the Baptism of Hibil Ziwa, Vatican, 1953, p. 15-16.

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Ṣabi’ans in Their Present and Past) – un livre qui est devenu une source d’information sur le groupe en Irak et dans tout le monde arabe, plusieurs fois réédité mais jamais traduit dans une langue occidentale. Al-Ḥasani estime que les mandéens d’Irak et d’Iran doivent être identifiés avec les sabéens du Coran – une perspective qui est acceptée parmi les shiites mais qui demeure controversée parmi les sunnites et les savants occidentaux. Malheureusement, Al-Ḥasani rappelle que les mandéens sont les adorateurs des étoiles et des planètes : ce qui a été source d’un anti-mandéisme parmi les Irakiens musulmans sunnites. C’est alors que Sheikh Dukhayil, grand prêtre mandéen de la ville de Naṣiriya a entamé un procès contre Al-Ḥasani en montrant que d’après des passages de Ginza que le culte des étoiles et des planètes est explicitement rejeté par le groupe. Le tribunal a donné raison à Sheikh Dukhayil contre Al-Ḥasani 50. On constate d’après ce procès que les mandéens ont changé de stratégie, sans doute parce que se sentant protégés par le mandat britannique en Irak, ne se dissimulant plus mais apparaissant au grand jour en tant que tels. C’est ainsi que les mandéens, dans les années 1920-1940, ont collaboré aux recherches de l’anthropologue d’Ethel Stephana Drower en lui fournissant nombre de textes et des informations de première main. Le vocabulaire rituel a été aussi utilisé à des fins de distinction. C’est ainsi que les mandéens se différencient des autres religiosités en utilisant un vocabulaire original : pour désigner leurs lustrations baptismales, par exemple, ils emploient la racine ‫( צבע‬ṣb´a) alors que les chrétiens de langue syriaque ont la racine ‫´( ܥܡܕ‬amd) 51.

C. Les origines du christianisme et le mandéisme Au cours du premier tiers du xx e siècle, comme déjà signalé, on a assisté à une véritable « fièvre mandéenne » dans les milieux de la recherche exégétique. C’est surtout en Allemagne où certains critiques ont proposé de faire intervenir le paramètre du mandéisme dans les recherches sur les origines du christianisme et en particulier sur l’Évangile selon Jean. C’est ainsi que de grands savants comme Richard August Reitzenstein 52 , Rudolf Bult50.  À ce sujet, voir J.B. Segal , « Review of ´Abd al-Razzaq al-Ḥasani, al Ṣabi’un fi Ḥadirihim wa-Madihim », dans Bulletin of the School of Oriental and African Studies 18 (1956), p. 375-376. 51.  À ce sujet, voir J.C. Greenfield, « The Verbs for Washing in Aramaic », dans A.S. K aye (Éd.), Semitic Studies in Honor of Wolf Leslau on the Occasion of his Eighty-Fifth Birthday November 14 th 1991, I, Wiesbaden, 1991, p. 588-594. 52.  R.A. R eitzenstein, Das mandäische Buch des Herrn der Grösse und die Evangelien-Ueberlieferung, Heidelberg, 1919. Voir aussi R.A. R eitzenstein, « Zur

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mann 53 et Mark Lidzbarski (dans une moindre mesure) 54 ont pensé trouver dans le mandéisme des clefs de lecture pour comprendre l’Évangile selon Jean – il en a été de même d’ailleurs pour un autre grand savant comme Walter Bauer 55 . On a essayé aussi de faire intervenir le paramètre du mandéisme dans les recherches sur la gnose, surtout pour faire du gnosticisme un mouvement intérieur et postérieur au christianisme, voire antérieur et extérieur toujours au christianisme 56. C’est ainsi qu’on a assisté à une véritable floraison d’articles et d’ouvrages cherchant à établir un lien entre mandéisme et les origines du christianisme, mais aussi à contrer cette thèse 57, parfois en essayant de prouver que ce groupe est postérieur à l’émergence de l’islam, comme cela a été le cas d’Erik Peterson 58. Les propositions relatives à l’Évangile selon Jean et aux origines du christianisme en général ont été démarquées par les remarquables articles de Marie-Joseph Lagrange 59 et le livre non moins remarquable d’Alfred Loisy 60. Maurice Goguel 61 et Charles Henry Dodd 62 ont aussi consacrés des pages à contester ces propositions trop fragiles et hors contextes historiques. Les propositions relatives à la gnose, quant à elles, à de rares exceptions près, ne sont plus retenues depuis la découverte du gisement de manuscrits retrouvés dans la région de Nag Hammadi.

Mandäerfrage », dans Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 26 (1927), p. 39-70. 53.  R. Bultmann, « Die Bedeutung der mandäischen und manichäischen Quellen für das Johannesevangelium », dans Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 24 (1924), p. 100-146. Voir aussi R. Bultmann, Das Evangelium des Johannes, Göttingen, 1941. 54.  M.  Lidzbarski, « Mandäische Fragen », dans Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 26 (1927), p. 70-75. 55.  W. Bauer , Das Johannes-Evangelium, Tübingen, 19262 . 56. À ce sujet, voir E.M. Yamauchi, Gnostic Ethics and Mandaean Origins, Cambridge, 1970. 57. Voir S.  Stahl , Les mandéens et les origines chrétiennes, Paris, 1930. Voir aussi L. Tondelli, « Il mandeismo e le origini cristiane », dans Orientalia 33 (1928), p. 1-104. 58. E.  Peterson, « Urchristentum und Mandäismus », dans Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 27 (1928), p. 55-98. 59.  M.-J. L agrange , « La gnose mandéenne et la tradition évangélique, III. Opinions récentes sur la dépendance de la tradition évangélique par rapport à la gnose mandéenne », dans Revue biblique 37 (1928), p. 5-36. 60.  A.  L oisy, Le mandéisme et les origines chrétiennes, Paris, 1934. 61.  M. Goguel , Au seuil de l ’Évangile, Jean Baptiste, Paris, 1928, p. 113-138. 62.  C.H. Dodd, L’interprétation du Quatrième Évangile, Paris, 1975, p. 154172.

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Toutes ces perspectives ont conduit les recherches à des impasses et des égarements inutiles qui sont maintenant nettement démarqués, l’émergence du mandéisme n’étant pas antérieure au iv e siècle dans le meilleur des cas.

D. Les origines du mandéisme et le judaïsme On a cherché à donner au mandéisme une origine en provenance du judaïsme, mais d’un judaïsme hétérodoxe. On a évoqué la thèse baptiste dans un premier temps, puis la thèse essénienne dans un second temps. De fait, si la première thèse est envisageable, ce n’est pas le cas de la seconde qui est très improbable. On revient sur la question lorsqu’on examine les rapprochements entre le mandéisme et l’elkasaïsme. Observons déjà que le mandéisme entretient nombre de points de contact avec le mysticisme issu du judaïsme, tant sur le plan des thèmes que des idées 63. En effet, des parallèles ont été établis par Ethel Stefana Drower  6 4 et par Gershom G. Scholem 65. C’est ainsi que les noms de certains anges apparaissent de manière similaire dans ces deux formes du mysticisme : Metatron et Gabriel figurent, par exemple, dans la littérature mandéenne sous la forme du démiurge Ptahil. La figure de Metatron, qui apparaît sur un bol magique écrit en mandéen, a sans aucun doute une origine judéenne 66. Il en va de même pour la figure de la Shekhinah qu’on retrouve aussi dans le mandéisme sous le nom de Shkinta pour désigner la présence divine. Il semble que judaïsme et mandéisme puisent leurs traditions mystiques à un fonds commun qui est difficile à définir de manière plus précise. VI. Doctrines mandéennes Les doctrines mandéennes ne sont ni rigoureusement unicistes, ni rigoureusement dualistes 67. Dans leurs intentions majeures, elles se fondent cependant sur un dualisme assez semblable mais pas identique à celui de certains chrétiens et de certains manichéens, un dualisme qui s’efforce de

63. Voir N.  Deutsch, « The Date Palm and the Wellspring : Mandeism and Jewish Mysticism », dans Aram 11-12 (1999-2000), p. 209-223. 64.  E.S. Drower , The Secret of Adam. A Study of Nasoraean Gnosis, Oxford, 1960, p. 14-17. 65.  G.G. Scholem, Jewish Gnosticism, Merkavah Mysticism, and Talmudic Tradition, New York, 19652 , p. 4-5. 66. Voir W.S.  McCullough, Jewish and Mandaean Incantation Bowls in the Royal Ontario Museum, Toronto, 1967, p. 28-47. 67. Voir K.  Rudolph, Theogonie, Kosmogonie und Anthropogonie in den Mandäischen Schriften, Göttingen, 1965.

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donner, au moyen d’une cosmogonie complexe, une solution à la destinée humaine – sans être pour autant nécessairement gnostique. De fait, ce dualisme est assez classique : il consiste en un affrontement entre le monde de la Lumière (nhura) et le monde de la Ténèbre (hshuka). Le premier est symbolisé par une eau blanche et brillante, le second par une eau noire habitée par un feu obscur. Le monde de la Lumière est présidé par une sorte de divinité inconnue qui porte des noms divers et variés : Vie (hiia) ou Grande Vie (hiiyê rbê) ; Seigneur de la Grandeur (mare d-rbuta) ; Esprit puissant (mana rabba) ; Roi de la Lumière (malka d-nhura) – ce dernier semblant le plus récent. Ce « Roi » est décrit comme entouré d’un grand nombre d’êtres de lumière qui sont appelés les « riches » (uthra). Ces êtres demeurent dans les nombreux mondes de lumière (almê). Comme les fidèles sur la terre, ils habitent sur les bords du Jourdain (générique pour désigner n’importe quel fleuve sans plus de précision), dans des demeures (shkinata), et ils accomplissent de nombreuses cérémonies cultuelles, glorifiant la « Vie » – un des noms de leur divinité. Ce monde de la Lumière des esprits est né de l’être suprême, de la « première vie », et aussi de l’« esprit puissant » qui représente la valeur du principe de vie ou de la création progressive. De cette « première vie » est issue une « deuxième vie » qui est le « Fils de la Lumière » ou Yoshamin (« Yahveh des Cieux » ?), d’où procèdent des uthras nombreux et, dans certains récits une « troisième vie » qui est un « Être à la balance » ou Abathour. Le monde de la Ténèbre est habité par des démons et des satans sur lesquels la méchante Ruha exerce son pouvoir maléfique, assistée par son fils et amant Ur. D’après le Ginza-Sidra Rabba (ou Trésor-Grand Livre), un des uthras, dénommé tantôt Kbâr, tantôt Ptahil, est parvenu à obtenir de créer un monde inférieur en épaississant l’eau noire du monde de la Ténèbre, notamment en y introduisant des parcelles de lumière. C’est ainsi qu’a été formé le corps de l’homme terrestre, dans lequel Ptahil, un des deux uthras dont il a déjà été question, est arrivé à jeter une mânâ, une âme céleste, identique à l’Adam Lumineux. Cette mânâ, d’essence céleste, devient ainsi prisonnière du corps, d’essence terrestre, et elle est exposée aux pouvoirs du monde de la Ténèbre. Seule la mort, qui pour les mandéens est une délivrance, peut mettre fin à la captivité de la mânâ, mais, avant de parvenir dans le monde de la Lumière, elle aura à parcourir entre ciel et terre une longue route, occupée par des postes de contrôle, où les démons de Ruha montent la garde. Si elle ne porte pas le signe sacramentel, la mânâ sera retenue et enchaînée dans le monde de la Ténèbre. Dans le cas contraire, la mânâ, atteindra le monde de la Lumière où elle sera accueillie et conduite dans la Maison de la Plénitude.

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Le dualisme mandéen a subi des influences diverses, mais insuffisantes pour déterminer leur provenance. Il présente certes des similitudes avec divers dualismes (judaïsme, christianisme, manichéisme, mazdéisme, etc.), mais pas de manière pour qu’on puisse les considérer autrement que comme des éléments culturels secondaires. Il n’est surtout pas gnostique comme certains critiques l’ont soutenu 68. Il paraît préférable d’être moins précis, en considérant qu’il a entretenu des rapports avec le mysticisme judéen qui a produit des apocalypses, celui considérant que l’attente eschatologique est une déception et que le monde est définitivement condamné. Bref, les mandéens déclarent : « Nous sommes de dieu et nous retournons à dieu ». Ils ont une formule courante : « L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux, et qui aspire de toutes ses forces à y remonter ». La figure de Jean le Baptiste dans le mandéisme ne provient pas des milieux chrétiens au sens strict, mais plutôt selon toute vraisemblance du mouvement johannite dont la dernière attestation n’est pas postérieure au iv e siècle. En effet, il paraît évident, comme Kurt Rudolph l’a établi, que le contenu prophétique du baptême de Jean le Baptiste transmis dans les textes chrétiens est tout à fait différent de celui du baptême mandéen 69. Si les mandéens accordent une vénération particulière à leur dernier prophète, Jean le Baptiste, ils détestent en revanche Moïse, Jésus et Mahomet considérés comme des prophètes du mensonge et des opposants au prophète de vérité qu’est Jean le Baptiste, le dernier des prophètes 70. Parmi les figures vénérées dans le mandéisme, on trouve celle de Marie ou Miriai. Les critiques considèrent ce personnage féminin comme étant soit Marie de Magdala 71, soit Marie de Nazareth 72 . Il est probable que la Miriai des mandéens soit la Marie la mère de Jésus des chrétiens 73. Le rattachement de cette figure paraît tardif, de peu antérieur ou postérieur à l’islam. Les mandéens, quoique pratiquant des rituels de purification assez poussés, ne sont en rien des ascètes. Dans leur littérature, on trouve d’ailleurs de nombreuses invectives railleuses et furieuses contre les macérations et la continence des anachorètes et des moines chrétiens. Le célibat y

68. Voir K.  Rudolph, Die Mandäer, I. Das Mandäerproblem, Göttingen, 1960, p. 146-160. 69. Voir K.  Rudolph, Die Mandäer, I. Das Mandäerproblem, Göttingen, 1960, p. 66-80. 70.  Voir L. Tondelli, « S. Giovanni Battista ed Enos nella letterature mandea », dans Biblica 9 (1928), p. 206-224. 71. Voir K.  Rudolph, Die Mandäer, I. Das Mandäerproblem, Göttingen, 1960, p. 88. 72. Voir J.J. Buckley, « The Mandaean Appopriation of Jesus’ Mother, Miriai », dans Novum Testamentum 35 (1993), p. 181-196. 73. Voir A. L oisy, Le mandéisme et les origines chrétiennes, Paris, 1934, p. 47-60.

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est notamment rejeté, le mariage et la fécondité exaltés : il est même prêté à Jean le Baptiste une femme et huit enfants. VII. Rituels mandéens Pour les mandéens, ce n’est pas seulement la connaissance qui délivre, c’est aussi l’observance des rituels. Ces rituels qui délivrent du mal sont : les aumônes, les œuvres, les préceptes alimentaires dont l’abattage rituel des animaux, et les diverses purifications. Les mandéens interdisent la circoncision, sans doute par réaction contre le judaïsme et le christianisme. La maison de culte des mandéens est une simple bâtisse ou hutte appelée mandi, manda ou mashkna. Toutes les cérémonies ont lieu en dehors de la maison de culte, devant sa porte ou en direction de celle-ci-il est sans doute possible d’établir un parallèle avec le Saint des Saints du temple de Jérusalem, dans lequel le grand prêtre n’entre qu’une fois l’an, toutes les célébrations et sacrifices ayant lieu au dehors. Le sacerdoce mandéen comporte des grands prêtres (ganzibra), des prêtres (tarmida) et des diacres (shganda). L’appartenance sacerdotale est héréditaire. Les femmes semblent pouvoir accéder aux fonctions sacerdotales et exercer un rôle non négligeable dans les rituels, en particulier les baptêmes, mais aussi comme scribes – il est cependant difficile de dire si cette situation a vraiment prévalu à époque ancienne 74 . Les prières ont lieu trois fois par jour (le matin, le midi et le soir) et il ne semble pas avoir de direction déterminée, même si l’on prie plutôt tourné vers le nord. Le jour férié des mandéens est le premier jour de la semaine, c’est-àdire le dimanche (had beshabba). C’est un jour de repos, comme le shabbat chez les Judéens, et l’assistance à la maison de culte et aux baptêmes qui ont lieu ce jour-là sont obligatoires. Il ne faut pas y voir une origine chrétienne, mais un développement du shabbat judéen. Dans la plupart des rituels mandéens interviennent deux éléments : la pihta et le mambuha. Le premier est un aliment solide, du pain salé. Le second est un aliment liquide, une boisson qui peut être de l’eau sucrée, mais aussi du vin. Ils relèvent l’un comme l’autre d’une communion liant les participants aux rituels. La partie centrale des rituels est le baptême des vivants ainsi que le baptême des mourants. D’autres baptêmes purificateurs sont fréquemment répétés, surtout pour la rémission des péchés, à la suite notamment de tout rapport sexuel. Observons déjà que l’eau vive apparaît comme central dans tous les rituels baptismaux. 74. Voir J.J. Buckley, « The Evidence for Women Priests in Mandaeism », dans Journal of Near Eastern Studies 59 (2000), p. 93-106.

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CHAPITRE VI

On se concentre uniquement sur les rituels du baptême ou masbuta et du sacrement ou masiqta.

A. Baptême des vivants ou masbuta 75 Dans le rituel masbuta l’immersion est totale et se fait toujours dans des eaux vives qui sont à la fois symboles de purification et de vivification, car de telles eaux contiennent la vigueur de la vie céleste qui coule dans le royaume de la Lumière. Ces eaux lustrales sont nommées Yardna, « Jourdain », lequel descend du monde de la Lumière : une appellation qui est générique, car ce sont toutes les eaux lustrales qui sont désignées ainsi, mais qui prouve cependant l’origine palestinienne de la pratique mandéenne. Ce rituel baptismal se pratique tous les dimanches et à toutes les manifestations cultuelles. Il consiste en une triple immersion totale du fidèle vêtu de sa robe blanche qui se signe ensuite trois fois le front de droite à gauche (rushma), prenant trois gorgées d’eau du Yardna, pour être enfin couronné d’une couronne de myrthe (klila). Sorti de l’eau, le fidèle reçoit du prêtre l’onction sur le front avec de l’huile de sésame (manbuḥa). Après la bénédiction sur le pain salé (pihta) et le raisin mélangé avec de l’eau (ḥamra), le prêtre impose les mains sur le fidèle et son sceau rituel trempé dans de l’huile, qui est en or, symbole du monde de la Lumière. Le rituel se conclut par la pratique de vérité ou de la religiosité (kushta), consistant en ce que le prêtre et le fidèle se donnent la main. En dehors de ce rituel baptismal administré par un grand prêtre ou un prêtre (ganzibra ou tarmida), il existe des lustrations individuelles pour toutes sortes de fautes commises. Le rituel baptismal symbolise la communion avec le monde de la Lumière qui procure le salut : à l’instar du baptême procuré à Adam par les êtres de la lumière, le mandéen croit que le monde de la lumière est présent lors de son baptême et que sans lui son âme ne peut atteindre l’autre monde. Le rituel baptismal des mandéens est similaire à celui pratiqué par les elkasaïtes, tel qu’il est décrit dans l’Elenchos  IX, 10.

B. Le baptême des mourants ou masiqta 76 La masiqta, littéralement la « montée », est avant tout célébrée lors de la mort d’un fidèle, mais aussi en d’autres moments. Pour ce rituel, qui est 75. Voir E.S. Drower , The Mandeans of Irak and Iran. Their Cults, Customs, Magic, Legends, and Folklore, Oxford, 19371, Leyde, 19622 , p. 100-123. Voir aussi et surtout E. Segelberg, Maṣbuta. Studies in the Ritual of the Mandaean Baptism, Uppsala, 1958. 76. Voir E.S. Drower , The Mandeans of Irak and Iran. Their Cults, Customs, Magic, Legends, and Folklore, Oxford, 19371, Leyde, 19622 , p. 178-203.

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décrit en détail dans le Qolasta, il faut de la viande, de l’eau, de l’encens, du pain, du vin, de l’huile et un diadème de myrte. Des hymnes sont récités sur le pain levé et salé (pihta), les soixante ou soixante-six petits pains non levés garnis d’épices et de chair de pigeon (fatiré) et le raisin mélangé avec de l’eau (ḥamra). L’absorption du vin par le prêtre officiant, qui peut aussi manger des pains non levés, symbolise son union mystique avec l’âme du décédé. Les pains non levés restant, qui symbolisent les vivants et les morts, sont ensuite enterrés. La célébration de ce sacrement permet à l’âme du défunt de quitter le corps pour renaître dans le monde de la lumière qui est immatériel. Elle est liée essentiellement à l’idée du voyage céleste de l’âme, qui doit traverser les diverses sphères angéliques : c’est pourquoi, l’âme doit être munie de tous les mots de passe et de tous les sceaux qui lui permettent de traverser ces sphères successives. Bref, l’âme doit monter avant de parvenir à la demeure céleste. On perçoit une influence de la mystique judéenne d’ordre gnostique, matinée d’influence iranienne, qui n’a rien à voir avec le judaïsme rabbinique – rien à voir avec le rattachement de la Kabbale avec le judaïsme rabbinique établi par Gershom G. Scholem dans ses nombreux travaux. Dans ce rituel, il est fait mention de l’usage du sel (tsa) que l’on retrouve aussi dans le rituel baptismal des elkasaïtes. Dans les traditions chrétiennes arménienne et géorgienne, il est fait mention de la bénédiction du sel que l’on attribue à Jésus.

C. Quelques compléments Parmi d’autres rituels, il convient de dire un mot sur l’onction d’huile ainsi que sur le lavage et le séchage des pieds. Observons auparavant que le premier commandement mandéen est de se laver à l’eau après les rapports conjugaux qui sont parfois interdits dans certains cas. Observons encore que tous les aliments sont permis, mais que le Ginza-Sidra Rabba (ou Trésor-Grand Livre interdit tout aliment qui vient du paganisme (P 20, I, 8). De plus, il est défendu de se nourrir du sang des bêtes, des bêtes crevées, de celles qui portent ou qui ont été abattues par des animaux sauvages (P 20, I, 8 ; voir Lv 17, 10.15). La circoncision paraît interdite dans le mandéisme : il se pourrait qu’il y ait là un lien avec un antijudaïsme profond. 1. L’onction d’huile L’onction d’huile est utilisée comme remède curatif contre les démons maléfiques, mais aussi pour assurer la « guérison » du défunt qui en est enduit à des fins de réconfort et de revivification – un rite qu’on retrouve sous une autre forme en Jc 5, 13, dont il est question aussi chez les gnostiques chrétiens (voir Irénée de Lyon, Contre les hérésies I, 21, 3-5 ;

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Tertullien, Contre Marcion I, 14 ; Hippolyte, Elenchos  V, 7, 9). De plus, on remplit une petite fiole (‘ingirta) d’huile qui est scellée avec le sceau rituel du prêtre et qui accompagne le défunt pour qu’il puisse atteindre le monde de la lumière 77. 2. Le lavage et le séchage des pieds Le lavage et le séchage des pieds lors de l’ordination d’un prêtre est un rituel d’intronisation. En effet, lors de ce rituel, le prêtre est déclaré être un « roi ». Après avoir lavé ses pieds, une femme veuve et vertueuse doit essuyer les pieds du prêtre avec ses cheveux : ce qui n’est pas sans rappeler Lc 7, 37-50 et Jn 13, 6-10. Le lavement des pieds est un rituel qui remonte à l’existence du temple de Jérusalem, et il est bien attesté dans la littérature rabbinique ancienne (TB Shabbat 25b et Shabbat 108b ; pour la vaisselle sacrée, voir M Sheqalim  VIII, 4 ; T Menahot  XIII, 19 ; T Zebahim  XI, 17 ; TB Pesahim 27a). VIII. Conclusion De tout temps, les mandéens semblent avoir été obligés de fuir les persécutions des cultes dominants au milieu desquels ils vivent. Ils ont réussi à se faire passer pour des « demi-mazdéens » en contexte iranien et pour un « Peuple du Livre » en contexte musulman : ce qui leur a permis de survivre durant au moins quinze siècles en pratiquant une dissimulation et une assimilation de précaution. S’il faut en croire leurs traditions orales actuelles, ils ont quitté les rives du Jourdain pour le Ḥarran, puis ont émigré vers la Médie avant de descendre vers le sud de la Mésopotamie, en Mésène, sur les rives du Tigre et de l’Euphrate où l’oppression musulmane les a obligés à vivre dans les marais du sud de l’Irak et de l’Iran. Les mandéens vouent une haine féroce aux chrétiens qui sont pour eux méprisés et méprisables. Ils vont même jusqu’à les accuser de meurtre rituel. Pour eux les Juifs sont des apostats et des falsificateurs de la Loi première, allusion à la Torah par rapport peut-être au Talmud. Bref, les mandéens sont aussi antijuifs qu’antichrétiens et il n’est pas certain qu’ils fassent une grande différence entre le judaïsme et le christianisme, signe peut-être que lors de leur séparation, il n’y aurait pas eu de grandes distinctions. Après une assez longue éclipse, le mandéisme semble attirer de nouveau des chercheurs comme le montre une conférence internationale qui s’est tenue récemment à Oxford 78. 77.  À ce sujet, voir J.A. Delaunay, « Un aspect méconnu de la masiqta mandéenne », dans Die Welt des Orients 11 (1980), p. 99-110. 78. Voir J.F. Coakley (Éd.), The Thirteenth Conference of the Aram Society : The Mandaeans, Oxford, 1999-2000 (Aram 11-12).

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Les mandéens ont formé ainsi des communautés peu nombreuses, retirées et fermées, qui ont conservé jusqu’à présent de très précieux documents sur des croyances et des pratiques qui auraient dû ou pu disparaître depuis longtemps. VI.2 . R a pport

e n t r e l’ e l k a sa ï sm e et l e m a n dé i sm e

Toute étude du rapport entre l’elkasaïsme et le mandéisme est délicate à conduire pour deux raisons essentielles : (1) les elkasaïstes ont disparu depuis longtemps et on ne les connaît que par leurs ennemis qui en ont conservé des témoignages ; (2) les mandéens présentent la tendance à dissimuler leur véritable origine et les véritables influences qui se sont exercée sur leur mouvement. On va procéder en trois principales étapes qui portent sur (1) l’état de la question, (2) les arguments favorables au rapprochement et (3) les arguments défavorables au rapprochement. Les deuxième et troisième étapes sont très liées, tellement les arguments de l’une et de l’autre sont difficilement distinguables. Précisons que la thèse de l’identification des mandéens avec les elkasaïtes est directement issue de la thèse de l’identification des mandéens avec les esséniens. Autrement dit, on a souvent cherché à établir une filiation partant des esséniens, aboutissant aux mandéens, en passant par les elkasaïtes, voire par les dosithéens 79. Dans l’état actuel de la documentation, une telle filiation est une pure vue de l’esprit, même si elle n’est pas dénuée d’intérêt. Toutefois, il faut savoir, en réalité, que l’identification des mandéens avec les esséniens a été proposée à partir de deux indices d’ordre vestimentaire. Le premier, c’est que les mandéens portent une ceinture lors des cérémonies religieuses lustrales, tout comme les esséniens se ceignent d’un pagne pour leurs bains rituels. Le second, c’est que les mandéens, tout comme les esséniens, et d’ailleurs les elkasaïtes, portent un habit blanc en lin. Avant la découverte des textes dits de « Qumrân », de nombreux critiques ont soutenu une telle position sur ces quelques indices : on le constate, c’est fort peu de choses. C’est pourquoi, l’historien doit se garder d’opérer de tels rapprochements, qui de fait ne reposent que sur des indices très faibles. La prudence s’impose donc dans l’état actuel de la recherche. La question du rapport entre l’elkasaïsme et le mandéisme relève peu ou prou de celle des origines du mandéisme. Les critiques se sont générale79.  Voir par exemple R. McL. Wilson, « Simon, Dositheus and the Dead See Scrolls », dans Zeitschrift für Religions und Geistesgeschichte 9  (1957), p. 21-30.

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ment intéressés à cette question dans le cadre de cette problématique. C’est le cas, par exemple de Marie-Joseph Lagrange, au sujet duquel on revient plus loin. I. État de la question Le premier à avoir proposé l’identification des mandéens avec les elkasaïtes est le grand Daniil Avraamovich Chwolsohn dans son célèbre ouvrage Die Ssabier und der Ssabismus, paru en 1856 à Saint-Petersbourg 80. En dépit de sa date et de sa partie caduque, ce gros ouvrage, en deux tomes, de 825 + XXXII + 920 pages, n’a toujours pas été remplacé comme instrument de travail donnant accès aux sources recueillies et commentées dans le tome II. Pour cet auteur, les mandéens sont à identifier aux sabéens de Ḥarran. Autrement dit, pour lui, sabéens = mandéens. L’argumentation de l’auteur part de deux constatations reposant sur deux témoignages. D’une part, sur celui de l’hérésiologue islamique Ibn an-Nadim qui mentionne comme fondateur de la secte des mughtasila, ou sabéens des marais (c’est-à-dire des mandéens pour l’auteur), un certain Elkasaï. D’autre part, sur celui de l’hérésiologue chrétien Hippolyte de Rome qui affirme qu’Elkasaï a confié à Sobiaï le Livre des Révélations que lui a remis un ange révélateur. Ainsi, on peut constater, estime Daniil Avraamovich Chwolsohn, en ce Sobiaï la personnification de la secte sabéenne : la transmission du livre sacré symboliserait les relations historiques qui auraient existé entre les sabéens (= mandéens) et Elkasaï, celuici étant mentionné d’autre part par Ibn an-Nadim comme fondateur de la secte sabéenne. À cela, viendrait encore s’ajouter qu’Hippolyte de Rome présente Elkasaï comme originaire de la Perse, nouvelle preuve que des liens ont rattaché les elkasaïtes à l’Orient. Daniil Avraamovich Chwolsohn va encore plus loin puisqu’il fait des manichéens les successeurs des sabéens (mandéens), voyant dans le « Scythianus », qui a été le maître de Mani, Elkasaï lui-même, le « Parthe », désigné par ce nom d’après son lieu d’origine. Observons que ce « Scythianus » des textes arabes, peut maintenant, grâce à la Vita Mani, être identifié à Sitaios / Sitan, le chef de la communauté elkasaïte dans laquelle Mani a passé les premières vingt-quatre années de sa vie. L’argumentation de Daniil Avraamovich Chwolsohn suppose l’équation entre mandéens, mughtasila et sabéens. Or cette équation ne tient plus depuis que l’on sait que le terme araméen « sabéen » est un terme générique désignant les « baptistes » et que le terme arabe « mughtasila » 80.  D.A.  Chwolsohn, Die Ssabier und der Ssabismus, Saint-Petersbourg, 1856, I, p. 112-121.

