Le Chemin de la Croix selon Saint Luc (Lc 23, 26-32): Lecture exégétique et théologique (Europäische Hochschulschriften / European University Studies ... Universitaires Européennes) (French Edition) 9783034306812, 3034306814

La lecture exégétique et théologique de Luc 23, 26-32 ne cesse d’attirer. La forte fécondité du texte et le débat exégét

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Table des matières
Remerciements XIII
Introduction générale 1
1. Problématique 1
2. Paradigmes herméneutiques et état de la recherche 4
2.1 Paradigmes herméneutiques 5
2.2 Critiques des paradigmes et nouvelles orientations 8
3. Notre perspective d’interprétation 10
3.1 Sur les pas de l’homme de Galilée 11
3.2 Dans une marche signée par la mort 12
4. Méthodologie 13
4.1 Approche narrative 13
4.2 Critique de la rédaction 14
4.3 Recours au contexte de l’auteur 14
4.4 Insistance sur la fonction expressive du texte 15
4.5 Lecture selon la dynamique du texte 16
5. Notre démarche 17
Chapitre 1 Préliminaires 19
Introduction 19
1. Délimitation du texte 19
1.1 Évolution des motifs d’action 21
1.2 Évolution des lieux 22
1.3 Évolution des personnages 22
1.4 Considérations d’ordre grammatical et narratif 24
1.4.1 De l’usage des verbes de description narrative 24
1.4.2 De la logique de la description narrative 25
2. Critique textuelle 27
3. Texte et traduction préliminaire de Lc 23, 26-32 32
3.1 Texte 32
3.2 Traduction préliminaire 33
4. Structure narrative 34
5. Comparaison synoptique 37
5.1 Vue synoptique des textes 37
5.2 Points de convergence 39
5.3 Points de divergence 39
6. Nature christocentrique du récit lucanien 40
Conclusion 42
Chapitre 2 Composition et intertextualité 45
Introduction 45
1. Composition 45
1.1 R. E. Brown 46
1.2 V. Taylor et J. Wenham 46
2. Intertextualité 48
2.1 Classiques du monde gréco-romain 49
2.1.1 R. Bultmann et littératures juive et mandéenne 50
2.1.2 D. R. MacDonald et Iliade 22 d’Homère 51
2.1.2.1 Propos de l’auteur 51
2.1.2.2 Critique de la proposition 52
2.1.3 P. J. Scaer et noble mort 57
2.2 Balle et grain de l’intertextualité 61
2.2.1 Recours aux textes vétérotestamentaires 64
2.2.1.1 Des textes substantiels 64
2.2.1.2 Liens constatables entre Luc et les prophètes Jr et Os 65
2.2.2 Scandale de la mort de l’innocent 67
2.2.2.1 Problématique mort de Jésus 67
2.2.2.2 Josias, un roi aimé et son absurde mort 68
2.2.3 Histoire et historicité dans le récit 72
2.2.3.1 De Simon de Cyrène 73
2.2.3.2 De la multitude avec des femmes en pleurs 74
2.2.3.3 Des dires de Jésus 75
Conclusion 79
Chapitre 3 Philologie, grammaire et commentaires 81
Introduction 81
1. Marche sur le chemin de la croix, Lc 23, 26-27 81
1.1 Marche en cours, Lc 23, 26a 82
1.1.1 Emmener au supplice 82
1.1.2 Choix d’un verbe 83
1.1.3 Ceux qui emmènent Jésus 84
1.1.4 Jésus en marche 85
1.2 Marche à la suite de Jésus, Lc 23, 26b-27 87
1.2.1 Simon le Cyrénéen, Lc 23, 26b 87
1.2.1.1 Intervention de Simon de Cyrène 87
1.2.1.2 Port de la croix 90
1.2.2 Foule avec des femmes en pleurs, Lc 23, 27 100
1.2.2.1 Foule à la suite de Jésus 102
1.2.2.2 Femmes en pleurs 106
2. Marche interrompue: Paroles de Jésus, Lc 23, 28-31 113
2.1 Jésus se tournant dit 114
2.2 À propos de l’authenticité du dire 115
2.3 Instructions données aux «Filles de Jérusalem» 117
2.3.1 Expression «Filles de Jérusalem» 117
2.3.1.1 Origine et évolution des formulations 118
2.3.1.2 Expression chez Luc 119
2.3.1.3 Autres indications dans le vocatif 120
2.3.2 Ne pleurez pas…, mais pleurez… 121
2.3.2.1 Arrière-fond vétérotestamentaire 121
2.3.2.2 Mort de Josias et mort de Jésus 124
2.3.2.3 Ne pas pleurer sur Jésus 126
2.3.2.4 Mais pleurez sur… 130
2.3.3 Jours en face, Lc 23, 29-30 134
2.3.3.1 Passages semblables? 134
2.3.3.2 Lc 23, 29-30, une première pistis 136
2.3.4 Question rhétorique en Lc 23, 31 142
2.3.4.1 Diverses lectures du verset Lc 23, 31 142
2.3.4.2 Diverses traductions en français de Lc 23, 31 144
2.3.4.3 Lc 23, 31, une deuxième pistis 144
3. Marche parallèle de deux malfaiteurs, Lc 23, 32 154
3.1 Intégration de Lc 23, 32 155
3.2 Deux autres et Jésus 157
3.2.1 Adjectif «autres» 157
3.2.2 Malfaiteur à être éliminé 159
Conclusion 161
Chapitre 4 Théologie du texte 163
Introduction 163
1. Rappel du contexte de la christologie 164
2. Christologie dans et à travers Lc 23, 26-32 166
2.1 Canevas christologique 166
2.1.1 Accents christologiques 167
2.1.2 Principes de la présentation 170
2.2 Jésus de Nazareth, un Envoyé témoin inné de l’Envoyeur 171
2.2.1 Jésus de Nazareth, homme de Dieu 171
2.2.1.1 Jésus comme ces justes et saints de Dieu 171
2.2.1.2 Insistance sur le Jésus de Dieu 173
2.2.2 Jésus de Nazareth dans sa Seigneurie divine 175
2.2.2.1 Jésus de Nazareth plus qu’un homme de Dieu-prophète 177
2.2.2.2 Jésus de Nazareth à travers l’intraitable mort 179
2.2.2.3 Jésus de Nazareth et Dieu dans sa bienfaisance 182
3. Appels du texte 192
3.1 Synthèse de la marche de Jésus 193
3.2 De la théologie du chemin 196
3.2.1 Deux chemins: Qûmran et Jésus 196
3.2.2 Chemin du dépassement des carcans culturels 198
3.2.3 Églises fidèles au chemin de la croix? 199
3.2.4 Chemin de la quête de Dieu et religions 201
3.2.5 Sur le chemin du dialogue 203
3.3 Culture de la mort et appel au deuil 206
Conclusion 208
Conclusion générale 211
Sigles et abréviations 217
1. Livres bibliques 217
2. Versions et traductions bibliques 218
3. Magistère et patrologie 218
4. Périodiques, collections et dictionnaires 218
5. Autres sigles, abréviations et signes 219
Bibliographie générale 221
1. Sources 221
1.1 Bibles et synopses 221
1.2 Magistère 221
1.3 Pères de l’Église 222
1.4 Judaïsme et littérature du monde gréco-romain 222
2. Instruments: Grammaires, dictionnaires et lexiques 223
2.1 Grammaires 223
2.2 Dictionnaires et lexiques 223
3. Ouvrages et articles centrés sur Luc-Actes 224
3.1 Livres et thèses 224
3.2 Articles 225
4. Autres ouvrages et articles 228
4.1 Livres 228
4.2 Articles 231
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Le Chemin de la Croix selon Saint Luc (Lc 23, 26-32): Lecture exégétique et théologique (Europäische Hochschulschriften / European University Studies ... Universitaires Européennes) (French Edition)
 9783034306812, 3034306814

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Nyason Sira Kokè Gaston COULIBALY est prêtre du diocèse de Ségou, au Mali. Il a une licence en exégèse de l’Institut Biblique de Rome et un doctorat en théologie biblique de l’Université Pontificale Urbaniana de Rome. Il enseigne la Bible et les langues bibliques au grand séminaire St Augustin de Bamako. Il dirige depuis 1999 le chantier de la Traduction de la Bible en langue Bambara.

ISBN 978-3-0343-0681-2

N. S. K. Gaston Coulibaly · Le Chemin de la Croix selon Saint Luc (Lc 23, 26-32)

La lecture exégétique et théologique de Luc 23, 26-32 ne cesse d’attirer. La forte fécondité du texte et le débat exégétique qu’il suscite depuis les premiers siècles en sont la preuve. Cet ouvrage étudie en détail le récit du chemin de la croix chez Luc et la question de l’intertextualité. L’auteur essaie de répondre à la question suivante: qu’est-ce que Luc veut communiquer à travers ce récit apparemment riche? Il donne ici une vue synthétique de la problématique, avant de s’engager dans une nouvelle expression du jeu d’intertextualité aboutissant à une conception théologique originale du texte.

XXIII/920

European University Studies

Nyason Sira Kokè Gaston Coulibaly

Le Chemin de la Croix selon Saint Luc (Lc 23, 26-32) Lecture exégétique et théologique

www.peterlang.com

Peter Lang

Nyason Sira Kokè Gaston COULIBALY est prêtre du diocèse de Ségou, au Mali. Il a une licence en exégèse de l’Institut Biblique de Rome et un doctorat en théologie biblique de l’Université Pontificale Urbaniana de Rome. Il enseigne la Bible et les langues bibliques au grand séminaire St Augustin de Bamako. Il dirige depuis 1999 le chantier de la Traduction de la Bible en langue Bambara.

N. S. K. Gaston Coulibaly · Le Chemin de la Croix selon Saint Luc (Lc 23, 26-32)

La lecture exégétique et théologique de Luc 23, 26-32 ne cesse d’attirer. La forte fécondité du texte et le débat exégétique qu’il suscite depuis les premiers siècles en sont la preuve. Cet ouvrage étudie en détail le récit du chemin de la croix chez Luc et la question de l’intertextualité. L’auteur essaie de répondre à la question suivante: qu’est-ce que Luc veut communiquer à travers ce récit apparemment riche? Il donne ici une vue synthétique de la problématique, avant de s’engager dans une nouvelle expression du jeu d’intertextualité aboutissant à une conception théologique originale du texte.

XXIII/920

European University Studies

Nyason Sira Kokè Gaston Coulibaly

Le Chemin de la Croix selon Saint Luc (Lc 23, 26-32) Lecture exégétique et théologique

Peter Lang

Le Chemin de la Croix selon Saint Luc (Lc 23, 26-32)

European University Studies Europäische Hochschulschriften Publications Universitaires Européennes

Series XXIII Theology Reihe XXIII Série XXIII Theologie Théologie Vol./Band 920

PETER LANG Bern · Berlin · Bruxelles · Frankfurt am Main · New York · Oxford · Wien

Nyason Sira Kokè Gaston Coulibaly

Le Chemin de la Croix selon Saint Luc (Lc 23, 26-32) Lecture exégétique et théologique

PETER LANG Bern · Berlin · Bruxelles · Frankfurt am Main · New York · Oxford · Wien

Information bibliographique publiée par «Die Deutsche Nationalbibliothek» «Die Deutsche Nationalbibliothek» répertorie cette publication dans la «Deutsche Nationalbibliografie»; les données bibliographiques détaillées sont disponibles sur Internet sous ‹http://dnb.d-nb.de›.

ISSN 0721-3409 ISBN 978-3-0343-0681-2 E‐ISBN 978‐3‐0351‐0342‐7 © Peter Lang SA, Editions scientifiques internationales, Berne 2012 Hochfeldstrasse 32, CH-3012 Berne, Suisse [email protected], www.peterlang.com Tous droits réservés. Cette publication est protégée dans sa totalité par copyright. Toute utilisation en dehors des strictes limites de la loi sur le copyright est interdite et punissable sans le consentement explicite de la maison d’édition. Ceci s’applique en particulier pour les reproductions, traductions, microfilms, ainsi que le stockage et le traitement sous forme électronique. Imprimé en Suisse

Denba bonya don! À ma mère TRAORÉ Geneviève et à toutes ces femmes en qui j’ai pu lire la beauté de la tendresse et de la générosité maternelles.

VI

Table des matières

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIII Introduction générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1. Problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 2. Paradigmes herméneutiques et état de la recherche . . . . . . . . . . 4 2.1 Paradigmes herméneutiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 2.2 Critiques des paradigmes et nouvelles orientations . . . . . . . 8 3. Notre perspective d’interprétation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 3.1 Sur les pas de l’homme de Galilée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 3.2 Dans une marche signée par la mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 4. Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1 Approche narrative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2 Critique de la rédaction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3 Recours au contexte de l’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.4 Insistance sur la fonction expressive du texte . . . . . . . . . . . 4.5 Lecture selon la dynamique du texte . . . . . . . . . . . . . . . . . .

13 13 14 14 15 16

5. Notre démarche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Chapitre 1 Préliminaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 1. Délimitation du texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1 Évolution des motifs d’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2 Évolution des lieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3 Évolution des personnages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.4 Considérations d’ordre grammatical et narratif . . . . . . . . . . 1.4.1 De l’usage des verbes de description narrative . . . . . 1.4.2 De la logique de la description narrative . . . . . . . . . .

19 21 22 22 24 24 25

2. Critique textuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 VII

3. Texte et traduction préliminaire de Lc 23, 26-32 . . . . . . . . . . . . 32 3.1 Texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 3.2 Traduction préliminaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 4. Structure narrative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 5. Comparaison synoptique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.1 Vue synoptique des textes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2 Points de convergence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.3 Points de divergence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

37 37 39 39

6. Nature christocentrique du récit lucanien . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 Chapitre 2 Composition et intertextualité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 1. Composition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 1.1 R. E. Brown . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 1.2 V. Taylor et J. Wenham . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 2. Intertextualité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1 Classiques du monde gréco-romain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.1 R. Bultmann et littératures juive et mandéenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.2 D. R. MacDonald et Iliade 22 d’Homère . . . . . . . . . . 2.1.2.1 Propos de l’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.2.2 Critique de la proposition . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.3 P. J. Scaer et noble mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2 Balle et grain de l’intertextualité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.1 Recours aux textes vétérotestamentaires . . . . . . . . . . 2.2.1.1 Des textes substantiels . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.1.2 Liens constatables entre Luc et les prophètes Jr et Os . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.2 Scandale de la mort de l’innocent . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.2.1 Problématique mort de Jésus . . . . . . . . . . . . . 2.2.2.2 Josias, un roi aimé et son absurde mort . . . . . 2.2.3 Histoire et historicité dans le récit . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.3.1 De Simon de Cyrène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VIII

48 49 50 51 51 52 57 61 64 64 65 67 67 68 72 73

2.2.3.2 De la multitude avec des femmes en pleurs . 74 2.2.3.3 Des dires de Jésus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 Chapitre 3 Philologie, grammaire et commentaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 1. Marche sur le chemin de la croix, Lc 23, 26-27 . . . . . . . . . . . . 1.1 Marche en cours, Lc 23, 26a . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1.1 Emmener au supplice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1.2 Choix d’un verbe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1.3 Ceux qui emmènent Jésus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1.4 Jésus en marche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2 Marche à la suite de Jésus, Lc 23, 26b-27 . . . . . . . . . . . . . 1.2.1 Simon le Cyrénéen, Lc 23, 26b . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2.1.1 Intervention de Simon de Cyrène . . . . . . . . 1.2.1.2 Port de la croix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2.2 Foule avec des femmes en pleurs, Lc 23, 27 . . . . . . 1.2.2.1 Foule à la suite de Jésus . . . . . . . . . . . . . . . 1.2.2.2 Femmes en pleurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

81 82 82 83 84 85 87 87 87 90 100 102 106

2. Marche interrompue: Paroles de Jésus, Lc 23, 28-31 . . . . . . . . 2.1 Jésus se tournant dit… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2 À propos de l’authenticité du dire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3 Instructions données aux «Filles de Jérusalem» . . . . . . . . 2.3.1 Expression «Filles de Jérusalem» . . . . . . . . . . . . . . 2.3.1.1 Origine et évolution des formulations . . . . . 2.3.1.2 Expression chez Luc . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3.1.3 Autres indications dans le vocatif . . . . . . . . 2.3.2 Ne pleurez pas…, mais pleurez… . . . . . . . . . . . . . . 2.3.2.1 Arrière-fond vétérotestamentaire . . . . . . . . 2.3.2.2 Mort de Josias et mort de Jésus . . . . . . . . . . 2.3.2.3 Ne pas pleurer sur Jésus . . . . . . . . . . . . . . . 2.3.2.4 Mais pleurez sur… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3.3 Jours en face, Lc 23, 29-30 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3.3.1 Passages semblables? . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3.3.2 Lc 23, 29-30, une première pistis . . . . . . . .

113 114 115 117 117 118 119 120 121 121 124 126 130 134 134 136 IX

2.3.4 Question rhétorique en Lc 23, 31 . . . . . . . . . . . . . . . 2.3.4.1 Diverses lectures du verset Lc 23, 31 . . . . . 2.3.4.2 Diverses traductions en français de Lc 23, 31 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3.4.3 Lc 23, 31, une deuxième pistis . . . . . . . . . . 3. Marche parallèle de deux malfaiteurs, Lc 23, 32 . . . . . . . . . . . 3.1 Intégration de Lc 23, 32 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2 Deux autres et Jésus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.1 Adjectif «autres» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.2 Malfaiteur à être éliminé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

142 142 144 144 154 155 157 157 159

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161 Chapitre 4 Théologie du texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 1. Rappel du contexte de la christologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164 2. Christologie dans et à travers Lc 23, 26-32 . . . . . . . . . . . . . . . 2.1 Canevas christologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.1 Accents christologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.2 Principes de la présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2 Jésus de Nazareth, un Envoyé témoin inné de l’Envoyeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.1 Jésus de Nazareth, homme de Dieu . . . . . . . . . . . . . 2.2.1.1 Jésus comme ces justes et saints de Dieu . . 2.2.1.2 Insistance sur le Jésus de Dieu . . . . . . . . . . 2.2.2 Jésus de Nazareth dans sa Seigneurie divine . . . . . . 2.2.2.1 Jésus de Nazareth plus qu’un homme de Dieu-prophète . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.2.2 Jésus de Nazareth à travers l’intraitable mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.2.3 Jésus de Nazareth et Dieu dans sa bienfaisance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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3. Appels du texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1 Synthèse de la marche de Jésus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2 De la théologie du chemin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.1 Deux chemins: Qûmran et Jésus . . . . . . . . . . . . . . .

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3.2.2 Chemin du dépassement des carcans culturels . . . . . 3.2.3 Églises fidèles au chemin de la croix? . . . . . . . . . . . 3.2.4 Chemin de la quête de Dieu et religions . . . . . . . . . 3.2.5 Sur le chemin du dialogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3 Culture de la mort et appel au deuil . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208 Conclusion générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211 Sigles et abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 1. Livres bibliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 2. Versions et traductions bibliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218 3. Magistère et patrologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218 4. Périodiques, collections et dictionnaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218 5. Autres sigles, abréviations et signes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219 Bibliographie générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221 1. Sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1 Bibles et synopses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2 Magistère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3 Pères de l’Église . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.4 Judaïsme et littérature du monde gréco-romain . . . . . . . . .

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2. Instruments: Grammaires, dictionnaires et lexiques . . . . . . . . . 223 2.1 Grammaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223 2.2 Dictionnaires et lexiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223 3. Ouvrages et articles centrés sur Luc-Actes . . . . . . . . . . . . . . . . 224 3.1 Livres et thèses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224 3.2 Articles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225 4. Autres ouvrages et articles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228 4.1 Livres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228 4.2 Articles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231

XI

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Remerciements

Ce travail de thèse conclut mon séjour de six ans en Europe. Elles furent riches ces années d’approfondissement des connaissances en Bible auprès du Pontificium Institutum Biblicum et de la Pontificia Universitas Urbaniana. Des cœurs et des mains de l’amitié et de la fraternité m’ont soutenu généreusement durant le parcours. J’en exprime ma profonde gratitude: À la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples; Aux Collèges Saint Paul et Saint Norbert; Aux Conférences Épiscopales du Mali et d’Italie; Aux Archevêques: Nonsiglia Cesare de Vicenza et Zerbo Jean de Bamako; Aux Évêques de Ségou: Feu Sidibé M. J. M. et Traoré A.; Aux Archiprêtres: Montagna Vittorio, Lonigo et Plagniol Michel, Montpellier; Au Vicaire général Diallo Théophile et aux confrères de Ségou; Aux différents professeurs des deux structures universitaires, et de façon particlière à: Gieniusz Andrzej, Rizzi Giovanni et Gronchi Maurizio; Aux Révérends: Togo Amadou Kizito, Dembélé Hassa Emmanuel, Sylvestre Doundé, Stocco Simone et curés du vicariat de Lonigo, Godina Arvedo, Antoine Philippe, Strzoda Otmar, Bailleul Baabilen Charles, Benjamin Toïtibaye, Langer Wilfried et Carlo Piùbello; Aux Paroisses: Très-Saint Rédempteur de Lonigo et Bon Pasteur de Poussan; Aux familles: Émile van Messem et Simone Charbault, Radicioni Terzo et Maria Martellotti, Luciano Gonella et Anna Chiara Tassoni, Renzo Pilotto et Maria Luisa Tassoni, Franco Godina et Maria-Angela Perego, Ives Sempere et Françoise, Siro Cattelan et Sonia Faccin, van de Kar Christ et Ineke, Mario Mazzadi et Silvana Mizzon; Dominique et Anne Cuisance, Vincent et Nathalie Gousseau; Aux amis: Feu Barthélémy Maïga et à tous les autres de notre classe d’âge ‹Black star› de Ségou; Fernande Castel, Marchetto Paolo, Maria-Cécile Dembélé, Chantal Nsongisa, Liliane Prosperi, Hans Peter Boutez, Catherine Arnal, Petit Arlette; XIII

Aux groupes: Comité National Traduction Bible en Bambara, Comunità religiosa delle Suore della Misericordia, Coro degli Anziani et Gruppo Missionnario dei Giovani di Lonigo; À la Communauté-fraternité des compatriotes et ex-missionnaires du Mali à Rome et à tous mes frères et sœurs de la Mère Église ici et làbas, dont la charité a su illuminer régulièrement mon pauvre cœur.

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Introduction générale

1. Problématique Le plus long récit du chemin de la croix dans les évangiles est celui de saint Luc (= 23, 26-32 // Mc 15, 20b-21 // Mt 27, 31b-32 // Jn 16b-17a). Ce qui est un signe concret de l’importance que l’évangéliste accorde à cette ultime étape du cheminement terrestre de Jésus de Nazareth. Le chemin pris par Jésus de chez Pilate (Lc 23, 25) est à la fois la suite et la fin de son itinéraire terrestre. Comme le note si bien C. H. Giblin, ce récit montre Jésus accomplissant ses derniers pas, dans une marche publique, tout juste avant sa mort sur la croix1. Saint Luc est particulièrement attentif au parcours terrestre de Jésus2 qui s’achève ainsi. 1 2

Cf. C. H. GIBLIN, The Destruction of Jerusalem according to Luke-Acts (AnBib, 107), PIB, Rome 1985, 93. L’importance de la double thématique marche-chemin chez Luc est une évidence que l’exégèse ne cesse de mettre en relief comme clé d’accès à l’œuvre lucanienne. Cf. J. MANEK, «The New Exodus in the Book of Luke», in NT 2 (1957-1958), 8-23; W. C. ROBINSON, The Way of the Lord: A Study of History and Eschatology in the Gospel of Luke, Dissertation, Basel 1962; J. N AVONE , «The Way of the Lord», in Scriptures 20 (1968), 24-30; I DEM , Themes of St. Luke, PUG, Rome 1970; V. F. FLOYD, «The Journey Motif in Luke-Acts», in W. WARD GASQUE & R. P. MARTIN (éds.), Apostolic History and the Gospel. Biblical and Historical Essays Presented to F. F. Bruce, The Paternoster Press, Exeter 1970, 68-77; J. MATTILL , «The Way of Tribulation», in JBL 98 (1979), 532-549; J. P ATHRAPANKAL , «Christianity as a ‹Way› according to the Acts of the Apostles», in J. KREMER (éd.), Les Actes des Apôtres: Traditions, rédaction, théologie (BEThL, 48), University Press, Leuven 1979, 533-539; S. L YONNET, «La voie dans les Actes des Apôtres», in RSR 69 (1981), 149-164; J. NAVONE, The Unity of Luke’s Theology: An Analyze of Luke-Acts (Good News Studies, 9), Wilmington, Delaware, 1984; J.-N. ALETTI , Quand Luc raconte (Lire la Bible, 115), Cerf, Paris 1998, 56-68; D. P. MOESSNER , «How Luke Writes», in M. BOCKMUEHL et alii (éds.), The Written Gospel, Cambridge University Press, Cambridge (MA) 2005, 149-170; C. H. H. SCOBIE , «A Canonical Approach to Interpreting Luke: The Journey Motif as a Hermeneutical Key», in C. G. BARTHOLOMEW et alii (éds.), Reading Luke: Interpretation, Reflection, Formation (Scripture and Hermeneutics Series, vol. 6), Zondervan, Grand

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Sans doute entend-il transmettre quelque chose de plus profond en ce grand tournant du récit évangélique? On pourrait s’y attendre. Puisque le fin narrateur3 Luc «ne dit pas tout à la fois»4, il «procède par précisions progressives»5, approfondissant sans-cesse les propos en bon pédagogue6. Grégoire de Nysse (335-394) fut l’un des premiers à avoir attiré l’attention sur la profondeur des propos de ce texte qui montre Jésus dans son dernier parcours sur la terre: «Il me semble, dit-il, que ces prédictions ne sont pas faites par le Seigneur à cause des faits eux-mêmes… il veut s’en servir pour susciter logiquement la foi à propos de choses bien plus importantes7». L’intuition du Père de l’Église s’avère adroite. La forte fécondité du texte et le débat exégétique qu’il suscite depuis les premiers siècles en sont la preuve8. Mais à quoi rime au juste cette présentation originale du che-

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Rapids (MI) 2005, 327-349; P. BORGMAN, The Way according to Luke. Hearing the Whole Story of Luke-Acts, William B. Eerdmans Publishing Company, Grand Rapids (MI) – Cambridge (MA) 2006. Cf. D. P. MOESSNER , «How Luke Writes», 155-170; J. A. FIZTMYER, Luca teologo: Aspetti del suo insegnamento (Biblioteca Biblica, 6), Queriniana, Brescia 1991, 166-169; W. S. KURZ, «Narrative Approaches to Luke-Acts», in Bib 68 (1987), 195220; D. MARGUERAT, «Raconter Dieu. L’évangile comme narration historique», in P. BÜHLER – J. F. HABERMACHER (éds.), La narration: Quand le récit devient communication (Lieux Théologiques, 12), Labor et Fides, Genève 1988, 83-106; IDEM, «Luc metteur en scène des personnages», in C. FOCANT – A. WÉNIN (éds.), Analyse narrative et Bible. Deuxième colloque international du RRENAB, Louvainla-Neuve, avril 2004 (BEThL, 191), University Press, Leuven 2005, 281-295; W. C. van UNNIK, «Éléments artistiques dans l’évangile de Luc», in F. NEIRYNCK , (éd.), L’évangile de Luc (BEThL, 32), University Press, Leuven 21989, 39-50; M. C. PARSONS, Luke: Storyteller, Interpreter, Evangelist, Hendrickson Publishers, Peabody (MA) 2007. S. LÉGASSE , Le procès de Jésus: La passion dans les quatre évangiles (Lectio Divina. Commentaires, 3), Cerf, Paris 1995, 404. Cf. J.-N. ALETTI, Quand Luc raconte, 122. Dans son œuvre, Luc s’avance pas-à-pas, avec ordre et soin. Cf. F. S. SPENCER, «Preparing the Way of the Lord. Introducing and Interpreting luke’s Narrative: A Response to David Wenham», in C. G. BARTHOLOMEW et alii (éds.), Reading Luke: Interpretation, Reflection, Formation, 104-124; S. LÉGASSE, Le procès de Jésus, 395. GRÉGOIRE de Nysse, De opificio hominis, PG 44, 216, B3. Crf. M. L. SOARDS, «Tradition, Composition, and Theology in Jesus’ Speech to the ‹Daughters of Jerusalem› (Luke 23, 26-32)», in Bib 68 (1987), 221, expose mieux la situation: «Scholars have studied this passage from a variety of perspectives,

min de la croix dans le cadre général de l’œuvre lucanienne? Autrement dit, qu’est-ce que Luc veut communiquer à travers ce récit apparemment riche? L’exégèse s’est bien investie dans cette recherche. Mais les conclusions ne sont pas encore fermes. Un des plus gros problèmes de l’exégèse du récit du chemin de la croix chez Luc est incontestablement la question de l’intertextualité. Le champ des relations intertextuelles de Lc 23, 26-32 ne cesse de s’agrandir au gré des prospections exégétiques; mais paradoxalement, plus s’élargit ce champ de référence littéraire et scripturaire, plus l’identification de la forme et du contenu du texte devient un véritable jeu de puzzle9. En effet, ici, l’embarras de l’exégèse se laisse lire quand elle se résout à l’admission de toutes les solutions et à la déclaration de phrases énigmatiques. La présente étude se veut une modeste contribution à la poursuite du débat. Et nous nous proposons de mettre l’accent surtout sur le sondage de l’intention personnelle de l’évangéliste et sur la considération de sa propre argumentation, en vue d’une approche plus fidèle à sa communication10. En somme, il s’agira d’essayer d’accéder au

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employing the methods of source-, form-, tradition-, and redaction-criticism. The results of these endeavors are impressive, though the interpretations proposed by persons using not only different methods but frequently the same are not in agreement. Indeed the range of explanations of Luke 23, 26-32 is remarkable…». Commentant Lc 23, 31 affirme L. MORIS , Luke: An Introduction and Commentary (The Tyndale New Testament Commentaries, 3), IVP Academic, Downers Grove (Il) 1988, 355: «This looks like a proverbial saying. Several possible meanings have been suggested. If the innocent Jesus suffered thus, what will be the fate of the guilty Jews? If the Romans treat thus One whom they admit to be innocent, what will they do to the guilty? If the Jews treat like this Jesus who had come to bring salvation, what will be their punishment for destroying him? If the Jews behave like this before their wickedness reaches its consummation, what will they be like when it does? If grief is aroused by the present events, what will it be when the subsequent disaster strikes? None is impossible, but perhaps the first suggestion is to preferred». Voir un aperçu assez exhaustif de la grave question de l’intertextualité chez D. R. M AC D ONALD , «The Breasts of Hecuba and Those of the Daughters of Jerusalem: Luke’s Transvaluation of a Famous Iliadic Scène», in J.-A. A. BRANT et alii (éds.), Ancient Fiction: The Matrix of Early Christian and Jewish Narrative (SBLSS, 32), Society of Biblical Literature, Atlanta (GA) 2005, 239-254. L’écrit de Luc est un travail à dessein où il confesse sa Foi (Lc 1, 1-4). Cf. R. S. ASCOUGH, «Rejection and Repentance: Peter and the People in Luke’s Passion Narrative», in Bib 74 (1993), 365.

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sens du texte par le biais du making of Luke, c’est-à-dire la stratégie littéraire de Luc11.

2. Paradigmes herméneutiques et état de la recherche Le texte de Lc 23, 26-32 est remarquablement présent dans la littérature, dans l’art et dans la liturgie de l’Église. Il a été lu, médité, commenté et illustré le long des siècles chrétiens12. Mais elles sont très rares les œuvres qui ont abordé de façon systématique le récit dans son intégralité, en tant qu’unité littéraire s’étendant à un espace-temps bien concis13. Les commentaires sur le troisième évangile et des écrits sur le thème de la Passion du Christ offrent des aperçus généraux du texte et des questions relatives14. 11

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L’expression indique le génie de l’auteur et son style particulier de narrateur. Les Pères de l’Église reconnaissent dans ce dernier le Luc de la Tradition apostolique, connu de Paul, et le troisième évangile et les Actes des Apôtres sont reçus comme son oeuvre (cf. «Les fameuses sections nous» en Ac 16, 10-17; 20, 5-15; 21, 1-18; 27, 1-28, 16; voir également IRÉNÉE de Lyon, Adversus haereses, SC 211, 3, 14, 1). Les discussions sur l’identité de la personne et sur l’attribution à cette figure apostolique des deux livres en question persistent (cf. J. DUPONT, «Un important commentaire du troisième évangile», in Bib 72 (1991), 397-403). Toutefois, l’identification traditionnelle, de par son ancienneté et ses assises littéraires, n’en finit pas de faire école (cf. M. C. PARSONS, Luke. Storyteller, Interpreter, Evangelist, 1-11). Il suffit ici de considérer sa place dans la liturgie du chemin de croix et de ce que vaut simplement la croix dans la vie ecclésiale. Cf. J.-M. PRIEUR, «Les représentations théologiques de la croix dans la plus ancienne littérature chrétienne du deuxième siècle», in D. H. WARREN et alii (éds.), Early Christian Voices. In Texts, Traditions, and Symbols (Biblical Interpretation Series, 66), Brill Academic Publishing, Inc., Boston – Leiden 2003, 365-376; et I. H. MARSHALL, «Political and Eschatological Language in Luke», in C. G. BARTHOLOMEW et alii (éds.), Reading Luke: Interpretation, Reflection, Formation, 158. Notons que R. E. BROWN est l’un des rares auteurs à s’étendre sur notre texte: R. E. BROWN, La mort du Messie: Encyclopédie de la Passion du Christ, de Gethsémani au tombeau. Un commentaire des récits de la Passion dans les quatre évangiles, Bayard, Paris 2005, 1002-1026. Des exemples: F. J. M ATERA, Passion Narrative and Gospel Theologies: Interpreting the Synoptics through their Passion Stories (Theological Inquiries, Studies in Contemporary biblical Problems), Paulist Press, New York 1986, 182-184; S. LÉGASSE, Le procès de Jésus, 395-405.

Et en ces dernières décennies, bien des études du texte se retrouvent essentiellement orientées sur l’adresse de Jésus aux «Filles de Jérusalem», au détriment d’une considération unitaire du texte15. Nous ne saurons passer en revue ici toutes les œuvres à propos. Un résumé des perspectives d’interprétation et des points de focalisation des élaborations antérieures aidera à s’en faire une idée substantielle. L’histoire de l’exégèse du récit du chemin de la croix dans l’évangile de Luc pourrait être conçue en deux grands arcs de temps: l’avant R. Bultmann et l’après R. Bultmann. L’intervention de l’illustre exégète allemand, au début de la 2ème moitié du siècle dernier, marqua d’une scission le parcours exégétique du texte16. Et chacun des deux grands temps évoqués correspondra plus ou moins à un paradigme de pensée susceptible d’être illustré par un binôme.

2.1 Paradigmes herméneutiques Avant R. Bultmann, la lecture de Lc 23, 26-32 fut menée essentiellement à la lumière du binôme paradigmatique «croix-martyre». L’investissement exégétique dans ce sens portera plutôt le caractère allégorique. Le but en était de dissiper le scandale de la croix et de mettre en relief le martyre de Jésus17. À partir de R. Bultmann, l’exégèse du texte prend un 15 16

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Cf. F. van SEGBROECK, The Gospel of Luke: A Cumulative Bibliography 19731988 (BEThL, 88), University Press, Leuven 1989, 108-128. 238. Cf. R. BULTMANN, L’histoire de la tradition synoptique: Suivie du Complément de 1971 / Rudolf Bultmann, Éditions du Seuil, Paris 1973 (édition originale en allemande Gottingen 1967), 56. Les Pères de l’Église citent assez fréquemment des versets du texte. Voir les occurrences des versets du texte chez les Pères de l’Église dans: J. ALLENBACH et alii, Biblia patristica: Index des citations et allusions bibliques dans la littérature patristique, 1-6 voll., CNRS, Paris 1975, 1977, 1980, 1987, 1991, 1995. L’intérêt pour ce texte est particulièrement manifeste chez AMBROISE de Milan qui le citera une dizaine de fois (cf. Ibidem, vol. 4, 241, sous le nom d’AMBROISE de Milan: Expositio Evangelii secundum Lucam, 4, 65 et 10, 107; Expositio de Psalmo 118, 14, 43; De virginibus 1, 6, 26; De Excesso fratris 2, 39; De interpellatione Iob et David 1, 8, 26; De Noe 15, 53; De virginitate 12, 70; Ambrosiaster, Quaestiones Veteris et Novi Testamenti, numer CXXVII,110, 12; De incarnationis dominicae sacramento 7, 70; De paenitentia 2, 6, 49 et 2, 9, 88). Chez les Pères, la question de la croix de Jésus ne fut pas des moindres, c’est la plaque tournante de la sotériologie (cf. J.-M. P RIEUR, «Les représentations théologiques de la croix dans la plus

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nouveau tournant. En effet, caractérisant l’adresse de Jésus aux «Filles de Jérusalem» d’apophtegme, une prophétie chrétienne mise dans la bouche de Jésus, l’auteur créa une nouvelle vision du texte18. Pour lui, les vv. 27-32, qu’il appelle «l’accompagnement à la croix», sont nés de l’apologie chrétienne antijuive et mis dans la bouche de Jésus. Il s’agirait tout simplement d’une composition «biographique au sens strict», inspirée du thème de la sympathie qui se rencontre habituellement dans les récits de martyre dans le monde gréco-romain comme chez les juifs19. Partant de cette conception, l’investissement exégétique s’appesantit sur les questions concernant l’historicité, le genre littéraire et la christologie du texte, des aspects peu considérés auparavant. Le binôme paradigmatique «croix martyre» continuera à peser sur l’investigation exégétique avec et après R. Bultmann20. Mais émergera en même

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ancienne littérature chrétienne du deuxième siècle», 365-376). L’importance primordiale de la croix et de la souffrance fera que le récit de Lc 23, 26-32 soit toujours lu sous l’égide de la thématique du martyre. En effet, les Pères voient surtout sur le chemin de la croix ce Jésus martyr. Cela se justifie par le fait que la réflexion fut essentiellement captée par les signes du martyre qui sont présents dans la vie du Messie (cf. I. ZATELLI, «The Rachel’s Lament in the Targum and Other Ancient Jewish Interpretation», Rivista Biblica 39 (1991) 484). Cette interprétation de Lc 23, 26-32 dans le sens du martyre et de la conséquente parénèse (Le mot renvoie à l’exhortation morale dans les Écritures. Cf. J.-A. ALETTI et alii, Vocabulaire raisonné de l’exégèse biblique: Les mots, les approches, les auteurs (Outils bibliques), Cerf, Paris 2005, 103) est la tendance qui marquera particulièrement l’histoire exégétique du texte. Le mot apophtegme vient du grec apophthegma, un dérivé du verbe apophtengesthai qui signifie ‹énoncer une sentence›. Le préfixe ‹apo›, signifiant au loin, précise que cette parole est hors du commun. Etymologiquement parlant, l’apophtegme signifie donc parole, sentence mémorable de personnages de l’Antiquité qui sort du commun et invite à la réflexion. Il peut aussi désigner une parole divine prononcée par un homme. R. BULTMANN l’applique aux «morceaux [évangéliques] dont la pointe est constituée par une parole de Jésus encadrée dans une petite scène». Cf. R. BULTMANN, L’histoire de la tradition synoptique, 56 et les notes en bas de page. La tradition qui remonte aux Pères a trouvé une nouvelle force dans l’avènement de l’exégèse historico-critique. Contre toute attente, les travaux de R. Bultmann sur les vv. 27-31, qui constituent le cœur du récit, ne l’infirmeront pas. Car R. Bultmann la confirmera dans son œuvre intitulée l’Histoire de la Tradition synoptique. Certes, en qualifiant l’adresse de Jésus aux «Filles de Jérusalem» d’apophtegme, l’auteur aura contribué fortement à l’effondrement de la croyance traditionnelle à la directe historicité de la rencontre de Jésus avec les femmes de Jérusalem sur le

temps une nouvelle orientation avec comme phare le binôme «prophétiedestruction de Jérusalem», assorti d’un accent christologique. Dans cette nouvelle perspective, Jésus est conçu comme un prophète sur le chemin de la croix. Pour les uns, le prophète Jésus est comme un de ces prophètes de malheur qui annonce la dévastation de Jérusalem21. Pour d’autres, Jésus paraît plutôt comme un prophète célibataire et apocalyptique appelant à l’ascèse qu’exigent les temps qui sont les derniers22. Les vv. 27-31 constituent naturellement les points d’ancrage de cette position23. Le caractère prophétique de Jésus tient à ses dires.

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chemin de la croix. Cependant, l’interprétation basée sur le modèle du martyre semble avoir trouvé dans l’argumentation de l’exégète allemand des assises encore plus fortes. Cf. R. BULTMANN, L’histoire de la tradition synoptique, 25. Le poids dominant du binôme paradigmatique croix-martyre dans la lecture de Lc 23, 26-32 est toujours une réalité chez des exégètes. Voir par exemple chez B. MARCONCINI, I vangeli sinottici, 218-220 et A. G EORGE, «Le sens de la mort de Jésus pour Luc», in RB 80 (1973), 186-217. Position défendue par R. E. BROWN, La mort du Messie, 1002-1026. Telle est la conception générale de la figure de Jésus donnée dans Lc 23, 26-32 par B. J. PITRE, «Blessing the Barren and Warning the Fecund: Jesus’Message for Women Concerning Pregnancy and Childbirth», in JSNT 81 (2001), 59-80. Selon l’auteur, le message de Jésus est un appel pressant au renoncement au mariage «à cause du Royaume» comme on le lit en Mt 19, 12. Disciple de l’ascétique Jean le Baptiste, Jésus le prophète célibataire invite et lance un message en vue de l’adoption par ses interlocuteurs d’un ascétisme digne du Royaume de Dieu. Il conçoit les vv. 29-30 comme «une béatitude apocalyptique», un vrai macarisme (Voir la définition du macarisme in J.-A. ALETTI et alii, Vocabulaire raisonné de l’exégèse biblique, 118: [Le mot macarisme vient du] «grec ‹makarios› qui signifie ‹heureux›. Formule servant à louer, féliciter ou proclamer heureuse une personne en raison de ses qualités ou de ses mérites. La formule est fréquente dans la littérature sapientielle et dans le NT. Les ‹béatitudes› de Mt 5 et Lc 6 en sont les exemples les plus connus»). Voir par exemple dans: I. H. MARSHALL, The Gospel of Luke: A Commentary on the Greek Text (New International Greek Testament Commentary), The Paternoster Press – William B. Eerdmans Publishing Company, Exeter – Grand Rapids (MI) 1978, 861.

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2.2 Critiques des paradigmes et nouvelles orientations Dans sa monographie encyclopédique sur La mort du Messie, R. E. Brown traite longuement du sujet du chemin de la croix24. Sans pour autant se départir du schème traditionnel «Jésus prophète-martyr en face de Jérusalem», son œuvre est un écho critique des efforts antérieurs. L’auteur voit le texte comme «une scène de transition qui conduit Jésus du quartier général de l’autorité romaine à Jérusalem, où il avait été jugé et condamné, au lieu des exécutions, hors de la ville25». Il s’intéressera surtout à l’établissement du fait historique et de la composition textuelle. Dans cette application ressort une belle perception de la singularité du récit lucanien. Nous y reviendrons plus tard. Pour le moment notre attention sera portée sur la conception et sur le contenu-message qu’il propose du texte. R. E. Brown conçoit Lc 23, 26-32 comme ses parallèles: Mc 15, 20b21; Mt 27, 31b-32; Jn 19, 16b-17a, c’est-à-dire comme «un épisode de connexion» entre le jugement et la crucifixion. Deux éléments sont retenus essentiels. Le premier est constitué de la sortie de Jérusalem (Mc, Mt, Lc, Jn) et du port de la croix par Simon le Cyrénéen (Mc, Mt, Lc). Le deuxième est propre à Luc et concerne la prédiction de malheur que Jésus adresse aux femmes qui le suivent. La présence des deux malfaiteurs sur le chemin de la croix passe pratiquement inaperçue dans la structure et le message. Tout le récit est lu sur la toile de fond que constitue la destruction imminente de la ville sainte. Les dires de Jésus sont un oracle de malheur, qui est une condamnation dévastatrice sans recours26. Cette approche traditionnelle de Lc 23, 26-32 n’est pas sans difficultés. N’est-il pas gênant par exemple que la prise en compte de l’unité harmonieuse du texte soit faiblement tenue? Par ailleurs, par son insistance sur la destruction de Jérusalem, l’approche accuse une réduction du texte à des événements qu’il évoquerait. Ce qui revient à le mettre dans un carcan et à le priver ainsi de sa pleine expression en tant que 24 25 26

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R. E. BROWN , La mort du Messie, 1002-1026. Ibidem, 1002. Cet argument est aussi soutenu par D. L. BOCK , Luke, vol. 2, 1846-1847. Mais R. E. BROWN s’en réfère particulièrement à J. H. NEYREY , «Jesus’ Address to the Woman of Jerusalem (Lk23, 27-31). A Prophetic Judgment Oracle», in NTS 29 (1983), 74-86.

œuvre littéraire. Ces critiques montrent les faiblesses et les limites de la lecture traditionnelle avec son présupposé de «Jésus prophète-martyr en face de Jérusalem». Elles justifient en même temps la poussée vers d’autres horizons chez des auteurs. À côté de la lecture basée sur le schème de «Jésus prophète-martyr en face de Jérusalem», émerge timidement une nouvelle orientation qui verrait dans Lc 23, 26-32 un «Jésus plus qu’un prophète-martyr en face de l’histoire universelle». Cette optique exégétique et herméneutique est perceptible particulièrement dans l’approche du texte chez C. H. Giblin (1985), M. L. Soards (1987) et D. L. Bock (1996). Selon C. H. Giblin, le récit n’a pas seulement pour fonction d’établir les tenants et les aboutissants de la chute de Jérusalem: «Il suggère plutôt quelque chose d’indéterminé27». L’auteur ne s’étendra pas pourtant sur les fondements christologiques d’une telle charge littéraire du texte. Il s’arrêtera à l’identification de «Jésus prophète-Messie en face de Jérusalem» dont l’histoire est désormais une leçon pour toutes les nations de la terre, pour l’humanité entière. Mais force est de reconnaître son mérite d’avoir introduit dans la lecture du texte la notion d’universalité. M. L. Soards abordera différemment le texte: pour lui, Lc 23, 26-32 a pour fonction première l’affirmation de l’autorité personnelle de Jésus28. D. L. Bock prêtera attention à ce même propos de l’accent christologique du texte, mais il le lira dans le contexte général de la passion. L’autorité de Roi-Juge qu’il perçoit dans le Je personnel de Jésus, lui fera conclure que le récit du chemin de la croix chez Luc est plus qu’un récit de martyre: «Ceci est plus qu’un récit de martyre; ce «martyr» peut promettre le salut à un bandit repenti29». En somme, trois choses sont à retenir de la nouvelle orientation dans l’exégèse du texte: l’importance à accorder à la lecture du texte pour lui-même, le dépassement de la focalisation sur la destruction de Jérusalem et la considération de l’accent christologique du texte. Notre étude se fera le devoir de prendre en compte ces avancées récentes. 27 28 29

C. H. GIBLIN, The Destruction of Jerusalem According to Luke-Acts (AnBib, 107), PIB, Rome 1985, 104. Cf. M. L. SOARDS, «Tradition, Composition, and Theology in Jesus’ Speech to the ‹Daughters of Jerusalem› (Luke 23, 26-32)», 241-242. D. L. BOCK, Luke, vol. 2, 1840.

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Ces dernières suscitent bien des questions: comment entreprendre et situer la lecture de ce texte reconnu comme plus qu’un récit de martyre? Ce récit ne serait-il pas christocentrique, vu la prépondérance de la question de l’identification de la personne de Jésus dans le débat depuis les pères de l’Église? L’autorité que Jésus affiche ici renverrait à quelle identité personnelle précise, au-delà des caractères de martyr, de juge, de prophète et de roi que Jésus incarne? La prise de parole de Jésus en cette fin de son pèlerinage terrestre ne serait-elle pas «une autoconfession» aux contours inouïs30? Voilà des interrogations qui baliseront notre démarche.

3. Notre perspective d’interprétation Selon l’évangile de Luc, toute la vie publique de Jésus est un cheminement meublé par de grandes affluences de gens: les débuts en Galilée, la marche vers Jérusalem, l’entrée à Jérusalem, le séjour à Jérusalem et enfin la sortie de Jérusalem qui se veut le chemin de la croix (Lc 23, 2632). Le chemin de la croix lucanien se présenterait donc comme l’ultime de ces multiples rencontres de cheminement et d’enseignement entre Jésus et ceux qui le suivent et qui lui sont attachés. Entré à Jérusalem parmi les acclamations joyeuses d’une foule de disciples (19, 28), Jésus sortira également de Jérusalem suivi d’«une grande foule de gens du peuple, ainsi que des femmes qui pleuraient et se lamentaient à cause de lui» (23, 26-27). Quand il se trouve à la tête de la marche sur le chemin de la croix, il est dans la continuité de son itinéraire, allant à son but. 30

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L’expression auto-confession est une notion clé de notre perception du discours (Lc 23, 28-31). Nous la tenons de E. FRIEDMAN, Jewish Identity, The Miriam Press, New York 1987, 122. Parlant de Mt 23, 37-38, l’auteur l’estime comme une autoconfession de Jésus. Le thème de l’incompréhension du mystère de Jésus par son l’entourage direct apparaît continuellement dans l’évangile. D’où l’importance de l’attention à accorder au dire et au faire de Jésus concerant le mystère de sa personne. Cf. B. C. F REIN , «The Literary and Theological Significance of Misunderstanding in the Gospel of Luke», in Bib 74 (1993), 328-348. Voir aussi R. A. MONASTERIO – A. R. CARMONA, I vangeli sinottici e Atti degli apostoli (Introduzione allo Studio della Bibbia, 6), Paideia, Brescia 1995, 274-292.

Quand lui-même se tourne pour adresser la parole aux femmes, il adopte une attitude qui est une habitude chez lui face aux gens qui le suivent de près (7, 9; 9, 11; 22, 39). Et quand il se retrouve uni aux malfaiteurs, il vit prophétiquement ce qui fait l’originalité de sa vocation messianique (7, 36-50)31.

3.1 Sur les pas de l’homme de Galilée Le chemin du «lieu appelé Crâne» n’apparaît donc pas chez Luc comme un simple changement de lieu, pendant lequel Jésus est abandonné par tous à un triste destin et conduit comme un agneau à l’abattoir. Au contraire ce parcours renvoie à la longue marche de Jésus, la marche commencée depuis la Galilée (23, 5). Le titre «The journey to Golgotha» donné par D. L. Bock au récit vient bien à propos32. Contrairement à la conception de R. E. Brown, il ne peut-être logé facilement sous la définition d’«une scène de transition», à la même enseigne que les récits des autres évangiles33. Le récit lucanien du chemin de la croix est réellement le récit d’un espace-temps de cheminement, suite et fin de l’itinéraire de Jésus. Le texte rappelle le parcours de cet homme-là parti depuis la Galilée. En renvoyant aux épisodes qui le précèdent, [le texte] indique où et comment il faut interpréter la caractérisation de Jésus, et l’exégèse pas plus que le théologien ne sauraient se dérober lorsque les textes leur dictent le chemin de leur herméneutique. Autant et plus encore que la caractérisation des disciples, celles de Jésus, inséparable de son itinéraire, ne peut donc se satisfaire du Dass, elle doit emprunter le chemin long mais étonnamment riche du Was de la narration évangélique. Cette observation vaut aujourd’hui plus que jamais, car nous sommes de plus en plus amenés à nous poser la question d’une caractérisation du Christ en contexte de dialogue interreligieux34.

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Cf. J.-L. VESCO, Jérusalem et son prophète. Une lecture de l’évangile selon saint Luc, Cerf, Paris 1988, 44-45. Cf. D. L. BOCK, Luke, vol. 2, 1836. Cf. R. E. BROWN, La mort du Messie, 1002-1026. J.-N. ALETTI , «La construction du personnage de Jésus dans les récits évangéliques. Le cas de Marc», in C. FOCANT – A. WÉNIN (éds.), Analyse narrative et Bible: Deuxième colloque international du RRENAB, Louvain-la-Neuve, avril 2004 (BEThL, 191), University Press, Leuven 2005, 40.

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L’élément itinéraire est une clé essentielle de la lecture de l’œuvre lucanienne. Car c’est au long de cette longue marche que Jésus lui-même confesse sa messianité. Le mystère de son être et de sa fonction dans la révélation des voies de Dieu pour le salut du genre humain s’étale au cours du cheminement35. Lire Lc 23, 26-32 à la lumière de la marche caractéristique de Jésus de Nazareth dans le troisième évangile s’avère très avantageux. C’est le texte lui-même qui dicte cette option.

3.2 Dans une marche signée par la mort Il est reconnu à l’évangéliste Luc un esprit de continuité dans son œuvre Luc-Actes36. Cela se voit à travers son récit de l’itinéraire de Jésus. Tout au long de son évangile, Jésus chemine. Chez Luc Jésus est le Marcheur37. Il va à Jérusalem. Mais Jérusalem n’est pas une fin en soi. C’est à la mort qu’il va. D’ailleurs, les ultimes pas de Jésus le conduisent hors de la ville38. Comme le fait remarquer P. Grelot, «à partir du moment où il quitte définitivement la Galilée, c’est une véritable marche à la mort qu’il entreprend39». L’approche exégétique de Lc 23, 26-32 se trouve donc logiquement soumise à la considération de la thématique de la mort. La mort plane sur Jésus pendant tout son itinéraire40. Cet aspect importe beaucoup dans sa lecture. Le pèlerinage de Jésus sur la terre se déroule sous la menace permanente de la mort, depuis la Galilée jusqu’à la croix hors de Jérusalem, en passant par la condamnation à la peine capitale41. De 35

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Cf. J.-N. ALETTI, Quand Luc raconte, 67: «Le récit lucanien se donne à lire comme celui de la reconnaissance et de la proclamation des voies de Dieu en leur totalité, spatiale et temporelle». Cf. Ibidem, 122-124. Cf. C. H. H. SCOBIE, «A Canonical Approach to Interpreting Luke», 335. Le verbe avpa,gw indique bien cet aspect. P. GRELOT, Jésus de Nazareth Christ et Seigneur, tome 2 (Lectio Divina, 170), Novalis-Cerf, Paris 1997, 12. Cf. M. MASINI, Luca: Il vangelo del discepolo (Leggere Oggi la Bibbia, 2.3), Queriniana, Brescia 1988, 152: «La Passione è il traguardo cui tende il ‹cammino› di Gesù». Cf. M. R OSE, Une herméneutique de l’Ancien Testament. Comprendre, se comprendre, faire comprendre (Monde de la Bible, 46), Labor et Fides, Genève 2003, 201-202.

telle sorte que l’on pourrait dire que Jésus a vécu à travers la mort son destin messianique42. La grande thématique du mourir pour vivre n’est pas absente du texte de Lc 23, 26-32: elle y est soutenue par un abondant vocabulaire que nous spécifierons ultérieurement. En somme, notre effort exégétique et théologique, dans le cadre de cette étude aura une double ambition. D’un côté, nous tâcherons d’être attentif à la manière avec laquelle l’évangéliste saint Luc insinue et exploite ici ce grand thème de la marche de Jésus sur le chemin de la messianité. De l’autre côté, nous tenterons de saisir l’auto-identification de Jésus dans son dire et dans son faire en cette ultime étape de son cheminement terrestre (Lc 23, 26-32). Ce qui laisse entendre que notre option de lecture est nettement fondée dans l’intérêt christologique43.

4. Méthodologie La péricope Lc 23, 26-32 est construite de jeux d’intertextualité et faite «d’une manière pleine d’effet44». La singularité compositionnelle du récit et sa forme narrative indiquent d’elles-mêmes les voies susceptibles d’être appropriées pour une lecture exégétique et théologique approfondie: la critique de la rédaction et l’approche narrative. L’attention à l’originalité du récit et à l’intention de l’auteur fait partie intégrante de l’étude.

4.1 Approche narrative L’usage de l’approche narrative nous aidera à suivre Luc dans sa construction et dans sa communication. Luc se trouvera rétablit dans son double rôle d’auteur et de théologien. La convenance de cette approche 42

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Cf. D. FAIVRE , Vivre et mourir dans l’Ancien Israël: Anthropologie biblique de la Vie et de la Mort (Collection Comprendre le Moyen-Orient), L’Harmattan, ParisMontréal (Qc) 1998, 300-302. Le texte lui-même impose cet élan christologique. Cf. R. BULTMANN, L’histoire de la tradition synoptique, 25.

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dans l’étude de l’œuvre lucanienne est une vérité incontournable de plus en plus admise45. Elle nous aidera à situer efficacement l’épisode du chemin de la croix dans l’intrigue générale de l’évangile et à avoir une vision assez large de l’itinéraire de Jésus, le principal protagoniste.

4.2 Critique de la rédaction L’exégèse de notre texte ne peut guère ne pas user de la critique de la rédaction. Pourtant l’ambition ne sera point d’établir ici l’éventuel processus long et tourmenté de sédimentation des versets du texte. L’expérience montre qu’une telle entreprise historiciste produit peu de fruits46. En revanche, notre application à la critique de la rédaction tendra plutôt à mettre en valeur le travail rédactionnel et compositionnel de l’auteur dans le texte final. Il s’agira de repérer toutes les traces significatives de l’appropriation du texte par l’auteur, afin de pénétrer davantage dans l’intelligence de sa composition. Ce qui ne signifie nullement que nous ignorerons toute considération de la genèse du texte et de ses implications. L’examen des attaches intertextuelles comportera naturellement des allusions aux sources.

4.3 Recours au contexte de l’auteur La critique de la rédaction et l’approche narrative sont différentes. Mais s’appliquant toutes deux à la forme finale du récit comme œuvre d’un auteur avec une intention propre, les deux se trouvent liées et complé45

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Cf. Y. MATHIEU, La figure de Pierre dans l’œuvre de Luc (Évangile et Actes des Apôtres): Une approche synchronique (Études Bibliques. Nouvelle série 52), Gabalda, Paris 2004, 52: «La critique narrative a déjà donné des résultats stimulants et novateurs dans le champ des écrits lucaniens… Déjà, quelques personnages de l’évangile de Luc et des Actes ont fait l’objet d’études littéraires qui utilisent en tout ou en partie la critique narrative: les pharisiens, Philippe, et même l’Esprit Saint». Cf. J.-A. ALETTI , «Lecture rhétorique. Difficultés et enjeux d’une nouvelle approche», in A. LACOCQUE, (éd.), Guides des nouvelles lectures de la Bible, Bayard, Paris 2005, 40-42. Voir aussi: W. S. KURZ, Reading Luke-Acts: Dynamics of Biblical Narrative, Westminster and John Knox publishers, Louisville, Kentucky 1982, 1-72.

mentaires47. Elles intéressent notre démarche à plus d’un titre. Toutefois, elles ne suffiront pas à elles seules à l’établissement du message et de l’enseignement que Luc entend donner. Elles seront assorties pratiquement de considérations sociales, culturelles et religieuses relatives à la situation de l’auteur et des lecteurs réels. L’Évangile provient d’une problématique communicative qui n’est pas celle d’aujourd’hui. On ne saurait l’ignorer. Il est l’expression de la foi des premiers chrétiens qui avaient comme préoccupation à se situer dans un univers culturel et religieux précis. L’œuvre lucanienne est une contribution à la consolidation et à la formulation de la foi chrétienne naissante. L’auteur s’en ouvre explicitement dans le Prologue (Lc 1, 1-4)48. Son langage s’est tenu à une double exigence: la pertinence dans un monde hellénisé et la cohérence avec la doctrine biblique. Son œuvre littéraire est un vrai produit culturel et religieux spécifique49. D’où aussi ses exigences pour une lecture plus fidèle.

4.4 Insistance sur la fonction expressive du texte Croyant chrétien, il se conçoit que Luc confessait la divinité de Jésus. Mais on ne lira pas dans ses écrits, noir sur blanc, un énoncé aux tons nicéens comme: «Jésus est Dieu, né de Dieu». Comment fait-il alors sa confession? Il conduit le lecteur à travers l’itinéraire de Jésus à se rendre de lui-même à l’évidence50. La prise en compte de sa technique littéraire et des concepts qu’il utilise importe donc beaucoup dans le décryptage de son message. Luc a déclaré dans son Prologue sa claire intention de communiquer à son auditoire ce qui lui vaut personnellement la véracité 47

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Pour plus de saisie des notions voir: J.-A. ALETTI et alii, Vocabulaire raisonné de l’exégèse biblique, 69-81; O. MAINVILLE , La Bible au creuset de l’histoire: Guide d’exégèse historico-critique (Sciences Bibliques; Études / Instruments, 2), Médiaspaul, Montréal (QC) – Paris 1995, 123-137; Y. MATHIEU, La figure de Pierre dans l’œuvre de Luc (Évangile et Actes des Apôtres), 48-53. Luc veut proclamer et persuader. Cf. F. S. SPENCER, «Preparing the Way of the Lord. Introducing and Interpreting Luke’s narrative: A Response to David Wenham», 112-113. J. B. GREEN, «Learning Theological Interpretation from Luke», in C. G. BARTHOLOMEW et alii (éds.), Reading Luke: Interpretation, Reflection, Formation, 61. Cf. R. F. O’TOOLE , Luke’s Presentation of Jesus: A Christology (SubBib, 25), PIB, Rome 2004, 4-6. La remarque de l’auteur à la page 5 est pertinente.

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de la foi en Jésus de Nazareth. Son écrit est une confession, l’expression de sa foi51. Cette fonction expressive de son œuvre n’a pas été souvent prise en compte dans l’étude de Lc 23, 26-3252. Dans son travail intitulé: The Destruction of Jerusalem according to Luke-Acts, C. H. Giblin affirme la nécessité absolue de chercher à lire les textes évoquant la destruction de Jérusalem selon l’intention de l’évangéliste53. Nous adopterons le même principe dans notre essai de lecture de Lc 23, 26-32. Ce principe se distingue par l’accent mis sur la fonction expressive du texte, considérant plus concrètement son caractère d’œuvre littéraire intentionnée. L’usage du principe dans l’étude lucanienne se défend. Chez Luc l’histoire racontée est en même temps toute une théologie54. Ce qui signifie que son texte est essentiellement un signifiant, qui fait entrer l’auditoire dans l’univers de sens de la foi, et notamment dans le mystère du Christ. Pour lire l’évangéliste théologien qu’est Luc, il est nécessaire d’aller au-delà de la littéralité du texte.

4.5 Lecture selon la dynamique du texte L’art de Luc apparaît avec finesse dans le récit du chemin de la croix, un récit narré avec art. D’où la complexité de l’herméneutique de Lc 23, 26-32. Mais où et comment trouver une clé du sens du texte? Les mé51

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Cf. R. SCHNACKENBURG, Jesus in the Gospels: A Biblical Christology, Westminster John Knox, Louisville (Ky) 1995, 132: «He wants to be a ‹historian› and yet one who submits history entirely to his kerygmatic purposes… His Gospel is also a kerygmatic historical presentation that seeks to understand Jesus’ appearance in the framework of temporal and world-historical conditions…». Cf. C. H. GIBLIN , The Destruction of Jerusalem according to Luke-Acts (AnBib, 107), PIB, Rome 1985, 6: «The need for a more perspicacious study also arises from the fact that none of the theories which does try to assign a reason for Luke’s concern with the destruction of Jerusalem takes precisely into account the kind of audience for which he wrote. By and large, these theories discuss the basis for the judgment itself. They draw attention to the specific aspect of guilt and/or to the specifically guilty parties, whether high priests, elements among the people, the Romans, or some combination of these. Such interests are not idle inquiries. Nevertheless, they never address the issue of precisely what it was that Luke intended to do. Was he merely interested in ‹placing blame,› and, if so, why? What did he expect his reader to see or infer?». Cf. Ibidem. Cf. Ibidem, 104.

thodes envisagées doivent servir à mieux saisir et le signifiant et le signifié du récit en face. Les mots, les expressions et les phrases seront examinés selon leurs implications dans l’harmonie interne au texte. Aussi, voudrions-nous tirer une ligne de procédure conséquente des judicieuses remarques de J.-L. Ska: Dans bien des analyses, le danger qui menace l’exégèse est une sorte de «fétichisme» ou «absolutisation du terme». Or, quand il s’agit de déterminer la signification d’un terme ou d’une phrase, la dynamique du texte doit prévaloir sur les aspects statiques et chaque affirmation doit être interprétée selon le contexte. En réalité, les recherches de type synchronique ne tiennent pas toujours suffisamment compte de la distinction entre «forme» et «contenu». Ou pour utiliser le vocabulaire de la linguistique, elles ne distinguent pas toujours clairement entre «signifiant», «signifié» et «référent»55.

La lecture sera soumise à la dynamique du texte. Ce qui permettra une certaine maîtrise du champ touffu d’intertextualité, passage nécessaire pour une herméneutique quelque peu précise. Nous n’oublierons pas que notre texte constitue le récit de l’ultime étape de l’itinéraire de Jésus de Nazareth. L’attention à la dynamique propre au texte et la considération de sa position dans le macro-récit évangélique contribueront beaucoup à l’identification du sens.

5. Notre démarche L’étude comportera quatre chapitres. Tout d’abord, nous traiterons des questions préliminaires d’ordre textuel. Les problèmes liés à la composition et à l’intertextualité feront l’objet d’un regard précis en un second chapitre. Ensuite, nous procéderons à l’analyse philologique, syntaxique et grammaticale du texte dans le troisième chapitre. Le dernier chapitre du travail sera consacré à la théologie du texte dans son contexte. Nous essayerons, d’une part, de saisir les lumières qui jaillissent de ce texte

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J.-L. SKA, Introduction à la lecture du pentateuque: Clés pour l’interprétation des cinq premiers livres de la Bible (Le livre et le rouleau, 5), Lessius, Bruxelles 2000, 232.

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dans le contexte immédiat de la passion et, d’autre part, de percevoir la contribution du passage à l’intelligence du message de l’évangile en général. Nous y tâcherons de dégager de façon particulière les implications christologiques.

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Chapitre 1

Préliminaires

Introduction Dans ce premier chapitre, seront traitées des questions d’ordre textuel relatives à la délimitation, la critique textuelle, au texte grec et à sa traduction, la structure narrative, la comparaison synoptique et la nature christocentrique du texte. Luc 23, 26-32 est un texte assez bien conservé. L’aspect textuel sur lequel les avis des exégètes sont divers et variés est la conception même de l’unité littéraire qu’il constitue. Les différences paraissent liées à la difficulté de trouver un motif unificateur qui régisse l’ensemble des sept versets en question. Par exemple, le v. 32 pourrait être, à prime abord, perçu comme de trop dans cette unité littéraire, le lien entre l’intervention de Jésus et la présence des deux malfaiteurs n’étant pas si évident. Mais l’exégèse ne saurait s’en tenir uniquement aux apparences. Elle se doit de creuser davantage la question de l’unité du texte, pour la saisie de sa dynamique et de son harmonie interne. Pour ce faire, on se laissera guider plus par les particularités du texte en lui-même que par les indices synoptiques. Car la pénétration dans le secret de ce texte serait conditionnée par le respect de son propre élan.

1. Délimitation du texte Le texte de Lc 23, 26-32 est très différemment reporté dans les traductions modernes. En plus de la diversité des coupures des paragraphes, la conception même de l’unité du texte est en quelque sorte mise en question à cause des différentes visions sur les deux derniers versets. L’édition Lu est la seule qui commence, à la fin du verset 31, toute une 19

nouvelle section. Sur le v. 32, les éditions sont plus discordantes: TR AD NA Seg et Lu marquent à la fin de ce verset un simple paragraphe, pendant que JB et TOB introduisent une section. La conception unitaire de l’ensemble des versets telle que reportée dans les éditions JB et TOB paraît plus plausible. Le chemin de la croix (23, 26-32) constituerait en soi un récit concis entre la phase romaine du procès de Jésus (23, 1-25) et sa crucifixion au «lieu appelé Crâne» (23, 33-56)1. Ce récit constitue une unité littéraire spécifique consacrée à la marche qui a conduit Jésus hors de Jérusalem après sa condamnation à mort. Toutes les trois péricopes du chapitre 23 susmentionnées se démarquent par la conjonction kai, en leur début2. Luc utilise souvent cette conjonction kai, pour signaler le changement de propos ou de péricope3. Dans les trois parties de Lc 23 indiquées, elle assume concrètement cette fonction: 23, 1: Kai. avnasta.n a[pan to. plh/qoj auvtw/n h;gagon auvto.n evpi. to.n Pila/ton… 23, 26: Kai. w`‚j avph,gagon auvto,n( evpilabo,menoi Simwna, tina Kurhnai/on … 23, 33: Kai. o[te h=lqon evpi. to.n to,pon to.n kalou,menon Krani,on(…

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Voir les notes o, n et p sur le texte dans K. ALAND et alii (éds.), The Greek New Testament, Deutsche Bibelgesellschaft – United Bible Societies, Stuttgart 41993. Dans les éditions NA TEV FC VP Lu REB, un nouveau paragraphe commence avec Lc 23, 27. Seules les éditions TR WH AD M JB TOB n’introduisent pas un nouveau paragraphe à la fin du verset 31. Et bien des écrits exégétiques sont pratiquement opposés à la conception unitaire de Lc 23, 26-32. L. SABOURIN, L’évangile de Luc. Introduction et commentaire, PUG, Rome 1985, 365, affirme que «Lc 23, 31 est une nouvelle réflexion de Jésus et non une continuation de celle qui précède» et pour lui Lc 23, 32 se lie à la «crucifixion (23, 32-34)». Cf. H. J. CADBURY, The Making of Luke-Acts, Hendrickson Publishers, Peabody (MA) 1927, 21999, 57. La construction «Kai. w` j: et quand, et comme» se rencontre en début de péricope en Lc 2, 39; 19, 41; 22, 66. C’est vrai que dans le chapitre Lc 23, il se rencontre un autre kai, au verset 24. Mais cette occurrence ne saurait introduire une scission, un nouvel épisode, il n’y a ni changement de lieu, ni de personnes, ni de texte. La conjunction est dans ce verset simplement continuative. Comme le note J. SMIT SIBINGA, «The Making of Luke 23, 26-56: An Analysis of the Composition Technique in Luke’s Crucifixion Narrative», in RB 104 (1997), 384-386: «The significance of Luke 23:1 in the course of the Passion narrative is, that at this point is handed over to the highest Roman authority, after an apparently unanimous decision of the Jewish council… The chapter is to a certain degree of self-contained unit, and at v. 25/26 it has its main saesure». Par exemple en Lc 5, 17.27; 6, 1.6.12.17; 7, 1.11.

Chacune des trois péricopes est introduite par un verbe d’action, conjugué à l’aoriste actif, troisième personne du pluriel: h;gagon (23, 1), avph,gagon (23, 26) et h=lqon (23, 33). Ces verbes indiquent dans leur enchaînement trois étapes d’un mouvement continu: Amener, Emmener et Arriver. Selon les étapes, les motifs d’action, les personnages et les lieux changent.

1.1 Évolution des motifs d’action La première phase du mouvement conduit à la comparution devant Pilate (amener au supplice: 23, 1-25). Le motif dominant est le jugement et la condamnation injuste du juste, mis en exergue par la référence répétitive aux actes d’accusation et de condamnation (23, 4.10.11.22). Pilate, devant l’irréversible décision de meurtre des adversaires de Jésus, le livre à leur volonté (23, 25)4. La deuxième phase du mouvement, le chemin de croix (emmener: 23, 26-32), constituera l’acheminement au lieu de l’exécution du verdict. Luc nous montre là une marche bien organisée, avec Jésus à la tête et une foule immense qui le suit. Le motif dominant dans ce passage est fait des propos autour de la marche de Jésus, son identité personnelle et les conséquences du rejet de sa personne5. La troisième phase du mouvement continu est l’arrivée au lieu de l’exécution (arriver: 23, 33-43). Le motif dominant dans cette étape est la question du salut par la personne 4

5

Cf. R. E. BROWN , La mort du Messie, 841: «Trois grands points où Luc diffère de Marc comprennent la présentation détaillée des charges (23, 2); l’envoi par Pilate de Jésus à Hérode pour enquête, qui conclut à l’innocence (23, 6-15); et les trois déclarations de Pilate, qui ne trouve rien de coupable en Jésus (23, 4.14.22)». Voir K. STOCK, Il racconto della passione nei vangeli sinottici (Seconda parte; ad uso degli Studenti), PIB, Roma 42003, 28: «In Lc 23, 23-25, possiamo osservare cinque turni, ciascuno dei quali incomincia con un’iniziativa degli avversari e termina con una presa di posizione di Pilato: 23, 2-4: Accusa Interrogatorio Dichiarazione 5-16: Accusa Interrogatorio Dichiarazione 18-20: Barabbas Liberazione 21-22: Croce Liberazione 23-25: Croce Liberazione». Le cadre géographique et l’aspect christocentrique du récit le confirment. Cf. M. L. S OARDS , «Tradition, Composition, and Theology in Jesus’ Speech to the ‹Daughters of Jerusalem› (Luke 23, 26-32)», in Bib 68 (1987), 241-244.

