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French Pages 338 [334] Year 1980
LE MÉNEXÈNE DE PLATON ET LA RHÉTORIQUE DE SON TEMPS
COLLECTION
D'ÉTUDES ANCIENNES
publiée sou.1·le patronage de l'ASSOCIATION GUILLAUME BUDÉ
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73 -------Série grecque
LE MÉNEXÈNE DE PLATON ET
LA RHÉTORIQUEDE SON TEMPS par Robert Clavaud
Deuxième tirage
PARIS LES BELLES LETTRES 2010
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays. © 2010, Société d'édition Les Belles Lettres
95, bd Raspail 75006 Paris. Première édition 1980 ISBN: 978-2-251-32672-6 !SSN: 115!-826X
L 'is:fée première de ce travail m'a été donnée par Monsieur Fernand ROBERT, Professeur à la Sorbonne. Je le prie d'agréer ici l'hommage de ma respectueuse reconnaissance.
R.C.
AVANT-PROPOS
C'est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens. MoLIÈRE
Parmi les dialogues de Platon, il en est un, en général dédaigné des philosophes, qui a pourtant suscité une bibilographie aussi abondante que les plus célèbres et les plus difficiles : c'est le Ménexène, dialogue à la fois simple et énigmatique. La donnée - une oraison funèbre de type traditionnel, improvisée par Socrate et encadrée par un dialogue de présentation et de conclusion - ne prêterait pas à grandes discussions si l'auteur n'était Platon. On a bien essayé de lui contester la paternité de cette œuvre, mais le témoignage d'Aristote, qu'il est difficile de récuser, est bien là; et la querelle, depuis longtemps éteinte par un article court et précis de Diels 1 , n'a pas été depuis durablement ranimée. Oui, Platon a bien écrit le Ménexène. Dès lors de multiples questions se posent au lecteur. Pourquoi Platon a-t-il écrit une oraison funèbre ? Est-ce pour se railler des rhéteurs, à qui il veut montrer combien il est facile de lutter avec eux sur leur terrain ? C'est ce que laissent entendre les propos de Socrate dans le dialogue préliminaire. Mais pourquoi l'oraison se termine-t-elle sur un ton grave où l'on ne trouverait que difficilement - du moins au premier regard matière à raillerie ? Platon serait-il donc mi-sérieux, mi-plaisant dans le Ménexène ? Un pas de plus et pour peu qu'on appuie sur l'élément sérieux, on ne verra dans l'ironie du dialogue initial qu'un amusement passager et non point la note dominante. Ainsi oscillent les critiques de cette œuvre entre deux positions extrêmes : le Ménexène est parodique, le Ménexène est sérieux. Les anciens ont pris le Ménexène au sérieux, tout en s 'accommodant des plaisanteries et des outrances de style dont il est parsemé, 1. Voir infra., p. 69.
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LE MENEXENE DE PLATON
soit en les relevant comme des faiblesses indignes de Platon, soit en
s'en divertissant ingénument. C'est avec cette tradition qu'ont renoué beaucoup de modernes qui ont interprété le Ménexène comme un dialogue situé au niveau de l'a)1.110r,c; 8dta et destiné à un public plus large que celui des disciples de l'Académie et moins propre qu'eux à accéder dialectiquement à la vérité : Platon se serait mis de plain-pied avec ce public. L'idée que ce dialogue est parodique n'a commencé à prendre corps qu'à la fin du XVIIIe siècle et elle ne s'est systématisée que cent ans plus tard. Depuis lors, les interprètes suivent deux voies parallèles qui n'ont guère de chance de se rencontrer. On pourrait aligner sur deux colonnes les noms des critiques qui défendent l'une ou l'autre opinion : leur nombre apparaitrait à peu près égal. Entre eux, point de vraie querelle, des escarmouches tout au plus, reléguées dans une note. Mais - fait curieux - bien plus souvent encore ils s'ignorent. n m'a semblé que le moment était venu de mettre dans leur vrai jour les arguments contraires, sans perpétuer, par une étude partisane, les procédés soit de l'un soit de l'autre camp. Je ne cacherai pas que je suis résolument partisan de l'ironie dans le Ménexène et que je n'y vois pas une énigme; mais je ne pense pas que j'arriverai à faire partager mes vues si je n'ai pas au préalable analysé les opinions contraires qu'on a pu faire valoir avec un talent souvent remarquable : le camp opposé compte quelques-uns des plus grands exégètes de Platon, avec lesquels il fallait discuter. Outre cette raison, qui tient à la loyauté, j'avais un autre motif pour placer en tête de cette étude l'analyse de leurs arguments : c'est qu'il importait de ne pas entraver ma propre analyse par le rappel continu des opinions adverses. fl fallait les regrouper dans une première partie. Celles des anciens gagnaient à être réunies dans un ordre chronologique. Pour celles des modernes, plus touffues dans le détail, il a semblé préférable de les rassembler par affinités sous des titres qui en résument les principales tendances, quitte à suivre le fil du temps dans chacune de ces secti::ms. Une conclusion devait indiquer ce qui, à côté de certains excès, méritait attention dans toutes ces opinions et devait être approfondi dans la suite. Alors seulement, le terrain une fois déblayé, on pouvait avancer plus librement pour montrer les différents domaines où s'exerce l'ironie de Platon. Et c'est ici encore que je me séparerai de mes devanciers. La plupart d'entre eux, qu'ils s'intéressent surtout à la parodie du style de Gorgias, ou aux anachronismes et erreurs historiques de l'oraison, ne rattachent pas assez le dialogue aux autres œuvres
AVANT•PROPOS
de Platon, en particulier le Phèdre et le Gorgias. Peu se sont souciés d'analyser la portée des critiques de Platon, et de les étendre au-delà de la simple question du style. Platon soulève aussi la question de l'ordonnance des discours, de leur plan, et, outre le cliquetis des phrases de Gorgias, c'est toute la rhétorique naissante, faite de recettes appropriées aux différentes parties du discours, qui est mise en cause. Que Platon ait eu toutes ces idées en tête ressort à merveille du prologue et de la conclusion, deux parties très importantes que certains critiques ont été tentés d'a"acher à l'ensemble de l'œuvre pour n'en garder que le discours de Socrate. En fait le prologue contient pour qui sait lire un véritable traité de rhétorique qui commandait notre étude. La question de l'éloge et de la vérité, celle du style et de l'harmonie, celle de la composition enfin, y sont mentionnées. Or, sur ces points, l'oraison apparaîtra comme l'illustration des idées contenues dans le dialogue. C'est ce qu'étudiera la deuxième partie. Une troisième partie rattachera les idées professées par Platon dans le Ménexène à celles qu'il exprime dans les autres dialogues - notamment le Gorgias, le Phèdre, et les Lois - et, d'autre part, à celles que les rhéteurs contemporains, notamment Antiphon, mettaient en pratique. A l'issue de cette enquête, peut-être pourra-t-on se flatter d'avoir éclairci certaines questions pendantes. Toutefois, on sera encore contraint de parler d'une énigme du Ménexène et de revenir à ce mot que l'on prétendait expulser de la critique de ce dialogue. C'est que Platon y use d'une ironie toute particulière qui refuse de se justifier dans un finale sérieux, mais qui laisse aux procédés de la parodie le soin de parler clairement aux bons entendeurs. Et c'est ici, je crois, que s'éclaircira l'intervention de cette Aspasie que beaucoup de critiques jugent inopportune ou injustifiée. Grâce à elle et à l'auteur qui avant lui l'avait mise en scène, Platon nous a donné un des rares exemples de l'humour à froid que nous ait légués l'antiquité. Paris, le 28 novembre 1976.
Qu 'il me soit permis ici de payer les dettes de reconnaissance que je dois aux maîtres qui m'ont guidé et aux amis qui m'ont aidé: M. F. ROBERT a eu, entre autres, la bonté de me laisser disposer de son exemplaire dactylographié, muni de toutes les notes qu'il y avait consignées; je dois beaucoup aux remarques précises de MM. BOMPAIRE, JOUAN, LABORDERIE et WEIL, qui, toutes, ont laissé plus que des traces dans la mise au point définitive de ce travail.