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est un terme spécifique désignant les « elkasaïtes ». Autrement dit, elkasaïtes = mughtasila = sabéens et non pas mandéens = mughtasila = sabéens. Il est donc difficile de retenir l’hypothèse de Daniil Avraamovich Chwolsohn uniquement sur la base des données d’Ibn an-Nadim et d’Hippolyte de Rome, du moins sur la base des données retenues par le célèbre critique. Il faut savoir qu’à la même époque, une thèse similaire est également défendue par Ernest Renan. Dans une première contribution sur l’Apocalypse d’Adam ou Testament d’Adam, parue en 1853 dans le Journal Asiatique, Ernest Renan propose quelques conjectures sur l’identité des elkasaïtes avec les sabiens, connus sous le nom de mandéens, nazoréens et chrétiens de saint-Jean 81. L’auteur fonde son opinion sur Épiphane de Salamine, sur les noms mêmes des fondateurs Elkasaï et Sobiaï, et enfin sur les analogies qu’on remarque entre ce que les hérésiologues chrétiens rapportent quant aux doctrines et pratiques des elkasaïtes et ce que l’on sait à son époque des mandéens. Dans une seconde contribution, parue en 1855, toujours dans le Journal Asiatique, Ernest Renan renforce son opinion en faisant appel au texte arabe d’Ibn an-Nadim sur les mughtasila 82 . Il insiste alors sur les influences mazdéennes et bouddhiques sur le mandéisme comme sur l’elkasaïsme, sans faire aucune démonstration. Précisons qu’Ernest Renan n’a pas encore lu l’ouvrage de Daniil Avraamovich Chwolsohn lorsqu’il écrit ce second article, mais qu’il en connaît déjà le contenu grâce à la lettre d’une personnalité de l’Académie de SaintPetersbourg. En 1921 et en 1924, Henrich Waitz reprend, en l’assurant et en la développant, la thèse de Daniil Avraamovich Chwolsohn 83. Le critique allemand veut, en effet, déterminer en même temps la fraction des elkasaïtes avec laquelle les mandéens auraient eu des rapports. 81.  E. R enan, « Fragment du livre gnostique intitulé Apocalypse d ’Adam ou Pénitence d ’Adam ou Testament d ’Adam publié d’après deux versions syriaques », dans Journal asiatique 5 (1853), p. 427-471. 82.  E. R enan, « Note sur l’identité de la secte gnostique des elchasaïtes avec les Mendéïtes ou Sabiens », dans Journal asiatique 6 (1855), p. 292-294. Voir aussi E. R enan, Les Apôtres, Paris, 1877, p. 462-465. 83.  H. Waitz , « Das Buch des Elchasai, das heilige Buch der judenchristlichen Sekte des Sobiai », dans Harnack-Ehrung : Beiträge zur Kirchengeschichte, ihrem Lehrer Adolf von Harnack zu seinem siebzigsten Geburtstag (7. Mai 1921), dargebracht von einer Reihe seiner Schüler, Leipzig, 1921, p. 87-104. Voir aussi H. Waitz , « Das Buch des Elchasai », dans E. H ennecke (Éd.), Neutestamentliche Apokryphen, in Verbindung mit Fachgelehrten in deutscher Uebersetzung und mit Einleitungen, Tübingen, 1924 2 , p. 422-425 (traduction allemande).

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Insistant sur la doctrine dualiste attribuée par Ibn an-Nadim aux mughtasila (= mandéens) et sur leur abstinence de viande et de vin, l’auteur en fait « les continuateurs des elkasaïtes gnostiques des PseudoClémentines », ceux-ci s’abstenant précisément de viande et professant un dualisme particulier qui distingue un principe mâle et un principe femelle et rapporte au premier les choses bonnes et nécessaires. Ce serait même peut-être, pense-t-il, la théorie des syzygies que viserait Ibn an-Nadim lorsqu’il déclare que certaines doctrines des mughtasilas ne sont que du roman. On se trouve en pleine confusion. D’une part, dans la littérature pseudo-Clémentine, il n’est jamais question des elkasaïtes mais plutôt des ébionites, un autre mouvement chrétien d’origine judéenne. D’autre part, ce n’est pas le dualisme seul qui permet de qualifier de « gnostique » un groupe religieux. Plus intéressante est l’argumentation développée par Marie-Joseph Lagrange pour assurer l’identification des mandéens avec les elkasaïtes. Dans un article de la Revue biblique, paru en 1927, le père dominicain établit son opinion à partir d’une analyse des écrits mandéens et d’une comparaison entre le mandéisme et l’elkasaïsme 84 . Il met en relief quelques ressemblances notables entre les elkasaïtes et les mandéens. Les uns et les autres rejettent certaines parties de l’Écriture tout en se servant de textes scripturaires. Ils s’en prennent à Paul, le considérant comme un faux-apôtre. Ils estiment qu’on peut renier sa foi, pourvu que ce soit de bouche seulement et non de cœur aussi. Ils possèdent un livre qui procure la rémission des fautes et qui prescrit un ensemble de pratiques. Ils pratiquent le mariage obligatoire, le rejet des sacrifices, l’usage des bains nombreux et l’usage d’incantations et de magie. Dans cette contribution, Marie-Joseph Lagrange constate que dans la notice d’Ibn an-Nadim, les traits qui ressortent ne conviennent ni à Elkasaï ni aux mandéens. Il estime que la notice de l’hérésiologue musulman est relativement confuse 85 : observons que si elle est confuse, c’est qu’elle a été embrouillée par l’interprétation de Daniil Avraamovich Chwolsohn dont le père dominicain a du mal à se défaire. Marie-Joseph Lagrange reconnaît toutefois que les elkasaïtes sont judéens alors que les mandéens sont antijudéens. Mais le célèbre critique considère que le judaïsme des elkasaïtes n’est qu’un masque destiné à favoriser la propagande dans les milieux judéens, foncièrement, affirme-t-il, ils restent « païens ». Il est bien évident que sur ce point, Marie-Joseph 84.  M.-J.  L agrange , « La gnose mandéenne et la tradition évangélique », dans Revue biblique 36 (1927), p. 494-509 et spécialement p. 498-505. 85.  M.-J.  L agrange , « La gnose mandéenne et la tradition évangélique », dans Revue biblique 36 (1927), p. 509-510.

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Lagrange se trompe. Dans l’ensemble cependant ses rapprochements sont intéressants. D’autant que, pour le père dominicain, dans le fond, il est plus question de filiation que d’identification. Soulignons qu’en ce qui concerne l’origine des mandéens, Marie-Joseph Lagrange est en faveur de la thèse palestinienne. Joseph Thomas, dans son ouvrage sur le mouvement baptiste en Palestine et Syrie, paru à Louvain en 1935, examine à son tour la question 86. Quoique dans l’ensemble très critique, l’auteur fort curieusement sur ce point, reprend à son compte la thèse de Daniil Avraamovich Chwolsohn et accepte l’équation entre mandéens, mughtasila et sabéens. Comme selon lui, les mandéens sont originaires de Palestine, il refuse l’origine orientale d’Elkasaï et considère alors que c’est en Occident (c’est-à-dire en Palestine et en Transjordanie) que celui-ci a prêché la bonne nouvelle et a jeté les fondements de son mouvement. Il est bien entendu difficile de retenir une telle hypothèse même si une bonne part de la démonstration de Joseph Thomas n’est pas dénuée d’intérêt. Pour l’instant, on n’a passé en revue que des auteurs qui sont plus ou moins favorables à la thèse de l’identification des mandéens avec les elkasaïtes. Il convient d’observer qu’un grand spécialiste des questions baptiste, elkasaïte et mandéenne, Wilhelm Brandt s’est opposé à une telle identification 87. Ce critique récuse en effet toute valeur à l’argument tiré des données traditionnelles : il ne veut pas de la thèse de Daniil Avraamovich Chwolsohn que Sobiaï représenterait les sabéens et qu’Elkasaï serait à l’origine des mandéens. Ce sont, précise-t-il, à juste titre, les mughtasila qui ont honoré Elkasaï. Mais il hésite toutefois à identifier les mughtasila aux elkasaïtes : pour lui, ce sont simplement des baptistes, sans plus de précision, différents néanmoins des mandéens. Il est frappant de constater qu’un auteur récent comme Joseph Schmitt, dans un article paru en 1957 dans le Supplément au Dictionnaire de la Bible, reprend la thèse de Daniil Avraamovich Chwolsohn, sans d’ailleurs citer son auteur 88.

86.  J. Thomas , Le mouvement baptiste en Palestine et Syrie (150 av. J.-C.-300 ap. J.-C.), Louvain, 1935, p. 244-252. 87.  W. Brandt, Elchasai, ein Religionsstifter und sein Werk, Lepzig, 1912, p. 144-147, voir aussi p. 42-44. 88.  J. Schmitt, « Mandéisme », dans Dictionnaire de la Bible. Supplément 5 (1957), col. 783-786.

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Comme on peut le constater la thèse de Daniil Avraamovich Chwolsohn a été dans l’ensemble bien acceptée. C’est avec propos que Michel Tardieu souligne que « L’examen de la postérité de Chwolsohn serait une belle étude à entreprendre et éclairerait bien des positions prises en sciences religieuse et en orientalisme du milieu du xix e siècle à nos jours, même et surtout lorsque le nom de Chwolsohn n’apparaît pas » 89. À noter que l’on doit à Jan Hjärpe la première exposition critique exhaustive de l’ouvrage de Daniil Avraamovich Chwolsohn. D’une certaine façon, Jan Hjärpe clôt l’histoire de la postérité de Daniil Avraamovich Chwolsohn dont il ne fait d’ailleurs pas l’histoire 90. La majorité des critiques, à l’exception de Wilhelm Brandt, ont fait valoir l’argument d’autorité. Un tel argument paraît aujourd’hui insuffisant pour défendre une hypothèse, surtout quand il s’agit d’une thèse qui date de 1856, d’une époque où l’histoire de la Babylonie reste encore à découvrir et à écrire. Aussi, on peut penser qu’il est difficile, voire impossible, d’identifier les mandéens aux elkasaïtes, du moins sur la base de l’équation proposée jadis par Daniil Avraamovich Chwolsohn. Cette équation, on l’a vu, est fausse. Il convient maintenant d’examiner d’une part les éléments favorables et d’autre part les éléments défavorables au rapport entre l’elkasaïsme et le mandéisme. C’est en ces termes qu’il convient de poser la question et non pas en soulevant le problème d’une quelconque identification des mandéens avec les elkasaïtes. En histoire, tout l’art ne consiste pas à résoudre les problèmes, mais à poser les bonnes questions. Une mauvaise question n’amènera qu’une mauvaise réponse. Une bonne question a des chances de conduire à une bonne réponse. Car, pour en revenir à l’elkasaïsme et au mandéisme, quoiqu’il en soit, dans le meilleur des cas, on arrivera à établir, entre les deux groupes, une relation d’influence mais non une relation d’identification. II. Les arguments favorables au rapprochement On peut raisonnablement établir un certain nombre de parallèles entre les doctrines et les pratiques elkasaïtes et mandéennes. Les elkasaïtes et les mandéens rejettent de manière impérative le célibat et la continence. Cette interdiction est attribuée au fondateur, nommé, chez les elkasaïtes et au révélateur, non nommé, chez les mandéens. 89.  M. Tardieu, « Sabiens coraniques et ‘Sabiens’ de Ḥarran », dans Journal asiastique 274 (1986), p. 4, n. 10. 90.  J. Hjärpe , Analyse critique des traditions arabes sur les sabéens harranien, Uppsala, 1972 (Thèse de Doctorat).

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Ils rejettent les uns et les autres l’apôtre Paul, lequel est qualifié de messie par les mandéens dans un seul passage de leur littérature (Ginza-Sidra Rabba, II, 1 : « Mesiḥa Paulis » 91) : à relever, en ce qui concerne cette note anti-chrétienne que les mandéens récusent aussi le messie Jésus. Les elkasaïtes et les mandéens se caractérisent par l’abandon des sacrifices, en dehors de l’abattage rituel. Ajoutons, dans le même ordre d’idée, que les développements sur la valeur des eaux et l’antithèse eau-feu se retrouvent identiques chez les uns et les autres. Les elkasaïtes comme les mandéens recourent abondamment, tout au moins certains d’entre eux, aux pratiques magiques, notamment par des incantations. Pourtant dans le Ginza, on trouve, pour les mandéens, des interdictions comme celles-ci : « Ne vous adonnez pas à la magie, œuvre de Satan ; n’allez pas aux devins ni aux chaldéens de mensonge » (I, 97 et 143) 92 . Enfin, les elkasaïtes et les mandéens prennent fréquemment des bains soit pour la rémission des péchés, soit pour la guérison des maladies, soit pour remédier aux démons, soit pour rendre le culte à la divinité. Pour les uns et pour les autres, les baptêmes ont les mêmes effets et les mêmes valeurs : ils constituent l’axe central du culte, ils sont un remède contre les démons et les maladies, ils remettent des fautes et ils procurent la vie et le salut. On passe sur les questions de bains rituels pour se laver des impuretés provoquées après le contact d’un cadavre, après le contact sexuel et après la menstruation. Ces règles rituelles existent dans le judaïsme, dans l’elkasaïsme et dans le mandéisme, elles ne sont donc pas déterminantes pour le propos. III. Les arguments défavorables au rapprochement Des difficultés sérieuses existent contre un rapprochement entre l’elkasaïsme et le mandéisme. Elles proviennent essentiellement des différences de doctrines et de pratiques. Les elkasaïtes pratiquent la circoncision et observent le sabbat, alors que les mandéens ne pratiquent pas la circoncision et n’observent pas le repos du sabbat, mais plutôt le repos du dimanche. Les elkasaïtes se tournent vers Jérusalem pour prier alors que les mandéens regardent vers le Nord. En revanche, on ne sait pas si les mandéens, au cours de leurs rites lustraux, invoquent les éléments-témoins comme le font les elkasaïtes. Toutefois, dans les écrits mandéens, les éléments sont mentionnés. Observons 91.  Je dois cette précision à Edmondo Lupieri que je remercie. 92. Voir M.  Lidzbarski, Ginza. Der Schatz oder das grosse Buch der Mandäer, Göttingen, 1925, p. 16 et p. 22.

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que les éléments-témoins considérés comme sacrés sont originaires du mazdéisme. Les elkasaïtes ont remplacé le feu par le ciel alors que les mandéens ont maintenu le feu aux dépens du ciel. Les mandéens considèrent le feu et l’eau comme des éléments sacrés, des éléments essentiels, constitutifs du monde – le feu peut par ailleurs avoir deux natures. C’est précisément sur cet argument que Svend A.  Pallis se fonde pour nier catégoriquement un quelconque rapport entre les mandéens et les elkasaïtes 93. Le feu étant un élément d’origine mazdéenne, pour cet auteur il ne serait pas impossible que les mandéens aient une origine iranienne. Mais la principale opposition à un rapprochement entre l’elkasaïsme et le mandéisme provient du fait que les mandéens sont violemment anti-juifs et anti-chrétiens alors que les elkasaïtes ont été à la fois juifs et chrétiens. Si les mandéens étaient d’origine elkasaïte, leur antijudaïsme se comprendrait mais non leur antichristianisme. À partir de cette remarque, on peut se demander d’ailleurs si leur antichristianisme ne proviendrait pas des milieux johannites : le johannitisme, en effet, a été un mouvement contemporain et concurrent du christianisme. IV. Conclusion Que conclure au sujet du rapport entre l’elkasaïsme et le mandéisme ? Dans l’état actuel de la recherche, il paraît souhaitable de trancher de manière définitive sur ce point. Il faut bien avouer que les arguments favorables valent les arguments défavorables. On pourrait même penser que, d’une certaine manière, ils ne sont pas dirimants pour permettre d’opter pour l’une ou l’autre thèse. La question du rapport entre l’elkasaïsme et le mandéisme paraît être un excellent sujet de thèse de diplôme ou de doctorat. Il faudrait alors, après un état de la recherche, reprendre tous les textes mandéens (lesquels sont contradictoires selon les époques) et les comparer aux notices sur les elkasaïtes. Cependant, il paraît difficile de savoir si les résultats d’un tel travail permettraient de se prononcer clairement sur la question du rapport entre ces deux mouvements religieux, mais au moins on aurait à disposition toutes les pièces du dossier ainsi que tous les éléments, ce qui ne serait pas un maigre apport. Dans tous les cas, seule une étude attentive et comparative des textes permettrait d’éclairer cette question. La comparaison des doctrines et pratiques elkasaïtes et mandéennes est une démarche, en soi peut être intéressante, mais insuffisante… 93.  S.A.  Pallis , Mandaean Studies, Copenhague, 19191, Londres, 19262 , p. 99-101.

LE MANDÉISME ET L’ELKASAÏSME

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On peut estimer que l’elkasaïsme se trouve être à l’origine du mandéisme, du moins sur le plan des influences si ce n’est sur le plan des hommes. Il est toutefois difficile d’en dire plus, car au-delà ce serait ouvrir la porte aux spéculations… En tout cas ce que l’on doit essentiellement retenir c’est que la question du rapport entre l’elkasaïsme et le mandéisme ne peut plus être abordée sous l’angle envisagé de Daniil Avraamovich Chwolsohn qui, rappelons-le, encore une dernière fois, repose sur une équation erronée. La question du rapport entre l’elkasaïsme et le mandéisme implique celle du rapport entre le manichéisme et le mandéisme. En 1949, HenriCharles Puech estime que « les rapports entre le mandéisme et le manichéisme sont indéniables : les livres sacrés des mandéens mentionnent, en les exécrant, les manichéens ; le système d’écriture propre aux deux sectes est très proche ; nombre de termes techniques, de mythes ou de gestes rituels, tels que la poignée de main symbolique, sont ici et là communs » 94 . Pour Henri-Charles Puech, « ce sont les mandéens qui paraissent avoir emprunté aux manichéens, et non ceux-ci à ceux-là ». Les critiques se partagent entre ceux qui admettent que le manichéisme s’explique par le mandéisme, ceux qui estiment que le mandéisme est postérieur au manichéisme et en dépend en partie, ceux qui pensent que certains éléments doctrinaux et certains textes du manichéisme ont été utilisés par les compilateurs des écrits mandéens ou par les fondateurs du mandéisme, enfin ceux qui retiennent que mandéisme et manichéisme puisent, chacun de son côté, à un ancien fonds commun, babylonien ou iranien. Mandéens et manichéens partagent des traditions communes, notamment des mythes assez similaires. Parmi eux, on doit signaler un fragment cosmogonique du Drashia d-Jahja-Drashia d-Malke (ou Livre de JeanLivre des rois) 95 et tout particulièrement la description du monde infernal du Genza yemina ou « Ginza de droite » 96 que l’on rencontre aussi dans les Kephalaia manichéens retrouvés en copte dans le Fayoum 97. Dans ses entretiens avec ses disciples, trois des hypostases ou principes rapportés par Mani et attribués aux « baptistes » ou aux « purifiés » 98, se 94.  H.-C.  P uech, Le manichéisme. Son fondateur – sa doctrine, Paris, 1949, p. 40-41. 95. Voir M.  Lidzbarski, Das Johannesbuch der Mandäer, Giessen, 19152 , p. 54-57. 96. Voir M.  Lidzbarski, Ginza. Der Schatz oder das grosse Buch der Mandäer, Göttingen, 1925, p. 277-280. 97. Voir H.J.  Polotsky – A. Böhlig, Manichäische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin, I. Kephalaia [I], 1. Hälfte (Lieferung 1-10) [Codexseiten 1-244], Stuttgart, 1940, p. 30-34 (Kephalaion  VI) et p. 77-79 (Kephalaion  XXVII). 98. Voir H.J.  Polotsky – A. Böhlig, Manichäische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin, I. Kephalaia [I], 1. Hälfte (Lieferung 1-10) [Codexseiten 1-244], Stuttgart, 1940, p. 33, 25-32 (Kephalaion  VI) et p. 44, l. 19-45, 15 (Kephalaion  XII). Voir aussi H.J.  Polotsky, Manichäische Homilien, Stuttgart, 1934, p. 87-13 (Homélie  IV).

336

CHAPITRE VI

retrouvent dans certains textes mandéens (Genza yemina ou « Ginza de droite » et Qolasta) : il y est question, en effet, de la « Première Vie », de la « Deuxième Vie » et de la « [Troisième Vie ?] » 99. Les « baptistes » ou « purifiés » auxquels semblent s’adresser Mani sont des elkasaïtes et non des marcionites, comme l’a pensé Henri-Charles Puech qui a traité de ces contacts, du coup il n’y a pas à s’étonner qu’on retrouve leurs propos à la fois chez les manichéens et chez les mandéens 100. Il pourrait s’agir d’indices supplémentaires pour penser que les uns et les autres ont dû avoir des origines communes, sans aucun doute elkasaïtes. Ce qui ne signifie pas que les uns soient favorables aux autres : on ne trouve apparemment rien dans la littérature manichéenne mais dans la littérature mandéenne les allusions à l’égard des manichéens sont malveillants. On a beau sortir de la même matrice, on en s’aime pas pour autant ! De fait, à la suite de la découverte de la Vita Mani du CMC, il est possible de postuler que l’elkasaïsme est à l’origine non seulement du manichéisme, mais aussi du mandéisme. Cette hypothèse a déjà été proposée par Wilhelm Brandt qui a avancé que le rapport réciproque des versions manichéennes et mandéennes de tel ou tel mythe ou rite suppose une source commune, mais sans l’identifier pour autant à l’elkasaïsme – le maillon qui aurait dû l’y conduire lui manquant alors 101.

99. Voir M.  Lidzbarski, Ginza. Der Schatz oder das grosse Buch der Mandäer, Göttingen, 1925, p. 191, 1-2. Voir aussi M.  Lidzbarski, Mandäische Liturgien, Berlin, 1920, p. 15, 6-7 (IX) ; p. 4, 3-6 (I) ; p. 141, 2 (XXVII). 100. Voir H.-C.  P uech, dans Revue d ’histoire des religions 123 (1941), p. 64, n. 1. 101.  W. Brandt, « Mandaeans », dans Encyclopaedia of Religion and Ethics 8 (1915), p. 385 et W. Brandt, « Die Mandäer », dans VKAWA, Afdeeling Letterkunde, Nieuwe Reeks 16, 3 (1915), 31.

Chapitre VII

CONCLUSION Les

ba p t ist e s de l a

Vita M a n i

son t- i l s de s elk a sa ï t e s  ?

La grande question que l’on va essayer de poser dans cette conclusion est la suivante : Les baptistes de la Vita Mani sont-il des elkasaïtes ? Dans le cadre de la problématique abordée dans cette recherche, il s’agit d’une question primordiale, puisqu’elle la conditionne en totalité au point d’en donner son titre. Pour y répondre, on développe ici successivement deux points principaux et complémentaires : (1) les baptistes dans la tradition manichéenne ; (2) les baptistes de la Vita Mani sont des elkasaïtes. On y ajoute un excursus qui porte sur les baptistes elkasaïtes dans le Fihrist d’Ibn an-Nadim. Auparavant, il convient d’examiner la position des critiques qui se sont penchés sur la question. VII.1. L a

posi t ion de s cr i t iqu e s

Ils sont extrêmement divisés et se partagent entre ceux qui estiment que les baptistes de la Vita Mani sont des elkasaïtes et ceux qui considèrent, pour diverses raisons, que ce n’est nullement le cas. I. Les partisans La plupart des critiques qui se sont intéressés à la question sont favorables à l’équation selon laquelle les baptistes du CMC sont à identifier avec des elkasaïtes. Il paraît inutile de tous les relever, mentionnons par exemple Michel Tardieu. II. Les opposants Ces critiques ne sont pas très nombreux, on va seulement en mentionner quelques-uns. D’après Albert Henrichs, l’association d’Alkasaïos au chef de la communauté manichéenne pourrait être une interprétation insérée dans la Vita Mani du CMC par le traditionniste manichéen connu sous le nom de

338

CHAPITRE VII

Zachéas : en ce cas, l’importance donnée au personnage d’Elkasaï ne serait pas originelle parmi les baptistes 1. D’après Samuel N.C. Lieu, la provenance et l’appartenance du nom d’Elkasaï à la tradition historiographique orientale suggèrent qu’il a été utilisé par les manichéens afin de conforter les origines judéo-chrétiennes de leur mouvement à des fins missionnaires 2 . Ce serait sous cet appellatif que la mémoire du fondateur aurait été conservée. Dans cette perspective, le surnom importe plus que son identité réelle : il confère l’originalité et la caractéristique au groupe constitué autour de la figure maîtresse et référentielle. Christelle et Florence Jullien, pour leur part, ont, dans leur ouvrage magistral, une position paradoxale 3. Elles acceptent de considérer que Mani soit originaire d’une communauté baptiste, mais refusent de l’identifier à une communauté elkasaïte, préférant ne pas plus s’avancer. Toutes ces positions, surtout celles d’Albert Henrichs et de Samuel N.C. Lieu, refusent de donner crédit aux auteurs du CMC, au traditionniste Zachéas mais aussi aux autres qui y sont mentionnés, et leur imputent une volonté de dissimulation de la réalité pour des raisons assez diverses. Il est difficile de les suivre, car il n’y a aucune raison de vouloir donner au mouvement manichéen une fausse origine judéo-chrétienne, surtout dans une société où les non Iraniens ne sont pas nécessairement favorisés, et notamment les Judéens chrétiens ou non, à des fins de mission en milieu chrétien. III. Récapitulatif De fait, toute la question repose sur la compréhension du nom d’Alkasaïos dans la Vita Mani du CMC. Il en a été question dans le chapitre IV de cette recherche, et il a été conclu que l’Alkasaïos en question est sans aucun doute l’Elkasaï des autres traditions, chrétienne notamment. VII.2 . L e s

ba p t i s t e s da ns l a t r a di t ion m a n ich é e n n e

Avant de devenir un fondateur de religiosité, Mani a passé toute son enfance et toute sa jeunesse dans une communauté baptiste, attestée sous des noms très divers dans la tradition manichéenne. En effet, il en est question dans la tradition manichéenne directe qui a conservé un certain 1.  A. H enrichs , 1979, « The Cologne Mani Codex Reconsidered », dans Harvard Studies in Classical Philology 83 (1979), p. 339-367, spécialement p. 355. 2.  S.N.C.  Lieu, « Mani and the ‘Baptists’ », dans Manichaeism in the Later Roman Empire and Medieval China, Tübingen, 1992, p. 35-50, spécialement p. 40. 3.  C.  Jullien – F.  Jullien, Apôtres des confins. Processus missionnaires chrétiens dans l ’Empire iranien, Louvain, 2002, p. 137-151.

CONCLUSION

339

nombre de témoignages où ils sont désignés non seulement par le terme de βαπτισταί (ou les baptisés), mais aussi par celui de καθάριοι (ou les purifiés) et par celui de ναζωραῖοι (ou les observants). Il en est de même pour la tradition manichéenne indirecte qui donnent des informations sur ces mêmes baptistes alors appelés soit mnaqqde (= ceux qui se purifient) ou halle heware (ou vêtements blancs) [en syriaque], soit mughtasila (ou ceux qui se lavent) [en arabe]. Outre la Vita Mani du CMC, la tradition manichéenne directe fournit un certain nombre de témoignages sur les baptistes. Ces témoignages subsistent en copte, en parthe, en syriaque et en arabe. Dans les textes coptes dits du « Fayoum », actuellement publiés, on rencontre trois ou quatre allusions concernant les baptistes. En plus de ces attestations, il est question de la figure d’Elkasaï dans nombre de temoignages en provenance des textes coptes dits du « Fayoum ». On va en présenter brièvement un certain nombre dans un exposé qui n’ambitionne pas d’être exhaustif d’autant que tous les textes ne sont pas encore publiés. I. Livre I, Kephalaion  VI (p. 30, 12-34, 12) Dans le Kephalaion  VI, intitulé « Sur les cinq ταμεῖα (ou poches, chambres), qui ont [jailli] du pays des ténèbres depuis les [origines], sur les cinq archontes, les cinq esprits, les cinq corps, les cinq goûts », on trouve la mention de ⲡⲇⲟⲅⲙⲁ ⲛⲧⲉ ⲡⲗⲁⲛⲏ (ou la communauté de l’erreur) (p. 33, 30) 4 . Plus loin, dans le même passage, il est précisé que ces « communautés de l’erreur » sont celles « qui baptisent dans le baptême d’eau » (p. 33, 31) et « qui fondent leur espoir et leur confiance dans le baptême d’eau » (p. 33, 31-32). À noter qu’auparavant, il est question de « l’esprit du roi des archontes de l’eau » (p. 33, 29). Il est également question du « roi du monde de l’eau » (p. 33, 25). On peut considérer que l’expression « les communautés de l’erreur » vise des communautés elkasaïtes et que les expressions « roi du monde de l’eau » et « esprit du roi des archontes de l’eau » renvoient à Elkasaï. II. Livre I, Kephalaion  XII (p. 44, 20-45, 15) Dans le Kephalaion  XII, intitulé « Sur l’interprétation des Cinq mots, qui sont prononcés… dans le monde… », on rencontre une mention concernant le ⲡⲇⲟⲅⲙⲁ ⲛⲛⲃⲁⲡⲧⲓⲥⲧⲏⲥ (ou la communauté des baptistes) 4. Voir H.J.  Polotsky – A. Böhlig, Manichäische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin, I. Kephalaia [I], 1. Hälfte (Lieferung 1-10) [Codexseiten 1-244], Stuttgart, 1940, p. 30, 12-34, 12.

340

CHAPITRE VII

(p.  44, l.  25), dont les membres sont appelés par la suite les ⲛ ̄ⲕⲁⲑⲁⲣⲓⲟⲥ (ou les purifiés) (p. 44, l. 27) 5. L’état très mutilé de ce Kephalaion permet de seulement constater qu’il est question d’une controverse avec la communauté des baptistes, dont les membres sont aussi appelés les καθάριοι. Cette « communauté des baptistes » s’identifie facilement avec la communauté des elkasaïtes : l’appellation de καθάριοι confirmant une telle identification. III. Livre I, Kephalaion LXXXIX (p. 221, 18-223, 16) Dans le Kephalaion LXXXIX, intitulé « Chapitre du nazoréen qui questionne le Maître », à plusieurs reprises il est question d’un ⲛⲁⲍⲟⲣⲉⲩⲥ (p.  221, l.  19-20, l.  31 et p.  222, l.  1-2) ou ⲛⲁⲍⲟⲣⲁⲓⲟⲥ (p.  221-l.  28) 6. Il ne paraît pas impossible que l’on puisse identifier ce ⲛⲁⲍⲟⲣⲉⲩⲥ ou ⲛⲁⲍⲟⲣⲁⲓⲟⲥ avec un elkasaïte 7. Cette appellation se retrouve dans une des inscriptions de Kartir ou Kirdir, le Grand Mobed de l’empire sassanide, un contemporain de Mani (KKZ 10). Là encore, il conviendrait, selon une hypothèse proposée dans une étude antérieure 8, d’identifier les nazoréens de l’inscription iranienne avec les elkasaïtes. Christelle et Florence Jullien ont refusé une telle identification, considérant qu’elle ne s’impose pas dans la logique de l’énumération de l’inscription de Kartir, hypothèse qui lui ferait perdre son unité interne 9. Penser ainsi, c’est donner beaucoup de crédit à Kartir, qui connaît pourtant les nazoréens, ne les confondant nullement avec les chrétiens 10.