21

de Jésus qui doit être crucifié (23, 33.35.39). Comme R. E. Brown le fait remarquer, autour de la croix où meurt Jésus «le défi de sauver» devient le propos dominant au détriment de la question de son implication dans la vie politique et religieuse juive6.

1.2 Évolution des lieux L’étape romaine du procès de Jésus comprend quatre scènes: l’interrogatoire initial par Pilate (23, 1-5), Jésus chez Hérode pour avis (23, 612), l’option pour la libération de Barabbas (23, 13-19) et le verdict final (23, 20-25). Le jugement qui conduit à l’accusation, à la condamnation et la livraison de Jésus à ses adversaires a eu lieu presque totalement dans la ville de Jérusalem, «au palais: prétoire», chez Pilate le préfet de la Judée. Le verbe avph,gagon indique une nouvelle étape dans le mouvement continu évoqué en 23, 1. Celle-ci va du Prétoire7 au lieu de l’exécution. C’est là un chemin (23, 26-32) qui rallonge l’itinéraire suivi par Jésus «depuis la Galilée, où il a commencé, jusqu’ici» (23, 4) à Jérusalem. Le verbe h=lqon indiquera l’arrivée au lieu de l’exécution: «lieu appelé Crâne», une sphère spéciale (23, 33).

1.3 Évolution des personnages Autant que les motifs et les lieux, les personnages changent également. La phase de l’accusation et de la condamnation à mort connaît l’intervention de différents acteurs (23, 1-25): Jésus, Pilate, la foule des accusateurs de Jésus, Hérode, les soldats d’Hérode, les Grands Prêtres, les 6 7

22

Cf. R. E. BROWN, La mort du Messie, 1083. 1133. Ibidem, 787-788: «Les soldats romains ‹le [Jésus] conduisirent à l’extérieur du palais [aulè], c’est-à-dire le prétoire› (Mc 15, 16)… Le terme praetorium est associé au praetor, fonctionnaire romain qui servait souvent de général commandant une armée (prae-itor: celui qui va devant)… quand les préteurs commencèrent à occuper la fonction de gouverneurs de territoires contrôlés par Rome, le prétoire devint la résidence de gouverneur, dans la ville principale, et occupa souvent le palais du précédent roi que les Romains avaient remplacé. Le public pouvait avoir accès au gouverneur en son prétoire, car ce lieu servait de centre administratif et pas seulement de résidence…». Le prétoire de la Judée serait en Césarée où résidait Pilate. Pilate, à ses visites à Jérusalem, occupait un palais qui fut assimilé à un prétoire.

scribes et le peuple. On pourrait voir dans ses personnages trois réalités sociales qui sont interdépendantes: la politique, la religion et la nation8. Ce qui est en cause dans les vv. 23, 1-25 ce sont surtout les implications de Jésus dans les relations entre religion et pouvoir politique au cœur d’une nation jalouse de ses traditions. Le silence de Jésus dans le débat exprime éloquemment sa distance de la lutte pour les intérêts entre «partis politiques». Ici, toutes les personnes sont particulièrement actives, sauf Jésus qui est pratiquement passif. Jésus ne répond qu’à une seule demande (23, 3). Par contre, la grande voix et les cris d’accusation et de réclamation de la crucifixion et de la mort de Jésus sont assez fréquents (23, 1.18.21.23). En somme, la péricope fait découvrir la participation explicite ou implicite des différentes corporations présentes à la condamnation de Jésus. Ce dernier se retrouve seul devant une puissante machination mortifère9. Dans le contexte du chemin de la croix (23, 26-32), Jésus est le seul personnage évoqué par son nom qui soit déjà connu. Ici, il est plus actif et plus assisté: Simon intervient auprès de lui, il conduit la marche, une grande multitude de gens le suit (23, 26-27), il prend la parole pour une vivante adresse aux femmes de Jérusalem qui pleurent sa cause (23, 2831) il partage la voie du «lieu appelé Crâne» avec d’autres condamnés (23, 32). L’absence des proches de Jésus se fait sentir fortement. Les personnages sujets des verbes: avph,gagon (23, 26), evpilabo,menoi (23, 26) et poiou/sin (23, 31) ne sont pas nommés. Mais il paraît évident que ce ne sont pas des gens favorables à Jésus, bien qu’ils fassent porter la croix par Simon. A part la mention de ces derniers, dans son allure générale, la péricope laisse entrevoir, à travers les gestes et les faits, une certaine communion entre Jésus et tous les participants à la marche10. 8

9

10

Dans la narration, ce qui ressort du peuple est surtout cet esprit nationaliste que malmènent les chefs religieux. Aussi, F. J. MATERA voit dans le peuple choisissant en faveur de Barabbas surtout une entité nationale Israël plutôt préoccupée de la sauvegarde de sa tradition. Cf. F. J. MATERA, «Jesus before Pilate, Herod, and Israel» in F. NEIRYNCK , (éd.), L’Évangile de Luc: The Gospel of Luke (BEThL, 32), University Press, Leuven 21989, 535-551. Cf. M. GONSALVES , The Passion of Jesus according to Luke: A narrative critical study of Luke 22:39-23:49 (Extractum ex Dissertatione ad Doctoratum in Facultate Theologiae), PUU, Rome 2001, 69-96. Nous aurions quelques réserves sur l’identification du peuple, mais admettons avec S. LÉGASSE, Le procès de Jésus, 398, que: «Comparé à l’isolement tragique de Jésus sur le chemin du Calvaire d’après les autres évangiles, le tableau lucanien est

23

Au lieu de la crucifixion, en plus de Jésus lui-même et des deux malfaiteurs, le panorama des acteurs s’enrichit de nouveaux visages: le peuple, les chefs, les soldats, le centurion romain, toutes les connaissances, les femmes de la Galilée, tous les gens rassemblés pour la circonstance (23, 33-56). Ici, ni Simon de Cyrène, ni la grande multitude de gens, ni les femmes en lamentation ne sont explicitement identifiés. Faisant apparaître les relations de longue date, amis et connaissances, Luc fait finalement de la mort Jésus un événement qui a réuni les lointains et les proches.

1.4 Considérations d’ordre grammatical et narratif A l’appui de l’unité du texte, sont invocables aussi les données de l’usage des formes verbales et de la logique narrative. 1.4.1 De l’usage des verbes de description narrative Il est un acquis l’observation selon laquelle la répartition des formes verbales importe dans la technique narrative lucanienne11. Le tableau qu’en dresse J. Smit Sibinga à propos Lc 23 permet de repérer les vv. 26-32 comme une unité littéraire logée au cœur du chapitre. De part la répartition des verbes de narration, l’unité littéraire du chemin de la croix occupe la partie centrale de cet important chapitre (23) de la passion de Jésus. Luc 23, le nombre de formes verbales en N(arratif ) et D(ialogue) v. 1-25 26-32 33-56 v. 1-56

11

24

N 62 12 62 136

D 30 12 18 60

total 92 24 80 196…

Presque réconfortant. Jésus nous est montré accompagné d’‹une foule nombreuse du peuple›. Sans doute le verbe ‹suivre›, dans ces circonstances, ne peut être l’expression de la démarche du disciple, mais sa nuance n’en est pas moins positive: après sa complicité avec les juifs lors du procès, le peuple commence à s’en détacher et continuera dans le même sens jusqu’à la fin de la passion (23, 35.48)». Cf. J. SMIT SIBINGA, «The Function of the Verbal Forms in Luke-Acts», in Filologia Neotestamentaria 6 (1993), 31-50.

Les formes verbales dans la narration se divisent en 62 + 12 + 62. C’est-à-dire qu’avant et après Lc 23, 26-32, les formes verbales de N sont distribuées de telle manière à situer la scène «sur le chemin de la croix» exactement au milieu. Apparemment, la narration du chapitre 23 a une partie centrale dans le strict sens, et là Lc plaça les dernières paroles de Jésus... Elles sont dites en route, sur le chemin, entre le lieu du «procès» et la place de l’exécution. À plusieurs égards, la composition semble être pratiquement naturelle et sans art. Pourtant, en raison de l’évidente technique, toutefois, on doit admirer Luc pour le quasi parfait dissimulatio artis12.

1.4.2 De la logique de la description narrative La péricope du chemin de la croix se veut un texte bien cousu. Son unité littéraire est établie notamment par des liens morphologiques et des coordinations narratives assez remarquables13. C’est ainsi qu’il est aisé de se rendre compte que les deux verbes avph,gagon (23, 26a) et h;gonto (32), s’interpellant morphologiquement, forment une inclusion autour de Lc 23, 26-32 et définissent ensemble le cadre de la péricope comme espace-temps de marche, de cheminement. Dans les versets 26b31, nous avons deux grandes parties: la description de la marche à la suite de Jésus (26-27) et la réaction de Jésus à l’attitude des gens qui pleurent son départ en le suivant (28-31). Une chaîne faite de trois particules de, relie les différentes parties: deux copulatives (27.32) et une adversative (28). La première particule de,, qui est copulative, lie les versets 26b et 27. La deuxième particule de,, qui est adversative, introduit la réaction relative à l’attitude des femmes qui suivent Jésus en pleurant. La troisième particule de,, qui est copulative, dénote une certaine similitude entre les deux actions décrites par avph,gagon (23, 26a) et h;gonto (32), exprime la contemporanéité des deux et les ordonne toutes deux aussi à une même finalité: avnaireqh/ nai (32b). Le petit schéma qui suit pourrait aider à la perception de cet enchaînement de la description de l’espace et du temps de la marche vers «le lieu appelé Crâne»:

12 13

Cf. IDEM, «The Making of Luke 23, 26-56: An Analysis of the Composition Technique in Luke’s Crucifixion Narrative», in RB 104 (1997), 386-387. Cf. M. L. SOARDS, «Tradition, Composition, and Theology in Jesus’ Speech to the ‹Daughters of Jerusalem› (Luke 23, 26-32)», 239.

25

h, gagon auv tou/ VIhsou/ 26:Kai. w`j avpKai. w‚tjo,n avpo;ph,isqen gagon auvto,n… o;pisqen tou/ VIhsou/.

de. 27:VHkolou,qeiVHkolou, qei

de.… (copulative)

strafei.strafei. j de. 28-31: j

de.… (adversative)

32:;Hgonto de.;Hgonto

de.… (copulative)

En définitive, nous constatons que, dans certaines éditions de la Bible et même dans des œuvres exégétiques, l’unité du texte est niée. Mais d’après notre analyse, nous retenons que les versets de Lc 23, 26-32 se tiennent grammaticalement et logiquement. La successivité narrative kakou, rgoj les unit dans un tout inséparable. Le fait que le v. 32 soit la véritable :Hgonto de. kai. e[teroi kakou/ rgoi du,o auvt w/| av naireqh/naiÅ pierre d’achoppement de cette question n’est pas surprenante. Car la Kai. o[te h=l qon evpi. to. n to,p on to.n kalou,menon Krani,on( evkei/ evstau,rwsan liaison de 32-33 se fonderait apparemment sur le rapprochement des auvt o.n kai. tou. j kakou,rgouj( o]n me.n ev k dexiw/ n o] n de. evx av risterw/n Å deux par le mot kakou,rgoj: 32: :Hgonto de. kai. e[teroi kakou/rgoi du,o auvtw/| avnaireqh/naiÅ 33: Kai. o[te h=lqon evpi. to.n to,pon to.n kalou,menon Krani,on( evkei/ evstau,rwsan auvto.n kai. tou.j kakou,rgouj( o]n me.n evk dexiw/n o]n de. evx avristerw/nÅ

Mais la logique de la liaison par affinité terminologique14 ne semble pas être invocable ici15. Plus que les mots, c’est le contexte qui déterminerait les positions. Or pendant que le v. 32 renvoie à la marche et au chemin, le v. 33 situe sur «le lieu appelé Crâne». En plus de cette évidence, la construction phraséologique de 32 insiste assez sur la contemporanéité pour que l’on ne puisse le disjoindre du mouvement en cours. Le v. 32: :Hgonto de. kai. e[teroi… su.n auvtw/| avnaireqh/nai est intimement lié à ce qui précède. L’expression de. kai,, l’adjectif e[teroj et la proposition finale su.n auvtw/| avnaireqh/nai supposent un antécédent, un préalable16. L’expression de. kai. e[teroi17 ne peut que se rallier à une liste ou une file, comme en Lc 9, 61: Ei=pen de. kai. e[teroj\ avkolouqh,sw soi( ku,rie18. Et nous avons à faire ici à la liste de ceux qui marchent au même moment vers le même sort: avnaireqh/nai. De par son motif, sa topographie et ses personnages, le chemin de la croix (23, 26-32) est 14 15 16 17 18

26

On constate la pratique par exemple chez L. SABOURIN, L’évangile de Luc, 365. Cf. J.-L. SKA , Introduction à la lecture du pentateuque, 232. L’expression su.n auvtw/| en appelle à quelqu’un qui n’est connu qu’ailleurs. Cf. BDAG, «de,», n. 5, 213. Lc 4, 43; 6, 6; 16, 7; 20, 11; 22, 58; 23, 32; Ac 15, 35; 17, 21, 34; 27, 1.

donc une péricope bien circonscrite entre les deux épisodes: la condamnation à mort au prétoire (23, 1-25) et la crucifixion suivie de la mort sur «le lieu appelé Crâne» (23, 33-56). Et sans cette perception du texte étudié, il est difficile, comme l’affirme M. L. Soards, d’arriver à une saisie cohérente du récit du chemin de la croix chez Luc19.

2. Critique textuelle Le texte de Nestlé-Aland, Novum Testamentum Graece20, note des variantes qui proviennent de certains manuscrits. Beaucoup de ces variantes sont des permutations de mots et des ajouts ou omissions de particules qui n’affectent pas le sens général du texte. Mais à propos de certains versets, elles introduisent des leçons assez différentes21. 23, 26: Kai. w‚j avph,gagon auvto,n( evpilabo,menoi Si,mwna, tina Kurhnai/on evrco,menon avpV avgrou/ evpe,qhkan auvtw/| to.n stauro.n fe,rein o;pisqen tou/ VIhsou/Å

Dans le manuscrit B/03, nous avons avph,gon à la place de avph,gagon. Le témoin est de valeur, de par son ancienneté et sa fiabilité; mais ici, l’unicité et la restriction géographique du cas affaiblissent son poids. Toutefois, on pourrait bien soupçonner la modification grammaticale de avph,gon en avph,gagon, survenue par souci d’harmonisation du texte avec la forme aoriste actif que l’on trouve en 22, 66 et 23, 1. La particule w‚j peut avoir aussi influencé ce changement: quand elle est suivie d’un verbe d’action au passé avec aspect continuel, ce verbe peut aussi se conjuguer à l’imparfait (3, 23; 24, 32). Cet imparfait vaut alors l’aoriste initial. Les deux conjugaisons avph,gon et avph,gagon auraient donc ici la même valeur22. 19 20 21

22

Cf. M. L. SOARDS, «Tradition, Composition, and Theology in Jesus’ Speech to the ‹Daughters of Jerusalem› (Luke 23, 26-32)», in Bib 68 (1987), 241. NESTLE – ALAND (éds.), Novum Testamentum graece, Deutsche Bibelgesellschaft, Stuttgart 272001. Cf. K. ALAND, Synopsis quattuor evangeliorum: Locis parallelis evangeliorum apocryphorum et partum adhibitis, Deutsche Bibelgesellschaft, Stuttgart 151996, 481-482. Cf. M. CARREZ, Grammaire grecque du Nouveau Testament, Labor et Fides, Genève 61984, 142.

27

Dans les manuscrits C/04 (5ème siècle) et D/05 (5ème siècle) et le manuscrit latin ancien r1/14 (7ème siècle) on lit: tina Kurhnai/on evrco,menon. Mais la leçon des manuscrits témoins du texte de base: ∏75 a B C* L 070. ƒ13 33. 579. 892. 2542 et peu d’autres, l’emporte sur cette différence. De plus, on ne voit pas pourquoi Luc aurait omis le nom du cyrénéen. D’habitude il est assez précis sur le matériel traditionnel comme le cas de Simon23. Dans les manuscrits A/02 q/038 W/044 et dans les textes byzantins se trouve la leçon: -noj tinoj, -naiou et -menou. Cette leçon avec le génitif donnerait une nuance particulière au texte: l’aspect de l’usage de la force et de l’obligation. Or cet usage suppose des antécédents, un rapport de domination ou moins une adversité déclarée24. Ce qui n’est pas le cas ici. Le cas présent, où Simon apparaît pour la toute première fois et par hasard, est le même qui se rencontre en Lc 9, 47; Ac 9, 27 et 29, 1925. Le texte NA27 est donc bien crédible. 23, 27: VHkolou,qei de. auvtw/| polu. plh/qoj tou/ laou/ kai. gunaikw/n ai] evko,ptonto kai. evqrh,noun auvto,nÅ

Dans le manuscrit D/05 et dans peu de minuscules latins: c, f et r1 et syriaques Sy S.C.P, nous avons gunai/kej au lieu de gunaikw/n. Cette leçon se trouve défavorisée par son appartenance exclusive à la seule grande famille occidentale. Gunai/kej étant défini, l’aspect partitif en est écarté. Car pour dire cet aspect partitif requis ici, on doit lui adjoindre tinej: ainsi aurions-nous gunai/ke,j tinej: «certaines femmes» comme en 8, 2; 23, 27; Ac 5, 14; 17, 4. La leçon apporte donc un sens très différent de celui qui découle du cas génitif. Mais les témoins du texte NA27 l’emportent de par leur fiabilité, leur nombre et leur répartition26. Dans le SQE27, un problème non relevé dans les notes de NA27 est mentionné. Ce problème mériterait attention. Il s’agit de la variante qui se trouve dans le texte Byzantin et peu d’autres manuscrits: C3 W Q f 1.13 23

24 25 26 27

28

Les récits de la Passion, dont ceux du Chemin de la Croix, constituent le matériel traditionnel le plus primitif. Cf. M. QUESNEL, L’histoire des évangiles (Collection Bref, 1), Cerf, Paris 1987, 25. Lc 20, 20.26; Ac 21, 30.33. Cf. Bl-De, §§ 169-170, 240-242. Les témoins sont: ∏î75 A B C* D N X Y 0124. 0211. 33. 700*. 892. 1071. 1241. 1424. 1675. 2542. 2766. Lat (a, aur, b, d, e, f, ff 2, g1, l, vg), Co, arm. Cf. K. ALAND, Synopsis quattuor evangeliorum, 481.

1342 [E F G H D 205. 565. 579. 700mg] ˜ syh. En effet, on y lit: kai. gunaikw/n ai] kai. au lieu de kai. gunaikw/n ai]. La variante peut provenir de deux motifs: soit pour mettre en relief les deux actions des femmes, lamentations et pleurs, soit pour spécifier l’accord des deux verbes evko,ptonto et evqrh,noun avec le même sujet (…des femmes, lesquelles aussi…). Ceci étant, la variante se révèle comme relevant plutôt d’un souci d’explicitation. D’où sa position secondaire. Le texte de NA27 qui présente la lectio difficilior prévaut. Toutefois, l’existence de la variante depuis les premiers siècles peut servir éventuellement d’appui dans l’interprétation du texte. 23, 28: strafei.j de. pro.j auvta.j Îo‚Ð VIhsou/j ei=pen\ qugate,rej VIerousalh,m( mh. klai,ete evpV evme,\ plh.n evfV e‚auta.j klai,ete kai. evpi. ta. te,kna u‚mw/n.

– Le codex Ephraemi C (Bezae Cantabrigiensis D), l’oncial 070, le cursif 1241 et peu d’autres portent la leçon o‚ VIhsou/j pro.j auvta.j. Il ne s’agit là que d’une question de permutation de mots, qui n’affecte aucunement le sens du verset. – Le papyrus ∏75, le Sinaïticus original et de seconde main a*.2, le Vaticanus B et l’oncial L/019 ne portent pas d’article sur le mot Jésus. Sur ce point, la 27ème édition de Nestlé-Aland apporte un ajout par rapport à la 25ème: Elle porte l’article défini sur le mot Jésus. Cette dernière leçon s’appuie sur le Sinaïticus de première main a1, l’Alexandrinus A/02, les majuscules W/032 et Y/042, les minuscules des familles Lake ƒ1 et Ferrari ƒ13, la reine des cursifs 33 et le texte majoritaire de la koinè ˜Û. En général, le nom de Jésus prend un article chez Luc. – Dans le Bezae Cantabrigiensis D/O5 et dans le Vetus latinus it manque l’expression evpV evme,, «sur moi». D et it appartiennent tous deux à la famille occidentale. La fixation géographique unilatérale affaiblirait cette leçon. – Le Bezae Cantabrigiensis D/O5 est le seul à comporter le plus que constitue l’expression mhde. penqei,te, «ne menez pas le deuil». L’unicité du témoignage défavorise la leçon. Mais l’existence même de la variante est d’importance28. Provient-elle d’un souci d’explicitation 28

D/05 est le principal représentant du texte occidental. Ce texte contient parfois des assises qui datent des deux premiers siècles. Cf. O. M AINVILLE, La Bible au creuset de l’histoire, 34.

29

ou bien s’agit-il d’un signe de fidélité à l’usage habituel du binôme klai,w-penqe,w? La référence à un usage traditionnel n’est pas une hypothèse à exclure. Puisque le texte occidental peut avoir sauvegardé dans des cas des éléments très antiques29. Ce qui légitimerait le questionnement ultérieur du texte sur sa relation avec l’histoire de la communauté des disciples, témoin de la vie, de l’annonce et de la mort de Jésus. 23, 29: o[ti ivdou. e;rcontai h‚me,rai evn ai-j evrou/sin\ maka,riai ai‚ stei/rai kai. ai‚ koili,ai ai] ouvk evge,nnhsan kai. mastoi. oi] ouvk e;qreyanÅ

– Le papyrus ∏75, le Bezae Cantabrigiensis D, la famille Ferrari ƒ13, le minuscule 2542 et peu d’autres, la Vetus latina it, le Syrus Sinaïticus Sys et le Syrus Curetonianus Syc ne notent pas l’interjection ivdou,. Les témoins sur lesquels s’appuie le texte de Nestlé-Aland: î∏75 a B C* L 070. 892. 2542 et peu d’autres, sont plus fiables et leur répartition géographique fonde davantage l’ancienneté de la leçon de NA27. Cependant, le double comportement de ∏75 complique la question. Bien que reconnu pour son littéralisme et son souci de la transmission exacte, il se trouve là à la fois avec et sans ivdou,. Or l’accord entre D et î∏75 peut-être la preuve de l’originalité d’une leçon. Ce qui fait dire donc que le texte sans ivdou, est probablement l’original. La plausibilité de cette option tient à la grande diffusion géographique: Alexandrie (∏75), l’Occident (D) et Césarée (ƒ13). La présence de ivdou, serait facile à expliquer: elle viendrait de l’harmonisation de l’expression e;rcontai h‚me,rai avec la formule prophétique: ivdou. e;rcontai h‚me,rai30. Luc emploie 80 fois ivdou,. L’expression o[ti ivdou. y revient seulement 2 fois: Lc 23, 29 et Ac 5, 25. Mais il n’utilise jamais le causatif o[ti avec ivdou,. En conclusion, retenons que la force des témoins de l’absence et l’isolement du cas dans l’œuvre lucanienne fait peser lourdement le doute sur son authenticité. – Sur l’expression e;rcontai h‚me,rai, deux autres leçons sont attestées dans des manuscrits. On trouve h‚me,rai e;rcontai dans le Sinaïticus a, 29 30

30

Cf. P. S. P ISANO , Introduzione alla critica testuale dell’Antico e del Nuovo Testamento, PIB, Roma 42005, 42. 49. La présence de ivdou, pourrait aussi provenir tout simplement d’un souci de rapprochement du texte original avec les événements de 70 ap. J.-C, vu l’accent démonstratif du concept.

le codex Ephraemi C/02, le majuscule 070, le minuscule 1241 et peu d’autres. Celle-ci importerait peu dans le sens de l’expression. La deuxième leçon est celle du Bezae Cantabrigiensis D et de la famille de minuscules Ferrari ƒ13. Elle est un peu plus complexe, introduisant une notion futuriste avec evleu,sontai h‚me,rai. Toutefois, l’aspect du présent est beaucoup attesté dans la Septante, laquelle constitue bien souvent la référence pour Luc. D’autre part, D n’a ici aucun appui de poids. – Concernant les verbes e;qreyan et ’eqh,lasan. La forme evxe,qreyan est attestée dans les manuscrits C2 D Q Y ƒ1 579. 1241 et peu d’autres. Mais on ne rencontre la même leçon qu’en 1 Esd 4, 16. Pour ce qui est de evqh,lasan, on la trouve dans A W ƒ13 33 ˜Û f vg. Cette forme se rencontre en Dt 32, 13 et Lam 4, 3. Pourtant, les témoins de ces leçons ne pourraient l’emporter sur ceux du texte de Nestlé-Aland: ∏75 a B C* L 070. 892. 2542 et peu d’autres. 23, 31: o[ti eiv evn tw/| u‚grw/| xu,lw| tau/ta poiou/sin( evn tw/| xhrw/| ti, ge,nhtaiÈ

– Le texte avec l’article au datif tw/| s’appuie sur ∏75 a A D L W Q Y ƒ1.13 33 ˜Û. C’est là une option diverse faite par la 27ème édition de NA par rapport à la 25ème qui ne porte pas l’article au datif tw/| comme dans B C 070. – De plus, dans ce même verset, sur la forme du verbe gi,nomai, il se note une variante dans D K et dans peu d’autres: ginh,setai. Cette leçon du futur indicatif dénaturerait-il l’aspect proverbial de la phrase? Non, il s’agit là simplement du cas où le grec classique a toujours préféré l’indicatif futur au subjonctif. Le subjonctif du texte assume cette même fonction de futur. Mais dans le NT, le subjonctif aoriste est employé en général pour ces demandes rhétoriques31. Disons que les témoins des leçons de notre texte de base sont plus fiables, géographiquement très répartis et avec assez de représentants de poids. 23, 32: ;Hgonto de. kai. e[teroi kakou/rgoi du,o su.n auvtw/| avnaireqh/naiÅ

Le texte a pour témoins ∏75 a B. Dans le manuscrit latin l du 8ème siècle, se trouvent deux noms qui sont attribués aux deux malfaiteurs: 31

Cf. Bl-De, § 366, 441.

31

Joathas et Maggatras. Une autre variante largement rependue se lit dans les manuscrits: A C D L W Q Y 070. O250 ƒ1.13 33 ˜Û Syh. Il s’agit du changement de place de l’adjectif du,o afin d’avoir e[teroi du,o kakou/ rgoi au lieu de e[teroi kakou/rgoi du,o. Le changement aurait pour but de faire écarter toute idée de similitude entre Jésus et les deux qualifiés de «malfaiteurs», même s’ils ont tous les trois le même sort. Toutefois, ce déplacement de l’adjectif du,o ne semble pas être susceptible de résoudre une telle question32. Par ailleurs, il est évident que la lectio difficilior est originale et que la variante byzantine relèverait plutôt d’une modification interprétative. En effet, l’ordre des mots en 23, 32 suit le même que celui que l’on trouve ailleurs chez l’écrivain sacré: Lc 11, 26: to,te poreu,etai kai. paralamba,nei e[tera pneu,mata ponhro,tera e‚autou/ e‚pta. kai. eivselqo,nta katoikei/ evkei/\ kai. gi,netai ta. e;scata tou/ avnqrw,pou evkei,nou cei,rona tw/n prw,twn33Å

3. Texte et traduction préliminaire de Lc 23, 26-32 3.1 Texte

32 33

32

26

Kai. w‚j avph,gagon auvto,n( evpilabo,menoi Si,mwna, tina Kurhnai/on evrco,menon avpV avgrou/ evpe,qhkan auvtw/| to.n stauro.n fe,rein o;pisqen tou/ VIhsou/Å

27

VHkolou,qei de. auvtw/| polu. plh/qoj tou/ laou/ kai. gunaikw/n ai] evko,ptonto kai. evqrh,noun auvto,nÅ

28

strafei.j de. pro.j auvta.j Îo‚Ð VIhsou/j ei=pen\ qugate,rej VIerousalh,m( mh. klai,ete evpV evme,\ plh.n evfV e‚auta.j klai,ete kai. evpi. ta. te,kna u‚mw/n(

Cf. M. Z ERWICK – M. GROSVENOR, A Grammatical Analysis of the Greek New Testament, PIB, Rome 31988, XXXI. Lc 10, 1; Ac 27, 1.

29

o[ti ivdou. e;rcontai h‚me,rai evn ai-j evrou/sin\ maka,riai ai‚ stei/rai kai. ai‚ koili,ai ai] ouvk evge,nnhsan kai. mastoi. oi] ouvk e;qreyanÅ

30

to,te a;rxontai le,gein toi/j o;resin\ pe,sete evfV h‚ma/j( kai. toi/j bounoi/j\ kalu,yate h‚ma/j\

31

o[ti eiv evn tw/| u‚grw/| xu,lw| tau/ta poiou/sin( evn tw/| xhrw/| ti, ge,nhtaiÈ

32

:Hgonto de. kai. e[teroi kakou/rgoi du,o su.n auvtw/| avnaireqh/naiÅ

3.2 Traduction préliminaire 23, 26 a. Comme ils l’emmenaient, b. ils prirent un certain Simon de Cyrène c. qui venait de la campagne, d. et ils le chargèrent de la croix c. pour la porter derrière Jésus. 27

a. Il était suivi d’une grande multitude du peuple, b. entre autres de femmes qui se frappaient la poitrine c. et se lamentaient sur lui.

28

a. Jésus se tourna vers elles et leur dit: b. «Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, c. mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants.

29

a. Car voici venir des jours où l’on dira: b. «Heureuses les stériles et les ventres qui n’ont pas engendré c. et les mamelles qui n’ont pas nourri».

30

a. Alors on se mettra à dire aux montagnes: b. «Tombez sur nous», c. et aux collines: d. «Cachez-nous».

31

a. Car si l’on traite ainsi l’arbre vert, b. qu’en sera-t-il de l’arbre sec?»

32

a. On en conduisait aussi d’autres, b. deux malfaiteurs, pour les exécuter avec lui.

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4. Structure narrative La logique de la description découverte ci-dessus donnerait déjà une idée de la structure narrative du texte. Cependant, d’autres considérations grammaticales nous permettront de la préciser davantage. Dans les versets 23, 26-27.32 les verbes sont surtout aux temps de l’indicatif imparfait et de l’indicatif aoriste. Par contre, dans les versets 28-31, les temps qui l’emportent sont: l’indicatif présent, l’indicatif futur et l’impératif présent, avec une prédominance de cette dernière conjugaison. En effet, ces versets constituent une adresse de Jésus. Ils se distinguent des autres qui sont plus descriptifs. On pourrait structurer alors le texte en trois parties principales: la description de la marche proprement dite (26-27), la prise de parole de Jésus sur le chemin (28-31) et la signalisation de la présence des deux malfaiteurs qui sont destinés à partager le sort de Jésus selon la volonté des adversaires (32). Cependant mieux que cette structure assez schématique, une structure narrative plus détaillée fera ressortir la dynamique inhérente au récit. La dynamique en question est soutenue non par l’action de ceux qui sont impliqués dans l’acheminement de Jésus au «lieu appelé Crâne», mais plutôt par l’action caractéristique de Jésus lui-même poursuivant librement une destinée humainement déconcertante. Il marche avec conviction sur le chemin de la croix et est suivi par bien de gens34. Comme le démontre M. Gonsalves, au delà de la note de passivité qu’indique le verbe avph,gagon, il faut surtout voir ici un Jésus en tête de 34

34

Cf. M. GONSALVES , The Passion of Jesus according to Luke: A Narrative Critical Study of Luke 22:39-23:49, 96: «The scène is introduced by the twofold movement of Jesus that was spoken of at the beginning of his passion. On the one hand, the phrase ‹they led him away…› indicates the passive movement of submission the power of darkness (22:53), a unanimity of hostility brought about by the trial, comprising of the Roman authority, the Jewish leaders and the Jewish people at large. The key verb avph,gagon denotes a shift of scene from the court of Pilate to the place of the Skull, and the last link of the chain of the ‹delivering› of Jesus, viz. Pilate delivers Jesus to their will (23:25). However, on the other hand, Jesus actively proceeds ahead to his death. There are others who follow Jesus to the place of the Skull, who in a way offset the air of hostility by their sympathy or favour for Jesus, and bring about a polarity once again between the Jewish people and their leaders, recalling the prophecy of Simeon that Jesus would be the cause of division within Israel».

marche, avec tout ce que cela comporte comme implications. Le récit que contient Lc 23, 26-32 n’a pas l’ambition de couvrir le chemin de la croix de long en large. Il est un moment de la marche. Et en ce moment là, Jésus est au devant de la scène. Et si Luc a bien voulu nous relater ce moment précis, c’est qu’il lui a semblé capital et caractéristique de la marche vers «le lieu appelé Crâne»35. On ne saurait négliger de cette réalité, si l’on veut faire une lecture cohérente du texte de Luc. Dans l’évangile de Luc, le ministère de Jésus en Galilée s’achève sur sa ferme décision de monter à Jérusalem… Jérusalem est le point géographique et théologique de l’avnalh,myij et de l’ e;xodoj de Jésus… il paraît donc que le voyage de Jésus à Jérusalem se poursuit par un second voyage à partir de Jérusalem… En effet, Jésus va à Jérusalem (Lc 9, 51), va à la mort (Lc 22, 22) et va au ciel (Ac 1, 11)36.

Le thème de la marche s’impose avec force à la structure du macro-récit lucanien. L’auteur s’en trahit éloquemment par l’expression «depuis la Galilée jusqu’ici [Jérusalem]» (23, 4). Des travaux successifs des exégètes permettent d’affirmer que la structure de la narration évangélique de Luc ne se conçoit sérieusement que sur cette discrète intention personnelle de l’évangéliste lui-même37. 35

36 37

Chaque évangéliste a eu à faire des choix dans le lot de matériaux qu’il avait reçu de la tradition. Ses choix sont naturellement dictés par ses orientations théologiques et ecclésiologiques. Cf. O. MAINVILLE , «Les synoptiques et les Actes des Apôtres», in O. MAINVILLE (éd.), Écrits et milieu du Nouveau Testament: Une introduction (Sciences Bibliques, Instruments, 7), Médiaspaul, Montréal (QC) – Paris 1999, 169170. Voir aussi J. B. GREEN, «Learning Theological Interpretation from Luke», 61: «Of course, in selecting and arranging events, the historiographer exercises further judgment while ranking some events and theirs importance over others, and this accounts for the claim that the writing of history provides more than the past». A. PUIG I TÃRRECH, «Les voyages à Jérusalem», in C. G. B ARTHOLOMEW et alii (éds.), Reading Luke, 493-495. On le perçoit à travers la structure que trace de l’évangile R. MEYNET , L’évangile de Luc (Rhétorique Sémitique, 1), cerf, Paris 2005, 29: «A. La venue du Christ préparée par les messagers du Seigneur B. Jésus constitue la communauté de ses disciples en Galilée C. Jésus conduit la communauté de ses disciples à Jérusalem D. La Pâque du Christ annoncée par les Écritures d’Israël». La même conception de l’itinéraire de Jésus dans l’évangile de Luc est présentée par C. H. H. SCOBIE, «A Canonical Approach to Interpreting Luke», 336: «In short, it is the journey motif that constitutes the most marked structural feature of Luke’s Gospel in its canonical form».

35

Partout, dans l’évangile, où il y’aura donc les traces des pas de Jésus de Nazareth, Luc voudrait que les lecteurs les relèvent, les notent et les suivent. Une structure narrative assortie du double motif cheminmarche s’avère bien convenir dans le cas du récit du chemin de la croix. Il y va de la fidélité à la christologie lucanienne38. Ce sont les pas du Galiléen, Jésus de Nazareth, qui ont dû le conduire à la mort de crucifixion sur «le lieu appelé Crâne» à Jérusalem. Ne pas tenir compte de ce présupposé primordial du récit dans l’établissement de la structuration ferait donc des entorses à la dynamique qu’il incarne. Notre texte se situe géographiquement et théologiquement dans «le large cadre de la marche vers la mort». Sur le chemin de la croix, Jésus marche vers la mort. Des personnes qui le suivent réagissent en pleurant. D’où sa réplique. Au cœur du récit, il y a donc une question d’incompréhension entre Jésus et sa suite sur le bien fondé de sa marche. Ce qui ne manque pas de précédents dans l’évangile de Luc. Le motif de la poursuite du chemin est très cher à l’auteur de Luc-Actes, c’est une pièce maîtresse de son œuvre qui vient à chaque fois comme un moment de sursaut39. On ne saurait que reconnaître cet aspect dans le présent récit. Le texte impose objectivement une ligne d’accès qui est celle de l’itinéraire40. La marche qui conduit à la croix renvoie à la longue marche de Jésus de la Galilée à Jérusalem. Le chemin terrestre de Jésus se définit historiquement par deux événements indéniables: son baptême au Jourdain et sa mort. Il s’agit de ce qui est communément appelé la vie publique, dans laquelle se déroule son ministère, signé par la perspective dominante du ‹règne de Dieu›, summa et compendium de l’annonce de Jésus41.

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Cf. R. SCHNACKENBURG, Jesus in the Gospels, 162-163. Cf. F. MOLONEY, «The Faith of Martha and Mary: A Narrative Approach to John 11, 17-40», in Bib 75 (1994), 476. Cf. J.-N. ALETTI , «La construction du personnage de Jésus dans les récits évangéliques: Le cas de Marc», 40. M. GRONCHI , Trattato su Gesù Cristo Figlio di Dio Salvatore (Nuovo corso di teologia sistematica, 3), Quiriniana, Brescia 2008, 138. Voir aussi: JEAN -PAUL II, Lettre du Saint Père Jean-Paul II Aux Prêtres pour le jeudi saint 2000 (23 mars 2000), n. 1.

La dynamique du chemin de la croix (Lc 23, 26-32) le rend inséparable de cet itinéraire général de Jésus de Nazareth sur cette terre. Aussi percevrons-nous la structure comme suit: 1. Marche sur le chemin de la croix 23, 26-27 1.1. Marche en cours 23, 26a 1.2. Marche à la suite de Jésus 23, 26b-27 1.2.1. Simon de Cyrène 1.2.2. Grande multitude de gens 1.2.3. Femmes en lamentation 2. Marche interrompue, Jésus parle 23, 28-31 3. Marche parallèle des deux malfaiteurs 23, 3242

5. Comparaison synoptique 5.1 Vue synoptique des textes Le récit du chemin de la croix chez Luc est à vue d’œil différent du récit des deux autres synoptiques, Marc et Matthieu43. Dans la comparaison entre les synoptiques, la différence qui frappe à prime abord est la longueur du récit lucanien:

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43

Notre plan qui se dessine ainsi est quelque peu différent de celui de D. L. BOCK, in Luke. Vol. 2, 1840. L’auteur conçoit la structure tripartite comme suit: «1. Simon the Cyrene carries the cross (23, 26), 2. Jesus’ conversation with the women (23, 27-31), 3. Two other criminals are led away with Jesus (23, 32)». Le problème avec une telle structuration est qu’elle ne fasse pas ressortir la dynamique de la narration: La marche qui constitue l’ossature du récit n’apparaît que implicitement et la marque christocentrique du texte est grandement escamotée. Cf. K. ALAND, Synopsis quattuor evangeliorum, 481-482.

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Marc 20b-21

Mt 27, 31b-32

Lc 23, 26-32

20b Kai. evxa,gousin auvto.n i[na staurw,swsin auvto,nÅ 21 kai. avggareu,ousin ara,gonta, tina Si,mwna Kurhnai/on evrco,menon avpV avgrou/( to.n pate,ra VAlexa,ndrou kai. ~Rou,fou( i[na a;rh| to.n stauro.n auvtou/Å

31b kai. avph,gagon auvto.n eivj to. staurw/saiÅ 32 VExerco,menoi de. eu-ron a; n qrwpon Kurhnai/ o n ovno,mati Si,mwna( tou/ton hvgga,reusan i[na a;rh| to.n stauro.n auvtou/Å

26 Kai. w`‚j avph,gagon auv t o, n ( ev p ilabo, m enoi Si,mwna, tina Kurhnai/ on evrco,menon avpV avgrou/ ev p e, q hkan auv t w/ | to. n stauro.n fe,rein o;pisqen tou/ VIhsou/Å 27 VHkolou,qei de. auvtw/| polu. plh/qoj tou/ laou/ kai. gunaikw/n ai] evko,ptonto kai. evqrh,noun auvto,nÅ 28 strafei.j de. pro.j auvta.j Îo‚Ð VIhsou/j ei=pen\ qugate,rej VIerousalh,m( mh. klai,ete evpV evme,\ plh.n evfV e‚auta.j klai,ete kai. evpi. ta. te,kna u`‚mw/n( 29 o[ti ivdou. e;rcontai h‚me,rai evn ai-j evrou/sin\ maka,riai ai‚ stei/ rai kai. ai‚ koili,ai ai] ouvk evge,nnhsan kai. mastoi. oi] ouv k e; q reyanÅ 30 to, t e a;rxontai le,gein toi/j o;resin\ pe,sete evfV h‚ma/j( kai. toi/j bounoi/j\ kalu,yate h‚ma/j\ 31 o[ti eiv evn tw/| u‚grw/| xu,lw| tau/ta poiou/sin( evn tw/| xhrw/| ti, ge,nhtaiÈ 32 :Hgonto de. kai. e[teroi kakou/rgoi du,o su.n auvtw/| avnaireqh/naiÅ

Mais il se distingue en plus par bien d’autres aspects, qui ne sont pas des moindres. Pour mieux cerner ces caractéristiques lucaniennes, nous allons procéder à une considération des points de convergence et des points de divergence entre les évangiles synoptiques. L’apport de l’évangile johannique ne fera que mettre en exergue certaines données synoptiques.

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5.2 Points de convergence Les évangiles annoncent unanimement que Jésus condamné à mort sera exécuté hors de la ville de Jérusalem (Mc 15, 20b-21; Mt 27, 31b-32; Lc 23, 26-32; Jn 19, 16b-17a). Les verbes introductifs aux différents récits: avph,gagon (23, 26) et evnxa,gousin (Mt 27, 31; Mc 15, 20) indiquent bien cette réalité. Et le lieu où Jésus fut conduit pour être crucifié entre deux malfaiteurs est mentionné: «Golgotha» en Mc 15, 22 et Mt 27, 33; chez Luc, c’est le «lieu appelé Crâne» (23, 33). Un fait important dans les récits des trois évangiles synoptiques est la mention de l’aide qu’apporte un certain Simon de Cyrène dans le port de la croix sur le chemin du lieu de l’exécution (Mc 15, 21; Mt 27, 32; Lc 23, 26). Disons donc que trois points principaux les unissent: la marche vers l’extérieur de la ville pour l’exécution, le port de la croix par Simon de Cyrène et l’indication du lieu de l’exécution44.

5.3 Points de divergence Des différences compositionnelles et phraséologiques sont notables entre le texte de Luc et celui des autres synoptiques45. Sur le plan de la composition, nous avons déjà noté la longueur du récit de Luc par rapport aux autres. Chez Luc les versets 23, 27-32 constituent une originalité. Il est le seul également à signaler la concomitance de la marche des deux malfaiteurs avec le cheminement de Jésus et des gens qui le suivent: H ; gonto de. kai. e[teroi kakou/rgoi du,o su.n auvtw/| avnaireqh/nai (23, 32). La divergence entre le récit lucanien et les autres synoptiques est aussi remarquable sur le plan contextuel et phraséologique.

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C’est pour cette raison que l’on pense que Lc 23, 26 et 32 sont tout simplement une réécriture du matériel parallèle chez Mc. Mais comme fait remarquer L. SABOURIN, L’évangile de Luc, 365, cette hypothèse suscite bien des questions. L’examen exégétique dans son développement aidera à éclaircir ce à quoi tient l’originalité du texte lucanien et comment il se situerait devant l’hypothèse du fait synoptique et de ses fondements. Cf. K. STOCK , Il racconto della passione nei vangeli sinottici, 76-83.

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Les deux autres évangiles situent le chemin de la croix après le couronnement d’épines, la flagellation et les moqueries (Mt 27, 26-31; Mc 15, 16-20)46. Chez Luc, rien de tel: Jésus est montré directement pendant qu’on l’ «emmène au supplice» (23, 26), juste après sa livraison à la volonté des adversaires et au moment où Simon de Cyrène intervient pour to.n stauro.n fe,rein o;pisqen tou/ VIhsou/. À propos de l’intervention de Simon chez Luc, il est à noter deux détails importants. Primo, Simon est chargé de prendre la croix, mais Luc ne note pas l’appartenance de la croix à Jésus. Marc et Matthieu montrent Simon chargé de «la croix de Jésus»: i[na a;rh| to.n stauro.n auvtou/ (Mc 15, 21; Mt 27, 32). La différence des évangiles synoptiques avec saint Jean sur ce point est plus accentuée: l’intervention de Simon de Cyrène est omise et Jésus lui-même porte sa croix (Jn19, 17). Secundo, appelé pour to.n stauro.n fe,rein, Simon devra le faire de façon précise: o;pisqen tou/ VIhsou/. Du point de vue de l’allure, il est évident que la vivacité du récit lucanien est de relief. Il capte aussitôt par ses multiples motifs et effets, suscite l’émotion. L’art du narrateur aura fait de ce récit un pittoresque tableau de la passion.

6. Nature christocentrique du récit lucanien En lisant le récit de Luc, la personne de Jésus revient comme le point focal. Cette réalité apparaît déjà sur le plan du vocabulaire. «Le nom propre a une valeur particulière pour Luc47». Ce n’est donc pas anodin que, pour toute cette compagnie innombrable et composite, le prénom de Jésus soit le seul à être retenu de toutes les personnes déjà connues dans l’évangile. Le prénom Jésus rétablit comme centre d’intérêt «l’événement Jésus» que Simon de Cyrène vient de découvrir. On pourrait même dire que nous sommes en face d’une véritable fresque panoramique sur l’ensemble du ministère terrestre de Jésus. 46 47

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Cf. R. E. BROWN, La mort du Messie, 956. P. BOSSUYT et J. RADERMAKERS, Jésus Parole de la grâce selon saint Luc, vol. 2, lecture continue (collection Institut d’Études Théologiques, 6), éditions Lessius, Bruxelles 31999, 27.

La scène de la sortie de Jérusalem insinue l’adversité contre Jésus et le rejet qu’il affronta. L’intervention de Simon ne peut que ramener le motif de la sequela. La présence de la grande foule avec des femmes en pleurs et la conversation survenue rappellent les enseignements et la révélation des voies de Dieu. Et enfin le flash sur l’acheminement avec les deux autres condamnés rappelle que les routes de la vie l’auront toujours uni aux damnés, aux bannis, aux petits. Les quatre scènes présentent donc Jésus qui rencontre sur son chemin signé d’adversités un homme inconnu, une foule dont des femmes qui pleurent et enfin deux pauvres condamnés à mort. L’ensemble des scènes meuble une marche harmonieuse sous l’égide de Jésus lui-même. Tout le monde le suit, c’est lui seul qui prendra la parole et les deux autres condamnés sont dits être «conduits pour être éliminés avec lui» (23, 32). La successivité des actions est ordonnée suivant la marche de Jésus. Sa prise de parole est un moment solennel, elle constitue le cœur du récit. Il y a une emphase réelle sur l’intervention de Jésus. Nous nous trouvons alors en face d’une application littéraire bien intentionnée. Luc fait usage ici de la technique narrative de la citation véridique: La citation des paroles des dramatis personae est l’une des caractéristiques saillantes du récit biblique. Une narration typique consiste dans la mise en scène d’un grand nombre de dialogues à la troisième personne relatant les actions. Ce discours rapporté est l’un des principaux moyens dont dispose le narrateur biblique pour caractériser ses personnages. C’est à travers leurs paroles que le lecteur apprend à connaître les héros. Ce procédé va de pair avec la prédilection des auteurs bibliques pour le showing, le fait de montrer les personnages dans leurs actions de façon apparemment objective, aux dépens du telling, par lequel le narrateur dicterait au lecteur l’idée qu’il doit se faire de tel ou tel personnage ou de tel ou tel événement. Le discours rapporté au sein des récits bibliques est d’une très grande plasticité. Cependant, les conventions du récit biblique impliquent que la citation des paroles des protagonistes reste, en général, fidèle à ce qui a réellement été dit dans le monde du récit48.

Parler de citation véridique introduit la notion d’histoire. Nous traiterons avec beaucoup plus de précision cette question ultérieurement. Pour le moment retenons qu’autant la marche met Jésus au devant de la scène, 48

J. JOOSTEN, «La prosopopée, les pseudo-citations et la vocation d’Isaïe (Is 6, 910)», Bib 82 (2001), 233. Pour plus de saisie des notions showing et telling voir: J.-A. ALETTI et alii, Vocabulaire raisonné de l’exégèse biblique, 80.

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autant sa parole tend à focaliser et le regard et l’esprit sur Lui. Le texte est construit de manière à fixer l’attention du lecteur sur la personne de Jésus49. Il ne reste donc qu’à admettre les trois conclusions auxquelles aboutit M. L. Soards: 1) ce texte est de nature synthétique, 2) a une portée qui dépasse bien la question de la destruction de Jérusalem 3) et est composé essentiellement en vue de consolider l’image de Jésus en ces jours qui sont les derniers de sa vie terrestre50.

Conclusion Le récit de Lc 23, 26-32 est parvenu sans grands problèmes de conservation. Il est une consistante unité narrative constituée du cadre géographique et temporel de la marche vers la croix et du discours tenu par Jésus au cœur de cette marche. La successivité narrative, la lexicologie et les motifs mis en exergue soutiennent la thèse de la rédaction lucanienne. Toutefois, Luc serait tributaire de la tradition pour ce qui est des fondements originels de la composition. Les matériaux traditionnels sont repérables et dans le cadre et dans le discours. Beaucoup d’exégètes rendent compte de la singularité du texte lucanien du chemin de la croix uniquement par le simple fait de la créativité

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Cf. C. H. GIBLIN, The Destruction of Jerusalem according to Luke-Acts (AnBib, 107), 94: «The literary unit (23, 26-32) containing Jesus’ words to the women of Jerusalem consists of three portions, each of which places Jesus in the forefront of the reader’s attention: putting Jesus’ cross on Simon of Cyrene to carry it behind Jesus (v. 26), a multitude’s following him and his turning to address the daughters of Jerusalem (vv. 27-31, and the concluding reference (v. 32) to the two criminals who are led to death along with him». Cf. M. L. SOARDS, «Tradition, Composition, and Theology in Jesus’ Speech to the ‹Daughters of Jerusalem› (Luke 23, 26-32)», 241-242: «By casting one’s eyes all around one frequently fails to see the story in relation to its main character, Jesus. He holds the center of the stage in Luke’s narrative. The others characters in the account find their places and importance in relation to him».

littéraire de l’auteur à partir du récit parallèle de Marc51. Ce qui paraît une vision un peu récusable. Lc 23, 26-32 est un document de la passion. Partie intégrante de la passion, bien que comportant une intention christologique affichée, le récit viendrait originellement d’une tradition confirmée52. L’existence même du fait synoptique indique naturellement l’enracinement du cadre non seulement dans la commune tradition apostolique, mais aussi et surtout dans la chronique événementielle de la passion. Les documents de la mort sont les plus fidèles aux faits et les plus sanctionnés par l’autorité des témoins oculaires dans l’Église naissante53. Autant dire que Luc ne pouvait pas inventer du «nouveau» et que par conséquent la singularité lucanienne mériterait plutôt une attention particulière54. Aussi, le chapitre suivant se penchera sur la distinction lucanienne, cherchant à en déceler les ressorts.

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Cf. P. BENOÎT – M. E. BOISMARD , Synopse des quatre évangiles en français, t. 2: Commentaire par M.-E. BOISMARD, Cerf, Paris 2005, 421-423. La théorie des deux sources trouve en M.-E. BOISMARD un de ses plus grands soutiens. Mais l’application de la dite théorie que l’éminent exégète fait sur Lc 23, 26-32 n’est pas très convaincante. Cf. P. BOSSUYT et J. RADERMAKERS, Jésus Parole de la grâce selon saint Luc, vol. 2, 16: «Luc travaille sur des matériaux dont la valeur ne peut être mise en doute. Son double ouvrage est rédigé d’après des témoignages de première main et des traditions anciennes, parfois communes avec les deux autres synoptiques, parfois proches de l’évangile johannique, parfois aussi originales. Certaines pages des Actes des Apôtres, éclairées par le prologue de l’évangile, laissent entendre que Luc fut très proche du cercle des premiers témoins, et notamment des femmes de l’Église de Jérusalem; bon nombre de noms propres en font foi». Cf. H. J. CADBURY , The Making of Luke-Acts, 38. Cf. F. BOVON, Les derniers jours de Jésus: Textes et événements, Labor et Fides, Paris 2004, 20-21: «Le récit lucanien diffère beaucoup de celui de Marc… Selon certains, Luc suivrait le récit de la Passion non d’après l’évangile de Marc mais d’après une source apparentée aux traditions que Jean connaît lui aussi. Selon d’autres, l’évangéliste s’en tiendrait au seul Marc, mais il le réviserait de manière vigoureuse. Il est plus probable que Luc, suivant son habitude, sélectionne deux sources qu’il fait alterner avec art: le récit de Marc et le récit de son Bien propre. Ces deux documents étaient assez proches l’un de l’autre pour que les meilleures parts de l’un et de l’autre conviennent en alternance. L’évangéliste suit d’abord Marc pour les épisodes du complot et de la préparation de la Cène (Lc 22, 47 – 23, 5)… Il se conforme ensuite au Bien propre pour l’épisode d’Hérode, l’interlude de Barabbas, la condamnation de Jésus, le chemin de la croix, la crucifixion (Lc 23, 6-43)».

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Chapitre 2

Composition et intertextualité

Introduction La problématique de la double question composition-intertextualité est sans doute l’une des plus compliquées de l’exégèse du texte. Mais elle est déterminante dans l’herméneutique. Lc 23, 26-32 est un tableau qui renvoie à des faits concrets de la passion de Jésus. En cela, il partage bien des points avec les autres évangiles et notamment avec les deux autres synoptiques. Le fait synoptique n’explique pas les différences, il permet de les identifier. Ce qui y particularise Luc est-il réductible au seul compte de l’art littéraire ou remonterait-il à la réalité historique de l’événement Jésus? Tel que le récit est construit, il a aussi visiblement des liens étroits avec l’AT. L’estimation de la présence du matériel vétérotestamentaire dans Lc 23, 26-32 pose un sérieux problème. La question du jeu intertextuel se complique encore davantage quand on considère les autres multiples références faites aux littératures juives et gréco-romaines dans la lecture exégétique. Le présent chapitre vise une certaine clarification. Il partira des acquis de la recherche exégétique sur la composition, pour s’étendre ensuite sur l’examen du problème précis de l’intertextualité. Et en un troisième moment, sera fait mention des noyaux historiques interférentiels.

1. Composition La composition du texte est un sujet qui a beaucoup préoccupé les exégètes. Deux conceptions résumeraient les avis: une première qui suppose la reconnaissance de l’hypothèse des deux sources et une deuxième qui paraît plus distante de la théorie des deux sources. 45

1.1 R. E. Brown La position de R. E. Brown représente typiquement le cas de la reconnaissance de la théorie des deux sources: Mc 15, 20b emploie cette phrase pour introduire l’apparition de Simon de Cyrène: ‹Et ils le mènent dehors pour pouvoir le crucifier›. Lc 23, 26 empruntera la première moitié de la phrase de Marc pour introduire également l’apparition de Simon («Et alors qu’ils l’emmenaient»). Luc utilisera l’autre moitié en 23, 32 pour conclure cette scène: ‹Amenés… pour être exécutés›. Ainsi, à partir de Mc 15, 20b, Luc crée un cadre dans lequel il place, aux versets 27-31, un matériau qui n’a pas de parallèle en Marc. Luc apporta aussi des changements dans le matériau sur Simon le Cyrénéen qu’il emprunta à Marc, de telle sorte que quelques modifications visibles en 23, 26 conduisent au nouveau matériau des versets 27-311.

Selon l’auteur, Luc 23, 26-32 se présente comme un remodelage du récit de Marc. Les éléments nouveaux qui apparaissent ont été introduits à travers des changements obligés. Les matériaux et la structure marciens rendraient compte substantiellement du texte lucanien. Ce qui est tout le contraire de ce que soutiennent V. Taylor et J. Wenham.

1.2 V. Taylor et J. Wenham V. Taylor met des bémols sur l’influence qu’aurait Mc sur Lc. Il ne reconnait les traces de Mc que dans le v. 26: Le verset 26… est clairement dérivé de Mc 15, 20b-21, comme le montre le commun usage de: ‹Si,mwna,… Kurhnai/on evrco,menon avpV avgrou/›… Les versets 2731 sont propres à Luc. Le verset 32 partage trois mots avec Mc 15, 27 (du,o su.n auvtw/|), mais la différence de position et la présence de cinq expressions caractéristiques de Luc (a;gw, de, kai,,, e[teroj, su,n, avnairei/n) suggère que, comme 27-31, il n’est pas marcien… Nous concluons que le verset 26 est une addition marcienne superposée à une narration non marcienne2.

Connu comme grand représentant du courant exégétique qui ne reconnait pas une pertinence à l’hypothèse des deux sources, J. Wenham, 1 2

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R. E. BROWN, La mort du Messie, 1010. V. T AYLOR, The Passion Narrative of St. Luke: A Critical and Historical Investigation (SNTSMS, 19), Cambridge University Press, Cambridge (MA) 1972, 90.

quant à lui, ne reconnaît pas une dépendance de Lc 23, 26-32 au récit marcien: Environ la moitié des mots du verset 26 sont identiques à ceux in Mc 15, 21 (Si,mwna, tina Kurhnai/on evrco,menon avpV avgrou/ evpe,qhkan auvtw/| to.n stauro.n). Suit le récit du ‹spécial Luc› sur les filles de Jérusalem (vv.27-32). Compte tenu du lien à une si nombreuse matière non marcienne, il est mieux d’assumer que ces huit paroles faisaient parti du matériel propre à Luc, davantage qu’à un extrait de Marc3.

Les deux auteurs ci-dessus cités ont pratiquement la même position: la présence de Mc dans Lc 23, 26-32 est infime et le récit lucanien tend à être original. Le seul verset sur lequel se fonderait la dépendance-relation comporte aussi des singularités remarquables chez Luc. De telle sorte que l’on penserait que les correspondances entre les deux sur le v. 26 peuvent être aussi justifiées par la référence à deux traditions différentes. À travers les deux courants présentés, c’est-à-dire celui de Brown et celui de Taylor-Wenhnam, nous relevons surtout leur commune affirmation pour ce qui est de l’omniprésence de la marque de la main du narrateur lucanien sur la quasi-totalité du texte4. Mais il reste à savoir comment Luc est parvenu à la réalisation d’un tel chef d’œuvre littéraire. À en croire lui-même, il est redevable à tant de prédécesseurs qui ont écrit sur l’événement Jésus de Nazareth (Lc 1, 1-4). Ce qui se comprend aisément, dans la mesure où la créativité artistique et littéraire est inspirée5. Cependant, il est difficile d’arriver à établir le répertoire de ses ressources6. Dans tous les cas, le texte est indéniablement marqué de son empreinte, dans toutes les deux parties, la prose (23, 26-27.32) et le discours direct (28-31). Luc le narrateur y est identifiable de par l’usage 3 4 5

6

J. WENHAM, Redating Matthew, Mark & Luke: A fresh Assault on the Synoptic Problem, Hodder & Stoughton, London 1991, 37. Cf. V. T AYLOR , The Passion Narrative of St. Luke, 126: «Luke’s hand is plainly to be seen in these chapters». Cf. H. J. CADBURY, The Making of Luke-Acts, 65: «Luke in his preface alludes explicitly to many writings predecessors as well as to eyewitnesses and oral transmitters». Ibidem, 113: «Luke’s bibliographic appropriation of Marc is not as widely accepted by scholars as it once was and… if we take the prologue seriously, Luke’s repertoire of sources (oral and written) was more extensive than we are able to track».

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des jeux d’ironie, du malentendu, de la symbolique, de l’intertextualité7. La composition ne manque pas d’accent ironique: Jésus qui est «emmené» conduit la marche, celui qui va à la mort indique le deuil sur les vivants, et le «malfaiteur condamné à mort» est l’objet de l’attachement d’une foule nombreuse du peuple, la stérilité devra être une chance. Le parallélisme antithétique «Ne pleurez pas… mais pleurez» introduit l’imposant sujet du malentendu entre Jésus et sa suite. Une gamme d’images, de symbolismes et de métaphores donne au récit une allure pathétique: le port de la croix par Simon de Cyrène derrière Jésus, les lamentations, «l’arbre vert l’arbre sec», les dramatiques perspectives de jours où montages et collines seront suppliées pour qu’elles «couvrent» les hommes8. La réalité de l’omniprésence de la main du narrateur et la grande variété des ressources de Luc ne favorisent pas visiblement la position tenue par R. E. Brown. Mais pour le moment, poussons les fouilles. Le texte lucanien s’affiche comme une mosaïque d’allusions littéraires. En creusant davantage, l’exégèse se situera d’elle-même.

2. Intertextualité Pour rendre compte de ce fascinant récit lucanien du chemin de la croix, l’exégèse a fait appel à l’AT, au NT et à des textes de l’antiquité grécoromaine. Les matériaux proviendraient non seulement du dépôt biblique mais aussi des trésors culturels du monde gréco-romain environnant9. 7

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Cf. D. M ARGUERAT, (éd.), Quand la Bible se raconte (Lire la Bible, 134), Cerf, Paris 1975, 163-167. L’auteur montre à travers Ac 12 comment Luc est habile dans cette technique littéraire. Pour plus de saisie des notions d’ironie, de malentendu, de symbolisme / métaphore et d’intertextualité voir: J.-A. ALETTI et alii, Vocabulaire raisonné de l’exégèse biblique, 74. 92 et D. MARGUERAT, – Y. BOURQUIN (éds.), Pour lire les récits bibliques, Cerf – Labor et Fides, Paris – Genève 2004, 129-152. Cf. D. R. MACDONALD, «The Breasts of Hecuba and Those of the Daughters of Jerusalem: Luke’s Transvaluation of a Famous Iliadic Scene», 239-254 et M. L. SOARDS , «Tradition, Composition, and Theology in Jesus’ Speech to the ‹Daughters of Jerusalem› (Luke 23, 26-32)», 221-244.

Chacune des trois propositions sera matérialisée par un exemple concret. Les cas de l’AT et du NT seront abordés ensemble. Et par souci de clarté, l’examen des propositions partira du propos sur le recours aux littératures gréco-romaines et s’achèvera sur celui des références bibliques dans lesquelles se trouve, à notre avis, le vrai point d’ancrage du texte lucanien.

2.1 Classiques du monde gréco-romain Les œuvres exégétiques qui révèlent en Luc un homme au carrefour des cultures de l’empire romain sont innombrables10. Son écrit est ouvert à l’ensemble de ce creuset des nations que fut cet empire. L’ambition communicative de Luc s’étendait aux dimensions de l’oikoumenê11. D. Marguerat est on ne peut plus explicite à ce sujet: Luc est le seul, parmi les évangélistes, à maîtriser aussi bien la pensée juive que la culture grecque… La culture de Luc hérite d’Athènes et de Jérusalem… Luc a été éduqué à ce confluent des cultures juive et grecque… L’auteur de Luc-Actes dépeint le christianisme à la fois comme l’accomplissement des promesses inscrites dans l’Écriture et comme la réponse à la quête religieuse du monde religieux grécoromain12.

C’est sur cette base que des exégètes approfondirent les investigations sur les implications des classiques du monde gréco-romain dans la lecture de Luc-Actes. Ce qui suppose que Luc les aurait utilisés comme moules dans sa communication avec ses contemporains. Trois exégètes défendront cette thèse dans leurs travaux respectifs: R. Bultmann,

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Voir M. C. PARSONS, Luke: Storyteller, Interpreter, Evangelist; J.-A. A. BRANT et alii, Ancient Fiction: The Matrix of Early Christian and Jewish Narrative; B. SHELLARD, New Light on Luke: Its Purpose, Sources and Literary Context (JSNTSS, 215), T. & T. Clark Academic Paperbacks, London – New York 20042. Cf. C. H. H. SCOBIE, «A Canonical Approach to Interpreting Luke», 341: «Luke locates Christian identity between Jerusalem and Rome. The two cities are not simply geographical locations but religious and cultural symbols that witness to Luke’s desire to portray Christianity both as the fulfilment of salvation history and as a response to the religious quests of Greco-Roman world». D. MARGUERAT, «Luc, un portrait d’auteur», Dossiers d’Archéologie 279 (2003), 4-10.

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P. J. Scaer et D. R. MacDonald. Le premier voit des rapports entre Lc 23, 26-32 et les littératures juive et mandéenne. Le second pense à une relation stricte entre le texte et Iliade 22 d’Homère. Et le troisième conçoit la passion et la mort de Jésus selon Luc comme une imitation de la présentation rhétorique de la noble mort dans les écrits des auteurs du monde gréco-romain. 2.1.1 R. Bultmann et littératures juive et mandéenne Nous avons déjà signalé comment cet auteur a pu influencer la recherche exégétique concernant le texte étudié. Pour lui la composition de Lc 23, 27-31 ferait référence à des modèles juif et mandéen: Lc 23, 27-31: L’accompagnement à la croix. L’apophtegme est ici construit d’une manière pleine d’effet parce qu’une prophétie chrétienne a été mise dans la bouche de Jésus sur le chemin du Calvaire. Des variantes dans lesquelles le ‹on dira› et le ‹on se mettra› sont mis à la seconde personne illustrent le processus d’assimilation de la scène et de la parole. Dans un cas comme celui-là il est faux de se demander si 29-31 a jamais existé isolément (comme parole de Jésus): l’auteur a puisé dans le matériel de l’apologie chrétienne primitive. Comme la parole remonte sans doute à une forme araméenne… et que la scène a ses parallèles formels dans la tradition juive, la formation doit être ancienne. La composition n’est pas une composition idéale mais une scène biographique au sens strict. Un remarquable parallèle, mais qui se déroule dans une sphère mythique, se trouve dans le Ginza de Droite mandéen (Lidzb., 211, 27 ss.). Tant cependant que les rapports de la littérature mandéenne avec la tradition évangélique n’auront pas été éclaircis, on ne peut en tirer aucune conséquence13.

En lisant R. Bultamann, on se convainc automatiquement de la complexité de la question de la composition du texte. Il y implique des facteurs divers. L’apologie chrétienne primitive antijuive serait le vecteur essentiel de la création du texte dit «prophétie chrétienne». Parlant de «forme araméenne», il donne encore plus de poids à la tradition dans la genèse du texte. Enfin en apportant l’idée de «remarquable parallèle» trouvable dans la littérature mandéenne, il relativise ce qui serait à tenir comme original dans le récit biblique: son expression spéciale du mystère de Dieu, de la vie et de la mort. En somme, on a l’impression que l’exégète allemand donne peu d’importance au narrateur dans ce récit. 13

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R. BULTMANN, L’histoire de la tradition synoptique, 56. Il est recommandé de lire les notes alliées à cet écrit bultmannien.

Luc aurait tout reçu pratiquement: le contenu, la formulation et le modelage. Les résultats des travaux de critique des sources et de la rédaction auxquels aboutirent V. Taylor et J. Wenham ne concordent pas avec la vision de R. Bultmann. L’implication du narrateur dans la composition, la rédaction et la théologie sont de première importance. 2.1.2 D. R. MacDonald et Iliade 22 d’Homère D. R. MacDonald intervient dans la recherche des souches littéraires de Lc 23, 26-32, spécialement sur les vv. 28-31. Après avoir passé en revue toutes les propositions évoquées ci-dessus, l’auteur introduit la sienne, avant d’établir un tableau qui justifierait son option. 2.1.2.1 Propos de l’auteur Ma discussion sur ce point est pratiquement traditionnelle, et on peut trouver quelque version de cela dans des commentaires plus critiques sur Luc. Mais je voudrais proposer une lecture intertextuelle du texte [Lc 23, 26-32] radicalement différente, qui, à ma connaissance, n’a jamais été considérée. Sans vouloir nier l’influence des textes bibliques déjà mentionnés, je propose que Luc a modelé ce passage d’après la supplication d’Hécube vers le début d’Iliade 22. Hector était sur la voie d’affronter Achille, qui voudrait le tuer. Ses parents, Priam et Hécube, regardant l’événement depuis les murs, le suppliaient de ne pas livrer le combat… Luc modela tout d’abord ce passage d’après Iliade 22, et utilisa des images bibliques pour l’élaboration. Si cela est le cas, le parallèle dans l’évangile de Thomas ne doit pas témoigner d’une tradition indépendante de Luc, mais du texte même de Luc14.

L’étude du texte que D. R. MacDonald a ainsi conclu est documentée et très précieuse. D’une certaine manière, partant de l’adresse de Jésus aux «Filles de Jérusalem» (Lc 23, 27-31), l’auteur finira par donner une vision de tout le récit du chemin de la croix. Son travail s’appuie sur des critères déterminants dans l’établissement du rapport d’intertextualité entre l’hypotexte (Il. 22, 33-40.6975.79-87) et l’hypertexte15: a) l’accessibilité, c’est-à-dire la vulgarisa-

14 15

D. R. M AC D ONALD , «The Breasts of Hecuba and Those of the Daughters of Jerusalem: Luke’s Transvaluation of a Famous Iliadic Scene», 244.251-253. L’hypotexte est le document-mère, modèle et l’hypertexte est celui qui est né à partir de l’hypotexte.

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tion du document-mère qui rend plausible le contact; b) l’imitation comme classique, c’est-à-dire l’abondante exploitation culturelle, artistique et littéraire de l’hypotexte; c) la densité de la similitude entre l’hypotexte et l’hypertexte; d) l’ordre de la successivité narrative; e) les communs traits caractéristiques: noms, mots, phrase, contexte, motifs et g) les additifs / rectificatifs. 2.1.2.2 Critique de la proposition Que Luc ait pu avoir accès à l’Iliade d’Homère, cela est bien plausible, même presqu’une évidence. Les écrits d’Homère furent la principale source des rhétoriciens, dans le style et le contenu des œuvres, selon le principe de l’imitation. L’éducation et l’enseignement en étaient aussi profondément marqués16. La littérature de l’empire romain doit beaucoup à Homère17. Virgile le poète le plus aimé de l’empire romain lui est débiteur18. Vue la grande ouverture de Luc à la culture grecque, on suppose donc avec raison qu’il a eu au moins écho de l’Iliade. Ce qui ne suffit pas pour déduire qu’il aurait imité obligatoirement Il. 22 dans son récit de Lc 23, 27-31. Il y a beaucoup de considérations qui fragilisent les affirmations de D. R. MacDonald sur la réalité de l’imitation du modèle de l’Iliade dans Lc 23, 27-32. 2.1.2.2.1 Discordances entre les textes dans leurs contenus Des propos de l’auteur, on comprend que les critères n’ont pas la même valeur dans l’examen: le cinquième, c’est-à-dire les traits caractéristiques, s’imposerait aux autres19. En effet, pour pouvoir affirmer l’imitation d’un texte par un autre, il faudrait auparavant justifier les ressemblances 16

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Cf. L. C. ALEXANDER, «L’intertextualité et la question des lecteurs. Réflexion sur l’usage de la Bible dans les Actes des Apôtres», in D. MARGUERAT et A. CURTIS (éds.), Intertextualité: La Bible en échos, Labor et Fides, Genève 2000, 20012014. Cf. T. L. BRODIE, «Luke 7, 36-50 as an Internalization of 2 Kings 4, 1-37: A Study in Luke’s Use of Rhetorical Imitation», in Bib 64 (1983), 459-460: «In fact, the practice was so common that almost the entire literature of the Roman empire, whether in Greek or Latin, may be described as consisting in origin of an imitation of older Greek literature». Ibidem, 463. Cf. D. R. MACDONALD , «The Breasts of Hecuba and Those of the Daughters of Jerusalem: Luke’s Transvaluation of a Famous Iliadic Scene», 240.

de détail entre les deux. Car «la confirmation [des affinités entre eux] vient des ressemblances de détail des textes, au point que les différences peuvent être expliquées par les techniques imitatives d’adaptation20». Ce rapport formel et ferme ne ressort pas du tableau de concordance des deux textes que l’auteur a présenté21. Les traits caractéristiques physiques constituent la preuve palpable de la génération et de l’imitation. Les formalités grammaticales doivent laisser lire une parenté. Le lexique, les circonstances et les diverses actions doivent afficher la correspondance22. Mais il n’y a aucune phra-

20 21

Cf. T. L. BRODIE, «Luke 7, 36-50 as an Internalization of 2 Kings 4, 1-37: A Study in Luke’s Use of Rhetorical Imitation», 485. Cf. D. R. MACDONALD, op. cit., 251: Iliad 22.25-89 Hector is on his way to fight Achilles Priam and other Trojans, including the women, saw Hector outside the gates; the old man «beat [ko,yato] his head with his hands... and cried out in anguish.» «His mother, for her part, mourned and shed tears; unclasp-ing the fold of her garment with one hand, she held out a breast [mazo,n] with the other. As she shed tears, she said, ‹Hector, my child [te,knon], have regard for these and take pity on me, if ever I gave you the breast [mazo, n ] that banishes worry. Remember these, dear child [te,knon], and ward off the enemy from inside the wall; do not stand there as a champion against him.» [Hos 10:8: «And they will say to the mountains, ‹Hide us!› and to the hills, ‹Fall on us!›»] [In his speech to Hector, Priam had predicted the fall of Troy and emphasized the plight of the women and children.] [Priam foresaw «little children [te,kna] dashed to the ground in dread combat.»

