Document Paternité n° 219 
Le mystère de l'Esprit Saint et de Marie selon le Père Kolbe

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Père Marie Dominique PHILIPPE

Le mystère de l'Esprit Saint et de Marie selon le Père Kolbe

Documents-Paternité n°219 septembre 1982

(Aussi paru in : 1 L’Etoile du matin, Fayard 1989 et 1995, pp. 201-219)

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Chaque fois que l'Eglise proclame « saint » l'un de ses enfants, elle veut que nous le regardions comme un témoin privilégié du Christ. Elle nous le présente et nous le donne pour que, par lui, nous puissions mieux comprendre les exigences propres de notre vie chrétienne, et surtout pour que nous puissions mieux les vivre. Et cela est d'autant plus vrai lorsque l'Eglise vit au milieu de grandes luttes, qu'elle est comme secouée, comme le disait Paul VI, par des « tremblements apocalyptiques ». N'oublions pas ce que, à son tour, le pape Jean Paul II a déclaré aux évoques français lors de sa venue à Paris en 1980 : « Nous vivons une étape de tentation particulière pour l'homme. » Et le Saint-Père n'hésitait pas à parler de « méta-tentation » pour désigner une tentation qui « va au-delà de tout ce qui, au cours de l'Histoire, a constitué le thème de la tentation de l'homme, et [qui] manifeste en même temps (...) le fond même de toute tentation. L'homme contemporain est soumis à la tentation du refus de Dieu au nom de sa propre humanité 1 ». C'est dans ce climat que vit l'Eglise actuellement, et elle vit des tentations plus rudes que jamais. Satan, l'ange des ténèbres, « se transforme en ange de lumière 2 » pour nous séduire, pour nous faire dévier de la véritable voie. Dans les pays de montagne, au seuil de l'hiver, on plante le long des routes, en prévision des grandes bourrasques de neige, des poteaux qui pourront, lorsque le paysage sera transformé par les chutes de neige, indiquer où passe la route, ce qui permettra aux chasse-neige de passer au bon endroit, sans dévier. Lorsque, après de grosses chutes de neige, je regarde ces paysages bien connus, je me demande comment, sans les poteaux, on pourrait déblayer les routes sans errer, aller ça et là, à l'aventure, surtout quand il s'agit de petites routes de montagne bien sinueuses ; et je pense alors à l'œuvre admirable de l'Eglise qui, sous le souffle de l'Esprit-Saint, au milieu des luttes, des tornades, proclame saint tel ou tel homme, telle ou telle femme. Par là l'Eglise nous indique la route qu'il faut suivre pour ne pas errer, pour discerner la véritable voie au milieu d'un paysage où tout risque d'être nivelé par ces brusques chutes de neige... Quand j'ai appris que le Saint-Père avait décidé de proclamer saint le bienheureux Maximilien Kolbe, l'image que je viens d'évoquer est revenue à mon cœur. L'Eglise subit actuellement les luttes, les crises si profondes du monde d'aujourd'hui, crises qui secouent ce qu'il y a de plus fondamental dans l'humanité. On se trouve bien devant un « monde cassé », cassé non seulement du point de vue économique et culturel, mais aussi du point de vue spirituel et chrétien. On se trouve devant un monde errant, qui ne sait plus où il va et qui cependant avance vers sa destinée avec une accélération toujours plus grande. Cette accélération exigerait normalement une lucidité d'autant plus grande, pour maintenir le sens du primat de la finalité au-delà de toute prospective économique ; mais, hélas, c'est souvent l'inverse qui se produit. 1 2

Discours aux évêques : La Documentation catholique, n° 1788, p. 590. 2 Coll. 4. 3

Au milieu de ce « monde cassé », le pape Jean XXIII avait déjà eu le courage de réunir le concile Vatican II pour que l'Eglise puisse se recueillir, prendre un peu de recul et mieux comprendre dans la foi ce que Jésus réclame d'elle dans cette dernière partie du XXe siècle ; et, continuant l'œuvre de Jean XXIII, Paul VI, poussé par l'Esprit-Saint, avait eu le courage de proclamer Marie Mère de l'Eglise, Mère des hommes. Le « testament familial 3 » de Jésus crucifié, donnant sa Mère à Jean, était comme proclamé à la face du monde, pour que nous puissions mieux comprendre la signification du concile. En déclarant saint le Père Maximilien Kolbe, Jean Paul II nous donne un modèle concret, personnel, réalisé par le Saint-Esprit pour le monde actuel au milieu de ses grandes luttes. Le Père Kolbe a bien été placé au cœur des luttes les plus terribles : la haine du frère pour son frère, cette haine implacable qui veut détruire, anéantir ce qu'on ne peut supporter. Et il a répondu par un amour fraternel gratuit : il s'est offert en victime d'amour pour sauver son frère, père de famille. Lui, religieux-prêtre, totalement voué au service de Jésus, se savait aussi totalement voué au service de ses frères, de son prochain. Pour être fidèle jusqu'au bout à l'amour de son Jésus, il lui fallait être capable de donner sa vie pour son frère : il l'a donnée, il a été martyr de la charité fraternelle à la suite de Jésus, par amour pour lui. Cette force divine dans la charité fraternelle lui est venue, certes, directement de l'Esprit-Saint; c'est sous la motion de l'Esprit-Saint qu'il s'est offert pour sauver la vie d'un père de famille. Mais cette force lui a été donnée par et en Marie, puisque c'est le secret de toute sa vie de ne jamais séparer l'action de l'EspritSaint en nous de celle de Marie, et même de ne jamais pratiquement séparer Marie de l'Esprit-Saint. C'est grâce a l'emprise si forte de Marie sur lui qu'il a pu réaliser cette offrande 4, dans une telle simplicité d'enfant de Dieu. Pour lui, c'est net : il faut sauver la vie de ce père de famille, et pour cela il n'hésite pas à s'offrir, à prendre sa place. Pourtant lui aussi est « père de famille » (et d'une grande famille), lui aussi a de grandes responsabilités ; mais il ne discute pas. Car sa paternité est spirituelle et divine, c'est celle du sacerdoce de Jésus. Les responsabilités temporelles qu'il peut avoir, si grandes soient-elles, ne sont rien à côté de cette responsabilité spirituelle, divine, de prêtre ; or dans la lumière de la Croix, de la sagesse de la Croix, ce qu'il y a de plus grand dans son sacerdoce, c'est d'être capable de s'offrir pour le salut de ses frères. Il le sait bien, lui qui écrivait en 1920 : « Travailler, souffrir et même mourir — et que ce soit possible — pour le salut de toutes, toutes les âmes qui sont

Cf. saint Ambroise, Lettre à l'Eglise de Verceil et à ceux qui invoquent le nom de NotreSeigneur Jésus-Christ, P.L. 16, col. 1218 B. 4 Dans cette offrande se réalise ce que lui-même écrivait en 1934 : « Aimons l'Immaculée chaque jour de plus en plus. Et ceci pour l'éternité, car c'est seulement au moment de notre mort que cet amour va jaillir comme une flamme en liberté » (10.11.1934, in : Entretiens spirituels inédits, traduits et présentés par l'abbé J.-F. Villepelée, Lethielleux, 1974, p. 39 ; Gli scritti di Massimiliano Kolbe [trad. C. Zambelli, Città di Vita, Firenze, 1975], II, p. 133). 3