5. Voir H.J.  Polotsky – A. Böhlig, Manichäische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin, I. Kephalaia [I], 1. Hälfte (Lieferung 1-10) [Codexseiten 1-244], Stuttgart, 1940, p. 44, 20-45, 15. 6. Voir H.J.  Polotsky – A. Böhlig, Manichäische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin, I. Kephalaia [I], 1. Hälfte (Lieferung 1-10) [Codexseiten 1-244], Stuttgart, 1940, p. 221, 18-223, 16. 7.  À ce sujet, voir S.C.  M imouni, « Les Nazoréens. Recherche étymologique et historique », dans Revue biblique 105 (1998), p. 208-262, spécialement p. 244-251. 8.  À ce sujet, voir S.C.  M imouni, « Les Nazoréens. Recherche étymologique et historique », dans Revue biblique 105 (1998), p. 208-262, spécialement p. 251-260. 9.  C. Jullien – F. Jullien, « Aux frontières de l’iranité : nasraye et kristyone des inscriptions du mobad Kirdir. Enquête littéraire et historique », dans Numen 49 (2002), p. 282-335, spécialement p.  307, n.  83. 10.  Au sujet de cette inscription, voir aussi S. Brelaud – F. Briquel Chatonnet, « Quelques réflexions sur la désignation des chrétiens dans l’inscription du Mage Kirtir et dans l’Empire sassanide », dans Parole de l ’Orient 43 (2017), p. 113136.

CONCLUSION

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IV. Livre II, Kephalaion CCCXLII (p. 424, 9-10) Dans le Kephalaion CCCXLII, intitulé « Pendant que l’apôtre est assis dans l’église, un noble est entré avant lui. Mani a parlé avec lui dans la sagesse de Dieu », il est question de la figure d’Elkasaï 11. De ce nom, il ne subsiste que trois lettres qui ont été restituées, le reste ayant été reconstitué, mais il est à peu près certain qu’il s’agisse d’Elkasaï comme les éditeurs l’ont supposé. On a déjà vu ce passage qui est une liste prophétique, dans laquelle il est précisé qu’Elkasaï est originaire de Parthie et qu’il a révélé la Loi de Vérité dans toute cette contrée : ce qui correspond à ce que l’on sait de lui, notamment par l’Elenchos d’Hippolyte de Rome. V. Homélie  IV Dans l’Homélie  IV, publiée en 1934 par Hans Jakob Polotsky, qui serait une longue complainte attribuée à Salmaios un disciple de Mani originaire de la même communauté que lui, on rencontre une mention de le ⲡⲇⲟⲅⲙⲁ ⲛⲛⲃⲁⲡⲧⲓⲥⲧⲏⲥ (ou la communauté des baptistes) (p. 87, l. 13) 12 . Malheureusement, l’état très fragmentaire de la pièce ne permet pas de rendre compte du contexte, en dehors du fait qu’il s’agit du récit de l’enfance de Mani, qui a dû mentionner, selon toute vraisemblance, qu’il a vécu chez des baptistes, sans doute elkasaïtes. Dans les textes parthes dits du « Tourfan », actuellement publiés, on rencontre deux allusions concernant les elkasaïtes. On connaît aussi le cas douteux d’un texte en moyen-perse originaire aussi du « Tourfan » où il serait question des elkasaïtes. VI. M 1344 et M 5910 Dans un minuscule fragment parthe d’un texte manichéen publié une première fois par Werner Sundermann en 1974 13, on trouverait une référence à Elkasaï 14 . 11. Voir I.  Gardner – J.D. Be Duhn – P.C. Dilley, Manichaean Manuscripts in the Chester Beatty Library. The Kephalaia Codex. The Chapters of the Wisdom of My Lord Mani, Part III. Pages 343-442 (Chapters 321-347), Leyde-Boston, 2018, p. 166-167. 12. Voir H.J.  Polotsky, Manichäische Homilien, Stuttgart, 1934, p. 87 et N.A. P edersen, The Manichaean Coptic Papyri in the Chester Beatty Library, Mani­chaean Homilies. With a Number of Hitherto Unpublished Fragments, Turnhout, 2006, p. 87. 13.  Le fragment consiste en deux morceaux de papyrus, M 1344 et M 5910. 14.  W. Sundermann, « Iranische Lebensbeschreibungen Manis », dans Acta Orientalia 36 (1974), p. 125-149 (= W. Sundermann, Mitteliranische manichäische

342

CHAPITRE VII

Sur le recto (M 1344), l’éditeur a lu une référence à l’année 539 de l’ère séleucide, ce qui équivaut à l’année 228 de notre ère, année de la première révélation de Mani à l’âge de 12 ans. Sur le verso (M 5910), l’éditeur a lu le mot ’lxs’ (‫)אלחסא‬, qui serait la forme parthe du nom d’Elkasaï que l’on pourrait lire « Alxasa ». La forme parthe « Alxasa » paraît assez proche de la forme grecque Ἀλχασαῖος que l’on rencontre dans la Vita Mani. On pourrait même ajouter que la forme parthe ’lxs’ est assez proche de la forme arabe al-Hasîh, telle qu’elle apparaît dans le Fihrist d’Ibn anNadim. Il est fort possible, selon Albert Henrichs, que ces fragments représentent « an autobiographical tradition which goes back to Mani himself » 15. VII. M 4575 Dans un autre fragment parthe publié une première fois par Werner Sundermann en 1977, on trouverait une référence aux baptistes 16. À la ligne 12 du fragment M 4575, l’éditeur a lu le mot ’b](s)wdg’n, qu’il traduit par l’expression ceux qui se lavent ou ceux qui se purifient. Selon l’éditeur, ces ’b](s)wdg’n seraient à identifier avec les baptistes, et donc avec les elkasaïtes. Pour Werner Sundermann, le parthe absodagan correspondrait au pehlevi mktky, que l’on rencontre dans une des inscriptions de Kartir (KKZ 10), pour désigner ces mêmes baptistes ou elkasaïtes. D’après lui, cette appellation serait une simplification du terme syriaque mnaqqde relevé chez Théodore bar Koni : mnaqqde devenu *mnaqqda, puis *mmaqqdag et *mkdag, qu’un iranien pouvait alors prononcer sans peine. D’après Philippe Gignoux, cette étymologie ne semble guère plausible 17. Il lui préfère celle donnée par Harold Walter Bailey, qui lui paraît en revanche beaucoup plus fondée 18. Quoi qu’il en soit, il paraît difficile de penser que le terme mktky de l’inscription de Kartir puisse renvoyer aux baptistes ou elkasaïtes 19. Texte kirchengeschichtlichen Inhalts, Berlin, 1981, § 2.1 R 1-6 et V 6-13 [BTT 11]). 15.  A. H enrichs , « The Cologne Mani Codex Reconsidered », dans Harvard Studies in Classical Philology 83 (1979), p. 367, n. 52. 16.  W. Sundermann, « Parthish ’bswdg’n ‘Die Täufer’ », dans Acta Orientalia Academia Hungaricae 25 (1977), p. 237-242 (= W. Sundermann, Mitteliranische manichäische Texte kirchengeschichtlichen Inhalts, Berlin, 1981, § 4a, 55-57 [BTT 11]) (= W. Sundermann, Manichaica Iranica. Ausgewählte Schriften, II, Rome, 2001, p. 572-581). 17.  P. Gignoux, dans Abstracta Iranica 4 (1981), p. 18. 18.  H.W. Bailey, « Iranian MKTK-, Armenian MKRTEM », dans Revue des études arméniennes 14 (1980), p. 7-10. 19.  À ce sujet, voir S.C. M imouni, « Les nazoréens. Recherche étymologique et historique », dans Revue biblique 105 (1998), p. 251-260, spécialement p. 255.

CONCLUSION

343

VIII. Le cas de M 28 I Le fragment M 28 est un bifolium contenant des hymnes en moyenperse 20. Dans le premier folio, est préservé un hymne à Jésus (M 28 II). Dans le second folio, sont rapportées des polémiques religieuses (M 28 I) 21. Dans le folio M 28 I, on trouve mentionnés des hymnes abécédaires où, d’après François de Blois, il serait question d’elkasaïtes 22 . Trois hymnes sont mentionnés en M 28 I. Dans l’hymne 2, composé de 22 stanzes, six sections sont des attaques individuelles contre des communautés religieuses : les Judéens, les mages (= mazdéens), les chrétiens, les marcionites, les bardesanites et les païens. Selon François de Blois, les chrétiens seraient à identifier aux elkasaïtes, qui ne sont pas nommés dans l’hymne. En réalité, rien n’autorise une telle identification et il convient, jusqu’à preuve du contraire, de ne pas conserver le fragment M 28 I dans le dossier. IX. Récapitulatif Ajoutons avant de récapituler ces données que la tradition manichéenne indirecte fournit deux attestations sur les elkasaïtes : la première, en syriaque, par Théodore bar Koni ; la seconde, en arabe, par Ibn an-Nadim. Dans Théodore bar Koni, les elkasaïtes sont désignés par le terme syriaque de mnaqqde (ou purs), et aussi par l’expression de halle heware (ou vêtements blancs). Dans Ibn an-Nadim, comme on va le voir plus loin, les elkasaïtes sont désignés par le terme arabe de mughtasila. Les baptistes dont il est question dans la tradition manichéenne sont vraisemblablement à identifier aux elkasaïtes. Il paraît difficile d’identifier ces baptistes à un autre groupe, d’autant que les elkasaïtes sont les seuls qui soient attestés à cette époque en Babylonie et qu’ils vénèrent le fondateur de leur mouvement sous le nom d’Alkasaïos connu aussi sous la forme Elkasaï. 20. Voir P.O. Skjaervø, « The Manichaean Polemical Hymns in M 28 I. A Review Article », dans Bulletin of the Asia Institute 9 (1995) [1997], p. 239-255. Voir aussi F.  de Blois , « The Turfan Fragment M 28 », dans A.A. Sodiqi (Éd.), Tafezzoli Memorial Volume, Téhéran, 2001, p. 9-15. Voir encore W. Sundermann, « Ein manichäischer Traktat über und wider die Christen », dans W. Sundermann  – A. H intze – F.  de Blois (É d.), Exegisti monumenta. Festschrift in Honour of Nicholas Sims-Williams, Wiesbaden, 2009, p. 497-508. 21. Voir C.  L eurini, « The Temple Tabernacle in M28/I/ : An Anti-JudeoChristian Polemic Strophe », dans Iran and the Caucasus 22 (2018), p. 1-7. 22.  F.  de Blois , « Manichaean Polemics : M 28 and the Book of Mysteries », dans F. Ruani  – M. Timus (Éd.), Quand les dualistes polémiquaient : zoroastriens et manichéens, Paris, 2020, p. 155-171.

344

CHAPITRE VII

C’est pourquoi, la tradition manichéenne est devenue, au cours de ces dernières décennies, une des sources privilégiées pour la connaissance du judaïsme chrétien elkasaïte. VII.3. L e s

ba p t i s t e s de l a

Vi ta M a n i

son t de s e l k a sa ï t e s

Comme on a pu le constater tout au long du chapitre IV consacré à l’« Étude littéraire et historique des diverses notices relatives aux baptistes dans la Vita Mani : CMC 79, 13-107, 23 », les baptistes dont il y est question appartiennent, selon toute probabilité, au mouvement elkasaïte très présent en Babylonie à l’époque de Mani. Il y a une certaine unanimité dans la recherche sur ce point, en dehors, on l’a vu, de certains chercheurs dont les arguments ne paraissent pas suffisamment convaincants pour être retenus. Il est donc possible de répondre positivement à la question posée dans le titre de cette recherche. Il n’y a aucune autre réponse et ne pas vouloir identifier les baptistes aux elkasaïtes, c’est faire preuve d’un scepticisme extrême, d’autant qu’on ne connaît aucun autre groupe baptiste, comme par exemple les johannites, présent dans la région – hormis bien sûr les mandéens, mais qui ne paraissent pas antérieurs au iv e siècle. Il est bien possible d’ailleurs, comme on l’a déjà vu, que les elkasaïtes soient à l’origine partielle ou totale du mandéisme attesté par la suite. Il s’agit bien sûr d’une hypothèse qui, dans l’état actuel de la documentation, est des plus plausibles. VII.4. E xcu r sus  : l e s ba p t i s t e s e l k a sa ï t e s l e F i h r ist d ’I bn a n -N a di m  23

da ns

Les informations sur l’elkasaïsme fournies par la Vita Mani recoupent ou corrigent de manière spectaculaire celles que l’on trouve dans le Fihrist d’Ibn an-Nadim, datant du x e siècle 24 . Observons que la documentation islamique sur le judaïsme chrétien est d’une utilisation difficile et discutée à cause des divers problèmes de transmission qui se posent 25. 23.  On reprend ici une étude déjà publiée dans S.C.  M imouni, Introduction à l ’histoire des origines du christianisme, Paris, 2019, p. 506-511. Il a paru important de la faire figurer aussi dans cette recherche, d’autant qu’il s’agit d’une documentation qui entretient un rapport étroit avec le sujet traité ici et qu’il eut été dommageable de ne pas l’y voir. 24. Voir F. de Blois , « The ‘Sabians’ (sabi’un) in Pre-Islamic Arabia », dans Acta Orientalia 56 (1995), p. 39-61, spécialement p. 53-60 (« Appendix : an-Nadim on the muytasilah »). 25.  Pour une première approche de cette documentation, voir H.-C.  P uech, Le manichéisme. Son fondateur – Sa doctrine, Paris, 1949, p. 39-44.

CONCLUSION

345

La documentation islamique relative au judaïsme chrétien dont il va être question ici concerne uniquement l’elkasaïsme, un groupe de chrétiens ayant vécu principalement dans l’empire iranien. Mentionnons cependant qu’il existe une documentation islamique sur les ébionites qui n’est pas négligeable, comme par exemple dans le Tathbit de `Abd al-Jabbar 26. Parmi les nombreux controversistes musulmans, seul Ibn an-Nadim paraît avoir transmis des informations sur les elkasaïtes de Babylonie, mais dans le cadre de sa notice sur les manichéens et non dans le cadre d’une notice spécifique 27. Dans le Fihrist al-`aloum (ou Catalogue des sciences, qui a été composé en 377 H / 987, on peut lire au moins trois passages relatifs de près ou de loin à un groupe qu’il désigne sous le nom de mughtasila. Ils ont souvent été publiés et traduits : la première fois en 1856 par Daniil Avraamovich Chwolsohn 28 Le terme al-mughtasila (= ceux qui se lavent) est le correspondant arabe du terme grec βαπτίσται (= baptistes). Mais le mot arabe connote la pratique des ablutions, non pas celle des immersions comme le mot grec. Il convient de souligner encore que Ibn an-Nadim parle de ces mughtasila dans une notice consacrée aux manichéens, c’est donc pour situer la famille de Mani qu’il est question de ces individus dont les pratiques paraissent des plus curieuses à l’auteur musulman. Cette notice consacrée aux manichéens (qui est suivie par celle sur les sabéens et est précédée par celle sur les bardesanites, dans le premier fann de la neuvième maqala) a fait l’objet d’un ouvrage classique de Gottfried Flügel publiée en 1862 29. De longs passages ont été traduits en français par Pierre Alfaric en 1918 30, et surtout par Georges Vajda en 1938 31. Le Fihrist est une véritable encyclopédie dont l’étendue et la précision des données rassemblées sur la culture islamique sont impressionnantes. On doit admirer la curiosité et l’ouverture qui sont manifestées dans ce recueil par Ibn an-Nadim.

26. Voir S.  P ines , The Jewish Christians of the Early Centuries of Christianity according to a New Source, Jérusalem, 1966. 27.  Voir F. de Blois , « New Light on the Sources of the Manichaean Chapter in the Fihrist », dans A.  van Tongerloo – L. Cirillo (Éd.), Quinto congresso internazionale di studi sul manicheismo. Atti. Il manicheismo. Nuove prospettive della ricerca. Dipartimento di Studi Asiatici. Università degli Studi di Napoli « L’Orientale ». Napoli, 2-8 settembre 2001, Turnhout, 2005, p. 37-45. 28.  D.A.  Chwolsohn, Die Ssabier und der Ssabismus, II, Saint-Petersbourg, 1856, p. 543-544. 29.  G. Flügel , Mani, seine Lehre und seine Schriften, Leipzig, 1862, p. 133-135. 30.  P. A lfaric , Les écritures manichéennes, Paris, 1918, II, p. 50-52. 31.  G. Vajda, « Les zindîqs en pays d’islam au début de la période abbasside », dans Rivista degli studi orientali 17 (1938), p. 175-182.

346

CHAPITRE VII

Le Fihrist al-`aloum de Ibn an-Nadim a été édité par Gottfried Flügel, avec notes et index en deux volumes à Leipzig en 1871-1872 32 . Deux traductions complètes ont été publiées depuis : la première en persan par Reza Tajaddod en 1965 33 ; la seconde en anglais par Bayard Dodge en 1970  3 4 . À l’exclusion d’un passage où il est spécifiquement question de Mani et des manichéens, on examine ici principalement trois passages de la notice sur les manichéens, ceux où il est fait mention des mughtasila, et ce de manière succincte. I. Passage 1 (I, p. 328, 1.5 de l’édition Flügel) On raconte qu’à al-Mada’in il y avait une maison des idoles que Fattiq avait l’habitude de fréquenter comme bien d’autres gens. Or, un jour, retentit pour lui depuis le sanctuaire de la maison des idoles ce cri : Ô Fattiq, ne mange pas de viande, ne bois pas de vin, abstiens-toi de tout rapport sexuel ! Cela lui fut répété plusieurs fois, trois jours durant. Ayant compris le message, il s’adjoignit à un groupe de gens des environs du Dastumisan connus pour être des mughtasila . Même de nos jours, quelques-uns d’entre eux subsistent encore dans ces régions et dans les Bata’ih. Ils suivaient la loi religieuse (al-madhhab) à laquelle Fattiq avait reçu ordre d’adhérer, alors que sa femme était enceinte de Mani 35 .

Le contexte de ce premier passage porte sur l’origine religieuse de Fattiq, le père de Mani – il est connu dans la Vita Mani sous le nom de Pattikios. La source d’Ibn an-Nadim est certainement un récit édifiant d’un hagiographe manichéen qui transfère au père la vision du fils, la sainteté du second impliquant celle du premier. Outre qu’il rapporte que Fattiq a été idolâtre, ce passage fournit des informations sur une communauté baptiste babylonienne. Cette communauté a été certainement végétarienne, ses membres s’abstenant de manger de la viande et de boire du vin. En revanche, il est peu probable que la règle de la continence sexuelle ait été suivie par tous les membres de la communauté. Afin de suivre les trois commandements de l’appel, Fattiq adhère donc à la communauté des mughtasila. Il change un genre de vie pour un autre : notamment en se soumettant à une règle fondée sur un certain nombre d’abstinences et peut-être sur la continence, il rejoint ainsi une forme religieuse dominée par l’encratisme. Les deux expressions « maison des idoles » et « sanctuaire de la maison des idoles » attestent que le temple fréquenté par Fattiq n’est nullement un 32.  G. Flügel , Kitâb al-Fihrist, I-II, Leipzig, 1871-1872. 33.  R. Tajaddod, Kitâb al-Fihrist, Téhéran, 1343/1965. 34.  B. Dodge , The Fihrist of al-Nadim, I-II, New York-Londres, 1970. 35.  Traduction d’après M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 6, 19972 , p. 5-6.

CONCLUSION

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temple du feu. Autrement exprimé, Fattiq n’a été ni iranien ni mazdéen comme le soutient parfois l’hagiographie manichéenne. Selon Michel Tardieu 36 , en se fondant sur le Kephalaion CXXI du Livre I (Berlin), il est envisageable de penser que le paganisme de Fattiq ait relevé de la « religion de la nobe », qui est installée « au milieu de la Babylonie », d’autant que le prêtre de cette religiosité, avec lequel Mani aura une controverse, est – dit le texte – « un idolâtre ». En effet, si l’on admet que le mot « nobe », inconnu par ailleurs en copte, vient du sémitique « nbu » (= Hermès), Fattiq aurait été un adorateur du dieu Nabu (= Hermès), c’est-à-dire un adepte des religiosités traditionnelles encore vivantes à son époque en Babylonie – dans une forme proche du sabéisme astrologique attestée à Ḥarran. De fait, étant donné ses origines judéennes, il est peu probable que le père de Mani ait relevé de cette « religion de la nobe », cela ne l’a pas empêché pour autant d’être un simple adorateur de ce culte 37. Le passage fournit aussi des indications géographiques qui sont extrêmement précieuses : (1) al-Mada’in se trouve sur les rives d’un canal, en Babylonie du Nord, au Sud-Est de Ctésiphon, sur la rive gauche du Tigre, non loin du site de l’actuelle Bagdad ; (2) le Dastumisan est une désignation géographique renvoyant à une région, et non à une localité, située entre Wasit et Basra. Par ailleurs, l’auteur de ce passage affirme que les mughtasila existent encore de son temps dans les Bata’ih : il s’agit là d’un terme technique de géographie désignant les marais de la Mésopotamie du Sud entre Wasit et Basra. Avec ce passage de Ibn an-Nadim, on dispose d’une attestation précieuse qui remonte à la fin du x e siècle. Il est toutefois difficile d’affirmer avec certitude que les mughtasila du temps d’Ibn an-Nadim sont des elkasaïtes, car ils pourraient être aussi bien des mandéens alors présents dans cette région. II. Passage 2 (I, p. 340, 1.25 à p. 341, 1.3 de l’édition Flügel) Ces gens sont nombreux dans les Bata’ih : ce sont eux les sab’at al-Bata’ih 38 . Ils professent les ablutions, et lavent tout ce qu’ils mangent. Leur chef est appelé al-Khasayh (dans les mss : al-Ḥasayh). C’est lui qui donna à la communauté sa 36.  M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 6-7, 19972 , p. 6-7. 37.  À ce sujet, voir S.C.  M imouni, « Les origines ethnico-religieuses de Mani », dans M.A. A mir-Moezzi – J.-D. Dubois – C.  Jullien – F.  Jullien (Éd.), Pensée grecque et sagesse d ’Orient. Hommage à Michel Tardieu, Turnhout, 2009, p. 399-410 (voir ici Chapitre VIII). 38.  Le terme arabe sb’ viendrait de la racine araméenne ‫צבע‬, qui signifie « se tremper dans l’eau, se baigner ». Si tel est le cas, il reste à expliquer dans l’arabe, le

348

CHAPITRE VII

loi. Il prétend que les deux champs d’être (al-kawnaym) sont mâle et femelle : les herbes potagères sont des cheveux (ou tendons) du mâle, la cuscute 39 est des cheveux (ou tendons) de la femelle et les arbres sont leurs veines. Ils utilisent sept mots (mention ne figurant que dans le ms Istanbul, Sehit Ali Pacha 1934) qui relèvent de la fable. Le disciple de al-Khasayh s’appelait Sham`un. Ils s’accordaient avec les manichéens sur les deux principes. Leur communauté se sépare ensuite. Il en est parmi eux qui jusqu’à ce jour vénèrent les étoiles  4 0 .

Le réfutateur islamique fait une distinction entre deux types de sabéens mughtasila. De fait, rien n’autorise l’auteur à regrouper sous une même étiquette les adorateurs des eaux et les adorateurs des astres. Les mughtasila ne doivent pas être confondus avec les sabéens de Ḥarran. D’autant que, contrairement aux mughtasila, les sabéens de Ḥarran sont connus pour leurs pratiques licencieuses, du moins aux yeux des hérésiologues islamiques. Le passage livre le nom du fondateur du groupe des mughtasila : il s’agit de al-Khasayh (dans les mss : al-Ḥasayh). C’est l’Alkhasaios de la tradition manichéenne et l’Elchasaï de la tradition chrétienne. À l’instar de ces traditions, Ibn an-Nadim se réfère à lui comme à un personnage ayant réellement existé. Rien ne permet de penser que l’on ait affaire ici à une historicisation d’un personnage mythique. Le passage donne le nom du disciple du fondateur du groupe des mughtasila : Sham`un (= Shim`on en hébreu ou Simon en français). Une corruption graphique entre Sham`un et Sabius serait à envisager, du moins selon une proposition de François de Blois 41. Auquel cas, il pourrait renvoyer au « Sobiai » de la tradition chrétienne (voir Hippolyte de Rome, Elenchos  IX, 13, 2) et aux « Sabbaios » de la tradition manichéenne (voir CMC 97, 18 et 98, 5). Quoi qu’il en soit de la mention de Sham`un qui est sujette à caution, celle de al-Khasayh permet d’identifier de façon certaine les mughtasila aux elkasaïtes. Une identification qui est renforcée par la référence aux « sept mots » qui renvoient aux sept éléments ou témoins (le ciel, l’eau, les esprits saints, les anges de la prière, l’huile, le sel, la terre) invoqués par les elkasaïtes dans leurs prières dont il est question dans Hippolyte de Rome (Elenchos  XV, 1, 5) et dans Épiphane de Salamine (Panarion  XIX, 4, 13). remplacement du `ain par le ‘aleph. La question est difficile et apparemment sans réponse. 39.  Il s’agit d’une plante parasite à fleurs violacées, dont les herbes filiformes s’attaquent à la vigne, à la luzerne, etc., aussi bien qu’aux arbres. 40.  Traduction d’après G.  Monnot, Penseurs musulmans et religions iraniennes. `Abd al-Jabbar et ses devanciers, Le Caire-Beyrouth, 1974, p. 316-317. 41.  F.  de Blois , « The ‘Sabians’ (sabi’un) in Pre-Islamic Arabia », dans Acta Orientalia 56 (1995), p. 58.

CONCLUSION

349

La doctrine des « deux principes » qui est qualifiée ici de manichéenne : elle est vraisemblablement d’origine elkasaïte (voir Épiphane de Salamine, Panarion  XIX, 4, 1-2 ; XXX, 17, 6 ; LIII, 1, 9) – seul point de contact entre ces deux mouvements, du moins d’après Ibn an-Nadim 42 . Contrairement au passage 1, l’auteur affirme que ce sont les sabéens de Ḥarran qui subsistent de son temps. Il est évidemment possible que sur ce point le passage 2 ne soit pas nécessairement en contradiction avec le passage 1, à condition de considérer que l’affirmation de Ibn an-Nadim ne concerne que les sabéens de Ḥarran et non pas nécessairement ceux du Coran – si tant est qu’il faille distinguer les uns des autres. III. Passage 3 (I, p. 341 de l’édition Flügel) Un autre passage du al-Fihrist de Ibn an-Nadim mentionne encore les sab’at al-Bata’ih : Ces gens (il s’agit des sabat al-Bata’ih) tiennent l’ancienne doctrine des Nabatéens : ils vénèrent les étoiles et ont des images et des idoles. Ils sont le commun des Sabéens qu’on appelle les Ḥarraniens, quoiqu’on ait dit qu’ils ne leur sont identiques ni dans l’ensemble, ni dans le détail  4 3 .

Pour l’auteur, les sabéens de Ḥarran sont des adorateurs des étoiles, des images et des idoles. Ils sont à distinguer des mughtasila, qui ne « leur sont identiques ni dans l’ensemble, ni dans le détail ». Il est donc clair que les mughtasila n’ont rien à voir avec les sabéens de Ḥarran, si ce n’est peut-être une proximité géographique et le fait que Fattiq ait été durant un temps un des leurs – ce qui est possible, mais pas certain, étant donné le vagabondage spirituel à cette époque. D’autre part, si l’on suit Jean Maurice Fiey, il est possible que les « Nabatéens » dont il est question dans ce passage, comme dans toute la littérature islamique, soient à identifier avec les mandéens  4 4 . En tout cas, sans nécessairement retenir cette hypothèse, il ne s’agit nullement ici des Nabatéens de Pétra et du Néguev comme on pourrait le penser – on peut d’ailleurs considérer que les Nabatéens ici sont ceux qui parlent le nabatéen, c’est-à-dire l’araméen babylonien.

42. Voir J.  Pedersen, « The Ṣabian », dans A Volume of Oriental Studies presented to Edward G. Browne, Cambridge, 1922, p. 383-391, spécialement p. 384. 43.  Traduction d’après G.  Monnot, Penseurs musulmans et religions iraniennes. `Abd al-Jabbar et ses devanciers, Le Caire-Beyrouth, 1974, p. 317. 44. Voir J.M. Fiey, « Les ‘nabat’ de Kaskar Wasit dans les premiers siècles de l’islam », dans Mélanges de l ’Université Saint-Joseph 51 (1990), p. 51-87.

350

CHAPITRE VII

IV. Récapitulatif En résumé et en conclusion, les passages de Ibn an-Nadim dans le alFihrist pourraient représenter les attestations les plus tardives du judaïsme chrétien de type elkasaïte, ce qui laisserait présumer que ce mouvement subsiste encore en Babylonie à la fin du x e siècle – à moins, l’hypothèse n’est pas à exclure, que le savant musulman ait utilisé une source bien plus ancienne où ils figurent 45. L’identification des mughtasila avec les elkasaïtes reposent au moins sur cinq arguments : (1) la connexion avec les baptistes ; (2) le nom d’Elkasaï ; (3) le nom de son disciple Sobiai ; (4) les deux principes, mâle et femelle ; (5) les sept mots. Ces attestations qui proviennent d’une source manichéenne utilisée par l’informateur musulman entretiennent, de manière logique, d’étroites relations avec la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne. Ceci étant, tout dépend de la source utilisée par Ibn an-Nadim dans ces passages : il pourrait s’agir en effet d’une source manichéenne remontant aux iii e-iv e siècles et, dans ce cas, ils n’attesteraient pas de l’existence des elkasaïtes à son époque – si ce n’est que dans le passage 1, l’auteur islamique précise qu’il en existe encore « de nos jours », à moins que ce ne soit que des mandéens qui pourrait être les descendants des elkasaïtes. Les sources islamiques sont d’un grand intérêt pour la connaissance du christianisme ancien, autant pour ses mouvements majoritaires et devenus orthodoxes que pour ses mouvements minoritaires et catégorisés comme hétérodoxes. Mais la prudence s’impose, car leur accès passe nécessairement par la connaissance d’une littérature qui est une forêt touffue et impénétrable pour qui n’en est pas un tant soit peu spécialiste.

45. Voir les remarques intéressantes de A.F.J. K lijn – G.J. R einink , « Elkasaï and Mani », dans Vigiliae christianae, 28 (1974), p. 277-289 et de F. de Blois , « The ‘Sabians’ (sabi’un) in Pre-Islamic Arabia », dans Acta Orientalia 56 (1995), p. 39-61, spécialement p. 53-60 (« Appendix : an-Nadim on the mugtasilah »).

