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French Pages 432 Year 2022
Le mauvais air
Le mauvais air
Il était une fois les infections et les combattants de l’ombre
JEAN-MARC CAVAILLON
17, avenue du Hoggar – P.A. de Courtabœuf BP 112, 91944 Les Ulis Cedex A
Ce livre est dédié à la mémoire du Dr. Li Wenliang, le médecin de Wuhan qui le premier sonna l’alerte de ce qui allait devenir la pandémie de COVID-19, ainsi qu’à la mémoire de Sengly Kheng, brillant étudiant cambodgien, victime collatérale du COVID-19. Ce livre est dédié aux combattants de l’ombre du xxie siècle qui, avec abné gation, dévouement, force et courage, ont lutté contre la pandémie de COVID-19 pour accueillir les patients et sauver des vies.
Composition et mise en pages : Flexedo Couverture : conception graphique de B. Defretin, Lisieux Photographie : le port du masque lors de la pandémie de grippe espagnole à Mill Valley, Californie en 1918, reproduite avec l’aimable autorisation de l’Annual Dipsea Race.
Imprimé en France ISBN (papier) : 978-2-7598-2678-0 ISBN (ebook) : 978-2-7598-2679-7
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute repré sentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences, 2022
À PROPOS DE L’AUTEUR
Jean-Marc Cavaillon est professeur honoraire de l’Institut Pasteur, où il a été directeur d’une unité de recherche « Cytokines & Inflammation », directeur du département « Infection et épidémiologie » et président du comité d’évaluation du personnel scientifique. Il est présentement référent scientifique à l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) auprès du Département Biologie et Santé et auprès de la Direction des Grands Programmes d’Investissement de l’État. À ce titre il s’est occupé des appels d’offre COVID-19 et Antibiorésistance. Il a fait pour le personnel de l’Agence cinq conférences pour lui présenter des informations appropriées sur la pandémie et la mise en place des vaccins. Il a été très impliqué dans l’enseignement local et international et est actuellement codirecteur du Cours « Innate Immunity and Infectious Diseases » de l’Institut Pasteur. Il a été président de deux sociétés savantes internationales : « International Endotoxin and Innate Immunity Society » (1998-2000) et « European Shock Society » (2015-2017). Son expertise porte sur l’inflammation, l’immunité innée et les septicémies, étudiant le statut immunitaire des patients atteints de sepsis et d’autres pathologies inflammatoires sévères. Il est co-fondateur de deux start-ups en biotechnologie. 5
À propos de l’Auteur
Il a écrit différents ouvrages scientifiques dont le premier livre en langue française sur les Cytokines (1993, 1996). Un livre en 4 volumes « Inflammation – From molecular and cellular mechanisms to the clinic » avec le Prof Mervyn Singer (2018). Il se passionne pour l’histoire des sciences et a écrit de nombreux articles sur certains géants des sciences (Metchnikoff, Boivin, Ruffer, Bizzozero, Semmelweis, & Bordet), et un livre « La flamme salvatrice. Il était une fois l’inflammation » (2017).
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SOMMAIRE
À propos de l’Auteur....................................................................... 5 Préambule..................................................................................... 9 1. Pandémies et épidémies........................................................... 17 Aussi loin que l’homme se souvienne........................................... 17 2. Le mauvais air......................................................................... 39 Les miasmes............................................................................. 39 De l’intuition aux découvertes.................................................... 44 L’affrontement entre contagionnistes et anticontagionnistes.......... 51 Démonstration de la contagiosité sur soi-même............................ 68 3. Au-delà des animalcules........................................................... 87 Les premiers microscopistes....................................................... 87 Fermentation alcoolique............................................................. 94 Génération spontanée et réfutation............................................. 99 4. Des germes aux maladies infectieuses....................................... 107 Vers la théorie des germes......................................................... 107 L’anthrax................................................................................. 121 La tuberculose.......................................................................... 128 La coqueluche.......................................................................... 135 Streptocoque et staphylocoque................................................... 138 Le typhus................................................................................ 145 La syphilis............................................................................... 147 Maladies infectieuses et folie..................................................... 150 Les infections parasitaires.......................................................... 155 5. Des germes aux toxines............................................................ 167 Les poisons vénériens................................................................ 167 Les poisons bactériens............................................................... 171 Les exotoxines.......................................................................... 180 Germes et auto-intoxications...................................................... 184 6. Des virus aux infections virales................................................ 199 D’un terme latin a un nom contemporain..................................... 199 La rage.................................................................................... 215 La grippe................................................................................. 217 Le COVID-19............................................................................. 221 7. La lutte contre les maladies infectieuses.................................. 231 L’herbologie............................................................................. 231 Les antiseptiques...................................................................... 234 Les antibiotiques...................................................................... 244 Les bactériophages.................................................................... 261 7
SOMMAIRE
L’hygiène................................................................................. 273 Les masques............................................................................. 284 8. Les vaccins.............................................................................. 293 La variolisation......................................................................... 293 La syphilisation........................................................................ 302 La vaccination.......................................................................... 308 Les quatre vaccins de Pasteur..................................................... 320 De la sérothérapie aux anatoxines............................................... 355 Les vaccins contre le choléra et la peste...................................... 363 Des germes entiers à l’ARN messager........................................... 374 9. Réflexions............................................................................... 393 Les liens incestueux entre scientifiques et la presse scientifique...... 393 Les scientifiques face aux fake news............................................ 398 Des savants d’antan aux chercheurs d’aujourd’hui.......................... 402 La course à la connaissance....................................................... 411 Index des noms cités...................................................................... 421
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PRÉAMBULE
Le premier confinement pour limiter les dommages consécutifs à la pandémie de COVID-19 nous aura offert l’opportunité de passer plus de temps que de coutume devant la petite lucarne, devenue un grand écran plat dans la plupart des foyers. Assis sur mon canapé, je vois défiler pendant des semaines tous mes anciens collègues et les cliniciens des services de soins intensifs avec qui j’ai collaboré pendant de nombreuses années. Je vais alors passer de doux moments d’harmonie lorsque certains disent exactement ce que je pense, et des moments d’effroi lorsque d’autres disent absolument l’inverse de ce qui me semble être la vérité. Cette cacophonie aura des effets désastreux sur la crédibilité de la parole scientifique. Les querelles entre scientifiques ont toujours existé. Mais autrefois, à l’instar de la querelle sur la génération spontanée entre Pasteur et Fouchet, celles-ci, à défaut d’être à fleurets mouchetés, car les apostrophes étaient d’une incroyable virulence, se passaient en milieu confiné devant les académies des sciences ou de médecine, rarement dans la presse populaire. De nos jours, ces querelles se passent en direct sur les plateaux des grandes chaines d’information. À tel point que, comme lors de chaque coupe du monde de football où l’on se retrouve avec des millions de sélectionneurs, nous 9
PRÉAMBULE
nous sommes rapidement retrouvés avec des millions de spécialistes de l’hydroxychloroquine. La France coupée en deux, comme dans le monde des lilliputiens, entre gros-boutistes et petits-boutistes, entre les « hydroxychloroquinophiles » et les « hydroxychloriquino phobes ». De nombreuses étude, d’une rigueur indiscutable (les fameuses études en double aveugle contre placébo) aidèrent à trancher… Mais à l’image du président Trump qui refusa d’admettre sa défaite, les hydroxychloroquinophiles et leur chef gaulois, refusèrent d’admettre qu’une recherche rigoureuse de la vérité médicale et scientifique aura permis de démontrer définitivement la futilité de ce traitement. La suffisance des Hommes du xxie siècle fit que comme la cigale lorsque la bise fut venue, ils se retrouvèrent fort dépourvus lorsque la pandémie fit son entrée dans leur vie. Lorsque je fis une visioconférence à l’Académie Royale de Médecine de Belgique à l’occasion du centenaire du prix Nobel de Médecine attribué à Jules Bordet (18701961), quelqu’un me demanda ce qu’aurait fait Jules Bordet face à cette pandémie… L’arrière-petite-fille de Jules Bordet me souffla : « Il aurait fait preuve d’une grande humilité ». J’ajoutais : « il n’aurait pas été pris au dépourvu ». Lui-même avait passé un an en Afrique du Sud à combattre avec succès la pandémie de peste bovine et était au fait que des infections de toutes sortes étaient toujours à nos portes, pouvant affecter humains et troupeaux. Mais pour les habitants du monde développé, les infections, les épidémies, les pandémies étaient des histoires d’un autre siècle… Pour preuve, l’Institut Pasteur, berceau en France de la lutte contre les maladies infectieuses, navire amiral connu de tous, à l’occasion de ses campagnes de collectes de fonds pour financer sa recherche, ne communiquait plus que sur le cancer ou les maladies neurodégénératives, oubliant ses fondements qui n’apparaissaient alors plus suffisamment attractifs pour attirer l’attention et l’argent du grand public. La suffisance des Hommes du xxie siècle se traduisit par un regard condescendant à l’égard de l’épidémie qui explosait à Wuhan, ce que d’aucuns qualifièrent de 10
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grippette. On retrouve la suffisance des Français lorsque la pandémie était à nos portes et qu’ils se moquèrent du système hospitalier italien. La suffisance de nos responsables politiques lorsque Jérôme Salomon, le directeur de la santé estimant qu’il n’était pas nécessaire de renouveler le stock de masques, amena le gouvernement à mentir aux français sur l’utilité des masques ! Le 16 mars 2020, le président Emanuel Macron déclarait : « Nous sommes en guerre ». Certains intellectuels, eux aussi régulièrement convoqués sur les plateaux de télévision, s’offusquèrent d’une telle déclaration belliqueuse. Pourtant, combattre un ennemi, cela s’appelle bien être en guerre. Une affiche de 1917 (figure 1), « L’aigle boche sera vaincu, la tuberculose doit l’être aussi » illustre parfaitement que l’on peut être en guerre contre une autre nation mais aussi contre le fléau que peut être une infection. La Fontaine dans sa fable « Les animaux malades de la peste » ne dit-il pas : Un mal qui répand la terreur, Mal que le Ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre, La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom) Capable d’enrichir en un jour l’Achéron, Faisait aux animaux la guerre […] Une autre affiche faisait fureur au début du xxe siècle, celle de la société Anios, spécialisée dans les produits désinfectants, qui clamait : « Le microbe, voilà l’ennemi » (figure 2). Que faisons-nous depuis le début de 2020, si ce n’est de combattre le « severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 » (SARS-CoV-2), cet ennemi invisible qui met nos forces à rudes épreuves et envoie au cimetière de façon prématurée des hommes et des femmes qui se sont malheureusement trouvés sur son passage. L’ennemi peut certes prendre maints visages insoupçonnés. En Belgique, en décembre 2020, un supercontaminateur déguisé en Santa-Claus aura contaminé plus de 75 personnes dans une résidence de personnes âgées, envoyant au ciel un bon nombre d’entre elles. Sans doute, 11
PRÉAMBULE
Figure 1 | Affiche publiée en 1917, mettant en parallèle le combat contre l’ennemi allemand et la tuberculose. © 2 Fléaux – Le Boche – La Tuberculose, MCG 2 19830225-008, Musée canadien de la guerre.
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Santa-Claus avait-il omis de porter son masque de peur qu’on ne le reconnaisse pas ! La pandémie toujours en cours, la France nomma une commission d’enquête, pour savoir ce qui avait pêché, à défaut d’identifier ceux qui avaient péché. En 1885, un certain Jaume Ferran prétendait avoir mis au point le vaccin contre le choléra. Une commission d’enquête, présidée par le Dr. Brouardel, fut envoyée en Espagne. Elle concluait son rapport ainsi : « Plus les problèmes touchent de près à la vie humaine, plus la méthode scientifique doit être parfaite, plus le savant doit être armé. M. Ferran me semble n’avoir pas compris l’importance de ces vérités, et avoir abandonné le terrain des expérimentations et des études scientifiques pour entrer trop tôt dans ce qu’il appelle “la pratique” ». Quelques 135 ans plus tard, cette conclusion s’applique à merveille à certains savants contemporains qui prétendirent offrir le traitement qui devait résoudre la grippette qui nous menaçait. Dans son livre « Destin des maladies infectieuses », Charles Nicolle, prix Nobel pour sa découverte des poux vecteurs du typhus écrivait : « La connaissance des maladies infectieuses enseigne aux Hommes qu’ils sont frères et solidaires. Nous sommes frères parce que le même danger nous menace, solidaires parce que la contagion nous vient le plus souvent de nos semblables ». Mais la solidarité n’est plus de mise au xxie siècle, au point que l’on entendit de doctes docteurs préconiser la quarantaine pour les vieux et la liberté de circulation pour les jeunes. C’est justement cette incroyable libre circulation des humains du xxie siècle qui est à l’origine du succès initial de cette pandémie qui s’est répandue à la surface de la planète à la vitesse des avions transcontinentaux. Jamais un virus n’avait autant voyagé par avion pour conquérir la planète en un temps record. Pourtant s’il venait du ciel, le virus n’avait rien d’une punition divine comme le croyait souvent les habitants de la planète Terre confrontés depuis le début de l’histoire de l’humanité à de terribles pandémies. Néanmoins, l’Homme du xxie siècle est apparu aussi dépourvu que l’Homme de l’époque romaine face à l’absence de traitement pour sauver ses semblables ; 13
PRÉAMBULE
Figure 2 | Affiche de la Société Anios, à l’origine de produits désinfectants, présentant le microbe comme l’ennemi à combattre. Lithographie de G. de TryeMaison, ca. 1910.
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et ce, face à un seul virus. Sachant qu’on estime aujourd’hui à 120 le nombre de virus ayant un potentiel pour une flambée épidémique, il s’agirait de mieux se préparer. Jean-Pierre Morat (1846-1920), professeur titulaire de la chaire de physiologie à la faculté de médecine de Lyon écrit dans sa notice sur Henri Toussaint, compétiteur ô combien malheureux de Pasteur : « L’opinion a toujours tendance à faire honneur à un seul, d’un résultat que les efforts de plusieurs ont préparé, mûri, provoqué. Elle adopte volontiers un seul nom, le plus illustre, auquel elle prodigue les hommages et les louanges ; vis-à-vis des autres, elle est froide, réservée, parfois oublieuse, et elle ne se croit pas ingrate pour cela ; cette tendance simpliste de l’opinion existe, du reste, pas qu’en médecine, elle est générale, elle est humaine ». L’acquisition des connaissances s’est construite sur les épaules des géants ; mais beaucoup de ces géants doivent leur notoriété grâce à de plus obscurs savants qui ouvrirent le sillon de la connaissance, semèrent les graines qui allaient éclore dans d’autres esprits. Cet ouvrage est un hommage aux oubliés de l’histoire qui eurent parfois le tort d’avoir raison trop tôt pour leur époque ou dont les travaux furent injustement submergés par de plus brillants esprits, à moins que ce ne fut par de plus gros égos.
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AUSSI LOIN QUE L’HOMME SE SOUVIENNE Le mot pandémie apparaît pour une des toutes premières fois dans un ouvrage consacré à la tuberculose et à la dépression, publié en 1674 par Gideon Harvey (1636-1702)1. L’auteur est né aux Pays-Bas, médecin diplômé en France, il exerce tout d’abord à La Haye, avant de faire carrière à Londres comme médecin auprès du roi Charles II. Il écrivit un grand nombre d’ouvrages dont la valeur scientifique demeure discutable. Il faudra attendre plus longtemps avant de voir le terme pandémie (pandemic, en anglais) entrer dans un dictionnaire, en l’occurrence celui de Noah Webster (1758-1843). Ce dernier est bien plus que le célèbre lexicographe qui a réformé l’orthographe et la prononciation de la langue anglaise. Il publie en 1783, à l’intention des écoles américaines, son célèbre « The American Spelling Book », précurseur du Webster’s dictionary, aussi célèbre pour les anglophones que 1. Morbus anglicus or a theoretick and practical discourse of consumptions and hypochondriack melancholy. 17
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les noms de Larousse ou de Robert le sont pour les francophones. Webster aura aussi été maître et directeur d’école, avocat, journaliste, publiciste, éditeur, législateur, et épidémiologiste. C’est en cette dernière qualité qu’il publia en 1800 une brève histoire des maladies pestilentielles et épidémiques à l’occasion de l’épidémie de fièvre jaune à Philadelphie en 1793. Cette ville paya alors un lourd tribut, avec 5 000 victimes, soit 10 % de sa population. D’autres épidémies furent l’objet de l’attention de Webster comme celle de grippe en Nouvelle-Angleterre en 1789 et 1790 et celle de scarlatine en 1793. L’origine géographique des épidémies a toujours été recherchée. Tout comme le président Trump parla du virus chinois pour qualifier le virus responsable de la pandémie de COVID-19, en 1892 on parlait de la grippe chinoise. Dans un article publié dans The Lancet, le 20 janvier 1894, Frank Clemow (1863-1939), médecin auprès de l’ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, expliqua comment cette pandémie de grippe qui affligea l’Europe de 1889 à 1890 avant d’enjamber l’Atlantique pour se répandre aux USA en 1892, était originaire des steppes du Kirghizistan. On parla aussi de grippe russe, d’autant que la première flambée eut lieu à SaintPetersbourg. On estime à un million le nombre de morts dans le monde pour cette grippe qui se répandit en Europe le long des voies de Chemin de fer. En décembre 1889, les hôpitaux parisiens furent saturés avec près de 180 000 personnes atteintes et 400 à 500 morts par jours dans la capitale, où le personnel des Grands Magasins du Louvres fut le premier touché. Ceux qui y étaient encore réfractaires durent se rendre à l’évidence et accepter l’idée de contagiosité. Cependant, les symptômes de cette pandémie différaient des profils classiques de la grippe, avec des atteintes vasculaires, digestives, et neurologiques, et avec une mortalité élevée chez les personnes âgées. Il est possible que cela ait été la première pandémie due à un coronavirus, OC43 dérivé d’un coronavirus bovin. La quinine fut proposée comme traitement comme elle le fut pour la grippe espagnole, tandis que sa variante hydroxychloroquine le fut pour 18
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le COVID-19. Utilisée à forte dose, la quinine, fut alors associée à l’émergence d’accidents fâcheux ! Passionné par la cartographie planétaire des infections, Clemow publia en 1903 un livre, « La géographie des maladies », riche en cartes dévoilant la localisation planétaire des diverses pandémies (lèpre, fièvre jaune, peste…), et en courbes du nombre de cas en fonction du temps lors de l’émergence des infections survenues dans les différents pays. Ces cartes et ces courbes nous rappellent celles que l’université John Hopkins nous proposa jour après jour pour suivre en direct l’évolution planétaire de la pandémie du COVID-19. Le terme « peste » vient du latin pestis signifiant contagion, maladie contagieuse, épidémie, fléau, malheur, désastre, calamité. Ainsi donc, les différentes pestes de l’histoire ne furent pas à proprement parler spécifiquement dues au bacille de la peste. La première d’entre elle est la peste d’Athènes en 430 avant J.-C. qui fit de 75 à 100 000 victimes. C’est à Thucydide (460 av. J.-C.-400/395 av. J.-C.), un historien et général athénien, que l’on doit les descriptions de cette peste qui survint durant la deuxième année de la guerre du Péloponnèse entre Sparte et Athènes. « Terrifiante était la rapidité avec laquelle les hommes étaient atteints, mourant comme des moutons s’ils se rassemblaient, et ceci fut la cause principale de la mortalité ». Si Thucydide mentionne ainsi la grande contagiosité du mal, il rapporte aussi que les personnes qui avaient survécu à la peste étaient protégées, car le même Homme n’était jamais attaqué deux fois, jamais du moins mortellement. Il décrit alors l’immunité acquise des survivants. De nombreuses hypothèses furent proposées pour en donner la nature : syphilis, variole, méningite, rougeole… Aujourd’hui les spécialistes semblent favoriser une épidémie de typhus. De 166 à 189, la peste antonine frappa l’Empire romain et fit environ 10 millions de morts. Elle doit son nom à la dynastie antonine qui régnait à l’époque. C’est à Galien (129-circa 216), médecin grec et auteur de « Methodus Medendi » que l’on doit la description des symptômes. Parmi les plus courants figuraient la 19
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fièvre, la diarrhée, les vomissements, la soif, la gorge enflée, la toux, des éruptions cutanées, sur l’ensemble du corps se distinguant par des papules ou des éruptions rouges et noires. Vers 165 après J.-C., la ville anatolienne de Hiérapolis érigea une statue au dieu Apollon, dans l’espoir que la population puisse être épargnée de ce terrible fléau. Il semble néanmoins qu’Apollon fit la sourde oreille pendant près de deux décennies. On considère le plus souvent, sans certitude, qu’il s’agissait d’une importante épidémie de variole ou une maladie proche. La variole collabora avec Hernán Cortes (1485-1547) pour sa conquête sur les Aztèques en 1520, tout comme elle contribua à la conquête espagnole sur les Incas par Francisco Pizarro (1475-1541) en 1525. Cette complicité entre les conquistadors et un germe pathogène n’avait pas été anticipée, mais les populations amérindiennes furent décimées par ce germe nouveau pour elles. Par contre, Jeffery Amherst (1717-1797), officier de l’armée britannique, commandant en chef en Amérique du Nord, semble avoir cherché à s’allier volontairement avec ce pathogène lors de sa conquête sur les Indiens Delaware en Pennsylvanie. Pour ce faire, il requit l’aide de William Trent (1715-1787), un commerçant de fourrures. Ce dernier indiqua avoir acheté deux couvertures et un mouchoir ayant appartenu à des patients de l’hôpital militaire atteints de variole, et les avoir offerts aux Indiens afin de leurs transmettre la maladie. Une épidémie apparut au printemps tuant de nombreux Amérindiens. Une autre guerre bactériologique fut menée en 1887 par Pasteur. Ce dernier envoya Adrien Loir, son neveu éradiquer les lapins qui pullulaient en Australie. Pour ce faire, ils envisagèrent d’utiliser une bactérie, Pasteurella multocida, pour éliminer ces animaux. Si finalement, cette approche ne fut pas autorisée par l’Australie, elle fut menée avec succès au-dessus des caves de champagne de Mme Pommery, qui risquaient de s’effondrer en raison des nombreuses galeries creusées par les lapins. Mais oublions la guerre bactériologique et revenons aux épidémies naturelles. La peste Justinienne, du nom de l’empereur qui régnait à 20
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cette époque, fit environ 25 millions de victimes. L’épidémie aurait débuté en Égypte en 541 pour s’étendre ensuite sur tout le pourtour méditerranéen, suivant les voies du commerce. Il s’agit de la première occurrence historique de la peste bubonique. Tout comme probablement le SARS-CoV-2, l’agent du COVID-19 qui fit son entrée en septembre 2019, dans le Nord de l’Italie, rapporté par des hommes d’affaires de retour de Wuhan, avant même sa déclaration officielle par les Chinois fin décembre 2019, la peste noire (13311353) fut importée de Chine, se propageant le long de la route de la soie s’étendant à toute l’Europe puis au continent africain, faisant entre 75 et 200 millions de victimes (près de la moitié de la population mondiale de l’époque). Dès lors, les épidémies de peste vont être endémiques et survenir régulièrement dans les grandes villes d’Europe. En 1656, la peste est à Rome et à Naples, entre 1665 et 1666 elle est à Londres entraînant la mort de 75 000 à 100 000 personnes, soit plus d’un cinquième de la population londonienne de l’époque, avant qu’un immense incendie ne ravage le cœur de la ville du 2 au 5 septembre 1666. En 1679, la peste est à Vienne faisant plus de 100 000 victimes. C’est pour commémorer ce triste épisode de l’histoire de sa ville que l’empereur Léopold 1er fit inaugurer en 1694 la colonne de la peste. Cette dernière redeviendra un site de recueillement et de prières lors de la pandémie de COVID-19. Comme face au COVID-19, les Hommes restèrent fort désarmés face au mal. Lors des épidémies, des prières furent régulièrement adressées à Saint Roch, originaire de Montpellier connu pour avoir guéri des pestiférés en Italie au xive siècle. Entre 1666 et 1669, le père Léon Augustin Déchaussé, de Rouen proposa de nombreux remèdes et des antidotes contre la peste, préconisant en particulier l’usage de parfums pour préserver et purger les maisons pestiférées de l’air vicié. L’heureux homme eut sans doute la chance de convaincre ses contemporains et peut être même les savants de l’époque sans avoir à requérir à des études en double aveugle contre placébo. Il publia ses recettes. La plus sûre et la meilleure requérait deux livres de 21
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soufre, deux livres d’alun, deux livres d’encens, quatre livres de poix résine, deux livres de poudre à canon, douze onces d’antimoine, quatre onces de sublimé, douze d’arsenic, quatre onces d’orpiment, quatre onces de cinabre, et deux livres de graines de genièvre ou de lierre ou de laurier. Bien sûr, les docteurs pouvaient aussi faire appel à leur arme favorite, la saignée. En 1894, la peste sévit à Hong Kong emportant la vie de 2 500 personnes. À la demande de l’Institut Pasteur, Alexandre Yersin (1863-1943) (figure 3) se rendit à Hong-Kong pour y étudier la nature de cette épidémie. Yersin est né en Suisse dans le canton de Vaud. Après ses études secondaires à Lausanne, il entama ses études de médecine dans cette même ville avant de les poursuivre à Marburg et les achever à Paris à l’Hôtel Dieu. Après sa rencontre avec Émile Roux (1853-1933), celui-ci le fit entrer dans le laboratoire de Louis Pasteur (1822-1895) à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm. Par la suite il rejoignit le service du Professeur Joseph Grancher avant de devenir médecin des Messageries Maritimes sur la ligne Saigon-Manille, puis médecin principal de l’armée coloniale. Á Hong-Kong, installé dans une cahutte de paille, le 20 juin 1894, il isola avec succès le germe de la peste à partir de bubons de patients, et publia sa découverte dans les Annales de l’Institut Pasteur en septembre 1894. Il était alors en compétition avec le japonais Shibasaburō Kitasato2 (1853-1931) qui travaillait en accointance avec les autorités anglaises qui lui permettaient d’avoir accès à des prélèvements sanguins de patients. Hélas pour lui, c’est dans les bubons que les germes sont les plus abondants. Le germe fut nommé Yersinia pestis en hommage à son découvreur qui fut fait chevalier de la légion d’honneur pour sa découverte. En 1895, Il fonda l’Institut Pasteur de Nha Trang (Vietnam), une branche de l’Institut Pasteur de Saigon, fondé par Calmette en 1890. Yersin s’établit définitivement au Vietnam. Outre son activité au sein de 2. Shibasaburō Kitasato figurera à compter de 2024 sur le nouveau billet de 1 000 yens de la banque du Japon. 22
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son laboratoire où il préparait un sérum anti-pesteux grâce aux animaux dont il disposait dans sa ferme, il créa des plantations d’hévéas et devint le fournisseur des usines Michelin. Pendant la Première Guerre Mondiale, Yersin se lança dans la plantation
Figure 3 | Alexandre Yersin (1863-1943) découvre à Hong Kong en 1894, le germe responsable de la peste qui sera nommé Yersinia pestis en son honneur. © Institut Pasteur / Musée Pasteur / Archives Alexandre Yersin.
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de quinquina afin d’assurer une ressource autochtone de quinine pour combattre le paludisme. Promu grand officier de la Légion d’honneur en 1939, il décéda le 28 février 1943 à Nha Trang, et fut enterré à une vingtaine de kilomètres de là, accompagné par une foule imposante. En 2012, une sculpture de Yersin de 4,6 mètres de haut fut érigée dans un nouveau jardin public créé en son honneur, illustrant la vénération que lui porte le peuple vietnamien depuis l’époque coloniale, et nombreuses sont les villes qui possèdent un lycée ou une rue Yersin. Il est un autre bacille qui fut cause de bien des maux, il s’appelle Vibrio cholerae, à l’origine de nombreuses épidémies de choléra. Filippo Pacini (1812-1883) est le titulaire de la chaire d’anatomie générale à l’Université de Florence, lorsque survint une nouvelle pandémie de choléra (1852-1860). En 1854, dans un article intitulé « Observations microscopiques et déductions pathologiques sur le choléra asiatique », il décrivit le bacille de la maladie et argumenta sur son rôle d’agent pathogène. Malgré des publications additionnelles de 1865 à 1880, son travail fut largement ignoré en raison de la forte influence de la théorie des miasmes parmi les médecins italiens de l’époque. La théorie des miasmes a longtemps été populaire pour expliquer comment un mauvais air pouvait être responsable des maladies infectieuses. Aujourd’hui encore on attribue la découverte du germe à son concurrent allemand. En effet, trente ans plus tard, le 7 janvier 1884, Robert Koch (1843-1910) annonça dans une dépêche envoyée depuis Calcutta qu’il avait réussi à identifier le bacille en culture pure, isolé à partir de la muqueuse intestinale chez des personnes décédées du choléra. Avant de se rendre en Indes, Koch s’était rendu en Égypte, à Alexandrie où sévissait une épidémie de Choléra. Il atteint Alexandrie le 24 août 1883, neuf jours après l’arrivée de l’équipe de l’Institut Pasteur. Émile Roux (1853-1933), Isidore Strauss (18451896), Edmond Nocard (1850-1903) et Louis Thuillier (1856-1883) (figure 4) constituaient cette brillante délégation qui s’efforça en vain de reproduire la maladie chez l’animal, ce qui était impossible, les 24
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Figure 4 | Louis Thuillier (1856-1883). Après avoir travaillé auprès de Pasteur sur le vaccin du rouget du porc, il est envoyé avec d’autres collaborateurs en mission à Alexandrie (Égypte) pour étudier l’épidémie de choléra (1883). Louis Thuillier sera alors victime du choléra, et en mourut.
animaux étant naturellement réfractaires à cette maladie. La mission pasteurienne s’acheva par un drame puisque Thuillier contracta le choléra et mourut à Alexandrie. Thuillier avait tout d’abord travaillé dans le laboratoire de Louis Pasteur comme préparateur. Il participa 25
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aux travaux sur la rage et aux expériences de vaccination des moutons contre le charbon, puis, en 1881 à Budapest, il dirigea aussi des expériences de vaccination contre le charbon. En 1882, il découvrit le microbe du rouget du porc au cours d’une épizootie sévissant dans le département de la Vienne et participa à l’élaboration du vaccin de Pasteur contre le rouget du porc. En 1882, il fut envoyé par Pasteur en Prusse pour y mettre en place la vaccination anti-charbonneuse. Thuillier n’est pas le seul savant mort au champ d’honneur, lors de sa lutte contre le microbe. S’il est un germe qui peut s’enorgueillir de l’avoir emporté sur ceux qui le traquait, c’est bien Rickettsia prowazekii, l’agent du typhus. Il tua Howard Taylor Ricketts (18711910), un pathologiste de Chicago qui fut l’un des premiers à décrire cet agent pathogène. Celui-ci mourut à l’âge de 39 ans, à la suite d’une contamination accidentelle dans le laboratoire du Mexique où il étudiait une épidémie de typhus. Il tua aussi Stanislaus von Prowazek (1875-1915), un zoologiste allemand d’origine tchèque qui confirma les travaux de Charles Nicolle, prix Nobel en 1928 pour sa découverte de la transmission du typhus par les poux. À 40 ans, Prowazek mourut aussi du typhus après l’avoir contracté lors d’une étude qu’il menait lors d’une épidémie de typhus dans une prison de Hambourg. Le germe, Rickettsia prowazekii, porte désormais le nom de ses deux victimes, nom que lui attribua Henrique da Rocha Lima (1879-1956), médecin infectiologue brésilien qui travaillait auprès de Prowazek et qui fut lui-même contaminé durant cette étude. Mais revenons à notre précédent assassin, Vibrio cholerae et à sa traque. En 1831, Alexandre Moreau de Jonnès (1778-1870), militaire et haut fonctionnaire français en charge des statistiques publie son rapport sur le choléra morbus pestilentiel. Alors, comme nous le verrons ultérieurement, le concept des miasmes prévaut, et il écrit de façon prophétique : « Le choléra ne suit aucunement les lois des épidémies, dont la cause réside dans les intempéries, dans un air vicié ou dans une localité quelconque. Il n’a évidemment nul rapport avec ce genre de maladie, soit dans son origine, son extension, sa marche ou ses 26
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progrès. Il ne résulte point d’un brouillard, d’une vapeur, d’un miasme flottant dans l’atmosphère et porté par les vents. Il n’est produit ni par l’excès de la chaleur, ni par une extrême humidité, ni par l’absence du fluide électrique, ni par aucun des grands agents physiques, dont l’action constitue la puissance du climat […] Il ne peut donc appartenir nécessairement qu’à cette classe de maladies redoutables, qui tirent leur origine d’un principe sui generis, d’un germe dont la nature intime est inconnue, mais qui possède le pouvoir de se développer et de se reproduire, comme les êtres organisés, sous des conditions spéciales, et qui se propage, par une transmission médiate ou immédiate, d’un individu malade à un individu sain ». L’année suivante, Samuel Hahnemann (1755-1843), médecin allemand, celui-là même qui inventa l’homéopathie, en vint à suspecter l’existence de ces germes : « À bord des navires, dans ces espaces confinés, remplis de moisissures, de vapeurs d’eau, le miasme cholérique trouve un élément favorable à sa multiplication, et grandit en progéniture énorme consistant en des créatures vivantes extrêmement petites et invisibles, si hostiles à la vie humaine ». Il proposa divers traitements contre le choléra, heureusement pas à doses homéopathiques, comme le cuivre, le camphre et le vératre blanc. De terribles diarrhées accompagnent le choléra. Je me souviens de conférences où André Dodin (1926-1995), chef de l’Unité du Choléra à l’Institut Pasteur, présentait une photo des chutes du Niagara en expliquant que c’était l’équivalent des diarrhées générées par le choléra dans le monde ! Ces diarrhées s’accompagnent donc d’une profonde déshydratation. Et, c’est à un médecin anglais que l’on doit la première prise en charge appropriée des patients. Thomas Latta (1796-1833) est un pionnier, reconnu comme le père de la première réanimation intraveineuse. En 1832, à Édimbourg, Latta souhaita réhydrater ses patients en injectant à l’aide d’un clystère de l’eau salée, tablant sur le pouvoir absorbant du côlon qui aurait pu transmettre la solution physiologique vers le sang. Malheureusement aucun bénéfice ne fut noté. Il lui vint alors l’idée d’injecter quelques six pintes d’eau 27
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salée directement dans la veine du bras, piquée à l’aide d’une plume d’oie. Son succès fut publié dans The Lancet. Malheureusement, les résultats furent très inconstants, sans doute d’une part pour la difficulté d’assurer des valeurs contrôlées et appropriées des sels ajoutés et surtout parce que la solution saline qu’il injectait n’était pas stérile. Ce dernier point a sans doute abrégé la vie de certains de ses patients cholériques. L’utilisation standard de solutions salines en perfusion intraveineuse n’a commencé qu’en 1902. Il est un autre héros anglais de l’aventure de la lutte contre le choléra, c’est le Dr. John Snow (1813-1858) (figure 5). Ce dernier gagna son premier galon de renommée dans un tout autre domaine, en mettant en application les travaux de son collègue Sir James Simpson (1811-1870) qui avait découvert des qualités anesthésiques du chloroforme. Snow administra du chloroforme à la reine Victoria à l’occasion de la naissance de son fils Léopold en 1853 et pratiqua ainsi l’un des tout premiers accouchements sous anesthésie. Son deuxième galon de la renommée fut gagné l’année suivante. Depuis 1849, Londres était régulièrement confrontée à des épidémies de choléra et Snow mena la première étude épidémiologique digne de ce nom. Snow ne favorisait pas l’idée des miasmes et du « mauvais air » et s’opposait ainsi aux idées du révérend Henry Whitehead (18251896), clerc de l’Église d’Angleterre et vicaire adjoint de l’église St. Luke à Soho à Londres. Une enquête approfondie d’une carte des foyers où le choléra sévissait dans le cœur de Londres amena Snow à identifier comme source de la contamination une pompe à eau de Broad Street partagée par les habitants contaminés. La désactivation de ladite pompe mit fin à l’épidémie et convainquit non seulement le révérend Whitehead, mais aussi certains de ces collègues médecins. Pour preuve, William Budd (1811-1880) qui exerçait à Bristol et était membre du département de la santé de la ville, prit des mesures nécessaires pour protéger l’approvisionnement en eau de la ville. On lui attribue une diminution de l’incidence des décès dus aux épidémies de choléra de 2000 en 1849, à 29 en 1866 (sur une population 28
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Figure 5 | John Snow (1813-1858) mena une des toutes premières études épidémiologiques pour cartographier différentes pompes à eau (cercles épais) par rapport à la zone de la survenue d’une l’épidémie de choléra à Londres (zone grisé). Il identifia ainsi la pompe qui propageait la maladie.
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de 140 000 habitants). Budd avait reconnu que les « poisons » impliqués dans les maladies infectieuses se multipliaient dans les intestins des malades, étaient présents dans leurs excréments et pouvaient alors être transmis aux sujets sains par leur consommation d’eau contaminée. Pourtant, cette causalité entre l’accès à une eau contaminée et l’apparition d’une épidémie ne fut pas acceptée si facilement par les savants de l’époque. Ainsi, William Farr (1807-1883), considéré comme l’un des fondateurs de la statistique médicale, était un fervent supporter de la théorie des miasmes. Lors d’une épidémie en 1853, Farr rassembla des preuves statistiques pour essayer de soutenir ladite théorie. Il démontra que le choléra était propagé par l’air pollué de la Tamise en montrant que la probabilité de mourir de la maladie était liée à la hauteur à laquelle les victimes vivaient au-dessus du fleuve. Cependant, en rassemblant les informations sur les sources d’approvisionnement en eau, il généra des statistiques sur le nombre de décès en fonction des différentes compagnies d’eau. Il découvrit alors que les personnes approvisionnées en eau par deux sociétés particulières, les sociétés Southwark & Vauxhall et Lambeth, qui tiraient leur eau directement de la Tamise étaient particulièrement susceptibles d’être affectées. Bien qu’il n’ait pas été initialement en accord avec la vision de Snow, il va l’aider à collecter les adresses des personnes décédées. Lors d’une nouvelle épidémie en 1866, date à laquelle Snow était mort, Farr se rallia à l’explication de Snow. Il produisit une monographie dans laquelle il montrait que la mortalité était extrêmement élevée pour les personnes qui tiraient leur eau du réservoir Old Ford dans l’Est de Londres. Mais, il en est un qui résista à l’idée que le choléra pouvait être consécutif à d’autres causes que les miasmes, c’est Max Joseph von Pettenkofer (1818-1901), chimiste et hygiéniste bavarois. Pour Pettenkofer, la contamination est consécutive aux miasmes qui émanent du sol après la putréfaction des excréments humains, et il ne crut jamais que l’épidémie de choléra qui s’était déclarée en 30
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1854 à Munich, pouvait être le fruit de la seule action d’un agent microbien. La « théorie tellurique » du choléra qui était la sienne impliquait aussi la nature des sols et la qualité de l’eau des puits. Il défendit ce point de vue pendant des décennies, notamment lors de la conférence internationale sur le Choléra, tenue à Weimar en 1867, et même la (re)découverte du bacille par Robert Koch (1843-1910) ne le fit pas changer d’avis. Pour démontrer la fausseté de l’hypothèse de Koch sur l’origine du choléra, Pettenkofer n’hésita pas à boire en public le 7 octobre 1892 une culture de bacilles cholériques et miraculeusement ne développa pas d’infection. En 1892, le choléra faisait toujours rage le long de l’Elbe et à Hambourg on dénombra 8 606 morts et seulement quelques morts à Altona. Encore un fois, une histoire d’eau : dans la première ville, l’eau de l’Elbe est utilisée après avoir simplement décanté, alors que dans la seconde ville l’eau est filtrée au travers de sable. Parmi les combattants héroïques contre le choléra, il nous faut mentionner André Chantemesse (1851-1919). Après ses études médicales, il rejoint en 1885 le service de la rage auprès de Pasteur. En 1886, il débute des travaux sur la fièvre typhoïde et met en lumière trois faits nouveaux pour l’époque : les épidémies de fièvre typhoïde coïncident avec les distributions d’eau de Seine à Paris ; la possibilité que certaines huitres puissent être à l’origine des contaminations ; et l’existence de porteurs sains. Ceci nous rappelle la douloureuse histoire de « Typhoid Mary »3. En 1893, à l’occasion d’une épidémie de choléra à Constantinople, Pasteur lui confie une mission auprès du Sultan Abdul-Hamid. Chantemesse y organise la lutte contre l’épidémie en mettant en place la construction de trois stations de d’épuration. En 1906, le voilà de nouveau en mission en Algérie pour poursuivre son combat cette fois-ci, contre la peste bubonique. Cette même année, il publia un livre intitulé « Mouches et choléra ». Il y rapporta une importante démonstration. Il disposa de mouches qu’il fit se promener sur une culture de bacilles. Puis il transféra ces 3. Voir « La flamme Salvatrice – Il était une fois l’inflammation ». 31
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mouches sur un milieu de culture microbien parfaitement stérile, et démontra que rapidement les mouches avaient déposé les bacilles qui se développèrent sur ce milieu initialement vierge de tout germe. Dans une brochure du début des années 1920, il était rappelé qu’outre le choléra, les mouches apportent la fièvre typhoïde, la dysenterie, la scarlatine, la rougeole, la diphtérie, voir même la tuberculose. Qui se soucie des mouches de nos jours ? La pandémie de grippe espagnole aura régulièrement été évoquée lors de celle du COVID-19. Non pas que quiconque s’en souvienne, mais avec sa valeur d’exemplarité planétaire, elle refit surface avec les photos de tous ces anonymes portant un masque : le coiffeur de Cincinnati, le contrôleur du tramway de Seattle, le postier de New York, les policiers londoniens, des militaires lors d’une séance de cinéma à l’hôpital militaire américain de Royat (Puy-de-Dôme) et cette famille de Mil Valley en Californie, dont une des jeunes femmes porte autour de son cou l’inscription « wear a mask or go to jail »4 (en couverture et p. 292). Face à l’ordonnance de la ville de San Francisco sur le port du masque du 17 décembre 1918, une ligue anti-masque fut créée pour l’abrogation de l’ordonnance sur les masques et pour la démission du maire et des responsables de la santé. Leurs objections incluaient le manque de preuves scientifiques que les masques fonctionnaient et l’idée que forcer les gens à porter un masque était anticonstitutionnel. Est-il besoin de rappeler l’attitude d’un certain président américain, ou des manifestations contre le port du masque dans plusieurs villes du monde, 102 ans plus tard. Bis repetita… Les humains présentent cet avantage : leurs réactions sont prévisibles puisqu’elles se répètent régulièrement au travers des siècles. L’Homme possède en contrepartie un handicap, c’est d’oublier le passé pour préparer le futur et aborder le présent, en ignorant que certains scientifiques avaient annoncé la survenue prochaine d’une pandémie. Ainsi, lorsque l’on revoit ces photos de 1918 de conducteurs de bus masqués, la mort au début de la pandémie d’au 4. Portez un masque ou allez en prison. 32
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moins 28 conducteurs de bus londonien suite au COVID-195 devient encore plus insupportable et inacceptable. La grippe espagnole n’a d’espagnol que le nom puisque la première contamination fut observée à l’hôpital du camp de l’armée américaine Funston au Kansas en 1918. Ainsi le virus allait-il traverser l’Atlantique à bord des navires qui amenaient les troupes américaines qui devaient trancher entre les belligérants. De fait, les premiers cas auraient été signalés dans les tranchées, à Villers-sur-Coudun, entre le 10 et le 20 avril 1918. De là, la première vague épidémique se répandit à travers la France entière, faisant 15 000 décès au sein de l’armée française et environ 408 000 morts dans le pays, parmi lesquels Guillaume Apollinaire et Edmond Rostand. Pendant l’hiver de 1918-1919, on comptera jusqu’à un milliard de malades, sur une population totale de 1,9 milliard d’humains sur la planète, et le nombre de décès liés à cette pandémie a été évalué entre 50 à 100 millions ! Il faut dire que les embrassades pour fêter la fin de la première guerre mondiale et le retour du front des braves soldats fut exactement l’inverse d’un confinement et favorisa la propagation de la grippe. Parmi les victimes, on note également un certain Frederick Trump (1869-1918), le grand père de Donald. Il apparaît que si malheureusement le passé est rapidement oublié, cela peut se produire au sein même des familles… Bien des pandémies sont initialement des zoonoses, c’est-à-dire le passage d’un agent infectieux présent dans le monde animal avant de se retrouver accueilli par les humains. Il y a bien sûr les grippes aviaires et porcines qui émergent régulièrement. Et c’est ainsi qu’un des 3 204 coronavirus différents qu’hébergent les chauves-souris en toute impunité6, c’est-à-dire sans que ces virus n’induisent de maladie, s’adapta à l’Homme. Le pangolin initialement montré du doigt comme ayant été l’hôte intermédiaire du SARS-CoV-2 semble avoir été innocenté. Le débat d’un hôte intermédiaire, d’une transmission 5. New York Times du 2 mai 2020. 6. Anthony et al. Global patterns in coronavirus diversity. Virus Evol. 2017; 3: vex012. 33
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directement de la chauve-souris ou de la fuite accidentelle du laboratoire de virologie de Wuhan reste à ce jour à trancher. À l’inverse, les virus SARS-CoV-1 et MERS sont passés respectivement de la chauvesouris à la civette et au dromadaire avant de s’en prendre à l’Homme. Plus proche de nous, la pandémie du SIDA est un autre exemple de l’extraordinaire adaptabilité des virus pour trouver un nouvel hôte. Tout a commencé à Kinshasa en 19207. Un chasseur aurait été mordu par un singe, hébergeant lui-même un virus proche du sida. Le virus suivit les grandes voies de circulation du Congo et fut présent en 1961 à Kisangani puis suivant la voie ferrée, à Lubumbashi avant de s’exporter au-delà du continent africain. Les premiers signes de l’épidémie remontent à la fin des années 1970, lorsque des médecins de New York et de San Francisco s’aperçurent que beaucoup de leurs patients homosexuels souffraient d’asthénie, d’une perte de poids et parfois même d’une forme rare et atypique de cancer, le sarcome de Kaposi dont la fréquence anormalement élevée au sein des patients infectés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) fut avérée en juillet 1981 par le Center for Disease Control (CDC). L’épidémie de SIDA va inquiéter le monde, car ces hommes qui décèdent tous au début des années 80, sont jeunes, beaux, intelligents avec un avenir brillant devant eux. L’hécatombe est terrifiante et déprimante devant l’impuissance de la médecine. La campagne de prévention de 1987 « Le SIDA, il ne passera pas par moi » invita chacun de nous à prendre les précautions nécessaires car le SIDA rapidement ne concerna pas que les populations masculines homosexuelles. Pourquoi les autorités n’ont-elles pas repris ce slogan à propos du COVID-19 ? « Le COVID-19 ne passera pas par moi » eut été un slogan qui aurait sensibilisé la population à plus de vigilance et de solidarité intergénérationnelle. Depuis le début de son apparition, le SIDA aura tué plus de 25 millions d’individus. La découverte du virus par Françoise Barré-Sinoussi, et JeanClaude Chermann dans l’équipe de Luc Montagnier (1932-2022) à 7. Faria NR et al. HIV epidemiology. The early spread and epidemic ignition of HIV-1 in human populations. Science. 2014; 346: 56-61. 34
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l’Institut Pasteur, à partir d’un ganglion prélevé sur un malade par le Dr. Willy Rozembaum (Hôpital Claude Bernard), révélée en janvier 1983, sera couronnée par le prix Nobel attribué en 2008 à Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier, mettant fin à une polémique qui les avait opposés à Robert Gallo (Université du Maryland, Baltimore). Ce scientifique américain avait auparavant découvert les rétrovirus, famille à laquelle appartient le VIH8. Cette découverte vaudra également à l’Institut Pasteur des royalties importantes dérivées des tests de détection mis en place après la découverte du virus. Le 24 mars 2020, Françoise Barré-Sinoussi fut nommée présidente d’un des comités mis en place dans le cadre de la lutte contre le COVID-19. Mais il est des virus qui se contentent de rester au sein du monde animal. C’est en particulier le cas du virus de la peste bovine, source de nombreuses épidémies dans les troupeaux de bovins et d’ovins. Présente et décrite dès l’Antiquité, la peste bovine mettra à mal les élevages de façon régulière en Europe. Le règne de Charlemagne fut sévèrement affecté par cette infection aboutissant à une situation de désolation vers 850. Puis, de façon sporadique le mal fit des ravages au cours des siècles sans qu’aucune région ne soit épargnée. Entre 1711 et 1714, on estime à un million et demi le nombre de têtes de bétail qui périrent en Europe occidentale. Le pape Clément XI lui-même perdit 26 252 animaux et demanda pertinemment à ce que les carcasses soient enterrées avec de la chaux vive. La maladie suivit la progression des armées au travers de l’Europe tandis que le commerce des animaux favorisait également la dissémination du mal, en particulier lors des marchés au bétail… Ainsi des bêtes importées des Pays-Bas en 1768 furent à l’origine de l’épidémie dans la région de Londres. Les Anglais rendirent la politesse lors de l’épidémie de la vache folle qui se propagea en Europe continentale à partir de la Grande Bretagne dans les années 1990. 8. Schwartz M, Castex J. La découverte du virus du sida : la vérité sur l’affaire Gallo/Montagnier d’après un texte de Raymond Dedonder. Ed. Odile Jacob, Paris, 2009. 35
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Le baron Lyon Playfair (1818-1898) est un scientifique britannique membre de la Chambre des Lords à qui on doit une publication sur la peste bovine et les liens entre les épidémies passées et la survenue des épidémies qui se reproduisirent dans la région de Londres en 1865, où durant l’été 120 740 animaux furent infectés. À l’époque, le traitement par homéopathie préconisé par certains ne sembla pas avoir été à la hauteur des espoirs suscités ; pas plus que l’usage du calomel, de l’huile de ricin, du brandy, du whisky ou de la saignée, et l’idée d’un vaccin demeura un doux rêve. Playfair employa régulièrement le terme de virus pour qualifier l’agent pathogène, mais à l’époque le terme n’a pas le sens précis qu’il a aujourd’hui. John Burdon-Sanderson (1828-1905) est un médecin, titulaire de la chaire de physiologie à l’University College de Londres. Ce sont ses travaux qui laissèrent à penser que l’agent infectieux ne serait pas un corps particulaire mais un pathogène ultramicroscopique. Il montra que le sang d’un animal malade contenait un poison qui pouvait induire la peste chez un autre animal. Bien qu’il n’y ait pas eu de menace directe pour les approvisionnements alimentaires, l’incapacité du gouvernement et des vétérinaires à contrôler l’épidémie conduisit à la création d’une commission royale dont Burdon-Sanderson fut un membre éminent. Il rédigea un article sur l’aspect épidémiologique de la peste bovine britannique. L’infection fit son entrée sur le continent africain en 1875. Tout d’abord en Égypte, elle se répandit en Afrique de l’Est pour atteindre l’Afrique du Sud en 1896. Robert Koch rejoignit Kimberley en décembre 1896 avec pour objectif de résoudre le problème. Il préconisa l’injection de bile provenant d’un bœuf tué 10 à 12 jours après l’infection. Mais ce traitement fut loin d’être concluant. Pour preuve, en Namibie, le médecin militaire Paul Kohlstock (18611901) qui avait accompagné Koch, utilisa le traitement avec la bile et tua 2 700 des 6 200 animaux qu’il traita. L’Institut Pasteur dépêcha Jan Danysz (1860-1928), un bactériologiste polonais, chef de service au sein de l’institution, accompagné d’un jeune stagiaire belge prometteur, Jules Bordet (1870-1961). Rejoignant Prétoria, capitale 36
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du Transvaal, le 15 janvier 1897, les deux pasteuriens reçurent localement l’aide d’Arnold Theiler (1867-1936), un jeune vétérinaire suisse qui occupait un poste officiel au sein des autorités du Transvaal. Faisant référence aux travaux d’Eižens N. Zemmers (1843-1906), un vétérinaire letton qui fut un précurseur en proposant l’usage de la sérothérapie pour faire face à la peste bovine, Bordet et ses deux collègues concentrèrent leurs efforts sur la mise en place de cette approche. Collectant du sang et du sérum d’animaux infectés survivants, ils proposèrent un traitement curatif efficace. Ironiquement, l’approche fut appelée « la méthode des médecins français ». Dans leur rapport, Danysz et Bordet décrivirent le processus mis initialement en place avant leur arrivée à Pretoria. Cela consistait en une injection d’un mélange de sang, de bile, de sérosité péritonéale et de contenu stomacal d’animaux morts de peste bovine, administré par voie sous-cutanée. La protection variait de 5 à 90 % et ils considérèrent que la procédure avait plutôt tendance à favoriser la propagation de la maladie. Danysz et Bordet effectuèrent alors différentes expériences sur des bœufs et établirent que (i) le sang défibriné était meilleur que le sérum, (ii) l’inoculation devait être supérieure ou égale à 80 cm3, (iii) le sang devait être prélevé deux fois après la guérison des animaux. Au total, ils mentionnèrent le traitement de 336 bœufs infectés, dont 309 furent guéris, tandis que 27 décédèrent. Alors que leur contrat devait prendre fin au 1er septembre 1897, face au succès de nos deux pasteuriens, le gouvernement du Transvaal leur demanda de rester pour lutter contre la peste équine. Ils revinrent en Europe début 1898, malheureusement sans avoir réussi à soigner les chevaux. De retour à l’Institut Pasteur, Danysz et Bordet rendirent compte de leur mission dans le Journal Officiel de la République Française du 28 février 1898. L’expertise de Bordet acquise en Afrique a été utile lors d’une épizootie de peste bovine survenue en Belgique en 1920 suite à l’arrivée de zébus dans le port d’Anvers. Émile Roux, alors directeur de l’Institut Pasteur, et Albert Calmette se rendirent à Bruxelles pour mettre en place un programme de lutte contre la maladie à l’aide 37
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de sérums immuns, réalisé à la fois en Égypte et à l’école vétérinaire de Cureghem, proche de Bruxelles, et ainsi bénéficier de la grande expertise de Bordet. Quant à Theiler il devint le premier directeur de l’Institut de recherche vétérinaire d’Onderstepoort, près de Pretoria. Sous sa direction, cet institut mena des recherches sur la peste équine, la maladie du sommeil, le paludisme et de nombreuses maladies transmises par les tiques comme la babésiose et la théilériose bovine, nommé en son honneur. Il fut le premier doyen de la Faculté des sciences vétérinaires de l’Université de Pretoria. Parmi ses quatre enfants, son fils, Max Theiler (1899-1972), reçu le prix Nobel 1951 pour sa mise au point du vaccin contre la fièvre jaune9. La survenue de l’épidémie de peste bovine en Belgique fut à l’origine de la création de l’Organisation Mondiale de la Santé Animale. Cette dernière, en partenariat avec la « Food and Agriculture Organization » (FAO) des Nations Unies annonçait le 28 juin 2011 que suite aux campagnes de vaccination, la peste bovine était la première maladie animale à être éradiquée de la planète (comme la variole chez l’Homme en 1979).
9. C’est à ce jour la seule mise au point d’un vaccin qui fut récompensée par un prix Nobel, en attendant que le comité veuille bien couronner le vaccin à ARNm de Katalin Kariko et Drew Weissman contre le COVID-19. 38
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LES MIASMES Avant que l’Homme ne reconnaisse qu’il était lui-même l’acteur de son malheur, la responsabilité fut d’abord d’incriminer le mauvais air, une façon de déculpabiliser les humains. S’il est vrai que la contagiosité extrême du SARS-CoV-2 est la conséquence de germes aéroportés, ceux-ci émanent des hommes eux-mêmes. Mais comment expliquer que l’invisible puisse être source de tant de maux ? Ainsi, si le concept de miasmes n’offrait aucune piste quant à sa nature, il était le simple témoin d’une constatation. Les miasmes étaient particulièrement responsables de deux situations spécifiques de l’hôpital : chez les blessés dont les plaies acquéraient la gangrène humide ou la pourriture d’hôpital, et chez les femmes enceintes venues accoucher à l’hôpital où elles développaient une fièvre puerpérale. Dès son premier ouvrage publié en 1750, John Pringle (17071782) pointe du doigt l’air corrompu des baraquements, des navires, des hôpitaux, et des prisons surpeuplées auquel sont exposés les militaires, les marins, les patients, et les prisonniers, pour expliquer la 39
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survenue des fièvres mortelles. Pringle, est né en Ecosse, il obtient son diplôme de docteur à Leyde aux Pays-Bas et, à 25 ans, il est titulaire de la chaire de métaphysique et de morale de l’université d’Édimbourg, avant d’être nommé médecin de l’armée de Flandre, puis médecin en chef de l’armée britannique. À Londres, il devint le médecin du duc de Cumberland avant de devenir celui de la Reine puis du roi George III qui lui attribua le titre héréditaire de Baronnet. Il fut élu président de la prestigieuse « Royal Society », poste qu’avait occupé Newton avant lui. Au milieu de la dévastation et du carnage qu’accompagnent les campagnes militaires, il exerça son ministère, témoin des lois terribles de la guerre sur les chairs humaines, observant l’effet de la constitution de l’air, de la promiscuité, et de l’alimentation sur les maladies des soldats. Il fut l’observateur de la façon dont naissent les épidémies spécifiques aux armées. Il préconisa l’installation des hôpitaux militaires en des lieux hauts et aérés, loin des exhalations marécageuses. Ses discours prouvent une immense culture générale. Dans son ouvrage « Observations sur les maladies de l’armée » publié en 1752, régulièrement réédité et traduit dans de nombreuses langues, Pringle écrit : « Je conçois que les miasmes ou ferments septiques (comprenant les effluves des substances putrides) étant délivrés dans le sang puissent avoir le pouvoir de corrompre tout le sang ». Moins célèbre que son illustre et prestigieux collègue écossais, en 1768, Honoré Joseph Pointe (1738-1797) publie un « Essai sur la nature et les progrès de la gangrène humide vulgairement dite pourriture, maladie chirurgicale assez fréquente dans les hôpitaux, considérée comme la cause et les effets de l’impureté de l’air inséparable de ces maisons ». Pointe exerçait à Hôtel-Dieu de la Ville de Lyon. On doit à son fils, Jacques-Pierre Pointe (1787-1860), lui-même médecin, une biographie de son père. Né à Grasse en Provence, un soir de Noël 1738, une douloureuse circonstance aurait pu ruiner son avenir : un empoisonnement accidentel, occasionné par l’oxyde de cuivre vint plonger dans le même tombeau cinq membres de la famille dont son père et sa mère. Adopté, il fit d’excellentes études, et acquit une 40
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excellente maîtrise de la langue latine, ce qui lui fut d’une grande utilité dans la carrière médicale à laquelle il se voua de bonne heure. II fut admis en qualité d’élève en chirurgie de l’hôpital général de Notre-Dame de Pitié du Pont du Rhône et au Grand Hôtel-Dieu de la ville de Lyon. En 1769, il fut reçu maître en chirurgie, un titre moins prestigieux que celui de docteur en médecine. Aussi avec le désir qu’il avait de se placer le plus honorablement possible au sein de la société, il soutint une thèse pour obtenir le diplôme de docteur en 1774. Une réputation bien acquise ne tarda pas à le placer au rang des médecins les plus expérimentés et les plus habiles de la ville. Les nombreux manuscrits qu’il a laissés prouvent qu’il joignit la théorie de la science à la pratique. Plusieurs de ses écrits sont restés inachevés suite à l’effet de la tourmente révolutionnaire… Cette tourmente allait entraîner sa perte. Ainsi fut-il dénoncé pour avoir pansé les blessés et entretenu des intelligences avec des émigrés. Incarcéré suite à cette accusation, il fut néanmoins rendu à la liberté, grâce à la protection reconnaissante d’un cordonnier qu’il avait guéri d’une fluxion de poitrine, et qui avait heureusement de l’influence comme président de section. Mais, peu de temps après, il tomba sous le poignard de l’un des dénonciateurs auxquels il devait son arrestation. Et le 8 vendémiaire an VI (29 septembre 1797), il succomba aux suites des blessures que lui avait faites le fer de l’assassin. Honoré Joseph Pointe faisait observer que, depuis Hippocrate, la vraie théorie médicale avait fait peu de progrès quant à son application, et que, tous les jours, on était amené à recourir aux préceptes de ce grand maitre, lesquels ne sont que l’expression des moyens employés par la nature elle-même pour arriver à la guérison des maladies. Sans doute, depuis Hippocrate, les médecins étaient bien dépourvus face aux infections qui rongent leurs patients. Honoré Joseph Pointe reconnaissait deux causes majeures à la pourriture d’hôpital : la première résultant des émanations putrides qu’exhalent les malades, la seconde étant produite par un simple contact. En outre, l’air n’est jamais pur, il est toujours plus ou moins chargé des corpuscules qui s’exhalent de la terre et de l’eau. Mais 41
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pour Jacques Mathieu Delpech (1777-1832), professeur de chirurgie à l’Université de Montpellier : « La pourriture d’hôpital est essentiellement contagieuse et le contact doit s’exercer sur la surface même d’une plaie suppurante ». Dans son « Mémoire sur la complication des plaies et des ulcères, connue sous le nom de pourriture d’hôpital » (1815) il précise : « L’air, tous les matériaux propres aux pansements et surtout ceux qui s’emparent facilement de l’humidité de l’atmosphère, comme la charpie et le linge, les étoffes, les instruments de chirurgie mal tenus, et les doigts peuvent se charger de la matière contagieuse et la transmettre aux surfaces saines ». Mais les miasmes ne sont pas responsables que de l’infortune des blessés hospitalisés, ils contribuent aux fièvres puerpérales qui emportent au fond de la tombe de nombreuses femmes qui venaient de donner la vie. C’est du moins l’avis d’un grand nombre de ténors de l’obstétrique. Entre 1771 et 1773, trois respectables médecins britanniques vont soutenir cette hypothèse. Nathaniel Hulme (1732-1807) était diplômé de la faculté de de médecine à Édimbourg et exerça à Londres. Dans son traité sur la fièvre puerpérale paru en 1771, Hulme avança un argument selon lequel les émissions de matières organiques en décomposition et une absorption de matière putride provoquaient la fièvre puerpérale. Influencé par les travaux de Pringle, il estimait que les effluves putrides exhalées par des blessés provoquaient la fièvre qui tuait les patients proches, dont un grand nombre de femmes enceintes qui se trouvaient dans le même hôpital. Au contraire, on constatait que la mortalité des femmes ayant accouché chez elle, était bien moindre. À partir de là, il était facile d’imaginer que quelques miasmes présents uniquement dans les hôpitaux pouvaient provoquer la fièvre puerpérale. Hulme considéra également que des « effluves putrides et offensives » émanaient des femmes après leur accouchement. À son avis, la coutume de confiner les femmes couchées dans un air surchauffé était fréquemment accompagnée des conséquences des plus fatales. En 1772, John Leake (1729-1792) est médecin au Westminster Lying-in Hospital 42
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de Londres. Étudiant les statistiques d’admissions et de mortalité de la fièvre puerpérale, entre 1768 et 1771, il « démontra » numériquement que la cause ne pouvait être que la constitution maligne de l’air et l’exposition à un air vicié de jeunes femmes en parfaite santé avant leur accouchement. Il décrivit alors un programme visant à limiter les effets néfastes des effluves : « Les salles ne doivent pas être surchargées de lits, afin d’éviter le danger de respirer l’air rendu impur par un grand nombre de personnes confinées dans un espace étroit […] Les différentes salles doivent être ventilées par un courant d’air frais les traversant ». Charles White (1728-1813), médecin co-fondateur de la Manchester Royal Infirmary, considéra également que c’était une atmosphère putride qui était à l’origine de la fièvre puerpérale. Il incrimina les effluves qui émanaient des patientes, rendant l’air putride, affectant alors les poumons et par-delà l’ensemble de la circulation sanguine. Il précisa que la mort pouvait survenir en moins de 24 heures. Surtout, il prôna une grande propreté de la chambre, des draps et des linges, la nécessité d’aérer la pièce, et de sortir et nettoyer les tapis chaque jour ! Son analyse et ses recommandations furent le fruit de ses lectures et de ses discussions avec ses collègues, car luimême ne fut jamais vraiment confronté à ce terrible fléau, sans doute en appliquant à sa pratique les règles d’hygiène qu’il préconisait ! Dix ans plus tard, Daniel Delaroche (1743-1812), médecin des Gardes Suisses à Paris publia « L’influence du mauvais air sur les femmes en couche » (1783). Cinquante ans plus tard, en 1823, François Magendie (1783-1855) publia dans le Journal de physiologie expérimentale et pathologique, qu’il avait fondé en 1821, une expérience dont la finalité était la démonstration que les miasmes provenant d’éléments en putréfaction pouvaient entrainer la mort. Rien de tel que de publier dans son propre journal. Comme nous le verrons ultérieurement lors de la crise du COVID-19, certains en abuseront. D’autant que la démonstration de Magendie manque d’éléments convaincants. Si le chien placé dans une cage au-dessus d’un tonneau au fond duquel se trouvaient des éléments en putréfaction succomba, 43
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les autres animaux (pigeon, cobaye, lapin) survécurent. Qu’importe, puisqu’il interpréta ses résultats comme la preuve que les effluves miasmatiques peuvent causer la mort. Au milieu du xixe siècle, en 1857, Paul Dubois (1795-1871), professeur d’obstétrique à la faculté de médecine de Paris, et son élève Stéphane Tarnier (1828-1897), reconnurent que la fièvre puerpérale était contagieuse, et favorisèrent eux aussi le concept de miasmes contagieux. Pour Dubois, la preuve des miasmes était illustrée par la survenue des fièvres puerpérales parmi les jeunes accouchées comme étant la conséquence du fait qu’elles se situaient à l’étage juste au-dessus de celui des blessés, dont les miasmes, s’élevant d’un étage à l’autre, venaient contaminer les pauvres jeunes femmes. Par contre, cela ne se produisait pas lorsque le service de gynécologie – obstétrique se situait à l’étage inférieur, car si on admettait que des miasmes pouvaient s’élever, on ne les voyait pas prendre un chemin inverse. DE L’INTUITION AUX DÉCOUVERTES Avant que les animalcules ne prennent forme et puissent être observés par des yeux avisés s’aidant de microscopes, les animalcules vont être théorisés par de brillants esprits, fort clairvoyants : des visionnaires en quelque sorte (figure 6). Un de ces pionniers est Lucrèce (98-53 av. J.-C.), philosophe latin pour qui des « Semina » (des graines), flottent dans l’air ambiant pouvant être la cause de maladies. Pour Marcus Terentius Varro (Varron) (116-27 av. J.-C.), autre savant romain, « Il existe certaines créatures minuscules qui ne sont pas visibles à l’œil, mais qui flottent dans l’air et entrent dans le corps par la bouche ou le nez et sont responsables de graves maladies ». Galien, né à Pergame en Asie Mineure en 129 et mort vers 201, est un médecin grec de l’Antiquité. Il exerça à Pergame et à Rome, où il soigna plusieurs empereurs, et concevait également la possibilité de germes responsables des maladies. Girolamo Fracastoro (1478-1553), médecin, poète et chercheur en mathématiques, géographe et astronome, un millénaire et demi plus 44
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MARCUS TERENTIUS VARRO (VARRON) (116 BC-27 BC)
CLAUDE GALIEN (129-201)
GIROLAMO FRACASTORO (1478-1553) Figure 6 | Quelques visionnaires qui eurent l’intuition que les maladies contagieuses étaient dues à des créatures invisibles pour les yeux.
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tard, en 1546, proposa que les maladies épidémiques étaient causées par de minuscules particules ou « spores » transférables qui pouvaient transmettre l’infection par contact direct ou indirect ou même sans contact sur de longues distances. Dans ses écrits, les « spores » des maladies pouvaient faire référence à des produits chimiques plutôt qu’à des entités vivantes. « J’appelle fomites [du latin fomes, signifiant “amadou”] des choses comme les vêtements, le linge, etc., qui, bien que n’étant pas eux-mêmes corrompus, peuvent néanmoins nourrir les germes essentiels de la contagion et ainsi provoquer l’infection ». Au xviie siècle l’hypothèse des animalcules prend corps. Athanasius Kircher (1602-1680), chercheur jésuite allemand publia de nombreux ouvrages dans les domaines de la religion, de la géologie et de la médecine. Dans « Scrutinium Physico-Medicum Contagiosae Luis, quae dicitur Pestis » (1658) utilisant un microscope pour analyser le sang de pestiférés, il nota la présence de « petits vers » ou « animalcules » dans le sang, et conclut que la maladie était causée par de tels animalcules. Si l’idée était correcte, l’observation n’était pas forcément la bonne et très probablement ce sont les cellules sanguines qu’il prit pour des agents pathogènes. Robert Boyle (1627-1691), médecin et chimiste irlandais considéra en 1663 que les maladies étaient causées par des particules matérielles d’une extrême petitesse (particules morbidiques) qui perturbent mécaniquement les organes et les processus corporels, une sorte d’empoisonnement chimique généralisé, causé par l’exhalation de la terre. La persistance de ces particules morbidiques et leur facilité à se disperser expliquaient la rapide et large diffusion des maladies épidémiques. Boyle estimait qu’il y avait des analogies avec les processus agressifs de fermentation et de putréfaction. Il écrivit deux essais sur les causes des maladies infectieuses. Thomas Sydenham (1624-1689) est un médecin formé à Oxford et Montpellier avant d’exercer à Londres, dont la notoriété posthume fera de lui « l’Hippocrate anglais ». En 1866, Il publie « Methodus curandi febre » (Une méthode pour guérir la fièvre qu’il enrichit dans sa troisième édition de 1876 d’observations médicales 46
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« Observationes medicinae »). Selon lui, des particules de l’atmosphère s’insinuent d’abord parmi les sucs du corps, se mêlent au sang et, enfin, s’emparent de tout le processus de la contagion de la maladie. Il suspecte qu’un « virus pestilentiel » ou un « miasme meurtrier » joue un rôle dans la peste, associé aux « variations atmosphériques ». Pour Sydenham, les changements d’atmosphère et les miasmes n’étaient pas synonymes, bien qu’il n’ait donné aucune précision de ce qu’il entendait par « virus » et « miasme ». Nicolas Andry de Bois-Regard (1658-1742) (figure 7) a commencé sa carrière comme abbé avant d’entamer des études de médecine à Reims puis à Paris. Titulaire de la chaire de médecine à Paris, on lui doit le mot orthopédie. Il adore regarder sous son microscope ces micro-organismes qu’il appelait des « vers ». Outre leur implication dans les maladies véritablement dues aux vers parasitaires comme le ténia, il les rendait aussi responsables de la variole, de la peste, de la rage et des maladies vénériennes. En ce début de xviiie siècle, il publie « De la génération des vers dans les corps de l’homme, de la nature et des espèces de cette maladie ; des moyens de la préserver et de la guérir », un best-seller richement illustré traduit en anglais et en allemand et régulièrement réédité jusqu’en 1750. Il y écrit « Les Vers s’engendrent dans le corps de l’homme, et dans celui des autres animaux, par le moyen d’une semence qui est entrée […] par le moyen de l’air et des aliments ». Sa vision unifiée de la présence et du rôle des vers fera qu’il envisagea les spermatozoïdes comme une espèce unique de petits vers parasites, même s’il leur reconnut le pouvoir de fécondation. Benjamin Marten (1690-1752), médecin anglais, écrivit en 1720 dans son ouvrage consacré à la tuberculose que cette maladie pouvait être causée par « des créatures vivantes merveilleusement minuscules » qui pourraient conduire aux lésions symptomatiques de la maladie, exprimant ainsi la théorie de « contagium vivum » qu’il conçut comme pouvant se propager à partir du souffle d’un malade vers une personne saine. Jean-Baptiste Goiffon (1658-1730), médecin lyonnais disserta sur la peste du Gévaudan qui dévasta la région entre 47
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Figure 7 | Nicolas Andry de Bois-Regard (1658 –1742) rend responsables les vers dans les maladies humaines.
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1720 et 1721, consécutivement à la peste de Marseille. Celle-ci s’étendit dans tout l’arrière-pays, emportant quelques 5 500 habitants de l’actuelle Lozère. Goiffon proposa son hypothèse sur l’origine de la peste : « Que la cause de la Peste ne peut pas consister en des sujets inanimés, et que c’est dans des insectes véritablement invisibles et vraisemblablement ailés. […] La Peste consiste dans un venin subtil et invisible que l’on a comparé en raison de ses effets à l’arsenic et aux autres poisons corrosifs, et qu’on peut comparer avec plus de justice au venin de certains animaux, dont on voit des suites si funestes et si étranges. “[…] La cause de la Peste produit ses effets immédiatement dans le sang et elle en sape le tissu, détruit l’ordre, l’arrangement, les proportions et les rapports.” […] Il est vrai qu’on ne saurait douter que l’air ne serve de véhicule au venin de la Peste et puisque la communication n’en saurait être faite sans son entremise comme il a été prouvé et c’est parce qu’il se répand dans l’air qui est un milieu vaste et commun, et un élément absolument nécessaire à l’entretien de la vie des hommes et des animaux, qu’il infecte plusieurs personnes à la fois, et que la Peste est une maladie épidémique ». Pour Goiffon, bien qu’invisibles, les miasmes aéroportés prennent vie, se multiplient au sein des chairs et des humeurs, et se propagent également grâce aux étoffes en laine ou en coton. Sir Henry Holland (1788-1873), médecin de la Reine Victoria et cousin de Darwin, écrivit dans ses notes et réflexions médicales (1839) : « Nous pouvons considérer les animalcules diffusés par l’atmosphère ou par l’homme comme la source de la maladie, sous une forme non reconnue par nos sens, ou tout autre moyen direct de la recherche, mais néanmoins soumis à certaines lois similaires de propagation et de diffusion à celles des autres espèces et produisant le virus qui agit de façon délétère sur le corps humain ». Lorsque Darwin est lui-même victime d’une épidémie d’influenza en janvier 1862, Holland lui écrivit que selon lui la grippe comme le choléra sont dus à des « animalcules » qui, absorbés par les corps, sont à l’origine des symptômes les plus virulents de la maladie. Selon lui, les recherches à venir s’appuyant sur l’usage du microscope permettront la découverte 49
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d’une grande variété d’animalcules. Voilà un visionnaire ! Suivit en cela par Jakob Henle (1809-1885), professeur d’anatomie et de pathologie successivement dans les universités de Zürich, Heidelberg et Göttingen. Celui-ci publia en 1840 son essai « Des miasmes et des contagions ». Il est un des premiers à offrir des arguments en faveur de la théorie des germes de la maladie « Contagia animata ». Personne n’ayant jamais prouvé que les miasmes existaient, il écrivait : « il est plus probable que l’air représente la voie empruntée par de minuscules parasites vivants lorsqu’ils se déplacent d’un hôte à un autre. Les organismes pathogènes n’ont pas été trouvés, car ils ressemblent trop aux tissus qu’ils infectent ». Bien que Henle n’ait pas identifié de tels organismes, il était convaincu qu’ils seraient trouvés, et il incita les étudiants en médecine à passer du temps au microscope. Henle classa les maladies en trois catégories : • Les maladies purement miasmatiques (paludisme) ; • Les maladies contagieuses miasmatiques (variole, rougeole, rubéole, scarlatine, fièvre typhoïde, peste, grippe, diarrhées, choléra) ; • Les maladies purement contagieuses (syphilis, gale, rage) Gideon Algernon Mantell (1790-1852) est un obstétricien, géologue et paléontologue anglais qui a découvert de nombreux dinosaures, dont l’iguanodon dont il reconstitua le squelette. Ses travaux firent de lui une autorité en paléontologie. II exerçait dans le Sussex où il fut confronté aux vagues épidémiques de choléra, de fièvre typhoïde et de variole. Il fit paraître en 1846 ses « Réflexions sur les animalcules : ou un aperçu du monde invisible révélé par le microscope ». Il y écrit : « Il est probable que beaucoup des maladies les plus graves qui affligent l’humanité sont le fruit d’états particuliers de la vie d’animalcules invisibles […] trop minuscules pour les microscopes les plus puissants. Ils peuvent soudainement essaimer dans l’air, ou dans les eaux, et pénétrer dans les vaisseaux et les organes internes, et exercer une influence nuisible d’un caractère spécifique […] 50
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Ils pourraient être éventuellement à l’origine du choléra, de la grippe et d’autres maladies épidémiques ». Comme ses prédécesseurs, son intuition est remarquable, tout comme celle d’Auguste Chauveau (1827-1917), un vétérinaire, médecin, physiologiste et anatomiste lyonnais. Il fut directeur de l’École vétérinaire de Lyon et membre des Académie des Sciences et de Médecine et fut président pour chacune des deux ! Dans une communication à l’académie des Sciences en 1866, il affirmait : « il n’y a pas de maladies virulentes spontanées, celles qui nous paraissent telles sont tout simplement des affections nées d’un germe virulent dont l’origine est restée cachée ». Affirmation on ne peut plus prémonitoire des travaux de Pasteur. L’AFFRONTEMENT ENTRE CONTAGIONNISTES ET ANTICONTAGIONNISTES De tous temps, face aux épidémies, il a fallu concomitamment préserver l’économie et la santé des populations. Dès le xviie siècle, les hommes de sciences et les médecins vont être appelés auprès des rois, des régents, des princes, des décideurs pour savoir s’il s’agit ou non d’une maladie contagieuse qui nécessiterait alors quarantaine, isolement et limitation de la libre circulation des personnes et des biens. Dès lors, à l’instar des « rassuristes » et des « alarmistes » qui s’affrontèrent sur les plateaux de télévision à l’occasion du COVID‑19, contagionnistes et anticontagionnistes vont s’affronter dans un contexte complexifié par le fait qu’ils pouvaient être confrontés à des épidémies de maladies non-contagieuses telles que la fièvre jaune (transmise par un moustique), le choléra (transmis par l’eau), ou le typhus (transmis par les rats), et d’autres fortement contagieuses comme la fièvre typhoïde, la lèpre et la peste. Si bien que des contagionnistes purent à tort qualifier de contagieuses des maladies qui ne l’étaient pas, et des anticontagionnistes qualifier de non-contagieuses des maladies qui l’étaient. Mais, ne confondons pas contagionnistes et complotistes, d’autant que le concept de « fake news » n’existait pas véritablement, pour la bonne et simple raison que l’on n’avait 51
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pas encore connaissance de la vérité. Le confinement en raison du COVID-19 fut un défi pour les autorités gouvernementales se devant de juguler une crise sanitaire tout en évitant de créer une crise économique trop lourde. De la même façon, les quarantaines imposées face aux épidémies récurrentes qui frappaient l’Europe étaient une entrave au commerce, et requéraient une bureaucratie et des mesures policières couteuses. Longtemps, les épidémies furent considérées comme des châtiments de Dieu pour les péchés des Hommes et des nations. C’est ce dont est convaincu Isbrand de Diemerbroeck (1609-1674), un médecin anatomiste néerlandais témoin de la peste de Nimègue en 1635-36 qui tua 6 000 personnes sur une population de 10 000 habitants, et à peu près autant de soldats stationnés dans cette ville pour la protéger d’une attaque espagnole imminente. Diemerbroeck, diplômé de l’université d’Angers, est professeur d’anatomie et de médecine à l’université d’Utrecht. Son ouvrage paru en latin en 1646, réédité par neuf fois, fit longtemps autorité, non seulement durant la peste de Londres de 1665, mais au siècle suivant puisque qu’une traduction fut faite en anglais en 1722. Il voit en ce châtiment divin une maladie contagieuse qui fait suite à l’action de « quelques graines secrètes, malignes et virulentes… constituées de particules très subtiles et volatiles, chaque fois qu’elles sont mises en agitation, elles se dilatent efficacement et dispersent leur contagion pernicieuse dans l’atmosphère spacieuse ». On suspecta la peste de Londres de 1665 d’être originaire des Pays-Bas, d’Amsterdam précisément où l’épidémie qui sévit de 1663 à 1666 tua plus de 10 % de la population. D’autres estimèrent qu’elle émanait de sa propre population, de ses propres habitations et de son propre sol. Elle emporta 68 596 vies, soit plus que lors des précédentes épidémies meurtrières de Londres en 1625 (41 313 morts) et 1603 (33 347 morts), et moins de la moitié des morts emportés par le COVID-19 sur l’ensemble du Royaume-Uni. Parmi les nombreux écrits qui portent sur cette épidémie de 1665, mentionnons Loimographia de William Boghurst (1630-1685), un 52
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apothicaire dont la pharmacie se situait au cœur de Londres, près de la paroisse St Giles-in-the-Fields. Il s’interrogea et estima que « Dieu au commencement créa toutes choses très bonnes, et donc ce venin pestifère qui cause la peste ne peut être aucunement issu et produit de la première création mais quelque chose créé de novo comme punition depuis la chute et la transgression de l’homme ». Témoin oculaire, Boghurst fut persuadé que la peste bubonique était propagée par le mauvais temps, certains vents, la saleté, la misère, la mauvaise alimentation des habitants pauvres, les fruits corrompus, l’élimination inadéquate des eaux usées, les canalisations à ciel ouvert puantes au centre de nombreuses rues, la vermine, l’existence de taudis où s’accumulaient des familles nombreuses, la proximité de fumier, d’excréments, de cadavres non enterrés et en putréfaction. Ne voyant aucun signe de contagiosité, il s’opposa à la mise en quarantaine des ménages infectés, processus qu’il estimait inefficace. La peste de Marseille de 1720, rapportée du Levant par un navire, le Grand Saint-Antoine, donna lieu à une opposition entre contagionnistes et anticontagionnistes. Malheureusement pour les habitants de la région de Provence, ces derniers plus nombreux et les tergiversations des autorités firent que l’épidémie s’étendit bien au-delà du port de Marseille, jusqu’à Aix-en-Provence, Apt, Toulon, Arles, le Gévaudan, Mende et Avignon. Le tribut fut lourd : 87 666 morts répertoriés, dont 39 134 à Marseille, 13 160 à Toulon, 8 110 à Arles, 7 534 à Aix10. D’un côté, le contagionniste Jean-Baptiste Bertrand (1670-1752), qui après des études de médecine à Avignon et à Montpellier s’était installé à Marseille. Il se dévoua sans compter auprès des pestiférés et rassembla ses idées dans son livre « Relation historique de la peste de Marseille en 1720 ». Il y écrivit : « On ne connait que deux causes générales des maladies épidémiques ou populaires. Ces causes sont l’air et les aliments, qui étant d’un usage commun à tous les habitants d’une même ville, doivent leur communiquer leurs bonnes ou leurs 10. François Chicoyneau. Traité des causes, des accidents et de la cure de la peste avec un recueil d’observation, fait et imprimé par ordre du Roi. 1744. 53
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mauvaises qualités, et faire sur eux à peu près les mêmes impressions. Pour se convaincre que l’air de Marseille est des plus purs et des plus sains, il n’y a qu’à se représenter la situation et l’heureuse exposition de cette ville. Heureux le peuple qui jouit d’une si favorable exposition ; il ne peut qu’y respirer un air très pur et très sain, qui joint à la douceur du climat, rend cette ville un des plus agréables séjours du Royaume ». Il se montra un véritable précurseur des idées microbiennes : « La différence qu’il y a entre nos insectes domestiques et ceux de la peste, c’est que ces derniers sont invisibles et si petits qu’ils éludent la vivacité des yeux les plus pénétrants ». Il est par ailleurs convaincu de la contagiosité de la peste : « Regarder la peste comme une maladie ordinaire, et persuader à tout un peuple de s’y livrer avec une entière liberté et une pleine confiance, c’est l’exposer au danger de périr, et de faire périr tous les voisins. Nier absolument la contagion et inspirer au peuple une téméraire assurance, c’est encore donner lieu à tous les désordres et à tous les malheurs, dont nous gémirons longtemps ; […] Il n’y a à l’égard de la contagion, qu’à la réduire dans ses justes bornes, et d’établir sur des faits constants, et bien avérés, des règles sûres pour le commerce, et pour la communication lorsqu’elle s’est une fois déclarée dans quelque contrée ». D’un autre côté, Pierre Chirac (1650-1732), médecin des grands et des puissants11. Après avoir suivi le duc d’Orléans en campagne en Italie et en Espagne, de retour à Paris il obtint la place de médecin auprès de celui-ci, puis de premier médecin du Régent, avant de terminer sa carrière comme premier médecin du Roi. Il déclara : « j’ai jugé que cette maladie quoique grande en elle-même et très dangereuse, n’était qu’une fièvre maligne très ordinaire dans les conjonctures où elle est arrivée, entièrement semblable à celles que j’ai vu régner en 1709 et 1710, revêtue des mêmes accidents ; que ce n’est point une peste venue du Levant et portée dans le vaisseau qui en est arrivée dans le port de Marseille ; que 11. Joël Coste. Chirac, la Cour et la peste de Provence (juillet 1720 – avril 1721) IN Perez, Stanis, Vons, Jacqueline (éd.), Santé et médecine à la cour de France, actes de colloque, Paris, BIUS, 2018. 54
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ce n’est qu’une fièvre maligne causée par les mauvaises nourritures du petit peuple de Marseille ». Néanmoins, il souhaita qu’on laissât les malades dans les maisons, et qu’on établit dans chaque quartier des cuisines pour fournir le bouillon aux malades. Il proposa par ailleurs que « l’on paya des violons et des tambours pour les faire jouer dans les différents quartiers de la ville, pour donner occasion aux jeunes gens de s’égayer et pour éloigner la tristesse et la mélancolie ». Avoir souci de la jeunesse confrontée à une épidémie comme ce fut le cas durant la pandémie de COVID-19, ne fut donc pas une nouveauté. Cette vision non-contagionniste de Chirac va être soutenue par des médecins de la Faculté de médecine de Montpellier convoqués à Marseille par le régent Philippe d’Orléans. Parmi ceux-ci on compte, François Chicoyneau (1672-1752), le propre gendre de Chirac (figure 8). Lors de son discours prononcé en latin à l’occasion de l’ouverture solennelle des École de Médecine en octobre 1722, Chicoyneau, alors chancelier et juge de l’université de Médecine de Montpellier, affirme haut et fort sa conviction : « Le préjugé de la contagion répand la terreur ; celle-ci donne lieu à l’abandon général ; et ces deux causes agissant de concert sont les sources funestes de l’affreuse mortalité qui accompagne la peste. Il est donc très essentiel que le public soit informé des raisons que nous avons de rejeter une opinion si pernicieuse, et qu’il ne s’imagine pas, comme on a voulu le lui persuader, que c’est pour nous singulariser, ou pour des motifs de basse complaisance, que nous adoptons un sentiment opposé ». Il prodigua sans masque ses soins et toute son attention aux pestiférés à Marseille et à Aix, dans les maisons particulières et les hôpitaux, ne faisant qu’un seul repas en 24 heures, buvant du vin « fort trempé » (dilué dans l’eau). Il nota que les cadavres restaient pendant plusieurs jours dans les rues avant de trouver une sépulture. Exposé pendant près d’une année aux atomes pestilentiels, touchant les corps des malades, disséquant des cadavres, et n’ayant pas été contaminé, n’estimant pas avoir été protégé spécifiquement par le Tout Puissant, il en conclut que le mal n’était pas contagieux. S’il concédait que presque tous les médecins tant anciens 55
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que modernes s’accordaient à considérer la peste comme contagieuse, il rappela que les médecins sont sujets à se tromper comme les autres Hommes. Le virus pestilentiel, soit analogue à un venin, soit un air corrompu attaché aux marchandises de l’Orient s’insinue abondamment dans l’intérieur des corps faibles, tandis que les corps, fruit de la sobriété, et de la bonne nourriture, résistent parfaitement… « Le sentiment de la contagion, lorsque la peste est présente, fait naître la crainte, ou la certitude d’en être attaqué ; de cette crainte et cette certitude, vient la contention perpétuelle de l’esprit ; de cette contention, l’ébranlement du cerveau ; de cet ébranlement, le vertige et le trouble intérieur de la tête ; de ce trouble et de ce vertige, la forte persuasion que la maladie et la mort ne sont pas éloignées ; de cette persuasion ; l’accroissement de la contention ou la terreur ; de ceux-ci l’arrêt du sang et de la lymphe, ou le défaut du mouvement des fluides et des solides ; de ce défaut de mouvement, les inflammations et les gangrènes ; de là enfin la peste et la mort qui arrivent plutôt ou plus tard, suivant le différent degré de terreur et des excès dans le régime, ou suivant la diversité des tempéraments ». En d’autres termes, pour simplifier sa pensée, la peste serait une maladie psychosomatique mortelle pour les hypochondriaques abusant possiblement de la bonne chair ! Mais alors pourquoi la peste s’attaquerait aux enfants innocents : « Dès que la peste désole quelque ville, ou quelque contrée, toute espèce de joie en est bannie ; il n’est plus question de caresses ni de jeux ; au contraire, rien ne se présente aux yeux des pauvres enfants qui ne soit à inspirer de la tristesse, de la crainte et même à donner de l’horreur ; le visage, les yeux, la contenance des parents n’offrent rien que de lugubre et qui ne fasse trembler, et de là naissent les impressions funestes que ces innocentes victimes ne peuvent soutenir sans périr ». Ce brillant esprit qui avait réponse à tout, succéda à son beau-père en 1732 comme premier médecin du roi (et non comme fou du roi !), bénéficiant alors d’un logement au château de Versailles. Heureusement que pour le COVID-19 le comité scientifique appelé à conseiller le gouvernement fut composé d’hommes et de femmes scientifiquement irréprochables. 56
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À Marseille, Chicoyneau fut secondé par Jean Verny (1657-1741), et ultérieurement par son cousin Antoine Deidier (1670-1746). Ce dernier fut médecin de la duchesse de Montpensier, membre de l’Académie des Sciences de Montpellier, médecin du Roi et conseiller d’État. Il fit une expérience dont l’interprétation alimenta la vision erronée de ses confrères. Il injecta la bile de victimes de la peste dans les veines d’un chien, reproduisant les symptômes de la maladie. Si l’on sait aujourd’hui que la bile contient les germes de la maladie, les médecins considérèrent que la bile était devenue « corrompue » par une trop longue mauvaise alimentation. Néanmoins, Deidier se rallia aux thèses contagionnistes quelques années plus tard. Pourtant, dès 1721, un autre médecin montpelliérain, Jean Astruc (1684-1766), était persuadé de l’extrême contagiosité de la peste, par la sueur du pestiféré transportée par l’air. Il conseilla la fuite, ce qu’il fit lui-même et jugeant Montpellier encore trop proche de Marseille, il préféra séjourner à Toulouse d’où il suivit la progression du mal au travers de la Provence. Dans sa « Dissertation sur l’origine des maladies épidémiques et principalement sur l’origine de la peste, où l’on explique les causes de la propagation et de la cessation de cette maladie » il clama sa conviction de la contagiosité de la peste de Provence. Outre-manche on s’inquiéta de cette épidémie marseillaise, car les liaisons maritimes et commerciales entre Marseille et Londres étaient nombreuses. Le gouvernement britannique envisagea de mettre en vigueur une nouvelle loi pour remplacer la loi de quarantaine de 1710. Pour se faire, il consulta Richard Mead (1673-1754) (figure 8), médecin diplômé des Universités de Padoue et d’Oxford qui avait accompagné la reine Anne de Grande-Bretagne dans ces derniers moments en 1714. Médecin à St Thomas, le plus grand l’hôpital de Londres, Mead a pour ami et patient un certain Sir Isaac Newton alors président de la Royal Society qui l’en nomma vice-président. Ayant eu à traiter l’épouse du future roi Georges II, son prestige était immense. Sa réponse parue dans « Une brève dissertation sur la contagion pestilentielle et la méthode pour la prévenir ». Dans cet 57
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RICHARD MEAD (1673-1754)
Figure 8 | À l’occasion de la peste de Marseille (1720), contagionnistes et anticontagionnistes vont s’affronter par de là les frontières.
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FRANÇOIS CHICOYNEAU (1672-1752)
Figure 8 | Suite.