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LE MeNEXENE DE PLATON
Enfin, tous ceux qui m'ont soutenu de leurs bons conseils ou secondé pour de nombreuses tâches matérielles, sauront sans peine se reconnaître ici. Paris, le 25 mars 1979.
PREMIERE PARTIE
LE MENEXÈNE DEVANT LA CRITIQUE
P~LIMINAIRES
Le Ménexène est un discours funèbre encadré par un dialogue.
Socrate rencontre le jeune Ménexène qui lui apprend qu'on va désigner le lendemain l'orateur chargé de prononcer l'oraison funèbre de l'année. Là-dessus, Socrate se flatte d'en réciter une : ce sera celle que lui a fait apprendre Aspasie, férule en main, et qu'elle a composée en soudant des parties improvisées et des «rognures» d'un discours qu'elle avait écrit pour Périclès. Socrate commence sa récitation d'un air inspiré : l'oraison débute par l'éloge des ancêtres, puis relate les hauts faits d'Athènes jusqu'à la paix d'Antalcidas (387) et s'achève par un double épilogue : une prosopopée des morts 1 qui exhortent leurs descendants à les imiter, et une péroraison de Socrate qui console les parents et leur rappelle la sollicitude de l'Etat pour les enfants des disparus. L'oraison terminée, Ménexène, qui ne se méprend pas sur le prétendu rôle joué par Aspasie dans cette aventure, se sépare de Socrate cum grano salis 2 • L'énigme de ce dialogue tient à son ambiguïté. Est-ce une œuvre ironique ? Est-ce une œuvre sérieuse ? Les tenants de l'ironie ne peuvent oublier la mise en scène plaisante, avec le rôle bouffon d'Aspasie et les paroles désinvoltes de Socrate sur l'éloquence officielle, à laquelle, lui, l'homme du dialogue, il s'abandonne avec une abondance inépuisable. Ils ne peuvent oublier dans l'oraison elle-même le style redondant et l'utilisation sophistiquée de l'histoire, déformée par des erreurs, des mensonges, des anachronismes énormes (Socrate parle d'événements postérieurs à sa mort et à celle ... d'Aspasie). Les tenants du sérieux n'ont d'yeux en général que pour les développements philosophiques et les maximes morales ou politiques réparties dans tout le discours, mais particulièrement denses dans la prosopopée. Une critique loyale du Ménexène doit rendre compte de toutes 1. Là prosopopée s'entend en effet aussi des morts qu'on «rappelle des enfers» pour les faire parler : «In hoc genere dicendi et inferos excitare conœssum est», dit Quint. 9, 2, 31. 2. Là-dessus, voir p. 56 et 112.
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LE MfNEXÈNE DE PLATON
ces disparates, en rapprochant le discours du dialogue introductif et en ne s'attachant à aucun élément de cette œuvre au détriment des autres. C'est un devoir auquel ont manqué la plupart des exégètes, à commencer par les anciens. Il apparaîtra que s'ils ont vu dans le Ménexène un dialogue sérieux, c'est faute de l'avoir étudié dans son ensemble. Beaucoup de modernes, qui ont suivi leurs traces, se sont égarés à leur suite. Il importe d'abord de voir tous ces faux-pas, afin de quitter, si possible, ces chemins mal sûrs. Par souci de clarté, on nous permettra de rappeler dans une suite synoptique les difficultés que doivent résoudre ceux qui ambitionnent d'expliquer le Ménexène : l) Le rôle bouffon d'Aspasie; 2) Le rapport entre la rhétorique critiquée par Socrate et celle qui est appliquée dans l'oraison funèbre; 3) La raison d'être des erreurs et des anachronismes; 4) Le dosage du sérieux et du plaisant dans l'oraison; la note dominante; 5) Le sens général du dialogue, pris en lui-même ou rapproché des autres dialogues de Platon. Ce questionnaire sera produit dans la suite comme un cahier de charges. On croit pouvoir, à la fin de cette étude, y répondre avec certitude. On tâchera du moins de ne pas se dérober devant tel ou tel article.
CHAPITREI
LA CRITIQUE ANTIQUE Il convient de traiter à part l'interprétation que les anciens ont donnée du Ménexène pour tout ce qui concerne la parodie ou le comique. Aussi bien devaient-ils être plus que nous à même de recueillir une tradition qui se serait perpétuée dans l'Académie, et pouvaient-ils mieux que nous non seulement comprendre l'œuvre, mais aussi en sentir les allusions. Cet examen réservera quelques surprises. D'abord le petit nombre des textes qui touchent à cette question. Puis l'indépendance mutuelle des critiques, du moins les plus anciens : au lieu de se transmettre, comme souvent, une opinion reçue, soit pour l'adopter ou l'enrichir, soit pour la combattre, ils jugent le dialogue par eux-mêmes. On pourrait dès lors songer, au mépris de la chronologie, à classer les différents jugements sous des cadres logiques (la mise en scène, le rôle d'Aspasie, le discours même de Socrate, etc.). Mieux vaut présenter chaque critique un par un : la position d'Aristote, d'Ariston de Kéos, d'Hermésianax, de Cicéron, du pseudo-Longin, de Denys, de Plutarque et autres excerpteurs n'en ressortira que plus nettement. 1. - ARISfOTE
Aristote fait par deux fois, dans sa Rhétorique, allusion au Ménexène. Dans le livre I (1367 b), à propos des préjugés de l'auditoire, il s'exprime ainsi : LK01TE'ivt,è 1rap· o le; o Ë1rawoc;· wa1rEp '"(àp b twKpar11c; ËÀE'"fEV, où xa"XE1ràv'Aif11vainuc; i:v 'At'h]vaimc; i:1raweîv.
Il faut aussi avoir en vue l'auditoire devant lequel l'éloge est prononcé. Comme disait Socrate, il n'est pas difficile de louer des Athéniens devant des Athéniens. Dans le livre III (14 I 5 b ), à propos des discours épidictiques où il faut intéresser le public à l'éloge qu'on fait de lui, il cite la même boutade en des termes un peu différents : ·o '"(àp ÀÉ'"(€l r, WKparr,c; èv T'-ÎJ€1TlTQ/.{)Ù..1/ à"Xr,i>éc;,OTLoù xaÀ€1TOV 'Aifr,vainuc; èv Ai>11vatbic;è1raw€iv, à"X"X' èv Aaiœf>aiµovintc;.
