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French Pages 252 Year 1979
Au Docteur de Justice, le Sage de Qumrân, à qui je dois ce livre, en témoignage d'admiration et de reconnaissance.
Nihil obstat Paris, le 8 octobre 1979 Cl. Chopin.
Imprimatur Paris, le 8 octobre 1979 P. Faynel.
TABLE DES MATIÈRES (que les Allemands et les Anglais aiment trouver au début des ouvrages, comme un menu, et que les Français placent à la fin ).
Préface ..........................................................................................................
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Déclarations préliminaires
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Première partie : Royauté, Règne et Royaume de Dieu ... Chap. I : Sens des Mots ................................................................ A) Dans l’Ancien T estam e n t......................................................... B) A Qumrân .................................................................................. C) Dans la M ish n â h ........................................................................ D) Dans l’Evangile de M a tth ie u ................................................... Chap. II : Dans l’Evangile de M a r c .............................................. Chap. III ; Dans la Source Commune à M atthieu et à L u c ___ Chap. IV : Les Textes propres à M atthieu ................................... Chap. V : Les Textes propres à L u c .............................................. Chap. VI : Dans l ’Evangile de J e a n ................................................ Chap. VII : Dans les Actes des A p ô tre s .......................................... Chap. VIII : Dans les Epîtres de S. Paul .......................................... Chap. IX : Les Epîtres non PauUniennes ...................................... Chap. X : Dans l’Apocalypse ........................................................ Chap. XI : Vue d ’ensemble .............................................................. Chap. XII : Royauté de Dieu et Royauté du C h r is t..................... Chap. XIII : Le Royaume de Dieu et l ’E g lise ................................. A) Caractéristiques du Royaume de D i e u .................................. B) Identification du Royaume de Dieu ...................................... C) Cette identification à travers les âges .................................... Chap. XIV ; Règne de Dieu et Justification ................................... A) Caractéristiques du Règne de D ie u ........................................ B) Réflexions sur ce Règne de D ie u ............................................. C) « Hors de l ’Eglise point de salut » ........................................ Conclusions de la Première Partie ........................................................
11 13 14 16 18 19 23 35 43 56 64 66 70 77 79 83 92 95 95 98 102 120 120 122 127 130
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TABLE DES MATIÈRES
Seconde partie : ... sans Eschatologie Chap. XV : Les méfaits de l’Eschatologie ................................... Chap. XVI : Form ation d ’une erreur ............................................ A) R eim aru s....................................................................................... B) S tra u s s ........................................................................................... C) Reuss ............................................................................................. D) Renan ........................................................................................... Chap. XVII : Succès d ’une e r re u r ........................................................ A) Johannes Weiss ........................................................................... B) Alfred L o is y ............................................................................... Chap. XVIII : Triomphe d ’une erreur :Albert Schweitzer ............ A) Le système de S chw eitzer.......................................................... B) Que penser du système deSchweitzer ..................................... C) Jugement par les contemporains de Schweitzer ................... D) Excuses en faveur de Schw eitzer.............................................. Chap. XIX : Logique d ’une erreur ; Rudolf Bultmann ................. Chap. XX : Retournement d ’une erreur : C.H. D o d d ................. Chap. XXI : Libération d ’une erreur : Karl B a rth ......................... Chap. XXII : Bilan d ’une e r r e u r .......................................................... A) Avantages ..................................................................................... B) Inconvénients ............................................................................... Chap. XXIII : Objections et Conclusions ............................................ Appendices ; I : Exemple d ’exégèse « scientifique » ....................................... II : Comment on suppose au point de départ ce qu ’il faudrait d ém o n tre r................................................................................... III : Exemple de blocage in co n scien t............................................ IV : Comment on sollicite inconsciemment les te x te s ............... V : Comment sont présentés les textes de Qumrân ................. VI : Déclarations de diverses Eglises sur les rapports entre le Royaume de Dieu et l’E glise..................................................
131 133 138 138 139 140 142 147 147 151 156 157 160 165 167 169 179 184 189 189 190 197 203 206 209 210 212 214
B ibliographie................................................................................................
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Table des Textes bibliques é tu d ié s..........................................................
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Table des Auteurs cités .............................................................................
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Table des Sujets effleurés...........................................................................
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PRÉFACE
Depuis plus d ’une vingtaine d ’années ce livre se forme en moi. Je ne puis pas le retenir plus longtemps. Il faut q u ’il naisse. Première étape. Vers 1955, dans un brouillon d ’article sur les manuscrits de Qumrân, j ’avais écrit spontanément : « ... le Royaume de Dieu, qui tient une telle place dans la pensée de Qumrân... ». J ’ai voulu étayer cette affirma tion par quelques références et j ’ai constaté, à mon grand étonnement, que jamais le Royaume de Dieu n ’y était mentionné. D ’où la question : « Sous quelle influence ai-je ainsi projeté sur les textes de Qumrân une théologie imaginaire ? » Deuxième étape. En poursuivant mes études sur les manuscrits de Qumrân, j ’ai été frappé par les déformations que certains auteurs imposaient aux textes au nom de l ’Eschatologie (tout comme j ’avais failli le faire moi-même au nom du Royaume de Dieu). Tel disait même : « L ’Eschatologie exige que...». Comment était-il possible de confondre une théorie avec une réalité et d ’attribuer même à cette pseudo-réalité une force contraignante ? Par réaction, j ’ai écrit : « L’Eschatologie dans la Bible et à Q um rân». Troisième étape. En travaillant le N otre Père, j ’ai été surpris des interpré tations imaginées pour « Que votre Règne arrive ». Divers auteurs confondaient le Règne de Dieu et le Royaume de Dieu, mélangeaient l’un avec l ’autre, se prononçaient en faveur de l’un ou de l ’autre en toute fantaisie. Ces hésitations m ’ont obligé à réfléchir sur ces termes, à mieux les préciser, quand j ’ai rédigé le chapitre VII de mes « Recherches sur le Notre Père ». Quatrième étape. Pour expliquer l ’engouement qui entoure la notion d'Eschatologie, je me suis risqué à étudier sa naissance, son évolution, sa prolifération. Et là je suis allé de stupeur en stupeur. Ce terme datait seulement de 1804 ; de 1850 à 1892 sa signification a été radicalement modifiée ; depuis lors chacun y projette ses conceptions personnelles, au point q u ’on pourrait lui trouver au moins deux cents définitions différentes. En fait, ce terme est un puissant facteur de confusion. J ’ai résumé mes découvertes dans «Les< Dangers de l ’Eschatologie». Cinquième étape. Lors des discussions qui ont suivi la conférence sur « Les Dangers de l’Eschatologie », certains contradicteurs, à ma grande surprise, ont mis en cause le Royaume de Dieu. Alors, mais alors seulement, j ’ai compris q u ’historiquement le problème de l ’Eschatologie était lié au problème du Règne et du Royaume de Dieu. C ’était enfin pour moi la lumière : la notion d ’Eschatologie s’était formée à cause d ’une altération de
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PRÉFACE
la notion du Royaume de Dieu. Il fallait tout reprendre à la base, assainir la théologie du Royaume de Dieu et ramener la notion d ’Eschatologie à la place q u ’elle n ’aurait jamais dû quitter. Ainsi ce livre était fait. Je n ’avais plus q u ’à le mettre par écrit. Il est dédié a u D o c t e u r d e J u s t ic e , car il est tout entier qumrânien. Bien que les références à Qum rân n ’y abondent pas, c ’est l ’étude de ces docu ments qui m ’a ouvert les yeux‘ sur le Nouveau Testament et, hélas, sur la théologie moderne. Jean
C a r m ig n a c .
(1) A Q um rân on d irait plu tô t « m ’a ouvert les oreilles » (Règle de la G u erre X , 11 ; H ym nes I, 21 ; V I, 4 ; X V III, 4), c a r il ne suffit pas de lire la Parole de D ieu, il fau t l ’écouter.
DÉCLARATIONS PRÉLIM INAIRES
1) J ’avoue très volontiers n ’avoir pas lu tous les travaux publiés sur le Royaume de Dieu et sur l ’Eschatologie. Parfois j ’avais l’excuse que ces travaux (même écrits en français, mais publiés en Suisse ou en Belgique) ne se trouvaient pas dans les principales bibliothèques de Paris. Pour qu’on puisse vérifier les limites de mon information, je n ’ai mentionné dans la bibliographie générale que les travaux réellement consultés. 2) J ’ai tellement perdu de temps à déchiffrer d ’agaçantes abréviations, que j ’ai pris la résolution de les proscrire radicalement, surtout le sinistre « s s » et l ’équivoque « c f» . Cependant j ’ai cru pouvoir maintenir p. pour « page», vol. pour « volume», et parfois M atth. pour « M atthieu». 3) Contrairement à l’usage français, mais conformément à l’usage allemand et anglais, je demande la permission d ’employer très libéralement les majuscules, pour manifester que certains termes ne sont pas à prendre dans un sens banal, mais q u ’ils sont riches de toute une théologie, qui les personnifie en quelque sorte. Ainsi je dirai « le royaume de David », mais « le Royaume de Dieu ». 4) Les futurs recenseurs de cet ouvrage me feraient plaisir s’ils avaient la gentillesse de préciser clairement dans leur recension s’ils ont eu la patience et le courage de le lire vraiment d ’un bout à l’autre. Je les en remercie par avance.
PREMIÈRE PARTIE
Royauté, Règne et Royaume de Dieu.
CHAPITRE I
Sens des Mots La langue française possède trois substantifs dérivés du mot « roi » : ce sont « royauté », « règne » et « royaume ». « Royauté » désigne la dignité du roi ; c’est un terme abstrait qui exprime l’ensemble de ce qui constitue un roi, qui le distingue de toute autre personne. «R èg n e» désigne l’exercice du pouvoir royal, en incluant volontiers un aspect temporel. « Royaume » désigne les territoires ou les personnes sur lesquels le roi exerce son autorité, et donc ce terme évoque souvent une connotation spatiale. Ainsi pour nous la royauté est un droit ou un pouvoir purement subjectifs ; quand elle se réalise effectivement elle constitue le règne ; alors elle agit sur des pays ou des sujets qui forment le royaume. La royauté est subjective, le royaume est objectif et le règne est le passage du subjectif à l ’objectif. Toutes les langues ne sont pas aussi précises que le français et elles n ’aident pas toujours à bien préciser et à bien formuler ces notions. Le grec n ’a q u ’un seul terme «basileia», pour les exprimer toutes les trois et donc il risque de provoquer des confusions entre l’une et l ’autre. De même le latin, qui n ’a que «regnum ». L ’allemand et l ’anglais emploient surtout « Reich » et « kingdom », qui signifient surtout « royaume », bien q u ’ils puissent à l ’occasion recourir à « Kônigswürde » et « Kônigsherrschaft » ou bien à « kingship » et « reign ». A cause de cette situation linguistique, les auteurs qui parlent grec ou latin (donc presque tous les Pères de l ’Eglise) ont tendance à confondre ces trois notions, et ceux qui parlent allemand ou anglais (donc beaucoup de théologiens modernes) ont plutôt tendance à les absorber dans la notion de « royaume », en étouffant plus ou moins la « royauté » et le « règne » ’. 1. D ’ailleurs, m êm e chez les exégètes allem ands o u anglais, plusieurs ont reconnu explicitem ent les déficiences de la form ule habituelle. E n 1927, J. W a r s c h a u e r écrivait : « W hat we tran slate « the K ingdom o f G o d » m eans thus. ra th e r H is « kingschip », His « reign », ra th e r th an H is « rcalm » » (citation p a r K .L. S c h m id t, article B asileia, p. 580, n o te 68). E t plus récem m ent R. S c h n a c k e n b u r o intitu lait son étude « G o ttes H errschaft u n d R eich » ( = R ègne et R oyaum e de D ieu) et la teniiinait p a r une « note su r la fixation d u langage théologique » (p. 293-296). D e m êm e W . D anthm e, citant J. H e c k e l « Im Irrgarten d e r Z w ei-Reiche-Lehre » p. 6-7, reconnaît (p. 200) q u ’il faudrait distinguer entre « K ônigs w ürde », « K ônigsregim ent » et « K ônigsvolk ». Les Français, qui pourraient facilem ent distinguer ces trois sens, ne le font pas toujours, ainsi L oisy (Livres du N .T . traduits...) emploie presque partout « royaume » et B o n sirv e n ad o p te presque invariablement « règne ».
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SENS DES MOTS
L ’araméen biblique, comme le grec et « m alk o u » ou « m alk o u t» . Mais l ’hébreu, termes, comme le français : « meloukâh », Une étude théologique doit commencer par
le latin, n ’utilise en fait que lui, emploie couramment trois « m alkout » et « m amiâkâh ». préciser leur sens exact^.
A) Dans l’Ancien Testament 1) Meloukâh. Grammaticalement, c’est un dérivé normal, de type « qatoul », mais avec une finale féminine qui en souligne le caractère abstrait, tout comme « em o u n âh» ( = fidélité), « g ebourâh» ( = force), « y esh o u 'âh » ( = s a l u t ) P a r lui-même ce terme correspond tout à fait à «roy au té» , « Kônigswürde » ou « kingship ». En fait il a p p a ra t 24 fois dans l’Ancien Testament, surtout dans les livres de Samuel et des Rois (comme il est naturel), mais aussi en Isaïe (34,12 et 62,3), Ezéchiel (16,13 et 17,13), Abdias 1,21 ( = Psaume 22,29) ; on ne le trouve q u ’une seule fois dans les Chroniques (1®' livre 10,14) et en Daniel (1,3) car ces ouvrages préfèrent « m alkout». Sept cas doivent être éliminés, car alors ce substantif est employé avec une valeur adjectivale, selon une tournure hébraïque courante : ville royale (2 Samuel 12,26), trône royal (1 Rois 1,46), tiare royale (Isaïe 62,3) et race royale (2 Rois 25,25 ; Jérémie 41,1 ; Ezéchiel 17,13 ; Daniel 1,3). Sur les 17 autres cas on rencontre 1 fois le sens de « royaume »^, 4 fois celui de « règne » ’ et 2 fois on peut hésiter entre la « royauté » subjective et l’exercice de cette royauté, c ’est-à-dire le « règne»* ; dans les 10 autres cas le sens de « ro y a u té » est confirmé par le contexte’ , surtout en 1 Rois 2,15, où il s’agit de Salomon, qui n ’a pas encore commencé son règne, et d ’Adonias, qui ne régnera jamais, et en Ezéchiel 16,13, où il s’agit de la « ro y a u té » esthétique d ’une reine de beauté. 2) Malkout. L’afformante « out » est en hébreu caractéristique des noms abstraits, comme dans « jeunesse », « servitude », « orgueil » (voir J o ü o n , p. 211). Ce terme, que nous retrouverons en araméen, est surtout employé dans les ouvrages les plus récents de l’Ancien Testament : 1 fois en Qohélét, 25 fois en Esther, 6 fois en Esdras, 2 fois en Néhémie, 28 fois dans les Chroniques et 14 fois en Daniel ; mais on le trouve aussi en Nombres 24,7 ; 1 Samuel 20,31 ; 1 Rois 2,12 ; Jérémie 10,7 ; 49,34 ; 52,31 et dans les Psaumes (qui sont peut-être récents, eux aussi) 45,7 ; 103,19 ; 145,11.12.13 (deux fois).
2. U ne telle étude philologique, littéraire et théologique a déjà été présentée par plusieurs auteurs, com m e D a l m a n (p. 75-119), D ie c k m a n n (p. 23-60), K i;h n (p. 563-573), K.L. S c h m id t (Basileia..., p. 573-592), B o n s ir v e n (p. 11-25), S c h n a c k e n b u r g (p. 11-62), C o p p e n s (p. 87)... S. A a l e n proteste contre ceux qui voudraient élitniner la notion de Royaume et ne g a rd e r qu8 celle de Règne (p. 215-232). 3. Voir la G ram m aire de l ’Hébreu Biblique de P. JoüoN, p. 196-197. 4. En I Rois 12,21, et alors le texte parallèle de II Chroniques 11,1 remplace « meloukâh » par « mam iâkâh ». 5. I Rois 21,7 ; I Chroniques 10,14 et sans doute Abdias 1,21 = Psaume 22,29. 6. I Samuel 14,47; I Rois 11,35 (en opposition avec mamiâkâh au verset précédent). 7. I Samuel 10,16; 10,25; 11,14; 18,8; II Samuel 16,8; I Rois 2,15 (2 fois); 2,22; Isaïe 34,12; Ezechiel 16,13.
DANS l ’a n c ie n TESTAMENT
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Bien entendu, ce substantif peut, lui aussi, avoir une valeur adjectivale et signifier simplement « ro y al» . Ainsi Psaumes 4 5,7; Esther 1,2.9.11.19; 2,16.17 ; 5,1 (trois fois, la première en suppléant le mot « vêtem ents», comme font la Septante et la Peshitto) ; 6,8 ; 8,15 ; 1 Chroniques 22,10 ; 28,5 ; 2 Chroniques 1,18 ; 2,11 ; 7,18. En tenant compte de Ben Sira®, on totalise 90 emplois de ce terme dans l’Ancien Testament. Dès lors on remarque que c’est toujours (sauf en Jérémie 27,1 ; 28,1) ce terme qui est employé pour les dates : « sous le règne de... »® ; de même il apparaît normalement quand on parle de la gloire d ’un r è g n e o u quand on évoque une durée Mais on trouve aussi quelques cas où le sens est nettement celui de la « royauté on constate surtout que malkout prend assez souvent le sens de « royaume », d ’abord en Daniel 8,22, le seul endroit où ce terme soit employé au pluriel (« les 4 royaum es»), puis lorsque l ’on précise « le royaume des Chaldéens... des Perses..., etc. ou «les provinces du royaume»*'^, ou lorsqu’on introduit une notion spatiale « dans tout le royaume » ‘ ; en particulier ce sens est manifesté dans la formule « la moitié de mon royaume ® (qui se retrouvera en Marc 6,23). Comme nous le verrons ci-dessous, cette évolution du sens provient d ’une influence araméenne. Malgré cela la signification de « règne » reste assez fréquente pour q u ’on y reconnaisse le sens normal de malkout. 3) Mamlâkâh. La performante « m » est en hébreu caractéristique des noms de lieu (voir J o ü o n , p . 203) et donc ce terme indique par lui-même le lieu sur lequel règne un roi, donc son « royaume ». Comme il y a sur terre de nombreux royaumes, ce terme a souvent l ’occasion d ’être au pluriel (58 fois), alors que « meloukâh » ne l’est jamais et que « m alkout» ne l’est q u ’une fois (Daniel 8,22). Soit au singulier (67 fois, plus 3 fois en Ben Sira) soit au pluriel, ce terme est réparti dans presque tous les livres de l’Ancien Testament, sauf Esther, Esdras-Néhémie et Daniel, qui abusent de malkout. Sans parler des emplois à valeur adjectivale^^, le sens de « royaum e» est très fréquent, même au singulier, bien q u ’on relève quelques endroits où le contexte suggère plutôt « royauté » ‘ ®ou « règne » ‘
8. G râce à la Concordance de B a r t h é l é m y - R i c k e n b a c h e r . 9. Jérémie 49,34; 52,31 (le passage parallèle, II Rois 25,27, emploie l’infinitif du verbe mâlak, « régner ») Esther 2,16 ; Daniel 1,1 ; 2,1 ; Esdras 4,5 ; 4,6 (2 fois) ; 7,1 ; 8,1 ; Néhémie 12,22; I Chroniques 26,31 ; II Chroniques 3,2; 15,10; 15,19; 16,1 ; 16,12; 35,19. 10. N ombres 24,7; Psaumes 145,11.12; Esther 1,4; I Chroniques 29,25; Daniel 11,21. 11. Psaumes 145,13 (2 fois); I Chroniques 11,10; 29,30; II Chroniques 20,30; 33,13 26,20 ; Néhémie 9,35 ; Daniel 8,23. 12. Esther 1,19 (fin du verset); 4,14; Qohélet 4,14; I Chroniques 12,24. 13. Daniel 9,1; 10,13; 11,2; 11,9; II Chroniques 11,17. 14. Esther 2,3 ; 3,8 ; 9,30. 15. Esther 1,20; 3,6; Daniel 1,20; 11,17; Esdras 1,1; I Chroniques 17,14; II C hro niques 36,22. 16. Esther 5,3 ; 5,6 ; 7,2. 17. Deutéronome 17,18; 1 Samuel 27.5; II Samuel 7,13; I Rois 9,5; II Rois 11,1 ; Amos 7,13 ; Il C h roniques22,10; 23,20; Ben Sira 47,11. 18. Isaïe 17,3 ; Michée 4,8 (2 fois); Ben Sira 46.13. 19. I Samuel 13,13 et 14 ; 28,17 ; Il Samuel 3,10 ; 5,12 ; I Rois 2,46 ; II Rois 14,5 ; 15,19 ; I Chroniques 29,11 ; U Chroniques 13,5; 13,8; 17,5; 21.3; 22,9 ; 25,3 ; Ben Sira 10,8.
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SENS DES MOTS
4) Résumons cette enquête ; a) Quand le sens reste purement adjectival, on peut employer indifféremment comme complément d ’un autre nom, soit « meloukâh », soit « malkout », soit « mamlâkâh ». b) La notion de « royauté » est plutôt exprimée par « meloukâh ». c) La notion de « règne », avec connota tion temporelle, est généralement rendue par « malkout ». d) La notion de « royaume », avec connotation spatiale, correspond très souvent à « m am lâkâh». e) Mais à partir d ’Esther et des Chroniques une forte influence araméenne tend à exprimer les trois notions indistinctement par « malkout ». 5) Araméen. Plus pauvre que l ’hébreu, sur ce point, l ’araméen biblique ne possède que « malkou » et « malkout », qui ont pratiquement le même sens, pour désigner à la fois la « royauté », le « règne » et le « royaume ». « Malkou », employé 8 fois par Daniel, a 1 fois une simple valeur adjec tivale (4,27 = maison royale) 1 fois le sens de « ro y a u té » (7,14) et 6 fois celui de « royaum e»^”. « M alkout » est employé 4 fois par Esdras et 45 fois par Daniel. Le sens de « ro y a u té » est 15 fois assez clair^^ ; le sens de «règ n e» est aussi employé 14 fois^^, dont 4 fois pour dater un événement sous le « règne» de tel ou tel roi^^ ; ailleurs (18 fois) s’impose le sens de « royaume»^"^, en particulier 3 fois où est employé le pluriel^ En outre dans 2 cas ce terme figure comme complément d ’un nom avec une simple valeur adjectivale^®. En somme l’araméen « m alkou» ou « m alkout» regroupe dans l’Ancien Testament à peu près à égalité les trois sens de « royauté », « règne » et « royaume ». B) A Qurarân Les gens de Qumrân, qui vivaient dans un régime à la fois théocratique et démocratique, avaient peu l’occasion de parler de « ro y au té» , de «règ n e» ou de « royaume ». Mais ces trois termes existent pourtant chez eux. 1) Meloukâh. Ce terme est employé par la Règle de la Guerre VI, 6^’, dans une citation d ’Abdias 1,21 ( = Psaume 22,29) où il signifie bien « règne», puisqu’il s’agit des prouesses que Dieu réalisera par « les saints de son peuple ». Dans le même ouvrage la même citation était reprise en X II,16 et XIX,8, malheureusement le mot « meloukâh » est disparu dans une lacune, en totalité la première fois et en partie la seconde fois ; alors on peut se demander si
20. Daniel 2,39 (2 fois).40.41.44 ; 7,23. 21. Daniel 2,37.44 ; 4,14.22.28.29 ; 5,18.21 ; 6,1.27 ; 7,14.18 (2 fois).22.27. 22. Esdras 7,23 ; Daniel 3,33 (2 fois) ; 4,23.31.33 (2 fois) ; 5.26 ; 7,27 (2 fois). 23. Esdras 4,24 ; 6,15 ; Daniel 6,29 (2 fois). 24. Esdras 7,13; Daniel 2,42; 4,15; 5,7.11.16.26.28.29; 6,2 (2 fois).4.5.8 ; 7,24. 25. Daniel 2,44 ; 7,23.27. 26. Daniel 4.26 ; 5,20. 27. Que les spécialistes de Q um rân veuillent bien rae pardonner de ne pas désigner les ouvrages qumràniens par leurs sigles techniques; ce n ’est pas que j'ignore ces sigles,c ’est que je crains q u ’il existe encore sur terre des non-spccialistes de Qumrân.
A QUMRÂN
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l ’auteur qumrânien lui donnait le sens de « royauté » ou celui de « règne », car il distingue la «m eloukâh» de Dieu et la « m alk o u t» d ’IsraëP*. On retrouve «m eloukâh» en 1 Q 25 ( = 1“ grotte de Qumrân, document n° 25) fragment 5, ligne 6, mais l'absence de tout contexte empêche d ’en préciser le sens. 2) Malkout. C ’est de beaucoup le terme le plus employé : 13 fois^®. Les déchirures des manuscrits nous privent deux fois du contexte et ne nous permettent pas de déterminer la signification exacte : dans les Hymnes, fragment 11, ligne 5 et en IV Q 172 (4' grotte de Qumrân, document n “ 172), fragment 3, ligne 2. Deux autres fois le sens est purement adjectival ; Recueil des Bénédictions, col. IV, ligne 26 : « palais royal » ; Rouleau du Temple, LIX, 17 : « trône royal». Une fois le sens de « royauté » est plus naturel : Règle de la Guerre XII,7. On peut hésiter entre « royauté » et « règne » dans le Recueil des Bénédictions 111,5 et V,21, dans les Bénédictions Patriarcales 1, 2 et 4, et dans la Règle des Chants pour l ’Holocauste du Sabbat, document A, ligne 25. Mais le sens est clairement celui de « règ n e» dans la Règle de la Guerre XIX,8 (à côté de meloukâh) et dans le Péshér de Nahun IV,3^°. Une fois seulement malkoût est pris au sens de « royaume » : Rouleau du Temple LIX,21 : « Il prolongera des jours nombreux sur son royaume, lui et ses fils après lui », car l’emploi de la préposition « sur » exclut le sens de « règne ». 3) Mamlâkâh. Ce terme apparaît 5 fois à Qumrân. Une fois la perte du contexte rend la signification imprécise ; VI Q 9 ( = 6 ' grotte de Qumrân, document n° 9), fragment 57, ligne 1. Une fois le sens est adjectival : Rouleau du Temple LVI,20 : « son trône royal » ^ ‘. Deux fois ce terme est au pluriel, ce qui n ’est guère possible q u ’au sens de «royaum e» : Hymnes VI,7 « la clameur des royaumes» et IV Q 176 ( = 4 ' grotte de Qumrân, document n" 176), fragments 1-2, col. I, ligne 2 ; « plaide avec les royaumes». La 5 ' fois mamlâkâh, au singulier, se trouve après une lacune, mais la suite postule aussi le sens de « royaum e» ; IV Q 160 ( = 4 ' grotte de Qumrân, document n° 160), fragments 3-4, col. II, ligne 5 : « ... royaume et tous les peuples de tes territoires sauront (ou : ont su)... ». 4. Araméen. M alkout se présente 6 fois dans les textes araméens de Qumrân. Un fragment sans contexte emploie ce terme deux fois de suite ; Testa ment de Lévi, I Q 21 (1 " grotte de Qumrân, document n° 21), fragment 1, ligne 2 : « la royauté (ou : le règne, ou : le royaume) du grand sacerdoce
28. En X n ,]6 le règne étemel d ’Israël est désigné par l'infinitif « melôk », mais en X IX ,8 on a clairement le substantif « malkout ». 29. Bien entendu, on ne tient pas compte ici de la Règle de la Guerre X II, 15 et X IX,7 ni de I Q 33, fragment 2, ligne 2, car alors les consonnes m l k \v t doivent être vocalisées « melâkôt » : « les reines ». 30. Je me suis donc trompé en traduisant par « sa royauté » dans les textes de Q umrân, vol. II, p. 92. J ’aurais dû traduire par « son règne ». 31. Ainsi le même document, pour dire « trône royal » emploie une fois « malkout » (en L IX ,17) et une fois « mamlâkâh » (en LVI.20).
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SENS DES MOTS
(ou la grande royauté du sacerdoce) hors de (ou : plus que) la royauté (ou : le règne, ou : le royaume)... ». Une fois le sens n ’est q u ’adjectival : IV Q ( = 4 * grotte de Qumrân), Hénoch, livre des Géants, manuscrit g, fragment 4, ligne 18 : « le temple royal Une autre fois le sens de « règne » paraît le plus probable ; IV Q Hénoch, livre des Géants, manuscrit a, fragment 9, ligne 6 ; « le règne de ta grandeur Deux fois enfin le sens de « royaum e» est imposé par un contexte où il s’agit de quatre « royaumes » : PseudoDaniel^^, manuscrit a, fragment D, lignes 3 et 4 ; « ... puissants et le royaume des peu [pies...] », «ceci est le pre[mier] royaum e». C) Dans la Mishnâh La Mishnâh, compilée aux environs de l’année 200 de l ’ère chrétienne par Rabbi Y e h o u d â h h a n - N â s î , reproduit une foule d ’antiques traditions, qui peuvent remonter jusqu’à Jésus, ou même plus haut. Elle est donc un bon témoin pour apprécier l ’état du judaïsme officiel tout au début de l’ère chrétienne. Elle n ’emploie jam ais meloukâh ni mamlâkâh et elle se contente de malkout, qui est employé 17 fois^*, dont 2 fois dans la formule malkout shâmayîm. En 3 occasions le sens est nettement celui de royauté car on met en parallèle la loi, le sacerdoce et la royauté (Abôt IV, 13 et VI,6 (2 fois)). Quatre fois (Gittîn V III,5 (3 fois) et Sanhédrin VII,3) le sens de « royaume » a évolué jusqu’à signifier « le pays où l ’on se trouve », n ’importe quelle région ou contrée dont on adopte les us et coutumes ; c ’est sans doute aussi le sens d ’Abôt 111,2, où l ’on demande de prier pour la prospérité du « royaume » ou du « pays ». Les 9 autres fois supposent plutôt la notion de « règne » : Berâkôt 11,2 ; Rabbi Y e h ô s h u a ' be n Q o r h a h (vers 150 après J.-C.) parle de « recevoir sur soi le joug du Règne des Cieux ( = de D ieu)» ; Berâkôt 11,5 : Rabban G a m a l ie l , celui qui intervint en faveur des Apôtres (Actes 5,34) et qui eut parmi ses disciples le futur Saint Paul (Actes 22,3), proteste q u ’il ne voudrait pas abolir même «p endant une heure le Règne des Cieux ( = de D ieu)» ; Yômâ 111,8 ; IV, 1 et 2 ; VI,2 répète 4 fois cette formule de la liturgie de la fête des Expiations (donc antérieure à 70 après J.-C.) « béni soit le nom glo rieux de son Règne ( = de Dieu) pour toujours et toujours» ; Sanhédrin X,2 mentionne à deux reprises le cas du roi Manassé, déporté à Babylone puis renvoyé à Jérusalem pour reprendre « son règne » ; Abôt VI,6 ; le règne (ou la royauté ?) s’acquiert par 30 qualifications. Sans qu’il soit besoin de faire une plus longue enquête dans la littérature juive postérieure^*, ces textes, qui sont écrits en hébreu et non pas en araméen.
32. p . 266 dans l ’édition de J,T. M iu K . 33. P. 316 dans l’édition de J.T. M ilik . 34. Edité par J.T. M i l i k : Prière de Nabonide, p. 413. 35. Sans parler de 5 cas où c ’est le nom de l’une des 10 bénédictions. 36. On en trouvera un résumé dans D a lm a n p. 75-83, dans S t r a c k - B i l l e r b e c k , vol. I, p. 172-180 ou dans B o n s [r v e n p. 19-25.
DANS l ’Év a n g il e d e Ma t t h ie u
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nous m ontrent à l ’évidence que malkout, en éliminant meloukâh et mamlâkâh, en a pris la signification et q u ’il peut signifier, selon le contexte, « royauté », « règne » ou « royaume ». On rem arquera surtout la formule m alkout shâmayîm, employée deux fois, dont l’une par un contemporain de Jésus^^, au sens de « Règne des Cieux», pour désigner une réalité déjà présente^®. C ’est la même formule que nous retrouverons 33 fois dans l’Evangile de St. Matthieu.
D) Dans l’Evangile de Matthieu
Commençons par dissiper une confusion. Lorsque nous rencontrons la formule « Royaume des Cieux », nous comprenons spontanément « Royaume qui est aux Cieux, qui est réalisé dans les Cieux ». Mais c’est là une erreur, provoquée par une traduction trop servile, comme le reconnaissent bien des auteurs, par exemple T. F ilthaut, p. 14-15. Pour un palestinien du temps de Jésus « Royaume des Cieux » signifie en réalité « Royaume de Dieu ». Car c’est un fait bien connu que les Juifs, depuis plusieurs siècles avant l ’ère chré tienne, évitaient le plus possible de prononcer le nom de Dieu et le remplaçaient par divers équivalents, dont le mot « Cieux » (qui n’est jamais employé au singulier, ni en hébreu ni en araméen). Cette substitution apparaît déjà en Daniel 4,23 : « tu sauras que le maître est les Cieux (= Dieu)», et la traduction grecque de la Septante remplace « Dieu» par « le Ciel» en Isaïe 14,13^® et en Job 22,26. Dans les livres des Maccabées cette substitution est manifeste une dou zaine de fois : dans le premier livre (qui a été rédigé en hébreu) 3,18 : « il n ’y a pas de différence devant le Ciel (= Dieu) de sauver en beaucoup ou en peu » ; 3,19 : « (la victoire est obtenue par) la force qui vient du Ciel (= de Dieu), ainsi il (= Dieu) agira» ; de même en 4,10.24.55 ; 12,15 ; 16,3 ; dans le second livre (qui a été rédigé en grec) 3,15.34 ; 7,11 ; 8,20 ; 9,4. Dans l’Evangile, on relève la formule de Luc 15,18 et 21 « j ’ai péché envers le Ciel ( = Dieu) et envers toi ». Bien d ’autres exemples apparaissent dans la Mishnâh, qui sont énumérés par E. Schürer, par E. L andau et par G. D alman (p. 178-180). En particulier l’expression malkout shâmayîm“° « Royaume des Cieux», ou son équivalent araméen malkoutâ’ dishemayyâ’, est longuement étudiée par D alman (p. 75-119) et par Strack-Billerbeck (vol. I, p. 172-184) et ils concluent qu’elle signifie purement et simplement « Royaume de Dieu».
37. A partir de 100 après J.-C., on a commencé à remplacer le nom de Dieu non plus par « les cieux », mais par ham m âqôm « le lieu ». 38. Aussi l ’on se demande sur quoi s ’appuie K .G . K u h n pour affirm er: « malkût shâmayîm est donc... dans la théologie du judaïsme tardif un concept purement eschatologique, au sens strict du mot » (p. 572). 39. Malheureusement l’édition de Z i e g l e r ne respecte pas le témoignage des manuscrits. 40. Bien que, dans l ’hébreu de Q umrân, l’article soit parfois omLs devant le mot « cieux », on dirait plutôt malkout hashshàmayîm. L ’absence d ’article, en hébreu rabbinique, montre que shâmayîm y est considéré comme un nom propre.
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SENS DES MOTS
En ce qui concerne les Evangiles la comparaison des trois Synoptiqties montre que M atthieu emploie « Royaume des Cieux » là où M arc et Luc emploient « Royaume de Dieu » : M atth 4,17 = M atth 5,3 = M atth 8,11 = M atth 10,7 = M atth 11,11 M atth 13,11 M atth 13,31 M atth 13,33 = M atth 19,14 M atth 19,23
M arc 1,15 Luc 6,20 Luc 13,28-29 Luc 9,2 = Luc 7,28 = M arc 4,11 = Luc 8,10 = M arc 4,30 = Luc 13,18 Luc 13,20 = M arc 10,14 = Luc 18,16 = Marc 10,23 = Luc 18,24.
Et donc, quelles que soient les hypothèses présentées pour résoudre le problème synoptique, il est clair que Marc et Luc comprennent « Royaume de Dieu » là où M atthieu écrit « Royaume des Cieux ». D'ailleurs Matthieu lui-même, comme s’il avait parfois oublié son habituelle transposition, utilise à trois reprises la formule « Royaume de D ieu» : en 21,43, où nous n ’avons pas de parallèle synoptique, en 12,28, où il rejoint Luc 11,20, en 19,24 où il rejoint Marc 10,24 et Luc 18,25“^^ ; en outre en 26,29 Jésus dit « d an s le Royaume de mon Père» alors qu’en M arc 14,25 il dit « dans le Royaume de Dieu ». Cette équivalence entre « Royaume des Cieux » et « Royaume de Dieu » est tellement certaine qu’elle n ’est contestée par personne. K uhn (p. 570) et T raub (p. 512) s’accordent pour déclarer que le décalque servile de M atthieu correspond exactement à la traduction plus idiomatique de M arc et de Luc. Cependant, la force des mots est si grande que bien des lecteurs modernes risquent d'être influencés dans leur compréhension de ce « Royaume des Cieux » et d ’imaginer plus ou moins qu’il est un royaume à localiser dans les cieux. Pour essayer de conjurer une telle méprise, le seul moyen est de rappeler chaque fois ; « des Cieux» = « de D ieu » “^^.
♦ * *
Malgré son aridité technique, cette étude de vocabulaire nous apporte des renseignements précieux. En hébreu, l ’idée de « royauté » est plutôt exprimée par « meloukâh », celle de « règne » plutôt par « malkout », celle de « royaume » plutôt par « mamlâkâh » et ces trois termes vivent encore dans l’hébreu de Qumrân.
41. Ce cas est d ’autant plus curieux q u ’au verset précédent M atthieu s ’écartait de M ate et de Luc en parlant du « Royaume des Cieux ». 42. En hébreu, cette idée de localisation ne s’exprimerait pas par malkout hashshâm ayîm ; « le Royaume des Cieux », mais par hanijualkout ’ashèr bashshâmayîm : « le Royaume qui (est) dans les Cieux », comme on dit « notre Père qui (es) dans les Cieux » pour signifier « notre Père des Cieux » ; voir à ce sujet J. C armionac (Recherches..., p. 72-74).
RÉCAPITULATION
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Mais SOUS l ’influence de l’araméen, qui ne possède que « m alk o u t» , on est de plus en plus enclin à grouper ces trois notions sous le seul terme de « m alkout » : cette tendance, qui commence à se manifester dans les derniers livres de l’Ancien Testament, se développe dans l’hébreu de Qumrân et elle triomphe dans l’hébreu de la Mishnâh, qui a complètement éliminé les deux autres termes. Puisque Jésus parlait araméen, il n ’a sans doute employé que « malkout » dans le langage courant. Mais, comme tous les Juifs, il priait en hébreu et il devait lire la Sainte Ecriture dans le texte hébreu plutôt que dans une traduction araméenne'^^. Si les Evangiles primitifs ou les documents qu’ils reproduisent, étaient en araméen, ils devaient aussi se contenter de « m alk o u t» pour rendre les trois idées différentes de « ro y au té» , de « règ n e» et de «royaum e». Mais les découvertes de Qumrân et de M urabba'ât prouvent q u ’au temps de Jésus et des Evangiles l’hébreu était encore très connu et très employé, même dans la correspondance privée, et donc rien n ’empêche que les récits composés par les témoins de la vie de Jésus et par les premiers Evangélistes aient été bel et bien en hébreu"^'^, la langue sacrée, où la distinction entre les trois notions est facilitée par la plus grande précision du vocabulaire. Nous sommes donc invités à ne pas traduire mécaniquement le grec « basileia » par « royauté », par « règne » ou par « royaume », mais à choisir chaque fois le terme qui correspond le mieux à la pensée réelle de l ’auteur, même si l’araméen, aussi pauvre que le grec sur ce point, ne lui facili tait pas cette distinction, mieux perçue en hébreu ou en français. L ’étude des termes apparentés à «basileia», c ’est-à-dire «basileus» ( = roi) et basileuein» ( = être roi), confirme les mêmes résultats. Le nom « basileus » quand il s’applique à Dieu ou à Jésus, désigne tour à tour «celui qui a la royauté» (par exemple M atthieu 2,2 ou 21,5), «celui qui exerce le pouvoir » et donc « qui règne » (par exemple M atthieu 25,34 ou « celui qui gouverne un royaume » (par exemple Matthieu 5,35 ou 27,42). Le verbe « basileuein», quand il s’applique à Dieu ou à Jésus, signifie généralement «exercer le pouvoir royal», c ’est-à-dire «rég n er» (Luc 1,33 ; I Cor 15,25 ; I Timothée 6,15 ; Apocalypse II, 15.17 et 19,6). Chez F l a v iu s J o s è p h e le terme « basileia » exprime exactement les mêmes significations que dans le Nouveau Testament : sur les 6 premières références fournies par la concordance de R e n g s t o r f , 2 signifient « royauté » (Guerre 1,19 et 74), 2 signifient « règne » (Guerre 1,70 et 12) et 2 signifient « royaume » (Guerre 1,40 et 90).
43. he Targum de Job, trouvé à Q umrân, montre pourtant que les traductions araméennes pouvaient déjà exister au temps de Jésus. 44. De même, dans le Midi de la France, bien des gens parlent entre eux en provençal, en languedocien ou en catalan ; mais ils savent aussi le français et ils l’emploient souvent quand Ils écrivent. Or la différence qui existe entre l ’hébreu et l’araméen est à peu près la même q u ’entre les langues du Midi de la France et le français « officiel ».
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SENS DES MOTS
Le sens des mots étant ainsi bien précisé"^’, nous pouvons passer en revue tous les textes qui parlent de la « basileia » en rapport avec Dieu ou avec Jésus. Certes d ’autres textes peuvent aussi contenir cette notion sans employer ce terme. Mais puisque cette notion n ’est pas alors indiquée par un vocable précis, elle ne peut être reconnue que par comparaison avec les textes explicites. Donc, en bonne logique, il faut d ’abord étudier ces textes explicites, pour en dégager le sens avec précision (ce que j ’essaie de faire), et seulement ensuite on pourra détecter, avec plus ou moins de certitude, les formulations équivalentes. Mais alors interviendront des appréciations sub jectives, qui rendront les conclusions plus ou moins hypothétiques. C ’est pourquoi je n ’ose m ’appuyer ici sur les textes qui s’appliquent peut-être à la basileia, mais qui ne la mentionnent pas de façon incontestable.
45. Ce besoin de précision est bien exprimé par L. B o u y e r : « La juste relation (entre le Royaume et l’Eglise) n ’est pas facile à définir. On peut douter d ’y parvenir jam ais aussi longtemps q u ’on s’en tient à la traduction, si consacrée q u ’elle soit par l ’usage, de basileia par « Royaume » ... Les protestants, sur ce point, ne paraissent pas avoir été plus effleurés par le doute que les catholiques ; « Royaume » se trouve aussi bien chez O l i v é t a n et ses successeurs que chez L e m a î tr e d e S a c y . Et ce qui vaut des traductions françaises vaut également de toutes les autres. L u t h e r , comme les traductions médiévales qui l’avaient précédé, parle de « Reich ». Pareillement le protestant T y n d a l e , la catholique Rheims Version ou la Bible du roi James s’accordent sur « Kingdom » (p. 296-297).
CHAPITRE II
Dans l’Évangile de Marc Sans entrer dans les discussions qui concernent la date de chaque livre du Nouveau Testament, nous allons les interroger selon leur genre littéraire^ en donnant donc la priorité aux Evangiles, puis en consultant un autre ouvrage historique, les Actes des Apôtres, enfin en interrogeant les Epîtres, puis cet ouvrage hors série q u ’est l ’Apocalypse. Dans les Evangiles nous adopterons sans discuter la position la plus courante chez les exégètes contemporains : M arc serait le premier récit conservé embrassant toute la vie de Jésus ; il aurait été enrichi par l’insertion d ’une source que les Allemands nomment « Quelle » ; ce M arc complété serait à la base des Evangiles de Matthieu et de L uc^ De toute façon l ’Evan gile de Jean est le dernier en date^. Mais ce classement n ’a q u ’une importance secondaire et ceux qui présen tent d ’autres hypothèses sur la formation des Evangiles constateront que notre enquête aboutirait au même résultat si l’on suivait leurs options personnelles. Bien entendu, chaque passage de M arc sera étudié avec les parallèles de M atthieu et de Luc, quand ils existent. Comme nous n ’avons pas de m otif de perturber l ’ordre choisi par M arc pour en adopter un différent, parcourons ces textes l ’un après l ’autre, comme ils se présentent, pour recueillir les informations fournies par chacun. 1) M a r c 1,14-15 M arc, aussitôt après le Baptême de Jésus (1,9-11) et la Tentation au Désert (1,12-13) donne un bref résumé de la première prédication de Jésus
1. Certains passages de la Source Commune sont insérés chez M atthieu et chez Luc dans la même séquence venant de Marc ; on est donc amené à conclure q u ’ils ont été i ^ r é s non pas directement par Matthieu et par Luc (qui les auraient alors insérés chacun d ’après ses tendances penonnelles) mais par un naême rédacteur, intermédiaire entre Marc d ’une part et M atthieu-Luc d ’autre part ; voilà pourquoi on suppose l ’existence d ’une compilation, aujourd’hui perdue, qui aurait combiné Marc et la Source Commune et dont se seraient servis M atthieu et Luc. Mais cette hypothèse n ’est pas essentielle à notre démonstration. 2. Sur la date du quatrièm e Evangile J.A .T. R o b in s o n propose une hypothèse nouvelle, mais ce problème de datation ne nous concerne pas ici.
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DANS l ’Év a n g il e d b m a r c
(1,14-15) : « Jésus est venu en Galilée prêchant l ’Evangile^ de Dieu et disant : « Le temps est accompli et le Règne de Dieu est devenu proche ! Convertissezvous et croyez à l’Evangile». Matthieu 4,17 condense encore ce résumé : « Dès lors, Jésus a commencé à prêcher et à dire : Convertissez-vous, car le Règne des Cieux ( = de Dieu) est devenu proche ». Peu auparavant, en 3,1-2, M atthieu avait déjà placé la même formule dans la bouche de Jean-Baptiste : « Survient Jean-Baptiste prêchant dans le désert de Judée (et) disant : Convertissez-vous, car le Règne des Cieux ( = de Dieu) est devenu proche ». Deux autres fois la même formule se trouve dans la Source Commune à M atthieu et à Luc, d ’abord à propos de la première mission des Apôtres, puis dans un commentaire de Jésus : a) Selon M atthieu 10,5-7 : « Jésus a envoyé ces douze en leur recommandant : ... Prêchez en disant que le Règne des Cieux ( = de Dieu) est devenu proche» et selon Luc 9,2 : (Jésus) a envoyé (les douze) prêcher le Règne de Dieu et guérir», b) Selon Matthieu 12,28, Jésus polémique ainsi à propos de la guérison d ’un possédé : « Si (c’est) dans l ’Esprit de Dieu (que) moi j ’expulse les démons, donc le Règne de Dieu'^ est parvenu sur vous » et Luc 11,20 reproduit un texte presque identique : « Si (c’est) dans ( = par) le doigt de Dieu (que) j ’expulse les démons, donc le Règne de Dieu est parvenu sur vous ». Cette formule plaît tellement à Luc que trois autres fois il l’insère dans des développements personnels : en 10,9 Jésus recommande aux soixantedouze disciples^ : « Guérissez les malades (de cette ville) et dites-leur : Le Règne de Dieu est devenu proche de vous » ; en 10,11 Jésus demande d ’avertir ainsi ceux qui refuseraient d ’accueillir les disciples : « Mais sachez que le Règne de Dieu est devenu proche» ; en 21,31, Luc juge opportun de corriger une formule de Marc 13,29 et de M atthieu 24,33 : «Sachez que (l’été) est proche, près de la porte » et il la remplace par : « Sachez que le Règne de Dieu est proche ». Cette formule de Marc, de la Source Commune à M atthieu et à Luc, de M atthieu puis de Luc, qui revient neuf fois dans les trois Synoptiques, avec de légères variantes®, représente certainement un thème essentiel de nos Evangiles^. Mais quelle en est la portée exacte ? Veut-elle dire que le
3. Bien que de très nombreux manuscrits grecs portent en M arc 1,14 « prêchant l’Evangile du Règne de Dieu », le mot Règne est considéré comme inauthentique par les éditions cri tiques de N e s t l e , M e r k et A l a n d . B.M. M e t z g e r (p. 74) justifie cette décision, parce que ce mot a dû être ajouté par des copistes désireux d ’harmoniser ce verset sur le suivant. 4. Ici M atthieu ne remplace pas « Dieu » par « les Cieux ». 5. Les manuscrits hésitent entre soixante-dix et soixante-douze disciples ; voir B .M . M b t z o e r , p. 150-151.
6. Plus en Luc 9,2, où la notion de proximité est omise. 7. Selon J. I* ry k e (p. 151-176) ce passage, ainsi que 4,11 ; ll,1 0 e t 15,43, aurait les carac téristiques du style « rédactionnel » de Marc, alors que les 8 autres mentions de la basileia tou théou contenues dans cet évangile proviendraient d ’une tradition primitive. Cette distinc tion à l’intérieur du style de Marc attribue donc ces textes à deux origines différentes, dont l’une antérieure à Marc. Ainsi ce n ’est pas seulement Marc, c’est aussi sa source (ou : ses sources), qui nous attesterait et nous transm ettrait le témoignage de la toute première église primitive. B.D. Chilton , après une longue étude sur la rédaction (p. 29-64) puis sur les sources (p. 67-95) de Marc 1,14-15, reconnaît q u ’il y a de fortes raisons pour que les paroles citées par M arc remontent bien à Jésus lui-même.
MARC 1,14-15
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Règne de Dieu est déjà arrivé, comme le suggère l ’emploi du verbe êngikén au parfait (six fois) ? Ou bien veut-elle dire seulement q u ’il est proche et q u ’il va arriver, comme le suggère le choix d ’une racine signifiant « proche» (sept fois) ? Une bataille exégétique s’est engagée sur ce point et une revue anglaise, The Expository Times, est allée jusqu’à publier 8 articles, écrits par des auteurs différents, pour exposer les multiples arguments de cette polémique. D a l m a n en 1898, s’était contenté (p. 87 et 88) d ’une étude rapide, où il traduisait êngikén par « nahe sein » ( = être proche) et éphthasén par « kommen » ( = venir). Mais en 1927, J o ü o n (excellent sémitisant et auteur d ’une grammaire hébraïque très réputée) essayait de prouver q u ’en M arc 1,15, en M atth 3,2 et 12,28 il fallait comprendre non pas « le Royaume de Dieu est proche», mais « le Royaume de Dieu est arrivé»®. La même année 1927, quelques mois auparavant, C.H. D o d d avait lui aussi proposé de traduire êngikén par « has com e» ( = est arrivé) et il revenait sur cette question en 1930 et en 1935 (Parables..., p. 28-30). En 1935, R.H. L ig h t f o o t (p. 65 et 106-107) se ralliait à son point de vue. Mais D o d d était contredit, dans The Expository Times de novembre 1936, par J.Y. C a m p b e l l et il répondait dans la même revue le mois suivant. Tour à tour, J.M . C r e e d , en 1937, Matthew B l a c k en juin 1952, W.R. H u t t o n en décembre 1952, M.A. S im p s o n en 1953, P. S t a p l e s en 1959, plaidaient en faveur de D o d d ou de C a m p b e l l . Bientôt la polémique sortait d ’Angleterre et atteignait le «C ontinent» et l ’Amérique : alors la position de D o d d était généralement rejetée et le sens de « est devenu proche » était maintenu par C .T . C r a ig (p. 19-20), W .G. K ü m m e l (Naherwartung, p. 34-36), P. S t a p l e s (p. 87-88). D ’autres auteurs restaient indécis : K .W . C l a r k (p. 367-383), R .F . B e r k e y (Journal... p. 185-187) et E. R a s c o (p. 313-314). T ant de bons arguments philologiques ont été présentés pour ou contre la thèse de D o d d et de J o ü o n , q u ’il serait inutile de les exposer à nouveau. La prudence et la sagesse conseillent de ne pas prendre parti et de ne fonder aucune argumentation sur des textes aussi controversés. D o d d résume fort bien la situation en disant : « M . C a m pb e l l prend êngikén en son sens obvie et essaye d ’y conformer éphthasén, alors que moi je prends éphthasén en son sens obvie et j ’essaie d ’y conformer êngikén» (Expository Times... 1936, p. 138).
8. « En hébreu la racine q r b , qui exprime la notion de proximité, s’emploie aussi dans des cas où, la proximité étant absolue, nous disons, non plus « il est proche », mais « il est arrivé ». Ainsi dans I Rois 8,59 le sens est : « Que ces paroles suppliantes... soient présentes (qerôbîm) à... notre D ie u » ;P s 119,169:«Q ue ma prière arrive jusqu’à to i» . Dans le premier livre des Maccabécs (lequel est traduit de l’hébreu) on lit en 9,10 ; « ...Si notre heure est arrivée ( êngihén o kairos êmôn), mourons courageusement pour nos frères ! » Le parfait êngikén représente le parfait hébreu qârab q u ’on a dans Lam. 4,18 qârab qt$$ènu « notre fin est arrivée ». Dans êngiké gar ê basileia ton ouranôn (M atth 3,2 ; etc.) le sens est bien plutôt « le royaume des cieux est arrivé » que « le royaume des cieux est proche ». Dans M atth 12,28 la même idée est exprimée par éphthasén « le royaume de Dieu est parvenu à vous ». La Peshitto traduit ce verbe par qerbat qui a clairement ici le sens « est arrivé » ...D ans Marc 1,15 le sens « est arrivé » est confirmé par le parallélisme avec péplêrôtai : « Le temps est accompli et le royaume de Dieu est arrivé ». Nous savons d ’ailleurs, par M atth 11,12, que le royaume des cieux « depuis le temps de Jean le Baptiste est forcé » ; c’est donc qu’il est déjà arrivé. Semblablement dans M atth 26,45-46 le sens est : « Voici que l’heure est venue où le Fils de l’homme va être livré aux mains des pécheurs. Levez-vous! Allons ! Voilà que celui qui me livre est arrivé... » ( J o ü o n , N otes philologiques..., p. 538-539).
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DANS L’ÉVANGILE DE MARC
Contentons-nous donc de signaler ; a) Cette fonnule « le Règne ou le Royaume de Dieu est devenu proche, ou est proche, ou est parvenu jusqu’à vous» est considérée comme si im portante q u ’elle est répétée dans les trois Evangiles Synoptiques : 1 fois en M arc 1,15 (suivi par M atthieu 4,17), 2 ou 3 fois dans la Source Commune (Luc 9,2+10,9 et M atthieu 10,7; Luc 11,20 et M atthieu 12,28) ; 1 fois par M atthieu seul (3,2) ; 2 fois par Luc seul (10,11 et 21,31). b) Cette formule est tellement caractéristique de la prédication de Jésus que M atthieu 3,2 l ’attribue également à Jean-Baptiste, comme pour m ontrer que les deux prédications étaient en parfait accord, c) Même si cette formule ne signifie pas que le Règne ou le Royaume de Dieu est déjà arrivé, elle suppose au moins q u ’il ne tardera pas, puisque les auditeurs de Jésus (et de Jean-Baptiste) sont invités à se convertir pour être en état de l’accueillir. d) M arc 1,15, juste avant cette formule, dit explicitement : « Le temps est accompli » (en grec péplêrôtai, au parfait), donc ce Règne ou ce Royaume de Dieu doit se réaliser dans un proche avenir (s’il n ’est pas déjà réalisé). 2) A l l é g o r ie d e la S e m e n c e ( M a r c 4,3-11 et 13-20 = M a t t h ie u 13,3-11 et 18-23 = L uc 8,5-10 et 11-15)^ « Voici (que) le semeur est sorti semer. Et il est arrivé (que) dans le semage une (semence) est tombée sur la route : les oiseaux sont venus et l ’ont mangée ; une autre (semence) est tombée sur la pierraille, où il n ’y avait pas beaucoup de terre : elle a levé aussitôt parce q u ’elle n ’avait pas de profondeur de terre et, quand le soleil s’est levé‘ °, elle a été brûlée et, parce q u ’elle n ’avait pas de racine, elle s’est desséchée ; une autre (semence) est tombée dans les épines : les épines ont poussé, l’ont étouffée et elle n ’a pas donné de fruit ; d ’autres (semences) sont tombées dans la bonne terre : en poussant et en croissant elles donnaient du fruit et elles produisaient l’une trente, l’autre soixante et l ’autre cent ». Et (Jésus) disait : « Qui a des oreilles (pour) entendre, q u ’il entende ! »... Quand (Jésus) a été en particulier, son entourage avec les Douze l ’interrogeaient (sur) les allégories, et il leur disait : « A vous est donné le mystère du Règne‘ ‘ de Dieu... ». Et il leur dit : «V ous ne comprenez pas cette allégorie ? Comment comprendrez-vous toutes les allégories ? Le semeur sème la Parole. Tels sont ceux qui (sont) sur la route où la Parole est semée : quand ils entendent, aussitôt vient Satan et il ôte la parole semée en eux. Tels sont^^ ceux qui (sont) semés sur la pierraille ; quand ils entendent la Parole aussitôt ils la reçoivent avec joie, mais ils n ’ont pas de racine en eux-mêmes et ils sont (seulement) pour un temps, ensuite, venue la tribulation ou la persécution à cause de la Parole, ils
9. Evidemment, on adoptera en permanence la distinction entre parabole et allégorie, qui est classique depuis les travaux d ’A. J ü u c h e r , mais en tenant compte aussi de ceux de L . F o n c k , J.M . V o s té , C.H. D o d d , Jean (et non pas Louis !) P i r o t , N.A. D a h l , J. J e re m ia s ... Comme cette distinction n ’a aucune influence sur les conclusions de cette étude, on ne prendra pas la peine de la justifier en chaque cas et on laissera à chacun la liberté de choisir des posi tions différentes, s’il le préfère. 10. Le grec recourt ici à la même racine pour la plante qui lève et pour le soleil qui se lève. 11. Bien que le m ot « mystère » soit actuellement chargé de toute une théologie chrétienne, c ’est lui qu ’il faut employer ici, et non pas le terme plus banal de « secret », car son correspon dant hébreu « râz » se trouve à Qum rân avec une signification profondément théologique. 12. De nombreux manuscrits ajoutent « semblablement ».
MARC 4,3-11 + 13 -2 0
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achoppent. D ’autres sont les semés dans les épines : ce sont ceux qui ont entendu la Parole, mais les soucis du monde, la séduction de la richesse et les désirs de la chair en survenant étouffent la Parole et elle devient sans fruit. Et tels sont les semés sur la bonne terre : ceux qui entendent et accueillent la Parole et qui produisent des fruits l ’un trente, l ’un soixante et l ’autre c e n t» ‘ ^ M atthieu suit d ’assez près le récit de Marc, en om ettant toutefois quelques détails. Deux retouches seulement sont importantes pour nous : au verset 11, il amplifie « à vous est donné le mystère du Règne de Dieu », en disant « à vous est donné de connaître (ou de comprendre) les mystères du Règne des Cieux ( = de D ieu ); au verset 19 il précise que la Parole est « la Parole du Règne ». Luc, qui est encore plus concis que Matthieu, dit lui aussi « à vous est donné de connaître (ou de comprendre) les mystères du Règne de Dieu » ; mais pour lui la Parole est « la Parole de Dieu ». Ce récit n ’est pas une parabole, car il n ’est pas la preuve par l’image d ’une vérité particulière, mais bien une allégorie, c ’est-à-dire une description voilée où les réalités spirituelles sont présentées à travers la transparence d ’un récit fictif. Et Jésus lui-même fournit la clef de l ’allégorie, en précisant les person nages q u ’il entend décrire : les différentes catégories de semence représentent les différentes catégories d ’auditeurs de sa Parole. Aussi l’on devine sans peine pourquoi Jésus a recouru à une allégorie plutôt q u ’à un exposé direct : par là il ne risquait pas de froisser ceux q u ’il voulait avertir et corriger, car il ne les dénonçait pas publiquement, mais il leur laissait le soin de découvrir eux-mêmes dans quelle catégorie ils se rangeaient. M arc ne spécifie pas la nature de la Parole. Mais pour M atth 13,19 elle est la Parole du Règne ou du Royaume, c ’est-à-dire la Parole qui annonce, qui fait connaître le Règne ou le Royaume. Et pour Luc 8,11 cette Parole est la Parole de Dieu, c ’est-à-dire la Parole qui vient de Dieu et qui est prêchée au nom de Dieu. Les trois Synoptiques voient dans cette allégorie « le secret (ou : les secrets) du Règne de D ieu», c ’est-à-dire l ’explication des réactions humaines à la Parole de Dieu qui invite les cœurs à s’ouvrir à son Règne. On aurait tort de traduire ici par «R o y au m e» , car l ’allégorie ne concerne pas l’aspect collectif d ’une société où s’intégre chaque croyant, mais bien les réactions individuelles de chaque âme qui accepte et accueille la lumière que Dieu lui envoie. Le temps des verbes indique clairement que cette allégorie ne vise pas le futur, car dans l ’exposé du récit, tous les verbes sont au passé : le semeur est déjà sorti pour semer et sa semence est déjà semée. Dans l’explication.
13. En tenant compte du substrat hébraïque, comme il est expliqué par J. C a r m ig n a c (Background, p. 66-67). 14. Luc 8,15 dit : « ils produisent des fruits dans la persévérance ».
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DANS l ’Év a n g il e d e m a r c
c ’est le présent qui domine, car les réactions des auditeurs manifestent des tendances permanentes, qui sont indépendantes du tem ps'*. Dans l’explication, Jésus ne précise pas qui est le semeur, mais on ne saurait douter q u ’il s’agit de lui-même : c ’est lui qui est sorti pour répandre la Parole, qui est la Parole du Règne pour M atthieu et la Parole de Dieu pour Luc. D ’ailleurs, dans l’explication d ’une autre allégorie où intervient aussi un semeur, M atthieu 13,37 dit clairement « Celui qui sème la bonne semence c’est le Fils de l’Hom m e». Pour nous la conclusion est évidente : Jésus a déjà commencé à répandre la semence de la Parole de Dieu et le Règne de Dieu germe et fructifie déjà dans les cœurs de ses auditeurs selon leurs bonnes ou leurs mauvaises dispositions. 3) P a r a b o l e
de la
S e m e n c e q u i po u sse d ’e l l e - m êm e ( M a r c 4,26-29)
« Ainsi est le Royaume de Dieu : (c’est) comme un homme (qui) jettera it' ® la semence sur la terre et (qui) dorm irait et se lèverait, la nuit et le jo u r* ’ ; la semence pousse et grandit, lui ne sait pas comment : spontanément la terre produit du fruit : d ’abord une herbe, puis un épi, puis plein de blé dans l ’épi ; et quand le fruit (se) présente, aussitôt il (y) envoie la faux, parce que la moisson est à point ». Ce récit, que M atthieu et Luc ont omis de reproduire, est intermédiaire entre la parabole et l’allégorie, mais souvent on le classe parmi les paraboles*®. L’idée centrale en est que la semence pousse toute seule et qu’elle produit du fruit sans que le semeur ait à s’en occuper. Jésus veut donc, comme dans une parabole, nous apprendre que, de la même façon, le Règne ou le Royaume de Dieu se développe de lui-même, indépendamment de l ’activité humaine. Les verbes au subjonctif donnent à l ’exposé une allure hypothétique, qui le place en dehors des contingences particulières : cette narration est valable pour tous les tem ps'*. Divers auteurs discernent aussi des éléments allégoriques et ils reconnais sent dans la faux et dans la moisson une allusion à la Fin du M onde déjà entrevue par Jean-Baptiste (M atth 3,12 = Luc 3,17), reprise par Jésus (M atth 13,30) et développée dans l’Apocalypse 14, 14-20.
15. Q u’on n ’objecte pas, pour négliger le temps des verbes, que les Evangiles, ayant un substrat sémitique oral ou écrit, participent à l ’imprécision des langues sémitiques et distinguent inal le temps des verbes. La réponse est facile : a) L’hébreu, même l’hébreu biblique, distingue, beaucoup mieux que ne le disent de mauvais connaisseurs de cette langue, le passé, le présent et le futur, h) L ’hébreu évoluait vers une précision tem |»relle de plus en plus nette : dans l ’hébreu de Qum rân le passé est toujours clairement distingué du futur, et le présent est rarement confondu avec ce futur (voir mon article « Conjectures... », p. 160-164). c) Quand l’aspect duratif prime l’aspect temporel (ce qui déroute les hébraïsants novices), il aboutit à rendre notre imparfait par un apparent futur, et donc cela joue contre moi et en faveur des théories eschatologistes. — Le temps des verbes qui concernent le Règne ou le Royaume de Dieu est fort bien apprécié par H . C l a v i e r (« Accès... », p. 22). 16. En français, l’emploi du conditionnel essaie de rendre la nuance du subjonctif grec. 17. Bien entendu, il faut com prendre: « qui dorm irait la nuit et se lèverait le jo u r ». 18. Voir la longue étude récente de cette parabole par J. D u p o n t . 19. Paul lui fera écho en I Cor 3,6 : « Moi j ’ai planté, Apollos a arrosé, mais Dieu a fait pousser ».
MARC 4 ,3 0 -3 2
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Cette exégèse n ’est pas certaine, car ce trait n ’est pas développé spécialeniient, mais elle n ’est pas impossible non plus, car la portée des paroles de l ’Evangile va souvent bien au-delà des apparences immédiates. Ainsi Jésus voudrait insinuer q u ’il est m aintenant le semeur, mais q u ’il reviendra plus tard comme moissonneur ; « Lorsque (Jésus) aura disparu, laissant le règne de Dieu destiné à grandir, les apôtres com prendront que ce règne q u ’ils prêchent doit se développer sans la présence du Maître, qui viendra seulement à la fin pour recueillir la moisson. Ainsi cette parabole, si simple en apparence, était-elle susceptible d ’un prolongement indéfini. Ceux qui l ’entendaient devaient surtout l’interpréter du développement infaillible du règne de Dieu. Elle les invitait en même temps à la confiance et au calm e» (Lagrange, Marc, p. 118). Dans ce récit, est-il question du Règne ou du Royaume de Dieu ? On peut légitimement hésiter à répondre, mais finalement il semble q u ’on doive pencher pour le Royaume de Dieu. Si le récit contient une allusion à la Fin du M onde et au Jugement Dernier, ces événements concernent le développement historique du Royaume de Dieu. Et même si cette allusion n ’existait pas, l ’ensemble de l ’exposé paraît s’appliquer non pas à la croissance d ’une seule plante, qui représenterait le cœur d ’un homme livré au Règne de Dieu, mais bien plutôt à la croissance de tout un champ, qui aboutit à une moisson, et donc cet aspect collectif convient mieux à la notion de Royaume. En somme le développement du Royaume de Dieu ne dépend pas de l ’activité humaine : il se réalise mystérieusement, sans q u ’on sache cominent. Le semeur (Jésus) n ’interviendra personnellement q u ’au temps de la moisson. 4) P a r a b o l e d u G r a in L uc 13,18-19)
de
S én evé ; M a r c 4,30-32 ( M a t t h
13,31-32 =
« Comment trouverons-nous une chose semblable au Royaume de Dieu ? Avec quoi le mettrons-nous en comparaison ? (Il est) comme un grain de sénevé : quand il est semé sur la terre, il est plus petit que toutes les semences de la terre^° ; mais quand il est semé, il pousse et devient plus grand que tous les légumes ; il fait de grands rameaux, en sorte que les oiseaux du ciel peuvent s’installer sous son ombre ». M atthieu et surtout Luc omettent certains détails, mais ils ne modifient pas l ’allure générale du récit ; cependant ils le compliquent en spécifiant que ce grain de sénevé « devient un arbre », ce qui est peu conforme à la r é a lité ^ M a tth ie u , bien entendu, transforme le «R oyaum e de D ieu» en « Royaume des Cieux ». Cette description a pour but d ’opposer les humbles débuts du Royaume de Dieu à son magnifique épanouissement. Ici, la notion de Royaume s’impose, puisque nous voyons les oiseaux du ciel s’installer sous son ombre : les hommes profitent des bienfaits que leur offre ce Royaume. En Marc, rien n ’indique quand le Royaume de Dieu est semé, ni quand il réalise sa pleine stature. Mais M atthieu et Luc sont plus précis : en Matthieu
20. Littéralement : « qui (sont) sur la terre », 21. Je pense pouvoir expliquer cette variante synoptique par une confusion survenue dans le substrat hébreu (Background, p. 81-82).
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DANS l ’Év a n g il e d e m a r c
« un homme a pris (et) semé (ce grain) dans son champ » et en Luc « un homme a pris (et) jeté (ce grain) dans son jardin ». Pour eux les semailles du Royaume de Dieu sont déjà faites et elles appartiennent au passé. Ainsi les trois paraboles de M arc, dont deux sont conservées aussi en M atthieu et en Luc, décrivent tantôt le Règne et tantôt le Royaume de Dieu. La première, qui concerne plutôt le Règne de Dieu, fait dépendre ses fruits de l ’accueil de chaque homme. La seconde et la troisième, qui visent plutôt le Royaume de Dieu, insistent au contraire sur l ’action directe de Dieu, qui se charge lui-même d ’assurer sa croissance, et sur les magnifiques résultats de cette croissance, malgré de chétifs débuts. Les trois comparaisons choisies sont étroitement apparentées, puisqu’elles présentent toutes l ’image d ’une semence, qui peut tom ber dans des terrains défavorables, mais qui, si elle tombe dans la bonne terre, grandit toute seule, devient une plante et produit beaucoup de fruit. La durée de cette croissance et de ce développement n ’est pas spécifiée, mais plusieurs fois le temps des semailles est présenté au passé, en supposant donc q u ’au moment où Jésus parle elles sont déjà un fait accompli.
5) M arc 9,1 « Et il ( = Jésus) leur disait : « Amen, je vous dis q u ’il y a certains de ceux qui sont ici présents qui ne goûteront pas la m ort jusqu’à ce q u ’ils voient le Règne de Dieu venu avec puissance M atthieu 16,28 a jugé ambiguë la finale de ce texte et il la modifie pour la clarifier : « Amen, je vous dis q u ’il y a certains de ceux qui sont ici présents qui ne goûteront pas la m ort jusqu’à ce q u ’ils voient le Fils de l ’Homme venant dans sa Royauté ». Luc 9,27 n ’aime pas non plus cette finale de M arc et il préfère la sup primer : « Je vous dis en vérité ; il y a certains de ceux qui sont ici présents qui ne goûteront pas la m ort jusqu’à ce q u ’ils voient la Royauté (ou : le Règne, ou : le Royaume) de D ieu». Les trois Synoptiques placent cette parole de Jésus dans le même contexte, ce qui prouve entre eux une stricte dépendance. Mais M arc seul introduit ces mots par un vague : « Et il leur disait », qui suffit à nous avertir q u ’il insère là une réflexion qui n ’a pas de lien chronologique avec ce qui précède, qui se présente donc à sa mémoire par simple association d ’idées. En effet le verset précédent se termine par une allusion au Jugement Dernier : « quand le Fils de l ’Homme viendra dans la gloire de son Père avec ses saints anges ». Par ailleurs, Jésus fait manifestement allusion à un événement futur prévu pour un avenir assez rapproché (moins d ’une cinquantaine d ’années). Est-ce que cette venue glorieuse du Christ sera celle de sa Transfiguration,
22. Ou peut être : « avec intensité », « avec énergie ». 23. Le sens exact du parfait « élêluthuian » ( » venu) est discuté p ar C a m p b e ll (p. 93) e t par D o d d (Expository... p. 141-142), mais cette question est sans im portance po u r nous ; quand on verra (dans l ’avenir) ce règne de Dieu, c ’est q u ’il existera déjà, donc q u ’il sera, pour ses bénéficiaires, déjà « venu ».
MARC 9 ,4 3 -4 7
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celle de sa Résurrection, celle de la prédication victorieuse de l ’Evangile ou celle de la Parousie ? L ’hypothèse de la Transfiguration est d ’autant plus pro bable q u ’elle est racontée par les trois Synoptiques immédiatement après cette parole de Jésus : M arc semble avoir voulu juxtaposer la prédiction et la réalisation de cet événement extraordinaire. Mais les autres hypothèses, Résurrection et prédication de l ’Evangile, peuvent aussi être envisagées (ainsi que celle de la Parousie, si l ’on adm et que Jésus se soit trom pé sur ce point). Pour nous, l’essentiel est de préciser la nature de la « basileia tou théou » ainsi présentée. On peut exclure en M atthieu le sens de « Royaume », car le grec aurait alors employé « eis» et l ’accusatif et non pas « én » et le datif^'*. En M atthieu le sens de « R o y au té» paraît s’imposer, surtout si l’on admet un substrat sémitique, où la préposition « b e » ( = « d a n s » ) a aussi le sens de « av ec» , car le Fils de l ’Homme vient avec sa « R o y au té» personnelle, tandis que son « Règne » supposerait la présence de sujets sur lesquels s’exerce rait cette « Royauté ». En M arc la formule est moins claire, mais on pencherait plutôt pour le sens de « Règne », car on ne dit pas que Dieu viendra, avec ses attributs, dont la « Royauté », mais que son « Règne » sera déjà venu (verbe au parfait, en grec) et q u ’il perdurera : cette prolongation dans le temps convient surtout au « Règne». En Luc la formule est si vague q u ’on ne peut en définir le contenu : Luc a senti q u ’il y avait là un problème et, au lieu de le résoudre, il l ’a volontairem ent éludé^®.
6) M arc 9,43-47 « Si ta main te fait achopper, retranche-là ; il est bon ( = meilleur) pour toi d ’entrer m anchot dans la Vie que d ’aller avec tes deux mains dans la Géhenne, dans le feu inextinguible. Si ton pied te fait achopper, retranche-le : il est bon ( = meilleur) pour toi d ’entrer estropié dans la Vie que d ’être jeté avec tes deux pieds dans la Géhenne. Si ton œil te fait achopper, arrache-le : il il est bon ( = meilleur) pour toi d ’entrer borgne dans le Royaume de Dieu que d ’être jeté avec tes deux yeux dans la Géhenne». Luc omet ce passage. M atthieu 18,8-9 abrège et remplace « le Royaume de Dieu » par « la Vie » comme dans la phrase précédente. Le sens de « Royaume » s’impose, puisqu’il s’agit d ’entrer « dans » ce « Royaume » comme « dans la Géhenne » ou « dans le feu inextinguible ». Mais quand y entrera-t-on ? La possibilité d ’achoppement et la mutilation sont formulées au présent. L ’entrée dans la Géhenne ou dans le « Royaume de D ieu» est prévue pour plus tard, mais, scmble-t-il pour un futur assez rapproché !
24. Même si le grec du Nouveau Testament confond parfois ces deux prépositions, il les emploie toujours correctement dans les passages où figure la « basileia to u théou ». 25. La form ation de ce texte est examinée par B .D . C h i l t o n (p. 253-274). M . K ü n z i présente fort bien l’histoire de son exégèse : selon lui (p, 186-196), il a été compris en fonction de l’Eglise par : G r é g o i r e l e G r a n d , B è d e l e V é n é r a b l e , R a b a n M a u r e , la Glose Ordinaire, B u c e r,
P e llic a n ,
M u n s te r,
M u s c u lu s ,
S c h o c ttg e n ,
M o ru s,
R o s e n m ü lle r,
J.D . M i c h a e l i s , P a u l u s , B a u m g a r t e n , B le e k , C o l a n i , a . K l o s t e r m a n n , G o d e t , H o f m a n n , N ô s o e n , Th.H. R o b in s o n , L o h m e y e r, A .T . C a d o u x , M . B a r t h , D u n c a n , T a y l o r , F l ü CKtoER, L a g r a n o e , H u b y , S i c k e n b e r g e r , M e i n e r t z , S t a a b et B o n s ir v e n .
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DANS l ’Év a n g il e d e m a r c
Quant à la nature de ce « Royaume », M arc le considère conune l ’équi valent de « la Vie », q u ’il a mentionnée dans les deux phrases précédentes. E t M atthieu a si bien compris sa pensée q u ’il substitue carrément cette « Vie » à ce « Royaume ». 7) M arc 10,14-15 = M atthieu 19,14 = L uc 18,16-17 « Laissez les enfants venir vers moi, ne les empêchez pas, car c ’est à leurs semblables q u ’est le Royaume de Dieu. Amen, je vous Ôe) dis : Quiconque n ’accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n ’y entre pas». Luc 18,16-17 ne diffère de M arc que par l ’addition de la conjonction « e t » entre les deux premiers verbes. Matthieu 19,14 n ’a conservé que la première phrase, avec quelques modifications secondaires et la transform ation du « Royaume de Dieu » en « Royaume des Cieux ». S’il a supprimé la seconde phrase, c ’est peut-être parce q u ’il en avait inséré l’équivalent en 18,3-4, dans un contexte où il s’agit également de l ’enfance spirituelle. En M arc et en Luc le verbe « accueillir » conviendrait bien au « Règne de Dieu », et le verbe être (au sens : être destiné à..., ou : appartenir à...) peut s’adapter soit au « Règne » de Dieu soit à son « Royaume ». Mais le dernier verbe « entrer dans » demande q u ’on opte pour le sens de « Royaume », car on entre dans un Royaume, mais on n ’entre pas dans un Règne (sauf, si l’on est le roi !). Certains traducteurs mettent les verbes au futur, mais c ’est là un coup de pouce manifeste : les deux premiers verbes sont à l ’im pératif présent ou aoriste, le verbe « être » est au présent, les verbes « accueillir » et « entrer » soit au subjonctif aoriste. Pas la moindre trace de futur. Jésus part d ’un fait présent, l ’attitude des disciples envers les enfants qui l ’entourent^® et il en tire une leçon permanente. Manifestement, Jésus suppose q u ’on peut déjà entrer, ou même être entré, dans le Royaume de Dieu, tout comme on continuera à y entrer dans l’avenir. M ais il vise le présent, et non pas l ’avenir^’ . 8) M arc 10,23-25 = MArrraEU 19,23-24 = L u c 18,24-25 « Combien difficilement ceux qui possèdent des richesses entreront dans le Royaume de Dieu !... Enfants, comme il est difficile d ’entrer dans le Royaume de Dieu ! Il est plus aisé pour un chameau de passer à travers le trou d ’une aiguille que pour un riche d ’entrer dans le Royaume de D ieu». M atthieu 19,23-24 supprime la seconde phrase, parce q u ’elle ne fait que répéter la première et il remplace la première fois, mais pas la seconde, « le Royaume de Dieu » par « le Royaume des Cieux ». Luc 18,24-25 supprime lui aussi la seconde phrase, mais pour le reste il rejoint à peu près M arc et Matthieu. Ici on ne peut hésiter à traduire par «R oyaum e de Dieu»^®, tant il est présenté de façon concrète. Le premier verl^ au futur indique que les
26. Quiconque est allé en Orient et a été assiégé par des bandes d ’enfants imagine facilement la scène. 27. Une expression semblable est employée par M att. 5,3.10 et par Luc 6,20. Voir ci-dessous, p. 36-37. 28. Même B o n s ir v e n (p. 87) renonce à « Règne » et adm et « Royaume ».
MARC 1 1 ,1 0 ; 1 2 ,3 4 ; 14,25
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riches ne sont pas encore entrés dans le « Royaume de Dieu » et ensuite les verbes au présent soulignent que cette difficulté est et sera permanente. Mais de quel futur s’agit-il ? Jésus répond à une question ainsi formulée : « Que ferai-je ( = que dois-je faire) pour posséder (littéralement : « hériter ») la vie éternelle ? » (M arc 10,17). Il vient de dire q u ’en donnant ses biens aux pau vres « o n aura un trésor dans le ciel» (M arc 10,21). Les disciples réagissent en dem andant : «Qui peut être sauvé ?» (Marc 10,26). Il s’agit donc du salut personne] de chaque homme et de la vie éternelle obtenue après la mort. Rien ne demande de supposer un futur plus lointain. 9) M a r c 11,10 Les foules qui acclament Jésus au jo u r des Rameaux s’écrient : « Béni au nom du Seigneur^® celui qui vient ! Béni le Règne de notre père David qui vient». M atthieu, Luc et Jean décrivent la même scène, mais ils ne mentionne pas « le Règne de notre père David ». Comme ce sont les foules qui exhalent leur enthousiasme, nous ne pou vons pas affirmer que leur pensée rejoigne celle de Jésus. Mais, pour elles, il s’agit bien du Règne d ’un nouveau David, et ce Règne est en train de se réaliser dans le présent. 10) M a r c 12,34 Jésus, pour une fois, s’attire les compliments d ’un scribe et « voyant q u ’il avait répondu intelligemment, il lui a dit : « Tu n ’es pas loin du Royaume de Dieu ». Cet échange de compliments entre Jésus et un scribe a paru inopportun à M atthieu et à Luc, qui ont négligé de le reproduire. En M arc la pensée de Jésus dépend du sens de m akran (= lo in ), qui désigne en général l ’éloignement dans l’espace, mais aussi parfois l ’éloignement dans le temps. Dans la première hypothèse, l ’image spatiale concernerait plutôt le Royaume de Dieu ; dans la seconde hypothèse, l ’image temporelle conviendrait mieux au Règne de Dieu. Toutefois, dans un cas comme dans l ’autre, Jésus parle d ’une réalité presque présente, puisqu’elle concerne son interlocuteur. 11) M a r c 14,25 = M a t t h ie u 26,29 = L uc 22,16-18 M arc termine le récit de l ’institution de l’Eucharistie par cette phrase sibylline : « Je ne bois^° plus du produit de la vigne jusqu’à ce jo u r où je le bois nouveau dans le Royaume de Dieu ». M atthieu 26,29 reproduit le même texte, en ajoutant seulement « je bois avec vous » et il transform e le « Royaume de Dieu » en « le Royaume de mon Père ».
29. Citation du Psaume 118,26. Beaucoup comprennent : « Béni celui qui vient au nom du Seigneur! » Cela n ’a pas d ’im portance p o u r nous. 30. Certains manuscrits grecs ont une formule plus sémitique signifiant « je ne recommence plus à boire », c’est-à-dire « je ne bois plus à nouveau ».
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DANS l ’Év a n g il e d e m a r c
Luc déplace ces paroles et les rapporte avant l ’institution de l’Eucharistie. Surtout il les amplifie notablement : « Je ne mange plus (cette pâque) jusqu’à ce q u ’elle soit remplie dans le Royaume de Dieu... Je ne bois plus désormais de ce produit de la vigne jusqu’à ce que vienne le Règne de Dieu». Le sens est clairement celui du futur. Dans ce repas d ’adieu, les Apôtres ne pouvaient guère imaginer autre chose q u ’un futur tout proche. Et Jésus entendait certainement annoncer sa M ort imminente et sa Résurrection. Rien dans ce texte, ni de près ni de loin, ne contient la moindre allusion à la Parousie. Ici, le sens de « Royauté » est peu probable, car, même si en M arc et M atthieu on peut envisager de voir Jésus participer à la Royauté de son Père, en Luc ce sens est exclu, puisque le sujet de la phrase n ’est plus Jésus, mais la pâque. Alors s ’agit-il du « R èg n e» ou du «R oyaum e» ? Rien ne permet de répondre avec assurance. Cependant la notion de « Royaume » semble peut-être mieux en harmonie avec l’ensemble du récit. D ’ailleurs Jésus ne dit pas q u ’après sa M ort et sa Résurrection il accédera au Royaume de Dieu, il fait seulement comprendre que c ’est dans ce Royaume de Dieu qu’il retrouvera ses Apôtres. En Luc, la notion de « Royaume » s ’impose dans la première phrase, mais dans la seconde on semble bien avoir glissé au sens de « Règne », car le verbe « venir » convient mieux au « Règne » qu’au «R oyaum e». Quoi q u ’il en soit, ce passage laisse entendre que la M ort et la Résurrection de Jésus seront des événements qui affecteront le Royaume de Dieu, ou même, selon Luc, le Règne de Dieu. 12) M a r c 15,43 = L uc 23,51 Pour présenter Joseph d ’Arimathie, M arc 15,43 et Luc 23,51 emploient l ’un et l’autre, en grec, le verbe prosdéchomai, qui signifie soit «recevoir» soit « attendre » ^ ‘ : « Joseph d ’Arimathie... qui lui aussi recevait (ou : atten dait) le Règne de Dieu ». Le premier sens, celui de « recevoir », est employé par Luc 15,2, quand les Pharisiens reprochent à Jésus de «recevoir» les pécheurs. Le second sens « d ’attendre », est aussi employé par Luc 2,25 et 38, à propos du vieillard Siméon, qui « attendait la consolation d ’Israël », et à propos de la prophctesse Anne, qui parlait de l ’enfant Jésus « à tous ceux qui attendaient la libération de Jérusalem » ; et c’est encore ce sens q u ’on retrouve en Luc 12,36 à propos des serviteurs qui « attendent leur m aître» à son retour des noces. A cause de ces parallèles, les traducteurs retiennent généralement le sens « atten d re» , mais celui de « recevoir» reste tout à fait possible. Q uant au substantif, il faut ici lui reconnaître le sens de « Règne » car « atten d re» (ou ; «recevoir») un Royaume ne peut se dire que du roi qui en espère (ou : qui en obtient) le gouvernement. Si l ’on adm ettait le sens de « recevoir», il en résulterait que le Règne de Dieu serait déjà présent dans le cœur de Joseph d ’Arimathie. Si, avec l ’ensemble des exégètes, on retient le sens de « attendre», il en résulte que dans l ’esprit de ce Joseph d ’Arimathie le Règne de Dieu était imminent ; et les deux Evangélistes ne lui en font aucun reproche, au contraire ils soulignent ce trait avec sympathie. Mais les conceptions que ce personnage pouvait se faire du « Règne de Dieu »
n ’étaient peut-être pas encore purement chrétiennes.
