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French Pages [452] Year 1981
Le roman de Renart tome 2
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UNION GÉNÉRALE D’ÉDITIONS 8, rue Garancière — PARIS-VI
Dans la même série
4 Abélard | et Héloïse, Correspondance. _ Anthologie
des troubadours
(texte établi par P. Bec)
(éd. bilingue). Robert de Boron, Le Roman du Graal (texte établi et _ présenté par Bernard Cerquiglini).
Contes pour rire? fabliaux des XII: et XIV: siècles. _ Pierre Michault, Œuvres poétiques (texte établi par BB. Folkart).
_ Nelli, l’Érotique des troubadours. _ Poèmes de la mort (texte établi par J. Paquette) (éd. bilingue).
René d'Anjou, le Livre du cuer d'amours espris (texte établi par S. Wharton). Anthologie des grands rhétoriqueurs (texte établi par P. Zumthor). Vierge et Merveille, Les miracles de Notre-Dame narratifs au Moyen Age (texte établi
par Pierre Kunstman).
- Le Roman de Renart, tomeI (traduit par Micheline de
Combarieu du Grès et Jean Subrenat).
LE ROMAN DE RENART Tome
II
* édition bilingue Traduction de Micheline DE COMBARIEU DU GRÈS
et Jean SUBRENAT
Série « Bibliothèque médiévale » dirigée par Paul Zumthor.
‘© Union Générale d’Éditions, 1981 -_
ISBN 2.264.00378-2
XII
_
S
Oez une novele estoire Qui bien devroit estre en memoire. Lontans a -este adiree: Mes or l’a un mestres trovee Qui l’a translatee en romanz. Oez comment ge la comanz. Ce fu en mai au tens novel
Que Renart tint son fil Rovel Sor ses genolz a un matin. 1 Li enfes ploure de grant fin Por ce qu’il n’aveit que mangier. Renart le prist a apaier: Si li a dit: —
«filz cuer de roi,
Ge vois el bois de Veneroi Porchacer a ton cors viande ». Atant s’en ist parmi la lande Et s’en entre en la voie errant Et molt sovent vet coloiant Savoir s’il poïst acrocher 20 Qui a son filz oùst mester, Coc ou jeline ou oison.
Mester en aureit en mason Que il n’i a point de cuisine,
Et sa feme gist de gisine, S’est molt ses osteus desgarniz. Atant li sont devant sailliz Cinc que jelines, que chaponz. Et Renart se mist es trotons Tot droit vers els grant aleüre
je
Co ANA
Et DO
RENART ET TIBERT CHANTENT L'OFFICE
(XI) PC"
Voici une autre histoire qui mérite assurément qu’on en garde le souvenir : elle était perdue depuis longtemps, mais un érudit en a retrouvé la trace et l’a traduite en français. Je vais vous la raconter. C'était au printemps, un matin de mai; Renart tenait sur ses genoux son fils Rovel que la faim faisait pleurer à gros sanglots. Alors, son père, pour le calmer : « Mon cher trésor,
je vais
chasser
dans
la forêt
de
Veneroy pour te chercher à manger. » Sitôt dit, sitôt fait, le voilà
en
quête
dans
la
campagne, reniflant une piste pour attraper de quoi apaiser la faim de son fils, coq, poule ou oison.
C’est toute sa maisonnée qui en a besoin car le garde-manger est vide et sa femme est en train d’accoucher. Voici qu’il tombe sur cinq - volailles, — poules et chapons. Renart leur fonce droit dessus, mais, avant de les attein-
. dre, il voit s'approcher à cheval l’abbé Huon et sa suite. Renart maudit ces gens qui viennent lui couper l’herbe sous le pied; et, 9
3 Tant qu’il vit venir l’ambleüre Huon l’abé et sa mesniee.
Renart maudit sa chevauchiee Qui sor lui a hui fet teil taille.
F Û
Fuiant s’en torne, si baaille,
Qu'il n’i ose plus demorer Por les levrers qu’il veit mener. Vers la forest s’en va corant
:
Et Huon l’abé devorant. — « Ahi», fait il, « Huon l’abé, # Mal jur vos seit hui ajorné! Molt m’as hui fait grant desturber, Qu’entre ma boce et ma cuillier As hui proie sor mei sesie.
Maudite seit la toue vie! Que trop me par as hui grevé. G’en oüsse ja un levé, , Se ne fusses sitost venu. Et quant ne m’as aperceiü, Ge m'en irai que bien que mal. 50 Meuz m'en vient partir paringal Trestot sanz perte et sanz mehaing,
Que recovrer mortel gaaing». Atant s’en veit toz eslessez, : Molt est dolanz et corochez De ce qu’il n’a rienz conquesté Qu’a son ostel eüst porté Por sa mesnie desjunier. Tote jur ne fina d’errer Jusqu’a tant que vint vers midi 6 Que il garda, si a coisi Tibert le chat qui se giseit Sor une roche et rostisseit
Sa pance au chaut del soleil. Ce dist Renart :— « molt me merveil,
10
Liste sale w* D
plein de regret, il fait demi-tour en bâillant de faim, par peur des lévriers que les hommes … mènent avec eux. Il regagne rapidement la
forêt tout en maudissant l’abbé : « J’espère * que ça ne te portera pas bonheur de t’être … trouvé sur mon chemin pour meretirerlepain
de la bouche. Maudit sois-tu pour le tortque tu me causes! Si tu avais attendu un moment, j'aurais eu le temps de lever une volaille; mais, puisque tu ne m’as pas vu, je peux au moins me mettre à l’abri. Je préfère me retrouver Grosjean comme devant plutôt que mort. » Sur ce, il se met en route, à la fois
affligé et irrité de n’avoir rien à rapporter chez lui pour nourrir les siens. Il poursuit sa ® quête jusqu’à midi sans s'arrêter. C’est alors qu’il aperçoit Tibert le chat allongé sur un rocher et se chauffant le ventre au soleil. — « Quelle bonne surprise », fait Renart, «c’est bien vous, Tibert, que cer vois là étendu? — Oui, c’est bien moi, cher ami. — Alors, je vais en profiter pour me reposer à côté de vous et vous parler un peu, çar je ne me suis pas arrêté de la journée. — Allez donc dormir autre part; je n’ai que faire de vos histoires et de vos mensonges. Laissez-moi tranquille; je ne veux pas être EF.
…
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Se c’est Tybert qui la s’acoste ». — «Oïl voir, ce sui ge, bauz hoste. » —
« Et por ce que si estes vos,
_ Ge me voil desresner o vos », Ce dist Renars, «et reposer: Que je ne finai hui d’aler ». — «Si alez dormir en un angle! N’ai que fere de vostre jangle Ne de vos falordes oïr: Fuiez, si me laissez dormir! Ge n’ai or de noise mester. Fuiés de ci, alés biller ». — « Avoi, sire Tybert li chaz, Por ce s’ore avés voz degraz
Et se vostre pance est or pleine, Ne durra mie la semeine Cist orgoulz que vos or avez. Por ce s’or estes saolez, Si me faites chere lovine. Ge conterai a Hermeline La foi et la reconnissance Dont vos estes et la provance. Et ge l’ai en meisson laissee: Tot de novel est achociee D’un molt bel filz et d’une fille. » — « Par fei, n’i donreie une bille »,
Ce dit Tybert, «en els n’en toi ». — « Avoi, sire Tybert, par foi, Ge n’en puis més, se me dement, Que desgarnis sui malement. Ge ne laissai hui a l’ostel Ne pain ne vin ne car ne sel,
Dont ele se poïst disner. Si m’avint hui a l’encontrer Huon l'abbé, un vis diable. »
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(ot
1
dérangé.
Au ‘large, Fa vous : faire voir
ailleurs.
—
Eh! Seigneur Tibert, ns
le Sr 18
sir d’avoir la panse pleine, mais votre suffisance ne va pas durer toute la semaine. Vous me faites grise mine parce que vous avez mangé tout votre content; je raconterai à Hermeline comment vous tenez votre parole
et prouvez votre reconnaissance. Je l’ai laissée à la maison; elle vient de mettre au monde
deux beaux enfants, une fille et un garçon. — Je me soucie d'eux et de toi comme d’une guigne. — Seigneur Tibert, je ne peux m’ empé- . cher de laisser éclater ma douleur:je suis aux abois. Il n'y a plus chez moi, ni pain, ni vin, ni viande, ni sel que ma femme puisse manger; or, jai trouvé toutà l’heure sur mon chemin l’abbé Huon, un diable incarné. — Doit-on se mêler de raconter des histoires quand on jeûne et fait pénitence, Renart? Certes non, mais plutôt ne penser qu’à se repentir, marcher paisiblement sans se moquer de ceux qu’on.rencontre en route. Un pèlerin doit avoir une attitude humble et non battre la ÉTAPE comme. sval était enragé. Le —— Cela suffit, Tibert. N’en avez-vous pas
13.
100
— «Renart, doit il donc dire fable, Qui jeüne et feit penitance? Nenil, mes estre en repentance. Si deit aler paissiblement Ne mie ganler a la gent Qu’il trovera par les cemins: Ainz se deit tenir toz enclins, Quant il vait en pelerinage, Ne deit mie demener rage. »
— « Avoi, Tybert, or est asez. 110
N'’estez vos mie encor lassez », Fet sei Renart, « de mei gaber? Ja nel vos doùssez penser. Por ce se je sui or frarinz, Asés set Deu quex pelerins
Nus somes », Renart li a dit. Et Tybert dist :—
120
—
14
«se Dex t’aït,
Renart, di moi ou est l’iglise Ou tu vas oïr le servise. Ja ne sés tu pas messe entendre. Ge t’ai veü carité prendre Deus fois sans aler au moster. Moit es religieus des er En petit d’ore devenu. Conment dont t’est ice venu? — « Par Deu, Tybert, vos avés tort. Tex est febles qui devient fort. Tybert », ce dit Renart, « merci! Au besoin voit on son ami. Mes feites le conme corteis, Venés o mei en cel defois EI plaissié Guillaume Bacon Saveir se ja troverion Aucune chose a os ma feme ». « Nofferai », dist Tybert, « par m’ame,
assez de vous moquer de moi? Mais vous avez . tort de le faire, car je suis bien misérable et le Dieu sait quels pèlerins nous sommes. — 120
Dis-moi donc, au nom de Dieu, où tu
vas suivre les offices, toi qui ne sais pasceque c’est que d’entendrela messe : deux fois, je t’ai vu recevoir l’aumône à la porte d’une église sans même y entrer. Tu es devenu bien pieux en peu de temps. Que t’est-il arrivé? —
Par Dieu, Tibert, vous avez tort: la
force-change souvent de camp. Ayez pitié de moi, c’est quand on est dans le besoin qu’on connaît ses amis. Allons! un bon mouvement! Venez donc avec moi rôder du côté de chez
Guillaume Jambon pour voir si nous n’y trouverons pas quelque chose pour ma femme. à —
Certainement pas », fait Tibert; « moi,
je n’ai aucune raison de me donner du mal. — Mais c’est comme passe-temps que je vous le propose, et pour que vous me teniez
compagnie. Ce sera un geste de politesse si vous participez avec moi à ce qui ne sera qu’une partie de plaisir. +40
—
Peut-être, mais si tu t’arranges pour
me faire battre et pour me rendre ridicule? 15
N’ai or mester de traveller ». — «Gel di por vos esbanoier Et por mei feire conpaingnie. Si ferés molt grant cortoisie Se vos venés o moi esbatre. » « Voire més se tu me fez batre Par ton engin et fere honte. » —
« Avei, Tybert, ice que monte?
Par la fei que je dei Rovel, Ne voudroie por le mantel Qui orendreit au col me pent, Qu’en vos i forfeïst neient,
15 Se
Ne que eüssiés se bien non Tant con serion conpaingnon. » Et puis dist en bas belement: « Tybert, Dex t’enveit marement, Que molt m’auras hui ramproné. Mes il t’ert bien gerredoné Se je puis et engin i vaut. » Et aprés a parlé plus haut: —
«Sire Tybert », Renart a dit,
« Ge vos aim molt, se Dex m'aït ». Ce dit Tybert : «bien vos en croi ». Atant sont essu del Moloi Vers le Vernoi tuit esleissé, 160
Si se ferent enz el plaissé Loing del castel desos la vile. Et Renart qui molt sout de gile, Aveit Tybert mis a raison: — «Tybert, par ta confession », Fet soi Renart, « di moi verté, S’or venoient ci aroté Tuit li chen Guillaume Bacon, Se Dex te face veir pardon,
Quar me di or que tu feroies,
16
— Oh! Tibert, quelle idée! Sur la tête de Rovel, je ne voudrais pas, par le manteau que
je porte, que l’on vous fît quelque mal ou qu’il vous arrivât rien que d’heureux pendant que nous sommes de compagnie. » Mais il ajouteà voix basse : « Va donc au diable après les railleries dont tu viens de m’abreuver; d’ail-
leurs, tu vas le payer cher, si cela ne dépend
que de moi.» Puis, à voix haute: « Soyez assuré de mon amitié, seigneur Tibert, jen prends Dieu à témoin. — Je vous fais confiance», réplique. “Fibert: 2,2 Ils sortent ensemble de Moloy et se dirigent d’un bon pas vers le bourg de Vernoy; ils se
19 glissent dans l’enclos de Guillaume qui se trouve loin du château, en bas du village.
Renart, alors : —
le maître
en fourberies,
insinue
« Tibert, sur le respect que tu dois au
sacrement de pénitence, dis-moi la vérité : si la meute de Guillaume Jambon nous tombait dessus au grand complet, que ferais-tu? —
m’abandonnerais-tu pour fuir? (que Dieu te pardonne!) — Je grimperais plutôt en haut de ce chêne: c’est le point culminant du lieu; je regarderais combien ils sont et si je trouvais 17
0
Fuiroies tu, si me lairoies? » — « Ainz m'en monteroie lasus »,
Fe
Ce dist Tybert, « n’i auroit plus. Si esgarderoie lor force, ETEA SPEARS Se je trovoie crues n’escorce Ou ge me poüsse mocier, Ses laireie outre chevacer:
Que trop par est ma pance plene, Au core me faudroit l’aleine. - Et vos, Renart, que fereés?
À Te PE Te 4
_8 Bien sai que vos fuïreez,
Si me laireez covenir ». Atant voient avant venir Guillaume Bacon o ses chenz. — « Ïci ne voi ge nul des miens, Sire Tybert », ce dist Renarz. « Or face chascun de ses arz
Et tot au mouz que il porra, Que Renart plus n’i demorra.
Pr CRU NT Lo ati Pal ie 0
Sire Teberd, or del monter,
Ne vos tiengne pas de gaber, Nestes or mie sor la roche Ou ore me dist vostre boce Les foles paroles cuisanz. La parlerez avoc ces genz, Il vos voudront ja detroer, Si conmenchez a sarmoner. Se vos lor i treez sarmon, Vos vos i tendrés,a bricon: Que ja ne montérés si haut Que a terre de l’eschafaut Ne vos metent de lor bastons, De lor arz et de lor bozons. Et se vos estes entrepris,
Ja par moi ne serés requis:
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18 ©
un renfoncement creusé dans l’écorce où me cacher, je les laisserais passer, car j'ai le ventre plein et je serais vite à bout de souffle si J'essayais de m’enfuir. Et vous Renart?Je sais bien que vous me laisseriez me tirer d'affaire tout seul. » " C’est alors qu’ils voient surgir devant eux Guillaume Jambon et ses chiens : « Seigneur Tibert », dit Renart, « ces gens ne sont pas de mon parti, chacun pour soi et de son mieux; Renart, quantà lui, ne va pas s’attarder davantage. Grimpez donc, Seigneur Tibert; ne vous en déplaise, vous n’êtes plus allongé sur ce rocher où je vous ai entendu proférer tant de ronflantes sottises. Allez donc discu-
ter avec ces gens. Ils vont venir pour vous déloger de là; commencez de prêcher, mais si 200
vous prolongez trop votre sermon,vous vous en repentirez Car VOUS ne pourrez pas grimper assez
haut,
même
en
vous
servant
d’un
échafaudage, pour échapper à leurs bâtons, à leurs arcs et à leurs flèches; et s’ils vous mettent en difficulté, ne comptez pas sur moi
pour venir vous aider; d’ailleurs, ils n’accepteront pas d’autre rançon que votre fourrure grise. » Renart s'éloigne par un chemin de traverse, tandis que Tibert, plantant ses griffes dans 19
. N'il n’en prendront ja reençon, S’il n’ont vostre gris peliçon. » Lors se mist Renart au travers. Et Tybert s’est au cenne aers, . 210
Si est montés sans demorance, Qui au core n’aveit fiance, Trop se senteit pesans et lenz. Sovent disoit entre ses denz Sa credo et sa paternostre: — «Ha Dex», fait se il, « pere nostre, Abandoné a totes genz,
.
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Garissiés mes piés et mes denz Et ma santé et ma proece, Que ge n’i muire par perece, Mon chef, mes euz et ma feture. Et si donés male aventure Renart qui ça m’a amené! » Atant ont Renart escrié Li braconnier qui l’ont veü Et li bracet sont esmeü, Si vienent sos le cesne dreit Ou dan Tybert li chas esteit. Hoc conmencent a glatir, Ne s’en volent por rien partir Devant que tuit li ponneor Sont venu et li coreor. Merveillent soi que li chen ont Tant qu’il gardent el caine amont, Si ont choisi Tybert le chat. S’or ne li a mester barat Ja i porra tost escoter, Quar il conmencent a giter Que pieres que bastons en haut: Et il lor guencist et tressaut,
Si li est bien de ce venu
20
le chêne, se hâte d’y grimper, car il ne se fiait pas à la vitesse de sa course, tant il se sentait pesant. À voix basse, il récite ses prières: « Dieu, notre père, Vous qui écoutez tous
220
ceux qui s'adressent à Vous, protégez mes pieds et mes dents, ma tête, mes yeux.et toute ma personne; gardez-moi santé et vaillance afin que ma faiblesse ne soit pas cause de ma mort; mais faites que l’aventure se termine mal pour Renart, pour le punir de m’avoir attiré ici. » ; Les chasseurs, qui ont vu Renart, excitent
si bien les chiens contre lui que leur course les amène tout droit au chêne où le seigneur Tibert était juché. Là, ils se mettent à glapir, refusant d’aller plus loin, si bien que tous les piqueurs et les rabatteurs se rassemblent autour d’eux. Surpris par l'attitude des chiens, ils finissent par regarder en l’air et par apercevoir Tibert : s’il ne s’avise d’une ruse, il
.
va devoir bientôt payer son écot, car on commence à lui jeter des bâtons et des 240 pierres, mais il évite les coups en sautant de côté. Encore heureux pour lui qu'aucun de ses assaillants n’ait d’arc; en lançant des bâtons,
on le force à grimper plus haut, mais cela lui est bien égal. « Que m’importent ces imbéciles, puisqu'ils ne peuvent m’atteindre? » pen2
+40 Que il n’i ont nul arc'oi. Mes 0 les bastonz en gitant Le font sovent saillir avant. Mes
il ne l’en est a neent,
Ainz les tient a mavaise gent: CS ET ES RE De ET Aar Ne prise rien tot lor ruer. Il ne s’en faiseit que gaber, Que ja par oulz n’oüst nul mal, Quant uns prestres vint a cheval &%À AS IP Qui ses livres ot fet troser 20 Por ce que il deveit chanter A Blaangni por le proveire Qui esteit alés a la feire. Ne saveit d’autres livres rien.
UE TE RE OT PPT NOR,
N'i coneüst ne mal ne bien. Ce qu’il en set, set par anui, Por ce les porteit avoc lui. Le prestre del Breil aveit non. Cele part vint a esperon Ou vit cels qui gitent au chat. 260 Tot prestement sor euls s’enbat. Cil li dient : «se Dex vos voie, Danz prestrez, ou en ert la voie? »
— « À Blaanni voloie aler, Mes o vos voudrai demorer Tant que cis chaz seit abatuz. » Lors est li prestres descenduz Tot meintenant, e met le frein Desor le col de son polein, Sel laisse tot sanz atachier. 70 Bastonz aquelt fort a trenchier.
Et Tebert li chaz se regarde. — « Ha prestres, male flambe t’arde! » Ce dist Tybert; « de ton venir Me poisse ge bien sofrir ».
22
se-t-il. Mais voici que survient un prêtre, à cheval : l’animal était chargé des livres de son maître qui devait chanter les offices à Blagny en remplacement du curé qui s'était rendu à la foire. Il était incapable de déchiffrer une syllabe dans les livres qui ne lui appartenaient pas; mais ce qu’il y avait dans les siens, il le savaità force d'habitude et c’est pourquoi il les emportait
avec
lui; c'était
le curé du
village du Breuil. 20 Éperonnant sa monture, il leur tombe si brutalement dessus qu’ils le questionnent:
—
« Au nom de Dieu, où allez-vous dE ce
pas, monsieur le curé? — Je me rendais à Blagny, mais je vais rester avec vous jusqu’à ce qu’on ait réussi à faire descendre ce chat. » Il met pied à terre,
rejetant les rênes sur l’encolure de sa bête et sans prendre soin de l’attacher. Puis il se met à tailler des bâtons avec ardeur, tandis que Tibert ne le perd pas des yeux : « Puisses-tu brûler en enfer, maudit
prêtre », s’exclame
l'animal, «je me serais bien passé de toi. » L'homme s’avance jusqu’au chêne et Tibert l’interpelle: — «Que me voulez-vous, monsieur le curé? Assurément, vous ne vous conduisez
#0 pas avec moi comme je serais en droit de 23
et
‘Atant vient li prestres au cene. Et danz Tybers li chaz l’arenne
_ — «Sire prestre, que me volez? 280
:
Sachez bien que pas ne venez Vers moi a reison ne a droit Si conme prestres fere doit
A doner moi confession.
#
Ja ne sui je mie laron Qu’en doie asallir ne tuer.
\
ne
Je me voloie confesser,
Se vos oùssés vostre estole. Mes vostre feme n’est pas fole,
ae De ÉN de "is à
Que en a lié son veel. Mes foi que doi seint Ysrael, Vos faites molt grant vileinie Qui venés par tele estotie Vers moi qu’en vout ici destruire: Il vos porroit encor bien nuire. Or doüssez avoir proié A çous qui m'ont ci asegié Que il se tressissent arere Tant qu’oùssiez a cest pechere
£:
IP CE RUN, COR TT PRTTAS
300
Priveement un poi parlé Et que m'’oüssiés confessé ». A cest mot li prestres pris a Un des bastons que il trencha, Si fert Tybert desor l’eschine Que sor une brance l’encline. — «Avoi, dan prestres », dit Tybert,
« Feru m’avés a decovert. Vos n’estes mie loiau prestre. :Pastor d’ames doüssez estre,
Mes vos estes le plus rapax Qui fet a tot son pooir maux. Se fussiez pastor ovium,
24
COR
l’attendre d’un ministredu culte qui viendrait m’entendre en confession. Et je ne suis pas un. malfaiteur pour qu’on doive chercherà s’emparer de moi par la violence et à me mettre à à mort. Je me serais volontiers confessé si vous aviez eu votre étole; mais votre femme, qui n’est
pas
une
sotte,
s’en est servie
pour
attacher son veau. Sauf le respect que je dois à saint Israël, vous faites une mauvaise action
quand vous vous précipitez sur moi avec un tel empressement pour les aider à me tuer, Car je serais bien capable de vous faire avoir
des ennuis. Vous auriez mieux fait de prier mes assiégeants de s’écarter, afin de pouvoir parler en privé à ce pécheur et de m’entendre en confession. » 9 En réponse à ces mots, le prêtre saisit un des bâtons qu’il avait coupés et il en frappe Tibert sur l’échine le faisant s’aplatir sur la branche où il se trouvait. — «Eh bien, monsieur le curé», dit Tibert, «votre bâton m'a frappé de plein fouet; vous ne méritez pas le nom de prêtre : vous devriez être un pasteur des âmes, et il
n’y a pas plus avide que vous. Si vous étiez le Bon Pasteur, vous ne me feriez que du bien, mais vous connaissez mal l’Écriture. Que
Dieu fasse le malheur de qui vous a ordonné! 2
is
310
Ne me feïssiés se bien non. Pou entendez de l’escriture. Que Dex li doinst malaventure, Qui a prestre vos ordena,
Qu'en sa vie tant ne fola. Danz prestres, fuiés vos de ci! Par vos sera Dex bien servi. Daheit ait qui poor en a!» Atant li prestres regita, 320
330
Et Tybert molt bien li guenchist Et puis aprés itant li dist: — « Por quoi me volés vos abatre? Ja vois je jus ma corpe batre. Il a en vos mal confessor ». Et li prestres rejete oncor Un des bastons qui est coiz. Et Tybert est aval venuz De brance en brance belement. Apensez s’est d’un hardement: S’il pooit sallir el cheval Au prestre qui tant li fet mal, Qui ses livres avoit trossez,
Lors auroit de ses bonz asez : Aler l’en fereit a ses piez. Tant par est Tybert abaissiez Que tuit quident qu’a terre veisse. Lor chens huient et font grant noise Qu'il quident qu’il voille descendre, Mes il voudra a el entendre. Tant se trait envers le polein, Qu'il ot bien veü que le frein Ot sor le col tot a delivre. Li prestres s’en tendra por ivre De ce qu’il n’i ert atachez. Et Tybert s’est tant aprochez
26
320
Il n’a pas fait pire sottise en sa vie. Retirezvous, monsieur le curé, c’est ce que vous … pourrez faire de mieux pour le service de Dieu! Malheur à qui aura peur de vous! » Le prêtre lance un autre projectile, mais que Tibert réussit à éviter. « Pourquoi voulezvous me faire descendre d'ici?» poursuit l'animal. « Je peux bien m’accuser de mes fautes en restant où je suis, c’est vous qui n'êtes pas prêtà entendre ma confession. » A nouveau, le prêtre lance contre Tibert un es bâtons tombés. Pendant ce temps, le chat … s’avance tranquillement de branche en branche. Il a en tête un projet hardi: s’il peut sauter sur le dos du cheval (celui qui portait | les livres) de ce méchant curé, il pourrait retourner la situation à son avantage et avoir l’homme à sa botte. Il descend si bas que tous pensent qu’il va sauter à terre. Les chiens, à
cette perspective, aboient de plus belle, mais c’est autre chose qu’il a dans l’idée, tandis
qu’il s’avance au-dessus du poulain; car il avait bien vu qu’on avait laissé l’animal sans entraves et la bride sur le cou, ce dont son maître ne va pas tarder à se repentir. Tibert se rapproche donc du cheval, tandis que le prêtre excite son chien, Malvoisin : « Vas-y,
Vas-y! » se disant : « le chat ne lui échappera
27.
350
Et tant trez envers le roncin, Et li provoire Mauvoisin Son chen apele :— «or ça, or ça! Ja a cestui n’eschapera », Fet soi li prestres, « gel vos di, Puis qu’a la pel l’aura saisi. Or l’abaton entre les chens,
360
Si verron que fera li miens ». Lors ont tuit de rechef hué. Et Tybert s’est tant avalé, Quant il ruerent lor bastons, Qu'il sailli entre les arçons Del polein qui fu esfreés. Les granz galoz s’en est tornés Tot le chemin de Blaaignié. Et li braconnier tot iré Por le chat qu’il orent perdu, Ont le provoire bien batu,
37 e
28
Puis apelent lor chens batant. Et li prestres s’en vait plorant Apres Tybert tot le chemin, Toz soul fors que de Mauvoisin Son chen qui aprés vait trotant. Et Tybert veit esporonant Et galope et retient son frein: Molt par siet bien sor le polein. Tybert le prestre regarda Qu’aprés lui vient, tot tressua. — « Avoi, dans prestres », dit Tybert, « Tex cuide gaaigner qui pert, Et autre enborse le gaain. Mal dol li sorde et mal mahain De son catel et de son cors A proveire, quant il vet fors Por le mester Damledeu fere
\
pas du moment qu’il l’aura saisi par la peau du cou.
Faisons
le tomber
au
milieu
des
autres chiens, nous verrons bien ce que fera le mien. »
On continue d’exciter la meute, cependant que Tibert est si bien descendu en direction du cheval que, lorsqu’on recommence
à lui
jeter des bâtons, il saute en plein milieu de la selle. D’effroi, l’animal part au galop sur le 360
chemin de Blagny; et les chasseurs, dans leur
indignation de voir le chat leur échapper, de se retourner contre le prêtre à grands coups de bâtons. Ils rappellent leurs chiens tandis qu’il part en pleurant à la poursuite de Tibert, suivi seulement de Malvoisin qui trotte à côté de lui. Le chat, pour sa part, bien campé sur le cheval, l’éperonne pour le faire galoper tout en le tenant en main à l’aide du mors. Il jette un coup d’œil en arrière au prêtre qui le suit en suant à grosses gouttes: —
380
« Eh bien, monsieur le curé, tel pense
avoir gagné qui perd, et c’est l’autre qui empoche la mise. Malheur aux biens et à la personne du prêtre qui voyage pour le service de Dieu et qui se mêle de vénerie. Maudit soit-il, s’il va à la chasse!-Tuer des animaux
n’est pas le travail d’un homme qui a reçu l’onction sacerdotale : c’est le service divin 29
L
Qui vout les bestes contrefere! ” Dahez ait prestre veneor!
380
: Il doit vivre d’autre labor, Puis qu’il est a prestre sacrez Et tant fet q’il est ordenez, Del mester Damledeu doit vivre. Et vos, danz prestre, esteez ivre
Qui laisseez vostre mester Por aler un chat dechacer. Mes c’ert por metre el peleçon 390 A vostre putein de meison. . Vos ne feïstes pas que sages, Or en est vostre li damages Et la perte et le mesechance. Et je sui en ferme creance, S’irai mes oan au moster,
Por vos fere or le mester. Molt vos en est bien avenu :
_ Tot vostre sen avés perdu, Vos livres avez adirés. Mot estes or maloürez,
4i o
30
Ne savés mes plus une letre. D’el vos convendra entremetre Que de cures d’ames tenir. Bien vos devoit mesavenir Qui derere aviez trossés Et a vostre dos adossez Les seinz livres Nostre Seignor Dont on le sert et nuit et jor. Mes por ice le fesiez : Qu'en autre rien ne saviez. Vos n’estes pas de mon savoir, Quar je cuit autretant savoir En trestot le peior qui soit, Conme en çous que j’ai orendroit ».
qui doit le faire vivre. Il fallait que vous soyez saoul, — monsieur le curé! — pour avoir ainsi négligé votre tâche et vous être mis à pourchasser un chat. Vous vouliez avoir ma peau pour en garnir le manteau de la fille qui habite avec vous. C’était fort imprudent, et
maintenant votre sottise se retourne contre
vous : vous avez tout perdu et moi, jesuistout décidé à me rendre à l’église à votre place. Vous voilà bien arrangé : vous avez perdu le *® fondement de votre autorité. Vous avez. mérité ce qui vous arrive : a-t-on idée de voyager adossé contre les livres sacrés qui servent aux offices de jour et de nuit, entassés
dans la trousse à bagages? Mais vous le faisiez parce que vous n’étiez pas capable d’en utiliser d’autres. J’en sais plus que vous car je pense pouvoir me débrouiller aussi bien avec le plus mauvais des livres qu'avec ceux qui sont maintenant en ma possession. — Hélas! Tibert », dit le prêtre, «cher et bon frère, et maître, rends-moi les livrés et je
te jure de me mettre à ton service. Et n’oublie pas de me rendre mon cheval par la même occasion.
‘2
__ Ne vous occupez pas de cela pour le moment, par saint Martin. Dites-moi plutôt
d’abord comment on dit « fable » en latin. 31
— « Haï, Tybert », ce dist li prestres, « Baux dous amis et bau dous mestres, Rent moi mes livres : je t’afi, Contendrai moi en ta merci. Si me rendés mon palefroi! » 420
—
«Or n’en soiez ja en esfroi »,
Ce dit Tybert, « par seint Martin, Anchois m’arés dit en latin Con l’en dit fable, se volés ».
— « Faba », dist li prestre, «or l’avés ». Ce dist Tybert : «ce ne puet estre. Faba c’est feve sanz areste,
Et fabula ice est fable. Alez, fou prestre, au deable Qui vos puisse le col briser, 430
Si apernés autre mester: Que la premere question M'avez sausé conme bricon. Mes dites mei ici endroit,
Se savés par ont cevre poit ». — « Par le cul quant il est overt. » — «Mes par la corne », dit Tebert. «Or me respondés de gramaire! Savés nient de celi faire Que li prestre font as clerçons Quant il lor pernent lor leçons? » — « Par fei, j’en soel savoir asés. » — « Bien vos en croi, mes trop venez Si prés de moi que il m’ennuie. Mes savez vos nule alleluie Ne douz chant por moi endormir? Vos me voureez or tenir Parmi les rennes de cest frein. Lessier m'’estovroit le polein Et trestote le trosseüre.
32
— On dit « faba ». — Non: « faba », c’est «la fève » et « fable » se dit « fabula ». Allez au diable vous faire rompre les os, curé stupide et apprenez un autre métier car vous avez répondu à cette première question comme un ignorant. Dites-moi maintenant par où une chèvre pète. — Par le cul, quand il est ouvert. — Non, c’est par la corne”. Voyons à présent une question d’école : savez-vous ce “# que les prêtres font aux enfants de chœur quand ils leur font apprendre leurs leçons? —
Sur ma foi, je le sais bien.
— Sur ce point, je vous crois. Mais vous êtes trop près de moi. Gardez vos distances. Ne connaissez-vous pas quelque cantique ou quelque berceuse pour m’endormir? Vous voudriez bien me coincer en récupérant les rênes de votre monture : je serais obligé de vous abandonner cheval et bagages. Mais que Dieu maudisse celui qui vous verra y réussir! » Et il éperonne le cheval jusqu’à ce qu’il ait perdu le prêtre de vue. Tandis que Tibert se réjouit de cette aventure, le curé poursuit son
chemin, tout affligé et demandant aux gens qu’il rencontre: 33
450 Mes Dex li doinst malaventure Qui le vos en verra mener! »
Lors aquelt a esporoner Tant que de lui pert la veüe. . Lors a Tybert grant joie hoüe,
Et le prestre tristre et dolans
Va aprés demandant as genz - Qu'il encontre parmi la voie: —
« Dites », fait il, «se Dex vos voie,
‘ Veïstes vos par ci mener Un cheval et esporoner Qui or se departi de nos? »
_— « Cist prestres qui ci vent si sous », … Font soi cil a qui il parole, « Bien puet estre que il afole Où il a espoir trop boù ». — « Seignor », dist il, «einz m’a tolu Mon cheval a trestot mes livres ». — « Oez», font il, «est il dont ivres?
Dan prestre, il est la feste as fox. 470
Si fera len demein des chox
Et grant departie a Baïeus : Alés i, si verrés les jeus ».
Li prestre ot q'il li vont gabant, Si s’en est retornés atant, Il e son chen droit en mason.
Et Tybert s’en vait le troton Et les galoz et l’anbleüre Tant qu’il garde par aventure Lez une haïe entre deus blez. Si veit Renart qui fu lassez, Tant par aveit le jor coru, Et de la fein qu’il ot où : Si n’aveit en li qu’aïrer.
Et Tybert prist a devaler
34
460
— « Dites-moi, au nom de Dieu, n’avezvous pas vu mener par ici, à coups d’éperons, un cheval qui vient de nous quitter?
— Qu'est-ce que c’est que ce prêtre qui s'en va tout seul?» font ceux à qui il s'adresse. « Peut-être qu’il a perdu la tête ou alors il a bu. | — Oh non, seigneurs », dit-il, « mais il m’a
pris mon cheval et mes livres. —
Écoutez-le, ilest ivre! Monsieur le curé,
demain, c’est la fête des fous à Bayeux : on y fera bombance de choux, vous devriez aller y
voir les spectacles ». En butte à leurs quolibets, +
le prêtre
reprend, avec son chien, le chemin de sa maison. Tibert, de son côté, s’éloigne, monté
480
sur le cheval qui prend le trot, puis se met au galop. Jetant par hasard un coup d’œil sur une haie qui sépare deux champs de blé, il aperçoit Renart qui, recru de fatigue pour avoir couru tout le jour, et le ventre toujours creux, était de fort méchante humeur. Il dévale la pente devant le goupil qui multiplie les signes de croix en le voyant, n’en croyant pas ses yeux. Le chat ne fait semblant de rien et poursuit son chemin, chevauchant
fière-
ment. Renart le passe en revue de la tête aux pieds : il était coiffé d’une couronne d’églan35
n SE407,
Le val et Renart l’aperceit. Trois feiz se seinne, quant le voit, Molt le regarde apertement, N'osse pas croire fermement Que ce fust Tybert qu’il veit la. Et Tybert qui bien veü l’a, Ne fet pas semblant qu’il le voie, Ainz chevace molt bel sa voie. Einsi s’en vait molt cointement,
Ses piez regarde molt sovent Et puis son cors de chef en chef. Un capel ot mis en son chef Qu’ert d’eglenter et de cherfueil. Et Renart regarde a un ueil, Bien veit tote sa contenance. Et dit Renart : « par la membrance, Par les plaiez, par la mort beu, : Ne sai ou sui ne en queil leu,
Ne sai que c’est que je voi la. Se c’est Tybert, qui l’adoba? Il me resemble chevalier: Vois por le cuer beu, mes cloistrer. De livres porte a grant plenté, Il est esleüz a abé. He Dex, et de queile abeïe? De Clervauz ne sereit ce mie? : Nemil, mes il i a abé. Moit sui honis, par le cuer bé,
Que je n’en osse a lui parler. Il me fereit tost afoler Et leidir a son palefroi. Il le meine par grant esfroi, Ce soit par sa malaventure! Si sera ce, g’i metrai cure,
S’a lui me puis acompainner.
…
tier et de cerfeuil. Bref, il l’examine du coin de l’œil de la tête aux pieds: %% _—— « Par le souvenir de la Passion et de la Mort de Dieu », dit Renart, « où suis-je? Et
est-ce Tibert que je vois là? Qui a pu l’équiper ainsi? On croirait voir un chevalier.
Mais,
bon Dieu! non: il s’est fait moine. Le voilà
tout chargé de livres; on a dû l’élire abbé. Et de quelle abbaye? De Clairvaux peut-être? Non, mais en tout cas, il est abbé. Je n’en reviens pas! Du diable si j’ose lui adresser la parole : il serait capable de me faire piétiner par son cheval. Avec quelle assurance il le
mène! Que ce soit pour son malheur! D’ailleurs, c’est bien ce qui va arriver — je vais -
m'en occuper — pour peu que je puisse lui ** tenir compagnie. Mais je me demande comment entrer en conversation: depuis ce matin, il a des raisons de m’en vouloir; aussi
j'hésite à me placer sur son chemin l’entreprendre. » Sur
ces
entrefaites,
Tibert
entonne
et à un
cantique, le plus beau qu’on puisse imaginer. Après quoi, il se met à déplorer que Renart l’ait laissé tomber ce matin-là : « Dieu! quel dommage que je n’arrive pas à mettre la main sur lui! Si je pouvais le rencontrer, je lui proposerais la paix et je ferais de lui mon
37
520
Mes nel sai conment areisnier.
Gel corroçai jeui matin, Por ce ne m'’os en son cemin
Metre n’a lui abandoner. »
Et Tybert conmence a chanter Une chançon tote de Rome,
-Onques si bele n’oï home. Et quant laissié ot a chanter, Si conmença a regreter Renart que hui mein l’ot laissé. 53 = — « Dex! » fet il, «tant sui corocié De Renart que ne puis trover. Se ge le poïsse encontrer, Molt le meïsse ore en grant pes, Mes escuiers fust oan mes ».
Lors se raquelt a estargir,
Son cheval fet avant saillir Et dist : «qu’est Renart devenus? Ce poise moi qu’il est perduz ». Et Renart qui bien l’ot oï Est meintenant en piés salli Et dist : «gie ne sui pas perduz, Sire, que bien soiés venuz
550
38
Et que beneoit jor aiez! » Et Tybert s’est lors afichiez Sor les estriers, si le regarde, Et de parler un pou se tarde. Et Renart est avant venuz Et li dist : «sire, bons saluz Et bon jor vos soit hui donez! » — « À qui es ce que vos parlez? » Fet soi Tybert, «a vos qu’ateint? » — «Sire, je di que Dex vos meint Et doint goie et bone aventure! » — « De vostre salu n’ai ge cure »,
écuyer. » Puis, ayant rectifié sa position en selle, il fait caracoler son cheval : « Qu’est-ce que Renart a pu devenir? Peut-être est- il mort, je le regretterais bien!» 540
Et celui-ci,
qui avait
tout
entendu,
de
sauter sur ses pieds: « Je ne suis pas mort, seigneur. Bienvenue et bonjour à vous. » Tibert, se dressant alors sur les étriers, le
regarde, mais semble hésiter à répondre. Le goupil s’avance et le salue de nouveau : « Bien le bonjourà vous, seigneur. — A qui parlez-vous? Qu'est-ce que vous dites 1à? — Je dis : que Dieu vous guide, seigneur,
et vous donne joie et bonheur!
560
,
— Je n’ai que faire de votre salut», rétorque Tibert. « J’ai tout ce que je veux, si ce n’est que je m'inquiète pour Renart que je n’arrive pas à trouver alors que je voulais l'emmener avec moi à Blagny,à l’église Saint- Martin, car j'ai grand pitié de lui. Je vais y chanter la messe et y desservir la paroisse une semaine en l’absence du curé qui est allé, jusqu’en Bretagne dit-on, à la foire de Dol “ acheter une robe à la fille avec qui il vit : fasse Dieu qu’il n’en revienne jamais! Je” dois donc chanter les offices demain et je n’ai pas d’acolyte pour les répons. 39
Fet soi Tybert; «ce que ge vueil Ai ge trestot, et si me doil De Renart que ne puis trover.
Ge le voloie o moi mener A seint Martin a Blaengnié: Que g’ai de li molt grant pité. Et ge vois la messe chanter: L’iglise m’estuet deporter Jusqu’a huit jors por le provoire Qui est alés a une foire A Dol, ce dient, en Bretaingne.
Ja Dex ne doint que il reviengne! Robe va querre a sa putein. Si m’estuet la chanter demein Et ge n’ai clerc qui me respoingne ». 570
— «Ge ferai bien ceste besoigne, Le mester sai de chef en chef. Bien vos aiderai, par mon chef », Fet soi Renart, «se vos volez.
Ge sui celui que vos querez, Renart vostre bon conpaingnon ». —
« Va ta voie », fet il, « bricon!
Tu es Renart? » — « Voire par foi ». — « Mentiroies en tu ta foi? » — «Oïl voir », ce a dit Renart. 580
—
« Va ta voie », fet il, « musart!
Renart ne s’osereit veoir Devant moi por nul estovoir, Quar il m’a hui molt ranproné Et molt corocié et gabé ». — «Ja n’i ot se paroles non. » — «Si ot, il fist grant mesprison Qui iloc me laissa par moi Ou iere alez en bone foi O li esbatre en conpainnie.
40
—
Je peux m'en charger, je les sais par
cœur. Je vous promets de vous aider si vous le voulez bien. Je suis celui que vous cherchez, Renart, votre bon compagnon. LS — Suis ton chemin, idiot que tu es. Toi? Renart? Fr — Mais oui. — Tu es bien capable de me raconter une
histoire. 580
— C’est pourtant la vérité », dit Renart. — «Passe ton chemin. Tu n’es qu’un plaisantin. Renart n’oserait pour rien au monde se montrer devant moi après s’être moqué de moi et m’avoir ridiculisé et mis en colère comme il l’a fait aujourd’hui. — Des mots que tout cela! — Non, mais une pure et simple trahison puisqu'il m’a abandonné alors que j'étais allé sans méfiance me distraire avec lui. Il a =
vraiment fort mal agi avec moi. Mais dis-moi,
et que Dieu aujourd’hui?
te garde!
L’as-tu
rencontré
— Non certes, jour de ma vie, sans mentir », répond Renart; « mais je vous ai vu vous,
Tibert. — 600
Bon
Dieu,
vous
avez
entendu
dire
comment ce malotru s’est moqué de moi. — Et à quel sujet? Cela se voit encore en 41
590
Il ne fist mie cortoisie. Mes or me di, se Dex te gart,
Se tu me veïs hui Renart». — « Nenil certes jor de ma vie, Ge ne vos en mentisse mie »,
Ce li a Renart respundu, «Mes, Tybert, vos ai ge veü », — « Avez oï, par le cuer bé. Con m'’a or cil vileins gabé! » — «Gabé? de quoi? oncor i pert, 600
Dont n’estes vos mie Tybert. » —
« Oùl voir. » —
« Et je Renart sui,
A cez enseinnes que je hui Vos trovai sor la roche en haut Ou vos vos tostissiez au chaut. » Tybert respont : « tu as voir dit. Mes or me di, se Dex t’aït, Se ge t’enmoin avocques moi, Seras me tu de bone foi? » — 610
« Certes oïl », ce dit Renart,
« Mes or me dites par quel art Vos avez tel harnois conquis. » — « Ja me cuidoient avoir pris Li garchon Guillaume Bacon,
620
42
Quant un prestres a esporon I vint sor son cheval amblant. Et il descendi meintenant Et cuilli ne sai quans bastons. Si m’asailli conme dragons. Et ge vi en prés le cheval Desoz l'arbre tot a estal. Conmençai moi a devaler, Et il me pristrent a huer Lor chiens qu’il me voloient prendre. Mes je n’oi cure de descendre,
effet.
Alors
c’est
que
vous
n'êtes
pas
Tibert? _— Mais si. Ë — Et moi je suis Renart, à telle enseigne que je vous ai trouvé aujourd’hui, allongé au
sommet d’un rocher où vous vous rôtissiez le ventre au soleil. 3 — Tu dis vrai», répond Tibert, « mais alors, et que Dieu t’aide, si je t’emmène avec
moi, seras-tu un compagnon loyal?
;
— Bien sûr», dit Renart. « Et dites-moi donc comment vous avez gagné cet équi-
page. | — Les valets de Guillaume Jambon pensaient déjà m’avoir capturé quand est arrivé. un prêtre, monté sur un cheval qu’il éperonnait.
Il descend
aussitôt
de sa
monture,
ramasse je ne sais combien de bâtons qu’on avait déjà utilisés contre moi, et se met à me
les lancer : un vrai dragon! Mais moi, je vois % que le cheval, sous l’arbre, est à ma portée; je commence donc à descendre. Comme ils voulaient s'emparer de moi, ils excitent leurs
chiens mais je ne suis pas assez fou pour sauter à terre et je saute juste au milieu de la selle; aussitôt, le cheval part en m’emportant,
rapide comme l'éclair. Tout en chevauchant, je regarde derrière moi et je vois le prêtre qui 43
630
Ainz sailli entre les arçons, Et il con uns esmerillons S’en va a tot moi meintenant. Quant ge m'’aloie regardant, Vi le prestre dolant et las Qui me sivoit plus que le pas; Toz lez os li orent quassés Por ce que lor ere escapés. Apres moi vint, si m’arainna Et son polein me demanda. Et ge si le questionai, De gramaire li demandai,
De soffime et de question : Ne me sot respondre un boton. Quant ge l’oi fait de tot conclus, Ge m’en parti, il n’i ot plus,
Et sil rovai aler aprendre Et a autre mester entendre. » — « Sire Tybert », ce dit Renart, « S’ore i estoient li set art En ces livres que vos avés, Bien nos auroit Dex asenez. Escoles porreen tenir Et riches homes devenir. »
— « Par foi », dit Tybert, «ge ne sai : Qu’onques es livres ne gardai ». — « Non? », dit Renart «or i gardons, Descendés et si destrossons ». . — « Non ferai quar il est trop tart.
650
Mes alez en », fet il, « Renart,
Bone aleüre a Blaainnié ». — « Conment! iroie ge a pié? » — « Bien, si vendrés encontre moi, Si recevrez mon palefroi
Et as genz irés demander,
44
me suivait, en pressant le pas, l’air triste et accablé à cause de la raclée qu’il avait reçue pour m'avoir laissé échapper. Il me rattrape et me réclame son cheval; je le soumets àun interrogatoire, lui posant des questions ardues de grammaire et de logique auxquelles
il ne sait pas répondre. Quand je lai convaincu de son ignorance, je m’en vais, le laissant sur place, après l’avoir invité à aller étudier et s’occuper d’autre chose. —
Seigneur Tibert », dit Renart, «si vos
livres contenaient tout ce qu’on enseigne aux enfants “!, ce serait une bénédiction de Dieu :
nous pourrions ouvrir une école et devenir riches. — Ma foi, je n’en sais rien, je ne les ai pas encore ouverts. — Non? eh bien! regardons-les. Descendez de cheval et défaisons le paquet. — Pas maintenant, il est trop tard. Dépéchez-vous plutôt de gagner Blagny. — Mais comment? Est-ce que je devrais aller à pied? — Oui, ce sera très bien. Une fois sur < place, vous viendrez à moi, vous vous occu‘0 berez du cheval et vous irez demander aux gens s’ils ont un mort à enterrer ou un enfant
45.
…
669
S’il i a cors a enterrer Ne nul enfant a batizier,
Que tost l’aportent au moster, Et ge i serai orendroit. » Renart dit qu’aler ne porroit, Que trop a les piez depeciez, Si est lassés et travelliez,
670
680
Ne manga hui, ne puet aler S’il nel laissoit un pou monter. — « Montez », fet Tybert, « vistement ». Atant vet Renart, si se prent, Si est montez derere lui; Il li dira par tens anui. Or sont li baron a cheval, Si chevacerent contreval. Si s’en fuient grant aleüre Parmi le val d’une cuture: Tybert devant, Renart derere, Qui se porpensse en qel manere Il metreit Tybert a raison. —
« Tybert, par ta confession,
Di que de cest cheval feras. Donras le tu, ou le vendras? »
— Ge le vendrai », Tybert a dit. —
690
46
« Et por conbien, se Dex t’aït,
Le donras tu? va, di le moi. » — Gel te dirai, et ge por coi? Voldroies le tu acater? — Oïl, se tu le vous doner A raison et a droit esgart : Por conbien aura ge ta part? » Fet soi Renart. — « Or di reison, A i dont nus part se ge non? » Ce dit Tybert, « gel gaaingnai. — « Et ge por quoi n’i partirai,
à baptiser pour qu’ils se hâtent de le porter à l’église, où je les attendrai. » ap Renart déclare qu’il en est incapable : il a trop mal aux pieds et il est trop fatigué; iln’a
pas mangé de la journée, il ne peut plus … marcher : Tibert doit le laisser monter un peu
sur le cheval. | — «Montez donc», fait Tibert, «mais vite ». Aussitôt Renart met le pied à l’étrier et monte derrière le chat; il ne va pas tarder à lui dire des choses qui ne lui feront pas plaisir. Voilà nos héros à cheval, Tibert devant, Renart derrière, descendant la vallée à vive allure, en longeant les champs. Renart se
demande comment il pourra avoir raison de. l'autre: 80 ___ Que comptes-tu faire de ce cheval, Tibert, sur ta foi? Le vendre ou le donner? — Le vendre. — Et à quel prix, s’il te plaît? — Pourquoi veux-tu le savoir? As-tu l’intention de l’acheter”? — Pourquoi pas, si tu voulais me le laisser pour un prix raisonnable? Pour combien pourrais-je racheter ta part? — Il n’est pas question de part : qui sauf moi a des droits sur ce cheval? C’est moi seul
qui lai gagné. 47
Sire Tybert? » ce dit Renart. — « Par foi tu n’i auras ja part », Fet soi Tybert « male ne bone ». — « Si aurai, se raisson le done », Et dit Renart, « por le cuer bé, 700
Ne sui ge autresi monté Con vos estes, sire Tybert? Trop est vostre barat apert Qui me volés de conpaingnie Giter par vostre trecerie. Et es livres et el cheval Partira ge tot par igal Et mot a mot et foil a fueil. » —
« Male gote te cret ainz l’eil,
Diable, Renart, es tu ivres? 710 Que feroie tu de mes livres? Ja n’i ses tu ne q’une chevre. » — « Si te puisse tornoier fievre Con rien n’i sai! » ce dit Renarz « Ge sai plus de toi les trois parz. » — « Ses tu rien de dialectique? » — « Oil, tote qiqueliquique. » — « Respondras moi se ge t’opos? » — « Oïl, par derere mon dos. » — « Or antent dont a l’argument! 720 Ge di, pain d’orge et de forment, Si di, pain de forment et d’orge. »
— « Male aventure ait einz ta gorge Que pain d’orge soit de forment. — « Tu l’as entendu malement », Fet soi Tybert, « ce n’i a mie :
Tu sez trop pou d’estrenomie. Se l’argument te puis prover, - Leras m'en mon cheval mener? »
— « Oïl, et se tu pues faillir,
48
-
—
Et pourquoi n’aurai-je pas, moi aussi,
des droits sur lui, seigneur Tibert?
700
— Sur ma foi, n’y comptez ni peu ni prou. Et Renart : « Un peu de bon sens, jen aurai ma part bon Dieu! Est-ce que je ne suis pas monté dessus autant que vous Tibert? Votre ruse est cousue de fil blanc: vous essayez sournoisement de me fausser compagnie, mais Ça ne se passera pas comme Ça : j'aurai part égale au cheval et aux livres, feuille à feuille et mot à mot. — Puisses-tu te retrouver borgne, diable de Renart! As-tu bu? Que ferais-tu de mes livres? Une chèvre saurait mieux s’en servir que toi. — Va au diable, si je ne m’y connais pas, et bien mieux que toi encore! — T'y entends-tu en dialectique? —
Certes, en dialectique et en toute la
clique. — Répondras-tu si je te soumets un problème? — 720
Bien
sûr, et les doigts dans
le nez
encore! — En voici les données : Pain d’orge et pain de blé, et pain de blé et pain d'orge. 49
++ ALP
730
Dont ne m’i lairaz tu partir? » —
« Oïl voirs, lors i partiras. »
— « Or orrai dont que tu diras. » — « Ge dirai dont, por estre quite, Que cil n’abat pas qui ne luite. Or entent dont a la provance,
_Si apareille ta faillance. J’opos cest point que de forment Fet en un pain tant seulement,
. N’i a orge ne autre blé. » 740 —« Cel point m’avoés tu enblé » Ce dit Renart, « or di avant! » — « Beax amis, et puis si di tant Que l’en feit d’orge un autre pain Trestot pur et sans autre grein : Sont ce deus pains? Que t'est avis? Nenil certes, tu as mespris, Il ne puet estre que un pain. Dont n’est-il q'un filz a putein », 750
3
Fet Tybert, « en trestot le monde ». « Tu menz. » — « Mes tu, Dex le confonde! » Ce dit Tybert apertement,
« Parmi la veüe qui ment Deçoüz es par ta faillance,
Tu as fet trop povre semblance. Dont ne sera que unes meins. Sanz dis blez ne puet on dis pains Fere, de chascun un par soi? 760
Sont ce dis, par la toe foi? Or garde con tu ses les arz. » — « Va ta voie », ce dit Renarz.
« Dont n’est blez blez, dont n’est pain pain? » — « Oïl, e vos fil a putein », Fet Tybert, « par ceste reson N'i a nule desfension,
50
is
— Ta gueule! comme s’il était possible que le pain de blé soit d’orge! —
Tu n’y comprends
rien», dit Tibert;
« ce n’est pas là la question : tu n’es pas assez fort en astronomie. Si je peux te démontrer que j'ai dit vrai, est-ce que tu me laisseras emmener le cheval? —
D'accord,
mais
si c’est
moi
qui te
convaincs d’erreur, tu reconnaîtras que j'ai des droits sur lui? — C’est entendu. — Vas-y donc. —
740
Comme
on n’a rien pour rien, je vais
payer mon dû en argumentant. Voici mon raisonnement, et il fait apparaître ton erreur. Je pose au départ qu’avec le blé on fait un pain pur de tout mélange avec de l’orge ou une autre céréale. — Tu ne me l’avais pas dit. Mais poursuis quand même. —
J'ajoute, cher ami, que, de la même
manière, avec l’orge on fait un pain qui exclut, lui aussi, les autres espèces de grains. Voilà donc deux pains selon toi? Mais non, tu te trompes : il ne peut y avoir qu’un pain etun seul fils de pute au monde. — Tu es un menteur. —
Non, c’est toi et que Dieu te confonde! 51
| if
EE ET ON
Mes entr’auz a grant diferance. » — « Avoi! vos avés mangé tence », Fet Renart, ‘si volés tencer Et mellee a moi conmencer. » — « Non faz, mais vos n’estes pas saje,
Et itel gré a qui chien nage. Quant je vos oi par bone foi Monté desor mon palefroi, A chalenger le conmenchastes,
Meintenant que vos i montastes. ‘ Vus ne feïstes pas savoir. Si ne conquert om pas avoir », Ce dist Tybert, « par son genler ». — « Bien le poés laisser ester », Fet soi Renart, « ge me jooie ».
780 Puis dist en bas, « s’en ceste voie
Ne vos fas annui et pesance, Dont sa ge poi de nigromance. Se anchois que nos departoms N'est remendez cist peliçons, Ja Dex ne me leist jor plus vivre. » Tant ont chevaucé a delivre Et tant ont entr’eus desputé . Qu'il sont en Blaeigni entré. Desoz la vile enmi les pres 790
52
Si ont lor livres destrossez. Lor cheval laisserent aler A l’erbe pestre et saouler, Si s’en tornent vers le moster. Prés estoit ja de l’anuiter, Si s’en erent alez lez gens. Au moster vienent, s’entrent ens : Les lampes furent alumees Et lez genz s’en furent alees. Ce dit Renart : « or comenchez!
L’apparence est trompeuse et tu t’y es laissé prendre : tu ne t’es vraiment pas montré à la hauteur. De même les deux mains font la paire. Si on ne pouvait faire dix pains avec dix céréales différentes, il n’y aurait qu’un seul pain! Mais faire un pain avec chaque sorte de grain, est-ce que, selon toi, cela revient à faire dix pains? Voilà l’occasion de montrer que tu as appris la dialectique. 7% — Poursuis ton propre raisonnement », dit Renart : « Le blé n’est-il pas du blé et le pain du pain? — Oui, et toi, un fils de pute », rétorque Tibert; « c’est irréfutable; mais ce n’est pas la
même chose.
;
— Allons, vous avez mangé du lion! Ce que vous voulez, c’est une dispute pour pouvoir vous brouiller avec moi. — Pas du tout, c’est vous qui êtes assez bête pour agir ainsi. Qui veut noyer son chien’ l’accuse de la rage. Je ne vous avais pas plutôt fait monter sur mon cheval sans arrièrepensée, que vous vous êtes mis à me le disputer. Ce n’est pas adroit », conclut Tibert,
«bavarder n’est pas le meilleur moyen de s'enrichir. — N'en parlons nés », dit Renart;, «je 7 plaisantais ». Mais il ajoute à voix basse: 53
800 Par Deu, trop vos estez targiez : Sanz vespres oïr s’en vont tuit. » — « Sire Renart, ne vos anuit, Il lor avespirra asez. Mes cez chandelez alumez, Ce dit Tybert, « que le service Doit l’en dire a treit en l’iglise Et fere le mester molt bel. Ovrez les huis de çou chancel, Nos i verron oncor molt cler. ee
As antienes m’estuet torner,
Et vos repernés çou sauter. Si tornez a vostre mester, A ces versez et a ces saumes! » Et Renart aquelt a ses paumes Plus menu ces fous a torner Que vos ne poïssiez conter. Quant a lor mester sont torné, Si se sont amedoi levé. Tybert vesti le sorpelis, 820 Aprés est vers l’autel sailliz. Tybert son capelet osta, En tel manere commença « Domine, labia mea... » — « Si t’aït Dex, con ce i a », Ce li a respundu Renart, « Ce sont matines, fol musart, Que tu nos vous por vespres dire. » Et Tybert conmença a rire,
Si li a dit — « que i a dont? » 830 ___« Deus in adjutorium », Fet Renart, « el conmencement Doit en dire premerement. Dant Tybert, ou vos estes ivres, Ou rienz ne savez en ces livres.