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LA CRITIQUE ANTIQUE
Car ce que dit Socrate dans !'Oraison funèbre est vrai, savoir qu'il n'est pas difficile de louer des Athéniens devant des Athéniens mais devant des La,cédémoniens. La première tentation devant ces deux citations, c'est d'y voir une allusion au préambule dialogué du Ménexène où Socrate dit (235 d) 1 : «S'il fallait louer des Athéniens devant des Péloponnésiens ou des Péloponnésiens devant des Athéniens. il faudrait un bon orateur qui pût persuader et être applaudi; mais quand on entre en lice devant ceux-là mêmes dont on fait l'éloge, il n'y a aucune difficulté à gagner la réputation de bien parler.» Avant de céder à cette tentation, il faut consentir à prendre parti dans une petite querelle philologique qui ne laisse pas d'avoir une certaine portée : le Socrate dont parle Aristote est-il le Socrate historique ou le Socrate de Platon ? Si c'était le Socrate historique, le mot rapporté n'atteindrait le Ménexène que par ricochet. Les tenants du Socrate historique ont allégué plusieurs arguments assez caducs : l) On a commencé par relever les habitudes suivies par Aristote pour renvoyer à Platon ou à Socrate. Le « canon de Fitzgerald» 2 nous apprend que l'article devant le nom de Socrate désignerait le personnage platonicien, et l'absence d'article le personnage historique. En outre le verbe dire au passé (ËÀE')'EV ou El'TrEv) rapporterait un propos habituel ou isolé de Socrate et le verbe dire au présent s'appliquerait au Socrate de Platon (comme en français : Socrate dans le Phèdre dit que ... ). En fait, ces deux procédés, souvent bien distingués, ont été inspirés à Aristote par son sens de la langue et celui de la logique, et non point par le désir de guider les historiens. Jamais il n'en propose la justification. Aussi sont-ils chez lui sujets à exceptions 3 • Dans notre cas précis, où Aristote par deux fois rapporte le même mot de Socrate, sans se référer ici à une anecdote concernant le 1. C'est un vrai leitmotiv, répété par Socrate, p. 236 a. 2. Voir A. Grant, The ethic of Aristotle, London, 1885, II, p. 188; A. E. Taylor, Varia Socratica, 1911, p. 45; Th. Deman, Le témoignage d'Aristote sur Socrate, Paris, Les Belles Lettres, 1942, p. 17, n. 1. 3. Pour l'emploi de l'article, voir les hésitations de Taylor(/oc. cit., p. 46); et les difficultés soulevées par un texte de la Rhétorique (1398 b 29 - 31) dans Th. Deman (op. cit., p. 34 . 35). Pour l'emploi des temps, voir H. Diels, Über das dritte Buch der aristotelischen Rhetorik (Abh. der kan. AK. der Wiss.zu Berlin, IV, 1886, p. 20, no 2); et Wendland, Die Tendenz des platonischen Menexenus (Hermes, 1890, p. 193, n° 1), qui tous deux donnent plusieurs exemples de verbes employés par Aristote à l'imparfait et à l'aoriste à propos d'un écrivain (Rhét., 2, 23, 1399 b 26 :::e,.,O'l"l"Tl' ËÀeye,.,; I, 1370 b 11 'OµTjpoç Ë 11ava1'JTJva,KY 'JooKPdTTJÇ Kai l!Àdrwv èv r..;, lrr,ra,pt4J. Dans cet exemple, on voit à plein que l' Telle autre expression pour qualifier les présents des dieux ( y Ka.À.À.taraKai. apwra rpép€TaL TO b,v{}pw1rEWV ...,évoc;)lui arrache cet anathème : «si quelqu'un panni nous, qui peuplons cette terre et rasons le sol, avait dit : « Ka.À.À.cnraKai apcnra », quel rire n'aurait-il pas excité ? » 58 - En guise de conclusion il ajoute 59 : « A quoi bon m 'étendre? En parcourant tout le discours, on trouverait des expressions soit imprécises et vagues, soit puériles et froides, soit dépourvues de force et de nerf, soit privées d'agrément et de grâce, soit dithyrambiques et vulgaires. Pour moi, je voudrais bien que tout fût noble et digne d'estime (a1rovor,c; a~ta). En effet, c'est Platon qui a écrit cela, Platon qui, même s'il ne remporte pas le premier prix de style, du moins imposera une lutte de longue haleine à ceux qui voudront lui disputer le second prix.» On pardonnera, je pense, à la longueur de ces extraits, car ils sont 52. Ibid., 26, p. 185; Licymnios est un auteur de péans. Quant au poète «précieux» Agathon, on sait quelle parodie de lui a donnée Platon dans Je Banquet (195-197). 53.lbid., p.187. 54. Ibid., 27, p. 188. 55. Ménexène, 237 b. Nous traduisons littéralement. On se demande pourquoi aucun traducteur àe Platon ne le fait. En tout cas, on ne peut rendre le texte de Denys accessible en français qu'en procédant de la sorte. 56. Démosthène, 27 (p. 188 Us. Rad.) 51.lbid., (p. 190) 58.lbid., 29 (p. 191) 59. Ibid., 29 (p. 192) : Kai ri OEÎ rà 1r>..ElwÀE"(Etv; fü' o>..ov-yàp liv nç EÜpo, roü >..ci-yov 1TOp€VO/,l€VOÇ' ra µÈv OÙK àKp({Jwç OVO€>..e,rrwç ei.pnµéva, rà oÈ /.lflPUKtWoWÇ Kai o/lVXPWÇ' rà oi oùK (xovra laxùv Kai rdvov, rà oèr)oovfiç t'voeii. Kai xapirwv, rà 6È li,ôvpaµ(Jwori Kai ,popnKO.. 'E-yw
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LE PSEUDO-LONGIN
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importants. Il n'a manqué à Denys qu'une chose pour bien juger le Ménexène : c'est d'imaginer que Platon pouvait s'amuser secrètement. Il confronte sans cesse ce qu'il lit avec une image idéale de Platon, qu'il s'est formée à la lecture d'autres dialogues, et qu'il ne retrouve pas ici. Pas un moment il ne s'est demandé si le talent ordinaire de Platon était susceptible de pareilles défaillances : d'où ces apostrophes chagrines, dont le ton protecteur finit par amuser, puisqu'il s'agit d'une méprise inconsciente dont il tire orgueil. Ce sérieux lui est aussi inspiré par son souci de rhéteur, épris de la forme plus que du fond et peu curieux des fautes de raisonnement ou des anachronismes; comme tous ses prédécesseurs, il admire la prosopopée, sans d'ailleurs la regarder en détail... Cela dit, les aveux qu'il fait sont pour nous très précieux. Il est surpris par la grosseur des effets, leur « gorgianisme », leur naïveté; par la cacophonie, la lourdeur... : tous jugements où la réprobation la plus sérieuse s'exprime en des termes empruntés au comique. Peu importe après tout que Denys n'ait pas poussé plus avant : cet homme qui lisait le grec, qui le sentait, a dit que le Ménexène était ridiculement gauche là où nous dirions qu'il est génialement ridicule. Et n'oublions pas cet aveu : dans tout le discours (hormis la péroraison) on trouverait ces défauts. Nous dirons donc pour conclure, qu'à notre connaissance, Denys d'Halicarnasse est le premier critique de l'antiquité qui ait vu dans une partie au moins du Ménexène une œuvre aberrante, que seuls des scrupules littéraires l'empêchaient de trouver comique : il n'a pu que la dénigrer. VI.-
LE PSEUDO- LoNGIN
ET LES AUTRES RHETEURS
On ne s'attendait guère à trouver ici le pseudo-Langin en compagnie des autres rhéteurs 60 • Malgré son indépendance de jugement, il se rencontre avec eux à propos du Ménexène. Il l'a cité deux fois, et peut-être trois 61 , dans le Traité du Sublime, et toujours avec éloge, qu'il s'agisse de la pompe apportée par les noms propres employés au pluriel, ou de ce qu'il appelle la périphrase : il est d'ailleurs remarquable que le passage qu'il cite à cette occasion soit précisément l'un de ceux qui ont provoqué les sarcasmes de Denys, 60. Chez les latins, on citera simplement en note une mention du Ménexène que fait incidemment Quintilien, Inst. orat., II, XV, 29 : «An ... eorum qui pro patria ceciderunt laudem (Plato) scripsisset?, La question de l'ironie ne l'effleure même pas. 61. Sublime, 23, 3-4 (qui cite Ménex., 245 d et ajoute que·ce passage a été rapporté ailleurs, hépw-',, mais où ? Ce n'est pas forcément le même traité dont il s'agit); 28,2 (qui cite Ménex., 236 d).
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LA CRITIQUE ANTIQUE
du moins dans son Etude sur Démosthène 62 • car plus tard, dans son Traité de l'arrangement des mots, il le loue sans mélange. C'est à ce jugement rectifié que se rattache celui du pseudo-Longin, qui au reste ne se réclame de personne. Voici ce qu'il dit de Platon pour ce passage du Ménexène : « Il a pris une expression toute simple qu'il a mise en musique, en répandant comme une harmonie la mélodie provenant de la périphrase». Il est dommage qu'il se soit arrêté à des questions de forme et d'euphonie, et qu'il n'ait pas, au début du Traité, parlé des idées nobles et des pensées sublimes du Ménexène : il ne semble pas qu'il les eût critiquées, vu la sympathie qu'il réserve à l'enveloppe de ces pensées. Les autres rhéteurs, Démétrius 63 , Théon 64 , Hermogène 65 Ménandre 66 , parlent à l'occasion du Ménexène, mais sans jamais entrer dans le détail et en supposant toujours qu'il s'agit d'un ouvrage sérieux. Démétrius vante la prosopopée en tant que procédé narratif, Hermogène rapproche comme des œuvres comparables le Ménexène et l'oraison de Thucydide; Théon et Ménandre mettent sur une même ligne les différents èmrc1pwç de Platon, de Thucydide, Hypéride, Lysias., ou encore les morceaux de bravoure du Panathénaïque d'lsocrate et du Ménexène de Platon.