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et seront, et pour leur sanctification 5 » Et à Auschwitz, dans une très grande humilité, il s'offre pour le salut temporel d'un père de famille. Voilà l'exercice éminent du don de piété, permettant un exercice héroïque de la charité fraternelle. Cet exercice de la charité fraternelle se réalise en l'Esprit-Saint par celle qui est notre Mère, pleinement Mère, et qui donne à l'exercice du don de piété ce caractère de si grande pureté dans un tel héroïsme, un tel absolu. Voilà ce que l'Esprit-Saint et Marie veulent nous donner comme modèles de charité fraternelle dans le monde si divisé, si jaloux, si haineux qui est le nôtre. Ce modèle qui nous est donné n'est-il pas la plus merveilleuse interprétation du concile Vatican II, interprétation réalisée par l'Esprit-Saint à travers le cœur de son fils de prédilection ? Ce lien divin entre le mystère de Marie et celui de la charité fraternelle, dans l'Esprit-Saint, n'est-il pas comme la « perle cachée » de ce dernier concile, qui doit nous préparer à vivre pleinement ce que l'Esprit-Saint demande à l'Eglise d'aujourd'hui ? L'Eglise ne doitelle pas « suivre l'Agneau partout où il va 6 » ? Comme l'Agneau a vécu la dernière semaine de son pèlerinage sur la terre, l'Eglise devra elle aussi, un jour, vivre sa dernière semaine... Or dans sa dernière semaine, le Christ, au milieu des plus grandes luttes, nous révèle le secret ultime de son Cœur : le lien qu'il veut entre Marie et Jean, lien qui est pour nous le modèle (la réalisation parfaite) du nouveau commandement, celui de la charité fraternelle. Le concile Vatican II, qui a été vécu dans de grandes luttes, n'est-il pas pour nous comme l'annonce de cette dernière étape de l'Eglise, et la « perle cachée » de ce concile n'est-elle pas un appel nouveau à répondre aux exigences propres de la charité fraternelle, pleinement vécue dans le cœur de Marie ? La proclamation de la sainteté du Père Kolbe, montrant combien sa mort est précieuse aux yeux de Dieu 7, nous le redit, nous le dévoile. C'est l'Esprit-Saint et Marie qui nous donnent leur fils de prédilection pour modèle ; et ce modèle est éloquent pour les luttes ultimes que l'Eglise doit vivre aujourd'hui. Il faudrait discerner les circonstances providentielles en lesquelles l'EspritSaint a voulu réaliser ce modèle, cet exemplar. Le Père Kolbe est un franciscain. L'« amour fou » de saint François pour Jésus a bien été vécu dans son cœur ; et saint François a dû recevoir avec amour son fils de prédilection... Le Père Kolbe est Polonais. La Pologne a certainement été l'un des pays catholiques les plus meurtris, les plus martyrisés par l'hitlérisme, et ensuite par le marxisme. Au camp d'Auschwitz, c'est la Pologne catholique qui, en l'un de ses fils, s'offre en victime d'amour, et cela dans le contexte de la haine du nazisme à l'égard des Juifs. C'est comme prêtre zélé, gênant à cause de son influence, que le Père Kolbe a été envoyé dans ce camp de concentration où les Juifs étaient persécutés et immolés. Providentiellement, il était assimilé au peuple d'Israël en son état d'immolation. N'y a-t-il pas là encore un lien avec Vatican II, qui nous demande Op. cit., p. 107 (8.1.1920) ; Scritti I, p. 65. Ap 14, 4. 7 Ps 116, 15. 5 6

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d'avoir sur le peuple d'Israël le regard de Jésus crucifié ? C'est bien de ce regard que le Père Kolbe a vécu au camp d'Auschwitz. Essayons de comprendre comment l'Esprit-Saint et Marie ont préparé leur fils de prédilection à cet acte héroïque d'amour fraternel. Le Père Kolbe appartient à la « descendance de la femme 8 » ; il est de ces chrétiens qui ont découvert, à la suite de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, les liens si profonds qui unissent Marie à l'Esprit-Saint ; il est de ceux qui ont compris que Marie, choisie par le Père pour être celle en qui se réaliserait le mystère de l'Incarnation, du Verbe fait chair par l'opération du Saint-Esprit, devait également être choisie par le Père pour être celle qui préparerait le retour glorieux du Christ. Il y a, dans le gouvernement de Dieu sur l'Eglise, une profonde unité : l'alpha et l'oméga, c'est-à-dire le commencement et la fin, sont inséparablement unis. Celle qui a été choisie par le Père pour être la Mère de son Fils bien-aimé, pour vivre à la Croix le mystère de la compassion — compléter dans son cœur le mystère de l'holocauste de la Croix — pour être présente à la naissance de l'Eglise le jour de la Pentecôte, doit être également celle que l'Esprit-Saint choisit d'une manière encore plus mystérieuse pour préparer dans l'Eglise le retour du Christ glorieux. De même qu'elle enveloppe tous les mystères joyeux de la vie de Jésus tels que saint Luc nous les révèle, et qu'elle enveloppe tous les mystères douloureux tels que saint Jean nous les révèle, de même Marie enveloppe les mystères de l'attente du retour de Jésus, attente qui est vécue dans la lutte, une lutte à son paroxysme comme celle que nous révèle l'Apocalypse de saint Jean. Le Père Kolbe réalise bien la prophétie de saint Louis-Marie Grignion de Montfort concernant les « Apôtres des derniers temps 9 ». Il en est peut-être la plus belle réalisation. N'est-ce pas de lui que Jésus veut se servir pour, selon l'expression même de saint Grignion de Montfort, « renouveler par Marie toutes choses et finir par elle les années de la grâce, comme Il les a commencées par elle10 » ? Lui qui, en 1938, invoquait ainsi Marie Immaculée : « Qui es-tu, ô Madone ? Qui es-tu, ô Immaculée ? Je ne peux pas approfondir ce qu'est être créature de Dieu. Déjà, comprendre ce que signifie être enfant adoptif de Dieu dépasse nies forces. Et toi, ô Immaculée, qui es-tu ? Non seulement créature, non seulement enfant adoptive, mais Mère de Dieu, et non seulement Mère adoptive, mais réellement Mère de Dieu. Et ce n'est pas seulement supposition, probabilité, mais certitude, une certitude totale, un dogme de foi. Mais es-tu encore la Mère de Dieu ? Le titre de mère ne change pas pour les siècles. Dieu te dira « Ma Mère »... le Donateur du quatrième commandement le vénérera pour Ap 12, 17 ; cf. Gn 3, 15. Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, § 58 : Œuvres complètes, éd. du Seuil, 1966, p. 521 ; cf. Le secret de Marie, § 59, in : op. cit., p. 468. 10 Prière embrasée, § 6 : op. cit., p. 677. 8 9