54
800
« Trouver le moyen de vous causer des ennuis pendant le voyage ne devrait pas être sorcier; et si votre pelisse est toujours dans le même état d’ici mon départ, je veux pren être pendu. » | Toujours disputant, ils chevauchent rapidement jjusqu’ à Blagny. Arrivésà l’entrée du village, ils s'arrêtent dans un pré pour défaire le paquet de livres et permettre au cheval de paître à son aise. Eux-mêmes prennent le chemin de l’église, mais le jour tombait déjà et l’assistance commençait de s’en aller. Le temps qu’ils y arrivent, on avait allumé les lampes, mais les fidèles étaient partis. — « Dépêchez-vous de commencer », dit Renard, «tout le monde s’en va sans avoir entendu les vêpres. — Rassurez-vous, seigneur Renart, ils auront tout le temps de le faire. Mais allumez donc les cierges, car on doit réciter de bout en bout l'office dans l’église et le faire comme il
faut. Ouvrez la grille du chœur:
nous y
verrons encore assez clair. Il me faut m’occuper des antiennes; vous, vous prendrez le
psautier et vous vous chargerez des psaumes et des versets. » Et Renart se met à tourner les pages du livre à toute allure. Une fois prêts, ils se lèvent
55
Abhi! que ne vos ont oï Ou l’arceprestre ou dant Davi, Ou le prestre de la Folie! Quidiez qu’il ne risissent mie, S'il vos oïssent autresi 840
Con moi e vos avom of
En tel manere conmencer? » — « Fox, jel fis por toi essaier. Ge ne quidoie pas por voir Que tu fusses de tel savoir. Mes or t’a ge bien esprové. Se remeindre vous cest esté En ceste vile et sejorner, Molt te ferai garbes doner. » — 850
860
« Ja est ce bien », ce dit Renart,
« Mes dites vespres, qu’il est tart. » Lors aplägne Tybert son chef, Si recommence de rechef. Deus in adjutorium dit, Et Renart les antenes lit. Si ont chanté salmes et vers Molt hautement a deus envers; Les antienes mout hautement, Le capitre dist simplement Sire Tybert, et dan Renart Redit le verset a sa part. Si ont chanté ensamble a ligne, Tot mot a mot et tot a ligne. Sire Renart les versez dist
Et dant Tybert lez responz fist. L’antiene del Mangnificat Cele dit dant Tybers li chaz, Et Renart l’a bien entoné Et gloriosement chanté. Aprés chantent, si con moi semble,
56
‘* tous deux. Tibert, revêtu du surplis, monte à: l’autel, et, ayant Ôôté sa barrette, commencé: — «Domine, labia mea. — Seigneur, dit Renart, «vs est-ce que tu es en train de faire? Ce sont les matines que tu dis, espèce d’étourdi et pas les vêpres. Et Tibert de l’interroger tout en riant: — « Qu'est-ce qu’il faut dire alors? — On commence par Deus in adjutorium..., seigneur Tibert. Ou vous avez bu ou vous ne savez pas vous servir de ces livres. Ah! #0 sj l’archiprêtre, maître David, ou le curé de La Folie avait été là! ie rire à entendre ce.
beau début! —
Imbécile,
c’est
pour
te
mettre
à
l'épreuve que je l’ai fait! Pour direle vrai, je ne te croyais pas si savant en la matière, mais
tu m’as convaincu du contraire. Si tu acceptes de rester dans ce village pour la saison, je te ferai percevoir une dîme avantageuse. —
Voilà qui est bien », dit Renart. « Mais
il se fait tard: il faut chanter les vêpres. » Tibert,
après
s'être
lissé
les
cheveux,
reprend : « Deus in adjutorium... » Renart lit alors plusieurs antiennes, puis ils chantent psaumes et versets à deux voix; ensuite Tibert récite avec solennité des antiennes et, sur un 57
LS
870
Lor antiene ambedui ensanble. Tybert a dit aprés le vers, Renart li respont a envers. Puis dit Tybert en sa reison Moult bel Dominus vobiscum. Renart li respont hautement, L’oroison dist apertement, Tybert et le per omnia, Devant l’autel s’agenoilla. Et Renart respondi amen,
88=] Puis li a dit : « levés vos en Et si alés clore ces huis. Ge dirai benedicamus. » Atant a Renart envaï Un benedicamus farsi A orgue, a treble et a deschant,
890
Que il n’a home si vaillant EI mont, ne si mesaaise, De soi n’oüst gregnor pitié, S’il oïst Renart, que de lui. Tot le mont repeüst d’ennui Renart de son seri chanter. Deux liues poïssiez aler Ainz que il l’oüst parfiné. Et Tybert si a l’uis fermé Qui molt esteit de chanter las,
Si dist le Deo gracias.
Apres ont conplie chantee, Et quant l’orent tote finee Si prist l’un l’autre a aresner,
Et Renart a parlé premer. —
« Sire Tybert », ce dist Renart;
« Ge voudroie savoir quel part Ge aurai de tot la gaaing, S’en ceste vile o vos remeing.
58
1
#
ton plus simple, les lectures qui les suivent, 8 tandis que Renart, de son côté, lit les versets. Bref, ils chantent tout l’office sans en sauter
une ligne ni un mot, Renart se chargeant des versets et Tibert des répons. Quand ils en arrivent au Magnificat, le chat en récite l’antienne tandis que le goupil entonne et chante le cantique avec apparût. Ils poursuivent en chantant à l’unisson plusieurs autres antiennes avant de se répartir à nouveau la tâche: les versets pour Tibert, pour Renart
les répons. Enfin, Tibert articule de son mieux le Dominus vobiscum et Renart lui répond à voix haute, le chat se chargeant de l’oraison finale ainsi que du Per omnia en s’agenouillant devant l’autel, tandis que le [=]
goupil dit « Amen », avant d’ajouter : « Levez-vous et allez fermer cette grille pendant que je dirai le « Benedicamus ». Et il attaque le motet de telle façon (mêlant la voix haute au contre-chant) qu’il n’est pas d’homme au monde si fier ou si malheureux soit-il qui, en l’entendant, ne s’oublie soi-même pour le prendre en pitié. Il fatigue tout le monde par l’éclat et la durée de son chant; le temps d’avoir fait deux lieues, il chantait encore. Cependant, Tibert, qui en avait assez, avait
fermé la grille et dit le « Deo gratias ». Et 59
De la disme de ces porceax, De ces brebiz, de ces veax, De ces pocins, de ces oisons, Dites conment les partirons. De l’oblacion et dez leiz, 91 =]
92 ©
Dites et devisés en pés Conbien j'en aurai a ma part. » — « Vos en aurés trestot le quart », Ce dit Tybert, « s’on le me loe ». Et Renart li a fet la moe : — « Conment », fait-il, « por le cuer bé N’ai ge autresi bien chanté Anuit a vespres conme vus? Et autant sui religious Et nez et prodom de ma mein. Sera ge plus filz a putein Que vos, que n'aurai de la dime
Autretant cume vos meïme, Et de tote l’oblacion? »
;
— « Renart, tu me tienz a bricon », Fet soi Tybert, « ge le t’afi. Ne m’as oncor gaires servi
Et si veuls ja a moi partir. » — 930
« Partir? nun voil, ainz voil oïr,
En quoi ge m’i porrai fier, Se ci me siet a demorer. » —
« Ja se tu es de bone foi,
Te plivis loïiaument ma foi, L’une moitié te partirai De ce que je gaengnerai De morz, de viz et d'aventures, D'’offrandes et Et tu me soies — « Ge l’otroi Mes certes ge
60
de sepultures, bon ami. » », dist Renart « ensi, ai molt grant fein. »
c’est après avoir, pour finir, chanté l'office de complies jusqu’au bout qu’ils reprennent une discussion dont l'initiative revient à Renart :
920
— « Tibert, j'aimerais savoir quelle sera ma part si je reste ici avec vous, de tout ce que vous allez gagner : comment nous partagerons-nous la dîme que nous percevrons sur les cochons, les brebis, les veaux, les poulets et les oisons; et de même pour ce qui est des offrandes et des legs? — Pour ma part, je serais disposé à t’en laisser le quart. » 1e Mais Renart fait la moue : « Comment? » dit-il, « n’ai-je pas, bon Dieu! chanté vêpres tout aussi bien que vous? Je suis homme de religion tout autant que vous et mes mains sont aussi pures et capables que les vôtres. Est-ce que, par hasard, je serais plus fils de pute que vous, pour n’avoir pas droit à la moitié des dîmes et des offrandes?
—
Renart, tu me prends pour un imbécile.
Sur ma foi, je dois te faire remarquer que tu n’as pas servi à grand-chose jusqu’à présent et voilà que tu veux déjà compter avec moi. — Mais non, je veux seulement savoir ce qui me reviendra, s’il me plaît de rester. — Eh bien, si l’on peut se fier à toi, je 61
940 __ « Se tu voloies mangier pain, Vés en la un lés cel autel. » — « Ge n’en mangai onques de tel », Fet Renart, « a jor de ma vie, Mes de formage auroit i mie? » — « Par foi, ne sai », Tybert a dit. Atant garda avant, si vit Une toueille envelopee En une fenestre botee : Deus en i ot entorteilliez,
Li uns frés et li autrez viez. . Tybert les trait de la toaille. — « Dex aïde! ce n’est pas faille Que chascun aura ja le sien. » — « Par foi », dit Renart, « ce est bien. Meis donés moi cel blanc, cel mol. » — « Conment volés vos sambler fol » Ce dit Tybert, « sire Renart?
Cest dur aurés a vostre part : Que il est bon a cuer tenir, 960
Et qui le voudroit departir, Asés durroit plus que cestui. » — « Volés le vos metre en estui? » Fet Renart, « celui me donés. »
— « Ja par mon chef n’en mangerez », Ce dit Tybert, « grant ne petit ».
970
— « Par le cuer bé », Renart a dit, « Dont estes vos vers moi trichere. » — « Or va ta voie, fol licherre! Demein au soir auras cest mol. » — « Or m’avés entercié a fol », Fet Renart, « en la moie foi. Et si me mentez vostre foi,
Si vos en apel a Ruen Ou devant Huon le doien
62
ve FrU
m'engage solennellement à te donner la moitié de tout ce que je gagnerai avec les| morts et les vivants, à l’occasion des offrandes s
et des enterrements,
940
à condition que tu te
comportes avec moi en ami fidèle. £ — D'accord», dit Renart. « Mais pour le| moment, j'ai surtout grand faim. — Si tu veux du pain, il y en a là, à côté de;
l'autel.
À
— Je n’en ai jamais mangé de tel; mais du fromage, est-ce qu’il n’y en a pas? — Ma foi, je n’en sais rien. » Le
En regardant au-dessus de lui, il voit un paquet enveloppé dans une serviette et posé sur un rebord de fenêtre: il contenait deux
fromages dont l’un était encore tout frais et l'autre sec. Tibert les sort du torchon: —
« Eh bien, quelle chance! chacun aura
le sien. —
Parfait»,
dit Renart,
« mais donnez-
moi donc ce fromage qui est plus tendre. —
Eh! seigneur Renart, vous avez envie de
passer pour fou “? Vous aurez le sec, il tient © mieux au corps, et si on voulait le couper en morceaux,
on
en
aurait
pour
plus long-
temps.
— Je n'ai pas Décion de faire des provisions, donnez-moi donc le premier. 63
Au convent a la confrarie ». Que que Renart Tybert envie, Si a Tybert tant esploitié Qu'il a le formache mangié, S’en a Renart où grant doil. 980
Il en oùst où son voil, Mes ne puet ore estre autrement.
Entre ses denz dit belement : — « Se hui ne sui de toi vengiez, Molt en sera mes cuers iriez. » Lors a son formace entamé,
Que il estoit moit afamé. Si en manja tant con il pot. Et quant asez mangé en out, L'autre lia en son giron, Que il portera en maison. Mes entretant con il manja,
Totes voies se porpensa Conment Tybert conchiereit Qui si mal parti li avoit. Lors a Tybert a raison mis —
« Sire, se g’ai vers vos mespris
De ce que ge vos ledenjai, Onques mes de tel ne manjai. Moit a esté bon le formage, 1000
64
Et vos partistes conme saje Quant vos me donastes cestui. Mes il me torne a grant anui Qu’anuit nos somes oblié Que nos n’avom mie soné As vespres ne a la vigille. » — « Vos me dites voir, par seint Gile », Ce dit Tybert, « car i alons À ces cordes et si traions! » Atant sont as cordes venu.
or
— Non, vous n’y toucherez pas. — Bon Dieu! » dit Renart, « Vous ne jouez pas franc jeu avec moi. — N'insiste pas, imbécile de rs frais, tu l’auras demain soir. — Vous m'avez traité de fou et, sur ma foi, vous manquez à votre parole; je vous cite donc à comparaître à Rouen, devant le
tribunal de Huon, le doyen de la confréTIC AS Renart a de manger aurait bien ° mais il est
beau envier Tibert, celui-ci a fini le fromage, à son grand dam; il voulu s’en charger à sa place, forcé d’en prendre son parti, se
contentant de murmurer entre ses dents : « Je
m’en voudrais de ne pas m'être vengé de toi avant
ce
soir.»
Comme
il avait
faim,
il
entame l’autre fromage et en mange à satiété, avant d’attacher ce qui reste à sa ceinture pour l’emporter chez lui, ce qui ne l'empêche pas de réfléchir à la façon de jouer un mauvais tour au chat responsable de ce partage peu équitable. Il finit par lui adresser la parole :
— « J'ai eu tort de vous faire des reproches, seigneur : le fromage était délicieux, je % n’en ai jamais mangé d’aussi bon et vous avez effectué un partage raisonnable en me le 65
2
1010 Renart qui plus voiziez fu, “ Dist que il sonereit avant.
As cordes s’aert meintenant, . Mes ne pot de terre soner, _ Sor un banc le convint monter: * Des cordes fist un las corsor, A son col le mist tot entor
_ Et ses deux piés avoc devant. .Tybert le va molt regardant. _ Et il prent les cordes as denz, Si sone tant, que neiz lez genz _: Qui dormoient, son esvellé.
Mes le las ot si adrecé _ Qu'il ne pooit mes corre aval. Mes trop savoit Renart de mal ‘Qui as denz les cordes osteit. .Tybert de ce ne s’en gardeit,
‘Ançois quidoit q’o les deux piez Sonoit, qu’avoit avoc leiez. Et quantil ot asés soné, Si s’est molt bien del laz osté. Et dit Tybert : « or est il droiz Que je sone la moie foiz. »
Et dit Renart : « par seint Richer, ‘Gel veil, et que boive un sester De vin cil qui pis sonera ». —
« Dahez ait qui le voiera »,
Ce dit Tybert, « or seit einsi ». Atant s’en est en piez sailli. Si est desus le banc montés Et el laz a ses piez botés Et aprési bota son col, Je cuit qu’il s’en tenra a fol. Les cordes a prises as denz. Lors primes le voient les genz
IPS TOI
donnant. Mais ce qui m’ennuie, c’est qu’aujourd’hui nous avons oublié de sonner les cloches pour annoncer les vêpres et complies. | | La — Vous avez raison, par saint Gilles. Allons-y donc, et tirons sur les cordes.»
Ils y vont tout droit et Renart, qui s’y connaissait mieux, déclare qu’il commencera.
1020
Il s’y suspend aussitôt mais constate qu’il est . incapable de les tirer en restant au sol : il doit. monter sur un banc; il fait donc un nœud coulant avec les cordes et y passe le cou et les deux pattes avant. Puis, sous le regard attentif de Tibert, il les saisit entre ses dents et se met à sonner avec tant d’ardeur qu’il tire du sommeil ceux des villageois qui dormaient déjà. Mais comme il s’y entendait à méfaire, il avait disposé le nœud detelle sorte qu’il ne puisse pas se resserrer en glissant et il le
retenait entre ses dents : c’est ce à quoi Tibert n'avait pas pris garde; il croyait que Renart tirait sur les cordes en se servant de ses deux pieds passés dans la boucle. Après avoir longuement sonné les cloches, Renart s’ex-
trait des cordes sans difficulté. —
«A
mon
tour,
maintenant»,
fait
Tibert. | Et Renart : « Par saint Riquier, que celui 67
Qui vindrent au moster garder Qui ce est qui tant puet soner. Atant Renart Tybert aresne : « Buer montastes », fait il, « el chesne 105 [=]
Ou le provoire vos trova Qui en cest leu vos envoia. Ice dites, ne vos plaist il? » Si con Tybert vout dire : « oïl », Et conme il la boche ovri, Li laz par le col le sesi. Quant les denz de la corde osta,
Li las entor le col serra Et avoc furent li dui pié A quoi auques est aligié, Que meintenant fust estranglé 1060
Se li pié estoent osté,
Quar o les piez li laz eslesse. Et dit Renart : « estes aese? Ne savés mie bien soner. Estés, je vos irai oster ». Tybert quide qu’il die voir. Et Renart qui enviz dit voir,
Quant du laz le dut delivrer, Si li ala le banc oster Que il aveit desus ses piez. Or est Tybert plus enlaciez. Or ne s’a il sor quoi ester, Et tot jors fait les seins soner. Et quand il s’en quide escaper, Renart le conmence a gaber. Envers lui est avant passez, — « Ha ha! » fait il « ore est asés ». Sire Tybert, ce est anui. Conment ne finereiz vus hui? » Et Tybert conmenca a grondre.
68
qui sonne le moins bien Paie à boire pour se: setier!
—_ Cochon qui s’en dédit!» dit Tibert.
« Ainsi soit-il! » Il saute sur ses pieds, monte 1040
sur le banc et glisse les pattes puis le cou dans la boucle: il ne va pas tarder à se rendre compte de sa sottise. Il saisit les cordes entre ses dents et c’est dans cette position que le voient les gens qui accourent à l’église pour savoir qui peut bien carillonner de cette façon. — « Vous avez eu raison de grimper sur ce chêne où le curé qui vous a envoyé ici vous à trouvé, n’est-ce pas? » fait Renartà Tibert. Le temps pour Tibert d’ouvrir la bouche pour dire oui, la boucle s’était resserrée autour de son cou et de ses deux pattes:il est si bien pris au piège que, s’il avait Ôté ses pieds, il se serait incontinent étranglé, — car ce sont eux qui lui permettent de garder au nœud coulant un certain jeu. — «Ça va comme vous voulez?» fait Renart. « Vous n'êtes pas un bon sonneur. Arrêtez-vous, je vais vous dégager ». Tibert pense d’abord qu’il le dit dans une bonne intention, mais ce fieffé menteur de >:
1060
Renart, au lieu de le débarrasser du nœud
coulant, lui ôte le banc sur lequel il était
69
#80 __ , Conmént, ne me denniez respondre? » . Ce dit Renart, « orgoil, orgoeil. Male aventure aient mi oil
. Se ge ne vus faz sorde oreile :
SR
- Vos me faites or la dorveille
Qui ici vos vois aresnant. . Ne ne me proisiez mie tant .. Que vos vueilliez a moi parler. Conment? volez vos ja monter Lasus amont a Damledeu? Avoi, Tybert, ce n’est pas jeu.
1090
. L’en ne monte pas si as nues : Dont vos sont ces folors venues? Quidiez vos ja estre si seinz - Que vos alliez avoc lez seinz,
-
Et moi volés gerpir insi? . Pou avés oncor Deu servi
Por aler ja lasus en gloire.
Vos ne feïstes pas memoire Ersoir as vespres de la feste. +100 Moilt vos devroit doloir la teste Que toz jors contremont gardés. Et a moi por quoi ne parlez? Por quoi m’avez si enhaï? Ja n’ai ge mie Deu trahi Que ne degniez parler a moi. Vos me mentez la vostre foi. Or le m'avez deus feiz mentie : Une ore et autre a la partie,
Quant vos partistes le formage. H10 Vos ne feïstes pas que saje. Si vos di bien par seint Sanson, Que ge vos en tieng a bricon. Ne me semblez pas insi mestre Con vos doüssiez erseir estre,
70
monté. La boucle se resserre donc autour duchat qui n’a plus de point d'appui et qui continue de sonner les cloches à toute volée; et, alors qu’il croyait devoir être délivré,
Renart se met à se moquer de lui: — «Ha! cela suffit, seigneur; vous en faites trop. Allons! Mais vous ne vous arrêtez plus! » |
Et Tibert de grogner. Alors Renart: 180
__ «Comment? Vous ne voulez pas me répondre : orgueil, orgueil! Gare à la prunelle de mes yeux si je ne réussis pas à vous assourdir! Vous faites semblant de dormir quand je vous parle pour ne pas avoir à me répondre, tant vous me méprisez. Quoi! Vou-
lez-vous monter déjà là-haut auprès de Notre Seigneur? Allons, Tibert, vous voulez rire : ce
n’est pas ainsi qu’on monte au ciel. D’où vous sont venues ces idées folles? Vous considérez-
vous comme déjà assez saint pour aller avec les bienheureux et m’abandonner ici? Vous avez encore bien peu servi Dieu pour avoir déjà part à la gloire céleste. Hier soir, aux vêpres, vous avez omis de faire mémoire de la :1® fête du jour; mais vous devez avoir mal à la tête à force de regarder en l’air. Pourquoi ne voulez-vous pas me parler? Quelle peut être la raison de cette haine que vous me portez? 74
1 ñ
Û: o
Quant vos me trovastes el val _ Ou chevauciez le cheval
:… Qui portoit les livres trosez . Que aviez au prestre emblez,
Et son polein par trahison. laron Et si avez or bon chapel. _ Et que ert il or de l’apel Que j’avoie envers vos fet? Conment ert del aler a plet? * Vos n’i porrez or pas aler. Fetes le vaux contremander A la confrarie as noneinz Trois semeinez ou un mois meinz. NE ITCORPORELS Or me ditez, que ferois vos? 1130 Par Deu, trop estes orgellox Por estre mestre a povre gent. . 1120 Or en pendez conme
Vos les menrieez malement,
Se or euls aviez baillie. Ne place Deu le filz Marie Que en vos aient lor atente : Que il auroient male rente,
Ne voudreez a ouls parler Ne seul de droit oeil esgarder. Ge vois ore les huis ovrir, 1140
72
Que j'ai oï lez genz venir Qui voelent entrer el moster. Or doüssiez vostre sauter Tenir overt sus voz jenolz, Et vos vos estes a trois nouz Loiez as cordez par la gole. La soüstes vos pou de bole. Que dirunt ore li prodome? Or ne chantez vos pas de Rome Si con vos feïstez ersoir.
Je n’ai pas renié Dieu pour que vous ne daigniez pas m'adresser un mot. Vous manquez à la parole que vous m’aviez donnée et ce n’est pas la première fois; c’est déjà ce qui s’est passé quand vous avez fait la répartition des fromages. Vous auriez dû vous méfier car, maintenant, par saint Samson, je vous tiens pour un sot. Vous me semblez ne plus aussi bien dominer la situation que lorsque vous m'avez rencontré dans la vallée, montant le cheval chargé des livresque vous aviez volés au curé, — en même temps que sa monture. 1120
Vous voilà accroché comme voleur au gibet,
et portant le chapeau! Et que va-t-il advenir du procès que je vous ai intenté? Comment ferez-vous pour aller au tribunal? Vous allez devoir demander un délai d’au moins trois semaines ou un mois, à la confrérie des religieuses. Que comptez-vous faire au juste? Par Dieu, orgueilleux comme vous êtes, il vaut mieux que vous ne soyez pas le maître de pauvres gens : vous abuseriez de votre pouvoir sur eux pour leur causer du tort. Ne plaise à Dieu, le fils de la Vierge Marie, qu’ils tombent sous votre coupe! Vous les exploiteriez honteusement; vous refuseriez de leur parler et ne daigneriez même pas les regarder. Je vais aller ouvrir cette porte; j'entends 73
1150
Vos doüssiez si bien savoir Les set arz, ce deseez ier : Or ne vos savés dezlier. - Folie vos fait tant soner,
Tan, Me
hs
Le
1160
EX UT PP M ee CT
1170
Vos doüssiez laissier ester Le debateïz de cez clochez. Meuz vos venist pescher as lochez Qu’entremetre de tel mester Dont vos ne savez prou aider. Ne vos en savés entremetre, Mes en pris vos voleez metre De tenir la marruglerie. Vos feïstes molt grant folie. Ge vos di bien tot a estrox, Certes trop estes orgellox. Ge quidoie par seint Guion Q’a la purification Venist ma feme a vos demein. Mes ne porroit a vostre mein Ateindre s’offrande a baillier Ne vostre bele mein baissier, Que trop vos estez haut levé. Si vos tendreit a fol devé Et en auroit trop grand poür. Et quar me changiés par amor Deux maailles por un denier,
1180
74
Qu'’allors les voldrai envoier. Que ditez vos? aurai les mie? Voiz por le cors seinte Marie, S’il deingne a moi parler encor. Malement parlereés or A un povre home, qant a moi, A qui vos estes par vos foi De mener loiau conpaignie, Ne deingniez encor parler mie.
1140
approcher des gens qui veulent entrer dans l’église. Vous devriez avoir votre psautier ouvert sur les genoux au lieu de rester raccroché par le cou au triple nœud de ces cordes. Comme vous vous êtes facilement laissé avoir! Que vont dire les bonnes gens?
Vous ne chantez plus l'office comme hier soir;
et vous, qui, à vous entendre alors, étiezsi savant! Vous n’êtes même pas capable de vous détacher : c’est votre sottise qui vous fait carillonner ainsi, vraiment vous devriez mettre fin à ce vacarme. Mieux vaut pêcher à la
limace “ que se mêler d’un métier dont on ignore tout. Vous n’auriez pas dû vous y 1160
1180
risquer,
mais
être sacristain
vous
tentait.
Quelle folie! Je vous le dis sans barguigner: ma parole, vous avez trop de prétention! Par saint Guy, je pensais que ma femme serait venue vous trouver demain pour ses relevailles; mais elle ne pourrait ni baiser votre belle main, ni y déposer son offrande, ce serait trop haut pour elle; et puis, elle croirait voir un fou et aurait trop peur de vous. S’il vous plaît, ne voudriez-vous pas m’échanger deux sous pour
un franc, car j'ai trouvé où les placer ailleurs? Que dites-vous? Je ne les aurai pas? Par la Vierge, voyons s’il daigne m'adresser la parole. Certes, vous n’auriez aucun scrupule 75:
-
Mes avant volez oïr tot. Or me respondés mot a mot Espoir de ce que je vos di! Mes por Deu, sire, je vos pri, Ne metez rien a vostre cuer, :1190 7 PET MRC "D ANSE sAR
Que ge nel voudroie a nul fuer Que vos en oüssiez nul mal. Parmi tot ce que el cheval Ne voussistes que ge partisse, Si voleés que je preïsse A porter Hermeline a messe. Ne vos fu onques felonesse : volenters li devez prester Et de vos chandeilles doner. Aura le ele, baux douz sire? Oïl, Damledeux le vos mire. C’est bon gré Deu et maugré vostre,
Ele dira sa patrenostre, Que Dex vos doinst honte en cest an, Ainz que vienge la seint Johan, Si aurés vos encor anuit. Por Deu, sire, ne vos anuit, Ge parol volenters a vos,
1210
76
Et vos estez trop ennuioux, Et a moi ne volez parler : Voldriez vos tot jors soner? Ge vos di bien, ce est folie, I sanble, ce seit estoutie. » Atant let Renart le gangler Qui a l’uis vit aboeter Un fort vilein fel et enrievres, Hardiz autresi con un levres. Au costé ot s’espee ceinte Qui tote estei de roïl teinte, Qu'il ne pooit issir des és,
20,
sie
AS
à causer du tort à un pauvre homme, si vous ne voulez pas même condescendre à me parler, alors que vous vous êtes engagé à vous comporter avec moi en ami loyal. Mais c’est que vous préférez m’écouter d’abord; jusqu” au te bout. Alors, répondez point par pointà mes demandes. Et, par Dieu, seigneur, ne m’en gardez
pas rancune, car je ne voudrais sur-
tout pas vous faire tort. Si vous refusiez de reconnaître
mes
droits sur le cheval, c’est
entre autres parce que vous vouliez que je fasse venir Hermeline à la messe. Elle ne vous a jamais donné sujet de vous plaindre d’elle; il est donc normal que vous ne me fassiez pas d’histoires pour lui accorder ce prêt et lui donner de vos cierges. Est-ce d’accord, cher seigneur? Oui! Que Dieu vous le rende! Mais c’est bien malgré vous et grâce à Dieu. Aussi, comptez sur elle pour. ne pas vous oublier dans ses prières. Que Dieu vous fasse honte avant la fin de l’année! D'ici la Saint Jean, il vous arrivera malheur, soyez-en sûr. Mais,
seigneur, je ne voudrais pas vous ennuyer; j'ai plaisir à vous parler tout en regrèttant vraiment que vous ne vouliez pas me répondre. Allez-vous continuer longtemps de carillonner? Je vous assure : trop, c’est trop et on pourrait même parler de folie. » M 4
cuit es CAR ee, CAD etRE,
120 Ne ja par lui n’en istra més.
Et quant il vit Tybert le chat Qui si fort les cloces debat, Et Renart vit ester lés lui, Tel poor ot et tel ennui
Que meintenant li pristrent fevres Et il s’en fuï con un levres. Et Renart est avant passez, Si li a dit : « estés, estés,
Fox vileins, par ci cierois ». 1230
Adont fu li vileins destroiz,
À Quant vit que Renart l’escria. Einsi trés grant poor en a Qu'il dut estre del sen issu. : Onc ne fina, si est venu
1240
1250
Lasus amont enmi la vile. Et Renart qui molt sout de gile, S’en est retorné au moster, Si esrache un fuel del sauter, Si l’a dedens son sein boté, Et Tybert a araisoné : — « Sire Tybert », Renart a dit, « Ge vos di bien, se Dex m'’aït, Que je ne demor plus o vus, Que trop estes religious. Trop poés por Deu traveller. Ge ne porroie tant veiller. Ge m'en irai, vos remanez, Et vostre offrande rechevez Tel con ele ert, ou mole ou dure, Que, bien sachez, je n’en ai cure
Ne de la moitié ne du quart. » Atant Renart de lui se part, . Si s’en vait droit a une haie.
Et Tybert de soner s’esmaie,
78
Renart
cesse
enfin
son
bavardage
voyant un paysan aussi fort que mal embouché et hargneux, et de surcroît hardi comme un lièvre, regarder par la porte; il porte, attachée au côté, une épée toute rouillée qu’il serait bien en peine de tirer de son fourreau. Apercevant Tibert le chat en train de sonner les cloches à toute volée, et Renartquisetient à côté de lui, il est frappé de terreur au point d’être saisi par les fièvres et de détaler aussitôt comme un lapin. Renart sort de l’église pour lui crier : « Arrêtez-vous, espèce d’imbécile! Sinon, vous allez vous donner la
courante! » En entendant le goupil lui parler, il devient quasiment fou de peur et, sans — reprendre
haleine,
rebroussant
chemin,
il
remonte au centre du village. Renart, le maître ès ruses, rentre dans l’église et, après avoir arraché une feuille du psautier qu’il met dans sa chemise, s’adresse de nouveau à
Tibert: —
CS €LirDuc
en
«Seigneur, je dois vous avouer, avec
l’aide Dieu, que je neresterai pas avec vous : vous êtes trop pieux pour moi; vous vous appliquez trop au service divin, je ne pourrais imiter vos veilles. Je m’en vais de ce pas. Quant à vous, vous restez pour recevoir l’offrande qu’on va vous remettre, tendre ou
79
…
.
Qui de soner fu si ateinz, A bien pou que il n’est esteinz, Ne ne se pot mes preu eider. Et li vileins qui du moster Estoit devant Renart torné, 1260
RERS 2 EC D Lt
1270
Si avoit tantost encontré Plus de dis vileins toz pleinz d’ire Qui tuit li conmencent a dire « Et futes vos a cel moster? » — « Oïl », fet il, « un aversier I ai veü, jel vos afi. N’alez pas en avant d'ici, Que as cordes a un diable. Ne quidiez pas que ce seit fable! Et uns autres s’esta les lui. Sachés que il m'ont fait anui. Et quant je voil laiens entrer, Si me pristrent a escrier,
Et je m’en fuï conme levres, Si m'en sunt ja prises les fevres Et autre mal encore asez. Si ai esté espoentez Que grant poor ai de mon cors. Moilt a anuiz lor sui estors,
Et encore me sivent il ». — « Venez ent arere », font il. Atant retorne li vileins
Qui de la fevre estoit ja pleins, S’en va avoc ous au moster
Et si lor dit par seint Richer, Si m'en creez, n’i entreroiz :
Quar li deables pent tot drois Et par le col et par lez piez. As cordes est bien atachez. »
80
:.
dure, je ne sais. Et d’ailleurs,jem’en moque, seigneur, du tiers comme du quart. » Et sur ces mots, il s’en va se dissimuler
dans une
haie. Tibert
pendant ce temps,
commence de désespérer : à force de sonner, il
est à moitié mort d’épuisement et hors d’état de se tirer d’affaire. Quant au paysan qui 6 avait quitté l’église avant Renart, il rencontre
en chemin méchante ger :
— —
plus de dix voisins de fort humeur;
et chacun
de l’interro|
« Êtes-vous allé à l’église? Oui! Un diable, c’ést un diable que j'ai
vu, je vous en donne ma parole. N’y allez pas, il y a un démon suspendu aux cordes, — c’est la pure vérité — et il y en a un autre à côté de lui. Ils m'ont causé bien du tourment; quand
j'ai voulu entrer, ils se sont mis à pousser de tels cris contre moi que je suis parti sans demander mon reste. J’en tremble encore et j'en suis tout retourné, tant j'ai eu peur, j’ai eu bien du mal à ieur échapper car ils m’ont suivi hors de l’église. 180 _ Retournez-y avec nous », font-ils. Mais, tout le long du chemin, se sentant déjà mal, il ne cesse de les mettres en garde : « Croyez-moi,
par saint Riquier, n’y entrez
pas : il y a un diable qui se tient tout droit et il 81
— « C’est neent » li uns respondi. « Or tost », fait il, « baron hardi! »
CRER RÉ UE
Atant sont au moster venu.
4 ca :
Li vileins qui fu esperdu S’en vait toz jors traiant arere. Moit fu coarz de grant manere : Les autres let aler avant. Dant Tybert troverent pendant As cordes, molt l’ont conjuré Que il lor die verité, Se il est bone chose ou non. Il ne respont ne o ne non. Et il l’en ont entreparlé Et autre foiz reconjuré. Il ne respont ne que devant. — « Tierce feiz », font soi li auquant, « Le convient encor conjurer. Et se a nos ne vout parler,
Si l’asaillon hardiement. » Lors le conjurent erraument. Un bachelers prou et hardi 1310
Plein pié est devant euls salli,
Si li a dit : « tu qui la pens, Ge te conjur de totes genz Et de l’apostoile de Rome,
1320
Que je ne sai nul si haut home Fors que sous nostre sire Dex, Ge te conjur, se tu es tex Que tu doies parler a gent, Parole a moi isnelement! De ta foi et de ta creance Te conjur et del roi de France Et de trestote la maisnie Qu'il meine o lui en chevaucie,
Et de par le roi d’Engleterre,
82
s
est attaché aux cordes par les pieds et par le
OU. —
quand
fe Ça ne fait rien », répond l’un, « allons-
même
et hardil»
Et
finalement,
n’écoutant que sa peur, il fait demi-tour et les
laisse aller sans lui jusqu’à l’église. Ils y trouvent Tibert toujours pendu aux cordes:
ils le conjurent une première fois de leur dire s’il est ou non une créature diabolique. Mais 1300
lui, ne répond
ni oui ni non, malgré leur
insistance et une seconde objurgation: — « Conjurons-le encore une fois », proposent certains, «et s’il ne veut toujours pas
1320
nous parler, attaquons-le sans crainte. » Ils le conjurent donc à nouveau et un jeune homme, plus hardi que les autres, s’avance et prend la parole: — « Toi qui pends là, par tous les gens, et par le Pape, qui est, Notre-Seigneur mis à part, l’homme le plus haut placé que je connaisse, je te conjure, si tu es doué de parole, dépêche-toi de me répondre. Par tout ce en quoi tu crois, je te conjure, par le roi de France et toute sa suite, par le roi d’Angleterre,
par les bois, les prés, la terre tout
entière, par toutes les créatures, par la prunelle de tes yeux et toute ta personne, dis-moi si tu viens de par Dieu; sinon, par mon 83
De bois, de pré, de tote terre Et de trestote creature, De tes eus et de ta faiture,
Que me diez s’es de par Dé. Ou par celui qui me fist né, Ja te verras tot detrencher, 1330
Ne vois tu ci mon branc d’acher »? — « C’est noent » cil ont respondu. « Avant », font il, « baron cremu,
Assaillon a destre, a senestre »! Atant vint la mescine au prestre,
Si li passe conme devee : —
Avez vos » fait ele, « rovee
Ceste iglise par pute estreine? Ja est el mon seignor demeine. Ja conperrez, se Dex me saut, 1340
1350
84
Se ma conoille ne me faut ». Lors li passa a sa quenoille Et cruelment le dos li roille. Et Tybert durement tressaut : Et por neent, rien ne li vaut, Que il ne lor puet escaper. Lors saut le quointe bacheler, Celui qui s’espee avoit traite, Fiere envaïe li a faite. Celui qui tant l’ot conjuré Est meintenant vers lui alé : Entor son braz torelle a masse Son mantel, et puis si li passe. Seigniés s’est et puis veit avant, Un coup li done en reculant, Que les mailles de la pelice Li freint et delace et delice. Si le feri de grant aïr : A terre en fait un pan venir.
créateur, tu vas être taillé en pièces. Ne vois-tu pas cette épée d’acier, là, sous tes
yeux?
| — Nous n’en tirerons rien», font les au- … tres. « Allons-y! Hardi, compagnons! Sus à lui! » Mais voilà la fille qui vivait avec le curé qui s’avance, folle de colère : « Vous n’avez pas honte de vous en être pris à cette église! C’est le domaine de mon mari et vous allez le payer cher, que Dieu ait mon âme, si ma quenouille se montre à la hauteur!» Et, lutilisant comme une arme, elle l’abat vigoureusement … sur l’échine de Tibert qui rue et tressaute, mais à quoi bon? Il est bien incapable de leur. échapper. Le beau jeune homme (celui qui l'avait conjuré et avait tiré l’épée au clair) se précipite pour l’attaquer résolument; il passe à l’action après avoir entortillé son bras en paquet dans son manteau. Il fait le signe de la croix et, se fendant, puis rompant, il porte à Tibert un coup qui lui fausse, et même lui brise, les mailles de sa pelisse; un morceau en
1360
tombe à terre, mais la chair n’est pas mée, car l’épée, dans le mouvement de en bas, a quelque peu dévié, sans lui grand mal : « Voyez comme elle tranche
entahaut faire bien!
Si elle ne m'avait pas tourné dans la main, ce
serait vengeance faite. » 85
"3
VD 21e Er
Mes ne l’a en char adesé 1360 Q’el poin li est le bran torné. En tornant descendi aval, Ne li a fet gairez de mal. — « Vés », fait-il, « con trenche m’espee! - S’el ne me fust el poing tornee,
Ja en oùsse pris venjance ». Lors vint un vilein o sa lanche, Se li refet une envaïe. ere ESEL ARE A deux meins l’a forment brandie, . Parmi le cors le vout ferir.
Et Tybert li sout bien guenchir. Et li vileins outre passa, A une piere s’acopa : Sachés que la lanche a brisee _ Et une coste a pechoiee. Et le bacheler o l’espee Qui ot s’aleine recovree Et tot repris son hardement,
Li est passés hardiement. Li bacheler ot non Guillame Ferir le quida sor son haume, Mes à cestui coup a failli, Que Tybert li a bien guenci : -Ne l’a mie a cel coup ateint, L’espee entre ses poins li freint. Et il li passe o le tronçon, Si le feri el chaaingnon Que les las ou il ert laciez A a cel coup outre trenchés. Et Tybert qui molt esteit laz, 1390 S’en vait fuiant plus que le pas. Parmi l’uis s’en esteit sailliz, Et li vileins fut esbaïz Qui de lui ocire ert engrez,
86
C’est au tour d’un autre paysan, armé d’une lance, d’attaquer Tibert : il la brandit à : deux mains, d’un air décidé, dans l’intention
de le frapper à mi-corps, mais le chat réussit à lui faire manquer son coup et à éviter l’arme. L'homme bute sur une pierre et tombe: il s’en tire avec une côte brisée et sa lance est en morceaux. À nouveau, le jeune homme à l'épée (il s’appelait Guillaume), qui avait repris force et courage, s’en prend à Tibert F#® sans plus attendre; il veut le frapper sur le heaume, mais, pour cette fois, l’animal parvient à le tromper et à lui faire manquer son _ coup: au lieu d’atteindre son but, l’épée se brise entre ses mains et le tronçon subsistant va frapper le chat sur la nuque, juste à l'endroit où la corde était nouée : elle est tranchée du coup. Tibert tombe à terre et s'enfuit à toute allure malgré sa fatigue, sous le regard du paysan qui n’en croit pas ses yeux. Il se précipite en direction de la porte, brûlant toujours du désir de le tuer et criant aux autres : « Vite, courons-lui après! » Ils se
lancent à sa poursuite, mais il n’a pas à les craindre car l’obscurité de la nuit ne tarde pas à leur faire perdre sa trace et à lui permettre #® d'envisager un avenir différent : il était écrit que l’heure de sa mort n’était pas encore 87
Si lor escrie : « or tost aprez! » Si l’enchaucent molt durement, Et il nes dote de noiïent Que la nuit qui esteit oscure : Lor a fait perdre, et l’aventure Qui li estoit a avenir, 1400 Qu'il ne deveit mie morir. Li vilein s’en tornent atant. Et Tybert s’en vait devorant Les vileins et la pute au prestre, Molt les maudit et tot lor estre, Et puis Renart et s’ataïne. Que que Tybert einsi cemine, Li est venus Renart devant En sa voie parfont clinant : — « Hah », fait il, « bons ordenez, Por amor Deu car me donez, Que Dex li pere le vos mire, De vostre offrande, bauz doz sire! Et si me contés de vostre estre Que de vostre ordre voudroie estre, . Que molt vos siet bien cele estole
1420
88
Qui le vostre bel col acole. Et por Deu, sire, qui li mist De grant folie s’entremist, : Qu’ele resemble chaagnon A quoi l’en ait pendu laron ». — « Hahi », ce dit Tybert li chaz, « Male aventure ait tis baraz Et trestote la toe foi »! — « Dites vos », fait Renart, « à moi »? — « Oïl voir » Tybert respondi.— « De quoi vos a ge mal parti, Sire Tybert », Renart a dit. « Trestot avez sanz contredit
venue. Les paysans reviennent donc sur leurs _
pas tandis que Tibert les couvre de malédictions, eux, la femme du prêtre et leurs façons de faire, sans oublier Renart et la manière dont il l’avait entraîné.
1420
4
Mais voilà qu’il trouve sur son cheminle goupil qui le salue en s’inclinant profondément devant lui. * — « Allons », fait-il, « bon religieux, partagez avec nous les aumônes que vous avez reçues, pour l’amour de Dieu, très cher seigneur! Et que Dieu le Père vous le rende! Dites-moi quel est l’ordre auquel vous appartenez : j'aimerais y entrer, tant l’étole qui orne votre cou vous sied à ravir. Mais, seigneur, par Dieu, celui qui vous l’a passée s’y est mal pris : on dirait le collier qui sert à pendre les voleurs. — Maudites soient ta ruse, Renart, et ta prétendue bonne foi! — C’est à moi que vous tenez ces propos? — Oh! certes », répond Tibert. — Vous ai-je lésé en quelque chose, seigneur Tibert? En ce cas, gardez tout, je renonce à vous demander une part de l’offrande que vous avez reçue. Êtes-vous bien payé à ce compte? Ce soir, votre prise, vous 89
Vostre offrande tote l’aiez!
1430 Estes vos ore bien paiez? Anuit avés parti et pris,
Et d’itant avez vos mespris Que cil n’en a noient où Qui a la vigile a vos fu, Renart vostre bon conpaignon. Mes tenez vos, si oiez mon, Que dedenz cest brief ici a. Que orendroit le m’envoia Mi sire Huon le deien, Et si vos mande qu’à Roein
Soiez lundi devant manger Tot prest a ore de plaider Encontre le prestre del Brueil Qui a escrit dedenz cest fueil Trestot quanque il i vout metre. Orendroit le me fist tremetre,
1450
Et se vos bien ne m’en creez, Venez avant, si i gardez! Et plus i a encore el bref, Qu'il vos contredit, par mon chef, Le moster, et met en defois. Vos n’i chanterez mes des mois,
Ne mes ouan de si que la Que aurés de fide lesa Respundu devant l’archevesque Ou a la cort devant l’evesque Mon seignor Gauter de Costances, Avon nos mises noz sentances, Li prestres et je sanz mentir. Ensamble vos volom tenir », Fet soi Renart, « se vos volez ».
Lors par fu Tybert adolez, Tristres et doleros et laz,
90
l’avez partagée de façon siinjuste que vousen avez exclu celui qui était à vos côtés pour complies, Renart, votre bon compagnon. Mais tenez, écoutez plutôt dans son intégra-
lité le message que vient de m’envoyer Messire Huon,
le doyen:
il vous convoque à
# Rouen pour lundi matin; vous devez y être prêt à vous défendre contre le curé du Breuil,
c’est ce qui est écrit sur cette feuille: on me l’a transmise et, si vous ne me croyez pas, vous n’avez qu’à lire vous-même. D’autre part — et je ne vous en ai pas encore parlé —, le doyen vous interdit formellement d’entrer
dans cette église: vous allez être privé de chant pour plusieurs mois, peut-être même pour un an, jusqu’au moment où vous aurez répondu d’une accusation de sacrilège devant l’archevêque ou l’évêque, au tribunal. A vous dire le vrai, le curé et moi avons déposé nos
conclusions devant Monseigneur Gautier de
#0 Coutances et, avec votre accord, nous voulons qu’il n’y ait qu’un seul procès. » A cette nouvelle, l’accablement de Tibert, déjà abattu par les coups reçus et les moqueries subies, ne connaît plus de bornes. Il rentre tout droit chez lui. Ainsi se séparent les deux compagnons, à ce que dit l’histoire qui touche à sa fin. Renart, de son côté, retourne auprès 91
…
FAP
1470
Que por les cox, que por le gaz. Si s’en vait droit a sa meson. Si departent li conpaingnon, Ce dit l’estoire qui ci fine. S’en vait Renart a Hermeline. Si encontra un cras oison Qu'il enporta en sa maison. A sa feme atorne a manger Qui molt en avoit grant mester, ‘Et si li a trestot conté Conment Tybert l’avoit mené,
Conment le prist a achoisson.
Ce vos dit Richart de Lison Qui conmenché a ceste fable Por doner a son connestable : Se il i a en rien mespris, | 1480 Il n’en doit ja estre repris, Se il i a de son langaje : Que fox naïs il n’iert ja sage N'il ne vout gerpir sa nature, Que Dex nostre sire n’a cure. Toz jorz siet la pome el pomer. Ne vos veil avant rimoier.
92
d’Hermeline et trouve en chemin un oison
bien gras qu’il rapporte chez lui pour le Re donner à manger à sa femme qui en avait grand besoin. Puis il lui raconte tout au long ir l’aventure qui vient de le mettre aux prises … avec Tibert. Voilà l’histoire telle que la rapporte Richard de Lison, dans l'intention
de la dédier à son connétable. Il n’y a pas de “# reproche à lui adresser s’il lui est arrivé de s'exprimer avec maladresse ou d’avoir utilisé
des mots de sa province : chassez le naturel, il revient au galop, à moins d’un miracle. Onne peut demander que des pommes à un pommier, tel sera mon dernier mot.
93
IV
LES ANIMAUX
ET LES HOMMES
br. IX Renart, Brun l'ours et le paysan Liétard.
. Jusqu'ici, les hommes n'ont pas été entièrement absents - du Roman de Renart. Mais, moines, marchands, paysans “et chasseurs, ils n'étaient que des utilités du récit. Détenteurs d'une nourriture convoitée, poseurs de pièges, - possesseurs de massues ou de meutes, ils représentaient - un échantillon étroit de l'humanité : celui avec lequel l'animal sauvage peut se trouver en contact. Sauf excep“tion (l'épisode de Renart teinturier), les relations entre les deux univers demeuraient celles de la réalité : fermiers “donnant la chasse au goupil voleur de poules et goupil fuyant devant les chiens; face aux personnages humains, “les animaux humanisés reviennent à l'état de sauva| gine. Cependant, dès lors, les rapports entre les bêtes, à l'intérieur même de leur société anthropomorphique, sont
complexes. Ces « seigneurs » que sont Renart et Ysengrin .montent à cheval : il y a donc des « animaux d'animaux » “qui n'ont droit ni à la parole, ni à une personnalité, |“c'est-à-dire qui ont le statut des animaux domestiques
Ë ÿ
95
auprès des hommes. Il y a d'autre part des bêtes qui ont une double appartenance : si la cour de Noble est surtout constituée d'animaux sauvages, alors que les animaux domestiques — appartenant à l’ « autre » monde, celui des hommes — n'y ont pas accès, il est des exceptions : la plus curieuse est celle de certaines poules (Pinte, Coupée) qui, tantôt vivent dans le poulailler d'un fermier, tantôt font partie de la société animale; il en est de même, au premier chef, pour le coq Chantecler qui apparaîtra de plus en plus comme l’un des barons de Noble. Mais, à ce stade, il n'est pas encore question de relations nouvelles entre la société des hommes et celle des animaux, thème que le développement de l'anthropomorphisme à l'intérieur du Roman fait pourtant attendre. Ces relations sont en revanche le sujet même de la branche IX. Hommes et animaux s'y parlent : les deux sociétés ne sont plus étrangères l’une à l'autre et il n'y a plus d’hostilité irréductible entre elles : le paysan Liétard trouvera en Renart un allié contre Brun l'ours, puis en l'âne Timer contre Renart. Il n'y a pas de solidarité animale face aux hommes. Certes, une double hiérarchie — politique — subsiste: les animaux dépendent de Noble, le seigneur de Liétard est le comte Thibaud. Mais Liétard met l'ours dans son saloir pour le manger, comme celui-ci convoitait de le faire avec le bœuf Rougeaud, et comme Renart le fera avec la basse-cour de Liétard. De ce qui demeure cependant une confrontation homme/animal, l'homme ne sort pas grandi. Le naïf Liétard (et sa femme, plus rusée, devra, elle aussi, s'incliner) sera victime successivement de Brun (qui n'est pourtant pas présenté comme particulièrement astucieux dans l'ensemble du Roman) et de Renart dont il devra finalement satisfaire tous les caprices sous peine de se voir dénoncer par l'animal à son seigneur humain. La figure de l'homme se dégrade donc considérablement ici: il n'est plus
96
l'épo à haches et à pièges devant qui on “ ni riche marchand ou paysan que l'on vole mais furtive e Ge la crainte jamais apaisée de se faire prendre, i -sot He leon berne et ae l'on Re
97
On prestre É la Croiz en Brie,
; Qui Damledex doint bone vie Et ce que plus li atalente,
- À mis sun estuide et s’entente . A fere une novele branche De Rénart qui tant sout de ganche. L’estoire temoinne a vraie + Uns bons conteres, c’est la vraie, Este _ (Celui oï conter le conte)
.
W Qui tos les conteors sormonte : Qui soient de ci jusqu’en Puille; Si set molt de force de guille.
Cil temoingne l’estoire a voire,
Et por ce la devoms meus croire. Il avint ancienement,
Se l’aventure ne nos ment : Qui aferme le conte a voir,
-*C’uns vileins qui molt ot d’avoir, Tenanz, esparnables et chiches, 2 Plus que Constanz des Noes riches
Que l'en tient a ferm et a plein, ‘En son novel essart bien mein Prés d’un grant bois ses bos lia. Por le grant gaagn qu’il i a, Li est avis qu’il est trop tart ‘Venu atant a son essart.
Si ert encore bel le jor. Mais repos, eise ne sejor Ne duist a vilein ne ne plest.
RENART, BRUN L’OURS ET LE PAYSAN LIÉTARD
(IX)
Un prêtre de la Croix-en-Brie (que Dieu lui
donne bonheur, santé et tout ce qu’il désire!) a pris soin de noter une autre aventure de Renart le trompeur. Un conteur, le meilleur
qui soit jusqu’au fin fond de l'Italie, nous affirme que cette histoire est authentique : lui-même l’a entendu raconter: c’est une bonne raison de lui faire confiance.
Il était une fois, dit le conte, un paysan plus * riche que Constant du Marais qui avait pourtant la réputation d’être fort à son aise; mais cela ne l’empêchait pas d’être regar-
dant, chiche et près de ses sous.
Un jour, il avait attelé ses bœufs de bon matin dans un champ qu’il venait de défricher,à la lisière d’une forêt. Le soleil était à
peine levé, mais, comme il y gagnait gros, il
trouvait qu’il s’était encore mis trop tard au travail. Il était loin encore d’être à la fin de la journée, mais le paysan ignore ce que c’est que de se reposer, de profiter du temps qui passe et de faire la grasse. matinée; plutôt que 99
. .
% N'a talent qu’en son lit arest, Puis qu’un poi voit le jor paroir: Que vileins ne deit ese avoir,
Ainz ireit en autre ovre fere, .Car molt par puet vilein mal-trere.
… Cil vilein dont je vos conmanz A conter merveillos romans, Huit bos a sa carue avoit.
En
la contree en ne savoit
.- Meillors bués qu’’estoient li suen. ! + Mais sor toz en i ot un buen Qui estoit apelés Rogeus. . Mais tant l’avoit par les fors leus + A son fiens trere demené . Et totes les saisons pené, | . Que lentement aloit le pas, . Por ce que feibles ert et las _ De grant travail, et auques megres. Li vilein qui fu fel et egres, Por ce que trop le sent a lent % Le point et dit par mautalent: « Rogel, trop estes alentis. Por vos ai sovent desmentiz Toz les vileins qui me disoient Por mes buez que il mesprisoient, Que je n’auroie pas de vos, Tant fusse d'argent sofreitoz, Vint et deus sols de dant Durant. Et je lor disoie en jurant, Por verité que ge ne mente, © Que je n’en prendroie pas trente, Non pas trente et deus au marché. Or avez plus le col chargié Del lien que n’a nus des set. Si n’avés encor gaires trait,
100
de resterà ne rien faire il se dépêcherait «
d’ entreprendre
un autre travail. tant il se
conduit en dépit du bon sens. | Ce paysan, qui est le héros de mon histoite, avait un attelage de huit bœufs, les meilleurs 6 de tout le pays, surtout celui que l’on appelait Rougeaud; mais il l’avait si bien malmené et épuisé, à lui faire tirer des charrois de fumier par tous les temps et dans lès chemins les plus
défoncés que l’animal avançait lentement, amaigri et affaibli qu’il était par l’excès de travail. Son maître, qui n’était pas tendre avec lui, le pique de l’aiguillon avec humeur pour le faire aller plus vite: — «Tu traînes, Rougeaud», s emporte t-il. « Pourtant,
j’ai souvent
contredit tous
mes voisins qui se moquaient de mes bœufs : ils prétendaient que, même si j'étais dans le besoin, Durand ne me donnerait pas vingtdeux sous de toi; et moi je jurais que, sans 60
mentir, je ne te céderais pas pour trente ni même pour trente-deux. Et voilà que le joug te pèse plus qu’aux sept autres, bien que tu n’aies pas encore beaucoup travaillé: il est trop tôt pour être déjà fatigué. Que les ours te dévorent avant le soir tombé!Tu me fais 101
:
Trop matin estes ja lassés. _. Ainz que cist jors seit trespassés, Vos puissent mal ors devorer: re trop me faites demorer
A arer un sellon de terre. * 70 En liu de vos me covient querre
=
_ Un bof a la feire. de mai. - Se Dex me desfende d’esmai, - Je voudroie que lous ou ors = Vos oüst osté a rebors Ce peliçon sans demorance, Que poi pris maïs vostre puissance.
Trop portés basse cele chere.
-
Mal ors hui cest jor vos requere! » Ce que dist li vileins engrés
Brun li ors qui el bois fu prés, A tot oï et escoté.
En un bosson avoit boté Le col et les pates devant. N’avoit mie poor de vent, Que nul chen nel pot iloc prendre. Por meus escoter et. entendre S’estoit prés el bosson repox: : Ne voussist pas por quinze sous Que n’oüst le vilein oï. Moit l’a la premesse esgoï.
A soi meismes dit tot coiz: — « Bien m'est avenuz ceste foiz. Or aurai ge, Deu merci, proie Sanz nule faille ceste voie. Ne m'irai or pas delaiant En aventure por neent. Or sa je bien ou chargerai La proie que g’enporterai. Un buef aurai sol a ma part,
102
Lué Lin.
perdre mon temps à labourer à cette allure! Il va falloir que j”achète une autre bête à la foire de mai pour te remplacer. Que Dieu m’aide! Je voudrais qu’ours et loups t’aient déjàécorché; tu n’es plus bonà rien! Tu portes la tête trop basse. Qu’un ours t’emporte au plus vite!» Qui avait entendu les paroles du paysan en
colère? C’était Brun l'ours qui s’était caché à l’orée du bois, dans un buisson, y glissant cou
et pattes de devant pour être plus près et mieux écouter : il ne craignait pas quele vent révèle sa présence, car aucun
chien n’était
capable de le surprendre là et il n’aurait voulu à aucun prix se trouver ailleurs. La promesse a
du paysan. le remplit d’aise et il se dit à lui-même: —
«Cette
| fois, la chance
est avec moi;
Dieu merci, je peux compter sur une proie
assurée. Je ne vais pas perdre mon temps à chercher aventure pour rien; je sais bien où Ts livraison de la prise que j'emporte: j'aurai, pour moi tout seul, un bœuf 100 “ru le Rougeaud de maître Liétard. Mais, avant qu’il laità lui, j’ai souvent été poursuivi par son chien et je me suis fait, à deux ou trois reprises, bién malgré moi, déchirer la 103
100 Rogel qui fu seignor Leotart. ' .. : Mes ançois qu’il fust primes sien
__ Sovent m’a fait sevre a son chen
Et fait descirer sor mon pois Mon peliçon deus fois ou trois. . Encui li vaudrai molt cher vendre. .… De la char Rogel crasse et tendre
_ Ferai encui mes gernons bruire,
__Qui qu’il doive plere ne nuire. Ce puet bien li vilein savoir 10 Que je voudrai mon bof avoir: ? Car je tieng promesse a chatal.
= N’en ferai mes autre jornal,
- G’ain meus sa char que il ne pense. … Et s’il i veut metre desfense . Ne arest, savoir puet sans faille, Enpris aura aspre bataille. . James n’aura envers moi pés Ne trives li vileins punés, __ Aiïnz le gerroierai tot tans, ° 0 Se consivre le puis as chans Ou en bois par son mal oùr, O je serai plus asoür A ce que dessirrer ai grant. Se Rogel le buef me desfent, Tel cop li donrai de ma pate Que j'ai fort et charnue et plate, En col ou en pis ou en face, Que je l’abatrai en la place. Mais c’est folie que je di,
10 Car je sai bien trestot de fi Que il n’i metre ja arest Que Rogel mon buef ne me lest Si con il le m’a en covent. Je l’ai oï loer sovent
104
peau du dos: aussi, je vais me venger. La chair. À de Rougeaud est si grasse et tendre! Je sens. 5
mes moustaches en frémir de plaisirà l’avan- É
ce, même si cela n’est pas du goût de tout le 4 monde.
