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French Pages 288 [275] Year 2012
Collection « Une Introduction à » dirigée par Michèle Leduc et Michel Le Bellac
Le nucléaire expliqué par des physiciens Bernard Bonin Préface de Étienne Klein
17, avenue du Hoggar Parc d’activités de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France
Dans la même collection Les atomes froids Erwan Jahier, préface de M. Leduc ISBN : 978-2-7598-0440-5 • 160 pages • 20 € Le laser Fabien Bretenaker et Nicolas Treps, préface de C. H. Townes ISBN : 978-2-7598-0517-4 • 180 pages • 20 € Le monde quantique Michel Le Bellac, préface d’A. Aspect ISBN : 978-2-7598-0443-6 • 232 pages • 25 € Les planètes : les nôtres et les autres Thérèse Encrenaz, préface de J. Lequeux ISBN : 978-2-7598-0444-3 • 192 pages • 22 € Naissance, évolution et mort des étoiles James Lequeux ISBN : 978-2-7598-0638-6 • 162 pages • 20 € Mathématiques des marchés financiers Mathieu Le Bellac et Arnaud Viricel, préface de J.-P. Bouchaud ISBN : 978-2-7598-0690-4 •200 pages •21 €
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Imprimé en France.
© 2012, EDP Sciences, 17, avenue du Hoggar, BP 112, Parc d’activités de Courtabœuf, 91944 Les Ulis Cedex A Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle). Des photocopies payantes peuvent être réalisées avec l’accord de l’éditeur. S’adresser au : Centre français d’exploitation du droit de copie, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris. Tél. : 01 43 26 95 35. ISBN 978-2-7598-0671-3
Docteur en sciences physiques, Bernard Bonin mène de 1979 à 1990, des recherches en physique nucléaire au CEA (Saclay), puis s’oriente vers la physique des accélérateurs et la physique des surfaces. De 1996 à 2000 il dirige un service de recherches et d’études sur les déchets nucléaires à l’Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire. En 2000, il devient adjoint au Directeur de la Recherche et du Développement à la COGEMA, intégré depuis au groupe AREVA. Il est actuellement Directeur Scientifique adjoint du pôle énergie nucléaire du CEA. Il est aussi professeur à l’Institut National des Sciences et Techniques Nucléaires, et membre du comité scientifique de plusieurs instituts de recherche. Il est auditeur de l’Institut des Hautes Études Scientifiques et Techniques, promotion Mandelbrot.
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Remerciements Ce livre est dédié à la mémoire de Paul Bonche, membre fondateur du Cercle d’études sur l’énergie nucléaire et coordonnateur de la première version de ce livre. Paul, nous espérons que tu aurais reconnu et apprécié cette seconde version du livre du CESEN, Le nucléaire expliqué par des physiciens !
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Table des matières
Remerciements
v
Préface
xiii
Avant-propos
LES
1
MÉCANISMES PHYSIQUES DE LA RADIOACTIVITÉ
1 La radioactivité 1.1 La formation des noyaux atomiques . . . . . . . . . 1.2 L’histoire de l’atome, depuis l’idée jusqu’à la chose 1.3 La découverte de la radioactivité . . . . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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RADIOACTIVITÉ DANS L’ENVIRONNEMENT ET LE VIVANT
2 La radioactivité dans l’environnement 2.1 Mesures des rayonnements dans l’air ambiant : la douche cosmique . . 2.2 Un radionucléide cosmogénique : le carbone 14 . . . . . . . . . . . . . . 2.3 Les radionucléides de la croûte terrestre : uranium, thorium, potassium 2.4 Les radionucléides de l’atmosphère : le radon . . . . . . . . . . . . . . . . 2.5 Migration, dilution et reconcentration des radionucléides . . . . . . . . 2.6 Les rayonnements artificiels et l’environnement : les nuages radioactifs des essais nucléaires militaires, et des accidents de Tchernobyl et de Fukushima . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.7 Les transferts de radionucléides entre les différents compartiments de la biosphère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.8 Les rayonnements artificiels et l’environnement : les rejets de centrales
3 3 8 10 14
15 17 18 18 19 20 23
23 24 26
2.9 Les rejets des usines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 3 Les effets des rayonnements sur le vivant 3.1 Comment les rayonnements ionisants atteignent le vivant 3.2 L’ordre de grandeur des doses reçues par le public . . . . . 3.3 Les doses acceptables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4 La toxicité relative de quelques radioéléments . . . . . . . 3.5 La radioactivité, un risque que l’on sait évaluer . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
LES
RÉACTEURS NUCLÉAIRES
:
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CONCEPTION , FILIÈRES, SÛRETÉ
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51
4 Le fonctionnement d’un réacteur nucléaire 4.1 La réaction de fission et les réactions en chaîne 4.2 Le principe des réacteurs nucléaires . . . . . . . 4.3 Flux neutronique et modération . . . . . . . . . 4.4 Stabilité et pilotage d’un réacteur . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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5 Les différentes filières de réacteurs 5.1 Le choix des filières . . . . . . . . . . . . . 5.2 Les réacteurs à eau sous pression (REP) 5.3 Les réacteurs à eau bouillante (REB) . . 5.4 Les réacteurs à eau lourde . . . . . . . . . 5.5 Les réacteurs à neutrons rapides (RNR) Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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6 La sûreté des réacteurs nucléaires 6.1 Le fonctionnement des circuits de refroidissement d’un réacteur 6.2 Les trois barrières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.3 Les circuits auxiliaires de sauvegarde . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.4 Les scénarios d’accident . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.5 La relation homme-machine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.6 La sûreté des réacteurs de troisième génération . . . . . . . . . . 6.7 Comment évaluer la sûreté des centrales nucléaires françaises ? 6.8 Qui contrôle le fonctionnement des centrales nucléaires ? . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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87 88 89 91 92 94 95 96 100 101
viii
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Table des matières
7 Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences : Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima 7.1 Three Mile Island (1979) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.2 Tchernobyl (1986) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.3 Fukushima (2011) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.4 Les leçons tirées des accidents nucléaires . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
LE
CYCLE DU COMBUSTIBLE NUCLÉAIRE
:
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103 103 105 111 120 121
RESSOURCES , TRAITEMENT,
RECYCLAGE , DÉCHETS
123
8 Le « cycle du combustible » nucléaire
125
9 Uranium naturel, uranium enrichi 129 9.1 Extraction et conversion de l’uranium . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129 9.2 Les ressources en uranium . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142 10 Le combustible nucléaire avant et après son passage en réacteur 10.1 L’assemblage de combustible nucléaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10.2 Du combustible neuf au combustible usé : les transformations de la matière nucléaire en réacteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
143 . 143
11 Le traitement-recyclage du combustible nucléaire 11.1 Les opérations de l’aval du cycle du combustible . . . . . . . . . . . . . 11.2 Les flux de matière dans le cycle du combustible (exemple du parc français) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11.3 La gestion industrielle du cycle du combustible . . . . . . . . . . . . . . 11.4 Les transports de matières nucléaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11.5 Bilan du traitement-recyclage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
151 . 151 . . . . .
12 La transmutation 12.1 L’objectif de la transmutation . . . . . . . . . . . . . 12.2 Les éléments à transmuter en priorité . . . . . . . . 12.3 L’utilisation du plutonium dans les REP (le MOX) 12.4 Les problèmes posés par le MOX . . . . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
169 . 169 . 172 . 175 . 176 . 177
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
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. 145 . 149
160 162 166 168 168
ix
13 Les déchets nucléaires 13.1 Volumes et flux de déchets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13.2 Une stratégie et des étapes pour la gestion des déchets . . . . . . 13.3 Conditionnement des déchets : des progrès continus . . . . . . . 13.4 Déchets et effluents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13.5 Procédés de conditionnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13.6 Des conditionnements qui doivent résister à l’épreuve du temps Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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179 . 179 . 181 . 183 . 183 . 184 . 187 . 189
14 Le stockage géologique des déchets nucléaires 14.1 Le concept du stockage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14.2 Le stockage profond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14.3 La première barrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14.4 La barrière ouvragée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14.5 La barrière géologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14.6 Les scénarios d’évolution et l’évaluation de l’impact d’un stockage 14.7 Perspectives pour le stockage des déchets nucléaires . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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LE
191 191 191 195 197 198 199 204 205
207
NUCLÉAIRE DANS LE PANORAMA DES ÉNERGIES
15 Le nucléaire dans le panorama énergétique 209 15.1 L’énergie dans le monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212 15.2 Les réacteurs nucléaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216 16 L’économie du nucléaire 217 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220
LES
221
OPTIONS DU FUTUR
17 Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible 17.1 De l’origine des espèces (de réacteurs). Filières . . . . . . . . . . . 17.2 Le cycle du combustible des systèmes nucléaires du futur : quelques éléments d’orientation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17.3 Plusieurs options possibles pour les réacteurs à neutrons rapides 17.4 De nouveaux critères pour les systèmes nucléaires du futur . . . 17.5 De nouvelles utilisations pour l’énergie nucléaire . . . . . . . . . . 17.6 Quelles recherches pour les systèmes nucléaires du futur ? . . . .
x
223 . . . . 223 . . . . .
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228 232 237 240 241
Table des matières
17.7 Préparer le remplacement des réacteurs actuels par des réacteurs de 3e puis de 4e génération, plus efficaces et plus sûrs . . . . . . . . . . 243 17.8 À encore plus long terme (le siècle) : le cycle du combustible thorium 254 17.9 Un jour peut-être : la fusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255 Glossaire-index
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
257
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Préface Chacun peut observer que dans nos sociétés souvent dites « postmodernes », dès qu’il est question de sciences ou de technologies, la cacophonie règne : toutes sortes d’arguments empruntés à de multiples sources s’entremêlent, s’opposent, se radicalisent. Les objets techniques se trouvent ainsi soumis à une polarisation affective de plus en plus intense alors même qu’ils deviennent de plus en plus opaques pour les mortels communs que nous sommes tous. Tout se passe comme si, par un « effet de halo » 1 , ils rayonnaient autour d’eux une lumière symbolique dépassant leur réalité propre, au point que nul d’entre nous ne peut plus prétendre qu’il les perçoit tels qu’ils sont vraiment. Difficile, dans un tel contexte, de trouver les moyens qui évitent de succomber aussi bien aux facilités de la techno-phobie qu’aux séductions de la propagande opiacée. Difficile surtout de diffuser des connaissances scientifiques, car les messages que l’on transmet ne sont pas des sortes de cours magistraux que l’on donnerait dans une salle de classe où il y aurait les bons élèves et les cancres : ce sont plutôt des armes distribuées sur une sorte de champ de bataille. C’est sans doute la question générale du nucléaire qui, il y a plusieurs décennies, a installé ce type de situation, du fait qu’elle entremêlait l’idée d’une révolution scientifique majeure, celle d’une ressource énergétique considérable et aussi celle d’une formidable puissance de mort. Tout récemment, vingt-cinq ans après celui de Tchernobyl, l’accident de Fukushima est venu poser la question de savoir s’il faut poursuivre ou non une politique nucléaire dans le domaine de l’énergie. Le débat qui s’est ainsi ouvert est crucial. Dire qu’il n’est pas simple relève de la litote. Pour l’aborder et y participer dans de bonnes conditions, mieux vaut être au fait de ce en quoi consiste le nucléaire civil, depuis l’amont jusqu’à l’aval du cycle. D’où cet ouvrage pédagogique écrit par des physiciens, dont le seul but est d’expliquer ce que sont la radioactivité en général et la fission nucléaire en particulier, de présenter les différents types de réacteurs, actuels ou à venir, et d’éclairer certaines questions 1
Gilbert Simondon, L’Imagination et l’invention, (1965-1966), Chatou, Les Éditions La Transparence, 2008, p. 234.
obligatoires qui se posent à notre génération : Que faire des déchets ? Peut-on concevoir un nucléaire plus sûr, plus sobre, plus propre ? Lecture faite, chacun pourra ensuite se déterminer et prendre part au débat général sur l’énergie, en meilleure connaissance de cause.
Étienne KLEIN
Étienne KLEIN est directeur de recherches au CEA et docteur en philosophie des sciences. Il dirige actuellement le Laboratoire de Recherche sur les Sciences de la Matière du CEA (LARSIM). Il a publié de nombreux ouvrages aux Editions Flammarion.
xiv
Préface
Avant-propos L’ambition de ce livre est de donner à un large public les clés pour comprendre les données et les enjeux de l’énergie nucléaire, à un moment où l’avenir de cette énergie fait l’objet d’un débat de société majeur. Or, nous constatons que les arguments du débat actuel dérivent dangereusement vers l’irrationnel. Il est indispensable de revenir à la raison et à la science. L’esprit dans lequel le livre a été écrit est celui de l’objectivité scientifique, autant que faire se peut dans un domaine aussi controversé. Les auteurs sont des physiciens du Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives. Souvent spécialistes de domaines scientifiques pointus, ils ont souhaité acquérir une vue d’ensemble sur le nucléaire, d’abord pour eux-mêmes, ensuite pour les autres quand ils ont réalisé que leur effort de compréhension pouvait être utile à un public plus large. Leur premier livre « Le nucléaire expliqué par des physiciens » ayant eu un certain succès il y a dix ans, ils en entreprennent aujourd’hui une nouvelle édition réactualisée, sous le même titre. Pour se former une opinion sur les enjeux et les problèmes associés à l’utilisation du nucléaire, il est indispensable de connaître les phénomènes physiques sousjacents. Au fil des chapitres, nous verrons les noyaux atomiques se former dans les étoiles, nous mesurerons dans notre environnement ceux qui sont encore radioactifs et le rayonnement qu’ils produisent, anodin ou non suivant la dose ou l’exposition. Enfin nous verrons comment l’Homme a domestiqué cette source nouvelle d’énergie, pour le meilleur et pour le pire, selon son habitude immémoriale. En ce qui concerne le nucléaire civil et plus particulièrement la production d’électricité, l’examen des principes de fonctionnement d’un réacteur selon les diverses filières nous permettra d’aborder la question fondamentale de la sûreté : quels sont les accidents possibles, quelles en sont les conséquences et comment les éviter ? Le nucléaire civil a eu sa pierre noire : Tchernobyl, une catastrophe industrielle majeure au point que le nom même en est devenu synonyme pour beaucoup. Nous verrons les leçons qui en ont été tirées. Beaucoup reste à apprendre de l’accident japonais de Fukushima, tant pour la sûreté des réacteurs eux-mêmes que pour la sécurité des populations.
Un réacteur nucléaire n’est pas une entité isolée dans l’environnement, il fait partie d’un cycle qui l’alimente en combustible et prend en charge le combustible usé. De l’analyse de ce cycle ressortent deux nouvelles questions, qui ne sont d’ailleurs pas propres au nucléaire : « comment consommons-nous les ressources naturelles ? » et « que faisons-nous des déchets ? ». Ces deux questions peuvent être rassemblées dans une troisième : « peut-on rendre le nucléaire durable ? ». Le développement du nucléaire se heurte à la question des ressources naturelles en atomes fissiles. Celles-ci sont rapidement épuisables si l’on en reste à la technologie des réacteurs actuels. À cette préoccupation répondent deux possibilités : soit la filière des réacteurs à neutrons rapides où l’on brûle non seulement l’uranium 235 mais l’uranium 238 (140 fois plus abondant dans la nature soit quelques confortables millénaires de ressources), soit le développement d’une filière au thorium dans un futur plus lointain, avec là encore quelques millénaires de ressources. Le développement industriel de ces filières constituerait de véritables ruptures technologiques. Du côté des déchets, la problématique est double là encore : choix de retraiter ou non le combustible usé et devenir des déchets ultimes. Le retraitement, option choisie en France, permet d’économiser les ressources en recyclant des noyaux fissiles, tout en réduisant la radiotoxicité des déchets finaux. Cependant, la constitution de stocks de plutonium est un risque de cette approche. En ce qui concerne les déchets à vie longue, plusieurs voies de recherche sont ouvertes sans qu’aucune d’elles ne s’impose aujourd’hui : transmutation, entreposage, stockage ; aucune décision ne doit être prise avant le terme du moratoire imposé par voie législative. Quel avenir pour le nucléaire ? Les préoccupations croissantes liées au changement climatique donnent des atouts aux énergies qui produisent peu de gaz à effet de serre, comme les énergies renouvelables et le nucléaire. L’augmentation du prix des hydrocarbures renforce la compétitivité économique du nucléaire, malgré un surcoût probable induit par des normes de sécurité renforcées. En outre, les besoins en énergie dans le monde croissent rapidement, sous les effets conjugués de l’augmentation de la population mondiale et du développement accéléré de pays très peuplés comme le Brésil, la Chine et l’Inde. Ces pays annoncent leur intention de développer toutes les énergies, nucléaire compris. Jusqu’en mars 2011, ces facteurs conjugués créaient des conditions favorables à une « renaissance » du nucléaire. Depuis, l’accident de Fukushima a rappelé que le nucléaire n’était pas sans risque, ce qui a contribué à raviver l’opposition au nucléaire. Malgré l’accident, de nombreux pays, dont le Royaume-Uni, ont réaffirmé leurs plans de développement de cette énergie ; plusieurs autres, dont l’Allemagne, ont annoncé au contraire leur intention de sortir du nucléaire via des importations massives d’énergie, et un recours accru au charbon et aux énergies renouvelables.
xvi
Avant-propos
Dans ce contexte, le débat sur l’énergie en général et sur le nucléaire en particulier devient un véritable enjeu politique en Europe. Voilà où nous en sommes en 2012. Peut-on concevoir un nucléaire plus sûr, plus sobre, plus propre ? Le paysage est extrêmement riche et varié. Allant de la simple adaptation d’équipements existants au développement de nouveaux concepts de réacteur, les idées existent : optimisation différente du spectre de neutron, nouvelles filières de combustible. . . Le parcours du lecteur sera parfois une simple promenade, parfois une escalade plus difficile, mais le jeu en vaut la chandelle, tant pour son information que pour mesurer l’enjeu des décisions à prendre au sujet du nucléaire dans les décennies à venir. Celles-ci seront lourdes de conséquences pour nos enfants et les générations futures : déchets maîtrisés ou à maîtriser, répercussions dramatiques ou non sur le climat (effet de serre), ressources énergétiques fossiles épuisées en quelques générations. . . Quel jugement nos arrière-petits-enfants porteraient-ils sur nous si nous leur laissions un monde plus difficile à vivre, avec l’une ou l’autre de nos ressources actuelles épuisée ? Devront-ils apprendre dans un manuel scolaire ce qu’étaient le pétrole, le gaz naturel ou l’uranium ? Et aussi ce qu’était le monde avant les dérèglements climatiques produits par nos rejets inconsidérés de CO2 dans l’atmosphère ? Le débat est crucial. Nous sommes la première génération confrontée à de tels choix, dont les répercussions dépassent les frontières d’un pays et pèseront longtemps sur nos descendants. Qu’il s’agisse de continuer le nucléaire, d’y renoncer ou de l’amplifier, nous avons besoin pour choisir de voir loin dans l’espace et dans le temps – dans l’espace : à l’échelle planétaire, au-delà d’un provincialisme étroit ; dans le temps : à l’échelle du siècle sinon plus, de toute façon au-delà d’un mandat, électoral ou autre. Plus que jamais, à une époque où les relations entre science et société se tendent, il nous faut des décideurs éclairés et des citoyens bien informés. En alimentant le débat, les auteurs de ce livre espèrent avoir été utiles, mais soyons honnêtes : cet ouvrage ne suffira pas pour se forger une opinion de citoyen. Il faudra faire le même travail pour les autres énergies, puis comparer, mesurer à l’aune du bien commun les avantages et inconvénients de chacune, avant de donner un avis éclairé sur les énergies à développer pour notre société. Bernard B ONIN
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
xvii
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1 La radioactivité Étienne KLEIN
Nous autres les humains ne cohabitons consciemment avec la radioactivité que depuis un peu plus d’un siècle. Mais en tant que phénomène physique, elle n’est pas une affaire aussi récente. Elle a en effet fait ses premiers pas dans l’univers primordial, il y a 13,7 milliards d’années. . . En quoi consiste-t-elle ? Comment estelle apparue ? Dans ce chapitre, nous nous proposons de raconter l’histoire de la formation des noyaux atomiques, appelée « nucléosynthèse », puis nous évoquerons la découverte de l’atome, et ensuite celle de la radioactivité proprement dite.
1
La formation des noyaux atomiques
Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les physiciens nucléaires sont parvenus à comprendre de façon très détaillée comment les noyaux∗ d’atomes se sont formés au cours de l’histoire cosmique. Ce grand récit, qui mène depuis l’univers primordial jusqu’aux entités qui constituent la matière d’aujourd’hui, n’est pas une morne friche où pâtureraient des dates. Il apparaît au contraire plein de chocs, d’explosions, de rebondissements, de jaillissements. Lorsque sa température était d’environ un milliard de degrés et la densité comparable à celle de l’air ambiant, l’univers était une sorte de grand chaudron cosmique, capable d’engendrer des bribes d’édifices matériels, mais se refroidissant au rythme de son expansion. Il y avait là les protons∗ , mais aussi les neutrons∗ , les électrons∗ et les photons∗ , tous très agités, filant dans tous les sens et se percutant régulièrement.
Les photons, dont l’énergie était jusque-là suffisante pour briser systématiquement l’union d’un proton avec un neutron, finirent par devenir trop mous pour y arriver : les noyaux de deutérium, assemblages d’un proton et d’un neutron, commencèrent donc à se former. Dès leur apparition, ces noyaux de deutérium purent fusionner par paires, ou bien capturer à leur tour un proton, et ainsi former des noyaux d’hélium. Les mariages de cette sorte allèrent alors bon train, mais ils n’étaient pas systématiques. Certains protons n’eurent pas l’occasion de rencontrer des partenaires stables. Ils restèrent donc célibataires. Plus tard, ils servirent de noyaux à l’hydrogène, l’élément chimique le plus léger. Les mariages n’étaient pas non plus toujours durables. Il y avait des passades, voire de simples rencontres sans suite : des noyaux étaient formés qui ne survivaient que pendant des durées extrêmement courtes. Très rapidement, victimes de leur instabilité, ils enclenchaient une procédure de séparation. Ils se scindaient en d’autres noyaux plus légers en émettant un rayonnement caractéristique. En clair, ils étaient « radioactifs∗ ». Mais pourquoi tant d’unions nucléaires furent-elles éphémères ? Un noyau d’atome est constitué de protons et de neutrons agglutinés. Qu’est-ce qui les tient ensemble ? Une force bien sûr, une force attractive très intense, mais de portée très courte (de l’ordre du fermi, soit 10−15 mètre). Cette force s’appelle l’interaction nucléaire forte. Elle agit comme une sorte de glu qui colle deux nucléons (proton ou neutron, peu importe pour elle) en contact l’un avec l’autre, mais dont la force s’affaiblit très rapidement dès qu’on les écarte un tant soit peu l’un de l’autre. Comme son nom l’indique, elle est incroyablement puissante. Elle est par exemple capable d’arrêter, sur quelques millionièmes de milliardième de mètres, un proton lancé à cent mille kilomètres par seconde. . . Mais une autre force, antagoniste de la force nucléaire, agit également au sein des noyaux. C’est la répulsion électrique qui tend à repousser deux particules dont les charges électriques sont de même signe. Les protons sont chargés positivement. Ils se repoussent donc les uns les autres. En revanche, les neutrons, qui sont électriquement neutres, ne subissent pas la force électrique. Quand les noyaux se sont formés, au tout début de l’univers, l’agitation des nucléons était telle que des kyrielles d’assemblages très divers ont pu facilement se former. Mais tous n’étaient pas également stables. Deux cas de figure pouvaient se rencontrer : – premier cas : le nombre de protons et de neutrons dans l’assemblage était tel que la force nucléaire forte et la répulsion électrique se compensaient exactement ; le noyau ainsi formé était alors stable et allait le rester ; – second cas : le noyau formé n’était pas stable au sens propre du terme, mais il se maintenait pendant une durée limitée avant de se désintégrer pour former un ou plusieurs autres noyaux plus légers avec émission de rayonnement. Ce temps dépendait du déséquilibre entre les deux forces : plus celui-ci était important et plus la durée de vie du noyau était faible.
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Au bout de trois minutes de ce petit jeu de chocs, de mariages et de ruptures, on pouvait trouver dans l’univers des noyaux d’hydrogène et de deutérium, des noyaux d’hélium 4 et d’infimes traces d’hélium 3, et également du lithium 7 et du béryllium 7. Mais rien d’autre : il n’y avait ni carbone, ni oxygène, ni noyaux lourds. L’ascension vers la complexité s’était soudainement bloquée. Il y avait une explication à cela : après quelques minutes, l’univers était déjà tellement dilué par son expansion que les particules (noyaux ou nucléons), trop éloignées les unes des autres, n’avaient plus la possibilité de se rencontrer et de former des noyaux plus gros. Plus de rencontres, plus de mariages, donc arrêt des réactions nucléaires. Mais les choses n’en sont pas restées là. Car bien plus tard, en mettant en route les étoiles, l’univers a permis la formation des éléments plus lourds. Laissons s’écouler un milliard d’années pendant lesquelles il ne s’est presque rien passé en matière de nucléosynthèse. Seul événement capital : la gravité a fait germer des semences de galaxies. Des nuages gazeux d’hydrogène et d’hélium, des centaines de milliards de fois plus massifs que le Soleil, s’effondrent alors sous l’effet de leur propre poids et se fractionnent en des centaines de milliards de petits nuages gazeux dont la masse varie d’un dixième jusqu’à une centaine de fois la masse du Soleil. Par effet de gravité, ces nuages s’effondrent à leur tour, transformant ainsi l’énergie gravitationnelle en chaleur. La densité dans leur cœur augmente furieusement et la température atteint bientôt une dizaine de millions de degrés. Au cœur de ces grosses boules gazeuses, les noyaux d’hydrogène s’entrechoquent, donnant lieu à des réactions de fusion nucléaire qui libèrent de l’énergie sous forme de divers rayonnements. Les boules gazeuses cessent alors de se contracter, leur volume se stabilise : c’est la naissance des premières étoiles, qui vont fabriquer les éléments plus lourds que l’hélium ou le béryllium. Mais comment les étoiles fonctionnent-elles ? Une étoile est une sphère de gaz chaud dont la cohésion résulte de l’attraction gravitationnelle, qui tend à rapprocher le plus possible ses particules les unes des autres. Elle ne s’effondre pas sur elle-même, car partout la pression du gaz joue contre l’action de la gravité. Pour que cet équilibre soit stable, il faut que la pression augmente régulièrement avec la profondeur, de sorte que chaque couche soit en équilibre entre une couche plus comprimée et une autre qui l’est moins. Comme un gaz comprimé s’échauffe, la matière stellaire est d’autant plus chaude qu’elle est profonde, et donc que sa pression est grande. Ce déséquilibre des températures entre le cœur et la surface engendre un transfert d’énergie qui prélève l’excès d’énergie thermique des régions chaudes centrales pour le céder aux régions moins chaudes de surface. En surface, ce flux d’énergie s’échappe, puis se dilue sous forme de rayonnement : l’étoile peut briller de façon continue. Prenons l’exemple d’une étoile vingt-cinq fois plus massive que le Soleil (seules les étoiles dont la masse est supérieure à dix fois celle du Soleil ont le cœur assez
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chaud pour mener à son terme la fabrication des éléments lourds). L’étoile épuise progressivement sa réserve d’hydrogène dans son cœur en la convertissant en hélium. Elle ne lésine pas sur les quantités : à chaque seconde, elle convertit ainsi plusieurs milliards de tonnes de protons. Au bout de sept millions d’années, tout le carburant d’hydrogène est consommé. Les réactions nucléaires ne venant plus compenser les pertes par rayonnement, l’étoile doit puiser dans son énergie potentielle gravitationnelle : elle se contracte donc. Sa température monte jusqu’à une centaine de millions de degrés. Là, les noyaux d’hélium produits par la combustion de l’hydrogène se groupent par paquets de trois pour former des noyaux de carbone 12, ceux-là mêmes que l’on trouve aujourd’hui dans les arbres, les vaches, les pages des livres et jusque dans nos propres corps. Grâce aux étoiles, l’univers échappait ainsi à la stérilité. Son cheminement vers la complexité pouvait reprendre en s’accélérant. La combustion de l’hélium en carbone ne va durer que cinq cents mille ans. À la fin de cette époque, le cœur de l’étoile se contracte à nouveau pour résister à la gravité. La température atteint cinq cents millions de degrés. La combustion du carbone peut commencer. Naissent alors l’oxygène, le néon, le phosphore et le soufre ou encore le silicium. La même séquence d’événements va se répéter plusieurs fois : lorsqu’un combustible s’épuise, le cœur de l’étoile se contracte, devient plus dense et plus chaud. Un nouveau combustible, plus lourd que le précédent, se consume, engendrant de nouveaux éléments, et ainsi de suite. Les événements vont en s’accélérant, les cycles prennent de moins en moins de temps. L’étoile produit ses fournées en augmentant la cadence. La combustion du carbone dure six cents ans, celle du néon un an, celle de l’oxygène six mois et tout le silicium brûle en une journée. Plus d’une vingtaine de nouveaux éléments chimiques voient le jour en cinq cents mille ans. L’étoile poursuit ainsi son évolution jusqu’à l’apparition du fer 56, formé de 26 protons et de 30 neutrons. Là, les choses se compliquent, car le fer 56, qui est celui dans lequel les nucléons sont le plus liés, ne se combine avec d’autres noyaux que si on lui fournit de l’énergie. L’énergie nécessaire à la combustion du fer n’étant pas disponible, les réactions nucléaires s’arrêtent faute de combustible. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Pour faire sortir les produits de cuisson de l’intérieur d’une étoile, la nature n’y va pas avec le dos de la cuiller : elle fait carrément exploser l’étoile. Au terme des réactions nucléaires, le cœur de l’étoile s’effondre. Son rayon passe en l’espace de quelques secondes d’un rayon de mille kilomètres à quelques dizaines de kilomètres. Si l’on se représente une étoile comme une bulle de chewing-gum, cette phase cataclysmique correspond à la contraction brutale et sonore de ladite bulle. Cette fois la température est si forte que les photons peuvent briser une partie des noyaux de fer. La perte de l’énergie lumineuse ainsi utilisée diminue la pression centrale et précipite l’effondrement du cœur, attisé par la capture des électrons par les noyaux
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qui transforme les protons en neutrons. Ces réactions nucléaires s’accompagnent de l’émission de neutrinos, qui emportent la phénoménale énergie gravitationnelle dégagée par la contraction. Le cœur de l’étoile, désormais constitué de neutrons, se réduit à une petite sphère d’une dizaine de kilomètres de diamètre, sur la surface de laquelle le reste de l’étoile en effondrement vient s’écraser. La compression qui en résulte produit une onde de choc qui remonte au travers des couches externes de l’étoile. Son passage chauffe la matière à des températures supérieures au milliard de degrés, les réactions nucléaires s’emballent, produisent des éléments lourds, notamment du nickel et du cobalt. Quand l’onde de choc atteint la surface, la température s’élève brutalement et l’étoile entière explose, éjectant les éléments qui la composent à des vitesses pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers de kilomètres par seconde. Cet événement, appelé « supernova de type II », marque la mort d’une étoile massive. Ses lambeaux fertilisés en éléments chimiques, parmi lesquels l’uranium ou le thorium, se dispersent, colonisent l’espace. Certains des atomes ainsi créés se retrouvent dans nos propres corps. Nous sommes donc les fruits vivants des étoiles, qui sont elles-mêmes « le fruit doré d’un arbre hors d’atteinte » (George Eliot). Encadré 1.1. Qu’est-ce qu’un isotope ?
Tout noyau atomique est constitué de nucléons, c’est-à-dire de protons, chargés positivement, et de neutrons, de charge électrique nulle. Le nombre de protons dans un noyau s’appelle le numéro atomique et est en général noté Z. Quant au nombre de neutrons, il est désigné par N. La somme Z + N, appelée nombre de masse et notée A, représente donc le nombre total de nucléons contenus au sein d’un noyau. Dans l’atome, électriquement neutre par nature, le nombre d’électrons autour du noyau est égal à celui des protons dans le noyau, c’est-à-dire au numéro atomique Z. Ce dernier doit son importance particulière au fait que tous les atomes contenant un même nombre de protons (de même Z) possèdent les mêmes propriétés chimiques. Ils constituent ce qu’on appelle un élément chimique. L’élément hydrogène correspond ainsi aux atomes contenant un seul proton, le soufre à ceux qui en contiennent 16, l’uranium à ceux qui en contiennent 92. Chaque élément chimique, dûment étiqueté par son numéro atomique, peut ainsi avoir sa place réservée dans le tableau périodique des éléments. Mais tous les atomes correspondant à un même élément chimique (même Z) ne contiennent pas nécessairement le même nombre total de nucléons. C’est précisément cette largesse qui permet l’existence des isotopes∗ . Prenons à nouveau l’exemple de l’hydrogène, constitué d’atomes ayant un seul proton. Ils peuvent contenir 0, 1 ou 2 neutrons. Puisqu’ils partagent la même place dans la classification périodique des éléments (celle correspondant au numéro atomique égal à l’unité), on dit qu’ils sont les isotopes de l’hydrogène (du grec isos, qui veut dire « même », et topos, qui signifie « lieu »). Si les isotopes d’un même élément donnent lieu aux mêmes réactions chimiques, c’est parce que celles-ci ne concernent que le cortège formé par les électrons, qui est pratiquement identique pour tous les atomes de même numéro atomique. Mais, n’ayant pas le même
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nombre de neutrons, ils n’ont pas tous la même masse, ni surtout les mêmes propriétés nucléaires. Certains peuvent être radioactifs, d’autres non. Lorsque l’on parle d’un noyau, il est donc essentiel de préciser son nom. La dénomination courante consiste à faire suivre son nom chimique, par exemple le carbone, du nombre total de nucléons A de son noyau : carbone 12 (6 protons, 6 neutrons), noté 12 C, carbone 14 (6 protons, 8 neutrons), noté 14 C. Le carbone 12 est stable et le carbone 14 est radioactif.
L’histoire de l’atome, depuis l’idée jusqu’à la chose
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L’idée d’atome a mis du temps pour s’imposer. Au cours de l’Antiquité grecque, Démocrite, Épicure et, plus tard, Lucrèce firent l’hypothèse que la matière ne pouvait être divisée à l’infini. Tout processus de division des corps, expliquaient-ils, doit avoir un terme. Cette limite au-delà de laquelle plus aucune coupure n’est possible, ils l’appelèrent l’atome. L’atome, selon l’étymologie grecque, c’est en effet l’élément insécable, indivisible (a-tomos), celui qui ne peut être morcelé en objets plus petits que lui-même, même par la pensée. Selon la conception de ces brillants pionniers, les atomes étaient en nombre illimité et séparés les uns des autres par du vide. Ces petits êtres invisibles, supposés éternels, indestructibles et pleins, ne cessaient de se mouvoir. Ils étaient en quelque sorte infatigables : aucun repos ne leur était d’ailleurs accordé. Leur inlassable agitation était source de toute chose. De la même façon que les mots se composent de lettres, les atomes formaient, par leurs chocs mutuels, les divers agrégats matériels observables. Tous les édifices qu’ils composaient, vivants ou non, étaient voués à se décomposer, à se désagréger, finalement à disparaître. Mais – point capital – rien ne pouvait altérer ou modifier la nature des atomes eux-mêmes. Présents depuis toujours, ceux-ci n’avaient pas d’âge et pas d’histoire. Inaltérables, ils ne s’érodaient d’aucune façon. Refuges de l’éternité, ils ne mouraient jamais, comme à l’abri du temps et de ses raclures. Cette thèse atomiste n’a pas immédiatement convaincu. Pour s’en moquer, certains philosophes du XXe siècle l’appelèrent la « doctrine des chosettes » ou la « métaphysique de la poussière ». Lui furent longtemps préférées les conceptions opposées du grand Aristote et de ses zélotes qui défendaient l’idée que la matière était continue, c’est-à-dire indéfiniment divisible, et donc que les atomes ne pouvaient exister (étymologiquement, un atome qu’on peut diviser n’est plus un atome). Entre ceux qui croyaient à l’atome et ceux qui n’y croyaient pas, l’affrontement fut rude, ponctué toutefois de hautes envolées philosophiques. Mais la bataille fut assez rapidement tranchée. L’atome fut disqualifié par toutes sortes d’arguments, notamment parce que le vide dans lequel ils étaient censés se déplacer ne devait pas pouvoir exister.
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Ce qui a définitivement convaincu les physiciens de l’existence bien réelle des atomes, c’est une expérience menée au tout début du XXe siècle, concernant un phénomène en apparence insignifiant, le mouvement brownien. C’est ainsi qu’on qualifie le mouvement de nombreuses particules qui s’agitent dans un fluide de façon aléatoire. Versant des grains de pollen, qui sont minuscules, dans une goutte d’eau, on observe au microscope que ces grains décrivent des trajectoires folles, apparemment guidées par le seul hasard. Mais en fait, la dynamique de ces grains obéit à une loi : ni leur vitesse ni leur direction ne sont de purs caprices. Elles reflètent d’autres mouvements qui se produisent au sein même de l’eau. Les grains de pollen sont comme des bouées visibles révélant le mouvement des vagues qui, lui, demeure invisible. Ce mouvement caché et désordonné n’est autre que celui des molécules d’eau qui heurtent en tous sens les grains de pollen, les obligeant sans cesse à changer de direction. La réalité des molécules, et donc des atomes, encore contestée au tout début du XXe siècle, sembla ainsi démontrée, aux alentours de 1906, grâce aux mesures faites par Jean Perrin. La vision de l’atome était alors à peu près conforme au discours des Anciens, celle d’entités élémentaires indivisibles. Mais c’était un peu trop naïf, comme on s’en aperçut bien vite. En 1908, Ernest Rutherford, aidé par son collègue Hans Geiger, fit fonctionner le premier compteur permettant de détecter les particules α∗ une à une. Grâce à cet appareil (l’ancêtre des compteurs Geiger), il parvint à identifier la nature de ces particules, jusque-là inconnue : « les particules α, écrit-il, sont des atomes d’hélium, ou, pour être plus précis, une fois qu’elles ont perdu leur charge électrique positive, elles deviennent des atomes d’hélium. » Celui qu’on surnomme « l’Aigle de Manchester » a alors l’étrange idée de bombarder de minces feuilles métalliques, d’or ou d’aluminium, avec des particules α. Il observe que l’image que les particules forment sur un écran disposé derrière les feuilles devient floue, comme si certaines particules avaient été déviées lors de leur passage au travers des feuilles. D’où pouvaient provenir ces déviations ? Étaient-elles l’effet cumulatif de multiples petites déviations s’ajoutant les unes aux autres, ou résultaient-elles d’une déviation unique ? Intrigué, Rutherford demande à l’un de ses étudiants, Ernst Mardsen, de regarder si quelques particules ne seraient pas déviées avec de très grands angles. Ô surprise ! Mardsen constate qu’une sur dix mille environ rebondit sur la feuille métallique et que certaines font même carrément demi-tour ! Stupéfait – a-t-on jamais vu une balle de fusil rebondir sur une feuille de papier ? –, Rutherford réfléchit longuement et arrive, au début de l’année 1911, à une conclusion qu’il juge inéluctable : pour qu’une particule α revienne en arrière, il faut qu’elle subisse une très grande poussée de la part d’un objet suffisamment massif, et cela au cours d’un choc unique, car il est impossible de comprendre le phénomène
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par l’addition de plusieurs petites déviations (dans ce cas, le nombre de particules déviées vers l’arrière serait beaucoup plus faible que celui mesuré). Rutherford comprend en somme qu’il existe des points durs, beaucoup plus petits que les atomes, tapis au sein même de la matière. L’atome ne peut donc être qu’un édifice composite, constitué d’une part d’un noyau très dense et d’autre part d’électrons qui s’agitent autour de lui. Rutherford comprend en outre que les noyaux des atomes portent tous une charge électrique positive. Dès lors, les résultats de son expérience deviennent simplement interprétables : les noyaux présents dans la feuille métallique repoussent rageusement les particules chargées positivement qui passent trop près d’eux, mais laissent tranquilles celles qui passent « au loin ». Comme les particules sont beaucoup plus petites que la distance qui sépare deux noyaux, la plupart des particules traversent l’obstacle quasiment sans encombre, mais un petit nombre d’entre elles « tombent » sur un noyau et ricochent violemment sur lui. L’atome étant constitué d’un noyau et d’électrons, il n’est ni élémentaire ni indivisible, contrairement à ce que pensaient les philosophes grecs. Après vingt-cinq siècles d’attente, grâce à Rutherford, il a donc fini par s’émanciper de son étymologie. Sans vouloir trop nuancer leur immense mérite, ajoutons que nos brillants Anciens s’étaient également trompés à propos de la longévité des atomes. Les premiers atomistes la croyaient infinie. En fait, les atomes ne sont pas éternels. Ils n’étaient pas là au tout début de l’univers, ils ont donc eu une genèse. Comme nous l’avons vu, on sait aujourd’hui qu’ils ont un âge et une histoire. La plupart d’entre eux ont été fabriqués dans les étoiles grâce au jeu compliqué des forces nucléaires. Bref, l’atome, le vrai, n’a presque rien en commun avec la conception ancienne, si ce n’est le nom, qui lui-même est impropre. L’idée des premiers atomistes était globalement bonne, géniale même, mais tout à fait fausse dans les détails. Du coup, la définition de l’atome a dû être changée. On le définit aujourd’hui comme le terme ultime de la division de la matière dans lequel les éléments chimiques conservent leur individualité. 3
La découverte de la radioactivité
Les atomes ne sont pas éternels, nous venons de le dire. Certains d’entre eux, les atomes radioactifs, ne sont même pas immortels. Ils sont irrémédiablement voués à se transformer. La radioactivité fut découverte à Paris au début de l’année 1896. Un physicien français, Henri Becquerel, cherchait à savoir si la fluorescence (aussi appelée phosphorescence) de certains corps s’accompagnait d’une émission de rayons X, ces rayons invisibles à l’œil et capables de traverser des épaisseurs importantes de matière, dont l’existence venait d’être révélée en Allemagne par Wilhelm Röntgen. Henri Becquerel, lui, s’intéressait depuis longtemps à la phosphorescence, ce phénomène par lequel certains corps qu’on a éclairés se mettent à émettre de la lumière
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pendant une durée plus ou moins longue. Reprenant une suggestion de son ami Henri Poincaré, il se demanda si certains corps phosphorescents n’émettaient pas, en plus de leur lumière habituelle, quelques-uns de ces fameux rayons X. La phosphorescence et l’émission de rayons X étaient peut-être des phénomènes associés ? Pour en avoir le cœur net, il prit un sel phosphorescent dans lequel se trouvaient des composés de potassium et d’uranium, le plaça sur une plaque photographique enveloppée de deux feuilles de papier noir bien épais, puis exposa le tout au Soleil pendant plusieurs heures. C’était le 24 février 1896. Il développa la plaque et reconnut, en noir sur le cliché, la silhouette de la substance phosphorescente. Une partie des rayons émis par le sel avait bien traversé les feuilles de papier noir et impressionné la plaque photographique ! Peut-être s’agissait-il bel et bien de rayons X ? Pourtant, le vrai coup de théâtre n’était pas là. Le 1er mars, après quelques jours de ciel couvert sur Paris, le même noircissement de la plaque photographique fut observé par Becquerel, qui eut le génie de la développer bien que le sel phosphorescent n’eut pas été exposé au Soleil. Les rayonnements invisibles étaient donc émis même sans excitation lumineuse préalable. . . ! S’il s’agissait de phosphorescence, celle-ci n’avait donc vraiment rien à voir avec la phosphorescence ordinaire. Par la suite, Becquerel constata avec stupeur que l’intensité des rayonnements invisibles ne semblait pas diminuer au cours du temps. Le 18 mai, il découvrit que des sels d’uranium non phosphorescents émettent également ces rayonnements. Il fit le pari que cet effet était dû à la seule présence de l’élément uranium dans ces sels, et donc que le métal donnerait des effets plus intenses que ses composés. L’expérience confirma cette prévision. C’était la matière elle-même qui était à l’origine de ces curieux rayons ! Le Soleil n’avait rien à voir dans cette affaire, ni aucune autre cause extérieure. Il ne s’agissait donc pas de phosphorescence, mais d’un phénomène spontané. . . ! En 1898, une toute jeune femme venue de Pologne, Marie Curie, commença un travail de thèse de doctorat sur les rayons émis par l’uranium. Elle croyait fermement en l’existence de l’atome, contrairement à beaucoup de physiciens français qui ne voyaient encore en lui qu’une hypothèse inutile, qu’une billevesée non prouvée par l’observation directe. Elle découvrit rapidement que les minéraux contenant de l’uranium, telle la pechblende, émettaient encore plus de rayonnements que l’uranium lui-même. Elle en déduisit que ces substances contenaient, en très petite quantité, un élément beaucoup plus actif que l’uranium. Avec l’aide de son mari, elle parvint à isoler l’élément radioactif encore inconnu, le radium, et à en déterminer les propriétés. Ce fut à cette occasion que Marie Curie inventa le mot radioactivité. À masse égale, le radium émet 1,4 million de fois plus de rayonnements que l’uranium. La découverte de la radioactivité fut pour les physiciens un formidable coup de théâtre. Jusqu’alors, ils s’étaient persuadés que la matière était stable et immuable, et que les atomes, s’ils existaient, étaient nécessairement immortels. Ils comprirent
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brutalement que cela n’était pas toujours vrai. Certains atomes se transmutent spontanément, c’est-à-dire se transforment en d’autres atomes au bout d’un certain temps en émettant des rayonnements. Ces atomes-là ont donc non seulement un âge, mais aussi une fin. Pour eux, du temps passe, qui les porte irrémédiablement à disparaître, du moins à se transformer en d’autres atomes plus légers. Les rayonnements issus de la radioactivité ne nous sont pas directement perceptibles. C’est leur côté sournois. Ils sont invisibles, inaudibles, inodores et donc difficiles à étudier de façon directe. Pourtant, très vite, grâce à de petits montages expérimentaux, on a constaté que certains des rayonnements émis par les atomes radioactifs sont très facilement absorbés par la matière. Ce sont les rayons α. D’autres, plus pénétrants, sont facilement déviés par un champ magnétique. Ce sont les rayons β ∗ . Un peu plus tard, on a découvert qu’il y avait également des rayonnements très pénétrants, impossibles à dévier par un champ magnétique. Ce sont les rayons γ∗ . Les choses devinrent plus limpides lorsqu’on comprit, dans les années 1930, que tout noyau d’atome est composé de protons et de neutrons très fortement soudés les uns aux autres par la force nucléaire. Prenons le cas de la radioactivité α. Elle correspond à l’émission de particules du même nom, qui sont des noyaux d’hélium 4, constitués de deux protons et de deux neutrons très solidement liés les uns aux autres. Elle permet à certains noyaux trop riches en protons et en neutrons d’évacuer leurs excédents. Quant à la radioactivité β, elle concerne les noyaux qui, trop riches en neutrons pour être stables, finissent par augmenter leur cohésion en émettant un électron. Dans un premier temps, ce phénomène sembla inexplicable : puisque les noyaux ne contiennent pas d’électrons, comment parviennent-ils à en émettre ? Le plus simple pour un noyau trop riche en neutrons ne serait-il pas d’en perdre un spontanément ? Non, car ce processus ne serait pas rentable d’un point de vue énergétique : le nouveau noyau et le neutron émis seraient au total plus lourds que le noyau de départ. Les noyaux contenant trop de neutrons doivent donc recourir à un artifice plus indirect. Celui-ci consiste à changer l’un de leurs neutrons en un proton supplémentaire. Lors de cette transformation, un électron est créé pour conserver la charge électrique et c’est lui que l’on voit sortir du noyau. Quoi qu’en dise notre bon sens, un noyau peut donc émettre une particule qu’il ne contient pas. Venons-en à la radioactivité γ. Elle consiste en l’émission par certains noyaux de rayons γ, c’est-à-dire d’un rayonnement électromagnétique de même nature que la lumière, mais de très haute énergie, plus grande encore que celle des rayons X. Ces rayons forment une lumière que nos yeux ne voient pas directement. En général, ils sont émis après une émission α ou β, lorsque le nouveau noyau formé est encore excité, c’est-à-dire quand la désintégration n’a pas permis l’évacuation de toute l’énergie excédentaire contenue dans le noyau instable de départ. Le trop-plein d’énergie est alors évacué sous la forme d’un rayon γ spontanément créé, sans que cela change
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la composition du noyau en neutrons et protons, ceux-ci ne faisant que se réorganiser au sein du noyau. Ici, contrairement à ce qui se passe pour les radioactivités α et β, l’élément chimique concerné n’est pas modifié. Il n’y a pas de transmutation proprement dite. À quel rythme l’énergie des rayons produits par la radioactivité est-elle émise ? La réponse à cette question vint de Montréal où Ernest Rutherford et Frédérick Soddy montrèrent expérimentalement, en 1902, que la radioactivité est une transmutation spontanée d’un élément chimique en un autre avec émission de rayonnement. Ces transmutations ont lieu plus ou moins rapidement, selon un temps caractéristique appelé la période radioactive de l’atome radioactif. Imaginons une population, très nombreuse, d’atomes radioactifs, tous identiques : la période de cette population est égale, par définition, à la durée au bout de laquelle la moitié des atomes qui la constituent au départ se seront transmutés en d’autres éléments ; après une deuxième période, la population restante est à nouveau divisée par deux et vaut donc le quart du nombre initial, et ainsi de suite. La période∗ d’un atome radioactif donné est indépendante de l’environnement physique ou chimique de celui-ci. Rien ne semble pouvoir la modifier. Par ailleurs, la période n’a de valeur que d’un point de vue statistique : elle indique seulement comment les choses se passent « en moyenne ». En particulier, elle ne dit rien du moment exact où chaque atome radioactif va, individuellement, se désintégrer. Et pour cause : cet instant est rigoureusement aléatoire, et donc impossible à prévoir de façon certaine. Autrement dit, si chaque atome radioactif est condamné, de par sa seule nature, à se transformer en un autre atome, nul ne sait quand il le fera. La seule chose que l’on puisse dire en ce qui le concerne, c’est qu’il y a une chance sur deux qu’il ait disparu lorsqu’une durée égale à une période se sera écoulée. Cette période peut s’étendre, selon les atomes radioactifs, de quelques fractions de seconde, comme c’est le cas pour le polonium 212 dont la période est de 3 × 10−7 seconde, à plusieurs milliards d’années, comme c’est le cas pour l’uranium 238 dont la période est proche de 5 milliards d’années. Certaines périodes sont même beaucoup plus grandes encore. Ainsi, le tellure 128 a une période de 1,5 × 1024 ans, soit cent mille milliards de milliards de fois l’âge de l’univers. . . Comme on l’a vu, la radioactivité, sous ses divers modes, a joué un rôle essentiel dans l’organisation de la matière. Elle imprègne tout l’univers et donc l’environnement de notre planète, aussi bien l’air qui compose son atmosphère que ses sols et nos propres corps, qui sont tous naturellement radioactifs ! Est qualifiée de « naturelle » la radioactivité que nous rencontrons dans. . . la nature. Celle-ci est due à des éléments radioactifs de longue durée, formés dans les étoiles, qui n’ont pas encore trouvé leur état le plus stable : ils finiront par se transformer, engendrant des descendants de période plus courte, pour finalement aboutir à des éléments stables. Est qualifiée « d’artificielle » la radioactivité qui provient
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d’éléments qui n’existent plus dans la nature et que l’homme a lui-même fabriqués. Il s’agit en fait de la même radioactivité que la « naturelle », régie par les mêmes lois physiques, mais avec des périodes en général beaucoup plus courtes. Ce sont Irène et Frédéric Joliot-Curie qui ont découvert la radioactivité artificielle en 1933. Ils ont montré que les noyaux des atomes n’étaient pas indestructibles. En les bombardant judicieusement, on peut les « transmuter », c’est-à-dire modifier leurs effectifs en protons et neutrons. Les Joliot-Curie constatèrent d’abord que de l’aluminium 27 bombardé par des particules a peut se transmuter en silicium 30, qui est stable. Une étude très fine de cette transmutation leur révéla ensuite qu’elle se déployait en fait en deux temps : l’aluminium 27 se transmutait d’abord en phosphore 30, qui est un isotope radioactif (artificiel) du phosphore 31 stable ; puis, ce phosphore 30 se transformait en silicium 30 en transformant l’un de ses protons en un neutron supplémentaire. Depuis cette époque, on utilise souvent des neutrons pour créer des éléments radioactifs artificiels. Parce qu’elles sont électriquement neutres, ces particules s’approchent facilement du noyau qui peut alors les absorber. Ce processus mène à un nouvel assemblage, qui est souvent radioactif. La radioactivité concerne tous les éléments de la classification périodique. Elle couvre l’ensemble des phénomènes où des assemblages de particules se combinent, se dissocient, capturent ou expulsent des particules.
Bibliographie [1] D. Blanc, Les rayonnements ionisants, Masson, 1990. [2] M. Cassé, Généalogie de la matière, Odile Jacob, 2000. [3] J.-M. Cavedon, La radioactivité, Flammarion, collection « Dominos », 1996. [4] B. Fernandez, De l’atome au noyau, Ellipses, 2006. [5] P. Radvanyi, M. Bordry, La radioactivité artificielle et son histoire, Seuil/CNRS, 1984. [6] M. Tubiana, R. Dautray, La radioactivité et ses applications, PUF, collection « Que sais-je ? », 1996.
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Chapitre 1. La radioactivité
2 La radioactivité dans l’environnement Bernard BONIN Où trouve-t-on des rayonnements ionisants dans l’environnement ? Quel est leur impact sur l’environnement et sur l’homme ? Quelle est la part des activités humaines dans la dose reçue ? Si vous envoyez de la radioactivité dans l’environnement, que devient-elle ? Pour répondre à toutes ces questions, ce chapitre propose une promenade dans la nature, muni d’un détecteur de rayonnements (Fig. 2.1).
Figure 2.1. Deux détecteurs de rayonnements utilisés comme dosimètres portatifs pour la radioprotection des travailleurs du nucléaire.
Mesures des rayonnements dans l’air ambiant : la douche cosmique 1
Commencez la promenade dans un chemin creux de la campagne limousine. Et tournez d’abord votre compteur vers le ciel. Vous comptez quelques coups de temps en temps : il s’agit de rayons cosmiques en provenance du Soleil, plus rarement de notre Galaxie, ou même de plus loin encore. Encadré 2.1. Les caractéristiques du rayonnement cosmique : nature, énergie, intensité en fonction de l’altitude.
La première catégorie des rayonnements cosmiques est constituée des rayonnements d’origine galactique. Il s’agit de protons, de particules alpha, d’électrons, de positons, de noyaux d’éléments plus lourds comme le fer, le nickel. Ces particules chargées, accélérées par les champs interstellaires, acquièrent des énergies très élevées, supérieures à 100 MeV∗ . La deuxième catégorie des rayonnements cosmiques est constituée de rayonnements d’origine solaire. Les particules correspondantes varient en nombre et en énergie avec l’activité du Soleil. Leur énergie dépasse rarement 100 MeV. Les rayonnements cosmiques, quelle que soit leur origine, interagissent avec les noyaux présents dans l’atmosphère. Les plus énergétiques forment des gerbes de particules élémentaires très variées, ainsi que de nombreux radionucléides. Par exemple, l’azote de l’atmosphère sous l’action des rayonnements cosmiques se transforme en carbone 14, qui possède deux neutrons de plus que l’isotope du carbone le plus abondant (carbone 12). L’atmosphère terrestre comprend environ 0,1 million de TBq de carbone 14. Chaque année, sous l’effet des rayonnements cosmiques, environ mille TBq de carbone 14 sont produits. La même quantité, environ, disparaît sous l’effet de la décroissance naturelle de ce radioélément dont la période est de 5 730 ans. Un équilibre s’établit de sorte que le taux de carbone 14 dans l’atmosphère est pratiquement constant. Le carbone 14 qui a bien sûr les mêmes propriétés chimiques que le carbone 12, est le plus souvent dans l’atmosphère combiné à l’oxygène pour former du gaz carbonique « radioactif ». L’impact radiologique individuel du carbone 14 présent dans le milieu naturel est estimé à 12 μSv/an. D’une manière générale, l’exposition aux rayonnements cosmiques varie selon la latitude. Elle est forte aux pôles et faible à l’équateur. Elle varie en fonction de l’altitude et double tous les 1 500 m. En moyenne, les rayonnements cosmiques délivrent une dose efficace de 0,39 mSv/an.
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Un radionucléide cosmogénique : le carbone 14
Si vous approchez votre compteur de cet arbre, vous détecterez la radioactivité du carbone 14 qu’il contient.
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Chapitre 2. La radioactivité dans l’environnement
Encadré 2.2. Datation au carbone 14.
Le carbone 14 produit dans la haute atmosphère s’incorpore dans le cycle biogéochimique du carbone. Les êtres vivants en contiennent donc une quantité déterminée. . . tant qu’ils vivent ! Après leur mort, le renouvellement de ce carbone 14 cesse et la quantité de 14 C contenue dans leurs restes diminue, au rythme de la décroissance radioactive (la période radioactive du 14 C est de 5 700 ans). Le carbone 14 d’un objet archéologique peut servir de chronomètre et permet de le dater par comparaison entre sa radioactivité initiale (connue) et sa radioactivité actuelle (mesurée) (Fig. 2.2).
Radioactivité de l’objet
Le carbone 14 d’un objet archéologique peut servir de chronomètre et permet de le dater par comparaison entre sa radioactivité initiale (connue) et sa radioactivité actuelle (mesurée).
Becquerel
Radioactivité initiale (connue)
Radioactivité actuelle (mesurée)
Temps Date de l’objet
Temps actuel
Figure 2.2. Datation au carbone 14 d’un objet archéologique.
Mais vous avez oublié l’expérience la plus élémentaire : tournez le compteur vers vous-même. Eh oui, vous aussi, vous êtes radioactif (8 000 becquerels pour un adulte), à cause du carbone 14 de vos tissus, et surtout, du potassium 40 de vos os.
Les radionucléides de la croûte terrestre : uranium, thorium, potassium 3
Si vous approchez le compteur d’un caillou granitique, au bord du chemin, vous verrez que la radioactivité de la roche est due à l’uranium qui s’y est concentré lors de la formation de la croûte terrestre 1 . L’uranium est un gros atome, qui s’incorpore fort 1
La radioactivité du caillou peut être très variable selon son origine et les minéraux qu’il contient. Ici, nous avons choisi un morceau de granite uranifère, comme on peut en trouver couramment dans le Massif central, avec une teneur en uranium de 0,1 %. Sa radioactivité est d’environ 250 000 Bq par kilo, soit 250 000 désintégrations par seconde.
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mal dans les cristaux de silicates qui forment la majeure partie de l’écorce terrestre. Résultat : lors de la solidification d’un magma ; l’uranium se retrouve concentré « dans les coins », au voisinage des discontinuités de la croûte. On le retrouve aussi dans les zones de la croûte où les conditions chimiques sont réductrices, car sa solubilité y est notablement plus faible qu’ailleurs, ce qui facilite sa « précipitation ». Ce sont ces deux mécanismes géochimiques qui expliquent la formation de filons d’uranium, ceux-là même qui sont exploités par les mineurs. Encadré 2.3. Radioactivité, séismes, volcans, climat.
Uranium et thorium chauffent la croûte terrestre. Si notre planète a encore une activité tectonique et volcanique, c’est (en partie) parce que l’uranium et le thorium qu’elle renferme continuent à la chauffer par leur radioactivité. Les conséquences sont nombreuses et inattendues : par exemple, le volcanisme envoie dans l’atmosphère de grosses quantités de gaz à effet de serre, grâce auxquels la Terre est habitable ! En l’absence de cette source de chaleur, la Terre serait depuis longtemps un astre froid et mort. Par ailleurs, selon l’IRSN, l’éruption du volcan islandais Eijafjöll en 2010 a aussi envoyé environ 400 tonnes d’uranium dans l’atmosphère !
À propos de filons, quelle est la radioactivité dans une mine d’uranium ? Plutôt faible pour deux raisons : la période radioactive des deux isotopes majoritaires de l’uranium est très longue et l’uranium est rarement très concentré dans les roches. Dans le creux à côté de la mine se trouvent les résidus d’extraction de l’uranium. Votre compteur vous signale l’existence de radioactivité, presque autant que dans le filon. D’après le compteur, vous pourriez rester près du filon ou à proximité de ces résidus pendant quelques jours sans recevoir une dose supérieure à celle que vous donne annuellement la radioactivité naturelle 2 . Cependant, si vous souhaitiez prolonger votre visite, quelques précautions s’imposeraient.
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Les radionucléides de l’atmosphère : le radon
À présent, extrayez-vous de la mine et faites humer à votre compteur l’air du dehors. Cet air serait-il radioactif lui aussi ? Le détecteur vous indique en effet la présence de radon. À vrai dire, vous en mesurez presque autant quand vous vous éloignez de la mine, car le sous-sol en exhale naturellement. Imaginez quelques atomes d’uranium 2
Le débit de dose à proximité d’un stockage de résidus miniers à l’air libre (avant la mise en place des couvertures) est de l’ordre de la dizaine de microsieverts par heure, ce qui signifie qu’il faudrait rester plus d’une centaine d’heures sur le site pour recevoir une dose équivalente à l’exposition annuelle naturelle moyenne.