Chapitre VIII

EXCURSUS Les

or igi n e s et h n ico - r eligi euse s de

Mani

et de sa fa m i ll e  :

de l a t r a di t ion à l’ h istoi r e  1

Toute la documentation manichéenne donne de Mani une représentation multiforme. C’est ainsi que les diverses figures de Mani, qui sont à situer dans le temps et dans l’espace, répondent à des préoccupations toutes aussi précises que diverses. D’une manière générale, les écrits relatant les événements de la vie du fondateur du manichéisme, qu’ils relèvent des sources directes ou des sources indirectes (ces dernières dépendantes des premières), renvoient exclusivement de l’hagiographie manichéenne : autrement exprimé, ils racontent une histoire mais ne rapportent pas nécessairement l’histoire. Cependant, un de ces écrits restitue une représentation de la figure Mani qui semble être relativement originale par rapport aux autres : il s’agit d’une biographie censée être une autobiographie, qui est intitulée « Sur la naissance (croissance) de son corps » – cette Vita Mani est conservée dans ce que l’on appelle le Codex manichéen de Cologne (CMC). Mais de fait, ce n’est que la troisième « autobiographie » de Mani qui est actuellement connue : les deux autres étant (1) le chapitre « Sur la venue du Prophète » du Shabuhragan, rédigé en pehlevi et (2) le chapitre « Sur la venue de l’Apôtre » des Kephalaia, conservé en copte. Cette hagiographie manichéenne ancienne est à la source de tout ce que les autres écrits, internes ou externes, peuvent transmettre de la biographie du fondateur du manichéisme : des compositions que les auteurs manichéens ont arrangées et réécrites en fonction de considérations régionales. La représentation de la Vita Mani du CMC, qui comme les autres ne correspond évidemment qu’à une partie de la réalité, complète et rectifie ce que l’on sait déjà par ailleurs de la vie du Prophète de Babylone : elle pourrait être ainsi une des plus anciennes, si ce n’est la plus ancienne actuellement accessible – d’où son importance pour le renouvellement des recherches sur le manichéisme.

1.  À partir de S.C. M imouni, « Les origines ethnico-religieuses de Mani », dans M.A. A mir-Moezzi – J.-D. Dubois – C.  Jullien – F.  Jullien (Éd.), Pensée grecque et sagesse d ’Orient. Hommage à Michel Tardieu, Turnhout, 2009, p. 399-410.

352

CHAPITRE VIII

Son originalité, cela est à souligner, repose essentiellement sur le fait qu’on y trouve des données sur les premières années de Mani et sur les développements du mouvement manichéen, qui renvoient à un groupe spécifique : celui des baptistes babyloniens, et en particulier aux elkasaïtes. Or les elkasaïtes sont des chrétiens d’origine judéenne, relativement bien documentés, qui sont établis depuis le début du ii e siècle dans l’empire iranien, ce qui ne les a pas empêchés d’ailleurs de diffuser leurs croyances dans l’empire romain tant dans sa partie orientale qu’occidentale 2 . C’est essentiellement à partir du CMC, un document hagiographique manichéen, dont une version a été retrouvée en Égypte qui remonte à la fin du iii e siècle ou au début du iv e siècle, que l’on va essayer de répondre à la question : qu’elles sont les origines ethnico-religieuses de Mani ? Sans doute à cause d’une appréciation insuffisante de l’appartenance baptiste / elkasaïte de Mani et de ses conséquences que cette question a été rarement posée en termes critiques par les spécialistes du manichéisme qui, pour la plupart, se sont contentés de rapporter et de retenir les données de la documentation 3. Avant d’entrer en matière, il convient de donner quelques éléments sur le nom de Mani, sa date et son lieu de naissance, mais aussi sur l’état des connaissances sur ses origines avant la découverte du CMC en 1968. VIII.1. L e

nom de

Mani

Mani a un nom qui est assez répandu dans la Babylonie du iii e siècle sous domination iranienne. Ce nom ne paraît pas iranien et se rencontre chez les Judéens babyloniens 4 , de même que chez les mandéens et les nestoriens – autrement dit, en milieu sémitique. Dans les textes manichéens coptes du Fayoum, on rencontre la forme « Manikhaïos » ou la forme « Mannikhaïos ». La première forme a été retrouvée aussi dans certains hymnes perses ou parthes du Tourfan : « Mânî’â Xaios ». C’est un nom relativement répandu dans le monde babylonien, mais aussi dans le monde anatolien : dans le premier tiers du iv e siècle, un évêque d’Épiphanie (= Ḥama) porte sur les listes conciliaires de Nicée le nom de « Manikios », rendu en latin tantôt par « Mauricius » et tantôt, à deux reprises, par « Manichaeus » 5. En Anatolie, la forme Μάνες est assez répandue dans la littérature comme dans les inscriptions. 2.  À ce sujet, voir plus haut Chapitre V. 3. À titre d’exemple significatif, voir H.-C.  P uech, Le manichéisme. Son fondateur – Sa doctrine, Paris, 1949, p. 13-57 ou M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 3-40, 19972 , p. 3-39. Il en est de même pour S.N.C. Lieu, Manichaeism in the Later Roman Empire and Medieval China, Tübingen, 1992, p. 33-50. 4. Voir I.  Scheftelowitz , Die Entstehung der manichaïschen Religion und des Erlösungsmysteriums, Giessen, 1922, p. 2, n. 3. 5. Voir R.  Devreesse , Le Patriarcat d ’Antioche, Paris, 1944, p. 125.

353

EXCURSUS

Ce nom pourrait dériver du syriaque « Mânî Hayyâ », c’est-à-dire « Mani le Vivant » – l’épithète étant attachée dans le discours manichéen aux Entités ou aux choses transcendantes et bienfaisantes – du moins selon une hypothèse avancée par Hans Heinrich Schaeder et souvent reprise 6. Jürgen Tubach et Moshen Zakeri sont revenus sur la question du nom de Mani et ont tenté d’avancer de nouvelles propositions 7. Ainsi, il se pourrait que le nom du fondateur du manichéisme, avant son entrée dans le groupe baptiste, demeure inconnu, à moins que ce soit celui fourni par les Acta Archelai, un texte chrétien de polémique anti-manichéenne du iv e siècle, à savoir : Curbicus / Curbicius ou Corbicius (§ 64) – un nom que l’on retrouve chez Épiphane de Salamine sous la forme « Kubrikos » (Panarion LXVI, 1, 4), dans la Chronique Maronite d’un auteur anonyme sous la forme « Quroubiqos / Qorobiqos » et dans le Livre des scolies de Théodore bar Koni sous la forme « Qorqabios / Qourqibios » : lequel renverrait peut-être au titre de « Kirbakkar », signifiant le « pieux », appliqué à Mani d’après des textes manichéens transmis en pehlevi et en parthe (voir fragments M 6031 et M 6033) 8. La principale hypothèse avancée est que Mani a reçu un nouveau nom lors de son entrée dans le groupe baptiste, d’autant que ses disciples les plus anciens ont tous des noms renvoyant aux croyances baptistes. Quoi qu’il en soit de cette dernière hypothèse, il est certain que le nom de Mani est d’origine araméenne et qu’il est utilisé au iii e siècle dans divers milieux religieux de la Babylonie sous domination iranienne, y compris chez les Judéens rabbiniques. Par conséquent, il ne saurait être déterminant dans la question des origines ethnico-religieuses de Mani. VIII.2 . Dat e

et l i eu de na i s sa nce de

Mani

D’après la documentation manichéenne, transmise directement ou indirectement, Mani est censé avoir indiqué lui-même, dans ses « autobiographies » sa date et son lieu de naissance.

6.  H.H. Schaeder , « Urform und Fortbildungen des manichäischen Systems », dans F. Saxl (Éd.), Vorträge der Bibliothek Warburg 1924-1925, Leipzig-Berlin, 1927, p. 65-157, spécialement p. 99, n. 1. 7.  J. Tubach – M. Z akeri, « Mani’s Name », dans J.  van Oort – O. Wermelinger – G. Wurst (É d.), Augustine and Manichaeism in the Latin West. Proceedings of the Fribourg-Utrecht Symposium of the International Association of Mani­ chaean Studies (IAMS), Leyde, 2001, p. 272-286. 8.  À ce sujet, voir H.-C.  P uech, Le manichéisme. Son fondateur – Sa doctrine, Paris, 1949, p. 25 et p. 108-109, n. 73. Voir aussi W.B. H enning, Ein manichäisches Bet- und Beichtbuch, Berlin, 1937, p. 11 et p. 98.

354

CHAPITRE VIII

I. La question de la date Dans le Shabuhragan, Mani, au chapitre « Sur la venue du Prophète », un passage transmis uniquement par Ibn al-Biruni, déclare être venu au monde « dans l’année 527 des astronomes de Babylonie, dans la quatrième année du règne d’Ardavan » : c’est-à-dire entre le 7 avril 216 et le 26 mars 217 du règne d’Artaban V, le dernier souverain de la dynastie arsacide. Dans les Kephalaia, au chapitre « Sur la venue de l’Apôtre », Mani place le même événement toujours « dans les années d’Artabanês, le roi de Parthie » mais en le situant, de manière plus précise, dans le mois de Pharmouthi du calendrier égyptien qui correspond en partie au mois de Nisan du calendrier babylonien. Dans le Compendium, qui est un catéchisme manichéen rédigé en chinois, le traducteur ou l’adaptateur fixe la naissance du « Bouddha de Lumière » – c’est-à-dire Mani – « au huitième jour du deuxième mois de la treizième année de la période jianan de l’empereur Xian des Han » : c’est-à-dire le 12 mars 208. Il existe ainsi un décalage de huit ans entre la mention du Shabuhragan comme des Kephalaia et celle du Compendium : toutefois, d’après le mécanisme des transcriptions que permettent d’établir les autres dates fournies dans d’autres passages du Compendium, Gustav Haloun et Walter Bruno Henning ont retenu les mentions du « huitième jour » et du « deuxième mois » et les ont fait correspondre au 8 Nisan 9. Ainsi, selon l’hagiographie manichéenne, sous réserve évidemment d’accepter les divers recoupements proposés, Mani serait né le 8 Nisan 527 de l’ère séleucide : ce qui donnerait le 14 avril 216 de notre ère. Michel Tardieu a remis en cause le jour et le mois de naissance de Mani, considérant qu’ils reposent, l’un et l’autre, sur des données de l’hagiographie manichéenne dont la fiabilité n’est guère assurée, du fait qu’ils ont été utilisés pour établir le calendrier liturgique du mouvement 10. II. La question du lieu Deux traditions sur le lieu de naissance de Mani, apparemment inconciliables, sont connues. D’après une déclaration attribuée à Mani dans le chapitre « Sur la venue du Prophète » du Shabuhragan, toujours transmis par Ibn al-Biruni, la naissance du fondateur du manichéisme aurait eu lieu à Mardinu, dans le district de Nahr Kutha, sur le canal de Kutha : c’est-à-dire au nord de la Babylonie, dans la région qu’arrose un canal latéral qui, parti de l’Eu9.  G. H aloun – W.B. H enning, « The Compendium of the Doctrines and Styles of the Teaching of Mani, the Buddha of Light », dans Asia Major 3 (1952), p. 184-212, spécialement p. 198-199. 10.  M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 4, 19972 , p. 4.

EXCURSUS

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phrate, forme un coude et rejoint le Tigre au sud d’al-Madaïn (= SéleucieCtésiphon) et de Daïr-Qunna. Théodore bar Koni, évêque de Kashkar à la fin du viii e siècle, dans son Livre des scolies composé en syriaque, indique comme lieu de naissance Abrumya (= Afrûnya), dans les environs de Gaukaï. On localise généralement Gaukaï près de ´Abdasi et de al-Madhar, au centre de la Mésène, donc au sud de la Babylonie : en fait, d’après un fragment manichéen publié par Walter Bruno Henning, et dont la donnée est appuyée par le géographe arabe Yaqût, la bourgade serait à situer plus au nord, dans le Beît-Derâyê, au sein de la région marécageuse qui borde le Tigre au nord et au nord-est de Kut-el-Amara 11. On pourrait aussi retrouver le nom de Gaukhaï dans un passage du Fihrist d’Ibn an-Nadim. On est donc en présence de deux traditions : l’une situant la naissance de Mani à Mardinu sur le canal de Kutha entre l’Euphrate et le Tigre, dans un village qui n’est pas autrement connu ; l’autre à Afrunya et Gaukhaï plus à l’est au-delà du Tigre. On ne pourrait les ramener l’une à l’autre qu’en supposant, avec Walter Bruno Henning, fautive la traduction de la citation du Shabuhragan donnée par Ibn al-Biruni et en corrigeant « Mardinu » en « Abrumua » et « Kutha » en « Kukha » qui serait une transcription de « Gaukhaï » propre à l’auteur arabe 12 . Quoi qu’il en soit de cette dernière hypothèse qui ne va pas sans soulever de nombreuses difficultés, on peut estimer sans plus de précisions que Mani est né dans la Babylonie du Nord – une région multiethnique où se côtoient des peuples de diverses traditions religieuses. Pour sa part, Michel Tardieu a retenu la première des deux traditions, considérant que la seconde ne repose que sur des « on-dit » locaux 13. VIII.3. L e s

or igi n e s de

Mani

ava n t l a décou v e rt e du

CMC

L’hagiographie directe ou indirecte a conservé de nombreuses informations sur les origines de Mani. Son père, dont le nom est livré avec d’infinies variantes phonétiques ou sous des transcriptions plus ou moins déformées, s’appelle Patek ou Patig,

11.  W.B. H enning, « Mani’s Last Journey », dans Bulletin of the School of Orien­tal (and African) Studies 10 (1939-1942), p. 941-953, spécialement p. 944-947. 12.  W.B. H enning, « Mani’s Last Journey », dans Bulletin of the School of Oriental (and African) Studies 10 (1939-1942), p. 941-953, spécialement p. 947, n. 2. 13.  M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 4, 19972 , p. 4.

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CHAPITRE VIII

voire Patékios 14 . Il est mentionné comme le fils d’un certain Abû Barzâm (Abarsâm ou Abursâm ?) et il est probablement originaire de Hamadan, l’ancienne Ecbatane en Médie, même s’il réside à Séleucie-Ctésiphon. Il appartiendrait à la famille des Haskaniya, ce qui pourrait être une mauvaise graphie de « Ashkaniya » : de ce fait, il serait apparenté à la dynastie alors régnante en Iran, celle des Arsacides. Sa mère, en dépit des divers noms que lui attribuent les traditions arabes, syriaques et grecques (Mays, Utakhim, Takshit, Nushit, Yusit, Karossa), semble avoir été nommée Maryam. Dans le Fragment Stein, publié par Walter Bruno Henning, il est précisé qu’elle se nomme « Man-yee (*muâniäm) », c’est-à-dire Maryam, et qu’elle est de la famille des Kamsaragan, famille dont il est souvent question dans l’Arménie du iv e siècle et qui descend de la dynastie des Arsacides 15. Pour la tradition manichéenne, les parents de Mani sont des « païens » en recherche spirituelle. Ainsi, dans un hymne des Psaumes de Thomas, en X, 3, qui seraient du disciple de Mani et dateraient d’avant 277, d’après une traduction selon une restitution hypothétique de Michel Tardieu donnée lors de son séminaire au Collège de France au cours de l’année 19931994, il est affirmé : « Mes parents me conduisirent de temple en temple de la naissance de mon corps à la quatrième année » 16 – on saura, plus tard, grâce au CMC que Mani ne rejoindra le groupe baptiste que quatre ans après son père. D’après la documentation hérésiologique islamique, qui se fonde vraisemblablement sur la tradition manichéenne, le père de Mani aurait été un adorateur du dieu Nabu (= Hermès), c’est-à-dire un adepte des religiosités traditionnelles (= païennes) encore vivantes en Mésopotamie, notamment à Ḥarran – voir le témoignage de Ibn an-Nadim qui est à recouper avec certains éléments du Kephalaion CXXI du Livre I (Berlin) 17. D’une manière générale, d’après l’hagiographie manichéenne, reprise par les écrivains arabes ou persans, Mani est originaire de Babylonie mais d’ascendance iranienne et de lignage aristocratique. Par ailleurs, d’après des textes manichéens, conservés surtout dans les langues iraniennes, il semble avoir entretenu des relations particulières avec les souverains iraniens de son temps et des dignitaires. Elles ont été 14. Voir I. Gardner – L. R asouli-Narimani, « Patig and Pattikios in the Manichaean Sources », dans S.N.C.  Lieu – N.A.  Pedersen – E.  Morano – E. Hunter (Éd.), Manichaeism East and West, Turnhout, 2017, p. 82-100. 15.  W.B. H enning, « The Book of the Giant », dans Bulletin of the School of Oriental (and African) Studies 11 (1943-1946), p. 52-74, spécialement p. 52, n. 4. 16.  Voir aussi C.R.C. A llberry, A Manichaean Psalms Book, II, Stuttgart, 1938, p. 216 et P. Nagel , Die Thomaspsalmen des koptisch-manichäischen Psalmenbuches, Berlin, 1980, p. 49, qui comprennent tout autrement ce passage. 17. À ce sujet, voir M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 6-7, 19972 , p. 5-7.

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pacifiques sous le règne de Shabuhr Ier (voir les fragments parthes M 1964 + M 822 et M 267b + M 314 et les fragments sogdiens L69-L60 + L87L83b-L83c-L68-L83a) et tumultueuses sous celui de Vahram II (voir le fragment parthe M 6033 et le fragment pehlevi M 3). Observons qu’il ne semble pas que les discussions de Mani avec les autorités iraniennes aient eu lieu directement dans une des langues iraniennes de l’époque, mais plutôt par l’intermédiaire d’un interprète répondant au nom de Nuhzadag (voir le fragment pehlevi M 3 et les attestations conservées en copte en Homélie  III, p. 45, 21-p. 48, 19 ; IV, p. 93, 20-30 et en Psaume CCXXV, p. 15, 27-p. 16-18). Comme l’a écrit al-Murtada, Mani est un « suryani », un homme du Sûristân, originaire de la région de Séleucie-Ctésiphon – autrement dit, un Araméen de langue et de culture : ce qui n’est pas nécessairement significatif d’un point de vue religieux. Il n’y a pas grand-chose à tirer de la documentation hérésiologique chrétienne comme le montrent, par exemple, les Acta Archelai, rédigés en grec vers 340 et traduits en latin vers 360, qui sont attribués à un écrivain nommé Hégémonius 18 et dont les renseignements sur la vie de Mani sont en grande partie imaginaires et polémiques, le qualifiant de « Perse barbare ». VIII.4. L e s

or igi n e s de

Mani

av ec l a décou v e rt e du

CMC

Dans la Vita Mani du CMC, qui est un document manichéen très ancien transmis en grec mais vraisemblablement traduit de l’araméen, il est donné des informations non négligeables sur l’enfance et la jeunesse de Mani : elles recoupent parfois mais pas toujours celles déjà connues. Il est précisé que Mani est le fils de Pattikios, forme grécisée de l’iranien Pattig ou Patteg et de l’araméen Patiq. En revanche, le nom de sa mère n’est nullement indiqué, comme cela est le cas dans bien d’autres documents. De plus, il est clairement mentionné que son père et lui ont été membres d’une communauté baptiste de la Babylonie qu’il y a tout lieu d’identifier comme elkasaïte, et ce malgré certaines opinions qui ne souhaitent pas aller au-delà du mouvement baptiste en général 19.

18. Voir M.  Scopello, « Vérités et contre-vérités : la vie de Mani selon les Acta Archelai », dans Apocrypha 6 (1995), p. 203-234. Voir aussi M. Scopello, « Hégémonius, les Acta Archelai et l’histoire de la controverse anti-manichéenne », dans W. Sundermann – P. Zieme (Éd.), Studia Manichaica, IV. Internationaler Kongress zum Manichäismus, Berlin 14-18 Juli 1997, Berlin, 2000, p. 528-545. 19.  Voir par exemple, C. Jullien – F. Jullien, Apôtres des confins. Processus missionnaires chrétiens dans l ’Empire iranien, Paris, 2002, p. 143.

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CHAPITRE VIII

D’après le CMC, ainsi que dans d’autres textes manichéens (le Shabuhragan par exemple), Mani semble avoir puisé son inspiration dans certaines sources chrétiennes d’origine judéenne de caractère apocalyptique – notamment à propos du terme de la venue de la bonne nouvelle par la prédication prophétique. En CMC 45-72, un passage mis sous l’autorité de Baraiès, sont rapportées cinq citations, inconnues jusqu’alors, d’apocalypses d’origine judéenne attribuées à de grandes figures bibliques tirées des récits de la Genèse : il s’agit des apocalypses d’Adam, de Seth, d’Énosh, de Sem et d’Hénoch. Toutes ces citations, suivies de trois références aux épîtres de Paul de Tarse qui évoquent son expérience mystique au troisième ciel et sa révélation du Christ Jésus (Ga 1, 1 ; 2 Co 12, 1-5 ; Ga 1, 11-12), justifient le caractère particulier et exceptionnel de la mission de Mani. Comme le souligne John C. Reeves, qui a consacré une importante monographie à ces apocalypses 20, dans le CMC, les auteurs paraissent intéressés de donner une légitimité à Mani, notamment en faisant appel aux expériences prophétiques de visionnaires qui lui sont antérieurs : pour ce critique, les cinq citations pourraient être des fabrications littéraires de traditionnistes manichéens dont le but serait de se conformer aux apocalypses pseudépigraphiques qui ont influencé le messianisme judéen du i er siècle avant notre ère et du i er siècle de notre ère 21. Quoi qu’il en soit, les apocalypses sollicitées lors de cette légitimation remontent à des figures patriarcales antérieures à Abraham : il pourrait s’agir d’un indice tendant à montrer que Mani ne s’inscrit nullement dans la lignée du judaïsme rabbinique et de sa chaîne prophétique proclamée dans la « Loi de Moïse », mais dans celle d’une tradition remontant aux origines de l’humanité – autrement dit, à la « loi première » et non à la « loi seconde » connue en hébreu sous le nom de « Mishnah » et en grec sous celui de « Deuterosis » : on n’est pas très éloigné du contexte de la Didascalie des Apôtres attestée notamment en langue syriaque et qui remonte à un milieu chrétien aux tendances judaïsantes du début du iii e siècle. Tout dans le CMC montre que le groupe d’où est issu Mani relève d’une forme de judaïsme qui sera progressivement considérée comme « hétérodoxe », notamment certaines traditions qui paraissent antérieures à la destruction du Temple de Jérusalem en 70 : y compris des éléments relatifs aux prescriptions alimentaires nécessitant des purifications dont le

20.  J.C. R eeves , Heralds of That Good Realm : Syro-Mesopotamian Gnosis and Jewish Traditions, Leyde, 1996. 21.  J.C. R eeves , « Jewish Pseudepigrapha in Manichaean Literature : The Influence of the Enochic Library », dans J.C. R eeves (Éd.), Tracing the Threads. Studies in the Vitality of Jewish Pseudepigrapha, Atlanta/Georgie, 1994, p. 173-203.

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caractère semble proprement baptiste, comme par exemple les interdictions d’ordre encratique. On doit se demander d’où provient l’idée que les pratiques rituelles sont nécessaires pour le pardon des péchés des Auditeurs chargés de préparer la nourriture des Élus qui prient, en retour, pour leur délivrance. Cette règle fondamentale pour comprendre le manichéisme pourrait être originaire des milieux elkasaïtes : on la retrouve, d’une certaine manière mais non sans avoir été adaptée, dans la mise en commun des biens impliquant une répartition entre ceux qui prient et ceux pour qui on prie, qui est attestée chez les esséniens (1QS 1, 7, 11-13 ; CD 13, 11) et chez les chrétiens (Ac 4, 32-35 ; 4, 36-37 ; 5, 1-11) du i er siècle en Palestine – des Judéens marginaux et considérés ensuite comme « hétérodoxes » par ceux se désignant comme majoritaires et « orthodoxes ». Culturellement, la Vita Mani du CMC est contaminée par des influences en provenance du judaïsme, et ne peut l’avoir été que par l’intermédiaire de l’elkasaïsme : il en est ainsi par exemple de la conversation entre Mani et un palmier dattier en CMC 98, 8-99, 9 – voir notamment ce qui est rapporté en TB Soukkah 28a ou en TB Baba Bathra 134a de la conversation de Rabban Yohanan ben Zakkai avec les palmiers 22 . Enfin, il convient d’observer qu’il n’est fait mention, pour Pattikios, ni d’une ascendance iranienne ni d’un lignage aristocratique : éléments qui ont tout l’air d’être de traits de l’hagiographie manichéenne postérieure à la Vita Mani du CMC. VIII.5. R éca pi t u l at i f Si l’on dresse le bilan des données d’avant et d’avec la découverte du CMC, on se rend compte d’un certain nombre de différences. Il y a tout lieu de penser que l’ascendance iranienne et le lignage aristocratique attribués à Mani ne sont que des traits de l’apologétique iranisante, ne correspondant à aucune réalité. Un point apparaît comme plus ou moins certain : Mani est de culture araméenne et non pas de culture iranienne, c’est ce qui ressort de sa formation religieuse en milieu elkasaïte, un groupe chrétien d’origine judéenne dont il connaît les écritures utilisées, lesquelles, des évangiles et des apo-

22.  À ce sujet, voir B.L. Visotzky, « The Conversation of Palm Trees », dans J.C. R eeves (Éd.), Tracing the Threads. Studies in the Vitality of Jewish Pseudepigrapha, Atlanta/Georgie, 1994, p. 205-214. Voir aussi B. Visotzky, « Rabbinic Randglossen to the Cologne Mani Codex », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 52 (1983), p. 295-300.

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calypses de provenance chrétienne d’origine judéenne, lui sont accessibles dans des versions araméennes 23. VIII.6. P roposi t ion Il convient maintenant d’examiner de manière nouvelle la question des origines ethnico-religieuses des parents de Mani et donc du fondateur du manichéisme : il s’agit d’un problème fort délicat, étant donné que les sources relèvent exclusivement du domaine hagiographique et sont donc sujettes à caution. S’il faut accepter les données de la Vita Mani du CMC, concernant l’origine religieuse de Mani, à savoir son appartenance au groupe baptiste des elkasaïtes, une question fondamentale se pose : les traits iraniens de la vie du Prophète de Babylone, connus par ailleurs, ne relèveraient-ils pas de manière stricte de l’hagiographie manichéenne ? Comme il a déjà été observé, il est assuré que Mani n’a pas été d’origine iranienne et que tout ce qui est rapporté sur ce point relève de l’apologétique iranisante. Dans ce cas, il est légitime de se demander quelles ont été les origines ethnico-religieuses de Mani ? On sait que le père de Mani et son fils ont rejoint, à quatre ans d’intervalle, une communauté baptiste que l’on peut identifier comme elkasaïte : c’est donc dans cette direction qu’il convient peut-être de chercher leurs origines. Cette recherche est sous-tendue par le caractère du mouvement elkasaïte qui relève du christianisme d’origine judéenne minoritaire ou « hétérodoxe » par rapport au judaïsme et au christianisme majoritaires ou « orthodoxes », du moins selon une perspective qui n’est pas antérieure au iv e siècle – le qualificatif « orthodoxe » ne renvoie pas nécessairement à une uniformité des croyances et des pratiques. Les elkasaïtes sont en effet des judéo-chrétiens, c’est-à-dire des chrétiens d’origine judéenne. On sait que les elkasaïtes de l’empire romain sont prosélytes et que ce prosélytisme est essentiellement tourné vers des chrétiens (voir pour le iii e siècle les témoignages d’Hippolyte et d’Origène), mais on ne sait pas si celui-ci a visé aussi bien des chrétiens d’origine grecque que des chrétiens d’origine judéenne. En ce qui concerne les elkasaïtes de l’empire iranien, on ne sait pas si leur position, vis-à-vis du prosélytisme, est similaire. Le sens de cette dernière problématique est de tenter de savoir si l’elkasaïme en Babylonie a été ouvert aux « païens » d’origine araméenne ou 23.  À ce sujet, voir M. Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 41-45, 19972 , p. 40-43.

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d’origine iranienne aussi bien qu’aux Judéens. En effet, pour apprécier de manière plus exacte l’hypothèse qui va être posée, il faudrait savoir si un Iranien ou un Araméen de Babylonie, adorateur d’Hermès comme est censé l’avoir été le père de Mani, avait des chances de pouvoir s’agréger à une communauté elkasaïte aussi fermée que paraît l’être celle décrite dans la Vita Mani du CMC. Comme on l’a déjà observé, dans la présentation de la vie de Mani, qui est transmise par diverses traditions, on peut relever quelques contradictions flagrantes. Par exemple : d’une part, on affirme que Mani est iranien et d’autre part, on rapporte qu’il est babylonien parlant araméen – évidemment, un Iranien a pu vivre en Babylonie et parler araméen, à moins qu’il faille donner de l’importance à la présence d’un interprète lors de l’entrevue houleuse entre Mani et Vahram II, celle qui a conduit à l’arrestation et à la mise à mort du fondateur de la religiosité manichéenne. De plus, il est certain que la tradition manichéenne a enjolivé le profil des origines de Mani en faisant de son père, Pattikios, et de sa mère, Mariam, des descendants de vieilles familles aristocratiques aux origines parthes et proches de la dynastie des Arsacides. Sans compter encore que, peut-être par apologétique christianisante, la tradition manichéenne a donné à la mère de Mani le nom de la mère de Jésus : Mariam, dans sa forme araméenne. C’est pourquoi, quand on réalise combien le judaïsme, tout au moins dans sa forme rabbinique, de même que le christianisme d’origine judéenne « hétérodoxe », de la Babylonie du iii e siècle, est fermé vis-à-vis de ceux qui sont désignés comme « idolâtres », on peut vraiment se demander comment un Iranien, de la caste des nobles, a pu être accepté et intégré dans une communauté comme celle qui est décrite dans le CMC. On peut évidemment penser que Pattikios a adhéré à l’elkasaïsme par une procédure de conversion, au sujet de laquelle on ignore tout. Cependant, on sait que, dans le judaïsme rabbinique babylonien du iii e siècle, les prosélytes ont un statut relativement différent de celui des Judéens d’origine qui bénéficient de bien plus de droits 24 . Autrement exprimé, s’il avait accepté de rejoindre le judaïsme, même dans sa forme elkasaïte, le père de Mani aurait perdu des droits par rapport à ceux dont il bénéficie comme Iranien ou comme Araméen. D’autant que la halakhah elkasaïte paraît très stricte, notamment sur le plan alimentaire : on refuse, par exemple, de consommer le pain des Grecs (voir CMC 87-88 ; 90), comme une ancienne règle judéenne le prescrit dans une série de mesures au nombre de dix-huit, prises en 67-68 dans les milieux pharisiens de Beth Shamaï à Jérusalem, alors que la ville est assiégée par les légions romaines, afin d’éviter tout contact entre Judéens 24.  À ce sujet, voir S.J.D.  Cohen, « On Murdering or Injuring a Proselyte », dans J.  M agnes  – S. Gitin (Éd.), Hesed ve-emet. Studies in Honor of Ernest S. Frerichs, Atlanta/Georgie, 1998, p. 95-108.