22

Luke 23:27-31 Jesus is on the way to the cross «A large crowd of the people followed Mm, including women who were beating [ev k o, p tonto] themselves and wailing for him.»

Jesus turned to them and said, «Daughters of Jerusalem, do not weep for me;

weep rather for yourselves and for your children [te,kna]. For behold days are coming in which people will say: ‹Blessed are the sterile, and the wombs that never gave birth, and the breasts [mastoi,] that never gave suck.›»

«Then they will begin to say to the mountains, ‹Fall on us!› and to the hills, ‹Hide us!›» «For if they do these things to wood that is green, what will happen to the dry? Jesus here predicts the fall of Jerusalem and emphasizes the plight of the women and children. [In 19:44 Jesus laments over Jerusalem and says, «You and your children [te,kna] in you they will dash to the ground.»]

Cf. T. L. BRODIE , «Luke 7, 36-50 as an Internalization of 2 Kings 4, 1-37: A Study in Luke’s Use of Rhetorical Imitation», 457-485.

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séologie stéréotypée ou allusive d’Iliade dans Lc 23, 26-32. La terminologie et les motifs ne sont pas si associables. Visiblement l’appui est faible. L’auteur lui-même reconnaîtra ces manques: seuls trois mots sont communs, on pourrait même dire deux23. Les motifs invoqués ne sont pas perceptibles. Par exemple, dans Lc 23, 27-31, en aucun moment «les femmes exposent les seins», comme Hécube. Concernant l’ordre et la logique narrative, une distance non négligeable est là. Hector ne parle pas, mais ce sont les deux parents qui s’exprimeront. En Lc, l’intervention de Jésus constitue le cœur du récit. Les protagonistes n’incarnent pas les mêmes personnages: Hector est de caractère soldatesque et belliciste, Jésus est pacifiste et non-violent. On «emmène au supplice» Jésus, et Hector va apparemment de luimême. Jésus va pour être tué, Hector va pour tuer. La mort de Jésus est décidée par la justice des hommes, mais Hector est seulement en risque de mort. De plus, sur le chemin de la croix, la foule est à la suite de Jésus, proche de fait et de coeur. En Iliade les deux parents et d’autres regardent, stables, de loin, Hector seul hors les murs. Pour ce qui est du motif de la prédiction de la destruction de Jérusalem, disons que le lien voulu se fonderait plus sur l’interprétation. Puisque Jésus ne prononce pas un mot qui soit directement relatif à la destruction de Jérusalem24. 2.1.2.2.2 Démarcations entre saintes Écritures et Homère selon E. Auerbach L’argument de poids de D. R. MacDonald serait la présence dans les deux textes du même cadre général et de quelques relatifs éléments communs d’ordre illustratif: une personne devant la mort, la cruelle séparation mère-enfant, le malentendu… Ces canevas sont universellement présents dans l’art et la littérature25. L’existence d’éléments communs de part et d’autre est différente de la coprésence entre deux textes. 23

24 25

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Cf. D. R. MACDONALD, op. cit., 242: «Criterion five is distinctive traits. With respect to these parallels, the only significant lexical similarities between these two accounts are uses of ko,ptw, te,kna, and mazo,n / masto,j». Cf. Ibidem. Comme le signale P. J. SCAER , Luc a dû user des motifs employés dans la littérature contemporaine par souci de faire comprendre. Cf. P. J. SCAER, The Lukan Passion and the Praiseworthy Death, 90-134.

En regardant de près Lc 23, 26-31 et Il. 22, on ne saurait parler de réel cas de coprésence. Si le cadre général de l’affrontement de la mort les unit, l’argumentaire lucanien et le style d’expression les différencient catégoriquement26. Dans son œuvre désormais fameuse sur la Mimésis, E. Auerbach27 a démontré minutieusement comment les textes homériques et les Écritures saintes font bien deux registres littéraires distincts l’un de l’autre dans leurs styles respectifs. Cela serait déjà perceptible dans la petite critique ci-dessus, à partir de la comparaison entre Lc 23, 26-32 et Il 22. Mais avec l’appui des travaux d’E. Aeurbach, les distinctions spécifiques entre les styles se voudraient encore plus marquées. Selon l’auteur, l’un des points différentiels les plus décisifs entre les deux registres littéraires est dans leur rapport à l’histoire. Le récit biblique met en contact avec une réalité historique où se compénètrent le visible et l’invisible, l’ordinaire et le sublime, l’humain et le divin, l’ici et l’ailleurs, le particulier et l’universel; il s’agit d’un écrit qui interpelle, indique la présence et l’action du Dieu caché, en vue de conduire l’homme à la vie de foi: La Bible ne prétend pas seulement à la vérité de façon plus expresse qu’Homère. Elle y prétend tyranniquement; et cette prétention exclut toutes autres. Le monde des histoires de l’Écritures ne revendique pas seulement la vérité historique, il se donne aussi pour la vérité unique, le monde destiné à régner seul… Les histoires de l’Écriture sainte ne sollicitent pas notre approbation, elles ne nous flattent pas pour nous plaire ou nous séduire – elles entendent nous soumettre, et en cas de refus nous devenons des rebelles… C’est pourquoi un tel récit exige une réflexion qui l’approfondit et l’interprète, il appelle les interprétations…Il met en mouvement le monde entier des hommes, tandis que les enchevêtrements de destin et de passion que connaît l’antiquité gréco-romaine ne concernent directement qu’un seul individu, celui qui s’y trouve impliqué… Pour les auteurs du Nouveau Testament, ces faits [de l’événement Jésus] qui se situent au sein de la vie quotidienne sont des événements révolutionnaires qui concernent l’histoire du monde, ce qu’ils deviendront plus tard pour chacun. Ils révèlent clairement, en tant que mouvement, dynamique historique, que l’enseignement, la personne et la destinée de Jésus ne cessent d’agir sur la vie de tel ou tel individu28.

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27 28

Cf. J.-N. ALETTI, «La rhétorique paulinienne: construction et communication d’une pensée», in J.-D. KAESTLI – A. DETTWILER (éds.), Paul: Une théologie en construction (Le Monde de la Bible, 51), Labor et Fides, Genève 2004, 56-58. Cf. E. AUERBACH, Mimésis: La représentation de la réalité dans la littérature occidentale (Collection Tel, 14), Gallimard, Paris 1968. Ici, nous en proposons une vison. Ibidem, 23-24.54.

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Ce style biblique notable chez Luc est pratiquement inexistant dans les récits homériques. Homère demeure dans l’idyllique: Faire flamber les sentiments et susciter les émotions en constituent l’objectif majeur. Pour ce faire, les faits sont consommés entièrement, les moindres secrets sont perpétuellement dévoilés, chaque événement est mis à nu de fond en comble sur la scène. Les ouvertures sur le futur et la promotion de l’être sont pratiquement inexistantes. Les horizons sont définis: la dimension théandrique de l’homme ne semble pas être une préoccupation chez Homère. Le vivre homérique est plutôt réduit à son aspect horizontal immédiat; l’universel et le vertical sont à peine évoqués29. Ce qui est tout le contraire chez Luc. L’intérêt du texte évangélique pour le devenir du genre humain et la prise en charge de l’histoire universelle sont manifestes. Notre texte est en effet loin d’être le fruit de l’imaginaire: il est l’écho du déploiement de l’histoire de Jésus de Nazareth dans le grand cadre de l’alliance entre Dieu et son peuple. Il est dédié entièrement au passé, au présent et au futur de cette alliance. Cette conjugaison du temps dans ses trois dimensions est une spécificité du récit biblique qui a le génie de dire tant de choses en peu de mots. Et c’est là que se trouve la beauté du récit biblique: l’excellence de la parole est ici plus dans les êtres et dans leurs faits que dans les mots. D’où la gravité des actes, la profondeur des propos et la complexité de l’être intime des acteurs. À la lecture de Lc 23, 26-32, la personne de Jésus s’affiche chargée d’une telle amplitude que sa mort en question importe pour Israël et pour toute l’humanité. C’est une mort qui rappelle les grands moments de séparation entre le Dieu Époux et son Épouse Israël. C’est une mort qui révèle la dimension universelle de l’homme de Galilée. Car il se découvre, à travers cette mort, que sa présence indique l’implication personnelle et directe du Tout-Puissant, le Dieu Créateur et Maître de l’histoire universelle.

29

56

Ibidem, 22: «Ce qui comptent pour eux [les écrits homériques], c’est l’existence physique de l’homme et la joie qu’il en éprouve, joie qu’ils aspirent avant tout à nous rendre sensible. Entre les combats et les passions, les aventures et les périls, ils nous font voir des chasses et des festins, des palais et des masures, des joutes et des lessives, afin que nous voyions les héros dans leur vie concrètes et qu’à ce spectacle nous prenions plaisir à la saveur de leur présent s’enracine des usages sociaux, un paysage, des besoins quotidiens».

Contrairement à l’avis de MacDonald, il revient donc difficile de percevoir une forte analogie entre Hector et Jésus. La profondeur de la dimension théandrique de Jésus et la portée universelle de son être et de son agir le distinguent nettement. L’inexprimé et l’inexprimable, l’arrièreplan des faits et la profondeur des acteurs, l’ouverture à l’histoire universelle et la question du devenir humain que comporte le texte lucanien poussent à croire à son originalité. Ses particularités ne sont pas attribuables, ni entièrement ni en partie, à une influence homérique, étrangère30. Oui, les récits n’ont pas une relation affichée et le volume des correspondances paraît bien négligeable. MacDonald ne semble pas avoir manqué d’éprouver de la difficulté dans la justification de son option. Le tableau de concordance comporte des trous qui sont assez grands, les personnages ne coïncident pas dans leurs caractères intimes et des notions capitales comme stérilité / fécondité en Luc manquent en Il. 2231. 2.1.3 P. J. Scaer et noble mort Un nombre d’exégètes aurait la tendance de voir les récits de la passion-mort de Jésus comme une reproduction des écrits sur la mort de Socrate. «On songe à la mort de Socrate à côté de celle de Jésus», écrit F. Bovon32. Le parallélisme est fondé sur la façon dont les deux personnages abordent ce moment crucial de l’existence33. P. J. Scaer est sans 30 31

32 33

Ibidem, 34. Cf. D. R. MACDONALD, op. cit., 251-252: «The notion that in times of adversity it is better for women not to have had children is common in ancient literature. This precise sentiment does not appear in Iliad, but when Hector dies, Hecuba wishes to die with him. ‹O my child, I am so miserable! Why will I now live suffering cruelly while you are dead? Night and day throughout the city you were my boast, a help to all Trojan men and Trojan women in the city, who used to welcome you like a god›…». F. BOVON, «Le récit lucanien de la passion de Jésus (22-23)», in C. FOCANT , The synoptic Gospels (BEThL, 110), University Press, Leuven 1993, 404. Cf. Ibidem, 403-404: «Une amie me confiait récemment que, malgré sa tristesse, elle était soulagée de la dignité avec laquelle son frère était mort. Cette grandeur contrastait, disait-elle, avec certaines attitudes qu’il avait eues de son vivant. Autre a été la vie, autre fut la mort. À l’écoute de ce diagnostic, j’ai supposé des schémas très anciens dans notre civilisation. Je pensai aussitôt à la mort des méchants, plus particulièrement des persécuteurs et constatai que Luc, avec le récit de la mort d’Hérode Agrippa (Ac 12,20-23), avait ouvert la voie à Lactance; telle fut sa vie, telle fut sa mort, du péché à son châtiment. Puis je songeai plus précisément aux dires de cette amie: en plus contrasté, Luc les avait anticipés par l’épisode du bon

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doute le plus appliqué dans cette vision. Dans sa monographie: The Lukan Passion and the Praiseworthy Death, il se prononce pour et s’en explique à partir d’un tableau. Son tableau met en relief les motifs que partagent le récit de la passion-mort de Jésus et la présentation de la noble mort dans le monde gréco-romain. Nous avons vu, dit-il, que les auteurs du monde gréco-romain employaient la rhétorique dans la louange de ceux qui sont morts de façon noble. Luc dépeint la mort de Jésus comme noble et digne de louange, selon les mêmes standards… Le tableau suivant montre comment les motifs de la noble mort correspondent à la Passion chez Luc: Motifs Vertu: courage Vertu: droiture Vouloir mourir Intérêt des autres Non une victime Unique Colère du public Honneurs posthumes

Rhétorique-noble mort X X X X X X X X

Passion chez Luc X X X X X ? X X

… De cette toile, nous percevons que la narration lucanienne fait usage des très connues prescriptions pour la louange de la noble mort. Luc [en] avait surement les brigand (23,39-43), comme il avait frayé le passage aux légendes des Acta Pilati. A bien fini qui avait mal commencé. Le cas de Judas me vint ensuite en mémoire: c’est la mort misérable de celui qui est bien parti, le disciple renégat (Ac 1,15-20), celui qui préfigure les futurs lapsi du temps de Tertullien puis de Cyprien. Troisième modèle. II ne reste qu’une case à remplir de ce carré de possibles: une fin digne d’une belle vie. Celle de Jésus bien sûr qui inaugure – surtout en sa version lucanienne – le genre littéraire des actes de martyre et prépare d’autres textes, liturgiques, homilétiques et théologiques. Que penser de ces quatre patterns? Existent-ils? Sontils aussi archaïques que je le suppose? Sont-ils enracinés en la seule Grèce, en la seule tradition d’Israël ou appartiennent-ils, tels des archétypes, à toute conscience humaine qui réfléchit en société? Quelles que soient les réponses à ces questions, je puis préciser quelques caractéristiques du quatrième modèle. Dans la correspondance entre la vie et la mort, il faut une prescience de cette issue, une dépréoccupation de soi au profit de son entourage, une raison d’être qui fournira une raison d’accepter la mort; une mission à remplir dont la mort, loin d’obstruer la réalisation, l’accélère au contraire; une jalousie suscitée qui, devant le succès de cette existence, lui tend un funeste piège. On songe à la mort de Socrate à côté de celle de Jésus. On n’oubliera pas celle de Syméon (2,25-35), ni celle d’Etienne (Ac 6,8-8,1)».

58

ressources littéraires, ainsi que les motifs, pour peindre Jésus de manière à ce qu’il apparaisse comme un homme digne de louange aux yeux du monde gréco-romain34.

Les deux personnalités, Jésus et «le sage philosophe» ont de quoi partager dans leurs attitudes respectives devant la mort et dans le lien qui les unit au peuple. Mais le constat de cette réalité ne se confondra pas avec une propension réductionniste des ressorts de l’œuvre lucanienne. On ne saurait nullement réduire les ressources du récit de la passion-mort de Jésus aux seuls liens qu’il aurait avec les louanges des héros grécoromains dans leur noble mort. Si Luc a écrit, il veut être témoin de Celui que la tradition apostolique lui a montré comme le messie-Fils de Dieu. Toute interprétation de son récit qui ne s’origine pas dans sa foi s’avérerait d’emblée superficielle. La notion des deux modes de compréhension importe beaucoup dans ce propos. II faut comprendre ici la distinction hégélienne entre une compréhension intérieure et une compréhension extérieure. La compréhension extérieure comprend l’histoire de Jésus comme une histoire sans Dieu, auquel cas, il n’aurait rien de différent d’avec un Socrate ou une autre personne historique. En revanche, la compréhension intérieure, à savoir la foi, perçoit la même histoire comme une histoire de Dieu35.

Qualifier l’œuvre de Luc comme une présentation d’un Jésus louable et noble aux yeux du monde gréco-romain ne peut que relever d’une compréhension extérieure. L’usage incontestable de la rhétorique chez lui, qui sert d’appui à la thèse, serait aussi mal interprété. Luc utilise la rhétorique gréco-romaine, mais surtout dans le sens instrumental. La rhétorique est uniquement chez lui un instrument littéraire pour le témoignage à Quelqu’un qui est pour lui à la fois «comme et plus» que tout homme et tout l’homme36. La mort de Jésus signifie sa consumation pour le Règne de Dieu. Dans sa vie et dans sa mort, il n’a été que l’humble serviteur du Règne de Dieu. Sa grandeur est dans son humilité devant Dieu et devant les hommes. Le premier critère de la fidélité des évangiles et de leur lecture est dans l’expression de ce contraste 34 35 36

P. J. S CAER , The Lukan Passion and the Praiseworthy Death (New Testament Monographs, 10), Sheffield Phoenix Press, Sheffield 2005, 117. B. U KWUIJE , Trinité et inculturation (Théologie à l’Université, 2), Desclée de Brouwer, Paris 2008, 223. Cf. P. BOSSUYT et J. RADERMAKERS , Jésus Parole de la grâce selon saint Luc, vol. 2, 74.

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humilitas-sublimitas. La fusion antithétique humilitas-sublimitas est la caractéristique de l’Écriture sainte: Les auteurs chrétiens ont insisté dès l’époque des Pères de l’Église… sur la fusion des deux notions, dans laquelle ils voyaient un trait caractéristique de l’Écriture sainte… à savoir que celle-ci avait a créé un genre nouveau du sublime, qui n’exclut pas mais inclut le quotidien et le bas, de sorte qu’on voyait se réaliser dans son style aussi bien que dans son contenu l’étroite union du plus bas avec le plus élevé37.

Le but du récit évangélique n’est ni la louange ni l’exaltation de la noblesse de Jésus dans sa mort. L’Évangile semble d’ailleurs opposé à cette perspective littéraire. S’il est vrai que Jésus fait preuve de courage, de droiture et de bonhomie dans sa mort, il est aussi évident que pour lui sa mort est avant tout la voie de l’accomplissement de la volonté du Père. Cette dimension théandrique de l’identité de Jésus n’est pas du tout prise en compte par P. J. Scaer dans le tableau ci-dessus. Ce manque est un réel dommage et rend du coup le parallélisme de Scaer partiel. Attribuer au récit évangélique cette finalité engage le complexe propos christologique dans une aporie. Il s’agirait là d’une lecture qui fait entorse à la nature même de l’Évangile, un récit de foi et pour la foi38. 37 38

60

E. AUERBACH, Mimésis: La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, 163. Cf. J.-N. ALETTI, «Le Christ raconté. Les évangiles comme littérature?», in F. MIES (éd.), Bible et littérature: L’homme et Dieu mis en intrigue (LR, 6), Bruxelles – Namur 1999, 46: «Quel type de héros pour les évangiles? À la différence des héros de Plutarque ou Suétone, le Jésus des récits évangéliques n’est pas un homme qui a voulu conquérir ou modifier politiquement, socialement et culturellement sa nation, a fortiori l’oikoumenê, le monde habité d’alors. Même religieusement, il n’est pas présenté comme un législateur nouveau ou comme le fondateur d’une nouvelle religion, mais comme une figure repérable à l’intérieur de la religion de son peuple, et dont la stature s’est imposée grâce à ses disciples, qui l’ont fait connaître par leur témoignage, consigné dans leurs écrits. Si, d’autre part, les biographies contemporaines des Évangiles décrivent le caractère des héros et énumèrent leurs vertus (et/ ou leurs vices), les Évangiles ne font pas de même. Car, si la pitié et la bonté sont plusieurs fois signalées voire suggérées, ce n’est pas sur elles que l’insistance est mise, mais sur le statut religieux de Jésus. De même, si les récits de la Passion sont aussi longs, ce n’est pas pour mettre en relief la patience, la résistance ou le courage de Jésus dans l’épreuve il n’y est pas présenté comme le type du héros, stoïcien ou autre , bien plutôt pour montrer que sa mort est directement liée à son identité de prophète, messie et Fils de Dieu… Ce qui frappe le lecteur un tant soit peu attentif, c’est la discrétion des narrateurs évangéliques, en tout opposée à l’intervention massive et pesante de leurs homologues juifs et païens».

2.2 Balle et grain de l’intertextualité Ce qui fragilise les affirmations de P. J. Scaer et de D. R. MacDonald est le désintérêt même de l’auteur de Luc-Actes pour le genre épique, cette littérature de la culture de la louange, de la noblesse et du mépris de l’humilité et du faible39. Luc partage cette attitude avec les autres auteurs du NT. Le NT n’est pas porté sur les classiques grecs comme les écrits profanes. «Une des énigmes du NT est précisément le fait qu’il contienne tant de grec littéraire et si peu d’allusions homériques explicites40». Dans son projet de communication avec l’oikoumemê, Luc emploie une Koinè littéraire sans prétention. Comme les écrivains grecs contemporains, il utilisera la rhétorique41. Toutefois, sa référence de base n’est pas les classiques de l’historiographie gréco-romaine. La Septante, traduction de la Bible hébraïque en grec, est son classique. L’Écriture constitue son cadre de référence primordial. Ses multiples citations et allusions à l’Écriture lui permettent de montrer que dans l’événement Jésus sont assumés le passé, le présent et le futur d’Israël et des nations42. «Dans un monde qui se méfiait de tout ce qui était ‹nouveau› en religion, la mise en évidence de ses racines anciennes était une façon de légitimer l’histoire de Luc43». Aussi, le style et le modèle de son œuvre sont fixés dans l’univers biblique, ses références sont là. Mais où? Une grande liste de références néotestamentaires et vétérotestamentaires ressort des nombreux travaux faits sur notre texte. Chaque verset a été vu comme un écho ou une citation d’un texte de base de l’AT ou du NT, comme l’expose ce tableau-ci:

39 40 41 42 43

Cf. W. S. KURZ, «Hellenistic Rhetoric Christological Proof of Luke-Acts», in CBQ 42 (1980), 190. Cf. L. C. ALEXANDER, «L’intertextualité et la question des lecteurs: Réflexion sur l’usage de la Bible dans les Actes des Apôtres», 208. Cf. W. S. KURZ, «Hellenistic Rhetoric Christological Proof of Luke-Acts», 171. Cf. L. C. ALEXANDER, «L’intertextualité et la question des lecteurs: Réflexion sur l’usage de la Bible dans les Actes des Apôtres», 207-213. Ibidem, 213.

61

Lc 23 AT + NT 26 Mc 15, 21

Thématiques Simon le Cyrénéen

27

Zc 12, 10-14 Deuil communautaire

28

So 3, 14 Jr 46, 19 Ez 16, 46

29

Ct 1, 5 2S 1, 24 Zc 9, 9 Is 54, 1

Appel à la joie Invasion de l’Égypte Abominations de Jérusalem Excellente beauté Mort de Saül Venue du Messie Abondante fécondité de la stérile Épouse

Jr 7, 32; 19, Différentes annonces 6; 23, 31 de jours sombres, funèbres, de carnage Lc 11, 50-51 Sang des prophètes et Jugement à venir 13, 34-35 Rejet de Jésus par Jérusalem 19, 41-44 Compassion de Jésus 20, 9-18;

Vignerons homicides

21, 20-24 30

31

32

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Malheurs à venir dans Jérusalem Os 10, 8 Ruine pour idolâtrie Is 54, 10 Aux jours du rétablissement de Jérusalem Ez 17, 24 Yhwh relève et abaisse, bois vert et sec Is 10, 16-19 Châtiments de l’orgueil de l’Assyrie

Pr 11, 31

Rétribution pour tous, justes et impies

Mc 15, 27

Les deux bandits

Terminologies kai. avggareu,ousin para,gonta, tina Si,mwna Kurhnai/on evrco,menon avpV avgrou/( i[na a;rh| to.n stauro.n auvtou/Å evn th/| h‚me,ra| evkei,nh|;katoikou/ntaj Ierousalhm; fulh. kaqV e‚auth.n kai. ai‚ gunai/kej auvtw/n kaqV e‚auta,j; kopeto,j, ko,ptw qu,gater Siwn; qu,gater Ierousalhmqu,gater Aivgu,ptouh‚ avdelfh. u‚mw/n h‚ presbute,ra Sama,reia auvth. kai. ai‚ qugate,rej qugate,rej Ierousalhm qugate,rej Israhl evpi. Saoul klau,sate qu,gater Siwn; qu,gater Ierousalhm ivdou. euvfra,nqhti stei/ra h‚ ouv ti,ktousa r‚h/xon kai. bo,hson h‚ ouvk wvdi,nousa o[ti polla. ta. te,kna th/j evrh,mou ma/llon h th/j evcou,shj to.n a;ndra ei=pen ga.r ku,rioj dia. tou/to ivdou. h‚me,rai e;rcontai… evrou/sin; h‘ fa,ragx tw/n avnh|rhme,nwn;; qa,yousin;; h‘ polua,ndrion th/j sfagh/j; mh. u‚pa,rcein to,pon i[na evkzhthqh/| to. ai-ma pa,ntwn tw/n profhtw/n... VIerousalh.m VIerousalh,m… ta. te,kna sou ivdw.n th.n po,lin e;klausen evpV auvth.n evleu,setai kai. avpole,sei tou.j gewrgou.j… o[ti h‚me,rai... ouvai. tai/j evn gastri. evcou,saij kai. tai/j qhlazou,saij evn evkei,naij tai/j h‚me,raij evrou/sin toi/j o;resin kalu,yate h‚ma/j kai. toi/j bounoi/j pe,sate evfV h‚ma/j ta. o;rh metasth,sesqai ouvde. oi‚ bounoi, sou metakinhqh,sontai xhrai,nwn xu,lon clwro.n kai. avnaqa,llwn xu,lon xhro,n evgw. ku,rioj avposbesqh,setai ta. o;rh kai. oi‚ bounoi. o`‚ feu,gwn kai. oi‚ kataleifqe,ntej avpV auvtw/ n e;sontai avriqmo,j kai. paidi,on gra,yei auvtou,j Kai. su.n auvtw/| staurou/sin du,o lh|sta,j(

Notre texte se trouverait donc lié à bien d’autres, par la théologie, par les citations, par le vocabulaire et les figures. La variété du répertoire référentiel exprime bien la complexité du texte construit par le narrateur lucanien. Elle prouve en même temps la présence d’un fort jeu d’intertextualité44. a) «Cet épisode est le résultat de combinaisons érudites d’après les prophètes45». Telle serait l’impression de beaucoup d’exégètes. En effet, le texte est saisissant, on y retrouve bien de traits d’ordre prophétique, à travers des citations, des phrases et des mots: l’invitation à pleurer46, la description des jours de malheur47 et l’imagerie de «l’arbre vert et de l’arbre sec»48. b) R. E. Brown, pour qui le passage de Lc 23, 26.32 vient de Mc 15, 20b-21, lui verrait surtout dans les paroles (28-31) une large réminiscence des thématiques qui relèvent du ministère même du Jésus lucanien. Cet auteur souligne que: Les mots «ne pleurez pas» ont été adressés antérieurement à la veuve de Naïn en deuil de son fils (Luc 7, 13) et à ceux qui pleuraient la mort de la fille de Jaïre (8, 52)… En Luc 11, 49-50, Jésus avertissait que cette génération serait tenue pour responsable du sang de tous les prophètes. En 13, 34-35, Jésus parlait directement à Jérusalem, prévenant que, puisqu’elle a refusé de l’écouter, sa maison (le Temple et la ville) serait abandonnée… En 19, 41-44, Jésus lui-même pleura sur Jérusalem et lui parla des jours à venir de la destruction par ses ennemis… Enfin, en 21, 20-24, il disait que la dévastation de la Judée était proche49.

La composition en face est d’une érudition incontestable. Mais la considérer comme «une combinaison» ne comporterait-il pas une note excessive? Luc a-t-il utilisé réellement tant de textes pour la composer? Le concept de «pleur» invoqué à l’appui par R. E. Brown est fréquent chez Luc, mais il a plusieurs acceptions. Dans quel sens faudrait-t-il entendre le «Ne pleurez pas …mais pleurez» en Lc 23, 28? Cette construction de parallélisme antithétique n’indiquerait-elle pas une matrice vétérotestamentaire précise? La ville de Jérusalem n’est pas une indication négligeable dans l’œuvre lucanienne. Dans l’évangi44 45 46 47 48 49

Cf. Ibidem, note 6, 222-223. La phrase est de M.-J. L AGRANGE, Évangile selon saint Luc (Études Bibliques), Gabalda, Paris, 1921, 585. Mais il résume ainsi la pensée d’un autre auteur. Comme en Jr 9, 16-19; Ez 9, 1-7; 10, 18-22 et Za 12, 10-14. Comme en Is 54, 1-10 et Os 10, 8. Comme en Ez 20, 47; 21, 3; Os 14, 2-10; Is 10, 17 et Jr 11, 16. R. E. BROWN, La mort du Messie, 1014.

63

le le nom de la ville revient plus de 25 fois50, mais l’expression «Filles de Jérusalem», une seule fois. Ceci étant, parler aux «Filles de Jérusalem» serait-il la même chose que parler directement à Jérusalem? Toute notion de compromission du futur doit-elle être lue comme prédiction de la destruction de la ville de Jérusalem advenue en 70 ap. J.C.? Le nombre des questions que suscitent les différentes conceptions sur l’intertextualité disent combien le propos mérite encore précision. 2.2.1 Recours aux textes vétérotestamentaires La structure, le style, le vocabulaire, le contenu et l’emplacement dans le macro-récit établissent un rapport particulier entre le texte de Lc et deux livres prophétiques: Le livre du prophète Jérémie et le livre du prophète Osée. Le phénomène littéraire d’intertextualité se révèle dans Lc 23, 26-32 en réalité très profond. Le rapport intertextuel englobe plusieurs aspects. En plus des thématiques et des vocabulaires, il touche la structure, la matrice littéraire et même l’emplacement dans le macro-récit. Ce qui porte à parler plus précisément de transtextualité51. 2.2.1.1 Des textes substantiels La recherche de l’intelligence du texte en question ne pourrait se passer de l’identification précise de ces relations profondes et de leurs significations corollaires. Le tableau suivant donne une vue des versets directement concernés: Jr 22, 10-12 et Os 9, 14; 10, 8; 14, 9-10:

50 51

64

Lc 2, 25.38.41.43.45; 4, 9; 5, 17; 6, 17; 9, 31.51.53; 10, 30; 13,4.33; 17, 11; 18, 31; 19, 11; 21, 20.24; 23, 28; 24,13.18.33.47.52. Cf. D. MARGUERAT – Y. BOURQUIN , Pour lire les récits bibliques, Cerf – Labor et Fides, Paris-Genève 2004, 136.

Jérémie 22:10-12

Luke 23:28-31

10 mh. klai,ete to.n teqnhko,ta mhde. qrhnei/te auvto,n klau,sate klauqmw/| to.n evkporeuo,menon

28 mh. klai,ete evpV evme,\ plh.n evfV e‚auta.j klai,ete kai. evpi. ta. te,kna u‚mw/n(

o[ti ouvk evpistre,yei e;ti kai. ouv mh. i; d h| th. n gh/ n patri,doj auvtou/

29 o[ti ivdou. e;rcontai h‚me,rai evn ai-j evrou/sin\ maka,riai ai‚` stei/rai kai. ai`‚ koili,ai ai] ouvk evge,nnhsan kai. mastoi. oi] ouvk e;qreyanÅ 30 to,te a;rxontai le,gein toi/j o;resin\ pe,sete evfV h‚ma/j( kai. toi/j bounoi/j\ kalu,yate h‚ma/j\

9:14 do.j auvtoi/j ku,rie ti, dw,seij auvtoi/j do.j auvtoi/j mh,tran avteknou/san kai. mastou.j xhrou,j…10:8 kai. evrou/sin toi/j o;resin kalu,yate h‚ma/j kai. toi/j bounoi/j pe,sate evfV h‚ma/j

11 dio,ti ta,de le,gei ku,rioj evpi. Sellhm ui‚o.n Iwsia to. n basileu, o nta av n ti. Iwsia tou/ patro.j auvtou/ o]j evxh/lqen evk tou/ to,pou tou,tou ouvk avnastre,yei evkei/ ouvke,ti 12 avllV h‘ evn tw/| to,pw| ou- metw,|kisa auvto,n evkei/ avpoqanei/tai kai. th.n gh/n tau,thn ouvk o;yetai e;ti

31 o[ti eiv evn tw/| u‚grw/| xu,lw| tau/ta poiou/sin( evn tw/| xhrw/| ti, ge,nhtaiÈ

14:9 evgw. w‚j a;rkeuqoj puka,zousa evx evmou/ o`‚ karpo,j sou eu[rhtai 10 ti,j sofo.j kai. sunh,sei tau/ta h‘ suneto.j kai. evpignw,setai auvta, dio,ti euvqei/ai ai‚ o‚doi. tou/ kuri,ou kai. di,kaioi poreu,sontai evn auvtai/j oi`‚ de. avsebei/j avsqenh,sousin evn auvtai/j

Osée 9, 14; 10, 8; 14, 9-10

2.2.1.2 Liens constatables entre Luc et les prophètes Jr et Os 2.2.1.2.1 Premier constat Le schéma structurel de Lc 23, 28-31 est le même que celui de Jr 22, 1012. La phraséologie et l’argumentation lient intimement les deux: Jr 22, 10-12

Lc 23, 28-31

Traduction

mh. klai,ete klau,sate

mh. klai,ete

1 Ne pleurez pas

klauqmw/|

plh.n klai,ete

2 Pleurez bien…

o[ti

o[ti

3 Parce que, en effet

dio,ti

o[ti

4 Car

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Le schéma ainsi découvert est celui du procédé rhétorique. On y retrouve les trois parties essentielles. Les points 1 et 2 constituent ensemble une propositio, tandis que les points 3 et 4 font une probatio. L’appel à la conversion, la peroratio, est implicite, car de l’ordre de l’évidence. La leçon des deux voies vient s’imposer à travers les personnages et les figures opposés52. Le bon sens indique la voie du bien: «Très cher, imite non le mal mais le bien. Qui fait le bien est de Dieu. Qui fait le mal n’a pas vu Dieu» (3 Jn 1, 11)53. 2.2.1.2.2 Deuxième constat La propositio lucanienne est très proche de celle de Jérémie. Le changement majeur est celui du binôme «Mort-Exilé parti sans retour» en «MoiVous et vos enfants». Dans la probatio, le binôme change également de «Josias – Joachaz» en «Arbre vert – Arbre sec». Le sort de Joachaz est un exil à vie, le sort de «l’arbre sec» est un futur d’une obscurité invraisemblable, inouïe. 2.2.1.2.3 Troisième constat Le contenu de la probatio de Lc est littéralement lié aux versets d’Osée énumérés ci-dessus. Il comporte deux pisteis, c’est-à-dire deux preuves d’argumentation, donc des propos qui viennent corroborer l’affirmation fondamentale (Lc 23, 28)54. Dans la 1ère pistis de la probatio, on lit presque textuellement Os 9, 14b et 10, 8. Dans la 2ème pistis de la probatio, on sous-entend un écho sonore de Os 14, 9-10: La notion d’«arbre vert» et l’appel sapientiel à la conversion sous forme interrogative, dans une question rhétorique. 2.2.1.2.4 Quatrième constat Cet appel du Dieu-Époux en Os 14, 9-10 est le dernier qui boucle le livre du cheminement d’amour qu’il aura parcouru avec son PeupleÉpouse. Comme le livre d’Osée, le récit évangélique du cheminement terrestre de Jésus de Nazareth est conclu également chez Luc par une 52 53 54

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Voir Dt 30, 15-20. Voir Si 22, 9-11. Il s’agit d’un terme technique grec.

ultime adresse publique (23, 28-31) où résonnent des propos qui rappellent bien ceux du livre prophétique. 2.2.1.2.5 Constat conclusif Le style soutenu, le vocabulaire recherché et l’argumentation rhétorique suggèreraient de voir à la base de ces lignes (Lc 23, 28-31) une spécifique application littéraire, qui est à la fois pédagogique et théologique. Nous sommes en face d’un complexe cas de figure rhétorique. L’auteur de Luc-Actes employa cette arme littéraire, notamment dans sa grande entreprise de justification de la fin paradoxale de Jésus de Nazareth et du droit de cité du christianisme naissant dans le monde juif et dans tout l’empire romain55. 2.2.2 Scandale de la mort de l’innocent Josias qu’évoque le texte de Jérémie est-il une figure valable, efficace dans le combat christologique que mène l’auteur? Quel intérêt spécifique Luc aurait vu dans le texte de Jr ci-dessus cité? 2.2.2.1 Problématique mort de Jésus Nous ne sommes pas sans savoir que le christianisme naissant affronta la tenace difficulté de l’établissement d’une doctrine solide et cohérente sur la mort du Jésus. La condamnation de Jésus à la crucifixion privait la foi christocentrique de toute preuve de consistance doctrinale devant le milieu juif et également dans le monde gréco-romain. L’enjeu était de taille. On s’en aperçoit à travers la portée culturelle, religieuse et politique du supplice de la croix: Pour comprendre le destin de Jésus et son interprétation postérieure, il est essentiel [de comprendre] aussi le mode de son mourir. On considérait la crucifixion comme le premier des summa supplicia; c’était le crudelissimum taeterrimumque supplicium / infame stipes / infelix lignum du droit pénal romain, à côté de la décapitation (decollatio), de la condamnation au bûcher (crematio) et à la livraison aux fauves (damnatio ad bestias). C’est pourquoi on y faisait recours seulement que dans les cas les plus graves, comme la désertion devant l’ennemi, la trahison d’un secret

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Cf. W. S. KURZ, «Hellenistic Rhetoric Christological Proof of Luke-Acts», 171-195.

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d’état ou l’incitation à la révolte. Elle s’appliquait aux classes inférieures (humiliores), pas aux supérieures (honestiores); c’était le châtiment infligé aux étrangers séditieux et celui typique des esclaves. Née en Perse, et puis diffusée chez les Grecs et les Romains surtout comme châtiment politique / militaire, la crucifixion était considérée comme la forme maximale de dégradation d’un homme. Pour la Bible, «un pendu est une malédiction de Dieu» (Dt 21, 23): il fallait ensevelir son corps le même jour afin que son sang ne contamine pas le sol. C’est cela la mort réservée à Jésus, la plus ignominieuse, celle des esclaves56.

On comprend alors qu’il fallait obligatoirement tirer davantage sa figure de la dégradation, de la mort sociale qu’entraina la crucifixion. C’est l’une des raisons sûre de l’abondance des récits de la passion. «La longueur des récits de la Passion vient de ce que les disciples de Jésus ne pouvaient se contenter d’annoncer la résurrection de leur maître: ‹Vous l’avez injustement crucifié, mais Dieu l’a ressuscité›; il leur fallait aussi fournir une grille de lecture montrant la cohérence paradoxale d’un itinéraire passant par une mort ignominieuse57». Un problème similaire ne cessait de défier la théologie et la doctrine juives. Il s’agit de l’explication de la mort tragique du roi le plus droit, le plus pieux et le plus loué de la Bible: Josias58. 2.2.2.2 Josias, un roi aimé et son absurde mort L’étude de S. Delamarter révèle que la mort tragique du magnifique roi de Juda Josias, dans la main du roi païen Néko, est l’une des questions les plus épineuses de la théologie biblique juive59. La mort du roi demeurera comme un absurde accident que différents auteurs des milieux juifs et hellénistiques chercheront à élucider. L’abondante littérature hébraïque sur le cas Josias est l’expression évidente de la gravité et de l’importance du sujet. Celle-ci traverse l’univers biblique, les livres sacrés et la tradition: du 2R 23 jusqu’aux Rabbins, en passant par

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O. GONZÀLEZ DE CARDEDAL, Cristologia (Saggi di teologia, l’Abside, 35), San Paolo, Cinisello Balsamo (Mi) 2004, 120 (édition originale en espagnol, Biblioteca de Autores Cristianos, Madrid 2001). J.-N. ALETTI , «Le Christ raconté. Les évangiles comme littérature?», 46. Cf. Z. TALSHIR, «The Three Deaths of Josiah and the Strata of Biblical Historiography», in VT 46 (1996), 213-236. Cf. S. DELAMARTER , «The Death of Josiah in Scripture and Tradition: Wrestling with the Problem of Evil?», in VT 54/1 (2004), 29-60.

2Ch 35, 1Esd 1, Si 49, Josèphe Flavius Ant. 10, 60-80, 1 Baruch 1, 9; l’apocalypse syriaque de Baruch 61, 1-860. En général, on y retrouve deux positions. La première position est celle tenue dans 2R 23, 26-30: la mort du pieux et droit Josias est une conséquence des péchés de la génération antérieure61. La deuxième position est construite dans 2Ch 35, 20-25: Josias est victime de sa propre désobéissance à la voix divine transmise par Néko. Mais les deux positions demeurent marquées par l’attestation de la tension entre la droiture du règne de Josias et sa mort scandaleuse62. La doctrine de la rétribution est mise en question. La longue vie était un signe de bénédiction divine et «l’arrêt brutal de l’existence était associé à une malédiction63». Josias «fit ce qui est droit aux yeux du Seigneur et suivit exactement le chemin de David, son père, sans s’écarter ni à droite ni à gauche» (2R 22, 2), pourtant il mourra avant l’heure et de façon brutale. Il y a un paradoxe64. Les tentatives d’explication du hiatus sont multiples, et dans la Bible et dans la tradition. Il y’a des voix discordantes, mais la tendance générale est de sauvegarder la mémoire du joyau de l’institution royale dans le peuple de Dieu. Des motifs n’ont pas manqué pour justifier l’acte fatal du roi qui aurait engagé un combat contre l’avis contraire de la voix du ciel: l’ignorance, le péché de la génération, le destin et la soif de connaître la volonté de Dieu65. Il ne serait pas opportun de vouloir évoquer ici tous les méandres du houleux débat exégétique historico-critique sur l’évaluation du règne de Josias et sur la vérité événementielle de sa mort. En revanche, conformément à l’intérêt direct de cette étude, le regard se focalisera sur ce que la tradition biblique (TM et LXX) a transmis de Josias et sur ce que Josias représentait dans la mémoire collective de la nation juive au début de notre ère. 60

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Cf. R. H. CHARLES, The Apocrypha and Pseudepigrapha of the Old Testament: with Introduction and Critical and Explanatory Notes to the Several Books, vol. 2, Clarendon, Oxford 1968, 855. Cf. S. DELAMARTER , «The Death of Josiah in Scripture and Tradition: Wrestling with the Problem of Evil?», 31. Cf. Ibidem, 33. D. FAIVRE , Vivre et mourir dans l’Ancien Israël, 77. Cf. Pr 16, 31: «Les cheveux gris sont une couronne magnifique; on les rencontre sur les chemins de la justice». Cf. S. DELAMARTER , «The Death of Josiah in Scripture and Tradition: Wrestling with the Problem of Evil?», 29-60.

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Le texte de Jr 22, 10-12 comporte un non-dit déterminant dans la relecture de l’histoire de Josias: l’attachement du peuple à son roi violemment tué par les Égyptiens. Cet attachement se voit surtout à travers l’ampleur du deuil vécu lors de la mort du roi. En effet, le deuil d’Israël sur Josias est présenté comme l’un des plus célèbres et inoubliables. Deuil grandiose? Certainement, puisqu’à l’occasion une élégie funèbre est composée en son honneur, une composition reconnue comme étant de la haute autorité du prophète témoin Jérémie et toujours tenue comme telle en Israël. Bien qu’il tienne à la responsabilité de Josias dans la mésaventure qui lui a été fatale, 2Ch ne s’empêchera de témoigner de la solennité des funérailles de Josias et de la transmission perpétuelle de sa mémoire: Jérémie composa une complainte sur Josias; tous les chanteurs et les chanteuses ont parlé de Josias dans leurs complaintes jusqu’à ce jour; on établit cette pratique en Israël et on inséra ces chants parmi les complaintes (35, 25).

Josias, un roi inoubliable? Israël a du mal à ranger Josias dans le musée des «lointains, partis, disparus». L’intervention de Jérémie («Ne pleurez pas sur celui qui est mort [Josias]… Pleurez plutôt sur celui qui est parti [Joachaz = Shallum]») révèle que le peuple n’arrivait pas à se remettre de la mort de Josias, à retrouver l’accoutumée et à vivre l’actualité de l’exil de Joachaz, trois mois après la mort de son père Josias66. L’attachement du peuple à Josias ne semble pas s’affaiblir avec le temps. La discussion soutenue sur sa paradoxale mort depuis 609 av. J. C. jusqu’aux alentours de notre ère est un fait incontestable qui plaide de luimême en faveur de cet attachement. Le nombre des œuvres incriminant Josias dans sa mort (position de 2Ch 35) est très infime par rapport à celui des œuvres qui le défendent (position de 2R 23). Par ailleurs, il importe beaucoup de noter que la tradition de la Septante, la première référence de notre évangéliste Luc, est pro-Josias: une harmonisation

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Cf. P. C. CRAIGIE – P. H. KELLY – J. F. DRINKARD, Jeremiah 1-25 (Word Biblical Commentary, vol. 26), Word Books, Waco, Texas 1991, 305: «The use of the participle $lhl as an immediate future intensifies the poign-ancy of this lament. One has died; others are facing imminent exile but may not even realize it. Jeremiah remarks that the weeping and lamenting should be reserved for those facing the exile, separation, and death in a foreign land».

des récits y est menée sur la base de 2R 2367. Au regard de cette évolution du débat, il se perçoit qu’au-delà de ce que pourrait être la réalité de sa mort, Josias demeure un symbole de piété et de droiture dans l’imaginaire juif. Cette représentation de la personne et de la vie de Josias dans la mémoire collective d’Israël se lit dans: Si 49, 1-3: Le souvenir de Josias est un mélange aromatique, préparation due au travail du parfumeur. Dans toutes les bouches il est comme du miel, comme une musique dans un banquet arrosé de vin. Il suivit la voie droite en convertissant le peuple et il supprima les horreurs impies. Il dirigea son cœur vers le Seigneur, en des jours impies il fortifia la piété. Ant. X, 70-78: Josias ayant vécu, après ces événements, dans la paix, dans la prospérité et le respect de tous, perdit la vie dans les circonstances suivantes. Néko, roi des Égyptiens, ayant réuni une armée, marcha vers le fleuve Euphrate pour faire la guerre aux Mèdes et aux Babyloniens qui avaient brisé la domination des Assyriens, car il convoitait de régner sur l’Asie. Comme il était arrivé à la ville de Mendé, qui faisait partie du royaume de Josias, celui-ci voulut l’empêcher à main armée de passer par son territoire pour s’élancer contre les Mèdes. Cependant Néko lui envoya un héraut pour lui affirmer qu’il ne faisait pas la guerre contre lui, mais se dirigeait vers l’Euphrate: il lui conseillait de ne pas s’attirer sa colère et s’exposer à une attaque en l’empêchant de se rendre où il avait dessein d’aller. Mais Josias ne se prêta point au désir de Néko et demeura résolu à lui défendre le passage à travers ses états: c’était, je pense, le destin qui le poussait à cette attitude, afin d’en prendre prétexte pour le perdre. En effet, tandis qu’il disposait ses troupes et se faisait conduire sur son char d’une aile de l’armée à l’autre, un Égyptien lui lança une flèche qui brisa son ardeur belliqueuse. Comme il souffrait beaucoup de sa blessure, il fit sonner la retraite et rentra à Jérusalem. Il y mourut de cette atteinte et fut enseveli en grande pompe dans les tombes de ses pères. Il avait vécu trente-neuf ans et en régna trente et un. Le peuple entier mena pour lui grand deuil, se lamentant et pleurant de longs jours. Le prophète Jérémie composa sur lui une élégie funèbre, qui subsiste jusqu’à nos jours. Ce prophète a aussi prédit les catastrophes qui devaient fondre sur notre cité et a même consigné dans ses écrits la ruine qui est survenue de nos jours ainsi que la prise de Babylone.

En faisant recours à l’hypotexte Jr 22, 10-12 marqué par l’élégie de Jérémie sur l’aimable roi Josias de Juda68, l’auteur de Luc-Actes insinue 67

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Dans ces propos, sont résumés les résultas des travaux de: S. DELAMARTER , «The Death of Josiah in Scripture and Tradition: Wrestling with the Problem of Evil?», 36-39.58-60. Cf. P. D. MILLER, «The Book of Jeremiah: Introduction, Commentary, and Reflections», in L. E. KECK et alii, General Articles & Introduction, Commentary, & Reflections for Each Book of the Bible Including the Apocryphal / Deuterocanonical Books in Twelve Volumes (The New Interpreter’s Bible, vol. 4), Abingdon Press,

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un parallélisme entre le cas Jésus et celui-là qui mourut frappé des mains des Égyptiens. Dans le grave problème de la justification de la mort du Christ, le meilleur cas de référence dans les Écritures et dans la tradition juives était celui de Josias. Le schéma de Jr 22, 10-12 reconnu dans Lc 23, 28-31 est un dispositif littéraire très instructif. On y perçoit le narrateur lucanien dans son recours permanent aux procédés d’intertextualité comme le mimétisme et la synchrésis. Dans et par l’allusion intertextuelle de son schéma, «le texte lucanien convoque à la mémoire du lecteur un autre texte, qui par sollicitation de langage vient se superposer au récit… pour en guider l’interprétation69». Un examen plus détaillé en fera écho. 2.2.3 Histoire et historicité dans le récit La thématique de la mort, les détails de l’intervention de Simon, la présence de la multitude de gens, les pleurs de femmes et les paroles de Jésus sont des points critiques dans l’étude de Lc 23, 26-32. Très souvent, on a de la difficulté à se faire une idée claire sur ces points, pour ce

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Nashille (TENN) 2001, 741: «Verse 11 is a prose commentary on the brief oracle in v. 10. As such it indicates that the two persons referred to in v. 10 are Josiah, who was killed in battle, and Jehoachaz, his son, who was placed on the throne by ‹the people of the land» (possibly the landed gentry of Judah), but after only three months was taken into exile in Egypt by Pharaon Necho, who had killed Josiah at the battle of Megiddo (2Kgs 23:30-34). «Shallum was the personal name of this son» (1Ch 3:15) and «Jehoahaz the royal name that was given to him when he became king. The point of the oracle in v. 10 is that the people who had pinned theirs hopes so thoroughly on Josaih as the king who would restore the Davidic kingdom and overthrow all foreign domination should not keep on lamenting and pining over those lost hopes. It is already time to mourn over the next king, who is about to go into exile and will never come back». Voir aussi F. B. Huey, Jeremiah, Lamentations (The New American Commentary, vol. 16), Broadman Press, Nashville (TENN) 1997, 204: «22:10 Jeremiah had composed laments in honor of the beloved Josiah (2 Chr 35:25). Now the Lord gave orders not to weep for Josiah. Rather, they should weep for the one who had been exiled and would never return to Judah… 22:11–12: These verses are a prose comment on the poetic announcement of the preceding verse». D. MARGUERAT, «L’évasion de Pierre et la mort du tyran (Actes 12): un jeu d’échos intertextuels», in D. MARGUERAT et A. CURTIS (éds.), Intertextualité: La Bible en échos, Labor et Fides, Genève 2000, 229.

qui regarde leurs rapports directs à l’événement Jésus et à l’Église naissante. Et pourtant, l’écho qui nous en parvient ainsi par Luc ne semble pas du tout être déconnecté de la réalité de la vie de Jésus et de celle de ses contemporains. 2.2.3.1 De Simon de Cyrène La mention de l’intervention de Simon de Cyrène et de la présence des deux malfaiteurs semble être de la forme narrative la plus primitive. Sur ces faits du cadre, Luc diffère de Marc, conçu comme l’évangilesource dans l’hypothèse synoptique70. Le troisième évangile ne comporte aucune mention des deux fils de Simon de Cyrène ni de noms des deux malfaiteurs. Ce constat crédibilise Luc sur le plan de la fidélité au vif récit des faits71. Car plus un événement remonte dans le temps, plus son récit aura tendance à le lier aux traces témoins de son historicité. Et logiquement en la matière le recours à la famille des protagonistes est

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Cf. P. BENOÎT – M. E. BOISMARD, Synopse des quatre évangiles en français, 422: «L’ultime rédacteur marcien précise que Simon de Cyrène, juif originaire d’Afrique du nord (Cyrénaïque), était le père d’Alexandre et de Rufus; s’il nomme ces deux personnages, ce n’est pas qu’ils aient quelque intérêt pour la scène elle-même, c’est que la communauté chrétienne les connaît (cfr. Rm 16, 13?)…». Selon M.-E. BOISMARD (ibidem, 421-422), Luc dépend étroitement de Mc concernant l’épisode de Simon de Cyrène. Mais l’hypothèse ne serait pas facile à défendre. Pour trois raisons capitales: 1) les formes actuelles des textes donnent plus la marque d’ancienneté au récit de Luc qu’à celui de Marc qui est plus soumis au phénomène de la contextualité; 2) il n’est pas évident qu’à l’origine, Marc ait comporté l’épisode de Simon de Cyrène (d’après M.-E. BOISMARD lui-même), 3) Luc a de grandes affinités avec les traditions connues de Jean. Pourtant Luc semble être en contact avec le pays d’origine de Simon de Cyrène, la Cyrénaïque. Voir Ac 1, 1 et Rm 16, 21. Cf. P. GRELOT, Jésus de Nazareth Christ et Seigneur, tome 2 (Lectio Divina, 170), Novalis – Cerf, Montréal (QC) – Paris 1997, 309: «On sait qu’il y avait alors à Jérusalem des membres de la Dispersion, Juifs de langue grecque, qui possédait leur synagogue propre: les ‹Actes des Apôtres› mentionnent, le jour de la Pentecôte, des Juifs de ‹la Lybie proche de Cyrène› (Ac 2, 10), et l’on retrouve ensuite des gens ‹de la synagogue des Cyrénéens› (Ac 13, 1). Puisqu’il y avait à Jérusalem une petite colonie originaire de cette ville, on n’est pas étonné de voir la réquisition d’un passant de cette communauté, qui ne s’attendait aucunement à une corvée». Le fait que Luc ne cherche pas à donner des spécifications sur la personne de Simon de Cyrène prouve en quelque sorte que le besoin ne se posait pas.

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de première importance72. Par ailleurs, deux autres aspects jouent en faveur de la fiabilité de la présentation originale de Luc de l’épisode de Simon de Cyrène. Il s’agit de deux caractéristiques de son écrit. Helléniste écrivant selon les canevas juifs, Luc a un respect profond pour les éléments traditionnels. «Plutôt que de dénaturer une source, il préfère la cerner de très près73». Ce qui ne l’empêchera pas de tenir aussi au «principe de l’intelligibilité». La conjugaison de ces deux règles explique pourquoi sa fidélité au matériau traditionnel ne saurait être toujours matérielle, à la lettre. En vue de la compréhension par une mentalité plus universelle que juive, l’histoire est présentée en langage et structure nouveaux. L’évangéliste démontre ces soucis dans sa façon minutieuse de la présentation de l’intervention de Simon de Cyrène74. 2.2.3.2 De la multitude avec des femmes en pleurs La présence d’une grande multitude de gens du peuple et des femmes qui pleurent durant ce moment dramatique de l’événement Jésus n’est pas du tout invraisemblable. Jérusalem est en ces jours de Pâque le théâtre du plus grand rassemblement des juifs. Des dizaines de milliers de pèlerins sont là, venus de tous les horizons75. Il est très probable que cette 72

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Cf. H. J. CADBURY, The Making of Luke-Acts, 59: «At the same time we should recall that meeting the current toward elimination of names is the counter current of late development, which localized legend and gave to simplified matter the verisimilitude of proper names like Malchus (John), Veronica, the centurions Longius at the cross and Petronius (Gospel of Peter) at the tomb, and the names of the malefactors crucified with Jesus, and the names and number of the wise men at the Jesus’ birth». P. BOSSUYT et J. RADERMAKERS, Jésus Parole de la grâce selon saint Luc, vol. 2, 23. Ibidem, 24-25. B. SAUNDERSON, «Gethsemane: The Missing Witness», in Bib 70/2 (1989), 231232, étale largement la réalité l’affluence à Jérusalem pour la Pâque: «Pilgrims were already arriving for the feast when Jesus and his disciples reached the city some days before. Despite the duty imposed on the residents of Jerusalem to provide hospitality for visitors at such times, as exemplified by the loan of the Upper Room to Jesus and the disciples, it was impossible for all to find room within the city, and many had to be content with camping in its vicinity. The dramatic qualities of the gospel accounts focus our attention so closely on the chief protagonists that we tend to forget those who are not mentioned, but it is difficult to make a case for there being no pilgrims near Gethsemane. It has been claimed that it was only at Tabernacles and not Passover that pilgrims camped on the Mount of Olives, since the Passover meal had to be eaten in Jerusalem. The fact that Jesus himself was on the Mount of Olives that

marche de Jésus ait été suivie par bien de gens, ne serait-ce que par curiosité. Par ailleurs, la profonde relation entre Jésus et les petites gens dans son ministère publique donne à croire à une proximité durant la mort76. Et dans la circonstance, il se comprendrait que les proches terrorisés et tourmentés par l’événement soient en écart, en une certaine distance de Jésus77. 2.2.3.3 Des dires de Jésus À propos des paroles de Jésus (Lc 23, 28-31), notre hypothèse sur le fait intertextuel conduit logiquement à une critique de la position traditionnelle (qui remonte en fait aux Pères de l’Église). Celle-ci se trouve libellée magistralement par R. Bultmann, exégète suivi en général jusqu’à présent pour ce qui est de la portée christologique du texte78. Pour lui, Lc 23, 27-31 est une prophétie chrétienne montée par l’Église primitive dans le cadre de son apologie antijuive et mise dans la bouche de Jésus. La composition serait basée sur des modèles du martyrologe juif et païen79. Mais la réalité du jeu intertextuel dans le texte prouve que Lc 23, 27-31 serait au contraire lié au procès interne de maturation de la doctrine christologique dans l’Église.

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evening might make us cautious on this point. It is true that the Passover meal had to be eaten ‹in Jerusalem›, but this no longer meant within the city walls. The shortage of accommodation in Jerusalem had been specifïcally provided for by the extending of the legal boundaries. Since the limit on the eastern side was Bethphage, there was no bar to pilgrims camping on the western side of the Mount. While A. Scholfield lists the traditional camping areas for pilgrims from Palestine as the west for those from the plain of Sharon and Joppa, the south for those from Judah, the north for the Samaritans (who would in fact have been absent), and the east, including the Mount of Olives, for the Galileans, we need to remember that many foreigners too made the journey, and space would be at a premium. Josephus describes how an ‹innumerable multitude came thither out of the country› at Passover and refers to ‹those that had their tents without the temple›. While estimates of 100,000 or 125,000 pilgrims may be generous, even with the city limits extended to Bethphage, there is not likely to have been much room to spare». Cf. I. H. MARSHALL, The Gospel of Luke: A Commentary on the Greek Text, 863864: «The presence of crowds at an execution out of curiosity was natural… and the morning of women was likewise commonplace… The later action was one of religious merit… and is inherently probable historically…». Luc parle de cette distance Lc 22, 54; 23, 49. Voir par exemple chez L. SABOURIN, L’évangile de Luc, 364. Cf. R. BULTMANN, L’histoire de la tradition synoptique, 56.

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2.2.3.3.1 Fondement des paroles Une fois encore, nous en appelons à la réalité de l’événement Jésus. La question aura été abordée lors du traitement de la nature christocentrique du récit du chemin de la croix à travers la notion de citation véridique. Les propos de Lc 23, 27-31 plongent leurs racines jusque dans les faits qui tissent le drame de la passion de Jésus. À en croire C. A. Evans, le Maître aura été «avisé» depuis la Galilée de la possibilité de son martyre à la suite de ces prophètes tués au cœur de Jérusalem. L’auteur en veut pour preuve le récent sort de Jean le Baptiste. Contemporain du prophète décapité par la famille hérodienne et uni intimement à lui dans le ministère, Jésus a dû lire dans le martyre de Jean le Baptiste le prix éventuel à payer pour la fidélité à son propre destin prophétique. Par ailleurs, dans l’histoire de son peuple, beaucoup d’exemples incitaient déjà à ce genre d’engagement à corps perdu pour la cause de Dieu (cf. 1 et 2 M)80. La marche vers Jérusalem suppose donc en quelque 80

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Cf. C. A. E VANS, «Did Jesus Predict his Death and Resurrection», in S. E. PORTER et alii, Resurrection (JSNTS, 186; RILPS, 5), Accademic Press, Sheffield 1999, 86-89: «There are many reasons, within the Gospel narratives themselves and within the larger context of first-century Jewish Palestine, that should lead us to believe that in all probability Jesus did anticipate his suffering and death. Let us first consider the relevant indications within the Gospels themselves. To begin with, the fate of John the Baptist surely portended to Jesus his own fate. The close association of Jesus and John is highly probable, so it is reasonable to assume that in continuing John’s proclamation of repentance and the appearance of the kingdom of God Jesus surely recognized his danger. Indeed, in a saying evidently responding to threats emanating from Herod Antipas, the tyrant who executed John, Jesus retorts: Go and tell that fox, ‹Behold I cast out demons and perform cures today and tomorrow, and the third day I finish my course. Nevertheless I must go on my way today and tomorrow and the day following; for it cannot be that a prophet perish away from Jerusalem’ (Lk. 13.32-33)… The Parable of the Wicked Vineyard Tenants (Mk 12.112) also implies the death of Jesus, assuming that Jesus identified himself with the son of the owner of the vineyard, who is murdered by the tenant farmers (Mk 12.8)… Jewish tradition itself provides a plausible context for understanding Jesus’ anticipation of martyrdom. Rooted in the Hebrew Bible… Jewish tradition is rich with stories of the faithful who willingly faced suffering and death for the sake of God and his laws (e. g. 1 Macc. 2.39-41; 6.44; 2 Macc. 14.45-46; T. Mos. 9.4-7; Josephus, War 7.8.6-9.2 §§320-406). In light of the evidence within the Gospels themselves, as well as the religious and cultural views of Jewish late antiquity, there is really no good reason not to accept as authentic an essential core underlying the Passion predictions».

sorte un consentement au sacrifice personnel. À la lumière de cette éducation-préparation religieuse de Jésus, de l’adversité déclarée contre lui depuis le début de son ministère et de la récente fin tragique de son prédécesseur, il s’avère effectivement vraisemblable que l’homme de Galilée ait entrevu de loin son propre sort, qu’il ait eu à s’en ouvrir à ses proches intimes et à les inviter à communier à son acte de fidélité. La réalité de la conscience de l’ombre de la mort et de l’ouverture de Jésus à ses disciples sur les risques à courir à cause de la fidélité fait comprendre la gravité de la marche messianique et de la pesanteur de la sequela. La marche partie de Galilée pour Jérusalem est pratiquement «un cheminement endeuillé». Les malentendus, les incompréhensions et les oppositions à propos des annonces de la passion trahissent le refus de l’option du Maître par sa suite. Ce refus de la part des disciples du «mourir pour vivre» de leur Maître résonnera fortement dans le deuil sur le chemin de la croix par la brillante absence des plus connus et l’impressionnante présence d’une multitude «endeuillée». Et la dernière prise de paroleréplique de Jésus revêt le caractère de pédagogie habituelle de relance. L’intervention du Maître prendra appui sur le remarquable verbe klai,w, «pleurer». Très souvent ce verbe klai,w se voit secondé par un autre penqe,w, «mener le deuil». Citons deux textes vétérotestamentaires à l’appui: mh. klai,ete to.n teqnhko,ta mhde. qrhnei/te auvto,n (LXX, Jr 22, 10) et mh. penqei/te mhde. klai,ete (LXX, Ne 8, 9). Le binôme klai,wpenqe,w identifiable dans ces textes de l’AT est aussi bien fréquent dans le NT. On le rencontre une fois encore en Lc 6, 25: ouvai. u‚mi/n( oi‚ evmpeplhsme,noi nu/n( o[ti peina,seteÅ ouvai,( oi‚ gelw/ntej nu/n( o[ti penqh,sete kai. klau,sete. En Mc 16, 10, il sert à résumer l’attitude générale des disciples devant la mort de Jésus: evkei,nh poreuqei/sa avph,ggeilen toi/j metV auvtou/ genome,noij penqou/si kai. klai,ousin. Il revient 4 fois de plus dans le NT: Jc 4, 9; Ap 18, 11.15.19. L’absence de penqe,w en Lc 23, 28 pourrait s’expliquer par l’omission volontaire de la part du narrateur: car il vient d’utiliser au v. 27 deux autres verbes du même champ sémantique: ko,ptw, «se battre la poitrine» et qrhne,w, «se lamenter». Aussi, dirions-nous que le verbe klai,w, «pleurer» assume en même temps le sens de penqe,w, «memer le deuil». Par klai,w s’entend alors klai,w-penqe,w.81 L’enracinement de 81

À propos, le Bezae Cantabrigiensis D porte une variante indicative au v. 28. Au lieu du seul verbe comme en mh. klai,ete,,, il en a deux: mh. klai,ete mhde.. penqei,te. L’ap-

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l’action klai,w-penqe,w dans la réalité conflictuelle Maître-disciples, le long du cheminement messianique de Jésus, défend la correspondance profonde des propos de Lc 23, 28-31 aux faits de l’évolution et de l’éclatement de la passion. «Si leur composition est donc rédactionnelle, ils ne manquent cependant pas d’un substrat traditionnel ancien82» et même historique. 2.2.3.3.2 Rédaction et intention Le travail du narrateur lucanien n’aura été qu’une œuvre d’explicitation. Il s’agit de l’enrichissement d’un texte à partir de ses ressources internes. Ce qui est implicite est explicité selon le contexte. J. J. Kilgallen a exploité ce canevas pour rendre compte de l’évolution intrinsèque constatable dans le récit de Lc 7, 36-50. L’auteur propose trois étapes dans le processus d’autogenèse du texte: «An earlier Sitz-im-Leben…A later Sitz-im-Leben…The Lukan Sitz-im-Leben». Dans la croissance du texte ainsi indiquée, c’est la christologie qui se précise et gagne de l’acuité selon les impératifs de l’histoire83. Le même phénomène est concevable à propos de Lc 23, 28-31. Né du binôme klai,w-penqe,w, le texte lucanien tend vers une profession jusqu’alors insoupçonnée. Cet élan théologique comporte un cachet apologétique. Toutefois, l’enrichissement doctrinal en tant qu’œuvre intra-ecclésiale l’emporte

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parition du binôme klai,w-penqe,w dans le Bezae Cantabrigiensis (Lc 23, 28) interroge. Remonterait-elle alors à une forme primitive / archaïque du texte ou résulterait simplement du péché originel d’ajouts / omissions dont est coupable D? L’importance accordée au codex témoin dans la critique textuelle par certaines études récentes donne une taille à l’interrogation (Cf. L. M ULLEN, «Le codex de Bèze: Un témoin d’une version antérieure», in Dossiers d’Archéologie 279 (2003), 34-43. J. R EAD -HEIMERDINGER, «Les Actes dans le codex de Bèze», in Dossiers d’Archéologie 279 (2003), 44-55; J. RIUS-CAMPS, «Le codex de Bèze, une lecture différente de l’œuvre de Luc», in Dossiers d’Archéologie 279 (2003), 56-63). La justification de la déstructuration du beau parallélisme de la phrase: mh. klai,ete evpV evme,\ plh.n evfV e‚auta.j klai,ete kai. evpi. ta. te,kna u‚mw/n se présente comme un défi. Cf. F. BOVON, Les derniers jours de Jésus, 16. Voir aussi E. FRIEDMAN, Jewish Identity, 112: «The search of the ipsissima verba of Jesus is an exercise of limited importance. What we read in the New Testament are not precisely the words of Jesus; they are the words of the Spirit of Jesus…». Cf. J. J. KILGALLEN, «What Does it Mean to Say that there Are Additions in Luke 7, 36-50?», in Bib 86 (2005), 529-535.

nettement. En effet, Luc serait plus appliqué ici à faire comprendre le paradoxe de l’événement de la mort de Jésus (doctrine christologique) à ses coreligionnaires. Se battre contre des ennemis de la christianité (l’apologie antijuive) n’est pas le premier souci, bien que non exclu. Contre l’avis de R. Bultmann, nous pensons donc que la composition de Luc 23, 26-32 est très proche de l’événement Jésus et de la tradition apostolique. Et répond fortement à l’objectif primordial de l’entreprise littéraire de l’évangéliste, la catéchèse ad intra (1, 1-4).

Conclusion Le cadre et le contenu verbal de Lc 23, 26-32 tendent visiblement à être plus proches des vives chroniques de la passion84. Certes, les martyrologes juifs et païens partagent des symboles avec le texte, mais ils n’en sont pas la matrice originelle. Ses assises et sa présentation sont profondément enracinées dans l’univers biblique. L’apport de multiples sources et matériaux traditionnels et les principes littéraires de l’évangéliste lui-même valent à sa composition une marque d’orthodoxie. Compte tenu de ces données, parler de fiction à propos de ce récit animé du chemin de la croix paraît faire peu cas de la réalité historique à laquelle tient tant l’auteur. Luc pourrait bien être ici le premier écrivain sacré témoin d’aspects importants de la marche vers la croix85. S’il

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Cfr. M. Q UESNEL, L’histoire des évangiles, 25: «La mémoire des témoins s’est le plus souvent rappelé les gestes et les paroles de Jésus sans souci d’enchaînement chronologique, mais sa passion constitue un drame construit dont le souvenir s’est emparé comme tel. Les disciples ont dû se dire les uns aux autres ce que chacun avait vu, et le regroupement de leurs témoignages a permis que se constitue un récit suivi qu’on se redisait en multiples occasions». Cf. F. J. MATERA, «The Death of Jesus according to Luke: A Question of Sources», in CBQ 47 (1985), 484-485. De l’avis de cet auteur, l’originalité de Lc 23, 44-48 tient à la marque éditoriale de Luc et sa vision théologique. Il est difficile de partager cette conception sur la particularité lucanienne dans le cas précis du chemin de la croix. Mettre simplement l’originalité de ce récit animé du chemin de la croix au compte de l’activité éditoriale et des visées théologiques comporte le risque de le présenter comme une sorte de fiction.

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est l’auteur de la composition finale, il n’en demeure pas moins l’écho de la tradition de l’Église primitive qui cherchait alors à se consolider et à codifier sa doctrine86, une doctrine originale, puisque christologique. L’analyse philologique et grammaticale aidera à apprécier davantage la visée christologique du texte.

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Cfr. J. DUPONT , dans son article: «Il n’en restera pas pierre sur pierre (Marc 13, 2; Luc 19, 44)», in Bib 52 (1971), 301-320, insiste particulièrement sur le caractère traditionnel que l’on peut constater dans le texte.

Chapitre 3

Philologie, grammaire et commentaires

Introduction La longueur et l’animation font la particularité de la péricope du chemin de la croix chez Luc. Le génie lucanien ne cesse de se déployer là, à travers l’introduction de détails de taille, de minutieuses descriptions et l’usage de techniques littéraires comme le parallélisme. L’examen exégétique voudrait suivre Luc dans ces applications pour mieux découvrir sa pensée1. Il se fera selon la structure narrative proposée: la marche sur le chemin de la croix (23, 26-27), la marche interrompue, les Paroles de Jésus (28-31) et la marche parallèle de deux malfaiteurs (32). Dans cette étape, certaines données exégétiques seront prises en compte particulièrement: la question des profondeurs du texte dans sa charge pédagogique (cf. Grégoire de Nysse, M.-J. Lagrange), la recherche du sens bien au-delà du fétichisme des mots (cf. J.-L. Ska), le lien entre le texte et l’itinéraire de Jésus (cf. J.-N. Aletti), la nature christocentrique du texte (cf. M. L. Soards, D. L. Bock ), l’imposante thématique de la mort et de la notion d’universalité (cf. C. H. Giblin).