31. Voir l ’étude de W . G r u n d m a n n , p. 56-57.
CHAPITRE III
Dans la Source Commune à Matthieu et Luc M atthieu et Luc dépendent de Marc pour une partie de leurs récits. Mais pour d ’autres qui ne se trouvent pas en Marc, ils présentent encore entre eux des similitudes qui ne peuvent guère s’expliquer que par une source commune^. On est même conduit à supposer que lorsque M atthieu et Luc ont utilisé cette source elle était déjà amalgamée avec Marc, car plusieurs fois, ils l ’insèrent au même endroit, comme s’ils avaient puisé l ’un et l’autre dans luie sorte de « M arc Complété », où quelqu’un aurait intercalé dans le récit de M arc des matériaux q u ’il rédigeait lui-même ou q u ’il empruntait à un document déjà en circulation. Ce qui provient de cette Source Commune est facile à détecter : c ’est tout ce qui est absent de M arc et présent à la fois en M atthieu et en Luc. Mais il pourrait aussi se faire q u ’elle ait contenu des éléments que, pour une raison quelconque, M atthieu ou Luo auraient omis. En ce cas, évidemment, nous ne pouvons plus les identifier comme venant de la Source Commune et nous les considérons à tort comme étant le bien propre de Matthieu ou de Luc. Mais nous ne pouvons pas faire mieux^. Ce sont les passages provenant de cette Source Commune qui vont être examinés l’un après l ’autre. L ’ordre de Luc et celui de M atthieu sont identi ques 4 fois sur 7, mais il est plus sage de suivre toujours celui de Luc, car nous savons que M atthieu déplace parfois certains matériaux pour construire des ensembles plus cohérents^. Si quelqu’un n ’adm ettait pas nos hypothèses sur la form ation des Evangiles, cela n ’aurait aucune importance pour le résultat final, car elles n ’ont pas ici d ’autre rôle que de fournir un simple cadre pour faciliter le classement.
1. Les Allemands assignent à cette Sourcx Commune le sigle « 0 », qui est l’initiale de « Quelle » ( = « source »). Beaucoup de savants, même en dehors de rÀ llem ague, adoptent cette appellation. 2. Le tout récent ouvrage de R.A. E d w a r d s fournit (p. 159-164) une abondante biblio graphie sur cette Source Commune. Elle est aussi étudiée (ou re p o a ss^ ) p ar les innombrables travaux sur le problème synoptique. 3. T .W . M a n s o n (Sayings... p. 15-28 et 39) pose le problème exactement de la même façon.
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DANS LA SOURCE COMMUNE À MATTHIEU ET LUC
1) L u c 6,20 = M a t t h ie u 5,3 et 5,10 Luc 6,20 : « Bienheureux les pauvres, car à vous est le Royaume de Dieu ». M atthieu 5,3 : « Bienheureux les pauvres en esprit, car à eux est le Royaume des Cieux ( = de Dieu)». M atthieu 5,10: «Bienheureux les persécutés à cause de la justice, car à eux est le Royaume des Cieux ( = de Dieu)». Bien que M atthieu ait 9 béatitudes et que Luc en ait seulement 4, on peut, semble-t-il, supposer que l’ensemble du passage provient de la Source Commune. Mais si l’on préférait considérer M atthieu 5,10 (ainsi que 5,7-10) comme un développement personnel que M atthieu aurait rédigé à partir de la Source Commune, cela ne modifierait en rien nos conclusions, puisque de toute façon M atthieu 5,10 est une reprise de 5,3 : « Car à eux est le Royaume des Cieux ( = de Dieu)»'^. Le sens de « Royaume » est postulé par la troisième béatitude de Matthieu : « Bienheureux les doux, car (ce sont) eux (qui) hériteront la terre ». En outre ni la « Royauté » ni le « Règne » de Dieu ne peuvent appartenir à des hommes, tandis que le « Royaume » de Dieu leur appartient dans la mesure où ils en sont les membres. Quant à l ’horizon historique envisagé par Jésus, on remarque que, soit en Luc soit en M atthieu, chaque béatitude est caractérisée par un verbe au futur («vous serez rassasiés»... «ils seront consolés», etc.) sauf précisément les trois formules où figure le « Royaume » de Dieu. On peut, certes, expliquer cette différence par le fait que le substrat hébreu (ou araméen) avait ici laissé le verbe sous-entendu (comme c ’est normal en ces langues) et que ce sont les traducteurs grecs de Luc et de M atthieu qui ont ajouté le verbe « être » au présent. Mais cette objection n ’est pas décisive : 1) L ’hébreu et l’araméen ne sous-entendent en général le verbe « être » q u ’au présent ; quand le sens est futur (ou passé) on exprime habituellement le verbe, au temps voulu^. 2) Si les deux traducteurs ont l ’un et l ’autre employé en grec le présent, c ’est q u ’ils comprenaient cette phrase au présent et ils étaient mieux placés que nous pour en saisir le sens exact. 3) Le fait que le traducteur de Luc et celui de M atthieu, qui ont si peu de choses en commun dans les Béatitudes, s’accordent sur ce verbe au présent peut difficilement être attribué au hasard®. Aussi ce triple emploi du verbe « être » au présent, dans un contexte où tous les verbes sont au futur, doit être bel et bien compris dans son sens normal, celui du présent^. Dès le moment où Jésus prononce les Béatitudes, le Royaume de Dieu appartient aux pauvres en esprit et aux persécutés à cause de la justice, car ces pauvres et ces persécutés peuvent déjà y entrer et en être membres.
4. Voir J. D u p o n t , les Béatitudes, tome I, p. 343-344. 5. Luc 6,23 et M atthieu 5,12 constituent une exception: « car votre récompense (est ou sera) abondante dans le(s) cie(ux) » ; mais on rem arquera q u ’alors ni Luc ni M atthieu n ’expriment le verbe en grec. 6. Une opinion difTérente, mais nullement convaincante, est exposée par J. D u p o n t , d an s: Les béatitudes, tom e II, p. 119-121. 7. D ans les malédictions que Luc place après les béatitudes, le premier verbe est aussi au présent, alors que les suivants sont au futur : « M alheur à vous les riches, car vous possédez votre récompense ! M alheur à vous les repus (de) maintenant, car vous serez affamés ! Malheur à vous les rieurs (de) m aintenant, car vous gémirez et vous pleurerez » (Luc 6,24-25). Ce présent et ce futur sont à prendre littéralement : c ’est dès maintenant que les riches ont leur récompense, mais c'est seulement plus tard (à leur mort) q u ’ils auront leur châtiment.
LUC 7 ,2 8 = MATTHIEU 11,11
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Les bénéficiaires des autres béatitudes en jouiront à leur mort, quand ils pénétreront dans la Vie céleste, car alors leur « récompense (sera) abondante dans les d eu x » (M atth 5,12), mais on peut jouir dès maintenant de la pre mière béatitude, car on peut dès m aintenant entrer dans le Royaume de Dieu, si l’on n ’en est empêché ni par l’attachement aux richesses ni par la peur des persécutions. Ce présent convient à merveille, puisque précisément ceux qui entrent dans le Royaume de Dieu doivent en fait se détacher de leurs posses sions (M arc 1,18 ; 10,21-25 ; 10,28-30 ; M atthieu 4,20.22 ; 6,19-21 ; 13,44-46 ; 19,21-24 ; 19,27-29 ; Luc 6,35 ; 12,33-34 ; 18,22-25 ; 18,28-30) et q u ’ils risquent diverses persécutions (M arc 4,17 ; 10,30 ; M atthieu 5,44 ; 13,21 ; 19,13 ; Luc 6,27-28 ; 11,52 ; Jean 9,22 ; 12,42). Si donc la béatitude des pauvres et celle des persécutés sont exprimées au présent, c’est parce q u ’elles peuvent déjà être réalisées au présent, par l ’entrée dans ce Royaume de Dieu, alors que les autres béatitudes ne seront réalisées que plus tard, après la mort. 2) L u c 7,28 = M a t t h ie u 11,11 Jésus fait ainsi l’éloge de Jean-Baptiste : « Personne n ’est plus grand que Jean parmi les rejetons des femmes® mais le plus petit dans le Royaume de Dieu est plus grand que lui » (Luc 7,28) ou bien : « Parmi les rejetons des femmes il ne s’(en) est pas élevé (de) plus grand que Jean-Baptiste, mais le plus petit dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu) est plus grand que lui » (M atthieu 11,11). Jean est pris ici comme un repère entre deux économies®. L ’ancienne, dont il fait encore partie et dont il est le sommet, et la nouvelle, qui est appelée « le Royaume de Dieu ». En lisant ce texte, comment ne pas en conclure que la nouvelle économie, le Royaume de Dieu, existe déjà au moment où parle Jésus ? Il ne dit pas que le plus petit dans le Royaume de Dieu sera plus grand que Jean-Baptiste, mais q u ’il est (déjà) plus grand que lui. Ici la traduction par «R ègne de D ieu» n ’est pas à envisager, car ce « Royaume de Dieu » est considéré sous son aspect collectif et presque spatial. 3) L u c 9,2 = M a t t h ie u 10,5-8 «(Jésus) les a envoyés ( = les Apôtres) proclamer (ou : prêcher) la Royauté (ou : le Règne, ou : le Royaume) de Dieu et faire des guérisons » (Luc 9,2). — « Jésus a envoyé (ces douze) en leur recom m andant : « ...Pro clamez (ou : prêchez) que le Règne des Cieux ( = de Dieu) est devenu proche. Guérissez les malades... » (M atthieu 10, 5-8).
P " reconnaît la formule hébraïque yilloud ’ishshâh, qui provient de Job 14,1 ; 15,14; ^5,4 ou de Ben Sira 10,18 et q u ’on retrouve plusieurs fois à Qumrân. 9. Cela sera encore plus clair dans le verset suivant, qui provient lui aussi de la Source com m une. Voir ci-dessous p. 41-42. f parenté de Luc 9,2 avec M atthieu 10,5-8 est signalée par les synopses de L a r f e l d cp. 60), V A N N u rrE L U (p. 128), A l a n d (p. 140) et B e n o i t - B o i s m a r d (p. 126), mais elle ne l ’est ^ s par les synopses de W r i g h t (qui semble omettre Luc 9,2), H u c k (p. 84) et D e is s (p. 63-64 et 104).
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DANS LA SOURCE COMMLJNE À MATTHIEU ET LUC
Luc aboutit à sa formule de prédilection : « annoncer ou proclamer (= prêcher) la « basilcia» de Dieu», (qu’on retrouve en 4,43 ; 8,1; 9,60; 16,16 et dans les Actes 8,12; 20,25 et 28,31), dans laquelle on ne sait s’il faut voir la « Royauté », le « Règne » ou le « Royaume » de Dieu. En M atthieu la notion de proximité semble être acquise par l’arrivée de ce Règne de Dieu, et alors on doit préférer cette notion à « Royauté » et à « Royaume » qui ne peuvent pas « arriver ». En Luc la proclamation peut concerner aussi bien le passé, que le présent ou l ’avenir. En M atthieu la présence du verbe « est devenu proche» pose les mêmes problèmes que nous avons vu à propos de M arc 1,15 (ci-dessus, p. 23-26). 4 ) Luc 11,2 = M a t t h ie u 6 ,1 0
C ’est la seconde demande du Notre Père : « Que ton Règne vienne (ou : arrive)»^^. Bien que certains auteurs traduisent par «R oyaum e», la grande majorité reconnaît, à juste raison, que le parallélisme avec « le Nom » de Dieu et sa « Volonté » oriente vers les notions de « Royauté » ou de « Règne » et q u ’ensuite la présence du verbe « venir» ou plutôt « arriver» ne convient vraiment qu’au « Règne ». En effet, la Royauté de Dieu, étant un droit ina liénable et un attribut permanent, ne peut ni croître ni arriver ; au contraire le Règne de Dieu, l’exercice de cette Royauté dans le cœur des hommes, peut commencer et s’épanouir indéfiniment, donc il peut « v en ir» et « arriver » en eux. Q uant à l ’horizon historique visé par cette demande, rien n ’indique q u ’il faille le reléguer dans le futur. Nous souhaitons et demandons la glorification du Nom de Dieu et la réalisation de sa Volonté dans le présent immédiat ; c ’est donc aussi pour le présent immédiat que nous implorons la venue et l ’arrivée de son Règne. Bien sûr, notre prière n ’assigne aucune limite à ce Règne de Dieu et donc elle inclut indirectement le futur, mais elle concerne d ’abord et principalement la situation concrète dans laquelle nous nous trouvons hic et nunc. Qui oserait dire à son Père du ciel : « Que ton N om soit sanctifié plus tard, que ton Règne arrive dans l’avenir, que ta Volonté soit faite dans le fu tu r» ? Et comment alors ajouter « sur la terre comme au ciel » puisq u ’au ciel ces demandes sont déjà parfaitement réalisées dans l’éternel présent de l ’éternité ? Ceux qui veulent interpréter cette prière en fonction de l ’avenir, et surtout en fonction de l’avenir lointain de la Fin du Monde, ne peuvent s’appuyer que sur les motifs subjectifs de leurs théories personnelles. 5) L uc 11,19-20 = M atthieu 12,27-28 « Si moi (c'est) par Béélzéboul (que) je chasse les démons, vos fils par qui (les) chassent-ils ? A cause de cela ils seront vos juges. Mais si (c’est) par le doigt de Dieu (que) je chasse les démons, donc le Règne de Dieu est parvenu à vous» (Luc 11,19-20). — « Si moi (c’est) par Béélzéboul (que) je chasse les démons, vos fils par qui (les) chassent-ils ? A cause de de cela ils seront vos juges. Mais si (c’est) par l’esprit de Dieu (que) moi je chasse les démons, donc le Règne de Dieu est parvenu à vous» (M atthieu 12,27-28).
11. Voir J. C a r m ig n a c , Recherche$ sur le N otre Père, p. 89-102. Une variante textuelle en Luc est discutée par B.M. M e t z o e r , p. 154-156.
LUC 1 1 ,5 2 = MATTHIEU 2 3 ,1 3
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D aas ces deux textes à peu près identiques (sauf que le doigt de Dieu, chez Luc, devient en Matthieu l’esprit de Dieu), le verbe «parvenir» ou « atteindre » invite à traduire plutôt basileia par « Règne ». Cependant la notion de Royaume n ’est pas impossible non plus, si l ’on suppose un royaume déjà existant qui dilate ses frontières jusqu’à inclure de nouveaux territoires et de nouveaux sujets. Par contre, les indications temporelles sont très claires : Jésus vient de chasser un démon et ce prodige est attribué par les ennemis de Jésus à Béélzéboul ; à l ’inverse Jésus réplique que ce prodige suppose l ’action de Dieu, donc que le Règne de Dieu est déjà parvenu jusqu’à ses auditeurs. Cet argu ment perdrait toute sa valeur si Jésus ne concevait pas le Règne (ou : le Royau me) de Dieu comme une réalité déjà présente et agissante. 6) L u c 11,52 = M a t t h ie u 2 3 ,1 3
« M alheur à vous, les Légistes, car vous avez enlevé la clef de la science : vous-mêmes vous n ’êtes pas entrés et ceux qui entraient vous les avez empêchés» (Luc 11,52). — « M alheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous fermez le Royaume des Cieux ( = de Dieu) devant les hommes ; en effet, vous, vous n ’entrez pas et ceux qui entraient vous ne les laissez pas entrer» (M atth. 2 3 ,1 3 ). Bien que Luc, qui a tendance à supprimer ce qui ne lui paraît pas essentiel, ait omis de mentionner ici le « Royaume de Dieu », la similitude de ces deux phrases est telle q u ’on doit supposer comme origine la Source Commune. Est-ce Luc ou est-ce Matthieu qui a modifié la rédaction originale du Marc-Complété ? Peu nous importe, car il nous suffit de constater ce que M atthieu a voulu nous transmettre. Le sens de « Royaum e» est évident, car seul il s’adapte à cette métaphore de la clef. Et les reproches formulés par Jésus n ’ont de sens que s’ils visent des actes déjà commis, qui ont créé un état permanent d ’hostilité contre le vrai Royaume de Dieu. Luc l ’indique encore plus clairement, puisqu’il met les verbes au passé. Sans aucun doute possible, le Royaume de Dieu existe déjà depuis un certain temps, quand Jésus s’élève ainsi contre les Scribes et les Pharisiens et leur reproche d ’en détourner les hommes. 7) L u c
12,29-31 = M a t t h ie u
6,3 1 -3 3
«V ous, ne cherchez pas ce que vous mangerez ni ce que vous boirez et ne soyez pas inquiets : car tout cela les nations du monde le recherchent, mais votre Père sait que vous en avez besoin. Au contraire, recherchez son Royaume*^ et cela vous sera donné en surcroît» (Luc 12,29-31). — « Ne vous tourmentez pas en disant : Q u’allons-nous manger ? ou q u ’allons-nous boire ? ou qu’allons-nous endosser ? Car tout cela les nations (le) recherchent. Car votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. Mais cherchez d ’abord le Royaume et sa justice et tout cela vous sera donné en surcroît» (M atthieu 6 ,3 1 -3 3 ).
12. Beaucoup de manuscrits portent « le Royaume de Dieu », mais cette variante n ’est pas retenue par les éditions critiques.
40
DANS LA SOURCE COMMUNE À MATTHIEU ET LUC
Si ce royaume n ’est pas explicitement présenté en M atthieu comme étant celui de Dieu, c ’est parce que la chose est évidente. Plus difficile est ici le choix entre « Règne » et « Royaume » et l’on ne peut affirmer que « Règne » soit impossible. Cependant « Royaume » semble préférable dans la mesure où «cherchez» inclut l ’idée de «cherchez à entrer» et où «les nations» (c’est-à-dire les païens) s’opposent aux membres de ce « Royaume ». Par contre il est clair que ce « Royaume » (ou « ce Règne ») existe déjà, puisqu’on doit éviter tous les autres soucis pour ne se préoccuper que de lui. La recom m andation de Jésus serait absurde si le « Royaume » (ou le « Règne ») n ’était q u ’un projet à réaliser à l’avenir, d ’autant plus q u ’en M atthieu le verset suivant interdit de se soucier du lendemain. 8) P a r a b o l e
du
L e v a in : L u c 13,20-21 et M a t t h ie u 13,33
« A quoi comparerai-je le Règne (ou : le Royaume) de Dieu ? II est semblable à du levain q u ’une femme a pris et a c a c h é d a n s trois mesures de farine, jusqu’à ce que tout ait levé» (Luc 13,20-21). — « Le Règne (ou : le Royaume) des Cieux ( = de Dieu) est semblable à du levain q u ’une femme a pris et a caché dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que tout ait levé» (M atthieu 13,33). Cette parabole en miniature, qui fait suite en Luc à celle sur le G rain de Sénevé, se rapporte soit au Règne de Dieu, si l’on insiste sur le dynamisme du levain, soit au Royaume de Dieu, si l ’on considère surtout l’aspect collectif implicite dans la mention de la farine. M atthieu et Luc s’accordent pour décrire l’action de cette femme par des verbes au passé : « elle a pris et elle a caché », et donc ils envisagent ce levain comme déjà en action quand Jésus parle. D ’ailleurs cette parabole sur la puissance de fermentation du levain serait faussée s’il fallait seulement comprendre : « Plus tard le Royaume de Dieu agira comme un levain, mais il n ’agit pas encore m aintenant». 9) L u c 13,28-29 = M a t t h ie u 8,11-12 L ’allégorie de Luc 13,25-27 sur la porte fermée se termine par un dévelop pement que M atthieu transpose dans un autre c o n t e x t e « L à il y aura le sanglot et le grincement des dents, quand vous verrez Abraham, Isaac, Jacob et tous les prophètes dans le Royaume de Dieu et vous jetés dehors. On viendra du levant et du couchant, du nord et du midi et on s’attablera dans le Royaume de Dieu » (Luc 13,28-29). — « Beaucoup viendront du levant et du couchant et s’attableront avec Abraham , Isaac et Jacob dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu), mais les enfants du Royaume seront jetés dans la ténèbre extérieure : là il y aura le sanglot et le grincement des dents » (M atthieu 8,11-12). Malgré les contextes différents et d ’assez nombreuses retouches rédac tionnelles, ces deux textes sont l ’écho de la même Source Commune. Le sens de « Royaume » est patent. Les verbes sont tous au futur et donc concernent un avenir que nous devons essayer de préciser.
13. La tournure grecque avec un verbe au participe et l’autre à l ’indicatif correspond habituellement à la tournure sémitique avec deux verbes coordonnés. 14. O n pourra consulter, si l’on veut, les travaux de Joachim Je re m ia s , de J . D u p o n t , de D . Z e l l e r et de B .D . C h i l t o n (p. 179-201).
LUC 16,16 = MATTHIEU 11,12-13
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Dans M atthieu, qui place cet avertissement après la guérison du serviteur du centurion de Capham aüm , les « enfants du Royaume » sont les Juifs par opposition aux païens. Ainsi les Juifs devraient être les premiers à faire partie du Royaume de Dieu et cela ne vise pas seulement les Juifs de l’avenir, mais, évidemment, déjà ceux qui entourent Jésus et ceux pour lesquels écrit l 'Evangéliste. L ’expression « là il y aura le sanglot et le grincement des dents » que M at thieu affectionne (ici ; 13,42.50 ; 22,13 ; 24,51 ; 25,30) n ’est pas forgée par lui, puisque son emploi en Luc 13,28 nous montre q u ’elle provient de la Source Commune. Partout elle est employée pour caractériser le châtiment des damnés : deux fois (M atthieu 13,42 et 50) elle se rapporte explicitement à la Fin du M onde et trois fois (M atthieu 22,13 ; 24,51 ; 25,30) à la mort du pécheur. Q u’en est-il ici ? En Luc où le contexte parle du nom bre des élus, il s’agit également du jugement après la mort. En M atthieu, où la foi d ’un païen est opposée à l ’incrédulité des Juifs, rien non plus n ’oriente vers la Fin du M onde, et la rétribution à la m ort explique suffisamment tous les détails du texte. Ce futur est donc celui de la m ort de chacun des auditeurs de Jésus et des lecteurs de M atthieu et de Luc : alors ils auront la surprise de trouver des païens parmi les élus (présentés comme attablés au même festin que les Patriarches) et de se voir eux-mêmes rejetés au dehors. Ainsi le Royaume de Dieu est le ciel, où seront admis même des païens et d ’où seront exclus même des Juifs. 10) L u c 16,16 = M a t t h ie u 11,12-13'^ « La Loi et les Prophètes jusqu’à Jean ; depuis lors le Royaume de Dieu est annoncé et chacun se violente vers lui ( = doit se faire violence pour y entrer)» (Luc 16,16). — « Depuis les jours de Jean-Baptiste jusqu’à mainte nant le Royaume des Cieux ( = de Dieu) est violenté et des violents le confisquent, car tous les Prophètes et la Loi jusqu’à Jean (1’) ont prophétisé » (M atthieu 11,12-13). Ce texte difficile semble vouloir dire, en Luc, que chacun doit se faire violence pour parvenir au Royaume de Dieu ; en Matthieu, que de violentes oppositions cherchent à empêcher d ’y entrer. Luc semble avoir maintenu ce texte à sa place originale, alors que M atthieu l’a transporté dans un contexte plus logique. Mais M atthieu est peut-être plus fidèle que Luc à la forme primitive de cette parole de Jésus. Heureusement nous pouvons nous dispenser d ’entrer dans les contro verses exégétiques, car les deux points qui nous intéressent sont suffisamment clairs. D ’abord le sens fondamental est bien celui de « Ro y a u me » et non pas celui de « Règne », car le Règne de Dieu ne peut pas être « violenté » ni
15. Le substrat sém itique (aram éen) de ces te.xtes est discuté p a r D alman (p. 113-116) et plus succinctem ent p a r H éring (p. 28).
16. Ces textes ont fait l’objet de nombreuses études ; les plus récentes sont celles de G. B r a u m a n n , de P.H. M e n o u d , de W.E. M o o r e et de B.D. C h i l t o n . En Matthieu le mot « biastai » ( = violents) n ’a pas d ’article et donc on ne peut pas comprendre, semble-t-il que les disciples de Jésus s ’emparent avec énergie (dans le bon sens) du Royaume de Dieu ; on doit semble-t-il comprendre que des violents (que Jésus ne veut pas désigner de façon précise) empêchent (dans le mauvais sens) d ’y parvenir.
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DANS LA SOURCE COMMUNE À MATTHIEU ET LUC
« confisqué » (ou, comme pensent certains, « approprié »), et surtout il ne peut pas être confisqué par des malhonnêtes, seul le Royaume, par les hommes qui le composent, peut subir (ou ; exercer) ces traitements. Ensuite les précisions historiques sont formelles : ce Royaume de Dieu existe bel et bien au moment où Jésus parle, puisqu’il prend même soin d ’en fixer le début : « depuis Jean (Baptiste)». Quelles que soient les interprétations adoptées, ce texte affirme en toute hypothèse que le Royaume de Dieu a commencé dès la mission de Jean-Baptiste. M atthieu ne précise pas si c ’est dès le début ou dès la fin de cette mission, mais Luc supposerait plutôt que c ’est depuis la fin.
^
CHAPITRE IV
Les Textes propres à Matthieu Dans l ’Evangile de M atthieu, tout ce qui ne provient pas de Marc ou de la Source Commune à M atthieu et à Luc est mis au compte de l’Evangéliste, sans que nous puissions en générai distinguer ce q u ’il emprunte à des documents (écrits on oraux) et ce q u ’il rédige lui-même. Mais, les documents dont il s’inspire doivent correspondre à scs vues personnelles et il est toujours capable de les retoucher à son gré. Nous ne lui faisons donc pas d ’injustice quand nous lui attribuons tout ce dont nous ne connaissons pas l ’origine, même s’il se contente peut-être de ratifier des données antérieures. 1) M a t t h ie u 4,23 ; 9,35 ; 24,14 A trois reprises, M atthieu trouve en Marc 1,39 ; 6,6 et 13,10 le verbe « proclam er» ( = « prêcher») ou le verbe « enseigner» et il le pourvoit d ’un complément « l ’Evangile (ou la bonne nouvelle) du Règne (ou du Royaume) », qui semble inspiré de M arc 1,14 : « proclamant l ’Evangile (ou : la bonne nou velle) de D ieu». Cette touche rédactionnelle doit provenir de l ’Evangéliste lui-même, qui n ’avait pas besoin de recourir à une source précise pour ajouter une telle remarque. La formule est si vague que nous ne pouvons préciser si elle parle du « Règne » ou du « Royaume ». Mais une telle insistance ne s’expliquerait pas si cette bonne nouvelle concernait un avenir plus ou moins lointain et si elle ne visait pas la réalisation immédiate de ce « Règne » ou de ce « Royaum e». Curieusement, une formule équivalente se trouve 3 fois en Luc (8,1 ; 9,2 et 9,60) dans des passages qui ne sont pas parallèles à ceux de M atthieu. Ainsi les deux évangélistes ajoutent l ’un et l ’autre la même formule, mais à des endroits différents. C ’est la preuve que l ’un et l ’autre la considéraient comme bien représentative de la prédication de Jésus. 2) M a t t h ie u 5,1 9 -2 0
« Si quelqu’un viole un seul de ces plus petits préceptes et s’il enseigne cela aux hommes, il sera appelé le plus petit dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu). Mais si quelqu’un (le) pratique et (1’) enseigne, celui-là sera appelé grand dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu)... Si votre justice ne dépasse pas (celle) des Scribes et des Pharisiens, vous n ’entrerez pas dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu)». En M atthieu, le verset précédent (5,18) contient quelques termes identi ques à ceux de Luc 16,17 ; il se pourrait donc que ce passage provienne de la
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TEXTES PROPRES À MATTHIEU
Source Commune et que Luc en ait seulement conservé quelques mots. Mais ce n ’est là qu’une hypothèse invérifiable. Le sens de « Royaume » s’impose ici puisqu’il s’agit d ’une réalité col lective, dans laquelle on « entre ». Curieusement, les verbes qui indiquent les conditions sont au subjonctif aoriste, à sens de répétition dans le présent (« si quelqu’un viole.., s ’il enseigne... s ’il pratique... s’il enseigne... si votre justice ne dépasse pas...») et les verbes qui indiquent les résultats sont à l ’indicatif futur (« il sera appelé...) ou au subjonctif aoriste à cause de « ou mê », signifiant « il n ’y a pas de danger que... » (« il n ’y a pas de danger que vous entriez = vous n ’entrerez pas »). Cette tournure montre clairement que les conditions sont à remplir dès m aintenant, mais que leur effet ne se produira que plus tard : c’est dès m aintenant qu’on peut violer et faire violer les préceptes, q u ’on peut les observer et les faire observer, que la justice peut dépasser celle des Scribes, mais c’est seulement plus tard q u ’on entrera ou n ’entrera pas dans le Royaume de Dieu et q u ’on y sera considéré comme le plus petit ou le plus grand. Ici donc le Royaume de Dieu est présenté dans le futur, mais dans un futur relativement proche, puisque les auditeurs de Jésus pourront y pénétrer ou en être exclus’. 3) M a t t h ie u 7,21 « C e n ’est pas tout (homme) qui me dit «Seigneur, Seigneur» qui entrera dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu), mais celui qui fait la Volonté de mon Père qui (est) dans les Cieux ». Luc 6,46 résume la même idée et donc il se pourrait que cette parole de Jésus provienne de la Source Commune à M atthieu et à Luc, mais nous ne pouvons pas le vérifier. Comme dans le texte précédent, il s’agit bien du Royaume de Dieu, où l ’on peut entrer, et la même distinction apparaît entre les deux verbes au présent ; «(celui) qui me dit... celui qui fait...», et le verbe au futur : « il entrera dans le royaume ». Donc, comme au texte précédent, Jésus distingue les conditions à remplir déjà maintenant et l’effet à obtenir plus tard, mais dans un avenir accessible à ses auditeurs. Certains manuscrits (énumérés par N e s t l e , M e r k o u L e g g ) ajoutent ; «celui-là entrera dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu)». Cette variante est une addition manifeste et, en ce qui nous concerne, elle ne modifie en rien les données de la phrase précédente. 4) A l l é g o r ie
d e l ’I v r a ie d a n s l e
B lé : M a t t h ie u 13,24-30+36-43
« Le Royaume des Cieux ( = de Dieu) a été comparé à un homme ayant semé de la bonne graine dans un champ. Pendant que les hommes dormaient.
I. C ’est ici que devrait ê(re mentionné M atthieu 6,13 : « C ar à toi est la royauté, la puissance et la gloire pour les siècles », où le sens de « royauté » est imposé par le parallélisme avec la « puissance » et la « gloire » ; le premier terme, tout comme les deux suivants, désigne un attribut subjectif de Dieu. Mais ce texte, qui est une addition d'origine liturgique inspirée par 1 Chron. 29,11-12, ne peut pas être considéré comme authentique, ainsi que le reconnaissent les éditions critiques de T i s c h e n d o r f , de W e s t c o t t - H o r t , de N e s t l e , de VON SoDEN, de M e r k , de L e o o et d ’ALANo. La question est discutée plus en détail par B .M . M b t z o e r , p. 16-17 et par J. C a r m i g n a c (Recherches...) p. 320-333.
MATTHIEU 13 ,2 4 -3 0 + 36 -4 3
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son ennemi est venu : il a semé de l’ivraie au milieu du blé et il est parti. Quand l’herbe a poussé et a fait du fruit, alors est apparue aussi l’ivraie. ; serviteurs lui disent ; « Veux-tu nue nous allions la ramasser ?» Il dit : « N on. De peur q u ’en ramassant rivraie vous ne déraciniez le blé en même temps q u ’elle. Laissez l ’un et l’autre croître ensemble jusqu’à la moisson et au moment de la moisson je dirai aux moissonneurs ; « Ramassez d ’abord l ’ivraie et liez-la en gerbes pour la brûler, et rentrez le blé dans m on grenier»... « Ses disciples ( = de Jésus) sont venus à lui en disant : « Explique nous l ’allécorie de l ’ivraie du champ ». En réponse il leur a dit ; « Celui qui sème la bonne graine c ’est le Fils de l ’Homme. Le champ c ’est le monde. La bonne graine ce sont les enfants du Royaume. L’ivraie ce sont les enfants du Mauvais L ’ennemi qui l’a semée c ’est le diable. La moisson c ’est la consom mation du temps. Les moissonneurs ce sont les anges. Donc, comme on ramasse l’ivraie et on la brûle au feu, ainsi il en sera à la consommation du temps Le Fils de l ’Homme enverra ses anges et ils ramasseront de son Royaume tous les scandales et ceux qui font l’iniquité et ils les jetteront dans la fournaise de feu. L à il y aura le sanglot et le grincement des dents. Alors les justes brilleront comme le soleil dans le Royaume de leur Père ». Ainsi pourvue de son explication, cette allégorie^ est parfaitement claire ; il s’agit sans aucun doute possible du Royaume de Dieu et les perspectives historiques sont bien précisées. Le Royaume de Dieu existe déjà, puisque c’est Jésus, le Fils de l ’Homme, qui le réalise^ L ’ivraie, elle aussi, est déjà semée car pour elle les verbes sont constamment au passé ; « son ennemi est venu il a semé de l ’ivraie... il est parti ; quand l ’herbe a poussé et a fait du fruit alors est apparue aussi l ’ivraie... l ’homme ennemi a fait cela... l ’ennemi’ qui l’a semée». Mais ce passé se continue dans le présent, car plusieurs verbes, surtout dans l ’explication de l ’allégorie sont au présent : « d ’où (le champ) a-t-il donc de l ’iv ra ie ? ; ...les serviteurs lui d isen t: «V eux-tu »; celui qui sème la bonne graine, c’est le Fils de l’Homme; le cham p c ’est le monde ; la bonne graine ce sont les enfants du Royaume ; l’ivraie w sont les enfants du Mauvais ; l’ennemi... c ’est le diable». Puis la moisson est décrite au futur : « je dirai aux moissonneurs» et, par chance, ce futur est précisé comme étant « la consommation du temps» ; alors « le Fils de l’Homme enverra ses anges et ils ramasseront... ils les jetteront... il y aura le sanglot... les justes brilleront comme le soleil dans le Royaume de leur Père ». Les enseignements de cette allégorie sont extrêmement précieux ; le Royaume de Dieu a déjà commencé quand Jésus parle, il se prolonge dans le présent et il durera jusqu’à la Fin du Monde, jusqu’à la punition défimtive des méchants et à la transform ation définitive des justes. En outre nous
2 . R . B u ltm a n n conteste le caractère allégorique de ce passage ; « Je tiens le morceau pour une pure parabole et non, comme le pense J ü u c h e r , pour une allégorie » (Histoire de la tradition synoptique, p. 223). Plus loin (p. 572) il ciledans le même sens D odd , Jerem ias et K üm m el. Cette discussion n ’a aucune importance pour nous. 3. Les semailles sont même présentées par un participe aoriste: « un homme ayant semé », puis par un indicatif aoriste ; « n ’as-tu pas semé de la bonne graine ? ».
*tO
TEXTES PROPRES A MATTHIEU
apprenons que le Royaume du Fils de l’Homme n ’est pas formé seulement par des justes, mais q u ’il englobe aussi « tous les scandales et ceux qui font l ’iniquité», ceux que les anges «jetteront dans la fournaise de feu (où) il y aura le sanglot... » ; c ’est même ce mélange permanent de justes et de pécheurs qui semble la leçon principale de cette allégorie : les serviteurs, qui proposent d ’éliminer l ’ivraie ( = les méchants), en sont catégoriquement empêchés : «No n . De peur q u ’en ramassant l’ivraie vous ne déraciniez le blé ( = les justes) en même temps q u ’elle. Laissez l ’un et l’autre croître ensemble jusqu’à la moisson ». Nous constatons aussi que le Royaume de Dieu ( = des Cieux) mentionné au début de l’allégorie devient dans le cours du récit « le Royaume du Fils de l’Homme » et à la fin « le Royaume du Père » : ces trois formules sont donc interchangeables. Certains auteurs (voir ci-dessous, p. 192-193) voudraient introduire une distinction entre le Royaume du Fils de l ’Homme (sur terre) et le Royaume du Père (au ciel) ; mais c ’est oublier que l’allégorie a pour but d ’illustrer la notion de Royaume des Cieux ( = de Dieu) qui est mentionnée dès les premiers mots. 5) P a r a b o l e
du
T r é s o r : M a t t h ie u 13,44
« Le Règne (ou : Royaume) des Cieux ( = de Dieu) est semblable à un trésor caché dans un champ : l ’homme qui l’a trouvé l ’a (re) caché et dans sa joie il s’en va vendre tout"^ ce qu’il a et il achète ce champ-là ». A elle seule cette parabole ne nous permet pas de préciser si ce trésor figure le « Règne » de Dieu ou son « Royaume ». Elle veut enseigner la valeur de ce trésor et inviter à l’acquérir à tout prix, mais elle est intemporelle et elle ne permet pas de le situer historiquement : si deux verbes sont au passé : « a trouvé» et « a (re) caché», c ’est par rapport aux verbes suivants : «il va, il vend... et il achète». Mais comme le m ontre D o d d (Parables..., p. 87) Jésus n ’aurait pas proposé cette parabole et la suivante s’il n ’avait pas eu l’intention d ’ejchorter ses auditeurs à faire l’impossible pour s’ouvrir à ce Règne de Dieu ou pour entrer dans son Royaume. Implicitement elles supposent un Règne ou un Royaume de Dieu à portée de la main. 6) P a r a b o l e
d e la
P e r l e : M a t t h ie u 13,45-46
« Le Règne (ou : le Royaume) des Cieux ( = de Dieu) est encore semblable à un marchand qui cherche des perles précieuses ; ayant trouvé une perle de grand prix, il s’en est allé réaliser tout ce q u ’il avait et il l’a achetée». Comme pour la parabole précédente, nous ne pouvons guère ici distinguer entre le « Règne » et le « Royaume » de Dieu. L ’action de ce m archand est située dans le passé : « ayant trouvé... étant allé, il a réahsé (verbe au parfait)... ce q u ’il avait (imparfait)... il a acheté» ; mais son commerce est au présent : « un marchand qui cherche». On serait imprudent si l’on insistait sur ce passé et il est plus sage de considérer cette parabole comme aussi intemporelle que la précédente. Son but est uniquement de mettre en valeur le très grand prix de cette perle, qui vaut mieux que tous les biens q u ’on possédait.
4. Le m ot « tout » m anque dans quelques témoins très anciens.
MATTHIEU 1 3 , ^ - 5 2 ; 1 6,17-19
7) Allégorie
du
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F ilet ; M atthieu 13,47-50
« Le Royaume des Cicux ( = de Dieu) est encore semblable à un filet qui a été jeté dans la mer et qui a attrapé (des poissons) de toute espèce ; quand il a été plein, on l’a tiré sur le rivage, on s’est assis, on a trié les bons dans des récipients et on a jeté dehors les mauvais. Ainsi (en) sera-t-il à la consommation du temps : les anges sortiront, sépareront les méchants du milieu des justes et les jetteront dans la fournaise de feu : là il y aura le sanglot et le grincement des dents ». Cette allégorie ressemble beaucoup à celle de l’Ivraie : ici comme là c’est bien le « Royaume » et non pas le « Règne » qui est en cause ; ici comme là, l’interprétation vise explicitement la Fin du Monde. Mais ici plus encore que là, est décrite la composition disparate du Royaume de Dieu, qui rassemble des justes et des pécheurs, dont le tri ne sera fait qu’au Jugement Général. C ’est même cet enseignement qui forme le trait essentiel de cette allégorie, avec la description du sort réservé aux méchants. 8) R éflexion
générale sur les allégories
: M atthieu 13,51-52
« Avez-vous compris tout cela ? (Les disciples) lui disent : « Oui ». 11 (= Jésus) leur a dit : « C ’est pour cela que tout scribe instruit du Règne (ou : du Royaume) des Cieux ( = de Dieu) est semblable à un maître de maison qui sort de son trésor du neuf et de l’ancien ». Le contexte ne permet pas de préciser si Jésus parle du « Règne » ou du « Royaume» de Dieu ; peut-être est-ce de l’un et de l’autre. Manifestement les disciples, à qui est adressée cette réflexion, sont déjà les émules de tels scribes, parce qu’ils sont instruits du « Règne » ou du « Royaume » de Dieu. Mais l’enseignement que Jésus leur a donné et qu’ils ont bien compris pourrait porter sur le passé, sur le présent ou sur l’avenir. Nous ne pouvons donc rien conclure sur la réalisation du « Règne » ou du « Royaume » de Dieu. 9) Promesses
à
P ierre : M atthieu 16,17-19
« En réponse (à Pierre) Jésus lui a dit : Heureux es-tu, Simon fils de Jona, car (la) chair et (le) sang ne t ’ont pas révélé (cela), mais mon Père qui (est) dans les Cieux. Et moi je te dis que tu es Pierre*, (que) sur cette pierre je construirai mon Eglise et (que) les portes du Sheôl ne seront pas plus fortes qu’elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux ( = de Dieu) : ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les Cieux et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les Cieux ». Cette promesse est insérée par Matthieu seul dans un passage (16,13-23) où il est parallèle à Marc 8,27-33 et à Luc 9,18-22. Matthieu est seul aussi à reprendre une partie de ce texte en 18,18 : «T out ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le Ciel et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le Ciel». Différentes hypothèses ont été faites sur l’origine de cette
5. N ous savons par Jean 1,42; 1 Cor. 1,12; 3,22; 9,5; 15,5; Gai. 1,18; 2,9; 11,14 q u ’effectivement Pierre a été appelé Kêfâ(s), ce qui en aram éen signifie « la pierre » ou « le roc », « le rocher ».
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TEXTES PROPRES À MATTHIEU
promesse®, quoique tout le monde soit bien obligé de reconnaître son carac tère sémitique''. Certains voudraient la considérer comme inauthentique, mais elle se trouve dans tous les manuscrits de Matthieu®, sans plus de variantes secondaires que le reste des Evangiles®. Quelle que soit l ’origine de ce passage, ce qui nous importe, c ’est de le comprendre exactement^®. Comme Jésus parle des clefs du Royaume (voir ci-dessus (p. 39) Luc 11,52 et M atthieu 23,15) et qu’il souligne le caractère spatial de ce Royaume, en opposant la terre et le ciel, on ne doit pas hésiter à reconnaître ici le sens de « Royaume » plutôt que celui de « Règne ». La promesse de Jésus s’exprime par des verbes au futur : « Je construirai mon Eglise... les portes de l ’Enfer ne seront pas plus fortes q u ’elle. Je te donnerai les clefs du Royaume (de Dieu)... sera lié... sera délié». Mais quelle est la portée de ce futur : est-ce que l’Eghse n ’existe pas encore, ni les clefs du Royaume, et q u ’elles n ’existeront que plus tard, pendant la vie de Pierre ? Ou bien est-ce que l ’Eglise existe déjà, mais q u ’elle ne reposera sur Pierre que plus tard ? Est-ce que ce qui est lié ou délié sur la terre l ’est déjà dans le ciel, mais cette fonction ne sera attribuée à Pierre que plus tard ? Reconnais sons que ce passage, à lui seul, ne nous permet pas de répondre à ces questions et de résoudre ces am biguïtés^^ Mais nous devons noter très soigneusement le parallélisme manifeste que Jésus réalise entre « son Eglise » et « le Royaume de Dieu ». C ’est en somme la même idée q u ’il exprime par deux formules équivalentes : « sur (toi) je construirai mon Eglise» et « je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux ( = de Dieu) ». A travers deux images différentes mais complémentaires, c ’est la même réalité que Jésus désigne par son « Eglise » et par le « Royaume des Cieux ». Ce parallélisme est d ’autant plus significatif que le terme « Eglise » est extrêmement rare dans les Evangiles : M arc, Luc et Jean ne l ’emploient jamais ; M atthieu ne l’emploie q u ’ici et en 18,17 (au voisinage de 18,18 qui est apparenté de façon manifeste à la finale de notre passage. Ainsi sur les deux fois où le m ot « Eglise » apparaît dans les Evangiles, il est une fois considéré comme l ’équivalent du « Royaume de Dieu ». L ’un des plus récents commen-
6. Etudes plus ou moins développées sur ce passage : non seulement dans les commen taires sur M atthieu, mais aussi chez H . D ie c k m a n n (I, p. 285-319), L. d e G r a n d m a is o n (II, p. 63-65), O. L i n t o n (p. 157-180), T.W. M a n s o n (Sayings, p. 201-205), R .N . F l e w (p. 89-98), K.L, ScHMiDT(Ekkêsia... en allemand, p. 522-530 ; en français, p. 78-94), G . G a n d e r (tout l’ouvrage), G .E . L a d d (p. 240-242), J. K a h m a n n , P. H o f f m a n n . 7. Ce substrat sémitique (araméen) est étudié par D a l m a n (p. 174-178). 8. Et elle était déjà connue au premier siècle par les Odes de Salomon X X II,12, au deuxième siècle par l ’Apocalypse Grecque de Barach X I,2, entre 150 et 155 par J u s t i n dans son Dialogue avec Tryphon, chapitre 100, n° 4 ( M io n e , Patrologie Grecque vol. VI, col. 709, traduction A r c h a m b a u l t , p. 123) et vers 220 par T e r t u l l i e n dans le De Pudicitia, chap. 21 ( M ig n e , Patrologie Latine, vol. II, col. 1025). L ’authenticité est actuellement reconnue par K .L. ScHMiDT (p. 523) : « Dans les autres cas une tradition n ’est nullement considérée comme inauthentique parce q u ’elle est une tradition particulière ». 9. Selon l’édition de L e g q , la plus complète qui existe actuellement. 10. K.L. ScHMiDT remarque à propos de ce texte : « Il est caractéristique combien fortement, dans toute cette discussion, une construction systématique a évincé la position exégétique » (Basileia... p. 526, note 63). 11. Ces réponses seront fournies ci-dessous, p. 96.
MATTHIEU 18,1 + 3 + 4
45/
tateurs de M atthieu dit explicitement : « l ’Eglise de Dieu et de Jésus est iden tique au Royaume de Dieu et de Jésus » (P. G a e c h t e r , p. 530) 10) M a t t h ie u 18,1 + 3 + 4 Dans le récit de M arc 9,33-37, que Luc 9,46-48 reproduit en l’abrégeant, M atthieu 18,1-5, qui lui aussi abrège M arc sur certains points, ajoute quelques développements, qui trois fois mentionnent le « Royaume des Cieux ( = de Dieu) ». Là où M arc 9,34 disait : « Qui (est le) plus grand ? » et Luc 9,46 : «Qui serait (le) plus grand (parmi) eux ( = les disciples) ?» M atthieu 18,1 dit : « Qui est Oe) plus grand dans le Royaume des Cieux ? ». Puis M atthieu 18,3-4 complète M arc 9,36 (et Luc 9,48) en insérant la réflexion suivante : « Si vous ne changez pas et (ne) devenez (pas) comme les enfants, vous n ’entrerez pas dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu). Donc quiconque se rendra petit comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu)». T out ce passage, avec ses trois références au « Royaume des Cieux ( = de Dieu) », vise clairement le « Royaume » et non pas le « Règne » de Dieu, puisqu’il s ’agit précisément d ’y entrer, d ’en être membre et d ’être comparé aux autres membres.
12. L a bibliographie sur ce texte est immense. Q u’il soit pem ûs de ne citer (mais dans sa langue originelle) qu ’un vieil auteur anonyme, qui risquerait de tom ber dans l’oubli ; « 1 will give unto thee the keys of the kingdom o f heaven. » By « the kingdom of heaven » is meant the Church which Christ was establishing on earth, with ail its privilèges and means o f grâce, to préparé his people for the Church trium phant— the kingdom of heaven above. It is the common usage of our Lord to describe his Church by this expression ; as when he likens « the kingdom o f heaven » to a net cast into the sea, which encloscd both good fishes and bad (M att. 13, 47-50); to a field, in which both the good seed and the tares were to grow together until the harvest (M att. 13, 24-30) ; to a grain o f mustard seed growing into a large tree, in which the fowls of the air should lodge (M att. 13, 31-32); to leaven hid in three measures of meal till the whole was leavened (M att. 13, 33) ; and in many other familiar cases. The phrase is sometimes used in other senses, sometimes the S tate o f e te m a l glory, sometimes the internai experience of the Christian, sometimes the whole work and dispensa tion of Christ. But here it evidently means the Church, o f which he had just before spoken, and to which the subséquent clauses plainly apply ». (« The Rock. An exegesis of St. Matthow 16,15-19 », dans The Journal o f Sacred Literature and Bibiical Record, vol. VU, n" 13, April 1858, p. 82). La liste des auteurs qui maintiennent l’authenticité de M atth. 16,17-19 est dressée par O. CuLLMANN (Saint-Pierre..., p. 167-191) et complétée par G.E. L a ü d (p. 241). Parmi les auteurs qui refusent l'authenticité de ce passage, voici l’opinion de R. B u l t m a n n (Histoire de la tradition synoptique, p. 179): « Il me paraît absolument impossible de tenir Matthieu 16,18-19 pour une authentique parole de Jésus, comme le désirerait K.L. S c h m u jt qui trouve exprimée dans cette sentence la fondation par Jésus d ’une société particulière (d ’une kenîStâ). La rançon à payer pour ce moyen de se tirer d ’affaire est que l’ekklêsia perd son radical sens eschatologique » (l’aveu est significatif!). B.S. E a t o n abonde dans le même sens (p. 257) : « Il est maintenant admis universellement que (ce passage) est secondaire, car il est totalement inconciliable avec l’enseignement de Jésus sur le Royaume, soit présent, soit futur » (autre aveu significatif!). En 1941 B u l t m a n n revient sur la question (Die Frage... article reproduit en 1967 dans Exegetica) pour affirmer à nouveau que Jésus ne pouvait pas vouloir fonder une « para-synagogue », puisque « il ne peut y avoir aucun doute que cette ekklêsia était le peuple de Dieu eschatologique » (Exegetica, p. 263). Nous voyons par là comme les théories eschatologiques influencent la compréhension des paroles de l’Evangile... La position de B ü l t m a n n est légèrement adoucie par son disciple E. D i n k l e r (dans un ouvrage en l’honneur de B ü l t m a n n !).
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TEXTES PROPRES À MATTHIEU
Mais l ’horizon historique est moins facile à déterminer. Comme les disciples se chamaillent pour savoir qui est le plus grand dans le Royaume des Cieux ( - de Dieu), leur discussion ne doit pas être purement académique et théorique, au sujet d ’un Royaume de Dieu éloigné ou intemporel. D ’ailleurs M atthieu exprime au présent le verbe sous-entendu chez M arc : « Qui (est le) plus grand ? », et Luc précise « (le) plus grand parmi eux ». Ensuite M atthieu met sur les lèvres de Jésus un avertissement au futur (« vous n ’entrerez pas»), mais ce futur doit être assez rapproché, puisqu’il concerne les disciples auxquels Jésus s’adresse pour régler leur querelle ; « Je vous le dis... vous n ’entrerez pas». Ensuite Jésus énonce un principe plus général valable pour « quiconque », mais il met la condition au futur (« se rendra petit ») et la conséquence au présent (« celui-là est le plus grand »). Pour justifier cette alternance dans le temps des verbes, on est amené, en harmonie avec le contexte, à comprendre ce récit de la façon suivante : Les disciples envisagent le Royaume de Dieu comme une réalité présente, ou du moins si proche q u ’elle peut être considérée comme déjà présente, à laquelle ils participent ou participeront dans un avenir imminent. Jésus leur répond en leur précisant la condition q u ’ils devront remplir pour entrer (au futur) dans ce Royaume de Dieu. Puis il élargit l ’horizon et s’adresse à tous les candidats à ce Royaume en leur affirmant q u ’eux aussi devront réaliser la même condi tion ; comme il s’agit d ’un principe général, les verbes pourraient être au présent, mais, par un curieux illogisme, Jésus met cette condition au futur et son résultat au présent. En somme les disciples ne sont pas encore entrés dans le Royaume de Dieu, alors q u ’ils s’en croient tellement proches q u ’ils discutent déjà sur la répartition des places, mais ils pourront y entrer bientôt ; ce royaume ne sera pas égalitaire, mais il supposera une différenciation, qui sera le contraire de la différenciation actuelle.
11)
P a r a b o l e d u D é b it e u r I m p it o y a b l e : M a t t h ie u
18,23-35
« Le Règne des Cieux {= de Dieu) a été comparé à un homme, un roi, qui voulait régler ses comptes avec ses serviteurs... » Après avoir mis en scène un débiteur qui devait dix mille talents et un autre qui devait cent deniers, Jésus conclut : « Ainsi mon Père céleste (lui) aussi agira envers vous, si vous ne pardonnez pas, chacun à son f r è r e d e (tout) votre cœ ur». Dans cette parabole, une traduction par « Royaum e» fausserait la pensée de Jésus : la conclusion montre nettement que Jésus décrit le principe de gouvernement suivi par Dieu, donc q u ’il veut dire « Règne», là où le grec emploie «basileia». Nous voyons ici comment Dieu met à exécution sa Royauté. Bien sûr, les deux serviteurs sont membres du Royaume de Dieu, dont l’un est exclu, parce q u ’il ne se conforme pas à l ’exemple que lui donne son maître. Mais ce n ’est pas l’aspect « Royaume » qui est présenté par cette parabole, c’est l’aspect « Règne ». La parabole est tout entière rédigée au passé, mais c ’était inévitable que Jésus emploie une tournure historique, pour donner une allure de réalité au récit fictif q u ’il inventait. Ces verbes au passé n ’ont donc pour nous aucune valeur particulière.
13. Form ule sémitique signifiant « l ’un à l ’autre ».
MATTHIEU 1 9 ,1 2 ; 2 0 ,1 -1 6
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Le seul verbe qui puisse nous renseigner sur l ’horizon historique de ce « Règne de Dieu » est celui de la conclusion : « Ainsi mon Père céleste (lui) aussi agira envers vous ». Nous sommes clairement dans le domaine du futur, sans que rien ne précise s’il s’agit d ’un futur proche ou d ’un futur lointain. Ce sont les auditeurs de Jésus qui sont concernés par cet avertissement, mais nous ne savons pas si le jugement de Dieu les atteindra à leur mort, ou seulement à la Fin du Monde. 12) M a t t h ie u 19,12 « Il y a des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère, et il y a des eunuques qui ont été rendus tels par les hommes, et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du Règne (ou : du Royaume) des Cieux ( = de Dieu)». Ici Jésus n ’envisage pas la façon dont Dieu réalise sa Royauté, mais la réaction de certains hommes qui y sont soumis. Faut-il comprendre que certains hommes se sont castrés pour « entrer dans le Royaume de Dieu » ou bien q u ’ils l ’ont fait sous l’influence du «R ègne» de Dieu sur eux ? La préposition grecque « dia » n ’est pas assez précise pour nous renseigner sur ce point. Par contre ces eunuques sont trois fois mentionnés au présent, comme des réalités historiques bien connues. Et chaque fois la cause de leur état est indiquée par un verbe au passé. C ’est donc déjà dans le passé que certains hommes se sont eux-mêmes rendus eunuques et que leur acte a été inspiré par le « Règne » ou le « Royaume » de Dieu. Mais cela ne signifie pas nécessairement que ce « Règne » ou ce « Royaume » de Dieu appartiennent au passé : des hommes ont pu agir dans le passé en vue d ’un but futur. Sur ce point aussi ce passage de M atthieu reste amphibologique. 13) P a r a b o l e
des
O u v r ie r s E n v o y é s à l a V ig n e : M a t t h ie u 20,1-16
« Le Règne des Cieux ( = de Dieu) est semblable à un homme maître de maison, qui sortit le m atin embaucher des travailleurs pour sa vigne, etc. Ainsi les derniers seront les premiers et les premiers (seront) les derniers». Dire que le Royaume de Dieu est semblable à un homme ne serait pas très logique. Plus naturellement, Jésus propose cet homme et ses serviteurs comme images de Dieu gouvernant le monde et donc c ’est le « Règne » de Dieu qui est ici la traduction normale. Les principaux verbes de la parabole sont au passé, comme l ’exige le genre littéraire de ce récit fictif, et donc ils n ’ont pour nous aucune signification spéciale. M ais la conclusion est au futur, ce qui indique que la reddition de comptes supposée par la parabole ne sera exécutée que plus tard, dans un avenir totalement imprécis, qui peut fort bien être proche ou très éloigné. 14) M a t t h ie u 20,20-28,
'J :'-
parallèle à
M a r c 10,35-45
L ’épouse de Zébédée demande pour ses fils : « Dis que mes deux fils que voici siègent l’un à ta droite et l ’autre à ta gauche dans ton Royaume... ». Jésus répond : « ... Siéger à ma droite et à (ma) gauche, ce n ’est pas mon (affaire) de le donner, mais (c’est) pour ceux à qui (cela est) préparé par m on Père...» Et Jésus termine par une adm onition adressée aux douze Apôtres : « Vous savez que les chefs des nations les régentent et (que) les
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TEXTES PROPRES À MATTHIEU
grands les oppriment. Ce n ’(est) pas ainsi (qu’) il (en) sera^'* parmi vous, mais quiconque veut parmi vous devenir grand, il sera votre serviteur. Et quiconque veut parmi vous être le premier, il sera votre esclave, comme le Fils de l’Homme n ’est pas venu (pour) être servi, mais (pour) servir et donner sa vie (en) expia tion à la place de beaucoup ». Selon M arc 10,37 la demande présentée à Jésus concerne la prom otion de Jacques et Jean à sa droite et à sa gauche « dans ta gloire » et M atthieu 20,21 remplace « g lo ire» par «basileia». Si M atthieu a voulu conserver le caractère subjectif de « gloire », il a dû avoir à l’esprit le sens de « Royauté ». Mais s’il a substitué un terme à l’autre, n ’est-ce pas plutôt parce q u ’il voulait remplacer l’idée subjective de « gloire» par l’idée objective de « R oyaum e» ? Il a dû penser qu’il n ’était pas naturel de dire « siéger dans ta gloire » et qu’il vaudrait mieux dire « siéger dans ton Royaume ». Aussi, malgré le parallèle de Marc, et peut-être même à cause de lui, on doit, semble-t-il, donner la préférence au sens de « Royaume ». Mais ici ce « Royaume » n ’est pas consi déré comme le « Royaume de Dieu », il est bel et bien le « Royaume de Jésus», les deux formules étant équivalentes (voir ci-dessous, p. 98). La demande suppose évidemment que le Royaume de Jésus n ’est pas encore là, mais q u ’il va être inauguré dans un avenir immédiat, pendant la vie même de Jésus. Et Jésus ne répond pas en arguant d ’une erreur de pers pective, mais d ’une différence d ’attribution : ces postes sont décernés par son Père et non par lui. Puis Jésus adresse à tous les Apôtres une monition plus générale : la grandeur réelle sera l ’inverse de la grandeur apparente. Mais ce futur ne concerne plus le « Royaume » : il suppose que la vraie grandeur, c ’est-à-dire la petitesse apparente, n ’est pas encore atteinte par les Apôtres, mais q u ’elle pourra l’être. Jésus admet donc implicitement que « son Royaume » existera bientôt, avant la m ort de tous ses Apôtres. 15) M a t t h ie u 2 1 ,3 1 -3 2
« Les publicains et les prostituées vous précèdent*^ dans le Royaume de Dieu*®. En effet Jean est venu vers vous dans la voie de la justice*'' et vous
14. En Marc 10,43 et en M atthieu 20,26 les manuscrits hésitent entre le présent « est » et le futur « sera ». L ’édition de Aland préfère le présent en M arc et le futur en M atthieu (voir B.M. M b t z g e r , p. 108 et 52-53). 15. Bien que le verbe soit au présent dans tous les manuscrits grecs, l’apparat critique de L eg g signale que plusieurs versions traduisent au fu tu r: Syriaque Sinaitique, Copte Bohaïrique, Ethiopienne et peut-être Géorgienne (1 manuscrit sur 3). En latin selon l’apparat critique de W o r d s w o r t h -W h it e , la Vetus-Latina aurait le présent selon 7 manuscrits (dont 2 du 4 ' ou 5 ' siècle) et le futur selon 4 manuscrits (dont 2 du 4 ' ou 5 ' siècle) ; pour la Vulgate 15 manuscrits ont le présent et sont suivis p ar les éditions de W o r d s w o r t h -W h it e et de W eber , mais 11 manuscrits ont le futur et ils sont suivis par les éditions de Robert E s t ie n n e , SrxTE V, C lam ent V llI, T is c h e n o o r f . En français, le futur est employé par L e M a ist r e de S a c y (éditions de 1759), E. R eus S, Pierre de B e a u m o n t , André F r ossa r d (« En ce temps-là a Bible »), André C h o u r a q u i ; mais le présent est conservé à juste titre p ar O st e r v a l d , C r a m p o n , C e n t e n a ir e , L ié n a r t , M a r ed so u s , J ér u sa lem , O st y et Traduction Oecuménique. 16. Ici M atthieu ne parle pas d u «R oyaum e des C ieux», mais, par exception, du Royaume de Dieu ». 17. Evidemment il s’agit ici de la perfection dans l’observance de la loi juive.
MATTHIEU 2 1 ,4 3
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n ’avez pas cru en lui, alors que les publicains et les prostituées ont cru en lui. Et vous, en (les) voyant, vous n ’avez pas ensuite changé de disposition pour croire en lui ». Le sens de « Royaume » s’impose, puisque c ’est un lieu vers lequel on se dirige (ou ; ne se dirige pas). Parfois les traductions françaises remplacent (pour quel m otif ?) le présent « précèdent » par le futur « précéderont », mais en grec tous les manuscrits (selon L e g g ) ont bien le présent. Et de fait, cette réflexion de Jésus suppose que déjà les publicains et les prostituées ont cru en la prédication de Jean et sont entrés dans le Royaume de Dieu, que déjà les chefs des prêtres et les anciens du peuple, avec lesquels Jésus discute (M atthieu 21,23), ont refusé d ’y croire et que déjà ils n ’ont pas tenu compte de l’exemple que leur donnaient ces publicains et ces prostituées. Donc ce texte ne peut pas se comprendre si l’on n ’adm et pas que le Royaume de Dieu existe déjà et q u ’il existait déjà lors de la prédication de Jean-Baptiste.
vifv ■^1
16) M a t t h ie u 2 1 ,4 3
L ’allégorie*® des Vignerons Homicides est complétée, chez Mathieu seulement, par cet avertissement : « Le Règne (ou : le Royaume) de Dieu*® vous sera enlevé et il sera donné à une nation qui fasse ses fruits ( = qui lui fasse porter des fruits) ». Le verset suivant précise que les chefs des prêtres et les Pharisiens ont compris que Jésus parlait d ’eux ; c ’est donc au moins à eux que s’applique le pronom « vous ». Cet avertissement de Jésus est rattaché à l ’allégorie des Vignerons Homicides (M atth 21,33-42) où est décrit le « R ègne» de Dieu. Reconnaissons q u ’il est difficile de dire q u ’un « règne sera donné à une nation », mais il n ’est pas plus facile de dire q u ’un «royaum e sera donné à (cette) nation». En hébreu ou en araméen la préposition « lamed » est assez polyvalente pour que ce texte signifie soit (comme a compris le traducteur grec du M atthieu sémitique) « le Règne (ou : le Royaume) sera donné à une nation », soit (comme il aurait dû comprendre) « le Règne (ou le : Royaume) sera donné pour cette nation », c ’est-à-dire « en direction de cette nation », « au sujet de cette nation », « en ce qui la concerne ». Au fond Jésus veut dire : « Dieu cessera de régner sur vous et il régnera sur d ’autres », ou bien : « vous cesserez d ’appartenir au Royaume de Dieu et d ’autres y appartiendront à votre place ». Dans un cas comme dans l ’autre, ce Règne ou ce Royaume concerne déjà les chefs des prêtres et les Pharisiens (et sans doute aussi une partie notable du peuple juif), mais bientôt il ne les concernera plus et il concernera d ’autres sujets.
.
18. Bien que J ü u c h e r considère ce passage comme une parabole allégorisée, J.M . V osté et J . PiROT le rangent à juste titre parmi les allégories. 19. A nouveau M atthieu oublie de remplacer « D ieu » par « Cieux ».
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17) P a r a b o l e
TEXTES PROPRES À MATTHIEU de la
N o c e e t d e l ’H a b it N u p t ia l : M a t t h ie u 22,2-14
« L e Règne des Cieux ( = de Dieu) a été comparé à un homme, à un roi, qui fit les noces pour son fils. Il envoya ses serviteurs, etc.... Le roi, étant entré pour regarder les convives, vit là un homme non revêtu de l’habit de noce. Il lui dit : « Ami, comment es-tu entré ici sans avoir l ’habit de noce ? » Celui-ci resta muet. Alors le roi dit aux serviteurs : « Liez-lui les pieds et les mains et expulsez-le dans les ténèbres extérieurs : là il y aura le sanglot et le grincement des dents». La même parabole est racontée par Luc 14,15-24, mais sans q u ’y figure ni le Règne de Dieu, ni le passage sur l’habit de noce. Il se pourrait que l ’un et l’autre ait emprunté son récit à la Source Commune. Cette parabole concerne la façon dont Dieu gouverne le monde, et donc il faut ici traduire « basileia » par « Règne ». La traduction par « Royaume » aboutirait à un contre-sens, car, manifestement, ce sont les noces qui sont ici une image du Royaume, dans lequel on entre et d ’où l’on est expulsé. Comme dans les autres paraboles ou allégories, les verbes au passé veulent donner à ces récits fictifs une apparence historique. Nous n ’avons donc pas à tenir compte de ce passé^°. Mais ensuite aucun détail ne nous permet de localiser (si l’on peut dire 1) ce récit dans le temps. Comme il est situé entre deux controverses avec les chefs des prêtres ou les Pharisiens (M atth. 21,4546 et 22,15) nous pouvons deviner q u ’il concerne ces adversaires de Jésus, que Dieu convie aux noces de son fils, c ’est-à-dire à son Royaume, qui est aussi celui de Jésus. Ce sont aussi les mêmes adversaires qui sont symbolisés par le convive sans habit de noce. Mais cela n ’est pas dit explicitement et donc la prudence demande de ne pas utiliser cette parabole pour déterminer quand s’est exercé ou s’exercera ce Règne de Dieu ni quand a commencé ou commencera ce Royaume de Dieu. 18) M a t t h ie u 24,14 « Cet Evangile (ou : cette bonne nouveUe) du Règne (ou : du Royaume) sera proclamé (e) dans toute la terre en témoignage pour toutes les nations ; alors viendra la fin ». Le futur du verbe « proclamer » concerne la bonne nouvelle (ou : l ’Evangile), mais pas directement le Règne ou le Royaume, qui peuvent être antérieurs à leur diffusion. Or la Fin (du M onde) ne surviendra q u ’après une diffusion atteignant tout l’univers. Mais on pourrait objecter que la bonne nouvelle peut aussi proclamer un Règne ou un Royaume à venir. Aussi ne peut-on extraire de ce texte aucun renseignement valable sur le début du Règne ou du Royaume. 19) P a r a b o l e
des
D ix V ie r g e s : M a t t h ie u 25,1-13
« Alors le Royaume des Cieux ( = de Dieu) sera comparé à dix vierges, qui ont pris leurs lampes et sont allées à la rencontre de l ’époux, etc.... Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jo u r ni l ’heure ».
20. N i non plus, évidemment, d u futur « il y aura le sanglot », car c’est un futur par rapport à l’expulsion du convive sans h abit de noce.
MATTHIEU 2 5 ,3 1 -4 6
' ■■
Comme dans la parabole précédente, les noces représentent le Royaume de Dieu, dans lequel certains sont admis et d ’autres non. Les vierges sont les sujets qui vivent dans ce Royaume. L’époux est soit Dieu, soit plutôt Jésus, soit l ’un et l ’autre. Ainsi, notre logique aurait été mieux respectée si Jésus avait dit : « Les sujets du Royaume de Dieu seront semblables à dix vierges... » Mais on supplée facilement l’absence de cette précision. Dès le début, Jésus indique que sa parabole s’applique à l ’avenir, puisqu’il emploie le futur « sera com paré». Mais cet avenir doit être relativement pro che, puisqu’il concerne les auditeurs, auxquels s’adresse la monition finale : «Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jo u r ni l’heure». 20) D e s c r ip t io n
du
J u g e m e n t D e r n ie r : M a t t h ie u 25,31-46
«Q u an d sera venu le Fils de l’Homme dans sa gloire et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône glorieux^ ^ Toutes les nations seront rassemblées devant lui et il les séparera ( = les hommes) les uns des autres, comme le berger sépare les chèvres^^ des boucs. 11 placera les chèvres à sa droite et les boucs à sa gauche. Alors le roi dira à ceux de sa droite : Venez, les bénis de mon Père, héritez le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde ». En effet... ».
:y
Ce texte est parfaitement clair : le roi, qui est Jésus, parle bien d ’un Royaume, dont les bénis vont prendre possession, ou plutôt q u ’ils vont rece voir aussi gratuitement q u ’un héritage. Et cet héritage sera obtenu au moment de la Parousie et du Jugement Dernier, comme le précise la première phrase. Mais s’agit-il du Royaume de Dieu ou du Royaume de Jésus ? Ce Royaume semble bien être celui du Fils de l ’Homme, puisque c’est lui qui en choisit les participants et qui en exclut les réprouvés lors du Jugement Dernier. Mais c ’est aussi, semble-t-il, le Royaume de Dieu, puisque les élus sont « les bénis de son Père» et que ce Royaume a été préparé pour eux (par qui ?) depuis la fondation du monde. Cette confusion ou cette équivalence entre le Royaume de Dieu et le Royaume de Jésus pose une question que nous devrons tâcher de résoudre^^.
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35
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21. Littéralement : « le trône de sa gloire ». 22. « Les chèvres » plutôt que « les brebis », à cause du contexte. 23. Voir ci-dessous p. 98-100.
CHAPITRE V
Les textes propres à Luc T out comme M atthieu, Luc a connu et utilisé Marc, complété par les additions provenant de la Source Commune. Mais lui aussi, il possédait des renseignements supplémentaires provenant de diverses traditions (orales ou écrites, peu importe ici pour nous), qui pouvaient enrichir sa présentation des actes et des paroles de Jésus. C ’est d ’ailleurs bien ce que suppose le prologue de Luc (1,1-4). Evidemment, il est fort possible que Luc ou M atthieu aient fait un tri dans les éléments que leur fournissait le « Marc-Complété » et que l ’un et l ’autre ait omis volontairement des récits qui lui semblaient peu en harmonie avec les goûts ou les préoccupations de ses destinataires ^ Dans ce cas le passage emprunté au «M arc-C om plété» nous paraît provenir d ’une source particulière à Luc ou à M atthieu, alors qu’en réalité il provient de la Source Commune. Pour nous, heureusement, cette erreur d ’attribution n ’aura pas de graves conséquences, puisque nous examinons tous les textes qui parlent de la « basileia » de Dieu ou de Jésus, Et de même les savants qui auraient des vues différentes sur la composition des Evangiles peuvent fort bien conserver leurs hypothèses personnelles, qui n ’aboutiraient q u ’à modifier l ’ordre de présentation des textes. N ous ne pouvons pas non plus distinguer toujours ce que Luc emprunte à des sources et ce q u ’il rédige lui-même. Tout ce qui a un substrat sémitique doit provenir de ses sources et ce qui n ’a pas ce substrat doit représenter une composition personnelle, ou du moins un document déjà rédigé en grec. En conséquence, parmi les passages propres à Luc, nous ne pouvons pas toujours déterminer avec certitude ceux qui remontent à la Source Commune, ceux qui dérivent de sources particulières et ceux qui constituent un apport personnel. 1) L u c 1,31-33 « T u l’appelleras Jésus. Il sera grand et appelé fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de son père David, il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son Règne n ’aura pas de fin ».
1. C ’est ainsi q u ’une soixantaine de versets de M arc ne se retrouvent ni en M atthieu ni en Luc, soit parce que le « Marc-Complété » les aurait déjà négligés, soit parce que l’un et l’autre les auraient simultanément éliminés.
LUC 9 ,6 2 ; 12,32
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Ce texte, dont l ’origine est manifestement sémitique, concerne bien le « Règne» et non pas le « Royaum e», puisqu’il s’agit précisément d ’exercer ce Règne pendant une durée illimitée. Les verbes, qui sont tous au futur, indiquent que ce Règne n ’a pas encore commencé lors de l ’Annonciation à Marie, mais ils affirment tous que ce Règne débutera avec Jésus et ne finira jamais. Ce Règne sera donc celui de Jésus, mais en même temps il sera le Règne de Dieu, qui en sera le donateur. Ainsi, quand on dit « Règne de Dieu » et « Règne de Jésus » la préposition « de » n ’a pas le même sens : dans le premier cas elle signifie « donné par Dieu » et dans le second cas « exercé par Jésus ». W: p: ■«; . 'V ‘
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2) L uc 4,43 ; 8,1 ; 9,11 ; 9,60 « Il me faut annoncer aussi aux autres villes le Règne (ou : le Royaume) de Dieu, car (c’est) pour cela (que) j ’ai été envoyé». Luc, 4,42-43 dit à peu près la même chose que M arc 1,35-38, mais les deux rédactions sont tellement différentes qu’on hésite ici à voir en Luc un adapfateur de Marc, lequel disait «afin que je prêche», alors que Luc porte « c a r il me faut annoncer... le Règne (ou : le Royaume) de D ieu». Cette formule est tellement vague et tellement générale qu’on ne peut préciser si cette annonce concerne le « Règne» de Dieu, ou son « Royaume», ou les deux à la fois. Mais si Luc insère 4 ou 5 fois cette formule, tout comme M atthieu l ’insère lui aussi 3 fois dans des développements non-synoptiques (4,23 ; 9,35 ; 24,14), c ’est q u ’elle leur paraît à l ’un et à l’autre exprimer l’essentiel de la prédication de Jésus. Et leur accord fortuit sur ce point nous prouve que les témoins de la vie de Jésus avaient l ’habitude de résumer ainsi son enseignement ; « Il proclamait ou il prêchait, ou il annonçait, ou il enseignait la bonne nouvelle du Règne (ou du Royaume) de Dieu». Aucun verbe ne vient préciser quand se réalisera ce « Règne » ou ce « Royaum e» de Dieu. Mais on voit mal Jésus insister tellement sur ce point (et demander à d ’autres d ’en faire autant : Luc 9,60 : « Toi, va annoncer le Règne (ou : le Royaume) de D ieu»), s’il ne s’agissait pas là d ’une réalité déjà présente ou du moins imminente. 3) L u c 9,62 « Personne, s’il a mis la main à la charrue et regarde en arrière, n ’est apte au Règne (ou ; au Royaume) de Dieu ». Ici encore, l’absence de contexte ne permet pas de décider entre « Règne» ou « Royaume » de Dieu. Mais, ici plus qu’ailleurs, Jésus insiste sur Furgence d ’une adhésion positive, car cette réponse est faite à un homme qui demande seulement un délai de quelques jours pour aller prendre congé de sa famille. Comment comprendre une telle exigence de la part de Jésus, s’il ne prêche qu’un « Règne » ou un « Royaume » de Dieu prévus pour un avenir assez lointain ?
C
4) L uc 12,32 « Ne crains pas, petit troupeau, puisqu’il a plu à votre Père de vous donner le « Royaume ».
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TEXTES PROPRES À LUC
Entre deux versets communs avec M atthieu (Luc 12,31 = M atthieu 6,33 ; Luc 12,33 = M atthieu 6,20), Luc insère cette phrase bien frappée en style sémitique^. S’il s’agissait du « R ègne» de Dieu, le verbe « donner» supposerait que Dieu a délégué sa Royauté aux membres du petit troupeau pour qu’ils l ’exercent à sa place. Ce n ’est évidemment pas cela que Jésus veut dire. C ’est donc le «R o y aum e» qui est accordé aux disciples, qui ne forment encore q u ’un petit troupeau, mais qui sont regardés par leur Père du Ciel avec complaisance ou avec bienveillance. Le verbe, « il a plu » au passé, pourrait en théorie être considéré comme un «passé prophétique» : Dieu ayant déjà décidé d ’accomplir une chose qui ne se réalisera que dans l’avenir. Mais c’est dans le présent que doit être éliminée toute crainte et elle doit être éliminée parce que Dieu a déjà décidé de « d o n n e r» le Royaume. Même si, en théorie, cette expression peut s ’appli quer à un Royaume qui ne sera donné que plus tard^, on ne peut nier q u ’elle convienne beaucoup mieux si le petit troupeau est déjà gratifié du « Royaume », ce qui doit le prémunir contre toutes les peurs possibles. 5) L u c 14,15 « Un des convives, entendant cela, lui a dit ( = à Jésus) : « Bienheureux quiconque mangera du pain dans le Royaume de Dieu». Voilà bien une phrase qui est certainement d ’origine sémitique. Luc l ’insère après 14 versets qui lui sont personnels et avant la parabole des Noces qui est reproduite, avec de notables variantes, par Luc 14,16-24 et par Matthieu 22,2-13. Nous ne pouvons donc affirmer avec certitude ni qu’elle provient de la Source Commune, ni q u ’elle n ’en provient pas. Mais peu importe pour nous. Le sens de « Royaum e» s’impose, puisqu’il est ici comparé à un repas, dont on se réjouit d ’être un des convives. » Le verbe au futur indique clairement q u ’on ne participe pas encore à ce repas et rien n ’indique si cet avenir est proche ou éloigné. Simplement la participation à ce repas du Royaume, même pour un rôle modeste : manger du pain'*, est considérée comme un bonheur digne d ’être mentionné. 6) L u c 17,20-21* « Interrogé par les Pharisiens quand vient le Règne de Dieu, il ( = Jésus) leur a répondu et il a dit : « Le Règne de Dieu ne vient pas ostensiblement®. On ne dira pas : « Voici (il est) ici ou là. Car voici (que) le Règne de Dieu est parmi vous ».
2. Wilh. Pesch a consacré un savant article à ce passage, mais sans insister sur l’aspect qui nous intéresse. B.D. C h il t o n étudie longuement (p. 231-250) les sources possibles et la rédaction hypothétique de ce verset. 3. Voir en ce sens J. D u p o n t (Béatitudes, III, p. 122-124). 4. Certes, en langage sémitique, cette formule convient à toutes les participations à un repas, mais ici, alors q u ’au verset suivant Luc parle explicitement d ’un banquet, elle n ’insiste pas, bien au contraire, sur la qualité du repas. 5. Le substrat sémitique (araméenj de ce texte est étudié par D a lm a n (p. 116-119) et plus guccinctem ent par H é r in o (Remarques..., p. 27-28). 6. Littéralement : « avec observation ». Voir P. J o ü o n , Notes philologiques..., p. 354-355.
LUC 17,20-21
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Vers la fin de la longue section personnelle'' qui va de 9,51 à 18,14, Luc fait figurer ces paroles, q u ’il n ’emprunte pas à M arc ni à la Source Commune et dont l ’origine sémitique est évidente. L ’importance de ce passage est consi dérable pour nous, puisque Jésus y répond précisément à la question dont nous cherchons la solution : Quand faut-il situer dans le temps le Règne de Dieu ? D ’abord, il s’agit bien du Règne et non pas du Royaume de Dieu, puisque la question porte sur le temps et q u ’un Royaume ne peut pas « venir ». Les Pharisiens posent leur question au présent, parce qu’ils ne veulent pas préjuger de la réponse, qui pourra concerner aussi le passé ou l ’avenir. Tout naturellement Jésus garde ce présent dans sa réponse (« il vient», « il est »), puisqu’il refuse cette problématique et qu’il veut amener ses inter locuteurs à se faire une idée plus spirituelle de ce Règne de Dieu. Cependant il emploie le futur pour nier les réactions de curiosité : la manifestation spectaculaire du Règne de Dieu n ’est pas encore apparue ni dans le passé, ni dans le présent (sans quoi la question des interlocuteurs n ’aurait pas de sens) et donc elle ne peut être envisagée que pour l ’avenir. Reconnaissons donc que ju sq u ’ici la réponse de Jésus ne nous satisfait pas, car elle élude la question sans la résoudre. Du moins elle nous apprend une chose très impor tante : le Règne de Dieu est une réalité spirituelle qui n ’est ni observable ni localisable. Mais, après cette invitation à dépasser les conceptions trop influencées par les théories à la mode de l’époque, Jésus répond à ce qui était sérieux et valable dans la question et sa réponse est décisive. Les exégètes se sont demandé® si Jésus voulait dire que le Règne de Dieu est présent dans le cœur des Pharisiens ou bien q u ’il est présent dans la société contemporaine^. La plupart optent pour la seconde interprétation, en faisant valoir que Jésus ne pouvait affirmer que le Règne de Dieu existait déjà dans le cœur ou l’âme des Pharisiens, puisqu’ils étaient précisément les ennemis du Règne de Dieu ainsi conçu. Cet argument est judicieux. Mais pour nous cette distinction entre les divers sens possible du m ot grec « entos » ( = parmi) n ’a pas grande importance, car dans tous les cas on aboutit aux mêmes conclusions : a) Si, comme il est plus probable, Jésus a répondu aux Pharisiens : « le Règne de Dieu est présent dans la société juive dont vous faites partie », alors il affirme que ce Règne de Dieu existe déjà et q u ’il s’exerce déjà sur certains de leurs contemporains, b) Si, comme il est moins probable, Jésus leur a répondu : « le Règne de Dieu est dans vos cœurs », alors il affirme également que ce
7. Q uelques passages de cette section o n t des parallèles en M arc 12,28-31 ; 3,22-27; 8,1 5 ; 4,30-32; 9 ,5 0 ; 9 ,4 2 ; 13,15-16; d ’autres, plus nom breux, se retrouvent dispersés en M atthieu. O n suppose donc q u ’une partie de cette section provient de la Source C om m une ; m ais une au tre partie est sans d oute rédigée à p a rtir de docum ents propres à Luc. 8. O : texte a in sp iréd e nom breuses études : en 1937, T . W. MAN.soN(Sayings...,p. 303-305); e n 1938, P.M .S. A llen ; en 1939, A. S ledd ; en 1940, R. O r r o (p. 98-104) ; en 1948, B. N o ack , puis A . F euillet (p. 545-548); en 1958, 1960 et 1963, A. S tr o b el ; en 1960, A. R ü s t o w ; en 1962, F . M ossher , puis R . S need (qui résum e sa thèse de d o c to ra t); e n 1963 et 1967, N . P errin (K ingdom o f G o d ..., p. 174-178 ; Rediscovering..., p. 68-74, plus une bibliographie, p. 255-256); en 1970, R . S chnackenburo ; e n 1974, H . H a r tl . 9. C .H . R oberts en 1948 et O . G R i r m u s e n 1951 s o u tie n n e n t que é n to s h u m ô n signifie « à p o rté e d e v o tr e m a in », c e q u i re v ie n t e n s o m m e à la se c o n d e in te rp ré ta tio n .