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ouvrage qui connaîtra neuf rééditions, jusqu’en 1744, Mead exposa clairement sa conviction concernant la contagiosité de la peste par les marchandises et l’air infectieux émanant des corps des victimes. Suite à cet avis, la loi sur la quarantaine de 1721 abrogea et remplaça celle de 1710. Elle visait tout particulièrement les navires en provenance de Marseille et du Sud de la France. La loi obligeait tous les navires à subir une quarantaine complète de la cargaison et de l’équipage. Si le capitaine ou un membre d’équipage connaissait l’existence d’une infection à bord et cachait l’information, ils étaient alors passibles de la peine capitale. Si un membre d’équipage était infecté, il devait être envoyé dans un lazaret (ou station de quarantaine) jusqu’à ce qu’il soit guéri. Si une personne tentait de s’échapper du lazaret, elle était également passible de la peine capitale. La loi fut ultérieurement modifiée en 1743 face à l’épidémie de Messine puis encore en 1788 pour inclure tous les passagers à bord des navires. À l’approche du choléra en 1831, l’Angleterre s’appuiera sur cet acte pour se protéger. On peut s’interroger sur la gestion de la crise du COVID-19 par la Grande-Bretagne qui malheureusement ne profita pas de son insularité pour se prémunir de la contagion, comme le firent si bien la Nouvelle-Zélande et Taiwan. Les précautions des siècles passés furent largement oubliées. Mais en ne prenant pas le problème au sérieux dès le début de la pandémie, le Premier Ministre britannique Boris Johnson qui aurait pu transformer sa volonté avec le Brexit de couper les liens avec la communauté européenne, en un acte de protection et de résistance héroïque en prévenant son royaume de l’envahisseur viral, ne sut pas être à la hauteur des gouvernements des siècles passés. Mead s’opposa à un savant anglais de l’époque, Richard Bradley (1688-1732), non pas tant sur la notion de contagiosité que sur l’origine du mal. Bradley, professeur de botanique à Cambridge et membre de la Royal Society, écrivit également un ouvrage sur la peste de Marseille de 1720. Ayant étudié les maladies des plantes il vint à proposer une théorie biologique unifiée des maladies 60
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infectieuses considérant que non seulement les maladies des plantes mais aussi celles des animaux et des humains étaient causées par des animalcules : des entités vivantes minuscules qu’il appelait des insectes ou des vers. Cette idée sembla absurde à Mead qui pourtant en étudiant la gale, se rapprocha de l’idée d’un contagionnisme « animalculaire ». Quelques années plus tard, Sir Richard Manningham (16901759) médecin et sage-femme londonien, publia en 1744 un texte soutenant l’idée que « La peste n’est pas une maladie contagieuse ; que l’infection de la peste est rarement, voire jamais communiquée par le contact de personnes infectées, ou, de marchandises apportées des lieux infectés : mais que la cause productive de la peste est une faute de l’air ». Il récidiva en 1758 en publiant « Un discours sur la peste et les fièvres pestilentielles : prouvant clairement que les causes productives générales de tous les fléaux de peste proviennent d’un défaut dans l’air, ou d’une alimentation malsaine, et que l’air est la principale cause de propagation de l’infection ; et le grand danger pour cette nation de produire une famine artificielle ; avec quelques conseils pour la prévention et la guérison ». La vision de nos brillants Dr. Mead et Bradley était réduite en poussière. La confrontation entre contagionnistes et les anticontagionnistes allait se poursuivre durant la première moitié du xixe siècle12. Ainsi les autorités vinrent régulièrement consulter le monde médical qui s’écharpait sur la question, créant en 1820 l’Académie de Médecine pour conseiller le gouvernement en matière médicale. Cette même Académie, et l’Académie des Sciences mirent en place des commissions d’enquêtes chargées de faire la lumière sur la question de la contagiosité afin d’aider à la prise de décisions aux conséquences économiques notables. Un exemple d’impact économique de l’application de la quarantaine est illustré par la bataille que se livrèrent 12. Ackerknecht EH. Anticontagionism between 1821 and 1867. Bull Hist Med. 1948; 22: 562-93. Heaman EA. The rise and fall of anticontagionism in France. Can Bull Med Hist. 1995; 12: 3-25. 61
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la France et le Royaume-Uni dans le commerce avec l’Égypte. En 1834, l’Angleterre établit une ligne maritime entre Alexandrie et Southampton. La France créa rapidement sa propre ligne entre Alexandrie et Marseille. Chaque pays imposait alors des quarantaines de 20 jours. Mais comme les Français pouvaient faire le trajet en la moitié de temps qu’il fallait aux Anglais, la France monopolisait le trafic. En 1841, l’Angleterre réduisit les quarantaines à 14 jours, qui commençaient à la date du départ du navire et recommençaient éventuellement à l’arrivée si quelqu’un mourait à bord au cours du voyage de façon suspecte. Les quarantaines anglaises n’existaient désormais plus que de nom. On pouvait désormais atteindre la France plus rapidement en passant par l’Angleterre ou par voie terrestre. La France était dans un dilemme. Ses intérêts économiques étaient gravement menacés. Mais avec seulement huit jours entre Alexandrie et Marseille (dont la tendance était désormais notoirement contagionniste), le gouvernement hésita à abolir ses quarantaines. Mais, de façon étonnante, au xixe siècle, c’est l’anticontagionnisme qui prévalut pour ce qui était de la peste. En Angleterre, le plus fervent anticontagionniste est Charles Maclean (vers 1766-1824) qui publia de nombreux ouvrages après avoir contracté lui-même la peste en l’étudiant dans un hôpital d’Istanbul. À eux seuls les titres de ses ouvrages annonçaient la couleur : « Dissertation sur l’origine des maladies épidémiques et pestilentielles dans laquelle on tente de prouver, en fournissant de nombreux arguments, qu’elles ne surgissent jamais de contagion, mais sont toujours produites par certains états ou certaines vicissitudes de l’atmosphère » (1797) ; « La peste non contagieuse, ou dissertation sur l’origine des maladies épidémiques et pestilentielles » (1800) ; « Suggestions pour la prévention et l’atténuation des maladies épidémiques et pestilentielles, comprenant l’abolition des quarantaines et des lazarets » (1817) ; « Les méfaits des lois de quarantaine et non-existence de contagion pestilentielle, déduction faite des phénomènes de la peste du Levant, de la fièvre jaune d’Espagne et du choléra morbus d’Asie » (1824). Si Maclean 62
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soutint donc régulièrement que la contagion pestilentielle n’existait pas, il estimait même qu’il s’agissait d’une « conspiration papale » remontant au pape Paul III (1468-1549) et son médecin, Fracastoro afin de faire transférer à Bologne en Territoire papal, le concile de Trent (1545-1563) en raison de l’épidémie de peste qui y sévissait. La position de Maclean eu un fort retentissement à la Chambre des Communes et le gouvernement britannique abandonna la quarantaine pour la peste en 1825 ! En France, Louis-Rémy Aubert-Roche (1809-1874), médecin en chef de la Compagnie du Canal de Suez et responsable du service des maladies contagieuses pendant la construction du Canal étaient de ces anticontagionnistes convaincus. L’Académie de Médecine chargea un comité d’experts de fournir un rapport sur la peste et les quarantaines. René Clovis Prus (1793-1850) remis ce rapport en 1846. Celui-ci fut vivement débattu pendant de nombreux mois, et finalement adopté par un gouvernement contagionniste après les querelles habituelles et le lissage des formulations. Les principales conclusions de Prus étaient que la peste n’était pas importée ni d’Égypte, ni de Syrie, ni de Turquie, mais provenait spontanément de maisons humides, de matières animales putrides et d’autres ordures. Que ni la contagion, ni l’inoculabilité de la peste n’était prouvée ; que le miasme se propageait dans l’air et non à travers les patients ; que les navires n’étaient dangereux que dans les ports souffrant euxmêmes d’une constitution épidémique ; et que, par conséquent, le progrès de la civilisation était le seul moyen de prévention contre la peste. L’Académie de nouveau prit le parti de l’anticontagionnisme, comme elle l’avait fait dans le cas de la fièvre jaune en 1828 et du choléra en 1832. Pourtant, Prus avait noté que les individus pouvaient transmettre la peste des uns aux autres au moyen de miasmes exsudés ou exhalés, et il avait observé que des marins égyptiens atteints de la peste l’avaient transmise aux agents du lazaret de Marseille. Prudent, peut-être dans le doute, Prus préconisa des quarantaines de 8 à 10 jours à compter du début du voyage. Jean 63
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Antoine François Ozanam (1773-1837), doyen des médecins de l’Hôtel-Dieu de Lyon qui publia « Une histoire médicale générale et particulière des maladies épidémiques, contagieuses et épizootiques qui ont régné en Europe depuis les temps les plus reculés, et notamment depuis le xive siècle jusqu’à nos jours », illustra par ses propos une opinion qui était bien partagée : « Nous connaissons un grand nombre d’auteurs qui ont écrit sur la transmission de la contagion par des organismes microscopiques. Ne perdons pas notre temps à réfuter ces hypothèses absurdes » (1835). Le chantre des anticontagionnistes est un personnage haut en couleur qui se nomme Antoine-Barthélemy Clot ou Clot Bey (1793-1868). Après ses études de médecine à Montpellier, il exerça à Marseille en qualité d’adjoint du chirurgien de l’Hôtel-Dieu. N’ayant pas été nommé au poste qu’il convoitait lors du départ en retraite de ce dernier, il décida de s’embarquer pour l’Égypte. Dès son arrivée, Clot soigna Méhémet Ali, le vice-roi d’Égypte, et le guérit d’une gastro-entérite. Il devint alors son médecin attitré et son ami. Il créa alors un Conseil de santé, un service sanitaire militaire, un complexe hospitalier et une école de médecine. Les épidémies étaient fréquentes en Égypte, et le docteur Clot introduisit la vaccination antivariolique. En 1831 une épidémie de choléra fit 35 000 morts au Caire. Clot se dévoua sans compter et obtint le titre de bey qu’il ajouta désormais à son nom. En 1835, ce fut une épidémie de peste qui affecta l’Égypte, et Clot-Bey aida à la lutte contre la maladie, et Méhémet Ali le nomma alors général. On le retrouve vêtu d’un uniforme complet qu’il avait lui-même conçu, avec turban et cimeterre. Il considérait cette infection comme n’étant pas contagieuse. En 1865, devant l’Académie de Médecine, il déclara « Au moment où le choléra fait une nouvelle apparition en Europe, quelques médecins, poussés par la crainte, osent encore demander le rétablissement des quarantaines. Ayant étudié particulièrement cette maladie, surtout pendant la terrible épidémie qui ravagea l’Égypte en 1831, et dans quatre autres épidémies successives, j’ai pu me convaincre de l’inutilité absolue de ces moyens pour arrêter 64
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la marche du fléau ». Mais pour Clot-Bey, la peste n’est pas davantage contagieuse. À ce titre il rejoint un courant de pensée qui prévalait à l’époque. Estimant que l’insalubrité et la pauvreté ne pouvaient à elles seules provoquer une épidémie, Clot-Bey imputa toutes les épidémies à un agent atmosphérique inconnu : « On ne peut donc dire que parce que le typhus atteindra un grand nombre d’individus, il constituera une épidémie, pas plus qu’un grand nombre d’individus blessés après une bataille ne constitue une épidémie de blessés ». Un des principaux promoteurs de l’anticontagionnisme en France fut le célèbre physiologiste et pathologiste, François Magendie, déjà croisé précédemment. En décembre 1831, alors que la France était encore indemne de choléra, il se rendit à Sunderland pour étudier la maladie. Ses conclusions présentées à l’Académie, étaient que la maladie n’était pas contagieuse mais due à des conditions sociales incroyablement défavorables, à la saleté, à l’humidité et à l’insalubrités et que les quarantaines étaient donc inutiles. Lorsque l’épidémie de choléra survint l’année suivante en France, son point de vue l’emporta aisément. Magendie estimait que quatre des cinq maladies associées à la quarantaine – la lèpre, le typhus, la fièvre jaune et le choléra – n’étaient certainement pas contagieuses, et que la cinquième, la peste, ne l’était probablement pas non plus. Cette même épidémie de choléra fut étudiée par Jean-Baptiste Bouillaud (1796-1881), célèbre médecin de l’époque, doyen de la faculté de médecine de Paris et membre de l’Académie de Médecine dont il fut le président en 1862. Dans son ouvrage « Traité pratique, théorique et statistique du choléra-morbus de Paris appuyé sur un grand nombre d’observations recueillies à l’hôpital de la Pitié » (1832), il affirma sa conviction : « Commençons d’abord par constater que l’épidémie de Paris a pour ainsi dire fermé la bouche à ceux qui jusqu’ici s’étaient signalés comme les plus intrépides partisans, les plus fougueux apôtres de la contagion […] Ajoutons que les médecins de l’Hôtel-Dieu, les premiers, et plus tard les médecins des autres hôpitaux de Paris, ont déclaré unanimement par la voie des journaux, que les faits innombrables dont ils ont été témoins, les 65
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autorisaient à nier la contagion du choléra de Paris […] En résumé, le choléra épidémique de Paris a éclaté, pour ainsi dire, comme une bombe au milieu de nous, sans que jusqu’ici nous ayons pu saisir le principe dont il né ; toutefois, on peut affirmer que ce principe n’a point été importé (en prenant toujours le mot importation dans son acception propre), et que la maladie qu’il a engendrée ne s’est pas propagée par voie de contagion ». Qu’en fut-il pour la fièvre jaune ? Jean-André Rochoux (17871852) exerça à l’hôpital militaire de Pointe à-Pitre, en Guadeloupe. C’est là qu’il a recueilli ses observations sur la fièvre jaune des Antilles, entre 1814 et 1819, dont il publia, après son retour en France, une très bonne monographie dans laquelle il concluait que la fièvre jaune n’était pas directement contagieuse. Cet avis était partagé par Jean Devèze (1753-1825). Formé à Bordeaux, il partit pour Saint-Domingue, attrapa la fièvre jaune en Martinique, revint en France pour finir ses études de médecine avant de retourner à Saint-Domingue, où il fonda une clinique pour traiter les Européens atteints de fièvre jaune, puis il se retrouva à Philadelphie, une fois encore pour faire face à une épidémie de fièvre jaune. Pour Devèze la fièvre jaune n’était ni contagieuse, ni mortelle : la peur seule, avec ses effets, rendait la maladie nuisible. Correctement traitée, une épidémie de fièvre jaune ne saurait être pire qu’une éruption de rhumes hivernaux. De même, Nicolas Chervin (1783-1843) voua sa vie à établir la non-contagion de la fièvre jaune, en se rendant dans différentes villes où sévissait cette maladie : Philadelphie, La Nouvelle-Orléans, Les Antilles, la Havane, Cayenne, Cadix, s’exposant lui-même à tous les dangers du fléau. Lorsqu’en 1821 une épidémie très mortelle de fièvre jaune éclata à Gibraltar, le gouvernement français (contagionniste) et l’Académie de Médecine, de plus en plus alarmés, envoyèrent à Barcelone une commission d’étude composée entre autres du secrétaire de l’Académie, Étienne Pariset (1770-1847), expédition au cours de laquelle, son élève, André Mazet (1793-1821), contracta la maladie et en mourut. Convaincu que la fièvre jaune se transmettait 66
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par contagion, Pariset demanda l’établissement de quarantaines avec implantation de lazaret et il fit promulguer la loi du 3 mars 1822, une loi de quarantaine très stricte. « Nier la contagion, c’est nier Dieu » déclara-t-il. Participait également à cette mission, François-Victor Bally (1775-1866) qui déjà dans sa jeunesse à Saint-Domingue avait été appelé à lutter contre une épidémie de fièvre jaune qui avait alors emporté 40 000 personnes, y compris le commandement en chef de l’expédition lui-même, le beau-frère de Bonaparte. Pour Bally comme pour Pariset la contagiosité ne faisait aucun doute : « La fièvre jaune est produite par un poison communicable qui réside chez les hommes, dans les effets usuels, dans les marchandises, et même dans une atmosphère limitée qui entoure le foyer de la contagion. Il est étrange que les fréquentes importations de la fièvre jaune en Europe, importations qui toutes ont été prouvées, n’aient pas dessillé les yeux des médecins qui s’obstinent encore à nier la contagion ». Revenus avec un rapport très contagionniste, ils obtinrent une pension viagère de 3 000 Francs par an alors que des anticontagionnistes comme Rochoux et Maclean avaient aussi afflué à Barcelone, pour étudier l’épidémie. En 1825-1826, Chervin bombarda la chambre des députés de pétitions pour rouvrir le dossier de la quarantaine de la fièvre jaune sur la base de sa documentation. Chervin, qualifiait l’ensemble comme un problème politique, administratif, moral, médical et commercial, et considérait la « question du plus haut intérêt pour l’humanité et le commerce ». La Chambre transmit le dossier à l’Académie de Médecine. L’Académie nomma un comité de 18 membres qui examina la documentation pendant 11 mois. Et en 1827, Godefroy Coutanceau (1775-1831), trésorier de l’Académie soumit le rapport de l’Académie, principalement l’œuvre de Louis René Villermé (1782-1863), considéré comme le concepteur de la médecine du travail. Le rapport suivait en tout point l’avis et les recommandations de Chervin, anéantissait le précédent avis de Pariset, et recommandait de mettre fin à l’application de la loi de 1822 sur la quarantaine concernant la fièvre jaune. 67
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Si la contagiosité du SARS-Cov-2 ne fait aucun doute et l’extrême contagiosité de certains variants a complexifié le contrôle de la pandémie, il n’en demeure pas moins qu’au début de la pandémie du COVID-19, la Chine retint secret pendant quelques semaines une information de la plus haute importance : la contagiosité du SARS-Cov-2 d’Homme à Homme. Nous verrons ultérieurement comment cette information connue par une de mes collègues virologiste chinoises travaillant à Hong Kong allait bouleverser sa vie et dans une moindre mesure la mienne ! DÉMONSTRATION DE LA CONTAGIOSITÉ SUR SOI-MÊME Furent-ils des héros, des inconscients, des complotistes, des martyrs, ces savants qui s’inoculèrent le mal pour démontrer ou nier la contagiosité de certaines maladies infectieuses. Légendes ou affabulations, il n’est pas toujours aisé de démêler le faux du vrai, car il n’est pas toujours simple à plusieurs siècles d’intervalle de s’assurer de la véracité des faits. La plus ancienne tentative d’inoculation reviendrait à Thomas Willis (1621-1675) et concernerait la peste. Connu pour ces travaux d’anatomie, Willis est un éminent médecin à Oxford où il fut titulaire de la chaire de philosophie naturelle, et à Westminster, où il fut l’un des tout premiers membres de la Royal Society londonienne. Sa publication de 1675 : « Une méthode simple et facile pour se préserver (par la grâce de Dieu) de l’infection de la peste, ou de toute maladie contagieuse, acquise en ville, dans les camps, à bord des navires, etc., et pour guérir ceux qui en sont infectés » témoigne qu’effectivement il se pencha sur cette infection. Quand il évoque « les graines de la contagion pestilentielle », « les graines du venin », « le miasme venimeux » ou « les ferments du venin », s’en référait-il à cette expérience qu’il aurait menée sur lui-même, en s’injectant le pus provenant d’une lésion de la peste bubonique. Si, comme on nous le conte13, il fit cette 13. Vincenti JH. Heroes, martyrs and victims. The Chest piece. 1951; 1: 20-2. 68
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expérience sur lui-même en 1665, il n’en mourut pas, puisque sa mort survint dix ans plus tard suite d’une pleurésie. S’il en est un pour lequel l’auto-inoculation ne fait aucun doute, c’est celle que pratiqua le Baron René-Nicolas Desgenettes (17621837) puisqu’elle fut illustrée sur des gravures toutes à la gloire de ce geste héroïque (figure 9). En tant que médecin-chef de l’armée d’Orient, Desgenettes suivit Bonaparte dans sa campagne d’Égypte. La traversée du désert de Syrie en 1798 s’accompagna d’une épidémie de peste qui affecta la santé et le moral des troupes. Pour convaincre de l’absence de danger et de contagiosité, Desgenettes s’inocula la peste : « Pour rassurer les imaginations et le courage ébranlé de l’armée, je trempai, une lancette dans le pus d’un bubon, appartenant à un convalescent de la maladie et je me fis une légère piqûre dans l’aine et
Figure 9 | Baron René-Nicolas Desgenettes (1762-1837). Il s’inocula la peste pour convaincre ses soldats de la non-contagiosité. © RMN-Grand Palais (musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) / Daniel Arnaudet.
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au voisinage de l’aisselle, sans prendre d’autre précaution que celle de me laver avec de l’eau et du savon qui me furent offerts. J’eus pendant plus de trois semaines deux petits points d’inflammation correspondant aux deux piqûres. Ils étaient encore très-sensibles lorsqu’au retour d’Acre je me baignai, en présence d’une partie de l’armée, dans la baie de Césarée ». Cette négation de la contagiosité de la peste fut soutenue ultérieurement par Clot Bey. Ce dernier présida une commission envoyée par le gouvernement français pour enquêter sur cette épidémie de peste qui fit 150 000 morts entre 1834 et 1835 en Égypte. Nos bons docteurs pratiquèrent des expériences d’inoculation de sang de pestiférés sur quatre condamnés à morts, et un seul développa une peste modérée. Pour justifier ce qu’ils avaient osé faire à d’autres, deux d’entre eux estimèrent qu’il était nécessaire de mener des expériences similaires sur eux-mêmes. Ainsi Clot Bey se fit sur lui-même six piqûres assez profondes et s’inocula le sang d’un pestiféré, sans qu’aucune conséquence n’eut à être déplorée. Quelques jours après, il s’inocula du pus provenant d’un bubon pestilentiel ; il eut quelques légers malaises, mais ne présenta pas les symptômes de la peste. Au sein de cette commission anticontagionniste se trouvait également le Dr. Arsène François Bulard (1805-1843) qui porta durant deux jours la chemise d’un pestiféré imbibée du sang du malade, sans que cela ne lui causa quelque préjudice majeur : « Le 15 mai 1834, à 9 heures du matin, dans une des salles de pestiférés de l’hôpital Ezbékieh, en présence de tous les employés de cet établissement je me suis dépouillé de tous mes effets, de ma chemise, de mon gilet de flanelle, et j’ai revêtu sans aucune précaution préalable, sans avoir recours à aucune préservation, la chemise d’un pestiféré au plus haut degré de gravité. Cette chemise était encore chaude de la température du malade et toute souillée d’une saignée qui venait d’être pratiquée. Je suis resté tout le jour avec la plus grande partie des témoins de cette expérience, afin qu’il restât bien avéré que je n’avais pas eu recours à aucun moyen pour neutraliser les effets de l’absorption s’ils eussent dû se développer. J’ai conservé 70
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cette chemise pendant 48 heures. Je n’ai éprouvé aucun symptôme général, rien qui puisse être sincèrement rapporté à ce revêtissement. Il est vrai que deux jours après une petite tumeur charbonneuse se manifesta sur le médius de la main gauche, mais je l’ai regardé comme le produit d’une légère blessure en disséquant un pestiféré qui avait deux charbons ». Mais dans son ouvrage « De la peste orientale d’après les matériaux recueillis en Égypte, à Smyrne et à Constantinople de 1833 à 1838 » publié en 1839, Bulard vint contredire les résultats de sa propre expérience et se rangea ostensiblement dans le camp des contagionnistes. Il raconta la mort de la peste d’un condamné de 18 ans, huit jours après avoir été revêtu de la chemise, du caleçon et de la camisole d’un pestiféré grave et immédiatement couché dans le lit encore chaud de la température du malade. Bulard apporta par ailleurs de nombreux exemples de la contagiosité. Il rappela le succès de l’établissement des lazarets par les consuls-généraux anéantissant la survenue de la peste. Il donna l’exemple d’un navire qui ayant eu à bord des passagers morts de la peste, communiqua la peste une fois arrivé dans le port de Beyrouth, alors que pour d’autres situations identiques, si les passagers avaient été mis en quarantaine et les navires dument désinfectés, le mal s’éteignait. Il rapporta des cas de peste dans un monastère où il mena une enquête permettant de remonter au domestique qui introduisit la peste dans la place, contaminant des moines qui allaient en mourir, le domestique décédant lui-même de la peste quelque temps plus tard, tandis que la mort se répandait à l’extérieur par des employés chargés de laver les vêtements des pestiférés du monastère. Bulard rapporta enfin des observations de contamination et la mort de personnes qui offrirent des soins à des pestiférés ou des décès survenus au sein de foyers où un membre avait été en contact avec un malade. À ces exemples de contaminations, Bulard fournit des exemples de l’efficacité à 99 % des quarantaines vraies. Il soutint que l’isolement sauve et que la libre pratique tue. Sans doute Bulard aurait été choqué de voir la légèreté des précautions prises pour éviter la propagation du virus au début 71
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de la pandémie de COVID-19. Il invita à cesser d’arguer de l’existence de localités délétères et d’atmosphère homicide. Aux médecins miasmatistes qui voient dans les crues du Nil l’atmosphère propice à l’échappement des miasmes pestiféreux, il affirma haut et fort que la peste est belle et bien contagieuse. La brillante démonstration du Dr. Bulard sur la peste illustre que certaines expériences peuvent ne pas être conclusives mais qu’une analyse objective des faits permet de proposer des conclusions exactes. Saluons donc le Dr. Bulard qui ne s’obstina pas dans l’erreur malgré son avis initial. Certains docteurs impliqués dans le traitement du COVID-19 auraient pu s’en inspirer. C’est avec le même brio observationnel qu’en 1833, Bulard affirma que le choléra n’avait jamais existé en tant que maladie contagieuse. Dans l’ouvrage qu’il consacra au choléra14, Bulard rapporta des nouvelles expériences menées par des médecins de Kharkov. L’un d’entre eux s’était retrouvé accolé pendant 18 heures au cadavre d’un cholérique, attaché par les parents du mort qui le rendait responsable du décès, sans que cela n’induisit aucun symptôme. D’autres s’appliquèrent sur le front des compresses imbibées de la sueur de cholérique sans conséquence. D’autres enfin, s’inoculèrent du sang d’un homme au maximum de la maladie sans qu’une fois encore il n’y eut de suites fâcheuses. À Saint-Pétersbourg, à Helsingfors (Helsinki), en charge de patients cholériques, buvant dans les mêmes verres, touchant les malades transpirants, partageant la même atmosphère de l’hôpital, et recouvert de la chemise d’un de ses patients pendant 8 jours, sans précautions particulières, il sortit toujours valide de ces situations. Quelques années auparavant, Jean Louis Geneviève Guyon (17941870), médecin militaire avait aussi échoué à s’infecter lui-même avec le choléra. Une fois identifié, le bacille du choléra fut ingurgité la même année 1892, soit à des fins anticontagionnistes comme par Max Joseph von Pettenkofer (1818-1901), soit pour en étudier la virulence et l’infectiosité par Rudolph Emmerich (1856-1914), soit enfin pour 14. Bulard AF. Nouvelles recherches sur la cause, la nature, les moyens préservatifs et le traitement du choléra. 1833. 72
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analyser la nature de la réponse immunitaire par Elie Metchnikoff (1845-1916). Le premier ne ressentit aucun effet, le second subit quelques désagréments digestifs et retrouva le bacille dans ses selles dix jours après l’expérience. Quant au troisième, n’ayant constaté aucun effet particulier, il décida de pratiquer la même expérience sur Jean-Baptiste Jupille, celui-là même que Pasteur avait sauvé de la rage en le faisant entrer dans l’histoire de la vaccination comme (officiellement) le deuxième enfant ayant reçu le vaccin antirabique. Devenu gardien de l’Institut Pasteur, Metchnikoff l’invita à boire la culture de vibrions. Mais il existe une forte disparité entre les individus face aux agents infectieux, et là où Metchnikoff était sorti indemne de l’expérience, Jupille faillit bien y passer ! La présence de femmes dans notre panthéon d’expérimentateurs sur eux-mêmes est très limitée. Citons néanmoins Zinaida Vissarionovna Ermolyeva (1898-1974), une microbiologiste soviétique, à la tête du département de biochimie microbienne de l’Académie des sciences de l’URSS qui, en 1942, but une préparation de Vibrio cholerae. Aussi connue comme la « mère des antibiotiques soviétiques », elle put grâce à son expérience proposer un traitement adéquat pour guérir du choléra. Une épidémie de fièvre jaune survint à Philadelphie en 1793, faisant près de 5 000 victimes, soit environ 10 % des habitants. Ce sont deux médecins américains, qui, suite à cette épidémie, s’interrogèrent sur la contagiosité de la maladie. Isaac Cathrall (1764-1819) de retour de ses études médicales à Edinburgh, Londres et Paris se rendit à Cuba. Il déposa sur ses lèvres du « vomi noir » qu’émettent les patients dans les phases terminales de la maladie. Cela n’entraîna aucune conséquence. De même, Stubbins Ffirth (1784-1820) entendit démontrer que la fièvre jaune n’est pas contagieuse. À l’Université de Pennsylvanie, il entreprit une série d’expériences. Après avoir échoué à démontrer la contagiosité sur des chiens et des chats, il entreprit des expériences sur lui-même. Il commença par se faire des incisions sur les bras et répandit du vomi de patients sur les coupures ; il s’en versa sur yeux ; il inhala les vapeurs de ce vomi qu’il fit chauffer ; finalement, 73
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il but le vomi. Il testa d’autres fluides corporels, s’enduisant le corps de sang, de salive ou d’urine de patients. Ffirth publia en 1804 ses résultats dans un traité sur les fièvres malignes où il concluait à la nature non contagieuse de la maladie, ayant courageusement payé de sa personne pour en arriver à cette conclusion. En France, Nicolas Chervin que nous avons déjà mentionné fit aussi une démonstration de la non-contagiosité de la fièvre jaune qu’il étudia en revêtant la chemise de victimes. Cette même approche fut entreprise par JeanLouis Geneviève Guyon que nous avons déjà mentionné à l’occasion du choléra. En 1822, devant les médecins, chirurgiens, pharmaciens et autres employés de l’hôpital de Martinique, il revêtit la chemise d’un homme atteint de la fièvre jaune, toute imbibée de la sueur du malade, avant de se faire inoculer aux deux bras avec la matière jaunâtre de vésicules en suppuration. Deux jours plus tard, il but environ deux onces de la matière noire vomie par un autre malade qui allait rapidement succomber. Guyon revêtit sa chemise tout imprégnée de matière noire encore chaude, et se coucha aussitôt dans le lit du défunt. Le premier malade ayant servi à la première expérience ayant succombé, Guyon autopsia le corps, récupéra une assez grande quantité de matière noire sanguinolente qu’il trouva dans l’estomac et s’inocula les deux bras avec cette matière, les recouvrant de morceaux de la paroi de l’estomac. Les parties inoculées apparurent enflammées, et douloureuses, et les ganglions axillaires un peu tuméfiées. Mais ces désagréments se dissipèrent au bout de trois jours, et la santé de Guyon n’en fut pas autrement affectée. Mais si ces courageux, valeureux et obstinés docteurs échouèrent à s’auto-administrer la fièvre jaune, il en est un qui finit par y laisser la vie. Car, si la maladie n’est pas contagieuse, c’est qu’elle est transmise par des moustiques, Aedes aegypti. C’est ce que démontra à ses dépens, Jesse William Lazear (1866-1900), médecin américain à l’hôpital Johns-Hopkins de Baltimore. Alors qu’il est à Quemados (Cuba), il se fit volontairement piquer par des moustiques contaminés par la fièvre jaune. Il développa la maladie et en décéda peu après. Il n’avait que 34 ans. Sa mort 74
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contribua à démontrer le mode de transmission de la fièvre jaune. Sur ce site, Walter Reed (1851-1902) et James Carroll (1854-1907), deux médecins militaires, accompagnaient Lazear. James Carroll fut piqué accidentellement, et développa la fièvre jaune, dont la conséquence fut une maladie chronique pour le reste de sa vie. La recherche de la contagiosité de la syphilis résulta en l’émergence de nombreux mythes dont le premier bénéficiaire est John Hunter (1749-1805), éminent médecin et chirurgien, maître notamment de Jenner. La légende raconte qu’en 1767, Hunter se serait inoculé sur le pénis du pus provenant d’un patient atteint de gonorrhée (urétrite). En effet, la question que se posait Hunter concernait le lien entre la gonorrhée et la syphilis. Hunter aurait présenté une éruption de syphilis secondaire qui l’aurait fait souffrir pendant trois ans et qu’il aurait traité par des vapeurs de mercure. Cependant, il se pourrait que cette expérience fût pratiquée sur une autre personne que sur luimême15. La distinction entre la gonorrhée et la syphilis aurait aussi été approchée par Benjamin Bell (1749-1806), chirurgien à l’Infirmerie royale d’Édimbourg. Dans ses travaux publiés 1797, il fait allusion à des expériences qui consistaient en des inoculations faites par des étudiants en médecine sur eux-mêmes. En s’inoculant de la matière d’un chancre syphilitique dans l’urètre, ils produisaient un chancre intra-urétral (soigné par le mercure) et non pas une gonorrhée ; en s’inoculant de la matière de gonorrhée, ils produisirent une gonorrhée sans chancre, et ainsi Bell put conclure : « je ne pouvais certainement espérer de preuves plus propres à démontrer la différence du virus de la gonorrhée d’avec celui de la syphilis ». On attribue souvent à certains auteurs la paternité d’expériences menées sur eux-mêmes. Si cela demeure hypothétique pour Hunter et Bell, ce qui est certain c’est que ceux-ci inoculèrent la syphilis à des volontaires à défaut de s’auto-infecter. Il en est de même pour Joseph von Lindwurm 15. Gladstein J. Hunter’s Chancre: Did the Surgeon Give Himself Syphilis? Clin Infect Dis. 2005; 41: 128. 75
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(1824-1874), médecin et dermatologue allemand. Il étudia la médecine à Würzburg et Heidelberg, obtenant son doctorat en médecine en 1849. Ensuite, il travailla comme assistant à la clinique médicale de Würzburg, puis poursuivit ses études à Vienne et à Paris. À Paris, il démontra par des expériences d’inoculation que la syphilis secondaire était aussi contagieuse que la syphilis primaire. Franz von Rinecker (1811-1883) est un pharmacologiste et médecin bavarois, professeur de pédiatrie à Würzburg qui aurait contracté la syphilis en cherchant à démonter sa contagiosité en s’inoculant du matériel provenant d’un enfant syphilitique. Enfin, il est aussi mentionné que Constantin Levaditi (1874-1953), médecin roumain venu se former auprès de Metchnikoff à l’Institut Pasteur aurait testé certains de ses traitements anti-syphilitiques sur lui-même après s’être inoculé la maladie. Rien n’est moins sûr. En revanche, il est bien écrit dans ses publications qu’il utilisa différentes approches chez le lapin, le singe et auprès de volontaires humains entre 1922 et 1925 pour tester les effets thérapeutiques de l’acide acétyloxyaminophénylarsinique ou stovarsol®, mis au point par Ernest Fourneau (1872-1949), chimiste pasteurien, et utilisable par voie buccale. Il préconisa également l’usage du bismuth avant d’envisager l’emploi des antibiotiques. Élève de Metchnikoff, il avait été le témoin de cet épisode étonnant dans l’histoire des inoculations sur des volontaires humains. Entre 1903 et 1906, Élie Metchnikoff et Émile Roux étudièrent la syphilis sur plus d’une vingtaine de chimpanzés et plus de 120 macaques. De ces travaux émergea comme traitement l’usage du calomel, la forme naturelle du chlorure de mercure. Metchnikoff, fait-il allusion à une motivation personnelle pour trouver un traitement de la syphilis quand il écrit : « La certitude de ne pas contracter cette maladie doit rendre les rapports extraconjugaux plus fréquents ». Paul Maisonneuve, un jeune étudiant en médecine réussit à convaincre nos deux savants pasteuriens de se faire inoculer la syphilis pour démontrer les effets bénéfiques de ce traitement chez l’Homme. Après quelques hésitations, l’inoculation fut pratiquée sur le pénis de notre courageux 76
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volontaire qui s’enduit son membre viril de calomel et se traita durant plusieurs jours, s’offrant aux médecins pour un suivi régulier de l’état de sa verge. Les résultats furent probants, Maisonneuve put soutenir sa thèse et eu même l’honneur de la première page du quotidien « Le Journal » à côté de l’annonce de l’attribution de la légion d’honneur à Sarah Bernhardt… Du calomel fut mis dans le paquetage des boys qui vinrent en France se battre lors de la première guerre mondiale. Il se dit également que Joseph Adams (1756-1818), médecin et chirurgien anglais, alors en visite à Malte en 1801 fut présenté à une jeune enfant qui souffrait des acariens de la gale. Formé par la tante de la jeune fille à retirer les acariens, il les déposa entre les doigts et observa la progression de la gale sur lui-même. Au bout de deux semaines les lésions commencèrent à démanger, associées à une légère fièvre. Si dans cette catégorie très particulière de savants, il est un héros, dont il ne fait aucun doute, c’est bien Alexandre François Ollivier (1790-1844). Médecin et chirurgien français de la campagne d’Espagne de Napoléon, il est convaincu que la gangrène des hôpitaux, aussi nommée pourriture d’hôpital ou fièvre putride, est contagieuse. Il s’agit de cette affection qui touche les soldats blessés au champ d’honneur qui vont mourir dans les hôpitaux de campagne des suites des horribles infections qui prennent naissance au niveau de leurs plaies. En 1810, il s’injecta le pus d’une blessure d’un soldat grièvement blessé qui allait mourir de fièvre putride, et en démontra la contagiosité. Il dut avoir recours à la cautérisation pour arrêter l’extension de l’infection. Il publia en 1822 un « Traité expérimental du typhus traumatique, gangrène ou pourriture des hôpitaux, contenant des observations nouvelles sur diverses gangrènes, épidémies, contagions » où il narra sa démonstration et où il proposa quelques principes novateurs en matière d’hygiène médicale. Cet ouvrage lui ouvrit les portes de l’Académie de Royale de Médecine. Mais ses démêlés avec la nomenklatura médicale, et le piètre soutien des ténors comme Pierre François Percy (1754-1825) fit qu’il ne fut pas 77
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reconnu à sa juste valeur, d’autant que Percy dénigrait l’originalité de sa démonstration, même s’il reconnaissait qu’il avait bel et bien fait ses expériences sur lui-même. Il en est un autre qui démontra à ses dépens et de façon bien involontaire que la matière en putréfaction peut être contagieuse et mortelle. Il s’agit de Jakob Kolletschka (1803-1847), professeur d’anatomie et de médecine légale à l’hôpital général de Vienne qui fut blessé par un scalpel utilisé par l’un de ses étudiants lors d’une dissection de cadavre. La septicémie qui s’empara du pauvre homme et l’emporta fut à l’origine de la compréhension de la mort des patientes parturientes d’Ignaz Semmelweis (1818-1865). Ce dernier réalisa que la mort de fièvre puerpérale des femmes peu de temps après leur accouchement était consécutive à leur contamination par les mains des étudiants en médecine venus les aider à accoucher après avoir pratiqué des autopsies de cadavres, sans s’être lavé les mains entre la salle d’autopsie et la salle d’accouchement. Si Ollivier, notre héro français, est ignoré en son propre pays, son visage resté anonyme et aucun timbre-poste ne vint jamais célébrer sa belle et courageuse démonstration, ce n’est pas le cas de Daniel Alcides Carrión (1857-1885), connu sous le titre de héro médical péruvien. Le Pérou émit régulièrement des timbres postes à son effigie en 1958, 1986, 2002 et 2007. En 1875, une maladie fébrile grave associée à une anémie hémolytique avait retardé la construction d’une ligne ferroviaire importante reliant la ville côtière de Callao (près de Lima) à la ville minière de La Oroya dans l’Altiplano au centre du Pérou. Des centaines de cheminots moururent de ce qui devint rapidement la « fièvre de l’Oroya ». Comprendre cette maladie devint une priorité nationale. Le 27 août 1885, Carrión s’inocula volontairement le contenu d’une verrue provenant d’une jeune patiente affectée par la verruga du Pérou. Vingt-et-un jours après cette inoculation, Carrión constata l’apparition des symptômes de la fièvre de l’Oroya. Il effectua lui-même le suivi clinique de son affection jusqu’au 26 septembre, date à partir de laquelle il en fut incapable au vu de l’aggravation des symptômes. Il mourut de la fièvre de l’Oroya, le 5 octobre 1895, 78
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apportant par son expérience la preuve que la verruga du Pérou et la fièvre de l’Oroya partageait une seule et même origine. C’est en 1909, qu’Alberto Barton Thompson (1870-1950), chercheur péruvien né en Argentine, décrivit la bactérie responsable de cette pathologie pour la 1re fois à partir d’un frottis sanguin. Aujourd’hui la bactérie se nomme Bartonella bacilliformis, en l’honneur de celui qui l’identifia, et celle-ci est transmise par des insectes, les phlébotomes, également vecteurs de la leishmaniose. En 1893, Carl Alois Philipp Garré (1857-1928), chirurgien suisse qui exerça à Tübingen, Rostock et Bonn démontra sur lui-même le lien entre le staphylocoque et les furoncles. L’énorme dose de Staphylocoques qu’il s’injecta aurait pu le tuer ! Il rejeta tout danger en considérant l’expérience simplement « désagréable », et il déclara triomphalement : « Je sais que ce microbe, ce staphylocoque, est la vraie cause des furoncles ». Claude H. Barlow (1876-1969) était un docteur en médecine qui servit comme missionnaire médical en Chine avant de rejoindre la Fondation Rockefeller. En juillet 1944, il ingéra plus de 200 vers schistosomes pour les ramener aux États-Unis depuis l’Égypte pour étudier si les escargots domestiques pouvaient être infectés. Alors qu’il était désespérément malade en décembre, il refusa tout traitement, afin de ne pas perdre les œufs pour une étude plus approfondie. Il passa finalement 4 630 œufs dans son sperme et 200 œufs dans son urine. Cependant, le gouvernement américain décida de ne pas utiliser ses œufs, et son sacrifice ne servit donc à rien. C’est plus d’un an plus tard qu’un traitement au tartre émétique eut raison de son infection et permit l’élimination complète des parasites. Barry Marshall (1951-), médecin australien, est sans doute un des rares scientifiques qui reçut le Prix Nobel de Médecine ou Physiologie, en 2005, pour son expérimentation sur lui-même. Il était convaincu qu’Helicobacter pylori pouvait s’établir dans l’estomac malgré la forte acidité du milieu stomacale. En 1983, il avala une culture de cette bactérie, développa une gastrite, et, pratiquant 79
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des prélèvements gastriques, démontra qu’effectivement la bactérie s’était bien implantée dans son estomac. Fier de sa découverte, Marshall soumit un résumé pour faire une communication devant à la Société Australienne de Gastroentérologie. Mais son résumé fut rejeté, tant ses pairs et le corps médical étaient réticents à entériner une telle découverte. Marshall réussit finalement à convaincre les éditeurs du journal The Lancet qui publia la découverte en 1984 avant que le comité Nobel fût lui-même convaincu de l’importance de cette découverte. On peut d’ailleurs s’étonner que Marshall eût à faire face à une telle incrédulité, car c’était avoir oublié les travaux de Giulio Bizzozero (1846-1901) près de cent ans avant lui. Bizzozero était un médecin turinois à qui l’on doit de nombreuses découvertes majeures comme le fait que la moelle osseuse soit la source des globules rouges et des globules blancs, que les plaquettes jouent un rôle important dans la thrombose, ou que les macrophages puissent phagocyter des globules rouges. Mais surtout en 1893, Bizzozero rapporta la capacité d’une bactérie particulière à s’implanter dans l’estomac de chiens. Cette bactérie se nomme en son honneur Helicobacter bizzozeronii. David Pritchard (1941-), professeur d’immunologie parasitaire à l’Université de Nottingham au Royaume-Uni revint d’un séjour en Papouasie-Nouvelle-Guinée avec une hypothèse par rapport à ses observations faites localement. Une parasitose due à des vers parasites, ankylostomes, préviendrait les réactions allergiques. En 2004, il déposa sous sa peau quelques parasites jusqu’à ceux-ci infiltrent son corps afin de déterminer combien le corps pouvait en tolérer. Il observa qu’au-delà de 25 vers, crampes et diarrhée survenaient. Par la suite une étude incluant 32 patients asthmatiques fut entreprise, mais elle ne fut malheureusement pas concluante. Pour parachever ce voyage parmi ces savants prêts à mettre leur santé en danger pour démontrer ce dont ils sont convaincus, laissez-moi vous conter l’incroyable histoire de Sengly Kheng. Je fis la connaissance de ce jeune étudiant lors d’un enseignement que je donnais à Phnom Penh au Cambodge quelques mois avant qu’il 80
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ne devienne Docteur en Pharmacie. Son comportement au cours de l’enseignement, ses questions me firent rapidement réaliser qu’il était différent des autres, comme ses expériences vont l’illustrer. À l’âge de 13 ans, il testa les effets de 15 grammes de paracétamol. Vomissant pendant 24 h, il en conclut que la réponse de son corps prévient des effets potentiellement délétères de cette absorption. À 18 ans, il associait ses connaissances en neurosciences, l’enseignement de Bouddha et la mécanique quantique. À l’âge de 21 ans, pendant un an, il testa la capacité de l’ocytocine, un neuromédiateur hormonal, à limiter l’addiction aux benzodiazépines, opioïdes, amphétamines et autre extasie. Mais c’est son expérience menée lorsqu’il a 23 ans qui va retenir mon attention. Il s’intéressait désormais aux propriétés de la vitamine C et son éventuel rôle sur la cicatrisation et la lutte contre l’infection. Il pratiqua d’abord une importante entaille sur le côté du pied pour en suivre l’évolution. Jusqu’au jour où un patient se présenta aux services des urgences où il travaillait. Suite à une morsure de sangsue, le patient avait développé une septicémie qui s’avérera être due à un staphylocoque doré résistant à la méthicilline (SARM). Sengly Kheng décida alors de déposer ce germe dans sa plaie qu’il se résolut même à faire plus profonde pour s’assurer que l’infection atteignit son sang. Une co-infection se déclencha due à Citrobacter freundii. Il eut de la fièvre, son rythme cardiaque s’accéléra, il éprouva des difficultés à respirer. Mis sous antibiotiques, concomitamment, il se traita avec de l’ocytocine et de la vitamine C en grande quantité associée à un antidiurétique pour empêcher l’élimination naturelle des excès de vitamine C dans l’urine. Sa plaie qui après trois mois n’avait pas évolué, cicatrisa en une semaine. Lorsqu’il me présenta ses résultats, j’en fus très impressionné, mais demeurais perplexe face à ses efforts pour démontrer l’intérêt de la vitamine C, en décalage avec l’éthique contemporaine de la recherche. Il trouva lui-même la solution, et soumis un résumé à un congrès international de recherche clinique et de rapports de cas (case reports), résumé qui fut accepté pour être présenté au congrès censé se passer à Paris 81
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en juin 2020. Son résumé était construit comme s’il s’agissait du cas d’un patient se présentant aux urgences avec une plaie ouverte, une septicémie consécutive à un SARM, et la démonstration de l’efficacité d’un traitement associant la vitamine C administrée à forte dose par voie intraveineuse. En pleine pandémie COVID-19, il m’écrivit pour me dire qu’il avait été confronté à 57 patients infectés par le SARS-CoV-2, qu’il n’acceptait pas de rester là à regarder les patients mourir et ne comprenait pas pourquoi sa suggestion d’utiliser la vitamine C n’était pas écoutée, alors qu’il avait contacté des médecins et des pharmaciens aux USA pour les inciter à utiliser la vitamine C comme traitement d’appoint. En juin 2020, je fus profondément peiné d’apprendre par un de mes collègues de l’Institut Pasteur du Cambodge, le suicide de Sengly Kheng, perpétué à l’aide d’une overdose de ses médicaments antidépresseurs. Je ne peux m’enlever de l’esprit que face à l’incompréhension à laquelle Sengly Kheng fut confronté, cette crise sanitaire du COVID-19 agit comme un détonateur dans un esprit troublé. Et ce n’est pas sans une réelle émotion que je vois régulièrement publier des articles vantant l’usage de la vitamine C pour faire face au COVID-1916… Plus de trois cents à ce jour ! Si la vitamine C ne semble pas sauver les patients, il se pourrait néanmoins qu’elle ait quelques bénéfices sur l’oxygénation et la réponse inflammatoire. De nombreuses études ont été publiées afin de déterminer l’impact du COVID-19 sur le taux de suicides. Les résultats démontrent que de nombreux paramètres ont affecté l’évolution des taux de suicides par rapport aux années précédant la pandémie : la tranche d’âge, le sexe, le niveau économique des pays (pays à revenu élevé, intermédiaire ou faible), le régime politique (démocratie ou dictature), et la période d’observation (lors du premier confinement 16. Cerullo G et al. The long history of vitamin C: from prevention of the common cold to potential aid in the treatment of COVID-19. Front. Immunol. 2020; 11: 574029. Zhang J et al. Pilot trial of high-dose vitamin C in critically ill COVID-19 patients. Ann Intensive Care. 2021; 11. 82
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ou sur l’ensemble de la période). Ainsi par exemple, aux USA, du 21 février au 20 mars 2021, pendant la pandémie de COVID-19, les visites aux urgences pour des tentatives de suicide étaient 50,6 % plus élevées par rapport à la même période en 2019 chez les adolescentes âgées de 12 à 17 ans alors que pour les garçons de la même tranche d’âge, l’augmentation ne fut que de 3,7 %17. Au Mexique, la prévalence des tentatives de suicide chez les adolescents de 10 à 19 ans lors de la première année de la pandémie a été similaire à celle observée l’année précédente. Néanmoins, il fut constaté que les femmes, les jeunes des localités urbaines et les personnes vivant dans des ménages où un membre de la famille avait perdu son emploi en raison du COVID-19 étaient plus susceptibles de tenter de se suicider. Par contre, assister à des enseignements en ligne s’avérait être un facteur de protection18. En Corée du Sud, alors que le suicide représente la principale cause de décès chez les adolescents, le niveau de stress élevé a diminué chez les jeunes coréens au début de la pandémie tout comme la fréquence des tentatives de suicides : 1,1 % en 2020 contre 1,5 % en 2019 chez les garçons, et 2,4 % en 2020 contre 3,8 % en 2019 chez les filles19. Au Japon, une étude a révélé que par rapport aux années précédentes, les cas de suicides avaient augmenté de fin juillet à novembre 2020 pour les femmes de tous les groupes d’âge et pour les hommes dans le groupe d’âge 20-29 ans et chez les plus de 80 ans20. Les 17. Yard et al. Emergency department visits for suspected suicide attempts among persons aged 12-25 years before and during the COVID-19 pandemic – United States, January 2019-May 2021. Morbidity and Mortality Weekly Report Centers for Disease Control and Prevention. 2021; 70: 888-94. 18. Valdez-Santiago et al. Comparison of suicide attempts among nationally representative samples of Mexican adolescents 12 months before and after the outbreak of the Covid-19 pandemic. J Affect Disord. 2022; 298: 65-8. 19. Kim SY et al. Comparison of Stress and Suicide-Related Behaviors Among Korean Youths Before and During the COVID-19 Pandemic. JAMA Netw Open 2021; 4: e2136137. 20. Eguchi et al. Suicide by gender and 10-year age groups during the COVID-19 pandemic vs previous five years in Japan: An analysis of national vital statistics. Psychiatry Res. 2021; 305: 114173. 83
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auteurs rappellent que le confinement a entraîné une augmentation du nombre de violences domestiques et en particulier à l’égard des femmes, ce qui peut expliquer les différences selon les sexes. Les méta-analyses (qui reprennent un grand nombre d’études) ne concordent pas forcément. L’une suggère une augmentation des taux pour les idées suicidaires (10,8 %), les tentatives de suicide (4,7 %) et l’automutilation (9,6 %) pendant la pandémie de COVID-19 par rapport aux taux d’événements rapportés lors des études pré-pandémiques. L’étude précise que les personnes plus jeunes, les femmes et les individus des pays démocratiques ont été les plus susceptibles aux idées suicidaires pendant la pandémie de COVID-1921. Mais une autre méta-analyse, révèle qu’au cours des premiers mois de la pandémie, dans les pays à revenu élevé et à revenu intermédiaire, le nombre de suicides est resté largement inchangé ou en baisse par rapport aux niveaux attendus sur la base des périodes pré-pandémiques22. Pour finir d’illustrer les perturbations psychologiques consécutives au COVID-19 ou au confinement, voici deux exemples de mails reçus en avril 2020. Le premier envoyé à mes collaboratrices à l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) : BREAKING NEWS : Deux employées de l’ANR responsables de centaines de milliers de morts en Afrique. Parce que deux responsables, pourtant certainement très intelligentes par ailleurs, ont obstinément refusé de transmettre un PDF de 6 pages aux autorités de leur propre pays, autorités qui auraient eu le temps d’informer leurs alliés africains, si l’avertissement avait été donné à temps (il y a une dizaine de jours). Quel effet ça vous fait d’être responsables des centaines de milliers de morts à venir sur le continent Africain ? 21. Dubé et al. Suicide behaviors during the COVID-19 pandemic: A meta-analysis of 54 studies. Psychiatry Res. 2021; 301: 113998. 22. Pirkis et al. Suicide trends in the early months of the COVID-19 pandemic: an interrupted time-series analysis of preliminary data from 21 countries. Lancet Psychiatry. 2021; 8: 579-88. 84
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Le second m’était directement adressé : Cher Monsieur Cavaillon, nous sommes le 3 avril 2020. Il est 18 heures 35 environ. Mon premier message tendait à convaincre l’Institut Pasteur d’inclure le dichloroacétate (DCA) comme molécule candidate pour lutter contre le syndrome COVID‑19, daté des samedi 28 mars et dimanche 29 mars 2020. J’ai le projet de déposer plainte en justice demain matin contre l’Institut Pasteur pour non-assistance de personne en danger. L’auteur de ce deuxième message harcela les plus hautes autorités françaises et américaines outré que personne ne prit sa suggestion au sérieux pour sauver l’humanité du COVID-19 grâce au traitement qu’il préconisait, mais renonça finalement à porter plainte. Sans induire de telles conséquences outrancières, le COVID-19 aura affecté moralement un pourcentage important de la population. Un grand nombre de personnes peuvent avoir connaissance dans leur entourage de personnes décédées après avoir contracté l’infection, mais aussi avoir été psychologiquement perturbée par le décès d’un proche sans avoir pu être auprès de lui, par le confinement, sans oublier bien sûr les conséquences économiques pour beaucoup d’entre elles. Les stigmates sur le personnel médical auront aussi été très importants, et en particulier pour les infirmières travaillant directement auprès des patients COVID-1923. Une étude menée en Grande Bretagne entre mars et avril 2021, rapporte que 56,2 % des médecins ont connu une « détresse morale » durant cette pandémie, mais ce chiffre s’élève à 88,9 % pour les médecins qui travaillaient directement avec des patients COVID-19. D’autres évoquent une « blessure morale » (68,3 %)24. 23. De Kock JH et al. A rapid review of the impact of COVID-19 on the mental health of healthcare workers: implications for supporting psychological well-being. BMC Public Health. 2021; 21: 104. 24. Abi Rimmer. Covid-19: Eight in 10 doctors have experienced moral distress during pandemic, BMA survey finds. Brit. Med. Journal. 2021; 373: n1543. 85
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LES PREMIERS MICROSCOPISTES Bien entendu la paternité de nombreuses découvertes faites grâce au microscope revient à Antonie Philips van Leeuwenhoek. Mais comme pour tout grand savant, des précurseurs ont ouvert le sillon. C’est en particulier le cas de Zacharias Jansen (1588-1632) lunetier et fabricant de lentilles de Middelburg qui, pour certains, aurait inventé le premier microscope et le premier télescope vers 1590. Sans doute le terme de microscope est-il excessif et le terme de loupe serait plus approprié. En revanche, ce qui est indiscutable, c’est la contribution de Robert Hooke (1635-1703). Formé à l’université d’Oxford, Hooke est une éminente figure de la culture scientifique britannique du xviie siècle. Polymathe incontesté, il aura contribué à faire avancer la connaissance en physique, en mécanique, en paléontologie, en géologie, en astronomie (avec une forte controverse avec Newton), en optique, et en biologie. L’alliance de ces deux derniers domaines vont permettre à Hooke d’être le premier à observer une cellule, élément constitutif du vivant. Il est le premier à construire et 87
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utiliser un microscope composé d’un assemblage de trois lentilles : un oculaire, une lentille de champ et un objectif lui permettant un grossissement d’environ 30 à 50 fois. Son ouvrage publié en 1665, contribua à sa renommée « Micrographia, ou, quelques descriptions physiologiques de corps minuscules faites au verre grossissant, avec observations et enquêtes à ce sujet » et fut un véritable « best-seller ». Il offrit de nombreuses illustrations de fossiles, de pierres, d’insectes et de plantes. L’observation d’une coupe d’écorce d’arbre lui fit proposer le terme de « cellule » pour les structures qu’il observait et qui lui rappelaient les cellules d’un nid d’abeille. La gravure d’un pou se dépliant jusqu’à quatre fois la taille du livre est particulièrement spectaculaire. Hooke traita également des planètes, des ondes de la lumière et il rassembla sa vision scientifique et philosophique du monde qu’il observait derrière l’objectif. Le microscope d’Antonie Philips van Leeuwenhoek (1632-1723) (figure 10) qui travaillait initialement comme drapier à Delft, ne donne curieusement pas le sentiment qu’un bond technologique ait été fait entre le microscope de Hooke et le sien, ou les siens puisqu’il a dû en construire plus de vingt-cinq. Néanmoins, derrière cet appareil de quelques centimètres et ses lentilles, l’œil averti de van Leeuwenhoek va aller de découvertes en découvertes. En 1675, ce sont les infusoires (des micro-organismes unicellulaires qui se développent dans l’eau), l’année suivante les globules rouges, puis en 1677, les spermatozoïdes, qui sont observés pour la première fois. À Delft, ses amis sont le célèbre peintre flamand Jan Vermeer, dont il fut l’exécuteur testamentaire, et Reinier de Graeff (16411673), aristocrate et médecin. Ce dernier recommanda les travaux de van Leeuwenhoek auprès de la Royal Society, qui dès lors publia régulièrement dans ses « Philosophical Transactions » les lettres que lui envoyait notre commerçant devenu scientifique. La consécration vint lorsque van Leeuwenhoek fut élu membre de la Royal Society en février 1680, soutenu par William Croone (1633-1684), influant médecin au sein de la prestigieuse assemblée londonienne. Sa 88
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Figure 10 | Antonie Philips van Leeuwenhoek (1632-1723) fut le premier à observer et décrire des bactéries avec son microscope. © Leeuwenhoek microscope simple (copie), Leyden, 1901-1930, Science Museum, Londres.
notoriété fut telle que tout le gotha se déplaçaient jusqu’à Delft pour observer ce monde vivant derrière ses lentilles : l’érudit Gottfried Wilhelm Leibniz, le maire d’Amsterdam Johan Huydecoper, le futur roi d’Angleterre Guillaume III d’Orange-Nassau, et même le tsar Pierre le Grand de Russie. Mais une nouvelle découverte majeure survint en 1683. Le 17 septembre 1683, van Leeuwenhoek écrivit à la Royal Society pour décrire ses observations faites sur 89
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des prélèvements de plaque dentaire faits probablement dans sa propre bouche, chez son épouse et sa fille, mais aussi à partir de deux vieillards qui ne s’étaient jamais nettoyés les dents de leur vie. « J’ai alors presque toujours vu, avec un grand émerveillement, qu’il y avait dans cette matière de nombreux très petits animalcules vivants, très joliment en mouvement ». Dans la bouche des vieillards, van Leeuwenhoek trouva « une compagnie incroyablement nombreuse d’animalcules vivants, nageant plus agilement que tout ce que je n’avais jamais vu jusqu’à ce moment. Les animalcules étaient en si grand nombre, que toute l’eau… semblait être vivante ». En 1722, van Leeuwenhoek rassembla ses observations dans son « Opera omnia, ou les secrets de la nature, révélés à l’aide d’un microscope d’une grande précision ». Dans toute l’Europe, des microscopistes vont passer des heures et des heures derrière leur oculaire pour observer ce monde microscopique et étrange, et dessiner le fruit de leurs observations afin d’en faire profiter le plus grand nombre. En France, Louis Joblot (1645-1723) est en 1680 professeur à l’Académie royale de peinture et de sculpture, où il enseigne la perspective et la géométrie. Il prononça une série de conférences sur l’optique et l’anatomie de l’œil et enseigna les principes de la vision. En 1718, il publie « Descriptions et usages de plusieurs nouveaux microscopes tant simples que composés ; avec de nouvelles observations faites sur une multitude innombrable d’insectes, et d’autres animaux de diverses espèces, qui naissent dans des liqueurs préparées, et dans celles qui ne le sont point ». Bien après sa mort, l’ouvrage fut traduit en anglais en 1746, puis réédité en 1754 et 1755, illustrant l’influence maintenue de ses travaux durant la première moitié du xviiie siècle. Heinrich August Wrisberg (1739-1808) était initialement médecin gynécologue dans la clinique de gynécologie et d’obstétrique à l’Université Georg August de Göttingen où étaient formés les sagesfemmes et les étudiants. Puis, il fut professeur d’anatomie et dirigea l’institut d’anatomie au sein de cette même université, tandis qu’il 90
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était également membre de l’Académie des sciences de Göttingen. Dans son ouvrage en latin (1765) « Observationum de Animalculis Infusoriis Satura », il introduisit le terme d’infusoires. En septembre de cette même année 1765, le savant genevois Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799) est connu tant pour ses exploits d’alpiniste que pour ses travaux de botanique et de géologie. Dans une correspondance adressée à Albrecht von Haller (1708-1777) naturaliste suisse, il fit état de sa découverte sur la division des infusoires : « Il se fait au milieu de leur corps qui est dans une espèce, un ovale fort allongé ; et dans la seconde, un ovale parfait ; il s’y fait dis-je un étranglement, qui s’augmente d’un moment à l’autre jusques à ce qu’enfin l’animal se partage en deux qui ont chacun leur volonté, et qui après un moment d’étourdissement se mêlent avec les autres »25. Cette observation est cruciale pour tous ceux qui comme Needham ou Spallanzani s’efforçaient de démontrer l’inexistence de la génération spontanée, cette idée selon laquelle la vie pouvait naitre de novo à partir de la matière inerte. John Ellis (circa 1710-1776) un naturaliste irlandais, membre de la Royal Society publia en janvier 1769 des dessins d’infusoires se divisant avec l’espoir de se voir attribuer la paternité de cette découverte, même si initialement il avait interprété ses observations comme l’accouplement de deux infusoires et non pas comme la division d’une seule. Otto Friedrich Müller (1730-1784) est un naturaliste danois qui se passionna pour les animaux microscopiques marins. Dans son ouvrage « Animacula infusoria fluviatilia et marina » (1786), il fut le premier à proposer une classification des êtres microscopiques, sur des critères morphologiques dans laquelle on peut voir un début de distinction parmi les êtres unicellulaires, mais la distinction entre les protozoaires (cellule animale comme les amibes), les protophytes (cellule végétale), les champignons (comme la levure) et les bactéries était encore dans les limbes. Comme beaucoup de microscopistes de l’époque 25. Ratcliff MJ. Genèse d’une découverte – La division des infusoires (1765-1766). Publications scientifiques du Muséum, 2016. 91
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Wilhelm Friedrich von Gleichen-Russwrum (1717-1783), biologiste à Bayreuth décrit et peint exactement d’après nature ce qu’il observe sous son microscope du monde végétal et animal. Les illustrations parues dans « Découvertes les plus nouvelles dans le règne végétal ou observations microscopiques sur les parties de la génération des plantes renfermées dans leurs fleurs et sur les insectes qui s’y trouvent » (1770) sont d’une remarquable qualité tant scientifique qu’artistique. En 1778, il développa un procédé de coloration à l’indigo et au carmin qu’il appliqua aux micro-organismes, ainsi qu’au sperme de différentes espèces animales. Il rassembla ses observations dans sa « Dissertation sur la génération, les animalcules spermatiques, et ceux d’infusions, avec des observations microscopiques sur le sperme et sur différentes infusions ». Jean-Baptiste Geneviève Marcellin Bory de Saint-Vincent (1778-1846) est un militaire, capitaine de la grande armée napoléonienne, il fut de toutes les grandes batailles, député, il fut également un explorateur en Grèce et en Algérie où il participa à des expéditions scientifiques. Il fut aussi un géographe, un géologue, un cartographe, un naturaliste, un biologiste, un botaniste qui décrivit un nouveau genre de cryptogamie aquatique, et il observa la présence d’animalcules après avoir examiné au microscope « toutes ces substances vertes qui colorent les eaux des mares et des ruisseaux, flottent à leur surface ou teignent les coquilles, les pierres et autres corps submergés ». À l’instar de Müller, il publia un « Essai de classification des animaux microscopiques » (1826). Mais malgré ses observations pertinentes au microscope, il demeura un fervent défenseur de la théorie de la génération spontanée. Andrew Pritchard (1804-1882), est un opticien londonien qui proposait à la vente microscopes et lames à observer. Entre 1830 et 1854, il publia de nombreux ouvrages relatant le fruit de ses observations au microscope, dont une « Histoire naturelle des animalcules des infusoires, contenant des descriptions de toutes les espèces connues d’infusoires, avec des instructions pour les obtenir et les visualiser ». Estimant que la religion et la 92
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science ne faisaient qu’un, il fut de nombreuses années le trésorier d’une congrégation unitarienne, la congrégation de Newington Green Unitarian Church. Pour achever cette brève revue des grands microscopistes, traversons l’Atlantique pour mentionner Joseph Mellick Leidy (1823-1891). Professeur d’anatomie à l’Université de Pennsylvanie, puis professeur d’histoire naturelle au Swarthmore College dans la banlieue de Philadelphie, il collectionnait les fossiles, et acquit sa respectabilité en tant que paléontologiste à la suite de travaux menés sur les dinosaures et sur la faune éteinte du continent Nord-Américain. En 1846, Leidy devint le premier scientifique à utiliser un microscope pour résoudre une énigme policière : un homme accusé d’avoir tué un fermier de Philadelphie avait du sang sur ses vêtements et sa hachette. Le suspect affirmait alors que le sang provenait de poulets qu’il avait abattu. À l’aide de son microscope, Leidy ne trouvant aucun noyau dans les globules rouges (En effet, à l’inverse des érythrocytes humains qui sont anucléés, les érythrocytes de poulet possèdent un noyau), conclut que les taches de sang ne pouvaient pas être du sang de poulet. Le suspect finit par avouer son meurtre. En 1875, Leidy rapportera une description précise du phénomène de phagocytose perpétué, par des amibes. À vrai dire ils furent nombreux avant lui à avoir observé le fait que des animalcules avaient la capacité de manger, d’avaler, d’internaliser, de digérer d’autres êtres microscopiques. C’est le cas de certains microscopistes déjà mentionnés comme Joblot (1718) en France, Müller au Danemark (1773), von Gleichen-Russwurm en Allemagne (1778), et en Pritchard en Angleterre (1834). Par ailleurs, cette capacité d’un animalcule d’en engloutir un autre fut également rapportée par le zoologiste allemand Johann August Ephraim Goeze (1731-1793) en 1777, et en Suisse par le médecin, anatomiste, histologiste, physio logiste, neuroscientifique et zoologiste Rudolph Albert von Kölliker (1817-1905) en 1849, et le médecin, biologiste et zoologiste Édouard Claparède (1873-1940) en 1854 qui s’illustra ultérieurement dans le domaine de la psychologie et de la psychanalyse. 93
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FERMENTATION ALCOOLIQUE L’hydromel, la bière, le vin ont accompagné les diverses civilisations depuis la préhistoire sans que pour autant les producteurs et les consommateurs n’aient une idée de la raison de la fermentation alcoolique ni de son origine. En 1680, notre champion des observations au microscope, Antonie van Leeuwenhoek décrivit et dessina les « globules » qu’il observa dans la levure de bière, sans probablement en comprendre le rôle princeps. Cent ans plus tard Adam Fabroni (1748-1816), un savant italien dans son ouvrage « De l’art de faire le vin » reconnut que c’est une matière végéto-animale présente dans le moût qui permet la fermentation, tandis que le Baron Louis Jacques Thénard (1777-1857) chimiste et professeur au collège de France affirma dans son mémoire sur la fermentation vineuse (1803) que la levure est de nature animale. Le fait que la levure soit une cellule vivante fut soutenu en 1836 en Allemagne par le grand cytologiste Theodor A.H. Schwann (1810-1882) et l’année suivante par le pharmacien et botaniste Friedrich T. Kützing (1807-1893), qui fut un des premiers à apporter une vision complète sur la levure et son rôle dans la fermentation. En France, en 1838, Pierre Jean François Turpin (1775-1840) considéré comme l’un des plus grands illustrateurs de la botanique et Charles Cagniard de Latour (1777-1859) dans son « Mémoire sur la fermentation vineuse » confortèrent cette idée. Comme de bien entendu, d’autres grands savants ne furent pas d’accord ; c’est le cas en France d’Antoine Lavoisier (1743-1794) qui décrivait la fermentation vineuse comme une simple réaction chimique entrainant la division du sucre en deux portions (alcool et acide carbonique) (1789). L’Allemagne a aussi ses opposants. Ce sont Justus Freiherr von Liebig (1803-1873) (bien connu pour une marque de soupe qui porte son nom !) et Friedrich Wöhler (18001882) qui soutenaient l’idée selon laquelle la fermentation était un processus mécanique. Ils n’avaient aucune preuve expérimentale pour réfuter la base cellulaire de la fermentation ; au lieu de cela, ils eurent recours à la moquerie et à la polémique. Ils publièrent 94
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aisément leur vision dans « Annalen der Chemie und Pharmacie » puisqu’ils en étaient les rédacteurs-en-chef ! L’estocade finale revint à Louis Pasteur (1822-1895) qui entre 1857 et 1878 aborda le sujet de la vinification et de la préparation de la bière. Sur une carte routière de 1933, on pouvait lire « Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons (Louis Pasteur) », tandis qu’il était indiqué que la moyenne de la vie humaine était de 59 ans pour un buveur d’eau et de 65 ans pour un buveur de vin (sic) ! De tels propos à une époque où le GPS n’existait pas encore et l’on se fiait aux cartes routières pour suivre son chemin, laissent aujourd’hui perplexe et expliquent peut-être pourquoi en France la mortalité routière demeura longtemps un fléau, à moins que ce ne fut l’alcoolisme. Nul doute qu’entre la pasteurisation mise au point pour permettre l’exportation des vins vers l’Angleterre et ses travaux sur la bière, Pasteur était une autorité reconnue en la matière. Et les brasseries Whitebread en Grande-Bretagne et Carlsberg au Danemark attribuèrent leur succès à la visite que leur fit Pasteur après avoir identifié qu’un microorganisme contaminait les fermentations requises pour la préparation de la bière26. À propos de la pasteurisation et du chauffage des vins pour en éliminer les germes, notons que Pasteur ne reconnut pas l’antériorité des travaux empiriques d’Alfred de Vergnette de Lamotte (1806-1886), ingénieux vicomte vigneron qui dès 1846 avait constaté que le traitement par la chaleur permettait une meilleure conservation des vins. Le brevet déposé par Pasteur date du 11 avril 1865. Pasteur et Vergnette avait en fait été précédés par Nicolas Appert (1749-1841), le père des conserves qui avait mentionné le chauffage des vins dans son ouvrage de 1831. Quant à la pasteurisation appliquée au lait, on l’a doit à Franz von Soxhlet (1848-1926) qui la proposa en 1886. Pourtant, Pasteur connut lui-même un détracteur et pas des moindres, puisqu’il s’agissait de Claude Bernard (1813-1878) (figure 11). Fondateur de la médecine expérimentale, Claude Bernard, professeur au collège de France, membre de l’Académie française et des 26. Baxter AG. Louis Pasteur’s beer of revenge. Nat Rev Immunol. 2001; 1: 229-32. 95
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LOUIS PASTEUR (1822 –1895)
CLAUDE BERNARD (1813 - 1878)
Figure 11 | L’étude de la fermentation donna lieu à un affrontement posthume entre Pasteur et Bernard. © (portrait de L. Pasteur) : Institut Pasteur / Musée Pasteur – Photo Pierre Petit ; © (Portrait de C. Bernard : tableau peint en 1861 par PierreDésiré Guillemet) : Musée Claude Bernard, Communauté d'Agglomération Villefranche Beaujolais Saône.
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académies de Médecine et des Sciences jouissait d’une immense aura. À la mort du grand savant, le chimiste Marcellin Berthelot (18271907) rassembla les dernières notes de Claude Bernard et les publia sous le titre « La science expérimentale » (1878). En ce qui concernait la fermentation on pouvait y lire : « Il en résulte que tous les phénomènes fonctionnels accompagnés de combustion, de fermentation ou de dissociation organique, peuvent s’accomplir aussi bien au dehors qu’au dedans des corps vivants ». En aucun cas Claude Bernard ne remettait en question le rôle des ferments puisqu’il écrivait plus loin : « Ces fermentations sont produites par une sorte de petit champignon microscopique, la levure du vin, ou la levure de la bière. Ce champignon décompose la matière sucrée pour s’en nourrir ; il la dédouble en alcool qui reste dans la liqueur, et en acide carbonique qui, grâce à son état gazeux, peut s’échapper dans l’atmosphère ». Mais c’est un combat d’outre-tombe que mena Pasteur ; s’adressant à son défunt opposant, il publia un ouvrage « Examen critique d’un écrit posthume de Claude Bernard sur la fermentation » (1879), affirmant urbi et orbi l’importance de la levure et des germes pour obtenir la fermentation alcoolique. Comme à son accoutumée, Pasteur assura sa propre promotion et diffusa larga manu son texte auprès de ses confrères de l’académie comme Victor Hugo ou le poète Auguste Barbier, avec bien sûr une dédicace respectueuse. Pourtant Claude Bernard reprenait sans le nommer les travaux d’un précurseur, Antoine Béchamp (1816-1908), agrégé de pharmacie, docteur en médecine, docteur ès-sciences, un chimiste exceptionnel, ayant tour à tour été professeur dans les universités de Strasbourg, de Montpellier puis de Lille. Malheureusement pour lui, Béchamp croisa Pasteur à plusieurs reprises sur son chemin scientifique, et l’oubli de l’un et la renommée de l’autre ne laissent aucun doute quant au nom du vainqueur de cette rivalité. Dans son ouvrage publié en 1867 « De la circulation du carbone dans la nature et des intermédiaires de cette circulation ». Béchamp démontre qu’il avait tout compris de la fermentation (bien avant Pasteur et mieux que lui !). Il écrit : « La substance qui opère cette transformation, je la peux isoler : je l’ai nommée 97
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zymase ». Surtout, il précise : « Les zymases sont des agents purement chimiques produits par un être vivant ; les ferments insolubles sont des êtres organisés, et leur action chimique est de l’ordre physiologique ». Encore plus injuste sera l’attribution du prix Nobel 1907 au chimiste bavarois Eduard Büchner (1860-1917). En 1897, Eduard Büchner a découvert que l’extrait de levure sans champignons de levure vivants peut former de l’alcool à partir d’une solution de sucre. La conclusion était que les processus biochimiques ne nécessitent pas nécessairement des cellules vivantes, mais sont entraînés par des substances spéciales, des enzymes, formées dans les cellules. Le terme de zymase (enzyme) créé par Béchamp est le terme même réemployé par Büchner dans ses propres travaux ! Cette injustice à l’égard de Béchamp n’est qu’une des iniquités qui auront jalonné la carrière de Béchamp, qui eut le tort d’avoir eu raison avant Pasteur, comme nous le verrons ultérieurement. Il faut dire qu’en ce qui concerne les premiers travaux de Pasteur sur la fermentation, son texte publié en 1858 est pour le moins ambigu concernant sa position à l’égard du concept de génération spontanée : « Il n’est pas nécessaire d’avoir déjà de la levure lactique pour en préparer : elle prend naissance spontanément, avec autant de facilité que la levure de bière, toutes les fois que les conditions sont favorables. Je me sers de ce mot (spontanée) comme expression du fait, en réservant complètement la question de la génération spontanée. Au contact de l’air commun la levure lactique prend naissance si les conditions de nature du milieu et de température s’y prêtent »27. Laissons la parole à Sandra Legout, responsable des archives à l’Institut Pasteur : « Dans ce mémoire il noie le poisson, d’où ce style alambiqué. Il faut se remettre dans le contexte. En 1856-1857 lorsqu’il se met à l’écriture ce mémoire il a déjà démarré ses travaux sur les fermentations depuis plus d’un an. Il est sur le départ de son poste de Doyen de la Faculté de Lille pour l’École Normale Supérieure. Il a, semble-t-il, discuté de ce sujet avec son maitre Jean-Baptiste Biot (1774-1862) qui l’a dissuadé 27. Pasteur L. Mémoire sur la fermentation appelée lactique. Ann. Chimie et de Physique. 1858; 52: 404-18. 98
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de s’engager ouvertement dans un sujet aussi polémique. Il sait qu’il va avoir besoin d’un financement pour ses recherches, financement qu’il va demander au travers du Prix Montyon de l’Académie des sciences. Il ne fait donc pas de vague. C’est ce qui explique sa non-clarté… il ne s’engage pas encore. C’est de la diplomatie scientifique. Cependant, dès qu’il obtint ce Prix, il va s’engager sans scrupule dans une controverse qu’il va étayer pendant plus de six ans contre Liebig, Pouchet, et Béchamp. C’est en 1860, lorsque l’Académie des sciences ouvre un concours pour le prix Alhumbert avec pour objectif de “proposer par des expériences bien faites afin jeter un jour nouveau sur la question des générations spontanées” qu’il se lança dans la bataille suivante. Il décrocha le prix en 1862, motivé par la notoriété et l’argent associé à ce concours. Nul doute que ce prix l’aida à sa nomination à l’Académie des Sciences en 1862, là où il avait échoué en 1857 ». En 1857, Pasteur avait été nommé administrateur de l’École Normale Supérieure (ENS) et directeur des études scientifiques, poste qu’il occupa pendant dix ans. Face à sa sévérité, son autoritarisme, son tempérament inflexible, et sa rigidité, les étudiants de l’ENS firent une marche de protestation entrainant une courte fermeture de l’école, tandis que 73 d’entre eux démissionnèrent. L’évènement nécessita l’intervention du ministre de l’Éducation, et aboutit à la démission de Pasteur de ce poste, qui fut alors nommé professeur à la Sorbonne. GÉNÉRATION SPONTANÉE ET RÉFUTATION L’idée que la vie puisse surgir de novo, spontanément, sans la participation collaborative d’autres êtres vivants, prévalut pendant plus de 2000 ans, portés en ses fonts baptismaux par une pléthore de philosophes et de savants grecs : Anaximander (611-547 av. J.-C.), Xenophane (576-480 av. J.-C.), Anaxagoras (500-428 av. J.-C.), Empedocles (495-435 av. J.-C.), et le plus célèbre d’entre eux Aristote (384-322 av. J.-C.). Les siècles s’écoulent sans que la théorie de la génération spontanée ne soit remise en question. Au xviie siècle, 99
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Jean-Baptiste Van Helmont (1580-1644), un savant né à Bruxelles qui étudia la médecine, la chimie, la physique et la physiologie, devint adepte de l’alchimie et proposa même une recette pour illustrer la véracité de l’hétérogénie, autre terme pour définir la génération spontanée. Il suffisait pour se faire de mélanger dans un conteneur en bois, une chemise sale avec de la sueur humaine et des graines de blé. En laissant le tout dans un endroit chaud et humide durant 21 jours vous découvrirez alors la présence de souris mâles et femelles capables de se reproduire et de perpétuer l’espèce. Néanmoins, ce même xviie siècle sera aussi le témoin de la première démonstration rigoureuse que la vie n’apparaît pas spontanément. Francesco Redi (1626-1697) est un érudit toscan qui exerce la médecine auprès de la famille des Médicis. Écrivain, poète et biologiste, il va être le fondateur de la parasitologie en décrivant plus d’une centaine de parasites. En 1668, il fait paraître à Florence « Esperienze Intorno alla Generazione degl’Insetti » où il rapporte ses expériences qui démontrent que l’apparition d’asticots dans de la viande exposée à l’air libre dans un bocal pendant plusieurs jours n’est pas la conséquence d’un phénomène de génération spontanée. Pour se faire il scella hermétiquement les bocaux avec de la gaze, empêchant ainsi les mouches de se poser sur la viande en putréfaction et d’y pondre leurs œufs. Au xviiie siècle, les expériences vont se succéder avec des résultats contradictoires et donc des conclusions favorables ou opposées à la théorie de la génération spontanée. Souvent basées sur la même approche, les résultats reflètent en définitive la qualité et la rigueur expérimentale. En 1718, Louis Joblot (notre microscopiste français déjà croisé précédemment) montra que les animalcules n’apparaissaient pas dans les infusions de foin si celles-ci avaient été bouillies et conservées dans un récipient stérile hermétiquement fermé. Toute la problématique résidait dans la qualité de la stérilisation et de l’obturation du flacon. Avec une approche semblable à celle de Joblot, John Needham (1713-1781), biologiste et prêtre catholique anglais arrivait à une conclusion opposée. Il fit paraître en 1745 ses « Nouvelles observations microscopiques, avec 100
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des découvertes intéressantes sur la composition et la décomposition des corps organisés », dans lesquels il estimait que les résultats de ses expériences étaient en faveur de la génération spontanée. L’idée continuait donc de prévaloir, soutenue par d’importante personnalités comme Georges-Louis Leclerc, Comte de Buffon (1707-1788). Naturaliste, mathématicien, cosmologiste et auteur encyclopédique, Buffon estimait : « Tous ces corps n’existent que par une génération spontanée, et ils remplissent l’intervalle que la Nature a mis entre la simple molécule organique vivante et l’animal ou le végétal » (1749). Soixante ans plus tard au début du xixe siècle, une autre personnalité, Jean-Baptiste Pierre Antoine de Monet, Chevalier de Lamarck (1744-1829) soutint lui aussi la théorie de la génération spontanée. Certes on lui doit le mot « biologie », la fondation du domaine de la zoologie des invertébrés, et la première théorie scientifique de l’évolution. Mais il soutint que tous les organismes se développent à partir des formes les plus simples générées spontanément, par la perfection graduelle et l’héritage des caractéristiques acquises, dans une chaîne linéaire de progression, sans relations généalogiques entre les lignées individuelles. Il mourut sans le sou, aveugle et méprisé, entouré de centaines d’exemplaires invendus de son livre en deux tomes « Philosophie Zoologique » (1809). Pourtant dès la deuxième moitié du xviiie siècle, Lazzaro Spallanzani (1729-1799), un autre abbé, enseignant la philosophie à l’université de Modène, occupait son temps libre à refaire avec rigueur les expériences déjà pratiquées par Joblot en France, et le prêtre Needham en Angleterre. Après avoir été portée à ébullition, des infusions laissées à l’air libre finissaient par se troubler alors que si les flacons avaient été dûment scellés, le liquide restait pur et transparent. En 1765, il fit paraître le bilan de ses « Observations au microscope concernant le système de la génération des sieurs Needham et Buffon ». Ce sujet passionna les intellectuels de l’époque et, comme durant la crise sanitaire du COVID-19, à défaut d’être sur tous les plateaux de télévisions qui n’existaient pas, ces derniers 101
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échangèrent avec les expérimentateurs. Ainsi Voltaire écrivit le 6 juin 1776 à Spallanzani : « Vous passez pour le meilleur observateur de l’Europe. Toutes vos expériences ont été faites avec la plus grande sagacité. Quand un homme tel que vous nous annonce qu’il a ressuscité des morts, il faut l’en croire. […] J’ai peu de jours á vivre, Monsieur, je les passerai à vous lire, à vous estimer, et à vous regarder comme le premier naturaliste de l’Europe. Continuez, je vous prie, Monsieur, d’honorer de vos bontés et de vos instructions le vieux malade de Ferney ». On doit à Spallanzani une autre contribution remarquable sur la fécondation des grenouilles. Il enfila une sorte de caleçon à des grenouilles mâles et les laissa s’accoupler. Par cette approche il démontra que la fécondation des grenouilles femelles requérait la rencontre des ovules et des spermatozoïdes. Il réussit également une fécondation in vitro et obtint des têtards. Il fut enfin le premier à pratiquer une insémination artificielle chez le chien. Louis Pasteur fut un grand admirateur de Spallanzani, reconnaissant ainsi son immense contribution à démontrer l’inexistence de la génération spontanée. Pasteur se fit offrir par Raphaël Bischoffsheim (1823-1906) banquier, philanthrope et député des Alpes-Maritimes, un tableau représentant Spallanzani composé à cette occasion par le peintre Jules Édouard, tableau qui trônait dans sa grande salle à manger. Il est un autre savant à qui Pasteur rendit hommage en lui écrivant en 1878 : « Depuis vingt ans, je parcours certains des chemins que vous avez ouverts ». Il s’agit de Theodor Schwann (1810-1882), médecin berlinois qui, en 1836, affina l’expérience de Spallanzani en ne laissant pénétrer dans la flasque qui contient l’infusion stérilisée par ébullition, que de l’air qui lui-même passe au travers d’une flamme. La même année, Franz Schulze (1815-1921), chimiste allemand, professeur d’anatomie à Rostock, Graz et Berlin enrichit l’approche expérimentale pour démontrer que l’air est vecteur de germes. En ne laissant accès à une flasque contenant une infusion végétale qui avait été porté à ébullition qu’à de l’air stérilisé par un passage au-dessus de l’acide sulfurique concentré, il démontra que la 102
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flasque restait alors stérile contrairement à une flasque pour laquelle l’entrée d’air n’était pas stérilisée. Malgré ces élégantes démonstrations, certains doctes docteurs doutaient et niaient la négation du concept de génération spontanée. C’est en particulier le cas de Félix Archimède Pouchet (1800-1872) naturaliste rouennais fondateur du muséum d’histoire naturelle de Rouen. En 1859, celui-ci publia un ouvrage intitulé « Hétérogénie ou traité de la génération spontanée basé sur de nouvelles expériences ». Une fois encore le monde scientifique et littéraire interagit, et Gustave Flaubert écrivit au leader des soutiens de la génération spontanée : Cher Monsieur Pouchet, Il y a, selon moi, quelque chose de plus désagréable à recevoir qu’une critique acerbe, c’est un éloge maladroit, or il est presque toujours maladroit quand on n’est pas du métier. Voilà ce qui m’a empêché de vous remercier, plus vite, pour l’envoi de votre beau volume. Cependant, c’est un livre si clair, si net, d’une méthode si probante et d’une telle portée que vous sortez par-là de la s pécialité et qu’il me semble que je le comprends entièrement et que j’en puis parler ! Je suis ébloui par vos démonstrations, convaincu par votre logique, entraîné par la suite de vos idées, et quelque chose en moi me dit : « Il a raison ! c’est vrai ! Ses adversaires sont des imposteurs ou des crétins ». Je ne vois pas ce que l’on peut dire contre vous maintenant. C’est là un monument inattaquable j’en suis sûr. Laissez dire ; on se cassera les dents contre votre vérité qui est la vérité ! Que d’expériences, de faits, de lecture ! Quelle érudition, quelle perspicacité, et j’ajoute (car ceci me regarde un peu) quel art ! Oui, j’admire beaucoup votre livre comme façon. Une idée étant donnée, trouver la forme qui lui est la plus adéquate, voilà le secret pour faire des chefs-d’œuvres. Vous l’avez trouvé ce secretlà. Vous menez une belle vie de savant, vous labourez profond et droit et vous laisserez un grand nom. Je vous aime depuis bien longtemps, mais je vous admire de plus en plus. Et je vous serre les deux mains avec orgueil et suis tout à vous. 103
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Quel scientifique n’aimerait pas recevoir une telle déclaration d’amour et d’admiration de son travail. Je ne sais si Flaubert aurait été prêt à se faire tatouer le visage de Pouchet sur le bras comme on le vit faire par des admirateurs du Professeur Raoult. Mais l’engouement face à une ineptie scientifique est fascinant. Un fois encore c’est Louis Pasteur qui aura le dernier mot avec la complicité d’Antoine-Jérôme Balard (1802-1876), son ancien professeur à l’École Normale. Balard n’est pas qu’une station de métro connue des Parisiens, c’est avant toute chose un pharmacien, un chimiste qui exerça initialement à la faculté des sciences de Montpellier et découvrit le brome. Il est maître de conférences à l’École Normale Supérieure quand il fit nommer Louis Pasteur comme préparateur dans son laboratoire. Il imagina le fameux ballon à col de cygne qui allait contribuer à la célébrité de Pasteur. Le ballon qui contient un milieu de culture est porté à ébullition pendant quelques minutes jusqu’à ce que la vapeur d’eau sorte par l’extrémité du col. Pendant le refroidissement, l’air aspiré dépose les poussières et les germes sur la première courbure : le liquide, bien qu’en contact avec l’air extérieur, reste inaltéré parce que les germes ne peuvent pas y pénétrer. D’autres ballons seront préparés puis ouverts dans différents lieu (le métro parisien, la mer de glace) pour parachever la démonstration que non seulement l’air contient les germes qui ensemencent les bouillons de culture, mais qu’il est des lieux où l’air est pur et exempt de germes. En 1861, Pasteur publia dans les Annales de Chimie et de Physique son article « Les corpuscules organisés qui existent dans l’atmosphère. Examen de la doctrine des générations spontanées ». D’un côté, Balard soutint les travaux de Pasteur, d’un autre côté, Pouchet persista et signa, et publia en 1864 de nouvelles expériences sur la génération spontanée. La compétition entre Pouchet et Pasteur ne prit pas à témoin le grand public comme ce fut le cas sur différents sujets liés au COVID-19. Pas d’affrontements à fleuret moucheté entre Anthony Fauci (le directeur de l’Institut national des allergies et maladies infectieuses) et Donald Trump devant toutes les 104
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télés du monde, pas d’avis éclairés de médecins sur l’hydroxychloroquine contre les avis peu inspirés mais convaincus du don de Dieu du même Donald Trump et de Jair Bolsonaro28, à l’unisson de tous les complotistes du monde. Non, il s’agissait d’un débat qui ne prenait à témoin que les honorables membres de l’Académie des Sciences qui nomma une commission pour statuer sur cette épineuse question de la génération spontanée. Pasteur est sûr de son fait : « Vous ne sortirez pas d’ici sans être convaincus que la pénétration spontanée d’êtres microscopiques est une chimère ! » (7 avril 1864). Finalement le 20 février 1865, la commission rendait son verdict en faveur de Pasteur contre Pouchet.
28. Une commission sénatoriale brésilienne, dans un document de 1 078 pages a recommandé en octobre 2021 que Bolsonaro soit inculpé pour homicide par omission, charlatanisme et crime contre l’humanité. 105
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VERS LA THÉORIE DES GERMES Le 30 avril 1878, Pasteur lut devant l’Académie de Médecine son discours sur la théorie des germes et ses applications à la médecine et à la chirurgie. On se souvient que nombre de savants avant les démonstrations de Pasteur avaient eu l’intuition que des animalcules puissent être à l’origine des maladies. Carlo-Francesco Cogrossi (1682-1769) étudia à l’Université de Padoue, et fut diplômé en philosophie et en médecine en 1701. Cogrossi pratiqua la médecine, d’abord à Padoue, où il se consacra à la dissection de cadavres et fut titulaire de la chaire de médecine à l’Université de cette ville. Il exerça également à Venise et Crema. Son œuvre principale « Nuova idea del male contagioso de buoi » (Nouvelle idée de la maladie contagieuse des bœufs) parut à Milan en 1714. Cogrossi y formula son concept de « contagium vivum seu animatum », basée sur les connaissances acquises grâce au microscope, sur la négation de la théorie de la génération spontanée, et sur les études du parasitisme. Le point de départ fut une épidémie de peste bovine qui fit des ravages 107
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en Italie de 1711 à 1714. Cogrossi estima que des êtres invisibles à l’œil nu – les animalcules de Leeuwenhoek – pouvaient être la cause de maladies hautement contagieuses, expliquant ainsi la facilité avec laquelle les maladies se transmettent d’Homme à Homme jusqu’à ce qu’elles acquièrent la physionomie réelle des épidémies. La nature vivante de l’infection lui permettait d’expliquer certaines caractéristiques fondamentales des maladies contagieuses, la sensibilité d’une espèce animale et l’immunité d’une autre à une infection spécifique ; la sensibilité de certains individus de l’espèce réceptive et l’immunité d’autres individus de la même espèce ; et la vulnérabilité d’un peuple ou d’un pays et l’immunité d’un autre peuple ou pays. Il émit l’hypothèse que la vie de l’agent contaminant dépend des conditions climatiques du pays et des habitudes d’hygiène des populations. Pour débarrasser une nation d’une maladie contagieuse, il est nécessaire d’isoler et de guérir les personnes infectées ou suspectes d’infection, et de désinfecter les effets personnels afin d’exterminer l’agent causal et ses œufs. Cogrossi tenta également d’expliquer comment un être aussi minuscule peut infliger la maladie et la mort d’un animal de la taille d’un bœuf. Il invoqua à juste titre les altérations provoquées par le microorganisme dans les liquides et les solides de l’animal infecté. Il spécula également sur les voies d’entrée de l’infection et sa transmission par les sécrétions et les excrétions de l’animal infecté. S’intéressant également à la gale et son étiologie acarienne, il fit le lien entre les coutumes des Turcs indemnes de cette affection grâce à leur habitude des bains, et justifia une fois encore l’isolement des personnes atteintes de la gale, l’hygiène des personnes et des vêtements. Les travaux de Cogrossi trouvèrent écho auprès d’Antonio Vallisneri (1661-1730), médecin toscan exerçant également à l’Université de Padoue dont les travaux constituèrent une étape importante dans la compréhension de l’étiologie des maladies infectieuses. Entre 1696 et 1715, Vallisneri publia de nombreux ouvrages en accord avec les travaux princeps de Redi contre la génération spontanée et l’origine des insectes. Il prit conscience de la contagiosité en évoquant 108
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la variolisation qui avait cours à l’époque : « On achète la variole dans toute la Lombardie ; les enfants se présentent chez le malade et peuvent, pour un quatrain (monnaie de l’époque), lui toucher la main. Ce contact suffit à leur inoculer la maladie ». Notons que Spallanzani qui, rappelons-le, fut un acteur clé dans la mise à mal de la théorie de la génération spontanée, fut l’un des élèves de Vallisneri. Nul doute que la formation médicale suivie par le slovène Marcus Antonius von Plenčič (1705-1786) dans cette même université de Padoue influença ses travaux ultérieurs menés à Vienne. En 1762, Plenčič publia son ouvrage « Opera medico-physica », où il décrivit la théorie des germes infectieux invisibles « animalcula minima ou animalcula insensibilia », responsables des maladies infectieuses. S’appuyant sur le cas de la peste bovine, il estimait qu’à chaque maladie infectieuse correspondait une espèce différente et spécifique de germes transportés par l’air. Les termes qu’il employait : « materia animata », « miasma animatum », « miasma verminosum » confirment sa conviction concernant la nature animale des microorganismes. Après la publication de son livre, Plenčič reçut le titre honorifique de professeur à la faculté de médecine de Vienne, et deux ans plus tard il fut anobli par Marie-Thérèse d’Autriche, avant d’être fait chevalier en 1770. Les infections fongiques et parasitaires sont autant d’agents contaminants qui vont offrir un terreau de réflexion pour les savants du début du xixe siècle, d’autant qu’ils sont facilement identifiables car visibles à l’œil nu. Et c’est à deux éminents entomologistes que l’on doit les premières études sur les infections des insectes. Cependant, la première observation de l’anglais William Kirby (1759-1850), considéré comme le « fondateur de l’entomologie », portait en 1799 sur la contamination du blé par cinq à six espèces différentes de champignons. Ultérieurement, il s’intéressa aux maladies des insectes et rapporta la capacité des champignons à croître au sein des insectes (1826). Agostino Bassi (1773-1856), est un entomologiste italien qui suivit les leçons de Spallanzani. En 1807, il commença à étudier 109
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une maladie touchant le ver à soie, la muscardine, durant laquelle la chenille se couvre d’une fine poudre blanche et meurt. Vingt-cinq ans de recherche lui furent nécessaires pour qu’il puisse démontrer que cette maladie est contagieuse et causée par un champignon qu’il nomma Botrytis paradoxa. Bassi fit paraître les résultats de ses recherches dans « Del mal del segno, calcinaccio o moscardino » en 1835. Plus tard, il conçut l’idée selon laquelle non seulement les maladies des insectes, mais aussi des Hommes, sont causées par des micro-organismes vivants. C’est probablement Agostino Bassi qui fut le premier à formuler la théorie microbienne des infections, sur la base de ses observations sur l’épidémie meurtrière des vers à soie suite à la muscardine. C’est à Olivier de Serres (1539-1619), pasteur protestant passionné d’agriculture, que l’on doit la mise en place des cultures de mûriers et l’élevage des vers à soie en France. En 1599, il rédige un ouvrage sur le sujet dans lequel il évoque la flacherie (ou maladies des morts-flats), en reconnaît le caractère contagieux et suggère d’éliminer les vers malades en les donnant à manger aux poules. Quant à la muscardine, elle est étudiée par Pierre-Hubert Nysten (1771-1818), un médecin franco-belge missionné par le gouvernement français pour étudier cette maladie qui ravage les élevages. Dans son rapport de 1808, où il traite de la muscardine et d’autres maladies, il en apprécie le caractère infectieux en évoquant la présence d’une moisissure en accord avec les travaux de Bassi. La muscardine fut également étudiée dès 1847 par l’entomologiste Félix Édouard Guérin-Méneville (1799-1874). Il étudia en 1849 une autre maladie, la pébrine, décrivit la présence de granules caractéristiques, et introduisit le Bombyx de l’ailante afin de remplacer la chenille atteinte alors de cette maladie. Ces granules vont être particulièrement étudiés en 1856 par Emilio Cornalia (1824-1882), directeur du muséum de Milan, et on parlera même de « corpuscules de Cornalia ». Ce dernier proposa de rechercher au microscope les vers infectés afin de les éliminer. Entre 1858 et 1862, Nicolas Joly (1812-1885), professeur de zoologie à la faculté des sciences de 110
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Toulouse, décrivit la présence « d’infusoires du genre bacterium » qu’il appela Vibrio aglaiae chez les vers malades. Malheureusement, ardent défenseur de la génération spontanée, il ne voit en ces bactéries l’effet et non la cause de la maladie. En 1859, Armand de Quatrefages (1810-1892) occupait la chaire d’anthropologie et d’ethnographie au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris quand il fut chargé par l’Académie des Sciences d’étudier les maladies qui ravageaient les élevages des vers à soie. Il conclut à une maladie constitutionnelle héréditaire. Cette conclusion erronée va fortement influencer Pasteur. En outre, Quatrefages proposa une approche pour éliminer un à un les vers qui présentent ces taches noires associées à la pébrine. En 1856, la pébrine du bombyx du murier, décime la production dans les Cévennes. La sériciculture est alors importante pour cette région de France et contribue de façon notable à l’économie locale, d’autant que la culture des muriers, l’élevage des vers à soie, la récolte des cocons, le décoconnage, le filage, le tissage et la teinture nécessitent une importante main d’œuvre. Avant l’arrivée des textiles synthétiques, la soie joue un rôle majeur dans l’économie régionale. Antoine Béchamp (figure 12) que nous avons déjà croisé à propos de la fermentation, sans soutien financier particulier pour étudier le sujet, prend la problématique à bras le corps, aidé bénévolement par son ami le chirurgien Alfred Estor (1830-1880), membre de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier. Dès le 6 juin 1865, Béchamp fit une communication à la Société Centrale d’Agriculture de l’Hérault, suggérant que la maladie était d’origine parasitaire : « J’entretins la Société centrale d’agriculture de l’Hérault de l’hypothèse que la maladie du Bombyx Mori, appelée pébrine, était parasitaire. J’ai consacré, toute l’année 1866, mon temps et mon argent, mon repos et mes veilles, à la démonstration de cette idée »29. Ce même mois de juin 1865, Jean Baptiste Dumas (1800-1884), sénateur du Gard, sollicita Louis Pasteur pour s’occuper de ce grave problème de la maladie des 29. Béchamp A. La nature parasitaire de la maladie actuelle des vers à soie et M. Pasteur : lettre à M. le Président de l’Académie des sciences. 1867. 111
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vers à soie. Dumas est pharmacien et chimiste ; en 1838, il devint titulaire de la chaire de chimie organique à la Faculté de médecine de Paris, et eut pour élève le jeune Louis Pasteur. De 1850 à 1851, Dumas fut ministre de l’Agriculture et du Commerce dans le gouvernement de Louis Napoléon Bonaparte. Se faisant octroyer d’importants subsides du gouvernement, durant quatre ans, Pasteur fera cinq séjours à Alès, résidant dans une magnanerie à Pont de Gisquet et, aidé de ses collaborateurs, il mena ses expériences dans la maison connue sous le nom de « Maison Pasteur ». Comme présenté précédemment, le sujet n’est pas vierge et de nombreux précurseurs ont déjà débroussaillé le terrain de façon assez perspicace. Pourtant, le 25 septembre 1865, Pasteur fait une communication à l’Académie des Sciences où il fait part de sa conviction qu’il s’agit là d’une maladie du sang générée spontanément chez les vers à soie, d’une maladie qu’il qualifia de génétique, intrinsèque aux vers. Bien entendu, ce n’est pas l’avis de Béchamp qui communique à l’Académie des Sciences le 17 juin 1866 comme quoi : « La pébrine, attaque d’abord le ver par le dehors, et c’est de l’air que viennent les germes du parasite. La maladie, en un mot, n’est pas primitivement constitutionnelle ». Le 27 août, devant cette même académie, il affirme que « Le corpuscule vibrant est un ferment ». Cette analyse est partagée par ÉdouardGérard Balbiani (1823-1899), entomologiste et embryologiste français. Balbiani explique devant les membres de l’Académie des Sciences que : « Les corpuscules que l’on observe dans la maladie décrite sous le nom de pébrine chez les vers à soie, ne sont pas des éléments anatomiques provenant de l’altération des parties fluides ou solides de leur économie, mais bien des Psorospermies, c’est-à-dire des espèces végétales parasitaires que l’on rencontre, en outre, chez un grand nombre d’autres insectes et articulés. À la manière de la plupart des autres parasites animaux et végétaux, ces corpuscules ne constituent une cause de danger pour la santé ou même pour la vie des individus chez lesquels ils se développent qu’à la condition de leur multiplication excessive entraînant des désordres fonctionnels graves 112
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dans les organes qu’ils ont envahis ». Mais Pasteur demeure droit dans ses bottes, toujours persuadé que la maladie est intrinsèque aux vers à soie et n’est pas d’origine infectieuse. Il persiste et signe lettres et communications et traite de fous ses concurrents. Dans une lettre à Dumas, il écrit : « Enfin je crois que ces gens-là deviennent fous. Mais quelle folie malheureuse que celle qui compromet ainsi la Science et l’Université par des légèretés aussi coupables !… ». Il abreuve de notes et de courriers tout son entregent, des personnalités locales comme Mr. Adrien Jeanjean, secrétaire du comice agricole du Vigan (Gard), et le Marquis de Bimard (à qui il conteste son texte paru dans le « Moniteur des soies »)30, son collègue à l’École Normale supérieure, le chimiste Henri Sainte-Claire Deville, et bien sûr les grands de ce monde, tout particulièrement Louis Béhic, le Ministre de l’Agriculture, du commerce et des travaux publics, le maréchal Jean-Baptiste Philibert Vaillant, Ministre des Beaux-Arts, l’impératrice Eugénie et l’empereur Napoléon III lui-même31. Il les assure de tous ses efforts pour arriver à maîtriser le problème de ce qu’il pense être une maladie constitutionnelle héréditaire et en profite pour dénigrer les travaux et les conclusions de Béchamp. Il aime à rappeler que son principal objectif a toujours été de proposer un moyen de prévention efficace (sous-entendant sans doute qu’il n’avait pas pour objectif d’identifier l’origine du fléau !). Bien sûr, ses démarches ont aussi pour but d’obtenir les subsides nécessaires pour couvrir ses séjours à Alès et les frais de ses travaux. Désiré Gernez (1834-1910) va le faire changer d’avis quant à la nature du mal. Gernez travaillait comme agrégépréparateur de physique au laboratoire de Pasteur à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm de 1860 à 1864 et eu même le privilège de passer ses vacances d’été auprès du Maître à Arbois. Gernez a 30. « Un petit chef-d’œuvre, dans son genre, où l’on voit toute la hargne de Pasteur à 1’égard d’une personne qui ne lui rend pas suffisamment hommage » (Decourt P. Les vérités indésirables. Comment on falsifie l’histoire : Le cas Pasteur, Archives Internationales Claude Bernard, 1989). 31. Cadeddu A. The heuristic function of “error” in the scientific methodology of Louis pasteur. The case of the silkorm diseases. Hist. Phil. Life Sci. 2000; 22: 3-28. 113
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rejoint Pasteur à Alès et poursuit avec le Maître les recherches sur la maladie du ver à soie pour arriver à la conclusion que la maladie était bien d’origine infectieuse. Mais une étape clé se produit en 1866 quand Pasteur découvrit une méthode pour lutter contre la pébrine : la sélection des œufs sains par le « grainage cellulaire », en définitive une approche déjà définie par Cornalia ! La technique de Pasteur de ségrégation des cocons est couronnée de succès, et c’est Pasteur qui mit un terme à l’épidémie. Cependant, ce ne fut qu’en avril-mai 1867, dans des lettres adressées à Dumas, que Pasteur admit (enfin !) le caractère parasitaire de la maladie. Qu’importe, le héros qui récolta tous les lauriers fut Pasteur. Sa statue (figure 12) fut érigée à Alès et une plaque mentionne : « Dans ce domaine de Pont Gisquet, Pasteur de 1865 à 1869 étudia la maladie des vers à soie. Il s’en rendit maitre et mérita d’être appelé le sauveur de la sériciculture ». En 1870, Pasteur publia un gros ouvrage de plus de 300 pages résumant ses études de la maladie des vers à soie dédié à l’impératrice Eugénie. Il évita d’y inclure ses communications erronées aux Académies. Ignorant les travaux précurseurs de Béchamp, il lui reprocha d’avoir proposé une approche inappropriée pour le traitement du mal par des fumigations de créosote, il s’opposa aux conclusions de Béchamp sur une autre maladie, la flacherie et se garda bien de reconnaître la vision antérieure et appropriée de son concurrent pour ce qui est de la pébrine. Le terme d’”usurpa(s)teur fut même proposé !32. En 1867, dans sa lettre au secrétaire du comice agricole, Pasteur accabla Béchamp avec un mépris discourtois : « Ce pauvre Mr Béchamp est en ce moment un des plus curieux exemples de l’influence des idées préconçues se transformant peu à peu en idées fixes. Toutes ses affirmations sont tellement de partis pris que je suis à me demander s’il n’a jamais observé plus de dix vers à soie dans sa vie ». Béchamp revendiqua à juste titre la paternité de la découverte, notamment dans une lettre au président de l’Académie des sciences. Béchamp déclara « Je suis le 32. Borgomano A. Pasteur ou l’usurpa(s)teur. C.R. Acad Sci Lett Montpellier. Séance du 26 mai 2014. 114
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Figure 12 | La pébrine fut rapidement identifiée comme infectieuse par Antoine Béchamp (1816-1908) (en haut), ce que Pasteur nia longtemps. Pourtant, c’est Pasteur qui mit un terme à cette maladie et dont une statue fut érigée à Alès. © Institut Pasteur / Musée Pasteur.