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Chapitre 2. La radioactivité dans l’environnement
dans l’obscurité du sous-sol. De temps en temps 3 , l’un d’eux se désintègre et devient du radium 4 . Ce radium lui-même 5 se désintègre à son tour pour donner du radon. S’il a été produit au sein même de la roche, ce radon a toutes les chances d’y rester prisonnier jusqu’à la fin de ses jours. Mais si la désintégration de son père le radium s’est faite près de la surface d’un grain de minéral, le radon peut diffuser hors du grain et se retrouver en semi-liberté dans l’air ou l’eau du sous-sol. Dans ce cas, une course contre la montre va s’engager pour le radon évadé : par un tortueux parcours dans les anfractuosités de la roche, le radon migrera au fil de l’air et de l’eau du soussol. Une grande partie des candidats à l’évasion mourra en chemin, car leur durée de vie moyenne est brève : 3,7 jours seulement avant de se désintégrer. Une petite partie réussira cependant à se faufiler jusqu’à la surface du sol et à s’échapper à l’air libre. L’air de l’atmosphère contient donc du radon. Pas beaucoup : au ras du sol, on trouve seulement 5 millions d’atomes de radon par mètre cube d’air. Cela suffit à rendre cet air radioactif, avec une radioactivité de l’ordre de 10 becquerels par mètre cube. Encore faut-il préciser que ce chiffre peut varier considérablement selon les endroits (les régions dont le sous-sol est riche en uranium, comme la Corse, la Bretagne et le Limousin, sont les plus « gâtées »), selon qu’il y a du vent ou non, et même selon l’heure du jour. Mais le voyage du radon n’est pas fini. Certains atomes réussissent à s’infiltrer dans les bâtiments, en passant par les interstices du sous-sol. Si l’air y est peu renouvelé, le radon peut s’accumuler. C’est là que nous le respirons, depuis que nous avons pris l’habitude de vivre plus ou moins enfermés dans des maisons (à vrai dire, nos ancêtres en respiraient sans doute bien plus, dans leurs grottes préhistoriques). Bref, comme ce radon est radioactif, voilà vos alvéoles pulmonaires irradiées 6 !
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Si l’on observe un atome d’uranium individuel jusqu’à ce qu’il se désintègre, on peut attendre longtemps : en moyenne 700 millions d’années pour un atome d’uranium 235, et 4,5 milliards d’années pour un uranium 238. En fait, l’uranium 238 ne se désintègre pas directement en radium, il y a passage par des atomes intermédiaires. Voici la chaîne de désintégration complète : 238 U-234 Th-234 Pa-234 U-230 Th-226 Ra-222 Rn218 Po-. . . 206 Pb. Le maillon de la chaîne qui nous intéresse ici concerne la désintégration du radium 226 en radon 222. La période de désintégration radioactive du radium 226 est de 1 600 ans. Plus précisément : le radon ne se fixe pas dans les poumons, et y reste peu de temps. En revanche, il a des descendants (polonium, plomb, bismuth) qui restent piégés durablement dans les voies respiratoires. Étant eux-mêmes radioactifs, ce sont eux qui sont responsables de la plus grande part de l’irradiation des alvéoles pulmonaires.
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Encadré 2.4. Le radon est-il un problème sanitaire ?
Les études approfondies menées sur les populations humaines fortement exposées au radon, comme par exemple les mineurs du début du siècle 7 , ont permis de conclure que le radon était bel et bien un cancérigène pulmonaire, au moins quand il était présent en forte concentration dans l’air. Alors, le radon est-il un problème sanitaire pour le public, qui respire l’air des maisons ? En général, cet air est nettement moins « radonné » que celui des mines anciennes, et les doses radioactives sont plus faibles. Si l’on transforme la dose radon reçue par le Français moyen en un risque de cancer en utilisant le fameux coefficient dose-risque de la Commission internationale de protection radiologique 8 , on trouve que le radon est responsable de 2 000 à 5 000 cancers mortels par an en France. Serions-nous en face d’un problème comparable à celui de l’amiante ? Difficile à dire : ce chiffre alarmant est à prendre avec précaution, car nous sommes ici dans le domaine des faibles doses, domaine dans lequel l’hypothèse de proportionnalité entre l’effet et la dose n’est pas prouvée scientifiquement. Pour vérifier si le risque est réel, des études épidémiologiques sur le public ont bien été tentées, mais elles n’ont pas produit de conclusion claire. Il est vrai qu’elles sont très difficiles, car le radon n’est pas le seul agent cancérigène, ni même le plus méchant. En particulier, il est bien difficile de distinguer les effets des faibles doses de radon au milieu du carnage dû au tabac. Donc, pour résumer, nous ne savons toujours pas si le radon est vraiment dangereux pour le Français moyen ! Mais la teneur en radon de l’air des maisons est très variable. Elle dépend de la nature du sous-sol, de la façon dont la maison est construite, et même du mode de vie de ses habitants. Les études statistiques du radon dans les maisons montrent qu’une petite fraction des maisons et des lieux publics est vraiment très radonnée 9 , à des niveaux proches de ceux rencontrés dans les anciennes mines d’uranium. Il faut dire que la dose reçue par l’occupant d’une maison radonnée à 10 000 becquerels par mètre cube d’air est voisine de 100 millisieverts par an 10 , soit 100 fois la dose naturelle moyenne reçue par la population française. À ces niveaux de concentration, on peut affirmer que le radon présente un danger pour les habitants de la maison, puisque les doses qu’ils reçoivent sont comparables à celles reçues par les anciens mineurs d’uranium, sur lesquels les effets nocifs du radon ont été observés. Que faire, face à ce problème ? D’abord, dépister les maisons radonnées. Le radon est facile à mesurer : il suffit d’installer dans la maison un de ces dosimètres, qui ressemblent à un film photographique et fonctionnent à peu près selon le même principe. Le développement du film permet d’obtenir le niveau local de radioactivité dans l’air autour du détecteur, moyenné sur la durée de l’exposition, qui est de l’ordre d’un mois. 7
Les mineurs du début du XX e siècle respiraient parfois de l’air radonné à plus de 10 000 becquerels par mètre cube. De nos jours, les mines sont bien ventilées et l’exposition des mineurs au radon est limitée. 8 Le coefficient dose-risque évalué par la Commission internationale de protection radiologique est de 0,05 cancer mortel par sievert. 9 L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire estime qu’il y a en France 100 000 maisons et 300 écoles dans lesquelles le niveau de radon dépasse 1 000 becquerels par mètre cube d’air. 10 Le calcul est fait pour un humain qui passerait 80 % de son temps dans la maison.
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Chapitre 2. La radioactivité dans l’environnement
Après le dépistage, il est possible d’assainir les maisons radonnées. En général, l’assainissement est facile et peu coûteux : il suffit d’étanchéifier la dalle de la maison et d’améliorer la ventilation. Le gouvernement français a émis en 1998 une directive prescrivant le dépistage du radon, et la mise en œuvre d’actions d’assainissement si le niveau mesuré dépasse 1 000 becquerels par mètre cube d’air. La directive ne concerne que les établissements recevant du public (écoles, grands magasins. . . ). Aucune structure n’est prévue actuellement pour le dépistage et l’assainissement des maisons particulières, qui restent à la charge de leurs propriétaires.
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Migration, dilution et reconcentration des radionucléides
Mesurez maintenant la radioactivité dans ce lac du Limousin. La radioactivité de l’eau est plutôt faible, le compteur indique la présence d’un peu de radium et d’uranium dissous. . . En revanche, dans les sédiments du fond du lac, c’est autre chose ! Ces sédiments contiennent des minéraux argileux et de la matière organique, réputés pour piéger les radionucléides comme des mouches sur une toile d’araignée. Vous trouveriez à peu près la même chose dans les sédiments de fleuves comme le Rhône, avec cette différence que, là, les sédiments bougent, charriés vers la mer par le fleuve. Votre compteur vous dirait qu’en aval de l’usine de Marcoule, ce sont les sédiments qui ont fixé l’essentiel des rejets radioactifs de l’usine.
Les rayonnements artificiels et l’environnement : les nuages radioactifs des essais nucléaires militaires, et des accidents de Tchernobyl et de Fukushima 6
Mais demanderez-vous, pourquoi diable mon compteur ne renifle-t-il pas dans l’air ambiant la radioactivité des essais nucléaires dans le Pacifique, ou celle des nuages radioactifs de Tchernobyl ou de Fukushima ? C’est que vous êtes arrivé trop tard : la radioactivité de ces nuages est retombée au sol en quelques semaines, il n’y a plus rien dans l’atmosphère 11 . Revenez donc au sol, s’il vous plaît, et faites un saut dans le Mercantour. Votre compteur crépite dans certains creux du relief ! Même si les taches radioactives 11
De façon générale, les mesures de radioactivité dans l’air sont très sensibles. En 1998, l’incinération accidentelle d’une source de strontium dans une aciérie espagnole à Algeciras a introduit pendant quelques jours dans l’air français une radioactivité qui a été aisément détectée malgré sa très faible valeur, de l’ordre du millième de becquerel par mètre cube d’air. On sait, en y mettant le prix, détecter dans l’air une radioactivité encore mille fois plus faible, soit une désintégration par seconde dans un volume d’air de un million de mètre cube. Mais la mesure dure plus d’un mois !
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sont ici de petite surface, quelques décimètres carrés, la concentration de radioactivité peut y être importante 12 . Et indubitablement due à des retombées de radioactivité d’origine anthropique : cette contamination, votre compteur perfectionné la distingue de la radioactivité naturelle, puisqu’elle est due principalement à un radionucléide∗ artificiel : le césium 137. Dans ce cas, ce sont probablement des reconcentrations dues au ruissellement de l’eau de pluie qui sont à l’œuvre. La radioactivité du nuage de Tchernobyl, c’est là qu’il faut la chercher, c’est là que la pluie l’a déposée. Elle a fait dans toute l’Europe une contamination en taches de léopard encore observable actuellement. Si vous vous enfoncez dans le sol, votre compteur vous dira que la contamination n’a pratiquement pas migré verticalement depuis 1986, date de l’accident. De l’ordre du mètre en vingt-cinq ans 13 , la contamination s’infiltre plutôt lentement 14 !
Les transferts de radionucléides entre les différents compartiments de la biosphère 7
Rendez-vous maintenant dans un sous-bois des Vosges. Votre compteur indique sur le sol l’existence de taches de contamination, moins concentrées que dans le Mercantour, mais dues elles aussi principalement aux retombées de Tchernobyl. Tournezvous maintenant vers le monde vivant : approchez-vous d’une girolle. Votre compteur s’affole ? Pas étonnant, le mycélium des champignons est tout près de la surface du sol, juste là où la contamination est la plus forte. Ce mycélium pompe les sels minéraux du sol, et voilà vos girolles « contaminées » 15 . Remarquez cependant qu’il vous faudrait manger plusieurs dizaines de kilos des girolles françaises les plus contaminées pour recevoir l’équivalent de votre dose naturelle annuelle. Poursuivez votre voyage le long de la chaîne alimentaire : les sangliers sont radioactifs eux aussi ! Ils affichent déjà à peu près 80 becquerels par kilo à cause du 12
L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire a mesuré dans le Mercantour des taches de contamination de petite surface, avec une radioactivité de plus de 100 000 becquerels par mètre carré de terrain. 13 La vitesse d’infiltration de la pollution radioactive dépend en fait de la nature du sol, et du radionucléide que l’on considère. Les travaux de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire indiquent que le strontium 90 (un radionucléide qui voyage plutôt vite) s’est infiltré d’environ 1 mètre en quatorze ans dans les sols sableux. Dans les autres sols, la vitesse est encore plus lente, car les minéraux ou les composants organiques du sol tendent à retenir les radionucléides. Cette migration très lente est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle : la bonne, c’est que les contaminations gardent le plus souvent un caractère local, ce qui facilite l’assainissement des sites pollués. La mauvaise, c’est qu’on ne peut pas trop compter sur Dame Nature pour nettoyer à notre place. 14 Il faut préciser que la migration horizontale induite par le ruissellement de l’eau en surface est en général beaucoup plus rapide que la migration verticale due à l’infiltration. 15 Encore récemment, on a trouvé en France des champignons contaminés par les retombées radioactives de Tchernobyl, avec une radioactivité de 3 000 becquerels par kilo.
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Chapitre 2. La radioactivité dans l’environnement
Figure 2.3. Schéma d’un modèle de biosphère « à compartiments ». La radioécologie peut intéresser les chercheurs fondamentaux, qui utilisent les radionucléides comme traceurs des cycles biogéochimiques. Elle intéresse aussi les radioprotectionnistes, puisqu’elle est un maillon indispensable pour évaluer les doses radioactives reçues par l’homme.
carbone 14 et, surtout, du potassium 40 « naturels ». Mais, sur certains bestiaux, votre compteur indique aussi la présence d’autres radionucléides signés « Tchernobyl » 16 . Pas étonnant, puisque les sangliers ont coutume de labourer les couches superficielles du sol et de manger des girolles ! Pour modéliser le voyage de la radioactivité dans la biosphère, on utilise en général des modèles divisant la biosphère en compartiments entre lesquels les polluants transitent selon des lois simples, le plus souvent linéaires, avec des coefficients de transfert déterminés empiriquement (Fig. 2.3). Il est difficile d’alimenter les modèles à compartiment avec des données pertinentes, car tous les facteurs environnementaux s’influencent les uns les autres. Par exemple, le coefficient de transfert 16
Certains sangliers chassés dans les Vosges ont récemment défrayé la chronique parce qu’on a décelé dans leur chair une radioactivité de 1 800 becquerels par kilo. D’après les évaluations de l’Institut de protection et de sûreté nucléaire, il faudrait en manger 100 kilos pour recevoir l’équivalent de la dose naturelle annuelle.
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sol-racines dépend bien sûr de la nature du sol et de celui de la racine. Mais pour un radionucléide donné, ce coefficient de transfert dépend de la spéciation du radionucléide, qui dépend elle-même de la composition chimique de l’eau interstitielle, laquelle dépend elle-même de la nature du sol. . . Pas facile, donc, de décrire tout ça proprement !
Les rayonnements artificiels et l’environnement : les rejets de centrales 8
Les centrales nucléaires en fonctionnement polluent-elles l’atmosphère ? Si vous survolez un réacteur, votre compteur détectera un peu de tritium, mais même avec un appareil dernier cri, il sera à peine décelable. Au-dessus des tours de refroidissement, l’air est chaud et humide, mais pas radioactif : le panache blanc n’est que de la vapeur d’eau.
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Les rejets des usines
Vous voilà rassuré ? Pas si vite ! Au voisinage de la cheminée de l’usine de La Hague, vous trouverez dans l’air de la radioactivité due aux activités humaines, nettement plus qu’à proximité d’un réacteur nucléaire : votre compteur vous dira qu’elle vient principalement du krypton 85 et du tritium rejetés par les activités de retraitement de l’usine. Mais, dispersés par le vent, ces radionucléides se diluent rapidement dans l’atmosphère et atteignent des niveaux de concentration qui les rendent presque indétectables à quelques kilomètres de la cheminée. Plongez maintenant dans l’eau fraîche de l’anse des Moulinets, là où le célèbre tuyau rejette à la mer les effluents liquides de l’usine de retraitement de La Hague. Un petit bonjour aux scaphandriers de l’association Greenpeace qui palment dans le secteur, équipés du même compteur de radioactivité que le vôtre ! Cette fois, l’eau dans laquelle vous nagez est bel et bien radioactive, votre compteur est formel : iode 129, césium 137, eau tritiée sont aisément détectables 17 . Cependant, même 17
Les détecteurs de radioactivité actuels sont capables de déceler une radioactivité très faible. Par exemple, pour le tritium, on peut facilement détecter une activité de 1 becquerel par litre d’eau par une simple mesure de scintillation liquide. Si on se donne du mal, on peut encore descendre 1 000 fois plus bas (soit 0,001 becquerel par litre) en mesurant l’hélium 3 associé à la décroissance radioactive du tritium. Il s’agit là de valeurs bien inférieures à la radioactivité naturelle. De telles activités correspondent à des concentrations en radionucléides extrêmement faibles, qu’on ne saurait pas mesurer par des méthodes chimiques. Moyennant quoi, on peut voir de la radioactivité partout, sans que ce soit nécessairement dangereux.
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Chapitre 2. La radioactivité dans l’environnement
si la radioactivité rejetée par l’usine de La Hague peut être tracée jusqu’en mer du Nord grâce à des détecteurs ultrasensibles, ces rejets sont plutôt faibles en valeur absolue 18 . À 1 000 m au large du tuyau 19 , la radioactivité de l’eau est retombée à un niveau comparable à celui de la radioactivité naturelle de l’eau de mer 20 . Les poissons de l’anse des Moulinets seraient-ils devenus impropres à la consommation, à force de fréquenter ce haut lieu de l’industrie nucléaire française ? Non point, d’après votre compteur. Les travaux du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin ont d’ailleurs confirmé que les doses radioactives dues à l’usine de La Hague étaient très faibles, même pour les populations les plus exposées 21 . Votre bain dans le Cotentin ne vous aura donc pas irradié de façon significative, pas plus que le délicieux bar au four - sauce normande que vous avez dégusté juste après. Revenons si vous le voulez bien près de la centrale nucléaire de tout à l’heure. Si elle est construite au bord de l’eau, comme toutes ses consœurs, c’est qu’elle en a besoin pour ses circuits de refroidissement. Puisque vous aviez mesuré l’air, mesurez maintenant l’eau du fleuve. Elle est bonne, n’est-ce pas ? Un à trois degrés au-dessus de la température en amont de la centrale, ce n’est pas négligeable, et le véritable impact environnemental de la centrale est probablement là. Mais que dit votre compteur ? La radioactivité qu’il détecte est presque entièrement d’origine naturelle. Seul un compteur vraiment perfectionné peut détecter le peu de tritium rejeté par le
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L’usine de retraitement de La Hague rejette annuellement environ 12 000 térabecquerels sous forme de rejets liquides (essentiellement du tritium), et 300 000 térabecquerels sous forme de rejets gazeux (principalement du krypton 85). Un térabecquerel correspond à un million de millions de désintégrations par seconde. Ces chiffres sont ceux de l’année 1997, considérée comme une année « moyenne ». L’usine rejette aussi des quantités beaucoup plus faibles d’autres radionucléides. Toujours en térabecquerel, les rejets liquides de l’usine de La Hague, cumulés sur l’année 1997, ont été de : 11 900 (tritium), 1,82 (iode 129), 19,6 (ruthénium et rhénium 106), 0,016 (plutonium alpha), 2,5 (césium 137), 1,9 (strontium 90), 10 (carbone 14). Pour les rejets gazeux, les chiffres sont : 300 000 (krypton 85), 76 (tritium), 20 (carbone 14) et 0,018 (iode 129). 19 Le tuyau de l’usine de La Hague rejette environ 4 à 500 000 m3 d’effluents par an. Ceux-ci ont une radioactivité de 20 à 30 millions de becquerels par litre. La majeure partie de cette radioactivité est due à du tritium. Si l’on exclut ce tritium, dont la radiotoxicité est très faible malgré sa forte radioactivité, et qui mérite d’être traité à part pour cette raison, la radioactivité des effluents est d’environ 60 000 becquerels par litre. Grâce au brassage de l’eau dans le raz Blanchard, cette radioactivité tombe à quelques dizaines de becquerels par litre à 1 km de distance du tuyau. 20 Il y a environ 3 parties par milliard d’uranium dans l’eau de mer. Mais c’est surtout le potassium 40 qui rend l’eau de mer légèrement radioactive, avec une activité d’environ 12 becquerels par litre. 21 Selon le dernier rapport de la Commission Nord-Cotentin (rapport « Sugier »), la dose induite par les rejets de l’usine de La Hague sur la population la plus exposée est de 0,06 millisievert par an, soit environ 20 fois moins que la dose due à la radioactivité naturelle.
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réacteur. Les rejets de la centrale ne rajoutent que très peu de radioactivité à celle déjà naturellement présente dans l’environnement 22 . En revanche, si vous rentrez dans la centrale elle-même, ne franchissez pas les barrières de sécurité : le fait de disposer d’un compteur ne vous immunise pas contre les rayonnements ! Vous pouvez vous approcher de cette piscine d’entreposage de combustible usé car l’eau de la piscine fait écran contre les rayonnements. Mais en l’absence d’eau, votre compteur s’affolerait. Un séjour d’une demi-heure à deux mètres près de ces combustibles suffirait pour vous tuer. Et si vous en mangiez 10 milligrammes, cela vous serait tout aussi fatal ! Après ce voyage imaginaire dans la biosphère, on peut résumer ainsi : primo, la radioactivité est omniprésente, Dame Nature n’a pas attendu les humains pour en répandre généreusement dans tout l’environnement. Secundo, l’industrie nucléaire rajoute de la radioactivité : certes assez peu sous forme de rejets, mais beaucoup sous forme de déchets solides dont certains (déchets issus du traitement de ces combustibles) sont réellement dangereux. Tertio : les rejets accidentels (Tchernobyl, Fukushima) ont des conséquences importantes sur le niveau de radioactivité ambiant, mais ces conséquences sont plutôt locales et temporaires.
Bibliographie [1] M. T. Ménager, J. Garnier-Laplace, M. Goyffon, Toxicologie nucléaire environnementale et humaine, Éditions Tec et Doc, Lavoisier, 2009. [2] « Surveillance de l’environnement », Les cahiers des clubs CRIN, 1998. [3] F. Bréchignac, B. Howard, Radioactive pollutants, Impact on the environment, EDP Sciences, 2001.
22
L’impact radiologique d’une centrale nucléaire est même inférieur à celui d’une centrale au charbon. En effet, la combustion du charbon libère les éléments radioactifs naturels qu’il contient : l’uranium et ses descendants, le thorium et ses descendants, et le potassium. Au total, une centrale nucléaire rejette dans l’environnement dix fois moins de radioactivité qu’une centrale à fioul ou à charbon de même puissance, et son impact radiologique est aussi dix fois plus faible : la dose collective est de 1,6 à 2,6 homme-sievert par gigawatt.an pour une centrale nucléaire contre 20 pour une centrale à charbon.
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Chapitre 2. La radioactivité dans l’environnement
3 Les effets des rayonnements sur le vivant Jean-Marc CAVEDON
La radiotoxicité, c’est-à-dire l’effet des rayonnements ionisants sur les organismes vivants, a la grande particularité d’être étrangère à tous nos sens : invisibles, inodores, impalpables, silencieux et sans saveur, les « rayons » ne peuvent être anticipés et ils peuvent nous frapper et altérer notre santé sans même que nous nous en apercevions immédiatement. Il est tout aussi remarquable que ces entités si évanescentes et mystérieuses soient si faciles à détecter par des instruments spécialisés, et même beaucoup plus faciles à détecter que des toxiques chimiques. Les détecteurs très sensibles nous tirent de l’ignorance totale pour nous plonger dans l’hypersensibilité à la radioactivité qui nous entoure, même pour des niveaux de radioactivité inoffensifs pour nos organismes (car cela existe). Nous tenterons dans ce chapitre d’établir les bases qui permettent de définir une gradation et une progressivité dans notre évaluation du risque radioactif. Si des doses∗ massives de rayonnement radioactif sont mortelles à coup sûr, les doses modérées ont des effets bien connus et que l’on sait souvent soigner. Les faibles doses agissent avec beaucoup de retard, jusqu’à des dizaines d’années, et les très faibles doses ont des effets si ténus qu’ils sont très difficiles à distinguer de toutes les autres atteintes à nos organismes. L’unité de dose qui mesure les effets biologiques des rayonnements, et que nous définirons plus tard, est le sievert∗ (Sv). Le domaine de doses qui préoccupe les médecins est celui du sievert. Les radioprotectionnistes
et les réglementations nous pressent par prudence de ne pas dépasser des doses de l’ordre de quelques millièmes de sievert. Celles qui échappent encore à notre connaissance précise et qui déclenchent souvent les alertes médiatiques sont de l’ordre du millionième de sievert (champignons d’Ukraine, sanglier des Vosges. . . ). Si l’on ajoute à ces situations très différentes la nécessaire diversité des unités de mesure de la radioactivité et de ses effets, nous sommes moins surpris de la grande variété de réactions et de points de vue sur des événements où la science a du mal à se faire entendre, comme par exemple l’induction ou non d’un excès de maladies thyroïdiennes en France après le passage du nuage de Tchernobyl. Tentons ici de donner quelques chiffres qui nous aideront à évaluer la radiotoxicité et ses effets. Nous allons d’abord décrire ce que l’on sait de la façon dont les rayonnements ionisants atteignent le vivant. Un détour sera fait ensuite du côté des unités de mesure : le passage entre les becquerels∗ (unité de mesure physique de la radioactivité) et les sieverts∗ (unité de mesure de la radiotoxicité) est en effet délicat et mérite quelques commentaires. Nous nous aiderons d’analogies avec l’émission et la réception de la lumière, que nos sens perçoivent. Les ordres de grandeur des doses reçues par le public seront ensuite discutés, ainsi que les critères qui permettent de dire si une dose est « acceptable » ou non. Le débat sur l’acceptabilité soulève des questions économiques et sociales, mais aussi scientifiques, car l’effet des faibles doses est actuellement mal connu. Pour finir, un rapide portrait des effets toxiques de quelques radioéléments présents dans les déchets nucléaires ou importants en situation accidentelle, sera tracé. 1 1.1
Comment les rayonnements ionisants atteignent le vivant Les effets au niveau de la cellule
Tous les rayonnements n’ont pas les mêmes effets sur les cellules. Les paramètres principaux qui déterminent les dégâts cellulaires sont la dose, l’énergie totale de la particule ionisante et sa perte d’énergie par unité de longueur. Mais dans tous les cas, l’irradiation affecte surtout le noyau des cellules des organismes vivants. L’ADN, la molécule qui contient toutes les informations nécessaires au fonctionnement de l’organisme et à sa reproduction, est, au sein de chaque cellule, la principale cible susceptible d’être altérée ou détruite par des rayonnements. La lésion physique initiale, qui a lieu dans la microseconde qui suit le passage de la particule ionisante, est soit un choc direct sur la structure en double hélice de l’ADN, soit une attaque indirecte par radiolyse∗ de l’eau environnant l’ADN et création de radicaux libres (le plus souvent le radical hydroxyle OH et l’atome d’hydrogène H), qui eux-mêmes attaquent chimiquement l’ADN. Les effets indirects des rayonnements ionisants sur l’ADN ne se distinguent donc pas de ceux dus à des agressions d’origine
30
Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant
chimique, thermique ou par de la lumière ultraviolette, puisque tous passent par l’action de radicaux libres. Les lésions de l’ADN sont soit des cassures des chaînes (un ou deux brins de la double hélice), des dégradations ou disparitions des bases disposées le long de ces brins, des additions de molécules à ces mêmes bases, ou des pontages entre ADN et protéines. Seules les cassures double brin sont spécifiques des rayonnements ionisants. Les cellules possèdent des mécanismes enzymatiques qui répliquent et réparent l’ADN, et qui agissent dans les minutes et les heures suivant l’apparition de lésions. La fiabilité extrême de ces mécanismes est essentielle à la vie normale des cellules, qui subissent en permanence des lésions spontanées et accidentelles. Les cassures à simple brin ou les lacunes sont fréquentes (150 000 cassures par cellule et par jour), bien reconnues et bien réparées. En revanche, en cas de cassures simultanées de deux brins, la réparation est lente, complexe et plus difficile, par manque du modèle intact que constitue le brin non lésé. L’issue de loin la plus fréquente est la réparation fidèle et la survie de la cellule. L’échec de la réparation mène le plus souvent la cellule à une mort non programmée, ou nécrose, suivie de son élimination de l’organisme. Des morts massives de cellules peuvent affecter le niveau d’organisation supérieur, les tissus, et déclencher des pathologies tissulaires. Les réparations fautives, bien plus rares, peuvent affecter l’efficacité des mécanismes régulant le cycle de vie de la cellule, qui peut alors subir une mort programmée sans réplication (apoptose ou suicide cellulaire). Toutes les cellules mortes rejoignent les 250 milliards de cellules renouvelées chaque jour par l’organisme humain, sans aucun dommage à l’organisme. Les réparations fautives mènent parfois à des mutations qui n’empêchent pas la survie de la cellule (mutations non létales). Si le système immunitaire, qui agit dans les jours suivants, est à son tour défaillant dans la détection et l’élimination de ces cellules mutantes, il y a échec de toutes les réponses précoces, sans qu’il y ait encore d’effet notable sur l’organisme. Mais ces mutations non létales ont le pouvoir de déclencher des réponses sous forme de désordres cellulaires graves et bien plus tardifs, dont le délai se mesure en années et dizaines d’années pour les cancers issus des mutations des cellules ordinaires (somatiques), voire des générations pour les anomalies héréditaires transmises par des cellules germinales mutantes. Ce dernier effet n’a pas encore été prouvé chez l’homme, mais seulement en laboratoire sur l’animal. De ce survol rapide des réponses des cellules aux lésions de l’ADN, qu’elles soient ou non radio-induites, retenons qu’il y a une longue série de mécanismes réparateurs, souvent très efficaces, et qui laissent néanmoins en cas d’échec la possibilité d’atteinte précoce des tissus (en cas de destruction massive de cellules), et de mutation de cellules individuelles ayant de graves effets potentiels à long terme. Nous reviendrons plus loin sur l’effet des faibles doses sur l’organisme.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
31
1.2
Les effets à long terme sur les organes
Une cellule somatique mutée ne mène pas systématiquement à un cancer. Au moment de la mort programmée de la cellule mutée, dont le délai varie considérablement avec la spécialisation de celle-ci, les atteintes préexistantes au système régulateur de son cycle de vie peuvent se manifester. Les cellules incapables de déclencher leur apoptose sont techniquement immortelles et proliférantes sans contrôle. Ceci constitue le premier stade de la cancérisation. Si l’on considère le plus souvent qu’une cellule proliférante peut être la souche d’un développement cancéreux, les études en cours indiquent l’existence d’effets cellulaires collectifs, promoteurs ou répresseurs. Il y a donc, ici aussi, des mécanismes externes à la cellule cancéreuse, qui interviennent sur sa prolifération. On remarque par exemple que tous les organes ne sont pas également affectés par les rayonnements ionisants. Pour 100 cancers radio-induits dans une population humaine irradiée de façon homogène par des photons, seront observés 12 cancers pulmonaires, 5 cancers du sein et 1 cancer de la peau. Ceci amène à introduire le facteur de pondération tissulaire WT, permettant de traduire le dépôt d’énergie des rayonnements ionisants en un détriment biologique (tableau 3.1). Ce facteur WT sera utilisé plus loin dans le texte pour le calcul de la dose. Tissu ou organe
Facteurs de ponderation tissulaire WT
Gonades
0,20
Moelle rouge
0,12
Colon
0,12
Poumons
0,12
Estomac
0,12
Vessie
0,05
Seins
0,05
Foie
0,05
Œsophage
0,05
Thyroïde
0,05
Peau
0,01
Surface des os
0,01
Autres
0,05 Tableau 3.1. Valeurs du facteur de pondération tissulaire.
32
Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant
1.3
Les différents rayonnements
À cause de leurs différentes pertes d’énergie à travers la matière, tous les rayonnements n’ont pas les mêmes effets sur les cellules, ni la même nocivité sur l’organisme. Ainsi, une même énergie déposée (exprimée en gray)∗ par des neutrons et par des rayons γ induira un taux de cancers beaucoup plus élevé dans le premier cas que dans le second (Fig. 3.1). Le tableau 3.2 donne les transferts d’énergie dans les tissus pour différents types de rayonnements.
Figure 3.1. Les bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki étant de structure différente (l’une à l’uranium, l’autre au plutonium), les victimes ont été irradiées différemment. Comparaison des fréquences des décès par cancer chez les survivants des bombardements d’Hiroshima (irradiés principalement par des neutrons) et de Nagasaki (irradiés surtout par des γ) (T. Straume et R.L. Dobson. 1981. Health Physics 31 : 666).
Les électrons et les ions perdent beaucoup d’énergie par unité de longueur vers la fin de leur parcours : c’est le « pic de Bragg », illustré sur la figure 3.2. L’existence de ce pic est exploitée en thérapie anticancéreuse pour irradier une tumeur localisée. Pour tenir compte de la nocivité différente des divers types de rayonnements, on introduit un facteur de pondération radiologique WR (tableau 3.3) qui sera utilisé dans le calcul de la dose.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
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Énergie transférée (keV/μm)
Type de rayonnement
0,20
électron de 2 MeV
0,24
γ de desintegration du 60 Co
3,0
X de 250 keV
4,7
β du tritium
5,5
électron de 0,6 MeV
6,3
X de 50 keV
10
proton de 12 MeV
20
Neutrons thermiques
45
Proton de recul
120
Particule α (désintégration du 239 Pu)
1 000
Fragment de fission
Tableau 3.2. Énergie transférée par unité de longueur pour différents types de rayonnements ionisants.
Figure 3.2. Perte d’énergie de particules α de 5 MeV dans l’air.
1.4
Les irradiations externe et interne
Les rayonnements ionisants peuvent atteindre l’homme de différentes façons : on distingue l’irradiation externe (exposition directe à une source extérieure) et l’irradiation interne (ingestion ou inhalation de particules matérielles qui sont source de
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Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant
Type et gamme d’énergie
Facteur de pondération radiologique W R
Photons, toutes énergies
1
Électrons et unions, toutes énergies
1
Neutrons, énergie de moths de 10 keV
5
Plus de 10 à 100 keV
10
Plus de 100 key à 2 MeV
20
Plus de 2 MeV à 20 MeV
10
Plus de 20 MeV
5
Protons, autres que les protons de recul, énergie
5
supérieure à 2 MeV Particules α, fragments de fission, noyaux lourds
20
Tableau 3.3. Valeurs du facteur de pondération radiologique.
radioactivité et qui émettent leurs rayonnements depuis l’intérieur de l’organisme). Dans le cas de l’irradiation interne, les dégâts seront d’autant plus importants que le radioélément séjourne plus longtemps dans l’organisme. La notion de période biologique permet de décrire le temps d’activité du radioélément dans l’organisme. C’est le temps que met la moitié de la masse de radioélément incorporé à quitter l’organisme par les voies d’échange naturelles. Ce temps peut être limité par la période radioactive (cas de l’iode 131, de période 8 jours) ou par le temps de séjour dans l’organisme. Certains radioéléments sont éliminés rapidement (le tritium sous forme d’eau tritiée est éliminé en 10 jours), d’autres plus lentement (100 jours pour le césium). La période biologique n’est pas nécessairement la même pour tous les organes. Ainsi, le plutonium reste 30 ans dans le foie, et semble fixé définitivement par les os (on considère alors une période biologique de 50 ans). 1.5
Becquerels, grays et sieverts
Les considérations précédentes montrent qu’il est nécessaire d’introduire des grandeurs distinctes pour décrire la radioactivité, son effet sur la matière, et son effet sur les organismes vivants. Si nous faisons une analogie avec le rayonnement qui constitue la lumière visible, il s’agit de mesurer d’une part l’intensité de la source lumineuse (par exemple le nombre de photons que le Soleil émet par seconde), d’autre
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35
part l’intensité de la lumière reçue en un point donné, qui dépend de la distance à la source (été/hiver), des obstacles interposés (jour/nuit) et des écrans absorbeurs de lumière (couverture nuageuse, parasols. . . ), et enfin de l’effet biologique sur l’organisme (par ordre de gravité et limité à la peau pour la lumière : sensation de chaleur, coup de soleil, insolation, cancer induit par les UV). Ce sont ces trois mêmes niveaux de description qu’il faut savoir décrire et mesurer dans le cas des rayonnements ionisants ; intensité de l’émission (becquerels), intensité de l’effet physique à la réception (grays), intensité de l’effet biologique sur l’organisme « éclairé » (sieverts). La mesure de la radioactivité
« L’activité » représente le nombre d’atomes radioactifs qui se désintègrent pendant une unité de temps. On l’exprime en becquerels∗ (Bq) : 1 becquerel = 1 désintégration par seconde. L’ancienne unité est le curie (Ci) : 1 Ci = 37 GBq (gigabecquerels) = 37 milliards de Bq. La mesure de l’absorption d’énergie
Les rayonnements ionisants cèdent de l’énergie à la matière qu’ils traversent : ce « transfert d’énergie » ou dose absorbée s’exprime en grays∗ (Gy) : 1gray = 1 joule par kilogramme de matière. L’ancienne unité est le rad (1Gy = 100 rad). La mesure des dégâts sur le vivant
Lorsque la matière traversée est un organisme vivant, on évalue la nocivité « potentielle » de la dose absorbée en sieverts∗ (Sv). On distingue plusieurs types de doses, définies ci-dessous : – la dose équivalente∗ (pour un organe ou un tissu T) : H T = WR .D T R ; où D T R est l’énergie déposée par kg de tissu par le rayonnement R (exprimée en grays) (voir tableau 3.3). Si plusieurs et WR le facteur de pondération radiologique types de rayonnement R interviennent, H T = (WR .D T R ). On parle d’équivalent de dose pour traduire le fait que, pour une même dose absorbée, l’effet produit sur un organe donné dépend de la nature du rayonnement. Il en résulte que, pour un même équivalent de dose, les effets sur l’organe sont identiques quel que soit le radionucléide (nature du rayonnement) et qu’il s’agisse d’exposition externe ou interne ; – la dose efficace∗ (pour l’organisme entier) : E = (WT .H T ), où la sommation est cette fois étendue à tous les tissus de l’organisme. La dose efficace tient compte du fait que chaque tissu ou organe n’a pas la même sensibilité à l’irradiation, par le biais du facteur de pondération tissulaire WT .
36
Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant
À titre d’exemple, un gray, déposé sur le corps entier par des photons ou des électrons (pour lesquels WR = 1), correspond à une dose efficace équivalente de 1 Sv. L’ancienne unité est le rem (1 Sv = 100 rem). – la dose engagée (qui peut être équivalente ou efficace) est l’intégrale du débit de dose équivalente ou efficace sur un temps t spécifié : τ dose engagée sur le temps t = τ =
d E/d t(t).d t. 0
Les définitions ci-dessus sont exactes et générales mais demandent, pour être utilisées dans la pratique, une masse d’informations de détail rarement disponibles. Pour ce qui relève de l’irradiation externe, en cas d’irradiation accidentelle il faut procéder à une enquête pour reconstituer après irradiation (dont on rappelle que nous n’avons pas d’organes sensibles pour la détecter) quel organe a été irradié pendant quelle durée et à quel lieu, la source étant elle-même plus facilement connue. Pour évaluer une dose à l’homme suite à une ingestion ou une inhalation instantanée d’une quantité connue d’un radioélément, on connaît en général le chemin biochimique suivi par le radioélément dans l’organisme. On utilise donc en général plutôt la formule suivante : dose efficace engagée sur la vie entière (Sv) = A · FD ; où A est l’activité du radioélément ingéré ou inhalé (en Bq). Le facteur de dose efficace engagée FD (en Sv/Bq) convertit cette activité en une dose à l’homme (en Sv). Ce facteur tient compte du fait que tous les radio-isotopes n’ont pas la même radiotoxicité : ils émettent des rayonnements différents, et leur chemin dans l’organisme est différent. Le facteur de dose est évalué grâce à un modèle décrivant le cheminement du radioélément dans les différents compartiments de l’organisme (tableau 3.4). Un exemple simplifié d’un tel modèle à compartiments est donné dans la figure 3.3. Un tableau des facteurs de dose édité par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) est régulièrement mis à jour pour tenir compte de l’amélioration des connaissances sur la toxicité des radioéléments. On notera les très faibles valeurs numériques de FD (entre 10−11 et 10−7 Sv/Bq) qu’il faut rapprocher de très grandes valeurs numériques des activités exprimées en becquerels (GBq, TBq). C’est le produit des deux termes qui donne les sieverts qui nous intéressent. Rappelons que l’enjeu pour l’homme se situe entre le microsievert (inoffensif) et le sievert (atteinte grave). 1.6
Gravité et risque des effets radiotoxiques
Les effets biologiques des rayonnements ionisants commencent toujours au niveau de la cellule. Les deux grands chemins d’évolution de la cellule (nécrose et mutation
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
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FD (Sv/Bq)
Eau tritiée
1,8 × 10−11
14
C
5,8 × 10−10
40
K
6,2 × 10−9
90
Sr
2,7 × 10−9 à 2,8 × 10−8
99
Tc
7,8 × 10−10
129
I
1,1 × 10−7
131
I
2,2 × 10−8
135
Cs
2,0 × 10−9
226
Ra
2,8 × 10−7
232
Th
9,2 × 10−8 à 2,2 × 10−7
238
U
7,6 × 10−9 à 4, 4 × 10−8
237
Np
1,1 × 10−7
241
Am
2,0 × 10−7
Tableau 3.4. Facteurs de dose « ingestion » pour quelques radionucléides (CIPR 72).
Figure 3.3. Exemple simplifié de modèle à compartiments.
38
Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant
non létale, voir paragraphe 1.1) amènent à distinguer deux types d’effets fort différents sur la santé. Les effets déterministes sont des dommages qui apparaissent rapidement, et qui se déclenchent avec certitude chez tout le monde au-dessus d’une certaine dose (élevée) appelée seuil. Plus on est au-dessus du seuil, plus ces dommages sont graves. Pour une dose donnée, les effets sont connus et certains. Le risque réside dans l’exposition à la dose, et non dans les effets de celle-ci. C’est le cas des destructions cellulaires aboutissant à la nécrose des cellules, lorsqu’un nombre assez grand de cellules d’un même tissu est touché pour que le tissu lui-même voie ses fonctions perturbées. Le phénomène est comparable à celui des « coups de soleil » qui apparaissent à partir d’un certain temps d’exposition au soleil et qui sont d’autant plus graves que l’intensité ou la durée de cette exposition sont plus importantes. De même, il existe un temps d’exposition au-dessous duquel aucun effet immédiat n’apparaît. C’est ce temps qui est allongé lors de l’interposition d’écrans minces sur la peau, par étalement de crèmes de protection solaire. Parmi quelques effets déterministes bien connus, on peut citer la dermite du radiologiste (à partir de 3 Gy) et la cataracte (2 Gy). Les effets déterministes ont été reconnus très tôt dans l’histoire de la radioactivité ; une limite d’exposition a été introduite dès 1928. L’unité significative pour les effets déterministes est directement la quantité d’énergie laissée dans les tissus par le rayonnement, c’est-à-dire le gray (J/kg). À titre d’exemple, la gradation des symptômes pour une irradiation uniforme par des photons gamma est la suivante : – au-dessous de 200 mGy : aucun effet mis en évidence ; – jusqu’à 1 500 mGy : lésions cutanées, rougeurs pouvant évoluer vers la nécrose ; – à partir de 1 500 mGy : début du syndrome d’irradiation aiguë : fatigue, anorexie, nausées, chute de numération sanguine ; – à partir de 5 000 mGy : hospitalisation impérative – céphalées, diarrhées. Une chance sur deux de survie en l’absence de traitement ; pronostic fortement amélioré par un traitement adéquat ; – à partir de 10 000 mGy : fièvre, prostration ; pronostic réservé. Rappelons ici que les valeurs réglementaires en radioprotection∗ sont imposées au niveau de quelques mGy à quelques dizaines de mGy (pour les rayonnements gamma, 1 mGy = 1 mSv), soit dans la zone où aucun effet déterministe n’a été mis en évidence. Ces valeurs guides permettent d’écarter le risque déterministe et de borner les risques résiduels à faible dose ; ces derniers sont les effets probabilistes. Les effets probabilistes sont associés à la transformation des cellules, plus qu’à leur destruction. Ils se traduisent par des dommages (cancers, effets génétiques) qui
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risquent d’autant plus d’apparaître que la dose de rayonnement a été importante ; ils ne sont en rien caractéristiques des rayonnements (le même phénomène peut être observé avec de nombreux produits chimiques, la consommation tabagique, l’exposition aux rayons ultraviolets solaires pour les cancers. . . ). Ces effets sont du type « tout ou rien » : un cancer se déclenche ou ne se déclenche pas, mais il n’est pas plus ou moins grave. C’est la probabilité d’apparition du cancer qui dépend de la dose reçue, et non sa gravité. Dans une population exposée, certains cancers peuvent survenir après des délais toujours longs (de quelques années à quelques dizaines d’années, selon l’organe touché). Dans ce cas, on ne peut pas prédire qui sera atteint : on parle « d’effet probable ». Comme on le voit, les effets déterministes et les effets probabilistes sont de nature différente. Les premiers mesurent la gravité clinique d’un effet dont l’apparition est certaine ; les seconds mesurent un risque de cancer ou d’effets génétiques, dont la gravité est toujours importante. La relation dose-effet a donc une signification différente pour les effets déterministes et pour les effets probabilistes. 1.7
La relation dose-effet
Pour les effets probabilistes, la base épidémiologique de la relation dose-effet repose sur les effets des explosions nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki, sur des irradiations systématiques comme celles des peintres de cadrans lumineux au radium et sur l’expérimentation animale. Les doses reçues par les populations étudiées étaient de l’ordre de quelques centaines de millisieverts. Sur cette base, le taux de cancers mortels induits par l’exposition à des rayonnements ionisants est d’environ 50 pour mille par sievert [5]. On peut remarquer que cet énoncé suppose implicitement que la relation dose-effet est linéaire. Il ne s’agit là que d’une hypothèse dont la confirmation reste largement à établir, les études épidémiologiques ci-dessus n’étant ni assez détaillées ni assez exhaustives pour la vérifier de façon convaincante. L’hypothèse de linéarité semble même inadéquate dans certains cas. Par exemple, une expérience importante réalisée par C. L. Sanders [3] sur près de 11 000 rats a montré que les cancers pulmonaires liés à l’inhalation de 239 PuO2 n’apparaissaient de manière significative que pour une dose absorbée supérieure à 1 Gy (Fig. 3.4). On a là un exemple d’effet de seuil dans la relation dose-effet. Cet effet de seuil pourrait être assez général pour les irradiations a. S’il venait à se confirmer comme une propriété systématique des émetteurs a, cela pourrait avoir des conséquences profondes sur le principe même de gestions de ceux-ci lorsqu’ils sont des déchets ultimes. Une dispersion généralisée permettrait d’assurer une dose bien au-dessous du seuil pour tous, et donc une innocuité totale. Cependant, avant de sauter à une telle conclusion, il nous faudra atteindre une compréhension profonde de notre écosystème et de ses mécanismes de reconcentration, notamment le long des chaînes alimentaires.
40
Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant
Figure 3.4. Relation dose-effet pour l’inhalation du 239 PuO2 [3], [7].
1.8
L’effet des faibles doses
C’est pour les doses inférieures à la centaine de millisieverts que l’incertitude sur la relation dose-effet est la plus grande, car les études épidémiologiques associées sont extrêmement difficiles. Pour mettre en évidence de façon significative des cancers radio-induits, il faut suivre pendant 10 à 30 ans une population d’individus exposée à un rayonnement connu, et prouver que le taux de cancers dans cette population est statistiquement plus élevé que celui d’une population témoin. À titre indicatif, on retiendra les ordres de grandeur suivants : sur une population de 1 000 individus, 200 personnes environ mourront d’un cancer (toutes causes confondues, les trois quarts de ces cancers étant liés aux habitudes de vie des personnes – tabagisme, alcool. . . ). La théorie statistique indique que l’incertitude sur ce nombre de cancers « naturels » est de l’ordre de ±14 cancers. L’exposition à une dose radioactive de 0,5 Sv se traduira au maximum par 25 cancers en excès dans cette population, soit pratiquement le même ordre de grandeur que l’incertitude associée aux cancers « naturels ». Un échantillon statistique d’un millier de personnes suffit donc (mais à peine) pour mettre en évidence les effets toxiques maximaux d’une dose de 0,5 Sv. Or il s’agit là d’une dose élevée ! Pour des doses plus faibles, l’effet toxique ne pourra pas être mis en évidence dans une population d’un millier de personnes, car le nombre de cancers en excès sera noyé dans l’incertitude associée aux cancers « naturels ». Si l’on suppose que la relation dose-effet est linéaire (Fig. 3.5), le raisonnement précédent permet d’affirmer qu’il faut une population de 3 millions d’individus pour attester de l’effet d’une dose de 10 mSv, plus proche de doses considérées comme
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41
es
Effets déterministes
Figure 3.5. Relation dose-effet pour l’exposition due à la radioactivité. L’effet des faibles doses est évalué en interpolant linéairement les résultats d’études épidémiologiques menées avec des doses fortes.
acceptables en situation non accidentelle. Il faut donc des échantillons de très grande taille pour obtenir une précision statistique suffisante sur l’effet des faibles doses. C’est essentiellement pour cette raison que l’évaluation du risque lié à l’exposition du public aux rayonnements est si difficile. On considère généralement que la relation linéaire dose-effet est bien établie audelà de la centaine de millisieverts (50 à 200 selon les sources) et que, en deçà, la loi linéaire est une limite supérieure acceptée par la très grande majorité des experts. De forts indices, appuyés sur la progression de la connaissance des mécanismes réparateurs dans la cellule, plaident pour une relation linéaire-quadratique à faible dose, ce qui réduirait nettement les estimations de toxicité de ces doses. Certains, certes peu nombreux, vont jusqu’à invoquer le phénomène d’hormésis, en quelque sorte analogue à une vaccination : de très faibles doses protégeraient contre l’effet de plus fortes doses ultérieures, en anticipant l’activation des mécanismes réparateurs les plus complexes et les plus lents. Cet effet adaptatif est certes attesté au niveau de la cellule, mais la preuve d’un effet au niveau de l’organisme se heurte au manque
42
Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant
de compréhension des mécanismes régulateurs très complexes, et probablement à réponse non linéaire. De même, les tenants du « becquerel qui tue », qui extrapolent à zéro la relation linéaire pour affirmer qu’il n’y a pas de radioactivité sans risque, aussi faible soit-elle, ont un dossier scientifique surtout rempli d’incertitudes. 1.9
L’effet du débit de dose
L’effet radiotoxique sur l’organisme dépend encore d’un paramètre important : le débit de dose. Une dose reçue « d’un bloc » (en peu de temps) est en général plus nocive que la même dose étalée sur une longue période (Fig. 3.6). Il est probable que les mécanismes de réparation cellulaire, opérationnels aux faibles débits mais débordés aux forts débits, expliquent la moindre nocivité des faibles débits de dose, qui pourrait aller jusqu’à diviser la toxicité par deux. Cette influence du débit de dose sur la radiotoxicité est actuellement négligée par tous les textes normatifs ou législatifs. Elle est par ailleurs prise en compte comme un paramètre essentiel des radiothérapies anticancéreuses, où l’on délivre des doses quotidiennes fractionnées pendant des semaines, de façon à favoriser la capacité de récupération des cellules saines entre deux irradiations.
EN PETITES FRACTIONS EN GRANDES FRACTIONS UNE DOSE UNIQUE
Figure 3.6. Effet du débit de dose sur la mortalité cellulaire [3].
2
L’ordre de grandeur des doses reçues par le public
L’exposition annuelle de la population aux rayonnements ionisants est résumée dans la figure 3.7. On constate que la moyenne mondiale est de 4 mSv/an, la part de la radioactivité naturelle étant de 2,4 mSv/an en moyenne.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
43
Figure 3.7. Exposition des populations (mSv/an).
C’est la radioactivité naturelle qui occupe la plus large place dans ce bilan, avec le rayonnement du radon comme cause prépondérante, suivie par l’irradiation interne due aux radioéléments naturellement présents dans le corps humain. (L’organisme humain contient environ 4 500 Bq de potassium 40 et 3 700 Bq de carbone 14, ce qui représente une dose d’environ 0,20 mSv/an.) Après les irradiations naturelles, les irradiations médicales (radios du poumon) représentent dans les pays développés la deuxième contribution à l’exposition totale du public. Le tableau 3.5 donne la répartition de la dose naturelle pour chaque radioélément. Comme on le voit, les activités nucléaires d’origine humaine n’occupent qu’une place minoritaire dans l’exposition totale de la population. À titre indicatif, l’accident de Tchernobyl a exposé les Français à une dose moyenne de 0,09 mSv. Il faut noter que cette dose a été très inégalement répartie, ce qui donne lieu encore aujourd’hui à des annonces de valeurs parfois fort différentes pour une même région, selon que l’on donne les valeurs extrêmes relevées en des lieux très précis ou des doses moyennées sur de plus grandes surfaces.
44
Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant
Sources naturelles
Exposition
Exposition
Total
externe
interne
(mSv)
(mSv)
(mSv)
Radionucléides naturels primordiaux 40
K
87
Rb
0,12
238
U avec
232
Th
234
Th
234
Pa
234
U (équilibre)
0,17
0,29
0,0040
0,0040
0,0096
0,0096
0,0072
0,0072
0,0074
0,0074
0,0083
0,083
0,55
0,55
0,0013
0,0013
0,021
0,14
0,15
0,15
0,008
0,008
Radionucléides naturels secondaires Famille de 238 U : 230
Th
226
Ra
222
Rn et produits de filiation à vie courte
210
Pb–
0,08 210
Po
Famille de 224
232
Th :
228
Ra–
222
Rn et produits de filiation
Ra
0,12
Radionucléides d’origine cosmique 3
H 7 Be 14 C 22 Na
Rayonnements cosmiques (au niveau de la mer)
0,30
Total par colonne
0,62
0,30 ≈0,94
≈1,56
Tableau 3.5. Équivalents de dose effectifs engagés par an dus aux sources naturelles dans des régions à caractéristiques moyennes (en millisieverts). Toutes les sources étant pratiquement constantes dans le temps, ces valeurs représentent également les doses moyennes reçues chaque année.
3 3.1
Les doses acceptables L’approche de la Commission internationale de protection radiologique (CIPR)
Les doses acceptables pour les travailleurs et pour le public sont déterminées à partir d’une relation dose-effet supposée linéaire, sans seuil (Fig. 3.5). Cette relation dose-effet hypothétique est établie par un organisme international réunissant des experts scientifiques en radioprotection, la Commission internationale de protection
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
45
radiologique (CIPR). La relation linéaire sans seuil de la CIPR suppose qu’une dose de 1 mSv entraînera 50 cancers mortels en excès dans une population d’un million de personnes (à titre de référence, il y a un total de 200 000 cancers pour la même population). Comme on l’a vu plus haut, les études épidémiologiques qui fondent la relation dose-effet de la CIPR ont une base statistique encore relativement faible, en tous cas très insuffisante pour évaluer correctement l’effet des faibles doses. L’hypothèse de linéarité est surtout le reflet de l’ignorance actuelle ; elle a le mérite de la simplicité. L’absence de seuil supposée par la CIPR a des implications sociales non négligeables. La première conséquence est que, par hypothèse, le risque nul n’existe pas. Dans ces conditions, sur quel critère le législateur juge-t-il qu’une dose est acceptable ? Il s’agit d’abord de distribuer équitablement le risque et d’optimiser l’allocation des ressources de protection. C’est le principe ALARA (As Low As Reasonably Achievable, c’est-à-dire qu’on cherche à maintenir le risque aussi bas qu’il est raisonnablement possible, compte tenu des considérations économiques et sociales). 3.2
La réglementation française
La réglementation française spécifie les doses acceptables : – β ou criticité prompte). Le pilotage d’un réacteur à combustible uranium doit donc maintenir impérativement : ρ < β = 650 pcm. Les causes d’évolution de la réactivité sont nombreuses. Les évolutions lentes sont liées à l’usure du combustible et à sa conversion en d’autres isotopes, ainsi qu’à l’apparition progressive de produits de fission absorbeurs de neutrons, ou poisons neutroniques, et aussi d’actinides non fissiles (240 Pu, 242 Pu. . . ). Ces évolutions sont importantes sur la durée de vie du combustible mais sont aisément compensées par un lent déplacement de barres d’absorbant. La chute de réactivité du combustible qu’il s’agit de compenser dans un réacteur à eau sous pression est de 1 000 pcm par mois pendant 36 mois. 4.2
Les poisons neutroniques
Un cas particulier est l’apparition de poisons neutroniques retardés par une cascade β– comportant de longues périodes. L’exemple le plus classique est « l’effet xénon », qui fait référence au 135 Xe, produit de fission à forte section efficace de capture neutronique (poison neutronique). Avec une probabilité non négligeable, des fissions conduisent à partir du tellure 135 de période courte à une chaîne de désintégrations β successives donnant l’iode 135 de période 6,7 h puis le xénon 135 de période 9,2 h et enfin le césium 135 de très longue durée de vie. Dans un réacteur en fonctionnement, un équilibre « séculaire » s’établit entre la production de 135 Xe par les fissions et sa destruction par les neutrons. Une concentration limite est atteinte. Quand on arrête le réacteur, la destruction de xénon par absorption de neutrons cesse, sa concentration se met à croître, alimentée par la décroissance de l’iode. En quelques heures se produit une chute de réactivité qui peut dépasser 2 000 pcm 9 heures après l’arrêt. Puis l’iode s’épuise, le xénon 135 décroît à son tour par radioactivité β et environ 30 heures après l’arrêt, l’empoisonnement disparaît. Ce « pic xénon » peut empêcher le redémarrage d’un réacteur après un arrêt, par exemple en fin de cycle quand, par suite de l’usure du combustible, la réserve de réactivité pourrait n’être plus assez grande pour en contrebalancer l’effet. L’empoisonnement xénon a joué un rôle dans l’accident de Tchernobyl (voir chapitre 7).
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
61
4.3
L’effet Doppler
Les variations plus rapides de réactivité ont pour origine les variations de température du réacteur. L’effet le plus rapide et le plus sensible est l’effet Doppler dans le combustible : une augmentation locale de la température dans le combustible, donc une agitation accrue des noyaux de combustible, a pour effet d’élargir par effet Doppler les bandes d’absorption résonnante des neutrons épithermiques∗ , et donc d’augmenter la probabilité de capture des neutrons et de faire chuter la puissance neutronique dissipée localement. Cet effet de contre-réaction physique est précieux, puisqu’immédiat et local. L’effet Doppler, dont l’ordre de grandeur est de –2,5 pcm par ◦ C pour un réacteur à eau légère, est une composante autostabilisatrice essentielle à la régulation d’un réacteur. 4.4
Le coefficient de vidange
L’effet sur la réactivité de la variation de température du modérateur est plus faible, en raison de l’inertie thermique propre au modérateur. Lorsque le modérateur est liquide (eau lourde ou ordinaire), l’effet essentiel est sa dilatation, donc une chute du rapport du nombre de noyaux modérateurs au nombre de noyaux combustibles, ou rapport de modération. Un réacteur sous-modéré, où l’on accepte de ne pas ralentir complètement les neutrons jusqu’à l’énergie thermique, est stable vis-à-vis d’un échauffement du modérateur. À l’inverse, un excès de modération conduirait à une instabilité. L’ébullition du modérateur, cas extrême de dilatation, ne fait pas courir de risque d’emballement à un réacteur à eau sous-modéré, puisque l’excès de chaleur qui provoque l’ébullition provoque une chute de réactivité. On a d’ailleurs conçu une filière de réacteurs à eau bouillante (REB, ou BWR – boiling water reactor). 4.5
En réacteur rapide
Dans un réacteur rapide, donc sans modérateur, l’effet de la température résulte d’une compétition entre l’accroissement de réactivité par augmentation des fissions et la chute de réactivité par augmentation des captures. La capture peut avoir lieu sur un noyau fertile∗ (par exemple 238 U), transformant ce dernier en un noyau fissile∗ (239 Pu). La garantie d’un bilan global négatif oblige à une limite en teneur minimale de combustible fertile présent dans le réacteur rapide. Cette teneur est de l’ordre de 50 %. 4.6
Les amplitudes de réglage
L’amplitude totale de réglage de réactivité par les dispositifs de contrôle au cours de la consommation du combustible se décompose comme suit :
62
Chapitre 4. Le fonctionnement d’un réacteur nucléaire
– effet d’empoisonnement par le xénon et le samarium : 4 000 pcm ; – effet de température du modérateur (15 pcm/◦ C) : 1 000 pcm ; – effet de température du combustible : 1 000 pcm. Les diverses contributions à l’amplitude totale de 48 000 pcm ont des amplitudes variées et les temps caractéristiques de variation associés sont d’autant plus courts que l’amplitude est plus faible. C’est pourquoi le contrôle de réactivité est assuré par des techniques adaptées à chacun des couples amplitude/temps des sources de variation ci-dessus. Il existe des barres de compensation des usures et des empoisonnements du combustible, à mouvement lent et de grande course. Le pilotage fin est assuré par des barres peu absorbantes, rapides, à positionnement précis dans la zone à sensibilité maximale (barres à peine introduites dans le cœur). 4.7
L’arrêt de sécurité
La fonction d’arrêt de sécurité est assurée par des barres très absorbantes, de mouvement très rapide et de mécanique très sûre, assurant un enfoncement complet qui « étouffe » les réactions en chaîne. Dans les réacteurs à eau sous pression, on injecte un absorbant liquide (bore sous forme d’acide borique) dans le modérateur liquide, ce qui assure une diffusion homogène et rapide. C’est à la fois un mécanisme de contrôle fin de la réactivité (–10 pcm/ppm de bore) et un mécanisme de sécurité très simple et fiable par déversement massif de bore, sans faire appel à des mouvements mécaniques qui pourraient être bloqués après un tremblement de terre ou le retournement d’un bateau ou d’un sous-marin. 4.8
Les poisons consommables
La dernière pièce de l’arsenal des moyens de contrôle est l’ajout au combustible de poisons neutroniques∗ de très forte section efficace (gadolinium, erbium. . . ). Ces poisons sont dits consommables car ils sont mis en place de façon à disparaître au cours de la combustion. Très absorbants en début de cycle, au moment où la réactivité du combustible est forte, ils sont ensuite « consommés » plus rapidement que le combustible en raison même de leur forte section efficace, pour quasiment disparaître en fin de vie du combustible, lorsque la réserve de réactivité est faible et que toute absorption est une pénalité. Ce parcours dans le fonctionnement physique d’un cœur de réacteur à neutrons thermiques nous a montré comment agencer les isotopes fissiles, non fissiles et le modérateur pour amorcer une réaction en chaîne entretenue, et comment maintenir la réactivité dans la zone de pilotage sûr. Ceci est encore loin de constituer des filières technologiques de réacteurs. C’est vers l’examen des choix de filières que nous nous tournons maintenant.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
63
Bibliographie [1] M. Gauthron, Introduction au génie nucléaire, INSTN, collection « Enseignement », 1986. [2] A.V. Nero Jr, A Guidebook to Nuclear Reactors, University of California Press, 1979. [3] J. Bussac, P. Reuss, Traité de neutronique, Éd. Hermann, collection « Enseignement des Sciences », 1985. [4] P. Coppolani et al., La chaudière des réacteurs à eau sous pression, Collection « Génie Atomique », EDP Sciences, 2004. [5] J.M. Delhaye, Thermohydraulique des réacteurs, collection « Génie Atomique », EDP Sciences, 2008.