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TEXTES PROPRES À LUC
Règne de Dieu existe déjà et q u ’il s’exerce déjà sur les Pharisiens eux-mêmes. En toute hypothèse, Jésus considère ce Règne de Dieu comme une réalité déjà présente 7) L u c 18,29 « Pierre a dit : « Voici que, nous, ayant quitté (nos) biens, nous t ’avons suivi ». Il ( = Jésus) leur a dit (aux apôtres) : « Amen, je vous dis q u ’il n ’y a personne qui a quitté une maison, une femme, des frères, des parents ou des enfants à cause du Règne (ou ; du Royaume) de Dieu, qui ne reçoive pas beaucoup plus en ce temps-ci et dans le siècle à venir la Vie étemelle ». L ’ensemble de ce dialogue se trouve aussi en M arc 10,28-30 et en M atthieu 19,27-29. Mais là où Luc porte « à cause du Règne (ou ; du Royaume) de D ieu», M arc dit « à cause de moi ( = Jésus) et à cause de l’Evangile» et Matthieu dit « à cause de mon nom ». Nous pouvons donc conclure que c ’est Luc en personne qui a voulu cette modification pour un m otif soit littéraire soit théologique. Peut-être a-t-il agi ainsi pour mieux s’adapter à la mentalité de ses lecteurs, qui commençaient à moins s’intéresser à la personne de Jésus et qui songeaient surtout à participer à ce Règne (ou : ce Royaume) de Dieu. Quoi qu’il en soit, cette adaptation de M arc représente directement non pas la pensée de Jésus, mais l ’interprétation par Luc de la pensée de Jésus. Le contexte de Luc ne nous permet pas de préciser s’il parle du Règne ou du Royaume de Dieu, car on peut renoncer à tous ses biens soit pour mieux s’ouvrir au Règne de Dieu, soit pour mieux participer à son Royaume. Par contre la réflexion de Pierre vise certainement le passé (et de même en M arc et en M atthieu) puisqu’il fait allusion au renoncement que lui et les apôtres ont dû consentir pour commencer à suivre Jésus. Et la réponse de Jésus, qui indique le résultat de ce renoncement, se situe sur le même plan, mais en énonçant un principe général qui déborde le cas des apôtres et qui concerne tous les disciples de Jésus, dans le passé, dans le présent et dans l ’avenir. Si Jésus emploie un verbe au passé (« qui a quitté »), ce passé est relatif au verbe suivant (« qui ne reçoive pas ») et donc il n ’a pour nous aucune valeur parti culière ; le renoncement est toujours antérieur à sa récompense. Mais ce qui a une grande valeur c’est que le principe général formulé par Jésus
10. Loisy (Synoptiques... II, p. 401-404, voir à la fin de ce livre l’Appendice I, p. 203-205) se donne beaucoup de mal pour dénaturer le sens de ce présent, qui gêne ses théories. Plusieurs auteurs avouent qu’ils ne peuvent pas admettre que ce texte s’applique au présent, parce que cela com prom ettrait son caractère eschatologique. Voici comment T.F. G lasson (Kingdom as Cosmic... p. 192-193) apprécie leur m éthode: « Certains interprètes harmonisent (ce texte) avec la théorie futuriste en ajoutant le m ot « subitement » (par exemple B u l t m a n n , Jésus and the W orld, London, 1935, p. 40). On est enclin à ratifier l’opinion de R udolf O rro (Kjngdom o f G od, London, 1938, p. 135): « Pour sauver une fausse théorie, on s’en tire en suppléant certains mots, comme « subitement », « inopinément ». Ce m ot est mis entre p a r e n th è ^ et la parenthèse insérée dans le texte ; « Le Royaume viendra (subitement) parmi vous ». Singulière méthode d'interprétation qui interpole le texte plutôt q u ’elle ne l ’explique. Le m ot entre parenthèses deviendrait alors l ’essentiel du discours et sur lui seul tout reposerait ». Plus logiquement, E. G r asser parle de « la pensée non-eschatologique de Luc » (p. 212).
LUC 19.11 ; 2 2 ,1 6
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s’applique déjà aux apôtres : eux, ils ont déjà tout quitté à cause du Règne ou du Royaume de Dieu, tout comme le feront ensuite bien d ’autres disciples. Les apôtres, quelques mois ou quelques années auparavant, en laissant leur famille et leurs biens, ont déjà agi, selon la pensée de Luc, en vue du Règne ou du Royaume de Dieu. Certes on ne dit pas que ce Règne ou ce Royaume existait déjà et les apôtres ont pu, en théorie du moins, n ’agir que pour une espérance plus ou moins lointaine. Mais Luc ne fait ici que transposer à l ’intention de ses lecteurs la formule de Marc : « à cause de mot ( = Jésus) et de l ’Evangile,», ou celle de M atthieu : « à cause de mon nom ». Donc, selon la pensée de Luc, agir à cause de Jésus et de l’Evangile, c ’est agir à cause du Règne ou du Royaume de Dieu. Manifestement, pour Luc, Jésus et son Evangile sont équivalents au Règne ou au Royaume de Dieu. 8) L u c 19,11 «C om m e ils ( = les apôtres) entendaient cela, (Jésus) à n o u v e a u l e u r a dit une parabole, parce q u ’il était proche de Jérusalem et q u ’ils s’imaginaient que le Règne (ou ; le Royaume) de Dieu devait se manifester immédiatement ». Cette phrase, qui ne se trouve q u ’en Luc, correspond bien à son intention de grouper dans le cadre d ’un dernier voyage à Jérusalem un bon nombre des enseignements de Jésus. En Luc 9,51 nous avons le début de ce voyage et ici nous sommes près du terme. Cependant le sémitisme qui marque le début de cette phrase (comme en Luc 20,11 et 12 et dans les Actes 12,3) oblige à sup poser que, pour les premiers mots au moins, Luc s’inspire d ’un document sémitique. S’agit-il du Règne ou du Royaume de Dieu ? L ’un et l ’autre peuvent se manifester. Et n ’oublions pas que ce passage nous transmet non pas la pensée de Jésus, mais les rêves des apôtres, que Luc refuse de prendre à son compte. Selon ces rêves, le Règne ou le Royaume de Dieu devait se manifester bientôt, et sans doute d ’une façon spectaculaire. Cette manifestation peut d ’ailleurs supposer, dans l’imagination des apôtres, soit que le Règne ou le Royaume de Dieu n ’existaient pas encore, soit q u ’ils existaient déjà, mais en secret, et qu’ils allaient enfin apparaître en public. Comme ce ne sont là que des rêves, et qui ont été cruellement démentis par la réalité, nous ne pouvons en tirer aucun argument valable sur la date prévue pour ce Règne ou ce Royaume.
9) Luc 22,16 « Quand ç ’a été l’heure, (Jésus) s’est mis à table et les apôtres avec lui. n leur a dit : « J ’ai désiré d ’un (grand) désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir, car je vous dis que je ne la mangerai plus jusqu’à ce q u ’elle soit accomplie dans le Royaume de Dieu ». La première phrase est assez parallèle à M arc 14,17 et à M atthieu 26,20, mais ensuite Luc ne dépend plus d ’eux. Cependant il reproduit un document
11. Pour dire « à nouveau », Luc n ’emploie pas l’adverbe « palin », qui serait normal en grec, mais la formule sémitique « il a ajouté et il a dit » : ou « ayant ajouté, il a dit » : c ’est l'indice d ’une origine sémitique pour cette phrase.
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sémitique et même hébraïque, car la formule « j ’ai désiré d ’un (grand) désir» correspond sans aucun doute possible à l ’infmitif absolu de l’hébreu (et cette tournure caractéristique n ’existe pas en araméen). Le sens est manifestement celui de Royaume, puisqu’il s’agit ici d ’un lieu dans lequel sera célébrée la future Pâque. De même il est clair que ce texte concerne l ’avenir. Si les paroles de Jésus sont à prendre dans leur signification habituelle, cet avenir est très proche, puisqu’il se réalisera avant la Pâque de l ’année suivante. Mais, plus pro bablement, ces paroles de Jésus sont chargées d ’une valeur métaphorique ou allégorique et elles veulent dire en somme que Jésus va m ourir et entrer dans une vie céleste, qui est présentée comme le Royaume de Dieu. 10) L u c 22,29-30 «V ous ( = les apôtres) êtes ceux qui ont persévéré avec moi dans mes épreuves. Et moi je vous transmets, comme mon Père me (1’) a transmis, un Règne (ou : un Royaume), afin que vous mangiez et buviez sur ma table dans mon Royaume, et que vous siégiez sur des trônes en jugeant les douze tribus d ’Israël ». L ’ensemble de ce texte se retrouve en M atthieu 19,28, et donc il provient de la Source Commune. Mais M atthieu n ’a pas cette double mention du Royaume de Dieu, qui correspondrait si bien à ses goûts. Comme on ne peut guère supposer q u ’il l ’ait négligée, on doit plutôt la considérer comme une addition venant de Luc lui-même*^. Dans ces deux emplois du mot « basileia », le second concerne bien le Royaume, dans lequel sera réalisé le festin messianique. Mais le premier ? On adm ettra volontiers q u ’il a aussi le même sens et donc que Jésus a transmis à ses apôtres le Royaume qu’il a reçu de son Père. Le verbe « transmettre » est au présent et s’oppose au passé qui concerne la transmission du Père à Jésus : Jésus parle donc d ’un Royaume qui existe présentement. Si c’était seulement le droit à ce Royaume (futur), Jésus aurait dû nécessairement mettre le verbe au futur ou spécifier que ce q u ’il trans mettait alors n ’était pas le Royaume, mais seulement une promesse. Le texte, tel q u ’il est, impose cette conclusion, d ’autant plus que la transmission du Père à Jésus n ’est pas un simple « titre », mais bien une réalité, située dans le passé : donc la transmission présente de Jésus aux apôtres doit être aussi réelle. Pourtant on ne peut nier que ce texte concerne aussi la Fin du Monde, car « siéger sur des trônes pour juger les douze tribus d ’Israël » est une claire allusion au Jugement Dernier. D ’ailleurs le texte parallèle de M atthieu le précise d ’une façon explicite : « dans la nouvelle création quand le Fils de l ’Homme siégera sur son trône g l o r i e u x 'v o u s siégerez vous aussi sur douze
12. L ’importance de ce texte est bien mise en relief par B üchhelm , qui lui emprunte le titre de son 2 ' chapitre (p. 55-88) : « A ma table dans mon Royaume ». 13. Littéralement : « dans la palingénèse ». 14. Matthieu emploie la tournure sémitique « le trône de sa gloire ».
LUC 2 3 ,4 2
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trônes en jugeant les douze tribus d ’Israël». Ainsi nous voyons que le Royaume de Dieu existe déjà quand Jésus parle à ses apôtres et qu’il existera encore à la Fin du Monde et au Jugement Dernier. 11) L u c 23,42 « 11 ( = le bon larron) disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ta Royauté (ou ; ton Royaume)». Les manuscrits grecs hésitent entre « en tê basileiâ » et « eis tên basileian » ; à leur suite les critiques sont assez indécis : W e st c o t t -H o r t , N estle , A l a n d (Synopse en 1964), M e t z g e r (p. 181) préfèrent «eis tê n » ; T is c h e n d o r f , VON SoDEN (1913), L a g r a n g e , M e r k et l ’édition de A l a n d -B l a c k - M e t z g e r WiKGREN (en 1966) préfèrent « en tê». Sans q u ’on puisse prétendre à la certitude, les critiques qui optent pour « en tê » font vaJoir que la présence du verbe « venir » devait entraîner en grec le passage de « en tê » en « eis tên » et empêcher celui de « eis tên » en « en tê». Ainsi la variante « eis tên » a plus de chance d ’être une correction et la variante « en tê », qui est littérairement moins naturelle, a plus de chance de correspondre à l ’original. Si l ’on adm et que ce passage correspond à une source sémitique (au verset 40 la tournure « ayant répondu... il a dit » est si normale en hébreu ou en araœéen et si anormale en grec !), le problème devient encore plus insoluble, car dans un cas comme dans l’autre l ’hébreu ou l ’araméen emploieraient b m l K w T k ' qui peut signifier soit « dans ta Royauté » soit « dans ton Royaume ». N ’oublions pas non plus que cette phrase n ’est pas mise sur les lèvres de Jésus, mais sur celles du bon larron. Luc ne la prend donc pas nécessairement à son compte. En fait cette phrase peut se comprendre soit en fonction du ciel, où Jésus va pénétrer comme un roi dans son Royaume, soit en fonction de la terre, où il reviendra avec la dignité de roi (messianique) dans son Royaume (messianique). Mais la réponse de Jésus s’harmonise mieux avec la première hypothèse : « Amen je te (le) dis : A ujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis ». Toutes ces incertitudes obligent à n ’attacher à ce texte aucune valeur démonstrative.
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15. L ’hébreu pourrait en théorie faire la différence entre bimeloukâtekâ « dans ta Royauté » et bemamlâkâtekâ. « dans ton Royaume », mais il est plus probable qu’il i>ortait simplement b m l k w t k , qui est possible soit en hébreu soit en araméen (avec des vocali sations différentes).
CHAPITRE VI
Dans l’Évangile de Jean Le quatrième évangile attache beaucoup moins d ’importance que les autres aux notions de « Royauté », de « Règne », ou de « Royaume » de Dieu, bien q u ’elles n ’en soient pas tout à fait absentes. Cette diflërence provient-elle du fait que cet évangile, qui a été composé après les autresS vise davantage un millieu héüénistique, où ces notions juives ne font pas partie des idées courantes ? Nous constaterons en eifet dans tout le Nouveau Testament que leur fréquence varie avec le caractère plus ou moins ju if et plus ou moins hellénistique des destinataires de chaque ouvrage. 1) J e a n 3,3 e t 5
«Jésus lui a répondu ( = à Nicodème) et lui a dit : « Amen, amen, je te (le) dis : si quelqu’un n ’est pas engendré d ’en-haut, il ne peut pas voir le Royaume de Dieu ». Nicodème lui dit : « Comment un (être) humain peut-il être engendré, (quand) il est un vieillard ? Est-ce q u ’il peut une deuxième fois entrer dans le sein de sa mère et être engendré ? ». Jésus a répondu : « Amen, amen, je te (le) dis : si quelqu’un n ’est pas engendré de l’eau et de l’esprit, il ne peut pas entrer dans le Royaume de Dieu»^. La première affirmation de Jésus pourrait s’entendre soit du « Règne » soit du « Royaume », mais la seconde, qui lui est bien parallèle, concerne sûrement le « R o yaum e», puisqu’il est question d ’y entrer. Dans ces deux phrases Jésus énonce un principe général, valable pour tous les temps. Mais si Jésus insiste sur ce point devant Nicodème, c ’est bien parce q u ’il pense surtout à son application présente, comme le confirme le verset 7 : « Il vous faut être engendrés d ’en-haut». Tous les hommes peuvent et doivent voir le Royaume de Dieu et y entrer, à condition d ’être engendrés de l ’eau et de l ’esprit, c ’est-à-dire d ’être baptisés, selon la formule de Jean 1,33. Cette obligation vaut déjà pour Nicodème. Donc déjà le Royaume de Dieu est à sa portée. M ais le texte ne précise pas si cette entrée dans le Royaume de Dieu se fera immédiatement sur cette terre, ou dès la m ort au ciel, ou plus tard à la Fin du Monde.
1. La date de composition du quatrièm e évangile est étudiée de façon neuve et assez convaincante par J.A.T. R o b in so n (Redating..., p. 254-311). 2. Certains manuscrits portent « Royaume des Cieux », selon la formule habituelle en M atthieu et certains critiques les suivent, par exemple L a g r a n o e . Mais M e t 2X3ER (p. 203) apporte de bons arguments en faveur de « Royaume de Dieu ».
JEAN 18,36
2) J ean
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18,36
« Jésus a répondu (à Pilate) : « Ma Royauté ne (vient) pas de ce monde. Si de ce monde (venait) ma Royauté, mes serviteurs combattraient, afin que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais en fait ma Royauté ne (vient) pas d ’ici (bas) ». Pilate lui a donc dit : « Ainsi tu es roi ! » Jésus lui a répondu : « Tu (le) dis^ : Je suis roi ». Plusieurs traductions françaises portent : « mon Royaume n ’est pas de ce monde », mais c ’est là une double erreur : a) Jésus ne parle pas de son «R o y au m e» , mais de sa « R o y a u té » ; b) en français « n ’est pas de ce monde » est souvent compris com m e « n ’est pas dans ce monde ». a) Ce dialogue ne cherche pas à préciser où est le Royaume de Jésus, mais bien si Jésus est roi, s’il possède la Royauté, s’il a des prétentions à ce titre. Pilate le comprend fort bien quand il réplique « Ainsi tu es roi ! ». Et Jésus ne le détrompe pas, mais affirme carrément « J e suis roi». Aucune notion de « R èg n e» ou de «R oyaum e» n ’est possible ici. b) Jésus précise deux fois que sa Royauté n ’a pas une origine terrestre, qu’elle ne procède pas « de ce m onde» et une troisième fois q u ’elle ne procède pas « d ’ici», c ’est-à-dire « d e ce bas m onde». Ce n ’est pas une origine dynastique ou une conquête personnelle qui lui ont procuré cette dignité et ce pouvoir royal. Pour éviter en français toute méprise, l ’addition du verbe « v e n ir» montre bien que la préposition « d e » possède alors son sens originel : « hors de », « en provenance de »'*. Cette Royauté est revendiquée par Jésus non pas pour l ’avenir, mais bien pour le présent, quand il est de fait « livré aux Juifs ». Le contexte ne précise pas où, quand, comment cette Royauté s’est exercée, s’exerce ou s’exercera. Simplement Jésus repousse toute origine humaine pour sa Royauté.
3. Certains comprennent : « C ’est toi qui dis que je suis roi ! ». 4. C ’est bien ainsi que comprend, par exemple, P. V id a l -N a q u e t (p. 84) : « N on pas, c o tM e on traduit généralement le texte grec : « Mon royaume n ’est pas de ce monde », n ^ s ... « M a qualité royale, ce qui fait que je suis roi, ne provient pas de ce monde », autrement dit : « ce ne sont pas les hommes qui ont fait de moi un roi ».
CHAPITRE VII
Dans les Actes des Apôtres Après les quatre évangiles, qui sont des témoignages historiques sur Jésus, le Nouveau Testament contient les Actes des Apôtres, qui conservent le même genre littéraire du témoignage historique, mais qui racontent la suite de la vie de Jésus : celle de la communauté formée par ses premiers disciples. 1) A c t e s 1,3 «(L es Apôtres) auxquels il ( = Jésus) s’est présenté vivant après sa passion par de multiples preuves se m ontrant visible à eux pendant quarante jours et parlant de ce qui concerne le Règne (ou : le Royaume) de Dieu». Voilà bien une phrase grecque, qui ne décalque pas un original sémitique. Luc, l’auteur des A ctes', l ’a manifestement rédigée lui-même, en grec de bonne qualité. Et cependant il résume les derniers entretiens de Jésus avec ses Apôtres, pendant les quarante jours écoulés entre la Résurrection et l ’Ascension, par cette formule bien sémitique « ce qui concerne le Règne (ou : le Royaume) de D ieu», qui correspond tout à fait à celle q u ’emploie l ’Evangile de Luc en 4,43 ; 8,1 ; 9,2.11 et 60 pour définir ainsi la prédication de Jésus. Mais la formule est si générale que nous ne savons pas si elle vise le Règne ou le Royaume de Dieu. De même nous ne pouvons préciser si elle concerne le passé, le présent ou l’avenir. Mais une telle insistance ne s’expli querait guère si Jésus ne prédisait qu’un événement lointain, alors q u ’elle convient tout à fait à l ’annonce d ’une réalité présente, qui concerne directe m ent les Apôtres et tous ceux q u ’ils atteindront. 2) A c t e s 1,6-7 « Eux ( = les Apôtres), s’étant rassemblés, lui demandaient ( = à Jésus) ; « Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu restitues le Royaume pour Israël ? » Il leur a dit : « Ce n ’est pas à vous de savoir les temps et les moments que le Père a fixés en sa propre puissance... ».
1. L ’attribution des Actes des Apôtres à Luc, l’auteur du troisième évanple, est appuyée par de tels argum ents q u ’on ne saurait guère la contester. Si cependant certains la mettaient en doute cela n ’aurait aucune importance pour nous : il leur suflfirait de remplacer ensuite « Luc » par « l ’auteur des Actes ».
ACTES 8 ,1 2 ; 14,21-22
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Si les Apôtres parlaient de la Royauté, ils voudraient dire qu'Israël a le droit de gouverner le monde ; s’ils parlaient du Règne, ils voudraient dire q u ’Israël exerce en fait ce gouvernement. Malgré les sentiments très nationalistes qui les animent encore, les Apôtres ne semblent pas avoir été jusque là. Plus probablement ils voulaient parler du Royaume que constituera Israël sous la conduite de Dieu. Si l ’on prend au pied de la lettre le verbe « restitu er» , les Apôtres envisageaient tout simplement un royaume comme celui de David et de Salomon. Quant à l ’horizon historique, Jésus refuse précisément de le déterminer. Nous ne pouvons donc que respecter son silence. Mais il poursuit en décrivant les réalisations immédiates de ce Royaume ; « Vous recevrez la force du Saint Esprit venant sur vous et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’à l’extrémité de la terre ». L ’histoire de ce Royaume inclura donc la Pentecôte, la prédication des Apôtres et celle de leurs successeurs. 3) A c t e s 8,12
« Quand (les Samaritains) sont venus à la foi par (l’intermédiaire de) Philippe, qui évangélisait au sujet du Règne (ou : du Royaume) de Dieu et du nom de Jésus le Christ, hommes et femmes étaient baptisés ». Luc donne ici l’impression q u ’il décalque un document sémitique, dont il conserve la saveur particulière. Comme d ’habitude dans ces formules synthétiques, nous ne pouvons deviner s’il s’agit du « Règne » de Dieu, de son « Royaum e» ou de l ’un et l ’autre. Mais Luc associe de telle façon la prédication du diacre Philippe, la bonne nouvelle du « Règne » ou du « Royaume », le nom de Jésus et le baptême des Samaritains, que ce Règne ou ce Royaume doivent être aussi concrets que la parole de Philippe, que le nom de Jésus et que le baptême qui en résultait. Comment imaginer une telle fécondité de la prédication et un tel empressement au baptême, s’il ne s’agissait que de se préparer à un événement lointain ? 4) A c t e s 14,21-22^
« (Paul et Bamabé), après avoir évangélisé cette ville-là ( = Derbé) et fait pas mal de disciples, sont retournés à Lystre, à Iconium et à Antioche (de Pisidie), fortifiant les âmes des disciples, recommandant de demeurer dans la foi et que c ’est par de nombreuses tribulations q u ’il nous faut entrer dans le Royaume de Dieu ». Comme en 1,6, Luc parle bien du «R oyaum e» de Dieu, puisqu'il est question d ’y « entrer ». Comme dans les trois passages précédents, Luc parle de ce Royaume de Dieu pour définir en quelques mots le contenu de la prédication apostolique. Même si ce Royaume de Dieu peut en théorie n ’être que l’espoir d ’un événement lointain, l ’insistance sur les tribulations qui permettent d ’y entrer ne s’explique bien que si l’entrée est immédiate. Luc pourrait-il pour la quatrième fois, revenir sur ce point s’il voulait seulement dire : « C ’est par de nombreuses tribulations (présentes) q u ’il nous faut entrer dans le Royaume 2. D ans ce passage la num érotation de la Vulgate est en retard d ’un verset.
68
d a n s les a c t e s d e s a p ô t r e s
de Dieu (à la Fin du M onde)» La difficulté serait moins grande s’il s’agissait de la récompense promise à la m ort de chaque chrétien, comme le pensent par exemple J a c q u ie r (p. 4 3 4 ), H a e n c h e n (p. 38 3 ), C o n z e l m a n n (Apostelgeschichte, p. 81). Mais cependant le sens est encore plus naturel si la prédication, les tribulations et l’entrée dans le Royaume de Dieu sont strictement contemporains. 5) A c t e s 19,8
«(Paul), étant entré dans la synagogue (à Ephèse), s’exprimait libre ment pendant trois mois, discourant de façon persuasive au sujet du Règne (ou : du Royaume) de Dieu ». Encore une fois, Luc mentionne le Règne ou le Royaume de Dieu pour résumer toute une activité missionnaire. Manifestement c’était là, pour lui, le thème essentiel de toute prédication, soit de la part de Jésus, soit de la part des Apôtres. Mais, cette fois encore, cette formule est trop vague pour nous renseigner sur son contenu précis, sauf q u ’une telle insistance suppose un thème tout à fait d ’actualité ! 6) A c t e s 2 0 ,2 5 -2 8
« M aintenant voici que je sais que vous ne verrez plus mon visage, vous tous chez qui je suis passé en prêchant le Règne (ou ; le Royaume)... Prenez soin de vous-mêmes et de tout le troupeau dans lequel l ’Esprit Saint vous a placés comme surveillants'^ (pour) être pasteurs de l ’Eglise de Dieu ». Cette fois c ’est Paul qui, par la plume de Luc, évoque d ’un mot toute sa prédication à Ephèse. Malheureusement il ne nous fournit aucune préci sion supplémentaire. Tout au plus remarque-t-on que, trois versets plus loin, il considère les « surveillants » q u ’il a laissés à Ephèse comme des « pasteurs de l ’Eglise de D ieu». Son ministère, qui a consisté à prêcher le Règne ou le Royaume do Dieu, est continué par des « surveillants », dont le rôle consiste à être « des pasteurs de l ’Eglise de Dieu ». Le parallélisme entre ces deux formules n ’est peut-être pas fortuit. 7) A c t e s 28,23
« (Les principaux Juifs de Rome), après lui avoir fixé un jour ( = à Paul), sont venus nombreux vers lui dans son logis® ; par son exposé il attestait le Règne (ou : le Royaume) de Dieu et il les persuadait® au sujet de Jésus, à partir de la Loi de Moïse et des Prophètes, depuis le m atin jusqu’au soir». Cette phrase est rédigée en style grec et elle est vraisemblablement sortie de la plume de Luc. Cette fois encore, pour caractériser l ’ensemble des exposés de Paul, il ne trouve pas de meilleure formule que ce recours au « Règne (ou ;
3. C ’est pourtant l’interprétation que soutient, très savamment, J. D u p o n t dans les Béatitudes, III, p. 124-126, avec d ’ailleurs aussi l ’interprétation suivante. 4. C ’est le terme qui désigne aussi les « évêques ». 5. Littéralement « dans le lieu où il recevait l ’hospitalité ». 6. Voici un cas typique « d ’imparfait de tentative ».
ACTES 28,30-31
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au Royaume) de D ieu», Ici le contexte met en parallèle ce témoignage sur « le Règne (ou le Royaume) de Dieu » et la discussion sur le rôle de Jésus tel q u ’il ressort de l ’Ancien Testament. La formule serait tout à fait anormale si le Règne (ou le Royaume) de Dieu concernait la Fin du Monde, alors que la mission de Jésus fait partie d ’un passé tout récent. Elle paraît au contraire toute naturelle si le Règne (ou le Royaume) de Dieu a commencé avec la prédication de Jésus. 8) A ct es 28,30-31
« Paul est resté deux années entières dans son propre logement et il recevait tous ceux qui venaient vers lui, annonçant le Règne (ou : le Royaume) de Dieu et enseignant ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ en toute liberté, sans empêchement ». Cette phrase, qui constitue la finale des Actes, est, elle aussi, de structure grecque. Pour la 6® fois dans les Actes (après 1,13 ; 8,12 ; 19,8 ; 20,25 ; 28,23), Luc répète la formule q u ’il a déjà insérée quatre fois dans son Evangile ; (4,43 ; 8,1 ; 9,11.60) « annoncer (ou : prêcher, ou : enseigner) le Règne (ou : le Royaume) de Dieu». Pour ceux qui douteraient que les deux ouvrages aient le même auteur, voici un sérieux argument pour les convaincre’ . Ici comme en 28,23 le Règne (ou : le Royaume) de Dieu est considéré comme l ’équivalent de « ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ» et, ici encore, cette formule ne se comprend bien que si les deux termes sont pratiquement synonymes.
7. La même opinion est exprimée p ar C a d b u r y (p. 311).
CHAPITRE VIII
Dans les Ëpîtres de Saint Paul Les épîtres de S. Paul peuvent être datées approximativement : les épîtres aux Thessaloniciens en 50 ou 51, les épîtres aux Corinthiens en 55-56, les épîtres aux Romains et aux Galates en 56-57, les épîtres de la captivité (Colosiens et Ephésiens, puisque nous n ’avons pas affaire aux Philippiens) vers 57-59 ou 60-62 ; enfin la seconde à Timothée est placée par J.A.T. R o b in s o n à l’autom ne 58, par S. d e L e s t a pis vers 61 et par S. D o c k x vers 67-68. Bien sûr, des discussions plus ou moins âpres concernent surtout les Galates, les Ephésiens et encore plus la seconde à Timothée. Mais ces questions de date restent pour nous secondaires : ces chiffres ne sont rappelés que pour fixer un cadre et ceux qui soutiennent d ’autres chronologies peuvent fort bien les remplacer par ceux q u ’ils préfèrent. La question essentielle pour nous est celle du genre littéraire : après les témoignages historiques consignés dans les Evangiles et les Actes, les lettres de S. Paul ont une physionomie bien spéciale : ce sont en somme des disser tations théologiques provoquées par des situations particulières. Elles nous renseignent directement sur la pensée de Paul et de ses divers collaborateurs entre les années 50 et 65, ou, si l ’on conteste l ’authenticité de certaines, celle de ses disciples quelques années plus tard. 1) P r e m iè r e
aux
T h e ssa l o n ic ie n s 2,12
« Vous (êtes) témoins, ainsi que Dieu, comme nous^ avons agi saintement, justement, irréprochablement envers vous les croyants. De même vous savez comment chacun de vous, comme un père envers ses enfants, nous vous exhortions, encouragions et adjurions pour que vous vous conduisiez de façon digne du Dieu qui vous appelle en son Royaume glorieux»^. Paul veut certainement parler du Royaume de Dieu et non pas de son Règne, puisqu’il recourt à l ’image spatiale d ’un lieu vers lequel sont convoqués les croyants. Conformément au génie de la langue grecque, Paul emploie ici plusieurs participes, qui insistent plus sur la durée de son action que sur son antériorité ; mais le premier verbe « égénêthêmén » (rendu approximativement par : « nous
1. Ce « nous » concerne peut-être Paul seul, comme en 2,18, mais peut-être aussi ses collaborateurs Silvain et Timothée, qui sont mentionnés au début de l ’épître. 2. Littéralement : « vers son Royaume et (sa) gloire ».
II THESS. 1,3-5
71
avons agi ») suffît à les situer tous dans le passé, comme il est naturel, puisque Paul évoque son récent séjour à Thessalonique. Alors, avec l’affectueuse sollicitude d ’un père, il exhortait de toutes les façons possibles ses premiers convertis à une conduite digne du Dieu qui les appelait à son Royaume. Manifestement, cet appel de Dieu existait déjà lors de la présence de Paul et il continue de façon permanente, mais est-ce un appel pour un Royaume déjà existant ou seulement pour un Royaume futur, où l ’on entrera soit à la m ort soit à la Fin du M onde ? La présence du mot «g lo ire» ou «glorieux» exclut absolument toute allusion à la situation réelle des Thessanoliciens, qui sont en pleine détresse (1,6), qui ont souffert autant que les églises de Judée (2,14), qui ont besoin d ’être réconfortés dans leurs tribulations (3,3-4). Donc ce « Royaume glorieux» est celui dans lequel pénétreront les Chrétiens soit à leur mort, soit au temps de la Parousie et de la Résurrection Générale. Cette dernière interprétation est, de beaucoup, la plus vraisemblable, car elle est en harmonie avec le reste de cette épître, où la Parousie et la Fin du Monde tiennent une très grande place (1,10 ; 3-13 ; 4,15-18 ; 5,1-5). 2) S e c o n d e
aux
T h e ssa l o n ic ien ' s 1,3-5
« Nous^ devons remercier Dieu en permanence à votre sujet, frères, comme cela convient, puisque votre foi grandit et q u ’abonde l ’am our de chacun de vous tous envers les autres, en sorte que nous-même (s) nous soyons fier (s) de vous dans les églises de Dieu à cause de votre endurance et de votre foi dans toutes vos persécutions et les tribulations que vous supportez : (elles sont) l’esquisse du juste jugement de Dieu, en vue de vous rendre dignes du Royaume de Dieu, pour lequel vous souffrez». On peut souffrir soit pour devenir docile au Règne de Dieu, soit pour entrer dans son Royaume. Malgré cette incertitude, le sens de « Royaume » est ici nettement préférable, car il ne s’agit pas du Règne actuel et permanent de Dieu, mais du Royaume futur, auquel on se prépare au milieu des épreuves présentes. Cette seconde épître, comme la première, a pour thème général l’attente du Jugement Dernier (1,7-10 ; 2,1-4 ; 2,8-12) et donc ce Royaume de Dieu que l’on prépare dans les souffrances et les tribulations ne peut être que celui qui s’instaurera à la Fin du Monde, dans lequel seront admis les justes et dont seront exclus les infidèles. 3) P r e m iè r e a u x C o r in t h ie n s 4 ,19-21
« Je viendrai bientôt vers vous, si le Seigneur veut, et je prendrai connais sance non pas de la parole de (ces) enflés (d ’orgueil), mais de (leur) courage■*. Car le Règne de Dieu n ’est pas en parole, mais en courage. Que voulez-vous ? Que je vienne vers vous avec une trique ou avec am our et esprit de douceur ? ».
3. Ce « nous » inclut peut-être Silvain et Timothée, qui viennent d ’être mentionnés, mais peut-être aussi ne conceme-t-il que Paul tout seul. 4. Ici et dans la phrase suivante, on peut comprendre : soit le courage manifesté par ceux qui sont livrés au Règne de Dieu, soit la puissance divine qui réalise ce Règne de Dieu (comme en Marc 9,1 et 1 Cor. 2,5). Heureusement, cela n ’a pas d ’importance pour nous.
72
DANS LES ÉPÎTRES DE SAINT PAUL
S. Paul veut rabattre le caquet de trublions plus forts en parole q u ’en réalisation. Si c’est vraiment Dieu qui règne en eux leur conduite doit en témoigner. Ainsi le sens de « Règne » est nettement préférable. C ’est un principe général qui est énoncé ici, et donc il vaut pour le passé aussi bien que pour l’avenir. Mais, puisqu’il s’agit de constater par des réalités concrètes l ’action du Règne de Dieu en ces fanfarons, c ’est que ce Règne de Dieu existe déjà, ou du moins pourrait et devrait exister, en eux. Ici le présent s’impose de façon absolue, sous peine de renverser l’argumentation de S. Paul. 4) P r e m iè r e a u x C o r in t h ie n s 6 ,9 -1 0
« Ne savez-vous pas que les pervers ne seront pas gratifiés du Royaume de Dieu ? Ne vous illusionnez pas ! Ni les impurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les pédérastes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les coléreux, ni les voleurs ne seront gratifiés du Royaume de Dieu ». Le verbe « être gratifié » essaie de traduire tant bien que mal le verbe grec, qui signifie littéralement « hériter » ; c ’est un écho du style de la Septante, oii il est très fréquent, surtout pour traduire l ’hébreu yârash, qui signifie « recevoir un bien en donation ». En français « hériter » est à déconseiller, car il inclut l ’idée de «succession après la m ort». On ne serait guère plus heureux avec « entrer en possession », car ce serait trop insister sur l’idée de «possession». Quoi q u ’il en soit, cette notion de «transm ission gratuite» s’applique bien au « Royaume de Dieu », mais non pas au « Règne », que Dieu ne délègue à personne. S. Paul met les verbes au futur et donc n ’envisage l’admission dans ce Royaume que pour un avenir indéterminé. Sera-ce au moment de la m ort ? Sera-ce lors du Jugement Général ? Les deux interprétations semblent l ’une et l ’autre possibles. 5) P re m iè r e a u x C o r in t h ie n s 15,22-27
« Comme tous meurent en Adam, ainsi tous sont vivifiés dans le Christ. Chacun à son propre rang : (en) prémice le Christ, ensuite les (gens) du Christ dans ( = lors de) sa Parousie, ensuite la fin, quand il remettra la Royauté (ou : le Régne, ou : le Royaume) à Dieu le Père*, quand il aboli (ra) toute dom ination et toute autorité et puissance. Car il faut q u ’il règne ju sq u ’à ce q u ’il mette tous (ses) ennemis sous ses pieds®. (Comme) dernier ennemi (sera)”' abolie la mort. Car il a tout soumis sous ses pieds»®. Le sujet de ces derniers verbes (il remettra... il abolira... il règne... il mette... il a soumis) ne peut être que le Christ. La projection dans le futur est plus forte en français q u ’en grec, où elle est simplement sous-entendue, sans être exprimée nettement, sauf par les mots «ensuite» et « ju sq u ’à ce que». Quoi q u ’il en soit, nous sommes manifestement devant une description de la Fin du Monde.
5. 6. 7. 8.
Littéralement : « au Dieu et Père ». Allusion au Rsaume 110,1. Littéralement : « est ». Allusion au Psaume 8,7.
I COR. 15,50
73
Est-ce que le Christ remet au Père la Royauté, le Règne ou le Royaume ? Rien n ’autorise à répondre avec assurance. On n ’est même pas obligé de choisir entre ces trois significations et l ’on peut les accepter toutes ensemble® : le Christ remet à son Père à la fois son autorité royale, l’exercice de cette autorité et les hommes assujettis à cette autorité. A la Fin du M onde tout se concentre dans [e Christ, qui lui-même n ’est q u ’offrande à son Pére. 6) P r e m iè r e
aux
C o r in t h ie n s 15,50
« Je vous affirme ceci, frères : que (la) chair et (le) sang ne peuvent pas être gratifiés du Royaume de Dieu, ni la corruption n ’est gratifiée de l’incorruption ». Comme en 1 Corinthiens 6,9-10, « être gratifié» essaie de traduire un hébraïsme décalqué en grec par la Septante et adopté par S. Paul. Ici comme là, il ne peut s’agir que du « Royaume » puisque la Royauté et le Règne de Dieu sont proprem ent intransmissibles à des êtres humains. Comme S. Paul emploie une phrase négative pour affirmer que cette entrée dans le Royaume de Dieu n ’est pas possible, il se place en dehors du temps et sa déclaration vaut pour le passé, le présent et l’avenir. Cependant, le parallélisme entre « Royaume de Dieu » et « incorruption » indique que Paul pense au Royaume de Dieu tel q u ’il sera réalisé au Ciel. 7) R o m a in s 14,14-18 « Je sais et j ’ (en) suis convaincu dans le Seigneur Jésus, que rien n ’est i m p u r e n soi, mais q u ’une chose est impure pour celui qui pense que c’ (est) impur. Si en effet ton frère est attristé par (une question de) nourri ture^* tu ne marches plus selon la charité. Ne (risque) pas (de) perdre par ta nourriture celui pour qui (le) Christ est mort, afin que ne soit pas discrédité votre (ou : notre) bien‘ ^. Car le Règne de Dieu n ’est pas (une question de) nourriture ou (de) boisson, mais j u s t i c e 'p a i x et joie dans (]’) Esprit Saint* En effet celui qui en cela** sert le Christ est agréable à Dieu et estimé des hommes ». On ne peut guère contester q u ’ici il s’agisse bien du « Règne» et non pas du « R o yaum e», puisque précisément est énuméré ce qui est, ou n ’est pas, l’objet de ce Règne.
9. W .R.G. L o a d e r (p. 208-209) voit dans ce texte à la fois « kingdoni » et « ruling » et il précise que si le Royaume est alors remis au Père par le Fils, c ’est que celui-ci le gouverne déjà maintenant. 10. Evidemment, il s’agit de l’impureté rituelle définie par la loi juive. 11. S. Paul aurait été plus clair s’il avait dit : Si tu attristes ton frère par une question de nourriture, tu ne marches plus selon la charité. 12. Ce « bien » est sans doute la libération des questions de pureté rituelle dont sont affranchis les Juifs devenus Chrétiens. 13. Peut-être serait-il préférable de traduire par « sainteté », pour bien m ontrer qu'il ne s’agit pas de la juste répartition des biens au sens moderne, mais de la parfaite conformité avec la volonté de Dieu, au sens hébraïque. 14. L’absence d ’article en grec n ’empêche pas de reconnaître ici l’Esprit Saint, car cet article est souvent omis et il l ’est même toujours dans l ’épître aux Romains (5,5 ; 9 ,1 ; 15,13.16.19).
15. C ’est-à-dire par la justice, la paix et la joie.
74
DANS LES ÉPÎTRES DE SAINT PAUL
Comme il s ’agit d ’une vérité permanente, elle n ’est pas restreinte au passé, au présent ou à l ’avenir. Mais si S. Paul en parle aux Romains, c ’est évidem ment que ce problème des aliments purs ou impurs (aux yeux des Juifs) se pose pour eux de façon concrète. C ’est donc spécialement pour le présent que vaut cette description des effets du Règne de Dieu dans une vie humaine. 8) G a l a tes 5,19-21^® « Manifestes sont les œuvres de la chair, qui sont fornication, impureté, débauche, idolâtrie, magie, inimitiés, rivalité, jalousie, colères, ambitions, discordes, factions, envies, beuveries, goinfreries^^ et choses semblables. Je vous (le) dis pour l’avenir comme je vous (L’) ai dit pour le passé : que ceux qui font de telles choses ne seront pas gratifiés du Royaume de Dieu ». Ce passage est apparenté à I Corinthiens 6,9-10 et 15,50. Ici comme là, S. Paul parle d ’une f^uture admission dans un Royaume, dont il ne précise ni la proximité ni Téloignement, mais qui semble bien être le Ciel. 9) COLOSSIENS 1,9-14 « N o u s ’ ® ne cessons pas de prier pour vous et de demander que vous soyez remplis de la connaissance de sa volonté ( = celle de Dieu) en toute sagesse et intelligence spirituelle... rendant grâce*® au Père qui vous (ou : nous) a admis dans le lot du sort des saints dans la lumière^®, qui vous a arrachés à la puissance des ténèbres et (vous) a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé^*, en qui nous avons la délivrance, le pardon des péchés ». Aucun doute : il s’agit bien ici du Royaume, dans lequel on est introduit par la grâce de Dieu. Mais ici le Royaume dans lequel Dieu fait entrer se trouve être le Royaume de son Fils. A lire le texte tel q u ’il est, cette entrée des Colossiens dans le Royaume du Fils de Dieu a déjà été réalisée ; on remercie le Père de cette faveur ; il a déjà admis parmi les saints ; il a déjà arraché aux ténèbres ; il a déjà transféré dans le Royaume de la lumière. Un seul verbe est au présent : « nous avons la délivrance, le pardon des péchés », précisément parce q u ’il indique le résultat permanent d ’une délivrance et d ’un pardon qui déjà sont acquis. Le seul moyen d ’échapper à cette conclusion serait de recourir ici à des « passés prophétiques» ; parfois, pour indiquer la réalisation im manquable d ’un événement, les prophètes le décrivent avec des verbes au passé, puisque ce
16. Ceux qui placent l’épître aux Galates avant l’épître aux Romains, ou même avant celles aux Thessaloniciens. peuvent ranger ce passage à l’endroit qu’ils préfèrent. 17. Cette énumération commence au singulier, en désignant les vices eux-mêmes, et elle se termine au pluriel, en désignant plutôt les multiples actes qui en résultent. 18. Soit Paul seul, soit Paul et Timothée, nommés l’un et l’autre en 1,1. 19. La tournure employée en grec ne permet pas de savoir si ce sont les Colossiens, ou Paul et Timothée, qui rendent grâce. Pour la critique textuelle de ce passage, voir M etsmer, p. 620. 20. C ’est-à-dire : qui vous fait participer au sort réservé aux saints, qui est de jouir de la lumière de Dieu. 21. Littéralement : « le Royaume du Fils de son am our ».
œ t o s s . 4,1 0 -1 1
75
fait est déjà décidé par Dieu. Mais rien, dans le contexte, n ’indique que S. Paul fasse une prophétie ; et, au contraire, tout montre q u ’il remercie Dieu pour les grâces déjà reçues par les Colossiens. 10) C o l o ssien s 4,10-11
« Vous saluent Aristarque... Marc... et Jésus, appelé loustos : parmi les circoncis, ce sont les seuls qui ont travaillé avec (moi) pour le Règne (ou : le Royaume) de Dieu, qui ont été pour moi un soulagement». Ce travail pour Dieu appartient clairement au passé, mais Paul et ses collaborateurs pouvaient travailler pour préparer un avenir plus ou moins proche. Et donc nous ne pouvons rien conclure de ce texte. Nous ne savons même pas s’il parle du « Règne » ou du « Royaume » de Dieu, car l ’activité missionnaire cherche à étendre en même temps le Règne de Dieu et son Royaume. 11) E p h é s ie n s 5,5
« Soyez avertis de ceci : tout (homme) fornicateur ou impur ou cupide, ce qui est une (forme d ’) idolâtrie, n ’a pas de participation dans le Royaume du Christ et de Dieu ». Ce texte ressemble tant à I Corinthiens 6,9-10 ; 15,50 et à Galates 5,21 que même les adversaires de l’authenticité de l’épître aux Ephésiens ne pour ront pas en contester l ’origine paulinienne. Ici le verbe rendu approximative ment par « être gratifié» est remplacé par un substantif de même racine, pour lequel il est encore plus difficile de trouver un équivalent français ; les pécheurs mentionnés ne peuvent accéder à la possession de ce Royaume, ils n ’ont pas le droit d ’y participer. Ce texte ne nous apprend rien de plus que les précédents, sauf q u ’ici le verbe « avoir » est au présent : c’est dès m aintenant que ces pécheurs perdent l ’accès au Royaume. Mais on notera avec soin la formule que nous n ’avons pas encore rencontrée : « le Royaume du Christ et de Dieu », bien que I Corinthiens 15,24, Romains 14,17 et surtout Colossiens 1,13 la faisaient déjà pressentir. 12) S e c o n d e
à
T im o t h é e 4,1
« Je (t’en) conjure devant Dieu et le Christ Jésus, qui doit juger les vivants et les morts, (par) sa manifestation et sa Royauté (ou : son Règne, ou : son Royaume), proclame la parole... ». La seconde à Timothée n ’avait pas bonne réputation parmi les critiques, mais son authenticité vient d ’être soutenue à la fois par J.A.T. R o b in so n (p. 67-82), par D o c k x (p. 167-178) et surtout par S. d e L e s t a pis (p. 101-120, 261-285, 365-389). Gardons-nous cependant de prendre parti dans cette controverse et permettons à ceux qui le désirent de récuser ce texte et le suivant. Cette « manifestation » du Christ peut être celle de sa Royauté, de son Règne ou même de ( = dans) son Royaume et nous n ’avons pas d ’argument pour préférer l ’une ou l ’autre de ces notions.
76
DANS LES ÉPÎTRES DE SAINT PAUL
Mais l’horizon historique est clairement indiqué, puisque le Christ est décrit comme le juge futur des vivants et des morts : nous sommes donc au Jugement Dernier. 13) S e c o n d e à T im o t h é e 4 ,1 8
« Le Seigneur me délivrera de toute œuvre mauvaise et il me sauvera dans^^ son Royaume céleste». Ici le Royaume est conçu comme un lieu de refuge, où Dieu habite et où les élus vont le rejoindre. Les deux verbes sont au futur. La seule incertitude concerne la proximité plus ou moins grande de cet avenir. S. Paul veut-il parler de sa m ort person nelle ou du Jugement Général à la Fin du M onde? On incline vers la première hypothèse, puisque c ’est le sort de Paul seul, et non pas celui de tout le monde, qui est envisagé ; en outre c’est dès sa m ort q u ’il sera délivré de toutes les embûches de ses ennemis.
22. La tournure grecque indique une nuance de direction ; en durcissant cette nuance on aurait : « il me sauvera en m ’introduisant dans son Royaume ».
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CHAPITRE IX
Les Epîtres non Pauliniennes La date des épîtres non pauliniennes est fort contreversée, surtout celle de la seconde de Pierre. Heureusement cette fixation n ’est pas indispensable pour nous et nous pouvons laisser leur témoignage dans une certaine impré cision. Nous n ’avons même pas de raison de les présenter dans un ordre plutôt que dans un autre et donc le plus simple est de conserver celui du Nouveau Testament, qui semble établi en fonction de la longueur des documents. 1) E p it r e
aux
H é b r e u x 1,8
« (Dieu) dit... à (son) Fils : -Ton trône. Dieu (est) pour le (s) siècle (s) de (s) siècle (s) et le sceptre de la droiture (est) le sceptre de ta Royauté ». L ’auteur cite le Psaume 45,7, selon la Septante, mais en renversant les termes du second stique, qui est, dans la Septante comme chez les Massorètes : « le sceptre de ta royauté (malkoutékâ) est un sceptre de droiture ». Ce détail ne modifie pas l’interprétation. Si Fauteur applique ce texte au Fils de Dieu, c’est q u ’il voit dans cette Royauté l ’annonce de celle de Jésus. Mais elle est présentée comme éternelle et donc elle ne peut nous apporter aucune précision temporelle. 2) E p it r e
aux
H é b r e u x 12,26-28
« (Dieu), dont alors la voix ébranla la terre, a annoncé (pour) m aintenant ; « Encore une fois je ferai trembler non seulement la terre, mais aussi le ciel ». Cet « encore une fois » implique le changement des (choses) ébranlables parce que créées, afin que subsistent (seulement) les inébranlables. C ’est pour quoi recevant un Royaume inébranlable, conservons la grâce, en sorte que par elle nous adorions Dieu valablement, avec piété et respect». Voici le commentaire de C. S p ic q (vol. II, p. 412-413) : « Le royaume propre de Dieu, c ’est le ciel avec ses anges et ses élus, c ’est la Jérusalem céleste ou la cité spirituelle, immobile et impérissable par nature... Les chrétiens sont dès maintenant membres de ce royaume (cf. le participe présent)». En effet l ’auteur oppose à la mutabilité des choses humaines l ’immutabilité du Royaume dont nous faisons partie et où il nous exhorte à adorer Dieu le mieux possible. Quelques versets auparavant l’auteur disait : « Vous êtes venus vers une montagne de Sion, une cité du Dieu vivant, une Jérusalem céleste, (vers) des
78
ÉPÎTRES NON PAULINIENNES
myriades d ’anges en assemblée solennelle, (formant) une église de premiers-nés, inscrits dans les cieux, (vers) un Dieu juge universel, (vers) des esprits de justes ayant atteint la perfection, (vers) Jésus, médiateur d ’une nouvelle alliance... » (12,22-24). Ne serait-ce pas tous ces éléments q u ’il résume ici en parlant d ’un « Royaume inébranlable » ? Alors ce royaume, ou cette cité de Dieu, ou cette Jérusalem céleste, serait constitué par Dieu, par Jésus, par les anges, par les âmes des saints. Ce serait donc un royaume tout spirituel, auquel nous sommes associés dès cette terre par l ’adoration que nous offrons à Dieu. 3) E prrR E
de
J a c q u e s 2,5
« Ecoutez, mes frères bien aimés : n ’est-ce pas Dieu qui a choisi les pauvres selon le monde (pour en faire) des riches selon la foi et des possesseurs du Royaume q u ’il a promis à ceux qui l ’aim ent». Comme Dieu seul (et Jésus avec lui) peut posséder la Royauté et exercer le Règne, c’est bien du Royaume que parle Jacques. Les verbes au passé supposent que ce choix de Dieu est déjà réalisé et que les pauvres sont déjà en possession de ce Royaume. On ne peut ici recourir à l’hypothèse du passé prophétique (ci-dessus, p. 74-75), car ce n ’est pas dans l’avenir, mais bien dans le présent que les pauvres sont déjà des riches selon la fol. Simplement, on pourrait dire que « possesseurs » force un peu le sens du terme grec et q u ’il pourrait signifier simplement « ceux qui ont maintenant un droit à posséder dans l’avenir ce Royaume ». C ’est possible, et donc cette hypothèse ne doit pas être écartée. 4) S e c o n d e
de
P ie r r e 1,10-11
« Frères, ayez soin de rendre stables votre vocation et votre élection : en faisant cela vous ne (risquerez) pas de tomber jamais. En effet c ’est ainsi que vous sera richement procurée l ’entrée dans le Royaume éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ». Cette fois le Royaume n ’est pas encore possédé et c ’est seulement dans l ’avenir q u ’on en obtiendra l ’entrée. Ce «R oyaum e éternel» n ’est pas ici le Royaume de Dieu, mais le Royaume de Jésus, comme en Colossiens 1,13 et en Ephésiens 5,5. Mais est-ce à la mort ou à la résurrection générale q u ’on aura accès à ce Royaume de Jésus ? Le texte ne le dit pas clairement. Cette épître est peut-être celle dont l’authenticité est la plus discutée, bien q u ’elle soit soutenue résolument par J.A.T. R o b in s o n (p. 169-199). Sans chercher à résoudre ce problème, admettons que ce témoignage soit considéré comme peut-être plus tardif que celui des autres épîtres.
CHAPITRE X
Dans l’Apocalypse D ’un genre littéraire diflférent de celui de tous les autres livres du Nouveau Testament, l’Apocalypse constitue une catégorie particulière. Certes on pourrait aussi la faire figurer dans un ensemble johannique, avec le quatrième évangile et les trois épîtres de Jean. Mais ces épîtres ne parlent pas de la «basileia tou théou» et l ’évangile de Jean n ’en parle qu’en deux endroits. De tous les auteurs du Nouveau Testament, Jean est le plus réservé sur le thème de la Royauté, du Règne ou du Royaume de Dieu, peut-être parce q u ’il est le moins ancien. 1) A p o c a l y p s e 1,6 « A celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés dans son sang, et qui a fait de nous un Royaume, des prêtres pour Dieu son Père, à lui la gloire et la force dans les siècles des siècles»'. Celte phrase contient un hébraïsme caractéristique, que ne semblent pas avoir compris bien des traducteurs ; en hébreu, quand plusieurs participes se suivent, on aime remplacer les derniers par des imparfaits invertis^. Ici l’auteur a d ’abord suivi l’usage grec en coordonnant les participes « a im a n t» et « ayant délivré »^, puis il a cédé à ses habitudes hébraïques et il a remplacé le troisième participe, qui aurait dû être l’aoriste « poiêsanti », par l’indicatif «époiêsén». Cette particularité s’explique d ’autant mieux qu’alors l’auteur am algamait deux citations de l ’Ancien Testament (Exode 19,6 et Isaïe 61,6) et q u ’il utilisait pour cela non pas le texte grec de la Septante, mais un texte hébreu pré-massorétique. Exode 19,6 porte en hébreu : « Et vous, vous serez pour moi un royaume de prêtres (mamlèkèt kohanîm)» et Isaïe 61,6 : « E t vous, prêtres du Seigneur, vous serez appelés serviteurs de notre Dieu». L a fusion de ces deux formules donne « un royaume, des prêtres pour Dieu »•
1. Voir clans M e t z g e r (p. 731-732) les problèmes que pose la critique textuelle de ces deux versets et les solutions proposées. Les variantes qui concernent le mot « Royaume » sont si mal attestées q u ’elles ne méritent même pas d ’être signalées. 2. Voir la grammaire hébraïque de JOÜON, n° 121, p. 342. 3. Que l’on est obligé de transposer en français par la formule « celui qui... ».
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DANS l ’a p o c a l y p s e
Le sens de « Royaume », qui correspond bien à l’hébreu (mamlèkèt est une forme de mamlâkâh), est le seul qui convienne aux humains que nous sommes : la Royauté et le Règne ne peuvent appartenir q u ’à Dieu et ce sont les hommes qui constituent son Royaume. Le temps des verbes est hautement significatif ; Jésus nous aime en permanence, l’auteur commence donc par un participe présent ; c ’est par sa mort, qui est maintenant un fait complètement terminé, q u ’il nous a délivrés de nos péchés, et donc l’auteur change le temps du second participe et passe à l’aoriste ; pour le troisième verbe il aurait dû conserver le participe aoriste, mais sa pensée sémitique lui inspire une tournure usuelle en hébreu et il rem place ce troisième participe par un indicatif, q u ’il a soin de laisser à l ’aoriste. Donc pour lui, c ’est clair, le troisième verbe indique, comme le second, un fait déjà passé : c ’est par un acte déjà passé que Jésus « a fait de nous un Royaume, des prêtres La nature de ce fait n ’est pas précisée, mais le contexte semble bien indiquer que c ’est par sa m ort sur la Croix que Jésus, en nous délivrant de nos lâchés, nous a par le fait même transformés en un tel Royaume. Donc ce Royaume existe déjà depuis un certain temps. D ’ailleurs l’emploi du pronom « nous» oblige à reconnaître que l ’auteur et ses destina taires sont membres de ce Royaume ; par conséquent, même si l’on voulait, contre le texte, supposer ici un futur, ce ne pourrait être qu’un futur très rapproché, représentant un avenir accessible à l’ensemble des contemporains de l’auteur. Autre fait à noter : ce n ’est plus la formule habituelle « Royauté, Règne ou Royaume de Dieu ou du C hrist» que nous rencontrons ici et que nous rencontrerons ensuite dans l ’Apocalypse, mais des formules plus souples et moins stéréotypées : l’auteur, visiblement, ne se considère plus comme obligé de recourir à une expression toute faite. 2) A p o c a l y p s e 1,9 « Moi Jean, votre frère et compagnon dans la tribulation, le Royaume et l ’endurance en Jésus, j ’ai été dans l ’île appelée Patmos... ». Que ce « J e a n » soit Jean l’Apôtre ou quelque homonyme, que l’île de Patmos soit une réalité géographique ou une donnée symbolique, cela ne nous concerne pas ici. Le voisinage des mots « tribulation » et « endurance » suffit pour nous indiquer que l ’auteur ne parle pas ici de « R oyauté» ni de « Règne», mais bien de « Royaume » et même d ’un Royaume très particulier, auquel on participe par la tribulation subie avec endurance, grâce à la force du Christ. Ce royaume appartient au passé, mais à un passé tout récent. L ’auteur évoque son séjour à Patmos pendant lequel il a reçu les révélations que va exposer son ouvrage. C ’est dans ce contexte q u ’il se présente comme participant aux mêmes épreuves et au même Royaume que ses correspondants. Certes sa tournure est assez vague et ce «com pagnonnage» n ’exclut pas le présent, ni même un avenir immédiat. Mais il n ’exclut pas non plus le passé et même il l ’inclut normalement.
4. Nous n ’avons pas ici à enquêter sur le sens du m ot « prêtres » ni sur la tournure en apposition qui lui est appliquée, mais qu 'o n ne retrouvera pas en 5,10.
Kv-
^y;
I
A p o c. 5 ,9 -1 0 ; 11,15
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3) A p o c a l y p s e 5,9-10 « (Les quatre vivants et les vingt-quatre anciens) chantent un cantique nouveau : Tu es digne de prendre le livre et d ’en ouvrir les sceaux, parce que tu as été immolé et tu as acheté pour Dieu, dans ton sang, (des hommes) de toute tribu, langue, peuple et nation et tu en as fait pour notre Dieu un Royaume et des prêtres et ils régneront® sur la terre ». Ce texte est visiblement apparenté à celui de 1,6 étudié plus haut (p. 79-80). Comme lui il s’inspire de l’Exode 19,6 et d ’Isaïe 61,6. Ici comme là, le sens de « Royaum e» s’impose®. Ici comme là, l’auteur ne met pas au hasard le temps des verbes : au début le présent « ils chantent » s’insère dans la description d ’une vision récente de l ’auteur, où on chante les exploits du « Christ : « qui a été immolé, qui a (r) acheté les hommes... et qui a fait d ’eux un Royaume ». Manifestement l’acte qui a réalisé ce Royaume est associé à ceux par lesquels le Christ a été immolé et par lesquels il a racheté les pécheurs. Donc la constitution de ce Royaume remonte au moins à la Passion du Christ. Mais ensuite vient un verbe au futur"' : « ils régneront », qui montre que les sujets de ce Royaume accéderont plus tard à une Royauté et à un Règne, qui ne peuvent être que ceux de Dieu ou du Christ. 4) A p o c a l y p s e 11,15 « Le septième ange a joué de la trompette et de grandes voix dans le ciel se sont mises à dire ; « La Royauté (sur) le monde est devenue (la propriété) de notre Seigneur et de son Christ et elle (ou peut-être : il) régnera pour les siècles des siècles »®. Au lieu de traduire par «R oyauté (sur) ce m onde» on pourrait aussi comprendre « Règne (sur) ce monde » ou « Royaume de ce monde ». La première hypothèse semble préférable, si le verbe suivant (« il régnera ») s’applique à l’exercice de cette Royauté par le Règne sur le Royaume ; et elle s’impose absolument si «basileia» est le sujet des deux verbes «devenir» et régner ». C ’est dans une vision récente que l’auteur a entendu ce chant et alors la Royauté de Dieu et du Christ était caractérisée par un verbe au passé « est devenue », ou peut-être simplement « a été ». Rien ne précise la distance de ce passé et rien ne distingue non plus la Royauté de Dieu et celle du Christ.
5. U ne variante assez bien attestée met ce verbe au présent : « ils régnent ». M etzoer explique pourquoi le futur est préférable (p. 738). 6. Mais ici la présence de la conjonction « et » entre « Royaume » et « prêtres » rend la tournure plus limpide. 7. Le présent est d ’ailleurs attesté dans plusieurs manuscrits, mais M e t z o e r le considère comme moins probable (p. 738). 8. On pourrait aussi traduire : « Est réalisée (sur) le m onde la R oyauté de notre Seigneur et de son Christ », mais le sens resterait au fond le même. P ar contre, on ne pourrait envisager de comprendre : « ... le monde de notre Seigneur et de son Christ », car la phrase serait alors déséquilibrée. — Sur le sens de « notre Seigneur », voir p, 93, n. 2.
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DANS l ’a p o c a l y p s e
Mais ensuite ce Christ régnera pour les siècles des siècles. L ’auteur distingue donc la Royauté (passée) de Dieu et du Christ et son Règne (futur). Cette distinction entre un verbe au passé et un autre au futur empêche ici de recourir à l’hypothèse d ’un « passé prophétique ». 5) A p o c a l y p s e 12,10 « J ’ai entendu une grande voix dans le ciel, qui disait : M aintenant le salut, la puissance et la Royauté sont devenus (la propriété) de notre Dieu et le pouvoir (celle) de son Christ, parce que l ’accusateur de nos frères a été rejeté ». Puisque le salut, la puissance et le pouvoir, qui sont des attributs subjectifs de Dieu et du Christ, sont associés à « basileia », ce terme ne peut désigner ici que la « Royauté ». Comme précédemment, c’est dans le récit d ’une vision récente que l ’auteur place ces verbes qui s’appliquent au passé. Mais curieusement, ce passé est ici précisé par l’adverbe « m aintenant», qui ne peut concerner que le présent ou un passé immédiat ou un futur immédiat. L’association de ce verbe et de cet adverbe invite donc à comprendre q u ’il s’agit d ’un passé immédiat, d ’un acte dont on ne sait pas bien s’il est encore dans le passé ou déjà dans le présent. Cette fois l ’ensemble des verbes au passé pourrait aussi convenir à un « passé prophétique ». Les derniers emplois de « basileia » dans l’Apocalypse concernent d ’une façon ou d ’une autre la royauté, le règne ou le royaume de Satan (16,10) ou de ses suppôts (17,12.17.18) et donc ils ne peuvent rien nous apprendre directement sur la « basileia » de Dieu ou du Christ.
CHAPITRE XI
Vue d’ensemble Avant de dégager les principaux traits de la Royauté, du Règne et du Royaume de Dieu, tels qu’ils apparaissent dans le Nouveau Testament, jetons un regard d ’ensemble sur les textes que nous venons d ’analyser en détail, pour les considérer d ’une façon plus synthétique. 1) Premier étonnement : la fixité de la formule « ê basileia tou théou» dans le Nouveau Testament. En grec on pourrait dire aussi « tou théou ê basileia » ou « ê tou théou basileia», mais ces tournures ne sont presque jamais employées, alors que «basileia tou th éou» l’est 67 fois, «basileia ton ouranôn» 33 fois (par M atthieu) sans parler de 14 fois où « D ieu» est remplacé par un pronom, de 6 fois où il est remplacé par un synonyme, par exemple « Père », et de 8 fois où il est sous-entendu (dont 3 fois dans l ’Apocalypse). Les variantes sont très rares : I Corinthiens 6,9 place « théou» avant « basileia» ; I Thess. 2,12 insère « éau to û » entre l ’article et « basileia» ; Hébreux 12,28 ajoute l’adjectif « in é b ra n la b le » ; 2 Pierre 1,11 l’adjectif « k e r n e l » ; et Apocalypse 11,15 porte une formule plus développée : « ê basileia tou kosmou tou Kuriou êmôn kai tou Christou autou » = « La Royauté (sur) le monde de notre Seigneur et de son Christ ». La fixité de cette formule est donc totale dans les Evangiles. Les quatre seules exceptions se trouvent chez S. Paul, dans une épître non paulienne et dans l’Apocalypse*. Un tel accord n ’est possible que s’il repose sur une formule très courante et tellement stéréotypée que presque personne n ’éprouve le besoin de la modifier. Manifestement cette formule est d ’origine sémitique puisque chez M atthieu elle remplace « Dieu » par « les Cieux » et q u ’elle correspond exactement à la formule malkout shâmayîm q u ’on trouve 2 fois dans la Mishnâh (Berâkôt II, 2 et II, 5) et quelques autres fois dans la litté rature rabbinique^. C ’est donc en milieu sémitique que cette formule est née ; et elle a dû se propager en un milieu tellement sémitique q u ’on se contentait encore de la décalquer en grec. De fait, les rares exceptions proviennent de milieux plus ouverts à la mentalité grecque.
1. En fait l’Apocalypse, seule, n ’emploie jam ais la formule habituelle : basileia tou thiou. 2. Voir les références dans S t r a c k -B il l e r b e c k , I, p. 183-184; K u h n , p. 570-573; B o n s ir v e n , p. 22-25.
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VUE d ’en sem b le
2) Deuxième étonnement : la répartition de cette formule. Quand on totalise ses divers emplois, on obtient ceci : M arc : 15 fois Source Commune : 10 fois M atthieu : 24 fois^ Luc ; 17 fois Jean : 5 fois (en 2 passages seulement) Actes : 8 fois Paul : 14 fois (dont 2 contestées) Autres épîtres : 4 fois Apocalypse : 5 fois. Donc nous sommes ici en présence d ’un thème connu par tous les écrits"^ du Nouveau Testament, et qui n ’appartient pas à une seule tendance, mais à toutes. Comme manifestement les auteurs de ces écrits ne s’inspiraient pas toujours les uns des autres*, nous sommes obligés d ’admettre que ce thème et cette formule sont antérieurs à tous et q u ’ils appartiennent au noyau pri m itif fondamental de la doctrine chrétienne. Si l ’on refusait de les attribuer à Jésus lui-même, on serait obligé de les attribuer à la toute première prédica tion apostolique, avant la naissance des divers courants qui en sont issus. 3) Troisième étonnement : les variations d ’emplois de cette formule. Si l’on tient compte approximativement de la longueur de chaque écrit, on distingue un groupe où la fréquence est relativement faible (Paul, Jean, Apocalypse, épîtres non-pauliniennes) et un autre où la fréquence est relative ment forte (M atthieu, Luc, Marc, Source Commune), avec un écrit inter médiaire qui ne rentre bien ni dans un groupe ni dans l ’autre (les Actes des Apôtres). Sans qu’on puisse le contester, les écrits du premier groupe supposent une influence héllénistique plus grande que ceux du second groupe, où domine une influence sémitique*. Et ce n ’est pas le genre littéraire qui provoque cette différence, puisqu’un évangile, celui de Jean, figure parmi les écrits du pre mier groupe, et les trois autres évangiles dans le second. Au contraire, la variation semble être proportionnelle à la date, car les écrits considérés géné ralement comme moins anciens (Jean’, Apocalypse, épîtres non-pauliniennes) sont ceux où le pourcentage est le plus faible. Logiquement donc il faudrait
3. Comme il a été signalé p. 35, si Luc a omis de transcrire un passage de la Source Commune, nous avons l'impression q u ’il provient de M atthieu, alors q u ’en fait il provient de cette Source Commune. Le chiffre de M atthieu est donc jieut-être un peu trop fort et celui de la Source Commune un peu trop faible. II n ’est guère vraisemblable q u ’un phénomène parallèle ait joué en faveur de Luc à cause d ’une omission en M atthieu, car celui-ci ne manque pas d ’employer cette formule quand il en a l’occasion. 4. Pour simplifier, groupons les épîtres non-pauliniennes, comme si elles formaient un ensemble cohérent. 5. Pour le cas des Synoptiques, nous avons essayé de séparer les divers éléments consti tutifs, en signalant quand ils ne dépendent pas l’un de l’autre. Même si Paul et Jean ont connu les Synoptiques, leur personnalité littéraire et théologique ne permet pas de considérer leurs œuvres comme un simple sous-produit de ces Synoptiques. 6. Personne ne doute que Luc ait bien été rédigé en grec, mais l’usage de sources sémi tiques y est manifeste. 7. On a pu rem arquer que l’évangile de Jean ne parle de la « basileia » q u ’en deux passages, et chaque fois sur les lèvres de Jésus.
ANCIEN ET NOUVEAU TESTAMENTS
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considérer M atthieu, Luc, M arc et la Source Commune comme des écrits plus anciens. Certes, cette constatation ne saurait suffire à elle seule à fixer la date de ces documents ou de certaines de leurs parties, mais elle doit entrer en ligne de compte, tout comme les variations dans l ’usage de « Fils de l’Homme », d ’ « Eglise » et d ’autres termes significatifs. 4) Quatrième étonnement : la différence manifeste entre le Nouveau Testament et l’Ancien Testament dans l ’emploi de Royauté, Règne ou Royaume de Dieu. L’Ancien Testament proclame souvent que Dieu est roi ou qu’il règne, mais, curieusement, il préfère en général employer un verbe plutôt qu’un substantif, et donc il parle relativement peu de la Royauté, du Règne et surtout du Royaume de Dieu® ; alors que ces substantifs sont couramment employés quand il ne s’agit pas de Dieu, ils s’appliquent à Dieu assez rarement : jam ais meloukâh ; 6 fois m aikout’ (Ps. 103,19 ; 145,11.12.13 ; 1 Chron. 28,5 ; Daniel 4,31) ; 1 fois mamlâkâh (2 Chron. 13,8)^°. Dans l’araméen de Daniel, revient 4 fois, avec de légères variantes, la formule : « Sa Royauté ( = de Dieu) (est) une Royauté éternelle et sa Sou veraineté (est) de génération en génération» (3,33 = 3,100 en grec ; 4,31 ; 7,14 et 7,27) ; 6 autres fois on parle d ’une Royauté, d ’un Règne ou d ’un Royaume qui sont établis par Dieu, mais qui sont en fait délégués aux «Saints du T rès-H aut» (2,44 (2 fois) ; 7,18 (2 fois) ; 7,22 ; 7,27). Dans les textes connus en grec, basileia apparaît une fois dans un livre dont l ’original sémitique est perdu (Tobie, 13,1 ou 2) et deux autres fois dans un livre écrit en grec (Sagesse 6,4 ; 10,10). T out cela est vraiment très peu, si l ’on tient compte de la longueur respective de l ’Ancien et du Nouveau Testament. En outre on constate que le plus souvent le nom de Dieu est remplacé par un pronom et qu’il n ’est réelle ment exprimé que 3 fois (1 Chron. 28,5 et 2 Chron. 13,8, avec le tétragramme ; Sagesse 10,10, avec théou). En somme, la notion de « Roi » est couramment appliquée à Dieu dans l’Ancien Testament, mais on commence seulement à en dégager la notion de Royauté, plus rarement celle de Règne et presque jamais celle de Royaume. Par rapport à l ’Ancien Testament, la notion de Royaume de Dieu est, dans le Nouveau Testament, une notion presque neuve.
8. L ’excellent ouvrage de J. C o p p e n s : « La Royauté, le Règne, le Royaume de Dieu : cadre de la relève apocalyptique », distingue fort bien ces trois notions (et déjà dans son titre) ; or sa longue enquête dans l’Ancien Testament (p. 89-274) parle presque uniquement de la « Royauté de Yahvé » ; il dit expressément : « Des trois vocables français couverts par le terme hébreu malkût, vocables parmi lesquels il importe de choisir selon le contexte, surtout les deux premiers entrent en ligne de compte quand il s ’agit d'inform ations concernant Dieu » (p. 263). Déjà en 1909 J. B okhmer reconnaissait que « l’expression Reich Gottes est dans l ’A.T. rare et peu significative, tout comme est peu caractéristique la mention de Dieu comme roi » (p. 129). 9. Malgré la présence du mot « Dieu » au vocatif, le Ps 45,7 ne semble pas concerner Dieu, mais seulement un personnage divin, aussi nous ne pouvons pas le joindre à cette liste ; le sen.s est d ’ailleurs purement adjectival : « ton sceptre royal ». 10. Et tous ces textes sont généralement considérés comme très récents !
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VUE d ’en sem ble
5) Cinquième étonnement : dans la littérature intertestamentaire, la notion de Règne ou de Royaume de Dieu est bien plus rare q u ’on ne le dit trop souvent. d) A Qumrân, on emploie, en parlant de Dieu, 1 fois meloukâh (Règle de la Guerre VI,6)“ , 5 fois malkout (Règle de la Guerre X ll,7 ; Recueil des Bénédictions V,21 ; Bénédictions Patriarchales 1,2 ; Règle des Chants pour l’Holocauste du Sabbat, document A, ligne 25'^ ; IV Q Hénoch, Livre des Géants, manuscrit a, fragment 9, ligne 6), 1 fois m am lâkâh (IV Q 160, fragments 3-4, col. II, ligne 5 : Tu as créé [ ] *^ et un royaume ..)*■*. Là aussi, on constate une idée en voie de formation, mais qui n ’est pas encore coulée dans une formule stable, puisque jamais on n ’emploie un correspondant exact de la formule stéréotypée « basileia tou théou », qui sera si fréquente dans le Nouveau Testament. h) Pour les Jubilés la table des matières de R.H. C h a r l e s , pourtant très détaillée, ne signale ni l’idée ni la formule ; M. T e s t u z n ’en parle pas dans son ouvrage : « Les Idées Religieuses du Livre des Jubilés » ; G.L. D a v e n p o r t présente un choix des passages q u ’il juge spécialement significatifs pour l ’Eschatologie : aucun ne mentionne le Royaume de Dieu. De même dans le livre d ’Hénoch* aucune mention ne figure dans les tables de R.H. C h a r l e s ni dans celles de F. M a r t in *®. Rien non plus dans le 4 ' livre d ’Esdras, bien q u ’un des sous-titres de R.H. C h a r l e s soit : « The Temporary Messianic Kingdom and the End of the World » (vol. II, p. 582). c) Dans les Testaments des Douze Patriarches^^, oii basileia apparaît 19 fois, 3 passages seulement concernent Dieu : I) Dan 6,2 : les manuscrits grecs portent « Royaume de Dieu », mais la version arménienne et la pre mière version slavonne «royaum e de l ’en n e m i» ; R.H. C h a r l e s préfère la 1 " hypothèse en 1908 et la 2* en 1 9 1 3 2 ) Joseph 19,12 : « sa Royauté (de Dieu)** est une Royauté éternelle» : cette citation de Daniel 3,33 ou 7,27 ne se trouve pas dans la version arménienne, en outre ce passage^® est un de ceux q u ’un chrétien a remaniés, car en 19,8 on parle d ’une vierge qui enfante un agneau et en 19,11 cet agneau «enlève le péché du m onde»
11. La même citation semble avoir été répétée dans la Règle de la Guerre XII,16 et XIX.8, mais le manuscrit est alors lacuneux. 12. J. S truonell , en éditant deux fragments de cet ouvrage, dit (p. 327) que ce document utilise souvent le Ps 145,12, qui exalte la gloire du Règne de Dieu ; de même il révèle {p. 334) que les anges y sont à l’occasion appelés « chefs des royaum es ». Mais il ne fournit pas les textes qui justifient ces affirmations. 13. M anquent au moins deux mots. 14. Pour les cas où il ne s’agit pas de Dieu, voir ci-dessus, p. 16-18, la liste des emplois qumrâniens de ces termes. 15. Bien entendu, à la suite des travaux de J.T. M iu k , on ne peut plus considérer le Livre des Paraboles comme faisant partie du texte original d ’Hénoch. 16. En apparence les tables de C h a rles et de M a r t in fournissent quelques références, mais toutes se rapportent à l’introduction ou au commentaire, et aucune au texte lui-même. 17. De l ’avis de tous les critiques, cet ouvrage a été en partie remanié par un chrétien. 18. A. H u l t o â r d étudie ce passage, vol. I, p. 253-254. 19. Au lieu de Royauté, on pourrait aussi comprendre Règne. 20. V oir H ultg Ar d , I, p. 226-227.
LITTÉRATURE INTERTESTAMENTAIRE
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( = Jean 1,29). 3) Benjamin 9,1 : « La Royauté (ou : le Règne, ou : le Royaume) de Dieu ne sera pas en vous ». Au jugement de H u l t g â r d (I, p. 146) : « Cela vise selon toute vraisemblance le passage du règne sur Israël, de Saül à David ». Au total donc, aucune mention certaine du Royaume de Dieu dans cet ouvrage^'. d) Oracles sibyllins d ’origine juive^^ ; III, 47-48 : « Alors le très grand Royaume du Roi immortel brillera sur les hom m es» ; III, 767-768 ; «A lors il ( = Dieu) établira sur les hommes son Royaume pour tous les siècles ». e) Psaumes de Salomon V,21 : «Israël ton Royaum e» ; XVII,4 : « L a Royauté (ou : le Règne) de notre Dieu est sur les nations pour l ’éternité». f ) Assomption de Moïse 10,1 : «S on Royaum e» (dans un contexte qui parle de Dieu). ff) Apocalypse Syriaque de Baruch, appelée aussi 2 ' livre de Baruch, 73,1 : «(D ieu) s ’est assis sur le trône de sa Royauté (ou plutôt ; sur son trône royal) ». h) Apocalypse Grecque de Baruch, appelée aussi 3* livre de Baruch, XI,2 : « Michel, le porte-clef du Royaume des Cieux » ; mais cet ouvrage a été écrit par un chrétien, peu après 136 après Jésus-Christ selon R.H. C h a rle s (vol. II, p. 530) et dans le courant du ii' siècle de l’ère chrétienne selon A.M. D enis (p. 82). On peut donc soupçonner là une citation de M atthieu 16,19 (ce qui confirmerait l ’authenticité de ce passage en Matthieu). /) Pour P h ilo n d ’A lex a n d rie, K.L. Schm idt (article basileia, p. 575) pose la question : « Parle-t-il du Royaume de Dieu (Gottesreich) ? ». Et il répond : « Oui et non ! » Puis il commente ; « Le Règne (Kônigsherrschaft) n ’est compris nulle part comme une donnée eschatologique. La basileia est plutôt un chapitre de la théorie de la vertu. Le vrai roi est le sage ». De fait les 6 passages allégués n ’ont vraiment aucun rapport avec le Règne ou le Royaume de Dieu des Evangiles. Q u’on en juge ! ; « Une autre cause plus vénérable... guide... le ciel dans son ensemble avec une (royauté)^^ souveraine et toute-puissante» (Quis Rerum Divinarum, n “ 3 01). — « A qui... la royauté, à qui ? N ’est-ce pas à Dieu seul ?» (De M utatione Nominum, n® 135-136). — « Ils espéraient escalader le ciel... pour abattre la royauté étemelle » (De Somniis, II, n® 2 8 5 ). — « La royauté du sage est un don de D ieu» (De Abraham o, n° 2 6 1 ). — « L e soleil, la lune et la cohorte... des autres astres, sous la direction et le commandement de Dieu, qui détient... le pouvoir royal (basileian) par lequel toutes les choses sont gouvernées selon la justice» (De Specialibus Legibus, I, n° 20 7 ). — « M on sceptre... emblème d ’une souveraineté sans faille formée à l’image de son modèle, la royauté divine» (Ibidem, IV, n° 164).
21. Malgré son titre « L ’Eschatologie des Testaments des Douze Patriarches », l’ouvrage d ’A. H u l t o â r d ne parle à peu près pas d ’eschatologie, mais presque uniquement de messia nisme ou d'apocalyptique. Voir ci-dessous, p. 135. 22. La date de cette compilation est difficile à préciser, mais elle pourrait rem onter jusqu’à 170-140 avant Jésus-Christ selon R.H. C h a rl es (vol. II, p. 371-372) et selon A.M. D emis (p. 120) ; V. NtKiPROWETZKY pencherait plutôt pour une composition au i‘' siècle avant Jésus-Christ (p. 216-217). 23. La traduction de la collection « Sources Chrétiennes », à laquelle sont empruntée CCS citations, porte en fait « autorité », mais le grec a bien « basileia ».
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j ) Pour F l a v i u s J o s è p h e , la Concordance de K.H. R e n g s t o r f permet une étude plus précise. Or, bien q u ’il dise, par exemple dans les Antiquités Judaïques (livre VI, chapitre iv, paragraphe 4, n° 60) que les Israélites «répudient sa Royauté ( = de Dieu)», jam ais il n ’emploie la formule « basileia tou théou ». Cette constatation est d ’autant plus importante que ses œuvres sont considérables (2 279 pages, dans l ’édition grecque de B. N lk se) et q u ’elles sont bien datées (entre 77 et 97 après Jésus-Christ). k ) Dans la littérature rabbinique (qui a pu subir l ’influencc de certaines idées chrétiennes), K u h n a fait une étude précise qui aboutit aux constatations suivantes (p. 570-573) : 1) Dans les Targûmîn, c ’est-à-dire dans les traductions araméennes de l’Ancien Testament, la tournure verbale «D ieu règne» est parfois rendue par une tournure nominale parlant de la « Royauté de Dieu ». Sept références sont données : s’il n ’y en a pas d ’autres, c’est bien peu pour tout l’Ancien Testament^"^. 2) Dans le reste de la littérature rabbinique, le «R ègne des Cieux» n ’est mentionné que dans la formule «accepter (ou : refuser) le joug du Règne des Cieux» et alors il ne s’agit jam ais du « Royaume de Dieu »^*. /) Bien entendu, on a parfaitement le droit d ’accuser cette étude de myopie et de lui reprocher de s’en tenir à l’examen d ’une formule. Mais précisément ce q u ’il faut expliquer c ’est la différence entre la fréquence de cette formule dans le Nouveau Testament et sa rareté dans le milieu ambiant. Et, si la formule est fort peu employée dans le milieu juif où Jésus vivait, n ’est-ce pas aussi que les notions théologiques q u ’elle contient n ’y jouaient pas un rôle considérable ? En refusant une telle enquête sur les formules employées, ne risquerait-on pas de prendre ses rêves pour des réalités et d ’imaginer une construction théologique inexistante^ ? 6) Sixième étonnement : les vicissitudes des notions de « Royauté », « Règne » ou « Royaume de Dieu » dans la théologie chrétienne. Pour faciliter l’enquête, continuons à ne pas distinguer entre ces trois sens, de façon à conser ver l ’ambiguïté du grec « basileia» et du latin « regnum ». Même en groupant ces trois sens, la toute première littérature chrétienne leur attache peu d ’importance. Souvent elle se contente de citer des passages du Nouveau Testament qui contiennent «basileia», sans insister particulièrement^”'. a) Didaché : en VIII,2 elle cite le Pater selon le texte de M atth. 6,9-13 ; en IX,4 et X,5 elle demande que l ’Eglise soit rassemblée dans le Royaume de Dieu.
24. Dans un article à paraître bientôt, je répondrai au tout récent article de K . K o c h . 2 5 . De même un spécialiste aussi qualifié que D a l m a n termine une étude de 3 9 pages (p. 7 3 - U 3) par cette conclusion : « Non seulement le contenu du concept (Royaume de Dieu), qui est au centre de l’enseignement de Jésus, mais aussi son emploi pratique étaient nouveaux et originaux, même si l’expression choisie correspondait au vocabulaire religieux des Juifs. Le Règne de Dieu, qui faisait son entrée dans le monde, était plus q u ’une réalisation pacifiante d ’un confluent d ’espérance, il était une grandeur c r^ tric e , même au point de vue de la form ation du terme » (p. 113), J. B o e h m e r dit à peu près la même chose (p. 1 27). 26. Joachim J erem ias , après une étude très sérieuse sur l’emploi de basileia tou théou (Théologie du N .T., p. 42-46) aboutit aux mêmes conclusions. 27. L ’ordre de présentation des difTérents ouvrages est approximatif, puisque leur date de composition n ’est pas toujours connue avec certitude. Mais on peut modifier cet ordre, si l'on a des raisons pour en préférer un autre.
ANCIENNE UTTÉRATURE CHRÉTIENNE
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b) Odes de Salomon : M atth. 16,18 est cité en XXII, 12 et semble-t-il, l ’Apocalypse 12,10 en XXIII,12 ; pour XVIII,3 le parallélisme avec «fo rce» (v. 2) et avec « perfection » (v. 5) supposerait le sens de « Royauté », mais le parallélisme avec « parole » (v. 4) plaiderait plutôt en faveur de « Règne ». c) Lettres d ’iGNACE d ’A ntioche : La lettre aux Ephésiens XVI,I et celle aux Philadelphiens 111,3 citent 1 C or 6,9-10 ou 15,50, ou Galates 5,21 ou même Ephésiens 5,5. En dehors de cela, Ignace ne fait aucune allusion à la « basileia » de Dieu ou du Christ. d) La «basileia» de Dieu ou du Christ n ’est même jamais mentionnée dans l ’Epître de C lém ent aux Corinthiens, ni dans l’Ascension d ’Isaïe^®. e) Si l ’on se tourne vers les plus anciens évangiles a p o c r y p h e s ( d o n t la date de rédaction est difficile à déterminer), on ne trouve rien dans les fragments qui proviennent de l ’Evangile des Ebionites, de l’Evangile selon les Hébreux, de l ’Evangile de Pierre. L ’Evangile des Nazaréens cite Matth. 11,12 en le déformant. L ’Evangile des Egyptiens (selon la 2 ' épître de Clément XII, 1-2) porterait : «A ttendons en (son) temps le Règne (ou : le Royaume) de Dieu dans l’am our et la justice, puisque nous ne savons pas le jour de la manifestation de Dieu. En effet, le Seigneur, interrogé par quelqu’un quand viendrait son Règne, a dit... ». f ) Quant aux évangiles gnostiques découverts à Nag-Hammadi^°, leur date de composition ne peut pas encore être précisée, et encore moins celle des traditions q u ’ils recueillent. Plusieurs sont d ’origine valentinienne et donc sont postérieurs au milieu du second siècle. Celui qui aurait le plus de chance de contenir des éléments très anciens, l’Evangile de Thomas, évite généralement la formule « Royaume de Dieu » ou « Royaume des Cieux » et il dit presque toujours soit « le Royaume » sans précision, soit « le Royaume de mon père ». En 18 passages il parle de ce « Royaum e», mais 10 fois il suit d ’assez près le texte évangélique^ ‘ ; 2 fois iL ajoute au texte évangélique la mention du Royaume^^ ; 6 autres fois il présente des textes non-évangéliques qui parlent du « Royaume »^^.
