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French Pages [1588] Year 1998
Le Roman de Renarl
GALLIMARD
Ce volume appartient au domaine « Littérature française du Moyen Age fondé par Daniel Poirion. •
»,
Tous droits de reprod11tfio11, de trad11tfio11 et d'adaptation réseroés pour tous les pqys.
© Éditions Galli1llard, 1 9 9 S, pour l'ensemble d11 volume, à l'exception d11 texte des « Mé1lloires >> de Philippe de Novare. Voir p. S42.
CE V O L U M E C O N T I E N T : Introduél:ion Repères chronologiques Note sur la présente édition par Armand Strubel
Le Roman de Renart
(Manuscrit de Paris, Arsenal 3 3 34) LE JUGEMENT DE RENART Texte é!tlhli, lrad11it, présenté el an11oté
par Do111i11iqm Bo11/el
LE SIÈGE DE MAUPERTUIS
Texte établi, tmd11it, présenté el annoté par A17Jland Stmbel RENART TEINTURIER. RENART JONGLEUR
Texte établi, tmd11it, présenté et a1111oté par Roger Bellon LE DUEL JUDICIAIRE
Texte établi, tmd11it, prése11té et a1111oté par Do111iniqm Bon/et LA CONFESSION DE RENART LE PÈLERINAGE DE RENART LE PUITS LE JAMBON ENLEVÉ. RENART ET LE GRILLON L'ESCONDIT
Textes établis, traduits, présentés el a1111otés parAm!a11d Stmbel
LES VÊPRES DE TIBERT
Texte établi, traduit, présenté et annoté par Do11li11ique Boutel CHANTECLER, MÉSANGE ET TIBERT
Texte établi, traduit, présenté et annoté par Am1and Simbel TIBERT ET L'ANDOUILLE
Texte établi et traduit par Do111inique Boulet, présen té par Do111inique Boulet et Ar111and Stmhel, et annoté par Dominique Boutel TIBERT ET LES DEUX PRÊTRES
Texte éiabli, traduit, présenté et annoté par Dominiqm Boulet TIÉCELIN. LE VIOL D'HERSENT RENART ET LES ANGUILLES PINÇART LE HÉRON
Textes établis, traduits, présentés et annotés par Armand Stmbel RENART ET LIÉTARD RENART ET PRIMAUT
Textes établis, traduits, plisentés el annotés par Do111i11iq11e Boutel RENART LE NOIR RENART MÉDECIN RENART EMPEREUR
Textes établis, traduits, présentés et annotés par Roger Bellon LE PARTAGE DES PROIES LA MORT DE RENART
Textes établis, traduits, présentés et annolés par Am1a11d Simbel
du
Les autres branches «
Roman de Renart
»
LA MORT DE RENART (fin) ISENGRIN ET LE PRÊTRE MARTIN ISENGRIN ET LA JUMENT ISENGRIN ET LES DEUX BÉLIERS LA MONSTRANCE DU CUL
COMMENT RENART PARFIT LE CON RENART MAGICIEN LES ENFANCES DE RENART L'ANDOUILLE JOUÉE AU MORPION
Textes établis, trad11ils, présentés el annotés par Sj,/vie Lejevre
Autres écrits renardiens DU NOBLE LION OU LA COMPAGNIE DE RENART PHILIPPE DE NOVARE : MÉMOIRES (extrait) RÉCITS D'UN MÉNESTREL DE REIMS: EXEMPLE D'ISENGRIN ET DE LA CHÈVRE RUTEBEUF: RENART LE BESTOURNÉ SUR BRICHEMER
LE COURONNEMENT DE RENART (vers 167 ;-2794) JEAN DE CONDÉ DIT D'ENTENDEMENT (vers 762-107 J) DIT DE LA QYEUE DE RENART Textes établis, t,.ad11its, présentés et annotés par SJ•lvie Lefèvre
Notices Bibliographies Notes sur le texte et sur la traduél:ion Notes et variantes par Roger Bellon, D orrùnique Boutet, Sylvie Lefèvre et Armand Strubel Répertoire par Roger Bellon Bibliographie générale par Armand Strubel
INTRO D U C T I O N