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les siècles, à jamais... Qui es-tu, ô Divine ?... Et il aimait, lui, Dieu incarné, à s'appeler le Fils de l'homme. Mais les gens ne l'ont pas compris. Et aujourd'hui encore, combien peu d'âmes le saisissent et combien imparfaitement. Accorde-moi de te louer, ô Vierge très sainte. Je t'adore, ô notre Père des deux, pour avoir déposé dans son sein très pur ton Fils unique. Je t'adore, ô Fils de Dieu, pour avoir daigné entrer dans son sein très pur et devenir réellement son Fils. Je t'adore, ô Esprit très Saint, pour avoir daigné former dans son sein très pur le Corps du Fils de Dieu. Je t'adore, ô Trinité très sainte, ô Dieu unique en trois Personnes, pour une aussi divine exaltation de l'Immaculée. Et je ne cesserai, tous les jours, après m'être réveillé du sommeil, le plus humblement possible, le front contre terre, de t'adorer, DieuTrinité, en disant par trois fois : « Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit, comme il était au commencement et maintenant et toujours, et pour les siècles des siècles, Amen. » Accorde-moi de te louer, ô Vierge très sainte. Accorde-moi de te louer à mes dépens. Accorde-moi de vivre, de travailler, de souffrir, de me consumer et de mourir pour toi et uniquement pour toi. Accorde-moi de ramener à toi le monde entier. Accorde-moi de contribuer a t'exalter toujours davantage, autant qu'il est possible. Accorde-moi de t'apporter une gloire telle que personne ne t'en a encore apportée. Permets que les autres, dans leur zèle pour t'élever, me dépassent et que moi je les dépasse, de telle sorte que dans cette noble émulation ta gloire grandisse toujours plus profondément, toujours plus rapidement, toujours plus puissamment, comme le désire Celui qui t'a si ineffablement exaltée audessus de tous les êtres. En toi seule Dieu a été, sans aucune comparaison, plus glorifié qu'en tous ses saints. Pour toi Dieu a créé le monde. Et c'est pour toi que Dieu m'a appelé à l'existence. Voilà mon bonheur. O, accorde-moi de le glorifier, Vierge très sainte 11. » Si le père Kolbe est par excellence l'un de ces « grands hommes remplis du Saint-Esprit et de celui de Marie, par lesquels celle divine Souveraine fera de grandes merveilles dans le monde, pour détruire le péché et établir le règne de Jésus-Christ, son Fils 12 », il y a, dans la réalisation de la prophétie, quelque chose qui ne pouvait pas être dit dans la prophétie elle-même. 1938 (cité partiellement : Entretiens spirituels, p. 140). Scritti III (Firenze, 1978), pp. 715716. 12 Le secret de Marie, § 59, p. 460. 11

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Certes, il y a une profonde unité entre la doctrine de saint Louis-Marie Grignion de Montfort et celle du Père Kolbe 13, car ils sont tous deux totalement livrés à Marie et tous deux n'ont qu'un seul désir : lui être agréable et la regarder le plus possible, sachant que plus on regarde Marie, plus on est regardé par le Christ ; et que plus Marie est présente dans notre vie, reçue au plus intime de notre cœur comme elle a été reçue par Jean adhérant à la parole de Jésus — « Voici la Mère » — plus Jésus lui-même est là et plus son cri de soif peut être intimement vécu. Cependant, il y a dans la doctrine mariale du Père Kolbe quelque chose de nouveau ; et c'est normal, puisque entre saint Louis-Marie Grignion de Montfort et le Père Kolbe il y a eu la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception et les apparitions de Lourdes. Celle nouvelle révélation sur le mystère de Marie a été reçue par le Père Kolbe non seulement avec une très grande joie, mais aussi dans la foi contemplative d'un petit enfant du Saint-Esprit. Pour lui, celle révélation a une importance capitale : elle devrait renouveler toute la théologie, lui donner une nouvelle lumière — non seulement une nouvelle lumière sur Marie, mais, à travers Marie, une nouvelle lumière sur toute l'Eglise et, plus profondément encore, sur tout le mystère du Christ Rédempteur et même sur la Très Sainte Trinité. Le Père Kolbe, en saint plus éduqué par la prière et l'Esprit-Saint que par les livres, sait que Dieu révèle plus profondément son mystère d'amour en se servant des hommes qu'en se servant de la parole. Tout l'enseignement du Christ s'est achevé à la Croix. C'est à la Croix, lorsqu'il est lié au bois et qu'il accepte de ne plus avoir aucune liberté extérieure, communautaire, liturgique, que Jésus nous révèle de la manière la plus explicite son amour pour le Père et pour les hommes. Mais ce n'est pas encore suffisant : il y a encore le geste dernier, totalement passif, du coup de lance. Jésus n'est plus vivant, il ne peut plus parler, mais il peut encore être offert en victime d'amour, il peut encore accepter que son cœur soit brisé par la violence du coup de lance. Et l'Esprit-Saint a voulu que ce geste nous soit révélé par l'évangile de Jean, qui est sans doute le dernier écrit officiellement révélé (le dernier écrit canonique), pour nous faire comprendre que toute la Révélation, qui est révélation de l'amour divin, s'achève par et dans ce geste. La parole, si merveilleuse soit-elle, ne peut dire l'amour d'une manière aussi expressive que le geste ; ceci est déjà vrai dans l'ordre des réalités humaines, mais l'est infiniment plus dans l'ordre de la révélation divine. Un vrai franciscain, à l'école de saint François, comprend cela tout de suite ! « Les paroles humaines ne sont pas capables d'exprimer les réalités divines... 14 » Le Père Kolbe affirme lui-même explicitement : « La dévotion enseignée par le bienheureux Grignion est totalement la nôtre » (12.4.1933, cité par H.-M. ManteauBonamy, La doctrine mariale du Père Kolbe, Lethielleux, 1975, p. 65). Les Scritti donnent le texte intégral de cette lettre où le Père Kolbe cherche, pour exprimer la consécration à Marie, un terme encore plus fort que « esclave » ou res et proprietas. En un mot, dit-il : « être d'Elle, de l'Immaculée (Immaculatae) » (Scritti I, p. 929; voir aussi p. 426). 14 17.2.1941 (La doctrine mariale..., p. 28 ; Scritti III, p. 755). 13

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L'Esprit-Saint — et c'est ce qu'a si merveilleusement compris le Père Kolbe — ne va-t-il pas se servir de Marie en son propre mystère d'Immaculée Conception pour nous révéler ce qui est tout à fait unique dans l'ultime mystère d'amour qu'il est lui-même ? L'Esprit-Saint s'est révélé à travers tous les prophètes. Toute parole révélée spire l'amour 15 et conduit à l'amour, parce que précisément elle vient de l'amour. Mais la parole ne peut dire pleinement ce qu'est l'Esprit-Saint ; c'est pourquoi il faut la blessure du Cœur de Jésus pour nous révéler ce mystère d'amour substantiel : l'amour du Père pour son Fils bien-aimé, l'amour du Fils pour le Père, et la fécondité de cet amour en l'Esprit-Saint. Par son état victimal extrême, le Cœur blessé de Jésus nous révèle que l'amour du Fils pour son Père dans l'EspritSaint est plus fort que la mort, qu'il est substantiel, personnel, et qu'il est victorieux de tout échec, de toute humiliation : Jésus est la Résurrection 16. Et à nous, enfants du XXe siècle, qui avons tant de peine à vivre de ce mystère d'amour, l'Esprit-Saint en révèle le fruit le plus merveilleux : l'Immaculée. L'Immaculée nous révèle que le Cœur blessé de l'Agneau est la source inépuisable de tout amour, source conjointe à la Très Sainte Trinité : à l'unique source non engendrée de tout amour, le Père, à l'unique source engendrée de tout amour, le Fils, à l'unique source qui est le fruit éternel des deux dans l'unité : l'Esprit-Saint. L'Immaculée, étant comme le fruit personnel des trois dans le Cœur blessé de l'Agneau, nous révèle la fécondité infinie de son origine cachée. N'est-elle pas « une émanation toute pure de la gloire du Tout-Puissant », « un reflet de la lumière éternelle, un miroir sans tache de l'activité de Dieu » 17 ? A nous, les derniers, les benjamins de l'Eglise, ceux qui devront subir les grandes luttes, les combats les plus périlleux, l'Esprit, par l'Eglise, révèle ce grand secret : l'Immaculée ; et en nous le révélant, il nous le donne. L'Immaculée nous est donnée pour que nous comprenions mieux le mystère unique d'amour de Dieu, de son amour personnel : l'Esprit-Saint, le Paraclet. Attentif à la grandeur de cette révélation, le Père Kolbe comprend combien elle nous dépasse et avec quel amour nous devons la recevoir. C'est pourquoi il est si impressionné par la manière dont Marie parle à la petite Bernadette, à Lourdes : Elle ne dit pas dans l'apparition de Lourdes : Je suis conçue immaculée, mais « Immaculée Conception ». Par là se précise non seulement le fait de la conception immaculée, mais aussi le mode par lequel ce privilège est sien. Ce n'est donc pas quelque chose d'accidentel, mais cela appartient à sa nature. Elle est, elle-même, Conception Immaculée 18. Voir saint Thomas, Commentaire sur l'évangile de saint Jean, V, leçon 6, n° 820 et VI, leçon 5, n° 946. 16 Jn 11, 25. 17 Sag 7, 25-26. 18 Lettre aux jeunes membres de l'ordre des frères mineurs conventuels, 28.2.1933 (Scriiti I, p. 896). Cf. Conférence du 26.7.1939 : Entretiens spirituels, p. 74 : « Mais que signifie l'Immaculée Conception ? Le mot « conception » indique qu'elle n'est pas éternelle, car elle 15