64
Chapitre 4. Le fonctionnement d’un réacteur nucléaire
5 Les différentes filières de réacteurs
Jean-Marc CAVEDON et Yves CASSAGNOU
Pour concevoir un réacteur nucléaire, on peut choisir a priori indépendamment l’isotope fissile (233 U, 235 U ou 239 Pu), l’isotope fertile (232 Th ou 238 U), l’énergie des neutrons (thermiques, rapides), le modérateur (H2 O, D2 O, graphite, néant), la géométrie de disposition du combustible et du modérateur homogène, hétérogène, intermédiaire), le caloporteur (H2 O, D2 O, CO2 , He, Na liquide, Pb liquide, sels fondus. . . ). Un très grand nombre de filières de réacteurs peuvent donc être imaginées. Bien entendu, certaines combinaisons sont irréalistes et bien d’autres, essayées aux premiers temps du nucléaire, n’ont jamais atteint le stade industriel. L’histoire du développement des filières depuis un demi-siècle est celle de la domination progressive de la filière des réacteurs à neutrons thermiques à uranium et eau légère, et dans celle-ci de la variante à eau sous pression.
1
Le choix des filières
Les choix de base sont d’opter pour le cycle de combustible uranium/plutonium ou le cycle thorium/uranium et de définir l’énergie à laquelle se produit la fission. Le cycle Th/U n’a jamais dépassé le stade expérimental : il implique nécessairement un fonctionnement en surgénération car le noyau qui fissionne est l’uranium 233, qui n’existe pas sur Terre. Le cycle Th/U est le seul pour lequel la surgénération soit
possible quelle que soit l’énergie des neutrons, quoique le bilan des neutrons thermiques soit délicat à équilibrer. Le cycle U/Pu est utilisé surtout avec des neutrons thermiques ; une fraction majoritaire des fissions provient de 235 U, le reste (environ un tiers quand même) provenant du 239 Pu créé par conversion de 238 U. L’utilisation de neutrons rapides correspond à la fission majoritaire de 239 Pu, la régénération à partir de 238 U pouvant être réglée de façon à consommer globalement du Pu (incinération) ou à en produire plus qu’il n’en est consommé (surgénération). Quelques unités de ce type dans le monde, couplées au réseau, fonctionnent en expérimentation ou en démonstration. Cette filière possède l’avantage décisif de ne pas limiter la combustion de l’uranium au seul isotope 235 U mais de permettre en principe la combustion quasi totale de l’uranium (235 U et 238 U), ce qui revient à multiplier les réserves d’énergie nucléaire par un facteur 50 à 100 (cf. § 9.2). Le choix du modérateur est en fait couplé à celui du caloporteur. Les combinaisons où le combustible, le modérateur et le caloporteur sont trois éléments distincts, sont a priori délicates, car elles comportent le risque intrinsèque de disparition du caloporteur alors que le combustible et le modérateur restent en présence, donc que de la puissance soit produite dans le cœur sans en être extraite. C’est notamment le cas de la configuration des réacteurs RBMK, dont Tchernobyl a tragiquement montré la faiblesse. Les choix essentiels de cette filière, uniquement présente dans l’ex-URSS, sont un combustible uranium, modéré au graphite et refroidi à l’eau. Associés à des choix d’agencement complexes pour le caloporteur (canaux multiples de refroidissement dans le cœur) et de systèmes d’arrêt d’urgence dangereux dans certains régimes de fonctionnement, les options de cette filière ont permis à des opérateurs particulièrement inconscients de déclencher la catastrophe que l’on sait (voir chapitre 7). La filière où le modérateur en graphite est refroidi par un gaz ne pose pas de problèmes aussi critiques, car on n’y rencontre pas la transition brutale liquide/gaz ou liquide/vide du caloporteur, qui engendre un saut brusque de température. Cette filière, qui a été celle des premiers réacteurs français (uranium naturel graphite gaz, UNGG) aujourd’hui arrêtés et dont il existe encore les équivalents anglais (MAGNOX), est maintenant reconsidérée sous la forme de réacteurs à haute température (HTR) dont on attend un bon rendement thermique. Les HTR sont décrits au chapitre 17. Le couplage modérateur-caloporteur habituel est de prendre l’eau (lourde ou ordinaire) pour les deux. Lorsque l’on recherche la compacité, l’eau ordinaire est le meilleur choix. L’utilisation de l’eau lourde, peu absorbante de neutrons, autorise l’uranium naturel comme combustible, en permettant de boucler un bilan neutronique très sensible aux pertes. L’autre couplage possible est l’association du combustible et du caloporteur sous forme de sels fondus. Le modérateur est alors solide (graphite). Cette filière n’a jamais dépassé le stade expérimental, malgré des avantages intrinsèques importants :
66
Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs
possibilité de régénération continue du combustible (extraction des poisons et rechargement en combustible frais), adaptation à tout type de combustible (U, Th, Pu). Un handicap majeur est cependant la faible maturité technologique de cette filière (voir chapitre 17). Bien d’autres contraintes interviennent dans la sélection des filières, notamment d’origine chimique (par exemple, l’incompatibilité sodium/eau) ou technologique (par exemple des températures maximales admissibles). Les filières réellement exploitées se limitent à quelques-unes, avec une majorité écrasante pour les réacteurs à neutrons thermiques et uranium légèrement enrichi, refroidis et modérés à l’eau ordinaire sous pression (REP) ou en ébullition (REB). Le tableau 5.1 récapitule les filières ayant atteint au moins le stade du prototype industriel et donne les puissances installées dans le monde en 2011 pour chacune. Type de réacteur
Élément Élément fissile fertile
Énergie Caloporteur Modérateur Gigawatts des électriques neutrons installés
235
U
238
U
thermiques
H2 O
H2 O
196
235
U
238
U
thermiques
H2 O
H2 O
80
Eau lourde
235
U
238
U
thermiques
D2 O
D2 O
20
Graphite-
235
U
238
U
thermiques
CO2
graphite
12
Haute
235
U
238
U
thermiques
hélium
graphite
0
température
233
Neutrons
239
rapides
sodium
néant
1,2
thermiques
sel fondu
graphite
0
Eau légère sous pression Eau légère bouillante
gaz-Unaturel U
Pu
232
Th
238
U
rapides Sel fondu
tous
tous
ou rapides Tableau 5.1. Les principales filières de réacteurs en activité en 2011.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
67
2
Les réacteurs à eau sous pression (REP)
Tous les réacteurs français en service sont de ce type, ne différant que par la taille c’est-à-dire la puissance : 900 MWe, 1 300 MWe (Fig. 5.1), 1 450 MWe puis 1 650 MWe pour les plus récents (EPR). Les réacteurs à eau sous pression, REP, sont aussi les plus répandus dans le monde (les deux tiers du parc, environ).
Figure 5.1. La centrale de Nogent-sur-Seine, avec ses deux réacteurs à eau pressurisée.
2.1
Le cœur et la cuve
Un REP, c’est d’abord un cœur constitué d’un grand nombre de petits tubes très longs, très fins qu’on appelle des crayons (en gros 6 m de long, 1 cm de diamètre, 1 mm d’épaisseur), dans lesquels sont empilées des pastilles d’oxyde d’uranium (chaque pastille : 1 cm de hauteur, 8 mm de diamètre). Les crayons sont regroupés en assemblages, chaque assemblage comportant 264 crayons. La puissance (et la taille) du réacteur dépend du nombre de ces assemblages, de 150 à 200. L’ensemble des crayons d’un assemblage forme une structure ouverte qui baigne dans de l’eau en mouvement : le cœur est au centre d’une grande cuve en acier (12 à 13 m de hauteur, 4 à 4,5 m de diamètre) dans laquelle est établie une circulation forcée d’eau sous pression (155 bars). Cette eau passe entre les crayons pour évacuer la chaleur engendrée par les fissions au sein des pastilles d’UO2 . En même temps, l’eau est le « modérateur » des neutrons : par des chocs successifs sur les atomes d’hydrogène
68
Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs
de l’eau, les neutrons sont ralentis jusqu’à l’énergie « thermique » où la fission est favorisée. En effet, le diamètre des crayons et l’espacement laissé entre eux pour la circulation de l’eau sont calculés pour optimiser la probabilité pour un neutron de naître d’une fission au sein d’un crayon et de perdre suffisamment d’énergie au cours de collisions dans l’intervalle entre crayons pour que, compte tenu de sa vitesse, il aille provoquer une nouvelle fission dans un autre crayon.
2.2
L’enceinte
La cuve est elle-même au centre d’une grande enceinte cylindrique en béton qui contient de nombreux organes assurant l’évacuation de la chaleur : il y a autour de la cuve trois ou quatre boucles de refroidissement, chacune composée d’une puissante pompe de circulation et d’un échangeur de chaleur (Fig. 5.2). Pourquoi un échangeur de chaleur ? Pour éviter que l’eau chaude qui vient du réacteur (toujours un peu
Figure 5.2. Principe de fonctionnement d’un réacteur à eau pressurisée (REP), par comparaison avec un réacteur à eau bouillante (REB).
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
69
radioactive, ne serait-ce qu’à cause des particules métalliques nées de la corrosion qu’elle transporte) n’aille directement dans le local des installations électriques. On interpose un échangeur de chaleur dont le circuit primaire peut être actif tandis que le circuit secondaire, qui fait la liaison avec la salle des machines, sera sans danger pour les agents électriciens. Cet échangeur de chaleur est en réalité un générateur de vapeur. En effet, il est alimenté, côté secondaire, par de l’eau à 75 bars seulement. Amenée à 280 ◦ C environ dans l’échange de chaleur, elle se met à bouillir à cette pression et c’est donc de la vapeur qui sort de l’enceinte et transporte l’énergie extraite du réacteur pour la transformer en électricité par la turbine et l’alternateur. On a donc à côté de l’enceinte contenant la cuve et les boucles de refroidissement un local annexe où la vapeur sous pression se détend, entretenant la rotation d’une turbine dont l’arbre est couplé au rotor d’un alternateur générateur d’électricité. La vapeur une fois détendue et refroidie est récupérée dans un condenseur d’où elle est renvoyée dans l’enceinte aux générateurs de vapeur. Une source froide, nécessaire pour maintenir basse la température du condenseur, est fournie par l’eau d’un fleuve ou celle de la mer si la centrale est implantée sur un rivage.
2.3
Le pilotage du réacteur
Le plus souvent, une centrale nucléaire est astreinte à fournir une puissance électrique donnée, fixée en fonction d’une prévision de consommation. Il est donc nécessaire de régler la puissance thermique, environ trois fois supérieure (le rendement d’un réacteur nucléaire ne dépasse pas 35 %, en raison de la température relativement basse de la vapeur). On règle la puissance du cœur en y introduisant une matière absorbant les neutrons, du carbure de bore en général, sous la forme de crayons plus ou moins enfoncés dans le cœur du réacteur. Le flux des neutrons étant à son maximum au centre du cœur, on rapprochera les crayons absorbants de ce centre pour abaisser la puissance, on les en éloignera pour l’accroître. On manœuvre plusieurs crayons absorbants en même temps, sous forme de grappes, pour éviter de créer localement des inhomogénéités dans la distribution du flux des neutrons. En plus de ces grappes de commande qui agissent par des déplacements limités, d’autres grappes de crayons absorbants fonctionnent par tout ou rien. Ce sont les « barres de sécurité » qui, dans un mouvement brutal et rapide, sont introduites dans le cœur pour stopper la réaction en chaîne. Il s’agit là d’une manoeuvre d’urgence qui est soit l’acte d’un opérateur, soit celui d’un automatisme répondant à l’indication d’une situation anormale. Ces barres de sécurité sont retenues en haut de la cuve audessus du cœur par des électroaimants. Il suffit de couper l’alimentation de ceux-ci pour que les barres, libérées, chutent, c’est-à-dire que sous l’action de leur propre poids, elles pénètrent dans le cœur et arrêtent la réaction en chaîne dans le réacteur.
70
Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs
Un autre réglage de la réactivité doit être réalisé sur une échelle de temps plus longue, car au cours du temps le combustible s’épuise. Ce dernier contient, lors du chargement, environ 4 % d’uranium 235. En règle générale, il passe quatre ans dans le réacteur (il est renouvelé par quart tous les ans) et cette teneur de 4 % est grossièrement réduite à 1 % au moment du déchargement. Quand il est neuf, le combustible est donc très réactif. Il est mis en périphérie du cœur, là où le flux de neutrons est minimal, pour être rapproché du centre au fur et à mesure qu’il s’use. Malgré cela, on est amené à compenser la réactivité d’un combustible renouvelé lors de l’arrêt annuel par l’introduction dans l’eau du circuit primaire d’un absorbant neutronique, le bore, sous forme d’acide borique dont la teneur, forte au début de cycle, sera réduite peu à peu en cours de cycle en fonction de l’usure du combustible.
2.4
Les auxiliaires
À côté de l’enceinte et du bâtiment des machines électriques, on trouve un troisième local, celui des auxiliaires. Un auxiliaire important est le circuit de refroidissement du réacteur à l’arrêt. Toutes barres absorbantes enfoncées, un réacteur nucléaire à l’arrêt n’en continue pas moins à dégager de la chaleur. En raison de la forte radioactivité du cœur, du rayonnement est émis en permanence, donc de l’énergie. Cette puissance résiduelle du réacteur représente 7 % de sa valeur nominale aussitôt après l’arrêt, 1 % au bout de 2 heures et demie et encore 0,5 % après une journée entière (soit 60 MW pour un réacteur de 1 000 MWe). Il est donc indispensable de continuer à refroidir le cœur. Assez rapidement, on n’aura cependant plus besoin des puissantes pompes du circuit primaire, grosses consommatrices d’énergie. On les remplace par les pompes mieux dimensionnées du circuit de refroidissement à l’arrêt. Un autre circuit auxiliaire important est le circuit de contrôle volumétrique et chimique dont le rôle est en premier lieu de maintenir constant le volume d’eau du circuit primaire. Celui-ci varie beaucoup en fonction de la température. Quand on arrête le réacteur pour recharger du combustible, on passe de l’arrêt à chaud (300 ◦ C environ et pression de 155 bars) à l’arrêt à froid (température inférieure à 60 ◦ C et 1 atmosphère) pour pouvoir ouvrir la cuve. La densité de l’eau passe de 0,7 environ à 1. Il faut donc rajouter de l’eau. Dans le même temps, à cause du coefficient négatif de température, la réactivité du cœur augmente, ce qu’on compense par une élévation de la concentration en acide borique. C’est le deuxième rôle de ce circuit : le réglage de la teneur en bore. Quand, rechargement effectué, couvercle de cuve remis en place, on redémarre le réacteur, il faut inversement réduire la quantité d’eau quand on l’échauffe et simultanément régler son acidité. Le coefficient de température du cœur est positif dans ces conditions et l’échauffement de l’eau est réalisé simplement en la brassant avec les pompes principales. On ne relève pas les
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barres de commande pour faire « diverger le réacteur » (enclencher la réaction en chaîne) tant que la température et la pression n’ont pas atteint 280 ◦ C et 155 bars. Le troisième rôle du circuit est de prélever en continu l’eau du modérateur par un piquage et de la faire passer sur des résines échangeuses d’ions pour la purifier, en particulier pour la débarrasser des résidus de corrosion qu’elle transporte et qui s’activent en passant dans le réacteur. On trouve aussi dans ce local d’autres auxiliaires intéressant plus spécialement la sûreté, comme le système de refroidissement de secours (injection de sécurité). Ils seront décrits dans le chapitre 6. 2.5
La manutention du combustible
Un grand réservoir rempli d’eau entoure le sommet de la cuve. C’est la « piscine » du réacteur. Pour renouveler le combustible, on enlève les mécanismes de commande des barres absorbantes, on enlève ensuite le couvercle de la cuve, ce qui met en communication la piscine pleine d’eau avec la cuve, elle aussi pleine d’eau. Des chariots de chargement roulant sur des rails se déplacent alors au-dessus de la piscine et de la cuve et manœuvrent les assemblages qui restent ainsi continuellement immergés. L’eau agit à la fois comme refroidissement des assemblages et comme écran absorbeur des rayonnements (protection biologique des opérateurs). La piscine communique par un sas avec un autre bassin situé hors de l’enceinte dans lequel sont stockés les assemblages neufs et ceux, irradiés, qui attendent leur transport à l’usine de retraitement.
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Les réacteurs à eau bouillante (REB)
Il existe un autre type de réacteur, très courant aux États-Unis (le tiers du parc), qu’on trouve aussi en Allemagne, en Suisse, en Suède, au Japon mais pas en France, le réacteur à eau bouillante (REB) (Fig. 5.3). Ce qui le distingue d’un REP, c’est le transfert direct de la chaleur depuis le cœur du réacteur jusqu’à la turbine (voir Fig. 5.2). Parce que l’eau qui circule entre les éléments de combustible est à la pression de 70 bars seulement au lieu de 155 bars dans un REP, elle entre en ébullition dans la partie haute du cœur et la vapeur produite va directement à la turbine pour se détendre et se recondenser en eau. Il n’y a donc pas de circuits primaire et secondaire, mais un seul circuit où la vapeur va du cœur aux groupes turbo-alternateurs en salle des machines puis au condenseur d’où il retourne au réacteur. Cet agencement différent entraîne plusieurs modifications : premièrement, il est encore plus nécessaire que dans un REP que l’eau de refroidissement ne soit pas radioactive puisqu’elle est admise dans un local
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Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs
Figure 5.3. La centrale de Brunswick, avec son réacteur à eau bouillante.
où se trouve du personnel. Ceci interdit l’utilisation d’acide borique qui, irradié, donne par décroissance du tritium. La compensation de l’usure du combustible est réalisée par d’autres moyens, par des poisons consommables par exemple. Même si l’eau est aussi pure que possible, elle s’active en passant dans le réacteur : l’oxygène de l’eau devient de l’azote radioactif, lequel redonne l’oxygène de départ avec une période heureusement courte de 7 secondes. De ce processus, il résulte une forte activité au sein de la vapeur. Celle-ci retombe à très peu de chose dès que, réacteur arrêté, la vapeur cesse de circuler. Ainsi s’explique pourquoi des protections contre les rayonnements sont placées autour des groupes turbo-alternateurs et pourquoi la circulation des électriciens est limitée et contrôlée en salle des machines, ce qui n’existe pas sur un REP. Autre modification : la température de la vapeur à la sortie du cœur étant très peu supérieure à la température de saturation, cette vapeur est très chargée en eau. En masse, on a à peine 15 % de vapeur pour 85 % d’eau. Le haut de la cuve audessus du cœur est occupé par des séparateurs eau-vapeur, sortes de cyclones, puis par des sécheurs. Une vapeur trop humide abîmerait très rapidement les ailettes de la turbine. L’eau récupérée à cet endroit (85 % du débit donc) est reprise par des pompes qui se trouvent sur les bords de la cuve, refoulée dans le cœur par la base après avoir été mélangée à celle qui vient du condenseur. Il y a donc deux circulations : une
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externe avec un débit en masse équivalent à celui du générateur de vapeur d’un REP de même puissance et une recirculation interne d’eau entre le haut et le bas du cœur, le débit total étant pratiquement égal à celui du circuit primaire d’un REP. Ainsi est prise en compte la différence d’efficacité entre un transfert de chaleur par convection dans un REP (une cinquantaine de calories par gramme d’eau) et un transfert de la même chaleur par changement de phase dans le REB (environ 7 à 8 fois plus par gramme vaporisé). À cause des organes séparateurs et sécheurs situés dans le haut de la cuve et des pompes qui assurent le recyclage latéral de l’eau, la cuve d’un BWR est plus haute (22 m) et plus large (6 m) que celle d’un REP (13 et 4 m). Bien que sa paroi soit moins épaisse, la pression à l’intérieur y étant deux fois moindre, son poids est finalement double (700 tonnes pour les 330 d’un REP). Le haut de la cuve étant occupé, les barres absorbantes de neutrons qui servent au pilotage du réacteur sont actionnées par le bas (en réalité ce sont des plaques qui s’insèrent entre les assemblages). En particulier, les barres de sécurité sont maintenues en permanence sous pression par un système hydraulique qui joue le rôle d’un ressort bandé. En cas d’urgence, le ressort est libéré et la pression propulse les barres dans le cœur. Comme dans un REP, le cœur est constitué d’assemblages de crayons, mais ceuxci sont moins nombreux, une soixantaine par assemblage. Il y a donc davantage d’assemblages (700 au lieu de 160 à 200). Les crayons ont un diamètre un peu supérieur. Ils contiennent, comme dans un REP, des pastilles d’oxyde d’uranium empilées un peu moins enrichies en isotope 235. Les assemblages de crayons, de section carrée, sont (c’est une différence) enfermés dans un boîtier qui fait canal de refroidissement (on dit aussi « tube de force »), ce qui permet un réglage à la base du cœur du débit d’eau froide en fonction de la chaleur produite dans chaque assemblage. Entre quatre assemblages contigus se déplacent des plaques montées en forme de croix sur un arbre, qui contiennent du carbure de bore. Ces plaques absorbantes de neutrons, plus nombreuses que dans un REP, servent surtout à uniformiser la puissance dans le cœur. Le fait qu’elles soient insérées par le bas de la cuve est bénéfique en ce sens : parce que l’ébullition prend naissance dans la partie supérieure du cœur, la densité du modérateur y est moindre, les neutrons y sont moins bien ralentis, les fissions moins probables. La répartition de la puissance suivant l’axe de la cuve est ainsi déformée au profit de la partie basse du cœur. L’introduction partielle de barres absorbant les neutrons dans cette région justement permet de corriger ce déséquilibre. Une autre différence entre REB et REP apparaît dans la conduite du réacteur. Nous venons de voir que les barres de carbure de bore servent surtout à uniformiser la puissance dans le cœur. Elles servent aussi, au moins partiellement, à compenser
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Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs
l’usure du combustible à la place de l’acide borique interdit. C’est en faisant varier le débit de l’eau recyclée à l’intérieur de la cuve qu’on pilote un REB : si on accélère ce débit, la quantité ou la grosseur des bulles de vapeur va diminuer dans le cœur, la densité du modérateur augmente, le ralentissement des neutrons est mieux réalisé, le nombre de fissions croît, la puissance monte puis se stabilise quand l’ébullition s’est accentuée. On a ainsi gravi un palier de puissance. Inversement, on diminue la puissance en réduisant le débit des boucles de recirculation, en jouant soit sur la vitesse de rotation des pompes, soit sur la plus ou moins grande ouverture de vannes placées à leur refoulement (c’est selon le constructeur). Cette façon de piloter le réacteur a l’avantage d’être rapide et d’éviter la perte inutile des neutrons dans des absorbants. En augmentant la taille des bulles de vapeur pour abaisser la puissance du réacteur, on accroît l’énergie moyenne des neutrons et par suite le rapport des captures aux fissions qu’ils induisent. Mais on y gagne : les captures dans l’uranium 238 conduisent à la production de plutonium 239 qui est fissile, tandis que la capture par le carbure de bore est tout à fait stérile. En pratique, sauf en période de démarrage, on pilote le réacteur REB uniquement par des variations de débit de l’eau recyclée dans la cuve.
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Les réacteurs à eau lourde
Les réacteurs à eau ordinaire, dite « légère » parfois, utilise, nous l’avons vu, un combustible où l’uranium a été enrichi jusqu’à 3 % environ en isotope 235 (l’uranium naturel n’en contient que 0,7 %). Ceci parce qu’il faut compenser le nombre important de neutrons qui sont absorbés par l’eau pour donner de l’eau lourde, l’atome d’hydrogène de l’eau devenant un atome de deutérium par capture d’un neutron. Ce défaut disparaît si l’on remplace l’eau par de l’eau lourde parce que celle-ci absorbe beaucoup moins les neutrons que l’eau légère. Plus économe en neutrons, l’eau lourde permet l’utilisation d’uranium naturel comme combustible. Ceci est un avantage évident parce que l’enrichissement à 4 % de l’uranium est une opération industrielle lourde et coûteuse. Les pays qui ont adopté l’eau lourde comme modérateur sont le Canada et l’Inde. Dans ce paragraphe, nous prendrons le réacteur canadien CANDU (Fig. 5.4) comme exemple type de cette filière. Parce que l’eau lourde est moins bon modérateur (l’atome de deutérium est deux fois plus lourd que le neutron, alors que l’atome d’hydrogène de l’eau ordinaire a la même masse), les neutrons parcourent une plus grande distance avant de provoquer une fission. On peut alors avoir plus d’espace entre les éléments de combustible, appelés ici aiguilles. Celles-ci sont groupées en faisceaux ou grappes dans des barres de plus grand diamètre et les intervalles entre barres deviennent de vrais canaux
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1. 2. 3. 4. 5. 6.
Calandre Flasque d’extrémité de la calandre Barres de contrôle et de sécurité Injecon de poison neutronique Assemblages combusbles Tubes d’alimentaon en eau
Canal Tube de force Grappe de crayons combusbles
Figure 5.4. Un réacteur à eau lourde de type CANDU. En encart : détail d’un assemblage combustible avec son tube de force.
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Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs
de circulation forcée d’eau légère dits « tubes de force ». Ces tubes traversent horizontalement le grand réservoir d’eau lourde qui constitue le modérateur, une cuve cylindrique à axe horizontal de 7,5 m de diamètre et 7,5 m de long. Dans ces tubes de force horizontaux, les éléments de combustible peuvent être facilement déplacés et changés. Cela ouvre la voie au remplacement du combustible, réacteur en marche, chaque canal pouvant être isolé indépendamment des autres. C’est là un avantage évident. On évite les arrêts annuels nécessaires sur un REP, au cours desquels le combustible est beaucoup manipulé et redistribué pour en uniformiser l’usure. Ici, chaque élément est suivi individuellement et remplacé à son heure, sans perturber le fonctionnement du réacteur. Cette gestion en ligne du combustible a un autre bénéfice : on n’a plus besoin de matière absorbante pour compenser son usure au cours d’un cycle. L’économie de neutrons ainsi réalisée par la suppression des poisons neutroniques se traduit par un « rapport de conversion » (le nombre de noyaux fissiles régénérés par captures dans 238 U, c’est-à-dire de noyaux de plutonium, divisé par le nombre de noyaux de 235 U perdus par fission) bien supérieur à celui d’un REP. Si, en plus, on remplace le fissile 235 U par 233 U dans un cycle au thorium (voir chapitre 17), les neutrons émis dans une fission étant plus nombreux, le facteur de conversion peut atteindre ou même dépasser 1. On produit alors autant, ou plus, de combustible que l’on en consomme. Le surgénérateur thermique est ainsi, en principe, réalisable. Comme dans un réacteur à eau légère, les éléments de combustible, les aiguilles, sont remplies de pastilles d’oxyde d’uranium (naturel, donc à 0,7 % de 235 U). Elles sont groupées en faisceaux. On compte plusieurs milliers de faisceaux dans le cœur, empilés bout à bout dans les tubes de force. Comme dans un REP, l’eau lourde de refroidissement, maintenue à la pression de 100 bars pour ne pas bouillir à 310 ◦ C en sortant du cœur, est mise en circulation par de grosses pompes (il y en a quatre dans un CANDU de 600 MWe) pour être envoyée à des générateurs de vapeur dont le secondaire est en eau légère. Ce sont donc les parois des tubes de force qui jouent le rôle de barrière en lieu et place de la cuve des REP (la première barrière contre la contamination par les produits de fission étant pareillement la gaine en alliage de zirconium des aiguilles). Le modérateur est, lui, à une pression proche de la pression atmosphérique. Il a un circuit de refroidissement propre pour maintenir sa température aux environs de 70 ◦ C. S’il n’y a pas de barres absorbantes pour compenser l’usure du combustible, il y a des barres verticales de cadmium qui peuvent chuter par gravité pour arrêter en urgence le réacteur. Le pilotage de routine se fait en introduisant, dans certaines parties du cœur, de l’eau légère, qui est un poison neutronique si on le compare à l’eau lourde. Le contrôle de la réactivité au démarrage est obtenu par addition de gadolinium, un autre poison, au modérateur.
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L’ensemble de la « calandre » (nom donné à la cuve et ses tubes de force), des pompes primaires et des générateurs de vapeur est enfermé dans une enceinte en béton comme dans la filière REP. À côté, se trouvent le bâtiment des turbo-alternateurs et le condenseur. Il y a aussi un local pour les auxiliaires parmi lesquels le circuit de refroidissement du réacteur à l’arrêt et surtout le circuit de purification de l’eau lourde. Ce circuit, en dérivation sur le refoulement des pompes principales, fait passer l’eau lourde sur des résines échangeuses d’ions pour la débarrasser des produits de corrosion susceptibles de s’activer dans le cœur et d’y absorber des neutrons. L’eau lourde purifiée est rendue à l’aspiration des pompes principales. Le volume du modérateur est aussi contrôlé en fonction du niveau de puissance du réacteur ainsi que sa pureté si du bore ou du gadolinium y a été introduit. On trouve encore dans ce bâtiment des auxiliaires une unité de traitement de l’eau lourde récupérée lors des fuites de façon à en limiter les pertes. Le coût de l’eau lourde justifie cette disposition. Ce qui désavantage ce réacteur, c’est la quantité d’eau lourde nécessaire au démarrage. Le litre d’eau lourde vaut cher, ce qui implique un gros investissement au moment de la construction. Ceci explique que dans les pays où, pour d’autres raisons (militaires), une usine d’enrichissement d’uranium a été construite, la filière ait été abandonnée quand elle a été expérimentée (ce fut le cas en France). Un autre inconvénient est que le taux de combustion est faible : 8 000 MWj/t au lieu de 52 000 pour les REP. Ceci vient de ce que l’on n’a que 0,7 % de noyaux fissiles au départ dans le combustible au lieu de 3 %. Enfin, avec un bon taux de conversion (0,75 typiquement pour 0,60 dans un REP), on retrouve beaucoup de plutonium fissile dans le combustible brûlé. Si l’on veut en tirer profit, il faut retraiter ce combustible. Sinon le plutonium a pour seul effet d’accroître la radioactivité des déchets. Comme il est facile de changer souvent les éléments de combustible sans arrêter le réacteur, ce qui est utile si l’on veut en tirer du plutonium plutôt que de l’énergie, on accuse cette filière, déjà davantage plutonigène que les autres, d’être à l’origine de l’accession de certains pays, tels l’Inde, à l’arme nucléaire.
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Les réacteurs à neutrons rapides (RNR)
Dans les années 1970, le monde entier fut saisi d’une crainte de manquer d’uranium pour alimenter les centrales nucléaires ; crainte fondée sur des surestimations des besoins d’énergie et une sous-estimation des possibilités d’économiser l’énergie. Certains pays, comme la France et le Japon, se sont alors lancés dans un programme industriel de réacteurs à neutrons rapides, en visant plutôt des surgénérateurs pour répondre à une future pénurie de combustible, alors qu’aujourd’hui on envisagerait plutôt l’isogénération ou même la sous-génération (fonctionnement en incinérateur de déchets). Ainsi furent construits en France un prototype – Rapsodie (40 MWth)
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Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs
en 1963 –, un démonstrateur – Phénix (230 MWe) en 1979 –, une centrale – Superphénix (1 200 MWe) en 1985 que devait suivre dans la foulée un 1 500 MWe, projet abandonné, la pénurie prévue se faisant attendre. 5.1
Les particularités des réacteurs à neutrons rapides
Ce qui fait la grande différence entre un réacteur à neutrons rapides et un réacteur thermique, c’est que le fluide qui transporte hors du réacteur la chaleur pour la transformer en électricité n’est pas un modérateur. Dans la version la plus mûre de ce type de réacteur, le caloporteur est du sodium fondu, un métal excellent conducteur de la chaleur, choisi pour ses propriétés thermiques. Les noyaux de sodium, en raison de leur masse (23 fois celle d’un neutron), ralentissent très peu les neutrons et ceux-ci sont encore très énergiques quand ils induisent une fission. Comme la probabilité d’une fission est plus faible à haute énergie qu’aux énergies thermiques (d’un facteur 100 en gros), pour compenser il faut augmenter le nombre de noyaux cibles (le combustible contient 15 à 18 % de plutonium au lieu des 3 % d’uranium 235 dans un REP et 0,7 % dans un CANDU) et le flux des neutrons (10 fois plus élevé). Il en résulte que la puissance spécifique, c’est-à-dire la chaleur produite par unité de masse de combustible, est plus grande (d’un facteur 10 aussi). C’est pourquoi un métal fondu comme le sodium, très efficace dans l’extraction de la chaleur, est nécessaire. Le sodium fondu a été choisi par de nombreux pays ayant construit un réacteur à neutrons rapides (Fig. 5.5). Une autre différence est l’existence d’un circuit intermédiaire entre le circuit primaire d’évacuation de la chaleur du cœur et le circuit secondaire qui, comme dans un REP, produit la vapeur surchauffée alimentant la turbine. Ce circuit intermédiaire de sodium non radioactif (il ne traverse pas le cœur) a deux fonctions : – permettre de confiner dans la cuve le circuit primaire et la radioactivité qu’il pourrait contenir et en isoler les locaux où la vapeur est produite ; – empêcher qu’à la suite de la rupture d’un tube de générateur de vapeur, une interaction du sodium avec l’eau ne s’étende au cœur du réacteur. Le sodium en effet, au contact de l’eau, donne de la soude, tandis que de l’hydrogène se dégage. Cette soude, si elle pouvait arriver dans le cœur, attaquerait dans la cuve les parties métalliques portées à haute température. Le cœur d’un RNR est plus compact que celui d’un réacteur thermique puisqu’il n’y a pas de modérateur. Les éléments de combustible sont des tubes d’acier inoxydable (en France de l’acier austénitique qui a un taux très bas d’oxygène) remplis d’un mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium. Les aiguilles de combustible sont tassées dans les assemblages en laissant juste un espace réduit entre elles pour le sodium liquide qui les refroidit. Les assemblages de forme hexagonale sont eux aussi collés les uns aux autres dans le cœur. Ils présentent sur chaque face de leur paroi, dans les parties inférieure et
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Figure 5.5. Un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium, version « piscine ».
supérieure, des plaques en surépaisseur qui réduisent l’intervalle interassemblage. Cette compacité du cœur est renforcée lorsque le réacteur est en puissance par l’effet de la dilatation et le jeu entre les assemblages se réduit encore, réalisant ce qu’on appelle « un cerclage naturel ». C’est un facteur important pour la sûreté du réacteur parce que, avec le cœur ainsi comprimé, toute élévation de la température tend à augmenter le rayon de l’ensemble. Il en résulte un coefficient négatif de réactivité qui rend le réacteur stable. Le cœur n’est pas homogène : au centre, se trouve la zone dite fissile dans laquelle est situé le combustible UO2 + PuO2 dont nous venons de parler ; il est entouré d’une couverture latérale et axiale d’uranium naturel ou appauvri, dite zone fertile, dans laquelle s’opère majoritairement la surgénération. Les neutrons qui s’échappent de ce cœur sont arrêtés au-delà par des assemblages en acier qui constituent la protection biologique et qui, en plus, participent au cerclage du cœur.
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Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs
Une autre différence concerne la pression du caloporteur : le sodium fondu d’un RNR bout à près de 900 ◦ C à la pression atmosphérique. Il n’y a donc nul besoin d’une forte pression pour le maintenir à l’état liquide quand il passe de 400 ◦ C à 550 ◦ C en traversant le cœur du réacteur. En raison de l’absence de pression, la cuve et les canalisations de sodium ont des épaisseurs faibles. De plus, la température élevée du sodium à la sortie du cœur permet, malgré une très légère dégradation due à l’existence d’un échangeur intermédiaire, de produire une vapeur surchauffée (à près de 500 ◦ C et sous 184 bars) avec laquelle le rendement thermodynamique atteint aisément 40 % contre un maigre 34 % pour le REP. En revanche, l’échauffement du sodium lors de son passage dans le cœur (150 ◦ C contre 36 ◦ C seulement dans le cas de l’eau) est à l’origine de contraintes thermiques importantes : quand on passe de l’arrêt à la pleine puissance, la cuve et les circuits de refroidissement sont soumis à une grande variation de température. Sur des structures de grandes dimensions, il faut prévoir des déplacements dus à la dilatation du métal. L’emploi de sodium liquide ne va pas sans imposer des sujétions importantes. Il faut éviter tout contact avec l’air. L’atmosphère au-dessus du sodium liquide doit être inerte : de l’argon ou, à défaut, de l’azote. Il y a donc toute une circulation annexe d’argon prête à remplir en permanence et partout tout volume évacué par du sodium en mouvement. 5.2
Les contraintes de sûreté imposées par le sodium fondu
Une particularité des RNR est la mise en circulation du sodium fondu par des pompes électromagnétiques, car le sodium, un métal, est un bon conducteur de l’électricité. En contrepartie, cette propriété du sodium rend difficile l’inspection des tubes de générateur de vapeur pour en rechercher les fissures. Cette inspection se fait dans les REP par des mesures de courants de Foucault à l’endroit des soudures qui sont les points les plus fragiles des tubes. Si la fissure a été colmatée par le sodium, en raison de sa propriété de conduire l’électricité, la mesure risque de ne pas détecter de défaut. Or, on doit éviter toute défaillance d’un de ces tubes dans lesquels se vaporise de l’eau à 160-180 bars de pression. C’est en effet le seul endroit où le sodium et l’eau ne sont séparés que par une paroi mince. En cas de rupture, un jet d’eau et de vapeur jaillit comme une flamme au milieu du sodium. De la soude se forme avec dégagement d’hydrogène. C’est pourquoi la détection de ce gaz est une nécessité sur les générateurs de vapeur. Une autre conséquence de la grande réactivité chimique du sodium, c’est qu’il faut constamment le purifier. Dès qu’on change un élément de combustible ou une portion de circuit, de l’air adsorbé à la surface de ces objets est introduit dans le sodium. Des oxydes et des hydrures ainsi que de la soude se forment, qui sont susceptibles d’attaquer les parois métalliques à 500 ◦ C, comme les tubes des générateurs de vapeur.
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On contrôle en permanence la pureté du sodium et on le purifie avec des dispositifs basés sur le même principe : quand on refroidit le sodium, les impuretés précipitent car leur solubilité dans le sodium baisse. On aura donc en de nombreux points des circuits des boucles avec pièges froids qui, selon leur dimension, sont soit des contrôleurs de la pureté, soit de véritables systèmes de purification. De même, l’argon est lui aussi purifié en permanence en le faisant barboter dans des réservoirs remplis d’un mélange de soude et de potasse pour le débarrasser de l’oxygène qu’il pourrait transporter. Dans ce qui précède, nous avons implicitement laissé penser que le circuit intermédiaire était complètement extérieur à la cuve. C’est souvent le cas. Mais sur les RNR français Phénix et Superphénix, une disposition différente, dite « intégrée », a été adoptée dans laquelle les échangeurs et les pompes des circuits primaires sont placés dans la cuve. Cette conception a l’avantage de réduire de beaucoup les problèmes posés par les grandes variations de température (jusqu’à 300 ◦ C) que subissent les tuyauteries dans les circuits de sodium extérieurs, mais a l’inconvénient que la cuve doit avoir une plus grande dimension et contenir un volume de sodium considérable (6 000 tonnes). Certains voient là un danger, compte tenu de la grande activité chimique du sodium. Comme il s’enflamme spontanément à l’air, ce sodium en grande quantité leur fait penser à une bombe prête à exploser. En réalité, d’après les spécialistes, le sodium en feu est beaucoup moins dangereux que le pétrole ou l’essence que l’on stocke dans de grandes cuves dans les raffineries. En brûlant, le sodium liquide forme à sa surface une croûte d’oxyde qui empêche l’incendie de se développer en profondeur et limite le rayonnement de chaleur. On peut ainsi s’approcher d’un feu de sodium et le combattre avec des extincteurs à poudre pour l’étouffer. Dans un incendie de raffinerie ou sur un puits de pétrole en feu, on ne peut pas faire grand-chose, à cause du rayonnement intense qui interdit d’approcher. Une ultime différence entre RNR et réacteurs thermiques concerne la manipulation du combustible. Sur un REP, les choses sont simples : les manutentions se font dans l’eau, qui fait écran à la radioactivité sans boucher la vue. Le sodium liquide est, lui, opaque et il faut maintenir au-dessus de sa surface une atmosphère inerte. Toutes les opérations doivent se faire dans un volume clos, en aveugle, avec cette difficulté supplémentaire que les variations de température induisent un certain jeu dans les emplacements à atteindre. On opère de la façon suivante : une combinaison de bouchons rotatifs permet d’atteindre n’importe quel emplacement d’assemblage, sans rien voir. Si la cuve est de type intégré, elle a des dimensions suffisantes pour qu’en partie supérieure soit aménagée une zone de stockage temporaire où le combustible est amené par un bras tournant et où il est refroidi en même temps que le cœur. S’il faut sortir un élément de combustible, le processus est complexe : ce combustible est d’abord enfermé dans un pot rempli d’argon, puis une machine de transfert en
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Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs
forme de grand compas prélève ce pot et, toujours sous argon, le transporte dans une autre cuve remplie de sodium destiné au stockage. 5.3
Un bilan contrasté pour les surgénérateurs
Des problèmes récurrents posés par ces manœuvres délicates sur Superphénix (auxquels se sont ajoutées d’autres pannes trop fréquentes) ont fini par paralyser l’installation, qui a été arrêtée en 1997 lors d’un changement de contexte politique. Pourtant, Phénix, le modèle précédent moins puissant, a donné toute satisfaction dans son fonctionnement pendant une longue période. Si le combat contre l’effet de serre et ses conséquences sur le climat poussait un jour à une utilisation plus large de l’énergie nucléaire, nous pourrions nous repentir de gaspiller l’uranium comme on le fait actuellement puisque seul l’isotope 235 entre dans le processus de production d’énergie, soit 0,7 % de l’uranium extrait de la mine. Le surgénérateur qui permet la conversion en fissile de l’isotope 238, donc des 99,3 % restants, ouvrirait alors la voie d’une source d’énergie pour des centaines d’années. Un rêve de physicien et d’énergéticien, mais un casse-tête de technologue. Pour le moment, le taux de combustion dans un RNR atteint 100 000 MWj/t comparé à 52 000 pour un REP. Compte tenu de la forte proportion de matière fissile que contiennent les éléments combustibles, on devrait pouvoir aller bien au-delà. Effectivement, certains éléments ont atteint 160 000 MWj/t dans le réacteur Rapsodie. Ce qui limite le taux de combustion, c’est la gaine en acier qui résiste mal à l’intense flux de neutrons auquel elle est soumise. Des cavités s’y créent qui provoquent un gonflement de l’acier. Le faisceau des aiguilles de combustible et son fourreau hexagonal se déforment : ils se courbent, faisant un arc, s’éloignant de l’axe du cœur en parties supérieures et inférieures (ce qu’on appelle gerbage). On peut craindre que le refroidissement ne soit entravé et même que les espaces entre aiguilles ne se bouchent. On ne peut pas facilement dépasser cette limitation du taux de combustion. On ne peut pas non plus enrichir le combustible en plutonium sans faire baisser le nombre des neutrons retardés, qui sont essentiels pour la sûreté du réacteur. Le multirecyclage du combustible semble donc inévitable. Les problèmes posés par le retraitement des combustibles de RNR sont bien dominés à l’échelle du laboratoire mais les procédés n’ont pas encore été éprouvés à l’échelle industrielle. La valorisation du combustible, dont on fait le grand argument de la filière, est encore un potentiel qui reste à exploiter. En ce qui concerne la prolifération, le RNR attire l’attention, en raison de la grande quantité de plutonium qu’il contient (4,8 tonnes dans Superphénix) et des transports à prévoir entre centrale, usine de retraitement et ateliers de fabrication de combustibles. C’est pour cette raison que les Américains ont toujours été hostiles à la solution retraitement + réacteurs rapides pour l’aval du cycle dans le nucléaire
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Figure 5.6. Hall du réacteur de la centrale Phénix. Implantée sur les bords du Rhône, faisant partie intégrante du site nucléaire de Marcoule dans le Gard, Phénix est une centrale prototype de la filière des réacteurs à neutrons rapides à sodium RNR. Sa première divergence a eu lieu en 1973 et les premiers kWh livrés sur le réseau en juillet 1974. Après d’importants travaux de rénovation, Phénix a été utilisé pour l’étude de la transmutation des actinides, mais l’expérience acquise bénéficie également aux recherches sur les systèmes nucléaires du futur. Le réacteur a fonctionné sans difficulté jusqu’en 2010, date de son arrêt définitif.
civil et qu’ils privilégient le stockage direct du combustible usé. Mais l’indépendance énergétique de leur pays leur permet de faire peu de cas des isotopes fissiles mis aux déchets.
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Finalement, la filière des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium est aujourd’hui handicapée par sa complexité, son coût et ses problèmes de sûreté particuliers (proximité du sodium et de l’eau). Son seul point positif, mais il est majeur, est son utilisation particulièrement efficace de tous les isotopes de l’uranium, avec les perspectives de disposer de combustible fissile pour des milliers d’années. Dans un contexte de faible pression sur le marché de l’uranium « frais » et de faible intérêt pour la préservation des ressources des générations futures, il ne faut pas s’étonner des nombreuses critiques faites à la filière RNR malgré la preuve de faisabilité que constitue l’excellent fonctionnement des prototypes Rapsodie et Phénix (Fig. 5.6). Ce parcours nous a enrichis de toute la complexité des choix et des enjeux technologiques. La diversité des choix possibles et l’émergence de filières dominantes sont parfois présentées, à juste titre, comme une sélection quasiment darwinienne. Nous avons examiné les filières victorieuses, avec une mention spéciale pour la filière à neutrons rapides. Cette dernière n’apportera son bénéfice qu’aux générations futures, ce qui l’affaiblit dans la sélection actuelle. Maintenant que nous avons une vision de la technologie des filières en fonctionnement normal, nous sommes prêts à aborder les fonctionnements accidentels, objet du chapitre suivant.
Bibliographie [1] S. Gladstone, A. Sesonke, Nuclear Reactor Engineering, Ed. Chapman and Hill, New York, 1994.
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6 La sûreté des réacteurs nucléaires Yves CASSAGNOU
La sûreté, pour les centrales nucléaires, a pour objectif la prévention des accidents. Elle est assurée par la conception de procédures, d’automatismes mettant en œuvre des matériels adaptés qui permettront, par exemple à la suite d’une défaillance matérielle, de reprendre rapidement le contrôle du réacteur et de le ramener dans un état sûr. Par exemple, la première et la plus simple action de prévention est la « chute des barres∗ ». Ces barres (en réalité des crayons de carbure de bore absorbant les neutrons) sont normalement maintenues au-dessus du cœur par des électro-aimants. Si une action de l’opérateur ou un automatisme provoque la coupure du courant de ces électro-aimants, les barres chutent par gravité dans le cœur, ce qui entraîne l’arrêt immédiat de la réaction en chaîne∗ et la baisse instantanée de la puissance à environ 6–7 % de sa valeur initiale. Cette puissance résiduelle∗ , due à la radioactivité du cœur, décroît ensuite plus lentement : 1 % au bout d’une heure, 0,15 % après un mois, etc. (voir encadré sur la puissance résiduelle, p. 112). Ceci implique qu’il faut continuer à refroidir le cœur d’un réacteur à l’arrêt. La sûreté est aussi une culture de rigueur et d’exigences impliquant la recherche incessante (et souvent internationale) du meilleur dans la conception des réacteurs, la qualité des matériels, les consignes de fonctionnement, la formation des opérateurs. Deux « principes » guident la définition d’un dispositif de sûreté : indépendance et redondance. Ainsi plusieurs types de capteurs envoient par des voies indépendantes la valeur d’un paramètre, valeur qui sera considérée comme signalant un défaut
si au moins deux capteurs sur quatre (par exemple) donnent en même temps une information anormale. Dans ce qui suit, on considérera surtout les réacteurs à eau sous pression, majoritaires dans le monde et les seuls en service en France. La généralisation aux réacteurs à eau bouillante est le plus souvent possible.
Le fonctionnement des circuits de refroidissement d’un réacteur 1
Comme toute centrale thermique, un réacteur nucléaire génère de l’électricité en produisant d’abord de la vapeur sous pression à partir d’eau. L’énergie mécanique libérée dans la détente de cette vapeur jusqu’à sa recondensation en eau est partiellement récupérée par une turbine couplée à un alternateur. L’eau de condensation est renvoyée au générateur de vapeur formant ainsi une boucle fermée (voir sur la figure 6.1 le circuit EA = eau, GV = générateur de vapeur, V = vapeur). Un circuit relais d’eau sous forte pression, dit circuit primaire, transmet la chaleur du réacteur au générateur de vapeur (sur la figure, circuit R = réacteur, GV, PP = pompe principale). Ceci protège les groupes turboalternateurs d’une éventuelle contamination provenant du cœur.
Figure 6.1. Principaux circuits de refroidissement et de sécurité d’une chaudière nucléaire de type REP.
Un paramètre essentiel dans ce processus est donc la pression. Dans le circuit primaire, elle est régulée par le pressuriseur (PR). En actionnant des chaufferettes (CC)
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dans la partie inférieure remplie d’eau (en cas de pression trop basse) ou à l’aide du système d’aspersion d’eau (AS) dans la partie supérieure où se tient la vapeur (en cas de pression trop élevée), on maintient constant en partie médiane un niveau d’eau qui correspond aux 155 bars du circuit primaire. Au cas où, accidentellement, la pression s’élèverait brusquement, une soupape de décharge de la vapeur s’ouvre au sommet du pressuriseur (SD). De même, les niveaux de l’eau dans les secondaires des générateurs de vapeur sont régulés en permanence pour y maintenir une pression de 70 bars. Une soupape s’ouvre également en aval sur le circuit de la vapeur si la pression dépasse un seuil fixé. Les autres paramètres contrôlés sont des débits et des températures en plusieurs points des circuits d’extraction de la chaleur, le flux des neutrons dans le cœur, le taux de variation de ce flux c’est-à-dire la réactivité∗ et la variation de cette réactivité en fonction du temps (la « période » du réacteur). Ces paramètres peuvent varier dans une plage fixée de valeurs précalculées. Si un paramètre sort brutalement de cette plage, on a un incident de fonctionnement auquel font face des automatismes de protection. Par exemple, si le groupe turboalternateur est, de façon imprévue, déconnecté du réseau, la demande d’électricité va tomber d’un coup à zéro, la turbine n’aura plus besoin de vapeur et la pression secondaire va monter anormalement. Un automatisme permettra d’envoyer directement la vapeur au condenseur en courtcircuitant la turbine et, en cas de défaillance de ce dispositif, d’actionner la soupape qui laissera s’échapper la vapeur vers l’atmosphère. Les automatismes de protection ont ainsi pour fonction de ramener les paramètres à des valeurs normales au cours d’un transitoire. Les réacteurs de l’EDF fonctionnent le plus souvent en « suivi de charge », c’està-dire qu’ils doivent fournir à tout instant une puissance électrique fixée par le régulateur central de réseau en fonction d’une consommation prévue. Dans certains cas, le réacteur peut être amené à suivre de plus près les variations de cette consommation. Le régulateur central gère alors directement la puissance demandée au groupe turboalternateur ; cette puissance est réglée par action sur les vannes d’admission de la vapeur à la turbine. La puissance du réacteur est ajustée à celle demandée au groupe par un système automatique de régulation qui modifie la position des barres (ou grappes) de commande. Dans une centrale à eau sous pression, le réacteur est en quelque sorte l’esclave de sa turbine.
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Les trois barrières
Le danger majeur que peut présenter un réacteur nucléaire, c’est le relâchement de matières radioactives à l’occasion d’un accident. Trois barrières∗ s’y opposent (Fig. 6.2) : les produits de fission∗ et les actinides∗ sont des noyaux lourds d’énergie
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Circuit primaire (2° barrière)
Cœur – combustible (gaine : 1° barrière)
Figure 6.2. Les trois barrières des réacteurs à eau pressurisée.
trop faible pour pouvoir sortir facilement du combustible. La plupart restent au sein des pastilles combustibles : seuls les plus volatils peuvent s’échapper hors de la matrice cristalline de la céramique combustible, mais ceux-ci restent enfermés à l’intérieur du crayon∗ , dont la gaine en alliage de zirconium est étanche. Le combustible et sa gaine∗ constituent donc la première barrière. Si un point chaud se développe en un endroit de la gaine ou si celle-ci a là un défaut qui limite l’échange de chaleur, la gaine peut se déformer par gonflement et à la longue se fissurer. Alors l’eau du circuit primaire sera contaminée. Cette eau tourne en boucle fermée entre le réacteur et les générateurs de vapeur. La radioactivité y restera prisonnière. C’est la deuxième barrière. Dans des accidents graves, une fuite plus ou moins importante peut survenir sur le circuit primaire∗ . Une séquence automatique de contre-mesures arrête le réacteur, met en route l’injection de secours (décrite ci-après), isole les générateurs de vapeur côté secondaire de même que quelques circuits annexes branchés sur le circuit primaire dont certaines canalisations traversent l’enceinte. Celle-ci, devenue complètement étanche, jouera alors son rôle de confinement de la radioactivité. C’est la troisième barrière.
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Dans les réacteurs les plus récents ou en projet, l’enceinte de confinement est dédoublée : une première enceinte en acier (ou en béton précontraint sur les réacteurs à eau sous pression 1 300 MW) est recouverte d’une deuxième en béton, l’espace intermédiaire pouvant être utilisé pour un refroidissement de l’enceinte par circulation naturelle, ou forcée, d’eau ou d’air, avec récupération ou non des fuites de la première enceinte. 3
Les circuits auxiliaires de sauvegarde
Nous avons vu qu’un réacteur doit toujours être refroidi, même à l’arrêt. Toute défaillance des circuits d’eau provoque l’intervention automatique de systèmes de secours. 3.1
L’injection de sécurité
L’injection de sécurité a pour rôle de maintenir constant le volume d’eau nécessaire à l’extraction de la chaleur produite par le réacteur. Elle est assurée par trois circuits : haute pression, accumulateurs, basse pression. Le premier injecte de l’eau sous forte pression dans les boucles de refroidissement quand on observe une chute de la pression dans le circuit primaire (RIS, voir figure 6.1). Cette eau contient de l’acide borique pour introduire en même temps une forte antiréactivité∗ . L’eau est prise dans le réservoir de remplissage de la piscine qu’on utilise lors du déchargement du combustible. Ce circuit d’injection de secours à haute pression a un débit calculé pour pallier une perte modeste de réfrigérant. Dans le cas d’une plus grosse brèche, des accumulateurs d’eau mélangée d’acide borique (a) se vident ensuite automatiquement dès que la pression dans le circuit primaire est descendue sous un seuil limite. Si celle-ci continue à baisser, des pompes à basse pression du troisième circuit prennent le relais et injectent à fort débit l’eau du réservoir de la piscine (PI) dans les boucles de refroidissement. Avant que celui-ci ne soit vide, toujours dans ce cas d’une grosse fuite susceptible de vider entièrement la cuve∗ , l’eau qui s’écoule par la brèche est récupérée au fond de l’enceinte étanche dans un puisard et envoyée, par des pompes de recirculation, dans le circuit primaire et dans le circuit d’aspersion, décrit ci-après. 3.2
L’aspersion de l’enceinte
Le circuit d’aspersion réalise un refroidissement auxiliaire du réacteur par l’extérieur de la cuve, en double ou en remplacement éventuel du refroidissement normal. À la suite d’une rupture dans le circuit primaire, de la vapeur très chaude accompagne
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l’eau et se répand dans l’enceinte. L’eau, récupérée dans des puisards dans le bas de l’enceinte, éventuellement refroidie dans des échangeurs annexes, est déversée en pluie à partir du toit de l’enceinte. Cette aspersion a deux fonctions : – elle condense la vapeur et l’entraîne vers le puisard dans le bas de l’enceinte, ce qui aide à maintenir la pression et la température dans celle-ci à des valeurs inférieures à celles pour lesquelles elle a été calculée ; – l’iode 131, entraîné par la vapeur si des gaines se sont rompues, est le produit de fission le plus dangereux pour l’environnement à ce stade de l’accident. L’aspersion permet de rabattre cet iode vers le bas de l’enceinte, en le dissolvant dans l’eau. Sa récupération est une première parade contre une possible contamination de l’environnement. 3.3
L’alimentation de secours des générateurs de vapeur
Dans le cas d’une coupure totale de l’alimentation électrique de la centrale (normalement celle-ci reçoit le courant du cœur réseau par deux voies indépendantes), on peut craindre un assèchement très rapide (15 minutes environ) des générateurs de vapeur par manque d’eau secondaire. En moins d’une minute, après arrêt du réacteur, un circuit d’alimentation de secours entre en fonction avec des turbopompes alimentées par prélèvement de vapeur sur les tuyauteries principales des générateurs de vapeur ; ces pompes sont doublées très peu de temps après par des électropompes utilisant le courant secouru. 4
Les scénarios d’accident
En tout premier lieu, il faut savoir qu’un accident, même d’ultime gravité, sur un réacteur ne peut pas conduire à une explosion nucléaire. L’architecture d’un réacteur, sa « géométrie », en particulier la distance radiale moyenne entre les éléments combustibles a été optimisée pour la réactivité nulle, donc le maintien du nombre de neutrons. Tout désordre grave qui survient dans le cœur (vaporisation de l’eau, fusion du combustible) est fortement antiréactif, c’est-à-dire qu’après une pointe de puissance très brève, mais qui peut être très forte, la réaction en chaîne s’arrête d’elle-même. En cas d’accident, nous l’avons dit, des automatismes interviennent immédiatement selon des procédures prévues pour reprendre le contrôle du réacteur et le stabiliser dans un état sûr. Il faut en effet répondre dans un délai très court (la seconde) et l’opérateur doit seulement vérifier que la séquence des interventions est conforme au schéma envisagé dans les situations d’urgence. À titre d’exemple, supposons qu’une très grosse fuite se produise sur une des boucles de refroidissement (il y en a trois sur les réacteurs à eau sous pression de
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900 MWe, quatre sur les 1 300 MWe), à la suite d’une rupture de canalisation sur l’arrivée de l’eau froide dans le réacteur. Il s’agit de l’accident le plus grave qu’on puisse envisager car c’est l’endroit où la tuyauterie a la plus grosse section (le cas s’est produit d’une fuite, heureusement petite, à cet endroit-là sur un réacteur N4 peu après son démarrage). Si l’extraction de la chaleur est insuffisante, les éléments de combustible vont chauffer, mettant en danger les gaines. On prévoit le déroulement suivant des événements : la brèche étant instantanée et brutale, une onde de dépressurisation se propage dans le circuit jusqu’à la cuve en endommageant éventuellement les structures internes. Quand la pression de saturation de l’eau est atteinte, une vaporisation brutale se produit. La densité du modérateur ayant décru, la réaction en chaîne s’arrête en quelques dixièmes de seconde, bien avant l’action des barres qui chutent (2,2 secondes). Tandis que le circuit primaire commence à se vider d’eau et de vapeur dans l’enceinte et que la température du combustible se met à monter, l’injection de sécurité, décrite ci-dessus, entre en jeu, avec le recyclage de l’eau écoulée dans l’enceinte. Dans une hypothèse pessimiste, en raison de la forte pression de la vapeur, on ne pourra pas empêcher un découvrement partiel du cœur, avec des conséquences graves pour les gaines. Puis celles-ci seront remouillées quand la pression aura baissé. Toutes les mesures de sauvegarde doivent permettre de maîtriser ce processus de façon que la température des gaines ne dépasse pas 1 200 ◦ C au point le plus chaud. En effet, à partir de cette température, la réaction exothermique de l’eau avec le zirconium des gaines devient très importante. Cette réaction produit de l’hydrogène qui peut provoquer une explosion. Peu à peu, sous l’action du système de sauvegarde, la température se stabilise dans le cœur et la situation du réacteur, quoique grave, est contrôlée. En tout état de cause, dans cette séquence, l’assèchement du cœur du réacteur est très bref (quelques secondes) et ne doit entraîner qu’une dégradation limitée du cœur (seulement quelques crayons sont touchés). Un autre accident, déjà envisagé ci-dessus, est la coupure complète du courant électrique provenant du réseau. Deux groupes diesel (un seul suffit à délivrer la puissance nécessaire) démarrent aussitôt pour fournir en moins d’une minute le courant secouru. Ces groupes sont localisés aux deux endroits les plus éloignés du site pour ne pas être mis hors d’état simultanément (en cas de chute d’avion par exemple). Nous avons vu qu’une alimentation en eau de secours assure la continuité du refroidissement par les générateurs de vapeur. Il existe sur le circuit primaire un point singulier important : les tubes des générateurs de vapeur. Ils représentent une surface considérable d’épaisseur faible (un peu plus du millimètre). Il suffit qu’un tube se rompe pour que l’eau à 155 bars de pression du circuit primaire passe dans le circuit secondaire à 70 bars, provoquant très rapidement l’ouverture de la soupape de décharge à l’atmosphère. Il n’y a plus alors de barrière entre le fluide primaire et l’environnement. La seule parade efficace est
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un contrôle systématique des soudures de plusieurs milliers de tubes par des petits robots baladeurs que l’on effectue sur les générateurs de vapeur lors de l’arrêt annuel du réacteur. Toutes les séquences accidentelles, telles que celles qui ont été décrites ci-dessus, sont modélisées pour conduire à une estimation des rejets à l’atmosphère. L’objectif recherché est de réduire en priorité la fréquence des séquences accidentelles ayant les plus forts rejets. Ainsi les accidents les plus graves sont les moins probables et les accidents les plus fréquents sont les moins graves. Cette analyse est dite « analyse déterministe de sûreté » car elle ne suppose qu’un seul initiateur à l’accident : une brèche (grosse ou petite) dans le circuit primaire, une coupure de l’électricité qui alimente les pompes, etc. C’est ce qu’on trouve dans le rapport de sûreté, un document absolument nécessaire avant toute construction d’un réacteur. Mais il peut arriver que des défaillances multiples se conjuguent pour conduire à des situations d’extrême gravité telles que la fusion partielle ou totale du cœur. Trois accidents très graves se sont malheureusement produits comme conséquence d’une superposition d’initiateurs, à Three Mile Island (États-Unis) en 1979, à Tchernobyl (ex-URSS) en 1986 et à Fukushima (Japon) en 2011.