Pour un public d'a1!Jot1rd'h t1i, le Roman de Renart eff à tous égards une œuvre singulie're, sinon déconcertante. Le nom mêmeprête à confusion : ce « roman )) ne ressemble en rien à ce qu 'entend, sous cette appellation générique, le leéleur de Chrétien de Trl!JeS, pour ne pas évoquer celui de Balzac, dont les attentes seraient encore plus sûrement trompées. Le terme posseèle en /'occurrence un sens tre's reffreint : il définit un choix lin guiffique, celui de la langue vulgaire, par opposition au latin 1• Le « roman de Renart )) consiffe en une série d'hiffoires, en langue d'oi� datant de lafin du XII' et du début du XIII ' sie'cle, dont le protagoniffe eff un dénommé Renart, et dont les aéleurs sont essentiellement des animaux. Le succe's de ces récits fut tel que le nom commun «goupil )), qui désignait en ancien français le Vulpes vulpe s des zoologues, disparut au profit de ce patro nyme d'originegermanique. La nomenclature critique efffacilementprise en défaut devant des textes aussi atypiques, qui ne se rattachent à aucun genre fixe. L 'expression , indique avec plus de précision le regiffre d'expression, où prédomine en effet la veine comique 1• Original dans le contexte littéraire de son époque, le Roman de Renart n 'a pas eu de véritable pofférité. Des poe!nes satiriques, polémiques et souvent lourdement a//égoriques ont, pen dant un sieè/e, adapté /a matie're renardienne à desfinalitésJort éloignées de /'inspiration initiale 2• Mais les aventures de Renart, Isengrin, Noble, Chantecler. .. n 'ont pas créé de véritable genre comme les poe'mes de Chré tien de Trqyes. Q!!Jlques modernes - Goethe en son temps, Maurice Genevoix - ont fait le pari de ressusciter l'héritage, sans arriver pour autant à le réenraciner dans le terreau de la lzttérature vivante. Le conte d'animaux.
On peutparler, pour le Mqyen Âge, d'une véritable « littérature ani malie're ;>, d'un ensemble considérable de textes où les animaux sont objets de connaissance, support de sens symboliques ou aéfeursprincipaux. D 'in nombrables encyclopédies, parmi lesque//es se détache le De animalibus d'Albert le Grand, des recueils de mirabilia, ces merveilles de la nature que l'on trouve surtout en Orient, ainsi que des traités de chasse, d'élevage, d'hippiatrie, réunissent et diffusent /es savoirs anciens et nouveaux sur /es bêtes. La jaune sculptée des églises et des cloîtres témoigne de fa vitalité d'une imagerie inaugurée par le Physiologus alexandrin et perpétuée dans /es Beffiaires romans, qui .font des animaux de /a Bible les veéfeurs privilégiés de /a « senefiance ;>, des vérités cachées de /a.foi. Les anecdotes dont /es animaux sont /es héros fournissent une vaffe matie're au projet didatfique des exempla etfables. Le Roman de Renart a certes des affinités avec cette dernie're rubrique, mais if affirme une originalité radi cale, surtout par rapport à l'intention pédagogique qui domine nettement dans cette catégorie d'ouvrages. L 'exiffence d'une te/le littérature n 'a rien de surprenant dans une civili sation où /'anima/ tient une place considérable, comme mqyen de transport, 1 . Voir les Mélanges de littémt11;·ejmnçaise d11 Ml!)lell Âge, éd. M. Roques, Paris, 1 960, p. 340 : pour Tiersch1va11k, voir H.-R. J auss, U11ters11ch1111ge11 Zftrmittelalterli chen Tierdicht11ng, Tübingen, 1 9 5 9. z . fumart le beffo11mé de Rutebeuf ; le Co11ro1111e111e11t de Renait; Renart le No11vel; Renait le Contrefait . On trouvera en fin de volume quelques représentants de ces épigones. ..