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et Grecs (M Shabbat  I, 4 ; T Shabbat  I, 19 ; TJ Shabbat  I, 4, 3c-d ; TB Shabbat 13b-17b). Cette mesure, placée en tête de liste, malgré des contestations multiples, semble avoir été active chez les Judéens rabbiniques comme chez les Judéens elkasaïtes – elle ne deviendra obsolète, du moins chez les premiers, qu’à partir du iv e siècle 25. En se fondant sur ces quelques éléments, il paraît possible d’avancer que Mani pourrait avoir été d’origine judéenne, à l’instar sans doute des autres membres de la communauté elkasaïte à laquelle il a appartenu jusqu’à son expulsion. Jürgen Tubach a démontré que les premiers disciples de Mani, ceux provenant de cette communauté, portent tous des noms d’origine judéenne 26 – ce qui présume d’une manière ou d’une autre leur rattachement au judaïsme. Wolf-Peter Funk a attiré l’attention sur certains fragments coptes de l’Évangile Vivant de Mani (le Synaxeis) en cours d’édition. Certains d’entre eux, étant donné le vocabulaire technique attesté (comme par exemple l’expression « semence d’Abraham »), montrent que Mani, avant de devenir le fondateur d’une nouvelle religiosité, a vécu dans une communauté judéenne hétérodoxe de Babylonie, sans doute elkasaïte, et renforcent l’hypothèse de son appartenance à l’ethnie judéenne (voir en particulier les fragments 391, 10-26 = Série 1955, fol. 2 hor et 422 = Série 1, 1951, fol. 12 hor) 27. Proposer de considérer que Mani aurait été d’origine judéenne n’a peutêtre aucun sens : toutefois, ce pourrait être la seule façon de réduire les difficultés que pose l’appartenance elkasaïte de Mani durant son enfance et sa jeunesse, en tout cas si l’on veut tenir compte du caractère proprement « sectaire », fermé, du groupe des elkasaïtes. Parmi les indices en faveur de l’hypothèse proposée ici, un élément important paraît devoir être ajouté : il s’agit du caractère prophétique et non pas messianique – le terme « messie » n’apparaissant guère dans la docu25.  À ce sujet, voir C. Touati, « Les dix-huit mesures », dans École pratique des Hautes études. Section des sciences religieuses, Annuaire. Résumés des conférences et travaux, XCVI, 1987-1988, Paris, 1988, p. 202-204. Voir aussi S. Zeitlin, « Les ‘dix-huit mesures’ », dans Revue des études juives 68 (1914), p. 22-36 ; A. Gold berg , «  Les dix-huit mesures selon les écoles de Shammay et de Hillel », dans A.M. R abello (Éd.), Mélanges D. Kotler, Tel Aviv, 1974, p. 216-225 [en hébreu]. 26.  J. Tubach, « Die Namen von Manis Jüngern und ihre Herkunft », dans L.  Cirillo – A.  van Tongerloo (Éd.), Atti del terzo congresso internazionale di studi « Manicheismo e Oriente cristiano antico ». Arcavacata di Rende – Amentea 31 agosto – 5 settembre 1993, Turnhout, 1997, p. 375-393. 27.  W.-P. Funk , « Mani’s Account of Other Religions according to the Coptic Synaxeis Codex », dans J.D. Be Duhn (Éd.), New Light on Manichaeism. Papers from the Sixth International Congress on Manichaeism, Leyde-Boston, 2009, p. 115127 – je remercie l’auteur d’avoir attiré mon attention sur cette importante et éclairante contribution qui m’a totalement échappée.

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mentation directe – du manichéisme. Les études en la matière ont montré son origine judéo-chrétienne, et par conséquent son origine judéenne 28. D’après la documentation manichéenne la plus ancienne, notamment dans un passage du Shabuhragan repris par Ibn al-Biruni, Mani est censé, en effet, s’être présenté dans la perspective du prophète charismatique attendu par les elkasaïtes, il est le « Sceau des Prophètes » : une idée qui est déjà attestée chez Tertullien où, dans le Contre les Judéens, il affirme que les Judéens visés, sans doute d’une des nombreuses tendances chrétiennes, se réclament d’un fondateur postérieur à Jésus, dont le nom n’est pas connu et auquel ils donnent le titre de « sceau de toutes les prophéties » (en VIII, 12) et de « sceau de tous les prophètes » (en XI, 10). Cette idée est aussi clairement attestée chez les ébionites sous le thème du « Verus Propheta » 29. Il n’est d’ailleurs pas certains qu’elle soit passée chez les musulmans en provenance du manichéisme, l’hypothèse ébionite ou elkasaïte n’est nullement à exclure comme le pensent certains critiques 30. D’après le CMC, en 62, 9-63, 1, dans le sommaire de conclusion d’un passage mis sous l’autorité de Baraiès dont il a déjà été question, cette idée, certes sous une forme différente, est également attestée : « Tous les envoyés très heureux, sauveurs, annonceurs de bonne nouvelle et prophètes de vérité, chacun d’entre eux a vu conformément à ce qui lui a été révélé par l’espoir vivant en vue de la proclamation : ils le mirent par écrit, le gardèrent en dépôt et le conservèrent en guise de mémorial à l’intention des fils de l’Esprit qui sont à venir » 31 – ainsi dans ce passage, comme cela est le cas aussi dans le prologue des Kephalaia 32 , Mani est mis dans la chaîne 28. Voir J.-D. Dubois , « Mani, le prophète de l’humanité entière », dans J.-C. Attias – P. Gisel – L. K aennel (Éd.), Messianismes. Variations sur une figure juive, Genève, 2000, p. 195-212. 29.  À ce sujet, voir S.C. M imouni, « La doctrine du Verus Propheta de la littérature pseudo-clémentine chez Henry Corbin et ses élèves », dans M.A. A mir-Moezzi – C. Jambet – P. L ory (Éd.), Henry Corbin. Philosophies et sagesses des Religions du Livre. Actes du Colloque « Henry Corbin ». Sorbonne, les 6-8 novembre 2003, Turnhout, 2005, p. 165-175. Voir aussi S.C.  M imouni, « Du Verus propheta chrétien (ébionite ?) au Sceau des prophètes musulmans », dans F. del R ío Sánchez (Éd.), Jewish-Christianity and the Origins of Islam. Papers Presented at the Colloquium held in Washington DC, October 29-31, 2015 (8th ASMEA Conference), Turnhout, 2018, p. 41-74. 30.  À ce sujet, voir C.  Colpe , « Mohammed und Mani als Prophetensiegel », dans Das Siegel der Propheten. Historische Beziehungen zwischen Judentum, Judenchristentum, Heidentum und frühem Islam, Berlin, 1990, p. 227-244. Voir aussi M. Sfar , « Ahmad, prophète manichéen », dans Le Coran, la Bible et l ’Orient ancien, Paris, 1998, p. 409-423, spécialement p. 412-415. 31. Traduction de M. Tardieu, « Mani et le manichéisme. Le dernier prophète », dans Encyclopédie des religions, I, Paris, 1997, p. 229. 32. À ce sujet, voir M. Tardieu, « Le Prologue des ‘Kephalaia’ de Berlin », dans J.-D. Dubois – B. Roussel (Éd.), Entrer en matière. Les prologues, Paris, 1998, p. 65-77.

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CHAPITRE VIII

des « prophètes de vérité » qui ont préparé sa venue, œuvrant à l’intention des manichéens. Les elkasaïtes l’ont considéré comme un « faux prophète » alors que ses disciples l’ont reconnu comme le « vrai prophète » : une situation qui n’est pas exceptionnelle lors des manifestations prophétiques ou messianiques. L’antijudaïsme de Mani (et surtout son opposition aux prophètes de l’Ancien Testament qu’il récuse) ne doit pas être considéré comme un argument contre la thèse de son origine judéenne : on peut même considérer que ce pourrait être un argument favorable 33. En effet, il paraît dorénavant difficile de penser, comme le font encore de nombreux critiques  3 4 , que Mani ne s’est pas intéressé à tout ce qui a été judéen et que cela a même suscité son irritation : une animosité qu’il a peut-être entretenu à l’égard du rabbinisme, mais sans doute pas pour le judaïsme en général. De toute façon, si Mani avait été antirabbinique, ce qui est bien possible, cela ne signifierait pas qu’il n’appartient pas à l’ethnicité judéenne. Il est fréquent en effet que des Judéens, chrétiens ou autres, aient été, pour des raisons doctrinales, en opposition radicale avec des gens originaires de leur ethnicité : on connaît le cas des auteurs de l’Épître de Barnabé ou de l’Apocalypse de Pierre, également celui de Méliton de Sardes – si l’on accepte de considérer les origines judéennes de ce dernier. Mani ne connaît que des parties de la Bible judéenne, les premiers chapitres du Livre de la Genèse, auxquelles il a eu accès par des textes apocryphes dont la transmission est judéenne, chrétienne ou synagogale : ce qui est encore un indicateur de son appartenance ethnique car ces traditions ont été conservées dans ces formes de judaïsme et non par les rabbins. Même s’il est à peu près sûr qu’on ne connaîtra jamais de manière certaine les origines réelles de Mani, du moins dans l’état actuel de la documentation, du fait que la tradition manichéenne a veillé à la disparition de toutes traces non conformes à son idéologie, cherchant ainsi à faire du Prophète de Babylone un Iranien appartenant à la caste des nobles, l’hypothèse de son origine judéenne mérite d’être prise en considération si l’on souhaite être cohérent avec les rapprochements établis entre la Vita Mani du CMC et la littérature rabbinique babylonienne 35. Et ce même 33.  À ce sujet, voir I. Gruenwald, « Manichaeism and Judaism in Light of the Cologne Mani Codex », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 50 (1983), p. 29-45. 34. Voir M.  Tardieu, Le manichéisme, Paris, 19811, p. 42, 19972 , p. 41. 35.  À ce sujet, voir J.  M aier , « Zum Problem der jüdischen Gemeinden Mesopotamiens im 2. und 3. Jh. n. Chr. im Blick auf den CMC », dans L.  Cirillo – A. Roselli (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del simposio internazionale (Rende-Amantea 3-7 set. 1984), Cosenza, 1986, p. 37-67 ; J.  M aier , « Il codice ‘Mani’ di Colonia come fonte per la storia giudaica », dans L. Cirillo (Éd.), Codex Manichaicus Coloniensis. Atti del secondo simposio internazionale (Cosenza 27-28 maggio 1988), Cosenza, 1990, p. 57-65.

EXCURSUS

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si, répétons-le, aucune réponse définitive ne saurait être donnée, à cause aussi des incertitudes qui pèsent sur la situation religieuse de la Babylonie durant la première moitié du iii e siècle pour laquelle on ne dispose pas d’un document équivalent à l’inscription de Kartir qui date de la seconde moitié de ce même siècle 36. On connaît mal en effet la situation du judaïsme babylonien qui prend de plus en plus d’importance tout au long du iii e siècle alors que le judaïsme palestinien en perd – c’est le cas du rabbinisme mais aussi des autres formes refusant la « Seconde Loi », comme le judaïsme sacerdotal et synagogal 37. Quoi qu’il en soit, il faudrait revoir en fonction de cette hypothèse toutes les données de la vie de Mani, qui sont fournies par la documentation manichéenne et par les traditions indirectes chrétienne et islamique. VIII.7. C onclusion Il n’a pas été question ici des influences elkasaïtes sur le manichéisme des origines, mais des origines ethnico-religieuses de son fondateur : les premières sont désormais assurées tandis que les secondes ne le sont pas encore de manière certaine. Les origines judéennes de Mani comme celles du manichéisme ont été effacées avec le temps au profit d’origines iraniennes plus flatteuses dans des milieux résolument antijudaïques ou dans des milieux où le judaïsme et le christianisme dans la forme elkasaïte ne présentent plus guère de signification. Il se pourrait que cette omission remonte déjà au mouvement elkasaïte d’où sont issus Mani et ses premiers disciples. Ces origines ont sans doute été oubliées mais la haine du judaïsme, la Loi de Moïse, est demeurée tenace – comme cela est souvent le cas à la suite d’une exclusion violente et sans retour d’une minorité par une majorité. Le manichéisme a entretenu une haine à l’égard de l’elkasaïsme et à travers lui à l’égard du judaïsme en général représenté maintenant par les seuls descendants des pharisiens. Cette haine du judaïsme se trouve aussi d’ailleurs chez les mandéens, qui pourraient être les descendants des elkasaïtes. 36. À ce sujet voir S.C.  M imouni, « Les nazoréens. Recherche étymologique et historique », dans Revue biblique 105 (1998), p. 251-260. Voir également l’opinion contrastée de C. Jullien – F. Jullien, « Aux frontières de l’iranité : nasraye et kristyone des inscriptions du mobad Kirdir. Enquête littéraire et historique », dans Numen 49 (2002), p. 282-335. 37.  À ce sujet, voir S.C.  M imouni, Le judaïsme ancien du vi e siècle avant notre ère au iii e siècle de notre ère : des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 799-827. Voir aussi S.C.  M imouni, « Judaïsme babylonien », dans Dictionnaire Encyclopédique du Judaïsme, Paris, 19931, p. 1260-1269 ; 19962 , p. 1132-1142.

BIBLIOGRAPHIE Il n’est pas question ici de reprendre toutes références qui figurent dans l’annotation. Il s’agit seulement de dresser un état de la bibliographie sur la Vita Mani du Codex manichéen de Cologne. Cet état est constitué en fonction d’un ordre chronologique et non d’un ordre alphabétique. J.  van Oort, « The Study of the Cologne Mani Codex, 1969-1994 », dans Manichaean Studies Newletter 13 (1996), p. 22-30. I. É ditions Ce relevé bibliographique est exhaustif. A. Henrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 1-72 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 19 (1975), p. 1-85. A. Henrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 72, 8-99, 9 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 32 (1978), p. 87-199. A. Henrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 99, 10-120 », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 44 (1981), p. 201-318. A. Henrichs – L. Koenen, « Der Kölner Mani-Kodex (P. Colon. inv. nr. 4780). ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΓΕΝΝΗΣ ΤΟΥ ΣΩΜΑΤΟΣ ΑΥΤΟΥ. Edition der Seiten 121-192 » dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 48 (1982), p. 1-59. L. Koenen – C. Römer , Der Kölner Mani-Kodex. Abbildungen und diplomatischer Text, Bonn, 1985. L. Koenen – C. Römer , Der Kölner Mani-Kodex. Ueber das Werden seines Leibes. Kritische Edition, Opladen, 1988. L. Cirillo – A. Concolino M ancini – A. Roselli, Codex Manichaicus Coloniensis. Concordanze, Cosenza, 1985. L.  Cirillo, Concordanze del « Codex Manichaicus Coloniensis », Bologne, 2001. Les contributions suivantes apportent des compléments ou rectificatifs philologiques et historiques au texte édité : L. Koenen – C. Römer , « Neue Lesungen um Kölner Mani-Kodex », dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 58 (1985), p. 47-54 (voir aussi

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I NDEX I. D e s

t e x t e s et au t eu r s a nci e ns

A. Littérature manichéenne Actes (Praxeis) . . . . . . . . . . . . 150 27, 23 . . . . . . . . . . . . . . . 263 53, 26 . . . . . . . . . . . . . . 263 Actes de la mission orientale . . .

128

Codex Manichaicus Coloniensis (CMC) (Vita Mani) . . . . 15, 19, 25-26, 121, 133-134, 142, 147, 149-165, 167-171, 173, 184, 186, 188-189, 191, 194-195, 203, 207, 210, 212, 230, 235, 239-240, 242, 246, 249, 252, 260, 266-267, 275-277, 284-285, 289, 292, 295, 298, 300-301, 328, 336-339, 342, 344, 346, 350-351, 357, 359-361, 364 1, 1-99, 9 . . . . . . . . . . . . . 153 2-14 . . . . . . . . . . . . . . . . 158 5, 3-13 . . . . . . . . . . . . . . . 185 5, 11 . . . . . . . . . . . . . . . . 188 6, 1-8, 14 . . . . . . . . . . . . . 246 6, 5-6 . . . . . . . . . . . . . . . . 247 6, 8 . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 7, 2-5 . . . . . . . . . . . . . . . . 246 7, 6 . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 7, 11-15 . . . . . . . . . . . . . . . 246 7, 21 . . . . . . . . . . . . . . . . 225 7, 34 . . . . . . . . . . . . . . . . 299 8, 1-7 . . . . . . . . . . . . . . . . 246 8, 11-14 . . . . . . . . . . . . . . 247 9, 15 . . . . . . . . . . . . . . . . 188 10, 11 . . . . . . . . . . . . . . . . 188 11, 4 . . . . . . . . . . . . . . . . 188 11, 12 . . . . . . . . . . . . . . . . 263 12, 1-15 . . . . . . . . . . . . . . 249 13, 2 . . . . . . . . . . . . . . . . 258 13, 2-15 . . . . . . . . . . . . . . 258 14-72 . . . . . . . . . . . . . . . . 158 14, 3-26, 5 . . . . . . . . . . . . . 187 17, 1-16 . . . . . . . . . . . . . . . 258 17, 7-16 . . . . . . . . . . . . . . . 166 18, 1-16 . . . . . . . . . . . . . . 258 19, 2-18 . . . . . . . . . . . . . . 258 20-21 . . . . . . . . . . . . . . . . 191 20, 1-17 . . . . . . . . . . . . . . 258

21, 2-15 . . . . . . . . . . . . . . 258 22, 1-18 . . . . . . . . . . . . . . 258 23, 1-16 . . . . . . . . . . . . . . 258 24, 2-16 . . . . . . . . . . . . . . 258 26, 7-15 . . . . . . . . . . . . . . 258 28, 23-29, 8 . . . . . . . . . . . . 264 31, 1 . . . . . . . . . . . . . . . . 297 31, 19 . . . . . . . . . . . . . . . . 297 32, 1-21 . . . . . . . . . . . . . . 258 35, 1-15 . . . . . . . . . . . . . . 258 44, 5 . . . . . . . . . . . . . . . . 192 44, 7 . . . . . . . . . . . . . . . . 297 45-72 . . . . . . . . . . . . . . . . 358 45, 1-72, 7 . . . . . . . . . . 143, 187 45, 1-72, 8 . . . . . . . . . . . . . 301 47, 1-63, 1 . . . . . . . . . . . . . 218 48, 16-50 . . . . . . . . . . . . . 285 48, 16-50, 7 . . . . . . . . . 167, 301 49, 8 . . . . . . . . . . . . . . . . 245 50, 8-52, 7 . . . . . . . 167, 285, 301 52, 8-55, 9 . . . . . . . 167, 285, 301 55, 10-58, 5 . . . . . . 167, 285, 301 58, 6-60, 7 . . . . . . . . . . . . 301 58, 6-60, 12 . . . . . . . . . 167, 285 60, 12-23 . . . . . . . . . . . . . 285 60, 13-62, 9 . . . . . . . . . . . . 302 60, 21 . . . . . . . . . . . . . . . 263 61, 1-14 . . . . . . . . . . . . . . 285 61, 15 . . . . . . . . . . . . . . . . 285 61, 22 . . . . . . . . . . . . . . . . 263 62, 9-63, 1 . . . . . . . . . . . . 363 62, 14 . . . . . . . . . . . . . . . 218 63, 12 . . . . . . . . . . . . . . . 143 65, 5 . . . . . . . . . . . . . . . . 227 65, 23-68, 4 . . . . . . . . . . . . 187 66, 4 . . . . . . . . . . . . . 263, 265 66, 4-68, 5 . . . . . . . . . . . . 126 66, 4-70, 9 . . . . . . . . . . . . . 172 68, 5-69, 8 . . . . . . . . . . . . 187 68, 6-69, 8 . . . . . . . . . . . . 126 69, 9-70, 9 . . . . . . . . . . . . . 187 69, 9-70, 10 . . . . . . . . . 126, 258 72-99 . . . . . . . . . . . . . . . . 158 72, 8-74, 5 . . . . . . . . . . . . . 187 72, 8-75, 5 . . . . . . . . . . . . . 187 72, 8-79, 12 . . . . . . . . . . . . 187

378

DES TEXTES ET AUTEURS ANCIENS

73, 1-22 . . . . . . . . . . . . . . 258 73, 10 . . . . . . . . . . . . . . . 188 74, 6-77, 2 . . . . . . . . . . . . . 188 74, 11 . . . . . . . . . . 225-226, 231 74, 11-13 . . . . . . . . . . . . . . 226 74, 11-16 . . . . . . . . . . . . . . 170 74, 12 . . . . . . . . . . . . . . . . 227 74, 13 . . . . . . . . . . . . . . . . 225 75, 22 . . . . . . . . . . . . . . . 225 76, 22-23 . . . . . . . . . . . . . 226 77, 3-79, 12 . . . . . . . . . . . . 188 77, 4-79, 5 . . . . . . . . . . . . . 143 77, 4-79, 12 . . . . . . . 16, 165, 173 77, 6 . . . . . . . . . . . . . . . . 225 77, 7 . . . . . . . . . . . . . . . . 227 78, 13 . . . . . . . . . . . . . . . 225 78, 23 . . . . . . . . . . . . . . . 225 78, 19 . . . . . . . . . . . . . . . 297 79, 3 . . . . . . . . . . . . . . . . 225 79, 4 . . . . . . . . . . . . . . . . 170 79, 12 . . . . . . . . . . . . . . . . 187 79, 13 . . . . . . . . . . . . . . . . 174 79, 13-93, 20 . . . . . . . . . . . 144 79, 13-93, 23 . . . . . . 162, 185-188 79, 13-107, 23 . . . 16, 25, 149, 165, 171, 173, 183, 344 79, 14 . . . . . . . . . . . . . . . . 188 79, 14-80, 5 . . . . . . 174, 189, 251 79, 20 . . . . . . . . . . . . 190, 204 79, 21 . . . . . . . . . . . . . . . . 191 80, 4 . . . . . . . . . . . . . . . . 192 80, 6-7 . . . . . . . . . . . . . 193-194 80, 6-80, 17 . . 174, 193, 213, 251 80, 8 . . . . . . . . . . . . . . . . 195 80, 11-12 . . . . . . . . . . . . . . 191 80, 18-84, 8 . . 174, 196, 210, 216, 223 80, 18-84, 10 . . . . . . . . . 201-202 80, 18-85, 12 . . . . . . . . . . . . 251 81, 2 . . . . . . . . . . . . . . . . 199 81, 4 . . . . . . . . . . . . . 199, 299 81, 13 . . . . . . . . . . . . . 199, 299 82, 15 . . . . . . . . . . . . . . . 200 82, 23-83, 3 . . . . . . . . . . . . 198 82, 23-83,13 . . . . . . . . . . . 299 83, 3 . . . . . . . . . . . . . . . . 200 83, 7 . . . . . . . . . . . . . . . . 202 83, 16 . . . . . . . . . . . . . . . . 199 83, 21 . . . . . . . . . . . . . . . 200 84, 6 . . . . . . . . . . . . . . . . 200 84, 8-9 . . . . . . . . . . . . . . . . 191

84, 9b-16a . . . . . . . . . . . . . 144 84, 9-85, 12 . . . 175, 203-204, 216 84, 10 . . . . . . . . . . . . . . . 200 84, 13 . . . . . . . . . . . . . . . . 191 84, 15-16 . . . . . . . . . . . . . . 144 84, 19-20 . . . . . . . . . . . . . 211 85, 3 . . . . . . . . . . . . . . . . 200 85, 6 . . . . . . . . . . . . . . . . 211 85, 8 . . . . . . . . . . . . . . . . 199 85, 9 . . . . . . . . . . . . . . . . 199 85, 13-86, 1 . . . . . . . . . 213, 216 85, 13-88, 14 . . . . . 176, 212, 251 85, 13-91, 18 . . . . . . . . . . . . 251 85, 14-15 . . . . . . . . . . . . . . 193 85, 20 . . . . . . . . . 217, 221, 224 85, 23 . . . . . . . . . . . . . . . 214 86, 1 . . . . . . . . . . . . . . . . 216 86, 1-4 . . . . . . . . . . . . . . . 216 86, 1-88, 1 . . . . . . . . . . 216, 223 86, 2 . . . . . . . . . . . . . . . . 214 86, 3 . . . . . . . 217-218, 221, 224 86, 4-13 . . . . . . . . . . . . . . 216 86, 5 . . . . . . . . . . . . . 219, 224 86, 8 . . . . . . . . . . . . . . . . 214 86, 14-17 . . . . . . . . . . . . . . 216 86, 17-87, 6 . . . . . . . . . . . . 216 87-88 . . . . . . . . . . . . . . . . 361 87, 2 . . . . . . . . . . . . . . . . 214 87, 3-4 . . . . . . . . . . . . . . . 223 87, 4 . . . . . . . . . . . . . . . . 219 87, 5-6 . . . . . . . . . . . . 221, 299 87, 6-12 . . . . . . . . . . . . 215-216 87, 10 . . . . . . . . . . . . . . . . 223 87, 11 . . . . . . . . . . . . . . . . 223 87, 12-15 . . . . . . . . . . . . . . 216 87, 16-18 . . . . . . . . . . . . . . 216 87, 17 . . . . . . . . . . . . . . . . 223 87, 17-20 . . . . . . . . . . . 213, 224 87, 18-21 . . . . . . . . . . . . . . 216 87, 19 . . . . . . . . . . . . . . . . 223 87, 21 . . . . . . . . . . . . 222, 224 87, 21-88, 1 . . . . . . . . . . . . 216 88, 1 . . . . . . . . . . . . . 222, 224 88, 1-15 . . . . . . . . . . . . . . 188 88, 1-88, 14 . . . . . . 223-224, 228 88, 5 . . . . . . . . . . . . . . . . 219 88, 9-10 . . . . . . . . . . . . . . 230 88, 14 . . . . . . . . . . . . . . . 201 88, 15-89, 8 . . . . . . 171, 177, 225 88, 15-91, 18 . . . . . . . . . . . . 251 88, 16 . . . . . . . . . . . . . . . 225

DES TEXTES ET AUTEURS ANCIENS

88, 20 . . . . . . . . . . . . . . . 193 89, 1-2 . . . . . . . . . . . . . . . 230 89, 5 . . . . . . . . . . . . . . . . 225 89, 6-7 . . . . . . . . . . . . 226-227 89, 7 . . . . . . . . . . . . . . . . 227 89, 9 . . . . . . . . . . . . . . . . 229 89, 9-90, 6 . . . . . . . . . . 177, 227 89, 13 . . . . . . . . . . . . . . . . 196 89, 15 . . . . . . . . . . . . . . . . 228 90 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361 90, 1 . . . . . . . . . . . . . 192, 285 90, 7-91, 18 . . . . . . . . . 177, 230 90, 21-22 . . . . . . . . . . . . . 193 90, 23 . . . . . . . . . . . . . . . 214 91, 5 . . . . . . . . . . . . . . . . 193 91, 6-9 . . . . . . . . . . . . . . . 299 91, 9 . . . . . . . . . . . . . . . . 193 91, 11-12 . . . . . . . . . . . . . . 228 91, 17-18 . . . . . . . . . . . . . . 241 91, 19 . . . . . . . . . . . . . . . . 233 91, 19-92, 1 . . . . . . . . . . . . 233 91, 19-93, 23 . . 178, 232, 243-244, 252 91, 19-99, 9 . . . . . . . . . . 252-253 91, 20-21 . . . . . . . . . . . . . . 191 91, 21 . . . . . . . . . . . . . . . . 193 91, 22-23 . . . . . . . . . . . . . 228 92, 2-93, 3 . . . . . . . . . . 233-234 92, 3-93, 20 . . . . . . . . . . . . 284 92, 8-9 . . . . . . . . . . . . . . . 243 92, 11-12 . . . . . . . . . . . . . . 234 93, 4-93, 23 . . . . . . . . . 233-234 94, 1 . . . . . . . . . . . . . . . . 178 94, 1-8 . . . . . . . . . . . . . . . 248 94, 1-95, 14 . . . . . . . . . . . . 143 94, 1-99, 9 . . . 162, 185, 235, 248, 299 94, 2-8 . . . . . . . . . . . . . . . 248 94, 2-99, 9 . . . . . . 178, 236, 252 94, 3 . . . . . . . . . . . . . . . . 194 94, 7 . . . . . . . . . . . . . . . . 232 94, 7-8 . . . . . . . . . . . . . . . 219 94, 9 . . . . . . . . . . . . . . . . 248 94, 9-99, 9 . . . . . . . . . . . . . 248 94, 10 . . . . . . . . . . . . 221, 244 94, 10-12 . . . . . . . 190, 213, 224 94, 10-95, 14a . . . . . . . . . . 238 94, 10-96, 17 . . . . . . . . 238, 249 94, 11 . . . . . . . . . . . . . . . 162 94, 11-96, 16 . . . . . . . . . . . 162 94, 11.23 . . . . . . . . . . . . . 277

379

94, 13 . . . . . . . . . . . . . . . 289 94, 23 . . . . . . . . . . . . . . . 244 95, 10 . . . . . . . . . . . . . . . 241 95, 13 . . . . . . . . . . . . 244, 277 95, 14b-96, 17 . . . . . . . 143, 238 96, 13 . . . . . . . . . . . . . . . 244 96, 13.19 . . . . . . . . . . . . . . 277 96, 18 . . . . . . . . . . . . . . . 248 96, 18-97, 10 . . . . . . . . . . . 241 96, 19 . . . . . . . . . . . . . . . 244 97, 3 . . . . . . . . . . . . . . . . 244 97, 3.13.15-16 . . . . . . . . . . . 277 97, 11-17 . . . . . . . 233, 242, 244 97, 13 . . . . . . . . . . . . . . . . 244 97, 15 . . . . . . . . . . . . . . . . 244 97, 18 . . . . . . . . . . . . 246, 348 97, 18-98, 8 . . . . . . . . . . . . 244 97, 19 . . . . . . . . . . . . . . . . 188 97, 21-22 . . . . . . . . . . 226, 245 98, 1 . . . . . . . . . . . . . . . . 241 98, 2 . . . . . . . . . . . . . . . . 245 98, 5 . . . . . . . . . . . . . 246, 348 98, 8-99, 9 . . . . . . . . . . . . . 359 98, 9-99, 9 . . . . . . . . . . 246-247 98, 10 . . . . . . . . . . . . . . . 188 98, 11 . . . . . . . . . . . . . 247-248 98, 14 . . . . . . . . . . . . . . . 248 99-116 . . . . . . . . . . . . . . . 158 99, 10 . . . . . . . . . . . . . . . . 180 99, 10-100, 1 . . . . . . . . . . . 254 99, 10-107, 23 . . . . . . . 185, 253 99, 10-114, 5 . . . . . . . . 162, 264 99, 10-114, 7 . . . . . . . . . . . 264 99, 11-99, 19 . . . . . . . . . . . 254 99, 11-100, 1 . . . . . 180, 248-249, 252-253 99, 11-107, 23 . . . . . . . . . . . 253 99, 21 . . . . . . . . . . . . . . . . 233 100, 1-101, 10 . . . . . . . 180, 254 101, 1-105, 8 . . . . . . . . . . . 253 100, 1-107, 23 . . . . . . . . . . 254 100, 2-114, 5 . . . . . . . . . . . 252 100, 14 . . . . . . . . . . . . . . . 255 100, 21 . . . . . . . . . . . . . . . 229 101, 11-12 . . . . . . . . . . . . . 255 101, 11-104, 10 . . . . . . . 181, 255 101, 14 . . . . . . . . . . . . . . . 257 102, 10 . . . . . . . . . . . . . . . 297 102, 11-16 . . . . . . . . . . . . . 162 102, 12-16 . . . . . . . . . 260, 299 102, 14 . . . . . . . . . . . . . . . 260

380

DES TEXTES ET AUTEURS ANCIENS

102, 15 . . . . . . . . . . . . 211, 261 103, 4-6 . . . . . . . . . . . . . . 226 104, 2 . . . . . . . . . . . . . . . 213 104, 9 . . . . . . . . . . . . . . . 297 104, 10-105, 8 . . . . 171, 182, 261 104, 11-23 . . . . . . . . . . . . . . 16 105, 9-106, 23 . . . . . . . 171, 253 105, 9-107, 23 . . . . . . . 182, 262 106, 17 . . . . . . . . . . . . . . . 188 106, 19 . . . . . . . . . . . 236, 263 107, 1-109, 21 . . . . . . . . . . . 253 108, 1-10 . . . . . . . . . . . . . . 264 108, 1-114, 5 . . . . . . . . . . . 185 109, 21 . . . . . . . . . . . . . . . 188 110, 7 . . . . . . . . . . . . . . . . 227 110, 10 . . . . . . . . . . . . . . . 188 111, 15 . . . . . . . . . . . . . . . 264 112, 10 . . . . . . . . . . . . . . . 195 114, 6-116, 2 . . . . . 162, 185, 252 114, 6-116, 12 . . . . . . . 264-265 114, 7 . . . . . . . . . . . . . . . . 263 115, 7 . . . . . . . . . . . . . . . . 265 115, 15 . . . . . . . . . . . . . . . 265 116-192 . . . . . . . . . . . . . . 158 121, 12 . . . . . . . . . . . . . . . 161 126, 4-129, 7 . . . . . . . . . . . 166 133, 7-14 . . . . . . . . . . . . . . 166 136, 18-151, 8 . . . . . . . . . . . 161 137, 1-140, 7 . . . . . . . . 163, 267 140, 4 . . . . . . . . . . . . . . . . 161 140, 8-143, 18 . . . . . . . 265, 296 140, 9 . . . . . . . . . . . . . . . 236 140, 12 . . . . . . . . . . . . . . . 229 140, 13 . . . . . . . . . . . . . . . 188 140, 14 . . . . . . . . . . . . 163, 268 143, 4 . . . . . . . . . . . . . . . 226 159, 2 . . . . . . . . . . . . . . . . 227 Compendium (ou Catéchisme de la reli­ gion du Bouddha de Lumière, Mani) 130, 354 Évangile Vivant . . . . . 125-127, 133, 157-158, 160, 172, 187-188, 258, 265, 362 Fragments parthes M 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . M 172 . . . . . . . . . . . . . . . M 216c . . . . . . . . . . . . . . . M 267b . . . . . . . . . . . . . . M 314 . . . . . . . . . . . . . . .