28. Si l’on attribuait à cette période les remaniements chrétiens de l’Apocalypse Grecque de Baruch X I,2 (voir ci-dcssus p. 48 n. 8 et p. 87) on ajouterait une mention du «porte-clef du Royaume des Cieux » qui est une allusion à M atth. 16,19. 29. Selon l ’édition d ’E. H ennecke . 30. Sur Nag-Hammadi, une bibliographie très complète est fournie par D .M . S c h o l e r . 31. Voici la liste de ces passages : n° 2, vient de Luc 17,20-21 ; n" 23, de Marc 4,30-32 ; n° 27, développe Marc 10,14-15 ; n° 51, vient de M atth 11,11 ou de Luc 7,28 ; n° 59 de M atth, 5,3 ou de Luc 6,20; n» 62, de MaUh 13,24-30; n° 80, de M atth 13,45-46; n° 100, de M atth 13,33 ou de Luc 13,20-21 ; n° 113, de M atth 13,44; n ” 117, de Luc 17,20-21. 32. Voici ces 2 passages : n° 103 : « ...Vous et ceux qui font la volonté de mon Père, ce sont là mes frères et ma mère ; ce sont eux qui entreront dans le Royaume de mon Père » (d ’après Marc 3,31-35 ou M atth 12,46-50 ou Luc 8,19-21); n “ 111 : « Le Royaume est pareil à un berger qui a cent brebis » (d ’après M atth 18,12-13 ou Luc 15,4-6). 33. Voici ces textes selon la traduction de J. D oresse ; N° 32 « Si vous ne jeûnez pas au monde, vous ne trouverez point le Royaume... ». N° 54 : « Bienheureux les solitaires et les élus, car vous trouverez le Royaume. Parce que vous êtes issus de lui, vous y retournerez ». N ° 86 : « Celui qui est près de moi est près du feu, et celui qui est loin de moi est loin du Royaume ». N° 101 : « Le Royaume du Père est pareil à une femme qui porte un vase plein de farine... ». N° 102 ; « Le Royaume du Père est pareil à un homme qui veut tuer un grand personnage... ». N° 118 : « ...Toute femme qui sera faite mâle entrera dans le Royaume des Cieux ».
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g) Cette rapide enquête dans la plus ancienne littérature chrétienne ne saurait prétendre être définitive : trop d ’ouvrages ne sont connus que par des fragments et la plupart ne sont pas encore datés avec précision. Du moins elle suffit à m ontrer que les notions de Royauté, Règne ou Royaume de Dieu n ’ont pas joué un rôle considérable dans le demi-siècle qui a suivi la m ort des Apôtres^'^. Ensuite cette influence est longtemps restée discrète, si l’on se réfère aux trois ouvrages du patrologue G. B a r d y : « l’Eglise à la fin du premier siècle », « la Théologie de l ’Eglise de S. Clément de Rome à S. Irénée », « la Théologie de l ’Eglise de S. Irénée au Concile de Nicée»^^. Nous nous trouvons donc dans la situation suivante ; les notions de Royauté, Règne ou Royaume de Dieu étaient peu à la mode dans le milieu où Jésus a vécu ; pourtant elles sont capitales dans les Evangiles Synoptiques et même dans les Actes des Apôtres ; elles n ’ont q u ’un rôle secondaire dans l’Eglise primitive. 7) Septième étonnement : l ’application^® q u ’ont mise certains exégètes modernes à vouloir disqualifier certains passages où figure la « basileia tou théou ». En même temps q u ’ils majorent l’importance du «R ègne de D ieu» dans le judaïsme am biant, certains ont tendance à le minimiser dans le Nouveau Testament et surtout dans les Evangiles. On a l’impression que certains textes les gênent et q u ’ils cherchent, inconsciemment bien sûr, à s’en débarrasser. Or, qui veut se débarrasser d ’un texte gênant dispose d ’une triple astuce : déclarer ce texte interpolé, rédactionnel ou tardif^ a) Texte interpolé, c ’est-à-dire ajouté par un copiste désireux de faire passer ses idées personnelles. Dans le cas de la Royauté, du Règne ou du Royaume de Dieu, cet échappatoire doit atteindre l’ensemble des passages que nous avons relevés. Il faut donc supposer que ce copiste malhonnête était assez adroit pour interpoler non seulement un évangile, mais deux ou trois à la fois, et dans les passages exactement parallèles. Il aurait aussi interpolé les épîtres de Paul, en respectant bien leur style si particulier. Et de tout cela il ne subsisterait aucune trace dans aucun des manuscrits conservés. Est-il sérieux de s’arrêter à une telle hypothèse, qui ne repose sur aucun argument positif ? b) Texte rédactionnel, c ’est-à-dire ne provenant pas de documents ou de traditions primitifs, mais ajouté par le rédacteur final pour harmoniser ses sources. Dans notre cas, cette hypothèse est partiellement juste : M atthieu a trouvé intéressante la formule de M arc 1,15 « L e Royaume de Dieu est proche » ou « est devenu proche » et il l ’a répété 2 fois pour caractériser la
34. C ’est pourquoi ne sont pas interrogés des ouvrages, comme le Pasteur d ’Hermas, qui sont certainement postérieurs à l’an 130. 35. On pourra aussi consulter L. A t z b e r g e r . 36. De trop nombreux exemples de cette application seront donnés dans la suite de cet ouvrage. 37. Bien entendu, cela se fait en toute bonne foi : on est tellement convaincu que ses propres idées sont justes, q u ’on ne remarque pas que le procédé qui les «justifie » n ’estf>as irréprochable.
ÉLIMINATION DE CERTAINS TEXTES
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prédication de Jésus (4,17 et 10,7) et 1 fois celle de Jean-Baptiste (3,2). Luc a trouvé intéressante la formule « prêcher (ou : annoncer) le Royaume de Dieu » qui figurait dans une de ses sources ou q u ’il a façonnée lui-même et il l ’a répétée 5 fois dans son Evangile et 4 fois dans les Actes. Notre étude analytique de ces passages ne manque pas de le signaler (voir ci-dessus p. 43,57,66-69). Mais précisément ces formules rédactionnelles n ’ont aucun intérêt pour nous, car elles sont trop vagues et trop banales pour nous appren dre quoi que ce soit. Nous les éliminons de bon cœur. Le problème est en défi nitive celui-ci : peut-on considérer aussi comme « rédactionnels » tous les passages différents, qui contiennent des observations valables ? Pour l ’admet tre il faudrait supposer une singulière harmonie préétablie entre les « rédac teurs» de Marc, de M atthieu, de Luc, des épîtres et de l’Apocalypse. c) Texte tardif, c ’est-à-dire composé si longtemps après la vie de Jésus q u ’on ne doit plus y voir le reflet d ’une tradition primitive. Cette fois encore on ne peut pas repousser absolument cette hypothèse. Parmi les documents qui nous intéressent, deux sont en effet contestés pour ce m otif : la seconde à Timothée et la seconde de Pierre^®. Bien que les arguments en faveur de l ’inauthenticité soient loin d ’être convaincants, nous acceptons volontiers d ’affecter ces textes d ’un bémol d ’incertitude et nous permettons à tous ceux qui le voudront de les récuser. Mais, pour l ’ensemble des textes inventoriés ju sq u ’ici, on doit reconnaître au contraire que la fixité des formules et l ’évo lution de leur emploi sont nettement favorables à une origine très ancienne, qui remonte à Jésus lui-même ou à ses premiers disciples. Evidemment, quand on a déclaré un passage « tardif », on a les mains plus libres pour le qualifier ensuite de « mythique », bien que les impressions subjectives puissent jouer une part considérable dans l ’attribution de ce caractère à tel ou tel passage. Même en additionnant ces trois astuces, on est loin d ’avoir subtilisé tous les textes qui parlent de la Royauté, du Règne ou du Royaume de Dieu. Et ceux qui résistent à ces trois dissolvants sont largement suffisants pour fonder une étude sérieuse^®.
38. On ne peut pas ajouter l’épître aux Ephésiens, du moins pour le passage qui nous concerne, car il est trop évidemment paulinien (voir ci-dessus, p. 75). 39. Pour q u ’on ne croie pas que je plaisante ou que j ’exagère, je me permets de donner en appendice quelques exemples de traitement subjectif des textes, sous la plume d ’auteurs très influents.
CHAPITRE XII
Royauté de Dieu et Royauté du Christ Commençons par relire et par grouper les textes où le mot « basileia » a paru signifier « Royauté ». En voici la liste : M atth. 16,28 ; Luc 2 3 ,4 2 (mais le texte grec est incertain) ; Jean 18,36 (3 fois) ; 1 Cor. 15,24 (sens incertain) ; 2 Tim. 4,1 (sens incertain) ; Hebr. 1,8 (citation du Ps. 4 5 ,7 appliquée au Fils de Dieu, avec un sens purement adjectival) ; Apocalypse 11,15 et 12,10. Ce qui frappe tout de suite, c ’est la rareté de cette notion : une dizaine d ’emplois seulement, dont quatre sont incertains pour différents motifs; et, sur les six cas utilisables, cinq se trouvent dans le « corpus johannique ». Pourquoi cela ? Une autre question est celle des rapports entre la Royauté de Dieu et celle du Christ^. En M atth. 16,28 il s’agit explicitement de la Royauté du Fils de l ’Homme, alors que les deux textes parallèles de M arc 9,1 et de Luc 9,2 7 parlent de la « basileia » de Dieu. Est-ce que M atthieu en modifiant ainsi son texte de base avait seulement l’intention de mieux en dégager le sens, et alors pour lui la Royauté de Dieu et la Royauté du Christ étaient une seule et même chose ? Ou bien est-ce qu’il avait l’intention de corriger le texte de M arc pour exprimer une idée différente, précisément parce q u ’il excluait cette identification ? Comment répondre à une telle question ? Mais un autre rapprochement s’impose : si en Luc 2 3 ,4 2 la leçon retenue par A l a n d était certaine ce texte serait curieusement semblable à M atth. 16,28 : « Quand tu ( = Jésus) viendras dans ta R oyauté» et « le Fils de l’Homme venant dans sa Royauté ». Les deux textes de Paul, 1 Cor. 15,24 et 2 Tim. 4 ,1 , parlent du Christ, mais ils ne permettent guère de préciser le sens du mot « basileia » et donc nous ne pouvons pas les utiliser directement. Toutefois quand S. Paul dit
1. Le problème de la Royauté de Dieu et do celle du Christ n ’est pas )e même que le problème du Royaume de Dieu et de celui du Christ, qui sera traité ci-dessous, p. 192-193. En effet deux rois peuvent régner cotuointement sur le même royaume (comme ce fut le cas en France avec les deux frères Louis III et Carloman entre 879 et 882) et surtout un même roi peut régner sur plusieurs royaumes (Charles-Quint et Victoria !).
IDENTinCATION
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que Jésus remettra la « basileia » à Dieu le Père, il suppose, quel que soit le sens réel de « basileia », que celle du Christ et celle de Dieu sont distinctes, mais q u ’elles peuvent et doivent se rejoindre et s ’identifier. C ’est aussi du Christ q u ’il s’agit en Hébr. 1,8 et même l ’auteur lui applique le Ps. 45,7, qui visait au sens littéral un roi davidique. Mais comme « basileia » a seulement le sens de notre adjectif « royal », nous ne pouvons pas non plus deviner si l ’auteur voulait parler du «sceptre de la R oyauté» ou du « sceptre du Règne ». En Jean 18,36, par contre, tout est clair : c ’est Jésus qui parle et qui précise que sa Royauté n ’a pas une origine humaine. Pilate l’entend bien ainsi quand il réplique : « Est-ce que tu es roi ? », c ’est-à-dire : « Est-ce que tu as la dignité et le pouvoir d ’un roi, donc sa royauté ? ». L ’Apocalypse 11,15 (à moins que, selon une hypothèse peu probable, il ne s’agisse du Règne ou du Royaume) identifie explicitement la Royauté de Dieu et la Royauté du Christ, puisque les voies célestes acclament la Royauté « de notre Seigneur^ et de son Christ ». Dans l ’Apocalypse 12,10, le sens de « R oyauté» est indiscutable, puisque ce terme est coordonné à « puissance », qui indique bien une qualité subjective. Mais alors c’est l’identité entre la Royauté de Dieu et celle du Christ qui est moins claire, puisque sont attribuées à Dieu « la puissance et la Royauté » et au Christ « le pouvoir» ; cependant l’auteur semble bien, surtout si l’on se rappelle la formule de 11,15, ne pas vouloir opposer ces prérogatives, mais au contraire les placer en parallélisme synonymique, afm de les additionner. En définitive, la Royauté de Dieu semble bien s ’identifier à celle du Christ selon l ’Apocalypse 11,15 et 12,10. Ces textes s’harmonisent facilement avec 1 Cor. 15,24, qui envisage pour la Fin du Monde la fusion de la « basileia » du Christ dans celle de Dieu, car ils concernent la liturgie céleste dans un avenir imprécis. Et ils sont grandement confirmés par la formule : « Roi des rois et Seigneur des seigneurs» ( = Daniel 2,47) que I Timothée 6,15 applique à Dieu et que l’Apocalypse 17,14 et 19,16 applique à Jésus. Dans un article consacré tout entier à prouver que la Kônigsherrschaft de Dieu (plutôt au sens de Règne, mais le Règne est indissociable de la Royauté, sauf chez les usurpateurs) W. D antine présente ainsi sa démons tration (p. 197) : « Règne de Dieu et Régne du Christ sont considérés (par le Nouveau Testament) dans une si étroite association q u ’ils ne peuvent plus être séparés : ils désignent une seule et même réalité. Un Règne de Dieu qui ne serait pas Règne du Christ et un Règne du Christ qui ne serait pas Règne de Dieu sont en tout cas étrangers au Nouveau Testament ».
* * *
2. Dans l’usage actuel du français « N otre Seigneur » est devenu synonyme de « JésusChrist », il n ’en était pas ainsi au temps de l ’Apocalypse et ici « notre ^ ig n e u r » s ’applique directement à Dieu.
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ROYAUTÉ DE DIEU ET DU CHRIST
La relative rareté de la notion de « Royauté de Dieu » ou de « Royauté du C hrist» dans le Nouveau Testament pose un curieux problème, car, para doxalement, c ’est cette notion qui était le plus dans la ligne de l ’Ancien Testament, c’est elle q u ’on retrouvera parfois dans le Targum de Jonathan^ et c ’est elle qui aura le plus de succès chez les Pères de l ’Eglise et au Moyen Age. En effet, dans l ’Ancien Testament c ’est surtout la Royauté de Dieu qui est affirmée et proclamée, soit par le substantif « mèlèk » ( = « roi »), soit par le verbe « mâlak », qui ne signifie pas seulement « régner » (en fait) mais aussi « avoir la royauté », « être roi » (en droit). Ainsi, selon la table des matières du plus récent ouvrage sur l’Eschatologie dans l ’Ancien Testament (édité par H.D. P r e u s s en 1978), il parle 8 fois de la Royauté de Dieu (et encore une référence est-elle fausse) et 3 fois seulement du Royaume de Dieu(et encore s’agit-il une fois de sa Royauté). Des études précises n ’ont pas encore, semble-t-il, été faites sur le rapport des trois sens de « basileia » chez les Pères Grecs et de « regnum » chez les Pères Latins et, tant q u ’un savant n ’aura pas élucidé ce problème, on sera réduit à des approximations, qui ne sauraient passer pour définitives. A titre provisoire, constatons que dans un article sur « l’Idée de la Royauté du Christ dans l’Œuvre de Saint Justin», Jean L e c l e r c q ne parle pas du Royaume, très peu du Règne et presque uniquement du pouvoir royal, c ’est-à-dire de la Royauté du Christ. Même position du même auteur dans d ’autres études sur « le sermon sur la Royauté du Christ au Moyen Age», sur « la Royauté du Christ dans les lettres des Papes du x n i' siècle », sur « un sermon inédit de Saint Thomas sur la Royauté du Christ»'^. On a l ’impression que, chez les Pères de l’Eglise, la question essentielle est celle de la divinité du Christ et q u ’une des façons de l ’aborder est de mettre en valeur la Royauté du Christ, qui émane de celle du Père et qui un jo u r se fondra en elle. Au Moyen Age ce sont les luttes politiques entre « le sacerdoce et l ’em pire» qui suscitent un plus grand intérêt pour la Royauté du Christ, en faveur de ceux qui prétendent en hériter dès cette terre. En plus de ces contingences théologiques ou historiques, a peut-être joué aussi l’imprécision des termes « basileia » et « regnum »* : on en voyait surtout le sens fondamental « nature et prérogatives d ’un roi » et l ’on risquait d ’oublier un peu les sens dérivés « exercice de ces pouvoirs » et « sujets de ces pouvoirs». Surtout la théologie de l’Eglise ne posait pas encore de problèmes brûlants...
3. B.D. C h il t o n et K. K o c h signalent, dans ce Targum sur les Prophètes, quelques mentions de la m aikoutâ de Dieu, mais alors il s ’agit de la Royauté ou du Règne de Dieu, non pas d e son Royaume au sens précis. D ’ailleurs B.D. C h il t o n , selon le titre même de son liv re , comprend le Royaume de Dieu comme « Dieu dans sa Puissance ». 4. Toutes ces études sont reprises dans « L ’idée de la Royauté du Christ au Moyen Age». 5. Ainsi A. v o n G a l l parle de l ’Eglise « pour qui le regnum Dei et le regnum Christi sont devenus deux concepts eschatologiques (sic !) équivalents » (p. 480).
CHAPITRE XIII
Le Royaume de Dieu et l’Eglise Pour la clarté de l ’exposé, permettons-nous de traiter d ’abord le Royaume de Dieu et de réserver le Règne de Dieu pour le chapitre suivant. Si nous rassemblons nos différentes informations sur ce Royaume, q u ’obtenons-nous ? Bien entendu, ayons soin de ne négliger aucune donnée et de considérer tous les textes, avec leur degré de certitude ou d ’incertitude, tels q u ’ils ont été analysés plus haut. Gardons-nous surtout de déclarer certains textes incompatibles avec d ’autres : s’ils nous paraissaient tels, ce serait peut-être que nous aurions mal compris, que notre synthèse serait fausse ou q u ’elle aurait appauvri la pensée plus riche du Nouveau Testament.
A) Caractéristiques du Royaume de Dieu 1) Première constatation : pour Jésus et les Apôtres le Royaume de Dieu appartenait déjà au passé. Les invectives de Jésus contre les légistes (Luc 11,52 = M atth. 23,13) condamnent des actes déjà commis, qui ont déjà commencé de détourner du Royaume de Dieu les âmes trop naïves. D ’ailleurs Luc m et les verbes au passé. De même les encouragements au « p etit troupeau» de Luc 12,32 sont justifiés « parce q u ’il a plu au Père de lui donner le Royaume » ; ces propos, qui ne peuvent guère s’entendre d ’un «passé prophétique», concernent les auditeurs de Jésus, qui ont déjà reçu du Père ce Royaume. Quand S. Paul dit q u ’il rend grâce au Père « qui vous a arrachés (Colossiens 1,13) à la puissance des ténèbres et qui vous a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé », il fait manifestement allusion à la récente conversion des chrétiens de Colosses qui les a fait entrer dans le Royaume du Christ. En Jacques 2,5 également, Dieu a déjà dans le passé choisi les pauvres pour en faire des riches et pour les mettre en possession du Royaume q u ’il a promis : tous les verbes sont au passé, mais un passé qui se prolonge dans le présent. Dans l ’Apocalypse, Jésus « nous a délivrés de nos péchés dans son sang et il a fait de nous un Royaume » (1,6 repris littéralement en 5,10) et donc les
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LE ROYAUME DE DIEU ET L’ÉGLISE
destinataires de l ’Apocalypse participent à ce Royaume depuis q u ’ils béné ficient de la Passion du Christ. Surtout plusieurs textes mettent ce Royaume en relation avec Jean-Baptiste et donc ils incluent un passé qui remonte au moins jusqu’au Baptême de Jésus. Dans la Source Commune, Luc 7,28 et M atth. 11,11 m ontrent que Jean-Baptiste se trouve à la charnière entre l’ancienne Alliance et le Royaume de Dieu. Plus loin un texte, controversé pour d ’autres motifs, dit au moins clairement que le Royaume de Dieu est annoncé depuis Jean-Baptiste (Luc 16,16) et que depuis lors il faut du courage pour y entrer (M atth. 11,12). Môme les publicains et les prostituées ont cru à la prédication de Jean-Baptiste et ainsi ils précèdent les scribes et les Pharisiens dans le Royaume de Dieu (M atth. 21,31-32) : cette priorité peut concerner les «préséances» dans le Royaume, mais encore plus naturellement le temps de l ’entrée dans ce Royaume^. 2) Deuxième constatation : ce Royaume de Dieu est une réalité qui existe déjà lors de la prédication de Jésus, puis des Apôtres. Ce Royaume de Dieu appartient (et pas seulement : appartiendra) à ceux qui ressemblent aux petits enfants (M arc 10,14-15 = M atthieu 19,14 = Luc 18,16-17), les publicains et les prostituées sont déjà en train d ’y entrer et les autres auditeurs de Jésus sont invités à y entrer eux aussi. Le scribe qui approuve Jésus « n ’est pas loin du Royaume de D ieu» (M arc 12,34). Les Béatitudes qui concernent ce Royaume de Dieu sont exprimées au présent, alors que les autres sont au futur. La discussion sur les préséances dans le Royaume de Dieu concerne une situation bien concrète (M atth. 18,1.3.4). En outre, plusieurs expressions sont formulées d ’une façon très générale, dont le caractère intemporel inclut le présent, en même temps d ’ailleurs q u ’un avenir illimité. Ainsi : 1) la parabole de la Semence qui pousse d ’elle-même (M arc 4,26-29) ; 2) l ’invitation à rechercher d ’abord le Royaume et sa Justice (Luc 12,31 = M atth. 6,33) ; 3) la parabole du Levain (Luc 13,20-21 = M atth. 13,33, et l ’un et l’autre exposent cette parabole avec des verbes au passé) ; 4) la réponse à Nicodème : « Si quelqu’un n ’est pas engendré d ’en-haut, il ne peut pas voir le Royaume de Dieu... si quelqu’un n ’est pas engendré de l ’eau et de l ’esprit, il ne peut pas entrer dans le Royaume de D ieu» (Jean 3,3-5) ; 5) l’avertissement des Actes 14,22 : « C ’est par de nombreuses tri bulations q u ’il nous faut entrer dans le Royaume de Dieu » ; 6) l’invitation d ’Hébreux 12,28 à recevoir « le Royaume inébranlable», afin d ’adorer Dieu valablement. 3) Troisième constatation : ce Royaume de Dieu est promis pour un futur immédiat, ne dépassant pas le délai d ’une génération. Avant l ’institution de l ’Eucharistie, Jésus prom et aux Apôtres de boire le vin avec eux dans le Royaume de son Père (M arc 14,25 = M atth. 26,29 =
1. Même E. R e u s s aboutit à une semblable conclusion ; « (Jésus) va plus loin et assigne rnême une date précise à l’avènement du royaume, et cette date (M atth 11,11-14; Luc 16,16) n ’est autre que le moment où Jean-Baptiste, le dernier et le plus grand des prophètes, en ouvrit pour ainsi dire la porte, en annonçant au monde celui qui devait réaliser scs plus chères espérances. Dès ce moment-là, le mouvement vers le royaume a commencé, et les hommes se pressent avec ardeur pour y entrer » (Histoire de la Théologie chrétienne, I, p. 190).
CARACTÉRISTIQUES DU ROYAUME DE DIEU
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Luc 22,16-18). Celui qui enseigne la moindre désobéissance sera le dernier dans le Royaume des Cieux (M atth. 5,19). Celui qui n ’est pas meilleur que les scribes et les Pharisiens n ’entrera pas dans le Royaume des Cieux (M attb. 5,20). Celui qui accomplit la volonté du Père entrera dans le Royaume des Cieux (M atth. 7,21). Jésus donnera à Pierre les clefs du Royaume des Cieux (M atth. 16,18-19). Les Apôtres espèrent une restitution prochaine du Royaume de Dieu (Actes 1,6). Quatre fois S. Paul donne une liste de pécheurs qui n ’obtiendront pas le Royaume de Dieu (1 Cor. 6,9-10 ; 15,50 ; Gai. 5,21 ; Ephés. 5,5). 4) Quatrième constatation : ce Royaume de Dieu aura son accomplisse ment à la Fin du Monde. Dans l ’allégorie de l ’Ivraie (M atth. 13,24-30 et 36-43) Jésus précise lui-même que la moisson sera faite par les anges à la consommation du temps. Même horizon dans l ’allégorie du Filet (M atth. 13,47-50) et dans la des cription du Jugement Dernier (M atth. 24,31-46). S. Paul, dans ses deux plus anciennes épîtres, envisage aussi la même perspective pour l ’entrée dans le Royaume (1 Thess. 2,12 et 2 Thess. 1,5). 5) Cinquième constatation : ce Royaume ne sera pas composé seulement de justes, mais aussi de pécheurs. Si paradoxal que cela paraisse, Jésus enseigne plusieurs fois que le Royaume de son Père inclura même des pécheurs^. C ’est même, semble-t-il, l’intention principale de l’allégorie de l ’Ivraie (M atth. 13,24-30 et 36,43), de l ’allégorie du Filet (M atth. 13,47-50) et de la parabole des Dix Vierges (M atth. 25,1-10). Dans la description du Jugement Dernier (M atth. 25,31-46), l’humanité est composée elle aussi de justes et de pécheurs, mais c ’est seulement à leur séparation que les justes sont invités au Royaume du Père, qui leur était réservé depuis la création du monde. Si cet aspect de la pensée de Jésus nous étonne, c ’est que nous ressemblons aux serviteurs trop zélés qui voudraient sarcler tout de suite l ’ivraie poussant au milieu du blé (M atth. 13,27-29). 6) Sixième constatation : Ce Royaume de Dieu connaîtra une réelle évolution, une véritable croissance. Cet aspect de la pensée de Jésus, tout comme le précédent, risquait de dérouter ses auditeurs, aussi l’a-t-il enveloppé sous le voile de plusieurs para boles et allégories : la Semence qui pousse d ’elle-même (M arc 4,26-29), le Grain de Senevé (M arc 4,30-32 = M atth. 13,31-32 = Luc 13,18-19), le Levain (Luc 13,20-21 = M atth. 13,33), l ’Ivraie (M atth. 13,24-30 et 36-43)^ 7) Septième constatation : après la m ort, ce Royaume de Dieu se pro longera dans la Vie étemelle. Selon M arc 9,43-47, il vaut mieux s’am puter d ’un membre que de risquer d ’être exclu du Royaume de Dieu et d ’aller dans le feu de l’étemelle Géhenne.
2. Bien entendu, nous ne devons pas opposer ces textes à ceux qui affirment que les pécheurs n ’enireront pas dans le Royaume de Dieu. N ous devrons chercher une solution qui les concilie les uns avec les autres. 3. Ces « allégories de la croissance » sont étudiées spécialement par D o d d et par D a h l (Studia Theologica).
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En répondant à une question sur la Vie éternelle, Jésus précise que Dieu seul peut faire entrer dans son Royaume (M arc 10,23-25 = M atth. 19,23-24 = Luc 18,24-25). Ce Royaume est décrit ailleurs (Luc 13,28-29 = M atth. 8,11-12) comme un banquet en compagnie des patriarches et des prophètes, dont sont exclus « tous les artisans d ’iniquité ». La même conception est exprimée par le convive qui a dit selon Luc 14,15 : «H eureux celui qui mangera du pain dans le Royaume de D ieu», par S. Paul quand il espère que Dieu le «sauvera dans son Royaume céleste» (2 Tim. 4,18) et par la 2“ épître de Pierre (1,11) qui prom et que nous sera richement procurée l’entrée dans le Royaume éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ». 8) Huitième constatation : ce Royaume se présente sous deux états diffé rents : un état avec pécheurs et un état sans pécheurs. Certains textes supposent la présence de pécheurs à l ’intérieur du Royaume de Dieu, comme on l’a vu à la 5® constatation. Mais d ’autres textes affirment que les pécheurs n ’entreront pas dans le Royaume de Dieu : M arc 10,15 ( = M atth. 19,14 = Luc 18,17) ; M arc 10,23-27 ( = M atth. 19,23-24 = Luc 18,24-27) ; M atth. 18,3 ; Jean 3,3-5 ; 1 Cor. 6,9-10 ; 15,50 ; Gai 5,19-21 ; Eph. 5,5. Pour concilier ces deux points de vue, on doit nécessairement adm ettre que le Royaume de Dieu se présente sous deux états différents : dans le premier les pécheurs peuvent pénétrer, mais pas dans le second. Et c’est à ce second état que font allusion les textes qui répètent que tels ou tels pécheurs (ou même tous les pécheurs) n ’auront pas accès au Royaume de Dieu, car les textes qui excluent les pécheurs ont tous des verbes au futur. Logiquement on concluera donc que c ’est l’état présent (et terrestre) du Royaume de Dieu qui tolère les pécheurs, mais que c ’est l ’état futur (et céleste) de ce Royaume qui est réservé aux justes, en plein accord avec la description du Jugement Dernier en M atth. 25,34-46. 9) Neuvième constatation : ce Royaume peut être présenté soit comme celui de Dieu soit comme celui du Christ. Le texte de 2 Pierre 1,11 qui vient d ’être cité attribue explicitement ce Royaume à Jésus ; de même Coloss. 1,13 : « (Dieu nous) a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé». Partout ailleurs le Royaume est celui de Dieu, ou du Père, ou des Cieux, même quand la bonne graine représente les fils du Royaume et q u ’elle a été semée par le Fils de l ’Homme (M atth. 13,3738). Mais ces deux points ne s’excluent nullement, car ils sont synthétisés par Eph. 5,5, qui parle du « Royaume du Christ et de Dieu B) Identification da Royaume de Dieu Si nous sommes fidèles à ne néghger aucun texte et à chercher une solution qui soit en accord avec chacun, nous nous trouvons devant la devi nette suivante : Quelle est la réalité, comparable à un royaume, qui a commencé au Baptême de Jésus, qui se développera jusqu’à la Fin du Monde,
4. Les textes qui peuvent concerner soit le « Règne » soit le « Royaume » sont réservés par prudence au chapitre suivant, mais ils ne modifieraient pas substantiellement le tableau obtenu à partir des textes désignant uniquement le Royaume.
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IDEÏ>mFICAT10N DU ROYAUME DE DIEU
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qui englobe des justes et des pécheurs, qui se prolongera dans la Vie étemelle et qui est attribuabic à la fois à Dieu et au Christ ? En supprim ant l ’une ou l’autre des données du problème, on lui a donné des solutions différentes. Si l ’on tient à les harmoniser toutes, une seule réponse est possible : c’est VEglise Du moins on n ’cn a pas encore trouvé d ’autre*. En effet les divers traits de ce Royaume de Dieu ou du Christ correspon dent à ceux de l ’Eglise. 1) Quand Pierre rattache le « service » des Apôtres au Baptême de Jésus (Actes 1,17-25), quand il fait commencer à ce même Baptême « 1’onction par le Saint-Esprit » et le « passage » bienfaisant de Jésus (Actes 10,37-38), quand Paul fait remonter à ce Baptême le rôle salvifique de Jésus (Actes 13,23-26), quand Jean présente dans un parallélisme saisissant la mission du Baptiste et celle de Jésus avec la plénitude de la grâce (Jean 1,6-18), ils supposent clairement que les débuts de l’Eglise se situent lors de ce Baptême®. 2) et 3) Dans les Actes des Apôtres et dans les épîtres de S. Paul l’Eglise est manifestement considérée comme une réalité déjà bien établie et appelée à un avenir illimité ; l ’on ne peut guère douter que Jésus fasse allusion à cette Eglise quand il résume dans la Prière Sacerdotale la mission q u ’il a remplie (Jean 17,1-26). 4) L ’Eglise doit vivre jusqu’à la Fin du M onde (M atth. 28,20), puisque c ’est en elle que se réalisent les promesses d ’éternité contenues dans l’Ancien Testament. 5) L ’Eglise contient des justes et des pécheurs’ : une faute contre un frère peut aboutir à une intervention de l ’Eglise® ; Judas a fait partie de l’Eglise (Actes 1,17) ; les exhortations morales des épîtres visent des pécheurs possibles et les reproches faits aux Thessaloniciens, aux Corinthiens (surtout 1 Cor. 5,1-13 ; 6,1-18 ; 11,17-22) et aux Galates supposent de sérieuses défail lances ; 1 Pierre 4,15 et 3 Jean 9,10 ainsi que l ’Apocalypse 3,1-4 et 15-19 s’adressent à des membres de l’Eglise qui, eux aussi, font scandale... 6) L ’évolution de l ’Eglise, sa diffusion et sa croissance sont décrites dans les Actes des Apôtres et dans les lettres aux Eglises de l’Apocalypse, sans oublier maints passages des épîtres. 7) L ’Eglise se prolongera dans la Vie éternelle. Elle est le corps du Christ (Eph. 5,30 ; Col. 1,24) et il en est la tête (Eph. 1,22 ; 5,23 ; Col. 1,18.24). Elle doit donc vivre avec lui dans la gloire du Père (l’Apocalypse 1,5-8.18 ; 2,7, etc.).
5. Bien entendu, cet argument concerne seulement l’existence de l’Eglise. Il ne préjuge en rien de sa nature, sur laquelle bien des discussions sont en cours. 6. On dit souvent que l ’Eglise aurait commencé à la Pentecôte, mais alors l ’institution de l ’Eucharistie et la Passion seraient antérieures à l’Eglise... 7. Ceci est bien exposé par Calvin, tom e II, chapitre 4, p. 134-135. 8. C ’est alors d ’une « église » locale q u ’il s’agit, mais comment imaginer des églises locales sans « l ’Eglise » ?
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8) L ’Eglise existe ici-bas sur la terre et elle existe aussi dans le Ciel, selon une distinction entre l’Eglise Militante et l ’Eglise Triom phante qui s’appuie sur l’ensemble de l ’Apocalypse. 9) L ’Eglise est tantôt l ’Eglise de Dieu (Actes 20,28 ; 1 Cor. 1,2 ; 10,32 ; 11,16.22 ; 15,9 ; 2 Cor. 1,1 ; Gai. 1,13 ; 1 Thess. 2,14 ; 2 Thess. 1,4 ; 1 Tim. 3,5.15) et tantôt l ’Eglise du Christ (M atth. 16,18 ; Rom. 16,16 ; Gai. 1,22 ; Eph. 3,21 ; 5,29 ; Col. 1,18-24). Une telle correspondance entre les traits caractéristiques du Royaume de Dieu et ceux de l ’Eglise ne peut s’expliquer que si l’on reconnaît que VEglise est bel et bien le Royaume de Dieu^. Cette conclusion, qui résulte directement de la confrontation de toutes les données bibliques, est confirmée par plusieurs autres arguments. a) Comme nous l ’avons vu dans l’étude analytique (p. 47-49), M atth. 16,17-19 met en parallélisme « je construirai mon Eglise » et « je donnerai les clefs du Royaume des d e u x ( = de Dieu) ». Ce rapprochement suppose que dans la pensée de l ’auteur l ’Eglise et le Royaume sont une seule et même chose sous deux désignations différentes. b) Dans le discours aux «anciens» d ’Ephèse, Paul rappelle q u ’il est «passé chez eux en prêchant le Règne (ou le Royaume) de Dieu » (Actes 20,25) ; puis, trois versets plus loin il leur recommande de prendre soin « de tout le troupeau, dans lequel l’Esprit Saint (les) a placés comme surveillants^® (pour) être pasteurs de l’Eglise de Dieu » (20,28). L ’incertitude sur le sens de Règne ou de Royaume et les trois versets qui séparent les deux formules empêchent de voir là un argument décisif. Pourtant ce n ’est peut-être pas un effet du hasard si la tâche d ’un prédicateur du Règne ou du Royaume est continuée par les pasteurs de l’Eglise. c) Alors que les Synoptiques mentionnent 105 fois la «basileia» de Dieu et seulement 2 ou 3 fois l’Eglise (M atth. 16,18 et 18,17) les épîtres de S. Paul mentionnent 14 fois la «basileia» et 21 fois l’Eglise^^. La confrontation de ces chiffres invite à penser que Paul appelle Eglise ce que les Synoptiques appellent Royaume de Dieu. Ceux qui refuseraient d ’adm ettre cette identification entre le Royaume de Dieu et l ’Eglise n ’ont le choix q u ’entre trois solutions : 1) Déclarer qu’on ne peut pas savoir à quoi correspond ce Royaume de Dieu qui constituait un des éléments essentiels de la prédication de Jésus et que Jésus et les Apôtres considéraient à la fois comme passé, présent et futur comme terrestre et céleste. Mais cette solution est-elle scientifique ?
9. Bien entendu, cette identification fondamentale n ’exclut pas une certaine nuance d e M o n t c h e u il , J o u r n e t et qui sera précisée à la page suivante. 10. Paul emploie le mot « épiskopos », d ’où dérive le français « évêque ». 11. Ce chiffre n ’est q u ’approximatif, car il n ’est pas toujours facile de savoir si l’on parle d ’une église particulière ou de l’Eglise en général. 12. H .D . W e n d l a n d résume ainsi (p. 145) les données du Nouveau Testam ent : « 1) Le Royaume de Dieu est venu. 2) Le Royaume de Dieu est actuellement en train de venir. 3) Le Royaume de Dieu viendra ».
d a n s la présentation, comme celle q u e signalent F a ir b a ir n ,
IDENTIFICATION DU ROYAUME DE DIEU
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2) Refuser la distinction entre Royauté, Règne et Royaume de Dieu, car l’Eglise n ’est évidemment ni la Royauté ni le Règne de Dieu. Mais cette confusion est-elle scientifique” ? 3) Supposer interpolés, tardifs ou rédactionnels tous les textes du Nouveau Testament qui parlent du Royaume de Dieu d ’une façon qui ne nous plaît pas. Mais l ’élimination de ces textes ne doit pas être faite pour des motifs théologiques, car, dans une argumentation théologique, récuser des textes théologiques pour des motifs théologiques, ce serait commettre un «cercle vicieux ». Si l ’on n ’accepte pas l ’une ou l ’autre de ces trois échappatoires, on ne peut plus refuser la conclusion : donc le Royaume de Dieu c'est l'Eglise. On n ’a pas même le droit, comme le font certains, de voir en l ’Eglise la préparation du Royaume, car cela implique que le Royaume soit postérieur à l’Eglise et donc cela contredit les paroles de Jésus et des Apôtres qui affirment que le Royaume est déjà de leur temps, une réalité présente. On ne doit pas non plus laisser entendre que le Royaume de Dieu prolongera l’Eglise dans l ’au-delà. L ’Eglise a commencé à exister à l ’instant même où le Royaume de Dieu a été fondé et elle existera comme lui durant toute l’éternité. L ’Eglise et le Royaume ne peuvent en aucune façon être dissociés, du moins si l’on s’en tient à l ’ensemble du Nouveau Testament, sans préférer certains textes à d ’autres. Cependant, l’identification de l’Eglise et du Royaume de Dieu n ’oblige nullement à considérer ces deux termes comme synonymes : ils désignent la même réalité, mais ils la désignent sous des points de vue différents. Quand on parle du Royaume de Dieu, on envisage surtout le résultat de l’action de Dieu, qui se réalise parmi les hommes en les groupant autour du Christ ; quand on parle de l ’Eglise, on envisage surtout les hommes qui sont groupés par Dieu autour du Christ. Cette distinction conceptuelle est judicieusement exprimée par A .M . F a i r b a i r n (p. 105-106), Y. d e M o n t c h e u i l (p. 113) et C. JOURNET (p. 114). Une semblable distinction conceptuelle apparaît chez S. Paul, qui préfère parler d ’Eglise quand il s’agit du passé récent (1 Cor. 12,28 ; 15,9 ; Gai. 1,13 ; Ephés. 1,22 ; Philipp. 3,16) ou du présent (partout ailleurs), mais parler du Royaume quand il s’agit de l ’avenir (1 Thess. 2,12 ; 2 Thess. 1,5 ; l Cor. 6,9-10 ; 15-24 (?) ; 15,50 ; Gai. 5,21). Cependant on n ’a pas le droit d'en conclure que pour S. Paul l ’Eglise et le Royaume sont des réalités distinctes, car parfois il considère que le Royaume appartient au passé (Col. 1,13) ou au présent (Eph. 5,5). Certains exégètes expliquent différemment ces deux passages, en rem arquant que Col. 1,13 parle du Royaume du Christ et les textes au futur du Royaume de Dieu : ainsi le Royaume du Christ serait bien identique à l ’Eglise, mais il se distinguerait du Royaume de Dieu, prévu seulement pour l ’avenir. Mais cette exégèse est réfutée par Eph. 5,5 qui parle, au présent, du « Royaume du Christ et de Dieu ». D ’ailleurs S. Paul ne semble
13. C ’est ce que font, parm i beaucoup d ’autres, A l t h a u s : « Le Royaume de Dieu c’est la souveraineté de D ieu » (col. 1822) et B l a c k m a n : « L a science moderne signale que Royaume de D ieu signifie essentiellement l ’activité divine, la souveraineté et royauté de Dieu... C ’est avec le sens de Royaume... que l ’Eglise est par erreur confondue et identifiée » (p. 371).
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pas mettre de différence entre « toutes les Eglises du C hrist» (Rom. 16,16) et « les Eglises de D ieu» (1 Cor. 11,16) et de même il considère comme « l ’Eglise de D ieu» (1 Cor. 10,32 ; 11,22 ; 15,9 ; Gai. 1,13) cette Eglise q u ’il appelle ailleurs « le Corps du C hrist» (Col. 1,24 ; plus Eph. 1,22 ; 5,23 ; Col. 1,18). En conséquence on doit reconnaître que Paul désigne surtout l ’aspect présent par le terme « Eglise » et surtout l ’aspect futur par le terme « Royaume » (de Dieu ou du Christ). C ’est là une distinction conceptuelle parfaitement admissible, mais l’Eglise et le Royaume n ’en restent pas moins une seule et même réalité, considérée sous deux aspects différents. Certes, dans le Royaume de Dieu, tout comme dans l’Eglise, on doit distinguer une étape terrestre et une étape céleste. C ’est pourquoi, dans un bon nom bre de textes (et surtout chez Paul), le Nouveau Testament parle de l’entrée dans le Royaume, alors qu’il s’agit en réalité de l’entrée au Ciel (soit tout de suite après la mort, soit seulement au Jugement Dernier : peu importe, ici, pour nous) : M atth. 8,11,12 ( = Luc 13,28-29) ; 13,43 ; Luc 22,30 ; 1 Cor. 6,9-10 ; 15,24-25.50 ; Gai. 5,21 ; 2 Tim. 4,1.18 ; 2 Pierre 1,11. Dans tous ces textes il s’agit de l ’entrée dans un Royaume céleste. Mais en d ’autres textes, encore plus nombreux, il s’agit manifestement de l ’entrée dans un Royaume terrestre. Concluons donc que le Royaume de Dieu est ter restre selon un de ses aspects et céleste selon un autre. O r telle est précisément la situation de l ’Eglise, qui groupe autour de Jésus à la fois les hommes sur la terre et les saints du Ciel.
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C) Cette identification à travers les âges La plus ancienne littérature chrétienne n ’attache q u ’une importance secondaire au Royaume de Dieu (voir ci-dessus p. 88-90) et jamais, semble-t-il, elle n ’identifie ce Royaume à l’Eglise. Même si l’on ne sait pas comment expliquer ce fait, on doit le reconnaître comme un fait*'^. Nous ne pouvons évidemment pas suivre à travers les siècles l ’histoire des notions d ’Eglise et de Royaume de Dieu, ni celle de leurs relations réciproques. Les documents ont déjà été rassemblés et étudiés plus ou moins complètement par G. B a r d y , L . A t z b e r g e r , E. S t a e h e l in , J. L e c l e r c q , Y. C o n g a r , W. V o l l r a t h et, pour la période qui suit la Réforme, par G. SCHRENK, J.K . M o z l e y , H. F r ic k et L. KovÂcs. Simplement, pour signaler quelques jalons, contentons-nous de rappeler la position des auteurs qui ont exercé le plus d ’influence^*. 14. Si les Pères Grecs (et à leur suite les Pères Latins) attachent relativement peu d 'im portance à la « basileia tou théou », bien q u ’elle soit capitale pour les Evangiles Synoptiques, cela peut tenir à deux raisons : 1) La confusion entre les trois notions de « royauté », de « règne » et de « royaume », imposée par une regrettable imprécision de la langue grecque, empêchait d ’en bien saisir et d ’en bien développer la richesse théologique. 2) D ans le monde grec, où le gouvernement démocratique des cités correspondait à de vieilles traditions et où les rois étaient surtout des conquérants (macédoniens ou romains), la notion de « royaume » était peut-être moins populaire que chez les Juifs, où les souvenirs glorieux de David et de Salomon continuaient à inspirer les imaginations. J. D e n n e y pense même (p. 184-186) que si Paul parle plus de l’Eglise que du Royaume de Dieu, c’est déjà parce q u ’il essayait d ’adapter une notion sémitique à une mentalité hellénistique. 15. Ce relevé ne cherchera donc à être un peu étoffé que pour les théologiens des cent dernières années. Auparavant, q u ’il suffise de constater la permanence d ’une tradition paisiblement admise.
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IDENTIFICATION À TRAVERS LES ÂGES
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On présente parfois I r é n é e comme le premier avocat de l ’identité entre l ’Eglise et le Royaume de Dieu, parce q u ’il écrit : « (Dieu) introduit dans le Royaume des Cieux Abraham et sa postérité, c ’est-à-dire l’Eglise» (IV, 8,1). Mais en fait, comme le texte grec le montre clairement, l ’Eglise est identifiée non pas au Royaume des Cieux, mais à la postérité d ’Abraham et donc ce texte m arquerait plutôt une distinction entre l ’Eglise et le Royaume, où elle est introduite. En fait la plus ancienne identification que je connaisse entre le Royaume de Dieu et l ’Eglise se trouve chez H ip p o l y t e d e R o m e (Réfutation... livre IX, n® 12, p. 250, lignes 2-4) : dans un réquisitoire contre le pape C a l l ist e (m ort m artyr en 222), il lui reproche : « Il disait que la parabole de l ’Ivraie se rapportait à cela ( = l e mariage des clercs) : «Laissez l ’ivraie croître avec le blé», c ’est-à-dire (laissez) dans l’Eglise les pécheurs». Puisque cette parabole concerne le Royaume de Dieu, c ’est bien lui qui est considéré comme l’Eglise par C a l l is t e . Mais nous ne savons pas si les reproches d ’HippoLYTE sont inspirés seulement par le laxisme (vrai ou supposé) de C a l l is t e ou bien aussi par cette conception du Royaume de Dieu et de l ’Eglise. O r ig è n e , qui affirme que le Christ est lui-même le Royaume (Sur M atthieu, traité 14, n° 7 : M ig n e , vol. 13, col. 1197 ; K l o s t e r m a n n , p. 289) semble bien avoir identifié réellement Eglise et Royaume de Dieu, sans toutefois l ’affirmer explicitement.
Vers 345, le Syrien A p h r a a t e (Démonstration XXI, n® 13, col. 963-966) développe un long parallèle entre David et Jésus, où, sans parler explicitement de l ’Eglise, il décrit le Royaume du Christ en des termes qui ne conviennent q u ’à elle : « David a été sacré par Samuel... Jésus a été sacré par Jean... David a régné d ’abord sur une seule tribu, puis sur tout Israël ; Jésus a régné d ’abord sur les quelques uns qui croyaient en lui et à la fin il régnera sur tout le monde. Samuel a consacré David à l’âge de 30 ans ; Jésus à l’âge de 30 ans a reçu l’imposition des mains par Jean. David a épousé 2 filles de roi ; Jésus a épousé 2 filles de roi, la communauté du peuple (juif) et la communauté des peuples (païens)... David a transmis le royaume à Salomon et a été réuni à son peuple ( = est m ort) ; Jésus a transmis les clefs à Simon, est monté (aux cieux) et est allé à celui qui l ’avait envoyé ». A u g u s t in est considéré comme le principal propagateur de l ’équation Royaume de Dieu = Eglise. De fait il consacre un chapitre de sa Cité de Dieu (livre XX, chap. IX) à exposer que l ’Eglise s’identifie soit au Royaume de Dieu soit au Royaume du Christ (vol. 37, p. 230-242) et il résume sa pensée en des formules bien frappées : « P a r conséquent, m aintenant aussi l ’Eglise est le Royaume du Christ et le Royaume des Cieux» (p. 235)... « L ’Eglise, qui dès m aintenant est le Royaume du C hrist» (p. 237)... « L’Eglise, qui est le Royaume du C hrist» (p. 239)... « L ’ivraie qui, à la Fin du Monde, doit être rejetée de son Royaume ( = du Christ), qui est l ’Eglise » (p. 239). A la suite de S. A u g u s t in , S. G r é g o ir e est catégorique : « L ’Eglise est appelée le Royaume des Cieux», (Moralium, livre XXXIII, chap. 18, n° 34 ; M ig n e , vol. 76, col. 695)... « Il nous faut savoir que souvent dans la sainte Ecriture l’Eglise du temps présent est appelée le Royaume des Cieux» (Homé lies sur les Evangiles, livre I, homélie 17, n° 1 ; M ig n e , vol. 76, col. 1118)... « Je me souviens vous avoir dit souvent que la plupart du temps dans le saint
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Evangile l ’Eglise présente est appelée le Royaume des Cieux» (Homélies sur les Evangiles, livre II, homélie 38, n® 2 ; M i g n e , vol. 76, col. 1282)... « Par Royaume du Christ, c ’est la sainte Eglise qui est désignée (In Primum Regum, livre I, chap. III, sur 1 Rois 2,6 ; M ig n e , vol. 79, col. 76)^*. La pensée de S. A u g u s t in et de S. G r é g o ir e , évidemment, marquera tout le Moyen-Age l a t i n b i e n q u ’on ait tendance à restreindre le sens de « regnum » pour l’appliquer surtout à la « Royauté » (voir ci-dessus, p. 94), G . ScHRENK affirme sans nuance : « Le catholicisme vulgaire du Moyen-Age identifie l ’Eglise romaine et le Royaume de Dieu » (p. 149). S. T h o m a s d ’A q u in , dont la Somme Théologique ne contient pas une étude particulière sur l ’Eglise ni sur le Royaume de Dieu^®, s ’exprime ainsi dans son Commentaire sur les Sentences*® : « Le Royaume de Dieu signifie par antonom ase deux choses ; tantôt l’assemblée de ceux qui voyagent dans la foi, et alors c ’est l ’Eglise militante qui est le Royaume de Dieu ; tantôt l’union de ceux qui se reposent dans la fin, et alors c ’est l ’Eglise triomphante qui est le Royaume de Dieu ». C a l v in non plus ne traite pas la chose explicitement, mais il la considère comme tout à fait évidente : « Christ mesmes dict que le Royaume de Dieu est en nous, et appelle aucunes fois l ’Eglise le Royaume des Cieux» (tome III, chap. 9, 2 ' pétition, p. 179). Et ensuite il la prend pour base d ’argumentation : « En somme puis que ( = puisque) l ’Eglise est le Règne de Christ, et puis que ( = puisque) Christ ne règne sinon par sa parolle (sic)...» (tome IV, chap. 15, p. 163)"'^
Chez les Protestants la situation est ainsi résumée par L. KovÀcs : « La réformation vient et passe aussi sans avoir modifié la conception augustinienne du Royaume de Dieu. Elle l’accepte et la transm et aux Eglises pro testantes, comme elle a accepté de la part de l’Eglise catholique beaucoup d ’autres dogm es» (p. 15). De fait c ’est en gros cette identification de l’Eglise avec le Royaume de Dieu ou du Christ qu’on retrouve chez M artin B u c e r (T o r r a n c e , p. 75-89) chez M é l a n c h t h o n (S c h r e n k , p. 156-158) et chez CoccEius (S c h r e n k , p. 209) : « Selon une seconde et plus ancienne explication (que R.N. F l e w ne prend pas à son compte), le Royaume de Dieu sur la
16. L ’authenticité de ce dernier texte n ’est pas au-dessus de tout soupçon. Mais, s’il n ’est pas de S. G r é g o ir e , il suppose q u ’un autre auteur est du même avis. 17. Une enquête détaillée devrait aussi être faite dans les textes liturgiques, soit de l ’Orient soit de l’Occident. Qui s ’en chargera ? 18. Le Dictionnaire de la Somme Théologique de Th. P ègues (en 2 volumes) n ’a pas d ’article « Eglise », ni « Eschatologie », ni « Règne de D ieu », ni « Royaume de Dieu », ni « Royauté de Dieu ». 19. Cette citation est fournie deux fois par C. J o u r n e t , vol. II, p. 57, note 1 et p. 64, note 5, mais les deux références sont à corriger ainsi : Commentaire sur le 4 ' livre des Sentences, distinctio 49, quaestio 1, articulus 2, questiuncula 5, solutio 5 (p. 1190, col. 1). 20. On verra plus loin, p. 124-125, pourquoi L u t h e r n ’est pas mentionné ici. 21. La pensée de C alvin est présentée plus en détail par T orrance p. 122-139 et 147-155.
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terre est identique à l ’Eglise... P ar L u t h e r , B u c e r et C a l v in , cette vue est passée dans l’exégèse protestante traditionnelle»^^ (R.N. F l e w , p. 20). Comme témoin de la théologique catholique, q u ’il suffise d ’écouter B o s su e t ; « Le Royaume de Jésus-Christ, c ’est son Eglise catholique ; et j ’entends ici, par l ’Eglise, toute la société du peuple de Dieu » (vol. IV, p. 365, sermon du 2 avril 1662)... « Q u ’est-ce que l ’Eglise ? C ’est l ’assemblée des enfants de Dieu, l ’armée de Dieu vivant, son royaume, sa cité, son temple, son trône, son sanctuaire, son tabernacle. Disons quelque chose de plus profond : l ’Eglise, c ’est Jésus-Christ, mais Jésus-Christ répandu et com m uniqué» (vol. VI, p. 653, allocution aux Nouvelles Catholiques, avant 1669). La bonne étude de J. Riek donne un aperçu (p. 26-29) sur la notion de Royaume de Dieu depuis L u t h e r : certains Protestants hésitent à identifier Eglise et Royaume de Dieu, mais les Catholiques n ’y voient aucune difficulté. Certains même, par exemple J.S. v o n D r e y (1777-1853) et J.B. vON H ir s c h e r (1788-1865), prennent cette identification comme fondement de leurs concep tions sociales. Telle était encore la situation vers 1892, quand s’est produite la révolution théologique que nous étudierons plus loin (p. 138-196). Depuis cette date, voici la liste (certainement très incomplète) des auteurs (catholiques, anglicans ou protestants), qui, d ’une façon ou d ’une autre, avec plus ou moins de conviction, reconnaissent dans le Royaume de Dieu les principaux traits de l’Eglise. En 1890^^, A.B. B r u c e ; « La nature de l ’Eglise et sa relation au Royaume de Dieu sont exposés dans les paroles remarquables adressées par Jésus à Pierre après sa courageuse profession de foi en la messianité de son maître » (p. 260)... Jésus alors exprima trois grandes vérités... deuxièmement que (l’Eglise) comme telle devrait être pratiquement identique au Royaume de Dieu q u ’il avait prêché jusqu’alors ; troisièmement, que dans cette Eglise la justice du Royaume trouverait son « h o m e» (p. 262-263)... « L ’identité de l’Eglise et du Royaume n ’est pas absolue, mais relative. Les deux catégories ne coïncident pas entièrement, même quand l ’Eglise, en tant que société visible, est ce q u ’elle doit être... Le Royaume est une catégorie plus large. Il embrasse tous ceux qui, par la clé de la vraie connaissance du Christ historique, sont admis dans son enceinte, mais aussi beaucoup d ’autres, les enfants du Père qui, dans tous les pays, ont inconsciemment aimé le Christ dans la personne de ses représentants, les pauvres, les souffrants, les affliges...» (p. 265-266). En 1892, H. S c h e l l , dans son gros traité de Dogmatique, définit ainsi l ’Eglise : « L’Eglise est le Royaume, fondé par le Christ, de la (vraie et) surnaturelle communauté divine» (vol. III, p. 382). En 1893, A.M. F a ir b a ir n dans une section intitulée : « L ’Eglise comme Royaume et Peuple de Dieu » (p. 528) : « Le Royaume (de Dieu) est l ’Eglise
22. R.N . F l e w repousse cette interprétation parce que « basileia » signifie Royauté ou Règne (p. 20) et parce que l’Eglise ne peut pas être identifiée au Règne de Dieu (p. 24) [Evidemment !]... Ailleurs il affirme : « L ’équation (Royaume de Dieu = Eglise) ne se trouve que bien des siècles plus tard ( = après le Nouveau Testament) » (p. 87). On se demande si l ’expression « many centuries » n ’aurait pas quelque peu dépassé la pensée de l’auteur 1 23. Cet ouvrage était encore réédité en 1909.
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vue d ’en Haut ; l ’Eglise est le Royaume vu d ’en bas. Dans le Royaume la société est conçue à travers sa volonté créatrice et formatrice ; dans l’Eglise la volonté est conçue à travers la société créée et formée. Dans le Royaume on insiste sur le roi ; dans l’Eglise, sur les citoyens : dans un cas nous voyons l’homme comme il devrait être devant Dieu... dans l’autre cas nous voyons l’homme comme il devrait être pour Dieu dans la société» (p. 528)... «Jésus prêche le Royaume, c ’est-à-dire se déclare Lui-Même Roi, proclame le Royaume constitué par la présence du Roi ; mais les Apôtres, en fondant des églises, édifient l ’Eglise, appellent les hommes à devenir des saints et à entrer dans la société des sauvés... On voit ici la coïncidence des deux notions : le plan selon lequel l ’Eglise est bâtie, c’est la volonté de Dieu, ou l ’idéal du Royaume, alors que le moyen par lequel le Royaume est réalisé, c’est l ’Eglise et les églises. Mais cela implique la corrélation des deux notions : le Royaume est l ’Eglise immanente et l ’Eglise est le Royaume explicité : chacun ne peut rien avoir qui soit étranger à l ’autre. Le Royaume est l’Eglise exprimée selon les paroles, l ’esprit et la personne de son Fondateur ; l’Eglise est le Royaume réalisé dans les âmes vivantes et dans la société q u ’elles constituent» (p. 528-529). En avril 1894, J. D e n n e y : « L’étroite connexion entre Eglise et Royaume est m ontrée dans ces deux passages (M atth. 16,19 et 18,17-18) par le fait que, quand Pierre pose à Jésus une question provoquée par son discours sur les limites du pardon, il reçoit comme réponse une parabole qui concerne le Royaume des Cieux. Le Royaume organisé et agissant collectivement pour la discipline morale de ses membres semble être appelé l ’Eglise» (p. 179)... « (Pour ceux qui pensent que le Royaume est plus grand que les églises) ce n ’est pas sur cette base que l ’Eglise et le Royaume peuvent être distingués et, quand ils le sont, la distinction ne provient pas d ’une théologie chrétienne ou du moins néotestamentaire, mais seulement des présupposés de son auteur... Une (autre) distinction voudrait caractériser l’Eglise comme rehgieuse et le Royaume comme éthique ; pour ce m otif elle voudrait subordonner l ’Eglise au Royaume comme un moyen à une fin... Mais cette distinction ne peut pas non plus en cette forme soutenir la comparaison avec l ’usage de ces mots dans le Nouveau Testament... L’Eglise /j’est pas, dans le Nouveau Testament, une communauté religieuse qui doit être complétée par l’idée du Royaume comme par une communauté éthique... Quelle est la distinction entre les deux [Eglise et Royaume] ? Je ne suis pas persuadé q u ’en principe il y en ait une. L ’explication de leur usage dans le Nouveau Testament est à chercher, j ’imagine, dans des considérations plutôt historiques que dogmatiques. Quand Jésus est paru parmi les Juifs prêchant la bonne nouvelle du Royaume, (il trouvait dans la notion de Royaume) un point d ’attache auquel il pouvait relier ce q u ’il voulait dire... mais pour la masse des païens d ’Asie, de Macé doine, de Grèce, d ’Italie, (cette notion) n ’exprimait rien du tout. Aussi les Apôtres l’ont pratiquement laissé tom ber et ils ont représenté l’aspect social du christianisme dans le m ot Ecclesia, ou Eglise... Ils n ’ont pas renoncé à l ’idée (de Jésus) sur le Royaume et ils ne l’ont pas remplacée par une (idée) inférieure parce q u ’ils n ’auraient pas pu conserver tout son contenu ; en pratique ils l ’ont échangée avec une autre idée, quand ils ont compris q u ’ainsi la grâce de Dieu atteindrait plus facilement les esprits. Le remplacement de Royaume par Eglise, que nous constatons entre les évangiles et les épîtres, ne signifie pas que les apôtres auraient mal compris le Christ ; il signifie que dans la liberté de l ’esprit et dans la conscience d ’avoir la pensée du Christ, ils n ’attachaient pas d ’importance aux mots, même aux mots du
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Christ, et q u ’ils les utilisaient ou non selon les circonstances» (p. 182185). En 1899, J. O r r : « On peut vraiment dire que le Royaume de Dieu a existé sur terre en sa personne ( = de Jésus) depuis le 1*^ instant de sa mani festation» (vol. III, p. 850, F* col.)— « S i Jésus était pleinement conscient d ’être lui-même dès le début le Fils de Dieu et fondateur de son Royaume, à ses yeux ce Royaume ne pouvait pas être seulement une chose future, mais il devait être considéré comme déjà existant» (vol. II, p. 851, 2 ' col.),.. « S i nos explications précédentes sont correctes, ces idées ( = Royaume de Dieu et Eglise) ne sont pas tout à fait identiques, comme on l ’a fréquemment admis. Le Royaume de Dieu est une conception plus large que celle d ’Eglise. D ’autre part, ces idées ne sont pas aussi distantes q u ’on le représente parfois. En certains cas (par exemple en M atth. 16,18-19), l ’expression « Royaume des Cieux» est pratiquement synonyme à celle d ’Eglise. L ’Eglise, comme société, est l’expression visible du Royaume dans le monde ; elle est en fait la seule société qui professe formellement de le représenter (souvent très imparfaitement). Pourtant l ’Eglise n ’est pas le corps extérieur de ce Royaume en tous ses aspects, mais seulement dans son aspect directement religieux et moral, c ’est-à-dire spirituel» (vol. II, p. 854-855). En 1903, P. W e r n l e : « Il est clair que Paul connaît déjà dans le présent un Royaume de Dieu et que celui-ci correspond à peu près à l ’Eglise» (p. 3)... « LeRoyaume de Dieu est tout présent, aussi doit-il coïncider à peu près avec l ’Eglise. Cela résulte très clairement de Col. 1,13, où l ’accession au Royaume du Fils de Dieu concerne pratiquement l’entrée dans l ’Eglise... Le Royaume de Dieu est aussi ancien que l ’Eglise et l ’on entre dans le Royaume de Dieu par l’entrée dans l’Eglise... L ’Eglise est le Royaume de Dieu dans le sens dynamique ou pneumatique » (p. 4)... « (Dans l’Apocalypse) la notion du Royaume du Christ dans l ’Eglise est peut-être comprise plus clairement et plus concrètement q u ’en n ’importe quel autre ouvrage du Christianisme prim itif» (p. 8)... « ( L ’auteur de l ’Apocalypse), malgré la teneur eschatologique de tout l’ouvrage, est un témoin en faveur de la présence du Royaume messianique dans l ’Eglise» (p. 9)... «(Selon M atthieu) le Royaume de Dieu est là, parce que l ’Eglise est le Royaume gouverné par le Christ » (p. 24). En 1907, L o is y constate (sans prendre à son compte, évidemment) : « L e premier Evangile est, entre tous, un livre d ’édification, l ’on pourrait même dire d ’organisation ecclésiastique ; le rédacteur a son idée de «justice», c’est-à-dire de perfection chrétiemie, et de bon ordre dans les communautés : l ’Eglise est pour lui le royaume des cieux déjà réalisé, avec le Christ invisiblement présent» (Evangiles Synoptiques, vol. I, p. 136-137). En 1909, L. M a is o n n e u v e : « Elle ( = l ’Eglise) est proprem ent et unique ment le Royaume de Dieu, si souvent annoncé et promis dans l ’Evangile» (col. 1529). En 1911, E.F. S c o t t reproche aux Evangélistes d ’avoir transformé l ’enseignement prim itif de Jésus en l ’adaptant à leur conception de l ’Eglise. Pour lui donc les Evangiles (et plus encore S. Paul) dans leur état actuel assi milent l’Eglise au Royaume de Dieu : « Nos récits évangéliques ont été écrits dans leur forme actuelle quand la notion d ’Eglise a commencé à rem placer la notion de Royaume... Les paroles ( = de Jésus) sur le Royaume devaient être complètement transposées sur la communauté... (Paul, comme
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Jésus,) parle des serviteurs de Dieu comme constituant dès m aintenant le Royaume. L ’Eglise, en tant que communauté visible, est l ’ordre céleste se réalisant sur la terre... L ’Eglise est investie d ’une signification mystique comme l ’objet des promesses du Christ concernant le Royaume... D ’un bout à l’autre de la série de paraboles du chapitre 13 (de M atthieu) la notion d'Eglise est mélangée avec celle de Royaum e» (p. 104-106). En 1912, J.B. F r e y : « S i l ’Eglise est venue, alors que Jésus annonçait le Royaume, ne sera-ce point parce q u ’il y a entre les deux un lien organique, essentiel, parce que l ’Eglise est elle-même, en un sens, le royaume annoncé ?... Le royaume-Eglise transparaît dans la parabole du grain de senevé... Les deux termes (royaume et Eglise) ne sont sans doute pas synonymes; la notion du royaume est plus large que celle de l ’Eglise, puisqu’elle s’applique aussi au règne immanent et au royaume transcendant. Mais cela n ’empêche pas le royaume d ’être parc4lement l ’assemblée des fidèles qui ont accueilli le message du Christ, et qui selon l’esprit de leur vocation doivent posséder et conserver le règne intérieur, seul gage du royaume céleste... Bien que l’identification du royaume avec l’Eglise soit surtout devenue classique depuis la controverse donatiste, elle n ’était pas entièrement inconnue auparavant... Les principaux textes relatifs au royaume-Eglise sont puisés dans M atthieu, qui pour cette raison est souvent appelé l ’Evangile de l’Eglise... D ’après M atthieu, le Christ a parlé d ’une Eglise visible, d ’un organisme social destiné à durer, et... cette Eglise équivaut, dans sa pensée, au royaume des cieux» (Royaume de Dieu, col. 1252-1253). En 1918, H. C l é r is sa c : « Notre-Seigneur... a voulu que son Eglise demeurât un royaume... Notre-Seigneur avait trouvé mieux encore en par lant du Royaume de Dieu, de son Royaume et de son Eglise » (p. 40-41). En 1920, F.J. Foakcs J a c k s o n et K ir s o p p L a k e ; « Ces paroles (M atth. 16, 17-19)... reflètent deux phases importantes de la pensée et du langage de l ’Eglise primitive ; la suprématie de Pierre et l ’explication du Royaume comme (étant) l ’Eglise» (vol. I, p. 329)... « I l est passablement [tolerably] certain que plusieurs chrétiens, peut-être à Antioche, comprenaient le Royaume de Dieu comme l’Eglise. Peut-être le rédacteur de Matthieu a-t-il interprété de cette façon toutes les références au Royaume dans ses sources et a-t-il pensé que, quand Jésus disait « le Royaume des Cieux est à portée de la m ain», il envisageait l’Eglise chrétienne» (vol. I, p. 331)... « L ’éditeur des Actes et peut-être la source des derniers chapitres s’accordaient avec M atthieu pour regarder l’Eglise du Seigneur comme identique au « Royaume de D ieu» dont Jésus avait parlé» (vol. 11, p. 194, en 1922). En 1921, C. G o r e , ancien évêque d ’Oxford : « La relation de l ’Eglise au Royaume de Dieu se comprend facilement quand on regarde l ’Eglise, comme nous devons le faire historiquement, en continuité directe avec l’Ancien Israël... Dans un sens le Christ supposait dans son enseignement que le Royaume était déjà parmi les hommes en vertu de sa présence. Dans un autre sens il était manifeste q u ’il était à venir dans sa glorieuse Résurrection et dans la mission de l’Esprit. En ce sens l ’Eglise est même identifiée avec le Royaume, comme cela est déjà manifestement le cas dans la parabole du Filet et dans les mots du Christ à Pierre : « Je te donne les clefs du Royaume des Cieux». En un autre sens plus complet le Royaume vient seulement avec le triom phe final et universel de Dieu dans le Christ... L ’Eglise maintenant
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dans le monde représente le Royaume et dans un sens réel mais il faut encore prier : « Que ton règne arrive » et quand le Royaume viendra dans la gloire, l’Eglise passera en lui comme quelque chose de beaucoup plus grand q u ’elle. Cette double opinion au sujet de l’Eglise : comme étant et comme n ’étant pas encore le Royaume de Dieu... » (p. 681-682). En 1924, Karl A d a m : « L ’Eglise est la réalisation du Royaume de Dieu sur la terre... Ce « Royaume des Cieux» l’Eglise professe que c ’est en elle q u ’il est réalisé» (p. 31). En 1924, Albert M ic h e l : « C ’est ce qu’explique Jésus dans toutes les paraboles où l ’idée du royaume appelle l ’idée de l ’Eglise... Du royaumeEglise, du royaume eschatologique, c ’est toujours Jésus qui est le roi » (col. 1200). En 1925, H. D ie c k m a n n , dans un traité classique sur l’Eglise, commence par une affirmation claire : « Le Royaume de Dieu présent s’appelle l’Eglise » (vol. I, p. 100, n “ 131). Puis il précise sa pensée : « Quel rapport y a-t-il entre le Royaume de Dieu et l ’Eglise du Christ ? Est-ce que l’Eglise est ce Royaume de Dieu fondé par le Christ, envoyé de Dieu ? En fait beaucoup nient cette identité entre le Royaume de Dieu et l ’Eglise... Nous affirmons : 1) L ’Eglise est bien le Royaume de Dieu annoncé par le Christ comme messianique et fondé comme tel par le même Christ. 2) L ’Eglise ne s’identifie pas au Royaume de Dieu sous tous les points de vue, mais elle est le Royaume de Dieu présent^ c ’est-à-dire celui qui existe dans les conditions de ce temps et qui aura dans l ’autre vie son terme et son état définitif » (vol. I, 189-190, n° 238). En 1925, Y. d e l a B r i è r e : « Il ne faut pas confondre l ’Eglise du Christ avec le « royaume » de Dieu. L’Eglise est quelque chose du « royaume » ; elle n ’est pas tout le «royaum e»... Le «royaum e de D ieu», c ’est l ’œuvre entière de la Providence divine, pour conduire les hommes à leur fin étemelle ; c ’est l ’œuvre entière de Jésus-Christ ; c ’est foute Vépopée du salut»... Mais ensuite l ’auteur s’engage dans des distinctions très révélatrices : « Dans toutes les descriptions de ce geixre (grain de senevé, champ du père de famille, cortège nuptial, vigne féconde), le « royaume de Dieu » est considéré sous un aspect extérieur et social, parmi les conditions mêmes de la vie présente. A ce premier point de vue, « le royaume de Dieu » est exactement la même chose que « l ’Eglise du Christ»,.. Puis l’auteur présente un autre point de vue, qui sera cité plus loin, p. 125, car alors il confond « R oyaum e» et «R èg n e» . Ensuite il continue: « L e «royaum e de D ieu» c ’est enfin le banquet de Vétemité... Dans les descriptions de ce genre le « « royaume de D ieu» est considéré sous son aspect eschatologique et céleste. A ce dernier point de vue, le « royaume de Dieu » est encore autre chose que l’Eglise de Dieu, que la communauté visible et hiérarchique des chrétiens d ’ici-bas. Le «royaum e de D ieu» devient alors la félicité du siècle à v e n i r Enfin l ’auteur envisage une autre hypothèse : « On peut, de plus, comprendre sous
24. Les italiques sont de l’auteur. 25. L ’auteur est obligé à cette restriction par la définition q u ’il donne de l’Eglise : « Elle est le Royaume de Dieu présent, que de fait le Christ a institué » (p. 192, n° 242). Mais sur quel texte peut-il s ’appuyer pour limiter l ’Eglise au temps présent ? 26. Nous verrons plus loin, p. 190-191, ce q u ’il faut penser de cet aspect «escha tologique » du Royaume de Dieu.
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le terme Eglise, non plus seulement la communauté visible et hiérarchique, militante aujourd’hui sur la terre, mais encore l’ensemble des âmes justes qui forment... l ’Eglise triomphante du ciel. Dans cette acceptation très étendue, VEglise devient, sous tous les rapports, une seule et même chose avec le royaume de Dieu. A la fois « corps » et « âme », l ’Eglise vérifie non moins l’aspect intérieur et spirituel que l ’aspect extérieur et social du « royaume ». A la fois chose présente et chose à venir, l ’Eglise vérifie non moins l’aspect eschatologique et céleste que l’aspect actuel et terrestre du «royaum e». Bref, l’Eglise, au sens large, c ’est tout le «royaum e de D ieu» (col. 12471248... Mais, si l ’on refuse ce dernier sens du m ot «E glise», on en fait un corps sans âme ou une âme sans corps !). En octobre 1926, D. S c h a e d e r ; « Elle (l’Eglise) est dans ce m onde et dans ce temps la réalisation du Royaume de Dieu dans le monde, la réalisation de la Royauté de Dieu sur le monde... Il n ’y a pas et il n ’y aura jamais, jusqu’à la fin de l’histoire, une réalisation de cette Royauté autre que sous la forme de l ’Eglise. Eglise et Royaume de Dieu coïncident, si l’on com prend exactement cette formule dangereuse. Si cette formule signifie que la com m unauté de foi telle q u ’elle est dans l ’histoire est définitivement le Royaume de Dieu, alors elle est radicalement fausse. Mais si elle signifie que, pendant la durée de notre histoire, le Royaume de Dieu, qui est plus que l’Eglise, est réalisé dans l ’Eglise et pas autrem ent, alors elle est juste et tout à fait néces saire pour couper toute possibilité de fuite hors de l ’Eglise aux chrétiens individualistes et aux non-chrétiens. La réalisation du Royaume de Dieu dans l ’Eglise est alors non seulement une réalité présente et un fait pacifiant, mais aussi une tâche inéluctable...»^^ (p. 92-93). En mai 1927, E.G. S e l w y n : « En disant « le Royaum e» S. Paul entend la sphère où sont réalisées la souveraineté et la miséricorde de Dieu, qui est en partie sujet d ’espérance et en partie sujet d ’expérience présente ; c ’est dans ce dernier sens que « Royaume » et « Eglise » deviennent des termes presque interchangeables... La description du Royaume-Eglise qui convient le mieux à ses relations avec la société humaine est celle de « l’Israël de Dieu »... C ’est ce que nous devons comprendre, si l ’Eglise est l ’expression, partielle mais réelle, du Royaume de D ieu» (p. 287-289). En mai 1927, P. A l t h a u s : « Puisque la foi et la communion sont une œuvre de l ’Esprit-Saint, l’Eglise de Dieu représente l’aube du Royaume de Dieu dans l ’histoire : elle est le Corps du Christ, la Maison de Dieu, le Temple du Saint-Esprit. En même temps l ’Eglise est l’instrument du SaintEsprit, donc le chemin de la grâce par laquelle Dieu veut réaliser la venue du Royaum e» (p. 290). En 1927, C.G. M o n t e f io r e : « Sur les 13 endroits où M arc parle du Royaume, c ’est le seul (M arc 4,30-34) qui semble clairement signifier l ’Eglise chrétienne grandissante» (I, p. 107)... « Il y a quelques passages dans lesquels le Royaume semble être présent et identifié avec la communauté chrétienne, l ’Eglise» (II, p. 34)... « Le Royaume est peut-être (en M atth. 5,19) non pas le futur Royaume eschatologique (comme au verset 20) mais l ’Eglise chré-
27. L ’auteur précise un peu plus loin que c’est là ce qu ’il considère comme le point essen tiel (Herzpunkt) de l’être de l ’E^ise.
IDENTinCATION À TRAVERS LES ÂGES
II I
tienne» (II, p. 52)... « (M atthieu) comme d ’habitude comprend (en 13,18-19) la communauté chrétienne ou, comme l’on peut dire, l ’Eglise» (II, p. 208)... « Ici (M atth. 13,47) le Royaume semblerait à nouveau devoir être identifié avec la communauté chrétienne» (II, p. 214). En 1932, Y. C o n g a r : « P o u r nous l ’Eglise est le royaume de Dieu visible et le royaume non pas vidé de son Roi qui serait trop transcendant, mais le royaume avec son Roi, une arche-tabernacle, avec son Dieu dans le tabernacle, la « barque qui porte son pain » (Prov. 31-14) » (Vie Intellectuelle, 1932, p. 28 -2 9 = Sainte Eglise, 1964, p. 456. Mais on pourrait aussi trou ver sous la plume du même auteur des positions assez divergentes, par exemple p. 622 de ce dernier ouvrage). En 1934, A . V it t i intitule « Ecclésiologie des Evangiles» un long et excel lent article consacré à l ’étude du Règne (ou du Royaume) de Dieu. En juillet 1937, E. B e v a n ; « L ’Eglise est, à travers l ’histoire terrestre, la sphère spéciale du Royaume (de Dieu). L ’Eglise sur terre est la communauté divine en voie de réalisation » (p. 63). En juillet 1937, P. T il l ic h : « Quand A u g u s t in identifie le Royaume de Dieu avec l ’Eglise et le Royaume de Satan avec les grands empires du monde, il a en partie raison et en partie tort. Il a raison d ’afiirmer q u ’en principe l ’Eglise représente le Royaume de Dieu ; il a tort en oubliant le fait... que les puissances démoniaques peuvent pénétrer dans l ’Eglise elle-même»^® (p. 116). En 1938, H. d e L u b a c commence p ar une restriction assez curieuse qui semblerait supposer que le Royaume ne doive pas être visible : « L’Eglise en tan t que visible n ’est pas le Royaume, elle n ’est pas non plus le Corps mystique, bien que la sainteté de ce Corps rayonne à travers sa visibilité m êm e» (p. 38). Cette concession faite, l ’auteur s’exprime excellemment : « L ’Eglise terrestre n ’est pas seulement le « vestibule» de l ’Eglise du Ciel. Elle est avec la Patrie dans un rapport d ’analogie mystique où nous devons voir le reflet d ’une identité profonde. C ’est en effet la même cité qui se construit sur terre et qui a déjà son fondement dans le ciel, et saint A u g u s t in s’écriait... à juste titre : « L ’Eglise actuelle, c ’est le Royaume du Christ et le Royaume des Cieux ! ». Sans être de tout point coextensive au Corps mystique, l ’Eglise n ’est pas adéquatement distincte de lui» (p. 42). En 1939, Em st S o m m e r l a t h : « Nous devons tenir compte du double fait que le Nouveau Testament parle du Royaume de Dieu et de l’Eglise et que pourtant l’un ne va pas sans l ’autre. Eglise et Royaume de Dieu, leur relation réciproque, cela ne signifie pas moins que la bonne ou la mauvaise conscience dans tout le travail de l ’Eglise et dans la pratique de la vie communautaire... » (p. 563). L ’auteur signale quatre différences entre le Royaume de Dieu et l’Eglise mais dans la première il confond Royaume et Royauté, dans la seconde il dépasse le plan humain pour embrasser toute la création, dans la troisième il envisage l ’action médiate ou immédiate de Dieu, dans la quatrième la visibilité ou l’invisibilité du Christ (p. 564-569). Puis il continue :
28. Quelle étrange objection! La présence des pécheurs dans le Royaume de Dieu n ’est-ellc pas clairement enseignée p ar M atthieu 13,24-30.36-43.47-50 ; 25,1-10.31-46 7 Voir ci-dessus p. 97,98,99.
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« En fait, à y regarder de plus près, il y a une série d ’indices qui inclinent à adm ettre l ’identité du Royaume de Dieu et de l ’Eglise » (p. 569). Voici ceux q u ’il relève : 1) les formules employées en M atth. 16,18-19 et en Col. 1,13-18 ; 2) la même opposition au monde démoniaque ; 3) les mêmes caractéristiques supra-humaines et supra-temporelles ; 4) la même présence du Christ ; 5) les mêmes réalisations visibles (p. 569-572). Et il conclut : « Nous sommes devant le fait que Eglise et Royaume de Dieu, dans leur sens propre, sont tellement semblables q u ’on est obligé de parler d ’une identité. L ’Eglise n ’est pas seule ment la préparation du Royaume. Elle n ’est pas non plus le reflet affaibli et secondaire du Royaume apparu en Jésus. Royaume de Dieu et Eglise sont une seule et même chose. Mais il faut aussi tenir compte que Royaume de Dieu et Eglise, comme on l’a vu, se distinguent l ’un de l ’autre sur des points im portants. Cette unité et cette diversité ne peuvent être placées dans un juste rapport que si l’on considère l ’Eglise comme une autre forme du Royaume de Dieu » (p. 572)... « Le Royaume de Dieu entre le départ et le retour de Jésus, c ’est cela l ’Eglise» (p. 575). En 1941, Otto M ic h e l : « La plus grande fonction et la plus belle dignité de l’Eglise consistent en ce q u ’elle porte en elle le Royaume de Dieu et q u ’elle doit le préserver... La pire tentation pour l ’Eglise consisterait à renoncer à sa fonction et à sa dignité de porter en elle le Royaume de Dieu et à tenter aussi de réaliser réellement une séparation et une différence entre elle et lui » (Das Zeugnis der Neuen Testaments von der Gemeinde (Gôttingen, 1941) p. 81, cité par B u c h h e im , p. 11). En 1941, M. B e sso n , évêque de Lausanne, Genève et Fribourg ; « L e problème de l ’Eglise, c ’est-à-dire du Royaume de D ieu...» (p. 5)... « L e Royaume de Dieu sur la terre, c ’est l ’Eglise du Christ : pour nous, cela ressort de to u t l ’Evangile» (p. 8)... « L ’Eglise, Royaume de Dieu sur terre... » (p. 9). En 1942, F.M . B r a it o , après avoir m ontré l ’illogisme de ceux qui ne veulent voir dans l ’Eglise q u ’un instrument en vue du Royaume, expose ainsi sa pensée : « V E glise^^ est le Royaume en tant qu'elle est pénétrée par la force du Royaume ici-bas, en tant que, de tout son être, elle se porte vers le Royaume glorieux et consommé du siècle à venir. Et vice versa : Le Royaume est l ’Eglise, en tant que la vertu du Royaume descendue dans ce monde sous form e de grâce et de vie éternelle par Jésus, s'exerce principalement et normalement, quoique non exclusivement, dans la communauté des fidèles fondée sur les Douze. S’exprimer ainsi, ce ne serait pas afïirmer inconsidéré ment que l’Eglise et le Royaume s’identifient à tous points de vue, sans tenir compte de la condition terrestre de l’Eglise ni de la condition céleste du Royaume. Mais ce serait m ontrer l’homogénéité de l’Eglise et du Royaume, tout en discernant dans le Royaume deux phases successives ; une phase céleste, dont l ’inauguration aura lieu à la Fin du Monde, lorsque Jésus se soum ettra lui-même avec son Eglise à Celui qui lui aura tout soumis ; et une phase terrestre, pendant laquelle Jésus est appelé à régner comme tête de son Eglise, par la grâce, jusqu’au jo u r où il dominera tous ses ennemis, et le dernier ennemi est la mort (1 Cor. 15,26)» (Aspects Nouveaux..., p. 166-167).