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Immaculée Conception : ces mots sont sortis de la bouche même de l'Immaculée ; donc ils doivent montrer de la façon la plus précise et la plus essentielle qui elle est. (...) Qui es-tu, ô Immaculée Conception ? Tu n'es pas Dieu, car il n'a pas de commencement ; ni ange, créé directement de rien ; ni Adam, formé du limon de la terre ; ni Eve, tirée de la côte d'Adam ; ni non plus le Verbe incarné qui (en tant que Verbe) existe depuis des siècles et est plutôt conçu que conception. Les enfants d'Eve n'existaient pas avant leur conception ; ils peuvent donc davantage s'appeler conceptions ; mais tu diffères aussi d'eux tous, car eux sont conceptions maculées par le péché originel, tandis que toi seule es la Conception Immaculée 19.

Ce mystère de l'Immaculée Conception est le fruit le plus propre et le plus merveilleux de la Rédemption ; il nous fait saisir que celle-ci est vraiment une recréation, une reprise radicale de l'image de Dieu dans une profondeur nouvelle d'amour : la femme « enveloppée du soleil 20 ». C'est l'amour divin qui enveloppe le cœur de la nouvelle femme, de la nouvelle Eve, en lui donnant une nouvelle capacité d'aimer. L'Esprit-Saint lui est donné en plénitude pour qu'en la Femme, l'Immaculée, toute l'image de Dieu soit non seulement reprise, mais recréée d'une manière unique, devenant ainsi son chef-d'œuvre, d'amour, son icône. Ce mystère nous fait découvrir que l'œuvre de la Rédemption est avant tout une œuvre d'amour qui se réalise dans le Cœur blessé de l'Agneau. Si la première création se réalise par les mains du Père, la nouvelle création se réalise dans le Cœur blessé de l'Agneau, sacrement de l'Esprit-Saint. Si, dans la première création, « l'Esprit de Dieu planait sur les eaux 21 », dans cette nouvelle création l'Esprit est pleinement donné lui-même et c'est par lui et en lui que « l'eau vive » jaillit et devient, en Jésus et par Jésus, « source d'eau jaillissant en vie éternelle 22 ». Certes, la Rédemption est une œuvre de satisfaction et de réparation ; mais c'est en premier lieu une œuvre d'amour, en l'Esprit-Saint, et le fruit par excellence de cette œuvre est l'Immaculée. Sous le souffle de l'Esprit-Saint, l'Eglise nous a révélé ce mystère et l'a proclamé comme un dogme de foi. Marie peut alors parler. S'effaçant devant l'Eglise, devant l'enseignement de l'Eglise, elle a attendu que celle-ci proclame son mystère ; maintenant elle peut le dire à sa petite enfant Bernadette, et elle le dit à sa manière : « Je suis l'Immaculée Conception. » En face de l'ange Gabriel qui lui révélait le mystère du Fils bien-aimé du Père devant s'incarner en elle, elle s'était a un commencement ; le mot « immaculée » indique que dès le commencement de son existence, il ne s'est pas trouvé en elle le moindre éloignement de la volonté de Dieu. L'Immaculée est la créature la plus élevée parmi toutes les créatures, la plus parfaite, elle est divine. » 19 17.2.1941 (dernier écrit du Père Kolbe, le jour de son arrestation ; traduction refaite sur l'original). Scritti III, p. 755. 20 Ap. 12, 1. 21 Gn 1, 2. 22 Jn 4, 14. 10

déclarée servante de Dieu : « Voici la servante du Seigneur.23 » En face de Bernadette, petite enfant de l'Eglise qui vient de proclamer son privilège unique, elle se présente en disant : « Je suis l'Immaculée Conception. » Il ne s'agit pas d'une nouvelle révélation. C'est une confidence, qui n'aurait pas pu avoir lieu avant la promulgation du dogme par l'Eglise, mais qui, après elle, prend ce caractère particulier. Cette confidence est celle d'une mère totalement soumise à l'Esprit-Saint et qui parle en son nom, et qui veut rendre son enfant attentive afin de l'ouvrir à une nouvelle lumière d'amour qui doit transformer toute sa vie et celle de l'Eglise. C'est Marie elle-même qui vient nous faire comprendre la grandeur de sa grâce d'Immaculée, cette grâce qui la définit dans sa relation personnelle avec son Dieu : elle est l'Immaculée Conception. Avant d'être la Mère de Dieu, elle est l'Immaculée ; et grâce à sa conception immaculée elle peut être pleinement, dignement, la Mère de Dieu et la Mère de Jean, la Mère de l'Eglise, notre Mère. Marie est l'Immaculée Conception comme Jésus est la Résurrection. Jésus est Dieu, il est le Fils bien-aimé du Père, il est sa victoire d'amour, sa gloire. Marie est le trophée de cette victoire d'amour, elle est la petite fille du Père, le secret le plus caché de son amour, sa Conception immaculée, dans et par l'Esprit-Saint. Par sa victoire d'amour, par la blessure de son Cœur, Jésus coopère avec l'Esprit-Saint à cette fécondité nouvelle : l'Immaculée Conception, clef de voûte de toute l'œuvre de la création, s'achevant dans l'Esprit-Saint. Le Père Kolbe a été ébloui par cette affirmation de Marie à Lourdes, le 30 janvier 1930. Il l'a reçue, il l'a contemplée, et il a compris que l'EspritSaint, par l'Immaculée, se révélait à nous en son mystère personnel comme il ne l'avait encore jamais fait. La conception immaculée de Marie n'est-elle pas pour nous comme la révélation la plus intime de la procession de l'Esprit-Saint, de celui qui éternellement provient du Père et du Fils, en qui le Père et le Fils sont présents, et qui nous révèle l'amour unique du Père et du Fils ? Dans son émerveillement contemplatif, le Père Kolbe, à travers le mystère de l'Immaculée Conception, a découvert d'une manière nouvelle cette procession de l'Esprit-Saint ; à travers le cœur de l'Immaculée, il a découvert que l'Esprit est « la Conception jaillissante éternelle ». Relisons ce texte qui est comme son testament : Et qui est l'Esprit ? Il est le fruit de l'Amour du Père et du Fils. Le fruit de l'amour créé est une conception créée. Mais le fruit de l'Amour, prototype de cet amour créé, est nécessairement lui-même conception. L'Esprit est donc la Conception incréée, éternelle, le prototype de toutes les conceptions de la vie dans l'univers. Le Père engendre, le Fils est engendré, l'Esprit est la Conception jaillissante, et c'est là leur vie personnelle, par laquelle ils se distinguent entre eux. Mais ils sont unis par la même nature, l'existence divine. L'Esprit est donc cette Conception très sainte, infiniment sainte, immaculée 24.