238 126 173 357 357

M M M M M M M

822 . . . . . . . . . . . . . . . 357 1344 . . . . . . . . . . . . . . 341 1964 . . . . . . . . . . . . . . 357 4575 . . . . . . . . . . . 161, 342 5910 . . . . . . . . . . . . 277, 341 6031 . . . . . . . . . . . . . . 353 6033 . . . . . . . . . . . . . . 357

Fragments pehlevis M 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . M 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . M 17 . . . . . . . . . . . . . . . . M 28 I . . . . . . . . . . . . . . . M 28 II . . . . . . . . . . . . . . M 733 . . . . . . . . . . . . . . . M 5794 . . . . . . . . . . . . . . M 6033 . . . . . . . . . . . . . .

173 357 126 343 343 126 141 353

Fragments sogdiens L69-L60 . . . . . . . . . . . . . . L87-L83b-L83c-L68-L83a . . . M 13941 / 14285 . . . . . . . . M 18220 . . . . . . . . . . . . . .

357 357 173 173

Homélies . . . . . . . . . . . . . . . . II . . . . . . . . . . . . . . . . . . III, p. 45, 21-p. 48, 19 . . . . . IV . . . . . . . . . . . . . . . . . . IV, p. 87, l. 13 . . . . . . . . . . IV, p. 87, 13 . . . . . . . . . . . . IV, p. 93, 20-30 . . . . . . . . .

215 126 357 341 341 215 357

Image . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 Kephalaia . .

132, 142, 144, 185, 188, 215, 335, 351, 354, 363 Livre I dit du Maître (Berlin) . . . 16, 132, 157 Prologue, p. 7, 27-34 . . . . . . . 72 I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 I, p. 12, 26-27 . . . . . . . . . . 168 I, p. 12, 32 . . . . . . . . . . . . 194 I, p. 13, 26-35 . . . . . . . . . . 257 I, p. 13, 28 . . . . . . . . . . . . 170 I, p. 13, 30 . . . . . . . . . . . . 241 I, p. 14, 32 . . . . . . . . . . . . 257 I, p. 15, 1-4 . . . . . . . . . . . . 257 I, 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . 126 I, XII, p. 44, 27 . . . . . . . . . 205 VI, p. 30, 12-34, 12 . . . . . . . 339 VI, p. 33, 25 . . . . . . . . . . . 339

DES TEXTES ET AUTEURS ANCIENS

VI, p. 33, 29 . . . . . . . . . . . 339 VI, p. 33, 29-32 . . . . . . 185, 198 VI, p. 33, 30 . . . . . . . . 215, 339 VI, p. 33, 31 . . . . . . . . . . . 339 VI, p. 33, 31-32 . . . . . . . . . 339 VII, p. 36, 6 . . . . . . . . . . . 257 XII, p. 44, l. 25 . . . . . . . . . 340 XII, p. 44, l. 27 . . . . . . . . . 340 XII, p. 44, 20-45, 15 . . . . . . 339 XII, p. 44, 24-25 . . . . . . . . 185 XII, p. 44, 26 . . . . . . . . . . . 215 LXXX, p. 192, 9-10 . . . . . . . 261 LXXXIX, p. 221, l. 19-20, l. 3 . 340 LXXXIX, p. 221, l. 28 . . . . . 340 LXXXIX, p. 221, 18-223, 16 . 340 LXXXIX, p. 222, l. 1-2 . . . . 340 CI . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144 CI, p. 253-255 . . . . . . . . . . 239 CXXI . . . . . . . . . . . . 347, 356 CXXX, p. 308, 11 et 14 . . . . 186 CLIV . . . . . . . . . . . . . . . . 141 CCCXLII, p. 424, 9-10 . . . . 341 Livre II dit de la Sagesse (Dublin) . 132 I-CXXII, p. 1-295 . . . . . . . . 133 II . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 CCCXLII, p. 423, l. 9-10 . . . 244 CCCXLII, p. 424, 9-10 . . . . 277 Lettres . . . . . . . . . . . . . . 125, 132 49, 13 . . . . . . . . . . . . . . . . 263 Lettre à Édesse . . . . . . . . . 158, 160 Livre des Géants . .

125, 147, 301-302

Livre des Légendes . . . . . . . . . . 125 Livre des Mystères . . . . . . . 125, 302 Livre des Prières  . . . . . . . . . . . 125 Livre des Psaumes . . . . . . . . . . 125 Livre du Trésor . . . . . . . . . . . . 125 Psaumes de Bêma . . . . . . . 130, CCXXV, p. 15, 27-p. 16, 18 . CCXLI . . . . . . . . . . . . . . CCXLI, 11 . . . . . . . . . . . .

133 357 259 257

Psaumes d ’Héraclide . . . . . . . . . 133

Ps2 , Ps2 , Ps2 , Ps2 ,

53, 22-23 . . . . . . . . . . . 155, 21 . . . . . . . . . . . . 188, 27 . . . . . . . . . . . . 200, 27 . . . . . . . . . . . .

381 169 169 169 169

Psaumes de Thomas X, 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . 356 Shabuhragan . . . . 125, 130, 259, 351,   354, 358, 363 Synaxeis . . . . . . . 127, 133-134, 362 P 15995 379 = Serie 1955, f. 8 vert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 383, 10-26 = Serie 1955, f. 2 hor . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 383, 12-23 = Serie 1955, fol. 6 vert . . . . . . . . . . . . . . . . 157 391, 10-26 = Série 1955, f. 2 hor . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 362 422 = Serie 1, 1951, f. 12 hor . . . . . . . . . . . . . . . 157, 362 P 15997 . . . . . . . . . . . 150, 263 B. Littérature mandéenne Drashia d-Jahja-Drashia d-Malke (ou Livre de Jean-Livre des rois) . 307-308, 335 18-36 . . . . . . . . . . . . . . . . 308 34-35 . . . . . . . . . . . . . . . . 308 Ginza-Sidra Rabba (ou Trésor-Grand Livre) . . . . . . . . . . . . 307, 318, 321 Ginza smala (ou Ginza de gauche) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307 Ginza yemina (ou Ginza de droite) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307, 335 I, 143 . . . . . . . . . . . . . . . . 333 I, 97 . . . . . . . . . . . . . . . . 333 II, 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . 333 P 20, I, 8 . . . . . . . . . . . . . 325 Haran Gawaita . . . 308, 314-315, 317 Livre d ’Adam . . . . . . . . . . . . . 307 Qolasta-Sidra d-nishmata (ou Quintes­ sence-Livre des âmes) . . 308, 325, 336

382

DES TEXTES ET AUTEURS ANCIENS

C. Littérature biblique Ancien Testament Livre de la Genèse . . . . . . . 307, 364 Gn 1, 1 . . . . . . . . . . . . . . . 211 Gn 1, 2 . . . . . . . . . . . . . . . 97 Gn 1, 6 . . . . . . . . . . . . . . . 211 Gn 1, 10 . . . . . . . . . . . . . . 107 Gn 2, 7 . . . . . . . . . . . 182, 262 Gn 18, 4 . . . . . . . . . . . . . . . 91 Gn 19, 2 . . . . . . . . . . . . . 88, 91 Gn 20 . . . . . . . . . . . . . . . . 97 Gn 24, 32 . . . . . . . . . . . . . . 91 Gn 38, 15-22 . . . . . . . . . . . 240 Gn 43, 31 . . . . . . . . . . . . 88, 91 Gn 46, 21 . . . . . . . . . . . . . 226 Livre de l ’Exode . . . . . . . . . . . 307 Ex 2, 5 . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Ex 7, 19 . . . . . . . . . . . . . . 107 Ex 16, 4 . . . . . . . . . . . 183, 262 Ex 19, 10-14 . . . . . . . . . . . . 102 Ex 29, 4 . . . . . . . . . . . . 88, 102 Ex 29, 7 . . . . . . . . . . . . . . 105 Ex 30, 17-21 . . . . . . . . . . . 101 Ex 30, 19-21 . . . . . . . . . . . 104 Ex 40, 12 . . . . . . . . . . . . . 102 Ex 40, 30-32 . . . . . . . . . . . 104 Livre du Lévitique . . . . . . . . . . 110 Lv 2, 4-8a . . . . . . . . . . . . . 230 Lv 4, 6 . . . . . . . . . . . . . . . . 88 Lv 4, 6.17 . . . . . . . . . . . . . . 90 Lv 5, 2 . . . . . . . . . . . . . . . 102 Lv 6, 2a . . . . . . . . . . . . . . 230 Lv 6, 21 . . . . . . . . . . . . . . . 90 Lv 8, 6 . . . . . . . . . . . . . . . 102 Lv 11, 31-45 . . . . . . . . . 188, 232 Lv 11, 32 . . . . . . . . . . . . 88, 90 Lv 11, 33 . . . . . . . . . . . . . . 235 Lv 11, 35 . . . . . . . . . . 230, 235 Lv 11, 46 . . . . . . . . . . . . . 230 Lv 12 . . . . . . . . . . . . . . . . 201 Lv 12, 1-2 . . . . . . . . . . . . . 102 Lv 13, 55.58 . . . . . . . . . . . . . 91 Lv 13, 59 . . . . . . . . . . . . . . 88 Lv 14, 6 . . . . . . . . . . . . . . 101 Lv 14, 8-9 . . . . . . . . . . . . . 102 Lv 15 . . . . . . . . . . . . . . 201-202 Lv 15, 2-30 . . . . . . . . . . . . 102 Lv 15, 11 . . . . . . . . . . . . . . 88 Lv 15, 11.13 . . . . . . . . . . . . . 91 Lv 15, 13 . . . . . . . . . . . 88, 101

Lv 15, 18 . . . . . . . . . . . 107, 201 Lv 15, 31 . . . . . . . . . . . 188, 232 Lv 16, 4 . . . . . . . . . . . . . . . 88 Lv 16, 4.24.26 . . . . . . . . . . 102 Lv 17, 10.15 . . . . . . . . . . . . 325 Lv 17, 12-14 . . . . . . . . . . . . 104 Lv 18, 6-23 . . . . . . . . . . . . 240 Lv 21, 2 . . . . . . . . . . . . . . 102 Lv 22, 7 . . . . . . . . . . . . . . . 88 Livre des Nombres Nb 8, 6.21 . . . . . . . . . . . . 102 Nb 19, 1-2 . . . . . . . . . . 102-103 Nb 19, 11 . . . . . . . . . . . . . 102 Nb 19, 13-20 . . . . . . . . . . . 188 Nb 19, 18 . . . . . . . . . . . . . . 88 Livre du Deutéronome Dt 33, 24 . . . . . . . . . . . . . . 88 Livre de Josué Jos 3, 15 . . . . . . . . . . . . . . . 90 Livre des Juges Jg 11, 1 . . . . . . . . . . . . . . . 240 Jg 19, 21 . . . . . . . . . . . . . . . 91 Livre I de Samuel 1 S 25, 45 . . . . . . . . . . . . . . 91 Livre II de Samuel 2 S 11, 2 . . . . . . . . . . . . . . . 91 2 S 11, 8 . . . . . . . . . . . . . . . 91 2 S 12, 20 . . . . . . . . . . . . . 102 Livre II des Rois 2 R 5, 10.12.13 . . . . . . . . . . 88 2 R 5, 10.13.14 . . . . . . . . . . 88 2 R 5, 12.14 . . . . . . . . . . . . 88 2 R 5, 14 . . . . . . . . . . . . 88, 90 Livre d ’Isaïe Is 1, 16 . . . . . . . . . . . . . . . 103 Is 4, 4 . . . . . . . . . . . . 103, 107 Is 8, 13-16 . . . . . . . . . . . . . 42 Is 21, 4 . . . . . . . . . . . . . . . 90 Is 32, 15 . . . . . . . . . . . . . . 103 Is 44, 3 . . . . . . . . . . . . . . . 103 Livre de Jérémie Jr 2, 22 . . . . . . . . . . . . . . . 103 Jr 17, 13 . . . . . . . . . . . . . . 107 Jr 38, 22 Symmaque . . . . . . . 90 Livre d ’Ézéchiel Ez 16, 30 . . . . . . . . . . . . . 240 Ez 36, 24-28 . . . . . . . . . . . 107 Ez 36, 25 . . . . . . . . . . . 95, 103 Ez 36, 25-27 . . . . . . . . . . . . 97 Ez 37, 23 . . . . . . . . . . . . . . 88 Ez 39, 16 . . . . . . . . . . . . . . 88

DES TEXTES ET AUTEURS ANCIENS

Livre d ’Osée Os 1, 2 . . . . . . . . . . . . . . . 240 Os 2, 2-4 . . . . . . . . . . . . . 240 Os 4, 12 . . . . . . . . . . . . . . 240 Livre de Joël Jl 3, 1 . . . . . . . . . . . . . . . . 103 Livre d ’Aggée Ag 2, 13 . . . . . . . . . . . . . . 102 Livre de Zacharie Za 13, 1 . . . . . . . . . . . . 95, 103 Za 14, 8 . . . . . . . . . . . . . . . 97 Les Psaumes Ps 2, 34, 9-16 . . . . . . . . . . . 127 Ps 9, 16 . . . . . . . . . . . . . . . 90 Ps 24, 4 [LXX] . . . . . . . . . . 210 Ps 26, 6 . . . . . . . . . . . . . . . 88 Ps 51, 9 . . . . . . . . . . . . . . 103 Ps 69, 3 Symmaque . . . . . . . . 90 Livre de Job Jb 4, 17 . . . . . . . . . . . . . . . 88 Jb 9, 30 . . . . . . . . . . . . . . . 88 Jb 9, 31 Aquila . . . . . . . . . . 90 Livre des Proverbes Pr 20, 9 . . . . . . . . . . . . . . . 88 Livre de Ruth Rt 3, 3 . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Livre de Daniel Dn 4, 22 . . . . . . . . . . . . 89, 93 Dn 5, 21 . . . . . . . . . . . . . . 93 Livre II des Chroniques 2 Ch 4, 2-6 . . . . . . . . . . . . 102 2 Ch 29, 18 . . . . . . . . . . . . 88 2 Ch 30, 17-20 . . . . . . . . . . 102 Livre de Judith Jdt 6, 14 . . . . . . . . . . . . . . 245 Jdt 8, 10 . . . . . . . . . . . . . . 245 Jdt 10, 6 . . . . . . . . . . . . . . 245 Jdt 12, 7 . . . . . . . . . . . . . . . 90 Jdt 12, 9 . . . . . . . . . . . . . . . 90 Livre de Tobie Tb 1, 10 . . . . . . . . . . . . . . 222 Tb 4, 12 . . . . . . . . . . . . . . 240 Livre du Siracide Si 23, 23 . . . . . . . . . . . . . . 240 Si 34, 25 . . . . . . . . . . . 90, 102 Nouveau Testament Évangile selon Matthieu Mt 3, 1 . . . . . . . . . . . . . . 91-92 Mt 3, 9 . . . . . . . . . . . . . . . 219 Mt 7, 22 . . . . . . . . . . . . . . 218

383

Mt 9, 10-11 . . . 178, 232, 234, 243 Mt 10, 5-15 . . . . . . . . . . . . 234 Mt 10, 25 . . . . . . . . . . . . . 229 Mt 10, 34 . . . . . . . . . . 183, 262 Mt 10, 41 . . . . . . . . . . . . . 218 Mt 11, 11-12 . . . . . . . . . . 91-92 Mt 11, 18-19 . . 178, 232, 234, 243 Mt 13, 27 . . . . . . . . . . . . . 229 Mt 13, 37 . . . . . . . . . . 182, 262 Mt 13, 57 . . . . . . . . . . . . . 218 Mt 23, 8 . . . . . . . . . . . . . . 217 Mt 23, 34 . . . . . . . . . . . . . 218 Mt 25, 31-46 . . . . . . . . . . . 126 Mt 26, 26-27 . . . . . 179, 237, 241 Évangile selon Marc Mc 2, 13-17 . . . . . . . . . . . . 111 Mc 6, 25 . . . . . . . . . . . . . 91-92 Mc 7, 3-4 . . . . . . . . . . . . . . 99 Mc 7, 4 . . . . . . . . . . . . . 91, 110 Mc 8, 28 . . . . . . . . . . . . . 91-92 Mc 14, 22 . . . . . . . 178, 232, 234 Évangile selon Luc . . . . . . . . . . 123 Lc 1, 77 . . . . . . . . . . . . . . 208 Lc 2, 1 . . . . . . . . . . . . . . . . 215 Lc 2, 3 . . . . . . . . . . . . . . . 219 Lc 2, 46 . . . . . . . . . . . . . . 217 Lc 3, 8 . . . . . . . . . . . . . . . 219 Lc 5, 17 . . . . . . . . . . . . . . 217 Lc 7, 33 . . . . . . . . . . . . . 91-92 Lc 7, 37-50 . . . . . . . . . . . . 326 Lc 9, 19 . . . . . . . . . . . . . 91-92 Lc 10, 38-42 . . 178, 232, 234, 243 Lc 11, 27 . . . . . . . . . . . . . 218 Lc 12, 51 . . . . . . . . . . 183, 262 Lc 21, 10 . . . . . . . . . . . . . 218 Évangile selon Jean . 206, 242, 318-319 Jn 1, 38 . . . . . . . . . . . . . . 217 Jn 3, 10 . . . . . . . . . . . . . . 217 Jn 4, 10-14 . . . . . . . . . . . . . 97 Jn 4, 12 . . . . . . . . . . . . . . 219 Jn 6, 14 . . . . . . . . . . . . . . 242 Jn 6, 51-58 . . . . . . . . . . . . . 242 Jn 7, 35 . . . . . . . . . . . . . . . 196 Jn 7, 37-39 . . . . . . . . . . . . . 97 Jn 8, 39, 56 . . . . . . . . . . . . 219 Jn 13, 6-10 . . . . . . . . . . . . 326 Jn 14, 26 . . . . . . . . . . . . . . 257 Jn 20, 16 . . . . . . . . . . . . . . 217 Actes des Apôtres . . . . . . . . . 40, 170 Ac 4, 32-35 . . . . . . . . . . . . 359 Ac 4, 36 . . . . . . . . . . . . . . 218

384

DES TEXTES ET AUTEURS ANCIENS

Ac 4, 36-37 . . . . . . . . . . . . 359 Ac 5, 1-11 . . . . . . . . . . . . . 359 Ac 5, 34 . . . . . . . . . . . . . . 217 Ac 11, 27 . . . . . . . . . . . . . 218 Ac 13, 1 . . . . . . . . . . . . . . 217 Ac 13, 26 . . . . . . . . . . . . . 219 Ac 15 . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 Ac 15, 29 . . . . . . . . . . . . . 239 Ac 15, 32 . . . . . . . . . . . . . 218 Ac 16, 13-15 . . . . . . . . . . . 109 Ac 17, 7 . . . . . . . . . . . . . . . 215 Ac 18, 24-28 . . . . . . . . . . . 217 Ac 21, 9 . . . . . . . . . . . . . . 219 Ac 21, 10 . . . . . . . . . . . . . 218 Ac 21, 25 . . . . . . . . . . . . . 239 Épître aux Romains Rm 2, 20 . . . . . . . . . . . . . 217 Rm 3, 3 . . . . . . . . . . . . . . 194 Rm 7, 6 . . . . . . . . . . . . . . 194 Première Épître aux Corinthiens 1 Co 6, 11 . . . . . . . . . . . . . 92 1 Co 10, 3 . . . . . . . . . . . . . 98 1 Co 12, 28-29 . . . . . . . . . . 217 1 Co 14, 29.32.37 . . . . . . . . 218 1 Co 15, 45 . . . . . . . . . 182, 262 Deuxième Épître aux Corinthiens . 302 2 Co 12, 1-5 . . . . . 160, 285, 358 Épître aux Galates . . . . . . . . . . 302 Ga 1, 1 . . . . . . . . . . . . 160, 358 Ga 1, 1.11-12 . . . . . . . . . . . 285 Ga 1, 11-12 . . . . . . . . . 160, 358 Ga 1, 13 . . . . . . . . . . . . . . 231 Épître aux Éphésiens Ep 4, 11 . . . . . . . . . . . . . . 217 Ep 5, 26 . . . . . . . . . . . . . . . 92 Ep 6, 17 . . . . . . . . . . . 183, 262 Première Épître à Timothée 1 Tm 1, 7 . . . . . . . . . . . . . 217 1 Tm 2, 7 . . . . . . . . . . . . . 217 Deuxième Épître à Timothée 2 Tm 1, 11 . . . . . . . . . . . . 217 2 Tm 4, 3 . . . . . . . . . . . . . 217 Épître à Tite Tt 3, 5 . . . . . . . . . . . . . . . . 92 Épître aux Hébreux He 4, 12 . . . . . . . . . . . . . . 219 He 5, 12 . . . . . . . . . . . . . . 217 He 6, 2 . . . . . . . . . . . . . . . . 91 He 9, 10 . . . . . . . . . . . . . . . 91 He 9, 11-14 . . . . . . . . . . . . 200 He 9, 12 . . . . . . . . . . . . . . 200

He 9, 13 . . . . . . . . . . . . . . 200 He 10, 22 . . . . . . . . . . . . . . 92 He 11, 23 . . . . . . . . . . . . . . 215 Épître de Jacques Jc 3, 1 . . . . . . . . . . . . . . . 217 Jc 5, 13 . . . . . . . . . . . . . . . 325 Première Épître de Jean 1 Jn 2, 3 . . . . . . . . . . . . . . 211 Apocalypse de Jean Ap 1, 5 . . . . . . . . . . . . . . . 290 Ap 1, 16 . . . . . . . . . . . . . . 219 Ap 2, 20 . . . . . . . . . . . . . . 219 Ap 3, 14 . . . . . . . . . . . . . . 290 Ap 10, 7 . . . . . . . . . . . . . . 218 Ap 11, 10.18 . . . . . . . . . . . 218 Ap 16, 6 . . . . . . . . . . . . . . 218 Ap 18, 20.24 . . . . . . . . . . . 218 Ap 22, 6 . . . . . . . . . . . . . . 218 D. Littérature apocryphe Actes de Pilate . . . . . . . . . . 43, 219 Actes de Thomas . . . . . . . . 219, 259 Apocalypse d ’Abraham . . . . . . . . 288 Apocalypse d ’Adam (ou Testament d ’Adam) . . . . . . . 163, 167, 285, 329 Apocalypse de Baruch (II Baruch) . . . . 172-173, 288, 311 53, 1 . . . . . . . . . . . . . . . . 168 53-74 . . . . . . . . . . . . . . . . 168 69, 1 . . . . . . . . . . . . . . . . 168 70, 1-10 . . . . . . . . . . . . . . 168 96-98 . . . . . . . . . . . . . . . . 168 98-117 . . . . . . . . . . . . . . . 168 Apocalypse d ’Elkasaï (ou Révélation d ’Elkasaï ou Livre d ’Elkasaï) . . . 41, 162, 195, 239, 261, 269, 273, 279, 280-282, 285-286, 288-293, 299, 328 Apocalypse d ’Énosh . . . . . . 167, 285 Apocalypse d ’Esdras (IV Esdras) . 288 Apocalypse d ’Hénoch . 163, 167, 285, 301 Apocalypse de Paul . . . . . . . 219, 285 Apocalypse de Pierre . . . . . . . . . 364 Apocalypse de Sédrach . . . . . . . . . 91 Apocalypse de Sem . . . . 163, 167, 285 Apocalypse de Seth . . . . . . . 167, 285 Épître de Barnabé . . . . . . . 190, 364 Évangile de Barnabé . . . . . . . . . 42 Évangile de l ’Enfance de Thomas . 42 Évangile hébreu de Matthieu . . . . 42 Évangile selon Pierre . . 159, 287, 292 Kérygme de Pierre . . . . . . . . . . . 38

DES TEXTES ET AUTEURS ANCIENS

Livre des Jubilés . . . . . . . . . . . 104 XXI, 16 . . . . . . . . . . . . . . 104 Livre I d ’Hénoch . . . . . . . . . . . 302 Livre II d ’Hénoch . . . . . . . . . . 204 Livre IV des Macchabées . . . . . . 199 Odes de Salomon . . . . . 172-173, 311 XI, 6 . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 XXXI, 11 . . . . . . . . . . . . . 169 Oracles sibyllins IV . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 IV, 162-170 . . . . . . . . . . . . 105 Paraphrase de Sem 36, 25-32 . . . . . . . . . . . . . 283 Pasteur d ’Hermas . 159, 190, 218, 292 Précepte   11, 7, 12, 15, 16 . . . . . . . . 219   IV, 3, 1 . . . . . . . . . . . . . 217 Périples de Pierre . . . . . . . . . . . 292 Pseudo-clémentines Diamarturia (Contestatio) . . . 293 Homélies . . . . . . . . . . . . . . 194   III, 20, 2 . . . . . . . . . . . . 221   III, 27, 3 . . . . . . . . . . . . 231 Lettre de Pierre à Jacques   II, 3 . . . . . . . . . . . . . . . 223 Reconnaissances . . . . . . . . . . 194   I, 70, 1 . . . . . . . . . . . . . 223   I, 71, 3 . . . . . . . . . . . . . 223   I, 73, 4 . . . . . . . . . . . . . 223   II, 22, 4 . . . . . . . . . . . . . 221 Testament de Lévi . . . . 104, 192, 307 VIII, 2-10 . . . . . . . . . . . . . 104 E. Littérature patristique Actes de Mar Mari . . . . . . . . . 310 Actes des martyrs de Karha d-Beyt Sloh . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263 A phraate le Sage persan . . . 48, 139 Les démonstrations   I, 2 . . . . . . . . . . . . . . . . 169  III, Sur les jeûnes, § 9 . . . . 139 Athanase d’A lexandrie . . . . . . 30 Athénagore d’Athènes . . . . . . . 38 Augustin d’Hippone . . 137-138, 140, 192, 194 Contra Faustum . . . . . . . . . 194   5, 2 . . . . . . . . . . . . . . . 192 De moribus manichaeorum . . 138, 242, 246   XV, 36 . . . . . . . . . . . . . 246   XVI, 39 . . . . . . . . . . . . . 243

Sur les hérésies  32 . . . . . . . . . . . . . . . .   46 (PL 42, col. 38) . . . . . . Bar H ebraeus Chronique . . . . . . . . . . . . . Bardesane d’Édesse . . . 47, 117,

385 277 301

122 200, 292 Chronique M aronite . . . . 122, 353 Chronique de Se’ert . . . . . . . . 122 Clément d’A lexandrie Protreptique  2 . . . . . . . . . . . . . . . . . 255 Clément de Rome . . . . . . . . . 217 Cyrille de Jérusalem Catéchèse baptismale  VI . . . . . . . . . . . . . . . . 136 Éphrem de Nisibe . . . . . . . . 48, 139 Hymnes contre les doctrines erronées 139 Réfutation en prose contre Mani, Marcion et Bardesane . . . . . . 139 Épiphane de Salamine . . 41, 277, 279, 285, 292, 329 Anaképhalaiosis . . . . . . . 275, 283   15, 5 . . . . . . . . . . . . . . . 277 Ancoratus . . . . . . . . . . . . . 275 Panarion . . . . 137, 274-276, 280, 289, 296, 298  XIV-XX . . . . . . . . . . . . 202  XIX . . . . . . 190, 274, 281, 285   XIX, 1, 1 . . . . . . . . . . . . 284   XIX, 1, 3 . . . . . . . . . . . . 281   XIX, 1, 4 . . . . . . . . . 277, 282   XIX, 1, 4.8, 3, 1-3 . . . . . . 282   XIX, 1, 7 . . . . . . . . . . . . 286   XIX, 2, 2 . . 244, 278, 281-282   XIX, 2, 4 . . . . . . . . . . . . 283   XIX, 2, 4-5 . . . . . . . . . . 201   XIX, 2, 5 . . . . . . . . . . . . 283   XIX, 3, 4 . . . . . . . . . . . . 287   XIX, 3, 5 . . . . . . . . . . . . 285   XIX, 3, 6 . . . . . . . . . 189, 223   XIX, 3, 7 . . . . . 239, 290, 299   XIX, 4, 1-2 . . . . . . . . . . 349   XIX, 4, 3 . . . . . . . . . . . . 290   XIX, 4, 3-6 . . . . . . . . . . 286   XIX, 4, 13 . . . . . . . . . . . 348   XIX, 5, 1 . . . . . . . . . 281, 285   XIX, 5, 4 . . . . . . . . . . . . 281   XIX, 5, 5 . . . . . . . . . . . . 282   XIX, 6, 4 . . . . . . . . . . . . 289   XIX, 53, 1, 1 . . . . . . . . . 284