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précurseur de Pasteur, exactement comme le volé est le précurseur de la fortune du voleur heureux et insolent qui le nargue et le calomnie ». Après la mort de Pasteur, Béchamp fit paraître un opuscule intitulé : « Louis Pasteur – Ses plagiats chimicophysiologiques et médicaux – Ses statues ». En exergue, il inscrivit la citation de Désiré Nisard (18061888), homme politique, écrivain et critique littéraire français, écrite à propos de Victor Hugo, mais qu’il estimait s’appliquer exactement à Pasteur : « … Jamais à la tête, mais toujours à la suite ; jamais créateur et maître d’une idée, mais toujours à la suite ; jamais serviteur et maître d’une idée, mais toujours serviteur et héraut des idées du moment ». Dans cet ouvrage, Béchamp publia ses différentes lettres écrites en vain pour rétablir la vérité au Directeur du Petit Journal, et au directeur de La Liberté. Il y dénonçait « Le plagiaire le plus effronté du xixe siècle et de tous les siècles : c’est Pasteur » et reprochait aux journaux « de propager la légende mensongère qui fait d’un insigne plagiaire, un grand homme ». À lire Béchamp, on compatit devant autant de souffrance illustrée par des propos si acerbes : « Pasteur, grand homme, la gloire la plus pure du xixe siècle et savant indiscuté, non seulement il ne l’a pas été, mais la pure vérité est qu’il a été le savant de moins de génie, le plus simpliste et le plus superficiel de notre temps, en même temps le plus plagiaire, le plus faux, et le plus faiseur de bruit du xixe siècle », et de citer Édouard de Laboulaye (1811-1883), juriste, député, et sénateur qui lança la souscription pour la statue de la Liberté offerte à New York : « Celui qui fait le plus de bruit est le plus grand homme ou le plus grand charlatan ». Lorsque nous rappellerons les travaux de Pasteur sur la vaccination, nous verrons que les propos de Béchamp ne sont pas dénués de vérité et ont quelques raisons d’être. Malheureusement pour Béchamp, le concept de « microzyma » qu’il développa par la suite33, ne contribua 33. Antoine Béchamp. Microzymas et Microbes : Théorie Générale de la Nutrition et Origine des Ferments : à propos de la discussion sur les ptomaïnes, les leucomaïnes et leur rôle pathogénique. 1886. 116
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pas à le faire entrer dans le panthéon des héros de la microbiologie. Selon lui, toute cellule animale ou végétale serait constituée de petites particules capables, sous certaines conditions, d’évoluer pour former des « microzymas », des petits éléments autonomes qui continueraient à vivre après la mort de la cellule dont elles proviendraient. Ce qui fascine dans cette affaire des vers à soie, c’est la maestria avec laquelle Pasteur aura, transformé à partir d’une observation erronée et obstinée, et d’une erreur spectaculaire, ces cinq années d’investigations sur la maladie des vers à soie en un succès national ; comment le parisianisme et la société des académiciens l’aura emporté pour ignorer le brillant expérimentateur provincial. L’empereur fort impressionné offrit à Pasteur de séjourner dans la propriété d’Élisa Bonaparte, Grandeduchesse de Toscane, à Villa Vicentina en Italie. Ce qu’il fit durant près de huit mois. Sans doute, pour faire oublier ces errances malheureuses, le fidèle disciple, Émile Duclaux contribua à réécrire l’histoire du Maître immortel, à glorifier son travail et à construire la légende du héros national34. Même au xxie, il apparaît bien difficile de conter de façon objective l’histoire de cet emblème de la France victorieuse. Ayant plagié la technique de Cornalia, et s’étant attribué sans vergogne le succès, Pasteur sut le faire valoir ultérieurement auprès de Paul Bert (1833-1886), médecin, élève de Claude Bernard, préfet du Nord, député puis ministre de Gambetta. Ce dernier fit voter par l’Assemblée nationale le 28 mars 1874, une pension à vie de 12 000 francs or par an, transformée le 13 juillet 1883 en une pension de 25 000 francs. À vrai dire le succès fut fort partiel, car la production des cocons qui atteignait 25 000 tonnes par an en 1850 et s’était effondré à 5 000 tonnes en 1865, n’excéda jamais plus de 8 000 tonnes à la fin du xixe siècle. Dans sa notice nécrologique le journal américain « Science » écrivait : « Pasteur est considéré comme le père de la bactériologie moderne, mais il faut se rappeler qu’il n’était pas un pionnier dans ces domaines. Il n’y avait guère de problème qu’il étudiait qui n’ait été déjà reconnu, et même étudié plus ou moins par ses prédécesseurs ». 34. Duclaux E. Pasteur, Histoire d’un esprit, Paris, 1896. 117
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Comme quoi, outre-Atlantique certains n’étaient pas dupes. Le journal précisait néanmoins « D’autres ont découvert des faits, Pasteur a déterminé des lois ». Pasteur était habitué à avoir des détracteurs et des supporters. Pour ce qui est de la théorie des germes deux sommités vont s’opposer à lui : le Dr. Hermann Pidoux (1808-1882), membre de l’Académie nationale de médecine. Il mena une brillante carrière dans les hôpitaux parisiens, collaborant avec Armand Trousseau et fut le médecin de la Chambre des députés et du Sénat. En 1858, il fit paraître ses « Études sur le vitalisme organique » où il clamait que « … Les maladies incubent dans l’espèce pendant des siècles ; dans l’individu pendant des mois et des années ; elles s’y forment sourdement ». En 1876, il publia « La médecine expérimentale, sa fonction ses limites » ouvrage dans lequel il estimait que « Le caractère de la maladie est d’être faite en nous, de nous, par nous ». De l’autre côté de la Manche, Lionel Beale (1828-1906) médecin, professeur au King’s College de Londres, proposa à la place une théorie selon laquelle les germes de la maladie sont de minuscules particules dégradées dérivées directement de la dégradation du protoplasme des cellules de l’organisme malade et en fit état dans son livre « Les germes des maladies : leur nature supposée » publié en 1870 où il attaquait ceux qui croient que les agents de la contagion puissent être des bactéries. Le mot « bactérie » fut créé par Christian Gottfried Ehrenberg (1795-1876) (figure 13), un naturaliste berlinois, à partir du mot grec, bacterion qui signifie petit baton, la forme des germes observés sous son microscope. En Irlande, Pasteur eut un afficionado en la personne de John Tyndall (1820-1893) (figure 13). Après avoir été ingénieur pour une compagnie de chemin de fer, il fut professeur de mathématique dans le Hampshire avant d’étudier la glaciologie. Explorant la mer de glace, il aurait pu y croiser Pasteur ! Il eut d’ailleurs avec ce dernier plusieurs échanges épistolaires. Tyndall étudia aussi la thermodynamique et la biologie. Dans une conférence devant la Royal Institution de Londres intitulée « Brumes et Poussières » en 1870, il affirma que 118
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les médecins devaient accepter la théorie des germes de Pasteur. En 1878, Charles Sédillot (1804-1883) (figure 13) créa le mot microbe en s’appuyant sur les découvertes de Pasteur : « M. Pasteur a démontré que des organismes microscopiques, répandus dans l’atmosphère,
CHRISTIAN GOTTFRIED EHRENBERG (1795-1876)
CHARLES SÉDILLOT (1804-1883)
JOHN TYNDALL (1820-1893)
Figure 13 | Le mot « bactérie » fut créé par Ehrenberg tandis que le mot « microbe » fut introduit par Sédillot à partir des travaux de Pasteur, dont Tyndall fut un ardent défenseur de sa théorie des germes.
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sont la cause des fermentations attribuées à l’air qui n’en est que le véhicule et ne possède aucune de leurs propriétés. […] Les noms de ces organismes sont très nombreux et devront être décrits et, en partie, réformés. Le mot microbe ayant l’avantage d’être plus court et d’une signification plus générale, et mon illustre ami M. Littré, le linguiste de France le plus compétent, l’ayant approuvé, nous l’adoptons »35. Le mot fut en effet consacré par Émile Littré et fit son entrée dans l’édition de 1886 de son dictionnaire de médecine. Par contre, Pasteur continua à préférer l’emploi du terme micro-organisme. Néanmoins, le mot fut rapidement adopté. Ainsi dès l’année de son apparition, l’Abbé Moigno (1894-1884), grand vulgarisateur de la science, publia un ouvrage intitulé « Les microbes organisés ». Il y rassembla des textes de Tyndall concernant la fermentation et ses rapports avec les maladies, la putréfaction, la contagion, et les organismes de la putréfaction, et il y adjoignit le texte de Pasteur sur la théorie des germes et ses applications à la médecine et à la chirurgie. En 1881, Tyndall publia un livre de 350 pages « Essais sur la matière flottante de l’air en relation avec la putréfaction et l’infection » qui consistait principalement en des descriptions de ses propres expériences. « Du déjà vu », comme disent les anglais, des travaux de Pasteur mais approchés et proposés par un physicien. Là où il fallut plusieurs siècles pour identifier les germes responsables des diverses pathologies infectieuses, moins de deux mois auront été nécessaires pour identifier l’agent du COVID-19 après son émergence, le « severe acute respiratory syndrome coronavirus-2 » (SARS-Cov-2), en publier la séquence génétique, en connaître son récepteur et cela avant même que l’OMS ne déclara le 11 mars la survenue d’une pandémie. Incroyable accélération du temps rendue possible par une technologie de pointe performante et une communication planétaire instantanée. Mais la mort est toujours au rendez-vous des pandémies ; celle du COVID-19 comme celles du temps passé. 35. Sédillot C. De l’influence des découvertes de M. Pasteur sur les progress de la chirurgie. C R Acad. Sci. 1878; 86: 634-40. 120
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Certes, on ne meurt plus dans les rues, en bas de chez soi. On meurt dans un environnement médicalisé, bardé de tuyaux et de câbles qui vous relient à des machines, ou éventuellement abandonné dans son lit dans un EHPAD. Mais les images de morgues improvisées dans des camions réfrigérés réquisitionnés et de cimetières débordés illustrèrent que, si par chance la mortalité dues au SARS-Cov-2 est faible, elle fut suffisante pour accroître très significativement la mortalité normalement enregistrée chaque année en France. L’ANTHRAX L’anthrax ou la maladie du charbon qui s’attaque aux troupeaux d’ovins et de bovins est connu depuis l’antiquité, en Égypte comme en Chine. La description du mal fut rapportée et décrit par de nombreux médecins et vétérinaires, comme le jeune Johann Adrian Slevogt (1653-1726) qui, à 28 ans, soutint sa thèse de médecine à la faculté de Iéna sur l’anthrax pestilentiel. Cent ans plus tard, en France, Jean François Thomassin (1750-1828), alors maître de chirurgie à Dôle, publia une « Dissertation sur le charbon malin de la Bourgogne, ou la pustule maligne », ouvrage qui fut couronné par l’Académie des sciences, arts & belles-lettres de Dijon, le 14 février 1780, tandis que l’année suivante, Nicolas Chambon de Montaux (1748-1826) qui allait être nommé médecin en chef de la Salpêtrière et s’engager dans la politique, publiait son « Traité de l’anthrax ou de la pustule maligne ». En 1782, Philibert Chabert (1737-1814) est déjà directeur de l’école vétérinaire de Maisons-Alfort lorsqu’il publia son « Traité du charbon ou anthrax dans les animaux ». Mais c’est un autre vétérinaire qui au siècle suivant va jouer un rôle déterminant dans la compréhension de la maladie. Henri Mamert Onésime Delafond (1805-1861) est professeur de pathologie, de thérapeutique et de police sanitaire à l’École royale vétérinaire d’Alfort, membre correspondant de la Société royale et centrale d’Agriculture, associé honoraire de la Société vétérinaire de Londres. René Valléry-Radot, dans sa « Vie de Pasteur » écrivit : « M. Delafond montrât à ses élèves dès l’année 1838 qu’il y avait dans le 121
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sang charbonneux des petits bâtonnets, comme il les appelait, ce n’était alors pour lui et ses élèves qu’une sorte de curiosité sans importance scientifique… ». En 1848, il fit paraître son « Traité sur la maladie de sang des bêtes bovines, suivi de l’étude comparée de cette affection avec l’entérite suraiguë et la fièvre charbonneuse ». Mais Delafond n’est pas le seul à observer ces bâtonnets de charbon. En Allemagne, entre 1849 et 1857, Aloys Pollender (1799-1879), médecin à Wipperfürth en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, et Friedrich A. Brauell (18071882), professeur à l’école vétérinaire de Tartu (Estonie) observent de semblables microbes sous leurs microscopes. En 1850, Pierre François Olive Rayer (1793-1867), professeur de médecine comparée, membre des Académies de Médecine et des Sciences, fondateur de la Société de biologie, est le premier à transmettre expérimentalement la maladie d’un mouton malade vers un mouton sain ou vers un cheval, puis de ces derniers, rendus malades vers de nouveaux moutons sains qui à leur tour acquirent la maladie : « De semblables résultats ne peuvent laisser de doutes sur les propriétés septiques, très énergique, du sang des animaux atteints de sang de rate36 ». Rayer serait-il vraiment le premier à mener à bien une telle démonstration ? En fait ce n’est pas le cas ! En 1823, Éloy Barthélemy (1785-1851), vétérinaire diplômé de l’École de Lyon, est élu associé résidant de l’Académie de médecine, démontra cette même année la transmission de la fièvre charbonneuse au cheval par ingestion ou inoculation de sang infecté, mais ces premières études expérimentales furent perturbées par les résultats de quelques chercheurs, comme Bernard Gaspard (1788-1871) et Magendie, qui annonçaient reproduire les mêmes troubles par inoculation de n’importe quel produit en putréfaction. La première démonstration du lien entre une bactérie et une maladie infectieuse est faite par Casimir J. Davaine (1812-1882) (figure 14). Après ses études de médecine à Paris où il fut l’élève de Rayer à l’hôpital de la Charité, Davaine, débuta sa carrière, en exerçant la médecine de ville, et compta parmi ses patients, Marie Duplessis, la célèbre « Dames 36. Le sang de rate était un terme ancien pour qualifier l’anthrax chez le mouton. 122
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aux camélias ». Bénéficiant de la protection et de l’aide matérielle du baron Adolphe d’Eichthal (1805-1895), banquier et député de la Sarthe, il s’initia à l’expérimentation, abordant au cours de sa carrière tant la bactériologie, la parasitologie, la biologie, la botanique, que la zoologie. Il est considéré à juste titre, comme le précurseur de Pasteur37.
Figure 14 | Casimir Davaine (1812-1882) fut le premier à démontrer que des germes sont responsables d’une maladie infectieuse, en l’occurence l’anthrax.
Ami de Claude Bernard, il mena certaines de ses expériences dans sa propriété de campagne dans le Beaujolais. En 1860, il publia un livre de plus de 900 pages dédiées à son maître Rayer sur les parasites animaux : « Traité des entozoaires et des maladies vermineuses de l’Homme et des animaux domestiques ». Il fut le premier à utiliser des seringues dites « seringues de Pravaz ». Inventées par Charles Gabriel Pravaz (1791-1853), ces seringues calibrées permettaient d’injecter précisément des quantités définies du produit souhaité. Il est également le premier à montrer chez les plantes l’existence de maladies infectieuses, tant fongiques que bactériennes. Il proposa 37. Théodoridès J. Casimir Davaine (1812-1882) : a precursor of Pasteur. Med Hist. 1966; 10(2): 155-65. 123
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même un traitement en chauffant les plantes à 52 °C, une température qui tuaient les bactéries. Ses travaux expérimentaux sur l’anthrax lui vaudront son élection à l’Académie de Médecine. Après avoir décrit des corpuscules filiformes (Bacillus anthracis) dans le sang des ovins touchés par la fièvre charbonneuse, il démontra que la maladie est transférable par le sang d’un mouton malade à un lapin. Le sang du lapin contaminé pouvait à son tour contaminer un lapin sain. Il a parfaitement conscience de l’étape majeure qu’il vient d’accomplir dans la connaissance des maladies infectieuses en cette année 1863 puisqu’il déclara : « Il y a longtemps que des médecins ou des naturalistes ont admis théoriquement que les maladies contagieuses, les fièvres épidémiques graves, la peste, etc. sont déterminées par des animalcules invisibles ou par des ferments, mais que je sache aucune observation positive n’est jamais venue confirmer ces vues ». Il fut donc le premier à démontrer expérimentalement la théorie du « contagium vivum ». Il poursuivit ses études et dix ans plus tard démontra que seules des bactéries vivantes de l’anthrax pouvaient transmettre la maladie. Comme Pasteur, Davaine eut ses détracteurs, en les personnes de Émile-Claude Leplat (1826-1906) et Pierre-François Jaillard (18271883), professeurs à l’hôpital du Val-de-Grace, qui n’arrivèrent pas à reproduire ses travaux car en définitive il n’inoculait pas le bon germe ! Le célèbre biologiste et historien des sciences, Jean Rostand (1894-1977) membre de l’Académie française dit de Davaine : « On croit communément dans le public que c’est Pasteur qui a découvert le rôle de microbes dans la production des maladies infectieuses. Au vrai, cette découverte considérable ne lui appartient pas ; elle appartient à un autre savant français : Davaine. Qui, le premier, osa affirmer et sut démontrer par la méthode expérimentale qu’un organisme microscopique est l’agent responsable d’une maladie »38. Dans les œuvres complètes de Pasteur, ce dernier le mentionne à 75 reprises. L’anthrax fut un des nombreux terrains d’affrontement entre les deux leaders de la microbiologie naissante : Robert Koch (1843-1910) 38. Rostand J. Davaine. Revue des Deux Mondes. 1948; 5(20): 433-50. 124
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(figure 15) et Louis Pasteur (1822-1895). Robert Koch étudie le bacille de l’anthrax dès 1876. Pour ce faire, il bénéficia de l’aide son assistant Richard Petri (1852-1921) (figure 15) qui inventa une boite circulaire en verre pour faire des cultures bactériennes, la fameuse boite de Pétri. Aussi, R. Koch bénéficia de l’aide d’un couple de chercheurs : Angelina (Fanny) Hesse (1850-1934) née Eilshemius, à New York, illustratrice scientifique et technicienne de laboratoire non rémunérée de son mari et Walther Hesse (1846-1911), médecin, diplômé de l’université de Leipzig (Figure 16). Angelina Hesse fut la première à proposer l’utilisation de l’agar-agar comme milieu de culture pour la croissance et l’isolement des bactéries, ce qui était particulièrement difficile auparavant. Koch et Walther Hesse tentaient l’isolement des bactéries à l’aide de tranches de pomme de terre et de gélatine, sans succès. Angelina Hesse connaissait l’agar-agar par des amis de sa famille qui avaient vécu en Indonésie, où celui-ci est très utilisé en cuisine. Elle l’utilisait elle-même pour préparer des confitures et gelées car, avec, elles résistaient mieux aux températures plus élevées. Elle proposa à son mari son utilisation, qui la relaya à Robert Koch qui en reconnut immédiatement l’intérêt et l’utilisa pour isoler notamment les bacilles de l’anthrax et de la tuberculose, sans jamais créditer ni Walther, ni Angelina Hesse, malgré cette contribution absolument cruciale à la microbiologie. De son côté, Koch concevait des expériences d’inoculation utilisant des souris, des cobayes, des lapins, des chiens, des grenouilles et des oiseaux. Il observa, en accord avec les travaux de Rayer et Davaine que l’inoculation d’une souris avec du sang d’un mouton mort du charbon provoquait la mort de la souris et ce dès le lendemain. Il fut le premier en 1876 à réussir la culture du bacille de l’anthrax et à proposer des photographies de l’anthrax. De son côté, Pasteur cherchait à comprendre comment se faisait-il que des animaux continuaient à être contaminés des années après que l’éleveur eut à déplorer la mort de son cheptel emporté par l’anthrax. Il réalisa alors que les agriculteurs avaient pour habitude 125
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ROBERT KOCH (1843-1910)
JULIUS RICHARD PETRI (1852-1921)
Figure 15 | Robert Koch étudia l’anthrax, ainsi que la tuberculose dont il identifia le bacille, dit « bacille de Koch ». Il bénéficia de l’aide de ses collaborateurs pour la mise au point des milieux de culture gélosé et la fameuse boite de Petri.
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Figure 16 | Angelina Hesse (1850-1934), assistante non rémunérée de son mari, Walther Hesse (1846-1911). Elle lui fait la proposition d’utiliser de l‘agar-agar pour isoler des bactéries ; proposition qu‘il relaie à R. Koch, sans qu‘aucun des deux Hesse ne soit crédité pour leur apport. © Reproduit avec autorisation de l’American Society for Microbiology – Journals, depuis l’article « The Introduction of Agar-agar into Bacteriology. », A. P. Hitchens, M. C. Leikind, Journal of Bacteriology, Vol. 37, n° 5, 1938 ; autorisation obtenue par Copyright Clearance Center, Inc.
d’enterrer leurs animaux morts dans le terrain même où ils poursuivaient l’élevage. Pasteur retrouva les spores de l’anthrax, qui sont la forme infectante, dans le sol où elles peuvent persister pendant des dizaines d’années. Il envisagea que les vers de terre pouvaient remonter à la surface les spores enterrées avec les carcasses des animaux morts de l’anthrax. Celles-ci une fois récupérées avaient le pouvoir de tuer le cobaye de laboratoire, et, le 13 juillet 1880, Pasteur communiqua devant l’Académie de Médecine ses études sur l’étiologie du Charbon. Le duel de nos deux géants allait se poursuivre dans la recherche d’un vaccin contre l’anthrax comme nous le verrons plus loin. 127
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LA TUBERCULOSE Mais c’est indéniablement sur le thème de la tuberculose que Koch va acquérir ses lettres de noblesse et sa notoriété, empruntant un sentier que Pasteur ne va guère fréquenter. Parmi les pasteuriens, Joseph Grancher va aborder ce thème. C’est au docteur Grancher que Pasteur doit le succès de sa vaccination contre la rage puisque c’est lui qui accepta de prendre le risque de vacciner les premiers humains là où l’autre médecin travaillant auprès de Pasteur, le Dr. Roux avait refusé de le faire. Mais après s’être vu confier le service de la rage dans le nouvel Institut Pasteur, Grancher retourna à ses amours initiaux. Après avoir fait une thèse sur la phtisie, il s’occupa des enfants victimes de ce mal et créa une association pour leur venir en aide. Par ailleurs, les Drs Calmette et Guérin à l ’Institut Pasteur de Lille travaillant sur le bacille tuberculeux d’origine bovine mettront en place le fameux vaccin contre la tuberculose. Koch va donc trouver avec la tuberculose ses heures de gloire, mais aussi ses heures sombres. Au début du xxe siècle, la tuberculose était la maladie infectieuse la plus mortelle avec 150 000 morts par an en France (1926). Mais la tuberculose affectait les Hommes depuis bien longtemps et les stigmates de cette infection furent retrouvées dans des momies égyptiennes. En Grèce, Isocrate (436 av. J.-C. – 338 av. J.-C.) suspectait la contagiosité de la tuberculose. Cette même contagiosité fut reconnue par le médecin médiéval persan Avicenne (alias, Abu Ali al-Hussein ibn-Abdullah Ibn-Sina) (980-1037) tout comme par Girolamo Fracastoro qui mentionna la contagiosité de certaines maladies infectieuses dans son livre « De Sympathia et Antipathia rerum. Liber unus. De Contagione et Contagionis Morbis et Curatione »39 de 1546. Dans l’ouvrage de 1674 déjà mentionné de Gideon Harvey où le terme de pandémie apparaît pour la première fois, l’auteur consacra une partie importante de sa réflexion à la tuberculose. En 1689, Richard Morton (1637-1698) médecin anglais diplômé d’Oxford, 39. « Sur la sympathie et l’antipathie. Un livre. La contamination et les maladies infectieuses et la guérison ». 128
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décrit la pathologie des formes pulmonaires et autres de la phtisie dans son ouvrage « Phthisiologica, seu exercitationes de phthisi libris comprehensae. Totumque opus variis histories illustratum ». Il considérait que la maladie était transmissible par contact intime. Morton décrivit la gravité de la maladie chez de jeunes hommes qui étaient dans la fleur de l’âge. On estime en effet que vers 1700, la mortalité due à la tuberculose était de l’ordre de 18 %. En 1720, Benjamin Marten que nous avons déjà croisé à propos de sa théorie de « contagium vivum » décrit sa conception de la contagiosité : « Il peut donc être très probable que, par un habitué couché dans le même lit avec un patient tuberculeux, mangeant et buvant constamment avec lui, ou en conversant très fréquemment au point de prendre une partie de son souffle qu’il émet des poumons, la tuberculose puisse être captée par une personne saine… J’imagine que converser légèrement avec des patients tuberculeux est rarement ou jamais suffisant pour attraper la maladie ». Sa perspicacité est remarquable, d’autant qu’il offre des pistes pour se prémunir de la contagion. Mais les docteurs demeuraient démunis pour proposer quelque approche thérapeutique efficace. Il y avait bien l’idée que le lait pouvait aider à combattre la phtisie, mais dans son « Traité de la phtisie pulmonaire » (1782), Joseph Raulin (1708-1784), médecin ordinaire de Louis XV, combattit cette croyance qui faisait du lait un remède universel contre la phtisie. À l’inverse de ses illustres prédécesseurs, Raulin n’était pas persuadé de la contagiosité du mal. Il fit de la phtisie une maladie de langueur, consécutive à quelque mauvaise influence du milieu urbain, de l’altération de l’air, des guerres, voire du commerce colonial. Pour lui l’air atmosphérique s’insinue librement par les pores de la peau, qu’il pénètre jusqu’aux poumons et la circulation sanguine. Plus étonnante encore, eu égard à la vision de contagiosité qui avait prévalu depuis des siècles, est l’attitude de René Laennec (1781-1826). Célèbre médecin de l’hôpital Necker, il s’intéressa particulièrement aux patients tuberculeux et mit au point le stéthoscope qui lui permettait de faciliter l’auscultation et 129
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d’identifier les différentes altérations de la respiration associées avec le mal. Laennec nia farouchement la contagiosité de la tuberculose, considérant la maladie comme une tumeur héréditaire. En effet sa mère était décédée de la tuberculose alors qu’il n’avait que 5 ans. Son neveu, Mériadec Laennec, médecin lui-même, l’ausculta avec le stéthoscope que son oncle avait inventé et décela les symptômes de la tuberculose qui eurent raison de lui. Laennec décéda le 13 août 1826, alors qu’il n’avait que 45 ans, C’est à un grand médecin allemand qui a exercé à Zurich et Berlin, qui fut le médecin de Frédéric-Guillaume IV de Prusse, Johann Lukas Schonlein (1793-1864) que l’on doit le terme tuberculose. Dans son œuvre de 1839 sur les pathologies et les thérapies, il propose ce terme en lieu et place de pulmonie, phtisie, ou « consomption ». La tuberculose fera par la suite son entrée dans la littérature avec la « Dame aux Camélias », œuvre d’Alexandre Dumas fils, adaptée au théâtre ; elle fut l’occasion pour Sarah Bernardt de connaître le succès avec plus de mille représentations en France et à l’étranger. C’est un médecin militaire, hygiéniste et épidémiologiste français Jean-Antoine Villemin (1827-1892) qui va définitivement et expérimentalement démontrer la contagiosité de la tuberculose. En 1865, il exposa à l’Académie de médecine le résultat d’expériences menées chez le lapin et ses conclusions aboutirent au caractère transmissible de la maladie. Précurseur des découvertes de Koch, il démontra, l’unicité, la spécificité et la contagiosité de la tuberculose. C’est le 24 mars 1882 que Robert Koch présenta ses travaux à la Société de Physiologie à Berlin devant un parterre brillant incluant en particulier les Docteurs Virchow et Ehrlich. Il révéla qu’à partir de prélèvements effectués sur les poumons d’une jeune femme décédée de tuberculose, il venait d’identifier le germe responsable de l’infection, le fameux bacille de Koch, nommé ultérieurement Mycobacterium tuberculosis. Grâce au milieu en agar-agar sur boite de Pétri mis au point dans son laboratoire, Koch put cultiver le bacille et mener à bien des expériences d’infection chez le lapin, le 130
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chat, le chien, la souris, le cobaye, la marmotte, tandis que le poisson, la grenouille ou la tortue résistaient à ses expériences d’inoculation. Deux ans plus tard, il proposait quatre postulats, à savoir : 1) Le micro-organisme doit être régulièrement isolé lors de la maladie ; 2) Le micro-organisme doit être cultivé en culture pure in vitro ; 3) L’inoculation d’une culture pure du micro-organisme à un animal sain doit entraîner la maladie ; 4) Le micro-organisme doit à nouveau pouvoir être isolé de la maladie induite expérimentalement. La gloire Koch est à son zénith, malheureusement la suite de ses travaux sur la tuberculose vont ternir son prestige. En 1890, le dixième congrès international de médecine doit se tenir à Berlin. La forte pression du gouvernement allemand amène Koch à annoncer publiquement qu’il a découvert un remède contre la tuberculose. Il s’agit d’une substance capable d’empêcher la croissance des bacilles tuberculeux, et prévenant ainsi la maladie (figure 17). Il appela cette substance « Tuberculine » tout en gardant sa formule secrète. Il s’agissait en fait d’une culture en bouillon de glycérine qu’il utilisait pour faire pousser M. tuberculosis, qu’il évaporait ensuite au dixième de son volume à 100 °C avant de filtrer. En quelques jours, l’annonce d’un remède contre la tuberculose fut reprise dans les journaux partout dans le monde, comme par le « Scientific American » qui en fit sa une le 6 décembre 1890. « L’Univers illustré » proposa des illustrations de l’accueil triomphal de Koch et d’une séance d’inoculation du traitement. Malheureusement, en 1891, le traitement de 1 769 patients révéla que l’usage de la tuberculine était globalement inefficace : seulement 1 % des personnes participant à l’essai guérirent, 34 % des personnes ne montrèrent qu’une légère amélioration, 55 % des patients ne présentèrent pas de changement notable de leur santé et 4 % décédèrent faute d’effet du traitement. Trouver le traitement de la tuberculose demeura donc une priorité et plusieurs approches furent proposées. Ainsi en 1893, Samuel Bernheim (1855-1915), rédacteur en chef de la revue internationale de la tuberculose, écrivit un ouvrage « La tuberculose – Ses 131
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Figure 17 | Robert Koch lors d’une conférence à Londres sur la tuberculose. Gouache par F.C. Dickinson, 1901.
causes – Son traitement – Les moyens de s’en préserver ». En exergue, il afficha cette phrase : « La tuberculose, maladie du peuple, est la plus terrible faucheuse de vies humaines : elle doit être la préoccupation constante des économistes et des législateurs ». La procédure proposée par Bernheim impliquait la transfusion d’environ 200 ml de sang de chèvre aux patients probablement dans un effort de renforcer l’immunité. Cette approche fut immortalisée par le peintre Jules Adler (1865-1952) dans une œuvre, la première commande de l’artiste, intitulée « La transfusion du sang de chèvre » qui fut exposée au salon des artistes français en 189240 (figure 18). Malheureusement et sans surprise, la jeune femme que l’on voit allongée auprès de la chèvre ne survécut pas à cette approche thérapeutique. 40. Cette œuvre est aujourd’hui exposée au musée de l’histoire de la médecine à Paris. 132
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Figure 18 | Samuel Bernheim (1855-1915). « La Transfusion de sang de chèvre », Jules Adler, 1892. © Adagp, Paris, 2022.
Une autre approche tout aussi loufoque fut proposée par le Dr Francisque Crôtte (1849- ?) qui développa une machine qui générait de l’électricité statique que l’on appliquait sur le torse du malade. Il installa sa machine dans diverses villes (Paris, New York, Washington, Bruxelles, Liège, Lyon, Nice), tandis que la presse faisait état de la guérison de milliers de malades dont plus de 3 000 adressés par l’Assistance publique de Paris. À défaut de traitements, deux médecins allemands inventèrent le concept de sanatorium. Hermann Brehmer (1826-1889) diagnostiqué avoir la tuberculose se rendit sur les pentes de l’Himalaya et en revint guéri. Avec son disciple Peter Dettweiler (1837-1904), ils ouvrirent en 1876, le premier sanatorium en Allemagne, offrant repos et un air pur aux malades (figure 19). C’est dans des sanatoriums ouverts dans les campagnes françaises que Joseph Grancher envoya ses jeunes petits malades. L’air de l’île de Madère était également reconnu comme propice pour accueillir les 133
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HERMANN BREHMER (1826-1889)
PETER DETTWEILER (1837-1904)
Figure 19 | H. Brehmer et P. Dettweiler proposèrent vers 1875 les premiers sanatoriums pour acceuillir les tuberculeux, comme ici celui de Falkenstein en Allemagne.
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tuberculeux. L’île connut ainsi les derniers jours de Paul Langherans (1847-1888), un brillant anatomo-pathologiste prussien qui y décéda à l’âge de 40 ans après avoir identifié et laissé son nom à des cellules du pancréas (ïlots de Langherhans) et des cellules de la peau impliquées dans la réponse immunitaire (cellules de Langherans). Bien moins célèbre, Rose Anna Shedlock, étudiante en médecine décédait à Madère de la tuberculose à l’âge de 30 ans en 1879, un an après son mariage avec le Dr. Émile Roux. Un mariage longtemps gardé secret41. La jeune femme étudia la médecine à Édimbourg avant de fréquenter la faculté de médecine de Paris où elle a probablement rencontré Émile Roux qui était attaché au service médical militaire de l’école du Val-de-Grâce avant son renvoi en 1876. C’est également à Madère que décédait Ludmila Federovna (1868-1873), la première épouse phtisique d’Élie Metchnikoff. Il est probable que la similitude de ces deux tragédies fut un ciment supplémentaire dans l’amitié qu’entretinrent ces deux pasteuriens. Finalement, un traitement efficace de la tuberculose vit le jour avec la découverte de la streptomycine en 1946. LA COQUELUCHE « Être la coqueluche » se dit pour une personne en vogue. Si l’expression se retrouve dès le xviiie siècle, elle n’a rien en partage avec l’infection respiratoire fortement contagieuse qui affecte surtout les enfants et tuait autrefois les nourrissons. Bahaoddin-bin-GhasemBahaoddin Razi (plus connu sous le nom de Bahaodowle Razi) (?-1509) est un médecin persan du xve siècle qui est le premier à rapporter en 1502 des épidémies de coqueluche à Hérat (actuel Afghanistan) et à Shahr-e Rey (actuel Iran). Razi aborda le pronostic, les symptômes, l’étiologie et les facteurs prédisposant de la coqueluche. Il estimait qu’un agent infectieux entrait dans les poumons en raison de la pollution atmosphérique et provoquait la maladie. Il détailla la toux sèche sans expectoration, des toux consécutives et 41. McIntyre N. The marriage (1878) of Emile Roux (1853-1933) and Rose Anna Shedlock (b.c. 1850). J Med Biogr. 2008; 16: 175-6. 135
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continuelles et parfois si sévères qu’elles provoquent des vomissements, et entraînent une cyanose. Le patient apparaît alors émacié et apathique, et la maladie aboutit à la mort. Il mentionna également que les enfants sont plus atteints que les adultes. Razi proposa le gingembre dissous dans l’eau comme médicament efficace, pour réduire la mortalité. Un siècle plus tard, Guillaume de Baillou (1538-1616) était peut-être la coqueluche du royaume quand il se vit proposer par Henri IV d’être le premier médecin du dauphin ; proposition qu’il déclina. De Baillou contribua à mettre en place les bases de l’épidémiologie grâce à ses qualités de fin observateur des épidémies de peste, de variole, de diphtérie et de coqueluche. Il rassemble ses observations dans un ouvrage « Epidemiorum et ephemeridum » qui fut régulièrement réédité après sa mort. En 1578, Il fut le premier à effectuer une description clinique authentique de la coqueluche, faite sous le nom de : « tussis quintana » en référence aux quintes de toux qui ont lieu à espace régulier de cinq heures, caractéristiques des patients souffrant de coqueluche. Le terme coqueluche apparaît dès le xve siècle dans les chroniques d’Enguerrand de Monstrelet (1400-1453) sans doute en référence au mot coqueluche qui était une capuche, tandis que la maladie, outre la toux, était associée à un mal de tête intense : « Donc régnait par toutes les parties du royaume une maladie générale qui se tenait en la tête, de laquelle moururent plusieurs personnes, tant vieux que jeunes, et se nommait icelle la coqueluche ». Parmi les autres étymologies, notons qu’il a également été proposé le chant du coq et le terme coqueliner. Alors que Jules Bordet travaillait à l’Institut auprès de Metchnikoff, sa fille Simone, née le 12 avril 1900, neuf mois jour pour jour après le mariage de Bordet avec Marthe Levoz, déclara une coqueluche. Bordet fit des prélèvements dès les premiers symptômes de sa fille, mais faute d’un milieu de culture approprié, il ne put isoler la bactérie. De retour à Bruxelles, son fils Paul à son tour déclara une coqueluche. Avec l’aide de son beau-frère, Octave Gengou (18751957), ils mirent au point une gélose sur sang de mouton, avec de 136
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JULES BORDET (1870-1961)
OCTAVE GENGOU (1875-1957)
Figure 20 | À Bruxelles, les deux beaux-frères identifient et cultivent le germe de la coqueluche (Bordetella pertussis) isolé à partir de Paul, le fils de Jules Bordet lorsque celui-ci en est atteint. © Institut Pasteur / Archives Jules Bordet.
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l’amidon de pomme de terre et un antibiotique qui favorise la sélection des germes spécifiques de la coqueluche. Ils purent ainsi estimer à juste titre qu’ils étaient les premiers à avoir isolé les bactéries de la coqueluche (1906). (figure 20). Ils démontrèrent par ailleurs que les enfants convalescents avaient des anticorps neutralisants. Cette découverte et cette antériorité fut remise en question par un certain Dr. Reyher de Berlin. Dans une cinglante réponse, Bordet et Gengou démontrèrent que le germe observé par Reyher n’était en rien le germe de la coqueluche et ils conclurent leur article publié dans les Annales de l’Institut Pasteur, en écrivant : « Nous estimons en terminant cette longue discussion que les colonnes de ces Annales, notre temps et surement aussi celui de Mr Reyher, auraient pu être plus utilement employés ». L’histoire rendit crédit à Bordet en nommant cette bactérie : Bordetella pertussis. STREPTOCOQUE ET STAPHYLOCOQUE Nichés dans différents tissus, les streptocoques constituent une grande famille de bactéries qui accompagnent plusieurs pathologies humaines comme l’angine (Streptococcus pyogenes), la carie (Strepto coccus mutans), les méningites et les septicémies du nouveau-né (Streptococcus agalactiae), les otites et les pneumonies (Streptococcus pneumoniae). Le streptocoque a été identifié à plusieurs reprises : en 1869, par Victor Feltz (1835-1893) et Léon Coze (1819-1896) à partir d’une patiente décédée d’une fièvre puerpérale et dont le sang transféré à des lapins eut un effet létal ; en 1872 Theodor Billroth (1829-1894) (figure 21) mentionna la présence de chaînes de coques dans le pus d’un abcès du sein. En 1874, Billroth fit l’association de ces germes avec des infections des plaies, et en 1877, il proposa de l’appeler Streptococcus, du grec ancien « streptos » signifiant en vrille, et « kokkos » signifiant baie. En 1879, Louis Pasteur et le Dr. Édouard Hervieux de la maternité de Port-Royal (1818-1905) réitérèrent l’observation de Feltz et Coze en observant le germe dans les lochies, le sang, et le pus prélevé de l’utérus d’une jeune femme décédée de 138
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fièvre puerpérale42. En 1881 Pasteur publia une nouvelle observation à partir d’un prélèvement de salive d’un enfant de cinq ans qui allait décéder de la rage, obtenue et fournie par le Dr. Odilon Lannelongue (1840-1911), chirurgien de l’hôpital Sainte-Eugénie. Pasteur décrivit le germe, en un bâtonnet extrêmement court en forme de 8. Injecté à des lapins, ceux-ci mouraient en vingt-quatre heures, injecté à des chiens ceux-ci décédaient en quelques jours tandis que les poules et les cobayes y résistaient parfaitement.43 Concomitamment, George Miller Sternberg (1838-1915) rapporta la même observation d’un germe présent dans sa propre salive, capable de tuer des lapins qui s’avéra être l’agent pathogène de la pneumonie44. Sternberg était un médecin militaire dont les premiers travaux furent menés en paléontologie avant qu’il ne s’intéressât à la fièvre jaune. Il fut également le premier aux États-Unis à démontrer que le Plasmodium était la cause du paludisme (1885) et à confirmer les liens entre les bacilles de la tuberculose et ceux de la fièvre typhoïde avec ces infections respectives (1886). Enfin, il fut le premier scientifique à produire des photomicrographies du bacille tuberculeux. Au cours de l’épidémie de choléra de Hambourg en 1892, il fut affecté au service de la station de quarantaine de New York en tant que consultant sur la désinfection appliquée aux navires, au personnel et à la cargaison. Bien que certains cas de choléra aient atteint les côtes des États-Unis, aucun ne s’est développé dans le pays. Après des années sur les terrains militaires, il fut affecté à Washington, où il fut administrateur de la santé publique des États-Unis de 1893 à 1902. Sternberg appela son germe, Micrococcus pasteuri, puis il fut renommé Pneumococcus en 1886 par Albert Fraenkel (1864-1938), le médecin allemand qui établit que Streptococcus pneumoniae était la cause des pneumonies bactériennes. Ce médecin juif qui exerçait à Heidelberg fut démis de 42. Pasteur L. Septicémie puerpérale. Bull. Acad Natl Méd. 1879; 8: 256-60. 43. Pasteur L., Chamberland C., Roux E. Sur une maladie nouvelle, provoquée par la salive d’un enfant mort de la rage. C.R. Acad. Sci. 1881; 7: 150-5. 44. Sternberg GM. A fatal form of septicaemia in the rabbit produced by the subcutanenous injection of human saliva. Ann Rep. Natl Board Health. 1881; 3: 87-108. 139
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ses fonctions de professeur en 1933 par le régime nazi d’Hitler, et son permis d’exercer la médecine fut révoqué en 1938, trois mois avant sa mort. En 1888, en Italie, Luigi Manfredi (1861-1952), recteur de l’Université de Palerme, démontra la présence d’un effet toxique dans des filtrats stériles de streptocoques cultivés. À l’Institut Pasteur, dans le service de Metchnikoff, on étudiait aussi le streptocoque. Un des premiers à s’y intéresser en 1893 fut Vassiliy Issaevitch Issaeff (1854-1911). C’était un microbiologiste et épidémiologiste russe né à Moscou. En 1877, il acheva ses études à l’Université de Moscou et devint médecin militaire. En 1887, il se rendit à la station biologique fondée par Anton Dohrn (1840-1909) à Naples, pour effectuer des travaux en zoologie. Il prit part à une expédition autour du monde sur le navire « Admiral Nakhimoff » (1888-1891) ce qui lui permit de rapporter une grande collection d’échantillons zoologiques. De mai à juillet 1892, il suivit le Cours de Microbiologie à l’Institut Pasteur, et effectua ses travaux auprès de Metchnikoff. Après son séjour parisien, il fit une escale auprès des concurrents allemands et travailla avec Richard Pfeiffer sur l’immunité face au choléra et aborda la bactériolyse des vibrions du choléra dans l’animal sous l’action d’un immunsérum spécifique. Issaeff est sans doute un des rares scientifiques qui puisse se targuer d’avoir travaillé au sein des deux grandes écoles concurrentielles de microbiologie. Revenu en Russie, il fut nommé inspecteur médical du port de Kronstadt (une ville maritime près de St-Petersbourg), puis médecin général à l’Hôpital de cette ville. En 1898, il participa à la mise en place du « fort de la peste » à Kronstadt, qui est devenu un centre d’étude important de cette maladie en Russie. Le travail issu de son stage chez Metchnikoff portait sur une tentative de développer une immunité humorale protectrice contre le pneumocoque. Utilisant pas moins de quatre-vingt-seize lapins et plusieurs chiens, il démontra que paradoxalement les lapins vaccinés contre le pneumocoque n’acquéraient pas d’immunité contre la toxine pneumococcique tandis que l’immunité acquise impliquait la participation des phagocytes. Il décrivit un processus qui pourrait 140
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fort bien s’apparenter à l’« antibody-dependent enhancement » que l’on a craint un moment pouvoir se produire au cours de l’immunité anti-COVID-19, c’est-à-dire la contribution des anticorps à favoriser l’infection des cellules phagocytaire. Mettant en contact les bactéries et les humeurs de lapins vaccinés, il décrivit l’observation qui en résultait : « […] on voit l’enveloppe de la cellule [le phagocyte], déjà morte, se rompre sous l’influence de la pression des microbes multipliés, qui finissent bientôt par envahir tout le champ du microscope ». Toujours dans le laboratoire de Metchnikoff, Jules Bordet étudia à son tour le processus d’infection par le streptocoque (1897). Il rapporta que le streptocoque dispose de mécanismes qui lui permettent d’échapper à la phagocytose, et d’interférer avec l’activation du système du complément. De plus, il rapporta la capacité du streptocoque à survivre au sein des phagocytes et à induire une hémolyse. Il est remarquable combien les travaux menés à cette époque étaient reproductibles, alors que la non-reproductibilité est plutôt de mise de nos jours comme nous le discuterons ultérieurement. Chacune des quatre propriétés rapportées par Bordet à propos du streptocoque furent en effet confirmées entre 1984 et 2003. Au cours de leurs travaux, les expérimentateurs essayèrent en vain d’infecter soit des pigeons, soit des poules, soit d’autres oiseaux. En 1909, Solomon Strouse (18821966) de l’hôpital John Hopkins de Baltimore en découvrit la raison. La température physiologique des pigeons est de l’ordre de 41,542 °C ; une température incompatible avec la croissance du germe. En faisant chuter la température à l’aide d’une drogue, il réussit à infecter et tuer des pigeons. Une démonstration qui nous rappelle que la fièvre appartient à l’arsenal de l’immunité innée anti-infectieuse. Les Staphylocoques sont responsables d’une grande variété d’infections car ils sont naturellement présents sur la peau ou dans le nez. Ils sont souvent responsables d’infections nosocomiales qui deviennent de plus en plus graves suite à l’émergence de germes résistants aux antibiotiques. Les plus célèbres et problématiques sont les staphylocoques dorés résistants à la méthicilline, devenu un fléau 141
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hospitalier. La découverte du staphylocoque fut une fois encore une affaire essentiellement germano-française à laquelle se mêlèrent un Anglais, un Danois et un Belge. La première observation date de 1871 et fut faite par Friedrich Daniel von Recklinghausen (1833-1910), médecin anatomopathologiste, professeur titulaire de la chaire d’anatomie pathologique de l’université de Wurtzbourg avant de prendre un poste à l’Université de Strasbourg devenue allemande après la guerre de 1870. Il observa alors des germes dans un rein malade et les a appelés « micrococcus ». En 1878, Robert Koch, étudiant l’étiologie des plaies infectées, mit en évidence six types différents de bactéries capables d’induire une septicémie chez la souris. En 1880, Louis Pasteur (1822-1895) isola des staphylocoques à partir des furoncles de son collaborateur le plus proche, Émile Duclaux, et également d’une fillette de 12 ans souffrant d’une ostéomyélite (infection osseuse). La même année, Alexander Ogston (18441929) (figure 21), chirurgien et bactériologiste d’Aberdeen, étudia 88 abcès dans lesquels il dénombra une moyenne de 917 775 cellules du pus / mm3 et la présence 2 121 070 micrococci/mm3. Faisant face à un certain scepticisme de la part de ses pairs britanniques, à moins que ce ne fut des à priori des savants londoniens face à une découverte écossaise, il présenta son observation lors d’un congrès de chirurgie à Berlin et publia dans un journal allemand45. En 1882, en raison de l’apparence des germes sous le microscope, il créa le mot Staphylococcus, à partir du grec ancien staphyle qui signifie une grappe de raisin. En 1884, Friedrich Julius Rosenbach (1842-1923), médecin et bactériologiste, professeur à la polyclinique chirurgicale universitaire de Göttingen publia son travail princeps sur les infections des plaies. C’est à lui que l’on doit la distinction entre Staphylococcus aureus qui donne des colonies dorées et Staphylococcus albus qui donne des colonies branche (aujourd’hui nommé Staphylococcus epidermidis). C’est à lui aussi que l’on doit la découverte du Streptococcus pyogenes. 45. Ogston A. Über Abscesse. Archiv für Klinische Chirurgie. 1880; 25: 588-600. 142
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THEODOR BILLROTH (1829-1894)
ALEXANDER OGSTON (1844 -1929) Figure 21 | Theodor Billroth créa le mot Streptococcus (1877) et Alexander Ogston créa le mot Staphylococcus (1882).
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En 1888, Theodor Karl Gustav von Leber (1840-1917), directeur de la clinique d’ophtalmologie d’Heidelberg, fut le premier à démontrer l’existence de toxines produites par le staphylocoque. La même année, John Carl Constant Beresford de Christmas-Dirckinck-Holmfeld, alias John de Christmas (1860-1916), médecin danois bénéficia d’une bourse de l’Université pour venir travailler à la faculté de médecine de Paris auprès du Dr. Victor André Cornil (1837-1908) et à l’Institut Pasteur, dans le laboratoire d’Émile Duclaux. Il découvrit l’existence de plusieurs toxines produites par le staphylocoque dont il montra les effets lors d’injections faites à des lapins et des chiens. En 1894, Honoré van de Velde (1868-1955) créa le terme « leucocidine », en raison des potentialités toxiques d’une substance produite par des souches de Staphylococcus aureus à l’égard des leucocytes de lapin tandis que les leucocytes de chien y sont résistants. Médecin, il travailla après ses études à Louvain auprès de Joseph Denys (18571932), professeur de bactériologie et d’anatomie à l’Université de Louvain, codécouvreur avec Jules Bordet du phénomène d’opsonisation en 189546. Il démontra que des immunsérums anti-leucocidine avait un effet protecteur contre la toxicité à l’égard des leucocytes. Vers 1900, Van de Velde devint l’un des bactériologistes les plus célèbres de son temps grâce à ses recherches et à son invention d’un sérum anti-streptococcique polyvalent pour lequel il dut défendre ses droits d’invention. Il embarqua comme médecin à bord d’un navire et s’installa à Detroit et ne revint en France qu’en 1948. La leucocidine de van de Velde, fut renommée leucocidine de Panton-Valentine, du nom de Sir Philip Noel Panton (1877-1950) un pathologiste médical au London Hospital, directeur du Hale Clinical Laboratory et son directeur adjoint, Francis C. O. Valentine, suite à la parution de leur article en 1932 dans le Lancet, dans lequel ces auteurs associèrent la présence de cette toxine aux infections des tissus mous. 46. L’opsonisation est la capacité des anticorps fixés sur leurs cibles à favoriser la phagocytose de celles-ci. Bordet créa le terme de « stimuline » supplanté par le terme « opsonines » créé par Almorth Wright. 144
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LE TYPHUS En 1886, Léon Perdrix (1859-1917) préparateur agrégé dans le laboratoire de Pasteur et Adrien Loir (1862-1941), neveu de Mme Pasteur, également embauché auprès de Pasteur comme préparateur, partirent avec une cage contenant deux lapins fraichement infectés par la rage en présence du Maître. Leur objectif était d’installer à SaintPétersbourg le premier laboratoire antirabique hors de France. Ils prirent le train le 14 juillet 1886 en fin d’après-midi. Dix jours plus tard, les premiers mordus étaient traités à Saint-Pétersbourg. En 1893, Pasteur et Duclaux chargèrent Loir d’une double mission à Tunis : installer un centre de vaccination et étudier la fermentation des vins. En 1903, Charles Nicolle (1866-1936), médecin rouennais, prit la direction de l’Institut Pasteur de Tunis, institut qu’il dirigea jusqu’à sa mort et où il fut enterré (figure 22). Nicolle étudia le typhus et fit une découverte majeure. Il préleva du sang d’un patient atteint de typhus et l’injecta à un chimpanzé. Puis, de nouveau il préleva du sang du singe infecté et l’injecta à un macaque. Sur de dernier, il déposa des poux qu’il récupéra après quelque temps pour les déposer sur un nouveau macaque parfaitement sain ; et ce dernier développa le typhus. Nicolle venait de démontrer que le typhus était transmis par les poux et qu’il suffisait donc d’éliminer les poux pour éradiquer la maladie. Ce travail publié en 1919 fut récompensé par le prix Nobel de médecine ou de physiologie en 1928. Charles Nicole créa les Archives de l’Institut Pasteur de Tunis et écrivit plusieurs ouvrages consacrés aux infections dont celui déjà mentionné « Destin des maladies infectieuses » (1933) mais aussi « Naissance, vie et mort des maladies infectieuses » (1930) dans lesquels il faisait état de ses brillantes connaissances scientifiques et médicales et où il évoque sous le nom de maladies nouvelles ce qu’aujourd’hui on nomme infections émergentes. Tout grand scientifique qu’il fut, il peut se vanter d’avoir aussi été un champion de la misogynie. Il déclara par exemple : « S’il est bon, s’il n’est que juste que la femme soit considérée dans notre société comme l’égale de l’homme au point de vue de l’intelligence, de l’influence, il n’en 145
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Figure 22 | Charles Nicolle (1866-1936) découvre le rôle de la tique dans la transmission du typhus et écrit plusieurs livres sur les maladies infectieuses. © Institut Pasteur / Archives Société de Pathologie Exotique.
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n’est pas moins exact que la femme n’est pas l’homme […] Les médecins doivent proclamer bien haut qu’une femme n’est réellement femme que lorsqu’elle a eu des enfants […] En retardant de reconnaître des droits électoraux à la femme, la France donne la preuve qu’elle n’a pas cessé d’entendre la voix du bons sens […] Ce qui importe c’est que la femme comprenne que sa place est au foyer, au centre de son action physio logique, qu’elle peut tout et ne gagne rien à concurrencer l’homme dans les charges que lui seul est capable de mener […] La crise universelle de chômage se trouverait allégée, peut-être même supprimée, si les femmes n’étaient point les rivales de l’homme aux ateliers, aux usines. Ce n’est pas là leur place ». Oh, la place des femmes au sein de la communauté scientifique ne s’est pas faite aisément. Voilà ce qu’écrivait Pasteur le 16 novembre 1855 au recteur de l’université de Lille : « J’ai l’honneur de vous proposer de ne plus admettre les dames aux cours de sciences de la faculté […] je n’ai pas besoin d’insister longuement, Monsieur le recteur, sur les inconvénients qui peuvent résulter de la présence des dames à ces leçons. Je ne vois d’ailleurs aucune raison qui milite en faveur de leur admission. Si leur nombre devenait important, elles pourraient provoquer un abaissement sensible du niveau de l’enseignement. Leur présence est à chaque instant gênante dans le cours d'histoire naturelle ». LA SYPHILIS Maladie sexuellement transmissible par excellence, elle n’épargna ni les humbles ni les célébrités. Parmi ses victimes, citons François 1er, qui s’est éteint à 53 ans, Franz Schubert décédé à 31 ans, ou Guy de Maupassant, mort à Paris à l’âge de 43 ans, tandis que d’autres écrivains : Baudelaire, Rimbaud, Flaubert, Feydeau, Karen Blixen, des musiciens : Mozart, Beethoven, Paganini, des peintres : Gauguin ou Toulouse-Lautrec, ou des hommes politiques, Lénine, Mussolini et Staline en furent atteints. En 1926 avec 140 000 morts par an la syphilis est en France la deuxième maladie infectieuse mortelle après la tuberculose. À en croire Joseph-Alexandre Auzias-Turenne (1812-1870) que nous recroiserons à propos de la syphilisation : « Si 147
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l’on persistait à vouloir considérer la syphilis comme un châtiment du ciel, ce châtiment serait surtout infligé aux innocents et à leurs descendants ». Syphilis est le nom créé par Fracastoro pour nommer un beau berger qui se voit devenir disgracieux suite à une maladie que lui inflige Apollon. Dans son ouvrage publié en 1530 « Syphilis Sive Morbus Gallicus » (Syphilis, ou la maladie française) notre savant poète y décrit les signes de la maladie, les troubles qu’elle cause, analyse les modes de transmission par contagion, et propose quelques remèdes efficaces. Plus de trois siècles plus tard, à Marseille Auguste Barthélemy (1796-1867), un poète satirique français écrivit de nouveaux poèmes intitulés Syphilis (figure 23). L’origine de la syphilis reste encore source de controverses. Pour certains, Christophe Colomb l’aurait ramenée dans ses caravelles en 1493 et le mal se serait répandu en Europe suite aux guerres menées en Italie par Charles VIII, roi de France, aidé par des mercenaires espagnols. Les Italiens vont dénommer la syphilis le « mal français », les Français vont parler de « mal napolitain ». Pour d’autres, la syphilis et ses stigmates existaient déjà en Europe, avant le retour des hommes de Colomb, à en croire des analyses faites sur des squelettes récupérés dans un couvent en Angleterre et datés au radiocarbone de 1300 à 1450 après J.-C. Enfin, il fut aussi rapporté des signes de syphilis congénitale sur des corps retrouvés à Pompéi. Cependant ces informations n’ont jamais vraiment été évaluées par les pairs47. Par contre, un article plus récent documente de possibles preuves squelettiques de la syphilis congénitale à l’ère médiévale (xiie et xiiie siècle de notre ère). L’analyse porte sur un crâne d’un enfant d’environ huit ans provenant d’une sépulture sur le site de Medinaceli dans la province de Soria au centre-nord de l’Espagne. Il s’agit d’une altération dentaire due à la syphilis congénitale, au traitement au mercure ou à une combinaison des deux. Malheureusement, l’absence du 47. Armelagos GJ, Zuckerman MK, Harper KN. The Science behind Pre-Columbian Evidence of Syphilis in Europe: Research by Documentary. Evol Anthropol. 2012; 21: 50-7. 148
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Figure 23 | Auguste Barthélemy (1796-1867) écrivit de nouveaux poèmes sur la syphilis après ceux de Girolamo Fracastoro qui créa le mot syphilis (Illustration de A. Belin, Les deux visages de l’amour, 1851).
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reste du squelette rend difficile le diagnostic définitif de la syphilis48. C’est en Allemagne, à la clinique de la Charité de Berlin en 1905 que le germe responsable de la syphilis fut identifié par le zoologiste Fritz Schaudinn (1871-1906), et le médecin Erich Hoffmann (18681959) (figure 24). L’organisme prélevé d’une papule de la vulve d’une patiente atteinte de syphilis secondaire est un spirochète spiralé, appelé Treponema pallidum.
Figure 24 | Fritz Schaudinn (1871-1906), et Erich Hoffmann (1868-1959), les découvreurs du tréponème, l’agent pathogène de la syphilis.
MALADIES INFECTIEUSES ET FOLIE La syphilis présente plusieurs étapes de la maladie. La plus grave, la neurosyphilis fut rapportée en 1822 par le médecin français Antoine Laurent Bayle (1799-1858), spécialiste des maladies mentales. Il décrivit l’état de délires, de manies et de démence pouvant aboutir à une paralysie générale. En 1857, Johannes Friedrich August 48. Gómez-González S, de Togores Muñoz CR, González-Garrido L. Congenital syphilis or mercury treatment: dental alterations in a twelfth- or thirteenth-century child from Medinaceli, Soria, Spain. Homo. 2020; 71(1): 51-61. 150
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von Esmark (1823-1908), professeur de chirurgie à l’université de Kiel, et Peter Willers Jessen (1793-1875), un célèbre psychiatre exerçant également à Kiel, réputé jusqu’en Scandinavie, et possédant plusieurs cliniques psychiatriques, suggérèrent un lien entre la syphilis et ces formes de paralysie. L’origine syphilitique de ces maladies psychiatriques n’a été pleinement acceptée qu’à partir de 1913, lorsque Hideyo Noguchi (1876-1928), un bactériologiste japonais, découvrit la présence de l’agent pathogène de la syphilis dans le cerveau d’un patient atteint de paralysie générale. Ses approches d’inoculation du Tréponème à de jeunes orphelins firent polémique, et à la suite de ses travaux, un comité d’éthique fut créé demandant qu’une autorisation soit fournie par les volontaires ainsi injectés. Néanmoins, en 2004, son portrait figura sur le nouveau le billet de 1 000 yens de la banque du Japon, devenant ainsi le premier scientifique japonais à être honoré de cette façon. Quelques années plus tard entre 1918 et 1921, un médecin neurologue et psychiatre viennois, Julius Wagner-Jauregg (1857-1940) proposa une méthode originale pour traiter la neurosyphilis. Initialement, il avait remarqué que des épisodes fébriles chez les patients étaient associés à une diminution de leur psychose. Il proposa alors l’usage de la fièvre (pyrothérapie) pour traiter les formes paralysantes de la neurosyphilis. Sachant que le paludisme est associé à de fortes élévations de la température, sachant qu’un traitement, la quinine, existe contre le paludisme, et bénéficiant du retour de soldats atteints de paludisme du front des Balkans, il inocula délibérément du sang infecté à ses patients. Il annonça avoir traité plus de 150 patients de cette façon. Environ la moitié de toutes les personnes ainsi traitées guérirent, tandis qu’environ 15 % décédèrent du paludisme ! Néanmoins, la malariathérapie fut reconnue et adoptée par le corps médical comme une approche thérapeutique contre la démence paralytique associée à la syphilis. Malgré un résultat clinique quelque peu discutable, il reçut le prix Nobel de Médecine ou physiologie en 1927. Peu de temps avant sa mort il demanda son adhésion au parti nazi qu’il se vit refuser du fait 151
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que sa première femme était juive. En 1949, son portrait figurait sur les billets de 500 schillings autrichiens. À l’heure où l’on déboulonne les statues en revisitant l’histoire avec l’éclairage du xxie siècle, il est cocasse de constater que des billets de banque pourraient aussi être remis en question. Pour illustrer que le comité Nobel ne fut pas toujours bien inspiré, citons également le prix qu’il attribua en 1949 au neurologue portugais António Egas Moniz (1874-1955), commandeur de la légion d’honneur, pour son développement de la très discutable lobotomie préfrontale, une procédure pratiquée chez les malades mentaux, atteints de schizophrénie, d’anxiété et de dépression. Moniz avait émis l’hypothèse que l’élimination chirurgicale des fibres de matière blanche du lobe frontal améliorerait la maladie mentale. Moniz ne pratiqua jamais lui-même d’intervention chirurgicale, en partie à cause de son manque de formation en neurochirurgie, mais aussi parce qu’il souffrait d’une goutte sévère qui altérait l’usage de ses mains. Moniz rapporta un total de sept guérisons, sept améliorations et six cas inchangés. Cependant, on commença à se demander si en fait les effets d’une lobotomie n’étaient pas pires que la maladie qu’elle prétendait guérir. Indiscutablement plus gérables après la lobotomie, les patients lobotomisés se retrouvèrent avec des changements irréversibles dans leur personnalité et furent même décrits comme des invalides mentaux ou des « zombies baveux ». Moniz fut critiqué pour avoir minimisé les complications, avoir fourni une documentation inadéquate et avoir proposé un suivi inapproprié de ses patients. Malgré de telles critiques, les lobotomies devinrent un pilier du traitement psychiatrique, jusqu’à l’avènement des médicaments antipsychotiques dans les années 1960. Les lobotomies tombèrent alors rapidement en disgrâce. En 1939, Moniz fut confiné à un fauteuil roulant après avoir été victime d’un patient schizophrène qui tira sur lui. Premier prix Nobel portugais, son portrait figura en 1989 sur un billet de 10 000 escudos. S’il est une infection qui entraîne des modifications de comportement, c’est bien la rage. D’ailleurs la déesse grecque Lyssa 152
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incarnait tant la folie et la fureur chez les humains que la rage chez les animaux. La rage est connue depuis des temps immémoriaux. En Mésopotamie, le codex d’Eshnunna (1930 av. J.-C.) en fait mention, requérant de confiner les chiens enragés. En Égypte, un hiéroglyphe montre un homme qui a été mordu par un chien présentant les signes de folie associés à la rage. Celsus, philosophe grec du iie siècle, a écrit sur la rage. À l’époque, les Grecs comprenaient qu’il s’agissait d’une maladie transmise à d’autres par le « venin » présent dans la salive infectée. François Boissier de Sauvages (1706-1767) médecin, botaniste, et auteur prolifique, s’intéressa aux folies, classant parmi les bizarreries, la polydipsie (une soif excessive), la panophobie (une crainte anxieuse suscité par des objets anodins), le satyriasis (état permanent de désir sexuel), la nymphomanie et l’hydrophobie ou rage sur laquelle il consacra un ouvrage « Dissertation sur la nature et la cause de la rage, dans laquelle on recherche quels en peuvent être les préservatifs et les remèdes » (1769). Au xviiie siècle, la rage est devenue l’une des maladies les plus surdiagnostiquées. La maladie de Carré chez les chiens ou la simple hystérie chez les humains, étaient confondues avec la rage. Ce phénomène de surdiagnostic s’est avéré une aubaine pour les charlatans et la vente de médicaments miracles à des fins thérapeutiques. Il est néanmoins exact que le virus de la rage circule le long du système nerveux périphérique pour attaquer le système nerveux central et les chiens fous étaient la terreur des paysans au xixe siècle. Attaquant le système nerveux central, la malheureuse victime subit des accès d’excitation incontrôlée, des mouvements involontaires, de la manie, de la dépression et une peur de l’eau… d’où le terme d’hydrophobie qui était alors donné à la rage. La mort était presque inévitable. La maladie de Creutzfeldt-Jakob ou vache folle, ou encéphalopathie spongiforme bovine, est due à un agent infectieux très particulier que l’on nomme prion, responsable d’une profonde altération du système nerveux central qui entraine la mort des bovins. Une 153
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maladie très proche, la tremblante du mouton était connue depuis le début du xviiie siècle. Une épidémie affecta particulièrement la Grande-Bretagne dans les années 1990 faisant quelques 177 victimes humaines. Dans les cerveaux des malheureuses victimes le prion s’accumule. On se souvient de l’affaire de l’hormone de croissance qui fit en France 120 victimes consécutivement à leur contamination par le prion présent dans les préparations de l’hormone faites à partir des hypophyses de cadavres dont l’origine était pour le moins douteuse. La maladie porte le nom des deux neurologues allemands qui la caractérisèrent, Hans Gerhard Creutzfeldt (1885-1964) et Alfons Maria Jakob (1884-1931) (figure 25).
Figure 25 | La maladie de Creutzfeldt-Jakob doit son nom aux deux médecins allemands qui la décrivirent, Hans Gerhard Creutzfeldt (1885-1964) et Alfons Maria Jakob (18841931).
Quant à Stanley Ben Prusiner (1942-), il lui revient d’avoir découvert en 1982 cette nouvelle forme d’agent contaminant qui n’est pas un germe mais cette protéine, nommée prion (Proteinaceous Infectious particle) qui impose sa conformation tridimensionnelle anormale 154
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aux protéines normales présentes dans les cellules nerveuses. Pour cette découverte, il reçut le prix Nobel en 1997. Est-il besoin que le pathogène atteigne le cerveau pour que des dérèglements comportementaux apparaissent ? Le COVID-19 est connu pour entraîner des pertes de l’odorat et du goût suite à son action cytopathogène sur l’épithélium de la sphère oto-rhino-laryngée, mais le virus semble pouvoir aussi cibler les cellules nerveuses, et a été retrouvé dans le système nerveux central de modèles animaux, comme chez le hamster49. D’un autre côté, la crise mondiale du COVID-19 a entrainé nombre d’altérations du comportement. LES INFECTIONS PARASITAIRES Parmi les maladies parasitaires, le paludisme est probablement la plus connue. Celle-ci est également connue sous le terme de malaria, issu de l’italien mala aria (mauvais air) en référence aux miasmes qui émanaient des eaux stagnantes des marais que les anciens rendaient responsables de cette maladie qui accompagne l’humanité depuis des lustres. Parmi ses victimes célèbres, on compte Toutankhamon, Alexandre le Grand, Gengis Khan, Philippe II roi d’Espagne, Édouard IV d’Angleterre, les papes Jean XV, Grégoire V, Damase II, Léon X et Urbain VII, ou encore Lord Byron, Dante et Le Caravage. En effet il n’était pas nécessaire de vivre ou de voyager dans des pays exotiques pour en être victimes. Car sans doute a-t-on oublié que dans les siècles passés, le paludisme sévissait en Europe. Néanmoins, si pour les Français et les Anglais, il s’agissait principalement d’une maladie tropicale sévissant dans les colonies, pour les Italiens, il s’agissait bien là d’une maladie endémique, responsable à la fin du xixe siècle de 2 millions de cas par an, et de 15 à 20 000 morts. Des cartes d’Italie étaient régulièrement publiées indiquant la distribution du mal, du centre au Sud du pays, en Sicile 49. De Melo GD et al. COVID-19-related anosmia is associated with viral persistence and inflammation in human olfactory epithelium and brain infection in hamsters. Sci Transl Med. 2021; 13: eabf8396. 155
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et en Sardaigne. En 1899, il fut même publié une carte qui indiquait les lignes des voies de chemin de fer où on avait de fortes chances de contracter le paludisme50. En 1709, Giovanni Maria Lancisi (1654-1720), médecin italien des papes Innocent XI, Innocent XII, et Clément XI mit à profit ses connaissances en épidémiologie et en géographie : il établit une corrélation entre la présence de moustiques et la prévalence du paludisme, et préconisa la lutte contre les eaux stagnantes, lieu de reproduction des moustiques. Pour Lancisi, ces derniers véhiculaient le poison originaire des eaux infestées des marais. La découverte de l’agent du paludisme fut accomplie par Alphonse Laveran (1845-1922), médecin militaire alors en poste en Algérie (figure 26) : « Le 6 novembre 1880, j’examinais le sang d’un malade en traitement pour la fièvre intermittente à l’Hôpital militaire de Constantine, lorsque… Je constatai pour la première fois l’existence de filaments mobiles qui adhéraient aux corps pigmentés et dont la nature animée n’était pas douteuse. J’eus à ce moment même l’intuition que j’étais en présence des véritables microbes du paludisme ». Laveran est le fils du directeur de l’École de médecine militaire du Val-de-Grâce. Il fit ses études médicales à l’École du service de santé militaire à Strasbourg et durant la guerre de 1870, il fut affecté aux ambulances de l’armée de l’Est. Après avoir été nommé professeur agrégé des maladies et épidémies des armées, en 1878, il fut nommé en Algérie à l’Hôpital militaire de Bône, où il initia ses études sur le paludisme, avant de découvrir l’hématozoaire du paludisme, Plasmodium falciparum qui se loge au sein des globules rouges. Revenu à Paris comme professeur d’hygiène militaire à l’École du Val-de-Grâce, il ne put obtenir de l’Armée un poste qui lui aurait permis de poursuivre ses recherches, aussi demanda-t-il sa mise à la retraite, et entra en 1897 comme chercheur bénévole à l’Institut Pasteur et travailla auprès de Félix Mesnil (1868-1938). En 1898, il publia le « Traité du paludisme », puis après s’être intéressé 50. Capanna E. Battista Grassi: a zoologist for malaria. Contributions to Science. 2006; 3: 187-95. 156
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Figure 26 | Alphonse Laveran (1845-1922) découvre le plasmodium dans les globules rouges, responsable du paludisme. © Institut Pasteur / Musée Pasteur – photo Eugène Pirou.
aux relations entre les anophèles et le paludisme il publia en 1903 « Anophèles et paludisme ». En 1907, il recevait le prix Nobel pour sa découverte, cinq ans après Sir Ronald Ross qui en 1902 se voyait attribué le deuxième prix Nobel décerné en Médecine ou physiologie. Ce sont deux professeurs romains de médecine, parasitologues, Ettore Marchiafava (1847-1935), et Augusto Celli (1857-1914) qui, initialement perplexes face à la découverte de Laveran, croyant que l’infection était bactérienne, finirent par reconnaître le bien-fondé de la découverte et proposèrent le nom de Plasmodium au parasite responsable du paludisme. Restait à comprendre comment ledit Plasmodium se retrouvait chez son hôte. Camillo Golgi (1843-1926), professeur de pathologie à l’université de Pavie, prix Nobel 1906 pour ses études de la structure du système nerveux, associa les épisodes fébriles à des phases du cycle 157
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du plasmodium. Un médecin écossais, Sir Patrick Manson (18441922) qui travailla en Chine plus de vingt ans, avait démontré en 1879 que la filariose était due à un ver, la filaire de Bancroft (Wuchereria bancrofti) transmise par la piqûre d’un moustique du genre Culex. Aussi suggéra-t-il qu’un moustique de ce genre était également impliqué dans le paludisme. Il imagina que les parasites libérés dans l’eau par des moustiques morts étaient transférés aux humains qui buvaient l’eau contaminée. Manson entretint une riche correspondance avec son jeune protégé Ronald Ross. On a connaissance de 173 lettres, dans lesquelles Manson suivait et guidait régulièrement les progrès de Ross dans son étude du paludisme qu’il menait en Inde. En effet, en 1897, Sir Ronald Ross (1857-1932), né aux Indes, fils d’un général de l’Armée Impériale britannique, lui-même médecin de l’Armées des Indes, étudia le paludisme chez les oiseaux. Il rendait responsable un moustique d’une nouvelle espèce, un moustique gris aux ailes pommelées, une description bien loin de la nomenclature linnéenne, maîtrisée par son concurrent italien, le zoologiste Battista Grassi. En 1898, Ronald Ross lâcha dix moustiques gris dans une cage contenant trois alouettes dont le sang regorgeait des germes du paludisme. Les dix moustiques piquèrent ces alouettes et se gorgèrent du sang d’alouette. Trois jours plus tard, Ronald Ross observait que le microbe du paludisme des oiseaux se développait dans l’estomac du moustique gris sous forme d’oocytes. Ronald Ross publia sa découverte en 1899 dans les Annales de l’Institut Pasteur. Le comité Nobel discuta longtemps de son choix d’attribuer son prix pour cette découverte, car un autre scientifique, Batista Grassi, avait toutes les raisons d’être sur les rangs. Malheureusement pour lui, le comité demanda à Robert Koch de l’aider à trancher. Mais la neutralité du savant allemand ne fut pas au rendez-vous. En effet, une rencontre préalable entre Koch et Grassi n’avait pas été des plus harmonieuses, d’autant que Koch pensait alors que les jeunes moustiques héritaient de leur mère la présence du parasite. Qui plus est, dès 1900, Ross avait mené une campagne diffamatoire contre 158
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ses concurrents italiens, clamant son antériorité dans la découverte de la transmission du paludisme, traitant Grassi d’usurpateur, de voleur, de charlatan. Pourtant les travaux de Batista Grassi, concomitants aux travaux de Ross constituait une démonstration magistrale du rôle du moustique dans la transmission du paludisme chez les humains, et pas seulement chez les oiseaux. Batista Grassi (18541925), né près de Milan, fit ses études médicales à l’Université de Pavie. Il travailla un temps à la station de zoologie de Naples, puis à la station océanographique de Messine avant de compléter sa formation à l’Université d’Heidelberg. Nommé professeur de zoologie à l’Université de Catane, il commença dès 1888 à étudier le paludisme chez les oiseaux. En 1890 il publia une monographie en allemand dans laquelle il décrivait le cycle paludéen chez différentes espèces d’oiseaux, comme le hibou, le pigeon et le moineau. Grassi rapporta que les différentes espèces d’oiseaux étaient parasitées par différentes espèces de protozoaires ; c’était cinq ans avant que Ross ne porte son attention sur l’étude du paludisme chez les oiseaux en Inde ! En 1895, Grassi fut nommé professeur d’Anatomie comparée à La Sapienza, à Rome. L’année suivante, la Royal Society de Londres lui décerna la prestigieuse Médaille Darwin pour ses travaux sur les termites et les anguilles menés parallèlement à ses travaux sur les vecteurs du paludisme. Grassi constata : « Il y a des endroits où on trouve des moustiques et où il n’y a pas de paludisme, mais partout où sévit le paludisme, il y a des moustiques ». Restait à identifier avec certitude l’insecte incriminé parmi les deux douzaines d’espèces sévissant en Italie, le fameux zanzarone comme il s’appelle en italien. Grassi avec sa formation de zoologiste, et ses connaissances de la répartition géographique des espèces hématophages, vint finalement à identifier trois espèces suspectes de la transmission palustre : Anopheles claviger et deux espèces de Culex. Il communiqua ce résultat à l’Académie des Lyncéens51, le 19 septembre 1898. En novembre 1898, Grassi annonce aux membres de l’Académie qu’en collaboration avec 51. Fondée à Rome en 1603, la plus ancienne académie scientifique en Europe. 159
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Amico Bignami (1862-1929), professeur de pathologie, et Giuseppe Bastianelli (1862-1959), médecin et zoologiste, ils avaient infecté un volontaire en l’exposant à la piqure de ces trois espèces de moustiques. Les soupçons initiaux portés sur les deux espèces de Culex furent levés, et lors de la session académique du 4 décembre 1898, Grassi et ses collègues rapportèrent qu’un homme en bonne santé, Bignami lui-même, dans une zone non paludéenne, avait contracté un paludisme tertiaire après avoir été piqué par une Anopheles claviger infectée expérimentalement. Le 22 décembre, dans une deuxième communication, l’ensemble du cycle de développement du plasmodium dans le corps de l’Anopheles claviger était décrit par nos brillants savants italiens, très injustement laissés sur le bord de la route menant au Nobel. En 1900, dans la plaine du Capaccio, Grassi proposa l’usage de moustiquaires et en démontra l’efficacité en dénombrant les très nombreux cas de paludisme dans les foyers non équipés d’une telle protection comparativement aux quelques rares cas parmi les habitants des logements équipés de moustiquaires. Grassi fut fait sénateur par Victor Emmanuel III en 1908, un sénateur à la participation irréprochable. Joseph Everett Dutton (1874-1905) parasitologue britannique découvrit l’un des trypanosomes responsables de la maladie du sommeil (figure 27). Fils d’un chimiste, après ses études à Liverpool, Dutton se rendit régulièrement en Afrique, au Nigéria, en Gambie, au Sénégal et au Congo, pour étudier et lutter contre paludisme et la filariose et chercher à identifier le pathogène responsable de la maladie du sommeil. C’est en examinant des échantillons de sang de patients qu’il repéra et identifia en 1901 un protozoaire flagellé appartenant au genre Trypanosoma (Trypanosoma brucei). Au Congo, étudiant la fièvre des tiques, ou fièvre récurrente africaine, transmise entre singes et humains, Dutton découvrit que les singes pouvaient être infectés suite à des piqûres de tiques vectrices d’un spirochète nommé en son honneur Borrelia duttoni. C’est ce germe qui eut raison de lui et il décéda à Kasongo, à l’âge de 30 ans des suites de la fièvre des tiques. 160
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Figure 27 | Joseph Everett Dutton (1874-1905) découvre le parasite Trypanosoma brucei responsable de la maladie du sommeil.
De son côté, Aldo Castellani (1874-1971), un pathologiste italien qui travailla en Ouganda et à Ceylan identifia aussi la présence de trypanosomes dans le liquide céphalo-spinal de patients atteints de la maladie du sommeil, mais n’en comprit pas le sens. Émile Brumpt (1877-1951) parasitologue à l’Institut de médecine coloniale de Paris, effectua diverses missions. Lors d’une étude en Afrique Centrale en 1903, il confirma que le Trypanosoma gambiense (alias Trypanosoma brucei) était l’agent de la maladie du sommeil. En 1912, il décrivit aussi le cycle de vie de Trypanosoma cruzi comme agent de la maladie de Chagas décrite au Brésil par Carlos Chagas (1879-1934). En 1909, ce médecin brésilien avait dépeint la pathologie et les manifestations cliniques, caractérisé le parasite, identifié le vecteur, une punaise hématophage (Triatominae), et étudié les animaux porteurs comme le ouistiti. Mais revenons aux savants qui s’attaquèrent à la maladie du sommeil. La dernière pièce du puzzle restait à être placée. Et un autre insecte allait acquérir bientôt sa notoriété, une fois identifié 161
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comme étant le vecteur de la maladie du sommeil ou trypanosomiase : la mouche tsé-tsé, fut reconnue comme l’agent responsable de la transmission par un médecin militaire britannique, David Bruce (1855-1931). Ce dernier naquit à Melbourne de parents écossais venus chercher de l’or en Australie. De retour en Écosse à l’âge de cinq ans, il s’orienta ultérieurement vers la zoologie et la médecine. Après son mariage avec Mary Elizabeth Steele (1849-1931), qui devint sa plus fidèle assistante, et avec qui il publia plus de trente articles scientifiques, il rejoint le Royal Army Medical Corps et se vit affecté dans une garnison britannique à La Valette, dans l’île de Malte (figure 28). Sur cette île sévissait un mal mystérieux, appelé la fièvre de Malte. Dans une cabane abandonnée, il installa un laboratoire où il étudia les organes des infortunés qui étaient décédés après avoir connu les affres d’une fièvre intermittente, parfois jusqu’à 41 °C durant la nuit, pendant des semaines, voire des mois. À partir de reins, de rates, de foies de soldats anglais décédés, il chercha à observer l’agent pathogène en le cultivant sur des milieux de culture, lorsqu’enfin il identifia un micrococcus spécifique. Avec ses deniers, il acheta sept singes qu’il infecta avec ce nouveau germe. Quatre moururent tandis que les survivants présentèrent de fortes fièvres intermittentes, semblables en tout point à celles observées chez l’Homme. Il isola des animaux décédés le même micrococcus, en parfait accord avec le postulat de Koch. Le germe envoyé à l’Institut Pasteur fut caractérisé comme Micrococcus melitensis, puis appelé Bacillus abortus. Il fut renommé en l’honneur de David Bruce, Brucella melitensis par Alice Catherine Evans (1881-1975), une brillante microbiologiste américaine qui découvrit la présence de ce bacille dans les laits de vache, de chèvre ou de brebis. Elle-même souffrit de longues années de brucellose. Ses observations étaient en accord avec les travaux menés à La Valette par Sir Themistocles Zammit (1863-1935), médecin maltais qui, en 1905, avait identifié la présence de ce germe dans le lait de chèvre, et avait ainsi permis l’éradication de cette infection sur l’île après l’éviction de ce produit de la diète des autochtones et des militaires anglais. La 162
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Figure 28 | David Bruce (1855-1931) et son épouse Mary Elizabeth Steele (1849-1931) identifient la mouche tsé-tsé comme étant le vecteur de la maladie du sommeil.
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rencontre entre Bruce et la mouche tsé-tsé allait se produire après une entrevue entre le médecin et l’honorable Sir Walter Hely-Hutchinson (1849-1913), alors gouverneur britannique en Afrique du Sud, avant d’être nommé haut-commissaire pour l’Afrique Australe. Le gouverneur lui mentionna une maladie qui sévissait dans le royaume zoulou, la nagana, qui affectait le bétail et les chevaux, induisant une pelade, les rendant aveugles avant qu’ils n’en meurent. Installés en terre zoulou, dans la ville d’Ubombo, derrière son microscope, Bruce examina le sang de chevaux malades et ravi de partager sa découverte avec son épouse lui montra sous l’oculaire, vibrionnant et se tortillant gracieusement, le parasite responsable du mal, le trypanosome. Mais comment avait-il pénétré dans l’animal ? Le cheval avait-il été contaminé par l’air qu’il respirait, l’herbe qui broutait ou par l’eau qu’il buvait, vecteur d’un mal transmis par le gros gibier selon la croyance des chefs Zoulous. Mais d’autres rumeurs suggéraient que la mouche tsé-tsé était à l’origine du mal, piquant et inoculant le poison dans les animaux. Aussi, Bruce captura des centaines de mouches tsé-tsé, les déposa dans une cage en mousseline et positionna celle-ci sur le dos d’un cheval en parfaite santé. En moins d’un mois, ce dernier périclita et mourut. Bruce répéta la démonstration avec des chiens. Nul doute, la mouche tsé-tsé était bien le vecteur de la trypanosomiase. Mais où les mouches prélevaient-elles le parasite ? La guerre des Boers ne permit pas à Bruce de capturer des antilopes pour vérifier son hypothèse d’une origine dans la faune sauvage. En 1903, le voici de nouveau sur le terrain, en Ouganda, où sévissait la maladie du sommeil. Une fois encore sous son microscope apparut le parasite, une fois encore la mouche tsé-tsé, kivu en langage local, était la coupable, comme il le démontra en déposant cette fois-ci des mouches qui s’étaient gorgées de sang de patients mourants, sur le dos de singes. Ces derniers tombèrent en léthargie et moururent alors que leurs congénères avec qui ils partageait la même cage, mais qui n’avaient pas été exposés aux mouches continuaient de manger leurs bananes de bon appétit. La démonstration était parfaite. En 1914, 164
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Bruce fut nommé commandant du Royal Army Medical College, poste qu’il occupa jusqu’à sa retraite en tant que major-général en 1919. Il fut alors nommé président du comité directeur du Lister Institute. Il décéda à l’âge de 76 ans, lors des funérailles de son épouse. Ce couple exemplaire, complice, partenaire retrouva dans la mort leur exceptionnelle vie côte à côte, associé par un même destin et un même objectif, la connaissance. S’il fut anobli, elle reçut le prestigieux Ordre de l’Empire Britannique. La schistosomiase est aussi appelée bilharziose en honneur de Theodor Bilharz (1825-1862) qui en découvrit l’origine. Bilharz est un médecin parasitologue allemand formé dans les Universités de Fribourg-en-Brisgau et de Tübingen. En 1850, il partit au Caire prendre le poste de responsable de la chirurgie au grand hôpital universitaire Qasr El Eyni. L’année suivante, il découvrit le Distomum haematobium, renommé Schistosoma haematobium, un ver parasite présent dans les vaisseaux sanguins des organes internes. Il mourut à 37 ans des suites d’une fièvre typhoïde contractée lors d’une expédition à Massawa sur les bords de la mer Rouge. En 1903, En collaboration avec Mesnil, Laveran démontra que le parasite responsable d’une fièvre de l’Inde (le Kala-azar) observé par Sir William Boog Leishman (1865-1926), était un protozoaire nouveau, indépendant des trypanosomes et de l’hématozoaire du paludisme. En hommage à Leishman, Ross créa le terme Leishmania, d’où le nom contemporain de leishmaniose pour cette parasitose. En 1904, Laveran publia, toujours avec Mesnil, ses travaux sur la trypanosomiase. En 1907, il fit don d’une grande partie de son prix Nobel pour transformer et équiper le Laboratoire des maladies tropicales de l’Institut Pasteur où, jusqu’à son décès, il mena de nombreux travaux sur le paludisme, les trypanosomiases, et les leishmanioses. Parallèlement à Tunis, Charles Nicolle parvint à cultiver les Leishmania donovani et isola le Toxoplasma gondii. Un autre prix Nobel, celui de 2015, vint de nouveau couronner des parasitologues : le japonais Satoshi Ōmura (1935-), et l’américain né en 165
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Irlande, William C. Campbell (1930-), pour leur découverte d’un nouveau médicament, l’Avermectine, efficace contre la filariose, ainsi que d’autres maladies parasitaires. Également récompensée, la chinoise Tu Youyou (1930-) pour sa découverte de l’artémisinine, un médicament qui a considérablement réduit les taux de mortalité des patients atteints de paludisme. Le paludisme fut traditionnellement traité par la quinine et la chloroquine, mais avec un succès décroissant. Tu Youyou s’est tourné vers la phytothérapie traditionnelle pour relever le défi de développer de nouvelles thérapies contre le paludisme. Parmi de nombreuses plantes candidates, un extrait de la plante Artemisia annua apparu avoir un fort potentiel et il en isola l’artémisinine. Malheureusement, la survenue d’une résistance de Plasmodium falciparum à ce traitement complexifia le traitement du paludisme. Des efforts considérables ont été poursuivis pour le développement d’un vaccin contre cette terrible maladie parasitaire. Le cycle de vie d’un parasite au sein de son hôte, associé à de nombreuses formes différentes, font qu’une telle approche est un véritable défi. Plus de cent vaccins ont été testés chez l’Homme. Un vaccin proposé par la firme britannique GlaxoSmithKline (Mosquirix), à défaut d’avoir une efficacité totale, devrait aider à réduire le fardeau qu’est cette parasitose pour le continent africain. L’OMS devrait aider à son déploiement en Afrique.