29. Les italiques sont de l ’auteur.
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En 1942, L. C e r f a u x , dans une étude sur la théologie de S. Paul : « C ’est dans les épîtres de la captivité que l’équation s’établit entre le Royaume du Christ et l ’Eglise,,. Royaume du Fils où s’exerce donc la force sanctificatrice du Christ et qui se coiifond avec l ’Eglise. Ce royaume n ’est déjà plus simple ment de la terre, mais devient céleste, comme son roi, comme l ’Eglise.., La signification chrétienne traditionnelle de Royaume de Dieu dans la prédi cation du Christ... de même que le thème ju if du Règne de Dieu... restreignent naturellement la sphère du Royaume du Christ et la limitent à l ’Eglise... C ’est son œuvre de salut parmi les hommes qui lui ( = au Christ) a donné son Royaume, son Eglise... Le Royaume du Christ, ce sera donc l’Eglise... Les vrais chrétiens peuvent dire, eux aussi, q u ’ils sont déjà dans le Royaume, mais ce Royaume reste toujours le Royaume de Dieu... (Saint Paul) aurait pu, lui aussi, parier du Royaume des Cieux présent sur terre dans le mystère d ’une Eglise ; il préféra dire l’Eglise présente en mystère dans les cieux. Le vocabulaire seul changeait» (Théologie de l ’Eglise suivant saint Paul, p. 300-304). Le 29 juin 1943, le pape P ie XII dans l ’encyclique « Mystici Corporis Christi » : « Le Père éternel a voulu q u ’elle ( = l ’Eglise) fût « le Royaume de son Fils bien aim é» (Col. 1,13)» (traduction de la Documentation Catholique). Avant 1944, Y. d e M o n t c h e u il (fusillé le 10 août 1944) ; « L ’Eglise n ’est pas seulement la préparation du Royaume de Dieu, elle en est aussi la réalisation... Le Royaume de Dieu existe en deux états ; sur terre, dans sa réalisation inchoactive, et dans sa plénitude au ciel. Or, dans l ’un et l ’autre état, ce Royaume, c ’est encore l ’Eglise. L ’Eglise sur terre est déjà plus que promesse et préparation : elle commence à réaliser le Royaume... Il faut cependant... dire que, même dans sa vie sur terre, l’Eglise est plus q u ’un moyen en vue d ’une fin, plus q u ’une voie menant à un terme : elle est la présence commencée et voilée de ce qui doit être un jo u r parfait et dévoilé. Elle possède déjà mystiquement les biens de l’héritage et peut commencer de les distribuer. Elle est déjà parmi nous la réalité du Royaume » (p. 29-30). En 1945, T.F. G l a sso n : « Est-ce que l’arrivée du Royaume avec puis sance signifie... l’irruption de spirituelle puissance qui a provoqué l ’existence du mouvement chrétien et a commencé une ère nouvelle dans l’histoire de l ’humanité, en sorte que l ’Eglise primitive a compris q u ’elle vivait déjà dans un monde nouveau ? L ’avantage de (cette) vue est que c ’est ce qui est arrivé de fait. Il serait bien étrange de soutenir que Jésus attendait quelque chose d ’entièrement différent et que l ’apparition de l’Eglise chrétienne fut un accident imprévu, le précipité fortuit d ’une expérience qui tournait mal !» (p. 114). En 1947, Eugen W a l t e r : « Nous sommes en état de voir exactement le rapport du Royaume de Dieu et de l ’Eglise. Si l’Eglise doit être assimilée au Royaume du Fils de l ’Homme, alors aussi au Royaume de Dieu 1 Naturel lement, l ’Eglise ne peut pas être simplement l ’équivalent du Royaume de Dieu^°. Il est donc nécessaire de dire : Eglise et Royaume de Dieu ne sont pas la même chose. Mais il ne suffit pas non plus de dire q u ’il y a une relation
30. Sur quoi repose une telle affirmation ?
IR
le
royaume
de
d ie u
et
l ’ é g l is e
entre eux. Entre le Jésus terrestre et le Seigneur glorifié, il y a plus q u ’une relation ! C ’est l’identité de la personne en différentes circonstances histori ques. Cela est à transposer pour l ’Eglise et le Royaume de Dieu. L ’identité qui existe ici entre les deux, permet et oblige de dire : l ’Eglise est le Royaume de Dieu dans son état présent. Cela signifie qu’appartient au Royaume de Dieu (dans la façon où c ’est possible maintenant) qui appartient à l ’Eglise » (p. 43). En 1948, K. B u c h h e im : « Au moins au début, l ’Eglise historique fut à un haut degré ce q u ’elle devait être, c’est-à-dire le Royaume annoncé par Jésus. Elle le fut parfois aussi plus tard, surtout chez L u t h e r . C ar chez les Réfor mateurs les notions de Royaume de Dieu, de Royaume du Christ et d ’Eglise sont intimement mêlées» (p. 12)... « L ’Eglise est donc le Royaume du Christ, le Royaume messianique avec lequel le Royaume de Dieu arrive sur la terre. On ne doit pas comprendre à tort... que l’Eglise serait seulement un organe du Royaume de D ieu» (p. 15)... « L a formation de l’Eglise est elle-même un signe de l ’irruption du Règne de Dieu... Son achèvement reste à espérer pour la fin du temps, mais son développement commence dans le présent» (p. 68). En 1951, Ch. J o u r n e t , dans le traité le plus complet q u ’on ait jamais écrit sur l ’Eglise (2 976 pages !), intitule une section : « Synonymes du nom d ’Eglise» (vol. Il, p. 49) et met en 2 ' position le Royaume (p. 57) : « L e royaume est déjà sur la terre et l’Eglise est déjà dans le ciel. Renoncer à l ’équi valence de l ’Eglise et du royaume, c’est oublier cette révélation m ajeure»... E t plus loin : « L ’Eglise, le royaume, le corps mystique, c’est tout cela qui commence sur la terre pour s’achever dans le ciel, qui est germe avant d ’être fleur» (vol. II, p. 77)... « Le royaume déjà formé est débordé par le royaume encore en formation, l’Eglise déjà achevée est débordée par l ’Eglise encore en préparation. Le royaume et l’Eglise sont ainsi coextensifs ; ils se distinguent entre eux non pas réellement, mais seulement conccptuellement » (vol. II, p. 86)... « Une erreur... serait d ’entendre le mot de royaume de Dieu exclusive ment de l ’au-delà, et de l ’opposer au mot d ’Eglise, entendu exclusivement de l ’en-deçà» (vol. II, p. 90)... « L’Eglise tout entière, en raison de la sainteté christique de chacun de ses enfants, est un royaume de lumière et d ’am our, elle est le royaume du Fils de l ’homme, un royaume qui n ’est pas de ce monde mais qui est déjà dans ce monde ». Et en note : « Nous ne croyons pas que l'on puisse renoncer à identifier l'Eglise et le Royaume (les italiques sont de C. J o u r n e t ). Il y a là deux notions, mais une seule réalité. L ’Eglise est le Royaume, le Royaume est l’Eglise» (vol. II, p. 997). En 1953, L. C e r f a u x exprime à nouveau sa pensée ; «(Jésus) porte en lui le Royaume des Cieux : ceux qui l ’entendent et se font ses disciples sont entrés par là même dans le Royaume. Le Royaume est présent dans le mystère de son message et de sa promesse... C ’est tout le Royaume de Dieu, présent au ciel, qui a touché la terre... Tous ceux qui ont la foi... renaissent dans ce Royaume et en sont les fils. L ’Eglise est née qui possède ici-bas les biens du Royaume céleste... Nous chrétiens (nous sommes) membres du Royaume... Dans ce Royaume spirituel, il reste place pour l’espérance. La réalisation du Royaume des Cieux est en marche... L ’Eglise réunit déjà dans son sein unique, en mystère, les saints du ciel et les fidèles de la terre » (p. 31-32).
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En 1954, déclarations des délégués de l’Eglise d ’Orient^* à l ’Assemblée du Conseil M ondial des Eglises : « La « parfaite unité » des Chrétiens ne doit pas être interprétée uniquement comme une réalisation de la Seconde Venue du Christ. Nous devons reconnaître que même dans l ’époque présente le Saint Esprit habitant dans l’Eglise continue de souffler sur le monde, pour guider tous les Chrétiens vers l ’unité. L’unité de l ’Eglise ne doit pas être comprise seulement eschatologiquement, mais comme une réalité présente qui recevra son accomplissement au Dernier Jo u r» (The Evanston report, p. 94)... Nous croyons fermement q u ’il est nécessaire d ’attacher une juste importance à la présence actuelle du Royaume de Dieu dans l’Eglise. Le royaume a été fondé par Dieu à travers l’Incarnation de son Fils, la Rédemp tion, la Résurrection, l’Ascension du Christ dans la gloire et la descente du Saint Esprit... Ainsi notre participation dans la vie renouvelée du Royaume de Dieu est une réalité présente aussi bien q u ’un accomplissement futur... Ainsi l ’Eglise du Christ, qui est le Royaume de Dieu réalisé, n ’est pas soumise au Jugement, alors que ses membres, qui sont capables de péché et d ’erreur, sont sujets de (ce) Jugement... » (Ibidem, p. 330), En 1955, D.M. S t a n l e y : « La venue du Royaume, qui a coïncidé avec la fondation de l ’Eglise, a été un processus évolutif qui s ’est étendu sur une certaine période de temps (p. 28)... Le terminus a quo (de la formation de l ’Eglise) est le Sermon sur la Montagne, par lequel Jésus a inauguré sa pré dication du Royaume » (p. 29). En 1955, F.C. G r a n t : «(M atthieu) a des passages qui semblent refléter la vue que le Royaume de Dieu est identique avec l ’Eglise, l ’institution qui existe entre le temps présent et les Derniers Jours » (p. 444). En 1957, J. B o n s ir v e n intitule un chapitre de son ouvrage : « Le Royaume^^ de Dieu ; l ’Eglise» (p. 187) et il explique ainsi sa pensée : « Dans ce Royaum e de Dieu ouvert par le baptême, les membres, devenus fils de Dieu, posséderont cette participation à la nature divine, que procure la génération par l ’E sprit» (p. 200). Plus loin, avec sa confusion habituelle entre « Règne» et « Royaume » : « Le Règne, économie spirituelle, possède tout ce qui carac térise une maison, une famille, bien organisée : elle est une société parfaite, l ’Eglise... C ’est en tant que société que le Règne se développe constamment... Les paraboles du grain de sénevé et du levain illustrent également cette puis sance de développement, surprenante pour qui considère les petits commen cements de l ’Eglise... Cet idéal n ’est-il pas utopique ? Il le serait si l ’Eglise, le Règne de Dieu n ’étaient (sic) pas l ’œuvre du Tout-Puissant...» (p. 206-207). E n 1958, T . F il t h a u t , qui refuse d ’identifier le Royaume de Dieu et l’Eglise, pour ne pas affaiblir les perspectives eschatologiques (!), commence par reconnaître à cette identité « une large diffusion dans la pratique catéchétique » des pays de langue allemande (p. 14-15). En 1961, P.S. M in e a r ; « Il y a des endroits où un écrivain du Nouveau Testament identifie manifestement l ’Eglise et le Royaume et d ’autres endroits
31. Cette délégation était présidée par le patriarche A thénacæiras ; le nom de tous les autres membres est indiqué à la p. 271 de The Evanston Report. 32. Par exception J. Bonsirven emploie ici (à juste titre) le mot « Royaume » ; générale ment il traduit par « Règne », même quand le sens exigerait « Royaume », comme on le constatera dans les citations reproduites ci-dessous.
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des distinctions sont faites entre les deux^^. Mais cela ne doit pas produire de confusion si, avant de penser «Eglise», il a déjà pensé « le Royaume de Dieu »... Cette suggestion peut être illustrée par les autres termes par lesquels certains aspects du Royaume sont appliques à l ’être de l ’Eglise» (p. 124-125). En septembre 1961, S. A a l e n ne prononce pas le m ot «E glise», mais semble bien y penser : « Le Royaume de Dieu, selon ce groupe de paraboles (celles de la «croissance») est déjà en un sens venu : à mon avis cela ne peut pas être contesté... Ce qui grandit et atteint finalement l ’état de consom mation et de plénitude est toujours le peuple de Dieu, la communauté de Dieu... Le Royaume est l ’endroit où l ’on reçoit le salut. C ’est l ’état de salut et de délivrance. Cet endroit est la maison de Dieu » (p. 232). Plus loin il résume ainsi sa pensée : « La conception du Royaume de Dieu comme une maison ou comme un synonyme de communauté sainte » (p. 233). Dans un ouvrage réédité en 1962, R. H a ssev e ld t intitule un chapitre « L ’Eglise nouveau R oyaum e» (p. 148) et s’exprime ainsi : « C ’est dans une perspective esdiatologique que le Christ établit ainsi son Eglise ; le Royaume a besoin de cette organisation parce q u ’il n ’a pas encore atteint les dimensions du monde, et pour q u ’il puisse atteindre ces dimensions. Ceci constitue la vraie réponse à L o is y : « Jésus annonçait le Royaume, et c ’est l’Eglise qui est venue ». Il faut dire que l ’Eglise est précisément le Royaume dans sa phase terrestre de croissance : le Royaume en devenir. C ’est précisément pour qu’advienne le Royaume définitif que Jésus a prévu et fondé son Eglise et que par conséquent c ’est l ’Eglise qui est venue... Le Royaume que nous connaissons ici-bas, l ’Eglise fondée par Jésus-Christ sur le fondement des Apôtres n ’est donc que la phase terrestre et visible du Royaume, avant son achèvement au retour du C hrist» (p. 154-155). OÙ
En 1962, le Vocabulaire de 'Théologie Biblique, « La pensée de Jésus s’inscrit dans le cadre de sa proclamation du royaume des cieux ; il y révèle, en un langage prophétique où les plans ne se distinguent pas toujours, que la phase céleste de l ’Eglise (Matthieu 13,43 ; 25,31-46)^'^ sera précédée par une phase terrestre. Celle-ci, à son tour, comprendra deux étapes. La première est la vie mortelle de Jésus, qui, par sa prédication, son action sur Satan et la form ation de la communauté messianique, rend le Royaume déjà présent (M atth. 12,28 ; Luc 17,21). La seconde sera le temps de l’Eglise proprement dit (M atth. 16,18)... L ’Eglise, première réalisation d ’un royaume qui n ’est pas de ce monde (Jean 18,36)**, accomplira et dépassera les plus audacieuses prophéties universalistes de l ’Ancien Testam ent» (article «E glise», col. 256-258)... « Le Royaume de Dieu est une réalité mystérieuse dont Jésus seul peut faire connaître la nature. Encore ne la révèle-t-il q u ’aux humbles et aux petits, non aux sages et aux habiles de ce monde... Le « petit troupeau » auquel il ( = le Royaume) est donné (Luc 12,32) lui confère un visage ter-
33. Malheureusement l’auteur ne précise pas sa pensée et ne donne aucune référence. 34. Rem arquons que ces textes de M atthieu concernent le Royaume des Cieux ( = de Dieu) et non pas l’Eglise. Mais cette confusion elle-même est révélatrice de la pensée profonde de l ’auteur. 35. N ous avons vu p. 65 que c’est un double contre-sens de traduire Jean 18,36 par « m on Royaume n ’est pas de ce monde »,
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restre, celui d ’un nouvel Israël, d ’une Eglise fondée sur Pierre... En un sens, les temps sont accomplis et le Royaume est là ; depuis Jcan-Baptiste, l’ère du Royaume est ouverte... Après la résurrection de Jésus, la dissociation de son entrée en gloire et de son retour comme Juge (Actes 1, 9-11) achèvera de révéler la nature de ce temps intermédiaire : ce sera le temps du témoi gnage (Actes 1,8 : Jean 15,27), le temps de l ’Eglise» (article «R oyaum e», col. 953-954). Le 21 novembre 1964 était promulguée la Constitution Dogmatique «.Lumen Gentium» élaborée par le Concile V a t ic a n II. Bien q u ’elle ne soit pas une étude scientifique, elle peut servir de point de repère sur les positions olficielles de l ’Eglise Romaine : « L ’Eglise, c’est-à-dire le Règne (ou le Royaume) du Christ^* déjà mystérieusement présent...» (n® 3, p. 15 dans l’édition du Centurion)... « Le Seigneur Jésus donne naissance à son Eglise en prêchant l ’heureuse nouvelle, l ’avènement du Règne de Dieu promis dans les Ecritures depuis les siècles : « Que les temps sont accomplis et que le Royaume de Dieu est là » (Marc, 1,15). Ce Royaume il brille aux yeux des hommes dans la parole, les œuvres et la présence du C hrist» (n“ 5, p. 16). « Avant tout cependant, le Royaume se manifeste dans la personne même du Christ, Fils de Dieu et Fils de l’homme... Aussi l ’Eglise... reçoit mission d ’annoncer le Royaume du Christ et de Dieu et de l’instaurer dans toutes les nations, form ant de ce Royaume le germe et le commencement sur la terre. Cependant, tandis que peu à peu elle s’accroît, elle-même aspire à l’achèvement de ce Royaume, espérant de toutes ses forces et appelant de ses vœux l'heure où elle sera, dans la gloire, réunie à son Roi » (n® 5, p. 17). En 1966, G.E. L a d d commence par définir le Royaume comme un «concept dynam ique», donc « le gouvernement royal de D ieu» (p. 258). Ayant ainsi confondu Royaume et Règne, il affirme à juste titre : « L ’Eglise est la communauté du Royaume [ = du Règne], mais jamais le Royaume ( = le Règne] lui-même» (p. 258). Puis il développe sa pensée de telle façon que ses arguments aboutiraient à identifier Eglise et Royaume, s’il ne donnait pas à Royaume le sens de Règne : « 1) L ’Eglise n ’est pas le Royaume... « R oyaum e» est synonyme de « rois» [sic !], non pas de « peuple sur lequel Dieu règne» (p. 259)... 2) Le Royaume crée l’Eglise» (p. 260)... 3) L ’Eglise est le témoin du Royaume (p. 261)... 4) L ’Eglise est l ’instrum ent du Royaume (p. 265)... 5) L ’Eglise est la gardienne du Royaume (p. 269)». Fidèle à sa confusion initiale, E.G. L a d d peut alors conclure : « Il y a une inséparable relation entre le Royaume et l’Eglise... Le Royaume est le Règne de Dieu [sic !]... L’Eglise est la communauté de ceux qui expérimentent le Règne de Dieu » (p. 273). En 1970, P. F a y n e l : « Les étapes de la fondation du Royaume. Cette fondation, en effet, ne s’est pas accomplie d ’un seul coup ; on peut en discerner trois étapes. 11 y a eu d ’abord l ’ensemble de la vie publique. D urant cette première étape, le Christ a commencé à fonder le Royaume, d ’une part
36. Ici je m ’écarte de la traduction française, faite p ar le Cardinal G a rrone , que repro duit l’édition du Centurion, car cette traduction rend ici « regnum Christi » par « règtie de Dieu ». Cette inadvertance permet-elle de supposer que le Cardinal G arro .ve considère (à juste titre !) le Règne ou le Royaume de Dieu comme identiques au Règne ou au Royaume du Christ ? Voir p. 98,100, 192-193, la discussion sur ce point.
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en proclamant la Bonne nouvelle venue de Dieu (M arc 1,15), et d ’autre part en organisant visiblement ce Royaume en Eglise (p. 25-26)... C ’est également à cette lumière q u ’il faut comprendre à la fois l ’identité profonde entre le Christ et le Royaume, et la différence de sens entre ces deux termes : le Royaume, c ’est la réalisation totale du mystère de salut ; l ’Eglise, c ’est le «peuple de Dieu par qui ce royaume prend corps» (V a t ic a n II, L.G. [ = Lumen Gentium] 13)... Dans certains cas (Eglise céleste) le m ot Eglise a aujourd’hui un sens plus large, qui recouvre finalement la totalité du mystère (p. 33)... Alors que le m ot de Royaume indique d ’abord et essentiellement (mais non pas exclusivement) le mystère profond, le terme d ’Eglise souligne plus fortement (mais non exclusivement) l ’aspect d'institution visible et orga nisée (p. 34)... En ce sens, il ne faut pas hésiter à dire aussi que la Pentecôte constitue le dernier acte de la fondation de l’Eglise » (p. 44). En 1975, H.J. M ic h e l : « Luc peut aussi dans les Actes des Apôtres caractériser la proclamation de l ’Eglise comme une proclam ation du Royaum e...» (p. 110). En 1977, T.F. G la s so n : « A travers la majeure partie de l ’histoire du Christianisme, il a été maintenu que... (le Royaume de Dieu) est l’ère de la rédemption, q u ’il trouve son expression dans l ’Eglise» (p. 290). Le 28 janvier 1979, à Puebla, le Pape J e a n -P a u l II, en s’adressant à l’épiscopat latino-américain : « Dans l ’abondante documentation avec laquelle vous avez préparé cette conférence... on sent parfois un certain malaise au sujet de l ’interprétation même de la nature et de la mission de l ’Eglise. On mentionne, par exemple, la séparation que certains établissent entre Eglise et Royaume de Dieu. Celui-ci, vidé totalem ent de son contenu, est entendu en un sens très sécularisé : on n ’entrerait pas dans le Royaume par la foi et l’appartenance à l ’Eglise» (p. 194). * * * A la fin de cette enquête, où figurent tous les auteurs que j ’ai pu trouver en faveur d ’une identification plus ou moins complète entre l’Eglise et le Royaume de Dieu^’ , quelques constatations se précisent : 1) Depuis la fin du siècle dernier, les exégètes et les théologiens opposés à cette identification sont beaucoup plus nombreux, soit chez les Protestants soit chez les Anglicans soit chez les Catholiques, que les partisans d ’une telle identification. 2) Mais les positions de beaucoup semblent influencées par le fait q u ’ils confondent Règne et Royaume et q u ’ils constatent (avec raison) que le Règne de Dieu ne peut pas être mis en parallèle avec l ’Eglise. 3) Dans l ’état actuel de confusion entre Règne et Royaume, on n ’a pas le droit de présenter les Anglicans ou les Protestants comme hostiles en bloc à cette identification, car un certain nombre d ’entre eux l ’adm ettent plus ou moins clairement. 37. Mais ne sont pas mentionnés les auteurs comme G . G loegb, K .L. S c h m id t , O. L in to n , H .D . W end la nd , qui semblent bien adm ettre au fond d ’eux-mêmes l’identifica tion du Royaume de Dieu et de l ’Eglise, mais qui n ’osent pas le dire clairement et qui recourent à des formules tellement ambiguës q u ’on ne peut pas affirmer que telle est bien leur pensée. (Voir F.M . B raun , Aspects Nouveaux..., p. 163-166).
IDENTJFICATION A TRAVERS LES ÂGES
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4 ) M a is o n n ’a p a s le d r o i t n o n p lu s d e p ré s e n te r c e tte id e n tif ic a tio n c o m m e u n e p o s itio n s p é c ifiq u e m e n t c a th o liq u e ^ ® , p u is q u e : a ) elle n ’e s t im p o s é e p a r a u c u n d o c u m e n t officiel, b ) e lle e s t re p o u s s é e p a r d e n o m b r e u x a u te u r s , d o n t n u l n ’a le d r o i t d e s u s p e c te r la sc ie n c e o u la fo i. R . M c B r i e n , q u i est c a th o liq u e , a p a r f a ite m e n t r a is o n d e d ir e : « 11 n ’y a p a s u n a n im ité p a rm i les th é o lo g ie n s e t le s e x é g è te s c a th o liq u e s q u a n t à l ’id e n tité o u à la n o n -id e n tité E g lis e -ro y a u m e d e D ie u » ^ ® (p . 71).
Le P. CoNGAR regrette que « sans cesse les protestants accusent (les catholiques) d ’abolir la distinction et la tension, en faisant de l ’Eglise le commencement d u Royaum e» (Sainte Eglise p. 137). Les protestants qui formulent ces reproches sont injustes envers C a l v in et envers leurs coreligion naires qui maintiennent judicieusement l ’identité du Royaume et de l ’Eglise ; en outre ils font trop d ’honneur aux catholiques, en s’imaginant qu’ils continuent tous à comprendre correctement la pensée du Nouveau Testament.
38. E. M énard , qui est catholique, présente ainsi les reproches parfois adressés à l'Eglise de Rome : « L ’un des grands reproches qui pèsent plus ou moins sur notre Eglise est q u ’elle a cherché à se prendre pour Dieu lui-même, q u ’elle a cherché à s’identifier à Dieu, q u ’elle s ’est attribué des relations si intimes avec Dieu, avec le Seigneur Jésus et avec l ’Esprit-Saint, que tout ce qu’elle dit, tout ce q u ’elle fait, tout ce q u ’elle pense prend à ses propres yeux et voudrait s’imposer inconditionnellement aux autres comme valeur absolue, divine. L ’autorité de l ’Eglise est l ’autorité de Dieu même. La pensée de l’Eglise est la pensée de Dieu même. T out ce qui existe de fait dans l’Eglise y aurait été mis par une intervention de Dieu lui-même et du Saint-Esprit. Tout ce qui est dans l ’Eglise devrait être considéré comme beau, grand, bienfaisant, p u i^ u e cela y existe de par Dieu lui-même. Et ainsi de suite ! L ’absolu de Dieu se serait, pour ainsi dire, incarné dans l’Eglise » (p. 96). — Je n ’ai pas qualité pour apprécier dans quelle mesure de telles positions ont été effectivement soutenues (en fait ou en droit). Mais elles seront absolument impossibles quand on identifiera bel et bien l ’Eglise avec le Royaume de Dieu fondé par Jésus, puisque ce Royaume de Dieu contient pendant son existence terrestre une proportion variable de pécheurs (selon les paraboles de l ’Ivraie, du Filet, des Noces, des Vierges, du Jugement). Le danger d ’une telle identification n ’apparaîtrait que si l ’on reléguait ce Royaume de Dieu dans une « Eschatologie » plus ou moins coupée de la vie terrestre et déjà plus ou moins fondue dans la Vie céleste. Les reproches formulés par E. M énard proviennent au fond d ’une lamentable confusion entre le Règne et le Royaume de Dieu. Mais on parv iendra bien un jou r, espérons-le, à distinguer enfin clairement l ’un de l’autre ! 39. Qui douterait de cette affirmation pourrait se reporter à un stupéfiant article de H. G o l l in g b r sur le Règne ou le Royaume de Dieu dans l’éducation catholique en Allemagne. En est-il de même dans les autres pays ?
CHAPITRE XIV
Règne de Dieu et Justification Après les textes concernant la Royauté et le Royaume, groupons ceux qui concernent le Règne de Dieu, afin de les envisager eux aussi de façon plus synthétique. Puisqu’en bien des cas nous n ’avons pas réussi à préciser s’il s ’agissait du Règne ou du Royaume, ces textes ambigus doivent être présentés à part. Cependant, comme le Règne de Dieu et son Royaume sont certaine ment corrélatifs, le passage d ’une notion à l’autre reste légitime. C ’est d ’ailleurs parce qu’elles se confondent dans ces textes que nous ne parvenons pas à les distinguer. A) Caractéristiques du Règne de Dieu 1) Première constatation : Le Règne de Dieu, tout comme le Royaume, était déjà du passé pour Jésus ou pour les Apôtres. C ’est ce qui ressort de Luc 18,29, quand Jésus parle de ceux qui ont to u t quitté à cause du Règne ou du Royaume (ou même à cause de l’un et l ’autre). De même en Luc 22,29-30 Jésus affirme que te Père lui a déjà transmis le Règne ou le Royaume q u ’il transm et alors aux Apôtres. Mais reconnaissons que ces textes ne visent pas le Règne de Dieu d ’une façon certaine. Si en fait ils concernaient directement le Royaume, ils ne concerneraient q u ’indirecte ment le Règne, car le Royaume de Dieu n ’est pas concevable sans que Dieu y règne, c ’est-à-dire y exerce (au moins partiellement) son autorité royale. 2) Deuxième constatation : ce Règne de Dieu était aussi considéré comme présent par Jésus ou par les Apôtres. L ’allégorie de la Semence (M arc 4,3-11 et 13-20 = M atth. 13,3-11 et 18-23 = Luc 8,5-10 et I I - 15) veut expliquer aux disciples « le mystère (ou ; les mystères) du Règne de Dieu » en leur exposant les diverses réactions humaines à la Parole de Dieu ; elle s’applique déjà dans le présent et même plusieurs verbes sont au passé !... Quelle que soit l’interprétation q u ’on choisisse pour Luc 17,20-21, le Règne de Dieu est déjà présent, soit dans le cœur de ses auditeurs, soit au milieu d ’eux. Quand S. Paul écrit aux Corinthiens (I, 4,20) que le Règne de Dieu est plus que des paroles, q u ’il est des actes, ou quand il écrit aux Romains (14,17) que ce Règne suppose l ’observation de la justice plus que celle de la pureté rituelle, il pose un principe général déjà valable pour scs correspondants.
CARACTÉRISTIQUES DU RÙONE DE DIEU
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Le Règne de Dieu est parfois aussi présenté d ’une façon intemporelle, qui n ’exclut pas un futur continuellement renouvelé, mais qui inclut déjà les auditeurs auxquels Jésus s ’adresse ; ainsi la seconde demande du Notre Père : « Que ton règne arrive» (Luc 11,2 = M atth. 6,10) ; ainsi les paraboles du Débiteur Insolvable (M atth. 18, 23-25), des Ouvriers Envoyés à la Vigne (M atth. 20,1-16), de la Noce et de l ’Habit Nuptial (M atth. 22,2-14). Le même caractère intemporel, mais qui suppose une application immé diate, se retrouve dans des textes où les notions de Règne et de Royaume sont plus ou moins confondues : la parabole du Trésor (M atth. 13,44), la parabole de la Perle (M atth. 13,45-46), la réflexion sur les allégories (M atth. 13,51), celle sur les ennuques (M atth. 19,12), celle sur la main à la charrue (Luc 9,62), le récit de la prédication de Philippe en Samarie (Actes 8,12). 3) Troisième constatation : ce Règne de Dieu sera aussi réalisé dans un proche avenir, avant la disparition de la génération présente. C ’est ce q u ’affirme explicitement Marc 9,1 : « Certains de ceux qui sont ici présents ne goûteront pas la m ort jusqu’à ce q u ’ils voient le Règne de Dieu venu avec puissance». Les foules qui acclament Jésus (Marc 11,10) applau dissent au « Règne qui vient de notre père David » c ’est-à-dire qui est en train de venir ou qui va bientôt venir. De même Joseph d ’Arimathie (M arc 15,43 = Luc 23,51) est présenté comme «attendant (ou peut-être: recevant) le Règne de D ieu», Même si l ’on refuse de traduire Marc 1,14-15 ; M atth. 3,1-2 ; 4,17 ; 10,7 ; 12,28 ; Luc 10,9-11 ; 11,20 par « le Règne de Dieu est arrivé », on doit au moins comprendre « le Règne de Dieu est devenu proche ». On retrouve le même futur rapproché dans l’allégorie des Vignerons Homicides (M atth. 21,43), bien que le Règne y soit mal séparé du Royaume. 4) Quatrième constatation : ce Règne de Dieu se poursuivra jusqu'à la Fin du Monde. L ’ange de l ’Annonciation (Luc 1,33) prom et explicitement pour Jésus le Règne « sur la maison de Jacob » et il a soin de préciser que « ce Règne n ’aura pas de fin ». En deux textes où les trois notions de Royauté, de Règne et de Royaume sont mal distinguées (I Cor. 15,24 et II Tim. 4,1) elles sont aussi prolongées jusqu’au jugement final sur les vivants et sur les morts. 5) Cinquième constatation : ce Règne est sans doute présenté à la fois comme celui de Dieu et comme celui du Christ. Que ce Règne soit appelé Règne de Dieu, de multiples passages en témoi gnent. Mais il est aussi considéré comme le Règne du Christ, malheureusement dans un passage qui n ’est pas assez précis : en Luc 22,29-30 Jésus transmet aux Apôtres le Règne ou le Royaume qu’il a reçu de son père. Deux autres cas semblables (I Cor. 15,24 et II Tim. 4,1) ont été déjà envisagés hypothéti quement à propos de la Royauté, mais ils peuvent aussi inclure les notions de Règne ou de R oyaum e^ Luc 19,11 annonce une discussion sur le Règne de Dieu et donne en fait une allégorie sur le Règne de Jésus (19,12-27), comme si les deux notions étaient équivalentes.
1. Et l ’on ne peut rien dégager d'utilisable dans d ’autres passages très vagues sur l’annonce, la proclamaîton ou l’enseignement du Règne ou du Royaume de Dieu : M atth. 4,23; 9,35; 24,14; Luc 4,43; 8,1 ; 9,11 ; 9,60; Actes 1,3; 19,8; 20,25; 28,23-31 ; Col. 4,11.
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RÈGNE DE DŒU ET JUSTIHCATION
6) Sixième constatation : trois données concernant le Royaume de Dieu n ’ont pas d ’équivalent dans les textes concernant le Règne. Cette absence peut être simplement le fait du hasard et l’on n ’a pas le droit d ’en tirer un argument positif, mais elle doit être au moins signalée. Aucun texte ne dit que les pécheurs peuvent comme les justes être sujets du Règne de Dieu. Aucun texte ne prévoit une évolution interne de ce Règne de Dieu. Aucun texte n ’affirme explicitement q u ’il se poursuive dans la Vie étemelle du Ciel, bien que I Cor. 15-24 et II Tim. 4,1 puissent aussi être compris en ce sens. B) Réflexions sur ce Règne de Dieu Alors que le Royaume de Dieu et l ’Eglise sont clairement identifiés par les textes, nous n ’avons pas les mêmes précisions au sujet du Règne de Dieu. Ce qui va suivre ne peut donc pas être considéré comme une affirmation certaine, mais simplement comme une suggestion discutable. La «justification», au sens théologique actuel, qui inclut la rémission des péchés, l ’adoption filiale par Dieu et l ’admission à la Vie étemelle (déjà commencée sur terre), n ’est presque jam ais mentionnée dans les Evangiles : on ne peut citer en effet que Luc 18,14 : « (Le publicain) est descendu justifié dans sa maison, plutôt que (le pharisien) », et jusqu’à un certain point M atth. 12,37 : « (A u jo u r du Jugement, c’est) à partir de tes paroles (que) tu sera déclaré juste et (c’est) à partir de tes paroles (que) tu seras déclaré coupable». De même le substantif «justice » et l ’adjectif-substantif «juste » ne com portent que deux ou trois fois ce sens théologique plénier : en M atth. 6,33 : « Cherchez d ’abord le Royaume de Dieu et sa justice », en M atth. 25,46 : « Les justes (iront) à une Vie éternelle» et peut-être en Luc 14,14 : « ... lors de la résurrec tion des justes. » Au contraire cette notion de « justification » est tout à fait centrale dans l ’épître aux Romains et dans celle aux Galates. Ailleurs on la retrouve dans les Actes 13,38-39 (« Par (Jésus) vous est annoncée la rémission des péchés et de to u t ce dont vous n ’avez pas pu être justifiés dans ( = par) la Loi de Moïse : en lui ( = Jésus) tout croyant est justifié »), dans I Cor. 4,4 ; 6,11 ; I Tim. 3,16 ; Tite 3,7 ; Jacques 2,21.24.25. Comment expliquer qu’une notion capitale pour Saint Paul soit presque ignorée par les Evangiles ? Ne serait-ce pas que la même idée est exprimée par des termes différents, comme dans le cas de Royaume de Dieu et d ’Eglise ? Et alors ne pourrait-on pas envisager, au moins à titre d ’hypothèse, que le Règne de Dieu corresponde à la Justification ?^. Si Paul affirme que le « juste » est la maison de Dieu, le Temple de Dieu, un membre du Corps du Christ, n ’est-ce pas précisément parce que Dieu règne en lui ? Et alors on rejoint de nombreux textes johanniques, en particulier Jean 14,23 : « Si quelqu’un m ’aime, il gardera ma parole, mon Père l ’aimera, nous viendrons vers lui et nous ferons chez lui (notre) dem eure» : le Règne de Dieu est inclus dans cet am our de Dieu, dans cette habitation de Dieu et dans cette fidélité à la
2. Ainsi s’expliquerait, et pas seulement par une omission fortuite, l’absence de textes parlant du Règne de Dieu ( = la Justirication) pour les hommes ne renonçant pas au péché.
RÉFLEXIONS SUR LE RÈGNE DE DIEU
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paroie de Jésus. Ainsi le Règne de Dieu, fréquent chez les Synoptiques, la Justification exposée par S. Paul et la Demeure de Dieu habituelle à S. Jean seraient au fond trois présentations différentes de la même réalité, inaccessible au langage humain, évoquée par trois notions complémentaires devenues alors synonymes. Q u’on relise les textes présentés depuis le début de ce chapitre en remplaçant Règne de Dieu par Justification, on constatera q u ’à travers des images différentes leur sens fondamental n ’est pas modifié et que les deux notions s’adaptent et se complètent fort bien, avec simplement des nuances dans la formulation. Certes la notion de Règne de Dieu ou du Christ insiste plus sur l’acteur divin que sur l’objet humain, alors que la Justification implique toujours un «justifié», mais toutes ces notions com portent nécessairement un double aspect : un Dieu qui règne et des hommes sur qui il règne, un Dieu qui justifie et des hommes qui sont justifiés, un Dieu qui habite et des hommes en qui il habite. Cette proposition de voir dans le Règne de Dieu un équivalent de la Justification n ’est, heureusement, pas nouvelle^. Si elle n ’a pas été plus cou rante, c ’est probablement parce q u ’on distinguait mal les trois aspects de la « basileia » : dans la mesure où l’on y voyait surtout la Royauté de Dieu (Pères de l’Eglise) ou le Royaume de Dieu (théologiens allemands ou anglais) on ne pouvait pas y reconnaître l ’action de Dieu régnant dans un homme et par le fait même lui communiquant sa sainteté et le prédestinant à la vie éternelle. Pourtant S. Paul, même s’il n ’emploie pas explicitement les termes « rég n er» et «justifier», montre assez clairement sa pensée : «(L e Christ) est la tête du corps"* de l ’Eglise, lui qui est le principe, le premier-né d ’entre les morts, afin q u ’il ait la primauté parmi tous, car (Dieu) s’est complu à faire habiter en lui toute la plénitude et à tout réconcilier par lui, pour lui, après avoir établi la paix par le sang de sa croix, (donc) par lui, soit les choses de la terre soit celles du ciel» (Col. 1,18-20). Le Christ n ’est-il pas présent là tout ensemble avec le Règne qu’il exerce sur nous et avec la Justification q u ’il réalise en nous ? E t de même quand S. Paul oppose le service de Dieu, à la servitude envers les puissances mauvaises, ne voit-il pas dans cette libération à la fois le Règne de Dieu sur nous et notre Justification par le Christ ? « Où le péché a abondé, la grâce a surabondé [= Justification !] afin que, comme le péché a régné dans la mort, ainsi la grâce règne par la justice [ = Règne !] pour la vie étemelle par Jésus-Christ notre Seigneur » (Romains 5,20-21)... « Nous tous aussi nous nous sommes comportés jadis selon les désirs de notre chair, en faisant les volontés de la chair et des passions... Alors que nous étions m orts par nos fautes. Dieu nous a fait revivre avec le Christ [c’est bien la Justification !]... Car nous sommes sa création, (nous qui) avons été créés dans le Christ Jésus pour les œuvres bonnes, auxquelles Dieu (nous) a
3. Evidemment, dans tout ce chapitre, il s ’agit du Règne de Dieu selon le Nouveau Testament. En effet, dans l ’Ancien Testam ent le Règne de D ieu concerne la ci&ition de l’homme ou le gouvernement du monde, mais pas encore clairement la Justification intime de l ’âme. 4. On ne sait s ’il faut supposer ici une virgule et donc s’il faut comprendre « du corps (et) de l ’Eglise » ou « du corps de l ’Eglise ».
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RÈGNE DE DIEU ET JUSTIFICATION
préparés, afin que nous nous conduisions selon elles » [c’est bien le Règne de Dieu et du Christ !] (Ephésiens 2,3-5 et 10). La même association se trouve à l ’arrière-plan de Gai. 4,3-5 : « Nous aussi, quand nous étions des enfants, nous étions asservis aux éléments du monde ; mais quand est venue la plénitude du temps. Dieu a envoyé son Fils... pour racheter ceux qui (étaient) sous la Loi, afin que nous recevions l ’adoption filiale » : recevoir la Justification c ’est aussi être libéré du règne du « monde » et de la Loi, donc passer sous le règne de Dieu... On pourrait dégager la même conclusion de Col. 2,13-15... Dans le sillage de ces textes se sont engagés plusieurs auteurs, par exemple tous ceux qui parlent du « règne de la grâce », s’ils donnent à ces mots le même sens plénier que Rom. 5,21. Bien que S. T h o m a s d ’A q u in soit très discret sur le Règne ou le Royaume de Dieu, la seule fois où il mentionne le Rcgnum Dei (Prima Secundae, question 108, article 1, ad primum)® il le présente sous l ’aspect de l ’action de Dieu dans les âmes : « Le Règne de Dieu consiste principalement en des actes intérieurs... Puisque le Règne de Dieu est la justice intérieure, la paix et la joie spirituelle... » (vol. II, p. 752)®. L u t h e r '' est conduit par sa conception de l ’Eglise invisible à donner la prépondérance à la notion de Règne sur celle de Royaume et à identifier ce Règne de Dieu avec la Justification. Cette relative absence de la notion de Royaume est d ’ailleurs facilitée parce q u ’il emploie encore très souvent le latin, où « regnum » est proche parent de « regnare » ; aussi, même quand il s’exprime en allemand, Reich signifie chez lui Règne plutôt que Royaume. Ceux qui connaissent un peu l ’œuvre de L u t h e r n ’ont pas besoin q u ’on leur prouve cette identification du Règne de Dieu avec la Justification, tellement les textes abondent. En voici quelques uns, répartis à travers toute sa prédidation : sermon pour le 15' dimanche après la Trinité (sans doute en 1520) : « Le Règne de Dieu sera en nous quand aucun péché ne dominera plus sur nous et que nous unirons à Dieu tous nos membres et tous nos sentiments, en sorte que ce ne soit plus nous, mais Dieu qui règne en nous » (Œuvres, vol. IV, p. 712)... Sermon du 23 octobre 1524 : « (Le Règne du Christ) n ’est rien d ’autre que la rémission des péchés entre Dieu et les hommes et aussi entre les hom m es» (vol. XV, p. 721)®... Sermon du 17 septembre 1525 : « E n ceci
5. Pour la Somme Théologique, c ’est le seul emploi de Regnum Dei que signale le très copieux Index Rerum de l ’édition publiée par la Biblioteca de Autores Cristianos (vol. V, p. 635-915, sur 2 colonnes !). Cette omission presque totale d ’un concept évangélique essentiel pose un curieux problème. La confusion entre les trois sens de « regnum » suffit-elle à expliquer ce silence dans une œuvre aussi monumentale que la Somme Théologique de S. Thom as ? 6. L ’excellente édition française de la Revue des Jeunes a omis de traduire les questions 106 à 108 de la Prima Secundae ; c’est pour cela que je ne cite pas selon cette édition. 7. Certes l'œuvre immense de L u ther contient quelques textes qui identifient Eglise et Royaume de Dieu, par exemple en 1521 dans le traité « De votis monasticis. M artini Lutheri judicium » : « L ’Eglise est appelée Royaume de Dieu et elle l’est, parce q u ’en elle Dieu seul règne, commande, parle, agit, est glorifié » (vol. VJII, p. 656). De même L uther , en opposant très souvent le Royaume de Dieu ou du Christ au royaume du diable, de l ’antéchrist (ou du pape !), paraît supposer que le premier est contemporain du second et que le premier constitue la véritable église (au sens de L uther ) comme le second constitue la fausse église (au sens de L uther ). Cependant, il répète avec une telle insistance que le Règne de Dieu est la Justification q u ’on doit voir là l ’aspect fondamental de sa pensée. 8. Form ule très voisine dans le sermon du 2 octobre 1524, vol. XV, p. 698,
RÉF1.EXIONS SUR LE RÈGNE DE DIEU
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consiste la Justification : appartenir à ce Règne (de Dieu ou du C hrist)» (vol. XXII, p. 274)... Sermon du 10 novembre 1532 : « (L e Règne du Christ) consiste dans la foi» (vol. XXXVI, p. 592-593)... Sermon du 6 août 1545 ; « Le Règne du Christ qui consiste dans la parole... et qui nous donne le pardon des péchés et la Vie éternelle » (vol. LI, p. 21). A la suite de L u t h e r , cette conception est évidemment courante chez les auteurs protestants^. Mais on la trouve aussi chez des catholiques. « Le règne de Dieu, c ’est la grâce par laquelle Dieu règne en nous et par laquelle nous sommes appelés à régner avec lui ; et la justice du royaume de Dieu n ’est rien d ’autre que la justice de la grâce dont nous sommes ornés comme enfants de D ieu» (M.J, S c h e e b e n , p. 319). « Le règne de Dieu, c ’est Dieu lui-même prenant possession de l ’esprit et du cœur de l ’homme, inspirant et dirigeant ses pensées, ses désirs, ses actes» (T h o m a s , p. 75). « Les Chrétiens justifiés, c ’est-à-dire admis au royaume... Dans S. Paul la justification consiste toujours, selons nous, dans le décret d ’admission au royaume messianique » (E. T obac, p. 213 et 216 ; ce « toujours » est significatif ; l’auteur confond en permanence le Règne et le Royaume). « A cette paix du Christ, qui, fille de la charité, réside dans les profondeurs de l ’âme, est applicable la parole de saint Paul (Romains 14,17) sur le Règne de Dieu, car c ’est précisément par la charité que Dieu règne dans les âmes... Les prédicateurs de l’Evangile sont allés à maintes reprises, sous l’impulsion de la divine charité, jusqu’à sacrifier leur vie pour le salut des âmes et par leur m ort ils ont contribué à étendre le règne du Christ » (P ie XI, Encyclique Ubi arcano Dei, du 23 décembre 1922, p. 686). « Dans toutes les descriptions de ce genre (trésor caché, perie précieuse, ferment mystérieux), le «royaum e de D ieu» est considéré sous un aspect intérieur et spirituel, c ’est-à-dire comme existant au fond des cœurs. A ce point de vue le « royaume de Dieu » est autre chose que l ’Eglise du Christ, que la communion visible et hiérarchique des chrétiens. Le « royaume de Dieu » devient alors la sanctification des âmes en Jésus-Christ » (Y. de l a BRii-RE, col 1247. Le contexte de cette citation est reproduit plus haut, p. 109. La définition que l’auteur donne ici du «royaum e» convient exactement au « Règne de Dieu », quand on prend la peine de distinguer ces deux notions). Un peu plus loin l ’auteur revient sur ce sujet ; « On peut donner au mot Eglise une acception élargie, un sens plus mystique. On peut, en efiet, comprendre sous ce terme, non plus seulement la communauté visible et hiérarchique des chrétiens, mais encore l ’âme invisible de ce même corps social ; âme qui est constituée par la justice intérieure, âme à laquelle parti cipent tous les hommes en état de grâce » (col. 1247. Le sens donné ici à l’Eglise est son sens normal : de quel droit priver ce « corps » de son « âme » ?). « M. W e n d l a n d est conduit à rapprocher très justement les notions de règne et de vie étemelle. Nous sommes heureux de trouver dans son camp
9. Les positions théologiques récentes sont résumées par K.P. D o n f r ie d (avec une ample bibliographie). 10. Malheureusement la traduction de la Documentation Catholique rend ici le latin « regnum » par « royaume ».
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l’expression d ’une idée qui nous est chère. Envisagé sous cet angle, le royau me est bien la vie de Dieu en l ’homme et, du même coup, la vie de l ’homme lorsqu’il vit en Dieu, la vraie vie, au sens johannique du mot, que connais sent les Synoptiques (H. C l a v ie r , p. 64, avec la confusion habituelle entre Règne et Royaume). « C ’est en sanctifiant les âmes et en les reliant à Dieu q u ’il ( = le ChristRoi) les retire du péché et les conquiert à son royaume... C ’est en sauvant les âmes du péché et en les ram enant à Dieu que le Christ exerce sa royauté spirituelle» (Ch. V. H éris, p. 164 et 169). « Tout dualisme est complètement exclu entre la Justification par la foi et le Royaume de Dieu... La Justification et le Royaume de Dieu forment réellement une unité organique, qui selon le point de vue, apparaît au croyant soit comme la Justification soit comme le Royaume de Dieu... La Justification par la foi est une expression résumée qui présente la réalisation du Royaume de Dieu aussi bien comme délivrance que comme capacité de la Vie éternelle » (D.T. B o h l in , p. 25-26, qui, lui aussi, confond Règne et Royaume). « Ce qui constitue le royaume, c ’est le règne de Dieu dans les âmes par la destruction du péché et la pratique de la justice intérieure... Cette transfor mation spirituelle n ’est point encore, il est vrai, le salut définitif, mais elle en est le gage, mieux encore, elle en est le germe qui n ’aura q u ’à s’épanouir dans la vie étemelle » (L. V e n a r d , p. 353). « Parfois il ( = le Royaume confondu avec le Règne !) semble être la justice intérieure des âmes » (E. M e r s c h , p. 64). « En M atth. (6,33) la Justification est associée très intimement avec Dieu et son Règne, comme un pur don de Dieu, ainsi que tout ce qui dépend de la basileia » (G. S c h r e n k , p. 200)... « La Justification de Dieu... comme une nouvelle vie, introduit dans son Règne » (idem, p. 205-206)... « L ’action justifiante de Dieu conduit au règne de la grâce... Iæ croyant est introduit dans ce mouvement du Règne de Dieu. Les formules sur la Justification ne doivent donc pas être séparées de ce Règne du Christ, qui est source de vie » (idem, p. 213). « En réalité, le salut est dans l ’Eglise, l’Eglise étant l ’incarnation du salut. On peut donc dire que l ’Eglise ne conduit pas au salut, mais q u ’elle est le salut même ; ici-bas, dans une enveloppe fragile, provisoire, appelée à dis paraître ; et, dans l’au-delà, à l ’instar de notre corps humain, l ’Eglise ressuscitera dans la gloire» (O .S e m m e l r o t h , p. 220-221 ; avec confusion entre Règne et Royaume, ce qui fait identifier Eglise et Règne !). « La doctrine paulinienne de la Justification n ’est rien autre q u ’une variation, théologiquement plus précise, de la proclamation du christianisme prim itif sur le Règne de Dieu comme salut eschatologique » (E. K â s e m a n n , An die Rômer, p. 26)... « Dans la Justification il ne s’agit de rien autre que du Règne de Dieu proclamé par Jésus» (E. K â s e m a n n , Paulinische Perspektiven, p. 133, en anglais p. 75). Ces quelques citations ne peuvent évidemment pas constituer une preuve de la relation intime entre le Règne de Dieu et la Justification. Elles veulent seulement m ontrer que cette suggestion n ’est pas nouvelle et q u ’elle cor respond à une tendance théologique assez largement représentée, surtout dans les milieux protestants.
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Peut-être aussi cette conception du Règne de Dieu dans et par la Justi fication pourrait-elle aider à mieux comprendre la thèse luthérienne de la Justification par la foi seule, et les réactions de ses adversaires. En effet la Justification est une notion complexe qui a un aspect actif et un aspect passif. La Justification active, c’est l ’intervention de Dieu qui établit son Règne dans un être humain et qui par le fait même le sanctifie. La Justification passive est le résultat produit dans l ’homme par cette initiative divine. Si l’on considère la Justification active. Dieu en est seul l ’auteur et le rôle de l’homme consiste uniquement à ne pas s’opposer à cette emprise divine. Alors on a raison d ’insister sur le fait que la Justification provient de Dieu seul, sans aucune collaboration positive de l’homme, car Dieu seul peut établir et exercer son Règne. Mais si l’on considère la Justification passive, c ’est-à-dire, les effets de ce Règne de Dieu en l’homme, on ne peut guère refuser d ’admettre qu’ils atteignent au moins rintelh'gence et la volonté Le Règne de Dieu dans l’intelligence c’est la foi, et le Règne de Dieu dans la volonté c’est la charité (au sens théologique). Autrement dit : en prenant possession de l ’homme, le Règne de Dieu s’exerce au moins à travers son intelligence par la foi et à travers sa volonté par la charité. Alors on comprend que la formule «justi fication par la foi seule» suscite des oppositions, car elle supposerait une restriction du Règne de Dieu, qui n ’atteindrait que l ’intelligence et qui négligerait la volonté. Pourquoi Dieu régnerait-il seulement dans une partie (si l’on peut dire !) de l ’âme ? Si l’on voulait tenir compte de ces distinctions, ne vaudrait-il pas mieux dire : 1) Dieu seul peut établir en l ’homme son Règne justificateur. 2) Cet unique Règne de Dieu se réalise dans la foi et dans la charité ! Ces distinctions peuvent aussi servir à mieux cerner le problème de la fo i et de son objet. Tout homme qui accepte le Règne de Dieu dans son intelligence a une foi aussi parfaite que cette acceptation, même s’il n ’a pas encore bien compris tel ou tel point de l ’Ecriture, telle ou telle partie de la Révélation. Inversement, une erreur ou une ignorance de bonne foi sur une ou plusieurs vérités révélées peuvent très bien coexister avec une acceptation sincère et totale du Règne de Dieu dans l ’intelligence ; dans cette soumission au Règne de Dieu la foi du charbonnier peut être aussi grande que celle du théologien, bien q u ’elle porte sur un objet beaucoup plus restreint et beaucoup moins précis. C) « H o rs de l ’Eglise point de salut»? Cette formule célèbre*^ synthétise la pensée de deux Pères de l ’Eglise à peu près contemporains, qui ne semblent pas s’être influencés réciproquement. O r ig è n e , vers 249-250, dans une homélie sur Josué 6,22-25, compare le salut accordé à R ahab au salut chrétien : « Il n ’y a de salut pour personne ailleurs que dans le sang du Christ... Que personne donc ne se fasse illusion :
11. Plus toutes les autres puissances de l’âme, pour ceux qui aboutissent à une analyse anthropologique plus complexe, 12. Cette formule est en harm onie avec la pensée juive, que M. T e s t u z résume ainsi, pour le livre des Jubilés : « Hors de l’Alliance pas de salut, ni pour le Gentil, qui ne peut y entrer, ni pour le Juif qui n ’en observe pas les lois » (p. 73-74).
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hors de cette maison, c ’est-à-dire hors de l’Eglise, personne n ’est sauvé. Si quelqu’un en sort, il se rend coupable de sa propre mort. C ’est là q u ’est le signe du sang, car c ’est là la purification qui se fait par le sang » (Homélie ill, n ” 5, p. 142-143 = M ig n e , Patrologie Grecque, vol. 12, col. 841-842). S. C y p r ie n , au début de 251, dans son Liber De Ecclcsiae Catholicae Unitate, s ’exprime ainsi : « Qui se sépare de l’Eglise et se joint à une adultère se sépare des promesses de l ’Eglise ; il ne parviendra pas aux récompenses du Christ, celui qui abandonne l ’Eglise du Christ... Il ne peut plus avoir Dieu pour père celui qui n ’a pas l’Eglise pour mère... Qui rom pt la paix du Christ et la concorde, agit contre le Christ. Qui ramasse ailleurs que dans l’Eglise disperse l’Eglise du Christ... Qui ne tient pas cette unité ne tient pas la loi de Dieu, ne tient pas la foi du Père et du Fils, ne tient pas la vie et le salut » ( M ig n e , Patrologie Latine, vol. 4, col. 503-504 = Corpus Christianorum, vol. III, n “ 6, p. 253-254).“ Dans ces deux textes, il s’agit manifestement des schismatiques qui sortent de l ’Eglise et brisent son unité. C y p r ie n en particulier polémique alors contre la secte de Novat et Novatien. En outre O r ig è n e veut m ontrer que le sang du Christ est la seule cause du salut. Ces deux textes peuvent certes se résumer en la formule lapidaire : « Hors de l ’Eglise point de salut», mais ils s’appli quent uniquement aux déserteurs de l’E g l i s e L e s appliquer aux nonchrétiens qui ne font pas partie de l ’Eglise et surtout à ceux qui ne la connaissent pas, c ’est les trahir. Malheureusement on a détaché cette formule de son contexte et on lui a suppose une extension q u ’elle n ’avait pas* On a ainsi créé un faux problème, que beaucoup d ’auteurs s’appliquent à résoudre*®. « C ’e s t là , d it J . M a r it a in , u n e f o r m u le d ’u n e é q u iv o c ité s a n s p a re ille » (p . 159).
Sans vouloir chercher à défendre cette formule ni résoudre ce faux problème, la distinction entre Règne [= Justification] et Royaume [= Eglise]
13. C yprien exprime la même pensée dans sa Lettre ad Pomponium ; « Les orgueilleux et les endurcis sont tués par le glaive spirituel, quand ils sont rejetés de l ’Eglise. Car ils ne peuvent pas vivre en dehors d ’elle, puisqu’il n ’y a q u ’une seule maison de Dieu et q u ’il ne peut y avoir de salut pour personne, si ce n ’est dans l’Eglise » (col. 371). 14. C ’est dans ce sens que le pape P élage II, en 585, cite explicitement S. C yprien (D en zin o er , n“ 247). 15. Par exemple le pape I nnocent III, le 18 décembre 1208, dans la profession de foi imposée aux Vaudois (D en m n g er , n“ 423), puis le 4 ' C oncile de L atran (D en zin o er , n” 430), puis B oniface VIII (D en zin o er , n “ 468), et ensuite divers autres documents officiels, suivis par C alvin , vol. II, p. 122. 16. Sans avoir fait de recherches spéciales, j ’ai relevé les références suivantes: 1920: D u blanchy , col. 2155-2175; 1921 : G ore , p. 646-651 ; 1925 : D ieckm ann , vol. II, p. 252-253, n° 957 ; 1929: G loege , p. 347-349; 1938; DE L u bac , p. 174-179; 1943 : J ournet , vol. I, p. 43-47 ; 1969: R a tzin ü er , p. 145-171. Auparavant, E. D ublanchy avait en 1895 composé sur ce sujet une thèse de doctorat
de 442 pages.
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permet de l’éclairer*''. Si l’on pense à la notion de Règne, et si l’on y voit la Justification, on en conclut nécessairement que tous ceux qui sont étrangers au Règne de Dieu ne peuvent pas être sauvés ; ou réciproquement : tous les hommes de bonne volonté, qui seront évidemment sauvés, appartiennent certainement au Règne de Dieu. Au contraire, comme le dit clairement le Nouveau Testament (voir ci-dessus, p. 97,99), l’Eglise, donc le Royaume de Dieu, englobe même des pécheurs qui ne seront pas sauvés (M atth. 7,21-23 ; 13,24-30 et 36-43 ; 13,47-50 ; 25,41-46). Ainsi la formule « Hors de l ’Eglise point de salut» serait exacte pour le Règne, mais fausse pour le Royaume. Malheureusement, comme en fait Royaume = Eglise, on la prend générale ment dans sa fausse signification. Pour rétablir la vérité il faudrait revenir à la pensée d ’OaicèNE et de S. C y p r ie n et n ’appliquer cette formule q u ’à ceux qui se détournent de l’Eglise par leur faute : « Pour qui sort de l'Eglise point de salut » ; ou bien il faudrait la corriger et dire ; « Hors du Règne de Dieu point de salut ».
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En effet les notions de Règne et de Royaume n ’ont pas la même extension : certains sont dans le Royaume mais pas dans le Règne (les mauvais chrétiens) et d ’autres sont dans le Règne mais pas dans le Royaume (les bons païens)^®.
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17. J. D e n n e y (p. 188) propose une autre solution, plus sociale : « Je ne pense pas que le N.T. envisage l’existence des Chrétiens isolés (personnes qui ont accepté le salut chrétien et embrassé l’idéal et la vocation chrétiens) mais qui ne sont pas membres d ’une église. Le but du Christianisme ne peut jam ais être atteint... sauf par l’action et la réaction mutuelles, la réciprocité à donner et à recevoir, de tous ceux qui sont les disciples du Christ. Ce que les frères ont est indispensable pour nous ; ce que nous avons est indispensable pour eux. En ce sens le dogme a raison : « Hors de l’Eglise point de salut ». C ’est sur la reconnaissance de cette vérité que repose l ’unité vitale de l’Eglise ». 18. L. C e r k a u x exprime à peu près la même idée; « Le Royaume de Dieu, jusqu’à un certain point, s’oppose à son Règne. Dieu règne sur toutes les nations et son Royaume se restreint à Israël » (p. 26).
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RÈGNE DE DIEU ET JUSTIHCATION
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE En rédigeant la première partie de cet ouvrage, j ’avais sans cesse l’impres sion d ’énoncer des évidences. Comment refuser la distinction entre Royauté, Règne et Royaume, même si certains contextes sont tellement vagues q u ’ils puissent s’adapter à chacune de ces trois notions ? Comment nier que Jésus et les Apôtres considéraient la « basileia » comme une réalité à la fois passée, présente et future, à la fois terrestre et céleste, attribuable pareillement à Dieu et au Christ ? Comment contester que le Royaume de Dieu et l’Eglise soit tellement identiques q u ’ils aient la même définition ? Car le Royaume c ’est Jésus et ceux q u ’il a groupés, groupe et groupera autour de lui, et l’Eglise c ’est Jésus et ceux q u ’il a groupés, groupe et groupera autour de lui. Comment ne pas approuver la conclusion de J.B. F r e y : « S’il fallait maintenant comprendre sous une formule globale les significations diverses de l ’expression basileia tou théou, nous la définirions : actualisation de la royauté éternelle de Dieu, dans les âmes par la libre soumission à la loi du Dieu créateur et sauveur^®, dans le monde par l ’établissement et le développement progressif de la société des fidèles (Eglise), dans l’au-delà par l ’union définitive des élus avec Dieu (Vie éternelle) et leur incorporation dans l’Eglise triom phante » (Royaume de Dieu, col. 1257) ? D ’ailleurs ces évidences n ’ont guère été mises en doute avant la fin du dix-neuvième siècle et elles ont été jusque-là reconnues paisiblement par les Catholiques, par les Anglicans et par les Protestants^®. Mais pourquoi donc ont-elles subitement cessé, vers la fin du siècle dernier, de paraître évidentes et pourquoi sont-elles méconnues par la grosse majorité des exégètes et des théologiens ? C ’est q u ’alors la pensée chrétienne a été perturbée par une innovation dangereuse : l’Eschatologie.
19. C ’est le Règne de Dieu ou la Justification. 20. Je suis confus de ne pas pouvoir mentionner aussi les Orthodoxes, mais j ’ignore le grec moderne et toutes les langues slaves. En ce qui concerne l’Eglise et le Royaume de Dieu, une rem arquable déclaration des Délégués Orthodoxes au Conseil Mondial des Eglises a été citée, p. 115.
SECONDE PARTIE
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sans Eschatologie
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CHAPITRE XV
Les méfaits de l’Eschatologie Commençons par bien poser le problème. La Parousie, la Résurrection Générale, le Jugement Dernier, l ’Offrande au Père sont des faits annoncés clairement dans le Nouveau Testament. Il n ’est donc pas question de les nier ou simplement de les mettre en doute ou même de les interpréter symboliquement. a) La Parousie est prédite par M atthieu 24,27-31 + 36-39 ; 25,31 ; I Cor. 4,5 ; I Thess. 3,13 ; II Thess. 2,1 ; Jacques 5,7-8. b) La Résurrection Générale est prédite par M arc 12,18-27; Luc 14,14; Jean 5,28-29; Actes 23,6; 24,15.21; I Cor. 15,12-24; I Thess. 4,14-17; Hébreux 6,2. c) Le Jugement Dernier est prédit par Matthieu 25,31-46; Actes 17,31; I Cor. 4,5; 6,2-3; I Pierre 4,5; II Pierre 3,7; Apoc. 20,12-15. d) L ’offrande au Père est prédite par I Cor. 15,20-28. Une étude loyale sur le Nouveau Testament ne peut donc q u ’admettre ces prophéties et en attendre la réalisation, à moins de prouver (mais non par des arguments théologiques, sous peine de cercle vicieux !) que sur l ’un ou l’autre de ces points tous les textes, absolument tous, sont à rejeter. Si l ’on admet les conclusions établies dans l’étude exégétique précédente, ces événements relatifs à la fin du monde s’intégrent facilement dans le Règne et dans le Royaume de Dieu : ce Règne, qui transforme toutes les âmes de bonne volonté, et ce Royaume, qui est en réalité l’Eglise, dureront jusqu’à la Fin du M onde et même au-delà. La Parousie, la Résurrection, le Jugement, l ’Offrande au Père sont des éléments constitutifs de la vie du Royaume de Dieu et ils seront pour Dieu le couronnement de son Règne terrestre, prélude de son Règne céleste. Aucun problème ne se pose alors. Au contraire de graves difficultés surgissent, comme on le verra plus loin, dès q u ’on introduit la notion d ’Eschatologie. I L’histoire du terme Eschatologie a été retracée dans New Testament Studies (vol. XVII, n° 4, July 1971, p. 365-390) et sera complétée dans la même revue par un article à paraître bientôt. On peut donc se borner à la résumer ici, 1) Ni l ’Ancien Testament, ni le Nouveau Testament, ni les Pères de l ’Eglise,
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MÉFAJTS DE L ’ESCHATOLOGIE
ni les théologiens jusqu’au début du 19* siècle n ’ont éprouvé le besoin de recourir à ce concept. 2) L e terme Eschatologie a été fabriqué par K.G. B r e t s c h n e id e r en 1804 et repris par F. O b e r t h ü r en 1807-1810; il s’est d ’abord propagé en Allemagne ; un groupe de théologiens Alsaciens l’a naturalisé en France à partir de 1828 ; en Angleterre il apparaît en 1844 (peutêtre même plus tôt). 3) Vers 1890 A. L o is y et Johannes Wniss (sans doute sous l ’influence d ’E. Rüuss) identifient le Royaume de Dieu et la Fin du Monde, ce qui amène A. S c h w e it z e r à confondre Royaume de Dieu et Eschatologie. 4) Malgré certaines résistances, surtout en Angleterre, cette confusion s’est répandue chez presque tous les exégètes et les théologiens influents. 5) Actuel lement, quand on refuse de l ’accepter les yeux fermés, on est considéré comme un rétrograde. II Quoi q u ’il en soit du passé, l ’im portant est de définir le contenu théolo gique de ce terme. B r e t s c h m e id e r et les premiers utilisateurs lui donnent le sens normal de tous les termes composés avec la finale « logie » : pour eux l’Eschatologie est la science des choses dernières, tout comme la théologie est la science de Dieu, la géologie la science de la terre, la biologie la science de la vie, etc. Ce terme désigne alors de façon synthétique et commode l’étude du traité appelé en latin « De Novissimis ». Cela est parfaitement légitime. Mais assez vite, par une curieuse déformation, certains ont employé ce terme pour désigner non plus l ’étude des choses dernières, mais ces choses dernières eUes-mêmes'^. Cette « chosification » faisait passer subrepticement de l ’Eschatologie-science à l ’Eschatologie-objet^. Je n ’ai pas fait de recherches précises en Allemagne et en Angleterre, mais en France le premier témoin de ce tour de passe-passe semble être E. S c h é r e r en 1851 et 1854. La première partie du vocable « eschato... » suscite d ’autres ambiguïtés, ‘ car, le nombre de ces « choses dernières » peut varier selon les auteurs, de trois (parousie, résurrection, jugement) à huit (mort, parousie, résurrection, juge ment, béatitude, damnation, fin du monde, olïrande au Père). On devrait aussi, mais on ne le fait pas toujours, préciser a) si cette eschatologie concerne chaque individu en particulier ou bien l ’humanité en général ou bien les deux à la fois, b) si le jugement et sa sentence atteignent chacun dès sa m ort ou la collectivité à la fin du monde, ou bien l’un et l’autre*.
1. Toutefois ccite déformation n ’est pas encore admise par tout le monde et H. C azelles, en 1978, donne encore pour l ’Eschatologie une définition tout à fait acceptable : « L ’Eschato logie, c’est un discours, ou du moins une vision, sur les derniers temps » (Messie de la Bible, p. 191). 2. Dirait-on de quelqu’un qui se promène en forêt : « il se promène en sylvologie » et de quelqu’un qui ferme la bouche : « il ferme sa stomatologie » ? Quel avantage la science peut-elle tirer d ’une telle perversion du langage ? Hélas, la psychologie a donné sur ce point le mauvais exemple, car selon le gros Dictionnaire de P. R obert, elle est tantôt « l ’étude scientifique des phénomènes de l’esprit », tantôt « les états de conscience, les faits psychiques eux-mêmes » (vol. V, p. 535). ^3. P. VOLZ, qui n ’admet que l ’Eschatologie collective, affirme catégoriquem ent: « L ’Eschatologie individuelle est en elle-même une contradiction » (p. 1).
CONFUSIONS
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Le terme « eschatos » ou « dernier » (on l’oublie trop souvent) n ’a q u ’un sens relatif et on devrait toujours avoir soin de préciser par rapport à quoi est calculée cette position de « dernier ». Dans bien des cas, c ’est le présent qui termine la série envisagée et ainsi « dernier » désigne un passé tout récent, par exemple dans « ces derniers jours ». Mais on peut aussi parler d ’une série déjà lointaine dans l ’histoire, par exemple « les derniers jours de César », ou d ’une série qui se perd dans un avenir illimité : « les derniers jours du monde ». Ainsi, dans l’Epître aux Hébreux 1,2 : « Dieu nous a parlé par son fils à la fin de ces jours », l’auteur ne suppose pas nécessairement q u ’il vit dans les derniers temps du monde, il peut aussi opposer le passé lointain des prophètes d ’Israël au passé récent de la mission de Jésus. Donc, le terme « eschatologie », peut théoriquement concerner soit le présent soit l’avenir. Et nous verrons que cette confusion n ’est pas chimérique"^. De même, dans l ’Ancien Testament la formule b ’h r y t hymym, qui est souvent traduite par « à la fin des jours », « at the end of thc days » ou « am Ende der Tage », signifie en réalité « dans la suite des jours », donc « à l ’avenir »*, et l’on ne devrait l ’appliquer à la Fin du Monde que si le con texte le précise explicitement, ce qui n ’est généralement pas le cas*.
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D ’autres complications, qui ne devraient pas exister, mais qui existent en fait, proviennent de confusions supplémentaires : 1) Les prévisions chré tiennes sur la Fin du Monde n ’ont pas le même contenu que celles des autres religions et donc le terme « Eschatologie », créé en fonction de la pensée chrétienne, ne devrait pas, logiquement, être appliqué à d ’autres religions. — 2) Le Messianisme, qui concerne la venue et l’activité du Messie, n ’a rien à voir avec la Fin du Monde (à moins q u ’on ne suppose, gratuitement, que l’arrivée de ce Messie termine l ’histoire du monde), et pourtant combien d ’auteurs assimilent plus ou moins le Messianisme à l ’Eschatologie'’ !. — 3) L ’Apocalyptique devrait encore moins entrer ici en ligne de compte, car elle est simplement un genre littéraire qui décrit l ’avenir à l ’aide de révélations plus ou moins symboliques. Mais une tendance assez répandue limite le champ de l'Apocalyptique à la Fin du Monde, et ensuite se permet de l ’assimiler à l’Eschatologie. — 4) Les philosophes ayant des notions différentes sur le temps et sur l’histoire, elles rejaillissent pour eux sur l’histoire de la fin des
4. G.B. C airo , qui a bien étudié ce problème, va jusqu’à dire : « Au moins 90 % de ce que nous appelons eschatologie dans la Bible n ’a rien à voir avec un eschaton dans ce sens strict » (p. 221 )... « Il est donc inévitable q u ’il y ait des eschatologies d iv e i^ s dans le Nouveau Testament » (p. 227). 5. Le véritable sens de cette formule a déjà été précisé par W, S t a e r k en 1891 et confirmé par B.D. E e rd m a n s en 1947 (p. 322), par R. P a u t r e l en 1949 (col. 1324-1325), par A. H u l t g â r d en 1977 (p. 85-86) et surtout par H. K o sm a la en 1963 : « Aucun passage de l ’Ancien Testament qui a b ’h r v t h y n iy m n'est eschatologique au sens où nous employons ce terme » (p. 29). 6. Voir J. L in d b l o m et la Revue de Q um rân, (n° 25, tome V il, fasc. 1, décembre 1969, p. 20-22). 7. Ainsi un ouvrage (par ailleurs excellent) d ’Anders H ultgàrd s’intitule « L ’eschato logie des Testaments des Douze Patriarches », alors qu'il parle presque uniquement du messianisme et q u ’il consacre à peine quelques pages à la Fin du Monde.
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MÉFAITS DE L’ESCHATOLOGIE
temps et chacun la conçoit à sa façon, en harmonie avec son propre système ; pour certains elle est même une notion supra-historique et a-temporelle®. III A cause de toutes ces amphibologies, plusieurs théologiens ont déjà protesté contre l’emploi d ’un terme aussi équivoque : En 1918, M.J. Lagrange : « Il est extrêmement difficile de sortir de la confusion c r ^ par le mot eschatologique » (Sens du Christianisme, p. 233). En 1936, F. H olmstrôm intitule un chapitre « Les multiples significations du concept d ’Eschatologie » et il le conclut en regrettant q u ’elles soient « illimitées ». En 1940, G. D elling : « Le mot Eschatologie ne devrait plus être employé pour l’attente du futur chez Jésus ». En 1945, M c Cow n , qui appelle l ’Eschatologie un terme « comfortable » (au sens anglais) : « L ’extension du terme Eschatologie... a seulement augmenté immensément une indescriptible confusion... Plus vite le m ot « Eschatologie » disparaîtra de la terminologie théologique et sera confiné à la description positive d ’anciennes opinions intenables qui ne contribuent en rien à notre compréhension de l’univers et de Dieu, plus rapidement on pourra progresser » (p. 166). En 1953, W.A. W iutehouse : « On suppose parfois que la théologie de la personne et de l’action du Christ inclut de multiples facteurs qui n ’ont que peu ou rien à voir avec le problème des « choses dernières » au sens strict ; aussi on contribuerait à la clarté si l’on n ’utilisait pas le terme « Eschatologie » pour des questions relatives à ce niveau » (p. 71). Et à la page suivante il appelle l’Eschatologie un « terme-parapluie ». En 1961, James Barr : « Il ne me semble pas injuste de signaler que, en dehors de la recherche biblique, le vocabulaire de la théologie biblique développe une sorte de rhétorique particulière, où reviennent interminablement certains termes favoris (comme « Heilsgeschichte », « Alliance » et « Escha tologie ») dont le sens m ouvant fait des mots passe-partout plutôt que d ’utiles moyens de communication » (p. 281). En 1964, N.A. D ahl : « Divers théologiens ont eu tendance à qualifier d ’eschatologique tout ce qui a rapport au Christ. La signification du m ot « Eschatologie » est devenue si chatoyante q u ’il devrait être permis à un homme étranger à la langue allemande^ de revenir aux usages anciens » (p. 3). En 1966, M. D e J onge : « L ’étude des attentes juives concernant le futur est grandement entravée par le manque d ’accord dans la terminologie... Les
8. H.W. ScH^^DT, cité par O. C ullmann (La pensée eschatologique... p. 352) : « L ’eschatologie c ’est l’histoire des actes divins qui relie l’éon présent à celui qui viendra. H n ’y a pas rupture entre les deux éons ; l’eschatologie les unit. Elle prend ainsi une valeur actuelle sans perdre son sens temporel ». Autre jolie définition, toute récente, par G . C respy : « J ’appelle eschatologie (à l'intérieur de la théologie) la réflexion sur le fait que rien de ce qui a commencé, dans l ’histoire, n'est parvenu à son terme, de sorte que non seulement l’avenir est ouvert à l’espérance, mais que la plénitude des sens n ’est pas encore donnée » (p. 4). 9. N.A. D ahl est Norvégien et il enseigne aux Etats-Unis, mais ce texte est rédigé en allemand.
PROTESTATIONS
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termes « Eschatologie » et « eschatologique » ne devraient pas être employés avec des connotations modernes dépendantes de théories philosophiques ou théologiques sur la relation entre l’histoire et l ’au-delà de l ’histoire... Nous devons faire attention à ne pas compromettre notre analyse par une termino logie inadéquate » (p. 132-133). En 1970, G. W a n k e publie une vigoureuse protestation dont le titre est significatif : « Eschatologie : Un exemple de confusion du langage théologique ». A ce concert de lam entations, d o n t les voix sont surto u t britanniques ou Scandinaves, je m ’associe entièrem ent.
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Mais surtout, par une curieuse évolution, l ’Eschatologie est venue compli quer le problème du Règne ou du Royaume de Dieu. Pour des raisons historiques, que d ’autres sans doute chercheront à analyser, un amalgame progressif a combiné la notion de basileia tou théou avec celle de la Fin du Monde, puis celle de la Fin du M onde avec celle d ’Eschatologie, si bien que peu à peu on est arrivé à confondre le Règne ou le Royaume de Dieu et l’Eschatologie et ainsi à fausser complètement ces notions. La situation théologique est sur ce point si grave et si invraisemblable q u ’il ne suffit plus de la dénoncer. L’expérience prouve que des esprits par ailleurs judicieux s’enferment dans une incrédulité souriante dès q u ’on ose contester devant eux l ’équation Royaume de Dieu = Fin du Monde. Aussi, pour essayer d ’ouvrir les yeux à ceux qui conservent suffisamment d ’esprit critique, faut-il entreprendre une enquête historique qui essaie de déceler les perturbations provoquées par cette fâcheuse invention de l ’Eschatologie. Cette enquête ne prétend nullement être complète. Son but est seulement de montrer, par des exemples concrets, comment plusieurs synthèses théolo giques ont été perturbées par cette intrusion de l’Eschatologie. En attendant que soit écrite une vaste histoire de l’Eschatologie, je me contenterai de choisir certains auteurs, dont l’influence a été considérable, et, sans dresser un portrait exhautif de leur pensée, de constater comme elle a été déviée par l ’influence des théories eschatologiques. On pourra comprendre alors pourquoi les conclusions dégagées dans la première partie de cet ouvrage au sujet du Règne et du Royaume de Dieu ne sont plus à la mode actuellement.
CHAPITRE XVI
Formation d’une erreur : Reimarus, Strauss, Reuss, Renan Le Nouveau Testament associe plusieurs fois la basileia tou théou aux événements de la Fin du M onde (voir ci-dessus, p. 45,55,62,97). Nul ne conteste donc q u ’il y ait un rapport intime entre ces deux notions. Mais le Nouveau Testament présente aussi cette basileia comme passée (p. 95-96,120) ou comme présente au temps de Jésus (p. 96,120-121). Et donc on viole (ou l’on escamote) ces textes lorsqu’on r e s t r e in t le Règne ou le Royaume de Dieu à leur aspect futur et q u ’on les identifie aux événements qui constitueront cette Fin du Monde. Dire que le Règne et le Royaume de Dieu, qui existent déjà m aintenant, existeront encore à la Fin du Monde, c ’est parfaitement légitime et c ’est en plein accord avec tout le Nouveau Testament. Mais dire que le Règne et le Royaume de Dieu n ’existent pas vraiment dès m aintenant et qu’ils n ’existeront q u ’à la Fin du Monde, c ’est fausser gravement la pensée de Jésus et des Apôtres. Plusieurs auteurs ont contribué à cette déviation. Sans les recenser tous, voyons rapidement les plus connus ou les plus influents.
1) Reimarus Hermann Samuel R e im a r u s (1694-1768) a laissé à sa m ort des papiers, publiés par L e s s in g , qui soumettent le Nouveau Testament à une impitoyable critique rationaliste. Dans le fragment sur « Le but de Jésus et de ses disciples », il étudie le « Royaume des Cieux » aux n*” 29 à 33 (p. 261-269). Son raisonne ment est simple : au temps de Jésus l’ensemble du peuple ju if attendait le Royaume du Messie, qui serait fondé par Dieu, où Dieu serait le souverain théorique, mais où le pouvoir serait en pratique transmis au Messie (n® 29, p. 262) ; les auditeurs et les disciples de Jésus, quand ils entendent annoncer la venue du Royaume des cieux, comprennent que le Messie devait bientôt paraître et inaugurer son Règne (n" 29, p. 262-263) ; quand Jésus envoie ses disciples prêcher, ceux-ci proclament « l ’agréable nouvelle de l’arrivée prochaine du Messie attendu » (n" 30, p. 263) ; pour les uns comme pour les autres, le Royaume du Messie ou de Dieu ou des Cieux ne pouvait concerner que le peuple d ’Israël, à l’exclusion de tous les païens (n® 30, p. 264) ; après la mort de Jésus, les Apôtres doivent, « en une paire de jours » (n° 33, p. 268), trans former complètement leur espérance déçue et la reporter sur le salut spirituel de tout le genre humain par la m ort d ’un Messie souffrant (n“ 30, p. 264-265) ; comme les Evangélistes n ’ont écrit q u ’après ce retournement, ils ont naturelle
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ment projeté dans le passé et mis sur les lèvres de Jésus leurs conceptions nouvelles (n° 31, p. 265-266) ; on ne doit donc pas en tenir compte sur ce point (n“ 33, p. 268-269). Cette théorie de R eimarus est d ’autant plus logique q u ’elle récuse tous les documents existants et q u ’elle reconstitue l ’histoire telle q u ’il voudrait q u ’elle soit. Mais son point de départ est faux, car elle repose sur l’habituelle confusion entre Royauté, Règne et Royaume. Au temps de Jésus le peuple ju if n ’attendait pas le Royaume de Dieu. Certes on connaissait les textes de l ’Ancien TesUment qui proclament que Dieu est roi, on désirait la manifesta tion de cette Royauté de Dieu, deux formules mishniques parleront plus tard du Règne de Dieu (voir ci-dessus, p. 18,19,88), mais jam ais il n ’est question du Royaume de Dieu ou du Messie au sens du Nouveau Testament. R eimarus ne pouvait évidemment pas connaître comme nous les textes de Qumrân et il n ’avait pas encore une concordance de F lavius J osèphe. Mais il aurait au moins pu et dû s’apercevoir que sa construction reposait sur une base extrêmement fragile. Pour « prouver » que l ’ensemble du peuple ju if attendait le Royaume du Messie, il ne fournit que deux textes (n® 29, p. 262) : 1) Le premier est le Targum de Michée 4,7, où le texte massorétique porte ; « le Seigneur régnera sur eux dans la montagne de Sion », et où le Targum de Jonathan trad u it: « la royauté du Seigneur se manifestera sur eux dans la montagne de Sion » ‘. 2) Le second argument invoque le commentaire de Zacharie 14,9 dans le Yalqout Shim'oni, folio 178, col. 1^. Or voici le texte q u ’on trouve à la référence indiquée (n® 585)^ : « Le Seigneur est le Dieu, surtout ( ’b l) pour le monde à venir, quand régnera sur nous le Saint, béni soit-il ». Ces deux textes se bornent donc à reprendre une pensée exprimée çà et là dans l ’Ancien Testament (Exode 15,18; Psaume 146,10): Dieu possède la Royauté et il l ’exercera un jo u r en régnant sur son peuple. Mais : 1) aucune précision n ’est donnée sur ce R ègne; 2) le contexte montre q u ’il ne s’agit pas du Royaume de Dieu ; 3) la rareté de ces textes m ontre q u ’ils n ’expriment pas une des idées fondamentales de la pensée juive, comme on voudrait nous Je faire accroire. Comment un historien pourrait-il, à partir de ces deux textes insignifiants construire tout un système qui récuse le témoignage des Evangiles et qui se permet de lui substituer une théorie purement imaginaire ? Et pourtant les vues de R eimarus auront un succès considérable et exerceront une énorme influence ! 2) Strauss David Friedrich S t r a u s s (1808-1874) a réalisé en 1835 le grand ouvrage dont R e im a r u s n ’avait laissé que des fragments. En ce qui concerne le Royaume de Dieu il cite explicitement R e i .m a r u s et il le résume avec complaisance (vol. I, p. 526-528). Puis il présente les arguments de ceux qui distinguent
1. N ous savons maintenant, grâce aux recherches de K .G. K u u n (Basileia, p. 570), q u ’en 5 autres passages (IsaTe 24,23; 31,4; 40,9; 52,7; 2^charie 14,9) reparaît la même formule targoumique ; mais chaque fois il s ’agit de la Royauté et jam ais du Royaume. 2. Ce Yalqout Shim'oni est une compilation faite en Allemagne au 12' ou 13' siècle (après Jésus-Christ). Les principales éditions en sont présentées par M. K r u p p . 3. D ans l ’édition de Varsovie, c ’est au vol. II, folio 87, col. 2. Le texte est identique, sauf pour les abréviations.