386

DES TEXTES ET AUTEURS ANCIENS

  XIX, 53, 1, 2 . . . . . . . . . 278   XIX, 53, 1, 3 . . . . . . . . . 282   XIX, 53, 1, 5 . . . . . . . . . 283  XXX . . . . . . . . . . . . . . 281   XXX, 3, 1-6 . . . . . . . . . . 274   XXX, 3, 2 . . . . . . . . . . . 277   XXX, 3, 5 . . . . . . . . 221, 287   XXX, 17, 4-8 . . . . . . . . . 274   XXX, 17, 5 . . . . . . . . . . 285   XXX, 17, 6 . . . . . . . . . . 349   XXX, 53, 1, 8 . . . . . . . . . 287   LII, 1, 6 . . . . . . . . . . . . . 283  LIII . . . . . . . . . . . . 274, 281   LIII, 1, 1 . . . . . . . . . . . . 277   LIII, 1, 2 . . . . . . . . . . . . 277   LIII, 1, 3 . . . . . . . . . 279, 282   LIII, 1, 4 . . . . . . . . . 190, 285   LIII, 1, 5 . . . . . . . . . . . . 201   LIII, 1, 7 . . . . . . . . . . . . 286   LIII, 1, 8 . . . . . . . . . 184, 221   LIII, 1, 9 . . . . . . . . . . . . 349  LXVI . . . . . . . . . . . . . . 137   LXVI, 1 . . . . . . . . . . . . 186   LXVI, 1, 4 . . . . . . . . . . . 353 Épître à Diognète . . . . . . . 38, 255 Eusèbe de Césarée . . . . . . . 41, 118 Histoire ecclésiastique . . . . . . 289   IV, 22, 7 . . . . . . . . . . . . 202   VI, 38 . . . . 274, 277, 284, 288   VII, 31 . . . . . . . . . . . . . 136 Évode d’Uzalis . . . . . . . . . . . . 137 Adversus Manichaeos . . . . . . 138 Eznik de Kolb . . . . . . . . . 77, 139 Formules d’abjuration PG I   col. 1461C-1471A . . . . . . 137 PG C   col. 1217-1225 . . . . . . . . . 137 Georges le Moine . . . . . . . . . 137 H égémonius Acta Archelai . . 136-137, 157, 226, 353, 357   § 64 . . . . . . . . . . . . . . . 353 Hégésippe . . . . . . . . . . . . . . . . 202 Hippolyte de Rome . . . . . . 41, 277, 284-285, 292, 328-329, 360 Elenchos . . . . . 194-195, 274, 276, 279-280, 289, 298, 341   V, 7, 9 . . . . . . . . . . . . . . 326   IX, 10 . . . . . . . . . . . . . . 324   IX, 13, 1 . . . 240-241, 277, 299   IX, 13, 1-17, 2 . . . . . . . . . 274  IX, 13, 1-17, 3 . . . . . . . . . 284

               

IX, IX, IX, IX, IX, IX, IX, IX,

13, 2 . . . . . . . . . 287, 348 13, 2-3 . . . . . . . . 287-288 13, 4 . . . . . . 208, 239, 299 13-17, 1 . . . . . . . . . . 281 14, 1 . . . . . . 184, 285, 287 14, 2 . . . . . . . . . . . . 286 14, 3 . . . . . . . . . . . . 286 15, 1 . . 208, 239, 287, 290, 299   IX, 15, 1-16, 4 . . . . . . . . . 289   IX, 15, 2 . . . 194-195, 260, 282   IX, 15, 3 . . . . . . . . . 240-241   IX, 15, 4 . . . . . . . . . . . . 289   IX, 16, 1-4 . . . . . . . . . . . 286   IX, 16, 2-3 . . . . . . . . . . . 289   IX, 16, 3 . . . . . . 260-261, 285   IX, 17, 1 . . . 191, 194-195, 289   IX, 23 . . . . . . . . . . . . . . 227   X, 29, 1 . . . . . . . . . . . . . 289   X, 29, 1-3 . . . . . . . . . . . . 274   X, 29, 2 . . . . . . . . . . . . . 287   X, 29, 3 . . . . . . . . . . . . . 286   XV, 1, 5 . . . . . . . . . . . . 348 Ignace d’A ntioche Épître aux Éphésiens   15, 1 . . . . . . . . . . . . . . . 217 Épître aux Magnésiens   9, 2 . . . . . . . . . . . . . . . 217 Épître aux Philadelphiens  4 . . . . . . . . . . . . . . . . . 242   5, 1 . . . . . . . . . . . . . . . 242 Épîtres aux Romains   7, 3 . . . . . . . . . . . . . . . . 242   8, 1 . . . . . . . . . . . . . . . 242 I rénée de Lyon Contre les hérésies   I, 21, 3-5 . . . . . . . . . . . . 325 Jean de Damas . . . . . . . . . . . . 137 De Haeresibus  53 . . . . . . . . . . . . . . . . 275 Jean Philopon . . . . . . . . . . . . 136 Jérôme . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 Joseph de Tibériade Hypomnesticon . . . . . . . . . . 275 Justin de Néapolis . . . . . . . . . . 44 M éliton de Sardes . . . . . . . . . 364 M éthode d’Olympe Symposium   VIII, 10 . . . . . . . . . . . . . 277 M ichel le Syrien Chronique . . . . . . . . . . . . . 122  IX, 6 . . . . . . . . . . . . . . 310

DES TEXTES ET AUTEURS ANCIENS

Origène . . . . . . . 274, 277, 284-285, 288-289, 292, 360 Paul le Perse . . . . . . . . . . . . . 137 Photius . . . . . . . . . . . . . . . . 137 P ierre de Sicile . . . . . . . . . . . 137 P ierre l’Higoumène . . . . . . . . 137 Polycarpe de Smyrne . . . . . . . 217 P rocope de Césarée . . . . . . . . . 56 Pseudo -M arius Victorinus . . . 137 Sérapion de Thmuis . . . . . . . . 136 Sévère d’A ntioche . . . . . . . . . 137 Tatien . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Diatessaron . . . . . . . . . . . . 234 Tertullien Contre les Judéens   VIII, 12 . . . . . . . . . . . . 363   XI, 10 . . . . . . . . . . . . . 363 Contre Marcion   I, 14 . . . . . . . . . . . . . . . 326 Théodore bar Koni . . . . . 139, 312,   342-343 Livre des scolies (recension de Séert) . . . . . . . . . . . . 309, 313, 353, 355  I-V . . . . . . . . . . . . . . . . 309  VI-IX . . . . . . . . . . . . . . 309  IX . . . . . . . . . . . . . . . . 139  X . . . . . . . . . . . . . . . . . 309  XI . . . . . . . . . . . . . . . . 309   XI, 58 . . . . . . . . . . . . . 186   XI, 84-87 . . . . . . . . . . . 310 Théodoret de Cyr . . . . . . . . . 137 Compendium de toutes les hérésies   II, 7 . . . . . . . . . . . . . . . 277 Titus de Bostra . . . . . . . . . . 137 Contra Manichaeos . . . . . . . 137 Z acharie de Mytilène . . . . . . 137 F. Littérature canonico-liturgique Constitutions apostoliques VI, 6 . . . . . . . . . . . . . . . . 202 Didachè . . . . . . . . . . . . . 190, 290 10, 7 . . . . . . . . . . . . . . . . 218 11 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218 11, 7.8.9.10.11 . . . . . . . . . . 218 13, 1.3.4.6 . . . . . . . . . . . . . 218 13, 2 . . . . . . . . . . . . . . . . 217 Didascalie des Apôtres . . . . . . . . 358 Doctrine des Apôtres . . . . . . 190-191 G. Littérature qumrânienne 4 QMMT . . . . . . . . . . . . . . . 110

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Écrit de Damas . . . . . . . . . . . . 112 CD 1, 11 . . . . . . . . . . . . . 214 CD 1, 16 . . . . . . . . . . . . . 192 CD 9, 21 . . . . . . . . . . . . . 113 CD 10, 10-13 . . . . . . . . . . . 113 CD 13, 11 . . . . . . . . . . . . . 359 CD 14, 11-12 . . . . . . . . . . . 229 CD 20, 11 . . . . . . . . . . . . . 192 Hymnes O, col. 8 . . . . . . . . . . . . . . . 97 Manuel de Discipline . . . . . . . . . 97 IV, 20 . . . . . . . . . . . . . . . . 97 Pesher d ’Habacuc 7, 11 . . . . . . . . . . . . . . . . 192 Règle de la Communauté . . 113, 207,  230 1QS 1, 7, 11-13 . . . . . . . . . . 359 1QS 1, 21-2, 20 . . . . . . . . . 229 1QS 3, 1-12 . . . . . . . . . . . . 207 1QS 3, 4-5, 8 . . . . . . . . . . . 229 1QS 3, 4-9 . . . . . . . . . . . . 113 1QS 3, 10 . . . . . . . . . . . . . 190 1QS 4, 20-21 . . . . . . . . . . . 113 1QS 5, 11-12 . . . . . . . . . . . 192 1QS 5, 13-14 . . . . . . . . . . . 113 1QS 6, 8-9 . . . . . . . . . . . . 227 1QS 6, 16-17 . . . . . . . . . . . . 114 1QS 9, 4 . . . . . . . . . . . . . . 192 1QS 19, 6 . . . . . . . . . . . . . 192 H. Littérature rabbinique Mishnah (M) Edouyot   V, 6 . . . . . . . . . . . . . . . . 99 Kelim . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Miqwaot . . . . . . . . . . . . . . . 111 Niddah . . . . . . . . . . . . . . . 202 Parah   III, 7 . . . . . . . . . . . . . . 110 Shabbat   I, 4 . . . . . . . . . . . . 285, 362 Sheqalim   VIII, 4 . . . . . . . . . . . . . 326 Yoma   III, 3 . . . . . . . . . . . . . . 110 Zabim . . . . . . . . . . . . . . . 202 Tosephta (T) Menahot   XIII, 19 . . . . . . . . . . . . . 326 Shabbat   I, 19 . . . . . . . . . . . . . . . 362

388

DES TEXTES ET AUTEURS ANCIENS

Zebahim   XI, 17 . . . . . . . . . . . . . . 326 Talmud de Jérusalem (TJ) Moed Qatan   III, 1 . . . . . . . . . . . . . . 235 Shabbat   I, 4, 3c-d . . . . . . . . . 285, 362 Talmud de Babylone (TB) Baba Bathra  134a . . . . . . . . . . . . . . . 359 Baba Metsia  59a-b . . . . . . . . . . . . . . 235 Baba Qamma  82b . . . . . . . . . . . . . . . 107 Berakhot  8a . . . . . . . . . . . . . . . . 226  22 . . . . . . . . . . . . . . . . 107  22a . . . . . . . . . . . . . . . . 202 Gittin  59a . . . . . . . . . . . . . . . . 226 Houllin  126 . . . . . . . . . . . . . . . 107 Kiddushin  71b . . . . . . . . . . . . . . . . 274 Megillot  12b-13a . . . . . . . . . . . . . 226 Pesahim  27a . . . . . . . . . . . . . . . . 326 Sanhédrin  36a . . . . . . . . . . . . . . . . 226  38b . . . . . . . . . . . . . . . 221 Shabbat  13b-17b . . . . . . . . . 285, 362  25b . . . . . . . . . . . . . . . . 326  108b . . . . . . . . . . . . . . . 326 Soukkah  28a . . . . . . . . . . . . . . . . 359 Shem-Tov ben I saac ben Shapru . 42 Even Bohan . . . . . . . . . . . . . 42 Shi ’our Qomah . . . . . . . . . 287, 292 I. Littérature mazdéenne Avesta . . . . 51, 66, 68, 70-72, 74-75, 77, 79 Siroza . . . . . . . . . . . . . . . . 71 Videvdad . . . . . . . . . . 70-72, 80  IX . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 Yashts . . . . . . . . . . . . . . 70-72  17 . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 Yasna . . . . . . . . . . 70, 72, 78-79  28-34 . . . . . . . . . . . . . . . 70

  31, 19 . . . . . . . . . . . . . . . 78  43-46 . . . . . . . . . . . . . . . 70  47-50 . . . . . . . . . . . . . . . 70  51 . . . . . . . . . . . . . . . . . 70   51, 9 . . . . . . . . . . . . . . . . 78  53 . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 Visprad . . . . . . . . . . . . . . . . 71 Denkart . . . . . . . . . . . . . . 70, 140 IV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 VIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 IX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 Gathas . . . . . . . . . . . . . . 68-71, 78 Škand Gumānīg Wizārd . . . . . . 140 J. Littérature judéo-grecque Flavius Josèphe . . . 91, 106-107, 114 Antiquités judéennes   XIV, § 258 . . . . . . . . . . . 109   XVIII, § 116-119 . . . . . . . 92 Contre Apion . . . . . . . . 106, 111   II, § 169 . . . . . . . . . . . . . 215   II, § 198 . . . . . . . . . . . . 106   II, § 203 . . . . . . . . . . . . 107 Guerre des Judéens   II, § 122 . . . . . . . . . . . . 112   II, § 150 . . . . . . . . . . . . 112   III, § 323 . . . . . . . . . . . . 89   III, § 368 . . . . . . . . . . . . 89   III, § 525 . . . . . . . . . . . . 89   IV, § 137 . . . . . . . . . . . . . 89 Philon d’A lexandrie . . 44, 91, 106, 220-221 Legum allegoriae   3, 18 . . . . . . . . . . . . . . . 89 Quis rerum divinarum heres sit  207-208 . . . . . . . . . . . . . 211 Quod Deus sit immutabilis . . . 106  8 . . . . . . . . . . . . . . . . . 106  162 . . . . . . . . . . . . . . . . 106 Quod omnis probus liber sit  76 . . . . . . . . . . . . . . . . 297 Pseudo -Philon Livre des antiquités bibliques   XXVII, 12 . . . . . . . . . . . 105 K. Littérature gréco-romaine A lexandre de Lycopolis . . 136, 210 A mmien M arcellin . . . . . . . . . 56 A mmonius H ermeias . . . . . . . . 136

DES TEXTES ET AUTEURS ANCIENS

A ristote Poétique   1449b 28 . . . . . . . . . . . . 209 Politique   1342a 10 . . . . . . . . . . . . 209 A rrien de Nicomédie . . . . . . . . 52 Cicéron . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 Dion Cassius . . . . . . . . . . . 53, 56 E mpédocle Purifications . . . . . . . . . . . 209 Euripide . . . . . . . . . . . . . . . . 92 H arpocration Lexique des orateurs attiques . 209 H ésiode . . . . . . . . . . . . . . . . 199 Hippocrate Des épidémies   5, 63 . . . . . . . . . . . . . . . 89 Homère . . . . . . . . . . . . . . . . 199 Iliade . . . . . . . . . . . . . . . . 209 Odyssée   IX, 392 . . . . . . . . . . . . . . 89 Jean Philopon . . . . . . . . . . . . 136 Platon . . . . . . . . . . . . . . 89, 209 Banquet  176B . . . . . . . . . . . . . . . 89 Cratyle  405a . . . . . . . . . . . . . . . 210  405a-c . . . . . . . . . . . . . . 209 Euthydème  277d . . . . . . . . . . . . . . . 89 Lois  528d . . . . . . . . . . . . . . . 210 Phédon . . . . . . . . . . . . . . . 210  67b . . . . . . . . . . . . . . . 210  67c . . . . . . . . . . . . . . . . 210  109c . . . . . . . . . . . . . . . 200  111b . . . . . . . . . . . . . . . 210 République   V, 464a . . . . . . . . . . . . . . 215   VI, 493a . . . . . . . . . . . . . 215   VII, 538c . . . . . . . . . . . . 215 Sophiste  230c . . . . . . . . . . . . . . . 209  230c-d . . . . . . . . . . . . . 209  265c . . . . . . . . . . . . . . . 215 Plotin Ennéades   I, 4, 9 . . . . . . . . . . . . . . . 89   I, 8, 13 . . . . . . . . . . . . . . 89 Plutarque . . . . . . . . . . . . . . . 89

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Quaestiones platonicae   I, 4 . . . . . . . . . . . . . . . . 215 Polybe . . . . . . . . . . . . . . . . 52, 89 Histoires   I, 51, 6 . . . . . . . . . . . . . . 89   XVI, 6, 2 . . . . . . . . . . . . 89 Simplicius . . . . . . . . . . . . . . . 136 Socrate . . . . . . . . . . . . . . . . 209 Sophocle . . . . . . . . . . . . . . . . 92 Strabon . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 Tacite . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 Annales   XV, 24 . . . . . . . . . . . . . . 72   XV, 29 . . . . . . . . . . . . . . 73 L. Littérature juridique Code théodosien XVI . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 XVI, 8, 4 . . . . . . . . . . . . . 219 M. Littérature islamique `A bd al-Jabbar . . . . . . . . . 42, 139 Tathbit . . . . . . . . . . . . 42, 345 A bu’l-Fida . . . . . . . . . . . . . . 140 A bu’l-M a`ali . . . . . . . . . . . . . 139 Djahiz . . . . . . . . . . . . . . . . . 139 Firdausi . . . . . . . . . . . . . . . . 139 H amza I sfahani . . . . . . . . . . . 139 I bn al-Biruni . . . 139, 317, 354, 363 al-Athar . . . . . . . . 126, 135, 259 I bn an-Nadim . . . 16, 122, 139, 276,   294, 312, 317, 328-330, 343, 345-350, 356 Fihrist al-Ulûm (ou Catalogue des sciences) . . 26, 135, 156, 258, 260,   275, 277, 292, 310, 337, 342, 344, 345, 350, 355   I, p. 328, 1.5 . . . . . . . . . . 346   I, p. 340, 1.25 à p. 341, 1.3   . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 347   I, p. 341 . . . . . . . . . . . . 349 I bn I shaq Sîra . . . . . . . . . . . . . . 165, 283 I brahim I bn `Awn . . . . . . . . . . 42 La résolution des incertitudes et la réfutation de l ’adversaire judéen ou juif . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 M a`dudi . . . . . . . . . . . . . . . . 139 al-M akin . . . . . . . . . . . . . . . 139 al-M aturidi . . . . . . . . . . . . . 139

390

DES AUTEURS MODERNES

M irkhond . . . . . . . . . . . . . . al-Murtada . . . . . . . . . . . . . al-Qasim ben I brahim . . . . . . . al-Shahrastani . . . . . . . . . . . Livre des religions et des sectes . Ta`alibi . . . . . . . . . . . . . . . . Tabari . . . . . . . . . . . . . . . . . Ya`qub i . . . . . . . . . . . . . . . .

II. D e s

140 140 139 139 135 139 139 139

N. Sources épigraphiques Ḥazon Gabriel . . . . . . . . . . . . 123 KKZ 10 . . . . . . . . . . . . . . . . 342 O. Sources papyrologiques Papyrus Oxyrhynque 840 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

au t eu r s moder n e s

A arde A.G. van . . . . . . . . . . . 43 ´A bd al-R azzaq al-Ḥ asani . . . . 317 A bou A ssaf A. . . . . . . . . . . . . 121 A hmed A.Q. . . . . . . . . . . . . 36, 45 A laharansan A.J. . . . . . . . . . 124 A lcock A. . . . . . . . . . . . . . . 134 A lès A. d’ . . . . . . . . . 91, 109, 198 A lfaric P. . . . . . . . . 131, 140, 345 A llberry C.R.C. . 133, 145, 257, 356 A mersfoort J. van . . . . . . . . . 283 A mir-Moezzi M.A. . . . 47, 142, 222, 265, 267, 271, 293, 295, 347, 351, 363 A msler F. . . . . . . . . . . . . . . . 194 A ndrae T. . . . . . . . . . . . . . . . 45 A ngeli Bertinelli M.G. . . . . . . . 59 A nquetil-Duperron A.H. . . . . . 66 A ragione G. . . . . . . . . . . 125, 194 A roztegui E snaola M. . . . . . . 292 A smussen J.P. . . . . . . . . . . . . 271 A ssmann J. . . . . . . . . . 80, 206, 300 Attias J.-C. . . . . 160, 172, 295, 363 Auwers J.-M. . . . . . . . . . . . . . . 49 Ayán Calvo J.J. . . . . . . . . . . . 292 A zarnouche S. . . . . . . . . 65-66, 68 Bagatti B. . . . . . . . . . . . . . . . 28 Bailey H.W. . . . . . . . . . . . . . 342 Baker-Brian N.J. . . . . . . . . . . . 21 Bakhos C. . . . . . . . . . . . . . . . 49 Barada T. . . . . . . . . . . . . . . . 145 Bardshaw A itken E. . . . . . . . . 153 Bardy G. . . . . . . . . . . 99, 271, 303 Bareille G. . . . . . . . . . . . 271, 278 Barr J. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Bauer F.C. . . . . . . . . . . . . 33, 119 Bauer W. . . . . . . . . . . . . . . . . 319 Baumgarten J.M. . . . . . . . . . . 267 Baur F.C. . . . . . . . . . . . . . . 34-35 Bazzana G.B. . . . . . . . . . . . . 194

Beatrice P.F. . . . . . . . . . . . . . . 41 Beatty C. . . . . . . . . . . . . . . . 120 Beausobre I. de . . . . . . . . . 118-119 Becker A.H. . . . . . . . . . . . . . . 31 Bedenbender A. . . . . . . . . . . . . 33 Be Duhn J.D. . . . . 21, 131-132, 134, 138, 157, 244, 341, 362 Berg H. . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Bermejo Rubio F. . . . . . . . 140, 153 Bernard D. . . . . . . . . . . . . 33, 42 Bertrand D.A. . . . . . . . . . . . . 159 Beskow P. . . . . . . . . . . . . . . . 128 Betz H.D. . . . . . . . . 163, 285, 302 Bianquis T. . . . . . . . . . . . . . . 127 Bitton-A shkelony B. . . . . . 34, 117 Black M. . . . . . . . . . . . . . . . 202 Bladel K.T. van . . . . . . . . . . . 303 Blanchetière F. . . . . . . . . . 29, 35 Blidstein M. . . . . . . . . . . . . . . 86 Blois F. de . . 129, 139, 156, 257, 259, 294, 343-345, 348, 350 Blum L. . . . . . . . . . . . . . . 106-107 Böhlig A. . . 117, 132, 150, 156, 188,   335, 339-340 Bordreuil P. . . . . . . . . . . . . . 121 Boudh’hors A. . . . . . . . . . . . . 119 Bourgel J. . . . . . . . . . . . . . 33, 39 Boustan R. . . . . . . . . . . . . . . 30 Bovon F. . . . 153, 159, 173, 274-275, 288-289, 292 Bowersock G. . . . . . . . . . . . . . 47 Boyarin D. . . 28, 30-31, 35, 220-221 Boyce M. . . . . . . . 65, 67, 78-79, 81 Bradshaw A itken E. . . . . . . . 368 Brakke D. . . . . . . . . . . . . . . . 30 Brandt A.J.H.W. . . . . . 98-99, 244,   270-271, 278, 303, 305-306, 313, 331-332, 336 Braun F.M. . . . . . . . . . . . . . . 312

DES AUTEURS MODERNES

Brelaud S. . . . . . . . . . 57, 314, 340 Breuil P. du . . . . . . . . . . . . . . 65 Brian N.J. . . . . . . . . . . . . . . . 117 Briquel Chatonnet F. . . . . 57, 124, 314, 340 Broadhead E.K. . . . . . . . . . . . . 32 Brock S. . . . . . . . . . . . . . . . . 204 Broeck R. van den . . . . . . . . . 145 Brosius M. . . . . . . . . . . . . . . . 49 Browder M.H. . . . . . . . . . . . 135 Brown P. . . . . . . . . . . . . . . . 147 Bruyn T. de . . . . . . . . . . . 34, 117 Bryder P. . . . . . . 128, 131, 133, 257 Büchler A. . . . . . . . . . . . . . . 274 Buckley J.J. . . . . 249, 305, 322-323 Buell D.K. . . . . . . . . . . . . . . . 36 Bull C.H. . . . . . . . . . . . . . . 194 Bultmann R. . . . . . . . . . . . . . 319 Burkert W. . . . . . . . . . . . . . . 240 Burkitt F.C. . . . . . . . . . . . . . 147 Burrus V. . . . . . . . . . . . . . . . . 31 Caldecott R.H. . . . . . . . . . . . 314 Camelot P.T. . . . . . . . . . . . . . 303 Cameron R. . . . . . . . . . . 153, 240 Canivet P. . . . . . . . . . . . . . . 263 Cannuyer C. . . . . . . . . . 146, 157 Capdeville G. . . . . . . . . . . 82, 203 Caquot A. . . . . . . . . . . . . 20, 104 Carioti P. . . . . . . . . . . . . . . . 36 Carleton Paget J. . . . . . . . . 32, 37 Cattaneo E. . . . . . . . . 217-218, 226 Cazelles H. . . . . . . . . . . . . . . 86 Cerbelaud D. . . . . . . . . . 190, 204 Cereti G. . . . . . . . . . . . . . 70, 257 Cerfaux L. . . . . . . . . . . . . . . 112 Chapot V. . . . . . . . . . . . . . . . 58 Chaumont M.-L. . . . . . . . . . . . 80 Chevalier J. . . . . . . . . . . . . . . 94 Choksy J.K. . . . . . . . . . . . . . . 80 Christensen A. . . . . . . . . . . . . 55 Chwolsohn D.A. . . . 311, 328-332, 335, 345 Cirillo L. . . . . . 122, 131, 139, 145,   153-156, 160-161, 163, 173, 175,   187, 195, 203, 211, 221, 224, 239,  241, 257, 270-271, 274, 280,   285-286, 288-289, 291-292, 302, 345, 362, 364 Clackson S. . . . . . . . . . . . . . 129 Cline R.H. . . . . . . . . . . . . . . 123

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Coakley J.F. . . . . . . . . . . . . . 326 Cohen S.J.D. . . . . . . . . . . . . . 361 Colledge M.A.R. . . . . . . . . . . . 52 Colpe C. . . . . . . . . . . . . 214, 363 Concolino M ancini A. . . 153, 175, 203 Conte R. . . . . . . . . . . . . . . . . 36 Contini R. . . . . . . . . . . . . . . 141 Cook M. . . . . . . . . . . . . . . . . 82 Coppens J. . . . . . . . . . . . . 91, 109 Costa J. . . . . . . . . . . . 30, 268, 273 Cothenet É. . . . . . . . . . . . . . 86 Coyle J.K. . . . . . . . . 138, 146, 163 Crone P. . . . . . . . . . . . . . 46, 273 Cumont F. . . . . . . . . . . . 137, 139 Dagron G. . . . . . . . . . . . . . . . 43 Dandamayev M.A. . . . . . . . . . . 50 Daniélou J. . . . . . 28, 34, 37, 96-97, 281, 299, 306 Darmesteter J. . . . . . . . . . . . . 70 Davies P.R. . . . . . . . . . . . . . . 204 Davies W.D. . . . . . . . . . . . . . 271 De Cillis M. . . . . . . . . . . . . . 295 De Smet D. . . . . . . . . . . . . . . 295 Debevoise N.C. . . . . . . . . . . . . 52 Debié M. . . . . . . . . . . . . . . . 124 Decret F. . . . . . . . . . . 15, 117, 155 Deeg M. . . . . . . . . . . . . . . . . 124 Delaunay J.A. . . . . . . . . . . . . 326 Deloche J. . . . . . . . . . . . . . . . 66 Delorme J. . . . . . . . . . . . 101, 111 Demaria S. . . . . . . . . . . . . . . . 157 Déroche V. . . . . . . . . . . . . . . 43 Deutsch N. . . . . . . . . . . . . . 320 Devreesse R. . . . . . . . . . . . . . 352 Dewey A.J. . . . . . . . . . . . 153, 240 Dietrich A. . . . . . . . . . . . . . 150 Dignas B. . . . . . . . . . . . . . . . . 58 Dilley P.C. . . . . . . 21, 133, 244, 341 Dodd C.H. . . . . . . . . . . . . . . 319 Dodge B. . . . . . . . . . . . . 135, 346 Dolbeau F. . . . . . . . . . . . . . . 138 Donner F. . . . . . . . . . . . . . . . 46 Donnet D. . . . . . . . . . . . . . . 123 Dorival G. . . . . . . . . . . . . . . . 96 Dorva-H addad J. . . . . . . . . . . 273 Douglas M. . . . . . . . . . . . . . 202 Douki C. . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Draguet R. . . . . . . . . . . . 186, 310 Draper J.A. . . . . . . . . . . . . . . 204 Drecoll V.H. . . . . . . . . . . . . 138

392

DES AUTEURS MODERNES

Drower E.S. . 305, 308-309, 315-318, 320, 324 Dubois J.-D. . . . . 19, 120, 136, 142,   160, 172, 194, 215, 229, 242, 265,   293, 295, 347, 351, 363 Duchemin J.-M. . . . . . . . . . . . 310 Duchesne-Guillemin J. . . 65, 68-69, 80 Dumézil G. . . . . . . . . . . . . . . 165 Dupont-Sommer A. . . . . . . 104-105, 113-114 Durkin-M eisterernst D. . . 129, 139 Dye G. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Eccles L. . . . . . . . . . . . . . . . 130 Ekenberg A. . . . . . . . . . . . . . . 43 Elad A. . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Eliade M. . . . . . . . . . . . . . 65, 94 Eliav Y. . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 E ngland I. . . . . . . . . . . . . . . 235 Erdosy G. . . . . . . . . . . . . . . . . 70 Fakelmann A. . . . . . . . . . . . . . 152 Falkenberg R. . . . . . . . . . . . . 130 Fariwar-Mohseni-Najafi J. . . . . 141 Fédou M. . . . . . . . . . . . . . . . . 37 Fenton P.B. . . . . . . . . . . . . . 271 Feyel G. . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Fiano E. . . . . . . . . . . . . . . . . 34 Fiey J.M. . . . . . . . . . 248, 304, 349 Filliozat M. & P.S. . . . . . . . . . 66 Filoramo G. . . . . . . . . . . . . . . 29 Finkel A. . . . . . . . . . . . . . . . 109 Flügel G. . . . . . . 119, 258, 263, 276, 345-346 Flusser D. . . . . . . . . . . . . . . . 204 Fonkič B.L. . . . . . . . . . . . . . . 151 Fonrobert C.E. . . . . . . . . . . 30, 43 Fontaine J. . . . . . . . . . . . . . . . 37 Fossum J. . . . . . . . . . . . . . . . 287 Fournier J. . . . . . . . . . . . . . . . 50 Frankfurter D. . . . . . . . . 31, 160 Frankopan P. . . . . . . . . . . . . . 22 Franzmann M. . . . . . 130, 146, 242 Fredriksen P. . . . . . . . . . . . . . . 31 Frend W.H.C. . . . . . . . . . . . . 155 Frenschkowki M. . . . . . . . . . . 301 Frey A. . . . . . . . . . . . . . . . . 194 Frey J. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 Frézoul E. . . . . . . . . . . . . . . . 51 Frye R.N. . . . . . . . . . . . . . . . . 67