Introduttion
XIII
source d'énerg,ie, auxiliaire de la chasse et de la guerre, et réserve de nourri ture '. Dans l'imaginaire zoologique de cette époque survit lefonds leplus archaïque de la mémoire colletfive, que les rationalisations successives n 'ont pas encore comple'tement évacué. Des mythologiesgréco-romaine, celtique et germanique viennent les hiffoires si prisées de chasses merveilleuses, de métamorphoses et de messagers de !'Autre Monde ; les guerriers-ours et les hommes-loups des récits scandinaves n 'ont pas fini de hanter les nuits de l'Europe médiévale ; dans les « lais » etparfois dans les romans, les ceif.r et sangliers blancs conduisent les chevaliers a11pre's des.fies, et l'oiseau deproie se change en beaujeune homme pour consoler la solitude desjèmmes enjèr mées dans leur tourpar un vieux mari. Même les représentants d'une culture inconteffablement savante, les fabuliffes qui reprennent l'héritage antique, font du « temps où les ani mauxparlaient}} leur horizonfamilier ; ils empruntent à une tre's vieille tradition orientale l'art d'exploiter, à des fins pédagogiques, le fonds de symboles qu 'offre le monde des bêtes. Le chriffianisme, avec son emprise que l'on imagine volontierspesante dans toutes lesformes de lapensée et de la sensibilité, n 'effpas étranger à la grandepopularité de la représentation animale. Dieu a créé les animaux avant les hommes, etAdam lesfait com paraîtrepour les nommer ; du serpent d'É den à l'agneau myffiq11e, en pas santpar l'arche de Noé, l'ânesse de Balaam, l'âne des Rameaux 011 celui de lafuite en É gypte, nombreuses sont les références au monde animal dans la Bible, etplusfréquentes encore les métaphores et les comparaisons qu 'elle ypuise. Les Beffiaires sefixentpour tâche de les inventorier et de les interpréter, poury découvrir la « senefiance », ce sens caché dans lequel se lit le message divin. Ces textes méritent une mention spéciale, à cause de l'influence qu 'ils ont e11 sur la connaissance et la représentation de l'animal Le crocodile dévoré de l'intérieurpar l'f?ydre, la licorne capturée par lajeune fille vierge que l'on dispose comme appât sur un chemin, le caffor qui se châtre pour échapper aux chasseurs : tout ce bric-à-brac d'affab11/ations, glanées dans les compilations antiques et largement reproduites dans l'iconographie, a laissé une empreinteprofonde dans la mentalité de l'Occident, même apre's 1 . Le livre de R. Delon, Les a11i1J1a11x ont une hiJ!oin, Seuil, 1 9 84, offre des vues Stimulantes sur la présence des animaux dans la société et l'hiSl:oire médiévales. Pour l'animal dans la littérature, la thèse de J. Bichon, L'A11i1J1al dans la littérat1mjim1;aise aux XII ' el XIII' siècles, Lille, Service de reproduébon des thèses, 1 976, fait le point sur la diversité des occurrences. _Pour l'iconogra phie, voir V.-H. Debidour,Le Be.11iaù• sc11lpté en France a11 Mqyen Age, Arthaud, 1 9 6 1 .
XIV
Introduéfion
le Mqyen Âge. Dans ces ouvrages de zoologiefantasmagorique, la faune locale des renards et des loups côtoie les créatures exotiques, comme le lion ou l'éléphant, et les monffresfaits de toutespieèes, griffons, basilics et man ticores. Mais les espeèes les plus connues ne sont pas dépourvues d'étran geté : le cerfnoie les serpents dans leur trou ; le loup ôte touteforce de crier à un homme quand il le voit le premier; le hérisson embroche les grains de raisin sur sespiquants... Renart le goupil le loup Isengrin ou l'âne Bernard ne sont donc pas, pour les contemporains, des créations aussi extravagantes etfantaisiffes, et a priori aussi incongrues, que pour nous les personnages animaux de bandes dessinées ou de dessins animés, mais des entitésfamiiie'res, des êtres vivants que l'on rencontre dans la vie quotidienne, riches de tous les symbo lismes qui se sont accumulés 1• Le langage de tous lesjours conserve les traces de cette imprégnation : des expressions comme I'« ours mal léché » ou la , le concept qui qualifie sonprincipal talent. 1 . Voir J . Batany, « Renart et les archétvpes historiques de la duplicité vers l'an mille », f\Tiederde11/sche St11die11, >C..t'C.X , p. 1 -20.
Introduttion
XXIX
Renart legoupil.  tout seigneur tout honneur : c'efl Renart le goupil qui donne son titre au recueil. Il se diflingue de tous les autres atfeurs par la richesse et la com plexité de son personnage.  l'aspet! extérieur du renard, à ses mœ11rspar faitement observées et souvent évoquées, il ajoute des caratférifliques d'ordre prychologique et moral parmi lesquelles la ruse tient une place de choix. L 'assimilation dt1 goupil à l'afluce et à lafourberie n 'efl certes pas une invention du Roman de Renart, mais c'efl dans cette œuvre que la notion efl exploitéejusque dans ses implications les plus subtiles et pro fondes. C 'eflparce que la , de même que la louve 3 ; le rêve de Chantecler a pour image obsé dante la «pelisse rousse 4 » dans laquelle il se voit enftrmé, et qui repré sente évidemment son prédateur; l'ancêtre de Renart, au temps de la créa tion des animauxparAdam et È ve, a/fiche cetteparticularité comme signe diflinttif5. Le réalisme zoologique n 'eflpas seul en cause, car si la rousseur efl bien un signe diflintfif du renard, elle a aussi une connotation morale : le « mauvaisjaune 11 efl associé à lafausseté et à la trahison, à Judas ; l'ex pression canonique, «fil rous 6 1>, définit ce lien indissoluble entre l'appa rence physique et la nature profonde du personnage, qui ne rele've plus de l'animalité : la couleur dupoil efl l'indice d'une natureperverse 7• La rot1s seur de Renart bénéficie dans le recueil d'un flatutprivilégié : lafourrure grise de Tibert ou d1sengrin, àpeine mentionnée, ne sugge'repas de rappro chements avec des qualités ou des défautsparticuliers. 1 . Respeél:ivement branche la, v. 3 5 , 1 O ) , 906 et 1 3 3 2 ; branche l i , ''- 44 et 467 ; branche Va, v. z 1 8 et z 3 3 . 2 . Branche Vila, v. 667. 3. Branche IX, v. l 89. + Branche VIla, v. l ) 8, 1 9 2, 2 2 ) . 5 . Branche X,XV, « Les Enfances de Renart ». 6. Le roux félon de la branche I l l , v. 477 . 7 . Branche lX, v . 200- 20 1 .