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La relation homme-machine
Un facteur important avait été largement négligé dans les premiers temps de l’énergie nucléaire : les hommes au pupitre de commande. La philosophie était alors de concentrer en ce lieu tous les paramètres du réacteur et de laisser toute liberté à l’opérateur. Une première limitation s’est introduite, on l’a vu, avec les systèmes de sauvegarde en raison de leur temps de réponse très court (la seconde). L’opérateur n’a qu’à constater le bon déroulement de la séquence. Les deux accidents graves de Three Mile Island et de Tchernobyl ont posé le problème, non vraiment résolu d’ailleurs, du facteur humain. Faut-il faire encore plus confiance à la technologie et limiter le rôle de l’opérateur à une surveillance sourcilleuse et permanente de systèmes entièrement automatiques ? Peut-on, par ailleurs, être sûr d’avoir prévu exactement le déroulement d’un accident sur un réacteur ? Rappelons que, dans une analyse de sûreté, on se place systématiquement dans les conditions les plus défavorables pour obtenir une évaluation des pires conséquences. Et les codes utilisés, de nature volontairement pessimiste voire caricaturale, ne peuvent pas être employés pour définir des procédures de conduite en cas d’accident, le déroulement qu’ils en proposent étant trop éloigné de l’éventuelle réalité. Le problème de l’homme est le point le plus délicat de la sûreté nucléaire. Un autre point d’importance concerne la structure de la société industrielle. Libérale
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aux États-Unis, elle ne favorise pas la circulation de l’information entre compagnies concurrentes. Bureaucratique en Russie, elle est cause de rigidités peu compatibles avec un contrôle de la sûreté indépendant de l’organisme assurant la production. D’origine étatique en France, elle combine l’homogénéité du parc avec l’indépendance entre le contrôleur et l’exploitant. Mais cela nous met-il à l’abri de tout défaut de structure ? Dans ce débat, il paraît essentiel que l’opérateur connaisse exactement l’état du réacteur. Comment se fait-il que l’opérateur de quart la nuit à Three Mile Island n’ait pas été mis au courant des travaux faits de jour sur le système d’alimentation en eau de secours des générateurs de vapeur, le rendant inopérant ? L’opérateur doit impérativement avoir connaissance de toute information concernant le réacteur. Celui de Three Mile Island n’avait pas su que, sur un réacteur identique au sien, il était déjà arrivé que la soupape du pressuriseur ne se soit pas refermée, entraînant une situation d’accident qui fut heureusement maîtrisée de justesse. Surtout, il n’avait pas été informé que, si une brèche sur le circuit primaire fait baisser le niveau de l’eau dans le pressuriseur, dans le cas exceptionnel d’une fuite en haut du pressuriseur, le niveau, au contraire, monte. L’erreur de diagnostic qu’il a faite était le résultat d’une formation insuffisante.
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La sûreté des réacteurs de troisième génération
Les réacteurs de troisième génération sont des réacteurs à eau optimisés, notamment au plan de la sûreté. Par rapport aux réacteurs de deuxième génération, on observe deux évolutions. L’une consiste à chercher encore à améliorer les systèmes de sécurité : en augmenter leur redondance et en généraliser leur diversification par exemple (pour contrer les incidents de mode commun, où une seule défaillance entraîne la panne de plusieurs systèmes présumés indépendants), ou perfectionner les contre-mesures automatiques afin de ne réclamer l’intervention de l’opérateur qu’après un temps suffisamment long pour que son diagnostic ait toutes les chances d’être correct. Des études d’EDF ont montré qu’au bout d’une demi-heure, un opérateur bien formé a un diagnostic sûr à pratiquement à 100 %. On peut aussi augmenter le volume d’eau de refroidissement pour qu’un assèchement ne survienne pas avant 30 minutes ou rendre complètement automatiques les procédures d’injection de sécurité à haute, moyenne et basse pression. . . Le réacteur EPR se place dans cette option. On a, en plus, cherché dans ce projet à tirer des leçons des accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl par une prévention de la conséquence la plus grave d’une fusion du cœur, même si sa probabilité est très faible (voir ci-après) : il s’agit du « syndrome chinois » où le cœur fondu perce le bas de la cuve, traverse le radier en béton
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qui assure l’étanchéité sous le réacteur et finalement gagne l’environnement par le sous-sol. Toutes ces améliorations de la sûreté ont un coût qui ne peut être amorti que sur une centrale de 1 400 à 1 500 MWe. L’autre axe d’évolution se retrouve dans des projets aux États-Unis et dans d’autres pays dans lesquels on prétend ne faire appel qu’à des écoulements uniquement gouvernés par des lois simples de thermohydraulique et de gravité (convection naturelle par exemple) en excluant tout usage des pompes, vannes, etc., toujours susceptibles de défaillance, et en excluant aussi toute intervention humaine. Ces réacteurs « passivement sûrs » seraient moins puissants que les réacteurs actuels. Leur fabrication par « modules » facilement reproductibles permettrait de contrebalancer la perte financière due à la réduction de puissance.
Comment évaluer la sûreté des centrales nucléaires françaises ? 7
Il n’y a pas eu d’accidents graves sur les centrales nucléaires françaises. La sûreté a été, c’est un fait, une priorité dans leur conception. Deux facteurs ont aussi contribué à ce résultat : – l’homogénéité du parc. Les réacteurs sont tous du même type, à eau sous pression. Ayant de nombreux éléments en commun, toute défaillance apparue sur une centrale est recherchée sur toutes les autres et si des travaux d’amélioration sont jugés nécessaires, ils sont préventivement étendus à toutes les centrales susceptibles d’être concernées, après avoir été testés sur la première centrale incriminée ; – l’organisation centralisée d’EDF qui assure un bon « retour d’expérience », ce qui est illustré ci-après. 7.1
L’analyse des incidents de fonctionnement
Dans les cahiers de bord des centrales d’EDF sont consignés de nombreux incidents, habituels sur toute grande installation en fonctionnement et la plupart du temps d’importance mineure. Les autorités de sûreté n’en retiennent que ceux qu’elles jugent « significatifs ». Par exemple, ceux au cours desquels des paramètres de fonctionnement ont franchi les limites autorisées, jusqu’à même entraîner un arrêt d’urgence du réacteur, ceux qui ont provoqué la mise en œuvre d’un automatisme de protection, ceux qui à la longue apparaissent plus fréquemment qu’il n’avait été envisagé lors de la conception de la centrale (tels les risques d’inondation, comme il a été constaté récemment), ceux dans lesquels des erreurs de diagnostic ou des violations des consignes ont été relevées, etc.
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De ces événements significatifs (400 par an soit 7 par centrale en moyenne), les autorités de sûreté cherchent à extraire « les événements précurseurs », le plus souvent de modeste importance mais qui, survenant dans certaines circonstances inhabituelles, peuvent enclencher une chaîne d’incidents ultérieurs conduisant à une situation beaucoup plus dangereuse. On recherche aussi des événements dits « de mode commun », qui peuvent paralyser simultanément plusieurs organes indépendants et redondants, comme cela est arrivé dans des périodes de froid intense et prolongé des hivers 1985, 1986 et 1987. Selon les sites et les années, soit les circuits de refroidissement ont été bloqués par de la glace accumulée à l’endroit des prises d’eau, soit l’alimentation en eau des générateurs de vapeur a été perturbée par le gel de capteurs de débit, soit des systèmes de secours ou de sauvegarde ont été temporairement rendus indisponibles par le gel d’autres capteurs, soit encore la température trop basse de l’huile a empêché les groupes diesel de démarrer. Cette analyse des incidents de fonctionnement aboutit à la sélection d’une vingtaine de cas (en moyenne toujours) qui font l’objet d’une étude approfondie se concluant par la recommandation de certains travaux ou par une modification des procédures de fonctionnement. Ainsi, après avoir effectué des travaux localement, EDF a étudié globalement les problèmes posés par les hivers rigoureux et un grand programme de reconditionnement de toutes les centrales à des températures extérieures de –15 ◦ C a été réalisé sur plusieurs années. De même une campagne de travaux de longue durée a permis de remettre à niveau la protection contre les inondations à la suite des incidents de la centrale du Blayais lors de l’hiver 1999-2000.
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La classification des événements sur une échelle internationale
À partir des années 1970, par analogie avec l’échelle de Richter pour les tremblements de terre, on a classé les événements susceptibles de perturber le fonctionnement d’un réacteur en sept niveaux selon leur gravité (et par là même leur fréquence, les événements les plus graves devant être les plus rares). Encadré 6.1. L’échelle INES de gravité des incidents et accidents nucléaires.
L’échelle internationale des événements nucléaires classés selon l’importance des conséquences qui s’ensuivent est l’échelle INES (International Nuclear Event Scale), de gravité croissante des niveaux 1 à 7 : • Niveau 1 Anomalie : anomalie sortant du régime de fonctionnement autorisé. Aucune conséquence sur les travailleurs ni à l’extérieur du site. Aucune conséquence hors site. • Niveau 2 Incident : incidents assortis de défaillances importantes des dispositions de sécurité. Irradiation importante ou surexposition d’un travailleur. Aucune conséquence hors site.
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• Niveau 3 Incident grave : accident évité de peu ou perte de barrières. Contamination grave ou effets aigus sur la santé d’un travailleur. Très faible rejet hors du site, exposition du public représentant une fraction des limites prescrites. • Niveau 4 Accident : endommagement important du cœur ou des barrières radiologiques. Exposition mortelle d’un travailleur. • Niveau 5 Accident : endommagement grave du cœur ou des barrières radiologiques. Exposition mortelle d’un travailleur. Rejet mineur hors site, exposition du public de l’ordre des limites prescrites. L’exemple est l’accident de Three Mile Island. • Niveau 6 Accident grave : rejet important hors site susceptible d’exiger l’application intégrale des contre-mesures prévues. Pas d’exemple à ce jour. • Niveau 7 Accident majeur : rejet majeur hors site. Effets étendus sur la santé et l’environnement. Les deux exemples sont les accidents de Tchernobyl et de Fukushima.
Le premier niveau correspond à des incidents mineurs mais fréquents, considérés comme normaux dans la vie d’une grosse installation. Les trois niveaux suivants de gravité peuvent être atteints lors d’incidents (2e et 3e niveaux) ou d’accidents (4e niveau) dits « de conditionnement » qui sont envisagés lors de la construction et auxquels il est prévu d’opposer des procédures de protection ou de sauvegarde. Dans les trois niveaux 5, 6 et 7, il y a rejet de matières radioactives dans l’environnement (le rejet est encore limité au niveau 5) et des mesures doivent être prises pour protéger la santé des populations mises en danger. Ces trois niveaux n’ont jamais été atteints en France, y compris lors de l’accident de Tchernobyl, où les dépôts sur le pays relèveraient par analogie du niveau 2, avec de petites surfaces du territoire en niveau 3. Voici quelques exemples d’événements qui pourraient conduire à des incidents ou accidents classés dans les trois premiers niveaux de gravité : une petite fuite sur une boucle de refroidissement mènerait au niveau 2, une brèche plus importante au niveau 3, une très grosse rupture (le scénario en a été décrit au paragraphe 4) au 4e niveau. Une autre catégorie d’événements peut entraîner une variation brutale de réactivité : une dilution incontrôlée d’acide borique ou un retrait incontrôlé des grappes de commande (1er niveau), un retrait d’une grappe de contrôle sur le réacteur à pleine puissance (2e niveau), l’éjection d’une grappe de contrôle (3e niveau). Il faut noter ici que l’antiréactivité introduite dans le cœur par un arrêt d’urgence compense largement le refus d’opérer d’une grappe de crayons absorbant les neutrons. Un accident lors d’une manipulation de combustible est rattaché au 3e niveau en raison d’un rejet possible de radioactivité dans l’environnement si plusieurs gaines ont été rompues dans l’assemblage manœuvré. Au 2e niveau correspond une fréquence de 1 à 10−2 par an et par centrale, au e 3 niveau 10−2 à 10−4 , au 4e 10−4 à 10−6 . Plus la situation est dangereuse, plus
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rarement elle doit se présenter. Il est arrivé d’avoir à modifier la liste ci-dessus à la lumière de l’expérience. Ainsi les incidents sur les tubes de générateur de vapeur ont été beaucoup plus fréquents que prévus (constatation faite aussi à l’étranger), ce qui a conduit à faire de gros efforts pour en limiter les conséquences et pouvoir les placer au niveau 3 de gravité. Les mesures préventives ont été renforcées en procédant au contrôle systématique des soudures en période d’arrêt. On va même jusqu’à remplacer entièrement un générateur de vapeur dont des tubes en trop grand nombre ont dû être obturés après rupture. Les scénarios pouvant conduire aux trois derniers niveaux de gravité ont été définis dans une « analyse probabiliste de sûreté » qu’on applique à des accidents « hors dimensionnement » (l’analyse déterministe du paragraphe 4 s’appuie au contraire sur le « principe de défaillance unique ») : on modélise un « arbre d’événements ». À chaque branche de l’arbre, une probabilité est donnée à un initiateur supplémentaire d’accident. Cette analyse permet de repérer les « arbres de défaillance », c’est-à-dire les maillons potentiellement faibles dans la conception du réacteur. Elle permet également de déterminer les mesures ayant les meilleures chances de limiter les conséquences de l’accident. Ces trois derniers niveaux de gravité correspondent à des événements extrêmement graves qui vont jusqu’à la fusion partielle, voire totale, du cœur à la suite de circonstances où plusieurs défauts, erreurs ou anomalies se conjuguent pour entraîner une situation exceptionnelle et donc heureusement très peu probable. Étant la résultante de plusieurs causes, la fréquence d’une telle situation est un produit de fréquences et devrait être inférieure à 10−6 par an et par centrale. Il faut cependant envisager ces cas limites et se préparer à y opposer des procédures qui, en toutes circonstances, doivent assurer la protection de l’environnement et des populations en retenant la radioactivité à l’intérieur de l’enceinte de confinement. 7.3
L’évaluation de la sûreté des centrales françaises
Les accidents très graves sont modélisés, nous l’avons vu, dans les « analyses probabilistes de sûreté ». En faisant le décompte de tous les chemins qui peuvent amener une fusion du cœur, y compris à partir d’un réacteur à l’arrêt, on a pu évaluer la sûreté des centrales de 900 MWe en 1982, puis celle des 1 300 MWe en 1986 (en parallèle avec des études analogues à l’étranger). Selon ces études probabilistes de sûreté (EPS), la probabilité totale de fusion du cœur d’un REP de 900 MWe est de 5 × 10−5 par année-réacteur avec 3,8 × 10−5 (75 % du total) pour les fusions du cœur à basse pression, c’est-à-dire résultant de brèches sur le circuit primaire, sur le pressuriseur, sur les tubes de générateur de vapeur, par perte de la source froide ou par défaillance de l’arrêt d’urgence, tout ceci survenant sur le réacteur en fonctionnement. Dans tous les cas, l’injection de secours intervient ainsi que l’aspersion de
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l’enceinte. Une défaillance supplémentaire doit s’ajouter pour que le confinement ne joue pas son rôle ; et la probabilité qu’on calcule alors est de 2,4 × 10−6 par an et par réacteur. Ce qui signifie qu’avec son parc de 60 réacteurs, la France devrait attendre 7 000 ans avant de vivre un Tchernobyl. Sur un REP 1 300 MWe, les probabilités d’accident grave sont plus basses : selon les études probabilistes de sûreté, la probabilité totale de fusion du cœur est de l’ordre de 1 × 10−5 par année-réacteur (entre 2 × 10−5 et 2 × 10−6 avec un niveau de confiance de 90 %) avec 4,7 × 10−6 pour les fusions du cœur sur un réacteur en puissance, soit un gain d’un facteur 7,2 sur les 900 MWe (les 7 000 ans précédents deviennent 50 000 ans). Mais les états d’arrêt du réacteur comptent maintenant pour 55 % de la probabilité totale. Un résultat qui a mis en lumière l’importance pour la sûreté des périodes d’arrêt d’un réacteur, une chose qui n’était pas évidente a priori. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) modélise des scénarios d’accident sur des ordinateurs de grande puissance pour faire des analyses probabilistes de sûreté. Dans ses calculs, il introduit des tables de fiabilité des matériels établies par EDF. Il utilise aussi le résultat des recherches d’EDF sur les réactions des opérateurs lorsqu’ils se trouvent confrontés à des circonstances exceptionnelles pour évaluer la part d’erreur humaine pouvant s’ajouter dans un accident. Il faut reconnaître que l’exercice qui consiste à évaluer le niveau de risque d’une installation nucléaire à partir de ses plans est très difficile et ses résultats sujets à caution. Mais, si on en est réduit à devoir évaluer le risque de cette façon, c’est justement parce que les accidents nucléaires sont trop rares pour qu’on puisse faire des statistiques dessus !
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Qui contrôle le fonctionnement des centrales nucléaires ?
EDF a la responsabilité du fonctionnement des centrales nucléaires. EDF est contrôlé par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui définit les objectifs généraux de sûreté et vérifie que ces objectifs sont bien atteints. L’ASN rend compte au gouvernement dans le cadre de la Commission interministérielle des installations nucléaires de base. L’agrément de l’ASN est indispensable avant tout changement ou amélioration d’importance apportée au fonctionnement d’une centrale. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), devenu un organisme indépendant, est l’appui technique de l’Autorité de sûreté. L’ASN envoie des inspecteurs visiter périodiquement les installations nucléaires. Les agents de l’IRSN peuvent participer à ces inspections et en analysent les résultats.
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Chapitre 6. La sûreté des réacteurs nucléaires
Bibliographie [1] « Assurer la sûreté nucléaire », brochure de l’Agence de l’OCDE pour l’énergie nucléaire, Les Éditions de l’OCDE, 1993. [2] B. Pershagen, Light water reactor safety, Pergamon Press, 1989. [3] J. Libmann, Éléments de sûreté nucléaire, les Éditions de physique, Les Ulis, 1996. [4] Nuclear power, Rapport du Nuclear Research Council au Sénat américain, National Academy Press, Washington, 1992. [5] Les réacteurs nucléaires à eau ordinaire, collection « CEA », série synthèses, Éditions Eyrolles, 1983.
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7 Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences : Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima Bernard BONIN
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Three Mile Island (1979)
La centrale nucléaire de Three Mile Island est une centrale nucléaire dans l’est des États-Unis. Mise en service en 1974, elle a subi un accident le 28 mars 1979. L’unité 2 qui a subi l’accident est un réacteur à eau pressurisée conçu par Babcock et Wilcox avec une capacité de production nette de 900 MWe. À Three Mile Island, tout commence par un incident banal sur le circuit secondaire∗ qui a fait perdre l’alimentation en eau des générateurs de vapeur∗ . Ces derniers n’évacuant plus efficacement les calories apportées par le circuit primaire∗ , la température et la pression dans ce circuit∗ montent. Au bout de 3 secondes, les automatismes font s’ouvrir la soupape de décharge du pressuriseur et chuter les barres∗ . Côté secondaire, ils provoquent le déclenchement de la turbine et donnent l’ordre de démarrer aux pompes de l’alimentation de secours des générateurs de vapeur. Au bout de 12 secondes, la pression primaire étant redevenue normale, la soupape reçoit l’ordre de se refermer. Tout jusqu’ici a fonctionné comme prévu : la puissance résiduelle∗ peut être évacuée facilement par les générateurs de vapeur avec leur alimentation de secours.
Mais la soupape a un défaut et reste bloquée en position ouverte. Pire, l’ordre donné à la soupape de se fermer est signalé au tableau de commande, mais pas son exécution. Conséquence : alors que le circuit primaire se vide du côté vapeur et que la pression y atteint le seuil de mise en action de l’injection de secours, l’opérateur ne mesurant plus le niveau dans le pressuriseur est amené à croire par la fausse indication « soupape fermée » qu’il y a trop d’eau dans la cuve et coupe au bout de 4 minutes l’injection de secours. À ce moment-là, la cuve se vide de son eau, qui n’est plus remplacée. Un incident supplémentaire empêche l’opérateur de réfléchir : les deux motopompes qui doivent injecter l’eau de secours dans les générateurs de vapeur, 30 secondes après un manque d’eau signalé, n’ont pas pu entrer en action car elles avaient été isolées par une équipe de maintenance ! En quelques minutes, les générateurs de vapeur se sont asséchés, ce qui interrompt tout refroidissement du circuit primaire. Plus de 20 minutes seront nécessaires pour remettre le circuit secondaire dans un état normal. Pendant ce temps, la situation dans la cuve s’aggrave : après 6 minutes, l’eau du circuit primaire commence à bouillir, les pompes doivent faire circuler une émulsion d’eau et de vapeur, elles cavitent, on doit les arrêter. Une circulation par convection naturelle ne peut s’établir car il y a séparation des phases : la vapeur s’accumule dans les points hauts, l’eau liquide dans les points bas. Ce n’est qu’au bout de 2 heures qu’un opérateur, sans comprendre ce qu’il fait, fermera une vanne manuelle en double de la soupape et rendra étanche le circuit primaire. Entre-temps, le niveau dans la cuve a baissé, le cœur est découvert, les gaines atteignent des températures élevées (1 500 ◦ C) où une forte action de l’eau sur le zirconium des gaines produit de l’hydrogène en quantité, qui passe dans l’enceinte de confinement en entraînant des produits de fission. On a cru, un temps, que l’hydrogène allait exploser et que l’enceinte céderait sous la pression, ce qui ne s’est pas produit. En fait, l’enceinte joua parfaitement son rôle de dernière barrière. Il n’y eut que des rejets minimes dans l’environnement, dus à un ordre trop tardif d’isolement de l’enceinte. Pourtant, une partie importante du cœur avait fondu, comme l’a montré une sonde envoyée dans la cuve six ans après l’accident. On aura remarqué dans cette histoire d’évidentes défaillances humaines. S’y sont ajoutés de nombreux défauts dans la conception du tableau de commande. En plus de ceux déjà notés, celui-ci : il existait une mesure de niveau d’eau dans le réservoir de décharge de la soupape qui aurait aidé les opérateurs à comprendre que celle-ci était restée grande ouverte et que la cuve se vidait de son eau. Mais cette information n’était transmise que dans un local annexe et son intérêt n’avait jamais été indiqué aux opérateurs. Encore un défaut : l’ordinateur d’aide à la conduite, qui n’était pas capable de gérer la situation d’accident, fut plutôt une gêne qu’une aide.
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Tchernobyl (1986)
Dans le cas de Tchernobyl, les erreurs humaines furent bien pires et se sont ajoutées à des erreurs de conception du réacteur. a) Le modérateur∗ était en graphite. Le ralentissement des neutrons étant moins efficace par des noyaux de carbone que par les noyaux d’hydrogène d’un réacteur à eau, le réacteur russe était de grande taille et on n’a pas pu l’enfermer dans une enceinte de confinement. b) Le réacteur était refroidi par des tubes d’eau sous pression (tubes de force) qui traversaient le cœur. Cette eau était portée à ébullition en sortant du cœur, ce qui permettait de fournir directement de la vapeur aux groupes turboalternateurs sans passer par un circuit intermédiaire. L’inconvénient de cet arrangement est que, si la température monte inconsidérément, l’ébullition se produit dans le cœur même. L’augmentation du volume de vapeur se traduit par une diminution de la densité du caloporteur et une moindre absorption des neutrons. Le flux et la puissance montent, entraînant un nouvel accroissement de la température : un cercle vicieux s’installe que l’on traduit par l’existence d’un « coefficient de vide∗ positif » et que l’on contrebalance par la présence en permanence de nombreuses barres absorbantes de neutrons dans le cœur. Ce coefficient de vide positif était surtout pénalisant à faible puissance. Le réacteur pouvait « s’emballer » lors d’un fonctionnement au-dessous du quart de la puissance nominale, ce qui avait donné lieu à une réglementation très sévère du nombre de barres absorbantes qu’il fallait absolument laisser dans le cœur. c) La grande taille du réacteur rendait difficile de maintenir homogènes dans l’ensemble du cœur le flux des neutrons et la puissance dès que l’on voulait changer celle-ci. On y parvenait en ajustant les débits des tubes de force traversant le cœur pour le refroidir. En outre, les barres absorbantes reproduisaient la configuration du réacteur avec du graphite de part et d’autre de la matière absorbante centrale de sorte que leur introduction dans le cœur pouvait au début avoir l’effet pervers d’augmenter la réactivité au lieu de la diminuer. En bref, ce réacteur était un engin délicat à manier pour lequel des consignes strictes de conduite avaient été prescrites. Ces consignes suffisaient à assurer un fonctionnement sûr, mais elles n’ont pas été respectées. Il y a plus grave : les automatismes de protection fondés sur cette réglementation ont été délibérément inhibés par les opérateurs qui, pensant (follement) avoir des réflexes suffisamment rapides, voulaient se donner une plus grande liberté de manœuvre. Enfin, l’initiateur de l’accident a été une action humaine volontaire, puisqu’il s’agissait de couper toute l’alimentation électrique du réacteur pour vérifier qu’avec le volant d’inertie des pompes du circuit primaire, il était possible de produire le courant secouru nécessaire aux systèmes de protection et de sauvegarde, pendant le court délai de montée en régime des groupes diesel de secours. Cet essai était superflu, car il avait déjà été
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réalisé sur ce même type de réacteur ailleurs en Russie ! Il faut ajouter l’intervention intempestive au début de l’essai du régulateur régional de réseau qui imposa un fonctionnement à mi-puissance pendant 9 heures, juste le temps qu’il fallait pour empoisonner au maximum le réacteur en xénon∗ , ce qui a obligé à lever en grand nombre les barres de pilotage en les rendant inefficaces. Quand l’essai put enfin reprendre, une erreur dans la synchronisation des chaînes de puissance envoya tout droit le réacteur dans la zone de fonctionnement strictement interdite, avec ses barres de pilotage levées et ses protections inhibées ! Malgré des conditions de fonctionnement tout à fait anormales (puissance stabilisée à moins d’un dixième de la puissance nominale et nombre de barres insérées égal au quart du minimum autorisé), on décida de faire l’essai. En raison de son coefficient de température∗ , positif dans ce régime de fonctionnement, le réacteur devint très vite surcritique∗ et aurait atteint en 4 secondes 100 fois sa puissance nominale.
Figure 7.1. Le réacteur de Tchernobyl après l’accident.
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Pour couronner le tout, une dernière erreur, celle-là de conception : les barres de sécurité ne chutaient pas par gravité mais étaient actionnées par un mécanisme infiniment trop lent. Le cœur fut détruit avant qu’elles n’aient pu y être introduites. L’intense chaleur dégagée fit exploser les pastilles de combustible. Des morceaux brûlants de combustible désintégré entrèrent en contact avec l’eau de refroidissement ce qui provoqua une importante production de vapeur et une montée de la pression qui fit exploser la partie supérieure des canaux. Une seconde explosion, probablement due au dégagement d’hydrogène, souleva la dalle supérieure (2 000 tonnes !) du réacteur qui relâcha tous les produits de fission gazeux dans l’atmosphère. Le modérateur en graphite du cœur prit feu. L’incendie se poursuivit pendant 10 jours, alimentant un important nuage de radioactivité. 2.1
Les conséquences de l’accident
Cinquante tonnes de combustible nucléaire ont été dispersées dans l’environnement par les explosions et l’incendie. Un sarcophage en béton a ensuite été construit autour du réacteur pour empêcher la dispersion de la radioactivité encore contenue dans le cœur. Les quantités de radioactivité relâchées ont été très importantes : 1,2 1019 Bq, soit 3 à 4 % du combustible solide. 2.2
Les conséquences de l’accident sur les liquidateurs
Environ 600 000 liquidateurs sont intervenus sur le site et ont été irradiés à des doses variables. 237 d’entre eux ont souffert d’un syndrome d’irradiation aiguë, et 31 sont morts dans les semaines qui ont suivi l’accident. 10 % des liquidateurs ont reçu des doses de plus de 250 mSv et 20 % des doses comprises entre 100 et 165 mSv. Quinze ans après la catastrophe, les médecins ont encore du mal à faire le bilan épidémiologique de cette population, le suivi médical des liquidateurs ayant été mal fait. 2.3
Les conséquences sur les populations locales
C’est l’iode 131 qui a produit l’effet le plus important sur la santé du fait de son accumulation dans la thyroïde et de sa courte période (8 jours) qui donne lieu à une irradiation à fort débit de dose. Un excès de 4 000 (source : IRSN sur la seule période 1986–2005) cancers de la thyroïde chez les enfants a été observé en Russie, en Ukraine et surtout en Biélorussie. Le bilan aurait été bien moins lourd si de l’iode stable avait été administré aux populations locales et si l’évacuation n’avait pas été décidée si tardivement (c’est la dernière et peut-être la plus grave des erreurs humaines de cette catastrophe).
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Les enquêtes épidémiologiques n’ont pas détecté d’augmentation décelable du taux de leucémie ni de malformation congénitale. Au total, cent trente-cinq mille personnes ont été évacuées. On a pu noter dans le public une augmentation considérable de maladies autres que celles liées directement aux rayonnements et attribuables aux répercussions psychologiques de l’accident. 2.4
Les conséquences de l’accident sur l’environnement
La radioactivité a été dispersée sous forme d’aérosols atmosphériques et l’intensité des dépôts a varié selon les conditions météorologiques. La carte d’Europe des dépôts montre des taches qui correspondent aux régions les plus arrosées par les pluies lors du passage du panache (Fig. 7.2).
Figure 7.2. La carte de la contamination en Europe. Source : document IRSN (www.irsn.org).
Après la décroissance radioactive de l’iode 131, le césium 137 (de période 30 ans) est la principale source de contamination des sols. En Biélorussie et en Ukraine, une superficie de 10 000 km2 a été contaminée au niveau de 555 à 1 480 kBq/m2 ; 21 000 km2 ont reçu de 185 à 555 kBq/m2 . La dose reçue par un humain vivant sur un sol contaminé en césium à 550 kBq/m2 est d’environ 2 mSv/an, soit le même ordre de grandeur que la dose reçue du fait de la radioactivité naturelle.
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Au total, ce sont des milliers de kilomètres carrés qui ont été durablement rendus impropres à l’agriculture en Biélorussie et en Ukraine. En France, la région Sud-Est a été la plus touchée. Le dépôt s’est réparti très irrégulièrement, sous les orages. Les points les plus contaminés sont dans les massifs montagneux de Corse, des Alpes et des Vosges. 2.5
Vingt-cinq ans après l’accident, qu’est devenue cette contamination ?
L’iode a complètement disparu. Le césium, fortement retenu par certains minéraux du sol, a peu migré, mais s’est enfoncé dans le sol à des profondeurs de l’ordre du mètre, ce qui suffit pour écranter le rayonnement gamma. On observe des phénomènes de concentration de la radioactivité dans les creux des zones montagneuses. Le césium passe alors dans les plantes, en particulier dans les champignons, dont le mycélium est proche de la surface. Elle passe ensuite dans les animaux et se propage le long de la chaîne alimentaire. Cette propagation devient de moins en moins efficace avec le temps car la biodisponibilité du césium diminue. 2.6
Les produits agricoles français ont-ils été contaminés ? Le sont-ils encore ?
La dose radioactive reçue par les Français du fait de l’accident de Tchernobyl a été due presque exclusivement à l’iode et au césium, via la consommation de produits agricoles (principalement les légumes feuilles, le lait et la viande). La contamination de ces produits a atteint son maximum immédiatement après les dépôts et n’a que très temporairement dépassé les normes internationales en vigueur. En 1986, les fruits secs, le thym et le lait de chèvre étaient les produits les plus contaminés. Aujourd’hui, ce sont les produits forestiers comme les champignons et le gibier. Encore récemment, on a trouvé en France des champignons contaminés par les retombées radioactives de Tchernobyl, avec une radioactivité de 3 000 becquerels par kilo. On a également mesuré dans la viande de certains sangliers chassés dans les Vosges une radioactivité de 1 800 becquerels par kilo. Il faudrait en manger 100 kg pour recevoir l’équivalent de la dose naturelle annuelle. 2.7 Les conséquences dosimétriques de l’accident de Tchernobyl sont très limitées en France
D’après l’IRSN, pour une période de 60 ans, de 1986 à 2046, la dose individuelle reçue dans la zone la plus touchée (l’Est de la France) sera inférieure à 1,5 mSv, ce qui représente 1 % de l’exposition naturelle durant le même temps. En France, les doses reçues à la thyroïde sont entre 100 et 1 000 fois plus faibles que celles auxquelles ont été soumis les enfants qui habitaient au voisinage de la
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Figure 7.3. Évolution de l’incidence du cancer de la thyroïde en France (source : IRSN et Institut Gustave Roussy).
centrale. Elles n’ont pas induit un excès de risque significatif sur la santé. Il est vrai que le nombre de cas de cancers de la thyroïde dépistés en France augmente, mais cette augmentation avait commencé dès 1975 et l’accident de Tchernobyl n’a pas eu sur elle d’influence visible (Fig. 7.3).
2.8 Une catastrophe nucléaire de l’ampleur de Tchernobyl pourrait-elle se produire en France ?
Plus stables que les RBMK soviétiques, les réacteurs à eau pressurisée (REP) du parc français ont une probabilité de fusion de cœur faible, mais non nulle (de l’ordre de 10−5 par an, ce qui signifie qu’en moyenne, un REP aurait une fusion de cœur une fois tous les cent mille ans). D’autre part, les REP occidentaux ont une enceinte de confinement, dont les RBMK sont dépourvus. Même en cas de fusion de cœur, les relâchements de radioactivité seraient beaucoup plus limités qu’ils ne l’ont été à Tchernobyl. Les nouveaux modèles de réacteurs à eau pressurisée comme l’EPR seront encore plus sûrs.
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Fukushima (2011)
Le 11 mars 2011, le Japon a subi un tremblement de terre et un raz-de-marée, tous deux d’une ampleur exceptionnelle. Ces deux événements liés ont entraîné un accident nucléaire majeur dans la centrale de Fukushima. La centrale de Fukushima Daiichi est située au sud de Sendai, sur la côte Nord-Est du Japon. Elle comporte six réacteurs à eau bouillante. Trois d’entre eux étaient en fonctionnement le 11 mars 2011 au moment du séisme. Les réacteurs de la centrale ont été construits sur une période étalée : le premier d’entre eux, d’une puissance de 480 MWe, a divergé en 1970, et les tranches suivantes, d’une puissance croissante comprise entre 780 et 1 100 MWe, ont été connectées au réseau entre 1973 et 1979. Les tranches 1, 2, 3, 4 qui ont subi l’accident sont des réacteurs de conception General Electric « BWR GE Mark I ». Dans un réacteur à eau bouillante, on autorise l’ébullition de l’eau sous une pression de 70 bars dans le circuit primaire du réacteur. La vapeur produite à 285 ◦ C est envoyée directement aux turbines qui font tourner les générateurs d’électricité. Après son passage dans la turbine, la vapeur est condensée dans un dispositif qui la met en contact thermique avec une source froide qui (à Fukushima) n’est autre que l’eau de mer. Ce type de réacteur ne comporte donc qu’un seul long circuit fermé, qui sort de l’enceinte de confinement et du bâtiment réacteur pour aller jusqu’aux turbines et au condenseur. L’enceinte de confinement est constituée d’un « puits sec » en acier renforcé de béton autour du cœur, petit volume (11 000 m3 ) rempli d’une atmosphère inerte (azote), et d’un « puits humide », piscine en forme de tore qui sert de réserve d’eau et de chambre de condensation au réacteur. L’ensemble est contenu dans un « bâtiment réacteur » qui contient aussi une piscine destinée à l’entreposage sous eau des combustibles usés déchargés du cœur du réacteur (Fig. 7.4). 3.1
Le déroulement de l’accident
Le séisme, de magnitude 9, était localisé à une centaine de kilomètres au large de la côte japonaise. Il a occasionné des accélérations au niveau du sol de 0,37 g, alors que la centrale était dimensionnée pour tenir à 0,3 g. Malgré cela, les installations semblent avoir bien tenu au séisme, grâce aux marges que procurent les règles de construction parasismique. Le séisme a provoqué l’arrêt automatique des réacteurs par insertion des barres de sécurité, mais aussi la perte de l’alimentation électrique externe de la centrale. À ce stade, les alimentations électriques de secours (diesels générateurs) se sont mises en marche correctement, permettant le maintien de la circulation de l’eau dans le circuit primaire du réacteur et le refroidissement du réacteur à l’arrêt. Malheureusement, le tsunami qui a suivi le séisme et a déferlé sur la côte environ une heure plus tard avait une hauteur estimée à 14 m, bien supérieure
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Alimentation en eau
Figure 7.4. Les principaux organes d’un réacteur à eau bouillante BWR GE Mark I.
à celle des digues, dimensionnées à 6,5 m. Le tsunami a balayé les 4 stations de pompage en mer alimentant le condenseur et noyé les diesels, laissant les réacteurs sans aucune alimentation électrique et sans source froide. La suite était une course contre la montre pour éviter un échauffement excessif des réacteurs. En effet, même si la réaction en chaîne est arrêtée, même s’il ne reste plus de neutrons dans le cœur des réacteurs, il reste à évacuer la puissance résiduelle générée par les produits de fission.
Encadré 7.1. La puissance résiduelle.
Les produits de fission∗ sont des noyaux qui ont hérité de l’uranium qui leur a donné naissance un fort excès de neutrons, qui les rend instables. Résultat : la plupart des produits de fission sont radioactifs, avec des périodes allant de la microseconde (voire moins) jusqu’à la dizaine de millions d’années. C’est la désintégration radioactive de ces produits de fission qui est responsable de la puissance résiduelle∗ dégagée par un cœur de réacteur récemment arrêté. Au moment de son arrêt, cette puissance résiduelle représente 7 % de la puissance thermique nominale du réacteur. Puis elle décroît avec le temps, au rythme de décroissance radioactive des produits de fission (Fig. 7.5). Trois heures après l’arrêt, la puissance résiduelle ne représente plus que 3 % de la puissance nominale et 1 jour plus tard, seulement 1 %.
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180 160 Fukushima Daiichi-1
Fukushima Daiichi-2 & 3
Puissance (MW)
140 120 100
Puissance résiduelle
80 60 40 20 0 3/11
3/12
3/13
3/14
3/15
3/16
3/17
Date
Figure 7.5. Évolution de la puissance d’un réacteur nucléaire après l’arrêt de la réaction en chaîne.
Ensuite, la puissance résiduelle se stabilise et ne décroît plus que lentement, représentant une fraction de % de la puissance nominale du réacteur. Quatre jours après l’accident, la puissance dégagée par le cœur était de l’ordre de 7 MW pour le réacteur 1 et de 13 MW pour les réacteurs 2 et 3. Même s’il s’agit d’une petite fraction de la puissance nominale des réacteurs, il s’agit d’une puissance non négligeable (une dizaine de milliers de radiateurs d’appartement !). On comprend donc qu’il soit nécessaire d’organiser le refroidissement du cœur pour éviter son échauffement. C’est faute d’avoir pu organiser le maintien de ce refroidissement dès les premières heures que l’accident a eu lieu.
La séquence accidentelle s’est déroulée lentement. Dès le début, l’enjeu était d’éviter la dégradation du combustible. Pour cela, il fallait arriver à maintenir le cœur sous eau. Dans un premier temps et pour deux des trois réacteurs, la vapeur produite par les réacteurs a permis de faire tourner une petite turbine de secours et de faire circuler ainsi l’eau du circuit primaire. En l’absence de source froide, cet expédient revient seulement à transférer des calories du cœur dans l’eau de la piscine torique du puits humide. L’eau se vaporise dans le cœur et se condense dans le puits humide, dont le niveau et la température moyenne augmentent. Durant les premières heures après le séisme, le niveau d’eau dans les réacteurs a pu être maintenu par l’apport d’eau d’une bâche. Cette phase a été mise en œuvre jusqu’à ce que les bâches à eau soient vides. L’enceinte de confinement est conçue pour résister à une pression de 4 bars seulement. Aussi, pour limiter la pression à cet endroit, l’exploitant TEPCO a-t-il été amené à relâcher de la vapeur dans le bâtiment réacteur.
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Les réserves d’eau épuisées, les opérateurs n’ont eu d’autre choix que de continuer à éventer la vapeur dans le bâtiment réacteur. Le niveau d’eau dans la cuve s’est alors mis à baisser et le cœur des réacteurs a été dénoyé. N’étant plus refroidis par l’eau de la cuve, les crayons combustibles∗ se sont dégradés, libérant les produits de fission volatils jusque-là enfermés en leur sein. En même temps, la température des gaines∗ atteignant localement 1 200 ◦ C, la réaction d’oxydation du zirconium des gaines par l’eau a débuté, produisant de l’hydrogène mêlé à la vapeur d’eau. Les opérateurs ont tenté de sauvegarder les réacteurs par des relâchements volontaires et contrôlés de vapeur vers l’extérieur. À ce stade, la vapeur relâchée hors de la centrale était déjà radioactive. D’autre part, l’hydrogène contenu dans la vapeur d’eau a été libéré avec l’éventage des réacteurs. Il semble s’être concentré au sommet des bâtiments réacteurs. Quand la teneur en hydrogène de cette atmosphère a atteint 4 %, celle-ci est devenue explosive. Des explosions hydrogène ont eu lieu sur les tranches 1, 3 et 4, quelques jours après le séisme (Fig. 7.6). Celles-ci ont soufflé la partie supérieure des bâtiments réacteurs 1 et 3. Pour spectaculaires qu’elles soient, ces explosions ne semblent pas avoir gravement endommagé les enceintes de confinement ni la cuve des réacteurs.
Figure 7.6. Explosion hydrogène à la centrale de Fukushima.
En revanche, la préparation de l’éventage a été fait tardivement sur le réacteur 2, ce qui a conduit à la montée en pression et à la rupture du puits humide, avec libération d’une quantité importante d’eau contaminée qui s’est répandue dans les galeries techniques de l’installation.
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Des mesures draconiennes ont alors été prises pour refroidir tant bien que mal les réacteurs, avec la seule source d’eau encore disponible : l’eau de mer. De l’eau de mer a donc été injectée à la fois dans la cuve et dans le puits sec. Ce mode d’alimentation dit « gavé ouvert » se fait à pression atmosphérique ; la vapeur associée à l’ébullition de l’eau a été relâchée en continu. Dans le même temps, les piscines d’entreposage du combustible usé ont elles aussi commencé à poser des problèmes. L’eau de ces piscines doit être refroidie par recirculation-échange pour éviter un échauffement du combustible du fait de la puissance résiduelle qu’il dégage ; cette recirculation-échange n’étant plus assurée, le niveau d’eau dans les piscines s’est mis à baisser, risquant de dénoyer le combustible entreposé. Les débits de dose au voisinage des réacteurs étaient alors trop élevés pour que les opérateurs puissent intervenir directement sur l’installation. Trois mois après l’accident, il n’y avait toujours pas d’accès à la mer pour la source froide. Les galeries techniques et les piscines des réacteurs étaient encore pleines d’eau contaminée. 3.2
Les conséquences radiologiques et environnementales de l’accident
Contrairement à l’accident de Tchernobyl, à Fukushima, ce sont surtout les éléments volatils qui ont été relâchés : Isotope Kr 85,
(T = 1 an) + isotopes du Xe
I 131
(T = 8 j)
Cs 137 (T = 30 a) Cs 134 (T = 2 a) Te 132 (T = 3 j) Les mesures de radioactivité dans l’air au voisinage immédiat de la centrale montrent clairement les pics de radioactivité associés à l’éventage de la vapeur et aux explosions hydrogène. Le nuage radioactif ainsi généré par bouffées s’est alors dispersé (Fig. 7.7). Par chance, dans la phase aiguë de l’accident, le vent a soufflé principalement de l’ouest, en direction de l’océan. Puis la dispersion atmosphérique a fait son œuvre, homogénéisant la concentration en gaz radioactifs dans l’hémisphère Nord en une quinzaine de jours. L’accident aurait été très différent si les vents avaient soufflé sur Tokyo. . . L’accident de Fukushima a occasionné un relâchement de césium dans l’air, mesurable partout dans l’hémisphère Nord. Entre les années 1960 et 1980, la concentration dans l’air a été dominée par la contribution des essais nucléaires, puis par les
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Figure 7.7. La dispersion du nuage radioactif de Fukushima.
relâchements associés à l’accident de Tchernobyl. Comme pour ces pollutions passées, on a observé une décroissance du pic de concentration associé à l’accident de Fukushima, au rythme du dépôt du césium atmosphérique par les pluies, avec une constante de temps de l’ordre du mois. Les conséquences radiologiques à l’échelle locale sont modestes : 30 personnes ont été irradiées à plus de 100 mSv et leur vie n’est pas en danger. Les mesures de radioactivité effectuées dans l’environnement à proximité de la centrale montrent une décroissance de celle-ci après les explosions. Les valeurs maximales de débit de dose atteintes autour des réacteurs ont été de l’ordre de la dizaine de mSv/h à l’entrée de la centrale et de 400 mSv/h à proximité du réacteur n◦ 3. Le 16 mars soit 5 jours après l’accident, le débit de dose à l’entrée du site était de 1,5 mSv/h. En ce qui concerne les rejets en mer, la radioactivité mesurée au voisinage de la centrale a été dominée par l’iode 131 dans les premières phases de l’accident. Ensuite, la contribution du césium 137 et 134 domine, mais, grâce à la dilution,
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Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
celle-ci a décru rapidement et est passée sous la limite réglementaire dès la fin avril, soit environ un mois et demi après l’accident. Il se confirme que les éléments relâchés dans l’eau par l’accident, étant par nature solubles, se dispersent rapidement dans l’eau de l’océan. On n’attend pas de fortes reconcentrations d’iode ou de césium dans les divers compartiments de la biosphère marine. Les conséquences radiologiques de l’accident à l’échelle régionale ont été induites par la contamination de l’atmosphère par les gaz rares, l’iode et le césium, puis par la contamination des sols induite par les retombées atmosphériques. Cette contamination des sols peut affecter le public par irradiation externe et par ingestion, suite à la consommation de produits agricoles. L’évacuation de la zone des 20 km décidée par les autorités japonaises a évité une exposition importante des populations. Malheureusement, le vent n’a pas toujours soufflé de l’ouest. Pendant une brève période, les 15 et 16 mars, un vent chargé de pluie et de neige a soufflé du sud-est, entraînant des retombées atmosphériques et des niveaux de contamination au sol en césium importants dans le « couloir d’Iitate », bande de terrain d’une cinquantaine de kilomètres de long et dix de large, contaminée en césium à plus de 3 millions de Bq/m2 (Fig. 7.8). En l’absence de contre-mesure, cette contamination induirait des doses de l’ordre de quelques dizaines de mSv intégrées sur la première année après l’accident, et rendra les sols durablement impropres à l’agriculture sur quelques centaines de km2 . Des mesures d’évacuation ont été prises dans ce couloir, qui dépasse assez largement la zone d’évacuation des 20 km. Les doses∗ reçues par le public suite à l’accident de Fukushima deux mois après l’accident sont inférieures à 1 mSv, sauf dans le couloir d’Iitate où elles sont plutôt de l’ordre de la dizaine de mSv. Vu les doses individuelles reçues par le public, on n’attend pas d’effet sanitaire notable dans la population suite à l’accident de Fukushima. Le fort excès de cancers de la thyroïde observé dans la région de Tchernobyl ne devrait pas avoir d’équivalent au Japon, pour trois raisons concomitantes : les quantités d’iode relâchées ont été environ dix fois plus faibles qu’à Tchernobyl ; les populations ayant été évacuées à temps, la dose reçue est beaucoup plus faible ; vivant au bord de la mer, les populations japonaises ne sont pas carencées en iode et auront probablement beaucoup moins bien fixé l’iode radioactif que leurs homologues ukrainiennes et biélorusses. En France, la radioactivité de l’iode 131 a bien été détectée dans l’air (de l’ordre du mBq/m3 au plus fort de la crise) et dans l’eau de pluie (de l’ordre du Bq/L), mais l’impact dosimétrique associé a été extrêmement faible. L’accident de Fukushima ayant donné lieu à la destruction de quatre des six réacteurs de la centrale, avec des rejets majeurs de radioactivité dans l’environnement et des effets sanitaires possibles, a été classé au plus haut niveau de gravité de l’échelle INES, comme l’accident de Tchernobyl.
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Figure 7.8. La carte des contaminations au sol (source : site Internet du MEXT).
3.3
Les réacteurs à eau pressurisée auraient-ils mieux résisté ?
Oui, au moins dans les premières phases de l’accident, du fait de l’existence d’un circuit secondaire d’eau non active. En l’absence de source froide, l’évacuation de la puissance résiduelle des REP peut se faire à moyen terme par évaporation d’eau du circuit secondaire, avec relâchement de vapeur d’eau non radioactive, ce qui fait une différence importante avec les REB. . . jusqu’à épuisement des réserves d’eau. Si l’absence de source froide se prolonge et s’il s’avère impossible de réinjecter de l’eau dans le circuit secondaire, le scénario est identique sur REP et REB : température et pression montent dans le circuit primaire, avec nécessité d’éventer, d’où
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Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
relâchement de vapeur radioactive, risque de dénoyage du cœur et production d’hydrogène. Les conséquences de l’éventage sont cependant différentes pour REP et REB : l’enceinte de confinement de petit volume dans les REB monte vite en pression ; l’enceinte de très grand volume des REP donne encore du temps avant de devoir relâcher la radioactivité dans l’environnement. D’autre part, le risque hydrogène est pris en compte sur les REP et écarté par la présence d’igniteurs ou de catalyseurs qui recombinent l’hydrogène au fur et à mesure de sa production. Avec un REP, il n’y aurait probablement pas eu d’explosion hydrogène. Enfin, le fond de la cuve d’un REB est percé de passages étanches pour les barres de contrôle, qui constituent autant de points faibles pour l’étanchéité de la cuve en cas de fusion de cœur. Il semble y avoir eu des fuites du fond de la cuve sur les réacteurs de Fukushima. Par contraste, un REP possède un fond de cuve continu, qui aurait probablement mieux résisté à l’agression par le corium∗ . Avec les réacteurs de troisième génération comme l’EPR, il n’y aurait même probablement pas eu du tout de relâchement de radioactivité à l’extérieur de l’enceinte, car ce type de réacteur est conçu pour maintenir le confinement même en cas de fusion du cœur. 3.4
Y a-t-il eu faute ?
Il est clair que l’accident de Fukushima est inacceptable aux yeux du public. Les opérateurs de la centrale n’ont pas commis d’erreur manifeste dans leur gestion de la crise. Peut-être auraient-ils pu éviter la fusion des cœurs, en décidant très vite de les refroidir à l’eau de mer, mais cette décision était probablement difficile à prendre après un séisme et un raz de marée d’une telle ampleur. Pour les techniciens et les scientifiques, la question de la responsabilité se pose ainsi : les événements initiateurs de l’accident (le séisme et le tsunami) étaient-ils si exceptionnels que leur risque d’occurrence était a priori acceptable (auquel cas on a eu affaire à un coup de malchance extraordinaire et la communauté technique est excusée), ou bien leur probabilité d’occurrence était-elle assez haute pour qu’il soit nécessaire de se prémunir contre ces aléas (auquel cas la communauté technique japonaise est fautive de ne pas l’avoir fait) ? Le risque sismique peut être évalué assez précisément. La loi de GutenbergRichter, qui relie par une exponentielle magnitude et probabilité d’occurrence de séismes est une loi universelle bien vérifiée partout dans le monde, qui permet en principe l’évaluation des probabilités de séismes forts par observation des séismes faibles puis extrapolation. Pour le risque de tsunami, c’est plus difficile ! Ce dernier est évidemment lié au risque sismique précité, mais l’effet de la configuration du
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plateau continental et de la côte est primordial, ce qui complique l’évaluation de la hauteur probable de la vague. Des raz-de-marée gigantesques ont lieu fréquemment dans le golfe d’Alaska (60 m en 1899, plus de 70 m en 1964 !). Le Japon est lui aussi bien servi, hélas (38 m en 1896, 12 m lors du séisme de Kantô en 1923, 29 m lors du séisme de Sanriku en 1933), mais les vagues frappent tantôt à un endroit, tantôt à un autre, et la bonne question est plutôt : sur le site de Fukushima, quelle est la probabilité a priori d’observer un tsunami d’une hauteur supérieure à une hauteur donnée (disons, la hauteur de la digue, soit 6,5 m) ? Un récent rapport (réf. T. Annaka et al., « A method of probabilistic tsunami hazard analysis », Earthquake Zngineering Symposium, 2006) donne la réponse : de l’ordre de quelque 10−4 /an, avec de larges barres d’incertitude. Ceci signifie qu’à Fukushima, il faut attendre quelques raz de marée supérieurs à cette hauteur sur une période de 10 000 ans. Sachant que le niveau de risque d’accident grave (fusion du cœur) jugé acceptable par les autorités de sûreté nucléaires occidentales (et japonaises) est de l’ordre de 10−4/an pour des réacteurs de génération II, de 10−5 /an pour des réacteurs de génération III, et d’encore un ordre de grandeur au-dessous pour la probabilité de relâchement de radioactivité dans l’environnement, force est ce conclure qu’il n’y avait pas cohérence entre la doctrine de sûreté et son application à Fukushima. Le dimensionnement de la digue était clairement insuffisant et la communauté technique japonaise doit en être tenue responsable. 3.5
Après l’accident
Après l’accident, il faut décontaminer l’eau qui a servi à refroidir les réacteurs, actuellement stockée dans les piscines et les galeries techniques de la centrale. Plusieurs dizaines de milliers de m3 sont à traiter et il n’est pas facile d’extraire le césium d’une eau salée, contenant beaucoup de sodium. Il faut probablement aussi décontaminer les sols au voisinage de la centrale et dans le couloir d’Iitate, par décapage des quelques centimètres de la surface, ou par une autre technique à déterminer. Reste enfin à démanteler des réacteurs accidentés, dans des conditions radiologiques difficiles.
4
Les leçons tirées des accidents nucléaires
C’est surtout à la suite de l’accident de Three Mile Island aux États-Unis, étudié sur une échelle mondiale, qu’en retour d’importantes modifications ont été apportées aux réacteurs à eau sous pression : d’abord une chasse systématique de toutes les informations qui signalent un ordre et non un état, une refonte des synoptiques et
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Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
des alarmes au tableau de commande avec hiérarchisation des informations (à Three Mile Island, il y avait de nombreux signaux clignotants et klaxons hurlants pour un même défaut), un contrôle très sévère de la qualité de la robinetterie des circuits de sauvegarde, l’introduction d’un « ébulliomètre » au tableau de commande pour indiquer la marge à l’ébullition dans le circuit primaire, et surtout un très gros effort de formation des opérateurs, comportant par exemple l’usage de simulateurs pour se familiariser avec les procédures d’urgence. À Tchernobyl, le réacteur était trop particulier et les violations des consignes trop flagrantes pour en tirer davantage qu’une confirmation de l’absolue nécessité de l’enceinte de confinement dans la protection de l’environnement et une sérieuse mise à jour des mesures de protection des populations. Celles-ci ont en effet été très mal informées au moment de l’accident, déplacées de façon inefficace dans les jours qui ont suivi et insuffisamment contrôlées médicalement par la suite. L’accident de Fukushima est riche d’enseignements pour la communauté technique. Sur les réacteurs existants et futurs, il s’agira de mieux prendre en compte les risques naturels, en particulier le risque de tsunami, diversifier les moyens de refroidissement et les alimentations électriques de secours, favoriser la sûreté passive dans la conception des réacteurs, mieux instrumenter les réacteurs. L’accident de Fukushima ne sera pas sans conséquences pour le développement du nucléaire dans le monde car il survient au milieu d’une renaissance du nucléaire et risque de briser l’élan. Les conséquences seront probablement limitées en Chine, en Inde et en Russie, qui confirment leur besoin du nucléaire et leur intention de le développer ; en revanche, elles sont déjà lourdes en Occident (révision des politiques nucléaires allemandes, italiennes et suisses). D’autres pays suivront peutêtre. Relancé par l’accident, le débat démocratique sur l’avenir de la filière s’annonce chaud. Il faut souhaiter qu’il se déroule de façon raisonnée, sans passion, en pesant les avantages et les inconvénients de cette option énergétique.
Bibliographie [1] « Assurer la sûreté nucléaire », une brochure de l’Agence de l’OCDE pour l’énergie nucléaire, Les Éditions de l’OCDE, Paris, 1993. [2] B. Pershagen, Light water reactor safety, Pergamon Press, 1989. [3] J. Libmann, Éléments de sûreté nucléaire, les Éditions de physique, Les Ulis, 1996. [4] Nuclear power, Rapport du Nuclear Research Council au Sénat américain, National Academy Press, Washington, 1992. [5] Les réacteurs nucléaires à eau ordinaire, collection « CEA », série synthèses, Éditions Eyrolles, 1983.
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8 Le « cycle du combustible » nucléaire Paul RIGNY
Le cycle du combustible nucléaire est l’ensemble des opérations de transformation – chimique, physique ou physico-chimique – que subit la matière utilisée pour la production d’énergie en réacteur : de la mine au réacteur, puis de la sortie du réacteur au recyclage éventuel des matières valorisables et au conditionnement des déchets ultimes (Fig. 8.1). Cette phrase, qui utilise le vocabulaire en cours dans le milieu nucléaire, mérite quelques explications. La réaction de fission nucléaire est utilisée dans un réacteur nucléaire comme la réaction de combustion (du pétrole, du gaz ou du charbon) dans une centrale classique qui brûle du pétrole, du gaz ou du charbon : pour chauffer de l’eau – d’où l’emprunt du mot « combustible »∗ . La fabrication du combustible pour introduction en réacteur puis, après son utilisation en réacteur, le démontage de ses composants technologiques, la séparation chimique des matières contenues, leur traitement suivi du conditionnement en matière valorisable ou en déchets. . . : ce sont toutes ces opérations de transformation qui constituent le « cycle du combustible∗ ». Le mot « cycle » est là pour insister sur la possibilité de recycler une partie des matières fissiles après passage en réacteur – l’uranium contenu dans le combustible à l’entrée mais non consommé en réacteur, ou le plutonium∗ produit pendant le fonctionnement du réacteur et non consommé – puis de la réutiliser dans un nouveau passage en réacteur.
Figure 8.1. Diagramme synoptique des opérations du cycle du combustible.
Par extension, le mot « cycle » peut être utilisé indépendamment du recyclage des matières. On appelle ainsi « amont du cycle » l’ensemble des opérations qui mènent l’uranium de la mine au réacteur, « aval du cycle » celles qui partent du combustible usé par le fonctionnement en réacteur pour conditionner ou séparer les matières fissiles radioactives restantes, en vue de leur recyclage ou de la gestion des déchets. Dans les cas où aucune intention de recyclage des matières n’existe (exemple de plusieurs grands pays nucléaires, à commencer par les États-Unis), on parle de « cycle ouvert » essentiellement constitué du cycle amont. Il existe une variété de filières de réacteurs nucléaires. Pour simplifier, nous considérerons ici le cas de la filière REP (Réacteur à Eau Pressurisée) qui est la plus utilisée industriellement dans le monde – et qui est en particulier la filière d’EDF. Au cours de sa présence dans le réacteur, l’isotope 238 de l’uranium donne naissance à des atomes de plutonium 239, qui eux aussi subissent la réaction de fission et participent à la production d’énergie. Cette propriété est utilisée par EDF dans la variante « MOX » du réacteur REP, dont nous nous considérerons également le cycle.