1. Marche sur le chemin de la croix, Lc 23, 26-27 Pendant que Mc et Mt n’en font qu’une mention laconique, Luc montre le chemin de la croix comme un espace-temps bien meublé par l’action de Jésus et des gens qui le suivent. Ce qui est frappant dans le récit 1

Pour la question de l’originalité du récit lucanien, voir: J. H. NEYREY, «Jesus’ Address to the Woman of Jerusalem (Lk 23, 27-31). A Prophetic Judgment Oracle», 74-86.

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lucanien, c’est bien cette attitude active et libre de Jésus en marche sur le chemin de la croix.

1.1 Marche en cours, Lc 23, 26a L’évangéliste introduit son récit de façon spéciale: Kai. w‚j avph,gagon auvto,n, Comme ils l’emmenaient. La conjonction de coordination kai, indique le début de la nouvelle péricope. Quant à la conjonction de subordination w‚j, elle a surtout une valeur temporelle et pourrait être rendue par ‹pendant que, tandis que ou comme›2». Le verbe avph,gagon est avpa,gw, conjugué à l’ indicatif aoriste initial actif, 3ème personne du pluriel. Le pronom personnel auvto,n, vient de avutoj, masculin, singulier, accusatif et renvoie à Jésus. L’expression kai. w‚j avph,gagon auvto,n situe le récit dans une action en cours, c’est-à-dire le cadre général de l’acheminement au lieu de l’exécution de la sentence de condamnation qui vient d’être prononcée par l’autorité compétente. 1.1.1 Emmener au supplice Le verbe avph,gagon qui indique cette marche mérite attention. Marc a utilisé evxa,gw, «faire sortir, mener dehors, conduire». Dans l’usage lucanien, la différence est très grande entre les deux verbes avpa,gw et evxa,gw, malgré leur parenté. Certes, le verbe avpa,gw est un verbe de mouvement comme aussi ceux utilisés pour dire les déplacements au cours du procès: 22, 54: auvto.n h;gagon kai. eivsh,gagon eivj th.n oivki,an tou/ avrciere,wj 22, 66: kai. avph,gagon auvto.n eivj to. sune,drion auvtw/n 23, 1: to. plh/qoj auvtw/n h;gagon auvto.n evpi. to.n Pila/ton3.

Mais l’emploi de avpa,gw en 23, 26 est spécial. L’évangéliste emploie 6 fois le verbe avpa,gw4, en précisant à chaque fois un but, une finalité, sauf en Lc 23, 26 et en Ac 12, 19 comme si le terme se suffisait à luimême dans ces cas. Cette donnée n’est pas négligeable. Elle est déterminante dans l’identification des acceptions du verbe. Selon les con2 3 4

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Cf. BDAG, «w‚j», n. 8, 1105 et Bl-De, § 455, 2, 555-556. Cf. S. LÉGASSE, Le procès de Jésus, 396-397. Lc 13, 15; 21, 12; 22, 66; 23, 26; Ac 12, 19; 23, 17.

textes, ce verbe composé (avpo,-avg, w) pourrait dire beaucoup de choses: 1°) emmener, 2°) emmener hors du droit chemin, faire dévier, détourner, 3°) emmener à l’écart, 4°) citer en justice, 5°) emmener en prison, et 6°) emmener au supplice5. Dans quel sens Luc utilise ici le verbe? Le sens le plus cohérent en l’occurrence serait évidemment celui d’emmener au supplice. Après la sentence vient l’étape de l’exécution. Toutefois, l’aspect duratif de l’opération laisse croire que Jésus aura eu tout le temps de revenir sur ses pas et de renier ainsi le chemin de Dieu qu’il a enseigné en toute vérité son pèlerinage terrestre durant (20, 21). 1.1.2 Choix d’un verbe L’usage de ce terme par l’évangéliste n’est pas neutre comme le penserait R. E. Brown6. Il ne s’agirait pas pour Luc d’une simple question d’harmonisation dans l’emploi du verbe avpa,gw7. Deux constats le prouvent. Primo, en employant le verbe sans complément de lieu ou de but, il a mis l’accent sur le caractère définitif et exécutoire du déplacement en cours, c’est-à-dire l’acheminement vers le supplice d’un condamné à mort. Le verbe sert donc en même temps à caractériser Jésus, à le présenter après le procès comme une personne à «emmener au supplice». Secundo, si Luc pouvait faire autrement, il lui serait au moins impropre de choisir le verbe evxa,gw. Car dans l’œuvre lucanienne, ce verbe evxa,gw est d’une fonction assez notable. Dans ses 12 occurrences dans le NT, il revient 9 fois dans Luc-Actes. Chez Luc le terme a un arrière-fond vétérotestamentaire: il évoque l’action salvatrice de Dieu qui libère son peuple de la main de Pharaon, il veut dire généralement «faire sortir de, conduire»8. Ceci étant, il est évident que 5 6

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Cf. BDAG, «avpa,gw», 95 et A. BAILLY , «avpa,gw», in Abrégé du Dictionnaire grecfrançais, Hachette, Paris 2002, 85. Cf. R. E. BROWN, La mort du Messie, 1010, note n. 14: «L’accord de Matthieu et de Luc dans l’emploi ici du verbe apagein, à la différence du exagein de Marc, n’est pas significatif. Apagein a été utilisé six fois dans le récit de la Passion pour les déplacements de Jésus et, indépendamment l’un de l’autre, Matthieu et Luc préfèrent demeurer constants dans cet usage plutôt que de suivre Marc en introduisant un nouveau verbe – verbe que Marc emploie à imitation des directives de la Septante à propos de la mort des blasphémateurs: Lv 24, 14; Nb 15, 36». Cf. S. LÉGASSE, Le procès de Jésus, 396-397. Cf. O. MAINVILLE, La Bible au creuset de l’histoire, 135: «Le verbe d’ouverture du récit, conduire, (evxa,gein) est presque exclusivement utilisé par Luc dans le Nouveau

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Luc ne pouvait pas écrire que l’on conduit Jésus. C’est Jésus qui doit conduire naturellement, car evxa,gw, «conduire» est un acte salvifique qui est de l’apanage du divin. Autrement dit, l’emploi de evxa,gw avec comme complément Jésus détruirait toute la christologie que Luc nous a présentée jusque là à travers l’axe cardinal de son écrit Luc-Actes: l’exode de Jésus. Pour conclure ce propos, disons que Luc insiste dès l’introduction de son texte sur son intention de nous montrer Jésus comme il a toujours été pendant que l’on «emmenait au supplice». 1.1.3 Ceux qui emmènent Jésus L’identification du sujet du verbe avph,gagon est problématique et bien discutée. Pour les uns, il s’agirait des chefs religieux juifs et du peuple, «présents à la fin du procès romain9». Pour les autres, ce sont probablement des soldats romains qui emmènent Jésus, «vu qu’aucun évangéliste n’écrit dans l’esprit ouvertement antijuif de l’évangile de Pierre 3, 5c-6, où, explicitement, ce sont les juifs qui emmènent Jésus10». En plus de ces deux positions, une troisième position, intermédiaire, serait envisageable: Il s’agirait de tous ceux qu’impliquait l’application du verdict de la condamnation à mort rendu par Pilate, c’est-à-dire les autorités juives et les hommes de métiers, les soldats romains. Le sujet de avph,gagon est le même que celui du verbe evpe,qhkan et du participe aoriste moyen evpilabo,menoi. Dans tous les cas, la non-identification du sujet pluriel dit la secondarité de son rôle dans le cadre de la marche en question. Que ce soit par rapport à Jésus ou à Simon, ce sujet pluriel fonctionne comme un metteur en scène. Il n’apparaît pas dans le reste du parcours. Son identité paraît moins intéresser Luc que la marche à suivre de Jésus et ses différentes scènes dans lesquelles introduisent les actions indiquées par avph,gagon, evpilabo,menoi et evpe,qhkan.

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Testament: une fois en Mc 15, 20; une fois en Jn 10, 3; une fois en He 8, 9 et neuf fois en Lc/Ac (Lc 24, 50; Ac 5, 19; 7, 36.40; 12, 17; 13, 17; 16, 37.39; 21, 38). On retrouve le même verbe dans la Septante en Ex 32, 1 pour signifier l’intervention de Dieu quand il s’agit de faire sortir le peuple d’Égypte; Luc évoque d’ailleurs cet épisode à trois reprises. C’est aussi dans le sens de ‹faire sortir› que Luc emploie le verbe». J. A. FITZMYER, The Gospel According to Luke (X-XXV): Introduction, Translation, and Notes (Anchor Bible, 28A), Garden City (NY) 1985, 1496. R. E. BROWN , La mort du Messie, 949-952.

La phrase Kai. w‚j avph,gagon auvto,n se révèle donc en réalité comme une introduction spéciale: D’une part, elle attire l’attention sur la poursuite de la volonté mortifère prise contre Jésus (22, 22.66; 23, 25), et, d’autre part, elle situe dans le cadre de la dernière étape de la marche de Jésus dans la voie voulue. 1.1.4 Jésus en marche La machine de mort poursuit sa marche parce que Jésus n’a pas abandonné le chemin pris «depuis la Galilée, où il a commencé, jusqu’ici» (23, 5). Kai. w‚j avph,gagon auvto,n, «pendant qu’ils l’emmenaient au supplice», Jésus marche. Cela est rendu plus visible par la phrase: to.n stauro.n fe,rein o;pisqen tou/ VIhsou/ et le verbe avkolouqe,w (Lc 23, 27). La marche ainsi en cours fait suite au grand cheminement de Jésus. En fait c’est une poursuite: Jésus prit résolument la route de Jérusalem (9, 51)… il se dirigeait sur Jérusalem (9, 53)… Il était en route (10, 38)… Il passait par villes et villages, enseignant et faisant route vers Jérusalem (13, 22)… [Il leur dit]: «Mais il me faut poursuivre ma route aujourd’hui et demain et le jour suivant, car il n’est pas possible qu’un prophète périsse hors de Jérusalem» (13, 33)… De grandes foules faisaient route avec Jésus; il se retourna et leur dit (14, 25)… «Celui qui ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite ne peut pas être mon disciple… Voici que nous montons à Jérusalem et que va s’accomplir tout ce que les prophètes ont écrit au sujet du Fils de l’homme» (14, 27; 18, 31)… Il partait en tête, montant à Jérusalem (19, 11)… Il s’approchait de Jérusalem (19, 28)… Ils amenèrent à Jésus l’ânon, sur lequel ils jetèrent leurs vêtements, et firent monter Jésus (19, 35). Quand il fut en marche, les gens étendirent leurs vêtements sur le chemin (19, 36). Déjà il approchait de la descente du mont des Oliviers, quand tous les disciples en masse, remplis de joie, se mirent à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu’ils avaient vus (19, 37). Ils disaient: «Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur!» (19, 38)11.

Luc nous montre donc un Jésus en continuel mouvement vers Jérusalem. L’itinéraire de Jésus a un sens spécial: il répond à un destin que Jésus veut poursuivre jusqu’à son terme. La voie ou le chemin exprime la carrière de Jésus12. C’est sous ce motif que Luc place toute la mission salvifique de Jésus. La voie que suit Jésus est finalement une réalité

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Le parcours selon l’évangile de Luc. Voir Lc 1, 79: «Il est apparu … afin de guider nos pas sur la route de la paix».

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plus théologique que géographique. A travers les routes de la terre, Jésus marche sur la voie de Dieu. Le vocabulaire de la voie renvoie au plan salvifique de Dieu auquel Jésus entend obéir. La ville de Jérusalem (19, 29-23, 25), autant que les gens de Nazareth dans leur fureur (4, 30), les Samaritains barrant le passage (9, 53) et Hérode dans la menace de mort (13, 33), s’opposa en vain à cette marche salvifique de Jésus13. Le chemin de la croix (23, 26-32) témoigne de la continuation de l’itinéraire de Jésus. Ce trajet est à plus d’un titre riche de sens dans l’ensemble du parcours terrestre. Il signe définitivement la négation par Jésus de toute aspiration personnelle à la fonction de Messie politique. Comme le fait remarquer à juste titre M. L. Soards, Jésus se retrouve ici dans la stricte logique d’attitudes et d’actes précédents14. L’itinéraire de Jésus est jalonné par des prises de position fermes pour l’annonce de la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu et son corollaire qu’est le faire la volonté du Père15. L’option pour le Royaume de Dieu et la fixation de Jésus dans la volonté de Dieu sont marquées dans l’évangile lucanien à travers la ligne qu’y tracent les nombreux Dei/: «Il faut»16. Cet «il faut» n’est pas l’expression d’un déterminisme ou d’une fatalité sur le destin de Jésus. Il signifie surtout la constante cohérence que Jésus s’est imposée entre son dire, son faire et son être17. La fidélité de Jésus et son passage par les souffrances expriment un amour ne pouvant aller que jusqu’à l’extrême. Le «il faut» ne renvoie donc pas à une nécessité hétéronome ou mécanique, mais aux voies voulues par Jésus lui-même en plein accord avec Dieu son Père18. En suivant Jésus dans ses choix, le lecteur verra croître autour de lui l’opposition des autorités religieuses et l’incompréhension de la part de ses proches, des foules et surtout des disciples. A ces deux derniers groupes, qui lui sont les plus proches dans son cheminement, il adresse beaucoup d’instructions19. Il souhaita ardemment que sa marche ter13 14 15 16 17 18 19

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Cf. J.-L. VESCO, Jérusalem et son prophète, 44-45. Cf. M. L. SOARDS, «Tradition, Composition, and Theology in Jesus’ Speech to the ‹Daughters of Jerusalem› (Luke 23, 26-32)», 241-242. Cf. F. BOVON , «Le récit lucanien de la passion de Jésus (22-23)», 405. Voir aussi E. H. MALY, «Women and the Gospel of Luke», in BTB 10 (1980), 101. Lc 4, 43; 17, 25; 22, 37; 24, 7 et 24, 44. Cf. C. H. C OSGROVE, «The Divine DEI in Luke – Acts», in NT 26 (1984), 168-190. Cf. J.-N. ALETTI, Quand Luc raconte, 35-36. Cf. J.-L. VESCO, Jérusalem et son prophète, 43-66.

restre qui se conclura à Jérusalem soit un exemple de vie, un chemin à suivre20. D’où toute l’importance que le Jésus lucanien accordera aux dernières rencontres de sa marche à suivre. Son regard arrivera à capter l’attention de Pierre qui le suivait de loin (22, 54.61).

1.2 Marche à la suite de Jésus, Lc 23, 26b-27 Sur le chemin de la croix, Jésus rencontre des gens qui marcheront à sa suite: Simon de Cyrène portant la croix et une grande multitude de gens du peuple et des femmes qui pleurent. Il est important de noter d’emblée que c’est l’unique fois dans l’évangile où quelqu’un est montré chargé de la croix à la suite de Jésus et où Jésus est suivi par une si triste et grande multitude de gens sur son chemin. 1.2.1 Simon le Cyrénéen, Lc 23, 26b evpilabo,menoi Si,mwna, tina Kurhnai/on evrco,menon avpV avgrou/ evpe,qhkan auvtw/| to.n stauro.n fe,rein o;pisqen tou/ VIhsou/ : ils prirent un certain Simon de Cyrène qui venait de la campagne, et ils le chargèrent de la croix pour la porter derrière Jésus. Ici, le nommé Simon le Cyrénéen fait son entrée sur la scène évangélique. L’historicité de l’intervention de l’homme originaire de Cyrénaïque est incontestable: «Le fait est raconté par tous les trois synoptiques et dans le cadre des événements de la semaine de la Passion dont les récits sont les premiers à être racontés pour avoir été marquants, significatifs et suivis rigoureusement par des apôtres et autres disciples»21. Mais le récit lucanien se distingue des autres par des aspects qui voudraient éclairer l’épisode d’un jour nouveau. Le sondage du paradoxal caractère traditionnel qu’il comporte pourrait révéler des lumières inconnues. 1.2.1.1 Intervention de Simon de Cyrène Le mot qu’utilise Luc pour introduire l’intervention de Simon le Cyrénéen est evpilabo,menoi: participe aoriste moyen, nominatif masculin pluriel de evpilamba,nomai. Marc et Matthieu utilisent avggareu,w, verbe grec emprunté au persan, langue dans laquelle il connotait un engagement 20 21

Cf. R. F. O’TOOLE , Luke’s Presentation of Jesus, 37. R. E. BROWN , La mort du Messie, 1005-1010.

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forcé au service du gouvernement22. Le terme polysémique evpilamba,nomai revient 12 fois sous la plume de Luc23. Ces emplois pourraient être classés en deux catégories. Il y a la catégorie des cas où la personne prise est censée se prêter elle-même à un service: Lc 9, 47: o‚ de. VIhsou/j eivdw.j to.n dialogismo.n th/j kardi,aj auvtw/n( evpilabo,menoj paidi,on e;sthsen auvto. parV e‚autw/| 14, 4:

oi`‚ de. h‚su,casanÅ kai. evpilabo,menoj iva,sato auvto.n kai. avpe,lusenÅ

23, 26:

Kai. w‚j avph,gagon auvto,n( evpilabo,menoi Si,mwna, tina Kurhnai/on evrco,menon avpV avgrou/ evpe,qhkan auvtw/| to.n stauro.n fe,rein o;pisqen tou/ VIhsou/Å

Ac 9, 27: Barnaba/j de. evpilabo,menoj auvto.n h;gagen pro.j tou.j avposto,louj kai. dihgh,sato auvtoi/j pw/j evn th/| o‚dw/| ei=den to.n ku,rion kai. o[ti evla,lhsen auvtw/| kai. pw/j evn Damaskw/| evparrhsia,sato evn tw/| ovno,mati tou/ VIhsou/Å

La deuxième catégorie est constituée des cas où la personne engagée semble y être contrainte, comme en: Lc 20, 20: Kai. parathrh,santej avpe,steilan evgkaqe,touj u‚pokrinome,nouj e‚autou.j dikai,ouj ei=nai( i[na evpila,bwntai auvtou/ lo,gou( w[ste paradou/nai auvto.n th/| avrch/| kai. th/| evxousi,a| tou/ h‚gemo,nojÅ Ac 16, 19: ivdo,ntej de. oi‚ ku,rioi auvth/j o[ti evxh/lqen h‚ evlpi.j th/j evrgasi,aj auvtw/n( evpilabo,menoi to.n Pau/lon kai. to.n Sila/n ei[lkusan eivj th.n avgora.n evpi. tou.j a;rcontaj Ac 17, 19: evpilabo,menoi, te auvtou/ evpi. to.n :Areion pa,gon h;gagon le,gontej\ duna,meqa gnw/nai ti,j h‚ kainh. au[th h‚ u‚po. sou/ laloume,nh didach,È

L’aspect coercitif, violent semble être trop marqué dans certaines traductions (BJ et TOB: réquisitionner). Peut-être que cet excès vient d’une influence de la Vulgate de saint Jérôme, qui emploie ici le verbe apprehendo24. Un autre Père de l’Église, saint Grégoire le Grand, commentant l’épisode, abonde étrangement dans le même sens.25 Pour lui, Si22 23 24 25

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La BJ et la TOB rendent compte de cette connotation en utilisant le verbe réquisitionner (Mc 15, 21; Mt 27, 32). Lc 9, 47; 14, 4; 20, 20.26; 23, 26; Ac 9, 27; 16, 19; 17, 19; 18, 17; 21, 30.33 et 23, 19. Vulgate, Lc 23, 26: «et cum ducerent eum adprehenderunt Simonem quendam Cyrenensem venientem de villa et inposuerunt illi crucem portare post Iesum». Cf. GRÉGOIRE le Grand, Homeliae in Evagelia, CCL 141, 2, 32, 3: «Cela [c’est-àdire la fausseté] est évident dans le comportement de Simon, trouvé le long de la

mon le Cyrénéen est l’image par excellence de l’homme qui agit sans conviction sous la contrainte, mais apparemment le texte de Luc ne semble pas être si ouvert à cette note de la contrainte. Car dans les cas de contrainte, le complément de evpilamba,nomai est toujours au génitif, alors que dans les cas de prestation consentie, son complément est à l’accusatif. Or le texte de Luc a mis le complément à l’accusatif: evpilabo,menoi Si,mwna, tina Kurhnai/on evrco,menon. Dans sa construction, Luc aurait donc le souci d’harmonisation stylistique en même temps que celui d’écarter l’aspect coercitif. Ceci étant, c’est la liberté d’engagement de Simon le Cyrénéen qui est insinuée: il vient partager la souffrance d’un condamné épuisé sur la route du supplice, sans y être tenu ni par une obligation coloniale romaine, ni par la loi religieuse juive, qui s’y opposerait d’ailleurs pour motif de respect du sabbat26. Comme dans la phrase qui relate la compagnie de Barnabas et Saul: Barnaba/j de. evpilabo,menoj auvto.n (Ac 9, 27), le participe evpilabo,menoi traduirait donc plus l’idée de compagnie dans laquelle Simon le Cyrénéen se serait engagé à cause de Jésus, un inconnu souffrant. Simon le Cyrénéen résident à Jérusalem revient des champs. Ce qui signifie apparemment que l’événement spectaculaire Jésus de Nazareth ne l’avait pas encore emballé. Le texte pousse à croire que plus par le spectacle, son engagement, c’est-à-dire sa bonhomie, aura été suscité par la rencontre de l’homme Jésus en personne. Son bénévolat s’oppose à toute indifférence. On s’aperçoit que celui qui revenait des champs a dû changer de préoccupations et braver bien des égards religieux juifs, comme s’il laissait tout pour s’unir à Jésus sur le chemin de la croix. Cette lecture plus positive de l’intervention de Simon le Cyrénéen trouve son fondement et sa justification dans le fait même de la reconnaissante et glorieuse mémoire que la tradition apostolique gardera de lui en général27.

26 27

voie et contraint à porté la croix du Christ. On porte les poids d’autrui uniquement par contrainte quand on accomplit des choses sous le stimulus de la vanité. Simon représente donc qui si non les pénitents par orgueil? Ceux-ci frappent le corps par l’abstinence, mais n’en cherchent pas le fruit par l’esprit. Ainsi Simon porta la croix du Christ parce que contraint, comme le pécheur qui accomplie des gestes de justice sans en tirer le fruit par l’esprit. Simon, en plus, porta la croix mais ne meurt pas, de même les pénitents par orgueil imposent certainement abstinence au corps mais vivent selon le monde à cause de leur désir de gloire». Cf. R. E. BROWN, La mort du Messie, 1006-1007. Marc note que Simon de Cyrène est «le père d’Alexandre et de Rufus» en 15, 21.

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1.2.1.2 Port de la croix La participation de Simon le Cyrénéen à la compagnie du chemin de la croix n’est pas passive. Sa marche sera une présence réelle à Jésus: evpe,qhkan auvtw/| to.n stauro.n fe,rein o;pisqen tou/ VIhsou/: «ils le chargèrent de la croix pour la porter derrière Jésus». (La présente traduction peut être qualifiée de littérale). La phrase est composée de deux propositions. La principale evpe,qhkan auvtw/| to.n stauro.n, avec le verbe evpiti,qhmi, indicatif aoriste active, à la troisième personne du pluriel. La subordonnée fe,rein o;pisqen tou/ VIhsou/, avec le verbe fe,rein, infinitif présent. Cette dernière est une proposition finale avec une subordination forte par rapport à la principale. La forte connexion de la subordonnée à la principale est marquée par l’absence de la conjonction de subordination finale i[na, «afin que, pour que»28. Si tel est le cas, la phrase fe,rein o;pisqen tou/ VIhsou/ est donc plutôt à voir comme une intention, un but visé par «ceux qui emmènent au supplice Jésus». La disposition syntaxique qui vient d’être découverte a des implications dans la formulation de la chose exégétique intitulée Simon de Cyrène. La lecture des singularités du texte lucanien par rapport aux autres évangiles a été faite en général sur la base de deux présupposés: un parénétique et l’autre apologétique. Ce qui revient à dire que les marques distinctives de Lc 23, 26 sont plutôt «artificielles, créées pour»29. Mais paradoxalement, le texte en lui-même voudrait transmettre des éléments historiques, être plus ancré dans l’événement Jésus. 1.2.1.2.1 Simon de Cyrène, une illustration L’épisode de Simon le Cyrénéen (Lc 23, 26) a été vu comme une illustration des enseignements du Maître sur les conditions de la sequela, la discipline. Le port de la croix vient sous la plume de Luc comme la condition pour suivre Jésus et être disciple30. Il unit le disciple au Maî28 29

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Cf. Bl-De, § 390, 2, 467. Cf. I. H. MARSHALL, The Gospel of Luke: A Commentary on the Greek Text, 863: «An allusion to Jesus saying about disciples bearing the cross (9:23, 14:27), of which Simon provides a literal example, is probably present, but it is remarkable that Luke has altered the wording from ai;rw (9:23 par. Mk. 8:34; so Mk. 15:20) to fe,rw, and uses o;pisqen diff. ovpi,sw (9:23; 14:27). Nothing more than literary variation may be at work». Cf. F. BOVON, «Le récit lucanien de la passion de Jésus (22-23)», 403.

tre. Ceci prouve combien ce sujet est cher à Luc. Toutefois certaines questions se posent, quant au rapport entre cet enseignement et l’épisode de Simon de Cyrène. L’épisode de Simon le Cyrénéen tel que Luc nous le rapporte est-il concevable comme une illustration de l’enseignement disciplinaire du Maître sur le port de la croix? Jusqu’où l’enseignement et l’épisode concordent? 1.2.1.2.1.1 Discordances entre les textes Deux fois dans son évangile, Luc a déjà rapporté les consignes de Jésus sur le port de la croix (9, 23; 14, 26-27). La croix constitue l’élément d’identification entre Maître et disciple. Le disciple ne porte pas la croix du Maître, mais sa propre croix: to.n stauro.n auvtou/ (9, 23), to.n stauro.n e‚autou/ (14, 26). En Mc et Mt, Simon le Cyrénéen doit porter la croix de Jésus: i[na a;rh| to.n stauro.n auvtou/ (Mc 15, 21; Mt 27, 32). En Luc cette spécification ne figure pas; il omet le pronom personnel auvtou/ se rapportant à Jésus et du coup il laisserait lire une sorte d’appropriation de la croix par Simon le Cyrénéen, conformément au to.n stauro.n e‚autou/ de l’enseignement. Mais la syntaxe évoquée ci-dessus ne corrobore pas cette lecture. La croix en question est celle du supplice du condamné qui est en route pour l’exécution, un condamné qui n’est autre personne que Jésus. Voilà le premier problème du rapport entre l’enseignement et le récit: Simon de Cyrène porte la croix d’autrui, ne porte pas to.n stauro.n e‚autou/ / auvtou/. Le second problème: ce n’est pas lui qui se saisit (basta,zein, ai;rein, «prendre; prendre à terre») de la croix comme le voudrait l’enseignement, mais «ils l’ont mise sur lui». Le troisième problème est d’ordre terminologique: la proximité entre Jésus et sa suite est exprimée en des termes bien différents. L’expression o;pisqen tou VIhsou/: «derrière Jésus, à la suite de Jésus» est de charge spatiale. Luc est le seul des synoptiques à marquer la marche de Simon le Cyrénéen à la suite de Jésus. Cependant contrairement à son usage habituel de ovpi,sw mou (9, 23; 14, 26), il emploie ici en 23, 26 l’adverbe o;pisqen pour s’exprimer sur la suite. Ce terme qui n’apparaît que deux fois chez Luc se voit, pour la première fois, en 8, 44: proselqou/sa o;pisqen h[yato tou/ kraspe,dou tou/ i‚mati,ou auvtou/. L’adverbe o;pisqen: «derrière» traduirait donc non seulement une idée de localisation, mais aussi une idée de proximité. Par conséquent, Simon le Cyrénéen suit les pas de Jésus ‹de près›. Sa position s’oppose absolument 91

à celle de Pierre, le dernier résistant des Douze, qui suit makro,qen: «de loin»: o‚ de. Pe,troj hvkolou,qei makro,qen (22, 54). On verrait donc chez Luc une intention de redresser à travers cet inconnu Simon de Cyrène l’image du vrai disciple de Jésus. L’emploi du mot de mathètès (disciple) cesse chez Luc avec la fin de la scène de Gethsémani (Lc 22, 45) en ce qui concerne les disciples masculins de Jésus. Depuis ce moment il les appelle «ceux qui étaient autour de lui» (22, 49), peut-être aussi «toutes ses connaissances» (23, 49, si au moins il restait un disciple masculin parmi les femmes!), «les Onze et tous les autres» (24, 9), «deux d’entre eux» (24, 13) et «les Onze et ceux qui étaient avec eux» 24, 33). Ce phénomène est propre à Luc, puisque Mc et Mt emploient le mot mathètès jusqu’à la fin du récit (Mc 16, 7; Mt 26, -56; 27, 64; 28, 7.8.13.16). La meilleure explication de ce fait est que Luc considère que les Douze ont rompu la relation spécifique de disciple qui les unissait à Jésus au moment de leur fuite lamentable lors de l’arrestation de Jésus…31.

Combler ce vide laissé par les apôtres et proposer une image du vrai disciple seraient les raisons fondamentales des singularités du texte lucanien32. Mais cette solution bute sur l’absence de la formulation traditionnelle ovpi,sw mou [tou/ VIhsou/], «derrière moi [Jésus]». Pourquoi Luc, qui connaît si bien cette expression traditionnelle et qui est un grand chantre de la sequela, ne l’a pas utilisée en ce propos si stratégique? Or on ne saurait dire que les deux expressions sont identiques. L’expression ovpi,sw mou [tou/ VIhsou/], «derrière moi [Jésus]» comporte la notion de relation Maître-disciple. Alors que o;pisqen tou/ VIhsou/: «derrière Jésus, à la suite de Jésus» tend au contraire à exprimer la succession, la postériorité par rapport à un devancier. D’où quelques difficultés dans la conception du rapport entre l’enseignement et l’épisode de Simon de Cyrène. 1.2.1.2.1.2 Langage-enseignement de la croix et Simon de Cyrène Le lien des deux entités (épisode de Simon de Cyrène et l’enseignement) au symbole par excellence de la christianité qu’est o`‚ stauro,j, «la croix» peut conduire à prendre l’enseignement comme une déduction du récit. En effet, l’appel à «porter la croix à la suite du Maître» est souvent conçu comme un élément spécifiquement postpascal:

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J.-M. van CANGH, «La femme dans l’évangile de Luc», in RTL 24 (1993), 312. Cf. F. BOVON , «Le récit lucanien de la passion de Jésus (22-23)», 405.

Voilà une parole qui n’a certainement pas pu être prononcée avant la mort et la résurrection de Jésus, puisque la croix ne devient symbole chrétien que dans la période postpascale. Comment d’ailleurs Jésus aurait-il pu recourir à une telle métaphore pour inviter les disciples à le suivre, alors que la croix était portée par le criminel allant à son exécution?… Bref, c’est au milieu d’une expérience pénible que l’Esprit de Jésus ressuscité prononce, par l’intermédiaire des membres de la communauté chrétienne, cette parole de vérité. Mais elle fait partie de la prédication avant d’être inscrite dans un évangile; elle a été tradition orale avant d’être tradition écrite33.

Cette affirmation, malgré sa beauté, est bien critiquable pour deux raisons majeures. 1) Le manque d’harmonies entre les deux entités textuelles (l’épisode et l’enseignement) prouve la distinction des genres. 2) La liaison unilatérale de l’importance de la croix à la période postpascale est également bien discutable. Jésus n’a pas été le premier à être pendu et cet instrument du supplice servait déjà probablement dans son milieu comme moyen d’expression typique du martyre à subir et du consentement au sacrifice personnel34. C’est pourquoi on peut supposer l’usage du langage de la croix par Jésus lui-même dans la période prépascale et, partant, prendre en considération cette proposition de C. A. Evans: L’appel-ordre de Jésus à ses disciples pour «prendre la croix» et le suivre (Mc 8, 34) prête son soutien général, au moins, à la probabilité que Jésus ait eu à considérer la possibilité du martyre. À mon avis, cet appel-ordre était probablement rhétorique et probablement créé à la suite du martyre de Jean… À la lumière de l’évidence dans les évangiles eux-mêmes ainsi que dans les vues religieuses et culturelles de l’antiquité juive tardive, il n’y a vraiment aucune bonne raison de ne pas accepter comme authentique un noyau essentiel sous-tendant les prédictions de la Passion. Bien sûr, on peut se demander: à quel stade de la vie de Jésus il a commencé à parler de sa mort (?). Son défi à ses disciples à «prendre la croix» peut avoir été prononcé au début de son ministère, pendant [qu’il était] encore en Galilée. La rhétorique d’un tel appel-ordre peut avoir été destinée à souligner les dangers et les difficultés à venir; pas nécessairement la certitude de la mort de Jésus, ou de la mort d’un de ses disciples35.

Le langage de la croix peut donc avoir eu bien d’autres fondements historiques, qui paraissent même plus solides que l’épisode du Cyrénéen. 33 34 35

O. MAINVILLE , «Les synoptiques et les Actes des Apôtres», 150. Cf. O. GONZÀLEZ DE CARDEDAL, Cristologia, 120. C. A. EVANS, «Did Jesus Predict his Death and Resurrection», 87.

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Compte tenu de ces données: l’enracinement probable du langage et de l’enseignement de la croix dans le ministère de Jésus et les particularités distinctives de l’épisode du Cyrénéen, il est mieux de tenir à l’indépendance de notre texte. Dans tous les cas, il semble évident que si l’intention de Luc était l’illustration de l’enseignement, en sa qualité d’écrivain talentueux, il aurait mieux réussi. L’évangéliste nous raconte en 23, 26 que ce sont les adversaires de Jésus qui ont mis la croix sur Simon de Cyrène afin qu’il la «porte derrière» Jésus. Le texte ne porte pas apparemment sur la pédagogie, mais tend à retracer des faits. Les propos particuliers de Luc dans ce verset ne sont pas minimes, ce ne sont pas des «vernis littéraires». Il s’agit là de vrais actes qui constituent «un plus» précis par rapport aux autres récits évangéliques. Si Luc a pu relater ainsi d’autres actes, c’est que certainement il s’appuyait sur une autorité ecclésiale confirmée: les récits de la passion furent l’objet d’une rigoureuse censure par la tradition36. On verrait donc Luc tentant dans cet épisode de rendre raison à d’autres échos relatifs aux faits. En effet, l’épisode de Simon est rendu essentiellement en rythme «journalistique, événementiel, factuel». On sent un suivisme chez le narrateur transmettant ce que l’histoire a reçu des événements. Par contre, les insistances de l’enseignement ne sont pas si identifiables dans le récit. 1.2.1.2.2 Correctif aux tendances gnostiques L’épisode de Simon de Cyrène en Luc met en relief le personnage Jésus. C’est lui qui est «emmené au supplice». Simon de Cyrène intervient dans le transport du bois du supplice, en suivant Jésus lui-même. L’épisode bien que portant le nom de Simon de Cyrène se présente profondément christocentrique. Ce bilan a poussé à la réflexion que Luc monta «ce plus lucanien» comme un correctif à des tendances gnostiques qui niaient la souffrance de Jésus. Comme celles-ci affirment que Simon de Cyrène a souffert à la place de Jésus, Luc aurait composé l’épisode à dessein de manière à montrer Jésus au devant de la scène du chemin de la croix et à combattre ainsi toute autre version.

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Cf. E. AUERBACH, Mimésis, 23.

Cette conception est soutenue particulièrement par B. Shellard qui parle de «rétablissement de Simon de Cyrène37». Pourtant la réflexion tenue ne paraît pas pertinente. Selon toute vraisemblance, «les adeptes de la voie du Seigneur» virent dans la croix un élément cardinal de la foi naissante. La foi s’est enracinée dans la croix. Le Christ ressuscité est le Jésus qui a été crucifié. Cela est d’autant plus vrai que la croix se révèle comme la clé de toute la théologie christologique de Paul: Paul fait l’impasse sur toutes les traditions qui évoquent la vie et l’action de Jésus. Un seul événement focalise son attention: la mort de Jésus en croix et sa résurrection… En opérant ce choix théologique, Paul ne fait pas œuvre originale. Il s’inscrit dans la tradition de son Église… L’Évangile tel que Paul l’a appris à Antioche consiste dans la proclamation de la mort et de la résurrection du christ comme étant l’événement du salut. En centrant la foi christologique sur la croix et la Pâques, le Tarsiote ne fait donc que transmettre et actualiser la conviction commune à une famille importante du christianisme primitif et qu’il est convenu d’appeler le «courant kérygmatique». Le point d’ancrage de la théologie paulienne ne consiste donc pas en premier lieu dans une expérience extatique, mais dans la réception de la foi ecclésiale telle qu’elle est confessée à Antioche sur l’Oronte dans les années 30 et 40. Une décision théologique est ainsi tombée: la foi nouvelle s’exprime et se construit à partir de la croix; c’est là son point d’ancrage exclusif 38.

La centralité de la croix dans la vie et dans la mission de Paul et de l’Église primitive est sans conteste. Et l’interférence théologique et pastorale entre Luc et Paul est désormais une donnée incontestable dans l’exégèse39. L’évangile de Luc est de la deuxième moitié du 1er siècle 37

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Cf. B. SHELLARD, New Light on Luke, 284-385: «Elsewhere, too, Luke may be regarded as correcting ideas which were developed by later heretics. We know by Irenaeus that Bisilides, who was maybe an influence on Valentinus during his education in Alexandria, omitted all mention Christ’s suffering and death in his teaching; Simon of Cyrene, not Jesus, was crucified, and therefore confessing Christ was unnecessary, since he did not really die and his followers were already saved. Luke’s crucifixion account, like John’s, does not dwell on the suffering, but although he reinstates Simon of Cyrene (who is missing from John’s version) he is careful to stress (cfr. Lk 23.26 / Mk 15.21) that Simon, who carries Jesus’cross, follows behind Jesus. It would not be possible to claim that he and not Jesus was crucified and Jesus somehow escaped; the journey to the cross is witnesssed by the following crowd (Lk 23, 27), who are peculiar to his Gospel. Furthermore, he emphasizes through the experiences of Stephen, James, Peter, and Paul that being a Christian by no means exempts one from the need to suffer for Christ». J. ZUMSTEIN , «Paul et la théologie de la Croix», in ETR 76 (2001), 483-484. Cf. M. C. PARSONS, Luke: Storyteller, Interpreter, Evangelist, 112-145.

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de notre ère. Il est principalement témoin de cette Église qui prend forme au creuset de la croix du Maître40. Les témoins oculaires de la passion sont encore vivants. Le phénomène de la négation de l’historicité des faits de la croix et de la mort de Jésus de Nazareth n’est compréhensible qu’avec la disparition de la génération contemporaine. L’historicité de la crucifixion de Jésus était alors d’une véracité insoupçonnable. L’Église naissante n’affrontait pas encore l’hérésie gnostique jusqu’à devoir en marquer un écrit orthodoxe comme un évangile. Le problème des évangélistes n’était pas de se battre contre ceux qui nieraient la réalité de la croix, car la croix était de l’ordre de l’évidence. Mais la préoccupation fondamentale était de prouver la crédibilité de Jésus à travers sa croix. De telle sorte que parler de correctif de la gnose comme justification des singularités de Lc 23, 26 ne peut pas convaincre: l’affirmation est fautive d’un anachronisme. Au temps de Luc, la gnose, la négation de la croix ne pouvait pas encore être une inquiétude doctrinale. 1.2.1.2.3 Une nouvelle piste exégétique Les deux premières explications de l’épisode de Simon de Cyrène laissant à désirer, actuellement l’exégèse retourne à s’attaquer rigoureusement à la lettre du texte lucanien. La présente tendance sous-entend l’acceptation d’une historicité dans le récit chez Luc. Elle s’attelle à la lecture des modalités de l’intervention de Simon de Cyrène auprès de Jésus. Le récent travail de V. Polidori: «L’episodio di Simone di Cirene in Lc 23. Un nuovo orientamento esegetico» est de cette lancée41. Des points saillants retiennent l’attention dans cet article concis. L’auteur relève la discordance entre les synoptiques et saint Jean, ce dernier ne faisant aucune référence à Simon de Cyrène: 40

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C’est pourquoi surprendrait à propos de Lc 23, 36 la vue de F. BOVON, «Le Récit lucanien de la Passion de Jésus (22-23)», 402: «L’objet par excellence de la passion, c’est évidemment la croix. Suggérée dès le cri des chefs de la foule (‹crucifie! crucifie-le!›), elle est mentionnée au début du chemin de la croix (23, 26). Curieusement elle est alors associée à Simon qui la porte, alors que Jésus n’en aura jamais la charge. C’est elle qui portera Jésus (23, 33)». V. POLIDORI, «L’episodio di Simone di Cirene in Lc 23. Un nuovo orientamento esegetico», in Bibbia e Oriente 49 (2007), 57-63. Le point de vue soutenu par l’auteur est pourtant une idée de longue date (cf. A. PLUMMER, A Critical and Exegetical Commentary on the Gospel According to S. Luke (The International Critical Commentary) T. & T. Clark, Edinburgh 51922, 528).

Mt 27, 32: Comme ils sortaient, ils trouvèrent un homme de Cyrène, nommé Simon; ils le requirent pour porter la croix de Jésus. Mc 15, 21: Ils réquisitionnent pour porter sa croix un passant, qui venait de la campagne, Simon de Cyrène, le père d’Alexandre et de Rufus. Lc 23, 26: Comme ils l’emmenaient, ils prirent un certain Simon de Cyrène qui venait de la campagne, et ils le chargèrent de la croix pour la porter derrière Jésus. Jn 19, 17: Portant lui-même sa croix, Jésus sortit et gagna le lieu dit du Crâne, qu’en hébreu on nomme Golgotha.

À lire les évangiles, on se demande qui, entre Jésus et Simon de Cyrène, a pris réellement la croix. L’objet indiqué par le terme croix ici est ce qui est appelé le patibulum, c’est-à-dire la traverse horizontale de notre actuelle représentation. Le patibulum serait attaché sur les épaules de Jésus qui l’a porté seul du prétoire jusqu’aux portes de la Cité. L’intervention de Simon ayant été de peu dans le parcours, aussi saint Jean s’en serait passé. V. Polidori propose une conception différente de ce que l’exégèse a maintenu traditionnellement. Sa proposition se base sur la spécification du contenu de certains termes42. Il privilégie le sens spécifique de fe,rein : «soutenir» et traduit o;pisqen par l’expression italienne «da tergo», «en tandem» en français43. Ce faisant, il aboutira à cette nouvelle traduction: Lc 23, 26: Comme ils l’emmenaient, ils prirent un certain Simon de Cyrène qui venait de la campagne, et ils le chargèrent de soutenir en tandem le patibulum à Jésus.

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V. POLIDORI, «L’episodio di Simone di Cirene in Lc 23. Un nuovo orientamento esegetico», 62: «Nel testo greco evpe,qhkan, forma composta de ti,qhmi, vuol dire ‹impore›. La CEI ha tradotto la croce come oggetto dell’imposition (misero adosso la croce), ma il verbo fe,rein (porter all’infinito, implica la possibiltà che la frase sia resa come un’infinito. D’altro canto o;pisqen, tradotto come ‹dietro a›, puo essere altresì reso ‹da tergo›, mentre fe,rein può avere la più precisa sfumatura de ‹sostenere›». Cf. Le Petit Larousse Illustré, Larousse, Paris 1002005, 1034: «Tandem [tændåm] (mot angl., du lat. tandem, à la longue). 1. Bicyclette conçue pour être actionnée par deux personnes placées l’une derrière l’autre. 2. Fig. Association de deux groupes travaillant à une œuvre commune. 3. Anc. Cabriolet découvert, attelé par deux chevaux».

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Ou suivant la syntaxe traditionnelle: Lc 23, 26: Comme ils l’emmenaient, ils prirent un certain Simon de Cyrène qui venait de la campagne, et ils le chargèrent du patibulum afin qu’il le soutienne en tandem à Jésus.

La proposition de V. Polidori est assez solide. Ce qui la défavoriserait, selon lui-même, est le manque de la moindre référence aux cordes qui auraient servi pour attacher le patibulum. Dans l’histoire du christianisme, personne n’en parle, même pas dans les apocryphes44. Sa force est, par contre, son caractère strictement exégétique. L’argumentation présentée s’appuie sur le texte dans ses mots: fe,rein: «soutenir» et o;pisqen: «en tandem». La culture littéraire de Luc, l’importance de l’histoire chez lui et la variété de la documentation qu’il a collectée disent long sur la force de la lexicologie choisie et de la syntaxe adoptée dans ses écrits. Il utilise la vérité de l’histoire dans sa théologie. Il s’exprime avec précision. Il voudrait être le plus clair possible sur l’intervention de Simon de Cyrène. La syntaxe de la phrase evpe,qhkan auvtw/| to.n stauro.n fe,rein o;pisqen tou/ VIhsou/ en deux propositions est révélatrice du souci de Luc. La proposition subordonnée avec l’infinitif final n’assumet-elle pas finalement une fonction épexégétique, explicative? Ce qui prouverait que le fait d’avoir mis le patibulum sur Simon de Cyrène le situait conséquemment par rapport à Jésus. En effet, la proposition fe,rein o;pisqen tou/ VIhsou/ rendrait compte d’une conséquence. Dans cette logique, V. Polidori a parfaitement raison de suggérer la nuance qu’est «soutenir» comme sens de fe,rein dans le cas précis. Car si le verbe fe,rein ne rendrait que le sens de base de porter, la proposition perdrait sa raison d’être, vu que evpiti,qhmi, «mettre sur, poser sur» conjugué à l’indicatif aoriste actif implique déjà le

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Cf. V. POLIDORI, «L’episodio di Simone di Cirene in Lc 23. Un nuovo orientamento esegetico», 63: «C’è tuttavia un argumentum contra questa ricostruzione. La postulata esistenza delle corde che avrebbero vincolato Gésu al patibulum non trova riscontro nella generale tendanza del cristianesimo primitivo, veicolata precipuamente dalla letteratura apocrifa, di dare risalto e importanza a ogni minuto dettaglio della passione del Signore. In oltre parole, quell’attenzione tipica di un certo genere letterario, rivolta ora al velo della Veronica, ora alla Sindone, ora al titulus, ora alla croce, non la troviamo invece per le corde, e ciò è senza dubbio un elemento da considerare con serietà, anche se non la si può ritenere definitivo».

fait de faire porter le patibulum à Simon de Cyrène. On se demanderait alors pourquoi le grammairien Luc se serait permis une telle tautologie, une telle inutile répétition, un tel pléonasme? La question serait bien pertinente, puisque le camp adverse ne présente apparemment aucun intérêt particulier qui exigerait que Simon de Cyrène soit rangé derrière Jésus. À la fin de cette révision de la lecture exégétique de l’épisode de Simon de Cyrène, quelques aspects du débat s’éclaircissent davantage. Il est à tenir que Luc ne peut pas ne pas avoir l’appui de l’autorité ecclésiale dans sa présentation particulière de l’épisode, vu que la particularité en question est de nature constative. Certes, l’acte de Simon de Cyrène est une source d’inspiration plus que riche sur l’être chrétien. Mais le récit qui le retrace n’est pas un montage illustratif. Il est plus proche de ce que les témoins oculaires et la tradition apostolique auront transmis du déroulement des faits de la mort de Jésus de Nazareth. Il est tout à fait possible que Jésus ait parcouru la première partie du parcours lié au patibulum, conformément à [ce que raconte] Jn, et ait été aidé en un second moment par Simon de Cyrène, lequel en aurait soutenu le poids o;pisqen, en tandem, aidant Jésus à maintenir l’équilibre jusqu’au Golgotha, conformément aux [autres récits évangéliques] synoptiques45.

Cette conception de l’intervention de Simon de Cyrène auprès de Jésus rejoint quelque part la vision des Pères de l’Église. a) Chez Origène (185-252/254), on s’aperçoit que l’explication de la présence de Simon de Cyrène dans la passion fut dès les premiers Pères de l’Église un sérieux problème: comment situer Simon de Cyrène dans le port de la croix auprès de Jésus le martyr à qui elle appartient? Une solution intermédiaire (plutôt au sens spirituelle?) était alors trouvée. Il s’agit de la notion des deux conceptions de la croix: une que Simon porta et une qui est propre à Jésus46. b) Mais selon Ambroise de Milan (340-397), la croix est et demeure un trophée que Jésus a élevé en Vainqueur et l’a passé ensuite aux martyrs. À son avis, peu importe la dissension des évangélistes sur l’intervention de Simon de Cyrène. Car la croix revient

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Ibidem, 63. Cf. ORIGÈNE , Commentarii in Matthaeum, 12, 24.

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toujours comme l’apanage de Jésus47. Le rôle de Simon de Cyrène est bien secondaire48. 1.2.2 Foule avec des femmes en pleurs, Lc 23, 27 VHkolou,qei de. auvtw/| polu. plh/qoj tou/ laou/ kai. gunaikw/n ai] evko,ptonto kai. evqrh,noun auvto,n: Il était suivi d’une grande multitude du peuple, entre autres de femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui. Simon le Cyrénéen n’est pas le seul à suivre Jésus sur le chemin de la croix: Une grande multitude de gens du peuple et des femmes pleurant sont présentes. La présence d’un tel nombre de gens rappelle spontanément l’entrée messianique de Jésus à Jérusalem (19, 28-40). Mais la sortie de Jésus de Jérusalem est en contraste avec cette scène de son entrée: «Jésus entre à Jérusalem… au milieu des réjouissances d’une multitude de disciples chantant les louanges du Seigneur; il est maintenant emmené hors de la ville, suivi par une grande multitude de gens avec des femmes qui pleurent sa mort49». Luc est le seul évangéliste témoin de cette participation de la foule et des femmes à la marche de Jésus à sa sortie de Jérusalem lors de sa Passion. Quand Luc en fait mention ici reproduit-il l’histoire ou fait-il usage simplement d’un motif littéraire? Dire plus que les autres évangiles ne signifie pas toujours faire de l’invention, présenter une fiction. L’impact de l’événement Jésus de Nazareth n’est plus à prouver. Les trois verbes utilisés par Luc pour reporter cette présence sont tous conjugués à indicatif imparfait: VHkolou,qei, «suivait»; evko,ptonto, «se frappaient la poitrine» et evqrh,noun, «se lamentaient». Cette conjugaison signale que ces actions sont en cours depuis longtemps. Certainement bien avant l’arrivée casuelle de Simon de Cyrène. 47

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Cf. Selon AMBROISE de Milan, Expositio Euangelii secundum Lucam, CSEL 32, 10, 107: «que ce soit Simon ou Jésus qui la [croix] porte, le Christ l’a portée en l’Homme et l’homme l’a portée dans le Christ». Cf. GRÉGOIRE le Grand, Xl Homeliae in Evangelia, CCL 141, 2, 32, 3. Dans le même sens d’une certaine sous-estimation de l’intervention de Simon Cyrène, l’auteur ne voit en ce nouveau venu qu’un homme contraint de porté la croix: Simon de Cyrène n’y a pas mis son cœur, dit le Père de l’Église. Aussi en lui se voit surtout la fausse piété, il est le symbole du compatissant sans pitié et de l’orgueilleux pénitent. R. E. BROWN, La mort du Messie, 1013.

Voilà ce que dirait le texte de par sa grammaire. Là encore nous nous trouvons devant un plus lucanien qui se veut être accordé parfaitement à un aspect historique de la passion-mort de Jésus de Nazareth: la popularité, un aspect concret, réel. Pourtant, malgré le sens de la réalité historique, on rencontre encore dans la littérature exégétique des œuvres qui sous-tendraient la position de R. Bultmann, c’est-à-dire voir la présence de la foule avec ces femmes qui pleurent comme une fiction: «Il faut certainement admettre qu’il est difficile d’établir l’historicité de ce récit de Luc [Lc 23, 27-31], dont beaucoup de traits sont lucaniens et où reflètent des motifs de l’Ancien Testament», dit, par exemple, L. Sabourin50. La force de cette position bultmannienne semble être surtout le fait de la correspondance entre la description littéraire que Luc fait de la présence de la foule avec des femmes pleurant et des textes vétérotestamentaires. Or ce fait tiendrait aux aptitudes littéraires lucaniennes: Luc a le génie de faire lire le passé dans la réalité présente. Il parle du présent de manière à ce qu’il manifeste la récapitulation du passé qui s’y opère. L’interférence entre l’AT et le NT sous la plume de Luc n’est donc pas toujours le résultat d’une plate application midrashique51. C’est pourquoi dans le cas présent, contrairement à la position bultmannienne, il ne serait pas hasardeux d’opter pour l’affirmation de la plausibilité historique52. Une attention plus stricte à l’écrit éclaircira davantage l’option. 50 51

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L. SABOURIN, L’évangile de Luc, 364. C’est que l’on voit par exemple dans le cas de Lc 7, 36-50. T. L. BRODIE , «Luke 7, 36-50 as an Internalization of 2 Kings 4,1-37: A Study in Luke’s Use of Rhetorical Imitation», 485, affirme dans son sommaire: «Le récit lucanien du pardon de la pécheresse (7, 36-50) s’inspire largement, bien que non exclusivement, du texte sur les deux femmes en 2 R 4, 1-47, celle qui fut libéré de grande dette (v. 1-7) et la Shunamite, qui reçut le don énorme de la vie (8-37). Luc christianise le texte de l’A. T. et le transforme, de sorte qu’il est nettement centré sur qui est intérieur. Ce qui rend d’abord plausible pareille dépendance: 1) Lc 7, 36-50 ne semble pas dépendre de Marc; 2) probablement, Luc, écrivain helléniste, utilisait le procédé rhétorique qui consiste à imiter ou adapter des textes existants, spécialement des textes anciens; 3) il y a des affinités entre Luc et la LXX, en particulier avec les récits sur Élie et Élisée». Mais, retenons le bien, l’usage d’un procédé littéraire, en l’occurrence la rhétorique, ne conduit pas automatiquement à la réduction du continu du texte à une simple donnée parabolique. Malgré le fait de l’intertextualité, le récit de la pécheresse tient à l’historicité (cf. D. L. BOCK, Luke, vol. 1: 1:1 – 9:50 (BECNT, 3A), Baker Academic, Grand Rapids, MI 1994, 52004 689-709). Cf. D. L. BOCK , Luke, vol. 2, 1845.

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1.2.2.1 Foule à la suite de Jésus La foule évoquée en 23, 27 forme une polu. plh/qoj tou/ laou/, «grande multitude de gens du peuple». L’expression plh/qoj tou/ laou/, «une multitude de gens du peuple» est du propre génie de Luc. L’emploi de l’adjectif polu,j, «grand» relève de son penchant pour l’exagération rhétorique53. Cela dit, la question du «factuel» demeure. 1.2.2.1.1 Preuve d’un antécédent D. L. Bock est en quelque sorte ouvert au lien entre la mention de la présence de la foule avec les femmes et les données de l’histoire. Selon lui, la dite présence serait plutôt due à l’effet attractif du drame en cours, circonstancielle54. Mais il est important également de remarquer que la présence à Jésus de la «grande multitude de gens du peuple» sur le chemin de la croix ne tient pas moins à un passé, un antécédent fait de sa rencontre avec les foules «depuis la Galilée, où il a commencé, jusqu’ici»: «De grandes foules faisaient route avec Jésus» en marche vers Jérusalem (Lc 14, 25)55. Jésus n’aura rien perdu de sa popularité, il est toujours suivi par les foules de près ou de loin56. À travers cette nombreuse présence des gens ordinaires, c’est la popularité de Jésus qui est mise en relief. Dans son ministère, de la Galilée en Judée, le Jésus lucanien ne manqua pas de rencontres avec les multitudes. 1.2.2.1.2 Verbe suivre Luc est très sensible au maniement des mots de la sequela, il les utilise avec précision. Il le démontre dans ses descriptions des acteurs dans les deux scènes consécutives: le chemin de la croix et la crucifixion-mort

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Ibidem. Voir aussi: Lc 1, 10; 2, 13; 6, 17; 8, 37; 19, 37; 23, 1. 27; Ac 2, 6; 5, 16; 14, 4; 15, 12; 17, 4; 21, 36; 23, 7; 25, 24. Cf. Ibidem, 1843-1844. On le constate dès le début de sa mission, après le choix et l’institution des Douze: «Descendant avec eux, il s’arrêta sur un endroit plat avec une grande foule de ses disciples et une grande multitude du peuple de toute la Judée, de Jérusalem et du littoral de Tyr et de Sidon; ils étaient venus pour l’entendre et se faire guérir de leurs maladies (Lc 6, 17-18)». Pour le rapport et l’attachement des foules à Jésus voir: J. H. NEYREY, «Jesus’ Address to the Woman of Jerusalem (Lk. 23, 27-31). A Prophetic Judgment Oracle», 75-76.

(23, 26-49). Il utilisera deux verbes apparentés pour traduire deux niveaux de rapport: 23, 26: VHkolou,qei de. auvtw/| polu. plh/qoj tou/ laou/ kai. gunaikw/n 23, 49: Ei‚sth,keisan de. pa,ntej oi‚ gnwstoi. auvtw/| avpo. makro,qen kai. gunai/kej ai‚ sunakolouqou/sai auvtw/| avpo. th/j Galilai,aj o‚rw/sai tau/taÅ

Les verbes avkolouqe,w, «suivre» et sunakolouqe,w, «accompagner» sont différents. La foule de gens qui suivait Jésus sur le chemin de croix est différente du groupe des connaisseurs, des Douze et des femmes qui l’accompagnaient depuis la Galilée. L’expression VHkolou,qei de. auvtw/| par laquelle est dite cette participation mérite attention. Luc a pris le soin d’insister sur le fait que la grande multitude suivait quelqu’un, Jésus en personne: VHkolou,qei de. auvtw/|. Simon le Cyrénéen, la foule et les femmes sont tous à la suite du même Jésus. Celui-ci se retrouve en tête, en avant de la marche comme depuis le jour où il prit résolument le chemin en direction de Jérusalem (Lc 9, 51; 19, 28). Ce qui fait dire que c’est la personne de Jésus qui motive les foules avec ces femmes en pleurs. Le nombre des occurrences du verbe avkolouqe,w permet d’établir l’importance que Luc accorde au thème du cheminement de Jésus devant ses disciples et devant les foules depuis la Galilée jusqu’en Judée, à Jérusalem. Vingt et une fois, il utilisera ce terme57, soit dans le sens strict du rapport Maître-disciples, soit dans le sens large d’un déplacement d’un poste à un autre58. Lc 23, 27 irait dans ce dernier sens, c’està-dire le sens physique59. Le thème du rapport «Maître-disciples» est moins évident dans le contexte. Il suppose l’implication spécifique des individus et de leur engagement personnel/adhésion à la personne de Jésus. Or ici plus que le je personnel des différents participants, c’est l’aspect «peuple-ensemble» qui est affiché. Bien que dirigée par Jésus, orientée sur Jésus, la marche des hommes et des femmes à sa suite n’est pas une démarche de sequela Christi proprement dite. Elle garde ce sens physique d’un mouvement d’ensemble vers le Golgotha.

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Lc 5, 11.27.28; 7, 9; 9, 11.23.49.57.59.61; 18, 22.28.43; 22, 10.39.54; 23, 27; Ac 12, 8.9; 13, 43; 21, 36. Cf. G. KITTEL, «akolouqevw», in TDNT, vol. 1, 210-216. Cf. J. A. FITZMYER, The Gospel According to Luke, 1497.

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1.2.2.1.3 Physionomie et identité de la foule La multitude de gens du peuple, différente de la compagnie des proches, est constituée de gens de ces foules que mobilise ordinairement l’événement Jésus. Si les princes comme Hérode Antipas désiraient ardemment voir Jésus dans leurs palais60, les petites gens n’hésitaient pas à se ruer vers lui sur les routes. Leur présence sur cette scène (23, 26-32) en plein jour est bien probable, ne serait ce que par curiosité61. Elle signifierait aussi une manifestation silencieuse des sans-pouvoirs contre la condamnation à mort par les autorités politiques et religieuses de celui qu’ils cherchaient (4, 42) et suivaient (9, 11). Comme le fait remarquer R. E. Brown, «bien que l’expression» le suivait «ne suggère pas nécessairement qu’il s’agissait de disciples, il n’y a à première vue aucune apparence d’hostilité… En réalité, Luc semble attribuer un rôle… favorable à cette portion du peuple…» présente et attachée à Jésus sur le chemin de la croix62. L’évangéliste différencie la «grande foule des disciples» de «la grande multitude de gens». Cette dernière entité, évoquée plusieurs fois, ressemble plus à une affluence de gens d’horizons divers qu’à une population aux contours bien circonscrits. D’où toute la difficulté de prendre les habitants de Jérusalem qui étaient favorables à Jésus comme la seule composante de la «grande multitude de gens» en 23, 27. De cette grande multitude faisaient probablement partie des juifs d’autres horizons venus pour les fêtes pascales et qui avaient déjà rencontré Jésus comme bien de jérusalémites qui étaient montés à sa rencontre en Galilée63. Ce serait donc aussi une estimation partielle de la réalité que de voir la «grande multitude de gens» en question résultant seulement d’une prise de position circonstancielle en faveur de Jésus64.

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Lc 23, 8: «À la vue de Jésus, Hérode se réjouit fort, car depuis longtemps il désirait le voir, à cause de ce qu’il entendait dire de lui, et il espérait lui voir faire quelque miracle». Cf. I. H. MARSHALL, The Gospel of Luke, 863. Cf. R. E. BROWN , La mort du Messie, 1011. Cf. B. SAUNDERSON, «Gethsemane: The Missing Witness», in Bib 70/2 (1989), 232. Voir aussi J. A. FITZMYER, The Gospel According to Luke, 1497. Cf. R. E. BROWN , La mort du Messie, 1011-1013.

1.2.2.1.4 Silence de la foule Le texte ne note rien d’autre à propos de «la grande foule de gens» que le fait de suivre Jésus. Ce qui ne saurait passer inaperçu. Luc emploie une quarantaine de fois le terme o;cloj, «foule»65. C’est la foule qui cherchait, qui voulut retenir et empêcher Jésus de partir (4, 42), se pressait autour de lui pour écouter la parole de Dieu (5, 1), se rassemblait de toutes les villes pour l’entendre, le toucher (6, 29; 8, 4; 11, 29) et se faire guérir (5, 15), qui se retrouvait à table avec lui (5, 29), allait à sa rencontre (9, 37), faisait route avec lui (7, 11; 14, 25), le suivait (7, 9; 9, 11), l’accueillait (8, 40), l’admirait (11, 14), se réjouissait des merveilles qu’il accomplissait (13, 17), le voyait comme Jean le Baptiste, Élie ou un autre grand prophète (9, 18-19). L’évangile de Luc exprime donc largement l’attachement et la complicité entre Jésus et la foule. C’est cette foule que Jésus nourrissait, guérissait et enseignait (5, 3), qui lui valait une certaine couverture contre des ennemis (22, 6), qui assista à sa mort et s’en retourna en se battant la poitrine (23, 28.48). Sur la route du Calvaire, la route de la mort de Jésus, le silence de cette foule crie de lui-même le deuil qui l’habite. Les gestes funèbres des femmes donnent du relief à l’abattement de la foule devant la mort de Jésus. À côté des agitations des femmes, le grand nombre de ceux qui sont témoins de la marche vers «le lieu appelé Crâne» est plongé dans un deuil silencieux. C’est là aussi une expression du deuil. Le Lévitique (10, 3) mentionne peut-être une autre expression que le deuil bruyant, dans le récit de la mort de deux fils d’Aaron et sa réaction devant la tragique nouvelle. Dans ce texte, le verbe dâmam peut être interprété par «garder le silence, être muet». Cette traduction affirmée par la Septante et Onqelos est commentée comme un retrait, un repli volontaire, en réaction à l’émotion que provoque cette nouvelle, ou bien comme l’acceptation de la volonté divine66.

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Lc 3,7.10; 4, 42; 5, 1.3.15.19.29; 6, 17.19; 7, 9.11.24; 8, 4.19.40.42.45; 9,11.16.18.37; 11, 14.27.29; 12, 1.13.54; 13, 14.17; 14, 25; 18, 36; 19, 3.39; 22, 6.47; 23, 4.48. H. NUTKOWICZ, L’homme face à la mort au Royaume de Juda: Rites, pratiques et représentations (Patrimoines. Judaïsme), Cerf, Paris 2006, 32. Voir aussi la note 4 de la page.

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1.2.2.2 Femmes en pleurs En plus de «la grande foule de gens», Luc fait remarquer la participation des femmes: kai. gunaikw/n ai] evko,ptonto kai. evqrh,noun auvto,n. Le terme gunaikw/n est génitif pluriel de gunh, (femme). La traduction de la TOB paraît particulière sur cette participation des femmes: «entre autres des femmes…», dit-elle. Ce qui laisserait entendre que gunaikw/n est au génitif partitif, c’est-à-dire que toutes les femmes présentes ne seraient pas concernées par les actions indiquées. Contrairement à cette tendance, beaucoup d’autres traductions françaises ont opté pour le sens englobant la totalité des femmes présentes, en rendant kai. gunaikw/n par «ainsi que des femmes» ou simplement par «et de femmes». Cette dernière option tient à une conception de la relation de l’expression polu. plh/qoj aux deux termes tou/ laou/ et gunaikw/n: elle est conçue comme regissant tous les deux. On comprend par là que le gestuel caractérise plutôt ces femmes par rapport au reste de la multitude qu’il ne distingue des individualités parmi elles. La phrase tou/ laou/ kai. gunaikw/n renverrait donc au couple hommes-femmes dont les parties sont effectivement bien souvent séparées lors du deuil67. On le voit par exemple en Zc 12, 12: kai. ko,yetai h`‚ gh/ kata. fula.j fula,j fulh. kaqV e‚auth.n kai. ai‚ gunai/kej auvtw/n kaqV e‚auta,j. Cette compréhension de tou/ laou/ kai. gunaikw/n comme évocation de la différenciation homme-femme lors du deuil conformément à la tradition juive est bien plausible. Car l’expression «Filles de Jérusalem» qui servira pour la mise en figure des dites femmes s’ouvre généralement à l’indication des femmes comme groupe social à côté de celui des hommes. 67

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Cf. M. L. SOARDS, «Tradition, Composition, and Theology in Jesus’ Speech to the ‹Daughters of Jerusalem› (Luke 23, 26-32)», 228: «Verse 27a-c. Because of (1) the language used in these lines, (2) the characters that are named, and (3) the activity of the characters, it seems best to understand that v. 27 is a Lukan justaposition. The description of the multitude as ‹a great crowd of the people› (plç-thos poly tou laou) is clearly Lukan, for one encounters this exact nomenclature in the introduction to the Sermon on the Plain (6, 17); and a similar phrase, ‹crowd of the people› (plçthos tou laou), occurs in 1, 10 and Acts 21,36. The mention of the ‹women› also names a familiar group in Luke-Acts, so that A. Plummer remarks that this incident belongs in the ‹Gospel of Womanhood›. One need not dwell on Luke’s affinity for the female portion of humanity here, but it is important to notice that Luke distinguishes two groups in the general crowd: the people and the women».

1.2.2.2.1 Vocabulaire de la mort Le genre féminin joue un grand rôle dans le ministère du Jésus lucanien et en aucun cas les femmes lui paraissent hostiles68. D’après l’évangile de Luc, de ceux qui ont marché en suivant Jésus sur le chemin de la croix, il y avait des femmes qui «se frappaient la poitrine et se lamentaient». Les deux verbes qui traduisent en grec l’attitude des femmes sont: evko,ptonto (ko,ptw, indicatif imparfait moyen, 3ème personne du pluriel) et evqrh,noun (qrhne,w, indicatif imparfait actif, 3ème personne du pluriel). Le verbe ko,ptw ne se rencontre encore qu’une seule fois chez Luc en 8, 52 et c’est à propos de la résurrection de la fille de Jaïre: e;klaion de. pa,ntej kai. evko,ptonto auvth,n. Le verbe qrhne,w apparaît aussi une seconde fois seulement en 7, 32 et dans le sens d’exécuter un chant funèbre. Le vocabulaire de Lc 23, 27 indique évidemment le deuil lors de la mort. L’acte des femmes est signe de la situation de fin de vie de Jésus69. Les deux actions qui les caractérisent constituent les actes principaux de la lamentation funèbre juive: La lamentation ou mispëd, évoquée par le verbe sãpad, met en scène le chagrin, lors des funérailles, par une gestuelle, se frapper la poitrine, et une expression orale, pousser des gémissements et pleurer. Hôy, interjection de désespoir, qui signifie «hélas», est associée à ces lamentations funèbres70.

La thématique de la mort est une des plus profondes dans la culture juive. La racine twm apparaît 1000 fois dans la Bible hébraïque71. Bien que ce terme mort soit absent de Lc 23, 26-32, le texte ne tient que grâce à une abondante terminologie relative à la thématique de la mort. Il commence par avpa,gw, «emmener au supplice» (23, 26). Il finit par avnaireqh/nai : «être exécuté» (23, 32). Entre le premier mot et le dernier mot du texte, en plus des deux verbes ko,ptw et qrhne,w, la thématique de la mort est soutenue par son verbe de marque klai,w, «pleurer» (23, 28), 68 69

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Cf. D. L. BOCK, Luke, vol. 2, 1845. Voir les passages: Lc 1, 39-56; 2, 36-38; 7, 1115.36-50; 8, 1-3; 10, 38-42; 11, 27; 13, 10-17; 23, 49.55; Ac 1, 14; 5, 14; 8, 12; 9, 2. Cf. 2 S 22, 5-6: «La Mort faisait déferler ses vagues sur moi, elle m’effrayait comme un torrent destructeur; j’étais presque prisonnier du monde des ombres, son piège se refermait sur moi». H. NUTKOWICZ, L’homme face à la mort au Royaume de Juda, 49. Cf. G. GERLEMAN, «mût sterben», in THAT, vol. 1, 893-894.

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les jours sombres de la louange de la stérilité et de l’envie de disparaître sous les monts (23, 29-30), et enfin l’opposition entre «l’arbre vert = la vie» et «l’arbre sec = la mort» (23, 31). Dans la remarquable présence d’un tel vocabulaire, c’est toute la pensée biblique sur la mort qui veut se dresser vigoureusement dans le texte de Lc 23, 26-32. 1.2.2.2.2 Irruption de la mort sur le terrain du vivant «Israël a connu une conception très complexe et très ample de la mort, qu’il n’est pas facile de circonscrire… La faiblesse, la maladie, l’emprisonnement, l’invasion ennemie sont déjà des formes de mort72». «C’est ainsi que la mort peut se manifester au sein même de l’existence73». Dans la Bible, cette dramatique situation qui montre l’homme dans les carcans de la mort recouvre souvent un accent pathétique74. C’est le cas d’Anne dont l’existence est mutilée par la stérilité75 et celui d’Ézéchias alité par une maladie incurable76. Le texte de Luc est de cette allure: il nous montre quelqu’un qui est «dans les griffes de la mort» (Ps 9, 14). Avec l’irrévocable verdict de la condamnation à mort (Lc 23, 1-25), la mort a déjà pris Jésus. Il affronte désormais une fin 72

Cf. G. von RAD, Théologie de l’Ancien Testament, vol. 1, Genève, Labor et Fides, 31979, 336.337.