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Lc 1, 38. 17.2.1941 (cf. note 19). Scritti III, p. 756 11

Essayons d'expliciter ce que dit ici le Père Kolbe. Si, traditionnellement, on dit que le Fils est conçu par le Père et que l'Esprit-Saint est le fruit de l'amour unique du Père et du Fils, ne peut-on pas dire aussi que l'Esprit-Saint, qui provient du Fils conçu par le Père et un avec lui, est pour nous la Conception immaculée, puisqu'il nous révèle la conception éternelle du Fils, du Verbe qui demeure « dans le sein du Père 25 » et qu'il nous la donne, par et en Marie, l'Immaculée ? N'oublions pas que le mystère de la Très Sainte Trinité, qui nous est révélé par Jésus et par L'Esprit-Saint, peut être contemplé par nous de deux manières. Nous pouvons le regarder en luimême : nous regardons comment le Père est le Principe d'où provient le Fils, et comment du Père et du Fils provient l'Esprit ; nous précisons alors que la procession du Fils est une génération, et que celle de l'Esprit est une spiration. Mais nous pouvons aussi comprendre que, par l'Esprit-Saint, nous découvrons le Fils et le Père. C'est l'Esprit qui nous permet de scruter les profondeurs de Dieu 26 et qui nous en fait vivre ; c'est lui qui nous permet de dire « Jésus 27 », de dire « Père 28 ». C'est en sa « communion » d'amour que nous vivons notre vie de fils, notre naissance à la vie d'enfant du Père et du Cœur blessé de Jésus. C'est en sa « communion » d'amour que Marie dit : « Je suis l'Immaculée Conception. » Cette communion d'amour nous révèle ce qu'est l'Esprit-Saint pour nous : il est source de notre filiation, de notre conception divine. Il est lui-même cette conception éternelle, cette filiation éternelle, car il ne fait qu'un avec le Fils bien-aimé et, avec lui, nous conduit au Père. Dans l'amour et par l'amour, l'Esprit-Saint peut être dit « Conception éternelle ». Du reste, le Père Kolbe le souligne bien : « le fruit de l'amour est conception ». Avant la nativité, la naissance, il y n la conception. Certes, en Dieu, conception et nativité ne font qu'un. Cependant, en disant « conception », nous exprimons ce qu'il y a de plus fondamental, de premier, ce qui est source de la naissance. L'Esprit-Saint est conception éternelle car il est l'amour, il est celui qui est à la source de toute fécondité ; c'est dans l'amour et par l'amour que la fécondité se réalise. Et l'Immaculée est celle qui nous révèle cette source, car elle est le fruit par excellence de la fécondité de l'Esprit-Saint. Le langage du Père Kolbe n'est pas un langage de théologie scientifique ; c'est le langage de l'enfant, du mystique qui cherche à exprimer l'ineffable, ce qu'on ne peut pas dire et que pourtant il faut dire. Ce n'est pas un langage précis, rigoureux ; c'est un langage qui suggère, qui dévoile. Revenons au texte du Père Kolbe : Dans l'univers, nous rencontrons partout l'action et la réaction qui est équivalente A cette action mais qui lui est contraire, la sortie et le retour, l'éloignement et le rapprochement, la séparation et l'union. Et la séparation est toujours en vue de Jn 1, 18. 1 Co 2, 10. 27 Cf. 1 Co 12, 3. 28 Rm8, 15 ; Ga 4, 6. 25 26

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l'union qui est créatrice. Ce n'est rien d'autre que l'image de la Très Sainte Trinité dans l'activité des créatures. L'union, c'est l'amour, l'amour créateur. Et ce n'est pas autrement qu'agit l'activité divine à l'extérieur. Dieu crée l'univers — c'est comme la séparation. Les créatures alors, de par l'ordre naturel voulu par Dieu, atteignent leur perfection, tendent vers lui et retournent à lui ; celles qui sont douées d'intelligence aiment volontairement, et par cet amour s'unissant de plus en plus à Dieu, reviennent à lui. Quant à la créature pleinement comblée de cet amour, de la divinité, c'est l'Immaculée, sans aucune tache de péché, qui ne s'est en rien séparée de la volonté de Dieu. D'une manière ineffable elle est unie au Saint-Esprit comme son épouse, mais dans un sens incomparablement plus plénier que ce mot ne le peut exprimer pour les créatures. Quelle est celle union ? Elle est d'abord intérieure, c'est l'union de son être avec l'être du Saint-Esprit. Le Saint-Esprit habite en elle, vit en elle, et cela dès le premier instant de son existence, toujours et pour les siècles. En quoi consiste celle vie du Saint-Esprit en elle ? Lui seul est en elle l'amour, l'amour même du Père et du Fils, l'amour dont Dieu s'aime lui-même, l'amour de toute la très Sainte Trinité, amour fécond, conception. Chez les créatures faites à la ressemblance de Dieu, c'est l'union d'amour qui est l'union la plus forte. L'Ecriture sainte dit qu'ils seront deux dans une seule chair (Gn 2, 24) et Notre-Seigneur souligne : « Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair » (Mt 19, 6). D'une manière incomparablement plus forte, plus intérieure, plus essentielle, l'Esprit-Saint vit dans l'âme de l'Immaculée, dans son être, et la féconde ; et cela dès le premier instant de son existence, à travers toute son existence, c'est-à-dire éternellement. Cette Conception, immaculée de toute éternité, conçoit de façon immaculée la vie divine au sein de l'âme [de Marie], son Immaculée Conception. Et le sein virginal de son corps lui est réservé, et il y conçoit aussi dans le temps — car tout ce qui est matériel se déroule dans le temps — la vie humaine de l'Homme-Dieu. Ainsi le retour à Dieu, c'est-è-dire la réaction, est pour elle inverse de celui de la création. Pour la création, (c'est) du Père par le Fils et l'Esprit ; ici, c'est par l'Esprit que le Fils devient incarné dans son sein, et par le Fils l'amour retourne au Père. Et elle, insérée dans l'amour de la Très Sainte Trinité, devient, dès le premier instant de son existence, pour toujours, à jamais, le « complément de la Très Sainte Trinité ». Dans cette union du Saint-Esprit avec elle, ce n'est pas seulement l'amour de l'un pour l'autre qui unit ces deux êtres ; mais pour l'un c'est l'amour de la Très Sainte Trinité, et pour l'autre, c'est tout l'amour de la création ; ainsi, dans cette union, le ciel s'unit à la terre, tout le ciel avec toute la terre, tout l'amour éternel avec tout l'amour créé. C'est le sommet de l'amour 29.