126
Chapitre 8. Le « cycle du combustible » nucléaire
Encadré 8.1. Le poids économique du cycle du combustible.
Les opérations du cycle du combustible, décrites ci-après, sont des opérations chimiques ou physicochimiques nombreuses, souvent complexes et dont la mise en œuvre industrielle est rendue délicate par la nécessité absolue de maîtriser les risques que présente la manipulation de la matière radioactive. Leur coût est une part importante du coût total de production de l’électricité nucléaire. Plus précisément, les opérations du cycle du combustible coûtent entre 15 % et 20 % du coût du kWh, soit environ 10 euros/mWh. Les deux postes principaux, l’enrichissement de l’uranium et le traitement des combustibles usés pour valorisation et conditionnement pèsent environ le tiers chacun du coût total du cycle. EDF produisant environ 420 tWh/an fait un chiffre d’affaires de l’ordre de 12 milliards d’euros par an. L’électricité produite étant aux trois quarts d’origine nucléaire, on peut retenir que le cycle représente, pour la France, un chiffre d’affaires de l’ordre de 2 milliards d’euros par an. Cet ordre de grandeur explique la puissance de l’industrie qui, avec des capacités mondiales souvent excédentaires, s’est constituée autour du cycle. Des acteurs industriels majeurs sont : AREVA, industrie française qui couvre l’ensemble des activités du cycle ; URENCO (industrie tripartite, anglo-hollando-allemande) ou USEC (compagnie américaine) pour l’enrichissement de l’uranium ; BNFL (britannique) ; l’agence russe pour l’énergie atomique ; et JNFL (japonais).
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9 Uranium naturel, uranium enrichi Bernard BONIN et Paul RIGNY
L’uranium constitue actuellement le principal combustible nucléaire. Nous consacrons ce chapitre à décrire cet élément, vu sous l’angle d’une ressource minérale qui doit être extraite de terre, raffinée et enrichie. La question des réserves en uranium sera abordée dans une deuxième partie. 1 1.1
Extraction et conversion de l’uranium L’élément uranium
L’uranium est le plus lourd des éléments naturels restant sur la Terre 1 . Son noyau est entouré de 92 électrons. Il est essentiellement composé de deux isotopes∗ , 235 U et 238 U. Malheureusement, seul l’isotope minoritaire 235 U est fissile∗ aux neutrons lents !
1
Isotope
Période (ans)
Abondance relative actuelle sur Terre (en % U total)
235
713 millions
0,72
238
4,47 milliards
99,275
On trouve d’infimes quantités de plutonium « naturel » dans le minerai d’uranium. Ce plutonium est formé par absorption des neutrons produits par la fission spontanée de l’uranium.
Cette composition isotopique de l’uranium naturel se retrouve partout sur Terre 2 , aucun processus physique ou chimique à l’œuvre dans le milieu naturel n’ayant conduit à une séparation significative des deux isotopes. La période radioactive∗ de 238 U étant beaucoup plus longue que celle de 235 U, le rapport 235 U/238 U a diminué au cours de l’histoire de la Terre : c’est ainsi que 4,5 milliards d’années après la formation de notre planète, il reste encore la moitié de l’238 U, mais seulement 2 % de l’235 U. Chimiquement, l’uranium ressemble au chrome et au tungstène. C’est un élément qui a une affinité marquée pour l’oxygène. Il est présent dans pratiquement toutes les roches de l’écorce terrestre, avec des concentrations particulières dans les phosphates, certaines roches ignées ou au voisinage de fronts d’oxydoréduction dans les roches sédimentaires. Il entre dans la composition d’au moins deux cent minéraux, dans lesquels on le rencontre à l’état de valence IV et VI. En solution aqueuse, l’état de valence le plus courant est VI si les conditions sont oxydantes. L’uranium est alors sous la forme d’ion uranyl UO2+ 2 . En conditions réductrices, l’état de valence le plus courant est IV et la solubilité de l’uranium sous cette forme est faible. Dans la croûte terrestre, la teneur moyenne en uranium est d’environ 3 grammes par tonne. L’uranium est généralement extrait du sous-sol par des techniques minières et hydrométallurgiques classiques dans des gisements à ciel ouvert ou en profondeur et dont les teneurs vont de 0,5 kg (Australie) à 200 kg (Canada) d’uranium par tonne de minerai. 1.2
La prospection de l’uranium
Le premier travail de la prospection d’un secteur, quelle qu’en soit la taille, est de rassembler toutes les données géologiques et minières déjà existantes. Aujourd’hui, la détection des zones potentiellement favorables est considérablement facilitée, avec l’avènement des techniques d’imagerie satellite et la mise en œuvre de méthodes géophysiques de prospection. La prospection radiométrique est la méthode géophysique spécifique à la détection de l’uranium, parce qu’elle est précisément basée sur la radioactivité. En fait, on détecte davantage le radium, descendant de l’uranium, dont le rayonnement est beaucoup plus pénétrant. La prospection radiométrique peut être faite à pied, portée (en automobile) ou aéroportée, pour les maillages à grande échelle et les régions d’accès difficile. 2
À l’exception du gisement d’Oklo, où ont eu lieu des réactions nucléaires naturelles qui ont consommé de l’uranium 235, et bouleversé la composition isotopique de l’uranium restant.
130
Chapitre 9. Uranium naturel, uranium enrichi
Les mesures radiométriques correctement interprétées permettent certes de détecter les minerais d’uranium, mais ne donnent guère d’information sur la quantité ou la concentration de ce minerai. Des informations complémentaires peuvent être obtenues via une investigation du milieu par des méthodes électriques, électromagnétiques et magnétiques et par une étude géochimique consistant à détecter les signes de la proximité d’un gisement grâce au halo de perturbation chimique qu’il induit. S’ils sont encourageants, les résultats de cette exploration peuvent être complétés par des sondages, qui donnent un accès direct au matériau.
1.3
Les principaux gisements dans le monde
En France, les gisements ne sont pas très riches, à la fois en teneur et en quantité. Ils ont cependant été exploités, pour satisfaire les besoins de l’industrie nucléaire nationale, mais la dernière exploitation a été fermée en 2001. Ils se situent principalement dans les massifs anciens, comme le Massif armoricain, le Massif central, les Vosges ; mais aussi dans les bassins sédimentaires, tels que le bassin de Lodève et le bassin d’Aquitaine. Les mines d’uranium françaises ont été fermées car on a trouvé ailleurs dans le monde des gisements bien plus riches. La majeure partie de l’uranium produit dans le monde vient actuellement du Canada, suivi de l’Australie et du Niger. De gros gisements à teneur extrêmement élevée restent à exploiter en Australie et au Canada. D’autres gisements moins riches ou plus difficiles à exploiter représentent des réserves potentielles importantes. On peut remarquer que certains gros consommateurs – actuels comme le Japon et les pays européens, ou potentiels, comme la Chine ou l’Inde – sont particulièrement mal dotés dans cette loterie des ressources naturelles.
1.4
Les mines d’uranium
Pour extraire l’uranium, il est nécessaire d’accéder au gisement, soit en décapant la partie de la roche stérile qui le recouvre (c’est le cas des mines à ciel ouvert), soit en creusant des galeries dans cette même roche stérile si le minerai se situe plus en profondeur (c’est le cas des mines souterraines), soit par « lixiviation ». Les mines d’uranium à ciel ouvert présentent les avantages d’un accès facile au minerai (Fig. 9.1). Les techniques et les engins employés sont comparables à ceux en service dans les carrières ou les chantiers de travaux publics. La couverture est décapée au bulldozer, puis le minerai est extrait à la pelle mécanique et transporté par camion par une rampe jusqu’au niveau du sol. Après exploitation, l’excavation peut dans certains cas être inondée et transformée en lac. Mais le plus souvent, le
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
131
Figure 9.1. Une mine d’uranium à ciel ouvert.
trou est rebouché avec les matériaux excavés. Ensuite, on remet en place la couche de sol. La lixiviation in situ est une technique qui permet l’extraction de l’uranium en profondeur sans avoir à creuser d’ouvrages souterrains de grande ampleur. Plusieurs puits sont percés jusqu’au minerai. Une solution, habituellement acide, injectée dans un des puits, dissout l’uranium et est récupérée par pompage dans les puits avoisinants. Le minerai dont l’exploitation est actuellement considérée comme rentable contient au moins un (voire quelques) kilos d’uranium par tonne. Les minerais canadiens de la Saskatchewan ont des teneurs de quelques pour cent, et parfois plus de 10 %. Les teneurs du sous-sol français sont moins riches. Ainsi, pour extraire en France 72 000 tonnes d’uranium, COGEMA (devenu AREVA) a extrait quelque 52 millions de tonnes de minerai. 1.5
Le traitement du minerai
Après concassage et broyage, le minerai est attaqué chimiquement en pulpe. Le traitement le plus courant est une attaque à l’acide sulfurique. Le taux de récupération de l’uranium est en général supérieur à 90 %.
132
Chapitre 9. Uranium naturel, uranium enrichi
Après clarification et purification sur solvant ou résines échangeuses d’ions, l’uranium de la solution est précipité par addition d’ammoniaque, de magnésie, d’hydroxyde de magnésium ou de soude. Lavé et filtré, le concentré contient environ 75 % d’uranium métal et est appelé le « yellowcake ». Ce dernier peut éventuellement être grillé pour obtenir l’oxyde d’uranium U3 O8 . Yellowcake et oxyde d’uranium représentent les produits commercialisables de l’usine de traitement (Fig. 9.2).
Minerai
Concassage /
Mise en solution Mine Souter aine Extraction Usine proche de Précipitation Mine à Ciel Ouvert Solution Enrichie
Concentrés 75% Enfûtage / Expédition
Lixiviation In Situ Figure 9.2. Le traitement du minerai d’uranium.
1.6
L’impact environnemental et dosimétrique de la mine d’uranium
Une mine représente une perturbation notable de l’environnement. Les résidus miniers, les effluents, le réaménagement de la mine après son exploitation sont des points sensibles du point de vue de la protection de l’environnement. Dans le monde, nombre de sites miniers ont été abandonnés sans que de quelconques mesures de sûreté, de remise en état ou de restauration aient été prises en considération, en partie peut-être parce qu’aucune réglementation ne l’exigeait à l’époque.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
133
L’usine de traitement produit des résidus. À l’état frais, ils se présentent comme des sables argileux humides très fins. Bien que l’uranium en ait été extrait, ils sont encore radioactifs, car ils contiennent encore tous les autres radionucléides naturels de la famille de l’uranium. Leur tonnage est du même ordre de grandeur que celui du minerai traité et se mesure en millions de tonnes. Ils sont stockés sur place, soit dans la mine elle-même, soit dans une vallée barrée par une digue ou un bassin en superstructure, ceinturé par des digues. Lors du réaménagement, ces résidus sont ensuite recouverts par une couche de stériles d’une épaisseur de l’ordre de quelques mètres pour en assurer le confinement et en éviter l’érosion, retarder et réduire l’exhalation du radon et assurer une protection radiologique vis-à-vis de l’exposition gamma. On a pu montrer que la mobilité du radium et de l’uranium résiduel à travers les résidus était très faible, dans l’état actuel de la minéralogie de ces résidus (fixation sur les oxy-hydroxydes de fer, les minéraux argileux et les phases carbonatées). On n’attend donc pas de migration importante de radionucléides à partir des résidus de traitement du minerai d’uranium, au moins à court terme. Il reste à démontrer que cette situation satisfaisante perdurera dans le futur lointain. En France, l’exploitant veille à minimiser l’impact de la mine. Soumis au règlement général des industries extractives, il doit contrôler l’état de l’environnement (eau, air) autour de la mine pendant et après l’exploitation. Une autre préoccupation importante est la stabilité géotechnique des ouvrages, digues et couvertures, qui assurent le confinement des résidus. Les techniques actuelles ne permettent de garantir cette stabilité que sur une durée de l’ordre de 1 000 ans. La gestion des résidus miniers est soumise à la réglementation sur les installations classées pour l’environnement. Ce sont les autorités locales (préfecture, Direction régionale de l’Écologie, de l’Aménagement du territoire et du Logement) qui sont chargées de l’application de ces règlements, l’Autorité de sûreté nucléaire étant responsable de la radioprotection. La mine a un impact radiologique sur les mineurs qui y travaillent. Pour ceuxci, c’est le radon qu’ils respirent qui représente la contribution principale à la dose. Cette contribution est réduite à un niveau acceptable moyennant une ventilation appropriée des galeries. L’autre contribution à la dose vient de l’exposition externe, pratiquement inévitable, sauf si l’on en vient à confier l’exploitation à des robots (solution envisagée pour les gisements à très forte teneur). La mine a aussi un impact radiologique sur le public. La dose vient en partie du radon (la contribution de la mine est difficile à démêler de celle du radon naturel ambiant), mais aussi de l’exposition gamma externe et de l’eau des effluents. L’ordre de grandeur de l’exposition ajoutée par une mine typique sur le public habitant le village riverain est de 1 mSv/an pour une mine en activité et d’une
134
Chapitre 9. Uranium naturel, uranium enrichi
fraction de millisievert par an pour une mine fermée et réaménagée. Ces chiffres sont à comparer aux 2,4 mSv/an dus à la radioactivité naturelle (moyenne française). Ils ne sont pas négligeables au regard de la législation sur les limites de dose admissibles pour le public.
1.7
La conversion et l’enrichissement de l’uranium
Arrivé au stade du yellowcake, l’uranium est encore loin de pouvoir être utilisé dans un réacteur nucléaire ! Il doit d’abord être mis sous la forme hexafluorure d’uranium UF6 (gazeux) pour y subir l’enrichissement isotopique∗ . Il s’agit d’abord de purifier le yellowcake pour le débarrasser des éléments comme le bore ou le cadmium, absorbeurs de neutrons, ainsi que des éléments formant des fluorures volatils susceptibles de contaminer l’hexafluorure d’uranium produit plus tard. Cette purification se fait par extraction au tri-butyl-phosphate, après dissolution du yellowcake ou de l’oxyde d’uranium dans l’acide nitrique. La solution de nitrate d’uranyl purifiée est ensuite transformée en une poudre d’oxyde d’uranium UO3 par chauffage à 300◦ , puis en UO2 par chauffage au four en présence d’hydrogène. La poudre d’oxyde UO2 est ensuite fluorée dans un four rotatif à 450 ◦ C en présence d’acide fluorhydrique. Le tétrafluorure UF4 ainsi obtenu est enfin converti en hexafluorure UF6 par une nouvelle fluoration à 450 ◦ C, cette fois-ci en présence de gaz fluor. Cet hexafluorure d’uranium est ensuite acheminé sous forme solide, dans des conteneurs sous pression, vers l’usine d’enrichissement. L’uranium naturel ne peut servir tel quel de combustible dans un réacteur à eau légère, car il contient trop peu de noyaux fissiles (0,72 % d’isotope fissile 235 U) pour qu’on puisse entretenir une réaction en chaîne dans un tel milieu. L’enrichissement en 235 U à une teneur de quelques pourcents est imposé par le choix de l’eau ordinaire comme modérateur et caloporteur et a pour but de compenser les captures de neutrons par l’hydrogène de l’eau. Un réacteur à eau typique de 1 GWe consomme annuellement 21 tonnes d’uranium enrichi à 4 %. Ce tonnage est extrait de 150 tonnes d’uranium naturel. La phase d’enrichissement entre pour 31 % dans le coût du combustible chargé en réacteur, soit encore 7 % du coût total du kilowattheure. La séparation isotopique est une tâche difficile car les isotopes à séparer ont pratiquement les mêmes propriétés chimiques. Deux procédés d’enrichissement principaux sont actuellement utilisés à l’échelle industrielle pour enrichir l’uranium : la diffusion gazeuse et l’ultracentrifugation. Ces deux procédés utilisent de l’uranium sous forme gazeuse d’hexafluorure d’uranium UF6 . Le fluor n’ayant qu’un seul isotope (de masse atomique 19), les différences de masse qui peuvent exister entre
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
135
deux molécules d’UF6 résultent des différences de masse entre les isotopes de l’uranium (entre 238 U et 235 U). Dans le procédé de diffusion gazeuse, l’UF6 est propulsé par des compresseurs au travers de parois présentant des micropores de quelques nanomètres (millième de micron) de taille moyenne. Les molécules contenant de l’uranium 235 traversent en un débit légèrement plus élevé que les molécules contenant l’uranium 238 ; on répète cette opération un très grand nombre de fois en installant des cascades d’étages analogues, pour obtenir l’enrichissement voulu. Depuis 1973, la France exploite l’usine de diffusion gazeuse construite à Pierrelatte dans la Drôme (Fig. 9.3).
Figure 9.3. L’usine française de diffusion gazeuse Georges Besse, construite à Pierrelatte dans le département de la Drôme. Sa première mise en exploitation partielle a eu lieu en 1978 et la mise en service industrielle complète date de 1982. Elle fournit en gros le quart de l’uranium enrichi produit chaque année de par le monde.
Le composant technologique clef de la diffusion gazeuse est la « barrière » – cylindre poreux qui effectue la séparation entre les flux riche et pauvre. Il est constitué d’un support qui assure la tenue mécanique et d’une couche sensible, mise au point par de délicats travaux de recherches, et qui respecte des qualités très strictes pour le nombre et la taille (diamètre moyen de quelques nanomètres) des pores.
136
Chapitre 9. Uranium naturel, uranium enrichi
Les matériaux utilisés sont soit métalliques (poudres frittées) soit céramiques. Une installation industrielle comprend plusieurs centaines de milliers de barrières. Dans le procédé d’ultracentrifugation, on introduit l’hexafluorure dans des rotors qui tournent à très grande vitesse (plusieurs dizaines de milliers de tours par minute) ; les molécules contenant l’uranium 238, plus lourdes, se concentrent vers la périphérie ; deux flux de concentrations isotopiques différentes sont extraits des centrifugeuses, l’un (enrichi en isotope 235) près de l’axe de rotation, l’autre (appauvri en isotope 235) près de la périphérie. Le composant clef de l’ultracentrifugation est la centrifugeuse. D’une hauteur de l’ordre de quelques mètres, et d’un diamètre de quelques dizaines de centimètres, elle doit tourner à des vitesses de plusieurs milliers de tours par minute de façon parfaitement régulière. Ce mouvement doit se prolonger, idéalement, pendant plusieurs années sans perturbation. Le choix du matériau, les dispositifs de suspension du rotor au moyen de paliers magnétiques, les systèmes d’introduction et d’extraction des flux gazeux résultent de mises au point délicates Là aussi, l’opération doit être répétée pour obtenir les teneurs souhaitées ; la figure 9.4 montre une cascade de centrifugeuses industrielles. Les structures de coût de ces deux procédés sont très différentes. L’effet de taille d’usine joue beaucoup plus fortement en diffusion gazeuse, qui réclame donc un investissement initial beaucoup plus considérable que son procédé concurrent. Par ailleurs, le coût de l’électricité intervient pour une part beaucoup plus forte dans le procédé de diffusion gazeuse ; c’est évidemment défavorable en période d’énergie chère, mais c’est favorable en cas de faible demande et de sous-utilisation des capacités d’enrichissement. Les conditions actuelles favorisent aujourd’hui nettement l’ultracentrifugation, procédé qui peut être compatible avec une stratégie très souple de construction des capacités d’enrichissement. L’usine Georges Besse de diffusion gazeuse arrivant en fin de vie est en cours de remplacement par une usine Georges Besse 2, située à proximité, qui utilisera le procédé d’ultracentrifugation mieux adapté aux conditions économiques et industrielles actuelles.
2 2.1
Les ressources en uranium La valeur énergétique de l’uranium et la demande mondiale
Les 436 réacteurs en service dans le monde en 2010 totalisaient une puissance de 370 GWe et, sur la base d’une durée moyenne de production annuelle de 7 000 heures, ont délivré environ 7 700 TWh thermiques. Leur alimentation en combustible a nécessité environ 64 000 tonnes d’uranium naturel, ce qui correspond
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
137
Figure 9.4. Cascade de centrifugeuses.
à 5 GWj thermiques produits par tonne d’uranium naturel. Ce chiffre n’a rien d’intrinsèque à l’uranium, car il dépend des réacteurs dans lequel l’uranium est brûlé. Il faut le comparer à la quantité d’énergie potentiellement disponible par fission dans une tonne d’uranium naturel (900 GWj/t, si l’on suppose que tous les noyaux lourds, fissiles et fertiles, sont consommés). La comparaison montre que les réacteurs actuels, qui sont principalement des réacteurs à eau, utilisent fort mal la ressource uranium !
138
Chapitre 9. Uranium naturel, uranium enrichi
2.2
Évaluer les ressources
Les ressources en uranium font l’objet d’une classification tout à fait spécifique et qu’il est important de bien comprendre. Elles sont obtenues par sondages et réévaluées tous les deux ans en fonction des nouvelles prospections. On distingue trois catégories : – les « ressources raisonnablement assurées » (RRA) classées par coût d’exploitation (40, 80 et 130 $/kg), elles sont « prouvées » par des sondages avec une maille relativement importante ; – les « ressources supplémentaires estimées » de type I (RSE I) reconnues par quelques sondages et parfois ajoutées au RRA pour évaluer les ressources globales (les Américains ne les comptabilisent pas car ils estiment qu’elles ne sont pas prouvées) ; – RSE de type II (RSE II) déterminées à partir des connaissances sur des domaines reconnus par sondage, estimées par extension dans des domaines présentant des caractéristiques favorables du même type dans des régions adjacentes à partir de critères géologiques. Tous les deux ans, depuis 1965, l’AIEA et l’AEN publient dans le « Red Book » l’état des ressources, état qui dépend évidemment beaucoup de l’intensité de la prospection minière, plutôt faible ces dernières années compte tenu d’un marché hésitant, mais qui redémarre actuellement. La majeure partie de l’uranium cumulé extrait depuis les années 1940 dans le monde, soit 2,2 Mt, vient par ordre quantitatif de l’URSS, du Canada et des ÉtatsUnis. L’exploitation des mines françaises est arrêtée depuis 2001, non pas parce que la ressource est épuisée, mais parce que des gisements plus rentables sont disponibles ailleurs. Les plus grandes ressources connues se trouvent maintenant en Australie (23 %), au Kazakhstan (18 %), au Canada (9,6 %), en Afrique du Sud (8,6 %) et aux États-Unis (7,5 %). Les RRA récupérables à un coût inférieur à 80 $/kg d’uranium, s’élèvent à environ 2,5 millions de tonnes et celles à moins de 130 $ par kg d’uranium sont estimées à 3,3 millions de tonnes (Fig. 9.5). Alors que le coût des ressources s’exprime en $/kg d’uranium naturel, les cours sont quantifiés en $ par livre (lb) d’U3 O8 . Il est donc indispensable de connaître les correspondances entre kilogrammes, livres, uranium naturel et U3 O8 : 1 kg Unat ↔ 1,17 kg U3 O8 et 1 kg Unat ↔ 2,6 lb U3 O8 . Ainsi, un prix de 130 $/kg d’uranium naturel correspond à 50 $/lb U3 O8 . Depuis le milieu des années 1980 jusqu’en 2000 environ, les cours sont restés sous la barre des 10 $/lb d’U3 O8 soit 5 fois au-dessous de la barre de 130 $/kg d’Unat (barre la plus haute pour définir les ressources). La figure suivante montre
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
139
Figure 9.5. Répartition mondiale des ressources raisonnablement assurées (RAR) à un coût inférieur à 130 $/kg Unat en 2006.
l’évolution des cours (en dollars courants) depuis les années 1970 ; la barre des 50 $/lb (ou 130 $/kg d’Unat ) a été atteinte à la fin de l’été 2006 et on peut remarquer qu’un emballement des cours a commencé en 2001. Notons également que le coût de production du kWhe des réacteurs EPR actuellement en construction a été évalué en 2003 sur la base d’un prix de 20 $/lb U3 O8 , qui a déjà triplé à la fin de 2006. Cette envolée des prix a plusieurs causes dont le relatif désintérêt au niveau mondial pour la production électronucléaire avant l’envolée récente des cours du pétrole associée à un manque de prospection mais également à des ressources relativement faibles eu égard à la demande. Actuellement, pour une consommation annuelle d’environ 60 000 tonnes d’uranium naturel, seules 36 000 tonnes sont assurées par la production minière (offre primaire), le reste est comblé principalement par l’excédent des besoins militaires (démantèlement de l’armement) mais également par le retraitement (en masse, il y a environ 0,7 % d’isotope 235 et 0,6 % de plutonium 239 dans le combustible
140
Chapitre 9. Uranium naturel, uranium enrichi
usagé) et l’exploitation des combustibles à mélange d’oxyde (MOX). Sur la base des contrats en cours, les ressources « secondaires » qui couvrent encore 40 % des besoins aujourd’hui n’en couvriront plus que 15 % en 2020. La situation pourrait donc rester tendue encore longtemps, même si l’accident de Fukushima ralentit les programmes nucléaires en cours. L’évolution du prix spot de l’uranium a subi les fluctuations de l’économie mondiale et sa tendance générale est à la hausse (Fig. 9.6).
Figure 9.6. Évolution des cours de l’uranium en $ courants (source : Henri Safa). La forte hausse observée entre 2003 et 2007 coïncide avec le re-démarrage du nucléaire dans le monde, probablement associé à de la spéculation sur les matières premières. La baisse de 2008 est imputable à la crise économique.
Dans ce contexte, peut-on dire que les ressources seront suffisantes pour assurer le développement du nucléaire ? Si l’on se fonde sur les seules RRA (« méthode américaine ») à 130 $/kg Unat (ce qui sera bientôt un prix faible par rapport au marché), on disposerait de 3,3 millions de tonnes, soit environ 50 ans au rythme de consommation actuel. Si l’on y ajoute l’ensemble des RSE de type I, on arrive à 4,7 Mt. Mais, si l’on tient compte de l’accroissement de la demande, on n’accroît pas vraiment la durée de disponibilité des ressources en uranium. Certes le combustible n’a pas été exploité au maximum de ses possibilités énergétiques et il reste au monde, fin 2010, environ 1,7 million de tonnes d’uranium appauvri à environ 0,3 % d’235 U qui peut être considéré comme un stock stratégique pour l’avenir. Ces stocks devraient s’accroître d’environ 57 000 tonnes par an dans un avenir prévisible. D’après le rapport sur les « Coûts de référence de la production électrique » publié par la DGEMP en décembre 2003, sur la base d’un prix de 20 $/lb, le coût de la matière première intervient peu (1,4 €/MWh) dans le coût total du kWh nucléaire (28,4 €/MWh), ce qui représente environ 5 %. Mais si le prix de l’Unat est multiplié par 10 (200 $/lb, sachant qu’il était à 72 $/lb fin 2006), celui du kWh augmente d’environ 40 % (41,4 €/MWh). À titre de comparaison, si le prix du gaz naturel est multiplié par 10, celui du kWh gaz est multiplié par 7.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
141
Il est enfin nécessaire de rappeler que l’énergie nucléaire ne satisfait actuellement que 6,5 % de l’énergie primaire mondiale et 16 % de l’électricité. Avec la technologie des réacteurs à eau, l’énergie nucléaire ne dispose pas des ressources suffisantes pour occuper une place beaucoup plus importante dans le panel énergétique mondial et n’est pas plus durable que celle issue des combustibles fossiles. Face à la flambée inexorable des cours des différentes matières premières énergétiques non renouvelables, on peut se poser légitimement la question de sa compétitivité face aux ressources renouvelables longtemps considérées comme trop coûteuses. La situation peut donc sembler inquiétante pour l’avenir du nucléaire ; on peut cependant se rassurer de deux façons. La première en considérant les réserves « pronostiquées et spéculatives », estimées à 14,8 millions de tonnes. Dans son livre, De Tchernobyl en Tchernobyls, G. Charpak cite des chiffres (émis par 3 instituts américains différents) entre 170 et 500 Mt U à des coûts inférieurs à 260 $/kg. Une publication américaine de 1984 évalue à 70 Mt d’uranium les minerais exploitables par des techniques minières sans considération de coûts (teneur > 1 000 ppm). Par ailleurs, 22 Mt U pourraient être récupérés à partir de phosphates à des coûts estimés à 300 $/kg. On sait en outre que les ressources non conventionnelles contenues dans les océans (teneur 3,3 ppb) se montent à environ 4 000 Mt d’uranium. La récupération de cet uranium, évaluée entre 350 et 1 000 $/kg U, reste très hypothétique ; divers observateurs estiment que l’entreprise n’est pas réaliste (occupation des surfaces marines, déchets. . . ). La notion de réserve ultime est elle-même très floue, puisque la prospection de l’uranium n’a pas été menée sur toute la planète et que l’incertitude ne peut être réduite que par les résultats de la prospection : il est probable que de gros gisements restent encore à découvrir. La seconde consiste à considérer que des réacteurs à neutrons rapides économiques et fiables pourront entrer en service suffisamment rapidement (moins de 40 ans) pour assurer le « biseau ». En effet, ceux-ci permettraient de bien mieux utiliser le potentiel énergétique de l’uranium en consommant efficacement l’isotope fertile 238 U dans un cycle du combustible fermé (voir chapitre 15). Ce dernier isotope fertile étant plus de 100 fois plus abondant que l’isotope 235 U fissile, c’est un facteur de l’ordre de 100 sur les ressources qu’on gagnerait en recourant aux réacteurs à neutrons rapides. Le futur de la ressource « uranium » dépendra beaucoup du cycle du combustible des réacteurs qui l’utiliseront. Avec des réacteurs à neutrons rapides, le problème de la ressource en matières fissiles pourrait être relégué au second plan.
Bibliographie [1] H. Métivier, L’uranium, de l’environnement à l’Homme, EDP Sciences, 2001.
142
Chapitre 9. Uranium naturel, uranium enrichi
10 Le combustible nucléaire avant et après son passage en réacteur
Paul RIGNY et Bernard BONIN
1
L’assemblage de combustible nucléaire
Pour son utilisation en réacteur, la matière fissile est conditionnée au sein d’un composant technologique complexe, l’assemblage de combustible nucléaire – plus simplement le « combustible nucléaire » – dont la figure 10.1 donne une représentation. La mise en œuvre de la réaction de fission en chaîne∗ , qui fournit l’énergie du réacteur pose en effet des conditions strictes sur la quantité, la concentration et la répartition des atomes fissiles au sein du cœur de réacteur. La conception de l’assemblage de combustible nucléaire optimise l’efficacité du fonctionnement du réacteur et la souplesse de son exploitation (adaptation aux variations de puissance imposées par le réseau) ; elle assure aussi la sûreté du réacteur. Chaque concepteur de réacteur nucléaire a développé un modèle d’assemblage∗ adapté à son réacteur. Dans l’assemblage combustible d’un réacteur à eau, la matière fissile se présente sous forme de pastilles d’oxyde fritté contenues dans des « crayons »∗ , tubes étanches en alliage de zirconium de 4 à 5 mètres de longueur et
Grappe de contrôle Embout
Tube-guide Grille de mélange Crayon Embout
Figure 10.1. L’assemblage de combustible nucléaire d’un réacteur à eau pressurisée.
d’environ 1 centimètre de dimension transversale – groupés dans les assemblages, réseaux à maille carrée tenus dans une « structure » assurant le maintien mécanique des crayons et le respect d’une géométrie qui optimise le rendement de la réaction de fission. Pour tous les assemblages REP, la structure comprend un pied, une tête et des tubes guides sur lesquels sont fixées les grilles de maintien des crayons combustibles. Les crayons absorbants des grappes de contrôle∗ coulissent dans les tubes guides. Un des tubes guides est réservé à l’instrumentation du cœur. Dans un réacteur à eau sous pression, la structure est ouverte, l’eau peut circuler transversalement aux assemblages. Dans un réacteur à eau bouillante au contraire, elle est fermée, chaque ensemble de crayons est enfermé dans un boîtier interdisant les échanges transversaux. La fabrication des combustibles MOX∗ (oxyde mixte d’uranium et de plutonium, le plutonium étant issu du traitement-recyclage d’un combustible antérieur) ne diffère de celle des combustibles UO2 standard que dans la préparation des poudres d’oxydes avant pastillage et dans les dispositions spécifiques prises pour la mise en œuvre du plutonium : radioprotection, confinement, conduite à distance, contrôles. Dans tous les cas, le choix des matériaux constitutifs de la structure, de l’assemblage et des gaines tiendra compte de leur résistance à l’irradiation et à la corrosion ainsi qu’à leur propriété d’être faiblement absorbeurs de neutrons.
144
Chapitre 10. Le combustible nucléaire avant et après son passage en réacteur
Le respect de la sûreté nucléaire impose des contraintes et des qualifications sévères dans la conception et la fabrication des éléments combustibles. Des exigences techniques et technologiques du cahier des charges de l’assemblage combustible, nous retiendrons principalement les suivantes : – une grande fiabilité, associée à une durée de vie élevée : l’assemblage combustible, sa structure et les crayons qui le constituent, doivent résister sans défaillance pendant toute la durée du séjour en réacteur, actuellement 4 à 5 ans ; – l’étanchéité du combustible. En situation incidentelle ou accidentelle, la sûreté exige que les matières nucléaires restent confinées ; la gaine du crayon combustible constitue la première barrière de confinement∗ (les deux autres sont le circuit primaire et l’enceinte de confinement) ; – même si dans des situations accidentelles extrêmes des ruptures de gaine peuvent intervenir et l’assemblage subir des déformations, on doit pouvoir continuer à le refroidir ; – malgré ces exigences de performance, l’assemblage combustible doit rester simple : simple à fabriquer, à manutentionner, à transporter, à réparer, puis, après usage, simple à entreposer ; on exige aussi le plus souvent, notamment en France, qu’il permette le traitement du combustible usé.
Du combustible neuf au combustible usé : les transformations de la matière nucléaire en réacteur 2
2.1
Le combustible neuf
L’uranium (à environ 4 % d’isotope 235 fissile et 96 % d’isotope 238) ou, dans les combustibles MOX, l’uranium mélangé avec 5 % à 10 % de plutonium (l’isotope 239 ne représente que 60 % du plutonium d’un combustible MOX neuf) sont les seuls éléments radioactifs présents dans le combustible avant son introduction en réacteur – dans la filière REP considérée ici. 2.2
La transformation du combustible par le fonctionnement du réacteur
La fission des noyaux d’uranium ou de plutonium, phénomène de base utilisé en réacteur pour la production d’énergie, donne naissance à deux fragments nucléaires par atome fissionné. Ces fragments sont produits aléatoirement lors de la fission et le résultat est la production d’une grande diversité d’atomes plus ou moins radioactifs, qu’on appelle les produits de fission∗ (voir le chapitre 4). D’autres réactions nucléaires (parasites, au sens où elles ne donnent pas lieu à production d’énergie) se produisent également par interaction des neutrons avec la matière présente dans le cœur du réacteur : la capture de neutrons sur les noyaux
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
145
d’actinides présents (initialement surtout l’uranium 238) entraîne la production d’actinides lourds (on les appelle actinides mineurs∗ du fait de leur faible concentration – inférieure à 1 % des atomes fissiles en fin d’utilisation du combustible). De même, l’interaction des neutrons avec les matériaux de structure du cœur génère des produits d’activation∗ . Un certain nombre de produits de fission sont également absorbeurs de neutrons, ce qui fournit de nouveaux radioéléments parasites. 2.3
Le combustible usé
Le déchargement du combustible usé
Au cours de sa période de production d’énergie, un élément combustible contient de moins en moins de matière fissile et s’empoisonne progressivement à cause de l’accumulation de produits de fission neutrophages (Figs. 10.2 et 10.3). Il devient nécessaire de le décharger et de le remplacer par un élément neuf pour pouvoir continuer la production d’énergie. Le cœur d’un REP (réacteur à eau pressurisée) est renouvelé par quart une fois par an.
Figure 10.2. Réactions au sein des assemblages combustibles : le jeu combiné des fissions et des captures de neutrons dans le combustible d’un réacteur à eau. On part de 100 atomes d’uranium, dont 4 d’isotope 235 (fissile) et 96 d’isotope 238. Sur les 4, un seul survivra, et 3 subiront la fission pendant le séjour du combustible en réacteur. Sur les 96 atomes d’U 238 initiaux, 3 seront transformés en Pu et 93 survivront. Sur les 3 atomes de Pu formés, 2 subiront la fission, un seul survivra. Au total, on aura 3 + 2 = 5 fissions. Seul 5 % du métal lourd est consommé dans un REP. (Dans un réacteur à neutrons rapides, le schéma serait très différent). On sort le combustible du réacteur lorsqu’il ne contient plus assez de noyaux fissiles pour entretenir la réaction en chaîne (typiquement au bout de 4 ans dans un réacteur à eau).
146
Chapitre 10. Le combustible nucléaire avant et après son passage en réacteur
Figure 10.3. Contenu d’un élément combustible UOX (constitué d’oxyde d’uranium seul).
Au moment où l’on arrête la combustion pour remplacer l’élément usé par un neuf, le combustible usé a la composition pondérale typique donnée dans le tableau 10.1. Les chiffres sont ceux d’un combustible de réacteur à eau pressurisée brûlé à un taux de combustion∗ de 47,5 MWj/tonne. Ils restent à prendre en ordres de grandeur car les valeurs réelles dépendent de la composition initiale du combustible – taux d’uranium 235, quantité de plutonium pour les MOX – de la durée du séjour en réacteur ainsi que de la conception même de l’élément combustible. Après son séjour en réacteur, l’élément combustible, très radioactif, émet beaucoup de chaleur. Il reste entreposé pendant environ un an dans la piscine de déchargement de la centrale nucléaire. Ensuite, lorsque son activité est tombée à environ 70 000 térabequerels par tonne (TBq/t), il est possible de le transférer vers l’usine de traitement dans un château de transport. Ces châteaux, tels que celui qui est présenté sur la figure 10.4, sont
Figure 10.4. Châteaux de transport TN 12.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
147
Isotope
Combustible
Combustible
USE à
NEUF
47,5 MWj/tonne
(en référence)
d’uranium initial
Uranium
Plutonium
238
925
959,6
235
7,4
40
236
5,4
–
234
0,2
0,4
(total = 938 kg)
(total = 1 000 kg)
239
6,1
240
2,8
241
1,5
242
0,9
238
0,4 (total = 11,7 kg)
Actinides
Neptunium 237
0,7
mineurs
Américium 241/243
0,5
Curium 244/245
0,4 (total = 2 kg)
Produits
(total = 49 kg)
de fission Tableau 10.1. Composition pondérale typique d’une tonne de combustible (neuf et usé) pour la filière REP (chiffres en kg).
conçus pour assurer le confinement des matières radioactives pendant le transport de l’élément combustible usé sur la voie publique. Le château contenant l’élément combustible usé est transporté soit par camion, soit par train, en direction de l’usine de traitement. À l’arrivée dans l’usine, il subit un contrôle rigoureux pour déterminer si les gaines de l’élément combustible sont restées étanches. Si c’est le cas, l’élément combustible sera entreposé dans une piscine où il peut attendre plusieurs années avant le traitement.
148
Chapitre 10. Le combustible nucléaire avant et après son passage en réacteur
Dans le cas d’une contamination, l’élément combustible sera séparé des autres et placé dans un colis étanche. Le combustible usé contient une quantité importante d’isotopes fissiles, uranium 235 ou plutonium, susceptibles d’être réutilisés ; pour ce faire, il convient d’effectuer leur séparation : c’est l’objet des opérations de traitement, décrites dans le chapitre suivant.
Bibliographie [1] C. Lemaignan, Science des Matériaux pour le Nucléaire, collection « Génie Atomique », EDP Sciences, 2004. [2] H. Bailly, D. Ménessier, C. Prunier, Le Combustible nucléaire des réacteurs à eau sous pression et des réacteurs à neutrons rapides, Eyrolles, 1996. [3] « Les combustibles Nucléaires », Monographie e-den, Éditions du Moniteur, 2008.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
149
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
11 Le traitement-recyclage du combustible nucléaire
Paul RIGNY, Bernard BONIN et Bernard BOULLIS
1
Les opérations de l’aval du cycle du combustible
Certains pays (dont la France) ont pris l’option de recycler les matières fissiles (uranium et plutonium) présentes dans le combustible du réacteur après son utilisation. C’est l’option « avec traitement du combustible usé » souvent dénommée « cycle fermé », c’est-à-dire comprenant une partie amont et une partie aval. Cette dénomination de « cycle fermé » est quelque peu abusive dans la mesure où la réutilisation des matières fissiles ne se fait pas à 100 %. Les principales opérations du cycle du combustible pour l’aval sont alors les suivantes.
1.1
L’entreposage∗ en piscine
À la sortie du réacteur, les assemblages combustibles usés sont entreposés dans une piscine d’eau pendant plusieurs années pour assurer la décroissance des éléments radioactifs (produits de fission) à courte durée de vie. Cet entreposage intervient
Figure 11.1. Piscine d’entreposage des assemblages combustibles à La Hague.
d’abord sur le site du réacteur pendant environ une année puis sur le site des installations de traitement (en France à l’usine AREVA de La Hague) pendant 3 à 8 années suivant les cas (Fig. 11.1). 1.2
Le cisaillage et la dissolution
La première phase du « traitement du combustible usé ∗ » – ensemble des opérations conduisant à la récupération en vue de recyclage des éléments chimiques conservant une valeur énergétique, l’uranium et le plutonium – est la destruction mécanique de cet ensemble. Un cisaillage des structures sépare les embouts des combustibles et tronçonne les crayons combustibles en éléments de petite taille adaptés à la phase ultérieure de dissolution (Fig. 11.2). Les coques, c’est-à-dire les morceaux de gaine tombent avec leur contenu directement dans de l’acide nitrique concentré et chaud. Seule la céramique combustible se dissout, les coques en alliage de zirconium étant insolubles dans l’acide. Après contrôle et rinçage, elles vont être évacuées du dissolveur et transférées avec les embouts dans un silo en vue d’un conditionnement pour entreposage ou stockage définitif. La solution résultant de la dissolution est ensuite clarifiée par filtration ou centrifugation puis envoyée vers les cycles d’extraction (Fig. 11.3).
152
Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire
Figure 11.2. Le cisaillage du combustible usé.
Figure 11.3. Cuve et dissolveur : roue de l’atelier de cisaillage et dissolution.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
153
Toutes ces opérations sont effectuées sur des matériaux extrêmement radioactifs. Elles sont donc réalisées par des machines automatiques. Le tout se trouve à l’intérieur de halls entièrement étanches et décontaminables, recouverts sur toute leur surface interne de feuilles d’acier inoxydable soudées entre elles et polies. Le cisaillage et la dissolution libèrent des corps gazeux issus de la fission de l’uranium. Ces corps gazeux, en particulier l’iode et le tritium, sont aspirés par des gaines et envoyés sur des filtres destinés à les piéger. Après filtrage, l’air de circulation est contrôlé puis rejeté dans une cheminée. Tous les bâtiments de l’usine de traitement où sont situés des éléments radioactifs sont maintenus à une pression inférieure à la pression atmosphérique afin que tout rejet soit contrôlé. Les opérations suivantes sont une succession de séparations chimiques, filtrages, recyclages et finalement extraction et conditionnement. À la suite de ces opérations, les éléments valorisables forment une solution nitrique qui contient les éléments uranium et plutonium, à des concentrations d’environ 200 g/L pour l’uranium et 2,5 g/L pour le plutonium ; elle contient aussi et 6 à 7 g/L de produits de fission∗ et les éléments actinides non recyclables (les actinides mineurs∗ ). 1.3
La séparation chimique par extraction
Le procédé utilisé pour séparer les trois types de produits chimiques – uranium, plutonium et produits de fission – (procédé PUREX) utilise pour les éléments actinides (uranium et plutonium) des techniques éprouvées en métallurgie traditionnelle et dénommées « extraction par solvant ». Le procédé PUREX consiste à extraire les nitrates d’uranium et de plutonium hors de la solution d’acide nitrique concentré à l’aide de l’affinité sélective qu’a pour ces corps un liquide huileux non miscible dans l’eau : du dodécane contenant du phosphate de tri-n-butyle (TBP). Il se produit une solvatation sous forme d’espèces neutres qui se concentrent dans la solution de TBP. L’agitation énergique des phases aqueuse et organique dans des colonnes pulsées fonctionnant à contre-courant augmente la surface de contact entre les deux liquides et accélère la migration de l’uranium et du plutonium dans la phase organique. Ensuite, les solutions aqueuse et organique se séparent efficacement par simple décantation. Plusieurs cycles d’extraction sont nécessaires. Pour séparer ensuite l’uranium du plutonium, on s’appuie sur la propriété du plutonium d’être insoluble en phase organique à la valence 3. Le solvant contient au départ l’uranium à la valence 6 et le plutonium à la valence 4. Il est mis en contact avec une phase aqueuse réductrice (sel ferreux ++ et sel uraneux ++). Le plutonium passe à la valence 3 et sort de la phase solvant. L’uranium est ensuite extrait par un procédé similaire.
154
Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire
Le phosphate de tri-n-butyle libéré est recyclé. Il subit toutefois une dégradation progressive sous l’effet des rayonnements. Le plutonium est concentré sous forme de nitrate par évaporation, puis précipité par l’acide oxalique. Après filtration et séchage, l’oxalate est calciné à 450 ◦ C pour donner de l’oxyde de plutonium PuO2 , forme stable pour le stockage. Quant à l’uranium, il est simplement concentré sous forme de nitrate d’uranyle avant stockage (Fig. 11.4).
Combustible irradié
TBP
HNO3
U Pu
DISSOLUTION
Solution
EXTRACTION
An, PF
PF, AMs
Figure 11.4. Le principe du procédé PUREX.
Ces diverses opérations sont mises en œuvre dans les usines AREVA de La Hague. La technologie utilisée a demandé un travail de définition et de mise au point très complexe du fait du caractère extrêmement radioactif des solutions traitées (nécessitant l’emploi de télémanipulateurs et un contrôle sévère de la criticité ∗ ), et du niveau très élevé des débits nominaux. Le procédé PUREX, avec éventuellement un certain nombre d’améliorations est utilisé dans pratiquement tous les pays nucléaires qui ont choisi le cycle fermé – La Hague en France où deux usines de 850 tonnes par an ont été construites, Sellafield en Angleterre, Rokkasho-Mura au Japon. 1.4
Le conditionnement des matières séparées
L’uranium séparé, récupéré sous forme de nitrate d’uranyle, est pour partie (environ les deux tiers) stocké en attente de recyclage et pour partie (environ un tiers) réenrichi isotopiquement, sa composition isotopique (environ 0,9 % d’U235) étant voisine des 0,72 % de l’uranium naturel ; il est ensuite recyclé pour la fabrication de nouveaux éléments combustibles. Le plutonium transformé en oxyde est, selon la demande, envoyé à la fabrication de combustibles mixtes uranium/plutonium, MOX∗ (en France dans l’usine de Marcoule dénommée MELOX) ou entreposé. Quant aux produits de fission, mêlés aux actinides mineurs, ils sont considérés comme déchets radioactifs ultimes et conditionnés par vitrification.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
155
La vitrification est l’opération de synthèse de matériaux vitreux contenant les éléments radioactifs non récupérables issus des opérations de retraitement. Les verres produits contiennent ainsi la presque totalité de la radioactivité des combustibles usés ; ils sont choisis pour leur inertie chimique considérable garantissant leur innocuité. Dans une première phase, les solutions issues du traitement passent en calcinateur à 600 ◦ C. Le calcinat est ensuite mélangé à la fritte de verre (mélange de silice et d’oxydes de bore, aluminium et sodium) dans un four de fusion maintenu à 1 050 ◦ C (Fig. 11.5). La coulée remplit ensuite un conteneur métallique ; un conteneur a un volume de 180 litres et contient approximativement 84 kg d’éléments radioactifs, produits de fission et actinides mineurs (Fig. 11.6).
Figure 11.5. Procédé français de vitrification.
En France, les opérations de l’aval du cycle, à l’exception de l’entreposage du combustible usé en piscine sur le site du réacteur, sont mises en œuvre industriellement à l’usine de traitement de La Hague – usine AREVA – illustrée sur la figure 11.7.
156
Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire
Figure 11.6. Photographie d’une coulée de vitrification.
Figure 11.7. Vue de l’usine de traitement des combustibles usés de La Hague. Les combustibles usés sortant des piscines d’entreposage sont traités pour la récupération des matières fissiles valorisables.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
157
1.5
Le traitement des effluents liquides et gazeux
Le défi principal du traitement des combustibles usés est le maintien permanent d’une frontière entre la biosphère et le domaine qui contient la matière radioactive. Ce sont d’abord les barrières statiques, c’est-à-dire toutes les parois exerçant une fonction d’étanchéité. Mais ce sont aussi les barrières dynamiques, sas d’entrée et de sortie, filtres dans les zones d’entrée et de sortie de matière. La défense en profondeur fait appel à deux, éventuellement trois barrières. Elle impose de s’assurer de leur indépendance et de les reconstituer chaque fois que l’on passe d’un stade à un autre. À la fin, comme aucune barrière n’est totalement étanche, on comptabilise les quantités rejetées dans l’environnement. Celles-ci devront être inférieures à une valeur définie par autorisation administrative selon des normes garantissant leur innocuité. Ainsi l’usine UP3 d’AREVA à La Hague, qui traite 800 tonnes par an, ne doit pas rejeter d’effluents∗ liquides contenant par an plus de 800 000 GBq d’émetteurs β hors tritium, 20 millions de GBq de tritium et 800 GBq d’émetteur alpha. Pour les effluents gazeux, les limites pour la même usine sont de 1 million de GBq de tritium, 2,5 milliards de GBq de krypton et de carbone 14, 50 GBq d’iode et 40 GBq d’aérosol (Fig. 11.8). La majeure partie du tritium, radioélément de courte période radioactive (11,2 ans) et surtout de très courte période biologique (quelques jours), est rejetée en mer. De même, le krypton 85 (période radioactive : 10 ans) est rejeté par la cheminée de l’usine. La possibilité qu’il se fixe sur des cellules vivantes est quasiment nulle par suite de son absence d’activité chimique. L’iode 129 qui a une période radioactive de 16 millions d’années est piégé dans les effluents gazeux par la soude avec une efficacité de 99 %. L’iode retenu par la soude est ensuite piégé sur des supports solides imprégnés de nitrate d’argent. Ces supports seront ensuite transférés dans le circuit des effluents liquides et l’iode est rejeté en mer. Là il subit une dilution isotopique dans l’iode marin, ce qui rend son impact biologique totalement négligeable. Par suite des progrès continus dans la mise au point du procédé de traitement, l’activité rejetée par les usines de La Hague a sans cesse diminué.
158
Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire
Éléments
Année 2010
Limite annuelle
(TBq)
règlementaire (TBq)
Tritium
9950
18 500
Iodes radioactifs
1,38
2,60
Carbone 14
7,34
14
Strontium 90
0,134
11
Césium 137
1,080
8
Césium 134
0,0754
0.5
Ruthénium 106
1,03
15
Cobalt 60
0,0646
1.4
Autres émetteurs β et γ
1,40
60
Emetteurs α
0,0257
0.14
Figure 11.8. Rejets en mer des usines de La Hague.
L’impact sur l’environnement également n’a cessé de décroître. Au niveau du groupe de référence, le plus exposé, il est aujourd’hui de quelques dizaines de microsieverts, soit environ 100 fois moins que les doses reçues par l’habitant du Cotentin pour d’autres raisons (radioactivité naturelle et médecine principalement).
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
159
Les flux de matière dans le cycle du combustible (exemple du parc français) 2
Les valeurs des flux de matière radioactive qui subissent les transformations du cycle sont en fait fortement dépendantes des options retenues par l’exploitant (choix du taux d’enrichissement de l’uranium du combustible, choix du taux de combustion du combustible en réacteur). Le présent paragraphe ne donne que des ordres de grandeur. Des valeurs types des principaux flux associés aux réacteurs d’EDF sont indiquées sur la figure 11.9, qui les résume d’une manière simplifiée. L’ensemble du parc nucléaire français, 58 réacteurs pour une production électrique de 400 TWh par an, est alimenté par un flux de 8 200 t/an d’uranium naturel. Après enrichissement – donc à l’entrée des installations de fabrication des combustibles –, on obtient le flux principal d’uranium d’environ 900 t/an d’uranium enrichi ; parallèlememnt, une quantité de 7 300 t/an d’uranium appauvri à une teneur d’environ 0,25 % d’uranium 238, considéré comme dénué d’intérêt économique est issue des usines d’enrichissement et entreposé. Un autre flux d’uranium provient du recyclage de l’uranium déjà passé en réacteur ; il est d’environ 300 t/an et est repris des installations de retraitement d’où il sort à une composition isotopique d’environ 0,9 % d’isotope 235 pour être réenrichi ; il fournit une quantité d’environ 65 t/an d’uranium réenrichi mélangé aux 900 t/an provenant de l’uranium naturel après enrichissement et une quantité de 265 t/an d’uranium appauvri à entreposer. C’est ainsi un flux de 965 t/an d’uranium enrichi à 3,5 % 1 en isotope 235 qui entre chaque année dans les réacteurs français, après l’opération de fabrication des éléments combustibles dont nous avons vu qu’ils étaient des objets technologiques complexes. Le combustible reste en réacteur pendant une durée de 3 ou 4 années environ selon les options d’exploitation retenues ; à l’issue de cette période, transformé par les réactions de fission productrices d’énergie, il est devenu impropre à la production d’énergie – tout au moins dans les conditions d’exploitation retenues – et est sorti du réacteur. Le flux de matière radioactive correspondant est d’environ 1 100 t/an, provenant des 965 t/an d’uranium auquel s’ajoute, pour le parc français, un flux d’environ 135 t/an provenant des combustibles mixtes uranium/plutonium (voir ciaprès). À sa sortie de réacteur, ce flux est entreposé localement dans des piscines de refroidissement pendant deux années, puis transféré dans les piscines de La Hague où le refroidissement par décroissance radioactive se poursuit pendant une durée d’environ six années supplémentaires. On prolonge la phase d’entreposage pour les combustibles MOX (combustibles mixtes à l’uranium et au plutonium) usés (environ 1
La teneur de l’uranium du combustible des REP est comprise entre 3,5 % et 4,5 %, selon le choix de l’opérateur qui tient compte des conditions économiques du moment. Les flux sont indiqués ici pour une valeur de 3,5 % mais conservent leur valeur d’ordre de grandeur pour les autres teneurs.
160
Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire
Extraction minerai d’uranium
Résidus miniers 13 000 t
U naturel 130 t
Enrichissement
U appauvri 113 t
U enrichi 18,7 t
Fabrication combustible et passage en réacteur
Déchets FMA-VC 130 m3 Déchets TFA 55 m3 stockés en surface
Combustible usé 18,7 t
U de retraitement 16 t
Traitement
Pu 0,2 t
Déchets HA-VL (verres 2,5 m3) Déchets MA-VL 3 m3
Recyclage MOX
Entreposage puis stockage géologique ?
Figure 11.9. Les flux de matière radioactive du cycle du combustible pour un an de fonctionnement d’un réacteur à eau typique d’une puissance de 1 GWe, option « cycle fermé ».
100 t/an) et pour une partie des combustibles à l’uranium (environ 200 t/an de matière radioactive). Le reste, la majeure partie des combustibles usés, constitue le flux d’entrée de l’usine de retraitement AREVA de La Hague, qui est d’environ 850 t/an. Une des deux usines de La Hague, avec 850 t/an peut traiter environ le combustible issu de 30 réacteurs. L’autre usine travaille pour l’étranger. On entrepose actuellement, en attente de retraitement, les combustibles usés de 25 réacteurs environ.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
161
En sortie des installations de traitement des combustibles usés, on obtient trois flux de matière radioactive : – environ 800 t/an d’uranium légèrement enrichi (à 0,9 % d’isotope 235) qui donne les 65 t/an d’uranium enrichi recyclé comme indiqué plus haut et 750 t/an d’appauvri ; – un flux d’environ 8,5 t/an de plutonium recyclé sous forme de combustibles mixtes uranium/plutonium (combustibles MOX) fabriqués dans l’usine MELOX qui fournit des combustibles MOX contenant, pour environ 100 tonnes par an de matière radioactive, 8,5 tonnes de plutonium et 91,5 tonnes d’uranium ; – le troisième flux est constitué par les produits de fission (environ 41,5 tonnes/an) qui sont conditionnés dans des matrices, vitrifiées et gérés ensuite comme déchets ultimes. Ces derniers consistent en environ 175 m3 de déchets vitrifiés (à très haute activité et à vie longue) et 145 m3 de déchets technologiques compactés. Les chiffres de flux cités ici restent indicatifs ; ils sont basés sur les capacités théoriques des installations alors que la réalité de l’exploitation – à commencer par la quantité d’électricité réellement appelée – entraîne toujours des écarts par rapport aux chiffres nominaux. Par ailleurs, ils sont fonctions de paramètres, comme le taux d’enrichissement de l’uranium du combustible qui dépend de la conjoncture économique. Les combustibles MOX usés contiennent beaucoup de matière radioactive sous forme d’actinides. Bien que leur recyclage dans les réacteurs à eau actuels ne soit pas envisagé, ils ne sont pas officiellement considérés à l’heure actuelle comme des déchets ultimes, car la matière fissile qu’ils contiennent devrait pouvoir être valorisée avec les réacteurs de quatrième génération.
3
La gestion industrielle du cycle du combustible
Les opérateurs des centrales électronucléaires ont plusieurs options de gestion des combustibles usés à leur disposition. La première est de choisir entre cycle fermé (avec traitement) ou un cycle ouvert (sans traitement du combustible usé). Dans le premier cas (choisi par la France, le Japon, la Grande-Bretagne), on extrait les matières valorisables (uranium et plutonium) pour utilisation ultérieure et les autres produits radioactifs considérés comme déchets ultimes. Dans le second cas, au contraire (choisi par exemple par les pays scandinaves), on fait le choix de ne pas recycler les matières fissiles présentes dans le combustible usé et on destine celui-ci directement aux déchets ou à l’entreposage d’attente. Ce choix fait l’économie des opérations mécaniques et chimiques multiples et complexes décrites ci-dessus, mais prive de la valeur énergétique des matières récupérées. Par ailleurs, il introduit une
162
Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire
plus grande complexité dans la gestion des déchets radioactifs, puisqu’il s’agit alors de gérer des éléments combustibles complets contenant tous les éléments radioactifs issus de la combustion. Les estimations tendent à considérer les deux voies comme équivalentes du point de vue économique ; le choix, inspiré par la stratégie industrielle envisagée, repose en fait sur l’option de gestion du plutonium retenue. L’une des justifications du cycle fermé (traitement des combustibles usés) est la réutilisation de la matière fissile non consommée contenue dans le combustible usé. Le recyclage (partiel) du plutonium est utilisé par EDF dans la stratégie dénommée MOX (combustible mixte d’oxydes mixtes uranium et plutonium). La définition fine de cette stratégie (quel taux de plutonium recycle-t-on ? quelles sont les durées des cycles ? etc.) pose des questions industrielles compliquées qui dépendent des capacités industrielles, de décisions sur des investissements spécifiques (conception des réacteurs adaptée au combustible mixte, stations d’entreposage des combustibles, etc.) ainsi bien sûr que du prix des matières premières et du prix de l’électricité. Les matières nucléaires impliquées dans le cycle du combustible sont nombreuses et diverses. Les quantités qu’il faut mettre en œuvre pour exploiter le parc de réacteurs producteurs d’électricité, qui dépendent des choix industriels faits par l’exploitant (EDF) concernant la composition (proportion de plutonium pour les MOX ; taux d’enrichissement de l’uranium ; options de gestion des éléments combustibles) sont importantes. Ces transformations successives qui constituent les opérations du cycle, avant et après le passage du combustible en réacteur nécessitent des transports de matières radioactives qu’il faut traiter avec la plus grande attention en ce qui concerne la sûreté nucléaire pour les travailleurs, mais aussi pour le public, car ils se déroulent dans l’espace public.
Encadré 11.1. La chronologie du cycle du combustible.
La durée du déroulement des opérations du cycle du combustible est un facteur essentiel de la gestion industrielle. Les opérations demandent un temps qui se chiffre en plusieurs années, déterminé par la nécessité de gérer les décroissances radioactives nécessaires pour que les manipulations soient possibles, ainsi parfois que par la disponibilité des capacités industrielles. Ainsi, entre le déchargement d’un combustible et la mise en stockage souterrain des déchets radioactifs correspondants – au cas où cette option est retenue –, il s’écoulera une trentaine d’années. Ces durées importantes expliquent l’inertie de la conduite d’une politique industrielle, qui impose sa configuration à l’industrie nucléaire. Les opérations réclament une coordination soigneuse pour respecter les plans de charge des usines ; également les options retenues ne peuvent être modifiées sans respecter les durées de plusieurs années ou même décennies impliquées. Les pays qui modifient leur stratégie énergétique, comme l’Allemagne l’a fait en 1999 puis en 2011, sont contraints de tenir compte de la longueur des constantes de temps associées au nucléaire.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
163
Les échelles de temps des opérations du cycle se chiffrent en décennies L’exemple du 1er combustible introduit dans un EPR montre un cycle de 30 ans hors gestion des déchets radioactifs. – 2010 : commande de matière uranium naturel, définition des études de gestion. – 2011/2012 : enrichissement et début de fabrication. – 2013/2014 : fabrication, livraison. – 2014/2019 : irradiation en réacteur. – 2021 : transport vers La Hague (1 à 2 ans de refroidissement). – 2029 : retraitement, séparation du Pu. – 2033 : fabrication du MOX et livraison. – 2037 : déchargement du MOX usé. . . – 2039 : transport du MOX usé à La Hague, refroidissement. – 2067 : éventuelle mise en stockage souterrain. . .