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M. R OSE, Une herméneutique de l’Ancien Testament, 183. Cf. Par exemple en Qo 12, 1-5 qui parle de la vieille personne: «Pendant que tu es jeune, n’oublie pas celui qui t’a créé. Souviens-toi de lui [le Seigneur] avant que ne viennent les jours du déclin et le moment où tu diras: ‹Je n’ai point de plaisir à vivre›. 2 Alors le soleil s’assombrit, la lune et les étoiles se ternissent, les nuages reviennent sans cesse après la pluie... 5 On a peur de gravir une pente, on a des frayeurs en chemin... Ainsi chacun s’en va vers sa dernière demeure. Et dans la rue, les pleureurs rôdent en attendant». Cf. M. ROSE , Une herméneutique de l’Ancien Testament, 185: «Pour une femme de l’Antiquité la stérilité était effectivement un aspect de la mort. Car sans enfants elle n’avait plus aucun avenir – pour ne pas mentionner l’humiliation par la discrimination sociale (cfr. 1 S 1, 6-7). En ce sens Anne était «mourante». Si enfin Yahvé lui a donné un enfant, ce fut pour elle l’expérience d’être sauvée du domaine de la mort. Il allait de soi que dans de telle situation on rendait grâce à Dieu. Anne ne fait pas autrement. Femme très pieuse elle chante une hymne reconnaissance, louange enthousiaste. Elle se sert d’un psaume traditionnel pour exprimer ses expériences individuelles: «Yahvé m’a sauvé des griffes de la mort! Le renversement de ma situation (quasi) mortelle, je le dois à lui!». Cf. Le cas d’Ézéchias en 2 R 20, 1-11.

inéluctable. La mort est à deux pas, d’où le deuil. Parler d’«une grande multitude de gens du peuple et des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui [Jésus]», revient à établir clairement la situation de deuil. 1.2.2.2.3 Portée de la lamentation Les «femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui» sont une partie intégrante dans laquelle se lit le deuil de l’ensemble. La syntaxe de la phrase, en effet, identifie les femmes en question par leurs actions funèbres. Plus que ce qu’elles sont, le texte s’appesantit sur ce qu’elles font. Pour R. E. Brown: «Nous sommes plutôt dans le contexte bien connu des femmes qui se lamentent pour un mort en chantant des mélodies funèbres (comme dans le cas de Saül…)77». D. L. Bock, à la fin de son examen de cette scène, semble surtout y voir des femmes dans une réaction féminine naturelle devant l’atrocité du sort réservé à Jésus. Ce qui la réduirait à une question d’émotion circonstancielle, différente de toute vraie expression de sympathie conséquente78. Le sondage de l’intention de l’évangéliste permettra de juger la valeur des appréciations de l’un et de l’autre des deux auteurs cités. Luc a mis les femmes dans le même mouvement que «la grande foule de gens»: VHkolou,qei de. auvtw/| polu. plh/qoj tou/ laou/ kai. gunaikw/n. Elles suivent Jésus autant que les autres présents. Comme il convient à la féminité selon la coutume, elles ne font ici que prêter leur voix aux sentiments tristes et funèbres79 de cette «grande foule de gens». Apparemment les femmes n’ont rien d’officiel, elles sont rangées dans ce grand lot de petites gens réduites au silence à la suite de Jésus. Cette réalité semblerait porter un coup à l’affirmation de R. E. Brown. Car dans le cas de la mort 77 78

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R. E. BROWN, La mort du Messie, 1013. Cf. D. L. BOCK, Luke. vol. 2, 1845: «Nowhere in the Synoptics are women hostile to Jesus… This tendency and the nature of Jesus’ address to the women suggests that they are not full sympathizers, that their mourning is not merely customary, and that they are not mere literary symbols. What we may have here are women who regret that the circumstances unfortunately led to a painful execution (a softer form of view 1), which suggests that not all opposition to Jesus is hard opposition. Some of the people are not as hostile as the leadership is against Jesus». Cf. R. SCHNACKENBURG, Jesus in the Gospels, 204: «They, in addition to the women who accompany Jesus from Galilee to Jerusalem (23, 49), are the representatives of the voice of the people who feel Jesus’ destiny deeply».

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de Saül l’appel est lancé et les «les Filles d’Israël» doivent sortir et faire une lamentation nationale, vécue comme une élégie, comportant de la pompe80. Là, la lamentation des pleureuses est plus par devoir social: «Filles de Jérusalem, pleurez sur Saül, qui vous revêtait d’écarlate et de parures, qui accrochait des joyaux d’or à vos vêtements» (2 S 1, 24). Pourtant l’interprétation de R. E. Brown n’est pas sans fondement. Puisque comme au deuil de Saül, c’est pratiquement le groupe social féminin qui se retrouve formellement constitué, des femmes de tous les horizons possibles d’Israël. Ce qui différencierait la participation féminine dans les deux cas, ce sont les motivations. Les premières sont convoquées et tenues à la loi de l’autorité royale, politique. Les dernières sont sorties d’elles-mêmes pour accompagner Jésus sur le chemin de sa croix. Ici la motivation relève plutôt de la solidarité. Mais le caractère communautaire / national du deuil est finalement vécu dans les deux circonstances. Les femmes de la grande multitude sur le chemin de la croix sont les «Filles de Jérusalem, les Filles d’Israël». Le partage du deuil de Jésus engage ainsi une foule innombrable venue gratuitement et par solidarité81. Et avec ces hommes dans un silence lugubre et ces femmes se livrant à des expressions mortuaires des plus sinistres, l’innombrable foule derrière Jésus sur le chemin du «lieu appelé Crâne» le rehausse, lui l’homme de Nazareth condamné à mort, au rang de ceux qui sont dignes des honneurs de tout le peuple. En effet, la marche vers le Gol80

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Cf. H. NUTKOWICZ, L’homme face à la mort au Royaume de Juda, 48-49: «Présentes afin de manifester la désolation, elles accompagnent la souffrance et la séparation sans nécessairement les partager. N’exprimant pas de sentiments personnels, elles se contentent d’une participation, par des manifestations sociales, à la douleur individuelles des endeuillés, la canalisant et l’atténuant». M. ROSE , Une herméneutique de l’Ancien Testament, 166-167: «On peut illustrer cet aspect communautaire [le partage du deuil] par le cri de deuil fréquemment mentionné dans l’Ancien Testament. D’abord manifestation spontanée et très expressive de la douleur ressentie par les proches d’un défunt, il est repris par les voisins et les voisines, par tout le village. On ne laisse pas seuls ceux qui sont frappés par la mort, on participe à leur douleur et on exprime sa solidarité. Le cri spontané se ritualise… Il va de soi qu’en Ancien Israël tout comme dans les autres sociétés du monde oriental, on a développé pour les lamentations aussi des formes plus complexes, voire artistiques, et ceci à la fois pour leurs paroles et leurs expressions rituelles. Le roi et les autres privilégiés pouvaient engager des gens afin qu’ils participent activement aux funérailles officielles, soit pour élargir somptueusement la communauté funèbres traditionnelles, soit la remplacer par des professionnels».

gotha offre aux yeux un spectacle comme une auguste assemblée en procession sur ces aires publiques dédiées aux cérémonies funèbres: les aires sont des espaces ouverts, aisément accessibles au plus grand nombre où sont célébrées cérémonies funèbres et autres manifestations. Une procession, dont la composition est révélée en certaines occasions, accompagne le mort à sa dernière demeure en se lamentant. «Tout le peuple» assiste aux funérailles d’Avner (2 Samuel 3, 31-32), et l’accompagne jusqu’à son ensevelissement. La liste des membres composant le cortège de Jacob, donnée en Genèse 50, 7-9, décrit un spectacle impressionnant. Ce rassemblement d’un nombre important de personnes aux funérailles d’un patriarche ou d’un haut personnage du royaume témoigne de la participation de l’ensemble de la population à cet événement. Il souligne que cette mort n’entame pas l’unité du groupe social, bien au contraire. Par ailleurs, la composition du cortège funèbre d’un défunt dont le statut n’est pas celui de roi, de prince, de dignitaire ou de patriarche n’est pas connue82.

Sans appel officiel, à la lamentation derrière Jésus sur le chemin de la croix, il n’y avait ni chorale ni fanfare, rien d’ostentatoire. À quelqu’un que le verdict venait de mettre au rang des damnés de la terre, on ne peut que s’attendre concrètement qu’à l’exécutoire. Nous sommes donc devant une scène très humble, spontanée, plus naturelle, plus vraie, qui aura paradoxalement rassemblé une foule innombrable digne des funérailles des illustres personnages en Israël. 1.2.2.2.4 Témoins de la mort d’une personne chère Le texte de Luc voudrait souligner que l’attitude des femmes est fonction de rapports personnels entre celui qui est «dans les griffes de la mort» et les petites gens qui le suivent. Depuis le début de son ministère on voit des foules vouloir freiner l’élan ministériel de Jésus (4, 42). Le grand désarroi et l’effondrement devant son imminent départ définitif ne doivent plus surprendre. La mort de Jésus est sans doute perçue comme la perte d’une personne chère: c’est une séparation douloureuse. En fait, derrière l’attitude de ces femmes sur le chemin de la croix à la suite de Jésus, se cacheraient les mêmes motivations qui animaient les apôtres (notamment Pierre) dans leur interposition incessante entre Jésus et le chemin de son destin christique (Lc 9, 22.44; 12, 50; 17, 25; 18, 31-33; 24, 25-27). 82

H. NUTKOWICZ, L’homme face à la mort au Royaume de Juda, 63.

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C’est pourquoi il conviendrait de voir en elles de vraies sympathisantes. Sans nom, différentes de celle de la compagnie de Galilée, elles sont proches de Jésus d’une manière ou d’une autre. En tout cas, c’est ce que le texte suggère. À l’absence des Douze et de la multitude des disciples, elles expriment leur tristesse et se lamentent au vu du drame atroce qui attend Jésus et qui les rendra orphelines83. Elles font partie des multitudes de témoins de «Jésus [qui] a parcouru le pays en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui» (Ac 10, 38). Se battant la poitrine et se lamentant, elles expriment les sentiments d’intense douleur de l’ensemble la grande foule qui suit Jésus84. Pour conclure cet examen de la mention de foule et des femmes en pleurs, il faut dire que le texte fait écho de la réalité de la mort. Si les traditions funèbres juives n’y manquent pas, il ne fait pas état de rituel officiel. De telle sorte que ce sont surtout les rapports interpersonnels qui prévalent dans les motivations. La présence de la foule avec des femmes en pleurs tient au sens du deuil mené devant un cher pris «dans les griffes de la mort». Cette douloureuse séparation résulte de la vérité historique des liens entre Jésus et les petites gens. Elle se présente manifestement comme un hommage mérité85. Cependant, il y a à dire aussi que ces gens qui ont vu en Jésus un grand prophète ne pouvaient point ne pas vivre le deuil de sa mort. Car on redoutait certainement aussi la force destructrice de l’âme prophétique de celui qui allait mourir: elle

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Cf. M. ROSE , Une herméneutique de l’Ancien Testament, 159: «La mort d’un proche parent est une irruption dans le cursus habituel de notre vie. Il peut arriver que l’on soit tourmenté par le sentiment de se trouver seul et isolé dans son deuil comme si personne ne pouvait vraiment comprendre cette expérience d’une perte. Il y a quelque chose de vrai dans cette impression: les autres ne connaissent pas toutes les dimensions du vécu que l’on partage avec un proche. Privé de cette communion, on peut craindre de tomber dans un vide. La place dès lors vacante ne pourra être occupée de manière identique par aucune autre personne». H. NUTKOWICZ, L’homme face à la mort au Royaume de Juda, 33: «Ils répondent à des règles précises de forme et de fond, expressions d’une émotion, d’une sentiment d’intense douleur, d’un devoir envers les morts, d’une manifestation apparente, qui n’est pas toujours le reflet d’un véritable chagrin intérieur». Cf. D. FAIVRE , Vivre et mourir dans l’Ancien Israël, 160. Les pleurs lors du deuil ont deux sens: l’expression du chagrin et l’hommage au mort.

pourrait tourmenter les vivants en cas d’abandon86. Disons qu’au-delà de la mise en récit en Lc 23, 27, l’histoire racontée est du vif de la théologie et de la liturgie de la mort que connaît et maintient Israël depuis bien avant la monarchie87.

2. Marche interrompue: Paroles de Jésus, Lc 23, 28-31 Comme le verset 23, 27, les versets 28-31 sont propres à Luc. Ceux-ci constituent une intervention de Jésus. La marche faite jusque là observe un arrêt, quand Jésus se retourne pour faire face à ceux qui le suivent. Comment caractériser le geste de Jésus? Une réaction? Une consolation? Une prédiction de malheur? Un enseignement? Un appel à la conversion? A quel schème de pensée Luc se réfère-t-il ici? Seuls la nature et le but de l’intervention de Jésus pourront donner un éclairage sur le contenu et le sens de ces paroles. L’appartenance exclusive de ces vv. 28-31 à Luc fait écarter la possibilité de sa référence à un écrit primaire. Cela dit, Luc serait redevable tout de même à la tradition pour les assises originelles du propos tenu ici. Ces assises traditionnelles du texte se résument essentiellement à la problématique de la justification de la fin dramatique de Jésus et aux élaborations primaires en la matière de la part des premiers chrétiens dont des témoins oculaires. Le simple fait d’avoir eu à recourir à une structure rédactionnelle qui puisse rappeler la figure de Josias est un 86

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Ibidem, 199: «Sans doute ces gestes [rituels funéraires] différaient-ils selon la personnalité des défunts. On a vu, par exemple, David déclencher un grand deuil national pour la mort de Saül ou de son général Abner. L’âme des seigneurs qui mouraient devait nécessiter davantage de soins que celle des humbles, car sa force destructrice était à la mesure de la puissance du prince, de son vivant. Mais aucun individu en Israël ne devait être laissé à l’abandon après sa mort, sous peine de contraindre son fantôme à tourmenter les vivants». Cf. M. R OSE , Une herméneutique de l’Ancien Testament, 159: «Dans l’Ancien Israël, la stabilité des coutumes était encore largement intacte, tout particulièrement dans le domaine de la mort. Pour cette raison, il est justifié de peindre un tableau des rites funèbres en utilisant des textes vétérotestamentaires de dates très différentes».

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signe palpant de cette recherche christologique. Luc s’implique dans la fondation de la foi christologique88. Les paroles de Lc 23, 28-31 constituent un lieu privilégié où l’évangéliste théologien s’exprime et transmet le sens qu’il donne aux «événements qui se sont passés» (Lc 1, 1). C’est donc l’exercice du génie propre à Luc qu’il nous faudra creuser et déchiffrer à la fois à la lumière du vécu de Jésus de Nazareth et de la naissance de son l’Église89.

2.1 Jésus se tournant dit… Durant tout le chemin de la croix, Jésus est le seul qui prend la parole. Et pour ce faire, il se tourne vers ceux qui le suivent. L’arrêt que marque cette intervention montre son importance. Au lieu de vouloir examiner des phrases singulières, l’exégèse tendra ici surtout à déchiffrer le sens et le but des paroles de Jésus. Sept fois dans l’évangile lucanien, Jésus se retrouve dans la position qui le met face à un auditoire pour faire une interpellation ou une réprimande90. Toutes les sept fois, il communique avec un auditoire qui le suit ou qui lui est en quelque sorte proche: un commensal, un disciple, des disciples, une foule ou de grandes foules. Le verbe stre,fw qui traduit cette position de Jésus dit alors l’attention qu’il accorde à son auditoire et suppose un certain attachement de ce dernier chez Luc91. Il stimule alors une grande foi ou une grande ouverture à sa propre personne à partir d’un exemple (la foi du centurion 7, 9 et l’accueil de la femme pécheresse 7, 44), corrige un comportement ou une mentalité en réprimandant (9, 55), révèle le mystère de sa personne qui interpelle l’interlocuteur (10, 23), indique les conditions de la sequela (aux foules qui le suivent 14, 25) et pose son regard sur un disciple 88

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Cf. F. BOVON , Luc le théologien: Vingt-cinq ans de recherches (1950-1975) (le Monde de la Bible, 5), Labor et Fides, Genève 21989, 134: «Par comparaison avec les habitudes des historiens de l’antiquité, il [Dibelius] note que les discours sont dans une œuvre antique le lieu par excellence où un auteur exprime ses convictions et signale le sens qu’il donne aux événements». Le théologien Luc est connu comme un génie en la matière. Et sa théologie se veut plus proche du courant chrétien populaire. Cf. Ibidem, 135. Pour la question de la référence de Luc à l’AT, au NT et à la tradition apostolique voir l’établissement de l’intertextualité. Lc 7, 9.44; 9, 55; 10, 23; 14, 25; 22, 61 et 23, 28. Cf. BDAG, «stre,fw», n. 1, 948.

comme pour exprimer son encouragement, son attention, sa considération et sa fidélité (Pierre après son reniement 22, 61). Les versets 23, 28-31 semblent bien obéir à cette donnée. L’intervention de Jésus le montre comme un vrai Maître: Il donne des instructions (28), avertit des menaces destructrices (29-30) et pose une question rhétorique dont la réponse engagerait l’auditoire sur la voie du salut (31). Mais la nature christocentrique du texte déjà évoquée fait que la présente intervention est une adresse à la fois très intéressée et très intéressante. La personne de Jésus lui-même est au centre des propos. Le contenu de l’enseignement ressemble plus à une autorévélation. L’étude du texte édifiera davantage.

2.2 À propos de l’authenticité du dire «Jésus dit…». Le dire de Jésus, ici comme ailleurs, a sans doute une portée pédagogique. L’enseignement est une composante essentielle de l’Évangile lucanien: «J’ai consacré mon premier livre, ô Théophile, à tout ce que Jésus a fait et enseigné, depuis le commencement» (Ac 1, 1). Selon l’évangéliste, tout ce que Jésus a dit, prêché et proclamé dans l’Évangile est enseignement92. Cet aspect est perceptible notamment partout où l’intervention de Jésus est marquée par le geste de se tourner pour faire face à l’auditoire. La découverte du sens sera notre objectif principal. Car ce n’est pas l’établissement de l’authenticité et de la forme originelle qui importe finalement, mais le sens que la tradition a bien voulu transmettre. Les principes qui se sont imposés à la prospection exégétique en la matière durant les dernières décennies serviront alors de règles. Il est clair que la tradition a largement travaillé sur les logia de Jésus. Il faut beaucoup de prudence pour se prononcer sur leur forme originelle, sur leur authenticité, sur leur sens. Il semble possible parfois d’atteindre l’ipsissima vox Jesu. Mt 11, 21; 12, 27.28 ne doivent pas être très éloignés. Plus souvent le résultat reste incertain ou seulement probable. Mais l’essentiel n’est pas de parvenir aux paroles littérales de Jésus. Leur sens est plus important; et la tradition peut le garder même quand elle retouche et rédige les paroles originelles, par exemple en Mt 11, 593.

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Cf. R. F. O’TOOLE , Luke’s Presentation of Jesus, 16. A. GEORGE, «Paroles de Jésus sur les miracles», in J. DUPONT (éd.), Jésus aux origines de la christologie (BEThL, 40), University Press, Leuven 1989, 300-301.

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Lc 23, 28-31 s’enracine profondément dans l’univers vétérotestamentaire et néotestamentaire. Il n’est donc pas impossible que les propos reportés par l’évangéliste aient été abordés d’une manière ou d’une autre par Jésus lui-même. La problématique de fond de Lc 23, 26-32 est l’assomption par Jésus de son destin prophétique et messianique jusqu’à la mort et le déblocage du choc religieux et doctrinal que cela causa dans la communauté des disciples et dans tout Israël. Sa marche prophétique a bouleversé les apôtres. Les incompréhensions n’ont pas manqué en cours de route. L’Évangile dans son ensemble est témoins d’un conflit interminable entre la perspective horizontale du monde environnant et la montée-exaltation (avna,lhmyij ou e;xodoj: Lc 9, 51) de Jésus94. Il a certainement dû intervenir sur sa mort95. Les réactions de Jésus devant les disciples et les foules sont souvent faites en fonction de cette grande réalité96. Ses paroles sur la route de la croix ne peuvent être comprises que dans la même logique. Il veut se faire comprendre par ceux qui lui sont ouverts97. On ne retrouverait les dires exacts de Jésus, les évangiles n’étant pas des récits événementiels ni 94

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Cf. H. H. SCOBIE, «A Canonical Approach to Interpreting Luke», 334-335: «Luke identifies Jesus as Messiah (Lk.2:11,26; 4:41; 9:20), but this title does not occur in the central travel narrative; instead, the focus turns to the necessity of suffering and death. What distinguishes this journey from the earlier Galilean travels is the fact that, at the end of the journey, lies Jesus’ death. The final goal of the journey may be Jesus ‹taking up›, or ‹ascension› (avna,lhmyij, Lk 9:51), but the path to the glory leads via the cross… Clearly, a major purpose of the Jerusalem journey is to prepare for the time following Jesus’ departure». Voir aussi: A. PUIG I TÃRRECH, «Les voyages à Jérusalem», 394-395. Cf. F. MOLONEY , «The Faith of Martha and Mary: A Narrative Approach to John 11, 17-40», 476: «A never-ending conflict seems to exist between the horizontal perspective of the actors in the drama (the disciples, ‹Jews› ... the crowd, Jesus’ brothers, Jerusalemites) and the vertical in break of the one who tells the story of God». Cf. J. H. NEYREY , «Jesus’ Address to the Woman of Jerusalem (Lk23, 27-31): A Prophetic Judgment Oracle», 76-77. Si on ne saurait donc dire que leur présence est dénuée de toute sympathie, cependant force serait de reconnaître aussi que leur attachement n’est pas désintéressé. Elles partagent ce vice avec les familiers de Jésus, les Douze et ses disciples. Sur la voie de son destin messianique, surtout en ce dernier tournant décisif de sa vie, Jésus se retrouve incompris par ceux qui le suivent. La confession de la déception des disciples d’Emmaüs en est la plus éloquente expression: «Nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël» (24, 21). Le drame de Jésus dans son trame aura été l’amer constat de cette incompréhension de ceux qui le suivaient tout au long de sa vie.

des biographies de Jésus. «Il faut bien préciser cependant que tout enseignement se devait d’être raccroché à Jésus de Nazareth, car c’est bel et bien de l’esprit de Jésus dont il faut rendre compte98». Les propos de Lc 23, 28-31 ne sauraient donc être déconnectés du dire et du faire de l’homme de Nazareth.

2.3 Instructions données aux «Filles de Jérusalem» qugate,rej VIerousalh,m( mh. klai,ete evpV evme,\ plh.n evfV e‚auta.j klai,ete kai. evpi. ta. te,kna u‚mw/n. Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. Les portées notionnelles de l’expression «Filles de Jérusalem» et du verbe «pleurer» importent beaucoup dans la compréhension des instructions que Jésus donne aux femmes. 2.3.1 Expression «Filles de Jérusalem» Dans l’étude de la portée de la lamentation de la grande multitude, le propos sur l’expression «Filles de Jérusalem» aura été abordé. Elle est appliquée aux femmes. Cette expression est un élément capital dans la lecture de l’intervention de Jésus et sa complexité recommanderait un approfondissement99. Est-elle un nom, renvoie-t-elle à une fonction? Constitue-t-elle une personnification? Quel lien établit-elle entre Jésus et ces femmes? Que révèle-t-elle de Jésus lui-même qui l’emploie? L’expression ‹Filles de Jérusalem› rappelle une palette de modèles vétérotestamentaires: «Fille de Jérusalem, Fille de Sion, Filles d’Israël». L’exégèse de Lc 23, 28 devra tenir compte des significations de ces formulations similaires qui portent différentes connotations.

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O. MAINVILLE, «Les synoptiques et les Actes des Apôtres», in O. MAINVILLE (éd.), Écrits et milieu du Nouveau Testament, 152. Cf. N. LEMMO en donne un aperçu consistant dans son article: «Maria ‹Figlia di Sion› a partire da Lc 1, 26-38. Bilancio esegetico dal 1939 al 1982», in Marianum 43 (1983), 175-258. Un résumé de cet article servira d’appui.

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2.3.1.1 Origine et évolution des formulations L’expression «Fille de Jérusalem, Fille de Sion» est une formule poétique, qui sert de personnification du peuple d’Israël. Elle est employée abondamment dans la littérature prophétique et poétique. Son emploi daterait de la destruction du Royaume du nord, la Samarie vers 721 av. J.-C. Ce qui explique sa charge compassionnelle et son lien à la situation de pauvreté, d’humiliation / humilité. Au pluriel: «Filles de Sion» se rencontrerait surtout dans les strates antiques de la Bible, comme indication des agglomérations dépendantes d’une cité capitale. Les cités d’une nation sont les «Filles» de cette nation100. Mais le pluriel indiquera aussi naturellement la gent féminine dans un rôle spécifique comme en 2 S 1, 24 quand les «Filles d’Israël» font les lamentations coutumières à la mort de Saül. Dans le Cantique des cantiques les «Filles de Sion-Filles de Jérusalem» (1, 5; 2, 7; 3, 5.10-11; 5, 8.16; 8, 4) constituent l’auditoire témoin du poétique dialogue entre le Bien-Aimé et la Bien-Aimée. En outre, le pluriel peut renvoyer à l’ensemble des hommes et des femmes que l’histoire et la géographie lient à Jérusalem comme en Is 4, 4101: «Quand le Seigneur aura nettoyé les saletés des filles de Sion et lavé Jérusalem du sang qu’on y a répandu, par le souffle du jugement, par un souffle d’incendie…» Au singulier, elle revient souvent pour indiquer la réalité de Jérusalem dans laquelle tout le peuple d’Israël se retrouve102. On lirait ce sens par exemple en So 3, 14: «Crie de joie, fille de Sion, pousse des acclamations, Israël, réjouis-toi, ris de tout ton cœur, fille de Jérusalem». Ce verset de Sophonie fait comprendre d’emblée que les deux formulations: «Fille de Jérusalem et Fille de Sion» sont bien synonymiques, signifiant toutes deux la Cité de David, Jérusalem, le cœur d’Israël103. Mais le contenu de l’expression connut une évolution dans l’AT. Comme l’élection d’Israël, qui s’est réduite petit à petit à la réalité d’un 100 Filles d’Édom (Lam 4, 21), de l’Égypte (Jr 46, 24; Is 46, 11), de Babylone (Ps 136, 11; Is 47, 1), de Juda (Ps 47, 11), de Jérusalem (Ct 1, 4); de Tyr (Ps 44, 12), de Sidon (Is 23, 12), de Moab (Is 16, 2), de mon peuple (Jr 4, 11), des Chaldéens (Is 47, 1). Cf. N. LEMMO, «Maria ‹Figlia di Sion› a partire da Lc 1, 26-38. Bilancio esegetico dal 1939 al 1982», 189, note 40 101 Remarquons tout de même deux faits ici: c’est l’unique cas et la LXX s’en explicitera en disant «des filles et filles de Sion»: tw/n ui‚w/n kai. tw/n qugate,rwn Siwn. 102 2 R 19, 21; Is 10, 32; 37, 22; 52, 2; Jr 4, 11; 52, 1; Lm 2, 10.13.15. 103 Mi 4, 8; So 3, 14; Za 9, 9; Is 4, 4.

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petit Reste, l’expression «Fille de Sion, Fille de Jérusalem» a fini par n’indiquer que cette dernière configuration du Reste du peuple élu: germe du nouvel Israël (Jr 31, 7). Elle ne désignera plus la totalité d’Israël, mais la part restée fidèle au Seigneur à travers les vicissitudes de l’histoire, l’Israël qualitatif, la communauté messianique. L’usage de l’expression au singulier sous-tendra par la suite la représentation féminine d’Israël. «La Fille de Sion, la Fille de Jérusalem» est caractérisée dans l’AT comme Épouse Sainte, Vierge, Mère, Demeure de Dieu. Aussi, dans le judaïsme tardif, elle est fortement utilisée pour mettre en relief la maternité universelle de Sion-Jérusalem: le Messie Sauveur de toute l’humanité devait naître dans son sein (cf. Zc 2, 14-15; 9, 9: textes beaucoup cités à l’époque, et même par la suite par les chrétiens des deux premiers siècles). 2.3.1.2 Expression chez Luc Dans la Bible, le phénomène littéraire de la personnification et son actualisation à travers ces expressions chargées de sens et de nuances: «Fille de Jérusalem / Sion et Filles de Jérusalem / Sion / Israël» est loin d’être négligeable. Luc n’a dû pas ignoré son importance. Les exégètes s’accordent sur le fait que Lc 1, 26-38 est un texte très lié aux données vétérotestamentaires, comme So 3, 13-18; Jl 2, 21; Zc 9, 9104. À la lumière de ces textes, on découvre qu’en fait dans le récit de l’annonciation du messie, il y a une identification de Marie avec le Reste du peuple élu. La présence de Yhwh au milieu de la «Fille de Jérusalem // Fille de Sion» est actualisée dans le mystère de l’incarnation. La personne de Marie est désormais cette «Fille de Jérusalem // Fille de Sion»105. 104 Cf. N. LEMMO, «Maria ‹Figlia di Sion› a partire da Lc 1, 26-38. Bilancio esegetico dal 1939 al 1982», 194-195. 105 Cf. Ibidem, 226-227.253-258. Depuis les Pères, l’Église lit le texte de Luc indiquant «Marie comme la vraie Fille de Sion». À la base de la théologie lucanienne sur la Vierge, il y a donc cette expression «Fille de Sion, Fille de Jérusalem // le lieu de la présence-habitation de Dieu», avec tout ce que cela comporte comme conséquence. L’Espérance que portait le Reste d’Israël trouve à travers Marie son accomplissement plénier. La présence de Dieu devient plénière et définitive dans le mystère de l’incarnation. Cette lecture gagne du terrain, malgré des voix discordantes. L’histoire de Judith se présenterait comme une sorte de germe de cette théologie mariale, dans le sens où dans le personnage de Judith se voit une personnification de la réalité d’Israël.

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L’usage de «qugate,rej VIerousalh,m, Filles de Jérusalem» en Lc 23, 28 ne va pas dans ce sens de la personnification d’Israël et de son actualisation. Ce n’est pas l’évocation de la géographie et de l’histoire d’Israël qui est visée ici. Luc montre Jésus s’adressant à des personnes présentes concrètement: ce sont les femmes qui sont dites «Filles de Jérusalem». L’emploi indique cependant l’insistance de l’auteur sur l’enracinement de l’événement de la vie et de la mort de Jésus dans l’univers culturel biblique. L’expression «Filles de Jérusalem» dit l’ancrage des faits relatifs à la mort de Jésus dans les coutumes et traditions de l’humanité témoin106. Les «Filles de Jérusalem» sont interpellées dans leur mode de vivre la mort de Jésus. Pratiquement, cette formulation traditionnelle rejoint l’abondant vocabulaire de la mort que le texte comporte et que nous avons identifié. La preuve est que Luc pouvait appeler ces femmes «Femmes de Jérusalem»107 ou tout simplement «Femmes». Le choix pour la formulation traditionnelle «Filles de Jérusalem» ne se comprend que par la référence aux données vétérotestamentaires108. La référence serait bien ici la gent féminine comme groupe social dans son rôle particulier de l’expression gestuelle lors du deuil des illustres personnages109. 2.3.1.3 Autres indications dans le vocatif Le vocatif «Filles de Jérusalem» n’exerce pas que ce rôle de rappel du cadre du deuil. Il donne un ton de communication entre intimes sous l’égide de la tendresse. Ce qui conduit à admettre que l’adresse de Jésus en Lc 23, 28-31 n’a pas la tonalité de ces oracles de malheur adressés à 106 Cette considération infirme de plus les recours aux traditions extérieures au monde biblique dans l’explication de ce que Luc communique ici. 107 Comme en Lc 7, 44. 108 Cf. N. LEMMO, «Maria ‹Figlia di Sion› a partire da Lc 1, 26-38. Bilancio esegetico dal 1939 al 1982», 239: «Luca oppure gli uditori o i lettori di Luca, si domanda infine l’Autore [K. STOCK ], hanno compreso l’invito dell’Angelo con esatta conoscenza veterotestamentario? Sarebbe senza senso porsi una simile domanda. La luce che si irradia dall’Antico Testamento sul testo lucano – osserva l’Autore – è molto denso. La sola via per una giusta valutazione e considerazione degli elementi del testo lucano resta il confronto con i modi di dire dell’Antico Testamento, structuralmente e contenustisticamente paralleli». 109 Cf. P. BOSSUYT et J. RADERMAKERS, Jésus Parole de la grâce selon saint Luc, vol. 2, 488-489.

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Jérusalem110. «Jérusalem» a une portée plus circonscrite: indique la cité capitale, et surtout sous sa culpabilité dans le versement du sang des prophètes de Dieu. On pourrait même dire que «Jérusalem» est le signe de l’éloignement de Dieu, alors que «Filles de Jérusalem» est une expression qui insinue la proximité de Dieu. «Filles de Jérusalem» implique le dialogue que Dieu vit avec son peuple pour la réalisation de son plan de salut. Les prophètes sont particulièrement témoins de ce dialogue entre Dieu et son peuple. De l’usage de ce vocatif, se déduisent donc deux choses. 1) Jésus qui interpelle se révèle lié à la lignée des prophètes qui ont eu le pire des sorts dans Jérusalem. 2) En plus de cet aspect de la continuité prophétique, l’expression «Filles de Jérusalem» implique le Je personnel de Yhwh Dieu dans la personne de Jésus de Nazareth, devant la pauvreté des hommes. Ce dernier ne parle pas ici comme un «porte-parole», mais d’autorité personnelle et divine, comme Yhwh Dieu le fait. Il ne communique pas un message reçu, il parle de son propre chef et à l’humanité témoin de la fin de sa vie terrestre. 2.3.2 Ne pleurez pas…, mais pleurez… qugate,rej VIerousalh,m( mh. klai,ete evpV evme,\ plh.n evfV e‚auta.j klai,ete kai. evpi. ta. te,kna u‚mw/n : Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. Jésus demande deux choses aux femmes. La première chose est de ne pas pleurer sur lui. La deuxième est de pleurer sur elles-mêmes et sur leurs enfants. 2.3.2.1 Arrière-fond vétérotestamentaire Il n’est point besoin de ressasser encore les implications du jeu intertextuel concernant l’adresse de Jésus. Qu’il suffise ici d’en tirer les conséquences pour l’examen du texte. Jésus ne s’adresse pas à Jérusalem 110 Cf. R. E. BROWN, La mort du Messie, 1014: «Le message est que désormais aucune lamentation pour ce qu’on lui fait ne peut sauver Jérusalem ou ses habitants de la destruction à venir. Jésus ne prononce pas de mots de compassion… bien que cet élément soit présent; il n’appelle pas à la réforme… car c’est trop tard; il ne dénonce pas davantage, car ceux qui le suivent ne font rien de mal. De même que les prophètes de jadis qui prononcèrent des oracles contre les nations… Jésus parle à Jérusalem comme représentant Israël – c’est la dernière d’une série d’annonces de malheur».

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en tant que telle, mais à cette part de la cité qui pleure, affligée par sa mort. Le lien étroit entre le texte Lc 23, 28-31 et les deux textes prophétiques: Jr et Os dirige l’interprétation exégétique. En Jr 22, 10-12 comme en Lc 28, 28-31, on retrouve la même construction argumentative: mh. klai,ete . . . . . . . . . . . . . klau,sate klauqmw/| . . . . . . . o[ti . . . . . . . . . . . . . . . . . . . dio,ti . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ne pleurez pas … Pleurez bien… Parce que, en effet… Car…

Le texte de Jérémie (22, 10-12) se caractérise par sa charge magistérielle et pédagogique. Cette matrice originelle révèle que l’adresse de Jésus aux «Filles de Jérusalem» n’est pas essentiellement du ton de ces oracles de malheur. Cependant, nous serions plutôt en face d’un oracle comportant à la fois: un acte d’accusation introduit par le remarquable verbe poie,w, «faire, agir», une annonce de jours néfastes et une réaffirmation de la puissance de Dieu en lui-même (cf. opposition vert-sec) et de sa présence dans l’histoire en cours.111 Il y a presque tous les éléments d’un l’oracle sauf la formule du messager «ainsi parle Yhwh» (Gn 32, 5; Jg 11, 15) et la formule de reconnaissance «afin que vous sachiez que je suis Yhwh» (Ex 6, 7; 7, 17; Ez 20, 28.44; 25, 17). Par contre, sans être formulée explicitement, la présentation de soi (Je suis…)112 est de portée prédominante dans l’intervention de Jésus. Il est important de considérer cette particularité dans la communication divine, prophétique. Celui qui prononce les paroles est la personne qui est l’objet des pleurs, c’est-à-dire «le mort» lui-même. Ce qui donne un cachet spécial à l’adresse: elle n’est plus uniquement une instruction sur quelqu’un, mais aussi une auto-confession113. Ce mode de parler est connu de Yhwh quand son Je se place en face du Tu/Vous de son peuple: «C’est moi le Dieu Puissant» (Gn 17,1); «N’est-ce pas moi, le Seigneur?» (Ex 4, 11); «car c’est moi le Seigneur qui te guéris» (15, 26); «c’est moi le Seigneur qui vous sanctifie» (31, 13); «Soyez à moi, saints car je suis saint, moi, le Seigneur» (Lv 20, 26). On découvre le Dieu d’Israël dans cette prise de parole sur lui-même de façon remarquable

111 Cf. J.-A. ALETTI et alii, Vocabulaire raisonné de l’exégèse biblique, 60. 112 Cf. Ibidem, 47. 113 Cf. E. FRIEDMAN, Jewish Identity, 122.

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en Os 14, 9-10, un texte qui n’est pas sans rapport direct avec Lc 23, 2831 (cf. examen du jeu d’intertextualité). Aussi dirions-nous que l’objet de l’argumentation dans le texte lucanien ne porterait directement pas sur des événements futurs, proches ou lointains, mais sur des personnes. L’objectif ici est la présentation des hommes (Josias, Joachaz, Jésus)114 dans leur identité personnelle à travers leurs vies et leurs morts. L’importance d’une telle application littéraire se voit par sa place dans la littérature sapientielle. Avant Luc, le texte du prophète a dû attirer l’attention des sages. Dans le livre sapiential de Ben Sirach le Sage, on découvre un texte de la même veine. En effet, Si 22, 11 (LXX) se présenterait comme une relecture sapientielle de l’histoire de Josias et de sa famille: evpi. nekrw/| klau/son evxe,lipen ga.r fw/j kai. evpi. mwrw/| klau/son evxe,lipen ga.r su,nesin h[dion klau/son evpi. nekrw/| o[ti avnepau,sato tou/ de. mwrou/ u‚pe.r qa,naton h‚ zwh. ponhra, pe,nqoj nekrou/ e‚pta. h‚me,rai mwrou/ de. kai. avsebou/j pa/sai ai‚ h‚me,rai th/j zwh/j auvtou/ Pleure sur un mort, car il a quitté la lumière, pleure aussi sur un sot, il a perdu l’intelligence. Pleure moins amèrement sur un mort, car il a trouvé le repos tandis que la vie du sot est pire que la mort. Le deuil pour un mort dure sept jours, celui du sot et de l’impie tous les jours de leur vie115.

Sans vouloir nous étendre sur le rapport précis entre Jr et Si, maintenons que la vie et la mort de Josias ont profondément marqué l’histoire 114 Cf. 2 R 23, 29: Josias est tué en 609 av. J.-C. et 2 R 24, 33-34: Joachaz son fils est déporté la même année en Égypte. 115 Les événements de la vie et de la mort de Josias, roi de Juda et de Joachaz, fils de Josias (= Shallum) desquels Jérémie parle semblent être le fondement du texte de Ben Sirach le Sage. Sans être nommée, la figure de Josias le roi le plus droit dans la Bible n’est-elle pas indiquée par le mot «mort»? Dans son article: «Sagesse et histoire», in M. H ERMANS – P. S AUVAGE (éds.), Bible et Histoire: Écriture, interprétation et action dans le temps (Le livre et le rouleau, 10), Lessius, Bruxelles 2000, 57-82, M. GILBERT démontre cette pratique dans la littérature sapientielle: L’histoire est mise au service de la Sagesse, la vérité de l’histoire événementielle est transcendée, les figures personnelles sont universalisées, on donne une portée universelle à des pages du passé d’Israël.

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et la foi d’Israël. La figure de l’illustre roi Josias disparu dramatiquement est ancrée dans la mémoire collective d’Israël116. 2.3.2.2 Mort de Josias et mort de Jésus Le christianisme recevra en héritage du judaïsme le grand débat sur la mort tragique de l’homme de Dieu à travers la figure de Josias. Les solutions d’alors sont prises en compte dans le traitement du cas de Jésus crucifié. Les incidences de la vie et de la mort de Jésus dans le vécu d’Israël ne pouvaient que faire remonter à l’esprit la figure de Josias. Luc exploitera cet acquis. Beaucoup de lectures du texte résument le sens de la phrase «Ne pleurez pas sur moi» à la question d’oubli de soi pour autrui, à l’expression du surpassement par Jésus de ses propres peines en faveur du monde117. D’autres voient même de l’ironie dans le «Ne pleurez pas sur moi» de Jésus118. Mais vu notre parcours nous ne saurons accepter que la phrase se réduise à ces significations. Dans l’évangile de Luc, Jésus ne revêt pas le caractère héroïque. Ici, il enseigne à des pauvres, aux petites gens qu’il ne minimise jamais. Mais malgré son souci des foules délaissées, Jésus «a conscience d’exercer… une fonction, de transmettre un message, auquel son comportement, tout chargé d’affectivité, apporte la plus éloquente expression119». Son dire et son faire sur le chemin de la croix sont un message, une révélation de soi et de la messianité qu’il incarne. La phrase «Ne pleurez pas sur moi» est tout un langage qui mérite attention. Elle présupppose l’attachement de la multitude innombrable. Du coup, se lit un paradoxe: la haine d’un «ils» singulier condamnant Jésus devant l’amour de foules immenses pour lui. La phrase accrédite donc l’appartenance de Jésus à cette catégorie d’hommes illustres, dignes de louanges dont la disparition plonge le peuple orphelin dans un deuil infini. La condamnation à mort de Jésus est vécue comme un arrachement cruel par les multitudes. L’attachement au condamné atteste qu’il est une victime qui ne méritait pas un tel traitement, une telle fin. 116 Cf. Z. TALSHIR, «The Three Deaths of Josiah and the Strata of Biblical Historiography», 213-236. 117 Cf. L. SABOURIN, L’évangile de Luc, 364-365. 118 Cf. S. LÉGASSE, Le procès de Jésus, 399. 119 IDEM, Jésus et l’enfant: ‹Enfants›, ‹petits› et ‹simples› dans la tradition synoptique (Études Bibliques), Gabalda, Paris 1969, 322.

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Comme Josias, Jésus est victime d’une mort violente, ignominieuse qui ne lui sied aucunement. Luc prépara et suggère ce parallélisme JosiasJésus de loin. Il nous a déjà dit que les observateurs avisés de la culture et de la religion juives ont évalué le parcours de l’homme de Galilée. Nonobstant l’adversité, les pharisiens reconnaissent en Jésus la rectitude, la droiture: «Maître, nous savons que tu parles et enseignes de façon correcte, que tu es impartial et que tu enseignes les chemins de Dieu selon la vérité» (Lc 20, 21). Correcte, impartial et véridique, Jésus ressemble à ce roi aimé Josias, qui marcha «sans s’écarter ni à droite ni à gauche» (2R 22, 2) et dont la mort scandalise toujours en Israël, comme en témoigne ce texte targumique: Le Targum Lamentations 4, 20: Le souffle de nos narines, l’Oint de Yhwh, a été pris dans leurs fosses, lui dont nous disions: A son ombre nous vivrons parmi les nations. Le roi Josias qui nous était cher comme le souffle de l’esprit de vie dans nos narines et qui fut grandi par l’onction de la grandeur de Yhwh fut pris au filet des injustices des Égyptiens; lui dont nous disions: A l’ombre de sa justice nous vivrons parmi les peuples120.

C’est vrai, l’auteur de l’épitre aux Hébreux (He 11) ne fait aucun cas de cette belle figure de l’historiographie juive qu’est Josias. Le fait surprend. Mais cela se comprendrait, ne serait-ce qu’en partie, par le fait que, dans son penchant pour une théologie de la rétribution historique, il aurait du mal à cadrer le cas Josias. Par ailleurs, le recours aux données vétérotestamentaires dépend très généralement aussi des intérêts personnels des auteurs du NT. L’inexistence du nom de Josias dans l’épitre aux Hébreux n’est donc probablement pas motivée par une éventuelle position doctrinale dans l’Église primitive. Le rapprochement Josias-Jésus qui se laisse déduire du texte lucanien est attesté à l’époque patristique dans les Démonstrations sur la persécution d’Aphrahat qui écrit: Josias aussi fut persécuté comme Jésus fut persécuté. Josias fut persécuté, et Pharaon le Boiteux le tua; et Jésus fut persécuté, et le peuple qui était rendu boiteux par ses péchés Le tua. Josias purifia la terre d’Israël de l’impureté; et Jésus purifia et fut la cause de la destruction de l’impureté de la terre entière. Josias respecta et glorifia le nom de son Dieu; et Jésus dit: J’ai glorifié et je glorifierai (Ton Nom). Josias, à 120 F. MANNS , Le Targum Lamentations: Manuscrit Urbinati. Traduction et Commentaire, disponible sur: , consulté le 30.1er.09.

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cause de l’iniquité d’Israël, déchira ses habits; et Jésus, à cause de l’iniquité du peuple, déchira le voile du Saint Temple. Josias dit: Grande est le malheur qui tombera sur ce peuple; et Jésus dit: Il y aura un malheur sur ce peuple, et ils tomberont par le tranchant de l’épée. Josias chassa l’impureté du Saint Temple; et Jésus chassa les commerçants impurs de la maison de son Père. Pour Josias, les filles d’Israël firent le deuil et se lamentèrent, comme Jérémie dit: O filles d’Israël, pleurez pour Josias; et sur Jésus, les filles d’Israël firent des pleurs et des lamentations, comme dit Zacharie: La terre est en deuil, famille sur famille121.

En plus de cette attestation, on pourrait noter à la faveur de notre thèse l’imposante représentation artistique: l’Arbre de vie de Christ du Duomo de Monza (Lombardie, Italie) où Josias se retrouve directement situé à côté (gauche) de Jésus en parallèle avec David122 qui est à droite. 2.3.2.3 Ne pas pleurer sur Jésus Mh. klai,ete evpV evme,, Ne pleurez pas sur moi. Il serait bon de s’appesantir d’abord sur le verbe klai,w, «pleurer». Il a plusieurs acceptions. «Les pleurs font partie des rites de deuil réel et symbolique et leur langage peut s’appliquer à des situations qui lui sont identifiées123». Compte tenu du contexte en face, le sens de base ici ne peut qu’être lié à celui du deuil réel. Cependant, les nuances que comporte le verbe klai,w, «pleurer» ne se laisseront saisir qu’avec le sondage des deux attitudes opposées: d’un côté, le refuge dans le deuil et, de l’autre, l’acceptation du passage par la mort. «Ne pleurez pas sur moi» suppose le refus de la mort de la part des gens qui pleurent et l’acceptation de la mort par Jésus. L’examen de ces positions éclaircira les enjeux de la phrase. Car «‹Pleurer pour un mort›, là où nulle autre précision n’est apportée, ne signifie certainement pas que les larmes furent les seules manifestations de deuil; cette expression suppose, pour les auteurs comme pour les lecteurs, l’enchaînement de tout le rituel funéraire124» conformément à la doctrine religieuse.

121 APHRAHAT (270-345), Démonstrations (sur la persécution), 21, 17. Disponible en anglais sur: , consulté le 22 avril 2009. 122 Cf. R. CONTI, Il Duomo di Monza: 1300-2000, VII centenario della fondazione. Guida storico-artistica, Cinisello Balsamo (Mi) 1999, 56. 123 H. NUTKOWICZ , L’homme face à la mort au Royaume de Juda, 33. 124 D. F AIVRE , Vivre et mourir dans l’Ancien Israël, 198.

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2.3.2.3.1 Refus du refuge dans le deuil En Lc 8, 52, l’évangéliste utilise le même verbe, au même mode, à la même personne, au même temps, dans le même contexte du deuil: de. ei=pen\ mh. klai,ete( ouv ga.r avpe,qanen avlla. kaqeu,dei. Ce qui différentie cette occurrence de celle examinée est la spécification: evpV evme,, sur moi. La relation Je-Vous est mise en relief dans la construction phraséologique. Le deuil sous-entend une relation interpersonnelle forte entre les «Filles de Jérusalem» et «le mort». Il n’est pas la simple exécution d’une bonne coutume. Le départ de Jésus est profondément vécu, senti par la grandiose assemblée en procession. Le deuil leur permettra d’exprimer le chagrin, de surpasser l’absurde mort; il fournira les forces et la consolation pour un nouveau départ, un retour à l’accoutumée125. Quelque soit les souffrances et les lamentations, le deuil aura raison d’elles en un moment, du moins arrivera à apaiser les cœurs. Ainsi on voit David et Bethsabée qui retrouvent une vie ordinaire après la mort de leur enfant (2 S 12, 15-25). Il en irait de même pour les braves femmes du chemin de la croix dans leur deuil. À travers le deuil, ce sont les ambitions et les horizons de la foi ancestrale qui seront confessés. En effet, dans les femmes présentes sur le chemin de la croix c’est toute la doctrine de la mort d’Israël qui fait face. Le deuil est le moment culminant de la séparation entre le mort et la terre des vivants. La foi y atteindra son terme. Elles pleurent devant Celui qui juge tout et qui peut tout: le Seigneur Dieu. Leur lamentation gardera néanmoins les limites humaines. Elles conçoivent la mort de Jésus après tout comme celle de tout mortel. Pour elles, il s’agit de la disparition, du bannissement du nombre des vivants, de la fin d’une histoire personnelle qui portait tant de promesses, la réduction au silence du séjour des morts. Le comportement des disciples d’Emmaüs est fonction de cette issue du deuil. Le deuil conclurait l’événement Jésus et la foi ancestrale reprendrait son petit bonhomme de chemin126. Dans la Bible la seule célébration du 125 Cf. P. LEFEBVRE , «‹C’est Rachel qui pleure et ne veut pas être consolée› (Jr 31,13)», in Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie 53/1-2 (2006), 437. 126 Cf. Lc 24, 13-21: «13Et voici que, ce même jour, deux d’entre eux [disciples] se rendaient à un village du nom d’Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem. 14 Ils parlaient entre eux de tous ces événements. 15 Or, comme ils parlaient et discutaient ensemble, Jésus lui-même les rejoignit et fit route avec eux; 16 mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. 17 Il leur dit: ‹Quels sont ces propos que vous échangez en marchant?› Alors ils s’arrêtèrent, l’air sombre. 18 L’un d’eux,

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deuil qui échappe à cette perspective traditionnelle est le deuil que Rachel mène sur ses fils127. La différence entre les femmes du chemin de la croix (ainsi que les disciples d’Emmaüs) et Rachel est que cette dernière refusera tout réconfort sans avoir retrouvé ses enfants. ou[twj ei=pen ku,rioj fwnh. evn Rama hvkou,sqh qrh,nou kai. klauqmou/ kai. ovdurmou/ Rachl avpoklaiome,nh ouvk h;qelen pau,sasqai evpi. toi/j ui‚oi/j auvth/j o[ti ouvk eivsi,n (LXX, Jr 38, 15): Ainsi parle le Seigneur: Dans Rama on entend une voix plaintive, des pleurs amers: Rachel pleure sur ses enfants, elle refuse tout réconfort, car ses enfants ont disparu.

À ce propos, il faut convenir avec P. Lefebvre que, dans son refus des consolations coutumières du deuil, «Rachel repousse les limites128» de la théologie de la mort en Israël. Les pleurs de Rachel sont un refus de la loi de la mort et en même temps un défi au Dieu vivant. Avec elle, la Bible commence à parler d’une manière nouvelle que les traditions nécrologiques mettront du temps à accueillir. Et ce n’est qu’avec Jésus que cette nouveauté parviendra à sa pleine expression. 2.3.2.3.2 Mourir pour vivre, nouvel horizon de vie Quand Jésus dit «Ne pleurez pas sur moi», il s’attaque à une vision superficielle de la vie et subordonne du coup les valeurs promues dans la doctrine de la mort en Israël à son option pour le Règne de Dieu. Il est nommé Cléopas, lui répondit: ‹Tu es bien le seul à séjourner à Jérusalem qui n’ait pas appris ce qui s’y est passé ces jours-ci!› – 19 ‹Quoi donc?› leur dit-il. Ils lui répondirent: ‹Ce qui concerne Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en action et en parole devant Dieu et devant tout le peuple: 20 comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié; 21 et nous, nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël. Mais, en plus de tout cela, voici le troisième jour que ces faits se sont passés›». 127 Saint Matthieu (2, 18) cite textuellement le prophète dans son récit de la fuite en Égypte et du massacre des Innocents. La tuerie des enfants Bethléem est vue comme l’accomplissement de la prophétie de Jérémie. Selon la note de la BJ, «l’application que fait Matthieu a pu être suggérée par une tradition qui plaçait le tombeau de Rachel dans le territoire de Bethléem, Gn 35, 19s». 128 P. L EFEBVRE, «‹C’est Rachel qui pleure et ne veut pas être consolée› (Jr 31,13)», 437- 439: «Rachel pleure et ne veut pas être consolée. Elle situe en cela le vrai registre du questionnement biblique; elle pose les véritables questions, sans vouloir qu’on les attenue ou qu’on les nuances. Elle semble affirmer: ‹Ne rendez pas la mort viable par des paroles connues, humaines, trop humaines› … Elle ne veut pas d’un monde où ce qui est concevable, suffisant, serait la norme».

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né et va mourir dans cet univers socioculturel tributaire d’une foi où les rétributions matérielles sont signes de cohérence, les longs jours et la bonne mort sont vus comme les meilleures bénédictions divines. Mais pour lui la longue vie sur terre et la bonne mort ne sont pas une garantie de salut. Il soumet son pèlerinage terrestre à son adhésion inconditionnelle au vivre en Dieu et pour Dieu. Son option pour le Règne de Dieu le conduit à vivre avec la mort. En somme, il veut mourir pour vivre. Enfin, dans son «Ne pleurez pas sur moi», il affirme que sa mort ne peut pas mettre fin à sa vie et que la mort est devenue un moyen de sa vie. Une nouvelle religion naîtra de cette théologie de la mort qui s’appelle évidemment le christianisme. «Ce qui est fascinant dans l’histoire de Jésus, c’est son affrontement permanent avec la mort. C’est par rapport à elle qu’il entre dans l’histoire. Jésus devient Christ par l’annonce de sa mort puis de sa résurrection. Voilà l’événement fondateur de religion129». En leur demandant de ne pas pleurer sur lui, Jésus dirige leur attention sur ce qu’il avait dit à propos de la mort physique. Par son «Ne pleurez pas sur moi» durant l’ultime étape de sa marche au milieu des hommes, il confirme son vouloir mourir pour vivre, confesse sa messianité et appelle à sa suite130. Il refuse une dernière fois une lecture mondaine de son passage sur terre et de sa messianité.

129 Ibidem, 300. 130 Jésus a pris résolument la route de Jérusalem et à ce point il semble prêt à en assumer le corollaire: sa mort. Il a eu à le dire et à le signifier plusieurs fois à ses proches: «Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui, après cela, ne peuvent rien faire de plus» (Lc12, 4). Alors sa propre mort physique en tant que telle ne pourrait qu’être sa dernière préoccupation. Ce qui doit lui peser plus dans sa Passion c’est l’abandon et l’incompréhension de ceux le suivent depuis. Son regard sur Pierre, le dernier résistant des Douze, et sur la grande masse du peuple et sur les femmes qui le suivaient en dit long. Certes, la multitude de gens et les femmes à la suite de Jésus sur le chemin de la croix ne sont pour rien dans sa condamnation à mort. Cependant, si on peut dire qu’elles ‹ne font rien de mal’ pour ce qui est de la mort, on pourrait aussi dire qu’elles auront fait peu pour sa personne et son enseignement. Elles ne sont pas encore ces hommes et ces femmes qui ont écouté et mis en pratique l’enseignement du Maître: «Si quelqu’un veut venir avec moi, qu’il cesse de penser à lui-même, qu’il porte sa croix chaque jour et me suive» (Lc 9, 23). Pourtant cet appel vaut bien pour tous. Luc le note avec insistance: «:Elegen de. pro.j pa,ntaj» (9, 23a).

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2.3.2.4 Mais pleurez sur… Plh.n evfV e‚auta.j klai,ete kai. evpi. ta. te,kna u‚mw/n: Mais pleurez sur vousmêmes et sur vos enfants. Jésus disqualifie le sens du pleurer un mort et propose le pleurer des vivants sur et pour les vivants eux-mêmes. Quel sens peut avoir un tel acte? 2.3.2.4.1 Pleurer: Geste prophétique Le deuil n’est pas réservé uniquement aux circonstances de décès en Israël. Il est vécu en d’autres circonstances. La rupture entre Yhwh et Israël vaudra toujours un motif de deuil dans l’histoire d’Alliance entre les deux. Elle signifie la mort. Les hommes de Dieu sont généralement reconnaissables par l’appel au deuil à chaque fois que l’Alliance entre Yhwh et son peuple est mise en question par l’infidélité des Israelites. Les pleurs des prophètes dénoncent la gravité du péché et en prédisent en même temps les conséquences dévastatrices131 (Jr 9, 16-21; Ez 19, 1-14; Am 5, 1-2). Dans ces situations critiques, «pleurer» devient le seul mode d’expression pour les prophètes. C’est ainsi que l’on voit Jérémie dire à la veille de l’exil: «Si vous n’écoutez pas cet avertissement, il ne me restera plus, dans mon coin, qu’à pleurer de votre orgueil si grand, à répandre des torrents de larmes, car le troupeau du Seigneur part en déportation» (13, 17). Le pleur prophétique, loin de vouloir être un abandon de la mission, est l’expression de la compassion du cœur de l’homme de Dieu. Le pleur de Jésus à la fin de son ministère public est de ce sens prophétique (Lc 19, 41). Les «Filles de Jérusalem», en pleurant, ne feront que se joindre aux témoins de l’Alliance souvent martyrisés. 2.3.2.4.2 Pleurer: Invocation En plus de cet aspect prophétique du pleurer, il faut noter que pleurer est une manière spéciale d’invoquer la pitié du Seigneur. Les pleurs de la mère Rachel sont sans doute les plus fameux, les plus expressifs sur

131 Cf. R. DE VAUX, Les institutions de l’Ancien Testament, vol. 1, Cerf, Paris 1958, 99-100.

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le sujet132. Mais dans plusieurs autres cas dans la Bible, les sanglots et larmes deviennent de très beaux cris de supplications devant Dieu133. Le pleurer ainsi proposé unira donc les femmes au Maître qui a luimême pleuré sur Jérusalem à cause de son manque d’ouverture à l’œuvre de Dieu accomplie dans sa venue: «Ah! Si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix! Mais non, il est demeuré caché à tes yeux» (Lc 19, 42). Et en leur proposant de pleurer «plutôt» sur elles-mêmes et sur leurs enfants, il les appelle à participer à la passion et à la compassion des prophètes. Le verbe klai,w, «pleurer» prend alors un autre sens: du pleurer à cause de la mort de quelqu’un au pleurer comme acte de pénitence et de demande de la miséricorde divine. Les femmes seront comme la pauvre Rachel dans sa plainte devant Dieu qui est le plus grand consolateur. Comme les larmes de Rachel, leurs larmes leur vaudront la protection et la miséricorde de Dieu. Le pleurer équivaudra au cri du pauvre134, un cri susceptible d’attirer la miséricorde de Dieu, le Dieu du Jésus lucanien, ce Dieu qui écoute toujours le cri du malheureux.

132 Cf. Jr 31, 15-17: «À Rama on entend une voix plaintive, des pleurs amers: Rachel pleure sur ses enfants, elle refuse tout réconfort, car ses enfants ont disparu. Ainsi parle le Seigneur: Assez! Plus de voix plaintive, plus de larmes dans les yeux! Ton labeur reçoit sa récompense – oracle du Seigneur: ils reviennent des pays ennemis. Ton avenir est plein d’espérance – oracle du Seigneur: tes enfants reviennent dans leur patrie». 133 Cf. Le prophète Jl (2, 17) invite à pleurer: «Que les prêtres qui servent le Seigneur pleurent dans le temple, entre le vestibule d’entrée et l’autel, et qu’ils supplient Dieu ainsi «Seigneur, aie pitié de nous, ton peuple, ne livre pas les tiens à la honte, ne permets pas que des peuples étrangers se moquent de nous en disant: ‹Que fait donc leur Dieu?›». En Est 4, 3 quand le peuple de Dieu apprit le décret d’extermination le concernant, «dans chaque province de l’empire, partout où le décret royal était parvenu, les Juifs furent plongés dans un grand accablement: ils jeûnaient, pleuraient et se lamentaient; beaucoup d’entre eux revêtaient des étoffes de deuil et se couchaient sur de la cendre». En Ne 1, 4 quand Néhémie apprit le désastre de Jérusalem: «À ces mots, je m’assis et pleurai; je fus plusieurs jours dans le deuil, jeûnant et priant devant le Dieu du ciel». Voir aussi: 1 S 11, 4; 30, 4.7-9; Jr 3, 21; 31, 19. 134 Cf. Ps 9, 13; 40, 2; 55, 18; Lc 23, 46.

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2.3.2.4.3 Pleurer, sur vous et vos enfants Les «Filles de Jérusalem» ne sont pas coupables du sang de Jésus, elles constituent l’ensemble des pauvres. Elles sont appelées à pleurer sur elles-mêmes et sur leurs enfants. L’appel de Jésus leur assigne une fonction d’intercession en faveur de leurs enfants. Qui sont ces enfants? Quel sens a ce terme en Luc? Selon Légasse, L’usage biblique, en contexte analogue, est ambigu: il peut s’agir soit de la descendance immédiate soit des générations futures sans précision. À s’en tenir à l’œuvre de Luc, les deux autres exemples du même genre qu’on rencontre (Ac 2, 39; 13, 33) ne laissent aucun doute sur le sens: il s’agit de la postérité en général135.

Le terme te,knon est cher à Luc. Il l’emploie 19 fois dans son œuvre136. Il comporte naturellement la notion fragilité. Présents ou même pas encore nés, les enfants ne sont pas responsables de la mort de Jésus. Les «Filles de Jérusalem» et ces enfants font cause commune: ce sont des gens dont on doit pleurer la cause, ce sont les innocents. Car les conséquences de «ce qui est fait à l’arbre vert» peuvent bien affecter les pauvres et les petits, dans le présent et dans le futur. L’expression «sur vous et sur vos enfants» évoque l’amplitude divine des événements en cours: le présent et le futur sont mis en péril. C’est le principe même de la vie qui apparaît refusé avec le rejet de Jésus par les autorités. 2.3.2.4.4 Pleurer, abominations et colère de Dieu Le verbe klai,w, «pleurer» a une charge prophétique: pleurer signifie dénoncer le mal. Et comme nous le savons, le mal n’est jamais sans conséquences. Le pleurer indiqué sous-entend le déchaînement de la colère de Dieu. Le départ définitif de Jésus de Jérusalem revient à l’éloignement de Yhwh de son peuple. Ce qui expose toujours les rebelles au pire137. Cette logique ressort particulièrement dans le livre d’Ézéchiel qui parle alors d’extermination de la race coupable d’abominations. Seuls ceux qui pleurent à cause des abominations seront les bienheureux: 135 S. LÉGASSE, Le procès de Jésus, 399. 136 Luc 1, 7.17; 2, 48; 3, 8; 7, 35; 11, 13; 13, 34; 14, 26; 15, 31; 16, 25; 18, 29; 19, 44; 20, 31; 23, 28; Ac 2, 39; 7, 5; 13, 33; 21, 5.21. 137 Cf. par exemple Jr 12, 7: «J’ai abandonné ma maison, quitté mon héritage; ce que je chérissais, je l’ai livré aux mains de ses ennemis».

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Yahvé dit à l’homme vêtu de lin: «Parcours la ville, parcours Jérusalem et marque d’une Tau au front les hommes qui gémissent et qui pleurent à cause de toutes les abominations qui se pratiquent au milieu d’elle». Je l’entendis dire aux autres: «Parcourez la ville à sa suite et frappez… Mais quiconque portera la Tau au front, ne le touchez pas» (Ez 9, 4-6).

Par ses larmes Jésus a été plus que clair sur les effets du péché que portent ses contemporains. Le rejet de sa personne et la méconnaissance de sa messianité correspondent au rejet de la généreuse maternité divine qui voudrait soigner l’humanité comme cette Mère-poule choyant ses petits (Lc 13, 34). En demandant aux femmes de pleurer, il insinue donc la compromission de la vie de l’humanité témoin de cet acte par ce qui s’en suivrait. «Oui, malheur à eux quand je m’éloignerai d’eux!» (Os 9, 12). Et parlant d’autorité, il se déclare indirectement dans l’égalité à Yhwh. Rejeter sa personne revient à une abomination comme ces péchés d’idolâtrie d’Israël d’antan dont les conséquences ne sont que dévastatrices. Ce verset qui donne le ton à l’intervention de Jésus indique une autoconfession dans laquelle Jésus fait entendre son identité personnelle et sa foi en Dieu le Père à travers son vouloir mourir pour vivre. Il ne veut pas que sa mort soit pleurée uniquement à cause de sa contribution au bien être humain et social. Sa vie et sa mort ne doivent pas être lues et reconnues comme celles d’un roi Saül que les femmes ont pleuré jadis à cause de ses bienfaits matériels138. Son refus du pleurer des «Filles de Jérusalem» est un acte qui se situe dans la cohérence de l’itinéraire messianique parcouru jusqu’ici. On ne saurait concevoir, tant soit peu, dans une sorte d’acte de condamnation sans issue139, le Jésus lucanien qui dit: «Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs pour qu’ils se convertissent» (Lc 5, 32). Au contraire, les paroles de Jésus comportent une connotation exhortative, «une exhortation sous-tendue par un a priori qui n’est pas celui du rejet, mais celui du salut140». 138 2S 1, 24: «Filles d’Israël, pleurez sur Saül, qui vous revêtait de pourpre et de parures, qui de bijoux d’or surchargeait vos habits». 139 À cette question de la portée des paroles de Jésus, R. E. BROWN donne une réponse difficilement conciliable avec l’intention et la théologie reconnues généralement chez Luc. Cf. R. A. CULPEPPER, «The Gospel of Luke. Introduction, Commentary, and Reflections», in R. A. CULPEPPER G. R. O’DAY, Luke-John (NIB, IX), Abingdon Press, Nashville (TENN) 1995, 453. 140 J.-L. VESCO, Jérusalem et son prophète, 51-42. Ce qui est dit du rapport JésusJérusalem en Lc 13, 34-35 importe ici en 23, 28.

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Le message de ses paroles présentes doit être recherché dans la lumière de sa mission salvifique de Messie et de la nécessaire conversion. Les larmes de Jésus sur Jérusalem disent sa Passion pour la conversion et le salut: la vraie compassion avec lui ne peut pas ne pas être le partage de ce fardeau. L’appel aux femmes de pleurer sur elles-mêmes et sur leurs enfants est non seulement l’expression de l’attention que Jésus leur accorde, mais aussi et surtout une invitation à s’unir à sa Passion pour et par la vie en Dieu. 2.3.3 Jours en face, Lc 23, 29-30 L’exclusion de Jésus correspond à l’irruption dans l’histoire de jours sombres que les versets Lc 23, 29-30 essaient de décrire: o[ti ivdou. e;rcontai h‚me,rai evn ai-j evrou/sin\ maka,riai ai‚ stei/rai kai. ai‚ koili,ai ai] ouvk evge,nnhsan kai. mastoi. oi] ouvk e;qreyanÅ to,te a;rxontai le,gein toi/j o;resin\ pe,sete evfV h‚ma/j( kai. toi/j bounoi/j\ kalu,yate h‚ma/j: Car voici venir des jours où l’on dira: «Heureuses les femmes stériles et celles qui n’ont pas enfanté ni allaité. Alors on se mettra à dire aux montagnes: ‹Tombez sur nous›, et aux collines: ‹Cachez-nous›.»

Jusqu’à présent, l’exégèse a fondé sur ces deux versets le sens qu’elle donne à l’adresse de Jésus en général: l’annonce des événements relatifs à la destruction de la ville de Jérusalem141. Il n’est pas inutile d’examiner cette vision à partir des textes invoqués. 2.3.3.1 Passages semblables? Trois textes de Luc sont pris comme des parallèles de Lc 23, 28-31: 13, 33-35; 19, 41-44 et 21, 20-24142. Mais en réalité il y a des différences notables entre ces textes et Lc 23, 28-31. Les différences les plus re141 Cf. J. DUPONT, «Il n’en restera pas pierre sur pierre (Marc 13, 2; Luc 19, 44)», in Bib 52 (1971), 301-320; R. C. TANNEHILL , «The Story of Israel within the Lukan Narrative», in D. P. MOESSNER (éd.), Jesus and the Heritage of Israel: Luke’s Narrative Claim upon Israel’s Legacy (Luke the Interpreter of Israel, Vol. 1), Trinity Press International, Harrisburg (PA) 1999, 332. 142 Cf. J. H. NEYREY, «Jesus’ Address to the Woman of Jerusalem (Lk 23, 27-31)», 82: «Thus alongside Lk. 13. 34-35 and 19. 41-44, the address to Jerusalem in 23, 27-31 should be understood as another example of the prophetic oracle of judgment against Jerusalem, together with the more descriptive approach this material in 21. 20-24. The full force of the oracle form may be grasped by the following synopsis of the four Lucan example».

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marquables sont celles de la nature des contenus des adresses et des identités des interlocuteurs de Jésus: 13, 33-35: 19, 41-44: 21, 20-24: 23, 28-31:

Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes… Si toi aussi tu avais su, en ce jour,... Quand vous verrez Jérusalem encerclée… Filles de Jérusalem,…

Les deux premiers textes sont adressés directement à Jérusalem. Cependant, ils sont liés au troisième, comme en crescendo. Dans la description des conséquences de la tuerie des prophètes, dont Jésus, par la ville sainte, le ton monte à travers l’évangile: l’abandon par Dieu (13, 35), le siège par les ennemis (19, 43) et l’heure de la dévastation (21, 20). Lc 23, 28-31 n’est pas du tout centré sur cet événement dont l’heure est presque définie. Jésus n’y aborde pas du tout la description de la dévastation de la cité rebelle. Il ne parle ni à Jérusalem ni de la destruction de Jérusalem. Ses propos sont sur lui-même, le vivre humain, les «Filles de Jérusalem» et leurs enfants. Il décrit des «jours où l’on dira». Il n’y évoque pas «le temps où vous direz: Béni soit…» (13, 35), «les jours de l’ennemis» (19, 43) et «les jours où il y aura misère et colère contre ce peuple» (21, 23). Lc 23, 28-31 se différencie par son manque de fixation dans les limites de la géographie et de l’histoire de la ville de Jérusalem. L’indéfini des jours et des hommes concernés établit une nette différence entre 23, 28-31 et les autres textes. Il n’y a aucune note de localisation. L’accent est mis sur la complication du vivre humain, de l’existence humaine en tant que telle. L’expression o[ti ivdou e;rcontai h‚me,rai: «car voici venir des jours» est une formule stéréotypée qui n’est pas rare chez les prophètes143. ;Ercontai, «viennent» est le présent indicatif du verbe e;rcomai, mode moyen, à la troisième personne du pluriel. Le verbe evrou/sin, «diront» est le futur indicatif actif de le,gw à la troisième personne du pluriel. Toutefois, la phrase n’indique pas un futur prochain ou lointain spécifique. C’est le cas d’un futur gnomique, c’est-à-dire que la phrase exprime le sens d’une évidence, ce à quoi il faut s’attendre144. Plus que sur le temps à venir, l’accent est mis sur la certitude. C’est pourquoi l’affirmation de N. Taylor est de tout réalis143 Cf. Jr 7, 32; 9, 24; 16, 14; 19, 6; 23, 5.7; 30, 3; 31, 27.31.38; 33, 14; 48, 12; 49, 2; 51, 47.52; Dn 3, 23; Am 8, 11; 9, 13. 144 Cf. Bl-De, § 349, 1, 426.