C'est sans doute ce lien intime entre l'Esprit-Saint et Marie, cette coopération secrète de l'Epoux et de l'Epouse réalisant une même œuvre au plus profond de notre âme et dans l'Eglise, qui est la grande expérience mystique du Père Kolbe. Saint Louis-Marie Grignion de Monfort avait déjà proclamé avec force que Marie est l'épouse de l'Esprit-Saint 30. Il voulait par la nous faire comprendre que l'Esprit29 30

17.2.1941 (cf. note 191. Scritti III, pp. 757-758. Voir notamment Traité de la vraie dévotion, §§ 20 et 25. 13

Saint se sert divinement d'elle en l'aimant personnellement, qu'il a choisi Marie et que Marie l'a choisi, a répondu à son choix d'amour ; que l'Esprit-Saint, qui en Dieu n'a pas de fécondité, trouve en Marie, la créature spirituelle la plus parfaite et la plus pauvre, le lieu où il peut réaliser toute sa fécondité d'amour 31 et qu'elle est donc bien l'épouse de son choix d'amour. Par la elle devient, comme a pu le dire un théologien franciscain, le « complément de toute la très Sainte Trinité 32 ». Par et dans l'Esprit-Saint, elle entre dans le mystère même de la fécondité divine ; certes elle demeure toujours la petite créature fragile et faible, mais elle est toute transformée par l'Esprit et demeure en lui. Le Père Kolbe réaffirme ce mystère d'intimité personnelle entre Marie et l'Esprit-Saint et il aime y revenir souvent. « La Mère de Dieu », dit-il, « est si parfaite et si unie à l'Esprit-Saint qu'on l'appelle son épouse 33 ». « Marie comme épouse du Saint-Esprit, donc élevée au-dessus de toute perfection créée, accomplit en tout la volonté du Saint-Esprit qui l'habite depuis le premier instant de sa conception. 34 » Cette union en laquelle « se rejoignent le ciel, la terre, tout le ciel avec toute la terre, tout l'amour éternel avec tout l'amour créé 35 », est si grande et si unique que, pour le Père Kolbe, il y a une sorte de mystère d'incarnation entre Marie et l'Esprit-Saint : La troisième personne de la Sainte Trinité n'est pas incarnée ; cependant notre mot humain, épouse, n'arrive pas à exprimer la réalité du rapport de l'Immaculée avec le Saint-Esprit. On peut affirmer que l'Immaculée est, en un certain sens, « l'incarnation » de l'Esprit-Saint. En elle, c'est l'Esprit-Saint que nous aimons, et par

Op. cit., § 20, p. 497 : « Dieu le Saint-Esprit étant stérile en Dieu, c'est-à-dire ne produisant point d'autre personne divine, est devenu fécond par Marie qu'il a épousée. C'est avec elle et en elle et d'elle qu'il a produit son chef-d'œuvre, qui est un Dieu fait homme, et qu'il produit tous les jours jusqu'à la fin du monde les prédestinés et les membres du corps de ce chef adorable : c'est pourquoi plus il trouve Marie, sa chère et indissoluble Epouse, dans une âme, et plus il devient opérant et puissant pour produire Jésus-Christ en cette âme et cette âme en Jésus-Christ. » Saint Louis-Marie Grignion de Montfort précise : « Ce n'est pas qu'on veuille dire que la très Sainte Vierge donne au Saint-Esprit sa fécondité, comme s'il ne l'avait pas. (...) Mais on veut dire que le SaintEsprit, par l'entremise de la Sainte Vierge, dont il veut bien se servir, quoiqu'il n'en ait pas absolument besoin, réduit à l'acte sa fécondité, en produisant en elle et par elle JésusChrist et ses membres » (op. cit., § 21, pp. 497-498). 32 Le Père Kolbe cite volontiers cette expression. Voir notamment sa lettre du 28.7.1935 : Scritti II, p. 188 : « L'Immaculée est une personne si sublime, si proche de la très Sainte Trinité, que l'un des saints Pères n'hésite pas à l'appeler complementum Sanctissimae Trinitatis, ou « complément de la très Sainte Trinité. » Voir aussi le texte du 17.2.1941, cité plus haut. 33 Conférence, 20.6.1937 : Entretiens spirituels, p. 52. Cf. pp. 52-53, 62, 68... 34 Revue Miles Immaculatae, 1938, n°2, cité par H.-M. Manteau-Bonamy, La doctrine mariale du Père Kolbe, p. 66. Scritti III, p. 535. 35 17.2.1941, cité plus haut ; Scritti III, p. 758. 31

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elle le Fils. Le Saint-Esprit est très peu connu 36. En Dieu le Père, une seule nature, une seule personne ; dans le Fils de Dieu, une seule personne et deux natures, dans le Saint-Esprit il y a comme deux personnes et deux natures, la Mère très sainte et très étroitement unie au Saint-Esprit. Il nous est difficile de comprendre que l'Immaculée est comme « l'incarnation » de l'Esprit-Saint 37.

Certes il ne s'agit pas, dans la pensée du Père Kolbe, d'un nouveau mystère d'Incarnation. Ce mystère est unique, c'est celui du Verbe « devenu chair 38 » en Marie par l'action immédiate de l'Esprit-Saint. Le Verbe assume la nature humaine du Christ d'une manière telle que cette nature, semblable à la nôtre, subsiste en lui, le Verbe de Dieu. Cette nature humaine n'a pas d'autre manière de subsister que celle du Verbe. Cette union, dite « hypostatique » (Union des deux natures, divine et humaine, dans la seule Personne de Jésus-Christ), du Verbe et de la nature humaine du Christ, est donc ontologique (Qui a rapport à l'être en tant qu'être) ; aussi saint Thomas n'hésite-t-il pas a dire que l'esse de la nature humaine du Christ est l'esse (L'être) même du Verbe 39. Or cette union se réalise par l'action du Saint-Esprit en Marie. C'est l'œuvre commune de l'Esprit-Saint et de Marie ; et cette œuvre commune, cette coopération, est en premier lieu au plus intime du cœur de Marie et de l'Esprit-Saint. Marie, comme le dit saint Augustin, a conçu dans son cœur avant de concevoir dans sa chair 40. La conception in corde (Dans le cœur) est source de la conception in carne (Dans la chair). Cette coopération de l'Esprit-Saint et de Marie, cette conception qui est source de l'union hypostatique, n'a-t-elle donc pas quelque chose de plus mystérieux, de plus radical que l'union hypostatique ? Il faut que l'Esprit-Saint soit radicalement uni à Marie, il faut que Marie agisse in persona Spiritus Sancti (Dans la Personne de l'Esprit Saint) pour être avec lui source du mystère de l'union hypostatique. L'union dans l'amour ne peut-elle pas aller plus loin que celle qui se Conférence, 5.2.1941 : Entretiens spirituels, p. 53. 37 Conf., 25.9.1937 : op. cit., pp. 51-52. Cf. Lettre du 28.7.1935, n. 52 (Scritti II, p. 189) : « le Saint-Esprit est dans l'Immaculée, à la manière, pourrait-on dire, dont la deuxième personne de la Sainte Trinité, le Verbe, est en son humanité. Cependant, avec cette différence : en Jésus, il y a deux natures, divine et humaine, mais une seule personne qui est Dieu. Mais la nature et la personne de l'Immaculée sont différentes de la nature et de la personne de l'Esprit-Suint. Et cette union est si inexprimable mais si parfaite que le SaintEsprit agit uniquement par l'Immaculé, son épouse... En honorant l'Immaculée, nous adorons d'une façon particulière le Saint-Esprit. » — Le Père Kolbe dit aussi, et à maintes reprises, que l'Immaculée est « la personnification de la Miséricorde divine » (voir notamment l'article 1094, mai 1925 : Scritti III, p. 211). 38 Jn 1, 14. 39 Voir Somme théologique, III, q. 17, a. 2. 40 Voir De la sainte virginité, III, 3, traduit : J.-M. Perrin, La virginité chrétienne, Desclée De Brouwer, 1955, p. 127 ; voir aussi Sermon 215, P.L. 38, col. 1074. 36

