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French Pages [326]
Ignace Bisewo Pesa est né 1963 à Matari en République Démocratique du Congo. Il étudie la philosophie à Kalonda et la théologie à Kikwit (République Démocratique du Congo). Après quelques années de ministère, il vient poursuivre ses études à l’université de Würzburg en Allemagne, où il obtient le titre de docteur en théologie. ISBN 978-3-631-60807-4
Ignace Bisewo Pesa Ignace Bisewo Pesa · Éthique communicationnelle de la palabre africaine
La communication est d’une relevance incontournable dans chaque société. Et dans les sociétés «traditionnelles» africaines, la palabre est non seulement une forme originale de communication mais aussi et surtout une institution, un processus discursif et interactif porteur promoteur de vie. Elle régit la vie en société, règle les différends et demeure un instrument restaurateur d’harmonie, de paix et d’équilibre entre les différents pôles de la société. De ce fait, elle reste d’actualité et est un lieu riche d’analyse, d’interprétation et de compréhension du mode communicationnel de l’Afrique «traditionnelle». Dans cette approche théorique de la communication et de l’éthique discursive du contexte africain «traditionnel», il sied de montrer que le dialogue palabrique est un processus d’intercompréhension et un comportement social basé sur les principes discursifs d’argumentation, de responsabilité, d’intercompréhension, de respect des normes communicationnelles de justice, d’égalité, de vérité, de sincérité et de liberté, etc. Dans ce sens, le dialogue palabrique est aussi un carrefour où les valeurs communicationnelles chrétiennes telles que la participation, la solidarité, la subsidiarité, la paix, la justice, le pardon, le respect de l’autre et de la parole, la tolérance, le sens de l’écoute, etc. – valeurs interactives essentielles pour toute forme de communication aussi bien dans la tradition africaine, dans la société moderne que dans l’Église – rencontrent la culture africaine.
XXIII/924
Publications Universitaires Européennes
Éthique communicationnelle de la palabre africaine
Peter Lang
www.peterlang.de
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09.09.11 11:50:03 Uhr
Ignace Bisewo Pesa est né 1963 à Matari en République Démocratique du Congo. Il étudie la philosophie à Kalonda et la théologie à Kikwit (République Démocratique du Congo). Après quelques années de ministère, il vient poursuivre ses études à l’université de Würzburg en Allemagne, où il obtient le titre de docteur en théologie.
Ignace Bisewo Pesa Ignace Bisewo Pesa · Éthique communicationnelle de la palabre africaine
La communication est d’une relevance incontournable dans chaque société. Et dans les sociétés «traditionnelles» africaines, la palabre est non seulement une forme originale de communication mais aussi et surtout une institution, un processus discursif et interactif porteur promoteur de vie. Elle régit la vie en société, règle les différends et demeure un instrument restaurateur d’harmonie, de paix et d’équilibre entre les différents pôles de la société. De ce fait, elle reste d’actualité et est un lieu riche d’analyse, d’interprétation et de compréhension du mode communicationnel de l’Afrique «traditionnelle». Dans cette approche théorique de la communication et de l’éthique discursive du contexte africain «traditionnel», il sied de montrer que le dialogue palabrique est un processus d’intercompréhension et un comportement social basé sur les principes discursifs d’argumentation, de responsabilité, d’intercompréhension, de respect des normes communicationnelles de justice, d’égalité, de vérité, de sincérité et de liberté, etc. Dans ce sens, le dialogue palabrique est aussi un carrefour où les valeurs communicationnelles chrétiennes telles que la participation, la solidarité, la subsidiarité, la paix, la justice, le pardon, le respect de l’autre et de la parole, la tolérance, le sens de l’écoute, etc. – valeurs interactives essentielles pour toute forme de communication aussi bien dans la tradition africaine, dans la société moderne que dans l’Église – rencontrent la culture africaine.
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Éthique communicationnelle de la palabre africaine
Publications Universitaires Européennes Europäische Hochschulschriften European University Studies
Série XXIII Théologie Reihe XXIII Series XXIII Theologie Theology
Vol./Bd. 924
PETER LANG
Frankfurt am Main · Berlin · Bern · Bruxelles · New York · Oxford · Wien
Ignace Bisewo Pesa
Éthique communicationnelle de la palabre africaine
PETER LANG
Internationaler Verlag der Wissenschaften
Information bibliographique de la Deutsche Nationalbibliothek La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliographie ; les données bibliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse http://dnb.d-nb.de. Zugl.: Würzburg, Univ., Diss., 2010
EISBN 9783653011159 D 20 ISSN 0721-3409 ISBN 978-3-631-60807-4 © Peter Lang GmbH Internationaler Verlag der Wissenschaften Frankfurt am Main 2011 Tous droits réservés. L’ouvrage dans son intégralité est placé sous la protection de la loi sur les droits d’auteurs. Toute exploitation en dehors des étroites limites de la loi sur les droits d’auteurs, sans accord de la maison d’édition, est interdite et passible de peines. Ceci vaut en particulier pour des reproductions, traductions, microfilms, l’enregistrement et le traitement dans des systèmes électroniques. www.peterlang.de
Avant-propos Cet ouvrage est le fruit d’une interrogation lancinante au plus profond de nousmêmes, d’une interrogation vitale pour le peuple de la République Démocratique du Congo: à quelles conditions et au bout de quels efforts verrons-nous la fin de la guerre, verrons-nous le début d’un État de droit, une perspective d’avenir pour le plus grand nombre? Il nous a semblé pertinent d’amorcer une réflexion sur le savoir-faire et le savoir-être qui caractérisent nos traditions, à savoir le dialogue palabrique, comme processus interactif orienté vers le bien commun et d’en dégager la dimension normative du point de vue communicationnel. Cet agir communicationnel palabrique pourrait ainsi servir d’outil pacifiant dans les avancées de notre société. De nombreuses personnes et institutions nous ont permis et aidé, de multiples façons, à mener à terme cette analyse, et même si nous ne pouvons pas les citer toutes, nous les remercions vivement et les assurons que notre profonde gratitude va tout droit à chacune d’elles. Nous avons une immense dette de reconnaissance envers tous ceux qui de près ou de loin ont rendu ce projet possible. Nous remercions particulièrement notre professeur et promoteur de thèse Prof. Dr. Stephan Ernst qui, avec beaucoup de rigueur scientifique, de disponibilité et de patience nous a orienté dans les recherches. Nos remerciements vont également au Prof Dr. Richard Nebel, qui a accepté d’accompagner nos recherches. Son ouverture interculturelle nous a grandement aidé dans ce travail. Nous ne pouvons oublier de remercier les Professeurs Dr. Franz Dünzl, Dr. Erich Garhammer. Nous avons une pensée toute spéciale pour feu Son Excellence Mgr. Dr. Dieudonné M’sanda Thsinda-Hata, qui non seulement nous avait admis comme grand séminariste, mais aussi ordonné comme prêtre du diocèse de Kenge en République Démocratique du Congo. Notre gratitude s’adresse aussi à Son Excellence Mgr. Dr. Gaspard Mudiso M., actuel Evêque du diocèse de Kenge, qui nous a recommandé auprès du diocèse de Würzburg pour l’octroi d’une bourse d’études. Que le diocèse de Würzburg trouve ici l’expression de notre grande reconnaissance à la fois pour cette bourse qui a rendu nos études possibles et pour n’avoir pas hésité par la suite à nous intégrer dans sa pastorale. Qu’il nous soit permis de remercier particulièrement Dr. Heinz Geist, qui en dépit de ses multiples tâches, nous a toujours écouté et orienté. Notre gratitude s’adresse aussi à la communauté des Sœurs du monastère Oberzell à Zell am Main qui nous avait accueilli la première année de notre séjour en Allemagne, à Berthold Grönert, à Erich Höfling, Michael Bäuerlein, Peter V
Schraut et aux communautés de Weyersfeld, Karsbach, Gössenheim, Sachsenheim, Wernfeld et Adelsberg. L’expression de notre reconnaissance s’adresse également pour leurs conseils pertinents aux Dr. Ignace Matensi, Dr. Mulopo Apollinaire Makambu, Dr. César Mawanzi, Dr. Fréderic Fungula, Dr. Raoul Kiyangi, à Théo Nzamba, à la famille Mupepele. Leurs observations et suggestions ont été pour nous un encouragement pour mener cette barque jusqu’au bout. Nous ne saurions oublier dans l’expression de notre reconnaissance: Verissimo Domingos Dos Santos, Véronique Kayembe M., Espérance Lubamba, Apollinaire et Aurélien Lubamba, Bijou Mujinga, Noël Ndungu, Albert Kingolo, Rigobert Yamba, Willy Nzoko, Willy Muyunda, Dr. Faustin Kwakwa, Job Mwanakitata, Charles Ndandu, Pater Josef Wienke, feu Pater Willi Hoff, MutuMosi Aimée. Merci aussi à Klaus Meyer. Nous remercions Marie-Noëlle qui, en dépit de ses occupations, a contribué à notre effort par ses conseils et corrections. Que Helmut Schneider trouve ici notre reconnaissance pour la mise en page de ces lignes. Par ailleurs, nous remercions les familles Brönner, Zoller, Schäfer, Haaf, Gärtner, Marold, Höfling, Ammersbach, Mennig, Freudenberger, et toute la famille Makambu. Pour terminer, nous disons merci à tous les amis dont les noms sont gravés dans mon cœur et que ces quelques lignes ne pourraient contenir.