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me: Lc 23, 28-31 ne fait aucune référence explicite aux destructions qui ont eu lieu à Jérusalem145. 2.3.3.2 Lc 23, 29-30, une première pistis Dans la logique de l’argumentation rhétorique dans Lc 23, 26-32, ces deux versets sont une pistis, une sorte d’explication, un pourquoi. Le signe de la pistis est bien la conjonction de coordination o[ti. Et cette conjonction est ici causale. Toutefois, il est à remarquer qu’elle fait partie ici de l’expression vétérotestamentaire et prophétique o[ti ivdou. e;rcontai h‚me,rai : «car voici venir des jours»146. Elle revêt ces versets de la nuance explicative et démonstrative: ils sont une explicitation. La conjonction insinue un rapport de subordination assez faible, de telle sorte qu’elle pourrait être traduite par «en effet ou parce que». Jésus étale donc là «le pourquoi» des instructions qu’il vient de donner (23, 28b). La communication s’appuiera sur deux topoi, deux points principaux, deux cordes sensibles de la théologie et de la philosophie de la vie dans le monde juif comme dans le reste de l’empire romain: la progéniture et la longévité147. Mais malgré l’universalité de ces points d’intérêt du raisonnement, le texte de la narration évangélique demeure intimement apparenté à l’univers biblique148. En effet, le texte de Lc 23, 29145 N. T AYLOR, «Luke-Acts and the Temple», in J. VERHEYDEN, The Unity of Luc-Acts (BEThL, 142), University Press, Leuven 1999, 716: «Luke 23, 26-43: the crucifixion of Jesus. – As with the trial narrative, all reference to Jesus’ prophecy of the destruction of the Temple is omitted. Even the address the women of Jerusalem in 23, 28-31 makes no explicit reference to the destruction of the city. Luke’s separation of the death of Jesus from the destruction of the Temple becomes most apparent in the account of his death». 146 Cf. Jr 7, 32; 16, 14; 38, 31. 147 Cf. C. COULOT, Jésus et le disciple: Étude sur l’autorité messianique de Jésus (Études bibliques Nouvelle série, 26), Gabalda, Paris 1987, 37-38; M. ROSE , Une herméneutique de l’Ancien Testament, 244; D. FAIVRE , Vivre et mourir dans l’ancien Israël, 71: «Les anciens Hébreux vénéraient la vieillesse comme un état auquel on ne pouvait parvenir sans la bénédiction d’une divinité.... Pour être véritablement heureuse, cette vieillesse devait réunir certaines conditions. Elle devait d’abord s’appuyer sur une descendance nombreuse: c’est bien sûr le but d’assurer la pérennité du clan, mais aussi parce qu’un vieillard ne pourrait subsister seul». 148 Cf. J.-N. ALETTI , «La rhétorique paulinienne: construction et communication d’une pensée», 52-59. L’auteur y démontre comment un écrivain sacré, par souci de dialogue et de communication efficace, recours à des images susceptibles d’êtres comprises dans son monde.

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30 paraît un écho de ce cliché biblique où les écrivains sacrés font état d’une humanité devenue théâtre de tragédies chaotiques à cause de l’exclusion de Dieu par les hommes. On le constate spécialement dans la littérature deutéronomiste et prophétique149. À propos, des traits littéraires et argumentatifs unissent intimement le livre du prophète Osée et Lc 23, 29-30. 2.3.3.2.1 De la progéniture, Lc 23, 29 Maka,riai ai‚ stei/rai kai. ai‚ koili,ai ai] ouvk evge,nnhsan kai. mastoi. oi] ouvk e;qreyan: Heureuses les femmes stériles et celles qui n’ont pas enfanté ni allaité. Que voudrait dire une telle phrase? Est-elle une bénédiction, un macarisme? Certainement pas! Puisque c’est par une voix autorisée que se déclare la béatitude. Dieu et ses porte-paroles les prophètes en ont l’apanage. Ici, c’est le commun des mortels qui s’exprime de lui-même, visiblement du cœur d’un monde où l’orgueil humain est brisé et la vie réduite à la tragédie. Autrement, comment comprendre la louange de la stérile dans un monde où la nombreuse progéniture est conçue comme l’une des plus belles bénédictions du ciel? Dans le livre d’Osée, le prophète montrant le drame du peuple infidèle, l’accuse de l’infanticide. L’infidélité au Dieu de l’Alliance l’a conduit à être l’acteur du massacre des fruits de son propre sein: Même s’ils élèvent des fils, je les en priverai avant qu’ils soient des hommes. Oh oui, malheur à eux quand je vais me retirer d’eux! Ephraïm, je le vois comme une autre Tyr, plantée dans un lieu verdoyant, et pourtant Ephraïm devra livrer ses fils à la tuerie. Donne-leur, Seigneur... Que donneras-tu? Donne-leur ventre stérile et mamelles desséchées (Os 9, 12-14).

Certes, le texte prophétique ne manque pas d’anthropomorphisme: Dieu qui prive les hommes de leurs fils150. Mais, il n’est pas moins explicite sur les causes du drame humain: le malheur est fonction de la séparation entre Dieu et le peuple151. À l’absence du Seigneur, le peuple «devra livrer ses fils à la tuerie». Voilà ce à quoi conduit l’exclusion de 149 Cf. E. FRIEDMAN , Jewish Identity, 111-132. 150 Cf. Pour la lecture des anthropomorphismes dans l’AT, voir E. FRIEDMAN , Jewish Identity, 116-122. 151 Cf. F. GANGLOFF , «YHWH ou les Déesses-Arbres? (Osée XIV 6-8)», in VT 49/1 (1999), 34-48.

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Dieu de la scène du vivre humain. Voilà aussi ce à quoi correspondra évidemment le refus des contemporains de Jésus de l’accueillir. Voilà enfin pourquoi les «Filles de Jérusalem» doivent pleurer pour invoquer la miséricorde de Dieu et la conversion. 2.3.3.2.2 De la longévité, Lc 23, 30 To,te a;rxontai le,gein toi/j o;resin\ pe,sete evfV h‚ma/j( kai. toi/j bounoi/j\ kalu,yate h‚ma/j: Alors on se mettra à dire aux montagnes: ‹Tombez sur nous›, et aux collines: ‹Cachez-nous›. 2.3.3.2.2.1 Verset d’Os 10, 8 cité Ce verset se lit presque textuellement en Osée 10, 8152: «Les hauts lieux de la Fausseté seront supprimés, ce péché d’Israël; les ronces et les épines grimperont sur leurs autels et ils diront aux montagnes: ‹Couvrez-nous›, et aux collines: ‹Tombez sur nous›». Qu’est-ce que le prophète entendait transmettre, communiquer? À quoi rime cet oracle? D. Stuart y introduit disant: L’annonce de la rétribution divine par Osée finit avec une description de la dévastation des multiples lieux saints et autels d’Israël, ainsi que du peuple qui y sacrifiait. [Selon la Vulgate le verset] 8 annonce l’accomplissement de la triple malédiction sur les hauts lieux (twmb), les autels (twxbzm) et le peuple, dans des images similaires à celles des malédictions dans le Lévitique (par exemple Lv 26, 30…). En flagrante violation de l’alliance (Dt 12, 2-14), Israël emprunta de chez les Cananéens le système de la hmb, «haut lieu»… Pratiquement, dans chaque cité ou village, il pouvait y avoir une ou plusieurs hauts lieux, lieux saints construits sur les monts, habituellement avec des arbres (quelques fois le bosquet était désigné comme un endroit pour le culte d’Astarté, la divinité de la fertilité) et une hbcm, «Pierre sacrée» et toujours un autel sacrificiel… Le passage [Os 10, 8] finit en indiquant le cri de ceux qui seront encore vivant au moment de ces calamités qui surviendront. Leur cri n’est pas une réponse [liée] uniquement à la destruction du culte, mais entend être l’expression du comble des malheurs. De façon implicite, dans diverses prédictions de destruction de centres cultuels, il apparaît que telle dévastation ne sera seulement qu’une part d’une calamité générale laquelle devra affecter la nation entière. Guerre, épidémie, famine, catastrophes naturelles, et toutes autres sortes de misères peuvent potentiellement faire partie du processus de punition. Les misères

152 Cf. J. DUPONT , «Il n’en restera pas pierre sur pierre (Marc 13, 2; Luc 19, 44)», 316.

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à endurer seront si grandes que le peuple criera désespérément pour le soulagement… par un tremblement ou autre chose semblable153.

Le verset est donc en quelque sorte l’aperçu de l’histoire générale d’Israël, une histoire marquée fortement par le péché d’idolâtrie, ce péché qui signifie la négation de l’alliance. Oubliant la source de sa vie et de sa fécondité, Israël s’est adonné aux cultes corrompus, païens. Or «l’impiété a des conséquences qui sont spirituelles et historiques à la fois154». L’abandon du Dieu de l’alliance est censé entraîner de façon certaine des malédictions, même si celles-ci peuvent être imprévisibles dans leurs réalisations. Dans le cas présent, très probablement, il est fait mention des événements relatifs à l’avant, au pendant et à l’après de la destruction de Jérusalem, de la tuerie des autorités et de la déportation, c’est-àdire l’exil (587 av.J.C.). Adam et Ève sont exilés du Jardin d’Éden, comme Israël serait exilé de la Terre sainte… le Jardin d’Éden est un lieu saint où demeure Dieu, une terre sainte en miniature. Les conséquences du péché pour Adam et Ève – expulsion, souffrance et humiliation – sont celles énumérées en Lv 26 et Dt 28 pour l’abandon par Israël de l’Alliance du Sinaï155.

Les malheurs en face, c’est-à-dire l’expulsion, la souffrance et l’humiliation, devraient plonger le peuple dans une terreur insupportable. Aller mourir hors de la terre promise, sur une terre étrangère était alors la pire des malédictions: une peine qui était perçue pratiquement comme semblable à l’exclusion totale du paradis, des grâces divines (cf. Ps 137, 19). D’où ce désire ardant d’y rester vaille que vaille, allant même à préférer y être éclaboussé, écrasé sous les monts et privé de sépultures dignes, mais épargné de la malédiction de la déportation. 2.3.3.2.2.2 Un cliché dans l’argumentation lucanienne Par la note que la BJ porte sur le verset, commencera notre réflexion ici: «Devant l’ampleur de la catastrophe qui leur enlève toutes raisons de vivre, ils souhaiteront la fin du monde. C’est dans le même sens que 153 D. STUART, Hosea-Jonah (Word Biblical Commentary, vol. 31), Word Books, Waco, Texas 1987, 163. 154 E. FRIEDMAN , Jewish Identity, 111. 155 Ibidem, 117.

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Jésus cite cette parole, Lc 23, 30, cf. Ap 6, 16». Le sens pourrait être explicité. Quelles sont les raisons de vivre que le chaos enlève? Qu’est ce que peut signifier vouloir être écrasé sous les montagnes et les collines de façon plus personnelle? Cette image a une double portée. Elle traduit le dégoût de l’existence, de la longévité, qui est pourtant une des plus belles bénédictions de l’existence humaine. Mais aussi et surtout, elle laisse entendre la pire d’une fin de vie, mourir comme une persona non grata, sans ta,foj, «sépulcre» ni mnhmei/on, «mémorial, mausolée» (cf. Mt 23, 29)156. Enfin, notons que Lc 23, 30 indique indirectement le suicide. À en croire D. Faivre, il n’existe aucun terme de l’hébreu biblique pour désigner cette pratique… aussi, l’Ancien Testament n’approuve ni ne condamne ce geste: il l’ignore. En outre, la médiocre qualité attribuée à l’existence dans le shéol, dans la mesure où le suicidé y avait accès, alliée à l’absence de la croyance en une résurrection véritable faisait que l’homme préférait assurer sur terre la plus longue vie possible, plutôt qu’affronter prématurément l’incertitude de l’au-delà157.

Sans vouloir entamer une polémique avec l’auteur cité, nous dirions tout simplement que l’AT est tendue vers la vie en plénitude et que toute forme d’atteinte à l’intégrité de l’existence est un acte contre nature. Et le vouloir d’être écrasé sous les monts est une des pires malédictions, c’est un destin malgré tout inconcevable et sacrilège158. Mais 156 C. COULOT, Jésus et le disciple, 37-38: «Dans le monde ancien [Grec et Romain], le devoir d’enterrer un mort était considéré comme l’un des plus graves... Dans l’Ancien Testament, le fait d’être abandonné sans sépulture était la pire des malédiction (Dt 21, 22-23; 1 R 14, 11; Jr 16, 4; 22, 19; 25, 33). Plusieurs textes manifestent le souci qu’on avait d’assurer aux morts une sépulture décente (2 S, 2, 5; Tb 2, 4-7; 8, 10-12; 14, 2.11-13; Si 7, 33; 38, 16)… Enfin un signe éminent de la piété filiale consistait à ensevelir les dépouilles mortelles des parents… Dans la tradition rabbinique l’ensevelissement des morts était une œuvre qui procure la vie (Mekilta Ex 18, 20)… La Mishnah précise que celui qui a devant lui un mort est dispensé du ‹Schema›, des dix-huit bénédictions et des préceptes de la Loi (Berakot 3, 1)... [Mishnah] permet aussi les soins nécessaires et les préparatifs à l’ensevelissement des morts, même le jour du Sabbat (Sabbat 23, 5)». 157 D. F AIVRE, Vivre et mourir dans l’Ancien Israël, 79.90. 158 Cf. Sg 3, 13-19: «13 Heureuse la femme stérile qui est sans tache, celle qui n’a pas connu d’union coupable; car elle aura du fruit à la visite des âmes. 14 Heureux encore l’eunuque dont la main ne commet pas de forfait et qui ne nourrit pas de pensées perverses contre le Seigneur il lui sera donné pour sa fidélité une grâce de choix, un lot très délicieux dans le Temple du Seigneur. 15 Car le fruit de labeurs

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voilà où doit conduire une histoire humaine conçue sur l’exclusion de Jésus: une vie sans tenants ni aboutissants. Sans Jésus, l’humanité se rend à la mort, d’une manière ou d’une autre, et de façon ignoble. En conclusion, retenons les points suivants. Les malheurs qui doivent survenir, Luc ne les décrit pas directement. Mais il dépeint les réactions qui s’en suivront avec des images prophétiques bien choisies159, visant surtout à montrer le drame consécutif à l’exclusion de Jésus. Exclure Jésus, c’est vivre pour son anéantissement total, une fin sans héritiers et sans mémorial. Ce sort qui attend l’humanité est le signe de son évidente impiété et entend en même temps traduire l’identité de celui qui parle, Jésus. Mourir spolié de tout jusqu’à la progéniture et être alors obligé à faire appel aux monts pour qu’ils tombent et couvrent les morts-vivants sont deux images d’un même cliché prophétique. Car normalement ce sont les enfants qui sont tenus d’enterrer les parents morts rassasiés d’années parmi les leurs. Mais «en ces jours là» la fécondité sera un malheur: mieux vaudra ne pas naître, mieux vaudra ne pas procréer. L’existence ne promet qu’une malédiction: la privation d’enterrement, un cruel jugement de l’histoire. Une conduite immorale ou impie en est souvent la cause. Ainsi, en raison du comportement sacrilège de Jéroboam, sa maison disparaîtra et aucun de ses membres ne sera inhumé, excepté son fils (1 R 14, 13). Élisée prédit l’anéantissement de la maison d’Akhab et annonce que Jézabel ne sera pas enterrée (2 R 9, 10). Le thème est récurrent chez les prophètes, ainsi Jérémie l’affirme aux Judéens qui «n’auront personne pour les ensevelir» (Jérémie 14, 16; 16, 4), et à Joïakim, roi de Juda (36, 30). Cette extrême sévérité déniant aux morts le droit à l’enterrement est toujours la conséquence de la punition divine160.

Ce cliché revient chez les prophètes à chaque fois que le peuple s’adonne aux idoles et abandonne Yhwh. Il sert surtout à montrer la place irremplaçable de Dieu dans la vie de son peuple. Son usage dans le récit honnêtes est plein de gloire, impérissable est la racine de l’intelligence. 16 Mais les enfants d’adultères n’atteindront pas leur maturité, la postérité issue d’une union illégitime disparaîtra. 17 Même si leur vie se prolonge, ils seront comptés pour rien et, à la fin, leur vieillesse sera sans honneur, 18 s’ils meurent tôt, ils n’auront pas d’espérance ni de consolation au jour de la Décision, 19 car la fin d’une race injuste est cruelle!». 159 Cf. K. STOCK , Il racconto della passione nei vangeli sinottici, 79. 160 Cf. H. NUTKOWICZ, L’homme face à la mort au Royaume de Juda, 71.

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de Lc 23, 26-32 revêt implicitement Jésus de la dignité égale à celle de Dieu Père: Jésus est dans la voie de l’Alliance et y tient une place égale à celle de Yahvé le créateur Dieu. On comprend alors que ce que Jésus dit aux «Filles de Jérusalem» sur le chemin de la croix ne leur est pas exclusivement réservé. Ses propos valent pour l’homme de tous les temps et de tous les horizons. Car c’est le sens même de la vie humaine qui est en jeu ici. Cette visée universelle trouve un appui solide dans la question sapientiale avec laquelle Jésus conclura son intervention. 2.3.4 Question rhétorique en Lc 23, 31 Jésus termine son intervention par une demande dont la réponse devra engager l’interlocuteur de façon réfléchie: o[ti eiv evn tw/| u‚grw/| xu,lw| tau/ta poiou/sin( evn tw/| xhrw/| ti, ge,nhtaiÈ : Car si l’on traite ainsi l’arbre vert, qu’en sera-t-il de l’arbre sec? La phrase introduite par o[ti se veut une vraie proposition causale. La conjonction de subordination o[ti est ici (23, 31) l’expression d’un vrai rapport de causalité. Le verset 23, 31 fonctionne en tant que la raison du contenu des jours en face que relatent les vv. 29-30161. Aussi peut-on penser que celle-ci soit la vraie proposition subordonnée à 23, 28. Les faits rapportés dans les vv. 29-30 seraient à voir comme une logique conséquence du traitement fait à «l’arbre vert» dont parle le v. 31. Si cette conception de l’agencement ferait une certaine unanimité parmi les auteurs, il n’en est pas du tout ainsi dans le cas du sens général du verset et de la portée des images qu’il comporte. 2.3.4.1 Diverses lectures du verset Lc 23, 31 Dans la discussion exégétique sur le sens général des dires de Jésus en Lc 23, 31, cinq grandes lignes d’interprétation se dégagent. Le résumé ci-dessous les présentera d’après le répertoire qu’en donne D. L. Bock: 1) Les Romains ont maltraité le juste Jésus, ils feront pire à une nation révoltée. 2) Les juifs ont maltraité le bon Jésus, ils en méritent le pire.

161 Cf. J. H. NEYREY, «Jesus’ Address to the Woman of Jerusalem (Lk23, 27-31)», 79: «23, 31 functions as the reason for predicting the events in vv. 29-31: ‹these things will certainly come, because,› which is quite plausible grammatically because o[ti does tend to state the reason or cause of an event in Luke (cfr. 4, 41b; 6, 20; 8, 30; 10, 13.43; 13, 2; 15, 27 and 19, 17)».

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3) La vilaine attitude humaine de ce temps ne présage que le pire en temps de crise. 4) Dieu n’a pas épargné son Fils, il sera encore moins tendre avec des impénitents. 5) Une affirmation proverbiale sur le jugement futur sans références spécifiques162.

Depuis les Pères de l’Église jusqu’à nos jours, la conception de Lc 23, 31 tourne en général autour de ces 5 propositions. Elles tiennent toutes plus ou moins à certains présupposés: l’adresse comme oracle, la colère de Dieu, le jugement divin, le châtiment et la destruction de Jérusalem. En général elles conçoivent le verset comme une phrase composée selon «la formule proverbiale bien connue a minore ad maius («du plus petit au plus grand»)163». Le parcours suivi jusque là dans notre recherche impose évidemment une autre option de lecture. Certes, l’aspect proverbial du verset ne sera pas mis en question. Mais la syntaxe du verset pourrait en révéler d’autres plus importants. 162 D. L. BOCK, Luke. Vol. 2, 1847: «Jesus presents a lesser-to-greater argument… Though the basic image is clear, the referents are discuted…: 1. If the Romans treat an innocent person like Jesus this way, how much more will they mistreat a nation in revolution? This view introduces the Romans where they are absent. 2. If the Jews treat Jesus this way for coming to deliver them, how will they be treated for destroying him? The only thing against this view is that the subject shifts in the second half of the passage. 3. If humankind behaves this way before wickedness is full, how much more will it do so when wickedness overflows? It is not clear, however, how the reference to green and dry trees can produce this sense. This view sees the green tree as a negative reference, which is unlikely. 4. If God not spared Jesus, how much more will the impenitent nation not be spared when divine judgment comes? In this view ‹they› is an oblique third-person plural reference to God (12, 20 has a similar reference). It is easier to burn dry wood than lush, moisture-filled green wood. 5. The proverb is a general remark about coming judgment that lacks more specific referents». L’auteur voit la 4ème proposition comme la meilleure. R. E. BROWN , La mort du Messie, 1020, traitera longuement de la question avant de se prononcer. Mais sa position rejoindra finalement la troisième proposition: «La suggestion fondamentale de Neyrey est donc à mes yeux la plus plausible. S’ils (les chefs juifs et le peuple) me traitent ainsi en un temps favorable (quand ils ne sont pas encore contraints par les Romains), combien pire sera leur traitement en des temps défavorables (quand les Romains les réprimeront). Dans cette interprétation, le bois vert et le bois sec sont simplement deux périodes différentes, l’une plus favorables que l’autre, et le ‹bois› n’est pas interprété de manière allégorique». 163 Cf. R. E. BROWN , La mort du Messie, 1019. Voir aussi Pr 11, 31; 1 P 4, 17.

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2.3.4.2 Diverses traductions en français de Lc 23, 31 Un regard sur les différentes traductions françaises: BFC 23, 31: DRB 23, 31: BJ 23, 31: LSG 23, 31: NEG 23, 31: TOB 23, 31:

Car si l’on traite ainsi le bois vert, qu’arrivera-t-il au bois sec? Car s’ils font ces choses au bois vert, que sera-t-il fait au bois sec? Car si l’on traite ainsi le bois vert, qu’adviendra-t-il du sec? Car, si l’on fait ces choses au bois vert, qu’arrivera-t-il au bois sec? Car, si l’on fait ces choses au bois vert, qu’arrivera-t-il au bois sec? Car si l’on traite ainsi l’arbre vert, qu’en sera-t-il de l’arbre sec?

À part la TOB, toutes les autres traduisent u‚gro,n xu,lon par «bois vert». La BJ et la TOB rendent poie,w, «faire» par le sens de traiter. La BJ est la seule à traduire gi,nomai par «advenir». Ces différences révèlent combien la précision du vocabulaire importe dans la compréhension de la période hypothétique. Nous y serons attentifs. 2.3.4.3 Lc 23, 31, une deuxième pistis Le verset 23, 31 est une justification de ce qui a été dit aux «Filles de Jérusalem» en 23, 28-30. Il veut établir la raison pour laquelle Jésus ne doit pas être l’objet de pleurs, montrer que son exclusion ne doit qu’amener les gens sensés à pleurer devant Dieu et les hommes et établir finalement que la question Jésus est une question de vie ou de mort pour toute humanité. Bien que d’allure proverbiale, le verset viserait plutôt à dire qui est au juste Jésus. L’usage des images n’a d’autre but que cette caractérisation. Et c’est à cause de cette réalité que l’on ne pourrait être d’accord avec J. Dupont qui pense que le v. 31 n’explique pas la raison de la recommandation du v. 28164. En scrutant davantage la logique syntaxique et le poids de la terminologie, il se fera voir qu’aussi bien le v. 28 que les vv. 29-30 tous trouvent leur fondement dans le v. 31.

164 Cf. J. DUPONT, «Il n’en restera pas pierre sur pierre (Marc 13, 2; Luc 19, 44)», 317: «Nous pensons… que le v. 31 explique la raison, non de la recommandation de du v. 28, mais de la catastrophe à laquelle se rapportent les vv. 29-30». Est du même avis A. PLUMMER, A Critical and Exegetical Commentary on the Gospel according to S. Luke, 529: «This is not the continuation of the cry of despair, but gives the reason for predicting such things».

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2.3.4.3.1 Problème de syntaxe Le v. 31 est formulé en demande rhétorique. Deux propositions s’y trouvent: une principale, l’apodose evn tw/| xhrw/| ti, ge,nhtai È et la subordonnée, la protase o[ti eiv evn tw/| u‚grw/| xu,lw| tau/ta poiou/sin. Le sens du verset ne pourra être dégagé sans une considération exacte de la relation qui unit la protase à l’apodose. L’apodose est grammaticalement indépendante, mais sémantiquement dépendante de la protase. D’où aussi le nécessaire apport de la sémantique dans l’établissement du sens165. Le verbe de la protase poiou/sin est le présent indicatif actif du verbe poie,w, «faire», à la troisième personne du pluriel. Le verbe poie,w, «faire» indique ici un agir humain, il ne s’agit pas d’un agir divin. L’acte en question est au désavantage de «l’arbre vert». Ce sens adversatif de poie,w, «faire» se rencontre plusieurs fois dans l’Évangile. Par exemple en Jn 15, 21: «Tout cela, ils vous le feront à cause de mon nom, parce qu’ils ne connaissent pas celui qui m’a envoyé»; et en Mt 17, 12: «Je vous le déclare, Élie est déjà venu, et, au lieu de le reconnaître, ils ont fait de lui tout ce qu’ils ont voulu166». Dans l’univers biblique ce verbe poie,w, «faire» n’est pas sans gravité. C’est essentiellement par son poie,w, «faire» que l’humain s’attire la bénédiction ou la malédiction, la vie ou la mort (Lv, Dt)167. Autant dire que ceux qui s’attaquent à «l’arbre vert» sont les premiers responsables des jours tragiques en face dont les deux versets Lc 23, 29-30 rendent les couleurs. Les tragédies en perspectives ne tiennent pas du tout à une hostilité personnelle de Jésus, elles ne sont pas à l’actif de Dieu.168 Le verbe de l’apodose ge,nhtai est le subjonctif aoriste moyen de gi,nomai, «advenir, subvenir, devenir», à la troisième personne du singulier. Le verbe gi,nomai, «advenir, subvenir, devenir» a plusieurs acceptions. Mais vu la notion de responsabilité qu’introduit le verbe poie,w, «faire», le verbe gi,nomai, «advenir, subvenir, devenir» ne peut que comporter la connotation de résultat169. 165 Cf. D. B. WALLACE, Greek Grammar beyond the Basics: An Exegetical Syntax of New Testament, Zondervan, Grand Rapids (MI) 1996, 680-713. 166 Cf. BDAG, «poie,w», n. 4c, 841. 167 C’est là une des plus grandes thèses de l’histoire deutéronomiste. 168 Cette idée est émise par C. H. GIBLIN à la conclusion de son article déjà cité. Cf. C. H. GIBLIN , The Destruction of Jerusalem According to Luke-Acts, 105. 169 Cf. BDAG, «gi,nomai», n. 4, 197.

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C’est avec la même charge de résultat que le verbe gi,nomai, «advenir, subvenir, devenir» est utilisé, par exemple, en Jn 5, 14: i;de u‚gih.j ge,gonaj( mhke,ti a‚ma,rtane( i[na mh. cei/ro,n soi, ti ge,nhtai: «Te voilà bien-portant: ne pèche plus de peur qu’il ne t’arrive pire encore!170» D’après cette donnée, la relation qui existe entre la protase et l’apodose est une relation de cause à effet. Le sens primordial du verset ne serait donc pas à chercher à travers la formule proverbiale a minore ad maius, du plus petit au plus grand (malheur)171. Il n’y est pas question d’un raisonnement a fortiori, comme on le penserait172. Car l’optique du verset est la question de finalité de l’agir173. Les dires de Jésus à son auditoire: «Car si l’on traite ainsi l’arbre vert, qu’est ce qui doit advenir au sec?» laissent entendre que le résultat est de l’ordre de l’évidence. La question est alors moins une équation à résoudre qu’une interpellation à comprendre et à prendre en considération. Elle porte sur la finalité suprême de l’existence humaine, autrement dit sur la question du sens et du vrai chemin de vie. Plus que la simple solution à donner pour un problème ponctuel, les propos visent une résolution qui oriente vers Jésus, source de vie. Le v. 31 est de cette perspective sapientielle qui interpelle l’homme sur sa propre conduite et l’emmène à réfléchir et à faire une option conséquente.

170 Voir aussi Lc 14, 12: «:Elegen de. kai. tw/| keklhko,ti auvto,n\ o[tan poih/|j a;riston h’ dei/pnon( mh. fw,nei tou.j fi,louj sou mhde. tou.j avdelfou,j sou mhde. tou.j suggenei/j sou mhde. gei,tonaj plousi,ouj( mh,pote kai. auvtoi. avntikale,swsi,n se kai. ge,nhtai avntapo,doma, soi: Il dit aussi à celui qui l’avait invité: ‹Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins, sinon eux aussi t’inviteront en retour, et cela te sera rendu›». 171 Cf. R. E. BROWN , La mort du Messie, 1019. Voir aussi Pr 11, 31; 1P4, 17. 172 Cf. J. DUPONT , «Il n’en restera pas pierre sur pierre (Marc 13, 2; Luc 19, 44)», 318; A. PLUMMER, A Critical and Exegetical Commentary on the Gospel According to S. Luke, 529. 173 L’homme est payé de ses œuvres: «Le méchant recueille un salaire décevant, une récompense est assurée à qui sème la justice» (Pr 11, 18). Un pays est payé selon ses fautes: «Tes richesses, tes trésors, je les livre au pillage. Tel est le salaire de toutes tes fautes sur l’ensemble de ton territoire» (Jr 15, 13). Certes, on pourrait dire qu’il y a ici une signification de la doctrine de la rétribution. Mais justement, c’est le cas où elle est utilisée comme moyen pédagogique pour emmener l’auditoire à la conversion.

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2.3.4.3.2 Deux images fortes: «arbre vert et arbre sec» Tout le texte de Lc 23, 26-32 tourne autour du mystère de Jésus que l’on vient de juger persona non grata en Israël, personne à «conduire au supplice» (26), un mal à éradiquer (32). Le narrateur s’applique à prouver tout le contraire du jugement porté sur l’homme de Nazareth. Sa composition arrive à son dénouement dans le v. 31 où le mystère de Jésus trouve un éclairage inconnu jusque là. Mais la dite révélation s’exprime dans un langage original à décrypter. Les deux termes «arbre vert et arbre sec» seront examinés profondément. Puisque tout le problème repose sur le contraste entre «l’arbre vert et l’arbre sec», sur leurs significations respectives et leur relation174. Les propos de M.-J. Lagrange peuvent servir de préambule ici: On ne voit pas bien pourquoi on nous renvoie à Jér. XI, 16… et il n’est pas sans équivoque de dire que ‹l’antithèse du bois vert et du bois sec se trouve dans Ézéchiel›… parce qu’Ézéchiel (xx, 47 ou xxi, 3) met sur le même rang xu,lon clwro.n kai. pa/n xu,lon xhro,n, ce qui est bien loin de l’opposition ingénieuse du texte… Réfléchissons cependant à la menace terrible que contiennent ces paroles si pénétrées de bonté175.

2.3.4.3.2.1 «Arbre sec» «L’arbre sec» est l’image opposée à celle de l’arbre vert. Si «l’arbre vert» indique Jésus, à quoi doit renvoyer «l’arbre sec»? Sans doute, comme l’expression u‚gro,n xu,lon, «arbre vert», le terme xhro,j, «sec» renvoie logiquement à une catégorie d’être, une entité existentielle. L’article défini dans la phrase evn tw/| xhrw/| ti, ge,nhtaiÈ conduit à cette vision. Si u‚gro,n xu,lon, «arbre vert» indique la force, la vitalité, la pérennité et autres, xhro,j, «sec» renvoie à l’infirmité, l’aridité, l’infécondité, la mort. C’est pourquoi l’eunuque ne peut que dire dans sa situation: evgw, eivmi xu,lon xhro,n: «Je ne suis qu’un arbre sec» (Is, 56, 3). C’est ce à quoi se réduit l’orgueilleux insensé: ta. fu,lla sou katafa,gesai kai. tou.j karpou,j sou avpole,seij kai. avfh,seij seauto.n w‚j xu,lon xhro,n: «Tu dévoreras tes feuilles, tu détruiras tes fruits, tu te rendras comme un arbre sec» (Si 6, 3). 174 Cf. C. H. GIBLIN , The Destruction of Jerusalem according to Luke-Acts, 102: «A major problem in the proverbial statement may now be studied in terms of formulation itself. The problem centers on the contrast between ‹green wood› and ‹dry wood›». 175 M.-J. LAGRANGE , Évangile selon saint Luc, 586.

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C’est la condition d’un Israël blessé dans son âme et dans sa chair par les coups de l’histoire: «Nos ossements sont desséchés, notre espérance a disparu, nous sommes en pièces» (Ez 37, 11). Le dessèchement de l’humanité privée de Dieu s’exprimera jusque dans la conception du Séjour des morts. En Mésopotamie l’après-mort se passerait dans un lieu non désertique. Mais «le Shéol israélite est au contraire décrit comme une terre sans eau, une terre aride et… fréquemment associée au désert».176 Il s’avère donc clair que dans la pensée biblique «le sec» est l’expression du désespoir, de la précarité, de la mort. En maltraitant «l’arbre vert», on se condamne évidemment à la stérilité, à la caducité, à la disparition. Jésus est «l’arbre vert», celui qui s’en prend à lui y risque sa vie. La relation qui unit l’apodose evn tw/| xhrw/| ti, ge,nhtaiÈ: «qu’est-ce qui adviendra au sec?» à la protase est de type cause à effet. Le pluriel impersonnel et l’indicatif présent177 du verbe de la protase disent que la période hypothétique est celle de la réalité, c’est-à-dire elle sous-entend une conclusion logique178. Ce qui fait déduire que l’apodose ne suppose pas une éventualité indéfinie, mais un cas défini. De telle sorte que l’on pourrait expliciter davantage la protase comme suit: evn tw/| xhrw/| ti, ge,nhtaiÈ: «qu’est-ce qui doit advenir au sec?». Cela est d’autant plus fondé qu’à l’absence du subjonctif aoriste fini, on est obligé de recourir à un dei/ pour introduire cet aspect impératif 179. En effet, le subjonctif de la demande soutient cette explicitation. Tout ce qui peut advenir à la suite de la violence faite à «l’arbre vert» est seulement ce qui a été spécifié en 23, 29-30, c’est-à-dire la réduction à la caducité et la propre condamnation à mort. Enfin, clarifions la définition de la nature de la question180. Il arrive bien souvent de rencontrer dans les commentaires la phrase evn tw/| xhrw/| 176 D. F AIVRE , Vivre et mourir dans l’Ancien Israël, 103. 177 Contrairement à l’avis de certains exégètes, le présent n’est pas un présent historique (voir la notion en Bl-De, § 321, 403-404). La nature proverbiale du verset ne se prêterait pas à ce sens. 178 Ibidem, § 371, 449-458. 179 Voir par exemple en Ac 16, 30: «proagagw.n auvtou.j e;xw e;fh\ ku,rioi( ti, me dei/ poiei/n i[na swqw/;» 180 Pour ce paragraphe, nous nous référons surtout E. de W. BURTON , Syntax of the Moods and Tenses in the New Testament Greek, T. & T. Clark, Edinburg 31987, §§ 168-171 et D. B. WALLACE, Greek Grammar beyond the Basics, 680-713.

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ti, ge,nhtai;: «qu’est-ce qui adviendra au sec?» définie comme une question délibérative. Mais en réalité, elle est une question rhétorique de fait181, qui est différente d’une interrogation délibérative182 ainsi que d’une rhétorique délibérative183. L’interrogation ici donne surtout une emphase à l’évidence, à la véracité184 et porte comme par ricochet à mettre en relief les personnes qui sont derrière les faits. Le xhro,j, «sec» renvoie automatiquement au mystère du u‚gro,n xu,lon, «arbre vert», le mystère de la personne de Jésus, qui s’affiche comme question de vie ou de mort pour l’homme (cf. Dt 4 et Lv 26). 2.3.4.3.2.2 «Arbre vert» L’expression u‚gro,n xu,lon, «arbre vert» est des fois traduite par «bois vert». Cette traduction laisserait à désirer185, puisque il s’agit ici d’une image vivante relative à l’être. «Le bois vert» est trop vague et pourrait faire penser à une nature morte ou même à un jardin, une forêt. Le terme xu,lon évoquerait cette réelle créature de la genèse: xu,lon o] e;cei evn e‚autw/| karpo.n spe,rmatoj spori,mou: «arbre dont le fruit porte sa semence» (Gn 1, 29)186. A) Hapax aux multiples ouvertures Précisons que l’usage du terme xu,lon, «arbre» est du registre du symbole. Et c’est là tout le problème. À quoi il renvoie précisément? Qu’estce que vaut ce symbole dans la qualification de «vert» qui lui est appliquée? L’expression u‚gro,n xu,lon utilisée par Luc ici se rencontre-t-elle ailleurs dans la Bible? La lecture de cette expression est compliquée. Elle ramène sur la table herméneutique bien des notions de la symbolique de l’arbre dans le monde biblique. En effet, l’expression lucanienne u‚gro,n xu,lon, «arbre vert» rappelle au lecteur averti de la Bible: 181 Comme en Lc 16, 11: «Si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’Argent trompeur, qui vous confiera le bien véritable?». 182 Comme en Lc 22, 49: «Seigneur, frapperons-nous de l’épée?». 183 Comme en Lc 14, 34: «Le sel est une bonne chose; mais si le sel perd sa saveur, avec quoi l’assaisonnera-t-on?» 184 Cf. A. PLUMMER, A Critical and Exegetical Commentary on the Gospel According to S. Luke, 529: «‹These horrors will certainly come, because›, etc.». 185 Luc est attaché à la Septante qui est plutôt ouvert à l’emploi de xu,lon au sens de l’arbre. 186 Cf. BDAG, «xu,lon», n. 3, 685.

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le xu,lon clwro.n, «arbre frais-vert» (Ez 20, 47; 21, 3); l’a;rkeuqoj puka,zousa, «cyprès couvert, toujours vert, verdoyant» (Os 14, 9); le de,ndron poiou/n karpo.n kalo.n, «arbre faisant de bons fruits» (Lc 3, 9); le de,ndron kalo,n, «bon arbre» (6, 43); l’a;mpeloj… ta. klh,mata, «vigne et ses branches» (Jn 15, 5); le de,ndron u‚yhlo.n, «arbre de grande taille» (Dn 4, 10) et le xu,lon th/j zwh/j, «arbre de vie» (Gn 2, 9; Ap).

Une objection pourrait être portée contre cette liste de références: on ne retrouve dans la liste aucune occurrence exacte de l’expression lucanienne u‚gro,n xu,lon, «arbre vert». Effectivement, nous sommes devant un hapax. Cependant, c’est ce fait même qui paraît paradoxalement très intéressant, illuminant! Car on doit se demander alors pour quelle raison Luc, qui doit connaître ces expressions traditionnelles de la Bible, ne reproduit exactement aucune d’entre elles? Probablement l’option est faite pour une formulation plus «générique» u‚gro,n xu,lon, «arbre vert», parce qu’elle pourrait récapituler toutes les richesses de cette grande symbolique biblique. Cet aspect de la chose ne doit pas être négligé. Les aptitudes littéraires de l’hapax en question interdisent en quelque sorte toute interprétation univoque; en tant que tel, il se présente comme un réceptacle des significations des formulations particulières. Par ricochet chacune d’elles s’y retrouve. Commentant l’expression: !nÉ []r: vAr b, «cyprès, genièvre, genévrier, noble arbre, luxuriant, fructueux, pérenne», en grec: a;rkeuqoj puka,zousa, «cyprès couvert, toujours vert, verdoyant» (Os 14, 9), H. W. Wolff propose une ingénieuse lecture de la symbolique qui fait comprendre cette compénétration des significations des terminologies utilisées et leur variabilité selon les contrées:

.

!n[r met l’emphase sur le grand et abondant feuillage de l’arbre, ce qui était considéré comme l’archétype d’une existence durant à jamais. G [grec] a «le feuillage épais» (ðõκÜîïõóá). En outre, il [arbre en question] est conçu comme un arbre fruitier. Ainsi il peut à peine être réfuté qu’un type d’arbre de vie soit conçu ici. Sur des sceaux de cylindre babyloniens et des reliefs de palais, l’arbre de vie est souvent peint comme une sorte de paume qui porte des fruits en forme d’ananas. Chez les Phéniciens le cyprès était connu comme un arbre saint. Le verset 9 est l’unique fois dans l’Ancien Testament où Yahweh est comparé à un arbre187.

187 H. W. WOLFF, Hosea: A Commentary on the Book of the Prophet Hosea (Hermeneia) Fortress Press, Philadelphia (PA) 1974, 237.

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Un regard sur des conceptions de la symbolique permettra d’expliciter les propos. Partons de la proposition de saint Ambroise de Milan. Le Père de l’Église se serait basé sur le sens de ce xu,lon clwro.n d’Ézéchiel pour traduire l’u‚gro,n xu,lon, «arbre vert» de Luc par «arbre humide»188. Or la symbolique u‚gro,n xu,lon, «arbre vert», bien que pouvant l’intégrer, s’ouvre à plusieurs autres significations que l’état d’humidité. Lier unilatéralement la symbolique à ce sens d’«arbre humide» risque de priver l’expression lucanienne de son ouverture et de réduire son champ herméneutique aux seuls horizons de l’épreuve du feu. Il en va de même pour la notion d’«arbre aux bons fruits»189: si on ne peut pas exclure la question de «la bonne production» dans la symbolique de l’u‚gro,n xu,lon, l’«arbre vert», cette lecture ne saurait l’épuiser. La symbolique ne parle pas moins, par exemple, de droiture, de justice190 et de principe de la vie. B) Symbolique de l’arbre et le Je personnel En plus de la rectitude, de la bonté et de la résistance au feu, l’expression u‚gro,n xu,lon, «arbre vert» symbolise la vie même. Aussi, les grands rois ne pouvaient-ils trouver mieux pour dire leur bienfaisante puissance que cette image majestueuse. Dans le livre de Daniel, au grand roi Nabuchodonosor est révélé à travers le symbolisme de l’arbre celui qu’il a cru être dans son orgueil: Dans les visions de mon esprit sur ma couche, je regardais, et voici un arbre, au milieu de la terre, dont la hauteur était immense. L’arbre devint grand et fort: sa hauteur parvenait jusqu’au ciel, et sa vue, jusqu’aux extrémités de la terre. Son feuillage était beau et ses fruits abondants: il y avait en lui de la nourriture pour tous. Sous lui s’abritaient les bêtes des champs, dans ses ramures demeuraient les oiseaux du ciel, et de lui se nourrissait toute chair (Dn 4, 7-9).

Les vertus attribuées à l’arbre dans le texte cité révèlent clairement combien cette créature fascinait le monde de la Bible, le moyen orient ancien. Il ne sera donc pas étonnant de découvrir par-ci et par-là de traces 188 Cf. AMBROISE de Milan, De Noe 15, 53 (CSEL 32, 1). 189 Cf. K. STOCK, Il racconto della passione nei vangeli sinottici, 79. L’auteur allant dans le sens de l’arbre aux bons fruits s’appuiera sur ces références: Lc 3, 9: «La hache est déjà prête à couper les arbres à la racine: tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu»; voir aussi 13, 6-9. 190 Plusieurs fois dans la Bible, l’homme juste est représenté «comme un arbre planté près des ruisseaux… il réussit tout ce qu’il fait» (Ps 1, 1s).

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de pratiques cultuelles relevant de la divinisation d’arbres. Et le peuple de Dieu ne manquera pas d’en être affecté. La lutte des prophètes contre cette déviation religieuse est signalée dans bien de pages de la Bible191. L’affrontement entre Yhwh et les déesses-arbres aura un pic dans le livre d’Osée, dont l’apport à notre texte n’est plus à démontrer192. À la fin du livre d’Osée, Yhwh laisse entendre qu’il est le vrai principe de la fertilité193, chose recherchée à peine perdue dans les cultes de la fertilité sous les arbres sacrés qui ne sont qu’une pure illusion: Éphraïm, qu’a-t-il encore à faire avec les idoles? Moi je l’exauce et le regarde. Je suis comme un cyprès verdoyant, c’est de moi que vient ton fruit. Qui est assez sage pour discerner ces choses et assez intelligent pour les connaître? Oui, les chemins du Seigneur sont droits, et les justes y marcheront, mais les rebelles y trébucheront (Os 14, 9-10).

F. Gangloff fit une étude approfondie du thème dans son article «Yhwh ou les Déesses-Arbres (Osée XIV 6-8)». L’auteur note que la tradition oséenne fait preuve d’audace et de créativité dans sa contribution à la lutte contre les déesses-arbres. Parlant d’Os 14, 6-9, il dit:

191 Cf. R. DE VAUX, Les institutions de l’Ancien Testament, vol. 2, Cerf, Paris 1960, 99: «Les prophètes condamnent les Israëlites qui allaient sacrifier sur le sommet des collines à l’ombre des arbres, Os 4, 13-14, près des térébynthes, Is 1, 29; 57, 5. Le Deutéronome et les textes qui en dépendent littérairement condamnent les les lieux de culte établis ‹sur les collines, sous tout arbre verdoyant›, Dt 12, 2; 1 R 14, 23; 2 R 16, 4; 17, 10, cf. Jr 2, 20; 3, 6, 17, 2; Ez 6, 13; 20, 28 et aussi Is 57, 5». Voir aussi H. NUTKOWICZ, L’homme face à la mort au Royaume de Juda, 144-147. 192 Cf. J. H. NEYREY, «Jesus’ Address to the Woman of Jerusalem (Lk 23, 27-31)», 70. 193 Cf. H. W. WOLFF, Hosea: A Commentary on the Book of the Prophet Hosea, 237: «The God of Israel provides her with more than his word and his attention. In the last ‹I am› saying in Hosea, the prophet declares in a final, bold metaphor that Yahweh himself is the gift of salvation to his people: he is described as a luxuriant ‹cypress› or as a (Phoenician) ‹juniper›… Verse 9 is the only instance in the Old Testament in which Yahweh is compared to a tree. Once again Hosea’s polemical theology – now in dispute with the trees and oracles of the Canaanite cult, which were connected with the sex rites (cf. 4:12f) – leads to a unique formulation whose intention is similar to the marriage parable of his early period. In contrast to the syncretism of Canaanite religion, Hosea declares that the fertility and vitality Ephraim vainly sought in its Canaanite cult is to be found in his God alone. The word ‹your fruit› ($yrp) may again be a wordplay on ‹Ephraim› (~yrpa), as in 9:16».

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vv. 6-9 est une sorte de réponse à la première partie [vv. 2-5] où Yhwh s’exprime à deux reprises (v. 6 et 9) à la première personne… À supposer que nous soyons bien en présence d’un dialogue amoureux dans les vv. 6-9, il reste à élucider l’identité des deux acteurs. Ce passage semble perpétuer la tradition oséenne qui ne recule devant aucun «tabou» lorsqu’elle parle de Yhwh. Elle a déjà relaté les péripéties conjugales de Yhwh au chapitre 2 dans un langage «coloré», les méfaits de la dendrolâtrie en 4, 12-14 (s), et comparé Yhwh à une mère nourricière au chapitre 11; elle le décrit maintenant sous les traits de la rosée (v. 6), du cyprès (v.9) et d’autres194.

L’identification de Yhwh comme un cyprès est un des signes de cette originalité oséenne. C’est la première et la dernière fois dans tout l’AT. La raison d’une telle rareté est très simple: dans le monde païen, des divinités s’affichaient sous la même image. Dans tout le Proche Orient, on a reconnu un caractère religieux à certains arbres. L’arbre sacré est spécialement documenté, par l’iconographie mésopotamienne. Il y apparaît comme un symbole de la fécondité… il faut surtout retenir l’association des arbres avec le culte des divinités féminines, ainsi le cyprès était consacré à Astarté195.

On remarque donc qu’à chaque fois qu’un Je personnel (roi, divinité et Yhwh) s’identifie à un arbre c’est pour signifier et affirmer sa bienfaisante puissance, une bienfaisante seigneurie. Il est clair que Jésus se déclare ici comme «l’arbre vert»196. L’expression lucanienne exprime les vertus de justice, de source, de pérennité, de vitalité et de bienfaisance-bonté, des attributs de ces personnes qui sont censées être audessus du commun des mortels. En résumé, les points suivants seront à retenir. Dans le v. 31 les deux images «l’arbre vert et l’arbre sec» sont opposées. «L’arbre sec» est signe de culpabilité et de mort. «L’arbre vert» est au contraire signe et garant de la vie. C’est donc là une auto-confession de grande portée christologique197. Cette image u‚gro,n xu,lon, «arbre vert» est non seulement l’expression de la droiture de Jésus, mais aussi de sa Seigneurie, 194 F. GANGLOFF, «YHWH ou les Déesses-Arbres? (Osée XIV 6-8)», in VT 49/1 (1999), 34-35. 195 Cf. R. DE VAUX, Les institutions de l’Ancien Testament, vol. 2, 99. 196 Cf. K. STOCK , Il racconto della passione nei vangeli sinottici, 79. 197 Certes, dans l’évangile lucanien, Jésus ne prononce pas comme dans celui de Jean la phrase: «Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi» (Jn 14, 6); mais la révélation de sa Seigneurie ne souffre aucunement d’ombres.

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en tant que principe et fin de la vie. Comme toute autre humanité, l’humanité juive trouve en lui la clé de son destin. Le passé, le présent et le futur de l’humanité ne s’expliquent que par la relation entretenue avec «l’arbre toujours vert», «l’arbre vert» de lui-même, c’est-à-dire le Seigneur de la vie dans sa prodigue et pérenne bienfaisance. C’est à la lumière de cette identité de Jésus que se comprennent alors l’étendue et la profondeur des maux de l’histoire et en même temps leurs solutions. Si Jésus n’est pas la cause des tragédies, il est l’occasion de vie ou de mort pour chacun, selon qu’il l’accueille ou le rejette. Il est la pierre angulaire dans l’histoire de l’humanité (Lc 20, 17), «tout homme qui tombe sur cette pierre sera brisé, et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera» (20, 18)198. Jésus ne doit pas être pleuré, il est «l’arbre vert»; mais sa mort doit amener l’homme averti à pleurer devant Dieu et les hommes, en signe de son opposition-conversion et de son cri d’appel à Celui qui sauve les pauvres. Se convertir à lui pour avoir la vie sauve aujourd’hui et demain est une nécessité incontournable pour l’humain.

3. Marche parallèle de deux malfaiteurs, Lc 23, 32 :Hgonto de. kai. e[teroi kakou/rgoi du,o su.n auvtw/| avnaireqh/nai : On en conduisait aussi d’autres, deux malfaiteurs, pour les exécuter avec lui. Après l’arrêt pour l’ultime enseignement de Jésus, Luc revient sur la réalité du chemin de la croix en apportant un autre élément propre, qui n’en est pas un des moindres. Il est le seul évangéliste chez qui on apprend que les deux personnes crucifiées avec Jésus ont été conduites en même temps et par le même chemin que Jésus. L’examen de ce verset commencera par le problème même de son intégration dans le texte du chemin de la croix. 198 Cf. E. FRIEDMAN, Jewish Identity, 122: «He [Jesus] is, self-confessedly, the final explanation of the Jewish destiny, the occasion, not the cause, of its tragedy, the stumbling block it encountered and over which it fell. Only the divinity of Jesus suffices to account for the extent and the depth of Jewish suffering and to endow it with a positive value».

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3.1 Intégration de Lc 23, 32 L’un des grands problèmes de la lecture et de la traduction de ce verset réside dans le comment le situer par rapport au reste du texte. Est-il un simple ajout d’information, un plus sans incidence sur la compréhension de l’ensemble? Ou est-il à concevoir comme une pièce nécessaire à l’argumentation? La pierre d’achoppement dans la situation du verset semble être surtout l’appréciation de l’expression grecque de. kai,. On le constate dans le trébuchement des traductions françaises sur l’expression: FC: DRB: BJ: LSG: TOB:

On emmenait aussi deux autres hommes, des malfaiteurs,… Et deux autres aussi, qui étaient des malfaiteurs, furent menés avec lui,… On emmenait encore deux malfaiteurs… On conduisait en même temps deux malfaiteurs,… On en conduisait aussi d’autres, deux malfaiteurs,…

La construction de. kai, revient 47 fois dans Luc-Actes. En suivant les occurrences, on se rend rapidement compte qu’elle n’a pas partout la même portée. Sa présence soutient en général dans la phrase trois effets: le bouclage d’une énumération, l’emphase et en même temps le contraste199. Chacun des trois aspects se trouve plus ou moins accentué selon les occasions200. Il est traduisible 15 fois par «aussi» d’après la TOB201. Cette traduction donne à l’expression en Lc 23, 32 ce sens d’«aussi». Ce qui est critiquable, car dans ce cas l’emphase est portée sur le nombre des condamnés202 et non sur l’acte moteur du texte qui est l’exécution de Jésus. L’ajout des deux autres doit être en principe subordonné à cela. Le mot «aussi» comporte une note accentuée non conciliable avec l’allure de l’argumentation: le démantèlement d’un jugement injuste. Il casse le contraste que Luc chercherait au contraire à rehausser. 199 Lc 2, 4; 3, 9.12; 4, 41; 5, 10.36; 6, 39; 9, 61; 10, 32; 11, 18; 12, 54.57; 14, 12.34; 15, 28.32; 16, 1.22; 18, 9; 19, 19; 20, 12.31; 21, 16; 22, 24; 23, 32.35.38; 24, 37; Ac 2, 7.26; 3, 1; 5, 16; 9, 24; 11, 7; 12, 25; 13, 5; 14, 27; 15, 35; 16, 1; 17, 18; 19, 28.31; 20, 11; 21, 16; 22, 28; 23, 34; 24, 9. 200 Cf. BDAG, «de,», n. 5, 213. 201 Cf. L’expression ‹de. kai,› est traduite par aussi, dans la TOB: Lc 2, 4; 3, 12; 4, 41; 6, 39; 11, 18; 12, 57; 14, 12; 16, 22; 20, 12; 23, 32.38; Ac 2, 26; 5, 16; 19, 31; 21, 16. 202 Comme en Lc 20, 12: les vignerons homicides.

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L’évangéliste voudrait mettre l’emphase sur ce qui est injustement fait à Jésus «l’arbre vert». Ce qui veut dire qu’au lieu du sens de «pareillement, également, aussi ou encore», l’expression grecque de. kai, jouerait ici la fonction adverbiale de renforcement, de renchérissement, de gradation. Elle aurait le sens du «même» adverbial. Autrement, la narration devrait très probablement adopter l’autre construction o‚moi,wj de. kai, comme en Lc 5, 10 et 10, 32. Ce n’est pas un cas isolé dans Luc-Actes. On rencontre l’application de ce sens en Lc 21, 8-19: l’expression grecque de. kai, y est employée (21, 16) pour mettre en relief la force d’une adversité qui se manifestera jusque dans le cercle des relations parentales et amicales: paradoqh,sesqe de. kai. u‚po. gone,wn kai. avdelfw/n kai. suggenw/n kai. fi,lwn( kai. qanatw,sousin evx u‚mw/n: «Vous serez livrés même par vos pères et mères, par vos frères, vos parents et vos amis, et ils feront condamner à mort plusieurs d’entre vous». En Ac 17, 18 également, pour montrer que Paul a eu à faire avec toutes les sphères sociales possibles d’Athènes, Luc passe par l’expression grecque de. kai, pour la mention de l’intelligentsia: tine.j de. kai. tw/ n VEpikourei,wn kai. Stoi?kw/n filoso,fwn sune,ballon auvtw/|: «Il y avait même des philosophes épicuriens et stoïciens qui s’entretenaient avec lui». Avec l’expression grecque de. kai,, certes, il se comprend que les «deux autres» s’ajoutent à un premier dont le narrateur a parlé, qui n’est autre que celui que l’on emmène au supplice, c’est-à-dire Jésus. Mais ils ne sont mentionnés que pour montrer jusqu’où est allé le rejet de Jésus: jusqu’à le considérer comme un malfaiteur203. L’expression grecque de. kai, donne cet élan à tout le verset: elle signale un climax, celui du mépris du Messie. Ce qui prouve une fois encore combien Lc 23, 32 fait corps surtout avec tout ce qui précède le Golgotha, la mort204. 203 Cf. F. J. M ATERA, Passion Narrative and Gospel Theologies, 183-184: «The Greek expression kai heteroi kakourgoi duo is imprecise and may also be translated ‹and two other criminals [were led away to be put to death with him,› thereby implying that Jesus was a criminal! Some Christians scribes, embarrassed by this, inverted the word order to avoid this interpretation as does the RSV which reads ‹Two others also, who were criminals, were led away to be put to death with him.› It may be that Luc takes the bold step…». 204 Mais il y a toujours de l’hésitation chez les exégètes dans la délimitation du texte du chemin de la croix chez Luc à cause précisément de la difficulté dans le maniement du verset 23, 32. Cf. I. H. MARSHALL, The Gospel of Luke, 865: «The whole account of the death of Jesus forms one continuous narrative, so that it is difficult to divide it into sub-sections. Thus the reference to the two criminals could be regarded as

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3.2 Deux autres et Jésus D’emblée, une remarque s’impose sur les modes d’acheminement que Luc exprime par deux verbes différents: avph,gagon auvto,n [Jésus]: «l’emmenaient au supplice» (23, 26) et h;gonto: «étaient conduits» (23, 32). Pendant que Jésus est censé se diriger lui-même sur ce chemin en connaissance de cause, les deux autres condamnés sont dits ‹conduits›. En effet, Luc laisse entendre que malgré le drame en cours, Jésus marche souverainement. On ne conduit pas Jésus dans sa marche205, alors que les deux malfaiteurs sont eux conduits, comme des objets utilisés pour une fin. Leur marche est une marche parallèle à celle de Jésus. Le verbe h;gonto, indicatif imparfait passif, troisième personne du pluriel de evrco,mai, traduit ce fait. L’usage de l’expression grecque de. kai, permet d’entrevoir le but de cette disposition prise par le camp adverse. Le parallélisme introduit la notion d’identification: Jésus et les deux autres condamnés seraient tous les trois pareils. C’est à cet argument que l’évangéliste appliquera son art du paradoxe au profit de son entreprise théologique, c’est-à-dire une présentation fidèle et crédible de Jésus. 3.2.1 Adjectif «autres» La différence identifiée résistera-t-elle devant les implications de l’adjectif e[teroi, nominatif masculin pluriel de e[teroj: «autre»206? Quelle teneur peut-il avoir ici? Il ne pourrait pas infirmer la différence qui s’affiche207. L’adjectif e[teroj: «autre» n’est pas rare sous la plume de forming the end of the previous section, since it deals with the way to the cross (so Synopsis), but it is so closely connected with the present section [23, 32-38] that it can equally well reckoned part of it; it is a bridge passage». 205 Cf. J.-N. ALETTI, Quand Luc raconte, 35. 206 Dans le papyrus ∏î25, au lieu de «e[teroi: autres», on a «etai/roi: compagnons, camarades». Ce qui s’expliquerait par une confusion de mots de la part du scribe ou par l’introduction d’une glose dans le texte (?). 207 Cf. H. W. BEYER, «e[teroj», TDNT, vol. 2, 702: «It should be noted, however, that e[teroj may also be used to introduce another kind, e. g., Lk. 23:32: gonto de. kai. e[teroi kakou/rgoi du,o su.n auvtw/|. As a definite number it is used when two specific things or groups are compared or contrasted, e. g., Ac. 23:6: to. }en me,roj eVsti.n Saddoukai,wn to. de. e[teron Farisai,wn. In Ac. 20:15; 27:3 it is used for the ‹next› day. As a distinguishing adj. or adv. it denotes something which is not identical with what has been referred to previously. This may involve a more or less pronounced qualitative distinction, in which case the term acquires theological significance».

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e[ teroj

a; lloj

Luc. En général ce terme qui revient bien 50 fois en Luc-Actes tend surtout en ces écrits à renforcer la différence et la distinction: e[ teroj

a;l loj

e[ teroj a; lloj Les termes grecs e[teroj et a;lloj sont utilisés fréquemment et de façon interchane[teroj geable dans le Nouveau Testament. Bien que ces deux termes soient pris comme a;l loj e[ teroj acquis [dans leur sens] et compris comme pouvant se remplacer mutuellement, il importe de noter que les auteurs du NT n’utilisent pas tous e[teroj et a;lloj de la même manière. La plupart des dictionnaires donne des sens similaires pour e[teroj e[ teroj a;l loj et a;lloj, et il est évident que des auteurs utilisent librement de ces sens. Une étude détaillée du terme e[teroj est nécessaire, parce que du point de vue critique de la rédaction Luc remplace a;lloj par e[teroj et vice-versa dans beaucoup d’endroits… Écrits du NT e[teroj a;lloj Marc 1 (en… 16, 12) 22 Matthiieuieu 10 29 Luc 33 11 Jean 1 (19, 37) 33 Actes 17 8 e[ teroj e[teroj Paul 21 31 a;l loj e[ teroj l loj lese[tévangélistes eroj Du tableau ci-dessus, on constate quea;parmi Luc a la tendance à e[ teroj a;l lojd’a;lloj utiliser e[teroj pendant qu’il y a une totale négligence d’e[teroj en faveur e[ teroj chez Marc… De ces données, il apparaît qu’e[teroj a une signification chez Luc… Luc semble différencier a;lloj d’e[teroj… dans le grec classique, e[teroj comme ‹autre d’un genre différent› peut être distingué d’a;lloj comme ‹autre du même genre… Pour Luc, e[teroj signifie ‹différent ou distinct›208.

e[teroi

C’est cette même charge différentielle que l’adjectif comporte ici: il de. kai, un genre divers209. Toutefois, l’usage de e[teroi: indique l’hétérogénéité, «autres» après l’expression grecque de. kai, paraît pléonastique210. Par conséquent, on pourrait l’omettre dans la traduction. Ce qui ne porterait pas un dommage au sens. Au contraire cela le rehausserait, la logique de la phrase mettant effectivement l’accent sur le contraste:

208 V. R. SANDIYAGU, « [ETEROS AND ;ALLOS in Luke», in NT 48/2 (2006), 105-109. 209 Cf. BDAG, «e[teroj», 399 note la distinction entre registres et la différence de genre et de classe entre des sujets ou des objets. E [ TEROS ; A LLOS 210 Cf. Bl-De, § 306, n. 5, 388-389. e[ teroj

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Le verset alors se traduirait en français comme suit: «Étaient même conduits deux malfaiteurs pour être exécutés avec lui». Ou en tenant à e[teroi: «autres», on ne pourrait que passer par sa valeur adverbiale, c’est-à-dire «en outre»: «en outre, deux malfaiteurs étaient conduits pour être exécutés avec lui211». Une telle compréhension a le mérite de rendre explicite l’intention du narrateur qui veut exprimer que les deux autres ont été utilisés à dessein. En introduisant l’aspect actif (on emmenait, on conduisait) dans la formulation de la phrase, beaucoup de traductions perdent l’acuité du passif qui est bien utile dans le texte. 3.2.2 Malfaiteur à être éliminé Les deux mots kakou/rgoi: «malfaiteurs» et avnaireqh/nai: «être exécuté» sont relatifs au propos du rapport entre Jésus et les deux autres212. Luc préféra le terme kakou/rgoj, «malfaiteur» à celui employé en Mc 15, 27 et Mt 27, 38: lh|sth,j, «bandit, brigand» qui est de connotation plutôt politique et juridique. Kakou/rgoj, «malfaiteur» porte par contre l’attention sur l’aspect moral et public de la situation des deux autres condamnés. Qualifiés de kakou/rgoi, «malfaiteurs», les deux condamnés apparaissent comme des dangers publics, un mal pernicieux duquel il faut expurger la société. Le mot kakou/rgoj, «malfaiteur» est utilisé seulement 4 fois dans le NT: en Lc 23, 32.33.39 et 2 Tm 2, 9. Dans la Septante, le mot se lit en Est 8, 12p-q; Pr 21, 15; Si 11, 33; 33, 27. En Lc 23, 32, il assume une fonction d’identification: les deux autres sont des malfaiteurs. C’est ce qui les différencie de Jésus. En fait, l’adjectif kakou/rgoj, «malfaiteur» veut non seulement dire le contraste, mais aussi un absurde hiatus entre la théorie et les faits. La justice qui a jugé Jésus est injuste. On rencontre souvent cette technique littéraire dans les récits de procès, de jugement. Par exemple, dans le jugement de Naboth: kai. h=lqon du,o a;ndrej ui‚oi. parano,mwn kai. evka,qisan evx evnanti,aj auvtou/: «et deux hommes, des vauriens, vinrent s’asseoir en

211 Ce serait la voie indiquée par Bl-De, § 306, n. 5, 388: «e[teroi può avere valore pleonastico od equivalente a un’espressione avverbiale: Lc. 23, 32 kai. e[teroi kakou/rgoi du,o ‹e, inoltre, due malfattori›…». 212 Voir R. E. BROWN , La mort du Messie, 1021-1022.

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face de lui» (LXX 1 R 20, 13)213. Ainsi, dans Lc 23, 32, c’est la fausseté de l’adversité contre Jésus, depuis la Galilée jusqu’à sa condamnation à mort, qui éclate au grand jour. Le texte démontre le faux jugement en même temps que le vrai. Mais ce faisant, c’est l’innocence de Jésus qui se trouve plus illuminée. Le faux jugement consiste dans l’assimilation de Jésus aux malfaiteurs. Bien qu’il ne soit pas un malfaiteur, lui «l’arbre vert», il est fait malfaiteur214. Cela est d’autant plus vrai qu’il a le même sort: ils doivent «être éliminés avec lui»: su.n auvtw/| avnaireqh/nai, autant dire être éliminés comme lui, ou mieux lui comme eux. Ce verbe avnaireqh/nai, «être mis à mort, éliminé»215 comporte bien le sens de l’éradication du mal, de l’expurgation. On le constate dans le cas du prophète Jérémie: «Qu’on mette cet homme à mort (avnaireqh,tw) puisqu’il démoralise les derniers défenseurs de la ville et même toute la population par ce qu’il raconte. Ce n’est pas le bien du peuple que recherche cet homme, mais son malheur» (Jr 38, 4; LXX 45, 4). Disons donc que par son effet littéraire, le verset:Hgonto de. kai. e[teroi kakou/rgoi du,o su.n auvtw/| avnaireqh/nai met à nu la perversité du procès qui a condamné Jésus. À ce dernier a été adressée la louange de «Bon Maître» (Lc 18, 18; Ac 10, 38) et il n’a été jugé coupable d’aucun kako,j: «mal»216. Notre texte transmet donc que Jésus a été vu comme kakou/rgoj, «malfaiteur» pour avoir passé sa vie à manifester cette même bonté divine. Ce faisant, il révèle davantage le mystère et l’originalité de sa messianité, une messianité incomprise et méconnue. À cause de ce qu’il est en personne, Jésus sera injustement traité comme un mal

213 C’est aussi le cas en Estg 8, 12p-q: «Mais nous, nous trouvons que les Juifs, livrés à la disparition par cette triple crapule, ne sont pas des malfaiteurs; au contraire, ils s’administrent par des lois très justes; en outre, ils sont fils du Dieu vivant, le trèshaut, le très-grand, qui gouverne le royaume avec droiture pour nous comme pour nos ancêtres dans les meilleures conditions». 214 Cf. C. H. GIBLIN, The Destruction of Jerusalem According to Luke-Acts, 103: «Jesus is being pitied as a malefactor, although he really is not one. As if to underscore the irony, the verse resuming the narration and concluding this scene is phrased not in such a way as to distinguish the two malefactors from Jesus, but rather so as strongly to suggest his being (to all appearances) identified with them: ‹two other malefactors…with him›». 215 Autres références pour confirmation de ce sens: Nb 25, 31 Lc 22, 2; Ac 5, 36; 13, 28; 23, 27 et He 10, 9. 216 Cf. L’usage du terme en Luc-Actes: 16, 25; 23, 22; Ac 9, 13; 16, 28; 23, 9; 28, 5.

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public à supprimer (23, 32). Cela prouve encore combien ce v. 32 ne saurait être vu comme un verset ayant uniquement office de transition. Il sert en fait, aussi et surtout, à faire mieux comprendre le sens de ce qui est fait à «l’arbre vert» Jésus: le rejet et la méconnaissance à l’extrême, aller jusqu’à le voir comme un mal à être éradiqué (cf. sens d’avnaireqh/nai)217.

Conclusion À la fin, cet examen exégétique de Lc 23, 26-32 conduit à admettre que ces versets illustrent bien ce qui est en général prouvé de l’écriture lucanienne: «Pratiquement chaque épisode du récit est gros de tout le passé biblique en marche vers son accomplissement christique… Luc est un bréviaire ou un compendium de l’intelligence de l’Écriture»218. L’imitation de la tendance sapientielle de la Septante, les multiples allusions vétérotestamentaires, notamment celles relatives aux livres de Jérémie, d’Osée et d’Ézéchiel et l’usage des techniques littéraires saisissantes font du chemin de la croix une magistrale construction au contenu plus que dense. Les faits littéraires sont abondants: le parallélisme antithétique et les données formelles comme les répétitions de vocabulaire, les stéréotypes et les figures219. Cependant, la version originale de Luc du chemin de la croix reste un témoignage crédible sur les événements de la vie et de la mort de Jésus. L’histoire s’y trouve subordonnée à l’argumentation théologique. Par un intelligent maniement des jeux intertextuels et des données de l’histoire, il nous montre la mort de Jésus comme semblable à la mort de Josias: bien que droits et justes, 217 Dans leurs écrits, les apôtres qui ont vu Jésus sauront exprimer plus que quiconque combien les injustices contre les croyants sont la preuve de leur christianité. Voir par exemple en 1P 2, 12: «Ayez une belle conduite parmi les païens, afin que, sur le point même où ils vous calomnient comme malfaiteurs, ils soient éclairés par vos bonnes œuvres et glorifient Dieu au jour de sa venue». 218 J.-N. ALETTI, «Les finales des récits évangéliques et le statut du Livre et des lecteurs», in RSR 79/1 (2005), 32. 219 P. BOSSUYT et J. RADERMAKERS, Jésus Parole de la grâce selon saint Luc, vol. 2, 26-29.

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Josias et Jésus sont morts avant l’âge et de façon brutale. Dépassant ce niveau de la droiture morale, Luc arrivera à une confession christologique inouïe: comme Yhwh, Jésus est le principe de la vie, il est le Cyprès verdoyant et combien généreux. La présence de Jésus sur la terre des hommes est essentiellement pour le salut dont il montre le chemin par son «mourir pour vivre». Par sa marche à travers la mort, il trace une voie religieuse originale, la Voie du Seigneur. L’âpreté des paroles sur le chemin de la croix est ce qui a toujours caractérisé la Bonne Nouvelle qu’il est lui-même220. Dieu, en la personne de Jésus, se retrouve une fois de plus trahi et méconnu par l’humanité qu’il a tant aimée au point de venir partager son pèlerinage terrestre. Les hommes ont été jusqu’à voir Jésus comme un mal à éradiquer. Les menaces qui planent alors sur eux ne pouvaient que susciter en Jésus une grande compassion. D’où le retentissement de cet appel inlassable à la conversion aux vraies voies de vie, qu’incarnent l’être et le vivre de lui Jésus. Ici, en effet, dans et par le Jésus lucanien, c’est ce même Dieu d’Osée qui parle aux hommes dont l’abandon, la trahison et le refus ont tant blessé l’amour inépuisable. Le message de Jésus y retentit dans toute sa véracité pour les disciples et pour tout homme en quête de sens à sa vie. Le chemin qu’il a parcouru jusqu’à la croix et le dialogue qu’il a entretenu tout le long du pèlerinage avec ses contemporains sont toute une école pour le croire chrétien en particulier et l’acte religieux en général. Quelles en sont les lignes caractéristiques, sur le plan de la christologie, de l’ecclésiologie et de la pastorale? Le quatrième chapitre de notre travail sera consacré à ces ouvertures théologiques.

220 Cf. K. STOCK, Jésus la bonté de Dieu: Le message de Luc, Desclée, Paris 1992, 87: «La Bonne Nouvelle de Jésus n’exprime pas des choses qui sont de nature à nous plaire, elle ne nous promet pas une vie facile et sans effort. Elle contient même quelques vérités désagréables. Mais précisément parce qu’elle ne nous cache rien, ne passe rien sous silence, mais révèle au contraire toute la vérité, elle nous montre le véritable chemin vers la joie. C’est bien pour cela qu’elle est la Bonne Nouvelle que nous pouvons accueillir avec docilité et gratitude».

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Chapitre 4

Théologie du texte

Introduction Le texte du chemin de la croix ne constitue pas un récit isolé. Il fait partie d’un grand ensemble, c’est une partie intégrante de la passion (Lc 22-23). On ne saurait dire que Luc retrace dans cet ensemble tout bonnement une tradition: il ne fait pas une œuvre de pur collectionneur ou antiquaire littéraire1. Très probablement cette originalité, qui est assez remarquable en Lc 23, 26-32, tiendrait au souci de rendre plus expressif le récit de cette étape fondamentale de la christophanie de Jésus. L’événement de la passion relève grandement de l’incompréhension et du rejet de la personne de Jésus par les autorités religieuses et politiques2, incompréhension et rejet qui l’inscriront finalement au registre de l’inconnaissable et de l’inconnu. Sur le chemin du «lieu appelé Crâne», la présence et le témoignage des uns et des autres et la confession personnelle de Jésus lui-même traduiront des secrets profonds de son identité, mais il n’en demeurera pas moins ce mystère devant l’homme. Dans le récit que présente Luc, les procès juifs et romains contre Jésus et les propos christologiques qu’ils contiennent seront comme soumis à un éclairage critique. Et pendant que l’homme de Galilée recouvre de l’éclat se couvrant de mystère, les motifs de sa condamnation s’effondrent jetant le discrédit sur les adversaires. Déjà l’examen exégétique du texte nous a conduits à des conclusions introduisant ce propos d’une christologie profonde. Ce dernier chapitre de notre étude cherchera à 1 2

Cf. V. MANNUCCI, Bibbia come Parola di Dio: Introduzione generale alla sacra Scrittura (Strumenti; 17), Queriniana, Brescia 172002, 339-340. Cf. M. GRONCHI , Trattato su Gesù Cristo Figlio di Dio Salvatore, 92.174-180; W. CARTER , «Lecture impérialiste. Christianisme primitif et monde romain», in A. L ACOCQUE, (éd.), Guides des nouvelles lectures de la Bible, Bayard, Paris 2005, 276-277; H. KESSLER, Cristologia (Introduzioni e Trattati, 16), Queriniana, Brescia 22005, 60-61.