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5 Des germes aux toxines
LES POISONS VÉNÉRIENS Si durant cette pandémie du COVID-19, il est indéniable qu’un certain nombre de personnalités et de complotistes furent fortement toxiques pour mener le combat contre le SARS-CoV-2 de façon éclairée et sereine, il en est de même de certains germes dont la toxicité, le poison, le venin contribuent à perturber la santé des personnes qui les hébergent. Les tweets de Trump furent à la vérité et à la démocratie américaine ce que seraient les toxines des bactéries au combat contre leurs hôtes : un poison auquel il fallait mettre fin. De la même façon que l’éviction des tweets de Trump fut finalement décidée en raison de leurs aspects trop corrosifs, les savants vont découvrir qu’il faut parfois combattre ce qui est produit par la bactérie plutôt que la bactérie elle-même. Si l’usage volontaire de poisons a jalonné l’histoire de nos pays, ceux-ci étaient essentiellement issus des plantes, et plus rarement des venins de serpents ou… de bave de crapauds. Mais le concept de poison va se concevoir comme étant associé aux maladies miasmatiques, et en particulier aux maladies vénériennes. 167
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John Clubbe (1741-1811), fils d’un ecclésiastique, chirurgien à Ipswich, petite localité à une centaine de kilomètres au Nord-Est de Londres, est un homme à l’humour considérable, au caractère très gai et très sociable. Il a laissé plusieurs traités dont une enquête sur la nature du poison vénérien (1782). Pour lui le poison associé à la gonorrhée aurait fait son entrée en Europe en 1494, prenant les Hommes par surprise et consternation, alors responsable de terribles ravages. Il reconnaît que ce poison se communique par contact et non par l’air. Il admet ne pas avoir une idée précise de sa nature et estime que même la chimie n’a apporté aucune lumière sur celle-ci. Il explique que la constitution du pénis le rend particulière sensible pour absorber le poison et mentionne le mercure pour le combattre. Jesse Foot (1744-1826) après sa formation médicale à Londres, a pratiqué pendant de nombreuses années comme chirurgien à Clarendon, en Jamaïque où il était un fervent anti-abolitionniste, en faveur des planteurs antillais. Il a également exercé à SaintPétersbourg avant de s’installer à Londres. Il fut le biographe de John Hunter et de quelques-uns de ses plus célèbres patients (l’aventurier anglo-irlandais Andrew Robinson Stoney, la licencieuse Mary Eleanor Bowes, comtesse de Strathmore et Kinghorne, ou l’écrivain irlandais Arthur Murphy). Il publia également des articles dans The Lancet et le London Medical and Surgical Journal ainsi que quelques ouvrages médicaux dont « Un nouveau fait découvert de nature relative dans le poison vénérien » (1790) dont la lecture laisse le lecteur sur sa faim quant à la nature du fameux poison vénérien. Apothicaire comme son père, puis devenu médecin, Joseph Adams (1756-1818) était très apprécié de ses contemporains britanniques, bien qu’il semble avoir été un homme irritable qui aimait la reconnaissance. En 1795, il publia un livre de qualité sur les poisons morbides. Sur la base de ce travail, l’Université d’Aberdeen lui décerna son titre de médecin. Après huit années passées à Madère où il découvrit les lazarets et la lèpre, il revint en Angleterre en 1805 et exerça comme médecin à l’hôpital de la variole où il défendit la vaccination de Jenner. 168
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Il attribua à John Hunter le concept de poisons morbides qui, pouvant être d’origine végétale, minérale ou animale, sont des substances qui modifient l’action d’une partie ou de l’ensemble de la constitution d’un état sain à un état pathologique. Les poisons morbides transmettent la maladie d’un animal à un autre, et créent de la fièvre. Il précisa qu’un délai existe entre le contact avec les effluves empoisonnés et le déclenchement de la maladie comme dans le cas de la variole. Surtout, il mentionna que la susceptibilité varie selon les individus tel que l’on s’en aperçoit lors des épidémies. Le poison morbide est aussi associé aux maladies vénériennes et responsable des vésications, ulcérations, et autres pustules. Même s’il s’étendit longuement sur les origines de ces poisons, même s’il mentionna le cas d’infections fungiques, l’idée qu’ils puissent dériver d’animalcules ne lui vint pas. John Haygarth (1740-1827) obtint son diplôme de médecin à l’Université de Cambridge. Il passa 30 ans à Chester et devint l’un des meilleurs médecins de son temps. Il s’est particulièrement intéressé au traitement des patients fébriles. Lors d’une épidémie de variole, il a conclu que les patients fiévreux devaient être séparés des autres et sa découverte que seule une infime fraction de la population de Chester n’avait jamais eu la variole l’a amené à concentrer son énergie sur la prévention. Haygarth a contribué à fonder la Société de la variole de Chester, préconisant la vaccination, une position impopulaire à l’époque. Mais le taux de mortalité de la variole de Chester était de près de 50 %. Par ailleurs, ses préconisations sanitaires aidèrent également à arrêter la propagation du typhus dans la ville. Il fut élu membre de la Royal Society et membre honoraire étranger de l’Académie américaine des arts et des sciences. En 1798, Haygarth déménagea à Bath. Et c’est de cette ville en 1800 qu’il publia un intéressant article dans le Medical and Physical Journal à Londres, intitulé « De la fièvre des poisons vénériens ». Il y rapportait trois cas de contamination de chirurgiens ou de médecins accoucheurs qui, dans l’exercice de leur art, s’étaient contaminés par une blessure au doigt et avaient développé une maladie vénérienne. 169
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Richard Carmichael (1779-1849) est un chirurgien irlandais, président du Collège royal des chirurgiens en Irlande, il fut le premier Irlandais à recevoir l’honneur d’être élu membre correspondant de l’Académie Royale de Médecine en France. En 1810, il est nommé chirurgien au « Lock Hospital » de Dublin, un hôpital spécialisé dans le traitement des maladies sexuellement transmissibles. Il s’est noyé alors qu’il chevauchait vers sa résidence d’été à Sutton, près de Dublin en 1849. En 1814, il fit paraître son ouvrage « Un essai sur les maladies vénériennes qui ont été confondues avec la syphilis et les symptômes qui proviennent exclusivement de ce poison ». Ledit poison n’est pas vraiment abordé… Tout au plus l’auteur reconnaît que le poison de la syphilis induit bien peu de fièvre comparativement au poison de la variole ou de la rougeole. Il s’agit en définitive d’une série de rapports de cas de gentlemen dont les rapports sexuels ont créé quelques désordres syphilitiques ! Avec toute la confidentialité et l’éthique de l’époque… Ainsi le cas #58 est celui de Michael Malone, le cas #59 est celui de William Ruxton, le #60 celui de Terence McCahy… Pas moins de 88 dossiers analysés… Si l’anonymat de certains est gardé, les illustrations auront permis à ceux qui les connaissaient et qui seraient tombés sur ce livre de découvrir leur situation médicale. L’auteur fait quelques références au passé et mentionne en particulier qu’on tenta à plusieurs reprises, de combattre la syphilis, en organisant des persécutions contre les syphilitiques. Ainsi, le 4 mars 1496, le parlement de Paris rendit une ordonnance, en vertu de laquelle furent bannis de la ville tous les malades de la grosse vérole, sous peine de pendaison. Le 25 juin 1498, le prévôt de Paris, désireux de débarrasser la ville de la présence des syphilitiques et de supprimer leur contact avec les autres habitants, ordonna à tout individu atteint de la maladie de quitter Paris, sous peine d’être jeté dans la Seine. Toute la police fut sur pied pour dénicher les syphilitiques et leur appliquer cette peine52. Heureux de constater qu’en ce qui concerne le COVID-19, 52. Étienne Lancereaux (1829-1910). Traité historique et pratique de la syphilis. (Paris, 1873). 170
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pour neutraliser les porteurs sains qui circulaient dans les villes et limiter les cas contacts, la police se contenta de verbaliser ceux qui enfreignaient le confinement, tandis qu’une quarantaine excessivement « light » était imposée aux voyageurs provenant de pays où le COVID-19 sévissait de façon intensive. Notons que l’autorisation de circuler n’est pas une invention récente, et en 1720, lors de la peste de Marseille, des certificats assuraient que le porteur du document provenait d’un lieu où il n’y avait aucun soupçon du mal contagieux et enjoignait de lui assurer une libre circulation. LES POISONS BACTÉRIENS L’un des tout premiers à envisager que ces poisons puissent être liés aux microbes est Peter Ludvig Panum (1820-1885) (figure 29), un physiologiste et pathologiste danois, formé auprès de Rudolf Virchow à l’Université de Würzburg et de Claude Bernard à Paris. Il exerçait alors à Kiel avant d’achever sa carrière à l’Université de Copenhague53. En 1856, il publia en danois que des perfusions intraveineuses de solutions de putréfaction faites chez le chien induisaient des symptômes et des signes observés chez les patients atteints de septicémie. Panum put montrer que le principe toxique était une substance soluble dans l’eau, mais insoluble dans l’alcool, avec une activité préservée après une longue ébullition. Il parla alors d’un « poison putride ». Tout laisse à penser que son poison n’est rien d’autre que l’endotoxine des bactéries à Gram-négatif dont nous parlerons ultérieurement. À l’époque, il rejetait l’hypothèse que les bactéries puissent être à l’origine de ce poison. Mais lorsqu’il republia en 1874 sur le sujet, en allemand cette fois-ci, il accepta l’idée que ce poison putride puisse être un produit bactérien. Des tentatives pour caractériser davantage ces substances toxiques ont abouti à l’identification en 1868 de la « sepsine » par Ernst von Bergmann (1836-1907) (figure 29), un chirurgien militaire allemand né à Riga, 53. Cavaillon JM. Historical links between toxinology and immunology. Pathogens and Disease. 2018; 76: fty019. 171
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pionnier de la chirurgie aseptique. De son côté, Francesco Selmi (1817-1881) (figure 29), un chimiste italien qui fut le fondateur de la toxicologie médico-légale moderne, inventa le terme « ptomaïnes » pour nommer des alcaloïdes cadavériques, poisons produits par la matière en décomposition (1881). Parmi ceux-ci, la « putrescine » et la « cadavérine » furent identifiées par Ludwig Brieger (1849-1919) (figure 29), professeur de médecine à l’université Humboldt de Berlin (1885). Ce dernier estima que l’action nuisible des bactéries était liée à leur capacité à libérer de tels poisons. En 1888, Brieger inventa le mot « toxine » pour désigner ces poisons produits par les bactéries. Cette même année, Victor Clarence Vaughan (1851-1929), médecin et chercheur, qui fut doyen de la faculté de médecine de l’Université du Michigan, écrivait un livre « Ptomaïnes and leucomaïnes or the putrefactive and physiological alkaloids ». Vaughan était venu se former en Europe auprès de Koch et de Pasteur. Quelques années plus tard il enrichissait le titre de son ouvrage avec les mots « toxines » et « anti-toxines ». En 1888, Nikolaï Fedorovich Gamaleïa (1859-1949) (figure 30), publia dans les annales de l’Institut Pasteur un article important où il rapportait que des bactéries tuées (Burkholderia mallei, Serratia marcescens, Bacillus anthracis) injectées à des lapins ou des moutons pouvaient néanmoins induire de la fièvre. Qui plus est, il montrait que des extraits alcooliques de la rate de moutons pyrétiques pouvaient induire de la fièvre à des lapins en 30 minutes. Ces travaux conduisirent Gamaleïa à écrire un livre, « Les poisons bactériens », en 1892 dans lequel il offrait en cette fin du xixe siècle un aperçu complet des connaissances de toutes les substances nocives élaborées par des bactéries qui peuvent provoquer des maladies indépendamment des bactéries elles-mêmes. Mais, arrêtons-nous quelques instants sur ce personnage54 qui allait donner son nom à l’Institut à l’origine du premier vaccin russe contre 54. Cavaillon JM, Legout S. Duclaux, Roux, Grancher, Chamberland, and Metchnikoff: the five musketeers of Louis Pasteur. Microbes and Infection. 2019; 21: 192-201. 172
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PETER LUDVIG PANUM (1820-1885)
FRANCESCO SELMI (1817-1881)
ERNST VON BERGMANN (1836-1907)
LUDWIG BRIEGER (1849-1919)
RICHARD PFEIFFER (1858-1945)
Figure 29 | Quelques uns des scientifiques qui contribuèrent à identifer les toxines bactériennes.
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Figure 30 | Nikolaï Fedorovich Gamaleïa (1859-1949) et son ouvrage sur les poisons bactériens (1892). © Institut Pasteur / Musée Pasteur.
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le COVID-19. En effet, le vaccin Sputnik V, la fierté du président Poutine, est le fruit de la recherche de l’Institut Gamaleïa. Gamaleïa est un médecin microbiologiste né à Odessa, en Ukraine ; en février 1886 il est envoyé passer quatre mois à Paris par la Société Médicale d’Odessa pour apprendre auprès de Pasteur le nouveau traitement antirabique ainsi que la vaccination contre l’anthrax. À son retour, il contribua à la création à Odessa de la première station de bactériologie avec Metchnikoff comme directeur. Maîtrisant le français et l’anglais, les liens qu’il avait établis avec Pasteur furent si bons que ce dernier l’envoya à Londres pour suivre les travaux du comité d’enquête britannique sur le vaccin contre la rage. Ses télégrammes assurèrent Pasteur de l’appréciation positive de son vaccin par les savants britanniques. Il étudia différents paramètres qui affectaient la préparation du vaccin. Il se rendit compte que les lapins russes étaient plus petits que les lapins français, que leurs moelles épinières séchaient plus vite, que la protection dépendait des quantités utilisées pour la vaccination, et qu’en accord avec l’observation de Roux, il y avait une influence saisonnière sur la préparation du vaccin de la rage. Comme Grancher le fit, Gamaleïa testa sur lui-même le vaccin pour en démontrer l’innocuité. Une autre difficulté surgit dans la vie scientifique de Gamaleïa. En 1888, étudiant le statut sanitaire du marché aux oiseaux, il identifia une nouvelle pathologie du choléra aviaire, qu’il appela « Gastro-entérite cholérique des oiseaux ». Il estima que ce nouveau pathogène était proche de celui du choléra aviaire, mais qu’il induisait une maladie sans fièvre. Gamaleïa isola et identifia la bactérie, qu’il appela « Vibrio metchnikovii » pour rendre hommage à son mentor. Gamaleïa montra que cette bactérie était mortelle pour les poulets, les pigeons et les cobayes. De nos jours, des cas de septicémies dues à cette bactérie ont été rapportés. Nikolaï Gamaleïa était présent le 14 novembre 1888, parmi les 600 personnes rassemblées dans la grande bibliothèque lors de l’inauguration de l’Institut Pasteur et son nom fut officiellement mentionné pour diriger l’unité intitulée « Microbie Comparée ». Cependant, il ne rejoignit jamais l’institut. Cet épisode dans l’histoire 175
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de la création de l’Institut Pasteur demeure encore opaque et intrigant. Malgré la mention de son nom dans les Annales de l’Institut Pasteur et au Journal Officiel de la République, le Conseil d’Administration de l’Institut ne valida jamais sa venue, et la fondation de l’Institut Pasteur se fit autour des plus proches collaborateurs de Pasteur, deux élèves de l’École Normale supérieure, Émile Duclaux et Charles Chamberland, deux docteurs en médecine, Émile Roux et Joseph Grancher, et d’un savant russe, Élie Metchnikoff qui rejoignit la « dream team » de Pasteur55. Le 4 avril 1889, Pasteur envoya à Gamaleïa une lettre lui demandant de réitérer ses expériences sur le vibrion avec des pigeons parisiens. Mais il semble que Gamaleïa ne réussit pas à les reproduire. De 1886 à 1892, Gamaleïa partagea sa vie entre Odessa et Paris. Malgré leurs longues années de collaboration, les relations entre Metchnikoff et Gamaleïa commencèrent à se détériorer. Bien que Duclaux ait réitéré l’invitation à rejoindre l’institut, Gamaleïa poursuivit sa carrière en Russie et ne rejoignit jamais l’Institut Pasteur. Gamaleïa fut le directeur de la station de bactériologie d’Odessa de 1896 à 1908, période pendant laquelle il combattit la peste à Odessa et contribua à une campagne de désinfection et de dératisation. Entre 1910 et 1913, il publia et édita la revue « Гигиена и санитария » (Hygiène et Assainissement) qui accueillait favorablement les publications eugéniques, y compris ses propres éditoriaux. Il défendit également ses vues eugéniques dans différentes conférences données à Saint-Pétersbourg ou à Tartu. En 1912, il fut nommé directeur d’un institut à Saint-Pétersbourg avant de déménager à Moscou en 1930 pour reprendre l’Institut Central d’Épidémiologie et de Bactériologie. Il fut membre correspondant de l’Académie des Sciences de l’URSS (1939), académicien honoraire (1940) et membre de l’Académie des Sciences Médicales de l’URSS (1945). De nos jours, le Centre National de Recherche en Épidémiologie et Microbiologie qu’il dirigea porte son nom. 55. Cavaillon JM, Legout S. Duclaux, Roux, Grancher, Chamberland, and Metchnikoff: the five musketeers of Louis Pasteur. Genes and Immunity. 2019; 20: 344-56. 176
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En 1894, Eugenio Centanni (1863-1942), pathologiste italien, reconnut la relation intime entre les propriétés toxiques et pyrogènes du poison bactérien, qu’il trouva chimiquement inséparables, différenciées des protéines et stables à la chaleur. Il nomma alors son matériel « pyrotoxine ». Le fait qu’il n’était pas nécessaire d’injecter des bactéries vivantes pour induire de la fièvre avait déjà été observé en 1889 par Sir Marc Armand Ruffer (1859-1917)56. Ruffer est né à Lyon, en 1859. Il était le fils d’un banquier, le Baron Alphonse Jacques de Ruffer et de Caroline, son épouse d’origine allemande. Il reçut son éducation primaire à Paris, passa quelque temps en Allemagne, avant de poursuivre ses études au Brasenose College d’Oxford, puis de rejoindre l’University College où il reçut ses diplômes en médecine et chirurgie. Il revint à Paris et eut la chance d’étudier dans le tout nouvel Institut Pasteur sous la direction de Louis Pasteur et d’Elie Metchnikoff. Il travailla également à la faculté de Paris avec Albert Charrin (1856-1907) dans le laboratoire du professeur Charles Bouchard (1837-1915). De retour à Londres en 1891, il fut nommé directeur du British Institute of Preventive Medecine (maintenant connue sous le nom de Lister Institute). Il y travailla sur la diphtérie, et lors de la préparation d’un antisérum diphtérique, il développa la maladie. Ruffer fut très gravement malade et dut démissionner de son poste. Il partit en convalescence en Égypte pour profiter d’un climat plus propice à sa récupération que celui de Londres. Il fut nommé professeur de bactériologie à l’école de médecine du Caire et mit en place ce qui devait devenir une nouvelle science, la paléopathologie où il s’illustra par ses diagnostics post-mortem des momies de célèbres pharaons. Lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, il était à la tête de la Croix-Rouge égyptienne. Le 15 avril 1917, il était à bord du « SS Arcadian » lors d’un voyage de Thessalonique vers Alexandrie avec une compagnie de 1 335 soldats et l’équipage. Dans le sud de la Mer Égée, à 26 miles au nord-est 56. Cavaillon JM. Sir Marc Armand Ruffer and Giulio Bizzozero: the first reports on efferocytosis. J. Leuk. Biol. 2013; 93: 39-43. 177
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de Milo, le navire fut torpillé par le sous-marin allemand UC74, commandé par le « Kapitänleutnant », Whilhem Marschall (18861976). Le navire coula en 6 min entraînant la perte de 277 vies, dont celle de Ruffer, qu’il donna pour sauver celle d’un autre passager. Mais revenons à l’observation de Ruffer. Il démontra qu’une culture filtrée de bacilles pyocyaniques (Pseudomonas aeruginosa) peut provoquer de la fièvre chez le lapin, en l’absence de bactéries vivantes ou mortes. Visionnaires, Ruffer et Charrin, postulèrent sans le prouver, que la fièvre était la conséquence de l’activation des macrophages par les produits bactériens, une hypothèse qui s’avérera absolument correcte. En 1892, Richard Pfeiffer (1858-1945) (figure 29), médecin et bactériologiste allemand, créa le mot « endotoxine ». Il pensait que les propriétés toxiques des bactéries étaient dues à un facteur interne libéré par les bactéries lysées. En réalité, l’endotoxine est un constituant essentiel de la surface des bactéries à Gram-négatif. En 1906, Alexandre Besredka (1870-1940) qui travaillait auprès de Metchnikoff et lui succéda à la tête de son laboratoire, fut le premier à obtenir des anticorps contre l’endotoxine, là où l’école allemande pourtant spécialiste de l’immunité humorale disait que cela n’était pas possible. Son injection du vaccin contre la typhoïde dans un vieux cheval nommé Lange, lui permit d’obtenir un immunsérum qui sauva des cobayes injectés avec des doses létales d’endotoxine. En 1935, Lydia Mesrobeanu (1908-1978) faisant sa thèse à Bucarest à l’Institut Cantacuzène, sous la direction d’André Boivin (18951949), proposa pour la première fois la caractérisation biochimique de l’endotoxine, qu’ils appelèrent l’antigène glucido-lipidique, une structure inédite dépourvue de protéine. La molécule fut ultérieurement renommée par les Anglo-Saxons « lipopolysaccharide ». André Boivin, faisant face à une franche hostilité nationaliste roumaine, dut revenir en France. En 1936, il intégra l’annexe de Garches de l’Institut Pasteur où il poursuivit ses travaux sur les endotoxines. Il fut nommé directeur adjoint de l’Institut Pasteur en 1940. Il lança de nouvelles recherches sur l’ADN et l’ARN bactériens, et fut le premier à émettre 178
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des hypothèses sur la façon dont l’ARN joue un rôle intermédiaire dans la traduction des gènes, devenant un véritable visionnaire à la veille de la naissance de la biologie moléculaire57. En 1947, il accepta un poste de professeur de biologie-chimie à l’Université Strasbourg, et mourut prématurément à l’âge de 54 ans. Quelques mois après Mesrobeanu et Boivin à Bucarest, Harold Raistrick (1880-1971) et William Topley (1886-1944) à Londres obtinrent des résultats similaires, à l’aide d’une approche expérimentale basée sur l’emploi de la trypsine. Leur objectif était d’identifier les parties immunogènes des bactéries. Pour se faire, ils examinèrent le rôle des parties polysaccharidiques, en se basant sur les travaux d’Oswald Theodore Avery Jr. (1877-1955) qui avait démontré la présence de tels polysaccharides immunogènes chez les pneumocoques. En 1936, lors du 2e Congrès de Microbiologie à Londres, Boivin et Raistrick reconnurent qu’ils avaient identifié la même molécule de deux manières différentes. Anne-Marie Staub (1914-2012), une pasteurienne accomplie, fut aussi une grande figure des endotoxines58. Son père, André Staub (1883-1967), travaillait à l’Institut Pasteur où il s’occupait des vaccins vétérinaires. Il avait perdu une jambe lors de la première guerre mondiale, ce qui rendait sa démarche avec sa jambe de bois et ses deux canes si particulières. Sa fille envisagea de rentrer dans les ordres, mais encouragée par ses parents elle entama finalement une carrière scientifique, et rejoignit le laboratoire de Daniel Bovet (1907-1992), prix Nobel de Médecine 1957, où elle contribua à ses travaux sur les anti-histaminiques. Après avoir travaillé auprès de Pierre Grabar (1898-1986), un brillant et inventif immunochimiste, et un stage à Londres, elle poursuivit une carrière entièrement dévolue à l’analyse biochimique et immunochimique des endotoxines et de leur partie sucrée. C’est cette partie de la molécule, appelée antigène O, qui permet de distinguer les milliers de salmonelles différentes et 57. Cavaillon JM, André Boivin: a pioneer in endotoxin research and an amazing visionary during the birth of molecular Biology. Innate Immunity. 2020; 26: 165-171. 58. Cavaillon JM. Anne-Marie Staub, une pasteurienne accomplie. Bull Assoc Anciens Élèves Inst. Pasteur. 2013; 55 : 51-4. 179
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contre laquelle sont dirigés les anticorps. C’est ainsi qu’elle découvrit l’existence d’un nouveau sucre, le tyvelose, au sein de cette structure polyosidique. Je fus son dernier étudiant. LES EXOTOXINES À l’inverse de l’endotoxine qui est retrouvée à la surface des bactéries, les exotoxines sont produites et secrétées par les bactéries. La diphtérie, encore nommée l’ange étrangleur, était une maladie particulièrement éprouvante pour les familles car elle ravissait à leur affection nombre d’enfants. Pierre Bretonneau (1778-1862), médecin chef à l’hôpital de Tours fournit une première description complète de la maladie, et émit l’hypothèse qu’elle était due à un agent infectieux. Ce sont deux médecins allemands qui permirent une étape importante dans la compréhension de cette infection. C’est à Edwin Klebs (1834-1913) qui fut l’assistant de Virchow à l’institut de pathologie de Berlin, et à Friedrich Löffler (1852-1915) qui fut l’assistant de Koch dans ce même institut que l’on doit la découverte entre 1883 et 1884, l’isolement et la culture du germe responsable de la diphtérie, Corynebacterium diphtheriae. Mais au-delà du germe, il restait à identifier son poison. C’est ce à quoi vont s’attacher deux éminents pasteuriens, Émile Roux et Alexandre Yersin entre 1888 et 1890. Ils filtrèrent une culture vieille de 4 jours de corynébactéries et l’injectèrent à des cobayes sans qu’il n’y ait aucune conséquence. Ils recommencèrent alors l’expérience mais avec un filtrat d’une culture de 42 jours, et là, ils tuèrent leurs cobayes. Le filtrat tuait également les lapins et les pigeons, illustrant la présence de la toxine, et l’urine prélevée chez des enfants peu de temps avant leur mort de la diphtérie, contenait aussi la toxine létale. Comme nous le verrons ultérieurement la neutralisation de cette toxine par des immunsérums sauvera des milliers d’enfants. La même démarche fut adoptée pour le tétanos. Arétée de Cappadoce, médecin de l’antiquité romaine du ier siècle après J.C. originaire d’Anatolie en fit probablement la première description. 180
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L’infection est associée à des contractures spectaculaires. Les tableaux de Sir Charles Bell de soldats blessés à Waterloo en sont une illustration saisissante. En 1884, deux médecins italiens devenus tous deux sénateurs en fin de carrière, Antonio Carle (1854-1927), diplômé en médecine et chirurgie de l’Université de Turin et Giorgio Rattone (1857-1929) doyen de la faculté de médecine et recteur de l’Université de Parme, démontrèrent en 1884 que le tétanos est une maladie infectieuse transmissible en l’inoculant à un lapin. La même année, le médecin et microbiologiste allemand Arthur Nicolaier (1862-1942) observa la bactérie du tétanos dans le sol. Celle-ci, Clostridium tetani, fut isolée et cultivée en 1889 par Kitasato, médecin et bactériologiste japonais dans le laboratoire de Koch, tandis que l’année suivante, Knud Faber (1862-1956), médecin danois, défendit sa thèse sur le tétanos, et démontra l’existence d’une toxine. En 1897, Metchnikoff démontra la résistance naturelle à cette toxine de nombreuses espèces animale : les scarabées et scorpions d’une part, les grenouilles, poissons, axolotls, et tortues d’autre part lorsqu’ils sont maintenus à une température inférieure à 30 °C sont insensibles aux injections de la toxine. Par contre, il rapporta que les crocodiles maintenus à 32-37 °C, les poules et les cobayes y étaient sensibles. Comme pour la toxine diphtérique, la lutte contre cette infection sera victorieuse grâce à l’emploi de la sérothérapie. Outre les bacilles de la diphtérie et du tétanos, un grand nombre de bactéries libèrent des toxines. Parmi celles-ci, le streptocoque produit la Streptolysine O et la Streptolysine S que les médecins américains du Rockefeller Institute de New York, James G. Hirsch (1922-1987) et Gerald Weissmann (1930-2019) montrèrent fort toxiques pour les neutrophiles et les macrophages (1963), tandis que Dorothea Zucker-Franklin (1929-2015) de la New York University School of Medicine, proposait les premières images en microscopie électronique de la rupture de membranes cellulaires consécutive à l’action de la toxine (1965). Des études similaires furent entreprises à l’Institut Pasteur par Robert Fauve (1930-1995). En 1960, Dennis 181
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W. Watson (1914-2008), scientifique de l’Université du Minnesota identifia une nouvelle toxine, l’exotoxine streptococcique pyrogène. Avec Joseph Alouf (1929-2014), (figure 31) scientifique et pharmacien d’origine libanaise, né à Baalbek, professeur à l’Institut Pasteur et chef de l’unité des Antigènes Bactériens dont je faisais alors partie, nous démontrâmes dans un article co-signé par le prix Nobel Luc Montagnier, que cette toxine induit la production de médiateurs immunologiques (l’interféron-gamma) (1982)59. Alouf contribua à la purification et à la caractérisation de l’activité de nombreuses toxines bactériennes et hémolysines isolées de Listeria monocytogenes, Staphylococcus aureus, Streptococcus pyogenes, Bacillus alvei ou Clostridium perfringens. Pendant vingt ans il fut le directeur du Cours d’Immunologie Générale. Il fut secrétaire général de la Société française d’Immunologie et Président de la Fédération des Sociétés Européennes de Microbiologie. Il fut en 1983 à l’origine du premier atelier européen sur les toxines bactériennes60. Joseph Alouf épousa en deuxième noce sa jeune stagiaire Est-Allemande originaire de Jena, Heide Müller-Alouf et tous deux poursuivirent leurs analyses biochimiques et immunologiques de ces exotoxines. Par la suite il s’avéra que l’ensemble de ces exotoxines ont la capacité d’induire la production de très nombreuses cytokines61. Les cytokines sont ces molécules qui constituent le langage utilisé par nos cellules pour dialoguer, échanger des informations, moduler les fonctions, voir donner des ordres. Le staphylocoque est aussi producteur de « méchantes » toxines dont la fameuse « Toxic Shock Syndrome Toxin-1 » (TSST‑1) qui fut responsable de nombreux chocs mortels 59. Cavaillon JM, Riviere Y, Svab J, Montagnier L, Alouf JE. Induction of interferon by Streptococcus pyogenes extracellular products. Immunol Lett. 1982; 5: 323-6. 60. Cavaillon JM. Joseph Alouf (1929-2014). FEMS Microbiol Lett. 2014; 355: 90-1. 61. Müller-Alouf H, Alouf JE, Gerlach D, Ozegowski JH, Fitting C, Cavaillon JM. Human pro- and anti-inflammatory cytokine patterns induced by Streptococcus pyogenes erythrogenic (pyrogenic) exotoxin A and C superantigens. Infect. Immun. 1996; 64: 1450-3. Cavaillon JM. Exotoxins and endotoxins: Inducers of inflammatory cytokines. Toxicon. 2018; 149: 45-53. 182
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JOSEPH ALOUF (1929-2014) & HEIDE MÜLLER-ALOUF
PHILIPPA MARRACK (1945-) & JOHN KAPPLER (1943-) Figure 31 | Les travaux sur les exotoxines bactériennes (superantigènes) : une histoire de couple ! © (Marrack & Kappler) : Avec la permission des Archives Beck, Special Collections, University of Denver Libraries, National Jewish Hospital Collection.
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ou nécessitant des amputations chez des jeunes femmes ayant utilisé des tampons hygiéniques contaminés dans les années 1980. En 1984, Sheldon M. Wolff (1930-1994), président du département de médecine à la Tufts University School of Medicine de Boston, montra que cette toxine induisait un médiateur pyrogène (l’interleukine-1, IL-1) (1984), tandis qu’en 1988, Alouf montrait l’induction d’autres cytokines (tumor necrosis factor (TNF), interferon-gamma). En 1989, Philippa Marrack (1945-) et John Kappler (1943-) (figure 31) étudiant la TSST-1 et d’autres toxines produites par le staphylocoque (Staphylococcal Enterotoxin A, B, C, E) découvrirent leurs propriétés très particulières d’activateurs des lymphocytes T. Ils créèrent le terme de « superantigène ». GERMES ET AUTO-INTOXICATIONS Depuis sa présence sur terre, l’humanité est confrontée à des microbes mal intentionnés à son égard, sources de bien des tourments. Mais en même temps, les humains vivent en bonne intelligence avec quarante mille milliards de bactéries. Elles colonisent notre tube digestif, et sont également présentes dans notre bouche, sur notre peau, dans nos poumons (que l’on a longtemps cru en être dépourvus) et dans le vagin. Amies ou ennemies potentielles ? Probablement les deux, et de nombreux savants vont se pencher sur le rôle que jouent les bactéries de notre tube digestif dans notre vie. Un des premiers à émettre l’hypothèse de « l’auto-intoxication », est Hermann Senator (1834-1911). Il est encore un tout jeune médecin à Berlin quand en 1868 il émet l’hypothèse qu’une autoinfection intestinale pourrait être une source de maladie ailleurs dans le corps humain. Il suggérera que les protéines du tractus intestinal, décomposées par la flore normale, se putréfient et produisent des sous-produits chimiques qui sont toxiques pour l’organisme, conduisant à une maladie auto-infectieuse. Il pensait également que l’auto-intoxication pouvait être à l’origine de certains troubles mentaux. Mais le thème va être particulièrement mis en orbite par 184
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Charles Bouchard (1837-1915) (figure 32), brillant clinicien parisien, avec ses célèbres leçons sur les auto-intoxications dans les maladies (1885). Il expliqua que l’Homme abrite dans son tube digestif un nombre considérable de microorganismes et si ceux-ci ne sont pas correctement éliminés ou si trop d’entre eux étaient produits, ils pourraient être responsables de ce qu’il a appelé un empoisonnement interne, conduisant aux maladies. Ainsi donc l’Homme porte en lui la cause de nombreuses maladies. Bouchard souligna le lien particulier entre l’auto-intoxication et la constipation qui laisse alors s’accumuler les nombreux poisons formés lors de la putréfaction. Il injecta à des animaux des extraits aqueux du contenu intestinal et en démontra la toxicité. Il étudia les ptomaïnes, des substances qui avaient invariablement la capacité d’empoisonner les animaux de laboratoire. Il soutint que néanmoins une partie des toxines intestinales absorbées dans la circulation sanguine pouvaient être neutralisées par le foie. Ces révélations attirèrent l’attention d’autres médecins et du public. Bouchard devint si célèbre et si arrogant pour ses théories qu’en 1908, qu’il fut surnommé « Le Roi-Soleil » par les journaux parisiens.
Figure 32 | Deux protagonistes du concept d’auto-intoxications, Charles Bouchard (1837-1915) à gauche et John Harvey Kellog (1852-1943) à droite.
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Un autre personnage étonnant surfa sur le concept. Il s’agit de Charles Alfred Tyrrell (1843-1918), né en Angleterre, il s’installa à New York en 1889 comme promoteur de dispositifs médicaux, et tout particulièrement d’un appareil de lavement. Comme la plupart des bonimenteurs, il compensait son manque de connaissance médicale par un savoir-faire évident dans le monde des affaires. S’appelant lui-même professeur ou docteur, il décrocha finalement son diplôme de médecin à 57 ans. Son appareil de lavement qu’il appelait le « J.B.L. Cascade » (J.L.B. pour Joy, Beauty and Life) était utilisé pour le nettoyage du côlon comme une thérapie de désintoxication afin de s’opposer à l’auto-intoxication. En quelque sorte, un produit dérivé du clystère d’antan (figure 33). Il consistait en un sac en caoutchouc qui était rempli du « J. B. L. Antiseptic Tonic » qui était inséré dans l’anus. Le poids du corps forçait l’entrée du tonique dans le rectum. Selon Tyrrell son appareil pouvait guérir toutes les maladies du choléra aux rhumatismes. Comme tout charlatan, il faisait la promotion de son traitement comme une véritable panacée sans jamais en apporter de preuves convaincantes. Il fit fortune, vendant des milliers
Figure 33 | Scène de lavement au
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xviiie siècle.
Musée National de l'Azulejo, Lisbonne.
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d’exemplaires de son appareil, ainsi qu’un livre « The Royal Road to Health » (1894), régulièrement réédité tandis qu’il accueillait ses patients dans son « Tyrrell Hygienic Institute ». Albert Charrin que nous avons déjà croisé comme élève de Bouchard, est désormais professeur au collège de France et médecin des hôpitaux de Paris quand il publia en 1899 « Les poisons de l’organisme – Poisons du tube digestif ». Il démontra que des extraits aqueux ou alcooliques de matières fécales sont létaux lorsqu’ils sont injectés chez le lapin. Il passa en revue toutes les molécules connues à l’époque dérivées de la putréfaction (« névrine », « muscarine », acides sulfo-conjugués, quinoléines, taurine ptomaïnes, isocyanides, potasse, ammoniaque, sels biliaires, orthocrésol, paracrésol, indol, etc.). Bien sûr, il mentionnait aussi les bactéries impliquées dans la putréfaction dont le Bacterium coli qui sera ultérieurement renommé Escherichia coli, en hommage aux travaux précurseurs de Theodor Escherich (1857-1911), pédiatre et bactériologiste allemand qui découvrit la bactérie lors de ses études reliant les bactéries intestinales à la physiologie de la digestion chez le nourrisson (1886). Pour Charrin, les auto-intoxications préparent la voie à l’infection initiée par ces poisons digestifs pouvant atteindre le sang. En 1903, Les Annales Politiques et Littéraires firent état d’une rencontre avec Metchnikoff, durant laquelle il mentionna la découverte faite l’année précédente par Julius Strasburger (1871-1934). Ce dernier exerçait à Bonn où il étudiait la médecine avant de devenir professeur associé à Breslau, puis professeur à Frankfurt avant d’être interdit d’exercice par les nazis ayant repéré qu’il avait un grandpère juif. Strasburger annonça que le tube digestif contenait 128 mille milliards de bactéries. Cette estimation du début du xxe siècle s’avéra incroyablement proche de la réalité. La valeur fut très légèrement réduite à 100 × 1012 en 1972, et ramenée à 40 × 1012 en 2016. Non seulement Metchnikoff est convaincu de l’auto-intoxication, mais surtout il est persuadé que ce phénomène est la cause du vieillissement et de tous les processus de débilitation associé au grand âge. Il 187
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écrivit : « Il est tentant de supposer que, peut-être, la vieillesse, comme nous la voyons maintenant, représente une forme anormale de la vie contre laquelle il y aurait quelques remèdes à chercher […] Une hygiène alimentaire devrait corriger l’empoisonnement chronique due à des microbes intestinaux, qui propagent des toxines dans le corps et sont responsables de lésions tissulaires ». Metchnikoff étudia alors la flore digestive durant plus de sept ans. En 1903, avec une collaboratrice russe ils étudièrent et comparèrent la flore microbienne de nouveaux nés parisiens et moscovites. Praskovya Vasilievna Tsiklinsky (18591923) (figure 34), diplômée de l’université de Saint-Pétersbourg rejoignit Paris en 1889 pour suivre le grand cours à l’Institut Pasteur, et de 1889 à 1894 elle travailla dans le laboratoire de Metchnikoff. En 1894 elle partit s’installer à Moscou et rejoignit l’institut bactério logique de l’Université de Moscou de 1895 à sa mort, où elle dirigea le département de bactériologie des cours supérieurs féminins à partir de 1907. Elle fut la première femme russe professeur de bactériologie, et l’auteure d’un grand nombre d’ouvrages sur la microbiologie générale et médicale. Ses travaux les plus importants furent consacrés à l’étude de la flore normale de l’intestin humain, de ses changements en fonction de l’âge, des effets de la nutrition et d’autres conditions, ainsi que de la relation antagoniste des micro-organismes. Elle découvrit de nouveaux types de bactéries thermophiles, et étudia la variabilité des bactéries et leur adaptation à l’environnement (1901). Ses travaux sur l’étude de la flore microbienne de l’eau de mer, du sol ainsi que de la flore intestinale d’un certain nombre d’animaux des régions polaires (basés sur des matériaux de l’expédition de JeanBaptiste Charcot au pôle Sud) sont particulièrement intéressants. Elle fut faite docteur en sciences médicales honoris causa de l’Université de Moscou. Metchnikoff étudia la flore digestive de chauves-souris, de nandou, de cheval et en 1908 étudia et identifia les bactéries prélevées dans les excréments humains ou contenues dans les intestins de cadavres (par exemple, Bacillus putrificus ; Bacillus sporogenes ; Bacillus welchii 188
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Figure 34 | Praskovia Vassilievna Tsiklinsky (1859-1923) première femme russe professeure de bactériologie dans une salle du département des cours supérieurs pour les femmes de Saint-Petersbourg vers 1907. © Institut Pasteur / Archives.
(B. perfringens)) et démontra que ces bactéries de la putréfaction produisent des poisons. Des telles bactéries délivrées par voie buccale sont sans effet chez le singe ; par contre, des filtrats de cultures de telles bactéries injectées par voie intraveineuse tuent des lapins. Comme tout au long de sa carrière, Metchnikoff fut confronté à des opposants. En l’occurrence, Heinrich Finkelstein (1865-1942), pédiatre allemand qui affirmait que les maladies intestinales du nouveau-né ne pouvaient être dues qu’à une toxicité alimentaire mais ne pouvait pas être d’origine microbienne. En 1910, Metchnikoff rend compte de travaux initiés auprès de lui par un jeune stagiaire 189
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japonais, Sakaye Ohkubo (?-1910) qui décéda malheureusement avant la fin de ces travaux. L’injection de métabolites produits par les bactéries digestives, le paracresol ou l’indol induisent chez le lapin l’apparition de plaque d’athérome, des lésions hépatiques et rénales et sont létaux une fois injectés chez le singe qui développe des lésions du système vasculaire cérébral, ainsi que des altérations du foie et des reins. Metchnikoff démontrait alors que des poisons produits par des bactéries de la flore intestinale induisent des lésions tissulaires et que ces lésions sont semblables à celles trouvées chez les sujets âgés. Ce à quoi Hugo Ribbert (1855-1920) professeur allemand de pathologie à Bonn répliqua « L’idée est vaine, sans aucune base scientifique et il est inconcevable que les poisons intestinaux puissent être absorbés régulièrement ». Surtout, pour Metchnikoff, la vieillesse est le résultat d’un empoisonnement du corps, d’un empoisonnement chronique et lent par ces poisons de la putréfaction digestive. Mais à l’époque, la théorie qui prévalait était celle d’August Weismann (1834-1914), biologiste et médecin allemand, pour qui la vieillesse est consécutive à une prolifération limitée des cellules qui devient insuffisante pour engager les réparations nécessaires. Mais Metchnikoff est un visionnaire, un précurseur, et ses travaux seront confirmés au xxie siècle par des études démontrant le lien entre des métabolites dérivés des bactéries du tube digestif, capables de favoriser des processus de coagulation et d’athérosclérose62. Metchnikoff proposa un remède pour lutter contre ces germes de la putréfaction que nous hébergeons dans nos intestins, l’usage de bactéries lactiques, ce qu’aujourd’hui on nomme probiotiques. Dans le laboratoire de bactériologie de Léon Massol (1838-1909) à Genève, Stamen Grigorov (1878-1945) un médecin bulgare, découvrit dans les yaourts qu’il avait apporté de son pays, le Lactobacillus bulgaricus. Metchnikoff l’invita à donner une conférence à l’Institut Pasteur, et dès lors fut le plus ardent défenseur de l’usage des laits fermentés, persuadé que ces bonnes bactéries 62. Weifei Zhu et al. Gut microbial metabolite TMAO enhances platelet hyperreactivity and thrombosis risk. Cell. 2016; 165: 111-124. 190
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peuvent limiter les dégâts consécutifs aux bactéries qui colonisent notre tube digestif. Ses travaux eurent un retentissement mondial. En 1910, Le London Magazine titrait sur l’homme qui prolonge la vie, tandis qu’en 1912 le Cosmopolitan Magazine de New York titrait « Pourquoi ne pas vivre éternellement ? ». Metchnikoff y est considéré comme le Ponce de León des temps modernes. Juan Ponce de León (1460-1521) dirigea la première expédition espagnole en Floride en 1513 à la recherche de la fontaine de jouvence. Aujourd’hui, une source porte son nom en souvenir de cette investigation sans que l’on sache vraiment si la jouvence fut au rendez-vous. L’article du magazine new yorkais indiquait que désormais l’Homme connaissait pour la première fois le réel ennemi qui s’oppose à une existence prolongée. Il s’agissait alors de combattre le feu par le feu, en introduisant dans le tube digestif des bactéries d’une nouvelle tribu pour antagoniser les tribus installées, source de poisons. Outre les bactéries lactiques, étaient également évoquées les glycobactéries, à même de réduire les poisons intestinaux. En définitive, Metchnikoff rendait responsable la flore digestive de la sénilité et du vieillissement prématuré qu’il combattit à grand renfort de yaourt qu’il consomma lui-même abondamment jusqu’à la fin de sa vie, demandant même à ses collègues d’analyser ses viscères après sa mort. Même si le thème de l’auto-intoxication était particulièrement en vogue en France, d’autres savants hors de nos frontières en défendirent le concept. William Arbuthnot Lane (1856-1943) est un chirurgien écossais qui va consacrer les dernières années de sa carrière au concept d’auto-intoxication intestinale et offrir une solution à ceux qui en souffrent. Lane considérait que l’absorption des toxines intestinales avait des effets dégénératifs sur de nombreux grands systèmes organiques, allant jusqu’à affirmer que la tuberculose et la polyarthrite rhumatoïde ne pouvaient exister que chez des personnes victimes d’auto-intoxication. Après que Lane eut proposé sa théorie de la stase intestinale, un test de cette hypothèse était nécessaire – la colectomie. Dans une série d’expériences 191
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chirurgicales, Lane retira des sections du côlon avec une apparente résolution des symptômes. En 1908, Lane publia un article dans le British Medical Journal intitulé « Remarks on the Operative Treatment of Chronic Constipation ». Cet article décrivait des cas dans lesquels une colectomie totale ou partielle avait été pratiquée pour traiter des patients atteints d’auto-intoxication intestinale. Aux USA, John Harvey Kellogg (1852-1943) (figure 32) est un célèbre médecin nutritionniste, et le médecin en chef du « sanitarium » de Battle Creek, dans le Michigan, qui accueillit jusqu’à 1 600 patients. C’est d’ailleurs à l’attention de ses patients qu’avec son frère il inventa les fameux corn flakes. Dans son livre « Autointoxication : or, intestinal toxemia » publié en 1919, il conforta les idées de Bouchard et de Metchnikoff. Pour Kellogg, presque toutes les maladies avaient pour origine des problèmes de putréfaction au niveau de l’intestin. C’est pourquoi il préconisait, entre autres, un régime alimentaire strictement végétarien. Pour lui, le meilleur moyen de traiter l’auto-intoxication était un nettoyage du colon. Il proposait des traitements « hydrothérapeutiques », à l’aide des machines capables de pomper jusqu’à 60 litres d’eau dans le colon en moins d’une minute. Le docteur Kellogg avait aussi été influencé par les travaux de Metchnikoff sur les bienfaits du yogourt, et il le recommandait à ses patients. Mais, pour lui, le yogourt devait être introduit par les deux bouts. Pour les patients qui refusaient les lavements au yogourt, il y avait les chaises à vibrations. Celles-ci, montées sur ressorts, secouaient violemment le patient afin de déloger les toxines qui pouvaient être attachées à l’intestin. Kellogg affirmait qu’en nettoyant les intestins, il guérissait le cancer de l’estomac, les ulcères, le diabète, la schizophrénie, la dépression, l’acné, l’anémie, les migraines et le vieillissement prématuré. Nous ne sommes pas très éloignés de la médecine du temps de Molière où la purge était un remède courant : Que ne guérit-il ? Combien a-t-il été saigné de fois ? – Quinze, Monsieur, depuis vingt jours. – Quinze fois saigné ? – Oui. – Et 192
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il ne guérit point ? – Non, Monsieur. – C’est signe que la maladie n’est pas dans le sang. Nous le ferons purger autant de fois, pour voir si elle n’est pas dans les humeurs ; et si rien ne nous réussit, nous l’enverrons aux bains. (Monsieur de Pourceaugnac). Kellog continua à se consacrer à ses patients tandis que son frère, Will, fondait sa propre compagnie, afin de commercialiser des corn flakes sucrés, compagnie qui allait devenir l’empire Kellogg’s. À ses patients, Kellogg déconseillait fortement les rapports sexuels, faisant tous ses efforts pour détourner les jeunes gens des plaisirs de la chair. Cependant, plus encore que les relations sexuelles, c’est la masturbation que le Dr Kellogg tenait en horreur, d’autant que d’après lui, celle-ci était la source de nombreuses maladies, de l’épilepsie à la folie. Si le lien entre masturbation et folie (voire la surdité…) me semble relever de la « fake news », le lien entre maladies mentales et tube digestif va par contre être source de moult considérations. Philippe Pinel (1745-1826) (figure 35) souvent considéré comme le père de la psychiatrie en France, estima dans son mémoire sur la manie périodique ou intermittente, que le siège de la maladie mentale se trouvait dans ce qu’il appela la région épigastrique, et il vit des symptômes tels que la constipation ou le resserrement de l’estomac comme les premiers symptômes de la manie (le mot manie est alors le mot utilisé pour évoquer la folie, la démence ou les troubles de l’humeur comme la dépression). En 1802, Pierre Jean Georges Cabanis (1757-1808), médecin et philosophe, comte et sénateur de l’Empire publia son œuvre philosophique majeure : « Rapports du physique et du moral de l’homme ». Il considéra que l’esprit n’était pas seulement affecté par les impressions reçues par les sens mais aussi par celles reçues des viscères. Il souligna l’influence de l’estomac sur le système nerveux, et surtout son impact immédiat sur le cerveau. En Grande-Bretagne, Lauder Brunton (1844-1916), exerçant au St Bartholomew’s Hospital à l’Université de Londres, affirmait en 1880 que l’absorption par le 193
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Figure 35 | Philippe Pinel (1745-1826), le père de la psychiatrie en France.
canal intestinal de substances générées par la fermentation ou une digestion imparfaite pouvait provoquer une dépression nerveuse, ou une neurasthénie. Il estimait également que le Bacillus coli logé dans les intestins, lorsque qu’il était en grande abondance avait la capacité de produire des toxines responsables du sentiment de fatigue et de lassitude. La même année, Robert Bell (1846-1926), médecin-chef de l’Hôpital pour femmes de Glasgow, connu pour ses théories sur le lien entre cancer et contamination du sang, affirmait de même que l’absorption de matière fétide du gros intestin produisait nécessairement une forme d’empoisonnement du sang qui conduisait à la léthargie et à la dépression63. Lors d’un congrès des médecins aliénistes qui se tint en 1893 à La Rochelle, Emmanuel Régis (1855-1918) médecin-chef du service des asiles, enseignant à la faculté de médecine de Bordeaux et co-fondateur de l’École 63. Bell R. Constipation viewed as a disease “per se” and as an exciting cause of disease. The Lancet. 1880; 115: 283-5. 194
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Neuropsychiatrique de Bordeaux traita des auto-intoxications dans les maladies mentales. Suite à ses observations de patients psychiatriques, il remarqua que leur état s’améliorait après avoir reçu un traitement pour des symptômes digestifs, l’amenant à suggérer que les bactéries intestinales pourraient intervenir dans leur équilibre mental. Son élève, François-André Chevalier-Lavaure (1863-1959) soutint en 1890 sa thèse au titre explicite : « Des auto-intoxications dans les maladies mentales – Contribution à l’étude de la pathogénie de la folie ». Mais par la suite Chevalier-Lavaure ne publia plus sur le sujet et poursuivit sa carrière comme médecin directeur de l’asile d’Auch, puis médecin en chef de l’asile de Font-d’Aurelle à Montpellier. Antonio Maria Bettencourt Rodrigues (1854-1933), médecin portugais formé à la faculté de médecine de Paris mena une carrière politique comme ministre plénipotentiaire à Paris, puis sénateur et enfin ministre des Affaires étrangères des gouvernements d’Óscar Carmona et José Vicente de Freitas pendant la dictature militaire. Rodrigues fit valoir que l’un des principaux facteurs qui pouvait déclencher des troubles mentaux était l’auto-intoxication gastro-intestinale, notamment en cas de dépression et de mélancolie. Compte tenu de ses nombreuses observations de patients aliénés s’améliorant après un changement de régime alimentaire associé à l’élimination des toxines dans l’intestin, Rodrigues fit valoir qu’il y avait toutes les raisons de penser que l’auto-intoxication était la cause des troubles psychiatriques de ses patients. Daniel R. Brower (1839-1909), occupa pendant de nombreuses années la chaire des maladies du système nerveux à la Woman’s Medical School de Chicago. En 1898, il publia un article dans le Journal of American Medical Association intitulé « Auto-intoxication in its relations to the diseases of the nervous system ». Mais vers les années 1920, le lien entre auto-intoxication et maladies mentales va être battu en brèche en particulier par Walter Clement Alvarez (1884-1978) médecin à San Francisco et qui mena ses recherches à l’Université de Californie à Berkeley, et Arthur Norton Donaldson (1887-1945), 195
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professeur de physiologie à l’université Loma Linda San Bernardino, Californie. Leurs expériences furent menées sur des patients souffrant de constipation chronique. Ce qu’ils montrèrent, c’est que les symptômes étaient causés par une distension mécanique et une irritation de l’intestin par les masses fécales plutôt qu’un empoisonnement du sang par des produits dérivés des bactéries digestives. Néanmoins, l’hypothèse selon laquelle les bactéries présentes dans les intestins humains pourraient avoir un impact sur la santé mentale, en revanche, n’a jamais été réfutée, car il n’a pas été soumis à des épreuves rigoureuses. Pourtant en 1910 parut un article qui rapporta que sur dix-huit cas de dépression traités par des bacilles lactiques, onze récupérèrent de leurs névroses64. Cent ans plus tard, des chercheurs irlandais et canadiens mettaient en évidence le rôle important des bactéries dans la communication bidirectionnelle de l’axe intestin-cerveau et suggéraient que certains organismes peuvent s’avérer être des compléments thérapeutiques utiles dans les troubles liés au stress tels que l’anxiété et la dépression65. De nos jours de très nombreux auteurs s’accordent sur le fait que le microbiote intestinal qui colonise les bébés dès leur naissance, joue un rôle important dans le fonctionnement normal du cerveau et influence les comportements liés au stress (anxiété et dépression). La communication bidirectionnelle microbiote-intestin-cerveau ne fait plus de doute. Certaines bactéries (Faecalibacterium et Coprococcus productrices de butyrate) sont systématiquement associées à des indicateurs de qualité de vie plus élevés. La synthèse microbienne du métabolite dopaminergique 3,4-dihydroxyphénylacétique corrèle positivement avec la qualité de vie mentale tandis qu’il existerait un rôle potentiel de la production microbienne d’acide γ-aminobutyrique dans la dépression. Ainsi des mécanismes neurobiochimiques, 64. Poret Philips JG. The treatment of melancholia by the lactic acid bacillus. J Ment Sci. 1910; 234: 422. 65. Bravo JA et al. Ingestion of Lactobacillus strain regulates emotional behavior and central GABA receptor expression in a mouse via the vagus nerve. PNAS. 2011; 108: 16050-5. 196
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neuroendocriniens et neuro-immunitaires de l’axe intestin-cerveau sont associés à la relation entre le microbiote intestinal et les troubles de l’humeur66. C’est ce que l’on nomme aujourd’hui, la révolution psychobiotique.
66. Foster JA, McVey Neufeld KA. Gut-brain axis: how the microbiome influences anxiety and depression. Trends Neurosci. 2013; 36(5): 305-12. Liu L, Zhu G. Gut-Brain Axis and Mood Disorder. Front Psychiatry. 2018; 9: 223. Valles-Colomer M et al. The neuroactive potential of the human gut microbiota in quality of life and depression. Nat Microbiol. 2019; 4(4): 623-32. 197
6 Des virus aux infections virales
D’UN TERME LATIN A UN NOM CONTEMPORAIN À l’inverse des mots bactéries ou microbes qui ont été des néologismes créés au xixe siècle, le mot virus nous vient du latin et voulait alors signifier poison / venin, et par extension une substance organique (pus, salive…) susceptible de transmettre une maladie, voire un germe pathogène. Son sens contemporain correspondant à un agent infectieux qui utilise la machinerie moléculaire des cellules qu’il infecte pour se reproduire fut introduit en 1898 par Martinus Willem Beijerinck (1851-1931), un botaniste et microbiologiste néerlandais qui exerçait à l’école polytechnique de Delft. Étudiant la mosaïque du tabac, une pathologie qui affecte les plants de tabac, il découvrit ce qu’il qualifia de « contagium vivum fluidum » dont la reproductibilité le distinguait d’une toxine. Ainsi le mot virus est retrouvé dans de nombreux ouvrages pour illustrer ce que les auteurs anticipaient comme un agent infectieux. Ambroise Paré (1510-1590) (figure 36) premier chirurgien du roi et anatomiste écrit joliment en 1575 dans son dix-neuvième livre traitant de la grosse vérole : « Le 199
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Figure 36 | Ambroise Paré (1510-1590), un des premiers à employer le terme « virus » dans ses œuvres.
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virus pullulera et cheminera par les veines, artères et nerfs aux parties nobles ainsi que l’on voit le feu épris à une corde d’arquebuse ». Une gravure de 1608 représente Gilbert Fuchs (1504-1567), médecin flamand épiscopal à Liège qui vanta les bienfaits des eaux thermales de Spa. La légende mentionne le mot virus pour expliquer que ces eaux sont salutaires pour prévenir contre les infections. Jean Fernel (1506-1558) philosophe, mathématicien, astronome, et 1er médecin d’Henri II, dans son ouvrage sur la chirurgie de 1579 mentionne le mot virus qu’il dit être utilisé par les latins pour qualifier ces substances virulentes, sordides, purulentes, vermineuses, visqueuses, gluantes, blanchâtres qui émanent des ulcères (plaies), sans doute le pus. Deux siècles plus tard, Nicolas Eloy (1714-1788), médecin à Mons, dans son dictionnaire historique de la médecine (1778), mentionne le virus vérolique en référence à ce même Fernel et ses écrits sur la gonorrhée et la vérole, et précise que ce virus est quelques fois si lent à produire ses effets qu’on ne s’en aperçoit qu’au bout de trente ans. Dans son traité sur les maladies vénériennes (1743), Jean Astruc (1684-1766), professeur de médecine au Collège royal de médecine, médecin du feu roi de Pologne, Auguste II, et médecin ordinaire de Monseigneur le Duc d’Orléans traite également du virus vénérien. Jacques Louis Doussin-Dubreuil, (1762-1831) apprend la chirurgie auprès de son père à Paris. Il fut l’un des premiers à s’être déclaré en faveur de la vaccination et montra l’exemple en vaccinant ses propres enfants. Il proposa l’idée de dépôts de vaccins dans toute la France, ce qui eut des effets bénéfiques sur le contrôle des épidémies de variole. En Thermidor de l’An VIII (août 1800), il publia « De la gonorrhée bénigne, ou sans virus vénérien, et des fleurs blanches », un ouvrage dans lequel il faisait part de sa vision très personnelle de cette maladie vénérienne, peu enclin à y voir le mal dans un virus vénérien, mais privilégiant plutôt la masturbation et des coïts trop fréquents comme cause de la maladie. Il illustra ses propos d’exemples, comme ce jeune homme de 20 ans qui avait eu le malheur de se livrer à ce vice honteux, ce 201
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penchant funeste, cet excès de libertinage solitaire (sic). Tout aussi peu inspiré est Louis Richond des Brus (1788-1856), chirurgien aide-major à l’hôpital d’Instruction de Strasbourg en charge des maladies vénériennes, également homme politique et maire du Puy et député de la Haute-Loire de 1842 à 1848. Il fut élu correspondant national de l’Académie de médecine. Il publia un long ouvrage de 607 pages intitulé : « De la non-existence du virus vénérien, prouvée par le raisonnement, l’observation et l’expérience, avec un traité pratique des maux vénériens, rédigé d’après les principes de la nouvelle doctrine médicale » (1826). Il y fait part de ses onze cents observations et de ses trois mille patients qu’il traita au mercure ou à la poudre saccharine qui le conduisirent à la conviction qu’il n’existe pas de virus vénérien. Il nia également que la syphilis puisse venir d’Amérique ou être importée d’Italie par les soldats de Charles VIII. Il cita ses illustres prédécesseurs pour qui, à les entendre, ce virus serait un être subtil, adroit, susceptible de revêtir mille formes diverses pour mieux tromper le médecin, de choisir les moments favorables pour l’attaque, et de rester blotti quand il le juge nécessaire. Il rajouta pour conclure « quand on songe que c’est sur l’admission de cet être chimérique que repose tout l’échafaudage de la théorie syphilitique », une affirmation en contradiction avec les expériences d’inoculation d’Hunter. Il estimait aussi que les maux vénériens pouvaient se développer spontanément et sans contagion. Plus perspicace est Pierre Gérard Vassal (1769-1840), médecin et chirurgien des Armées, franc-maçon et secrétaire général au Grand Orient de France. Dans son « Mémoire sur la transmission du virus vénérien de la mère à l’enfant » (1807), il considéra que ce virus, inconnu dans son essence, mais appréciable par ses funestes effets, et trop souvent caché, n’est pas moins transmissible que les autres virus. Il estima que la transmission du virus syphilitique de la mère à l’enfant, a lieu durant la gestation par la voie de la circulation mais pas lors de l’accouchement au contact des voies génitales. Étienne Lancereaux (1829-1910), président de l’Académie de Médecine, 202
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décéda d’une septicémie à l’âge de 81 ans, quelques jours après une blessure au genou survenue en grimpant un escalier pour aller examiner un patient. Il fut célèbre pour ses travaux où il affirmait l’origine pancréatique du diabète. Il rédigea de nombreux ouvrage dont un « Traité historique et pratique de la syphilis » (1866) dans lequel il faisait régulièrement allusion au virus vaccin de la variole, au virus vénérien ou au virus syphilitique, agent de la transmission de la syphilis et de la contamination qui primitivement fixé aux parties génitales envahit bientôt la périphérie du corps. Avec l’ouvrage d’Antoine Louis (1723-1792), chirurgien de l’hôpital de la Salpêtrière, et chirurgien-major des troupes du roi, intitulé « Observation et remarques sur les effets du virus cancéreux. Et sur les tentatives qu’on peut faire pour découvrir un spécifique contre ce vice » (1749), on a de nouveau une collision entre le terme ancestral et sa signification contemporaine. En effet, il est reconnu aujourd’hui qu’un certain nombre de virus sont responsables de l’apparition de cancers. C’est en particulier le cas des virus des hépatites B et C, à l’origine de cancers du foie, des papillomavirus qui induisent des cancers du col de l’utérus, du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) associé au sarcome de Kaposi, et des virus lymphotrope T humain de type – 1, de l’Epstein-Barr, et de l’herpès associés à des lymphomes. Amédée Borrel (1867-1936), médecin formé à Montpellier, entré à l’Institut Pasteur en 1893, fut le premier à émettre l’hypothèse d’un lien entre virus et cancers (1907) Cette même année, Nicolaas Hendrik Swellengrebel (1885-1970), un pathologiste hollandais lui rendit hommage en nommant des bactéries, Borrelia, celles de la Boréliose ou maladie de Lyme. Il mena des travaux pour étayer cette théorie, sur les traitements des cancers et sur l’étude cytologiques des cellules normales et cancéreuses. Accueillie avec scepticisme, sa théorie ne fut démontrée que quelques années plus tard par Francis Peyton Rous (1879-1970). Ce virologue américain induisit des cancers chez le poulet en leur injectant des filtrats de cellules tumorales, démontrant la présence de ce que l’on nomma des virus 203
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oncogènes. Le fait que le cancer puisse être transmis par un virus (le virus du sarcome de Rous est un rétrovirus) ne fut guère pris au sérieux à cette époque, avant que ses travaux ne furent considérés comme précurseurs, et Rous reçu le prix Nobel en 1966, tout comme Renato Dulbecco (1914-2012) en 1975 après avoir démontré que l’infection de cellules normales par certains types de virus (oncovirus) conduisait à l’incorporation de gènes dérivés de virus dans le génome de la cellule hôte, et que cet événement conduit à l’acquisition d’un phénotype tumoral par ces cellules. Dans son mémoire sur les symptômes de la gangrène humide des hôpitaux et sur les remèdes propres à la combattre, (1775), Claude Pouteau (1724-1775) fait allusion à « Cette fièvre irritante initiée par un virus étranger ». Au xviiie siècle, le terme virus est régulièrement employé pour qualifier la contagiosité des maladies vénériennes. C’est en particulier le cas dans l’ouvrage de 1795 de Joseph Adams, sur les poisons morbides, déjà évoqué. De la même façon, le virus de la rage est régulièrement mentionné. Il est cocasse que le terme de virus de la rage soit utilisé dès le xviiie siècle, alors que ce n’est qu’en 1903 que la rage sera reconnue comme une maladie d’origine virale. Jean Astruc est de ceux qui mentionna très tôt le virus de l’hydrophobie, à savoir la rage. Tout comme Michel Marochetti, médecin et chirurgien à l’hôpital Galitzin de Moscou. Dans son mémoire lu le 4 octobre 1820 devant la société médico-physique de Moscou « Observations sur l’hydrophobie. Indices certains pour reconnaître l’existence du virus hydrophobique chez un individu, et moyens d’en prévenir le développement en en détruisant le germe », il rapporta ses observations sur l’efficacité du genêt des teinturiers (genista tinctoria), dont la décoction est utilisée avec succès dans le traitement de la rage. Il précisa qu’outre l’emploi de la décoction du genêt, on doit cautériser avec une aiguille rougie au feu, les petites pustules qui se montrent sous la langue, aux environs des glandes sublinguales. Dans les provinces méridionales du vaste empire russe, les habitants des campagnes ont 204
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la plus grande vénération pour cette espèce de genêt dont la décoction est propre à neutraliser les effets du virus rabique et à prévenir les terribles symptômes de l’hydrophobie. Mais tous ne croient pas en l’existence d’un virus rabique ! Gaspard Girard (1754-1850), médecin lyonnais apprécié par ses collègues soutint quelques opinions médicales qui n’étaient point admises par le plus grand nombre d’entre eux, mais assénée avec bienséance et politesse. Ainsi il déclara dans ses « Réflexions sur la non-existence du virus rabique » (1827) « que tous les phénomènes qui se manifestent à la suite de morsures faites par certains animaux, ne sont causés que par une aberration nerveuse […] et qu’il est inutile de supposer l’action d’un virus sui generis pour les faire naître ». Selon lui, ce serait même une pathologie psychiatrique. À propos d’un patient hydrophobe qui menaçait de mordre ceux qui s’approchaient de lui et présentait une forte aversion pour toutes boissons qu’on lui présentait, avec une bouche remplie d’une salive écumeuse et qui fut attaché à son lit, il indiqua : « Je considérais les symptômes qui existaient, comme ceux d’une aliénation mentale due à la peur que ce jeune homme avait de s’être inoculé les virus ; et j’eu la satisfaction d’apprendre que ma conjecture s’était réalisée. À l’aide des soins que lui prodiguèrent les officiers chargés du service sanitaire de l’hôpital, il recouvra la raison et la santé ». À l’inverse du peu inspiré Dr. Girard, il en est un dont l’oubli du nom est profondément injuste. Seuls sans doute les habitants de la commune La teste-de-Buch, près d’Arcachon (Gironde), connaissent le nom de Jean Hameau dont la statue initialement érigée dans leur cité en 1900, puis fondue en 1941 par les Allemands pour en récupérer les 387 kg de bronze, siège de nouveau depuis 2011 dans leur ville pour leur rappeler leur illustre ancêtre. Jean Hameau (1779-1851) (figure 37), était un médecin qui exerçait son métier avec un sens de l’observation particulièrement aiguisé et perspicace. En 1812, il communiqua le premier cas connu de transmission de la morve du cheval à l’Homme. En 1829, il rapporte les premiers cas de pellagre en France (un trouble nutritionnel consécutif à une carence en vitamine B3). En 1833, il 205
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Figure 37 | Jean Hameau (1779-1851), un visionnaire qui anticipa comment des germes (qu’il appelle alors « virus ») pouvaient être rendus responsables des maladies infectieuses.
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fut nommé Médecin Inspecteur des Bains d’Arcachon. Il s’acheta un petit microscope et observa les acariens de la gale. En 1847, il fit paraître un ouvrage intitulé « Étude sur les virus », où il rassemblait ses réflexions qu’il exposait depuis une dizaine d’années devant ses collègues de la Société Royale de Médecine de Bordeaux sans arriver à les convaincre. Pourtant Hameau est un précurseur, un visionnaire à une époque où l’origine des maladies infectieuses est encore terriblement floue. Il démontra avec des arguments qui lui semblaient sans réplique possible mais sans démonstration scientifique que la cause des maladies contagieuses ne pouvait être qu’une cause vivante et que le virus est un infiniment petit dont le germe déposé dans les corps vivants, Hommes ou animaux, y nait, y vit et se multiplie en compromettant leur santé et même leur existence. Il précisa que les maladies contagieuses se déroulent selon quatre phases : la contagion, l’incubation, la multiplication des germes, puis la phase terminale de la maladie non traitée avec, soit la guérison, soit la mort. Il mentionna que « Les mots venins, poisons, miasmes et virus, se confondent tellement dans notre esprit, que nous ne saurions, dans tous les cas, tracer une ligne qui les séparât avec précision ». Il précisa : « Tous, excepté le vaccin et la variole, sont invisibles, et s’élèvent dans l’air. Ils nous environnent, pénètrent en nous, sans que nous puissions les sentir ; y grandissent sans mesure et sans obstacle ; altèrent nos fluides ; ébranlent ou corrodent nos solides, et ne nous apparaissent qu’après avoir mutilé notre être, ou trop souvent, hélas qu’après l’avoir anéanti ! ». Il anticipa la prévention par l’hygiène, la quarantaine et l’évitement : « Enfin, empruntant à l’hygiène ses ressources salutaires, elle trace une ligne de démarcation dans un lieu qu’elle choisit (les lazarets), et dit à ces fléaux : Vous n’irez pas plus loin ! ». Surtout ses propos s’adaptent merveilleusement à la situation du COVID-19 : « Si l’on ne pouvait empêcher la contagion, il y aurait lieu de croire que ses effets en seraient adoucis. […] En attendant que la science puisse donner des règles fixes à cet égard, le meilleur moyen de se préserver de leurs funestes effets, c’est 207
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de se tenir à une certaine distance des lieux où ils sévissent, parce que, lorsqu’ils sont dans l’atmosphère, ils ne vont pas bien loin sans périr. Leur vie est courte, et ils ne pourraient contaminer à de grandes distances par le seul intermédiaire de l’air. Lorsqu’ils franchissent de grands intervalles, c’est qu’ils sont transportés dans des objets bien clos, ou dans l’intérieur du corps de quelques personnes pendant le temps de l’incubation. […] Oui, il viendra un temps où la science possédera des remèdes contre tous les virus ; mais on doit concevoir qu’un bien si précieux ne pourra jamais s’obtenir, qu’après qu’on se sera élevé à la compréhension de la véritable nature de ces agents. La thérapeutique est impuissante, et cède sa place à l’aveugle empirisme, lorsqu’elle ne peut s’appuyer sur une saine et lumineuse doctrine ». Ce n’est que le 14 avril 1850, lorsque son travail fut finalement présenté à l’Académie de médecine de Paris, qu’on lui fit savoir que son « œuvre interprétait des faits jusqu’alors inexpliqués, qui ouvraient un nouvel horizon à l’étiologie et à la thérapeutique de plusieurs maladies terribles, et montrait le seul chemin qu’on devait suivre désormais pour en délivrer l’humanité ». À propos de la fièvre jaune et du choléra, il écrivit : « Lorsque ces virus s’avancent dans les terres et voyagent au loin, ce n’est en quelque sorte que par erreur de lieu et en passant d’un individu à un autre, parce qu’ils y trouvent tout ce qui est nécessaire à leur existence. Pendant qu’ils sont dans l’air, il faut qu’ils trouvent à de courtes distances des gîtes contenant leur nourriture et les facilités convenables à leur reproduction ; sans cela ils cesseraient d’être bientôt ». Ou encore à propos de la variole : « Ce qui se passe dans ce cas donne l’assurance que les virus ont des germes qui les reproduisent, que ces germes sont d’une grande ténuité, qu’ils ont la puissance de traverser toutes nos parties, de grandir à nos dépens et de vaincre toutes les forces vitales pour accomplir leurs destinées. Quand on s’occupe sérieusement, de ce grandiose sujet, on est surpris que ces phénomènes si étonnants et si graves n’aient jamais fixé l’attention des savants pour en tirer des conséquences logiques, qui eussent pu depuis longtemps, conduire à la parfaite connaissance de ces causes de maladies ». L’édition de 1895 208
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réédité par son fils, fut préfacée par le Dr. Grancher, connu pour avoir le premier injecté le vaccin contre la rage de Louis Pasteur. « Oui, le Dr J. Hameau, dans son étude sur les virus, y parle de ces virus, de leur incubation et de leur multiplication, comme le ferait de nos jours un élève de Pasteur […] Ce n’est certes pas un mérite banal que celui-là ! Avoir pressenti, deviné, affirmé, avec toutes les preuves que pouvait lui fournir la science de son temps, une doctrine qui devait, cinquante ans après seulement, et grâce au génie de Pasteur, régner en souveraine ; c’est, à mon sens, faire preuve d’une sagacité pénétrante. Et si on veut bien remarquer que le Dr J. Hameau était un médecin de campagne, chevauchant à travers les landes jour et nuit, isolé de tout foyer scientifique et livré, en somme, à ses propres réflexions sur les faits dont il était le témoin, on comprendra mieux encore l’étonnement dont j’ai été saisi à la lecture de son travail. […] Quelle a été sa part dans cette évolution médicale d’un demi-siècle ? Bien petite assurément, nulle même si on veut, car ses méditations et ses écrits venaient beaucoup trop tôt pour être compris et agir sur ses contemporains. Et, l’eussent-ils voulu, ceux-ci n’auraient pu suivre l’impulsion donnée. Tout manquait, les instruments et la technique. […] Jean Hameau ne pouvait donc que pressentir la science du lendemain et la formuler en quelques phrases merveilleuses de sens et de finesse, mais il ne pouvait rien de plus ». Grancher conclut sa préface sur les travaux de Jean Hameau : « Si M. Pasteur avait connu son travail, il l’eût cité comme un de ses précurseurs ». Jean Hameau est presque mort dans les bras de son fils, lui-même médecin, qui l’opérait d’un ongle incarné. Trois jours plus tard, Jean Hameau mourait d’une septicémie foudroyante. L’épigraphe de son livre était : « Partout la vie est dans la vie et partout la vie dévore la vie ! ». Que ne peut-on plus belle définition pour un microbe qui emporte l’être qui l’héberge… En 1891, Saturnin Arloing (1846-1911), vétérinaire, titulaire de la chaire d’anatomie à l’École vétérinaire de Lyon et de la chaire de médecine expérimentale de la faculté de médecine publie un nouvel ouvrage intitulé tout simplement « Les virus ». Mais Arloing n’est 209
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pas un virologiste au sens contemporain du terme, mais un clinicien qui s’intéressa principalement à des maladies bactériennes comme l’anthrax, la gangrène gazeuse, la fièvre puerpérale (septicémie) et la tuberculose. Si dans son ouvrage il parle de façon prémonitoire du virus de la rage ou de la vaccine, le terme demeure l’équivalent de germe lorsqu’il traite du charbon, du rouget du porc, du choléra des poules, de la syphilis ou du paludisme. Mais il est temps d’aborder la découverte des virus. Celle-ci va se réaliser grâce aux botanistes qui travaillent sur les plants de tabac et connaissent une maladie nommée la mosaïque du tabac. Adolf Eduard Mayer (1843-1942) est un chimiste et botaniste allemand qui occupe le poste de directeur de la station d’expérimentation agricole à Wageningue, aux Pays-Bas. À la demande des agriculteurs hollandais, il étudie une maladie qui frappe leurs cultures de tabac. En 1882, il en décrit les symptômes et démontra alors que la maladie était transmissible par la sève des plants malades. Mayer utilisa un microscope optique pour rechercher la présence de champignons ou de bactéries dans la sève infectée, mais il n’en trouva aucun. C’est alors qu’intervint Dmitri Ivanovski (1864-1920) (figure 38), un botaniste russe, formé à l’Université de Saint-Pétersbourg qui fut également appelé en Crimée à se pencher sur la mosaïque du tabac. En 1892, il découvrit que l’agent infectieux présent dans la sève des plants contaminés peut passer au travers des filtres de Chamberland. Ces filtres furent découverts et mis en place en 1884 par Charles Chamberland (1851-1908) (figure 38), le partenaire de Pasteur à l’École Normale Supérieure et associé à la découverte de la théorie des germes. Ces porcelaines permettaient de filtrer l’eau de boisson et d’en assurer la stérilité car ils retenaient les bactéries. Ivanoski pensa alors qu’il pouvait s’agir soit d’une toxine soit d’une toute petite bactérie. Cette même approche fut employée à Delft en 1898 par Beijerinck qui confirma la contagiosité des filtrats émanant d’une sève de plants contaminés passée sur des filtres Chamberland et conçut le concept de virus filtrable, inactivé par l’ébullition mais pas par la dessiccation 210
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DMITRI IVANOVSKI (1864-1920)
CHARLES CHAMBERLAND (1851-1908S)
Figure 38 | La découverte des virus fut faite par Dmitri Ivanoski. La démonstration fut rendue possible grâce au filtre élaboré par Charles Chamberland. © (Filtre Chamberland) : Institut Pasteur / Musée Pasteur.
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et pouvant se reproduire au sein des cellules végétales. Dès lors, cette approche expérimentale fut employée pour des infections animales. Ainsi en 1898, Friedrich Loeffler (1852-1915), médecin et microbiologiste allemand travaillant alors à Berlin et son assistant Paul Frosch (1860-1928), utilisant l’équivalent des filtres Chamberland mais proposés de l’autre côté du Rhin par Wilhelm Berkefeld (18361897), découvrirent que l’agent infectieux de fièvre aphteuse porcine, présent dans la lymphe des cochons malades, pouvait être transmis à un autre animal après passage sur le filtre. Tandis que des dilutions répétées permettaient d’éliminer l’hypothèse d’une toxine, ce qui confirmait la reproductibilité de l’agent infectieux. Le premier virus humain fut découvert en 1902 par Walter Reed (1851-1902) et James Carroll (1854-1907) (figure 39), deux médecins militaires américains qui démontrèrent que la fièvre jaune était due à un virus. Ils établirent que le sérum chauffé prélevé chez un malade ne transmettait pas la maladie alors que ce n’était pas le cas pour le filtrat de ce sérum. À partir de ce moment la filtration va devenir une technique clé de l’étude des virus filtrables.
Figure 39 | Le premier virus humain, celui de la fièvre jaune, fut découvert en 1902 par deux médecins militaires américains : Walter Reed (1851-1902) et James Carroll (1854-1907).
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C’est ainsi qu’en 1906, Adelchi Negri (1876-1912) professeur de bactériologie à Pérouge fut le premier à identifier les virus orthopoxes, auxquels appartiennent la variole et la vaccine, comme étant des agents filtrables. En 1903, Émile Roux mentionna dans une revue l’ensemble de ces microbes alors invisibles. Émile Roux adepte de la photo prise au microscope aurait été fasciné par l’étape suivante qui allait permettre de voir ces microbes. Helmut Ruska (1908-1973) (figure 40) était un médecin et biologiste allemand de Heidelberg. Après avoir obtenu son diplôme de médecine, il a passé plusieurs années à travailler comme médecin dans les hôpitaux de Heidelberg et de Berlin. Pendant ce temps, il a également travaillé en étroite collaboration avec son frère Ernst Ruska (1906-1988), Prix Nobel de Physique en 1986 pour sa mise au point du premier microscope électronique (1933). Le virus de la mosaïque du tabac peut être produit à des titres élevés dans les plantes et purifié en quelques étapes simples, et en définir la structure et la taille était devenu un objectif essentiel à atteindre grâce au micro scope électronique. Comme la faible densité de masse des bâtonnets de virus d’un diamètre de seulement 15 nm provoquait très peu de contraste, des particules d’or colloïdal denses aux électrons furent mélangées aux suspensions de virus pour aider à la focalisation. En 1939, Helmut Ruska offrait alors à la communauté scientifique la première image d’un virus, celui de la mosaïque du tabac67. La première classification des virus fut proposée en 1962 par le pasteurien André Lwoff (1902-1994), prix Nobel 1965 avec Jacques Monod (1910-1976) et François Jacob (1920-2013) pour leur découverte de la régulation génétique de la synthèse des enzymes et des virus. Cette classification était basée sur la nature du matériel génétique (ADN ou ARN), la symétrie de la capside (hélicoïdale ou cubique), l’absence ou l’existence d’une enveloppe entourant la nucléocapside, et les dimensions. 67. Kausche GA, Pfankuch E, Ruska H. Die Sichtbarmachung von pflanzlichem Virus im Übermikroskop. Naturwissenschaften. 1939; 27: 292-99. 213
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Figure 40 | La première observation d’un virus au microscope électronique a été faite par Helmut Ruska (1908-1973), grâce à la mise au point du premier microscope électronique par son frère Ernst Ruska (1906-1988). © (H. Ruska) : Reproduction de The Lancet, Vol. 355, n° 9216, 13 mai 2000, DH Kruger, Helmut Ruska and the visualisation of viruses, pp.1713-1717, Copyright 2022, avec l'autorisation d'Elsevier.
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Qu’il me soit permis ici de rendre hommage à un historien des sciences particulièrement érudit et exceptionnel, Jean Théodoridès (1926-1999). Parmi les nombreux textes et ouvrages qu’il a laissés, son élégant livre « Des miasmes au virus » (1991) est une mine précieuse d’informations. N’oublions pas de citer Paul de Kruif (1890-1971), médecin et bactériologiste à qui l’on doit « Microbe hunters »68 (1926), un best-seller célèbre régulièrement réédité dans lequel l’auteur propose une rencontre avec quatorze des héros de la microbiologie. LA RAGE La rage est connue depuis des temps immémoriaux et décrite par de nombreux auteurs romains comme Dioscoride, Pline l’ancien, Galien, Aulus Cornelius Celsus, et Caelius Aurelianus. Dans son ouvrage déjà mentionné, Fracastoro estime que la rage est due à la pénétration dans l’organisme de germes (seminaria), tandis qu’il préconise la cautérisation des morsures : « la semence possède une force qui la rend capable de se propager, et d’engendrer, à la façon des esprits ». Grancher qui qualifie Fracastoro de précurseur instinctif et génial, estime être sûr qu’il était inconnu de Pasteur. Il semble donc que durant sa formation de chimiste, Pasteur n’ait pas eu l’occasion de prendre connaissance des auteurs qui défrichèrent les fondements des maladies infectieuses. Et à en croire Grancher, il n’aura pas non plus ultérieurement fait l’effort de lire les ouvrages de ses précurseurs. En 1804, Georg Gottfried Zinke (1771-1813), médecin et naturaliste allemand à Kahla, près d’Iéna, inocula des lapins avec de la salive de chiens enragés, prouvant ainsi la nature infectieuse de la rage. En 1813, les médecins Gilbert Breschet (1784-1845) et François Magendie (1783-1855) poursuivirent la démonstration de la contagiosité en infectant des chiens avec de la salive prélevée à un patient atteint de la rage. En 1879, Pierre Victor Galtier (1846-1908), vétérinaire de Lyon, repris et confirma les expériences de Zinke, en transmettant la rage de chiens malades 68. Chasseur de microbes. 215
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au lapin. Il montra que l’inoculation intraveineuse était inefficace et que seules les inoculations par voie sous-cutanée, dans la plèvre ou dans le nerf sciatique étaient suivies d’effet. La même année, Maurice Raynaud (1834-1881), qui exerçait alors à Lariboisière, fraichement élu à l’Académie de médecine, démontrait la transmissibilité de la rage humaine au lapin. Il observa la survenue d’une mort rapide en moins de quatre jours après avoir injecté par voie sous-cutanée de la salive prélevée chez un de ses patients. À l’inverse le sang du malheureux laissa le lapin indemne de toute rage. Paul Remlinger (1871-1964) (figure 41) est un médecin et biologiste français né à Bertrange (Moselle). Il mena ses études de médecine à l’Hôpital militaire du Val-de-Grâce, à Paris, et soutint sa thèse de doctorat à la faculté de médecine de Lyon sur « l’Étude sur l’hérédité de la tuberculose ». Après un début de carrière au service de santé du Val-de-Grâce, il prit un poste de chef du laboratoire militaire de bactériologie de Tunis (1896), puis en 1901, il succéda à Maurice Nicolle comme directeur de l’Institut Impérial antirabique de Constantinople et se spécialisa dans l’étude de la rage, publiant une série d’articles traitant de la pathogénie de la rage chez les animaux. En 1914, il fut détaché à l’Institut Pasteur de Tanger nouvellement créé, dont il assura la direction jusqu’en 1956 quand il fut mis à la retraite à 84 ans, contre sa volonté, et il finit ses jours à Tanger. Durant toute cette période, il poursuivit ses travaux sur le virus de la rage et de la vaccination antirabique, reconnaissant en 1936 la supériorité de la méthode des vaccins antirabiques phéniqués, dont il fut le propagandiste. Mais sa principale contribution fut d’avoir démontré que la rage était le fruit d’une infection virale. En 1903, il démontra que l’agent pathogène de la rage est un virus filtrant. Sans doute Pasteur avait l’idée, dès 1881, que le virus de la rage était une particule ultramicroscopique, mais il n’avait alors pas connaissance de cette nouvelle entité qu’est le virus. Deux autres pasteuriens s’illustrèrent dans ce domaine, Pierre Lépine (1901-1989) et Pascu Atanasiu (1913-1995) qui en 1963 identifièrent la nature du virus de 216
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Figure 41 | La découverte que la rage est due à un virus a été faite par Paul Remlinger (1871-1964). © Institut Pasteur / Archives Paul Remlinger.
la rage, comme étant un virus à ARN (ribovirus) tandis qu’Atanasiu en fit la première observation au microscope électronique. LA GRIPPE Charles Nicolle que nous avons déjà croisé à l’occasion de la découverte sur la transmission du typhus par les poux à l’Institut Pasteur de Tunis appliqua la technique de la filtration pour démontrer en 1918 l’origine virale de la grippe. Pour ce faire, il récupéra des expectorations bronchiques de patients grippés, les filtra et instilla par voie sous-conjonctivale et nasale le filtrat à des singes qui ne 217
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manquèrent pas de développer l’infection. Il en fit de même sur deux jeunes adultes en injectant son filtrat par voie sous-cutanée. La même année à l’Institut Pasteur de Paris, René Dujarric de la Rivière (18851969) (figure 42) démontra également que la grippe est due à un virus filtrable. Pour ce faire, il préleva le sérum d’un patient grippé, le filtra puis s’injecta le filtrat en sous-cutanée. Au 3e et 5e jour il eut des céphalées, des douleurs, de la fatigue générale, de la fièvre et des nuits agitées. Au 7e jour, il constata même quelques troubles cardiaques. Après avoir préparé un nouveau filtrat à partir de crachats d’un autre patient grippé, il se le déposa au fond de la gorge dix jours après sa première inoculation et constata qu’il ne développait aucun symptôme, ayant été immunisé lors de sa première expérience. Au Japon, la pandémie de grippe espagnole tua un total de 451 544 personnes. En janvier 1919, la pandémie avait déjà touché trente millions de personnes. Cette année-là, Tamotsu Yamanouchi (1880-1944)69 rapporta dans le journal The Lancet des expériences très similaires à celles de nos deux français. Le crachat de 43 patients grippés fut collecté et, amis, médecins et infirmières se proposèrent comme volontaires. Une émulsion fut déposée dans le nez et la gorge de douze personnes saines, tandis que douze autres étaient inoculés avec un filtrat obtenu après passage sur un filtre Berkefeld. Après deux ou trois jours de période d’incubation, tous développèrent les symptômes de la grippe (fièvre, maux de tête, maux de gorge, lumbago, toux) sauf ceux qui avaient déjà contracté la grippe de façon naturelle. Une expérience fut également menée sur six volontaires qui reçurent un filtrat préparé à partir du sang des patients grippés. Chacun d’entre eux développa la grippe. Par contre, aucun des quatorze sujets sains qui reçurent diverses préparations du bacille de Pfeiffer (Haemophilus influenzae) seul ou associé à des pneumocoques, des staphylocoques, des streptocoques et autres diplocoques, ne développa de grippe. Il faut dire qu’à l’époque de la grippe espagnole, certains croyaient que 69. Yamanouci T, Sakakami K, Iwashima S. The infecting agent in influenza: An experimental research. The Lancet. 1919; 971. 218
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Figure 42 | La découverte que la grippe est due à un virus a été faite par René Dujarric de la Rivière (1885-1969). © Institut Pasteur / Archives René Dujarric de la Rivière.
la bactérie de Pfeiffer était l’agent causal de la grippe. Tant et si bien qu’au Japon l’institut Kitasato prépara un vaccin contre cette bactérie qui fut donné à 2,48 millions de personnes. Mais les travaux de Yamanouchi permirent de conclure que : (i) le germe de la grippe est un agent filtrable (un virus), (ii) l’agent pathogène induit la maladie via les muqueuses, (iii) il est présent dans les crachats et le sang des patients atteints de grippe, (iv) la bactérie de Pfeiffer n’est pas l’agent responsable de la grippe, (v) ceux qui ont déjà contracté la grippe deviennent immunisés contre la maladie. Âgé alors de 39 ans, ce furent les derniers travaux de Yamanouchi qui retourna à la pratique médicale illustrant ses propos prémonitoires publiés dans le journal Le Temps du 12 septembre 1913. À propos de son compatriote Hideyo Noguchi (1876-1928), bactériologiste japonais qui découvrit le pathogène de la syphilis alors qu’il travaillait au Rockefeller Institute à New York, et chez qui il séjourna : « Il fera bien de rester aux États-Unis. 219
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Il semble que les pays d’Europe et d’Amérique portent bonheur à nos chercheurs. Ils deviennent célèbres dès qu’ils travaillent dans les laboratoires européens ou aux États Unis. Dès qu’ils rentrent au Japon leur production scientifique se ralentit et cesse au bout de très peu de temps ». Après avoir été diplômé de l’école de médecine de Tokyo, en novembre 1906, Yamanouchi vint se former en Europe. À Vienne, il travailla sur l’anaphylaxie auprès d’Ernst Peter Pick (1872-1960) puis rejoignit le laboratoire de Metchnikoff à l’Institut Pasteur. Il travailla avec Constantin Levaditi sur la syphilis, son diagnostic et sa détection dans le liquide céphalo-rachidien. Ce dernier sujet d’étude les amena à étudier des sujets atteints de la maladie du sommeil. Comme de bien entendu quand on était dans le laboratoire de Metchnikoff, il s’intéressa aussi aux vertus des phagocytes70. En 1911, il accompagna son mentor dans les steppes Kalmoukes lors d’une étude épidémiologique sur la tuberculose. Peu avant la mort de Metchnikoff, il travailla auprès d’Eugène Doyen (1859-1916), le très brillant, très mondain, très inventif, et très riche chirurgien, mais très contesté savant qui clamait avoir découvert le Micrococcus neoformans, la bactérie responsable du cancer. Ce dernier proposa la vaccination anti-cancéreuse et le traitement des cancers par électrocoagulation thermique. Après treize années passées en Europe, alerté par l’état critique de son père, il se décida à rentrer au Japon avec sa jeune épouse française. Selon un article du grand quotidien japonais Asahi Shimbun, du 22 juin 1921, on apprenait que Yamanouchi développait une approche vaccinale contre la variole qui ne laisserait aucune cicatrice. Le Dr. Yamanouchi déclarait que cette méthode devrait plaire aux femmes européennes car elles accordent plus d’importance à la beauté physique que les femmes japonaises ! Il avait alors essayé la méthode auprès d’une centaine de personnes mais avait estimé que le moment n’était pas encore venu de publier un article sur cette étude. Il décéda en 1944, alors que les bombardements à Tokyo avaient commencé. 70. Yamanouchi T. Recherches expérimentales sur une méthode thérapeutique basée sur la stimulation des phagocytes. Annales Institut Pasteur. 1914; 28: 420-37. 220
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À l’Institut Pasteur, en 1948, René Dujarric de la Rivière créa le laboratoire de la grippe, et isola la première souche française de virus grippal. LE COVID-19 Tous mortels… mais certains plus que d’autres face au SARSCoV-2… Surtout les gros, les vieux, les diabétiques ! Quelles images garderons-nous de la pandémie de COVID-19 ? Des photos semblables à ces images gravées dans nos mémoires de l’imaginaire collectif entretenu par les tableaux représentant les pandémies passées et proposés par de nombreux artistes comme Michel Serre, Nicolas Poussin, Luigi Sabatelli, Michael Sweerts, Micco Spadaro, ou Pieter Bruegel l’Ancien, où les morts jonchent les rues et les places à Marseille, Ashdod, Florence, Athènes, ou Naples ; un monde sans doute pas si imaginaire que ça, mais effrayant avec toute la désolation qui se lit sur les visages des survivants. Désormais, il n’est plus question d’imaginaire, mais de photos où la mort se devine en filigrane. Les camions militaires évacuant nuitamment les cercueils hors des hôpitaux italiens submergés par le désastre sanitaire de la première vague ; les queues des proches venant récupérer les urnes funéraires à Wuhan ; les vues aériennes de centaines de tombes fraichement creusées à Manaus ; les nombreux buchers allumés sur des sites de crémation improvisés à New Dehli ; les milliers de petits drapeaux plantés dans le sol du National Mall de Washington lorsqu’en septembre 2020, les USA atteignait 200 000 morts71. Il y a aussi ces images d’un hôpital de mille lits sortis de terre en dix jours à Wuhan ; cet hôpital de campagne des armées devant l’hôpital de Mulhouse offrant quinze lits de réanimation supplémentaires ; ces évacuations par hélicoptères ou par TGV médicalisés de patients surnuméraires vers l’Allemagne ou d’autres régions de France. Et ces innombrables images de services de réanimation, ces patients floutés à plat ventre, sous respirateur et leurs 71. Les États-Unis est le pays qui aura payé le plus lourd tribut avec 935 057 morts imputables au COVID-19 au 20/02/2022, devant le Brésil, 644 195 décès et l’Inde, 511 903 morts pour 1,3 milliards d'habitants ; tandis qu’à cette date on comptait 137 595 morts en France. 221
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nombreux branchements comme autant de lignes de vie, parfois sous ECMO (extracorporeal membrane oxygenation) pour suppléer à leurs poumons défaillants ; et ce personnel médical masqué, harassé, dévoué, épuisé assurant au mieux le serment d’Hippocrate. Officiellement, le COVID-19 apparut le 30 décembre 2019 sur le marché aux animaux vivants de Wuhan (Chine). On découvrit à cette occasion à quoi ressemble un pangolin. Mais dès mars 2020, le pangolin fut innocenté et l’intermédiaire entre la chauve-souris et l’Homme demeure un mystère. À l’inverse, les lanceurs d’alerte chinois ne furent pas innocentés et le sort de l’urgentiste Ain Fen, de l’avocat Chen Qiushi, et de l’homme d’affaire Fang Bin demeure incertain. Par contre, le sort du Dr. Li Wenliang, ophtalmologue de 33 ans à l’hôpital de Wuhan était scellé. Après avoir alerté sur les réseaux sociaux de ces cas qui ressemblaient au SARS, et après avoir été accusé par les autorités de transmettre des rumeurs, il décéda le 7 février 2020 du COVID-19. Mais le COVID-19 n’apparut pas de novo en décembre 2019 et des études à posteriori d’échantillons conservés dans des sérothèques prouvent que des cas d’importation existaient en Italie dès septembre 2019 et en France dès novembre 2019. Officiellement, les premiers cas hors de Chine apparaissent en Thaïlande le 13 janvier et aux USA le 21 janvier. Ce qui fascine, c’est l’incroyable rapidité de l’acquisition des informations sur ce nouveau coronavirus. Le 10 janvier, la séquence génétique complète du virus était divulguée, et sa similarité avec le virus de la précédente épidémie de SARS fait qu’il fut baptisé SARS-CoV-2 le 11 février, tandis que l’OMS attendait le 11 mars pour déclarer la pandémie. La structure tridimensionnelle de la molécule de surface du virus (la protéine spike) était dévoilée le 19 février et la nature de son récepteur sur les cellules humaines, l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE2) suggérée le 27 février. La mobilisation de la communauté scientifique fut exceptionnelle. En France, l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR) mit en place des appels à projets spécifiques, évalués dans un contexte d’urgence sans précédent mais avec efficacité, pertinence et rigueur, permettant 222
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de financer 279 projets de recherche sur un total de 1 020 dossiers déposés, pour un montant de 35,6 millions d’euros. J’avais convié pour être membre du jury le Dr. Hubert Laude, chercheur retraité de l’INRA, le français le plus expérimenté en coronavirus. Dans un article qui lui fut consacré dans le Journal Le Monde (8 avril 2020), on apprenait qu’en 1995, les autorités scientifiques bien peu inspirées, lui demandèrent d’arrêter ses recherches sur les coronavirus estimées de piètre importance et de passer à autre chose… À la plus grande joie de ses concurrents européens ! Nul doute qu’en France on manquait de visionnaires ! Au niveau international, un évènement inédit fut proposé par les éditeurs des journaux scientifiques, à savoir le libre accès à toutes les publications scientifiques relatives au COVID-19. Et elles furent nombreuses puisqu’en 2020, près de 93 000 publications furent produites et près de 137 000 en 2021. Le COVID-19 aura été l’occasion d’un florilège de déclarations plus incongrues les unes que les autres : Donald Trump, président des États-Unis d’Amérique suggéra l’injection de désinfectant ; Luc Montagnier (prix Nobel 2008) déclara que le SARS-CoV-2 était une construction humaine avec le virus du VIH ; Christian Bréchot (ancien directeur de l’Inserm et de l’Institut Pasteur) estima que le virus SARS-CoV-2 est un virus saisonnier72 ; Eric Maury (président de la Société de Réanimation de Langue Française) expliqua qu’il n’était pas nécessaire de tester tout le monde qui présentait des symptômes ; Djillali Annane (Réanimateur à l’Hôpital Raymond Poincaré et ancien conseiller du Ministre de la Santé) considéra lors de la première vague que JeanMichel Blanquer (Ministre de l’Éducation Nationale) avait raison, et qu’il fallait atteindre l’immunité naturelle collective73 ; Didier Raoult 72. En France, le premier pic de la vague épidémique eu lieu le 12 avril 2020, le deuxième, le 8 novembre 2020, le troisième le 4 avril 2021, et le quatrième le 15 août 2021, tandis que dans d’autres pays les pics furent observés à des dates différentes, illustrant l’absence de saisonnalité. 73. Pour atteindre, ne serait-ce que 70 % d’immunité collective, lors de la première vague, avec alors une mortalité de 3 %, cela aurait généré 1,38 millions de morts et fait exploser les services de réanimation. 223
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(Institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de Marseille) affirma que le COVID-19 était l’infection respiratoire la plus facile à traiter… Jamais les scientifiques et les médecins n’avaient autant rempli les plateaux de télévision, offrant pour beaucoup leur absence d’humilité face à ce nouveau virus et leur absence de discernement. Régulièrement invité pour présenter au personnel de l’ANR le point sur la pandémie et les vaccins, j’invitais mes collègues à ne prendre au sérieux comme source d’informations que les sites de l’OMS, de l’UNICEF, de l’académie de Médecine, du ministère de la santé, du CDC (Centers for Disease Control, américain) et son équivalent européen, ou PubMed (qui référencie l’ensemble des publications scientifiques) et de bannir tous les réseaux sociaux. Même des tribunes libres dans certains média n’étaient pas à l’abri de manipulation intellectuelle voire de complotisme. À propos d’une telle tribune publiée dans Médiapart par un sociologue qui après avoir soutenu l’usage de l’hydroxychloroquine, tentait de démontrer la dangerosité des vaccins anti-SARS-CoV2, le 21 août 2021, le CNRS déclarait avec pertinence et de façon fort appropriée : « Le CNRS déplore les prises de position publiques de certains scientifiques, souvent plus soucieux d’une éphémère gloire médiatique que de vérité scientifique, sur des sujets éloignés de leurs champs de compétences professionnelles ». Ce même CNRS publiait en septembre 2021 un rapport de son comité d’éthique où il dénonçait le « populisme scientifique », et une « science spectacle », rappelant que « la communauté scientifique a aussi éprouvé un malaise face au traitement médiatique de certaines informations, où étaient mis sur le même plan des résultats de recherche fiables, des observations empiriques, des conclusions hâtives tirées de ces observations et de simples opinions ». Face à la confusion entre faits avérés et simples opinions, d’ajouter : « La légitimité de la parole des scientifiques a été remise en cause dans maintes circonstances. Quelques scientifiques par des déclarations irresponsables voire délibérément provocatrices en portent une part de responsabilité ». Et de citer la loi de Brandolini ou principe d’asymétrie de l’argumentation : « La quantité d’énergie 224
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nécessaire pour réfuter des foutaises est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire ». Je fus invité par l’Institut de Microbiologie et d’Immunologie Metchnikoff à Kharkov (Ukraine) à revisiter les travaux de Metchnikoff à la lumière du COVID-19, et acceptais ce défi. Je réalisais alors combien le polymathe Élie Metchnikoff aurait été fasciné par cette nouvelle pathologie infectieuse et combien ses propres travaux et ceux de ses plus proches collaborateurs étaient en connexion avec cette maladie. Le COVID-19 a donc généré une profusion d’articles scientifiques. Bien peu peuvent prétendre en avoir lu ne serait-ce qu’un pour cent. Alexandre Besredka disait de Metchnikoff : « ses yeux abrités derrière des lunettes, pétillants de malice et de bonté ; sa simplicité, son abord invariablement accueillant […] son érudition et sa mémoire prodigieuse qui faisaient de Metchnikoff une bibliographie vivante, d’autant plus agréable à consulter qu’on avait l’air en le faisant, de l’obliger. D’aucuns font ressortir son talent de professeur exerçant sur l’auditoire une emprise à laquelle nul n’échappait ; l’ardeur juvénile qu’il apportait aux discussions dans les académies et surtout dans les congrès internationaux, son tempérament fougueux que redoutaient tant ses contradicteurs ». Il faut dire qu’il était bien le seul à maîtriser le russe, l’allemand, le français et l’anglais, ce qui lui permettait de prendre connaissance des articles scientifiques publiés à l’époque dans la langue de leurs auteurs. Ce goût pour la lecture est illustré par un célèbre tableau du peintre russe Ossip Perelmanov, dit Ossy de Perelma (1876-1949), représentant Metchnikoff assis à un bureau devant une montagne de livres, de journaux et de papiers et feuilletant des articles (figure 43). Le COVID-19 fut sans conteste une formidable incitation à la coopération internationale tandis que Metchnikoff accueillit dans son laboratoire pas moins d’une centaine de collaborateurs d’Europe et même du Japon avec qui il publia plus de deux cents articles. Avec mes collègues de l’« European Shock Society » et de l’« European Group on Immunology of Sepsis » nous publiâmes des revues 225
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Figure 43 | Élie Metchnikoff (1845-1916). Peinture de Ossip Perelmanov.
sur ce que nous nommons une nouvelle entité médicale74. Treize nationalités étaient ainsi représentées. Metchnikoff travailla sur le vieillissement, créant à cette occasion le terme gérontologie. Or il se trouve, que la mortalité due au COVID-19 concerne essentiellement 74. Osuchowski MF et al. SARS-CoV-2/COVID-19: Evolving Reality, Global Response, Knowledge Gaps, and Opportunities. Shock. 2020; 54(4): 416-37. Winkler MS et al. Bridging animal and clinical research during SARS-CoV-2 pandemic: A new-old challenge. EBioMedicine. 2021; 66: 103291. Osuchowski MF et al. The COVID-19 puzzle: deciphering pathophysiology and phenotypes of a new disease entity. Lancet Respir Med. 2021; 6: S2213. 226
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les personnes âgées. On appelle « immunosénescence » l’altération du système immunitaire et « inflammaging » la capacité des personnes âgée à produire davantage de cytokines inflammatoires : des termes qui auraient ravi Metchnikoff. Outre le fait de s’être inoculé avec le sang d’un patient ayant une fièvre récurrente, et d’avoir bu une culture de choléra, Metchnikoff étudia de nombreuses pathologies infectieuses dont la syphilis et la tuberculose. Un de ses collaborateurs, Félix Mesnil (1868-1938) publia un travail sur la septicémie « vibrionienne », or il se trouve que la communauté scientifique s’accorde à considérer les cas graves de COVID-19 comme étant un sepsis viral (terme généraliste incluant l’ancien concept de septicémie). Bien sûr, Metchnikoff est le père des phagocytes, et avec Nicolaï Tchistovitch (1860-1926) ils décrivirent les macrophages alvéolaires, présents au sein des poumons. On sait que macrophages en général et macrophages alvéolaires en particulier font partie intégrante de la pathogénèse du COVID-19, tout comme les neutrophiles, appelés du temps de Metchnikoff, des microphages. Notamment un processus nommé « nétose » consiste en une mort particulière des neutrophiles qui libèrent l’ensemble de leur matériel intracellulaire à l’extérieur de la cellule. Ce phénomène a été observé dans les poumons des patients développant un syndrome de détresse respiratoire aigu. Or il se trouve que Constantin Levaditi (1874-1953) dans le laboratoire de Metchnikoff observa ce processus. Les leçons de Metchnikoff sur l’inflammation sont célèbres et furent traduites en anglais. Metchnikoff avait pleinement conscience qu’il existe une inflammation physiologique bénéfique et une inflammation pathologique75 ; en d’autres termes, le yin yang de la réponse de l’hôte à l’infection associant effets bénéfiques et délétères. Cette ambivalence, cette dichotomie, ces deux faces de Janus a été joliment illustrée lorsqu’il fut montré que le traitement par interféron-α était bénéfique lorsqu’institué précocement chez les patients COVID-19, mais au contraire délétère 75. Tauber AI. Metchnikoff and the phagocytosis theory. Nat Rev Mol Cell Biol. 2003; 4: 897-901. 227
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lorsqu’il était administré tardivement76. Bien sûr, une inflammation délétère est fortement présente au sein des poumons des patients les plus sévères. Elle-même exacerbée chez les patients obèses chez qui on soupçonne une contribution des macrophages dans un état activé au sein des tissus adipeux, cellules dont la présence dans ces tissus était connue et mentionnée par Metchnikoff. Ce dernier avait pleinement conscience du rôle des diverses parties de l’organisme dans la lutte contre l’invasion microbienne. Et sans doute aurait-il souscrit au concept que je développais de « compartimentalisation » pour illustrer que des processus différents voir opposés peuvent se produire lors d’une pathologie inflammatoire systémique comme le sepsis77. On parla de tempête cytokinique pour caractériser le COVID-19, mais en périphérie, il s’agit davantage d’une petite bruine, tandis qu’effectivement chez les patients les plus graves, cette tempête se produit dans leurs poumons où des cytokines agissent en synergie pour induire des dommages tissulaires pouvant entraîner la mort. Des données redécouvertes à l’occasion des travaux sur le COVID-19 mais connues depuis déjà plus de vingt-cinq ans. Cette confirmation de travaux anciens se reproduisit à l’occasion de la démonstration de la contribution d’un système du complément dans l’aggravation de l’inflammation pulmonaire. Ce système du complément fut découvert dans le laboratoire de Metchnikoff par Jules Bordet qui, avec Octave Gengou, étudia également le processus de coagulation, un phénomène étroitement associé aux formes graves du COVID-19. Metchnikoff mena de nombreux travaux sur le tube digestif, or le COVID-19 est associé dans plus de 17 % des cas à des manifestations gastro-intestinales. Metchnikoff découvrit dans le cerveau les cellules microgliales qu’il nomma « neuronophages » et 76. Wang N et al. Retrospective multicenter cohort study shows early interferon therapy is associated with favorable clinical responses in COVID-19 patients. Cell Host Microbe. 2020; 28: 455-64. 77. Cavaillon JM, Adib-Conquy M, Cloëz-Tayarani I, Fitting C. Immunodepression in sepsis and SIRS assessed by ex vivo cytokine production is not a generalized phenomenon: a review. J Endotoxin Res. 2001; 7: 85-93. 228
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s’intéressa à l’atteinte des cellules nerveuses lors de l’infection par la rage. Or on sait que le COVID-19 est aussi un pathogène du système nerveux. Le COVID‑19 fut associé à des nombreux troubles psychologiques, thème cher à Metchnikoff qui écrivit deux livres sur la nature de l’Homme avec une vision de philosophie optimiste. Jeune, Metchnikoff fut de nature psychologique fort fragile. Très affligé par les graves maladies infectieuses de ses épouses, Metchnikoff a tenté à deux reprises de se suicider. La première fois, c’était à Madère, après la mort de sa première femme Ludmilla Federovna. Pour se faire il avala une forte dose de morphine et devint d’ailleurs pour quelques temps dépendant de cette drogue. La deuxième fois, c’était après que sa seconde épouse, Olga Belokopytova, ait déclaré une fièvre typhoïde. Dans son premier ouvrage « Études sur la nature humaine. Essai de philosophie optimiste » (1903), n’est-il pas cocasse d’y lire cet autoportrait : « Je connais d’une façon tout à fait intime un homme de science qui se sentait très malheureux pendant sa jeunesse. Doué d’une sorte d’hypersensibilité pour la souffrance, il essayait de la calmer par tous les moyens possibles. Une contrariété quelconque était capable de le plonger dans un état de véritable prostration à laquelle il remédiait par des narcotiques. Pour échapper à certaines douleurs morales, il s’inoculait des virus morbides. Plus tard, arrivé à un âge mûr et avancé, son hypersensibilité a fait place à des sentiments moins aigus. Il ne ressent plus le mal d’une façon aussi violente que pendant sa jeunesse. Par contre, il apprécie beaucoup plus le côté positif de l’existence et, même dans des cas où il se sent malheureux, il ne lui vient jamais l’idée d’abréger son existence. Étant jeune, il était pessimiste et admettait que le mal l’emporte de beaucoup sur le bien. À un âge plus avancé, son appréciation de l’existence s’est totalement modifiée ». Metchnikoff travailla sur plus de trente espèces animales et les études du COVID-19 furent possibles grâce à la mise en place de modèles animaux. Rappelons à ce propos que le COVID-19 est une 229
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zoonose dérivée des chauves-souris et que Metchnikoff publia des travaux sur cette espèce animale. Le COVID-19 fut l’occasion d’une recherche sans précédents dans le domaine de la vaccination. Bien que Metchnikoff soit considéré à juste titre comme le père de l’immunité innée et de l’immunité cellulaire, il ne dénia pas mettre ses collaborateurs sur des travaux associés à l’immunité humorale, et la recherche d’une protection (ou non) obtenue suite à une vaccination, comme ce fut le cas du belge Jules Bordet, du russe Vassiliy Issaevitch Issaeff, ou de l’italien Giuseppe Sanarelli (1864-1940). Après avoir été le directeur de l’Institut de Bactériologie d’Odessa pour promouvoir la vaccination contre la rage et l’anthrax développé par Pasteur, Metchnikoff travailla lui-même sur la vaccination en élaborant une vaccination contre la toxine cholérique en travaillant chez le cobaye, le lapin, la chèvre et le cheval et contre la fièvre typhoïde en travaillant chez le chimpanzé.