Au paysan de savoir que je veux “2
prendre
possession
de mon. bœuf : chose 1e
promise, chose due; je ne m’en servirai pas pour labourer, j’aime mieux le manger. Et si. Liétard veut s’y opposer, qu’il sache bien qu’il trouvera à qui parler. Cette espèce de rustaud 120
n’aura de moi ni paix ni trêve; il m’aura sans cesse après lui, à lui causer des ennuis, aux champs si je peux l’y poursuivre et, sinon, We dans les bois où je serai plus tranquille pour faire ce que je veux. Oui, s’il me refuse Rougeaud, je le frapperai si bien de ma patte qui est forte, musclée et large, au cou, à la poitrine, au visage, que je l’abattrai sur place. Mais je dis des bêtises : pourquoi ferait-il des
difficultés pour me livrer Rougeaud puisqu'il me l’a promis? Je le lui ai entendu affirmer à plusieurs reprises; je vais lui faire tenir sa parole. Il ne peut pas me le refuser: nécessité fait loi. Qu'il le veuille ou non, j'aurai M l’animal, et peut-être que je ne lui en serai même
pas reconnaissant. »
105
|
140
Et afermer por veritable, Bien ferai sa parole estable. Nului tolir ne le me puet, Grant chosse a en fére l’estuet. Voille o ne voille je l’aurai, Ja espoir gré ne l’en saurai. » Ensi parole a soi tot sous Brun li ors qui ert anguissous De fein, dont molt est amortez; Mais auques est reconfortez Por ce qu'il ert en esperance De Rogel avoir sans dotance. Lors est del boisson sailli fors,
Molt ferement aquet son cors Et jeta un haut brait de goie. N'a mie poor que l’en l’oie, Que n’avoit prés de nule part Nului fors solement Leotart Et un gars qui avoc lui fu Qui les bués chace de vertu, Qu'il ot alué la seson. Atant del garçon nos taison, Et si parleron de Brun l’ors Qui vers le vilein vint le corz. Il sout bien sa proie espier, Ja voudra Rogel deslier. Quant il fu prés de la charue, A haute vois Lietart salue —
« Et Dex te saut, Lietart amis!
Ta En Ge Et
premesse en cest mein m’a mis grant esperance de bien. tieng Rogel ton bof a mi=n bien le doi a mieu tenir: Que ça m'a fait si mein venir
La premesse que me feïs
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Brun l’ours,àà moitié mort de faim, se parle + ainsi tout seul; mais en même temps, se : .
à proximité sauf Liétard et un valet engagé | pour la saison qui conduit les bœufs d'une main ferme. Mais laissons là le valet et revenons à Brun qui se dirige vers le paysan,
_ 1 guettant sa proie et prêt déjà à détacher le … bœuf. Dès qu’il est près de la charrue, il : interpelle son maître à haute voix: F — « Dieu te garde, cher ami Liétard! Ta 2 promesse de ce matin me fait escompter une bonne affaire. Je considère en effet que ton
bœuf Rougeaud est à moi et bien à moi: n'est-ce pas ce que tu as voulu dire quand, dans ta Hire tu lui as souhaité d’être mangé par un “maudit ours”? C’est ce qui _m’amène ici de si bon matin. Tu ne peux pas
nier : il est trop tard pour te dédire. Je vais lui faire sentir mes dents : détache-le-moi sans
faire d’histoires. Ce n’est pas le moment de rêver, ni de faire triste figure : Allons, dépê1# che-toi! Un honnête homme doit, sitôt qu’il 107
170 .Que
tu par maltalent deïs Que max ors le poist manger. Ne pués ta parole changer. Tu es trop tart au répentir, Je li ferai les dens sentir. Deslies le moi sans dangier,
: Ur:
Û
_Il n’est or pas tens de songier. Deslies le moi sanz demeure,
. Qu'il n’est or pas ne tens ne eure Que prodon face chere morne: 180 Ainz doit sitost con il ajorne, Si con tu fez, conmencer ovre,
Par ta richesse et lors te covre. Faz me tu chere felenesse? Paie, que je voil ma premesse. Ne fai ja por ce laide chere!
Je voudroie meus estre en bere Que ma premesse n’enportasse. Rogeus est une beste lasse, Caitive et feble et mal traians: De son trere est il mais noiens. Ja nel ferai lier ne traire Ne nul autre besoingne fere, Einz en enplirai ja ma pance. N’en fai ja laide contenance. Que tu n’i pues rien conquester. Se tu ne le vous arester Et delier le buef sans noise, J'ai en pensé que je te voise Doner de ma pate tel flat
Qu’à terre t’abatrai tot plat, Et lors serunt, si con moi sanble, A mon voloir li buef ensanble. Por ce le te di que meus t’ert Que Rogol que viellece aquiert,
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fait jour, se mettre au travail, comme tu en as 4
l'habitude d’ailleurs; rembourse-toi en t’acti-
vant.
Pourquoi
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regardes- tu de cet air À É
sournois? Paie-moi, je veux ce que tu m’ as” promis, et sans grimace. J'aimerais mieux
être mort plutôt que de ne pas emporter mon
dû. Rougeaud est fatigué, maigre; il n’a plus la force de tirer la charrue:je ne l’attellerai
pas pour le faire travailler au labour ni à quelque autre tâche, maïs je m’ en remplirai ee
la panse. A quoi bon faire la tête? Si tu ne veux pas l’arrêter et le détacher sans récri-
2 miner, je t’'assommerai si bien de ma patte que je t’aplatirai à terre; et alors, je crois que :
c’est tout ton attelage qui sera à moi. Sincè-
rement, ne vaut-il pas mieux pour toi que j'emporte seulement Rougeaud qui est bien
vieux plutôt que tes huit bœufs? Si tu les
perdais tous d’un seul coup, c’est alors que tu aurais sujet de te plaindre!» A ce discours, le paysan perd la tête: la violence de son émotion le fait transpirer tant et plus; il n’en revient pas d’être pris au piège de sa promesse et s’en veut d’avoir ss trop à la légère. Il cherche comment s’en tirer, mais il sait bien que devant l’ours, qui est
109 :
ne”
Soit mien seus que ensenble tuit : N'i aureis joie ne deduit Se toz le avoiez perduz. » Lors est vileins esperdus - De ce que Brun l’ors oï dire. 210 De mautalant tressue et d’ire, Molt dolanz est et esbahi,
Car par sa premesse est traï. Si li poisse de la parole Qu'il dist, et si la tint a fole. En meinte guisse se porpense, Bien set n’i a mester desfense Vers Brun qui est et grans et fors. N’i a mester nul reconforz, Qu’en poi d’ore estranglé aura 22 Les buez que ja nus nel saura,
_ Et lui mort ainz que l’en le sache. Meus li vient soufrirle damage D’un sol buef que de toz a tire, Que bien set, se a lui s’aïre, Lui meismes estranglera: Ne ja mes n’en eschapera. ‘ Bien set n’i a tencier mestier, Meuz puet par proiere esploitier
Que
par tençon ne par melee.
230 Ses bués aresta en l’aree,
Vers Brun l’ors forment s’umelie, . En plorant li dist, s’il deslie
Rogel si mein, que sa jornee Iert tote a noient atornee, Que nul esploit ne porra fere,
Que li set buef ne poent traire, |, Que trop est fors la terre et dure: Et sovent li aferme et jure Que granz merciz li devra rendre,
110
L'an
PES
2
2% grand et fort, il n’est pas de taille: inutile de se leurrer, l'animal aurait à vite fait de lesétran-
la perte dot seul bœuf ie dé huit, d'autant$ plus qu’il est sûr, en cas de dispute avec l’ours, d’avoir le dessous sans la moe ; chance d’échapper. A quoi bon le prendre de
haut? On obtient plus par la prière que par
‘ l’emportement et la violence. Aussi, Liétard .
arrête son attelage au milieu du labour et ce s’adresse humblement à Brun. Les larmes aux yeux, il lui dit que sa journée sera perdue s’il dételle Rougeaud de si bon matin : l’ouvrage n’avancera pas Car la terre est trop dure pour les sept autres bêtes; il insiste sur la * reconnaissance qu’il lui aura s’il veut bien attendre seulement jusqu’au lendemain:
—
« Je vous le remettrai volontiers dès le
matin, soyez-en sûr, je m’y engage sur la tête de mon fils Martin et de ma fille Constance;
mais je vous en prie, laissez-le-moi jusque-là et que Dieu vous en récompense! — Pas de délai, Liétard », répond l’ours, «vous me croyez plus bête que je ne suis : la fortune ne vient pas en dormant. C’est à 111
240
Se de Rogol li veut atendré Jusq’à lendemein solement.
. — « Molt volenters et bonement Le vos rendrai le matinet,
_- Foi que doi mon fils Martinet Et ma bele fille Costance,
N’en soiez vos ja en dotance! Vostre merci prestés le moi _ Jusqu'à le matin par ma foi, Que Dex bone joie vos doint! » — « Letart », fait il, «n’en auras point. Ne le me tornez ja a truit, Qui aise atent, eise li fuit. De Renart qui guillier ne fine Tien ge cest sen, molt vaut saisine. Se je rent ce dont sui saisis, Molt sereie malvaiz failliz.
Certes molt en seroie fol,
Se ce que je tieng a mon col Rendoie por bele parole Trop est cil fox que fol afole. Je metroie tot a demein Ce que je tieng ore en ma mein? Donc m’auroies tu bien trové Apertement a fol prové,
S’en aventure me metoie De la chose qui ore est moie. Bien seroie fol atrapez, Se de mes meins ere eschapez. 270
Je cuit et croi par seint Johan, Ne te verroie mes ouan. A ton pooir te garderoies
De toi metre més en mes voies. Einsi m’auroies tu tost fait, Que l’en doit, de bienfét col fret,
112
Renart, le meilleur expert en ruses, que j'emprunte la règle suivante: un bon tiens
vaut mieux que deux tu l’auras. Si je te donnais ce qui m’appartient en me laissant prendre à tes belles paroles, je neserais qu’un
# sot. Il faut être fou pour croire les fous. Je remettrais à demain de profiter de ce qui est à moi aujourd’hui? C’est alors que tu aurais des raisons de me prendre pour un parfait imbécile : que serais-je d’autre si je courais le risque de perdre ce qui me revient? Par saint Jean, je suis persuadé que je ne te reverrais à. pas de l’année; tu éviterais soigneusement de te trouver sur mon chemin; tu aurais vite fait d’agir selon le proverbe : pour un bienfait tèteæ coupée; on n’oblige jamais que des ingrats. Si j'acceptais de te faire confiance, tu te dépêcherais de me faire faux bond. Comme on #0 dit :chat échaudé craint l’eau froide. Je me souviens trop d’un paysan qui m’a manqué de parole sans en manifester de regret, sans me
. demander de délai ni réparer le tort qu’il m'avait causé. Cette année, aux vendanges, il
avait pris Dieu et ses anges à témoin qu’il me
donnerait en quantité, pour peu que Dieu lui prête vie, de ses rayons de miel (ma gour-
113
Tes sf
4 Mal
por bien a l’en por service.
Se ta foi en avoie prisse, … Tost en mentiroies ta foi, Se Dex me saut, et bien le croi = Por un vilein dont me sovient, ‘80 (L’en dit, escaudé eve crent) Qui ouan sa foi me menti,
Ne onques ne s’en repenti, Ne respit ne m’en demanda, _…
Ne vers moi ne s’en amenda.
_. Ce fu auan devant vendenges Que il jura Dex et ses angles Et se Dex li donast santé, Il me donroit a grant plenté De ses rees et de son miel Que je ain plus que rien sos ciel, Se ses deus chaïaus li rendoie Qu’au soir a manger atendoie. J'en pris sa foi, ne fui pas sages, Car c’est ore li pires gages Qui soit en l’ostel au vilain. Je ne sui mie cil qui l’ein Ne n’amerai jor de ma vie, Que de foi n’a ge nule envie, Ne prodom ne le doit prisier. 300 Qu’en ne puet mie justiscier Vilein, ne avoir en destroit.
Bien li semble qu’eschapé soit, Con en le vout par sa foi croire. Ja puis ne venra un sol oirre Por querre de sa foi respit: Trop a vilein foi en despit, Ne l’aime ne crient ne ne prise. Fox est qui par foi le justise, S’il le puet en autre manére
114
mandise préférée) si je lui rendais ses deux chiens dont je m’apprêtais à faire mon dîner. Sot que j'étais! je l’ai cru sur parole; et c’est à coup sûr le pire gage qui soit dans la maison d’un paysan. Je ne suis pas de ceux qui les aiment et je ne suis pas près de le faire; je suis même loin d’y songer, semblable en cela à tous les honnêtes gens; car il est impossible de
320
se faire rendre raison en justice de l’un d’eux ou d’avoir le dernier mot : ils considèrent en effet qu’ils sont tirés d’affaire dès qu’on accepte de les croire; comme ils n’ont qu’indifférence et mépris pour la parole donnée, ils ne feront plus un geste pour être relevés de leur serment. Aussi, il faut être bien sot pour. utiliser cette procédure avec eux quand on peut faire autrement. Je ne conseille à aucun seigneur de libérer sur simple parole un paysan de son domaine, alors qu’il le détient parce qu’il n’a pas payé l’impôt ou pour tout autre délit; c’est là une fort mauvaise garantie. Je parle par expérience; les paysans se moquent de la parole donnée; aussi est-il sage de se méfier d’eux. Je ne vois pas comment je pourrais te faire confiance à propos de ton
bœuf Rougeaud,; j'ai bien peur de trouver 115
30 Justicher que il ait plus chere.
. Ne lo a nul seingnor de terre, Se sun vilein pren et ensere Por son forfait ne por sa taille,
Que li vileins quite s’en aille .…
Por sa fiance solement:
Poi i a d’asoürement. Ce dirai que j’ai essaié:
| =
Ne sont pas viléin esmaié
__, Puis que vient a foi afier. . : 3%Nus prodom ne s’i doit fier. Que Rogel ton buef te recroie, Car je dot molt, se gel te croi,
.
La tricherie et la non foi
Que g’ai en meint autre trovee. » .: — «Sire Brun, vertés est provee »,
Ce dit Lietars et molt fort plore
\
« Bien le sai, se Dex me sequere, De meinte guise a jent el monde. _ 330 Que li un sunt de peché monde, Et molt en i a d’entechez
De toz les criminax pechez: Et desloiaus en i a meins,
A grennor plenté que de seins, Qui ne se vont pas esmaiant De mentir lor foi por noïant. Et de plussors n’est mie fable,
Qui sont prodome et veritable . Et ont a Damledeu bon cuer,
30 Qui ne voudroient a nul fuer Por nule rien lor foi mentir. Ja Dex ne me lait consentir Que ma foi mente a ome né! Trop m’auroit peché sormené
116
chez toi la même mauvaise foi et la même mauvaise volonté que chez beaucoup d’autres.
—
Seigneur
Brun»,
répond
Liétard
en
pleurant à chaudes larmes, « c’est une grande
vérité qu’il y a des gens de toutes sortes dans le monde; je le sais bien — que Dieu m’en soit
témoin! — nombreux sont les pécheurs dont l’âme est souillée par tous les péchés mortels, et on a plus de mal à trouver des gens honnêtes que des mécréants qui se moquent de manquer
à leurs engagements
”
pour un
rien. Mais, il faut le dire, il existe aussi des
gens honnêtes et de bonne foi qui craignent * Dieu et ne voudraient pour rien au monde se 1 parjurer. À Dieu ne plaise que je me mette jamais dans ce cas! Je serais tombé bien bas et il faudrait vraiment que je sois abandonné de Dieu. Laissez-moi Rougeaud sur parole, au
nom de Dieu, seulement jusqu’à demain. Sur la tête de Brunmatin ma femme, je vous le ramènerai,
sans
vous
mentir,
ici même
à
l’aube. — « Emmène-le donc», dit Brun l’ours, «et donne-lui du foin et de l’avoine; je le
voudrais
bien gras,
mais
il ne faut
pas 117
L LE D
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Vas wi
Er 2 En
ven,
ce
: Et Dex mis en grant obliance,
Se je mentoie ma fiance. Por Deu, Rogel me recreés! _ Ja demein ne vos ert veés. a‘Par la foi que doi Brunmatin Ci meïsmes le ramenrai, Que ja vers vos n’en mentirai.» - Brun liors respont : « Or l’enmeine,
_ Si li done fein et aveine! Je voudroie que plus fust cras, Mes ce ne puet ore estre pas, one sojor i covenroit grant. De lui me cuidai meintenant Orandroit ma fein estancher,
360 Et ge le raurai autant cher |
.
Demein con orendroit auroie.
02e
Je rirai tandis querre proie. »
_
Atant prent la foi du vilein,
nn!
*
: Sise mist meintenant du plein El bois : en une espesse lande
,
Entra por querre sa viande.
Entre ces choses le vilein .… Qui d’angoisse et d’ire ert plein, Deslia les set bués por pestre. 30 Ne pot a ese son cuer estre. Por ce les deslia sitost, Que lire et l’angoisse li tost De gaanner tot le talant. A Rogel se prist en alant A haute voiz a dementer,
N’a or pas talant de chanter. — « Haï, Rogel, bau bof et grant, Por vos doi molt estre dolant. Si sui je si con estre doi,
118
nl
CE
demander l’impossible : il aurait besoin d’un long repos. Je pensais me le mettre sous la * dent tout de suite mais je l’apprécierai autant demain et je vais me remettre en chasse d'ici là. »
NS
|
Il reçoit alors la promesse du paysan et quitte aussitôt le champ, s’enfonçant dans la
forêt, au plus épais des taillis, pour se mettre en quête de nourriture. Pendant ce temps, Liétard, partagé entre la colère et l’inquiétude, dételle ses bœufs, malgré l’heure matina-
le, pour les laisser paître. Il ne peut retrouver son
calme,
et le souci
lui fait oublier le
manque à gagner. Certes, il n’a pas le cœur à chanter; il ne sait que se lamenter à haute
voix devant Rougeaud: —
ri
« Hélas! mon bon et grand bœuf, j'ai
bien sujet de m’affliger à ton propos, puisque % C’est par ma faute que je te perds. Ce sont mes propres paroles qui vont te valoir un mauvais sort! Vraiment, il n’y a pas de quoi rire! Je t’ai livré aux maudites pattes de l’ours Brun — et il n’aura pas pitié de toi. Demain, il te mangera et son repas me coûtera cher. On a bien raison de dire : tant gratte chèvre que mal gît. Où avais-je la tête ce matin 119
Quant je vos ai tolu a moi. Ma parole fole et mavaisse _ Vos metra demain a malaise.
:380
_ Tot ça ge fet, amis Rogel, _
.
: Certes si en ai molte grant duel. En males meins vos ai jeté,
A
Brun l’ors qui est sans pité;
: Demein de vos se dinera, Ce disner molt me costera. : Voirement dist voir qui ce dist, 50Tant grate chevre que mal gist. J’estoie trop aise hui mein, - Quant je metoie en autrui mein Par promesse la moie chosse. S’or me blame forment et chose De ma folie et de ma perte
- Brunmatin la bele, l’aperte, Ne m'en doi mie mervellier. Je qui soloie conseillier Mes voisins trestos les plus sages,
Ai quis mon dol et mon damage. Las! or m’a Deu trop enhaï,
Quant je meïsmes me trahi. Dahait ait hui la moie geule! Qui avient une, n’avient seule: C’est ce que plus cren et redot, - Que je ne perde le mien tot,
410
Que si sovent ne me meschee Que mes avoirs a noient chee: Que donee m’est male estreine Au premier jor de la semeine. Or ne serai mes marcheant. J’estoie de si grant noiant Venu en auques en dis ans
Que deners avoie gisans
120
quand je me suis engagéà te donner à un autre, toi qui es à moi. Si la belle, habile Fa Brunmatin me reproche cette perte due à ma bêtise, je ne pourrai pas m’en étonner. D’être Se le conseiller écouté de tous mes voisins les plus sages ne m’a pas empêché de me mettre.
dans un mauvais cas. Hélas! il a fallu que Dieu m'en veuille pour que je me trahisse
moi-même.
Maudite
tête de linotte!
Et
comme un malheur n’arrive jamais seul, ce D que je crains surtout, c’est de voir la mal-
chance s’acharner sur moi et d’être complètement ruiné, car la semaine a mal commencé : aussi, je renonce à me mêler de commerce. Parti de rien, en dix ans, j'avais bien mis
cent livres en liquide de côté en plus du reste. terres, vignes, bœufs et vaches et, Dieu merci,
plus de réserves de froment, de vin, de lait et de fromage que paysan des environs. Mais maintenant, j'ai peur d’être sur la mauvaise pente et de me retrouver sur la paille; et pourtant, ce matin, je me jugeais bien pourvu avec mon train de labour de huit bœufs. Tel porte large capuchon sur la tête et pesante massue sur l’épaule qui devrait certes passer pour moins fou que moi “. Il est juste que je 121
T'AUDE
Bien entor cent livres ou plus
Sans autre chose le sorplus. Terres et vignes, bués et vaches, Forment et vin, lait et formaches
- Avoie plus, la Deu merci, 420 Que vilein qui fust prest de ci. _ Or dot que tot a nient aille, Et cuit et croi, sans nule faille
: Entrés sui de perdre en la voie. Hui matin m’ert avis c’avoie
_ Trop de huit bos en ma carue. Tel porte burel et maçue Grant et pesant desor son col Qu’en devroit tenir a meins fol En tos endrois que je ne sui. 430 Il est bien raison que l’anui … Que je ai prochacé reçoive. Drois est que ma folie boive. Certes jamais om qui riens sache Ne me pleindra de mon damage Que ge ai quis et porchacé. Si l’ai comme je l’ai traché, Il est bien raison que je l’aie. » Issi se demente et esmaie A. soi meïsme dan Lietarz. Entre ces cosses dant Renarz Proie porchace cel matin En un bois aprés del chemin, Quant il oï l’abai des chens Qui molt li estoient procheins Et molt prés l’aloient sivant, Et un vilein aprés huiant Aprés les chens par la forest. N'a ore talent qu’il s’arest, Aïnz cort a garison molt tost.
122
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reçoive la monnaie de ma pièce. Quand le vin.; est tiré, il faut le boire; assurément quand on.“ saura ce qui m'arrive, on ne me plaindra pas, : je l’ai bien cherché. On récolte ce que lona. semé. » 3| Ainsi se lamente maître Liétard. Pendant # ce temps, Renart était en chasse depuis fs: matin dans la forêt, non loin du chemin, . quand il perçut des aboiements qui se rapprochaient de lui dangereusement et les cris
d’un paysan qui excitait la meute après lui. Ce n’est pas pour lui le moment de penser à s'arrêter, il force l’allure pour trouver un abri. Caché dans le creux d’un chêne, il laisse
passer les chiens; fatigué par la poursuite, il préfère rester à se reposer étendu de tout son long tant qu’il les sait à proximité. Et c’est pendant qu’il somnole dans le creux de l’arbre qu’il entend Liétard pleurer et se #0 Jlamenter auprès de ses bœufs. II saute alors du trou et constate qu’il peut partir puisqu'il n’entend plus aboyer. Quittant le bois pour les champs, il accourt à toute allure auprès de Liétard qu’il trouve en larmes: — « Dieu te garde, paysan, qu'est-ce que tu as? Pourquoi pleures-tu? 123
…
ñ :
450 E] crués d’un chainne se repost
Tant que li chen soient passé. Qui molt l’avoient ja lassé.
N'a talant d’issir del crués més Tant con les chens sache si prés,
Einz se repose et estendelle El crués et un petit somelle. Tandis que se repose el crués,
Le vilein qui fu a ses bués, Qui ploure et se demente en haut,
40 Entroï et hors del crués saut. - Vis li est, aler s’en puet bien, Quant il n’i ot abai de chen. Del bois ist, a l’essart va droit
La ou le vilein ester voit Qui se dementoit en plorant. Vers le vilein en vint corant
Et prés de lui vint le grant saut. Si li dit : « Vilein, Dex te saut! Que as tu? por quoi fez tel doil? » 470 __ « Sire, nel saurois ja mon voil: Que se gel vos avoie dit, S’i conquerroie molt petit. Se mon grant dol vos descovroie,
Ja par vostre conseil n’auroie Ne nul confort ne nule aïe. » —
« Foux vileins, que Dex te maudie!
Tant par es fous, je le sai bien, Que tu ne me conois de rien. Certes se tu me coneüsses, 480 Ja si desconseilliés ne fusses Ne de nule riem esmaiés, Que tost ne fusses apaiés, Por quoi ge te voussise aider. Je'suï bon mestre de plaider,
124
— À quoi bon vous le dire, seigneur, : puisque je n’y gagnerai rien. Si je vous … confiais mon affaire, vous ne pourriez me donner ni aide ni conseil. — Espèce d’idiot! Que le diablet’cp Tu es assez bête, à ce que je vois, pour me # méconnaître; sans quoi, tu saurais que, si. mauvaise que soit ton affaire, tu aurais vite fait de t’en sortir pour peu que j'accepte dete venir en aide; car je suis passé maître en lait
de plaider, pee saint Pantaléon. A la cour de". Noble le lion, j'ai engagé de nombreux procès. : dans des conditions difficiles et j’ai souvent changé le tort en droit aussi bien que le droit en tort. Il peut se faire — et ça n’est pas arrivé qu’une fois — qu’un plaideur dont on considère pourtant l’action comme fondée perde son temps. Personne n’est de taille à me résister; j'ai fait briser la tête à l’un, le cou à l’autre, la cuisse au troisième. Tu n’as pas idée de ce que je suis capable de faire, pour le meilleur comme pour le pire. J’ai fait des-
cendre dans un puits Ysengrin, mon cher ® compère, et j'aurais fait la même chose à mon
père. Rien de surprenant là-dedans : cela s’est passé dans une abbaye de moines blancs; je 125
Foi que doi seint Panpalion: En la cort Noble le lion Ai ge meü meint aspre plet _ Et meintes fois de droit tort fet, 490
Et molt sovent de tort le droit: Ensi covient sovent que soit. Meint plaideor tient l’en a saje Qui sovent rendent le musage.
_ À meintai fait brisier la teste, (De moi ne se puet garder beste), L'autre le col, l’autre la cuisse.
500
Tu ne seis pas que fere puisse Tant mal tant bien, con fere puis. Je fis ja avaler el puis Dan Ysengrin mon cher compere. Si feïsse je lors mon pere. Nel doit om tenir a merveille,
Jel fis entrer en une selle EI puis ou avoit seals deus,
510
126
(Ce fu bone gile et bon jeus), En une abaiïe a blanc moines. D’iloc escapai a grant poines. Ou mors o retenus i fusse, Se Isengrin trové n’oüsse Qui ert apoiés a l’encastre Del puis qui ert vouté de plastre. De pité li fis le cuer tendre, Que je li fis croire et entendre Que g’ere en paradis terrestre, Et il dist qu’il i voudroit estre, Et ses voloirs li fist doloir, En l’eve l’apris a chaoir. Lui meïmes devant noel, Conme l’en met bacons en sel, Fis ge pescher en un estan
l’ai persuadé d’entrer dans un des deux seaux qui servaient à puiser l’eau; il a eu du mal à ;1 s'échapper: ce fut un bon tour et une ruse fort |
réussie. Mais c’est moi qui serais resté prisonnier, s’il n’était pas venu s’appuyer à Re margelle sous la voûte du puits. Je réussis à l’attendrir en. Jui faisant accroire que j’étais ‘au paradis terrestre; il voulait s’y rendre, disait-il, mais son désir se retourna contre lui. car je lui fis prendre un bain de siège. C'est ce 4 même Ysengrin que je convainquis, non sans £ astuce, un peu avant la Noël, au moment où … ** l’on met les jambons au saloir, de pêcher dans un étang où sa queue fut prise dans la glace et toute gelée avant qu’il se soit rendu compte
de ce qui arrivait. J’eus aussi le plaisir de prendre maint bon poisson et mainte anguille
dans la charrette d’un marchand en faisant le mort au milieu du chemin parce que j'avais trop grand faim: il me jeta dessus et là, je me
goinfrai de poissons. J’emportai deux chapelets d’anguilles fraîches et salées qui n’allaient pas tarder à faire saliver d'envie mon cher compère Ysengrin. Arrivé chez moi sur mes talons, il sentit leur odeur; à voix basse, il me pria naïvement de l’inviter, mais je lui 127
VAT
Par mon barat et par mon sen: Car ençois i fu saelee La coe en la glace et gelee Que il s’aperçut de ma guille. Maint bon pesson et meinté anguille Oi jo, qui molt en fui joiant, En la carete au marcheant, Que mort me fis enmi la voie Por ce que trop grant fain avoie. En la charete fui jetez, 530 Des pessons fui bien saolés. D’anguilles fresces et salees Enporta ge deus hardelees, Dont je fis puis molt delecher Ysengrin mon conpere chier. Aprés moi vint a mon manoir, Si senti les poissons oloir, Simplement a vois coie et basse Me pria que jel herbergasse. Et je li dis «ce ert noiens », 540 Que entrer ne pooit çaiens Nus hom qui ne soit de nostre ordre. . Por alecher et por amordre
D-520
Li donai d’anguille un tronçon Dont il delecha son gernon,
Dist qu’il voloit corone avoir
550
Et ge li fis large por voir. Onques n’i ot rasoir ne force: Les pous li esrachai par force: A pleine ole d’eve boillie. La corone fu si faitie Que cuir et poil en devala Par iloc ou l’eve avala, Et teste et vis ot escorché,
Que il sambla chat escorcié.
128
déclarai qu’il perdait son temps : il fallait être 540
moine comme moi pour être admis à entrer. Pour l’allécher et le faire mordre à l’appât, je lui donnai un tronçon d’anguille dont il se pourlécha les babines. Il affirma qu’il voulait recevoir la tonsure et j’exauçai très largement son vœu : foin du rasoir et des ciseaux; je lui
tondis les poils à zéro à l’aide d’un plein pot d’eau bouillante; la tonsure fut si réussie que, partout où l’eau avait coulé, il ne restait ni
560
peau ni poil, et qu’à regarder son crâne et sa figure, on l’aurait pris pour un chat écorché. Voilà la sauce à laquelle je l’ai accommodé. L'histoire .est de notoriété publique. J'ai . trompé et ridiculisé bien des gens sages, mais j'ai aussi donné beaucoup de bons conseils. Ce n’est pas pour rien qu’on m'appelle Renart. — Par Dieu, êtes-vous vraiment Renart? J’ai souvent entendu parler de vous, à la fois en bien et en mal. Impossible, à mon avis, de
trouver d’ici à Rome plus intelligent ou plus sensé que vous. Vous l’avez bien montré en réussissant à vous emparer du fromage de Tiécelin
le corbeau,
le fils de Chanteclin.
Vous êtes arrivé à le faire chanter grâce à 129
NE Re
À Yséngrin mui ceste sause: ‘ Ce ne fu pas parole fause, , Ainz est de meint home soü. _ Meint prodome a ge deceiü ‘Et meint sage abriconé, 560 Si ai meint bon conseil doné: . Par mon.droit non ai non Renart. » © —— «Par les sains Deu », ce dit Lietart, « Estes vos ce Renart, bau sire? . J'ai sovent.de vos oï dire PET bien et mal a meint prodome. Il n’a, ce cuit, de ci a Rome _ Plus requit de vos ne plus sage: + Que vos eüstes le fromage
| _
-Par vostre sen de Tiecelin 50 Le corbéil, le filz Chanteclin. :: Bien le soüstes enchanter,
Car tant le feïstes chanter
_ Que le formache li chaï. ° Meint prodome ‘avés esbaï, . Molt par avés de sens le los. pat : qu’il n’a ome si os _. Qui de cuer conseil vos rovast ‘Qui senpres en vos nel trovast.
‘ Sire, por Deu, moi conseilliez, ss Vos qui.a meins desconseilliés Avés meint bon conseil doné. - Le chef aï vuit et estoné . De dol et d’ire et del pens Dont tot est desvoiez mon sens. » :— «Or dit, viléin! conseil auras De ce que dire me sauras. Tost t'en porras apercevoir: . Mais que tel tot me dies voir.»
—
130
« Certes, sire; si fera gé.
-
votre ruse, si bien qu’il le laissa échapper. Vous avez étonné plus d’un sage et méritéla palme de l’astuce. Pour peu qu’on n’hésite pas à s’adresser franchement à vous, je crois qu’on est assuré de recevoir de judicieux conseils. Je vous en prie, seigneur, aidez-moi,
* vous qui êtes la Providence des cas désespérés. J’ai, quantà moi, la tête vide, et je n’en peux plus de tristesse, de colère et de RARE tout cela me rend fou!
00
— Eh bien, mon brave, je ne manquerai pas de te conseiller au mieux de ton intérêt,
mais à condition que tu me dises toute la vérité. —
Oui, bien sûr, seigneur. Le diable a si
bien fait mon siège ce matin qu’il a réussi à s'emparer de moi puisque, malgré toute mon expérience, j'ai tenu des propos aussi stupides. Mais le sage souvent déraisonne. Ce matin donc, hélas! comme la terre était dure à labourer et que j'étais en colère de voir Rougeaud qui faiblissait en tirant la charrue, j'ai souhaité qu’un maudit ours ou un loup lui saute dessus et le mange. Ce n’est pas tombé dans l'oreille d’un sourd et Brun me réclame son dû : il est fondé à le faire, c’est vrai. J’ai 131
_ #9 Bien m’avoit hui mein asejé _ Maufés, et mis en ses liens,
Quant ge qui bien sui anciens, Si fole parole disoie:
_. ES VON NE
Mais sages hom sovent foloie. _ Por ma terre qui trop est dure, Hui matin par mesaventure,
PERL
Dis a Rogel, com hom iriés,
_ Qui trop fu de traire enpiriés, _ Que maus ors manger le poüst 0 © los, qui sore lui corust. Brun li ors en obli nel mist,
‘ (TE ©
Avoir le vout sans contredit: Car il fu voir qu’avoir le dut. Jusqu’a demein le me recrut. Le matin quant se levera, A perdre le me convendra. Meis ço por coi je sui dolans, Que li damages en est grans: Jamais nul si bon buef n’aurai, N’en nul liu ne le troverai. » Renart en riant li a dit Por ce que il destroit le vit, — « Vilein », fait il, «or ne te chaut! Un jor de respit cent sols vaut, Gar que plus dementer ne t’oie, Après le doil vient la grant joie. Par ma guile et par mon savoir Te ferai tost grant joie avoir. J'ai en talant que je te die 60 Une merveillose voidie,
Que Rogel quiter te ferai Et l’ors meïsme te rendrai. Lores seroies tu bien quites. Mes j'auroie povres merites
12
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620
£
obtenu un délai jusqu’à demain,
Mais aüu
petit matin, il me faudra perdre mon bœuf. Voilà la raison de ma tristesse. C’est une grande perte car je n’en retrouverai jamais un
autre qui le vaille. » Renart rit de le voir si soucieux: —
«Ne
t’en fais pas, mon
ù brave!» lui
dit-il. « Un jour de sursis vaut de l’or, je ne
te
veux plus t’entendre te lamenter : la joie revient après la peine. Ma ruse et mon astuce feront bientôt ton bonheur. Je peux t’indiquer un moyen de garder ton Rougeaud et même, je te livrerai l’ours. Mais j'ai l’impression que .
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.
je recevrai de toi un maigre salaire. Il n’y a pas plus hypocrite que les paysans; ils pas-: sent leur temps à mentir. — Que le Dieu Tout-Puissant se détourne de moi si je vous refuse quoi que ce soit! Si vous me rendiez Rougeaud, tout ce que j'ai serait à VOUS. —— Je vais donc m’en occuper au plus tôt à condition que tu me donnes ce coq, Blanchard, que j’ai vu hier dans ton enclos.
—— J'irai vous le chercher demain de grand matin, seigneur, et j’y ajouterai pour vous 1330
_ : De toi si con je croi et pens. Vilein ment volonters tot tens
:
_ Et trop est de mal apensez ». -— «Siré», fait il, «ja n’i pensés! “+ Ja li Haus Rois si ne me hee ne * Que ja cose vos soit veee. _ Se Roguel me poïez rendre,
: Ce que ge ai porriez prendre . Con la vostre cose demeine ». > re
ttte Dont en entrerai je en peine
Et tost en serai en la voie, : Se ton blanc coc Blancart avoie -, Que je vi er en ton plaissier. » — «Sire, jel vos irai bailler _ Le coc demein bien matinet n Et o tot dix cras poçinet . Seront tuit en vostre plaisir. Demain vos en ferai saisir, rat N’en soiés ja en nule dote.» Renart le vilein bien escote.
.… Au vilain dist: « Entent a moi! Je te conseillerai en foi, : Que tu Rogel ton buef rauras Por Blancart que. tu pramis m'as. Un bon conseil te diré ja 650 Meillor que je ne fis piece a. Brun li ors vendra ci demein,
Rogel vodra avoir en plain: Le matinet devant la messe Avoir cuidera sa premesse. Demein matin quant tu vendras, Sos ta cape en ta mein tendraz Tot coiement une Cunnie Qui soit trenchant et agusie Tot de novel en un fort mance,
134
% plaire dix poussins bien gras. Vous les aurez demain pour sûr. — En ce cas », fait Renart, convaincu par ses paroles, «écoute-moi: je vais te dire”
comment récupérer ton bœuf Rougeaud en échange de Blanchard que tu m’as promis:et tu peux me faire confiance. Voici mon plan … (je n’en ai pas mis sur pied d’aussi adroit depuis longtemps) : demain matin, bien avant l’heure de la messe, Brun l'ours viendra ici sans faute, prendre livraison de Rougeaud,
puisque tu t’es engagé à le lui remettre. Toi tu arriveras avec, en main, dissimulés sous ta
pèlerine, une cognée bien affûtée à laquelle tu
auras adapté un manche neuf, très résistant, et un couteau aussi tranchant que celui d’un boucher. De mon côté, moi qui connais la musique, je guetterai sa venue. Alors, je ferai un tel vacarme de chiens et de trompes dans les parages que, sans mentir, le bois et les champs en résonneront tout à l’entour. Surpris d'entendre un bruit pareil, Brun l’ours te demandera de quoi il s’agit et toi, tu lui répondras du tac au tac, et sans avoir honte
de mentir : “ Ce sont les gens du comte (ce bois fait partie de son domaine) qui sont 135
4 ,
né
pa +
_ 0 Et un cotel qui bien fort trenche Con ce fust cotel a bocher.
k
Et ge, qui sai ben cor tocher, L’espierai sans atendue, Et quant je saurai sa venue, Ferai ci prés tel cornerie Et tel cri et tel huerie Que tot entor moi sans mentir Ferai plein et bois retenir. “Brun li ors te demandera, _ 6 Por ce qu’il se mervellera, Que ce est qui tel noise fet. ‘ Et tu li dies entresait (N’aies mie de mentir honte)
_ Que c’est la maisnie le conte * Qui cel bois est et cele terre,
. Que venus sont venoison querre, .Meint a cheval et meint a pié, Ni a nul qui ne tienge espié ‘ O bon levier o arc o hache; 680 Encui vouront fere damage Tuit a meinte savage beste, Que li quens vout contre la feste De pantecoste sa maison Moilt bien garnir de venison. Quant cest barat dit li auras Moilt bien au meus que tu sauras, Ce saches qu’il aura molt cher . Que tu l’aïdes a cocher Et a covrir dedenz ta reie, 690
136
Et tu le fas, s’il le te proie. Si fera il, ce sa ge bien. Ta connie prés de toi tien : Quant bien le verras estendu Et un poi auras atendu,
Le
PIE
His
Fe
venus chasser en grand nombre, tant à cheval qu’à pied, tous bien armés d’épieux, de leviers,
d’arcs
ou
de haches.
Ils ont tous
l'intention de faire un beau tableau de chasse car le comte souhaite bien pourvoir sa mai-
sonnée de gibier pour la Pentecôte. Quand tu lui auras raconté cette histoire de ton mieux,
sois sûr qu’il sera trop content que tu l’aidesà - se coucher et à se couvrir de terre au creux
d’un sillon. Ce que tu feras, s’il t’en prie
comme j'en suis assuré. Aie soin de garder ta cognée à portée de main, laisse-lui bien le >:
temps de s'étendre; montre-toi à la hauteur;
abats-le avec la cognée, frappe et refrappe, étourdis-le de coups jusqu’à ce qu’il ait la tête couronnée de rouge; le moment sera venu de l’égorger avec ton couteau bien affûté, et de le saigner : il n’en sera que meilleur à manger. La nuit venue, tu l’emporteras en cachette; car cela te coûterait cher si le comte venait à l’apprendre : il te prendrait tout ce que tu as et te ferait peut-être même mettre à mort. La chair te fera de bons morceaux à mettre saler
dans ton lardier et la peau des courroies à attacher les fléaux. Mais prends garde de tenir loyalement ta promesse car, de toute 137
Ne sembler mie coart ome,
De la coignie tost l’asome! Fier et refier, done et redone
Tant qu’il ait vermeile corone, Et le cotel de bone fourje 100 Li bote par desos la gorge! Lors le fai durement seigner, Meus vaudra la char a manger. De nuit l’en menras au repost, Que damage i auroies tost Se li cuens le pooit savoir. Il te toudroit tot ton avoir, Il te feroit espoir desfaire. Bones pieches en porras fere, En ton lardier le saleras "3 e Et de la pel fere porras Moilt bones capes a flaax. Mes garde que soies loiaux De rendre moi mon gerredon! Qar tu auras molt greignor don De moi que de toi ne prendrai. Car Rogel quite te rendrai, Et par moi auras l’ors en sel
Tot coiement en ton ostel. Lors auras tu bien esploité. » 720 Bien a fait le vilein haïtié La gile que Renart a dite. Au reconter molt se delite, Onques si bone n’out oïe: Plus de cinc cent fois l’en mercie. — « Sire Renart, a grant plenté Auroiz a vostre volenté Chapons et gelines et cos. A Deu vos conmant, je m’en vois. » A Deu le conmande et i] lui,
138
façon,
tu as plus à gagner que moi à ce
marché : je te rendrai Rougeaud quitte et, grâce à moi, tu auras, discrètement, par la même occasion, l’ours dans ton saloir. Tu auras vraiment fait une bonne affaire. »
7%
La ruse que Renart vient d’exposer réconforte le paysan qui prend plaisirà l’écouter :il n’en a jamais entendu de meilleure. Aussi ®
comble-t-il le goupil de remerciements : « Seigneur Renart, des chapons, poules et coqs, vous en aurez autant que vous voudrez. Que
Dieu vous garde, je m’en vais. » Sur ce, tous deux se disent au revoir etse séparent. L’homme rentre chez lui, tandis que Renart regagne la forêt où il se sent plus à l’aise qu’en terrain découvert. Sa ruse comble si bien d’aise Liétard qu’il en oublie tous ses soucis; il retourne chez lui en chantant, plein d’entrain et d’allégresse, * persuadé d’avoir sous peu dela viande d’ours dans son lardier. Le lendemain, au point du jour, il se lève, tout content, cachant sous sa pèlerine un couteau solide et une cognée bien affûtée : il
ne serait qu’un bon à rien si Brun l'ours lui échappait. Plein d’impatience, il se dépêche
139
arr
TT 730°
Jssi departent ambedui. Li vileins a l’ostel s’en vet, . Et Renars vers le bois se tret
Que il amoit plus que le plein.
- Moit a esbaudi le vilein :. La gile que Renart a fete. De noient més ne se dehete,
- Ainz est molt liés et molt joianz. _ Si s’en vait a l’ostel chantant, - Que il cuide bien sanz tarder 740 Avoir char d’ors en son larder. Tantost conme l’aube creva
« Li vileins molt liés se leva, . Un bon cotel mist soz sa cape. Se Brun li ors vis en escape, Il ne s’eime rien ne ne prise. : Une trançant coingnie a prise Qu'il mist sos sa cape a celé. _ Un garçonnet a apelé. Avis li est que trop demore, 750 Il ne cuide ja veoir l’ore Qu'il ait a son tranchant cotel A Brun l’ors reversé la pel. Ses bués chace plus que il pot, En son essart s’en vient le trot, Et le cotel et la coingnie Ot de soz sa chape muchie. Tandis qu’il antent a arer,
760
Brun l’ors ne se pot esgarer Qui del bois sout tos les trespas, Vint a l’essart plus que le pas Des pates derer regibant. Mais il ne set c’a l’oil li pent. Bien cuide que Rogel suen soit. Vers la carue vient tot droit,
140
Ce d
Ÿ
: ù
d'appeler son valet; il lui tardede voir le
moment où il aura écorchéla peau de #4 l’animal avec la lame aiguiséede son couteau. Il presse ses bœufs autant qu’il peut, les 12 menant au trot jusqu’au champ, le couteau et A
la cognée toujours soigneusement cachés sous sa pèlerine. Tandis qu’il se met au travail, Brun l'ours, qui connaissait assez bien le bois … ® pour ne pas risquer de s’y perdre, se hâte en direction du labour, ruant des pattes arrière, persuadé que Rougeaud est déjà à lui,ilnese doute pas de ce qui lui pend au bout du nez.Il court tout droit à la charrue et crie à
Liétard :
|
RE
de
— «Dételle le bœuf, allons, dételle-le! Pourquoi l’as-tu mis sous le joug? Ce n’est pas ce que tu m'avais promis, traître de paysan, fils de pute! te voilà en train de faire travailler les bœufs! Tu n’en fais qu’à ta téte
Liétard, qui s'entend bien à faire celui qui
a peur, répond en re et la tête basse: __ «Ne vous mettez pas en colère, seigneur, Rougeaud na guère souffert; je vous le remettrais immédiatement si j'étais au
141:
TER CRn
PTAS "Orr"
OT à LONRR PS
À haute vois Letart escrie — « Deslie, va, le buef deslie! Por quoi l’as tu soz le jou mis? Tu nel m’avoies pas premis, Desloiau vilein deputaire, 77C Que tu feïsses les bos traire. _ Tu as or fait ce que te plot. » Letart qui molt bien fere sot D’ome coart chere et samblant, Li respont basset en tranblant: — « Sire, or ne soiés pas iriez! Rogel n’est gerres enpiriés: C’orendroit le vos ramenroie, Se g’estoie au chef de la roie. Ma roie me laissiez parfere! » 780 Renart qui tot ot cel afere
Veiü de prés et espié, Un lonc cor qu’il avoit lié A son col, a mis a sa boce: Si fort et si très bien le toce Et conmenche a corner si haut, Que retentir en fait le gaut. Et quant li corners li anuie, Si escrie forment et hue Ausi con veneres qui chace Qui ses chens envoie a la trace. Moit fu granz la noise et li bruiz, Que molt en fu Renart bien duiz Et del corner et del huer. Et Brun l’ors conmence a muer. Le bruit et la noisse qu’il ot De rien ne li sit ne li plot, Ne la voussist or pas oïr,
Qu'il en cuidast molt mal joir. Molt s’esmaie et molt se merveille,
142
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ra Drer
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780
bout de mon sillon; laissez-moï l’achever. » Renart, qui avait suivi attentivement tout F le déroulement de l’affaire, porte alors àsa
derE *
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bouche une longue trompe qu’il s’était passée au cou et se met à en sonner avec tant. LÉ d’ardeur que tout le bois en retentit. Quand ilLeLES ; en a assez, il contrefait à grands cris les À appels du chasseur qui excite ses chiens sur la : trace du gibier. Le tohu-bohu est si énorme (car Renart est passé maître dans l’art de sonner et d’imiter les cris des chasseurs) qu'il S' commence à troubler Brun. Celui-ci préférerait ne pas entendre tout ce bruitquineluidit _ rien qui vaille, car il a peur que cela ne tourne mal. A la fois surpris et inquiet, il écoute #0 Jonguement en tendant l’oreille. Plus cela va, plus il s’effraie et craint l’assaut des chiens et les attaques des chasseurs. Aussi, tremblant de peur et sans plus songer à faire dételer Rougeaud, il rejoint Liétard et se contente de Lil
NP À n° Ent ST
lui dire tout bas:
—
«Dis-moi,
vient ce vacarme
Liétard, s’il te plaît, d’où
tonitruant qu’on entend
dans la forêt? Au nom de Dieu, dis-le-moi, je
t'en prie, et puisses-tu l’emporter en Paradis! »
143
4à«
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É
Conme plus oreille et escote De tant se crent il plus et dote. Molt crent que levrer ne l’asaille Et que venere aus mainz nel baille.
4 :
De poor tremble, a Letart vient.
x!
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Asés escote et oreille:
810
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De Rogel mes ne li sovient, N'a or talant qu’il le deslit. Simplement et bas li a dit: — «Or me dit, Letart, ne t’anuit, Qui a ceste noisse et cest bruit Conmencié en ceste forest? Por Deu di le moi, s’il te plest, Par teil convent que meuz t’en seit. » Letart qui taindis s’apensoit De respondre Brun par savoir Teil cose qui resanblast voir,
820
Li dit a loi d’ome recuit: — « Je t’en dirai ce que j’en cuit. J'ai oï dire a un ribaut, C’est la gent au conte Tebaut Par qui la terre est meintenue. En ceste forés est venue Qui est au conte tote quite Et a tote gent contredite Fors sol au conte et a sa gent. S’en i trovoit autre chaçant,
830
144
Li cuens le fereit errant pendre Que ja ne l’en porroit defendre Force d’amis ne gentillece, Avoir, proiere ne proece. C’est, ce cuit, sa mesnie tote Qu'il amena une grant rote. Venu sunt si matin chacer. Li un portent espié d’acher, :
Lo
Pendant ce temps, le paysan avait réfléchi à la façon de répondreà Brun en ayant Res de dire la vérité:
820
— « Voici ce que j'en pense», dit-il en … faisant l’homme avisé; « j’ai entendu dire par catVAL:SRrtÀ un vagabond que ce sont les gens du comte ‘
Thibaut, le seigneur de cette terre; la forêt est leur chasse gardée; si quelqu’un d’autre s’y
risquait, le comte aurait vite fait de le pendre et ni argent, ni prière, ni l'intervention de ses amis, ni sa haute naissance, ni sa valeur ne
pourraient le protéger. Je crois que ses gens sont venus chasser ici de grand matin. Lesuns portent des épées d’acier, d’autres un arc et des flèches, pour abattre les bêtes qui passent … à leur portée. D’autres ont suspendu une. trompe à leur cou et en sonnent, d’autres encore excitent les chiens de leurs cris. Le gibier fuit à travers bois et les valets chargés des lévriers (des chiens qui sont tout autre chose que des chiens de bergers) les poursuivent. Le comte en personne est là, monté sur un cheval rapide: il veut fournir sa cour en gibier pour la Pentecôte; cette fête lui coûte cent marcs chaque année et, cette fois, elle lui
reviendra
encore
à davantage,
car il y a
145
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Li autre arc et sajetes tienent. Par les bestes traiant s’en vienent Et lor donent meins mortels cox. Li autre ont cors a lor cox
Qu'il cornent et li autre huent. Les bestes par le bois s’en fuient. E ceus qui tenent les levrers, Molt meillors que chens a chevres, Corent par le bois a eslés,
Et li cuens meïsmes aprés Sor un chaceor qui tost cort, Que de venoison vout sa cort
Garnir a ceste_pantecoste
Qui chascun an cent mars li coste Et ouan plus li costera : 850 Que je cuit que li cuens fera DES EL Novaus chevaliers dusq’a vint,
Qui pieça si grant cort ne tint Con il voudra auan tenir, Que a sa cort fera venir Le meuz de la chevalerie Qui soit desus sa seignorie: Por c’est si mein la chose enprise. »
Si grant poor est a Brun prisse Qu'il ne se pot sor piés tenir, A tere le convint venir. — « Letart », fait il, « par ta merite, Que je te clein Rogol tot quite E que tes verais amis soie,
Laisse me chocer en ta roie Et de la terre bien me covre : Por Deu te pri, ne me decuvre A ces veneors, ne enseinne, Que s’il avient que l’en me preine, Escorcher me fera li cuens ».
146
longtemps qu’elle n’aura pas été si belle; il paraît qu’il veut armer chevaliers pas moins de vingt jeunes gens et réunir autour de lui tous les meilleurs chevaliers de son domaine. Voilà pourquoi la chasse a commencé si
…
tôt. »
Brun l'ours est si effrayé par ce récit qu'il ‘* ne peut plus se soutenir et tombe à terre:
.
— «Je te déclare quitte de Rougeaud pour ta peine, Liétard, et je promets d’être pour toi un ami fidèle; en échange, laisse-moi m'allonger au creux d’un de tes sillons et couvremoi bien de terre. Et, je t’en supplie, ne va pas dire où je suis à ces chasseurs; si je suis pris, le comte me fera écorcher. — D'accord pour faire ce que vous demandez, seigneur Brun, mais surtout faites attention qu'aucun des chasseurs ne vous entende : le comte serait trop heureux de vous avoir à sa fête. » Brun l’ours, fort effrayé, s’arrête au milieu d’un sillon où il s’étend de tout son long, # pensant ainsi échapper aux chasseurs, alors que la mort qu’il s’imagine être loin, lui pend au nez: tel croit lui tourner le dos qui se précipite au contraire au-devant d’elle. Il est 147
|
7
870 ___« Dan Brun», dit Letart, «toz vo buens
_
Sui toz aparelliez a fere. Mais je vos loeroie a tere _ C’aucuns veneres ne vos oie: Que li cuens en auroit grant joie, S’avoir vos poüst a sa feste. » Enmi une raie s’areste Brun li ors qui se dote tant. Iloc se coce et estent. Si li semble qu’escapés ert #0 Des veneors, mais sa mort quiert: _ Et quide estre de la mort loing,
Eur ne:
Mais ele li est prés du groing. _ Et tiel quide alonner sa mort Qui l’aproche et aprisme fort: Escapé quide estre por voir, Et il s’aïde a descevoir. Lietart qui la noisse bien plest Que Renart fet par la forest, De ses deus meins sa face tient, 80 Et de rire a peine se tient, Que molt trés grant joie a où De Rogel qu’il li a rendu. Si l’acoilli lors a covrir De la terre par grant aïr. Que qu’il le covre de la terre,
Sa coingnie pres de lui sere Et son cotel prés de lui met, De lui covrir bien s’entremet. Con il fu auques bien coverz,
900 Les euz que il tenoit overs Li conmande que il les cloe. Cil fait issi con cil li loe,
Que de nul agait ne se garde. Letard de rien plus ne se tarde,
148
:
sûr d’être tiré d’affaire au moment A
où il
creuse sa propre tombe. Liétard, que réjouit beaucoup le bruit que Renart mène dans ns, ayantla
deux mai forêt, se tient la tête à
toutes les peines du monde à ne pas éclater de rire, dans sa joie de garder Rougeaud. Soigneusement,
il se met à recouvrir l’ours de
terre tout en gardant sa cognée et son couteau à portée de main. Quand le travail est bien ® avancé, il demande à Brun de fermer les yeux.
Sans
méfiance,
celui-ci
s’empresse
d’obéir. Aussitôt, Liétard brandit la cognée à deux mains, le plus haut possible, afin de
frapper plus fort: il veut faire payer du premier coup à Brun ses prétentions de la veille et les difficultés qu'il lui a faites à propos de son bœuf. Il vise longuement, en homme pondéré, par crainte de manquer son coup, et abat la cognée sur la tête de l’ours : il frappe et refrappe avec une telle force que le sang jaillit; puis, il redouble si bien de coups qu’il lui brise le crâne; alors, sans plus de * crainte, il l’égorge avec le couteau dont la lame s’enfonce sans peine. Pour mieux se venger de la supériorité passée de Brun, il _s’acharne sur lui. Il lui plonge la lame de son 149
:: A dous meins hauce la coignie, . De soi l’a forment esloingnie,
_ Bien la hauce por meuz ferir. Au Le
premer le voudra merir grant orgoil et le danger
910 Qu’il li mena de son buef ier. _ Quant longuement out avisé
.
-_ Son coup a loi d’ome sené _. Que de faillir se dote trop,
_. Sorla teste jete le coup.
_Fiert et refiert de tel aïr . Que jus en fet le sanc venir. _ Tel coup li done de rechef . Que tot li a brisié le chef.
‘Ne le crient mes ne ne lé dote,
d.
9% Par desuz la gorge li bote Le bon cotel qui souef trenche. .. Meintenant del orgoil se venge * Qu'il li fist, ne l’espairgne point. Del cotel jusqu’al cuer li point . . Si que le sanc en cort et raie De tot le cors parmi la plaie. Bien et forment seigner le fet.
Un poin en suz del sanc le trait … À peine, que molt ert pesant. 93 N’an fera gaire de present, Par lui nel saura nus qui soit, Que por nule rien ne vodroit Que nus de ses voisins soüst Qu'en son larder car d’ors oùüst. As meins le covre au meus qu'il puet,
Ses bués sache a l’ostel et muet. Il fu liez et fet bele chere. Sa mollier que il ot molt chere Apele sol sans conpaingnie,
150
couteau jusqu’au cœur si bien que le sang sort en abondance de la plaie jusqu’à ce que le
cadavre soit saigné à blanc. Puis il le tire un peu à l'écart, non sans mal, à cause de son poids. Impossible pour lui d’en faire des cadeaux. Il ne faudrait surtout pas qu’un de ses voisins apprenne qu’il a de la viande #»
d'ours dans son saloir; aussi, aura-t-il soin de .
tenir sa langue. Après avoir, de son mieux, recouvert l’animal de terre avec ses mains, il rentre chez lui, poussant son attelage devant
lui. La joie peinte sur la figure, il prend à l'écart sa femme qu’il aimait beaucoup: —
« Mon amie », lui dit-il, « vous qui êtes
tout pour moi après Dieu, la sagesse populaire qui a toujours raison peut bien dire qu’il n’est si grand mal dont il ne sorte parfois un bien et vice-versa. Dieu m’a donné, comme on
dit, abondance de mûres en mon jardin pour en faire une liqueur qui flatte les palais des délicats; c’est ce qui m’est arrivé hier soir et,
sur ma foi, je vais vous dire comment. J’ai bien cru, hier matin, avoir fait moi-même
mon malheur, parce que j'avais dit à Rougeaud qui n’avançait pas, d’aller se faire, du même pas, manger par un ours. Et voilà que 151
%0 Si li a dit: — « Ma douce amie Qui aprés Deu me faites vivre,
Voirement dit voir a delivre Li vileins qui par tot bien dit, Qu’il n’est si grans max qui n’aït,
._ Ne bien qui ne nuisse par eures. Se Dex me doinst plenté de meures _ En mon plaissié por moré fere … Tel qui puisse a riche ome plere, Je puis bien afermer de voir 9% Que je l’essaiai bien ersoir, Par la grant foi que je vos doi,
_ Et si vos dirai bien por quoi. Bien cuidai avoir mon mal quis, Quant er matin a Rogel dis, Por ce qu’il traoit lentement, Que maus ors sanz prolaingnement Le mangast et le me tousist. Trestot meintenant Brun s’asist _ Joste moi et si le vint querre. %0 Sa felonie et sa guerre De moi et del mien comperasse,
Se a lui ne m’umeliasse. Il m’avoit pris a manecher. Et je le soi bien enlacher De blanches paroles et pestre: Que j'en ai esté a bon mestre. De bien lober buen mestre sui. Respit me dona jusqu’a hui. Mes a quoi feroie lonc conte? 97 S
Renart qui de bien faire a honte,
Tel gile et tel barat m’aprist
Par quoi dan Brun orendroit gist Mort et covert dedenz la roie. Mes or me conseille et avoie
152
%0 Brun se présente pour le prendre:si je ne le! . lui cède pas, dit-il, je saurai ce qu’il en ES :|
de l’avoir pour ennemi. Sur ce, il se RE menaçant, mais j'arrive si bien à l’entortiller Fe
et à le payer de bonnes paroles (c’est que j'ai
été à bonne école et que je m'y entends à tromper les gens) qu’il m’a donné un délai
Fo
jusqu’à aujourd’hui. Bref, Renart qui na honte que de bien faire m’a expliqué com- ne ment m'y prendre pour le tromper. Aussi,ce matin, le seigneur Brun est étendu raidemort et recouvert de terre au creux d’un sillon. Mais maintenant, il faut que vous me donniez
votre avis pour qu’on ne sache rien; car sile comte ou l’un des siens l’apprenait, ni or ni cs argent ne nous empêcheraient d’être mis à mal. » #0 Et elle, qui n’était pas sotte, le prend tendrement dans ses bras : il y avait plus de finesse dans son petit doigt que dans tout le corps de son mari qu’elle considérait comme un homme plutôt simple; il ne se risquait jamais à dire ou à faire quoi que ce soit qui puisse lui déplaire et elle avait la haute main sur lui car elle était née d’une meilleure famille. 153
*
Comment il ne fust ja soi. Que s’il estoit aperceü
_ © del conte o de sa gent,
_ Ne nos garroit or ni argent Que nos ne fusson afolé. » 980 Molt doucement l’a acolé
_Cele qui tant savoit de lobe: Meulz valoit que tote la robe Au vilein solement sa guimple. Que trové l’avoit fol et simple: Ne li osot dire ne fere Chosse qui li doùst desplere, Et desus le vilein est dame,
Por ce qu’ele ert gentil feme. Respondu li a en riant: — « Certes tot a mon escient Vos donrai je conseil, baus sire,
De ce que vos ai oï dire. Anquenuit devant l’ajornee Soit une charete atornee :
Et entre moi et Costancete Si le metron en la carete: Et nostre garçon Tribulez Sera o nos, se vos volez.