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mieux cerner la théologie du texte dans le contexte immédiat de la passion et à dégager son apport à l’intelligence du message évangélique. Ensuite, seront mentionnés les différents appels émanant du texte.

1. Rappel du contexte de la christologie Tout évangile est une œuvre christologique3, c’est-à-dire une œuvre qui a pour objectif principal la confession de «l’identité personnelle de Jésus comme Fils de Dieu au sens propre et strict du terme, et son rôle de Sauveur véritable et universel4». Toutefois, la christologie prendra des couleurs selon les préoccupations particulières des différents évangélistes. Luc construit son édifice christologique en ayant en vue une réalité historique et géographique concrète: l’oikoumenê. Dans ce monde aux dimensions universelles, Rome à droit de vie et de mort sur les nations; le culte de l’empereur romain est à la mode, la propagande politique se meut partout pour réunir sous son nom tout ce qui s’appelle force, paix, titre de bienfaisance, bénédiction et fécondité, comme s’il détenait la clé des cieux; les symboles de la vie, dont celui du «suprême arbre», sont utilisés comme support de l’idéologie 3

4

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Cf. C. PERROT , Jésus, Christ et Seigneur des premiers chrétiens (Jésus et JésusChrist, 70), Desclée, Paris 1997, 18-24. Depuis le prologue de son évangile, on devine que Luc a des préoccupations christologiques. Celles-ci se laissent déchiffrer à travers certaines annotations des mains de l’évangéliste. Dans le chapitre 23, les traces christologiques sont assez saillantes. Le chef d’accusation est libellé avec soin. Les autorités religieuses et politiques de Jérusalem y nient toute signification positive à l’événement Jésus, c’est-à-dire qu’elles n’ont voulu reconnaître aucune identité et aucun rôle religieux à Jésus. L’inculpation de Jésus devant Pilate est un véritable démolissage de sa personne et de sa vie: «tou/ton eu[ramen diastre,fonta to. e;qnoj h‚mw/n kai. kwlu,onta fo,rouj Kai,sari dido,nai kai. le,gonta e‚auto.n cristo.n basile,a ei=nai» (Lc 23, 2). En effet, les expressions «diastre,fonta to. e;qnoj» et «le,gonta e‚auto.n cristo.n basile,a ei=nai» soulignent la volonté des adversaires de vilipender la personne de Jésus le Christ-Messie. Sa messianité, sa royauté et son mouvement s’en trouvent désavoués. L’événement Jésus est qualifié de subversif, la marche derrière lui est vue comme une perversion, sa messianité perçue comme une prétention blasphématoire et sa présence comme une menace pour l’équilibre du règne de l’empereur romain. Cf. Ibidem, 8.

impérialiste5. Dans ce contexte, inimitié et haine riment évidemment avec christianisme6. En général, pour les nations de l’empire, Jésus et son mouvement sont donc synonymes d’étrangeté et de trublion7. L’alliance sournoise entre les autorités politique et religieuse de Jérusalem contre Jésus et son mouvement perdurera8. Jugée comme une secte juive9 (Ac 24, 14) proclamant «un autre roi, Jésus: un autre basileus que César» (Ac 17, 7), l’Église naissante devra se justifier et défendre sa foi dans l’oikoumenê. L’auteur du troisième évangile est témoin de cette situation10. Le besoin de repères, de certitudes et de clarification sur la personne de Jésus et sur l’unicité du Dessein de Dieu sur l’humanité était très ressenti chez les pratiquants de la voie du Seigneur, les chrétiens. Luc-Actes est une œuvre engagée pour la satisfaction de ces attentes. L’auteur y affrontera énergiquement le problème de la culture religieuse, de la conversion intellectuelle et de l’évangélisation des cultures. Il veut conduire son auditoire à savoir évaluer et juger les phénomènes et les événements religieux de son temps. Il apprend donc aux jeunes communautés chrétiennes à s’orienter dans ce monde où le syncrétisme et la concurrence entre confessions religieuses s’attisent. Á la lumière de l’analyse exégétique menée et forts de ces rappels sur la problématique pastorale et les enjeux du propos christologique, essayons à présent de sonder davantage les implications christologiques de notre texte, tout en partant des principes littéraires de l’auteur. 5 6 7 8

9 10

Cf. Saint Luc, Évangéliste et historien, in Dossiers d’Archéologie 279 (2003). Cf. C. PERROT , Jésus, Christ et Seigneur des premiers chrétiens, 79. Cf. Ibidem, 78-80. Il insiste tant sur le thème de la persécution à faire admettre effectivement qu’il en est témoin (cf. usage de diw,kw, ‹persécuter›: Lc 11, 49; 17, 23; 21, 12; Ac 7, 52; 9, 4.5; 22, 4.7.8; 26, 11.14.15). L’événement Jésus et le mouvement né à la suite sont placés dans ce cadre de la haine contre le peuple de Dieu (cf. usage de mise,w, ‹haïr›: Lc 1, 71; 6, 22.27; 14, 26; 16, 13; 19, 14; 21, 17). Cf. Ibidem, 67. Cf. Lc 21, 12-17: «12 ‹On portera les mains sur vous, on vous persécutera, on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous traduira devant des rois et des gouverneurs à cause de mon Nom, 13 et cela aboutira pour vous au témoignage. 14 Mettez-vous donc bien dans l’esprit que vous n’avez pas à préparer d’avance votre défense: 15 car moi je vous donnerai un langage et une sagesse, à quoi nul de vos adversaires ne pourra résister ni contredire. 16 Vous serez livrés même par vos père et mère, vos frères, vos proches et vos amis; on fera mourir plusieurs d’entre vous, 17 et vous serez haïs de tous à cause de mon nom›».

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2. Christologie dans et à travers Lc 23, 26-32 Comment l’évangéliste s’y prend concrètement dans sa christologie? À partir de l’exégèse suivie jusqu’ici, on s’aperçoit que la christologie de Luc n’est pas saisissable à prime abord. Pour la lire, il faut avoir en vue la mémoire religieuse d’Israël et le panthéon du monde gréco-romain. Enracinée dans l’univers biblique, la christologie entend conquérir le cœur de l’humanité entière. C. Perrot exprime cette complexité de la christologie lucanienne à travers le rappel des divers courants chrétiens qui la composent: «Luc aime archéologiser, dit-il, non point pour déterrer le passé, mais pour tisser le lien d’unité qui va d’Israël à Jésus, de Jésus à l’Église, et de Pierre à Paul. Sa christologie est à l’image de son désir11». Par conséquent toute affirmation sujette à une tendance régionaliste et exclusive porterait quelque part entorse à la mémoire christocentrique de cet auteur.

2.1 Canevas christologique Située à la croisée des chemins religieux, la christologie lucanienne aura comme principe d’exprimer à la fois «le comme et le plus» de la personne de Jésus. L’application de Luc dans le vaste chantier christologique de l’Église primitive est particulière. Le grand nombre des titres christologiques que comporte son œuvre compliquera la perception de son orientation. Il est témoin d’un Jésus qui, sans les nier, se porte au-delà de tous les schémas messianistes. Jésus n’est pas le messie selon les hommes: il est le Christ de Dieu, c’est-à-dire l’unique Envoyé qui ait en partage l’Être de son Envoyeur Dieu. Aucune titulature n’est à mesure d’épuiser l’expression du mystère en question. Luc en est conscient. Les titres ne seront donc pas le principe de sa christologie; mais ils demeureront des instruments12, pour la construction d’un harmonieux spectre christologique où se contemple le mystère de la personne de Jésus de Nazareth13. Cette technique 11 12 13

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C. PERROT , Jésus, Christ et Seigneur des premiers chrétiens, 206. Cf. Ibidem, 22. Cf. R. F., O’TOOLE , Luke’s Presentation of Jesus, 2.

lucanienne pousse à dire que sa christologie vise moins la confession simple de la messianité de Jésus selon les attentes d’Israël que la présentation de son mystère en tant que tel. 2.1.1 Accents christologiques À travers le maniement des titulatures traditionnelles, on pourrait apercevoir la perspective christologique lucanienne. Partons du panorama. Dans Luc-Actes, depuis les premiers chapitres (Lc 1-2), Jésus de Nazareth est présenté comme un homme de Dieu partageant les apanages divins. La nature divine est confessée dans sa filialité et son obéissance, sa sainteté et sa Seigneurie (Fils de Dieu). Sous le titre de la messianité, l’universalité du salut qu’il offre n’est pas moins précisée (l’Oint, Fils de l’homme et Sauveur).14 L’insistance et la précision accompagnent les formulations. En effet, la personne Jésus de Nazareth est cernée par une large palette de dénominations divines: le Fils du Dieu Très-Haut (Lc 1, 32; 8, 28), le Fils de Dieu (4, 3.9.41), l’être saint (1, 35), Seigneur (32 fois)15, le Saint de Dieu (4, 34), un Sauveur le Christ Seigneur (2, 11), le Christ de Dieu (9, 20), le Messie de Dieu l’Élu (23, 35), l’Époux (5, 34-35), le Serviteur de Dieu (Ac 3, 13), le Messie souffrant de Dieu annoncé par les prophètes les saints de Dieu (3, 18.21); l’Envoyé de Dieu (Lc 4, 18.43; 9, 48; 10, 16; Ac 3, 20.26; 10, 36), le Fils de l’homme (Lc 5, 24; 6, 5.22; 7, 34; 9, 22.26.44.58; 11, 30; 12, 8.10.40; 17, 22.24.26.30; 18, 8.31; 19, 10; 21, 27.36; 22, 22.48.69; 24, 7; Ac 7, 56), le Nazôréen homme accrédité par Dieu (2, 22). Cet ensemble de titres christologiques renvoie à l’implication de l’évangéliste dans la présentation du mystère de Jésus, «puisque c’est lui qui a mis en ordre et trié toutes les informations, soulignant les unes et minorant les autres16». Du survol, on se rend vite compte que les occurrences des titres Seigneur et Fils de l’homme sont impressionnantes. C’est la preuve d’un 14 15

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Cf. H. KESSLER, Cristologia, 87. Cf. Le titre divin revient environs 42 fois en Lc-Ac et se trouve appliqué à Jésus plus ou moins 32 fois: Lc 2, 11; 7, 13; 10, 1.41; 11, 39; 12, 42; 13, 15; 17, 6; 18, 6; 19, 31.34; 20, 42; 22, 61; 24, 34; Ac 1, 21; 2, 34.39.47; 9, 10.15.17; 10, 36; 12, 11.17; 13, 47; 15, 17; 16, 14; 17, 24; 18, 9; 22, 10; 23, 11; 26, 15. Cf. J.-N. ALETTI, «La construction du personnage de Jésus dans les récits évangélistes. Le cas de Marc», 20.

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souci de précision: l’auteur évite au maximum les terminologies ordinaires qui ne manquent pas d’équivocité. Ce faisant, il laisse deviner que personnellement il met l’accent sur la distinction-singularité de l’homme de Dieu Jésus; insiste sur la Seigneurie qu’il partage de façon absolue avec le créateur comme la confessait la foi christocentrique naissante17. Luc, de son côté, use du titre Christ, et dès le départ de sa narration: «aujourd’hui... vous est né un Sauveur qui est Christ Seigneur» (2, 11). Le fait que les mots Christ et Seigneur, alors accolés, relèvent de deux fonctions sociales différentes (le libérateur et le maître de maison) ne semble pas lui faire difficulté. La tradition les a déjà imposés. Plus important encore est de voir Luc remettre à jour un ancien syntagme biblique l’«Oint du Seigneur» (1 S 16, 6, lors de l’onction de David), en l’appliquant à Jésus (Lc 2, 11; 2, 26: le Christ du Seigneur; 9, 20: le Christ de Dieu); 23, 35. L’adjonction du nom divin évite immédiatement toute confusion avec les messianismes frauduleux18.

Luc exposera l’identité de Jésus par cette Seigneurie visible en lui dans son humanité. Chez lui, Jésus est appelé Fils de Dieu surtout à la naissance et à la résurrection, la venue et la partance. Ce sont là deux moments particuliers de l’affirmation de son origine divine, de sa filialité, de sa préexistence, de son appartenance à la sphère divine19. La réserve s’expliquerait par l’équivocité de cette terminologie, utilisée chez les Romains et chez les Juifs pour une variété de modes de filiation divine20. Ce qui veut dire aussi que la christologie de Luc ne pourrait 17

18 19 20

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Avec Jésus adviennent: la crainte de Dieu ( Lc 23, 40; Ac 10, 2), la gloire de Dieu (Lc 5, 25.26; 7, 16; Ac 7, 55), la Puissance de Dieu ( Ac 8, 10), la grandeur de Dieu (Lc 9, 43; Ac 10, 46), le salut de Dieu (Lc 3, 2; Ac 28, 28), l’allégresse à cause de Dieu Sauveur (Lc 1, 47), les louanges de Dieu (1, 64; 2, 28.38; 5, 25-26; 7, 16; 13, 13; 17, 15.18; 18, 43; 19, 37; 23, 47; 24, 53; Ac 2, 47), le Règne de Dieu (Lc 10, 9), la protection de Dieu (Ac 26, 22). C. PERROT , Jésus, Christ et Seigneur des premiers chrétiens, 211. Cf. Ibidem, 221-226. Voir aussi: P. BOSSUYT et J. RADERMAKERS , Jésus Parole de la grâce selon saint Luc, vol. 2, 73. Cf. Ibidem, 234-235: «Au départ de l’époque impériale, le mot n’appelait pas directement l’idée d’une divinisation personnelle, mais se présentait plutôt comme une manière d’asseoir divinement le pouvoir de l’empereur. L’autorité vient des dieux. Mais, tout basculera vers l’an 39-40 de notre ère, lorsqu’un Caligula voudra faire de ce titre l’insigne de son identité divine. Une telle mutation de sens eut sans doute ses conséquences sur la réflexion chrétienne, à Rome en particulier où se situe probablement l’église de Marc. Si la tradition répercutait déjà le souvenir de Jésus, situé

souffrir aucunement d’adoptianisme. Eu égard à une telle perspective, certaines conceptualisations de la christologie lucanienne laisseraient à désirer. 1) Dire que Luc ne conçoit la Seigneurie de Jésus qu’après sa résurrection ne correspondrait pas à sa logique. Jésus de Nazareth est et demeure ce qu’il est avant et après la résurrection: Toute tentative de description de la christologie de Luc qui n’inclut pas l’existence du Jésus terrestre est erronée, parce que Luc insiste pour dire que le Jésus terrestre et le Jésus ressuscité sont le même21.

2) Certes, le salut n’est pas expliqué chez lui en terme de sacrifice, mais on ne pourra pas dire que Luc n’a pas «une théologie de la croix». Sa figure de Jésus est inséparable de la croix. C’est l’objet par excellence de la passion. Pour Luc, la croix symbolise la souffrance et la mort de Jésus le Juste dans sa fidélité au Père22.

21 22

comme le Fils face à celui qu’il désigne comme son Père, la valorisation du titre de Fils de Dieu n’en prit que plus d’ampleur politico-religieuse. Il ramassait toute la confession de foi. Le syntagme fils de Dieu est connu aussi dans l’Écriture, et très largement. D’abord, il s’applique aux anges, bons ou mauvais à la manière de Gn 6, 2. La réflexion judéo-chrétienne sur le rapport entre Jésus et les anges ne pouvait esquiver le point, comme on le voit justement dans He 1, 5s. Il désigne aussi Israël, en particulier dans Ex 4, 22 («Mon fils premier-né, c’est Israël») et Dt 14, 1 («Vous êtes des fils pour le Seigneur votre Dieu»). Plus tard, le thème homilétique d’un sabbat particulier portera justement sur le motif de cette filiation d’Israël, en s’appuyant sur une lecture de la Tora, tirée de Dt 14, 1s, suivie d’une lecture d’un texte prophétique empruntée à Is 63, 8s («Ils sont mon Peuple, des fils»). Auparavant, dans la littérature juive ancienne dite apocryphe, le motif est souvent relevé: le peuple est désigné comme mon fils aîné ainsi dans Jubilés 20, 20 ou dans les Oracles Sibyllins III § 702: ‹les fils du Grand Dieu›. On remarquera surtout combien les sectaires de Qumrân favorisent le vocabulaire de la filiation. Ils se désignent comme ‹les fils de l’Alliance; les fils de la grâce, de la Justice et de la lumière›, à la différence des ‹fils des ténèbres›». Cf. R. F., O’TOOLE , Luke’s Presentation of Jesus, 1. Cf. La notion de ‹Wisdom’s di,kaioj-Model› chez P. D OBLE , The Paradox of Salvation: Lukes’s Theology of the Cross (SNTSMS, 87 ), Cambridge 1996, 227. Voir également chez F. J. MATERA, «The Death of Jesus according to Luke: A Question of Sources», 479-485.

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2.1.2 Principes de la présentation Le spectre christologique que Luc nous présente fait faire un itinéraire, un mouvement vers le mystère, à travers ombres et lumières, contrastes et manifestations. Il nous amène à suivre Jésus lui-même dans sa manifestation personnelle, c’est-à-dire la christophanie. Les titres sont des indications qui nous aident, renvoyant tous à Jésus et éclairant toujours l’itinéraire christologique. Selon Luc, c’est principalement dans l’existence humaine, terrestre, historique de Jésus de Nazareth que son identité se découvre. C’est uniquement dans l’itinéraire de Jésus que se découvre la réponse adéquate à la question: «Que sera donc cet enfant?» (Lc 1, 66). «Le sens que Luc attache à tout ce qu’il dit au sujet de Jésus dérive tout d’abord de l’histoire de Jésus lui-même, et non du sens donné, conçu dans le judaïsme ou d’autres traditions23». Ce making of Luke est plus proche du faire personnel de Jésus luimême: une vision synthétique des narrations évangéliques conduit à la conclusion que Jésus «semble avoir préféré une auto-présentation existentielle plutôt que verbale; les paroles servent à indiquer le règne, les gestes en annoncent la venue imminente et révèlent celui qui le rend présent24». Or dans son itinéraire, «Jésus se manifeste en relation à ce mystère [Dieu], c’est-à-dire se rendant présent et se cachant. Il se manifeste dans les miracles et se cache dans l’humiliation de la croix; il se manifeste dans la résurrection, mais seulement à quelques intimes, et se cache aux grandes attentes spectaculaires de son monde et du monde de tout temps25». La christologie lucanienne consistera donc essentiellement au témoignage à l’homme de Galilée Jésus en qui et par qui se confesse et se loue Dieu dans ses actes et paroles. Il va sans dire qu’elle aura comme principe d’opération l’affirmation de la singularité, de la Seigneurie et de l’universalité de la personne de Jésus de Nazareth. Les titulatures traditionnelles sont soumises rigoureusement à cette visée. Entre l’ouverture (première prédication: 4, 16-22) et la fermeture (dernier discours: 23 24 25

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R. F. O’TOOLE , Luke’s Presentation of Jesus, 5-6. M. GRONCHI, Trattato su Gesù Cristo Figlio di Dio Salvatore, 192. C. M. M ARTINI , Incontro al Signore risorto, Vol. 1: Dalla conversione alla riconciliazione, San Paolo, Cinisello Balsamo (Mi) 2007, 42.

cf. 23, 26-32) de la marche messianique26 de Jésus de Nazareth, «les figures les plus prestigieuses défaillent, sans rendre compte de cette figure au-delà de toute figure27», et invitent ainsi la foi à confesser en lui l’intraduisible, l’insondable mystère de Dieu.

2.2 Jésus de Nazareth, un Envoyé témoin inné de l’Envoyeur En fonction des conclusions exégétiques auxquelles nous sommes parvenus, nous pouvons dire qu’à travers sa technique du «comme et plus que», Luc confesse Jésus de Nazareth homme de Dieu et Dieu de l’homme dans une christologie où le mystère de sa personne demeure à la fin ce qu’il est: réalité au-delà de toute maîtrise humaine28. 2.2.1 Jésus de Nazareth, homme de Dieu Dans son récit du chemin de la croix, l’évangéliste montre un Jésus partageant le sort de ces hommes qui souffrent injustement pour la cause de Dieu. La logique du texte démonte le procès fomenté et montre magistralement que la vie de l’homme de Nazareth est loin d’être un sacrilège: Jésus n’est pas un malfaiteur. 2.2.1.1 Jésus comme ces justes et saints de Dieu Lc 23, 26-32 comporte bien des actes et des paroles aux goûts et aux couleurs du martyre et de la prophétie: la souffrance de Jésus, sa marche dans la conviction, l’affluence des gens et surtout le caractère si 26

27 28

C’est vrai qu’historiquement la vie publique de Jésus part de son baptême par Jean (cf. M. GRONCHI, Trattato su Gesù Cristo Figlio di Dio Salvatore, 138). Mais Luc dans sa présentation évangélique insistera tout de même sur l’ouverture solennelle de son ministère à Nazareth. Cf. J.-N. ALETTI , «La construction du personnage de Jésus dans les récits évangéliques. Le cas de Marc», note 6: «Dès sa première prédication à Nazareth (Lc 4, 22-27), le Jésus lucanien énumère les composantes de son rôle et les déterminations qui y sont liées (l’onction prophétique, l’annonce aux pauvres, l’agir salvifique, l’envoi aux étrangers, et pour cela le rejet par ceux de son pays. Ses propos ne servent pas seulement de critères pour le discernement que doivent opérer les instances intra- et extradiégétiques, ils déterminent aussi le choix des épisodes et les traits que ces mêmes épisodes lucaniens mettront en valeur». C. PERROT, Jésus, Christ et Seigneur des premiers chrétiens, 286. Cf. M. GRONCHI , Trattato su Gesù Cristo Figlio di Dio Salvatore, 186.

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tranchant de son adresse sur le cours du temps. Le martyre et ses composants trouvent dans Jésus, dans Simon le Cyrénéen et dans la grande foule des motifs exégétiques et spirituels qui sont hautement indicatifs. C’est pourquoi F. Bovon dira que, du point de vue parénétique et éthique, «la figure du Christ que Luc dessine est celle du juste souffrant, du prophète rejeté, du martyr. Le juste faisait partie de son peuple, le prophète avait une mission et le martyr communiait avec les siens29». Ajoutons que Luc n’insisterait pas davantage sur la souffrance que sur la perspective de l’existence qui finit ainsi. En cela, il se présente comme l’initiateur d’une théologie de la croix assortie d’une christologie brassée dans le creuset de la Sagesse dont l’essence est Dieu lui-même30. Il veut que Jésus soit reconnu comme le Juste et Sage dont le destin finit dans la main de Dieu et non selon la volonté de ses ennemis. La mort du juste condamne la survie des impies, et la jeunesse tôt parachevée, la longue vieillesse de l’injuste. Ils verront donc la mort du sage, sans comprendre ce qu’a voulu pour lui le Seigneur et pourquoi il l’a mis en sûreté. Ils voient et ils méprisent, mais le Seigneur se rira d’eux. Après cela ils deviendront un cadavre méprisé. (Sg 4, 16-19).

La grande multitude du peuple et les femmes en pleurs protestent en quelque sorte contre l’injustice qui frappe Jésus (23, 27). À la tête de la marche il se tient lui-même fidèle aux chemins de Dieu sur lesquels il marche et conduit en maître et avec autorité. Son appel est appel à la conversion à sa vie de prédicateur du Règne de Dieu. Il priera pour les pécheurs. Communiant au sort des damnés, il est défendu et reconnu comme celui qui «n’a rien fait de mal»: le mélange des genres bienfaiteur-malfaiteurs plaidera de lui-même en sa faveur. La seule phrase «Ne pleurez pas sur moi» constitue toute une déclaration de la droiture de Jésus: elle met une équivalence entre Jésus et Josias le roi symbole de la rectitude dans la mémoire collective de la nation juive. Sa mort est la mort de l’innocent que Dieu, dans sa bienveillance, ne saura abandonner. Avertis du rapport conflictuel entre judaïsme et christianisme en ces temps, on perçoit jusqu’où le texte de Luc est provocateur. Il pose un grave cas de conscience et de logique au judaïsme. Maudire Jésus re29 30

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Cf. F. BOVON, «Le récit lucanien de la passion de Jésus (22-23)», 404. Cf. La notion ‹Wisdom’s di,kaioj-Model› chez P. DOBLE, The Paradox of Salvation, 227.

vient au sabotage d’une des plus solides colonnes de la tradition religieuse juive. La mort de Jésus ne peut donc pas être le signe d’une malédiction, il est innocent. Jésus est témoin de Dieu. À son arrivée à Jérusalem à la veille de sa passion, après le ministère en Galilée et le long voyage meublé d’épisodes d’enseignement et de formation des disciples, son parcours est évalué par les scribes et les grands prêtres, selon sa contribution à la révélation des chemins de Dieu: «Maître, nous savons que tu parles et enseignes de façon correcte, que tu es impartial et que tu enseignes les chemins de Dieu selon la vérité» (Lc 20, 21). Au-delà de l’hypocrisie que comporte cette affirmation, Luc invite le lecteur à y percevoir la véracité du dida,skaloj, «Maître» qui est loué31. Sous ce titre dida,skaloj, «Maître-Enseignant» et celui de evpista,thj, «Maître-chef», exclusivement utilisé par les disciples32, on voit chez Luc un Jésus appliqué considérablement dans l’enseignement des choses divines. Tout ce qu’il a dit (paroles) et fait (miracles) correspond à l’enseignement des choses du Règne de Dieu. Sa prise de parole sur le chemin de la croix se connecte directement à son enseignement d’itinérant. Et dans cette application, Jésus ne voudra pas que son œuvre soit dissociée de ce que firent les prophètes. En signifiant que sa mort sera comme celle des autres prophètes, il se situe dans leur lignée (Lc 11, 49)33. 2.2.1.2 Insistance sur le Jésus de Dieu L’événement Jésus et le mouvement qu’il déclencha sont exposés dans Luc-Actes sur une plate forme théologique construite à travers une solide armure phraséologique engageant Dieu. La question Jésus est l’affaire de Dieu, les disciples de Jésus sont l’Église de Dieu. La présence de Jésus et du nouveau mouvement correspond à une extraordinaire proclamation du Règne de Dieu 34, de la parole de Dieu35, de l’Évangile de grâce de 31 32 33 34

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R. F., O’TOOLE , Luke’s Presentation of Jesus, 20. Lc 5, 5; 8, 24.45; 9, 33.49; 17, 13. Cf. B. C., FREIN, «Narratives Predictions, Old Testament Prophecies and Luke’s Sense of Fulfillment», in NTS 40 (1994), 28-31. Cf. Lc 4, 43; 6, 20; 8, 1.10; 9, 2.60.62; 10, 9.11; 13, 18.20.28.29; 14, 15; 16, 16; 17, 20.21; 18, 16.17.24; 19, 11; 21, 31; 22, 16.18; 23, 51; Ac 1, 3; 8, 12; 14, 22; 19, 8; 28, 3. Cf. Lc 3, 2; 5, 1; 11, 28; Ac 4, 31; 6, 2.7; 8, 14; 11, 1; 12, 24; 13, 5.46; 14, 26; 17, 13; 18, 11.

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Dieu36 et du nom de Jésus Christ37. La multitude innombrable d’hommes et de femmes en deuil, lors de la sortie de Jésus de la scène terrestre, atteste cette correspondance aux choses de Dieu. L’avertissement de l’effondrement du monde des hommes que peut /doit causer le rejet de Jésus de Nazareth indique également que sa vie est une mission de la part de Dieu, de qui dépend l’humanité entière. La partance souveraine de Jésus vers le «lieu appelé Crâne» prouve qu’il n’hésite aucunement entre deux partis, celui de Dieu et celui des hommes. Luc insistera particulièrement sur l’engagement mutuel entre Jésus et son Dieu. Jésus est ce prophète réellement «bouche de Dieu» (Jr 15, 19) et «homme de Dieu» (Dt 33, 1; 1S 2, 27; 1R 17, 18)38. Aussi les constructions «de Dieu et Dieu de» font de Luc-Actes une sorte de grande geste de Dieu lui-même, dans et par la personne de Jésus.39 Le Dieu de Jésus est le même Seigneur Dieu des fils d’Israël (Lc 1, 8; Ac 13, 5; 22, 3), le Seigneur le Dieu de nos Pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob (Lc 20, 21.37; Ac 3, 13; 5, 30; 7, 32; 13, 17; 24, 14), le Dieu de gloire (Lc 7, 2), le Dieu créateur de l’univers et Seigneur de la terre et du ciel (Ac 17, 24) , le Dieu de l’accomplissement de ses promesses (Ac 13, 23.33; 19, 11), le Dieu de la révélation (Ac 10, 28), le Dieu de l’ouverture de la mission aux nations païennes (15, 4; 28, 28), aux adorateurs de Dieu (17, 4.17; 18, 7), le Dieu de l’annonce de la conversion à toute l’humanité (Ac 17, 30). 36 37 38 39

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Cf. Ac 20, 24. Cf. Lc 8, 1; 20, 24; Ac 8, 12. Cf. V. MANNUCCI, Bibbia come Parola di Dio, 117-118. Les exégètes, dans leur plus grand nombre, conçoivent aujourd’hui l’évangile de Luc comme un écrit bien lié aux Actes des Apôtres. L’unité Luc-Actes est admise sur la base de la continuité entre les deux entités. Les marques du génie d’un même auteur, de son style, de sa pensée et de son plan lient les deux en une seule œuvre littéraire. Cette œuvre originellement unie aurait son sujet principal: la vie de Jésus de Nazareth et la naissance de l’Église missionnaire issue de lui, dans sa résurrection. La partie Vie de Jésus de Nazareth, qui est devenue notre 3ème Évangile, constitue la moitié de l’œuvre. Cependant ce troisième évangile est le plus long des récits évangéliques. Cette longueur de l’évangile tient surtout à l’intérêt que Luc accorde à la vie terrestre de Jésus et au long traitement de certains thèmes, notamment de celui du cheminement de Jésus et de la marche des disciples à sa suite. Cette réalité est très visible dans le cas du texte qui fait l’objet de notre étude: 23, 26-32, le plus long récit de chemin de la croix. Les données christologiques, ecclésiologiques et morales que Luc cible dans ce récit précis ont un profond enracinement dans le corps même de son œuvre entière.

L’existence de Jésus concerne l’Esprit de Dieu (Lc 1, 35; Ac 2, 17; 5, 30), la Sagesse de Dieu (Lc 11, 49), le regard de Dieu, les yeux de Dieu (Lc 1, 17; 16, 15; Ac 4, 10; 7, 20), la maison de Dieu (Lc 6, 4), la visite de Dieu à son peuple (7, 16), les anges de Dieu (Lc 1, 26; 12, 8.9; 15, 10), la faveur de Dieu (1, 28; 2, 40.52), la grâce de Dieu (1, 30), la bonté profonde de notre Dieu (1, 78), la justice de Dieu (7, 29), la connaissance des mystères du Royaume de Dieu (8, 10), l’enseignement des chemins de Dieu selon la vérité (20, 21), la Voie de Dieu (Ac 18, 26), la Justice et l’amour de Dieu (Lc 11, 42 ), le doigt de Dieu (11, 20), le serment de Dieu (Ac 2, 30), les merveilles de Dieu (Ac 2, 11), le vrai culte de Dieu (18, 7; 26, 7; 23, 3), le dessein-plan-volonté de Dieu (Ac 13, 36; 20, 27; 22, 14). L’Église de Jésus est l’alliance de Dieu (Ac 3, 26), l’Église de Dieu (Ac 20, 28); les chrétiens sont de la race de Dieu (17, 29): un mouvement de Dieu, comme fils de Dieu, comme les anges, fils de la résurrection (5, 30; 20, 21). Le temps de cette Église est un temps pour le service du Dieu de nos pères selon la Voie jugée secte par d’autres (Ac 24, 16) et pour la conversion de l’empire de Satan à Dieu (26, 18). L’effort littéraire de Luc de lier la personne et le mouvement religieux de Jésus à Dieu ne laisse aucun doute sur l’intention chez l’auteur de rendre manifestes l’ampleur et la profondeur de l’implication de Jésus de Nazareth dans les œuvres divines. 2.2.2 Jésus de Nazareth dans sa Seigneurie divine L’identité que Jésus manifesterait en Lc 23, 26-32 est plus que celle du martyr40. Le récit de la mort de Jésus est plus qu’un récit de martyre41. Bien des travaux insistent sur la spécificité de son martyre de par la nature singulière de sa personne. On s’en explique précisément en invoquant à l’appui les grands sujets bibliques du salut et de la justice, propos qui se trouvent ici intrinsèquement liés à la personne martyrisée42. Les miracles, les exorcismes et le martyre caractérisent «l’homme de Dieu» Jésus comme tant d’autres. 40 41 42

Cf. D. L. BOCK, Luke, vol. 2, 1839-1840. Contrairement à la position de tant d’auteurs qui suivraient R. BULTMANN , L’histoire de la tradition synoptique, 56 et les notes en bas de page. Cf. D. L. BOCK, Luke, vol. 2, 1839-1840.

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Toutefois, son ministère est marqué par un sens effectif d’ouverture universelle et une portée définitive, eschatologique qui rendent encore Jésus bien singulier. Il est comme et plus qu’un homme de Dieu. Malgré la continuité avec la tradition, c’est-à-dire la Loi et les Prophètes, «Jésus est l’initiateur par ses actions et paroles d’une nouvelle tradition parvenue jusqu’à nous, dont les caractéristiques sont la formation consciente d’une tradition et l’impératif de la transmettre43». «La Loi et les Prophètes, dit-il, vont jusqu’à Jean; depuis lors, la bonne nouvelle du Royaume de Dieu est annoncée, et tout homme déploie sa force pour y entrer» (Lc 16, 16). Le partage du ministère et du sort des prophètes martyrs ne suffit pas pour dire qui est Jésus. Il le situe seulement dans la lignée de ces hommes de Dieu, montrant la continuité du plan de salut de Dieu44. Jésus n’est pas que ce prophète martyr. Luc le démontre à travers l’itinéraire de Jésus. Vu que le message évangélique est de nature fondamentalement christologique45 et que la technique narrative lucanienne est celle de la progressive précision46, on doit s’attendre logiquement à l’affirmation progressive d’une christologie plus profonde que celle du prophète martyrisé et des modèles semblables susceptibles d’induire quelques ambiguïtés. Or notre texte (Lc 23, 26-32) est dans l’avant dernier chapitre, sa place tend à être conclusive dans le macro-récit. Ne serait-il donc pas un anachronisme que de vouloir insister ici, dans l’éta43 44

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V. MANNUCCI, Bibbia come Parola di Dio, 63-64. Cf. R. F., O’TOOLE , Luke’s Presentation of Jesus, 226: «In the programmatic passage (Luke 4:14-44) and related pericopes Jesus implies that he is a prophet. Jesus, the eschatological prophet, is particularly sent to the disadvantaged yet has a universal mission; but he will not be accepted by many of his own people. Although Luke compares Jesus to Isaiah, the Servant of Yahweh, Elijah, Elisha, Jonah, Jeremiah and especially to Moses, none of these parallels can explain his true greatness nor provide an accurate portrait of him. Jesus is a prophet, mighty in word and work, who works miracles and has an exodus to fulfill in Jerusalem. To belong to the people one must listen to him. Like some prophets of old, he is misunderstood, rejected and killed. These comparisons of Jesus to the prophets of the OT allow Luke to demonstrate the continuity of God’s plan of salvation». La situation de la personne de Jésus dans le plan de Dieu est la préoccupation majeure de Luc (Lc 1, 1; Ac 1, 1). Voir aussi: R. SCHNACKENBURG, Jesus in the Gospels, 132: «Luke concentrates his view entirely on Jesus and his salvific significance»; F. S. SPENCER, «Preparing the Way of the Lord. Introducing and Interpreting Luke’s narrative: A Response to David Wenham», 119-120. Cf. J.-N. ALETTI, Quand Luc raconte, 122-123.

blissement de la figure de Jésus et de son message, sur les qualificatifs de prophète d’oracles de malheur et/ou prophète d’ascèse eschatologique? Sans doute, cette position tenue par R. E. Brown et B. J. Pitre s’accorde difficilement avec le développement de l’évangile de Luc47. 2.2.2.1 Jésus de Nazareth plus qu’un homme de Dieu-prophète Répétons-le à la suite d’éminents exégètes48, la présentation de Jésus dans le cadre prophétique est un trait marquant de la christologie luca47

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Certains exégètes ne voient en Jésus dans ce récit du chemin de la croix qu’un simple prophète martyr. Voir à propos: R. E. BROWN , La mort du Messie, 1014: «De même que les Prophètes qui prononcèrent des oracles contre les nations...»; B. J. PITRE s’appuiera fortement sur la vie prophétique de Jérémie pour sa lecture de la figure personnelle et du message de Jésus dans Lc 23, 26-32. Comme Jérémie, Jésus renoncera au mariage en vue de l’avènement des temps eschatologiques. Son message serait à lier directement à cette perspective; cf. B. J. PITRE, «Blessing the Barren and Warning the Fecund: Jesus’ Message for Women Concerning Pregnancy and Childbirth», 60-61.72: «Jesus was a former disciple of the ascetic John the Baptist and himself a celibate eschatological prophet. Then these woes and beatitudes must be seriously considered as evidence for a message of apocalyptic ascetism that originated with Jesus and was directed specifically to women… This text [Jr 16, 1-4.9] is extremely important for understanding what might have driven Jesus’ own prophetic warnings against procreation. Indeed, when we turn to Jesus’ woes to women, it seems likely that he was operating with the same expectation that motivated Jeremiah. Just as Jeremiah predicts a time when children and ‹the mothers who bear them›… and ‹the fathers who beget them›… will be slaughtered or die of pestilence, so Jesus speaks of an approaching time when there will be suffering for mothers and children. This is an intriguing connection when we note that both Jesus and Jeremiah probably avoided marriage and procreation during their prophetic careers. Perhaps the motivating factor for both was their knowledge of coming eschatological events. Finally, Jesus, like Jeremiah, conveys information about coming days to his audience with the expectation that they will heed his prophetic message. And for Jesus, this message is to forego procreation and take up the blessed state of childlessness». Cf. J.-N. ALETTI, Quand Luc raconte, 183: «Chassant les esprits impurs et mauvais, guérissant, même le jour du sabbat, proclamant le pardon de Dieu, il s’impose pour le moins comme un prophète à la stature imposante. C’est d’ailleurs avec des accents prophétiques qu’il s’adresse à ses compatriotes. Si ses discussions avec les élites religieuses se comprennent dans le cadre du développement de la halakah juive, le ton avec lequel il les fustige et leur dit: ‹Malheur à vous!› (Lc 11, 37-50) révèle une conscience prophétique nette. Le ton est aussi prophétique lorsqu’il apostrophe les villes qui ne se sont pas converties à sa prédication (Lc 10, 13), lorsqu’il déclare cette génération mauvaise, pour n’avoir pas reconnu qui il est et pour lui

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nienne49. Mais, il y a lieu d’éclaircir la signification de cette réalité. La personnalité de Jésus doit être beaucoup plus complexe. Jésus évolue dans le cadre prophétique de l’œuvre divine, c’est-à-dire partage le sort des prophètes, mais il n’en demeure pas moins le «Christ de Dieu», un homme de Dieu hors du commun des prophètes. Il est celui dont on ignore l’identité personnelle: «Qui est cet homme qui ose même pardonner les péchés?» (Lc 7, 49). Le terme prophète est donc loin de pouvoir cerner le mystère de la personne de Jésus de Nazareth50. Le modèle prophétique est loin d’être l’expression privilégiée de ce que Luc veut faire comprendre de la personne, de l’identité et du rôle religieux de Jésus de Nazareth. Dans l’exercice de son ministère prophétique, Jésus laissa naturellement transparaître un plus qu’il incarnait et qu’il assumera jusqu’à la mort, la mort de la croix. Dans le récit du chemin de la croix, Luc confesse un Jésus qui fait un avec Dieu51 et pas seulement cet homme de Dieu «demeurant ferme comme s’il voyait l’invisible» (He 11, 27). Jésus est donc à la fois identique à Moïse et différent de lui. Dans son évangile, Luc tente d’introduire le lecteur dans le déchiffrage du mystère de ce plus dans la personne de Jésus, dans un style plutôt sapientiel. Le Jésus lucanien est ce Maître-Chef-Enseignant qui initie à la vie avec autorité, il est le sage qui est bien plus que Salomon vers qui pourtant on a accouru du bout du monde (11, 31). L’Écriture chante la grandeur de Moïse: «Dieu révéla ses chemins à Moïse et aux fils d’Israël ses hauts faits» (Ps 103, 7); «plus jamais en Israël ne s’est levé un prophète comme Moïse, lui que le Seigneur connaissait face à face» (Dt 34, 10). Mais Jésus est plus que lui. Si Moïse a été le plus grand des prophètes d’Israël à qui Dieu a révélé ses chemins,

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avoir réservé le sort des prophètes (11, 29-32.49-50), lorsqu’il pleure enfin sur Jérusalem (13, 33.34-35; 19, 41-44). Le thème de la persécution et de la mise à mort des prophètes revient plusieurs fois dans sa bouche…». Voir aussi O. MAINVILLE , La Bible au creuset de l’histoire, 58: «L’Ensemble de l’évangile de Luc présente Jésus durant sa vie terrestre comme prophète (Lc 4, 24-27; 7, 39; 9, 19; 13, 33; 22, 64; 24, 19) et non comme messie. C’est dans la résurrection seulement que Luc attribue à Jésus le rôle de messie (Ac 2, 30-33; 13, 33)». Cf. Lc 4, 24-27; 7, 39; 9, 19; 13, 33; 22, 64; 24, 19; 6, 22-23; 11, 47. 49-51; 13, 3334. C. H. H. SCOBIE, «A Canonical Approach to Interpreting Luke», 334. Cf. R. F. O’TOOLE , Luke’s Presentation of Jesus, 29-54.

le Jésus lucanien se présente comme le principe même de la révélation des voies de Dieu. Avec autorité divine, il impose à l’acte religieux un caractère inouï. L’originalité de Jésus de Nazareth parmi les envoyés de Dieu lui coûtera la vie. Cette originalité est résumée par O. Gonzàlez de Cardenal dans quatre grands défis que lançait l’agir du Fils de l’homme: le défi sur le plan moral, le défi sur le plan des rapports sociaux, le défi sur le plan salvifique et le défi sur le plan théologique52. De la lecture de l’itinéraire de Jésus, dont Luc nous livre un récit si détaillé jusqu’à l’ultime étape, se dégage un cinquième et spécifique défi comme composante intrinsèque de l’originalité de Jésus de Nazareth: le défi à la mort et à toute tradition antérieure sur la mort. 2.2.2.2 Jésus de Nazareth à travers l’intraitable mort Depuis hier jusqu’à nos jours, la mort de Socrate fascine les esprits. Ses dires au seuil de cette réalité humaine sont si profonds: Je [Socrate] m’en vais donc subir la mort à laquelle vous m’avez condamné, et eux l’iniquité et l’infamie à laquelle la vérité les condamne... et nous nous trompons sans aucun doute, lorsque nous nous figurons que la mort est un mal. Une preuve évidente pour moi, c’est qu’infailliblement, si j’eusse dû mal faire aujourd’hui, le signe ordinaire m’en eût averti. Voici encore quelques raisons d’espérer que la mort est un bien. Il faut qu’elle soit de deux choses l’une, ou l’anéantissement absolu, et 52

O. GONZÀLEZ DE CARDEDAL, Cristologia, 118: «– Sfida morale: riconduceva la legge alle sue intenzioni più profonde e originarie, nella linea di un profetismo e di un monoteismo etici, dove la purezza del cuore (non quella delle mani) e la giustizia reale (non gli adempimenti formali) erano fattori decisivi. – Sfida sociale: si avvicinava ai gruppi umani e agli individui emarginati a causa della loro inadiempienza della legge, della loro attività e della loro provenianza; andava oltre i precetti della purità rituale; si prendeva cura delle masse («pecore senza pastore»), riconoscendo la loro dignità personale di fronte a Dio e ai potenti. – Sfida salvifica: manifestava con gesti concreti l’amore e il perdono di Dio; operava guarigioni anche il sabato, a significare la superiorità dell’uomo sulla legge, e il primato dell’amore del Padre riguardo ai precetti umani; mostrava presente il Regno di Dio scacciando i demoni, guarendo i malati, restituando la vista ai ciechi, evangelizzando i poveri. – Sfida teologica: strappava Dio dal luogo, dalle funzioni, dai poteri e dalle categorie dove la religione ufficiale lo aveva relegato; faceva trasparire la maestà di Dio come vicinanza, la sua giustizia come misericordia, il suo potere come compassione, il suo amore come pardone, l’elezione d’Israele non come privilegio di un solo popolo, ma come dono a tutti coloro che verranno da lontano a assidersi nel Regno, in compagnia di Abramo».

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la destruction de toute conscience, ou, comme on le dit, un simple changement, le passage de l’âme d’un lieu dans un autre... si du moins ce qu’on en dit est véritable… Mais il est temps que nous nous quittions, moi pour mourir, et vous pour vivre. De mon sort ou du vôtre, lequel est le meilleur? Personne ne le sait, sauf dieu53.

On ne saurait nier la noblesse, la cohérence et la grandeur d’âme du maître penseur dans sa façon de se tenir devant la mort. Luc sait comment Socrate est mort et ce que sa mort vaut dans la mémoire du monde gréco-romain54. Mais comme nous l’avons dit en traitant de l’histoire des récits et de leurs démarcations, l’Évangile n’est pas essentiellement intéressé par les considérations défendues par les témoins de Socrate. Le présent propos ne sera donc pas axé sur la question des démarcations littéraires. Il visera à montrer la singularité de Jésus devant la mort. C’est dans ce cadre que le cas de Socrate servira de moyen d’illustration des ombres d’une foi extrabiblique. Le philosophe grec a accepté de mourir en déclarant son choix pour l’obéissance au dieu plutôt qu’aux hommes. À quel dieu s’est-il voué? On ne saurait le démontrer ici. Mais de la confession faite en toute honnêteté, s’aperçoivent ce de quoi Socrate est convaincu et jusqu’où vont les horizons de cette foi. L’illustre philosophe affirme l’ignorance de son propre sort dans l’aventure de la mort. Et se rend-se remet à la mort, avec une double conviction: l’extinction de son être personnel et la survie de ses idées dans les jeunes générations. En face de la mort, Jésus ne se présente pas comme un stoïque, son défi à la mort n’est pas une question de résignation: mais une question de victoire, de marche à travers. Sa marche est une mutation vers le Père dans la confiance. Dans sa démarche de foi, il proclame le primat de l’horizon de Dieu sur toute autre perspective, toute autre alternative. Le chemin de la croix en Luc n’est donc pas à confondre avec un chemin de pur héroïsme ou de pur stoïcisme. Il est très différent d’un chemin à la Socrate, le chemin de la stoïque mort. Dans sa mort, Socrate se rend en quelque sorte à la finitude humaine. Mais Jésus a enseigné en acte et en parole que la mort n’est pas inéluctable: «Je vous le dis à vous, mes amis: Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps et après cela ne peuvent rien faire de plus. Je vais vous 53 54

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Cf. PLATON , Apologie de Socrate, 39b-42a. Cf. D. MARGUERAT, «Luc, un portrait d’auteur», 6.

montrer qui vous devez craindre: craignez Celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne» (Lc 12, 4-5). Le long de son itinéraire, il annonce sa passion-mort non comme la fin de sa vie et de sa présence auprès des siens. Il promet au contraire un agir personnel plus vigoureux et pérenne. Dans sa mort, il est cet «homme de haute naissance [qui] se rendit dans un pays lointain pour se faire investir de la royauté et revenir ensuite» (19, 12)55. L’annonce de la victoire sur la mort est perceptible dans la façon d’entreprendre la marche vers Jérusalem: la marche de Jésus est en vue d’une «ascension, avna,lhmyij» (9, 51). Le chemin de la croix prouve cette orientation personnelle de Jésus vers des horizons divins qui demeurent des mystères pour le commun des mortels. La marche de Jésus vers le «lieu appelé Crâne», dans la totale «liberté de ne rien être pour lui-même»56 couvre sa personne d’un mystère qui ne peut que susciter la confiance en lui. Elle avertit du mystère de la christologie implicite. Ce mystère d’une identité aux profondeurs insondables se devine déjà dans l’enseignement de Jésus. Avec lui, l’existence humaine prend un sens paradoxal: mourir pour vivre; la mort est un passage à ce qui ne passe pas. Sur le chemin de la croix en s’auto-confessant «arbre toujours vert», Jésus révèle que la mort ne pourra pas avoir le dernier mot sur lui et qu’il est le principe de la vie. Il faut effectivement noter le plus de Jésus dans sa mort. La mort entraîne les hommes illustres au repos, les réduit au silence. Mais Jésus annoncera, promettra une perpétuité de bienfaisance, une permanente et effective communion personnelle avec l’humanité au-delà de la tombe. Ici comme ailleurs dans les récits évangéliques, la rencontre de Jésus avec les femmes est marquée, d’une manière ou d’une autre, par l’annonce de sa victoire sur l’ennemi, sur le mal, la mort. Devant les mères des hommes, Jésus est bien souvent cet homme porteur d’un parfum singulier, le parfum de la vie de l’au-delà de la

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Si la marche de Jésus sur terre n’a pu que passer par l’épreuve de la croix, celle-ci aura été l’expression de son amour pour la vie des hommes. La croix n’a pas été un échec, mais bien le moyen de l’ouverture de la porte de la vie sans fin par Jésus et pour tout homme qui croit en lui. Sa mort-résurrection est son départ-retour, mais pas l’entrée dans un repos de retraité, quelque part, dans le village lointain des ancêtres, de ceux qui se sont endormis. B. UKWUIJE, Trinité et inculturation, 274.

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mort57. «L’arbre vert» est en effet le symbole par excellence de cette vivifiante bienfaisance, perpétuelle, éternelle (cf. sarcophages à arbre et le cyprès des les cimetières). Jésus dans son auto-confession d’«arbre vert» se dit Seigneur de la vie depuis hier, aujourd’hui et demain: «l’arbre vert» porte en lui le mystère de la vie et la promesse de l’éternité. 2.2.2.3 Jésus de Nazareth et Dieu dans sa bienfaisance Sur le chemin de la croix ce mystère de l’identité de Jésus de Nazareth s’affirme de façon assez accentuée. Le mode et le contenu de ses paroles pendant cette marche ne laisseraient aucun doute sur son partage de l’être divin. Son intervention est une auto-confession, où résonne la voix de la Divinité dans son Je personnel. Jésus est celui sans qui le monde s’effondre. Il n’est pas un simple lieutenant, un porte-parole, un ambassadeur. Il vaut ce que vaut Yhwh pour son peuple. Le rejet de Yhwh cause la ruine de son peuple: «C’est ta destruction Israël, c’est que tu as été contre moi, ton secours» (Os 13, 9). Le rejet de Jésus causera de même la destruction: «Si on fait cela à l’arbre vert, qu’est-ce qui doit advenir au sec?». Jésus est le principe de la vie, le cyprès toujours vert, sans lequel tout reste condamné à la caducité, à la mort: «Je suis comme un cyprès verdoyant, c’est de moi que vient ton fruit» (Os 14, 9). Jésus de Nazareth est la présence-visite de Dieu dans sa bienfaisance. Dans cette expression de l’égalité-unité entre Jésus et Dieu, à

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Marie la Mère Jésus et Marie Madeleine sont des témoins de façon particulière de la mort et de la résurrection de Jésus. Le rapport Puissance de Jésus-Assauts de la mort est exprimé à travers tant d’autres de ses rencontres avec des femmes. Cf. M. GRONCHI , Trattato su Gesù Cristo Figlio di Dio Salvatore, 160-161: «Inoltre [di Maria di Màgdala], altre donne s’incontrano significativamente con Gésù, come la suocera di Pietro, guarita dalla febbre (cfr. Mc 1, 29-33); la figlia di Giairo risvegliata (cfr. Mc 5, 21-24.35-43); l’emorroissa guarita (cfr. Mc 5,25-34), la sirofenicia, la cui figlia è liberata dal demonio (cfr. Mc 7, 24); la peccatrice perdonata (cfr. Lc 7, 36-50); le discepole che lo accompagnano (cfr. Lc 8,1-3); Maria di Betania che lo unge di profumo (cfr. Gv 12,1-11); le donne di Gerusalemme che piangono su di lui (cfr. Lc 23, 27-31); le donne che vanno al sepolcro per completare l’unzione funebre (cfr. Mc 16, lss. par.). In ogni incontro, Gesù entra in una relazione personale d’amore gratuito, capace di reciprocità, che si esprime ponendo gesti e permettendo che altri vengano rivolti a lui; nei suoi incontri con le donne egli è come costantemente avolto da un ‹profumo› – anzi, è lui stesso il ‹profumo› /dono –, che, mentre annunzia la sua morte, prelude anche alla sua risurrezione».

notre avis, se trouverait le résumé de la christologie lucanienne. Comment conjuguer alors cette vision avec la grande question évangélique du salut? Pour R. F. O’Toole, dans la christologie lucanienne «la caractéristique dominante est Jésus comme Sauveur58». H. D. Buckwalter conçoit la cohésion / l’unité de la christologie lucanienne sous la titulature du service: Jésus le Serviteur de Dieu serait le titre résumant au mieux la pensée christologique de Luc59. La dimension sotériologique de la figure de Jésus et son obéissance indéfectible à la volonté de celui qui l’a envoyé tiennent incontestablement une place remarquable dans Luc-Actes. Cependant il paraît difficile de concevoir ces deux catégories, le salut et le service, comme les terminologies-clés / phares de la christologie lucanienne, à cause du fait même des ambitions du propos christologique de Luc, de son universalité et de son engagement dans l’oikoumenê. Pour notre évangéliste, le salut semble s’identifier avec la présence du Royaume parmi les hommes, en la personne de Jésus… Pour caractériser l’action salvifique de Jésus, l’évangile ou les Actes présentent des expressions qui marquent la paix, la

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R. F. O’TOOLE , Luke’s Presentation of Jesus, 4. Cf. H. D. B UCKWALTER , The Character and Purpose of Luke’s Christology (SNTSMS, 89), University Press, Cambridge (MA) 1996, 283-284: «There is a unity or coherence to his Christology. It is the servanthood of the Lord Jesus. His main or controlling christological concern was to demonstrate for his readers that during his humiliation the earthly Jesus behaved among his people as one who serves (Luke 22:25-27); and as exalted Lord and the Father’s co-equal, Jesus continues to come in service to his people, strengthening and encouraging them in their witness of him to the world, a heavenly work, as we have seen, not unlike that of Yahweh in the OT (cf., e. g., Exod. 4:12). Moreover, that Jesus’ followers resemble him in their own ministries in Acts means that they too are now imaging his servant-like character in their witness of him (cf. Luke 22:26). For this reason Paul can rightly insist that his missionary work to the Jews and Gentiles was in reality a work of the resurrected Christ himself (Acts 26:23). Much of Luke’s expressed christology seems to be in the service of this theme. And it is possible that he expected his readers to take such ‹an overall view› of his christological description of Jesus as well. This proposal offers us a Lukan writing concern which plausibly explains (1) his purpose in writing, (2) the literary features of his two-volume work, (3) the apparent tension between Jesus’ Lordship and subordination (i. e., humiliation), and, above all, (4) the character and purpose of his christology. In Luke 6:40 Jesus instructs his disciples: ‹A student is not above his teacher, but everyone who is fully trained will be like his teacher.› Luke writes to show how this is so».

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vie, la bénédiction… La paix est associée étroitement au salut… Luc insiste pareillement sur la vie, en connexion avec le salut… Enfin, l’action salutaire de Jésus s’exerce par sa présence bénissante60.

Ces dispositions de l’auteur trahissent la délicatesse avec laquelle il utilise les terminologies de la sotériologie vétérotestamentaire61. Utilisé dans l’œuvre lucanienne surtout dans le propos de l’accomplissement des promesses divines au peuple élu, le terme Sauveur indiquant Jésus vient toujours dans ce contexte particulier israélien (Lc 2, 11; Ac 5, 31; 13, 23)62. Et la qualification de Serviteur de Dieu est appliquée à Jésus au titre de sa passion-souffrance (Ac 3, 13.26; 4, 27.30). Toutes ces deux caractérisations sont de la première réflexion christologique, dont le principe fondamental était l’actualisation, l’herméneutique de l’identité de Jésus selon la Torah et les Prophètes. Jésus est identifié «selon les écritures» et «conformément aux écritures». 60 61

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P. BOSSUYT et J. RADERMAKERS, Jésus Parole de la grâce selon saint Luc, vol. 2, 50-51. Cf. Ibidem, 42-43: «Lc insiste sur le fait que le salut a un lieu précis de départ: Jérusalem, qu’il surgit dans l’histoire d’un peuple choisi: Israël, et qu’il s’adresse d’abord a des témoins privilégiés: les Douze. Sa préoccupation: comment dire a tout homme ces réalités particulières? En fait, il présente la réalité du salut selon une double polarité: d’une part, Israël – non pas meilleur que les autres, mais élu par Dieu –, et d’autre part, en-deçà et au-delà de ce ‹peuple› choisi, ‹le monde habité› (oikoumenê). Encore faut-il comprendre Luc. Il ne procède pas comme Paul; celuici développe, notamment dans son épître aux Romains… une dialectique juif/païen à partir de la question que pose à un juif devenu chrétien la résistance de beaucoup de ses frères. Luc distingue plutôt deux démarches religieuses enracinées dans l’unique histoire du salut, à partir de situations particulières. Un juif, en effet, peut penser une seule histoire, en termes dialectiques d’opposition Israël / nations païennes: c’est comme une conséquence obligée de l’élection. Notre évangéliste se situe autrement: tout en admirant Israël, il voit les choses à partir de l’oikoumenê, du concert des nations, où Israël apparaît comme un peuple entre autres… La Bonne Nouvelle part de la synagogue, d’Israël à qui les promesses ont été accordées. En effet, il est le seul peuple à attendre un Messie et à pouvoir le reconnaître grâce au témoignage de l’Écriture (cfr Mt 2,1-6). Mais ce qui se joue en Israël est salut pour tout homme: ‹… aux autres villes aussi, il me faut annoncer la Bonne Nouvelle, le Royaume de Dieu…› (4, 43)». Lc 2, 11: «Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur». Ac 5, 31: «C’est lui que Dieu a exalté par sa droite comme Prince et Sauveur, pour donner à Israël la conversion et le pardon des péchés». 13, 23: «C’est de sa descendance que Dieu, selon sa promesse, a fait sortir Jésus, le Sauveur d’Israël».

Les titres de Sauveur et de Serviteur de Dieu charrient donc une charge vétérotestamentaire non déchiffrable aisément par le commun des mortels de l’oikoumenê. C’est de la christologie scripturaire typiquement judéo-chrétienne63. Un des problèmes majeurs avec les catégories référentielles de la première christologie est leur mécanisme particulariste, c’est-à-dire leur focalisation sur l’Alliance de Dieu avec Israël. Il va sans dire finalement que Luc n’entendrait pas s’arrêter à ce niveau. La raison est simple: la figure de Jésus dépasse de loin ces concepts dans lesquels on voudrait l’enfermer64. Pour Luc Jésus est présence de Dieu pour toute l’humanité. 2.2.2.3.1 Jésus de Nazareth et l’Humanité de Dieu La christologie en tant que cet effort théologique portant sur le mystère de la personne de Jésus aurait naturellement comme voie de sécurité l’affirmation / expression «dite implicite, qui jaillit en direct de sa parole d’autorité et de son action de salut»65. D’où l’insistance particulière de Luc sur la tracée humaine de Jésus, son itinéraire terrestre. Moïse marcha comme s’il voyait l’invisible, ferme. Mais Jésus est plus que Moïse: il marchait, parlait et agissait en Dieu, ni plus ni moins que Dieu. Il est bien l’unique «arbre vert» dans le désert. Son dire et son faire ne démentent aucunement l’Amour qu’est Dieu. En lui, on reconnaît l’identité-être de ce Dieu qui s’est révélé à Moïse et à ses pairs. En lui et par lui, Dieu a rendu visite aux hommes, ses pas tracent «le chemin de vie» sur la terre des hommes (Ac 2, 28). Sur la terre et dans les cieux, le Seigneur Jésus est celui qui bénit (cf. usage du verbe «euvlogeîn, bénir»: Lc-Ac 15 fois, Mt-Mc-Jn 6 fois). Il restera ce qu’il est depuis toujours, source de bénédiction et de vie pour tous ceux qui l’invoquent (Ac 3, 26). Cette vision est différente de la qualification de la rectitude des rois selon l’histoire deutéronomiste. Le critère de la droiture dans le cas de ces rois d’Israël est la fidélité à la tradition davidique. La rectitude de Jésus est définie en termes d’impeccabilité et de bienfaisance envers l’humanité selon Dieu.

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Cf. C. PERROT , Jésus, Christ et Seigneur des premiers chrétiens, 18-24. Cf. Ibidem, 43. Ibidem, 42.

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Jésus est donc la personne en qui se révèle ce qui est de l’apanage de Dieu seul: le bien et la bienfaisance sans limite. Même sur le chemin du «lieu appelé Crâne», demeurera de la préoccupation de Jésus la bienfaisance à l’humanité menacée dans sa vie. Question de fidélité à sa mission fondamentale (cf. Ac 3, 26). Le Je auquel il répond n’est pas le simple je d’une personne bénie, d’un homme devenu instrument de la grâce divine. Le Je de Jésus est le Je personnel de ce Dieu vivant qui dit: – à Ezéchiel (Ez 37, 3-6): «Fils d’homme, ces ossements peuvent-ils revivre? (‹Je dis: ‹Seigneur Dieu, c’est toi qui le sais!›)… Prononce un oracle contre ces ossements… Ossements desséchés, écoutez la parole du Seigneur. Ainsi parle le Seigneur Dieu à ces ossements: Je vais faire venir en vous un souffle pour que vous viviez. Je mettrai sur vous des nerfs, je ferai croître sur vous de la chair, j’étendrai sur vous de la peau, je mettrai en vous un souffle et vous vivrez; alors vous connaîtrez que je suis le Seigneur›». – au Peuple (Os 13, 9; 14, 9): «Te voilà détruit, Israël; moi seul peux te porter secours… Je suis, moi, comme un cyprès toujours vert, c’est de moi que procède ton fruit».

En Lc 23, 31, l’agir humain est accusé, l’agir contre l’arbre vert, c’està-dire l’agir humain contre «la présence de Dieu», l’opposition à «la visite de Dieu» l’unique Bienfaiteur. La passion de Jésus dit ce qu’est Dieu en lui-même et devant l’humanité: l’Amour66. Crucifié sur la croix de la souffrance qu’il a portée (23, 26), Jésus priera pour l’humanité pécheresse. Dans sa vie et dans sa mort, il reste le témoin inné de ce Dieu-Amour sur la terre assoiffée de vie. Dédié au Règne d’un Dieu de miséricorde, il n’a été que oui à la vie jusqu’à sa mort. Prédicateur et représentant du Règne de Dieu, dans son dire et dans son faire, Jésus incarne et révèle ainsi une image inouïe de Dieu67. Il se situe dans la continuité de la prédication prophétique et eschatologique (cf. son rapport avec le Baptiste Jean)68. Mais «le message de Jésus subit… un fort déplacement de contenu et de tonalité: il prêche la conversion en termes plus positifs et comme accueil de la miséricorde de Dieu, c’est-à-dire la nouvelle situation, caractérisée par l’amour miséricordieux du Père, dans laquelle tout homme est prévu. Jésus an66 67 68

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Cf. B. UKWUIJE , Trinité et Inculturation, 272-273.291. Cf. A. T ONIOLO, Cristianesimo e verità: Corso di teologia fondamentale (Sophia / Didachè-Manuali, 3), Messagero di Sant’Antonio, Padova 22008, 119-142. Cf. M. GRONCHI , Trattato su Gesù Cristo Figlio di Dio Salvatore, 119-125.

nonce une telle réalité par l’expression ‹règne de Dieu›…69». «Le concept de Basileía [Règne, Seigneurie, Royauté de Dieu] exprime ce savoir définitif de Jésus relatif à Dieu comme Père, et l’indique efficace pour tous les hommes. Dieu, Règne et Christ s’auto-impliquent: ce sont des identités distinctes, mais inséparables… Jésus est le messager qui annonce la venue du Règne; est le révélateur de son contenu et de ses exigences; est la figure expressive et le lieu où le Règne devient accessible pour tout homme70». Expression personnelle de la Seigneurie de Dieu, Jésus l’a été durant tout son itinéraire terrestre (cf. Luc-Actes), révélant Dieu surtout comme source de vie, de pardon, de grâce, de bénédiction, de mansuétude, de miséricorde, de pitié. Le Dieu de Jésus Christ est ce Dieu d’un amour gratuit pour l’homme, amour sans condition, infini. La nouveauté dans la perception de l’image de Dieu à travers sa révélation en Jésus est sans conteste71. 2.2.2.3.2 Jésus de Nazareth et Dieu Bon-Bienfaiteur Luc est le chantre et l’artiste remarquable de cette figure de Dieu dans sa Seigneurie qui n’est que de toute bonté. Les paraboles sont singulièrement appliquées à cette tâche (cf. Lc 15). Les propos de Jésus aux «Filles de Jérusalem» (23, 28-31) ne contredisent aucunement l’inépuisable bonté divine. M.-J. Lagrange l’a souligné: «ces paroles [sont] si pénétrées de bonté72». Les menaces terribles qu’elles contiennent ne peuvent alors que renvoyer à la question de la responsabilité humaine devant l’offre gratuite de la vie en Dieu et par Dieu. Dans le parallélisme antithétique de Lc 23, 32, Luc a tiré au clair la justice et la bonté de Jésus. Celui-ci n’a rien en lui qui soit semblable au mal; au contraire il en est l’antidote, il donne la vie. 69

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A. T ONIOLO, Cristianesimo e verità, 120. Voir aussi O. GONZÀLEZ DE CARDEDAL, Cristologia, 63: «Diversamente dal messaggio del Battista, quello di Gesù è una offerta incondizionata di grazia divina, che sollecita l’uomo all’ascolto vigile, all’acooglienza, alla conversione e alla fede. Perciò il Regno, oltre che offerta da Dio, è una scoperta dell’uomo, esige accetazione, va vissuto come grande privilegio o fortuna; ma dev’essere conquistato, quindi è anche frutto di sforzo». O. GONZÀLEZ DE C ARDEDAL, Cristologia, 67. Ibidem, 118. M.-J. L AGRANGE, Évangile selon saint Luc, 586.

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Dans le chapitre 23, des mots et des faits traduisent cette intention de l’auteur. Deux grandes personnalités Pilate et Hérode sont témoins de son innocence (23, 14-15). Pilate répète trois fois que Jésus est «sans motif de condamnation» (23, 4.14.22). Il conduit au ciel le malfaiteur repenti qui se recommande à lui (23, 39-43). À sa mort, le soleil s’obscurcit comme pour dire qu’il est la vraie lumière. Sa Justice est confessée finalement par le camp des adversaires: «Sûrement, cet homme était juste», dira le centenier romain (23, 47); et survient le repentir des témoins. Au cœur de la christologie lucanienne se trouve donc l’affirmation que Jésus est la définition du salut de l’homme. Luc nous aura montré cette vérité à travers sa géniale réélaboration du chemin de la croix. Suivre Jésus de Nazareth s’impose là comme un impératif indiscutable pour tout homme qui veut vivre. La destinée de l’humanité se trouve liée à son destin christique, un destin réellement divin. 2.2.2.3.2.1 Jésus de Nazareth un avec l’unique bon Dieu Luc croit en un Jésus «arbre vert» inséparable de l’unique Dieu. Cette foi christologique, l’auteur de Luc-Actes la confesse à sa manière. Représentant authentique d’une Église naissante encore à la recherche de l’expression de sa foi christocentrique, Luc tient aussi à l’unicité de Dieu et combat toute forme d’idolâtrie et de syncrétisme. On ne pourrait pourtant pas espérer lire chez lui des énoncés de type nicéen. Sa préoccupation était plus le témoignage fidèle de l’unité entre Jésus et son Dieu, une réalité manifestée par lui-même dans son dire et dans son faire. Son insistance sur la Seigneurie de Jésus parmi les hommes et pour les hommes, en tant qu’«arbre vert», le Bienfaiteur, la Bénédiction pour toute l’humanité, sera son mode particulier d’affirmer le mystère de l’identité de l’homme de Nazareth dans son unité avec Dieu73. Par ailleurs, il est clair que jusqu’ici la doctrine chrétienne catholique a maintenu que le Fils n’est pas le Père. Si dire que Jésus est Dieu revenait pour l’auditoire à le confondre avec le Père créateur, le théologien aura donc bien fait de s’en abstenir. En effet, on le comprend dans son souci de se faire comprendre au maximum sur le mystère de la personne de Jésus de Nazareth. Tout homme reçoit par lui une raison de vivre, même l’homme le plus déméritant. En lui et en lui seul sont assu73

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Cf. R. F. O’TOOLE , Luke’s Presentation of Jesus, 4-6.

mées toutes les quêtes religieuses. Il en est le chemin définitif et la fin, il est «l’arbre vert». C’est lui le vert en qui tout sec peut reprendre vie. En lui, l’homme découvre le sens ultime de sa vie. Le reniement et le rejet de Jésus «arbre vert» soumettent l’aventure humaine à un non sens. Jésus dialogue avec ceux qui le suivent et il se révèle non pas seulement comme celui qui est le Grand des prophètes, le plus Juste des hommes, le Sage des sages, mais bien celui dont il avait parlé dans son étrange réponse à l’homme qui l’interrogeait sur le chemin de la vie éternelle: «Pourquoi m’appelles-tu bon? Personne n’est bon si ce n’est Dieu seul» (Lc 18, 19). Il signifiait là déjà que son existence personnelle ne fait qu’une avec celle de Dieu l’unique bon parmi les êtres74. Aussi, Luc insistera singulièrement sur l’imitation des pas de Jésus en le définissant comme «VArchgo,j, Prince de la vie, Chef, Guide, Conducteur, Prédécesseur, Pionnier» qui mène à la vie (Ac 3, 15; 5, 31)75. Il présente la marche concluante de Jésus comme prototype de la vie du disciple qui veut son propre salut76. En pratiquant ce que Jésus a enseigné et en imitant ce qu’il a fait, le disciple partagera la vie de «l’arbre vert», l’arbre de vie et de fécondité, l’arbre qui reste lui-même à temps et à contre temps, «cet arbre qui donne douze récoltes, fructifie chaque mois et dont les feuilles servent pour la guérison des nations» (cf. Ap 22, 2)77. 2.2.2.3.2.2 Jésus de Nazareth un avec le Dieu Bienfaiteur Le parcours terrestre de Jésus de Nazareth est résumé par Luc en un verset où il fait état de sa correspondance en tout et partout au bien: «Ce Jésus issu de Nazareth… il est passé partout en bienfaiteur, il guérissait tous ceux que le diable tenait asservis, car Dieu était avec lui» (Ac 10, 28). Jésus dans ces actes de magnanimité entend offrir la bénédiction divine: il lève la main, il bénit avec ce «doigt de Dieu» (Lc 11, 20). Les bénéficiaires de la bienfaisance de Jésus se trouvent unis à lui plus par la foi que par un «rapport de production» thaumaturgique. Sa puissance d’action se manifeste et se déploie là où la foi en lui est certifiée (Lc 5, 74 75 76 77

Cf. K. STOCK, Jésus la bonté de Dieu. Le message de Luc, Desclée, Paris 1992. Voir aussi He 2, 10. Cf. J. PATHRAPANKAL, «Christianity as a ‹Way› according to the Acts of the Apostles», 538. Cf. H. W. WOLFF , Hosea: A Commentary on the Book of the Prophet Hosea, 237.