Würzburg, le 30 juin 2011
VI
TABLE DES MATIERES INTRODUCTION GENERALE........................................................................... 1 1. Motivation et objectif du travail ........................................................................ 1 1.1 Situation générale .................................................................................... 1 1.2 Dialogue palabrique, un processus social interactif et un agir d’intercompréhension............................................................................ 3 1.3 Éthique communicationnelle................................................................. 6 2. Orientation méthodologique de la recherche et division du travail .................. 8 CHAPITRE I Palabre africaine: repères historiques et présentation structurale ....................... 13 1. Deux exemples de Palabre .............................................................................. 14 1.1 Palabre extraordinaire ........................................................................... 15 1.2 Palabre ordinaire ................................................................................... 27 2. Repères historiques.......................................................................................... 29 3. Présentation structurale ................................................................................... 30 3.1 Eléments constitutifs ............................................................................. 30 3.2 Séance……………… ........................................................................... 36 3.2.1 Protagonistes ...................................................................................... 39 3.2.1.1 Equipe modératrice et orateurs ....................................................... 39 3.2.1.2 Les parties en cause ......................................................................... 40 3.2.1.3 Le public.......................................................................................... 41 3.2.2 Délibération et sentence ..................................................................... 42 3.2.3. Sanction et réconciliation .................................................................. 42 3.3. Classification ........................................................................................ 43 3.4. Quelques dimensions de la palabre ...................................................... 45 3.4.1 Dimension socioculturelle.................................................................. 45 3.4.2 Dimension spirituelle ......................................................................... 46 3.4.3 Dimension philosophique .................................................................. 48
VII
3.4.4 Dimension Juridique .......................................................................... 48 3.4.5 Dimension thérapeutique ................................................................... 49 3.4.6 Dimension esthétique ......................................................................... 50 3.4.7 Dimension politico-diplomatique ...................................................... 51 3.4.8 Dimension pédagogique ..................................................................... 54 3.4.9 Dimension morale .............................................................................. 55 3.4.10 Dimension intellectuelle................................................................... 56 3.5 Propositions de définition et fonction ................................................... 56 3.6 Finalité ................................................................................................... 59 4. Conclusion… ................................................................................................... 60 CHAPITRE II Palabre africaine: un comportement social interactif symbolique et un agir d’intercompréhension .......................................................................................... 63 1. La communication humaine en tant qu’interaction symbolique et comportement social d’après R. Burkart ............................................................. 67 1.1 Communication humaine: un comportement social et un agir interactif .................................................................................. 68 1.2 Communication humaine en tant qu’interaction sociale symbolique ... 70 1.2.1 Notion de Signe et Symbole............................................................... 74 1.2.2 L’interactionnisme symbolique.......................................................... 75 1.2.3 Le "Médium" langage dans la communication humaine. .................. 77 1.2.3.1 Trois dimensions du signe langagier verbal.................................... 78 1.2.3.2 Le langage symbolique dans la communication humaine .............. 79 1.2.3.2.1 La fonction communicative des signes langagiers ...................... 79 1.2.3.2.2 Limites et barrières du langage .................................................... 80 1.2.4 Le Feedback ....................................................................................... 81 1.3 En résumé .............................................................................................. 82 2. Le processus d’"intercompréhension" dans la communication humaine chez J. Habermas .................................................................................. 83 2.1 Préalables .............................................................................................. 83 2.1.1 Agir téléologique et Agir communicationnel .................................... 84 VIII
2.1.2 Les critères de validité des actes de langage ...................................... 89 2.2 La rationalité communicationnelle de la communication .................... 94 2.3 La pragmatique communicationnelle .................................................... 98 2.4. Théorie de l’argumentation .................................................................. 99 2.5. L’intercompréhension ........................................................................ 101 2.6. En résumé ........................................................................................... 103 3. La palabre: un agir et un comportement social interactif «d’intercompréhension» pour l’harmonie sociale. ............................................ 104 3.1 Rationalité et pragmatique communicationnelles du dialogue palabrique ...................................................................... 105 3.2 Principe argumentatif dans le dialogue palabrique ............................. 108 3.3 Palabre: un agir et un comportement interactifs symboliques ............ 111 3.4 Le "Médium" langage dans la communication palabrique ................. 112 3.5 Palabre, un agir interactif d’intercompréhension ................................ 114 3.6 Limites de la communication palabrique ............................................ 116 3.7 En résumé ............................................................................................ 117 4. Conclusion… ............................................................................................ ….118 CHAPITRE III Les Principes discursifs d’argumentation, d’intercompréhension et de responsabilité dans le dialogue palabrique africain .......................................... 121 1. Base normative de la communication humaine ............................................ 123 1.1 Notion d’éthique de communication ................................................... 123 1.2 Nécessaire légitimation éthique de l’activité communicationnelle. ... 126 1.3 Proposition de définition et fonction................................................... 127 2. Les principes d’argumentation et d’intercompréhension dans l’éthique discursive habermassienne ........................................................ 129 2.1 Préalables ............................................................................................ 131 2.1.1 Le critère d’intérêt général "U" (Universalisierungsgrundsatz) ...... 131 2.1.2 Le principe de la discussion (Principe "D") ..................................... 133 2.2 Principe d’argumentation .................................................................... 134 2.3 Le principe d’intercompréhension ...................................................... 136 IX
2.4 Ethique discursive et ses fondements basés sur la théorie de l’action .......................................................................... 137 2.4.1 Nécessité d’une fondation en raison de l’éthique discursive et Argument pragmatico-transcendantal ............................................... 137 2.4.2 Ethique discursive et moralité sociale.............................................. 141 2.5 Excursus .............................................................................................. 143 2.5.1 Peut-on parler d’un impératif communicationnel? .......................... 143 2.5.2 Peut-on parler des normes discursives consécutives à "U" et "D" telles que: liberté, respect, responsabilité, égalité et solidarité-réciprocité?........................................................................ 145 2.6 Problématisation de l’éthique discursive habermassienne .................. 146 2.7 En résumé ............................................................................................ 147 3. Principes de responsabilité et de co-responsabilité discursives selon K-O. Apel .............................................................................. 149 3.1 Préalables ............................................................................................ 149 3.1.1 Fondation rationnelle ultime de la morale ("Letztbegründungsprinzip") ............................................................ 149 3.1.2 Du principe d’"auto-intégration" ("Selbsteinholungsprinzip") ........ 153 3.2 Normes de justice et de solidarité dans le discours............................. 155 3.3 Principes de responsabilité et co-responsabilité discursives .............. 156 3.4 En résumé ............................................................................................ 160 4. Principes discursifs d’argumentation, d’intercompréhension, de responsabilité et "co-responsabilité" dans le dialogue palabrique ............... 161 4.1 Préalables ............................................................................................ 164 4.2 Principe d’argumentation .................................................................... 168 4.3 Principe d’intercompréhension dans la Palabre .................................. 169 4.4 Principe de "Responsabilité-Coresponsabilité" discursive dans la Palabre................................................................................... 171 4.5 Les normes de respect, de justice, d’égalité et de solidarité dans le discours palabrique ............................................................... 174 4.6 En résumé.. .......................................................................................... 176 5. Conclusion ..................................................................................................... 177 X