Issi porron nos esploiter, Nus ne vos venra agaiter. » Con ele a ce dit, si le bese.
Or esteit li vileins aesse De ce que sa feme dit ot, Et du conseil de li s’esgot. N’a talant qu'autre conseil pregne. Si li a dit : « Bele conpaigne, Nos le feron a vostre los. Tribulez n’est mie si os Que de ce conseil nos decovre.
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— « Voici ce que j'en pense, mon cher mari», lui répond-elle en souriant. eo
nuit, avant le lever du jour, préparons une charrette; entre Constance, vous et moi, nous arriverons bien à hisser l’ours dessus. Et, si vous voulez, emmenons Triboulet, le valet, avec nous. Ainsi, pas de danger : personne ne % viendra nous surprendre à cette heure.» Puis elle l’embrasse et lui est tout content … de ce qu’elle vient de lui dire; satisfait de ce 4 bon conseil et n’ayant nul envie de demander ! l’avis de quelqu'un d’autre, il approuve:
— « Ma chère femme, nous allons fairece que vous proposez : Triboulet n’est pas assez sot pour
nous
dénoncer;
nous
le mettrons ER
donc au courant, puisque nous avons besoin de lui. S’il plaît à Dieu et à Sa Mère, à nous
! |
quatre, nous arriverons, et sans mal, à sou-
|
lever l'ours. » Sans plus discuter, ils attendent l’heure. Liétard, qui n’a pas le cœur à dormir, veille
jusqu’au moment de préparer la charrette; à % minuit, il réveille sa femme, Constance et le
valet; puis, il s’arme d’un arc et de deux flèches dont il a l'habitude de se servir et qu’il passe à sa ceinture. Il se dépêche d’atteler, 155
1010 Ja ne li celerun cele ovre, _ Bien aurom mestier de s’ahie _Se Deu plaist et seinte Marie. Entre nos quatre leverons Brun, que ja grevé n’en serons. » La parole laissent atant. -Jusqu’a la minuit atant Sa charete a apareller. N’avoit cure de someller. Il ne dort mie ne someille. 102 À mienuit sa feme esveille Et Costancete et son garçon. S’a pris en sa mein un arçon Et deus fleces a sa ceinture,
_ Que bien sout trere par nature. Letart aprés point ne sejorne,
| !
La carete afete et atorne Sans noisse fere a plus que pot. Li chevaus ne va pas le trot: Aler le feit le petit pas. 1050 Et la charete ne bret pas, Que de seu l’avoit il bien ointe. Sa moillier et sa fille acointe Que eles ne dient un mot,
Et lor defent plus que il pot, Que de l’agait grant poor ont. Quant de la vile eslonnié sont Entor cinc archies ou sis, Li vileins qui estoit asis En la sele sor le cheval. 104 Le fet troter contre un val. Tant est alé les troz menuz, En sun essart en est venuz Ou il avoit covert Brun l’ors. De la terre l’avoient sors,
156
2.
Te
fait monter dans la charrette sa femme et sa
fille et part en faisant le moins de bruit
possible. Il ne mène pas son cheval au trot mais au pas et la charrette ne grince pas car il l’a soigneusement graissée de suif; quant aux deux femmes, il leur enjoint, avec la plus grande rigueur, de ne pas souffler mot, car il …
leur faut surtout éviter d’être surpris. Dès qu’il se sont éloignés du bourg de cinq ou six portées d’arc, le paysan, qui montait le 1040
cheval, lui fait prendre le trot; en suivant la
vallée, ils arrivent au champ où l’ours Brun était caché; à eux quatre, ils le débarrassent
de la terre, et le hissent non sans peine dans la
charrette. Liétard le rapporte chez lui et le FA dépèce dans les règles avec son couteau; la
1060
jeune Constance et sa mère se chargent de : laver chaque morceau à grande eau; puis, on cache le saloir bien rempli dans un vaste coffre. Le paysan s’empresse alors d’appeler son valet dont il craint quelque peu les réactions parce qu’il n’est pas de la famille. Touten lui faisant bon visage, il le supplie de ne rien dire à personne s’il a de l’amitié pour lui et ne veut pas risquer de lui faire courir un danger mortel. Le garçon lui donne sa parole: [SRE
_
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El caretil l’ont mis a paine. Litart a son ostel l’enmeine A son cotel bien le depiece. En son ostel chascune piece Fesoit lever en l’eve clere
105 Entre Costancete et sa mere. Le tenoil ou les piecez sont En une huce le repont. Litart qui plus celer ne velt, . Ne s’atarde que il n’apelt Le garçon, que il dote et crient
Por ce que ne li apartient: Et belement a bele chere Si li prie con il a chere .
L’amor et la vie de lui,
1060 Que ne le die a nullui. Li garçon li jure et afie. —
« Sire », fait il, «n’en dotés mie:
Que ja par moi n’iert decoverte Chose dont il vos veigne perte ». Sitost con li jors escleira . Renart qui ja bien ne fera, De Malpertus son fort plaissié S’en est issu le col baissié. A itant del aler estuide, 107 Que il bien de verité cuide Avoir les jelines Litart Et avoques le coc Blanchart. Il ne sera, ce dit, plus vis. Il quide, et si li est avis,
Que de trestot sire estre doie Et de Litart et de la proie Por Rogel que sauvé lui a. De loing le vilein espia Qui delez son plessié estoit:
158
— « Ne craignez rien, maître, ce n’est pas moi
qui vous
trop. »
ferai
du
tort
en
pates ue
Pendant ce temps, Renart, toujours prêt à
mal faire, quitte, au lever du jour, l'enceinte
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fortifiée de Maupertuis et se met en route, comptant sur les poules de Liétard et sur son coq Blanchard qui ne va pas faire long feu. 1 pense bien être le maître à la fois du paysanet
ÀÉ
du 1080
butin promis puisqu'il lui a conservé
Rougeaud. De loin, il épie l’homme qui était occupéà redresser un pieu de la palissade à
Lu
«0%
clôturant son jardin. Pressé par la faim, ilse glisse vers lui le long de la haie, persuadé que celui-ci ne fera pas de difficulté pour tenir sa parole, mais il est loin du compte. Liétard l’aperçoit, ce qui lui rappelle sa promesse; il prend la serpe et la cognée qui lui servaient à épointer les pieux; sa maison n’est pas loin de la haie qui l’entoure tout entière. Avant de faire demi-tour, il murmure entre ses dents,
prenant Dieu et Ses saints à témoins, que Renart va trouver à qui parler : « Il en mettra des mois à m’extorquer ce qu’il espère me
coûter aujourd’hui! Il ne doute pas de récupérer sur-le-champ ce qui lui a été promis, 159
|
1080
Une viez soif i redreçoit. Vers la haie Renart s’eslesse Conme celui que fein apresse: Bien cuide avoir sanz contredit
Ce que li vilains li ot dit. Mes autrement est que ne pense. Litart l’a veü, si s’apense De la premesse que li fist. . Sa sarpe et sa coingnie prist Dont aguisié avoit ses peus: Prés de la haie ert li osteux Qui de la haie estoit aceins. Damnedeu jura et ses seins Entre ses denz, ainz que s’en tort, Que Renart ert a povre cort, _ S'il atent a li aconter :
1109
— «Renart me quide plus coster Que ne me costera des mois. Il quide ore avoir demanois Ce que je li ai en convent. Mes issi con il a sovent Convent fausé et tant de fois, Si est il et raison et drois Del engingneür qu’en l’engint. » Issi parlant a l’ostel vint,
Ou trova filant Brunmatin. — « Trop laissiés ovre par matin, Sire malvés vilein », fait ele. Et il li a dit : « Demoiselle, 1110
Por Deu, or ne vos corociés Ne a moi ne vos aïrés! Que ne sui pas encor si fous Que le matin mete a repos: . Einz venoie ici savoir,
Conment poïsse decevoir
160
1100
mais comme il a souvent manqué lui-même de parole, il n’est que juste et légitime qu’un trompeur se retrouve trompé. » Sur ces mots, il arrive à la maison où il trouve Brunmatin en train de filer: — « C’est bien tôt vous arrêter de travailler, méchant lourdaud! » fait-elle. — Calmez-vous, ma chère femme, ne vous
fâchez pas contre moi. Je ne suis pas encore assez fou pour me reposer le matin, mais je viens vous demander conseil pour abuser le seigneur Renart qui arrive tout droit ici. Il considère que nos poules et nos poulets sont à lui, et aussi Blanchard 1120
notre coq. C’est pour
cela qu’il s’en vient à toute allure; mais il va tomber
sur
un os, si tu peux
trouver
une
bonne idée. Creuse-toi la tête pour inventer une ruse quelconque. C’est justement pour cela que je suis venu; et je ne vois, — Dieu m'en soit témoin! — personne d’autre pour me donner conseil tandis que toi, puisque nous nous appartenons, c’est ton devoir de me dire ce qui vaut mieux pour nous, et nous
prendrons la décision en commun. Fais donc de ton mieux pour nous débarrasser de Renart qui compte bien manger nos poules et 161
| Renart qui ci < iloques vient. Les jelines a soes tient Et les pocins, si quide et croit,
Et que Blancars li cos sien soit. 1120
Por ce i vient il abrevé. Et a ahan iert arivé,
Se bon conseil i puez trover. . Or i pués ton sen esprover, Se tu sés barat ni engin. _ Que por autre rien ça ne vin, Et je ne sai, se Dex me saut, Ame fors toi qui me consalt, Ne qui si conseiller me doie, ÉtOue je sui tiens et tu es moie. Et devez dire nostre bon, H30 Que li consaus est ausi tuen Con il est mien en un endroit. . Pens i de bon cuer orendroit,
Conment nos puisson estranger Renart qui bien quide mangier Nos jelines et nos capons. Certes se de lui escapons Par toi sans cost et sans despens,
Bons est tis baras et tis sens, Et si t’aura Dex apensee. » H40
Cele qui estoit apensee,
Li a respundu sans demore: — « Trové ai, se Dex me socore, Un bon barat qui molt vaudra,
Par quoi Renart atant faudra A ce que premis li avés, Se por ce fere le savez Qoiement sanz aparcevance. Trois mastins des mellors de France,
Li pires des trois ne le dote,
162
2 :
»
. 1140
nos chapons. Si nous nous en tirons sans bourse délier, on pourra bien dire que tu te seras montrée habile et que Dieu Vaura inspirée!» Et elle, en femme avisée, de lui répondre aussitôt : —
« J'ai trouvé, avec l’aide de Dieu, une
ruse efficace, capable de faire perdre à Renart ce que vous lui avez promis, à condition que vous vous y preniez sans lui donner matière à soupçon. Les trois chiens qui couchent là en dessous (ils n’ont pas leur pareil dans tout le pays .et le moins bon d’entre eux ne craint pas Renart), faites-les entrer, —
1160
voilà l’astuce —
et attachez-les
dans la grange, — et faites attention que les laisses soient solides. Donnez-leur du pain à manger pour qu’ils n’aboient pas; autrement, ils pourraient effrayer Renart et le faire s'enfuir jusqu’à son repaire: nous n’aurions rien gagné et tout serait à recommencer; laissez-le s'approcher sans l’inquiéter et que votre valet tienne court les chiens en laisse à côté de la porte de la grange. Quand il sera tout près, alors, excitez les chiens et faites-les
lâcher sur lui; s’ils arrivent à le serrer de près, 163
Fais
1150
Qui sont laienz en cele crote Amenez conme veiziez. En vostre granche les liez, Et gardés que bons lienz aient. Del pain lor donés qu’il n’abaient: Que tost porroent esmaier Dan Renart par lor abaier,
Si s’en fuiroit a sun recet. Issi n’aureon nos rien fait Et seroit a reconmencher. 160 Or le laissiez bien avancher Et tot asoür ça venir,
Les mastins faites detenir A vostre garçonet tot trois A l’uis de la grange detrois. Quant Renart sera aprociés, Les chiens maintenant li huiés, Et cil les laist aler aprés: S’il le poent tenir de prés, 1170
Il li depeceront la pel Et li ferunt roge capel. Molt vos vaudra, si con je cuit,
Bien sa gorge set sols ou huit, A ce que ele est de seison. Issi con le di, le faison, Que ja ne porreem meulz fere. Et vos por plus Renart atrere Qui ja est si prés avalés, _ A nostre haie vos alez _ Et vostre ovre reconmenciez, A Renart de rien ne tenciez:
Se il dist Blanchart li donez, Et vos par bel li responés A po de parole brefment : ‘“Renart, sachés veraement,
164
4 PR has
ils le mordront au sang et le couronneront de rouge. À mon avis, sa peau vaudra bien sept ou huit sous, car c’est la saison où elle est
belle. Faisons ainsi, il n’y a pas mieux; et vous, pour appâter plus sûrement le goupil, qui est déjà presque tombé dans le piège, retournez à notre palissade et remettez-vous
1 au travail; ne le prenez pas de haut avec lui: s’il vous dit de lui donner Blanchart, répondez-lui humblement et rapidement : “ lecoq n’a certes
pas
de quoi vous
faire envie,
Renart, car il est coriace : il ne mange que ce
qu’il trouve dans le chaume. Je suis sûr qu’un . Jour et une nuit ne suffiraient pas pour le faire cuire à point. Des mets tendres à manger vous conviendraient mieux : chapons, jeunes poules, poulets et oisons; et si vous ne voulez pas en démordre, laissez-le nous quinze jours, pour qu’il ait le temps d’engraisser : vous n’y perdrez rien, car maintenant, il n’est pas bon
?0 à manger”. Voilà comment le tromper, ce traître, ce fourbe! Voilà qui nous servira de justification. En lui parlant ainsi, vous l’abuserez plus facilement qu’en vous disputant avec lui. De cette façon, Claveau, Corbeau et Tison nous vengeront et si, à eux trois, ils lui
165
Ja ne devreés avoir cure * :De Blancart, qui a la car dure - Et ne manjue que ren vaille . Fors ice que prent en la paille, |
Et que il ne seroit pas cuit
HW En
un jor et en une nuit,
Qui le metreit quire orendroit. Tendre chose vos convendroit A vostre manger : jelinetes, :: Chapons et oisons et poletes. _ Et se vos nel volés laissier,
_ Je le vos ferai engracier Quinze jors, si ert vostre prou Que il n’est ore a manger prou. ” Issi le porron losenger
1200 Le traïtor, le losenger. +!
Itex paroles, itex dit Si vaudrunt bien un escondit. Quant ces paroles li diroiz,
_ Asés plus bel l’escondiroiz !: Que se ves tenceez a lui. De lui nos vengeront encui
Claviax et Corbel et Tison, Qui l’en amenront a meson.
Cil troi sel poent açoper, 1210 Jamais n'iert a nos a soper. Et ja ne querra rien du nostre. » — « Foi que doi saint Pierre l’apostre, Bele suer, bons est li consauz, Ja si n’en ira or les sauz
Renart que nos ne le preignons A l’aïde des troi gaignons Qui li ferunt une envaïe. Si en aura mester d’aïe, Se il le pooient abatre.
166
tombent dessus, jamais plus il ne s’invitera chez nous à dîner ni ne nous demandera plus rien. » —
Par saint Pierre
l’apôtre, ma
a
chère,
voilà un bon conseil: si rapide qu’il soit,
Var tr à
P F
Renart ne pourra pas échapper aux attaques
1220
des chiens; et quand ils se seront emparés de lui, il ne lui restera plus qu’à appeler au secours. Je vais m'occuper à la clôture pour surveiller que, de son côté, il ne nous tende
à
# 42 pe
pas un piège. Que le valet retienne les chiens dans la grange, comme
tu l’as dit, et qu’il M
attende mon signal pour les lâcher. » Sur ce, il retourne tenaillé par la faim,
4
FN,»
à la haie. Renart, ne tarde pas à le
rejoindre, tandis que Liétard s’affaire à aiguiser ses pieux et à les enfoncer en terre pour boucher le trou de la palissade. II jure entre ses dents que cette promenade va coûter cher à l’animal et, pour que celui-ci ne l’aperçoive pas, il a soin de baisser la tête, Mais le goupil,
aussitôt accouru, l’interpelle: —
« Bonjour, Liétard! Va me chercher le
coq Blanchart. Je l’ai bien mérité car l’ours Brun ne serait pas à toi si je ne t’avais appris
1% comment le tromper et le tuér. Moi aussi, je dois être à la fête. »
167
| _
122 Je m’en vois a la soif esbatre, : Que il ne face aucune ganche. Li garçons tienne en la granche
Les chiens si con vos l’avés dit:
_ Quant je huerai, sis deslit. »
_
_
Atant va arere a la haie. Renart que fein grieve et esmaie, S'en va a la haie le trot : La ou li vileins sa soif clot Et aguise les pex et fice.
120 Entre ses denz jure et afice
Que cher li vendra cele voie. - Por ce que Renart ne le voie, Enbronce sa chere et abaisse. Renart vers le vilein s’eslaisse, Et li dit : — « Dex te saut, Litart! Va moi querre le coc Blancart! Je le doi avoir par raison. N'oüsses pas en ta meson
Brun l’ors, se ne t’oüsse apris 14 L’engin par quoi l’as mort et pris. Je en doi estre bien a cort. » Litart a fait semblant de sort Ausi conme s’il n’oïst gote. Renart en la haie se bote En la manere de fureit, Et s’apense qu’il li direit, Et li a hucé de rechef. Li vileins a hauché son chef Et l’a en travers regardé: 1250 — « Sire », fet il, « de la part Dé, Estes vos por le coc venuz? Il est et megres et menuz
Qu'il ne manjue nule riens Fors ce que il trove el fiens.
168
_
Commele paysan fait mine de ne pas
‘entendre, Renart se glisse sous la haie, comme un furet, réfléchissant à ce qu’il va
dire, puis l’interpelle de nouveau. Liétard lève la tête et lui jette un regard de côté: — « Au nom du ciel, seigneur, c’est pour le "#4 coq que vous venez? Il est bien maigre caril
ne mange que ce qu’il trouve à picorer surle … fumier. Il n’a que la peau sur lesosetcesont ses plumes qui lui donnent l’air gras. Si vous ë n’êtes pas pressé, donnez-lui quelques jours
de répit; vous devriez le laisser une semaine 1260
ou deux de plus pour qu’il ait le temps d’engraisser: il n’en sera que meilleur. Encore que, ce qu’il a, surtout, c’est qu'il est vieux : plus de trois ans, peut-être même de quatre; vous vous casseriez les dents dessus à essayer de le manger. Et, que Dieu m'aide, je
serais fâché qu’il vous arrive malheur de mon fait. Un jeune poulet ou un oison gras et tendre, chaque jour, voilà ce qu’il vous faudrait. Malheureusement, je n’ai ni chapon, ni oison, ni poule; pourtant, j'aurais aimé
vous les réserver et vous en régaler, car on ne doit jamais éconduire l’ami qui a recours à vous. Et sachez bien que je vous considère 169
Trop est chaitis, n’a que les os,
Et la plume le fait si gros. Se la demore ne vos tarde,
1260
1270
Encore n’aura li cos garde: Huit jors ou quinze .le laissiés Tant que soit un po engrasiés Et si vaudra il asés meuls. Ensorquetot il est trop vels, Bien a passez trois anz ou quatre. N'’i porriez la dent embatre Et vos brisereés les denz, Se Jhesu Criz me soit garanz. Et je seroie fort iriés, Se vos esteés enpiriez Par chosse qui de moi moüst. Mes qui jounes pocins oùst, O un oisonet gros et tendre, Bien vos i porreez entendre. Je n’ai capon, oison ne polle, Molt l’amasse a vostre gole, Se l’oùsse de quoi soigner. Que ja hom ne doit esloigner Son ami qui se met en soi. Certes que volenters vos voi
1280
Conme bon ami, et lié fusse S’aucune bone rien oùsse Dont je vos poüsse somondre. Ne soüsse a vos respondre Nule riem qui vos doùst plere. » Or ne se pot Renart plus tere, Avis li est que trop se test,
Que il li anuie et desplest La mençoigne que il entent. —
« Fol vilein, trop as dit atant,
Or me represte le frestel!
170
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à
comme un ami et que j’aurais été tout content |
de vous inviterà profiter de l’aubaine: je ne #0 saurais rien VOUS refuser qui puisse vous faire plaisir. » En Ce mensonge déplaît tropà à Renart pour à qu’il puisse garder le silence plus longtemps: — «Sot de paysan, en voilà assez : ànon : tour de faire entendre ma chanson. Tu penses ae LT DR Nr MO 22 ren IT |
t'en tirer avec de belles paroles et garder Blanchard, mais, pour ce qui est de la ruse,
j'en connais plus long que toi. Jet’aitiré d’un ARPAS
AUS C He 7
mauvais pas en te faisant gagnerdu temps pour Rougeaud et en te livrant Brun, grâce à | mon astuce. Tu m'avais donné ta parole de #
me remettre ton coqà la place, mais tu as
changé de ton. Menteur que tu es, espèce de rustre puant, tu me paies de mots :je vois bien que tout ce que tu me racontes n’est qu’un
tissu de mensonges, une série de calembredaines
mal ficelées; tu m’as abusé par de
belles paroles, mais, par le tonnerre de Dieu, avant quinze jours, tu te repentiras de ne pas avoir tenu ta promesse. Tu t’entends à flatter,
eh bien, je te ferai te gratter la tête d’embarras. Penses-tu en être quitte avec ces
fl
1290 Tu me quides et bien et bel Avoir escondit de Blancart. Et je sai tant engin et art Asés et plus que tu ne fés. Je t’ai d’un molt anoiax fés Et delivré et descargé, Que je t’ai Rogel atargé Et t’ai Brun par mon sen doné. Tu m’avoies abandoné Blancart le coc par ta parole: Or as esté a autre escole.
RARE Till es TS RCE Ds #4
1300
Desloiax vileins, faus et sers, De beles paroles me sers. LA Je sai bien conoistre tes bordes PET re M SrTP, PE Et tes lobes et tes falordes:
Et tu m’as premis sans doner. Mes par celui qui fet toner, Damage auras ainz quinseine, En ta premesse qui est veine. Tu entens ore a flater,
Mes de dol te ferai grater. Par bordes quides escaper”?
1310
Je te ferai encor fraper, Desloiaus esconmuniez.
Or ai bien esté merciez Par toi qui bel m'as aceilli, Et bele chere m’as fait hui. Puant vilein, con estes leres,
1320
Esteez devenu guileres”? Je vos vendrai chier vostre guile. Hui est li jors que trop avile Lecherie et bole empire,
Quant tu me cuides desconfire. Damage i auras, je t’afi. Des ore en avant te defi,
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inventions burlesques? Toi à qui on aurait we te (Ps Fi PI EN RL donné le Bon Dieu sans confession! Mais je
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me charge de te faire punir. Tu m'as bien TNTdu remercié aujourd’hui, en m'’accueillant ee 3
comme
tu l’as fait, et en me faisant bon
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visage. Cochon de paysan, sale voleur, voilà
que tu te mêles de vouloir me tromper! Je vais 5 te le faire payer cher! De nos jours, tout va mal : la malhonnêteté et la ruse triomphent partout; tu crois être plus fort que moi, mais
|
tu n’y gagneras rien, je t’en donne ma parole. A partir de maintenant, je te défie, et je vais m’employer à te causer tout le tort que je pourrai. » Dans sa mauvaise foi, Liétard, qui compte
sur les trois chiens, lui répond d’un ton hargneux qu’il y a loin de la parole à l'exploit; « Agis, Renart, ne perds pas ton temps à proférer des menaces : elles ne me feront pas reculer, ni te supplier de m’accorder une trêve ou la paix. Je n’en fais pas plus de cas que d’une guigne, et de même pour ta vantardise. Crois-tu me faire peur comme si j'étais un chat? J’en ai entendu d’autres, ma maisonnée
114 ne sera pas moins gaie pour cela ni notre porte plus tôt fermée. Moi, je ne crains guère ta .173
2
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… ca
À
Des ore te serai nuisant. » Litart qui fu a mal pensant Et qui es trois mastins se fie,
A respundu par felonnie: — « Renart, pou voi nuli qui face 153% Grant hardement qi si manace. Ton pooir fé sanz manacer: Ja ne ti verras enbracer, Ne prier por pés ne por trives. Ne pris pas deus foilles de cives Ton manecer ne ton vanter.
Sui je chaz a espoenter? Je ai meinte manace oïe: Ja por ce n’ert moins esjoïe Ma mesnie por ceste cose,
1340 Ne nostre porte plus tost close. Je sui cil qui poi cren et dote Ton pooir et ta force tote. N’ai poor ne garde te toi. Po de tex maneceors voi Qui parolent si egrement, Qui aient geres hardement, Quant vienent a un po d’efors. Tu es asés sages et fors: En toz mes nuisemenz te met 1350 Et de moi nuire t’entremet
Et en apert et a celé! Tu m'as ici serf apelé Et traïtor et desloial; Mes je te puis plus fere mal Que tu ne porroies moi fere. Je ne te qier mais a retraire De moi fere mal et anui. Je te conmencerai ancui A nuire et a contralier.
174
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force ni ta puissance et je n’ai pas peur de toi. We Les faiseurs d’embarras de ton espèce, qui sont si forts en gueule, j’en vois bien peu de CA 1
hardis, lorsqu’il s’agit de passer à l’action. Tu
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ne manques ni d’astuce ni d’audace. Eh bien, neFe PE RA R IEP
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efforce-toi de me nuire de ton mieux, ouver-
tement ou par en dessous. Tu m’as traité de LE + cochon de paysan, de menteur, de parjure; : moi, je suis capable de te faire plus de mal re ET 7 R rS que tu ne pourrais m’en causer. Aussi, jenete ve demande plus de m’épargner; au contraire, AE c’est moi qui prends, sans plus attendre, ee l'initiative des hostilités. Robin, lâche lestrois
RL LE vale
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chiens et excite-les. »
Le valet laisse tomber sa pêlerine à terre et crie après les chiens en les talonnant. D’un saut, Claveau, Corbeau et Tison sont hors de
la cour et se lancent à la poursuite de Renart en aboyant.
Mais il est déjà loin, sachant
qu’ils ne seront pas aux petits soins pour lui s'ils
ss
le rattrapent.
Le
premier,
Claveau,
arrive à sa hauteur et lui mord l'oreille au sang : le goupil n’est pas à la fête. Après quoi, c’est Corbeau qui lui plante ses crocs dans la queue; il la lui arrache toute d’un coup de dents au ras de l’arrière-train, ne lui en 175
1360
1370
1380
Robelet, va tost destier Les trois mastins et si les hue! » Li gars sa chape a terre rue, Les chens hua et aprés cort. Li mastin saillent de la cort: Aprés lui corent abaiant. Del atendre est il noient, Ne li feront pas ses aviax. Prés de lui s’areste Claviax, Et l’aert as dens par l’oreille Qui en pou d’ore fu vermeille. Ne li est mie li jox baus, Qu’aprés celui veneit Corbax. Les denz en la coe li bote Que il li a ronpue tote, Et par dejoste le crepon N'i remeist que le boteron. Par ces ne fust pas retenus, S’aprés ne fust Tison venus Qui l’a mors et li depelice Par desus le dos la pelice Que il avoit et grande et lee. Iloc li a tote pelee,
Jusqu’en la vive car l’a mors. A peines est de la estors Renart qi estoit deplaiés Et de seinier afebloiés,
1390
Sivre le poüssiés par trace. Si est pensis, ne set que face. Bien set, n’i a mester peresce, Se en son cuer n’atret proece, Que vers les chens n’a nule force.
De son cors aieser s’eforce. A Malpertuis en vint les sauz Ou gaires ne crent lor asaus.
176
es N
laissant
qu’un
moignon. Mais
Renart se
serait facilement débarrassé de ses assaillants si Tison, à son tour, ne s’était misà le mordre
et à lui déchirer la peau; il lui écorche la ® grande fourrure de son dos si bien qu’on dirait qu'il a la pelade : sa chair est à vif. Couvert de blessures et affaibli par la perte de sang (on pourrait le suivre à la trace), il a toutes les peines du monde à échapper aux chiens. «Comment m'en tirer?» se demande-t-il avec inquiétude. Il sait qu’il doit faire appel à toutes ses ressources, ce n’est pas le moment de faiblir, car ils sont plus forts que lui. Il rassemble ses dernières forces pour gagner Maupertuis et s’y mettre à l’abri de ses
poursuivants. Sitôt entré, et après avoir soigneusement fermé les portes, il se met à se lamenter et à se plaindre à Hermeline sa femme pendant qu’elle panse ses blessures: 1400
— «Ma chère femme, c’est un grand scandale de voir l’homme malfaisant — le voleur, le meurtrier, celui qui s’approprie le bien d’autrui en tournant
la loi, l’usurier,
celui qui se moque de la parole donnée, — ne jamais rencontrer de mauvaise fortune ni 177
Con il entra en Malpertuis, Si ferma sa porte et son huis. Il se pleint molt et se dehaite. Ses plaies li lie et afaite Hermeline qui est sa feme. Renart li a dit : — « Douce dame, Ou monde a une merveille, Que cil qui a mal fere veille,
Cil qui mordrist et cil qui emble _ Et qui autrui avoir asemble -O par faus plet o par usure Et qui de loiauté n’a cure, A celi ja mal ne carra Ne ja ne li mesavendra. Plus meschet il et mesavient
| 1410 A celui qui a bien se tient.
Je di ce que je sai de voir: Je qui soloie decevoir, N’avoie de cose disete Qui por aisse d’ome fust faite. Et por ce que je voil bien fere, Qui onques mes ne me pot plere Et que je ai pou meintenu, Por ce m'est il mesavenu. Jamés nul jor bien ne ferai 1420
Ne ja verité ne dirai,
Reson ne loiauté ne drois. Por ce que oan une fois - Avoie a bien fere entendu,
M'ierent li diable rendu. Certes jamais bien ne ferai, Ne jamais ne le meintenrai. Plus ai où et honte et let Por un sol bien que je ai fet, Que por mal que je feïsse onques. »
178
d’obstacle, tandis que celui qui agit confor_
mément au bien en toute occasion a, lui, plus de malheur et de difficultés dans l’existence.
Je parle par expérience : moi qui passais mon temps à tromper les gens, je ne manquais jamais de rien de ce qui contribue au plaisir de l’homme; mais parce que j’ai voulu faire une bonne action (ce que je regrette maintenant) — encore, n’ai-je pas longtemps persévéré dans cette intention, — les choses ont
mal tourné pour moi. Aussi, jamais plus je ne 2 ferai le bien, ni ne dirai la vérité, en ayant égard à ce qui est raisonnable et légitime. Pour une fois où je m'étais mêlé de bien faire,
ce sont les diables qui m’ont récompensé. Aussi, c’est bien fini, on ne m’y reprendra plus. On m’a fait plus de honte et de tort pour ce seul bienfait que pour tous les méfaits que
j'ai jamais accomplis. —
|
Mon cher mari, dites-moi donc, je vous
en supplie, qui vous a mis dans un état pareil. Votre toison est tout arrachée. Oui, vraiment,
je me demande où vous avez pu vous faire traiter ainsi. » Renart, du fond de son accablement, lui répond en poussant force soupirs: 179
1430 ___ « Sire », fet ele, « dites donques
Qui ce vos a fet et conment? » Fet ele; « je le vos conmant. Moilt par estes depeliscés, La verité en delicés,
Con vos estes si descirés ». Renart qui estoit fort irés, A respundu en sospirant: — «Or me va force enpirant, Hermeline, ma douce amie.
1440 Et por ce ne lera ge mie Por dolor ne per febleté : Que vos n’oés la verité Conment ai esté asalis Et conment ai esté bailliz, Conment ai mal por bien trové.
Je qui sovent ai esprové Mon sen, ma proece en tos lex,
M'en aloie toz famellex. Un poi devant none l’autrier 450 En aloie par un sentier
Qui bien estoit prés del essart A un vilein punés Litart Qui m’a ceste sausse meüe. Molt grant poor avoie oùe De deux mastins qui me sivoient Et bien prés de moi abitoient. Un pou genci hors de la voie Por ce que sans dote savoie, Se il retenir me poüssent, 1460 Qu’en petit d’ore mort m’oüssent, Et si fusse trop mal mené,
Quant trovai un chesne chevé, Que molt estoie ja lassé. En pou d’ore fui repassé,
180
bat
TEE LME
_ 1440
— «Ma chère Hérmeline, je suis au plus mal; mais la douleur et la faiblesse ne m’empêcheront pas de vous dire comment j’ai
été attaqué et traité et comment j’ai reçu un mal pour un bien. Moi qui ai souvent montré ce que je savais faire et ce dont j'étais capable, j'allais, avant-hier après-midi, l’estomac criant famine. Je suivais un sentier, à
proximité d’un champ qui appartient à Liétard : c’est le maudit paysan qui m’a mijoté ce mauvais tour. Deux chiens qui m’avaient effrayé étaient sur mes talons; aussi, je m'étais un peu écarté du chemin, sachant 1460
qu'ils auraient eu vite fait de me malmener et … de me tuer s’ils avaient pu me rattraper. Je finis par trouver un chêne : il était temps, car la fatigue se faisait sentir. Comme je m'en étais tiré sans me faire mordre, j’eus vite fait de reprendre des forces. J'étais sain et sauf,
ma fatigue comptait peu. Pendant que je me
reposais dans le creux du chêne, à côté du sentier et non loin du champ de Liétard, j'entendis le paysan en peine se lamenter auprès de son bœuf; il ne chantait pas, il n’était pas à la fête, mais il pleurait et il y avait de quoi: dans son égarement et sa 181
be7
En nul liu n’avoie esté mors. _ Puis que des mastins fui estors + Sanz plaie avoir par ma proesce, Petit prisai cele lasece. Tantdis que je me reposoie 1470 Ou cros qui ert delez la voie - Qui ert del essart Litart prés,
Si oï le vilein engrés Qui a son buef se dementoit, Et ne hoiloit ne ne chantoit.
… Il ploroit : si n’avoit pas tort, Que par ire et par desconfort A dan Brun l’ors prémis l’avoit, - Ne de lui conseil ne savoit.
Con il me conta son afere, Lors conmença je bien a fere, _ Je qui onques mes bien ne fiz: La quit je que je me mesfiz Quant je fis bien a mal oùr.
1480
Le vilein fis lié et seür: Por le vilein devin venerres.
… Tant fis que li vilein mentierres Brun l’ors ocist, si l’en mena. Tel gerredon rendu m’en a: Aprés moi a ses chens hués. Bien ai esté despelicez Si con il est aparissant. Ausi m'est avis que je sant
Lor denz ez oreillez, ez naches. Ma coe ont retenue en gages Lez troi mastins a lor sacher. Mes Litart le conperra cher,
Se do tot mon sen ne decline. » —
« Lessiez ester », dist Hermeline,
« Ne soiez pas si ezmaiez!
182
| colère, il avait promis à Brun l’ours de lui livrer Rougeaud et il ne voyait pas comment s’en tirer. Quand il m’eut raconté son histoire, je me mis en tête de faire une bonne action, ce qui ne m'était jamais arrivé; mais
c’est à moi que j'ai fait du mal en faisant un bien qui s’est retourné contre moi. Je lui donnai sujet de se rassurer et de se réjouir. Pour lui, je me suis fait chasseur. Bref, j'ai tant fait que ce sale menteur a tué l’ours et l’a emporté. Et voici ma récompense : il a lâché ses chiens sur moi et tu vois dans quel état ils ont mis mon pelage. Je crois encore sentir leurs dents me mordre les oreilles et l’arrièretrain. Quant à ma queue, les trois mâtins l’ont gardée en gage à force de tirer dessus. Mais Liétard va le payer cher ou je ne vaux plus rien. — 1500
Allons,
calme-toi»,
dit
Hermeline.
« Ne t’agite pas tant, tes blessures ne sont pas bien graves; tu devrais prendre les choses du bon côté et te réjouir à l’idée de pouvoir te venger sous peu si tu t’en donnes la peine. Tu pourrais le ruiner à petit feu, par exemple en emportant sa charrue pour la cacher dans le bois et la mettre en pièces; ou en lui volant les 183
100 Ja n’estes vos gaires plaez :Or vos doüssiés deporter De cest mal et reconforter,
Que vos estes en esperance De prendre hastive venjance, S’un po vos voleez pener. La charrue en poroiz mener, Depecher et el bois repondre. Le vilein porrois si confondre |
Petit et petit totes voiez.
_
150 © vos li enblez ses coroiez: Issi le porriez grever Que de dol le ferez crever, Le vilein felon deputere. Ja ne doüssiez tel dol fere. Ce vos doùüst tot dedoloir Que vos solonc vostre voloir En esclairerés vostre cuer. » — « Bele conpaigne, doce sor », Dit il, «bien ert faite la chose ».
152 Huit jors tos pleners se repose Que il en avoit grant mester. Ses plaies a fait afaiter A Hermeline bien sovent,
Et ele de cuer i entent. Renars de sa plaie se delt. Por ce que il recovrer velt Sa force que avoit perdue, Rien ne fet ne ne se remue De Malpertus sa maison fort. 1530 Ce li done grant reconfort Que il set que bien grevera Litart, con il s’en penera. Huit jors tos pleners i sojorne. À mienuit un main s’atorne,
184
traits dont il se sert pour atteler ses bœufs :il | en crèvera de douleur, le salaud! Loin de te rendre triste, voilà qui devrait te mettre du baume sur le cœur. "
A Ne rie
— 1520
Chère amie, chère femme, c’est bien ce.4
que nous allons faire. » à Renart passe huit jours entiers à se reposer,se ce qui n’est pas de trop, en laissant Hermeline lui soigner ses plaies avec amour. Il se plaint de son mal, mais.comme il veut retrouver sa vigueur passée, il reste à ne rien faire, sans bouger de Maupertuis, sa forteresse. Il se sent
déjà mieux à l’idée de causer du tort à Liétard
…
dès qu’il voudra s’en donner la peine. Après … huit jours de convalescence, il se prépare, … avant le lever du soleil, pour aller faire des ennuis au paysan qui s’apprêtait à atteler ses - bœufs. Pendant qu’il les regroupe, Renart qui était passé maître
dans
l’art de voler, lui
1% subtilise ses courroies d’attelage. Liétard n’a plus qu’à rassembler ses bêtes et les ramener à l’étable. Il crie et chante à haute voix, ne se méfiant de rien, puis, sans perdre de temps, il va droit au buisson... et ne voit pas les traits; il les cherche de tous les côtés, mais il pourrait chercher longtemps car, à ce qu’on dit, il faut 185
Por le vilein contralier
ou: Drétsé
Qui ses bués a pris a lier. Et tandis con il les asamble,
mar.
Renars ses coroies li emble, 1540
1550
Que bons mestres estoit d’enbler. Or puet li vilein asambler Ses bues et amener en toit. Il crioit en haut et chantoit Con hom qui d’agait ne se garde. Et plus n’i demore n’atarde, Vers le boisson en ala droit, Et les coroies pas ne voit. Quiert les et requiert par la terre, Et encor les poïst il querre, C’on dit, qui ne trove, ne prent. Et li vileins tot d’ire esprent, Jure et rejure, si s’espert Por ce que sa jornee pert. Il est dolanz et trespensez, Et de Renart s’est apensés Que par ire le defia. — « Alas! » fait il, «il m’espia, Renart li leres, li traïtres,
1560
Car le tenist la mort sobitez! Le gerredon m'a pris a rendre Por ce que je ne li voil rendre Blanchart que devoit estre suens. Li gerredons n’en est pas boens. Je ne puis a lui forçoier, Il me porroit ja peçoier La teste que ja nel verroie. Volenters m'en repentiroie, Se rien i valoit repentance. Mal i fis onques desfiance A Renart qui si me puet nuire,
186
4
AP rn
trouver pour prendre. Fou de colère, iljure ; et,De s’emporte, exaspéréà l’idée de perdre sa journée. Dans sa désolation, il pense à la F7 U
#
colère et au défi de Renart :
|
— « Hélas, c’est ce traître de Renart, a AIT nf PA AP DA CESVPN DES voleur, qui m’a épié. Qu'il en crève! Voilà.ee ® qu’il se met à me rendre la monnaiede ma pièce parce que j'ai refusé de lui remettre Blanchard comme il y avait droit. Quel retour de bâton! Je ne suis pas de forceà lui résister: 7
il pourrait m'’arracher la tête avant que je m'en sois rendu compte! J’essaierais volontiers le repentir, mais à quoi bon, après l’avoir mis au défi : il est bien capable de me causer
des ennuis! Ce qu’il veut, c’est ma ruine; c’est pourquoi il me prend mes outils de travail. Le marché est loin, il le sait, ce n’est pas un petit trajet que de s’y rendre et d’en revenir, et il est encore plus long et pénible pour moi qui boite des deux jambes. Je n’ai plus qu’à laisser vaguer mes bœufs dans le champ. 18 Renart me force à interrompre ma besogne, malgré que j’en aie! Je passais déjà mes jours et mes nuits à travailler sans repos et me voilà avec un surcroît d'ouvrage sur les bras. » Or, Timer, son âne d’Espagne, qui ne 187
…
» re th
14
|
‘EX
_ 150 Et a s’entente a moi destruire, ke - Que ce emble don ai besoing. tre Il seit que li marchez est loing, J’auroie ainçois maint pas marchié Que fusse venu au marché. Si en sereit li aler grés Que la voie n’est mie briés,
À ce que tort sui de deus hances. Or puis oan mes en amanches
YeFeu PAT
Les bués par ces chans envoier. 1580 Bien me fet Renart desvoier De mon besoing et destorber. Mal gré mien m’estuet sejorner. Ed POP DE, N'oüsse mester de sojor Ne de repos ne nuit ne jor. Toz jorz me croist ovre et entente. » EREF ont Tandis que Litart se demente,
Timer li asnes espanois Qui ne crent jelee ne nois, Oï dementer son seignor. 1590 A li est venu sans demor. Or saura il qu’il a, s’il puet. —
« Sire », fet il, «il vos estuet
Bon conseil prendre et demander, Qu’en ne poroit pas amender Einsi vostre avoir ne acrestre. Le vaillant d’un povre cevestre Renart, s’il puet, ne vos laira, Que envers vos felon cuer a. S’entente est a vos essiller. 1600 Et bien vos saurai conseiller,
Conment Renart iert abetez, Se loiaument me prometez A doner une mine d’orge ». — « Timer », dit Litart, « par seint Jorge,
188
À
:
(42
RG |d |
craint ni la gelée ni la neige, entend les r lamentations de son maître : aussi s’approk T
che-t-il sans tarder de lui pour savoir ce qu’il a, puis: Do. —
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FC PP
«Seigneur », dit-il, « quand on n’est pas à%
capable d'améliorer sa situation et de faire fructifier son bien, il faut demander conseil, mais pas à n'importe qui. Renart vous dépouillera jusqu’au dernier licol, s’il le peut; il cherche votre ruine, car il vous en veut.
“® Mais moi, je suis capable de vous donner un. F avis qui vous
permettra
de le tromper,
à
condition que vous me promettiez loyalement de me remettre une mesure d’orge. nn
—
Par saint Georges, Timer », dit Liétard,
« si tu arrives à tromper ce traître de rouquin, ce malgracieux, je te donnerai des chardons bien tendres. Mais qui serait capable de le prendre au piège, ce fieffé voleur? Non content de tromper les hommes, les oiseaux et
les autres animaux, il leur brise la tête de ses dents. Si je connaissais quelqu’un, — bête sauvage, oiseau ou homme, — qui soit assez rusé pour avoir une chance de l’emporter sur lui, je traverserais la mer pour aller le chercher. Renart est passé maître en renardie 189
2 ES Se par vos estoit enginniez Li reprovés, li rechigniez, LTRE ÉTÉ Je vos donrai tant cherdon tendre! Et qui est qui le porroit prendre? Jenz engigne, oisiax et bestes, 16100 Qui sovent fet croisir les testes. Je ne sai ore ome si sage, Ne oisel ne beste sauvage Qui Renart poïst decevoir, Por qoi jel poïsse savoir, Que je ne l’alasse requerre La outre la mer d’Engleterre. Que trop set Renart renardie, _ Nule beste n’est si hardie ». maris Sri
Timer respont : —
« En dit, ce quit,
1620 Encontre veizié requit. Quidiez, Renart ait tel eür Que il soit adés aseür? Renart le larron o sa feme Vos rendrai par col o par jame Forment lié a vos coroiez. » — « Et conment fere le porroiez? » — «Gi ai bon barat porveü Par quoi il seront deceü, Dont il ert mort et ele morte. 1630 Mort me ferai devant la porte A Malpertuiz le suen repere. Bien saurai sanblant de mort fere. Sitost con il me troveront, A mes membres se lieront De vos coroiez conme fol. Et je sosleverai le col,
Fuiant les en amenerai. » — « Timer, loiauté vos tenrai. De mon orge aurez vostre part. »
190
| 1620 Le
etil n’y a pas plus audacieux —
que lui
À malin, malin et demi, comme dit le
proverbe»,
répond
Timer.
«Croyez-vous
qu’il puisse être toujours à l’abri? Je me
charge .de vous le livrer, ce voleur, luietsa femme Hermeline, bien attachés par le cou ou la patteà vos propres courroies. — Et comment penses-tu y arriver?
Te
— J'ai imaginé une ruse capable de les tromper et même d’entraîner leur perte. Je
ferai le mort devant la porte de Maupertuis leur repaire; jusque-là, pas de problème. Dès qu’ils m’auront découvert, ils s’attacheront à
mes pattes avec vos courroies, comme des sots qu'ils sont. Alors, je me lèverai et je les entraînerai avec moi. — Je tiendrai fidèlement la promesse que
je t’ai faite, Timer; tu auras ta part de mon orge. » 19 Aussitôt, l’âne s’en va et se dépêche de gagner Maupertuis au trot. Il se couche de tout son long devant la porte, se couvrant même le museau de terre. Hermeline, la femme de Renart, l’aperçoit en ouvrant la porte: - — «Renart», fait-elle, «grâce à Dieu, 191
|
1640
Atant d’ilecques se depart, Et s’en ala grant aleüre,
Et le grant trot et l’embleüre Tant que il vint a Malpertuis. Tout estendu se couche a l’uis, De terre a le musel couvert. Hermeline a son huis ouvert, La famme Renart, si le voit. — «Sire Renart, se Diex m’avoit, 1650
A planté de la char avons. Ja tant despendre n’en saurons Deus mois de l’an, conme est ici Devant cest huis, la Dieu merci. Je voi ester ici selonc Un asne qui est gros et lonc. Il est mors ore devant nonne. Les couroies Lietart me donne, Que je les voudrai atachier
A lui et a moi pour sachier Et pour atraire le ceens. » —
« Fole », dist Renart, «c’est neens.
Se tu veuls, si i tire et sache, Je n’i trairai hui que je sache. Ja Diex ne m'aït ne li saint,
1670
Se je ne cuit que il se faint. Pour fol me velt espoir tenir. Tost t’en pourra mesavenir, Se tu aus courroies t’ataches. Mors le dont tout avant es naches, EI pis, en la teste et es flans Si forment qu’en saille li sans: Et se par ce ne se remue,
Si l’en pourras mener en mue, Puis que pour voir le sauras mort. » Atant court celle, si le mort,
192
nous avons plus de viande qu’il ne nous en faut pour deux mois, là devant la porte — que Dieu en soit remercié! — Je vois étendu sur le
pont un âne mort, gras et de bonne taille. Il doit être là depuis un moment. Passe-moi les courroies de Liétard; je vais m’attacher solidement à lui pour le tirer à l’intérieur. 660 _ Imbécile », dit Renart, « tu crois cela; si tu veux le faire, vas-y, mais je ne t’y aiderai pas. Que Dieu et tous Ses saints m’abandonnent s’il ne fait pas semblant. Peut-être croit-il avoir affaire à un sot. Si tu t’attaches
aux courroies, ça se terminera mal. Com. mence plutôt par lui mordre au sang l’arrièretrain, le ventre, les flancs et la tête: s’il ne bouge pas, tu seras sûre qu’il est bien mort et il sera toujours temps de le mettre à l'abri ».
Hermeline court à l’âne et le mord si brutalement à l’arrière-train, aux flancs et à la tête que le sang se met à couler. Mais % Timer, qui est dur à la souffrance, ne fait vas
mine de bouger. — « Pourquoi t’obstiner à ne pas vouloir
aller chercher les traits, Renart? Il n’y a pas d'erreur, il est bien mort. As-tu peur qu’il te
193
Par devers la nache l’assaut Durement que li sans en saut Ou pis, es flans et en la teste. Mais Timer, qui ert dure beste Et qui trop mal endurer puet, 1680)
Ne se remue ne ne muet. — « Renart », fait elle, «or es mauvais Qant pour les courroies ne vais: Il est mors, jel te di sanz faille.
As tu paour qu'il ne t’assaille? Tu crienz pour fin noient et doutes,
‘Aporte les courroies toutes . Que tu getas derrier la porte! » Renars les courroies aporte Qui doute encore qu’il ne se faigne. ‘690 Mais elle li monstre et enseigne Conment il feront, et li neue La plus fort courroie a la queue. —
« Renart », fait elle, « ci treras,
Et de tirer chargié seras. Il poise pour ce qu’il est mors: Et tu qui es assez plus fors Que je de totes ovres faire,
Dois devers le plus pesant traire, Et je trairai selonc ma force. Mais que tu de traire t’efforce! » Plus ne demourent ne ne dient,
Aus courroies forment se lient. Comme il se furent atachié, Tant ont et tiré et sachié Que traïné l’ont sor le sueil. Tymers li asnes ouvri l’ueil Et a levé la teste en haut. En talent a que il s’en aut Mes que bien les voie liez.
194
D.
ES
E
|
a
saute dessus? Tes craintes sont inutiles; va donc chercher le tas de courroies que tu as laissées derrière la porte. » | Renart les apporte, bien qu’il craigne encore que l’âne ne joue la comédie; Hermeline lie la courroie la plus solide à la queue de l’âne et explique à son mari ce qu ‘ils vont faire: — «Tu te mettras ici pour tirer, Renart. Il pèse plus lourd parce qu’il est mort; aussi, _ comme tu es le plus fort de nous deux, il est normal que tu te charges du plus gros de la
® besogne; mais, de mon côté, je t’aiderai de mon mieux. » Sans plus attendre ni ajouter un mot, ils s’attachent solidement aux courroies; puis, ils
tirent l’âne de façon à l’amener jusqu’au seuil de Maupertuis. Timer ouvre alors un œil et lève la tête; il a bien l'intention de partir en
sens inverse pourvu qu'il les voie étroitement liés aux traits. Renart, toujours sur ses gardes, aperçoit son mouvement; il comprend que l’âne est en train de luijouer un mauvais tour et qu’il va être en danger de mort s’il n’a pas recours à la ruse pour lui échapper. De peur, il appelle sa femme : 195
- 170 Et Renars conme veziez _ Li vit la teste remuer.
Bien set que il les veult grever, Et si est en peril de mort, Se par guile ne li estort. Il se doute, sa famme apelle:
— « Hermeline m’amie belle, Acour ça tost, si me deslie! La parole m’empire et lie De la puor de l’ort pertuis Qui me vient au nes, plus ne puis Puor souffrir ne endurer Ne puis ci longuement ester.
_ 1720
_ Acourez ça, se Diex vous saut,
A pou que li cuers ne me faut. Ceste puour orde et punaise Plus que n’est pertuis de privaise, - Ma ja le corps affebloié Et de traire tout desvoié. 1730
Se m'en plaing, ne m'en dois blamer, A pou que ne me fait pasmer
Celle puour qui ou corps m’entre. Doloir me fait le cuer du ventre Li ors vens du pertuis punais. Miex vousisse estre sur une ais De privee ou me geüsse Que prés du pertuis du cul fusse Qui ici me fait mal au cuer, Certes ja morrai, belle suer,
Il me sert de trop aigre vent. 1740
S’or estoie liez devant,
Je sai bien que sanz nul secours Le trairoie je le grant cours : Ja ne t’i convendra a traire. Ne me puez ore secours faire
196
—
« Hermeline,
ma
chère femme,
viens
vite me détacher; c’est à peine si je peux * encore parler avec la puanteur de ce sale trou qui me monte au nez; elle m’incommode tant que c’en est insupportable. Viens vite, au nom de Dieu, je suis prèsde m’évanouir: quelle abominable odeur! Pire que celle d’une tinette! elle me vide de mes forces et me rend. incapable de tirer davantage. Ne me reproche pas mes plaintes; en me pénétrant dans le corps, cette puanteur réussit presque à me faire perdre connaissance. Le sale vent puant qui sort de cet orifice me soulève le cœur.
|
J'aimerais mieux me trouver sur un siège de cabinet que près de ce trou du cul : j’en suis "4 tout retourné. Il souffle sur moi un vent si nauséabond! Si j'étais attaché du côté des pattes avant, je pourrais traîner l’âneà moi tout seul, et tu n’aurais pas besoin de m'aider.
|
D'ailleurs, tu ne peux pas mieux me venir en aide qu’en m'ôtant de cette terrible situation. Cette odeur me fait suer d’angoisse de la tête aux pieds à force de me donner la nausée. Au nom de Dieu, approche-toi et sens! Tu te rendras compte par toi-même de ce que j'endure, si tu ne me crois pas; dépêche-toi de
197
Ici endroit qui si me plaise,
Se tu m'’ostes de tel messaise. Tout sui ja couvert de suor De l’angoisse et de la puor Qui si me fet le cuer doloir. 1750 Si t’aïst Diex, ça vien oloir! La puour dont je suis destroiz | ie Le
Puez sentir, se tu ne me croiz. Et vien ça, deslie moi tost!
Cele puour le cuer me tost. A pou que ne m’a mort geté. » Hermeline en a grant pitié. Si cuida que voir li deïst,
fr D Es "2440
Et doutoit, s’elle nel feïst Sanz delai son conmandement,
CONS ns
. 1760
Il i morroit soudainement. Plus tost que pot le deslia. Renars tantost li escria,
Qant il se senti deslié: — .« À poi ne somes conchié . Par ton conseil, folle chetive!
1770
198
Ne fusses pas enquenuit vive Se tost ne fusse desliez. Bien nos a Timer espiez Qui mener nos voloit en vile Par tel barat et par tel gile, Qui mort se fet et il est vis. Onques ne me pot estre avis Qu'il fust mors si con tu disoies. les tu fole que le quidoies? Quidier! Mes il est fox qui quide. Chescun met tote son estuide En barat qu’en ne set qui croire. Ja nos en menast a grant eire Timer ches le vilein Litart
venir
me
détacher,
car cela m’arrache
le
cœur : j'en suis déjà à moitié mort. » Hermeline se laisse attendrir;, persuadée qu’il lui dit la vérité, elle craint, si elle ne 1760
l’écoute pas, qu’il ne s’en remette pas. Ellese hâte donc de le détacher:
“2
— «Pauvre sotte», s’écrie Renart dès qu’il se sent libre, « il s’en est fallu de peu que
nous ne soyons pris au piège pour avoir suivi
ton conseil; tu n’en aurais pas eu pour longtemps à vivre si tu n’avais pas fait vite. Timer s’est joué de nous: il contrefaisait le
|
mort pour nous entraîner après lui au village mais il est bien vivant; tu prétendais le . contraire, mais je n’arrivais pas à le croire. Es-tu bête de t’être fiée à lui! II faut être bien naïf pour faire confiance à quelqu’un, comme si chacun ne s’appliquait pas à tromper autrui, si bien qu’on ne sait plus qui croire! Il nous aurait emmené tout droit chez son
1780 maître Liétard si j'avais tardé davantage à parler; mais le paysan le paiera cher. — On verra bien comment tu vas le lui faire payer, Renart; tu en sais plus que le bœuf à sa charrue; mais jamais le lièvre Couart que la peur avait rendu malade, n’a 199
FA CT D
170 Se je parlasse un po a tart. Mes li vileins le conperra. » — « Renart » fet ele, «or i paira Con tu li feras conparer: Tu en sez plus que bués d’arer. Mais onques danz Coars li levres, Qui de poor prennent les fevres, Ne fu si de poor destroiz Con tu iés ore a ceste foiz
Qui dotes une morte beste ». — « Je li vi or lever la teste, Pute fole, et ovrir les euz.
Quides tu que je croie meuz Tun dit que ce que je verrai?» —
« Ja », fet ele, « ne te crerai,
Que par poor l’as contrové. Or ai ton corage esprové
1800
Au besoing et ta mavaisté, Qui si t’a semons et hasté De laissier ce dont tu dois vivre. Bien puis dire tot a delivre Que de grant mavaisté t’avient.
Se ça par aventure vient Ysengrins et Hersens la love, Povre en iert ma part et la toe,
Que bruire en feront lor grenons. Quant a nostre oés char ne pernons,
A peine le iras loin querre. Covre ton chief et bien le serre, 1810
S’esparne ton cors et repose: Que tu n’as mester d’autre chosse. Trop par es ore acoardis. » —
« Dame », fet il, «ainz sui hardiz,
Qant je voi m’anor et mon prou. Mes ne m'i troverés hui prou
200
été aussi atteint que tu les maintenant. Craindre un cadavre de bête!
— Je lui ai vu lever la tête, bougre d’idiote, et ouvrir les yeux. T’imagines-tu que j'ai plus confiance en ta parole qu’en mes
yeux? — Ne compte pas sur moi pour te croire; c’est la peur qui te l’a fait rêver. Maintenant, je t’ai vu à l’œuvre; tu ne vaux pas grandchose : tu n’as rien eu de plus pressé que de I laisser passer ta chance et c’est par lâcheté que tu as agi ainsi, jen suis témoin. Si Ysengrin et Hersent la louve passent par ici, il ne nous restera pas grand-chose et ce sont eux qui se lécheront les babines. Si nous ne prenons pas cette viande qui est là à notre porte, comment te donneras-tu la peine d’aller en chercher
au loin?
Allons,
mets
ton
bonnet de nuit et enfonce-le bien. Ménagetoi, repose-toi et fais attention de ne pas te
fatiguer! Voilà tout ce dont tu es capable! Oui, tu n’es qu’un lâche!
—
Je suis hardi, au contraire, quand il y va de mon intérêt ou de mon honneur; mais certainement pas quand il y va de votre vie. 201
Por vos metre en peril de mort ». — « Renart », fet ele, «tu as tort Qui si me mens apertement. Or saches bien veraiement, Se as coroies ne te lies, 182 Certes ja por riens que tu dies Ne m'’i porras tant esmaer Que je ne m’i voisse essaier
Orendroit si c’on le verra ». — « Et je sui cil qui soffera Ceste aventure a qui qu’il tort. Voirs est, qui ne peche, s’encort. Ne m'en blamer, se maus t’en vient! » Cele qui ne prisse ne crient La parole de son sengnor 1830 La fort coroie, la grennor Qu’ele avoit loie a la coe, A la quisse deriers la noue. Forment la lie et atache,
Por meuz tenir la tire et sache. Son col i lie et puis sa quisse Por ce que meus tenir i puisse. Tandis que tirot et sachot, Timers li annes qui bien sot Que Renart ne pot enginner,
1840 Forment se prist a aïrer. Durement recinne et se leve. Molt annuie Renart et greve, Quant mener en voit Hermeline. — « Trop par as esté feme fine », Fet il, « mais tu as esté fole, Quant mon conseil et ma parole
As du tot mis a nonchaloir. Ne te puis ore rien valoir. Mes grant mester t’oùst où
202
C2
— 1820
Tu as tort de me
mentir si effronté-
ment, Renart. Sache bien que, mêmesitune t’attaches pas aux courroies, tu n’arriveras as à me faire
peur ni à m'empêcher P
d’es- etes
sayer moi-même. On verra bien. — Et moi, je te laisserai faire, quoi qu’il puisse arriver : je m’en lave les mains; maisne viens pas me faire des reproches si ça tourne … mal : ce ne sera pas de ma faute. » Hermeline se moque des avertissements de
son mari. La courroie la plus résistante et la plus longue, qu’elle avait attachée à la queue de l’âne, elle la noue à une de ses pattes arrière, bien solidement pour qu’elle nerisque pas de glisser; puis elle la fixe à son propre cou et à une de ses pattes, en tirant dessus pour qu’elle tienne mieux. Timer devient fou furieux quand il comprend qu’il n’est pas «
1840
arrivé à tromper Renart et, se redressant brusquement, il entraîne Hermeline, pour le
plus grand déplaisir de son mari: — «Tu te croyais maligne! Stupide que tu étais, oui, de ne pas tenir compte de ce que je te disais! Si tu m’avais écouté, tu n’en serais
pas là; mais maintenant, je ne peux plus rien pour toi. Tu as voulu n’en faire qu’à ta tête : 203
1850 Mon los, se l’oùsses creü.
De toi aider n’ai nul pooir. Ton grant orgoil et ton voloir Conparras oncor hui trop cher. Timers me quida acrocher Por metre es meins o tu carras. Une autre fois si me creras,
Se vive t’en puez revenir. Mes ce ne puet mes avenir, Perdue es : a Deu te conmant. 1860 Commant? » fet Renars, «et comment Irai ge au vilein plaider Savoir se te porroie aider? Ge ne quit que jamais me voies ». Timers s’en coroit totevoies,
Onques de corre ne se tint Tant qu’a la porte Letart vint. A grant merveille s’esjoï Lietart, quant son asne ot oï, Et puis qu’Hermeline a veüe
è
1870 Qui molt estoit et mate et mue, Traïnant la cuisse a la terre.
S’espee ala meintenant querre Qui ert enruillie et frete. A peine l’a del fore trete Que il quide que Renars soit. S’espee traite va la droit,
.