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réalise dans l'être ? Si Marie était, comme l'Esprit-Saint, cause principale du mystère de l'union hypostatique, on pourrait affirmer cela. Mais Marie n'est pas cause principale ; elle est cause maternelle de la formation du corps du Christ, elle n'est pas cause de son âme, ni du Verbe. Elle est toute dépendante de l'action de l'EspritSaint, et son action à elle ne peut être que de l'ordre de la disposition. Cependant cette action est réelle et, dans l'amour, Marie ne fait qu'un avec l'Esprit-Saint et c'est ce qui lui permet de réaliser une œuvre qui la dépasse, une œuvre infiniment plus grande qu'elle. Dans l'amour, rien n'est plus grand que de réaliser une œuvre plus grande que ce que l'on est soi-même ; car l'amour nous fait serviteurs de celui que nous aimons. Marie est servante car elle agit sous l'action de l'Esprit-Saint et elle réalise par là une œuvre plus grande qu'elle. Il ne peut pas y avoir d'union plus « une » que celle qui est réalisée dans le Christ, l'union hypostatique du Verbe assumant la nature humaine. Mais, dans l'ordre de l'amour, réaliser cette œuvre est ce qu'il y a de plus digne et de plus grand. Entre l'Esprit-Saint et Marie, il n'y a pas ce mystère d'union hypostatique. Marie est, et demeure éternellement, une petite créature ayant sa propre subsistance, son propre esse créé ; mais elle est source maternelle, dans l'amour, du mystère de l'union hypostatique et elle est, grâce à la Croix, l'achèvement de ce mystère ; c'est en elle que ce mystère peut s'épanouir pleinement, trouver son achèvement. Par le fait même, Marie, en son mystère d'Immaculée Conception, est, avec l'Esprit-Saint, comme le « complément » du mystère de l'Incarnation. En effet, à la Croix où elle vit le mystère de la compassion, elle est bien le complément du mystère de la Rédemption. En elle, dans sa foi, son espérance et son amour, s'achève tout le mystère du sacerdoce de Jésus et son mystère de victime d'amour. Marie est bien comme l'Amen (Plein consentement) de la Rédemption ; le mystère du Crucifié s'achève en elle. Or on connaît le vieil adage : operatio sequitur esse (Tel on est, tel on agit. Exemple : l'arbre se reconnaît à ses fruits). La Croix nous permet de saisir l'esse du Christ, le mystère de l'union hypostatique (n'est-ce pas la grande vision de saint Anselme dans le Cur Deus homo (Pourquoi Dieu homme ?) Seul le Fils bien-aimé du Père peut réaliser une telle œuvre. La compassion de Marie nous révèle donc son union avec l'Esprit Saint. Or, précisément, c'est le mystère de l'Immaculée Conception qui est le fruit le plus merveilleux de la Croix, et en même temps c'est ce mystère qui permet à Marie de vivre pleinement la compassion. Nous pouvons donc dire que la grâce de l'Immaculée Conception la met en conjonction vitale et personnelle avec l'Esprit-Saint, d'une manière unique. Et, d'une certaine manière, on peut dire qu'en cette grâce Marie est unie a l'Esprit-Saint d'une manière telle qu'elle est comme l'Amen de l'union hypostatique, c'est-à-dire que, par le mystère de l'Immaculée Conception, elle est « aux confins » du mystère de l'Esprit-Saint. Tout ce que le mystère de l'union hypostatique réalise du point de vue ontologique entre le Verbe et la nature humaine du Christ, le mystère du Cœur douloureux et immaculé de Marie, à la Croix, le réalise du point de vue vital entre 16

l'Immaculée et l'Esprit-Saint. On voit donc comment, dans un langage théologique, on doit affirmer que l'Immaculée est unie à l'Esprit-Saint d'une manière unique pour être source et achèvement du mystère de l'union hypostatique. Entre l'EspritSaint et l'Immaculée, il y a une union personnelle et vitale qui enveloppe le mystère de l'union hypostatique et qui lui donne toute sa gloire. Certes, on ne peut pas dire que cette union est une union « hypostatique » ; mais on peut dire qu'elle est de l'ordre de l'amour en ce qu'il a de plus radical et de plus ultime. Cette unité d'amour avec l'Esprit-Saint est si profonde et si limpide que tout ce que l'union hypostatique réalise dans l'ordre de l'être, cette union le réalise dans l'ordre vital de l'amour. C'est une imité d'amour divine et substantielle. Il y a « fusion » des deux personnes, sans confusion. S'il y a unité d'amour personnel, sans unité d'esse (d'être), il y a cependant une unité plénière de velle (de vouloir), une totale remise de l'Immaculée, un total abandon, dans la liberté, à l'Esprit-Saint ; et il y a un don d'amour réciproque total, dans l'unité, don tout à fait semblable au don du Fils au Père et du Père au Fils, avec cette différence que, pour le Père et le Fils, l'unité est une unité d'être divin, tandis que pour l'Esprit-Saint et l'Immaculée c'est une unité de vie divine. Mais en Dieu, dira-t-on, être et vie ne font qu'un ? Oui, en Dieu, mais pas en Marie ; Marie n'est pas Dieu, elle est une petite créature, mais totalement « divinisée ». Comme l'écrit le Père Kolbe, « par elle-même elle n'est rien, comme toutes les autres créatures, mais par Dieu, elle est la plus parfaite des créatures, la plus parfaite image de l'être divin dans une créature purement humaine 41 ». « Comme créature, elle est proche de nous et, comme Mère de Dieu, elle touche la divinité 42. » « L'Immaculée est le seuil entre Dieu et la créature. Elle est le reflet fidèle de la perfection de Dieu et de sa sainteté 43. » « L'Immaculée est In créature la plus élevée parmi toutes les créatures, la plus parfaite, elle est divine 44. » Essayons encore, à la lumière du mystère de la Croix et de la compassion, de « creuser » un peu l'intuition mystique du Père Kolbe pour en saisir toutes les conséquences pratiques dans notre vie de chrétiens consacrés à la Vierge Marie. Marie, dans son mystère de compassion, est vraiment le complément de Jésus crucifié — complément du point de vue du sacerdoce et du point de vue victimal. De ce point de vue, il est facile de comprendre comment Marie permet à l'état victimal de Jésus de s'étendre au plus intime de son âme immaculée et de tout ce qu'elle est. En effet, si les sommets de l'âme humaine de Jésus, transformés par la plénitude de sa grâce de Fils bien-aimé du Père, sont irradiés par la vision béatifique, on comprend que Marie, qui vit le mystère de la Croix dans la foi, l'espérance et l'amour, puisse offrir au sacerdoce de son Fils un état victimal de créature immaculée que lui ne peut connaître, étant Fils de Dieu. Par sa foi plénière, Notes (après août 1940) : Entretiens spirituels, p. 46 ; Scritti III, p. 760. Conf., 3.7.1938, op. cit., p. 47. 43 1938, op. cit., p. 47 ; Scritti III, p. 541. 44 Conf., 26.7.1939, op. cit., p. 74 (cité plus haut, note 18). 41 42