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L’HERBOLOGIE L’herbologie constitue sans doute une des plus anciennes approches médicales proposées par les médecins. Shennong (2800 avant J.-C.) (figure 44), Empereur de la mythologie chinoise, est considéré comme le père de l’herbologie chinoise, et le premier livre de plantes médicinales (200-300 avant J.-C.) serait le fruit des connaissances acquises depuis ses travaux. Les Égyptiens firent également appel à des remèdes à bases de plantes ; en témoignent les papyrus découverts par Georg Moritz Ebers (1837-1898) et Edwin Smith (1822-1906). Ainsi, des infusions de myrte séchée étaient préconisées pour traiter des douleurs rhumatismales. Pedanios Dioscoride (vers 40 – vers 90 après J.-C.) est un médecin militaire grec d’Asie Mineure qui accompagna les légions romaines dans une grande partie de l’Europe. Cela lui permit de recueillir une grande variété de plantes dans les différents pays traversés. Il est célèbre par son herbier connu sous le nom de « De Materia Medica », une description, rédigée vers 60 après J.-C., de plus 231
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de six cents plantes et presque 1 000 remèdes. Non seulement ce fut la principale source de connaissances en matière de plantes médicinales durant l’Antiquité, mais de nombreux docteurs botanistes s’en inspirèrent. Ainsi au xvie siècle, Leonhart Fuchs (1501-1566) médecin réputé en Bavière, auprès du duc de Wurtemberg à Tübingen, établit un jardin des plantes médicinales, l’un des plus vieux au monde. En 1542, il publia à Bâle en latin puis traduit en allemand l’année suivante « De historia stirpium commentarii insignes » où il
Figure 44 | Shennong, Empereur de la mythologie chinoise à l’origine de l’herbologie.
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décrivait la flore de différents pays européens, en s’inspirant essentiellement des travaux de Dioscoride. Dès l’antiquité, Hippocrate et Théophraste utilisaient le pavot somnifère ou pavot à opium (Papaver Somniferum) contre la douleur. Cette plante dont on dérive les opioïdes et alcaloïdes apparentés, y compris la codéine et la morphine, fut réutilisée à la fin xviie siècle par Thomas Sydenham (1624-1689), surnommé « L’Hippocrate anglais » qui préconisait la teinture d’opium (Landanum) comme sédatif et antispasmodique. Parmi les premiers traitements proposés pour traiter spécifiquement des maladies infectieuses signalons Bahaodowle Razi (?-1509) médecin persan qui proposa le gingembre pour traiter les premières épidémies de coqueluche tel que l’on peut le lire dans son « Khulasat al-Tajarib » (Résumé des expériences en médecine) paru en 1502. Le célèbre Girolamo Fracastoro (1478-1553) proposa le gaïac (Guaiacum officinale) appelé également Bois saint ou Bois de vie pour ses vertus médicinales. Son bois utilisé en décoction était préconisé pour le traitement de la syphilis et de la tuberculose tandis que sa sève servait au traitement de l’arthrite. À la fin du xviie siècle, Bernardino Ramazzini (1633-1714) fut l’un des premiers à proposer l’utilisation de l’écorce de quinquina, riche en quinine, pour faire face aux flambées de paludisme qui survenait en Italie. Même si beaucoup prétendaient à tort que la quinine était toxique et inefficace, Ramazzini soutint son importance : « La quinine a fait pour la médecine ce que la poudre à canon a fait pour la guerre ». Ramazzini, et Francesco Torti (1658-1741) furent tous deux les médecins du Duc de Modène, et Torti confirma l’efficacité de l’écorce de quinquina dans le traitement du paludisme. De son côté, Nicolas Andry de Bois-Regard (1658-1742) spécialiste des vers comme une source de certaines maladies, préconisa l’extrait de fougère comme traitement du tænia qui resta une approche de référence jusque dans les années 1970 : « L’écorce de racine de fougère femelle et de mûrier […] sont d’excellents remèdes contre le vers solitaire. C’est avec ces deux racines que je fais préparer l’eau de fougère, si connue aujourd’hui 233
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par ses bons effets contre les vers […]. On me pardonnera bien de ne pas divulguer la préparation de cette eau, dont je n’ai donné la recette qu’à M. Dionis, mon gendre, docteur-régent de la Faculté de Médecine de Paris, qui demeure avec moi depuis longtemps : je m’en flatte d’autant plus que j’enseigne dans ce livre la manière de préparer plusieurs autres remèdes qui peuvent être substitués avec succès ». De son côté, Antoine de Jussieu (1686-1758), botaniste et médecin français, expérimenta l’effet de certaines plantes contre les fièvres comme l’écorce de quassia. Tandis que Samuel Hahnemann (1755-1843), médecin allemand, inventeur de l’homéopathie, traita le choléra à l’aide de camphre et de Veratrum album. Le monde végétal a encore beaucoup à offrir comme nouvelles molécules au pouvoir antimicrobien qui restent à découvrir. Déjà des centaines d’articles ont été publiés quant au pouvoir des plantes médicinales contre le C OVID-19 et ses complications. Le COVID-19 est en effet une opportunité pour revisiter la médecine traditionnelle et l’usage de plantes diverses et variées telles que celles déjà proposées par les chercheurs des pays tels que Maroc, Cameroun, Afrique du Sud, Nigéria, Perse, Turquie, Brésil, Mexique, Jamaïque, Thaïlande, Indes, Chine, ou à partir des plantes collectées sur les pentes de l’Himalaya. Que ce soit par des approches in silico ou plus expérimentales, souhaitons que les efforts dans ce domaine s’avèrent à la hauteur des espoirs. LES ANTISEPTIQUES Si le vin est connu sur les bords de la Méditerranée depuis la période égyptienne, grecque et romaine pour ses nombreuses vertus, il en est une qui ne requiert pas la consommation du breuvage pour être bénéfique, c’est son usage en application locale sur des plaies pour aider à prévenir l’infection. Hugo Borgognoni de Lucas (1160-1257), fondateur de la prestigieuse l’école médecine de Bologne, et son fils Teodorico Borgognoni de Lucas (1205-1298) moine dominicain puis évêque, mais aussi médecin, préconisèrent le nettoyage des plaies avec du vin et de l’anesthésique à l’aide d’une éponge imbibée d’un 234
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mélange d’opium, de jusquiame, de mandragore et d’autres drogues. Teodorico est l’auteur de « Cyrurgia », un ouvrage en quatre volumes qui couvre les principaux domaines de la chirurgie médiévale. Sur le traitement des plaies, il écrivit : « Il n’est pas nécessaire que de la matière sanglante (pus) soit générée dans les plaies – car il ne peut y avoir d’erreur plus grande que cela, et rien d’autre qui entrave tant la nature et prolonge la maladie ». Une vision originale pour l’époque où le pus était considéré comme bon et louable (pus bonum et laudabile). Cette idée que la suppuration n’est pas un processus de cicatrisation est également partagé par Henri de Mondeville (1260-1320), chirurgien des rois de France Philippe IV le Bel et Louis X dit le Hutin, auteur d’un ouvrage de chirurgie et qui préconisait aussi le vin pour traiter les plaies. Une approche moins agressive que la cautérisation qui fut envisagée par Giovanni da Vigo (1450-1525), médecin et chirurgien italien auprès du Pape Jules II et Paracelsus (1493-1541) médecin, botaniste, alchimiste, astrologue suisse allemand à qui l’on doit cette déclaration : « Si vous empêchez l’infection, alors la Nature guérira la blessure par elle-même ». Mais Ambroise Paré, durant la campagne du Piémont (1537-1538), compara un groupe de patients traités de manière traditionnelle avec de l’huile de sureau bouillante et par cautérisation, et un autre groupe avec une recette à base de jaune d’œuf, d’huile de roses et de l’essence de térébenthine. Après une nuit, Paré découvrit que les soldats traités pas cautérisation étaient à l’agonie, alors que ceux traités avec la pommade avaient récupéré en raison des propriétés antiseptiques de l’essence de térébenthine. L’efficacité de cette méthode démontrée, il évitera par la suite l’usage de la cautérisation. C’est à John Pringle (1707-1782) (figure 45) que l’on doit le terme d’« antiseptique ». Diplômé de physique à Leiden, il exerça la médecine à Edinburgh où il fut également professeur de philosophie morale. En 1743, il fut le médecin de l’armée britannique en Flandre et en Bavière. Il publia « Observations sur les maladies de l’armée dans le camp et la garnison » et est considéré comme 235
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Figure 45 | John Pringle (1707-1782) introduisit le mot « antiseptique » et fut le premier à évaluer les propriétés antiseptiques de nombreuses substances naturelles.
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le père de la médecine militaire. Après s’être installé à Londres, il fut nommé médecin du duc de Cumberland puis médecin de sa Majesté le roi George III. Il accompagna Benjamin Franklin dans ses voyages. Il fut président de la Royal Society et membre du « Royal College of Physicians of Edinburgh » et fut fait baronnet. C’est dans les « Philosophical Transactions » qu’il publia ses expériences sur les substances antiseptiques ; travail qui lui valut de recevoir en 1752 la Médaille Copley, la plus haute distinction scientifique et médicale britannique. Il démontra que des substances telles que le sel de mer, le jus de citron, le camphre, le quinquina, le poivre, le gingembre, les fleurs de camomille, la valériane, la menthe, la moutarde, le raifort ou le thé vert pouvaient limiter la putréfaction. Il envisagea même l’utilisation systémique de ces antiseptiques : « Si la putréfaction était la seule modification apportée dans le corps par la contagion, il serait facile de guérir de telles fièvres, à tout moment, par l’utilisation d’acides ou d’autres antiseptiques ». Dans ce panégyrique des hommes de sciences, figurent bien peu de femmes. Pourtant il en est une fort estimable à l’œuvre particulièrement diverse et tout aussi importante, Geneviève Thiroux d’Arconville (1720-1805) (figure 46). Fille d’un riche fermier général qui collectait les impôts pour l’État, elle perd sa mère à l’âge de quatre ans et se voit confiée à de nombreuses gouvernantes. Mariée à quatorze ans à sa demande à Louis-Lazare Thiroux d’Arconville, fermier général qui devint plus tard président au Parlement de Paris, une cour de justice régionale, elle aura trois enfants. À l’âge de 22 ans, elle contracta la variole qui la laissa gravement défigurée. Elle se retira alors de la société et passa son temps dans les livres, à en lire et à en écrire. Elle maîtrisait parfaitement l’anglais ce qu’il l’amena à offrir des traductions d’ouvrages médicaux, en particulier les « Leçons de Chimie propres à perfectionner la physique » (1759) de Peter Shaw (1694-1763) médecin des rois George II et George III, ouvrage pour lequel elle n’hésita pas à corriger d’éventuelles erreurs dans le travail de Shaw et d’ajouter des informations 237
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sur l’histoire de la chimie pratique. Dans sa préface elle inséra des citations prises de la bible pour défendre ses arguments. De même, dans sa traduction du « Traité d’ostéologie » d’Alexander Monto (1697-1767), professeur d’anatomie et de chirurgie à Edinburgh, elle ajouta une touche personnelle : une trentaine de planches de squelettes, dont celle de fœtus et l’une des toutes premières représentations d’un squelette féminin. Elle traduisit également des romans d’auteurs anglais, écrivit elle-même des romans (L’Amour éprouvé par la mort ; Les Malheurs de la jeune Émilie…), des essais sur l’amitié, les passions, sur un étonnant « Mélanges de littérature, de morale et de physique », des ouvrages d’histoire sur « François II roi de France et d’Écosse » ; et sur « la vie de Marie de Médicis, princesse de Toscane, reine de France et de Navarre ». Toute son œuvre fut publiée de façon anonyme et son nom ne figura sur aucune couverture de ses ouvrages, certains de ses ouvrages furent même attribués à d’autres hommes éminents. Souffrant sans doute de l’ostracisme de l’époque à l’égard des femmes intellectuelles, elle écrivit : « Les femmes affichentelle la science ou le bel esprit ? Si leurs ouvrages sont mauvais, on les siffle ; s’ils sont bons, on les leur ôte ; il ne leur reste que le ridicule de s’en être dites les auteurs ». Elle installa chez elle un laboratoire où elle entama des travaux de botanique, de chimie avant d’étudier le processus de putréfaction ou de pourriture des matières végétales et animales cherchant à reproduire les travaux de John Pringle : « Les observations de M. Pringle sur les substances septique et antiseptique m’étant tombées par hasard entre les mains, me firent naître le désir de répéter quelques-unes de ses expériences, sans avoir alors d’autre objet que celui de satisfaire ma curiosité sur une matière aussi nouvelle et aussi intéressante ». Son « Essai pour servir à l’histoire de la putréfaction » publié en 1766 relate plus de 300 expériences. Elle constata que protéger la matière de l’air, l’exposer au cuivre, au camphre ou au quinquina pouvait retarder la pourriture, en parfait accord avec les travaux de Pringle. Par contre, elle fut en désaccord avec celui-ci, ne constatant pas d’effet antiseptique de la camomille. Elle démontra par 238
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Figure 46 | Les expériences de J. Pringle furent reproduites et confirmées par Geneviève Thiroux d’Arconville (1720-1805).
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ailleurs la capacité du chlorure de mercure à s’opposer à la putréfaction. L’année suivant la publication de son essai sur la putréfaction, Thiroux d’Arconville et sa famille s’installèrent dans leur appartement du Marais et elle continua à se lier d’amitié et à communiquer avec les savants de son époque. Son mari mourut en 1789, et elle fut assignée à résidence puis emprisonnée avec sa famille. Son fils aîné lieutenant général de police fut arrêté et tué en 1794. Elle fut autorisée à rejoindre son logement du Marais où elle s’éteignit le 23 décembre 1805. Parmi les substances antiseptiques, le monde végétal offre un grand nombre de plantes connues pour leur propriétés bénéfiques contre les infections. Stanislas Mittié (1727-1795), médecin du Roi Stanislas à la cour de Nancy, défendit bec et ongles l’usage des végétaux pour traiter les maladies vénériennes jusque devant les députés de l’Assemblée nationale : « En suivant ma doctrine, en usant des plantes que j’ai indiquées, on guérit toujours sûrement, promptement, commodément et à très peu de frais […] Les végétaux seuls, les plus communs ont la propriété de guérir la maladie vénérienne, comme l’eau a la propriété d’éteindre le feu » (1795). Il était effaré par les ravages de la syphilis : « Aujourd’hui sur vingt-six millions d’hommes en France, on compte un million de malades, de ce million plus de douze mille nouveaux nés meurent peu de temps après leur naissance et parmi les adultes, quinze mille meurent », et il désespérait que les plus hautes autorités médicales ne prennent pas en considération son approche par les plantes qu’il opposait à l’usage du mercure. « Les médecins et les chirurgiens qui prétendent que le mercure est le vrai et le seul spécifique traitement de la maladie vénérienne, sont en médecine, ce qu’est en géographie, le paysan qui croit que l’horizon où se termine sa vue, est le bout du monde ». Ne retrouve-t-on pas dans son attitude, celle croisée avec ces collègues qui me contactèrent, offusqués et désespérés que le traitement qu’ils préconisaient ne soit pas pris en considération pour nous sauver du COVID-19 ? Ces derniers pourraient faire leur sa déclaration : « Pour combattre 240
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l’erreur, le préjugé, l’ignorance, l’habitude, l’intérêt, l’orgueil, l’envie et la mauvaise foi de mes adversaires, que puis-je, seul, contre tous ? Ma voix est étouffée, la vérité est méconnue, les faits et les écrits sont altérés, sont calomniés par la multitude ». Le noyer figura aussi dans la longue liste des plantes qu’il préconisait. Il en fut de même de Louis Pomayrol (1819-1899), officier de santé dans les Pyrénées-Orientales qui publia un court article « Traitement de la pustule maligne et du charbon à l’aide de l’application des feuilles et de l’écorce fraiche du noyer » en 1853, tandis que le célèbre Casimir Davaine confirma en 1880 les propriétés antiseptiques du suc des feuille de noyer sur le « virus » charbonneux. Outre la botanique, la chimie peut aussi offrir des produits antiseptiques. C’est bien entendu le cas de la fameuse eau de Javel, découverte en 1789 et produite par le chimiste Claude-Louis Berthollet (1748-1822) dans sa manufacture de produits chimiques pour proposer des lessives au pouvoir blanchissant dans le village de Javel (futur 15e arrondissement de Paris). En 1793, le chirurgien français Pierre-François Percy (1754-1825) utilisa pour la première fois des solutions d’eau chlorée contre la pourriture de l’hôpital. En 1820, le pharmacien Antoine Germain Labarraque (1777-1850) étudia les qualités désinfectantes des dérivés chlorés et des hypochlorites de potassium et de sodium. En 1900, on appelait eau de Javel, l’hypochlorite de potassium, et eau de Labarraque, l’hypochlorite de sodium. Plus tard, le procédé de fabrication a remplacé le potassium par le sodium, sans changement de nom. En 1847 à Vienne, Ignaz Semmelweis (1818-1865) invita ses étudiants en obstétrique à se laver les mains et se frotter les ongles avec du chlorure de chaux (un mélange d’hypochlorite de calcium et de chlorure de calcium) après avoir pratiqué des autopsies. Les collaborateurs de Pasteur comme Chamberland et Fernbach appliquèrent l’eau de Javel pour la désinfection, tandis qu’en 1892, Albert Calmette rapporta que le bacille de la tuberculose découvert par Robert Koch était détruit par l’eau de Javel. En 1989, le professeur André Dodin (1926-1995) de l’Institut 241
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Pasteur montra, à l’aide d’un microscope électronique, que les bactéries étaient détruites en 30 secondes au contact d’une solution d’eau de Javel. Bien sûr lorsque le temps du SARS-CoV-2 fut venu, on s’assura que l’eau de Javel figurait bien parmi les composés désinfectants les plus efficaces contre le virus du COVID-19, tout comme l’alcool, l’eau oxygénée, les composés d’ammonium quaternaire et les composés phénoliques78. La puissante école allemande de chimie va prendre un avantage indéniable grâce à sa maîtrise des colorants dont plusieurs se révélèrent présenter des activités antiseptiques. En particulier, Paul Ehrlich (1854-1915), médecin allemand qui n’est pourtant pas chimiste va user des colorants pour faire de nombreuses découvertes, en particulier celles des mastocytes et des éosinophiles. En 1878, il soutint à Leipzig sa thèse de doctorat intitulée « Contributions à la théorie et la pratique de coloration histologique ». Non seulement il utilisait l’affinité de certains colorants pour les cellules vivantes, comme le bleu de méthylène pour colorer le tissu nerveux mais il découvrit que la fuchsine colore le bacille de la tuberculose, ce qui facilitera grandement le diagnostic. Avec Kiyoshi Shiga (1871-1957), médecin et bactériologiste japonais qui travaillait auprès de lui à Berlin, ils expérimentèrent des centaines de colorants sur des souris infectées par le trypanosome, le parasite protozoaire responsable de la maladie du sommeil. En 1904, Ils identifièrent avec succès un colorant d’arsenic rouge qu’ils appelèrent Trypan Red pour le traitement de cette maladie parasitaire. Ehrlich créa alors le terme « chimio thérapie ». Suite à ce succès allemand, en 1906, les pasteuriens Mesnil et Nicolle testèrent à leur tour de nombreux colorants du groupe de la benzidine. Un dérivé bleu de la benzopurpurine, le Trypan Blue, s’avéra très efficace pour éliminer tous les trypanosomes du sang des animaux ; mais comme le médicament colorait la peau des animaux, 78. Saadatpour F, Mohammadipanah F. Physicochemical susceptibility of SARS-CoV-2 to disinfection and physical approach of prophylaxis. Health Sci Rep. 2020; 3: e213. 242
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son utilisation était inexploitable chez les patients. Pour cette raison, Wilhelm Roehl (1881-1929), un ancien assistant d ’Ehrlich, chercha un composé incolore aux activités trypanocides. Avec l’aide de chimistes, il identifia un composé moins colorant mais aussi moins trypanocide. En 1917, après la synthèse et le test de plus de 1 000 molécules, un composé incolore qui guérit la trypanosomiase chez les animaux de laboratoire et chez l’Homme, nommé Germanin fut proposé par la société Bayer. Celle-ci comprit l’importance politique de son produit pour l’exploitation commerciale au sein des colonies africaines, et offrit la formule de la molécule au gouvernement britannique en échange du retour des territoires africains perdus de l’Allemagne après la première guerre mondiale. Les Britanniques déclinèrent l’offre, et la société Bayer refusa de divulguer la structure chimique du médicament. Finalement, en 1924, le pasteurien Ernest Fourneau publia la structure du Germanin (alias Bayer 205) ensuite renommé suramine et qui est encore utilisé de nos jours79. En 1906, avec un autre collaborateur japonais, Sahachiro Hata (1873-1938), Ehrlich développa un nouveau dérivé de l’arsenic, qu’il nomma le composé 606 (le nombre représentant la série de tous ses composés testés). Le composé était efficace contre l’infection palustre chez les animaux de laboratoire. L’année précédente, Fritz Schaudinn (1871-1906) un zoologiste prussien, et Erich Hoffmann (1868-1959), médecin allemand exerçant à l’hôpital de la Charité de Berlin identifièrent la bactérie spirochète (Treponema pallidum) comme l’organisme responsable de la syphilis. Ehrlich testa alors son composé 606 sur un lapin infecté par cette bactérie. Et en 1909, Hata et Ehrlich rapportèrent que ce traitement s’avérait bénéfique contre la syphilis. Ehrlich, réalisa ensuite des expériences sur des patients humains avec le même succès. Après ces essais cliniques convaincants, le composé numéro 606 reçut le nom commercial de « Salvarsan » et fut commercialisé en 1910. Ehrlich continua d’évaluer d’autres 79. Steverding D. The development of drugs for treatment of sleeping sickness: a historical review. Parasites & Vectors. 2010; 3: 1. 243
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composés et chercha à améliorer le Salvarsan ; ainsi naquit avec le composé 914, le Neosalvarsan, qui, plus soluble et avec une teneur en arsenic plus faible, apparaissait plus actif. En novembre 1910, Hoechst produisait près de 14 000 ampoules par jour. Un film intitulé « Dr. Ehrlich’s Magic Bullet » réalisé aux USA en 1940 par William Dieterle et interprété par Edward G. Robinson qui racontait cette saga, s’inspira directement du terme créé « balle magique » proposé par Ehrlich lui-même lors d’une conférence à Londres en 1908, la même année durant laquelle Elie Metchnikoff avait proposé l’usage du calomel contre la syphilis. En dépit de la compétition avec l’école allemande, Elie Metchnikoff est un homme de paix et respectueux de ses adversaires. À quelques mois de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France (le 3 août 1914), avec Émile Roux, Metchnikoff accueillit le 4 février 1914, Paul Ehrlich et Madame lors d’une visite à l’Institut Pasteur, et le 16 mars 1914, Roux et Metchnikoff publiaient en français dans le « Berliner Klinsiche Wochenschrift », une revue médicale hebdomadaire berlinoise, un texte dans lequel nos deux pasteuriens rendaient un hommage sincère et appuyé à Ehrlich, au scientifique et à ses travaux. Cette noble attitude rappelle l’accueil de Robert Koch par Metchnikoff en 1904 à l’Institut Pasteur. Koch à l’Institut Pasteur ? On peut imaginer que les plus avisés purent entendre quelques diatribes émises du fond de sa tombe à quelque pas du visiteur germanique, par le fondateur des lieux. Homme d’apaisement, Metchnikoff l’était assurément car il avait bien sûr encore en mémoire sa visite faite en 1887 à Berlin au Maître allemand qui l’avait alors reçu fort froidement et n’avait pas donné suite à son entrevue, franchement défavorable aux travaux du père de la phagocytose et pas convaincu par les lames de microscope que lui avait présentées Metchnikoff. LES ANTIBIOTIQUES Le traitement de la syphilis, mais aussi de nombreuses maladies bactériennes, fut par la suite favorisée par la découverte des 244
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antibiotiques. Le terme « antibiotique » pour décrire une substance opposée au développement de la vie est proposé en 1871 par François Henri Hallopeau (1842-1919), un dermatologue ayant exercé dans les Hôpitaux de Tenon, Saint-Antoine et Saint-Louis. Le terme antibiose, par opposition à symbiose, fut proposé par Jean Paul Vuillemin (1861-1932), mycologiste et professeur à la faculté de Médecine de Nancy en 1889 pour désigner la sélection naturelle d’un organisme par rapport à un autre : « L’homme, par une intervention raisonnée, dominera les maladies des plantes, des animaux, de sa propre espèce, autant qu’il connaîtra les puissances symbiotiques ou antibiotiques, qu’il doit renforcer ou neutraliser, pour que tout s’équilibre et se régularise autour de lui ». Le terme antibiotique prendra son véritable envol en 1942 suite aux travaux de Selman Waksman (1888-1973). Il est peu d’exemples où les découvertes vont se répéter régulièrement dans les mains d’autant de savants sans qu’aucun d’entre eux ne prennent conscience de l’importance et du potentiel de son observation. Aussi incroyable que cela puisse paraître, pendant plus de soixante ans les savants vont considérer la même observation plus comme une anecdote qu’une découverte qui avait le potentiel de révolutionner la prise en charge de nombreuses maladies infectieuses. Ainsi en 1869, deux médecins alsaciens Victor Feltz (1835-1893) et Léon Coze (1819-1896) rapportent dans la Gazette Médicale de Strasbourg la découverte pour la première fois de bactéries présentes dans le sang d’une patiente décédée de fièvre puerpérale. Ils confièrent l’observation au microscope à leur collègue Charles Louis Engel (1821-1880), médecin et agrégé de sciences naturelles, qui sera titulaire de la chaire de Botanique à Nancy après avoir quitté l’Alsace perdue par la France après la guerre de 1870. Feltz et Coze rapportent que deux tubes cassés avaient été contaminés par des spores de penicillium et qu’aucune croissance de bactéries n’avait pu être observée dans ces tubes. Cette même observation que le Penicillium pouvait inhiber la croissance des bactéries sera faites successivement en 1871 en Angleterre par John Scott Burdon-Sanderson (1828-1905), (figure 47) et en 1874 245
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par Sir William Roberts (1830-1899). Ce dernier, après ses études à Londres, Paris et Berlin exerça à la Manchester Royal Infirmary. Ses travaux qui démontrèrent que la moisissure, Penicillium glaucum, induit la dissolution des bactéries seront néanmoins récompensés par le prix Cameron pour l’innovation thérapeutique de l’Université d’Édimbourg en 1880. Ce prix fut ultérieurement décerné à Pasteur en 1889, John Lister en 1890, Emil von Behring en 1894, Waldemar Haffkine en 1900, Paul Ehrlich en 1914, Jules Bordet en 1921, Gerhard Domagk en 1939, Alexander Fleming en 1945, Daniel Bovet en 1949 pour ne citer que quelques-uns des récipiendaires mentionnés dans cet ouvrage. La même année que Roberts, Theodor Billroth (18291894), chirurgien allemand exerçant à l’hôpital générale de Vienne rapporta que le Penicillium modifiait le milieu de culture de manière à le rendre impropre à la croissance bactérienne. En 1876, John Tyndall (1820-1893) rapporta à la Royal Society que dans la bataille pour exister, le penicillium l’emportait sur les bactéries. Une étape importante va être atteinte par Bartolomeo Gosio (1863-1944). Fils d’un vétérinaire, qui décéda avant qu’il n’ait terminé ses études primaires, il fut élevé par sa mère Antonietta Troya. Il entama ses études de médecine à l’Université de Turin qu’il acheva à l’Université Sapienza de Rome. Il fut nommé au laboratoire de bactériologie et de chimie de l’Institut national d’hygiène (Istituto Superiore di Sanità) de Rome. En 1899, il devint le directeur du laboratoire scientifique du service de santé publique (Laboratori Scientifici della Direzione di Sanità) à Rome. Il s’intéressa aux moisissures que l’on trouvait associées aux papiers peints de l’époque et dont les émanations (le gaz Gosio) étaient toxiques et pouvaient tuer le rat ou la souris de laboratoire. En 1893, à partir d’un champignon du maïs qu’il nomma Penicillium glaucum (renommé plus tard Penicillium brevicompactum) il isola une molécule nommée ultérieurement acide mycophénolique, un composé antibactérien actif contre la bactérie du charbon. Ce fut le premier antibiotique isolé sous forme pure et cristallisée, mais la découverte fut oubliée. La 246
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molécule redécouverte ultérieurement fut utilisée comme immunosuppresseur dans les transplantations et les maladies auto-immunes. Toujours en Italie, Vincenzo Tiberio (1869-1915) (figure 47) est un scientifique et médecin qui avant de faire une brève carrière dans la marine militaire (il meurt à 45 ans d’un infarctus), fit une brillante étude à l’Université de Naples durant laquelle il démontra en 1895 que des extraits aqueux de Penicillium et d’Aspergillus avaient des propriétés bactéricides contre le bacille du typhus, le bacille du charbon, le vibrion cholérique et le staphylocoque. Il démontra même in vivo chez le cobaye et le lapin les effets bénéfiques de ses extraits. Une fois encore ces travaux n’eurent pas le retentissement qu’ils auraient mérité ! Deux ans plus tard à Lyon, Ernest Duchesne (1874-1912) (figure 47) publia dans sa thèse de médecine des travaux semblables qui n’eurent pas davantage d’impact. Fils d’un ingénieur chimiste propriétaire d’une tannerie, Duchesne entre à l’école du service de santé militaire de Lyon et rejoint le laboratoire de Gabriel Roux (18531914), directeur du bureau d’hygiène de la ville de Lyon, spécialiste des analyses bactériologiques des eaux, où il mena ses travaux sur la « Contribution à l’étude de la concurrence vitale chez les microorganismes, antagonisme entre les moisissures et microbes » On peut lire dans sa thèse : « La présence de bactéries dans un milieu où l’on cultive des moisissures est pour ces dernières une cause de destruction rapide, quand bien même ces moisissures auraient eu le temps de s’accoutumer au milieu nutritif avant l’apport des microbes. […]. En résumé, la lutte pour la vie entre les moisissures et les bactéries semble tourner au profit de ces dernières […] ». Il semble que, curieusement, ses expériences in vitro ne tournaient pas à l’avantage du penicillium. Mais il en est tout autrement in vivo. Comme Tiberio avant lui, Duchesne étudie le phénomène chez l’animal : « Dans le but de voir si en effet il en résultait une diminution dans la virulence des microbes, nous avons inoculé à des cobayes des cultures de microbes pathogènes, simultanément avec des cultures de moisissures ». Le cobaye inoculé avec le colibacille et celui inoculé avec le bacille d’Eberth (Salmonella typhi) 247
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JOHN SCOTT BURDON-SANDERSON (1828 – 1905 )
VINCENZO TIBERIO (1869 – 1915)
ERNEST DUCHESNE (1874 – 1912)
Figure 47 | Nombreux furent ceux qui observèrent que le champignon penicillium avait la capacité d’inhiber la croissance des bactéries. Peu en mesurèrent la portée thérapeutique potentielle.
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meurent au bout de 24 h. À l’inverse, ceux qui reçurent en même temps la culture de Penicillium survécurent. Duchesne conclut : « On peut donc espérer qu’en poursuivant l’étude des faits de concurrence biologique entre moisissures et microbes, étude seulement ébauchée par nous et à laquelle nous n’avons d’autre prétention que d’avoir apporté ici une très modeste contribution, on arrivera, peut-être, à la découverte d’autres faits directement utiles et applicables à l’hygiène prophylactique et à la thérapeutique ». Duchesne partit ensuite pour une vie en garnison loin du laboratoire (à Senlis, puis Riom, puis Clermont-Ferrand) avant d’être détaché à l’hôpital de Vichy. Sa jeune épouse décéda de tuberculose à vingt-deux ans et lui-même tomba gravement malade et fut emporté par la tuberculose à l’âge de trentesept ans. Son travail tomba dans l’oubli avant d’être déterré en 1946 par Gaston Ramon (1886-1963) qui mena à son tour des expériences sur l’antagonisme microbien. L’antibiose ne se manifeste pas uniquement entre les champignons et les bactéries, mais aussi au sein même du monde des bactéries80. On doit une des toutes premières observations à Louis Pasteur qui en 1877 alors qu’il étudiait la bactérie de l’anthrax avec Jules Joubert (1834-1910), ancien élève de l’ENS, rapportait que celle-ci ne se développait pas en présence d’autres microorganismes : « Chez les êtres inférieurs, plus encore que dans les grandes espèces animales et végétales, la vie empêche la vie ». Par la suite, Victor Babès (1854-1926) et Arnaldo Cantani (1837-1893), tous deux en 1885, rapportèrent cet antagonisme entre diverses souches de bactéries et l’envisagèrent à des fins thérapeutiques. Babès, qui a fréquenté les laboratoires de Virchow, Koch et Pasteur, est alors professeur associé à la chaire d’histopathologie de la Faculté de médecine de Bucarest où aujourd’hui un institut porte son nom. La même année, il découvrit le parasite sporozoaire de la tique, nommé en son honneur Babesia. Toujours en 1885, il co-signe avec Victor André Cornil (1837-1908), membre 80. Florey HW. Use of micro-organisms for therapeutic purposes. Br Med J. 1945; 2(4427): 635-42. 249
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de l’académie de médecine et homme politique, député de l’Allier, l’un des tout premier traité de bactériologie : « Les bactéries et leur rôle dans l’anatomie et l’histologie pathologiques des maladies infectieuses ». Quant à Cantani il est alors professeur de médecine clinique à Naples après avoir exercé à Pavie et Milan. Il étudia le choléra, la fièvre typhoïde et la rage et le diabète pour lequel il observa des atrophies dans le pancréas des patients. Carl Alois Philipp Garré (1857-1928), ancien étudiant de Koch, est un chirurgien suisse qui a découvert le lien entre Staphylococcus aureus et les furoncles. Il exerça comme professeur dans les Universités de Bâle, de Tübingen, de Rostock et de Bonn. En 1887, il proposa des approches technologiques innovantes sur gélatine pour étudier l’antagonisme entre les différentes souches de bactéries. La même année, Rudolph Emmerich (1852-1914), professeur d’hygiène et de bactériologie à l’université Ludwig-Maximilians de Munich où il fit ses études de médecine, mena des expériences in vivo, montrant que des lapins infectés par une dose mortelle d’anthrax pouvaient survivre s’ils étaient injectés avec des streptocoques. En 1889, le pathologiste Karl Gottfried Paul Döhle (1855-1928) qui fut le directeur de l’institut de pathologie de Kiel, publia sa thèse dans laquelle il présentait qu’in vitro ce même bacille de l’anthrax ne survivait par en présence d’une bactérie qu’il nomma alors « Micrococcus anthracotoxicus ». Tandis que cette même année 1889, Charles Bouchard (1837-1915), professeur de pathologie générale à la faculté de médecine de Paris et membre des Académies de médecine et de Sciences reprenait les travaux in vivo d’Emmerich et démontrait que des germes de Pseudomonas pyocyanea (aujourd’hui Pseudomonas aeruginosa) offraient un degré considérable de protection à des lapins inoculés avec des germes de l’anthrax mais que cette protection était moindre lorsque l’expérience était menée chez le cobaye. Ivan Honl (1866-1936) était un bactériologiste formé à l’Université Charles de Prague, qui fut très actif dans la lutte contre la tuberculose et occupa le poste de directeur de l’Institut bactériologique tchèque. Jaroslav Bukovský (1867-1935) fut 250
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professeur de dermatologie et de vénéréologie, et est connu comme le médecin personnel du premier président de la Tchécoslovaquie, Tomáš G. Masaryk. En 1898, Honl et Bukovský estimèrent que des applications locales de Pseudomonas pyocyanea permettaient une cicatrisation accélérée d’ulcères. C’est cette même bactérie qui, à Munich et à Prague en 1899 offrira au monde l’accès aux premiers antibiotiques. En Allemagne, Rudolph Emmerich étudia sur place le choléra lors d’épidémies successivement à Naples, à Constantinople et à Saint-Pétersbourg. De son côté, Oscar Löw (1844-1941) étudia la chimie à l’Université de Munich sous la direction du célèbre chimiste Justus von Liebig dont il fut le dernier élève. Il exerça à New York, à Tokyo et à Porto Rico avant de revenir en Allemagne. Emmerich et Löw obtinrent un produit verdâtre et fluorescent à la forte odeur de jasmin à partir d’une culture de Bacillus pyocyaneum vieille de plusieurs semaines, après séparation des germes, filtration, concentration sous vide et clarification. Cette préparation tuait en cinq minutes des germes de Vibrio cholerae et de gonocoques, en dix minutes le bacille de la diphtérie et les streptocoques, en trois heures le bacille de la dysenterie, et en vingt-quatre heures le bacille de la typhoïde et les staphylocoques. Emmerich et Löw créèrent alors un médicament qu’ils appelèrent « pyocyanase ». Ce fut le premier antibiotique utilisé dans les hôpitaux. Malheureusement, son efficacité était sporadique, et ne fonctionnait pas de manière égale chez tous les patients, et la présence de grandes quantités de phénazines telles que la pyocyanine la rendait assez toxique pour l’Homme. En conséquence, le médicament fut finalement abandonné. Honl et Bukovský testèrent avec succès la pyocyaneoprotéine (pyocynase), plus tard utilisée comme préparation pharmaceutique Tonsilan, dans le traitement des infections. Ultérieurement, en 1911, Honl prépara la pyocyaneoprotéine comme premier antibiotique sous forme de comprimés d’Anginol®. L’Anginol® fut utilisé en Tchécoslovaquie dans les maladies infectieuses du pharynx et du larynx jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. 251
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Des améliorations technologiques furent proposées pour analyser l’antagonisme bactérien, et en 1904, William Dodge Frost (18671957) docteur en santé publique diplômé de Harvard, professeur à l’Université du Wisconsin, spécialisé dans l’étude des zoonoses, proposa sept procédures en milieu liquide ou solide pour mener à bien de telles investigation. De son côté, en 1907, Charles Nicolle (18661936), démontra l’existence de substances bactéricides produites par Bacillus subtilis, travaux confirmés en 1912 avec d’autres Bacillus par Gustave Rappin (1851-1942), médecin nantais, directeur de l’institut Pasteur de Loire-Inférieure qui montra que des filtrats de bouillons de culture de ces germes auraient des effets bénéfiques contre la tuberculose. Dans des expériences menées chez le cobaye, un animal qui se prête bien aux études de la tuberculose, il apporta une démonstration convaincante de cet antagonisme mis à profit contre le bacille de la tuberculose. Une approche contre la tuberculose fut également proposée par Albert Vaudremer (1866-1943). Médecin et beaufrère de Louis Martin (18641946), directeur de l’Hôpital de l’Institut Pasteur, sous-directeur, puis directeur de l’Institut Pasteur, en charge de la consultation des infections tuberculeuses à la faculté de médecine de la Salpêtrière. Vaudremer ayant démontré in vitro que le champignon, Aspergillus fumigatus, était actif contre le bacille de la tuberculose, il mena des études chez l’Homme. De 1910 à 1913, il traita plus de 200 patients tuberculeux avec un succès très relatif, allant de la guérison complète, à une amélioration transitoire ou à une absence d’avantage thérapeutique. En 1908, Roman Nitsch (1873-1943), médecin et bactériologiste polonais, professeur de bactériologie, de microbiologie et sérologie à Varsovie, époux de la sculptrice Ludwika Nitschowa fait une constatation originale. Lors des épidémies de choléra, les habitants de Versailles étaient toujours indemnes. Il en déduisit que l’air environnant de Versailles contenait des germes qui présentent des effets antagonistes. Après en avoir récolté 220, il en isola onze qui avaient effectivement la capacité d’inhiber la croissance de Vibrio cholerae. 252
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La plupart de ces bactéries étaient des streptocoques. Rappelé en Pologne, il ne put mener à bien son idée de rechercher dans les fèces des versaillais la présence de ces bactéries. De son côté André Gratia (1893-1950), diplômé de médecine de Université Libre de Bruxelles, formé à l’Institut Pasteur de Paris puis au Rockefeller Institute for Medical Research de New-York, rejoint le Département de Bactériologie de l’Université de Bruxelles sous la direction de Jules Bordet avant de rejoindre l’université de Liège. En 1925, avec sa jeune collaboratrice Sara Dath (1901- ?) ils rapportèrent leurs observations sur la bactériolyse des bactéries responsables de l’anthrax via le « streptothrix », un streptomycète, une bactérie filamenteuse ressemblant aux champignons microscopiques que l’on trouve dans le sol, l’eau et la matière en décomposition qui s’avéra avoir un large spectre d’action. Il démontra que le Staphylocoque pouvait être une cible de cette bactérie agissant grâce à une enzyme, l’actinomycétine. Malheureusement, après cette découverte, Gratia tomba gravement malade et dut abandonner le laboratoire. Lorsqu’il put reprendre son travail, la souche de streptomycète était perdue, et Gratia tourna toute son attention vers Escherichia coli. C’est alors qu’il découvrit les colicines (1925). Les colicines sont des protéines produites par certaines souches d’Escherichia coli qui sont mortelles pour les souches apparentées d’E. coli. Par la suite, on réalisa que de nombreuses bactéries entériques produisent des colicines (E. coli, Shigella et Citrobacter). Le terme bactériocine fut introduit pour désigner les protéines toxiques produites par une souche donnée de bactéries et actives contre des espèces apparentées. Gratia ne poursuivit pas ses investigations dans ce domaine et se focalisa ultérieurement sur les bactériophages. Avant d’évoquer les bactériophages, il est temps qu’entre en scène le héros connu de tout un chacun, considéré comme le père des antibiotiques. Mais comme nous venons de le voir en citant ses illustres prédécesseurs, bien d’autres avant lui avaient ouvert la voie. Même le prix Nobel qui couronna ses travaux ne fut pas le premier 253
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attribué pour des travaux sur les antibiotiques. Alexander Fleming (1881-1955) (figure 48) nait en Ecosse et est orphelin de père à l’âge de sept ans. Il fait ses études de médecine à Londres. Il entre dans le laboratoire de Sir Almroth Wright (1861-1947) et travaille sur l’opsonisation. Médecin militaire, il découvre sur le front des opérations durant la première guerre mondiale le problème que pose la contamination des plaies, et fut alors motivé à travailler sur les antiseptiques. En 1922, il publia ses observations sur le pouvoir bactéricide des larmes et du mucus nasal, découvrant une enzyme qu’il nomma « lysozyme », première substance naturelle humaine au pouvoir antibactérien. Alors qu’il maîtrisait la culture des staphylocoques, Fleming saisit toute l’importance de son observation, celle d’une contamination accidentelle de ses cultures par des moisissures, du penicillium qui là où il se trouvait empêchait la croissance de ses bactéries à Gram-positif. En 1929, il publia dans le British Journal of Experimental Pathology les propriétés antibactériennes du penicillium et de son extrait qu’il nomma pénicilline. La publication n’eut pas l’impact qu’il en espérait, mais surtout malgré ses efforts, il ne parvint pas à produire ni à purifier cette substance en grande quantité. Mais durant les années suivantes plusieurs scientifique vont s’y atteler. Sir Edward Abraham (1913-1999) est un biochimiste de renom, le premier à cristalliser le lysozyme. À Oxford, Abraham purifia la pénicilline, grâce à l’utilisation d’une nouvelle technique : la chromatographie par adsorption. Abraham découvrit la pénicillinase et un antibiotique, la cephalosporine C qui résiste à cette enzyme de dégradation bactérienne. Norman Heathley (1911-2004) est un biologiste et biochimiste, membre de l’équipe de l’Université d’Oxford qui a développé la pénicilline. Après avoir mené des expériences sur des souris, il eut conscience du potentiel de cette molécule appliquée à l’Homme. Il contribua également à sa production en masse. Ernst Boris Chain (1906-1979) (figure 48) est un chimiste né à Berlin et obtint son diplôme à l’Université Friedrich Wilhelm de Berlin. Il quitta l’Allemagne en 1933, suite à 254
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l’arrivée au pouvoir des nazis. Il exerça successivement à l’University College Hospital de Londres, et à l’Université de Cambridge, avant de prendre un poste de chargé de cours en pathologie à l’Université d’Oxford. En 1939, il rejoignit Howard Florey pour étudier les agents antibactériens naturels produits par des micro-organismes. Chain, parvint à isoler la pénicilline, théoriser sa composition chimique et contribua à sa production. Howard Florey (1889-1968) (figure 48) est un pharmacologue d’origine australienne travaillant à Oxford après avoir exercé à Cambridge et à l’Université de Sheffield. Il mena les premiers essais cliniques sur la pénicilline en 1941 à l’infirmerie Radcliffe d’Oxford sur le premier patient, un agent de police d’Oxford de 43 ans, Albert Alexander, accidentellement griffé par une épine de rose sur la bouche. Alexander fut admis à l’infirmerie de Radcliffe, où divers traitements conventionnels avaient tous échoué, et son cas jugé désespéré. Le patient reçut une perfusion intraveineuse de 160 mg de pénicilline. En moins de 24 heures, la température d’Alexandre avait chuté, son appétit était revenu et l’infection avait commencé à se calmer. Malheureusement, seule une petite quantité de pénicilline était alors disponible, et Florey et ses collègues ne pouvant mener le traitement suffisamment longtemps, le patient décéda un mois plus tard d’une septicémie. Les efforts se poursuivirent pour permettre une production suffisante de pénicilline qui deviendra pendant la seconde guerre mondiale un élément déterminant pour sauver nombre de blessés. Florey, Chain et Fleming furent les récipiendaires du prix Nobel de physiologie ou de médecine en 1945. Comme nous venons de le voir, de nombreuses années s’écoulèrent entre la découverte de Fleming et la valorisation de son travail. À l’inverse, la découverte de la sulfamidochrysoïdine, brevetée commercialisée sous le nom de Prontosil® par Gerhard Domagk (1895-1964) (figure 49) fut rapidement valorisée et exploitée. Domagk avait suivi des études de médecine à l’université de Kiel. Après la première guerre mondiale, il enseigna à l’université de Münster avant 255
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SIR ALEXANDER FLEMING (1881-1955)
HOWARD FLOREY (1889-1968)
ERNST BORIS CHAIN (1906-1979) Figure 48 | Les trois prix Nobel 1945 pour leurs travaux sur la pénicilline (et sa formule).
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d’être engagé par l’institut Bayer de pathologie et de bactériologie à Wuppertal dont il prit rapidement la direction. Il y mena des études sur les colorants bactériens comme sources d’agents antibactériens avant de faire sa découverte majeure qui lui vaudra le prix Nobel de médecine ou physiologie en 1939. Le régime nazi, considérant cette reconnaissance comme antipatriotique81, le fit enfermer en prison où il resta une semaine, et il ne put recevoir sa médaille qu’en 1947, mais sans la gratification financière. Découvert en 1935, le prontosil® fut utilisé l’année suivante à plusieurs occasions. D’une part, par Domagk lui-même pour traiter sa propre fille et empêcher l’amputation d’un bras qui aurait été nécessaire suite à son infection. D’autre part, pour traiter Franklin Roosevelt Junior (1914-1988), fils du président Franklin D. Roosevelt (1882-1945), souffrant d’une angine gravissime. Le succès de l’administration du prontosil, contribua à l’aura de ce médicament. Enfin, les travaux de Leonard Colebrook (1883-1967) eurent également un important impact. Colebrook ayant achevé ses études de médecine en 1906, rejoignit le laboratoire d’Almroth Wright auprès duquel il travailla sur la vaccination contre la fièvre typhoïde et sur l’immunothérapie. Sur le terrain pendant la première guerre mondiale, il prit conscience de l’importance pour les blessés par balles du contrôle des infections par les streptocoques ou les staphylocoques. De retour à la vie civile, Wright l’encouragea à porter ses efforts sur la fièvre puerpérale. Au fait des travaux de Semmelweis, il défendit ardemment le lavage des mains et préconisa aussi l’usage du masque. En 1928, son laboratoire se trouvait proche du Queen Charlotte Hospital. Suite aux travaux de Rebecca Lancefield (1895-1981), une éminente microbiologiste du Rockefeller Institute de New York, il confirma que les streptocoques hémolytiques du groupe A sont les germes les plus fréquemment isolés des formes sévères de fièvre puerpérale. En 1930, 81. En effet après l’attribution en 1935 du prix Nobel de la Paix à Carl von Ossietzky, journaliste et écrivain, opposant au régime nazi, le gouvernement hitlérien avait promulgué une loi interdisant à tout ressortissant allemand de recevoir ce prix. 257
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sa plus jeune sœur rejoignit l’équipe du Queen Charlotte Hospital et découvrit la présence de ces germes dans les voies respiratoires de personnes au contact des patientes. Ayant eu écho des travaux allemands sur l’efficacité du prontosil® sur les streptocoques et les staphylocoques, Colebrook mena ses propres études chez des souris et des femmes victimes de fièvres puerpérale et publia dans The Lancet ses résultats sur les effets bénéfiques de ce traitement antibiotique82. Par la suite les efforts de Colebrook portèrent sur les sepsis observés chez les grands brulés et il contribua à favoriser l’usage de tissus résistants aux flammes. En 1935, Jacques Tréfouël (1897-1977), chimiste et futur directeur de l’Institut Pasteur et son épouse, Thérèse Tréfouël (1892-1978) (figure 49), biochimiste, travaillant tous deux dans le laboratoire de chimie thérapeutique d’Ernest Fourneau (1872-1949) à l’Institut Pasteur, prirent contact avec Domagk pour obtenir du protonsil®. Suite à son refus, le couple synthétisa le composé et découvrit avec leurs collègues, Federico Nitti (1903-1947) médecin italien naturalisé français, et Daniel Bovet (1907-1992), médecin suisse naturalisé italien, que ce composé est en définitive constitué de deux éléments, et que seule la fraction sulfanilamide est bactéricide. Il s’agissait là de la découverte d’une nouvelle classe d’antibiotiques, les sulfamides. Mais nos français ne purent déposer de brevet, la molécule ayant déjà été synthétisée comme colorant intermédiaire lors du travail de thèse en 1908 de Paul Gelmo (1879-1961), chimiste à Vienne, mais qui en ignorait alors les vertus thérapeutiques. Parmi les autres découvertes d’antibiotiques, mentionnons la tyrothricine découverte en 1939 par le chercheur américain d’origine française René Dubos (1901-1982) qui avait auparavant isolé la gramicidine en 1930. La découverte en 1942 de la streptomycine par Albert Schatz (1920-2005) dans le laboratoire de Selman Waksman (1888-1973) à la Rutgers University (New Jersey) fut une étape 82. Colebrook L, Kenny M. Treatment of human puerperal infections, and of experimental infections in mice, with prontosil. Lancet. 1936; 1: 1279-1286. 258
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Figure 49 | Le protonsil® mis au point par Gerhard Domagk (1895-1964), en haut, fut un des tout premiers antibiotique administré à l’homme. À partir de cet antibiotique, le couple Jacques (1897-1977) et Thérèse Tréfouël (1892-1978), en bas, identifia les sulfamides. © Institut Pasteur / Musée Pasteur.
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cruciale dans le domaine des maladies infectieuses, puisque ce fut le premier antibiotique efficace contre la tuberculose. Waksman reçut le prix Nobel en 1952 pour la découverte de Schatz (la controverse entre les deux hommes, initiée dès le dépôt de brevet se termina devant les tribunaux). Pour terminer mentionnons la découverte en 1945 par Benjamin Minge Dugga (1872-1956), professeur de chimie biologique à l’université Washington, de l’Auréomycine®, un antibiotique produit à partir d’une bactérie du sol. Aujourd’hui les antibiotiques sont en danger, car les bactéries ont développé des stratégies pour s’y opposer. Sur ce sujet, Fleming est un visionnaire. En effet il envisagea l’émergence de la résistance aux antibiotiques. Il déclara : « Voici quelques règles simples pour l’usage de la pénicilline : Premièrement : ne l’utilisez que sur des microbes appropriés. Deuxièmement : utilisez-la de manière qu’elle soit en contact avec le microbe. Troisièmement : prenez-la en dose suffisante. Quatrièmement : prenez-la assez longtemps pour tuer le microbe. Je crains que si la pénicilline est en vente libre, les patients ne s’essaient à l’automédication, et ne prennent pas les doses suffisantes. En cas des doses trop faibles, les microbes ne sont pas tués. Et ils risquent d’apprendre à résister à la pénicilline ». Si la crise sanitaire consécutive à la pandémie du COVID-19 n’avait pas émergé, le sujet de santé publique dont nos responsables débattraient aujourd’hui serait bien celui de la résistance aux antibiotiques. Le 30 avril 2014, le Dr. Keiji Fukuda, sous-directeur-général de l’OMS déclarait : « À moins que les nombreux acteurs concernés n’agissent d’urgence de manière coordonnée, le monde se dirige vers une ère post-antibiotique dans laquelle les infections courantes et les blessures mineures, qui ont été traitées pendant des décennies, pourraient tuer à nouveau ». On estime à 25 000 morts le nombre de personnes qui décèdent en Europe des conséquences de l’antibiorésistance. La France demeure un des pays les plus utilisateurs d’antibiotiques, 260
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tandis que la recherche sur de nouveaux antibiotiques menée par les « big pharmas » a considérablement diminué : quel intérêt pour celles-ci d’investir des efforts de recherche et d’importants financements pour un médicament qui soigne en une semaine, alors qu’il y a des pathologies chroniques pour lesquelles le traitement nécessite d’être pris toute la vie du patient ? Suite au rapport de 2014 de l’OMS, la France mit en place un comité d’experts présidé par le Dr. Jean Carlet, ancien chef du service de réanimation de l’hôpital St Joseph à Paris et alors président de la World Alliance Against Antibiotic Resistance. Ils rendirent leur rapport en juin 2015. En novembre 2016, le comité interministériel se réunissait amenant le Secrétariat Général pour l’investissement auprès du Premier Ministre à proposer un programme de recherche prioritaire de 40 millions d’Euros sur dix ans. L’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) fut chargé du pilotage de ce programme avec le Dr. MariePaule Kiény, directrice du programme et Evelyne Jouvin Marche, coordinatrice scientifique, tandis que l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) organisa l’appel d’offre pour inviter les collègues académiques à proposer des projets de recherche pour vaincre l’antibiorésistance. Je mis en place le comité international d’évaluation de ce programme prioritaire de recherche sur l’antibiorésistance, composé de 26 membres. Initialement présidé par le Prof. Herman Goosens qui fut rappelé par le gouvernement belge pour s’occuper de la crise du COVID-19, ce sont les Prof. Benedikt Huttner (Genève) et Rafael Canton (Madrid) qui co-présidèrent le comité final qui en janvier 2021 sélectionna onze projets de recherche issus des soixantedouze dossiers déposés initialement. LES BACTÉRIOPHAGES Face à la montée croissante de l’antibiorésistance, la promotion de la phagothérapie refait surface, et certains pays comme la Biélorussie ou la Géorgie la pratiquent couramment, offrant des débouchés pour certains qui désespèrent de trouver une solution à leurs infections 261
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récurrentes. La découverte des bactériophages, ces virus qui tuent les bactéries, remonte aux travaux d’Ernest Hankin (1865-1939) (figure 50) qui s’initia à la microbiologie à Berlin auprès de Koch et à Paris auprès de Pasteur. Il mena son travail de bactériologiste pendant plus de trente ans en Inde, étudiant en particulier les épidémies sporadiques de choléra dans ce pays. Son insistance auprès des autorités françaises incitèrent celles-ci à créer l’Institut Pasteur de l’Inde à Kasauli en 1904. D’une part il est conscient que la consommation d’eau non traitée peut être source de contaminations, mais, d’autre part, en 1896, il publie dans les Annales de l’Institut Pasteur son observation selon laquelle cette même eau, en particulier celle du Gange et du Jumna présentent des propriétés bactéricides à l’égard du bacille du choléra83. En effet, les eaux des fleuves et les sols renferment une multitude de phages capables de tuer spécifiquement les différentes bactéries. En 1915, Frederick W. Twort (1877-1950) qui travaille aux Laboratoire de la Brown Institution à Londres, fait état de travaux84 initiés par son frère Charles Claud Twort (?-1950), médecin comme lui et qui décéda la même année. Twort mentionne la mort de micrococcus au contact d’une culture de virus de la vaccine. Le phénomène est thermolabile, et disparait après chauffage une heure à 60 °C et est relativement spécifique des bactéries car si les staphylocoques y sont légèrement sensibles, ce n’est pas le cas des streptocoques ou du bacille de la tuberculose. Twort parle de virus ultramicroscopique mais envisage qu’il puisse s’agir d’une enzyme. La culture sur les micrococcus est indispensable pour maintenir cette activité qui perdure sur un nombre infini de générations bactériennes. Il nota que cette activité de dissolution bactérienne est également retrouvée dans le contenu du tube digestif. 83. Hankin EH. L’action bactericide des eaux de la Jumna et du Gange sur le vibrion du choléra. Ann. Inst. Pasteur. 1896; 10: 511-23. 84. Twort FW. An investigation on the nature of ultra-microscopic viruses. The Lancet. 1915; 1241-43. 262
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Figure 50 | Deux des pères fondateurs des travaux sur les bactériophages. À gauche, Félix d’Hérelle (1873-1949), à droite, Ernest H. Hankin (1865-1939). © Institut Pasteur / Musée Pasteur.
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Félix d’Herelle (1873-1949) (figure 50), de nationalité canadienne, le codécouvreur des bactériophages a un profil pour le moins atypique. Né Hubert Augustin Félix Haerens, de père inconnu et de mère rentière, il se choisit lui-même son nom alors qu’il est au Québec. Après des études secondaires inachevées au lycée Condorcet puis au Lycée Louis-le-Grand à Paris, il s’engagea en 1893 comme volontaire dans l’Armée, se retrouva en Turquie et en Grèce avant de déserter quelques années plus tard. Cette même année 1893, il épousa à Istanbul Marie Caire enceinte et âgée de 15 ans. Il partit alors pour le Canada et ouvrit avec son frère Daniel une chocolaterie à Longueil dans la banlieue de Montréal. Le gouvernement du Québec l’invita à envisager de produire du whisky à partir du sirop d’érable. Ce fut sans doute son premier contact avec la distillerie et la fermentation, et il entama des études de microbiologie de manière autodidacte. On le retrouve bactériologiste à l’Hôpital général du Guatemala, travaillant sur la fièvre jaune, puis au Mexique où il étudiait la fermentation du sisal et où il travaillait comme bactériologiste du gouvernement. Il isola un coccobacille dans l’intestin de sauterelles, responsable de l’entérite de ces insectes. Il contribua à la lutte contre les sauterelles en Argentine, un savoir-faire qui fut mis en œuvre ultérieurement par l’Institut Pasteur de Tunisie. En 1911, il revint en France, et entra à l’Institut Pasteur, la maison de son idole, comme assistant de recherche et travailla dans les laboratoires, auprès d’Alexandre Salimbeni (1867-1942) et de Camille Delezenne (1868-1932). Il fit de nombreuses missions en Argentine, Algérie, Turquie, Tunisie et Mexique. D’Herelle laisse deux ouvrages, chacun de quelques 700 pages manuscrites : « Les pérégrinations d’un microbiologiste » (publié en 2017) et « La valeur de l’expérience : essai de l’expérimentalisme » jamais publié. Dans ce dernier ouvrage, il écrivit : « La chasse aux microbes m’est apparue comme la dernière aventure d’un monde standardisé : pour un microbiologiste, je pris Pasteur comme modèle. Sans doute, me dis-je alors, il avait l’entraînement mental, imposé par les circonstances, qui joua un rôle dans l’acquisition de 264
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son “esprit microbiologique” et donc je me devais de suivre le même chemin. Pasteur a commencé par la chimie, puis est venu à l’étude des fermentations, puis à une maladie d’insectes, puis à l’étude des maladies endémiques des vertébrés et enfin celle des maladies humaines. Pendant 50 ans, comme le montrent mes publications, j’ai suivi cette voie avec un détour imposé par les circonstances, l’étude d’une maladie fongique d’une plante, le café. Je pense que la méthode était un bon moyen d’acquérir un “esprit pasteurien” ». Autodidacte, il cite Platon, Bergson, et Francis Bacon est son autre idole. Il va acquérir sa notoriété suite à une note communiquée à l’académie des Sciences le 10 septembre 1917 par le Dr. E. Roux, alors directeur de l’Institut Pasteur85. N’est-il pas fascinant qu’une découverte majeure tienne en un simple texte de quelques lignes là où aujourd’hui les articles scientifiques font de nombreuses pages, incluent un grand nombre de figures elles-mêmes divisées en autant de petites figures tandis qu’un grand nombre de figures supplémentaires sont disponibles dans un addendum à télécharger sur internet. En accord avec la communication de Twort qui mentionnait l’existence de son virus ultramicroscopique dans l’intestin, d’Herelle, chargé d’une enquête sur une épidémie de dysenterie qui sévissait dans un escadron de dragons en repos à Maisons-Laffitte, isola ce qu’il nomma bactériophage à partir des selles de sujets convalescents de dysenterie bacillaire et qui se trouvait être actif contre le germe responsable de cette pathologie, Shigella flexneri. Tout comme les approches de ceux qui contribuèrent à définir les virus, il utilisa les filtres Chamberland pour démontrer que son microbe antagoniste était présent dans le filtrat, entretenu lors de plus de 50 ré-ensemencements et était spécifique de son germe cible. Sa présence coïncidait avec l’apparition de la convalescence des patients ayant souffert de dysenterie. Avec un succès moindre, il chercha à trouver l’équivalent vis-à-vis du bacille paratyphique. Il envisagea que ce phénomène était 85. d’Herelle F. Sur un microbe invisible antagoniste des bacilles dysentériques. CR Acad. Sci. Paris. 1917; 165: 373-5. 265
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général dans le monde des microbes. Entre 1924 et 1937, il obtint vingt-huit nominations pour le Prix Nobel. Malheureusement pour d’Herelle, ce fut un prix Nobel qui s’opposa à lui. En effet, Jules Bordet déclara en 1930, de façon péremptoire à Londres, lors de la prestigieuse conférence Croonian devant la non moins prestigieuse Royal Society : « Le virus invisible de d’Herelle n’existe pas, ce sont les bactéries elles-mêmes, sujettes à la lyse qui produisent ce principe lytique. C’est un cas d’autolyse ». Cette déclaration intervint dix ans après une année tumultueuse où les pasteuriens se sont s’opposés sur le sujet. À l’inverse de nos pasteuriens qui se sont confrontés au grand jour sur le vaccin anti-SARS-CoV-2 en faisant ouvertement état de leur dissension dans la grande presse86, les protagonistes de l’époque s’écharpent en toute discrétion. L’année 1920 est riche en évènements : en février et en avril, Tamézo Kabéshima (1881-1952) fit paraître deux articles dans lesquels il nia l’existence du bactériophage, estimant qu’il s’agissait d’un ferment bactériolysant. Kabeshima diplômé de pharmacie à 16 ans, obtint sa licence de la pratique de la médecine à 19 ans. En 1902, il rejoignit l’Institut des maladies infectieuses de Kitasato Shibasaburo. En 1904, alors que la guerre russo-japonaise éclatait, il postula pour le poste de chirurgien de la marine, et fut affecté à bord du navire-hôpital, Kobe Maru. Il travailla ensuite à l’hôpital de la Marine à Maizuru avant de servir à bord de destroyers et de croiseurs et d’être nommé chirurgien-en-chef à bord du porte-avions Kasagi. En 1911, la marine japonaise était en proie à la fièvre typhoïde. Parce qu’il avait de l’expérience en bactériologie, Kabeshima fut alors affecté à l’Institut des maladies infectieuses. Il travailla sur le développement d’un vaccin pour prévenir la typhoïde et à la production d’un vaccin pour traiter le choléra. Au cours de cette période (1911-1913), il développa un milieu sélectif pour le diagnostic bactériologique du choléra, connu sous le nom de milieu Kabeshima. Ce milieu a été largement utilisé même dans les pays occidentaux jusque vers 86. Covid-19 : Comment l’institut Pasteur a raté son vaccin ? Paris Match ; Publié le 25/02/2021. 266
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1945. Dans le domaine de la recherche sur le choléra, il découvrit que les souches peuvent être classées en deux sérotypes, respectivement appelés Inaba et Ogawa, du nom des régions du Japon où ont été isolés pour la première fois ces variants du vibrion cholérique, Vibrio cholerae O1. En 1917, il fut nommé attaché militaire en France participant à différentes réunions de comités d’experts et à des réunions internationales telles que les négociations d’un traité de paix. Il profita de sa présence à Paris pour rejoindre l’Institut Pasteur et y mener des activités de recherche. De retour au Japon, il fut nommé en 1927, directeur médical de la flotte de la marine impériale japonaise, et le 10 décembre 1928, il fut promu contre-amiral. En 1929, il rejoignit une société pharmaceutique, Sankyo Co., Ltd pour laquelle il fut responsable de la section des médicaments biologiques. Cette compagnie pharmaceutique développait et fabriquait une variété de vaccins et d’immunsérums contre la diphtérie et le tétanos. En 1936, Kabeshima créa son propre laboratoire au sein de la Compagnie, dans la ville de Kawasaki. Le comble fut que lorsque Kabeshima vint travailler à l’Institut Pasteur, il rejoignit initialement le laboratoire même de d’Herelle. Mais en 1920, ce dernier était en poste à l’Institut Pasteur de Saigon, en Indochine française. En décembre, Alexandre Salimbeni qui avait rejoint l’Institut Pasteur dans le laboratoire de Metchnikoff et avait travaillé avec Bordet, publia sa propre vision des choses concernant ce mystérieux agent invisible qui lyse les bactéries qu’il proposa d’appeler Myxomyces shigaphagus, le classant comme un champignon microscopique. Cette même année, Bordet étudiait cet agent sur lequel s’opposaient les savants, avec le professeur Mihai Ciucă (1883-1969), un médecin roumain en stage à l’Institut Pasteur de Bruxelles après s’être formé dans les laboratoires de microbiologie des pasteuriens parisiens Roux, Calmette, Levaditi, Mesnil et Laveran. En octobre Bordet et Ciucă publièrent des études qui aboutissaient à des observations très proches de celle de d’Herelle, en particulier, la nécessité de ce qu’ils appelaient un pouvoir lysogène pouvant se 267
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transmettre, au sein des bactéries vivantes. Mais ils estimèrent que cette activité était le fruit d’un ferment lytique présent dans l’exsudat péritonéal conférant aux cultures bactériennes un pouvoir autolytique transmissible. Ainsi, Kabéshima à Paris et Bordet à Bruxelles, auréolé du prestige de son prix Nobel labélisé 1919, qu’il se vit décerné cette même année 1920, favorisaient l’interprétation enzymatique, estimant que la lyse bactérienne était due à une « diastase », produite par la bactérie elle-même. De son côté, à Saigon, d’Herelle continua d’accumuler les preuves en faveur de son bactériophage. Il étudia 58 cas de choléra dont 53 mortels. À partir d’extrait des selles, provenant uniquement de patients survivants, il démontra la présence de bactériophages capables de dissoudre les vibrions cholériques. Par ailleurs, en Indochine, les buffles indispensables au labourage des rizières, souffraient de la barbone des buffles (ou pasteurellose du buffle ou septicémie hémorragique du buffle). Une fois encore, d’Herelle isola des bactériophages spécifiques du germe responsable de ce mal. En juin, d’Herelle chercha le soutien de Calmette et lui écrivit avec son élégante calligraphie : « Dans une de mes notes, j’ai écrit que le microbe bactériophage ne se développait pas en présence de bacilles tués. Cette simple phrase représentait des mois de travail. Je veux bien croire à une erreur de Mr Kabeshima, mais il est bien désagréable de discuter avec un monsieur qui n’a pas de technique. C’est d’autant plus désagréable dans le cas présent que sa note porte la mention “Institut Pasteur de Paris”. Je regrette que Mr Roux n’ait pas maintenu sa décision qu’il avait prise de faire contrôler les expériences avant qu’elles ne soient publiées ». Le 14 août 1920, d’Herelle écrivit à Émile Roux, alors directeur de l’institut Pasteur : « J’ai lu la dernière note de Mr Kabeshima ; il est temps de faire cesser cette mauvaise plaisanterie. Des expériences qu’il fournit à l’appui de sa thèse, les unes n’ont aucune signification car les conditions de ces expériences ne sont nullement incompatibles avec la vie ; quant à celles qui tendraient à lui donner raison, elles sont régulièrement fausses ! […] Le principe bactériophage 268
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n’exerce aucune action sur le bacille de Shiga en milieu fluoruré et les passages en série dans un tel milieu sont impossibles. Mr Kabeshima indique que le principe actif est soluble dans la glycérine ; […] Ce serait une manière originale d’exprimer un fait qui a lui seul détruit son hypothèse. […] Quelles sont les fautes commises dans les expériences de Mr. Kabeshima ? Je connais assez mon sujet pour pouvoir les désigner à coup sûr : en ce qui concerne, par exemple, l’action du milieu fluoruré, il a omis les tubes témoins. Défauts de technique et absence de méthodes. C’est ce qu’on trouve d’ailleurs toujours à la base de toute erreur. Les expériences de Mr Kabeshima correctement exécutées, se retournent contre sa thèse, il ne peut en être autrement car sa conception est absurde […] ». En outre, il rapportait à Roux son impression sur la population qu’il côtoyait avec le regard empreint du racisme des colons de l’époque « Ce qui frappe fortement dès le premier contact avec l’indigène : le mensonge est pour lui chose permise, licite et n’entraîne pas la réprobation ; si on prouve à un jaune qu’il a menti, en lui faisant toucher du doigt le fait qu’il niait, il sourit et ne cherche même pas de prétextes pour s’excuser. Pourquoi en chercherait-il ? Il n’a pas failli. Toutes les coutumes, les pratiques religieuses, la procédure, tout ce qui constitue la civilisation jaune est entièrement dominé par l’idée du mensonge ». À la fin de l’année, l’exaspération de d’Herelle est à son comble. Le 1er décembre 1920, il réécrivit à Roux : « J’ai lu avec étonnement les deux communications de Mr Bordet. Il est regrettable que les notes que je vous ai envoyées au sujet des expériences de Mr Kabeshima n’aient pas été présentées en temps voulu […] Si Mr Bordet, par exemple avait eu connaissance de mes notes, cela l’aurait incité peut-être à plus de prudence […] Devant mon silence apparent, il a pu considérer comme définitivement acquis les faits avancés par Mr. Kabeshima […] Des contradicteurs ont la liberté entière de publier ce que bon leur semble, et moi, qui défends mon hypothèse, je vois mon droit de réponse entravé, sans qu’il me soit fait crédit, en faveur des découvertes déjà confirmées. Pensezvous que la partie soit égale ? Vous me direz peut-être, ce que vous 269
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m’avez d’ailleurs déjà dit une fois, que j’engage la responsabilité de l’Institut Pasteur. Il me semble que jusqu’à présent je ne l’ai guère compromis, puisque les faits sont exacts, ce qui me donne, plus qu’à tout autre, l’autorité suffisante pour défendre l’interprétation que je leur ai donnée […] Si la crainte d’engager la responsabilité de l’Institut Pasteur est la raison pour laquelle vous n’avez pas cru devoir présenter les notes en question, je ne vois qu’une solution possible, qui, tout en vous donnant satisfaction, me rende le droit à la libre discussion : c’est de ne plus me considérer comme appartenant au personnel de l’Institut. […] Dès mon retour à Paris je vous prierais […] de bien vouloir nommer une commission d’enquête […] Voici cinq ans que je vis, pour ainsi dire, avec le bactériophage ; accumulant les expériences, les variant de toutes manières, envisageant par avance toutes les objections qui pourraient m’être opposées au jour de la discussion. Dès le début, j’ai envisagé l’hypothèse d’une action diastasique, c’est la première qui s’est présente à mon esprit, et ce n’est qu’après deux ans de recherche que je l’ai définitivement rejeté comme impossible, c’est alors seulement que j’ai publié ma première note […] Je comprends fort bien en présence de l’étrangeté du phénomène, votre crainte d’engager l’Institut dans une aventure. La solution que je vous propose dégage sa responsabilité ». En 1921, il publia son livre « Le bactériophage : Son rôle dans l’immunité ». Cette même année, argumentant sur les différences de thermosensibilité du produit de Twort et le sien, il nia l’antériorité des travaux de Twort sur la découverte des bactériophages tout en reconnaissant aux travaux d’Hankin une observation précurseur de sa découverte. À son retour en Europe, sans doute faute d’avoir trouvé le soutien espéré de Roux, s’étant mis à dos Calmette après avoir déclaré que le BCG87 était dangereux, et faute de se voir attribuer un laboratoire, il quitta l’Institut Pasteur pour l’Institut de médecine tropicale de Leiden aux Pays-Bas, puis il dirigea le département de bactériologie du Conseil sanitaire à Alexandrie en Égypte, fut professeur de bactériologie à l’Université de Yale aux États-Unis, 87. BCG = Bacille de Calmette et Guérin, cf. chapitre vaccination. 270
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puis se rendit en Russie, avant de créer à Paris un laboratoire pour la production de bactériophages à des fins thérapeutiques. Toujours en 1921, André Gratia que nous avons déjà croisé à l’occasion de la découverte de la colicine reprit les travaux de d’Herelle, Salimbeni, Kabeshima, Bordet et Ciuca. Il était alors au prestigieux Rockefeller Institute de New York où pour la première fois aux USA était menée une recherche sur les phages. Il conclut de ses travaux que l’agent lytique est une substance diffusible spécifique de chaque germe et identifia des souches bactériennes résistantes. Sa conclusion à l’époque fut, qu’avec une approche différente, ses travaux se rapprochaient de ceux de Border et Ciuca. Par la suite, Gratia démontra l’identité des phénomènes décrits par Twort et d’Herelle. Ce n’est que bien plus tard que Gratia reconnaîtra une similitude entre les bactériophages et les virus des plantes et des insectes88. En 1923, George Eliava (1892-1937), un médecin géorgien qui avait travaillé auprès de d’Herelle à l’Institut Pasteur, fonda un institut bactériologique à Tbilissi pour rechercher et promouvoir la phagothérapie, premier institut au monde intégralement consacré aux bactériophages. En 1937, d’Herelle perdit un soutien : Eliava fut arrêté et fusillé comme « ennemi du peuple ». En 1940, Helmut Ruska que nous avons déjà croisé à l’occasion de la première visualisation d’un virus en microscopie électronique fut aussi le premier à rapporter une image en microscopie électronique d’un bactériophage. Après s’être assuré sur lui-même et sur trois personnes de sa famille de l’innocuité de l’administration de bactériophage par voie buccale, puis de nouveau sur lui-même et sur Eliava de l’innocuité par voie sous-cutanée, d’Herelle procéda à des essais chez des patients. Ses premiers essais furent menés en 1921 à l’hôpital des enfants malades de Paris sur cinq enfants de 3 ½ ans à 12 ans souffrant de dysenterie bacillaire très sévères accompagnées de selles 88. Gratia JP. André Gratia: a forerunner in microbiology and viral genetics. Genetics. 2000; 156: 471-6. 271
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sanglantes et de vomissements89. Chacun de ses petits patients ainsi traités recouvrèrent la santé et sortir de l’hôpital entre une et deux semaines après l’initiation du traitement. La même année, le professeur Richard Bruynoghe (1881-1957) de l’Université de Louvain, et son étudiant Joseph Maisin (1893-1971) traitèrent avec succès six patients atteints d’infections cutanées dues au staphylocoque90. En 1925, d’Herelle se trouvant en Égypte, traita quatre patients, de 16 à 40 ans, dont le second officier et un mousse qui, arrivant à bord d’un vapeur dans le port d’Alexandrie, furent mis en quarantaine suite à leur diagnostic de la peste bubonique. Les patients présentaient de fortes fièvres (entre 39,9 et 40,9 °C). D’Herelle confirma le diagnostic en montrant que le bacille isolé des patients était agglutiné par un sérum anti-pesteux et qu’inoculé à des cobayes, il les tuait en moins de trois jours. Utilisant un bactériophage spécifique du bacille de la peste qu’il avait isolé en Indochine à partir des excréments de rats recueillis après une épidémie de peste, d’Herelle obtint des résultats spectaculaires91. Il injecta alors son bactériophage au cœur même du bubon. La fièvre chuta, les prélèvements se négativèrent et tous les patients recouvrèrent la santé. Trois des patients, traités précocement ne reçurent qu’une injection, tandis que deux injections furent nécessaires pour le patient pour lequel l’inclusion n’avait été possible qu’au troisième jour de la maladie. Malheureusement, illustrant la difficulté de la recherche dans ce domaine, la difficulté de la standardisation, et sans doute la qualité variable des préparations de bactériophages, José da Costa Cruz (1894-1940), un chercheur de l’Institut Oswaldo Cruiz à Rio de Janeiro, échoua à obtenir des résultats positifs avec des patients souffrant de dysenterie. En 1927, une épidémie de choléra asiatique 89. D’Herelle F. Le bactériophage. Son rôle dans l’immunité (Monographie de l’Institut Pasteur) Masson 1921. 90. Bruynoghe R, Maisin J. Essais de thérapeutique au moyen du bactériophage. C. R. Soc. Biol. 1921; 85: 1120-1. 91. D’Herelle. Essai de traitement de la peste bubonique par le bacériophage. La Presse Médicale. 1925; 1393-4. 272
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survint au Pendjab, et d’Herelle traita avec succès 74 patients gravement malades. La mortalité globale pour les patients traités fut de 8 %, tandis que les 124 témoins non traités par les phages présentèrent un taux de mortalité de 63 %. Pour conclure cette thématique, mentionnons que la vie rocambolesque de d’Herelle inspirera l’écrivain américain, prix Nobel de littérature 1930, pour son héros de son roman Arrowsmith. Dans les années 1980, les collections de bactériophages de l’Institut Pasteur furent détruites. À l’inverse, en Géorgie, l’institut qui porte désormais le nom de son fondateur, George Eliava, a maintenu son expertise et offre des traitements par phagothérapie avec des succès spectaculaires mais hélas aussi de douloureux échecs. L’HYGIÈNE L’eau est associée à l’hygiène, mais l’eau est aussi source de contamination, c’est bien là toute son ambiguïté et le dilemme auquel feront face les médecins durant des siècles, prescrivant des bains ou au contraire l’évitement de l’eau. Toutes les civilisations ont fait appel naturellement à l’hygiène. Les Égyptiens accordent une grande importance à l’hygiène et l’accès à l’eau du Nil, fait que les bains ne furent pas l’apanage des plus aisés. Ce sont les Grecs qui nommèrent Hygeia, la déesse de la santé, de la guérison, de la médecine préventive et du mieux-être social, à l’origine du mot hygiène. Fille d’Asclépios, dieu grec de la médecine, elle a pour sœurs, Panacée (les remèdes), Laso (récupération d’une maladie), Méditrine (la guérisseuse), Acéso (le processus de guérison), et Eglé (beauté, santé rayonnante). Les Grecs vont initier les bains publics particulièrement associés aux exercices physiques. Les Romains vont adorer les bains publics. Malheureusement leurs thermes ne sont pas forcément synonymes de bonne santé, car les eaux chaudes ne sont pas renouvelées fréquemment. Ajoutez l’action des puces, des poux et des latrines communes utilisant une éponge partagée… Il est alors aisé de comprendre que la société romaine ne fut pas à l’abri des 273
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maladies infectieuses. Ce qui va se perdre avec le Moyen Âge, ce n’est pas tant l’usage du bain et de l’hygiène que l’éviction des excréments et des eaux usées hors de la ville comme au temps des Romains. Les immondices s’accumulent dans les rues, favorisant par ailleurs la présence des rats à l’origine des épidémies de peste. Mais bientôt l’eau va faire peur, et ce qui va l’emporter alors c’est la propreté du linge plus que celle du corps. La légende voudrait que Louis XIV ne prît au mieux que trois bains de toutes sa vie. Mais en fait son médecin, Guy-Crescent Fagon (1638-1718) sut lui prescrire des bains fréquents. Néanmoins, il est vrai que le concept de baignoire n’émergea pleinement qu’avec Louis XV. Avant même que les microbes n’aient été découverts, nombre de médecins avaient conscience de l’importance de l’hygiène en particulier dans les hôpitaux des armées. John Pringle (1707-1782) dans son ouvrage « Observations sur les maladies des armées dans les camps et dans les garnisons » dans sa version anglaise de 1752 (traduit en français en 1755), préconisait des principes d’hygiène comme l’aération, la propreté des camps et l’isolement des malades afin de limiter les infections acquises à l’hôpital, et il introduisit de grandes réformes sanitaires dans les hôpitaux militaires. En France, en 1775, Claude Pouteau (1724-1775) plaida pour l’usage de draps propres et des mains propres lors du traitement des blessures des patients pour éviter toute « pourriture d’hôpital ». Il ne fait aucun doute pour le Baron Pierre-François Percy (1754-1825) que la « fièvre des hôpitaux » responsable d’une forte mortalité, est due à une mauvaise hygiène des hôpitaux. De même, Jacques Tenon (1724-1816) s’en préoccupait et dans ses « Mémoires sur les hôpitaux de Paris », de 1788, il préconisait pour la combattre, la mise en place de mesures effectives d’hygiène hospitalière. En 1794, Jean-Noël Hallé (1754-1822), premier médecin de Napoléon, créa en France la première chaire dédiée à l’enseignement de l’hygiène. Hallé prit pour adjoint de cet enseignement, Philippe Pinel (1745-1826) alors qu’il était le médecin-chef de l’hôpital Bicêtre. Auparavant il avait été directeur de la Gazette de santé et avait publié plusieurs articles 274
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sur l’hygiène et l’observation clinique. François-Emmanuel Fodéré (1764-1834) considéré comme le père de la médecine légale dont il avait la chaire à la faculté de Strasbourg, détint également la chaire d’hygiène publique. Dans son « Traité de Médecine légale et d’hygiène publique ou de police de santé » (1813) il abordait l’hygiène tant dans ses aspects privés que publics. En 1822, Alexandre François Ollivier (1790-1844), dans son « Traité expérimental du typhus traumatique, gangrène ou pourriture des hôpitaux », énumérait les comportements nécessaires pour prévenir la contagion et posait des principes novateurs en matière d’hygiène médicale. En 1907, Louis Martin (1864-1946), à l’origine de l’hôpital Pasteur en 1900, et futur directeur de l’Institut Pasteur (de 1933 à 1939), proposa son traité d’hygiène. S’il traitait de l’hygiène hospitalière, il abordait également l’hygiène individuelle, l’hygiène alimentaire, l’hygiène de l’habitation, l’hygiène scolaire, l’hygiène industrielle, l’hygiène militaire, l’hygiène navale, l’hygiène coloniale, et l’hygiène des collectivité urbaines. En effet, les médecins ne prônèrent pas l’hygiène qu’au sein des hôpitaux. Alexandre Parent-Duchâtelet (1790-1835), un des douze fondateurs des « Annales d’Hygiène Publique et de Médecine Légale » se souciait de l’hygiène publique, et dans son ouvrage « Essai sur les cloaques ou égouts de la ville de Paris » (1824), il traitait du sujet de façon très concrète et il fut de ceux qui favorisèrent la mise en place du tout-à-l’égout. Ce sujet fut repris bien des années plus tard par le célèbre Albert Calmette (1863-1933) qui dans son « Traité d’hygiène, égouts et vidanges, ordures ménagères, cimetières » (1911) préconisa de nombreuses actions sanitaires, comme l’assainissement des logements ouvriers, la lutte contre les taudis, l’épuration biologique des eaux usées de la ville et des industries et contribua à assainir la ville de Lille. Il publia même un court article suggérant l’usage du cinématographe pour diffuser la propagande pour l’hygiène sociale. Un précurseur en quelque sorte des spots vu à la télévision pour encourager les Français à adopter les gestes barrières appropriés contre le COVID-19. 275
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Mais une étape déterminante dans la prise de conscience de l’hygiène pour prévenir des maladies infectieuses va se produire dans les maternités où surviennent ces épidémies de fièvres puerpérales tandis que la mortalité des nouveau-nés suite à un sepsis néonatal était des plus fréquentes. Thomas Willis médecin londonien cofondateur de la Royal Society parla de febris puerperarum. François Mauriceau (1637-1709) chirurgien français, considéré comme l’un des premiers à faire de l’art des accouchements, une spécialité, l’obstétrique, parla de Puerperarum morbis. C’est Edward Strother (1675-1737), médecin anglais diplômé de l’université d’Utrecht, qui proposa le terme moderne de fièvre puerpérale, tandis que Pierre A. Piorry (17941879), professeur de médecine interne dans différents hôpitaux parisiens créa le mot septicémie du Grec Σήψις (putréfaction) et αίμα (sang). Dans mon ouvrage précédent « La flamme Salvatrice – Il était une fois l’inflammation », j’ai eu l’occasion de mentionner tous ces cliniciens qui réalisèrent la contagiosité de la fièvre puerpérale, qui prirent conscience que les mains du médecin accoucheur pouvaient transmettre le mal, et que l’hygiène pouvait sauver bien des mères. Bien sûr le héros de cette aventure fut Ignaz Semmelweis (18181865) (figure 51), alors jeune assistant dans le service de maternité de l’autoritaire Johann Klein (1788-1856). Il imposa aux étudiants en médecine amenés à aider les parturientes à accoucher de se désinfecter les mains avec de l’hypochlorite de calcium92. Ces derniers se rendaient en effet souvent en maternité après avoir participé à des autopsies de cadavres. Après avoir constaté que son ami Jakob Kolletschka était décédé d’une septicémie après avoir été blessé au doigt lors d’une autopsie, et, ayant remarqué que le lavage des mains avec un simple savon n’éliminait pas l’affreuse odeur de putréfaction cadavérique, il préconisa cet antiseptique pour améliorer la qualité du lavage des mains et des ongles. Cette stratégie fit passer la mortalité de 16 à 0,85 %. Johann Klein n’en eut aucune reconnaissance et il 92. Cavaillon JM, Chrétien F. From septicemia to sepsis 3.0 – from Ignaz Semmelweis to Louis Pasteur. Microbes and Infection. 2019; 21: 213-21. 276
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Figure 51 | Méprisé de son vivant, aujourd’hui de nombreuses statues rendent hommage à Ignaz Semmelweis (1818-1865), ce héros de l’hygyène du lavage des mains, comme celle-ci qui trône à Budapest.