Bien se cuide de li vencher. A un coup li quida trencher La teste, mais il a failli.
1880 Hermeline si haut sailli, Qui n’iert mie trop entestee,
Que le coup ne l’a adesee. Hermeline a peor eüe: Mes l’acolee a receüe
204
tu vas le payer cher. Timer comptait me capturer pour me remettre à Liétard : c’est toi qui vas tomber entre ses mains. La prochaine fois, tu me croiras, si tu t’en sors vivante; mais cela m'étonnerait. Tu es per-
due, il ne me reste qu’à te dire adieu. Eh oui! » ajoute-t-il, « je ne me vois pas aller discuter avec ce paysan pour savoir si je peux quelque chose pour toi. Aussi, je ne pense pas que tu me
revoies jamais »,
Timer avait déjà commencé de s'éloigner; il gagne à vive allure et sans s’arrêterla maison de Liétard. La joie de ce dernier n’a plus de limites quand il entend son âne et qu’il «
voit Hermeline, morne et silencieuse, traînée par la patte. Aussitôt, il va chercher son épée,
qu'il tire du fourreau non sans mal, car elle était rouillée et ébréchée. L’arme à la main, il
1880
marche droit à Hermeline — qu’il prend pour Renart — afin de se venger. Il veut lui couper la tête, mais manque son coup : elle a encore assez de force pour l’éviter d’un saut si bien qu’elle en est quitte pour la peur et que c’est Timer qui se fait couper la cuisse. Liétard en
personne s’est donc chargé de venger la renarde. Elle rentre chez elle toute joyeuse,
205
ETa
1890
Timer que la quisse a trenchie. Lietart meïmes l’a venchie Tost de son enemi mortel. Traïnant en porte a l’ostel La quisse a grant joie fesant. Renart trova mu e taisant. Quant il l’a veüe venir,
De rire ne se pot tenir, Quant la quisse vit traïnant. —
« Renart, dont ne su je vaillant?
Or se puet Timers esventer (De ce me puis je bien vanter) Que la quisse en avom de ça. James Timers fens ne menra. 1900
Bien me quida Litart tuer, Mes ge me soi bien remuer
Et gandiller et tressaillir Tant que gel fis a moi faillir, Ne m'a blecie ne tenue. » — «Tel aventure est avenue », Fet Renart, «que nus ne quidoit. Ne oisel ne beste ne deit Conme tu fez tel guerredon Damledeu 1910
ne si large don,
De ce qu’il t’a si garandie. Lietart li pognés foi mentie Quide estre de moi quite a tant. Mes bien atent qui par atant. Ge atendrai molt bien lonc tens: Que jel ferai, si com je pens, Plus corocié qu’il ne fu onques ». — « Maveiz coart, qu’aten tu donques? Ge dot molt que cuer ne te faille. » — « Quides tu, fole, que jel aille Dedenz sa meson asaillir?
206
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tirant après elle la patte de l’âne. Elle trouve un Renart silencieux mais qui ne peut s’em-
pêcher d’éclater de rire quand il la voit revenir ainsi chargée: RE at
— « Est-ce que je ne m’en suis pas biere sortie? Timer peut se targuer, grâce à moi, de | nous avoir laissé sa cuisse. Il ne tirera plus de charges de foin. Liétard avait bien l’intention P® de me tuer, mais j'ai réussi à lui faire manquer son coup en me tortillant et en me dérobant d’un saut; il ne m'a même pas blessée et j’ai pu m’échapper. ; — Voilà une fin imprévue. Il n’est pas d'oiseau ou de bête qui doive à Dieu autant de reconnaissance que toi, pour t'avoir protégée de la mort dans de telles circonstances. Liétard, le parjure, pense en être quitte avec moi, mais il ne perd rien pour attendre. Je vais guetter l’occasion de lui faire piquer la plus belle colère de son existence. | — Tu n’es qu’un lâche! Pourquoi ces délais? C’est le courage qui te manque.
—
Espèce d’imbécile! penses-tu que je vais
aller l’attaquer chez lui? Qu'est-ce que je P? ferais s’il lâchait ses trois Chiens sur moi? Ils . n’ont guère la têteà plaisanter. Je préfère
207
41920
Tost porroie a mon cors faillir S’il me huoit ses trois gainnons: J'auroie en els maus conpaignons. Mes encore un pou soferai Tant qu’el bois suel le troverai Ou n’aura ja de chen aïe. Lors li ferai tel envaïe Par paroles et par manace Que jamais n’iert teuls qu’il me face Chose qui anuier me doie. »
1930
—
1540
1950
208
« Renart », fet ele, « jel voldroie.
Mes ja en vilein ne te fie, Por ce s’il te jure et afie: Ne por nul aseïürement Par sa foi, par son serement, Prent en vilein de male escole ». Atant laisserent la parole. Més Renart pas ne s’oblia. Lendemein Lietart espia Qui dedenz la forest entroit. Bien set que o lui n’amenoit Nul de ses chens en conpaignie. Hardiement Renart l’escrie: — « Cuvers », fait il, « par queil raison As tu en sel la veneison Qui fu prisse el defoiz le conte? Ge te ferai morir a honte, Nus hon ne t'en porroit deffendre. Certes je te ferai ja pendre Au plus haut cesne de cest bois. Tot orendroit conter le vois Au conte ou a ses forestiers. Se tu avoies cinc sesters D’esterlins, et fussent besans, Et tu l’en faisoies presans,
attendre un peu de le trouver seul dans le bois et sans eux. Alors là, à force de menaces, je lui ferai perdre définitivement l’envie de nous ennuyer. —
Je le voudrais bien », dit-elle; « mais ne
va pas faire confiance à un paysan sous prétexte qu’il t’a donné sa parole ou qu'ila pris un engagement sous serment : ce n’est pas un bon maître en la matière ». Ils s’en tiennent là, mais Renart n’oublie pas ce qu’il a dit. Dès le lendemain, il épie
14 Liétard qui se trouve dans la forêt. Après s'être assuré qu'aucun des chiens n’est avec lui, il le prend à partie violemment:
— « De quel droit as-tu mis au saloir Le gibier que tu as pris dans la réserve du comte, cochon de bouseux? Je te ferai condamner à ta courte honte sans que personne puisse te
défendre. Sois-en sûr, je te ferai pendre au
plus grand chêne de ce bois; je m’en vais de ce pas te dénoncer au comte ou à ses gardes. Et quand il aura été mis au courant par mes soins, il n’aura de cesse de te faire pendre. Tu auras beau lui offrir en amende tout l’argent,
ou même tout l’or que tu pourrais avoir, il se F6 montrera impitoyable et ne te permettra pas 209
Ne te vaudroit il une amende Que l’en meintenant ne te pende. Puis que je li ferai savoir, 2Er 1960
To DC et afEs
Ne porras raençon avoir. De toi nule pité n’aura, Sitost con le voir en saura, Li quens : que volentiers destruit Celui qui chasce sanz conduit El bois, et sa venoison emble ». Lietart, qui tot de poor tremble, Li dit :—
« Amis, or m’entendés,
Un petit, se vos conmandés. Par raison doit merci trover Qui de bon cuer la vout rover. J'ai mespris vers vos laidement, 1970 Merci vos en cri et demant. NS JAM CU RU us Por Deu, de moi pité vos prengne! ANSE TS PER RE OO Par le conseil de ma conpaigne Ai vers vos mespris conme fox. Molt me poisse que fui si ox. Dés que si ert a avenir, Dés or més me poés tenir A vostre serf et a vostre home. Foi que doi seint Pere de Rome, 1980
Jamés vers vos ne mesprendrai. Mes tot qanque ge ai tendrai De vos conme de mon seignor. Autresi grant doil ou grennor Ai conme vos, ce sachés bien. S’envers vos ai mespris de rien,
Tos sui prés de vostre service ». — « Volenters par itel devisse Prendrai », fet Renart, «ton homage Que tu ne honte ne damage A ton pooir ne me porchaces
210
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de te racheter. Il n’hésite jamais à mettre à … mort qui chasse dans ses bois sans permission et vole le gibier qui lui est réservé. — Écoutez-moi un peu, mon ami, je vous en prie», répond Liétard tout tremblant de … peur. « Il y a toujours moyen de s’entendre Ly quand on le veut vraiment. Je me suis mal >»
conduit avec vous et je vous en demande pardon: ayez pitié de moi. J’ai été fou d'écouter les conseils de ma femme et je regrette maintenant les conséquences de mon audace.
Désormais, vous pouvez considérer
que je suis votre homme, et tout dévoué. Par saint Pierre de Rome, vous n’aurez jamais F# rien à me reprocher et, dorénavant, tout ce
que j'aurai, je n’en serai que le gardien en
votre nom à vous, mon seigneur. Je suis fâché autant ou plus que vous, soyez-en sûr; si je vous ai causé quelque tort, à présent, je suis tout à votre service. — J'accepte volontiers ta déclaration de soumission»,
dit Renart,
«aux
conditions
suivantes : au lieu de t’employer de ton mieux à me causer du tort, tu tueras les trois chiens,
tu me feras réparation à genoux et tu me remettras tes dix poulets ainsi que Blanchart 211
…
1990 Et les trois mastins tuer faches. Ajenollons droit me feras Et les dis pocins me rendras Et Blancart que me premeïs Quant mon conseil me requeïs ». — «Sire », fet Lietart, « je l’otroi. _ Ja seront li mastin tuit troi
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| 2000
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Tué devant vos orendroit. Bien sai que vos avés grant droit Que lor vie avés enhaïe: I vos firent grant envaïe. Droit vos en ferai volenters. Vostre amis verais et enters,
Voil estre dés ore en avant. Dex me hee, se je ja vent Nului point de ma norreture. De vos prendrai mes si grant cure Que tot ert en vostre sesine: Ane, chapon, oue, geline. Chascun jor aurés a plenté 2010 Tot selonc vostre volenté Tel char con vos deviseroiz. Des dis pocins sesiz seroiz Et de Blancart ja sanz demore. Mes gardez, se Dex vos secore, . Que par vos nul mal ne me viegne. Ge sui prés que je me contiengne Vers vos tot a vostre plaisir. Vos vendrez mes tot a loisir En nostre meson sejorner. 2020 Ja ne vos en qerrai torner Tant con demorer i voudroiz. Un bon recet en tos endroiz Avez conquis et recovré. Por ce se j'ai vérs vos ovré
212
que tu m'avais consulté.
—
promis quand tu m'avais
D'accord, seigneur. Mes trois chiens
vont être tués sous vos yeux; je sais que vous avez vos raisons :vous leur en voulez à mort d’avoir cherché à vous nuire; je vous les abandonne volontiers. J’aurai désormais pour vous une amitié indéfectible; Dieu me maudisse s’il m'arrive de vendre à quiconque une partie de mes réserves. Je serai aux petits soins
2020
pour vous,
tout
sera
à vous:
cane,
chapon, coq et poule. Tous les jours, vous aurez à satiété votre viande préférée : vous aurez les dix poulets et Blanchart sans délai. Mais gardez-vous bien de vous en prendre à moi alors que je suis prêtà faire tout ce que vous voudrez; vous serez notre invité aussi longtemps que vos voudrez sans que je cherche jamais à vous faire partir: vous avez trouvé là un abri sûr. Si j'ai mal agi avec vous dans le passé, sous l’influence de mauvais conseils, n’en concevez pas de méfiance à mon égard. Que Dieu me protège du mal! Par tous les saints de France, il n’y a pas de risque que je fasse quelque chose qui puisse vous déplaire. Vous ne gagneriez rien à me voir 213
A
DE
va
FENTE
Folement par mavais conseil Ne soiez vos ja en esveil!
Que se Dex me gart de pesance,
Ne par trestos les seins de France. Jamés nul jor ne voudrai fere 2030 Chose qui vos doive deplere. Ni porriez noiant conquerre, _ S’essilliez ere de la terre, Et ma feme et mi enfant, Ou se ge ere mis au vent. Molt par devés ma vie amer, Que por vostre porrez clamer. Toz jors mes qanque ge auré Ert tot a vostre volenté ». Renart dist : — « par tens veil savoir, Se tu me dis mençoigne o voir. Et se tu ne fas mon plesir,
Par tens t’en ferai repentir, Se tant fas que li quens le sace. Mes jamais anui ne damache, Se tu es prouz, ne te querrai. Més en ta meson n’enterrai Tant que les chens aies tués » — 2030
« Bauz sire, or ne vos remuez »,
Fet Lietart, « ges irai tuer ». — «Ja ne me quer a remuer Tant qu’il soient tué tuit troi. Alés », fet Renart, « jel otroi,
Vos dites et bien et raison ». Atant s’en cort en sa meson Lietart qui molt fu adolez. A sa feme dit : — «Se volez Et vos quidiez que ce soit biens, À tuer convient nos trois chens, S’avoir volon pais a Renart.
214
+
sl ne
banni avec ma femme et mes enfants ou pendu. Ma vie doit avoir de la valeur à vos yeux puisque je suis votre homme et que, désormais, vous.
tout ce qui sera
à moi =:
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F7 US O R NTr E
— J'aurai bien l’occasion de vérifier si tu mens ou non », dit Renart; « pour le moment,
si tu n’obéis pas au doigt et à l’œil, tu t’en repentiras : je n’aurai qu’à mettre le comte au courant. Mais si tu te conduis comme il faut, je ne te chercherai plus jamais noise. En attendant, je ne mettrai pas les pieds cheztoi avant que tu aies tué tes trois chiens. —
2060
Je vais le faire, seigneur; attendez-moi
ici. — Je ne risque pas de bouger avant. Vas-y, cela me convient ». Liétard se précipite chez lui, non sans tristesse et prévient sa femme : — «Il faut que je tue nos chiens pour que nous ayons la paix avec Renart. Est-ce aussi votre avis? Je lui remettrai également Blanchart et mes dix poulets, sans en excepter un seul. Il m'attend dans la forêt où j'ai promis de les lui apporter : il ne pourra pas nous coûter autant qu’il le ferait en allant raconter 215
FE Era "t
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2060 Et si li rendrai le Blancart, Et les pocins avoc tot dis Li rendrai qu’orendroit li dis, En la forest ou il m’atant. Il ne nos costera ja tant Qu'il ne nos poïst plus coster, S'il au conte l’aloit conter Qu’el bois ai sa venoison prise. Tantost feroit de moi justice: Tantost seroie ars ou pendu,
N’en porroie estre desfendu :
Por avoir ne por rienz qui soit. Noz enfanz essiller fereit, Mort serien et confondu ». Brunmatin li a respundu, Que contredire ne li ose : . — « En fere l’estuet a grant chose. Del tot fetes sa volenté, Se vos amés vostre santé Et vostre bien et vostre vie.
Avoir devés grennor envie De vostre vie que d’avoir. » . —
« Bele suer, vos dites savoir. »
— « Blanchart et les pocins prenez, Et les trois mastins li menez! » Lietart enz el retor s’est miz: Les chens, le coc et les pocins, Li garçon enmeine liez. Et Renart conme voiziez Vers l’ostel au vilein se tret: Que molt redote son agait, Que asaillir a chens nel fache. Entre ses denz molt le manache, Que se jamais vers lui mesprent, Molt sera iriés s’il nel prent.
216
4
À
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LL
rer, au comte que j'ai chassé sur ses lee l: " aurait vite fait de me faire pendre ou brûler et -
ni l’argent ni rien au monde ne pourrait ne protéger. Nous serions condamnés à mort et mel
nos enfants bannis. » | ne. Brunmatin n’ose pas être d’un avis différent : Fe
— « Nécessité fait loi; passes-en par sa volonté, si tu tiens à ta santé, à tes biensetà ?ta personne: il est naturel de sacrifier une partie de sa fortune pour sauver sa vie. | — La sagesse parle par ta bouche, ma
chère femme.
“PE
— Prends donc Blanchart et les pouletset mène-lui les chiens. »
| Fa
Liétard s’en retourne avec son valet qui emmène, attachés, les chiens, le coq et les poulets. Renart, deson côté, à quisa ruse faitcraindreque
le paysan ne le guette et ne lâche ses mâtins sur lui, se dirige à sa rencontre, tout en proférant
continuellement des menaces entre ses dents : si l’homme lui manque de parole, il n’aura de cesse de s'être vengé de lui. Dès qu’il le voit avec les chiens tenus en laisse par le valet, il s’écrie à très haute voix : « Ne les laisse pas s’approcher de moi, tue-les tout de suite. » 217
-2100
Lietart et les chens voit venir Q'il faisoit au garçon tenir. Renars li conmence a hucher : — « Ne fai pas vers moi aprocer Les chens, mais orendroit les tue! » Litart une pesant maçue Tenoit qu’il ot el bois coillie. Les mastins a un chesne lie, De la maçue les asome.
2110
Or le tent Renart a prodome Puis que les trois mastins voit mors. — « Lietart », fait il, « molt estes fors Qui si savés bon coup ferir. Gel vos voldrai molt bien merir. Ce que m'’avés fet vos pardon Et m’amor tot vos abandon: Que molt par a bel present ci ». — « Renart », fait il, « vostre merci, Que vostre amor m’avés donee. Tote vos ert abandonee Ma norreture et quanque j'ai. Plus sereie jalos que gai, Se jamais vers vos mespernoie ». Atant prent Renart, si manoie
2120
Blancart et les dis pocinez Que li aporte Martinez. De Blanchart fist ses gernons bruire,
Onques nel fist plumer ne cuire, Moilt le trova crasset et gros. Les dis pocins trose a son dos Et a Deu le vilein conmande. S’en porte a l’ostel sa viande Ou il a trové sa maisnie Qui de fein ert mesaaisie. De fein estoit et floibe et veine.
218
2100
Liétard tenaiten main une lourde massue qu’il avait taillée dans la forêt; il en assomme les chiens après les avoir attachés à un chêne. … PE Te RE CE es BE U Renart, les voyant morts, prend confiance QE l'honnêteté du paysan: 00 On — « Vous savez frapper de bons COUPS », dit-il, «et je.vais vous récompenser de ce Ki que vous avez fait. Je vous pardonne de … bon cœur le tort que vous m’avez causé et je 5, AA ER + "aES fe
r4
vous
assure désormais
de mon
amitié, en
échange du beau cadeau que vous venez de m'offrir. — Merci
de
me
donner
votre
amitié,
Renart; toutes mes réserves, tout ce que j'ai
seront à votre disposition; et je serais fâché
comme tout “ de vous mécontenter à l’avenir en quoi que ce soit. » Renart prend aussitôt livraison de Blanchart et des dix poulets apportés par Martin. 22 Sans prendre la peine de faire plumer ni cuire le coq, il n’en fait qu’une bouchée, le trouvant gras et tendre. Puis il charge les poulets sur son dos et recommande Liétard à Dieu. Il porte ces vivres chez lui où l’attend une
famille famélique. Pâle et affaiblie, Hermeline ne se connaît plus de joie quand elle le 219
2130 De joie fu sa feme pleine, Quant ele vit Renart venir Les pocins a son col tenir: Por conble se tient et por riche. — « Renart, or n’est pas Letart cice. » —
« Non», fet Renart, «mes bien heité.
Bien ai ceste foiz esploitié Que si m’en sui venus trosez: Se je n’eüsse esse luez Par Lietart tot a ma devise, 2140 Gel feïsse metre a la bise,
Au conte a sa gent le deïsse. Pendre en la forés le feïsse Que sa veneison li embla. Il tressalli molt et trembla, A jenellon me fist omage.
Jamais ne me fera damage Ne nule rien qui me desplese.» — « Renart, trop estes ore a aise », Dist Hermeline, « que ge cuit
\
2150 Que tu n’as pas le ventre vuit. Tu es plus a aise que gié, Que tu as hui Blancart mangié Qui molt ert et cras et rognez. Se Lietart est bien ramponez Par toi que me puet ce valoir? Ne m'en puet pas grantment chaloir, Se tu as ton ese et tes buens. Moi et mes enfanz et les tuens Lez de fein morir a mesese. 2160 Mes je sereie molt maveise,
Se de fain morir me laissoie Tant con prés de ces pocins soie. A ces pocins fet bon entendre. » Atant cort, si prist le plus tendre,
220
voit arriver avec les poulets accrochés au cou;
elle est au comble du bonheur:
0
— «Liétard n’est pas chiche», ditelle. : — «Ïl est même généreux », fait Renart.
«J'ai bien réussi mon coup cette fois-ci: arriver ainsi pourvu! mais c’est que, si je
n’avais pas obtenu de lui tout ce que je voulais, je l’aurais fait se balancer au venten 24 Je dénonçant au comte ou àses gens:ilaurait été pendu dans la forêt pour avoir volé du gibier. Quand je le lui ai dit, ça l’a fait sursauter et il s’est mis à trembler comme une feuille. Aussi, il m’a fait hommage à genoux et dorénavant, il aura soin de ne me causer ni
tort ni déplaisir. —
Renart»,
dit Hermeline,
«tu es trop
joyeux, à mon avis pour avoir encore le ventre vide : tu as mangé Blanchart qui avait été soigneusement engraissé. Si tu as bien remis Liétart à sa place, moi je n’en suis pas plus avancée. Toi, tu as tout ton content et tu es
satisfait; mais moi et mes enfants, qui sont aussi les tiens, tu nous laisses mourir de faim
_ comme des malheureux que nous sommes. 216 Allons, je serais bien sotte de me laisser. 22F:
Fa
Si le manga a un sol mors. Un des autres a le col tors : A sa maisnie le depart, A chascun a doné sa part. Renart quide bien son prou fere. 2170 De Malpertuis son fort repere Il vint lendemein par matin, Veoir Letart son bon voisin . Qui le reçut a molt grant joie. Disner le fait d’une crasse oie Que il li avoit estoïe,
Et bien li avoit encrassie. Brunmatin, qui tot en tremblant Li mostre d’amor bel semblant, 2180
2190
Molt l’aplanie et si le loe. Renart li fet sovent la moe En repost qu’ele nel voit mie. Et ele le sert sanz boisdie, Ne li ose rien refuser Que molt redote l’encuser. A sa volenté le pessoit. Et Renart qui bien s’encrasseit Qui de la car ert envieus: Et Lietart fu molt covoiteus, De lui servir prent molt grant cure. Bien aproça sa noreture. Renart qui sovent en pernoit Totes les ores qu’il voloit, Sovent i demore et sejorne, Si que quant a l’ostel retorne, Ne pot au vilein remanoir Oe, capon, coc blanc ne noir,
Ne pocinet ne cras oison, (Tot porte Renart en meson) Jeline ne megre ne crasse.
222
dépérir, alors qu’il y a là des poulets quine demandent qu’à être mangés ». Aussitôt, elle s'empare du plus tendre dont elle ne fait qu’une bouchée; puis elle tord le cou à un autre qu’elle partage entre ses
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OL Pat ES nt PR Cr eo er ie ES, Es C joD 128:
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enfants.
Quant
à Renart,
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il a la ferme
‘intention de ne pas s’en tenir là. Tôt le …
Fen re *
lendemain, il quitte son repaire de Maupertuis et va trouver son bon voisin Liétard qui lui réserve le meilleur accueil et lui offre à
déjeuner une oiïe des plus grasses, après lavoir vidée. Brunmatin qui, tout en tremblant, lui fait bon visage, s’efforce de l’apaiser en le complimentant, tant elle craint qu’il n’aille les dénoncer, tandis que Renart lui fait
2% des grimaces en cachette sans qu’elle s’en rende compte. Elle le sert sans chercher à le tromper et. n’ose rien lui refuser. Comme elle lui donnait à manger tout ce qui lui faisait plaisir, Renart, qui était gourmand de viande, engraissait à vue d’œil. Liétard, de son côté, rivalisait de soin à le servir, lui approchant sa nourriture. Renart lui rendait de fréquentes visites, s’invitant à
n’importe quelle heure et quand il retournait chez lui, il ne restait à son hôte ni oie, ni 223
En bon endroit, mes moi ne loist:. Qar autre besoingne me croist. A autre romanz voil entendre On l’en porra greingnor sens prendre, Se Dex plaist et se Dex m’amende. _ Ja de clerc qui reson entende N'en serai blamé ne repris,
_ Se g’ai en aucun liu mespris _ En tote ma premere ovragne : noue 0 pou avient qu’en ne mespregne, Ou au chef ou a la parclose, - S'il n’est aüsez de la cose.
224
oison gras, ni poule grasse ou ae Le ‘ti
goupil emportait tout chez lui. D:
Je pourrais Sans
tâche mce bénédiction
à vous “
2 parler de
Je veux, avec l’aide et la |
de Dieu,
me
consacrer
à un
ouvrage plus sérieux. Mais je ne trouverai | personne de sensé pour me blâmer de n’avoir
_pas commencé par un chef-d'œuvre, car il est rare de ne pas commettre d’erreur du début jusqu’à la fin quand on n’est pas grand clerc en la matière. |
à dre
AE
re
| “
V LE MONDE À L’ENVERS : LES ANIMAUX DÉNATURÉS
br. XI | Renart empereur. br. XVII La « mort » de Renart. Dans la mesure où le masque animal sert à révéler la vérité humaine, c'est l’ensemble du Roman de Renart qui. nous montre l'envers de notre monde et la réalité cachée sous ces apparences (trompeuses) que peuvent être les - institutions politiques et sociales, et le langage, celui de la littérature et celui de la vie. Mais l'exploitation de ce que l’on a appelé le thème du * « monde à l'envers * »devient plus consciente et systéma- tique dans les branches plus tardives : le triomphe de l'animal sur l'homme tel que l'illustre la branche IX en est déjà un exemple; on en trouvera un autre dans la figure de ce marchand de peaux jugé au tribunal du lion (br. XVII). Dans ces dernières aventures de Renart, va être mis au * Lire à ce sujet :Mikhaïl BAKHTINE, L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1970.
224%
Re: jour tout ce qui est habituellement occulté par l'idéologie _… dominante et par la morale couramment admise. Si le langage enseigné par l'éducation et, à plus forte raison, celui prôné par la rhétorique, bannissent les mots grossiers et obscènes et l'évocation des fonctions qui leur sont liées, la branche XVII va leur donner, parmi d'au-
*
tres, droit de cité littéraire.
Si la morale chrétienne prône la domination par l’homme de ses instincts et si l'Église articule assez volontiers un discours ascétique, nous nous trouverons en
présence d’une parole qui érige au niveau d’une éthique la liberté du « foutre » et de la « baise » : étrange évangile en vérité que celui du goupil Renart! Si la poésie et le roman courtois raffinent sur le sentiment amoureux,
Hersent et Dame Fière, Renart et
_ Ysengrin préfèrent une approche plus quantitative des TRS IE EN PT PRE choses. Si l’épopée nourrit le rêve d'une hiérarchie des pouvoirs Jféodaux, harmonieusement couronnée par l'autorité d'un roi légitimée par son caractère héréditaire, et si l'Histoire prétend atteindre une harmonie comparable, supposée à la fois juste et satisfaisante, la branche XI nous montre Renart usurpant, avec la complicité de tous, le pouvoir de Noble. Fin ambiguë que celle de l'aventure: le lion récupère son trône et garde son amitié à ce vassal un temps couronné à sa place. Timidité? L'auteur n'ose pas encore imaginer un renversement définitif du pouvoir au bénéfice du vassal révolté; quelques décennies plus tard, au XIV*siècle, Jacquemart Giélée, Arrageois, l'osera dans son Renart le Nouvel : la roue de Fortune, jusque-là muable par essence, s'immobilisera pour toujours avec Renart à son sommet; l'esprit du Mal règnera, avec lui, définitivement sur le monde. Audace? Elle réside dans la facilité avec laquelle le pouvoir illégitime de Renart
s'instaure et dans l'impunité qui demeure
228
la sienne
jusqu'à la fin: loin d'être châtié, le traître se voit conserver l'amitié — complice? — de celui qu'il a un temps détrôné. On le voit, les catégories du Bien et du Mal
ne sont plus ce qu'elles étaient.
È
Si le traître en effet mérite la mort, celle de Renartne
sera qu'une comédie de plus. Maïs là encore, « disant » la ù
vérité : c'est-à-dire justement que les traîtres ont la vie dure et pas forcément le châtiment qu'ils méritent: Renart entre alors dans une clandestinité riche de toutes ses futures vies possibles. Plus de limite à ses réussites, à sa malignité. Oui, Rutebeuf a bien vu le sens de cette fausse mort : « Renart est mort, Renart est vivant, Et Renart règne. »
229
XI
Renart s’en vet a grant alene,
- Molt grant joie en son cuer demeine De ce qu’il est fors et delivres. Mes qui li donast cinc cent livres, Ne voudroit il estre en tel point Con il a esté. Adont point
Son cheval molt trés durement
Qui de corre ne fu pas lent. . Delez un boisson bel et grant Trova un escuier pissant: Son cheval fu enmi la voie.
pr:
_
… ÉÈ
Renart le voit, vers li s’avoie Et voit qu’en la sele au roncin . Si avoit pendu un bacin Dont en fet as anes peor;
Molt par estoit baus li tabor. Delés le tabor a l’arçon 1540 Avoit ataché un faucon. Renars qui bien l’a regardé, Est tantost cele part alé
Et choisi celi qui pissoit. Vers le roncin vint qu’il prisoit: Que il n’i ot demoré plus, Tot meintenant est sailli sus Et le fiert grans cous des talons,
Et il s’en vet de grans randons.
Ë
Ausi s’en va con a besoing, 1550 Le faucon a mis sor son poing
Dont il ot a son cuer grant joie,
230
|
$
|
5
RENART
EMPEREUR
(XD)
[Au cours de l'épisode pécédent, Renart à maille à « partir avec Ysengrin auquel il réussit cependant à échapper mais non sans difficulté.]
Renart s’éloigne en courant à perdre haleine, tout heureux de s’en être tiré à si bon compte. Pour rien au monde, il ne voudrait revivre ce qui vient de lui arriver. Aussi, bien
que son cheval soit naturellement rapide, il l’'éperonne avec vigueur. Et voilà qu’au détour d’un épais buisson, il tombe sur un écuyer en train de pisser; comme l’homme avait laissé son cheval au milieu du chemin,
1540
c’est l’animal qu’il voit en premier. Il s’avance vers lui et constate qu’on avait accroché à la selle un de ces chaudrons que les chasseurs utilisent pour effrayer les canards : bel instrument que ce tambour! Attaché à l’arçon de la selle, il y avait aussi un faucon. Après avoir bien vu ce qu’il en est, Renart fait
un tour dans les environs et c’est alors qu’il aperçoit l’écuyer qui se soulageait. Il revient aussitôt vers le cheval qui l’intéresse au plus haut point et ne fait ni une ni deux : d’un saut 231
Esporonant s’en vet sa voie. Li escuiers oï la freinte,
L’espee treit qu’il avoit ceinte, Si li cort sus de meintenant, Et cil s’en vet esporonant,
1570
Qui n’avoit soing de son acost. Li escuiers l’ot perdu tost Qui ne pot pas sitost aler. Et cil pense d’esperoner Grant aleüre par le bois Tant qu’il a trové un marois A l'oissue du bois ramé. D’anes i avoit a plenté En un estanc qui i estoit. Renars s’en vet cele part droit: Quant Renars a l’estanc veü, Onques mes si joiant ne fu. Son tabor sone et eles saillent. Je ne cuit pas que si s’en allent: Se Renars puet, il en aura. Tantost l’esprever delaça, Les gez lascha a la volee. Et il s’en ist a la volee Et molt durement s’esvertue. Atant a une ane abatue,
Soz li la tint entre ses piez. Renart i vint toz eslessiés,
Le faucon reprent, si le jete, 1580
Et il tot meintenant s’adrece,
Et en a une autre sesie Et a la terre l’a jalie, Et Renart si l’a tantost prise. Molt en fet grant joie et molt prise Le faucon et molt le tient cher: Tantost le ra mis au frapier.
232
il est sur son dos et lui fait prendre le galop à 5 grands coups de talons. Poussé par l'urgence
de la situation, il ne cesse de presser sa re :14 monture, tandis que le faucon, qu’il emporte Le perché sur son poing, lui met la joie au cœur. F L’écuyer, alerté par le bruit, tire l’épée qu’il va nr portait au côté et lui court sus sans perdre de 1e “
temps pendant que Renart, qui ne se soucie : pas d’avoir affaire à lui, éperonne son cheval \ de plus belle. L’homme, qui est bien empêché d'aller aussi vite, le perd bientôt de vue; tandis que le goupil poursuit sa chevauchée à 1
y V
1560
#
#
travers la forêt,
sans
ralentir, jusqu’à
un
Fo
marais, à la lisière du bois, où un étang avait attiré des canards en grand nombre. Il y va tout droit, se réjouissant du spectacle qui.
s'offre à sa vue et-fait résonner le tambour pour que les oiseaux s’envolent : pourront-ils lui échapper? J’en doute; il compte bien s’en emparer en tout cas. Il détache l’épervier “,
lâche les lanières à la volée; le rapace s’envole à tire-d’aile et s’active de toute sa puissance. Il ne lui faut pas longtemps pour abattre un canard et le tenir sous lui entre ses serres. Renart se précipite, reprend le faucon en 1580
main, puis le relâche; de nouveau, l’oiseau s’élance, s'empare d’un autre canard et le
précipite à terre où Renart s’en saisit; très satisfait du faucon qu’il apprécieà sa juste valeur, il le lâche une troisième fois. A quoi 233
Qu’iroie lonc conte contant? Trois anes prist en un tenant. Renars molt trés grant joie en fet, 1590
Triers li les trosse, si s’en vet: De son gaaing bien se deporte, Le faucon desus son poing porte Et est en la forest entré. Mes il n’ot pas grantment esté Qu'il vit le limaçon venir La lance el poing, l’escu tenir Sor un cheval tot afiché, Bien armé, le haume lacié:
Pongnant s’en vet par un essart. Sitost con a veü Renart, Grant joie en out en son coraje, Qu'il li ot fet meint grant damaje Et grant rancune et grant anui. Vencher s’en quide encore enqui: Trestot l’anui que fet li a
1610
1620
234
Orendroit, ce dit, li rendra. Quant Renars a Tardif coisi, Lors voussist estre a Choisi Tot sans cheval et sans faucon. Atant e vos le limaçon Qui s’eslesse sans atargier. En Renart n’ot que corocier: Son faucon atace vias Desus son arçon o les laz.
Et Tardif a pris son espié, Au premier coup l’a mis a pié Tot estendu et trestot plat. Il resaut sus pensif et mat, Et le tabor par les las tint. Meintenant vers Tardif en vint Et de molt bien ferir s’afete.
bon en dire plus? Il a le plaisir de se trouver | en possession de trois canards qu’il attache à ; la selle avant de tourner bride. Il rentre alors dans la forêt, le faucon sur le poing, toujours |
content de sa prise.
LE
Mais il n’a pas le temps d’aller bien ins = qu’il voit s’avancer vers lui, se tenant ferme
en selle, le limaçon, armé dé pied en cap, LÉ a
lance et bouclier bien en main, heaume en tête. C’est au moment où il traverse à vive 160 allure un espace découvert qu’il aperçoit Renart; cette vue le réjouit fort carilavaiteu souvent sujet de se plaindre du goupil qui ne 4
lui avait épargné ni méfaits ni avanies. Comme il n’avait pas renoncé à se venger, il di pense avoir trouvé l’occasion de lui faire. payer d’un seul coup tout l’arriéré de sa dette. Quand, de son côté, Renart découvre Tardif,
il aimerait mieux être au diable *, même sans cheval et sans faucon. Mais voici que le limaçon s’élance sur lui sans plus attendre, ce
qui est loin de lui sourire. Il attache le faucon _ à l’arçon de la selle avec des lanières, tandis que l’autre se saisit de son épieu“ et au premier coup le fait tomber de cheval à plat par terre. Renart est aussitôt sur pied bien qu’étourdi du choc et pas rassuré du tout; il attrape le tambour par ses attaches et 160 S’avance ainsi vers son adversaire, se prépa-
rant à lui porter un coup décisif. Le limaçon, 235
Ja ot Tardif l’espee traite Et s’est de ferir aprestez: Mes Renart s’est un poi hastés Et le fiert tel coup del tabor Qu'il l’abat jus del misoudor. De si haut conme Tardif fu Chaï envers sor son escu,
Toz s’est trebuchés et coù. 1630
Et Renars si cort a l’escu,
Del tabor le fiert lez l’oreille Que la teste li fait vermeille. Tot lo vis li a escorcié.
Et Renars sailli a l’espié Qui estoit granz et fort et gros, Si li lance parmi le cors. Mort l’a: puis monte, si s’en vet,
1640
1650
236
L’espee ceint, grant joie fet. L’espié en porte tot vermeil Qui reluist contre le soleil. Renart s’en vet joiant et lié, En son poing porte son espié Fort et ligier et bien plané. Le cheval a esporoné Qui li vet molt grant alenee. Sa voleille avoit trossee Sor le cheval au limaçon Qui molt ert de bele façon, Par la resne le meine en destre Devant li regarde a senestre Et voit un messager venant. Sor un cheval esporonant Venoit hastivement et tost. Bien semble home qui vegne d’ost, Qar de tost venir s’esvertue. Ou voit Renart, si le salue.
l'épée dégaînée, se prépare lui aussi à frapper. ë
Mais Renart le devance et lui assène, avec son tambour, un coup qui le fait tomber à bas de
son cheval : il s’effondre à terre de tout son…
haut à la renverse sur son bouclier. Le goupil … se précipite sur lui et le frappeà la tempe avec a le tambour: Tardif en a le visage tout . emporté et le sang qui jailit lui rougit la tête. Renart saute sur son épieu qui était long et
solide et le lui enfonce dans le corps, le tuant du même coup. Puis il monte à cheval et_ x s'éloigne, bien content de l’épée qu’il a ceinte, get 4 A T 16 emportant avec lui Fous ensanglanté quimi brille au soleil. Le voici donc en chemin, tout heureux ete l’épieuà la main : une arme solide, légère et. bien fourbie. Il éperonne sa monture et se met au galop sans reprendre haleine. Quant au gibier, il l’avait chargé sur le cheval pris au limaçon — belle bête de surcroît — qu’il emmène en le tenant sur sa droite par la rêne. Mais un coup d’œil donné de l’autre côté lui permet de voir approcher un courrier faisant * force d’éperons. Son allure rapide révélait l’homme de guerre. Arrivé en vue de Renart, il s’empresse de le saluer : «Que Dieu qui règne au plus haut des cieux vous accompa160 gone! » Et le goupil de répondre : « qu’Il te bénisse! » Et de lui demander d’où il vient, où
il va et ce qu’il fait. — « Je ne saurais tomber 237
—
« Sire », fait il, «cil Dex vos meint
Qui la amont es seins ciex meint! » Et Renart tantost respondi: Amis, Dex beneïe ti!
Dont viens et ou vas et que quiers? —
« Sire », ce dist li messagers,
« Drois est que le voir vos dions. Misire Nobles li lions M'a ci iloc a vos tramis Con a un des mellors amis Que il ait et qu’il aime plus. Ge ne quit que el mont n’est nus Que il aint autant conme vos. 1670
Cest bref vos envoie par nos,
Tenés le et si le lisiez! » Renart le prent, s’en fu molt liez. Renart a brisié les soiax Et puis lut les letres roiax. Bien sot a dire qu’il i a. Le messager araisonna
1680
1690
238
Et dist : « Amis, foi que vos doi, Ge m’en vois orendroit au roi. De ce qu’il requiert sache bien Que je ne li faudrai por rien. » Cil li respont : « Vostre merci ». Congié prent, si s’en est parti. Et Renars s’en vet autresint, Son faucon desor son poing tint: Molt resemble bien home apert Devant li encontre Grinbert Son cosin qui l’a salué. — « Bon jor vos soit hui ajorné! » Fet Grinbert, «et dont venés vos? » — « Cosin, Dex beneïe vos! » Fet Renars quant il l’ot parler,
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mieux! C’est à vous que Monseigneur Noble le Lion m'a dépêché comme à l’un de ses meilleurs amis et de ceux qu’il aime le pl Je crois même que, de tous, c’est vous qu préfère. Il vous envoie ce pli par mon inte médiaire : prenez-le donc et lisez-le. » Cet envoi met un comble à la joie de Renart qui brise les sceaux du message roya pour le lire. Il prend connaissance de son contenu, puis : — « Je peux vous assurer », dit-il au cour
à
rier, «que je m’en vais de ce pas, trouver 160 roi. Et qu’il sache bien que je ne lui ferai p défaut quant à l’objet de sa requête.
— Soyez-en remercié », fait le messager … qui s’en retourne après avoir pris Congé.
Quant à Renart, toujours le faucon au point, il poursuit son chemin, faisant l'important. Et
c’est
son
cousin
maintenant
Grimbert
qui se trouve
sur sa route:
— « Bonjour », le salue-t-il. « D’où venezvous? » —
«Dieu
vous
nues
cousin », fait
Renart en réponse. « Profitez donc de ce cheval, nous irons ensemble à la cour. » Cette parole ne tombe pas dans l'oreille d’un sourd. Aussitôt dit, aussitôt fait. Et voilà
Renart en puissance d’un écuyer de valeur. 10 Dès que Grimbert est en selle, le goupil lui _ passe le bouclier au cou et lui donne l’épieu à 239
« Venés sor cest cheval monter, Si iron moi € vos a cort. » Lors ne fu mie Grinbert sort. Quant Grinbert ot conmandement,
Si est montés isnelement Que il ne volt plus delaier; Or a Renart bon escuier. Tot meintenant que montés fu, 1709
A a son col pendu l’escu Et l’espié li baille en son poing, De tel conpaignie avoit soing. Desor son poing son faucon porte, En aler forment se deporte, Et vont andui parlant ensenble. Mes poi ont alé, ce me senble, Qu'il ont Percehaie encontré,
1710
Ce est des filz Renart l’einz né. Molt venoit grant duel demenant Sor un cheval esporonant. Son pere a tantost salué. Et Renars si l’a acolé Et dit : «con vos est convenant? » — « Sire », fait il, « maveisement Nos est avenu, bau doz pere ».
— « Conment? » — « Par foi, morte est ma mere. » — « Morte? » fet Renart. — « Voire, sire. » Molt en out a son cuer grant ire Renart, quant la novele entent: 1720
A poi que li cuers ne li fent. Molt ot grant dolor en son cuer : —
« Ha, Hermeline, bele suer,
Quant morte estes, que porrai fere? » Percehaie li dist :« Bau pere, Cestui duel convient a laissier, Desconforter n’i a mestier. »
240.
dédu on
porter, car il lui plaisait d’avoir un aide ainsi armé. Puis, toujours le faucon au poing, il poursuit allègrement sa route et tous deux s’éloignent de concert en bavardant. Mais ils n’ont pas le temps d’aller bien loin qu’ils rencontrent Percehaie, le fils aîné de Renart,
qui arrivait à bride abattue et menant grand deuil. Il salue son père qui le prend par le cou et s’enquiert de ce qu’il a: —
«Un
malheur
vient de nous
arriver,
mon cher père. — Comment cela? — Ma mère est morte. — Morte? » —
« Hélas, oui! »
Grande est la douleur de Renart quand il apprend cette triste nouvelle : il est près de 170 s’en évanouir. —
« Hélas, ma chère Hermeline, que vais-
je devenir sans vous? » —
«Mon
cher père, calmez-vous », fait
Percehaie. « A quoi bon vous laisser aller à un tel chagrin? — Hélas, malheureux que je suis! Vous me voyez inconsolable, mon cher fils. Mais ne restez-pas ici, retournez chez nous chercher vos deux frères et amenez-les à la cour de Noble le lion. Nous vous ferons chevaliers tous les trois dès la Pentecôte, que cela plaise ou non aux autres, car le roi va devoir faire 241
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— «Las», dist Renart, « maloüré! Et conment m’en conforteré? Pas conforter ne me porroie, 1730 Beax filz : més alez totevoie Arieres, si ne demorés, _ Et voz deus freres m’amenés A la cort Noble le lion. Toz trois chevalier vos feron
Més que veingne la pentecoste, Qui que soit bel ne que qu'il coste, _ Qar au roi molt grant guerre sort. Ales, sés m’amenés a cort Molt tost et molt delivrement! » 1740 « Sire, vostre conmandement Ferai, et volenters l’otroi. »
À itant departent tuit troi:
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Si s’en retorne Percehaie,
Et Renart se mist a la voie Et Grinberz fu lés li en coste Qui au meus qu’il pot le conforte. Tant ont a aler entendu
1750
1760
Que.il sont a la cort venu. Entre Renart et le tesson Andui descendent au perron. Et dan Tecelin li corbeax Reçut anbedoi les chevaus Et l’escu et la lance aprés. Atant monterent el palés Ou l’enpereor ont trové. Molt gentement l’ont salué, Et Renars con bien ensegniez
S’est devant lui ajenolliez. Li rois conmande qu’il se liet. Meintenant delés li l’asiet Et dist : « Renart, mandé vos ai
242
|
À
face à une situation militaire difficile. Allez! Dépêchez-vous de faire ce:que je vous ai dit. 14 — Je vais m'y employer de mon mieux. » Ils se séparent aussitôt, Percehaie rebroussant chemin et Renart poursuivant le sien, avec Grimbert à son côté qui faisait tout son possible pour le consoler. | Enfin arrivés à la cour, ils peuvent mettre piedà terre. Après avoir confié les deux chevaux, ainsi que le bouclier et la lance à Tiécelin le corbeau, ils pénètrent dans le palais. Parvenus devant l’empereur, ils le saluent respectueusement. En homme qui connaît les usages, Renart s’agenouille devant
lui, mais
le roi lui ordonne
de se
170 relever et le fait asseoir à côté de lui: — «Je vous ai fait venir parce que j'ai grand besoin de vous, Renart. Les païens m'ont déclaré la guerre et ils ont envahi mes terres. C’est le chameau qui est à leur tête. II s’est déjà emparé de deux de mes plus forts châteaux. Scorpions, éléphants et tigres (ils sont tous devenus fous), buffles, dromadaires rapides, bouffis d’orgueil et de morgue, vipères et serpents, — on n'arrive même pas à savoir combien ils sont : je crains qu'ils ne soient les plus forts pour -ma honte. Il y a même des lézards et des couleuvres parmi eux. 243
"2
…
Que molt trés grant mester en ai .. Por paiens qui me font grant gerre. Ils sont ja entré en ma terre, Et si les conduit li camous. Ja a de mes castax pris dous Des mellors, des plus fors donjons. Tant i a des escorpions, 1770
Oliphanz, tigres et yvoires (Trestoz ont perduz lor memoires) Bugles, dromaderes legers, Qui molt sont orgellos et fiers, Guivres, sarpens, ne sai le conte.
1780
1790
Moilt dot qu’il ne me facent honte. Lesardes i a et culovres. » Dit Renart : « Ci a males ovres. Mandés vos gens sans plus atendre: S’iron vostre terre deffendre. » — « Renart, Renart », dit l’enperere, « Vos dites molt bien, par seint Pere. Einsi ert con vos conmandés, Toz mes barons seront mandez Par non, ja n’en i faudra un, Tuit seront mandé de conmun. » Atant fet escrire ses brés. Qui que soit bel ne qui soit grés: Ses envoie par ses barons. N'i remeist gruesne hairons A semondre, n’ors ne lipars, Neïs mon seignor Espinars Le hireçon, ne lou ne chen, De ce se puet il vanter bien. Et Bernart l’archeprestre i vint Et Baucent que par la mein tint. Et si i vint de meintenant Brun l’ors et mon segnor Ferrant
P
244
+
1780
— C'est le diable qui s’en mêle. Il faut convoquer vos hommes au plus tôt. Nous irons défendre votre terre. — Par saint Pierre, vous avez raison Renart, je me range à votre avis et je vais faire mander
nommément
tous mes barons “#4
sans exception. » Et sans
plus se soucier
des
réactions,
favorables ou non, il fait rédiger une convocation qu’il leur adresse à tous par un courrier. Il n’en excepte (il peut bien s’en flatter), ni grue, ni héron, ni ours, ni léopard, ni loup, ni chien, — et n'oublions pas monseigneur Epineux le hérisson. Bernard l’archiprêtre et Baucent main dans la main, Brun l’ours et le cheval monseigneur Ferrant et Tibert le chat, et Pelé le rat accourent aussitôt. 1800
Mentionnons
encore
Ysengrin,
Rousseau l’écureuil et Belin qui tiennent tous deux Timer par la main. Il y avait aussi Chantecler le noble coq, et le singe, et Couard, et Hardi le lapin, et Rohart le corbeau, le frère de Tiécelin. A voir la foule
des arrivants, on est bien près de crier au miracle. Frobert le grillon, lui aussi, se dépêche d’arriver. Bref, tous sont là sauf Tardif. Appuyé à l’embrasure d’une fenêtre, le roi regarde s’approcher étendards et enseignes: — « Regardez, Renart, toutes ces compa245
:
"
:
;
Le roncin et Tiebert le cat, Et si i fu Pelé le rat.
49
n
Si i est venus Ysengrin.
180
Roussel l’escuirol et Belin, I vindrent tantost et a plein ‘Entre li Timer, mein a mein.
nu
: 1 NS
.
Si i est venus Chantecler Li cos qui molt fist a loer. .. Li singes i vint et Coart, … Hardis li conins et Rohart
_ Le corbel frere Tecelin. _ Tant en venoit par le cemin =
Qué ce n’est se merveille non.
1810 Frobert i vint le gresillon _ + A grant desroi et a estrif. 6#
Trestuit i vienent fors Tardif.
. Li rois s’est. apoiés as estres : Si regarde par les fenestres,
- Vit venir penons et ensengnes. — « Renart, esgardés, qués conpaignes », Fet:li rois, «de barons de pris! Cist m’aquiteront mon païs Vers tos homes par lor puissance. 1820 Vois tante enseigne, tante lance, Tant blanc haubert et tant escu! Cil de la seront tuit veincu. Molt avom gent, la Deu merci; Onc mes tant ensenble ne vi, Nou fist nus hom au mien quidier ». . Et cil se prennent a loger, Es prés qui sont et grant et lons Tendent tentes et pavellons. Quant tuit se furent atravé, 1830 Brun l’urs est el paleis monté Et li haut baron avocli.
246
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gnies de valeureux barons. Leur puissance libérera mon pays de tous ses ennemis. Que #2 de bannières, de lances, de cuirasses brillan-
tes et de boucliers! Nos adversaires seront vaincus, nous avons
assez de monde,
Dieu
merci! Jamais je n’ai vu un tel rassemblement, ni personne d’autre sans doute. » On monte tentes et pavillons dans les prés qui offrent tout l’espace nécessaire. Une fois que tous sont installés, Brun l’ours en com-
pagnie des principaux barons, monte au palais où le roi les accueille sans dissimuler la joie qu’il éprouve à les voir. Puis, il ot le point de la situation : — « Seigneurs, j'ai bien sujet de me On dre auprès de vous tous tant que vous êtes: ces traîtres de païens, ces fous ont pénétré sur mes terres; leurs armées s'emparent de mes châteaux, de mes places fortes. Je vous le dis
180 tout net, il me déplaît beaucoup que jusqu’à présent vous soyez restés sans intervenir. Le chameau,
en particulier, me cause bien du
tort en nous amenant ses païens. Mais ce ne sont pas les chrétiens qui manquent, et les autres n’auront rien perdu pour avoir attendu. Ma conviction est qu’ils ne pourront trouver de salut que dans la fuite. — Ce ne sont pas les barons puissants qui vous manquent, tous de grande famille », fait le mouton Belin, «ni les hommes sages,
247
Li rois molt bel les recueilli Et lor fet grant joie et grant feste,
Et puis lor a conté son estre. — «Segnor, a vos me plein trestos
De ces felons paiens estos
. 1840
Qui en ma terre sont entrez. Mes casteax et mes fermetés Prenent par force de lor gent. Sachez ne m'est ne bel ne gent Que vos tant les avés soffert. Li camaus malement me sert Qui nus ameine ses paiens. Mes nos avoms molt cristiens », Fet il, «ja ne nos atendront;
Ge croi meus que il s’en fuiront ». —
1850
« Sire », dist Belins li motons,
« Molt avés ci riches barons Et haus homes de grant lignage. Si i a meint prodom et saje Qui bon conseil sauront doner Conment vos en porrés ovrer. » Renars qui sist joste le roi, Li respont en haut : « par ma foi, Sire Belin, vos dites bien, Vos n’i avés mespris de rien. Mes ja conseil de cest afere
N'i aura pris: or del bien fere! Ançois movrom demein matin ». 1860
—
« Sire Renart », ce dit Belin,
« Vos dites bien, se Dex me saut. Mes mon segnor Tardis nos faut, Il n’est pas a la cort venuz, Ne sai por quoi s’en est tenus. » Rosauls l’escuireil saut avant, Si li respondi meintenant:
248
capables. de vous aider de leurs conseils quant | aux décisions à prendre. » ss Renart, qui était assis à côté du roi, .
intervient :
N.‘4
— «Ma foi, seigneur Belin, j'apprécie vos. “4 paroles : ce sont celles d’un bon vassal. Mais il n’est plus temps de délibérer. Passons à l’action. 4 Nous nous mettrons en route demain matin. 180 __ Je suis de votre avis, mais il nous “. manque monseigneur Tardif. Il n’est pas venu à la cour, je me demande pourquoi. » 10 Rousseau l’écureuil s’avance aussitôt pour répondre : « N’attendez pas Tardif, seigneur Belin, il ne viendra pas. Il est mort, je peus À vous l’assurer. » = La nouvelle plonge le roi dans la dope
it
tion: « Dis-moi donc, Rousseau, je t’en con-
jure, où et comment il a trouvé la mort. —
Il a été tué, j'en prends Dieu à témoin;
je l’ai vu mort, de mes yeux vu, et j’ai vu aussi sa blessure. »
Le roi qui était très attaché
à Tardif
manifeste son émotion : « Quel malheur! or 1880 dois-je faireà votre avis? » Ysengrin se lève pour lui conseiller de ne pas perdre plus de tempsà s’enquérir car on ne peut pas ressusciter un mort; « Puisque Tardif n’est plus de ce monde, Cherchez
quelqu'un à qui confier votre étendard et revêtez-le officiellement de sa charge. 249
— «Sire Belin, n’atendés pas Tardif, car il ne vendra pas, Que il est mors, n’en dotés mie. » 1870
Li rois a la parole oïe,
S’en fu molt dolans et si dit: _— « Roxel, di moi, se Dex t’aït, En queil leu fu mort et conment. » — « Sire, se Damledex m’ament, Ge sai bien que il fu ocis, Et si le vi, jel vos plevis, Tot mort, et si vi bien la plaie. »
Li rois l’oï, molt s’en esmaie,
at st EE CPNL
Qui molt l’amoit et tenoit cher. 1880
« Segnors, ci a grant enconbrer », Fet li rois, «car me conseilliez! »
Ysengrins s’est levés en piez Et dit au roi: « laissiés ester. Que mort ne puet nus recovrer. Puis que sire Tardis est mort,
1890
1900
250
Querés qui le gonfanon port, Et qui que le doiez baillier, Vos covient il gonfanoner ». — « Voirs est », dit li rois, « par mon chef. Mes por Deu, or ne vos soit gref, Mes gardés, por Deu vos prion, De qui gonfanonner feron: Por Deu vos en requier et pri. » — «Sire, nos l’otrions ensi » Fet chascun de la soe part. Atant es vos les filz Renart. Tuit troi el paleis sont entré, Molt bel ont le roi salué. Que rnolt sont de bele parole. Li rois les conjot et acole. Conme debonere et cortois
—
C’est bien dit, par ma foi. Voyez donc,
s’il vous plaît, seigneurs, qui nous pourrons choisir, je vous le demande au nom de Dieu.
—
Volontiers,
seigneur », répondent en k
chœur les assistants.
pénètrent tous les trois dans le palais et. saluent le roi en hommes qui savent sur quete
#® ton parler àun souverain. Noble leur faitfête et les invite avec un mélange de courtoisie et de familiarité à s’asseoir à côté de lui, tout en les complimentant sur leur belle mine et leur
politesse. Puis, il rappelle à ses hommes qu’ils doivent choisir un nouveau porte-étendard ete &d que leur choix ne doit laisser placeà aucune \4h critique. — « Seigneur », dit Ysengrin en s’adressant au roi, «sur la foi que je vous dois, le
meilleur choix à faire, me paraît être celui de Renart. Il est courageux, décidé, vaillant et il
appartient à une grande famille. —
Vous avez raison », répond le roi. « Je
ratifie donc votre choix: qu’il soit porteétendard de par Dieu! » A cette nouvelle, Renart ne se tient plus de joie. En homme qui connaît les usages, il
9% S’'empresse de se jeter aux pieds du roi et de les lui baiser pour mieux lui manifester son contentement, avant de lui adresser la parole : 251
Les asiet delés li li rois Et dit que molt sont bel et gent. Maintenant conmande a sa gent _ Que entr’ous gonfanoner facent Si bon que de rien ne mesfacent. —
«Sire» dit Ysengrins au roi,
« Tot le mellor que ge i voi Et que sache eslire entre nos, Ce est Renars, foi que doi vos. Hardis est et de fier corage, Et molt a en li vasselage, Et si est bien enparentés. » Li rois respont : — «c’est verités. Puis que vos l’avés esgardé, Gonfanonner soit de par Dé Puis que il vos vient a talent. » Renars ne fu mie dolent, Ainz en fu molt liés, ce sachés. Tantost li est coûs as piés:
1910
1920
Con cil qui est bien afaitiés,
Li a andeus les piés besiés De la grant joie que il a, Et puis lo roi en apela Et dit : — « baux sire, mi enfant Sont (Dex les sauve) bel et grant; Si vos pri por Deu et requier Que demein soient chevalier ». Li rois li respont meintenant, 1930
—
« Renart, je l’otroi voirement.
Le matin chevalier seront,
A cest besoing nos aideront. »
Atant lesserent le plaidier. La nuit vellerent au mostier: Et quant ce vint a lendemein,
Li rois meïmes de sa mein
252
prier se les armer chevaliers dès demain. É — Entendu, Renart », fait aussitôt le roi. 5
aurons besoin d’eux dans les Grconsta ‘4 actuelles. » TE Ainsi s’achève leur entretien. Les jeunes 1 gens passent la nuit en prière dans l’ééglise. ETS le jour levé, c’est le roi lui-même qui ic
ceint l’épée et leur donne la colée à tous trois. 1940
Aussitôt la cérémonie terminée, il se tourne… vers leur père! He
— «Que Dieu nous aide! Nous devons partir dès ce matin. Mais, par saint Martin,je vous prie de demeurer ici et de me garder ma terre et mon royaume, avec Rovel et Malebranche. Quant à Percehaïie, je veux l’emmener avec moi à l’armée: il y portera mon étendard
de soie blanche.