CHAPITRE IV Valeurs communicationnelles chrétiennes et communication palabrique ........ 181 1. L’Eglise, communion et communication ...................................................... 182 1.1 Foi et Agir ........................................................................................... 186 1.1.1 L’homme, partenaire de communication du Créateur ..................... 189 1.1.2 La foi: une pratique communicationnelle ........................................ 191 1.1.3 La communication est essentielle à l’expression de la foi chrétienne ............................................................................ 193 1.2 L’Église et les moyens de communication sociale ............................. 193 1.3 Les valeurs sociales fondamentales de vérité, de justice, de liberté, de charité et de réconciliation dans la communication .... 196 1.3.1 Communiquer dans la vérité et la sincérité ...................................... 197 1.3.2 Communiquer dans la liberté ........................................................... 198 1.3.3 Communiquer dans la justice et la responsabilité ............................ 199 1.3.4 Communiquer dans le respect et la tolérance .................................. 200 1.3.5 Communiquer dans la charité .......................................................... 201 2. Subsidiarité, Participation et Solidarité communicationnelles ..................... 202 2.1 Préalables ............................................................................................ 202 2.2 Subsidiarité communicationnelle ........................................................ 203 2.3 Participation communicationnelle....................................................... 207 2.4 Solidarité communicationnelle ........................................................... 208 3. Valeurs communicationnelles chrétiennes et communication palabrique .... 211 3.1 Valeurs communicationnelles de vérité, de justice, de liberté, de charité, de responsabilité, de tolérance, de respect dans la communication palabrique ................................................................ 213 3.2 Réconciliation et communion dans le dialogue palabrique ................ 215 3.3 Subsidiarité, participation et solidarité communicationnelles dans le dialogue palabrique ............................................................... 218 4. Conclusion ..................................................................................................... 219 CHAPITRE V Quelle relevance de l’éthique communicationnelle palabrique pour les dialogues politiques intercongolais en vue de la paix (1996-2002)? .......... 223 XI
1. Excursus ........................................................................................................ 227 1.1 Très bref aperçu historique ................................................................. 227 1.2 A propos de quelques dialogues politiques intercongolais ................. 230 1.2.1 Accord de Lusaka, une Palabre pour la paix (1999) ........................ 231 1.2.2 Pré-dialogue de Gaborone au Botswana 20-25 août 2001, une pré-palabre ................................................................................. 231 1.2.3 Accord global et inclusif de Pretoria 2002 ...................................... 232 2. Quelle stratégie communicationnelle? .......................................................... 233 2.1 Dialogues à l’image du dialogue palabrique..................................... 234 2.2 Le conflit congolais, un conflit intersubjectif et médiaté ................... 236 2.3 La formule "magique" de réconciliation nationale ............................. 237 3. Appel pathétique de l’Église catholique congolaise ..................................... 240 4. Quelle relevance de l’éthique communicationnelle? .................................... 243 5. Conclusion ..................................................................................................... 249 CONCLUSION GENERALE ........................................................................... 251 SIGLES ET ABBREVIATIONS ...................................................................... 261 Abréviations bibliques .............................................................................. 262 ANNEXES ........................................................................................................ 263 1. Déclaration politique commune des participants sur le retrait des troupes étrangères à Gaborone (le 24 août 2001) ............................... 263 2. Accord de cessez-le-feu en République Démocratique du Congo ....... 267 3. Accord global inclusif de Pretoria 2002 ............................................... 277 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................ 291 1. Dictionnaires, Lexiques et Encyclopédies ............................................ 291 2. Documents du Magistère....................................................................... 292 3. Ouvrages généraux ................................................................................ 293 4. Ouvrages et articles sur l’Afrique ......................................................... 302 5. Autres articles........................................................................................ 310 6. SITES INTERNET ..................................................................................... 312
XII
INTRODUCTION GENERALE 1. Motivation et objectif du travail 1.1 Situation générale Le continent africain est depuis des années en ébullition. Outre la crise issue des indépendances, ce continent est devenu le théâtre des coups d’état et des pouvoirs dictatoriaux, avec pour conséquences: la dégradation politique, économique et sociale dans sa majeure partie; des guerres entredéchirant des populations, dont certaines vivaient pourtant jadis ensemble ou avaient des liens privilégiés. Toutefois, le vent démocratique de 1990, provoqué par l’effondrement du Bloc Soviétique et la fin de la Guerre froide, ne va pas épargner l’Afrique: dans beaucoup de pays surgira le phénomène des conférences nationales souveraines, dont l’ampleur, non seulement ne laissera personne indifférent, mais sera aussi porteuse d’espoir. En effet, pour les peuples d’Afrique, surtout ceux qui avaient longtemps vécu sous des dictatures, le moment était enfin venu de recouvrer leur souveraineté, et dans leur dynamique, ces forums sont vite devenus des lieux d’application du principe de souveraineté populaire, qui veut que tout pouvoir étatique émane du peuple et dont la théorie de l’interaction discursive reste la clé d’interprétation. En clair, il n’y a de souveraineté populaire que dans une argumentation pratique entre citoyens d’un Etat1. Dans ces forums, les représentants du peuple ou des différentes couches sociales ont respectivement et interactivement cherché à discuter ensemble de la situation globale de leurs pays, à négocier pour aboutir à un consensus visant à créer ou à restaurer l’État. A ce titre, ces forums ressemblent aux structures de resurgissement du principe régulateur de la palabre longtemps ignoré ou occulté par les politiques2. De 1996 à 2002 l’Afrique centrale, notamment la région des Grands Lacs, s’est illustrée par une guerre quasi géné1
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Cf. J. Habermas, Droit et démocratie, 189-190; M.A. Makambu, Demokratie und Rechtsstaat, 23. Makambu dit: «Volkssouveränität ist das Prinzip, wonach alle Staatsgewalt vom Volk ausgehen soll […]. Unter Volksouveränität versteht also Habermas eine praktische Argumentation unter Bürgern». Ce principe de souveraineté du peuple a, en quelque sorte, motivé le processus de dialogue entre les représentants des différents groupes à ces forums. Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 282-285; P. Kanoute, Seule la palabre, 229. La palabre apparaît comme un système de prise de décision permettant – même par des mandataires – de participer à la vie de la cité, à la politique publique.
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ralisée, qui a déchiré cette région, opposant la République Démocratique du Congo (RDC) à ses voisins immédiats (le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi...). L’intervention des autres pays africains (Zimbabwe, Angola...) dans cette guerre a donné à ce conflit un caractère régional et quasi international. Et depuis, différentes voies de recherche de la paix, des tables rondes et discussions ont été entreprises pour recouvrer l’unité nationale, régionale et la paix globale. En fait, avant même le déclenchement officiel de la guerre dans l’est de ce que fut jadis le Zaïre, le président Joseph Désiré Mobutu et monsieur Laurent Désiré Kabila, à l’époque chef de la rébellion, s’étaient maintes fois rencontrés, mais sans succès, afin d’éviter, par le dialogue et la discussion ladite guerre. Celle-ci se démarquera par son étrangeté, avec des protagonistes, qui d’un côté affirmeront ne chercher que le bien de la RD-Congo et, de l’autre, ne rateront aucune occasion de détruire, de violer, de tuer, voire de massacrer. D’où diverses questions tant sur les causes que sur les voies de résolution de cette guerre. Pratiquement, selon Willame: «En Afrique centrale, le conflit se présente sous un jour différend. Sa complexité est à la mesure du nombre et de la qualité des parties en conflit: il met en effet en scène non seulement des mouvements «rebelles», marqués par la scissiparité, mais surtout des États ayant des visées politiques et économiques sur un pays où les appareils d’État et de l’économie formelle ont totalement implosé. Ses effets ont eu un impact profond en termes de déstructuration sociale: en République démocratique du Congo, on a pu établir que cette première «guerre mondiale africaine» a entraîné, directement ou indirectement, plus de 1.500.000 décès excédentaires et a induit des déplacements de population touchant plus d’un million de personnes. Ici aussi un accord de paix a été formellement signé par les parties sous le parrainage de plusieurs États occidentaux et africains, mais son échéancier, par ailleurs contestable, a été très vite remis en question»3.
D’aucuns s’interrogent sur les enjeux de ladite guerre pour la RDC et ses voisins ou encore sur les stratégies à préconiser pour y mettre fin. Autant de questions qui méritent naturellement la réflexion et le regard des penseurs de tout bord, puisque les enjeux de ce conflit sont restés, jusqu’à ce jour pour plus d’une personne, difficiles à définir avec netteté. Pour éclairer aussi la difficulté de nommer cette guerre, on aura recours à plusieurs expressions: guerre interethnique, rébellion, guerre congolo-congolaise, agression externe par des pays voisins, guerre régionale, etc. Par ailleurs, cette guerre est restée pour beaucoup une affaire très juteuse4. En conséquence, on va assister jusqu’à ce jour, le plus sou-
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J-C. Willame, L’Accord de Lusaka, 9. Cf. Ibid., 83-84. Il s’agit du rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo. Cf.
vent impuissant, à pas mal d’exactions, de violences sexuelles, de déplacements massifs des populations et de violations des droits élémentaires. Certains protagonistes vont même instrumentaliser et manipuler des données ethniques pour justifier la prise des armes et les massacres qui s’en sont suivis. Cette guerre sera aussi alimentée d’une part par l’exploitation illégale des matières premières – dans la plupart des cas avec des complicités internes et externes – et, d’autre part, par le trafic tout aussi illégal des armes5. On sait toutefois que l’ONU, à travers la MONUC, est depuis ce temps-là présente en RDC pour aider à stopper cette tragédie et concourir au rétablissement de la paix. En outre, des dialogues politiques "inter-congolais" ont successivement eu lieu, avec pour objectif d’une part de tenter d’arrêter cette guerre meurtrière et, d’autre part, de sceller la réconciliation et la paix, afin de reconstruire une nation, un État de droit. Ces forums qu’ont été les dialogues politiques inter-congolais ont retenu notre attention. De par leur forme et similitude, ils peuvent, à notre avis, être lus comme des espaces de discussion semblables à la palabre africaine visant à résoudre un conflit. Ils constituent une interaction discursive au visage palabrique6, la palabre étant un agir communicationnel. Mais en quoi consiste la communication palabrique?
1.2 Dialogue palabrique, un processus social interactif et un agir d’intercompréhension En effet, la communication est partie intégrante de la vie quotidienne. Vivre, c’est communiquer, c’est-à-dire être en interaction, en coopération avec d’autres vivants. Chaque groupement social, chaque communauté est caractérisée par ce processus interactif d’action et de réaction. Aussi, les communautés africaines traditionnelles n’échappaient point à ce mouvement. Elles ont eu plusieurs structures interactives dont le dialogue palabrique, qui était considéré comme un lieu privilégié de la parole et du discours.
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www.grip.org/bdg/pdf/g3026.pdf. Document du Conseil de sécurité, S/2001/357, 12 avril 2001. (Tiré le 24 Février 2010). Cf. www.un.org/french/docs/sc/2000/cs2089.pdf. Résolution 1291 (2000) adoptée par le conseil de sécurité à sa 4104ème séance, le 24 février 2000, Articles 16 et 17. (Tiré le 24 février 2010). Adjectif tiré du mot Palabre, le terme est souvent utilisé par O. Ndjimbi-Tshiende dans son ouvrage Réciprocité-Coopération et le système palabrique africain. Tradition et Herméneutique dans la théorie du développement de la Conscience morale chez Piaget, Kohlberg et Habermas.