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ne renouvela pas le contrat de Semmelweis qui retourna à Budapest où il y transféra son approche si bénéfique pour la survie des jeunes mères à l’hôpital Szent Rókus. L’information de ce succès acquis en 1847, se répandit petit à petit au travers de l’Europe et le 20 avril 1849, la Gazette Médicale de Strasbourg se fit l’écho en faveur de ce moyen prophylactique. Malgré cela, la communauté médicale resta sceptique, voire critique, et l’accueil ne fut pas à la hauteur du progrès immense que venait de faire faire Semmelweis à la pratique médicale. Semmelweis décéda tragiquement à 47 ans suite à de mauvais traitements et des blessures infligés dans l’hôpital psychiatrique où il fut interné. Ironiquement, sa mort fut consécutive à cette même septicémie qu’il avait combattu toute sa vie. Onze ans après les observations clés de Semmelweis, celles-ci apparaissaient toujours incongrues pour les brillants esprits médicaux français. Nicolas Joseph Hervez de Chegoin, (1791-1877), chirurgien consultant du roi Louis Philippe, déclara dans son discours sur la fièvre puerpérale devant l’Académie Impériale de Médecine dans sa séance du 16 mars 1858 : « Sous le rapport de la contagion, il est clair qu’un grand nombre de femmes accouchées réunies dans un même local, peuvent devenir un foyer d’infection qui ne s’opère plus alors de dedans en dehors, mais de dehors en dedans, par les voies de la respiration, produisant même alors des effets plus prompts que dans l’absorption utérine, puisque celle-ci exige plusieurs jours d’incubation pour la putridité des matières qui en deviennent la cause, tandis qu’elle est tout effectuée quand elle s’exhale du corps qui en est imprégné. Cette contagion peut-elle s’opérer par la présence du médecin ou d’une personne qui vient de visiter une accouchée atteinte de fièvre puerpérale ? Je ne le pense pas ; la quantité de miasmes qu’il peut transporter ne me paraît pas suffisante pour ce mode de transmission ». À l’occasion de la célébration du bicentenaire de la naissance de Semmelweis, je fus invité par l’Université de Szeged à participer à l’ouverture de l’année universitaire et à l’inauguration d’un buste du héros hongrois. Je fis un bref discours : « Il y a deux cents ans, 278
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à Budapest, Terezia Semmelweis donnait naissance à un fils nommé Ignaz. Aujourd’hui, nous sommes réunis pour célébrer ce héros national. Mais ce n’est pas seulement un héros hongrois, c’est un héros international, et son nom doit être connu partout dans le monde par tous les médecins, par tous les scientifiques, par tous les étudiants en médecine, par tout le monde. La vie d’Ignaz Semmelweis était une tragédie, son combat contre la nomenklatura médicale était une tragédie, sa mort était une tragédie ! Mais de nos jours, Ignaz Semmelweis reçoit les honneurs qu’il mérite et qu’il n’a jamais obtenus de son vivant. Comme Alexander Gordon en Ecosse, comme Oliver Holmes aux États-Unis, Ignaz Semmelweis s’est rendu compte que les mains des médecins pouvaient apporter beaucoup de détresse et la mort. Il a été le tout premier à démontrer que c’était le cas, et il a convaincu les étudiants en médecine de se laver les mains avec un antiseptique pour lutter contre l’odeur de putréfaction qu’ils portaient après avoir effectué des dissections de cadavres. Même si au cours de sa vie son action n’a pas été pleinement reconnue, il aurait pu affirmer avec fierté : “J’ai sauvé la vie de nombreuses femmes qui ont accouché à Vienne et à Budapest”. Seuls quelques-uns ont été convaincus comme Gustav Adolf Michaelis à Kiel (Allemagne) qui a appliqué avec succès la méthode Semmelweis. Mais il était trop tard pour lui et il se suicida, désespéré d’avoir été lui-même la source de tant de morts. Plus tard, deux médecins français, Victor Feltz et Léon Coze ont démontré qu’il y avait des bactéries dans le sang de patients décédés d’une septicémie puerpérale. L’observation a été confirmée par Louis Pasteur qui a suggéré l’utilisation de méthodes antiseptiques, ouvrant les portes à l’utilisation plus généralisée de l’antiseptique en chirurgie par Joseph Lister. La contribution d’Ignaz Semmelweis est gigantesque. Partout dans le monde, l’hygiène des mains est pleinement reconnue et n’est plus discutée. Mais la septicémie que Semmelweis combattait existe toujours. Si la fièvre puerpérale est moins fréquente, l’OMS a reconnu l’an dernier la lutte contre la septicémie comme une priorité sanitaire mondiale. Ignaz Semmelweis, comme Pasteur, comme Lister, 279
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appartient aux géants qui ont beaucoup apporté à l’humanité ». J’avais déjà croisé une statue de Semmelweis sur le campus de l’Université médicale de Téhéran, le seul occidental qui ait sa statue dans cette ville, mais l’année mémorielle 2018 fut l’occasion d’un hommage tardif et de nouvelles statues, offertes par le gouvernement hongrois et l’Université de Budapest, furent inaugurées à Tokyo (au centre médical de la Croix-Rouge japonaise), à Genève (au siège de l’Organisation mondiale de la santé), à Vienne (sur le campus de l’Université de médecine), à Albany (dans le hall du département de la Santé de l’État de New York), à Târgu Mureș (Transylvanie, dans le parc de l’Université Sapientia), à Cracovie (à la Clinique gynécologique de l’Université Jagello), à Harbin (Chine, à l’Université de médecine traditionnelle chinoise du Heilongjiang), à Maribor (Slovénie, au centre d’Alma Mater Europea), à Prague (près de l’entrée du service d’obstétrique de l’hôpital universitaire général), à Toronto (dans le hall de l’hôpital Mount Sinaï). Enfin une nouvelle statue fut également inaugurée à Budapest (à l’école secondaire catholique) s’ajoutant à celle présente face à l’hôpital où Semmelweis exerça, et celle sur le campus de l’université de Budapest qui créé en 1769 fut rebaptisée Université Semmelweis en 1969. À propos de Semmelweis, on peut citer cette phrase d’un de ses compatriotes hongrois, Albert Szent-Gyorgyi (1893-1986) qui reçut le prix Nobel de physiologie ou de médecine pour ses découvertes en rapport avec le processus de combustion biologique avec une référence particulière à la vitamine C et à la catalyse de l’acide fumarique : « La découverte consiste à voir ce que tout le monde a vu et à penser ce que personne d’autre n’a pensé ». Pas moins de sept films consacrés à Semmelweis furent produits entre 1938 et 2001, aux USA, en Hongrie, en Allemagne de l’Est, en Autriche, en Hollande et en France, reprenant la vie tragique de Semmelweis. Il est cocasse de constater que dans le « La Vie de Louis Pasteur », un film américain réalisé par William Dieterle, sorti en 1936, il est attribué à Pasteur la déclaration de Semmelweis. Au début du film, un homme tire sur un médecin. Lors du procès, il 280
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accuse ce dernier d’avoir tué sa femme lors de l’accouchement. Il sort alors un document sur lequel on peut lire : « Docteurs ! Chirurgiens ! Lavez vos mains. Stérilisez vos instruments. Les microbes sont responsables de maladies et tuent vos patients. Signé Louis Pasteur ». Il est vrai que Pasteur a mentionné le nettoyage des mains associé à un flambage rapide pour les chirurgiens, et il était très réticent à la poignée de main et se lavait régulièrement les mains. Quant à la stérilisation des instruments, on la doit à Joseph Lister (1827-1912) (figure 52). Ce chirurgien britannique, après avoir pris connaissance des travaux de Pasteur sur la théorie des germes, proposa en 1867 les principes de l’antisepsie chirurgicale qui feront de lui le père fondateur de l’antisepsie appliquée à la chirurgie. Il mit au point un nébuliseur permettant de vaporiser de l’acide phénique dans l’air ambiant, sur le champ opératoire, sur les plaies, les mains des opérateurs, et les tissus. En quatre ans il réduisit la mortalité des patients amputés à 15 %, contre 45 à 50 % auparavant qui mouraient d’une septicémie. C’est Just Lucas-Champonnière (1843-1913) qui, après s’être rendu à Glasgow auprès de Lister, introduisit en France les vertus de l’antisepsie chirurgicale. Aux USA, c’est Lewis Atterbury Stimson (1844-1917) qui après avoir écouté Pasteur à l’académie de médecine, pratiqua à New York en janvier 1876, la première opération, une amputation, dans des conditions aseptiques complètes. Ainsi, même après sa mort Pasteur continue de récolter les fruits semés par d’autres. L’héritage de Semmelweis sur l’hygiène des mains est universel et l’actuel héritier, le médecin genevois, Didier Pittet (1957-), le père du gel hydroalcoolique, chargé par le gouvernement français de faire une analyse objective de la gestion de la crise du COVID-19, aura enseigné à toute une génération de cliniciens l’importance du lavage des mains. Les femmes sont peu nombreuses dans ce Panthéon des combattants contre les microbes, mais il est une héroïne dont la statue trône sur la place Waterloo de Londres. C’est Florence Nightingale (18201910) (figure 53), qui introduisit le lavage des mains dans son service 281
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Figure 52 | Joseph Lister (1827-1912), le père de l’antisepsie chirurgicale et le nébuliseur qu’il mit au point pour diffuser l’acide phénique avant et durant les actes chirurgicaux, ici peint par W. Watson Cheyne en 1882. © (Portrait Lister) : Musée d'Histoire de la médecine, Lettonie. Artiste inconnu. Années 1950. Huile sur carton. Collection de Pauls Stradiņš.
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Figure 53 | Florence Nightingale (1820-1910), née à Florence comme en témoigne son prénom, introduisit avec succès l’hygiène au sein de son hôpital de Scutari lors de la guerre de Crimée. Elle fut surnommée « la dame à la lampe ». De retour en Angleterre, elle créa la première école d’infirmières en 1860. Lithographie par J.A. Benwell.
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à l’hôpital dans la caserne de Scutari (Turquie) et qui grâce à ses méthodes sanitaires réduisit le taux d’infections et la mortalité durant la guerre de Crimée. De retour à Londres, lors d’une grave épidémie de fièvre puerpérale en 1867, elle préconisa des mesures à même de faire diminuer l’incidence de ces infections, par l’isolement des malades, et l’introduction de l’hygiène tant pour les patients que les soignants en y associant la propreté de la literie. Si l’eau est à la base de l’hygiène, certains y trouvèrent de nombreuses autres vertus et la balnéothérapie dans les villes thermales eut un succès certain. Parmi ses défenseurs Hermann Pidoux (1808-1882), disciple de Trousseau, qui occupa pendant vingt ans le poste d’inspecteur des Eaux-Bonnes, station thermale réputée des Pyrénées où il eut au nombre de ses patients de marque, l’Impératrice Eugénie. Dans son ouvrage « Études sur le vitalisme organique » également consacré à la fièvre puerpérale (1858) Pidoux déclarait « J’espère que les progrès incessants de l’hygiène publique atténueront indéfiniment la puissance des maladies aiguës ou épidémiques et que les progrès de l’hygiène et de la morale privées, auront le même effet sur la puissance des maladies chroniques ou individuelles ». LES MASQUES Un montage photographique très émouvant fut proposé au cours de l’année 2020. Il représentait le visage d’une infirmière masquée, une charlotte sur la tête. Ce portrait était en fait composé des photos de 198 médecins, infirmiers et autres personnels de santé alors décédés du COVID-19 au Mexique. Avec la pandémie de COVID-19, l’humanité redécouvrait l’usage et l’intérêt du masque. Souvenonsnous, face à la pénurie, le 17 mars 2020, Sibeth Ndiaye (porte-parole du gouvernement) déclarait : « Les masques ne sont pas nécessaires quand on n’est pas malade ». Le 9 mars 2020, devant faire un point sur le COVID-19 pour le personnel de l’Agence Nationale de la Recherche, j’avais cherché à me faire une opinion et avait lu des textes surprenants. Ainsi, Stanley Perlman, professeur de 284
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microbiologie et d’Immunologie à l’Université de l’Iowa qui étudie les coronavirus estimait que le masque n’empêcherait pas nécessairement l’infection. Il ajoutait : « Mais ils ont une certaine valeur : le port d’un masque peut empêcher un individu de toucher directement sa bouche et son nez, ce qui est une façon courante de faire pénétrer les virus et les germes dans le corps. Les masques offrent une certaine protection de cette façon. Mais ce que nous enseignons, c’est qu’ils ne sont pas très bons ». De son côté, William Schaffner, professeur de médecine préventive à l’Université Vanderbilt de Nashville, affirmait « Les preuves scientifiques selon lesquelles il pourrait y avoir un avantage pour le grand public de porter un masque chirurgical sont très, très maigres. Ce n’est certainement pas une protection absolue. En d’autres termes, ils offrent certains avantages, mais ils sont loin d’être infaillibles ». Ces déclarations me surprirent d’autant que ma conviction personnelle s’appuyait sur l’usage des masques par les chirurgiens-dentistes dans l’exercice de leur profession. Ces derniers les utilisent essentiellement pour se protéger des microbes qui pourraient être aéroportés depuis la bouche de leurs patients. Une enquête approfondie finit par me convaincre de l’importance des masques, comme cet article publié douze ans avant la survenue de la pandémie par des chercheurs de l’institut national pour la santé publique et l’environnement des Pays-Bas comparant les masques chirurgicaux et « home-made » qui concluait : « Tout type de masque en général est susceptible de réduire l’exposition virale et le risque d’infection au niveau de la population, malgré un ajustement imparfait et une adhérence imparfaite. Les masques portés par les patients peuvent ne pas offrir un degré de protection aussi élevé contre la transmission par aérosols »93. Comme le COVID-19 fut l’occasion de revisiter tous les travaux qui avaient déjà été menés, une étude faite par des chercheurs de Hong Kong rassura sur la 93. van der Sande M, Teunis P, Sabel R. Professional and home-made face masks reduce exposure to respiratory infections among the general population. PLoS One. 2008; 3: e2618. 285
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protection : « Nos résultats indiquent que les masques chirurgicaux pourraient empêcher la transmission de coronavirus humains et de virus grippaux par des individus symptomatiques »94. Le 30 juin 2020, Joe Biden, alors candidat potentiel pour la présidence des USA déclara : « Tout le monde doit porter un masque. Point ». La pénurie de masques en début de pandémie fut une catastrophe. Le Directeur Général de la Santé porte une lourde responsabilité dans la tragédie française. En 2018, il décida de ne pas renouveler le stock de masques chirurgicaux périmés. Alors qu’il s’établissait à 754 millions d’unités fin 2017, le stock stratégique de masques chirurgicaux n’en contenait plus que 100 millions fin 2019. Pire… Pression fut faite pour que le rapport de l’expert, Jean-Paul Stahl, professeur de maladies infectieuses au CHU de Grenoble, transmis à Santé Publique France soit modifié pour devenir compatible avec la décision prise. Je voudrais rendre ici hommage à tous ceux qui travaillant en milieu hospitalier se sont battus comme des lions, contre l’avis officiel, parfois contre l’avis de leurs supérieurs, ou même contre l’avis de certains médecins chefs de service, pour que le personnel soignant ait accès aux masques et puissent être raisonnablement protégé ; faisant du troc entre hôpitaux : comme par exemple cet échange de sur-blouses contre des masques avec un hôpital militaire, ou ces deux boites de masques de FFP2 contre 6 boites de masques chirurgicaux avec une clinique… Si le public fut appelé à applaudir le personnel médical, n’oublions pas le désarroi de celui-ci face à la pénurie ; envoyé sur le front sans munitions… Atelier couture pour les uns, séance repassage pour les autres : « On a tenu avec le même masque une semaine, en le repassant au fer régulièrement ». Ou pensons au SAMU équipé en scaphandrier comme pour Ébola déposant les patients aux urgences des hôpitaux où les prenaient en charge un personnel dépourvu de masques. Souvenons-nous enfin des premières affichettes de 94. Leung NHL et al. Respiratory virus shedding in exhaled breath and efficacy of face masks. Nat Med. 2020; 26: 676-80. 286
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Santé Publique France « Face au Coronavirus », listant les gestes barrières, mais omettant le port du masque ! L’agence Régionale de Santé totalement incapable d’offrir une logistique appropriée. Bref, le Général de Gaulle aurait qualifié la situation de chienlit ! L’État décerna une médaille (la légion d’honneur ou l’ordre du mérite) à ceux qui avaient profité de l’évènement pour se mettre en avant. Mais combien de ces combattants de l’ombre n’ont pas même reçu une lettre de remerciement pour le combat héroïque qu’ils ont mené et pour les vies qu’ils ont sauvées ? Tout le monde a en tête ces photos ressorties du placard aux archives de personnes masquées lors de la pandémie de grippe espagnole de 1918-1919 : ces policiers de Seattle, ce barbier à Cincinnati, cet employé des tramways à Seattle, ce postier de New-York, ces soldats assistant à une séance de cinéma à l’hôpital militaire américain de Royat (Puy-de-Dôme), ou ces conducteurs de bus également à New-York. Il est alors effrayant de se souvenir que le New-York Times du 2 mai 2020 indiquait que vingt-huit conducteurs de bus londoniens avaient alors perdu la vie suite au COVID-19. Et s ouvenons-nous aussi qu’en début de pandémie en France, le ministre de l’Intérieur interdit aux policiers le port du masque. Quant au fameux savant de Marseille, il déclarait : « Si les masques peuvent rassurer, c’est une chose, mais je suis inquiet qu’on fasse une fixation trop importante dessus ». Depuis bien des temps, il était connu que les masques jouaient un autre rôle que de simplement rassurer ! Pour preuve, cet entrefilet du Washington Times du 27 septembre 1918 présentant le nouveau masque mise au point par le personnel de la croix rouge avec pour objectif de bloquer les germes de l’influenza, tant inhalés qu’exhalés. Ou cet article du 15 mars 1919, dans le journal « The Hospital » qui titrait : « Masques : ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire ». En définitive, au cours de la pandémie de grippe espagnole, le port d’un masque fut rendu obligatoire pour les forces de police, le personnel médical et même les résidents de certaines villes américaines, bien que son utilisation fut souvent controversée. Mon collègue et ami, le 287
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professeur Michael Bauer, directeur du département d’anesthésio logie et de médecine de soins intensifs de Iéna que je félicitais pour son passage à la télévision française fin avril 2020 en raison des résultats spectaculaires de sa ville, m’expliqua : « Nous avons une large couverture médiatique car Iéna est première ville allemande où le port du masque a été rendu obligatoire, accompagné de la fermeture de magasins et de restaurants… ». Convaincu de l’intérêt du port du masque, je contactais une amie à Hong Kong qui gentiment me fit parvenir deux boites de ces précieux masques ! Il fallut attendre deux mois après le premier déconfinement pour que le 15 juillet 2020, Gabriel Attal, le nouveau porte-parole du gouvernement déclare : « Le port du masque sera obligatoire dans les lieux publics clos ». Cette attitude de défiance, bien sûr motivée par la pénurie, est d’autant plus attristante que c’est en France qu’est né le masque pour se protéger lors des épidémies. On le doit à Charles Delorme (1584-1678) qui fut le médecin d’Henri IV, de Louis XIII et de Louis XIV. En 1619, il conçu un costume destiné aux médecins pour les protéger de la tête aux pieds contre la peste. Le masque porté sur le visage était constitué d’un nez en cuir ou en carton bouilli en forme de bec dans lequel étaient placées des herbes aromatiques (thym, camphre, mélisse, clous de girofles, myrrhe, pétales de rose). Le médecin, toujours équipé d’une longue baguette avec laquelle il soulevait les vêtements des pestiférés, appelé médecin de la peste ou médecin bec, est représenté dans une célèbre gravure datant de la moitié du xviie siècle. Il s’agit d’une satire, dans laquelle le médecin est décrit terrifiant les gens et prenant l’argent aux morts et aux mourants. Deux masques, présentés comme authentiques, exposés dans des musées allemands, à Berlin et Ingolstadt, sont soupçonnés d’être des faux ne datant pas du xviie siècle. Cela pourrait laisser supposer que les médecins becs se sont vu rétrospectivement attribuer une signification qu’ils n’auraient apparemment pas eu en réalité95. Alors, réalité ou légende ? 95. Matuschek C et al. The history and value of face masks. J. Eur J Med Res. 2020; 25: 23. 288
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Toujours est-il qu’il est toujours possible de croiser de tels masques lors du carnaval de Venise. Quant aux personnages que l’on retrouve avec un linge devant la bouche et le nez dans la sculpture en cire de Gaetano Giulio Zumbo, La peste de Florence (entre 1680 et 1700), et dans le tableau de Michel Serre figurant une Scène de la peste de 1720 à la Tourette (Marseille), sont-ils masqués pour se protéger de la transmission par voie aérienne ou pour se protéger des odeurs pestilentielles de putréfaction des cadavres qu’ils ramassent ? Toujours est-il que leur présence illustre qu’à cette époque, personne n’avait émis de doute sur le bien-fondé du port du masque. La première approche scientifique de l’intérêt de se protéger est proposé par John Tyndall que nous avons déjà croisé à plusieurs reprises. S’il en est un qui a dû se retourner dans sa tombe face aux grossiers mensonges de mars 2020 du gouvernement français sur l’intérêt des masques, c’est bien lui. Tombe qu’il avait d’ailleurs rejoint de façon prématurée lorsque son épouse, Louisa Charlotte Hamilton (1845-1940), de 25 ans sa cadette, lui administra accidentellement une dose excessive d’hydrate de chloral pour traiter ses insomnies. Le 27 janvier 1870, dans un article publié dans la revue Nature intitulé « brumes et poussières »96, Tyndall préconisait de respirer derrière un écran d’ouate de coton pour filtrer l’air et se protéger des infections pulmonaires des patients. La démonstration de la présence de germes dans l’air proche d’un patient tuberculeux fut faite en 1897 par Carl Flügge (1847-1923). Professeur d’hygiène et de bactériologie à l’université de Breslau (actuelle Wroclaw). Bien sûr, Koch avait émis l’idée que la transmission de la tuberculose se faisant suite à la toux et aux crachats des patients phtisiques et à la pulvérisation dans l’air des germes. Flügge et son équipe démontrèrent que le bacille virulent pouvait être retrouvé déposé sur les objets à 1,4 mètre du patient, retenant leur virulence jusqu’à quatre à cinq jours. Ils montrèrent qu’une demi-heure après qu’un patient ait quitté la pièce des germes étaient encore en suspension dans l’air. De plus, Flügge démontra que même 96. Tyndall J. On haze and dust. Nature. 1870; 1: 405. 289
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pendant une expression orale à voix basse, de minuscules gouttelettes (dites gouttelettes de Flügge) étaient pulvérisées dans l’air. Trois siècles après Delorme, c’est à un autre français que l’on doit l’utilisation d’un masque facial, alors en tissu, lors d’une opération chirurgicale. Il s’agit de Paul Berger (1845-1908) (figure 54), chirurgien parisien et membre de l’Académie de médecine. Il fut le premier chirurgien au monde référençant son utilisation à partir de 1897. L’année suivante, Jan Mikulicz-Radecki (1850-1905) (figure 54), chirurgien polonais formé à Vienne où il devint l’assistant de Theodor Billroth (1829-1894), le père de la chirurgie digestive, fit la même proposition. Par la suite, il se spécialisa en chirurgie orthopédique en allant se former auprès des meilleurs chirurgiens à Halle, Leipzig, Berlin, Cologne, Munich, Bâle, Paris et Londres. En 1832, il se vit attribuer la chaire de chirurgie de la prestigieuse université Jagellon de Cracovie. En 1887, il prit un poste à l’hôpital de Königsberg (Kaliningrad) avant de prendre, au zénith de sa carrière, la tête du département de chirurgie de l’université de Breslau (Wroclaw) où il pratiqua la chirurgie abdominale, proposant des techniques innovantes dans la résection du colon. Son objectif fut de disposer d’une salle d’opération entièrement aseptique, la première au monde. Il tenta alors de pratiquer ses interventions chirurgicales avec une paire de gants en soie stérilisés, avant d’introduire des gants en caoutchouc stériles ; il ordonna un lavage strict les mains avec de l’alcool avant chaque opération ; les compresses et les instruments étaient remis au chirurgien directement après stérilisation, le corps du patient étant recouvert d’un tissu stérilisé. Enfin il mit en pratique l’usage de masques faciaux lors des opérations. Avec tous ces efforts, il atteint un niveau étonnant, pour l’époque, de 99 % de guérison sans complications. Avec son assistant, Wilhelm Hübener (1893-1916), il démontra l’efficacité du port du masque en menant des expériences avec des lépreux. Il les fit parler devant des boites de Pétri, sans masque puis avec un masque. Il trouva que, sans masque, les lépreux projetaient dans l’espace en dix minutes, près de 90 000 Mycobacterium 290
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La lutte contre les maladies infectieuses
leprae. Lorsque le masque était utilisé, ce nombre était de 20 à 79 fois moins considérable. Démonstration était faite que l’on pouvait utiliser le masque pour diminuer la contagiosité de certains malades.
Figure 54 | Les pères des masques chirurgicaux, Paul Berger (1845-1908) et Jan Mikulicz-Radecki (1850-1905).
La pratique du masque va se répandre : Lors de la pandémie de grippe espagnole en 1918, la ville de San Francisco en Californie engendrera une première polémique en imposant le port du masque, sous peine d’une amende voire d’un passage de quelques semaines en prison en cas de refus. C’est dans ce contexte que l’on peut voir un groupe de randonneurs à quelques kilomètres de San Francisco porter un masque et la pancarte « Wear a mask or go to jail » (Portez un masque ou allez en prison.) (figure 55) La grande majorité des personnes respectèrent cette obligation mais une (première !) ligue anti-masques se constitua à San Francisco et réussit à faire retirer cette obligation avant qu’elle ne soit restaurée. L’efficacité des masques est aujourd’hui largement reconnue, mais il y a certains comportements qui ne changent pas… On estime qu’en 1923, plus des deux tiers des chirurgiens portaient des masques tandis qu’en 1935 le port du masque se généralisa pour 291
La lutte contre les maladies infectieuses
les chirurgiens. Dans les années 1960, les masques ne seront plus en tissus mais fabriqués à partir de matériaux synthétiques à usage unique. En 2020, pour la première fois, le masque chirurgical synthétique sort de la salle d’opération et se répand dans le grand public. De Paris à New York, de Londres à Mexico, de Rome à Pékin, de Barcelone à Johannesburg, le monde ne sort plus que masqué. La Chine abreuve la planète de son produit phare et fait fortune !
Figure 55 | Le port du masque lors de la pandémie de grippe espagnole à Mill Valley, Californie en 1918. La femme à droite porte un panneau indiquant « Portez un masque ou allez en prison ». © Photo reproduite avec l'aimable autorisation de l'Annual Dipsea Race – la plus ancienne course de trail des États-Unis – et offerte par la famille de Raymond Coyne, prise lors de leurs nombreuses aventures dans le comté de Marin et sur la Dipsea Trail.
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8 Les vaccins
Plus encore que les masques que l’on doit pourtant à de brillants précurseurs français, les vaccins sont aussi reconnus à juste titre comme issus des travaux d’un illustre français. En cette décennie 2020, force est de constater que la France a perdu son rôle de leader. Mais, nous allons aussi découvrir que Louis Pasteur, le plus célèbre des Français avec Charles de Gaulle et Napoléon, n’est pas l’homme intègre et exemplaire que l’on nous enseigne dans les écoles. Mais avant d’assumer cette déconvenue, avant de brouiller les esprits et définitivement altérer l’image d’Épinal, voyons les travaux princeps qui aboutirent à la vaccination. LA VARIOLISATION La variole est un fléau qui accompagne les Hommes possiblement depuis des millénaires dans la mesure où des marques retrouvées sur les momies égyptiennes, comme le visage grêlé de Ramsès V, ont été envisagées comme étant dues à cette infection. Mais aucune démonstration concluante n’a néanmoins pu être faite et certains 293
Les vaccins
experts estiment que la variole serait apparue il y a 1700 ans en provenance de l’Est de l’Asie. Pouvant tuer jusqu’à 30 % des personnes infectées, la variole n’épargna pas les grands de ce monde et emporta la reine Marie II d’Angleterre (à 32 ans en 1694), le roi Luis I d’Espagne (à 17 ans à 1724), le tsar Pierre II de Russie (à 15 ans, en 1730), le roi Louis XV de France (à 64 ans en 1774), l’empereur Joseph I d’Autriche (à 49 ans en 1790), tandis que le tsar Pierre III de Russie y survécu (1744). Entre 65 et 80 % des survivants portaient de profondes cicatrices fort disgracieuses comme celles sur le visage de Robespierre. En Chine, en 1014, sous le règne de l’empereur Zhenzong, son premier ministre Wang Dan, ayant perdu un de ses fils de la variole convoqua divers érudits de toute la Chine pour mettre au point une prophylaxie. Un moine taoïste apporta la technique d’inoculation qui se diffusa progressivement dans toute la Chine, la variolisation. La technique consistait à prélever du liquide séreux sous les croûtes des pustules des patients varioleux et à écorcher le bras ou la cuisse d’une personne n’ayant jamais contracté la maladie avant de les tartiner de pus. La variolisation va faire son entrée en Europe grâce à Lady Mary Wortley Montagu (1689-1762) (figure 56). Le frère de Lady Montagu était mort de la variole et elle-même souffrit de la maladie en 1715, mal qui laissa de profondes cicatrices sur son visage altérant définitivement sa célèbre beauté. Alors femme de l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Constantinople, Lady Montagu écrivit de nombreuses lettres et poèmes. En 1717, elle nota : « Chaque automne au mois de septembre, quand la chaleur se fait moins accablante, un groupe de femmes âgées se chargent d’effectuer l’opération à l’occasion de grands rassemblements. Elles prélèvent préalablement des échantillons de pustules sur des personnes de leur entourage atteintes de la petite variole et demandent à leurs patients de présenter leur bras ou leur cuisse. Elles entaillent ensuite leur chair à l’aide d’une grosse aiguille et y glissent autant de matière que possible, avant de panser la blessure et de répéter l’opération quatre à cinq fois… Les jeunes patients 294
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Figure 56 | Lady Mary Wortley Montagu (1689 – 1762) poétesse, écrivaine, et épouse de l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Constantinople demanda au Dr. Charles Maitland de varioliser son fils de cinq ans.
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s’amusent le reste de la journée. Après une semaine, la fièvre les saisit et les oblige à rester alités deux jours, parfois trois. On dénombre rarement plus d’une trentaine de pustules sur leur visage et celles-ci ne les marquent jamais durablement. Quelques jours plus tard, ceux-ci sont de nouveau en pleine forme ». En 1718, Lady Montagu demande au jeune médecin attaché auprès de l’ambassade britannique, Charles Maitland, 6e comte de Lauderdale (c1688-1744) de varioliser Edward, son jeune fils de cinq ans. De retour à Londres en 1721, lors d’une épidémie de variole, Lady Montagu demande de nouveau à Maitland de varioliser sa fille de 4 ans. Cela se fit devant trois témoins du Royal College of Physicians dont le Dr. James Keith (1685-1726). Ce dernier fortement impressionné par cette inoculation fit varioliser son propre fils de six ans, alors que ses autres enfants étaient morts de la variole. Maitland reçut une licence royale qui lui permit de tester la variolisation sur six prisonniers de la prison de Newgate. L’expérience eut lieu en août 1722, sous le contrôle de Sir Hans Sloane (1660-1753), médecin personnel de la famille royale, élu à l’âge de 25 ans « Fellow » de la Royal Society dont il en deviendra le secrétaire avec la responsabilité éditoriale des Philosophical Transactions (le journal officiel de la Royal Society) puis le président. Aujourd’hui, on se souvient surtout de Sloane comme du fondateur du British Museum97. L’expérience fut un succès et tous les prisonniers survécurent et furent graciés. À la fin de 1722, Caroline de Brandebourg-Ansbach (1683-1737), l’épouse du roi Georges II ordonna l’inoculation de cinq orphelins de la paroisse St. James à Londres. Suite à leur succès, Caroline fit inoculer par Maitland son fils aîné, Frederick, le futur prince de Galles. La variolisation va petit à petit s’étendre dans le royaume britannique. Ainsi, Thomas Nettleton (1683-1742), médecin exerçant à Halifax dans le Yorkshire y pratiqua cette approche, mais surtout 97. Weiss RA, Esparza J. The prevention and eradication of smallpox: a commentary on Sloane (1755) “An account of inoculation”. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci. 2015; 370(1666): 20140378. 296
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proposa une analyse statistique pour convaincre de l’efficacité du traitement préventif : « Je voudrais seulement faire remarquer, qu’il ressort de ces comptes, que cette dernière année (1722), dans cette partie du royaume, près de dix-neuf pour cent, soit près d’un cinquième de ceux qui ont eu la petite vérole naturelle, sont morts ; alors que sur soixante et un qui ont été inoculés ici, pas un n’est mort… ». Cette façon de faire va convaincre James Jurin (1684-1750), médecin et secrétaire de la Royal Society, du bien-fondé de cette analyse épidémiologique et d’en publier régulièrement les résultats. Ainsi en 1724, dans le Yorkshire et deux autres sites en Angleterre, la variole affecta 4 626 sujets de sa gracieuse majesté britannique et entraina 856 décès (18,5 %) tandis que parmi les 182 variolisés, on ne déplora que 2 décès (0,2 %). Johann Caspar Scheuchzer (1702-1729), un érudit suisse né à Zurich, naturaliste, médecin et écrivain sur l’histoire et la culture du Japon, travaillait à Londres à la rédaction d’un catalogue pour la bibliothèque de Sloane et contribuait aux Philosophical Transactions. En 1729, il fit paraître un compte rendu du succès de l’inoculation de la variole en Grande-Bretagne pour les années 1727 et 1728 et mentionna comment la même méthode était pratiquée dans les royaumes de Tunis, Tripoli et d’Alger. Malheureusement, l’œuvre de Scheuchzer demeura inachevée puisqu’il décéda de maladie à Londres à l’âge de 27 ans. En 1745, l’Hôpital de la variole et de l’inoculation fut créé à Londres. Pendant 42 ans, Edward Archer (1718-1789) en fut le principal médecin. Il s’éteindra même dans les murs de son hôpital. Si les années 1760 virent une explosion du nombre de personnes vaccinées contre la variole, ce fut en grande partie dû aux innovations de la famille Sutton, qui rendit la procédure presque indolore, beaucoup plus sûre et beaucoup plus pratique. Alors que Robert Sutton (17081788), chirurgien du Suffolk, modifiait la technique d’inoculation pour qu’elle n’impliqua qu’une petite coupure superficielle, sans faire saigner, juste à travers la peau avec une lancette tranchante, ce fut la combinaison de l’habileté et du génie des affaires de son fils Daniel Sutton (1735-1819) qui conduisirent à l’expansion de l’inoculation. 297
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Daniel, avec ses frères et plusieurs autres partenaires, mirent en place une chaîne de franchises à travers l’Angleterre et certaines régions d’Europe et d’Amérique du Nord qui proposait la désormais célèbre « Méthode Suttonienne ». Daniel inocula lui-même 22 000 personnes entre 1763 et 1766, avec seulement 3 morts. Cette approche fort lucrative fit bien des jaloux et des ennemis dans le royaume britannique. La technique, longtemps gardée secrète, fut finalement révélée dans le livre « The Inoculator », publié en 1796, l’année même où Jenner mettait en place la vaccination. Sutton avait pour beau-frère Siméon Worlock (c.1730-c.1787), qui à Saint Domingue inocula des milliers d’autochtones pour les prémunir de la petite vérole qui faisait des ravages autour de Port-au-Prince. Worlock popularisa la variolisation dans les Caraïbes, et après avoir déménagé en France, il y fut un ardent défenseur de l’inoculation suttonienne. Si la variolisation devint populaire en Grande-Bretagne, c’est Zabdiel Boylston (1679-1766) qui lui fit passer l’Atlantique (figure 57). Lors d’une épidémie de variole en 1721 à Boston, en Nouvelle-Angleterre, Boylston inocula deux esclaves et son propre fils, alors âgé de 13 ans. Sans surprise, sa méthode se heurta d’abord à une forte hostilité, on le menaça de le pendre ; il fut arrêté pendant une courte période ; une grenade fut lancée contre sa maison, mais fort heureusement pour sa femme et ses enfants alors à l’intérieur, elle n’explosa pas. Finalement, il inocula environ 248 personnes. La mortalité de 3 % fut bien moindre que celle consécutive à la variole. À l’invitation de James Jurin, Boylston se rendit à Londres où il publia ses résultats sous le titre : « Récit historique de la variole inoculée en Nouvelle-Angleterre » et deux ans plus tard, il devint membre de la Royal Society. Parmi ses opposant bostoniens, le Dr. William Douglass (c. 1691-1752) finit par se rallier à la cause, puisqu’en 1730, lorsque la variole réapparut à Boston, William Douglass devint luimême un inoculateur. En France, Voltaire contribua à la promotion de la variolisation. Il faut dire qu’ayant contracté la petite vérole en décembre 1724 où il 298
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Figure 57 | Dr. Zabdiel Boylston introduisit avec succès la variolisation en Nouvelle Angleterre. En 1730, il publie une étude détaillée sur les bénéfices d’une telle approche.
crut que sa dernière heure avait sonné, il était sensibilisé au problème. Ayant passé près de trois ans en exil à Londres entre 1726 et 1728, où il assista probablement à des séances de la Royal Society, au fait de cette approche préventive, il écrivit : « On dit doucement dans l’Europe chrétienne que les Anglais sont des fous et des enragés : des fous, parce qu’ils donnent la petite vérole à leurs enfants pour les empêcher 299
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de l’avoir ; des enragés, parce qu’ils communiquent de gaieté de cœur à ces enfants une maladie certaine et affreuse, dans la vue de prévenir un mal incertain. Les Anglais, de leur côté, disent : Les autres Européens sont des lâches et des dénaturés : ils sont lâches, en ce qu’ils craignent de faire un peu de mal à leurs enfants ; dénaturés, en ce qu’ils les exposent à mourir un jour de la petite vérole ». Mais c’est à Théodore Tronchin (1709-1781), médecin né à Genève, que l’on doit l’introduction de la variolisation en France. Après ses premiers cours qu’il suivit à l’Université de Cambridge, il se rendit à l’Université de Leyden suivre les enseignements de Boerhaave. Son doctorat de médecine en poche, il s’établit à Amsterdam où il épousa la petite-fille d’un haut dignitaire hollandais, Johan de Witt. En 1748, il variolisa Jean-Robert, son fils aîné, après que François, son fils cadet, eut frôlé la mort. Ce fut la toute première inoculation faite aux Pays-Bas. L’été suivant, il passa quelque temps à Genève, où il inocula son cousin, Jean-Louis Calandrini (1703-1758), mathématicien et astronome genevois, et plusieurs autres personnes. En 1752, une épidémie de petite vérole se déclara à La Haye, et Tronchin recommença les inoculations. Il rejeta l’offre d’Anne d’Hanovre, princesse régente de Hollande, de devenir médecin ordinaire du jeune prince Guillaume V tout comme il refusa, l’invitation d’Élisabeth Ire (1709-1761), impératrice de Russie, de venir s’établir à Saint-Pétersbourg. Il revint s’installer à Genève en 1754 où le titre de professeur honoraire de médecine lui fut attribué. Il devint premier médecin du duc d’Orléans et fut consulté sur la variolisation. De son côté, Charles-Marie de la Condamine (17011774) encyclopédiste et explorateur, sensibilisé pour avoir souffert de la petite vérole dans son enfance, était convaincu du bien-fondé des inoculations. Le mercredi 24 avril 1754, il lut à l’Académie Royale des Sciences son premier mémoire sur l’inoculation de la petite vérole. Convaincu par le plaidoyer, le 14 mai 1755, à l’âge de 20 ans François Jean de Beauvoir, marquis de Chastellux (1734-1788), officier et homme de lettre, se fit inoculer, probablement la première inoculation de la petite vérole faite en France. En 1756, le duc Louis Philippe 300
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d’Orléans demanda à Tronchin d’inoculer ses fils. La pratique fut d’abord fort contestée par la faculté de médecine de Paris, mais un certain nombre de personnalités, comme le Duc de Chartres suivirent l’exemple du duc d’Orléans. En janvier 1766, Tronchin accepta l’invitation réitérée de devenir le médecin ordinaire du duc d’Orléans, et il s’installa au Palais Royal. Très critique des pratiques des médecins de l’époque utilisant larga manu saignées, cautérisations, émétiques purgatifs, et autres lavements, il disait : « Tandis qu’un charlatan promet tout, un vrai médecin ne promet rien ». Le 10 mai 1774, Louis XV meurt après une longue agonie, due à la variole, déclarée le 26 avril. L’air est vicié et le simple fait de flâner dans la galerie des glaces est un comportement à risque. En définitive, le château de Versailles devient un cluster (ce terme que les Français ont appris à l’occasion de la pandémie de COVID-19 a fait son entrée dans le Larousse 2022). Cinquante-cinq personnes attrapent la variole et dix en moururent. Marie-Antoinette était immunisée contre la variole car, enfant à Vienne, elle avait déjà souffert d’une forme légère de la maladie. En 1767, sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, avait promu la variolisation en Autriche après en avoir réchappé. À l’instar de sa mère, Marie-Antoinette convainquit le nouveau roi d’être variolisé. Un mois et demi après la mort de son grand-père, décision est prise de varioliser le jeune roi Louis XVI, et ses jeunes frères, le comte de Provence, futur Louis XVIII, le comte d’Artois, futur Charles X, et Marie-Thérèse de Savoie, comtesse d’Artois. Le 24 juin 1774 est alors publié le premier bulletin de santé qui sera suivi de trois autres faisant état des réactions locales et systémiques, et de l’état clinique en général des jeunes gens. Les bulletins de santé étaient signés par Joseph Lieutaud (1703-1780), médecin des enfants de Louis XV puis premier médecin de Louis XVI et de six autres personnalités médicales. Inutile de dire que le corps médical jouait sa crédibilité et la France son avenir, en expérimentant sur leurs altesses héritières un traitement encore peu pratiqué dans le pays. Mais en France la variolisation resta limitée à une élite aristocratique et ne se 301
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répandit pas parmi le peuple. Néanmoins, en 1780, Jean-François Coste (1741-1819), médecin hygiéniste, participa comme médecin chef à l’expédition en Amériques du comte de Rochambeau. Il fut convoqué à Guingamp et embarqua avec ses instruments de chirurgie, des bandages, des pansements, des draps et de l’eau de vie qu’il prescrivait volontiers. Il avait sous ses ordres deux médecins, huit chirurgiens aide-majors, huit sous-aides-majors et trente-six élèves. Dès son débarquement à Newport, il dut hospitaliser certains de ses soldats car près de 15 % d’entre eux étaient atteints de scorbut. Durant cette campagne (1780-1783), il dut aussi faire face à des cas de variole. Il prit les précautions d’hygiène nécessaires pour éviter la contamination par les vêtements et la literie. Il lutta contre la variole en introduisant la variolisation au sein des armées. Il traita ainsi plus de 3 000 hommes dont de nombreux civils de Newport. Ce succès le fit remarquer par le général George Washington qui lui exprima sa gratitude, et il reçut le titre de docteur honoris causa de l’université de Pennsylvanie. En 1783, Jean-François Coste de retour en France, se vit octroyer une pension de 3 000 livres pour ses bons et loyaux services, et Louis XVI le nomma médecin consultant des camps et armées du roi. En 1790, orateur habile, il fut élu maire de Versailles. Napoléon le nomma médecin en chef de la Grande Armée en 1803 et il fut de toutes les campagnes (Austerlitz, Iéna, et Eylau). LA SYPHILISATION Les médecins des armées furent régulièrement confrontés aux maladies sexuellement transmissibles. Parmi celles-ci, la syphilis donna lieu à de curieux essais tant thérapeutiques que prophylactiques, des querelles entre spécialistes des questions d’éthique, et même un procès98. Le terme de syphilisation, tel est le nom proposé par l’un de ses concepteurs, Joseph-Alexandre Auzias-Turenne 98. Dracobly A. Ethics and experimentation on human subjects in mid-nineteenthcentury France: the story of the 1859 syphilis experiments. Bull Hist Med. 2003; 77(2): 332-66. 302
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(1812-1870) (figure 58) pourrait laisser croire, à l’instar de la variolisation, que le procédé avait quelques vertus prophylactiques. Ses amis rassemblèrent dans un ouvrage de près de 950 pages, l’ensemble de ses écrits publiés à titre posthume en 1878, accompagné d’une courte biographie. On y découvre que l’autopsie d’Auzias-Turenne révéla qu’il s’était appliqué à lui-même son procédé de syphilisation. Mais dans ses communications, il ne parla que de son confrère allemand Robert von Welz (1814-1878), professeur d’ophtalmologie à Würzburg qui lors de son passage à Paris en 1849 s’était soumis, par dévouement pour la science, à l’inoculation sur ses deux bras du pus de chancres produits sur un singe et un chat, laissant s’étendre par la suite durant une dizaine de jours les chancres qu’il avait ainsi contracté. Selon Auzias-Turenne, la syphilisation est un état physiologique dans lequel l’organisme, ayant épuisé sa réceptivité pour le virus syphilitique, n’est plus apte à subir l’évolution de la syphilis. Auzias-Turenne désigna par syphilisation l’équivalent de ce qui selon lui serait une vaccination syphilitique. De façon cocasse, le livre d’Auzias-Turenne était gardé dans un tiroir spécial du bureau de Pasteur. Si ce dernier ne s’afficha jamais avec le livre d’un auteur aussi sulfureux, il s’en inspira pendant de nombreuses années et de nombreuses idées lui furent suggérées par cette lecture, d’autant qu’il partageait avec l’auteur l’explication de la prémunition99. Le terme de vaccination syphilitique fut proposé pour l’une des toutes premières expérimentations menées par un autre adepte de cette approche, Charles-Paul Diday (1813-1894)100. Diday après des études de médecine à Paris, en particulier auprès d’un certain Philippe Ricord que nous recroiserons très prochainement, devint chirurgien major dans un hôpital lyonnais où il se spécialisa dans les maladies sexuellement transmissibles, et il fonda la Gazette médicale de Lyon dont il fut le rédacteur-en-chef. Diday traita 16 patients âgés entre 16 99. Loir A. À l’ombre de Pasteur. 1938. 100. Diday CP. Sur un procédé de vaccination preservatrice de la syphilis constitutionnelle. Gazette Médicale de Paris. 1849; 3(4): 751-5 & 770-7. 303
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Figure 58 | Joseph-Alexandre Auzias-Turenne (1812-1870) va proposer une approche insiprée de la variolisation pour prévenir de la syphilis, appelée syphilisation.
et 29 ans atteints d’une syphilis primaire. Celle-ci se caractérise par l’apparition d’un chancre qui se présente classiquement sous la forme d’une ulcération superficielle, unique, indolore et suintante. Afin de prévenir l’évolution de la maladie vers un stade plus avancée (syphilis secondaire ou tertiaire), Diday inocula le sang d’un patient atteint de syphilis tertiaire, une phase incurable, à l’aide d’une lancette et de deux inoculations dans le bras. Diday précise que l’opération dont le but fut expliqué en peu de mots fut acceptée par tous avec confiance, 304
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sauf un qui amena Diday à s’inoculer lui-même devant lui… Aucun traitement antisyphilitique n’était prescrit. Moyennant la promesse d’une petite somme d’argent, Diday s’assura que ses cobayes se plieraient à un suivi sur plusieurs mois mené par des médecins de ville qui lui firent parvenir un certificat d’examen et un bilan de santé. Sur les 16 inoculés, Diday annonça que 15 étaient exempts de tout symptôme syphilitique constitutionnelle entre six et quatorze mois après l’expérience. N’ayant pas de groupes témoins, il interrogea ses confrères pour glaner l’information suivante : Quelle est l’évolution naturelle de la maladie en fonction du temps ? La collecte des réponses l’amena à estimer que sur 140 chancreux laissés sans traitement, 65 (c’est-àdire près de la moitié) développeraient les symptômes de syphilis constitutionnelle. Face aux questions de moralité ou d’immoralité d’une telle approche, Diday cita son maître et ami Ricord : « Tandis que le charlatanisme a proclamé des moyens futiles ou dangereux, une pudeur mal entendue, une morale timide ou des préjugés religieux ont retardé les progrès de l’art. Si Jenner s’est rendu à jamais célèbre par la découverte de la vaccine comme préservatif de la variole, celui qui, d’une manière aussi absolue, préviendrait la syphilis, aurait des droits à l’immortalité ». Diday s’interrogea : « Il n’est personne qui n’entrevoie dès à présent l’avenir d’une pareille découverte si son efficacité vient à se vérifier ». Comme pour les vaccins COVID-19, la question restait ouverte : combien de temps durerait cette protection ? Il précisa : « D’abord il est certain que mon inoculation ne préviendra en aucune manière les accidents primitifs. Les moralistes qui mettent la vérole au premier rang parmi les pénalités réservées au libertinage peuvent donc se rassurer : il y aura des chancres tout comme par le passé. Seulement, par une vaccination faite à temps, on se mettrait à l’abri, soi, sa famille et la société, des malheurs immenses, incalculables qui peuvent être la suite pour l’innocent comme pour le coupable ». En définitive, il envisageait un bel avenir pour son approche puisque le sang d’un syphilitique tertiaire pouvait servir à vacciner des milliers 305
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de chanceux chancreux. S’il n’emploie pas le terme de vaccinodrome, il parle de procéder par fournées. À l’époque, le débat opposait les cliniciens quant à savoir si la syphilis secondaire était infectieuse. Philippe Ricord (1800-1889) était convaincu qu’il n’en était rien. Né aux USA à Baltimore, il commença ses études de médecine à Philadelphie et les acheva à Paris ; chirurgien à l’hôpital des maladies vénériennes. Il doit sa réputation pour avoir définitivement démontré que la syphilis et la gonorrhée sont deux pathologies différentes. À l’inverse, bien d’autres ont démontré la contagiosité de la syphilis secondaire. En 1850, Pierre Louis Alphée Cazenave (1802-1877), dermatologue à l’hôpital St Louis, rapporta s’être infecté lui-même avec du pus d’un patient ayant une syphilis secondaire. De même, Johann von Waller (1811-1880), professeur de pathologie générale et de pharmacologie à l’Université de Prague montra en 1851 l’infectiosité en inoculant de façon délibérée plusieurs enfants indemnes de syphilis avec du pus provenant de patients présentant une syphilis secondaire. La même année, Auguste Vidal, dit de Cassis (1803-1856) qui exerçait à l’hôpital du midi (une annexe de l’hôpital Cochin) publia l’inoculation d’un interne en pharmacie. À l’académie de médecine, l’opinion prévalait en faveur de la contagiosité, mais Ricord persistait à rejeter l’idée. De son côté, Auzias-Turenne poursuivait son idée de traiter par syphilisation des patients aux stade précoce de la maladie en inoculant de façon répétée des formes de plus en plus atténuée du mal. Cette approche trouva des supporters en les personnes de Casimiro Sperino (1812-1894), agrégé à la faculté médico-chirurgicale de Turin, et Carl Wilhelm Boeck (1808-1875), professeur à l’Université d’Oslo (Christiania étant le nom de cette ville à cette époque). Chacun publia des ouvrages sur le sujet dont un livre sur la syphilisation appliquée aux enfants. En effet, on déplorait à l’époque la naissance d’enfants de parents syphilitiques qui eux-mêmes en étaient atteints. On parlait alors de syphilis héréditaire. Restait à démontrer la contagiosité, puisque jusqu’alors la syphilisation était pratiquée chez des 306
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personnes déjà porteuse de la maladie. Il fut alors décidé avec l’aval de l’Académie Impériale de Médecine de mener à bien cette expérience sur des cobayes humains. En effet, il n’existe pas de modèles animaux satisfaisants, outre le singe chez lequel d’ailleurs AuziasTurenne avait déjà mené de telles expériences. Ce dernier s’adjoint comme partenaire Camille-Melchior Gibert (1797-1866), médecin à l’Hôpital Saint-Louis à Paris. Tous deux ont pour objectif de clouer le bec à Ricord qui persiste dans son idée de non-contagiosité. Chacun inocula deux patients, indemnes de syphilis, mais souffrant de lupus chronique. L’argument comme quoi l’inoculation pourrait être une approche thérapeutique de leur mal est quelque peu discutable, et il est probable que l’accord des patients ne fut pas demandé. Nos deux complices sortirent vainqueurs de la démonstration, établissant la communicabilité de la syphilis secondaire. À Lyon, Antoine Gailleton (1829-1904), est un vénérable vénérologue, titulaire de la chaire de clinique des maladies cutanées et syphilitiques qui se lança ultérieurement dans la politique et fut maire de la Capitale des Gaules de 1881 à 1900. Il donna comme sujet de thèse à son jeune étudiant, Joseph Frédéric Guyenot, l’étude de l’inoculabilité de la syphilis constitutionnelle. Dans sa thèse celui-ci fit état de vingt-et-un cas d’inoculations rapportés par des collègues (dont ceux – pratiqué par Vidal et Waller) et d’un cas personnel. Il s’agissait d’un garçonnet de 10 ans hospitalisé pour la teigne. Ayant eu l’autorisation du médecin du service des teigneux, il pratiqua sur le bras droit quatre piqûres avec la pointe d’une lancette chargée sur des muqueuses anales d’un patient de 18 ans atteint de syphilis. L’expérience initiée le 7 janvier 1859 fut suivie sur plusieurs mois. Si la syphilis fut bien observée chez l’enfant, ce n’est que fin juin que la guérison complète après traitement par le proto-iodure de mercure put être annoncée. Dans la mesure où l’Académie de Médecine et certains de ses membres éminents comme Ambroise Tardieu (1818-1879) médecin légiste, futur médecin consultant de l’empereur Napoléon III, avait donné leur aval pour l’expérience menée par Auzias-Turenne et Gibert, 307
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aucune suite judiciaire ne fut engagée. Par contre, leurs collègues lyonnais n’eurent pas cette chance et leur argumentation proclamant qu’ils avaient testé une approche curative contre la teigne ne fut pas reconnue. Tous deux furent condamnés pour blessures volontaires à payer des amendes de cent francs pour l’étudiant Guyenot et 50 francs pour le patron Gailleton. LA VACCINATION Le mot vaccination fut créé en 1800 par le Dr. Richard Dunning (1761-1851)101, un des membres fondateurs de la Plymouth Medical Society en 1794, ami et grand supporter de d’Edward Jenner. Pour preuve, Dunning appela un de ses fils Edward Jenner Dunning. Malheureusement l’enfant décéda à l’âge de dix mois. En 1800, Dunning publia un texte « Some observations on vaccination or the inoculated cow-pox » (figure 59). Le premier cas de Dunning concernait un enfant de Devonport qu’il avait vacciné avec succès après s’être procuré la matière première auprès d’une laitière d’Eggbuckland qui avait les vésicules de variole bovine sur les mains. Il entretenait une communication régulière avec Jenner. Ce dernier approuva le néologisme proposé par Dunning à partir du mot latin vacca signifiant vache, l’animal à l’origine de la matière vaccinante : « Les mots “vaccination” et “vacciner” sont sans aucun doute les vôtres, et c’est ainsi que je les ai prononcés lors d’une réunion de la Royal Jennerian Society ». Le terme fut rapidement rendu populaire par différents livres consacrés à la vaccination comme celui de John Redman Coxe (1773-1864) : « Practical observation on vaccination or inoculation for the cow-pock » publié en 1802. Coxe, né dans le New Jersey, après des études à Londres et 101. Ayant pris pour règle, dans la mesure du possible, de ne citer que des personnalités pour qui je dispose des dates de naissance et de décès, je contactais la Plymouth Medical Society qui entreprit des recherches afin de me fournir ces dates qui figurent donc pour la première fois dans un ouvrage. Il existe une plaque mémorielle de la famille Dunning au sein de l’église paroissiale Stoke Damerel à Plymouth. 308
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Figure 59 | En 1800, Charles Dunning (1761-1851) fut le premier à proposer le terme de « vaccination ».
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Édinbourg, se forma à la médecine à Philadelphie avant de poursuivre ses études médicales à Londres, Édimbourg et Paris. Médecin de l’hôpital de Pennsylvanie, Coxe a été un des premiers partisans enthousiastes de la vaccination et aurait été le premier à l’utiliser à Philadelphie. En 1801, il appliqua la vaccination à lui-même et à son fils âgé de vingt-trois jours, Edward Jenner Coxe, dont le nom à lui seul est un hommage au principal artisan de la vaccination. Coxe avait tellement confiance en la vaccination qu’il plaça son fils dans les bras d’un homme mourant de variole sans que la maladie ne fût transmise. Si tout le monde connait le nom et la célèbre contribution d’Edward Jenner, sans doute peu savent qu’une fois encore des précurseurs avaient ouvert la voie102. Edward Jenner (1749-1823) (figure 60) est le huitième enfant d’une fratrie de neuf nés au sein du foyer du vicaire de Berkeley dans le Gloucestershire. Dès l’âge de 14 ans il fut mis en apprentissage auprès d’un chirurgien local, Daniel Ludlow à Old Sodbury, près de Berkeley. À 21 ans il se rendit à l’hôpital St George de Londres poursuivre sa formation en particulier auprès du célèbre John Hunter. En 1773, il retourna dans sa ville natale pour y exercer comme médecin généraliste. Comme bien d’autres, il était au fait que les employés à la traite des vaches contractaient la variole de la vache, une maladie bénigne qui les protégeait de la maladie dévastatrice qu’est la variole. Le 14 mai 1796, après neuf années d’hésitation, Jenner se décida d’inoculer le jeune James Phipps, le fils d’un fermier qui exerçait aussi comme jardinier auprès de Jenner : « J’ai sélectionné un garçon en bonne santé, âgé d’environ huit ans, aux fins de l’inoculation contre la variole de la vache. La matière a été prise à partir d’une plaie sur la main d’une laitière (Sarah Nelmes), et a été insérée dans le bras du garçon au moyen de deux incisions superficielles, pénétrant à peine la cutis, chacune d’environ un demi-pouce de long ». Puis Jenner rechercha si son inoculation avait été protectrice : « Afin de vérifier 102. Boylston AW. The origins of vaccination: no inoculation, no vaccination. J. Roy Soc Med. 2013; 106: 395-8. 310
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Figure 60 | Edward Jenner (1749-1823) proposa l’innoculation de matière variolique de la vache pour protéger contre la variole humaine. Peinture d’Ernest Board en 1912 : E. Jenner effectuant sa première vaccination en 1796.
si le garçon, après avoir ressenti une légère affection du système par le virus de la variole de la vache était à l’abri de la contagion de la variole, il fut inoculé le 1er juillet suivant avec de la matière variolique. Les apparences sur son bras étaient semblables à ce que nous voyons couramment quand un patient subit une application de matière de la variole, après avoir eu soit la variole soit la variole de la vache. Plusieurs mois après, il fut de nouveau inoculé avec de la matière de la variole, mais aucun effet particulier ne se produit ». Ultérieurement, Jenner vaccinera son propre fils de onze mois. La même année, Jenner soumit un manuscrit à la Royal Society relatant les cas de treize personnes qui avaient résisté après variolisation, ou après avoir contracté soit la petite vérole naturelle soit la variole des vaches. Ce manuscrit décrivait également sa première vaccination. Le manuscrit fut simplement retourné, sans être lu à la Royal Society. Cette décision fut celle de Joseph Banks (1743-1820), naturaliste britannique passionné de botanique, président en exercice 311
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de la Royal Society, après avoir pris conseil auprès de deux experts, John Southey, 15e Lord Someville (1765-1819), président du Board of Agriculture, et Sir Everard Home (1756-1832), 1er baronnet, et éminent médecin londonien. Ainsi, ce qui allait révolutionner la prophylaxie des maladies infectieuses ne fut pas pris en considération par le pouvoir médical et scientifique de l’époque. En 1798, Jenner décida de publier à ses propres frais le fruit de son travail103. Mais Jenner ne fut pas le seul médecin du Gloucestershire à être lié à cette découverte. John Fewster (1738-1824), un chirurgien et apothicaire local, ami et collègue de Jenner, basé à Thornbury, un village à 11 km au sud de Berkeley, ville natale de Jenner, aurait également expérimenté la vaccination, de nombreuses années avant celui-ci. Fewster pratiquait la lucrative méthode de variolisation conçue et franchisée par la célèbre famille Sutton, et avec des collègues avait ouvert une « maison de variolisation » sur la route Gloucester-Bristol entre Berkeley et Thornbury. En 1763, Fewster nota que deux frères (nommés Creed) avaient tous deux été variolisés, mais que l’un ne réagissait pas du tout à la variolisation. Il s’avéra que ce sujet n’avait jamais eu la variole, mais avait déjà contracté la variole de la vache. Bien qu’il ne fasse aucun doute que Fewster ait anticipé la découverte de la vaccination par Jenner, il n’a pas réalisé l’importance de cette avancée médicale capitale, et le sujet resta alors en dormance pendant plus de 30 ans, jusqu’au printemps 1796, où Fewster vaccina trois enfants de Thornbury. De son côté, un fermier Benjamin Jesty (1736-1836) avait aussi inoculé de la variole des vaches avant Jenner. George Pearson (1751-1828) à qui Jenner avait fourni du matériel pour vacciner, fonda une clinique de vaccination à Londres avec pour but de monopoliser le commerce de la vaccination à Londres et générer une pratique privée lucrative de vaccination. Il chercha à retirer le crédit de la découverte à Jenner. Il alla jusqu’à inviter le fermier Jesty à Londres où il 103. Jenner E. An Inquiry into the causes and effects or the the vaiolae vaccinae, a disease discovered in some of the Western counties of England, particularly Gloucestershire, and known by the name of the cow pox. 1798. 312
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fit peindre son portrait qu’il accrocha dans son l’établissement pour rappeler la réputation excessive de Jenner. Pire, Pearson témoigna au cours d’une enquête de la Chambre des Communes qu’il avait recueilli beaucoup d’informations laissant entendre que Jenner ne méritait pas la récompense de 10 000 £ que le Parlement lui avait octroyé pour le développement de son innovation. D’autres soucis émergèrent avec William Woodville (1752-1805) ; celui-ci était médecin des hôpitaux de la variole et d’inoculation à Saint-Pancras, et publia en 1796 un ouvrage en deux parties sur la variolisation. Très intéressé par la découverte de Jenner, il fut l’un des premiers à essayer cette nouvelle méthode, mais ses résultats divergèrent considérablement de ceux de Jenner. Beaucoup de ses patients développèrent des pustules sur tout le corps et pas uniquement au site d’inoculation et un patient sur les cinq cents vaccinés décéda, ce qui était plus que la fréquence avec la variolisation d’un sur six à huit cents que Woodville attendait de ses nombreuses années d’expérience à l’hôpital d’inoculation. Woodville conclut qu’il y avait peu de différence entre la variolisation et la vaccination. On soupçonna à l’époque que le vaccin de Woodville avait été contaminé par du matériel provenant d’un de ses patients atteints de variole, une conclusion étayée par une analyse détaillée des preuves. Néanmoins, la vaccination allait se généraliser en Angleterre et de nombreux cliniciens défendirent ardemment le principe de la vaccination de Jenner. Devenu un héros britannique, sa statue domine désormais les jardins de Kensington à Londres. Parmi ces soutiens, Robert John Thornton (1768-1837), formé au fameux Trinity College de Cambridge, exerçait au Guy’s Hospital de Londres. S’il est célèbre pour ses travaux en botanique et ses remarquables illustrations de fleurs et de plantes, il fut également un fervent avocat de la vaccination en publiant en 1806 un ouvrage pour la défense de l’usage de la vaccination traduit en français deux ans plus tard. En 1840, la variolisation fut interdite au Royaume uni, et en 1853, le parlement britannique promulgua le « Vaccination Act » qui rendait obligatoire la vaccination contre la variole pour tous les nourrissons 313
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au cours des trois premiers mois de leur vie. La même année, la Ligue anti-vaccination fut fondée à Londres. On peut supposer que les antivaccinations s’appuyaient sur les déclarations de doctes docteurs, fervents opposants au procédé. Ce phénomène se reproduisit lors de la pandémie de COVID-19 lorsque de « brillants » médecins propagèrent des « fake news » et contribuèrent à semer le doute dans la population qui via les réseaux sociaux comme caisse de résonnance, amplifiaient et entretenaient le trouble. Le champion des « fake news » fortement hostile à la vaccination fut Benjamin Moseley (1742-1819), chirurgien-apothicaire formé à Londres et Paris. Il rapporta le cas de Sarah Burley qui après la vaccination a vu son visage se déformer et commencer à ressembler à celui d’un bœuf ou encore le cas d’Edward Gee dont le corps s’est couvert de plaques de poils de vache tout comme le petit William Ince, vacciné à quatre mois chez qui des plaies et des éruptions apparurent sur tout le corps avant de se dessécher et laisser place en un pelage de vache… en mauvaise santé (sic) ! Un autre farouche adversaire de la vaccination fut William Rowley (1742-1806). Médecin d’origine irlandaise né à Londres, où il exerçait comme chirurgien et accoucheur. Il était membre de l’Université d’Oxford et du « Royal College of Physician » de Londres. En 1805, il publia un ouvrage sur le danger de l’inoculation de la vaccine de vache qu’il réédita à trois reprises. La première version était illustrée par le portrait d’un enfant vacciné au visage déformé, qu’il nomma « garçon à face de bœuf ». Son objectif était de démontrer que la vaccination était un procédé destructeur et tendant à infecter l’humanité de plusieurs maladies nouvelles et étrangères à notre espèce. La première édition faisait état de 218 cas qui attestaient soit de l’inutilité, soit de la dangerosité d’une telle pratique. La seconde édition présentait 440 cas tandis que la troisième rapportait 504 cas. Le dernier, le fils de Mr. Wooley, un garçon de 6 ans, vacciné par Mr. Moore, mourut d’une petite vérole maligne dans un état de putréfaction totale. Partisan de la variolisation, il s’oppose à ce nouveau procédé : « Mais quand l’enthousiasme ou la fureur de la nouveauté s’empare de l’esprit humain, 314
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les raisonnements et les jugements solides perdent de leur autorité, on s’abandonne aux écarts d’une imagination déréglée ; l’homme est alors dans une espèce de frénésie qui ne cesse qu’avec son enthousiasme ». Les efforts des anti-vaccinations firent néanmoins évoluer la loi anglaise. En 1898 une nouvelle loi supprima les peines encourues en cas de non-respect de l’obligation de vaccination et introduisit une clause de conscience permettant aux parents qui ne pensaient pas que c’était efficace ou sûr, d’obtenir un certificat d’exemption. La réticence à l’égard de la vaccination n’était bien sûr pas propre au RoyaumeUni. En Suisse, en 1882, une votation fut organisée pour ou contre la vaccination obligatoire. Le résultat fut de 67 432 pour, 247 629 contre. Aujourd’hui la France demeure parmi les pays les plus réticents à l’égard de la vaccination et on se souvient encore de l’impact dévastateur qu’eut cette étude « bidonnée » sur le lien entre vaccination et autisme. Après avoir été publié en 2016 par le journal Frontiers in Public Health, l’article fut rétracté, mais republié l’année suivante par le Journal of Translational Science qui à son tour le rétracta. Mais le mal était fait et les réseaux sociaux s’emparèrent du sujet. Fort heureusement, dans différents pays, la vaccination gagna ses lettres de noblesse. En Allemagne, Peter Plett (1766-1823), était un enseignant fervant adepte de la variolisation, et celle qu’il pratiqua sur trois enfants eut un grand retentissement puisque ces trois enfants furent les seuls à avoir survécu à une épidémie locale de variole trois ans plus tard. Informé de la technique de Jenner, il chercha en vain à faire passer l’information auprès d’universitaires de Kiel. Et en 1802, ses observations furent finalement prises au sérieux. Aux États-Unis, Benjamin Waterhouse (1754-1846), médecin et professeur à l’école de médecine à Harvard, est le premier médecin à introduire la vaccination aux USA. Waterhouse fit ses premières vaccinations sur quatre de ses enfants. Il commanda une expérience contrôlée au « Boston Board of Health » dans laquelle 19 garçons vaccinés et 2 non vaccinés furent exposés au virus de la variole. Les garçons vaccinés démontrèrent une immunité et les deux 315
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garçons non vaccinés succombèrent à la maladie… Waterhouse écrivit d’abord au président de l’époque, John Adams, dans l’espoir de faire reconnaître le procédé de vaccination contre la variole mais le président Adams resta insensible au sujet. Il écrivit alors au viceprésident Thomas Jefferson qui dans une lettre en date du jour de Noël 1800 lui offrit son soutien. Une fois Jefferson devenu président l’année suivante, Waterhouse put introduire la vaccination. Il tenta de maintenir un monopole sur le vaccin contre la variole, à la fois pour des raisons financières et pour protéger le vaccin contre les médecins incompétents ou frauduleux. En France, avant 1800, la variole était responsable d’environ 80 000 morts par an. Le 11 mai 1800 fut créé le Comité Central de Vaccine composé de près d’une trentaine de membres. Le préfet du département de la Seine fonda, le 7 février 1801, un hospice spécial pour l’inoculation de la vaccine. C’est dans cet hospice que le comité put multiplier ses essais et continuer ses travaux104. La difficulté était de se procurer du matériel de vaccination actif. Le premiers fluides fournis par Pearson, puis par Woodville, s’avérèrent inactifs avant que l’efficacité de la vaccination puisse être démontrée sur une centaine de jeunes enfants après leur avoir inoculé la variole. Le 4 avril 1804 (14 germinal An XII), Napoléon mit en place la « Société pour l’extinction de la petite vérole en France par la propagation de la vaccine » dont le comité était formé de seize membres dont JeanAntoine Chaptal, Joseph Ignace Guillotin, Jean-Nicolas Corvisart, Georges Cuviers, ou Philippe Pinel. Il fallut attendre 1810, après la parution du premier décret sur la propagation de la vaccine et l’instauration d’une allocation annuelle par département permettant l’achat de matériel et l’installation de vingt-cinq dépôts de conservation du vaccin, pour obtenir des résultats positifs. Mais la véritable campagne de vaccination débuta en 1811, lorsque Napoléon fit vacciner le roi 104. Bazin H. Les membres du Comité Central de Vaccine, une poignée d’hommes qui ont bien mérité de leur patrie, et même de l’humanité. Bull Acad Natl Med. 2001; 185(4): 749-65. 316
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de Rome et qu’une instruction ministérielle (du 29 mai) rendit la vaccination obligatoire dans l’armée. Jean-Antoine-Claude Chaptal (1756-1832) (figure 61), chimiste, médecin et homme politique et ministre de l’Intérieur de Napoléon (1801-04) somma les préfets de diffuser les bienfaits de l’inoculation de la vaccine par des campagnes de vaccination des enfants. Lui-même et sa famille se firent vacciner. Jean Hameau que nous avons déjà croisé exerçant la médecine sur les bords du bassin d’Arcachon, un visionnaire cinquante ans avant Pasteur, écrivit : « Il n’y a pas de création spontanée, tout naît d’un germe » et encore : « En se pénétrant bien des qualités qui distinguent les virus, il me paraît donc qu’on pourrait parvenir à les attaquer avec succès avant qu’ils aient pu nous atteindre, et à les détruire ou atténuer leurs effets lorsqu’ils sont entrés en nous, en faisant des expériences d’après une méthode rationnelle. Oui, il viendra un temps où la science possédera des remèdes contre tous les virus ; mais on doit concevoir qu’un bien si précieux ne pourra jamais s’obtenir, qu’après qu’on se sera élevé à la compréhension de la véritable nature de ces agents. La thérapeutique est impuissante, et cède sa place à l’aveugle empirisme, lorsqu’elle ne peut s’appuyer sur une saine et lumineuse doctrine ». Il apprit la pratique de la vaccination auprès des Professeurs Guillotin et Pinel et contribua à propager son usage en France. Parmi les autres acteurs majeurs de la propagation de la vaccination, mentionnons Philippe Pinel (1745-1826), médecin chef de la Salpêtrière, connu pour ses travaux sur les maladies mentales, qui fit la première tentative de vaccination à La Salpêtrière. Ce fut malheureusement un échec, car le matériel vaccinal n’était plus actif. Joseph-Ignace Guillotin (1738-1814) (figure 61), tristement célèbre pour la mise au point de sa fameuse machine, fut le président du Comité Central de la Vaccine. Il obtint de Joséphine de Beauharnais, une entrevue avec Bonaparte le 23 octobre 1803, qu’il tenta de convaincre du bienfait de la vaccination contre la petite vérole. L’année suivante, Guillotin fit une démarche auprès du Saint-Siège 317
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pour le convaincre du bienfait de cette vaccination marqué du sceau anglican. Pie VII répondit favorablement et demanda à ce que la chrétienté accepte favorablement ce progrès de la médecine. Au mois de mai 1805, Guillotin reçut le soutien d’Antoine-Augustin Parmentier (1737-1813) (figure 61). Celui-ci avait été fait prisonnier et avait connu les geôles de Frédéric II, roi de Prusse. Pour toute nourriture, on lui donnait des pommes de terre, aliment jusque-là réservé aux cochons, dont il apprécia les vertus nutritives. Cette délicate attention des ennemis décida de sa vocation, car Parmentier aima les pommes de terre et se résolut d’en propager la culture en France dès qu’il recouvra la liberté, en 1763. En 1795, grâce à l’appui de Napoléon, il fut nommé pharmacien militaire en chef. C’est à ce titre qu’il imposa jusqu’en 1813 la vaccination des armées contre la variole. Petit à petit la vaccination entra dans les mœurs, et des médecins se firent représenter dans des tableaux en train de vacciner. C’est le cas du Baron Jean Louis Alibert (1768-1837), premier médecin ordinaire du roi Louis XVIII, dans un tableau de 1820 par Constant Joseph Desbordes, tandis qu’en 1821 Pierre-Jacques Bergeron (17851863) rédigea un « Manuel pratique de vaccine à l’usage des jeunes médecins, des chirurgiens, des officiers de santé et de toutes autres personnes chargées de cette opération ». De leurs côtés, les députés légiférèrent, on affina le projet de loi et des contre-projets furent proposés comme celui définissant la responsabilité des médecins et la liberté de prescrire, déposé par le Dr. Charles Pigeon (1814- ?), médecin des mines de Fourchambault (Nièvre). Ce dernier alla jusqu’à dire que le virus vaccinal, au lieu d’être un protecteur, favorisait la survenue de la variole et tendait à rendre l’infection même plus dangereuse. Il alla jusqu’à déclarer : « qu’aucun médecin éclairé n’a plus peur de la variole. C’est une maladie qui se prête facilement à un traitement rationnel, mais il est dans l’intérêt des vaccinateurs de prétendre le contraire ». C’est finalement en 1902 que le gouvernement français décida de rendre obligatoire l’injection de Jenner contre la variole. Après les vaccins historiques de première génération composés du 318
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JEAN-ANTOINE-CLAUDE CHAPTAL (1756-1832)
ANTOINE-AUGUSTIN PARMENTIER (1737-1813)
JOSEPH-IGNACE GUILLOTIN (1738-1814)
Figure 61 | On doit l’introduction en France de la vaccination de Jenner grâce à différents médecins, dont Chaptal, Parmentier et Guillotin.
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virus vivant issus de mouton, des vaccins de deuxième génération furent utilisés à partir des souches vaccinales historiques mais adaptées en culture cellulaire. Enfin les vaccins de troisième génération furent développés à partir d’une souche atténuée réplicative. Aux États-Unis, la vaccination de routine avec le vaccin contre la variole fut arrêtée en 1972 et en France celui-ci ne fut plus obligatoire à partir de 1979. Le 26 octobre 1977, le dernier cas naturel de variole était rapporté en Somalie. En 1978 se produisit une contamination accidentelle de variole dans un laboratoire de Birmingham, entrainant un décès. Finalement, le 26 octobre 1979, l’OMS déclarait officiellement l’éradication de la variole de la planète. Avec la peste bovine, il s’agit à ce jour des deux seules infections éradiquées. LES QUATRE VACCINS DE PASTEUR À propos du fiasco national dans la mise en place de vaccins contre le COVID-19, la presse étrangère titra : « Pourquoi le pays de Pasteur n’a-t-il pas son vaccin ? ». Nous essayerons de répondre à cette question dans la dernière partie de cet ouvrage. Mais la question même témoigne que le nom d’un des plus illustres des Français est étroitement associé à la notion de vaccin ; sans nul doute à juste titre. Tant d’ouvrages ont été consacrés à Louis Pasteur (1822-1895) dont on célèbre en 2022 le bicentenaire de la naissance, qu’il n’est pas nécessaire de refaire ici le travail des nombreux hagiographes qui se sont succédés pour construire la légende Pasteur ; néanmoins il est important de préciser de nombreux points pour rétablir la vérité. Ô combien, la phrase de Charles Darwin (1809-1882) s’applique à merveille à Pasteur : « Le mérite revient à l’homme qui convainc le monde, pas à l’homme à qui l’idée est venue pour la première fois ». Sans doute Pasteur, pouvait être fier d’être membre de l’Académie de Médecine et faire le savant au milieu de cet aéropage de cliniciens. Grancher y voit sans doute un atout puisqu’il écrivit105 : « Si 105. Préface par Grancher du livre de Jean Hameau « Étude sur les virus », 1895, Masson Ed. 320
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M. Pasteur eût été médecin, il eut sans doute fait de grandes choses ; mais je doute qu’il eût bouleversé la médecine comme il l’a fait en chimiste partant de la chimie et des fermentations ». Mais laissons Grancher continuer à camper le décor : « Le laboratoire de M. Pasteur était le seul laboratoire en France, à Paris du moins, où cette science [la bactériologie] fût cultivée, et ce laboratoire était tenu rigoureusement fermé : M. Pasteur avait toujours choisi jusqu’à cette date, ses collaborateurs parmi les élèves de l’École normale ; et il reprochait à la médecine d’être surtout empirique et de manquer d’esprit scientifique. Cependant M. Straus, aujourd’hui professeur de pathologie expérimentale à la Faculté, et moi ensuite, nous réussîmes, grâce à l’intermédiaire obligeant de M. Roux, à forcer les portes du laboratoire de la rue d’Ulm. On nous assigna rue Vauquelin une salle du rez-de-chaussée où nous nous installâmes et travaillâmes, guidés et conseillés par M. Chamberland surtout. Déjà, quand je vins, M. Straus avait publié avec M. Chamberland son beau travail sur le passage des germes charbonneux à travers le placenta. Ainsi nous fûmes, M. Straus et moi, les deux premiers médecins français étudiant la bactériologie. Mais déjà l’Allemagne nous avait dépassés en technique microbienne et le laboratoire de M. Pasteur, fidèle aux cultures en milieux liquides, négligeait l’art de colorer les microbes et celui de les cultiver sur milieux solides. Ce fut M. Babès qui, venant d’Allemagne, fit connaître en France, au laboratoire de M. Cornil, les méthodes de coloration des microbes alors usitées au laboratoire de M. Koch. Et je crois bien avoir apporté de Berlin, après un voyage fait avec M. Brouardel pour la trichinose d’Emersleben (en novembre 1883), les premiers tubes de sérum sanguin gélatinisé ». Grancher avec beaucoup d’objectivité, rare dans l’entourage immédiat de Pasteur, reconnaît la supériorité de l’approche expérimentale de l’école allemande de bactériologie. Les conséquences se traduisirent en termes de découvertes : « Et pendant que les études sur la rage et la recherche de son microbe se poursuivaient rue d’Ulm, pendant que quelques médecins français commençaient ou mieux recommençaient leurs études, l’Allemagne nous donnait presque 321
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coup sur coup les importantes découvertes du microbe de l’érysipèle, de la diphtérie, de la morve, du tétanos, de la pneumonie, celui-ci reconnu en même temps en France par Talamon. Puis vinrent, avec le choléra de Toulon et d’Alexandrie, les missions françaises et allemandes et la découverte par Koch du bacille virgule. Désormais la microbiologie régnait en maîtresse, et la médecine d’observation cédait le pas à la médecine d’expérimentation ». Comme nous l’avons vu lors de la mission de Pasteur à Alès pour vaincre la pébrine du vers à soie, de nouveau Pasteur ne va pas hésiter à ignorer ses précurseurs, mépriser ses concurrents, masquer la nature précise de ses expérimentations, et ne pas admettre ses errances pour mieux s’accaparer toute la gloire et construire sa légende. Tout commença avec le vaccin contre le choléra des poules. Connue sous le nom de « typhus des poules » ou « peste des volailles », cette infection était redoutée pour les ravages qu’elle faisait dans les élevages de volaille. En raison des diarrhées qu’elle entraîne on la nomma « choléra des poules ». La contagiosité fut démontrée par LouisAuguste Benjamin (1816-1880), vétérinaire à Nogent-sur-Seine qui fit parvenir son mémoire sur la fièvre pestilentielle et contagieuse des oiseaux de basse-cours en 1851 à l’Académie Vétérinaire de France. Il indiquait estimer à trente ou quarante mille la mortalité annuelle des volailles (poules et oies). « La poule qui va être frappée, présente les signes précurseurs suivants : la crête devient violacée, les excréments sous forme d’un liquide incolore, répandant une odeur infecte […] Cette bête va être tuée par la maladie en moins de douze à quinze minutes. Bientôt en effet, on voit la poule s’arrêter subitement, laisser tomber ses ailes en les écartant, respirer péniblement ; son cœur bat avec violence, sa pupille se dilate et sa vue d’obscurcit, son bec se remplit d’écume et sa marche est chancelante […], bientôt saisie par des convulsions violentes, elle tombe à terre, se débat et expire ». La description porte ultérieurement sur les excréments teints par le sang, le rate grosse et déformée, le foie noir et volumineux, les voies respiratoires recouverts de mucus sanguinolents, le cœur et 322
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les gros vaisseaux remplis d’un sang noir incoagulable répandant une odeur fétide. D’où l’idée de parler de la fièvre charbonneuse des volailles. Le virus volatil a pour véhicule l’air expiré, les émanations qui s’élèvent des cadavres, l’air infecte des poulaillers où la maladie fait des victimes. Benjamin a recueilli depuis 1845, par centaines les faits qui démontrent la contagion. Mais surtout Benjamin la démontra, faisant cohabiter deux poules malades avec cinq poules saines… toutes moururent dans la semaine. Introduisant de la bave de bêtes malades dans le bec de six poules saines, il constata la mort de toutes ses poules. Puis donnant de la viande d’animaux morts à des canards, ces derniers succombèrent en quatre jours. Une dernière expérience va convaincre les rapporteurs de l’étude. Il plaça un coq mort et coupé en morceaux entourés de manière à ce que les cinq poules saines placées dans le poulailler ne puissent y toucher. Toutes finiront par mourir et l’autopsie révéla les mêmes altérations que celles constatés habituellement chez les animaux morts du choléra des poules. Henri-Mamert-Onésime Delafond (1805-1861), le rapporteur se rangea à l’avis de l’auteur, tandis qu’Eugène Renault (1805-1863), directeur de l’École vétérinaire d’Alfort, estima que davantage de preuves seraient nécessaires pour le convaincre définitivement sur la contagiosité du mal !… Cette mauvaise foi ressemble fort à un baroud d’honneur d’un oligarque appartenant à l’intelligentsia vétérinaire des villes face à un confrère des champs. Tour à tour, en 1877, Sebastiano Rivolta (1832-1893), vétérinaire et parasitologiste, enseignant à l’université de Turin avant de rejoindre celle de Pise comme professeur de pathologie générale et d’anatomie pathologique vétérinaire, puis l’année suivante, Edoardo Perroncito (1847-1936), vétérinaire et professeur de parasitologie de la Faculté de médecine vétérinaire identifièrent le germe responsable de l’infection des gallinacés. Vittore Trevisan (1818-1897), professeur d’histoire naturelle à Padoue, trahissant ses illustres collègues italiens dénomma en 1887 « Pasteurela multocida » la bactérie responsable du choléra des poules, bien sûr en hommage à Louis Pasteur qui n’était pour 323
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rien dans la découverte du germe. En 1879, ce fut au tour d’Henri Toussaint (1847-1890) (figure 62) de travailler sur ce germe et de réussir à le cultiver sur un milieu à base de sang de volaille. Après les travaux de Koch, c’était la seconde fois dans l’histoire de la bactériologie qu’une culture de bactéries était obtenue. Henri Toussaint fut un brillant étudiant qui tour à tour décrocha à la faculté de Lyon les titres de vétérinaire (1869), docteur en Sciences (1877) et docteur en médecine (1878) ! Après avoir commencé à travailler sur la bactérie du charbon, sujet de sa thèse de médecine, il produisit un mémoire sur le choléra des oiseaux de basse-cour. Ces travaux lui valurent le prix Bréant en 1879 (5 000 francs). L’année suivante il fut fait membre étranger de l’Académie Royale d’agriculture de Turin, et reçut les palmes d’officier du ministère de l’instruction publique et des BeauxArts. Suite à ses travaux sur un procédé nouveau de vaccination du choléra des poules il se vit attribuer le prix Barbier (6 000 francs). En 1882, année faste, il reçut le prix Vaillant (4 000 francs), la médaille d’or de la Société Centrale de Médecine Vétérinaire lui fut octroyée et il fut fait chevalier de la légion d’honneur. Il mena également des travaux sur la tuberculose à la recherche du germe responsable, mais malheureusement une maladie cérébrale (neurodégénérative ou une tumeur ?) va s’emparer de cet esprit brillant qui décéda à l’âge de 43 ans. Quand Toussaint, trouva une similitude entre le choléra des poules et la septicémie expérimentale, il était alors professeur de physiologie à l’École de Médecine et à l’École Vétérinaire de Toulouse. Toussaint fit parvenir à Pasteur en juillet 1878, le sang et les ganglions d’un lapin mort de la maladie du charbon, puis en décembre 1878 le cœur d’un cobaye inoculé avec le germe du choléra des poules à partir duquel Pasteur put mener ses travaux sur ce pathogène. Mais venons-en à la légende telle qu’elle fut initialement contée par Émile Duclaux, le fidèle bras droit de Pasteur et son successeur à la direction de l’Institut106. Légende que j’ai moi-même contribué 106. Duclaux E. Pasteur, Histoire d’un esprit. 1896. Impr. Charaire & Cie. 324
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Figure 62 | Henri Toussaint (1847-1890), brillant précurseur de Louis Pasteur, décéda malheureusement trop jeune pour recevoir les honneurs qui lui revenaient.
à propager107 ! Louis Pasteur et son équipe travaillent sur la virulence de culture des germes du choléra aviaire. Ils disposent alors de préparations qui tuent efficacement les poules. Surviennent les vacances… tout le monde se disperse. De retour de vacances, la culture laissée de côté est réutilisée mais elle n’induisit plus la mort des volatiles. L’idée de Pasteur, fut de re-préparer une culture virulente de germes et de les injecter dans la poule à qui la vieille culture laissée sur la paillasse n’avait pas fait d’effet. Cette dernière survécut à cette injection létale… Ainsi était née le concept d’atténuation des germes alors utilisés pour vacciner à l’instar du virus de la vaccine. Et Pasteur pouvait alors clamer : « Le hasard ne favorise l’invention que pour des esprits préparés aux découvertes par de patientes études 107. Bourhy H, Perrot A, Cavaillon J-M. Rabies. IN Vaccines a Biography. Andrew W. Artenstein Ed. 2010, Spinger. 325
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et de persévérants efforts ». Mais, cet épisode de la vie de Pasteur n’a jamais eu lieu ! Nous le savons aujourd’hui grâce au patient travail qu’ont mené quelques historiens à partir des cahiers de laboratoire de Louis Pasteur108. À propos de ses cahiers, en 1878, Pasteur demanda à son gendre, René Vallery-Radot (1853-1933) de ne les montrer à personne. En 1964, le petit-fils de Pasteur, Louis Pasteur Vallery-Radot (1886-1970) fit don à la Bibliothèque Nationale des 152 cahiers de son grand-père. Dès lors il fut possible d’analyser la véracité des idées inculquées par les biographes par rapport aux évènements consignés dans les cahiers. Il apparut alors que le hasard, le génie, l’esprit de divination ou les intuitions du maître ne furent en rien responsables de la mise au point de ce premier vaccin, fruit du besogneux travail de Charles Chamberland et d’Émile Roux. Que nous révèlent les cahiers ? Que l’expérience telle qu’elle fut contée n’a jamais eu lieu ! Le cahier numéro 88 couvre la période du 10 mars au 16 novembre 1879. Il n’y a pas de texte entre juillet et début novembre. Durant cette période Pasteur partit en vacances à Arbois, puis en octobre il célébra les noces de sa fille Marie-Louise avec René Valéry-Radot avant d’être atteint d’une maladie gastroentérique qui le tint hors du laboratoire. Lorsque Pasteur reprend la tenue de son cahier début novembre, il n’est point question du choléra des poules, mais de travaux sur la bactérie du charbon, sur les furoncles et sur la fièvre puerpérale. Dans le cahier suivant (n° 89), ce n’est que le 4 mars 1880 qu’une note est glissée à propos de travaux de Roux sur l’inoculation des poules et ses résultats non encore concluants… Comme le note Pasteur, Roux a l’idée d’appliquer un courant d’oxygène aux cultures des bactéries pour en atténuer la virulence. Comme ce procédé acidifie le milieu de culture et nécessite du temps, il n’est alors pas clair si c’est l’oxygène de l’air, la durée de la culture ou l’acidité du milieu qui est l’élément clé pour l’obtention de germes atténués qui communiquent 108. Cadeddu A. Pasteur et le choléra des poules : révision critique d’un récit historique. Hist Phil Life Sci. 1985; 7(1): 87-104. 326
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une maladie bénigne aux poules, puis les préservent ultérieurement contre la maladie mortelle. Pasteur reconnut dans un courrier à Lister ne pas être satisfait de ses connaissances. Pourtant Pasteur ne s’appliqua pas à lui-même ce qu’il avait clamé : « Ne proclamer une découverte que lorsqu’on a épuisé toutes hypothèses contraires, oui c’est une tâche ardue ». Faute de pouvoir fournir des données précises, le doyen de l’Académie de Médecine, Jules Guérin (18011886) profita de l’été pour faire voter par les académiciens présents un blâme contre Pasteur. Outré, Pasteur faillit démissionner de l’Académie. Guérin était un médecin franco-belge qui dirigeait la Gazette de la santé, une forte personnalité, originale et peu orthodoxe. Il aurait affirmé avoir guéri deux jeunes filles affectées d’onanisme en brûlant leur clitoris au fer rouge ! À l’automne de la même année, suite à une nouvelle altercation avec Pasteur, bien qu’âgé de 79 ans il défia Pasteur en duel, duel que Pasteur déclina fermement. À défaut de joute sur le pré, Pasteur va devoir batailler ferme, oralement et par écrit, avec son rival favori, Robert Koch qui comme lui travaille sur le bacille du charbon. Mais les deux ténors vont se faire damer le pion par le jeune Toussaint. Comme Pasteur, Toussaint initie ses premiers travaux sur le charbon en 1877109. À l’été 1880, Toussaint rapportait le fruit de ses efforts pour développer un vaccin contre le charbon. Il tâtonna d’abord, essaya du sang charbonneux filtré puis du sang charbonneux chauffé à 55-60 °C qui demeurait virulent et tua ses six montons. Toussaint en vint alors à traiter le sang charbonneux par le phénol qu’il testa sur des lapins, des chiens et des brebis. Il fut alors convaincu qu’il avait obtenu une substance indemne de germes virulents mais qui possédait encore le pouvoir d’induire une protection. Il mena alors une expérience à grande échelle dans la ferme de Vincennes sur des agneaux, des moutons et des brebis. Sur les vingt-six animaux 109. Wrotnowska D. Le vaccin anti-charbonneux, Pasteur et Toussaint, d’après des documents inédits. Hist. Sci. Méd. 1975-76; 9: 261-90. 327
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inoculés, vingt-deux survécurent. Sur ces derniers, il testa alors les spores d’anthrax virulents ou du sang charbonneux, et tous les animaux vaccinés survécurent. Toussaint s’aperçut par la suite que le phénol utilisé comme antiseptique n’avait pas tué définitivement tous les germes et considéra qu’il avait vacciné avec des germes atténués. Les résultats de Toussaint font de lui le premier savant à avoir protégé des animaux contre le charbon. Le jeune Toussaint bénéficiait d’un mentor et d’un protecteur en la personne d’Henri Bouley (1814-1885), professeur renommé de clinique vétérinaire à l’École Nationale vétérinaire de Maison Alfort. Membre de l’Académie de Médecine dont il fut le président (élu en 1877) et membre de l’Académie des Sciences dont il fut aussi le président (élu en 1885), présent lors des expériences menées à la ferme de Vincennes, Bouley soutint Toussaint en présentant ses notes devant les Académies, en défendant son protégé, en soulignant la grande qualité de son travail, en lui obtenant des prix. Il fut un ardent défenseur de ses thèses face à un Pasteur qui commençait à prendre ombrage et à devenir critique. Du côté de chez Pasteur, on tâtonnait tout pareillement pour l’élaboration d’un vaccin anti-charbon. Le problème principal, sans doute le handicap, était la conviction de Pasteur, qui estimait que c’était l’exposition à l’air qui permettait d’obtenir des germes atténués utilisables pour vacciner. Chamberland et Roux essayèrent diverses approches de sang chauffé exposé ou non à l’oxygène, ou atténué par un antiseptique. À propos de cette dernière approche Pasteur leur dit : « Moi vivant, vous ne publierez pas cela, avant d’avoir trouvé l’atténuation de la bactéridie par l’oxygène. Cherchez-la ! ». Mais Pasteur va surprendre ses deux acolytes quand il leur annonça en avril 1881, avoir accepté la proposition de Charles-Paul-Marie Moreau, baron de La Rochette (1820-1889), ancien conseiller général du canton de Melun-sud et président de la Société d’agriculture de Melun : « Nous mettons à votre disposition 60 moutons. Dix ne subiront aucun traitement, 25 seront vaccinés 328
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en deux fois à 12 jours d’intervalle. Après 12 nouveaux jours, nous inoculerons la souche virulente de la maladie aux 25 moutons et à 25 autres qui n’auront pas reçu de vaccin. Ensuite, nous observerons les résultats ». Pris de court, Chamberland et Roux sont préoccupés et fort occupés à poursuivre activement les essais car leur recul d’expertise ne remonte qu’au 2 novembre 1880. L’expérience fut menée dans la ferme du vétérinaire Joseph Hippolyte Rossignol (1837-1919) à Pouilly-Le-Fort en présence de nombreuses personnalités dont Eugène Tisserand (1816-1888), vétérinaire ayant enseigné à Toulouse et Lyon et à l’époque directeur au ministère de l’Agriculture, et de journalistes dont celui du Times, venus tout spécialement de Londres pour assister à cet évènement sans précédent110 (figure 63). Le vaccin fut administré le 5 mai 1881, comme annoncé selon le protocole, outre le fait que deux chèvres remplacèrent deux moutons et huit vaches, un bœuf et un taureau furent ajoutés à l’expérimentation, bien que l’équipe Pasteur n’ait eu aucune expertise sur les bovins. Le 31 mai fut procédé à l’injection de la souche très virulente à toutes les bêtes vaccinées et témoins. Le 2 juin, tout ce beau monde est de retour à Pouilly-Le-Fort. C’est un immense succès, les moutons vaccinés sont en pleine forme à une brebis près qui décéda. On identifia qu’elle était gestante et avait en son sein un fœtus mort-né. Les animaux témoins étaient tous morts ou moribonds quand le public se pressa sur le site de l’expérience. Par contre, tous les bovins survécurent à l’inoculation. Le baron de la Rochette et le Dr. Rossignol saluèrent la grande victoire de Pasteur sur la maladie du charbon. Jamais la formule « La fortune sourit aux audacieux » ne se sera aussi bien appliquée. Pasteur avait fait un pari incroyable, alors que son vaccin n’était encore qu’à ses balbutiements, qu’aucune expérience n’avait été faite antérieurement à cette échelle, il descendit dans l’arène, invitant le public à être témoin en direct de ses expériences. 110. Cadeddu A. Pasteur et la vaccination contre le charbon : une analyse historique et critique. Hist. Phil Life Sci. 1987; 9: 255-76. 329
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Figure 63 | Un an après la démonstration de Toussaint à Vincennes, Pasteur mena une demonstration publique de la vaccination contre l’anthrax à Pouilly-le-Fort. Crédit : Institut Pasteur / Musée Pasteur.
Le 13 juin, Pasteur communiqua devant l’Académie ses brillants résultats, omettant de préciser le mode de préparation de son vaccin. Et pour cause… c’est son neveu Adrien Loir qui révéla la supercherie dans son livre publié en 1938 « À l’ombre de Pasteur ». Dans leur course pour produire à temps un vaccin efficace, Pasteur, Roux et Chamberland finirent par adopter l’approche de Toussaint, à savoir atténuer le germe virulent, non pas par l’exposition à l’air comme Pasteur va continuer de le sous-entendre, mais en l’exposant à un agent antiseptique, en l’occurrence le bichromate de potassium. Bien sûr, l’événement de Pouilly-Le-Fort fit forte sensation et une statue fut commandé au sculpteur André d’Houdain et érigée en 1897 à Melun. La statue en bronze finira fondue en 1943, le régime de Vichy offrant à l’occupant de quoi faire des canons. Mais certains vont tirer à boulets rouges sur Pasteur. Une polémique émergea entre les professeurs de l’école vétérinaire de Turin et leur directeur, Domenico Vallada (1822-1888) auxquels Pasteur avait fait parvenir son vaccin 330
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contre l’anthrax. Malheureusement, ce vaccin s’avéra incapable de protéger les moutons turinois. Pasteur estima que les vétérinaires italiens avait commis la faute d’inoculer pour l’épreuve du sang d’un cadavre mort du charbon depuis plus de vingt-quatre heures et que par conséquent des germes autres que ceux spécifiques à l’anthrax avaient été injectés. Vallada et ses confrères turinois répondirent en publiant un texte intitulé « Du dogmatisme scientifique de l’illustre Prof. Pasteur et de l’usage qu’on en peut faire » (10 juin 1883). Ils conclurent leur texte à charge : « Nous ne voulons point enlever à notre illustre opposant l’illusion de la réussite complète qui a pu lui sourire dans cette discussion, nous nous abstenons de même de troubler le doux plaisir qu’il a éprouvé, quand il fournissait une nouvelle preuve de la faute commise par la Commission de Turin, cependant nous croyons ne pas nous écarter de la vérité, et ne pas lui manquer de respect non plus, en manifestant l’opinion, que sa réussite complète peut en quelque sorte être comparée à la victoire historique de Pyrrhus ». Ce ne fut pas le seul échec du vaccin. Nikolaï Gamaleïa qui était venu à Paris se former auprès des pasteuriens de la rue d’Ulm, étudia les paramètres qui influençaient la préparation du vaccin contre l’anthrax, et publia ses propres expériences réalisées sur plus de 300 moutons et quelques chiens, lapins et rats. Il rapporta que certaines préparations pouvaient tuer les moutons et établit que la fièvre induite par le vaccin était une condition préalable à son efficacité. Malgré ses efforts pour maîtriser un vaccin compliqué à préparer pendant l’été 1887, une vaccination contre l’anthrax, organisée par la station bactériologique d’Odessa, résulta en la mort de 80 % des animaux vaccinés, soit 3 549 moutons, pour un coût de plus de 40 000 roubles. Le propriétaire demanda à Metchnikoff, alors directeur de la station d’Odessa, et à Gamaleïa de lui rembourser la moitié du prix et entama un procès. Bien sûr, la presse populaire se fit l’écho de ce désastre. Nul doute qu’une erreur majeure avait été commise, en particulier l’utilisation à grande échelle d’un vaccin non testé au préalable. 331
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Pasteur fort de ses découvertes sur le choléra des poules et le charbon s’offrait des tribunes lors des congrès pour proclamer ses victoires. À l’International Medical Congress de Londres (1881), Pasteur ne fuit pas les mondanités et participa à la Garden Party organisée dans sa propriété à Holly Lodge par la Baronne Angela Burdett-Coutts (1814-1906), philanthrope et riche héritière d’un banquier londonien, qui avait Charles Dickens comme l’un de ses conseillers. Mais il écouta aussi certains de ses concurrents. À ce congrès, Robert Koch présenta la culture des bactéries en milieu solide et Pasteur reconnu qu’il s’agissait là d’un grand progrès. Pasteur usa de la tribune pour promouvoir ses travaux et amadouer le public britannique. Faute de maîtriser la langue de Shakespeare, il déclara en français : « J’ai donné au terme vaccination un sens élargi. J’espère que la science le consacrera en hommage au mérite et aux immenses services rendus par l’un des plus grands hommes d’Angleterre, votre Jenner. Quelle joie pour moi de glorifier ce nom immortel sur le sol même de la noble et hospitalière ville de Londres ». En 1882, au « 4th International Congress on Hygiene and Demography » qui se tint à Genève, Pasteur poursuit son auto-promotion. Mais Koch n’en pouvait plus. Il publia l’année suivante une réplique au discours prononcé à Genève par M. Pasteur à propos de l’inoculation préventive du charbon (figure 64). Ses attaques sont nombreuses cinglantes, méchantes, et souvent justifiées : « Pasteur n’est pas médecin, et on ne peut exiger de lui qu’il sache commenter avec justesse les processus pathologiques et les symptômes de la maladie. La tactique suivie par M. Pasteur est de ne communiquer d’une expérience que ce qui parle en sa faveur, et de passer sous silence les faits qui lui sont défavorables même quand ceux-ci sont décisifs pour le but de l’expérience. De pareils procédés peuvent convenir quand il s’agit de faire de la réclame en affaires, mais la science doit les repousser énergiquement. 332
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Figure 64 | La critique des travaux de Pasteur présentés à Genève par Robert Koch.