XXX
Introdudion
L 'ad;edif subtantivé , fapoule se lance d'ailleurs dans un monologue de déploration qui recourt à tous lesprocédés de fa rhétorique du planél:us. Plaidqyers, délibérations, disputes, invetfives, négociations, flatteries, promesses ou sermons : toutes lesfimnes de fa parole humaine sont repré sentées, avec une prédifeéfion évidentepour les langages techniques ouparti cufie'rement rypiques d'une atfivité : la discordance entre le locuteur animal 1·
2.
V. 49.
Branche la, v. 1 306. 3. Branche VIIa, v. 1 7 3 .
Introduéfion
XXXV
et le discours qu 'il tientpermet lesjeux deparodie. Les séquences les plus explicites à cet égard concernent l'appropriation desformules et rites reli gie11x : les prie'res, confessions et offices, l'évocation par Renart du paradis des lo11ps et de lapesée des âmes, les sermonspeu édifiants débitéspar l'âne Bernard a11x obse'ques dugoupil dans la branche XVIII, oupar le milan Hubert qui s 'apprête à le confesser dans la branche III. L 'intérêt du débat organisé entre les conseillers de Noble sur la recevabilité desplaintes d'Isen grin vient d'unepaifaite connaissance dujargonjuridique 1, largement sol licité (Ia, II, Ve, XVIII. . .) . Il arrive même que les conteurs poussent la transpositionjusqu 'à imiter les différences entre les lang11es humainespour en tirer des moments de comique : lejargon de Renart déguisé enjongleur dans la branche Je ou le sabir du chamea11 Musart, légat papal dans la branche Ve. La place prépondérante qu 'occupe la parole s 'explique, entre autres, par l'omniprésence de la ruse, dont l'armefavorite eff le langage, laper suasion et la séduéfion. Dans ce domaine aussi, le goupil eff le maître inconteffé, véritable virtuose du discours dont ilposseae toutes lesficelles. Renart incarne les aspeéls les plus fascinants et les plus inquiétants de cette puissance irrésiffible du langage. Son pouvoir eff généralement bien plus efficace que laforce brutale d'Isengrin ou de Brun. Flatteur, menteur, inlassable auteur de serments bafoués aussitôt q11e prononcés, Renartfait entrevoir, sous le brio et la maeffria de sa rhétorique, l'abîme d'uneparole détachée de toute référence à la Vérité, indifférente aux repe'res habituels du bien et du mal, et transformée en outilpar excellence de la manipula tion. De la myilification si habilement imaginée au fond du puitsjus qu 'aux contratspassés avec Liétard, enpassantpar les compliments so11r nois dispensés à Chantecler, lesfaussespromesses de réconciliation offertes à Mésange ou la duplicité affichée avec Tibert, laparole biaisée, véritable fausse monnaie du langage, eff laforme accomplie de la ; redevenu prédatmr de volailles, il l'emporte dans sa gueule, poursuivi par les chiens. L 'anthro pomorphisme fonélionne selon deux niveaux qui interfèrent conffam ment ; d'une part, une équivalence globale, qui sert de métaphore-matrice au Roman de Renart, et qui affirme le double sens : dans ces animaux ilfaut voir la prqjeélion des comportements humains ; d'autre part, une jlutfuation et un J!,lissement syffématique dans le détail, entre les attributs
Introdutfion
XXXV I I
de l'un ou l'autre univers de référence. Il eff vain, de's lors, de traquer à chaquefois la part respet!ive d'humanité et d'animalité, car l'esprit même du texte et son originalité radicale tiennent à la coexiffence des traits, à la double appartenance simultanée. C'eff ainsi qu 'en une cinquantaine de vers l'épisode de la capture de Couardpar Renart, à la fin de la branche la, montre successivement le lie'vre dressé en pied, saisi aufrein de sa mon ture par Renart, pendu au cheval du goupil comme un butin de chasse, p11is détalant l11i-même à cheval. Le téléscopage eff permanent. Dans la sce'ne d11 viol d'Hersent (branche IX), on trouve côte à côte des termes q11i relévent des relations et des inffitutions h11maines - l'expression « a lui gesir », les , « lobe J>, « bole J>, « voisdie J>. . . Des verbes se créent àpartir des subf!antifs, comme « guiler J>, « engingnier ;>, 1 . Branches Va, v. 20, et XVII, v. 6. 2 . Branche Vlla, v. 24-2 5 . 3 . Rappelons que le terme générique de « ruse » que nous utilisons ici n'exiSl:e pas au temps du Roman de Re11011 : il apparait sous la forme « reüse » au x1v' siècle, pour désigner de façon très spécialisée les tours et détours du cerf qui brouille ses voies (branche Xll, v. 6, 964 et 2 j 3 ) .