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Certes, tout n’était pas rose dans cette société traditionnelle africaine; une chose reste pourtant sûre: le dialogue palabrique visait entre autres le maintien, la solidification et le rétablissement de la paix, de l’harmonie en cas de conflit ou encore la planification du destin de la famille, du clan, de la communauté, pour le bien supérieur de tout un chacun et de la communauté entière. Même si parfois les résultats escomptés n’étaient pas toujours au rendez-vous, le dialogue palabrique – comme processus interactif social et procédure de coopération, de réciprocité et de solidarité – garde encore aujourd’hui dans la société africaine toute son importance pour la vie en communauté. Nous pensons ainsi, qu’il est une sorte de voie démocratique et comporte un processus discursif permettant d’aboutir à un consensus et à l’harmonie. Dans la mesure où, en tant que procédure discursive, le dialogue palabrique met en lumière une situation donnée et en discute. La palabre garde des vertus pour l’organisation et la conduite des organisations familiale et communautaire. Institution complexe, la palabre africaine règle la vie sociale et communautaire, elle couvre les étapes importantes – de la naissance au décès – de la vie individuelle et communautaire. Malgré les limites qu’elle peut rencontrer, comme tout autre processus communicationnel, – par exemple quand il aboutit à l’exclusion de l’individu de la communauté, aux divisions des familles, des clans et/ou des communautés de façon pratique – la palabre est, en tant que processus interactif, une procédure d’intercompréhension, laquelle contient aussi une valeur discursive normative. Par ailleurs, il sied de souligner que le dialogue palabrique demeure un langage existentiel, une parole autour de la vie et de ce fait reste un moyen de coordination de la parole et de l’action pour la paix, la réconciliation et pour la vie. La parole est l’élément moteur du discours palabrique. Comme le rapporte Coulibaly, «l’Afrique reste de nos jours encore un continent où la tradition orale est vivante […], l’instrument privilégié de communication reste la parole. Cette parole n’est pas un simple énoncé oral et verbal, elle est lourde de sens et de forces […]. La parole n’est pas un simple instrument ou véhicule, elle est aussi l’être qui la profère […]. La maîtrise de la parole et de son usage judicieux est un des fondements du système éducatif traditionnel africain»7.
Dans la présentation succincte de la palabre, notre exposé abordera simultanément la présentation qu’en fait Bidima, dans son livre "La palabre, une juridiction de la parole", comme un espace public de la parole et un paradigme poli-
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N-V. Coulibaly, «Ce que l’Afrique d’hier peut dire au monde aujourd’hui», in: Interculture 78 (1983), 10-11.
tique8; et aussi celle de Djimbi-Tshiende qui, dans son livre "RéciprocitéCoopération et le système palabrique africain", voit dans la palabre une "récojustice", un système de communication réciproque, un système de coopération ayant aussi un message sociopolitique solide9. Cette vision de la palabre nous permettra d’en ressortir quelques dimensions substantielles. Notre démarche ne consiste pas simplement à présenter la palabre, mais bien plus à ressortir l’éthique communicationnelle du dialogue palabrique en tant qu’interaction sociale. Certainement, le dialogue palabrique porte un caractère normatif, exige une certaine éthique, implicite ou explicite. Comme agir interactif, le dialogue palabrique obéit à une éthique communicationnelle qui, non seulement porte un caractère procédural, mais énonce consécutivement des exigences normatives d’un agir lui aussi discursif. La palabre se veut donc un dialogue discursif respectueux de la vérité et de la personne. Mais une éthique communicationnelle palabrique, est-elle alors incontournable, spécialement à la communication politique dans l’effort de résolution des conflits, dans la tentative de sortir des guerres fratricides qui divisent encore aujourd’hui l’Afrique en général? En d’autres termes, dans quelle mesure l’éthique communicationnelle peut-elle contribuer à la promotion d’une interaction sociale solide et durable ou encore aider à une orientation véritable des dialogues politiques, et ainsi contribuer à la résolution des conflits journaliers? Depuis des années, le processus de communication préoccupe les chercheurs et cela dans différents domaines. Notre analyse part d’un constat: malgré l’afflux des activités interactives dans la vie pratique, qui submerge toutes les couches de la société humaines, nombreux sont encore aujourd’hui ceux qui se plaignent du manque ou du peu de communication. Les gens regardent la télévision, lisent les journaux, écoutent la radio, font des palabres, ils écoutent, mais ils ont l’impression de ne pas s’écouter et de ne pas se comprendre. Même dans les dialogues politiques, on sent, pour la plupart des cas, régner la non-acceptation du partenaire de la discussion comme un partenaire égal: dans le discours, la mainmise de la démagogie et du dictat reste encore très significative. D’où le rappel et le besoin de revitalisation de la dimension normative du comportement interactif pour comprendre et se comprendre. Le cas des dialogues politiques intercongolais en RDC rappelle encore une fois l’importance du respect du processus communicationnel et des principes devant consécutivement le conduire. Ces dialogues politiques inter-congolais, forums au visage palabrique, sont des discussions pour restaurer la paix. La communication palabrique reste le chemin le mieux indiqué pour la résolution des conflits dans l’Afrique traditionnelle; celle8 9
Cf. J-G. Bidima, La Palabre, 11-42. Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 155ss.
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ci garde encore son actualité aujourd’hui pour rétablir une paix10 globale dans la durée. En fait, nous savons que la réussite d’un processus de dialogue doit obéir à une certaine procédure, laquelle se fonde essentiellement sur une application concrète et sincère des principes discursifs devant orienter un discours sain et le soutenir. Une base d’éthique de communication paraît dès lors incontournable pour que tout dialogue soit sincère et ait lieu dans le respect et l’entente mutuels. Ce qui nous amène à parler de l’éthique communicationnelle.
1.3 Éthique communicationnelle "Communiquez", "communiquons", c’est cela vivre. Mais comment communiquer? Les questions d’éthique sont d’actualité: elles concernent tous les domaines de la vie. Il n’est donc pas étonnant qu’elles se posent avec acuité dans le champ de la communication. Il s’agit de réfléchir sur le respect, la liberté, la responsabilité, l’engagement, la réconciliation, l’intercompréhension, l’argumentation qui doivent nourrir la discussion et/ou la communication. Il est aussi question des principes d’action et des règles de comportement dans l’interaction sociale, censés améliorer les compétences dans la discussion dans son caractère procédural. L’éthique communicationnelle, du point de vue de l’aspect procédural du discours, a des principes qui lui sont consécutifs. Il convient aussi de noter d’emblée que le terme éthique lui-même prête à confusion dans l’usage quotidien: il est souvent confondu avec celui de la morale. Lalande, quant à lui, pense que les deux termes – éthique et morale – ont des sens différents: l’éthique est la science du jugement d’appréciations impliquant un jugement des valeurs, c’est-à-dire une appréciation sur ce qui est bon ou mauvais, tandis que la morale porte sur les coutumes, caractères ou caractéristiques11. La morale et la moralité sont capitales dans la vie quotidienne. Elles couvrent la vie humaine12. La morale a un caractère central dans la vie. Dans
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Cf. Ibid., 281-285. A la vie politique africaine aujourd’hui, la palabre a encore à dire pour une politique publique ouverte à tous. Cf. A. Lalande, Vocabulaire technique, 305-306. Cf. S. Ernst, Grundfragen theologischer Ethik, 10: „Sitte, Moral und Ethos bestimmen aber nicht nur als selbstverständliche und unausgesprochene Überzeugungen faktisch unser Handeln, sie artikulieren sich auch ausdrücklich in bestimmten verpflichtenden Regeln. In dieser Form werden sie weitergegeben und für unser Handeln leitend“. Ceci vaut autant pour chaque agir communicationnel. De fait, les coutumes, la morale et l’éthique ne rythment pas seulement l’agir humain, mais s’articulent aussi sur des règles
l’éthique il est par contre question d’expliquer les possibilités d’action qui sont justes et fondées, et qui ainsi peuvent être considérées en vérité comme éthiquement bonnes, proportionnées, responsables afin d’éviter une éventuelle contre-productivité. Par ailleurs, comme le fait remarquer Ernst, l’éthique ne prétend guère être la source originelle de la connaissance éthique. Elle n’est pas là d’abord pour inventer des valeurs et normes éthiques, mais plutôt part de ce principe, que nous les hommes évaluons éthiquement notre agir13. A ce titre, l’éthique communicationnelle ne peut se réduire simplement à une éthique des médias. Elle a et peut avoir plusieurs approches. Elle peut être lue dans une approche empirique, par une lecture ou une application concrète des principes discursifs dans un discours ou dans une approche théorique, procédurale. Elle est conviée à couvrir tout agir communicationnel et aucune interaction discursive n’est pensable sans elle. La palabre africaine, dans sa valeur d’interaction sociale, de dialogue social n’échappe donc pas à cette approche de la communication qui est en même temps une valeur d’action dans son effort de rechercher ce qui est bon et responsable. C’est donc une nécessité. C’est ce qui fait que – par exemple – lors de la déposition des témoignages et des preuves dans une palabre, aucun mensonge ni tricherie ne sont tolérés14. Dans le présent travail notre objectif est, en partant de l’actualité de la palabre, et de son fondement, de retracer l’éthique communicationnelle qu’elle renferme. Nous nous attellerons – pour une lecture concrète – sur sa relevance et son efficience dans la résolution des conflits, à l’exemple de quelques dialogues politiques inter-congolais entre 1999 et 2002 pour la paix. Notre analyse voudra rappeler que la palabre est un agir communicationnel humain typique, dont les principes discursifs fondent la recherche de l’entente et d’une réconciliation solide, globale et dans la durée. Cette démarche veut souligner l’importance capitale et la relevance de l’éthique discursive palabrique pour la communication politique dans la résolution des conflits.
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impératives qui obligent cet agir et la guident. Ces règles guident aussi l’agir communicationnel. Cf. Ibid., 12. Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 228 et 260.