VII. -PLUTARQUE Dans sa Vie de Périclès 67 , Plutarque ne parle qu'incidemment du Ménexène à propos d'Aspasie, mais ces quelques lignes suffisent à restituer son opinion sur tout le dialogue. «Dans le Ménexène de Platon, dit-il, quoique le début 68 soit écrit sur le ton de la plaisanterie, il y a du moins un détail historique : c'est que cette simple femme passait pour enseigner l'art oratoire à plusieurs Athéniens. Mais il paraît bien que l'attachement de Périclès pour Aspasie eut 62. Il s'agit du Ménex., 236 d; on comparera, Denys, Dém. 24 (p. 181 Us. Rad.) et ,t Denys, Arrangement des mots, 18 (p. 76). Sur l'évolution de Denys, voir P. Costil, ['Esthétique ... de Denys, p. 529. 63. De l'élocution, 266 (Plat.,Ménex., 246 c). 64. Exercices préparatoires, 10 (II, p. 68 Spengel). 65. Sur la méthode de l'éloquence, 24 (p. 441 Rabe). 66.Surlesdiscoursépidictiques,III, l ( IIl,p. 360 Spengel). 67. Plut. Vie de Périclès, 24 7 : 'Ev oÈ T'-t' MEvEtévy T'-t' IH1.arwvoroü waTe /lT/TE àKÉ.paÀov Elva, µfire
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On appréciera la. valeur de cette image célèbre en comparant avec Aristote qui la reprend dans la Rhétorique III, 1415 b 8-9 en lui donnant une simple valeur de comparaison usée : il recommande de mettre un exorde même lorsqu'il n'est pas absolument nécessaire, «juste ce qu'il faut pour exposer la cause sommairement, pour qu'elle ait une tête comme Je corps, (t'va lxn wa1rEP ÉXEW 1ndde lui-même, il se faisait de la question. 1. - Le pré"ambule(236 d - 237 a)
Platon en opposant les actes - c'est-à-dire les funérailles - et la parole - c'est-à-dire le discours funèbre qu'il va prononcer - fait inévitablement penser à Thucydide qui, au début de l'oraison de Périclès (2, 3 5 ), oppose aussi les actes des guerriers morts aux vains efforts qu'un orateur unique doit faire pour être à la hauteur du sujet 7 , et qui répète cette opposition dans la péroraison (2, 46), mais en mentionnant d'abord, par un chiasme tout naturel, le discours qu'il vient d'achever, puis les actes par lesquels on honore les morts 8 . Mais peut-on croire que l'opposition, familière à Thucydide 9 , des actes et des paroles, désigne, dans le Ménexène, l'historien comme une cible que viserait Platon 10 ? Assurément non. 5. Voir supra, p. 88. 6. Voir supra, p. 86-88. 7. Dans ce passage, l'opposition À...1..o-yo,. 10. Depuis Gottleber (voir son éd. ad locum) c'est une tradition de renvoyer du Ménexène à Thucydide : voir l'éd. de Stallbaum, p. 45.
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ELOGE ET VERITE
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Tout d'abord une pareille opposition se retrouve chez Lysias 11 , et, plus tard, chez Démosthène et Hypériade 12 ; de plus, elle s'assortit chez Thucydide, du moins dans le premier exemple cité, de subtilités d'analyse qui ne peuvent en aucune façon être considérées comme parodiées dans la phrase sèche du Ménexène 13 . On conclura sagement que Platon a, dès le seuil de son Epitaphios, reproduit avec une raideur mécanique un type d'expression que nombre d'orateurs devaient utiliser dans les oraisons 14 et que Thucydide ne peut nullement étre désigné par cette phrase initiale : le Ménexène en un mot ne commence pas par une personnalité: il apparaît, dès le début, qu'il n'est pas la parodie d'un seul écrivain, mais le pastiche d'un genre. 2. - Les origines d'Athènes : l'autochtonie (237 b-e) Le thème de l'autochtonie des Athéniens, traditionnel dans les oraisons funèbres 15 , et même attesté chez Hérodote avant les premiers spécimens conservés de ces discours 16 , ne saurait non plus dans 1eMénexène remonter à l'oraison de Thucydide. Ce dernier, chaque fois qu'il rencontre ce sujet 17 , se garde de parler d 'autochtonie à propos des Athéniens. C'est un mot qu'il réserve aux premiers habitants de la Sicile, et encore sur la foi de croyances locales 18 . Pour les Athéniens, il se borne à dire qu'ils ont, plus que la plupart des peuples de la Grèce, échappé aux migrations et aux immigrations propres aux autres régions 19 . L'historien Hérodote ne disait 11. Lysias, Epitaphios, 2. 12. Démosthène, Epitaphios, 13 (où d'ailleurs .\o-y41ne fait pas pendant à un lp-y4J). - Hypéride, Epitaphios, 1 et 2. 13. On notera en particulier chez Thucydide des «variations» dans cette opposition des actes et de la parole : tantôt (2, 35) les actes sont ceux des guerriers; tantôt (2, 46) les funé;ailles dont on les honore. Berndt avait raison (Bemerkungen ... p. III) de remarquer que chez Thucydide 2, 35, la « pensée est complètement différente, de celle de Platon. 14. Plus généralement, c'est un lieu commun de l'éloquence d'apparat de l'aveu d'Isocrate (Panégyrique, 13). 15. Voir Lysias, Epit., 17; Démosthène, Epit., 4; Hypéride,Epit., 7. 16. Voir Hérodote, 7, 161 : :0.1'T)11aim... µoüvot 6È ÉôllTEÇ ov µna116.0TaL 'E.\.\fi11w11: la phrase est adressée à Gélon par les députés athéniens. On remarquera qu'il s'agit moins d'autochtonie que de stabilité de résidence. Thucydide ne dira pas autrement. Hérodote ne parle pas non plus d'autochtonie mais de stabilité à propos des Arcadiens (7, 73). 17. Voir Thucydide 1, 2 (à propos des migrations en Grèce); 2, 36 (oraison funèbre); 6, 2 (à propos des anciens peuples de la Sicile). 18. Voir Thucydide 6,2,2: :EuKov11 ol aùToi a!Ei.Voir aussi dans l'oraison 2, 36, 1 : 7"1111 -yap xwpav
ol aiJToi alei olKoiivTeç, ôtaôoxJi TWII l11,-yi-yvoµ.É11w11... rrapiôooav.
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L'ORAISON FUNÈBRE
pas autre chose. Ce sont les auteurs d'oraisons funèbres qui ont relaté cette naissance merveilleuse des Athéniens, comme aussi Isocrate dans son Panégyrique (24) et son Panathénaïque ( 124125) 20 . Mais alors que les orateurs parlent sans plus s'étendre de cette filiation, Platon, seul, y insiste, au point d'y revenir (237 e) après avoir une première fois mentionné l'autochtonie des Athéniens: il apporte dans son deuxième développement une rigueur démonstrative 21 que ne comporte pas le sujet : tout être vivant, dit-il en substance, fournit la nourriture à ses rejetons; or, )'Attique a produit le blé; c'est donc que le sol de !'Attique a produit aussi des hommes 22 . Démosthène, qui a suivi ici Platon, a dissocié tous œs éléments au lieu de les unir dans un syllogisme 23 • Le caractère tout scolastique de l'exposé de Platon est èncore accusé par la formule finale, vrai paradoxe qu'il est impossible de prendre àu sérieux : «ce n'est pas, dit-il, la terre qui imite la femme dans la conception et l'enfantement, mais la femme qui imite la terre». Quand Platon dans la République parle de l'impiété de la guerre civile et flétrit les hommes qui, s'ils aimaient leur patrie «n'oseraient jamais déchirer ainsi leur nourrice et leur mère», il donne à ces allégories simplement esquissées une tout autre puissance 24 • Platon traite donc ce thème traditionnel, qui sous une main plus légère peut garder encore quelque· prestige poétique 25 , et devant lequel les historiens, sans en excepter Hérodote, ont reculé, avec une rigueur qui déèouronne le début de son oraison de ce halo qu'il sait donner à ses mythes. Sur ce chapitre de l'autochtonie, il faut encore conclure que Platon vise non pas Thucydide mais les orateurs et qu'il grossit leurs effets jusqu'à la ca rica turc sérieuse. 3. - Les origines d'Athènes : la querelle des dieux (237 c-d)
Platon. au nombre des mérites de la vieille Athènes, met la querelle des dieux qui se disputèrent la possession de !'Attique : 20. Voir aussi Euripide.Erechthée, fgt. 360 N, v. 7-13 (= fgt. 10, Carrara). 21. Voir Ménexène, 237 d-< : « Une preuve bien forte est apportée à l'affirmation que notre terre a enfanté de ces hommes et les nôtres ... » 22. Ménex .. 237 e. 23. Démosthène, Epit., 5 : après avoir mentionné l'autochtonie, l'orateur ajoute : "il me semble en outre que si les fruits dont vit l'humanité sont apparus d'abord chez nous. cela constitue ... une preuve reconnue que notre contrée est la mère de nos ancêtres ... » 24. Voir République, 410 d; rapprocher de la prosopopée des Lois dans le Criton : « N"est-ce pas à nous que tu dois la vie? ... Oserais-tu soutenir que tu n'es pas notre enfant? ... Tu ne sais pas que la patrie est plus précieuse ... qu'une mère?» (50 c - 51 b). 25. Comparer par exemple Isocrate, Panégyrique, 28 (le blé réparti dans le monde par les Athéniens) etMénexène (238 a).