XLVI
Introdutfion
« bareter J>, mais le plusfréquent efl sans doute « decevoir J> ; parmi les acfjetfijs, « vezjé J>, « guilieres J>. Nombreux aussi sont les mots pour le pie'ge (« laz ))1 « croignole J>, « roiz JJ, , rr loviere ))1 I cuidiés vous tant gaignier De Renart ensi manecier ? 276 Foi que je doi a saint Bernart, Je connais tant les fais Renart", C'ainçois vous puet il faire anui, Honte et vergoigne, que vous lui. 2110 D 'autre part la pais eSt juree Et en ma terre eSt afiee. Cui le fraindra, s'il eSt tenus, Molt sera malement venus. » '" Qg_ant Y sengrins oï le roi Q!!i de la pais prenoit contoi, Tous fu honteus, ne set que faire, Ne il n'en set a quel chief traire h. 21111 Or eStoit bien Renart cheü, Se Diex li euïSt pourveü, �en tel point l'avait pris li rois, La pais fuSt malgrés as' ygrois, "' Qg_e la gerre presiSt d ja fin Entre Renart et Y sengrin,
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Se ne fuSt Kanteclers et Pinte' QW. a la cort venait soi quinte Devant le roi de Renart plaindre. Or eSt li feus griés a eStaindre, Car sire Cantecler li cos Et Pinte qui pont les oes gros, Et Noire et Blanche et Roussete Atraïnent une carete Envoltee d'une gourdine ; Dedens se giSt une geline Qg_'elles amainent em biere Faite ensi con une litiere. Renars l'avait si malmenee Et as dens si defiguree Qg_'il li avait la cuisse frai te Et le deStre ele del cors traite. Qg_ant ot lif rois mangiet assés, Q!!i de plaidier eStoit lassés, E vous les gelines atant, Et Kantecler paumes batant. Pinte s'escrie premerainne,
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Le Jugement de Renart
II
autres , en s 'époumonant : « Par Dieu, disent-elles , nobles per sonnes, chiens, loups et toutes les races de bêtes, réconfortez cette malheureuse ! Maudite soit l'heure de ma nais sance ! Mon père me donna cinq frères : Renart le brigand les a tous mangés . Ce fut une grande perte et u n grand deuil. Du côté de ma mère, j 'avais cinq sœurs, de j eunes poulettes, des j eunes filles ; c'eût été de bien belles poules . Girard du Fresne les nourrissait ; il les éle vait pour en avoir des œufs . Le pauvre homme les engraissa pour son malheur, car Renart ne lui en laissa pas une seule sur les cinq : toutes passèrent dans sa gueule, et vous qui êtes là dans ce cercueil, ma douce sœur, mon amie chère, comme vous étiez tendre et dodue ! -i Tout a pris sor soi Y sengrins, Et par tas a baillié son gaje Et se sont livré li oStaige,
Le Dueljudiciaire
I13
c'eSt au nom de tous qu'il a donné son gage et que les otages se sont livrés, p our tirer de lui auj ourd'hui des aveux, s 'il vient ici. Seigneurs , si l'on pouvait trouver des apaisements, extirper le mal et tout calmer, ce serait la voie du bon sens, me semble-t-il. Ai-j e bien parlé ? Qg'.en pensez-vous ? » Baucent répond : « Vous avez raison. N ous nous y accordons pleinement. » Tous quatre sont retournés voir le roi et lui ont dit en secret : « Seigneur, vos barons vous conseilleraient de faire s'accorder ces deux barons . Si ton honneur et ton droit s ont saufs, nous apprécions la valeur de la paix. » Ces paroles plaisent beaucoup au roi : ce n'eSt pas lui qui s 'y opposera : « Seigneurs, dit-il, pro posez-le. Appelez d'abord I sengrin, puisqu'il eSt le plaignant. La décision ne me revient pas, et j'aime mieux la paix que la guerre, si vous pouvez !' obtenir d'eux. » Brichemer eSt reparti aussitôt, au grand galop, pour dire dans le creux de l'oreille d'lsengrin que « le roi s 'étonne fort de ne pouvoir apaiser votre querelle ni par des dons ni par des pro messes. Faites-le, acceptez une compensation de Renart pour cette forfaiture dont vous l'avez accusé, le viol d'Hersent ». Isengrin répond : « N'y songez pas ! La bataille aura lieu tout de suite, et je n'accepterai aucun accord : je ne veux pas qu'il recommence ! Je verrai bien qui eSt dans son droit ! » Brichemer lui répond qu'il souhaiterait que l'affaire évolue de telle manière