…
Mais vous trois,
vous resterez ici avec un nombre suffisant
d'hommes,
qui vous auront juré fidélité.
Tibert le chat en sera, et Ysengrin (on connaît
1960
sa belle prestance et Son noble maintien), avec toute sa famille. Ce serment, je l’exigerai moi-même de tous, même si cela ne plaît pas à certains. Pour ce qui est de la reine, veillez bien sur elle, je vous la recommande particulièrement. Je ne peux m’attarder davantage : je la
confie à Dieu et à vous.
|
253
MT
A a chascun ceinte l’espee Et si lor done l’acolee. . Quant il furent fet chevalier, Li rois n’i vout plus delaier,
Renart apele, si li dit: —
« Renart », fait il, «se Dex m'’aït,
Movoir nos convient le matin. Mes je vos pri por seint Martin Que vos ci iloc remanés,
1950
Ma terre et mon païs gardés, Rovel o vos et Malebrance : Le penon et l’ensegne blance Qui est tote pure de seie Portera en l’ost Percehaïie. Celui veil ge mener o moi, Et ci loc remandroiz vos troi Et autres barons a plenté Qui vos jureront feelté. Tybers li chaz, n’en dotés mie,
1960
1970
254
Sera O vos par conpaignie Et Ysengrin et sa mennie Qui molt est droit et alignie. Feelté vos jureront tuit Voiant moi a qui qu’il anuit. Et la roine, ce vos di, Gardés bien, que je vos en pri. Ne puis plus demorer o vos, Ge la lés a Deu et a vos. » — «Sire », fait il, « vostre plesir Ferai que qu’en doive avenir. Mes la feelté des barons Voudrai avoir, que c’est resons. » Li rois respont : « vos l’aurés ja. » Atant Ysengrin apela Et Tybert tot ses eulz voiant.
E Ft Fr,
— Je vous obéirai scrupuleusement, quelles que soient les circonstances. Mais je souhaite recevoir expressément le serment de fidélité des barons: il me semble quec’estune exigence raisonnable. | "20 — Vous allez avoir satisfaction »,| répond FM le roi. Il appelle aussitôt à lui Tibert et Le Ysengrin : « Venez ici, seigneurs, et amenez vos hommes. Ils jureront de rester avec … Renart. Chers seigneurs », dit-il s'adressant à:
tous, « je vous charge de garder mesterresen
compagnie de Renart. Mais prêtez d’abord serment de l’aider loyalement en toute cir1
constance dans la mesurede Vos MES veut l’attaquer. »
one
Ils s’exécutent sans discuter. Cependant, avant de partir, le roi doit encore s’occuper d’autres préparatifs. Il fait charger chariots et chevaux de malles pleines d’argent. On y attache aussi tentes et pavillons. C’est finalement un mardi au lever du jour qu'ils partent, au nombre de cent mille, après avoir pris congé. Ils chevauchent à travers la campagne, Percehaie portant l’enseigne qui flotte au vent et le cœur plein de tristesse d’être séparé de Renart. | Quant à ce vicieux personnage, il est resté en compagnie de la reine dont il est amou20 reux, et depuis longtemps; imaginez la joie de
celle-ci et sa satisfaction. Il peut l’embrasser 255
| |
— « Segnor », fet il, « venez avant, S’amenez tote vostre gent!
Si jurreront le serement Que avocques Renart tot dis Demorerez en cest païs. Bel seignor, a Renart vos lés
1980
Por garder mon païs en pés. Mes un serement li ferés Que partot li aïderés Loiaument a vostre pooir,
Se nus li velt gerre movoir. » Atant on le serement fet Devant le roi sanz plus de plet. Adont s’en velt li rois partir,
Mes einz fist ses males enplir. Li rois fist cargier ses deniers . Sor charetes et sor somiers :
2000
256
Pavellons et tentes trosserent. Congié pristrent, si s’en tornerent A un marsdi a l’esclerer, Et furent plus de cent millier. Chevauçant vont par la campaigne. Percehaie porte l’ensegne Qui baloie contre le vent, Mes le cuer ot tristre et dolent Por Renart dont il fu sevrés. Renart, qui molt fu mal senés, Fu remés avoc la roïne Qu’il aime d’amor enterrine Et longuement l’avoit amee. Or est avoc li demoree Lie et joiant et envoisiee. Moit soventes fois l’a bessiee Renart qui en ese en estoit, N'’ele pas nel contredisoit,
tout à son aise et sans rencontrer de résis-
tance, bien au contraire. Comblé par la présence de sa dame, il se préoccupe d’autre part d’approvisionner abondamment le château en nourriture, afin d’être en mesure de …
faire face à une attaque. Tout est donc au mieux pour les amants. Pendant ce temps, le roi poursuit son chemin avec les siens le plus rapidement possible. Le temps leur est favorable : ni vent, ni gelée, ni pluie. Après force
journées à cheval, ils parviennent à moins de trois lieues de l’armée sarrasine qui avait mis le siège devant une place forte. Le roi que cette vue plonge dans LE UE appelle ses barons: — «Seigneurs,
écoutez-moi, au ord nom de re de e en Dieu; faites déployer l’armé
bataille. —
À vos ordres, seigneur.
Aux
armes »,
s’écrient-ils. Ils se mettent à la tâche, répar-
tissant leurs hommes en dix corps de bataille qui chevauchent en bon ordre. Percehaie porte l’étendard et conduit l’ensemble des troupes avec dignité. La répartition entre les différents régiments est la suivante : Couart . le lièvre a le commandement du premier (de cela nous sommes sûr) et le dirige sous l'enseigne qui flotte au vent; Belin mène le 204 second, Tiécelin le troisième et Brun l’ours, connu pour sa vaillance et sa force, a sous ses
257
. Ançois li plest molt et agree. Renars a grant joie mênee De sa dame qu’il ot o li.
” 2010 Molt a bien le castel garni Au meus que il pout de vitaille,
Qu'il Einsi Et li Avoc
se dote qu’en ne l’asaille. remoinent a grant joie. rois s’en vet totevoie sa gent au meuz qu’il puet.
«Ne vente ne joille ne pluet:
dE 3 OEM Et
_ De ce lor est bien avenu. Tant ont alé qu’il sont venu - Chevauchant durement et tost 202 A meins de trois liues del ost
"A un castel qu’il ot asis.
.… Li rois fu durement pensis, Si a ses homes apelez. — « Segnor », fet il, «or m eitendeil [Tee . Je vos pri por Deu et requier, Fetes mes batailles renger. » — «Sire », font il, « vostre plesir. Dont covient nos armes sesir. »
Lor batailles ont conmenciees 20% À renger. Si les ont rengiees, Dis escheles font de lor gent. Molt chevaucent et. bel et gent.
Percehaie porte l’ensegne Molt les conduit bel et enseigne. Les escheles font departir. Coars li levres sans mentir Conduit la premere et chadele ‘© l’ensegne qui molt ventele. La seconde meine Belins, 24 La tierce conduit Tecelins, La quarte quadele Brun l’ors
258
ordres le quatrième. Chantecler (quel beau ; jeune homme!) a la charge du cinquième. Les documents nous apprennent que c’est Epineux le hérisson qui est à la tête du sixième. Baucent le sanglier aux défenses acérées conduit le septième. Roonel Rousseau le commandement
partage avec du huitième.
Monseigneur Frobert guide le neuvième, comme chacun peut le voir. Quant au dixième, c’est le roi en personne qui est à sa tête avec le courtois Percehaie qui coordonne l’ensemble du dispositif. Monseigneur Bernard l’archiprêtre, homme de bon conseil et de paix, après leur avoir donné à tous l’absolution, les exhorte:
— «Soyez sans crainte! Les Infidèles ne l’'emporteront pas sur vous, vous pouvez en être assurés. Contentez-vous de poursuivre votre chevauchée; ils seront anéantis avant d’avoir eu le temps de s’armer. — Voilà une bonne et réconfortante parole », dit le roi. « On peut compter sur vous et vous avez droit à toute mon amitié pour ce conseil. Par la foi que je dois à saint Sylvestre, vous n’êtes pas le premier archiprêtre venu. Si Dieu m’accorde de revenir vivant de cette bataille, je suis décidé à vous manifester ma considération : je prends l'engagement solennel de vous faire évêque. 259
RE Le
| Qui molt estoit et prous et fors. La quinte conduit Chantecler,
=
Moit ot en li bel baceler.
La
siste, si con nos lisons,
_ Moine Espinarz li hireçons. : La setime conduit Baucenz
Li sengler as aguëés denz. L’uitime conduit Roenel, Et avoc li estoit Rossel. La nofime tot en apert Caele mon segnor Frobert. La disime conduit li rois _ Et Percehaie li cortois - Qui estoit de tote l’ost mestre. Mon segnor Bernart l’archeprestre . Qui molt fu prodom et de pés, Si les a fet trestos confés, Et dit: « Segnor, ne dotés ja 2060 Cele parjure gent de la! Ja n’auront force ne pooir,
Ice sachés vos bien de voir. Mes or chevauciez sajement : Q’ainz que soient armé lor gent
Les aurom detrenchés et mort. » Dit li rois :— «ci a bon confort.
Molt a en vos bone persone, Bien ait qui tel conseil me done! Par la foi que doi seint Selvestre, 2070 Molt a en vos bon archeprestre. Ge vos voudrai molt honorer, Se Dex me done retorner: Que par la foi que je vos doi, Evesques serés de la loi: Le don vos en otroi ici.» Lu,
260
«Sire », ‘fet il, «vostre merci ».
— Soyez-en remercié, scigneur », fait Bérnard.
L’armée nee alors sa chieveuchoe sans que les suppôts de Satan qu’elle avait en face d’elle se soient aperçus de rien, jusqu’au moment 208 o
où Couard
leur tombe
dessus et
profite du fait qu’ils sont désarmés pour faire de nombreux prisonniers. Mais à travers l’armée ennemie, on crie « aux armes »ettous se précipitent. Aussi, la situation aurait pu mal tourner pour Couart sans l’intervention de Tiécelin qui ne lui ménage pas son aide. Les affrontéments sont aussi nombreux qu’acharnés. Le corbeau, brandissant l’épée à la lame claire et aiguisée, en frappe un à
scorpion, lui tranchant la tête et les pieds. Le
2100
chameau, que cette mort afflige, court sus au vainqueur, jurant qu’il ne l’emportera pas en paradis, et il lui décoche une telle ruade qu’il le jetteà terre à la renverse. Il aurait été fait prisonnier sans Belin, qui, venant à la rescousse, s’interpose entre les deux adversaires. Il heurte deux Sarrassins avec tant de force qu’il leur fait sauter les yeux de la tête. Le chameau est fâcheusement impressionné par une action dont la gravité ne lui échappe pas. Et le mouton
prenant
un nouvel
élan, en
décervèle un autre avec une vigueur incroyable : en voilà trois de morts en un tournemain. Cependant, il y serait resté à son tour 261
…
12 Atant prenent a chevaucer.
:N’en sorent mot li aversier,
©
Si est Coars sor euls venus.
ce Moit en ont pris et retenus, 7
Car il furent tuit desarmé. - ‘Parmi l’ost est li cri levé,
As armes corent meintenant. Ja fust Coars mal covenant, + / Quant Tiecelins ii est venu . Qui hautement l’a socoru.
La ot molt estote mellee. _ Tiecelin tint el poing l’espee : Dont li brans fu cler et molu. .S’a un escorpion feru: La teste li coupe et les piez.
in Li chamous en fu molt iriez, : à À Tiecelin est corus sus, . Et jure Deu qui est lasus ‘Que mal s’est sor li enbatu. Lors l’a si durement feru liDe sa pate que il l’abat Tot envers a la terre plat. Ja fust retenus en la fin 210 Quant entr’eus se feri Belin,
_… Si con il venoit escorsé: Si a deus Sarasins hurté. Que il lor fist voler les euz. Li chameus nel tint pas a jeus,
Ainz li anuie, che sachés. Et Belin se rest eslessiés Tot autresi conme desvé, Un autre ra escervelé. Trois en a en pou d’ore mors. 2110 Mes neporoc n’en fust estors
|
des
|
| Que morz ne fust sanz raençon,
262
|
|
e
|
dr
L De
sans rançon, n’eût été l’arrivée de Brun l’ours … faisant force d’éperons en compagnie de cent chevaliers qui détestent les scorpions en qui :NA NT MI IT ils voient des ennemis mortels. Ils se fraient
un chemin au plus épais de la presse, désireux de frapper de beaux coups, et ils abattent, morts, d'innombrables adversaires. Pourquoi
s'étendre davantage? Les païens auraient été 2% battus et réduits à merci (pas un seul n’en aurait réchappé) si plus de dix mille scorpions n’avaient surgi au débouché d’un vallon. Et de l’autre côté, voici Chantecler, avec tous ses hommes : les hurlements des combattants blessés ou terrassés s’élèvent aussitôt et on ne compte plus ceux qui ont reçu coups et
blessures, parfois mortels. Le farouche Chantecler
y
montre
toute
sa
prouesse;
sans
s’épargner, il fait la preuve de sa bravoure : il n’est personne dans l’armée à pouvoir l’égaler et je me demande bien comment un si jeune
- 24 homme, et pas plus grand que lui, peut être aussi hardi et vaillant, au point de se lancer à corps perdu dans les combats comme il le fait. Le voilà qui se précipite au plus épais de la bataille et qui attaquele buffle qui s’était avancé hors des rangs après nous avoir, à lui seul, tué déjà plus de sept-hommes (qu’ajouter à cela?). Aussi, Chantécler, qui voit d’un mauvais œil les siens ainsi mis à mal, décide
de l’affronter. Sans plus attendre, bien assuré 263
EN
RAR,
/1 Quant Brun l’ors vint a esperon .… Et avocli tex cent barons ., Qui heent les escorpions Si conme des testes tolir.
‘ . En la presse se vont ferir De bien ferir entalenté,
Molt en ont mort e craventé. .. Qu'’iroie lonc conte fesant? 212 Maté fussent e recraant _ Cil de la, n’en escapast pié,
. Quant d’un val se sont desbussié _ Plus de dis mile escorpions. _ Chantecler o tot ses barons I rest de l’autre part venu. . La ot et grant cri et grant hu . … Des abatus et des plaiés. Moit en i ot de maegniés
Et de plaiés et de navrés. 2130 Chantecler qui fu desreés I mostre molt bien sa proece: Conme cil qui est sans parece _ .S’i est ferement esprovez, Qar ne pooit estre provez Par home de l’ost son pareil, Et molt durement me mervel
Par queil achaison ne conment Il puet avoir del hardement Home de si petit eage 2140 Con il est et de tel corsaje, Qui ausi est vistes et prous,
Qui son cors abandone a toz. En l’estor se fiert par aïr. Meintenant corut envaïr Le bugle, qui molt se desroie:
Des nos a mors (et que diroie?)
264
154
sur ses étriers et la lance solidement calée,il
pique des deux. Les adversaires s’élancent l’un contre l’autre: c’est le buffle qui est le premier à frapper; d’un violent coup de lance,
il brise le bouclier de Chantecler, mais la 214 cuirasse est assez résistante pour empêcher l’arme de s’enfoncer davantage; quant à la lance, elle se brise en deux. Le coq, maîtreen
l’art de porter des coups, lui passe sa longue lance par le travers du corps si bien que la pointe ressort par le dos. Inutile de s’occuper davantage du buffle qui tombe mort de son cheval. Alors, Chantecler tire l’épée et se replonge au cœur de la mêlée avec ses hommes, tous aussi fougueux que lui. Bientôt,
on ne peut plus compter les morts ni les … blessés. Mais quand ceux d’en face (et, parmi eux, nombreux étaient les comtes et les rois) voient leur seigneur mort, leur émotion et leur
douleur sont grandes. A plus de cinq cents ils 218 se ruent sur le responsable, bien décidés, dans leur colère, à lui faire subir un mauvais sort.
Ils tombent à bras raccourcis sur le coq et sur les siens, faisant beaucoup de blessés et de morts. Chantecler et au moins cinq cents de ses hommes succombent pour la plus grande douleur du camp chrétien. Ils allaient même être tous anéantis quand arrivent, à bonne allure, monseigneur Epineux ainsi que Baucent et Roonel qui se jettent dans la bataille. 265
Plus de set par li solement. Chantecler en pesa forment Quant si le vit sa gent malmetre, 2:50
Encontre li se voudra metre. Meintenant broche le destrier, Bien fu aficié en l’estrier Et mist sa lance sor le fautre.
Lors point li un encontre l’autre. Li bugles vint premerement, Chantecler fiert molt durement De sa lance de tel vertu Qu'il li a peçoié l’escu. Mes li haubers fu si tenant 2:60
Que il ne pot aler avant, La lance vole en deus moitiez.
Chantecler qui fu afaitiez De ferir, l’a feru forment. De la grant lance roidement Le feri si parmi le cors Que le tronçon en parut fors. Mort le trebuche del cheval, Onques ne li fist autre mal. Puis a meintenant tret l’espee, 2170 Si se refiert en la meslee Li et ses homes molt iriés. La ot de mors et de plaiés Tant que n’en sai dire le conte. La ot et meint roi et meint conte : Quant iloc lor segnor mort voient, Grant dol en ont et molt s’esmoient. Vers Chantecler en sont venu Tuit plein de corus esmeü, Plus de cinc cent tos a un fés |: 2180 Qui de mal fere sont engrés. Sor Chantecler et sor sa gent
\ 266
De A bris de lances. s’ensuivent, Mo seigneur Epineux se précipite au cœur de la mêlée. Il y tombe sur le:dromadaire que le 2200
hasard avait séparé des siens. D’un seul coup, il lui tranche la tête, l’abattant mort sur place. Aussitôt, il embrasse hardiment son
bouclier et, montrant bien qu’il n’est pas
novice en la matière, blesse ou tue nombre de ceux qui se trouvent Sur son chemin. Et les 5
siens ne sont pas en reste. Les morts sont nombreux dans les deux camps. ‘Mâtins et chiéns de chasse y périssent en grand nombré, se
mais, à la fin, l'ennemi a le dessous. C’est là …
qu'Epineux succombe et sa mort est doulou-… reusement ressentie par le roi Noble et par l’ensemble de l’armée. Ils auraient été misen
2220
déroute à ce coup sans. l’arrivée du grillon Frobert et de sa troupe. Il fait passer un mauvais quart d'heure à l’adversaire en lui tuant plus de vingt mille hommes :autant qui ne retourneront plus chez eux. Dans leur panique, les serpents s’enfuient, poursuivis par les grillons qui les serrent de près en grand tumulte. Et voici le corps d’armée royal, conduit par Percehaie. Dès que le chameau le voit, il interpelle ses gens : « Seigneurs, nous ne sommes plus de force contre eux. Je ne peux plus vous protéger. Or donc, chacun pour soi et sauve qui peut!» Ils font volte-face aussitôt, :Frobert et les autres à d 267
. Ferirent molt ireement: : Molt en i ot morz et navrez.
| La fu Chantecler mors ruez Et de ses homes bien cinc cent, Dont li baron furent dolent. Desconfit fussent a cel point, Quant misire Espinart i point, O li Baucent et Roonel,
2190 Molt venoient tost et isnel. En l’estor se ferent manois,
_ Moilt i ot de lances granz frois.
2200
Missire Espinart si s’eslesse La ou il vit la grennor presse: Le dromadaire a encontré Qui des autres estoit sevré. Tel cop le feri de l’espee, Qu'il li a la teste coupee: Mort le trebuche enmi la place. Tot meintenant l’escu enbrace Espinarz conme home hardi, Ne fet pas senblant d’estordi, Mes de teus encontra asés Qu'il a mors et acraventés.
Et si home conmunaument Li aïdent hardiement. Molt en muert d’une part et d’autre, Mort i ot meint cien et meint veautre. Mes sor ous en torna li pis. 2210
Car Espinart i fu ocis,
Dont li rois Nobles fu irié Et tuit li autre corocié. Desconfit fussent a cel saut. Quant Froberz li grisillon saut, O li de sa gent atropé: Molt par ont ceus mal atrapé,
268
EL:
leurs trousses, pressant l'allure. Quand le roi les voit s’enfuir :« Sus à eux! » s’écrie-t-il. Len seigneur Frobert les suit de près avec les’ siens, ainsi que le reste. de l’armée. Et le roi, la. lance solidement calée, en fait autant. Ils les :. | font reculer jusqu’à la mer et les forcent à y é 2 2%.entrer à l'exception du chameau qui réussit à … Frobert se lanceà sa poursuite, s'empare de. s'enfuir par les terres; mais Monseigneur ert
se lanceà sa poursuite, s'empare . lui etre
l'amène au roi par la rêne: —
« Seigneur,
grâce
à Dieu,
SEA
tous
vos.
ennemis sont vaincus. Voici leur chef qe Re à
remets entre Vos mains. »
FPE
Le roi l’en remercie et c’est une joie & générale dans l’armée. On a vite fait de
désarmer le chameau. Sitôt débarrassé de sa cote de mailles, il se jette aux pieds du Moro 7 HR ARS Fe di _ 20 __ «.J’implore ta pitié et je me reconnais comme ton prisonnier : tu peux faire de moi ce qu’il te plaira. Mais pardonne-moi, pour cette fois, le mal que je t’ai fait.
— Je m’en voudrais d’avoir pitié de toi. Tu vas être supplicié et mis à mort par le feu ou autrement, comme le traître que tu es! » Il appelle aussitôt Brun l’ours, Baucent et Tiécelin, Roonel, Rousseau et Belin, ainsi que
Percehaie et le seigneur Frobert pour leur -demander leur opinion: 269 .
ce RS
CEE PR ee PS OS PT TT. TT TR. De ©
Plus de vint mile ocis en ont, Ja mes en lor terre n’iront. Serpant s’en vont molt esmaiant, 2220
Grisillons les vont enpressant.
Moit les meinent a grant desroi. Estes vos l’escele le roi Que Percehaie conduisoit. Si tost con li chameus la voit,
Ses gens apele et dit :— «segnor, Ne poon plus garir as lor: Or tost, ne vos puis meintenir,
Pensés de vos vies garir! » 2230
Adont s’en tornent de randon. Frobert les suit le grisillon
E tuit li autre a grant esploit. Et quant li rois foïr les voit,
Si s’escria : —
«or tost aprés! »
Sire Frobert les suit de prés, Et sa mesnie et tuit li autre. Li rois les suit lance sor fautre.
Par force les ont porsoüs Tant qu’en mer les ont enbatus. 2240
Trestos ensemble estre lor voil Entrerent ens, fors le cameil. Cil n’i entra pas, ains fuï Par terre: si le consivi
Mesire Frobert, si le prent, Et par le frein au roi le rent Et dit :. — «Sire, la Deu merci, Tuit sont vencu vostre enemi,
2250
Le segnor vos rent demanois. » — « Vostre merci » ce dit li rois. Moilt firent grant joie par l’ost, Le chammeil desarmerent tost:
Sitost con fu deshaubergés,
270
nr
A quel supplice dois-Je soumettre C 1e
traître, ce renégat, Loue faire justice de lui au < > Le
mieux ?
— Je suis d’avis, par saint Rien que ‘4 vous le fassiez écorcher, si cela vous con-
a
vient », propose Frobert. —
,
« Soit. »
Aussitôt, on fait étendre le chameau ààterre et on l’écorche sur l’heure. C’est Baucent qui lui donne le premier coup de dent, suivi de . 7# Roonel et de Brun l’ours qui n’est pas en reste. Ils partent de la queue et lui arrachen la peau à rebours. Justice est faite. Le roi s réjouit fort d’être venu à bout de ses ennemis.
Son seul regret est pour ceux des siens qui. sont morts: ce n’est pas là ce qu’il aurait voulu. Il les fait tous enterrer, sauf Epineuxet Chantecler qu’il ne se résigne pas à laisser sur place. Il fait faire deux cercueils pour ramener leurs corps. Puis, ayant hâte d’être à nouveau chez eux, l’empereur et ses homes
prennent Je chemin du retour, à tranquilles et joyeuses étapes. 20
Mais laissons là Noble et revenons à ce mal
embouché de Renart, ce fourbe trompeur. Un certain temps de réflexion l’amène à se dire qu’il a une chance de se retrouver roi et empereur avant la fin du mois (pourvu que Dieu lui soit favorable) en faisant croire aux barons que le lion est mort.Il se dépêche de
‘271
'Si'a les piésle roi besiés Et dist : « Sire, merci te quier,
_
Ge me renc a _Vostre plessir Pardonés moi Ice que je vos
toi prisonnier: de moi feroiz. iceste foiz ai mesfet. »
Li rois dist : «Ja mon cors bien n’ait, Se merci avés ja nul jor. Ainz serés conme traïtor Destrus et ars et tormenté. Lors a meintenant apelé
2260
Brun l’ors, Baucent et Tiecelin, Roonel, Roussel et Belin, Percehaie, sire Frobert.
Li rois lor a dit en apert: — « Segnor », fet il, «conselliés moi
De cest laron de pute foi, Quel justice de li ferai, 2270
Et conment je m’en vencherai. Froberz respont : « Par seint Richer Ge lo quel fachés escorcier,
Se vos veés que ce bien soit. » Li rois dit «a vo plaisir soit ». Tot meintenant sans plus atendre Font le chamoil a terre estendre, Escorcher le fet errament. 2280
Baucent i enbati la dent, Et Roonel i mist la soue: S’ont conmencié devers la coe. Molt lor aïde bien Brun l’ors, Le cuir li ont trait a rebors. Escorché est, bien sont venché: Durement en est li rois lié
De ce qu’il a si bien ovré De ses enemis qu’a maté.
-272
_
rédiger un message puis fait venir un serviteur:
— « Écoute bien ce que je vais te dire, mon ami, et promets-moi de garder le secret sur les consignes que je vais te donner. — Vous pouvez me faire confiance, seigneur.
Je n’en
soufflerai
mot,
soyez
sans
crainte; je vous en donne ma parole. » 2320
Avec
cette assurance,
Renart
s’ouvre à …
| | lui : — « Voici ce que je voudrais que tu fasses : demain, tu te présenteras devant les barons qui sont à la cour et tu leur annonceras sans barguigner que le roi a été tué. Après quoi, tu me remettras la lettre que voici en leur présence. — «A vos ordres, seigneur, et advienne -
que pourra. »
|
Il remet donc le pli au garçon quis’en saisit et, après avoir pris congé, s'éloigne rapidement sans être vu d’âme qui vive. Pendant ce temps, Renart est au comble de l’impatience : son projet va-t-il réussir? Non sans astuce, le 2340
messager attend le point du jour pour sortir de la ville. Il fait galoper son cheval à travers la campagne, suffisamment pour le mettre en sueur puis le ramène à vive allure, lui mettant les flancs en sang à coups d’éperons. Franchissant la porte à bride abattue, il pénètre
dans l’enceinte. Puis, après avoir mis pied à
:273
à
br
+
‘4 .
», Li rois ot grant joie a son cuer.
‘4 «Mes bien sachés que a nul fuer Ro Ne voussist de sa gent la mort, 2%
J] en est en grant desconfort.
k
_ LM
Trestos les a fet enterrer
Fors Espinart et Chantecler, :Cels ne volt il iloc lessier.
d k 18
Tantost fist li rois conmencer Deus bieres, ens les fist chocier, Puis se metent el repairer .Con cil qui desirant en erent. Vers lor terre s ’aceminerent ‘A grant joie tot sans desroi. 230% Ci ilec vos lairon du roi, Si vos rediron de Renart Qui molt estoit de male part - Et molt fu plein de fausseté. : Un petitet s’est porpensé A soi meïsmes et a dit |: Que se Damledex li aït, Enpereres sera et rois, Se il puet, ains que past li mois. Il fera entendre as barons 2310 Que mors est Nobles li lions. Unes letres a fet errant, Puis a apelé un serjant. — « Amis », dit-il, «entent a moi! 1 Tu me fianceras ta foi Que de rien que ge te conmant Ne parleras d’or en avant.» — « Sire », fait il, « sachés sans faille,
N'en parlerai conment qu’il aille, Foi que doi vos, n’en dotés mie ». 232 Atant li a sa foi plevie. Quant il ot fet ce qu’il li quist,
: 274
terre, c’est en courant qu’il entre dans le
palais. Il salue d’abord Renart, puis la reine, on le fait pour une dame de son
comme rang.
—
“4
« Dame, le roi vous salue et ordonne
qu’on lise ce message aux barons. Il vous fait 2360
dire par mon intermédiaire qu’il a reçu au combat une blessure mortelle. È
—
Mortelle!»
dit Renart,
« Malheur
à
moi! Monseigneur le roi est donc mort? » A ces mots, il se jette sur le messager et lui
fend le crâne d’un coup de bâton qui le laisse mort sur place : « Tais-toi », dit-il, « à Dieu ne
plaise que nous ayons ainsi perdu le roi! » Avez-vous compris la raison de ce geste?
C’est que Renart ne voulait pas courir le risque d’être dénoncé par le garçon : d’où sa ruse. Il prend alors le message comme si de rien n’était et, au vu de tous les barons, le
donne à Tibert le chat qui le parcourt de bout en bout, moustaches dressées. 2380
— «Sur ma tête, Renart, le roi est bel et bien mort. Il fait dire à tous les siens sa volonté que dame Fière épouse Renart en tout amour et que celui-ci soit reconnu immédiatement et sans contestation comme souverain de tout le royaume. » Ce qu’ayant entendu, la reine se contente de répondre: — « Puisque telle est sa volonté, je dois la 5279
: |Tot meintenant Renart li dist :. .— « Amis, tant feras, je te proi, . Que tu en. iras de par moi
As barons demein a la.cort, Et si diras, conment qu’il tort,
Que Ice
li rois a esté ocis.
lor diras, baus amis,
Et ces letres de meintenant
30, Me bailleras lor ouls voiant. » — «Sire », fet il, « vostre plesir _ Ferai, que qu’en doie avenir. » A cest mot les letres li tent, : Et li vallés tantost les prent _… Et a pris congié, si s’en part. -.,. Et Renars remeist qui est tart
Qu'il oùst fet ce qu’il pensoit. Li vallez s’en vet a esploit _ Si que ame ne s’en perçut. 2340 Au matin quant li jor parut S’en est issus fors de la vile Con cil qui asés sot de gile.
-Dedens la, praerie entra, Son destrer i esporona Tant que il le fist tot sullent,
Puis retorna isnelement. Tel cop li done des talons Es costés que li esporons Li sont dedens la char entré. 2350 Tant s’est li messagiers hasté Que par la porte entre en la cort. Descendus est et puis s’en cort EI paleis trestot meintenant. Renart salue tot avant, :. Et puis salue la roïne ….Conme cortoisse et enterrine,
276
respecter. Je vois bien qu’il n’y a pas d’autre solution. Le sort du royaume est lié au mien, puisque je suis la reine et que je dois le demeurer. Mais je voudrais savoir si le seigneur Renart accepte également. | — Mais oui, dame, et je suis prêt à me … conformer sans retard à vos ordres. “4 — C’est là bien parler, seigneur, sur ma foi. »
Les barons sont à la fois peinés pour le roi qui ne reviendra pas et contents d’avoir 240 Renart comme nouveau seigneur. L’échange des serments entre le goupil et la reine a lieu aussitôt et c’est la liesse dans le palais qui retentit des chansons et des lais joués par les
jongleurs sur leurs vielles. Dames et jeunes filles dansent. Toutes et tous mènent grande joie; on dormit peu cette nuit-là. Le lendemain, sans plus attendre, Renart épouse la
dame. Tous les barons du royaume lui prêtent serment de fidélité et s'engagent solennellement à lui venir en aide dès qu’il aura besoin d’eux, ce qu’il se garde bien de refuser. La danse et les jeux réunissent tous les participants au milieu de l’allégresse générale. Puis 42 ]Je connétable Ysengrin, dont c’est la charge, fait dresser les tables et circuler les aiguières pour se laver les mains. Tous s’assoient pour manger. Grimbert le blaireau, le cousin germain de Renart, apporte le premier ser277
.
À
6
Ed
ve
af RUES
+ Et dit: «dame, salus vos mande , … Li rois et as barons conmande See Que. il facent lire cest bref, ‘360 Et si vos di bien par mon chef _ Queilest en bataille ocis. » 2 « Ocis? » dit Renars, «las caitis! : Est donques mors li rois missire? » A cest mot li saut sans plus dire, Si fiert d’un baston si forment
sx
| à
Que la cervele li espant, .
Que mort l’abati en la ‘place. PET — « Tais toi», dit Renart, « Dex ne place Q'einsi aion le roi ‘perdu. » ®:Savés por quoi il l’ot feru? -Por cé, sachés de verité,
Que par li ne fust encusé: Moilt fu voisiés. En apert
Le bref prent, sil bailla Tybert Le chat, voiant tos les barons. “Et Tybers leve les gernons, : Puis lut le bref de chef en chef, LEt puis dit:« Renart, par mon chef, = Li rois est. mors veraiement, 2380 Et si mande a tote sa gent ‘Que dame Fiere la roïne : Prengne Renart par amor fine, Delivrement et sans desfois
Soit de tote la terre rois. ». . Quant la roïne a entendu,
l Tot simplement :a respondu : ue: — « Bel seignor, puis que il le mande. | Fére m'estuet ce qu’il conmande. 1 Quant je voi qu'autre estre ne puet
mx. Et li roïaumes de moi muet:
. Miens est et bien le.doi avoir. ‘278
MT
nest
CAYz L7
NT
re
2
vice, un plat digne d’une aussi noble assis-
tance. Je crois bien qu’il y eut une vingtaine de services, mais je ne les ai pas comptés. A la fin du repas, tous se lèvent rapidement. Les.
premiers à le faire sont Tibert et Grimbert, les deux bons compagnons, qui vont bénir le lit nuptial. Après quoi, ils se retirent gais et. contents, tandis que les amants restent pour se livrer à leur plaisir jusqu’au petit jour. Monseigneur Renart se lève alors, fort satisfait et fier de lui, et se dépêche de faire ouvrir
le trésor car ils ne veulent pas attendre davantage. Il distribue une partie de son contenu en or et en argent aux siens de façon à ne plus avoir à y revenir et fait porter le reste à Maupertuis
2460
car il craint, non sans
raison, d’avoir à faire face au roi au cas où celui-ci reviendrait, et il veut être en mesure de lui résister. C’est pourquoi il accumule assez de provisions pour pouvoir soutenir un siège d’au moins sept ans à mon avis. En effet, la situation de son château le rendant imprenable, on ne peut le réduire qu’en affamant ses occupants. Il le met donc en état de faire face à toute éventualité, et ses souhaits sont comblés quand il se voit proclamé empereur. Alors il ne se connaît plus de joie. Cependant, il continue de munir son château de tout ce qui est nécessaire. La reine le chérit et l’aime comme
son
légitime époux, car, dit-on, il 2179
Mes or voudroie je savoir _Se Renars le voult otroier ». — « Dame, gel voil :sanz delaier, _ Fere quanque conmanderés. » — « Par foi, sire, bien dit avés. » Li baron sont dolant et lié:
Por lo roi qui n’est repairrié Sont dolant, et lié d’autre part, Quant il ont a segnor Renart. _ Tantost sans plus de demorance
Fu d’ous deus prise la fiance. __ Grant joie font par le palais. “Chançonetes sonent et lais Cil jogleor o lor vieles.
Qerolent dames et puceles.
2410
2420
280
Grant joie font totes et tuit, Molt dormirent poi cele nuit. E lendemein sans demoree A Renart la dame esposee: Meintenant li font feelté Trestuit li baron del regné Et juré et plevi li ont Que par tot li aïderont, Se il avoit d’els nul besoing. Renart n’a de refusser soing. Grant joie demeinent entr’eus, Moit i ot grant dances et jeus: De joie ne sont pas aver. Tantost a doné a laver Cil qui en sert: li connestables Ysengrins fet metre les tables: Si se sont asis au manger. Grinbert li tesson tot premer Qui cosins fu Renart germeins, Lor aporta entre ses meins
l’aimait plus que n’avait fait. monseigneur
à
Noble le lion.
La joie règne entre eux sans mélange, mais n F cela ne va pas durer. Car voici que le roi est # sur le chemin du retour, ramenant tristement
D)
avec lui les corps de Chantecler et du hérissonFe portés sur des litières faisant fonction se civières. Il dépêche l’écureuil pour annoncer son arrivée, mais celui-ci ne peut pénétrer dans le château dont les ponts ont été relevés. 2480 Renart l’interroge du haut des murs où il était accoudé: — «A qui appartenez-vous? De quel pays êtes-vous? — Seigneur », fait-il, « je suis homme dé À monseigneur Noble le lion, par saint Simon.
“2
Grâce à Dieu, l’expédition qu’il avait entre-
prise a été un succès complet et il revient, vainqueur de tous ses ennemis. Son seul sujet de chagrin, —
mais il est grand —,
est la
mort de Chantecler et du seigneur Epineux dont il ramène les corps en litière. — Que Dieu m'aide », dit Renart. « Qu'il vienne tant qu’il voudra, mais il ne mettra pas les pieds ici. Allez lui dire que, désormais, le
roi c’est moi et que je n'ai rien à ajouter. »
|
Ces propos font suffoquer d’indignation l’écureuil qui rétorque aussitôt: . 2500
—
« Comment, seigneur Renart? » Qu’en-
281
Tex més con a tel gent convint : Ge cuit plus en orent de vint, 2430
Des més, més je nes contai pas. Quant mangié ont, plus que le pas Se levent tuit : premerement Tybert et Grinbert solement,
Qui molt furent bon conpaignon. Cil dui font la beneïçon Desus les liz as deus amanz: Puis s’en partent liez et joianz, Et cil remeistrent totevoie. Lor deduit firent a grant joie Jusqu'au matin qu’il ajorna. Misire Renart se leva A grant joie et a grant baudor Tot meintenant et sanz demor A fet le tressor esfondrer Qu'il n’i voudrent plus demorer. Les deniers et l’or et l’argent
2450
En a fet doner a sa gent, Par convent qu’il n’i entra puis. Porter en fist a Malpertuis : Quar il se dote (si a droit) Del roi, que se il revenoit, Contre li se voudra tenir. Por ce fet son castel garnir. Bien le fet garnir de vitaille,
Ne Li Ja Se
cuit devant set ans li faille. castax est si bien asis, ne sera par force pris.
par autre n’est afamés, Ja par li ne sera grevés.
2460
Renart fait garnir son castel, Asés.i a de son avel,
Et moit a de ses volentés,
282
tendez-vous par-là? Est-ce une, plaisanterie ou voulez-vous dire:sérieusement ee le’ roi n’entrera pas ici? ne — Je parle tout ce qu’il y a de Fes sérieusement : il ne mettra pas les pieds ici den son vivant. C’est mon dernier mot.» : L’écureuil se dépêche alors de tourner les. talons. Il n’a pas loinà aller pour retrouver je à roi à qui il raconte immédiatement toute l’histoire en lui rapportant lesparoles mêmes
2520
du goupil. Noble, le. visage. assombri et. è déformé par la colère à à ce récit, AE les barons : | Ù — « Seigneurs, vous avez carend. ce que:#à le mot de“ service ”signifie pour Renart. Il a :. pris possession de ma terre et.se fait donner le … titre de roi. Je ÉMIS de vous ponseil ct” aide. ——- Setbiètr », dit Bts POUrS: «dès demain, sans faute, nous donnerons l'assautà
_coups de pierrières et de catapultes. Oui, c’est ce que nous ferons s’il veut défendre vos propres châteaux contre vous, Si nous le faisons prisonnier, pas question de rançon: nous le pendrons au sommet de ce tertre. Voilà mon conseil. — La raison parle par votre bouche » », fait
* Noble. Aussitôt,
ils se mettent
en route et ne
s'arrêtent qu’une fois arrivés devant le châ-
283
.-
1: Quant enpereres est clamés. Grand joie en ot et grant fn Bien fet garnir sa forterece. La roïne l’aime et tient cher Conme son segnor droiturier, Que meus l’amoit, si con dison, Que
ne fist Nobles le lion.
= :: Grant joie demeinent entr’eus, 2470 Mes par tans i aura grans deus. Car li rois chevauche a esploit Qui Chantecler en aportoit Et le heriçon en literes “ Ausi fetes conme deus beres. ke Molt ot de ses barons grant dol. Devant envoie l’escuirol
.«… Por les noveles aporter.
_ Mes el castel ne pot entrer,
Qar lipont estoient levé. Renart fu as murs acoté,
:: Si lapele et li dist : — «amis, Dont estes vos? de quel païs? » — « Sire », fait il, « par.seint Simon, Ge sui hom Noble le lion.
De lost repere ou a esté. Moilt l’a bien fet, la merci Dé: Tos
ses enemis
à vencus.
Mes il est forment irascus : Por Chantecler que il aporte Mort (dont il molt se deconforte) . En litiere et sire Espinart. » — « Si m’aït Dex », ce dit Renart, « Bien puet venir, quant il vodra: Mes çaens le pié ne metra. Alés, si li dites itant
. Oue rois sui des or en avant.
284
l
la
teau. Là, ils sont obligés de monter des tentes
puisqu'ils ne peuvent entrer. La colère du roi Ë en est accrue et il jure que, s’il peut s’ cnpaess
_ ## de Renart, il lui fera connaître un de ces supplices qu’on réserve aux brigands :Ù Hi pendaison, le bûcher, ou bien il le fera traîner à la queue d’un cheval, il ne s’en tirera pas à moins. Noble fait dresser catapultes, trébuchets et autres machines de guerre en grand nombre. — « Qu'est-ce qui se passe? » interroge 5 Renart. « Diable! S’imaginent-ils venir à bout ; de moi en s’y prenant ainsi? Mais je vais faire une sortie contre eux et pas plus tard que. cette nuit. »
Il donne aussitôt à ses gens l’ordre de s’armer, et d’abord à ses deux fils et à son cousin. Ils vont avoir l’occasion de voir le roi
de près! Ils sont au moins dix mille à sortir en - masse, en faisant force d’éperons, par le pont qu’on a fait abaisser. Percehaie, les voyant arriver, quitte le camp du roi avec un certain
20 nombre de transfuges qui vont bientôt causer pas mal de soucis à Noble. C’est en effet à lui que tous s’en prennent aussitôt. Comme il est surpris désarmé, il ne tarde pas à se trouver
en difficulté. Il se saisit d’un bouclier et d’un épieu; les cris s'élèvent autour de lui; la mêlée multiplie les coups d’épée. Sans le secours de Brun, la situation aurait mal tourné pour lui.
‘285
d'in à St Ma
N'i a mésa reconmander. » En l’esquirol n’ot qu’aïrer, Si li respondi erraument: — « Qu'est ce, sire Renart, conment? Est ce a certes ou a gas
D 4.4:
di D CARES SET SES Ve À11 di ee
Que li rois n’i entrera pas? »
2510
HR CRT
Dist Renart : — « Tot de voir sachés Que jamés n’i metra les piés A nul jor tant con il soit vis. Or vos en ai dit mon avis. » Quant li escuirous l’entendi, Va s’ent, que plus n’i atendi. N'a gueres longement erré Que il a lo roi encontré. Quant il le voit, ne se vout tere, Ains li reconte tot l’afere Si con Renart li avoit dit. Li rois l’oï, si en sosrit, D’ire et de mautalant nercie, Si apele sa baronie.
— « Segnor », fet il, « avés of De Renart con il m'a servi? Ma terre a sesi contre moi, 2520
El païs se fet clamer roi. Ge vos pri que me conselliés Et qu’a cest besoing me vailliez. » — « Sire », dit Brun lors, « sans faillir Le matin l’iron asaillir A perieres, a mangoneax. S’il tient contre vos vos castax, Nos les asaudron le matin.
Se prendre le poon, sa fin Est venue sans raençon, 2530 Desus cel tertre le pendron; Einsi le lo, einsi le veil. »
286
Mais voilà que rate Bernard et Hat 4 cent courent s’armer et lui viennent en.aide. : pour faire pièce à la trahison de Renart. Baucent est le premier à sortir des rangs et te & n’est pas la force qui lui manque, le bougre! $ Quand Ysengrin le voit se dégager de la presse, il décide de l’attaquer. Dans l'échange 25% de coups qui s’ensuit, c’est Ysengrin.qui a le dessous: il se retrouve à terre’et voit Baucent . s'arrêter au-dessus de lui et tirer l’épée; sa ;
paix allait être définitivement faite, son adversaire s’apprêtant à le tuer sans accepter . de rançon, quand le blaireau Grimbert s’in-. terpose.
Non sans
mal, il'aide
le loup à
remonter à cheval, malgré l'opposition des ennemis. C’est alors au tour de Brun l'ours d’arriver de ce côté en faisant force d’éperons. En chemin, il se heurte à Percehaie, un des
fils de Renart qui tourne son bouclier contre lui dès qu’il aperçoit. Ils se frappent à coups d’épieux, si bien que celui de Brun, brisé par
le milieu, vole en deux morceaux. En combattant habile, Percehaie frappe son adver20 sajire en haut du bouclier et le blesse au côté droit, avec sa lance au fer acéré. Mais voici
que l’archiprêtre monté sur un cheval balzan, arrive à toute bride à la rescousse de l’ours et que cent des hommes de Renart se précipitent avec lui pour aider Percehaie, Ysengrin sort de la mêlée tout exprès, ainsi que Rovel et .:287 (PER
Dist li rois : — « ci a bon conseil. » Atant se metent a la voie Et cheminerent totevoie
Tant qu’il vindrent vers le castel. Pavellons tendent, n’i ot el,
Qu'il ne pourent dedens entrer. Li rois s’en prent molt a irer Et jure, s’il le puet tenir, De tel mort le fera morir Con l’en doit laron tormenter, Pendre ou ardoir ou traïner :
Il ne s’en puet partir par el. Drecher a fet meint mangonel, Meint trebucet et meint caable. — « Que est ce? » dist Renart, « diable!
Me quident il dont issi prendre? 2550
Ge m'irai fors contre ous deffendre Encor anuit sans demorer. » Atant a fet sa gent armer Et ses deus filz et son cosin : Par tens seront au roi voisin. Dis mile furent, voire plus.
Le pont a fait avaler jus, Et s’en issirent de randon,
Atant poignent a esporon. Percehaie les vit venant,
2560
288
Del roi se parti meintenant: Cels qu’il pot mener avoc soi Par tens feront ennui au roi. Sus li corurent demanois. Encor n’estoit armés li rois, Ains l’ont tot desarmé sorpris. Or fu li rois molt entrepris. Un escu a sesi a plein Et un espié en l’autre mein.
\
Malebranche, bref toute sa parenté, je crois,
qu'ils aient tort ou raison en cela. Ils font ke Brun prisonnier, malgré une virulente oppo-
sition. Puis ils se retournent contre Bernard, coupable d’avoir voulu aider Brun. Quand Malebranche le voit, il dirige son cheval vers lui. Tous deux utilisent un vallon pour s’élan2620
cer l’un contre l’autre; ils se portent de grands coups de lances sur les boucliers accrochés à
leurs cous. Quand elles ont volé en éclat, ils dégaignent leurs bonnes épées et se frappent sur les heaumes. Malheur à qui ne sait passe protéger! L’archiprêtre finit par frapper sur celui de son adversaire avec une telle violence ù qu’il l’abatà terre jambes en l’air. Malebranche allait être pris sans l'intervention de Tibert le chat qui se précipite vers lui en ” enfonçant ses éperons dans le ventre de son cheval. Bien que ses ennemis tentent de l’en empêcher, il réussit à le faire remonter à cheval. La bataille fait rage : on y remarque Renart qui se multiplie, bouclier suspendu au cou, épée au clair. Il affronte d’abord Bruyant le taureau puissamment armé. Ils se heurtent de toute la vitesse de leurs chevaux. C’est Bruyant qui porte le premier coup, mais Renart le reçoit sur son bouclier et fait tomber à terre son adversaire. Bruyant le frappe à nouveau avec tant de brutalité qu’il 289
La ot grant cri et grant mellee, Meint cop i ot feru d’espee. .
Moit i oùst li rois perdu,
2570 Quant Brun li ors l’a secoru.
_
Bruiant et Bernart et Baucent As armes corent meintenant,
Si ont secoreü lo roi Que Renart menoit a besloi. Baucenz desrenge tot premiers, Moilt fu estos li pautoners. Quant Ysengrinsle vit sevrer,
_ Lors aquelt a esporoner, _… Grans cous se vont entreferir. |
2580 Ysengrins nel pout pas soffrir Le coup que Baucenz le feri Si qu’a la terre l’abati. : Sor li s’areste et trait l’espee, Ja fust de li la pés juree
Que mort l’oüst sans raençon, Quant Grinbert i vint le tesson. A qui qu’il en doüst peser,
À fet Ysengrin remonter, Mes molt i soffri peine grant. 2590 Brun l’ors i vint esporonant, Si encontra enmi sa voie Un des filz Renart, Percehaïie.
Quant Percehaie l’a veü, Envers li torne son escu,
Granz cous se ferent des espiez. Li Brun l’ors est par mi froissiez Et est en deus moitiez volé. : Percehaie l’a asené
=.
Haut en l’escu con chevalier : 260 La hante dont trenche l’acher,
Li passa par le costé destre.
290
E— lui brise sa lance entre les mains. Renart, de.
son côté, le frappe si fort que la pointe de son heaume
heurte
le sol. Puis, il descend
de
cheval et brandit son épée. Quant Bruyant voit venir le Coup, la peur de la mort lui fait crier merci à mains jointes :
|
— «Seigneur, pitié au nom de Dieu. Je me rends, ne me tue pas!» Et Renart de répliquer: — « Pour cette fois, je vous tiens quitte, pourvu que vous vous engagiez à dem prisonnier dans ce château. $ — Cela me convient, seigneur. Je me conformerai en toutà votre volonté pourvu que vous me fassiez grâce. » Et ils se dépêchent de remonter à cheval . comme si le temps était compté. Cependant, l'engagement tire alors à sa fin. L’issue en est favorable à Renart puisqu’il a fait prisonnier Brun l’ours et aussi Bruyant le taureau. Ses gens regagnent en troupe le château dans l’allégresse. Quant au roi, il se trouve partagé entre la tristesse et
l’indignation pour ce qui vient d’arriver à ses barons : il jure solennellement par le nom de Dieu qu’il ne bougera pas de la place tant qu’il ne se sera pas rendu maître de ses adversaires. Mais qu'importe à Renart ce qu’il peut dire? Il s’en moque bien! Ses hommes mettent pied à terre, puis montent 291
nu Let
Estes vos poinnant l’archeprestre : A la rescusse de Brun l’ors Venoit poignant plus que le cors Desor un grant destrer baucent. Des Renart i corurent cent _ Por aïder a Percehaie.
Ysengrins forment se deraie,
_ Rovel et Malebrance ensenble, Tot le parenté, ce me senble. Ou fust ou bien ou mesprison, Brun l’ors en meinent en prison Maugré tos çous qui laiens sont. L’arceprestre dolent feront Por ce que aider li voloit. .
. 2610
Quant Malebrance l’aparçoit,
Vers li trestorne le cheval. Andui poignent parmi un val, Des lances se ferent grans cox Desus les escus de lor cox. Les lances volent en asteles. Puis traient les espees beles, Sor les haumes se vont ferir. Cil qui bien ne se sot covrir Fu molt malement atorné. Bernart li a un coup doné
2620
Parmi le haume de l’espee,
Jus l’abati jambe levee A la terre tot estendu. 2630
Ja l’oüst pris et retenu,
Quant Tybers li chaz i a point, Por li a enforcié son point. Malebrance fist remonter,
A qui qu’il en doüst peser. Forment est li chaple enforciez, Et Renars vint tos eslessiez,
292
Lie.
_ 2700
au palais où les attend, de la part de la reine,ke: l’accueil le plus chaleureux: È — « Comment cela s’est-il passé? » 1 interroge-t-elle ensuite. — « Bien, grâce à Dieu », dit Renart. « Nous avons fait prisonniers Brun l'ours et. Bruyant le taureau. Je ne les mettrai pas à rançon à prix d’or ou d’argent, mais je les garderai ici. Si l’un de nous était pris, je n’aurais pas de mal — j’en suis certain — à les échanger contre lui. — Voilà qui est bien dit, Seigneur, par saint Simon. » Puis, elle le serre contre
elle, ainsi que
Percehaie et exprime à tous son contentement. La liesse règne dans le palais tout entier que chansons et airs de vielles fontrésonner. Tous et toutes passent ensemble la nuit à s’amuser. Les sons mélodieux des harpes et des vielles, des flûtes et des cithares s’y font entendre. Les jeunes filles dansent et mènent la farandole avec entrain. Nombreux sont les instruments à retentir dans toute la demeure et en particulier dans la grande salle. Pas une seule parole malveillante n’y est prononcée, même à l’égard des plus enviés et des plus nobles, sauf précisément à l’égard du roi Noble qui fait l’unanimité contre lui. — « Comment ne prend-il pas la fuite? » 293
. L’escu au col, l’espee trete, ENT ki
Forment de conbatre s’afaite. Bruiant le tora encontré
2640 Qui molt fu richement armé pp x
he
Si tost s’en vont entreferir Con lor chevaus pourent venir. Bruiant le fiert premerement. Dr Renars met l’escu en present Et l’a contre terre abatu, Et Bruiant le ra si feru Qu la lance li brise es poinz. Renart le fiert si que li coinz
. De son helme fiert el sablon.… Puis descent du cheval gascon, L’espee hauce. por ferir. _ Quant Bruiant vit le cop venir, Peor a que il ne l’ocie,
.
| 2650 ni
2660
2670
294
À meins jointes merci li crie. — « Sire », fait il, « por Deu merci! Ge me renc a toi, ne m'’oci! » Quant Renart ot parler Bruiant, Si respondi de meintenant: — « Sire », fait il, « a ceste fois Vos quit, mais vos fiancerois Prison a tenir el castel. » — « Sire », dit Bruiant, « ce m'est bel. Einsi le ferai con vos dites. Mes que soie de la mort quites, Einsi con il vos plaist l’otroi. » Atant remontent sanz deloi Con cil a qui molt estoit tart. A cest mot li chaples depart. Bien l’a fet Renart a cel cors, En prison en meine Brun l’urs Et Bruiant le tor autresi.
disent-ils. « Nous lui avons porté un coup sérieux: si on compte les blessés et les morts, ses pertes sont considérables. » « Voilà qui est bien, seigneurs, intervient 7% Renart, et ce ne sont pas là menaces en l’air,
mais il faudra voir demain qui s’entend le mieux à faire flotter haut les bannières et à porter des coups. Si je vous vois vous conduire assez bien pour contraindre le roi à se retirer, je pourrai dire que celui qui aura réussi cet exploit aura droit à toute ma reconnaissance,
car il m’aura rendu là un fier service. » Ils restent ainsi à parler entre eux jusqu’au soir. C’est le moment
où tous vont s’asseoir
pour le dîner après que les connétables ont fait dresser les tables. Je n’ai pas l’intention de m’attarder à vous raconter le détail des
740 plats. Qu'il suffise de dire que, lorsqu'ils font ôter les nappes et qu’ils se lèvent, ils ont mangé à leur faim. À ce moment-là, la nuit
est venue,
aussi vont-ils
dormir jusqu’au
lendemain. Mais, dès l’aurore, ils sont debout
et s’empressent de s’armer. Parmi eux, mon seigneur Renart l’empereur avec ses deux fils et son cousin Grimbert, le blaireau sans peur et sans reproche. Il prend congé de la reine sans apparat: — « Dame, je crois qu'avant ce soir le roi sera votre prisonnier, par la foi que je vous dois. 295
«
:
.... El castel en sont reverti Tuit ensemble lié et joiant. _ Li rois remeist tristre et dolant
Et corocié de ses barons : Forment jure Deu et ses nons Que d’iloc ne departira Jusqu’a tant que pris les aura. . Moilt par est a Renart petit De trestot ce que li rois dit, N’en dorroit pas un esperon. Descendus sont tuit li baron Et puis sont monté el palés Onc si grant joie ne fu més Conme la roïne lor fet, _… Puis lor demande : — « Qu’avés fet? » —
« Bien », fet Renars, « la merci Dé.
Brun l’ors vos avom amené En prison et Bruiant le tor : : 12690
2700
Ja n’en prendrai argent ne ot Ne nul denier de raençon, Mes ci iloc les garderon. De ce sui je certeins et fis Que se uns des nos estoit pris, Que par icés les raureon ». — « Sire, foi que doi seint Simon, Vos en avés molt bien parlé. » A icest mot l’a acolé : Apres acole Percehaie Et a toz les autres fet joie. Grant joie font par le palés, Chantent et vielent ces lais. Totes et tuit, si con moi semble,
Firent la nuit grant joie ensemble. Harpes i sonent et vieles Qui font les meloudies beles,
296
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— Dieu fasse qu’il en soit ainsi, seigneur. » Il l’embrasse au moment de se séparer Le PES Fe 7® d’elle puis fait ouvrir les portes et abaisser lesN: ponts. Aussitôt les issues ouvertes pour leur # livrer passage, les hommes de Renart s ’abat- * tent sur l’armée du roi. Chacun craint poursa …‘
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vie et tous sont puissamment armés.
De leur
côté, redoutant une surprise, le roi et les siens à avaient revêtu leurs armes. Aussi, dès qu’illes voit arriver, Noble interpelle ses cheva- 4 % liers: — « Seigneurs, je requiers votre aide pour faire justice de ce traître, de ce brigand qui s’est installé en maître chez moi et a pris les
armes contre moi, son souverain légitime. S’il m’échappe, je suis déshonoré. Si je ne tire pas vengeance de lui, je ne pourrai plus jamais me regarder en face. — 2780
Seigneur », font-ils, « les choses sont bien
claires : honte à qui vous fera défaut et ne vous aidera pas de tout son pouvoir aujourd’hui ou jamais. Vous pouvez être tranquille ». Et le roi qui se réjouit de ces dispositions d’esprit, ne leur ménage pas ses remerciements. Sur ce, les deux armées, qui étaient nom-
breuses et puissantes, se rencontrent. Et c’est une mêlée acharnée qui commence. On n’y 297
L
Les estives et les citoles. Les damoiseles font caroles Et treschent envoisiement. Laiens ot meint son d’estrument Par le palés et par la sale. Einc n’i ot dit parole male De nul, tant fust cointe ne noble, Ne mes solement du rois Noble; Celui manacent il trestuit. — « C’est merveille s’il ne s'enfuit » Font il; « molt l’avons esmaié,
Molt en avon mort et plaié. » — « Segnor », dit Renars, « ore est bien. Onques nes maneciez por rien; Mes le matin quant jor vendra, Sauron bien qui meus i vaudra As cous ferir et enploier Et as ensegnes desploier. Se la vos voi bien meintenir Envers le roi et contenir, Qu’a la fuie le puisson metre,
Qui si s’en voudroit entremetre, Il m’auroit molt servi a gré 2730 Qu’auroit lo roi desbareté, Molt auroiïie de mon deduit. » Einsi furent jusqu’a la nuit, Onc ne finerent de parler De si que vint a l’avesprer. Cil qui estoient connestables Conmandent a metre les tables, Et puis aseent au soper. Ne voil pas tos les més conter Ne fere ci grant demoree. 740 Tant mangerent con lor agree, Puis firent les napes oster.
298
RME
TRES
compte plus les lances brisées ni les chevaliers ei terrassés. Fe — «Roi Noble », Le RL en élevant . la voix, « où êtes- vous? Si vous voulez m’affronter, venez, vous aurez ce que vous êtes venu chercher.et vous éprouverez, sans avoir.
longtemps à attendre, les effets de ma haine. Si vous l’emportez sur moi dans cette bataille, …
je vous laisserai le château et la terre tout … entière
sans
vous
les disputer davantage. ouBih
3170
Malebranche fu tot desvé, Quant vit son ome mort gité. Molt en fu dolans et iriez. Envers le roi s’est eslessié, Et li rois qui bien l’aperçut Meintenant cele part corut Quanqu’il pot trere del destrer. Bien fu afiché en l’estrier. Et Malebranche d’autre part S’eslesse parmi un essart. Si tost conme a veü lo roi, L’escu enbrace par desroi,
Dire et de maltalent espris. Li rois revint maltalentis :
3180
3190
Doner se vont mervellos cox Desus les escuz de lor cox Se ferirent sanz demorance. Malebranche brise sa lance, Et li rois le fiert a bandon,. Que sa lance jusqu’au penon Li fist parmi le cors glacer. Mort le trebuche del destrer. A le rescore vint Renart, Mes il i est venus trop tart. Il et sa gent i sont venu, Mes malement l’ont securu,
Qar iloques l'ont trové mort. — « Ci n’a », dist Renart « nul confort, Mes or verrai qui m’aura cher, Que je le voil aler vencher. » — « Sire », ce dient li baron, « Volentiers vos i aideron. » Lors reconmence la mellee.