3.1
Taux de combustion, gestion du plutonium et évolution des réacteurs
L’objectif économique de l’exploitation de l’industrie nucléaire met aujourd’hui l’accent sur deux aspects : l’économie des matières premières et la facilité de gestion des déchets radioactifs. Le premier objectif, économie de la matière fissile, a conduit à accroître les taux de « combustion »∗ en accroissant la durée de présence du combustible dans le réacteur, au prix d’une augmentation de la teneur en isotope fissile du combustible. Il conduit également à recycler la matière fissile du combustible usé et en particulier à recycler le plutonium. Comme exemple des progrès déjà mis en œuvre depuis plus de dix ans sur les taux de combustion, on peut citer les différences entre les générations 900 MW au 1 300 MW d’EDF. L’enrichissement moyen a été accru de 3,2 % à 4 % et, simultanément, les taux moyens de combustion de l’uranium ont été augmentés de 33 GWj/t à 45 GWj/t puis 60 GWj/t. Le recyclage du plutonium, matière fissile source d’énergie, est un facteur d’économie des matières premières. La politique actuellement mise en œuvre par EDF dans une partie de ses réacteurs (18 sur les 58 construits en France) concernant le recyclage du plutonium est illustrée sur la figure 11.10. Sur le parc français actuel, 8 % de l’électricité nucléaire provient du combustible MOX, ce qui permet une économie des ressources en U de 8 %. La figure 11.10 donne le schéma de la gestion des combustibles usés dans la stratégie MOX, mise en œuvre par EDF dans une partie de ses réacteurs. Il illustre que le plutonium issu du traitement de sept éléments combustibles à l’uranium qui ont été utilisés en réacteur peut être réutilisé dans un élément combustible mixte. L’énergie de cette quantité de plutonium n’est plus
164
Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire
7 assemblages UO2 usés
7 assemblages UO2 neufs
(Pu 1 %)
Piscines de refroidissement
Réacteurs 1,25 TWhe
Pu
Retraitement et fabrication MOX
Déchets
1 assemblage MOX neuf (Pu 7 %)
Réacteurs ≈ 0,15 TWhe
1 assemblage MOX usé (Pu 5 %)
Figure 11.10. Schéma de gestion du combustible nucléaire en recyclage du plutonium (combustible MOX). L’ensemble du processus décrit ci-dessus dure environ vingt ans.
perdue, mais utilisée dans une nouvelle combustion. Par ailleurs, à l’issue de ces opérations, on a affaire, en ce qui concerne le plutonium, à un seul élément combustible usé au lieu de sept. Ces avantages se payent par le coût d’opérations de fabrications de combustibles d’une autre composition (contenant du plutonium) d’une part, par un accroissement de la difficulté de gestion des déchets d’autre part. En effet, le traitement-recyclage du combustible MOX usé n’est pas envisagé, car il demanderait de nouveaux investissements lourds ; dans cette stratégie, le combustible usé lui-même est considéré comme déchet. Ces aspects seront optimisés pour la nouvelle filière EDF, celle du réacteur dénommé EPR∗ (European Pressurized Reactor ou Evolutionary Power Reactor). Le taux d’enrichissement de l’uranium du combustible sera de 4,50 à 4,95 % et les énergies extraites pourront être de 60 GWj/t, voire de 70 GWj/t. Par ailleurs, il généralisera le recyclage du plutonium, améliorant la récupération de la matière fissile (on passera ainsi à 12 % d’économie de ressources grâce au recyclage MOX).
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
165
4
Les transports de matières nucléaires
Les transports de matière nucléaire pour l’industrie de production d’électricité concernent : des matières peu radioactives (uranium naturel, appauvri ou enrichi, déchets peu actifs) ; le plutonium issu du traitement et destiné à être recyclé ; les déchets de haute activité ; les éléments combustibles neufs ; les éléments combustibles irradiés. Ces transports se font souvent à l’échelle internationale, car plusieurs pays étrangers utilisent les services de l’usine de La Hague, pour faire traiter leurs combustibles, dont ils doivent ensuite récupérer les flux de sortie (déchets et matières valorisées). Ce qui suit veut donner un aperçu de la gestion des transports, en présentant, à titre d’exemple, des éléments sur le transport des combustibles nucléaires – les plus volumineux et les plus radioactifs des transports de matières radioactives. On a affaire, en France à 300 chargements par an pour les combustibles neufs, 450 pour les combustibles irradiés, une cinquantaine pour la poudre d’oxyde de plutonium et une dizaine pour les combustibles MOX. Le retraitement du combustible irradié dans les réacteurs nécessite plusieurs transports de matières radioactives, dont le premier est, après utilisation en réacteur, le transfert du site de la centrale à l’usine de retraitement. La valeur de la radioactivité du combustible au moment où il est sorti de la piscine attenante au réacteur (après un an de séjour, leur activité a beau avoir décru, elle reste de l’ordre de 2 millions de curies [7,4 1016 Bq] par tonne) explique que des technologies spécifiques aient dû être développées. Elle impose que les transports des éléments de combustible se fassent dans des conteneurs spécialement conçus (on les appelle les « châteaux »∗ ). À ce stade, l’uranium, le plutonium, et les produits de fission et les actinides sont encore confinés à l’intérieur des gaines des crayons d’assemblage. En France, les assemblages REP sont transportés dans des châteaux (Fig. 11.11) contenant chacun 12 assemblages, sous air sec ; ils constituent une barrière de confinement qui permet le transport par la route ou par le train. À l’arrivée, le château contenant les éléments combustibles irradiés est déchargé et, en France, les combustibles sont déposés dans les diverses piscines de l’usine de retraitement de La Hague où ils attendront encore plusieurs années avant d’être retraités. La recherche de la sûreté maximale pour le transport des matières nucléaires fait appel aux principes de défense en profondeur∗ . Elle est assurée par la robustesse des emballages, la fiabilité des transports, la prévention ainsi que par la qualité de la gestion des incidents et des accidents. Le château de transport constitue une barrière de confinement telle qu’elle permet l’acheminement de l’élément combustible ou de déchets par la route ou par le train. Ces conteneurs d’acier très résistants ont des parois atteignant 30 cm et leur
166
Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire
Figure 11.11. Château de transport de combustible utilisé par EDF.
masse peut dépasser 100 tonnes. Ce conteneur est conçu pour arrêter les radiations 2 , retenir les émissions liquides ou gazeuses et assurer le refroidissement. Il est capable de conserver son étanchéité, en cas de chocs durant le transport ou d’un incendie. Les emballages doivent subir des tests de résistance au choc (50 km/h), à la perforation, à l’incendie (feu de 800 ◦ C pendant 30 minutes) ou à l’immersion (sous 200 m d’eau). Dans le cas du MOX et des déchets vitrifiés, les emballages sont similaires 3 . Le rail, qui est reconnu comme un moyen de transport très sûr pour les convois de fort gabarit, est choisi en priorité pour les colis lourds ou encombrants dès lors qu’il existe une liaison ferroviaire disponible. Par exemple, la quasi-totalité du combustible irradié destiné au retraitement est acheminé par chemin de fer jusqu’au terminal ferroviaire de Valognes puis par route jusqu’à l’usine de La Hague. 2
3
Seuls les rayons gamma ne sont pas complètement arrêtés par les parois du conteneur. Le risque d’irradiation concerne des travailleurs qui seraient amenés à s’approcher du château lors d’une intervention longue. L’ordre de grandeur de la dose autorisée par les organismes de radioprotection est de 0,15 mSv par heure à 5 mètres, c’est-à-dire qu’il faudrait rester 24 heures à proximité du château pour s’exposer à une dose équivalente à celle de la radioactivité naturelle pendant un an. L’emballage utilisé pour les transports de MOX se présente sous la forme d’un cylindre d’acier de 75 tonnes, de 6,1 mètres de longueur contenant une cavité. Cet emballage est équipé d’un système de fermeture étanche et d’un capot absorbeur de chocs à chaque extrémité.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
167
Les navires utilisés pour le transport vers le Japon du combustible MOX sont équipés de dispositifs spéciaux et redondants comme une double coque, des systèmes de détection et d’extinction d’incendie et des radars anti-collisions 4 . Le parcours du navire, qui bénéficie d’une protection armée, est suivi en temps réel à l’aide d’un système de positionnement par satellite. Jusqu’en 2010, AREVA avait transporté plus de 70 000 assemblages de combustibles. On ne saurait préjuger de l’avenir, mais grâce aux précautions prises, les incidents liés aux transports sont restés minimes. Rappelons que les matières transportées ne sont ni explosives ni combustibles et que, généralement conditionnées sous forme solide, elles se prêtent peu à la dissémination. 5
Bilan du traitement-recyclage
L’ensemble des opérations de traitement, qui a constitué un défi technologique majeur, est actuellement maîtrisé. Le traitement-recyclage apparaît aujourd’hui comme la meilleure voie pour un nucléaire durable, car il permet d’économiser de la matière fissile (un peu avec les réacteurs à eau actuels, beaucoup avec des réacteurs à neutrons rapides). En outre, il facilite considérablement la gestion des déchets, en offrant à la fois une réduction substantielle de leur radiotoxicité à long terme et un confinement efficace des déchets ultimes dans des verres.
Bibliographie [1] L. Patarin, Le cycle du combustible nucléaire, Collection « Génie Atomique », EDP Sciences 2002. [2] Le traitement-recyclage du combustible nucléaire usé, Monographie e-den, les éditions du Moniteur, 2008.
4
En cas de naufrage, les conséquences sont de même nature que celle de l’immersion en pleine mer des déchets telle qu’elle était pratiquée dans les années 1960. La paroi du château et les gaines au zirconium, dans le cas du combustible irradié, empêcheront la dissémination des matières tant qu’elles résisteront à la corrosion, ce qui peut prendre plusieurs dizaines d’années (et donner le temps de remonter l’épave). Ensuite mises au contact de l’eau, les matières insolubles (oxydes de plutonium, déchets vitrifiés) resteront sur place. Seuls les produits gazeux ou solubles se répandront, mais les plus radioactifs auront soit disparu (iode 131), soit fortement décru (césium 137). Les naufrages sont à éviter, mais leurs conséquences ne sauraient être assimilées à celle d’une marée noire.
168
Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire
12 La transmutation Yves TERRIEN
1
L’objectif de la transmutation
La France a produit, en 2010, 408 TWhe (térawatts-heures électriques ou milliards de kWh électriques) d’origine nucléaire, soit environ 75 % de sa production totale d’électricité [1]. Cette production se fait dans 58 réacteurs à eau sous pression (REP), dont 34 d’une puissance de 900 MWe, 20 de 1 300 MWe et 4 de 1 450 MWe (type N4), soit une puissance totale de plus de 60 GWe. Chaque année, environ 1 200 tML (tonnes de métal lourd) de combustibles usés sont déchargées des réacteurs après utilisation et sont entreposées pour un refroidissement de 3 à 5 ans. Ces combustibles usés contiennent principalement de l’uranium (U) non brûlé mais aussi des éléments transuraniens∗ (TRU), principalement du plutonium (Pu, environ 12 t) et des actinides mineurs∗ (AM, un peu plus de 1 t) ; ils contiennent également des produits de fission∗ (PF). La plupart des métaux lourds présents et une partie des PF sont radioactifs. La période radioactive∗ de certains de ces isotopes radioactifs est très longue. Le tableau 12.1 présente la période radioactive et la quantité produite pour les principaux éléments à vie longue présents. Les combustibles usés présentent donc une radiotoxicité potentielle∗ qui est la somme, sur l’ensemble des éléments présents, de leur radioactivité pondérée par un facteur de toxicité à l’ingestion qui dépend du nucléide considéré. Si l’on ne fait rien, c’est-à-dire si l’on entrepose les combustibles usés sans aucun retraitement (on parle alors de « cycle ouvert »), leur radiotoxicité potentielle reste, pendant une très
Noyau
Période
Facteur de dosea)
Masseb)
Massec)
Massed)
radioactive
(Sv/Bq)
(g/tML)
(Kg/TWh)
(Kg/an)
(années)
Uranium 232
U
68,9
2,9 10−7
9,76 10−4
3,7 10−6
22,7 10−6
233
U
1,58 105
5,0 10−8
1,43 10−3
5,42
33,2
234
U
2,45 10
5
−8
166
0,63
3,9
235
U
7,03 108
4,6 10−8
10,270 103
38,9
238,5
236
U
2,34 107
4,6 10−8
4,383 103
16,6
101,8
238
U
4,46 109
4,4 10−8
940,6 103
3563
21 948,3
955,4 103
3625
22 228,5
4,9 10
Total U Plutonium 238
Pu
87,7
4,9 10−8
0,176 103
0,67
4,1
239
Pu
24 110
2,5 10−7
5,673 103
21,46
131,6
240
Pu
6 560
2,5 10−7
2,214 103
8,39
51,4
−9
3
4,5
27,6
0,490 103
1,86
11,4
9,740 103
36,9
226,3
10,06
241
Pu
14,4
242
Pu
3,7 105
4,7 10
2,4 10−7
Total Pu
1,187 10
Actinides mineurs Np
2,14 106
1,1 10−7
433
1,64
Am
432,6
2,0 10−7
222,5
0,84
237 241 242
Am
152
243
Am
7 380
−7
0,731
2,769 10
2,0 10−7
101,3
0,384
1,9 10
5,2 −3
16,98 10−3 2,36
Tableau 12.1. Période radioactive et quantités produites dans les réacteurs pour les principaux éléments à vie longue (J.-P. Schapira, INPC95, Beijing, 21-25 août 1995). a) Par ingestion, suivant les valeurs récentes données par ICPR-68. b) Dans une tonne de métaux lourds (tML) de combustible usé déchargé d’un REP de 900 MWe avec un taux de combustion de 33 000 MWj/t, après 3 ans de refroidissement. c) Même chose pour une production d’électricité de 1 TWh (1 milliard de kWh). d) Pour la production annuelle d’un REP de 1 000 MWe, avec un facteur de charge de 70 %.
170
Chapitre 12. La transmutation
Noyau
Période
Facteur de dosea)
Masseb)
Massec)
Massed)
radioactive
(Sv/Bq)
(g/tML)
(Kg/TWh)
(Kg/an)
(années) 242
Cm
0,45
1,3 10−8
0,131
0,496 10−3
3,04 10−3
243
Cm
28,5
2,0 10−7
0,321
1,22 10−3
7,48 10−3
244
Cm
18,1
1,6 10−7
24,0
0,091
0,56
581,7
2,203
13,5
Total actinides mineurs Produits de fission 99
2,1 105
7,8 10−10
813
3,08
18,9
I
1,57 107
1,1 10−7
169,5
0,64
3,92
Cs
2,3 106
2,0 10−9
1 307
4,95
30,35
Tc
129 135
Tableau 12.1. Suite.
longue période, très supérieure à la radiotoxicité dite de « U naturel » (celle du minerai d’uranium naturel utilisé pour produire la quantité d’électricité qui a engendré les déchets considérés). La figure 12.1 donne l’évolution de l’activité des actinides mineurs en fonction du temps ; celle due aux produits de fission, un peu plus forte au départ que celle des AM, redescend au niveau « U naturel » en quelques centaines d’années, car la plupart ont des périodes radioactives beaucoup plus courtes : la plupart des produits de fission sont stables ou leur période radioactive n’excède pas quelques dizaines d’années. La France, qui a décidé de traiter les combustibles issus des centrales pour en séparer le plutonium et le réutiliser comme combustible, s’interroge actuellement sur l’opportunité de séparer et « d’incinérer » aussi les actinides mineurs, et sur les méthodes pour le faire. Cette incinération peut se faire dans les réacteurs eux-mêmes, au moyen de la transmutation∗ par fission des actinides mineurs en éléments plus légers et à période radioactive plus courte. La transmutation des actinides mineurs et des produits de fission suppose bien sûr que ces produits soient séparés au cours du retraitement du combustible usé afin d’être réintroduits dans les réacteurs. L’objectif est de réduire significativement l’inventaire radiotoxique à long terme des résidus de la séparation (les déchets que, finalement, on stockera), de façon à ramener dans un laps de temps à échelle humaine (environ 200 à 300 ans) cet inventaire au niveau de celui du minerai d’uranium naturel utilisé au départ. Les différentes stratégies peuvent être évaluées en comparant divers indicateurs de risque : les masses des
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
171
Figure 12.1. Évolution de l’activité des actinides présents dans le combustible usé, déchargé d’un réacteur nucléaire au cours du temps [2].
déchets résiduels, leur radioactivité, leur radiotoxicité, le dégagement de chaleur, les impacts environnementaux des stockages intermédiaires ou définitifs, etc.
2
Les éléments à transmuter en priorité
Il est clair (Fig. 12.1) que l’activité du plutonium (Pu) domine très largement celle des actinides mineurs dans les combustibles usés : l’inventaire radiotoxique est donc essentiellement dû au plutonium présent dans ces déchets, pour 75 à 95 % au
172
Chapitre 12. La transmutation
(A M + P F )
(P u + A M + P F )
(P F )
Figure 12.2. La radiotoxicité des déchets en fonction du temps, dans différentes options de séparation-transmutation. Cette figure montre que le gain obtenu grâce au multi-recyclage (recyclage complet) du plutonium serait déjà considérable. La radiotoxicité de verres « allégés », c’est-à-dire sans actinides, retomberait au niveau de celle du minerai d’uranium initial au bout de 300 ans. Encore faut-il séparer lesdits actinides (on a vu plus haut que c’était techniquement possible), et savoir les transmuter (ce serait envisageable avec les réacteurs à neutrons rapides de quatrième génération).
cours des 105 années nécessaires au retour au niveau « naturel ». Le recycler en réacteur comme cela est pratiqué en France permet une importante réduction de la radiotoxicité des déchets (Fig. 12.2). 2.1
Le plutonium
Chaque année, environ 12 tonnes de plutonium sont produites dans les centrales du parc français, dont plus de la moitié est du 239 Pu (fissile). La France a choisi de traiter les combustibles usés et de réutiliser le plutonium, tant par intérêt économique que pour diminuer la radiotoxicité résiduelle de l’aval du cycle. Pour ceci, AREVA et l’EDF ont, avec le CEA, mis au point le combustible MOX∗ (mixed oxides, oxyde mixte de plutonium et d’uranium), qui est déjà utilisé en conjonction avec l’UOX (oxyde d’uranium seul) dans la moitié des réacteurs du parc actuel (voir § 3).
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
173
2.2
Les actinides mineurs et les produits de fission
Le plutonium présent dans le combustible déchargé des réacteurs contient environ 15 % de l’isotope 241 Pu dont la période radioactive de 14,4 ans est suffisamment courte pour qu’une large part soit transformée en 241 Am par décroissance β pendant la période de refroidissement, dont la durée, sous cet aspect, est un paramètre important. Compte tenu de cette décroissance et des actinides mineurs présents au déchargement, l’activité de la masse d’environ 1 tonne d’actinides mineurs produits annuellement est la seconde source de radiotoxicité à long terme en aval du cycle actuel. La troisième composante de l’inventaire radiotoxique, moins élevée sur le long terme, provient des produits de fission à vie longue présents dans les déchets nucléaires. Il faut noter toutefois que, en cas de stockage, leur migration plus facile dans les couches géologiques à cause d’une plus grande solubilité pourrait renforcer leur impact relativement à celui des transuraniens, très insolubles. Le degré de réalisation de l’objectif d’incinération, les incidences techniques et économiques, la sûreté des réacteurs effectuant la transmutation et, bien sûr, le bénéfice sur les risques potentiels de longue durée seront les critères de jugement des stratégies à mettre en œuvre pour la transmutation des actinides mineurs et des produits de fission. Les actinides mineurs qu’il semble plus nécessaire de transmuter sont l’américium, le curium et, dans une moindre mesure, le neptunium. La transmutation des actinides serait faisable plus particulièrement dans des réacteurs à neutrons rapides (RNR), car tous les actinides sont fissiles aux neutrons rapides. Contrairement au cas des neutrons lents, pour lesquels la capture neutronique par les actinides mineurs domine, ce qui conduit à une accumulation sous irradiation d’isotopes d’actinides de plus en plus lourds, avec les neutrons rapides, le rapport capture/fission est favorable à la fission. On peut donc envisager de transmuter les actinides mineurs dans les RNR. Les modalités de cette transmutation sont encore un sujet d’études, plusieurs questions restant ouvertes : – quelle teneur en actinides peut-on envisager de mettre dans le cœur des réacteurs sans compromettre leur sûreté ? En effet, en fissionnant, les actinides mineurs font peu de neutrons retardés : un combustible chargé en actinides mineurs rend donc le réacteur plus « nerveux » et diminue ses marges de sûreté ; – à quelle vitesse peut-on transmuter les actinides mineurs ? Les sections efficaces de fission des actinides aux neutrons rapides sont faibles, et le temps caractéristique de transmutation des actinides est long, entre la décennie et le siècle selon l’isotope considéré. Pour une quantité donnée d’actinides mineurs à transmuter chaque année, ceci impose d’avoir un inventaire des éléments
174
Chapitre 12. La transmutation
à transmuter beaucoup plus élevé dans des réacteurs à neutrons rapides que dans des réacteurs à neutrons lents ; – faut-il opter pour la transmutation en mode homogène (tout le combustible du cœur contient une faible proportion d’actinides mineurs) ou hétérogène (seuls quelques éléments combustibles judicieusement répartis en périphérie du cœur contiennent les actinides à transmuter) ? L’avantage de la transmutation en mode homogène est une conception neutronique du réacteur simplifiée ; son inconvénient est un cycle du combustible compliqué par la présence d’éléments radioactifs au stade de fabrication du combustible. Ces questions sont abordées plus en détail dans le chapitre 17 consacré aux options pour le futur. Quant aux produits de fission, on parle surtout de technétium (99 Tc), d’iode (129 I) et de césium (135 Cs), dont les périodes sont très longues (voir tableau 12.1). Leur incinération pourrait se faire par capture de neutrons conduisant à des isotopes stables ou de période radioactive courte. Mais, outre le fait qu’elle ne représenterait pas un gain déterminant en termes de radiotoxicité potentielle des déchets ultimes, leur transmutation serait très difficile : contrairement aux actinides, qui sont fissiles aux neutrons rapides et produisent donc des neutrons en disparaissant, la transmutation des produits de fission serait très coûteuse en neutrons et peut difficilement être envisagée dans un réacteur critique. D’autre part, certains produits de fission devraient être séparés isotopiquement pour que leur incinération soit efficace. Par exemple, le 135 Cs, radioactif à vie longue, devrait être séparé du 133 Cs avant d’être réintroduit pour incinération dans les réacteurs, car le 133 Cs, stable, redonne du 135 Cs par capture de neutrons. Pour toutes ces raisons, la transmutation des produits de fission n’est plus, actuellement, envisagée.
3
L’utilisation du plutonium dans les REP (le MOX)
Le plutonium est, suivant les isotopes, très fissile ou très fertile (conduisant par capture de neutron à un isotope fissile). C’est donc, du point de vue de l’économie des neutrons dans les réacteurs, un excellent combustible : la valeur énergétique du plutonium issu des combustibles usés est grande. Par ailleurs, la proportion de neutrons retardés∗ est plus faible que pour l’uranium mais suffisante pour que son utilisation comme combustible soit possible dans des combustibles mixtes uraniumplutonium avec une teneur limitée en plutonium. Ces raisons ont conduit la France à réutiliser le plutonium comme combustible des REP. Le combustible MOX (oxydes mixtes d’uranium et de plutonium) a été mis au point dans ce but. Actuellement, le combustible qui est fabriqué pour les REP comporte 5 à 7 % de plutonium par rapport à l’uranium. Il est utilisé dans
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
175
20 des REP 900 MWe. Sur les 14 restants, 8 autres pourraient être habilités à son utilisation, car ils sont équipés comme les précédents de passages permettant la mise en œuvre de barres de commande supplémentaires. Cette utilisation se fait dans des conditions telles que les paramètres de sûreté du cœur restent satisfaisants, malgré le durcissement du spectre de neutrons qui abaisse tous les facteurs d’antiréactivité ∗ et malgré la moindre proportion de neutrons retardés (βeff plus faible). Le premier combustible MOX, fabriqué à Cadarache, a été chargé à Saint-Laurentdes-Eaux en 1987. L’usine de fabrication MELOX à Marcoule (120 t/an) a été ouverte en 1994. La capacité totale de fabrication de MOX pourrait permettre de recycler tout le plutonium produit par le retraitement à La Hague du combustible usé français. 4
Les problèmes posés par le MOX
Plusieurs remarques peuvent être faites à propos de la séparation et de l’utilisation du plutonium comme combustible dans les REP. Un large débat existe sur l’opportunité de la séparation en ce qui concerne le risque de prolifération de cette matière nucléaire. Les États-Unis sont opposés pour ce motif à la séparation du plutonium et à sa réutilisation ; cependant, leur attitude semble évoluer et beaucoup de voix s’expriment en faveur des concepts de séparation et de transmutation. La solution alternative consiste à stocker directement les combustibles usés sans les traiter (voir chapitre 14). En ce qui concerne l’inventaire radiotoxique, la stabilisation de la masse du plutonium supprimerait une grande part du problème, puisqu’il est la principale composante dans les combustibles usés. Cependant, il faut modérer cette conclusion car l’incinération du plutonium produit une quantité assez importante d’actinides mineurs. Pour le parc français, le parc en cycle ouvert (dont nous sommes encore proches avec le MOX non recyclé) produit 12 t de plutonium et 1,1 t d’actinides mineurs ; le parc de même puissance où le plutonium serait complètement recyclé produirait des traces de plutonium et environ 3 à 4 t d’actinides mineurs. Actuellement, le combustible MOX déchargé après utilisation n’est pas recyclé : le plutonium restant n’est pas de même composition isotopique, ce qui ne permet pas, dans l’état actuel de l’utilisation du MOX, de pouvoir le recycler une seconde fois. L’utilisation actuelle du MOX n’est donc pas suffisante pour stabiliser l’inventaire (la masse totale) du plutonium dans le parc électronucléaire français et ce n’est qu’une première étape d’un processus de multi-recyclage (recyclage complet) qu’il faut définir complètement. Les études en cours pour mettre au point de nouveaux combustibles permettant cette stabilisation de l’inventaire du plutonium sont développées au chapitre 17.
176
Chapitre 12. La transmutation
Bibliographie [1] Le bilan électrique français 2010, RTE, janvier 2011. [2] R. Dautray, « Cinquante ans de nucléaire dans le monde », La Vie des Sciences, C.R. 10, 359, 1993.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
177
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
13 Les déchets nucléaires
Bernard BONIN et Étienne VERNAZ
Les déchets∗ de l’énergie nucléaire sont caractérisés par des masses très petites en comparaison de ceux générés par les autres moyens de production d’énergie. En effet, à quantité d’énergie produite identique, les réactions nucléaires provoquent la transformation de très faibles quantités de matière au regard de celles mises en jeu dans les réactions chimiques qui interviennent lors de la combustion du charbon ou du pétrole : un million de fois moins ! Néanmoins, leur toxicité potentielle nécessite de protéger l’homme et l’environnement du risque associé. La gestion de ces déchets nécessite donc des méthodes spécifiques.
1
Volumes et flux de déchets
La part la plus importante des déchets d’origine nucléaire résulte directement de la production d‘électricité dans les réacteurs et du cycle du combustible∗ dans lequel elle s’insère (Fig. 13.1). Le cycle fermé, qui consiste à traiter les combustibles usés pour séparer matières encore valorisables et déchets ultimes, permet actuellement de récupérer les matières énergétiques (uranium et plutonium) afin de les recycler et de conditionner de façon sûre et durable les déchets de haute activité (produits de fission∗ et actinides mineurs∗ ) qui représentent un très faible volume.
Figure 13.1. Catégories de déchets.
La France s’est engagée dans la première étape du cycle fermé en traitant les combustibles usés des centrales nucléaires et en recyclant le plutonium extrait dans les réacteurs REP∗ sous forme de combustible MOX∗ . Cette option, socle de sa stratégie de minimisation des déchets ultimes, présente l’avantage de consommer une fraction du plutonium produit initialement pour produire de l’énergie et de concentrer la fraction restante dans le combustible MOX usé en attendant son utilisation ultérieure. Faire fonctionner les réacteurs nucléaires ainsi que les usines de fabrication et de traitement de combustible génère aussi des effluents∗ et des déchets : il en va ainsi des filtres qui évitent de rejeter des gaz radioactifs dans l’atmosphère, des pompes qui ont été remplacées ou encore des liquides résultant du rinçage des installations. Ce sont des déchets d’exploitation, beaucoup moins radioactifs mais plus volumineux que ceux retirés du combustible. L’assainissement et le démantèlement des installations anciennes produit également des déchets qui sont conditionnés et rejoignent les filières actuelles d’évacuation. Enfin, les centres de recherche et les hôpitaux produisent une faible quantité de déchets radioactifs.
180
Chapitre 13. Les déchets nucléaires
Un inventaire national, localisant et quantifiant tous les déchets radioactifs présents sur le sol français, est réalisé par l’ANDRA∗. Il est mis à jour chaque année. La première édition de ce document a été publiée en novembre 2004. Les déchets radioactifs existant à fin 2002 (hors très faible radioactivité) sont récapitulés dans le tableau 13.1. Volume (m3 )
Haute activité
1 639
Moyenne activité à vie longue
43 359
Faible activité à vie longue
44 559
Faible ou moyenne activité à vie courte
778 322∗
Tableau 13.1. Déchets radioactifs existant à fin 2002. dont 663 562 stockés aux Centres de La Manche et de l’Aube.
∗
2
Une stratégie et des étapes pour la gestion des déchets
Les éléments radioactifs contenus dans les déchets radioactifs émettent des rayonnements de nature variée qui peuvent avoir des effets biologiques nocifs sur les organismes vivants. Il faut donc protéger l’homme et son environnement de ces rayonnements en isolant les déchets radioactifs. Pour ce faire, plusieurs barrières de protection sont mises en place : les déchets sont retenus dans des enveloppes juxtaposées. La matrice de confinement constitue la première de ces barrières. Deux grandes étapes peuvent être distinguées dans la gestion des déchets : – l’entreposage∗ (par définition temporaire), qui consiste à disposer les déchets ou le combustible usé en bon ordre dans un endroit sûr, avec le projet de les reprendre plus tard pour leur assurer un destin plus pérenne. À l’issue de cette étape, il peut être envisagé de transmuter une partie des radionucléides présents, afin de diminuer la radiotoxicité potentielle des déchets ultimes ; – le stockage∗ (définitif, bien qu’éventuellement réversible sur une durée choisie), qui consiste à placer les déchets ultimes dans une formation géologique profonde pour les mettre à l’abri des agressions du milieu naturel et de l’homme, le temps que la décroissance radioactive ait fait son œuvre. Le conditionnement des déchets doit être compatible avec ces deux grandes étapes, complémentaires et non exclusives l’une de l’autre, et qui se succéderont dans le temps. Ceci se traduit par la nécessité de pouvoir manipuler facilement les colis de déchets conditionnés, dans le respect des règles de sûreté et de radioprotection. Il faudra pouvoir reprendre lesdits colis au terme de la période d’entreposage,
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
181
toujours de façon sûre ; le conditionnement choisi doit également avoir un bon comportement à très long terme, dans l’optique du stockage définitif. Ici, l’agresseur est l’eau souterraine, qui arrivera nécessairement à son contact au bout d’un temps de resaturation plus ou moins long dans le milieu géologique. À partir de cette situation, la loi du 30 décembre 1991 qui repoussait pendant 15 ans toute décision industrielle concernant le devenir des déchets à vie longue, a défini trois axes de recherche (Fig. 13.2) : séparation-transmutation∗ , stockage géologique, conditionnement et entreposage de longue durée des déchets ultimes mobilisant ainsi au CEA pendant 15 ans plus de 300 chercheurs et un budget de 1,5 milliard d’euros.
Séparation poussée
Conditionnement Entreposage
Transmutation Stockage
Figure 13.2. Les axes de recherche actuellement poursuivis pour la gestion des déchets, plus particulièrement ceux de haute activité et à vie longue. • La séparation poussée pour ne conserver comme déchets que les matières réellement inutilisables et donner aux « paquets » ainsi séparés un destin adapté et optimal (par exemple la transmutation). • La transmutation, qui semble possible pour les actinides dans des réacteurs à neutrons rapides pour réduire la radiotoxicité potentielle des déchets. • Le conditionnement, pour donner au déchet une forme stable et sûre. • L’entreposage, pour laisser aux déchets conditionnés le temps de refroidir. . . et aux humains le temps de réfléchir ! • Le stockage profond, pour isoler les déchets ultimes, seule solution satisfaisante à avoir émergé à ce jour.
182
Chapitre 13. Les déchets nucléaires
Les études menées de façon très soutenue à partir de 1992 ont bénéficié d’importantes collaborations nationales (EDF, AREVA, ANDRA, CNRS et universités) et internationales. 3
Conditionnement des déchets : des progrès continus
Lorsqu’ils sont produits, les déchets radioactifs, comme les autres déchets, se trouvent sous forme solide (métaux, ciments. . . ) ou liquide : ce sont des déchets bruts. Pour pouvoir être manipulés aisément et de façon sûre, ils sont mis sous forme de colis de déchets. Le colis garantit que les éléments radioactifs ne se dispersent pas. Il constitue une barrière entre les éléments radioactifs et l’environnement. Il satisfait aux normes de transport, d’entreposage ou de stockage. Le conditionnement∗ est ainsi l’ensemble des opérations successives à réaliser pour fabriquer ce colis. Dès la mise en service, dans les années 1990, des usines actuelles de La Hague, AREVA a cherché à réduire le volume des déchets produits par ces usines. Un important programme de recherches, PURETEX, mené par l’entreprise et le CEA en a découlé. Ce programme a exploré différentes voies : modification des traitements chimiques mis en œuvre, changement de modes de conditionnement. L’exploitation des usines a aussi été optimisée en cherchant à réduire les quantités de produits utilisés (qui deviennent ensuite des déchets radioactifs) dans les diverses opérations que requiert le traitement du combustible usé. En combinant toutes ces améliorations, des résultats très significatifs ont été obtenus (Fig. 13.3). Le changement de traitement chimique des déchets liquides a permis de diviser par dix la radioactivité rejetée en mer. Le volume des déchets solides à vie longue a été divisé par six, grâce notamment à un nouveau mode de conditionnement des déchets de structure des combustibles usés, le compactage. Ces déchets compactés sont placés dans un conteneur du même type que celui utilisé pour les déchets vitrifiés, standardisant ainsi le conditionnement des déchets ultimes issus des usines de La Hague. 4
Déchets et effluents
Les opérations de traitement chimique du cycle du combustible ainsi que les centres de production d’électricité ou les centres de recherche nucléaire génèrent non seulement des déchets solides mais également des effluents sous forme liquide ou gazeuse. Dans certains cas, ces résidus sont rejetés directement dans l’environnement ; le plus souvent, toutefois, leur activité est trop importante ; il est alors nécessaire d’en séparer la fraction toxique et de la conditionner dans une matrice adaptée pour pouvoir rejeter le reste sans nuisance significative pour l’environnement (Fig. 13.4).
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
183
Figure 13.3. Historique des volumes de déchets générés par l’installation UP3 de La Hague, dont la capacité de traitement est de 800 tonnes de combustible usé par an.
5
Procédés de conditionnement
Dès les années 1950 en France, des déchets de haute activité sont solidifiés sous forme de verres borosilicatés. Tous les éléments radioactifs entrent facilement dans la composition de ces verres, avec des teneurs pouvant varier dans d’assez grandes plages. Leurs points de fusion n’étant pas très élevés, ces verres sont faciles à produire. Ils résistent bien à la chaleur et aux radiations. À Marcoule (1978), puis à La Hague, a été appliqué le procédé de vitrification (voir chapitre 11). De fonctionnement très souple, il est aisément contrôlable à distance et peu coûteux : un premier four cylindrique en rotation reçoit la solution nitrée issue du retraitement et la calcine entre 600 et 900 ◦ C en transformant les nitrates en oxydes ; ceux-ci sont mélangés dans une proportion de 13 à 14 % à du verre borosilicate fritté à l’entrée d’un deuxième four à induction où la fusion s’opère à 1 100 ◦ C. Le four se vide de lui-même toutes les 8 heures par la fusion d’un bouchon de verre dans le tuyau de vidange, en remplissant un conteneur en acier inoxydable contenant 360 kg de verre.
184
Chapitre 13. Les déchets nucléaires
•
La solution de produit de fission qui contient aussi les actinides mineurs et environ 0.1% de l’U et du Pu, est vitrifiée
•
Les coques et embouts sont rincés puis compactés
•
Les déchets technologiques sont cimentés
Le volume annuel de déchets produit par le retraitement du combustible d’un réacteur de 1GWe est : • • •
2.5 m3 de déchets de haute activité (verre) 5 m3 de déchets de moyenne activité (gaines métalliques compactées) 12 m3 de déchets de faible activité (cimentés)
Figure 13.4. Les déchets ultimes du retraitement.
Le colis de déchets vitrifiés est donc constitué d’un bloc de verre homogène, qui contient dans sa structure même les éléments radioactifs. La vitrification est aujourd’hui, en France, le procédé industriel pour le conditionnement des solutions de produits de fission issues du retraitement des combustibles usés. Les principales améliorations obtenues au cours de la dernière décennie sont : – une réduction du volume des déchets d’exploitation du procédé de vitrification d’un facteur de 2 à 3 ; – un gain d’environ 25 % sur le volume des déchets vitrifiés, obtenu en augmentant la proportion d’éléments radioactifs contenus dans le colis de déchets vitrifiés. Cette proportion peut également être augmentée grâce à la technique du creuset froid, en cours d’installation à La Hague par AREVA NC. La mise en œuvre de ce procédé permettra de réduire encore le volume final des déchets. Les déchets d’exploitation sont le plus fréquemment cimentés. S’il s’agit de déchets solides, ils sont placés dans un conteneur en métal ou en béton dans lequel du ciment est ensuite coulé. On parle alors de déchets bloqués dans du ciment. Les déchets liquides, quant à eux, sont utilisés comme liquide de gâchage pour fabriquer le ciment. Ce dernier est ensuite coulé dans un conteneur en métal ou en béton.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
185
Il existe de nombreux modèles de conteneur, adaptés à la forme et à la taille des déchets qu’ils doivent contenir. Certains déchets liquides d’exploitation peuvent être bitumés plutôt que cimentés. Le procédé de bitumage a été largement utilisé en France pour conditionner en ligne les déchets résultant du traitement des effluents liquides par précipitation chimique. Ces déchets se présentent sous forme de boues qui sont séchées et mélangées à du bitume à une température de 150 ◦ C environ. Le mélange est ensuite coulé dans un conteneur en acier inoxydable. Il s’agit d’un procédé éprouvé qui bénéficie d’un large retour d’expérience. Il est probable qu’à l’avenir ce procédé sera de moins en moins utilisé car on vise aujourd’hui à minimiser l’introduction de matière organique combustible dans les stockages et à privilégier les matrices minérales que sont le verre et le béton. Quelques études sont toutefois encore menées pour adapter ce procédé au conditionnement du contenu de certains silos de boues anciennes dont les caractéristiques chimiques pourraient rendre difficile la vitrification ou la cimentation. L’objectif est de maximiser la radioactivité admissible par colis en vue d’en minimiser le nombre à produire. Enfin, compte tenu du nombre important de colis existants, d’autres études sont en cours pour prévoir le comportement à long terme de ces colis en condition d’entreposage et de stockage. Certains déchets solides peuvent être simplement compactés par écrasement au moyen d’une presse et placés dans un conteneur sans être bloqués. Même si verres, ciments, bitumes ou gaines compactées sont des matrices éprouvées, une recherche prospective pour des conditionnements nouveaux permet de proposer des solutions optimales pour certaines catégories particulières de déchets (organiques, mixtes, etc.) et de se préparer à répondre aux défis que poseront les réacteurs de nouvelle génération, tout en se maintenant dans une dynamique d’amélioration continue. Les déchets radioactifs sont en général conditionnés sur le site où ils ont été produits. Les centrales nucléaires, ainsi que les centres de recherche, disposent d’installations de cimentation et parfois de bitumage. Les usines de traitement disposent en outre d’installations de vitrification. En France, environ 3 300 colis de déchets vitrifiés ont ainsi été réalisés à Marcoule, où a fonctionné la première usine française de retraitement (UP1 – 1958-1997). Depuis 1990, les colis de déchets vitrifiés sont produits à La Hague où est actuellement traité le combustible nucléaire. Environ 13 000 colis ont déjà été fabriqués et le volume de fabrication actuel est de l’ordre de 600 colis par an. Les déchets de faible ou moyenne activité à vie courte sont transférés au centre de stockage de Soulaines dans l’Aube, exploité par l’ANDRA.
186
Chapitre 13. Les déchets nucléaires
Les déchets à vie longue sont conservés sur leur site de production dans des entrepôts spécifiques pour chaque type de colis. Par exemple, les colis de déchets vitrifiés à La Hague y sont entreposés dans l’installation E-EV-SE (Fig. 13.5).
Figure 13.5. L’installation d’entreposage de déchets vitrifiés E-EV-SE d’AREVA à La Hague. Les colis de verre y sont empilés dans des puits secs ventilés et fermés en haut par une dalle de béton assurant la protection radiologique des opérateurs.
Des conditionnements qui doivent résister à l’épreuve du temps 6
Le colis est la première des barrières successives interposées entre les éléments radioactifs et l’environnement. Dans la perspective d’une gestion à long terme des colis, il faut donc évaluer la qualité de cette barrière au fil du temps. Compte tenu des échéances de temps à considérer, notamment pour le stockage géologique, une simple extrapolation dans le temps de résultats acquis en laboratoire sur des durées de quelques années n’est pas suffisante.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
187
La première étape consiste à comprendre et à hiérarchiser les phénomènes se produisant pendant l’existence du colis, en entreposage ou en stockage géologique. Ceci se fait notamment en réalisant des expériences en laboratoire et en observant les analogues naturels ou archéologiques. À partir de cette compréhension, l’évolution du colis peut être décrite mathématiquement sous forme de modèles simulant les phénomènes en jeu, depuis la dégradation de matrices (modélisation à l’échelle atomique, méso- et macroscopique) jusqu’à la migration des radionucléides en champ proche (chimie-transport). Il s’agit d’abord de se convaincre, par un faisceau d’indications concordantes, que les mécanismes d’altération des matrices sont bien compris et maîtrisés. Ce travail sur le comportement à long terme des colis et des matrices de confinement des déchets constitue le premier maillon de l’évaluation de la sûreté d’un stockage. Les travaux menés ces dernières années ont permis d’élaborer des modèles d’évolution pour tous les types de colis. Le verre a été choisi pour le confinement des déchets de haute activité et à vie longue en raison de sa souplesse d’utilisation et de sa durabilité. Cependant, les très longues durées de confinement nécessaires pour le stockage des déchets à vie longue ont justifié des études approfondies sur le comportement à long terme du verre en situation de stockage. Ces études ont confirmé son bon comportement : bien qu’il soit en principe métastable, donc susceptible de recristalliser sous une forme thermodynamiquement plus stable que la forme amorphe initiale, ce processus est extraordinairement lent si la composition du verre est bien choisie. D’autre part, ce matériau déjà amorphe subit peu de modifications structurales sous l’effet d’une auto-irradiation. Enfin, le verre résiste bien à l’eau : certes, les oxydes qui le composent se transforment lentement en hydroxydes, mais cette transformation est très lente. Les mécanismes d’interdiffusion et d’hydrolyse en jeu sont maintenant bien compris, mais le régime d’altération à très long terme dépend beaucoup de l’environnement du verre et fait encore l’objet de recherches actives. En ce qui concerne les colis de déchets cimentés, le principal risque à prendre en compte en conditions d’entreposage est la fissuration du béton du fait de son évolution physico-chimique, des interactions entre les déchets et le ciment et de la corrosion des armatures. Ce risque peut être réduit par une formulation de béton et un matériau de renfort (fibres ou armatures) adaptés. À titre exploratoire, des études ont été menées pour optimiser la cimentation : prétraitement du déchet et formulation de ciments présentant une meilleure compatibilité avec les déchets à conditionner. En conditions de stockage géologique, le phénomène majeur affectant le comportement des matériaux cimentaires est la dégradation chimique qui dépend fortement de la teneur en ions sulfates et carbonates dans l’eau du site. Différents modèles ont été développés afin notamment de prédire
188
Chapitre 13. Les déchets nucléaires
l’évolution du confinement des éléments radioactifs dans le cas de l’altération externe d’un conteneur en béton par l’eau. Deux phénomènes principaux peuvent affecter significativement l’évolution à long terme des colis de boues bitumées : – le bitume gonfle sous l’effet des gaz générés par la radioactivité contenue dans le colis, si celle-ci est importante. Cette production de gaz décroît au fil du temps. Ce gonflement peut affecter le comportement du colis en entreposage ; – le bitume relâche les éléments radioactifs qu’il contient sous l’effet de la lente pénétration de l’eau dans le colis en conditions de stockage. Des premières estimations des performances des colis de boues bitumées ont été réalisées à partir des modèles développés. Ainsi, on prévoit que la dégradation des colis en stockage géologique durera quelques dizaines de milliers d’années, après l’arrivée de l’eau. Le colis de déchets compacté contient des pièces métalliques. Le modèle proposé pour ce colis est basé sur la localisation des éléments radioactifs à l’intérieur. Les éléments radioactifs situés en surface des pièces métalliques sont directement entraînés par l’eau. Les éléments radioactifs inclus au sein des pièces métalliques sont relâchés au fur et à mesure de la corrosion du métal. D’après les expériences de corrosion menées en laboratoire, les éléments radioactifs inclus dans les pièces métalliques en acier inoxydable, par exemple, sont ainsi relâchés au bout d’une centaine de milliers d’années. Bien qu’il ne fasse pas partie de la stratégie française sur l’aval du cycle, le stockage direct∗ des combustibles usés a aussi été étudié au CEA. Les études menées sur l’état physicochimique du combustible sortant d’un réacteur ont montré que les gaines des crayons combustibles étaient encore capables de confiner les radionucléides sur une période de temps compatible avec un entreposage à sec ou en piscine de l’ordre de la centaine d’années. Elles ont également montré qu’il ne s’agissait pas d’un conditionnement confinant sur des durées plus longues, d’autres barrières ouvragées devant alors prendre le relais.
Bibliographie [1] B. Bonin, et al., Les Déchets Nucléaires, état des lieux et perspectives, EDP Sciences, 2011. [2] Le conditionnement des déchets nucléaires, Monographie e-den, les Éditions du Moniteur, 2008. [3] S. Gin, Les déchets nucléaires, quel avenir ?, Dunod, 2006.
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14 Le stockage géologique des déchets nucléaires
Yves CASSAGNOU, Bernard BONIN et Marc-Antoine DUBOIS
1
Le concept du stockage
Le concept de stockage géologique est simple : il s’agit de placer les déchets dans un endroit où leur radiotoxicité ne pourra agir sur l’environnement, et ce sur une période assez longue pour que la décroissance radioactive∗ ait le temps de faire son œuvre et que l’impact sur la biosphère soit négligeable. Mais compte tenu du fait que les déchets actuels contiennent des radionucléides à longue période, le temps à prendre en compte est de l’ordre de 105 à 106 ans (par exemple : le 239 Pu a une période de 24 000 ans, le 237 Np est beaucoup moins abondant et a une période de 2×106 ans), de sorte que seuls des sites profondément enfouis dans un milieu stable et imperméable sont envisageables.
2
Le stockage profond
Seul le cas des déchets de haute activité et à vie longue sera examiné, car hormis le problème du volume, les exigences sont plus faciles à satisfaire pour la catégorie des
déchets de moyenne activité et à vie longue. On trouvera dans la référence [1] une revue intéressante. 2.1
Le concept des trois barrières
L’idée directrice du stockage est d’opposer à la migration des radionucléides trois barrières successives : – la matrice de confinement (verre, bitume, béton) dans laquelle sont inclus ces radionucléides ; – la barrière ouvragée qui sert à colmater les puits et les galeries d’accès creusés lors de la construction du site ainsi qu’à enrober les colis radioactifs ; – le milieu géologique où le site est implanté et dont le rôle est non seulement de freiner la migration des radionucléides vers la biosphère, mais aussi, si des fuites existent, d’en assurer la dilution dans un volume important. Le choix de ce milieu est important par le rôle qu’il peut jouer quant à la stabilité chimique du site, laquelle protégera les colis et limitera leur corrosion. 2.2
Les sites géologiques envisagés
Les sites envisagés sont essentiellement les granites (en Scandinavie), les argiles (en France), les basaltes, les schistes et le sel. Les principaux critères techniques d’acceptabilité du site sont une perméabilité et un gradient hydraulique faible, pour garantir une circulation de l’eau souterraine très lente au voisinage du site de stockage ; une localisation en plaine pour éviter les phénomènes d’érosion rapide ; une zone éloignée des failles sismiques actives, pour éviter l’occurrence d’événements de disruption de la croûte pendant la période d’activité du stockage ; et enfin l’absence de ressources naturelles souterraines susceptibles d’intéresser les générations futures. 2.3
Les topologies possibles
La topologie d’un stockage profond de déchets de haute activité est gouvernée par la thermique : les déchets chauffent et cette chaleur ne peut être évacuée que par conduction à travers la roche-hôte. Comme cette dernière possède une très mauvaise conductivité thermique, il est nécessaire d’espacer les colis de déchets pour éviter un échauffement excessif qui pourrait conduire à la dégradation du colis ou de la roche elle-même. Cette contrainte impose de donner au stockage la forme d’un plan, car c’est cette topologie qui permet d’espacer les colis au maximum avec un minimum de galeries. Le plan est horizontal pour des raisons de commodité de manutention (Fig. 14.1). La densité de puissance acceptable sur le plan est de l’ordre de 10 W/m2 .
192
Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires
Figure 14.1. Représentation schématique d’un stockage souterrain de déchets nucléaires [1].
Même si le volume de déchets de haute activité à stocker est très petit (quelques milliers de m3 pour une installation capable d’accueillir les déchets français produits jusqu’en 2050), cette contrainte sur la densité de puissance acceptable impose de donner au stockage une taille de l’ordre du kilomètre carré. La profondeur du plan de stockage est de l’ordre de 500 m. Cette valeur résulte d’un compromis entre le coût du génie minier et la sûreté du stockage, qui augmentent tous deux avec la profondeur. L’architecture du stockage consiste en une série de galeries de manutention débouchant sur des alvéoles de stockage disposées en dents de peigne par rapport aux galeries (Fig. 14.2). L’accès au plan de stockage est donné par des puits ou une descenderie. La ventilation de l’ensemble est assurée par des puits. Les puits et les galeries d’accès au site proprement dit seraient obturés en fin d’exploitation, à l’issue d’une période d’observation éventuelle. Si une période d’observation prolongée est envisagée (« préstockage » de 150 ans), on peut adopter une topologie dans laquelle la barrière ouvragée et les éléments de calage sont préfabriqués, ce qui permettra un réaménagement du site avant sa fermeture définitive (Fig. 14.3).
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
193
Figure 14.2. Architecture envisageable pour le stockage [2].
2.4
Le problème de la réversibilité
Le problème de l’obturation est indissociable du concept de réversibilité : faut-il chercher à rendre le site – une fois atteinte sa capacité maximale – le plus inaccessible possible à toute intervention humaine, ou faut-il au contraire chercher à rendre possible une réextraction des colis pour un retraitement ou une transmutation ultérieure en tablant sur un progrès des techniques ? Un élément de réponse est que ce qui est déchet aujourd’hui peut devenir ressource demain (en particulier pour les pays qui n’ont pas choisi la voie du retraitement). Cette question est plus politique (ou économique) que scientifique. Le gouvernement français a décidé que les concepts de stockage actuellement à l’étude devaient comporter une exigence de réversibilité (Fig. 14.3).
194
Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires
Figure 14.3. Les étapes de fermeture du stockage, avec des degrés de réversibilité décroissants.
3
La première barrière
La première barrière est la matrice de confinement elle-même.
3.1
La dégradation du verre : lixiviation et résistance à l’auto-irradiation
Dans le cas de déchets vitrifiés, c’est la matrice verre qui doit être prise en compte comme première barrière de confinement. Celle-ci subit en stockage l’attaque de deux types d’agresseurs qui menacent a priori de dégrader son intégrité : l’autoirradiation et l’altération par l’eau. La structure du verre pourrait être dégradée sous l’effet des déplacements atomiques consécutifs aux désintégrations radioactives des éléments incorporés. Des études sur l’incorporation d’éléments très radioactifs comme le 238 Pu ou le 244 Cm montrent que la structure du verre, déjà naturellement amorphe, est peu affectée par cet effet.
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195
Dans un scénario normal d’évolution d’un site de stockage, des eaux souterraines resaturent le site avec un débit très faible ; elles percent le conteneur et mouillent en surface le verre, dissolvant dans un premier temps les ions alcalins et le bore tandis qu’un gel poreux se forme avec la silice hydratée et les matières insolubles, dont les actinides. Cette dégradation superficielle se stabilise lorsque l’eau qui baigne le gel a atteint la limite de solubilité de la silice. Un régime d’altération « résiduel » peut perdurer à très long terme si l’eau circulant au voisinage du verre dissout le gel, ou si la silice de verre est consommée par précipitation de phases secondaires. L’interface verre-gel continue alors à reculer et la dégradation se poursuit très lentement en profondeur. La quantité de radionucléides libérés par l’altération du verre dépend de la surface libre de verre offerte à la lixiviation. Le colis de verre est fissuré en profondeur en raison des contraintes thermiques élevées subies lors de sa coulée : l’interface eau-verre est ainsi accrue, mais la formation de gel tend à obturer les fissures et à empêcher un lavage par de l’eau insaturée.
3.2
Étude expérimentale et modélisation du vieillissement du verre
Les expériences d’altération du verre en laboratoire portent sur des échelles de temps très inférieures à celles d’un stockage, mais elles ont permis de dégager les principaux mécanismes de lixiviation. La cinétique d’altération du verre en régime résiduel est maintenant bien comprise et modélisée et des codes prédictifs de dégradation des colis de verre ont été écrits [3]. Actuellement, les modèles de comportement à long terme des colis de déchets vitrifiés, en situation de stockage, montrent qu’après 10 000 ans, seule une proportion de 1 pour mille du verre serait dissoute. Cette durée est à comparer à la durée de vie des radionucléides incorporés qui, pour la plupart, auraient cessé d’être radioactifs. La durabilité des verres sur le très long terme est attestée par l’exemple de certains verres et roches éruptives, analogues naturels des verres nucléaires. Ceux-ci montrent une très bonne tenue dans le temps et permettent de valider les modèles d’altération.
3.3
Le métal
Pour permettre leur manutention, les cylindres de déchets vitrifiés sont coulés dans un conteneur en acier inoxydable. Il y a accord pour admettre que l’intégrité (absence de piqûre traversante) de conteneurs métalliques soumis aux conditions de stockage ne saurait être garantie au-delà de quelques centaines d’années, même s’ils sont faits avec les meilleurs aciers. La défaillance du conteneur de déchets vitrifiés
196
Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires
n’a pas de conséquences désastreuses, car le verre continue de confiner efficacement les radionucléides. Il ne faut pas confondre cette situation avec celle des métaux envisagés pour le stockage direct des combustibles usagés en formation géologique profonde. La Suède envisage un conteneur en cuivre résistant à la corrosion. D’autres pays, dont la France, envisagent des aciers non alliés de forte épaisseur, qui ne subissent pas de corrosion par piqûre, mais une corrosion généralisée dont la vitesse de progression est prédictible.
3.4
Le combustible usé est-il une matrice de confinement ?
Dans le cas de combustibles non retraités, la céramique combustible irradiée confine assez mal les produits de fission : une partie des radionucléides les plus mobiles tend à s’échapper via les joints de grains de la céramique polycristalline. La gaine en alliage de zirconium représente certes une protection supplémentaire contre la dissémination des radionucléides, mais cette gaine a déjà beaucoup souffert de la corrosion et de l’irradiation lors de son séjour en réacteur, et n’est pas à l’épreuve du temps sur des durées millénaires. Avant d’envisager le stockage direct de combustible usé (cas de la Suède ou de la Finlande), il faut donc confiner les éléments combustibles dans un étui étanche. La Suède prévoit des conteneurs en cuivre massif, ce qui offre de très bonnes caractéristiques de durabilité, mais cette option n’est pas économiquement généralisable. Se pose en outre le risque de rendre attractif le pillage du site. . .
4 4.1
La barrière ouvragée Le surconteneur et les scellements
Cette barrière comprend d’abord un enrobage autour du conteneur fait d’argile très absorbante, comme la bentonite préalablement séchée et compactée, et sous forme de briques ou d’anneaux cylindriques. Ce remplissage est d’abord un bouclier thermique et radiologique entre la roche et le conteneur. En outre, en devenant humide, la bentonite gonfle, faisant office de bouchon hydro-mécanique capable de ralentir efficacement la circulation de l’eau au voisinage du colis. À l’intérieur du site, les galeries, les puits d’accès, les ouvertures pour ventilation sont, après une période de surveillance (de l’ordre de 150 ans), obturés par des scellements également constitués d’argile gonflante.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
197
4.2
Les mécanismes de dégradation
Les problèmes sont ceux des argiles considérées comme barrière géologique, avec un effet accru de la chaleur (d’où des fissurations possibles) lié à la proximité du colis. Des modélisations des effets respectifs du dessèchement par effet thermique et du gonflement par réhydratation sont en cours [4]. Les effets liés à la chaleur sont surmontés par un temps de refroidissement suffisant avant stockage et par une limitation de la densité de stockage de telle sorte que la surface des conteneurs reste toujours inférieure à 100 ◦ C.
5
La barrière géologique
La problématique est celle des flux hydriques (la circulation des eaux souterraines) et de leur interaction avec les colis stockés, ces flux pouvant conduire à une remontée des radionucléides vers la biosphère. Cette remontée dépend très fortement des propriétés de la couche géologique. 5.1
Le sel
Les sites salins se présentent sous forme soit de grands massifs de sel pur (quelques km3 ) essentiellement anhydres, soit de couches sédimentaires de sel impur. Des poches de saumure peuvent exister dans les deux cas. Un autre inconvénient est que la radiolyse des impuretés peut générer des gaz corrosifs et éventuellement explosifs. Enfin, les risques liés à une exploration involontaire du site sont très élevés, le sel et ses impuretés étant des ressources précieuses. En revanche, le sel, contrairement au granite, peut fluer, ce qui lui permet de colmater des fissures éventuelles. 5.2
Le granite
Le granite a une teneur en eau faible et une perméabilité variable. Les flux hydriques sont dominés par la convection dans les fractures, la microporosité étant beaucoup moins importante. Chimiquement, c’est un milieu réducteur, dans lequel peuvent apparaître des complexes inorganiques (ligands) ; des colloïdes inorganiques et des sulfures sont présents. La sorption (absorption ou adsorption) est non négligeable. 5.3
L’argile
L’argile en tant que milieu hôte pour le stockage de déchets radioactifs présente de nombreux avantages : sa perméabilité très faible assure un flux d’eau très lent. D’éventuelles fractures peuvent cicatriser ou se colmater. La plasticité de l’argile lui
198
Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires
permet, encore plus aisément qu’au sel, de fluer et ainsi de colmater des fissures. Le revers de cette qualité est la nécessité de faire d’importants soutènements dans les galeries. Les minéraux argileux sont stables chimiquement et donnent à l’eau interstitielle des propriétés réductrices et légèrement basiques, favorables à la précipitation de nombreux composés minéraux ; enfin, les minéraux argileux possèdent une grande surface spécifique, ce qui dote l’argile d’une très bonne capacité de sorption des cations, qui ralentit encore la migration de ces derniers [2].