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à la Croix, ce qu'il y a de plus profond dans l'intelligence humaine de Marie peut être offert. En effet, en vivant une foi parfaite, notre intelligence peut être offerte à Dieu. Or Marie, à la Croix, ne peut être debout que dans une foi parfaite. Tout, extérieurement, semble être en opposition avec ce que l'ange Gabriel avait prophétisé (et les paroles de l'ange sont encore plus présentes au cœur de Marie dans son mystère de compassion qu'a l'Annonciation ; ces paroles n'ont cessé de s'enraciner en elle) : Jésus, crucifié et rejeté par son peuple, est loin de régner sur la maison de Jacob ! Mais Marie ne discute pas, elle ne cherche pas à comprendre. Elle adhère amoureusement à la volonté du Père sur son Fils et sur elle. C'est cette volonté qui est sa seule lumière ; tout est broyé dans son intelligence, et tout est offert. Grâce à son adhésion plénière de foi contemplative, Marie peut offrir au Père ce qu'il y a de plus intime, de plus profond en son intelligence — offrande que Jésus lui-même ne peut faire. Voilà ce qui nous aide à saisir la grandeur du mystère de la compassion. Et comme Marie est l'Immaculée, l'offrande de son intelligence est celle de tous les hommes, car son intelligence est la plus parfaite, la plus pure, la plus limpide de toutes les intelligences humaines. En elle c'est l'intelligence humaine qui est broyée et offerte par amour et dans l'amour ; et c'est cette offrande qui achève « ce qui manque à la Passion du Christ 45 ». Ce qui est vrai de l'intelligence de Marie, grâce à sa foi, l'est aussi de sa volonté, dans l'espérance. Les désirs les plus profonds du cœur de Marie, qui regardent avant tout Jésus — sa gloire, son bonheur, son bien — peuvent être offerts au Père dans ce mystère de compassion, grâce à l'exercice divin de l'espérance de Marie. Et si, de plus, notre conscience de vivre s'incarne dans nos désirs les plus profonds, nous pouvons comprendre qu'à la Croix Marie a vécu radicalement comme une mort de tout elle-même. « Plus affilée qu'un glaive à deux tranchants », la parole de Dieu « pénètre jusqu'à la séparation de l'âme et de l'esprit, des jointures et des moelles, et elle juge les pensées et les intentions du cœur. (...) Tout est à nu et mis à découvert aux yeux de Celui à qui nous devons rendre compte 46 ». Tout en Marie a été immolé, offert au Père dans l'offrande même de Jésus. Par Marie, toute la nature humaine, en ce qu'elle a de plus intime et de plus personnel, est offerte au Père pour sa gloire et pour le salut des hommes. On peut aussi comprendre comment Marie, au pied de la Croix, achève et complète le mystère du sacerdoce de Jésus. C'est bien le sacerdoce de Jésus qui offre Marie au Père en son mystère de compassion ; et par là, Marie permet à ce sacerdoce d'offrir en totalité la nature humaine. Mais il y a plus. Marie, en offrant la blessure du Cœur de Jésus, achève même son sacerdoce. En effet, Jésus est déjà 45 46

Col. 1, 24. He 4, 12. 18

mort lorsque le soldat, d'un coup de lance, blesse son Cœur. Au moment de cette blessure, son Cœur a déjà cessé de battre, il est cadavérique. L'âme sacerdotale du Christ n'est donc plus présente, elle n'anime plus son Cœur ; celui-ci, lorsqu'il est blessé par la lance, est donc vraiment dans un état de victime pure. Marie seule peut l'offrir au Père. Ne peut-on pas dire que Jésus s'est comme effacé en tant que prêtre pour laisser toute la place à Marie dans son sacerdoce royal, mystique, pour la laisser offrir elle-même ce qu'il y a d'ultime dans l'état victimal de son Fils ? Par là elle complète, dans un geste sacerdotal, le sacerdoce de Jésus ; elle l'achève. On peut donc dire en toute vérité que Marie est le complément de l'état victimal et du sacerdoce de Jésus crucifié. Certes Marie reçoit tout de Jésus ; mais elle reçoit tout pour achever, pour compléter, en se donnant et en offrant Celui qu'elle aime plus qu'elle-même. On peut donc dire que si, du point de vue de la dignité, dans l'ordre de l'être, Marie est toute relative à Jésus, du point de vue de l'amour et de la finalité tout s'achève en Marie. Cela nous aide à comprendre comment l'union de Marie avec l'Esprit-Saint, si elle est toute dépendante, fondamentalement, du mystère de l'union hypostatique et est toute relative à ce mystère, possède cependant, dans l'ordre de l'amour, quelque chose d'infiniment grand. On ne peut pas dire que ce soit plus grand que le mystère de l'union hypostatique — ce ne serait pas exact. Mais on peut et on doit dire que c'est quelque chose d'infiniment grand, d'un autre ordre, et qui nous aide à comprendre la grandeur unique du mystère de l'union hypostatique. Autrement dit, on ne peut pas dire que Marie, dans son âme, dans son être, soit plus unie à l'Esprit-Saint ; mais il faut reconnaître que l'âme de Marie, dans sa vie d'amour, est unie à l'EspritSaint d'une manière infinie. L'Esprit-Saint lui est totalement donné, et elle lui est aussi totalement donnée. Elle ne peut agir que mue par lui et en dépendance totale de lui 47 tout en ayant une liberté parfaite. Elle peut dire en toute vérité : Vivo autem, jam non ego... 48 Ce n'est plus moi qui vis, c'est l'Esprit-Saint qui vit en moi. L'Esprit-Saint vit en Marie sa vie propre d'Esprit d'amour. Il vit en elle et elle vit en lui sa vie d'Immaculée et de Mère. Elle est tout attirée par lui. C'est l'Esprit qui actue sa vie, son amour, qui est son Acte ultime de vie et d'amour. Comme le Verbe subsiste dans la nature humaine de Jésus, l'Esprit-Saint actue l'amour du Cœur immaculé de Marie ; on peut même dire, en vertu de l'adage cité plus haut (operatio sequitur esse) (Voir remarque plus haut...) qu'il actue l'Immaculée. En effet, au niveau de la vie divine, C'est ce que dit saint Jean de la Croix : « la très glorieuse Vierge Notre-Dame (...) n'eut jamais en son âme de forme imprimée d'aucune créature, et jamais ne se mut par elle, mais toujours sa motion fut du Saint-Esprit » (La Montée du Mont Carmel, III, 2, in : Œuvres spirituelles, édition nouvelle par le Père L.-M. de Saint-Joseph, Desclée De Brouwer, 1949, pp. 313-314. 48 Ga 2, 20. 47

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l'opération et l'être s'identifient ; par le fait même, la personne de l'Esprit-Saint actue, achève l'Immaculée comme la créature suprême, totalement déiforme (Semblable à Dieu). Du point de vue pratique de notre vie chrétienne, il est très important de comprendre cela ; car on comprend mieux alors le don que Jésus fait a Jean du haut de la Croix : en lui donnant Marie pour qu'elle soit sa Mère, il lui donne l'Esprit-Saint, et il lui montre comment il pourra vivre de l'Esprit-Saint par elle et en elle. Et ce qui est vrai pour Jean est vrai pour chacun d'entre nous. Marie nous est donnée pour que l'Esprit-Saint, par elle et en elle, nous soit pleinement donné.

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