Meint cop i a feru d’espee,
324
— « Renoncez »,. fait Rovel, «vous ne gagnerez rienà poursuivre. —
Vous avez raison, seigneur Rovel, mais
par la foi que je doisà saint Marcel (pour qui *%0 je n’ai pas un sou d'amitié) le roi saura ce qu’il lui en coûte. Il sera pendu au gibet avant que ce château ne se rende ». Tel est leur dernier mot. Quant à Noble, il s’installe dans le pré au.
pied de la tour et jure Dieu le Créateur de ne pas en partir avant d’avoir fait pendre Renart. Les voilà donc mettant le siège devant la forteresse. Ils y passent dans la joie et les réjouissances, toute la journée et une partie de la nuit jusqu’au moment où tous, sans exception, s’endorment. Pendant ce
temps, Renart qui ne s’entend qu’en méfaits et trahisons, appelle ses deux fils et son compagnon Ysengrin: 330 __ « Que pouvons-nous faire, seigneurs? L'armée tout entière dort. Allez-vous armer et profitons-en pour jeter la perturbation dans le camp. Si nous pouvons arriver jusqu’au roi, que Dieu me damne, si je ne le tue
pas une fois qu’il sera entre mes mains! » — C’est bien dit, seigneurs », font-ils. De ce pas, ils vont s’armer, eux quatre et personne d’autre. Ils prennent soin d’abaisser
eux-mêmes le pont tout doucement et sortent sans parler et sans faire de bruit. Ils sèment la 125
"Moit veïssiés bestes morir. à. mes: neonques nus ne se pot tenir Encontre l'espee Renart,
+
À
3200 Quant Ferant s’en vint cele part, Tex vint mile en sa conpaignie
138
Qui au roi firent grant aïe.
; L i __
En l’estor se ferent errant. - Des genz Reñniart ont ocis tant : Que nus n’en sot le conte dire.
1
- Lors n’ot Renart. talant de rire.
É
Qui donques veïst Percehaie
.
_
; Parmi lost con ilse desraie!,
‘ Nus ne pôt a son cop durer. Fe sk mo Belin prent à esperonér, Fine : Percehaie l’a si feru: :
. Que il li a: percié l’escu, : Ou li pessast, ou bel.li fust, : Que de la lance et fer et fust . Ne li passast parmi ‘le foie. Mort le trebuce enmi la voie. Puis sache del fore l’espee, © : À Ferrant donc:tel'colee | Que li fist la teste voler: 320 D’eus deus fist la guerre finer:
Renart s’eslesse d’autre part, Grant cop vet ferir le lepart De son gleive parmi le cors, Que li fers en parut defors: Tant con la lance li dura, - A la terre le trebuça.. Mot i ot grant caple et felon. _ Estes vos Noble le lion
Armé sor son cheval ferrant, 330 La lance en son poing paumoiant. O li ot meint duc et meint conte,
326
F.
panique dans l’armée et leur première étape se solde par la mort de quatre hommes. Un désarroi total règne parmi leurs adversaires.
Puis, ils se dirigent vers la tente du roi dont ils 3320
3340
tranchent les cordes. Sa chute éveille le souverain qui s’étonne du bruit. Ses gens courent aux armes et ont vite fait de les revêtir, tandis que Renart et les siens rebroussent chemin et se battent avec acharnement au pied de la tour. Mais les efforts des partisans de Noble sont payés de succès. Le goupil est fait prisonnier tandis que ses compagnons réussissent à regagner le château. On pousse avec brutalité devant le roi un Renart enragé de colère: . — « Cochon de rouquin, sale engeance! » . fait le roi. « Tu as fait un vrai massacre des miens, mais tu vas me le payer cher. Tu vas être pendu sur l’heure: inutile de chercher un moyen de t’en tirer. — Pitié, bon roi Noble, pardonnez- -moi pour cette fois et ne vous laissez pas emporter par la colère. Si vous me faites grâce, je serai bien récompensé du service que je vous ai rendu le jour où je vous ai guéri de la fièvre, quand je suis allé pour vous à Palerme, en Romagne et à Salérne. J’ai passé la mer plus de sept fois pour chercher «en pays sarrasin ce qu’il fallait pour vous soigner, Rendez-moi la pareille maintenant et que Dieu et Notre321
#-Tant en i à, n’en sai le conte. O li fu li conte Frobert
.: «+ Et l’escoufle sire Hubert
.
Qui heent Renart durement : Vers li vienent ireement.
Sire Frobert le gresillon :* :: Plus tost que un alerion :: : Vint poignant encontre Renart. 340 Renart le voit qui molt fu tart
_. Que il se fust a lui meslé. . Del fore tret le brant letré, ._ Et Frobert avoit le suen tret. Li uns pres de l’autre se tret,
_
Grans cos se ferent de manois. Des brans qui sont sarasinnois
Si merveillos cox s’entredonent Que
totes les testes estonent.
“Et si grant cop se sont feru 3250 Qu’a terre se sont abatu : ! Andoi ciént enmi la voie. : Estes vos poignant Percehaie, ‘© lui meint vaillant bacheler. À force font Renart monter, Puis retornerent a itant Vers le castel esporonant. Meintenant montent el palés Qui riches estoit et bien fez. Molt las et molt travellié sont, 3260 Sj se desarment la amont En la tor qui est bele e blance. Moit font grant dol de Malebrance, — « Las! », dist Renart « maloüré! De mal ore fu onques né Quant g’ai Malebrance perdu
: Par qui dui estre secoru.
328
D.
8
EST
_&
Dame aient la même pensée pour ru s' âme! » sa Le roi, qui n’était pas homme à décider à la à
légère, se prend à réfléchir au rappel du service que Renart lui a rendu jadis: — « Seigneurs barons, écoutez-moi bien », fait-il après avoir longuement pesé le pour et 36 Je contre. «Renart m’a nui bien souvent.
Pourtant, c’est lui qui m'adresse des reproches au sujet de cette guérison qui a fait de moi son débiteur. Et j'estime qu’il est fondéà le faire. Aussi, je vais m’acquitter envers lui: je n’accepterai pas de porter la main sur lui pour tout l’or du monde. Mieux, je lui pardonne tous les torts qu’il a pu me causer et je l’en déclara quitte. : ne. — « Soyez- en remercié », fait Rénerts | Et c’est ainsi que la paix fut conclue. Le roi fait sonner la retraite et donne l’ordre de cesser l’assaut. Il fait immédiatement démonter les tentes et prend tout aussitôt le chemin du retour sans s’arrêter jusqu’à son château.
3330 Dès qu’il a mis pied à terre, l’impératrice vient à sa rencontre et l’accueille avec la joie due à un époux. Elle multiplie si bien les manifestations de tendresse que le roi, tout à sa satisfaction, tandis qu’il monte au palais,
ne s'aperçoit pas qu’elle-le trompe et qu’en son absence elle était devenue la femme de Renart. Personne ne s’avisa de lui demander 45329
Or n’aten ge mes nul socors. +
Dame
-.
Fere, les voz amors
À ge conparees molt cher. Mes foi que je doi seint Richer A qui je n’en doi neïs point,
3270
Li rois Nobles est en mal point. -N’en puet partir en nule guise Que de ses seges ne se cuise. » Dist Rovel : « or lessiés ester! Vos n’i poés rien conquester. »
_.— « Vos dites voir, sire Rovel, _ Mes foi que je doi seint Marcel Que je n’ains que vaille un denier, 3280 Li rois le conpera molt cher : Ainz que cist castax soit rendus, Serail as forces pendus. » Atant ont lessié le pledier. Li rois Nobles se fist loger Enmi le pré desoz la tor, Et jure Deu le creator
Que jamés ne s’en partira Tant que Renars pendus sera. Einsi se sont a grant leece 3290 Tendu devant la forterece. A grant joie et a grant baudor Furent iloc trestote jor Et grant partie de la nuit, Et tant qu’il se dormirent tuit. N’en i ot nul qui ne dormist. Renart qui onques bien ne fist, Se mal non et desloiautez, En a ses deux filz apelés Et Ysengrin son conpaignon. 3300 __ « Segnor », fet il, « queil la feron? Il se dorment trestuit en l’ost :
330
Cable “ Hiraient été Piel nées _ *% bles, même en lecalommiant, de Dos
331
LS fe
Fetes et si vos armés tost, Ses irons la hors estormir. Se poons au roi avenir, Ja Dex n’ait de m’ame merci,
jet
. Sel puis tenir, se ne l’oci. » — « Sire », font il, « bien avés dit ». Adont s’arment sans contredit 3310
Tuit quatre c’onques n’i ot plus. Le pont ont fet avaler jus. Tot belement et tot soef Ont entr’eus le pont avalé, S’en issent sans noisse et sanz cri, Durement ont l’ost estormi. Quatre en ont mort au premer saut. L’ost estormist et bas et haut.
Vers la tente lo roi en vont, Les cordes coupees en ont : 3320
3330
La tente ciet, li rois s’esveille, La noisse entent, molt se merveille.
As armes corent et molt tost Se furent armé cil de l’ost. Mes cil se sont mis el retor, Grant caple ont fet devant la tor. Mais la gent lo roi tant s’esforce Que Renart i pristrent a force; Et li autre, qui que soit bel, Si se ferirent el castel. Et Renars par molt grant desroi Fu amenés devant le roi, Tot corocié et tot plein d’ire. Li rois li commença a dire: « Ha punés rox de male part, De ma gent m'as fet grant essart. Mes molt cher te sera rendus,
Que orendroit sera pendus:
332
_ Ne t’i vaudra engin ne lobes. »
_ — « Merci », fet il, « gentix rois Nobles, Pardonés moi a ceste foiz, 3340 Si abessiés vostre bufoiz! Se ceste fois me pardonez,
= TR
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ct 2ne PR
Adonc m’ert bien gerredonés Le service que je vos fis Quant de la fevre vos garis, Quant je fui por vos en Palerne, En Romanie et en Salerne. Outre mer en Sarazinois Fu je por vos plus de set fois Por querre vostre garison. 3350 Or m’en rendés le guerredon : Et Damledeus et Nostre Dame Guerredon vos en rende a l’ame! » Li rois, qui fu pleins de savoir, Ot le service amentevoir Que Renart li ot fet jadis. Adonc a porpenser s’est pris. Et quant il ot pensé grant pose, Si dit : « Ore oés une cosse,
Segnor baron! » 3360 « Vés ci Renart Ma fet : or me Ce que de mon
dit l’enperere : qui meint contrere reproche ci mal me gari.
Il le me doit bien reprocher,
Orendroit li aura mester : Que por tot l’or qui el mont soit, Ne li mefferoie orendroit, Ainz li pardoinz tot le mesfet Que il m’a en ceste monde fet, Trestot li quit orendroit ci. » 3370 Renars respont : — « Vostre merci. » A icel mot fu la pes fete.
334
mg ieSAS
Li rois fet corner la retrete : Cels qui asaillent a la tor Renart, fet metre el retor. Et li rois sans plus arester A fait ses pavellons oster. Trestot meintenant s’en retorne, Jusq’à son castel ne sejorne. Tantost au perron descendi: 3380 L’empereriz vint contre li Qui a grant joie le reçut Si con son segnor fere dut. Durement son segnor conjoie. El palés monte a grant joie Li rois que sa feme deçoit Si que il point ne s’aperçoit Que Renart l’oüst esposee N’onques n’en fu aresonee, Ne il n’en fu parole puis. 330 Renars ala a Malpertuis Ou a grant joie le reçurent Si filz si come il faire durent, Et avec mi sire Ysengrin Qui l’aime de cuer enterin Et puis fu si bien du roi Noble Que tuit cil de Constantinoble,
Par parole ne par mesdit, Einsi con l’escripture dit,
Nel feïssent au roi meller 3400 Por rien qu’il seüssent parler : Mes entr’euls moult grant amor ot. Li contes fenist a cest mot.
336
XVII
…
Ou mois de mai qu’esté conmence, Que cil arbre cueillent semence, Que cler chantent parmi le gaut L’oriol et le papegaut : _ A ice temps que vous dison .. Estoit Renart en sa meson,
| 5 Qui pour le biau temps qui revint, Moult liez et moult joianz devint,
ve . Que moult ot l’iver mal souffert. 1 De son chastel, vit l’uis ouvert: Si s’en issi sanz demouree
Et regarda aval la pree, . Se nus vendroit de nule part.
_Atant de sa meson se part Que nule ame a Dieu ne conmande: Poignant s’en vet parmi la lande : Pour sa viande pourchacier. _‘Il:ne fu ne clop n’eschacier, ” Ainz s’en vet poignant tous les saus.
Parmi un plesseïs de saus
20
. S'en vet Renart tout eslessié,
Esperonnant, le col bessié. Dedenz cel plesseïz avoit : Un parc qui noviaus i estoit: Dedenz avoit a granz foisons Cos et gelines et chapons, Qui sont d’une abaïe blanche.
Renart monte par une branche Sor les pieus et sor le paliz.
338
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LA « MORT » DE RENART (XVII)
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C’était le mois de mai, le début de la belle saison, quand les fruits commencent à se former sur les arbres, et que merles et geais font résonner les bois de leurs chants. Renart était chez lui, tout heureux du retour du beau temps, car il avait cru ne jamais voir arriver la fin de l’hiver. Par la porte grande ouverte de son château, il sort sans plus attendre, guettant la venue d’un éventuel passant en con-. trebas des prés. Laissant derrière lui une maison sur laquelle personne n’aurait l’idée d’appeler les bénédictions du ciel, il s'éloigne rapidement dans la campagne en quête de nourriture. Impossible de s’y tromper : il n’est ni boiteux ni cul-de-jatte. A force de donner de l’éperon et de galoper tête baissée, il se ? retrouve au milieu d’un enclos planté de saules où on venait d'installer un poulailler bien pourvu en coqs, poules et chapons : c'était la propriété d’un couvent de moines blancs.
S’aidant
d’une
branche,
Renart
grimpe sur les pieux de la palissade; un saut à 339
I
bTa
oh l m MOT
130 Tantost ést en la cort sailliz -.
Des pieusa terre qui sont haut.
As chapons vient, si les assaut _ Conme desvezet enragié. Un chapon prent, si l’a mengié A grant lieesse et a grant ese. Puis s’en issi par une hese. Mes ainssi con il s’en issoit,
:
..…. Uns des blans moines l’aparçoit: S’a pris un baston en sa main. - # Aprés Renart s’en vet au plain, :: Tout correcié et tout plain d’ire. Maintenant li a prisa dire. _— « Renart, vous estes atrapé. » _ Lors l’a si du baston frapé : Que toute l’eschine li ploie. En Renart n’ot ne ris ne joie. Vers le randu s’en est alez, © Entre ses jambes s’est coulez :. Conme cil quifu d’ire espris. 5 Renart l’a par la coille pris As denz et si forment le sache Que uns des pendenz li arrache. Li moines fu moult esperduz,
A la terre chiet estanduz.
Et Renart torne les talons, Del paliz ist a reculons: A la fuie se met le trot. Le moine a bien tenu a sot Qu'il li ot la coille tolue,
© Si en a moult grant joie ele Mes n’a mie granment alé Que il a Couart encontré Qui venoit desor son destrier. Sor son col tint un peletier :
340
PT.
OT 7 CR
terre et le voilà dans la place! Les chapons sont les premières victimes de sa fureur! Du premier qui se présente, il ne fait qu’une bouchée. Quel plaisiret quel contentement que les siens! Mais comme il s’apprête à se glisser sous la haie pour s’en aller, un moine * l’aperçoit et, un bâtonà la main,, le poursuit, indigné du méfait: — « Vous voilà pris, Renart!» s ’écrie-t-il et son bâton s’abat sur l’échine de l’animal
qu’il fait plier sous la force du coup. Renart le prend fort mal: il se retourne contre le religieux, se faufile entre ses jambes et, nese connaissant plus de colère, l’attrape par les couilles. A coups de dents, il lui arrache une de ses breloques : le moine en tombe par
terre, fou de douleur. Quant au goupil,_il tourne les talons et, une fois sorti de l’enclos à
reculons, prend la fuite au trot.
laissé ainsi écouiller!» pense-t-il non sans ® satisfaction. Mais il n’a pasle temps d’aller bien loin qu’il tombe sur Couard-qui chevauchait, portant sur ses épaules un pelletier: après lui avoir pris son épée, il lui avait ligoté les jambes avec une branche souple coupée 341
: À qui il ot tolu:s’espee,
: :
:
»
. Par les jarrez li a boutee Une verge d’un ‘vert ‘plançon. Vers Renart vint sanz contençon. Sitost con Renart. l’aparçut,. . 0 Merveilla soi, si s’arestut
‘ Et le regarda une piece. Cuïi que il desplese ne siece, …L’a salué et dit itant: | à —— «Coart, bien soiez vous venant! 15 Dites moi, se vous conmandéz, :Qui cist hom est que vous portez? . Savoir le veil sanz nule faille. Avez le vous pris en bataille?
Et conmant et par Quel raison 8 Li faites vous tel: mesprison? : De Savoir le veil que ilest droiz.» . KES :Coarz respont :— «bien le sauroiz 4 : Moult volantiers,. puisqu il vous siet ». : : €
ce
4
: Atant le met jus, si s’asiet,.
;;:
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Et Renart s’assist joste lui, : — «Sire», fet il, «il m ’avint hui Matin que joer' men'aloie #15. Par cel bois si con je souloie :
Si encontrai par aventure % Cest vilain qui me fist ledure Moult grant, que s’espee sor moi:
Sacha, par la foi que vous doi. Et sachiez que feru m’eüst. Moult volantiers, se il petst. . Quant je le vi vers moi venir,
Adonques ne me poi tenir,
Ainz ving a lui touz ademis. Sili crachai enmi le vis : ..,. Et escopi par grant vertu...
342
RAT
Sur un arbuste. Il s’avançait vers Renart sans marquer d’hésitation. Celui-ci, surpris, S’arrête, le temps de l’observer,
avant
de se
décider, tout bien pesé, à le saluer: — « Bonjour, Couard. Dites-moi done, s’il vous
plaît, qui est cet homme
que vous
emportez, je voudrais bien le savoir. L’avez-
vous conquis en bataille? Et pourquoi le * traitez-vous si honteusement? Avouez que mes questions n’ont rien que de naturel. — Je ne demande pas mieux que de vous le dire, puisque cela vous intéresse.» Et posant à terre son prisonnier, il s’assied à côté
de Renart :.« Ce matin, j'étais allé comme d’habitude me promener dans ce bois et jy suis tombé par hasard sur ce triste personnage qui a eu l’audace de vouloir s’en prendre à moi. Ne voilà-t-il pas, sur ma foi, qu’il ._ brandit son épée et, croyez-moi, ce n’est pas
l'envie de m’en frapper qui lui manquait. Quand je l’ai vu me menacer, je n’ai pas pu me retenir, jai attaqué. Je lui ai craché et recraché à la figure de mon mieux, si bien que
10 la peur l’a fait s’étaler par terre. Ç’a été l'affaire d’un instantde lui sauter sur le ventre et de lui faire voler son épée des mains. 343
S ae
ne
| ©
100 Li vilainz en fu esperdu, © De paour a terre chaï: Et je maintenant li sailli Sor le vantre sanz demorer. L’espee li alai oster :
Hors de la main moult vistement. Ore en voiz querre jugement, Pour savoir que de lui feron,
A la court Noble le lion ». _ Renart qui la parole oï, 110 Moult durement s’en esjoï,
_
Si li respont sanz demoree : —
: _ 1e
« Coart, folie avez pensee,
Ce seroit folie et outrage. N’afiert a homme de parage, Puis que il tient honneur et terre, _ Que ailleurs aut jugement querre. Mes s’il prent homme en son forfet,
:
Il meïsmes justise en fet.
S'il m’eüst meffet, par ma foi, 12 Venjance en preïsse par moi. » — «Sire », dist Couarz, « entendez! Or sai de voir que vous m’amez. Mes s’il vous estoit a plesir, A court iroie pour oïr
Le jugement et pour savoir Quele amende j'en doi avoir. Se il vous plest, o moi vendroiz ». ..— «Par foi », dit Renart, «ce est droiz Que g’i voise, puisqu'il vous siet ». 130 Lors se lieve de la ou siet Renart et Coarz a grant joie.
Atant se metent a la voie, Et Coarz son peletier porte. Ne finerent jusqu’a la porte
344
J
é Écu 4
Aussi, je me rends de ce pas à la courde Noble le lion pour demander son arbitrage e
savoir quoi faire de cet individu. »
Le
Et Renart, qui trouveesphistoire très drôle,
de rétorquer aussitôt:
|
;
Fe
— « Quel sot projet, et qui ne vous fait pas s honneur! Un homme de noble famille quinie tient une terre avec les pouvoirs qui lui sont attachés, n’a pas à s’en remettre au jugement ; d'autrui. S’il surprend un criminel en a
* assure
que je me
serais bien vengé toutn.
seul. : 4 — Écoutez, seigneur, c’est votre amitié pour moi qui vous fait parler ainsi, je le sais. Cependant, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j'aimerais consulterla cour pour savoir
quelle réparation je suis en droit d’exiger; et cela me ferait plaisir que vous m’accompagniez.
—
Ma foi,si vous y tenez, je ne vais pas
vous dire non. »: Ils se lèvent donc tous deux, très contents l’un de l’autre, et se mettent en route, Couard
portant toujours son marchand de peaux. Les
. 345
+ Mon seigneur Noble le lyon, : Endui i viennent li baron _ Sanz deffenz et sanz contredit. Coarz si a a Renart dit: — « Renart », dit il, « biax douz amis,
140 Le vilain que je port m’a mis
En grant travail, et en grant paine. … Diex le mette en male semaine _ Qui en avant le portera! . Ore orrons que li rois dira Et li baron du jugement, À quel paine et a quel torment
. Nous ferons le vilain morir ». Et dit Renart : — « moult le desir Que vous soiez de lui vengié ». - 150
Maintenant montent le planchié
.. Li dui baron sanz nul delai. . En la sale truevent le roi, Et ot entor lui tante beste. Le jour celebroit une feste D’une haute dame honoree, La suer Pinte, dame Coupee
Qui fu ocise en traïson. : Le jour en fesoit mencion Li rois Nobles et son barné, Qui iluec erent assemblé.
* Maint prince 1 ot et maint baron:
H ni ot se hauz hommes non Qui estoient (ce vous devis)
| Vestuz ou de vair ou de gris. Li rois qui fesoit bele chiere, Seoit joste ma dame Fiere Et li baron environ eulz. Es vous les conpaïgnons endeus, Renart et Coart qui: aporte
346:
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deux barons ne s’arrêtent qu’une fois arrivés wi à la porte de monseigneur Noble le lion, Où.ils parviennent sans encombre. — « Renart, très cher ami», dit Éd «quelle fatigue de porter ce vilain! je nà peux plus. Je veux être pendu si je vais plus
loin avec lui! Remettons-nous-en au jugement du roi et de la cour POHRsavoir àquelle male mort le vouer. — Pour moi, je ne Soutéité qu’ une chose,
c’est que vous soyez vengé de lui».
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Sur ce, ils se hâtent de monter l'escalier. qui É mèneà la salle où se trouvait le roi, entouré d’une nombreuse assemblée. On honorait. en effet ce jour-là la mémoire d'une grande ét. noble dame, Coupée, la sœur de Pinte, traîtreusement assassinée; et le roi Noble et * ses vassaux étaient réunis ga célébrer l’anniversaire de sa mort. Il n’y avait là que des gentilshommes de haut rang — maint prince et maint dignitaire — tous, sans Has vêtus de fourrures de vair et de gris*. Le roi siégeait en majesté, avec, à ses côtés, Dame
Fière, et autour d’eux, les barons. | Voici donc les deux compagnons qui arrivent, Couard
tout content de sa prise et
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I; Le vilain ou il se deporte. : . Mesire Renart vint devant: Le roi salue tout avant * Con cil qui bien fu énseigniez :: ::S’est devant lui agenoilliez. : Et li rois qui moult chier l’avoit, Le redresce, con il le voit,
Et dit : «bien soiez vous venuz! - Amis, bien vous estez tenuz
- De moi veoir : ne vous vi més
180 Puis que nous formames la pés + Entre vous:et vostre conpere. ste Foi que je doi l’ame mon pere, Or sui je moult hetié et liez,
Quant a moi estes reperiez. Sachiez que bon gré vous en sai ». ….Renart ne fu pas en esmai _ De respondre, si dit briefment:
— «Sire rois, cil Diex qui ne ment :.. Vous otroit de vostre. vouloir 190 La moitié, que je sai de voir Que vous m’amez : et je vous aim, Foi que je doi a saint Germain. ..-:Més d’un afere vous requier Conseil, qar bien en ai mestier Moi et mon conpaignon Coart:» :— « Diex aïde, sire Renart », .,. Fet li rois,,« qu’est ce que vous dites? Ainsi m’aïst Sainz Esperites, Conseil vous donrai volantiers. -20 Mais or me dites, amis chiers, .
De quoi vous demandez conseil ». — «Sire», fet il, «dire vous veil ». À cest mot appela Couart Qui s’estoit trez a une. part,
348
=
Renart le précédant. En courtisan quiconnaît les usages, le goupil s’agenouille devant le
roi pour le saluer. Aussitôt, le souverain, qui avait beaucoup d’amitié pour lui, le relè- A VE:
—
« Bienvenue à vous, mon ami; vousavez
bien fait de venir me voir. Je ne vous avais pas Die 180
revu depuis que nous avons conclu la paix
entre votre compère Ysengrinet vous. Sur … l’âme de mon père, je me réjouis de vous voir de retour et je vous en sais gré, soyez-en 3 sûr. » Renart n’était pas homme à être embarrassé pour répondre: | — « Seigneur Roi, que le Dieu de vérité vous accorde, de ce que vous souhaitez... la moitié, car je suis assuré que vous m’aimez, comme moi je vous aime, par saint Germain. Mais,
mon compagnon Couard et moi-même
sommes venus pour avoir recours à votre conseil dans une affaire qui nous embarrasse. | —
Par Dieu, Renart, que me dites-vous
à? C’est très volontiers que je répondrai à 200
votre demande, avec l’aide du Saint-Esprit. Dites-moi donc de quoi il s’agit. 349
Qui encorele vilain tint, :. Et maintenant au roien vint : Iriez et de corrouz espris. Et Renart par la main l’a pris
Et li fist geter erraument 10 Le vilain sor le pavement Qui n’estoit mie granment mol. _ A poi ne li a rout le col,
Si en fu le vilain plain d’ire. Et Renart li a pris a dire: — « Biau sire, conseil vous queron, ” Que nous de cel vilain feron Qui vostre baron assailli. Ferir le cuida, si failli. »
\ tj
._ — «Sire», dit Coarz, « entendez, 22 Se je di mal, si mamendez.
J’ai cel vilain ci pris de guerre: Si en vieng ci jugement querre. Je le vous rent conme larron: Esgardez que nous en feron. » Quant li vilainz ot et entent Que l’en demande jugement De lui, si fu moult esbahiz. Maintenant est em piez sailliz Et dist au roi : « Sire, merci!
20 À vous me rent jointes mainz ci. Sachiez que je sui loiaus hom.
;
S'il vous plest, bon renon avon De mes voisins des plus feaus Qui diront que je sui loiaus, Des plus preudommes de la terre. 8j les fetes envoier querre!»,. …,
.
Li rois respont : « moult volantiers, Que il vous en est granz mestiers ».
‘7 Mander les fist sanz plus atendre.
350
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— Eh bien, voilà, seigneur. ».. Et Renart d’appeler Couard: qui,: tenants #
toujours le vilain, était resté à l'écart: d s’avance, toujours aussi en colère. Le goupil | le prend par la main et lui fait jeter le rustre sur le dallage qui n’était pas fort tendre. Encore un peu, et il lui brisait le cout RS Imaginez ee de l’homme! x
attaqué un de vos hommes avec l'intentioL de le blesser, même s’il n’est pas. parvenu à:ses
fins. Que faire de lui? 2...
—
:
Seigneur », dit Couard, « voilàce quej
veux dire et reprenezemoi si je dis mal. Je.
. considère ce vilain”comme mon prisonnier :. je demande donc l'avis de votre tribunal. Je. vous le livre comme un malfaiteur quilat “ Décidez de son sort ».
:
Quand le marchand comprend qu’ on va:le faire passer en jugement, imaginez sa stupeur! Sautant sur ses pieds, ils “adresse au roi: | | AVE — « neue, pifiélsjem’en remets à VOUS, | mains jointes! Sachez que je suis un homme ‘ de bonne foi. J’ai bonne renommée auprès des
351
As tt
Œox A
#40 Dis et huit furent mainz de trente. Douze vinrent pour tesmoignier: Tuit loial homme peletier Estoient, a court sont venuz. Quant li vilainz les a veüz,
Si ot grant joie et grant lieesce. Maintenant en estant se dresce Et dit au roi sanz delaier:
—
«Cist ci me viennent tesmoigner. »
—
«Sire », font il, « vous dites voir.
250 Se verité voulez savoir, Par tens vous sera enseignié.
Il avoit un œf gaaignié Ou il nous fist moiller ensemble Tous treize : pour ce si nous semble Qu'il est loiaus homs et de foi ».
ro Pa
Quant ce ot entendu le roi,
Moult durement s’en esjoïst Et maintenant au vilain dist Qu'il s’en alast, il n’avoit garde. 260 Et li vilainz plus ne se tarde,
Si s’en revet o ses vilainz. Li rois remest de joie plainz, Tuit firent joie par la sale. Renart n’ot pas la coulour pale. Dejoste le roi s’est assis, Ne fist pas chiere de pensis. Li rois a dit aus connestables Que il facent metre les tables, 27 e
352.
Et il si firent sanz targer. Si assistrent li chevalier, Delez le roi sistrent maint conte. Des més qu’il orent ne faiz conte: Mes qant mengié orent assez, Jeuent as tables et as dez. (
plus loyaux de mes voisins: ils pourront témoigner, si vous les faites venir, qu'iln ya pas plus honnête homme que moi. —
Volontiers », fait le roi, «et d'autant
plus que vous en avez grand besoin ». 240
Aussitôt, il en convoque dix-huit à défaut
de trente; finalement, il en vient douze à la cour pour porter témoignage, tous pelletiers dignes de confiance. En les voyant, l’autrene
se tient pas de joie et dit fièrement au roi: — « Voici mes témoins. — En effet », confirment-ils : « Nous som-
mes là pour dire la vérité. Cet homme avait gagné un œuf : il nous y a fait à tous tremper ensemble une mouillette — et, en le comptant, nous
étions
treize.
Quelle
plus belle
preuve d’honnêteté? » _Le roi, ainsi éclairé, éclate de rire avant de dire à l’homme qu’il peut s’en aller sans 260
crainte, ce que compagnie de Le souverain entre eux et
celui-ci s’empresse de faire en | ses voisins. et la cour se retrouvent alors l’atmosphère est à la joie.
Renart, le teint animé et la mine souriante,
s’assied aux pieds de Noble qui ordonne aux 353
AE:
Au chief du palés d’une part S’asist Ysengrins et Renart, Devant eulz deus un eschequier. Lor gieu prennent a arengier, Et dist Renart a Ysengrin
280 Que venir face un marc d’or fin A metre au jeu: et il si fist, : Tantost sor l’eschequier le mist. . Un autre en i a mis Renart, Si jouerent par grant esgart. Ysengrin fu du jeu apris, Del paonnet a-un roc pris; Aprés le roc a pris |la fierce. Tant jouerent, ainz qu’il fust tierce, Gaaigna Ysengrins cent livres: 290° Dont Renart se tint bien pour yvres, Que il n’ot més que metre au jeu. Il en a appelé le leu. :— « Ysengrin », fet il, «entent moi! Par cele foi que je te doi, Je n’ai de quoi mon jeu envit, Se n’i met ma coille et mon vit. Encor jouerai volentiers, . S’encontre veuz metre deniers ».
— «Si ferai», fet il, «par mon chief ». Lors reconmencent de rechief A jouer et tout erranment Perdi Renart son garnement. Ysengrins qui ot gaaignié En fu joiens et forment lié. . Tantost sanz plus de demourer A fait un grant clo aporter, Parmi la coille li ficha
Et a l’eschequier l’atacha. Puis s’en torna et si le let.
354
connétables
de faire dresser
les tables, ce
qu’ils s’empressent de faire. Tous y prennent place, chevaliers et comtes, ces derniers plus près du roi. Je ne vous parlerai pas du menu,
R
a+5 ee
RE æ
NE
mais sachez que, quand tous se furent rassa-
siés, ils se mirent à jouer au tric-trac et aux dés. Ysengrin et Renart sont assis à une extrémité de la salle, un échiquier entre eux. Tandis qu’ils disposent leurs pièces, Renart propose de prendre un marc d’or fin comme enjeu. Ysengrin accepte et place immédiate- | y“ Sete Ron . ment le montant de sa mise sur l’échiquier, 0 |ACR ]E imité en cela par son partenaire. Une partie attentive s'engage. C’est un fin joueur.… qu’Ysengrin. Avec un de ses pions, il prend
TI PR
tr
. une des tours de son adversaire, puis sa reine.
Bref, il n’était pas neuf heures qu'il avait gagné ses cent livres. Et Renart qui n’avait plus de quoi parier se traitait intérieurement d’imbécile:
— « Écoute-moi », fait-il au loup, « je n’ai plus de quoi soutenir mon jeu, à moins d'engager ma bite et mon bout. Si, de ton côté, tu acceptes de mettre de l’argent contre ce gage, je suis ton homme. — Eh bien, d’accord, allons-y. » 999
ei _
+ __
310 Renart remaint qui crie et bret . Touz correciez et touz plainz d’ire,
© Que il souffroit si grant martire. Ma dame Fiere oï le cri,
Maintenant cele part guenchi. _ Quant vit Renart, si fu marrie :
.
0.
Ceéle part vient, si li aïe:
È
A grant paine diluec l’estort. Dedenz sa chambre le repost _ . … : Et le coucha dedenz un lit.
+ + 320 Mes il n’i ot point de delit, _
:
Que de doulor est si destroit, À pou le cuer ne li partoit. Del courrouz qu’il ot sanmella: Malades fu, si se pasma. En pamoisons jut longuement, Qu’ele cuidoit veraiement Que il fust mort, si s’escria: — «Sire Renart, ce que sera, Me voulez vous ainsi guerpir? » 330 Adonques a fait un souspir. Renart qui le soupir oï, Un petitet les iex ouvri, Si parla et dist :— «a quoi fere, Dame, vous voi je tel duel fere? 33 Faites un baing appareillier un
Que je me veil un pou baignier. » — «Sire », fet ele, « volantiers Vous ferai ce qui est mestiers ». Atant conmande qu’en li face #0 Un baing chaufer, et sanz espace Fet fu qant il l’ot conmandé. Mon seigneur Renart ont porté En la cuve et dedenz l’ont mis. Dame Fiere li dist :— « amis,
356
D re +
Lcd
300
Ils reprennent
donc leur partie, mais
Renart a tout aussi vite fait d’y perdre son plus précieux ornement. Quant à Ysengrin, il ne se connaît plus de joie d’avoir gagné. Il fait apporter sur-le-champ un énorme clou qu’il plante dans le sexe du goupil de manière à
‘ad AS PAU fe S+e 2
‘ l’enclouer sur l’échiquier. Après quoi, il s’en va, laissant là sa victime hurlant de colère et
3 D[=]
de douleur à la fois et souffrant le martyre. Dame Fière, alertée par les cris, vient de ce côté et, à cette vue, ne se connaît plus de chagrinà son tour. Elle s’approche pour lui porter secours et l’arrache de là à grandpeine. Elle le porte jusqu’àsa chambre où elle … le fait s’étendre sur un lit. Mais ce n’est pour lui qu’un lit de douleur. La souffrance et la colère, ainsi que la gravité de sa blessure,
finissent parvenir à bout de lui et par lui faire perdre conscience. Son évanouissement. se prolonge si Hongtenaps que Fière le croit mort : | — «Seigneur », dit-elle, « qu’avez-vous? Voulez-vous donc m’abandonner”? » Et elle se
prend à soupirer. Renart l’entendant, entrou-
vre les yeux pour dire: —
« Pourquoi ce grand chagrin, Dame? 357
4" Ve =É
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: Conme vous est? dites le moi!: Pour vous sui forment en esmai ». Lors dist Renart : «n’en cuide avoir
ETES PAR
Réspit:ce ai par non savoir
#2
L'ude
|
Dont je crien morir a doulour. 350 Si m’en poise pour vostre amor,
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Que;je cuit de vous departir.
À
_ Je'ne verrai ja l’asserir ». Dame Fiere l’ot et entent, À pou que li cuers ne li fent,.
_ Tant est dolante et correciee. 2— « Lasse! jamés ne serai fee» A icest mot sanz autre plet. Ont Renart de la cuve tret,
OR De PR ST CE 2 TL TS
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SE PEL
‘Enun lit l'ont couchié et mis. 30 Conme: cil qui moult est malmis.
v Demandé. a confession,
© S’aura s’ame remission. bts LL a Sachièz», fêt il, «que moult m'est tart. : ‘Faites moi. parler. a Bernart 1 L’arceprestre, si me ferai Confés et mes pechiez dirai ». La dame respondi atant . Que ele fera son talent.
Maintenant a Bernart mandé 370 Et il n’i est pas demoré, :
Ainz i vint sanz plus atarger :
. O tout ce qui li ot mestier. Desus un banc as piez Renart
Avoient assis dant Bernart, Si a Renart mis a reson : 5 à .,—— «Renart, voulez confession?
Se vous vous voulez repentir,
A bonne fin poez venir. Lessiez ester les mauvestiez
358
h À
“his
OR:
Faites-moi préparer un bain, j'en ai bien envie. — Volontiers, seigneur, je ferai tout ce dont vous avez besoin. » # Et elle ordonne de faire chauffer un bain.
Sitôt dit, sitôt fait: on porte monseigneur Renart jusqu’à la cuve et on l’y plonge. —
«Comment
vous
sentez- -vous,.
Ta
." À e
S
mon
ami», fait-elle, «dites-le-moi: je suis si inquiète pour vous! — Je crois qu’il ne me reste plus longtemps à vivre. Ce qui m'arrive, et dont je pense mourir de douleur, est bien de ma faute. J’en suis fâché pour l’amour de vous, … a
car je crois que je vais vous quitter : je ne
passerai pas la journée. » A ces mots, Dame Fière est tout près de s’évanouir de douleur et de tristesse: « Hélas,
jamais plus je ne connaîtrai le bonheur! » Sans plus attendre, on retire Renart de la * cuve et on l’allonge sur le lit. En homme qui se sentà la dernière extrémité, il pense au
salut de son âme: — «Il me tarde de m’entretenir avec
l’archiprêtre Bernard: faites-le venir pour - qu’il puisse m’entendré en confession: » 359
TE EU C 22 H
380 Et les vices dont entechiez Avez esté si longuement: Que sages est qui se repent. » © —— «Sire», fet Renart, «entendez! Se vous a droit m’amonnestez,
Que preudon ferez et loiaus. Vous m’alegerez de touz maus,
: Que je n’ai pas meffet granment. Se je croissi dame Hersent Ma comere, ne mespris rien, Ençoiz li fis lieesce et bien. Quant je croissi ma dame Fiere, -. Qui si est orgueilleuse et fiere, Ne mespris pas envers ma dame Que je avoie prise a fame Et espousee par soulaz. Li prestres fu Tibers li chaz . Qui volantiers la m’espousa; Et a tieus i ot qui pesa. Que diroie? de voir sachiez :
Je ne fis onques nus pechiez Fors qant je donnai garison : Mon seignor Noble le lion. Mes bien sai que lores pechai, Quant je garison li donnai ». — « Renart, Renart », ce dit Bernart, « Par mon seignor saint Lienart,
Moult es ore de pute orine. Quant tu connois que la roïne AS croissue, tu as mespris. | 410 S’a bonne fin veus estre pris, À forjurer la te convient ». —
« Conment », fet Renart, «s’il avient .
Que je aie respassement, Je fausserai le serement,
360
La dame répond aussitôt qu’elle fera"ce ns qu il souhaite. Elle mande Bernard qui se ds dépêche de venir, déjà revêtu des vêtements $
sacerdotaux. On le fait asseoir sur un banc aux pieds de Renart qu’il interroge:
© — « Vous voulez vous confesser, Renart? È
Si vous acceptez de vous repentir, vous 4 pouvez faire une bonne mort. Renoncez aux 3 mauvais penchants et aux vices qui vous ont
.® souillé si longtemps. C’est la sagesse qui veut
qu’on se repente. | — Écoutez-moi, seigneur : vouss agirez en. homme vertueux et honnête en me prod‘ guant les encouragements que l’on attend de : "*
%, St”
vous. Vous me soulagerez de tout ce qui me
pèse, car je ne suis pas un grand pécheur. Si
j'ai couché avec Dame Hersent, ma commère, je ne faisais pas de mal, au contraire : elle
n’en a eu que du bien et du plaisir; et si j’ai couché avec ma dame Fière, toute orgueil-
leuse qu’elle est, je ne faisais ee de tort pour autant à ma femme, celle que j'avais prise, de gaieté de cœur, comme épouse légitime. C’est Tibert le chat qui eut l’obligeance d’officier à notre mariage, mêmesi cela ne fut pas du goût de tout le monde. Que dire de plus? ‘361
st DCRer Le
ie dr re à
Et vous poez de fi savoir Que pour la repentance avoir Le serement otroi je bien. Mes pour ce n’en ferai je rien Se je del mal puis respasser. 420 Mes pour ce que ne veil passer Voz conmandemenz ne deffere, Veil je bien le serement fere ». Tout maintenant sanz plus d’espasce … Firent aporter en la place Les sains, si a juré Renart Devant l’arceprestre Bernart Tout ce qu’il li ot devisé. Quant le serement ot juré, Renart remest qui moult se plaint, Que l’angoisse moult le destraint. Un plaint a geté, si se pasme. Dame Fiere d’un pou de basme Li frote le poux et le vis. Si conme je pens et devis, Del froter durement s’esforce. Mes Renart avoit si sa force Perdue, c’onques ne se mut. Mes ainssi en pamoisons jut Si que tuit cuident qu’il soit mors. Lores fu granz li desconfors. Ma dame Fiere la roïne
CS AT SSSR POPIMER CAVE
Pour Renart fet chiere lovine, Dolante et mal aventuree. Li rois a la noise escoutee, -Si est tout maintenant venu
+ IS 24
En la chambre, si a veü
Renart qui fu en pamoisons.
Mouit se merveilla li lions: |: “Qui li donnast trestout l’avoir
362
ET
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>. TIR SA;Ie der à
3 ‘? Sachez que je n’ai jamais péché, sauflejour jet LAS où j'ai guéri monséigneur Noble le lion, — mais alors, là oui, j’ai conscience d'avoir | #
An
commis
—
une faute!
Renart, Renart, par monseigneur saint |
Léonard, sale engeance que. la tienne! Du moment que tu avoues avoir couché avèc la reine, tu es coupable, et situ veux faire, une bonne fin, il faut. que tu“res de.ne:| pas
retomber dans ce péché. 2 — Ce qui, m'ennuie, cest que, si.‘jen.
+ 1».Le ES39:
Jr" un CAN
pu
réchappe, je manquerai à ma parole. JeVEUX. ET8Je CU. bien prêter serment pôur pouvoir dire que je me repens, n° en doutez. pas; mais cela ne
m'empêchera pas de recommencer si je gué© ris. Cela dit, comme ee ne veux pas vous désobéir, je suis d'accord pour. jurer.». On fait donc apporter sur-le-champ des reliques et Rénart jure devant l’archiprêtre tout ce qui lui est demandé. Mais, Bernard parti, il recommence àse plaindre d’éprouver des tourments insupportables. Il gémit et perd conscience. Dame Fière lui frotte le pouls et la figure avec un peu de baume, sans épargner sa peine, je peux vous l’assurer. Mais il est au plus bas;'il:ne réagit plus. A le L
363
450 Que rois ne quenz peüst avoir,
. Ne se peüst sor piez ester, Einçoiz le convint adenter. Et dist : « Renart, perdu vous ai: Jamés si bon baron n'aurai.» Adonc sanz plus de delaier A fait toute la gent huicher, : Qui le confortent durement, Et dient que n’est mie gent A homme de si grant renon Que tel duel face d’un baron. — « Mes qant mors est, sanz detenir Faites sa mesniee venir. » Tout maintenant et sanz targer A fait venir un messager, Si a Hermeline mandee A Malpertuis sanz demoree,
Et ses troiz filz qui grant duel ont. Quant le mesage entendu ont, Tant ont alé qu’il sont venu Au chastel ou li lions fu.
470
Quant Hermeline en la chambre entre,
43 e
Tout li fremist li cuers el ventre Et conmença un duel si grant Que l’en n’i oïst Dieu tonnant. Et disoient a haute alaine: — «Sire, n’a pas encor quinzaine Que de Malpertuis vous partistes Liez et joianz, puis n’i venistes. Or a ci grant duel et apert. Encore nel scet pas Grinbert, A fere li convient savoir
_Vostre mort, si sera savoir ».
Fet li rois :— «Si soit dont mandé.» Un mesager a appelé,
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voir si longtemps privé de sentiment, tous le … croient, mort et laissent éclater leur chagrin. “Le désespoir de la reine, devant le malheur qui la frappe, se lit sur son visage. Attiré par le no
bruit qu’ils mènent, Noble pénètre dans la chambre et, voyant Renart inconscient, ne peut
en croire ses yeux. na toute la fortune as tenir debout: ils eue
face contre terre
— «Vous mort, Renart, jamais retrouverai si valeureux vassal! »
je ne. #4
Aussitôt, il fait venir tous ses gens qui L. sempressent pour le réconforter, lui disant «2
qu’il ne sied pas à un roi de si grande “* renommée de mener tel deuil pour un simple baron : « Mais, puisqu’il est mort, faites venir sa famille sans délai. » Sans plus attendre, Noble appelle un messager et l’envoie immédiatement à Maupertuis prévenir Hermeline et ses trois fils du malheur qui les touche. Dès que le courrier s’est acquitté de sa mission, ils
gagnent la résidence du lion. Hermeline, le cœur battant, pénètre dans la chambre où gît
Renart et se met à se lamenter avec tant
d’éclat qu’on n’entendrait pas le tonnerre de Dieu : | 365
Le.
‘Et cil est venuz maintenant. — « Va», fet il, «n’i va demourant,
Droit a Malbuisson, si me di Grinbert que il viengne a moi ci, Et si li conte l’aventure ». _ 490
Cil s’en torne grant aleüre. Dedenz la court de Malbuisson Se seoit Grinbert le tesson. Quant le message entre en la court, Grinbert a l’encontre li court
Et dit :— «que alez vous querant? Amis, bien soiez vous venant! Es
_ À qui estes”? dites le moi». — «Sire» fet il, «je sui au roi, Qui de par moi saluz vous mande 500 Et encor vous prie et conmande Que a lui vegniez sanz delaie ». Grinbers l’oï, moult s’en esmaie, Si a dit: — «g'irai volentiers. Or me dites, biaus amis chiers, Pourquoi me mande l’emperere ».
_— «Sire », fet li més, «par saint Pere, Mors est Renart vostre cousin.
Vos n’aviez meilleur voisin ». Quant Grinbert entent la nouvele, Sachiez ne li fu mie bele, Aïinz en ot a son cuëer grant ire. Au mesager a pris a dire: — « Amis, par cel Dieu qui ne ment,
510
Ici a mauvés mandement, Quant morz est mes cousins germainz. Du plus estoie, or sui du mainz: Que par lui, ce sachiez de voir, Estoie montez en avoir. » ‘: À icest mot s’en sont torné
366
4 Ne À 2 1 = :
—
«Quinze jours ne se sont pas écoulés.
seigneur, depuis que vous avez quitté Mau-
pertuis, gai et content. Et c'était pour la
dernière fois! Quel grand malheur pour nous *? que votre mort! Maisilfaut avertir Grimbert qui l’ignore bien.
encore: _ nous |
le lui devons ” à à
— Certes 4 le roi. Il appelle doncun
messager qui accourt sur-le-champ. «Rendstoi tout droit à Maubuisson et fais vite. Disà Grimbert que je lui demande de venir me #4 trouver et raconte-lui ce qui arrive.» Le courrier s'éloigneà vive allure. Pendant ce temps, Grimbert le blaireau se trouvait * dans la cour de son château. Dès que l’envoyé
du roi y pénètre, il court àà sa rencontre: — «Soyez le bienvenu, mon ami. Qui cherchez-vous? Et à qui appartenez-vous? — Seigneur, j’appartiens au roi qui vous 50 adresse
son salut et vous
invite à venir le
trouver sans délai. » | Grimbert n’est pas peu inquiet de la teneur de ce message: —
«J'irai
avec
plaisir, cher
ami,
mais
pourquoi l’empereur me mande-t-il? —
Seigneur, par saint Pierre, c’est à cause
367
ee
5% Endui et sont achéminé:
Be
‘
Tant ont alé qu’a.la court vindrent.
De lor venue lié devindrent De tieus ot a la court assez. Grinbers qui si estoit lassez, .… Si s’est delez la biere assis,
Moult estoit dolanz et pensis. Son visage enbrunché tenoit, Lez le cors moult li avenoit -
La chiere qu’il fet et la lipe. 530
D’eures en autres se defripe, Il crie et pleure durement,
. Si le regrete doucement Que nus ne le pot conforter. Et li rois fist le corps porter En la sale par grant deduit : Iluec furent jusqu’a la nuit. Dame Fiere par grant afere Fist cierges aporter et fere,
A grant plenté et a foison Les alument par la meson. Tant en i ot, n’en sai le conte, Onques mes pour roi ne pour conte Ne fu tel luminere fet. Grinberz qui avoit son duel fet, S’estoit delez la biere assis,
35 e
l
368
Et dit au roi: — « par saint Denis Ne foi que vous devez saint Gile, Quar faites chanter la vegile Orendroites et sanz delai ». Li rois respont : « par saint Eloi, Grinbert, vous avez bien parlé ». Lors en a Bernart apelé: — « Bernart », fet il, «avant venez Et voz conpaignons amenez!
de la mort de votre cousin Renart. Certes, c'était votre meilleur voisin. »
La nouvelle plonge le blaireau dans une
520
profonde tristesse : « Par le Dieu de vérité, c’est une bien mauvaise nouvelle pour moi que la mort de mon cousin germain. J’étais au plus haut, je me retrouve en train de descendre la pente. Car c’est à lui, je peux le dire, que je devais ma fortune. » Sans rien ajouter, ils gagnent ensemble la cour où leur venue devait être pour beaucoup un sujet de satisfaction. Grimbert épuisé de fatigue s’assied à côté de la bière. En proie à une profonde douleur, il reste près du corps, tête baissée, avec, sur le visage, une mine de
circonstance. Quand il bouge, c’est pour se mettre à fondre en larmes et à pousser des cris ou pour gémir à fendre l’âme sans que personne puisse le réconforter. Le roi, quant
à lui, fait solennellement
porter le corps dans la grande salle où l’assemblée demeure jusqu’au soir. Dame Fière s’affaire pour qu’on apporte le plus grand nombre de cierges possible que l’on % allume dans tout le palais. Je ne peux vous dire combien
il y en avait, mais on.ne vit
369
LA
DE Le RTS CR 354 AP 7EER
N-L'IPTT L'ERT
Lt ON CE RATE,
Si chantés vegiles des mors Por Renart qui ici est mors,
Dont je sui iriez durement ». —
« Sire, a vostre conmandement
Ce li a respondu Bernart. Tout maintenant du roi se part, S’en a o lui mené Tibert
‘Le chat et mon seigneur Hubert : :. L’escoufle et. mon seigneur Tardis Qui moult fu pour Renart pensis. Ceulz amena o lui Bernart.
Et
li heriçons d’autre part
+ :Qui moult est cointes et apers,. Et li gresillons dans Frobers Si en a mené Chantecler
sm
Tout pour: les vegiles chanter, Et dant Roonel le mastin, Et sire Ferrant le roncin, Et Brun l’ours et Bruiant le tor. Et si fu avec eulz encor Ysengrins et dant Brichemer
Etsire Baucent le senglier. Revestu sont et atourné, Puis sont arriere retourné
Devant le cors enmi la sale.
580 Grinbers ot le vis taint et pale
: Pour Renart que forment amoit. Lui et ceulz que il amenoit Ont les vegiles conmenciees. Maintes temples i ot sachiees Et maint poing ensemble feru. Roonel qui sages hons fu,
A leü la leçon premiere, Mes pour Renart fist laide chiere. Le respons dit le limaçon
‘370
»
jamais pour un comte ou un roi telle débauche de lumières. Grimbert, après avoir laissé éclater sa douleur, se rassied ane bière:
de la
— « Par saint Denis », dit-il au roi, « vous devriez, sur la foi que vous devez à saint
560
Gilles, faire chanter maintenant sans plus attendre les vigiles des morts. — Vous avez raison, Grimbert, par saint Éloi». Et il appelle Bernard : «Dites aux autres de venir avec vous chanter les vigiles. C’est pour Renart qui vient de mourir, ce qui me chagrine fort. — À vos ordres, seigneur. » Bernard s'éloigne un moment. mais ne tarde pas à revenir en compagnie de Tibert le chat, de monseigneur Hubert le milan et de monseigneur Tardif que la mort de Renart a plongé dans une profonde tristesse. L’accompagnaient également le hérisson, toujours élégant d’allure et amène, le grillon Frobert
et Chantecler. Tous viennent pour chanter les vigiles. Ajoutons aussi Roonel le chien, le seigneur Ferrant le cheval, Brun l’ours et Bruyant le taureau. Il y avait encore Ysengrin, maître Brichemer et messire Baucent le
371
x
D 2e, S DCRP
ni
Puis tiers Aane le verset,
:
+ uns en gros, l’autre en fauxet.
a seconde leçon aprés CE j
a
‘A leü ‘Brichémer li cers, , Le respons a chanté Tiebert Entre lui et sire Frobert. ‘Et puis ont le verset chanté ‘:Doucement, ne sont pas hasté.
Et puis lut la tierce leçon 60 Sire Espinart le heriçon
‘‘’Bélement et sanz contençons. )Et Grinbers chanta:le respons, | Et aprés le verset andeus : | Ysengrins lor aida li leus. Puis a la quarte leçon dite _ : Ysengrins qui bien s’en aquite, Et Baucenz le respons chanta
Tout souef, pas ne se hasta, : Et Brun l’ours chanta le verset. 610 Quant il lot dit, si fist un pet. Et aprés lut la leçon quinte Dant Chantecler le mari Pinte, Et le respons, con nous lisons,
Chanta Frobert li gresillons. Le vers chanta Pelez li raz, Et mesire Tibert li chaz.
Brun li ours qui s’en efforça, La siste leçon conmença : Bien la conmença et feni. Et maintenant avant sailli. Rousel l’escuirel qui chanta
Le respons, biau se deporta. Le verset chanta simplement : Pétitpourchaz et doucement.
ce
al
sanglier. Après avoir revêtu les ornements liturgiques, ils retournent auprès du mort % dans la grande salle. Grimbert, le visage blême de chagrin à cause de son amitié pour Renart, commence les vigiles avec ses acolytes. Dans l'assistance, beaucoup de gens s’arrachaient les cheveux ou se frappaient dans les mains de douleur. | Roonel, en homme entendu, lit la première leçon, tout en faisant grise mine à l’idée qu’il officie en l’honneur de Renart. Le limaçon dit le répons sans tapage ni façon, puis, ensemble, ils disent ie verset, le premier à voix de basse, l’autre en fausset. C’est ensuite le cerf Brichemer qui lit la deuxième leçon et Tibert qui chante le répons, accompagné de Frobert. Après quoi, ils chantent en chœur le verset, en suivant le rythme indiqué. Vient alors le ‘0 seigneur Épineux le hérisson, qui lit la troisième leçon avec application et sans hâte: Grimbert
chante
le répons et
tous
deux,
ensuite,le verset, accompagnés d’Ysengrin qui dit ensuite la quatrième leçon (ce dont il s’acquitte au mieux), Baucent chante le répons avec toute la lenteur convenable et Brun l’ours termine le verset sur un pet. Puis 373
JO US dE CAUSE RATE ds
La septisme leçon conmence …..::,) . Doucement par grant sapience _ Le paon sire Petitpas.
‘ Et sachiez qu’il ne failli pas, . Ançoiz la lut et bien et bel. ‘630 Le respons chanta Roonel, Et le verset par grant ‘deport > Chanta pour celui qui est mort : -Droïn le moisnel a .grant joie
Si haut que il veult que l’en l’oie ‘L'uitiesme lecon sanz desroi | … Eut dant: Ferrant le palefroi,
NS er NT TT ne
Co ETJ'en ft Con LORS ES.
es ec
. Et Coarz chanta le respons
… :
Qui o les autres fu espons. Li-connins siré Sauteret
so Conmença l’uitiesme verset. La nuesme lecon lut Bernart < Qui éstoit dolänz pour Renart: :: Le respons chanta Brichemer
. Et le vers, Baucent le sanglier. Quant les leçons furent chantees Et vegiles furent finees, + : Desvestir se vont maintenant: Tuit arengié en un tenant.. Quant il furent desvestu tuit,
En la sale, qui qu’il anuit,
650
S’en sont venu trestuit ensemble.
Devant le corps si con moi semble Furent assis conmunement.
:
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Luminere et bél et gent Ha Avoit laiens a:tel Fr Mg nu) . Que toute en reluist la meson.
Icéle nuit fitent il joie!
: Ge ne cuit que james tele oje::
|Non feront il, si. con je cuit.
374
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trniteepe six
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: ::
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vient Chantecler, le mari de Pinte, qui lit la -
cinquième leçon, tandis que Frobert le grillon chante le répons correspondant et que Pelé le rat se charge du verset avec messire Tibert le chat. Les efforts de Brun l’ours lui permettent de venir à bout de la sixième leçon. Rousseau ® l’écureuil se lève alors et se comporte fort bien dans le répons. Quant au seigneur Petitplaisir, il chante le verset tout doucement et uniment. La septième leçon est entonnée par monseigneur Petitpas le paon et … son expérience en la matière lui permet de : s’en acquitter convenablement jusqu’au bout. - Roonel chante le répons; quant au septième verset, il revient au moineau Drouin : il s’en
acquitte avec joie et en ayant soin d’élever la voix assez pour que tous l’entendent bien. La huitième leçon est lue avec componction par messire Ferrant le chevaletCouard chante le répons qui faisait suite aux autres tandis que # le lapin, le seigneur Sauteret, entonne le huitième verset. Enfin Bernard, qui, lui, est
sincèrement affligé par la mort de Renart, lit la neuvième leçon tandis que Brun l'ours et Baucent le sanglier se partagent le dernier répons et le verset qui le suit. A la fin des 373
ET. RA 2. R H
: pr #+.
7
È
_…
660 As plantees jeuent la nuit. Le pié leva premierement
ï-
Ysengrins moult joieusement,
.
Et Tieberz li chaz i feri
%
Si doucement et si seri,
. “120
Que d’autre part le fist chaoir. Lors s’est Tiebers alez seoir,
45
Dont retendi Primaut le pié.
Mes onques n’ot de lui pitié + :," Brichemer qui tel li assist Que trestout li piez li fremist : ..
-Vousist ou non, d’autre part chiet.. Et Brichemers tantost s’assiet,
:
‘ Si a le pié en haut tendu. .