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�e il hui connoiStre li face, Se il vient enmi ceSte place. Signor, qui peüst abassier, Le mal oSt:er et tot paisier, Ce fust bons sens, ce m'eSt avis. Ai ge bien dit ? Qg_e vous eSt vis ? » Bauchans respont : « Bien avés dit. Nous l'otrions sans contredit. » Tout quatre en sont venu au roi, Si li conterent en recoi : « Sire, voStre baron loaissenr �e cil doi baron s'acordaissent. Sauve t'onor et ta querele : Molt conissons la pais a bele. » Molt plaist au roi çou qu'il ont dit, Ja par lui n'en seront desdit : « Signor, fait il, or en parlés ! Y sengrin premiers apelés, �e toute la cause a lui tient. De riens a moi n'en apartient'1,
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Son escu prent et puis s'en torner. En pluisors sans son baSton corne, Si a encliné a la gent, Malt se demainne bel et gent. Di St a Renart que il se gart, Ne voet metre le jar a gaSt. Qi,�nt Renars l'ot, dou cuer sospire, Tous cois s'eStut, ne volt mot dire. Renars sot letres den s'enfance, Si ot aï de nigremance. Tant ot puis entendu aillors C'oubliés ot les mas millors. Son baSton prent et si l'afaite, Et molt durement se demente'. En pluisors sens l'a essaié, Ne fait samblant d'onme esmaié. En ses dois la coroie lace, Si se radrece enmi la place : Lors fu Renars ausi seür Conme caStiaus 9ui eSt sor mur.
Le Dueljudiciaire
1 17
bouclier au-dessus de la tête, tandis qu'I s engrin s 'approche de lui et lui ass ène un tel coup' qu'il en eSt très commotionné. I s engrin, plein de fureur, se lance très vite contre Renart : « Renart, dit-il, tu es en mauvaise poSture, puissé-j e mourir et être honni si je n'obtiens j ustice de la vilenie que ru m'as faite dans ton arrogance quand tu as possédé ma femme et que ru as abusé d'elle. » Renart répond : « Seigneur, vous avez tort, accor dez-moi d'en être quitte. J 'obligerai des chevaliers de haute naissance à vous faire hommage, puis je partirai pour vous outre-mer, si vous acceptez de me déclarer quitte. - Renart, ru te fatigues pour rien : à mon avis cela ne te servira nullement, car lorsque ru seras passé entre mes mains, ru ne m'adresseras plus j amais de railleries. » Renart rétorque : « Pure imagination ! On verra bien au résultat de la bataille lequel de nous deux triomphera. » Et l sengrin : « J e n'aurai aucune e stime pour moi, si je ne parviens pas à me venger de vous. » Renart, à son tour : « J 'entends des forfanteries, vous passez votre temps à prqférer des menaces : passez donc maintenant à l'attaque ! » A ces mots Isengrin se précipite, et Renart ne cherche pas à fuir : il se protège le front avec son bouclier, avance un pied, pousse des grognements répétés. Isengrin ne cesse de le harceler, et Renart résiste pied à pied. Il lance son bâton' et donne des coups au milieu du crâne. Le j eu tournera mal pour l'un des deux,
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Li escremirs li eSt molt biaus, Qg_e tous en set les envïaus. Son escu sor sa teSte tient, Et Y Sèngrins pres de lui vient. Tele colee lui clona Qg_e a grant anui li torna. Ysengrins eSt de gram afr, Molt toSt va Renart envaïr : « Renars, fait il, mal es baillis, Tous soie je mors et honnis Se je n'ai droit de la viltance'1 Qg_e me feïs par sorcuidance Qg_ant tu a ma feme geüs Et a force l'a porgeüs11• » Renars respont : « Sire, mal dites, Otroiés que j'en soie qui tes. Ferai jou faire grant houmage A chevaliers de grant parage, Puis irai par \·ous outre mer, Se me volés cuite clamer.