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il s'agit d'Athéna, porteuse de l'olivier et de Poséidon, porteur du trident dont il frappa le sol de !'Acropole : Ctécops trancha en faveur d'Athéna. Cette querelle, les Athéniens de l'époque classique l'avaient constamment sous les yeux en montant à !'Acropole, car elle figurait sur le fronton du Parthénon tourné vers les Propylées; au reste, elle faisait partie du légendaire d'Athènes avant d'être sculptée à cette place, car dès l'époque des guerres médiques le «miracle» de l'arbre d'Athéna repoussé après l'invasion de Xerxès, est signalé par Hérodote (VII, 55). Il est à peine besoin de rappeler combien cette querelle, dépouillée d'ailleurs par Platon de tout attrait poétique et incapable, telle qu'il la rapporte, de créer chez les Athéniens la nostalgie de la vieille Athènes 26 en réveillant leurs espoirs perdus, est étrangère à la théologie du philosophe qui dans la République 27 profosse le plus parfait mépris pour les disputes des dieux chantées par les poètes et qui dans le Critias désavoue sans ambages les propos du Ménexène : « Autrefois, dit-il, les dieux se partagèrent entre eux la terre entière, contrée par contrée et sans dispute; car il ne serait pas raisonnable de croire que les dieux ignorent ce qui convient à chacun d'eux, ni que, sachant ce qui convient mieux aux uns, les autres essayent de s'en emparer à la faveur de la discorde». (109 b, trad. Chambry). 4. - Le régime démocratique (238 c - 239 a)
Platon, en plaçant le développement sur le régime démocratique juste après l'éloge de la terre attique, entendait sans doute suivre Thucydide qui, après avoir parlé de l'origine des Athéniens 211, dédaigne d'énumérer les guerres qu'ils ont faites 29 , comme étant trop connues, et traite immédiatement de. leur ·régime politique 30 . Chez Platon, qui s'étend longuement sur les campagnes de ses compatriotes, les considérations politiques eussent été mieux placées en manière de conclusion 31 . La disposition qu'il a adoptée trahit sans aucun doute le désir d'imiter Thucydide en coiffant son exposé par ce morceau de bravoure qui, au reste, combine deux passages de l'historien, celui de l'oraison funèbre, où Périclès essaie de définir la liberté athénienne, et celui où Thucydide porte un jugement 26. Voir supra, p. 64, l'étude de H. Herter, Urathen der Jdealstaat. 27. Voir République, 378 b-c : « il ne faut absolument pas dire que les dieux font la guerre aux dieux, qu'ils se tendent des pièges et se battent entre eux» (trad. Chambry). 28. Voir Thucydide 2, 36, 1-2. 29. Voir Thucydide 2, 36, 34. 30. Voir Thucydide 2, 37. 31. On comparera avec Lysias (2, 18) où ce développement suit l'exposé des temps mythologiques; Démosthène (60, 25-26) où il suit l'exposé historique.
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d'ensemble sur la politique de Périclès 32 : c'est ce dernier passage que Platon a manifestement le plus transposé dans le Ménexène. Thucydide fait dans ces deux textes, et particulièrement dans l'oraison, un tableau de l'Etat athénien 33 , qui tranche sur la profession de foi nettement démocratique de Lysias 34 et sur celle, non moins ferme, où Démosthène oppose les privilèges de la liberté aux contraintes des pouvoirs oligarchiques 35 . Nul doute que Platon, en décrivant la démocratie athénienne comme une «aristocratie» déguisée, ne se soit séparé du commun des orateurs chargés de prononcer les oraisons funèbres et qu'il n'ait en partie songé à Thucydide. Comme Thucydide, il est insoucieux du nom que porte le régime d'Athènes et remarque que le peuple suit les instructions de l'élite : «Ce régime, dit-il 36 , celui-ci l'appelle démocratie, celui-là de tel autre nom qui lui plaît; mais• c'est en réalité le gouvernement de l'élite appuyé sur le jugement éclairé 37 de la foule». Ces lignes font écho à celles qui terminent le jugement que porte Thucydide sur Périclès : « Sous le nom de démocratie, c'était en fait le premier citoyen qui gouvernait» 38 . li est incontestable aussi que Platon en signalant que « nul n'est exclu des charges par l'infirmité, ni par la pauvreté, ni par l'obscurité de sa naissance» 39 , se souvient de Thucydide qui relève ce trait propre aux Athéniens, que «ce n'est pas l'appartenance à une catégorie, mais le mérite qui fait accéder aux honneurs; et qu'inversement, la pauvreté n'a pas pour effet qu'un homme, pourtant capable de rendre service à l'Etat, en soit empêché par l'obscurité de sa situation 40 ». 32. Voir Thucydide, 2, 65, 5-9. 33. «L'on remarquera que Périclès ne parle pas du régime démocratique, mais de l'autorité qu'y exerçait un homme et qui en modifie l'esprit, (J. de Romilly, dans Thucydide, C.U.F., t. II', p. XXIV). 34. Voir Lysias, 2, 18 : «Ils furent les premiers et les seuls en ce temps-là qui abolirent chez eux les royautés pour y établir la démocratie, persuadés que la liberté de tous était le meilleur gage de concorde, (trad. Bizos). 35. Voir Démosthène, 60, 25-26 : «Les démocraties, elles, entre autres garanties nombreuses et belles, auxquelles l'homme raisonnable doit s'attacher, possèdent la liberté d'expression qu'on ne saurait détourner, vu qu'elle est liée à la vérité, de mettre ce qui est vrai en lumière,. 36. Ménexène, 238 d-e. 37. Le texte porte µer' eoootlaç ,rl\fi,'Jovç : Je mot d'approbation, traditionnel en France pour rendre ce mot, ne convient guère. P. Couvreur (éd. du Ménex~nead toc.), renvoie judicieusement au Ménon (99 b) : evliotla, ù ol ,rol\mKoi dvlipeç xpwµevo, raç 1rol\etç ôp,'Jovaw.
38. Thucydide, 2, 65, 9 (trad. J. de Romilly); voir aussi 2, 37 : «Pour le nom ... c'est une démocratie,. 39. Ménexène, 238 d. Sur cette filiation et !'interprétation du texte de Thucydide, voir E. Lévy, Athènes devant la défaite de 404, p. 128, n. JO. 40. Thucydide, 2, 37, 1 (trad. J. de Romilly).