Funk W.-P. . . . . . 20, 132-134, 150, 157, 362 Fynes R.C.C. . . . . . . . . . . . . . 124 Gabbay U. . . . . . . . . . . . . . . . 50 Gagé J. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 Gager J. . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 Galor K. . . . . . . . . . . . . . . . 109 Garcia M artinez F. . . . . . 214, 300 Gardner I. . . 21, 124, 130, 132-134, 140, 153, 174, 244, 341, 356 Gärtner B. . . . . . . . . . . . . . . 304 Geiger A. . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Genequand C. . . . . . . . . . . . . 294 Genette G. . . . . . . . . . . . . . . 249 Geoltrain P. . . . . . . 153, 159, 173, 274-275, 288-289, 292 Gerxshevitch I. . . . . . . . . . . . . 78 Gheerbrant A. . . . . . . . . . . . . 94 Ghirshman R. . . . . . . . . . 49, 67, 72 Gianotto C. . . . . . . . . . 29, 32-33 Gignoux P. . . . . . 52, 55, 57, 82, 342 Gimarest D. . . . . . . . . . . . . . 135 Girardet R. . . . . . . . . . . . . . 194 Gisel P. . . . . . . . 160, 172, 295, 363 Gitin S. . . . . . . . . . . . . . . . . 361 Giuffré Scibona C. . . . . . . . . 145 Giversen S. . . . . 133, 150, 153, 155, 163, 233, 268 Gnoli G. . 50, 140, 147, 153, 157, 174 Goetsche R. . . . . . . . . . . . . . 271 Goguel M. . . . . . . . . . . . . . . . 319 Goldberg A. . . . . . . . . . . 222, 362 Goldziher I. . . . . . . . . . . . . . . 82 Goodenough E.R. . . . . . . . . . 220 Goossens W. . . . . . . . . . . . . . . 99 Gorce M. . . . . . . . . . . . . . . . 303 Gounelle R. . . . . . . . . . . . 43, 194 Graslin-Thomé L. . . . . . . . . . . 50 Greenfield J.C. . . . . . . . . . 93, 318 Grenet F. . . . . . . . . . . . . . . . 66 Griffith S.H. . . . . . . . . . . . . . 46 Gruenwald I. . . . . . . 162, 267, 364 Grünwede A. . . . . . . . . . . . . 120 Guangda Z. . . . . . . . . . . . . . 120 Guerra y Gomez M. . . . . . . . . 245 Guey J. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 Guichard P. . . . . . . . . . . . . . 127 Guignebert C. . . . . . . . . . . . . 43 Guillaumont A. . . . . . . . . . . 297 Gulásci Z. . . . . . . . . . . . . 141-142

DES AUTEURS MODERNES

Gunneweg J. . . . . . . . . . . . . . 109 H äberl C.G. . . . . . . . . . . . . . . 317 H adot P. . . . . . . . . . . . . . . . 105 H aloun G. . . . . . . . . . . . . . . 354 H ansman J. . . . . . . . . . . . . . . . 51 H arland P.A. . . . . . . . . . . . . 123 H arlé P. . . . . . . . . . . . . . . . . 90 H armatta J. . . . . . . . . . . . . . 129 H arrison C. . . . . . . . . . . . 34, 117 H arrison G. . . . . . . . . . . . . . 131 H einrichs A. . . . . . . . . . . . . . 263 H ellholm C. . . . . . . . . . . . 86, 99 H ellholm D. . . . . . . . . . . . 86, 99 H ennecke E. . . . . . . . . . . . . . 329 H enning W.B. . . . . . . 146, 353-356 H enrichs A. . . . . . . 15, 25-26, 150,   152-154, 158-159, 161, 166-167, 183,   185, 189, 196, 200, 219, 221-222,   227-229, 231, 234-236, 238, 241-242, 245-248, 257, 297, 337-338, 342 H erbel O. . . . . . . . . . . . . . . . 136 H erman G. . . . . . . . . . . . 83, 160 H errenschmidt C. . . . . . . . 66, 78 H errmann G. . . . . . . . . . . . . . 314 H erzfeld E. . . . . . . . . . . . . . . 67 Hespel R. . . . . . . . . . . . . 186, 310 H ettema T.L. . . . . . . . . . . . . . 58 H euser M. . . . . . . . . . . . . . . 302 Hidiroglou P. . . . . . . . . . . . . 109 Hilgenfeld A. . . . . . . . . . . . . 288 Hilhorst A. . . . . . . . . . . . . . 187 Hintze A. . . . . . . . . . . . . . . . 343 Hinz W. . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 Hjärpe J. . . . . . . . . . . . . . . . 332 Horbury W. . . . . . . . . . . . . . 271 Hoss S. . . . . . . . . . . . . . . . . 108 Houtman A. . . . 147, 161, 164, 172 Hoyland R. . . . . . . . . . . . . 36, 45 Humbert J.-B. . . . . . . . . . . . . 109 Hunter E. . . . . . . . . . . . 129, 356 Hutter M. . . . . . . . . . . . . . . 126 Huyse P. . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 Hvalvik R. . . . . 31-32, 37-38, 41, 43 I bscher R. . . . . . . . . . . . . . . 134 Ignace de Jésus , Père . . . . . . . . 304 I nolowcki-M eister S. . . . . . . . . 32 I nowlocki S. . . . . . . . . . . . . . . 41 I ricinschi E. . . . . . . . . . . . . . . 41 I saac E. . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

393

I ssac B. . . . . . . . . . . . . . . . . . 58 I sser S.J. . . . . . . . . . . . . . . . . 274 Jackson-McCabe M. . . . . 32, 35, 293 Jaffé D. . . . . . . . . . . . . 29, 33, 297 Jambet C. . . . . . . 222, 267, 271, 363 Jeremias G. . . . . . . . . . . . . . . 301 Jeremias J. . . . . . . . . . . . . . . . 159 Jones F.S. . . . . 28-29, 32-35, 44, 124,   280, 286, 290-293 Jong A. de . 58, 69, 80, 147, 160-161, 164, 172 Jucquois G. . . . . . . . . . . . . . . . 52 Jullien C. . . . 26, 57, 142, 190, 232,   250, 265, 271, 275-276, 293, 295,   310, 338, 340, 347, 351, 357, 365 Jullien F. . . . . 26, 57, 142, 190, 232,   250, 265, 271, 275-276, 293, 295, 310, 338, 340, 347, 351, 357, 365 Junod É. . . . . . . . . . . . . . . . 125 K aennel L. . . . . 160, 172, 295, 363 K almin R. . . . . . . . . . . . . . . . 31 K ashouh H. . . . . . . . . . . . . . . 45 K aye A.S. . . . . . . . . . . . . . 93, 318 K azen T. . . . . . . . . . . . . . . . . 86 K eavenay A. . . . . . . . . . . . . . . 60 K ellens J. . . . . . . 65-68, 70, 72, 78 K irbihler K. . . . . . . . . . . . . . . 50 K ittel G. . . . . . . . . . . . . . 87, 214 K lawans J. . . . . . . . . . . . . . . . 86 K lein W. . . . . . . . . . . . . . . . 122 K lijn A.F.J. . . . . 161, 274, 278, 350 K limkeit H.J. . . . 119, 155, 301, 302 K lostergaard Petersen A. . . . . 86 K nüppel M. . . . . . . . . . . . 211, 241 Koebert R. . . . . . . . . . . . . . . 150 Koenen L. . . . 15, 134, 150-154, 159,  163, 166-167, 173, 183, 196,   206-207, 211, 219, 221-222, 224,   227-229, 231, 234-235, 238, 241-242, 245-247, 257, 263 Kongolo C. . . . . . . . . . . . . . 101 Kooij A. van der . . . . . . . . . . . 58 Kooten G.H. van . . . . . . . . . . 187 Kosowski B. . . . . . . . . . . . . . 226 Kotlar D. . . . . . . . . . . . . . . 107 K raft R.R. . . . . . . . . . . . . . . 204 K rause M. . . . . . . . . . . . . . . . 155 K rauss S. . . . . . . . . . . . . . . . 274 K ruisheer D. . . . . . . . . . . . . . 310

394

DES AUTEURS MODERNES

Kudella M. . . . . . . . . . . . . . 138 Kuhn H.-W. . . . . . . . . . . . . . 301 Kulp J. . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 Kurt A. . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Lagrange M.-J. . 208, 278, 319, 328, 330-331 L ambers-Petry D. . . . . . . . 31, 269 Lapin H. . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 L avenant R. . . . . . . . . . . . . . . 48 L awrence J.D. . . . . . . . . . . . . 101 L ayton B. . . . . . . 206-207, 211, 248 L e Boulluec A. . . . . . . . . . . . . 40 L eclercq H. . . . . . . . . . . . . . 271 L e Coq A. von . . . . . . . . . . . 120 L ecoq P. . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 L e Coz R. . . . . . . . . . . . . . . . 294 L égasse S. . . . . . . . . . . . . . . . 87 L egrand T. . . . . . . . . . . . . . . . 32 L emaire A. . . . . . 203, 217-218, 226 L e Moyne J. . . . . . . . . . . . . . . 111 L éon-Dufour X. . . . . 217, 219, 226, 229, 241 L epper A. . . . . . . . . . . . . . . . . 61 L erouge C. . . . . . . . . . . . . . . . 59 L esêtre H. . . . . . . . . . . . . . . . 87 L eurini C. . . . . . . . . . . . 130, 343 L évi I. . . . . . . . . . . . . . . . . . 230 L evinson J. . . . . . . . . . . . . . . 235 L evy M.A. . . . . . . . . . . . . . . 286 Lidzbarski M. . . . 307-309, 313, 319, 333, 335-336 Lied L.I. . . . . . . . . . . . . . . . . 194 Lieu J.M. . . . . . . 153, 163, 174, 268 Lieu S.N.C. . . 25, 120, 128-130, 137,   140, 153, 159, 163, 174, 268, 338, 352, 356 Lincicum D. . . . . . . . . . . . . . . 34 L oisy A. . . . . . . . . . . 310, 319, 322 L oriot X. . . . . . . . . . . . . . . . 64 L ory P. . . . . . . . 222, 267, 271, 363 L össl J. . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 L ozachmeur H. . . . . . . . . . . . 374 Lubac H. de . . . . . . . . . . . . . 120 Lukonin V. . . . . . . . . . . . . . . . 49 Luomanen P. . . . . . . . . . . . 32, 41 Lupieri E. . . . . . . . . . 304, 306, 314 Luttikhuizen G.P. . . . 161, 198, 271, 279-280, 290-291 Luyckx K. . . . . . . . . . . . . . . . 21

M acK enzie D.N. . . . . . . . 125, 314 M acuch R. . . . . . . . . . . . . . . 309 M agg M. . . . . . . . . . . . . . 70, 257 M agnes J. . . . . . . . . . . . . . . . 361 M agris A. . . . . . . . . . . . . . . . 153 M aier J. . . . . . . . . . . . . . 163, 364 M anns F. . . . . . . . . . . . . 28-29, 96 M ansfeld J. . . . . . . . . . . . . . 145 M ara M.G. . . . . . . . . . . . . . . 155 M arcus J. . . . . . . . . . . . . . . . . 31 M aresh K. . . . . . . . . . . . . . . 368 M arkschies C. . . . . . . 23, 126, 215 M assie A. . . . . . . . . . . . . . . . 138 M azzi F. . . . . . . . . . . . . . . . . 36 McCullough W.S. . . . . . . 309, 320 M enasce J. de . . . . . . . . . . . 65, 71 M erkelbach R. . . . 131, 152-153, 162 M ichel A. . . . . . . . . . . . . . . . 111 M ikkelsen G.B. . . . . . . . . 119, 130 M ilik J.T. . . . . . . . . . . . . . . . 301 M illard A.R. . . . . . . . . . . . . 121 M iller S.S. . . . . . . . . . . . . . . 108 M imouni S.C. . . 15-17, 19-21, 26-30,   32, 37, 39-41, 44, 46, 48, 57, 63,   123-124, 149, 160, 172, 204, 222,   257, 265, 267-269, 271, 273-276,   279, 283, 293, 296, 304, 314, 340, 342, 344, 347, 351, 363, 365 M inard P. . . . . . . . . . . . . . . . 23 M irecki P.A. . . . . . . . . 131, 133-134 M ir-K asimov O. . . . . . . . . . . . 295 M isset-van de Weg M. . . . . 147, 161, 164, 172 Molé M. . . . . . . . . . . . . . . 65, 67 Møller L arsen J. . . . . . . . . . . 130 Monnot G. . . . . 135, 139, 145, 276, 348, 349 Montgomery J.A. . . . . . . . . . . 309 Montserrat y Torrents J. . . . 140, 153 Mopsik C. . . . . . . . . . . . . 287, 292 Morano E. . . . . . . . . . . . . . . 356 Mortier R. . . . . . . . . . . . . . . 303 Mosès A. . . . . . . . . . . . . . . . 106 Moulinier L. . . . . . . . . . . . . . 200 Muehlberger E. . . . . . . . . . . . 123 Müller F.W. . . . . . . . . . . 141, 257 Murray R. . . . . . . . . . . . . . . 169 Muzinga P.M. . . . . . . . . . . . . 102 Myllikovski M. . . . . . . . . . . . . 35

DES AUTEURS MODERNES

Nagel P. . . . . . . 126, 155, 257, 356 Nahman M. . . . . . . . . . . . . . 120 Navascués Benlloch P. de . . . . 292 Netzer E. . . . . . . . . . . . . . . . 109 Neusner J. . . . . . . . . 100, 147, 199 Newman H.I. . . . . . . . . . . . . . 30 Nickelsburg G.W.E. . . . . . . . . 204 Nikiprowetzki V. . . . . . . . . . . 105 Nöldeke T. . . . . . . . . 45, 305, 309 Nongbri B. . . . . . . . . . . . . . . . 21 Norderval O. . . . . . . . . . . . 86, 99 Norelli E. . . . . . . . . . . . . . . 125 North J.A. . . . . . . . . . . . . . . 300 Nyberg H.S. . . . . . . . . . . . . . . 67 Oepke A. . . . . . . . . . . . . . . . . 87 Oliver I.W. . . . . . . . . . . . . . . . 83 Oort J. van . . . . 121, 138, 153-154, 163, 215, 271, 353 Oppenheimer A. . . . . . . . . . . . 297 Oranskij M. . . . . . . . . . . . . . . 69 Orbe A. . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 Ort L.J.R. . . . . . . . . . . . . . . 300 Özen A. . . . . . . . . . . . . . 290-291 Painchaud L. . . . . . . . . . . . . . 20 Pallis S.A. . . . . . . . . . . . . . . 334 Pardis K.K. . . . . . . . . . . . . . . . 70 Parker R. . . . . . . . . . . . . . . . 200 Parry K. . . . . . . . . . . . . . . . . 130 Parsons P.J. . . . . . . . . . . . . . . 151 Patterson S. . . . . . . . . . . . . . 133 Payne R.E. . . . . . . . . . . . . . . . 49 Pedersen J. . . . . . . . . . . . . . . 349 Pedersen N.A. . . 130, 132, 194, 215, 341, 356 Pedersen V.S. . . . . . . . . . . 310-311 Pelliot P. . . . . . . . . . . . . . . . 120 Perrin M.-Y. . . . . . . . . . . . . . . 84 Perrot C. . . . . . . . . . . . . 101, 303 Péter-Contesse R. . . . . . . . . . 201 Petermann J.H. . . . . . . . 305, 307 Peterson E. . . . . . . . . . . . 271, 319 Pettipiece T. . . . . . . . . . . . . . 117 Philonenko M. . . 104-105, 113-114, 160 P ierre M.-J. . . . . . . . . . . . . . . 97 P ietri L. . . . . . . . . . 271, 274, 289 P ines S. . . . . . . . . . . . . . . . . 345 P iovanelli P. . . . . . . . . . . . 33, 44 P itta A. . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

395

Poignon H. . . . . . . . . . . . . . . 309 Poirier P.-H. . 15, 19-20, 24, 137, 163 Poljakov F.B. . . . . . . . . . . . . . 151 Polotsky H.J. . . . . . . 132, 247, 335, 339-341 Poorthuis M.J.H.M. . . . . . . . . 86 Potestà G.L. . . . . . . . . . . . . . 48 Potts D.T. . . . . . . . . . . . . . . . 49 Pouderon B. . . . . . . . . . . . . 27-28 Pouilloux J. . . . . . . . . . . . . . 106 Poupard P. . . . . . . 65, 80, 118, 303 P ralon D. . . . . . . . . . . . . . . . 90 P reissler H. . . . . . . . . . . . . . 242 P rice S.R.F. . . . . . . . . . . . . . . 300 P rieur J.-M. . . . . . . . . . . . . . 242 P rigent P. . . . . . . . . . . . . . . . 204 P rovasi E. . . . . . . . . . . . . 70, 257 P uech É. . . . . . . . . . . . . . . . 214 P uech H.-C. . . . 20, 65, 69, 117, 143,   214, 229, 303, 305-306, 335-336, 344, 352, 353 Quispel G. . . . . . . . . . . . . . . . 153 R abello A.M. . . . . . . . . . 222, 362 R asouli-Narimani L. . . . . . . . 356 R ault L. . . . . . . . . . . . . . . . 131 R eed A.Y. . . . . . . . . . . . 31, 33, 36 Reeves J.C. . 135, 139, 148, 164, 192,   213-214, 227, 229, 301-302, 358-359 R eich R. . . . . . . . . . . . . . 107, 109 R einach T. . . . . . . . . . . . . 106-107 R einhart K. . . . . . . . . . . . . . . 82 R einink G.J. . . . . 161, 274, 278, 350 R eitzenstein R.A. . . . . . . . . . . 318 Renan E. . . . . . . . . . . . . 294, 329 R enger A.-B. . . . . . . . . . . . . . 301 R ey-Coquet J.-P. . . . . . . . . . . 263 R eymond P. . . . . . . . . . . . . . . 203 R eynolds G.S. . . . . . . . . . . . . 46 R ichter S. . . . . . . . . . . . . . . 133 R icœur P. . . . . . . . . . . . . . . . 98 R icoldo da Montecroce (R icoldo   Pennini) . . . . . . . . . . . . . . 304 R ies J. . . . 65, 117-119, 123, 142-146, 155, 157, 159, 187, 239, 242 R iggi C. . . . . . . . . . . . . . . . . 137 R ío Sánchez F. del . . . 39, 46, 124, 363 Roberge M. . . . . . . . . . . . . . . 283 Robin C.J. . . . . . . . . . . . . 47, 273

396

DES AUTEURS MODERNES

Robinson C. . . . . . . . . . . . . . . 45 Robinson J.M. . . . . . . . . . . . . 121 Roemer C. . . . . . . . . . . . . 152-153 Rogan W. . . . . . . . . . . . . . . . 86 Roland -Gosselin B. . . . . . . . . 261 Roman A. . . . . . . . . . . . . . . . 137 Römer C. . . . . . . . . . 134, 173, 301 Roncaglia M.P. . . . . . . . . . . . 273 Rordorf P.W. . . . . . . . . . 191, 204 Rose E. . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 Rose J. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 Roselli A. . . . 153, 155, 160-161, 163,   175, 203, 224, 239, 257, 285, 302, 364 Rosenstiehl J.-M. . . . . . . . 160, 285 Roussel B. . . . . . . . . . . . . . . 363 Rousselle A. . . . . . . . . . . . . . 240 Ruani F. . . . . 138-139, 215-216, 343 Rubin U. . . . . . . . . . . . . . . . 165 Rubinstein J.F. . . . . . . . . . . . . 235 Rudolph K. . . . . 119, 156, 244, 271, 272, 303, 306, 309, 320, 322 Rutzenhöfer E. . . . . . . . . . . . 138 Sadeghi B. . . . . . . . . . . . . . 36, 45 Samir S.K. . . . . . . . . . . . . . . . 45 Sampson G. . . . . . . . . . . . . . . 60 Sanz A rtibucilla J.M. . . . . . . . 42 Saxl F. . . . . . . . . . . . . . . . . . 353 Schaeder H.H. . . . . . . . . . . . 353 Schäfer P. . . . . . . . . . . . . . . . 31 Schattner-R ieser U. . . . . . . . . 317 Scheftelowitz I. . . . . . . . . . . 352 Scher A. . . . . . . . . . . . . . . . 309 Schliemann A. . . . . . . . . . . 34-35 Schmidt C. . . . . . . . 120, 134, 150 Schmidt T.S. . . . . . . . . . . . . . 137 Schmitt J. . . . . . . . . 303, 311, 331 Schoeps H.J. . . . . . . . . . . . 34, 278 Scholem G.G. . . . . . . . . . 320, 325 Schöllgen G. . . . . . . . . . . . . 227 Schröter J. . . . . . . . . . 41, 43, 126 Schulthess S. . . . . . . . . . . . . . 45 Schwartz J. . . . . . . . . . . . . . . 86 Schwartz S.J. . . . . . . . . . . . . . 21 Scopello M. . 24, 136, 157, 216, 226, 357 Secunda S. . . . . . . . . . . . . . 49-50 Segal F. . . . . . . . . . . . . . . . . 220 Segal J.B. . . . . . . . . . . . . . . . . 318 Segelberg E. . . . . . . . . . . . . . 324

Seiwert H. . . . . . . . . . . . . . . 242 Sfameni Gasparro G. . . . . 117, 257 Sfar M. . . . . . . . . . . . . . . . . 363 Shapira D. . . . . . . . . 121, 315, 317 Shayegan M.R. . . . . . . . . . . . . 49 Sheikh Dukhayil . . . . . . . . . . 318 Sherwin-White S. . . . . . . . . . . 50 Shoemaker S.J. . . . . . . . . . . . . 48 Shuve K.E. . . . . . . . . . . . . . . 194 Silverstein A. . . . . . . . . . . . 36, 45 Simon M. . . . . . . 28-29, 43, 98, 202 Simonetti M. . . . . . . . . . . . . . 39 Sims-William N. . . . . . . . . 129-130 Siouffi N. . . . . . . . . . . . . . . . 305 Siverman J.M. . . . . . . . . . . . . . 66 Skarsaune O. . . 31-32, 37-38, 41, 43 Skjærvø P.O. . . . . . . . . . 67, 70, 343 Slater O. . . . . . . . . . . . . . . . 249 Soares Santoprete L.G. . . 123, 257 Sodiqi A.A. . . . . . . . . . . . . . . 343 Soroudi S. . . . . . . . . . . . . . . . 82 Spears R. . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Stahl S. . . . . . . . . . . . . . . . . . 319 Stausberg M. . . . . . . . . . . . 66, 70 Stegemann H. . . . . . . . . . . . . 301 Stein A. . . . . . . . . . . . . . . . . 120 Stein M. . . . . . . . . . . . . . . . . 131 Steinfeld Z.A. . . . . . . . . . . . . 222 Stern I. . . . . . . . . . . . . . . . . 273 Strecker G. . . . . 161, 244, 271, 278 Stroumsa G.G. . . . . 20, 23, 30, 36,   45, 80, 145, 195, 206, 271, 287, 298, 300 Strus A. . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 Sturdy J. . . . . . . . . . . . . . . . 271 Subrahmanyam S. . . . . . . . . 22-23 Suggs M.J. . . . . . . . . . . . . . . 204 Sundermann W. . . 117, 129-131, 136, 149, 257, 261, 341-343, 357 Tajaddod R. . . . . . . . . . . . . . 346 Tajadod N. . . . . . . . . . . . . . . 130 Tardieu M. . . . . 15-16, 20, 117-119,   122, 127, 135, 145, 153, 160-161,   164-173, 184-186, 188, 215, 222,   228, 243, 247, 249, 259-261, 263,   265-266, 272, 276, 278, 283, 294-295,   332, 337, 346-347, 352, 354, 356, 360, 363-364 Taubes J. . . . . . . . . . . . . . . . 145 Testa E. . . . . . . . . . . . . . . . . 28

DES AUTEURS MODERNES

Thomas D.R. . . . . . . . . . . . . . . 45 Thomas J. . . . . 98-99, 101, 105, 111, 278, 282, 286, 302, 306, 331 Tigchelaar E. . . . . . . . . . . . . 187 Tillier M. . . . . . . . . . . . . . . . 127 Timus M. . . . . . . . 83, 215-216, 343 Toland J. . . . . . . . . . . . . . . . . 34 Tomson P.J. . . . . . . . . . . . 31, 269 Tondelli L. . . . . . . . . . . . 319, 322 Tongerloo A. van . . . 119, 122, 131,   139, 146, 155-157, 163, 187, 268,   286, 292, 345, 362 Touati C. . . . . . . . . 194, 222, 362 Traina G. . . . . . . . . . . . . . . . 60 Tremblay X. . . . . . . . 134, 148, 151 Tröger K.W. . . . . . . . . . . . . . 303 Tubach J. . . . . . . . . . 121, 353, 362 Tuillier A. . . . . . . . . . . . . . . . 191 Turner E.G. . . . . . . . . . . . . . . 151 Turner J.D. . . . . . . . . . . . . . . 194 Ullendorff E. . . . . . . . . . . . .

44

Vaillancourt D. . . . . . . . . . . . 119 Vaissière É. de la . . . . . . . . . . 148 Vajda G. . . . . . . . . . . 139-140, 345 Valantasis R. . . . . . . . . . . . . . 153 Van den Berg J.A. . . . . . . . . . 138 Van den K erchove A. . . . . 123, 257 Van de Sandt H. . . . . . . . . . . 204 Van R eeth J.M.F. . . . . . . . . . . . 47 Vannier M.-A. . . . . . . . . . . . . 28 Vanspauwen A. . . . . . . . . . . . 138 Vaux R. de . . . . . . . . . . . . . . 245 Vecoli F. . . . . . . . . . . . . . . . 297 Vegge T. . . . . . . . . . . . . . . 86, 99 Venter P.M. . . . . . . . . . . . . . 302 Vernant J.-P. . . . . . . . . . . . . . 200 Vignoles V.L. . . . . . . . . . . . . . 21

397

Villey A. . . . . . . . . . . . . 136, 210 Visotzky B.L. . . . . . . 162, 267, 359 Vliet R. van . . . . . . . . . . 211, 241 Vööbus A. . . . . . . . . . . . . . . . 297 Waitz H. . . . . . . . . . 288, 291, 329 Wensinck A.J. . . . . . . . . . . . . . 82 Wermelinger J. . . . . . . . . . . . 353 Wermelinger O. . . . . . . . 121, 138 White R.T. . . . . . . . . . . . . . . 204 Widengren G. . . . . 58, 65, 117, 147, 304 Wiebe D. . . . . . . . . . . . . . . . 249 Wienner W. . . . . . . . . . . . . . 301 Wiessner G. . . . . . . . . . . . 119, 155 Wilson R. McL. . . . . . . . . . . 327 Winter E. . . . . . . . . . . . . . . . . 58 Witte M. . . . . . . . . . . . . . . . 301 Wolski J. . . . . . . . . . . . . . . 52, 58 Worp K.A. . . . . . . . . . . . . . . 134 Wright B. . . . . . . . . . . . . . . 204 Wurst G. . . . . . 121, 125, 127, 133, 138, 353 X injiang R. . . . . . . . . . . . . . . 120 Yamauchi E.M. . . . . . 309, 313, 319 Yarshater E. . . . . . . . . . . . . . . 49 Yoshida Y. . . . . . . . . . . . . . . 142 Ysebaert J. . . . . . . . . . . . . . . . 89 Z aehner R.C. . . . . . . . . . . . . . 77 Z akeri M. . . . . . . . . . . . . 121, 353 Z amagni C. . . . . . . . . . . . . 29, 41 Zeitlin S. . . . . . . . . . . . . 222, 362 Zellentin H. . . . . . . . . . . . 38-39 Zieme P. . . . . . . . . . . . . . 136, 357 Zwicker D. . . . . . . . . . . . . . . 34

Judaïsme ancien et origines du christianisme 1. Régis Burnet, Les douze apôtres. Histoire de la réception des figures apostoliques dans le christianisme ancien (2014) 2. Thierry Murcia, Jésus dans le Talmud et la littérature rabbinique ancienne (2014) 3. Christian Julien Robin (éd.), Le judaïsme de l ’Arabie antique. Actes du Colloque de Jérusalem (février 2006) (2015) 4. Bernard Barc, Siméon le Juste: l ’auteur oublié de la Bible hébraïque (2015) 5. Claire Clivaz, Simon Mimouni & Bernard Pouderon (éds), Les judaïsmes dans tous leurs états aux Ier-IIIe siècles (les Judéens des synagogues, les chrétiens et les rabbins). Actes du colloque de Lausanne, 12-14 décembre 2012 (2015) 6. Simon Claude Mimouni & Madeleine Scopello (éds), La mystique théorétique et théurgique dans l ’Antiquité gréco-romaine (2016) 7. Pierluigi Piovanelli, Apocryphités. Études sur les textes et les traditions scripturaires du judaïsme et du christianisme anciens (2016) 8. Marie-Anne Vannier (éd.), Judaïsme et christianisme chez les Pères (2015) 9. Simon Claude Mimouni & Louis Painchaud (éds), La question de la « sacerdotalisation » dans le judaïsme synagogal, le christianisme et le rabbinisme (2018) 10. Adriana Destro & Mauro Pesce (éds), Texts, Practices, and Groups. Multi­ disciplinary approaches to the history of Jesus’ followers in the first two centuries. First Annual Meeting of Bertinoro (2-5 October 2014) (2017) 11. Eric Crégheur, Julio Cesar Dias Chaves & Steve Johnston (éds), Christianisme des origines. Mélanges en l ’honneur du Professeur Paul-Hubert Poirier (2018) 12. Alessandro Capone (éd.), Cristiani, ebrei e pagani: il dibattito sulla Sacra Scrittura tra III e VI secolo – Christians, Jews and Heathens: the debate on the Holy Scripture between the third and the sixth century (2017) 13. Francisco del Río Sánchez (éd.), Jewish Christianity and the Origins of Islam. Papers presented at the Colloquium held in Washington DC, October 29-31, 2015 (8th ASMEA Conference) (2018) 14. Simon Claude Mimouni, Origines du christianisme. Recherche et enseignement à la Section des sciences religieuses de l ’École Pratique des Hautes Études, 1991-2017 (2018) 15. Steve Johnston, Du créateur biblique au démiurge gnostique. Trajectoire et réception du motif du blasphème de l ’Archonte (2020) 16. Adriana Destro & Mauro Pesce (éds), From Jesus to Christian Origins. Second Annual Meeting of Bertinoro (1-4 October, 2015) (2019) 17. Marie-Anne Vannier (éd.), Judaïsme et christianisme au Moyen Âge (2019) 18. Pierre de Salis, Autorité et mémoire. Pragmatique et réception de l ’autorité épistolaire de Paul de Tarse du Ier au IIe siècle (2019) 19. Frédéric Chapot (éd.), Les récits de la destruction de Jérusalem (70 ap. J.-C.): contextes, représentations et enjeux, entre Antiquité et Moyen Âge (2020) 20. Simon Claude Mimouni, Les baptistes du Codex manichéen de Cologne sont-ils des elkasaïtes? (2020)