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2. Orientation méthodologique de la recherche et division du travail Notre approche méthodologique se veut descriptive, analytique et interprétative. Elle consiste en une lecture descriptive de la palabre dans sa structure, une analyse de sa dimension communicationnelle et une interprétation de son éthique discursive. Notre but n’est pas ici de faire une analyse systématique de la dimension normative générale de la palabre – qui, en elle-même, porte une morale – mais plutôt de relever la dimension normative interactive qu’elle porte, en tant que forme typique de communication humaine. Ce qui nous aidera à tenter d’en ressortir la relevance, en concrétude, pour les dialogues politiques intercongolais entre 1999 et 2002 – comme lieu possible d’analyse, de lecture et d’application de l’éthique communicationnelle. Avec Ndjimbi, nous reconnaissons dans la palabre un processus de "récojustice"15, un agir interactif pouvant aider à rétablir la paix et la réconciliation dans la durée; l’une des finalités de la palabre est l’intercompréhension. Nous pensons donc retrouver dans le dialogue palabrique des valeurs de communion, de réconciliation, de pardon, de liberté et de socialisation. Effectivement, le dialogue est la voie la mieux indiquée pour sortir de la guerre. Toutefois, il exige d’abord une grande volonté et une détermination intérieure des partenaires de ce dialogue, ensuite du courage et de la responsabilité pour accepter l’autre – fût-il du peuple –, et enfin un effort pour s’écouter dans le respect mutuel et la tolérance. En d’autres mots, il faut s’accepter sincèrement pour instaurer la confiance réciproque que requiert tout agir discursif. Ceci reste indispensable pour communiquer, dialoguer en vérité. La présente étude commence au premier chapitre par une esquisse présentative de la palabre, laquelle s’appuie sur deux exemples concrets, qui nous aideront à en comprendre la structure, la motivation et la finalité. La palabre africaine est un système interactif par lequel les acteurs déterminent la construction et la reconstruction du système social dans lequel ils vivent. Dans et par le dialogue palabrique, ces derniers cherchent – par la négociation, la discussion et le consensus – à stabiliser les rapports sociaux. Quand bien même la palabre change d’aspect d’un coin à l’autre de l’Afrique, non seulement elle garde sa teneur et sa structure de base, mais elle est aussi un élément catalyseur de la vie en société. Bidima note, de fait:
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Cf. Ibid., 217.
«qu’est-ce que la palabre? Non seulement un échange de paroles mais aussi un drame social, une procédure et des interactions humaines. La palabre est donc mise en scène, mise en ordre et mise en paroles»16.
La palabre est un processus qui vise à la fois la résolution des conflits et leur prévention. Elle reste un lieu par excellence de parole, qui demeure l’élément essentiel de toute communication humaine. En quoi est-elle en fait une communication humaine typique? Qu’est-ce qui la caractérise l’ "interaction palabrique"? L’agir communicationnel palabrique est l’objet du second chapitre, qui traite de la dimension communicationnelle de la palabre: en quoi la palabre serait une communication humaine typique? Nous partirons de l’étude de Burkart, qui comprend la communication humaine comme une interaction sociale, un agir social et un comportement symbolique de médiation17. Cette communication humaine est selon Habermas essentiellement orientée vers l’intercompréhension : «le terme "intercompréhension" (Verständigung) a pour signification minimale qu’(au moins) deux sujets capables de parler et d’agir comprennent identiquement une expression langagière […]. Lorsque l’auditeur accepte de son côté l’offre d’un acte de langage, un accord (Einverständnis) intervient entre (au moins) deux sujets capables de parler et d’agir»18.
Partant de ces deux auteurs nous tenterons de montrer dans quelle mesure la palabre est un agir humain interactif, orienté vers l’intercompréhension. Nous n’allons pas faire une étude détaillée de la communication humaine chez ces deux auteurs, mais recouper l’interaction chez le premier et l’intercompréhension chez le second, deux éléments capitaux du processus communicationnel que nous voulons faire ressortir dans la palabre africaine. Et dans les deux présentations, le médium langage joue un rôle capital. Puisque le langage est le "proprium" et le support de l’"interaction" humaine, il implique un codage et un décodage du symbolique qui y est employé pour se comprendre. Et la palabre en tant que jeu interactif est essentiellement une communication langagière pleine des signes et symboles. Du fait de sa structure, la palabre est un agir communicationnel, un comportement social interactif, un espace public de parole, un temps de médiation, un processus de tolérance, de dissensus et de consensus pour tisser le lien social19. Les deux exemples de palabre au premier chapitre aide à lire les éléments de la structure procédurale et normative de 16 17 18 19
J-G. Bidima, La Palabre, 11. Cf. R. Burkart, Kommunikationswissenschaft, 20-75. J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 315-316. La palabre est un système particulier de communication réciproque et coopérative. Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 255-274.
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l’agir communicationnel ou interactif dans la palabre. Mais quels principes majeurs orientent le discours, la discussion? C’est à cette question que nous tenterons de répondre dans le troisième chapitre, en nous appuyant notamment sur deux auteurs, à savoir: Habermas et Apel. Chez le premier nous trouvons les principes de base que sont l’argumentation et l’intercompréhension. Chez le second, par contre, il sera question des principes de responsabilité et coresponsabilité dans la communication. Ces principes orientent l’agir interactif. Et la palabre en tant qu’agir communicationnel interactif typique, est concernée par cette approche procédurale. Car de ces principes de base découlent des principes incontournables tels que la justice, la liberté, la coopération, la solidarité, l’égalité, etc. Notons que la palabre a pour but l’intercompréhension et la réconciliation. Ainsi, pour discuter dans le respect et s’entendre, les acteurs sont appelés à s’accepter mutuellement, à comprendre les contenus propositionnels de leurs arguments respectifs, à les interpréter et à identifier également leurs actions. Autrement dit, les "acteurs-interlocuteurs" doivent instaurer ou restaurer une action langagière qui crée une relation subjective et objective favorable librement consentie pour mieux coordonner leurs plans d’action. Ce faisant, l’intercompréhension apparaît comme une entente gagnée par l’argumentation libre et efficace, laquelle entente fonde le social. Dès lors, initier un agir communicationnel ou encore entrer dans un processus palabrique, c’est accepter de participer à un dialogue, une interaction sociale et par conséquent accepter de cesser de traiter l’autre ou partenaire du dialogue comme un objet ou un instrument à manipuler à son bénéfice, pour le poser comme sujet, un "autre-je". L’Eglise accentue cette acceptation de l’autre comme personne à l’image de Jésus-Christ car elle-même, tout comme son message, se veulent communion et communication. Au quatrième chapitre, nous abordons les valeurs et principes, qui, selon l’Église catholique romaine, sont censés guider la communication humaine. Déjà, l’Église catholique romaine elle-même se définit comme communication et communion. Elle conçoit ainsi sa mission apostolique comme une mission de communication. Et l’homme est le partenaire de communication de Dieu qui, lui-même, est le communicateur par excellence. Pour ce qui est de la doctrine de l’Église sur la communication nous nous référerons surtout à l’instruction pastorale "Communio et Progressio", qui ouvre la perspective d’une lecture théologique de la communication qui relie étroitement la trinité immanente et la révélation. Peut-on retrouver des éléments de cette vision ecclésiale de la communication humaine dans l’interaction palabrique?
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L’éthique communicationnelle est vitale pour des discussions, des dialogues efficaces, tel que la palabre, mais pratiquement, toute prise de parole, toute déclaration politique ne vise pas nécessairement l’entente. Chaque déclaration d’intention lors d’un dialogue ne vise pas ipso facto la réconciliation et la paix. Une présentation des dialogues concrets tels que les dialogues politiques inter-congolais, peut nous aider à relever encore une fois l’importance substantielle et la vitalité de l’éthique communicationnelle, en général, et de la palabre, en particulier dans la recherche de résolution des conflits – surtout politiques en l’exemple de la crise globale et de la guerre en RDC et des efforts de paix par des dialogues politiques. C’est l’objet du cinquième chapitre. Il s’agit ici d’un effort de retracer la relevance, l’efficience et la nécessité de l’éthique communicationnelle dans tout effort de résolution des conflits en partant de l’exemple concret des dialogues politiques inter-congolais entre 1999 et 2002. Ce dernier chapitre sera donc une lecture de l’éthique communicationnelle palabrique et de sa relevance dans la recherche de résolution des conflits, de façon concrète, dans les dialogues politiques inter-congolais pour solutionner la crise congolaise et rétablir la paix. Nous terminerons notre étude par une conclusion, dans laquelle nous essayerons de recenser les grandes lignes de nos recherches et soulignerons le résultat auquel celles-ci ont abouti: l’importance et la nécessité d’une éthique communicationnelle dans tout processus interactif, dont la palabre, et sa relevance pour tout processus de résolution des conflits et de rétablissement de la paix, comme cela devrait être le cas avec quelques dialogues politiques inter-congolais entre 1999 et 2002. La palabre en tant que processus interactif garde toujours son actualité.
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CHAPITRE I : Palabre africaine: repères historiques et présentation structurale Il est sans aucun doute fort intéressant de parler de la communication, qui en effet, est un besoin vital et existentiel de tout être vivant, car le monde est un espace de communication, un lieu d’échanges, d’interaction, d’interpénétration et de dialogue. Chaque groupe social est caractérisé par la production de ce mouvement communicationnel, de ce lien structuré et organisé entre les êtres, c’est-à-dire par l’actuation des échanges relationnels entre membres, et entre groupes sociaux. C’est cette dialectique qui se vit aussi dans le dialogue palabrique africain: la palabre est un agir interactif, une ouverture à soi, à l’autre et au monde. Ce vrai sens est contraire à celui qu’on lui attribue négativement quand on la qualifie de discours et de bavardage oiseux, comme on peut le remarquer chez Robert pour qui la palabre africaine est: «présent fait à un roi noir des côtes d’Afrique pour se concilier ses bonnes grâces. Pourparlers à l’occasion de la remise de ces présents. Discussion interminable et oiseuse. Conférence avec un chef noir, ou des noirs entre eux. Discussion, conversation longue et oiseuse»20.
Le dictionnaire RT, tout en soulignant la longueur des discussions, reconnaît le sérieux de la discussion palabrique africaine qui est: «discussion interminable et oiseuse. En Afrique, Discussion (sérieuse)»21.