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Il faut avouer que ces rapprochements, tout irrécusables qu'ils sont, ne sentent pas leur parodie 41 . Ils attestent tout au plus que Platon a lu Thucydide 42 , sans d'ailleurs exalter comme l'historien un homme d'élite, Périclès, qui, à lui tout seul, fait contrepoids à la foule. Ce qui donne au développement de Platon un air sophistiqué ne se twuve pas chez Thucydide. C'est d'abord cette affirmation que le gouvernement d'Athènes est inchangé depuis l'origine 43 . Cela, la propagande démocratique d'Athènes le suggérait en « annexant» Thésée 44 , inventeur de 45 , mais il est d'autres l'iarrropia hommes politiques auxquels pouvait songer Platon; ce sont ceux qui, dès le ye siècle, se réclamaient de la « constitution des ancêtres» ( mirpwc; 1roÀtrEia) 46 , pour proposer des réformes et qui volontiers traçaient du passé un tableau idyllique où Solon donnait la main à Clisthène 47 • Au milieu du ive siècle, Isocrate développera leurs rêveries en fixant dans une période intemporelle les éléments épars d'une constitution «qu'il réunit en un tableau composite pour les proposer à l'imitation de ses contemporains 411 ». Mais, cette confusion des temps qui, chez les théoriciens, était implicite, est dégagée par ~laton avec une apparence de rigueur qui ressemble à de l'humour à froid. Il allègue sérieusement comme preuves de la fixité du régime de véritables énormités : «C'était alors, dit-il, le même gouvernement qu'aujourd'hui ... , le gouvernement de l'élite appuyé sur le jugement éclairé de la foule. Et en effet, nous avons toujours des rois; ils le 41. C'est ce que remarque avec justesse C. H. Kahn : cf. supra, p. 61. 42. Sur ce point, là encore, il faut donner raison à Kahn, op. laud., p. 221, n. 7. 43. Voir Ménexène, 238 c. 44. Voir.l'étude classique de Ch. Dugas, L'évolution de la légende de Thésée,R.E.G., 56, 1943, p. 1-24, spécialement p. 17. Cet effort de.propagande remonte d'après lui à 525 environ. 45. Voir Isocrate, Hélène, 35 : «Thésée établit sur un pied d'égalité la lutte pour le mérite, (trad. Brémond); et l'oraison de Démosthène, 28 . « Thésée avait insituté l'égalité civique (lm)'Yop{a)>. 46. On consultera avec profit, M. 1. Finley, The ancestral constitution, Cambridge, 1971. 4 7. Voir Aristote, Conmtution d'Athènes, 29, 3 qui cite l'amendement que sous les Quatre-Cents apporta Clitophon à la · proposition de Pythagoras : «Les commissaires avaient aussi à examiner les lois des ancêtres (roù, 1rarpuJ11- u&µov,) établies par Clisthène,, avec la pensée, ajoute Aristote, «que la constitution de Clisthène n'était pas vraiment démocratique, mais analogue à celle de Solon, (trad. Mathieu-Haussoulier). Sur cette adjonction, voir G. Mathieu, Aristote, Constitution d'Athènes, Champion, 1915, p. 75-76 : Clitophon, précise Mathieu, «se rattache au groupe de politiciens qui, à la fin de la guerre du Péloponnèse, réclamaient à grands cris une 1ra.rpw, 1roÀl.rela plus ou moins mythique ... , 48. G. Mathieu, Notice de l'Aréopagitique d'Isocrate (t. III, p. 58) et M. 1. Finley, op. cit., p. 36.
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sont tantôt en vertu de la naissance, tantôt grâce à l'élection 49 ». Il est à peine besoin de relever ce tantôt ... tantôt, qui dissimule sous la symétrie chère à la rhétorique 50 , l'évanouissement d'un pouvoir autoritaire qui, avec le temps, est devenu une fonction démunie de toute influence politique 51 • Ce n'est pas tout : Platon, pour expliquer cet immobilisme des Athéniens, introduit au début de son développement des maximes qui contredisent ses idées les plus chères sur l'évolution des régimes : «C'est le régime politique, dit-il, qui forme les hommes et les rend bons, s'il est bon; mauvais s'il est le contraire» 51 . Platon, dans la République, tient un tout autre langage. Lorsque, dans le livre VIII, il aborde l'étude des différentes constitutions, il étudie tout de suite leurs rapports avec les mœurs des hommes : «Sais-tu, dit-il, qu'il y a nécessairement autant d'espèces de caractères d'hommes qu'il y a de formes de gouvernement, ou crois-tu par hasard que ces formes sortent des chênes ou des rochers, et non des mœurs des citoyens, qui entraînent tout du côté où elles penchent ? - Elles ne peuvent certainement sortir que des mœurs, répond Glaucon )) 53 • Ici, il ne faut pas se laisser abuser par la méthode d'exposition qu'adopte Platon dans la République où, pour chaque type de gouvernement, il présente d'abord une analyse de ses principes, et décrit ensuite l'homme représentatif de ce régime, comme si les mœurs de l'homme épousaient les principes du gouvernement 54 • En fait, Platon préfère cet ordre parce qu'il est plus clair, à tel point qu'on le retrouve dans deux passages antérieurs de la République 55 : pour commencer, ce dialogue recherchait Une définition de l'homme juste, mais, très vite, pour mieux démêler son sujet, Platon a étudié la justice' dans la Cité, considérée comme un agrandissement de l'individu, nous dirions une projection sur un écran. Or, c'est encore de cette méthode que se réclame Platon lorsqu'il place pour faire pendant à l'analyse des régimes, 49. Ménexène, 238 c-d. 50. Oi'>Tot roTE µèv èK -yévov~, TOT€ 6ti al.pEro{ : « ron µèv ... iou 6é : on attendrait plutôt TOTE µ.èv ... vvv6é. L'amour de la symétrie a emporté l'orateur, (note de Couvreur ad /oc.) 51. Voir G. Glotz, La Cité grecque, 1968, p. 72, 102. Dans le Politique, 290 e, Platon ne se méprend pas sur le rôle purement religieux dévolu au « roi désigné par le sort, dans !'Athènes de son temps. 52. Ménexène, 238 c. 53. République, 544 d-{l(trad. Chambry). 54. République, 543 c - 580 c. 55. Voir République, 368 c - 369 b; 434 d- 436 a.
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le portrait des hommes qui y vivent. Spontanément, quand il est arrivé à ce point de son sujet, il serait tenté de commencer par le portrait des individus correspondant à tel ou tel régime et d 'étudier ensuite les régimes où ils exercent leurs talents 56 . Mais en définitive il ne procède pas ainsi et il s'en explique en ces termes : « Puisque nous avons commencé par examiner les mœurs des Etats avant d'examiner celles des particuliers, parce que la clarté gagnait à cette méthode (wç Èvap-yéarEpov ov) ne faut-il pas continuer dans cette voie et considérer d'abord le gouvememenf de l'honneur ... puis nous mettrons en face l'individu qui lui ressemble?» 57 • Et c'est cette méthode qu'il suivra avec l'approbation de Glaucon. Ainsi Platon reconnaît lui-même qu'il s'agit là d'une commodité d'exposé. Et de fait, le portrait des individus ne fait que fixer en des traits à la fois précis et grossis les éléments découverts dans l'analyse des gouvernements; et inversement, l'analyse des gouvernements procède par des touches qui rappellent l'art du portrait 58 • Ainsi, pour montrer la dégradation du régime parfait qu'il a conçu et les conséquences des divisions qui s'y introduisent, il ne fait pas autre chose qu'un portrait général des hommes qui glissent vers la corruption : « La division une fois formée, dit-il, alors les deux races de fer et d'airain se tournent du côté du gain, acquièrent des terres, des maisons ... » 59 . Le portrait des individus correspondants ajoute seulement quelques couleurs à ces traits : «Adorateurs farouches de l'or et de l'argent, ils l'honorent dans l'ombre; car ils auront des celliers et des trésors particuliers, où ils les tiendront cachés aux regards ... » 60 . Loin donc que pour Platon les mœurs des individus soient réglées sur les principes des régimes politiques, ce sont ces mœurs même qui modifient ces principes 61 . Il est donc impossible de penser que Platon parlait sérieusement dans le Ménexène en prétendant que «c'est l'État qui forme les hommes et les rend bons.» 56. Voir République, 545 a-b. 5 7. Platon, République, 545 b-c (trad. Chambry). 58. Voir République, 369 a, où cette méthode est explicitement avouée : « ensuite nous étudierons la justice dans l'individu, en tâchant de retrouver la ressemblance de la grande dans les traits de la petite• (TT1v roù µ.dtovo, ôµ.o,orT)Ta èv tji roù O..o.rrovoç !ôé9-èmoKo,roùvre.tk Èar,v 6t' èKdvouç roùç 1raÀcuovç, OÙK ala.,âvovrcu (. .. ) Àtl,lt'vwv Kal vewpiwv Kat TT1'9ivn;la répétition 1rpax{ji!vrw11, 1rpataa,; l'antithèse roi, ,rpa(aa,, rwv â.Kovoavrwv. -- Sur l'artifice de toutes ces antithèses, voir ci-dessus, p. 25, le jugement de Denys. 3. Voir supra, p. 94.