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« une forme antérieure et une forme postérieure du plan de Jésus » : « Bien que l’am élioration morale et l ’élévation religieuse de son peuple eussent été de tout temps son but principal, cependant il avait, au commencement de son ministère public, conçu l’espérance de renouveler, par le moyen de cette renaissance intérieure, la gloire extérieure de la théocratie, une fois q u ’il aurait été reconnu comme le Messie par la nation, et revêtu, en cette qualité, de la suprême autorité ; mais, lorsque cette espérance eut échoué, il comprit que Dieu rejetait toute direction politique du plan messianique, et, en consé quence, il l’éleva à un plan purement spirituel » (vol. I, p. 529). Finalement, S t r a u s s n ’adopte aucune de ces deux explications, qui attribuent l’une aux apôtres, l ’autre à Jésus, le passage d ’un rêve politique sur Israël à un règne religieux sur le genre humain. Sans le dire explicitement, il semble s’orienter vers une solution mythique : les allégations des Evangiles seraient des fictions plus ou moins imaginaires. Cette évolution se poursuivit dans la pensée de S t r a u s s et en 1864 il publia une « Vie de Jésus pour le Peuple Allemand », qui accentue les tendances de son premier ouvrage. Cette fois l’interprétation mythique est longuement exposée. C ’est par erreur que Jésus s’est attribué un rôle imaginaire dans un futur cataclysme universel : « (Jésus) annonce q u ’il viendra dans les nuées du ciel, dans la magnificence de Dieu et à la tête des anges, réveiller les morts, juger les vivants et les morts, et inaugurer son royaume, le royaume de Dieu ou des cieux » (vol. I, p. 309)... « Jésus considérait son retour comme extrême ment rapproché... Et la crise finale aurait lieu aussitôt après la destruction de Jérusalem, qu’il avait également prédite. Jésus se serait donc au moins fortement trompé quant à la date... Mais cela d ’ailleurs n ’importe pas, puisque nous n ’avons pas besoin de l’expérience pour affirmer l ’impossibilité du retour d ’un homme sur les nuées » (I, p. 310-311)... « (Jésus) place évidemment le royaume des cieux, non pas au temps où il vivait, mais dans une période nouvelle, que Dieu amènerait miraculeusement » (I, p. 315)... Loyalement, S t r a u s s reconnaît que dans certains passages (Matthieu 11,12 ; 12,28 ; Luc 16,16 ; 17,21) « le royaume de Dieu s’entend comme existant déjà ici-bas, comme fondé et ouvert par Jésus pendant sa vie terrestre » (I, p. 315-316). Mais il conclut : « Jésus séparait ce monde-ci, préliminaire et défectueux, et le monde transcendant, accompli et définitif ; cette vie-ci, temps d ’efforts et d ’épreuves, et une vie future, période de rémunération. Ajoutons q u ’il rattachait la péripétie à une révolution cosmique, miraculeusement amenée par Dieu. Tous les Evangiles expriment cela très nettement ; nous ne pourrions le contester sans leur retirer toute valeur historique... Si Jésus se croyait le Messie, et si, à ce titre, il s’appliquait la prophétie de Daniel, il devait nécessai rement s’attendre à revenir un jo u r porté sur les nuages » (1, p. 316-317). 3) Reuss Edouard R euss (1804-1891) était Alsacien et enseignait ou écrivait aussi bien en allemand qu’en français"^. Il faisait partie d ’un groupe de théologiens
4. On pourra consulter sur lui Théodore G e r o l d , « Edouard Rnuss. Notice biogra phique » (Fischbacher, Paris, 1892), avec une bonne bibliographie des œuvres de R e u ss aux pages 73-87.
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très actifs qui illustrèrent alors la Faculté de Théologie Protestante de Strasbourg. Les membres de ce groupe furent même pendant longtemps les seuls en France à parler de l’Eschatologie à la suite de Jacques M a t t e r en 1828. Edouard R eu s s , qui enseigna à Strasbourg depuis 1835, fut d ’abord trop absorbé par scs tâches universitaires pour publier abondamment. Mais quatre de ses élèves mentionnent l’Eschatologie dans leurs thèses: Christian B a r t h o l m è ss et Jean H o e p f f n e r en 1838, Charies-Hcnri H h n t z en 1839, Edmond S c h é r e r en 1843. Et même celui-ci transforme en 1851, la signification du terme « Eschatologie », qui sous sa plume en vient à désigner non plus « la connaissance des choses dernières », mais ces choses dernières elles-mêmes. R e u s s , lui, commence à parler de l’Eschatologie en 1842 dans un ouvrage allemand (« Die Geschichte der Heiligen Schriften Neuen Testaments »), et en 1850 dans un article français (« Parallèle entre les apôtres Paul et Jean considérés comme théologiens »). Il imagine chez les contemporains de Jésus une ferveur eschatologique dont aucun document ne témoigne : « On sait la ténacité avec laquelle l ’Eglise, restée judéo-chrétienne à cet égard, a conservé à peu près intacte l’eschatologie de la Synagogue pharisaïque: parousie à grand spectacle^, résurrection universelle, jugement dernier, paradis et enfer pleins de jouissances matérielles et de douleurs du corps » (article de 1850, p. 42). En 1852 R e u ss publie une « Histoire de la Théologie chrétienne au siècle apostolique », qui reprenait ses cours à l’université et où s’étalent de réelles contre-vérités : le Messianisme est confondu avec {'Eschatologie, même chez les Juifs (vol. I, p. 132-143 ; vol. II, p. 17, p. 230) ; l’Eschatologie devient une des dominantes de la pensée juive au temps de Jésus (vol. I, p. 137, 260, 292, 313, 352; vol. II, p. 161, 220, 462, 464, 499, 622, 655); le Royaume de Dieu est confondu avec l’Eschatologie (vol. I, p. 183)®. Plus tard, à partir de la 5 ' édition’ de son Histoire des Ecrits du Nouveau Testament (en 1874), R eu ss dit carrément : « Au sujet des idées eschatologiques nous renvoyons aux ouvrages sur la basileia » (p. 18). R eu s s est vraiment le père de l’eschatologisme. Comme il a été un écrivain très fécond, son influence a certainement été considérable en Allemagne, en France et aussi en Angleterre, où ses prin cipales œuvres ont été traduites.
5. Quel document permet de voir une telle « parousie à grand spectacle » dans l ’attente messianique du peuple juif et surtout quel document suggère que ce Messianisme soit une Eschatologie ? 6. Certaines formules de R e u ss constituent des aveux d ’une délicieuse naïveté : « Ainsi, les idées eschatologiques ordinaires du christianisme primitif m anquent dans l ’Evangile de Jean » (vol. II, p. 459)... « La saine exégèse ne doit-elle pas supposer (sic) que Jésus dans ses enseignements eschatologiques s’est volontairement servi d ’expressions qui rappelaient le matérialisme (sic) des croyances populaires ? » (vol. II, p. 462, note l),.. « Le nom de royaume de Dieu, nom emprunté également à l’eschatologie populaire (sic), ne se trouve dans nos textes que lorsque Jésus est amené à se servir de locutions usuelles » (vol. II, p. 463)... « Ce qui prouve, du reste, q u ’il n ’est pas question d ’eschatologie » (vol. II, p. 463)... « Ce système n ’a pas de place pour les notions eschatologiques vulgaires (sic) » (vol. II, p. 464)... Une autre phrase de R e u ss nous stupéfie, maintenant que nous connaissons les documents de Qumrân : « Quand on songe à quel degré inférieur de culture intellectuelle, morale et religieuse se trouvaient les populations au-xquelles il ( = Jésus) s’adressait... » (Histoire Evangélique, p. 192). 7. Les 4 éditions précédentes ne contiennent pas cette phrase. Je remercie M. le D r H ubert K l e in , de la Bibliothèque d e Berlin, d ’avoir fait pour moi cette vérification.
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En particulier, un de ses élèves de Strasbourg, Albert R é v il l e (1826-1906) sera un actif propagateur des vues de son ancien maître. Ainsi R é v il l e écrivait en 1858 : « Lorsqu’une telle croyance (à la proximité de la Parousie) a pénétré à ce point une société religieuse q u ’elle a été si longtemps l’angle visuel sous lequel se présente l ’avenir immédiat, les yeux y sont habitués : ce n ’est que lentement, très lentement, q u ’elle diminue d ’abord en puissance pour laisser place enfin à de tout autres perspectives »® (Etudes sur Tertullien, IV, p. 83). 4) Renan Ernest R e n a n (1823-1892) a rédigé sa Vie de Jésus pendant l’été 1861 « à la hâte, dans une cabane maronite avec cinq ou six volumes autour de (lui) » (Introduction, p. Liv). Cet ouvrage a exercé une énorme influence Donc, même s’il n ’exprime pas toute la pensée de R e n a n , c ’est lui qui l’a propagée le plus efficacement^®. Le style enchanteur de R jenan drape souvent une pensée indécise. Plus encore que S t r a u s s , il a compris l ’importance du Royaume de Dieu dans l ’Evangile. Lui aussi il distingue deux aspects dans la pensée de Jésus, tout en reconnaissant que ses intentions furent toujours purement religieuses : tantôt Jésus croyait, à tort, que la Fin du Monde allait éclater bientôt, tantôt il envisageait une prolongation illimitée de son œuvre. « Ce nom de « royaume de Dieu » ou de « royaume du ciel » fut le terme favori de Jésus pour exprimer la révolution q u ’il apportait en ce monde » (p. 78)... « Dans les derniers temps de sa vie, Jésus crut que ce règne allait se réaliser matériellement par un brusque renouvellement du monde. Mais sans doute ce ne fut pas là sa pensée première. La morale admirable q u ’il tire de la notion du Dieu père n ’est pas celle d ’enthousiastes qui croient le monde près de finir et qui se préparent par l ’ascétisme à une catastrophe chimérique ; c ’est celle d ’un monde qui veut vivre et qui a vécu » (p. 79)... « La conception réaliste de l’avènement divin n ’a été q u ’un nuage, une erreur passagère que la m ort a fait oublier. Le Jésus qui a fondé le vrai royaume de Dieu, le royaume des doux et des humbles, voilà le Jésus des premiers jours » (p. 80)... Le chapitre VII tout entier (p. 113-129) est consacré au « Développement des idées de Jésus sur le royaume de Dieu ». «A ttendre le royaume de Dieu sera synonyme d ’être disciple de Jésus » (p. 116)... « L ’avènement de ce règne du bien sera une grande révolution subite. Le monde semblera renversé... Les premiers seront les derniers. Un ordre nouveau gouvernera l ’humanité » (p. 117)... « La persuasion q u ’il ( = Jésus) ferait régner Dieu s’empara de son esprit d ’une
8. Comment R é v il l e pouvait-il concilier une telle affirmation avec Marc H ,32 ( = Matthieu 24,36); Actes 1,7; I Thessal. 5,1-2; II Thessal. 2,2-12? 9. P. A lfaric dit (p. IX ) que la Vie de Jésu.s de R enan « est sans doute, parmi les grandes œuvres de notre littérature, celle qui a obtenu le succès le plus prom pt et le plus décisif ». Sans parler de nombreuses traductions en langues étrangères, 135 éditions françaises ont été vendues en 60 ans. 10. Comme il est dit plus haut (p. 137) ces notices ne prétendent point retracer l’évo lution personnelle des auteurs q u ’elles mentionnent, mais seulement établir des jalons significatifs qui marquent les points essentiels de l’histoire de la notion d ’Eschatologie.
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manière absolue. Il s’envisagea comme l’universel réformateur... Dans son accès de volonté héroïque, il se croit tout-puissant. Si la terre ne se prête pas à cette transformation suprême, la terre sera broyée, purifiée par la flamme et le souffle de Dieu » (p. 118-119).., « C ’est bien le royaume de Dieu, en effet, je veux dire le royaume de l’esprit, qu’il fondait » (p. 121)... « Q u’il y eut une contradiction entre la croyance d ’une fm prochaine du monde et la morale habituelle de Jésus, conçue en vue d ’un état stable de l’humanité... c’est ce q u ’on n ’essayera pas de nier » (p. 126)... « Jésus, en même temps q u ’il annonçait un bouleversement sans égal dans les choses humaines, proclamait les principes sur lesquels la société repose depuis dix-huit cents ans. Ce qui distingue, en effet, Jésus des agitateurs de son temps et de ceux de tous les siècles, c ’est son parfait idéalisme » (p. 127)... « A qui s’adresser, sur qui compter pour fonder le règne de Dieu ? La. pensée de Jésus en ceci n ’hésita jamais... Les fondateurs du royaume de Dieu seront les simples... des femmes, des hommes du peuple, des humbles, des petits » (p. 128)... Plus loin le chapitre XI (p. 178-194) présente le « royaume de Dieu conçu comme l ’avènement des pauvres ». « Le royaume de Dieu est fait : 1) pour les enfants et pour ceux qui leur ressemblent ; 2) pour les rebutés de ce monde... ; 3) pour les hérétiques et schismatiques, publicains, samaritains, païens de Tyr et de Sidon » (p. 178-179).,. « Il ( = Jésus) ne perdait aucune occasion de répéter que les petits sont des êtres sacrés, que le royaume de Dieu appartient aux enfants, q u ’il faut devenir enfant pour y entrer, q u ’on doit le recevoir en enfant » (p. 122)... Enfin le chapitre XVII (p. 270-289) expose la « Forme définitive des idées de Jésus sur le royaume de Dieu ». « L’idée fondamentale de Jésus fut, dès son premier jour, l’établissement du royaume de Dieu. Mais ce royaume de Dieu... Jésus paraît l’avoir entendu dans des sens très divers. Par moments, on le prendrait pour un chef démocratique, voulant tout simplement le règne des pauvres et des déshérités. D ’autres fois, le royaume de Dieu est l’accomplisse ment littéral des visions apocalyptiques de Daniel et d ’Hénoch. Souvent, enfin, le royaume de Dieu est le royaume des âmes et la délivrance prochaine est la délivrance par l ’esprit... Toutes ces pensées paraissent avoir existe à la fois dans la conscience de Jésus » (p. 270-271)... « Ses deux conceptions du royaume de Dieu se sont appuyées l’une l’autre, et cet appui réciproque a fait son incomparable succès » (p. 272)... « Par une illusion commune à tous les grands réformateurs, Jésus se figurait le but beaucoup plus proche q u ’il n ’était » (p. 278)... « Si la doctrine de Jésus n ’avait été que la croyance à une prochaine fin du monde, elle dorm irait certainement aujourd’hui dans l’oubli... Le monde n ’a point fini, comme Jésus l ’avait annoncé, comme ses disciples le croyaient. Mais il a été renouvelé, et en un sens renouvelé comme Jésus le voulait. C ’est parce q u ’elle était à double face que sa pensée a été féconde. Sa chimère n ’a pas eu le sort de tant d ’autres » (p. 281-282)... « Ce vrai royaume de Dieu, ce royaume de l’esprit, qui fait chacun roi et prêtre ; ce royaume qui, comme le grain de sénevé, est devenu un arbre qui ombrage le monde... Jésus l’a compris, l’a voulu, l ’a fondé » (p. 282)... « Souvent il déclare que le royaume de Dieu est déjà commencé, que tout homme le porte en soi et peut, s’il en est digne, en jouir, que ce royaume chacun le crée sans bruit par la vraie conver sion du cœur. Le royaume de Dieu n ’est alors que le bien, un ordre de choses meilleur que celui qui existe, le règne de la justice, que le fidèle, selon sa mesure, doit contribuer à fonder » (p. 284)... « En acceptant les utopies de son temps et de sa race, Jésus sut ainsi en faire de hautes vérités, grâce à de féconds
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malentendus. Son royaume de Dieu, c ’était sans doute la prochaine apo calypse qui allait se dérouler dans le ciel. Mais c ’était encore, et probablement c ’était surtout, le royaiune de l’âme » (p. 284)... « Quand, au bout d ’un siècle de vaine attente, l’espérance matérialiste d ’une prochaine fin du monde s’est épuisée, le vrai royaume de Dieu se dégage. De complaisantes explications jettent un voile sur le règne réel qui ne veut pas venir » (p. 285)... « Le m ot de « royaume de Dieu » exprime, d ’un autre côté, avec un rare bonheur, le besoin q u ’éprouve l’âme d ’un supplément de destinée, d ’une compensation à la vie actuelle » (p. 288)... Dans sa conclusion, au chapitre XVIII, sur le « Caractère essentiel de l ’œuvre de Jésus » (p. 442-459), R e n a n résume ainsi sa pensée : « Le royaume de Dieu, tel que nous le concevons, diffère notablement de l ’apparition sur naturelle que les premiers chrétiens espéraient voir éclater dans les nues. Mais le sentiment que Jésus a introduit dans le monde est bien le nôtre. Son parfait idéalisme est la plus haute règle de la vie détachée et vertueuse. Il a créé le ciel des âmes pures, où se trouve ce q u ’on demande en vain à la terre, la par faite noblesse des enfants de Dieu, la pureté absolue, la totale abstraction des souillures du monde, la liberté enfin » (p. 445). Si l ’on veut essayer de situer R e n a n dans l’évolution de la pensée ihéologique, on est parfaitement renseigné par l’Introduction de sa Vie de Jésus (p. vi-vn), où il conseille la lecture de 5 ouvrages : la Vie de Jésus par S t r a u s s , l’Histoire de la théologie chrétienne par R eu ss , les Doctrines reli gieuses des Juifs par Michel N ic o l a s , les Etudes critiques sur l ’Evangile de saint M atthieu par Albert R é v il l e , et la Revue de théologie et de philosophie chrétienne dirigée par Timothée C o l a n i . Quand on se rappelle que Michel N ic o l a s , A. R é v il l e et T . C o l a n i *^ sont des élèves de R eu ss et que celui-ci dépend de S t r a u s s , l’arbre généalogique n ’est pas difficile à établir*^. Voici d ’ailleurs l’éloge que R e n a n fait de S t r a u s s : « La critique de détail des textes évangéliques, en particulier, a été faite par M. S t r a u s s d ’une manière qui laisse peu à désirer... Il est indispensable, pour se rendre compte des motifs qui m ’ont guidé dans une foule de minuties, de suivre la discussion toujours judicieuse, quoique parfois un peu subtile, de (son) livre » (Introduction, p. VIIl). ♦ * * Malgré l’immense succès de R e n a n , qui reprenait et complétait R e im a r u s , S t r a u s s et R e u ss , ses idées n ’ont pas été admises partout sans résistance. Au fond, deux erreurs fondamentales viciaient le raisonnement de ces auteurs : a) Partant de préjugés rationalistes, ils éliminaient (consciemment
1 ). Ces trois auteurs sont étudiés plus en détail dans un article à paraître : « Rectification d ’une erreur concernant l’Eschatologie », dans New Testament Studies. 12. P. A lfakic précise quel parti R enan a tiré de ces auteurs, ainsi que de certains autres q u ’il oublie de mentionner (p. xxxvi à XLrv), Le même ouvrage reproduit un carnet de notes où R enan a dépouillé la Vie de Jésus de Strauss (p. 59-62). A i'index alphabétique (p. 379-380) les références précises à chaque auteur sont énumérées. D ’autres renseignements sont fournis par J. PoMMinR.
FAUTES DE RAISONNEMENT
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OU non) les textes du Nouveau Testament qui les gênaient et qui ne s’harmoni
saient pas avec leurs synthèses préconçues, b) Ils imaginaient q u ’aux abords de l’ère chrétienne les Juifs étaient obsédés par l’attente du Royaume de Dieu et de la Fin du M onde et que Jésus avait partagé leurs illusions. R e im a r u s n ’appuyait cette théorie que sur deux citations sans valeur démonstrative (voir p. 139) et R e n a n y ajoutait un vague renvoi à Daniel et au Livre d ’Hénoch (voir p. 143). La première de ces fautes de raisonnement a été si souvent dénoncée et stigmatisée par les controversistes catholiques ou protestants, q u ’on aurait mauvaise grâce à insister. Q u’on suspecte l’authenticité d ’un passage sur lequel les manuscrits, les anciennes versions ou les citations des Pères de l ’Eglise ne sont pas unanimes, c ’est normal. Mais quand un texte est bien attesté dans l ’ensemble des témoins, on n ’a pas le droit de l’éliminer, sous prétexte q u ’il ne s'accorde pas avec telle ou telle conception théologique moderne. Agir ainsi, c ’est violer les méthodes scientifiques. Et alors les conclusions obtenues doivent être considérées comme non-démontrées. La seconde faute de raisonnement, qui ne pouvait être décelée que par de vrais connaisseurs, n ’est pas non plus passée inaperçue. Ainsi, Timothée CoLANi (1828-1888), bien q u ’ancien élève de R e u ss , réagissait contre la Vie de Jésus de R e n a n en l ’attaquant sur ce point particulièrement vulnérable. Avec un remarquable sens historique, C o l a n i objecte (un siècle avant les découvertes de Qumrân !) que les contemporains de Jésus ne rêvaient pas ainsi de la Fin du M onde et que Jésus donnait à son Royaume une signification bien dilTérente*^. « (Selon R e n a n ) la qualité de président des assises finales de l’humanité fut le rôle essentiel q u ’il [= Jésus] s’attribua. Bientôt, sans doute, il comprit q u ’il serait victime de sa hardiesse, mais il pensa q u ’après sa mort il reviendrait subitement, accompagné de légions d ’anges, juger les hommes et séparer les bons d ’avec les méchants. M. R e n a n ne dit pas clairement si Jésus puisa cette idée apocalyptique dans les illusions de son esprit ou dans les superstitions de son entourage. J ’espère avoir montré, par les pages qui précèdent, l ’impossi bilité de l’une et de l’autre hypothèse : il n ’y a dans les discours authentiques de Jésus aucune notion qui, tenant au fond même de sa pensée, ait pu devenir le germe de pareilles rêveries ; il n ’y a dans les documents antérieurs ou même postérieurs à Jésus aucune trace que les Juifs aient jam ais attribué au Messie le rôle de président des assises finales de l ’humanité » (p. 165). T. C o l a n i ne se contente pas de cette réfutation. Il dégage lui-même les traits principaux du Royaume de Dieu tel q u ’il l ’aperçoit et il montre q u ’il existait déjà lors de la prédication de Jésus : « Le jo u r arrive où Jésus ne dit plus seulement que le royaume du Messie approche : il est déjà venu, il a déjà commencé. Jean-Baptiste marque la limite entre les temps anciens et les temps nouveaux : c’est jusqu’à lui que vont la loi et les prophètes ; depuis le grand précurseur, quiconque usant de violence sait se dépouiller des idées anciennes peut pénétrer dans le royaume. Les œuvres de Jésus prouvent à elles seules que les temps messianiques sont accomplis » (p. 61)... « Jésus croit m aintenant
13. T. C olani ne pouvait guère reprocher à R enan et aux autres leur habile triage des textes, c ar nous verrons plus loin (p. 180) q u ’il p ratiquait lui-m êm e cette m éthode.
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FORMATION
d
’UNE ERREUR
que l ’avènement du royaume messianique se confond avec l ’avènement de sa doctrine ou plutôt de la vie nouvelle, vie de paix et de joie, q u ’il apporte au monde... Si le christianisme est le royaume, comment s’étonner de l ’autorité souveraine avec laquelle parle Jésus et de l’immense valeur q u ’il attribue à son enseignement, à la parole du royaume ? » (p. 62)... « Son royaume est tout spirituel, une puissance purement morale... Le royaume spirituel de Dieu existe déjà, puisque l’Evangile est prêché ; mais il n ’existe encore q u ’en principe, et ce principe devra triom pher peu à peu dans le monde » (p. 65)... « Jésus affirme que déjà il ( = le Royaume de Dieu) existe : il est parmi vous ; il a commencé aux jours de Jean-Baptiste, le dernier des prophètes et des précur seurs » (p. 84)... « Le fait seul qu’il ( = Jésus) a pu dire en m ontrant ses œuvres d ’am our : « il est donc déjà au milieu de vous », ce fait seul rend indubitable q u ’il comprenait le royaume de Dieu tout autrem ent que les Juifs. En se déclarant comme il l’a fait, le chef de ce royaume spirituel, Jésus a donc : 1) rejeté la confusion du temporel et du spirituel, du visible et de l’invisible inhérente à toute la théocratie d ’Israël; 2) il a conçu comme réalisation du royaume de Dieu une humanité idéale où l ’on ne trouve plus aucune trace du prétendu privilège des Juifs; 3) il a substitué dans ses vues de l ’avenir un développement organique aux catastrophes des apocalypses. En un mot, il a rompu avec le m e s s i a n i s m e C e qu’il s ’en approprie c ’est uniquement l ’idée d ’un chef spirituel des hommes » (p. 68). Même si ces vues ont été par la suite exagérées et déformées dans ce q u ’on appelle le « Protestantisme Libéral », elles s’appuient sur une saine lecture des textes et donc elles méritent d ’être saluées. Peut-être est-ce la réaction de C o l a n i et de certains autres qui a freiné pour quelque temps la diffusion de l’erreur inventée par R e im a r u s et propagée par S t r a u s s , R eu ss et R e n a n .
14. CoLANi veut parler du messianisme habituel chez les Juifs de son temps.
CHAPITRE XVII
Succès d’une erreur : Johannes Weiss et Loisy Les idées semées par R e im a r u s , S t r a u s s , R eu ss et R e n a n se sont répandues chez divers auteurs, dont une histoire complète devrait tenir compte*, mais qui ne semblent pas les avoir transformées profondément. Après cette période d ’incubation, elles explosent simultanément chez Johannes W eiss et chez L o is y , qui vont les imposer avec une telle conviction et un si grand talent q u ’elles seront désormais considérées comme prouvées et q u ’elles susciteront une véritable « mode » théologique. A l ’erreur transmise par R eu ss et par R e n a n , Johannes W eiss et L o isy vont faire franchir une étap>e nouvelle, parce q u ’ils vont commencer à combiner les notions de Royaume de Dieu (uniquement futur) et d ’Eschatologie (chosifiée en Fin du Monde). Pour eux Eschatologie et Royaume de Dieu vont devenir deux notions corrélatives et indissociables.
1) Johannes Weiss Johannes W eiss (1863-1914) était le fils du théologien Bernhard W eiss et le gendre d ’Albrecht R it s c h l (1822-1889). Celui-ci, dont la théologie a été souvent exposée^, était un lointain disciple de ScHLEiERMACiiER (1768-1834), dont la philosophie religieuse reposait essentiellement sur « le sentiment de dépendance absolue envers Dieu ». R it s c h l reprenait cette idée et la complétait en m ettant bien en relief l’impor tance de la notion de basileia tou théou dans le Nouveau Testament. Mais, tout en traduisant par Reich Gottes^, il donnait à ces mots presque le sens de
1. A. ScHwerrzER présente en détail ces auteurs dans « Von Reimarus zu Wrede » ; le plus im portant d ’entre eux semble avoir été l ’Alsacien Wilhelm B aldenspbrger . 2. En 1905 on avait déjà publié plus de 150 éludes sur la théologie de Rrrecm , ; et cette année môme, en 1978, E.P. M eijering en publie encore une (chez Brill à Leiden). 3. Comme les auteurs allemands emploient souvent Reich Gottes dans un sens imprécis qui combine Royauté, Règne et Royaume de Dieu, je demande la permission de leur laisser la responsabilité de cette expression nuageuse.
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SUCCÈS
d ’u n e
erreur
Règne de Dieu et donc il y voyait surtout une réalité morale et un idéal spirituel, une action de l’Esprit de Dieu dans l’âme des croyants Johannes VVeiss était d ’accord avec son beau-père pour voir dans le Reich Gottes un des éléments principaux de la prédication de Jésus, mais il s’opposait à lui en donnant à basileia le sens de Royaume et en choisissant dans les Evangiles les textes qui se rapportent d ’une façon ou d ’une autre à la Fin du Monde. Encore bien jeune, Johannes W eiss publie en 1892 un petit volume : «Di e Predigt Jesu vom Reiche G ottes»*, que sa préface affirme ébauché depuis longtemps. L ’auteur avoue naïvement q u ’il emploie un certain nombre de procédés, que nous ne pouvons pas ne pas considérer comme anti scientifiques : ainsi sa théologie l ’empêche de reconnaître pour authentiques et primitives les affirmations des Evangiles qui concernent la basileia tou théou (p. 9) ; elle lui impose le devoir de négliger certaines paraboles (p. 10-11) ; Matthieu 11,11 ne concerne pas le passé et signifie seulement que depuis Jean-Baptiste on a le désir du Reich Gottes (p. 15) ; à deux reprises Luc 17,20-21 est escamoté ou récusé (p. 17 et 30-32). Mieux encore, il a le courage d ’affirmer (p. 26) q u ’aucun texte ne peut contredire sa théorie*^. Comme Johannes Wtiss a eu la bonne idée de résumer en 10 points l ’essen tiel de sa pensée (p. 61-63), on ne peut mieux faire que de le citer intégralement : « 1) L’activité de Jésus est dominée par le sentiment fort et inconfusible que le temps messianique est tout proche. 11 a même des moments d ’intuition prophétique dans lesquels il reconnaît que l ’opposition du Royaume de Satan est déjà pour l ’essentiel vaincue et brisée, et alors il parle avec une foi intrépide d ’une irruption déjà réelle du Reich Gottes. 2) Mais en général la réalisation du Reich Gottes est encore différée. En particulier Jésus n 'a pas l’idée de reconnaître une réalisation préalable du Règne de Dieu dans le renouveau de piété de ses disciples. En général il ne discerne pas les deux stades principaux, celui de la préparation et celui de l ’accomplissement du Reich Gottes. Les disciples doivent prier pour l’arrivée de ce Reich. car les hommes ne peuvent pas du tout l’instaurer.
4. D ’ailleurs un des principaux ouvrages d ’A. R j t s c h l mentionne dans son titre « Rechtfertigung und Versôhnung », c ’est-à-dire « Justification et Adoption ». 5. C ’est-à-{lire : « La prédication de Jésus au sujet du Reich Gottes ». 6. Dans la préface de la seconde édition (en 1900) de son ouvrage sur la Prédication du Reich Gottes, Johannes W eiss décrit lui-même le conflit ihéologique qui a provoqué la form ation de son système : « La première édition de cet ouvrage a été le r& ultat d ’un oppri m ant conflit personnel. A l’école d ’A. R itschl je me suis persuadé de la particulière signification de la pensée systématique du Reich G ottes, qui forme le centre organique de sa théologie. Je pense encore aujourd’hui que son système et surtout sa pensée centrale présentent cette forme de la doctrine de la foi qui est la plus propre à rapprocher de notre genre humain la religion chrétienne et, compris et exprimé correctement, à éveiller et à développer une vie religieuse saine et forte, comme nous en avons besoin maintenant. Mais depuis longtemps m ’inquiétait la claire perception que la pensée de R itsch l sur le Reich G ottes et la même idée dans la prédication de Jésus, sont deux choses très différentes... Le nouveau ihéologoumenon est d ’une forme et d ’une tonalité totalem ent autres que cette pensée de foi dans le christianisme primitif. De plus amples études m ’ont convaincu que les racines particulières de l’idée de R itschl se trouvaient chez K ant et la théologie de l’Aufklârung » (p. V).
JOHANNES WEISS
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3) Même Jésus ne peut pas amener, fonder, édifier le Reich Gottes. Dieu seul le peut. C ’est Dieu lui-même qui doit s’em parer du Règne. Jésus peut seulement, dans la force qui lui est communiquée par l ’esprit divin, combattre le démon et rassembler une troupe de partisans, qui attendront l ’arrivée du Reich Gottes dans une piété renouvelée, dans la pénitence, l’humilité et l’abandon. 4) La conscience messianique de Jésus est la certitude que lui seront commu niqués le Jugement et le Règne dans la formation du Reich que Dieu va instaurer. Dieu va l’élever à l’état de Fils de l’Homme, dont il revendique le titre (Jean 5,27), et le faire devenir Seigneur et Messie. 5) Alors qu’au début Jésus espère vivre jusqu’à la formation de ce Reich, il acquiert peu à peu la certitude q u ’il doit auparavant passer par le chemin de la mort et contribuer par cette m ort à la formation du Reich en Israël. Alors il reviendra sur les nuées du ciel pour la formation de ce Reich, et cela encore pendant la vie de la génération qui l ’a rejeté. Jésus ne donne pas de plus grandes précisions de temps, car l’arrivée de ce Reich ne peut pas être prévue par le calcul ou l ’observation des signes. 6) Quand cela arrivera. Dieu anéantira ce vieux monde pourri et dominé par le démon et il créera un monde nouveau. Les hommes participeront eux aussi à cette transm utation et ils deviendront comme les anges. 7) En même temps se produira le Jugement, non seulement sur ceux qui vivront encore lors de la venue du Fils de l’Homme, mais aussi sur ceux qui seront alors ressuscités, bons ou mauvais, Juifs ou païens. 8) La Palestine, transfigurée dans une nouvelle splendeur, formera le centre du nouveau Reich ; les nations ne la domineront plus, mais elles reconnaîtront Dieu ; il n ’y aura plus de deuil ni de péché ; mais ceux qui vivront dans le Reich Gottes verront Dieu et le serviront dans une étemelle justice, innocence et félicité. 9) Jésus et ses fidèles domineront sur ce peuple rénové des douze tribus, qui acceptera aussi en lui les païens. 10) Par le Règne du Messie, le Règne de Dieu n ’est pas supprimé, mais réalisé, soit que l’un et l ’autre subsistent ensemble soit que Jésus gouverne sous l ’autorité suprême de Dieu. » Ailleurs (p. 67) Johannes W fjss reproche à ses contemporains de ne plus employer les mots dans le même sens que Jésus, car « nous ne partageons pas la tonalité eschatologique de « la figure de ce monde passe » (I Cor. 7,31)... Nous n ’attendons pas un Reich Gottes qui doit descendre du ciel sur la terre et anéantir ce monde, mais nous espérons être rassemblés avec la commu nauté de Jésus-Christ dans le Royaume céleste». Et une note précise que «cette modification de l ’idée du Reich Gottes est peut-être très ancienne», car elle se manifeste peut-être déjà dans la source judéo-chrétienne de Luc. Johannes Wi-i.ss reprendra les mêmes théories en 1895 dans un autre ouvrage sur « l ’imitation du Christ dans la prédication actuelle» : « Qua nd nous introduisons la pensée de l’im itation du Christ dans le cadre de l’idée du Reich Gottes, nous n ’employons pas cette idée dans le sens des Evangiles, mais dans celui q u ’elle a reçu dans la théologie moderne. Dans la langue et la pensée de Jésus, le monde et le Reich Gottes sont des contraires absolu ment inconciliables : le monde doit disparaître pour faire place au Reich Gottes. Dans la théologie moderne au contraire la pensée est ainsi déviée que.
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SUCCÈS
d ’u n e e r r e u r
à l’intérieur de l ’humanité, une communauté d ’alliance entre Dieu et une partie de cette humanité... s’est formée précisément par l ’action de Jésus... Selon la pensée et les paroles de Jésus lui-même, le Règne de Dieu ne peut être que préparé par lui et surtout par les hommes, mais il doit être réalisé par l’intervention de Dieu dans l ’histoire et par la création d ’un monde nouveau à la place de l’ancien» (p. 168-169). Johannes W eiss donnera de plus amples (ou ; nouvelles) précisions dans une conférence du 14 juin 1900, publiée l’année suivante, sur « l’idée du Reich Gottes dans la théologie». L’Eschatologie de Jésus correspond à celle de ses contemporains (p. 3). Le monde présent est le domaine du démon et il doit disparaître le plus vite possible (p. 3-4). « Jésus est tout à fait pénétré de la conviction prophétique que le temps est m ûr pour l’institution du Reich Gottes. Pour cette conviction dure comme pierre, il est sans im por tance q u ’un bref délai intervienne encore entre l’attente et l’accomplissement. Les signes des temps m ontrent avec certitude que l ’heure de Dieu est arrivée... Jésus croit déjà vivre les débuts de la réalisation du Reich G ottes» (p. 4-5)... Plusieurs fois J. W eiss reproche à R it s c h l de voir dans le Reich Gottes un état de perfection morale et religieuse qui engendre un bonheur terrestre : « Le dernier résultat de cette diffusion et de cet affermissement du regnum Dei sur le monde serait dans le meilleur des cas la production d ’une génération d ’hommes vraiment parfaits, libres et nobles ; elle présenterait, par sa vie en plein accord avec la volonté de Dieu, la plus haute fleur de ce qui peut provenir de l’homme. Mais pendant que nous nous représentons cette image, nous sentons aussitôt q u ’elle nous reflète quelque chose d ’impossible... Nous devons détacher de la terre cette génération de parfaits et de bienheureux, ces profiteurs d ’un millenium éthique, et les penser dans un environnement céleste, où il n ’y a plus aucun devoir moral. Mais alors cette représentation se transporte hors d 'un royaume terrestre, auquel ne participe que la dernière génération de l’humanité, dans un royaume céleste auquel nous espérons participer. Ainsi nous constatons que nous ne pouvons pas même penser à la réalisation d ’un parfait Reich Gottes sur la terre, sans parler q u ’il ne sera même jam ais réalisé. C ’est un concept-limite, un idéal» (p. 151)... « No u s arrivons à une antinomie de la pensée religieuse. Pour la piété pratique est indispensable l’idée que Dieu s’insère dans le temps par son gouvernement des hommes et q u ’il participe au développement du monde, et pourtant inexécutable est cette pensée, si nous voulons la mettre en relation avec la notion d ’un Dieu élevé au-dessus du monde, du temps et de l’espace... Pour l ’usage pratique, nous ne pourrons pas renoncer à croire que peu à peu par une lente évolution le Règne de Dieu se réalise toujours plus, mais du point de vue de Dieu nous ne pouvons penser cette pensée. Nous ne pouvons nous représenter visiblement son rapport avec l ’humanité q u ’en dehors du temps, puisqu’il embrasse d ’un seul regard les générations qui à nos yeux sont séparés par le temps » (p. 154). Puisque la conception traditionnelle du Reich Gottes, telle q u ’elle est encore présentée chez R it s c h l , aboutit à de telles contradictions (selon Johannes W eiss ), force est bien d ’y renoncer et de voir dans ce Reich Gottes une intervention décisive de Dieu pour décruire ce monde et en instaurer un nouveau. Serait-on injuste envers Johannes W eiss , si l’on pensait que ce n ’est pas par l’analyse des textes bibliques q u ’il a dégagé cette conclusion, mais que sa philosophie religieuse, différente de celle de R it s c h l , lui imposait cette conclusion et qu’il a tâché de la justifier par les textes du Nouveau Testament ?
A. LOISY
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2) Alfred Loisy Nous sommes bien renseignés^ sur l ’évolution de la pensée d ’A. Lx) isy (1857-1940) par les deux autobiographies q u ’il a publiées : « Choses Passées », en 1913, et «M ém oires pour servir à l’histoire religieuse de notre tem ps», en 1930-1931 (3 gros volumes de 1 860 pages), ainsi que par les souvenirs de ses confidents : A. H o u t in et F. S a r t ia u x , édités par P o u l a t . Nous savons donc que ce ne sont pas les problèmes du Royaume de Dieu et de l ’Eschatologie qui sont à l ’origine de sa construction Ihéologique. Ses maîtres lui ayant enseigné une conception presque mécanique de l ’inspi ration® et son étude de la Bible lui prouvant l’absurdité de cette conception^, il a commencé par récuser l ’inerrance et l ’inspiration de la B i b l e * p u i s il s’est engagé dans une exégèse qui se voulait purement critique** et qui l ’a conduit à une sorte à'évolutionnisme théologique. Ce drame intérieur s’est déroulé vers 1881-1885 et c’est seulement un peu avant Pâques 1893 q u ’il enseignera les Evangiles Synoptiques à l’Institut Catholique de Paris (Mémoi res, vol. I, p. 242) et seulement à la fin de 1893 q u ’il publiera ses premiers travaux sur cette question. On a parfois reproché à L o isy de s’être inféodé aux Protestants rationalistes d ’Allemagne. Et en effet, dans le Bulletin Critique du 15 février 1889, il évoque R e u s s , K u e n e n , W e l l h a u s e n , R e n a n et G r a f (p. 61), puis Hui>i-ELD et les « critiques contemporains ». A partir de mars 18W un mystérieux « P », dont les idées et le style ressemblent fort à ceux de Lx )isy * recense dans la même revue A. R e sc h et divers autres travaux écrits en allemand. En outre, depuis 1889, la Revue Critique, l ’approvisionnait en ouvrages allemands (Mémoires, vol. I, p. 363). Mais L o is y a plusieurs fois rejeté ces hypothétiques influences. Les seuls inspirateurs q u ’il admette sont R eu ss et R e n a n et encore pour encourager plutôt que pour provoquer une évolution (Mémoires, vol. I, p. 153-154, 161-162).
7. Mes recherches sur Loisy ont été grandement facilitées par la compétence de Monsieur l’Abbé Jean-Paul B lanc et par la précieuse bibliographie de Loisy dressée par E. P oulat (p. 303-324). 8 . « Son enseignement { = de V i g o u r o u x ) et ses livres ont plus f a i t pour me détourner des opinions orthodoxes en cette matière que tous les rationalistes ensemble, R e n a n compris » (Choses Passées, p. 58, à propos des cours suivis en 1881-1882). 9. « Dès 1881, la notion traditionnelle de l’Ecriture inspirée figure au chapitre des pertes. En 1883, c ’est tout le système de doctrine et d ’apologétique de l’Eglise qui est mis en discussion » (Choses Passées, p. 68). 10. Dans les « Dialogues des m orts » (composés en 1895 et restés manuscrits) Loisv fait dire à R e n a n : « De la première page de la Genèse à la dernière page de l’Apocalypse on ne trouve pas dix lignes de suite qui ne donnent lieu à contestation si on veut les prendre à la lettre » (fd io 22). 11. E. T rocmé m ontre cependant que Loisy , tout comme R enan , a été influencé par une idéologie plus ou moins consciente (p. 454-458). 12. L oisy a lui-même avoué q u ’il s’était servi de plusieurs pseudonymes : Revue d ’Histoire et de Littérature Religieuses, vol. 6, n° 3, mai-juin 1901, p. 278, note 1 ; Choses Passées, p. 171, 209-218. 343; Mémoires, vol. I, p. 413, 428, 570. 13. Plus tard aussi N ew man , sur lequel il se renseigne le 15 septembre 1896 (Mémoires, vol. I, p. 410) et dont il em prunte les oeuvres le 12 octobre 1896 (ibidem, p. 415).
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SUCCÈS
d ’u n e
erreur
Quand L o isy préparait le cours d ’hébreu de seconde année (à partir de 1882 ou 1883) il consultait « la Bible de Reuss et les meilleurs ouvrages alle mands sur les textes q u ’il avait à expliquer» (Choses Passées, p. 77). Quand il enseignait (1889-1891) et publiait son «H istoire du Canon de l’Ancien Testam ent» (1890) puis son «H istoire du Canon du Nouveau Testam ent» (1891) il ne pouvait pas ignorer « l ’Histoire du Canon des Ecritures Saintes dans l’Eglise chrétienne » de R e u ss , et de fait, il la cite assez souvent. Et ce n ’est sans doite pas un hasard si les études de L o i .s y sur les Synoptiques adoptent la méthode d ’exposition de R eu ss , dès 1893 et 1894, L a dépendance de L o is y envers R e n a n est encore plus évidente. N on pas que R e n a n soit à l’origine de son évolution spirituelle : L o isy reconnaît que ses réactions profondes ont été semblables à celles de R e n a n , produites par les mêmes causes, mais totalement indépendantes. Il affirme n ’avoir « probable ment » rien lu de R e n a n avant 1881 (Mémoires, vol. I, p. 103) et le 7 juillet 1883 il n ’en connaît « peut-être pas beaucoup plus que les Souvenirs de Jeunesse... et la Vie de Jésus» (Mémoires, vol. I, p. 120)^“^. A partir de décembre 1882 ju sq u ’en 1885, il suit «assez régulièrement» les cours de R e n a n au Collège de France (Mémoires, vol. I, p. 117)‘ *. Et pour la préparation de sa thèse de doctorat, au début de 1884, R e n a n l’aide «beaucoup»^® à percevoir la faiblesse des théories traditionnelles sur l ’inspiration (Mémoires, vol. 1, p. 132 et 136). En 1894-1895 il analyse en détail l’Histoire du peuple d ’Israël par R e n a n (Mémoires, vol. I, p. 388-389) et des extraits de cet exposé sont parus dans le Bulletin Critique*’ , dans la Revue Anglo-Romaine*® et dans la Revue d ’Histoire et de littérature Religieuses*’ . Dans tous ces articles, L o isy formule de nombreuses et sérieuses réserves^®, mais serait-il impossible que certaines aient peut-être pour but de donner le change ?^*.
En fait, le problème du Royaume de Dieu se pose à L o is y , comme conséquence de ses positions personnelles sur l ’inspiration et l ’inerrance des Ecritures. Quoi q u ’on en ait dit trop souvent, L o isy ne dépend pas de Johannes W eiss , pas plus que celui-ci ne dépend de L o is y . S'ils ont simultané-
14. Ailleurs L o is y adm ettra une plus grande influence de R e .m a n ; « D urant ces années (1881-1883), mon auteur de prédilection fut R e n a n , que je ne prenais d ’ailleurs pas pour un oracle ; mais c'est surtout avec lui et contre lui que je pensais » (Revue d ’Histoirc et de Littérature Religieuses, vol. 5, n° 6, novembre-décembre 1913, p. 570). 15. L oisy a présenté ses souvenirs sur les cours de R enan dans une allocution du 1" mars 1923 (Mémoires, vol. III, p. 437). 16. Dans Choses Passées, p. 75, il est plus réticent : « Certaines idées de R enan m ’aidèrent probablement à la concevoir ( = m a théorie), mais elles n ’y sont guère plus reconnaissables que la croyance catholique ». 17. N" 19, 5 juillet 1895, p. 361-373 ; n° 21, 25 juillet 1895, p. 401-408 ; n» 22. 5 août 1895, p. 421-429. 18. N euf articles, en 1896, du n° 26 au n" 45. 19. Tome 3, 1898, n “ 5, p. 385-406, 20. De même dans les Mémoires, vol. Il, p. 59 : « Elle ( = la Vie de Jésus) n ’est pas non plus ^ n s défaut pour le critique, parce que R e n a n a fait un peu le Christ à son image, et q u e certaines habiletés littéraires pour obtenir u n tableau complet, fût-il, en maint endroit, purement hypothétique, ont aussi altéré la rigueur de la méthode ». 21. Dans les Mémoires, vol. I, p. 315, L o is y reconnaît avoir pratiqué « u n léger camouflage théologique ».
A . LO ISY
I jj
ment diffusé les mêmes opinions en France et en Allemagne, c'est parce q u ’ils ont tous les deux une source commune, qui est R tuss, soit directement soit par l ’intermédiaire de R e n a n L ’exposé chronologique de la pensée de L o isy est assez difficile, car plusieurs de ses œuvres n ’ont été publiées q u ’assez longtemps après leur composition ; ainsi c ’est entre 1893 et 1900 q u ’il composa les premières ébauches de son volumineux commentaire sur les Synoptiques (Choses Passées, p. 163), il le term ina le 12 avril 1904, puis la révision se prolongea jusqu’à la fin de 1906 (Mémoires, vol. Il, p. 380 et 494), mais les deux gros volumes ne sortirent des presses que le 25 janvier 1908 (Mémoires, vol. Il, p. 618) ; de même, il rédigea, lors de son séjour à Neuilly (1894-1899) des Essais d ’Histoire et de Critique Religieuses, dont il fit une révision autour du 3 janvier 1898, puis une nouvelle rédaction entre le 30 juillet 1898 et le 4 mai 1899, et dont il se servit pour écrire l’Evangile et l’Eglise, qui fut publiée le 5 octobre 1902 (Mémoires, vol. I, p. 419-477). Dans la mesure où tous ces facteurs d ’imprécision permettent de le conjecturer, les idées de L o is y sur le Royaume de Dieu semblent commencer à s’organiser vers la fin de 1892. Les premiers indices q u ’on en relève sont : 1) Une conversation du 24 octobre 1892 où il exprime la pensée du futur Cardinal M e ig n a n ; « 11 n ’est jam ais arrivé, le royaume de Dieu ; il n ’arrivera jam ais comme ils ( = les prophètes) l’ont décrit... L’avènement de ce Règne a commencé en Jésus-Christ, mais presque tout reste à venir. Nous ne savons pas ce qui arrivera» (Choses Passées, p. 119). 2) Une Chronique sur les Synoptiques parue dans l ’Enseignement Biblique de janvier-février 1893 : « Les Synoptiques ne renferment pas absolument le royaume de Dieu dans le triomphe final du Christ avec ses élus et saint Jean ne s’absorbe pas dans le présent au point de négliger tout à fait le second avènem ent» (p. 40)^^. Plus tard, L o is y exposera le fruit de son exégèse dans les Etudes Evan géliques^'*, dans l ’Evangile et l’Eglise (surtout p. 35 à 72) et dans les Evangiles Synoptiques (surtout vol. I, p. 225-251)^’. On a souvent condensé la pensée de L o isy dans le m ot célèbre : « Jésus annonçait le royaume, et c’est l’Eglise qui est venue» (L’Evangile et l ’Eglise, p. 255) ; mais cette pensée est beaucoup trop fluente et fuyante^® pour tenir vraiment dans cette formule.
22. « R e n a n a été mon maître sans que j ’aie jam ais conversé avec lui. Je le lisais pour le critiquer ; mais j ’apprenais beaucoup en le critiquant » (Choses Passées, p. 373)... « J ’ai dit plus haut com m ent R b n a n avait été mon maître — à vrai dire, mon seul m aître en critique biblique, — et tout le profit que j ’avais tiré de son cours d ’histoire » (Mémoires, vol. III, p. 98-99). 23. On ne voit pas bien si ces paroles exposent la pensée de L o is y ou celle de l'ouvrage q u ’il recense (en l’approuvant). 24. Cet ouvrage, publié en 1902, reprend sur ce point un cours professé à l’Ecole des Hautes-Etudes en 1901-1902. Voici ce q u ’on y trouve: « La prédication évangélique est l’invitation au Royaume, mais n ’est pas ce Royaume » (p. 106)... « Le Royaume n ’est pas encore réalisé, mais Jésus le prévoit pour un avenir très proche » (p. 113)... « Les Paraboles du Royaume sont indéniablement e-schatologiqucs » (p. 118)... « C ’est dans l’avenir qu'apparaîtra (en Jésus) sa qualité de Messie Fils de Dieu, conformément à la nature eschatologique de son Royaume » (p. 121). 25. Mais, à la lin de cette lente élaboration, les positions de LotSY ont pu être influencées par Johannes W eiss, auquel il semble faire allusion dans l’Evangile et l’Eglise p. 36. 26. F. S a r t ia u x a créé pour elle le terme d ’ondoyance (p. 232, ligne 21).
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SUCCÈS
d ’u n e
erreur
Cependant cette formule lapidaire montre q u ’il avait au moins entrevu les vrais rapports du Royaume de Dieu et de l ’Eglise. S’il avait continué sa phrase en disant : « ... d ’où l’on voit que l ’Eglise et le Royaume sont au fond la même réalité», alors il aurait pu harmoniser toutes les affirmations du Nouveau Testament sans en violenter aucune. Mais le système général de L o is y , qui cherchait à opposer les textes les uns aux autres pour déclarer les uns ou les autres sans valeur historique, l ’inclinait à raisonner en sens contraire. Pour lui, la venue de l’Eglise prouve l’erreur de la prédication du Royaume et cette erreur s’ajoute à toutes celles q u ’il relève dans les Evangiles ou dans la Bible. Pour L o is y , Jésus a évidemment cru à l'imminence d'une catastrophe qui allait remplacer le monde actuel par un monde idéal. Il se considérait comme chargé par Dieu de préparer son peuple à l ’irruption de ce Royaume. Sa morale, aussi sublime q u ’inapplicable, n ’était prévue que pour une brève période intermédiaire. Bientôt allait venir le cataclysme qui engloutirait notre actuel monde de péchés et qui ferait naître le vrai Royaume de la justice. Les textes évangéliques qui parlent de ce Royaume au présent sont interprétés comme des futurs immédiats, comme une «anticipation du Royaum e» (L ’Evangile et l ’Eglise, p. 42) : l’arrivée de ce Royaume est telle ment proche q u ’on peut le considérer comme déjà là. Parfois, aussi, comme chez H a r n a c k ^ '', le Royaume se confond avec le Règne et le caractère intem porel de l ’action divine dans les cœurs permet de diluer certains textes gênants. L’Eschatologie n ’intervient pas très souvent, car le concept n ’est pas encore bien familier aux lecteurs français, mais elle est toujours implicite : le Royaume de Dieu ne peut être inauguré que par l’intervention foudroyante q u ’on attend d ’un moment à l’autre et qui constituera la Fin du Monde. Bien que L o isy se réfère constamment aux méthodes historiques, on est étonné de voir comment il escamote les textes qui ne rentrent pas dans sa synthèse^®. Surtout, il adm et toujours comme un fait évident que les contem porains de Jésus vivaient dans J'attente fiévreuse du Royaume de Dieu et que Jésus ne pouvait q u ’adopter leurs illusions^^. Mais il ne semble pas remarquer que les textes q u ’il invoque dans l ’Ancien Testament parlent tous de la Royauté ou du Règne de Dieu (II Samuel, 7 ; Isaïe 60 ; Daniel 7 ; cités dans les Evangiles Synoptiques, vol. I, p. 227-229), et jamais d ’un véritable Royaume. * ♦ ♦ Pour L o is y , comme pour Johannes W eiss , les paroles des Evangiles et du Nouveau Testament sur le Royaume de Dieu ne pouvaient pas avoir
27. C ’est pour réfuter H a r n a c k que L o is y a rédigé « l ’Evangile et l ’Eglise ». 28. Voir par exemple le I Appendice, ci-dessous p. 203-205. Il dit ailleurs ; « La contra diction que l’on découvre entre l’idte d ’un royaume à venir et celle d ’un royaum e déjà présent n ’existe que si l’on attribue à la seconde idée un caractère absolu q u ’elle n ’a pas dans l’Evangile » (L ’Evangile et l’Eglise, p. 47-48). 29. « S’il ( = Jésus) ne donne jam ais sa définition du royaume de Dieu, c ’est que le royaume dont il est le messager et l’agent s ’identifie dans sa pensée, comme dans celle de ses auditeurs, à celui que les prophètes avaient annoncé » (L ’Evangile et l’Eglise, p. 47).
A. LOISY
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d ’autre sens q u ’une prédiction téméraire d ’une Fin du Monde imminente. Leur « évidence » n ’était nullement troublée par les paraboles de l ’Ivraie, du Filet, des Dix Vierges et ils ne remarquaient même pas que certains textes s ’expri maient au passé. Alors cette Fin du M onde constituait pour eux, tout naturellement, une Eschatologie. Avant eux, cette idée n ’était guère admise que par des cercles restreints. Les innombrables lecteurs de R e n a n , séduits par son style enjôleur, n ’avaient sans doute pas attaché assez d ’importance aux notations discrètes, glissées un peu partout, qui rejetaient le Royaume de Dieu dans un avenir « eschatologique». Jusqu’à la fin du x ix ' siècle, le protestantisme libéral, dont R it s c h l et H a r n a c k sont deux illustres représentants, dissolvait dans un idéal spirituel la notion de Royaume de Dieu et donc se dispensait d ’en préciser l’horizon historique. Mais, après que R it s c h l a bien mis en relief l ’importance du Royaume de Dieu dans la pensée de Jésus, Johannes W eiss en Allemagne et L o isy en France arrivent juste à point pour faire adm ettre que l ’irruption de ce Royaume de Dieu constituera la Fin du Monde. Ni l ’un ni l ’autre ils n ’appor tent d ’argument nouveau ; l ’un et l ’autre ils éliminent les textes qui les contredisent ; l’un et l’autre ils supposent sans preuve que les contemporains de Jésus sont obsédés par l’attente d ’une catastrophe cosmique. Mais grâce à l ’émouvante conviction de Johannes W eiss , grâce au talent littéraire et à l ’influence de L o is y , leurs affirmations répétées commencent à prendre aux yeux de beaucoup l ’allure d ’une vérité indiscutable.
CHAPITRE XVIir
Triomphe d’une erreur : Albert Schweitzer Avant que les idées de Johannes W eiss et de L o isy aient eu le temps de conquérir une large audience, elles étaient déjà dépassées par une synthèse encore plus logique et encore plus radicale, qui allait peu à peu les supplanter. Puisque Strasbourg avait été, grâce à R euss et à son école, la capitale de l ’eschatologisme, c ’est là que devait surgir la résultante d ’un siècle de tâtonnements progressifs. L ’Alsacien Albert S c h w e it z e r (1875-1965)* avait commencé en octobre 1893 à suivre à Strasbourg les cours de H .J . H o l t z m a n n sur les Synoptiques (Vie, p. 11-12); il les avait interrompus en avril 1894 pour son service militaire, lorsque, au cours des manœuvres d ’automne, la m éditation des chapitres 10 et 11 de M atthieu suscita en lui une explication qui lui paraissait neuve : « Jésus n ’avait pas annoncé un royaume à réaliser ici-bas par lui et les croyants, mais un royaume situé dans un monde surnaturel, dont l’avènement était proche » (Vie, p. 16)^. S c h w e it z e r poursuivit à la fois ses études de théologie, de philosophie et de musique à Strasbourg, à Paris (sous la direction d ’Eugène M é n é g o z et d ’Auguste S a b a t ie r ) et à Berlin. En 1900 et en 1902 il présenta, pour la licence puis pour l’agrégation en théologie, deux travaux sur la Cène et sur la Passion, dont seul le second fut publié, en 1901^, puis traduit en français en 1961 sous le titre : « Le secret historique de la Vie de Jésus ». Nous y trouvons déjà une synthèse vigoureuse et cohérente des idées que S c h w e it z e r reprendra et développera par la suite. Cet exposé ne contient pas de bibliographie et ne fait guère allusion aux auteurs précédents que pour les contredire. On ne peut donc pas affirmer que S c h w e it z e r soit le continuateur de l’un ou de l’autre. C ’est plutôt l’eschatolo^sm e diffus dans la théologie de Strasbourg qui a été son véritable inspirateur.
1. Il a pris la peine d'exposer iui-même son cheminement théologique dans « Ma Vie et m a Pensée ». 2. « L ’élément affectif est ici très visible, comme il est bien naturel lorsqu’on n ’a pas vingt ans et que l’on vient de commencer des études de théologie » (E. T r o c m é , p. 34). 3. Les exemplaires imprimés seraient-ils antidatés ? Ou faut-il lire 1902 à la place de 1901 ?
A. SC irW ElT ZE R
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A) Le système de Schweitzer S c h w e it z iîr '’’ suppose sans hésiter que le Royaume de Dieu est une croyance purement eschatologique et il construit inexorablement une vie de Jésus centrée sur cette illusion, que la réalité historique devait démentir. Il qualifie d ’incompréhensible, et donc il déclare inauthentique, tout ce qui dans les Evangiles n ’est pas en harmonie avec sa conception. Sans même soupçonner que sa logique personnelle puisse différer de celle d ’un Palestinien du premier siècle, il adm et comme seul critère l ’impression de cohérence que lui four nissent les textes : « Il s’agit uniquement ici d ’élaborer une construction historique (en italiques dans le texte français) aussi nécessaire q u ’inévitable dont la justesse dépend de la mesure d ’ordre et de clarté q u ’elle apporte dans les écrits synoptiques» (Secret, p. 29). De fait il aboutit (Secret, p. 193-290) à proposer une vie de Jésus qui satisfait pleinement ses postulats subjectifs, mais qui n ’est guère conforme aux données des Evangiles.
Pour les textes qui lui conviennent, il déclare : « C ’est commettre un acte de pure violence que de déclarer ces scènes comme n ’étant pas histori ques » (Secret, p. 23). Mais, à la page suivante, il écarte les données qui ne lui plaisent pas : « Seule est historique la conception qui explique comment Jésus pouvait se considérer lui-même comme le Messie» (Secret, p. 24), Et cela ne l ’empêche pas de reprocher aux autres d ’introduire « u n lien causal fictif dans la suite chronologique des récits (Secret, p. 36). Dans la « LebenJesu-Forschung » * il reproche à B r a n d t d ’employer trop souvent les formules « il serait permis », « il serait possible », « il faudrait », qui « exercent un véri table règne de terreur à travers le livre» (p. 250 en allemand, p. 257 en anglais). Et plus loin il se plaint que J ü l ic ib îr « n ’hésite pas à exclure des authentiques discours de Jésus tout ce qui ne lui convient pas » (même ouvrage ; p. 255 en allemand, p. 263 en anglais). Pourtant, lui, il essaie de montrer comment les paraboles que nous appelons « de la croissance » ne parleraient pas de « croissance », mais de « mystère » (Secret, p. 69-72). Ailleurs, à propos de la Transfiguration, il dit tout simplement : « Ainsi cet étrange pas sage interpolé...» (Secret, p. 128-129). Ailleurs (Secret, p. 144-145): «T ous les passages dans lesquel (Jésus) se dénomme avant Césarée de Philippe... « Fils de rhom m e » ne sont pas liistoriquesS>... « Les passages sus-mentionnés..., ne sont pas historiques»... « C ’est ainsi que l ’on aboutit à ces inepties philo-
4 . W .G. K ü m m el (A. Schweitzer... p. 41-46) montre que la pensée de S c h w e it z e r a été influencée plutôt par F. S p h t a et T. Z ie g l e r , qui l’un et l’autre furent ses professeurs, et par R. K a b is c h . Il reproche à ScHWErrzER de n ’avoir pas reconnu l’importance de R eüss (ibidem, p. 4 6 )... On ignore quand ScnwErrzER a pris connaissance de l’œuvre de Johannes W eiss , qu’il résume ainsi ; « Le Reich Gottes est purement futur... La prédication de Jésus était seulement eschatologique » (Leben-Jesu Forschung, p. 233-234) ; il en fait alors le plus grand éloge : « Une des plus im portantes œuvres de la théologie historique ; elle réalise comme une libération, comme la fin d ’une (période) ancienne et le commencement d ’une nouvelle » (même ouvrage, p. 233). 5. Je n ’ai pas pu me procurer « Von Reimarus zu Wrede » et j ’utilise à sa place la 4° édition de la « Geschichte der Leben-Jesu Forschung » ; je donnerai donc les références à la fois dans cette édition allemande et dans « the Quest of the Historical Jésus », qui est une traduction anglaise de « Von Reimarus zu Wrede ». 6. ' Les italiques ne sont pas de moi.
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TRIOMPHE
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logiques et historiques». Pire encore (Secret, p. 148) : « Historiques sont tous les passages où le caractère eschatologique... est effectif ; inauthentiques, tous ceux où ce n ’est pas le cas ». Et, à propos du chapitre 13 de Marc ; « Le discours comme tel est nécessairement inauthentique» (Secret, p. 187-188)... Hélas, cette méthode n ’est pas un péché de jeunesse, désavoué par la suite ; elle se retrouve, plus ou moins affichée, à travers toute t’œuvre théologique de Schweitzer ’ . Les résultats d ’une telle méthode sont faciles à présenter, car il les répète à travers tous ses ouvrages : « V o n Reimarus zu W rede» (réédité sous le titr e : « D ie Geschichte der Leben-Jesu-Forschung»), « L a mystique de l ’Apôtre Paul », « Ma Vie et ma Pensée », dans une préface à la 6 ' édition de la «G eschichte der Leben-Jesu-Forschung» datée du 19 août 1950, et encore dans « Die Idee des Reiches Gottes », écrite en 1953 et publiée, après sa mort, en 1967. Voici comment il les expose lui-m êm e: « J ’oppose à l’interprétation insoutenable donnée de la vie de Jésus jusque là, une autre conception : je le représente comme déterminé dans sa pensée, sa parole et ses actes, par l’attente de la fin imminente de ce monde et de l’avènement du Royaume messianique siunaturel. Cette interprétation est appelée « eschatologique » (du m ot grec eschatos, qui signifie le dernier) parce q u ’elle est conforme à la doctrine judéo-chrétienne traditionnelle relative aux événements devant se produire à la Fin du Monde. « De même que Jésüs n ’annonce pas que le Royaume de Dieu commence dès maintenant, mais q u ’il sera révélé dans l’avenir, il ne croit pas être déjà le Messie. Il est seulement convaincu q u ’à l ’avènement du Royaume messiani que, lorsque les élus entreront dans l ’existence surnaturelle à laquelle ils sont destinés, lui-même se manifestera comme le Messie. Cette connaissance de sa grandeur future demeure son secret. Vis-à-vis du peuple, il se présente seule ment comme celui qui annonce la venue imminente du Royaume de Dieu. Ceux qui l ’écoutent n ’ont pas besoin de savoir à qui ils ont affaire. Ils le découvriront à l’avènement du Royaume de Dieu....
7. Si l ’o n osait plaisanter, on ferait rem arquer que S c h w e it z b r , comme plusieurs autres savants allemands, anglais ou français, a oublié de résoudre une question préalable fondamentale : avant de malaxer « scientifiquement » les textes évangéliques pour en dégager une vie et un enseignement de Jésus bien logiques et enfin compréhensibles, n ’aurait-il pas fallu commencer par prouver que Jésus a vécu au 19” ou au 20° siècle, qu'il a parlé allemand, anglais ou français, et que sa logique a été structurée selon les principes de la logique allemande, ou de la lo^que anglaise, ou de la logique française (si difTérentes les unes des autres) ? Tant q u ’on persistera à localiser la vie de Jésus en Palestine et à la dater du premier siècle de l’ère chrétienne, donc à considérer Jésus comme un Oriental d ’il y a presque 2000 ans, ne devrait-on pas admettre que seuls les Orientaux de son temps sont qualifiés pour apprécier la logique de ses actions et la cohérence de sa pensée ? D ’ailleurs A. S c h w e it z e r s’en est parfaitement rendu compte : « Pourquoi ne serait pas historique ce qui nous est incompréhensible ? Ne vaudrait-il pas mieux admettre simplement que nous ne comprenons pas certains rapports d ’idée et tours d ’expression dans les discours de Jésus ? » (Leben-Jesu-Forschung, p. 335 en allemand, p. 304 en anglais). Toutes les reconstructions rationnelles des savants modernes ne ressemblent-elles pas à des fleurs artificielles, parfaitement symétriques et mécaniquement démontables ? Mais comment blâmer ceux qui préfèrent les fleurs naturelles de nos Evangiles ? Ainsi que le reconnaît E. T r o c m é , « par bien des traits, ce Jésus schweitzérien montre q u ’il appartient sans aucun doute possible aux premières années du 20 ' siècle » (p. 32)... « Le Jésus reconstitué par Albert S cirw E rrzE R au début du siècle n ’est plus aujourd’hui une ligure immédiatement accessible à nos contemporains. Comme le Jésus de R e n a n , il est devenu un chapitre de l’histoire des idées » (p. 33).
A. S C m V E IT ZE R
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« Mais son attente ( = de Jésus) ne se réalise pas. Les disciples reviennent auprès de lui sans avoir eu a subir aucune persécution. La tourmente prémessianique ne se produit pas et le Royaume ne se manifeste pas. Jésus ne peut s’expliquer ce délai que par le fait q u ’un événement particulier doit advenir auparavant. « L ’idée surgit en lui que le Royaume ne pourra être instauré que lorsque lui-même, futur Messie, aura par sa souffrance et sa m ort expié pour les Elus du Royaume et les aura ainsi délivrés de la tourmente pré-messianique». (M a vie et ma Pensée, p. 46 à 48)®. Tout lecteur de la Leben-Jesu-Forschung conviendra que telle est bien la pensée qui inspire tout l’ouvrage, avec une insistance inlassable. A, S c h w e f t z e r reproche même à Johannes W h s s et à son école « eschatologiste » de n ’être pas allés assez loin et de n ’avoir pas tiré toutes les conséquences logiques de ses théories : « La faute en est à l ’école eschatologique elle-même, car elle a utilisé son explication eschatologique seulement pour la prédication de Jésus... au lieu de l ’utiliser aussi pour éclairer toute l’activité publique de Jésus... Elle a montré que Jésus dans certains des plus importants passage de son enseigne ment pensait et parlait eschatologicalement, mais pour le reste elle a donné une présentation non-eschatologique de sa vie» (p. 390 en allemand, p. 349 en anglais)’ . S c h w e i t z e r , lui, échappe certainement à ce reproche, car c ’est toute l ’activité de Jésus, tous ses faits et gestes, q u ’il rattache à l ’Eschatologie. Ainsi il aboutit à imaginer une vie du Christ purgée de tout ce qui n ’est pas en harmonie avec son postulat fondamental (Leben-Jesu-Forschung, p. 392-443 en allemand ; p. 350-395 en anglais). C ’est pour cela q u ’il donne lui-même à ses théories le nom d ’Eschatologie c o n s é q u e n t e c ’est-à-dire d'Eschatologie radicale ou universelle (titre du chapitre 19, en allemand) En deux points surtout les conclusions dégagées par S c h w e it z e r sont particulièrement importantes ; le prédestinationisme et la morale intérimaire. d) Jésus n ’est pas m ort pour sauver le genre humain, mais pour provoquer le déclanchement de la catastrophe finale et l ’irruption du Royaume de Dieu. Il ne pensait donc pas q u ’entreraient dans ce Royaume tous les hommes, mais seulement le petit groupe de ceux qui s’y étaient préparés avec lui ; « Le prédestinationisme est une partie intégrante de l ’Eschatologie et, en fait, il a dominé la pensée de Jésus. Le Seigneur est conscient de mourir seule-
8. Cet ouvrage a été publié en allemand en 1931 et en français en 1960. 9. D ans une note, A. S c h w e itz e r répète ainsi ses critiques ; « Par l ’œuvre de Johannes W eiss: « Le plus ancien Evangile », on peut voir que l ’école eschatologique a montré une
certaine timidité en tirant les conséquences de sa reconnaissance du caractère de la prédication de Jésus et en examinant la tradition au point de vue de l ’Eschatologie... Comme si elle n ’avait pas possédé dans ses vues eschatologiques sur la prédication de Jésus une conception fondamentale qui lui mettait en main une clé pour une psychologie toute différente... » (Leben-Jesu-Forschung, p. 390, note 1 en allemand ; en anglais, p. 349, note 1). 10. A cause des différents sens du mot « conséquent » en français, il vaudrait mieux pour nous dire « Eschatologie fondamentale ». 11. La traduction anglaise porte alors : « Complet scepticisme et complète Eschatologie » (p. 328), mais il aurait mieux valu dire « ou » au lieu de « et », car ScHWErrzER ne veut pas dire q u ’il aboutit à un complet scepticisme et à une complète Eschatologie ; il veut dire au contraire que, selon lui, on doit choisir entre un complet scepticisme ou une complète Eschatologie.
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ment pour les élus. Pour les autres sa m ort ne peut servir à rien, pas même à les amener au repentir. D ’ailleurs, il ne meurt pas pour que celui-ci ou celui-là puisse entrer dans le Royaume de Dieu ; il expie les péchés pour que le Royaume lui-même puisse venir. C ’est seulement quand ce Royaume sera là que les élus eux-mêmes pourront en prendre possession» (Leben-JesuForschung, p. 436, note 1 en allemand ; p. 388, note 1 en anglais). b) La morale que Jésus prêchait n ’avait pas pour but de fournir à toute l’humanité des règles stables et un idéal permanent. Elle voulait simplement inviter le petit cercle des disciples à se détacher du monde pour accueillir sans obstacle le Royaume qui allait surgir. Cette morale n ’a donc aucune valeur pour toutes les générations qui en fait se sont succédé après la fin de l’illusion qui avait obsédé Jésus. Aussi les conseils ou les préceptes contenus dans les Evangiles ne sont q u ’une «m orale intérim aire», non adaptée à la réalité historique d ’un genre humain qui a continué à vivre sur la terre. *
♦ ♦
B) Que penser du système de Schweitzer ? Quand on essaye de dégager les bases sur lesquelles est construit un tel édifice théologique, on est fort surpris de constater q u ’elles sont bien fragiles. L ’argument décisif est au fond le même que celui qui a inspiré la « découverte » de 1894 : sans cela, on ( = S c h w e it z e r ) ne parvient pas à expliquer logique ment les paroles et les actes de Jésus. Puis une affirmation historique est cent fois répétée : Jésus ne pouvait pas ne pas partager les aspirations de ses contemporains, qui vivaient dans « u n e intense attente eschatologique» (Secret, p. 121) d ’un Royaume de Dieu qui se réaliserait lors d ’un cataclysme cosmique m arquant la Fin du Monde. Cette affirmation, dont S c h w e it z e r n ’est pas l ’inventeur, est tellement im portante que nous devons l’examiner en détail. Pour prouver que les contemporains de Jésus, et donc Jésus lui-même, étaient obsédés par l’attente d ’un cataclysme cosmique qui serait l ’irruption du Royaume de Dieu sur la terre, S c h w e it z e r invoque 4 documents*^ : les Psaumes de Salomon, le 2 ' livre de Baruch, le 4* livre d ’Esdras et le livre
d’Hé^och^^
12. A vant A. S c h w eit zer , un autre Alsacien, W . B aldensperoer , avait spécialement étudié « les espérances messianiques du Judaïsme ». Dans les pages 1 à 101 il présente (de façon rem arquable pour l’époque : en 1888 !) le développement des notions de Messianisme, d'Eschatologie et d ’Apocalyptique dans la littérature intertestamentaire, mais alors il ne parle pas du Reich Gottes. Plus loin, dans le chapitre consacré à la prédication de ce Reich Gottes (p. 107-114) il ne fournit plus aucune référence à cette littérature. Cela ne l’empêche pas d ’affirmer (p. 108), sans aucune preuve à l'appui, que « la prédication du Reich (par Jésus) a ainsi indéniablement une coloration messianiquement eschatologique ». D e tels ouvrages, qui associent indûment les notions de Reich G ottes et d ’Eschatologie, permettent d ’expliquer comment, de très bonne foi, A. S ch w eitzer a pu faire la môme confusion, et d ’autres après lui. 13. Actuellement on devrait plutôt dire, à la suite de J.T. M iu k , « les livres d ’Hénoch », puisque c’est une collection de cinq ouvrages d ’origines différentes.
A. SCHWEITZER
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1) Les Psaumes de Salomon'-^, qui semblent avoir été composés vers le milieu du premier siècle avant Jésus-Christ, parlent du sort des justes et des impies après la m ort et d ’une intervention de Dieu ( = un jugement) qui châtiera collectivement les pécheurs et délivrera les fidèles. Mais « à quelle époque aura-t-il lieu ? Le monde finira-t-il alors ? Les textes cités ne permettent aucune induction à cet égard » (J. V it e a u , p. 58). En effet on ne trouve aucun texte qui rattache la notion de Messie ou celle de Royaume de Dieu^^ à la Fin du M onde ou à un cataclysme cosmique. D ’ailleurs, après s’être appuyé sur les Psaumes de Salomon à la p. 367 de la traduction anglaise de « Von Reimarus zu W rede», A. S c h w e it z e r reconnaît loyalement à la page suivante (en anglais, p. 368, note 4) : « Les Psaumes de Salomon forment le dernier document de l ’Eschatologie juive avant la venue de Jean-Baptiste. Pour presque une centaine d'années, de 60 avant Jésus-Christ à 30 après, nous n ’avons aucune information sur les mouvements eschatologiques ! Et les Psaumes de Salomon manifestent-ils réellement un profond mouvement eschatologique au temps de la prise de Jérusalem par Pompée ? Difficilement, je pense. En étudiant la période de Jésus il faut noter que les circonstances environnantes n ’ont aucun caractère eschatologique». Malgré ces aveux^®, S c h w e it z e r en appelle plusieurs fois au témoignage des Psaumes de Salomon, au point que T.F. G l a s s o n le lui reproche en ces termes : « Cela a toujours été un mystère pour moi que S c h w e it z e r en appelle à diverses reprises (repeatedly) aux Psaumes de Salomon, comme s’ils exprimaient les vues apocalyptiques qui auraient remplacé les vues traditionnelles : ils ne font rien de tel» (p. 291). D ’ailleurs S c h w e it z e r a dû sentir lui-même cette difficulté, car le passage correspondant a été complètement remanié dans la seconde édition, publiée sous le titre « Geschichte der Leben-Jesu-Forschung ». 2) L ’Apocalypse Syriaque de Baruch, appelée aussi 2 ' livre de B aruch'^, fait allusion à la destruction du Temple (en particulier XXXII, 2-4)^®, et donc on date sa composition vers la fin du premier siècle a p r è s Jésus-Christ*’ . L ’auteur semble bien avoir subi une certaine influence chrétienne^®. Il parle longuement des catastrophes qui s ’abattront sur le monde (par exemple chap. XXVII-XXVIIl), après lesquelles viendra le Messie, qui
14. Voir, en français, l’excellent ouvrage de J. V iteau , en le complétant par A.M. D enis , p. 60-69. Bonne présentation des textes essentiels par P. G relot , p. 94-102. 15. Comme nous l’avons vu p. 87, il faudrait d ’ailleurs traduire par Royauté de Dieu plutôt que par Royaume de Dieu. 16. Les mêmes aveux sont formulés par R.H. C harles (Religious Development... p. 57) ; « (Dans) les principales autorités du premier siècle (avant J.-C.) ; Hénoch XCI-CIV, XXXVII-LXXI, I Maccabées, Psaumes de Salomon, Livre de la Sagesse... l’espoir d ’un éternel Royaume de Dieu sur cette présente terre... est maintenant, sauf dans une œuvre, absolument abandonné pour toujours ». L ’exception ici mentionnée est Hénoch XXXVIILXXI, c ’est-à-dire les Paraboles d ’Hénoch, qui seront examinées ci-dessous, p. 163-164. 17. Voir l’excellente étude de P. BooAERTet les renseignements techniques d ’A.M. D enis, p. 182-186. Les textes essentiels sont bien présentés par P. G relot , p. 185-193. 18. Voir surtout L. G r y : « La ruine du Temple... ». 19. R .H . C harles (vol. II, p. 474-476) distingue plusieurs éléments, dont certains seraient antérieurs et certains postérieurs à la destruction du Temple. Mais alors raison de plus pour ne pas interpréter les uns en fonction des autres. 20. Voir R .H . C harles , vol. II, p. 479-480; J.B. F rey , « Apocryphes... », col. 421-422.
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inaugurera une ère de prospérité (chap. XXIX), suivie par la Résurrection des justes et des pécheurs (chap. XXX). En parcourant ce texte sans idée préconçue on constate à l ’évidence que les cataclysmes prévus ne surviennent pas à la Fin du Monde, mais au contraire à la fin d ’une période de péchés et avant le début d ’une période de prospérité^ Si donc Jésus s’était inspiré de ce tableau, il faudrait en conclure que ses prédictions ont bien été conformes à la réalité ; les épreuves annoncées sont celles de la guerre des Juifs contre les Romains ; la période de prospérité est la vie de l ’Eglise ; la Résurrection Générale se produira à la Fin du Monde... En somme l ’interprétation admise par S c h w e it z e r est anti-scientifiquc sur plusieurs points : a) L ’Apocalypse Syriaque de Baruch ne parle ni du Royaume de Dieu ni du Royaume du Messie^ ^ ; b) Quand elle parle de la prospérité messianique elle la décrit comme un état purement terrestre, c) Même si l ’on supposait q u ’elle considère cette prospérité messianique comme le « Royaume de Dieu », on devrait reconnaître q u ’elle ne conçoit nullement les terribles épreuves préparatoires comme l ’agonie de notre monde terrestre, mais au contraire comme la naissance de ce monde à sa véritable vie terrestre. Cette Apocalypse Syriaque de Baruch envisage l ’avenir exactement comme les documents de Qumrân, bien q u ’elle soit plus récente. Voici comment A. S c h w e it z e r raisonne à son sujet ; « Comme l ’Apoca lypse de Baruch remonte à la période qui a suivi la destruction de Jérusalem, on peut supposer (sic) que cette association d ’idées était courante également dans l’apocalyptique juive du temps de Jésus. Il y a là un élément pour comprendre historiquement et en accord avec les idées du temps le secret du Royaume de Dieu dans les paraboles de la Semence et de la M oisson»... (Leben-Jesu-Forschung, p. 409-410, note 1 en allemand ; p. 361, note I, en anglais)^^. 3) Le Quatrième Livre d'Esdras (parfois aussi appelé « Apocalypse d ’Esdras »)^"^ est un ouvrage apparenté à l ’Apocalypse de Baruch et qui, lui aussi, a été composé quelque temps après la destruction du Temple et de Jérusalem, q u ’il décrit longuement (de IX ,38 à X,50). Pour lui comme pour l ’Apocalypse de Baruch, on pourrait récuser son témoignage, car les événe ments de 70 après Jésus-Christ ont tellement bouleversé la pensée juive que les perspectives d ’avenir ont dû en subir le contre-coup et donc que celles qui étaient en vogue vers l ’année 100 ne remontaient peut-être pas au temps
21. P. VoLZ sans son « Eschatologie de la comm unauté juive » l ’avoue candidement : « Il est digne de rem arque que dans l'Apocalypse d ’Esdras et dans celle de Baruch on ne parle pas explicitement de ce Règne de Dieu sur le monde, qui commencera avec le nouvel Eon » (p. 172). 22. En LXXVII,25 il s’agit du règne de Salomon et en L X X III,! le sens est purement adjecùval « son trône royal ». En X XXIX,7 et en X L ,3 le terme syriaque « ry Syt » semble avoir le même sens que le grec « arche », c ’est-à-dire « autorité », « primauté » (voir la note de K mosko , col. 1128). Le travail sur l ’Apocalypse Syriaque de Baruch est grandement facilité par la concordance de K mosko . 23. La traduction anglaise ajoute ensuite (sans doute en accord avec la première édition allemande) : « L ’interprétation eschatologique est immensément (sic) fortifiée par ces parallèles ». 24. V oir l ’étu d e de L. V aoanay . U ne copieuse bibliographie, ju sq u ’en 1970, est fournie p a r G .B . C ole ,m an , p. 92 à 106. B onne p résentation des passages principaux chez P. G relot , p. 176-185.
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de Jésus^*. Mais n ’insistons pas sur cet argument et supposons que le Qua trième Livre d ’Esdras soit un témoin valable pour le temps de Jésus. Relevons plutôt l ’aveu de L. V a g a n a y (p. 94) : « II est toutefois remar quable que les expressions de « royaume, roi, royauté », si fréquentes dans les écrits juifs de cette époque (Ps(aumes de) Sal(omon) V, 18 ; Hén(och) c m , 1)^®, ne se trouvent pas une fois dans notre apocalypse ( = ce Quatrième Livre d ’Esdras)». Comment donc utiliser un ouvrage qui ne parle jam ais du Royaume de Dieu pour prouver que ce Royaume de Dieu est identifié avec la Fin du M onde imminente ? Mieux encore ; L. V a g a n a y signale que cet ouvrage « est très réservé lorsqu’il s’agit de préciser la date de la Fin du M onde» (p. 72). D ’ailleurs l’auteur du Quatrième Esdras reconnaît explici tement q u ’il ignore la date de cette Fin du M onde^’ : IV, 44 et V, 13. En fait l’auteur, après la ruine de Jérusalem et du Temple (IX, 38 à X, 50), s’engage dans une longue allégorie sur un aigle, qui symbolise clairement l’empire romain (XI, 1 à XII, 35), puis il fait intervenir un lion, c ’est-à-dire le Messie, qui renverse cet empire et rétablit le peuple d ’Israël dans sa vraie patrie (XII, 31 à XII, 40). Comment tirer de cela l ’identification du Royaume de Dieu avec un cataclysme imminent, qui sera la Fin de ce Monde terrestre ? 4) Le Livre d ’Hénoch^^ est en fait la réunion de cinq ouvrages différents, qui forment une sorte de Pentateuque ; le livre des Veilleurs (chap. I à XXXVI), le livre des Paraboles (chap. XXXVII à LXXI), le livre de la Révolution des Luminaires (chap. LXXII à LXXXII). Le livre des Songes (chap. LXXXIII à XC), le livre de l ’Exhortation (chap. XCI à CVIII). A Qumrân^ ^ on a retrouvé 12 manuscrits, qui contiennent des fragments d ’à peu près tous les chapitres, sauf les chap. XXXVI à LXXI, correspondant au livre des Paraboles, lequel est remplacé par un autre livre, celui des Géants (6 manuscrits à Qumrân, dont un semble contenir à la fois le livre des Veilleurs, le livre des Géants et le livre des Songes). Depuis cette découverte les savants adm ettent généralement^*^ que le livre des Paraboles d ’Hénoch, qui est lui-même l’œuvre d ’un Chrétien, fut inséré là pour remplacer le livre des Géants, inacceptable pour des Chré tiens. Ces Paraboles d ’Hénoch deviennent ainsi un précieux témoin de la littérature chrétienne primitive^ \ mais elles ne peuvent plus nous documenter directement sur la pensée du judaïsme pré-chrétien.
25. « Répétons le ; le judaïsme qui a survécu à la destruction de Jérusalem n ’était pas le même que le Judaïsme antérieur » (R.H. C h a r l e s , Religious Development... p. 35 ; les italiques ne sont pas de moi). 26. Ainsi, pour prouver que ces expressions sont « si fréquentes », on n ’allègue que deuxréférences, et encore sont-elles fausses l’une et l ’autre, comme chacun peut le constater ! 27. Comme Jésus en Marc 12,32 ( = Matthieu 24,36) et dans les Actes 1,7. 28. Longue bibliographie, jusqu’en 1970, par G.B, C olxman, p. 62 à 86. Voici le jugement de R bnan sur cet ouvrage : « B r u ce , qui a rapporté d ’Abyssinie le livre d ’Hénoch. L aurence , M urray et A.G. H offm ann , qui en ont élaboré le texte, auront plus avancé l’œuvre ( = l ’his toire des Origines du christianisme, qui révolutionnerait la pensée) que Voltaire flanqué de tout le X V III' siècle » cité par P. A lfaric p. xxxv. 29. Voir la récente édition, par J.T. M ilik , des fragments trouvés à Qumrân. On reproche parfois à M i l i k d ’avoir abusé des restitutions hypothétiques, aussi nous aurons soin de ne tenir compte que des passages réellement attestés. 30. Les exposés les plus récents sont ceux de M . B lack dans Expository Times d ’octobre 1976, de J.H. C harlesw orth , M.A. K nibb et C .L . M earns , dans New Testament Studies d ’avril 1979. 31. La date exacte de composition n ’est pas encore certaine : M i l i k la place à la fin du 3 ' siècle après Jésus-Christ (p. 91-98) ; plusieurs autres spécialistes préfèrent la fin du 1 " siècle ou le début du 2 ' siècle après Jésus-Christ.