Les scénarios d’évolution et l’évaluation de l’impact d’un stockage 6
Pour s’assurer de la qualité d’un stockage, on évalue des scénarios de dégradation. Dans le scénario d’évolution normale du stockage (Fig. 14.4), on prévoit un échauffement du stockage et de la roche avoisinante avec un pic de température atteint quelques dizaines d’années après la fermeture, une resaturation de la roche-hôte et, à plus long terme, une dégradation de la barrière ouvragée qui amènera l’eau en contact avec le colis de déchets. Une lente altération du verre par l’eau commencera alors, avec libération des radionucléides qu’il contient. Pour rejoindre la biosphère, ces radionucléides devront encore migrer à travers une barrière géologique choisie pour son imperméabilité. On évalue les conséquences d’un transport de matières radioactives par les eaux souterraines jusqu’au sol à l’aide de simulations. Dans les modèles actuellement utilisés, on suppose la roche assimilable à un milieu poreux et la migration de chaque radionucléide contaminant est décrite par une équation du traceur standard : ∂ ci ∂t
=
∂ Si 1 −−→ · grad (ci ) − λi · ci + λi+1 · ci+1 − · De · Δci − U ω ∂t
où ci est la concentration en radionucléide dissous dans l’eau du milieu souterrain, U est la vitesse interstitielle (à travers les pores) de l’eau, D est le coefficient de dispersion-diffusion qui exprime la dilution en cours de trajet, λi et λi+1 les constantes radioactives du noyau i et de son descendant i + 1 ; le dernier terme rend compte des phénomènes de sorption et désorption par lesquels un contaminant est retenu un certain temps dans la roche, ce qui entraîne un retard (par rapport à l’eau) de sa migration. La vitesse interstitielle est prise comme la vitesse de Darcy, U = −1/ω·K ·grad h où K est le coefficient de conductivité hydraulique, ω mesure la porosité du milieu et h est la hauteur piézométrique (pression en hauteur d’eau). Si la roche est très fissurée, on l’assimile à un milieu constitué de pores plus gros (c’est fréquent dans le granite). La figure 14.5 montre la succession de phénomènes aboutissant à un relâchement de radionucléides vers la surface. Les actinides, peu solubles
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199
années 10-2
10-1
100
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Champ proche ..... Chargement mécanique dû à l’excavation ............... Réponse mécanique différée ....................... Echauffement du champ proche ................................. Resaturation en eau du champ proche ........................... Evolution physico chimique du champ proche ...................... Corrosion du surconteneur et production d’hydrogène .................. Altération du verre
Champ lointain ............................. Chargement mécanique ....................... Echauffement du champ lointain ...... Première glaciation ............................. Migration des radio-nucléides en champ lointain Figure 14.4. Le scénario d’évolution normale du stockage, avec les principaux phénomènes en jeu.
dans l’eau, sont très sensibles aux interactions chimiques avec la roche poreuse, ce qui peut se traduire par un facteur de retard 103 à 104 fois celui des produits de fission. Basés sur le modèle ci-dessus, les calculs sont soit déterministes c’est-à-dire que partant de valeurs uniques des paramètres, ils permettent d’évaluer un risque radioactif, soit « stochastiques » : des distributions de valeurs des paramètres sont alors en entrée du calcul, ce qui permet d’évaluer des écarts-type et de faire une analyse de sensibilité aux différents paramètres. Enfin des « modèles de biosphère » sont utilisés pour décrire le transport (dilution ou concentration) de la radioactivité à travers l’environnement jusqu’à l’homme et l’impact sur le corps humain. On obtient ainsi une évaluation des doses reçues par les
200
Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires
Puits (exutoire pour un scénario altéré)
Rivière (exutoire pour le scénario de référence)
Niveau de la nappe Migration horizontale dans l’aquifère (perméable)
Migration verticale dans l’aquitard (faible perméabilité)
Terme-source
Roche-hôte ≥ 100 m
Stockage ≈ 10 km Figure 14.5. Migration des radionucléides issus d’un stockage.
populations locales en fonction du temps (Fig. 14.6). Les doses ainsi obtenues sont extrêmement sensibles aux hypothèses qui sont faites, pour des temps très éloignés du nôtre, sur les densités de population, les habitudes alimentaires, l’utilisation de l’eau dans l’agriculture et l’élevage. Il faut noter que l’évaluation de l’impact de la radioactivité sur le vivant a été établie à partir de situations pour des cas d’exposition brutale et événementielle à la radioactivité (Hiroshima. . . ). Elles sont donc mal adaptées pour estimer l’effet d’une source permanente d’exposition à de très faibles doses intégrée tout au long de la vie sur de nombreuses générations. Seule la comparaison à l’exposition à la radioactivité naturelle fournit aujourd’hui un repère fiable. On doit donc s’attendre à de grandes incertitudes dans ces calculs qui associent sur l’ensemble de la chaîne : la lixiviation du verre, la percolation dans le « champ proche » (le site et ses barrières ouvragées), la percolation de « champ lointain » (la roche hôte), la contamination de l’homme par la chaîne alimentaire, et ses effets sur la santé. Cependant, là aussi, des analogues naturels ont aidé au calage de certains modèles. Une conclusion, peut-être optimiste, à une telle étude est présentée dans le rapport Pagis [5] programme-cadre européen, où ont été étudiés trois stockages (dans l’hypothèse d’une quantité de déchets enfouis aussi importante qu’une à dix fois la production annuelle mondiale) dans l’argile, le sel et le granite, et qui conclut
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
201
Figure 14.6. Impact dosimétrique d’un stockage de déchets nucléaires vitrifiés, en fonction du temps et suivant la roche-hôte (1 = argile, 2 = granite, 3 = sel) (scénario d’évolution normale) [5].
que la dose de radiation au sol est nulle pendant au moins 20 000 ans après la fermeture du stockage et qu’il faut attendre de l’ordre du million d’années pour que cette dose atteigne 10 μSv/an, soit une fraction très faible de la radioactivité naturelle (Fig. 14.6).
6.1
Les scénarios perturbés
Dans l’évaluation des risques liés à des événements improbables, l’analyse de risque est de type pessimiste (worst case analysis) (Fig. 14.7).
202
Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires
Sel ionisé
} argile
Sel
Figure 14.7. Impact dosimétrique d’un stockage de déchets nucléaires vitrifiés pour des scénarios d’évolution anormale du stockage : – une faille rejoue dans l’argile (croix à comparer au trait gras qui donne l’évolution normale) : l’impact n’est pas augmenté, mais apparaît plus tôt ; – même effet dans le sel, en plus accentué (traits et points à comparer avec le trait fin continu de droite pour une évolution normale) ; – dans le sel toujours, une inondation précoce du site (tirets) ou une intrusion humaine peuvent faire apparaître la radiotoxicité dès 10 000 à 20 000 ans, mais celle-ci reste cependant inférieure à la radioactivité naturelle (d’après la référence [5]).
6.2
Le risque anthropique
Il peut prendre quatre formes : volonté de nuire (terrorisme), tentative de récupération des matériaux stockés, accès accidentel lié à la présence de ressources naturelles exploitables (cas du sel par exemple), accès purement accidentel (forage phréatique). On cherche à empêcher que ce type d’accident ait des répercussions (supérieures aux irradiations naturelles) en dehors des personnes accédant au stockage. Dans le cas de la malveillance, il est difficile de trouver des parades sûres ; néanmoins, il semble
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
203
plus aisé pour des terroristes de se procurer en surface du plutonium plutôt que d’avoir à aller en chercher des mélanges vitrifiés à grande profondeur, où il n’existerait qu’en quantités insignifiantes en compagnie d’un peu d’actinides mineurs. 6.3
Les risques géologiques et climatiques
Ces risques comprennent principalement l’impact de météorites, les éruptions volcaniques, l’apparition d’une faille majeure, une sismicité intense et anormale, l’érosion par des glaciers, un changement majeur des flux hydriques profonds en raison de l’évolution climatique. Les deux premiers sont hautement peu probables ; en outre, leur nuisance directe serait plus élevée que celle due au relâchement accru des radionucléides (comme d’ailleurs le serait l’effet d’un bombardement nucléaire à l’aplomb d’un stockage). Les modifications climatiques d’origine anthropique font actuellement l’objet de nombreuses études internationales, et s’il n’y a pas de consensus sur la rapidité de l’échauffement, tous les modèles tendent à prévoir un accroissement de température et donc une fonte des glaces. A contrario, le retour d’une période glaciaire, comme il y en a eu par le passé (en raison des modifications d’ensoleillement dues à la mécanique céleste et/ou à la variabilité solaire), pourrait entraîner une érosion glaciaire très importante dans les zones montagneuses aujourd’hui tempérées. La profondeur du stockage doit être suffisante pour éliminer ce risque. 6.4
Le risque de criticité in situ
Une étude assez poussée mais très irréaliste par son pessimisme excessif (fissuration à cœur des verres, reconcentration optimisée, etc.) a montré qu’un scénario d’accumulation de matière fissile par gravité dans un site de stockage pouvait conduire à des accidents de criticité∗ d’amplitude croissante jusqu’à une véritable explosion [6]. Un choix pas trop absurde des topologies de stockage doit permettre d’éviter totalement ce risque. 7
Perspectives pour le stockage des déchets nucléaires
La décision du niveau de retraitement (sépare-t-on, pour les transmuter, les actinides à longue période des produits de fission ?) influe sur le volume à stocker et sur la durée de retour à une radiotoxicité acceptable (c’est-à-dire de l’ordre de celle d’un minerai uranifère). Le maintien pendant plusieurs siècles d’une industrie basée sur la fission impose de minimiser le volume de déchets ultimes, car le stockage profond restera probablement une ressource rare. La notion de garantie absolue de sûreté n’existe pas. On peut cependant se convaincre d’une très faible probabilité de nuisances d’un stockage géologique de
204
Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires
déchets nucléaires. Puis, on sera amené à prendre des décisions influant sur l’environnement de nombreuses générations à venir. Il est difficile de choisir les poids relatifs des différents critères en jeu, car ceux-ci sont de nature différente : éthique, techniques, économiques. Les rôles respectifs des technodécideurs, des politiques et du public doivent être soigneusement pesés [7]. Grâce à l’efficacité et à la redondance des barrières qui le composent, le stockage profond est un concept robuste. L’impact d’un stockage profond évoluant normalement devrait rester à la fois minime, à des ordres de grandeur en dessous des limites réglementaires, local et différé. Les scénarios altérés, qui peuvent avoir un impact plus lourd et sont par nature imprévisibles (surtout ceux qui sont associés à une intrusion humaine), sont toutefois susceptibles d’entamer les marges de sécurité prévues, sans pour autant en franchir les limites. La sûreté d’un stockage profond ou d’un entreposage n’est pas démontrable au sens strict du terme. L’expérience directe qui permettrait de se convaincre est inaccessible. Aussi les concepteurs de ces installations doivent-ils se contenter d’un objectif plus modeste : montrer qu’ils ont compris et maîtrisé les principaux phénomènes en jeu au moyen d’expérimentations partielles, validant les principaux morceaux de modélisation impliqués dans l’évaluation de sûreté, et analysant le poids des incertitudes inéluctables. Toutes les études nationales et internationales indiquent qu’avec des traitements adaptés, l’impact environnemental des stockages profonds restera négligeable, y compris à long terme. Pour convaincre, il s’agira de construire la confiance par un faisceau concordant d’indications montrant que tous les avatars susceptibles d’affecter le stockage ont bien été envisagés et que ce dernier est d’une conception robuste et maîtrisée. Cette confiance, déjà acquise chez la plupart des spécialistes et experts du domaine, ne l’est toujours pas au sein du public [8]. Et tant que le public doutera, les politiques resteront réticents à prendre des décisions impopulaires. L’exemple de la Finlande et de la Suède, qui ont su décider démocratiquement la construction de stockages profonds, montre qu’il est possible de surmonter cet obstacle majeur.
Bibliographie [1] D. Savage (ed.), The Scientific and Regulatory Basis for the Geological Disposal of Radioactive Waste, John Wiley and Sons, 1995. [2] ANDRA, Dossier « Argile 2005 ». [3] P. Frugier et al., « SON68 Nuclear Glass Dissolution Kinetics: Current State of Knowledge and Basis of the New GRAAL Model », Journal of Nuclear Materials, 2008.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
205
[4] M. Jorda (CEA) et al., « Engineering solution for the backfilling and sealing of radioactive waste repositories », Comptes rendus de la 3e conférence internationale Radioactive waste management and disposal, Luxembourg, sept. 1990, ed. L. Cecille, Éditions de la Commission de la Communauté européenne. Aux travaux européens résumés dans cette référence, il faut en ajouter d’autres comme ceux du Hard Rock Laboratory sous l’île d’Äspö en Suède et ceux des États-Unis à Carlsbad (Laboratoire WIPP). [5] Rapport Pagis pour la Commission de la Communauté européenne, EUR 1175EN (sommaire), EUR 1176-EN (argile), EUR 1177-FR (granite), EUR 1178-EN (sel) EUR 1179-EN (sédiments sous-marins), 1988. [6] C.D. Bowman, F. Veneri, « Los Alamos Report », LA-UR-94-4022A, 1994. [7] J.-C. Petit, Thèse, Mines de Paris, 1993. [8] Ph. d’Iribarne, « Les Français et les déchets nucléaires », ministère de l’Industrie, avril 2005.
206
Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires
15 Le nucléaire dans le panorama énergétique
Henri SAFA
Les choix énergétiques d’une société ne sont pas dictés simplement par des considérations économiques, mais comportent aussi des éléments stratégiques et politiques, et ceux-ci sont particulièrement prégnants pour le nucléaire. À cause du caractère centralisé de cette énergie, à cause aussi de l’ampleur des investissements initiaux, et du cadre législatif nécessaire pour assurer la sûreté et la radioprotection, le nucléaire est d’abord une affaire d’État. L’énergie nucléaire est aujourd’hui principalement exploitée pour la production d’électricité. Dans le monde, le nucléaire entre en compétition économique avec le gaz et le charbon pour la production dite en base. Généralement, dans chaque pays, le choix effectué dépend de l’accessibilité aux matières premières. D’autre part, grâce à sa facilité de transport et sa souplesse d’utilisation, le vecteur électricité a tendance à progressivement se substituer aux autres formes d’énergie dans tous les domaines. Ainsi, la production électrique en France a été multipliée par 3 depuis le premier choc pétrolier, passant de 173 TWh en 1973 (à l’époque générée par des centrales thermiques et hydrauliques) à 565 TWh aujourd’hui (dont 428 TWh de nucléaire). Sa part dans l’énergie primaire a plus que doublé. Reste que les besoins de transport sont toujours largement dominés par l’utilisation de pétrole et ceux de chauffage par le gaz. Depuis une décennie, la question environnementale
posée par le réchauffement climatique a entraîné un regain d’intérêt pour les énergies décarbonées. Bien entendu, ce sont les énergies renouvelables qui en ont le plus profité grâce aux politiques accommodantes des pays riches qui ont mis en place des tarifs de rachat très attractifs. Mais celles-ci restent limitées en production car elles sont diffuses, intermittentes et chères. Comme le nucléaire n’émet pas de gaz à effet de serre, il a naturellement engendré de l’espoir, surtout dans les pays à forte croissance économique qui montrent un féroce appétit énergétique. Pour ces raisons, nous assisterons probablement au cours du XXIe siècle à un déploiement accru du nucléaire, au moins dans le pays en développement, quand bien même des accidents comme celui de Fukushima au Japon pourraient temporairement freiner son expansion dans les pays développés. Dès la fin des années 1960, la France a fait le choix du nucléaire pour garantir sa fourniture propre d’électricité et assurer son indépendance énergétique. Aujourd’hui, les 58 réacteurs à eau pressurisée fournissent 76 % de la totalité de la production électrique (Fig. 15.1) Cette part importante du nucléaire dans le mix énergétique a deux conséquences. D’une part, une grande souplesse est requise dans le fonctionnement, le pilotage des réacteurs devant s’adapter aux variations des appels sur le réseau. De l’autre, la France peut se targuer d’afficher de très faibles émissions de gaz à effet de serre pour la production d’électricité étant donné que près de 90 % de sa production est décarbonée (nucléaire, hydraulique et EnR). Cette particularité fait de la France une référence mondiale en termes d’électronucléaire (tableau 15.1). Production d'énergie électrique en France (2010) Thermique fossile Nucléaire 75.9 %
Hydraulique 10.7 %
10.8 %
Autres Eolien
Total = 565 TWh
0.8 % 1.7 % 0.1 %
Photovoltaïque
Figure 15.1. Répartition de la production électrique en France selon le type de combustible. L’énergie nucléaire représente plus des 3/4 de la production, l’hydraulique et le thermique classique (gaz, charbon et fioul) environ 10 % chacun. De l’ensemble des nouvelles énergies renouvelables, seul l’éolien assure une production non négligeable, contribuant pour un peu moins de 2 %.
210
Chapitre 15. Le nucléaire dans le panorama énergétique
Nombre
Capacité
Part du
de
nucléaire
nucléaire
réacteurs
(GWe)
(%)
France
58
63,1
76
Slovaquie
4
1,8
52
Belgique
7
5,9
51
Ukraine
15
13,1
48
Hongrie
4
1,9
42
Suède
10
9,3
38
Suisse
5
3,3
38
République Tchèque
6
3,7
33
Corée du Sud
21
18,7
32
Japon
50
44,1
29
Finlande
4
2,7
28
Allemagne
17
20,5
27
Espagne
8
7,5
20
104
101,2
20
Taïwan
6
5,0
19
Russie
32
22,7
17
Grande-Bretagne
19
10,1
16
Canada
18
12,6
15
Inde
20
4,4
3
Chine
14
11,1
2
439
374
13
Pays
États-Unis
Monde
Tableau 15.1. Part de l’électricité d’origine nucléaire dans quelques pays. La France est le pays qui possède le pourcentage le plus élevé. L’énergie nucléaire a fourni 13 % de l’électricité mondiale en 2010.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
211
L’énergie dans le monde
1
L’énergie et l’eau sont deux besoins de base de l’être humain. Tout développement s’accompagne systématiquement d’un besoin énergétique pour satisfaire d’abord des besoins vitaux comme la nourriture ou le chauffage. Le développement économique moderne a généré de nouveaux besoins en énergie surtout dans le secteur industriel et celui du transport des biens et des personnes. Il ne peut y avoir développement sans consommation énergétique si bien que la consommation mondiale ne cesse de croître d’autant plus que la population mondiale augmente. Même si l’efficacité énergétique des produits s’améliore (on dépense moins d’énergie pour une production donnée), il faudra s’attendre à une poursuite de cette croissance dans les années qui viennent. Aujourd’hui, la consommation annuelle moyenne dans le monde est de 2 tep 1 par terrien, avec de grandes disparités selon le niveau de vie (Fig. 15.2). 1.0 Hong Kong
Norvège
France
Espagne
Canada
0.9
Singapour
Uruguay
0.8
Arabie Saoudite
Russie
Indice IDH
U SA
0.7
Turkménistan Afrique du Sud
0.6 Zimbabwe
0.5
Nigéria
0.4 Mozambique
0.3 0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
Energie par habitant (tep/an) Figure 15.2. Indice de Développement Humain (IDH) pour chaque pays en fonction de l’énergie dépensée par habitant (source : PNUD/ONU). Le développement va de pair avec la consommation énergétique, au moins pour les pays en développement. Pour les pays développés, il n’y a plus de corrélation.
La production d’énergie primaire est basée à plus de 80 % sur l’utilisation des énergies fossiles : charbon, pétrole et gaz à parts à peu près égales (Fig. 15.3). Malheureusement, cette dépendance vis-à-vis des énergies fossiles risque de perdurer dans les décennies qui viennent. Même si la technologie des batteries commence à 1
L’unité d’énergie utilisée est la tonne d’équivalent pétrole (tep). 1 tep = 11,67 MWh = 42 GJ.
212
Chapitre 15. Le nucléaire dans le panorama énergétique
Production d'énergie dans le monde (2010)
Pétrole Gaz
26.9 %
21.6 %
Charbon
4.7 % Nucléaire
30.5 %
9.3 % 5.9 % 1.2 %
Total = 13.3 Gtep
Hydraulique Bois et déchets Renouvelables
Figure 15.3. La production mondiale d’énergie primaire est en grande majorité à base d’énergies fossiles, rejetant de grandes quantités de gaz carbonique dans l’atmosphère.
autoriser des applications de puissance, la pénétration du véhicule électrique sur le marché automobile sera relativement lente 2 . Quant au chauffage et à la climatisation des bâtiments, il faudra également attendre au minimum une génération avant de voir progressivement remplacer les vieilles chaudières au fioul ou au gaz par des solutions moins émettrices de CO2 (pompe à chaleur, solaire thermique, puits canadien, etc.). L’hydraulique, quasiment exploitée au maximum des capacités des grands fleuves, ne contribue qu’à hauteur de 6 %. Les renouvelables (éolien, solaire, géothermie, énergies marines. . . ) ne procurent qu’à peine plus de 1 % du total de l’énergie produite dans le monde. Ces énergies, dispersées et intermittentes, restent encore chères, trois raisons pour lesquelles elles conserveront probablement une contribution marginale pendant des décennies, malgré un déploiement fortement subventionné dans les pays développés. Quant au nucléaire, son expansion a été freinée par les accidents majeurs (Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima). Il garde cependant un potentiel de développement industriel à grande échelle et pourrait de ce fait aider à limiter les émissions globales de gaz carbonique. La conséquence logique de l’augmentation de la consommation d’énergies fossiles est l’accroissement des rejets de gaz à effet de serre. Les océans et la végétation ne pouvant en absorber plus de 4 Gt d’équivalent carbone par an, une accumulation de CO2 se produit dans l’atmosphère terrestre. Dès 1990, les climatologues ont tiré la sonnette d’alarme : si rien n’est fait, la concentration en gaz carbonique dans l’atmosphère dépassera les 650 ppmv 3 à la fin du siècle. Du jamais vu depuis plus d’un 2 3
Ceci pour deux raisons principales : l’autonomie réduite et le coût encore élevé des batteries. ppmv = partie par million en volume. La concentration qui était de 285 ppmv avant l’ère industrielle atteint aujourd’hui plus de 390 ppmv.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
213
million d’années. En 2010, le rejet a même atteint un record historique de 9 Gt éq.C. Bien qu’il soit difficile d’évaluer précisément toutes les conséquences de ce réchauffement, il convient d’en limiter l’ampleur. L’AIE 4 travaille sur un scénario de limitation à 450 ppmv, mais il y a de fortes chances que celui-ci soit d’ores et déjà caduc. Pour atteindre cet objectif, il faudrait presque arrêter tout rejet supplémentaire en l’espace de vingt ans. Or, nous sommes bien loin d’en prendre le chemin (Fig. 15.4). En tout état de cause, toute énergie non émettrice de gaz à effet de serre devra être privilégiée au détriment des énergies fossiles. L’énergie nucléaire en fait partie. 25 Scénario A
20
Energie primaire (en Gtep)
Nous sommes ici
Scénario B
15 Scénario C
10
A: Business as usual B: Moyen ou Modéré C: Ecologique Réel
5
0 1990
2000
2010
2020
2030
2040
2050
Figure 15.4. Projections de la consommation énergétique mondiale vue par l’IIASA et le WEC5 en 1998 selon trois scénarios (A = on ne fait rien, B = on limite la consommation pour réduire les émissions de gaz carbonique, C = on met en œuvre tout ce qui est économiquement possible). On s’aperçoit que la consommation actuelle (en 2010) est en train de dépasser le niveau escompté pour le scénario A, jugé pourtant le plus pessimiste.
2
Les réacteurs nucléaires
Aujourd’hui, 439 réacteurs nucléaires sont en exploitation industrielle répartis dans une trentaine de pays (Fig. 15.5). Ils fournissent chaque année plus de 2 750 TWh soit 13 % de l’électricité mondiale. Le renchérissement du prix des énergies fossiles et l’impact du changement climatique ont poussé plusieurs pays à reconsidérer le nucléaire comme une source d’énergie attractive. On dénombre ainsi 60 nouveaux 4 5
Agence internationale de l’énergie. International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA) et World Energy Council (WEC).
214
Chapitre 15. Le nucléaire dans le panorama énergétique
18
Allemagne Suède Belgique Finlande 10 4
Canada
32
Royaume-Uni 18
Pays Bas Lituanie Tchéquie 15 Ukraine 58 7 9 France Slovaquie 4 Hongrie 5 Roumanie Suisse Slovénie Espagne 8 Bulgarie Arménie
104 Etats-Unis
Corée du Sud 21 48
Chine 14
Pakistan 2 Mexique 2
Russie
Japon
18 Inde
2 Brésil
2
Afrique du Sud
2 Argentine
Total = 439 unités
Figure 15.5. Une douzaine de pays concentrent l’essentiel des 439 réacteurs. Les plus importants sont les États-Unis, suivis de la France et du Japon. L’Inde et la Chine montent en puissance.
réacteurs en construction (26 en Chine, 10 en Russie, 9 en Inde et 4 en Europe dont un en France, l’EPR à Flamanville), 158 en projet et plus de 300 en prévision dans les cartons. Le développement massif du nucléaire à l’échelle mondiale se heurte à deux difficultés majeures. La première est économique, liée à la levée d’un capital de départ assez lourd et à un retour sur investissements relativement long, dans un contexte d’incertitude sur les politiques énergétiques nationales, qui exposent les éventuels investisseurs à risquer de l’argent dans ce secteur. La seconde est politique avec le risque de détournement de matières fissiles pour une utilisation à des fins militaires. La grande majorité des réacteurs sont des réacteurs à eau (Fig. 15.6). La filière REP (réacteurs à eau pressurisée) est la version la plus courante. En France, l’électricien EDF a fait le choix exclusif de ce type de réacteur. Les REB (réacteurs à eau bouillante) forment une autre famille de réacteurs à eau légère, construits principalement aux États-Unis et au Japon et représentent 20 % du parc mondial. Les réacteurs à eau lourde (HWR 6 ) ayant la capacité de fonctionner à l’uranium naturel ont permis au Canada et à l’Inde de développer l’énergie atomique sans avoir recours à la technologie de l’enrichissement. Cette filière compte 45 réacteurs – soit 10 % du parc – en opération. Les autres filières comme les graphite-gaz (Angleterre) ou les graphite-eau (Russie) seront progressivement appelées à disparaître. La filière uranium naturel-graphite-gaz (UNGG) un temps développée en France s’est rapidement 6
HWR = Heavy Water Reactor.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
215
4%
3 %1 %
REP REB
10 % 20 %
62 %
HWR GG RBMK RNR
Total = 439 Figure 15.6. Répartition des filières existantes de réacteurs nucléaires. 62 % des réacteurs en fonctionnement et 78 % de ceux en construction sont des réacteurs à eau pressurisée.
effacée au profit des REP dès lors que la maîtrise de l’enrichissement fut acquise. Les huit réacteurs de puissance UNGG sont aujourd’hui en phase de démantèlement. La filière graphite-eau (RBMK) compte encore 11 réacteurs en fonctionnement en Russie, mais l’accident de Tchernobyl a mis en exergue une faiblesse intrinsèque et signé son extinction future. Quant à la filière des réacteurs à neutrons rapides (RNR), elle ne pourra être économiquement compétitive que si le prix de la matière première uranium se maintenait à un niveau significativement élevé.
Bibliographie [1] Ch. Ngô, L’énergie, ressouces, technologies et environnement, Dunod, 2002. [2] H. Nifenecker, Le nucléaire : un choix raisonnable ?, EDP Sciences, 2011. [3] F. Sorin, Le nucléaire et la planète, 10 clés pour comprendre, Grancher, 2009. [4] B. Barré, P.R. Bauquis, Comprendre l’avenir ; l’énergie nucléaire, HIRLE, 2007.
216
Chapitre 15. Le nucléaire dans le panorama énergétique
16 L’économie du nucléaire Henri SAFA
L’électricité est un produit de base indispensable de nos jours qui requiert une analyse de long terme non seulement technico-économique, mais également politique et stratégique. C’est pourquoi les décisions en la matière se prennent souvent au plus haut niveau des états. Le choix par un industriel d’une unité de production dépend beaucoup des conditions économiques du moment et des hypothèses prises pour son analyse, notamment de la valeur du taux d’actualisation et des projections futures, hypothèses qui se révèlent le plus souvent imprécises. Cela est d’autant plus vrai pour le nucléaire qui réclame un investissement conséquent et une vision à très long terme, deux caractéristiques inacceptables pour des entreprises de taille moyenne. Nonobstant, le coût du kWh produit par une centrale nucléaire peut tout à fait se comparer à celui issu d’une centrale au charbon ou à gaz, les deux autres principaux moyens de production en base. Mis à part l’hydraulique, qui est également utilisée pour la gestion des variations de charge, tous les autres moyens se révèlent être nettement moins compétitifs. Le coût du kWh nucléaire peut se décomposer en quatre parties (Fig. 16.1) : – l’investissement qui comprend les coûts de construction plus les frais de maîtrise d’œuvre et les intérêts intercalaires, les frais de pré-exploitation et de mise en service, les frais d’aléas et les provisions pour déconstruction et démantèlement du réacteur. Il est important de souligner que les coûts de démantèlement, même s’ils sont encore incertains, sont ainsi provisionnés dès le démarrage du projet ;
10 % 16 %
Investissements Fonctionnement Combustible R&D et Taxes
17 % 57 %
Figure 16.1. Répartition du coût du MWh nucléaire. Le coût d’investissement représente environ 60 % du coût global.
– le fonctionnement inclut l’exploitation des réacteurs nucléaires et leur maintenance ; – le coût du combustible qui, outre l’approvisionnement de la matière première, englobe à la fois l’amont (étapes menant à la fabrication du combustible) et l’aval du cycle (le traitement-recyclage et les déchets). Là encore, il faut insister sur le fait que les coûts de l’ensemble des centres d’entreposage et de stockage, y compris ceux du futur stockage des déchets de haute activité, sont entièrement inclus sous forme de provisions payées par le consommateur, puisqu’elles sont intégrées dans le prix du kWh ; – la dépense de R&D et les taxes qui viennent se rajouter au coût global. À noter que les parts prélevées sur le prix du MWh nucléaire relevant de dépenses futures alimentent des fonds dédiés qui sont gérés séparément. EDF provisionne ainsi un fonds pour le démantèlement des centrales et un autre pour l’aval du cycle électronucléaire 1 . La répartition du coût du kWh nucléaire peut être illustrée à travers une étude réalisée par la DGEMP 2 en 2003. L’investissement représente la part la plus importante du coût (∼60 %). Contrairement aux énergies fossiles pour lesquelles c’est généralement le prix du combustible qui constitue la part prépondérante, la structure très capitalistique du nucléaire rend son coût actualisé assez dépendant des conditions économiques. Si l’on considère par exemple la construction d’un nouveau réacteur comme l’EPR (6 G€), la part que représentera l’investissement dans le coût du MWh généré par ce réacteur va être éminemment sensible au taux d’actualisation (tableau 16.1). Le taux effectivement 1
2
Au 30 juin 2011, le fonds pour la déconstruction et derniers cœurs était déjà alimenté à hauteur de 19,6 G€ et celui pour l’aval du cycle à hauteur de 17 G€. Rapport DGEMP (Direction générale de l’énergie et des matières premières) / DIDEME (Direction de la demande et des marchés énergétiques) « Coûts de référence de la production électrique », décembre 2003.
218
Chapitre 16. L’économie du nucléaire
Taux d’actualisation % Investissement ( C/MWh)
5
8
11
33
55
84
Tableau 16.1. Variation du coût d’investissement du MWh d’un EPR selon le taux d’actualisation.
choisi par l’industriel sera déterminant pour garantir ou non sa compétitivité économique face au gaz ou au charbon. Afin de mieux préciser les chiffres, rappelons que le coût du MWh nucléaire en France a été évalué en 2003 par l’étude ministérielle précitée à 28,4 €2001 . Plus récemment, le parc actuel a fait l’objet d’une expertise économique par la CRE 3 qui a estimé son prix de revient aux alentours de 40 €, valeur retenue par les pouvoirs publics pour fixer le prix de cession du kWh par EDF aux fournisseurs alternatifs 4 . Ce coût est précisément dans la fourchette fournie en 2010 par l’AIE et l’AEN 5 (entre 30 et 80 $/MWh). Ces agences ont conjointement réalisé une comparaison des coûts de production d’électricité dans le monde à partir d’un large éventail de technologies 6 . Leur conclusion est qu’avec un taux d’actualisation à 5 %, le nucléaire (59 $/MWh) est la source d’énergie la plus compétitive, y compris vis-àvis du charbon (65 $/MWh) et du gaz (86 $/MWh), mais que cet avantage disparaît pour un taux d’actualisation de 10 %. Le nucléaire de 3e génération comme l’EPR affichera probablement un coût plus élevé pour deux raisons. D’une part, la construction de ce type de réacteur comporte davantage d’éléments liés à la sûreté qui alourdissent sensiblement les coûts d’investissements. De l’autre, les marchés financiers réclament aujourd’hui aux entreprises privées des retours sur investissements à plus court terme, ce qui incite à proposer des projets avec des taux d’actualisation plus élevés. Il faut dire aussi que la rentabilité des réacteurs nucléaires dépend beaucoup de leur durée d’exploitation. Une fois amortis, ils deviennent une véritable « rente nucléaire », que l’électricien peut être tenté d’exploiter aussi longtemps que possible. Les réacteurs du parc actuel, initialement prévus pour une durée de 30 à 40 ans, sont dans cette situation. La plupart d’entre eux font l’objet de demandes d’extension de 3 4
5 6
Commission de régulation de l’électricité. Prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH). Il devrait passer à 42 €/MWh en 2012. Ce coût intègre cependant le coût des investissements futurs pour la jouvence du parc actuel d’EDF (extension de la durée de vie) et pour partie des investissements passés non encore amortis. L’agence internationale de l’énergie et l’agence pour l’énergie nucléaire font partie de l’OCDE. Rapport OCDE/AEN sur les « Coûts prévisionnels de production de l’électricité », édition 2010. La synthèse est disponible gratuitement en ligne http://www.oecd-nea.org/
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
219
la durée de fonctionnement. Les enjeux économiques sont importants : de l’ordre du milliard d’euros pour une extension de dix ans d’un réacteur de 1 GW. Les Autorités de sûreté nationales devront veiller à ce que ces centrales restent sûres pendant leur « troisième âge ». . . Pour compléter le panorama économique, il convient d’indiquer que le nucléaire étant quasiment insensible aux fluctuations du prix des matières premières participe à maintenir une certaine stabilité des prix de l’électricité sur le long terme. Au demeurant, la prise en compte future de l’impact économique des émissions de gaz à effet de serre que ce soit sous la forme d’une taxe carbone ou de permis d’émissions ne ferait que renforcer encore davantage la compétitivité du nucléaire comparativement au charbon et au gaz.
Bibliographie [1] E. Bertel, G. Naudet, L’économie de l’énergie nucléaire, collection « Génie Atomique », EDP Sciences, 2004.
220
Chapitre 16. L’économie du nucléaire
17 Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible Bernard BONIN
1
De l’origine des espèces (de réacteurs). Filières « If any species does not become modified and improved in a corresponding degree with its competitors, it will soon be exterminated. » Charles Darwin. The origin of species, 1859.
La conception d’un réacteur nucléaire commence par l’agencement dans le cœur du réacteur de matières fissiles∗ et fertiles∗ constituant le combustible, d’un caloporteur∗ destiné à évacuer la chaleur produite par les réactions de fission, d’un modérateur∗ (éventuellement) dont le rôle est de ralentir les neutrons et d’un absorbant neutronique pour contrôler la réaction en chaîne∗ . Plusieurs options sont possibles pour chacun de ces éléments, et, même si toutes les combinaisons ne sont pas viables, de nombreux types de réacteurs sont envisageables. Matières fissiles et fertiles
Le noyau fissile le plus couramment utilisé dans les réacteurs actuels est 235 U, seul isotope fissile « naturel ». D’autres noyaux fissiles utilisables sont les isotopes impairs du plutonium 239 Pu et 241 Pu, produits par irradiation neutronique de l’isotope fertile
238
U. Le mélange dans le cœur d’isotopes fissiles et fertiles permet d’augmenter la durée de fonctionnement du cœur, puisque la disparition des noyaux fissiles par fission est compensée partiellement (ou totalement si le réacteur est surgénérateur) par la formation de nouveaux noyaux fissiles par capture de neutrons sur les noyaux fertiles.
Caloporteur
De nombreux choix sont possibles pour le fluide caloporteur : eau lourde, eau ordinaire, gaz (hélium, CO2 ), métaux liquides. . . Le caloporteur peut circuler directement du cœur à la turbine ou échanger de la chaleur avec un circuit secondaire. Le choix du caloporteur a une grande importance dans la technologie du réacteur et les grandes filières sont souvent classées en fonction de lui.
Modérateur
Un autre choix fondamental est celui de l’énergie moyenne, ou vitesse moyenne, des neutrons dans le cœur. Le choix entre neutrons rapides et neutrons lents détermine ainsi deux grandes familles : – dans les réacteurs à neutrons lents, ou « thermiques », les neutrons sont ralentis par des chocs successifs sur les noyaux légers d’un matériau modérateur∗ . Les matériaux modérateurs principalement employés sont l’eau ordinaire, l’eau lourde (D2 O) et le graphite. Les neutrons lents ayant des grandes probabilités d’interaction avec la matière, ce type de réacteur peut fonctionner avec un combustible peu enrichi en noyaux fissiles (l’uranium naturel peut même éventuellement suffire), mais seule une petite partie de l’énergie potentielle des noyaux lourds du combustible est valorisée. Beaucoup de ces noyaux lourds sont transmutés par capture de neutrons en actinides∗ qu’on retrouvera présents dans les déchets ; – dans les réacteurs à neutrons rapides, on ne ralentit pas les neutrons dans le réacteur, et ceux-ci gardent à peu près l’énergie qu’ils avaient lors de leur production par fission. Leurs probabilités d’interaction avec la matière sont faibles, c’est pourquoi les réacteurs à neutrons rapides doivent avoir un flux de neutrons∗ élevé et contenir beaucoup de matière fissile (Fig. 17.1). En revanche, dans ce domaine d’énergie de neutrons, les réactions de fission sont favorisées par rapport aux réactions parasites (captures∗ ) : la matière fissile est bien mieux utilisée que dans un réacteur à neutrons thermiques. Les RNR sont des brûleurs potentiels d’actinides, ces derniers étant fissiles aux neutrons rapides.
224
Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
Figure 17.1. La section efficace∗ de fission et de capture de l’uranium 235 en fonction de l’énergie du neutron met en évidence deux grands domaines : celui des neutrons lents∗ (ou thermiques), où les probabilités d’interaction du neutron avec les noyaux d’uranium sont grandes, et celui des neutrons rapides∗, où les sections efficaces sont beaucoup plus petites.
1.1
Les « filières » d’aujourd’hui
Dans les années 1950 et 1960, pratiquement tous les types de réacteurs nucléaires ont été envisagés, conçus et même construits ! Après ce bouillonnement créateur, la sélection « naturelle » a assuré la survie d’un nombre réduit de filières (Fig. 17.2). Les réacteurs à eau ordinaire, avec 86 % du parc en fonctionnement et 79 % des constructions en cours dans le monde, les réacteurs à eau ordinaire (ou « légère ») représentent l’espèce dominante dans le monde des réacteurs nucléaires. Les REP, et leur version soviétique, les VVER, sont les plus nombreux. Ils sont robustes, fiables et affichent des progrès continus en termes de disponibilité, taux de combustion, durée de cycle, capacité à suivre les fluctuations du réseau électrique et dose collective∗ aux opérateurs. Les réacteurs à eau bouillante (REB), qui représentent environ le tiers de la puissance installée des REP, ont vu, eux aussi, un développement significatif, mais un peu entravé par quelques défauts de jeunesse. Aujourd’hui, au Japon, les dernières commandes ont presque exclusivement porté sur des réacteurs bouillants.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
225
Figure 17.2. Des réacteurs de première à ceux de seconde génération : on voit le gros réacteur UNGG (arrêté) et les petits REP (en service) qui lui ont succédé sur le site du Bugey.
1.2 Les filières de demain. Les réacteurs à neutrons rapides pour un nucléaire plus économe des ressources naturelles et plus propre
Même si les réacteurs à eau sont actuellement dominants, plusieurs types de réacteurs possédant des avantages spécifiques pourraient un jour les concurrencer. Le grand atout des réacteurs à neutrons rapides réside dans leur capacité de fabriquer autant ou plus de matière fissile qu’ils n’en consomment. Les réacteurs à neutrons rapides surgénérateurs∗ peuvent donc, par recyclages successifs, utiliser la quasi-totalité de l’énergie contenue dans l’uranium, cent fois plus qu’un réacteur à eau ordinaire (Fig. 17.3). À titre de comparaison, un réacteur à eau pressurisée typique (1 GWe) fonctionnant avec un combustible uranium a besoin de 180 t d’uranium naturel par an et produit 0,25 t de plutonium par an. Un réacteur à neutrons rapides régénérateur de même puissance aurait besoin de 15 à 20 t de Pu (constamment régénérés), et consommerait seulement environ 1 à 2 tonnes d’uranium naturel par an. Les RNR pourraient même fonctionner en utilisant l’important stock d’uranium appauvri
226
Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
e− n
U238
U239
Np239 23,5 Min
Pu239 2,3 jours
e− Figure 17.3. Formation d’un noyau de plutonium 239 (fissile) par capture d’un neutron sur l’uranium 238 (non fissile). La fission d’un noyau produit plusieurs neutrons. Un seul de ces neutrons est nécessaire à l’entretien de la réaction en chaîne∗ . Les autres neutrons peuvent former d’autres noyaux fissiles par capture sur l’uranium 238 pour former du plutonium 239. Avec un réacteur ré- ou sur-générateur, on peut produire autant ou plus de matière fissile qu’on en consomme. La matière fissile joue alors le rôle de catalyseur, constamment régénéré au fur et à mesure de sa consommation. Avec ce type de réacteur, ce qu’on consomme véritablement, in fine, c’est la matière fertile 238 U.
actuellement inutilisé par le parc de réacteurs à eau. Les RNR résolvent donc le problème des ressources. Dans les réacteurs à spectre thermique, les actinides capturent souvent les neutrons sans fissionner, ce qui aboutit à la formation de noyaux de plus en plus lourds, tous radioactifs, et qu’on retrouve dans les déchets. Dans les réacteurs à spectre rapide, capture et fission coexistent pour tous les actinides, ce qui offre la possibilité d’équilibrer leur bilan. Toujours pour comparer, un REP-UOX typique (1 GWe) produit 16 kg d’actinides mineurs chaque année. Le recyclage du Pu sous forme de MOX permet de stabiliser l’inventaire Pu, mais les actinides mineurs ne sont pas brûlés et s’accumulent. Un RNR régénérateur de même puissance peut consommer les actinides mineurs qu’il produit (voir le schéma de principe du cycle du combustible RNR, figure 17.4). Avec ce type de système, le nucléaire peut donc gagner en propreté. URANIUM ACTINIDES
PF
REACTEUR(S) TRAITEMENT
Figure 17.4. Schéma de principe du cycle RNR.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
227
Cependant, il faut rappeler que le recyclage∗ des actinides mineurs en réacteur n’est qu’une option, avec ses avantages mais aussi ses inconvénients. Le recyclage des actinides implique la délicate manipulation de matières radioactives pour fabriquer et gérer de nouveaux combustibles. En outre, le recyclage se fera sans doute au prix d’une certaine réduction de performances des réacteurs brûleurs d’actinides. D’autre part, si on recycle les actinides, l’inventaire circulant dans les réacteurs ne sera probablement pas négligeable. Il faudra par conséquent mettre en balance la complexité – et les dangers – de la manipulation des actinides avec les avantages environnementaux procurés par le recyclage. Dans cette comparaison, il faudra prendre en compte que les propriétés chimiques des actinides confèrent à ces derniers une quasi-immobilité dans le milieu souterrain, et qu’ils pourraient de ce fait aller en stockage géologique avec vraisemblablement d’excellentes conditions de sûreté à long terme pour l’environnement. Le principal argument en faveur des RNR reste donc celui de l’économie de matière fissile ; l’argument de leur « propreté » ne vient qu’en seconde position pour justifier leur déploiement. Les RNR n’ont donc des chances d’émerger que si – ou quand – leur qualité spécifique, l’économie de matière fissile, devient un facteur clé de succès.
Le cycle du combustible des systèmes nucléaires du futur : quelques éléments d’orientation 2
Comme on vient de le voir (voir chapitre 8 sur les ressources), le nucléaire civil risque d’être confronté à un problème de ressources en matières fissiles. Un nucléaire durable semble passer par un recyclage récurrent et poussé du plutonium et (optionnellement) des actinides, guidé d’abord par la nécessité de bien utiliser les ressources fertiles. Certes, des options restent ouvertes quant aux scénarios de recyclage, quant aux bornes de l’ensemble des éléments à considérer parmi les actinides (selon leur inventaire, leurs propriétés, leur impact, les difficultés que peut entraîner leur recyclage) ; mais la ligne générale paraît clairement tracée et conduit au schéma de principe de la figure 17.4. Remarque : On s’intéresse ici essentiellement à la gestion des matières issues d’une filière uranium. L’hypothèse du déploiement de filières mettant en jeu le thorium est également envisageable, et sera abordé au paragraphe suivant, consacré au futur lointain.
228
Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
2.1
Quels procédés de recyclage ?
La réflexion s’articule aujourd’hui essentiellement autour des potentialités de procédés « chimiques », usuellement répartis entre procédés hydrométallurgiques (voie « aqueuse ») ou pyrométallurgiques (voie « sèche »). La voie hydrométallurgique, actuellement mise en œuvre à La Hague avec le procédé PUREX (Fig. 17.5) a récemment enregistré de grands succès, avec le développement de nouvelles molécules extractantes, qui permettent d’envisager non seulement une séparation des actinides des produits de fission, mais également une séparation groupée desdits actinides.
LE SCHEMA « PUREX » URANIUM
REACTEUR
TRAITEMENT
PF & AM
Pu U Figure 17.5. Le procédé hydrométallurgique PUREX permet de séparer uranium et plutonium des produits de fission et des autres actinides. Les premiers peuvent être recyclés comme matières valorisables. Uranium et plutonium sont gérés séparément.
Un premier axe de progrès réside dans l’aménagement des procédés pour permettre une gestion groupée des actinides : il s’agit de rechercher le moyen d’extraire de la solution de dissolution les actinides dans leur ensemble pour élaborer ensuite le composé à recycler ; Plusieurs voies ont été récemment ébauchées : un premier concept, nommé COEX, consiste en une variante du procédé PUREX actuellement mis en œuvre pour extraire l’uranium et le plutonium du reste des éléments chimiques contenus dans le combustible usé. Il s’agit ici d’éviter de produire du plutonium séparé et de réduire par là le risque de prolifération. Le procédé COEX permet une coprécipitation des deux éléments U et Pu sous forme d’une poudre d’oxyde mixte UO2 -PuO2, qui pourrait être directement recyclée sous forme de combustible MOX (Fig. 17.6). Pour aller plus loin encore dans le recyclage groupé des actinides, le concept dénommé GANEX a été récemment proposée par le CEA (Fig. 17.7) : on y propose d’extraire dans une étape préliminaire la majeure partie de l’uranium contenu dans le combustible usé, puis, dans une seconde étape, de séparer en bloc plutonium et
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
229
LE CONCEPT « COEX » URANIUM
REACTEUR
PF & AM
TRAITEMENT
Pu et U U Figure 17.6. Le procédé COEX est une évolution du procédé PUREX. Les matières valorisables peuvent être recyclées mais le plutonium n’est jamais isolé, ce qui réduit les risques de prolifération.
actinides mineurs (neptunium, américium, curium) en mettant en œuvre une version adaptée du procédé DIAMEX-SANEX mis au point dans le cadre des études menées sur la gestion des déchets ; un effort d’intégration des opérations de récupération et de re-fabrication pour cette gestion groupée des actinides à recycler apparaît, dans le même ordre d’idées, une orientation à retenir. Un des grands défis du procédé est de séparer les actinides des lanthanides : si les premiers sont éventuellement recyclables en réacteur rapide, les seconds sont des produits de fission indésirables qui doivent être séparés malgré des propriétés chimiques très proches. PROCEDE GANEX
URANIUM
REACTEUR (rapide)
TRAITEMENT
Pu, U, A.M.
PF
U
Figure 17.7. GANEX : Un procédé hydrométallurgique dans lequel tous les actinides sont séparés et recyclés ensemble.
La séparation entre actinides mineurs et produits de fission permettrait de n’envoyer aux déchets que les produits de fission, aux pertes près du procédé, ce qui simplifierait la gestion des déchets. La puissance thermique des déchets s’en trouverait diminuée (surtout après une période d’entreposage de l’ordre du siècle), réduisant du même coup les dimensions et le coût de l’installation nécessaire pour leur stockage. La décroissance de la radioactivité des déchets ne contenant plus que des produits de fission serait également beaucoup plus rapide, ce qui permettrait de
230
Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
10000.0
Pu (retrait. à 4 ans) Am (retrait. à 4 ans)
Puissance résiduelle (W/TWhe)
Cm (retrait. à 4 ans) 1000.0
Produits de fission Cs Sr
100.0
10.0
1.0
0.1 10
100
1000
10000
100000
Temps de refroidissement (annnées)
Figure 17.8. Contribution des différents radionucléides à la puissance résiduelle dégagée par un combustible usé (UOX, 55 GW.j/t). On voit ici que des déchets qui ne contiendraient que les produits de fission verraient leur puissance thermique décroître rapidement, en quelques centaines d’années.
raccourcir la durée de confinement exigée de l’installation de stockage (Fig. 17.8). Pour que cette option de séparation entre actinides et PF soit intéressante, encore faut-il savoir quoi faire des actinides ainsi séparés. Les réacteurs à eau actuels ne permettent pas d’envisager leur recyclage en totalité mais, comme on le verra plus loin, les réacteurs à neutrons rapides devraient permettre de les consommer efficacement au fur et à mesure de leur production, évitant ainsi leur accumulation. Les procédés pyrométallurgiques se présentent aujourd’hui comme la principale alternative aux procédés « aqueux » et font l’objet d’un effort de développement renouvelé au plan international. Le principe générique de tels procédés consiste à mettre en solution des éléments à séparer dans un bain de sels fondus (chlorures, fluorures. . . ) à haute température (de l’ordre de plusieurs centaines de degrés Celsius), puis d’opérer la séparation des espèces d’intérêt par des techniques diverses telles que l’extraction par des métaux fondus, l’électrolyse, la précipitation sélective : autant de techniques classiques, mais mises en œuvre dans des conditions particulières. L’intérêt que l’on porte à ce type de procédés réside essentiellement dans le fort potentiel de solubilisation des liquides ioniques (pour dissoudre des composés réfractaires), dans la faible radio-sensibilité des sels inorganiques utilisés (qui permettrait d’envisager le traitement « en ligne » de combustibles dès leur déchargement), dans leur compacité de principe (peu d’étapes successives de transformation pour aboutir au produit recyclable), ainsi que dans de meilleures aptitudes présumées à
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
231
une cogestion des actinides. La voie pyrométallurgique n’a pas connu de développement industriel dans le domaine nucléaire et reste encore très prospective. Il faudra notamment s’assurer que la compacité du « cœur de procédé » n’est pas obérée par la nécessité d’installations annexes volumineuses. Les orientations qui se dessinent pour les systèmes nucléaires du futur prêtent aux opérations de cycle des ambitions plus grandes (notamment quant à l’étendue des matières à recycler), dans un champ de contraintes vraisemblablement renforcé (aspects économiques et environnementaux), et portant sur de nouveaux combustibles. L’optimum qu’il s’agit de chercher à atteindre est celui de l’ensemble réacteurs, combustible et cycle, et les progrès doivent être cohérents et accomplis de pair. Enfin, il faut prendre en considération le fait que le déploiement de réacteurs à neutrons rapides ne pourra intervenir que de façon progressive, et que le parc du e XXI siècle présentera une large composante de réacteurs à eau, dont les installations du cycle auront également à gérer les combustibles usés, tant pour produire des déchets ultimes respectant les spécifications et critères qui prévaudront, que pour alimenter les réacteurs de nouvelle génération : ce caractère « symbiotique » du parc constituera également une donnée d’entrée importante lorsqu’il s’agira d’arrêter des choix.
Plusieurs options possibles pour les réacteurs à neutrons rapides 3
On a vu plus haut l’intérêt des neutrons rapides. Le choix le plus structurant pour concevoir un RNR est celui du caloporteur∗ . Plusieurs options de caloporteur sont envisageables dans ces réacteurs. La contrainte principale est justement d’éviter que le caloporteur ne ralentisse les neutrons. Pour cela, on peut recourir à un caloporteur à faible densité (RNR-gaz) pour lequel la probabilité de collision entre un neutron et un noyau atomique du caloporteur est faible. Les gaz envisageables sont l’hélium et le CO2 . On peut aussi utiliser un caloporteur à métal liquide. Si les noyaux atomiques des atomes du caloporteur sont suffisamment lourds, il peut y avoir un grand nombre de collisions élastiques entre le neutron et le caloporteur sans que ces collisions ne ralentissent beaucoup le neutron. Les noyaux du caloporteur doivent en outre posséder de bonnes propriétés neutroniques, en particulier ne pas capturer les neutrons et ne pas s’activer sous irradiation. Les métaux candidats doivent aussi avoir un point de fusion bas, une viscosité faible pour pouvoir être pompés facilement à travers le cœur et les échangeurs de chaleur. Enfin, ils doivent être suffisamment inertes chimiquement pour ne pas risquer d’attaquer la cuve ou la tuyauterie du réacteur. Avec un cahier des charges aussi exigeant, les candidats ne sont pas nombreux : les principaux sont le sodium (RNR-Na), le plomb (RNR-Pb), et quelques alliages
232
Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
eutectiques du plomb, comme par exemple le plomb-bismuth. Un outsider possible est le caloporteur à sels fondus : les sels en question peuvent être des sels de fluor ou de chlore. Aucun de ces caloporteurs n’est parfait : le gaz hélium est coûteux et fuit facilement ; le CO2 se décompose à haute température ; le sodium réagit chimiquement avec l’air et avec l’eau, ce qui rend le réacteur vulnérable en cas de fuite ; le plomb est visqueux et corrosif ; les sels fluorures comportent des noyaux assez légers qui ralentissent un peu les neutrons et les sels chlorures s’activent sous flux neutronique et corrodent les structures du réacteur. Aucun de ces problèmes n’est insoluble a priori, mais il faut reconnaître que l’utilisation de ces caloporteurs dans des RNR ou dans d’autres dispositifs thermiques est peu développée. 3.1
Les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium
Les seuls RNR sur lesquels on ait un retour d’expérience significatif sont ou étaient refroidis par du sodium liquide. La communauté technique a accumulé de l’expérience sur cette filière avec quelques prototypes dans le monde, et particulièrement en France avec les réacteurs Rapsodie, Phénix (Fig. 17.9) et Superphénix. Cette expertise est également valorisée à travers la coopération internationale, principalement avec le Japon et les États-Unis, au sein du Forum Génération IV, ainsi qu’avec la Russie. Un des principaux défis de ces développements menés en commun est d’amener les RNR à caloporteur sodium à un bon niveau de compétitivité économique, en les rendant plus compacts, et donc moins chers à l’investissement. Un second grand enjeu est celui de la sûreté, avec la maîtrise des risques liés à l’utilisation du sodium. C’est un excellent caloporteur, très peu corrosif des aciers inoxydables quand il est pur, mais qui s’enflamme spontanément à l’air et réagit vivement avec l’eau. Une des évolutions envisageables pour les réacteurs refroidis au sodium consiste à simplifier les circuits intermédiaires de fluides caloporteurs et/ou à remplacer l’eau de ces circuits par un autre fluide moins susceptible de réagir chimiquement avec le sodium. D’autre part, la grande quantité de matière fissile présente dans le cœur des réacteurs rapides rend les conséquences d’une fusion de cœur plus redoutables que sur un réacteur à eau. Le cœur fondu pourrait même continuer à entretenir des réactions de fission en son sein si des dispositifs de récupération et de dispersion du corium n’étaient pas développés pour parer à cette éventualité. Le troisième grand axe de progrès vise à rendre ces réacteurs plus facilement exploitables qu’ils ne le sont actuellement. Il faut en effet garder le sodium à une température sensiblement supérieure à son point de fusion et il est pratiquement
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
233
Figure 17.9. La centrale Phénix. Implantée sur le bord du Rhône, faisant partie intégrante du site nucléaire de Marcoule dans le Gard, Phénix est une centrale prototype de la filière des réacteurs à neutrons rapides à sodium.
impossible de vidanger totalement le circuit primaire. D’autre part, le sodium n’est pas transparent à la lumière visible, ce qui rend l’inspection en service et les réparations du RNR sodium nettement plus difficiles que celles des réacteurs à eau. Le gouvernement français a demandé au CEA de développer un prototype de réacteur de quatrième génération : ce sera le prototype ASTRID (Advanced Sodium Test Reactor for Industrial Development), actuellement en cours de conception (Fig. 17.10).
234
Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
Figure 17.10. Concept de RNR sodium avec des boucles intermédiaires compactes et intégrées dans la cuve du réacteur.
3.2 Les réacteurs à caloporteur gaz (RCG) : un axe de développement prometteur pour un nucléaire « hautes performances »
Les réacteurs à caloporteur gaz connaissent actuellement un certain intérêt dû à leur haute température de fonctionnement, qui permet d’envisager un cycle de conversion d’énergie à haut rendement, et des utilisations de l’énergie nucléaire autres que la production d’électricité. Ils sont envisageables dans deux versions, l’une à neutrons thermiques, l’autre, plus prospective, à neutrons rapides. La pertinence de ces deux concepts a été validée par les pays membres du Forum international Génération IV, qui les ont sélectionnés parmi ceux jugés les plus porteurs de progrès pour les prochaines décennies.
Les réacteurs à caloporteur gaz à spectre thermique (RHT et RTHT)
Les RHT sont des réacteurs à neutrons thermiques, modérés par une large masse de graphite et refroidis par circulation d’hélium. Ils emploient un combustible original, conçu initialement en Angleterre, la « particule enrobée ». Ce combustible constitué de carbone et de céramique permet de constituer des cœurs très réfractaires, fonctionnant à haute température, ce qui ouvre la possibilité de cycles thermodynamiques à haut rendement. La grande liberté offerte au concepteur par le combustible à particules rend ce type de réacteur apte à s’accommoder d’une large variété de cycles du combustible.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
235
Plusieurs prototypes de RHT ont été développés aux États-Unis et en Allemagne. Rendus attractifs par les récents progrès des turbines à gaz, ils sont actuellement étudiés sous la forme de petits réacteurs modulaires refroidis par un circuit d’hélium directement couplé à une turbine. Dotés d’une grande inertie thermique, les RHT sont particulièrement sûrs, ce qui pourrait autoriser une simplification de leurs systèmes de sécurité ; leur excellent rendement thermodynamique devrait permettre d’amortir rapidement un coût d’investissement encore élevé dû à leur faible puissance volumique. Le concept de réacteur à haute température à spectre thermique (RHT) diffère notablement des autres réacteurs à neutrons thermiques refroidis par gaz qui ont été développés dans le passé : MAGNOX et AGR en Grande-Bretagne, et UNGG en France. Par rapport à ces concepts, les RHT se distinguent par plusieurs traits : – l’utilisation du caloporteur hélium permet l’accès aux hautes températures (≈850 ◦ C) d’où des rendements thermodynamiques très supérieurs ; – l’utilisation de turbines à gaz permet d’envisager un cycle direct de conversion d’énergie (cycle de Brayton), améliorant le rendement et la compacité de l’installation ; – la conception de réacteurs modulaire autorise la réalisation standardisée d’unités de petite taille et de petite puissance, ce qui donne de la souplesse pour déployer cette filière au plan industriel ;
RHT
REB
REP
RNR
Puissance unitaire type (MWe)
200-1000
1100
1450
1200
Rendement (%)
48
33
33
41
Caloporteur
He
eau
eau
Na
Pression (bar)
50-70
70
155
1-4
T entrée (°C)
400
278
290
400
T sortie (°C)
750-950
287
325
550
Modérateur
graphite
eau
eau
sans
Puissance volumique (MW/m3 )
2-7
50
100
250
Taux de combustion (GWj/t)
100-800
30
60
100-200
Tableau 17.1. Les principales caractéristiques des réacteurs à haute température, comparées à celles des autres filières.
236
Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
– l’utilisation d’un combustible finement divisé constitué de particules enrobées qui lui confère des capacités de taux de combustion∗ plus élevés et une température « à cœur » du combustible à peine supérieure à celle du caloporteur ; – des possibilités d’utilisation de matières nucléaires variées ; – une sûreté améliorée par l’absence d’éléments métalliques dans le cœur du réacteur, ce qui interdit par conception la fusion du cœur et rend le réacteur beaucoup plus résistant aux excursions de puissance. Reste à savoir si ce type de réacteur réussira à surmonter ses principaux handicaps : un coût d’investissement relativement élevé, un combustible difficilement traitable et des déchets de démantèlement.
Le réacteur rapide à caloporteur gaz
Dans une perspective à long terme visant à satisfaire l’exigence de durabilité, le Forum Génération IV a retenu le réacteur rapide à caloporteur gaz comme un système particulièrement intéressant. Ce dernier doit parvenir à concilier à la fois les avantages des réacteurs à gaz à haute température avec ceux, connus, des réacteurs à neutrons rapides (utilisation optimale des ressources, minimisation de la production de déchets). Le réacteur proposé s’appuiera sur la technologie hélium développée par ailleurs pour les projets RHT et RTHT (Fig. 17.11). Ses spécificités sont le combustible et son cycle, le système et sa sûreté. Le cycle du combustible est en rupture avec l’existant puisqu’il est proposé de ne pas séparer U et Pu, également de ne pas séparer les actinides majeurs (U, Pu) des actinides mineurs (Np, Am, Cm). Il ne faut pas croire que le réacteur rapide à caloporteur gaz sera un simple mariage entre la technologie RNR et la technologie RHT : du fait de la suppression obligatoire de tout le graphite, le cœur d’un RCG n’aura aucune parenté avec celui d’un RHT, notamment en termes d’inertie thermique et de comportement vis-à-vis de la dépressurisation.
De nouveaux critères pour les systèmes nucléaires du futur 4
Comme on le voit, les idées ne manquent pas pour faire évoluer l’énergie nucléaire. Les critères de cette évolution changent. Cette réflexion se traduit par la création de réseaux de recherche au niveau européen ou même mondial. Un des plus importants et des plus actifs est le Forum international Génération IV, auquel participent tous les pays déjà impliqués dans le nucléaire civil.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
237
Neutrons rapides
RNR-G
Recyclage intégral des actinides
RTHT
coeur à neutrons rapides
RHT R&D R&D
• Combustible à particules • Matériaux • Technologie des circuits He • Système de calcul • Cycle du combustible
R&D
• Combustible pour
• Matériaux résistants THT
• Echangeur intermédiaire • Combustible enrobé de ZrC • Cycle I-S pour la production
• Procédés du cycle • Systèmes de sûreté
de H2
Figure 17.11. Les réacteurs à gaz à haute température sont déjà relativement mûrs, et pourraient être déployés en génération « 3+ ». Ces réacteurs pourraient ensuite évoluer vers d’encore plus hautes températures (RTHT) et/ou vers un spectre à neutrons rapides (RNR-G).