LES FIGURES DE RHETORIQUE
2. -
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LES FIGURES DE RHETORIQUE
Ce sont les répétitions de sons 4 qui expliquent presque tous les excès du style oratoire dans le Ménexène. Ni les allitérations, ni les rimes ne sont recherchées par rapport au sens; pas davantage les antithèses ne sont pratiquées pour opposer les idées mais pour équilibrer les « groupes sonores», de sorte que très souvent un membre répond à un autre comme une fausse fenêtre, et exprime une simple tautologie à laquelle, seule, la rime apporte un semblant de justification. Voici, en suivant l'enquête si précise de Bemdt 5 , quelques relevés significatifs, dépourvus de tout commentaire. Les allitérations 6 apparaissent très souvent 7 , aussi bien dans la partie historique que dans la consolation 8 , qui se distingue par un exemple typique 9 • Un cas particulier, spécialement chéri de Gorgias 10 , est celui où les noms et les verbes sont répétés, mais à des cas et des personnes différents 11 , ou avec un jeu étymologique 12 . Les homéotéleutes ou rimes 13 surabondent 14 . Un pas de plus et nous tombons dans les paronomases 15 si proches des jeux de mots 16 . La combinaison habile de toutes ces figures forme la trame du style du Ménexène dans le détail de la phrase, depuis le début jusqu'à la fin du discours proprement dit. Ces répétitions de sons, prodigieuses par leur nombre si l'on veut bien se reporter aux statistiques de Bemdt fournies dans les notes, apparaissent encore 4. C'est ce que J. Marouzeau appelle l'homophonie dans son Traité de stylistique appliqué au latin (Paris, 1935, p. 42) : « La répétition de sons semblables ou homophonie est particulièrement sensible à l'initiale et à la finale des mots; elle prend alors les noms là d'allitération, ici d'homéotéleute ou de rime». 5. Th. Berndt, De ironia, p. 26-45. 6. Type navoavlov 1ravoaµ,!vov (Platon, Banquet, 185 c; voir supra, p. 85). 7. Trente-neuf exemples dans Bemdt. 8. Huit exemples dans la Consolation. 9. 1ràoav 1rdvTwv 1rapà 1rdvTa-nowvµÉVTJ: sur cet exemple, voir supra, p. 218, n. 106. 10. Type: T{ liÈ ,mi ,rpooiiv wv où liEï 1rpoaEwa1;,(Epitaphios). 11. Exemple: Ménex., 239 b : tÀÀflOW v1rèp EÀMvwv. 12. Ménex., 237 b : 1rpo-ydvwv -yÉvwic Vingt-quatre exemples des deux derniers cas dans Bemdt (dont douze pour la Consolation). 13. Type: ..:l.ioc;µèv à-yaÀµau, èavTwv /iÈ àva~µaTa (Gorgias, Epit.). 14. Cinquante-neuf exemples dans Berndt, dont quinze pour la Consolation. 15. Type : T1 liÈ Kai 1rpoo-r,vwv où ôEi 1rpo0Eiva1; (Gorgias, Epit.); vingt-six exemples dans Bemdt pour le Ménexène. 16. Type : aùTwv à1r~v6vTwv à 1ro&ç où ovva1rÉ&.vEv (Gorgias, Epit.). Treize exemples dans le Ménexène, dont trois dans la Consolation (voir 246 e ,pawETa~1rlJ()avÉo-rEpov0
è K,paivH-,paivETOI).
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LE MFNEXÈNE
plus fréquentes si l'on considère la structure des phrases, en particulier les oppositions au sein d'une même proposition, ou les transitions d'une phrase à l'autre. Au premier rang, il faut placer l'épanostrophe 17 qui fait si souvent rebondir les phrases de Gorgias. Le Ménexène en offre de nombreux spécimens, dans les deux parties 18 . Des tournures épexégétiques 19 , qui n'apportent aucune idée nouvelle, prolongent des phrases pour le seul plaisir d'y faire résonner le même mot 20 , ou un mot de même racine 21 : ce dernier cas confine à l'emploi de la figure étymologique 22 . Enfin, des oppositions variées s'appuient sur la paronomase, en particulier pour mieux marquer la suite des idées ou les articulations d'un raisonnement 23 •
3. -
LA PHRASE
Elle est essentiellement formée de propositions qui mettent en jeu les répétitions de sons : c'est dire qu'elle perpétue la tradition de Gorgias 2 4, illustrée aussi par le discours d'Agathon dans le Banquet : à la période ample, selon le schéma d'lsocrate, elle préfère les membres égaux ou presque, juxtaposés les uns aux autres pour obtenir des effets d'accumulation ou d'opposition bien marqués par la rime. 17. C'est le groupe / ... x/x .../ (voir H. Lausberg, Handbuch der literarischen Rhetorik, 1, p. 315 qui donne l'exemple : «Mais si vous me vengez, vengez-moi dans une heure», Racine, Andromaque, 4, 3, 1170). - Voir Gorgias, Epit. : ovva/µriv a (3ov?.oµa,, (3ov?.oiµT]v
o·â 6fi.
18. Cinq exemples d'après Berndt (239 d; 240 a; 242 a; 246 d; 246 e; les deux derniers dans la Consolation); voir 246 d itou /;i/v µr, iri, 6,à rr,11 ÀT/ (TJ rroÀtç); 245 c; 245 d : Ka>'iapov TO µïaoç €VTÉT1)Kf (cf, Soph., El., 1311 µiaoç ... €VTÉTT/KÉ µo,); 247 b nµwv >'}riaaup4'; 247 e av~pr1)ra, rravra rà rrpoç ,vôatµoviav .pÉpovra Kai €11 dÀÀotç ... alwp,ïrat; 248 a rrÀa11éia>'>at11va-yKaara, rà ,!KE/vou; 249 a : i\p-yava rijç ... âperi/c
54. Ex. de 239 c; 240 d-e - 241 c; 247 e - 248 a (la fortune suspendue et flottante); les images filées sont plutôt le propre d'Agathon (Banquet, 196 a-b). - Si on laisse de côté les «allégories» de Platon, comme celle de la Caverne, il a plutôt tendance à emmêler artistement les images qu'à les filer laborieusement comme dans le Ménexène : voir P. Louis, Les métaphores de Platon, qui, d'ailleurs, ne distingue pas la manière du Ménexène de celle des autres dialogues (p. 182). Cette dernière, où l'image « prend la valeur d'un paradigme ou le prolonge» a été bien mise en lumière par J. Laborderie, Le dialogue platonicien, p. 487-488. 55. Type : o rro,')oç où avvarrÉ>'>av,11, aÀÀ. à>'>avaro, ... tii (Gorgias, Epit.). - Voir Ménexène, 236 e (Ào-yo,): 237 d (è/;EÀr!/;a-ro); 237 e; 238 a; 238 b (12rr1)-ya-ye-ro); 239 d (ti 'Aala èôouÀ,uE); 241 d; 242 a; 242 b (ou!Kpw,); 244 a; 247 c; 247 d. 56. 240 a: a! -yvwµm 6E6ovÀwµÉ11a, T)aav; 240 d: rr,v ÙTrEPT/.pavia11o;\riç ri/, 'Aalaç. 57. -yÉvrntç àrro.privaµéllT/ (237 b). 58. Voir supra, p. 28,. n. 56 la traduction proposée. 59. n,Ào1u, (245 d); rrarpt;,av Èar{a11 (= olKiav) 249 b.