Mais loin d’être un discours ou un verbiage oiseux, la palabre africaine est une procédure intégrante de la vie et de la société traditionnelles; elle est un agir interactif. Cette perception de la palabre comme discussion sérieuse nous aide à la comprendre et à la lire de l’intérieur comme mode et système particuliers de communiquer. En Afrique noire, les modalités de la palabre varient d’un coin à l’autre, mais elle garde les mêmes bases et principes. Qu’il s’agisse d’une délibération au sein de la famille, lors d’un mariage ou d’une vente, de la chasse ou du règlement d’un différend, d’un conflit, la palabre demeure une des institutions fortes de vie démocratique, de restauration de la justice et de la paix et de l’harmonie dans les sociétés africaines traditionnelles. Elle jalonne toutes les étapes de la vie: elle a lieu lors de la naissance, du décès, de l’élection et de l’intronisation d’un chef, de la cooptation des notables, de la redistribution des 20 21
P. Robert, Dictionnaire alphabétique, 1342; Cf. J. Dubois (éditeur), Larousse de la langue française, 1251. Cf. "Palaver", in: Duden, Das Bedeutungswörterbuch, 674. D. Morvan et alii (éditeurs), Le RT, 805.
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terres, de l’initiation des enfants, du mariage, du divorce; pour la fertilité et le succès dans la vie, à la chasse, pour départager des protagonistes etc. Elle est donc une institution très complexe que ce soit chez les Bantous ou ailleurs, parce qu’elle règle pour ainsi dire la vie dont elle recoupe de nombreux aspects. Dans et par la palabre, les acteurs de l’interaction se retrouvent ensemble, s’assemblent pour former une communauté de dialogue. La symbolique de l’arbre sous laquelle se tient souvent la palabre retrace, dans une certaine mesure, cette dynamique vitale. L’"arbre à palabre" est le lieu où l’on se retrouve pour échanger et discuter, pour restaurer ou sauvegarder la paix sociale22. Et de nos jours, la palabre garde encore sa teneur, son actualité et peut aider spécialement dans les voies de résolution des conflits qui gangrènent les milieux sociaux, particulièrement en Afrique, et ceci quand bien même elle doit davantage s’ouvrir aux contextes actuels. Nous allons, à présent, reproduire deux types de palabres: une palabre extraordinaire et une palabre ordinaire. Ceci nous aidera dans la tentative d’en scruter et d’en comprendre les repères et la structure pour mieux desceller, plus tard, les principes normatifs communicationnels la sous-tendant. Nous n’allons pas faire une étude très détaillée de la palabre africaine, mais la présentation que nous en faisons – en commençant par deux exemples concrets – nous aidera à mieux en saisir le caractère structural afin de faire une approche de l’éthique communicationnelle qu’elle comporte, et pouvoir ainsi lire sa relevance dans l’effort de résolution des conflits à travers la lecture contextuelle de l’effort de recherche de la paix par des dialogues politiques inter-congolais en RDC.
1. Deux exemples de Palabre En guise d’exemple, nous allons exposer deux modèles de palabre: une palabre extraordinaire et une ordinaire. La palabre extraordinaire, à la différence de la palabre familière, rassemble les palabres non-ordinaires, beaucoup plus administratives et concernent en général un public beaucoup plus large. Nous expliquerons cette différence plus largement lorsque nous allons, dans la suite, classifier les palabres.
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Cf. A. K. Helfrich, Afrikanische Renaissance und traditionelle Konfliktlösung, 71. Helfrich rappelle exactement que la palabre ne peut, d’aucune façon, être appréhendée comme bavardage, comme négociations inutiles ou stériles telle qu’elle est considérée par quelques-uns.
1.1 Palabre extraordinaire La palabre suivante est une palabre extraordinaire sur un détournement de fonds publics. Elle est rapporté par Spieth dans son livre "Die Ewe-Stämme. Material zur Kunde des Ewe-Volkes in Deutsch-Togo" et traduit par Ndjimbi dans son livre "Réciprocité-Coopération et le système palabrique africain" (pp.389-403). «Un détournement. a) Les circonstances. Après la guerre de Taviewe, Dente Komla et A. accompagnés d’autres hommes, allèrent à Tokoe, Nyive, Yeviewe, Kpedze, Kpadawe, Gbalawe, Tovee, Kpime et Agu et y déclarèrent qu’ils étaient venus sur ordre de Howusu, du roi Awede comme des chefs de clans, en vue de faire une collecte chez les rois. Car ils avaient contracté beaucoup de dettes pendant la guerre. Au nom du roi Kwadzo de de Peki, ils ordonnèrent que tous les rois contribuent au remboursement de la dette de guerre. Les rois répondirent que cela était juste, et qu’ils allaient apporter leur aide. En tout ils donnèrent quarante fûts de poudre, quelques-uns en donnèrent quatre, d’autres deux et encore d’autres trois. Au total, ils donnèrent quarante fûts de poudre, trente-cinq brebis et d’innombrables Kauri23. Certains apportèrent des nattes et des habits. Le roi de Jeviewe donna à Dente Komla un vêtement rouge et un pagne en soie qu’il devait amener au roi de Ho comme signe de gratitude pour la guerre. Ils séjournèrent dans cette région trois mois. Dente Komla obligea des gens à Yeviewe et Nyive, d’apporter eux-mêmes les sommes d’impôt à Akoviewe et Kpenoe dans la maison de Kowu. Ils entassèrent les coquillages de Kauri dans une chambre. Plus tard, tout ceci fut transporté à Ho. Mais les rois et chefs de clans de Ho ne virent rien de cela. Si Howusu en a vu quelque chose, Kwadzo de, lui, n’en a rien vu24. Peu après, quelques habitants de Ho vinrent dans cette région afin d’y faire du commerce. Mais les gens insultèrent les hommes de Ho et disaient: 'Vous êtes des maîtres chanteurs. Nous avons tous participé à la guerre de Taviewe, et quelques uns d’entre nous y sont morts. Maintenant Howusu et Dwadzo de ont envoyé Dente Komla organiser des collectes dont le fruit devait leur être apporté; mais eux ils ont utilisé pour eux-mêmes ce qui a été ordonné; que voulez-vous chez nous, pourquoi circulez-vous çà et là. Allez-vous en et retournez chez vous !' Ainsi les rois de Ho, leurs chefs de clan et leurs communautés furent pris à parti par leurs frères. b. La détermination du jour de l’audience. Les gens de Ho avaient entendu parler de cette collecte. Awede et les chefs de clans interrogèrent Howusu; celui-ci ne régla pas l’affaire, mais il joua l’offensé. C’est pourquoi ils se dispersèrent et retournèrent chez eux en colère. A partir de là, on n’en parla plus. Ils pensaient faire part de l’affaire au roi de Peki Kwadzo de s’il venait à Ho.
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Le Kauri est un genre de coquillage servant de moyen de paiement de bijoux. Un sac de Kauri contient 10 Hotu et équivalait jadis à 10 DM. Kwadzo de, titre d'héritage du roi de Peki.
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Comme les gens de Ho savaient qu’ils n’étaient plus sous la domination supérieure de Kwadzo de et qu’ils n’avaient plus à se préoccuper de ses ordres, ils enquêtèrent eux-mêmes sur l’affaire. Ils se mirent d’accord que les communautés et les jeunes gens devaient amener Awede et Howusu à leur montrer les objets qui, sur leur ordre à travers Dente Komla, avaient été rassemblés par leurs frères. Ils rassurèrent Awede, en lui disant qu’ils n’auraient plus affaire au roi, jusqu’à ce qu’ils aient vu euxmêmes ces choses. A la quatrième nuit, ils firent dire au roi et à ses gens qu’ils avaient une chose importante à traiter. C’est pourquoi, tous les gens de Ho, grands et petits, devaient se rassembler pour écouter cette affaire. Le roi devait annoncer à Alhiha, Ahoe et Banyakoe, comme dans sa propre ville, que personne n’était autorisé à aller travailler au champ. Celui qui y allait malgré tout serait puni, mais il était permis d’aller chercher à manger au champ. Le roi dit qu’il voulait faire annoncer la chose; mais qu’ils devaient auparavant lui dire ce dont il était question. Les hommes refusèrent de répondre et dirent qu’il allait l’apprendre le lendemain matin de la bouche des Anciens. Il les interrogea encore une fois; mais ils ne lui révélèrent rien. Peu après, ils envoyèrent un messager à Klee Yawo25. Klee Yawo dit: 'Nous ne pouvons pas révéler ce que les communautés ont convenu entre elles'. Il saurait tout le lendemain matin. Le roi tenta alors d’apprendre l’affaire de la bouche d’autres gens; mais en vain. Le roi fut d’accord, et il laissa entendre qu’il viendrait le lendemain matin. c. Les pourparlers du tribunal. Le lendemain matin tous les gens de Ho, de Kpenoe, de Akoviewe, de Tak1a, de Hodzo et de Adaklu se rassemblèrent dans Le village de Ahliha. Ils envoyèrent auprès du roi six gladiateurs et un porteur de canne et lui firent dire que tous étaient à présent rassemblés, que le roi pouvait maintenant venir avec ses gens. Celui-ci commença par refuser. Les messagers vinrent une seconde fois à la troisième fois, le roi dit qu’il allait venir. Celui qui, parmi eux, le faisait venir devait dire son nom, et s’il exigeait de lui 1000 Hotu, il les lui donnerait26. Ils lui dirent alors qu’ils étaient envoyés par Awede et Boboloe27. Sur ce, le roi dit: 'devrais-je hésiter à partir, quand mes frères m’appellent? Quand je les appelle, ils veillent aussi à venir. Allez leur dire j’arrive tout de suite!' Le roi fit alors venir sa chaise à porteurs, ses grands tambours et les cors; et il appela son entourage qui devait le transporter en fauteuil à Ahliha. Ils arrivèrent lentement et solennellement sur la rue à Ahliha, où s’étaient déjà rassemblés Awede lui-même, les chefs de clan et le reste des gens. Par un geste de la main ils saluèrent l’assistance en disant: Miya lo, miya lo! 'Soyez salués, soyez salués'28 et gagnèrent leur place. Sur ce, le roi de Banyakoe Awede avec les anciens et tous les gladiateurs se levèrent pour, à leur tour, souhaiter aussi la bienvenue au roi. Puis, les communautés et les équipes au complet vinrent le saluer. 25 26
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Le chef de Ahliha. Le roi présumait avec raison qu’il y avait un guide, qui avait convoqué le rassemblement. C’est pourquoi il se déclarait d’accord avec une amende si celui-ci lui disait son nom. Chefs de Banyakoe et Ahoe. L’arrivant salue ainsi chaque partie présente.