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D'une grant maçue a deus mains,
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A terre l'abati tout plat :
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Es vous Renars honteus et mat. Si se redrece conme cil QW eSt issus de maint peril. Qg_ant il voit que cascuns l'assaut, Parmi iaus tous a fait un saut, Si que deus moinnes il rrespasse, Mais çou que vaut ? Li uns le passe Qgj bien le fiert, li autrez le tire. Or eSt Renars a tel martire" Dont ses hauberz et ses escuz Sera depeciés et rompus. A la parfin l'ont tant mené, Tant batu et tant traïné, �e molt ot blemie sa cape Et neporquant de ciaus escape Car mainte gent a il gabé ! Je vous dirai par verité
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De ceste brnnce sans aloinge" ; Si nel renés pas a mençoingne ! Qoi,1nt Renars se fu delivrés Et des moines fu escapés, Saciés que il li fu molt bel. Fuiant s'en va toc un vakel ; A prés si passa par un bos : Molt li sue la piaus clou dos ! Fuiant s'en va grant aleüre, Q.g_e de noient ne s'aseüre'. Il ne diSt mie : « culs, sui moi ! Mais : « se tu pues, pense de toi ! A grant painne atendroit autrui" Cius qui son cul laisse aprés lui' ! Ains ne fina de carre a toise, Si vint a le riviere d'Oise ; Et quant il vint a la riviere, Garda avant, garda arriere, Si a coisi enmi un pré Une mule de fuoin aüné »
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La
Confession de Renart
il s'en éloigne seulement un peu parce qu'il voulait se soulager avant d'aller se coucher. Ensuite il recourba sa queue en arc et lâcha sept pets en rafale, les accompagnant de ces mots : « Qg_e le premier soit pour mon père, le second pour ma mère, le troi sième pour mes bienfaiteurs et pour tous mes ancêtres sans en oublier aucun, le quatrième p our les p oules dont j 'ai mangé le dos, et le cinquième p our le paysan qui a amené ici son foin ! Qg_e le sixième soit pour dame Hersent, ma douce amie, en gage d'amour ; le septième pour Isengrin, auquel j e souhaite que Dieu donne demain à son lever une mauvaise matinée et une mauvaise querelle ! Si seulement une mort cruelle pou vait en avoir rai son ! J amais Dieu n'a fait de créature que j e haïs se à c e point, au-delà de toute mesure ; qu'il ne vive pas a s s e z pour voir la S aint-J ean ! I l m'en a fait voir des vertes et des pas mûres : si seulement il pouvait fi nir pendu à une vilaine corde, sans que personne ne pui s s e l'en préserver ! » Après c e s imprécati o n s , il eSt allé se coucher, car il avait fort envie de dormir ; il s e recommande aux douze apô tre s , p u i s récite trois p atenôtres : « Qg_e D i e u protège tous l e s voleurs, t o u s les traîtres et t o u s les faux frère s , t o u s les faux frères et tous l e s traîtres, ainsi que tous l e s pécheurs invétéré s , qui préfèrent les bons morceaux aux tuniques e t a u x manteaux d'app arat ; qu'il pro tège t o u s c e u x q u i vivent de ruse e t qui prennent tout ce qu'ils p e uvent obtenir !