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phrases 60 , critiquées par Denys d'Halicarnasse 61 qui relève avec humeur le passage où la terre « a distribué ce fruit (l'olive) aux autres» et celui où il est dit qu'elle a «fait naître l'huile, soulagement des fatigues» (Ménex., 238 a). Gorgias, autant qu'on peut en juger par ce qui nous est parvenu de son œuvrc, tâchait de rivaliser avec les poètes, mais ne pratiquait guère les citations. En revanche, Agathon, poète lui-même, n'a jamais établi de frontière entre la prose et les vers, et le morceau de bravoure sur l'Amour que Platon met dans sa bouche, comporte des citations, enchâssées habilement dans ses phrases 62 , dont on peut se demander parfois si elles ne sont pas de lui 63 . Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que dans le Ménexène apparaissent çà et là, outre le début ample et rythmé de l'exorde qu'admirait si fort Denys d'Halicarnasse 64 , des suites rythmées en général ïambiques 65 , différentes des clausules assonancées de Gorgias, et 60. 1::Àa/ou -y,!vrn,v àv!ÏKf, mlvwv àpw-yiiv (cf. Protagoras, 334 b roO,awv ... raïç roü àv{ipwrrov (t!p,~iv) àpw-yov; et Sophocle, (Ed. à Colone, 701 : -yÀauKéiç ·1ra,ôorp0amétrique qu'il propose de cette phrase, avec plus de précautions que n'en prennent maints modernes pour manier un instrument si délicat; en tout cas il distingue à la suite : bacchée, spondée, dactyle, spondée, crétique, spondée, hypobacchée (ou anapeste), enfin, catalexe. 66. Voir supra, p. 24. Au reste Agathon, dans le discours que lui prête Platon dans le Banquet, n'évite pas non plus les hiatus. 67. Voir par ex. 241 d : Kai KaTà -yijv Kai KaTà 1'aÀaTrav, formule d'antithèse toute faite appliquée à deux batailles navales (celle de Salamine et celle d'Artémision !) 68. 240 d : KoÀaoo.µevo, (au lieu de KoMoavTec; bien plus fréquent) pour rimer avec lietaµevo,; 247 c: eooot,wv pluriel employé pour rimer avec KTT)µâTwv. 69. 238 b : 1\,r;>..wvKTTJaiv TE Kai XPiiaw : les deux mots sont souvent rapprochés, mais le deuxième sous la forme xPeia (République, 333 a : ,rpoc; Tlvoc; xpElav ~ KTijo,v; et ibid., 451 c : KTija,c; TE Kai xpela.. - D'une manière beaucoup plus générale on notera que si la rhétorique n'est pas en soi suspecte au temps de Platon, si lui-méme l'utilise volontiers méme quand il ne parodie personne (voir E. Norden, Die antike Kunstprosa, p. 106-107), du moins la met-il au service de la pensée, méme la plus ténue, par exemple dans les« litanies» du discours de Diotime dans le Banquet (21 J a-c). Les figures rehaussent alors la pensée, bien loin que Platon coure après l'effet (voir J. Laborderie, I.e dialogue platonicien, p. 484). 70. Ménex., 241 c.
LES FIGURES DE RHETORIQUE
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ÀaTTaV µai'>ôvrac; Kai Èt?tatJÉVTaC: µi, 'IX){3âa-&at TOVC: {3ap{3apovc;. La phrase pouvait très bien s'arrêter à 'EÀÀrwac; sans que ni le sens ni
la correction en pâtissent. La rallonge n'a été mise que pour obtenir les effets suivants 1°) l'antithèse facile Kara yf/v et Kara t'>aÀarrav; 2°) l'anaphore ùrrd µÈv rwv, ùrrd ÔÈ rwv doublée d'une rime; 3°) l'amplification µat?6vmc; Kai UJw-&evrac:, qui reprend inutilement rratôEvt?ijvai et dont les deux verbes qui la composent n'ont été mis que pour obtenir un homéotéleute. C'est du pur verbiage. La deuxième phrase 71 est tirée de l'exhortation aux parents : oürwc: àxd.pwrot ElEv âv µciÀtam, Èaurotic; TE KaKoüvTEC: Kai {3apiwc; ..pipovTEc: ràc; avµ'IX)pac;· Kov..pwc; ÔÈ Kai µerpiwc; µaÀwr' âv xapitoivro « ils ne sauraient mieux nous être déplaisants qu'en
se maltraitant eux-mêmes et en se laissant accabler par leurs malheurs; au contraire, c'est en le supportant d'un cœur léger et avec mesure qu'ils nous complairont le mieux». Toute cette phrase est fondée sur des oppositions ou des symétries factices: àxapiipÉpovrEc; et aroi ... µaÀwm a pour pendant µa.Àtar· âv xapitowro; avµ'IX)pcic; forment une figure étymologique; {3apewc; forme un homéotéleute doublé d'une antithèse avec Kovipwc;; enfin Kovipwc; se suffisait à lui tout seul; on ne lui adjoint l'inutile µnpiwc: que pour obtenir une allitération de plus avec µa,Àtarn, qui lui-même fait pendant à l'autre µaÀwrn. On le voit : tous les effets sont solidaires les uns des autres, et tiennent entre eux comme les perles fausses d'un collier. Faut-il rappeler que cette phrase fait partie d'un ensemble dont on a déjà eu l'occasion de montrer 72 combien il était sophistiqué dans l'analyse des sentiments?
6. -
LES EFFETS DISSIMULtS
Il n'a jusqu'ici été question que des procédés les plus appuyés. Platon se réserve un autre plaisir plus secret, c'est de corrompre son style en profondeur et d'introduire des figures et des parodies assez dissimulées pour qu'elles ne sautent pas aux yeux, mais assez nombreuses et assez nettement dessinées pour qu'on ne puisse pas douter de ses intentions. Une première remarque toute négative. Platon surveille son style dans le Ménexène comme il surveille sa pensée et l'ordonnance de son discours 73 • Jamais il ne s'abandonne aux écarts de sa
11.Ménex., 248 c. 72. Voir supra, p. 205. 73. Voir supra, p. 227.
LE MENEXÈNE
240
verve ou ne prend ce ton familier qu'affecte Socrate dans les autres dialogues, même lorsqu'il doit prononcer un discours 74 : ce n'est assurément pas sans dessein que !'Apologie de Socrate contient les plus violentes anacoluthes connues de Platon 75 • Or, on n'en relève aucune dans le Ménexène dont toutes les phrases sont tirées au cordeau 76 • Cette rigueur est d'autant plus remarquable que Socrate dans le même dialogue parle sa langue accoutumée lorsqu'il s'entretient avec Ménexène 77 , et ce, même dans une période, analysée plus haut 78 , qui se déroule avec nonchalance et liberté en son début, mais se reprend vers la fin en se chargeant de figures à la Gorgias destinées à parodier le rhéteur. Ce plaisir subtil ne nous est pas réservé dans l'oraison elle-même où Socrate dépouille complètement son naturel, pour prendre la livrée d'un orateur. Le contraste entre le dialogue introductif et l'oraison d'une part; entre l'oraison et le dialogue final, de l'autre, est une des belles réussites de mise en scène de Platon. Mais là ne s'est pas borné son savoir-faire. Il ne s'est pas contenté de bien marquer les contrastes entre le dialogue et l'oraison; dans l'oraison elle-même, il a transformé son style au point de laisser déceler la parodie là où aucun signe par trop visible n'attire l'attention. Voici une phrase de la première partie où Platon nous parle des invasions des temps mythologiques 79 : EùµdÀ7rouµÈv ovv 1erraÀ4' f3aa,ÀEtiovn mivrwv E>Erra'Awv». C'est du Gorgias très adouci 153 , tel qu'il pouvait plaire à Eschine. Ainsi, on ne saurait sans risque d'erreur prétendre que Platon dans le Ménexène parodie le gorgianisme d'Eschine: Pour rapprocher !'Aspasie du Ménexène, on a remarqué aussi que la prétention d'Aspasie, chez Eschine, de tenir école, se rencontre avec l'allusion que fait Socrate dans le Ménexène à tous les hommes
148. Philostrate, lettres d'amour, 73, p. 544 (Fobes):
Kai
AioxÎVTJçSi, 6 à,ro
-roù I:w-
Kpa-rovç ( ... ) OÙK WKV€t ')'OP')'WffW.
149. B. Ehlers, op. cit., p. 59, n. 87. 150. Hermogène, füpi 15Ewv Il (Rhetores groeci, t. 2, éd. Rabe, p. 406). 151. Philostrate, op. cit. : "A.É')'na, 5È Kai 'Ao,raoia il M1"A.11o{ariiv roii ')'Àwrrav
Karà r.op')'iav
-,t)tat.
152. Philostrate, lettres d'amour, 73 (éd. Fobes, p. 544). 153. Voir B. Fhlers, op. cit., p. 58.
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