Le roi chargea son porte-parole Kwadzo de demander aux anciens, aux représentants des communautés et à l’équipe des jeunes pourquoi ils l’avaient appelé. Il était maintenant là, ils devaient raconter l’affaire, afin qu’il l’entende. Son porte-parole transmit aux chefs et au reste de l’assemblée son message. Eux aussi le saluèrent et l’écoutèrent. Là-dessus, ils laissèrent leur porte-parole avec les gladiateurs se présenter devant le roi. Ils appelèrent Kwadzo29 et lui dirent d’écouter et de transmettre leurs paroles aux anciens et aux leurs. Ils appelèrent aussi Dake30. Ils lui dirent de transmettre à ses gens: 'Aujourd'hui tous les habitants de Ho sont réunis ici. La guerre de Asante nous a jadis délogés; nous avons souffert une grande détresse, mais notre roi nous a ramenés de nouveau dans notre pays. Nous sommes revenus sur les ruines de Ho et nous nous sommes vengés de toutes les villes qui nous avaient maltraités jadis. Nous avions maintenant la tranquillité. Le commissaire anglais est venu ici à Ho et a demandé quelles tribus étaient nos ennemis. Nous lui avons dit qu’entre nous et Taviewe, tout n’était pas tout à fait en règle; il nous a prodigué des conseils. Plus tard, las gens de Taviewe se sont rendus coupables d’une action abominable. Une clameur est venue auprès du roi de Ho selon laquelle les gens de Taviewe avaient tué les gens de Ziavi dans la nuit. Howusu et le chef Awede sont allés là-bas. Le roi de Ho a fait signe à Kwadzo de, et Kwadzo de de son côté a fait signe au commissaire anglais qui est alors venu. Mais les gens de Taviewe l’ont tué. Ensuite, est venu son autre frère31, et là nous avons infligé aux gens de Taviewe ce qui leur revenait, puis nous sommes rentrés. Le commissaire est retourné chez lui et Kwadzo de a fait de même. Plus tard, nous avons appris que le roi Awede et Wusu avaient envoyé Dente Komla auprès de nos frères du pays de Ewe pour faire des collectes pour Awede et Wusu. Quand d’autres gens de Ho sont ensuite arrivés là-bas, ils ont été réprimandés par les rois de la région. Nous, les Anciens de Ho, exigeons de voir les objets recueillis pour Awede et Wusu, afin d’en parler. C’est pourquoi nous sommes réunis, et c’est pourquoi nous avons fait venir le roi'. Les pourparlers étaient alors lancés. D’abord c’est Awede qui se leva et se mit dans le cercle des gens présents lui aussi parla des diverses guerres jusqu’à la plus récente avec Taviewe. Il assura qu’il n’avait donné l’ordre à personne d’aller où que ce soit, qu’il n’avait rien vu non plus de ce qui avait été collecté. 'Si j’ai vu quoi que ce soit, et je le conteste, dit-il, ainsi j’ai juré le serment des gens de Ho: les trois grands serments et le soir des gens de Ho.' Là-dessus les tambours et les cors retentirent ensemble. Alors le porte-parole Adala se leva et avec lui dix gladiateurs; il s’adressa au porte-parole Kwadzo. 'Ecoute et rapporte-le aux autres!' Un chef de clan de Dome, appelé Dzado, se leva et dit à toute l’assemblée: 'Est-ce à cause de cette affaire que vous nous avez appelés? Laissez provisoirement cette question de côté! J’ai auparavant une autre chose à dire, que vous devez entendre avant que l’on parle de cette affaire.' I1 se tourna vers les gens de Ho et dit: 'Vous entendez, gens de Ho? Je vois que nous ne jouissons d’aucune considération parmi vous. La guerre nous a tous dé29 30 31
Le porte-parole du roi. Un chef de Ahliha. Commissaire Akers.
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logés et après notre retour, nous sommes allés sur la colline et nous nous sommes installés à Agotome. Ce sont d’abord les gens de Banyakoe qui se sont réinstallés sur leurs ruines. Après eux les gens de Ahoe reconstruisirent leurs ruines, et en dernier lieu, nous aussi gens de Dome nous sommes retournés dans notre ville. On disait toujours: 'Le roi doit revenir! Le roi doit revenir ! 'Mais ce n’étaient que des mots vides; personnes parmi vous n’est allé chercher le roi afin de le ramener. En cela, nous voyons que vous n’aimez pas le roi, et que vous ne le respectez pas non plus. Pourquoi nous avez-vous appelés 'Gens d’Agotome', nous gens de Dome, lors de l’appel général au rassemblement? Ce nom est-il un nom d’honneur ou une insulte ? Si nos enfants donnent des noms d’insulte aux Gens d’Ahliha, aux gens de Banyakoe et aux gens d’Ahoe, cela vous ferait-il plaisir? C’est pourquoi, désormais, personne ne doit plus nous appeler par ce nom; nous ne sommes plus à Agotome, maintenant nous sommes chez vous!' Kle Yawo, un ancien de la communauté, lui répondit : 'Le nom que le crieur public a utilisé, hier soir pour l’annonce ne m’a pas plu. C’est pourquoi, je l’ai aussitôt blâmé et je le lui ai interdit pour toujours. Les gens de Dome ont raison. Mais revenons à l’affaire particulière et débattons-en!' Un homme de l’entourage du roi, appelé Wudi Kwadzo, dit: 'Nous ne sommes pas là pour que vous nous donniez des noms d’insulte; car nous sommes frères et nous habitons maintenant chez vous. Ou bien n’est-il pas vrai que, lorsque quelqu’un abandonne un hameau afin d’aller habiter dans une ville, il aime à associer le nom de la ville dans laquelle il vit avec son nom? Chaque ville a été fondée par quelqu’un. C’est pourquoi on donne aussi à la ville le nom de son fondateur. J’interdis que quelqu’un soit appelé par le nom d’un hameau. Le crieur public a tort! 'Même notre chef Dompre dit: 'Si quelqu’un nous appelle par un nom d’insulte, cela lui plairait-il que nos enfants aussi l’insultent? Les noms d’insultes engendrent des disputes! Interdisez-les donc sévèrement à vos enfants!' Klo Yawo se leva alors pour défendre son fils. 'Celui dont il s’agit est mon propre fils. C’est moi-même qui l’ai fait crieur public, mais seulement pour Ahliha. Les gens de Hanyakoe, ceux de Ahoe et ceux de Dome ont leur propre crieur; à partir de maintenant, mon fils n’annoncera plus rien dans aucune autre ville. Si ton fils a fait quelque chose de mauvais qui te déplaît, et pour lequel tu l’as puni, un autre at-il encore le droit de s’élever contre lui? Vous voulez seulement embrouiller le cours du débat. Laissez cela et revenez à l’affaire même!' Là-dessus, on battit le tambour et les cors raisonnèrent. Un autre chef fit remarquer que, s’ils avaient réglé le litige portant sur les noms d’insulte, ils devaient aussi abolir les noms d’insulte eux-mêmes, par ex. Agotome et Adame. Puis Adala se leva et avec lui les dix gladiateurs. Il se tourna vers le roi et dit: 'Ecoute, et cela vaut aussi pour les anciens et les nôtres! Ton frère vient de parler; maintenant exprime aussi ce que tu as à dire, afin que nous l’entendions.' Sur ce, le roi Kumi se leva et s’avança un peu. Il était entouré de ses chefs de clans et des chefs de la communauté et demanda la parole à Adala. Adala répliqua: 'parle sans entraves!' Là-dessus il dit: 'Je suis le plus jeune enfant du roi, qui est resté encore parmi les gens de Ho. Mes frères, chefs de communauté et vous tous jeunes gens, écoutez! A la maison et en guerre, je suivais mon père. Puis je suis allé dans le commerce, mais je n’avais pas de chance. Je n’y ai pas gagné l’équivalent d’un ou