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Or, c ’est surtout dans ce livre des Paraboles que figurent les textes allégués jadis en faveur de la connexion entre le Royaume de Dieu et la Fin du Monde^^. Certes, nous ne pouvons pas reprocher aux historiens des générations précédentes de n ’avoir pas eu le bonheur de connaître les découvertes de Qumrân. Du moins devons-nous abandonner sans hésiter les positions q u ’ils auraient eux-mêmes abandonnées, s’ils avaient eu entre les mains ces précieux documents. Cependant nous pouvons aller plus loin et penser que même à la fin du siècle et au début du x x ' on n ’aurait pas dû s’appuyer sur le livre des Paraboles d ’Hénoch : a) Certains critiques, depuis H il g e n f e l d en 1857, avaient déjà reconnu que ce livre des Paraboles était d ’origine chrétienne*^. b) Tout lecteur attentif aurait dû s’apercevoir que l ’on n ’y parle jam ais du Royaume de Dieu : en LXV, 12 il s’agit de la royauté de Noé ; en XLI, 1 « le royaume » qui « sera partagé » sera certes un royaume de prospérité, mais rien ne prouve q u ’il s ’agisse du Royaume Messianique*'^ ni surtout du Royaume de Dieu, c) Le Jugement des bons et des méchants ne peut pas être identifié au Jugement Dernier de l’Evangile, car il ne se produit pas à la Fin du Monde, mais au début ou bien an milieu de l’ère de justice et de prospérité, d) Cette ère de prospérité concerne la vie terrestre et ne s’identifie donc pas à la vie céleste prévue par l’Evangile tout de suite après la Résurrection Générale et le Jugement Dernier, é) Aucun texte n ’associe explicitement un cataclysme, la Fin du Monde et le Royaume du Messie (et encore bien moins le Royaume de Dieu) ; or c ’est précisément cette association qui est indispensa ble pour fournir un argument en faveur de l ’Eschatologie. X IX '
Si donc les savants ne s’étaient pas laissé entraîner par leur imagination, ils n ’auraient jam ais dû invoquer les Paraboles d ’Hénoch à l ’appui de leur identification du Royaume de Dieu (au sens de l’Evangile) avec la Fin du M onde (au sens de l ’Evangile). Les autres parties du Livre d ’Hénoch sont encore moins probantes*’. Dans le livre des Veilleurs, le Jugement de Dieu est certes décrit en termes évocateurs, mais il inaugure simplement une ère de prospérité terrestre (X, 16-22), qui est en somme un retour au Paradis de la Genèse (XXIV-XXV ; XXVIII-XXXII). Dans le livre des Luminaires rien ne nous concerne. Dans le livre des Songes, où l’histoire du monde est décrite symboliquement, rien de précis n ’est annoncé pour l ’avenir (XC, 17-39) : après la punition des impies (XC, 17-27) sera inaugurée la nouvelle Jérusalem (XC, 2 8 -3 6 ), où naîtra un personnage merveilleux (XC, 37 -38). Dans le livre de l’Exhortation,
32. La bonne synthèse de P. G r e l o t présente les Paraboles d ’Hénoch aux p. 152-167 et les autres parties du livre bien plus tôt, aux p. 43-51. 33. La liste précise de ces auteurs est fournie par F. M a rtin , p. lxxxtx-x c . 34. D ’autres passages d ’Hénoch placent l’ère de prospérité avant la venue du personnage que nous identifions au Messie : voir F. M a rtin , p. XLvn et l- u . 35. Dans les fragments araméens découverts à Q umrân, le terme malkou(t) n ’est signalé que deux fois : en XCIII,13 M ilik le restitue dans une lacune, mais aucune des trois lettres du radical n ’est vraiment visible (manuscrit g, fragment 1, col. IV, ligne 18, p. 266 et 361); dans le livre des Géants (manuscrit a, fragment 9, ligne 6, p. 316) on lit clairement « ton royaume glorieux », mais entre deux lacunes et sans aucun contexte utilisable.
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au contraire, la nouvelle Jérusalem semble présente dès avant le Jugement, mais celui-ci est suivi de « nombreuses semaines » ( = périodes) « dans la bonté et la justice» (XC, 13-17)®*. Par un extraordinaire paradoxe, S c h w e it z e r lui-même, dont la sincérité et la loyauté sont évidentes, ne se fait aucune illusion sur les lacunes de son information historique : « Nous ne savons pas si l’attente du Messie était générale ou si c ’était la foi d ’un simple conventicule... En outre, si l ’espérance eschatologique était générale, était-ce sous la forme prophétique ou sous la forme apocalyptique^’ ?... Nous ne savons pas quelle était la forme popu laire... Nous connaissons seulement la forme d ’Eschatologie contenue dans les Evangiles et dans les Epîtres de P aul» (Leben-Jesu-Forschung, p. 8 en allemand et en anglais...)^®. ♦ * *
C) Jugement par les contemporains d e Schweitzer G. S e a v e r (p. 197-205) et W.G. K ü m m el ont eu la bonne idée de relever, pour l ’Angleterre et pour l ’Allemagne, les jugements des contemporains de S c h w e it z e r sur son « Eschatologie conséquente ». En Angleterre, S c h w e it z e r n ’a trouvé un écho favorable que chez \V. S a n d a y (qui s’est rétracté peu après), chez F.C. B u r k it t (qui lui aussi était bon musicien), chez deux recenseurs anonymes (dont un Irlandais) et chez le catholique G. T y r r e l l (excommunié pour modernisme) ; par contre J.M. R o b e r t s o n dit sans ambage : « Il n ’est pas nécessaire de discuter en détail un théorème qui en définitive dresse une pyramide sur sa pointe, avec plus
36. J ’avais déjà rédigé ce passage quand j ’ai pris connaissance de l’étude de M. L attke « sur la préhistoire juive du concept de Règne de Dieu chez les Synoptiques »(enl975). L ’auteur commence par affirmer que « depuis les travaux de J. W eiss et de S chw eitzer on ne peut plus contester sérieusement que, pour Jésus, le concept de Reich Gottes était un concept fortement eschatologique » (p. 10). Et cependant il est bien obligé d ’avouer que le R è ^ e de Dieu ne joue aucun rôle dans le Quatrième Livre d ’Esdras et dans l ’Apocalypse Syriaque de Baruch (p. J5) et presque aucun dans le Livre des Jubilés, car il n ’est mentionné q u ’en 1,28, où Dieu est présenté comme « roi sur la montagne de Sion pour toute l’éternité » (p. 19). Parmi divers textes plus ou moins douteux et sans grande signification, les seuls témoignages positifs qu’il relève sont ceux de Daniel et des livres des Maccabées (p. 16-17 et 22), qui sont du 2 ' siècle avant Jésus-Christ, ceux des Paraboles d ’Hénoch (p. 19), qu’il date encore du premier siècle avant Jésus-Christ, car il ne pouvait en 1975 connaître l’ouvrage de M ilik paru en 1976, ceux des Psaumes de Salomon (p. 23), où Dieu est présente comme un roi gouvernant politiquement le monde, et ceux de textes rabbiniques postérieurs au Christianisme (p. 24)... 37. S ch w eitzer veut dire : est-ce que cette espérance eschatologique s’appuyait sur les prophètes de la Bible ou sur des révélations postérieures 7 38. Plus loin la traduction anglaise contient des aveux significatifs (p. 365-366) : « \jn littérature rabbinique ne peut guère nous aider à comprendre le monde de pensée dans lequel Jésus a vécu... Quelle est, après tout, l ’Eschatologie juive ? C ’est une Eschatologie avec une grande lacune au milieu, parce que la période principale, avec les documents qui s’y rapportent, a été laissée de côté. Le véritable historien décrira l’Eschatologie du Baptiste, celle de Jésus et celle de Paul de façon à expliquer l’Eschatologie juive ». Mais la seconde édition allemande est profondément remaniée (p. 364-371) et ces phrases ne s ’y trouvent plus.
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d ’assurance que tous ceux qu’il critique»^® ; et R.H. C h a r l e s : « Les études de ScHW fiTZER sur l ’eschatologie m ontrent q u ’il n ’a aucune connaissance des documents originaux et à peine des travaux de première main faits sur ces documents ; et T. W. M a n s o n : L ’Eschatologie radicale de S c h w h t z e r « dépend d ’un usage absolument non-critique des Evangiles, surtout du prem ier» (conférence de 1949, publiée dans Studies..., p. 8). En Allemagne, c'est un concert de réprobation : H .J . H o l t z m a n n , ancien professeur de S c h v v e it z e r , lequel lui avait dédié son premier livre, parle de « la malheureuse aventure imputée à Jésus par la fantaisie eschatologique de Sctrw E iT Z E R ». J ü l ic h e r l’appelle un «historien poète», présente son œuvre comme « un roman ahurissant d ’originalité» ou comme « le fruit d ’une imagination débordante et d ’une forte volonté de persuasion», lui reproche « une violation des lois et règles de la recherche historique (qui) ne peut guère être poussée plus loin », et résume ainsi sa pensée : « une critique qui veut prononcer un jugem ent sur des événements d ’un passé si lointain, sans avoir auparavant tout fait pour connaître à fond la tradition sur ces événements, ne saurait prétendre être réfutée ; c ’est une critique dogmatique, non historique ». P. W e r n l e va encore plus loin. : « Il manque ici jusqu’à l’ABC de la connaissance des règles de la critique historique», c ’est une « destruction et une violation effroyable des sources, comme nous n ’en avions plus vue depuis des dizaines d ’années »"^^. Plus étonnant encore ; H. G r o o s , qui cherche à présenter équitablement «les grandeurs et les limites de ScHW EiTZER» dans un gros ouvrage de 841 p a g e s r a p p o r t e de semblables appréciations et reconnaît « incontestablement » que de tels jugements sont « tout à fait justifiés » (p. 137) ; il ajoute même que « pour un théologien qui se pique de science et qui a tant d ’esprit critique, (sa) position (est) pleinement incompréhensible et presque incroyable» 137). C ’est seulement plus tard, sous l ’influence de la Formgeschichte'^'*, que ScHWEiTZER sera suivi par des disciples enthousiastes, comme Friedrich H e il e r , qui voit en lui « le Copernic de la théologie moderne » (p. 3), comme Emil B r u n n e r , g . A u l é n et Walter N ig g : en 1937, par exemple, ce dernier saluera
l ’Histoire des Recherches sur la Vie de Jésus comme « u n des livres les plus im portants qui aient jam ais été écrits» (citation par H. G r o o s , p. 7 8 -8 0 ). Mieux encore : en 1941 M artin W e r n e r adm irera en S c h w e it z e r « le dénouement d ’un complexe historique, dans lequel par un minimum de pures hypothèses un maximum de traditions synoptiques peut être mis en ordre de façon convenable» ; il ira même jusqu’à dire : « L a construction de
39. G . S eaver , qui donne les références pour ces auteurs, omet d ’en donner une pour ririan d ais et pour R obertson . 40. Texte et référence chez T .F. G l a s s o n , p. 296. 41. Les références à ces a u te u rs so n t fournies p a r K ümmel , p. 64-65.
42. Béda R i g a u x apprécie en ces termes l’ouvrage de H. G r o o s ; « Sa présentation de A. SCHWErrzER est en tout cas ce que nous possédons de mieux et de plus équilibré » (p. 17, note 42). 43. Et peut-être aussi sous l’influence d ’une très juste adm iration pour les talents musicaux de ScH W ïrrzE R et pour son merveilleux dévouement à l ’hôpital de Lambaréné en Afrique Equatoriale.
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l’Eschatologie conséquente est historiquement si brillamment prouvée et justifiée q u ’elle doit être reconnue comme la solution définitive du problème du Jésus historique et du Christianisme prim itif» {citations de H. G r o o s , p. 247). A l’opposé, F.T. G l a sso n , se dem andant si l’influence de S c h w e it z e r avait été un bienfait ou un fléau, répondait ainsi : « Pas un seul des documents q u ’il invoque n ’est valable. C ’est un mystère que la façon étonnante par laquelle cette théorie sans fondement a dominé l ’interprétation des Evangiles pendant 70 ans » (p. 294). Et plus loin : « Quiconque examinera soigneusement cette littérature (intertestamentaire) verra q u ’en somme (l’interprétation de S c h w e it z e r ) est un travestissement des faits... Toute cette tendance a eu, à mon avis, un lamentable effet sur la science du Nouveau Testament » (p. 299). U n juge aussi bienveillant que B. R i g a u x reconnaît de son côté : « L ’idée qui s’est imposée à S c i w e i t z e r touchant l ’Eschatologie de Jésus a sans doute emprisonné son héros dans les limites étroites d ’une création pureménl subjective» (p. 17). ♦ « * D) Excuses en faveur de Schweitzer Mais alors, si l’œuvre théologique de S c h w e it z e r est affectée par de telles erreurs fo n d a m e n ta le s c o m m e n t expliquer qu’elle ait suscité des admirateurs, parfois enthousiastes, et q u ’elle ait exercé une vaste influence, qui est encore bien vivante de nos jours ? Invoquer les aveuglements de la mode et de l’instinct grégaire n ’est pas suffisant, car il faudrait aussi expliquer que cette mode de l ’eschatologie radicale ait pu être lancée par des disciples, dont on ne doit pas suspecter la bonne foi. Q u’est-ce qui a empêché tant d ’esprits lucides d ’apercevoir les sophismes de S c h w e it z e r ?■** A utant q u ’on puisse en juger, trois facteurs (en plus des évidentes qualités littéraires de l’exposé) ont contribué à endormir la vigilance de bien des esprits critiques. a) La méthode de S c h w e it z e r est radicalement inacceptable, parce qu’elle récuse comme Inauthentiques les textes qui la gênent et q u ’elle ne retient que les textes qui parlent en sa faveur. Mais, hélas, ce vice de méthode a été fort répandu au début de ce siècle et il n ’est pas encore définitivement exclu des recherches théologiques. S c h w e it z e r ne se prive d ’ailleurs pas de le signaler souvent dans les travaux q u ’il combat. Beaucoup d ’esprits donc, qui n ’ont pas une form ation historique suffisante, sont tellement habitués à voir traiter avec désinvolture les paroles des Evangiles qu’ils ne pensent pas à demander chaque fois des arguments décisifs (et qui ne soient pas d ’ordre théologique, sous peine de cercles vicieux) pour justifier l ’élimination de telle ou telle donnée évangélique. Sans le savoir ni le vouloir, ils sont dupes d ’une crédulité q u ’on n ’accepterait en aucune autre science, mais q u ’on accepte trop souvent en théologie biblique'**. 44. H. G r o g s lui reproche aussi de trop négliger la critique littéraire. Mais c ’est là un problème qui nous mènerait trop loin (p. 138-145). 45. H. G roos se pose la m êm e question, m ais sa réponse est assez confuse (p. 250-260), 46. Est-ce parce que, plus ou moins consciemment, on refuserait de considérer cette théologie comme une véritable science ?
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b) Les exposés de S c h w e i t z e r supposent une continuelle confusion entre Règne de Dieu et Royaume de Dieu, entre Messianisme et Apocalyptique, entre Apocalyptique et Eschatologie, entre Jugement et Fin du Monde. Le mélange de ces différentes notions, dont il ne donne pas une définition précise, lui permet de jongler inconsciemment avec les textes et de les interpréter plus ou moins à sa guise. Malheureusement, les mêmes confusions sont extrêmement fréquentes, non seulement chez les théologiens ordinaires, mais chez les spécialistes eux-mêmes. Combien sont habitués à distinguer claire ment Apocalyptique, Messianisme et Eschatologie '? Ainsi, bien des sophismes sont passés inaperçus aux yeux de S c h w e i t z e r et trop souvent ses lecteurs n ’ont pas été capables de les relever et de les critiquer”*^''. c) L ’a rg u m e n t f o n d a m e n ta l d e S c h w e i t z e r e s t q u e Jé s u s d e v a it p a r ta g e r les idées des Juifs de son temps, q u i to u s a tt e n d a ie n t la d e s tr u c tio n d u m o n d e p ré s e n t e t l ’in s ta u r a tio n d u R o y a u m e d e D ie u . C e t a r g u m e n t e s t r é p é té a v e c u n e te lle a s s u ra n c e q u e l ’o n o u b lie d ’e n d e m a n d e r la p re u v e . D ’a ille u rs S c h w e i t z e r re n v o ie p a rf o is g lo b a le m e n t à la litté r a tu r e in te r te s ta m e n ta ir e e t d ’a u tr e s fo is il sp écifie, c o m m e n o u s l ’a v o n s v u , q u ’il s ’a p p u ie s u r les P s a u m e s d e S a lo m o n , s u r l ’A p o c a ly p s e d e B a ru c h , s u r le Q u a triè m e L iv re d ’E s d ra s e t s u r le L iv re d ’H é n o c h . B e a u c o u p d e le c te u rs , e t m ê m e d e th é o lo g ie n s , n ’o n t q u ’u n e c o n n a is s a n c e tr è s s o m m a ire d e c e tte li tté r a tu r e e t d e ces o u v ra g e s . Ils a d m e tte n t d o n c s u r p a ro le les c o n s é q u e n c e s q u ’e n tire S c h w e it z e r , s a n s ê tr e e n m e s u re d e le s v é rifie r. S c h w e it z e r lu i-m ê m e , p lu s p e n s e u r q u ’h is to rie n , n e s e m b le p a s n o n p lu s les a v o ir v érifié e s d e p rè s e t l ’o n a l ’im p re s s io n q u ’il f a it c o n fia n c e , les y e u x fe rm é s , a u x a ff irm a tio n s q u ’il a e n te n d u f o r m u le r a u t o u r d e lu i, p e n d a n t ses é tu d e s à S tr a s b o u rg . Mais n o u s avons vu q u e ces a ff irm a tio n s , à tr a v e r s R eu ss e t S t r a u s s , r e p o s a ie n t e n d é fin itiv e s u r d e u x c ita tio n s s a n s p o rté e d é m o n s tr a tiv e p ré s e n té e s p a r R e im a r u s (c i-d e ssu s, p . 139) e t n o u s a v o n s c o n s ta té q u ’a u c u n d e s q u a tr e o u v ra g e s a llé g u é s p a r la s u ite n e c o n s titu e u n e p re u v e v a la b le (c i-d e ssu s, p . 160-165). M aintenant q u e les m a n u s c rits d e la Mer M orte n o u s o n t d o c u m e n té s d e fa ç o n in e s p é ré e s u r la p é r io d e in te rte s ta m e n ta ire , n o u s d é c o u v ro n s q u e les c o n te m p o r a in s d e J é s u s n ’a tte n d a ie n t n u lle m e n t u n e F in d u M o n d e e t u n R o y a u m e d e D ie u te ls q u e les im a g in a it S c h w e it z e r (e t a v a n t lu i J o h a n n e s W eiss ). Mais, a u d é b u t d e ce siècle, e t j u s q u ’à u n e d a te a sse z ré c e n te , p re s q u e to u s le s th é o lo g ie n s , à p a r t q u e lq u e s s p é c ia liste s , p o u v a ie n t d e b o n n e fo i im a g in e r q u e la m e n ta lité « e s c h a to lo g iq u e » q u ’ils s u p p o s a ie n t a v a it ex is té v r a im e n t e n P a le s tin e v e rs le d é b u t d e l ’è re c h ré tie n n e .
En somme, nos prédécesseurs sont tout à fait excusables d ’avoir admis cette erreur. C ’est nous qui ne serions plus excusables si nous persistions à la soutenir"^®.
47. Que penserait-on d ’un mathématicien qui dirait : « Treize fait partie de la seconde dizaine ; dix-sept fait aussi partie de cette seconde dizaine ; donc 13 = 17 » ? P ourtant certains arguments d ’une pseudo-théologie sont construits sur ce type. 48. Comme il est convenu p. 137, cette étude ne considère que les répercussions de l ’Eschatologie sur la pensée d ’A. ScHWErrZER ; sur d ’autres points l’appréciation d e \ T a i t évidemment être plus favorable.
CHAPITRE XIX
Logique d’une erreur : Rudolf Bultmann Rudolf B u l t m a n n * fut à M arburg un fervent disciple de Johannes W eiss , comme il le rappelle en 1939 dans un article consacré à la mémoire de son maître^. Plus tard, dans des conférences faites aux Etats-Unis en 1951 et publiées en 1958, il expose à merveille sa dépendance envers Johannes W eiss et A. ScHWEiTZER : « En 1892 parut l’ouvrage de Johannes W eiss , La prédication de Jésus sur le Royaume de Dieu. Ce livre, qui fit date, réfuta l ’interprétation générale ment admise jusqu’alors. W eiss m ontra que le Royaume de Dieu n ’est pas immanent au monde, q u ’il ne se développe pas sous la forme d ’un élément du devenir historique, mais qu’il est eschatologique, c’est-à-dire que le Royaume de Dieu se situe au-delà de l ’ordre historique. Ce n ’est pas l’effort de l’homme, mais seule l ’action surnaturelle de Dieu qui le fera apparaître. Dieu mettra subitement fin au monde et à l’histoire, et II apportera un monde nouveau, le monde de l ’étemelle félicité. « Loin d ’être une invention propre à Jésus, cette représentation du Royaume de Dieu était familière à certains cercles juifs qui attendaient la fin de ce monde. C ’est dans la littérature apocalyptique juive que l ’on trouve la description du drame eschatologique ; le livre de Daniel est le plus ancien témoignage que nous possédions. La prédication de Jésus s’écarte des descrip tions typiquement apocalyptiques du drame final et de la félicité du temps nouveau à venir, dans la mesure où Jésus s’abstient d ’en faire des descriptions détaillées. Il se borna à affirmer que le Royaume de Dieu allait venir et que les hommes devaient se préparer à affronter le jugement à venir. Par ailleurs, il partageait l ’attente eschatologique de ses contemporains. Aussi enseigna-t-il
1. L a liste des œuvres de R, B ultm ann est donnée par A. F ridrichsen jusqu’en 1943 et par Erich D inkiæ r dans Exegetica, p. 483-507, jusqu’en 1967. Une copieuse bibliographie sur B ultm ann est rassemblée par G . B ornkamm , p. 173-184. Enfin une liste aussi complète que possible des études sur B ultm ann est donnée par M anfred K w ir a n . 2. « Johannes W ess zum Gedâchtnis »,
170
LOGIQUE d ’u n e ERREUR
cette prière à ses disciples : Que Ton nom soit sanctifié, que Ton règne vienne, que Ta volonté soit fa ite sur la terre comme au ciel (M t 6, 9b-10). « Jésus s’attendait à ce que son espérance se réalisât bientôt, dans l ’avenir immédiat ; il dit que le crépuscule (sic) de ce temps pouvait déjà être observé dans les signes et les miracles q u ’il accomplissait, notam m ent dans l ’exorci sation q u ’il faisait lui-même des démons. Jésus se représenta l ’avènement du Royaume de Dieu comme un violent drame cosmique. Le Fils de l’Homme devait venir sur les nuées du ciel, puis les morts ressusciteraient et le jo u r du jugem ent se lèverait ; c ’est alors que commencerait pour les justes le temps de la félicité, tandis que les damnés seraient livrés aux peines infernales. « Lorsque je commençai mes études de théologie, aussi bien les théologiens que les laïcs étaient alors bouleversés et effrayés par les théories de Johannes W e iss . Je me rappelle ce que disait mon maître Julius K a f t a n , alors professeur de dogmatique à Berlin : « S i Johannes W eiss a raison, si vraiment l ’idée du Royaume de Dieu est eschatologique, il est alors impossible d ’en faire usage en dogm atique». Les années suivantes, les théologiens, Julius K a f t a n y compris, furent de plus en plus convaincus que W eiss avait raison. Puis-je me permettre de mentionner ici Albert S c h w e it z e r , qui poussa cette théorie à l’extrême ; il soutint que non seulement la prédication et la conscience que Jésus avait de lui-même furent dominées par une attente eschatologique, mais aussi sa vie quotidienne elle-même : cette attente devenait ainsi l ’équivalent d ’un dogme eschatologique prépondérant. « A ujourd’hui, personne ne doute que la conception de Jésus du Royaume de Dieu est eschatologique, — tout au moins dans la théologie européenne, et, pour autant que je puisse m ’en rendre compte, parmi les spécialistes américains du Nouveau Testament. Il apparaît même avec toujours plus d ’évidence que l ’attente et l’espérance eschatologiques constituent le noyau de la prédication néotestam entaire» (Jésus-Christ et la mythologie, p. 187-188). B u l t m a n n connaissait fort bien les œuvres de J. W eiss et d ’A. S c h w e it z e r , puisque, dès 1908, il recensa la traduction du Nouveau Testament de J. W eiss (M onatsschrift, p. 156) et, en 1910, un autre opuscule du même auteur (Christlichfr Welt, col. 861). Puis, en 1914, un an après la parution de la « Geschichte der Leben-Jesu-Forschung » d ’A, S c h w e it z e r , il recensa égale ment avec les plus grands éloges ce « livre extraordinaire », dont il adm irait la puissance de choc (Christliche Welt, col. 643-644). B u l t m a n n , qui est un philosophe et un théologien^, est aussi un spécialiste d ’exégèse'^ et son premier ouvrage im portant a été « L ’Histoire de la
3. D ans son « Essai pour Comprendre B ultm ann », Karl B arth se demande si B ultma -Nn est un rationaliste (p. 176-177), ou un apologète (p. 177-178), ou un historien (p. 178-180), ou un philosophe (p. 180-181), ou un théologien luthérien (p. 181-184). 4. Voici comment Karl B arth juge l’exégèse de B ultmann : « B ultmann est un exégète. Mais je ne pense pas qu’on puisse discuter avec lui au niveau de l’exégèse, parce q u ’il est en môme temps un systématicien dont l’envergure est telle q u ’il semble q u ’il n ’existe pas un seul texte biblique q u ’il ne traite sans q u ’apparaissent au premier plan certains axiomes de sa pensée — si bien que tout est finalement lié à la validité de ces axiomes » (Dogmatique, vol. III, tom e u, 2* partie, p. 130).
R . BULTM AKN
XT^l
Tradition Synoptique» en 1921*. C ’est là q u ’il étudie la valeur des textes sur lesquels repose son édifice théologique®. Selon des critères d ’une extrême subtilité (et subjectivité), B u l t m a n n distingue dans les Evangiles Synoptiques : a) une ancienne tradition juive, qui peut être antérieure à Jésus ; b) un noyau prim itif qui remonte à Jésus ; c) des formations de la communauté primitive, palestinienne ; d) des forma tions de la communauté hellénistique ; e) le travail rédactionnel de Marc, ou de la Source Commune à M atthieu et Luc, ou de M atthieu, ou de Luc. Cette méthode, appliquée aux textes synoptiques recensés ci-dessus, p. 23-63, donne les résultats suivants’ ; a) Peuvent provenir de la tradition juive : M atthieu 13,24.47.52 ; 25,34. b) Ancienne sentence reprise par la tradition chrétienne ; M arc 9,47. c) Remontent à Jésus lui-même® : Marc 10,14-15 ; M atthieu 19,12 ; Luc 9,62 ; 13,20 : 17,20-21^ ; la source de M atthieu 12,28 (et de Luc 11,20)^® ; peut-être M atthieu 21,31 d) Fait historique devenu ensuite une légende messianique : M arc 11,10. e) Proviennent de la communauté primitive : M atthieu 11,12-13 ( = Luc 16,16) ; Luc 1,33 ; peut-être Marc 4,26. / ) Résulte des discussions entre la communauté palestinienne et la communauté hellénistique : M atthieu 5,19. g) Provient de la communauté hellénistique : M arc 14,25, h) Form ations de la communauté : M arc 9,1 ; 10,25 ; la source de M atthieu 5,3 (et de Luc 6,20) ; la source de M atthieu 10,7 (et de Luc 9,2) ; la source de M atthieu 11,11 (et de Luc 7,28) ; M atthieu 16,19^^ ; 25,1 ; Luc 4,43 ; 8,1 ; 9 ,1 1 ; 14,15; 22,29-30.
I:
5. Traduction française par A. M a l e t . 6. Q u’on ne dise surtout pas que ce sont là des opinions de jeunesse, que B ultmann aurait corrigées par la suite : après la première édition dcl'H isto ire de la Tradition Synoptique, parue en 1921, B ultm ann n ’a modifié dans la seconde, en 1931, que « des éléments de détail » (préface), puis il l’a rééditée sans changement ju sq u ’à la fin de sa vie (8 ' édition en 1970); à partir de 1958 il l’a complétée par un Erganzungsheft, qui s’est accru jusqu’en 1971, mais ce supplément, qui rapporte les avis, souvent contradictoires, des autres savants, ne discute pas les positions personnelles de B ultm ann lui-inême. Son traducteur, A. M alet , affirme dans sa présentation de « Foi et Compréhension », vol. II, p. 7 : « Sa penste ( = de B ultmann ) — du moins à partir de 1924 — est pour ainsi dire tout d ’une pièce et son étalement dans le temps ne fait q u ’en souligner la rigueur peu commune ». Même les découvertes de Qumrân n ’ont pas modifié sensiblement les positions de B ultm ann . 7. Les formules employées pour caractériser chaque catégorie sont inspirées par B ultm ann lui-même (sauf la dernière). 8. « Ce n ’est que dan.s un petit nombre de cas que l ’on peut attribuer avec quelque assurance un logion à Jésus » (Histoire de la T radition Synoptique, p. 137). 9. Voir ci-dessus, p. 60, n. 10, comment B ultmann élude ce texte. 10. « (Cette parole) peut, à mon sens, prétendre au plus haut degré d ’authenticité que nous sommes en mesure d ’avoir touchant une parole de Jésus : elle est pleine du puissant sentiment eschatologique qui doit avoir caractérisé l’apparition de Jésus » (même ouvrage, p. 206). 11, A propos de M atthieu 21,31 : « ...dont il n ’est peut-être pas besoin de mettre en question le caractère originel » (même ouvrage, p. 224)... « Les applications de ...Matthieu 21,31 peuvent très bien être primitives, à ceci près toutefois que le jugement devra être réservé, étant donné la tendance de la tradition à ajouter de telles applications » (même ouvrage, p. 233).
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LOGIQUE D UNE ERREUR
/■) Additions secondaires : M arc 1,14-15 ; 4,11 ; la source de M atthieu 6,33 (et de Luc 12,31) ; M atthieu 12,38.41.43 ; 13,33.44-45 ; Luc 12,32. j ) Légende biographique : Luc 22,16. k) Aucun rapport à la personne de Jésus : M atthieu 8,11-12 ( = Luc 13,28-29). /) Sens originel devenu méconnaissable : M atthieu 20,1. m) Passage dont on ne peut pas établir l’ancienneté ; M arc 15,43. n) Travail rédactionnel de M arc : 10,23-24 ; 12,34. o) Travail rédactionnel de la Source Commune : M atthieu 23,13. p) Travail rédactionnel de M atthieu : 4,23 ; 5,10.20 ; 7,21 ; 9,35 ; 18,1.3-4. g) Travail rédactionnel de Luc ; 9,60 ; 18,29 ; 19,11 ; 23,42. r) Textes sur lesquels B u l t m a n n ne se prononce pas ; M arc 4,30 ; la source de Matthieu 6,10 (et Luc 11,2)” ; M atthieu 18,23 ; 20,21 ; 21,43 ; 24,14. Sans examiner ici la valeur de la méthode de B u l t m a n n et la justesse des postulats sur lesquels elle repose constatons du moins que cette pulvérisa tion des Evangiles aboutit, au sujet du Règne et du Royaume de Dieu, à des conclusions qui contredisent racücalement les constatations qui semblent se dégager des textes eux-mêmes (voir ci-dessus, p. 83-85). Alors que B u l t m a n n n ’attribue à Jésus que cinq ou six mentions du R è ^ e ou du Royaume de Dieu, nous avons vu au contraire que cette notion était peu f r é q u e n t e d a n s le judaïsme contemporain de Jésus et peu en harmonie avec la pensée hellénistique (p. 86-88) ; par ailleurs nous avons remarqué q u ’elle apparaît avec une insistance notable chez Marc, dans la Source Commune, chez M atthieu et chez Luc (p. 84). Pour expliquer cette convergence, on est tout naturellement conduit à supposer que c ’est Jésus lui-même qui a mis cette idée au centre de son message. Mais, si l ’on adm et les vues de B u l t m a n n , comment expliquer que ce soient les communautés chrétiennes, d ’origine palestinienne ou hellénis tique, qui aient propagé d ’elles-mêmes une conception qui n ’était ni pales tinienne ni hellénistique ? Le découpage proposé par B u l t m a n n selon des méthodes qui se veulent purement rationnelles aboutit ainsi à une reconstitu tion non-rationnelle. Mais n ’insistons pas sur ce point, car nous n ’avons ni à ratifier ni à critiquer l’œuvre de B u l t m a n n , mais seulement à voir quelle influence l ’eschatologie a exercée sur sa pensée^®. 1) B u l t m a n n accepte docilement les positions de Johannes W eiss et d ’Albert S c h w e it z e r sans les soumettre à un examen scientifique. Il considère comme prouvé, et même comme évident, que le Royaume de Dieu n ’arrivera
12. L ’opinion de B ultm ann sur ce texte capital est rapportée ci-dessus, p. 49, n. 12. 13. C ’est-à-dire le « N otre Père », 14. Cet examen critique a déjà été fait bien des fois (voir par exemple la liste des travaux signalés par R. M arlé , p. 132, note 65); en français on pourra se reporter, p ar exemple, à l ’ouvrage de B. de Solages . La plus amicale, la plus autorisée (et la plus sévère) des critiques est celle de K arl B a rth dans son « Essai pour comprendre B ultm ann ». 15. B ultm ann le reconnaît d ’ailleurs très loyalement : « Il est remarquable que le concept de basileia tou théou n ’était encore (au temps de Paul) employé que rarem ent » (Tteologie des Neuen Testaments, p. 79). 16. J. S mart étudie en détail la form ation de la pensée de B ultm ann et l ’opposition de plus en plus grande entre lui et K arl B arth .
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R. BULTMANN
173
q u ’à la Fin du M o n d e C e point est pour lui tellement certain q u ’il en tire argument pour rejeter tout ce qui le remettrait en question. Ainsi (selon la méthode critiquée p. 60, n. 10) il repousse l’interprétation obvie de Luc 17,20-21, pour ne pas être conduit à reconnaître q u ’une « réalité spirituelle», constituée p ar « la personne de Jésus et de ses disciples », était déjà présente parmi les interlocuteurs de Jésus. Ainsi (voir les deux textes cités p. 49, n. 12) il déclare inauthentique M atthieu 16,17-19, parce q u ’autrem ent « l’ekklêsia perd son radical sens eschatologique ». Pour Bultmann l’identification du Règne ou du Royaume de Dieu avec « l ’Eschatologie» est un postulat q u ’il ne discute jamais. Dès la p. 3 de sa Théologie des Neuen Testaments, il afiirme de façon péremptoire ; « Le Règne de Dieu est un concept eschatologique » ; ailleurs il dit : « A ujourd’hui, on reconnaît généralement que le règne de Dieu, annoncé p ar Jésus-Christ, est eschatologique. Il ne reste q u ’une question controversée : Jésus a-t-il pensé que ce règne était im m inent» (Histoire et Eschatologie, p. 30). Déjà en 1917, dans un article sur « la signification de l ’Eschatologie pour la religion du Nouveiiu Testam ent», il pose comme point de départ de son argumentation ; « tout le mouvement du christianisme prim itif peut être compris et exposé comme un mouvement eschatologique» (p. 76). En somme les positions de B u ltm an n sur l’Eschatologie ne résultent pas d ’une étude scientifique du Nouveau Testament, mais simplement de l ’adoption naïve d ’un concept à la mode dans son milieu de formation^®. 2) B u ltm a n n n 'û pas distingué clairement entre le Règne et le Royaume de Dieu^^. Bien q u ’il montre parfois qu’il n ’ignore pas la différence entre « royauté », « règne » et « royaume », il traduit généralement « basileia tou théou» par « Règne de D ieu», et il n ’emploie que rarement « Royaume de Dieu ». Ainsi il en arrive à négliger l ’aspect spatial et temporel du « Royaume » pour ne retenir que l’aspect immatériel et intemporel du « Règne ». Lui, qui sait fort bien le grec et dont les argumentations philologiques sont souvent très subtiles, il ne paraît pas s’apercevoir q u ’il fausse la signi fication de « basileia » en minimisant une de ses significations, de sorte qu’il prive ce terme de son réalisme concret. L ’oubli du «R oyaum e» et l ’abus du « R ègne» facilitent une présentation unilatérale, où le subjectif l ’emporte trop sur l ’objectif. 3) B u ltm an n , qui emploie souvent le m ot « paradoxe », se met lui-même dans une position paradoxale. D ’un côté il affirme que nous ne savons à peu près rien sur Jésus^°, et d ’un autre côté il suppose q u ’il connaît si bien sa pensée
17. « Cette conception fondamentalement future et eschatologique de la prédication de Jésus paraît tellement évidente à R. B ultm ann q u ’il n ’allègue aucune preuve et n ’apporte aucune réticence » : W .G. K ümmel dans N aherwartung, p. 457 (dans une Festchrift en l ’honneur de B ultmann !). — « Le danger est que ce q u ’on intitule « Vie de Jésus » aboutisse à être en fait un rom an psychologique sur un grand nombre de membres anonymes de l’Eglise primitive » (T .W . M anson , parlant de ScirWEirzER et de B ultm ann , dans Studies..., p. 7). 18. D ans une lettre à Karl B arth du 21 avril 1925, Bultmann annonce q u ’il a l’intention de faire une étude sur « Eschatologie et Apocalyptique dans le Christianisme Primitif » (Briefwechsel, p. 44). A-t-il réalisé celte intention ? 19. N ous pouvons ici négliger la notion de « Royauté », qui ne fait pas problème. 20. « Nous ne pouvons à peu près plus rien savoir de la vie et de la personnalité de Jésus » (Erforschung der Synoptikem Evangelien, p. 11) ; « Jamais, pour un seul m ot de Jésus, on ne peut apporter la preuve précise de son authenticité » (même ouvrage, p. 36).
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LOGIQUE
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ERREUR
q u ’il peut affirmer sereinement que Jésus avait sur tel ou tel point telle ou telle position, que les communautés palestiniennes puis hellénistiques ont ensuite modifiée de telle ou telle façon. En fait, B u l t m a n n raisonne de façon purement artificielle, au nom de sa logique personnelle, comme si les per sonnages de l ’antiquité orientale s’étaient toujours conformés aux théories des théologiens modernes. Ce vice de méthode affecte tout le « système » construit par B u l t m a n n . Lui qui est tellement sceptique sur la personne et la pensée de Jésus, il devrait, logiquement, s’abstenir de toute conclusion précise sur sa théologie. Les mêmes arguments q u ’il utilise pour refuser d ’attribuer à Jésus la prédication du Règne (ou : du Royaume) de Dieu devraient l ’empêcher de dénier la possibilité de cette même prédication. Autrement dit, si nous ne pouvons plus savoir ce que Jésus a prêché, nous ne pouvons pas plus savoir ce q u ’il n ’a pas prêché (à moins de remplacer l ’histoire par une théologie préconçue). 4) B u l t m a n n , à la suite de Johannes W eiss et d ’Albert S c h w e it z e r , admet comme évident que le Règne (ou : le Royaume) de Dieu sera non pas la Fin du Monde actuel, mais Vinstawation d ’un autre monde, d ’une tout autre nature. Certes, une telle opinion est en harmonie avec les textes comme M atthieu 25,31-46 ou I Corinthiens 6,9-10 ; 15,24.50 et II Timothée 4,18, qui assimilent le Royaume de Dieu à la Vie étemelle ; cette opinion ne doit donc pas être considérée comme fausse sur ce point-là. Mais d ’autres textes, comme les paraboles de la croissance (M arc 4,26-29 + 30-32 ; M atthieu 13,24-30-1-33) ou comme M atthieu 18,1 ; 19,12 ; 21,31-32 ; Luc 12,32 ; 17,20-21 m ontrent clairement que le Royaume de Dieu est présent sur cette terre. A moins de récuser ces textes (comme B u l t m a n n le peut facilement grâce à son exégèse, mais comme ne le peuvent pas ceux qui refusent d ’éliminer un texte théologique pour des motifs théologiques), on doit chercher une solution qui convienne aux deux aspects à la fois ; Royaume de Dieu présent sur la terre et dans l ’histoire, d ’une part, et, d ’autre part, Royaume de Dieu présent au-delà de la terre et de l ’histoire. C ’est d ’ailleurs pour cela q u ’on est obligé de voir dans le Royaume de Dieu l’Eglise, qui est à la fois terrestre et céleste. Mais reléguer le Royaume de Dieu après la Fin du Monde et dans un autre monde, c ’est violenter certains textes bibliques, tout comme on en violenterait d ’autres si on le reléguait seulement dans la phase finale de l ’histoire de ce monde, lors de la Parousie et du Jugement Général. 5) Allant encore plus loin dans la même ligne, B u l t m a n n en arrive à ne plus voir dans le Règne-Royaume de Dieu (ou dans l ’Eschatologie à laquelle il s’identifie) q u ’une réalité suprahistorique, éternelle et divine qui, par définition, s’oppose à tout ce qui est terrestre et humain. « La prédication eschatologique regarde le temps présent à la lumière du futur ; elle dit aux hommes que le monde actuel, le monde de la nature et de l ’histoire, celui dans lequel nous vivons et établissons nos projets, n ’est pas le seul, mais q u ’il est temporel, éphé mère et, finalement, aussi vide q u ’irréel au regard de l ’éternité» (B u l t m a n n : Jésus-Christ et la Mythologie, p. 195). Cette notion extra-historique de
21. B ultmann a senti cette difficulté, car il aflRrme dans sa Théologie des Neucn Testaments, mais sans fournir aucun argument : « Même les paraboles du Senevé et du Levain ne parlent pas d ’un développement progressif du Royaume de Dieu » (p. 7). Pourquoi ?
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l ’Eschatologie amène B ultmann à réfléchir plusieurs fois sur la relation réciproque de l ’Eschatologie et de l ’histoire : déjà en 1926 « Religion histo rique et supra-historique dans le C hristianism e»; puis en 1951 «JésusChrist et la M ythologie» ; puis en 1953 «H istoire et Eschatologie dans le Nouveau Testam ent» ; puis en 1955 «H istoire et Eschatologie». Chaque fois il revient sur les mêmes idées avec une remarquable constance : « Le paradoxe de l ’histoire et de l ’eschatologie consiste en ce que l’événement eschatologique se produit dans l’histoire et se reproduit partout dans la prédication. Cela signifie que l ’eschatologie entendue dans son sens authenti quement chrétien n ’est pas le terme à venir de l ’histoire mais que l ’histoire est absorbée par l’eschatologie» (En 1953, Foi et Compréhension, vol. H, p. 127). « Je suis d ’accord avec lui ( = H. BuTTERnELo) lorsqu'il dit : « Chaque instant est eschatologique ». Je préférerais pourtant dire : chaque instant peut être eschatologique... Lorsque la foi chrétienne conçoit le présent comme un présent eschatologique, elle réalise la signification de l ’histoire» (En 1955, Histoire et Eschatologie, p. 132). D ’où la formule si fréquente sous la plume de B ultmann : « Le « maintenant » eschatologique ». Comme le reconnaît R. M arlé , « eschatologique » signifie chez B ultmann « à la fois dans le temps et au-delà du temps » (p. 154). C ’est pour cela d ’ailleurs que des savants comme N .A . D a h l et J. K ô r n e r ont centré leurs travaux sur les rapports de l’Histoire et de l ’Eschatologie chez B u l t m a n n . 6) Ainsi l’Eschatologie de B u l t m a n n dépasse l’ordre historique et devient proprement métaphysique. Il la retrouve alors chez les philosophes comme K a n t , H e g e l et M a r x (Histoire et Eschatologie, p. 58-60) et il peut conclure : « L e «m anifeste» communiste de 1848 est... une eschatologie sécularisée» (p. 60). Cette nouvelle déformation ne doit pas nous étonner, car B u l t m a n n est toujours resté un philosophe et l ’on a souvent l ’impression que c’est sa philosophie qui oriente inconsciemment son exégèse^ Son amitié avec son collègue M artin H e id e g g e r (auquel il dédie en 1933 le premier volume de Glauben und Verstehen) l’a considérablement influencé et un climat existen tialiste imprègne depuis lors tous ses ouvrages. Mais par la simple tournure de son esprit, son premier article sur l ’Eschatologie, en 1917, était déjà nettement philosophique : « La signification de l ’Eschatologie pour la religion du Nouveau Testament »^^. Q u’il suffise de citer sa définition de l’Eschatologie : «Définissons... l ’eschatologie. L ’eschatologie est l’au-delà par opposition à l ’ici-bas, l’éternité par contraste avec le temps, le tout autre que le monde et que l ’homme, en un m ot Dieu lui-même et les choses de Dieu. Mais elle n ’est vraiment telle que quand on la pense sur le plan de / ’ « historicité ». Elle ne désigne pas une transcendance qui ne serait q u ’une surnature ou une surhistoire, un Was de type supérieur. Le Dieu eschatologique n ’est pas l ’Etre invisible et spirituel dont parlaient les Grecs, ni le Dieu de la théologie chrétienne classique, ni
22. G.W . B ucha n an déclare dans la préface de son gros ouvrage : « Plus on discutait l’Eschatologie de B ultm ann , plus je devenais convaincu q u ’elle n ’était pas biblique ». 23. Toutefois, B ultm ann n ’a pas réédité cette œuvre de jeunesse dans les recueils « Verstehen und Glauben » et « Exegetica ».
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celui de la théologie contemporaine, qui en définit l’altérité par la catégorie du suprahistorique... Il doit être pensé comme le Tu... Il est le Tout-Autre qui n ’est tel que parce q u ’il est notre Selbstverstândnis, c ’est-à-dire notre Seigneur... L ’eschatologie exprime l’altérité la plus radicale, celle de Dieu, qui est constituée, non par son eu soi, mais par sa seigneurie ». 7) Cette eschatologie, devenue philosophie, devient aussi, évidemment, théologie. Sa notion s’est tellement étendue q u ’elle peut s’identifier à presque tout^'^. Et de fait, B u l t m a n n la conçoit comme source de toute la théologie chrétienne. Lorsqu’on 1960 et 1962 E. K a s e m a n n affirma que l 'Apocalyptique^ * était « la mère de toute la théologie chrétienne », son ancien maître, B u l t m a n n , répliqua que la mère de toute la théologie chrétienne n ’était pas l’Apocalypti que, mais l ’Eschatologie (Ist die Apokalyptik..., p. 64 et 69). Pour qui parcourt les multiples publications de B u l t m a n n , cette confusion entre Théologie et Eschatologie se retrouve un peu partout et l ’on pourrait accumuler les citations. B u l t m a n n en arrive jusqu’à voir dans le chrétien « u n être eschatologique» (Kerygma und Mythos, p. 31). Aussi J. K ôrn ' e r commence son ouvrage par une « remarque préalable » qui a pour titre : « La position centrale de l ’Eschatologique dans la théologie de B u l t m a n n », et il conclut le même ouvrage en constatant « l ’absorption de toute la Théologie par l ’Eschatologie» (p. 141). 8) En particulier, l'Eglise devient logiquement pour B u l t m a n n une réalité eschatologique. Je n ’ai pas cherché à quelle date cette identification apparaît sous sa plume, mais, à partir de 1951, elle devient habituelle. En 1951, dans « Jésus-Christ et la M ythologie» : « L ’Eglise constitue la communauté eschatologique des élus, des saints, qui sont déjà justifiés et qui vivent parce qu’ils sont en Christ » (p. 202)... « Après Paul, Jean a démythologisé d ’une manière radicale l ’eschatologie. Pour Jean, la venue et le départ de Jésus constituent l ’événement eschatologique» (p. 203)... « L a parole de Dieu et l’Eglise sont étroitement solidaires... Puisque la parole n ’est parole de Dieu que comme l’événement, l ’Eglise n ’est vraiment l’Eglise que comme un événement qui se produit à chaque instant... Car l’Eglise est la communauté eschatologique des saints » (p. 242). En 1955, dans Histoire et Eschatologie: « O n peut penser q u ’elle l ’Eglise) est un phénomène eschatologique» (p. 49). La même année en 1955, B u l t m a n n publie un article qu’il intitule : « Les changements de la compréhension de soi de l’Eglise dans l ’histoire du Christianisme prim itif» ; « Que la Communauté primitive se reconnaît comme
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24. « B l'ltmann appelle en effet « eschatologique » un événement temporel et constatable historiquement qui possède en même tempw une signification supra-naturelle que seul le croyant peut reconnaître : c ’est le cas de la mort de Jésus sur la croix, de la foi des premiers disciples, de leur prédication, de la communauté, des sacrements et de l’imitation du Christ » (Karl Ba r th , Dogmatique, vol. III, tome 2, 2 ' partie, p. 128). On trouvera de plus longs développements dans M arlé , p. 128-130 et 159-167. 25. E. K asemann , comme beaucoup d ’auteurs, surtout allemands, prend l ’Apocalyptique non pas pour un genre littéraire, mais pour un conglomérat théologique assez imprécis. Voir à ce sujet : « Q u’est-ce que l 'Apocalyptique ? Son emploi à Qum rân » dans la Revue de Q um rân, n° 37, vol. 10, fasc. 1 (1979), p. 3-33.
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la Communauté de la fin des temps signifie que son caractère propre ne trouvait pas son expression dans la forme synagogale. Ce caractère étant un phénomène eschatologique, il ne pouvait aucunement se traduire dans des ordonnances... car la Communauté primitive est par essence m e grandeur de l ’Au-delà » (p. 155)... « La Communauté en tant que grandeur eschatologique de l ’A u-delà» (p. 156)... « L a «transcendance» de la Communauté eschato logique s’entendait d ’abord simplement ou essentiellement de son appartenance à un futur qui serait bientôt le présent» (p. 158). En 1957, dans une réflexion sur sa propre pensée intitulée « A mon sujet », il déclare ; « Ce paradoxe consiste en ce que l ’événement eschatologi que est devenu un événement dans l ’histoire par la vie et la m ort de Jésus et qu’il devient sans cesse événement dans la prédication de l’Eglise, cette dernière étant également, en tant q u ’elle s’adonne à la prédication, un phénomène historique et à la fois l’événement eschatologique... La prédication elle-même est un événement eschatologique au même titre que l ’Eglise» (p. 217-218). En 1962 A. M a l e t publie une étude sur B u l t m a n n o ù il va jusqu’à dire : « L ’Eglise n ’est q u ’un autre nom de Dieu et du Christ, en tant q u ’elle est une grandeur eschatologique» (p. 183 au début du chap. X ; «T radition, Eglise, Sacrement»). O r cet ouvrage est précédé d ’une lettre de deux pages où B u l ™ a n n félicite l ’auteur ; « Je puis assurer que vous l’avez fait ( = exposer l’intention de mon œuvre théologique) avec une intelligence totale et comme il m ’a rarement été donné de le voir... Spécialement im portante est la façon... dont vous présentez l ’historicisation de l ’eschatologie et l’essence de l’Eglise comme un phénomène eschatologique ». 9) Par un nouveau paradoxe, à force de déformer la notion de Royaume de Dieu, B u l t m a n n rejoint presque les données du Nouveau Testament. Son Règne-Royaume de Dieu, en passant par l ’Eschatologie, est ainsi devenu une réalité immatérielle et intemporelle, qui se trouve réalisée temporellement et localement dans Jésus et dans ceux qui s’ouvrent à sa prédication. Or, c ’est précisément la définition, obtenue par une tout autre méthode, soit du Royaume de Dieu soit de l ’Eglise (voir ci-dessus, p. 130). En ce qui concerne le Règne de Dieu et la Justification, B u l t m a n n , malgré un vocabulaire différent, adopte en somme une position voisine de celle qui a été dégagée plus haut (p. 120-127) : « Pour Jean comme pour Paul, le pardon du péché, c ’est l ’annonce d ’une nouvelle existence instaurée chez le croyant par l’action eschatologique de D ieu» ( M a r l é , p. 126). Ce que B u l t m a n n appelle « l’action eschatologique de D ieu», n ’est-ce pas ce que nous appelons « le Règne de Dieu » ? Si le Règne-Royaume de Dieu est eschatologique et si l’Eglise elle aussi est eschatologique, on n ’est pas loin de les rapprocher l’un de l ’autre. Certes B u l t m a n n ne le fait pas^*. Du moins il a tellement distendu leur notion, par leur projection en Eschatologie, q u ’elles se rejoignent presque : « Elle ( = la Royauté de Dieu) est purement et simplement eschatologique, ce que le Nouveau Testament exprime quand il la voit accomplie dans l’Eglise.
26. Et il a raison de ne pas le faire ; puisque pour lui l’Eschatologie est une notion plus vaste que l ’Eglise ou que le Règne-Royaume de Dieu, elle ne |» u t servir à les identifier; autrem ent, cela constituerait un raisonnenaent du type de celui-ci : La laine est blanche ; la neige est blanche ; donc la laine est la neige !
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L ’Eglise en effet - il faut le redire — n ’est pas une grandeur historique, elle est transcendante au monde. C ’est le Christ ressuscité... qui en est le R oi» (A. M alet, p. 243). Si la Royauté de Dieu est accomplie dans l ’Eglise, n ’est-ce pas que l ’Eglise est le Royaume de Dieu ? « * * Cependant, ne félicitons pas trop B u l t m a n n de ces conclusions inespérées, car elles sont obtenues à partir des erreurs de J. WErss et d ’A. S c h w e it z e r , qu’il a suivies si logiquement q u ’elles en arrivent presque à contredire leur point de départ. Comment oublier que B u l t m a n n a puissamment contribué à propager une notion d ’Eschatologie dont les méfaits contaminent l ’ensemble de son œuvre Bien entendu, B u l t m a n n ne fut pas le seul à épouser les théories de J. W eiss et de S c h w e it z e r . Dès 1922 P. A l t h a u s publiait une « Ebauche de l ’Eschatologie chrétienne», dont la 6 ' édition, en 1956, était présentée comme un «M anuel d ’Eschatologie». Lui aussi suppose a priori que « l ’arrivée du Royaume sera la fin de notre monde et de notre histoire» (6' édition : p. 231, 250, 319, 325, 340, etc.) ; lui aussi affirme que l ’Eschatologie est le point de convergence de toutes les branches de la théologie systématique (3* éd. : p. X). B u l t m a n n n ’est que le membre le plus caractéristique de toute une école eschatologique (qui a même inclus, pendant quelque temps, Karl B a r t h ). Son immense influence (non seulement en Allemagne, mais aussi en France et dans les pays anglo-saxons) n ’a pas besoin d ’être décrite ; ses nombreux et fervents disciples ont vulgarisé avec ardeur les positions de leur maître. Certes, diverses oppositions se sont aussi manifestées, qui ont provoqué d ’ardentes discussions. Nous n ’avons pas à les résumer ici, mais on pourra les étudier, par exemple, chez F. H o l m s t r ô m et M. W e r n e r . De même on trouvera chez R.F. B e r k e y , entre autres, le résumé du combat entre l ’Eschatolog'e « conséquente » de J. W eiss , S c h w e it z e r et B u l t m a n n et l ’Eschatologie «réalisée» de D o d d et ses disciples (voir chapitre suivant)^®.
27. Selon la bibliographie de K w ir a n , l’œuvre de B ultmann a inspiré 75 travaux sur l’Eschatologie, 18 sur l’Eglise et 4 sur le Royaume de Dieu (... alors que le Nouveau Testament parle très souvent du Royaume, a.*5sez souvent de l’Eglise et jam ais de l’Eschatologie)! 28. Je venais de terminer la rédaction de ce chapitre quand m ’est parvenu l’ouvrage de G.W. B uchanan « Révélation and Redemption », où l ’auteur explique dans sa préface que plus il a étudié l’Eschatologie de B u ltm ann , plus il a constaté q u ’elle n ’était pas biblique, q u ’ensuite il a découvert que les Eschatologic.s de J. W eiss, ScHWErrzER, A lthaus et D odd étaient tout aussi peu bibliques et q u ’il s’est aperçu que l ’Ancien Testament, les Manuscrits de la Mer M orte et la littérature inter-testamentairc ne contenaient pas non plus de véri table Eschatologie.
CHAPITRE XX
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Retournement d’une erreur : Charles-Harold Dodd Pendant que Johanncs W eiss , S c h w e it z e r et B u l t m a n n faisaient triom pher « l ’Eschatologie Conséquente », qui renvoie à la Fin du M onde la réalisation du Royaume de Dieu, leur influence étouffait un autre courant théologique, tout à fait opposé, qui insistait au contraire sur la réalisation de l ’Eschatologie dans la vie même et dans l’action de Jésus. Déjà Fr. S c h l e ie r m a c h e r (1768-1834) et Christian-Hermann W eisse (1801-1866) avaient proposé d ’interpréter en fonction de la Résurrection de Jésus les paroles qui semblaient annoncer son Retour, la Parousie, vers la Fin du Monde. Ainsi les perspectives « eschatologiques » n ’avaient plus d'im portance ^ Vers 1863, A. R é v il l e , résumant en français un ouvrage hollandais de ScuoL TE N , niait franchement ce futur retour de Jésus, qui aurait, selon lui, reporté à la Fin du Monde la fondation du Royaume de Dieu, alors que les Evangiles la présentent comme déjà réalisée: « Comment donc aurait-il ( = Jésus) enseigné q u ’il reviendrait fonder le royaume messianique d ’une manière visible et extérieure ?... Jésus, là et ailleurs, ne reporte pas le royaume de Dieu dans l ’avenir qui suivra sa m ort et son retour visible ; ce royaume est pour lui une société... qui, préparée par la Loi et les prophètes, va être instituée immédiatement par l ’effet de sa venue dans le monde et a même déjà reçu un commencement de réalisation. Ce royaume n ’est donc pas réservé au monde futur ; il commence déjà dans celui-ci » (p. 106)... « N ous devons nous demander si, historiquement, l ’on peut attribuer à Jésus de pareilles espérances... Avouons que cette substitution de notions fantastiques aux notions les plus saines dans l’esprit d ’un Jésus est tout ce q u ’on peut concevoir de plus inimaginable. Mais, historiquement, c ’est faux » (p. 108)... « En résumé, le Christ historique a cru au triom phe du royaume de Dieu et à la durée de son œuvre, mais non à son retour visible pour juger les vivants et les morts » (p. 109). Vers la même date, en 1864, un autre membre de « l’Ecole de Strasbourg », Timothée C o l a n i , reprenait les mêmes théories dans un ouvrage qui eut grand
1. W.
W e iffe n b a c h ,
p. 376-389.
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succès, puisqu’il fut réédité la même année. Convaincu (sans doute par R év il l e ) que la Parousie n ’est pas admissible, il expose franchement ses positions : « Ce ne peut être évidemment q u ’avec un sentiment de réserve, de défiance même que nous abordons les textes sur la parousie » (p. 113)^... « Des cinq paroles que nous venons d ’étudier (Matthieu 10,23; 19,28; 23,39 ( = Luc 13,35); 26,29 ( = M arc 14,25 et Luc 22,18); 26,64 ( = M arc 14,62 et Luc 22,69)), il y en a une qui examinée de près s’est trouvée ne rien contenir d ’apocalyptique, trois qui étant en contradiction flagrante avec d ’autres paroles incontestables ont dû être déclarées inauthentiques, une enfin, la dernière, qui nous a paru invraisemblable à un très-haut degré » ( T ' édition : p. 137 ; 2 ' édition ; p. 198)... « Comment attribuer à Jésus l ’espoir de revenir ainsi sur les nuées pour ouvrir les assises finales du genre humain ?... Jésus aurait pu, je le suppose, emprunter les idées fantastiques de son entourage, il n ’a pu les outrer à ce point... C ’est d ’après sa doctrine, c ’est d ’après lui que seront jugés et chaque homme individuellement et les peuples et l’humanité entière. Cette manière de voir (je le dis avant tout examen des textes) [sic !], il a fort bien pu l’exprimer sous une image en l’adaptant, par exemple, à la notion d ’un jugement solennel qui doit terminer l ’histoire. Mais, je le répète, il n ’a pas pu s’attendre à revenir sur les nuées du ciel pour présider à ce jugement » (1 " édition : p. 107 ; 2 ' édition : p. 155-156)... « Nous le disons donc sans aucune hésitation ; non Jésus n ’a pas espéré revenir du ciel pour achever son œuvre. En m ourant il l’avait achevée complètement, telle q u ’il l ’avait conçue. C ’était désormais à l’Esprit invisible de donner la croissance au grain déposé dans la terre » (1 " édition : p. 148 ; 2 ' édition : p. 215). En 1873, W. W e if f e n b a c h , qui cite divers auteurs à l ’appui de sa thèse, conclut un examen méticuleux des Evangiles Synoptiques (p. 69-372) en affir m ant que Jésus imaginait pour un avenir très prochain son retour personnel parmi les siens (p. 359), mais que rien ne prouve que ce retour marque la fin du Royaume de Dieu ou la Fin du Monde (p. 365). C ’est l ’Eglise primitive qui a mal compris ses paroles et imaginé une Parousie associée au Jugement Général et à la destruction du monde (p. 370). En somme, alors que S t r a u s s , R eu ss et R e n a n voient dans la Parousie une erreur de Jésus, R é v il l e , C o l a n i et W e if f e n b a c h reportent cette erreur sur les disciples, qui ont mal compris leur maître. Dans un cas comme dans l ’autre, le Royaume de Dieu est une réalité présente et n ’a plus de portée « eschatologique ». Mais J. W eiss , S c h w e it z e r et B u l t m a n n soutinrent le contraire avec une telle énergie que ce courant théologique sombra dans un oubli presque total. Ce n ’est donc pas sous son influence que se placent C.H. D odd et ses amis. En effet, malgré le succès, en Allemagne, de l ’Eschatologie Conséquente, certains savants anglais ne se laissèrent pas impressionner et reprirent l ’examen des textes. On ne sait pas très bien s’il faut attribuer à Edwyn H o s k y n s , à T.W. M a n s o n ou à C.H. D o d d l’initiative de cette réaction, mais c ’est surtout Dodd^ qui en est devenu le champion officiel.
2. La 2 ' édition retouche cette phrase : « U ne dernière remarque justifiera le sentiment de réserve, de défiance même que nous inspirent les discours eschatologiques prêtés à Jésus » (p. 164). 3. On trouvera son curriculum vitae et sa bibliographie ü u sq u ’en 1954) dans la Festschrift D odd , p. xi-xviii.
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Pour ces savants, les nombreux textes évangéliques qui présentent le Royaume de Dieu comme une réalité appartenant au présent, et même déjà au passé, ne doivent absolument pas être escamotés pour confiner le Royaume de Dieu dans un avenir plus ou moins lointain"^. Par une étude sérieuse et précise des textes, surtout des Paraboles’, ils m ontrent de façon incontestable que le Royaume de Dieu, selon les paroles mêmes de Jésus, est déjà arrivé, q u ’il existe déjà sur terre, qu’il est déjà proposé à tous les hommes. D o d d a beau jeu de prouver que les tenants de l ’Eschatologie Conséquente négligent ou violent des textes clairs, uniquement parce que ces textes ne sont pas conformes à leurs théories. Après un si bon départ, on s ’attendrait à ce que D o d d admette sans problème que d ’autres textes placent le Royaume de Dieu dans l’avenir et l ’associent aux événements de la Fin du Monde. Ainsi le Royaume de Dieu est une réalité déjà présente lors de la vie de Jésus, mais il sera aussi une réalité parousiaque, tout comme il est à la fois une réalité terrestre et céleste. Et, s ’il ne voulait pas laisser ses lecteurs dans l ’indécision, D o d d aurait dû être conduit logiquement à reconnaître dans ce Royaume de Dieu la seule réalité qui possède exactement les mêmes caractéristiques : l ’Eglise®. Hélas ! L ’influence de la théologie allemande avait été trop forte en Angle terre et D o d d n ’avait pas eu assez d ’esprit critique pour en déceler les faiblesses. Il croyait donc à l’Eschatologic^. Et alors se posait à lui un faux problème : puisque le Royaume de Dieu est essentiellement eschatologique, comment peut-on dire que ce Royaume de Dieu est déjà arrivé au temps de Jésus, comme l’affirment des textes inéluctables ? Hélas ! Même un savant comme D o d d n ’a pas vu que c ’était la notion d ’Eschatologie q u ’il fallait rejeter comme non-scientifique et q u ’alors ce pseudo-problème s’évanouissait. Pour maintenir le rêve de Johannes W eiss qui associait Royaume de Dieu et Fin du Monde, donc Royaume de Dieu et Eschatologie, D o d d s’est lancé dans une incroyable aventure théologique. Puisqu’il s ’imaginait tenu d ’affirmer à la fois que le Royaume de Dieu existait déjà au temps de Jésus et que ce Royaume de Dieu était eschatologique, il crut pouvoir s’en tirer en inventant une « Eschatologie Réalisée »®. Selon ce nouveau système, c'est la vie même de Jésus qui est la véritable Fin du Monde,
4. A.M. H u n t e r fait rem arquer que, sur 27 passages de Marc et de la Source Commune, 18 envisagent le Royaume de Dieu comme présent (p. 72). 5. Un des principaux ouvrages de D odd concerne « Les Paraboles du Royaume ». 6. T.W . M anson va presque jusque là : dans une conférence de 1943, reproduite dans la Festschrift L io htfoot , il affirme que « l’Eglise a existé presque aussitôt que le niinistère de Jésus a commencé » (p. 24) ; et dans une conférence de 1948, rééditée dans ses Studies in the Gospels and Epistles, il reconnaît que « le ministère de Jésus n ’est pas un prélude au Royaume de Dieu, il est le Royaume de Dieu » (p. 9-10). 7. En 1925 C.R. Bowen reconnaissait cependant (p. 2) que l ’Eschatologie laissait en lui un certain sentiment de mauvaise conscience. Mais il demandait de réagir en acceptant l ’Eschatologie « avec joie et enthousiasme » (p. 3). 8. E. H oskyns avait d ’abord parlé de « fulfilledEschatology » ( = Eschatologie accomplie), d ’autres ont proposé « inaugurated Eschatology », mais ces formules n ’ont pas été retenues.
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c ’est sa venue en Palestine « sous Ponce Pilate » qui est la véritable Parousie®, c ’est sa Résurrection qui a été prise pour l ’annonce d ’une Résurrection Générale. Chaque texte qui semble associer le Royaume de Dieu et l ’un ou l’autre des événements « eschatologiques » doit être interprété symbolique ment^*^ ou doit être considéré comme une méprise des communautés chrétiennes primitives, qui ont projeté dans l ’avenir ce que Jéstis avait dit du présent. Ainsi D odd croyait résolu son faux problème, mais à quel prix ? D ’abord il inventait une formule inadmissible, qui ne reposait que sur les multiples équivoques du terme Eschatologie : « l’Eschatologie Réalisée » ; pour qui donne aux mots leur véritable sens, cette formule ne peut convenir q u ’à l ’instant précis où se produira la Fin du Monde. Puis il traitait les textes avec la même désinvolture que les tenants de l ’Eschatologie Conséquente; alors que ceux-ci éliminaient d ’une façon ou d ’une autre les textes qui n ’étaient pas conformes à leurs théories, parce qu’ils présentaient le Royaume de Dieu comme déjà antérieur à la Fin du Monde, D odd sc voyait obligé d ’éliminer les textes qui contredisaient sa théorie, parce q u ’ils parlaient d ’un Royaume de Dieu futur, incluant les événements de la Fin du Monde. Surtout, D odd était logiquement conduit à nier (ou, ce qui revient presque au même, à interpréter symbolique ment) des réalités qui sont clairement affirmées dans les Ecritures et qui constituent des éléments de la foi chrétienne : la Parousie, ou seconde venue de Jésus, la Résurrection Générale et le Jugement Dernier. D o d d est ainsi la victime des méfaits de l ’Eschatologie : il avait bien commencé une recherche scientifique sérieuse, il allait rétablir, contre les fantaisies des eschatologistes allemands et français, la véritable notion de Royaume de Dieu ; mais il a été aveuglé par une funeste Eschatologie, qui l ’a conduit à tomber dans les pièges q u ’il dénonçait si justem ent chez les autres.
Cet exposé, très schématique, est centré uniquement sur D o d d , mais en fait tout un groupe de théologiens anglais ou américains, dont il était le plus célèbre, a partagé et développé les mêmes théories*', parfois au prix
9. Profitons de l ’occasion pour protester contre une erreur qui s’est insinuée jusque dans la Dogmatique de Karl B a r th (3‘ volume, 2 ' tom e, 2 ' partie, p. 202) : « Le décret adopté en 1944 par la « Congrégation du Saint-Office » est très significatif à cet égard : la croyance au retour visible du Christ, est-il spécifié, ne peut pas « être enseignée comme certaine » ! On tient donc pour « incertain » ce qui constitue précisément ta certitude la plus grande du N ouveau Testament, sur la base de la résurrection du Christ ! Que reste-t-il dès lors de l ’espé rance chrétienne ! »... La même erreur est répétée par O. C u llm a n n dans « Christ et le temps », p. 104, note 1. — En fait, un décret du Saint-OtRce, en date du 21 juillet 1944, publié dans les Acta Apostolicae Scdis, vol. XXXVI, n“ 7, 28 juillet 1944, p. 212, dit q u ’on ne peut pas enseigner en sûreté de conscience ( = « tuto ») le millénarisme mitigé et le décret précise que ce système affirme un Règne visible du Christ siu" la terre avant le Jugement Dernier... S ’il avait pris la peine de recourir aux sources, Karl B a r t h se serait certainement épargné cette attaque injuste contre l’Eglise Catholique, car lui non plus n'était évidemment pas millénariste et lui non plus n ’adm ettait évidemment pas un Règne politique du Christ avant la Fin du Monde. 10. Vers la fin de sa vie, en 1970, dans « Le Fondateur du Christianisme », C.H. D odd admet que le Royaume de Dieu « demeure aussi une espérance », mais il voit la réalisation de cette espérance dans le Règne de Dieu, qui « ne peut se limiter à aucun présent temporel » (p. 122). 11. Par exemple; C.T. C raio , Floyd F ilson , T.F. G lasson , A .M , H u n ter , A.T. C a d o iw , J.A.T. R obinson , R .F . B erkey , N orm an P err in , B.M . N ola n . La pensée de J.A .T. R obinson est en outre présentée par R . M c B rien .
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d ’efforts considérables pour effriter les preuves bibliques de la Parousie. De très nombreux auteurs, même hors d ’Angleterre, ont accepté, défendu et propagé cette Eschatologie Réalisée, alors qu'il aurait été si simple de parler du « Royaume de Dieu déjà commencé ». En fait, les cercles théologiques se trouvent actuellement divisés entre partisans de l’Eschatologie Conséquente et partisans de l ’Eschatologie Réalisée. Pour échapper à la contradiction interne qui discrédite la formule « Eschatologie Réalisée », il aurait fallu renoncer à parler d ’Eschatologie. Mais comment avoir une telle audace dans une ambiance théologique comme celle du x x ‘ siècle ? Les savants allemands ne pouvaient manquer, eux aussi, d ’être frappés par le nombre, la force et la clarté des passages du Nouveau Testament qui parlent du Royaume de Dieu au présent ou même au passé. Trois surtout, Rudolf O t t o , Werner-Georg Kü>tmel et Joachim Jeremias, auxquels on peut joindre le Français Henri Ci.avier, réagirent contre les excès de l’Eschatologie Conséquente et raisonnèrent en partie comme Dodd*^. Mais ils comprirent que les deux aspects, présent et futur, du Royaume de Dieu ne s’opposent pas nécessairement l ’un à l’autre et qu’ils peuvent se rejoindre dans la notion d ’un Royaume de Dieu en train de se réaliser. D ’où la formule « Eschatologie en train de se réaliser », proposée par J. Jeremias. Tout cela est presque juste. En particulier, ces auteurs ont le grand mérite de ne pas refuser la Parousie, la Résurrection Générale, et le Jugement Dernier, tels q u ’ils sont annoncés dans le Nouveau Testament. Ils entrevoient même que le Royaume du Christ et l ’Eglise se ressemblent considérablement^^. Mais ils établissent une curieuse distinction (voir ci-dessous, p. 192-193) entre Royaume de Dieu et Royaume du Christ et surtout ils ont cru devoir maintenir la dangereuse notion d ’Eschatologie. Puisqu’ils semblent bien adm ettre un Royaume de Dieu en train de se réaliser, pourquoi ne le disent-ils pas clairement et pourquoi parlent-ils encore d ’une « Eschatologie en train de se réaliser » ?.
12. Joachiin J eremias est aussi un spécialiste des Paraboles, tout comme D o d d . 13. Par exemple R udolf O tto , p. 116 dans la 1 " édition et p. 122 dans la 2 ‘.
CHAPITRE XXI
Libération d’une erreur : Karl Barth Karl B a r t h (1886-1968) est le principal auteur* qui, après être tombé dans le piège de l’Eschatologie, ait réussi à s’en dégager. Comme il est m ort avant d ’avoir rédigé la section de sa « Dogmatique » qui devait être consacrée à l ’Eschatologie, nous ne connaissons pas l’état définitif de sa pensée, mais les jalons que nous pouvons établir sont par eux-mêmes instructifs^. Les premiers articles de K. B a r t h et la première édition de son commentaire sur l ’épître aux Romains (en 1919) ne s’intéressent pas vraiment à l’Eschatologie (S t a d t l a n d , p. 51). Mais, en 1922, la seconde édition profondément remaniée sous l’influence d ’OvERBECK^, contient la phrase devenue célèbre: « Un christianisme qui n'est pas rigoureusement et absolument* eschatologie n'a rigoureusement et absolument* rien de commun avec le Christ » (p. 301). Ailleurs K. B a r t h disait : « Le royaume de Dieu n ’a pas « point »* sur terre, pas même dans ses plus petites particules, mais il a été annoncé ; il n ’est pas « venu », pas même sous sa forme la plus sublime, mais il est proche » (p. 101)... « L’Eglise c’est le lieu... où l’on attend, d ’une manière suprêmement immédiate, le royaume de Dieu » (p. 319). Mais en 1940, (Dogmatique, 2' volume, 1" tome, 2 ' partie) K. Barth se critiquait lui-même avec une admirable loyauté : après avoir cité le passage qui contenait la phrase sur « rigoureusement et absolument eschatologie (sic) », il ajoutait ironiquement : « Well roared, lion®... Que nous n ’étions pas sûrs de notre affaire, c ’est ce que trahissent précisément les passages de mon exégèse où j ’ai dû traiter d ’une manière positive de l ’avenir divin et de l’espérance
1. La bibliographie des œuvres de B arth est donnée à la fin de « Réponse », Festschrift pour ses 70 ans. La bibliographie des œuvres de B arth et sur B arth est donnée par M. K w ir a n . Ses rapports avec B ultm ann sont bien analysés par J.D . S m art . 2. Pour K . B a rth , voir surtout son Epître aux Romains (2 ' édition), sa « Dogmatique » et son recueil sur l’Eglise. Son Eschatologie est étudiée par T. S ta d tland , et son Ecclésiologie par E.W. W endebourg et C. O ’G rady . 3. Sur cet ami de N ietzsche , voir C.A. B ernoulli et le recueil Overbeckiana. 4. En allemand : « ganz und gar und restlos ». 5. D u verbe « poindre » ! 6. Transposition française ; « Beau rugissement de lion ! ».
K. BARTH
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comme telle. Chacun put voir que si j ’étais capable de parler de « l ’au-delà » du royaume de Dieu comme il faut, j ’étais beaucoup moins au clair en ce qui concerne sa venue » (p. 390)... « En renouant comme elle l’a fait avec l ’escha tologie, elle ( = notre théologie) a pris l ’aspect d ’une réaction exagérée, c ’està-dire arbitraire. Si, en face de l’immanentisme d ’hier, il était nécessaire et juste de rappeler avec une nouvelle force que Dieu vient, il ne convenait pas de ne voir la doctrine chrétienne que sous cet angle eschatologique... On devrait éviter, en théologie, de forcer la vérité dans un sens ou dans un autre, malgré tout l’intérêt que cela peut présenter... La doctrine du Dieu vivant ne tolère pas nos marottes ! Et c’est pourquoi on trouve chez les partisans du renouveau eschatologique tant d ’idées-force qui, après avoir exercé une certaine influence, ont provoqué la lassitude, et que l ’on a dû abandonner l’une après l’autre pour ne pas sombrer dans la stérilité » (p. 391)"^. En plus de cet exposé fondamenUil, nous voyons évoluer la pensée de K. Barth dans le déroulement de sa Dogmatique. En 1938 (1'^ volume, 2 ' tome, 3 ' partie) : « Elle ( = l’Eglise) devient ainsi dans le monde le signe du royaume de Dieu qui s’est approché de nous » (p. 305)». En 1940 (2 ' vol., 1"' tome, 2 ' partie, qui vient déjà d ’être cité tout à l ’heure) ; « Dans les Synoptiques, le royaume de Dieu n ’est pas une réalité indépendante mais apparaît toujours comme une grandeur absolument lice à la venue du Messie, à sa Parole, à ses actions et à la foi en lui. On ne saurait séparer ce royaume de celui qui en est le roi » (p. 23)... « Jésus-Christ est lui-même le royaume de Dieu qui vient et qui reste encore caché, et l’essence de ce royaume n ’est rien d ’autre que sa propre essence » (p. 361). En 1942 (2 ' vol., 2 ' tome, 1 " partie): « Jésus-Christ est lui-même le royaume de Dieu » (p. 187)... « Le service de l’Eglise, forme achevée du peuple de Dieu, consiste à attester... la venue du royaume de Dieu » (p. 267)... « Par elle ( = la « paradosis » de Jésus par Dieu) l ’homme a été purifié de son péché et l’accès au royaume de Dieu lui a été ouvert... Par elle l ’Eglise a été et reste fondée » (p. 492). En 1942 encore (2® vol., 2* tome, 2 ' partie): « 11 ne s’agit pas de trois choses, mais de trois fois la même chose. Le royaume est le nouvel homme en Jésus. Jésus est lui-même le royaume du nouvel homme. Le nouvel homme est Jésus, porteur et héraut du royaume » (p. 185)... « Ce que les disciples de Jésus et, en eux, l ’Eglise emportent de la montagne où le Seigneur leur a parlé, c ’est le royaume et le nouvel homme eux-mêmes » (p. 187). En 1948 (3* vol., 2 ' tome, T partie) : « Il est non moins vrai que parce que Jésus (le porteur de l’Evangile de Dieu) est venu, ce même royaume est venu lui aussi, d ’une manière cachée mais efficace, et qu’il a coïncidé avec l ’accomplissement du temps » (p. 147)... « Une eschatologie « conséquente »... une telle eschatologie n ’a rien à voir avec celle du christianisme du Nouveau Testament^ » (p. 155),.. « Comment le passé de Jésus serait-il moins im portant
7. Les pages 387 à 393 seraient à citer en entier. Les théories de S cu w E rrzn R et de ses « épigones » y sont qualifiées de « malheur exégétique » (p. 392). 8. Alors, K. B a r t h se trouve donc au niveau du subterfuge mentionné ci-dessous, p. 193-194. 9. Ainsi donc K. B a r t h contredit exactement sa fameuse formule de 1922 (ci-dessus, p. 184).
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UBÉRATION
d ’u n e
ERREUR
que le présent apostolique ?... C ’est dans ce passé, en effet, que le royaume de Dieu vient et se trouve proclamé... Il s’agit du temps où le fondement de la communauté a été posé » (p. 162)... « Jésus lui-même est le royaume de Dieu, comme il l’a déjà été et le sera, et c’est en lui que se trouvent toutes les trans formations, tous les biens, toutes les perfections et toutes les joies de ce royaume. A strictement parler, il n ’y a pas de « choses dernières », nous voulons dire : de choses dernières dans l’abstrait, existant en dehors et à côté de lui, le dernier » (p. 179)... (A la fin d ’une réfutation de l ’Eschatologie Conséquente) : « 11 faut avoir introduit cette opinion dans le Nouveau Testament, qui la contredit explicitement et implicitement, pour considérer q u ’elle est essentielle à l ’intelli gence de la manière dont la communauté primitive concevait le présent. Et il faut avoir été très peu touché par la puissance consolatrice du Saint-Esprit, pour ne plus pouvoir se sortir de l’impasse dans laquelle on s’est égaré ici » (p. 201)^°... « Sa vie (de Jésus) a été la présence du royaume de Dieu » (p. 276). En 1951 (3 ' vol., 4 ' tome, 2 ' partie): « Elle ( = l’Eglise) est constituée par le royaume de Dieu qui s’est approché, et non pas par quelque empire historique » (p. 180)... « Elle ( = la communauté chrétienne) vit dans la mesure où elle remplit sa tâche au service du royaume de Dieu » (p. ISO)... « Nous présupposons que la communauté chrétienne ou l ’Eglise est le peuple effective ment constitué par son Seigneur Jésus-Christ, c ’est-à-dire par le royaume qui vient et dont elle tient sa tâche » (p. 180-181)... « La communauté chrétienne... n ’est-elle pas une œuvre du Saint-Esprit ? Elle n ’a aucune raison d ’être en dehors du royaume de Dieu... Elle atteste le royaume de Dieu par le simple fait q u ’elle existe toujours à nouveau » (p. 182-183)... « Celui qui s’y décide ( = à entrer dans la communauté chrétienne) annonce q u ’il a reconnu le royaume de Dieu... S’adjoindre à ceux qui confessent, eux aussi, q u ’ils ont reconnu le royaume de Dieu » (p. 183)... La communauté chrétienne comme telle n ’a pas d ’autre raison d ’existence que le royaume de Dieu et sa révélation... La foi repose sur la vision du royaume de Dieu » (p. 184). En 1953 (4 ' vol., 1''' tom e; 17' vol. en français): « Il ne reste plus à l ’homme q u ’un seul lieu où il puisse se tenir : le royaume où Dieu et lui-même vivent dans une paix mutuelle... En Jésus-Christ nous nous trouvons déjà dans l ’empire^ ^ auquel nous appartenons » (p. 103)... « En Jésus-Christ l ’homme a déjà été introduit dans le royaume de la paix avec Dieu » (p. 104)... « En lui ( = Jésus-Christ) le royaume de Dieu dans toute sa gloire est déjà venu et s’est imposé » (p. 152)... « Dès le début ( = de la tradition néotestamen taire), et nonobstant les différences de mentalité et de terminologie qui existent, le Père céleste, son royaume venu sur la terre et la personne de Jésus de Nazareth sont des grandeurs qui, loin d ’être simplement juxtaposés, de se recouper çà
10. B a r t h n ’est pas tout-à-fait le seul, même en Allemagne, pour être sorti de cette impasse: H . S c h u s t e r a publié s u r ce sujet un article lucide et courageux, où il reproche à ScH W E rrzE R et à son disciple M artin W e r n e r d ’avoir majoré les tendances eschatologiques au début de l’ère chrétienne (p. 5-7), d ’avoir négligé l’aspect « présent » du Royaume de Dieu (p. 7-8), d ’avoir confondu Règne et Royaume de Dieu (p. 8-9), d ’avoir malmené les textes bibliques (p. 9-19), d ’avoir remplacé la réalité historique par une construction purement artificielle (p. 10 et 19-25). Mais S c h u s t e r ne va pas jusqu’à rapprocher le Royaume de Dieu et l ’Eglise. 11. Pourquoi le traducteur n ’a-t-il pas dit « dans le Royaume » ? L ’allemand (p. 107) porte bel et bien « Reich ».
K. BARTH
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et là ou de s’opposer, coïncident pratiquement et en fait » (p. 169)... « (Jésus) le Fils du Père céleste, le roi de son royaume » (p. 171)... « Dans sa personne humaine, il ( = Jésus-Christ) est le royaume de Dieu descendu sur la terre. Le royaume de Dieu (c’est-à-dire la puissance de Dieu que Jésus-Christ exerce comme Seigneur et sa gloire q u ’il possède comme ro i)‘ * est réellement présent et actif en lui... parce q u ’il est simplement mais pleinement le premier et l ’authentique sujet de ce royaume » (p. 219).