Les membres du forum ont commencé par se mettre d’accord sur les critères que devront remplir les systèmes nucléaires du futur (Fig. 17.12). Ils devront être à la fois : – durables : c’est-à-dire économes des ressources naturelles et respectueux de l’environnement (en minimisant la production de déchets en termes de radiotoxicité à long terme, et en utilisant de façon optimale les ressources naturelles en combustible) ; – économiques : aux plans du coût d’investissement par kWe installé, du coût du combustible, du coût d’exploitation de l’installation et, par voie de conséquence, du coût de production du kWh, qui doit être compétitif par rapport à celui d’autres sources d’énergie ; – sûrs et fiables : avec une recherche de progrès par rapport aux réacteurs actuels, et en éliminant autant que possible les besoins d’évacuation de population à l’extérieur du site, quelles que soient la cause et la gravité de l’accident à l’intérieur de la centrale ;
238
Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
5 critères fondamentaux ECONOMIE
SURETE
Economiser les ressources naturelles
Minimiser la production de déchets
Extraire efficacement l’énergie de la matière fissile
Recycler et transmuter les actinides mineurs
Réduire les risques de prolifération Brûler le plutonium, avec un cycle du combustible intégré
Figure 17.12. Les critères retenus pour sélectionner les systèmes nucléaires du futur diffèrent dans leur libellé et dans leur hiérarchie de ceux retenus pour les réacteurs de première et de deuxième génération. Ici, tous les critères ont été mis sur la table et débattus dans la plus grande transparence. Ils sont d’inspiration purement civile et partagés par la communauté internationale. Les critères de rentabilité et d’économie des ressources (chers aux industriels) restent importants. Plus nouveau, les critères de sûreté, de minimisation des déchets (chers au public) et de réduction des risques de prolifération (chers aux politiques) sont explicitement mentionnés.
– résistants vis-à-vis des risques de prolifération∗ et susceptibles d’être aisément protégés contre des agressions externes. Après s’être accordés sur les critères de sélection, les membres du forum ont ensuite jugé selon lesdits critères un grand nombre de systèmes nucléaires (réacteurs et cycles associés) et sélectionné selon une méthodologie très codifiée ceux qui paraissent porteurs de technologies particulièrement prometteuses. Les six concepts retenus comprennent : – les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium (différentes variantes sont à l’étude) ; – un réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb ; – un réacteur à eau supercritique ; – deux réacteurs à caloporteur gaz : l’un à neutrons lents, fonctionnant à très haute température, l’autre à neutrons rapides ; – un réacteur à sels fondus.
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
239
Sur les six concepts de réacteurs cités plus haut, cinq mettent en œuvre un cycle du combustible fermé et quatre au moins utilisent des neutrons rapides. La reconnaissance au niveau international du bien fondé de cette option préconisée depuis longtemps par la France mérite d’être soulignée. Entre-temps, l’initiative américaine GNEP (Global Nuclear Energy Partnership) est venue compléter et prolonger le Forum Génération IV. Elle focalise encore un peu plus les recherches sur les réacteurs rapides, en proposant quatre projets et une stratégie ; les projets comprennent un réacteur expérimental sodium pour mener des études sur le combustible, une usine pilote de traitement du combustible issu des réacteurs à eau, un laboratoire de R&D consacré au cycle du combustible et un prototype de réacteur rapide refroidi au sodium. La stratégie envisagée par les États-Unis pour l’introduction de ces systèmes nucléaires met en avant de façon prioritaire un nucléaire propre et non proliférant et présente les réacteurs rapides comme des brûleurs d’actinides. Comme cette stratégie implique un cycle fermé pour le combustible nucléaire, les États-Unis proposent tout simplement de diviser le monde en États dotés de la capacité à traiter le combustible nucléaire, et en États non dotés. Ces derniers ne seraient pas interdits d’énergie nucléaire, mais achèteraient aux premiers les prestations du cycle du combustible, comme l’enrichissement de l’uranium ou le retraitement du combustible usé. L’avenir dira si tous les États de « deuxième catégorie » acceptent ces conditions. . . En 2006, le gouvernement français a confié au CEA la réalisation d’un prototype de système nucléaire de quatrième génération. Ce prototype servira à amener à maturité ce type de réacteur, pour préparer un déploiement industriel qui pourrait avoir lieu vers 2040.
5
De nouvelles utilisations pour l’énergie nucléaire
Jusqu’à aujourd’hui, l’énergie nucléaire civile a surtout servi à produire de l’électricité. Sans préjudice pour cette dernière, d’autres utilisations de l’énergie nucléaire sont également envisageables. En effet, le rendement thermodynamique de production d’électricité par un réacteur nucléaire est assez mauvais (34 % pour un réacteur à eau pressurisée), ce qui signifie que les deux tiers de l’énergie produite sont actuellement perdus. La chaleur à basse température produite en aval des turbines pourrait être récupérée pour le chauffage urbain. Quelques villes du grand Nord sibérien sont déjà chauffées de cette façon, mais ce mode de chauffage urbain n’a pas été appliqué à grande échelle. Pourtant, le parc nucléaire français suffirait largement à chauffer la population urbaine de la France entière si l’on disposait des caloducs permettant d’acheminer l’eau chaude d’un circuit tertiaire dans les villes. Certaines villes comme Grenoble sont déjà équipées de réseaux d’eau chaude pour le chauffage
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Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
urbain. Les calculs montrent que l’investissement associé serait rentabilisé en une dizaine d’années. Sachant que l’essentiel du chauffage urbain repose actuellement sur les combustibles fossiles, l’opération permettrait de réduire le bilan carbone de la France d’un facteur très important. Reste à savoir si la société civile accepterait ce « chauffage central », qui renforce encore la dépendance au nucléaire. . . La chaleur nucléaire pourrait aussi être utilisée pour le dessalement de l’eau de mer. Là encore, les études technico-économiques montrent que le dessalement nucléaire utilisant une technique mixte évaporation-osmose inverse pourrait être compétitif face au dessalement par d’autres techniques. Sachant que les ressources en eau posent déjà problème dans de nombreuses régions du monde, cette option mérite d’être considérée, même si les pays qui ont le plus besoin d’eau sont bien souvent aussi les moins solvables, faisant d’eux de mauvais clients pour l’industrie nucléaire. . . Ces options d’utilisation de l’énergie nucléaire ne sont pas incompatibles, au contraire : les scénarios de cogénération sont de plus en plus étudiés : on peut imaginer l’intérêt d’une cogénération électricité-chauffage urbain pour les villes du Nord et celui d’une cogénération électricité-dessalement pour les villes du Sud. L’énergie nucléaire permettrait aussi de fournir de l’hydrogène et de la chaleur industrielle : même si les perspectives d’utiliser directement cette chaleur pour produire de l’hydrogène via des cycles thermochimiques paraissent désormais peu crédibles, le surplus de la production d’énergie nucléaire pourrait être stocké sous forme d’hydrogène produit indirectement par électrolyse. Et cet hydrogène et cette chaleur nucléaire pourraient être valorisés pour l’industrie des hydrocarbures, à la fois pour l’extraction, le raffinage et la transformation. Enfin, de nombreuses pistes restent à explorer pour exploiter au mieux l’énergie nucléaire, dans un contexte où le mix énergétique se diversifie avec l’émergence des énergies renouvelables. Ces dernières sont par nature intermittentes, d’où la nécessité d’une source d’énergie complémentaire, continue, permettant de stabiliser le réseau électrique. Le surplus d’énergie produite pendant les pics de production des ENR pourrait être stocké par cogénération, par exemple via le vecteur hydrogène. Comme on le voit ci-dessus, les scénarios d’utilisation de l’énergie nucléaire sont riches et complexes !
Quelles recherches pour les systèmes nucléaires du futur ? 6
Le développement des réacteurs du futur demande beaucoup de recherches. Dans les réacteurs du futur, les matériaux en général et le combustible en particulier seront soumis à des conditions sévères, du fait des hautes températures
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envisagées dans certains concepts de réacteurs et à cause de l’irradiation par le haut flux de neutrons rapides envisagés dans d’autres. La corrosion est en général accélérée à haute température et ce thème représente un sujet de recherche à part entière. Les dégâts d’irradiation causés dans les matériaux par les neutrons rapides sont qualitativement différents de ceux causés par des neutrons lents, à cause de la possibilité qu’ont les premiers de produire des réactions nucléaires du type (n, alpha). On produit donc non seulement du désordre, mais également de l’hélium au sein du matériau irradié. Les alliages réfractaires et les céramiques, massives ou composites, sont de bons candidats pour les applications nucléaires. Ces matériaux ont fait récemment des progrès spectaculaires et trouvent des applications dans de nombreux domaines industriels, mais leur adaptation aux besoins du nucléaire demandera du travail. Un des verrous importants pour le développement des systèmes nucléaires du futur est le combustible lui-même, qui devra combiner des caractéristiques de résistance mécanique et thermique sous irradiation, tout en respectant des contraintes liées à la neutronique qui restreignent sévèrement la géométrie et les matériaux utilisables. Par exemple, un des plus grands défis dans la réalisation d’un réacteur rapide à caloporteur gaz sera de concevoir un combustible dense et réfractaire. Un domaine de recherche particulièrement important est celui de la sûreté : les réacteurs du futur devront avoir au moins le même niveau de sûreté que les réacteurs de troisième génération en cours de construction. Cela implique des études de neutronique et de thermohydraulique des réacteurs en situation normale et accidentelle. Cette démarche passe par un gros effort de développement de modélisationsimulation. En situation accidentelle, les phénomènes neutroniques et thermohydrauliques sont intimement liés, ce qui impose une modélisation couplée. Cet aspect de la simulation est un thème de recherche à part entière, impliquant en général de gros calculateurs. Des plateformes de simulation dédiées au combustible, à la neutronique et à la thermohydraulique sont actuellement en cours de développement. Les réacteurs du futur mettront en œuvre des caloporteurs différents, métaux liquides, gaz hélium voire sels fondus. Derrière ces caloporteurs se cache toute une technologie à développer, à maîtriser et à rendre industrialisable. Il s’agit en particulier de développer des échangeurs de chaleur, des systèmes de purification ou de détection de fuite, et toute une instrumentation spécifique à chaque type de réacteur, pour son pilotage et son contrôle. Enfin, les concepts « Gen IV » ne sont pas seulement des réacteurs nucléaires : ils sont conçus pour fonctionner avec un cycle du combustible bien déterminé. Le traitement-recyclage du combustible dépend beaucoup de la nature du combustible et de ce que le réacteur peut consommer. C’est pourquoi on ne parle pas de « réacteur » isolé, mais plutôt de « système », pour englober le réacteur et le traitement-
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Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
recyclage de son combustible. En conséquence, la séparation, l’entreposage et la transmutation des matières nucléaires impliquées dans ces cycles resteront de grands thèmes de recherche.
Préparer le remplacement des réacteurs actuels par des réacteurs de 3e puis de 4e génération, plus efficaces et plus sûrs 7
Tous les systèmes nucléaires du futur cités ci-dessus sont séduisants sur le papier, mais leur déploiement ne sera pas facile, car il faudra assurer la transition entre la future génération de systèmes nucléaires et la génération actuelle. Rappelons d’abord brièvement les différentes générations de réacteurs depuis les années 1950. 7.1
La première génération de réacteurs
Elle a été fortement influencée par les contraintes du cycle du combustible, notamment à l’époque des années 1950-1960, en l’absence de technologie industrielle d’enrichissement de l’uranium, et d’autre part avec la volonté de certaines nations de se doter d’un outil de dissuasion nucléaire nécessitant la production de matières fissiles. Dans ce contexte, les réacteurs devaient pouvoir fonctionner à l’uranium naturel (non enrichi) nécessitant l’utilisation de modérateurs tels que le graphite ou l’eau lourde. C’est ainsi que la filière dite Uranium Naturel Graphite Gaz (UNGG) a été développée en France. Trois réacteurs, à vocation de production de plutonium (G1, G2 et G3) ont été réalisés dans un premier temps, puis six autres à vocation électrogène (Saint-Laurent, Bugey et Chinon). Le CEA a été très fortement impliqué dans le développement de cette filière, en tant que bailleur de procédé. Les réacteurs de type Magnox en Grande-Bretagne appartiennent à la même génération. Ces réacteurs présentaient des caractéristiques intéressantes (rendement thermodynamique élevé, utilisation optimisée de l’uranium dans le cœur du réacteur. . . ), mais aussi des limitations liées à la technologie de ce type de réacteurs, en vue d’un développement à plus grande échelle : coût d’investissement important, difficulté d’amélioration de la sûreté et d’extrapolation à de plus grande puissance, ce qui a pénalisé leurs performances économiques par rapport aux réacteurs à eau légère. Dans cette première phase se développaient les préoccupations relatives au cycle du combustible, tant sous l’aspect de l’utilisation rationnelle et durable des ressources naturelles (recyclage des matières énergétiques, notamment le plutonium) que sous celui de la gestion des déchets. Ceci a conduit à développer les procédés et les installations de l’aval du cycle du combustible : traitement des combustibles
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usés, recyclage du plutonium. La France a ainsi adopté dès le début le cycle du combustible fondé sur le traitement – recyclage, permettant d’une part une meilleure utilisation des ressources, en recyclant le plutonium dans les réacteurs, et d’autre part une réduction de la quantité et de la nocivité à long terme des déchets ultimes, conditionnés de façon à assurer un confinement sûr et durable des radionucléides. La première usine de retraitement UP1 à Marcoule, pour le retraitement des combustibles UNGG, a été mise en service en 1958, suivie par l’usine UP2 à La Hague en 1966, elle-même dotée en 1976 d’un nouvel atelier (HAO) pour le traitement des combustibles des réacteurs à eau pressurisée. Elles sont désormais remplacées par les deux usines UP3 (1989) et UP2-800 (1994) de La Hague. Les installations de fabrication de combustible MOX ont de même été développées et mises en service : CFCa Cadarache (1968-2003), Dessel en Belgique (combustibles MOX produits à partir de 1986) et Melox à Marcoule (1995). 7.2
La deuxième génération de réacteurs
La deuxième génération de réacteurs qui est celle correspondant à la majorité du parc mondial aujourd’hui en exploitation est née dans un contexte de nécessité de rendre l’énergie nucléaire plus compétitive et dans un contexte de volonté de diminution du taux de dépendance énergétique de certains pays au moment où des tensions importantes sur le marché des énergies fossiles se faisaient sentir. La production de matières fissiles à des fins de défense n’était plus prioritaire, la technologie d’enrichissement de l’uranium par diffusion gazeuse était au point et commençait à se déployer à l’échelle industrielle (usine Eurodif en France). Cette période fut celle du déploiement des réacteurs à eau, réacteurs à eau pressurisée REP et réacteurs à eau bouillante REB, qui constituent plus de 85 % du parc électronucléaire mondial actuel d’environ 436 réacteurs. Le retour d’expérience industriel de ces dernières décennies a permis de démontrer les performances tant économiques qu’environnementales de la production d’énergie nucléaire, avec un coût du kWh nucléaire compétitif par rapport à celui des énergies fossiles et une réduction continue des rejets à un niveau très en deçà des limites autorisées. Le fonctionnement cumulé de plus de 10 000 années-réacteur au niveau mondial prouve la maturité industrielle de cette technologie. Il faut aussi mentionner le maintien d’une « niche » pour les réacteurs à eau lourde CANDU au sein de cette deuxième génération. 7.3
La troisième génération
Elle représente l’état de l’art industriel constructible le plus avancé actuellement. Il s’agit de réacteurs dits « évolutionnaires » : ils bénéficient du retour d’expérience et de la maturité industrielle des réacteurs à eau de la deuxième génération, tout en intégrant les spécifications les plus avancées en matière de sûreté.
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Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
Réacteurs avancés à eau pressurisée AP 600, AP 1000, APR1400, APWR+, EPR Réacteurs avancés à eau bouillante ABWR II, ESBWR, HC-BWR, SWR-1000 Réacteur à eau lourde avancé ACR-700 ACR-1000 (Advanced CANDU Reactor) Réacteurs intégrés de petites et moyennes puissances CAREM, IMR, IRIS, SMART Réacteurs modulaires, haute température, à gaz GT-MHR, PBMR Les réacteurs de troisième génération font l’objet d’une large offre à l’international. Ces réacteurs se construisent déjà, notamment en Asie, mais aussi en Finlande et en France. Encadré 17.1. Le réacteur EPR.
L’EPR (European Pressurized Reactor) est un exemple de réacteur de troisième génération commercialisé par AREVA. Il est actuellement en construction en Finlande (Olkiluoto, Fig. 17.13), en France (Flamanville) et en Chine (Taï Shan).
Figure 17.13. Construction de l’EPR (Olkiluoto, Finlande, 2009).
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Les réacteurs à eau pressurisée de troisièmee génération comme l’EPR ne représentent pas une rupture technologique, mais plutôt une évolution et une optimisation de la technologie REP mise en œuvre avec les réacteurs de deuxième génération. L’EPR se distingue de ses prédécesseurs par plusieurs aspects (Fig. 17.14).
Enceinte conçue pour résister à une explosion hydrogène
Dispositif de récupération du coeur fondu (corium) en cas d‘accident Système d‘évacuation de chaleur
Une sûreté encore améliorée
4 zones indépendantes pour les systèmes redondants de sûreté
Réservoir Réserv r oir d‘eau
Figure 17.14. Le réacteur EPR et ses dispositifs de sûreté.
Il est plus sûr grâce à une redondance accrue des systèmes de sauvegarde, une double enceinte de confinement et un dispositif de récupération du corium. Grâce à ces dispositifs, la probabilitré d’un accident de fusion de cœur diminue d’un ordre de grandeur et les conséquences d’un tel accident deviennent moins graves. Il possède un meilleur rendement thermodynamique (36 %), obtenu grâce à une augmentation de la température de fonctionnement et des améliorations de la technologie des turbines. Il utilise mieux le combustible, grâce à un taux de combustion élevé (60 GWj/t avec un combustible à l’uranium enrichi à 5 %) et grâce à la possibilité d’utiliser 100 % de combustible MOX dans le cœur du réacteur. La puissance élevée (1 650 MWe) permet une réduction du prix du kWh par effet d’échelle. La durée de vie du réacteur est de 60 ans contre 40 pour les réacteurs de la génération précédente. La disponibilité du réacteur est accrue par minimisation de la durée des maintenances. L’EPR produit moins de rejets et de déchets solides que ses prédécesseurs. La conception de l’EPR est fondée sur l’expérience cumulée de 1 300 années-réacteurs.
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Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
7.4
Les petits réacteurs modulaires
On assiste depuis quelques années à une floraison de concepts de petits réacteurs modulaires, conçus pour être construits en série et assemblée en usine, et transportés sur site par camion, rail ou par barge (Fig. 17.15). Ces petits réacteurs pourraient peut-être trouver une utilisation sur quelques marchés de niche.
Figure 17.15. Les Russes construisent déjà de petits réacteurs modulaires sur barge. Lancement le 30 juin 2010 à Saint-Pétersbourg de l’Akademik Lomonossov, barge qui portera deux petits réacteurs à eau de brise-glaces 2∗ 35 MW (constructeur : Rosatom) destinés à fournir de l’électricité et du chauffage urbain à une ville du grand Nord sibérien.
Des réacteurs nomades de petite puissance ont été développés depuis longtemps pour la propulsion navale (porte-avions, sous-marins, brise-glaces). Quatre réacteurs de 11 MWe chacun fonctionnent depuis 1976 à la centrale de co-génération de Bilibino (Sibérie). Ces réacteurs graphite-eau bouillante produisent à la fois de l’électricité et de l’eau chaude pour le chauffage urbain, pour un coût inférieur à l’alternative « combustibles fossiles ». Si le cœur est assez petit pour être transporté entier, les opérations de chargement-déchargement et de maintenance des petits réacteurs modulaires pourraient être faites en usine, sans qu’il soit nécessaire d’implanter des infrastructures locales.
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Sur les petits réacteurs, il est assez facile d’assurer un bon niveau de sûreté : – un rapport surface/volume de cœur important rend possible l’évacuation passive de la puissance résiduelle∗ par convection naturelle, ce qui rend superflus les systèmes de refroidissement de secours ; – un cœur de petite taille implique beaucoup de fuites de neutrons. Ceci donne au cœur un coefficient de réactivité∗ négatif en cas de vidange du caloporteur, propriété importante pour la sûreté ; – un petit réacteur est plus facile à refroidir qu’un gros. Même en situation accidentelle, les marges à la fusion du cœur sont plus grandes que sur un gros réacteur. Du fait de sa petite puissance, la quantité de corium∗ produite en cas de fusion du cœur serait faible. Il n’y aurait probablement pas besoin de récupérateur de corium. Chaque type de réacteur (à eau, à gaz, à métaux liquides, à sels fondus) a sa ou ses version(s) « taille réduite », plus ou moins modulaire (Fig. 17.16). Cependant, le concept de petits réacteurs s’applique particulièrement aux réacteurs à neutrons rapides. Un cœur à neutrons rapides possède un fort taux de régénération de la matière fissile : les cycles de renouvellement du combustible peuvent être très longs, d’où des ouvertures du cœur qui peuvent être très espacées, tous les 5 à 10 ans, voire plus pour certains concepts. Cette caractéristique se marie également bien avec l’idée de petits réacteurs éloignés. Un des grands intérêts des petits réacteurs modulaires réside dans la standardisation et l’effet de série. Combien coûterait une voiture construite à l’unité et assemblée sur le parking ? Que peut-on gagner avec l’effet de série ? Hélas, les estimations technico-économiques récentes montrent que l’effet de taille l’emporte sur l’effet de série. Les petits réacteurs ne remplaceront donc probablement pas les gros pour produire l’électricité en base d’un pays industrialisé. Mais d’autres utilisations sont peut-être possibles. Avec les petits réacteurs modulaires, l’investissement reste prépondérant dans le coût du kWh, mais les délais de construction sont réduits. Les besoins en capitaux et les risques financiers sont plus faibles que pour des gros réacteurs, l’investissement est étalé dans le cas de la construction de plusieurs modules sur le même site. Les intérêts intercalaires sont réduits et le début de retour sur investissement peut être relativement rapide. En cas d’implantation dans un pays où le réseau électrique est peu développé, la localisation de petits réacteurs près des centres de consommation permettrait de faire des économies sur l’infrastructure du réseau électrique. La souplesse d’utilisation des petits réacteurs les rend potentiellement aptes à occuper des marchés de niche. Dans les pays où le nucléaire est déjà implanté, on pourrait envisager de mettre plusieurs modules sur le même site, construits successivement, selon les besoins, avec mutualisation d’infrastructures comme la
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Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
Figure 17.16. Un exemple typique de petit réacteur modulaire : le réacteur mPower de Babcock et Wilcox (États-Unis). Réacteur à eau pressurisée : puissance 125 MWe. Transport du cœur préfabriqué sur site par rail. Temps de séjour du combustible en réacteur = 5 ans (renouvellement cœur entier). Conception simplifiée intégrant le générateur de vapeur dans la cuve. Réacteur enterré. Sûreté passive (le système de refroidissement de secours n’est pas nécessaire). Durée de construction annoncée : 3 ans.
manutention ou le contrôle-commande. Avec plusieurs modules, on pourrait faire tourner la maintenance et éviter les effets néfastes sur le réseau de l’arrêt d’une grosse unité. Dans les endroits isolés (centres urbains de pays en développement, sites industriels isolés), le déploiement pourrait se faire à raison d’un seul module à la fois. Le nomadisme potentiel des petits réacteurs contribue également à leur flexibilité. Les délais de construction réduits pour ce type de réacteur permettent d’envisager de les déployer rapidement. Les petits réacteurs modulaires se prêteraient particulièrement bien à la cogénération pour des besoins urbains. Les deux principaux types de co-génération envisageables sont : – électricité-chauffage urbain dans les régions du Nord : un réacteur de 200 MWe peut fournir de l’électricité pour une ville de 100 000 habitants et aussi chauffer la ville via un réseau d’eau chaude, à raison de 4 kWth par habitant ;
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– électricité-dessalement d’eau dans les régions du Sud : un réacteur de 200 MWe peut fournir de l’électricité pour une ville de 100 000 habitants et dessaler l’eau nécessaire à la ville (50 m3 /an et par habitant, 5 kWh/m3 ). Les petits réacteurs modulaires ouvrent une possibilité de leasing dans des pays émergents, surtout s’ils sont nomades : la compagnie étrangère apporte le réacteur tout construit, l’exploite avec son personnel et s’occupe de tout, y compris du cycle du combustible. Reste à savoir si cette nouvelle forme d’exploitation du nucléaire est acceptable au plan social. Jusque-là, l’exploitation nucléaire était sous le contrôle des États. La formule du leasing laisse entière la question du contrôle de sûreté. Restera-t-il du ressort des autorités locales ? N’y a-t-il pas là un nouvel exemple de colonialisme industriel ? Les Américains voient dans les petits réacteurs modulaires la possibilité de revenir sur le marché du nucléaire, en proposant une offre innovante : enrichissement et retraitement du combustible chez eux, avec limitation des risques de prolifération et. . . bénéfices financiers ! Les petits réacteurs modulaires pourraient aussi être utilisés pour des applications industrielles spécifiques. Celles-ci ne diffèrent pas par leur nature des autres applications du nucléaire citées plus haut, mais la petite taille des réacteurs facilite ces applications, car elle permet d’envisager une implantation du réacteur sur le site industriel même, qu’il s’agisse d’un champ pétrolier (extraction), une raffinerie ou une usine de transformation du charbon en hydrocarbures liquides. Peut-on, doit-on mettre du nucléaire partout ?
Les petits réacteurs multiplient les endroits où le nucléaire pourrait s’implanter. . . mais multiplient aussi les endroits à contrôler, y compris dans des endroits où le contrôle est difficile. Sous l’angle de la protection physique, et de la non-prolifération, les petits réacteurs ont des avantages et des inconvénients : – avantages : peu de manipulations de matières radioactives sur site, d’où des risques de détournement réduits, mais : – inconvénients : difficile d’assurer une protection civile efficace sur des sites nombreux et éloignés. Les petits réacteurs modulaires sont vulnérables face au terrorisme. Quel avenir pour les petits réacteurs modulaires ?
L’attrait des petits réacteurs réside principalement dans l’effet de série. Pour en bénéficier, il faudrait avoir de nombreuses commandes. . . qui ne viendront que si la compétitivité économique est assurée. Comment amorcer la pompe ?
250
Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
Autre enjeu important : les autorisations d’exploitation. À l’heure actuelle (2011), seuls les petits réacteurs à eau du type « propulsion navale » et quelques anciennes versions des réacteurs HTR ont été autorisés par les autorités de sûreté nationales. Les autres concepts n’ont même pas encore déposé de demande. Et les autorités de sûreté auront du mal à donner un avis car beaucoup de ces concepts sont très innovants. Les petits réacteurs modulaires revêtent une importance politique particulière aux États-Unis, car c’est un créneau laissé libre par les constructeurs occidentaux (mais il existe des offres chinoises et russes dans la gamme de 200-300 MWe) et pour lequel peuvent être utilisés les moyens nationaux de production développés pour la propulsion navale. Il y a une grosse « barrière de potentiel » à franchir avant que les communautés scientifique, industrielle, financière et politique se mobilisent conjointement pour déployer les petits réacteurs nucléaires. Mais si elles y parviennent, le nucléaire civil en sortira transformé.
7.5
Les systèmes nucléaires de quatrième génération
Le développement de la quatrième génération est engagé dès à présent, dans un cadre international et avec l’objectif d’amener ces nouveaux systèmes à maturité technique, dans la perspective d’un déploiement industriel à l’horizon 2040. Ces systèmes ont pour but de répondre aux enjeux d’une production d’énergie durable, dans une vision à long terme, et notamment de minimiser les déchets radioactifs et d’utiliser au mieux les ressources naturelles en combustible. Ces systèmes présentent des évolutions et des innovations technologiques importantes (on peut les appeler « révolutionnaires »), qui nécessitent une vingtaine d’années de développement (Figs. 17.17, 17.18 et 17.19). Avant de passer à une éventuelle industrialisation de ces réacteurs, il s’agira de démontrer leur sûreté et leur compétitivité économique. Cette dernière n’est pas acquise actuellement, mais ces réacteurs pourraient avoir leur heure dès le milieu du siècle dans un contexte d’énergie chère et de ressources raréfiées. Actuellement, le plutonium des REP est recyclé sous forme de MOX. En 2020, les REP de génération II continueront à exister, mais le Pu qu’ils produisent sera brûlé (partiellement, mais plus efficacement) par les réacteurs de génération III déployés à cette date. Les actinides mineurs produits par ce parc mixte Gen II-Gen III pourraient être séparés et entreposés. En 2040, les premiers réacteurs de génération IV seront déployés et brûleront le Pu qui aura été mis en réserve pour leur démarrage, plus éventuellement les actinides mineurs accumulés antérieurement. Le complément en uranium nécessaire au
LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS
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Réacteurs a c tu e l s
Premières réalisations
1950
1970
1990
Systèmes d u fu t u r
Réacteurs a v a nc é s
2010
2030
2090
2070
2050
Generation I
UNGG CHOOZ
Generation II Generation III
REP 900 REP 1300 N4
Generation IV
EPR
Figure 17.17. Le calendrier des générations nucléaires.
2000
2010
U Pu Recyclage du Pu dans les REL (MOX)
2020
2030
2040
2050
2060
2070
2080
Gen 2
Pu(U) U
Ge n3
Recyclage du Pu et U,Pu,(AM) optionnellement des AM des REL dans les réacteurs rapides Gen IV
Ge n4
Recyclage global des actinides dans les réacteurs rapides Gen IV
U,Pu,(AM) Figure 17.18. La succession des cycles du combustible associés aux générations de réacteurs.
252
Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
70000
Puissance installée (MWe)
60000 P rolongation au delà 40ans
50000 40000 30000
G énération IV P arc A c tuel durée de vie 40 ans
20000 10000
G énération III
0 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030 2035 2040 2045 2050 2055 2060 Figure 17.19. Un scénario de renouvellement du parc de réacteurs nucléaires français, tel qu’il est envisagé par EDF, dans une hypothèse très conservative de réduction de la puissance totale installée jusqu’à 60 GW. L’exploitant souhaitera sans doute étendre la durée de vie des réacteurs existants aussi loin que raisonnablement et réglementairement possible. Il est envisagé de commencer le remplacement d’une partie du parc « en biseau » dès 2020 pour lisser l’effort financier, d’abord avec des réacteurs de troisième, puis de quatrième génération.
fonctionnement de ces réacteurs pourra être fourni par l’uranium appauvri actuellement entreposé. Vers 2050, ces réacteurs « Gen IV » devraient être capables de fonctionner en recyclant la totalité de leurs actinides. Cependant, il faut rappeler que le recyclage des actinides mineurs en réacteur n’est qu’une option : certes, elle permettrait de faire un nucléaire plus propre en envoyant moins de radioactivité aux déchets, mais ce serait sans doute au prix d’une certaine réduction de performances des réacteurs brûleurs d’actinides. D’autre part, l’inventaire en actinides circulant dans les réacteurs ne serait probablement pas négligeable. La France est largement équipée en nucléaire, son parc de réacteurs est relativement jeune. Pourtant, la construction d’un EPR de démonstration vient d’être décidée. Alors, pourquoi un EPR maintenant ? Le développement d’une nouvelle filière est une opération de longue haleine : pour introduire des réacteurs de troisième génération en 2020, il faut commander un premier EPR maintenant. Le calendrier envisagé pour le déploiement d’EPR en France est le suivant : – 2005 : décision d’un démonstrateur EPR ; – 2003-6 : processus d’autorisation réglementaire et préparation de la réalisation ;
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– 2007-11 : construction et mise en service du démonstrateur EPR ; – 2012-14 : acquisition du retour d’expérience d’exploitation (minimum 3 ans) ; – 2015 : décision de construction d’une série d’EPR (nombre et rythme à définir) ; – à partir de 2020 : mise en service du premier réacteur de la série.
À encore plus long terme (le siècle) : le cycle du combustible thorium 8
L’idée d’utiliser du thorium à la place d’uranium dans un réacteur à fission est venue très tôt à l’esprit des ingénieurs du nucléaire. Elle renaît périodiquement. Le cycle du combustible uranium-plutonium utilisé actuellement est fondé sur l’utilisation de l’238 U (fertile)∗ et du 239 Pu (fissile)∗ produit selon la chaîne : 238
(n,γ)
U −−−→
239
β−
U (23 min) −−−→
239
β−
Np (2,35 j) −−−→
239
Pu (24 400 ans).
Il existe un cycle du combustible analogue, dit thorium-uranium, fondé sur l’utilisation du 232 Th (fertile) et de l’233 U (fissile) selon la chaîne suivante : 232
(n,γ)
Th −−−→
233
β−
Th (22 min) −−−→
233
β−
Pa (27 j) −−−→
233
U (160 000 ans).
Ce cycle « thorium » présente deux avantages : le thorium est assez abondant, environ trois fois plus que l’uranium naturel, et il n’existe dans la nature que sous forme d’un seul isotope, 232 Th. Son extraction minière génère peu de résidus et n’expose pas les mineurs au radon. D’autre part, les réactions (n, γ) successives sur 232 Th conduisent à des isotopes d’uranium pratiquement stables, et il faut capturer cinq neutrons avant de former le premier actinide à vie longue. La probabilité d’en former d’autres à partir de lui est extrêmement faible, le cycle du combustible thorium est donc potentiellement plus propre que le cycle uranium, puisqu’on n’y retrouve pratiquement pas d’actinides à mettre aux déchets. Malheureusement, ce cycle séduisant présente aussi des inconvénients : la période relativement longue du 233 Pa, comparée à celle du 239 Np, crée des problèmes dans le retraitement du combustible : il faut attendre que le 233 Pa ait décru en 233 U, à cause de la grande radioactivité du 233 Pa qui rendrait difficile un retraitement précoce ; de plus, le protactinium étant un corps difficile à séparer chimiquement de l’uranium, il va contaminer l’uranium récupéré au retraitement. Enfin, l’irradiation aux neutrons du thorium 232 en réacteur produit aussi de l’uranium 232 et 234. Ces isotopes (surtout le 232) vont polluer l’ 233 U qu’on veut recycler et lui donner une activité alpha importante. Les descendants de l’ 232 U sont
254
Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible
aussi des émetteurs gamma puissants. C’est le grand handicap du thorium : l’aval du cycle est difficile. Il faudrait une usine entièrement automatisée (pour protéger le personnel) et qui soit d’une fiabilité de fonctionnement exceptionnelle. Historiquement, le premier réacteur avec du thorium comme combustible fut un réacteur à sels fondus, construit à Oak Ridge en 1965. Malgré cette réalisation et des études approfondies, le cycle thorium manque cruellement des quelque cinq décennies de recherche et développement dont a bénéficié le cycle uranium. La somme d’investissements, d’efforts et de recherche technologique à engager dans cette filière fera longtemps reculer les décideurs à moins qu’une motivation forte, venue du marché de l’uranium, ne vienne faire craindre une pénurie de combustible jusqu’ici suffisant. 9
Un jour peut-être : la fusion
On ne peut pas terminer ce panorama du nucléaire du futur sans mentionner la fusion thermonucléaire. Celle-ci fait l’objet d’un autre livre dans la même collection « Introduction à. . . », aussi n’en dirons-nous qu’un mot : la fusion thermonucléaire offre l’espoir d’une énergie abondante et acceptable socialement car potentiellement plus sûre que l’énergie de fission, et produisant moins de déchets à vie longue. Deux technologies sont actuellement explorées pour maîtriser la fusion thermonucléaire civile : la voie de la fusion par confinement magnétique et la voie de la fusion inertielle. Les deux se heurtent à des difficultés importantes liées en partie à la maîtrise des plasmas chauds et denses et à l’extraction de l’énergie produite par les réactions de fusion. La tenue des matériaux à l’irradiation représentera également un verrou technologique majeur. La première voie, considérée comme la plus crédible, fait l’objet d’une collaboration mondiale avec le projet ITER, visant à atteindre l’ignition, c’est-à-dire un plasma auto-entretenu sans apport d’énergie extérieur. La seconde est étudiée elle aussi au CEA dans le cadre du projet MEGAJOULE, qui met en jeu des faisceaux laser de très forte puissance pour assurer le confinement inertiel du plasma. Dans les deux cas, la fusion thermonucléaire pour EDF n’est pas pour demain. La démonstration de faisabilité scientifique et technique n’est pas assurée et l’on s’oriente vers des dispositifs toujours plus complexes qui pourraient bien ne jamais déboucher au plan industriel faute de compétitivité économique. Mais les besoins en énergie de l’humanité sont tels que toutes les pistes crédibles pour les satisfaire doivent être explorées. Et puis, l’aventure est belle et vaut d’être tentée. . .
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7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Glossaire-index Actinides Éléments terres rares de numéro atomique compris entre 89 et 103. Ce groupe correspond au remplissage de la sous-couche électronique 5f et 6d. Les actinides sont dotés de propriétés chimiques très voisines entre elles. 54, 89 Actinides majeurs Noyaux lourds d’uranium et de plutonium présents ou formés dans le combustible nucléaire. 237 Actinides mineurs Noyaux lourds formés dans un réacteur par capture successive de neutrons à partir des noyaux du combustible. Ces isotopes sont principalement le neptunium (237), l’américium (241, 243) et le curium (243, 244, 245). 146 Activation (radioactivation) Action tendant à rendre radioactifs certains nucléides, en particulier au sein des matériaux de structure des réacteurs, par bombardement par des neutrons ou d’autres particules. 146 Alpha Voir Radioactivité. ANDRA Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs.
9 181
Antiréactivité Baisse de réactivité que peut produire un absorbant neutronique (barre de commande par exemple) quand il est introduit dans le cœur d’un réacteur. 91 Assemblage Dans le cœur d’un réacteur à eau, les crayons combustibles sont groupés en faisceaux dotés d’une bonne rigidité et positionnés avec précision dans le cœur du réacteur. C’est l’ensemble de cette structure, regroupant une à quelques centaines de crayons et chargée d’un seul tenant dans le réacteur, qui est appelée assemblage. 68, 143
Barre de commande Barre ou ensemble de tiges solidaires mobiles contenant une matière absorbant les neutrons (bore, cadmium. . . ) et qui, suivant sa position dans le cœur d’un réacteur nucléaire, influe sur sa réactivité. 87 Barrières Dans un réacteur nucléaire, ensemble des éléments physiques qui isolent les radionucléides du combustible de l’environnement. Dans un réacteur à eau sous pression, il s’agit successivement de la gaine de l’élément combustible, de l’enveloppe du circuit primaire (qui comprend la cuve) et de l’enceinte du réacteur. 89 Becquerel (Bq) Unité de désintégration radioactive égale à une désintégration par seconde ; 37 milliards de becquerels égalent 1 curie (Ci) ; 30 000 désintégrations par seconde se produisent dans un détecteur de fumée domestique. Le Becquerel étant une unité très petite, on utilise fréquemment ses multiples : Méga, Giga, Téra Becquerel (MBq, GBq, TBq correspondant respectivement à 106 , 109 , 1012 Bq). 30 Bêta (rayonnement) Voir Radioactivité.
12
Caloporteur Fluide (gaz ou liquide) utilisé pour extraire la chaleur produite par les fissions. Dans un réacteur à eau sous pression, l’eau joue à la fois le rôle de caloporteur et celui de modérateur. 53, 65, 223 Capture Capture d’un neutron par un noyau. La capture est dite radiative si elle est suivie par l’émission immédiate d’un rayonnement gamma. Elle est dite fertile si elle donne naissance à un noyau fissile. 224 Château de transport Conteneur blindé utilisé pour le transport et éventuellement l’entreposage de matières radioactives. 166 Circuit de refroidissement primaire Système en boucle fermée ou ensemble de boucles fermées qui permet d’extraire la chaleur des éléments combustibles présents dans le cœur d’un réacteur par circulation d’un fluide caloporteur en contact direct avec ces éléments combustibles. 90 Circuit de refroidissement secondaire Système assurant la circulation du fluide caloporteur qui extrait la chaleur du circuit de refroidissement primaire. 103
258
Glossaire-index
Coefficient de réactivité Variation du facteur de multiplication résultant du fonctionnement d’un réacteur, c’est-à-dire des changements de température et de composition dus au dégagement d’énergie et à l’irradiation neutronique. 248 Coefficient de température Coefficient qui traduit la variation du facteur de multiplication des neutrons dans un réacteur lorsque sa température change. Un coefficient de température négatif est un critère important de stabilité du cœur. 106 Coefficient de vide Coefficient qui traduit la variation du facteur de multiplication dans un réacteur lorsque le caloporteur forme plus de vides (zones de moindre densité, par exemple des bulles) que la normale. Si ce coefficient est positif, une augmentation des vides se traduira par une augmentation de la réactivité et, par conséquent, une augmentation de la puissance. S’il est négatif, l’augmentation des vides tendra au contraire à arrêter le réacteur. 105 Cœur Zone centrale d’un réacteur nucléaire, contenant les assemblages combustibles, le caloporteur et le modérateur, où se produit la réaction en chaîne. 68 Combustible Substance constitutive du cœur d’un réacteur nucléaire, contenant les éléments fissiles qui entretiennent la réaction en chaîne en son sein. 125 Conditionnement (des déchets radioactifs) Ensemble des opérations successives à réaliser pour mettre le déchet sous une forme stable, sûre, et qui permette sa gestion ultérieure, qu’il s’agisse d’entreposage, de transmutation ou de stockage. Ces opérations peuvent comprendre notamment le compactage, l’enrobage, la vitrification, la mise en conteneur. 183 Corium Mélange de matériaux fondus résultant de la fusion accidentelle du cœur d’un réacteur nucléaire. 119 Crayon Tube de faible diamètre, fermé à ses deux extrémités, constituant du cœur d’un réacteur nucléaire, quand il contient une matière fissile, fertile ou absorbante. Lorsqu’il contient de la matière fissile, le crayon est un élément combustible.68, 90 Criticité Configuration caractéristique d’une masse de matière qui contient des éléments fissiles et éventuellement d’autres éléments, dans une composition, des proportions et une géométrie telles qu’une réaction de fission en chaîne peut y être auto-entretenue. 57, 155
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Critique Un système est qualifié de critique lorsque le nombre de neutrons émis par fission est égal au nombre de neutrons disparaissant par absorption et par fuite. Dans ce cas, le nombre de fissions observé pendant des intervalles de temps successifs reste constant. La criticité est l’expression d’un équilibre exact entre les productions de neutrons par fission et les disparitions par absorption et par fuite. 56, 61 Cuve Récipient contenant le cœur d’un réacteur et son fluide caloporteur. 69, 91 Cycle du combustible Ensemble des étapes suivies par le combustible nucléaire. Le cycle comprend l’extraction du minerai, la concentration de la matière fissile, l’enrichissement, la fabrication des éléments combustibles, leur utilisation dans le réacteur, leur traitement, l’éventuel recyclage des atomes lourds ainsi récupérés et le conditionnement et le stockage des déchets radioactifs. 125 Déchet radioactif Substance radioactive pour laquelle aucune utilisation ultérieure n’est prévue ou envisagée. Les déchets radioactifs ultimes sont des déchets radioactifs qui ne peuvent plus être traités dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de leur part valorisable ou par réduction de leur caractère polluant ou dangereux. Déchet nucléaire Résidu inutilisable, issu de l’exploitation de l’énergie nucléaire. 179 Décroissance radioactive Transformation d’un radionucléide en un nucléide différent par l’émission spontanée de rayonnements alpha, bêta ou gamma ou par capture électronique. Le produit final est un noyau d’énergie moindre et plus stable. Chaque processus de décroissance radioactive a une période bien définie. 191 Défense en profondeur Concept consistant à mettre en place plusieurs lignes de défense successives aptes à prévenir l’apparition, ou le cas échéant à limiter les conséquences, de défaillances techniques, humaines ou organisationnelles susceptibles de conduire à des incidents ou accidents nucléaires. 166 Doppler (effet) En neutronique : élargissement des résonances d’absorption de neutrons sous l’effet de l’agitation thermique des noyaux-cibles. Cet effet contribue à assurer la stabilité d’un réacteur nucléaire, en diminuant la réactivité de son cœur lors d’une élévation de sa température. 57
260
Glossaire-index
Dose Terme général indiquant la quantité de rayonnement ou d’énergie absorbée dans une masse spécifique de matière. 29 Dose absorbée Quantité d’énergie absorbée en un point par unité de masse de matière (inerte ou vivante). Elle s’exprime en grays (Gy) : 1 gray correspond à une énergie absorbée de 1 joule dans 1 kilogramme de matière. 36 Dose équivalente Dans les organismes vivants, les effets produits par une même dose absorbée sont différents selon la nature des rayonnements (X, alpha, bêta, neutrons ou gamma). Pour tenir compte de ces différences, on calcule une dose équivalente, produit de la dose absorbée dans un tissu ou un organe par un facteur de pondération tenant compte de l’effet biologique lié à la nature et à l’énergie du rayonnement. L’unité de dose équivalente est le sievert (Sv). 36 Dose efficace Dans les organismes vivants, tous les organes n’ont pas la même vulnérabilité aux rayonnements ionisants. Pour tenir compte de ces différences, on calcule une dose efficace, somme des doses équivalentes délivrées aux différents tissus et organes du corps par l’irradiation interne et externe, pondérée par un facteur de vulnérabilité associé à chaque organe irradié. L’unité de dose efficace est le sievert (Sv). À titre d’exemple, la moyenne annuelle de la dose efficace due à l’exposition à la radioactivité naturelle de la population en France est de 2,4 millisieverts (mSv). 36 Eau lourde L’eau lourde ou oxyde de deutérium (D2 O) est une forme naturelle d’eau dans laquelle les atomes d’hydrogène sont des atomes d’hydrogène lourd ou deutérium. Elle est environ 10 % plus lourde que l’eau ordinaire et se trouve en quantités infimes dans la nature (environ une partie d’eau lourde pour 7 000 parties d’eau). L’eau lourde absorbe moins les neutrons que l’eau légère, ce qui la rend intéressante comme modérateur dans certains réacteurs nucléaires. 59, 75 E-EV-SE
Installation d’entreposage de déchets vitrifiés à La Hague.
187
Effet xénon Le xénon est un puissant absorbant neutronique. Sa formation dans le cœur d’un réacteur comme produit de désintégration d’un autre produit de fission (l’iode) perturbe avec retard le comportement neutronique du cœur lors d’un transitoire de puissance. 106 Effluents Sous-produits sous forme liquide ou gazeuse, résidus d’un traitement chimique. Dans certains cas, ces résidus indésirables sont rejetés dans l’environnement ; une autre option largement pratiquée dans l’industrie nucléaire est d’en recycler la
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fraction valorisable, d’en séparer la fraction toxique et de la conditionner dans une matrice adaptée pour pouvoir rejeter le reste sans nuisance significative pour l’environnement. 158 Électron Particule élémentaire chargée négativement, et constituant de l’atome. Dans un atome de numéro atomique Z, Z électrons orbitent autour du noyau atomique. 3 Enrichissement Processus qui, dans le cas de l’uranium, permet d’augmenter par divers procédés (diffusion gazeuse, ultracentrifugation, excitation sélective par laser) la concentration de l’isotope 235 (fissile) par rapport à l’isotope 238 prédominant dans l’uranium naturel. 135 Entreposage (de matières ou de déchets radioactifs) Opération consistant à placer ces substances à titre temporaire dans une installation spécialement aménagée à cet effet, en surface ou en faible profondeur, dans l’attente de les récupérer. Ce terme désigne aussi l’installation dans laquelle les déchets sont placés, avec le projet de les reprendre ultérieurement (voir aussi Stockage). 151 Épithermiques (neutrons) Neutrons situés dans la gamme d’énergie de 1 eV à 20 keV environ et ayant ainsi une vitesse supérieure à celle des neutrons thermiques. Dans cette région d’énergie, les sections efficaces d’interaction neutronnoyau sont affectées par la présence de résonances et peuvent varier de ce fait de plusieurs ordres de grandeur. 59, 62 Facteur de conversion Rapport entre le nombre de noyaux fissiles produits et détruits dans un cœur ou une portion de cœur de réacteur. Un réacteur est isogénérateur quand son facteur de conversion vaut 1. S’il est supérieur à un, il est surgénérateur. 77 Facteur de multiplication (infini k∞ et effectif keff ) Valeur moyenne du nombre de nouvelles fissions induites par les neutrons issus d’une fission initiale. Pour évaluer le facteur de multiplication, si les fuites des neutrons vers les assemblages de combustibles voisins ou hors du réacteur ne sont pas prises en compte, celui-ci est qualifié d’infini et noté k∞ ; dans le cas contraire, il est qualifié d’effectif et noté keff . 56, 60
262
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Fertile Se dit d’une matière dont les noyaux, lorsqu’ils absorbent des neutrons, donnent des noyaux fissiles. C’est le cas de l’uranium 238 qui conduit au plutonium 239. Une matière est dite stérile dans le cas contraire. 55, 62, 65, 223 Fissile Se dit d’un noyau pouvant subir la fission par absorption de neutrons. En toute rigueur, ce n’est pas le noyau appelé fissile qui subit la fission mais le noyau composé formé suite à la capture d’un neutron. 62, 65, 223 Fission Division d’un noyau lourd en deux fragments dont les masses sont du même ordre de grandeur. Cette transformation, qui est un cas particulier de désintégration radioactive de certains noyaux lourds, dégage une quantité importante d’énergie et est accompagnée par l’émission de neutrons et de rayonnement gamma. La fission des noyaux lourds dits « fissiles » peut être induite par une collision avec un neutron. 53 Flux de neutrons Nombre de neutrons qui traversent une unité de surface par unité de temps. 224 Fusion du cœur Accident nucléaire au cours duquel le combustible nucléaire est porté à assez haute température pour que le combustible nucléaire fonde et se rassemble sous forme d’un magma corrosif (le corium∗ ) au fond de la cuve du réacteur. 237, 248 Gaine Enveloppe scellée entourant la matière combustible, destinée à assurer son isolation et sa tenue mécanique dans le cœur du réacteur. 90 Gamma photons de haute énergie, émis en particulier lors de réactions nucléaires ou lors de la désexcitation des noyaux atomiques. 12 Générateur de vapeur (GV) Dans un réacteur nucléaire, échangeur permettant le transfert de la chaleur d’un fluide caloporteur primaire à l’eau du circuit secondaire de refroidissement, et la transformant en vapeur qui entraîne le groupe turbo alternateur. 103 Grappe de commande ou de contrôle
Voir Barre de commande.
144
Gray Unité de dose radioactive absorbée, correspondant à l’absorption d’une énergie d’un joule par kilo de matière. 33
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Isogénérateur/Isogénération Qui produit autant de combustible fissile qu’il n’en consomme (voir Surgénérateur). 78 Isotope Formes différentes d’atomes du même élément. Ils ont le même nombre de protons dans leur noyau, mais un nombre différent de neutrons (de même numéro atomique, mais de masses atomiques différentes). L’uranium 238 et l’uranium 235 sont des isotopes de l’uranium. Les isotopes peuvent être stables (ne pas se désintégrer spontanément) ou instables (se désintégrer spontanément en émettant un rayonnement ionisant). 7, 46 Isotopes fissiles
55
MeV Méga électron-volt. Cette unité d’énergie est généralement utilisée pour exprimer l’énergie dégagée par les réactions nucléaires. 1 MeV correspond à 18 1,6 10−13 Joule. Modérateur Matériau formé de noyaux légers qui ralentissent les neutrons par collisions élastiques. Les modérateurs sont utilisés pour réduire l’énergie des neutrons émis par les atomes d’uranium lors de la fission, afin d’augmenter leur probabilité de provoquer d’autres fissions. Le matériau modérateur doit être peu capturant afin de ne pas « gaspiller » les neutrons et être suffisamment dense pour assurer une modération efficace. 53, 105 MOX Combustible nucléaire à base d’un mélange d’oxydes d’uranium (naturel ou appauvri) et de plutonium. L’utilisation de combustible MOX permet le recyclage du plutonium. 144 Neutron Particule fondamentale électriquement neutre, de masse 1,675 10−27 kg. La nature de ce nucléon a été découverte en 1932 par le physicien britannique James Chadwick. Les neutrons constituent, avec les protons, les noyaux des atomes et provoquent les réactions de fission des noyaux fissiles dont l’énergie est utilisée dans les réacteurs nucléaires. 3 Neutrons rapides Neutrons libérés lors de la fission, se déplaçant à très grande vitesse (20 000 km/s). Leur énergie est de l’ordre de 2 millions d’électronvolts. 65, 66, 225
264
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Neutrons retardés Neutrons émis par les fragments de fission avec un retard de quelques secondes en moyenne après la fission. Bien que représentant moins de 1 % des neutrons émis, ce sont eux qui, par ce décalage dans le temps, permettent in fine le pilotage des réacteurs. Voir aussi « Bêta effectif ». 175 Neutrons thermiques Également appelés neutrons lents, neutrons en équilibre thermique avec la matière dans laquelle ils se déplacent. Dans les réacteurs nucléaires à eau, les neutrons thermiques vont à une vitesse de l’ordre de 2 à 3 km/s et leur énergie est de l’ordre d’une fraction d’électronvolt. 65 Noyau Cœur de l’atome dans lequel sont concentrées la majeure partie de sa masse et toute sa charge positive. Mis à part l’hydrogène, il est constitué de protons et de neutrons. 3 Nucléide Espèce nucléaire caractérisée par son nombre de protons Z, son nombre de neutrons N et par son nombre de masse A, égal à la somme du nombre de protons et du nombre de neutrons (A = Z + N ) ; radionucléide : isotope radioactif, appelé aussi parfois radio-isotope. 169 Période radioactive Durée pendant laquelle les atomes d’un radionucléide quelconque se désintègrent pour atteindre la moitié de l’intensité du rayonnement émis à l’origine. La période constitue une propriété caractéristique de chaque isotope radioactif. 13, 130 Photon
Particule élémentaire de masse nulle, représentant un quantum de lumière. 3
Plutonium Élément formé par capture de neutrons par l’uranium dans le cœur des réacteurs nucléaires. Les isotopes impairs du plutonium sont fissiles, ce qui fait du plutonium une matière nucléaire valorisable, par exemple sous forme de combustible MOX. 125 Poisons consommables
73
Poisons (neutroniques) Éléments dotés d’un pouvoir élevé de capture des neutrons utilisés pour compenser, du moins en partie, l’excédent de réactivité des milieux fissiles. Quatre éléments naturels sont particulièrement neutrophages : le bore (grâce à son isotope 10 B), le cadmium, le hafnium et le gadolinium (grâce à ses
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isotopes 155 Gd et 157 Gd). Certains sont dits « consommables » car ils disparaissent progressivement au cours de la combustion en réacteur. Beaucoup de produits de fission sont des poisons neutroniques. 63 Produits de fission Nucléides générés soit directement par la fission nucléaire, soit indirectement par la désintégration des fragments de la fission. 47, 54 Prolifération Dissémination incontrôlée des technologies nucléaires militaires, ou des matières utilisées par ces technologies. 239 Proton Une des particules fondamentales qui constituent un atome. Le proton se trouve dans le noyau et possède une charge électrique positive équivalente à la charge négative d’un électron et une masse semblable à celle d’un neutron. 3 Puissance résiduelle Puissance thermique développée par un réacteur nucléaire à l’arrêt, provenant essentiellement de l’activité des produits de fission. 103 Radioactivité (radioactif) Propriété que possèdent certains éléments naturels ou artificiels dont le noyau est instable d’émettre spontanément des particules α, β ou un rayonnement γ. Est plus généralement désignée sous ce terme l’émission de rayonnements accompagnant la désintégration d’un élément instable ou la fission. 3 Radiolyse Dissociation de molécules par des rayonnements ionisants.
30
Radionucléide Nucléide instable d’un élément qui décroît ou se désintègre spontanément en émettant un rayonnement. 24 Radioprotection Ensemble des mesures destinées à réaliser la protection sanitaire de la population et des travailleurs contre les effets des rayonnements ionisants. 39 Radiotoxicité potentielle (d’une certaine quantité de radionucléides, par exemple dans des déchets) La radiotoxicité potentielle, définie comme étant le produit de l’inventaire en radionucléides par le facteur de dose « ingestion » desdits radionucléides, est un indicateur du pouvoir de nocivité de cette quantité de radionucléides en situation accidentelle. 169
266
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Réacteur à eau bouillante (REB) Réacteur dans lequel l’ébullition de l’eau se fait directement dans le cœur. 67, 69 Réacteurs à eau légère (REL) Famille de réacteurs regroupant les réacteurs à eau sous pression et les réacteurs à eau bouillante. 215, 243 Réacteur à eau lourde Réacteur nucléaire dont le modérateur et, habituellement, le caloporteur, sont de l’eau lourde. 76 Réacteur à eau sous pression (REP) Réacteur dans lequel la chaleur est transférée du cœur à l’échangeur de chaleur par de l’eau maintenue sous une pression élevée dans le circuit primaire afin d’éviter son ébullition. 67, 69 Réacteur à neutrons rapides (RNR) Réacteur sans modérateur dans lequel la majorité des fissions sont générées par des neutrons présentant des énergies du même ordre de grandeur que celle qu’ils possèdent lors de leur production par fission. 58, 80 Réaction en chaîne Suite de fissions nucléaires au cours desquelles les neutrons libérés provoquent de nouvelles fissions, à leur tour génératrices de nouveaux neutrons provoquant de nouvelles fissions et ainsi de suite. 56, 87 Réactivité Quantité sans dimension permettant d’évaluer les petites variations du facteur de multiplication k autour de la valeur critique et définie par la formule ρ = (k − 1)/k. Sa valeur étant très petite, elle est généralement exprimée en cent millièmes, en prenant pour unité le pcm (pour cent mille). Dans un réacteur, la réactivité est nulle lorsqu’il est critique, positive s’il est surcritique et négative s’il est sous-critique. 60, 89 Recyclage Réutilisation en réacteur de matières nucléaires issues du traitement du combustible usé. 228 Section efficace Mesure de la probabilité d’interaction d’une particule avec un noyau-cible, exprimée en barns (1 barn = 10−24 cm2 ). Dans le cas du neutron, par exemple, elle définit sa probabilité d’interaction avec les noyaux de la matière des différents constituants du cœur. La section efficace mesure la probabilité d’occurrence d’une réaction donnée entre des particules incidentes (par exemple des
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neutrons) et une cible (par exemple des noyaux d’uranium). Pour les réacteurs nucléaires, on distingue principalement les réactions induites par les neutrons : fission, capture, et diffusion élastique. 225 Sievert (Sv) Unité utilisée pour mesurer les doses de rayonnement reçues par le corps humain. 29 Stockage (de déchets radioactifs) Opération consistant à placer ces substances dans une installation spécialement aménagée pour les conserver de façon potentiellement définitive. Ce terme désigne aussi l’installation dans laquelle les déchets sont placés, sans projet de reprise ultérieure. La reprise serait néanmoins possible dans le cas d’un stockage réversible (voir aussi Entreposage). Le stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs est le stockage de ces substances dans une installation souterraine spécialement aménagée à cet effet. 181 Stockage direct Le stockage direct consiste à envoyer en stockage le combustible usé, sans passer par les étapes de traitement et de recyclage. 189 Surcritique Un système est qualifié de surcritique lorsque le nombre de neutrons émis par fission est plus grand que le nombre de neutrons disparaissant par absorption et par fuite. Dans ce cas, le nombre de fissions observé pendant des intervalles de temps successifs croît. 106 Sur(ré)générateur/sur(ré)génération Qui produit plus de combustible fissile qu’il n’en consomme. Les nouveaux noyaux fissiles sont créés par la capture de neutrons de fission par des noyaux fertiles (non fissiles sous l’action de neutrons thermiques) après un certain nombre de désintégrations radioactives. 77, 226 Taux de combustion Au sens propre, il correspond au pourcentage d’atomes lourds (uranium et plutonium) ayant subi la fission pendant une période donnée. Couramment utilisé pour évaluer la quantité d’énergie thermique par unité de masse de matière fissile obtenue en réacteur entre le chargement et le déchargement du combustible, il s’exprime en mégawatts · jour par tonne (MW · j/t). Le taux de combustion de rejet est le taux auquel l’assemblage combustible, après plusieurs cycles d’irradiation, doit être définitivement déchargé. 147 Traitement (du combustible usé) Opération consistant à séparer dans le combustible usé les matières valorisables du reste, qui est alors considéré comme un déchet et reçoit un conditionnement approprié. 152
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Transmutation Transformation d’un nucléide en un autre par une réaction nucléaire. La transmutation envisagée pour la gestion des déchets radioactifs vise à transformer un nucléide à période longue en un nucléide à période plus courte ou en un nucléide stable. 171 Transuraniens Tous les éléments dont le numéro atomique est supérieur à celui de l’uranium. Ces noyaux lourds sont produits dans les réacteurs nucléaires par capture neutronique. Ils se répartissent en sept familles d’isotopes : uranium, neptunium, plutonium, américium, curium, berkélium et californium. 169
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