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La Confession de Renart
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paysan puis s e un j our manger de l'oie ! Le paysan doit vivre de chardons, et c'eSt moi et les autres grands s eigneurs que l'on doit laisser savourer les mets délicieux, car nous les mangeons bien volontiers ! » L'eau avait bien monté pendant cette nuit et Renart fut fl oué des plaisirs qu'il attendait. Qg_and Renart voit la rivière s ortir de son lit et la meule de foin s 'y enfoncer, il com mence à s e lamenter et à se demander comment il pourra sortir de là, car il s ait bien qu'en reStant sur la meule de foin, il mourra de faim. Voilà qu'arrive, à tire-d'aile, un milan, qui a l'intention de s e reposer en ce lieu, car il était vraiment épuisé ; Renart l'aperçoit aus sitôt, en eSt fort ravi et s 'adresse à lui en ces termes : « Seigneur, bienvenue à vous ! Prenez donc place à côté de moi, à côté de cette misérable créature qui se trouve ici en grand danger de mourir ! Seigneur, soyez le bienvenu ! Dieu m'a fait une immense faveur en vous envoyant ici. J e vais pou voir me confesser, je crois bien. » Le milan, en le voyant pleu rer, eSt allé s 'inStaller à côté de lui, et se met à lui débiter un ser mon, afin de le réconforter. Le seigneur Hubert lui dit : « Renart, par le temple où Dieu fut présenté, les moines et les prêtres sont tous des fous. Q!iil ne plaise à Dieu que je vole jamais depuis le sommet de cette meule jusqu'à la terre ferme : per sonne, s'il n'eSt pécheur, ne vaut tripette, et il en va de même pour celui qui ne fait pas assez le mal ! Les parjures, les faux frères,
Vilains doit vivre de cardons, Mais moi et ces autres barons LaiSt on mengier les bons mengiers Car nous les menjons volenciers ! L'ewe crut molt icele nuit, Dont perdi Renars son desduit. Qg_ant'' Renars vit l'ewe desvoier "'' Et le mulon de fain plonjier, Dont se comence a demenrer Conment d'iluec porra torner, Car s'il remaint desus le fain, Bien set qu'il i marra de fain. Evous un escoufle a voler Qgj la se voloit reposer Por çou que las ert durement ; 3 1 '' Et Renars le voit maintenant, Si en fu molt durement liés, Et envers lui s'eSt adreciés" : « Sire, fait il, bien vegniés vous ! Seés vous ci de joSte nous
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Lés ceSte lasse creature Qill ci eSt en grant aventure Et en grant peril de morir ! .>2-' Sire, bien puissiés vous venir ! Vous soiés or li bien venusr ! Molt m'a fait Dieus beles vertus Qg_ant il ci vous a envoié. 32" Or serai confés, çou cuit giéd. 0g,, nt l'escoufles le vit plorer, Lés lui s'eSt alés demorer, Si le conmence a sermoner .132 Et durement a conforter. « Renars, ce a dit dans Hu bers, Par le temple ou Dieu fu offers, Moine et provoire sont tuit fol. '"' Ja Dieu ne place que j 'en vol Desus ceSt fain a terre seche : Nuls ne vaut noient qui ne peche, Ne cius qui ne fait pas assés mal' ! "" Li parjure, li desloiauJ, »
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Branche III
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les hérétiques et les hypocrites, eux, sont à l'abri des châtiments infernaux ! » Là-dessus, il achève son s ermon : « Renart, mon cher frère, dis-moi tout, il faut que tu avoues tes péchés et je suis prêt à entendre ta confes sion. - Seigneur, répond Renart, volontiers ! Pendant vingt années entières, j 'ai été parjure et excommunié, mais ce n'eSt point là un grand péché ! Certes, ce n'eSt pas une excommunication qui vaudra à l'âme la damna tion. Seigneur, j 'ai été sodomite, et je suis encore aél:uellement un hérétique endurci ; j 'ai été popelicain1 et je suis un chrétien renégat. Cher seigneur, noble homme de bien, très volontiers j 'aurais revêtu la haire et je serais devenu moine blanc, mais j 'ai une douleur dans les fl ancs qui chaque j our revient régulière ment et me prend au moins vingt ou trente fois ; quant aux moines noirs , je le sais bien, cela ne fait pas un pli, ils ne s 'inté ressent pas à un homme s 'il n'eSt pas en parfaite santé, ou s 'il n'eSt pas clerc ou chapelain. Seigneur, je souffre d'un important handicap, qui m'empêche de devenir moine ! Je ne sais pas par ler en latin, et par ailleurs, j 'aime bien manger le matin : je ne pourrais pas j eûner, ni répandre ou entasser du fumier, ni me consacrer à ces travaux qu'ils accomplissent, même si on m'offrait tout l'or du monde. De plus, j 'ai la croupe trop légère, un air frivole et la mine insouciante, qui me vaudraient bien souvent de recevoir des coups : voilà pourquoi je n'ose entrer dans les ordres ! Par le cœur de Dieu, là où on donne des coup s ,
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Li herite, Li ypocrite1', Cil sont des painnes d'enfer cuite ! » A tant a son sermon feni : Renars, biau frere, car me di, Tes pechiés dois tu regehir Et je suis tous pres de l'oïr. - Sire, diSt Renars, volentiers ! fai eSté quinze ans tous entiers Parjures et escomnïés, Mais ce n'eSt mie grans pechiés ! Ja voir d'escurninatïon N 'aura m'anme dampnatïon. Sire, j'ai eSté soudomites Et encor11 sui jou fins erites ; Jou ai eSté popelicans Er sui renoiés chreStïens. Sire gentius hons debonairesr, Volentiers veStisse la haire Et devenisse moines blans, «
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J\r[ais j'ai un mal parmi les Rans Qgj cascun jor par droite rente Nie prentau mains vint fois ou trente ; Er si sai bien que moine noir '"' Tout sans faille, je! sai de voir', N 'ont cure