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En 1955 (4 ' vol., 2“ tome) : « Son royaume ( = de Dieu), sa souveraineté, sa royauté sont, concrètement, le royaume, la souveraineté et la royauté de cet homme ( = Jésus) » (p. 163)... « Il ( = Jésus) a été en sa propre personne ce q u ’il a prêché en paroles et en actes ; le royaume de Dieu qui s'est approché » (p. 171)... « Le royaume de Dieu — ou plus exactement sa royauté — peut aussi bien s’appeler le royaume de Jésus-Christ que celui de Dieu » (p. 208)* ^... « 11 faut en dire autant à propos de la notion centrale du Nouveau Testament : le royaume de Dieu. Le « royaume de Dieu » désigne la seigneurie dressée dans le monde en Jésus-Christ, le règne de Dieu qui s ’exerce en lui. C ’est pourquoi l ’on n ’a pas le droit de récuser la thèse suivante, souvent combattue trop vite et trop légèrement dans la théologie protestante ; le royaume de Dieu est la communauté » (p. 49)... La communauté n ’est pas le royaume de Dieu, M ais, dans sa forme d ’existence terrestre et historique, mais tel qu’il est annoncé et cru par des pécheurs parmi d ’autres, qui deviennent des saints de Dieu au mom ent où ils reconnaissent q u ’il a commencé, le royaume de Dieu est la comm unauté » (p. 50)... « En tant q u ’il se manifeste lui-même dans la période entre sa première et sa dernière révélation, le royaume de Dieu est la communauté » (p. 50)... « Il n ’y a jam ais ni nulle part une identité existant in abstracto entre Jésus-Christ et la communauté ; mais c ’est Dieu qui, par la puissance du Saint-Esprit, crée l ’événement de l'identité réelle entre le seul Saint, entre le royaume de Dieu parfaitement présent en lui d ’une part, et la communauté des saints sur la terre d ’autre part, laquelle est aussi en soi une communauté de pécheurs » (p. 50)... « A côté de sa signification absolue, christologique et eschatologique, le royaume de Dieu possède aussi une signification dérivée, relative et historique, laquelle permet de dire q u ’il est effectivement VEglise » (p. 51-52). Ces multiples citations étaient nécessaires pour ne pas fausser la pensée profonde de K. B a r t h . P ar leur convergence elles m ontrent que de 1940 à 1959 (et sans doute jusqu’à sa mort) il maintient avec persévérance que Jésus est le Royaume de Dieu et q u ’il continue de l ’être dans la communauté q u ’il rassemble et q u ’il sanctifie. Certes, K. B a r t h préfère parler de « communauté » plutôt que d ’Eglise et, s’il adm et que le Royaume de Dieu soit cette communauté, il précise avec soin que la réciproque n ’est pas vraie et que la communauté n ’est pas le Royaume de Dieu (car les deux termes n ’ont pas la même extension). Toutefois, malgré ces diverses restrictions, il finit par recon naître qu’en un certain sens « le royaume de Dieu... est effectivement l’Eglise ».
12. D onc le Royaume de D ieu est ici confondu avec le Règne et avec la Royauté ! 13. Les citations précédentes se trouvent en français dans le 20* volum e; les citations suivantes dans le 21' volume.
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LIBÉRATION D ’UNE ERREUR
Alors on est loin de toute Eschatologie. En fait, K. B a r t h , qui en 1922 proclamait que ce qui n ’est pas « rigoureusement et absolument » eschatologique n ’est pas « rigoureusement et absolument » chrétien, parle ensuite de moins en moins d ’Eschatologie'"*. Si l’on se réfère aux bons index de la tra duction française on remarque que 7 passages se rapportent à elle dans le volume 16, 8 dans le volume 17, 1 dans le volume 18, 2 dans le volume 19, puis aucun dans les vol. 20,21, 22, 23,24,25 et 2 6 alors que tous s’intéressent plusieurs fois au Royaume de Dieu et à la communauté (ou à l’Eglise). Parce q u ’il s’affranchissait de l’Eschatologie^®, K . B a r t h a découvert le Royaume de Dieu sous une lumière nouvelle et il a, d ’une certaine façon, reconnu en lui l'Eglise. Une telle évolution est toute à l’honneur de celui que l ’on considère souvent comme le plus grand théologien du xx* siècle. Ainsi K. B a r t h a presque abouti à une synthèse proche de celle du Cardinal J o u r n e t . On peut imaginer que les deux théologiens suisses, l’un calviniste et l ’autre catholique, se seraient même rejoints tout-à-fait, si B a r t h avait mieux distingué entre Royauté, Règne et Royaume et s’il n ’avait pas projeté dans un débat sur la nature de l’Eglise son refus des structures de l’Eglise catholique^’ .
14. De même, dans une mise au point faite en 1938 (« Parergon », p. 268-275) Karl B a r t h dit encore que « le caractère eschatologique de tout le message chrétien... forme le centre de sa théologie », mais il ajoute q u ’une attente eschatologique abstraite, sans influence sur le présent et occupée seulement d ’un Dieu transcendant, n ’existe que dans la tête de beaucoup de ses lecteurs, non dans la sienne (p. 275). Puis, dans deux autres mises au point faites en 1948 (« Parergon », p. 275-282) et en 1958 (« How my mind has changed »), il ne parle plus de l’Eschatologie. 15. Ce volume 26 parle bien d ’eschaton, mais pas d ’eschatologie. La nuance est significative ! 16. L ’évolution de K arl B a r t h a déconcerté S t a d t l a n d , qui est un eschatologiste convaincu. Après avoir exposé la pensée de K. B a r t h entre 1920 et 1931, il est bien obligé de constater q u ’ensuite elle s ’est profondément modifiée, dans un sens qui l’étonne. Il regrette que finalement pour B a r t h l’Eschatologie ne soit plus que « l ’enseignement sur les fins dernières » (p. 145) (...ce qui est le seul sens acceptable!), q u’il cherche à sortir de ce q u ’il ose appeler « le rêve pan-eschatologique » (p. 171), que chez lui « la dimension de l ’avenir eschatologique manque presque complètement » (p. 181-182). Plus loin S t a d t l a n d se demande si l ’on peut encore parier d ’une Eschatologie chez B a r t h (p. 188) et il avoue être un disciple qui ne comprend plus son maître (p. 188). Mieux encore, après avoir reproduit l’opinion de H ans Urs v o n B a l t h a s a r ; « B a r t h a explicitement rétracté les exagérations eschatologiques de (sa) première période », S t a d t l a n d ajoute naïvem ent: « Comment peut-on exagérer en Eschatologie ? » (p. 172, note 470). 17. Cette confusion apparaît clairement dans la Dogmatique, 3* vol., 2* tome, 2 ' partie, p. 201-203 ; une phrase de ce développement a été citée au chap. 20, p. 182, note 9 (sur le S. Office et la Parousie).
CHAPITRE XXII
Bilan d’une erreur Pour ne pas compliquer les discussions théologiques par des susceptibilités personnelles, renonçons à poursuivre jusqu’à ce jour l’examen des résultats de la crise eschatologique. D ’ailleurs, en ces trente dernières années, aucun fait majeur, sauf la saine réaction de Karl B a r t h , n ’est venu modifier les positions que l ’on peut déjà considérer comme « traditionnelles ». On continue à répéter, souvent avec diverses atténuations^, les thèses favorables à l’Escha tologie Conséquente ou à l ’Eschatologie Réalisée. On continue à confondre le Règne et le Royaume de Dieu (avec de plus en plus de préférence pour le Règne au détriment du Royaume). On continue à parler d ’Eschatologie dans les sens les plus divers et les plus contradictoires (malgré quelques voix qui commencent à s’élever pour protester contre ces abus). On continue (sauf de rares exceptions) à refuser toute assimilation de l’Eglise avec le Royaume de Dieu, sans jam ais fournir d ’argument valable. Bref, on tourne en rond, malgré une abondance d ’articles ou d ’ouvrages scientifiques. Le temps est donc venu, semble-t-il, de dresser le bilan de presque un siècle de travail théologique dans ce secteur déterminé. A) Avantage U n avantage évident résulte de tant d ’efforts infatigables. Soit le Règne ou le Royaume de Dieu soit les événements de la Fin du Monde ont enfin conquis dans la théologie la place q u ’ils méritent. On se demande comment les docteurs du Moyen-Age ou les controversistes de la Renaissance ont pu fouiller les Evangiles sans voir l’importance attribuée à la Royauté, au Règne et au Royaume de Dieu et sans vivre explicitement dans l’espérance de la Parousie. Peut-être est-ce tout simplement parce q u ’ils étaient tous d ’accord sur ces points, qui n ’offraient matière à aucune contestation. Heureusement, la contestation a fini par s’élever et nous n ’aurions maintenant plus aucune excuse si nous négligions ces données essentielles du Nouveau Testament. Depuis que R it s c h l a centré sa pensée sur le Royaume de Dieu et depuis
1. Ainsi C.H. D o d d , en 1970, dans son dernier ouvrage; « Le Fondateur du Christia nisme » édulcore au maximum ses théories personnelles et n ’utilise même plus la formule « Eschatologie Réalisée » (p. 122-125).
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BILAN
d ’u n e
erreur
que Johannes W eiss , son gendre, a centré la sienne sur la Fin du Monde, personne ne peut plus ignorer que ces deux thèmes doivent figurer dans toute synthèse théologique, et à une place d ’honneur. En outre, bien sûr, l’attention consacrée à ces thèmes majeurs a inspiré bien des recherches connexes qui ont éclairé l ’exégèse, la patristique, l ’histoire et la dogmatique. Un effort n ’est jamais vain. B) Inconvénients Hélas, la partie positive de ce bilan est presque étouffée par ime énorme partie négative, q u ’on ne peut évoquer q u ’avec une immense tristesse. Com ment aurait progressé la théologie au x x ' siècle, si elle n ’avait pas été empoi sonnée par l’Eschatologie ? Malheureusement, elle a été empoisonnée et nous devons inventorier les dégâts. a) La réputation de la théologie biblique C ’est un fait que pendant presque un siècle des théologiens ont travaillé avec des concepts imprécis, ambigus et instables, et ils n ’ont même pas entendu les quelques protestations q u ’ils ont provoquées. C ’est un fait que des théologiens ont employé des méthodes irrecevables, en récusant pour des motifs subjectifs (ou : faussement objectifs) les textes qui ne s’accordaient pas à leur théorie ; et chacim ne condamnait ces procédés que chez ses adversaires, nullement chez ses amis. C ’est un fait que des théologiens ont projeté leurs fantasmes personnels sur la littérature juive intertestamentaire, et même sur les documents de Qunirân, pour leur faire d.ire ce que manifestement ils ne diseat pas ; la voix des quelques spécialistes qui ont protesté a été couverte par les clameurs des non-spécialistes^. Quelle science pourrait impunément commettre tant de fautes contre les lois essentielles de la méthode scientifique, sans être déconsidérée ? Si l’exégèse et la théologie veulent retrouver leur « respectabilité », elles doivent absolument adopter une méthode vraiment scientifique. b) L ’Eschatologie Conséquente Cette formule est à elle seule une énigme. Car enfin ! Le Nouveau Testa ment ne parle jam ais d ’Eschatologie ; il parle de temps en temps de la Fin du M onde (et des événements connexes) ; il parle souvent di’un Royaume de Dieu, qui existait déjà au temps de Jésus, qui existera encore lors de la Fin du M onde et qui existera même encore par la suite. Comment a-t-on pu tirer de là une « Eschatologie Conséquente », c’est-à-dire une théorie qui veut expliquer par l ’attente de la Fin du Monde toute la pensée et l ’activité de
2. Je me permets de rappeler que si j ’ai entrepris cet ouvrage, c ’est pour soulager ma conscience contre un danger de complicité. Combien de fois n ’ai-je pas entendu évoquer « l’ardente fièvre eschatologique qui brûlait les gens de Qumrân » ? Or, manifestement, on ne parle pas de Royaume de Dieu ni de Fin du M onde, encore moins d ’Eschatologie, dans les textes de Qumrân actuellement publiés. C ’est alors que j ’ai découvert les ravages créés par l ’illusion eschatologique même chez des savants réputés. Et j ’ai eu peur d ’être complice si je me taisais. Pendant des années j ’ai lutté contre m a conscience pour ne pas écrire ce livre. Finalement, j ’ai dû céder à ma conscience.
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Jésus ? D ’abord, sans penser à mal, on employait le terme d ’Eschatologie pour désigner en bref l’étude des événements relatifs à la Fin du Monde. Puis, par abus de langage, on a transporté ce terme sur le plan objectif et on lui a fait désigner la Fin du Monde. Par une véritable hallucination collective (si grande est la puissance de la « mode », même en théologie !) on a gonflé les textes sur le Royaume de Dieu à la Fin du M onde pour leur faire dire que ce Royaume existerait uniquement à la Fin du Monde. Puis on a escamoté, d ’une façon ou d ’une autre, les textes, nombreux, qui présentent le Royaume de Dieu sous un autre aspect. Alors on pouvait reléguer dans l’Eschatologie une bonne partie de l’enseignement de Jésus... Une autre conséquence, qui n ’a pas été perçue ni voulue par l ’ensemble des partisans de ce système, mais qui a été formulée très clairement par L o is y et par quelques autres, c ’est q u ’on peut alors, en parfaite logique, continuer ainsi le raisonnement ; « Jésus, en prêchant le Royaume de Dieu comme imminent^, a prouvé q u ’il attendait la Fin du Monde pour un avenir immédiat. Or cette Fin du M onde n ’est pas arrivée. Donc Jésus s’est trompé. Donc Jésus n ’est pas Dieu...». c) L ’Eschatologie Réalisée Cette fois on ne met plus en cause les « illusions » de Jésus. Mais on les attribue à ses disciples. Ce sont eux qui se sont trompés sur le sens des paroles de leur Maître et qui ont pris pour la prédiction d ’un futur Retour de Jésus à la Fin du M onde ( = Parousie) de simples métaphores bibliques, qui décrivaient à l ’avance la chute de Jérusalem"^ ou l’emprise du Règne de Dieu (en confondant Règne et Royaume) sur les âmes des croyants. Mais pour aboutir à ce résultat, il faut utiliser les méthodes chirurgicales de l’Eschatologie Conséquente et il faut am puter le Nouveau Testament des textes sur lesquels elle s’appuyait pour absorber le présent dans le futur, puisque cette fois c ’est le futur qui est absorbé dans le présent. L’illogisme fondamental de cette théorie apparaît dans le titre même qui la désigne : Eschatologie Réalisée. Elle ne peut avoir un sens que si l’on ne donne plus à Eschatologie le sens d ’Eschatologie. Alors pourquoi s’être encombré de ce fardeau et ne pas parler simplement de la réalisation du Royaume de Dieu ? d) L’esprit critique En un siècle qui s’honore d ’avoir développé l’esprit critique, la théologie a donné un exemple de véritable esprit non-critique. Car les fautes de raison nement relevées dans cet ouvrage, les déformations de textes, les pétitions de principe ou les cercles vicieux, tout cela a été pratiqué au grand jo u r par les théologiens les plus illustres ou les plus influents... sans provoquer d ’énergiques réfutations. Le monde théologique s’est comporté, sur ce point, comme s’il avait été anesthésié par une « mode » toute puissante. A ma connaissance,
3. Il faudrait dire ; « et même comme présent ». 4. Si l’on prenait cet argument au sérieux, il faudrait en conclure que cette chute de Jérusalem n ’avait pas encore eu lieu quand a été mis par écrit le N ouveau Testament ! On rejoindrait ainsi un des argum ents essentiels de J.A.T. R o b in s o n (Redating...).
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personne ne s’est étonné de voir évoquer si souvent une Eschatologie dont le Nouveau Testament ne parle jamais ; personne ne s’est inquiété de connaître la date de naissance de ce concept*, ni d ’étudier ses diverses déformations. Si l’on voulait relever tous les auteurs qui, d ’une façon ou d ’une autre, répètent « le Règne de Dieu c ’est le Royaume de Dieu » ou bien « le Royaume de Dieu c ’est le Règne de Dieu », on devrait les citer presque tous, à commencer par H a r n a c k : « Das Reich Gottes ist Gottesherrschaft, gewiss » (p. 35). Même les travaux les plus méticuleux (ceux de B u l t m a n n ) ont été réalisés à partir de vagues notions courantes, sans vérification sérieuse. Tout cela est d ’autant plus étonnant que tant de cours d ’université, tant de thèses de doctorat, tant d ’articles de revues ont été consacrés à l ’Eschatologie ! L’Eschatologie est devenue une sorte de mythe, qui a gagné même les meilleurs esprits. e) Les subterfuges Comme nous l ’avons vu (p. 98-102) l’identification entre l’Eglise et le Royaume de Dieu, qui a été paisiblement affirmée jusqu’au xviii' siècle, semble à peu près inéluctable. En fait, cette équivalence® aurait pu être admise sans problème par les diverses écoles théologiques, puisqu’elle est reconnue p ar S. A u g u s t in , par L u t h e r , par C a l v in et par des papes. Le problème de la structure de l ’Eglise, sur lequel s’opposent les Catholiques et les Protestants, est un problème tout différent dont nous n ’avons pas à traiter ici’ . Or, à cause des préjugés eschatologiques, bien des auteurs paraissent avoir honte de reconnaître cette identification, contre laquelle joue une sorte de réflexe conditionné. Comme pourtant les textes du Nouveau Testament lui sont manifestement favorables, on a trouvé des subterfuges pour esquiver tout de même ime conclusion aussi gênante. 1) Premier subterfuge : distinguer entre le Royaume du Christ (qui pourrait être l ’Eglise) et le Royaume de Dieu (qui reste confiné dans son Eschatologie). Les auteurs (dont tel de premier plan) qui recourent à cette distinction® recon-
5. J ’ai dû faire raoi-mômc cette enquête dans « Les D angers de l’Eschatologie », p. 365370, et « Correction d ’une erreur... » (à paraître). 6. Avec la réserve, bien sûr, exprimée par Ch. J o u r n e t (vol. II, p. 92) ; s’il n ’y a pas de distinction réelle entre l’Eglise et le Royaume, n ’en subsiste pas moins une distinction conceptuelle : la même réalité est saisie avec ces deux termes sous des aspects différents (voir ci-dessus, p. 101). 7. Certains protestants affirment parfois que l’identification de l’Eglise et du Royaume de Dieu est une thèse catholique. C ’est faire peu d ’honneur aux générations de Protestants (voir l’étude de G. S c h r e n k ) qui ont soutenu cette thèse, et c ’est faire trop d ’honneur aux Catholiques modernes, qui souvent n ’osent plus la soutenir (voir ci-dessus, chap. 13). En fait, cette identification appartient au trésor commun des Catholiques et des fto testan ts et elle pourrait constituer un point d ’accord œcuménique. 8. Johannes W ass (Predigt..., p. 9-10) et D o d d (New Testam ent Studies, p. 54) ont déjà imaginé cette distinction. Elle se trouve même déjà chez les Réformateurs, selon T o r r a n c e (p. 22-29; 75-89; 122-125; 131-134; 147-164), mais alors elle a pour but de remédier à la confusion fondamentale entre Royauté, Règne et Royaume. La distinction faite par S. A u g u s t in (voir J o u r n e t , vol. II, p. 64) a un tout autre sens, car elle n ’oppose pas Royaume du Christ à Royaume de D i e u , mais Eglise militante à Eglise triom phante. Sur la distinction (ou plutôt : la non-distinction) entre Royauté de Dieu et Royauté du Christ, voir ci-dessus, p. 92-94.
SUBTERFUGES
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naissent par le fait même que l’Eglise s’identifie au R oyaum e’ , ce qui est très im portant ; c’est seulement parce q u ’ils se croient (bien à tort) obligés de reléguer le Royaume de Dieu dans l’Eschatologie q u ’ils imaginent cette échappatoire. Certes le Nouveau Testament parle tantôt du Royaume du Christ (M atthieu 13,41 ; Col. 1,13 ; II Pierre 1,11) et tantôt du Royaume de Dieu (partout ailleurs), mais l ’équivalence de ces deux réalités est établie par Ephésiens 5,5 : « tout fornicatcur... n ’a pas de participation au Royaume du Christ et de D ieu»^°. D ’ailleurs personne n ’aurait sans doute inventé cette distinction^^, s’il n ’y avait pas été contraint, comme certain le confesse loyale ment, par le besoin de sauvegarder « l’Eschatologie du Royaume de Dieu ». Et ceux qui, bon gré mal gré, y recourent ne semblent pas s ’apercevoir q u ’ils malmènent ainsi les textes sur la présence de pécheurs dans le Royaume de Dieu (voir ci-dessus, p. 97 et 98), puisque, eux, ils transfèrent ces pécheurs du Royaume de Dieu au Royaume du Christ. 2) Deuxième subterfuge: faire de l ’Eglise le «sacrem ent du Royaume». Chez les Catholiques français, cette théorie est devenue une véritable mode, bien que personne, à ma connaissance, n ’ait cherché à la justifier. Comment le pourrait-on d ’ailleurs ? C ar cette formule, qui n ’est pas biblique, déforme curieusement les données du Concile Vatican II : dès ses premiers mots la constitution dogmatique Lumen Gemium disait : « L ’Eglise étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c ’est-à-dire à la fois le signe et le moyen, de l ’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain... » (chap. 1, n “ 1)^^. Et plus loin : « (Dieu) a fait l’Eglise... sacrement visible de cette unité salutaire» (chap. 2, n “ 9)... « L ’Eglise, sacrement universel du salut» (chap. 7, n° 48)*^. Jamais le Concile ne dit que l’Eglise est le sacrement du R o y a u m e ^ P o u rq u o i a-t-on falsifié en « sacrement du R oyaum e», ce qui est en réalité « sacrement de l’union à Dieu, sacrement de l’unité des hommes et sacrement du salut» ? Pire encore : cette malencontreuse formule laisse supposer que l ’Eglise ne serait que la partie visible et terrestre d ’un Royaume de Dieu invisible et céleste, mais alors que faire des pécheurs qui doivent sub sister dans ce Royaume de Dieu, selon les Evangiles (voir ci-dessus, p. 97 et 98) ?
9. Certains membres de ce groupe traduisent systématiquement par « Règne », même quand le sens demande « Royaume ». 10. U n savant exégète se permet quelque part d ’ironiser sur des missionnaires, qui, au Concile Vatican I, raisonnaient comme si le Royaume du Christ avait été le Royaume de Dieu. N ’en déplaise à ce savant, ces bons missionnaires avaient pour eux Ephésiens 5,5, ils rejoignaient par avance Karl B arth (Dogmatique, 4 ' vol., 2 ' tome, 1 " partie ( = vol. 20 en français), p. 208-209) et ils annonçaient même la Constitution Lumen Gemium de Vatican II (voir ci-dessus, p. 117). 11. K arl B arth repousse vigoureusement cette distinction, comme on a pu le voir ci-dessus, p. 185-187. 12. Cette phrase est reprise du discours de Paul VI à l’ouverture de la 2 ' session du Concile. 13. Voici les autres textes conciliaires qui reviennent sur cette idée: « L ’admirable sacrement de l ’Eglise tout entière »... « L ’Eglise, sacrement de l’unité » (Constitution sur la Liturgie, chap. 1, n“ 5 et 26)... En outre les formules de Lumen Gentium sont reprises par Gaudium et Spes, 1” part., chap. 4, n° 42, par. 3 et n° 45, par. 1 puis par le Décret sur l ’activité missionnaire, chap. 1, n “ 1 et n° 5. 14. Et l’on n ’oubliera pas les textes cités p. 117, où cette constitution Lumen Gemium suppose l ’identification de l ’Eglise et du Royaume.
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BILAN
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La même idée bizarre avait déjà séduit T. C o l a n i dans la Revue de Théologie et de Philosophie Chrétienne, vol. 4, janvier-juin 1852, p. 125 et G l o e g e (p. 265). Elle est reprise par L a d d , en 1966, p. 265. Par contre ne soulève aucune objection la formule allemande « Kirche als U rsakram ent» (titre d ’un ouvrage d ’O. S e m m e l r o t h ), car elle est si vague q u ’elle peut être juste, puisqu’elle n ’indique pas de quoi l’Eglise est sacrement ; mais le traducteur français à jugé bon de préciser : « L’Eglise sacrement de ia Rédem ption». C ’est admissible. Mais l ’Eglise n ’est pas pour cela sacrement du Royaume. f ) Les négations Ces subterfuges n ’étant guère défendables, ceux qui tiennent malgré tout à reléguer le Royaume de Dieu dans l ’Eschatologie doivent maintenir que l ’Eglise ne peut pas être le Royaume de Dieu. Aucun texte biblique ne peut leur fournir d ’argument. Alors, sans donner aucune preuve, beaucoup se contentent d ’affirmer avec indignation : « Bien entendu, l’Eglise n ’est pas le Royaume ». Tel autre avoue ingénument : « The Kingdom of God, according to accepted doctrine (sic !), cannot be identified with the Church » (N olan , p. 292)... Tel autre fait même suivre sa négation d ’une remarque qui la contredit : « Le Royaume de Dieu ne peut pas être identifié avec l’Eglise, quoique le Règne de Dieu suppose un peuple qui vive sous ce Règne»... Tel autre, dans un chapitre sur « le Royaume et l’Eglise » développe sa pensée en cinq points ; 1) « L ’Eglise n ’est pas le Royaum e». 2) « Le Royaume crée l’Eglise». 3) « L ’Eglise témoigne du Royaum e». 4) « L ’Eglise est l’instrument du Royaume ». 5) « L ’Eglise est la gardienne du Royaume ». Comme dit cet auteur, « to u t dépend de la définition du Royaum e». Hélas !... Tel autre essaie de s ’en tirer par un rideau de brouillard, en accumulant des phrases qui ne veulent rien dire. Ainsi dans une étude sur l ’Eglise peuple de Dieu l’auteur m ontre q u ’il connaît l ’un des arguments en faveur de l’équation Eglise = Royaume : « Quand on compare, grâce à une concordance, le vocabulaire des Synoptiques et celui des lettres de Saint Paul ou des Actes des Apôtres, on voit que le terme « Royaume », fréquent chez les premiers, est plus rare dans les autres écrits, et que le terme « Eglise », abondamm ent employé par ceux-ci, ne se rencontre que deux fois chez ceux-là. On en retient l’impression que l’Eglise a pris la place du Royaume, au moins pour ce qui est de sa présence actuelle en ce monde ». Mais l’auteur ne veut pas céder à une telle impression, aussi il continue : « Ce n ’est pourtant pas exact ». On suppose donc q u ’il doit avoir des motifs sérieux pour rejeter sa première (et judicieuse) impression. On s’attend à trouver dans la suite une argumentation exégétique ou théologique irréfutable. Et voici ce q u ’on lit ; « A la place du Royaume, que prêchait Jésus, selon les Synoptiques, l’Eglise de Saint Paul et des Actes ne prêche pas l’Eglise, mais Jésus Seigneur et Sauveur, m ort pour nos péchés, ressuscité par notre salut. Sur ce point, l’Evangile selon saint Jean témoigne du même changement. Les annonces de l ’Eglise, avec mention du Royaume, q u ’on peut lire, explicites ou implicites, dans les Evangiles, mon trent l ’Eglise ordonnée au Royaume, où il faut entrer, et q u ’il faut accueillir de Dieu, plutôt q u ’elle n ’est identifiée à lui (cf. M t 16,18-19 ; M t 21,43 ; Le 12,32). Mais l ’Eglise ne peut pas proclamer le Royaume sans proclamer Jésus-Christ, justem ent parce q u ’elle n ’est pas Jésus-Christ, et parce que JésusChrist est devenu plus que Jamais, dans la Croix et la Résurrection, le signe par excellence de la proximité du Royaume... D ’autre part, l ’Eglise ne peut
NÉGATIONS. SILENCES
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pas proclamer le Royaume et en faire connaître les signes, si elle n ’est pas soumise et unie à Jésus-Christ, qui demeure, par le don de l’Esprit Saint, l’Apôtre du Père dans le monde. Le temps de l’Eglise, ouvert dans la proximité du Royaume comme le temps original de la prédication et de la conversion, devient ainsi le temps et l ’espace d ’un Royaume du Christ Seigneur, déjà vainqueur de la m ort et des « Puissances ». Les chrétiens des premières géné rations ont pu se représenter ce Royaume à la manière du Royaume messiani que, précédant le Royaume définitif, q u ’on trouve annoncé dans certains écrits juifs de cette époque (cf. Ap. 20,1-6)». Si l’on essaie de préciser les arguments contenus dans ces phrases, que trouve-t-on ? Aucun argument exégétique, car de vagues références (indiquées seulement par de vagues « c f» ) à M atth. 16,18-19 ; 21-43 ; Luc 12,32 ; Apocalypse 20,1-6 ne consti tuent pas un argument. Aucun argument théologique, philosophique ou historique. Seulement des affirmations sans valeur démonstrative ; « L’Eglise... ne prêche pas l’Eglise, mais Jésus-Christ» (mais quelle opposition y a-t-il entre l ’Eglise et J é s u s ? ) ; «les annonces de l’Eglise m ontrent l’Eglise ordonnée au Royaume » (mais précisément l ’auteur devrait prouver que cette relation ne peut pas et ne doit pas aller jusqu’à l ’identification) ; « l ’Eglise ne peut pas proclamer le Royaume sans proclamer Jésus-Christ» (bien sûr, mais cela ne prouve pas q u ’elle n ’est pas ce Royaume) ; « le temps de l ’Eglise... devient ainsi le temps et l’espace d ’un Royaume du Christ Seigneur » (c’est encore plus vrai si l’Eglise est le Royaume)... Serait-on injuste en soupçonnant que l’auteur, qui entrevoit bien que l ’Eglise est le Royaume, cherche, sans les trouver, des arguments pour se convaincre, et nous convain cre, que cette vérité est une erreur ? g) Les silences D ’autres auteurs semblent écartelés : d ’un côté ils comprennent bien que ces subterfuges ou ces négations sans preuve ne sont pas des procédés scientifiques, mais d ’un autre côté ils ne peuvent s’enhardir jusqu’à mettre en cause l’Eschatologie ou jusqu’à reconnaître l’identité de l ’Eglise et du Royaume. Alors, que faire ? Ne parvenant pas à résoudre ce problème, ils l’esquivent. On trouve ainsi d ’excellents ouvrages sur l’Eglise où n ’est jamais traitée clairement sa relation avec le Royaume. J ’en ai vérifié deux d ’assez près : les auteurs (qui sont des Catholiques très représentatifs) supposent en permanence une intime relation entre l ’Eglise et le Royaume, mais pas une fois ils n ’osent soit affirmer soit nier leur identification. Ainsi, dans un article de 1961 consacré à la définition de l’Eglise, un grand théologien (catholique lui aussi) n ’envisage même pas la notion de Royaume de Dieu, malgré deux brèves allusions au Règne de Dieu (p. 236 et 252). De même, un article tout récent (en 1974) s’exprime ainsi : « Nous avons toute raison de croire que Jésus voyait dans ce Royaume vécu (sic) par lui et ses disciples l ’embryon (sic) de la future Eglise... Sans affirmer une identi fication sans réserve de l’Eglise avec le Royaume de Dieu, il semble possible de voir dans la croissance de l ’Eglise l ’expension du Royaume prédite et voulue par Jésus» (p. 199)... L ’Eglise dans laquelle le Royaume de Dieu grandira (plus haut, le Royaume était l’embryon de l’Eglise !) est ainsi définie comme le lieu de la metanoia spirituelle (p. 200)... Nous espérons avoir montré que ce que les évangiles Synoptiques nous disent sur le Royaume est instructif (oh, combien !) également pour cette autre réalité appelée Eglise» (p. 203).
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BILAN D UNE ERREUR
Plus symptomatique encore ! Une thèse de doctorat, soutenue en 1975, sur « le concept d ’Eglise dans la récente théologie romaine-catholique », ne mentionne q u ’une seule fois le Royaume de Dieu dans le passage suivant : « La plus im portante direction, en laquelle l ’Eglise dépassait ses évidentes dimensions, était eschatologique ; ici la notion dom inante est celle d ’Eglise et de Royaume de Dieu » (p. 55). Pour ce jeune docteur, qui est lui-même catho lique, rapprocher Eglise et Royaume de Dieu est une exagération si évidente q u ’il ne prend pas la peine de la réfuter ! Q u’on en soit là, en 1975, dans un travail présenté comme scientifique devant un jury scientifique, voilà qui donne à réfléchir ! L ’eschatologisme a bel et bien pénétré dans un vaste secteur de la théologie ; il a imposé une mode qui ne s’appuie sur aucun argument valable ; beaucoup de savants (même parmi les meilleurs) se sont laissé influencer par cette mode ; ils n ’abordent plus le Nouveau Testament avec un regard neuf et limpide, mais avec des lunettes déformantes.
CHAPITRE XXIII
Objections et Conclusions Les lecteurs de cet ouvrage ont certainement senti naître en eux un certain nom bre d ’objections, qui ont affaibli, retardé, ou même empêché leur adhésion plénière. Q u’ils se rassurent ! Les mêmes objections se sont présentées à moi. Si j ’ai continué de tenir la plume, c ’est parce que j ’espère pouvoir m ontrer que ces objections ne sont pas décisives, q u ’elles peuvent même, après m ûr examen, se retourner en faveur des conclusions imposées par d ’autres argu ments et pour d ’autres motifs. a) Première objection : Puisque Jésus et ses contemporains parlaient habituellement l'araméen, qui ne distingue pas entre Royauté, Règne et Royaume, ils ne pouvaient guère avoir ces notions et ils ne pouvaient guère les utiliser dans une construction théologique. Oui. Mais les documents de Qum rân et de M urabba’ât* nous montrent que l ’hébreu n ’était pas ignoré, même p ar les gens du peuple, et donc q u ’il pouvait continuer à influencer leurs structures mentales. Et surtout l’absence d ’un vocabulaire adéquat n ’empêche pas l’existence de concepts plus ou moins précis: bien que les Français aient du mal à distinguer clairement entre « dürfen » et « kônnen », entre « sollen » et « müssen », entre « tun » et « machen », ils possèdent tout de même les idées correspondantes ; de même, bien q u ’ils rendent « girl » et « daughter » l ’un et l ’autre par « fille », ils sont to u t de même capables de com prendre la différence entre ces termes ; bien q u ’ils n ’aient pas encore créé un m ot spécial pour dire « cheap » ou « reliable », ils n ’ignorent to u t de même pas complètement ces notions. U n vocabulaire plus précis facilite certes l ’acquisition et l ’emploi d ’un concept, mais un vocabulaire moins précis n ’empêche pas absolument de parvenir à ce concept. Surtout, la pensée chrétienne a bien dû se contenter pendant un siècle du vocabulaire de l ’Ancien Testament et des religions hellénistiques, même si elle voulait verser du vin nouveau dans des outres vieilles. Au début du christia-
1. M urabba’ât est le nom d ’un autre wadi du Désert de Juda, près duquel on a découvert des grottes contenant les squelettes, les objets usuels et les papiers personnels de maquisards juifs de la Seconde Révolte (132-135 après Jésus-Christ). O r ces gens, qui n ’appartenaient pas nécessairement à l ’élite intellectuelle, avaient près d ’eux 8 contrats en hébreu et 17 en atam éen, mais les 7 lettres q u ’ils conservaient étaient toutes en hébreu.
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OBJECTIONS
nisme la difficulté n ’était pas plus grande sur ce point que sur tant d ’autres. Ce sont les théologiens postérieurs qui auraient dû mieux clarifier leur vocabulaire. b) Deuxième objection : Affirmer que le Royaume de Dieu c ’est l’Eglise et que le Règne de Dieu c ’est la Justification, c ’est rejoindre Luther et Calvin et, à travers eux, la théologie patristique et médiévale. N ’est-ce donc pas sombrer dans im honteux conservatisme ? Certes, les conclusions obtenues sont étonnam m ent traditionnelles. Mais elles résultent d ’arguments nouveaux : la distinction entre Royauté, Règne et Royaume n ’a pas, semble-t-il, été proposée de façon claire par les Pères de l ’E ^ise ou les théologiens du Moyen-Age; les remarquables progrès de la science moderne dans la connaissance de la période intertestamentaire commencent seulement à porter leurs fruits et iis n ’ont sans doute pas fini de rajeunir d ’autres vieux problèmes. Je me permets d ’ailleurs de l’affirmer: ce n ’est pas parce que je désirais voler au secours de thèses actuellement déconsidérées que j ’ai pensé à invoquer de tels arguments. C ’est parce que mes propres travaux m ’ont amené à constater peu à peu la fausseté des positions à la mode, que je me suis décidé, après bien des hésitations, à dénoncer le mirage de l ’Eschatologie. Le conservatisme consisterait plutôt à plier le genou devant l’eschatologisme envahissant! c) Troisième objection : L’exégèse moderne fait une grande place à la critique littéraire, c ’est-à-dire à la distinction des multiples sources ou des multiples retouches qui ont abouti à la production de notre actuel Nouveau Testament. N ’est-ce pas une méthode regrettable d ’avoir constamment négligé les lumières de cette science? Q u’on ne prenne pas mon silence pour un refus ou un mépris ! Si telle traduction française anonyme, malgré les habitudes des autres collaborateurs, distingue ainsi les sources et les documents de deux livres bibliques, c ’est parce que j ’ai lutté, seul contre tous, pour l'exiger. Dans le cas qui nous occupe, la situation est toute différente. Trop souvent, la critique littéraire du Nouveau Testament est faite à partir d ’une théologie préconçue et c ’est en fonction de cette théologie q u ’on décide que tel ou tel passage n ’a pu être rédigé q u ’à telle période. Cette critique-là doit être refusée absolument. Comme nous l’avons vu (p. 83-85), la convergence de Marc, de la Source Commune, de M atthieu, de Luc, de Paul m ontre clairement que la notion de basileia tou théou provient de Jésus lui-même^ ; nous savons que c ’était une notion rela tivement rare chez ses contemporains et q u ’elle a été plutôt négligée dans les milieux grecs de l ’Eglise prim itive: c ’est en fonction de ces données q u ’il aurait fallu faire la critique littéraire et non pas inversement. D ’ailleurs, inutile de se battre sur ce point : les textes qui parlent de cette basileia tou théou sont si nombreux q u ’on ne peut vraiment pas les récuser tous ou les considérer tous comme tardifs. Même B u l t m a n n , q u ’on peut considérer comme le champion de la critique littéraire, n ’est pas parvenu (et n ’a sans doute pas cherché) à les disqualifier tous. 2. B.D. C h i l t o n , dans un ouvrage tout récent consacré à la critique littéraire des princi pales paroles de Jésus sur la basileia tou théou, aboutit à la conclusion q u ’elles « peuvent être identifiées comme provenant du Seigneur » (p. 293).
OBJECTIONS
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d) Quatrième objection : L ’argum entation de ce livre est singulièrement étriquée. N ’est-ce pas se mettre des œillères que de retenir seulement les textes qui contiennent tel ou tel m ot ? Ne devrait-on pas tenir compte aussi de tous les textes où ce mot n ’est pas exprimé formellement, où cependant la notion équivalente se trouve implicitement ? L ’objection est valable et je me la suis faite à moi-même en permanence. Mais, si le faux concept d ’Eschatologie a réussi à s’imposer, alors q u ’il n ’existe pas dans le Nouveau Testament, c ’est précisément parce q u ’on est parti de notions vagues et mal définies, q u ’on a cru (de bonne foi) les reconnaître un peu partout et q u ’on a bâti sur elles une théologie partiellement imaginaire. Pour lutter contre cet abus, il fallait étudier uniquement les textes qui contiennent certainement une notion, puisqu’ils l ’expriment formellement, de façon à ne pas risquer de projeter sur les textes des idées préconçues et purement subjectives. Certes, le Nouveau Testament contient sans doute des passages qui concernent la Royauté, le Règne ou le Royaume de Dieu, sans mentionner la basileia tou théou. Mais on ne peut pas partir de ces textes imprécis pour étudier ces notions. C ’est seulement quand ces notions seront élaborées scientifiquement q u ’on pourra rechercher les autres passages où elles sont contenues implicitement. Et alors il faudra commencer par prouver que chaque texte contient réellement ces notions et q u ’on ne cède pas inconsciemment à quelque tendance arbitraire. A d ’autres de réaliser cette enquête élargie et de compléter ce travail. Pour un début, il fallait s’en tenir aux textes sûrs. e) Cinquième objection : La partie historique de cet ouvrage est notoirement insuffisante : bien des auteurs, qui auraient mérité une étude spéciale, sont passés sous silence ; bien des articles et même bien des ouvrages im portants semblent ignorés. C ’est exact, je le reconnais. Je me permets cependant de plaider une circonstance atténuante : les bibliothèques de Paris ne m ’ont pas permis de faire m ieux; mes amis d ’Allemagne, d ’Angleterre ou des Etats-Unis savent combien de photocopies je leur ai demandées ; je ne pouvais pas davantage abuser de leur obligeance. Mais surtout je ne considère nullement cet ouvrage comme définitif. Il faudra le reprendre eiitièrement, pour mieux en vérifier chaque détail. Les divers auteurs étudiés ne le sont q u ’à titre de jalons représentatifs, et ils ne suffisent évidemment pas pour un tableau historique complet. Je ne pouvais que donner le coup d ’envoi et signaler l’urgence d ’une remise en ordre fonda mentale. A mes successeurs de faire mieux et de corriger tout ce qui le mérite. Comme on dit en rugby, ceci n ’est q u ’un « essai » ; à d ’autres de le « transformer ». / ) Sixième objection : Refuser l ’Eschatologie, n ’est-ce pas com prom ettre la « théologie de l ’espérance » q u ’à si bien étudiée Jürgen M o l t m a n n ? Cette théologie de l'espérance est plus que bienfaisante, elle est juste ; ou plutôt : elle serait juste si elle était placée dans un cadre exact. Bien que
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critique les positions de S c h w e it z e r ^, de B a r t h '^ et de BuLTmKN’, il reste un eschatologiste convaincu et il suppose en permanence que le Royaume de Dieu ne viendra q u ’à la Fin du Monde. Ainsi il sépare radicalement le présent de l ’avenir et même du passé : jadis Jésus a prêché l’Evangile puis est m ort et ressuscité ; m aintenant nous vivons dans un monde terriblement im parfait; plus tard le Royaume de Dieu réalisera toutes les promesses de l ’Ecriture. Tout cela est vrai. Mais le lien entre ces trois états n ’est pas clairement mis en lumière. Si le Royaume de Dieu (dont M o l t m a n n parle trop peu) n ’était pas repoussé dans un avenir eschatologique, s’il était au contraire considéré dans toute sa réalité, en accord avec les « paraboles de la croissance », s’il était reconnu comme fondé par le Christ, propagé laborieusement avec l ’Eglise, couronné triomphalement à la Parousie, avant de déboucher dans la Vie Etemelle, alors le passé, le présent et l ’avenir apparaîtraient comme trois étapes de la formation du même Royaume. Alors la confiance (pour le présent) et l ’espérance (pour l ’avenir) reposeraient sur une base ferme ; le présent, malgré l ’ivraie qui risque d ’étoufier le bon grain, serait le fruit, en cours de formation, de la semence apportée par Jésus, et le même présent serait l ’épi mûrissant pour la moisson, qui sera coupée à la fin des temps et engrangée dans les « demeures étemelles ». C ’est l ’action de Dieu dans le passé qui s’épanouit dans le présent et c ’est l ’action de Dieu dans le présent qui s’épanouira dans l ’avenir. N ’est-ce pas ainsi q u ’on obtient une vraie « théologie de l ’espérance » ? Mais pour cela il faut renoncer à l’Eschato logie, qui mutile le Royaume... M oltm ann
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Si l’on veut bien accepter comme suffisantes les réponses à ces diverses objections, j ’ose espérer q u ’alors on adm ettra volontiers, jusqu’à preuve du contraire, les principaux résultats de ce travail : 1) Le terme Eschatologie n ’est admissible que dans sa signification normale : étude des fins dernières ; si on lui fait signifier ces fins dernières elles-mêmes, on commet un illogisme. 2) Quiconque parle d ’Eschatologie (même dans le sens admissible) doit reconnaître que sa pensée ne part pas du Nouveau Testament mais q u ’elle impose à ce Nouveau Testament un concept non-biblique. 3) Surtout si l ’on parle une langue peu sensible à certaines nuances, on devrait avoir grand soin de ne pas confondre Royauté, Règne et Royaume de Dieu et d ’employer un vocabulaire aussi précis que possible. 4) Les Français devraient définitivement renoncer à traduire Jean 18,36 par « M on Royaume n ’est pas de ce monde » (ce qui équivaut en fait à « M on Royaume n ’est pas dans ce monde »), puisque le sens est clairement : « Ma Royauté ne vient pas de ce monde ».
3. « La découverte de l ’eschatologie et son infécondité », p. 35-40. 4. « Eschatologie transcendantale... Théologie de la subjectivité transcendantale de Dieu », p. 44-59. 5. « Eschatologie transcendantale... Théologie de la subjectivité transcendantale de l ’homme », p. 44-50 et 59-72.
CONCLUSIONS
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5) Rejeter le Royaume de Dieu uniquem ent dans l ’Au-Delà (après la m ort individuelle ou après la Résurrection Générale) c ’est contredire l ’enseignement de l ’Ecriture (voir ci-dessus, p. 98). 6) Rejeter le Royaume de Dieu uniquement à la Fin du Monde, c ’est encore contredire l ’enseignement de l’Ecriture (voir ci-dessus, p. 95-97). 7) Limiter le Royaume de Dieu en niant la Parousie, la Résurrection Générale et le Jugement Dernier, c ’est toujours contredire l ’enseignement de FEcriture. 8) Comme disait déjà H. C l a v ie r en 1932, on doit s’attendre à « un tel boule versement de l’eschatologisme habituel q u ’il vaudra mieux utiliser un autre vocabulaire et q u ’il faudra, sans doute, revenir, avec un singulier enrichissement de la pensée religieuse, au point d ’où l’on était parti, pour un nouveau départ » (« Notion de Dieu », p. 55). 9) Comme disait James M. R o b in s o n en 1960, est remise en question « la signification centrale de l’eschatologie, que ces 50 dernières années ont considérée comme le fondement sur lequel était basée la prédication de Jésus » (p. 19)^ 10) Ceux qui refusent d ’adm ettre que l ’Eglise soit le Royaume de Dieu, devraient prendre la peine de dire clairement pour quels motifs ils refusent cette identification. 11) Ni les Catholiques ni les Protestants n ’ont à craindre ou à souhaiter cette identification, car elle ne concerne pas la structure de l ’Eglise, mais seulement sa nature profonde’ . 12) L ’assimilation de l’Eglise au Royaume de Dieu ne contredit nullement, mais confirme heureusement, les autres formules néotestamentaires qui présentent l ’Eglise comme Peuple de Dieu, Epouse du Christ ou Corps du Christ. 13) Le refus de l’eschatologisme ne perturbe nullement la théologie, mais il permet au contraire d ’obtenir une synthèse logique et harmonieuse : le Règne de Dieu dans les âmes est la Justification ; le Royaume de Dieu, qui est Jésus avec les membres de son Eglise, a commencé au Baptême de Jésus ; il grandit depuis lors et renferme non seulement des «justes », mais aussi des « pécheurs » ; il englobera la Parousie, la Résurrection Générale, le Jugement Dernier, l’Offrande au Père ; il s’épanouira dans la Vie Eternelle. * ♦ ♦ En somme, la fidélité à l ’Ecriture impose de mettre en pleine lumière la Royauté, le Règne et le Royaume de Dieu, et donc pour cela de renoncer au mirage de l ’Eschatologie. 6. O. CuLLMANN dit aussi: « N ous considérons comme une tâche essentielle de la théologie moderne de trouver une solution au problème cschatologique » (La pensée eschatologique..., p. 353). 7. Dans une conférence de 1927, publiée par Zwischen den Zeiten (vol. 5, 1927, p. 365378) et traduite dans « l’Eglise », Karl B a r th affirme que la meilleure amorce d ’un rapproche ment des Eglises se trouve dans trois mots du Catéchisme Romain ( = Catéchisme du Concile de T rente); « Fide solum intelligimus ( = nous ne comprenons que par la foi) y est-il dit au sujet de la réalité divine de l’Eglise. On peut tranquillement affirmer que si nous étions d ’accord sur le sens de ces trois mots il n ’y aurait pas de séparation des Eglises... A partir de là, en effet, on pourrait s’entendre sur tout le reste ; je dis bien tout le reste : la papauté, les sacrements, le dogme et les rites » (p. 47-48).
PREMIER APPENDICE
Exemple d’exégèse « scientifique » Pour q u ’on ne m ’accuse pas d ’avoir noirci le tableau en reprochant à divers auteurs leurs méthodes exégétiques, je me permets de reproduire quelques pages écrites dans un ouvrage célèbre par un exégète de grand renom, qui a exercé une influence considérable ; L o is y . II commence par énoncer d'excellents principes, q u ’il avait sans doute l’intention d ’appliquer: « Si l’on veut déterminer historiquement l ’essence de l ’Evangile, les règles d ’une saine critique ne permettent pas q u ’on soit résolu d ’avance à considérer comme non essentiel ce que l ’on est porté mainte nant à juger incertain ou inacceptable. Ce qui a été essentiel à l ’Evangile de Jésus est ce qui tient la première place et la plus considérable, dans son enseigne ment authentique, les idées pour lesquelles il a lutté et pour lesquelles il est m ort, non celle-là seulement que l’on croit encore vivante aujourd’hui. De même, si l ’on veut définir l ’essence du christianisme primitif, on devra chercher quelle était la préoccupation dom inante des premiers chrétiens, et ce dont vivait leur religion. En appliquant le même procédé d ’analyse à toutes les époques, et en com parant les résultats, on pourra vérifier si le christianisme est resté fidèle à la loi de son origine, si ce qui fait aujourd’hui la base du catholicisme est ce qui soutenait l’Eglise du moyen âge, celle des premiers siècles, et si cette base est substantiellement identique à l ’Evangile de Jésus, ou bien si la clarté de l’Evangile s’est bientôt obscurcie, pour n ’être dégagée de ses ténèbres q u ’au x v i' siècle ou même de nos jours. Si des traits communs se sont conservés et développés depuis l ’origine jusqu’à notre temps dans l’Eglise, ce sont ces traits qui constituent l’essence du christianisme. Du moins, l’historien n ’en peut pas connaître d ’autres ; il n ’a pas le droit d ’employer une autre méthode que celle q u ’il appliquerait à une religion quelconque. Pour fixer l ’essence de l’islamisme, on ne prendra pas, dans l ’enseignement du Prophète et dans la tradition musulmane, ce que l’on peut juger vrai et fécond, mais ce qui, pour Mahomet et ses sectateurs, importe le plus en fait de croyance, de morale et de culte. Autrement, avec un peu de bonne volonté, l ’on découvri rait que l’essence du Coran est la même que celle de l’Evangile, la foi au Dieu clément et miséricordieux... « L ’essence de l ’Evangile ne peut être établie que sur une discussion critique des textes évangéliques, et en partant des textes les plus sûrs et les plus clairs, non de ceux dont l ’authenticité ou le sens peuvent être douteux. On irait contre les principes les plus élémentaires de la critique en échafaudant une théorie générale du christianisme sur un petit nombre de textes médiocre ment garantis, et en négligeant la masse des textes incontestés et leur significa
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tion très nette. Avec une telle méthode, on offrirait au public une synthèse doctrinale plus ou moins spécieuse, mais non l’essence du christianisme d ’après l ’Evangile » (L ’Evangile et l ’Eglise, 5 ' édition, Introduction, p. xiv à xix). Dans le cours de la discussion, L o is y est bien obligé d ’examiner Luc 17,20-21. Voici comment il le fait: « On a, pour appuyer l’idée d ’un royaume purement intérieur et déjà présent, un texte du troisième Evangile, dont l ’authenticité n ’est pas très sûre, ni le sens très clair. Interrogé, par les pharisiens sur le temps où viendrait le royaume de Dieu, Jésus leur répond : « La venue du royaume de Dieu n ’est pas matière d ’observation. L ’on ne dira pas : Il est ici, o u : Il est là. Car le royaume de Dieu est en vous*. « Cette déclaration ne se lit que dans Luc, et elle fait partie d ’un préambule que l’auteur a rédigé pour un discours eschatologique^ dont la substance a été retenue par M atthieu^. Il y a beaucoup de chances pour que ce discours seul appartienne à la source commune des deux Evangiles, et que la parole citée vierme de Luc ou de sa tradition particulière. L ’ensemble de cette introduction est dans le style de l’évangéliste, qui crée volontiers la mise en scène des discours q u ’il reproduit ; et l ’idée du royaume présent ne s’accorde pas bien avec le discours même, qui concerne l ’avènement du Fils de l ’homme, à moins que l ’assertion ; « Le royaume de Dieu est en vous », ne doive s’entendre comme une prophétie qui signifierait : « Le royaume de Dieu est tout près de se manifester parmi vous ». Le travail rédactionnel s’accuse en ce que l ’on dit du royaume : « 11 est ici, ou là », ce qui ne convient q u ’au Messie, et s ’applique en effet à lui deux versets plus loin » (L’Evangile e t l ’Eglise, p. 51-53). — En somme L o is y accuse ce texte d ’être « rédactionnel » et de moindre valeur, selon une méthode décrite ci-dessus (p. 90-91) et il commence par insinuer que « l ’authenticité n ’(en) est pas très sûre ni le sens très clair », mais sans prouver d ’aussi graves soupçons. Puis il continue : « Si la parole a été réellement prononcée par Jésus et adressée aux pharisiens comme le dit l’évangéliste, elle ne peut pas signifier que le royaume de Dieu soit en eux, c ’est-à-dire dans leurs âmes ; car ces pharisiens ne croient pas à l ’Evangile et n ’ont point de part au royaume. 11 y aurait bien de la subtilité à sous-entendre une restriction, comme si Jésus voulait dire : « L e royaume de Dieu est tel, qu’il doit se réaliser en vous, pourvu que vous le vouliez et que vous en soyez dignes ». Le sens le plus naturel serait : « Le royaume de Dieu est au milieu de vous », et c ’est peut-être ainsi que le comprend le rédacteur, si toutefois il n ’a pas voulu dire simplement que le royaume surviendra sans q u ’on s ’y attende, et sans q u ’on ait le temp d ’annoncer q u ’il est apparu en tel ou tel endroit » (L ’Evangile et l ’Eglise, p. 53). — Cette fois L o is y , pour se dispenser d ’accepter le sens «le plus naturel», prétend que ce malheureux texte n ’a pas un sens acceptable. Le terrain étant ainsi préparé et ce texte suffisamment discrédité, il pour suit son argumentation : « Pour être autorisé à soutenir que Jésus a entendu cette parole dans un sens différent, il faudrait avoir d ’autres textes, de sens et d ’authenticité indiscutables, où s’exprimerait le caractère intérieur et actuel
1. Luc, 17, 20-21. 2. Luc, 17, 22-37. 3. M atth, 24, 23. 26-27. 37-39. 17-18. 40-41. 28.
APPENDICE
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du royaume. Mais il est évident que ces textes font entièrement défaut, et l’on irait contre les principes les plus élémentaires de la critique en sacrifiant le reste de l’Evangile à l’interprétation douteuse d ’un seul passage » (L ’Evangile et l’Eglise, p. 53-54). — Ici nous sommes en pleine contre-vérité. « autres textes, de sens et d ’authenticité indiscutables, où s’exprimerait le caractère intérieur et actuel du royaume » existent bel et bien : nous en avons relevé une dizaine rien que dans les Evangiles, aux pages 96-97, et même une dizaine d ’autres décrivent ce royaume avec des verbes au passé. Et L o isy spécule sur la naïveté du lecteur quand il en appelle aux « principes les plus élémentaires (pourquoi ce pluriel ?) de la critique », q u ’il ne voudrait pas violer « en sacrifiant le reste de l ’Evangile à l’interprétation douteuse d ’un seul passage ». La critique demande, non pas de sacrifier un texte à d ’autres, mais de les respecter tous, les uns et les autres. En réalité ce passage n ’est pas seul et son interpréta tion, discutable en ce qui concerne la nature du royaume, ne l’est nullement en ce qui concerne son actualité. Alors, L o is y peut conclure avec une belle condescendance ; « Dans les conditions les plus favorables, et l’authenticité de la parole étant admise, on devrait dire que Jésus parle de la présence du royaume dans son commencement, et de sa préparation par l ’Evangile » (L ’Evangile et l’Eglise, p. 54). — Quel lecteur aura remarqué q u ’il a subrepticement dévié la discussion'! Dans ce passage L o is y polémique contre H a r n a c k , qui interprète le Royaume de Dieu d ’une façon purement intérieure. Or, dès le début, il n ’a pas dit seulement « un royaume purement intérieur » il a ajouté « et déjà présent », ce qui n ’est d ’ailleurs pas inexact. Puis, dans la discussion, il invoque « l ’idée du royaume présent » et laisse au second plan l ’intériorité. Vers la fin il m entionne encore les deux notions : « le caractère intérieur et actuel du royaume ». Mais dans la conclusion il ne parle plus que « de la présence du royaume dans son commencement et de sa préparation par l ’Evangile ». La discussion sur l ’inté riorité du royaume de Dieu aboutit aussi à un plaidoyer contre sa présence... Hélas, on pourrait signaler des exemples tout aussi édifiants sous la plume des exégètes et des théologiens de notre temps, même dans les ouvrages qui se vendent le mieux. Les lecteurs seraient-ils dupes de tels procédés ?
DEUXIÈME APPENDICE
Comment on suppose au point de départ ce qu’il faudrait démontrer I A. VON G a l l publie en 1926 un ouvrage de 480 pages (plus les tables et les index) intitulé « Basileia tou Théou », auquel il donne comme sous-titre « E tu d e d ’histoire religieuse sur l ’Eschatologie avant l’Eglise». Comme il inclut dans cette étude les ouvrages du Nouveau Testament, il suppose donc a priori que l'Eglise existait seulement après le Nouveau Testament. Bien entendu, après une telle supposition, on n ’est pas tenté de rapprocher le Royaume de Dieu et l ’Eglise ! Voici le début de son introduction : « L ’idée du Royaume de Dieu a toujours joué dans l ’histoire de l’Eglise et de la Théologie un rôle plus ou moins décisif. L’Eglise a reçu cette idée du Christianisme primitif, avant tout des écritures du Nouveau Testament. La prédication de Jésus et les intuitions de Paul étaient pour elle normatives. Et certes le Royaume de Dieu était un concept eschatologique, c ’est-à-dire un bien qui se réalise seulement au temps de la fin, qui n ’est pas encore accessible dans le présent et qui signifie seulement une préparation à cette fin. Le caractère exclusive ment eschatologique du Royaume de Dieu influence non seulement la prédi cation de Jésus et de Paul, mais aussi l’Eglise ancienne. A u g u s t in le premier a assimilé le Royaume de Dieu, la « civitas Dei », à l ’Eglise, mais sans abandon ner sa relation eschatologique» (p. 1). — Après de telles affirmations (qui ne sont pas justifiées dans la suite de l’ouvrage), à quoi bon une recherche théologique ? Et pourtant, au dernier chapitre de son ouvrage, l ’auteur se voit contraint à un aveu significatif ; « 11 est remarquable comme la Basileia tou Théou est peu mentionnée dans la littérature de la période hellénistique et romaine ‘ commp quelque chose d ’imminent, introduisant à la fin du monde » (p. 468).
1. Pour être complet, l ’auteur devrait ajouter q u ’elle est encore moins mentionnée auparavant !
APPENDICE
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Mais cela ne l ’empêche pas d ’affirmer ensuite : « Pourtant la Basileia tou Théou, même si elle n ’est pas mentionnée aussi souvent que nous pourrions le penser^, est le concept central de toutes les espérances du Judaïsme de notre période (p. 468-469). Que pensent les logiciens d ’une telle argumentation ?
II B l a c k m a n en 1936 dans son article « Eglise et Royaume de Dieu : nécessité d ’une discrimination » exprime clairement sa pensée : « A moins d ’être Catholiques Romains, nous ne sommes pas tentés d ’identifier Eglise et Royaum e» (p. 373)'^. Et pourtant il avait écrit trois pages auparavant ; « (Cette) identification n ’est pas propre aux Catholiques Romains, on la trouve aussi, parmi les modernes savants protestants, chez F a ir b a ir n et D e n n e y ... Parmi les Réformateurs, C a l v in en particulier a considéré l ’Eglise comme le Royaume de D ieu» (p. 370)’ . Les explications ne brillent pas par leur clarté : « Mais le Royaume et l ’Eglise ne sont pas exactement au même niveau. Le Royaume a un aspect présent aussi bien que futur ; mais ce double sens n ’est pas établi explicitement pour l ’Eglise. Le Royaume de Dieu est surtout une réalité future, un idéal ; l ’Eglise a commencé comme un fait présent. Certes le Royaume en est venu à désigner aussi en un certain sens une réalité présente, et de même l ’idée d ’Eglise s’est étendue jusqu’à inclure pas seulement une société présente, empirique, militante, de chrétiens dans ce monde, mais aussi la compagnie future, glorieuse et triomphante des Chrétiens au ciel. Mais essentiellement Eglise et Royaume sont à distinguer comme le présent et le futur®. Selon le Nouveau Testament l ’Eglise est la communauté de ceux qui par leur union avec le Christ sont déjà capables d ’entrer dans le Royaume de Dieu’ .... Quoique dans l’enseignement de Jésus le Royaume de Dieu est présent aussi bien que futur, les Chrétiens ont eu par la suite tendance à le considérer comme seulement futur®. Pour eux son aspect présent était leur appartenance à l’Eglise, mais cela était alors
2. Quel joli euphémisme ! Et pourquoi serions nous portés à le penser ? 3. Rappelons que pour v o n G a l l cette période inclut le Nouveau Testament mais pas l’Eglise. 4. Bien avant 1936 une grande partie des Catholiques Romains ne maintenaient plus l’identité entre le Royaume de Dieu et l’Eglise. 5. Cette identification est-elle, oui ou non, propre aux Catholiques Romains ? Si oui, c ’est considérer C a l v in comme un Catholique Romain. Si non, pourquoi ce coup de grifle (dans la pensée de l’auteur) contre les Catholiques Romains ? 6. Pourquoi cette opposition entre Eglise (du présent) et Royaume (du futur), puisque l ’auteur vient de reconnaître que l’Eglise inclut aussi l’avenir et que le Royaume inclut aussi le présent ? Q u’est-ce qui justifie cette opposition ? Q u’on produise des argum ents 1 7. Jam ais le Nouveau Testament ne dit cela. L 'auteur donne une excellente définition de l’Eglise quand il la décrit comme « la communauté de ceux qui (sont en) union avec le Christ ». Mais pourquoi ajoute-t-il »... (de ceux qui) sont déjà capables d ’entier dans le Royaume de Dieu » ? Il se garde bien, d ’ailleurs, d ’alléguer aucune référence précise. 8. Puisque pour Jésus « le Royaume de Dieu est présent aussi bien que futur », pourquoi les Chrétiens ont-ils faussé son enseignement ? Si leur terminologie a évolué au point de ne plus correspondre à la pensée de Jésus, pourquoi maintenir cette terminologie et renoncer à la pensée de Jésus ?
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regardé comme leur préparation pour ce Royaume®, et le Royaume lui-même se trouve dans le futur, comme objet d ’espérance et de prière^®. Autre dis tinction : le Royaume est dans l ’autre monde, l’Eglise dans ce monde-ci^ On ne nie pas que, pour ainsi dire, chacun empiète sur le terrain de l ’autre. Le Royaume peut être regardé comme pénétrant dans l ’ordre du monde présent et l ’Eglise comme continuant son existence dans un ordre de réalité plus élevé, dans le cicl*^. On peut toutefois objecter q u ’il n ’y a pas d ’autre Eglise au sens strict que celle de ce monde^^. Nous exprimons un fait et un fait im portant quand nous parlons de l ’Eglise triom phante en opposition avec l ’Eglise militante, mais cela implique une transformation du sens du m ot « Eglise Par Eglise triom phante on désigne la compagnie plénicre des saints, la réalisation ultime d ’une société divine, qui doit se manifester à la fin des temps, quand sera terminée la guerre contre tout ce qui s ’oppose à la volonté divine. Mais pour ceci le terme propre est « Royaume de Dieu » et le terme Eglise est incorrect^*. Car l ’Eglise est proprem ent la société de ceux qui dans ce monde font la volonté de Dieu et qui attendent son Royaume » ‘ Tout cet exposé repose sur l ’affirmation d ’un principe, qui est précisément la conclusion de la démonstration.
9. Pourquoi ? Si l ’aspect présent d u Royaume était l’appartenance à l ’Eglise, alors Royaume égalait Eglise ! 10. Pourquoi, tout d ’un coup, le Royaume, auquel les Chrétiens participaient, devient-il aiasi « objet d ’espérance et de prière » ? 11. Q u’est-ce qui, dans le Nouveau Testament, justifie cette distinction ? 12. De quel droit a-t-on délimité le terrain du Royaume et de l’Eglise, puisqu’on reconnaît q u ’ils empiètent l ’un sur l’autre ? 13. Pourquoi ? Quel texte justifie cette affirmation ? où se trouve le « sens strict » du m ot « Eglise » 7 14. Oui. si l’on pose comme principe que l’Eglise ne doit pas inclure « l’Eglise triom phante ». Mais d ’où vient ce principe ? Puisque le Christ est la tête de l’Eglise (Eph. 5,23) et que l’Eglise est le corps du C hrist (Col. 1,18.24), pourquoi le Christ ressuscité perdrait-il subitement son corps ? 15. Pourquoi ? 16. Comm ent concilier cela avec les nombreux textes qui présentent le Royaume de D ieu comme une réalité présente ou même passée ?
TROISIÈME APPENDICE
Exemple de blocage inconscient T o b a c (p. 216-217) : « I I est indéniable que, dans bien des passages, cette même justification est décrite par Paul comme actuellement existante, voire même comme passée (par exemple, I Cor. 6,11 «vous avez été justi fiés ; Rom. 3,24 « étant justifiés » ; 5,19 « ayant été justifiés » ; 8,30 « ceux q u ’il a prédestinés, il les a aussi appelés et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; or ceux q u ’il a justifiés, il les a aussi glorifiés » ; Tite 3,7 « ayant été justifiés par sa grâce »). Faut-il en conclure, avec certains critiques, que Paul connaît une double justification, l’une accomplie, l’autre future, ou au moins que la justification revêt chez lui un double aspect, l ’un présent, l ’autre eschatologique Le problème ainsi posé, il ne peut guère être question, nous semble-t-il, que de divergences formelles et verbales^. Nous croyons toutefois que la justification conserve partout dans S. Paul sa portée messianique et eschatologique... ». Alors que les textes, de façon « indéniable», affirment que la Justification peut aussi être un fait passé, pourquoi croire que « partout » elle ait « une portée messianique et eschatologique»? Pourquoi associer « messianique » à « eschatologique » ? Bloquer ainsi le futur, le Messianisme et l ’Eschatologie, c’est admettre implicitement que, pour S. Paul, le Messie n ’était pas encore venu (car, lorsque Tobac écrivait, l ’Eschatologie Réalisée n ’avait pas encore été inventée). Tobac a-t-il réfléchi à la portée de ses paroles ?
1. L ’auteur donne certains de ce.s textes seulement en grec, je les ai traduits en français. 2. Pourquoi ne pas dire tout simplement que pour Paul la justification peut exister dans le passé, tout comme dans le présent ou l ’avenir? Pourquoi parler seulement d ’un « double aspect, l’un présent, l’autre eschatologique » ? Que devient le passé, reconnu comme « indéniable » dans les textes cités ? E t pourquoi remplacer « futur » par « eschatologique » ? 3. La différence entre le passé, le présent et l’avenir est-elle seulement « formelle » et « verbale » ?
QUATRIÈME APPENDICE
Comment on sollicite inconsciemment les textes Un théologien célèbre s’exprime ainsi, p. 4 9 -5 0 ; « Saint T h o m a s ... (donne) sa vraie place à l ’Eglise ; il m ontre dans la Somme (1“ 2*', q. 103, a. 3) comment elle se situe entre la Synagogue et le Royaume de Dieu. Synagogue = période d ’attente, de prophétie, de préparation ; Royaume = période de consommation, de jouissance, de plénitude. L ’Eglise va se situer entre les deux et nous trouverons, dans ce fait que l ’Eglise est dans une situation d ’entre-deux, une explication des traits dualistes... : grâce et moyens de grâce, institution et communauté, hiérarchie et vie de sainteté. Nous allons avoir ainsi une clé extrêmement simple pour expliquer ces antinomies ». Si l ’on a la curiosité de se reporter à la Somme Théologique, Prima Secundae, question 103, article 3, q u ’y trouve-t-on ? Dans un article intitulé « Les cérémonies de la loi ancienne furent-elles abrogées à l’avènement du Christ ?», S. T h o m a s d ’A q u in raisonne ainsi : « On a dit plus haut que tous les préceptes cérémoniels de la loi ancienne se rapportaient au culte de Dieu. Mais le culte extérieur doit s’adapter au culte intérieur, fait de foi, d ’espérance et de charité ; par suite, si le culte intérieur change, le culte extérieur doit suivre ce changement. On peut donc distinguer trois états de culte intérieur : 1“ Dans l’un, la foi et l’espérance portent conjointement sur les biens du ciel et sur ce qui nous y introduit, le tout considéré comme à venir ; tel fut l’état de la foi et de l ’espérance sous la loi ancienne. — 2“ Dans un autre état du culte intérieur, on croit et on espère les biens du ciel comme réalités à venir, mais comme présentes ou passées les réalités qui nous y introduisent ; tel est l ’état de loi nouvelle. — 3“ Dans le troisième état tout est tenu comme présent, il n ’y a plus d ’au-delà à croire ni de futur à espérer ; tel est l’état des bienheureux. « Dans l ’état des bienheureux, le culte divin ne com portera rien de figuratif, mais sera tout « d ’action de grâces et chant de louange », selon l ’expression d ’Isaïe (51,3). Ce qui fait dire à S. Jean décrivant dans l ’Apoca lypse (21,22) la cité des bienheureux : « J e n ’y vis point de temple, car le Seigneur Dieu tout-puissant est son temple, ainsi que l’Agneau». Pour une raison analogue, les cérémonies du premier état, préfigurant le second et le troisième états, durent disparaître à l ’avènement du second et d ’autres céré monies introduites, qui fussent en rapport avec le culte de cet âge nouveau pour lequel les biens du ciel sont encore à venir, mais où sont présents les
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bienfaits de Dieu qui nous y introduisent.» (Traduction de R. M u l a r d , p. 200-201). Chacun peut constater que dans ce passage S. T h o m a s ne parle ni de l'Eglise ni du Royaume de Dieu. La distinction qu’il fait entre les trois états du culte intérieur n ’a aucun rapport avec le Royaume de Dieu ni avec l’Eglise. Comme ces dernières notions sont assez rares sous sa plume (il ne consacre aucun article à l’Eglise et aucun au Royaume de Dieu dans sa volumineuse Somme Théologjque), on ne peut même pas supposer q u ’elles soient plus ou moins implicitement dans sa pensée. Alors comment expliquer une telle méprise ? L ’auteur était tellement persuadé que l’Eglise concerne la terre et que le Royaume concerne le ciel, q u ’il a projeté ses idées personnelles dans le texte de S. T h o m a s '. Malheureu sement il fait de cette méprise la « clé » de son argumentation.
1. L ’auteur dit même un peu plus loin, avec une bonne foi évidente: « Cette vue, que Saint T h o m a s donne si clairement... ».
CINQUIÈME APPENDICE
Comment sont présentés les textes du Qumrân Dans une étude sur le messianisme à Qumrân, un spécialiste s’exprime ainsi : « Nous insistons sur ce point : dans ce travail il s’agit fondamentalement des représentations messianiques et non pas, plus généralement, des représen tations eschatologiques de la Communauté de Qumrân. Nous considérons donc simplement une partie précise de leur attente de l ’avenir... ». « Quand nous parlons du Messie, nous entendons une figure de Sauveur eschatologique. Certes, mSyh ne signifie originairement que « Consacré ». Dans ce sens non-eschatologique mSyhym se rencontre trois fois dans les textes de Qumrân pour désigner les prophètes de l ’Ancien Testament (Document de Damas 111,12 et VI,1 ; Règle de la Guerre XI,7). Ailleurs, dans les textes de Qumrân, m Syh se présente seulement au sens d ’une figure eschatologique. « Quand nous parlons d ’Eschatologie, nous entendons « indiquer une certaine attente concernant la fin dans laquelle sont laissées de côté la destruc tion et la rénovation du cosmos, mais qui se maintient dans le cadre de l ’histoire » (avec Th.C. V r ie z r n , Prophecy and Eschatology, Leiden, 1953, p. 202). Si, avec H ô l s c iie r (Die Ursprünge der jüdischen Eschatologie, 1925, p. 3), nous limitions la notion d ’Eschatologie aux représentations « de ce grand drame de la fin des temps, qui termine la période présente et qui commence une nouvelle période de salut », alors il n ’y aurait presque plus ou peut-être plus du tout à parler d ’Eschatologie soit dans l’Ancien Testament soit dans les textes de Qumrân. « En ayant soin de parler de l’Eschatologie au sens indique ci-dessus, on inclut la définition de H ô l s c h e r . Si l ’on veut distinguer les deux aspects à l ’intérieur de l ’Eschatologie, on parle plutôt, comme J. K l a u s n e r (The Messianic Idea in Israël, London, 1956, p. 408 et suivantes), de « l ’âge messianique » et du « monde à venir », quoique je ne voudrais pas, avec K l a u s n e r , limiter le concept d ’Eschatologie au « monde à venir » dans le sens transcendental du h ' w l m h b ’ (p. 414 et 448). Comme dans l’Ancien Testament, les images eschatologiques du futur me paraissent à Qumrân se développer encore dans le cadre de ce monde. En gros il s’agit d ’une combinaison de l ’Eschatologie nationale et de l ’Eschatologie universelle (pour cette distinction, voir C. S t e u e r n a g e l , Die Strukturlinien der Entwicklung der jüdischen Eschatologie, Festschrift A. B e r t h o l e t , Tübingen, 1950, p. 479-487). Je
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n ’essaie pas de décider si dans les textes de Qum rân une limite est déjà posée au temps messianique par l’Eon à venir. L ’incendie du monde, dont parlent les Hymnes 111,26 et la suite, pourrait aussi être une image de l’anéantissement des impies. Les pieux qumrâniens ont certainement eu une Eschatologie individuelle : les âmes bienheureuses ^ continuent à vivre en communauté avec les anges au Ciel (Hymnes 111,21 et la suite ; passim). Cette Eschatologie est ainsi déjà prolongée dans le transcendant. Mais malheureusement on ne peut pas décider avec certitude si l ’Eschatologie nationale et l ’Eschatologie individuelle étaient déjà combinées à l’intérieur de la secte dans l ’attente de la résurrection à la fin des temps (pour cette distinction à l ’intérieur de l’Escha tologie, voir ici aussi C. S t e u e r n a g e l ). « Quand nous parlons de la fm des temps, nous entendons les derniers moments de ces « temps mauvais ». Ainsi pour nous la fin des temps correspond d ’une certaine façon à l’époque eschatologique, en tant que la fin des temps coïncide comme fin de ces temps mauvais avec le début de la nouvelle ère (messianique). « Par « figure d ’un Sauveur eschatologique », c’est-à-dire par le Messie, nous n ’entendons pas forcément une figure royale de la fin des temps. 11 n ’est pas conforme à la logique de limiter a priori le nom m§yh (au sens eschatolo gique) au roi eschatologique, comme on le fait souvent (autrement : Gressmann, Der Messias, et S ta e rk , Soter I). Avant tout, S. M o w in ck el identifie le Messie uniquement avec le roi de la fin des temps (He that cometh, Oxford, 1956, p. 99). Mais précisément les textes de Qumrân m ontrent q u ’il peut être subordonné à une plus importante figure d ’un Sauveur humain »... Ce spécialiste reconnaît donc que les textes de Qumrân ne parlent « presque plus ou peut-être plus du tout » (ainsi d ’ailleurs que l ’Ancien Testament) « d ’un grand drame de la fin des temps » qui inclue « la destruction et la rénova tion du cosmos » (sauf peut-être les Hymnes 111,26, mais qui peuvent aussi être considérés comme une image poétique). 1) Pourtant il affirme (sans preuve) que les gens de Qum rân « ont certainement eu une Eschatologie individuelle ». Il définit le Messie comme un « Sauveur eschatologique ». 2) Il impose à ses lecteurs une notion de l ’Eschatologie hautement fantaisiste : « une certaine attente de la fin » qui exclut cette fin elle-même. 3) II définit à priori le Messie comme un « Sauveur eschatologique », alors q u ’il vient « d ’insister » sur la différence « fondamentale » entre Messianisme et Eschatologie. Tout cela est-il logique ? Pourquoi veut-on à tout prix qu’il y ait une Eschatologie à Qumrân ?
1. Cette interprétation des Hymnçs est loin d ’être certaine ; dans le passage cité i) n ’est pas question des « âmes bienheureuses ».
SIXIÈME APPENDICE
Déclarations de Diverses Eglises sur les rapports entre le Royaume de Dieu et l’Eglise Sur la demande de la Commission Théologique de la Conférence Mondiale « Foi et Ordre », plusieurs églises ont exprimé leur position sur les rapports entre le Royaume de Dieu et l’Eglise et leurs déclarations sont éditées dans « The N ature o f the Church » (en 1952). On y remarque avec joie que souvent ces rapports sont appréciés de façon très positive, et que parfois ils aboutissent presque à l’identification. En suivant l’ordre de cet ouvrage, voici des extraits de ces documents. 1) L ’Eglise de Rome, présentée par R. Newton F lew ‘ : « Le Royaume de Dieu est présent et aussi transcendant. Selon la volonté du Christ, tous les hommes doivent être membres du Royaume de Dieu sur la terre, de façon à pouvoir ensuite participer au Royaume des cieux » (p. 23). 2) Les Eglises Luthériennes de Scandinavie, présentées par K.E. S k y d s g a a r d : « Le Christ est le centre du plan de salut de Dieu. Il est le Royaume lui-même, l ’autobasileia, comme disait O r ig è n e ... La venue du Christ dans le monde, sa vie, ses paroles, ses actes, sa mort, sa résurrection, son ascension sont des événements salvifiques du Royaume de Dieu. Mais l’œuvre du salut par Dieu n ’est pas terminée par cela. Entre la venue du Christ dans la plénitude des temps et l’établissement final du Royaume s’étend la période de l’Eglise militante » (p. 72). 3) L ’Eglise Réformée (Presbytérienne) d ’Ecosse, présentée par G.D. H e k d Èr s o n : « La Confession de Westminster identifie en un endroit l ’Eglise et le Royaume (article XXV, 2). Cela se rapporte explicitement aux paraboles de M atthieu 13 et en ce sens l’identification est acceptée par D ic k s o n , WooD et d ’autres théologiens écossais traditionnels. H o w a t dit (Conccrning Christ and the Church, p. 40) : « L ’Eglise est dans un sens très réel le vrai Royaume du Christ ». Pourtant, en général, l’Eglise a été regardée comme une conception plus étroite que le Royaume, et en fait l ’instrument du Royaume » (p. 96-97).
1. Le rédacteur précise loyalement q u ’il n ’appartient pas à l’Eglise Catholique Romaine et q u ’il n ’est pas m andaté po u r parler au nom de cette Eglise.
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4) Autres Eglises Réformées (Presbytériennes) d ’Europe, présentées par B. VAN DER S p r e n k e l , J. C o u r v o is ie r et G.D. H e n d e r s o n : « Il y a des endroits dans l ’Ecriture où l'Eglise et le Royaume de Dieu peuvent être tenus pour identiques et, bien entendu, le Christ est m aintenant Roi ; mais les E lises Réformées sont d ’accord q u ’ordinairement le Royaume doit être compris plutôt en un sens eschatologique et l’Eglise comme l ’instrument par lequel la fin sera obtenue » (p. 112-113). 5) L'Eglise Vieille-Catholique, présentée par Andréas R in k e l . Après avoir cité le « Catéchisme de Foi et de Morale » utilisé dans l ’Eglise VieilleCatholique des Pays-Bas : « Le Royaume de Dieu se manifeste en une forme terrestre par l’Eglise du Christ » (p. 150), le présentateur continue: « Notre théologie garde « Royaume de Dieu » et « Eglise » en étroite relation. Ils ne sont pas identiques et ne le deviendront pas dans cet éon. Mais le Royaume de Dieu n ’est pas purement une réalité eschatologique qui — comme il arrive souvent quand on insiste trop sur la notion eschatologique — fait de l’Eglise une conception pauvre et vide, et le Seigneur de l’Eglise pas beaucoup plus q u ’un second Jean-Baptiste » (p. 152). 6) Déclaration approuvée à Bradford en 1937 par la Conférence Métho diste Britannique : « L’intention (de Dieu) est de préparer la voie pour le but et la consommation de toute l’histoire, la venue finale du Règne ou du Royaume de Dieu, qui a déjà été manifeste dans l’activité rédemptrice du Christ » (p. 204). 7) Le Comité Théologique Américain, présenté par Clarence T. C ra ig : « Une des plus importantes différences dans l ’histoire du Christianisme a porté sur la relation entre le Royaume de Dieu et l ’Eglise. Dans les premiers temps, quand dominait l’attente du millennium, l ’Eglise se regardait comme un avant-goût du Royaume en quête de sa consommation. Au Moyen-Age l ’Eglise croyait q u ’elle représentait l’actuel règne du Christ... A ses origines, le Protestantisme insistait sur l ’éternel souveraineté de Dieu, quoique la « théocratie » était plus caractéristique du Calvinisme que du Luthéranisme. Dans le Christianisme américain, le rapport a été renversé... on présente surtout l’Eglise comme le principal instrument de Dieu pour établir son Règne dans l ’ordre social » (p. 248). 8) L'Eglise Evangélique et Réformée, présentée par George W . R ic h a r d s ; « L ’Eglise n ’est pas l’équivalent du Royaume de Dieu. Elle est l’institution (agency) fondée par Dieu pour la préservation et la propagation de l ’Evangile du Royaume... Le Royaume de Dieu implique le complet Règne de Dieu, sa consommation marque la fin des temps » (p. 258)... « Le Royaume de Dieu est plus q u ’un événement à venir quand le Christ retournera visiblement pour inaugurer le Règne Messianique ; il est une réalité présente partout où son Esprit gouverne la vie des hommes » (p. 264).
9) L'Eglise Luthérienne, présentée par Eric H. W a h lstro m : « Les Luthé riens n ’emploient pas aussi largement que d ’autres la notion de Royaume de Dieu. Ils parlent du « Royaume de Dieu de la grâce » du « Royaume de Dieu dans la gloire » plutôt que simplement du « Royaume ». Ainsi le Royaume est compris par rapport à la grâce et Dieu établit son Royaume par son activité rédemptrice. C ’est le Règne de Dieu sur ces personnes qui dans la pénitence et la foi et par la grâce seule vivent en communion avec Dieu par Jésus-Christ... Celui qui est par grâce un membre de l’Eglise du Christ est aussi un citoyen du Royaume. Mais l’Eglise est aussi institution (agency) de Dieu pour établir le Royaume dans le monde » (p. 271 ).
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10) Les Eglises Chrétiennes Congrégationnalistes, présentées par Walter M. H o r t o n : « Le Royaume de Dieu — le inonde comme it serait s’il était livré à l ’am our de Dieu — existe déjà dans le cœur des vrais chrétiens et l’Eglise se dévoue à son extension. L ’Eglise est donc non seulement une fin en soi, mais aussi l’école préparatoire du Royaume, chargée... de la réalisation finale du Royaume ici sur terre et dans le monde étemel » (p. 277-278). 11) Les Eglises Baptisîes, présentées par W.O. C a r v e r : « (L ’Eglise) était destinée à être et elle existe comme l’institution (agency) travaillant au Royaume de Dieu sur terre et à son Evangile » (p. 289)... « Le Christ a fondé l ’Eglise dans le sens... q u ’il a préparé un groupe hmité pour constituer la première unité organique de cette série d ’Eglises par lesquelles la parole de Dieu et la prom otion du Royaume de Dieu seraient poursuivies en son nom » (p. 290). 12) UEglise des Frères, présentée par W arren W. Slabaugh : « Par rapport à l’Eglise et au Royaume de Dieu, l’Eglise est tout à la fois la fin et le moyen. Les valeurs spirituelles du Royaume commencent à être réalisées dans l ’Eglise et en retour l’Eglise est le moyen vers la réalisation du Royaume dans son ultime plénitude » (p. 301). 12)) L'Eglise Presbytérienne, présentée par Frederick W. L o e t s c h e r : « L ’Eglise est à la fois l ’organe et l ’objet du Royaume de Dieu, considéré non pas comme son étemel pouvoir mais comme son règne de grâce dans la vie humaine. En tout temps l’Eglise est le Royaume de Dieu dans la mesure où ses membres reconnaissent la Souveraineté de Dieu dans le Christ ; en retour le Règne de Dieu dans son éternel Royaume tend à l ’accomplissement du nombre de ses élus, qui constitueront l ’Eglise Triom phante et qui ainsi seront participants du Royaume de gloire » (p. 323). 14) L'Eglise Méthodiste, présentée par Harris Franklin R a l l : « Le Royaume de Dieu est le Règne de Dieu sur la terre et la consommation de ce Règne dans l’étemel Royaume. Le Royaume de Dieu est un concept plus restreint. L ’Eglise doit être une réalisation du Règne de Dieu à travers la société chrétienne et un instrum ent pour l ’extension du Règne de Dieu sur la terre » (p. 334).
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