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20; 7, 9.50; 8, 25.48; 17, 19; 18, 42; 22, 32; Ac 3, 16; 14, 9)78. Dès son baptême, la voix du ciel déclare: «Tu es mon Fils bien-aimé; je mets en toi toute ma joie» (3, 22). Sa vie sur cette terre est la visite bienfaisante de Dieu (19, 44), ce Dieu qui fait pleuvoir pour les familiers et les étrangers, se rend témoignage par ses bienfaits partout sur la terre (cf. Ac 14, 16-18), un Dieu qui fait grâce à ses débiteurs quelque soit la dette (7, 40-43). Un Dieu ami infatigable et Père qui ne donne que de bonnes choses aux hommes ses enfants (11, 5-13), un Dieu qui se plaint des juges impénitents (cf. 12, 57-59), qui attend patiemment le fruit de son décevant figuier (13, 6-9), qui invite et honore les petites gens à ses noces (14, 7-14), Père clément de l’enfant prodigue, dont la plus grande joie est le repentir du pécheur (Lc 15), le miséricordieux qui demande compte à ceux qui maltraitent les pauvres (16, 1-8), le Dieu qui fera justice à ceux qui pleurent (18, 1-8). C’est le Dieu dont la Seigneurie se manifeste dans les mystérieuses profondeurs de l’humilité, dont le Règne est enfoui au cœur du monde comme une graine de moutarde, une pincée de levain dans la pâte (13, 18-21). D’où le génie de Luc dans sa traduction du mystère de la personne de Jésus de Nazareth par la notion de «l’arbre vert», l’arbre restant luimême, dans le mystère d’une générosité défiant l’ingratitude de la terre. Cette expression du mystère de Jésus à travers son inépuisable bonté-bienfaisance parmi les hommes constituera en même temps pour Luc une forte argumentation anti-impériale79. Comme le fait remarquer 78

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Homme de Dieu, Jésus se retrouve lié à cette race des messagers de Dieu reconnaissables par leurs actes extraordinaires. Mais dans sa maîtrise des multiples et diverses maladies, des esprits mauvais, des situations de manques et de la mer, Jésus appose une signature personnelle d’une supériorité digne de Dieu. Ses gestes sont toujours comme des dons qui disent la gratuite bienfaisance de Dieu. C’est une mansuétude qui va jusqu’à saisir l’intouchable lépreux pour son seul bien. Cf. M. GRONCHI, Trattato su Gesù Cristo Figlio di Dio Salvatore, 147-154. Cf. W. CARTER, «Lecture impérialiste. Christianisme primitif et monde romain», 292-293: L’approche des écrits du NT selon la méthode de la critique impériale a «permis de reconnaître un chevauchement significatif entre la terminologie utilisée pour les prétentions impériales et celle utilisée par le mouvement chrétien primitif, incluant des titres christologiques (‹sauveur›, ‹Seigneur›), des métaphores (‹lumière›, ‹la voie›), et le langage des prétentions théologiques (‹évangile›, ‹justice›, ‹foi›, ‹paix›, etc.)… Les similitudes de langage mènent directement à une enquête sur les revendications ou doctrines. Il y a des similitudes étonnantes entre les revendica-

H. J. Cadbury: «il ridiculise le fréquent hellénistique titre royal de «Bienfaiteur» (Euverge,thj)80». «Les rois des nations, dit-il, agissent avec elles en seigneurs, et ceux qui dominent sur elles se font appeler bienfaiteurs», alors qu’ils ne le sont pas (Lc 22, 25). En revanche, Jésus est la vraie bénédiction pour l’humanité, une faveur pour Abraham en qui sont bénies et sa propre postérité et toutes les nations de la terre (Gn 12, 3; Lc 1, 54-55). Le thème de Jésus présence de Dieu Bienfaiteur s’imposera aux choix de l’auteur du troisième évangile. Jésus est celui qui bénit, c’est par lui que seront accomplies les promesses de bénédiction reçues par Abraham (24, 50-51; Ac 3, 26). Sa naissance est motif de satisfaction au ciel et sur la terre: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés» (Lc 2, 14). Sa Bonne Nouvelle est l’Évangile de la grâce de Dieu (Ac 20, 24), ses pas tracent le chemin de la justice81. Sa vie et le Règne inauguré par lui sont à l’opposé de la vie et du règne des Romains. Selon certaines critiques historiques, dans l’empire romain l’exploitation judicieuse de 95% de la population était menée au profit de la classe dirigeante82. L’événement Jésus et sa proclamation démasqua évidemment le massacre qu’était la fameuse forte administration impériale d’alors. Le vrai Bienfaiteur est Jésus de Nazareth, «l’arbre toujours vert», l’Envoyé-témoin inné du Dieu-Amour qui est Père et Ami des hommes.

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tions centrales de la théologie impériale concernant le rôle de Rome comme agent élu des dieux pour manifester leur souveraineté, leur présence, leur volonté et leur bénédiction, et les revendications chez Paul et dans les évangiles à propos de Jésus comme agent de Dieu manifestant les desseins de Dieu et sa souveraineté (‹royaume / empire de Dieu›, ‹justice›), sa présence, sa volonté et sa bénédiction. Bien entendu, ces dernières revendications ne cherchent pas à cautionner l’empire, mais elles reflètent l’ancrage dans le monde impérial romain et l’accommodation, aussi bien que l’opposition à ce monde et sa contestation par l’affirmation du règne ou de l’empire de Dieu». H. J. CADBURY , The Making of Luke-Acts, 240. Cf. Ps 85, 14. Cf. W. CARTER , «Lecture impérialiste. Christianisme primitif et monde romain», 285.

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3. Appels du texte Le jeu des personnages est très indicatif dans l’aspect christocentrique des deux chapitres de la passion (Lc 22-23). De la passivité, Jésus devient actif; de la solitude, on voit son entourage s’agrandir. Les autorités qui ont obtenu sa condamnation (23, 25) disparaissent pour ne réapparaître que dans le puérile acte de la moquerie (23, 35), apanage des niais et des sots haïssant le discernement et la sagesse (Pr 1, 22)83. Le peuple, qui en petit nombre s’était laissé entraîné par les autorités dans leur hostilité84, se retrouvera en une grande multitude derrière Jésus, avec des femmes en lamentation. Les disciples brillent par leur absence en 23, 1-25, le dernier résistant a craqué depuis 22, 54-62. En 23, 26 Simon le Cyrénéen rempli un rôle qui serait bien celui des intimes. Mais le rang des disciples, des convertis, des pénitents et des «apprentis» se sera serré tout au long du chemin de la croix, puisqu’au pied de la croix on retrouve des foules, des familiers, des connaissances et des femmes qui le suivaient depuis la Galilée (23, 50-56). Le lecteur peut donc se dire que les scènes de la marche sur le chemin de la croix et l’appel de Jésus auront tiré de l’ombre et mis «o;pisqen tou/ VIhsou/» tant de compagnons de vieille date. La marche de Jésus ouvre à la considération de «la théologie du chemin», théologie combien impliquée dans la praxis missionnaire et dans le dialogue. Comme son cadre immédiat, l’épisode du chemin de la croix ne se révèle pas comme un simple récit historique, ni comme la formulation d’une doctrine de l’expiation ou de la substitution. Les différentes figures présentes dans le texte sont des symboles, sources d’abondantes inspirations pour la vie de l’Église, la multitude des frères et sœurs de Jésus. Sa forme est destinée à des lecteurs appelés, implicitement mais réellement, à partager le sort de Jésus: dans l’émotion de la foi et le sérieux de l’engagement. Les figures des disciples devaient les aider à s’y retrouver, car ils pouvaient s’identifier à Simon de Cyrène ou apprendre à dépasser une existence à la Judas ou à la SimonPierre. Tant la figure entraînante de Jésus sur le chemin d’une sotériologie subjective… que l’éclairage des compagnons de Jésus, disciples, femmes ou passants, ont pris chez Luc une coloration parénétique85. 83 84 85

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Cf. F., BOVON , «Le récit lucanien de la passion de Jésus (22-23)», 398-401. Ibidem, 399. Ibidem, 405.

3.1 Synthèse de la marche de Jésus Luc 23, 26-32 vaut à la fois un rappel et un appel. Il vaut un rappel de tout ce que Jésus a enseigné par son dire et son faire sur lui-même et sur la sequela. Les disciples ont succombé sous le poids de la désillusion et se tiennent maintenant au loin, suivent makro,qen (22, 54). L’action de Simon le Cyrénéen les rappelle à l’ordre de: to.n stauro.n fe,rein o;pisqen tou/ VIhsou/ (23, 26): ils devraient faire normalement comme cet inconnu. À ce pas de conversion ne seraient pas tenus les seuls élus tombés sous le coup de la déception. Il incombe à l’humanité dans toute son amplitude, dépeinte ici sous les traits «d’une grande multitude des gens du peuple et de femmes», des compagnons attristés et pleurant pour ce qui ne serait pas essentiel. Suivre Jésus ne peut se faire de loin, il faut faire corps avec Lui. Il signifie en effet épouser son cœur avec tout ce qu’il nourrit pour le Règne de Dieu et la vie de tous et de chacun. Suivre Jésus, c’est s’engager dans sa marche qui donne sens et vie à l’existence, à toute existence, même à la plus désavouée. En fait, Luc en 23, 26-32 propose une synthèse de la marche à suivre de Jésus, marche dédiée au Règne de Dieu, vécue dans l’adhésion personnelle à la volonté de Dieu à travers les vicissitudes de l’existence. La marche à suivre de Jésus met à l’épreuve toute existence sensée. Certes, cet élan universel de la christianité se lit le long de l’évangile lucanien, mais il est magistralement affirmé par Jésus dans sa dernière prédication, au cœur du chemin de la croix. Quand il s’attribue le titre d’«arbre vert», il s’autoproclame finalement comme chemin incontournable de toute vie digne de ce nom. Il est la présence de Dieu sur la terre (Lc 7, 16). Aussi le suivre vaut mieux que toute autre chose du monde. Se convertir à lui est comme le retour de cet homme mortifié par l’aventure qui redécouvre la vie au berceau (cf. Lc 15, 11-32), le suivre signifie se départir du camp de la carence spirituelle, le camp des «asséchés, morts», rentrer du désert de la perdition (cf. 9, 60; 23, 31)86. Dans son œuvre, Luc revient constamment sur cet appel à la subordination de toute l’existence à la relation avec le Maître VArchgo,j, Prince de la vie: l’honneur, la parenté, le mariage, l’argent, les funérailles et les coutumes sont moins

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Cf. C. COULOT, Jésus et le disciple, 35-40.

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importants que la discipline. On doit tout suspendre pour suivre Jésus. La marche à sa suite est la valeur des valeurs87. En tant que marche sur le chemin de la vie, le christianisme ordonne la vie de l’Église à l’imitation de l’agir divin dans les pas de Jésus. Le vrai disciple est et avant tout un homme sur les pas du Maître, comme nous le laisse imaginer la personne de Simon le Cyrénéen. La connaissance de l’itinéraire et de la personne du Maître est indispensable à la maturation des disciples. La catéchèse ecclésiale doit donc avoir comme axe principal cette personne du Maître dans son itinéraire. Tout en proposant le chemin de la christianité aux autres traditions, la tradition ecclésiale ne cessera point de s’y convertir elle-même. Sans cela, l’Église sera remplie de croyants, mais pas de disciples du Christ. Il y va de l’identité et de la fidélité, de la mission et de la crédibilité de l’Église auprès de l’humanité88. Autant que les autres traditions, dans sa marche sur cette terre, elle reste en deçà de ce qu’est l’expression parfaite de la christianité, c’està-dire le vivre selon Jésus-Christ: elle est toujours soumise à la vérité de la conversion, il y a un appel constant à la croissance. «Jésus Christ est la krisis, l’élément critique perpétuel de toute religion et du christianisme lui-même. Cela ne signifie pas mettre le christianisme et les autres religions au même niveau, ni à la même distance du Verbe incarné, mais sauvegarder la tension entre toute forme de religion… et la vérité qu’est Jésus Christ89». 87 88

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C’est le sens du ‹laisser tout›. Cf. Lc 5, 10-11. 27-28; 8, 38-39; 9, 23.49-50.57-62; 10, 1; 11, 23; 18, 22.28.43. Cf. C. I. GONZÁLEZ, Cristologia: Tu sei la nostra salvezza (Grande corso di teologia fondamentale et dogmatica), Piemme, Casale Monteferrato 1988, 18-19: «Si deve notare anzitutto che in nessun momento ci sembra che il comandamento della sequela sia stato esclusivo per i dodici Apostoli o per qualche discepolo privilegiato: riguarda chiunque crede in Gesù Cristo… L’spressione «seguire Gesù» significa nel vangelo «essere suoi discepoli»… Questo «seguire» ed «essere discepolo» nel comandamento di Gesù suppone certamente l’adempimento della sua legge… Ma è molto più di ciò: è fare propria la via di Gesù… Non sono la stessa cosa imitazione e sequela. È non è che si nega l’imitazione di Christo. Siamo tanto piccoli che potremmo appena realizzarla in minima parte. In cambio ci è possibile camminare dietro di lui come suoi discepoli e seguaci, nella direzione della sua missione. Man mano che l’amore è più profondo, fino alla morte, il discepolo potrà imitare il suo maestro, anche se limitatamente. Cosi, per amore, il discepolo tenderà a servire gli altri a imitazione del suo maestro… Sintetizziamo: non c’è fede senza sequela e questo significa continuare la missione di Gesù». A. T ONIOLO, Cristianesimo e verità, 73.

Le texte lucanien du chemin de la croix a été depuis les premiers siècles une source inépuisable pour cet éveil à la discipline et à l’imitatio Christi. Les Pères de l’Église y ont puisé abondamment de quoi nourrir la foi et la spiritualité des chrétiens. Le sens de la croix90, la sequella91, le martyre et l’innocence de Jésus92, la pénitence-pleurer93 et le Règne de Dieu94 sont des propos notamment présents dans les exploitations du texte par les Pères de l’Église. L’usage dans la liturgie du chemin de croix du port de la croix par Jésus, de l’intervention de Simon le Cyrénéen (23, 26) et de la rencontre de Jésus avec les femmes (23, 27-31) servira de support à la lecture patristique du texte95. Fixée au moyen âge dans la liturgie et dans la pensée de l’Église à travers les représentations et les écrits96, cette image de Jésus l’innocent martyr, promue depuis les Pères, ne manquera plus jamais dans l’enseignement et dans la prière de l’Église.

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Cf. AMBROISE de Milan, Expositio Euangelii secundum Lucam, CSEL 32, 10, 107108; EPHREM le Syrien, Commentaire du Diatessaron, SC 121, 20, 20; ORIGÈNE , Commentarii in Matthaeum, 12, 24; CYRILLE d’Alexandrie, Explanatio in Lucam, PG 72, 933D-934A; GRÉGOIRE le Grand, Homeliae in Evangelia, CCL 141, 2, 32, 3. Cf. EPHREM de Syrie, Commentaire du Diatessaron, SC 121, 20, 20; AMBROISE de Milan, Expositio Euangelii secundum Lucam, CSEL 32, 10, 107. Comme chez TERTULLIEN, Adversus Marcionem, SC 4, 42, 4. Cf. AMBROISE de Milan, De incarnationis dominicae sacramento, CSEL 79, 7, 70; De paenitentia, CSEL 73, 2, 6, 49; HILAIRE de Poitiers, Tractatus super Psalmos, CSEL 22, 1, 14. La mort de Jésus où fut interdit de pleurer est signe de l’entrée dans le Règne de Dieu, Règne de Paix: AMBROISE de milan, Expositio de Psalmo, CSEL 62, 118, 14, 43. Cf. R. E. BROWN , La mort du Messie, note 27, 1021: «Si Luc n’a pas les histoires de Véronique et des trois chutes de Jésus en marche vers la crucifixion, sa scène avec les femmes contribuera à la dévotion beaucoup plus tardive des ‹stations du chemin de croix›». Selon B. M ARCONCINI , I V angeli sinottici. Formazione, redazione, teologia, San Paolo (Universo Teologia Biblica, 55), Cinisello Balsamo, Milano 1997, 220, Lc 23, 26-32 serait la source originelle de la Via crucis: «Questo testo lucano ha aperto la strada alla costruzione della Via crucis, con gli ulteriori sviluppi, propri della pietà cristiana, come l’episodio della Veronica, le tre cadute, l’incontro con la Madre». En sont témoins: BÈDE le Vénérable (672-735), In Lucae evangelium expositio PL 92, 302-634 et ERASME (1469-1536), Paraphrase on Luke 11-24 (édited by J. E. PHILIPS, Collected Works of Erasmus, Vol. 48), Univeristy of Toronto Press, Toronto – Buffalo – London, 2003.

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3.2 De la théologie du chemin La notion de chemin que l’évangéliste exploite pour faire comprendre le mystère de Jésus évoque en réalité toute une théologie. Le mouvement religieux né de l’événement Jésus se définira vite comme le chemin du Seigneur. Environ six fois dans les Actes des Apôtres l’expression revient: «th/j o‚dou/ o;ntaj, Adeptes de la Voie97». Il ne s’agit pas là d’une nouvelle Voie par rapport à celle dont parlent les textes vétérotestamentaires. Le mouvement parti des pas de Jésus, pas qui se sont achevés sur le «lieu appelé Crâne», se situe dans le même chemin que l’AT balise par les termes «Voies de Dieu, Desseins de Dieu, Pensées de Dieu, Commandements de Dieu, Chemin de Vie». Toutefois, le même chemin perçu au sens de la christianité se caractérise par le dépassement et l’accomplissement advenus dans l’événement Jésus. 3.2.1 Deux chemins: Qûmran et Jésus La définition de l’expérience religieuse comme chemin n’est pas l’apanage du jeune mouvement chrétien98. Déjà dans de la Communauté de la Nouvelle Alliance de Qumran99 la doctrine est fortement fondée sur cette théologie du chemin: Les membres de la communauté sont définis essentiellement comme «$rd yrxwbl: ceux qui ont choisi la Voie» (1QS 9, 17b-18). À Qumran ainsi que chez Luc, la théologie du chemin comporte quatre grands traits: 1) l’usage de la notion de chemin sur la base de la définition qu’en donne Is 40, 3 que Luc exploite depuis les versets 3, 4-5 de son évangile; 2) l’aspect de la préparation du chemin du Seigneur que Luc exploite dans le ministère de Jean le Baptiste, 3) l’emploi fréquent de la forme brève et absolue «la Voie, le Chemin» au lieu de la longue formule «Chemin du Seigneur» et 4) la perception de la notion de chemin comme formulation de la substance de la religion et de la piété100. 97 Ac 9, 2; 19, 9.23; 22, 4; 24, 14.22. 98 Notre propos sur ce sujet dépend largement de l’article de J. P ATHRAPANKAL , «Christianity as a ‹Way› according to the Acts of the Apostles», 533-539. 99 Cf. 1QS 8-9, in M. WISE – M. ABEGG , Jr. – E. C OOK (éd.), Les manuscrits de la mer Morte (Tempus, 45), Perrin, Paris 2003, 5-7. 100 Cf. J. PATHRAPANKAL, «Christianity as a ‹Way› according to the Acts of the Apostles», 536-537.

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Cependant, malgré l’unité dans la conception théologique entre les traditions judaïques et le mouvement chrétien, il y a une grande différence entre les deux bords quant à la praxis. Dans les traditions juives l’effort de préparation de la Voie consiste surtout à étudier la Loi de Moïse et à se tenir fidèle à un passé, au détriment d’une certaine ouverture au progrès et de l’aspect personnel de la religion, confinant ainsi cette dernière dans un carcan tout à fait culturel. Contrairement à cette optique, l’événement Jésus, préparé par la prédication de Jean le Baptiste, déclencha une théologie du chemin dont la préoccupation première sera de ramener au cœur de la religion la question de la Seigneurie de Dieu et du salut de l’humanité et de chaque personne en son sein101. Ce qui rend compte historiquement, ne serait ce qu’en partie, du pourquoi de la croix de Jésus dans son destin christique. La vie de Jésus fut bien une vie sur le chemin vers le Père au milieu des hommes102. En Lc 23, 26-32, l’évangéliste offre une forte expression de cette théologie du suivre Dieu en, avec et par Jésus. Il s’est distingué par la dévotion totale de sa personne à la cause de la Seigneurie de Dieu, il s’est presque effacé devant la majesté de son Père et pour son Règne103. La foi chrétienne est appelée à sauvegarder le sens profond de cet itinéraire de la vie de Jésus. L’option des églises primitives pour la définition de leur foi comme «le Chemin du Seigneur» mérite toute notre attention. Aujourd’hui, dans les autres confessions religieuses et chez nous-mêmes catholiques, la tendance est d’oublier cette nature caractéristique de la foi chrétienne. Elle n’est pas en principe un système doctrinal codifié et scellé que les générations se transmettent.

101 Ibidem, 536. 102 Cf. J.-L. VESCO, Jérusalem et son Prophète, 45. 103 Cf. M. GRONCHI, Trattato su Gesù Cristo Figlio di Dio Salvatore, 174-175: «Dalla lettura dei vangeli, si ha l’impressione che Gesù non abbia avuto l’esplicita intenzione di definire il proprio status, quanto invece di affidarlo al riconoscimento del credente, sia prima che dopo pasqua. Ovvero, non pare che a lui siano interessate primariamente autodefinizioni apodittiche, ma piuttosto la relazione costante col Padre suo, espressa attraverso gesti e parole. A conferma iniziale di tale impressione sembra intervenire la sua insistenza sulla signoria di Dio puittosto che sulla propria identità».

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3.2.2 Chemin du dépassement des carcans culturels La signification de la marche vers le «lieu appelé Crâne» n’est pas réductible à ce seul sens du cheminement vers la mort. Le parcours est bref, mais il est aussi très riche de significations. Ce chemin symbolise excellemment aussi le refus par Jésus de tout conditionnement culturel qui serait au détriment de son adhésion personnelle aux voies de Dieu et de la révélation de son amour104. Ces pas qui conduisent souverainement Jésus hors des remparts de Jérusalem disent en effet combien il est difficile de trouver une concordance entre les voies de Dieu et celles des hommes105. La foi chrétienne est une démarche religieuse dans le sillage de Jésus de Nazareth. La fidélité à l’itinéraire religieux de cet homme de Galilée détermine l’être et l’agir de l’Église, sur le terrain du dialogue interreligieux. La pédagogie de Jésus en la matière inspirera l’Église.

104 Cf. Ibidem, 165: «Se Gesù avesse semplicemente voluto interpretare la Tôrah o aggiungervi dei precetti, probabilmente avrebbe incontrato meno opposizione e sospetti di quanto i vangeli ci raccontino. Invece, per lui è décisivo il regno, nella cui presenza germinale si dischiude la salvezza libératrice offerta a tutti coloro che lo accolgono. Tra gli insegnamenti di Gesù, illuminati e confermati dai suoi gesti, risaltano le indi-cazioni sull’amore verso i nemici (cfr. Lc 6,27-36; Mt 5,38-48), che trovino eco anche nell’Antico Testamento... Tuttavia, la novità ed originalità di Gesù consiste nella finalizzazione e fondazione teologica di tale amore: il Padre céle-ste è padre di tutti, ed esige la perfezione dell’amore (cfr. Mt 5,45-48). Perciò, Gesù è ancora più rigoroso nell’esigere che alla violenza non si risponda con la violenza (cfr. Mt 26,52), e non tanto per mostrare debolezza, quanto per intraprendere una strada nuova che consenta di vincere il male con il bene. A queste indicazioni dà sostanziale fondamento la credibilità di Gesù stesso, che ha vissuto tale radicalità fino alla morte – perdonando i crocifissori (cfr. Lc 23,34) –, e conferendo cosi autenticità alla testimonianza evangelica sulle sue parole». Voir aussi: B. UKWUIJE, Trinité et inculturation, 271. 105 Cf. Is 55, 8-11: «C’est que vos pensées ne sont pas mes pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins – oracle du Seigneur. 9 C’est que les cieux sont hauts, par rapport à la terre: ainsi mes chemins sont hauts, par rapport à vos chemins, et mes pensées, par rapport à vos pensées. 10 C’est que, comme descend la pluie ou la neige, du haut des cieux, et comme elle ne retourne pas là-haut sans avoir saturé la terre, sans l’avoir fait enfanter et bourgeonner, sans avoir donné semence au semeur et nourriture à celui qui mange, 11 ainsi se comporte ma parole du moment qu’elle sort de ma bouche: elle ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce pour quoi je l’avais envoyée».

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Jésus marque le religieux de nouveautés, dans sa praxis et dans sa consistance. Du point de vue de la consistance, il fonde plus l’acte religieux sur la volonté originale et absolue de Dieu lui-même que sur des traditions religieuses construites le long des siècles. Du point de vue de la praxis, il lui assigne le salut de tout l’homme et de chaque homme comme objet primordial. Quand-il s’appuie sur les origines, c’est pour ramener les propos et les actes à leur raison d’être (Lc 6, 1-5; 13, 16.28; 19, 9; 16, 18; 19-31; 17, 26-30)106. Plutôt que de chercher à plaire, l’homme de Nazareth se sacrifia pour convertir ses contemporains. C’est en cela qu’il a été accusé de blasphème et de subversion. Par sa fidélité aux voies de Dieu, le Maître convaincu a été exclu du corps social, rejeté par les siens. Mais sa décision de mourir conformément à son dire et à son faire durant son itinéraire montre combien les voies de Dieu font réellement sa vie. Il assume le sort des vrais prophètes et enseigne toute autre chose que le consensualisme: «Malheur à vous, quand tous les hommes vous diront du bien de vous! C’est de cette manière, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes» (Lc 6, 26). 3.2.3 Églises fidèles au chemin de la croix? L’Église ne saura se défaire du destin de son Maître, si elle veut bien être fidèle. Par conséquent, chaque fois qu’elle «vit trop bien dans son siècle, il y a fort à parier qu’elle le paie par l’une ou l’autre compromission avec les puissants du moment107». C’est là un des grands risques que courent les Églises insistant sans cesse sur leur appartenance à une géographie et à une culture donnée. La référence trop affichée de l’Église à un terroir particulier conduira inévitablement à la minimisation du caractère subversif et prophétique de la race et du legs de Jésus de Nazareth. C’est le cas de nombre de communautés chrétiennes en Europe: Pour conjurer son impuissance à prendre encore part aux rouages sociaux, la chrétienté d’Europe occidentale est tentée d’opter pour la fuite en avant en se convertissant au monde. Dès lors, son message de feu se transforme en gélatine sirupeuse, en humanisme bien-pensant et consensualiste dont le Christ n’est plus la clef de voûte, mais seulement l’optionnelle cerise sur le gâteau. Une affaire de goût, somme toute.

106 Cf. V. MANNUCCI, Bibbia come Parola di Dio, 63. 107 É. DE BEUKELAER, L’Église de Judas, Éditions Fidélité, Namur 2002, 55.

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Avec une lucidité toute cruelle, un agnostique bien en vue sur la place belge a baptisé ce phénomène: le «christianisme gnangnan». Le Christ rappelle: «Vous êtes le sel de la terre, mais si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens» (Mt 5, 13)108.

La critique faite à l’Église en Occident vaut également pour elle dans sa présence sur le continent noir. Depuis la fondation des communautés chrétiennes africaines, la tendance à confondre les horizons évangéliques avec le chemin des Ancêtres se révèle comme une des grandes tares de la vie ecclésiale et de la praxis missionnaire. Les implications des églises dans les conflits fratricides qui minent la région des grands lacs en Afrique ne le démentiraient pas: La guerre civile qui éclate au Rwanda (du 6 avril à la fin août 1994) part de la mort du président Juvénal Habyarimana, provoqua dans ce pays un génocide des tutsi et des opposants hutu. Aujourd’hui avec les différents rapports et procès, l’histoire du génocide dévoile que ce massacre implique les responsabilités de plusieurs acteurs... dont les rôles ont contribué à faire de cet événement un des drames de l’histoire africaine contemporaine. Ce cas du Rwanda interpelle les Églises africaines. Une interrogation est faite sur l’histoire et la vérité de l’évangélisation de ce pays. Des questions se posent aussi sur la responsabilité morale des autorités de l’Église. Cette crise rwandaise et les événements des deux Congo révèlent davantage l’exigence d’une humanité et une fraternité au-delà de l’ethnie...109.

L’Église en Afrique a-t-elle accepté réellement de faire le chemin de la croix avec Jésus de Nazareth, un chemin qui dépasse la culture, l’ethnie, le clan, qui mène hors des remparts de la Cité des Ancêtres? La théologie et la pastorale de l’inculturation dans les Églises africaines devront veiller de plus en plus à la sauvegarde de la nature de l’Église et du message évangélique110.

108 Ibidem, 64. 109 Cf. E. K. SUMAÏDI, Christologie africaine (1956-2000): Histoire et enjeux (Églises d’Afrique), l’Harmattan, Paris 2008, 45-46. 110 Cf. B. UKWUIJE, Trinité et inculturation, 411: «La question qui se pose est de savoir ‹jusqu’où l’Évangile peut être chez soi dans une culture, et jusqu’où peut-il résister à la domestication?›. Certes l’Évangile ne fait sens que lorsqu’il est lu dans notre contexte actuel. Cependant, le contexte ne doit pas être le critère de cette lecture. C’est l’inverse. Faire de l’Évangile le critère de la lecture que nous en faisons dans notre contexte, c’est accepter la critique de l’Évangile à l’égard de ce contexte et aussi de la lecture que nous en faisons».

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Il est vrai que «la parole du Verbe éternel s’adapte et se traduit selon les temps, les lieux et les circonstances. Ce n’est qu’ainsi que nous lui sommes fidèles. Celui qui se contente de répéter ce qu’on lui a appris se condamne à ne rien transmettre qu’un savoir théorique et non une sagesse de vie111». Toutefois, dans la transmission-traduction de l’Évangile dans chaque aire culturelle, l’Église est tenue à veiller à ce que le message évangélique garde toujours sa nature subversive et prophétique. Comme une pluie qui féconde la terre, l’Évangile doit obligatoirement conduire chaque humanité à un ailleurs, hors des sentiers battus de la tradition, hors des remparts de la Cité des Ancêtres. Toute mission évangélisatrice suppose le dépassement des horizons de la culture et de la religion réceptrices. Les hommes sont tous les descendants de ce même Adam partout sous le soleil. Les traditions culturelles et religieuses des hommes sont d’emblée des produits en deçà des voies de Dieu. Soumettre les traditions humaines à la puissance purificatrice de l’Évangile est le devoir de l’Église toujours et partout. Aucune expérience ecclésiale ne saurait être dispensée du parcours du chemin de la croix, c’està-dire l’épreuve du dépassement. La loi pascale, annoncée et vécue par Jésus lui-même, devrait constituer le vrai centre de la conscientisation culturelle de l’Église: «Qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera» (Mc 8, 35). Ainsi, chaque langage culturel dans lequel la foi est exprimée et vécue appelle au dépassement. La préservation et le développement de l’identité chrétienne reposent en même temps sur l’efficacité de la praxis chrétienne (déterminations particulières) et sur la nécessité de leur dépassement112.

3.2.4 Chemin de la quête de Dieu et religions Jésus n’a pas voulu créer une nouvelle religion, mais amener l’acte religieux à épouser intimement les voies de Dieu pour l’épanouissement de son Règne. Il s’est voulu le prédicateur qui vit à partir du Règne de Dieu et «ne s’est pas contenté d’annoncer le Règne de Dieu qui vient, mais l’annonçant il a laissé s’accomplir en sa personne l’acte de majesté par lequel Dieu s’impose en face du monde113». En cela, il va devoir 111 É. DE BEUKELAER, L’Église de Judas, 62. 112 Cf. A. PEELMAN, L’inculturation: L’Église et les cultures (L’horizon du croyant, 8), Desclée – Novalis, Paris – Ottawa 1988, 63. 113 B. UKWUIJE, Trinité et inculturation, 271.

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continuer sa marche hors de Jérusalem, rejeté comme pervers, un mal public à éliminer. Le chemin vers «le lieu appelé Crâne» sera alors pour lui le chemin de la confirmation de sa marche imperturbable dans les voies de Dieu et pour le Règne de Dieu. Cette étape dans l’itinéraire de celui qui annonça aux dépens de sa vie le Règne de Dieu ne laissera pas indifférente l’humanité témoin. Devant sa mort, on assistera à une sorte de proclamation polyphonique de la vérité de Jésus de Nazareth, exécutée par des gens de diverses traditions culturelles et religieuses (le centurion romain reconnaît qu’il est Juste et tous les autres présents se repentent: Lc 23, 47-49). Le fait est loin d’être anodin: le chemin de la croix aura abouti à une épiphanie. Dans sa mort, Jésus se révèle encore aux nations comme l’incarnation de la lumière et de la vérité des voies de Dieu. Son itinéraire devint le principe de l’acte religieux et le miroir de la vérité de Dieu. La personne et la vie de Jésus interpellent tout homme dans sa quête de Dieu et de vérité. Tout homme, juif ou étranger découvre en lui la vérité de Dieu et de l’être humain, l’image de Dieu114. La conclusion de la marche de Jésus jette ainsi un pesant discrédit sur la justification de la multiple différenciation des religions et sur tout relativisme. Dans l’agir devant Dieu et les hommes, il y a un unique canon qui se donne à lire en Jésus dans sa vie-mort-résurrection. Naturellement, ce canon personnel de Dieu est différent de la Loi juive ainsi que de la légalité romaine115. Toute religion est en quelque sorte un chemin en vue de la vie que Dieu donne en plénitude. La multiplicité des religions est l’attestation manifeste de cette volonté de vivre dans l’humanité. Toutefois, ici, la fin ne justifierait pas pour autant les multiples moyens dans leurs oppositions et différences. On défend souvent la multiplicité des religions simplement par le fait l’ineffabilité de Dieu lui-même, de son mystère et de la diversité des voies de sa Révélation. Ce qui est incontestable: Dieu demeure toujours un mystère insondable. Mais il est à croire fermement aussi que les multiples voies de Dieu ont toutes en principe le même sens, elles ne peuvent être contraires. La multiplicité des religions est donc appelée à se convertir à cet élan monosémique des multiples voies de Dieu. Dieu est un et ses multiples voies n’ont qu’un seul et unique 114 Cf. M. GRONCHI , Trattato su Gesù Cristo Figlio di Dio Salvatore, 735. 115 Cf. F. J. MATERA, «The Death of Jesus according to Luke: A Question of Sources», in CBQ 47 (1985), 484-485.

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sens: sa gloire à Lui et le salut de l’homme sa créature. Les oppositions doctrinales et éthiques entre les ensembles religieux ne s’harmonisent pas avec l’affirmation de l’unicité de Dieu et de l’unisson de ses voies. L’engagement personnel et particulier de Jésus dans l’affirmation de l’unicité et de l’unisson des voies de Dieu marque l’identité et le destin de son Église. Les fidèles de la Voie du Seigneur Jésus sont appelés à épouser la défense de l’unisson des voies de l’unique Dieu. C’est le présupposé de tout dialogue interreligieux, un credo que professe vigoureusement l’Église naissante à la suite du Maître. En effet, la mission se dressera dès ses premiers pas contre toute atteinte à la vérité des voies de Dieu. Pierre en Ac 5, 2 dira: «Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes». Paul en Ac 13, 10 en témoigne quand il s’en prend au magicien Élymas: «Toi qui es pétri de ruse et de manigances, fils du diable, ennemi juré de la justice, ne vas-tu pas cesser de fausser la rectitude des voies du Seigneur?» Dans toute son œuvre, «l’auteur de Luc-Actes dépeint le christianisme [adhésion à Jésus Christ] à la fois comme l’accomplissement des promesses inscrites dans l’Écriture et comme la réponse à la quête religieuse du monde gréco-romain116». 3.2.5 Sur le chemin du dialogue Sur le chemin de la croix, moment de grandes crises intérieures, Jésus fera le deuil de ses propres rêves. En cette marche se récapitule son itinéraire; il signifie de sa part la définitive décision de la mise du cap sur le Règne de Dieu117. Aucun signe de repli sur soi, il ne fait pas de plaidoyer apologétique118. Le sens de son existence pour Dieu et pour les hommes aura eu raison de tout égoïsme en lui, de toute auto-défense, il n’est rien que cet «être pour» le Père et les frères, par l’Esprit119. 116 117 118 119

D. MARGUERAT, «Luc, un portrait d’auteur», 8. Cf. H. KESSLER, Cristologia, 61. Cf. Ibidem, 60-62. Cf. M. GRONCHI, Trattato su Gesù Cristo Figlio di Dio Salvatore, 191-192: «La prima parola che Luca pone sulle labbra di Gésù dodicenne già attesta la relazione filiale (cfr. Lc 49): l’orizzonte del Padre si dischiude fin dall’infanzia, ha appuntamento decisivo con il battesimo e le tentazioni, si staglia lungo tutta l’esistenza e si avvicina in modo drammatico, fino quasi ad oscurarsi, nel Getsemani e sul Golgota. Scelte e riposta in Gesù si fondono, come libertà et obbedienza, nel segno di una permanente ‹pro-esistenza› verso il Padre e verso gli uomini». Ce qui fait

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L’invitation lancée aux femmes pour qu’elles pleurent sur ellesmêmes et sur leurs enfants montre son ouverture dans ces heures cruelles. Et sa question rhétorique est une vivante interpellation au bon sens. Il montre la gravité des actes avant de continuer sa sortie du monde, sans vouloir tenir outre mesure à une reconnaissance de sa messianité par les hommes. Ce n’est pas son honneur qui importe, mais la volonté du Père et le salut des frères. Le déplacement que constitue le chemin de la croix n’est pas un abandon, mais un détachement de soi pour être soimême, c’est-à-dire n’être que pour Dieu et pour son Règne. Il est une mutation qui dit la cohérence de Jésus dans son dire et dans son faire devant Dieu et devant les hommes. Le dialogue avec les hommes ne se fera pas sans mutation, sans recomposition des élans120: À chaque tournant de vie, des crises surviennent et celles-ci me poussent à une profonde, voire douloureuse, remise en question… Alors une révision de vie s’impose à moi. Suite à celle-ci, je mise ma foi autrement et la vie reprends son cours, moyennant les nécessaires réorientations et les inévitables temps de deuil de mes rêves avortés121.

Le détachement des intérêts personnels pour l’attachement définitif au Père, c’est à dire cette mutation intérieure, fécondera en fait le dialogue interreligieux, comme le montrent aussitôt les conversions autour de sa mort. Quel exemple ne donne-t-il donc pas à l’Église ici? Selon Jésus, le dialogue vise la défense des voies de Dieu. C’est cela la voie du Seigneur, elle n’est pas la défense apologétique d’un système religieux codifié ou d’un titre de prestige. Le christianisme saura de même se tenir davantage en mouvement, en chemin, toujours tendu vers Dieu dans sa vérité, avec tout ce que cela exige comme renoncement et abnégation. S’établir dans un système figé le rendrait moins apte au mouvement nécessaire pour être avec les autres, comme eux et chez eux pour le que sur les pas de l’Église de Jésus de Nazareth, on ne pourra aucunement justifier la terreur, le terrorisme, l’intégrisme et la violence. Jésus est venu «pour conduire nos pas au chemin de la pais» (Lc 1, 79). Il est mort en allant par le chemin de la paix. Il a pris sa mort sur soi en connaissance de cause. L’option pour Dieu ne tolère aucune agression de la part du croyant. «Celui qui craint Dieu agira en conséquence» (Si 15, 1). La fin doit justifier les moyens. 120 Cf. A. PEELMAN, L’inculturation. L’Église et les cultures, 60-63. 121 É. DE BEUKELAER, L’Église de Judas, 70.

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rayonnement des voies et du Règne de Dieu122. On ne voit en Jésus aucun signe de sectarisme religieux ou d’exclusivisme. Mais force est de reconnaître que, dans son expression et dans sa mission à travers le monde, l’Église des disciples de Jésus a eu à jouer bien des fois à la docte et à la sectaire123. Vivant une certitude totalitaire et exclusive, l’Église assuma en bien des occasions sa mission dans l’ignorance des autres expériences religieuses du monde: la tabula rasa fut le principe d’action124. Ce comportement «sectaire» de l’Église a causé ici et là des dommages historiques. Et c’est précisément cette pratique missionnaire qui fait l’objet des plus virulentes critiques de la part des théologiens de l’inculturation125. «Se tenir en chemin au nom de Dieu» lui permettra certainement et efficacement d’établir le dialogue avec d’autres 122 Cf. Ibidem, 46: «De par la pesanteur de ses structures, une institution réagit aux évolutions avec un temps de retard... L’Église est une institution charriant quelque deux mille ans et ce poids d’histoire se ressent parfois tel un boulet qu’elle traîne derrière elle. «On a toujours fait comme ça!» est l’argument massue qui, s’il rassure, n’en est que moins pertinent. La puissance de l’Esprit Saint n’est pas à confondre avec la force d’inertie... Comment éviter l’enlisement? En se mettant à l’école de la vie». 123 Les religions, contrairement à toutes les prophéties de la mort de Dieu, sont de plus en plus présentes dans le monde du 21ème siècle. Par ailleurs, à la faveur de la réalité de la globalisation croissante, chaque religion se retrouve finalement sur les mêmes aires aux mêmes moments avec d’autres. Le phénomène du pluralisme religieux est devenu un fait remarquable dans tous les recoins du monde. Les concurrences et les compétions entre différentes confessions religieuses ne manquent pas de soulever des tensions par-ci et par-là. Et la réflexion sur l’acte religieux s’active, pour une ouverture des uns et des autres à la paix sociale et à l’unité du genre humain. Dans ce débat, il n’est pas rare de rencontrer des accusations à l’encontre du christianisme. Sa proclamation de l’Évangile de Jésus comme Vraie Voie de Vie est vue comme une prétention à la possession et à la maîtrise de la vérité. «Hors de l’Église point de salut!», revient comme un refrain dans la littérature théologique et profane, un refrain par lequel est chantée la dite prétention chrétienne, l’orgueil de l’Église. 124 É. DE BEUKELAER, L’Église de Judas, 74. 125 Cf. J.-M. ÉLA, Le cri de l’homme africain: Questions aux chrétiens et aux Églises d’Afrique, l’Harmattan, Paris 1993, 18-39. Dans ces pages, l’auteur parle des «ambiguïtés de la mission: le cas africain». Mais il y a lieu de faire ici une mise au point. L’histoire de l’Église et celle de sa mission ne doivent pas être confondues avec l’incorruptible message évangélique. Les déboires de l’Église dans sa mission sont d’ailleurs une preuve de son éloignement de l’itinéraire de son Maître et des limites inhérentes à toute action des hommes sur terre. Jésus a dialogué avec tous: Juifs, Grecs, Romains et Samaritains. Dans son cheminement sur la terre des hommes, il n’a voulu exclure aucune configuration humaine de son temps.

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expériences religieuses sur l’essentiel, la quête religieuse126 et le sens de l’existence127.

3.3 Culture de la mort et appel au deuil Dans Lc 23, 26-32, la thématique de la mort occupe une large place. À la fin de sa vie, le Maître a eu le malheur d’assister au durcissement des cœurs, le rejet de la Voie de la Vraie Vie. Le témoignage des évangiles concordent pour affirmer qu’il n’a pas été indifférent au fait. L’appel de Jésus aux «Filles de Jérusalem» montre combien le sort de l’humanité menacée par la mort est une préoccupation pour lui. Ces femmes sont des personnes de bonne volonté rangées derrière Jésus dans sa marche contre la mort et la culture de la mort128. Appelant les femmes 126 Cf. J. PATHRAPANKAL, «Christianity as a ‹Way› according to the Acts of the Apostles», 533.538-539: «In India where christianity has to survive in the midst of a pluralism of religions, religions with a history, philosophy and theology much more ancient than those of Christianity itself, the discussion on a ‹religionless christianity’ is particularly important because it is perhaps the only way christianity can have meaning and raison d’être within the wide spectrum of India’s religious traditions... Our task as Christians today is once again to maintain the dynamism of christianity as a way of life… The danger that accompanied the Christian movement in the past was precisely its tendency to become more and more a religion canvassing to its fold members from other religions and claiming uniqueness and exclusiveness on the basis of its growth. At a time when christianity is trying to discover its real nature through reaching back to its sources it is important that the ‹way› aspect of this religion is sufficiently emphasized. This will enable the various churches to come closer and see themselves as nothing more than partial affirmations and imperfect fixations, but all striving forward to the same ultimate goal. Moreover, it is the only way christianity can survive among the world religions. That alone will make sense for Christian mission among non-christians. That alone will help hundreds and thousands of christians in the West who try to rediscover the meaning of their religion through Eastern mysticism, through Yoga, and through various other religious movements, some of which are very superficial and shallow. The simple approach to religion «as the way will reveal that as there is only one faith and one baptism (Eph 4. 5), there is also only one way, the way that is revealed by Jesus, the way that is Jesus Christ himself (Jn 14, 6)». 127 Cf. É. DE BEUKELAER , L’Église de Judas, 72: «L’objet premier de l’acte religieux est le sens de l’existence», le chemin de la vie. 128 Cf. P. BOSSUYT et J. RADERMAKERS, Jésus Parole de la grâce selon saint Luc, vol. 2, 488-489.

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à pleurer, Jésus les invite à se liguer contre les assauts de la mort comme Rachel. Tout être humain est cette personne née de la femme. Et dans les visages de ces femmes-mères affligées convergent toutes les souffrances humaines129. Ici comme ailleurs, elles apparaissent bien souvent comme des sentinelles qui veillent sur le sort du genre humain130. Dieu Lui-même ne leur reconnaît-il pas cet attachement viscéral à la progéniture? «La femme oublie-t-elle son nourrisson, oublie-t-elle de montrer sa tendresse à l’enfant de sa chair? Même si celles-là oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas!», dit-il (Is 49, 15). Ne se réclame-t-il pas de ce cœur de mère totalement dévoué pour la progéniture? En tout cas, on le voit rappeler le soin maternel apporté à son peuple Israël: «Je les ai fait grandir, j’ai élevé des enfants» (Is 1, 2-3). Magnifique figure alors que celle de ces «Filles de Jérusalem»! Elle rappelle la Mère-Église, l’Église dans l’humanité et pour l’humanité. Comme ce Dieu et ses collaboratrices les «Filles de Jérusalem», l’Église d’aujourd’hui devra de plus en plus faire de sa présence au milieu des hommes un effectif rôle de mère, une mère profondément endeuillée. L’appel lancé aux «Filles de Jérusalem» revient directement à l’Église. Pleurer le sort de l’humanité blessée et menacée par la mort est une mission incontournable pour la Mère-Église. Car «l’évangélisation doit combattre tout ce qui avilit et détruit l’homme131» dans et par l’Église. Ce devoir est présentement plus que pressant. Le principe homo homini lupus se vérifie de plus en plus dans le quotidien132. La situation que 129 Cf. A.-M. PELLETIER, Il cristianesimo e le donne (Per una storia d’occidente. Chiesa e società. Sezione Percorsi e occasioni, 17), Jaca Book SpA, Milano 2001, 9 (édition originale en français cerf, Paris 2001). 130 Cf. D. GERA, «Maternal Love in Ancient Greece», in K. MODRAS (éd.), The Art of Love Lyrics, in Memory of Bernard Couroyer, OP and Hans Jacob Polotsky First Egyptologists in Jerusalem (Cahiers de la Revue Biblique, 49), Gabalda, Paris, 2000, 35-48. 131 JEAN PAUL II, Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Africa du SaintPère Jean-Paul II aux Évêques, aux prêtres et diacres, aux religieux et aux religieuses et à tous les fidèles laïcs sur l’Église en Afrique et sa Mission évangélisatrice vers l’an 2000, 14 septembre 1995, n. 70. 132 L’intention papale confiée à l’apostolat de la prière pour le dernier mois de l’année 2008 le rappelle fortement: «Afin que, en face à la croissante expansion de la culture de la violence et de la mort, l’Église promeuve avec courage la culture de la vie à travers chacune de ses actions apostoliques et missionnaires».

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connaît l’humanité en nos jours ressemble à celle de cette cité assiégée par une méchante armée munie de cruels engins de mort. Voyons de plus près la situation du monde d’aujourd’hui. Si, d’une part, le panorama international présente des perspectives de développement économique et social prometteur, de l’autre, il offre à notre attention de fortes préoccupations en ce qui concerne l’avenir même de l’homme. La violence, dans de nombreux cas, caractérise les relations entre les individus et les peuples; la pauvreté opprime des millions d’habitants… En outre, une constante menace existe au sujet du rapport hommeenvironnement à cause de l’usage aveugle des ressources, entraînant des répercussions sur la santé physique et mentale de l’être humain. L’avenir de l’homme est ensuite soumis au risque des attentats contre sa vie, attentats qui revêtent diverses formes et modalités133.

L’humanité et son sort sont en jeu. Devant un monde devenu ce théâtre du sinistre de tout genre, l’Église ne peut qu’être endeuillée. Son deuil est un refus prophétique du règne de la mort. Son deuil l’unira davantage au Maître qui a pleuré sur Jérusalem et a invité à pleurer le sort d’une humanité aux prises avec la mort134.

Conclusion Le chemin de la croix du troisième évangile révèle le talent du théologien Luc. De sa plume, l’auteur y mène un combat capital en faveur du christianisme naissant. Il lui donne voix au chapitre dans l’oikoumenê, ce creuset des nations où pullulent religions et cultures. Naturellement le nerf de la guerre est la christologie. Sa présentation spéciale de la marche de Jésus vers la croix vise une remise en route du mouvement chrétien dans sa foi christocentrique. L’auto-confession du Maître qui y est témoignée tire sa figure de la dégradation sociale. Jésus se présente «arbre vert», l’arbre qui défie toute sècheresse humaine: il a en lui le secret de la vie et la promesse de 133 BENOÎT XVI, Message pour la Journée mondiale des Missions 2008 Serviteurs et apôtres de Christ Jésus (11 mai 2008), n. 1. 134 Le sens de l’universalité s’illumine ici. Cf. C. H. G IBLIN , The Destruction of Jerusalem According to Luke-Acts, 104.

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l’éternité. Son pèlerinage terrestre qui finit ainsi n’entend pas être l’occasion d’une énième proclamation de la victoire de la mort, ce vrai ennemi qui vit fléchir devant lui les hommes les plus brillants de l’histoire. Envoyé témoin inné du Père Dieu-Amour, Jésus finit sa visite divine parmi les hommes interrogeant ses contemporains sur leur ouverture à la vie qu’il est en personne. Sa vraie croix est le rejet de la vie par l’homme pour une culture sournoise de la mort que couvent paradoxalement les religions des hommes. Dans la justesse inégalable (cf. notion de di,kaioj)135 de ses pas dans les voies de Dieu, la quête religieuse en l’homme trouve le tracé définitif. L’Église est témoin de l’itinéraire de cet extraordinaire, singulier homme de Dieu136. Elle conserve jalousement sa foi en lui et la transmet dans la fidélité à son irrévocable singularité par rapport aux prophètes et ancêtres, amis et témoins de Dieu connus des hommes. Le dialogue interreligieux et l’inculturation de la foi christologique ne se vivent pas aux dépens de l’affirmation de la Vraie Voie de Vie qu’incarne Jésus le Christ. Au contraire, l’Église saura toujours se dépenser et se dépasser afin que la Voie des voies de Dieu ait voix dans toutes ses rencontres. La traduction du mystère de la personne de Christ Jésus est une œuvre essentielle et de première importance dans ces rencontres. À l’école de Luc, il s’apprend que la christologie de la bienfaisante Seigneurie divine en est une méthode indiquée. Dieu dans sa bienfaisance est confessé par les nations. Les témoignages de sa bienfaisante présence lui ont valu déjà des noms qui conviennent impeccablement à sa Seigneurie. Évangéliste théologien de l’inculturation, Luc utilisera dans ce sens l’appellatif «arbre vert» pour traduire le mystère de Jésus le Christ. La notion d’unique «arbre vert», l’arbre qui porte en soi le secret de la vie et la promesse de l’éternité, permet à Luc de rendre compte de ces dimensions essentielles de la personne de Jésus Christ: la bienfaisante Seigneurie et la Vraie Voie de Vie.

135 Cf. F. J. MATERA, «The Death of Jesus According to Luke: A Question of Sources», 479-485. 136 Cf. R. F. O’T OOLE, Luke’s Presentation of Jesus, 225.

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Conclusion générale

Dans les quatre chapitres de cette étude, nous avons tenté une lecture exégétique et théologique du spécifique récit du chemin de la croix de Lc 23, 26-32. Notre travail est loin d’être exhaustif, et ne prétend pas avoir porté attention à toutes les implications des sept versets du texte. Néanmoins, une ligne de réflexion exégétique aura été poursuivie et approfondie: la conception du chemin de la croix comme un point d’orgue de la christologie que l’évangile lucanien développe le long de l’itinéraire de Jésus. Que retenir de l’examen exégétique et théologique mené? Des questions d’ordre textuel. Lc 23, 26-32 est une unité littéraire concise, couvrant tout le cadre géographique et temporel de l’ultime étape de la marche terrestre du prédicateur du Règne de Dieu. Tous les sept versets sont partie prenante d’une solide argumentation. L’originalité du texte qu’ils composent ne s’explique pas par le simple fait du travail éditorial de l’auteur: elle serait à voir surtout comme l’ajout de détails jugés utiles à un projet christologique. Car les éléments qui font sa différence par rapport aux autres évangiles ne sont pas déconnectés des corollaires qui entourent naturellement la mort dans le milieu juif. Par ailleurs, le récit lucanien ne pouvait pas passer outre la tradition sur les événements de la passion-mort de Jésus. Il est fidèle à l’événement Jésus. Le choc devant la passion-mort, de l’annonce aux faits, y est évoqué. Des jeux d’intertextualité. Ce qui est fascinant en Lc 23, 26-32 est sa capacité d’attraction et sa force de communication. Magnifique et émouvant tableau, il fait miroiter les dramatiques pièces des martyrologes juifs et des écrits gréco-romains, tout en demeurant viscéralement enraciné dans les Écritures et la culture bibliques. La narration en face est un réel travail littéraire où l’histoire et la théologie se marient pour la cause de la christologie. Elle témoigne de l’urgent engagement de l’Église naissante dans l’établissement d’une doctrine solide sur la mort du Maître. L’abondant vocabulaire de la mort qui est utilisé peut faire perdre de vue le centre d’intérêt. Mais le schéma de la citation véridique indiquera une issue. Celui-ci fait ressortir la structure argumentative de Jr 22, 10-13. Le schéma de ce texte prophétique est un dispositif littéraire traditionnel 211

qui jette automatiquement un discrédit sur ceux qui condamnent Jésus. Il souligne que, comme un Josias, Jésus est un homme infiniment aimé de son peuple et droit devant Dieu qui ne méritait aucune condamnation. Partant de ce créneau biographique, la christologie se construira, mais conformément à l’amplitude du mystère de la personne de Jésus. De la christologie du texte. La question Jésus est le centre d’intérêt du texte. Les actions et les paroles sont centrées sur lui. Son adresse aux «filles de Jérusalem», qui s’avère le cœur du récit, est en réalité une auto-confession. Ce qui confirme de plus la nature christocentrique du texte. Si à première vue, la destruction de Jérusalem vient à l’esprit, celle-ci ne saute pas aux yeux dans l’exégèse. La christologie évolue en se précisant au fur à mesure que l’itinéraire évangélique de Jésus progresse. Au niveau de l’ultime étape de la marche, elle n’a plus son accent sur le caractère prophétique et ses preuves. Ici, le propos christologique est à grande échelle. Sur ce chemin vers la mort, la vie et la personne Jésus émergent de plus belle des sombres et maigres attentes de Jérusalem, la Cité des ancêtres. La révélation du mystère de l’homme de Nazareth prend un relief dépassant tout entendement humain alors qu’il se trouve dans les carcans de la mort. La narration de Lc 23, 26-32 est tissée de manière à mettre en évidence la violation de la justice dans la condamnation de Jésus: elle démolit en fait le faux jugement des hommes. La présence de la multitude innombrable en deuil, le renvoi au cas Josias et le parallélisme antithétique Jésus-malfaiteurs plaident pour l’innocent et juste Jésus. Mais cette récupération judiciaire ne fait que resituer Jésus dans le rang des prophètes martyrisés dans la ville sainte. Le pic de la christologie se trouve dans le Je personnel du condamné. Dans le «Ne pleurez pas sur moi» (23, 28), Jésus est témoin de sa propre justice devant Dieu et devant les hommes. Ce qui ne sera pourtant pas pour lui une raison de condamner les pécheurs. Il se contentera de les interroger sur leur ouverture à la Vraie Voie de Vie qu’il est en personne: «S’ils font cela à l’arbre vert, qu’est-ce qui adviendra au sec?». La rhétorique contient une double affirmation: l’opposition naturelle vert /sec et la dépendance indispensable du second du premier. Jésus est l’arbre vert, c’est-à-dire celui qui a en lui le secret de la vie et la promesse de l’éternité. L’opposition vert/sec déclare donc la Seigneurie de Jésus (cf. Os 13, 9; 14, 9). Ce qui se lit/déduit de son faire, de son dire et de ses titres «depuis la Galilée, où il à commencé, jusqu’ici» (Lc 212

23, 5) est certifié finalement par lui-même: Jésus est la présence visible de Dieu et Dieu est l’être invisible de Jésus. On ne peut le condamner sans se condamner. C’est là où porte la problématique exégèse de Lc 23, 31. Loin de la condamnation d’un peuple, le discours sur le chemin de la croix porte intimement l’expression de cet amour infini de Jésus de Nazareth, témoin inné de la bienfaisance de Dieu. Des appels du texte. Le récit lucanien est riche en enseignement. Résumé de la marche de Jésus, l’original récit lucanien du chemin de la croix présente, de la façon la plus explicite et la plus compréhensible possible, trois réalités liées entre elles par la cause de Règne de Dieu: le Christ, le chrétien et le christianisme. Les deux derniers se trouvent définis par la personne et l’itinéraire du premier. La théologie du chemin et l’orientation sapientielle qui sous-tendent cette présentation interpellent vivement l’Église dans sa catéchèse et dans sa praxis missionnaire. Beaucoup de religions, traditionnelles et modernes, si non toutes, se définissent comme des voies, des chemins. L’Église du Christ Jésus doit être «en chemin avec» les hommes dans leur quête de Dieu. Dans cette compagnie de dialogue, l’itinéraire du Maître sera la leçon fondamentale. Après tout, ce dernier préconise la méthode interrogative. Le dialogue du Maître avec l’humanité, abordé depuis la Galilée et conclu à Jérusalem sur le chemin de la croix, a été essentiellement une démarche pour le sens ultime des saintes Écritures, de la Loi et des Prophètes, donc du patrimoine religieux. L’implication de l’Église dans le dialogue interreligieux, à l’école du Maître, doit avoir cette ambition de faire sortir les traditions religieuses de l’établissement, de la fixation. Comme son Maître sur chemin de la croix, elle cherchera à «remettre en route», à déclencher la marche vers des horizons divins encore inconnus. Aussi pouvons-nous dire que sa mission au sein des religions sera avant tout d’être ce ferment de la signification et ce sel du sens de l’acte religieux, à l’instar de Jésus lui-même. Cette mission l’obligera à se défaire elle-même du désir de vouloir se plaire dans le traditionalisme, l’uniformisme, le consensualisme et le relativisme. Partout dans le monde, fidèle au Maître, elle aura comme mission essentielle de n’être que pour le Règne de Dieu. Ce qui signifie accepter de faire le chemin de la croix avec Jésus, le chemin qui va audelà des horizons religieux, culturels et sociaux hérités des ancêtres. C’est par cette démarche personnelle qu’elle mobilisera la multitude 213

des nations pour la reconnaissance unanime de ce qui est digne d’être nommé «justesse» dans les voies de Dieu. Des pistes ouvertes sur l’inculturation en Afrique. Saint Luc l’évangéliste est un théologien. La lecture de son récit du chemin de la croix montre en cet auteur sacré un homme engagé dans son temps et dans son milieu en témoin de Jésus-Christ. On peut dire qu’il est réellement un pionnier dans l’œuvre d’inculturation1. La réalité de la connexion entre Luc-Actes et le contexte religieux, culturel et politique de l’empire romain n’est plus un secret dans l’exégèse. Luc et son œuvre interpellent l’Église d’aujourd’hui. Son mode d’entreprendre l’expression de la foi christocentrique dans son temps et dans son milieu est une école d’inculturation. Aussi les Églises en Afrique auront un intérêt particulier pour le troisième évangile. Lancées dans la théologie et la pastorale de l’inculturation, elles trouveront dans l’auteur de Luc-Actes un maître avisé. Œuvre humaine et bien jeune comme expérience-entreprise2, les productions de la théologie de l’inculturation en Afrique ne sont pas sans reproches3. 1

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Cf. Des œuvres sur la notion d’inculturation: A. PEELMAN, L’inculturation: L’Église et les cultures, 111-149; M. G RONCHI , Trattato su Gesù Cristo Figlio di Dio Salvatore, 731-738; PONTIFICAL C OUNCIL FOR I NTERRELIGIOUS DIALOGUE , Interreligious Dialogue: The Official Teaching of the Catholic Church (1963-1995), Pauline Books ½ Media, Boston 1997. Dans le parcours général de la théologie de l’inculturation en Afrique ce qui est remarquable dès le départ (vers les années 1960) c’est le souci de la définition du cadre même de la rencontre de Jésus-Christ en milieu africain. Cibler le cadre de la rencontre avec Jésus-Christ fut comme le leitmotiv des premiers pas. On sent particulièrement cette ambition dans le livre collectif relatif au propos: Des prêtres noirs s’interrogent. Cf. L. S. KINKUPU – G. BISSAINTHE – M. HEBA (éds.), Des prêtres noirs s’interrogent: Cinquante ans après… (Mémoires d’Églises), Karthala – Présence Africaine, Paris 22006, 11956; E. K. SUMAÏDI, Christologie africaine (19562000), 77. Parmi les grandes œuvres typiques de cet élan pour la définition du cadre de la rencontre de Jésus-Christ en milieu africain, on peut citer celui de S. P. M. SIDIBÉ , La rencontre de Jésus-Christ en milieu Bambara, Beauchesne, Paris 1978. Cf. R. SCHREITER, «Images of Jesus in Contemporary Cultures», Concilium 3 (2008), 125: «Jesus as Ancestor has been a controversial image in Africa, and by no means universally accepted. In some cultures, ancestors are not considered benevolent protectors of their descendants, but rather quarrelsome figures. The image has been perhaps more important to theologians than to ordinary Christians. Nonetheless, it remains an important, mediating image». Voir aussi: B. UKWUIJE, Trinité et inculturation; M. GRONCHI, Trattato su Gesù Cristo Figlio di Dio Salvatore, 830-855.

Un premier point sur lequel la pastorale et la théologie de l’inculturation en Afrique pourraient profiter de l’école lucanienne concerne la place qu’elle accorde aux femmes. Les femmes sont présentes dans l’Église que Luc entend construire, elles ne sont ni marginalisées ni mises en second plan. De Galilée jusqu’au pied de la croix à Jérusalem, les braves fidèles amies de Jésus participent à sa vie. L’Église naissante des Actes les montrent aussi actives dans ses communautés et dans ses premières initiatives missionnaires. Cette réalité historique interpelle les missionnaires et les constructeurs de l’avenir de l’Église en Afrique. La vitalité de la communauté chrétienne dépend beaucoup de la présence et de la participation effective des femmes à sa vie. La pastorale et la théologie de l’inculturation sur le continent noir devront prêter une plus grande attention à la promotion de sa frange féminine. Les femmes sont incontournables dans le salut de l’humanité. Le Maître ne leur a-t-il pas confié son dernier discours? L’école lucanienne permettra également à la christologie africaine4 de consolider les pas et de rectifier des tirs, pour un plus grand rayonnement de l’Évangile. La raison d’être du christianisme dans une culture est compromise sans une traduction orthodoxe et catholique du mystère de la personne de Jésus le Christ. Ce qu’apporte comme nouveauté le christianisme à l’humanité en quête de sens est le mystère de la personne de Christ Jésus. L’insistance sur la singularité de Christ Jésus, bien remarquable chez Luc, doit être la règle d’or dans toute œuvre d’inculturation. L’Évangile parle de «Christ Seigneur, Christ de Dieu» (Lc 2, 11; 9, 20), «Seigneur de tous» (Rm 10, 12). D’où tout le problème avec l’édifice christologique africain bâti sur l’ancestralité. La christologie africaine ne semble pas être sans problèmes sérieux dans sa tentative de traduction de l’identité de Jésus-Christ à travers le concept d’ancêtre5. Certaines élaborations concernent directement la christologie de Lc 23, 26-32. Dans sa recherche d’inculturation de la christologie, B. Bujo fait une ouverture sur la notion de «l’arbre vert», mais toujours sur la 4

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Cf. Titres d’actualité: F. KABASÉLÉ – J. D ORÉ et R. LUNEAU (éds.), Chemins de christologie africaine (Jésus et Jésus-Christ, 25), 1986, 22001; E. K. SUMAÏDI, Christologie africaine (1956-2000) et B. UKWUIJE, Trinité et inculturation. Cf. F. KABASÉLÉ – J. DORÉ et R. L UNEAU (éds.), Chemins de christologie africaine et E. K. SUMAÏDI, Christologie africaine (1956-2000).

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base de l’ancestralité6. L’arbre dont-il s’agit dans son propos est l’arbre des Ancêtres, l’arbre tombal 7. Luc (23, 31) et B. Bujo parlent tous les deux de Jésus-Christ «l’arbre vert». Et pourtant, il semble qu’ils ne disent pas la même chose. L’examen de la proposition africaine à la lumière du making of Luke serait donc intéressant pour le sujet en luimême et bénéfique pour la christologie du Christ-Ancêtre en général.

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Cf. Pour la perception de la place des ancêtres dans la vie des Africains, voir les interventions des différents collaborateurs dans: J. DORÉ et alii (éds.), Pâques africaines d’aujourd’hui (Jésus et Jésus-Christ, 37), Desclée, Paris 1989; B. UKWUIJE , Trinité et inculturation, 202; E. K. SUMAÏDI, Christologie africaine (1956-2000), 59; R. SCHREITER, «Images of Jesus in Contemporary Cultures», 124-129; M. GRONCHI , Gesù Cristo nelle diverse culture: Europa, America Latina, Africa, Asia e «mondo» femminile (Saggistica Paoline, 34), Paoline, Milano 2006, 54-82; IDEM, Trattato su Gesù Cristo Figlio di Dio Salvatore, 830-855. B. BUJO, «La dimension sociopolitique de la christologie africaine», in F. KABASÉLÉ – J. DORÉ et R. L UNEAU (éds.), Chemins de christologie africaine, 341-342: «Au niveau de la réflexion théologique, des chercheurs sont amenés à établir une relation profonde entre l’arbre des ancêtres et le Christ comme Proto-Ancêtre. L’arbre qui ne meurt et reste toujours vert du fait de son origine divine n’est pas seulement de la vie de l’au-delà, mais bien plus, il devient le symbole de la présence du Christ ressuscité dans la communauté des croyants. Cela se laisse comprendre peut-être plus facilement si on médite le cas du ficus tombal chez les Bahema de l’Est du Congo-Kinshasa. Le ficus est normalement planté sur la tombe des pères de famille par une cérémonie spéciale. Il s’agit d’un arbre qui reste verdoyant à toutes les périodes de l’année et se prête bien à symboliser la vie qui perdure au-delà de la tombe. Ses branches, qui se multiplient inlassablement, sont, elles, le symbole de la nombreuse descendance du patriarche qui repose dans la tombe… Finalement, cet arbre de vie, incarne l’ancêtre lui-même. De fait, même «matériellement», ses racines pénètrent profondément dans la tombe du défunt pour transmettre à l’arbre la vie de l’ancêtre qu’il représente. Il est aisé de comprendre que cet arbre est hautement sacré et constitue un lieu privilégié de bénédiction pour toute la communauté des descendants. C’est sous cet arbre que désormais tous les événements importants de la vie de la communauté se dérouleront. C’est ici que se fera la palabre familiale, où l’on s’efforce de ruminer et mâcher en commun la parole ancestrale qui donne la vie aux descendants. Transposé au niveau chrétien, le ficus devient le symbole de Jésus-Christ, le Proto-Ancêtre. En d’autres mots, Jésus-Christ le Ressuscité est le vrai Ficus de vie, car sa croix mortifère s’est transformée en arbre de vie. Vu sous cet angle, l’arbre des ancêtres, désormais identifié au Proto-Ancêtre, gagne de l’actualité dans l’Afrique d’aujourd’hui».

Sigles et abréviations

1. Livres bibliques Ancien Testament (AT) Gn Ex Lv Nb Dt 1-2 S 1-2 R 1-2 Ch Esd Ne Tb Est (g) 1-2 M Ps Pr

Genèse Exode Lévitique Nombres Deutéronome 1 et 2 Samuel 1 et 2 Rois 1 et 2 Chroniques Esdras Néhémie Tobie Esther (grec) 1 et 2 Maccabées Psaumes Proverbes

Qo Ct Sg Si Is Jr Lam Ez Dn Os Jl Am Mi So Zc

Qohélet Cantique des cantiques Sagesse Siracide Isaïe Jérémie Lamentations de Jérémie Ezéchiel Daniel Osée Joël Amos Michée Sophonie Zacharie

Col 2 Tm He Jc 1P Ap

Lettre de saint Paul aux Colossiens 2 Lettre de saint Paul à Timothée Lettre aux Hébreux Lettre de saint Jacques 1 lettre de saint Pierre Apocalypse

Nouveau Testament (NT) Mt Mc Lc Jn Ac Rm

Évangile de Matthieu Évangile de Marc Évangile de Luc Évangile de Jean Actes des Apôtres Lettre de saint Paul aux Romains

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2. Versions et traductions bibliques TR AD NA27 SegLa Lu TOB TEV FC VP REB WH M DRB BJ LSG NEG LXX CEI

Textus Receptus (Oxford 1889) Apostoliki Diakonia (B. Antoniadis’edition of the Nexw Testament, 1988) Nestle Aland, 27ème édition Nouvelle Version Segond Revisée (Bible à la Colombe, 1978) Die Bibel nach der Übersetzung Martin Luthers (revidierter Text, 1984) Traduction Œcuménique de la Bible (1988) Today’s English Version (1976) La Bible en Français Courant (1982) La Biblia: Versión Popular (1983) Revised English Bible (1989) Westcott and Hort (1881) Merk (101984) Traduction française de Darby Bible de Jérusalem Traduction française de Louis Segond Nouvelle Édition Genève Septante Conferenza Episcopale Italiana (Bibbia patrocinata dalla)

3. Magistère et patrologie EIA CSEL PL PG SC CCL

Ecclesia In Africa Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum Migne, Patrologia Latina Migne, Patrologia Sources Chrétiennes Corpus Christianorum, Series Latina

4. Périodiques, collections et dictionnaires AnBib BDAG BECNT BEThL Bib

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Analecta Biblica A Greck-English Lexicon of the New Testament éditée par Danker F. W, 32000. Baker Exegetical Commentary on the New Testament Bibliotheca ephemeridum theologicarum Lovaniensium Biblica

Bl-Be BTB BZAW CBQ CNRS ETR JSNT JSNTSS JSOT JSOTSup LR NIB NT NTS PIB PUG PUU RB RILP RSR RTL SBLSS SNTSMS SubBib TDNT THAT VT

Blass F. – Debrunner A., Grammatica del greco del Nuovo Testamento Biblical Theology Bulletin Beihefte zur Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft Catholic Biblical Quarterly Centre National de la Recherche Scientifique Études théologiques et religieuses Journal for the Study of the New Testament Journal for the Study of the New Testament Supplement Series Journal for the Study of the Old Testament Journal for the Study of the Old Testament, Supplement Series Le Livre et le Rouleau New Interpreter’s Bible Novum Testamentum New Testament Studies Press Institut Biblique Press University Gregoriana Press University Urbaniana Revue Biblique Roehampton Institute london Papers Recherches de Science Religieuse Revue Théologique de Louvain Society of Biblical Literature Symposium Series Society for New Testament Studies Monograph Series Subsidia Biblica Theological Dictionary of the New Testament Theologisches Handwörterbuch zum Alten Testament Vetus Testamentum

5. Autres sigles, abréviations et signes ap. J.-C. av. J.-C. B.C.E. C.E. Ch. Col. éd. / éds. frag. t. v. / vv. =

Après Jésus-Christ Avant Jésus-Christ Before Christian Era Christian Era Chapitre Colonne Éditeur / (s) Fragment Tome Verset / (s) égal

// § / §§ Cf. vol. / voll. et alii n. / nn. op. cit. angl. lat. fig. anc.

Parallèle Paragraphe (s) Confer Volume (s) et autres Numéro (s) Opuscule citée Anglais Latin Figure Ancien

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