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Il existe une différence profonde entre les méthodes suivies par M. Pasteur pour l’étude des maladies infectieuses et celles que j’ai suivies moi-même ; c’est un motif suffisant pour que nous soyons forcément arrivés dans nos expériences à des résultats divergents. Aussi les suites de la méthode suivie par M. Pasteur éclatent-elles au grand jour. Dans ses travaux sur le charbon, M. Pasteur a trouvé un terrain déjà déblayé. On connaissait les bacillus du charbon, et la preuve qu’ils sont la cause de la maladie avait déjà été fournie. M. Pasteur n’avait donc qu’avec des faits acquis et les côtés faibles de sa méthode ne pouvaient pas se manifester avec autant d’évidence que dans d’autres circonstances ultérieures. Pour le cholera des poules également, M. Pasteur a trouvé les terrains préparés par MM Perroncito et Toussaint, de sorte qu’il lui a été moins facile de s’égarer. Mais dès que M. Pasteur eût entrepris une nouvelle question, en s’occupant de la rage canine, sa méthode défectueuse l’a fait immédiatement dévier de son but. Ce n’est pas seulement par la défectuosité de ses méthodes, mais encore par la manière de publier ses recherches, que M. Pasteur a provoqué des critiques. Dans les entreprises industrielles, il est permis, et souvent même l’intérêt commercial l’exige, de tenir secret le procédé qui a conduit à la découverte. Mais dans la science, c’est un autre usage qui règne. Celui qui fait appel à la foi et à la confiance du monde scientifique a le devoir de publier les méthodes qu’il suit, de telle manière que chacun soit mis à même de vérifier l’exactitude des résultats publiés. M. Pasteur ne se conforme pas à ce devoir. Déjà dans ses publications sur le choléra des poules, M. Pasteur a longtemps caché sa méthode d’atténuation du virus et finalement ce n’est que sur les insistances de Colin111 qu’il a décidé à faire connaître cette méthode. La même chose s’est répétée à propos de l’atténuation du virus du charbon, car les communications que M. Pasteur a faites jusqu’ici sur 111. Gabriel-Constant Colin (1825-1896), élève de l’école de Lyon, Professeur à l’école Vétérinaire de Maison Alfort, Membre de l’Académie de Médecine. Pasteur écrivit à son propos : « Un seul chemin conduit à la vérité, mille mènent à l’erreur, mais c’est toujours un de ces derniers que choisit M. Colin ». 334
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la préparation des deux vaccins sont si imparfaites qu’il est impossible dans plus amples informations de répéter et d’examiner son procédé. L’auteur qui agit ainsi n’est pas en droit de se plaindre lorsqu’il se heurte dans le monde scientifique à de la méfiance et des critiques un peu vives, dont le bien-fondé est d’autant plus évident que d’autres savants qui s’occupant des mêmes études, par exemple MM Toussaint et Chauveau, ont publié leurs méthodes sans aucune réticence […] ». Il faut dire qu’Auguste Chauveau attaqua le problème à la racine, en comparant la soi-disante approche de Pasteur d’atténuation des cultures virulentes par l’oxygène, à l’usage de la chaleur. Et ses travaux conclurent à la large supériorité de la chaleur pour altérer la virulence des germes112. Ce qui sera ultérieurement appelé le secret de Pouilly-leFort révélé par Adrien Loir sera régulièrement repris dans des articles plus récents, s’appuyant en particulier sur les cahiers de laboratoire de Pasteur, comme ceux mentionnés dans mes notes en bas de pages, et dans des ouvrages dont le plus célèbre fut celui de l’historien américain, Gerald L. Geison (1943-2001) « The private science of Louis Pasteur » (1995). L’archiviste de la bibliothèque de l’Institut Pasteur, se souvient avoir réussi à imposer l’achat de ce livre malgré de fortes oppositions locales hostiles au crime de lèse-majesté que représentait l’entrée d’un tel ouvrage dans l’antre pasteurienne appelée à cultiver la vénération du Maître, comme en témoignent les discours des directeurs de l’Institut Pasteur qui se succédèrent à la tête de la vénérable institution lors de l’hommage annuel rendu autour de la tombe de Louis Pasteur. À la décharge de Pasteur, et c’est toute l’ambiguïté que relève Koch, ses travaux correspondent à un savoir-faire scientifique mis au service d’une production industrielle. En gardant secret son mode d’obtention du vaccin, Pasteur fait d’une pierre deux coups. D’une part, il cache à la communauté scientifique qu’in fine il a choisi l’approche de l’usage d’un antiseptique pour préparer son vaccin, ce que d’aucun pourrait 112. Chauveau A. Du rôle respectif de l’oxygène et de la chaleur dans l’atténuation du virus charbonneux par la méthode de M. Pasteur. Théorie générale de l’atténuation par l’application de ces deux agents aux microbes aérobies. C.R. Acad. Sci. 1883; 96: 1471-9. 335
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considérer comme un plagiat du travail de Toussaint. D’autre part, il protège le savoir-faire pour garder le monopole de la production du vaccin. Enfin, il garde la main sur des problèmes non résolus, la stabilité, l’efficacité et la virulence du vaccin. En effet, à l’automne 1881 et au printemps 1882, des échecs de vaccination se multiplièrent. Plusieurs dizaines de milliers de tubes stables, transportables et correctement calibrés étaient nécessaires pour satisfaire à la demande nationale113. Sans compter que le processus d’inoculation requérait deux vaccins de virulence croissante, inoculés à quelques jours d’intervalle, et dans toute leur « fraicheur ». Le département de Seine-et-Marne proposa de financer un laboratoire local pour produire le vaccin au plus près des éleveurs, ce que Pasteur refusa. Tout comme il refusa au Ministre Hongrois de l’Agriculture, un transfert de technologie vers la Hongrie après que Thuillier eut été dépêché à Budapest pour démontrer la qualité de la découverte. Thuiller rapporta : « Le ministre de l’Agriculture, le Baron de Kemeny, a nommé une commission de neuf membres… afin, non pas de surveiller l’expérience actuelle, mais bien d’apprendre de moi toutes les manipulations de la préparation du vaccin ». Aujourd’hui on parlerait d’espionnage industriel ! Pasteur se justifia : « En outre permettez-moi de vous faire observer que par prudence et afin de ne pas compromettre le succès d’une méthode à tout prendre délicate, je désire extrêmement que pendant une année au moins, tout vaccin qui sera utilisé par les éleveurs de moutons et de bestiaux, soit préparé par moi ou sous ma surveillance immédiate ». Pasteur intervint auprès du premier ministre Gambetta pour qu’une manufacture de vaccin soit créée, Pasteur cédant son invention à l’État en contrepartie d’une pension pour lui et sa famille. Faute d’une réponse favorable, Pasteur créa une annexe de son laboratoire de la rue d’Ulm, au 28 rue Vauquelin, chargé de la production des vaccins sous la responsabilité technologique de Chamberland et embaucha Fernand Boutroux (1850- ?), le beau-frère de son fils Jean-Baptiste, comme agent commercial. Ultérieurement, 113. Cassier M. Inventions du vaccin charbonneux Pasteur. Sciences, Agriculture, Alimentation et Société en France au xxe siècle, 2008. 336
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une société commerciale, la « Compagnie de Vulgarisation du Vaccin Charbonneux » fut créée (1886), avec un monopole de la technologie de fabrication assuré pour trente ans, captant les revenus des vaccins pour financer l’Institut Pasteur qui allait voir le jour. Chamberland en assura la direction technique. La mise au point du troisième vaccin de Pasteur, fut sans doute celle qui fut la moins sujette à controverse. L’originalité de ce travail est néanmoins l’abandon par Pasteur en toute discrétion de son approche de l’atténuation des germes par l’exposition à l’oxygène de l’air. Achille Maucuer (1845-1923) est un vétérinaire diplômé de Lyon qui prit une part active lors de la guerre de 1870 comme vétérinaire du régiment des Lanciers de la Garde. Il est alors installé à Bollène (Vaucluse) quand, à l’été 1877, il écrivit à Pasteur pour l’interpeller sur une pathologie qui sévissait dans les élevages de porcs, l’érysipèle porcine ou le rouget du porc. Accompagnée de lésions cutanées rouges, la forme aiguë se traduit par de fortes fièvres, d’anorexie, et entraîne la mort des animaux. Le laboratoire parisien était fermé jusqu’à la rentrée, mais Pasteur finit par recevoir la lettre alors qu’il était en vacances dans le Jura. Il répondit114 : « […] Fort étranger aux connaissances vétérinaires je cherche dans un dictionnaire le mot rouget et je ne trouve rien, pas même cette dénomination. Si vous avez publié ou si vous publiez quelque travail sur cette maladie, je vous serais obligé de me le faire parvenir à Arbois jusqu’au 15 octobre, car je suis décidé à consacrer plusieurs années à l’études des maladies contagieuses ». Suite à l’obtention de documents, Pasteur s’épanche sur l’état de la recherche en France en cette fin de xixe siècle. Cette diatribe a une résonnance toute particulière alors que la France réalisa à l’occasion du COVID-19 l’état de sa recherche au xxie siècle, en particulier dans le domaine des maladies infectieuses transmissibles de l’animal à l’Homme : « Si j’étais le maître de placer mes ressources matérielles au niveau des projets de recherches 114. Wrotnowska D. Le rouget du porc. Pasteur et Achille Maucuer. D’après une correspondance en partie inédite. Revue d’histoire des sciences et de leurs applications. 1973; 26(4). 337
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qui m’embrasent, je formerais de jeunes savants qui sous ma direction, entreprendraient des études sur toutes les maladies contagieuses des animaux et des hommes, mais notre pauvre France, toujours aux prises avec la politique, est encore ignorante des grandes destinées de la Science. Je voudrais voir les pouvoirs publics préoccupés sans cesse des intérêts scientifiques ; le plus souvent c’est par le côté de l’utilité immédiate qu’ils les envisagent. Témoin, dans le sujet qui nous occupe, le comité permanent des épizooties décrété en 1876 et qui a borné jusqu’à présent ses travaux aux lois de police sanitaire ; sans rien tenter pour la connaissance des épizooties en elles-mêmes ». Pasteur souhaite pouvoir disposer du bacille responsable du mal. Maucuer envoie un cochon malade qui meurt en gare de Lyon Perrache. Mais il va néanmoins permettre les premières inoculations. Le germe, Erysipelothrix, a été une première fois isolé par Robert Koch en 1876-78 à partir de souris septiques qui avaient été inoculées par voie sous-cutanée avec du sang de viande putréfiée115. En 1882, Friedrich Loeffler observa un organisme similaire dans les vaisseaux sanguins cutanés d’un porc mort d’érysipèle porcine et publia la description de l’organisme quelques années plus tard. Pasteur confia à son assistant Louis Thuillier la charge d’isoler le germe. Le succès du jeune assistant fut rendu possible grâce à la mise au point d’un milieu de culture à base de bouillon de veau stérilisé. Dans son article, Pasteur rendit un vibrant hommage à son jeune collaborateur qui décédait quelque temps après, lors de sa mission à Alexandrie pour étudier le choléra, rappelant qu’il était sorti major au concours de l’École Normale d’agrégation des sciences physiques, mentionnant ses contributions en Hongrie et en Allemagne pour y répéter les succès de Pouilly-Le-Fort, ainsi que sa croix de Chevalier de la Couronne de Prusse qui lui avait alors été octroyée116. Sans surprise dans son article, Pasteur ne mentionne pas les travaux 115. Koch R. Untersuchungen über die ätiologie der wundinfektionskrankheiten. (1878) Vogel, Leipzig. 116. Pasteur L, Thuillier L. la vaccination du rouget des porcs à l’aide du virus mortel atténué de cette maladie. C.R. Acad Sci. 1883; 97: 1163-9. 338
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de Koch, mais salue ceux d’un certain Henry J. Detmers (1833-1906) qui aurait conjointement à Thuillier découvert le bacille de l’érysipèle. Né en Allemagne, Detmers mena ses études de médecine vétérinaire à Hanovre et Berlin. Après avoir migré aux USA, Detmers aida à bâtir une formation vétérinaire aux États-Unis, en particulier en tant que premier vétérinaire à la faculté de l’Ohio State University. Par ailleurs, il mit au point une seringue de grande capacité qui pouvait être utilisée pour la vaccination des animaux. Néanmoins, si Detmers identifia le germe responsable de la peste porcine, rien ne laisse à penser qu’il en fut de même pour celui de l’érysipèle. Pasteur, Thuillier et Loir se rendirent à Bollène en novembre 1882 (figure 65). Le couple Maucuer hébergea la délégation pasteurienne et, fort honoré de leur présence, se plia en quatre pour rendre leur séjour aussi plaisant que possible, voire gastronomique. Pasteur rapporte ainsi que la qualité des mets ; en particulier la pintade truffée semble avoir été fort à son goût. Rapidement Pasteur écrit à François de Mahy, ministre de l’Agriculture, pour lui rendre compte de l’avancée de ses travaux en insistant sur l’impact économique du problème. Il précisa par exemple qu’aux USA, le rouget du porc avait emporté neuf cent mille cochons pour une valeur de cent millions de francs. Dans la vallée du Rhône, ce n’est pas moins de vingt mille bêtes qui étaient mortes. À Bollène, et dans les villages et châteaux voisins, les pasteuriens disposèrent de nombreux animaux pour leurs expérimentations. Après trois semaines sur site, Pasteur revint sur Paris. Le vaccin mis au point par l’équipe de Pasteur consistait en des germes de l’érysipèle atténués en les passant de lapin en lapin. À l’inverse, Pasteur constata que le passage successif dans des cobayes ou des pigeons accroissait sa virulence. Le détail de la procédure demeurait néanmoins suffisamment vague pour que personne ne puisse copier la préparation du vaccin : « Si l’on inocule le rouget de lapin à lapin, le microbe s’acclimate sur le lapin. Tous les animaux meurent, et la mort arrive en un petit nombre de jours […] Vient-on à inoculer aux porcs le sang des derniers lapins, par comparaison avec celui des premiers de la série, 339
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Figure 65 | Alerté par le vétérinaire Achille Maucuer, Pasteur, accompagné de Louis Thuillier et d’Adrien Loir se rend à Bollène (Vaucluse) pour mettre au point un vaccin contre le rouget des porcs. Crédit : Institut Pasteur / Musée Pasteur
on constate que la virulence a été progressivement en diminuant du premier lapin aux lapins suivants. Bientôt le sang des lapins inoculés aux porcs n’amène plus la mort, quoiqu’il les rende malades. Après leur guérison, ils sont vaccinés contre le rouget mortel ». À l’époque, qu’un vaccin puisse rendre malade, n’était pas en soi un réel problème ! De nos jours, pour un vaccin humain, à juste titre, le public espère un minimum d’effets secondaires. Les vaccins COVID-19 auront globalement répondu à cette requête, même si les réactions varient grandement d’un individu à un autre. Pasteur conseilla Maucuer « Le vaccin serait jugé de peu de valeur si nous le donnions gratis. Il vous sera livré par M. Boutroux, 28 rue Vauquelin, à 0 franc 20 centimes par porc. Vous ferez payer votre travail comme vous l’entendrez. Cependant je crois que vous auriez tort de demander un prix élevé ». Là encore la discussion sur le coût des vaccins nous rappelle que ce sujet demeure d’actualité, comme en témoignent les âpres discussions que les États eurent avec les industriels pour avoir accès aux vaccins contre le 340
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COVID-19. Pasteur conseilla la vaccination dans les premiers mois de vie des cochons. Si quelques déconvenues furent rapportées avec des animaux morts après la vaccination, toutes les races porcines n’étant pas sensibles de façon semblable au mal, globalement ce fut un immense succès tant dans le Vaucluse que dans diverses régions de France. En 1892, Loir et Chamberland rapportèrent que le taux de mortalité était de 1,07 % pour 57 900 animaux vaccinés. Pasteur obtint du ministre de l’Agriculture que Maucuer fut récompensé de la légion d’honneur. Depuis, une avenue Achille Maucuer existe à Bollène, et bien sûr dans cette même ville, un buste en bronze de Pasteur fut inauguré en 1924. Tout comme à Melun, en 1943, le buste fut fondu sous le Régime de Vichy au titre de la récupération des métaux non ferreux. Réédifié en 1945, le socle et le buste retrouvèrent leur place en centre-ville de Bollène en 2017. Le quatrième vaccin de Pasteur, fut sans nul doute celui qui contribua le plus à sa renommée, mais il est aussi celui qui fit couler beaucoup d’encre… Quelle fut la motivation qui amena Pasteur à travailler sur la rage ? Pasteur est un héros chez les éleveurs et les vétérinaires, mais s’attaquer à une maladie humaine aurait nettement plus de prestige, plus de répercussion dans le monde médical et dans la population générale. Le choix de la rage peut intriguer car c’est un épiphénomène par rapport à la mortalité consécutive aux autres maladies infectieuses qui sévissent à l’époque. Sans doute veut-il éviter la concurrence allemande qui est sur de nombreux fronts, mais pas celui de la rage. Ce qui caractérise la rage est le long délai entre la morsure (supposée avoir été donnée par un animal enragé) et l’apparition de la maladie, du moins si la morsure a porté sur les extrémités d’un membre. Ce délai permettra à Pasteur de pratiquer ses inoculations et d’espérer la mise en place de la protection immunitaire avant la survenue de la maladie. Par contre, les morsures à la tête, au visage, entraînent très rapidement l’apparition de la maladie et ne permettent pas à la protection vaccinale de pouvoir se mettre en place à temps. Il ne s’agissait pas de soigner la rage, mais d’en prévenir la survenue. 341
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Une fois encore il est un précurseur oublié : Pierre Victor Galtier (figure 66) qui travaille depuis 1879 sur la rage. Nous l’avons déjà croisé quand avec Maurice Raynaud il démontra la transmissibilité de la rage au lapin. Fort de ces informations, Pasteur utilisa aussi le lapin d’une part comme source de virus rabique et d’autre part comme test puisque l’animal développe très rapidement la maladie. Roux apporta une amélioration au modèle en proposant une inoculation intracérébrale. Le 1er août 1881, Galtier rapporta devant l’Académie des Sciences les succès de ses approches de vaccination contre la rage. « J’ai injecté sept fois de la salive rabique dans la jugulaire du mouton, sans jamais obtenir la rage ; un de mes sujets d’expérience a été depuis inoculé avec de la bave de chien enragé, et depuis plus de quatre mois que cette inoculation a été faite, l’animal s’est toujours bien porté ; il semble avoir acquis l’immunité. Je l’ai inoculé à nouveau il y a quinze jours en lui injectant huit centimètrescubes de salive rabique dans le péritoine, il se porte toujours bien ; je l’inoculerai prochainement ». Au total, il injecta le virus rabique dans le courant sanguin de neuf moutons et d’une chèvre. Par la suite, il injecta le virus mortel à ces animaux et à dix animaux témoins. Les dix animaux vaccinés survécurent et les dix animaux témoins périrent. En 1886, Galtier fit paraître un ouvrage intitulé : « La rage envisagée chez les animaux et chez l’homme au point de vue de ses caractères et de sa prophylaxie ». Si un buste de Pierre Victor Galtier par Louis Prost, peut être vu à l’école vétérinaire de Lyon, bien peu se souviennent de ce travail princeps. Le 3 décembre 1997, à Langogne (Lozère), sa ville natale, fut fondée une association intitulée RAGE, un acronyme, pour Reconnaissance de l’Action de Galtier Enfin. Non seulement Pasteur connait les travaux de Galtier, mais il va profiter de ses travaux antérieurs, ceux pour lesquels Galtier avait démontré la possibilité de transmissibilité de la rage canine aux lapins. Outre Galtier, mentionnons aussi parmi les précurseurs, Pierre-Henri Duboué (1834-1889) (figure 66), médecin formé à Paris, membre de l’académie de médecine, et ayant exercé à Pau. 342
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Figure 66 | Un médecin, Pierre-Henri Duboué (1834-1889) (à gauche) et un vétérinaire, Pierre Victor Galtier (1846-1908) (à droite), furent des acteurs clés dans la mise au point du vaccin contre la rage.
Dans son ouvrage « Des progrès accomplis sur la question de la rage et de la part qui en revient à la théorie nerveuse » (1887), Duboué rappelle qu’il fut le premier, deux ans avant Pasteur, à démontrer que la progression du virus rabique se fait par les fibres nerveuses périphériques jusqu’au système nerveux central et non par la voie sanguine, à une époque où Pasteur cherchait encore le virus dans le courant sanguin. Il commence son ouvrage en écrivant : « Je viens dans ce travail, défendre mes droits injustement méconnus, au sujet des progrès accomplis dans ces dernières années sur la grande question de la rage, progrès que je crois pouvoir affirmer hautement avoir été préparés par mes recherches ». Décidément, il ne fait pas bon être à l’ombre des travaux de Pasteur… Plus loin il écrit : « Pour bien faire comprendre toute l’étendue du déni de justice que renferme la communication de Pasteur à mon égard, je dois indiquer ici la raison qui a imprimé une direction toute nouvelle aux recherches de M. Pasteur ». En effet, les travaux sur la localisation du virus rabique 343
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dans l’organisme furent primordiaux quand Pasteur se servira de cette connaissance pour utiliser les moelles épinières comme source de virus. « Pas de civet sans lièvre […] De même pas de traitement préventif possible par les virus atténués, sans la culture préalable du virus rabique, et pas de culture de ce dernier, sans la connaissance des tissus ou organes où réside ce virus » écrit Duboué à juste titre. Une fois encore la légende va s’écrire, se propager, s’enseigner. Avec les termes de la recherche vaccinale contemporaine rendus populaires par les vaccins COVID-19, on dirait que Pasteur est passé en phase I avant d’avoir achevé la phase préclinique. Autrement dit, Pasteur a expérimenté chez l’Homme avant d’avoir accumulé suffisamment de preuves de l’efficacité et de la non-dangerosité de son vaccin. L’éthique à l’époque de Pasteur, n’est évidemment pas aussi scrupuleuse que celle du xxie siècle. La preuve : cette requête en 1884 que fit Pasteur auprès de l’Empereur du Brésil pour pouvoir tester son vaccin sur des prisonniers en échange de leur liberté. Dans son ouvrage et après avoir examiné les cahiers de Pasteur, Geison fait un constat accablant. Avant le premier passage sur l’Homme, entre août 1884 et mai 1885, les essais ont porté sur 26 chiens mordus par des chiens enragés avec trois approches vaccinales différentes. Le taux de succès global fut de 62 %. Mais aucune d’entre elles ne correspondit à celle utilisée sur Joseph Meister. C’est sans doute une des raisons pour laquelle son plus fidèle collaborateur, le docteur Roux, se refusa à tester chez l’Homme le vaccin sur lequel il travaillait lui-même depuis quelques temps. C’est Roux qui eut l’idée de dessécher les moelles épinières des lapins ayant succombé à la rage, accrochées dans des flacons comme source de virus atténués, et c’est Pasteur qui eut l’idée d’ajouter de la potasse pour accélérer la dessiccation. Le plus fameux tableau de Pasteur que l’on doit au peintre finlandais Albert Edelfet, montre d’ailleurs Pasteur tenant dans sa main un tel flacon (figure 67). Les cahiers de laboratoire de Pasteur vont de nouveau jeter un éclairage nouveau sur la séquence des évènements. En effet, 344
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contrairement à la légende, le célèbre petit Joseph Meister n’est pas le premier humain traité par le vaccin contre la rage de Pasteur. La toute première vaccination antirabique fut réalisée le 2 mai 1885 sur un patient du Dr. Georges Dujardin-Beaumetz (1833-1895), membre de l’Académie de Médecine, à l’hôpital Necker ; patient du nom de Mr. Girard (61 ans) qui avait été mordu au genou en mars de la même année. Le traitement fut initié par deux injections à douze heures d’intervalle d’un centimètre cube de virus atténué. Mais le traitement fut arrêté par les autorités de l’hôpital après avoir consulté le ministère de l’Assistance Publique. Le 3 mai les conditions de Girard se détériorèrent avec force tremblements qui durèrent trois jours. Le 7 mai, le patient allait beaucoup mieux, et quinze jours plus tard le patient quittait l’hôpital. Le doute persista sur la nature du mal de ce premier patient. La deuxième injection eut lieu le 22 juin 1885, à l’hôpital de Saint-Denis où fut vaccinée une fillette de onze ans, JulieAntoinette Poughon. Malheureusement, elle décédait le lendemain, suggérant que l’administration du vaccin fut trop tardive. La fameuse et désormais célèbre inoculation eut finalement lieu le 6 juillet 1885 sur le jeune Joseph Meister (1876-1940), âgé de 9 ans, venu tout spécialement avec sa maman depuis l’Alsace. Les injections successives du vaccin telles que Pasteur les a alors définies consistent en une succession d’inoculations avec des moelles épinières desséchées de lapins rabiques, en injectant des préparations de virus de plus en plus virulents jusqu’à injecter le virus totalement actif. L’approche expérimentale avec de la moelle épinière desséchée fut initialement mise en route les 28 mai et 3 juin sur 20 chiens et répétée les 25 et 27 juin sur 20 nouveaux chiens. C’est dire si le 6 juillet, Pasteur n’a guère de recul pour s’assurer de l’efficacité et de l’innocuité de son protocole. Pasteur note dans son cahier : « Production de l’état réfractaire sur un enfant très dangereusement mordu par un chien rabique ». Pasteur est conscient de la dangerosité de son traitement : « Joseph Meister a donc échappé non seulement à la rage causée par les morsures, mais encore à celle que je lui ai inoculée pour contrôler l’immunité ». La seconde 345
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Figure 67 | Le célèbre tableau de Louis Pasteur par le peintre finlandais Albert Edelfelt représentant Pasteur tenant un flacon contenant la moelle épinière d’un lapin enragé. Crédit : Institut Pasteur / Musée Pasteur – photo François Gardy.
vaccination fut effectuée le 20 octobre 1885 sur un jeune berger de 15 ans, Jean-Baptiste Jupille (1869-1923) (figure 68). Meister comme Jupille, infiniment reconnaissants deviendront des gardiens de l’Institut Pasteur. Meister se suicida lors de l’entrée de l’armée nazie dans Paris. Un autre point commun entre ces deux jeunes 346
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gens, c’est que la preuve manque qu’ils aient été réellement mordus par des chiens enragés. Le chien qui mordit Meister fut tué et autopsié, et le fait d’avoir trouvé des débris de bois dans l’estomac fut la seule preuve qu’il aurait eu la rage. Pourtant Michel Peter (1824-1893) qui siégeait à l’Académie de Médecine rappela à ses collègues : « Autrefois, vous vous rappelez, tout chien dans l’estomac duquel on trouvait des corps étrangers : bois, paille, etc., était réputé enragé ; cette preuve est abandonnée ». Quant à Jupille, ce ne fut pas le chien qui attaqua l’enfant, mais l’enfant qui attaqua le chien en s’élançant vers lui avec son fouet (ce que Pasteur sait). L’animal se défendit et mordit la main du jeune Jupille. Ce dernier attacha la gueule du chien avec la corde de son fouet et le jeta à la rivière117. Voilà comment en présentant à mes visiteurs la statue qui trône dans les jardins de l’Institut Pasteur (figure 69), où l’on voit le jeune Jupille se battre en corps à corps avec un chien, j’ai toute ma carrière moi-même propagé la légende de l’enfant qui protège ses petits camarades de l’attaque d’un chien enragé ! Le 26 octobre Pasteur présenta ses succès devant l’Académie des Sciences et son président, Bouley, salua là un moment mémorable dans l’histoire de la médecine et à jamais glorieux pour la science française. Le lendemain Pasteur présenta les mêmes résultats devant l’Académie de Médecine, salués une fois encore comme le moment le plus mémorable dans l’histoire des conquêtes de la science et dans les annales de l’Académie. L’impact est sans doute à la hauteur de ce qu’espérait Pasteur… international ! Dès l’automne-hiver 1885 on vint de Russie (les dix-neuf moujiks de Smolensk dont seize furent sauvés) ou d’Amérique (les quatre garçonnets du New Jersey) pour recevoir le traitement salvateur. On se presse rue d’Ulm et ce succès joua un rôle essentiel pour la création de l’Institut Pasteur inauguré le 14 novembre 1888. Au cours de cette cérémonie en grande pompe en présence du président de la République, Sadi Carnot, on écouta quatre discours. Ceux de M. Bertrand (Secrétaire Général de l’Académie de 117. Decourt P. Les vérités indésirables. Comment on falsifie l’histoire : le cas Pasteur. Arch Intern. Claude Bernard. 1989. 347
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Figure 68 | Inoculation du virus rabique au berger J-B. Jupille dans le laboratoire de M. Pasteur. Couverture de « La République Illustrée , 7 novembre 1885. Crédit : Institut Pasteur / Musée Pasteur.
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Figure 69 | Jean-Baptiste Jupille alors gardien à l’Institut Pasteur, devant sa statue enfant se battant avec un chien, à l’Institut Pasteur, vers 1913. Crédit : Institut Pasteur / Musée Pasteur.
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Sciences), d’Albert Christophle (Gouverneur de la banque de France), de Louis Pasteur (lu par son fils Jean-Baptiste), et de Joseph Grancher (1843-1907) (figure 70), professeur à la Faculté de médecine à Paris, le médecin qui accepta de pratiquer l’injection du jeune Meister. Ce dernier salua les succès des vaccinations antirabiques à Paris, Odessa, Varsovie, Turin ou Moscou. À cette occasion Sadi Carnot le fit officier de la légion d’honneur. À la création de l’Institut il fut nommé Chef de l’unité de la rage. Mais très rapidement il souhaita retourner à ses premiers amours ; il avait fait sa thèse de médecine sur la phtisie, et préféra se consacrer à la tuberculose, créant une œuvre de charité pour la préservation de l’enfance contre la tuberculose. Il laissa son unité à André Chantemesse (1851-1919) (figure 70), le médecin qui prendra soin de Pasteur durant les derniers jours de sa vie. Ainsi, Grancher, ne surfa pas sur le succès du vaccin contre la rage, laissant à d’autres le soin de publier sur le sujet. Ainsi, Léon Perdrix (1859-1917), élève de l’École Normale Supérieure, agrégé préparateur dans le laboratoire de Pasteur, publia le bilan des premières années de vaccination : de 1886 à 1889, 7 893 personnes (dont 15,9 % d’étrangers) furent traitées et la mortalité ne fut que de 0,67 %. Certes la mortalité de la rage était supérieure à 98 %, mais combien des personnes traitées avaient eu réellement la rage ? Dans son ouvrage Philippe Decourt (1902-1990) dit avoir vérifié, et estime à 28,5 le nombre de cas de rage par an en France durant les années 1850 à 1876. Il en ressort que nombre de personnes traitées l’ont été alors qu’ils n’avaient pas été mordus par des chiens enragés. Malgré l’aura de la vaccination de Louis Pasteur contre la rage (figure 71), quelques nuages vont s’amonceler dans le ciel du glorieux héros. Il y a d’abord l’affaire Jules Rouyer, un garçon de dix ans, mordu au bras par un chien inconnu à travers son pardessus le 8 octobre 1886. Pasteur est alors en villégiature à Bordighera sur la Côte d’Azur italienne, et c’est Adrien Loir qui préside à la vaccination. Les inoculations antirabiques commencèrent le 20 octobre, menées 350
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Figure 70 | Après avoir procédé aux premières vaccinations contre la rage, Joseph Grancher (1834-1907), à gauche, se verra confier le laboratoire de la rage à l’Institut Pasteur, avant de le confier à son collègue André Chantemesse (1851-1919), à droite, et de retourner à ses travaux sur la tuberculose.
quotidiennement pendant douze jours. Malheureusement, l’enfant décéda le 26 novembre. Le père, Édouard Rouyer, ayant porté plainte, une autopsie fut pratiquée en présence de Loir par Brouardel et Grancher qui prélevèrent le bulbe rachidien de l’enfant pour le faire parvenir à Roux afin qu’il inoculât deux lapins. Le résultat ne se fit pas attendre et les deux lapins moururent rapidement de la rage paralytique. Roux et Brouardel décidèrent de faire un parjure devant la justice, affirmant que les tests sur lapin avaient été négatifs et que l’enfant n’était pas mort de la rage, mais d’une crise d’urémie. En agissant ainsi, ils estimaient agir pour le bénéfice de l’humanité en sauvant la vaccination. Le rapport bénéfice-risque d’une telle révélation fut reconnue par Roux lui-même. Mais tous ne furent pas convaincus, en particulier Michel Peter, persuadé que l’enfant Rouyer était bien mort de la rage. Il va régulièrement s’opposer à Pasteur, d’autant qu’il fut aussi témoin d’un autre cas de décès malgré (ou à cause ?) du vaccin, celui d’un jeune homme de vingt ans, dénommé Réveillac, qui 351
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Figure 71 | Pasteur caricaturé dans la presse française, ici comme un ange combattant la rage dans Le Don Quichotte du 13 mars 1886. Crédit : Institut Pasteur / Musée Pasteur.
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décéda de la rage après avoir reçu le traitement. Peter déclara : « Pour amplifier les bienfaits de sa méthode et pour en masquer les insuccès, M. Pasteur a intérêt à faire croire plus forte la mortalité annuelle par la rage en France. Mais ce ne sont point-là les intérêts de la vérité. Veut-on savoir, par exemple, combien en 25 ans il est mort d’individus de la rage à Dunkerque ? Il en est mort : un… Et veut-on savoir combien il en est mort dans cette ville en un an, depuis l’application de la méthode pasteurienne ? Il en est mort : un ». Mais Pasteur estima les propos de Peter nuls et non avenus. Parmi les échecs, notons également le cas d’Hayes St Leger, 4th Viscount Doneraile (1818-1887). Nous sommes en Irlande lors de la dernière épidémie de rage que connut le pays, Lord Doneraile et son cocher Robert Barrer furent tous deux mordus par un renard enragé, le 13 janvier 1887. Lord Doneraile subit de sévères, multiples et profondes morsures aux deux mains. Tous les deux vinrent se faire soigner par Pasteur à Paris. Ils reçurent les traitements complets entre le 24 janvier et le 21 février. Malheureusement Lord Doneraile devait finalement mourir de la rage le 26 août 1887, consécutivement à la rage du renard ou celle inoculée durant le traitement. Nul ne le saura jamais. Outre Michel Peter, Pasteur eu contre lui Anton von Frisch (1849-1917), un urologue autrichien qui pourtant était venu se former auprès de lui. En 1887, il fit paraître un ouvrage intitulé « Le traitement de la maladie de la rage : une critique expérimentale de la méthode de Pasteur », dans lequel il remettait en question la fiabilité et la pertinence de l’approche vaccinale de Pasteur. Au début du xxe siècle, en Italie, Claudio Fermi (1862-1952), un médecin formé à Naples, Modène, Zurich et Munich qui exerçait à l’Institut d’hygiène de Rome, remit en question la préparation du vaccin. Il appliqua la méthode de Toussaint, l’exposition au phénol, mettant au point un vaccin plus simple, plus efficace, et surtout plus sûr, sans risque de transmission puisque la virulence y était essentiellement annihilée118. La piètre valeur du vaccin tel qu’il avait été défini par Pasteur à partir de moelle épinière desséchée fut démontrée 118. Claudio Fermi. Il nuovo metodo italiano per la cura antirabbica. 1916. 353
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au sein même de l’Institution qu’il avait créé par un de ses héritiers. Pierre Lépine (1901-1989) (figure 72), interne des Hôpitaux de Lyon, après un poste de professeur à l’Université américaine de Beyrouth, il rejoignit Constantin Levaditi en 1928 comme chef de laboratoire. Il fut directeur de l’Institut Pasteur d’Athènes de 1930 à 1935, puis chef du service des virus à l’Institut Pasteur de Paris de 1940 à 1971. En 1937, Lépine entreprit une étude comparative des vaccins antirabiques de Pasteur et de Fermi. Il démontra en injectant 40 lapins, que le pouvoir de protection du vaccin Pasteur était de 35 %, tandis que testé sur 52 autres lapins, le vaccin de Fermi atteignait un taux de protection de 77,7 %119.
Figure 72 | Pierre Lépine, (1901-1989), le père du vaccin français contre la poliomyélite, démontra le faible pouvoir protecteur du vaccin contre la rage de Pasteur, par rapport à celui élaboré par Claudio Ferni, inspiré des travaux de Toussaint. Crédit : Institut Pasteur / Archives Pierre Lépine.
119. Lépine P, Sautter V. Essais expérimentaux sur la valeur pratique des vaccins antirabiques phéniqués. Ann. Institut Pasteur. 1937; 59: 39-56. 354
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DE LA SÉROTHÉRAPIE AUX ANATOXINES À l’instar de Pasteur pour qui on créa un institut en 1888, Koch fut le directeur fondateur d’un institut qui porte son nom, inauguré à Berlin en 1891. En son sein y travaillèrent des scientifiques prestigieux, à commencer par Emil von Behring (1854-1917) (figure 73), médecin militaire et professeur d’hygiène à la Faculté de médecine de l’université de Marbourg. En partenariat avec un scientifique japonais, Kitasato Shibasaburo (1853-1931) (figure 73), von Behring démontra à l’aide de différents modèles animaux (cobaye, lapin, chèvre, mouton, cheval) que des immunsérums étaient protecteurs contre la diphtérie et le tétanos.
Figure 73 | Les pères de la sérothérapie, Emil van Behring (1854-1917), à gauche, et Shibasaburo Kitasato (1853-1931), à droite.
Avec l’aide du pédiatre Adolf Baginsky (1843-1918), mentor de Sigmund Freud et directeur du « Kaiser und Kaiserin Friedrich Kinderkrankenhaus » qu’il avait lui-même fondé à Berlin, von Berhing va traiter leur première petite patiente souffrant de diphtérie en 1891 avec un immunsérum de lapin. Malheureusement l’enfant décéda quand même. L’équipe berlinoise persista dans ses efforts et en 1894, publia la première étude clinique menée chez 220 enfants pour laquelle le taux de guérison était de 77 %. En 355
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1901, von Behring reçut le tout premier prix Nobel de Médecine ou Physiologie pour avoir institué la sérothérapie. Dans son discours du 12 décembre 1901, devant le comité Nobel, il rendit hommage aux travaux de Friedrich Löffler qui avait découvert le germe responsable de la diphtérie et à Émile Roux qui avait découvert l’existence de la toxine produite par cette bactérie. Dans ce même institut Koch, né la même année que von Berhing, exerce un autre savant talentueux, Paul Ehrlich (1854-1915). Il développa une méthode standardisée nécessaire pour garantir des titres reproductibles de forte activité de neutralisation des toxines dans les antisérums. Ehrlich est considéré comme le père de l’immunité humorale pour avoir découvert les anticorps. Il fut également précurseur quand il démontra le transfert placentaire des anticorps de la mère vers le nouveau-né et l’apport d’anticorps lors de la lactation. On lui doit la théorie dites des chaînes latérales de l’interaction antigène-anticorps. Ses travaux furent récompensés par le prix Nobel 1908 qu’il partagea avec Elie Metchnikoff. La sérothérapie anti-diphtérique se répandit diminuant d’au moins cinquante pour cent la mortalité infantile tant à Berlin, Boston qu’à Paris. À Paris, la mortalité consécutive à la diphtérie qui était de 1 639 décès en 1890 passa à 274 en 1897. À l’hôpital des enfants malades le Dr. Auguste Chaillou (1866-1915), ancien élève du cours de microbiologie de l’Institut Pasteur, mena une étude importante avec ses collègues de l’Institut Pasteur, les Drs Émile Roux (1853-1933), médecin bactériologiste, directeur du dit institut (1904-1933) et Louis Martin (1864-1946), médecin bactériologiste qui succéda à Roux à la tête de l’institution (1933-1939). Tous trois rapportèrent en 1894 une première étude sur 300 cas de diphtérie et une réduction de la mortalité de 50 à 26 %. Roux présenta ses travaux au congrès international d’hygiène et de démographie qui se tint cette année-là en septembre à Budapest devant une importante délégation française dont Laveran, Léon Perdrix, Élie Metchnikoff, Eugène Gabritchewsky, et Edmond Nocard. Ces résultats eurent un impact considérable. Le journal parisien « Le 356
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Petit Journal » publia en première page une gravure d’Émile Roux sauvant un enfant (24 septembre 1894) (figure 74). Le quotidien « Le Figaro » se fit également l’écho de ce succès et lança un appel aux dons. Le journal récolta plus d’un million de francs qui contribuèrent à financer la recherche. Les dons variaient de quelques francs donnés par des personnes modestes à 20 000 francs donnés par le baron Edmond de Rotschild, 50 000 F donnés par la ville de Paris, 10 000 F par la ville de Marseille, 1 000 F par les Grands Magasins du Louvre, 500 F par les magasins du printemps. La célèbre actrice Sarah Bernardt leva également des fonds pour l’Institut Pasteur, en offrant une centaine de places aux enchères au théâtre de la Renaissance, pour sa première de Gismonda, un mélodrame en quatre actes de Victorien Sardou. L’efficacité de la sérothérapie pasteurienne fut associée à la mise en œuvre par Roux d’écuries pouvant accueillir de très nombreux chevaux nécessaires pour la préparation en très grande quantité d’immunsérums. Parmi les héros de la sérothérapie, citons Balto (1919-1933), un chien de traîneau de race husky sibérien. En janvier 1925, la diphtérie surgit à Nome, une petite bourgade isolée d’Alaska. Le seul médecin local disposant de flacons périmés ne put sauver les premiers enfants. Des immunsérums étaient disponibles à Anchorage, à 1 600 kms de là. En raison des conditions météorologiques et de la tempête de neige qui régnaient, il était impossible de les acheminer par voie aérienne. Aussi, on achemina les antisérums par train d’Anchorage à Nenana puis on affréta des traineaux tirés par des équipages de huskies se relayant sur 1 080 kms. À la tête du dernier relais se trouvait Balto sous la conduite du musher Gunnar Kaasen (1882-1960). Au total, cinq jours et demi furent nécessaires, un record, mais les immunsérums salvateurs arrivèrent à bon port pour traiter avec succès les dizaines d’enfants atteints par la diphtérie. Balto a depuis sa statue dans Central Park à New York. Behring et Kitasato avait simultanément démontré la valeur de la sérothérapie pour les cas de tétanos. En France, c’est Louis Vaillard (1850-1935) qui joua un rôle important dans la prévention du tétanos. 357
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Figure 74 | Émile Roux à la une du « Petit Journal » du 24 septembre 1894 combattant le croup (la diphtérie) à l’aide des immunsérums. Crédit : Institut Pasteur / Musée Pasteur.
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Né à Montauban, Vaillard fut élève à l’École du Service de Santé militaire à Strasbourg avant de finir ses études au Val-de-Grâce. Il fut alors affecté à la garnison de Bordeaux puis il participa à la campagne de Tunisie. Il fut nommé en 1883, professeur agrégé du Val-de-Grâce pour la chaire des Maladies et Épidémies des Armées et y fonda le premier laboratoire militaire de Bactériologie, destiné spécialement aux analyses des eaux. Il souhaitait alors entrer en relation avec l’École de Pasteur. Assez peu encouragé d’abord, il s’obstina avec douceur, jusqu’au jour où Roux, convaincu qu’il avait devant lui une force, une volonté et une belle intelligence, lui ouvrit les portes du laboratoire de la rue d’Ulm. Dès 1884, Vaillard créa un enseignement théorique et pratique de la microbie au Val-de-Grâce dont il assura la direction à partir de 1908. Faisant partie du Conseil d’administration de l’Institut Pasteur, il garda des liens forts avec les pasteuriens. Si importants que soient les travaux de Vaillard dans le domaine de l’hygiène publique, ce sont avant tout ses travaux de bactériologie qui lui ont assuré sa notoriété. Il montra que le tétanos est causé par la toxine seule : si, en effet, on inocule à l’animal des spores complètement débarrassées de toxine par lavage prolongé ou par chauffage, même en quantités considérables, elles ne se développent pas et demeurent inoffensives, contribuant ainsi à élucider la pathophysiologie du tétanos. Vaillard se tourna ensuite vers l’immunisation expérimentale. Après bien des essais, il trouva dans les injections de toxine iodée une bonne méthode de vaccination, mise en pratique pour l’obtention de sérums spécifiques, dont il reconnut le pouvoir antitoxique. En 1893, avec Émile Roux, Vaillard consacra un mémoire à l’étude du sérum antitétanique, dont il fit connaître le mode de préparation, démontra expérimentalement les propriétés préventives chez l’animal, et conseilla son emploi tant chez le cheval que chez l’homme120. La préparation de sérums de cheval fut proposée en 1897 par Edmond Nocard (1850-1903), un vétérinaire qui avait travaillé auprès de Pasteur et qui fut directeur de l’école vétérinaire 120. Adapté de la notice nécrologique de Louis Vaillard (1850-1935), par Ernest Sacquépée (1874-1944) lue devant l’académie de médecine le 9 avril 1935. 359
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de Maison Alfort. L’Institut Pasteur joua un rôle clé dans la préparation des sérums anti-tétaniques durant la première guerre mondiale. En août 1914, il y avait 300 chevaux qui permettaient la préparation de 80 000 ampoules par mois ; en avril 1918, il y avait 1 462 chevaux qui rendaient possible la préparation de 600 000 ampoules. Aux USA, Theobald Smith (1859-1934), professeur de pathologie comparée à l’Université de Harvard et directeur du « Massachusetts State Antitoxin and Vaccine Laboratory » entreprit de nombreuses études pratiques et théoriques sur la production d’antitoxines contre le tétanos et la diphtérie. Sous son administration, la production d’antitoxine diphtérique passa de 1 700 à 33 000 doses en 4 ans. Les décès humains furent réduits de 25 à 11 % au cours de la première année. Smith estima qu’au cours des sept premières années de diffusion de l’antitoxine, 10 000 vies avaient été sauvées grâce à son utilisation. Mentionnons enfin le développement d’un sérum de cheval anti-pesteux mis au point par Alexandre Yersin, Émile Roux, André Borrel, et Albert Calmette. En 1896, lors d’une épidémie de peste en Chine, Yersin se rendit à Canton et traita et sauva de nombreux patients. La sérothérapie fit son grand retour au cours de la crise sanitaire du COVID-19, en utilisant du plasma de sujets convalescents. Certaines études un peu contradictoires conclurent à une diminution des pathologie respiratoires sévères, mais pas à une amélioration des signes cliniques chez les patients hospitalisés. La technologie des anticorps monoclonaux fut également proposée (Bamlanivimab, Imdevimab, casirivimab), et l’association de deux d’entre eux (Ronapreve®) s’avéra d’un intérêt majeur pour traiter les patients immunodéficients. Malheureusement l’arrivée du variant omicron allait rebattre les cartes dans la mesure où ce variant n’est pas reconnu par la majorité des anticorps monoclonaux. Si de tels anticorps aidèrent peut-être Trump à sortir rapidement de l’hôpital lorsque, faute de porter un masque, il attrapa le COVID-19, cette approche pour le commun des mortels resta limitée en raison de sont coût très élevé. Après la sérothérapie qui se présente comme une approche thérapeutique, il est temps de mettre en place une véritable prévention de la 360
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maladie par la vaccination. C’est ce à quoi va s’atteler Gaston Ramon (figure 75), un vétérinaire recruté sur le site de Garches où sont installées les écuries de l’Institut Pasteur. En 1923, il inactiva par la chaleur la toxine diphtérique et la traita avec du formol. Il en résulta ce qu’il appela l’anatoxine, une molécule dépourvue de pourvoir toxique mais ayant conservé son pouvoir immunogène121. La vaccination antidiphtérique était née. La même année, Alexander Thomas Glenny (1882-1965) qui travaillait au « Wellcome Research Laboratories » à Beckenham (Kent) mit au point ce qu’il appela le toxoïde diphtérique, qui était uniquement traité par le formol. Mais pour vacciner il fallait y ajouter des anticorps anti-toxine et donc l’anatoxine de Ramon devint le véritable vaccin universel. En 1926, Ramon fit une nouvelle découverte essentielle dans le domaine de la vaccination. Il découvrit en suivant la vaccination de ses chevaux que les taux d’anticorps étaient toujours plus élevés s’il y avait eu un abcès au site de l’injection. Il réalisa alors qu’une réaction inflammatoire était requise pour amplifier la réponse immunitaire. Il venait de découvrir les adjuvants. Celui qu’il utilisa, le tapioca, restera anecdotique tant dans le domaine vaccinal que dans le domaine gastronomique. Les adjuvants, c’est ce que Charles Janeway (1943-2003), un brillant immunologiste américain qui aurait eu le prix Nobel pour ses travaux sur l’immunité innée s’il n’était pas décédé trop tôt, appelait « le sale petit secret des immunologistes ». Il remettait en question la définition même de l’immunologie que serait la capacité du système immunitaire à distinguer entre le soi et le non-soi. Si tel était le cas, pourquoi diable, faudrait-il alors des adjuvants pour favoriser la réponse immunitaire lors de la vaccination ? Ramon qui ne fut directeur de l’Institut Pasteur que quelques mois en 1940, reçut 155 nominations pour le prix Nobel, ce qui le place à la première place des scientifiques nominés mais jamais nobélisés. Le second dans cette catégorie est un autre pasteurien, Émile Roux avec 115 nominations. Le principe de l’anatoxine fut également 121. Ce dit d’une substance capable d’induire une réponse immunitaire. 361
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Figure 75 | On doit à Gaston Ramon (1886-1963), à gauche, vétérinaire à l’Institut Pasteur le concept d’anatoxine qui permit de mettre en place un vaccin contre la diphtérie. Christian Zoeller (1888-1934), à droite, médecin militaire, fit de même pour le tétanos. Ramon élabora également le concept d’adjuvant qui permet d’amplifier l’efficacité d’un vaccin. Crédit : Institut Pasteur / Musée Pasteur.
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appliqué en 1925 à la toxine tétanique par un jeune vétérinaire de l’annexe de l’Institut Pasteur de Garches, Pierre Descombey (18951930) qui devait décéder très jeune, accidentellement. Les travaux d’abord menés chez le cheval par Descombey furent poursuivit chez l’Homme par Ramon et Christian Zoeller (1888-1934) (figure 75), un médecin militaire au Val de Grâce. Tous deux proposèrent par la suite d’associer les deux anatoxines tétanique et diphtérique en une seule vaccination avant d’y associer le vaccin contre la typhoïde, une approche vaccinale particulièrement efficace et pratique au sein des armées. LES VACCINS CONTRE LE CHOLÉRA ET LA PESTE La peste et le choléra ont régulièrement interféré dans la vie de nombreuses générations quel que soit leur pays d’appartenance. L’idée de mettre au point un vaccin contre ces épidémies était donc dans tous les esprits, et soutenue par de nombreux États. C’est ainsi que Jaume Ferran (1852-1929) (figure 76), médecin et bactériologiste catalan, fut envoyé par la mairie de Barcelone à Marseille dans le cadre d’une commission d’enquête afin d’étudier le choléra présent dans cette ville en 1884. Jaume Ferran, fils d’un médecin, fit ses études médicales à Barcelone et exerça à Tortosa, s’enthousiasmant pour la bactériologie. Il fut nommé directeur du laboratoire municipal de bactériologie de Barcelone en 1886, et consacra sa vie à définir des approches prophylactiques contre la diphtérie, la peste, la tuberculose, le tétanos, le typhus et la rage. Après Marseille, il se rendit seul à Toulon, où l’épidémie sévissait également pour poursuivre ses investigations. De retour au pays, à Tortosa, il se consacra pleinement à la recherche sur le choléra. Après de multiples expériences sur des animaux, il découvrit enfin le vaccin capable d’immuniser l’Homme contre le bacille cholérique. Il le testa sur lui-même, son épouse et trente-cinq autres personnes qui ingérèrent le vaccin non sans quelques effets : « Plus fréquemment, ce sont des frissons plus ou moins accentués ; lassitude générale ; lourdeur de tête ; envie de vomir ; 363
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et fièvre. Tous ces symptômes, en apparence si effrayants, cessent au bout de vingt-quatre à trente-six heures sans qu’on ait besoin de recourir à la thérapeutique ». Le gouverneur de Valence, impressionné par ses résultats l’invita dans sa région où sévissait le choléra et il put réaliser plus de 30 000 vaccinations. Sans surprise Jaume Ferran fut en proie aux critiques. Pasteur lui écrivit : « Vous êtes en butte à la raillerie des uns, à l’hostilité des autres, à l’engouement d’un grand nombre… Ce qu’il faut savoir avant tout, c’est si vous prévenez le choléra chez les personnes inoculées… Si mystérieuse est encore la question des virus atténués et des vaccinations que personne n’est autorisé à vous jeter la pierre par idée préconçue et par raisonnement a priori. Les faits seuls doivent être invoqués pour juger votre méthode ». Une mission scientifique d’enquête fut envoyée en Espagne par le ministre français du Commerce, présidée par le Dr. Paul Brouardel, l’ami de Pasteur qui témoigna à décharge dans l’affaire Rouyer contre Pasteur. Le 5 juillet 1885, la commission rendit son rapport après ses trois jours d’enquête. On peut en particulier y lire le fruit de leur investigation : « Dès notre arrivée à Valence, le 30 juin au matin, nous nous sommes rendus chez M. Ferran. Nous lui avons remis la lettre de M. Pasteur ; après l’avoir lue, M. Ferran nous a déclaré : 1° Qu’il refusait de faire connaître le procédé qu’il emploie pour obtenir l’atténuation du virus cholérique ; 2° Qu’il autorisait la Commission à examiner dans son laboratoire, son liquide vaccinal, mais qu’il s’opposait à ce qu’une seule goutte sortît de ce laboratoire et fût emportée au dehors […] Il nous demanda enfin de proposer à M. le Ministre du Commerce de France de traiter avec lui des conditions dans lesquelles il pourrait lui livrer son secret. Nous refusâmes naturellement de nous charger d’une semblable commission. […] Le laboratoire que nous avons visité, manque de toutes les matières colorantes habituelles ; M. Ferran, qui décrit au point de vue morphologique des choses si extraordinaires, dédaigne les colorations, dont cependant tous les microbiologistes sans exception 364
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Figure 76 | La presse se fit l’écho de la mise au point en Espagne du vaccin contre le choléra par Jaume Ferran (1852-1929) (L’illustration, 25 juillet 1895), mais une commission d’enquête présidée par Paul Brouardel (1837-1906) conclut à l’absence de valeur du dit vaccin. Crédit : Institut Pasteur.
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reconnaissent l’utilité. Aucun des arguments invoqués en faveur de cette doctrine ne résiste à la critique ; la preuve de la valeur prophylactique des inoculations anticholériques pratiquées par M. Ferran n’est donc pas faite ». En Espagne également, une certaine perplexité surgit suite à l’implication de Santiago Ramón y Cajal (1852-1934) (figure 77) et à ses critiques. Ce dernier, avait servi comme officier médical dans l’expédition de l’armée espagnole à Cuba en 1874-75, où il contracta le paludisme et la tuberculose. Passionné d’anatomie depuis le plus jeune âge, il occupait alors un poste de professeur dans cette discipline à l’université de Valence quand survint l’épidémie. Mettant en pause ses études d’histologie, il se transforma en microbiologiste. Il cultiva le germe du choléra, et collabora initialement avec Ferran à qui il fournit des cultures bactériennes. En 1885, l’épidémie s’étendit à l’Aragon et Ramón y Cajal partit s’installer à Saragosse. Là, ses expériences de vaccination sur le cobaye et le lapin à l’aide de germes tués par la chaleur, en faisant varier les sites d’injection (sous-cutanée, intra-péritonéale, hypodermique) l’amenèrent à s’interroger sur la réelle valeur protectrice du vaccin de Ferran et à proposer sa propre approche préventive. Il publia avec les hospices provinciaux une monographie en 1885 qui resta relativement confidentielle. Il déclara amer122 : « Inutile de dire que ces modestes contributions théoriques et expérimentales sont passées inaperçues auprès des bactériologistes de Paris et de Berlin. C’était en effet des temps très durs pour les chercheurs espagnols. Nous avons dû lutter à la fois contre le préjugé universel de notre manque de culture et contre notre radicale indifférence face aux grands problèmes biologiques ». Estimant que la bactériologie était une science luxueuse qui nécessitait des appareillages coûteux et un grand nombre d’animaux d’expérience, il revint à ses premiers amours, à son microtome et à son microscope pour poursuivre avec succès ses l’études du système 122. Ramón S, Junquera C. Ramón y Cajal, microbiologist. Int Microbiol. 2000; 3: 59-61. 366
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Figure 77 | Avec moins d’emphase que Jaume Ferran, Santiago Ramón y Cajal (18521934) mit aussi au point un vaccin contre le choléra. Portrait par Joaquín Sorolla y Bastida, 1906.
nerveux qui lui valurent de partager avec Camillo Golgi le prix Nobel en 1906. L’expert mandaté par la Russie, Ivan Filippovich Rapchevsky (1855-1939), en charge de l’enseignement de bactériologie à SaintPétersbourg, se rendit en Espagne et jugea le vaccin de Ferran, non seulement d’aucune utilité, mais dangereux pour la santé publique. Malgré ces regards fort critiques, bien des années plus tard, en 1907, l’Académie des Sciences Française décerna un prix à Ferran. Ce prix avait été instauré par Jean-Robert Bréant (1775-1850), chimiste français ayant introduit plusieurs perfectionnements en métallurgie, concernant l’affinage des cloches, les alliages riches en étain et cuivre, les aciers damassés, et l’extraction du platine. Il fut le premier à confectionner des lingots de platine, et fit fortune grâce à cette spécialité. Dans sa séance du 21 juin 1852, l’Académie des sciences acceptait le legs de Bréant : « J’institue et donne après ma mort, pour 367
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être décerné par l’Institut de France, un prix de cent mille francs à celui qui aura trouvé le moyen de guérir du choléra asiatique ou qui aura découvert les causes de ce terrible fléau ». Notons que Ferran fut honoré pour des travaux sur la longévité de culture de Vibrio cholerae, mais nullement pour ses approches vaccinales. Ce prix avait été remis à Nikolaï Gamaleïa dès 1888 pour ses efforts à développer un vaccin testé initialement chez le pigeon et le cobaye, et ultérieurement chez le chien et le rat. Ce même Gamaleïa, soutenu par Pasteur pour l’attribution du prix, s’était abstenu de mentionner les travaux de Ferran, et ce dernier l’accusa de plagiat. Le prix Bréant fut également remis en 1909 à Waldemar Haffkine (1860-1930) (figure 78). Haffkine est au xixe siècle ce qu’est Katalin Kariko au xxie siècle, ceux par qui arrive la meilleure façon de s’opposer aux épidémies et au pandémie : la vaccination. Car le véritable vainqueur de la course au vaccin anti-cholérique, ce fut bien lui. Né à Odessa, troisième enfant d’une famille de six, son père est un enseignant dans une école juive et il perd sa mère alors qu’il n’a pas encore sept ans. Il suivit des études de zoologie dans cette même ville. Il s’intéressa à l’étude des protozoaires, sous la direction de Metchnikoff et obtint son diplôme de docteur en sciences en zoologie en 1884. Il travailla comme assistant au musée de Zoologie de la ville d’Odessa. Il milita dans les rangs du mouvement révolutionnaire Narodnaia Volia (la volonté du peuple), et face à la vague d’antisémitisme, devint un membre actif de la ligue d’autodéfense d’Odessa et un leader étudiant surveillé de près par la police. Il fut arrêté par la police en possession d’un pistolet. De nouveau, en février 1882, il fut emprisonné, à la suite d’un affrontement avec des cadets de l’armée ; il ne dut sa libération qu’à l’intervention de Metchnikoff. Suite à l’assassinat du Tzar Alexandre II, des rumeurs coururent sur la responsabilité des Juifs et des pogroms furent organisés. Se voyant privé de poste dans l’enseignement en raison de sa religion, il quitta alors la Russie pour se rendre en Suisse, où il enseigna quelque temps la physiologie à l’université de Genève. En 1890, il rejoignit son maître Metchnikoff 368
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Figure 78 | Waldemar Haffkine (cercle de gauche) travailla à l’Institut Pasteur au sein de l’équipe d’Élie Metchnikoff (cercle de droite) en 1890 avant de mettre au point un vaccin contre le choléra et de vacciner les populations en Indes, ici à Calcutta, où sévissaient de telles épidémies. Crédit : Institut Pasteur / Archives Elie Metchnikoff.
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à l’Institut Pasteur où il retrouva autour du maître un grand nombre de ses compatriotes. Il occupa les fonctions d’aide bibliothécaire, avant que Roux ne le prenne comme préparateur au cours de microbiologie. En juillet 1892, Haffkine publia la mise au point de son vaccin anticholérique. Il consistait en trente-neuf passages successifs des germes dans des cobayes afin d’obtenir une culture de vibrions hautement virulents. L’atténuation était alors effectuée par la chaleur et le vaccin anti-cholérique ainsi obtenu protégeait pigeons et lapins d’une injection létale de germes du choléra. Fort de ce beau résultat expérimental, Haffkine expérimenta son vaccin sur lui-même et sur trois de ses connaissances émigrées à Paris, le Dr. Georgi Yaveyn de St Pétersbourg, le Dr. Georgi Tomamcheff de Tiflis (Géorgie) et Ivan Vilbouchevitch (Ingénieur Agronome à Moscou). L’inoculation induisait de la fièvre, des douleurs au site d’injection disparaissant les jours suivants. Ses travaux eurent un grand retentissement d’autant que le choléra sévissait alors à Paris : soixante-dix-huit morts en juillet 1892, deux-cent-onze en août, cinq cent trente-quatre en septembre, certes bien inférieurs aux 18 402 morts de 1832 ou les 19 615 morts de 1849. Le célèbre bactériologiste, Ernest H. Hankin, que nous avons déjà croisé sur les bords du Gange, testa aussi le vaccin d’Haffkine et en fit un écho très favorable dans le British Medical Journal123. Ses travaux lui valurent la considération de Joseph Lister qui le qualifia de « sauveur de l’humanité », et la presse généraliste s’enthousiasma comme le New York Herald qui prit fait et cause pour le vaccin d’Haffkine contre le celui de Ferran. En Russie, une épidémie faisait aussi des ravages. Roux et Pasteur écrivirent au prince Alexandre Petrovitch d’Oldenbourg (18441932), membre de la famille impériale russe, en charge des affaires scientifiques du pays, pour lui proposer l’introduction du vaccin de Haffkine. Mais le gouvernement russe refusa l’offre, s’appuyant sur 123. Hankin ER. Remarks on Haffkine’s methods of protective inoculation against cholera. Brit. Med. Journal. 1892. 370
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les échecs qu’avait connu Ferran en Espagne en 1885. Bien entendu, le refus n’était pas d’ordre scientifique, mais purement politique, le protégé de Pasteur, avait un passé bien trop sulfureux. En 1892, 433 643 cas de choléra et 215 157 morts furent à déplorer en Russie. Frederick Hamilton Temple-Blackwood, alias Lord Dufferin (1826-1902), vice-roi des Indes de 1884 à 1888, alors ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris, offrit à Haffkine la possibilité de mettre en pratique l’usage de son vaccin à grande échelle. Lord Dufferin intervint auprès des autorités anglaises en Inde pour que des facilités soient offertes à Haffkine afin qu’il y continue ses travaux sur le choléra. Après un séjour à Londres, où il donna une série de conférences, il partit s’installer à Calcutta qu’il atteignit en mars 1893. À bord du navire, il eut l’occasion de vacciner le chirurgien capitaine, qui fut convaincu que l’inconfort à la suite de la vaccination était trivial par rapport au bénéfice de la vaccination. Haffkine organisa deux années durant (1893-94), une campagne de vaccination anticholérique dans diverses régions de l’Inde, et parvint à faire reculer de manière significative le taux de mortalité. Dans un des villages visités, sur 335 personnes non vaccinées, il y eu 45 cas de choléra et 39 décès tandis que sur les 181 vaccinés, il n’y eu que 4 cas et 4 décès. Après Calcutta, il se rendit à Danapur, Lucknow, Agra et Bombay. Il vaccina 42 197 personnes non seulement au sein des populations civiles dans 98 localités, mais aussi au sein de soixante-quatre régiments des troupes britanniques et indiennes. Trente mille personnes supplémentaires au Bengal et d’autres régions comme Bombay, furent vaccinées entre 1895 et 1896. Haffkine est reconnu comme un pionnier, le premier scientifique à avoir mis en place sur le terrain, le principe d’essai contrôlé contre témoin, à savoir comparer la survenue du mal au sein d’un groupe d’individus vaccinés par rapport à un groupe non-vacciné. Une approche rendue populaire lors de la présentation des essais des vaccins contre le COVID-19. Ses résultats, reflétèrent sans doute la qualité des différentes préparations vaccinales et le temps après l’inoculation. Le taux de protection atteignit 371
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91 % de protection lors d’une étude menée à Calcutta (1894-96), mais fut rapporté comme nul au-delà du 416e jour après la vaccination. Les études menées dans les prisons de Gaya et Durbhanga révélèrent un taux de protection de l’ordre de 59,5-61,6 %, et les vaccinations de populations dans l’État du thé de Cachar aboutirent à un taux de protection de 83,3 %124. En 1896, en Allemagne, les Professeurs Koch, Pfeiffer et Kolle inoculèrent un grand nombre d’étudiants avec le vaccin d’Haffkine et démontrèrent le pouvoir bactéricide du sérum des personnes inoculés, 200 fois le pouvoir d’un sérum de sujet ordinaire. Une rencontre entre Haffkine et Koch eut lieu en 1897 aux Indes, à Daman. À défaut d’un selfie, ce fut une photographie très officielle qui fut prise avec, assis côte à côte, le disciple pasteurien et le maître incontesté de la bactériologie allemande. Mais il restait un dernier défi à relever pour Haffkine. Revenu en Europe après avoir contracté le paludisme, le gouvernement des Indes l’invita à se rendre à Bombay pour étudier l’épidémie de peste bubonique qui venait d’y éclater. Il installa un modeste laboratoire dans un corridor du Grant Medical College, où il travailla avec acharnement pour développer un vaccin antipesteux, composé de germes tués par la chaleur. Après l’avoir testé sur des lapins puis sur lui-même, en 1897, il testa son vaccin sur 154 prisonniers volontaires lors d’une épidémie dans la prison de Byculla (près de Bombay). Parmi les vaccinés, trois décédèrent le jour même de l’inoculation et tous les autres survécurent tandis que l’on compta 9 décès dans le groupe témoin non-vacciné. Il se rendit de village en village pour mener à bien sa tâche de vaccinateur, et vaccina 11 362 personnes en trois mois et n’eut à déplorer la mort que de douze d’entre eux, la majorité déjà infectés au moment de la vaccination125. En 1899, il présenta ses résultats obtenus lors de 124. Bornside GH. Waldemar Haffkine’s Cholera Vaccines and the FerranHaffkine Priority Dispute. J Hist Med Allied Sci. 1982; XXXVII: 399-422. 125. Haffkine WM. Remarks on the plague prophylactic fluid. Brit. Med. J. 1897; 1461-2. 372
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ses campagnes de vaccinations contre le choléra et la peste, devant la Royal Society à Londres présidée par Joseph Lister. Il obtint sa naturalisation anglaise, et la même année il fut nommé directeur du nouveau Plague Research Laboratory, installé à Bombay, dans un immeuble offert par le sultan Muhammad Shah Aga Khan III, et dont les recherches furent financées par de riches citoyens de la ville. Survint alors en 1902, la tragédie de Mulkowal dans le Penjab. Après la vaccination contre la peste de 107 villageois, dix-neuf d’entre eux moururent du tétanos. Mis à pied, il décida de revenir en Europe pour plaider sa cause. Il dut attendre cinq ans avant d’être disculpé par une commission d’enquête. Un de ses ardents défenseurs fut Sir Ronald Ross (1857-1932) médecin de l’Armées des Indes, Prix Nobel 1902 pour avoir découvert le rôle des moustiques Anophèles dans la transmission du paludisme. Finalement, le 2 février 1907, The Lancet publia les résultats de l’enquête qui le disculpait complètement. Lors de la vaccination des villageois, un assistant avait laissé tomber à terre un flacon de vaccin. Mal désinfecté et réutilisé pour la vaccination, cet incident fut à l’origine de la contamination par les germes du tétanos. Son honneur rétablit, Haffkine retourna aux Indes pour diriger un laboratoire de biologie à Calcutta. Il avait été fait Compagnon de l’Ordre de l’Empire Indien, et en 1925, à la demande du gouvernement de Bombay, l’ancien Plague Research Laboratory, devenu The Bombay Bacteriological laboratory reçut, le nom d’Haffkine Institute. En juin 2021, le gouvernement local enjoignait le Haffkine Institute de produire le vaccin anti-SARS-CoV-2 (Covaxin, un vaccin à virus inactivé contre le COVID-19) conçu par la société indienne Bharat Biotech. L’antériorité et la paternité du vaccin anti-cholérique furent longuement débattues entre Ferran et Haffkine dans des textes publiés par les deux protagonistes, Ferran arguant que les innovations de Haffkine étaient futiles. Si selon Auguste Chauveau l’idée revient à Ferran, il est aujourd’hui bien démontré que Haffkine fut celui à qui l’on doit la démonstration d’une vaccination effective. 373
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DES GERMES ENTIERS À L’ARN MESSAGER L’usage de germes atténués ou tués comme base de la vaccination a donc émergé très tôt avec les travaux de Toussaint et de Pasteur. Cette approche demeure d’actualité puisque certains des vaccins antiCOVID-19 consistent en des virus du SARS-CoV2 entiers inactivés (en particulier ceux produits par Sinopharm, Chine ; Sinovac, Chine ; Bharat Biotech, Inde). Très longtemps, l’approche vaccinale de la fièvre typhoïde directement issue des travaux de la fin du xixe siècle, fut également à base de germes atténués. Si un tel vaccin par voie orale est toujours proposé, un vaccin composé de fragments de salmonelles typhiques est désormais disponible. Selon l’OMS, la fièvre typhoïde continue à affecter entre 11 et 20 millions de personnes tous les ans, particulièrement en Asie, en Afrique et en Amérique Latine, et est responsable d’environ 150 000 morts par an. Une fois encore c’est l’école allemande qui jeta les bases de la compréhension de cette infection et identifia les Salmonelles comme l’agent pathogène. Les travaux précurseurs de Karl Joseph Eberth (1835-1926), pathologiste et bactériologiste, professeur à l’Université de Halle-Wittenberg qui découvrit le germe (1880), furent confirmés l’année suivante par Edwin Klebs (1834-1913) un microbiologiste prussien qui exerça successivement à Berlin, Bern, Würzburg, Prague, et Zürich, et à qui, la bactérie nommée Klebsiella rend hommage. Après avoir consacré des années à l’amélioration des méthodes de culture du bacille, en 1884, Georg Theodor Gaffky (1850-1918) obtint des cultures pures du germe. Gaffky travaillait auprès de Koch à Berlin, l’accompagna dans son expédition à Alexandrie à la recherche du vibrion cholérique et figura également sur la fameuse photo prise en Indes auprès de Koch et Haffkine. Gaffky fut le directeur de l’Institut des maladies infectieuses de Berlin de 1904 à 1913. Le relai est alors pris par l’école française pour l’élaboration d’un premier vaccin contre la fièvre typhoïde. Le pasteurien André Chantemesse (1851-1919), que nous avons déjà croisé sur le front de la lutte contre le choléra et comme successeur de Grancher, et le Dr. Fernand Widal (1862-1929) qui 374
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exerçait à l’hôpital Cochin conjuguèrent leurs efforts pour proposer d’une part une sérothérapie contre la fièvre typhoïde et d’autre part une approche vaccinale. Pour se faire, ils préparèrent une culture de Salmonelles, séparèrent le surnageant qu’ils chauffèrent et utilisèrent lors d’une première injection, tandis que la deuxième injection consistait en des germes tués par la chaleur. Ainsi traitée, ils montrèrent que la souris résistait alors à une injection létale de germes (1888). Ce n’est que huit ans plus tard que les Allemands reprirent la main, et Richard Pfeiffer (1858-1945) et Wilhelm Kolle (1868-1935) qui travaillaient alors auprès de Koch à Berlin démontrèrent que l’inoculation avec des germes typhoïdes tuées entraînait chez l’Homme une immunité contre la fièvre typhoïde126. La même année (1896), Sir Edward Almroth Wright (1861-1947), alors professeur de pathologie et exerçant au sein de l’hôpital militaire de Netley à côté de Southampton rapporta que l’injection de germes inactivés à un cheval, et à un officier du « Indian Medical Service » induisait une immunité contre la fièvre typhoïde. L’année suivante, il étendit son observation à 18 officiers médicaux dont lui-même, mentionnant néanmoins quelques effets secondaires déplaisants après l’injection127 ! En 1911, Metchnikoff et Besredka, cherchèrent à identifier le meilleur modèle animal pour étudier la fièvre typhoïde pour y expérimenter un vaccin protecteur. Après avoir démontré sur une dizaine de cobayes, une vingtaine de lapins et une cinquantaine de macaques que ces animaux n’étaient pas appropriés, c’est grâce à Clément, Nestor, Jules, Benoite, Justine, Odette, Hedwige et bien d’autres chimpanzés que nos deux pasteuriens établir la pertinence de cette espèce animale pour mener à bien leurs études. Le bénéfice de la vaccination contre la fièvre typhoïde fut démontré à l’aube de la première guerre mondiale. Bien 126. Pfeiffer R, Kolle W, Experimentelle untersuchungen zur frage der schutzimpfung des menschen gegen typhus abdominalis. Deutsche Medizinische Wochenschrift. 1896; 22: 735-7. Wright AE. On the association of serous haemorrhages with conditions of defective blood-coagulability. Lancet. 1896; 2: 807-9. 127. Wright AE, Semple D. Remarks on vaccination against typhoid fever. Br Med J 1897; 1 : 256-9. 375
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que la vaccination contre la typhoïde ne fût pas obligatoire au sein des troupes britanniques, plus de quarante-cinq pour cent des soldats arrivèrent vaccinés sur le continent. Au début du conflit, parmi les vaccinés on dénombra 247 cas ayant entrainé le décès de 2 soldats, alors que parmi les non-vaccinés il y eu 359 cas et 48 morts. À l’inverse au sein des armées française et allemande, la vaccination n’était pas de mise, et au début du conflit la France perdit 125 000 hommes avec une incidence de 1,5 % tandis que l’Allemagne déplora 112 000 morts et une incidence de 1,2 %. Hyacinthe Vincent (1862-1950), médecin-général, microbiologiste et épidémiologiste à l’Hôpital du Val de Grâce convainquit le Haut Commandement de vacciner les hommes de troupe. Ceci fut initié en novembre-décembre 1914 et les courbes de mortalité s’effondrèrent. Le 3 juin 1915, Les Drs. Chantemesse, Widal et Vincent reçurent le prix Osiris pour la découverte du vaccin anti-typhoïde et la mise en œuvre de la vaccination. On se souvient du triste échec de Koch à développer un traitement préventif ou curatif de la tuberculose dont il avait identifié le germe. À l’institut Pasteur de Lille, créé en 1899 par Albert Calmette qui en assurait la direction, travaillait auprès de lui, Camille Guérin (1872-1961) (figure 79), un vétérinaire formé à l’école vétérinaire de Maisons-Alfort, élève d’Edmond Nocard. À Lille, la tuberculose sévissait tout particulièrement au sein de la population défavorisée. On estimait, pour 220 000 habitants le nombre de cas à 6 000, et chez les enfants de 0 à 1 an la tuberculose représentait 30 % des décès128. Ils s’attachèrent d’abord à partir de 1908 à définir les conditions optimales de culture du bacille tuberculeux en utilisant un milieu à base de pommes de terre cuites dans de la bile de bœuf glycérinée à 5 %. Puis ils étudièrent le bacille de la tuberculose bovine (Mycobacterium bovis) qui leur fut fourni par Nocard. En 1911, en effectuant des expériences sur deux cents cobayes, dix-huit génisses, une vache et un veau, ils démontrèrent que le bacille tuberculeux d’origine bovine, cultivé 128. Bégué P. Albert Calmette : à propos du 150e anniversaire de sa naissance. Bull. Acad. Natle Méd. 2013; 197(7): 1475-84. 376
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en séries successives (33 passages) perdait graduellement son pouvoir pathogène et acquérait des propriétés biologiques particulières qui permettaient de l’utiliser pour conférer aux cobayes et aux bovins une résistance manifeste aux infections virulentes. Leur surprise fut que les immunsérums des animaux ainsi vaccinés ne possédaient aucun pouvoir protecteur (en accord avec la connaissance actuelle de ce vaccin qui aboutit à une immunité cellulaire et non humorale). En 1913, ils réitérèrent leurs travaux et montrèrent chez deux génisses vaccinées la capacité de ces animaux à résister à une inoculation par des germes virulents de la tuberculose humaine tandis que Besredka les assurait de l’absence de virulence chez le singe. Le 16 mars 1914, Albert Calmette fut confronté à un drame familial. Son frère ainé, Gaston Calmette (1858-1914), journaliste et directeur du Figaro fut assassiné par Henriette Caillaux qui déchargea sur lui les 6 coups de son révolver Browning automatique. Il s’agissait de la seconde épouse du ministre des Finances Joseph Caillaux. Face aux publications hostiles que le Figaro avait déjà publiées, s’appuyant sur plusieurs correspondances privées du ministre, elle craignait que le journal ne publiât une lettre qui prouvait qu’elle était déjà la maîtresse du ministre alors qu’il était encore avec sa première femme. Son avocat plaida le crime passionnel, et Mme Caillaux fut acquittée le 28 juillet 1914. Sans doute la pression de l’intelligentsia politicienne, les sympathies politiques de certains jurés, la promotion au grade de commandeur de la légion d’honneur du procureur quelques jours avant le procès, les liens d’amitiés entre le président de la cour d’Assise et la famille Caillaux, ne furent pas étrangers à cette décision. Mais bientôt un autre assassinat allait bouleverser la vie de l’ensemble des Français, celui du prince François-Ferdinand d’Autriche et son épouse la Duchesse de Hohenberg, déclenchant une cascade d’évènements qui amenèrent l’Allemagne à déclarer la guerre à la France le 3 août 1914. Après une semaine de siège, les troupes allemandes entrèrent dans Lille. L’occupation de Lille par l’armée allemande durant la première guerre mondiale retarda significativement 377
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la progression des travaux de Calmette et Guérin. En janvier 1918, Émilie, l’épouse de Calmette, comme vingt-cinq autres conjointes de personnalités, fut prise comme otage et déportée en Allemagne au camp de Holzminden près de Brunswick129. Elle fut libérée en juillet 1918 dans un piètre état de santé. De son côté, Guérin perdait en 1918 son épouse suite à une méningite tuberculeuse.
Figure 79 | Camille Guérin (1872-1961), à gauche, et Albert Calmette (1863-1933), à droite, mirent au point le vaccin contre la tuberculose qui porte leurs noms : BCG (Bacille Calmette Guérin). Crédit : Institut Pasteur de Lille.
En 1919, Émile Roux nomma Calmette et Louis Martin à la sousdirection de l’Institut Pasteur de Paris et Calmette s’installa dans la capitale, tandis que Guérin demeurait à Lille. Calmette constitua ex 129. Simonet M. Albert Calmette, le père de la sérothérapie antivenimeuse et de la vaccination antituberculeuse. Rev Biol Méd. 2019; 349: 43-54. 378
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nihilo un laboratoire de la tuberculose au sein de l’institut parisien. Calmette et Guérin continuèrent à repiquer leur souche tous les 20 à 25 jours, et au bout de 230 passages en 13 années ils observèrent que leur bacille était complètement atténué, ne reversait plus vers la virulence, et induisait une immunité assez solide jusqu’à dix-huit mois plus tard chez les jeunes bovins, tandis que le germe virulent était létal en six à huit semaines. Jusqu’en 1924, ils vaccinèrent 127 jeunes bovins, tous restés en parfaite santé. C’est à l’Institut Pasteur de Kindia, en Guinée française, que Calmette fonda le centre d’élevage de singes anthropoïdes destinés à l’expérimentation. Ceux-ci leur permirent de démontrer l’innocuité de leur vaccin sur des primates non-humains, des chimpanzés, des callitriches, des singes patas et des babouins. Le 18 juillet 1921, les pédiatres Benjamin Weill-Hallé (1875-1958) et Raymond Turpin (1895-1988) à la crèche de l’hôpital de la Charité à Paris, vaccinèrent par voie buccale le premier enfant, un nouveau-né dont la mère était morte de la tuberculose quelques heures après l’accouchement. Bien que gardé par sa grand-mère ellemême tuberculeuse, le suivi de l’enfant pendant six mois démontra la parfaite protection du nouveau-né130. La vaccination par le Bacille de Calmette et Guérin (BCG) fut élargi à 217 nourrissons. Sur les 178 enfant qu’ils purent suivre, la mortalité infantile fut de 5 % sans cas de tuberculose. L’année suivante le Dr. Weill-Hallé publia les résultats de 4 517 enfants vaccinés dont 384 étaient au contact de parents tuberculeux131. Alors que la mortalité d’enfants nés de mère tuberculeuse était de 26 % pour toute la France et de 32,6 % dans le département de la Seine, la mortalité rapportée des enfants vaccinés était tout au plus de 0,5 %. Entre le 24 février et le 25 avril 1930, éclata le drame de Lübeck, une catastrophe suite à l’utilisation du BCG qui frappa la ville allemande 130. Calmette A, Guérin C, Weill-Hall B. Essais d’immunisation contre l’infection tuberculeuse. Bull. Acad. Natl Med. 1924; 91: 787-96. 131. Weill-Hallé B, Turpin R. Premiers essais de vaccination antituberculeuse de l’enfant par le bacille Calmette-Guérin. Bull Mem Soc Med Hop Paris 1925; 49: 1589-1601. 379
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de Lübeck. Soixante-et-onze bébés moururent de la tuberculose sur 252 vaccinés, tandis qu’à la suite à cette vaccination, quatre-vingtsept nourrissons tombèrent légèrement malades et vingt-et-un furent sévèrement atteints. Calmette fut anéanti par ces décès et meurtri par les accusations calomnieuses et perfides qu’il subit et les critiques de la presse étrangère. Le vaccin aurait-il pu retourner à la virulence comme l’envisagèrent ses détracteurs ? Le gouvernement allemand intenta un procès contre l’Institut Pasteur. Deux bactériologistes, les professeur Ludwig Lange du conseil supérieur de la santé du Reich et le Professeur Bruno Lange de l’Institut Robert Koch furent chargés de l’enquête qui dura vingt mois. Parallèlement, Léopold Nègre (18791961), docteur en médecine et docteur ès-Sciences, qui travaillait auprès de Calmette, en charge un temps de la préparation du BCG chercha à comprendre. Leurs investigations révélèrent que la souche de BCG envoyée par l’Institut Pasteur le 27 juillet 1929, avait bien été trouvée initialement avirulente par le Prof. Georg Deycke (18651938), alors directeur général de l’Hôpital Général de Lübeck. La même souche pasteurienne avait par ailleurs été envoyée à Mexico et à Riga, sans que l’administration à 3 016 enfants n’entraine le moindre problème. Le laboratoire du professeur Deycke hébergeait également une souche du bacille de la tuberculose faiblement virulente isolée par l’Institut d’Hygiène de Kiel, que lui avait transmise l’Institut Robert Koch. Suite aux décès consécutifs à la vaccination, le Prof. Deycke détruisit tout le stock de vaccin, complexifiant la suite de l’enquête. Néanmoins, une souche put être récupérée dans des cobayes qui avait été injectés par le BCG pasteurien. L’enquête révéla que la souche de BCG envoyée par l’Institut Pasteur n’avait pas été cultivée à Lübeck sur le milieu recommandé par Calmette mais surtout que les souches retrouvées, peu virulentes chez le cobaye, fortement pathogènes chez le nourrisson avait les mêmes caractéristiques que la souche provenant de Kiel. Le tribunal de Lübeck, s’appuyant sur les avis des experts conclut que : 1/ La catastrophe de Lübeck ne pouvait être attribuée à un retour à la virulence du BCG des pasteuriens ; 2/ Il était 380
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amplement démontré que les accidents de Lübeck étaient dus à une erreur commise au laboratoire pendant la préparation du vaccin132. Bien sûr, l’affaire avait été suivie attentivement par tous les milieux médicaux. L’Académie de Médecine, la Société de Biologie et Société de Phtisiologie de Barcelone prièrent le président de l’Académie de Médecine de Paris de transmettre au Dr. Albert Calmette l’hommage et l’expression de leur admiration reconnaissante pour son œuvre scientifique qu’inspirent les plus hauts sentiments humanitaires. Néanmoins, moralement et physiquement très éprouvé par le drame de Lübeck et son procès, Calmette s’affaiblit progressivement et décéda le 29 octobre 1933 à l’âge de soixante-dix ans. Après sa condamnation par le tribunal du Reich le 6 février 1932 à deux ans de prison, Deycke qui pour des raisons de santé ne fut pas emprisonné, quitta Lübeck et se retira dans le Württemberg. La mise en place de la vaccination ne fut pas un long fleuve tranquille, et un autre drame allait accompagner les débuts du vaccin contre la poliomyélite. La polio est connue depuis des temps immémoriaux puisque des momies et des bas-reliefs égyptiens témoignent de sa présence dans le pays des pharaons. Michael Underwood (17361820) médecin accoucheur et pédiatre britannique fut le premier à donner une description clinique de la maladie. Sans doute la plus célèbre victime de la polio fut le 32e président des USA, Franklin Delano Roosevelt (1882-1945) que l’on voyait souvent dans sa chaise roulante. La célèbre artiste mexicaine Frida Kahlo en fut victime à l’âge de huit ans. Karl Landsteiner (1868-1943), est un médecin et biologiste viennois célèbre pour sa découverte des groupes sanguins qui lui valut le prix Nobel en 1930. Dans les années 1909‑11, il travaille avec Constantin Levaditi à l’Institut Pasteur qui a accès à des chimpanzés, seul animal susceptible d’être utilisé pour modéliser cette maladie. En injectant de la moelle épinière d’un enfant de treize mois, décédé de polio, ils réussirent à induire une poliomyélite létale 132. Bernard L. Le drame de Lübeck et le BCG. Bull Acad Natle Med. 1931; 106: 673-82. 381
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chez le chimpanzé. Par la suite, ils appliquèrent le procédé de Pasteur sur la moelle épinière pour mettre en place un vaccin. Mais une étape technologique majeure fut apportée par trois chercheurs américains de la Harvard Medical School de Boston, John F. Enders (18971985), Thomas Huckle Weller (1915-2008) et Frederick Chapman Robbins (1916-2003) qui furent récompensés par le prix Nobel 1954 pour avoir réussi à cultiver le virus de la polio in vitro. Par la suite, Enders mit au point le premier vaccin contre la rougeole. En ce qui concerne le vaccin contre la poliomyélite, il fut mis au point par Jonas Edward Salk (1914-1995), un professeur de l’Université de Pennsylvanie à Pittsburg qui en mars 1953 testa son vaccin sur luimême, sa famille et quelques volontaires. En avril 1953, accompagné d’un battage médiatique sans précédent, Salk confirma la réussite de ses essais et la mise en place d’une campagne de vaccination. En 1955 survint le drame sanitaire, connu sous le nom d’incident de Cutter. Les laboratoires Cutter, une société pharmaceutique située à Berkeley en Californie, fondée en 1897 et qui produisait déjà plusieurs sérums et vaccins fut autorisée avec d’autres entreprises à produire le vaccin de Salk. Malheureusement, plusieurs des lots de vaccins furent contaminés par le virus vivant de la polio myélite, malgré des tests de sécurité probants. Après la vaccination de leurs enfants, des parents signalèrent des cas de contamination et les laboratoires Cutter durent retirer leurs lots du marché le 27 avril 1955. Par erreur, Cutter avait livré 200 000 doses contenant le virus actif. Parmi les enfants vaccinés, 70 000 développèrent une poliomyélite abortive, mais 200 développèrent la variante paralytique qui entraina 10 décès. Cette contamination entraîna une épidémie au sein de plusieurs familles et de communautés d’enfants (on parlerait aujourd’hui de cas contact), provoquant 113 cas de paralysie et 5 décès supplémentaires. En France, c’est le vaccin développé par le Dr Pierre Lépine (1901-1989) à l’Institut Pasteur, sur un modèle proche de celui de Salk, mais à partir de plusieurs souches de poliovirus, qui fut distribué à partir de 1956 puis introduit dans 382
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le calendrier vaccinal en 1958, avant d’être finalement rendu obligatoire en 1964. Nous avions déjà croisé Lépine lorsqu’il comparait les différents vaccins contre la rage. À l’institut Pasteur de Paris où il prit la direction du service de la rage, il initia des travaux sur la transmission des virus, en particulier ceux de la variole et la poliomyélite. En 1957, il assura la direction du cours de Virologie de l’Institut Pasteur. En 1962, un nouveau vaccin vint concurrencer les vaccins inactivés injectables de Salk et Lépine, le vaccin oral vivant atténué mis au point par Albert B. Sabin (1906-1993), médecin né en Pologne, établit alors à New York. Renonçant au brevet, il favorisa un emploi plus simple de son vaccin vivant atténué, administré par voie buccale ; celui-ci fut privilégié pour les campagnes de vaccination dans les pays en développement. Actuellement, la fondation Bill & Melinda Gates s’investit particulièrement pour étendre l’usage du vaccin oral. Le 25 août 2020, l’OMS déclarera l’Afrique indemne de virus sauvage de la poliomyélite comme c’était le cas de l’Europe (2002) et des Amériques (1994). L’infection est malheureusement encore présente en Afghanistan, Inde et au Pakistan. Néanmoins, le Pakistan vient de connaître pour la première fois une année sans cas de polio (janv. 2021-janv. 2022). Par contre, l’Afrique fait face à des cas de polio associés au poliovirus présent dans le vaccin. En 2018, dans douze pays africains, 196 enfants furent paralysés par le virus vaccinal, illustrant que la totale maîtrise de cette infection demeure problématique133. Salk fut également à l’origine du premier vaccin anti-grippal, en 1944, et la toute première campagne de vaccination contre la grippe eut lieu en 1944-1945 pour protéger les soldats américains venus combattre en Europe. À l’Institut Pasteur, le professeur Claude Hannoun, chef de l’unité d’écologie virale, auteur d’un livre sur la vaccination dans la collection Que-sais-je, fut le premier en France à isoler un virus de la grippe en 1947 et à proposer le premier vaccin 133. Roberts L. Global polio eradication falters in the final stretch. Science. 2020; 367(6473): 14-5. 383
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français en 1955, à partir de virus produit sur des œufs de poule embryonnés. Une première révolution technologique dans le domaine des vaccins va être opérée par l’équipe du Professeur Pierre Tiollais (1934-) à l’Institut Pasteur qui travaillait sur le vaccin contre l ’hépatite B. En 1979, avec ses collaborateurs, il publia le séquençage complet du génome du virus et l’année suivante, avec sa collègue Marie-Françoise Dubois, ils firent fabriquer l’antigène de surface du virus par des cellules de souris. Le journal Le Monde se fit l’écho d’une telle avancée. En 1985, avec Marie-Louise Michel et ses collègues, ils créèrent le premier vaccin obtenu par génie génétique (vaccin GenHevac B) en faisant produire l’antigène vaccinant par des cellules d’hamster. En 2012, 183 pays utilisèrent ce vaccin dans leur programme de vaccination pour les nourrissons (79 % des enfants sont protégés dans le monde) et plus d’un milliard d’individus ont été vaccinés dans le monde. Le vaccin est issu de ce qu’il est communément convenu d’appeler des manipulations génétiques, terme qui a toujours généré un fantasme inquiet. En 1975, le journal écologiste « La gueule ouverte » titrait « Savants fous à l’Institut Pasteur ! ». Mais où sont passés les savants fous de l’Institut Pasteur, les créatifs, les visionnaires ? La dernière révolution technologique en matière de vaccination, celle opérée par l’usage de l’ARN messager encapsulé dans des liposomes, illustre comment l’Institut Pasteur et les Français plus globalement ratèrent le train du progrès, alors qu’ils étaient sur le quai. Et ce d’autant qu’un pasteurien, François Jacob contribua à la découverte de l’ARNm en 1961 avec ses collègues Sydney Brenner (1927-2019) de l’université de Cambridge et Matthew Meselson (1930-) du California Institute of Technology de Pasadena134. En 1993, des chercheurs de l’Inserm, de PasteurMérieux Sérums et Vaccins, et de l’Institut Cochin publièrent un article intitulé : « Induction in vivo de lymphocytes T cytotoxiques 134. Brenner S, Jacob F, Meselson M. An unstable intermediate carrying information from genes to ribosomes for protein synthesis. Nature. 1961; 190: 576-81. 384
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spécifiques de virus à l’aide d’ARN messager encapsulé dans des liposomes »135. Car en France des chercheurs talentueux, il en existe. Ces chercheurs protégèrent leur découverte par un brevet déposé le 30 avril 1992 par Pasteur-Mérieux et la Société Transgène. À croire que pendant les presque trente ans écoulés entre ce dépôt de brevet et le COVID-19, personne n’a vraiment cru en cette découverte. Onze ans plus tard, le 20 janvier 2003, l’Institut Pasteur, l’Inserm, le Genethon, et la Société allemande Curevac déposaient un brevet intitulé « Préparations immunogènes et vaccins à base d’ARN » pour un vaccin contre l’hépatite. Là encore, aucun visionnaire dans l’entourage, et le brevet fut abandonné l’année suivante ! À cette phrase du Général de Gaulle « des chercheurs qui trouvent on en cherche, des chercheurs qui cherchent on en trouve », je répondrais : « Si, si, des chercheurs qui trouvent, on en trouve… Mais des visionnaires on en cherche, des stratèges on en cherche, et des investisseurs à risque on en cherche ». Pendant ce temps-là, de l’autre côté de l’Atlantique, Katalin Kariko (1955-) (figure 80) va croire en cette nouvelle technologie, et in fine sauver l’humanité de la pire crise sanitaire durant ce siècle. Philippe Sansonetti (1949-), professeur émérite de l’Institut Pasteur, professeur émérite au Collègue de France, et membre de l’Académie des Sciences déclara « C’est la première fois qu’un vaccin peut nous sortir à la fois d’une crise sanitaire et d’une crise économique ». Après avoir intégré l’Université de Szeged, en 1985 Kariko quitta la Hongrie, son pays natal, avec son mari et ses deux filles, et leurs maigres économies dissimulées dans l’ours en peluche de leur fillette. Le rideau de fer était alors toujours présent entre l’Est et l’Ouest, et la recherche d’un emploi d’abord en Europe ne fut pas aisée. Kariko rejoignit l’université de Pennsylvanie et entama avec force et conviction des études sur l’injection d’ARN messager. Mais ils furent peu à croire en l’intérêt de ses travaux, et ses demandes de 135. Martinon F, Krishnan S, Lenzen G, Magné R, Gomard E, Guillet JG, Lévy JP, Meulien P. Induction of virus-specific cytotoxic T lymphocytes in vivo by liposomeentrapped mRNA. Eur J Immunol. 1993; 23: 1719-22. 385
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financements furent régulièrement rejetées, à tel point qu’en 1995, l’université de Pennsylvanie la mit en demeure d’arrêter ses travaux, et pénalisa l’évolution sa carrière. Quelle chance pour l’humanité que Kariko eut été une personne têtue et déterminée. Avec son collègue Drew Weissman (1958-), elle poursuivit ses recherches et s’associa à la start-up allemande d’Uğur Şahin (1965-) et de Özlem Türeci (1967-), deux chercheurs d’origine turque. Elle devint alors la Senior Vice President de BioNTech RNA Pharmaceuticals, une start-up dont le conseil consultatif scientifique est dirigé par Rolf M. Zinkernagel (1944-), prix Nobel en 1996 pour ses travaux en immunologie. Le 23 décembre 2020, Kariko et Weissman recevait la première injection de leur propre vaccin. Durant ces vingt dernières années Kariko travailla à améliorer son approche vaccinale, pour limiter la réponse inflammatoire136, augmenter la stabilité biologique et l’immunogénicité. Pour ce faire, elle remplaça l’uridine par la pseudo-uridine137, (dans le vaccin ce sera de la N1-methyl-pseudouridine). Elle définit la nature de la réponse immunitaire induite par ses vaccins à ARNm et le rôle de chacun des acteurs cellulaires138. En 2014, Kariko, Şahin et Türeci publièrent une excellente revue résumant ces années de mise au point139. On y apprend que le premier ARN messager encapsulé dans un liposome date de 1978, qu’en 1990 il était montré qu’un ARNm injecté dans un souris peut y être traduit tandis que le premier vaccin anti-cancer à base d’ARNm date de 1995. 136. Karikó K, Buckstein M, Ni H, Weissman D. Suppression of RNA recognition by Toll-like receptors: the impact of nucleoside modification and the evolutionary origin of RNA. Immunity. 2005; 23(2): 165-75. 137. Karikó K et al. Incorporation of pseudouridine into mRNA yields superior nonimmunogenic vector with increased translational capacity and biological stability. Mol. Ther. 2008; 16: 1833-40. 138. Houping Ni et al. Extracellular mRNA induces dendritic cell activation by stimulating tumor necrosis factor-alpha secretion and signaling through a nucleotide receptor. J Biol Chem. 2002; 277: 12689-96. Pardi N et al. Nucleoside-modified mRNA vaccines induce potent T follicular helper and germinal center B cell responses. J Exp Med. 2018; 215: 1571-88. 139. Şahin U, Kariko K, Türeci Ö. mRNA-based therapeutics – developing a new class of drugs. Nature Rev. Drug Discovery. 2014; 13: 759. 386
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Figure 80 | Katalin Kariko, née en 1955, à l’origine du vaccin à ARN messager contre le SARS-Cov-2.