”
Adonc a son cop estandu
re
Bruiant li tors et si s’efforce De ferir, que toute sa force I mist, mes pour ce ne se mut : Quant ce vit, la color li mut, Brichemer, et fu si destroiz, 680 Mes il se tint a cele foiz Qu'il ne se mut pour cop qu’il doinst: Ne quit mie qu’il li pardoinst. Mesire Frobers qui se test A veü le cop qu'il a fet: . Envers Bruiant vint aïré. Et cil li a le pié haucié Tout ainssi conme a lui affiert, Et Froberz un grant cop i fiert:
A pou le cuir ne l’en a tret. 690 De maintenant arriers se tret Bruiant le tor tout esbahi, Et danz Froberz le pié tendi. A grant joie et a grant leesce . De maintenant a lui s’adresce,
376
leçons qui constituent les vigiles, les chantres À vont en bon ordre quitter leurs ornements
liturgiques. Après quoi, ils retournent dans ! grande salle même si ce n’est pas du goût de tous, et prennent place devant le corps.
WE
La demeure tout entière resplendissait dé.
l'éclat des lumières. Je ne crois pas que l’on: ait jamais entendu parler d’une fête sembla-
ble à celle qui se déroula dans le palais cette nuit-là, et on n’en reverra plus de telle. Le
‘ temps se passe à jouer aux plantées ?. Vsengrin est le premier à tendre la patte avec entrain et Tibert lui décoche un coup si bien ajusté qu’il réussit à le faire tomber. Sur quoi, le chat retourne s’asseoir et c’est au tour de
Primaut de tendre la patte. Mais Brichemer ne l’épargne pas et lui assène un coup tel que toute la patte lui en tremble et qu’il se retrouve par terre bien malgré lui. Le vainqueur s’assied alors et tend haut la patte. Bruyant le taureau prend son élan et va frapper de toutes ses forces, mais son adversaire n’est pas ébranlé pour autant; à cette
vue, Brichemer pâlit de colère et d’inquié. 0 fude, mais il réussit à ne pas bouger sous le
coup de l’autre. Je ne crois pas qu’il lui 377
FECNT Quanqu’il onques puet i a point Baucens li sangliers a cel point, . Et fiert Frobert le gresillon Que il l’abat a genoillon. Mes tost en estant résailli
700 Et dit : « —
vos n’avez pas failli,
Sire Baucent », ce dit Frobert, : « Foi que je doi frere Hubert : : .
Moult durement vous lo et pris, Quant vous tel chevalier de pris Avez devant moi abatu,
Mouit en sui de joie esbatu. » — « Sire Frobert », ce dit Baucens, « Par la foi que doit saint Laurens, Riens se jeu non n’i entendi. »
710 Lors
s’assist et le pié tendi. Si a feru sanz demouree Tardiz qui a sa chape ostee. A ferir mist tout son pooir Et:a bien son cop aseoir. L’a feru si tres durement
Qu'il l’abat sus le pavement. Le vis et la coulour mua. Plus tost qu’il pot se remua,
Qu'il estoit dolanzet plainz d’ire. Et Tardis li a pris a dire : * — « Baucent, ne vous courrouciez pas. » Atant vint avant Petitpas
72 o
Li paons a qui il dessiet.
Et Tardiz maintenant s’assiet Qui lor courrouz petit redoute, : Li paons mist sa force toute
A ferir, et si s’esvertue.
Més pour le cop ne se remue Mesire Tardiz de la place.
378
4
Er.
-
‘
78
EE 4
pardonne jamais. Messire Frobertne ditrien, … er mais il a vu le coup porté; aussi $ ’avance-t-il fort en colère vers Bruyant qui lui tend las patte comme le veut la règle. Et le grillon 23 frappe si fort qu’il s’en faut de peu qu’il ne lui arrache le cuir. Le taureau déconcerté, recule ET P A sous le choc ét c’est au tour du seigneur Frobert de tendre la patte. Baucent lesanglier le choisit alors comme partenaire, tout EL ETE EN heureux de l’occasion et il le frappe avec tant 5 ErAEUA d’allant qu’il Jui fait plier lesgenoux. Mais le grillon se retrouve aussitôt RS pre félipour son adversaire: « Bravo, seigneur Baucent, par. la foi que je dois à Frère Hubert, toutes mes félicitations. Je suis ravi de constater quel chevalier deprix vous avez abattu sous mes yeux. — Par saint Laurent, seigneur Frobert, ce n’est que la règle du jeu. » Il s’assied donc pour tendre la patte et c est Tardif qui, après s’être débarrassé de sa cape, le heurte avec tant de force et d'adresse qu’il l’étend sur les dalles, tandis que le visage de l’autre vire au blanc; mais Baucent ne tarde pas à se ressaisir sous le coup de la colère. Et 70 Tardif de commenter : RTE y. .:
TA Th
379
#0 Toute li vermeillist la face Pour le cop qu’il ot receü: Li paons s’est aparceï Qu'il l’ot blecié, si li escrie :
— « Tardif, ne vous correciez mie! Mes bevez, si ne vous anuit.
À + Encore est moult longue la nuit, Si joueron plus liement. » — « Sire, vostre conmandement » Fait Petitpas. Lors fist venir
40 Du vin, si burent a loisir, - Et autresi i ot cervoise. Tant ot beùü que il s’envoise. Quant beü ont a lor vouloir,
Si ala Petitpas seoir. | Pelez li raz s’est avant tret Tout belement et tout a tret, Et fiert Petitpas sanz attendre
Tout belement sanz pié estandre. ‘ Sa force i a trestouté mise:
. 350 Li bastons en deus tronçons brise En deus moitiez par le milieu.
Cel cop vit Ysengrin le leu : : Si li anuie, ce sachiez. Envers le rat s’est avanciez
Et li a dit par grant desroi Si que bien l’entendi le roi : —«
Sire Pelez, grant tort avez
, Que vous si durement ferez ;
‘ Grant iré en ai eüe au cuer.
70 Je ne lesséroie a nul fuer Que n’i fiere, sei Diex m'’aït, » Et mesire Pelez li dist: _— « Sire Ysangrin, sachiez de voir Que blecié nel vorroïie avoir :: :.
380
— «Ne vous fâchez pas, Baucent.» … Alors s’avance Petitpas le paon, à quitout ‘cela ne plaisait guère. Le limaçon, qui se moquait bien de leur colère, se met en position et le paon rassemble toutes ses. ï ressources d’énergie pour frapper plus fort; rs mais cela ne réussit pasà ébranler: EST
Tardif, cependant, sous la brutalité du coup reçu, tout son visage rougit, et le paon, se rendant compte qu’il l'a blessé, s’écrie: — « Ne vous fâchez pas, Tardif; vous avez ” mieux à faire:buvez donc et pensez à donner des ordres pour que nous puissions en faire autant, la nuit est encore longue: cela nous -” donnera du cœur au ventre pour jouer. » | -_ 740
On fait donc apporter du vin et ils en
boivent jusqu’à plus soif ainsi que de la cervoise, ce qui a pour résultat de faire régner une franche gaieté. Lorsqu’ils ont assez bu,
Petitpas retourne s’asseoir. s’avance alors posément et le sans-attendre qu’il ait tendu la de toutes ses forces. Le bâton
Pelé le rat frappe, mais patte. Il y va dont il s’est
servi se casse en deux, juste par le milieu. Ysengrin le loup, qui a vula manœuvre, s’en
indigne. Il s’avance donc vers le rat pour lui
Pour la pelice de mon dos.
a: 0 é LD
Mielz vorroie que trusqu’a l’os
Me fusse tranchiez en un doit.» Dist Ysengrin : — « Vous avez droit. Or lessiez le jeu a itant »! Maintenant est sailliz avant Petitpourchaz, si li escrie: — « Ysengrin, si n'ira il mie : Ainz jouerons jusques au jour Tout souavet et par amour. .… Pelez », fet il, « avant venez :
Asseez vous et si jouez! » - Il tent le pié sanz demouree. - Atant es vous de randonnee Mon seignor Pourchaz sanz atendre, "78
Et vit Pelez le pié estandre Et li a si grant cop donné Que il l’a trestout estonné. Que vous iroie je contant? Tant vont lor euvre demenant … Que le jour vint : adonc finerent Lor jeu et le ferir lessierent.
=]
Sitost conme il ior adjourna,
790 790
Li jouers maintenant fina : Et l’arceprestre dant Bernart Fist les sainz sonner pour Renart. Au sonner sont moult deporté. Le cors ont au mouster porté : Asis l’orent devant l’autel, | Ne cuit qu’el siecle eüst autel.
L’autel ma dame Pinte estoit Qui en fiéertre illuec gisoit, Qui a grant dolor fu ocise. Iluecques fu soz l’autel mise
Le jour que ele devia, 382
adresser de violents reproches, assez, haut É= pour que le roi l’entende: — « Seigneur Pelé, vous vous mettez.dans * R D votre tort en portant des coups pareils :jen Te ee ® suis indigné. Je ne peux pas aa ps cela, si Dieu m'aide. DA Var. — Soyez assuré, seigneur tp ». ce % Pelé, nue je n’ai pas eu l'intention de le blesser, j’en atteste la pelisse que je porté sur
le dos. J’aimerais mieux m'être. > COUPÉ un doigt jusqu” à l’os — Soit. Mais araig ce jeu.». Mais c’est alors au tour de Petitplaisir d se. lever pour protester:
—
Der
1)
À
«Je ne suis pas d’accord, Ysengrin.
Nous allons jouer jusqu’au. lever du. jour, mais paisiblement et amicalement. Pélé», ajoute-t-il, « mettez-vous donc. en position pour reprendre la partie». : ï Le rat s'exécute aussitôt et monseigneur Petitplaisir de son côté, quand il le voit tendre
# la patte, lui décoche sans plus attendre un _ coup qui laisse son partenaire sans réaction. A quoi bon en dire plus, le jeu continue jusqu’au jour. Alors et alors seulement, ils
cessent de s’amuserà échanger des coups. 383
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et tous ceux qu’il aura tués sa vie durant;ilen sera privé pour l'éternité. » Après que l’archiprêtre a fini de chanter la messe pour Renart, le roi prend la parole devant l’assemblée. Il s’adresse d’abord à
Brun l’ours: | 100. — «Très cher ami, allez donc creuser la fosse où on enterrera Renart, sous le pin; il y sera descendu à grand honneur. Et je vous prie de le faire le plus rapidement possible : … c’est là un ordre... — Vous pouvez comptez sur mon obéissance, même si certains y trouvent à redire »,
répond Brun. | — « Et vous, Chantecler, prenez l’encensoir pour en encenser le corps. Vous vous ferez aider de Brichemer, et du mouton, le seigneur Belin, pour porter la bière de ce noble seigneur. Ysengrin, lui, se chargera de la croix. Chacun aura sa tâche. La chèvre % jouera du tambour et le cheval Ferrant de la harpe. Je veux lui entendre jouer un air joyeux qu’il exécutera tout à loisir; mais qu’il commence
tout de suite! Couard
le lièvre,
Tibert le chat et le milan Hubert porteront les cierges allumés et, pour accompagner le 399
1080 [] ne tint mie les iex clos, . Que tens n’en estoit ne seson. Moult ot jeùü en pamoison, Ne sot ou il avoit esté, Moult cuida bien estre enchanté. Quant vit le roi et le barnage, Cuer prist en soi et vasselage,
A li garir mist cuer et cors : Joinz piez saut de la fosse hors. Chanteclerc qui tint l’encensier, 1090 Prist as dens, ne le volt lessier.
À tout s’en va tout eslessié Et se feri en un plessié. Quant li rois a aparceü Que Renart l’avoit deceü, Corroucié en fu et plain d’ire. Tout maintenant a pris a dire : — « Ore aprés, franche gent loee! S’il estoit loins une loee, J’aroie perdu mon baron. 100 Qui porra prendre le larron, A touz jourz mes aura m’amour. » Adont s’eslescent sanz demour Tretuit a grant esperonnee Aprés Renart de randonnee Qui Chantecler en va portant. Ja ot erré et fouï tant Qu’el plessié se fu embatu. —
« Vi chetis, laz! pour coi fuis tu? »
Fet Chantecler, « c’est grant outrage. 1110 Di leur que tu emportes gage Du tort que l’en t’a fet a court. Il ne te tiennent pas si court Que tu ne lor puisses moustrer Et tout apertemant conter
400
Mie. à: "
cortège funèbre, les souris sonneront les cloches (car j'y tiens) et le singe fera la grimace. Quant à Bernard, il est tout désigné pour enterrer le corps. » | On s’empresse d’obéir aux ordres du roi, on
apporte solennellement
le cadavre dont la
tête avait été laissée découverte. Brun l’ours 106 e
avait fait diligence pour creuser la fosse de sa grosse patte. On dépose à terre le corps enveloppé d’un drap de soie vert; puis, on le découvre;
Brichemer
le prend
par la tête
(Bernard qui avait l’expérience des enterrements, lui avait appris comment s’y prendre). Il fait signe à Belin, son vis-à-vis, de le .… soulever par les pieds. Sans plus attendre, ils le couchent avec précaution dans la fosse et l’archiprêtre s’empresse de l’asperger d’eau bénite pour qu’aucun esprit mauvais n’aillé pénétrer dans le corps. Mais quand l'instant est venu pour l’ours Brun de le recouvrir de terre, ne voilà-t-il pas que Renart se prend à ouvrir les yeux, se demandant ce qui lui arrive et terrorisé à la perspective d’être enterré vivant. Ce n’est plus le moment de garder les yeux fermés. Pendant tout le temps où il était ©
| resté privé de sentiment, il ne s’était évidem401
dE 104 PÉRRER
_ Que maugré eulz m’enporteras : Et de moi ton vouloir feras
Maugré toute la conpaignie. Te font ore grant vilanie,
. Quant ainssi me veullent rescorre.
. 1120 Nus d’eulz ne t’aprendroit a corre, Tant seüst bien du pié aler. Erel RGYyTP ire Di lor, ne lor dois pas celer, Que pour neant te vont sivant. » Renart qui fu aparcevant De Chantecler qui l’aparole,
Que par engin et par parole
L’avoit autre foiz engingnié, Si a a parler resoingnié. Ne voult mot dire, et cil s’escrient 1130! Que tuit de la court le deffient, Se il ne lor rant Chantecler. — « Certes moult te deüst grever », Fet Chantecler, « ceste huee. Di leur sanz nule demouree
1140
Qu'il s’en retournent orandroit : Tu iras a cort faire droit De ce qu’en te demandera. Que que li rois conmandera Feras de gré et volantiers Conme cil qui est siens entiers. Ainssi les feras remanoir, Puis t’en iras a ton manoir Ou tu te porras deporter,
Et moi avecques toi porter À anuit a bonne cuisine. Se ta fame fust en gesine, Si eüsses tu pour vitaille. »
Lors choissi un vilain qui taille Ramille pour son four chaufer :
402
ment pas rendu compte de ce qu’on avait fait | de lui, aussi, il se croit d’abord victime d’un enchantement. Mais à la vue du roi et de la
cour, il comprend ce qui lui arrive courage lui revenant du même coup, . plus qu’une idée : comment s’en tirer? fait qu’un saut, pieds joints, hors de la et
saisissant
au
passage
entre
ses
et, le … il n’a Ilne . fosse, dents
Chantecler qui tenait l’encensoir, il s’enfuit au triple galop avant de se jeter dans un enclos où il se dissimule. Quand le roi se rend compte que Renart s’est joué de lui, il ne se
connaît plus de colère: | — « Sus à lui, nobles et valeureux vassaux! S’il arrive à s’éloigner d’une lieue, Chantecler, mon baron, est mort! Celui qui réussira à 1100
s’emparer de cet imposteur peut être assuré de ma reconnaissance jusqu’à sa mort. » Tous s’élancent aussitôt à qui mieux mieux, faisant force d’éperons, à la poursuite du goupil qui emporte Chantecler. Mais à ce moment-là,
il était déjà à l’abri dans l’en-
clos. —
« Pauvre sot », lui dit le coq, « n’as-tu
pas honte de fuir? Explique-leur plutôt que tu emportes
un gage en compensation
du tort
403
_H$0 À une chaaine de fer Ot a sa coroie lié, Dont li cloet sont delié,
_
Un gaïgnon grant et merveilleus. Meigres estoit et fameilleus. Le vilein qui le chien tenoit, Choissi le gorpil qui venoit : Le chien deslace, si li huie.
… Renart le voit, moult li anuie : Tant fu courouciez et plain d’ire, 1160 Ne sot que faire ne que dire. Il n’ose vers le chien tourner Ne vers les reaus retourner,
Que grant pas le vienent sivant,
Tardiz u premier chief devant, Qui tint la baniere levee. Adonc a sa regne tournee Renart au travers d’un plessié, Ne n’a pas Chantecler lessié, Ainz l’emporte moult esmaiez. 1170 Li mastins ne s’est delaiez, Ainçoiz le suit de grant eslés. Lors pense Renart : — « se je lés Chantecler aler, que ferai? Car anuit mes ne trouverai Chose dont me puisse souper. Et se cil me puet açouper Qui si me chace pour moi prendre, Il me fera encui aprendre Conme ses denz sevent trancher. 1180 Je ne doi pas avoir tant chier Ce coc conme mon cors demeine. D'autre part vient Tardis qui meine Un moult grant peuple a sa baniere. Et se il me meinent arriere,
404
CR
1120
140
que tu as subi à la cour. Ils ne te serrent pas de si près que tu ne puisses leur dire et leur faire voir sans équivoque que tu m’emportes malgré eux, si nombreux qu’ils soient, pour faire
de moi ce qu’il te plaira. Ils te font injureen croyant qu’ils pourront m’arracher à toi: le plus rapide d’entre eux ne saurait être ton maître à la course. Qu’attends-tu pour leur dire qu’ils perdent leur temps à te poursuivre? »
Mais
Renart,
qui
gardait
le souvenir
d’avoir déjà été trompé une fois par Chantecler de la même façon, n’a garde de souffler mot. Ses poursuivants s’écrient qu'ils le défient au nom de la cour tout entière, s’il ne
leur rend sa proie. — «Et tu supportes ces cris sans broncher? » fait le coq. « Qu’attends-tu pour leur dire de faire demi-tour? Ajoute que tu iras à la cour pour te justifier des accusations portées contre toi et que tu te soumettras volontiers aux ordres du roi en vassal fidèle. Ainsi, tu les fais s’arrêter et tu peux gagner ta maison et t’y reposer en m’emportant avec toi pour m’y accommoder ce soir même à la sauce que tu voudras. Par la même occasion,
405
#
Je serai moult mal atirié,
Que li rois iert vers moi irié Pour Chantecler qu’il aime et prise. Moult me poise de ceste prise; Seur moi en venra le meschief. 11% Lors dit : « Chantecler, par mon chief, À force convient que vous lesse. _ Cist mastin a esté en lesse,
a
Que
Va
trop me suit delivrement.
t’en tost et isnelement.
_ Je ne t’ai bleciéne malmis,
* Et se tu viens a cort, amis, _
Ne ___.
_ F
me soies pas ton desroi
En nuisance devers le roi. »
— « Non ferai je », fet il, « biau mestre ». 120 Lors saut desus un arbre a destre, . Si a grant joie demenee,
EL Et Renart de grant randonnee S'en va fuiant et a grant corse. : Mes li chiens saut qui li rebourse La pel du dos jusqu’au crepon.
. Ja fust en male souspeçon
— Li gorpilz de perdre la vie, Quant Tardiz, qui a grant envie De lui prandre, i est seurvenu.
1210 De ce li est bien avenu Que il l’a au mastin rescous. Mes ainz i ot feru mainz cous
Que il en eüst la baillie. Tantost est entor lui saillie La conpaignie bele et noble Que li riche empereres Noble
I envoia pour Renart prandre. Pris et lié l’ont sanz atandre. : Si l’ont devant le roi mené,
406
|
si ta femme est en train d’accoucher, tu auras
de la nourriture pour elle aussi. » Mais voilà qu’apparaît un paysan occupé à couper du bois pour chauffer son four. Il avait avec lui un énorme chien —
un vrai molosse
— maigre et famélique, qu’il tenait par une laisse attachée à la chaîne garnie de petits clous qui lui servait
de collier.
L'homme,
voyant approcher le goupil, lâche son chien et l’excite de ses cris, — spectacle qui est loin de plaire à Renart. La colère et l’inquiétude le 18 laissent pantois. Il n’ose ni faire face au mâtin, ni affronter les représentants du roi qui le serrent de près, Tardif en tête, bran-
dissant l’étendard royal. Finalement, il tourne bride en direction d’un enclos qu’il traverse, emportant toujours Chantecler avec
lui et au comble de l’effroi. Le mâtin continue de le poursuivre sans ralentir l'allure: — « Que faire? Si je relâche Chantecler », pense Renart, « je n’aurai plus le temps, ce
soir, de trouver de quoi dîner. Mais si cet animal qui me poursuit avec l’idée bien arrêtée de s’emparer de moi m’attrape, il me fera tâter de ses dents. Avant de penser à # manger, je ferais mieux de songer à me 407
1220 Qui aussi conme forsenè Jure qu’il le fera deffaire, Ardoir, escorchier ou detraire, Ou livrer a cruel tormant. Et Chantecler isnelement Se plaint de la desconvenue Qui li est par li avenue. Li rois dit que droit en aura Tel con il demander saura, Que trop li fist grant mesprison; 1230
1240
1250
408
— « Ja ne sera mis en prison, Ainçoiz le ferai escorcher;
Ne m'en porrai plus bel venger. » — « Sire » fet Renart, « entendez! Jugement de moi entendez : Au jugement me contendrai Et vostre merci atandrai. Onques ne fu nul homme né Sanz leal jugement mené. S’en puet en vostre court trouver Nus qui veille vers moi prouver Que j'aie fet desleauté Ne traïson ne fauseté, Aprestez sui de moi deffandre. Trop voldrent envers moi mesprandre Cil qui en terre me metoient. Mon sens espoir petit doutoient. Pour quel forfet, ce veil oïr, Me faisoit l’en vis enfoïr? Or me dites vostre semblant, Estoie je pris en emblant? La court en fet moult a blasmer. Bruiant li tors et Brichemer, Et les autres que j’aim et prise, Seront blasmé de ceste emprise.
sauver. De l’autre côté, Tardif mène bien du*e monde sous sa bannière. Si ceux-là réussis- :À sent à me faire prisonnier, je me serai mis dans un mauvais cas, car le roi va m’en vouloir pour Chantecler qui est son amietson favori. Je suis bien ennuyé.de m'être emparé de lui, tout va me retomber sur le dos.» Aussi, s'adressant au coq:
1
—
« En conscience, je suis obligé de vous |
ET Rn #.Ye À :ru fe, xI U ATOM 4 F Rat ;tsœD SAR ca 2ax:2er 3Es
de laisser allér. Ce chien a été trop longtemps LR tenu en laisse, d’où son ardeur à me poursuivre. Dépêchez-vous de vous en aller. Je ne vous ai fait aucun mal; aussi, quand vous serez à la cour, ami, ne me faites pas detort … auprès du roi sous le coup de la colère. — Je m'en garderai bien, cher seigneur. » 20 D'un saut, il se perche sur un arbre, se réjouissant de sa chance, tandis que Renart s’enfuit au plus vite. Mais il ne réussit pas pour autant à distancer le chien qui lui saute dessus et se met à lui écorcher la peau du dos jusqu'aux reins. Notre héros se voit déjà en danger de mort, quand survient Tardif, bien décidé à s’emparer de lui, ce qui tourne à son avantage, car le limaçon l’arrache au molos-
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1269
Chantecler, n’en sui pas en doute, Avoit ceste traïson toute, (Ce m'est vis) quise et pourchaciee. Mainte mauvestié a braciee : Ceste li doit l’en reprouver. Encontre son cors veil prouver Que par lui m’est hui avenue Iceste grant desconvenue De moi tout vif en terre metre. Ja ne s’en deüst entremetre De moi faire honte et anui. Se recreant ne l’en rant hui,
1270
1280
410
À qui que il doie grever, Fetes moi les deux iex crever. » — « Renart », dit Chantecler, « Renart, Par la foi que je doi Bernart L’arceprestre que je voi la, Onques en tel guise n’ala Li afaires con vous le dites. Ne vos en iroiz pas si quites De cest jour d’ui con vous cuidiez. Ahi! sainte Pinte, or m’aidiez Si voirement con je recort Que Renart vous ocist a tort, Et si conme je n’i ai coupe Du blasme de coi il m’encoupe ». — « Vous mentez », fet Renart, « traïtrez! Par vostre mençonge feïstes Qu’enterré fui : ce vous creant Si vous en rendré recreant Ainçoiz que li jours soit passez, Ou a mort plaiez et quassez. Ne poez faillir, ainssi n’aille ». — « Sire, otroiez moi la bataille », Fet Chantecler a l’emperere,
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se. Mais c’est une prise qui lui est chèrement disputée. Pendant ce temps, toute la noble compagnie que le puissant empereur Noble a dépêchée pour capturer le goupil, l’encercle, le fait prisonnier et le ligote sur-le-champ. Puis on le mène au roi qui donne librecoursà sa fureur en assurant qu’il le fera mettre à mort de cruelle manière : le fera-t-il brûler, écorcher, écarteler? Quel supplice lui réservera-t-il? Chantecler, de son côté, s’ empresse
de se plaindre.de la mésaventure dontila été
la victime. Le roi lui promet qu’il en obtiendra la réparation qu’il jugera bon de demander, car il a subi un très grave préjudice:
— « Pas question de prison, je ferai écorcher le coupable. C’est le meilleur moyen de faire justice. —
Seigneur », fait Renart, « écoutez-moi.
Faites-moi passer en jugement, j’accepterai - la sentence et m’en remettrai à votre clémence. Mais jamais l’on n’a exécuté un homme sans l'avoir préalablement jugé selon les formes prévues par la loi. S’il se trouve en # votre cour quelqu’un pour soutenir que j'ai agi malhonnêtement, en fourbe et en traître,
je suis prêt à m’en défendre.
Maïs ceux qui
an
…
Te" AT
1299 |
« Et celi qui recreant ere Faites ou pendre ou desmembrer. Il vous devroit bien remembrer” Des anuiz que il vous a fez.
co Mind
Par Dieu, penduz iert ou deffez Iceli qui vaincu sera,
Ja autrement n’en passera. - Et c’est droiz et reson, me semble ». Maintenant les mettent ensemble,
Ni vont plus d’aloigne querant. 1300
Tardif, l’escoufle et Ferrant,
Le gresillon et le fourmi Qui moult estoient bon ami . Et preuz et vaillanz sanz desroi,
Cil garderent de par le roi Moult trés bien et moult sagement. Quant fet furent li serement,
LR. de, er mer cm te M CE SRE À ne did RS Pt
1310
Si les ont ensemble lessié. Lors s’est l’un vers l’autre eslessié. Et Renart qui premier l’assaut, Enprés Chantecler fet assaut. Granz cos li donne de la poe. Et Chantecler delez la joe Li fet de son bec une roie Si grant que li clers sans en roie, Que jusqu’au talon va la goute Et des iex ne vit nule goute De l’erreüre d’une live. —
1320
« Il pert bien, la char avez vive »
Fet Chantecler qui le tint cort, « Que li sans touz vermaus en cort. Folie vous fist a moi prandre. Je vous ferai encui aprandre,
Conment je me sai maintenir. Se pour outré te veulz tenir,
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vraiment dépassé les bornes. Sans doute ont-ils été bien étonnés de me voir reprendre … mes esprits. Je serais curieux de savoir pour quel forfait on me faisait enterrer vivant. A votre avis, m’avait-on pris sur le fait en train. de voler? La cour a pris là une très lourde
responsabilité. Bruyant le taureau, Brichemer et les autres, que je considérais comme mes amis, méritent d’être blâmés pour avoir
prêté la main à une telle action: Quant à moi, ma conviction est acquise: c’est Chantecler qui a machiné toute cette affaire. Il est
coutumier du fait : c’est une fourberie de plus
à porter à son compte. Je suis prêt à soutenir # contre lui que c’est par sa faute que je me suis trouvé aujourd’hui, dans le cas d’être enterré
vivant. Pourquoi s’est-il mêlé de me nuire? Voilà son tort. Je me charge de lui faire avouer qu'il est coupable, même si cela ne plaît pas à tout le monde, — ou alors je consens à ce qu’on me crève les yeux. —
Renart, Renart, » dit Chantecler, «sur
la foi que je dois à l’archiprêtre Bernard que je vois là, les choses ne se sont pas passées du tout comme vous dites. Et vous ne vous en
413
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Je lo que te cleimes vaincu. Pandre te fai, trop as vescu. »
Renart qui entent la menace, Tert le sanc contreval sa face Que les iex li avoit couvers. Lors a les iex andeus ouvers, Et dit a Chantecler :— «traïtres, Si m’aïst Diex, mar le deïstes
Que je recreant me rendisse. Se sein ne sauf de cest jour isse, Je vous cuit encui donner tele, Mes ne metrez en fu atele. » Lors li cort viguereusement. Si le feri irieement De la poe parmi la hanche, Qu’i li derompi la char blanche. Trop li a fet doulereus merc. Parmi la plume del auberc Fist de sanc saillir plein boisel. Par le champ en court le ruisel Si c’un moulin en peüst moldre. Mes bien le cuide rendre et sodre Chantecler iceste bonté. Lors li est sus le dos monté, Si le fiert des esperons fort, Et de son bec le pince et mort,
Que jusques au test li embat. La destre oreille li abat, Et l’ueil senestre li creva. Puis li dist : —
« malement vous va,
Sire Renart, au mien avis. Ja de cest champ n’estordrez vis, Que il du cors ne vous meschiee. Bien est dame Pinte vengiee Et dame Coupee s’entein.
414
tirerez pas aussi facilement
que vous le
pensez. Sainte Pinte, aidez-moi, vous dontila la mort sur la conscience, je vous prends à
* témoin que je suis innocent de ce dont il
m'accuse. —
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Vous mentez, traître que vous êtes»,
rétorque Renart. « Et c’est déjà à cause devos mensonges qu’on a voulu m’enterrer vivant.
Je jure de vous le faire reconnaître ou de vous blesser à mort avant que le jour soit passé. Il en sera ainsi et pas autrement. a — Seigneur», demande Chantecler à l’empereur, « accordez-moi de défendre mon droit par les armes et faites pendre ou
écarteler celui qui s’avouera vaincu. Rappelez-vous tous les torts que Renart vous a causés. Par Dieu, le vaincu doit être pendu ou achevé sur place, il ne mérite pas de s’en tirer
à meilleur compte; il me semble que ce n’est là que justice ». Sans plus attendre, on met les adversaires
® en
présence; Tardif,
grillon étaient temps sagesse
le milan
Ferrant,
le
et la fourmi qui s’entendaient bien et vaillants et courageux, en même que pondérés, veillent avec soin et au déroulement régulier de la procé415
1360 De lancelee et de plantein Se voudra en vos plaies metre, S’Epinart se veult entremetre Qui est fisicien le roi, Bien vous garra : mes le derroi, Qui en vous est vous honnira. Quant la bataille fenira De vous, et vengiee arai m'’ire, N’arez, ce croi, mester de mire. » Renart qui la response entant, 1370 Au miex que il set i antent La grant honte et la vilenie Que Chantecler par felonnie Li fet; n’encor n’en est lassez. Adonc s’est Renart pourpensez Que la morte vieille fera, N'a Chantecler n’adesera Que tant li fet et honte et let. Atant seur li cheïr se let: Et Chantecler le pince et mort 1380 Et Renart fet semblant de mort, Qu'il ne se crolle ne remue. Ainz tint la bouche close et mue Que voiz n’aleine n’en issi. Quant Chantecler le vit ainsi, Lors l’a conme lierre repris, Au bec parmi la keue pris,
En un fossé le traïna. Or voit bien Renart que il n’a 1390
De nului secours ne aïe, Car c’est la beste plus haïe Du monde et de toute gent. Bien set pour or ne pour argent, Pour promesse ne pour avoir Ne pourroit raençon avoir,
416
320
dure. Ils font prêter serment à Renart et Chantecler, puis les laissent face à face. Les deux adversaires s’élancent aussitôt l’un contre l’autre; c’est Renart qui porte le premier coup. De sa patte, il assène de grands coups au coq qui riposte aussitôt en traçant du bec une raie sanglante sur la joue de son ennemi : le sang coule jusqu’au talon, aveuglant Renart pour le temps qu’on met à franchir une lieue. — « À voir votre sang couler, il n’y a pas de doute, vous êtes bien vivant », fait Chan- . tecler qui serre de près son adversaire. « Vous avez été fou de vous en prendre à moi et je vais vous faire voir de quel bois je me chauffe. A moins que vous n’avouiez votre défaite? Allons, reconnaissez-vous vaincu, que je puisse vous faire pendre : vous n'avez que trop vécu! » . A cette menace, Renart essuie le sang qui lui coule sur la figure et lui remplit les yeux. Quand il a recouvré la vue, il interpelle Chantecler : — «Que je me reconnaisse vaincu, traître? Avec l’aide de Dieu, je vais vous faire regretter cette parole. Si j'arrive à m'en sortir 417
Se il estoit aparceü. Par son savoir a deceü Chantecler qui por mort le lesse. Entour lui ot aussi grant presse Conme se il fust gent develle, 1400 Rohart et Brune la corneille Vindrent au roi tot pié estant Et li distrent :— « Sire, a itant Lessiez Renart! mors iert sanz faille. -. Moult li est de ceste bataille y
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Hui vilainement mescheÿ.
Or est en ce fossé cheü Tout mort aussi conme une çoche. . Blasme i auriez et reproche, Se l’en metoit plus seur li mein.
© 1410 Males choses l’aront demein
- Tout despecié et devouré. Et vous avez ci demouré Que son conpaignon a outré. » Li rois Nobles vint a son tré Et li barnages s’en tourna En son hostel. Cil qui tourna S’en entra joie demenant. Renart lessierent remanant : U fossé la gueule baee, 1420 Si con l’ame s’en fust alee, Que ses anemis en fu bel. Du roi se depart le corbel Et la cornille dame Brune, C’onques nel sot beste nesune. U fossé s’en vindrent courant, Ou Renart iert de fein mourant
Qui l’orille ot perdue et l’ueil. — « Rohart », fet la cornille, «or veil Que nous aillons veoir Renart
418 ie
sain et Sauf, je compte bien vous la faire payer cher. »
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Ce disant, il lui court sus et la colère lui donne de nouvelles forces. De la patte, il 1340
entame la chair blanche de la cuisse et Chantecler accuse douloureusement le coup. Le sang jaillit à flots à travers les plumes de l'armure et forme un ruisseau suffisant pour faire tourner un moulin. Mais le coq pense bien rendre à l’autre la monnaie de sa pièce. Il lui saute sur le dos, l’accable de coups d’éperons, le pince et le mord du bec, le lui enfonçant dans le crâne. Il lui arrache l'oreille droite, lui crève l’œil gauche avant de Fe s’écrier: —
« Et alors, seigneur Renart, vos affaires
ne vont pas très bien à mon avis. Même si
vous sortez vivant de ce champ clos, ce ne sera pas sans qu’il vous en cuise. Dame Pinte et dame Coupée, ma tante, sont bien vengées. Épineux, le médecin du roi, pourrait encore . vous guérir, s’il voulait s’en donner la peine, en pansant vos plaies avec du plantain de pré et d’eau. Mais l’orgueil qui est en vous tournera à votre honte. Quand cette bataille
aura pris fin et que j'aurai vengé sur vous ma 419
OC
1430
Encore anuit, ce famelart. Par les sainz qu’en quiert en Galice, Li afaiterons sa pelice. Mors est, nous n’avons de li garde. » Renart les ot et les regarde,
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Que bleciéfu et se feingnoit
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1450
Ne a elz parler ne daignoit: Tant se cuidoit iluec tenir Que il veïst la nuit venir. Mes cil souffrir nel voldrent pas Que li vindrent plus que le pas, Qui de noiïent ne se douterent. Ambedui desus lui monterent. Rohart premerainz s’avança, Le bec avant primes hauça, En la char li embat dedenz. Et Renart a geté les danz: Si le prist par la cuisse et tret A soi si con l’escrit retret, Que il li a loquee toute Et la cuisse emprés le cul route. Vileinement l’a afolé. Rohart est d’autre part volé Seur le fossé moult angoisseus. La cornille vit Renart seus, Avecques li tressailli. Et Renart est en piez sailli,
1460
420
La cuisse prant, a tout s’en torne, Et Rohart lessa tristre et morne. Aussi conme beste esperdue, Fuiant s’en va sanz atandue L’ueil crevé, l’oreille copee. Il ne trouva pas estoupee La porte de sa forteresce, Ainz s’i feri a grant destresce.
colère, je ne crois pas qu’un médecin puisse |
grand-chose pour vous.» Renart qui sait ce que parler veut dire comprend que Chanteclerc entend l’humilier et l’accabler jusqu’au bout et qu’il ne le tiendra pas quitte facilement. Il imagine donc de ne plus riposter et de faire le mort comme la vieille femme du proverbe en laissant Chanteclerc s’acharner sur lui. Il se laisse tomber sur place
80 et reste immobile, sans bouger ni pied ni patte, sous les pinçons et les morsures de son adversaire. Bouche close, il ne laisse pas échapper la moindre parole, retenant jusqu’à son souffle. Quand le coq le voit dans cet état, il s'empare de lui comme on fait d’un malfaiteur et, le saisissant avec son bec par la queue, il le traîne jusqu’à un fossé. Renart voit bien qu’il ne peut compter sur l’aide de personne : les bêtes l’ont mis au ban de la société et, s’il était confondu, il ne serait pas question pour lui de rançon; ni or, ni argent, ni belles promesses n’y suffiraient. Mais son habileté réussit à tromper le coq qui le laisse pour mort. La foule était aussi nombreuse alentour que *.. Rohart et Brune la corneille vont trouver le roi, s’adressant à lui
#® d’un air décidé : 421
‘Quant Hermeline le choisi,
Qui li donnast quite Choisi, N'eüst tel joie ne tel feste. Quant ele a parceü la teste, Qu'il avoit si mal atournee,
Adonc a grant doulour menee. Ausi firent les Renardiax. Grant fu la criee et li diax. En un lit l’ont couchié et mis.
1470
CCS HR.
Et Rohart qui moult fu maumis, À la cornille se demante : =— « Dites », fet il, «amie gente, ….. Conment porrai aler a cort?
Trop durement m’a tenu cort Renart, ne sai que j'en ferai. »
—
. 1480
« Entre més braz vous porterai »,
_….Fet la cornille,«par mon chief. à Dim ER TS TES LR
De l’anui et du grant meschief “ Sui moult dolante et correciee. » Atant s’est Brune rebraciee,
Si s’en ala triste et dolante Au roi qui se sist en sa tante, Criant :— « A $ire roi, merci, Tout mahaignié vous aport ci
Rohart, vostre ami, le corbel. Et si ne m’est mie encor bel
1490
“Du larron Renart deputere Qui a Malpertuis son repere
S’est mis et a fermé sa porte, Que la cuisse Rohart emporte. .:Mengiee l’a et devouree. Frans rois, ne fetes demouree,
Vengiez la honte et la laidure Que Renart vous fet, qui trop dure. Vostre baron a desmembré.
‘422
:
dk —
«Seigneur, laissez donc Renart, il est
mort et bien mort. La bataille a mal tourné pour lui. Le voilà tombé dans ce fossé où il ne bouge pas plus qu’une souche. A quoi bon s’acharner davantage sur lui: on vous le reprocherait. Dès demain, les charognards se seront chargés de le mettre en pièces et de le dévorer. Vous êtes resté assez longtemps ici : son adversaire est venu à bout de lui. » Le roi Noble regagne donc sa tente tandis que les barons reprennent dans la joie le chemin de leurs demeures. Ils laissent Renart gisant la gueule ouverte au fond du fossé, * comme si la vie l’avait abandonné : spectacle réjouissant pour ses ennemis. C’est alors que le corbeau et Dame Brune la corneille quittent la cour à l’insu de tous et se hâtent en direction du fossé où Renart, un œil et une oreille en moins, se mourait de faim. — «Rohart», dit la corneille, «je veux
retourner voir ce crève-la-faim tant qu’il fait jour. Par les saints qu’on va honorer en Galice, nous allons nous occuper de sa pelisse. Il est mort, inutile de se méfier ». Renart les voit et les entend, mais comme il est blessé, il continue de jouer la comédie,
423
D
1500 Se vous estes bien amembré,
=
Destroiz quatre foiz vos a fez. Detranchiez sera et deffez Li traïtres de ceste emprise. » * Rohart a la parole emprise Et dist :— « Sire, merci aiez De moi, car a mort sui plaiez. Le pié et la cuisse ai perdue Dont j’ai la pensee esperdue, Morir en cuit procheinement.
1510 Mes se je n’en ai vengement Du desleal, du traïtour
_Par qui sui en ceste tristour, Blasmé en seroiz et a droit. » Li rois se leva en piez droit, Quant la parole ot et entant,
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Et respont, que plus n’i atant. — « Rohart, vous estes mehaingnié. Ne cil n’i a riens gaaingnié, Qui ainsi vous a atorné. » Tantost conmande qu’atourné Soient si baron et si homme; — « Que par les sains qui sont a Romme, Ne m'’i tandra yver n’esté Tant qu’aie a Malpertuis esté. A terre abatre le ferai Et Renart par force en trerai; Pendu sera conme larron,
,1530
Si que le verront mi baron. N’en puet partir par autre pas. » — « Biau sire, si n'ira il pas », Fet le tesson sire Grinbert,
« Entre moi et frere Hubert Iron, més qu’il ne vous desplese,
De Malpertuis passer la hese.
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préférant garder le silence. I a bien l intention de rester sans bouger jusqu’à la nuit: mais il a compté sans Rohart et Brune qui.4 “ arrivent à toute allure et se perchent sans crainte sur lui. Le premier, Rohart lance pe bec en avant et le plante dans sa chair. D’un * mouvement de mâchoires, Renart le saisit par à la cuisse et tire avec tant de brutalité (c’est ce que dit le conte) que, non content de faire voler les plumes, il arrache le membre net au ras du croupion. Vilaine blessure que celle-là! . Rohart, affolé, réussit cependant à se percher
sur le rebord du fossé. Le mouvement du
goupil fait sursauter la corneille qui le voit en … train de se redresser. Il saute alors sur ses à
pieds et, la cuisse entre ses dents, s’éloigne,
1
laissant derrière lui un Rohart éperdu. De son côté, Renart ne vaut guère mieux; un œil crevé, une oreille coupée, il s’enfuit à toutes jambes. Trouvant la porte de son château ouverte, il s’y engouffre, y cherchant refuge à sa détresse. A sa vue, Hermeline est plus heureuse que si on lui donnait un royaume *“, mais elle s’effondre de douleur quand elle remarque l’état de sa tête; avec ses renardeaux, elle laisse bruyamment éclater
425.
AR2.
Et a Renart conme homme sage Raconterons vostre mesage Et li dirons, sel conmandez, A vous viengne, ce li mandez.
Et selonc ce que entendon Response de li vous randon. » Li rois qui fu em piez drecié, Respondi conme courroucié : — « Alez i tost, ainssi le voeil, Et li dites, seur son destre œil,
Qu’il me viengne randre reson Pour coi et pour quele achoison
Il a mon baron mehaïignié. » Cil n’ont le conmant desdaingnié,
Ainz s’en tornent sanz plus atandre. Au devant pour bon hostel prandre
‘1550
Ala li limaçons Tardis.
_Cil chevauchent aprés tandis Qui ne s’i voldrent arrester. Ne vous veil toutes aconter Lor journees, ne qu’il devindrent. Tant errent qu’a Malpertuis vindrent Ou Renart jut sanz nul delit A grant dolor dedanz son lit. Hubert, qui le mesage aporte, Et Grinbert vindrent a la porte. Si huchierent par grant desroi: « Ouvrez au mesage le roi. » Renart qui entendi la noise, Conmande qu’a la porte voise Li portiers qui n’est pareceus, Et maintenant parole a ceus Qui si huchoient fierement. Li portiers vint isnelement Qui torse et velue ot la keue,
426
es ge + =,
R :
a
son chagrin. A eux quatre, ils le couchent sur Fe À un lit. : à Pendant ce temps, Rohart agonisant se. | gas lamente auprès de la corneille: — « Dites-moi, chère amie, comment vaisje faire pour allerà la cour? Renart m’a serré de trop près, que faire? ne rs
1480
—
Me Sur ma foi, seigneur, je vais vous porter No 5
pe
dans mes bras. Je suis aussi affligée qu indi- PE 3 gnée du malheur qui vous arrive.» : : e Ayant retroussé ses. vêtements pour, avan- : cer plus aisément, Brune éplorée, s’en’ va trouver le roi qui siège sous sa tente:
—
« Justice, seigneur roi », crie-t-elle. « Je .
vous amène Rohart, le:open votre ami. Jee
me plains à vous de cé maudit Renart. Le fourbe a encore perpétré un de ses mauvais
coups: il a arraché la cuisse à Rohart; après
quoi, il s’est enfermé dans son repaire de Maupertuis. Il doit lavoir dévorée maintenant! Noble roi, ne tardez pas davantage à vous venger des méfaits et des injures dont il ne cesse de se rendre coupable envers vous. Cette situation n’a que trop duré. If vient d’arracher un membreà l’un de vos vassaux.
150 Cela fait quatre fois, ne l’oubliez pas, qu'il 497
1570
D’en haut desus la barbakeue Lor escria con preu et sage: — « Qui estes vous? » — «Sommes mesage Mon seigneur Noble le lion,
Que Renart parler voulion. » Quant li portiers l’ot, de volee La porte qui estoit coulee, Amont a trere conmença. Grinbert qui d’antrer s’avança, 1580
I est a reculons entré. Quant le premier huis ot outré, Si dist a l’escoufle Grinbert: — « Venez avant, sire Hubert! Bessiez vous, que basse est l’entree. » Dit Hubert : « je dout que vantree Ne face, par saint Lienart,
De moi encore anuit Renart.
1590
Ici iluecques me tendré: Tant que vous viengniez atandré. Miex meing au large qu’a l’estroit. » À Grinbert convient qu’il otroit Ce que frere Hubert conmande. Ainz vint et Renart li demande,
Conme cil qui moult se doloit, Que il queroit et qu’il vouloit. Grinbert li a dit : — « Biau voisin, Je sui vostre germain cousin, Si vous devroie moult amer. A court vous est venuz blasmer
Mon seignor Rohart le corbel. De son domage n’est pas bel Au roi ne a sa baronnie. Ne le tenez a vilanie, Par moi vous mande, et il a droit,
Que viengniez a li orandroit
428
encourt votre colère. Le traître qui a osé agir. :
ainsi a bien. mérité la mort. — Seigneur, justice pour
À fait à
moi,»
Rohart à son tour. « Car je suis blessé à mort. J'ai perdu un pied et une cuisse dans cette affaire et je n’ai plus bien la tête à moi, mais je crois que je n’ai plus beaucoup de temps devant moi. Si je ne suis pas vengé du déloyal, du traître qui me vaut de passer par cette épreuve, le blâme en retombera sur vous, etan. juste titre. »
A
ces
mots,
;
le roi se
lève
et répond
aussitôt : | — «Seigneur HE
ve celui qui vous a mis …
dans
rien gagné.»
cet état n’y aura
Et il
- 152 ordonne à ses hommes et à ses barons de se préparer immédiatement : « Par les saints de Rome, je vais me rendre de ce pas à Maupertuis, et peu m'importe que ce soit ou non la saison de partir en campagne. Je ferai raser la forteresse, j’en ferai sortir Renart de force et
il sera pendu comme un malfaiteur en présence de mes vassaux. Tel est le sort que je lui réserve. — Oh non, cher seigneur », fait Grimbert le blaireau, « nous irons plutôt, frère Hubert
429
…
Pour vous de ce blasme escuser. Ne devez mie refuser Qu’a court ne viengniez pour droit faire. » — « Cousin, de ce n’ai je que faire. Ne veil or plus aler a court, 1610 Que trop m’i a l’en tenu court. Ceste parole me randroiz Au roi, quant devant li vendroiz, Qu’a la mort m’a mis le corbel. Et la dehors souz ce tombel, A cele croiz, souz cele espine Me fist enfouir Hermeline Vostre amie, vostre parente Qui iriee en est et dolante. Quant hors de la porte seroïiz, 1620 Un tombel iluec trouveroiz D’un vilain qui Renart ot non. Desus verrez escrit le non: Et ainsi au roi le diroiz, Quant de ci vous departiroiz. Hermeline vos menra droit Veoir le tombel orandroit Qui est tout frés et tout nouvel: O lui ira mon filz Rovel. » — « Ausi», fet Grinbert, « l’otroi jé : 1630 Si m’en voiz a vostre congié ». Atant s’en departi Grinbert, Et avec l’escoufle Hubert Et Tardis, plus conpaignons n’a. Tout droit au tombel les mena
Hermeline et Rovel son filz, Et distrent : « Renart le gorpilz De qui il ne vous est pas bel, Biaus seignor, gist soz ce tombel. Lisiez les letres et l’escrit,
_430
et moi, avec votre permission, nous présenter |
à la porte de Maupertuis. Nous transmet- Fe trons votre message à Renart en faisant L
confianceà sa sagesse. Nous lui dirons de se à . rendreà votre convocation, si vous êtes x 5% d'accord pour le mander, et nous vous rap- î porterons sa réponse. d — Alors, dépêchez-vous d’y aller », fait leà roi irrité, se redressant de toute sa taille, «et * dites-lui, sur l’œil qui lui reste, qu’il vienne à me rendre compte des motifs qui l’ont poussé à s’en prendre à l’un de mes hommes». …
;
Grimbert et Hubert s’empressent d’obéir.
Tardif les précède pour s’occuper du gîte auxétapes. Les deux autres le suivent en pressant l'allure. Je n’ai pas l’intention de vous raconter leur voyage en détail et je les retrouve au moment où ils arrivent à Maupertuis. C'était toujours un lit de douleur pour Renart que celui où il était couché. Hubert, le porteur du
% message, et Grimbert se présentent à la porte. D'une voix forte, ils hèlent les occupants: — «Ouvrez aux messagers du roi. » Renart, au bruit qu’ils font, ordonne au portier qui n’a pas l'habitude de négliger son travail, de faire ce qu’il a à faire et de 431
1640
Et si priez a Jhesu Crist
Que il ait de s’ame merci. Lasse esgaree remein ci, Et mi enfant sont orfelin. N'’ai robe lange ne de lin, A grant povreté sui remese. » Atant est entree en la hese De Maupertuis, et cil s’en tournent, Qui de ci au roi ne sejornent. Trouvé l’ont en ses paveillons. 1650 De devant lui a genoillons S’est maintenant agenoullié _ Grinbert qui le vis ot moillié Du plorer que il fet avoit. Et quant li rois Nobles le voit Plorer, si en fu touz pleinz d’ire. Et l’escoufle li prist a dire — « Sire, de Malpertuis venons Dont a engingniez nous tenons. Renart est morz et enfouï. 1660
Quant
Rohart ceanz a fuï,
Si durement estoit malmis Renart, qu’il est en terre mis. La fosse et le tombel avons Veüe, tout de voir savons
1670
Que le corbel le partua Qui ore pou de vertu a. Mehaingnié en est, et periz Est Renart. Li Sainz Esperiz De la seue ame s’entremete Tant qu’en paradouse la mete, Deus liues outre paradiz Ou nus n’est povre ne mandis. » Quant li rois oï la nouvele, Tout son courrous li renouvele.
432:
[580
répondre à ces gens qui mènent un tel. vacarme. Le portier, qui se distinguait par sa queue torse et velue, se hâte de les interpeller
comme il doit le faire, du haut de la barbacane: — « Qui êtes-vous? — Nous venons de la part de monseigneur Noble le lion et nous voulons parler à Renart. » Dès que le portier a compris qui ils sont, il fait basculer en arrière la porte qui était baissée. Grimbert qui se présente le premier, entre à reculons. Après avoir franchi le premier seuil, il invite le milan à pénétrer: — « Venez, seigneur Hubert; mais penchez-vous, car la porte est basse. — Je crains, par saint Léonard, que Renart n’ait pour la deuxième fois l’intention de m'inscrire à son menu. Je vais rester ici à vous attendre. J’aime mieux être au large. »
Grimbert doit en passer par où il plaît à Hubert; mais, quant à lui, il s’avance et le goupil lui demande en prenant un air de profonde souffrance ce qu’il vient chercher:
433
De Renart fu moult courrouciez. Tantost s’est en estant dreciez 72Et dist dolanz et esperdu: : = — « Par grant pechié avons perdu Le meilleur baron que j'avoie. ;
FA
Ne ne cuit mie que ja voie
_ Que je venjance en puise avoir. Pour la moitié de mon avoir ne vousisse qu’il ie ainssi. »
JE ee de Renart vous lés
La vie et la procession.
_ Ci fine de Renart le non. Te
434
— «Mon cher voisin, je suis votre cousin germain; il est donc naturel que j’aie de l’amitié pour vous. Monseigneur Rohart le corbeau vous 1600
1620
a accusé devant la cour, et le roi et ses barons
n’ont pas regardé d’un bon œil votre conduite à son égard. Ne le prenez pas mal, mais Noble vous demande — et le droit est de son côté — de venir sans délai le trouver pour vous justifier de l'accusation portée contre vous. Vous auriez tort de refuser d’y aller, puisqu'il s’agit de défendre votre droit. — À quoi bon y aller, cousin? Je n’y mettrai plus les pieds, car on m’y a fait trop d’ennuis. Retournez auprès du roi et dites-lui que le corbeau a eu raison de moi; Hermeline,
votre parente et amie, que ma mort a plongée dans la plus amère douleur, m’a fait enterrer là, dehors, dans cette tombe, au pied de la croix, sous ce buisson d’épines. Quand vous
aurez repassé la porte, vous trouverez effectivement la tombe d’un paysan qui s’appelait Renart. Le nom est écrit dessus, vous pourrez dire au roi que vous l’avez vu de vos propres yeux. Avant votre départ, ma femme et mon fils Rovel vont vous la faire voir, elle a été fraîchement creusée. 435
D A
640
—
Entendu », fait Grimbert. « Je vais donc
prendre congé de vous avec votre permission. » Et il se retire, ainsi qu’Hubert et Tardif.
Hermeline et Rovel les conduisent jusqu’à la tombe. — «Comme l'indique l'inscription que vous pouvez lire, chers seigneurs, Renart le
goupil, gît pour votre chagrin sous cette pierre. Priez Jésus-Christ d’avoir pitié de son âme. Voilà mes enfants orphelins et moi, malheureuse abandonnée, je suis si pauvre
que je n’ai plus rien, robe de lin ou de laine, à me mettre. » Elle rentre alors dans l’enceinte et eux se dépêchent de retourner auprès du roi. Quand ils arrivent, il est sous sa tente. Grimbert, le visage mouillé des larmes qu’il avait versées, s’agenouille devant lui. A cette vue, Noble laisse déjà paraître quelque émotion. C’est le milan qui prend la parole: —
«Seigneur,
nous revenons
bredouilles
de Maupertuis. Renart est mort et enterré. ® Pendant que Rohart se réfugiait ici, il était si mal en point qu’il n’a pas survécu. Il est bel et bien enterré, nous avons vu sa tombe et nous
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savons à coup sûr que le corbeau qui est à présent dans un tel état de faiblesse a causé sa mort. S’il est blessé, Renart, lui, est mort.
Que le Saint-Esprit veuille bien mettre son âme au septième ciel, là où il n’y a plus ni pauvres ni miséreux! » Quand le roi sait ce qu’il en est, son émotion ne se dissipe pas, bien au contraire : c’est maintenant la mort de Renart quien est la cause. Il se lève et laisse éclater une douleur sans limites: — « Quel malheur d’avoir perdu le meil1% Jeur de nos barons! Et je ne vois pas comment je pourrai jamais tirer vengeance de cette mort! je donnerais la moitié de tout ce que je possède pour qu’il soit encore vivant! » Et sur ces mots, il sort de sa tente et monte dans son palais. J’achève ici de vous raconter la vie et l'enterrement de Renart. Telle est aussi la fin de son histoire.
D. C
EPT
NOTES
39. L'établissement du texte, donc son sens, est, ici, controu2
ve
40. Tous les toponymes de cette branche sont normands. Celui-là seul est breton : il s’agit d’un lieu éloigné par rapport au milieu géographique restreint à l’intérieur duquel se déroule l'aventure. 41. « Les sept arts » dit le texte. Les études correspondant à peu près aux études secondaires comprenaient deux cycles: pendant le premier, on étudiait essentiellement trois matières (grammaire, rhétorique et dialectique) : le trivium; et quatre pendant le second (astronomie, musique, arithmétique et géométrie) : le quadrivium. 42. Le fromage frais est, dans la tradition médiévale, fréquemment associé à la folie, peut-être (mais rien n’est moins sûr) par analogie avec l’image d’un cerveau ramolli (cf. le nom de «cervelle de canut » donné par les Lyonnais à une variété de fromage blanc). 43. C'est-à-dire: mieux vaut se contenter d’un maigre pro-
fit. 44, Image traditionnelle du fou. 45. « Comme un geai » dit le texte. Le français moderne n’a pas gardé l’image. 46. « Épervier» et « faucon»: pour le naturaliste, il s’agit
441
évidemment de deux oiseaux différents mais notre auteur emploie indifféremment les deux dénominations. 47. « À Choisy » dit le texte à cause de la rime. L’expression peut également connoter le contentement (voir br. XVII, n. 54). 48. Il s’agit d’une lance courte. 49. Les Romains, déjà, se moquaient des Grecs et de leurs
ruses: pérennité des préjugés!
50. C'est-à-dire de peaux d’écureuils. 51. En Ancien-Français, le mot « vilain » désigne d’abord les
paysans, mais aussi de façon plus générale et avec une intention de mépris, les hommes qui ne sont ni chevaliers ni gens d’Église. Il peut aussi être employé comme injure au sens figuré. 52. Les règles des jeux que pratiquait le Moyen Âge ne nous sont pas toujours connues avec toute la précision souhaitable. Il semble s’agir ici d’une variante — brutale — de la « main chaude ». _
53. Le texte de ce vers, altéré, est incompréhensible.
. 54. Cf. n. 47.
PE ONE ME au | PT ERA EURE
TABLE _ Tome I
Introduction
|
I. Les animaux nés des hommes
XXIV) Les Enfances Renart (br.
II. Les animaux entre eux.
Le vol des poissons (br. III) La pêche à la queue (d°) Ysengrin dans le puits (br. IV) Renart, Tibert et l’andouille (br. XV) Tibert et les deux prêtres (d°) Renart et Chantecler (br. II) .
Renart et la mésange (d°) Renart et Tibert (d°) Renart et Tiécelin (d°) Renart et Hersent (d°)
IL. Les animaux satiriques et parodiques Le jugement de Renart (br. Va) Le siège de Maupertuis (br. Ia)
2
Renart teinturier et jongleur (br. Ib) Renart médecin (br. X)
345 415
Notes
451 Tome II
Renart et Tibert chantent l'office (br. XII)
IV. Les animaux et les hommes + 7 Renart, Brun l’ours et le paysan Liétard (br. IX). Sr
9
95 99
Y. Le monde à l'envers : les animaux dénatu-
444
rés Renart empereur (br. XI) La « mort » de Renart (br. XVII)
22 231 339
Notes
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LA COMPOSITION, L'IMPRESSION ET LE BROCHAGE DE( ONT ÉTÉ EFFECTUÉS PAR FIRMIN-DIDOT SA. Ke POUR LE COMPTE DES ÉDITIONS UGE 412 à ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 29 JUILLET 1981 ‘4 Sr .
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PRE TE _ Dépôt légal : 3°trimestre 1981 Nr d'édition : 1282— N!d'impression : 8801
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Le Paradis perdu s'éloigne. Le monde vieillit et se fige. C'est l’âge de fer. Renart le hors-la-loi, le séditieux, l’'amoureux, le joueur de vielle, le joyeux compère, se fait roi, se fait ermite, se fait cadavre. C’est pour mieux nous tromper, c'est pour mieux nous manger,
enfants que nous sommes. Renart est mort ? Non, Renart est vivant et il règne, hélas!
Gimbert et Renart à cheval chevauchent vers la cour du roi Noble.
Manuscrit (XIV® s.) (photo B.N.) ISBN 2-264-00378-2
Collection dirigée par Christian Bourgois