Ainsi, cette t echnologie avait de fort anciennes bases expérimentales. Encore fallait il y croire, malgré la dernière étape qui concernait la stabilité du produit nécessitant une conservation à – 80 °C. Alors que le 11 janvier 2020, les chercheurs chinois rendaient publique la séquence génétique du SARS-CoV-2, fin février 2020, les premiers lots de vaccins contre le COVID-19 étaient testés… Un timing digne d’un film de science-fiction pour ceux qui depuis longtemps œuvraient dans l’ombre à ces vaccins de dernière génération. Le 9 février 2021, le site d’information de l’industrie biopharmaceutique titrait à propos du PDG de Sanofi : « L’un des acteurs géants du vaccin s’oppose à l’idée d’un changement fondamental qui serait provoqué par l’ARNm ». Mais le PDG n’est-il pas juste en train de siffler devant le cimetière ?140 On se souvient de l’effort de guerre 140. https://endpts.com/one-of-the-giant-vaccine-players-pushes-back-againsta-fundamental-shift-spurred-by-mrna-but-is-the-ceo-just-whistling-past-thegraveyard/ 387
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lors des deux guerres mondiales auquel contribuèrent les industriels de l’acier, de l’armement, des transports. N’était-on pas en droit d’espérer un même effort de guerre de la part des industriels des vaccins face à la pandémie de COVID-19. Que nenni, Sanofi préféra verser 4 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires en 2020, tandis qu’il recevait 2,1 milliards en paiement des 300 millions de doses commandées par l’Europe. Quant aux 150 millions de Crédits Impôt Recherche qu’ils touchèrent, somme dérisoire pour eux, cela représente cinq fois la somme versée par l’Agence Nationale de la Recherche pour soutenir la recherche française sur le COVID-19. SANOFI a aussi reçu de l’argent des militaires américains (Defense Advanced Research Projects Agency) et 226 millions de dollars accordés en décembre 2019 par le Biomedical Advanced Research and Development Authority afin d’accroître ses capacités de production de vaccins contre la grippe, somme accrue de 30 millions de dollars supplémentaires en février 2020. SANOFI dont la première version du vaccin à base de Spike recombinante, la protéine exprimée à la surface du SARS-Cov-2, échoua lamentablement suite à des erreurs de mesure de concentration de l’antigène digne d’un élève en première année de fac, n’eut plus qu’à refaire sa copie. Saluons donc la clairvoyance de Kariko et l’efficacité du partenariat BioNTech et Pfizer. L’étude préclinique chez la souris révéla que le vaccin à ARNm induit des lymphocytes T CD4+ et CD8+ spécifiques, que les cellules T induites par le vaccin sortent facilement du système vasculaire et pénètrent le parenchyme pulmonaire, que le vaccin à ARNm induit des cellules plasmatiques à vie longue et une réponse des cellules B mémoires, et que le vaccin à ARNm induit des anticorps anti-SARS-CoV-2 avec une forte activité de neutralisation. Les phases 1/2 confirmèrent ces bonnes nouvelles chez l’Homme, tandis que la phase 3 menée contre placébo chez 43 448 volontaires démontra une efficacité d’environ 95 % identiques entre les sexes, et les groupes ethniques. Et tout cela fut mené en un temps record. Jamais un vaccin n’avait été mis sur le marché en moins d’un an. Cela déstabilisa 388
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sans doute nos technocrates et nos énarques qui cherchèrent qu’à ce que tout demeure « under control » dans le pays. Bienvenue en Absurdistan… Face au vaccin Pfizer, la Haute Autorité de Santé (HAS) proposa un document de 97 pages sur la stratégie de vaccination, le ministère des Solidarités et de la Santé édita un portfolio de 60 pages à destination des personnels de santé et un guide de 45 pages à destination des personnels des EHPAD. L’agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé (ANSM) demanda de pratiquer cinq injections à partir des flacons de vaccin Pfizer. Sachant que le volume initial dans le flacon est de 0,45 ml, que le volume à ajouter (chlorure de sodium 0,9 %) est de 1,8 ml, cela aboutit à un volume total de 2,25 ml. Sachant que le volume à injecter est de 0,3 ml, il était possible en théorie de pratiquer sept injections ! Sans doute un calcul trop simpliste pour nos polytechniciens au sommet de l’État… Quant aux seringues livrées par Santé Publique France elles s’avérèrent être équipées d’aiguilles trop courtes pour administrer le vaccin en intramusculaire profonde comme recommandé. Le deuxième acteur des vaccins à ARNm, Moderna en partenariat avec le NIH, est dirigé par un Français, Stéphane Bancel, ancien directeur général de bioMérieux… cherchez l’erreur. Mais la France absente dans la première session de la course aux vaccins n’est pas le seul pays leader Européen à ne pas avoir été dans la course, l’Espagne, l’Italie, Les Pays-Bas n’ont pas davantage proposé un vaccin rapidement en phase 3. Début 2021, même le Kazakhstan avait un vaccin en phase 3 ! D’autres vaccins originaux pour une délivrance du gène codant pour la protéine Spike à l’aide d’adénovirus furent proposés par Astra-Zeneca, Johnson & Johnson (Jansen) et l’Institut Gamaleïa (le fameux vaccin Suptnik V de Poutine). Bien que présentant une protection efficace, la phase IV, c’est-à-dire le suivi des effets secondaires une fois le vaccin distribué, révéla l’induction de thromboses mortelles (un cas pour 500 000 injections). Même si les ténors de la vaccination, considérèrent que le rapport bénéfice – risque était très en faveur du vaccin, puisqu’avoir le COVID-19 « offrait » 389
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une chance de mourir initialement proche de 2 %, le désamour à l’égard de ces vaccins fut parfaitement compréhensible et justifié. Bien sûr, on put se réjouir que la communauté européenne, dont la santé n’était pas jusqu’alors de son ressort, décida d’une politique commune pour l’achat des vaccins. Par contre, face à la pandémie chaque pays européen joua sa partition indépendamment. Ainsi, la politique menée par le gouvernement français permit à la France de se classer en mai 2021, première nation en Europe en nombre de cas, et quatrième au monde derrière des pays bien plus peuplés comme les USA, l’Inde et le Brésil. Les vaccins anti-COVID-19 sont le fruit soit de l’industrie pharma ceutique seule (66 %), soit d’un partenariat industrie / recherche académique et / ou start-ups (21 %), soit de la recherche académique seule (13 %)141. Le secteur des vaccins est très concentré avec cinq laboratoires qui se partagent 80 % du marché : Johnson & Johnson, Pfizer, Merck, GSK et Sanofi. Mais ce marché représentait « seulement » 27 milliards d’euros en 2019, soit 3 % du marché du médicament. Produire un vaccin est, en temps normal, étalé sur une dizaine d’années, et coûte au moins 1 milliard d’euros pour la seule recherche et développement. La recherche académique qui a moins de contrainte peut envisager des approches innovantes, originales, mais est parfois déconnectée de la réalité industrielle. C’est ainsi que l’Institut Pasteur proposa un candidat vaccin utilisant le virus de la rougeole comme vecteur. Hélas le 25 janvier 2021, l’Institut de la rue du Dr. Roux annonça l’arrêt de ce développement suite à un échec de cette approche. Dommage !… En décembre 2020, l’Institut Paul Ehrlich basé à Langen en Allemagne publiait des résultats prometteurs de cette approche142. Ehrlich versus Pasteur, une saveur de confrontation d’un autre temps. The Guardian titra le 141. DeFrancesco L. Whither COVID-19 vaccines? Nature Biotechnology. 2020; 38: 1132-45. 142. Hörner C et al. A Highly Immunogenic Measles Virus-based Th1-biased COVID-19 Vaccine measles virus (MeV)-based vaccine candidates expressing the SARS-CoV-2 spike glycoprotein (S). PNAS. 2020; 117(51): 32657-66. 390
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26 janvier : « L’amour-propre des Français blessés après l’abandon du c andidat-vaccin de l’institut Pasteur », tandis que le quotidien espagnol La Vanguardia parlait de la fierté blessée de la France. La prestigieuse revue scientifique américaine « Science » fit une analyse du mal (23 avril 2021) : « Après des échecs vaccinaux, la France déplore son déclin biomédical. Les chercheurs accusent une compression du financement de la recherche fondamentale et un capital-risque trop rare pour les startups biotechnologiques ». Estimant que l’organisation du système de santé français ne pouvait répondre de façon appropriée à la problématique de la vaccination contre le COVID-19, nous eûmes le plaisir de lire en décembre 2020, le faux faire-part de naissance suivant : Le ministère de la Solidarité et de la Santé, La Direction générale de la Santé, La Direction de la Santé publique, Santé publique France, La Direction de la haute autorité de la Santé, Les Directions des Agences régionales de Santé, La Direction de l’agence nationale sanitaire, La Direction de l’alliance nationale pour les sciences de la Vie et de la Santé, L’Agence Épidémiologie France, L’Agence nationale de sécurité du médicament et de la santé, L’Institut de veille sanitaire, Le Haut Conseil de veille sanitaire, La Fédération hospitalière de France Le groupe REACTing L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé Le Conseil Scientifique de la présidence de la République (président, J-F. Delfraissy) Le Comité Analyse Recherche et Expertise (présidente, F. Barré Sinoussi) Le Comité scientifique vaccin covid-19 (présidente, M-P. Kieny) 391
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ont le plaisir de vous annoncer la naissance du petit dernier : Le Haut conseil d’orientation pour la stratégie vaccinale (Président, Alain Fischer) La presse se fit l’écho de cette énième strate ajoutée à l’organigramme du système de santé, et s’interrogea sur le bien-fondé de ce nouveau comité Théodule.
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9 Réflexions
LES LIENS INCESTUEUX ENTRE SCIENTIFIQUES ET LA PRESSE SCIENTIFIQUE Comme nous l’avons déjà évoqué, lorsque Liebig et Wöhler utilisèrent leur journal comme tribune pour défendre leur point de vue erroné sur la fermentation alcoolique, Il existe une relation incestueuse entre la presse scientifique et les scientifiques. On se souvient qu’à la création de l’Institut Pasteur, un an même avant son inauguration, Émile Duclaux (1840-1904), fonda les Annales de l’Institut Pasteur dans lesquelles les pasteuriens purent publier facilement et rapidement leurs découvertes143. Les Annales furent le premier périodique français spécialisé en microbiologie souhaité par Louis Pasteur lui-même comme un journal plus intime et moins solennel que les Comptes-Rendus de l’Académie des Sciences. Sandra Legout, responsable du service Archives de l’Institut Pasteur précise : « En fait c’était un recueil des résultats produits par les laboratoires. Les 143. Legout S. The “Annales de l’Institut Pasteur”, 1887-2007: a glimpse into history. Res Microbiol. 2008; 159: 23-6. 393
Réflexions
responsables des services, leurs collaborateurs et les élèves stagiaires y publiaient tous. Donc comme le comité de rédaction était principalement composé par les chefs de ces grands services… la validation se faisait de fait ! ». En d’autres termes, la chance des pasteuriens de pouvoir faire publier leurs travaux dans les Annales devait être proche de 100 %. Aujourd’hui, pour les journaux les plus prestigieux, le taux de succès ne dépasse pas 5 %. En outre, les anciens collaborateurs ou élèves de Louis Pasteur, d’Émile Duclaux et d’Elie Metchnikoff furent invités à publier dans les Annales. Malheureusement, à l’image de ce qui se passa pour les grands journaux concurrents allemands, publiés dans la langue de Goethe, les Annales publiés dans la langue de Molière allaient connaître bien des déboires lorsque la langue de Shakespeare s’imposa comme la langue scientifique internationale, et la possibilité offerte de publier en anglais dès 1973 ne fut pas suffisante pour sauver les Annales. Le phénomène de connivence entre presse scientifique et les chercheurs perdure, et en 2020, le professeur de Marseille, fervent défenseur de l’hydroxychloroquine, publia régulièrement dans l’« International Journal of Antimicrobial Agents » dont l’un de ses bras droits, Jean-Marc Rolain (près de 300 publications ensemble) est l’éditeur-en-chef144. Ainsi, un article « démontrant » l’intérêt de ladite molécule fut soumis le 16 mars 2020 et… accepté le 17 mars 2020. Vingt-quatre heures pour accepter un article soumis est un record qui laisse pantois. En effet, lorsqu’un article est soumis à un journal scientifique, l’éditeur de ce dernier doit identifier des pairs compétents sur le sujet, les contacter pour s’assurer de leur disponibilité, attendre leur accord pour mener à bien cette évaluation généralement espérée sous quinze jours, puis attendre le retour de leurs rapports d’expertise, qui seront ensuite soumis aux auteurs, alors invités à amender leur texte, voire faire ou refaire certaines expériences en fonction des remarques, avant de 144. L’avis 2021-42 du comité d’éthique du CNRS révèle que près de 40 % des articles publiés dans l’International Journal of Antimicrobial Agents depuis sa création en 2013 ont été co-signés par son éditeur en chef. 394
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soumettre une nouvelle version modifiée. Dans bien des cas l’article n’est pas accepté pour publication. Sans doute conscient de l’impudence que représente un tel accord sous 24 heures, et sans doute de l’imprudence que ce serait de montrer à la communauté scientifique le peu de sérieux d’accepter un article qui ostensiblement n’a pas été analysé par les pairs, cette information qui figurait sur la version originellement disponible en ligne avant publication et qui figure sur tout article publié, fut retirée par le journal lors de l’édition définitive de l’article145. Mais peut-être pris de remord, le puissant groupe de presse qui publie ce journal (Elsevier) demanda au Professeur Frits Rosendaal, MD PhD, un célèbre épidémiologiste de l’Université de Leiden (Pays-Bas) de pratiquer une analyse à posteriori dudit article. Alors que les analyses faites en amont des publications sont gardées confidentielles, celle-ci fut publiée dans le numéro de juillet de la revue146. Cette analyse est accablante, tandis que l’épidémiologiste de renom ne relevait pas moins de dix faiblesses méthodologiques majeures qui faisaient que conclure à quelque effet de l’hydroxychloroquine était infondé et pleinement irresponsable. La rétraction de l’article fut demandée à ses auteurs marseillais qui refusèrent de se plier à cette requête. Une autre plaie qui gangrène le monde de l’édition scientifique est l’apparition de plus d’un millier de journaux dits prédateurs. Le phénomène naît vers 2008 et va croitre rapidement. Il s’agit d’éditeurs qui voient dans la presse scientifique la poule aux œufs d’or. Pensez donc, les scientifiques payent pour être publiés et renoncent à leurs droits d’auteurs. Pour les journaux scientifiques sérieux, les frais d’édition sont partagés par les scientifiques mais aussi les lecteurs qui doivent payer, fort cher d’ailleurs, un abonnement pour avoir accès 145. Gautret P et al. Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open-label non-randomized clinical trial. Int J Antimicrob Agents 2020; 56: 105949. 146. Rosendaal FR. Review of: Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open-label non-randomized clinical trial Gautret et al 2020. Int J Antimicrob Agents. 2020; 56: 106063. 395
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aux articles publiés, tandis que l’activité assez chronophage d’analyses des articles soumis pour publication est faite gratuitement par les pairs ! L’idée consiste donc à donner libre accès aux lecteurs, mais en faisant supporter la totalité des frais aux scientifiques qui publient leurs travaux. Mais comme il s’agit d’une activité fort lucrative, il n’est alors pas question d’être trop exigeant sur la qualité de l’analyse par les pairs. Tout article refusé par ces derniers pour sa piètre qualité, serait un revenu financier de perdu. Laissez-moi vous donner un exemple. Le 15 juillet 2020, le Dr. Martine Wonner, médecin et députée française, et le « collectif Laissons les Médecins prescrire » publient un article à la gloire de l’hydroxychloroquine comme traitement du COVID-19 dans l’« Asian Journal of Medicine and Health ». Le Dr. Michaël Rochoy qui exerce à Outreau va alors mettre en place le plus hilarant des stratagèmes, le plus jubilatoire des canulars. Pour démontrer qu’il s’agit d’un journal prédateur, il va écrire et soumettre à ce journal un article totalement « bidon » avec des co-auteurs prêtenoms comme Otter F. Hantome, un auteur fantôme (autre plaie de la publication scientifique), Némo Macron (le nom du chien qui siège à l’Élysée), Sylvano Trottineta (membre du « Collectif Laissons les Vendeurs de Trottinette Prescrire ») ou encore Willard Oodendijk (« Bite en bois » en néerlandais), affilié au BITE (Le Belgian Institute of Technology and Education, Couillet, Belgique). Le titre de l’article était : « Le SARS-CoV-2 fut contre toute attente plus mortel que les trottinettes : l’hydroxychloroquine pourrait-elle être la seule solution ? ». Le sujet de l’article avait été motivé par la déclaration du Prof. Didier Raoult (1952-) qui le 17 février 2020 déclarait dans une de ses vidéos que le coronavirus faisait moins de morts que les accidents de trottinette… L’article proposa donc des analyses fantaisistes sur la relation de l’usage d’hydroxychloroquine sur la mortalité par accident de trottinette ainsi qu’une étude prospective où l’hydroxychloroquine était administrée à des volontaires avant de les faire se lancer sur une pente à 45° (sic) avec un mur en fin de course, de compter les morts et de comparer entre ceux qui auraient pris ou non 396
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le médicament protecteur. Pour renforcer la validité écologique, des bruits de voitures et des insultes d’autres conducteurs de trottinettes furent diffusés via les téléphones des expérimentateurs (les sons ayant été enregistrés à Paris avant le confinement). En raison de financements limités, seules deux trottinettes (une très ancienne et une toute neuve) furent utilisées. La vieille fut attribuée au hasard aux participants du groupe témoin. Les auteurs remarquent que la trottinette neuve était en zinc, ceci ayant pu contribuer à potentialiser l’effet de l’hydroxychloroquine. Dans l’article sont incluses quelques figures sérieuses comme le nombre de boîtes d’hydroxychloroquine achetées entre 2019 et 2020, le nombre d’accidents de trottinette dans diverses régions de France, mettant en évidence un plus grand nombre à Paris que dans les Bouches du Rhône, différence que les auteurs attribuent à l’usage de l’hydroxychloroquine plus élevé dans ce département, et la radiographie du bassin d’une accidentée qui n’avait malheureusement pas pris le médicament miracle (selon Trump), l’accident s’étant produit dans la Meuse et non à Marseille. L’article fut donc soumis, analysé par les pairs, accepté trois semaines plus tard et mis en ligne le 15 août 2020. Ayant pris contact avec l’auteur, celui-ci me confirma que l’article avait bien été analysé par trois scientifiques (un Américain, un Cubain, et un Libyen). L’un d’entre eux signala pertinemment que le confinement avait sans doute interféré avec le nombre d’accidents de trottinettes survenus en 2020 par rapport à 2019. Le seul point d’achoppement relevé au cours de l’expertise de l’article concerna la nature du comité d’éthique qui avait validé l’expérience sur les volontaires. Les auteurs avaient déclaré qu’ils appartenaient au dit comité ! En déclarant qu’ils étaient sortis de la salle lors de la délibération sur leur dossier, cela fut jugé satisfaisant, même s’ils indiquaient que le comité d’éthique était constitué de leurs amis. L’article eut un formidable écho dans la communauté scientifique et au-delà, pour ce qu’il dénonçait avec un humour féroce et ravageur. Le COVID-19 aura été source d’inspiration pour de nombreux humoristes dont la contribution aida à garder le sourire 397
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durant cette période pesante et anxiogène. Après avoir été publié, l’article fut rétracté par le journal sans que les auteurs ne sachent qui fut à l’origine de la demande de rétractation. Néanmoins, l’épidémie du COVID-19 fut associée à un évènement unique dans le monde contemporain de la publication scientifique. En effet, l’ensemble des éditeurs décida de donner l’accès libre à toutes les publications concernant cette pathologie : l’effort de guerre des éditeurs. 93 152 publications pour la seule année 2020, plus de 135 000 en 2021 ! Cette frénésie de publications scientifiques fut associée à une étrange observation. Je constatais avec un certain effarement que grâce au COVID-19, certains scientifiques publièrent dans les journaux les plus prestigieux des articles rapportant des observations faites il y a plus de 25 ans dans le domaine de l’inflammation et du sepsis. Tout simplement des redécouvertes. Certains diront, encore fallait-il le démontrer dans le cas du COVID-19. En effet, mais l’honnêteté scientifique voudrait alors que ces auteurs aient cité les travaux princeps, ce qui ne fut pas le cas… Et franchement, est-ce qu’une confirmation de ce que l’on sait depuis plus de 25 ans mérite une publication dans un journal aussi prestigieux que Cell ou Nature ? Cela illustre aussi que la connaissance s’est diluée au cours du temps et que les pairs en charge de l’analyse de ces articles ne maîtrisaient pas totalement le sujet qu’ils étaient appelés à expertiser. LES SCIENTIFIQUES FACE AUX FAKE NEWS La parole des scientifiques n’est évidemment pas parole d’évangile, mais leur objectif premier est de débusquer la vérité et la clamer haut et fort. Sans doute faut-il encore que cette vérité n’arrive pas dans un monde qui n’est pas prêt à l’entendre. Galilée (1564-1642) en son temps fit face au tribunal de l’inquisition pour avoir clamé que la terre tournait autour du soleil et non pas l’inverse. Mais depuis quelque temps la vérité scientifique est en crise et doit faire à des contrediscours scientifiques. Ainsi le mouvement pseudo-scientifique de ceux qui croient que la terre est plate tint son premier congrès en 398
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2017 en Caroline du Nord et rassembla plus de 500 personnes, 650 l’année suivante à Denvers. Mais lorsque des scientifiques euxmêmes s’attaquent à la vérité scientifique cela ne peut être que très perturbant pour le grand public. Ainsi, le déni du changement climatique fut porté en son temps par Claude Allègre, brillant scientifique, médaille d’or du CNRS, membre de l’Académie des Sciences et ancien ministre. La crise sanitaire liée au COVID-19 fut particulièrement associée à des fake news propagées par d’éminents scientifiques. Mais Laissez-moi vous conter l’incroyable histoire du Dr. Li-Meng Yan. Comme de nombreux chinois en contact avec des occidentaux, le Dr. Yang Lee a un prénom occidental. Le sien est Scarlett. Elle est l’épouse d’un jeune chercheur Sri-Lankais, Gunapala147 qui travaillait dans le laboratoire de Malik Peiris (1949-), le plus célèbre virologiste de Hong Kong, spécialiste des virus respiratoires. Initialement, je fis connaissance de Gunapala à l’occasion de plusieurs enseignements que je donnais à Hong Kong. Il se maria avec Scarlett, une belle et brillante chercheuse chinoise. Un couple adorable et charmant qu’un futur radieux attendait. Je les croisais à plusieurs occasions. Ils firent même le voyage de Hong Kong à Canton pour me rejoindre alors que j’étais en congrès dans cette ville et me servirent de guide. Je les retrouvais à une autre occasion et ils m’emmenèrent déjeuner sur Lamma Island, une petite ile au large de Hong Kong et visiter d’autres quartiers de la ville que je ne connaissais pas. Assez tôt Scarlett travailla sur le SARS-CoV-2 et publia un article important proposant un modèle animal, le hamster doré. À l’occasion de la crise du COVID-19 nous avons beaucoup échangé par WhatsApp puisque lui et son épouse travaillaient sur ce virus. Le premier cas rapporté à Hong Kong le fut le 21 janvier, et c’est Gunapala qui le premier à Hong Kong en isola le virus. Il m’indiqua l’extraordinaire effet cytotoxique de ce virus qu’il observait sur des cellules épithéliales en culture. Il fut également le premier à m’indiquer que l’on pouvait 147. Son nom a été modifié pour préserver son anonymat. Une page Wikipédia existe à propos de son épouse. 399
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retrouver le virus chez des chats et des chiens contaminés. Mais alors que nous étions pendant le premier confinement, je reçus un message de Gunapala : « Scarlett a été kidnappée aux USA ». Pendant deux semaines, Gunapala fut sans nouvelles de son épouse partie du jour au lendemain, prenant un avion pour Los Angeles, accompagnée à l’aéroport par une personne qu’il ne connaissait pas, et voyageant pour la première fois de sa vie en classe affaire. Sa carte bancaire fut rapidement débitée de 7000 $. L’anxiété était à son maximum. Scarlett était-elle en vie ? Gunapala ne trouvait plus le sommeil, il perdit l’appétit, et souhaita mon aide. De façon étrange, son laboratoire lui demanda de garder le secret et lui dit même d’oublier sa femme qui selon eux était partie pour retrouver un amant américain. Gunapala ne comprenait pas comment sa jeune épouse amoureuse qui lui avait dit vouloir faire un bébé avec lui, avait pu partir aussi précipitamment. Interpol fut mis sur l’affaire. Quinze jours après son arrivée aux USA, Scarlett réapparut, indiquant qu’elle était en sécurité avec des gardes du corps et des avocats. Elle était désormais à New York et fut interviewée sur la chaine YouTube d’un certain Guo Wengui, un milliardaire chinois qui a fui son pays ; installé aux USA, il dispose d’une chaine de télévision dont la propagande reflète toute sa haine du parti communiste chinois. La « National Security Agency » (NSA) connaît le personnage qui pratique le lavage de cerveau de ses victimes et ne garde auprès de lui que ceux chez qui le lavage de cerveau a pleinement réussi. Il a pour complice un certain Stephen K. Bannon, un ancien stratège sulfureux de Donald Trump. On se souvient que ce dernier avait proposé que la tête du Dr. Anthony S. Fauci, directeur du National Institute of Health (NIH), le principal expert américain en matière de maladies infectieuses, fut placée sur une pique. Peu de temps après, des photos de Scarlett avec Rudy Giuliani, l’avocat de Trump furent postées et elle fut interviewée le 10 juillet 2020 sur Fox-News. Elle fut présentée comme une lanceuse d’alerte avec des révélations fracassantes à faire : la Chine connaissait la contagiosité du SARS-CoV-2 entre humains avant d’en avertir les organismes 400
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internationaux dont l’organisation mondiale de la santé (OMS). Cette information est tout à fait exacte, mais pour Scarlett ce retard d’information d’une dizaine de jours est à l’origine de l’ampleur de la crise sanitaire, et elle accusa son ancien laboratoire de Hong Kong d’être complice de cette rétention d’information. Il faut préciser que Scarlett avait des contacts avec les chercheurs de Wuhan et fut précocement très au fait de la situation. Puis dans les interviews suivants, elle aborda ce pourquoi Guo et ses complices l’avait sans doute exfiltrée aux USA : le virus du parti communiste chinois comme ils le nommaient, était une construction mise au point en laboratoire, une arme biologique volontairement disséminée par les autorités chinoises. On se souvient que Trump l’avait annoncé assez tôt dans ses tweets et ses discours, disant qu’il en avait la preuve. Connaissant le personnage, il est facile d’imaginer que des preuves se fabriquent et que Scarlett était un personnage clé pour la démonstration. Elle déposa d’ailleurs sur internet un article scientifique de 26 pages dans lequel elle prétendait en analysant les séquences du virus, que celui-ci est le fruit de manipulation in vitro en laboratoire. Si je gardai quelque temps la possibilité d’échanger par WhatsApp, ses messages restèrent anodins, m’indiquant seulement qu’elle était sur quelques collaborations confidentielles, mais mon dernier contact via sa nouvelle page Facebook, me fit réaliser que ce n’était plus elle qui m’écrivait. Si le lavage de cerveau fut initié à Hong Kong, celui-ci se poursuivit aux USA, avec des manipulateurs qui aidèrent Scarlett à parfaire son anglais, à accroître son assurance durant les interviews et sans doute l’encouragèrent à soutenir l’usage de l’hydroxychloroquine qu’elle s’auto-administrait. Dans un talk-show populaire sur Fox News, Scarlett affirma sans hésiter que le virus avait été introduit intentionnellement. Scarlett continua à vivre sous l’emprise de la manipulation. Ces « ravisseurs », un terme certes excessif puisqu’elle avait quitté Hong Kong de son propre chef, lui firent croire par exemple que ses parents avaient été arrêtés par les autorités chinoises. Comme elle avait coupé tout lien avec sa famille et son mari, elle ne sut pas qu’il 401
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n’en était rien. Plus récemment, Guo et sa clique annoncèrent que le parti communiste chinois avait l’intention d’éliminer Scarlett. Une façon de maintenir la pression sur cette pauvre jeune femme. Cette aventure illustre que si un virus ne s’attaque pas directement au système nerveux central, il peut faire perdre la tête à des esprits fragiles et vulnérables, facilement manipulables, à la recherche de reconnaissance voire de notoriété, d’une belle position professionnelle qu’elle se serait vu offrir, et avec ce noble objectif de dire la vérité au monde et d’ainsi sauver l’humanité. Sous influence, atteinte d’un trouble mental psychopathologique, capable de rompre avec ses parents, avec son conjoint que Guo traita de mauvais mari sur sa chaine YouTube, tandis que Scarlett disait qu’il n’était plus son mari, qu’elle divorcerait, qu’il était homosexuel, qu’il avait essayé de la tuer, qu’il était un terroriste, un membre du parti communiste sri-lankais à la solde du parti communiste chinois. En mai, Gunapala eu plusieurs contacts téléphoniques avec Scarlett, mais ne retrouva pas dans cet échange, l’épouse qu’il connaissait, à l’image de la manipulation psychologique qu’elle subissait. Il me dit « c’était comme parler à un magnétophone ». Il se rendit à New York dans l’espoir de la retrouver, mais bien sûr sans succès. Plus tard des journalistes de Libération et du New York Times148 qui publièrent des articles sur cette affaire échouèrent à rencontrer Scarlett. On peut suivre son actualité sur sa page facebook où « elle » continue d’affirmer que le SARS-Cov-2 a été créé dans un laboratoire de recherche à Wuhan, à des fins de guerre bactériologique, avec l’approbation de l’Armée populaire de libération du parti communiste chinois. DES SAVANTS D’ANTAN AUX CHERCHEURS D’AUJOURD’HUI Au cours de ce périple dans le passé auprès des savants célèbres ou méconnus, nous avons surtout croisé des hommes. Aussi peut-on se réjouir que la bataille la plus efficace du xxie siècle contre la pandémie 148. https://www.nytimes.com/fr/2020/11/27/business/media/bannon-chinecoronavirus-medias.html. 402
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de COVID-19 aura été possible et gagnée grâce à une femme, Katalin Kariko, à l’origine du vaccin à ARNm contre le SARS-CoV-2. Ce qui fascine dans ce voyage dans le temps c’est que les savants d’antan voyageaient dans toute l’Europe pour s’éduquer, pour se former, pour professer, pour se rencontrer. Une incroyable mobilité. Le programme ERASMUS pour former nos jeunes dans d’autres pays que le leur, tout comme le stage post-doctoral à l’étranger indispensable sésame pour espérer un avenir dans le métier de chercheur, et les congrès internationaux ne sont qu’une simple copie de ce que faisaient déjà du temps des savants d’autrefois. Une autre similitude évidente est la guerre des égos. Le monde de la recherche rassemble des individus semblables au commun des mortels, donc avec leurs défauts et leurs qualités. Le monde de la recherche est dominé par une intelligentsia scientifique qui place ses hommes et ses femmes au plus près des pouvoirs décisionnels, et en période de crise comme celle du COVID-19 auprès des médias. Lors d’une réunion organisée par la Maison de l’Europe à Paris, alors que je donnais en aparté quelques informations sur le COVID-19 et les vaccins, mon interlocutrice ravie de ce que je lui racontais, me demanda mais pourquoi de telles informations n’étaient pas données à la télévision. Les médias ont joué un rôle prépondérant dans la gestion de la crise sanitaire, certains préférant générer le buzz plutôt que d’offrir des informations dignes de confiance, exception faite de la « 5 » dont les émissions sont absolument remarquables. La parole accordée larga manu au directeur de l’Institut Hospitalier Universitaire Méditerranée Infection, de Marseille, n’aura fait que semer le trouble auprès des Français et bien au-delà, puisque l’on se souvient de Trump et Bolsonaro, qui s’affichèrent comme des afficionados du traitement préconisé par le French doctor… Une gentry composée d’individus solidaires que l’on retrouve régulièrement dans toutes les instances scientifiques, non pas forcément en fonction de la qualité de leurs contribution scientifique, mais en fonction de la qualité de leur entregent, régente le 403
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monde de la recherche. Quant aux égos énormes, des Pasteur du xxie siècle, il y en a une multitude149. Pour exemple, ce chercheur qui à l’occasion du COVID-19 contacta l’Agence Nationale de la Recherche pour obtenir directement un financement sans avoir à passer par le traditionnel dépôt de projet et sa procédure d’évaluation par les pairs ! À l’inverse, au cours de ma carrière, j’ai eu le grand bonheur de croiser des chercheurs brillantissimes150, mes héros des temps modernes, qui m’offrirent la possibilité d’interagir, de dialoguer, m’écoutèrent et m’accordèrent leur confiance comme si j’étais leur égal. Au cours de notre voyage dans le passé, nous avons eu à maintes reprises l’illustration que les dogmes sont profondément ancrés dans le crâne des savants, et que faire évoluer les idées prend du temps. Oubli pour ceux qui proposèrent trop tôt un concept, une idée, voire une preuve, tandis que l’on criera au génie pour ceux qui grâce à leur aura auront confirmé ces travaux par de nouvelles démonstrations. La communauté scientifique prend son temps pour reconnaître certains travaux. On mesure l’impact des travaux au nombre de fois qu’ils sont cités dans la littérature. Le pic de citations se situe généralement quelques années après la parution du dit article. En 2001, je publiais un article sur le concept de dichotomie de cytokines dites pro-inflammatoires versus des cytokines dites anti-inflammatoires 149. Lire l’excellent livre à compte d’auteur de Bruno Lemaître dont les travaux sont à l’origine du prix Nobel attribué à Jules Hoffmann en 2011 : « An essay on science and narcissism – How do high-ego personalities drive research in life sciences ? » (avril 2016). 150. Charles Dinarello (USA), Kevin Tracey (USA), Irshad Chaudry (USA), Charles Mills (USA), Jack Levin (USA), Alan Cross (USA), Steve Opal (USA), Robert Munford (USA), Shaw Warren (USA), Charles McCall (USA), Tom van der Poll (Pays-Bas), Ernst Rietschel (Allemagne), Markus Huber-Lang (Allemagne), Konrad Reinhart (Allemagne), Michael Bauer (Allemagne), Peter Radermacher (Allemagne), Mervyn Singer (UK), Christoph Thiemermann (UK), Heinz Reidl (Autriche), Soheyl Bahrami (Autriche), Marcin Osuchoswski (Autriche), Evangellos GiamarellosBourboulis (Grèce), Subhra Biswas (Singapore), Armando Isibasi (Mexique), Eva Salinas (Mexique), Yong-ming Yao (Chine), Jean Carlet (France), Michel Goldman (Belgique), Jérome Pugin (Suisse), Georges Grau (Australie)… 404
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que j’estimais inexact151. Le pic de citations de cet article aura été atteint en 2020 ! Le monde de la recherche n’est pas un monde de bisounours, pas davantage aujourd’hui qu’il ne l’était au xixe siècle. D’un côté les passionnés besogneux et discrets, et de l’autre côté ceux qui par leur brio sont sous la lumière des projecteurs. Cette dichotomie a généré un comportement qui n’aurait fait aucun sens au xixe siècle : celui des tricheurs. « Le bon, la brute et le truand » n’est pas qu’un film qui ne refléterait que la vie lors de la conquête de l’Ouest. Régulièrement, les grands organismes de recherche (CNRS, Inserm, Institut Pasteur) licencient des chercheurs peu scrupuleux qui, pour être sous la lumière, sont prêts à embellir leurs résultats, travestir la vérité, manipuler leurs données. Par chance, il existe désormais un site sur la toile où l’on peut dénoncer les malversations trouvées à la lecture d’un article scientifique (Pubpeer). Des commissions d’enquête sont alors nommées. Si la triche est avérée, répétée et démontrée, la sanction est généralement le licenciement, tandis qu’il est demandé au chercheur de faire une rétractation de son (ses) article(s) publié(s). Il est d’autres inconduites scientifiques comme le plagiat et la publication par deux fois des mêmes données, mais il peut aussi s’agir d’erreurs de raisonnement ou d’erreurs d’expérimentation. Ces dernières représentent vingt-cinq pour cent des rétractions152. Même des prix Nobel furent amenés à rétracter un article qu’ils avaient co-signé, tels que Jack Szostak (Prix Nobel Médecine, 2009), Bruce Beutler (Prix Nobel Médecine, 2011), Shinya Yamanaka (Prix Nobel Médecine, 2012), Frances Arnold (Prix Nobel Chimie, 2018), sans doute le fruit d’un évènement accidentel, reflet d’un contrôle insuffisant du travail mené dans un laboratoire prestigieux. Mais il y a aussi les récidivistes. Le Dr. Alirio Melendez, des Universités de Glasgow et 151. Cavaillon JM. Pro- versus anti-inflammatory cytokines: Myth or reality. Cell Molec Biol. 2001; 47: 695-702. 152. Fang FC, Steen RG, Casadevall A. Misconduct accounts for the majority of retracted scientific publications. Proc Natl Acad Sci U S A. 2012; 109(42): 17028-33. 405
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Singapore, accusé d’inconduite dans vingt-et-un articles, se trouva contraint de rétracter quatorze d’entre eux. Une étoile montante dans l’analyse comportementale des araignées, Jonathan Pruitt, de l’Université McMaster (Hamilton, Canada) fut contraint de rétracter dix articles publiés entre 2013 et 2020, tandis que l’Université canadienne annonçait étudier la fiabilité de 17 articles. La professeur Michelle Bergadaà, chargée de l’éthique à l’Université de Genève, distingue quatre profils des faussaires : le manipulateur, le fraudeur, le bricoleur et le tricheur. Elle nous explique que lorsqu’une enquête pour fraude scientifique est ouverte, généralement en remontant jusqu’à la thèse, on découvre un long continuum de transgression. Plus récemment, en janvier 2018, la présidente par intérim du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), fut démise de ses fonctions à la suite d’allégations sur le site PubPeer. Après deux années d’enquête, le CEA annonça la sanction, deux semaines de mise à pied pour des méconduites sur trois articles de 2003, 2007 et 2009, la duperie portant sur des détails expérimentaux visant à les embellir. La clémence fut accordée car ses manipulations n’étaient pas associées à de faux résultats, puisque ceux-ci furent reproduits dans d’autres laboratoires sans avoir recours à la tromperie. En outre, il existe de nombreuses situations où les auteurs n’ont jamais publié de démentis ou rétracté leurs papiers erronés. Par exemple, la découverte d’une nouvelle cytokine fut publiée par un chercheur d’un célèbre institut de recherche dans le prestigieux « Proceeding of the National Academy of Science of the United States of America ». Par la suite l’auteur publia sept autres articles scientifiques et reçu même un prix pour cette découverte jusqu’à ce qu’un étudiant découvrît qu’il s’agissait d’un artéfact consécutif à une contamination des cultures par des mycoplasmes. L’étudiant fut renvoyé et aucun démenti ne fut jamais publié. « Un homme qui a commis une erreur et qui ne la corrige pas commet une autre erreur » (attribué à Confucius). Si j’ai tendance à penser que les savants du passé n’avaient pas de raison de tricher de façon délibérée, ils peuvent bien entendu s’être 406
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lourdement trompés. Bien sûr, on pense à Pouchet et sa défense de la théorie de la génération spontanée, mais il est aussi de brillants esprits qui se sont fourvoyés : ainsi, Rudolf Virchow, le père de la théorie cellulaire, qui déclara que le pus était le fruit de division cellulaire à partir d’éléments tissulaires (1858), ou Louis Pasteur qui en 1878 estima que ce même pus dérivait d’une simple transformation des globules rouges. Pourtant, dix ans plus tôt, les élèves de Virchow, et en particulier Julius Friedrich Cohnheim (1839-1884), avaient en 1867 correctement identifié les globules blancs comme étant à l’origine des cellules du pus. De même, Florence Rena Sabin (1871-1953), la première femme admise à l’Académie des Sciences Américaine en 1925, publia dans un journal prestigieux que les cellules phagocytaires produisent des anticorps153 (ce qui n’est absolument pas le cas puisque ce sont les lymphocytes B qui, évoluant en plasmocytes, produisent les anticorps). Certes, Errare humanum est, mais Perseverare diabolicum… et d’autres erreurs sont moins pardonnables, en particulier lorsque l’on n’écoute pas les conseils de son mentor. Metchnikoff écrivit à propos d’un de ses stagiaires en provenance de Kazan qui obtint une prétendue atténuation du pneumocoque par des sérums de lapins vaccinés après s’être trompé de germes : « […] Je saisis cette occasion pour informer le lecteur du mémoire de M. Arkharoff que cet observateur a confondu plusieurs fois le pneumocoque avec le microbe de la pneumo-entérite des porcs. […] L’obstination de M. Arkharoff à ne pas employer la coloration de Gram lui a facilité cette erreur »154. Pour flatter l’égo des chercheurs il existe un très grand nombre de prix qui sont régulièrement décernés. Pratiquement toutes les semaines, le bulletin d’information interne de l’Institut Pasteur annonce les heureux élus au sein desquels on trouve quelques cumulards. On se souvient de Jacques Séguéla déclarant en 2009 : « Si à 153. Sabin FR. Cellular reactions to a dye-protein with a concept of the mechanism of antibody formation. J Exp Med. 1939; 70(1): 67-82. 154. Issaeff B. Contribution à l’étude de l’immunité acquise contre le pneumocoque. Ann Inst. Pasteur. 1893; 7: 206-285. 407
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50 ans on n’a pas de Rolex, on a raté sa vie ». On pourrait s’en inspirer et dire avec le même sens de la provocation : « qui n’a pas reçu de prix, a raté sa vie de chercheur ». De tous temps, le chercheur a connu une vie stressante à plus d’un titre : l’encadrement des jeunes thésards et des jeunes post-doctorants qui se doit d’être couronné de succès en un temps limité, les expériences qui se doivent d’être réussies, les financements qui se doivent d’être obtenus, la véracité et l’intérêt de ses travaux qui se doivent d’être reconnus par les pairs. En outre, le chercheur connait désormais la pression exercée par les instances d’évaluation qui estiment, comme pour un chanteur de qui on attend un tube régulièrement, qu’un chercheur se doit de produire régulièrement une contribution majeure publiée dans des journaux à haut impact facteur155. Plus surprenant sans doute, pour qui ne connait pas ce milieu, c’est que le chercheur n’échappe pas au harcèlement moral. Comme nous l’avons vu, nos savants du passé étaient régulièrement exposés aux critiques, parfois fort virulentes, de leurs pairs. Tous n’avaient pas la même résilience face à ces attaques. On sent toute l’amertume, l’aigreur et la frustration de Béchamp face au mépris affiché de Pasteur. Certains pouvaient en être profondément affectés. En octobre 1913, Metchnikoff déclara : « La controverse à propos de la phagocytose aurait pu me tuer, ou plutôt m’affaiblir définitivement. Parfois, (je me souviens des attaques de Lubarsch en 1889, et celles de Pfeiffer en 1894) j’étais prêt à me débarrasser de la vie ». Une très intéressante enquête rendue publique en 2020, réalisée auprès de 4 267 scientifiques, a brossé un tableau accablant de 155. Calculé tous les ans, l’impact facteur est utilisé pour hiérarchiser la réputation des journaux scientifiques. Un impact facteur élevé est un marqueur de prestige pour un journal. Plus les journaux ont des impacts facteurs élevés, plus il est difficile d’y publier. Une publication dans un tel journal (le graal des chercheurs) est considérée comme un gage d’excellence par les instances d’évaluation… ! Heureux les chercheurs d’antan qui ne connaissaient pas cette pression. De nombreux prix Nobel du début du xxe siècle ont été attribués sur des travaux publiés dans des journaux scientifiques nationaux voire même régionaux dans la langue de l’auteur. 408
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l’environnement hostile dans laquelle ils travaillent, dommageable à la qualité de la recherche156. Face aux conditions malveillantes et agressives, près de la moitié d’entre eux a indiqué avoir été confronté à la dépression ou l’anxiété. Quarante-trois pour cent des personnes interrogées déclarent avoir connu directement brimade, intimidation ou harcèlement tandis que 61 % indiquaient en avoir été témoin. Dans la majorité des cas (59 %) cela venait de leurs responsables, ou d’autres collègues séniors (44 %) ou des pairs (27 %) tandis que trop souvent les dirigeants ferment les yeux. J’ai souvenir de mon stage post-doctoral à l’Université de Toronto chez le professeur Bernhard Cinader (19192001). Le stagiaire qui m’avait précédé était retourné au Mexique avec un ulcère qu’il avait développé face au comportement stressant du patron, tandis que le Dr. Chi-Tao Chou, un médecin érudit chinois devait sans doute grâce à sa philosophie de vie, fruit de son éducation, son incroyable résilience face au comportement irrespectueux et autoritaire du patron. Ma façon de résister était cette affiche de mai 68 que j’avais affichée au-dessus de mon bureau, représentant le profil du général de Gaule mettant sa main sur la bouche d’un jeune homme, avec cette légende : « Sois jeune et tais-toi ». Même si de façon heureuse, une majorité de chercheurs a déclaré ne pas subir de pression par leurs superviseurs pour produire un résultat particulier (61 %), il est néanmoins inquiétant de constater que près d’un quart d’entre eux (23 %) déclare avoir ressenti une telle pression. Le harcèlement sexuel n’est pas plus absent de ce milieu qu’il ne l’est du reste de la société. Mais, lorsque j’étais jeune chercheur, le terme n’existait pas et on connaissait tous dans notre entourage des patrons dit « chauds lapins », coureurs de jupons, dragueurs invétérés, sans nul doute bien au-delà du raisonnable. Nier qu’il a existé un droit de cuissage ne serait pas conforme au regard que l’on veut porter sur le passé. Et bien que la situation ait évoluée, il reste des pratiques et mentalités à changer. 156. https://wellcome.org/sites/default/files/what-researchers-think-about-theculture-they-work-in.pdf. 409
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Les chercheurs sont passionnés par leur travail et fiers de faire partie de la communauté de la recherche ; ils y voient une vocation, pas seulement un travail. Ils y consacrent de 41 à plus de 60 heures par semaine (68 %). Ils acceptent la concurrence, la compétition, l’insécurité, le défi, l’élitisme, comme une partie nécessaire du travail dans la recherche, mais pensent que cet environnement devient souvent agressif et nuisible (78 %). Quarante-deux pour cent des personnes interrogées estiment qu’il existe une concurrence malsaine au sein de leur environnement de travail. La pression exercée sur les chercheurs par leurs supérieurs, eux-mêmes sous la pression de leurs instances, est ressentie par la majorité des scientifiques : 42 % d’entre eux se disent insatisfait par la façon avec laquelle les institutions gèrent les évaluations des performances contre 33 % qui se disent satisfaits. Une source de conflit entre chercheurs est l’ordre des noms sur une publication. La coutume veut que l’expérimentateur principal signe en premier, et le mentor en dernier. Mais ces deux places sont souvent âprement disputées et discutées. Pour limiter les conflits, on trouve désormais des co-premiers auteurs et des co-seniors auteurs. Mais, même avec cette astuce, les conflits demeurent, car même signalés comme co-premiers auteurs, ils demeurent inévitablement sur le papier un ordre des noms. Souvent de nombreux noms figurent comme co-auteurs. Si certains ont réellement collaboré et méritent parfaitement leur place, d’autres se voient offrir d’être co-auteur, généralement par le superviseur, uniquement à des fins d’entretenir son amitié, son entregent, son relationnel, sans que rien ne justifie une telle position. Parmi les auteurs des intimidations et du harcèlement figurent également les managers. À titre d’exemple, je connus le harcèlement à une époque où le concept n’avait pas encore émergé et le mot n’était pas popularisé. Les laboratoires Pfizer (bien connus aujourd’hui grâce à leur vaccin COVID-19) décidèrent en 2004 de quitter la France, et d’abandonner leur site de recherche qu’ils avaient à Fresnes. Ils en firent donation pour un euro symbolique à l’Institut Pasteur. Face à ce don qui s’avéra être un cadeau empoisonné, son directeur général 410
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de l’époque et son directeur des affaires scientifiques et médicales, surnommé « Terminator », « invitèrent » donc des volontaires à quitter le prestigieux site parisien du XVe arrondissement pour aller travailler près de la Halle à Chaussures de Fresnes, une ville réputée pour sa prison. Face au peu d’empressement des pasteuriens, une, puis deux charrettes furent décidées. Une pression psychologique lourde, pesante et éprouvante s’abattit sur le personnel des équipes désignées. Par chance la troisième charrette comprenait des ténors de l’institut dont l’envie d’émigrer à Fresnes n’était pas plus grande que celle de leurs collègues moins prestigieux, mais surtout dont le pouvoir d’opposition était plus puissant. La direction finit par se rendre et revendit le site de Fresnes. La deuxième étape marquante dans le harcèlement, fut la fermeture de mon unité de recherche. Il s’agissait d’un évènement parfaitement programmé et normal. Mais la secrétaire générale envoya un de ses sbires à quelques semaines de la date de fermeture m’informer qu’il fallait que je libère l’ensemble des pièces et mon bureau impérativement à cette date, laissant place nette, un lieu parfaitement vidé de tous les contenus des réfrigérateurs, des congélateurs, des placards, des étagères, des meubles. Que Catherine Fitting, ma plus fidèle collaboratrice qui m’a accompagné pendant près de trente-cinq soit ici remerciée pour son aide dans cette tâche ingrate et éprouvante qui fut de jeter documents et produits de notre recherche accumulés durant plus de trente-cinq ans. La place fut rendue totalement nette à la date imposée, et bien sûr les lieux restèrent ainsi dormants durant plus de trois mois… Illustrant que la pression de rendre les lieux entièrement vidés à une date butoir ne se justifiait pas. Ces trois mois, je les passais auprès d’un ami et collègue, Shaw Warren, au Massachussetts General Hospital de Boston à qui j’offrais de mettre à son service mes derniers neurones encore vaillants. LA COURSE À LA CONNAISSANCE Observer, décrire, déchiffrer, comprendre, mais aussi prévenir, soigner et guérir auront été les motivations des savants médecins du 411
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temps jadis sans qu’aucune hiérarchisation de ces objectifs ne soit mis en avant pour apprécier ou dénigrer leur travail. Aujourd’hui, dans le domaine de la biologie de la santé, proposer des travaux descriptifs est considéré comme de piètre valeur, tandis que l’on porte aux nues une recherche dite fondamentale, offrant un déchiffrage mécanistique. De même, la recherche appliquée, pourtant génératrice de brevets, n’est pas un domaine particulièrement soutenu. Alors ne soyons pas surpris de l’échec et du retard français en matière de développement d’un vaccin contre le COVID-19. Cette pandémie a mis au-devant de la scène des professionnels généralement discrets, en particulier ceux impliqués dans la recherche scientifique en biologie, et plus particulièrement dans le domaine des infections. À l’image de ce chercheur français numéro un dans le domaine des coronavirus à qui les instances d’évaluation « bien inspirée » (!) lui avaient demandé de quitter cette thématique de recherche, il manque clairement au sein des hautes instances scientifiques dirigeantes des visionnaires capables d’appréhender l’importance des différents thèmes de recherche. Sans doute n’est-ce pas une problématique purement française, puisque l’on se souvient que Katalin Kariko fut loin de recevoir tous les soutiens qu’elle aurait pu espérer de la part de l’Université de Pennsylvanie sur ses vaccins à ARNm. L’Institut Pasteur a décroché dans certains domaines de l’infectiologie et de la vaccinologie, alors qu’au cours de cette balade dans le passé, nous avons pu constater combien les pasteuriens avaient été au-devant de la scène. En 2017, l’OMS déclarait le sepsis comme une priorité de santé publique (pour rappel les formes graves du C OVID-19 sont considérées comme un sepsis viral). À l’époque, il y avait à l’Institut Pasteur, deux unités de recherche sur cette thématique… aujourd’hui il n’y en a plus ! À vrai dire une vraie réflexion scientifique stratégique n’existe pas, et à force de privilégier l’excellence, seul mot mis en exergue par les dirigeants de la recherche pour décider des orientations de la recherche, et favoriser les thèmes à la mode, on ne s’interroge pas s’il ne serait pas aussi important et opportun de 412
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maintenir un savoir-faire, une expertise en cas de coup dur, en cas d’émergence ou de ré-émergence d’une pathologie infectieuse. Néanmoins à l’occasion du COVID-19, saluons le remarquable effort et l’adaptabilité de la communauté scientifique pour décrypter les tenants et les aboutissants de cette nouvelle pathologie infectieuse, accumulant en moins d’un an une multitude d’informations sur ce nouveau virus et la maladie dont il est à l’origine, et ses conséquences socio-économiques. En France, plus de 1 000 projets ont été déposés pour étudier tous les aspects du COVID-19, que ce soit en biologie ou en sciences humaines et sociales et trente-cinq millions d’euros ont été distribués par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et ses partenaires pour financer après évaluation, 279 projets157. Le savoir et l’expertise des équipes de recherche mis au service d’une seule et même cause fut une chance et une opportunité. En remerciement du savoir-faire, du dévouement et de l’incroyable effort du personnel de l’ANR pour gérer dans l’urgence et avec efficacité ces appels d’offre pendant le confinement et la pandémie, il fut décidé par les instances dirigeantes de retirer du giron du l’ANR le financement de la recherche sur les maladies infectieuses émergentes pour l’attribuer à l’Agence Nationale de la Recherche sur le SIDA (ANRS)… illustration de cette usine à gaz, de l’irrationnel que constitue l’organisation de la recherche française et du pouvoir exorbitant de certains membres de l’intelligentsia scientifique ! La recherche scientifique souffre de nombreux maux rarement reconnus car cette reconnaissance mettrait à mal la respectabilité à laquelle aspirent les chercheurs. Le premier biais est la non-reproductibilité de nombreux travaux. Quand on interroge les scientifiques, tant dans le milieu universitaire que dans l’industrie, il y a un consensus comme quoi de nombreux résultats publiés sont difficiles à reproduire. Étonnamment, même des publications dans des revues prestigieuses n’assurent pas la reproductibilité. Dans une étude analysant 67 publications en oncologie, santé de la femme et maladies cardiovasculaires, 157. Fondation de France, Fondation pour la Recherche Médicale, les Régions. 413
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seulement 26 % d’entre elles furent reproductibles158. Une autre étude en hématologie et oncologie portant sur cinquante-trois articles considérés comme remarquables, a révélé que seulement 11 % de ces travaux avaient été confirmés.159 Tout cela coûte très cher et des auteurs ont estimé que sur les 100 milliards investis chaque année dans la recherche biomédicale, 85 % auraient été gaspillés160. Dans un article provocateur mais malheureusement pertinent John Ioannidis, chercheur grec de l’Université de Stanford, s’interrogeait à savoir pourquoi la plupart des résultats de recherche publiés étaient faux161. Une des explications de la non-reproductibilité est l’impossibilité de reproduire à l’identique le modèle expérimental. Faire du pain pourrait être la plus reproductible des recettes, pourtant toutes les baguettes ne sont pas identiques et n’ont pas les mêmes qualités gustatives d’une boulangerie à l’autre. D’infimes différences expliquent cette disparité. Reproduire une expérience, est aussi sujet à de nombreuses minimes différences d’un laboratoire à l’autre, aboutissant in fine à des résultats divergents. Il faut dire que l’expérimentation in vitro et les recettes que suivent les chercheurs ne font parfois pas grand sens. Par exemple, un très grand nombre d’expériences menées avec des cellules humaines sont conduites dans un milieu de culture supplémenté en sérum de veau fœtal. Outre le fait que ce produit diffère grandement d’un lot à l’autre (des variations de 120 fois en taux de progestérone, 75 fois en hormone parathyroïde, de 61 fois en prostaglandine, de 23 fois en cortisol…), il ne fait pas grand sens d’offrir des protéines bovines à des cellules humaines. Les outils employés peuvent être totalement inappropriés, ainsi des anticorps ont été montrés comme ne reconnaissant pas la cible contre laquelle 158. Prinz F, Schlange T, Asadullah K. Believe it or not: how much can we rely on published data on potential drug targets? Nat Rev Drug Discov. 2011; 10(9): 712. 159. Begley CG, Ellis LM. Drug development: Raise standards for preclinical cancer research. Nature. 2012; 483(7391): 531-3. 160. Chalmers I, Glasziou P. Avoidable waste in the production and reporting of research evidence. Lancet. 2009; 374: 86-89. 161. Ioannidis JPA. Why most published research findings are false. PLoS Med. 2005; 2(8): e124. 414
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ils étaient vendus. Par exemple, une évaluation de 246 anticorps utilisés dans les études épigénétiques a révélé qu’un quart échouait aux tests de spécificité, ce qui signifie qu’ils se liaient souvent à plus d’une cible. Quatre anticorps étaient parfaitement spécifiques, mais vis-àvis de la mauvaise cible !162. Des auteurs recherchaient une protéine appelée CUZD1, qui, selon eux, pourrait être utilisée pour tester si une personne a un cancer du pancréas. Ils ont acheté des kits de détection de cette protéine et ont gaspillé deux ans d’efforts, 500 000 $ et des milliers d’échantillons de patients, avant de se rendre compte que l’anticorps dans le kit reconnaissait une protéine cancéreuse différente, et ne se liait pas du tout à CUZD1163. Beaucoup d’études in vitro sont menées à partir de lignées cellulaires. Mais celles-ci ne sont pas stables et évoluent différemment dans chaque laboratoire, bien qu’elles continuent d’être appelées par le même nom. Une analyse protéomique et transcriptomique de 14 échantillons de la fameuse lignée HELA (prélevée en 1951 à partir d’une métastase d’un cancer du col de l’utérus d’Henrietta Lacks) démontra la très grande hétérogénéité de ces cellules d’un laboratoire à l’autre164. Un autre artifice expérimental, est le fait de travailler sur du plastique qui peut totalement modifier le comportement des cellules comme notre laboratoire l’a montré avec la culture de monocytes humains en présence d’une cytokine particulière165. L’expérimentation in vitro, c’est comme aller voir des éléphants au cirque. Ils peuvent s’assoir sur leur postérieur sur un tabouret, mais vous ne les verrez jamais faire cela dans la nature ! Un exemple de cette discordance entre l’expérimentation in vitro et la réalité chez l’être humain fut fourni 162. Egelhofer TA et al. An assessment of histone-modification antibody quality. Nat Struct Mol Biol. 2011; 18(1): 91-3. 163. Prassas I. False biomarker discovery due to reactivity of a commercial ELISA for CUZD1 with cancer antigen CA125. Clin Chem. 2014; 60(2): 381-8. 164. Liu Y et al. Multi-omic measurements of heterogeneity in HeLa cells across laboratories. Nat Biotechnol. 2019; 37(3): 314-22. 165. Petit-Bertron AF, Fitting C, Cavaillon JM, Adib-Conquy M. Adherence influences monocyte responsiveness to interleukin-10. J Leukoc Biol. 2003; 73(1): 145-54. 415
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par l’hydroxychloroquine. Début 2020, une équipe chinoise publia la capacité de la chloroquine à inhiber la réplication du virus in vitro166. Dans la foulée une équipe de l’hôpital de Qingdao en Chine et une équipe à Marseille s’engouffrèrent sans rigueur pour démontrer une apparente efficacité in vivo. On sait que par la suite de très nombreuses études rigoureuses démontrèrent qu’il n’en était rien. Une autre problématique non négligeable est l’usage de modèles animaux. Plus de 90 % des composés qui entrent en essais cliniques ne parviennent pas à démontrer une sécurité et une efficacité suffisantes pour obtenir l’approbation réglementaire. La plupart de ces échecs sont dû à la faible valeur prédictive des modèles animaux précliniques de la maladie étudiée et à notre ignorance concernant les conséquences de la perturbation de cibles spécifiques sur de longues périodes chez l’Homme167. Parmi les très nombreuses différences physiologiques entre souris et humains, citons la thermoneutralité qui fait qu’une souris à température ambiante ne fait pas de fièvre lors d’une infection, ce qui est fâcheux pour étudier une réponse normale à un processus infectieux voire anti-cancéreux. Les souris ne font pas d’exercice, ce qui altère également leur métabolisme, et, gardées dans des cages en polycarbonate, elles sont exposées au bisphénol A qui altère aussi leur réponse immunitaire. Enfin leurs rythmes cardiaques et respiratoires sont 10 fois plus rapides que ceux des humains. Parfois l’argumentation pour initier des études chez l’Homme est présentée de façon tendancieuse. Ainsi par exemple, une étude portant sur efficacité d’un nouveau vaccin contre la tuberculose menée sur 2 797 nourrissons s’avéra négative168. À vrai dire, huit études préalables sur 192 animaux (souris, cobayes, macaques, veaux) 166. Wang M et al. Remdesivir and chloroquine effectively inhibit the recently emerged novel coronavirus (2019-nCoV) in vitro. Cell Research. 2020; 30: 269-71. 167. Plenge RM, Scolnick EM, Altshuler D. Validating therapeutic targets through human genetics. Nat Rev Drug Discov. 2013; 12(8): 581-94. 168. Tameris MD et al. Safety and efficacy of MVA85A, a new tuberculosis vaccine, in infants previously vaccinated with BCG: a randomised, placebo-controlled phase 2b trial. Lancet. 2013; 381: 1021-8. 416
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n’avaient pas fourni de preuves suffisantes pour étayer l’efficacité du nouveau vaccin en tant que rappel du BCG et justifier une telle étude d’envergure chez l’Homme169. Mais, les chercheurs de l’Université d’Oxford, avaient utilisé les résultats des études animales de manière sélective pour obtenir un financement et une approbation pour des essais sur l’Homme170. Bien rares sont les chercheurs qui veulent bien admettre que leur modèle animal favori a une relevance très limitée pour étudier certaines pathologies humaines. Qui voudrait scier la branche sur laquelle il a assis toute sa carrière ? J’ai eu l’occasion d’expliquer les trente années d’échecs pour développer de nouvelles approches thérapeutiques pour traiter le sepsis, essentiellement basées sur des expérimentations menées chez la souris171. Avec Shaw Warren, mon collègue de Boston, nous déclarions dans une interview donnée au journal Le Monde et repris dans le Guardian : « Au lieu de nous concentrer sur les similitudes supposées entre les souris et les humains, nous devrions peut-être examiner leurs différences. Les souris sont 100 000 fois plus résistantes aux bactéries que nous. C’est un fait établi, qui pourrait servir d’inspiration. Plutôt que de faire des souris comme des humains, nous pourrions faire le contraire »172. Quand Metchnikoff a utilisé des chimpanzés pour mener ses études sur la syphilis ou le vaccin contre la fièvre typhoïde, c’était en pleine connaissance de la valeur limitée des autres modèles animaux. Aujourd’hui l’éthique de l’expérimentation animale, mais aussi leur coût, ne rendent guère envisageable l’emploi de ces primates. Les babouins et les singes rhésus demeurent très utilisés, mais ils sont 169. Kashangura R, Sena ES, Young T, Garner P. Effects of MVA85A vaccine on tuberculosis challenge in animals: systematic review. Int J Epidemiol. 2015; 44: 197081. 170. Cohen D. Oxford TB vaccine study calls into question selective use of animal data. Brit. Med. J. 2018; 360: j5845. 171. Cavaillon JM, Singer M, Skirecki T. Sepsis therapies: learning from 30 years of failure of translational research to propose new leads. EMBO Mol Med. 2020; 12: e10128. 172. https://www.theguardian.com/science/2015/mar/20/mice-clinical-trialshuman-disease. 417
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bien plus résistants aux endotoxines que les humains, ce qui limite leur pertinence dans certaines études d’infectiologie. Le coût élevé de la recherche biomédicale est un élément essentiel qui gouverne la qualité et la pertinence de la recherche. La France paye cher ces années de faible soutien de sa recherche. Le taux de succès aux appels d’offre de l’ANR en biologie et santé était de 9,7 % en 2015… Ou, peut-être pour mieux réaliser, cela signifie que 90,3 % des équipes qui avaient déposé un projet de recherche auprès du principal guichet de la recherche française n’avaient pas été financées. En 2019, le chiffre monta à 14,8 % des projets déposés financés, ce qui laissait encore 83,2 % des équipes sur le carreau. Dans son numéro du 23 avril 2021, le prestigieux journal scientifique américain « Science » titrait : « Après l’échec des vaccins, la France déplore son déclin biomédical. Les chercheurs accusent une compression du financement de la recherche fondamentale et la rareté du capital-risque pour les startups biotechnologiques ». Illustrant son propos, le journal indiquait qu’entre 2011 et 2018, le budget consacré à la recherche biomédicale publique avait diminué en France de 28 %, là où en Allemagne il avait augmenté de 11 %, atteignant 6 milliards de dollars, plus du double de ce qu’il était en France. Reconnaissons néanmoins qu’en 2021 des efforts significatifs ont été faits pour booster les financements de la recherche française avec l’objectif de financer 23 % des projets déposés. Ainsi, la pandémie du COVID-19 aura mis la recherche française, au-devant de la scène et loin du cocorico espéré, les Français ont alors découvert le triste bilan de de ces dernières années de vaches maigres. Le constat est accablant quant à la visibilité de la recherche en France illustrée par le nombre d’articles parus dans des journaux scientifiques. Selon les thèmes, le recul sur ces dix dernières années est variable : 5e en 2011 dans le domaine des maladies infectieuses, elle est 7e en 2021. Cinquième en 2011 sur la résistance aux antibiotiques (derrière les USA, la Chine, Le Royaume Uni, et l’Allemagne) la France est désormais 9e, dépassée par l’Inde, l’Italie, l’Espagne et l’Australie (25,7 millions d’habitants). Même recul de la 5e place à la 418
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9e place en dix ans dans le domaine des vaccins. La contribution de la France sur le COVID-19 la place à la 10e place. Pour un pays qui se targue d’appartenir au G7, en recherche elle n’appartient plus aux sept pays les plus contributeurs à la connaissance. La crise du COVID-19 aura illustré la difficulté du dialogue entre le monde de la recherche et le grand public qui souhaite avoir des réponses immédiates à toutes ses questions. Face à ses interrogations bien légitimes, nombre de savants contemporains ont fait preuve de bien peu d’humilité. Rares furent ceux qui à une question répondirent avec honnêteté « je ne sais pas ». Face à l’urgence de la pandémie, il y avait besoin de temps pour offrir une recherche rigoureuse et de qualité. Mais en aucun cas la recherche scientifique n’a de pouvoir de prédiction. Qui aurait pu prédire que des vaccins seraient disponibles moins d’un an après le début de la pandémie, sachant que dix-sept ans après l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SARS), et sept ans après le premier cas de syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS), il n’y avait toujours pas de vaccin contre ces coronavirus malgré des dizaines de tentatives pour les développer. La recherche scientifique est une démarche qui nécessite du temps pour aboutir à des résultats fiables. À l’occasion du COVID-19, les chercheurs et les industriels ont accompli un miracle. Un article de 2011, indiquait qu’il fallait à l’époque 14 ans pour préparer un nouveau vaccin, et il était alors envisagé qu’il faudrait 9 à 10 ans en 2020173. Pourtant, le vaccin contre le COVID-19 a été préparé en dix mois, avec il est vrai un budget du secteur public de 15 milliards d’euros. Les miracles ont un coût ! Pour conclure, citons une dernière fois Metchnikoff qui clamait sa conviction et sa vision optimiste du rôle de la science : « Tout idéal à même d’unir l’humanité en une religion de l’avenir doit être fondé sur des principes scientifiques, et si, comme on nous le dit, il est impossible de vivre sans foi, alors cette foi ne peut être que celle dans le pouvoir de la science ». 173. Rappuoli R, Aderem A. A 2020 vision for vaccines against HIV, tuberculosis and malaria. Nature. 2011; 473: 463-9. 419
INDEX DES NOMS CITÉS
A Abraham Edward 254 Adams John 316 Adams Joseph 77, 168, 204 Alcides Carrión Daniel 78 Alexander Albert 255 Alexandre le Grand 155 Alibert Jean Louis 318 Allègre Claude 399 Alouf Joseph 182 Alvarez Walter Clement 195 Amherst Jeffery 20 Anaxagoras 99 Anaximander 99 Andry de Bois-Regard Nicolas 47, 48, 233 Annane Djillali 223 Apollinaire Guillaume 33 Apollon 20, 148 Appert Nicolas 95 Archer Edward 297 Aristote 99 Arloing Saturnin 209 Arnold Frances 405 Astruc Jean 57, 201, 204 Atanasiu Pascu 216, 217
Attal Gabriel 288 Aubert-Roche Louis-Rémy 63 Aurelianus Caelius 215 Auzias-Turenne Joseph-Alexandre 147, 302, 303, 306, 307 Avery Jr. Oswald Theodore 179 Avicenne 128
B Babès Victor 249, 321 Bacon Francis 265 Baginsky Adolf 355 Balard Antoine-Jérôme 104 Balbiani Édouard-Gérard 112 Bally François-Victor 67 Bancel Stéphane 389 Banks Joseph 311 Bannon Stephen K. 400 Barlow Claude H. 79 Barré-Sinoussi Françoise 34, 35 Barthélemy Auguste 148, 149 Barthélemy Éloy 122 Bassi Agostino 109, 110 Bastianelli Giuseppe 160 Baudelaire 147 Bauer Michael 288, 404 421
Index des noms cités
Bayle Antoine Laurent 150 Beale Lionel 118 Béchamp Antoine 97, 98, 99, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 408 Béhic Louis 113 Bell Benjamin 75 Bell Charles 181 Bell Robert 194 Benjamin Louis-Auguste 322 Benjamin Weill-Hall Benjamin 379 Benjamin Weill-Hallé Benjamin 379 Bergadaà Michelle 406 Berger Paul 290, 291 Bergeron Pierre-Jacques 318 Bergson Henri 265 Berkefeld Wilhelm 212, 218 Bernard Claude 35, 95, 97, 113, 117, 123, 171, 347 Bernardt Sarah 130, 357 Bernheim Samuel 131, 132, 133 Bert Paul 117 Berthelot Marcellin 97 Bertrand Jean-Baptiste 53, 347 Besredka Alexandre 178, 225, 375, 377 Bettencourt Rodrigues Antonio Maria 195 Beutler Bruce 405 Biden Joe 286 Bignami Amico 160 Billroth Theodor 138, 246, 290 Bin Fang 222 Biot Jean-Baptiste 98 Bischoffsheim Raphaël 102 Bizzozero Giulio 6, 80, 177 Blanquer Jean-Michel 223 Boeck Carl Wilhelm 306 Boerhaave Herman 300 Boghurst William 52, 53 Boissier de Sauvages François 153 Boivin André 6, 178, 179 Bolsonaro Jair 105, 403 Bonaparte Élisa 117 Bonaparte Louis Napoléon 112 422
Le mauvais air
Bordet Jules 10, 36, 136, 141, 144, 228, 230, 246, 253, 266, 267, 268, 269, 271 Borgognoni de Lucas Hugo 234 Borgognoni de Lucas Teodorico 234 Borrel Amédée 203 Bory de Saint-Vincent Jean-Baptiste Geneviève Marcellin 92 Bouchard Charles 177, 185, 187, 192, 250 Bouillaud Jean-Baptiste 65 Bouley Henri 328, 347 Boutroux Fernand 336, 340 Bovet Daniel 179, 246, 258 Bowes Mary Eleanor 168 Boyle Robert 46 Boylston Zabdiel 298, 310 Bradley Richard 60, 61 Brauell Friedrich A. 122 Bréant Jean-Robert 324, 367, 368 Bréchot Christian 223 Brehmer Hermann 133, 134 Brenner Sydney 384 Breschet Gilbert 215 Bretonneau Pierre 180 Brieger Ludwig 172 Brouardel Paul 13, 321, 351, 364 Brower Daniel R. 195 Bruce David 162 Bruegel l’Ancien Pieter 221 Brumpt Émile 161 Brunton Lauder 193 Bruynoghe Richard 272 Büchner Eduard 98 Budd William 28, 30 Buffon (Comte de) Georges-Louis Leclerc 101 Bukovský Jaroslav 250, 251 Bulard Arsène François 70, 71, 72
C Caillaux Henriette 377 Caillaux Joseph 377
Index des noms cités
Calandrini Jean-Louis 300 Calmette Albert 37, 128, 241, 275, 360, 376, 377, 378, 379, 380, 381 Calmette Gaston 377 Campbell William C. Campbell 166 Cantani Arnaldo 249, 250 Canton Rafael 261 Carle Antonio 181 Carlet Jean 261, 404 Carmichael Richard 170 Carmona Óscar 195 Carroll James 75, 212 Castellani Aldo 161 Cathrall Isaac 73 Cazenave Pierre Louis Alphée 306 Celli Augusto 157 Celsus Aulus Cornelius 215 Centanni Eugenio 177 Chabert Philibert 121 Chagas Carlos 161 Chaillou Auguste 356 Chain Ernst Boris 254, 255 Chamberland Charles 139, 172, 176, 210, 211, 241, 321, 326, 328, 329, 330, 336, 337 Chambon de Montaux Nicolas 121 Chantemesse André 31, 350, 351, 374, 376 Chaptal Jean-Antoine-Claude 316, 317, 319 Charcot Jean-Baptiste 188 Charles VIII 148, 202 Charles X 301 Charrin Albert 177, 178, 187 Chauveau Auguste 51, 335, 373 Chermann Jean-Claude 34 Chervin Nicolas 66, 67, 74 Chevalier-Lavaure François-André 195 Chicoyneau François 53, 55, 57 Chirac Pierre 54 Chou Chi-Tao 409 Cinader Bernhard 409
Ciucă Mihai 267 Claparède Édouard 93 Clément XI 35, 156 Clemow Frank 18, 19 Clot Antoine-Barthélemy 64, 65, 70 Clubbe John 168 Cogrossi Carlo-Francesco 107, 108 Cohnheim Julius Friedrich 407 Colebrook Leonard 257, 258 Colin Gabriel-Constant 334 Colomb Christophe 148 Cornalia Emilio 110, 114, 117 Cornil Victor André 144, 249, 321 Cortes Hernán 20 Corvisart Jean-Nicolas 316 Coste Jean-François 302 Coutanceau Godefroy 67 Coxe John Redman 308, 310 Coze Léon 138, 245, 279 Creutzfeldt Hans Gerhard 154 Croone William 88 Crôtte Francisque 133 Cuviers Georges 316
D da Costa Cruz José 272 da Rocha Lima Henrique 26 da Vigo Giovanni 235 Damase II 155 Dan Wang 294 Dante 155 Danysz Jan 36, 37 Darwin Charles 49, 320 Dath Sara 253 de Baillou Guillaume 136 de Beauharnais Joséphine 317 de Beauvoir, marquis de Chastellux François Jean 300 de Brandebourg-Ansbach Caroline 296 de Cappadoce Arétée 180 de Christmas John 144 de Diemerbroeck Isbrand 52 423
Index des noms cités
de Freitas José Vicente 195 de Gaulle Charles 287, 293, 385 de Graeff Reinier 88 de Jussieu Antoine 234 de Kruif Paul 215 de la Condamine Charles-Marie 300 de Laboulaye Édouard 116 de Médicis Marie 238 de Monstrelet Enguerrand 136 de Quatrefages Armand 111 de Rochambeau (comte) Jean-BaptisteDonatien de Vimeur 302 de Rotschild Edmond 357 de Saussure Horace-Bénédict 91 de Serres Olivier 110 de Vergnette de Lamotte Alfred 95 de Witt Johan 300 Déchaussé Léon Augustin 21 Decourt Philippe 113, 347, 350 d’Eichthal Adolphe 123 Deidier Antoine 57 Delafond Henri Mamert Onésime 121, 122, 323 Delaroche Daniel 43 Delezenne Camille 264 Delfraissy Jean-François 391 Delorme Charles 288 Delpech Jacques Mathieu 42 Denys Joseph 144 des Brus Louis Richond 202 Descombey Pierre 363 Desgenettes René-Nicolas 69 Detmers Henry J. 339 Dettweiler Peter 133, 134 Devèze Jean 66 DeyckeGeorg 381 Deycke Georg 380 d’Herelle Félix 264, 265, 266, 267, 268, 269, 271, 272, 273 Diday Charles-Paul 303, 304, 305 Dieterle William 244, 280 Dioscoride Pedanios 215, 231, 233 424
Le mauvais air
Dodin André 27, 241 Döhle Karl Gottfried Paul 250 Dohrn Anton 140 d’Oldenbourg Alexandre Petrovitch 370 Domagk Gerhard 246, 255, 257, 258 Donaldson Arthur Norton 195 Douglass William 298 Doussin-Dubreuil Jacques Louis 201 Doyen Eugène 220 Dubois Marie-Françoise 384 Dubois Paul 44 Dubos René 258 Duboué Pierre-Henri 342, 343, 344 Duchesne Ernest 247, 249 Duclaux Émile 117, 142, 144, 145, 172, 176, 324, 393, 394 Dugga Benjamin Minge 260 Dujardin-Beaumetz Georges 345 Dujarric de la Rivière René 218, 221 Dulbecco Renato 204 Dumas Jean Baptiste 111, 112, 113, 114 Dunning Richard 308 Duplessis Marie 122 Dutton Joseph Everett 160
E Ebers Georg Moritz 231 Eberth Karl Joseph 374 Édouard IV 155 Ehrenberg Christian Gottfried 118, 119 Ehrlich Paul 130, 242, 243, 244, 246, 356, 390 Eliava George 271, 273 Élisabeth Ire de Russie 300 Ellis John 91 Eloy Nicolas 201 Emmerich Rudolph 72, 250, 251 Empedocles 99 Enders John F. 382 Engel Charles Louis 245
Index des noms cités
Ermolyeva Zinaida Vissarionovna 73 Escherich Theodor 187 Estor Alfred 111 Eugénie (Princesse) 113, 114, 284 Evans Alice Catherine 162
F Faber Knud 181 Fabroni Adam 94 Fago Guy-Crescent 274 Farr William 30 Fauci Anthony S. 104, 400 Fauve Robert 181 Federovna Ludmilla 135, 229 Feltz Victor 138, 245, 279 Fen Ain 222 Fermi Claudio 353, 354 Fernbach Auguste 241 Fernel Jean 201 Ferran Jaume 13, 363, 364, 366, 367, 368, 370, 371, 373 Fewster John 312 Feydeau 147 Finkelstein Heinrich 189 Fischer Alain 392 Fitting Catherine 182, 228, 411, 415 Flaubert Gustave 103, 104, 147 Fleming Alexander 246, 254, 255, 260 Florey Howard 249, 255 Flügge Carl 289, 290 Fodéré François-Emmanuel 275 Foot Jesse 168 Fourneau Ernest 76, 243, 258 Fracastoro Girolamo 44, 63, 128, 148, 215, 233 Fraenkel Albert 139 François 1er 147 François Henri Hallopeau François Henri 245 François II 238 Freud Sigmund 355 Frosch Paul 212 Frost William Dodge 252 Fuchs Gilbert 201
Fuchs Leonhart 232 Fukuda Keiji 260
G Gaffky Georg Theodor 374 Gailleton Antoine 307, 308 Galien 19, 44, 215 Galilée 398 Gallo Robert 35 Galtier Pierre Victor 215, 342, 343 Gamaleïa Nikolaï Fedorovich 172, 175, 176, 331, 368 Garré Carl Alois Philipp 79, 250 Gaspard Bernard 122 Gates Bill & Melinda 383 Gauguin 147 Gee Edward 314 Geison Gerald L. 335, 344 Gelmo Paul 258 Gengou Octave 136, 138, 228 George II 237 George III 40, 237 Gernez Désiré 113 Gibert Camille-Melchior 307 Girard Gaspard 205, 345 Giuliani Rudy 400 Glenny Alexander Thomas 361 Goeze August Ephraim 93 Goiffon Jean-Baptiste 47, 49 Golgi Camillo 157, 367 Goosens Herman 261 Gosio Bartolomeo 246 Grabar Pierre 179 Grancher Joseph 22, 128, 133, 172, 175, 176, 209, 215, 320, 321, 350, 351, 374 Grassi Batista 156, 158, 159, 160 Gratia André 253, 271 Grégoire V 155 Grigorov Stamen 190 Guérin Camille 376, 378 Guérin Jules 327 Guillaume III d’Orange-Nassau 89 425
Index des noms cités
Guillaume V 300 Guillotin Joseph Ignace 316, 317, 318 Guyenot Joseph Frédéric 307, 308 Guyon Jean Louis Geneviève 72, 74
Innocent XII 156 Ioannidis John 414 Issaeff Vassiliy Issaevitch 140, 230 Ivanovski Dmitri 210
H
J
Haffkine Waldemar 246, 368, 370, 371, 372, 373, 374 Hahnemann Samuel 27, 234 Hallé Jean-Noël 274 Hameau Jean 205, 207, 209, 317, 320 Hamilton Louisa Charlotte 289 Hamilton-Temple-Blackwood (Lord Dufferin) Frederick 371 Hankin Ernest 262, 270, 370 Hannoun Claude 383 Harold Raistrick Harold 179 Harvey Gideon 17, 128 Hata Sahachiro 243 Haygarth John 169 Heathley Norman 254 Hely-Hutchinson Walter 164 Henle Jakob 50 Henri II 201 Hervez de Chegoin Nicolas Joseph 278 Hervieux Édouard 138 Hesse Angelina (Fanny) 125, 127 Hesse Walther 125, 127 Hippocrate 41, 46, 222, 233 Hirsch James G. 181 Hoffmann Erich 150, 243 Holland Henry 49 Home Everard 312 Honl Ivan 250, 251 Hooke Robert 87, 88 Hübener Wilhelm 290 Hulme Nathaniel 42 Hunter John 75, 168, 169, 202, 310 Huttner Benedikt 261 Huydecoper Johan 89
I
Ince William 314 Innocent XI 156 426
Le mauvais air
Jacob François 213, 384 Jaillard Pierre-François 124 Jakob Alfons Maria 154 Janeway Charles 361 Jansen Zacharias 87 Jean XV 155 Jeanjean Adrien 113 Jefferson Thomas 316 Jenner Edward 298, 305, 308, 310, 311, 312, 313, 315 Jessen Peter Willers 151 Jesty Benjamin 312 Joblot Louis 90, 93, 100, 101 Johnson Boris 60 Joly Nicolas 110 Joseph I d’Autriche 294 Joubert Jules 249 Jouvin-Marche Evelyne 261 Jules II (pape) 235 Jurin James 297, 298
K Kaasen Gunnar 357 Kabéshima Tamézo 266, 268 Kappler John 184 Karen Blixen Karen 147 Kariko Katalin 38, 368, 385, 386, 388, 403, 412 Keith James 296 Kellog Will 193 Kellogg John Harvey 192, 193 Khan Genghis 155 Kheng Sengly 80, 81, 82 Kiény Marie-Paule 261 Kirby William 109 Kircher Athanasius 46
Index des noms cités
Klebs Edwin 180, 374 Klein Johann 276 Koch Robert 24, 31, 36, 124, 125, 126, 127, 128, 130, 131, 132, 142, 158, 162, 172, 180, 181, 241, 244, 249, 250, 262, 289, 321, 322, 324, 327, 332, 333, 335, 338, 339, 355, 356, 372, 374, 375, 376, 380 Kohlstock Paul 36 Kolle Wilhelm 372, 375 Kolletschka Jakob 78, 276 Kützing Friedrich T. 94
L La Fontaine Jean 11 Labarraque Antoine Germain 241 Lacks Henrietta 415 Laennec Mériadec 130 Laennec René 129, 130 Lamarck (Chevalier de) Jean-Baptiste Pierre Antoine de Monet 101 Lancefield Rebecca 257 Lancereaux Étienne 170, 202 Lancisi Giovanni Maria 156 Landsteiner Karl 381 Lane William Arbuthnot 191, 192 Lange Bruno 380 Lange Ludwig 380 Langherans Paul 135 Lannelongue Odilon 139 Latta Thomas 27 Laude Hubert 223 Laurent Bayle Antoine Laurent 150 Laveran Alphonse 156, 157, 165, 267, 356 Lavoisier Antoine 94 Lazear Jesse William 74, 75 Le Caravage 155 Leake John 42 Legout Sandra 98, 172, 176, 393 Leibniz Gottfried Wilhelm 89 Leidy Joseph Mellick 93 Leishman William Boog 165
Lemaître Bruno 404 Lénine 147 Léon X 155 Lépine Pierre 216, 354, 382, 383 Leplat Émile-Claude 124 Levaditi Constantin 76, 220, 227, 267, 381 Levoz Marthe 136 Lister Joseph 165, 279, 281, 327, 370, 373 Löffler Friedrich 180, 356 Loir Adrien 20, 145, 303, 330, 335, 339, 341, 350, 351 Lord Byron 155 Louis Antoine 203 Louis Philippe d’Orléans 300 Louis XV 129, 274, 294, 301 Louis XVI 301, 302 Louis XVIII 301, 318 Löw Oscar 251 Lubarsch Otto 408 Lucrèce 44 Lwoff André 213
M Maclean Charles 62, 63, 67 Macron Emmanuel 11 Magendie François 43, 65, 122, 215 Maisin Joseph 272 Maisonneuve Paul 76, 77 Maitland Charles 295, 296 Manfredi Luigi Manfredi 140 Manningham Richard 61 Manson Patrick 158 Mantell Gideon Algernon 50 Marchiafava Ettore 157 Marie II d’Angleterre 294 Marie-Antoinette 301 Marie-Thérèse d’Autriche 109, 301 Marie-Thérèse de Savoie 301 Marrack Philippa 183, 184 Marschall Whilhem 178 Marshall Barry 79, 80 427
Index des noms cités
Marten Benjamin 47, 129 Martin Louis 252, 275, 356, 378 Masaryk Tomáš G. 251 Massol Léon 190 Maucuer Achille 337, 338, 340, 341 Maupassant Guy de 147 Mauriceau François 276 Maury Eric 223 Mayer Adolf Eduard 210 Mazet André 66 Mead Richard 57, 60, 61 Meister Joseph 344, 345, 346, 347, 350 Melendez Alirio 405 Meselson Matthew 384 Mesnil Félix 165 Mesnil Félix 156, 165, 227 Mesrobeanu Lydia 178, 179 Metchnikoff Elie 6, 73, 76, 135, 136, 140, 141, 172, 175, 176, 177, 178, 181, 187, 188, 189, 190, 191, 192, 220, 225, 226, 227, 228, 229, 230, 244, 267, 331, 356, 368, 369, 375, 394, 407, 408, 417, 419 Michaelis Gustav Adolf 279 Michel Marie-Louise 384 Mikulicz-Radecki Jan 290, 291 Mittié Stanislas 240 Moigno (Abbé) 120 Mondeville Henri 235 Moniz António 152 Monod Jacques 213 Montagnier Luc 34, 35, 182, 223 Montagu Mary Wortley 294 Montagu Mary Wortley 294, 295, 296 Monto Alexander 238 Morat Jean-Pierre 15 Moreau, baron de La Rochette PaulMarie 328 Moreau de Jonnès Alexandre 26 Morton Richard 128, 129 Moseley Benjamin 314 Mozart 147 428
Le mauvais air
Müller Otto Friedrich 91, 92, 93 Müller-Alouf Heide 182 Murphy Arthur 168 Mussolini Benito 147
N Napoléon 77, 274, 293, 302, 316, 317, 318 Napoléon III 113, 307 Ndiaye Sibeth 284 Needham John 91, 100, 101 Nègre Léopold 380 Negri Adelchi 213 Nelmes Sarah 310 Nettleton Thomas 296 Newton Isaac 40, 57, 87 Nicolaier Arthur 181 Nicolle Charles 13, 26, 145, 146, 165, 217, 242, 252 Nightingale Florence 281, 283 Nitsch Roman 252 Nitschowa Ludwika 252 Nitti Federico 258 Nocard Edmond 24, 356, 359, 376 Noguchi Hideyo 151, 219 Nysten Pierre-Hubert 110
O Ogston Alexander 142, 143 Ohkubo Sakaye 190 Ollivier Alexandre François 77, 78, 275 Ōmura Satoshi Ōmura 165 Ozanam Jean Antoine François 64
P Pacini Filippo 24 Paganini 147 Panton Philip Noel 144 Panum Peter Ludvig 171 Paracelsus 235 Paré Ambroise 199, 200, 235
Index des noms cités
Parent-Duchâtelet Alexandre 275 Pariset Étienne 66, 67 Parmentier Antoine-Augustin 318, 319 Pasteur Louis 22, 25, 95, 102, 104, 111, 112, 113, 116, 125, 138, 142, 172, 176, 177, 209, 249, 276, 279, 280, 281, 293, 320, 323, 325, 326, 335, 346, 350, 353, 393, 394, 407 Pasteur Vallery-Radot Louis 326 Pearson George 312, 313, 316 Peiris Malik 399 Percy Pierre-François 77, 78, 241, 274 Perdrix Léon 145, 350, 356 Perlman Stanley 284 Perroncito Edoardo 323, 334 Peter Michel 347, 351, 353 Petri Richard 125, 126 Pfeiffer Richard 140, 178, 372, 375, 408 Philippe d’Orléans 55, 300 Philippe II 155 Phipps James 310 Pick Ernst Peter 220 Pidoux Hermann 118, 284 Pierre III de Russie 294 Pierre le Grand de Russie 89 Pigeon Charles 318 Pinel Philippe 193, 194, 274, 316, 317 Piorry Pierre A. 276 Pittet Didier 281 Pizarro Francisco 20 Platon 265 Playfair Lyon 36 Plett Peter 315 Pline l’ancien 215 Pointe Honoré Joseph 41 Pointe Honoré Joseph 40, 41 Pointe Jacques-Pierre 40 Pollender Aloysv 122 Pomayrol Louis 241 Ponce de León Juan 191
Pouchet Félix Archimède 99, 103, 104, 105, 407 Poughon Julie-Antoinette 345 Poussin Nicolas 221 Pouteau Claude 204, 274 Poutine Poutine 175, 389 Pravaz Charles Gabriel 123 Pringle John 39, 40, 42, 235, 236, 238, 239, 274 Pritchard Andrew 92, 93 Pritchard David 80 Pruitt Jonathan 406 Prus René Clovis 63 Prusiner Stanley Ben 154
Q Qiushi Chen 222
R Raistrick Harold Raistrick 179 Ramazzini Bernardino 233 Ramón y Cajal Santiago 366, 367 Ramsès V 293 Raoult Didier 104, 223, 396 Rapchevsky Ivan Filippovich 367 Rappin Gustave 252 Rattone Giorgio 181 Raulin Joseph 129 Rayer Pierre François Olive 122, 123, 125 Raynaud Maurice 216, 342 Razi Bahaodowle 135, 136, 233 Redi Francesco 100, 108 Reed Walter 75, 212 Régis Emmanuel 194 Remlinger Paul 216, 217 Renault Eugène 323 Ribbert Hugo 190 Ricketts Howard Taylor 26 Ricord Philippe 303, 305, 306, 307 Rimbaud 147 Rivolta Sebastiano 323 429
Index des noms cités
Robbins Frederick Chapman 382 Roberts William 246, 383 Robinson Edward G. 244 Rochoux Jean-André 66, 67 Rochoy Michaël 396 Roehl Wilhelm 243 Rolain Jean-Marc 394 Roosevelt Franklin Delano 257, 381 Roosevelt Junior Franklin 257 Rosenbach Friedrich Julius 142 Rosendaal Frits 395 Ross Ronald 157, 158, 159, 165, 373 Rossignol Joseph Hippolyte 329 Rostand Edmond 33 Rostand Jean 124 Rous Francis Peyton 203, 204 Roux Émile 24, 37, 76, 128, 135, 139, 172, 175, 176, 180, 213, 244, 265, 268, 269, 270, 321, 326, 328, 329, 330, 342, 344, 351, 356, 357, 359, 360, 361, 370, 378, 390 Roux Gabriel 247 Rouyer Édouard 351, 364 Rouyer Jules 350, 351 Rowley William 314 Rozembaum Willy 35 Ruffer Marc Armand 6, 177, 178 Ruska Ernst 213, 214 Ruska Helmut 213, 214, 271
S Sabatelli Luigi 221 Sabin Albert B. 383 Sabin Florence Rena 407 Sacquépée Ernest 359 Şahin Uğur 386 Sainte-Claire Deville Henri 113 Salimbeni Alexandre 264, 267, 271 Salk Jonas Edward 382, 383 Salomon Jérome 11 Sanarelli Giuseppe 230 Sansonetti Philippe 385 Sardou Victorien 357 430
Le mauvais air
Schaffner William 285 Schatz Albert 258, 260 Schaudinn Fritz 150, 243 Scheuchzer Johann Caspar 297 Schonlein Johann Lukas 130 Schubert Franz 147 Schulze Franz 102 Schwann Theodor A.H. 94, 102 Séguéla Jacques 407 Selmi Francesco 172 Semmelweis Ignaz 6, 78, 241, 257, 276, 278, 279, 280, 281 Senator Hermann Senator 184 Serre Michel 221, 289 Shaw Peter 237 Shedlock Rose Anna 135 Shennong 231, 232 Shibasaburō Kitasato 22 Shiga Kiyoshi 242 Simpson James 28 Slevogt Johann Adrian 121 Sloane Hans 296, 297 Smith Edwin 231 Smith Theobald 360 SnowJohn 30 Snow John 28, 29, 30 Southey John 312 Spadaro Micco 221 Spallanzani Lazzaro 91, 101, 102, 109 Sperino Casimiro 306 St Leger Hayes r 353 Stahl Jean-Paul 286 Staline 147 Staub André 179 Staub Anne-Marie 179 Steele Mary Elizabeth 162, 163 Sternberg George Miller 139 Stimson Lewis Atterbury 281 Stoney Andrew Robinson 168 Strasburger Julius 187 Strauss Isidore 24 Strother Edward 276 Strouse Solomon 141
Index des noms cités
Sutton Daniel 297, 298 Sutton Robert 297 Sweerts Michael 221 Swellengrebel Nicolaas Hendrik 203 Sydenham Thomas 46, 47, 233 Szent-Gyorgyi Albert 280 Szostak Jack 405
T Tardieu Ambroise 307 Tarnier Stéphane 44 Tchistovitch Nicolaï 227 Temple-Blackwood (Lord Dufferin) Frederick Hamilton 371 Tenon Jacques 274 Theiler Arnold 37, 38 Theiler Max 38 Thénard Louis Jacques 94 Théodoridès Jean 123, 215 Thiroux d’Arconville Geneviève 237, 239, 240 Thomassin Jean François 121 Thompson Alberto Barton 79 Thornton Robert John 313 Thucydide 19 Thuillier Louis 24, 25, 26, 336, 338, 339, 340 Tiberio Vincenzo 247 Tiollais Pierre 384 Tisserand Eugène 329 Tomamcheff Georgi 370 Topley William 179 Torti Francesco 233 Toulouse-Lautrec 147 Toussaint Henri 15, 324, 327, 328, 330, 334, 335, 336, 353, 354, 374 Toutankhamon 155 Tréfouël Jacques 258 Tréfouël Thérèse 258 Trent William 20, 63 Trevisan Vittore 323 Tronchin Théodore 300, 301 Trump Donald 10, 18, 104, 105, 167,
223, 360, 397, 400, 401, 403 Trump Frederick 33 Tsiklinsky Praskovya Vasilievna 188, 189 Türeci Özlem 386 Turpin Pierre Jean François 94 Turpin Raymond 379 Twort Charles Claud 262 Twort Frederick W. 262, 265, 270, 271 Tyndall John 118, 119, 120, 246, 289 Tyrrell Charles Alfred 186
U Underwood Michael 381 Urbain VII 155
V
Vaillant Jean-Baptiste Philibert 113 Vaillard Louis 357, 359 Valentine Francis 144 Vallada Domenico 330, 331 Vallery-Radot René 326 Vallisneri Antonio 108, 109 van de Velde Honoré 144 Van Helmont Jean-Baptiste 100 van Leeuwenhoek Antonie Philips 87, 88, 89, 90, 94 Varro Marcus Terentius 44 Vassal Pierre Gérard 202 Vaudremer Albert 252 Vaughan Victor Clarence 172 Vermeer Jan 88 Verny Jean 57 Victor Emmanuel III 160 Vidal, dit de Cassis Auguste 306, 307 Vilbouchevitch Ivan 370 Villemin Jean-Antoine 130 Villermé Louis René 67 Vincent Hyacinthe 68, 376 Virchow Rudolf 130, 171, 180, 249, 407 Voltaire 102, 298 431
Index des noms cités
von Behring Emil 246, 355, 356 von Bergmann Ernst 171 von Esmark Johannes Friedrich August 151 von Frisch Anton 353 von Gleichen-Russwrum Wilhelm Friedrich 92 von Haller Albrecht 91 von Kölliker Rudolph Albert 93 von Leber Theodor Karl Gustav 144 von Liebig Justus 251 von Liebig Justus Freiherr 94 von Lindwurm Joseph 75 von Pettenkofer Max Joseph 30, 72 von Plenčič Marcus Antonius 109 von Prowazek Stanislaus 26 von Recklinghausen Friedrich Daniel 142 von Rinecker Franz 76 von Soxhlet Franz 95 von Waller Johann 306 von Welz Robert 303 Vuillemin Jean Paul 245
W Wagner-Jauregg Julius 151 Waksman Selman 245, 258, 260 Warren Shaw 404, 411, 417 Washington George 302 Waterhouse Benjamin 315, 316 Watson Dennis W. 182 Webster Noah 17, 18 Weismann August 190 Weissman Drew 38, 386 Weissmann Gerald 181 Weller Thomas Huckle 382 Wengui Guo 400
432
Le mauvais air
Wenliang Li 4, 222 White Charles 43 Whitehead Henry 28 Widal Fernand 374, 376 Willem Beijerinck Martinus Willem 199 Willis Thomas 68, 276 Wöhler Friedrich 94, 393 Wolff Sheldon M. 184 Wonner Martine 396 Woodville William 313, 316 Worlock Siméon 298 Wright Edward Almroth 144, 254, 257, 375 Wrisberg Heinrich August 90
X Xenophanes 99
Y Yamanaka Shinya 405 Yamanouchi Tamotsu 218, 219, 220 Yan Li-Meng (Scarlett) 399 Yaveyn Georgi 370 Yersin Alexandre 22, 23, 24, 180, 360 Youyou Tu 166
Z Zammit Themistocles 162 Zemmers Eižens N. 37 Zhenzong 294 Zinke Georg Gottfried 215 Zinkernagel Rolf M. 386 Zoeller Christian 362, 363 Zucker-Franklin Dorothea 181 Zumbo Gaetano Giulio 289