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deux hommes32. Quand mon Père mourut, les gens de Ho m’installèrent sur le trône. Je suis continuellement dans une situation difficile; j’ai perdu ma prospérité, et je n’ai aucun enfant. Malgré cela, j’étais prêt à accepter le trône de mon père et de mes frères. Le trône sur lequel je suis à présent m’appartient légitimement. J’ai vu comment les Anglais nous ont tous sauvés, nous les gens de Ewe, des mains des ennemis. Le Père33 des gens de Ewe est Kwadzo de. Les gens de Taviewe, ont péché en tuant les gens de Ziavi. De Ziavi j’ai entendu, moi, le roi de Ho, une Clameur. Je suis parti aussitôt chez mon frère, le roi de Banyakoe Awede, et je l’ai obligé à venir avec moi. Nous sommes tous les deux partis à Ziavi. Après nous vinrent aussi Kwaku, le roi de Sokode, comme les rois de Abutia et d’Awudome. Nous étions témoins oculaires de ce que les gens de Taviewe avaient fait. Moi, Kumi, j’ai envoyé tout de suite le porteur de la canne à Peki et j’ai fait appeler Kwadzo de. Lui n’a d’abord envoyé que ses chefs. Quand, pour la deuxième fois j’eus envoyé un messager, il est venu en personne, a séjourné quelque temps à Akrofu puis il a continué sur Ziavi. Kwadzo de a envoyé un messager auprès du commissaire anglais à Ge. Après cela Kwadzo de m’a fait venir, moi le roi de Ho, puis Kwaku, le roi de Sokode, et Kwadzo, le roi d’Abutia, ainsi que les rois de Awudome et de Wudome. Quand nous sommes arrivés chez le roi, il a tenu conseil avec nous seuls. Il m’a dit : 'ce que les gens de Taviewe ont fait exige une guerre, et nous ferons la guerre.' C’est pourquoi il exigea de moi, le Wusu, quarante fûts de poudre, que je devais lui prêter pour qu’il puisse mener la guerre. Il allait alors me rembourser la dette avec le butin de guerre. Je répondis que c’était bien, mais qu’il y avait aussi là les rois de Sokode, Abutia et Awudome, qu’il devait aussi le leur dire. Ce qu’eux ne pouvaient pas livrer, j’allais le donner. Mais Kwadzo de m’a répondu qu’il ne se fiait qu’à moi. Aussitôt j’ai envoyé quelqu’un à Ho et j’ai ordonné de trouver pour Kwadzo de trente fûts de poudre. Puis le commissaire anglais est arrivé, il nous a envoyés tous hors du camp chez nous; lui-même est allé seul vers Taviewe et a été tué là-bas. Un deuxième est venu, que nous avons accompagné à Taviewe. Nous avons battu les gens de Taviewe; ceux-ci se sont rendus, et je les ai aidés à se rendre à Kwadzo de et au commissaire. Kwadzo de et moi-même avions fait du butin de guerre mais le commissaire nous l’enleva de nouveau. Sur ce, Kwadzo de a rassemblé tous les rois et a déclaré: 'la guerre est de nouveau terminée. Le commissaire nous a enlevé de nouveau notre butin de guerre. Moi, le roi Kwadzo de, j’ai contracté beaucoup de dettes dans cette guerre, mais je ne sais pas comment je dois les rembourser. Le gouverneur m’avait envoyé 25 £ sterling, dont le commissaire m’a de nouveau enlevé 10 £, de sorte qu’il ne m’est plus resté que 15 £ et la dette de guerre m’étouffe. C’est pourquoi, je vous prie, rois de derrière les montagnes: aidez-moi, afin que je paye mes dettes de guerre! Il a exigé des gens de Ziavi 200 Hotu, 200 des gens de Klewe, 100 des gens de Matse et 200 des gens de Tanyigbe. Les gens de Matse ont dit qu’ils avaient déjà donné huit fûts de poudre, et qu’en plus leur roi était mort à la guerre, c’est pourquoi ils ne pouvaient plus rien donner.
32 33
Le commerce ne lui apportait pas autant de gain qu’il pût s’acheter un ou deux esclaves. Le Chef.
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Moi, le roi de Ho, j’ai alors interrogé Kwadzo de: 'Comment devais-je maintenant rembourser les trente fûts de poudre et les quinze brebis que je lui avais prêtés et que j’avais moi-même empruntés? Il me dit que je devais retourner chez moi et envoyer des gens auprès de tous les rois de derrière les montagnes jusqu’à la montagne de Agu et leur demander un impôt avec lequel je pourrais payer mes dettes. A notre retour, j’envoyai Dente Komla, qui séjourna très longtemps là-bas et qui finalement revint avec une petite liasse d’argent. Avec cet argent j’acquittai une partie de mes dettes et maintenant il ne me reste plus que douze fûts de poudre à payer, notamment quatre fûts aux gens de Akoviewe, quatre aux gens de Kpenoe et quatre à quelques personnes. Je n’ai rien caché aux gens de Ho de ce que j’ai reçu. Cela me sert à payer mes dettes, mais je ne les ai pas encore totalement payées. C’est pourquoi le roi Awede et mon oncle Bobi se sont unis contre moi et m’ont fait convoquer officiellement. Ils ont obligé les gens de Ho à m’entendre, et à me réclamer de nouveau cet argent. C’est maintenant pour la deuxième fois que le roi Awede rassemble les gens de Ho contre moi. Mais combien de fûts de poudre, combien d’argent et combien de brebis a-t-il donnés pour Kwadzo de pendant la guerre? Sur ce, Awede se leva et, dit à Wusu: 'C’est à nous deux que le roi Kawdzo de a demandé de la poudre. Deku et Amonu sont témoins que j’ai, moi-même, livrés de la poudre grâce à mes messagers parmi lesquels se trouvait aussi Dente Komfa. Si deux hommes sont sollicités pour une chose, et qu’un d’eux la procure, ne l’ont-ils pas tous les deux donnée? Quand le commissaire nous a laissés seuls et que, par la suite, nous avons été vaincus, Kwadzo de a exigé dix sacs de coquilles de Kauri34, et j’ai promis de donner cinq sacs. Le lendemain matin nous avons entendu un nouveau cri de guerre. Nous sommes allés de nouveau à Taviewe, et je n’ai pas pu donner au roi ce que j’avais promis. Si maintenant Dente Komla a fait une collecte en mon nom et au nom du roi de Ho, je veux seulement souligner que nous n’en avons rien vu. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai obligé les gens de Ho, à enquêter là-dessus.' Puis Awede s’assit. Alors Dake, le porte-parole de la communauté, se leva, salua tous les gens présents et dit : 'Ecoutez! Nous n’avons pas besoin de nous quereller dans notre rassemblement d’aujourd’hui. Si nous débattons seulement une chose après l’autre calmement, alors nous trouverons bien qui a tort, et saurons comment nous devons traiter l’affaire.' Il continua en ces termes: 'Si des petits oiseaux sont tous ensemble, et qu’on jette une pierre parmi eux, on n’en attrape en général aucun; mais si l’on vise l’un d’eux, on le touchera certainement; quant à savoir si on en a touché un deuxième, on le saura après.' Il s’assit et Awede se leva encore une fois, salua le roi et dit: 'On nous reproche, le roi de Ho et moi, d’avoir consommé ensemble ce qui a été rassemblé; moi, Awede, pourtant je n’ai rien reçu de cela. Dente Komla a fait la collecte, celui à qui il a remis la quête doit maintenant s’avancer et nous la montrer.' Alors l’accusé Dente Komla se leva et dit: 'Oui, est-ce à cause de moi que les Gens de Ho se sont rassemblés ici? Les gens de Ho et les gladiateurs sont-ils sortis à cause de moi avec des épées et des tambours pour me tuer? Ma mort ne me fera qu’honneur. Même l’apparition des Blancs a servi à cela. Nos ancêtres ont jadis dé34
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Un sac de Kauri contient 10 hotu.
cidé que les procès ne pouvaient pas être tenus à Ahliha. Mais si on tient une séance à Ahliha, il s’agit toujours d’une guerre ou d’une exécution. Aujourd’hui, je vois que cela est vrai. Si quelqu’un s’en va faire du commerce pour son père et revient avec un chargement, le contenu de ce chargement n’appartient-il pas au père? Le roi, mon oncle paternel, m’a envoyé en mission, et, je suis parti. Le peu d’argent que j’ai reçu là-bas, je l’ai remis au roi après mon retour. Vous ne m’avez donné aucun ordre, et c’est pourquoi je ne sens pas obligé de vous rendre des comptes.' AdaZa demanda au roi, s’il avait reçu de l’argent? Le roi acquiesça et dit qu’il avait payé des dettes avec, mais qu’il avait encore une dette de douze fûts de poudre. Il se tourna vers Dente Komla: 'Tu as trompé le roi et nous, gens de Ho, tu nous as tous abusés. Nous savons que tu as reçu beaucoup d’argent des rois et nous te le réclamons aujourd’hui.' Adza Kwasi se mit debout, salua tous les gens présents et leur dit dans une parabole: 'Ecoutez l’histoire de l’homme et du démon des forêts. Une personne s’en alla dans la brousse avec son fusil, pour tuer un oiseau pour sa soupe. Chemin faisant, il rencontra un démon des forêts. Le démon n’avait jamais eu les cheveux tondus depuis sa naissance. Quand il vit l’homme, il lui dit: 'Ami !' L’homme aussi s’adressa à lui par ce mot: 'Ami'. Le démon de la forêt dit à l’homme: 'J’ai du travail pour toi: tonds-moi les cheveux! 'L’homme répondit: 'Mais je n’ai aucun couteau avec moi. 'Alors le démon des forêts se passa la main à travers les cheveux, en fit sortir un couteau et le donna à l’homme. Celui-ci répondit :'Mais le couteau ne coupe pas! 'Sur ce, il introduisit encore la main dans ses cheveux et donna à l’homme une pierre à aiguiser. L’homme répliqua: 'Maintenant il manque encore l’eau. Pour la troisième fois, il se passa la main à travers les cheveux et lui donna un petit bassin plein d’eau. L’homme aiguisa alors le couteau, de telle sorte qu’il devint tranchant. Il versa l’eau sur la tête du démon des forêts et le rasa totalement. Là-dessus, le démon des forêts devint furieux contre l’homme et dit: 'Chez nous, on ne se tond jamais les cheveux, et maintenant tu m’as tondu totalement la tête.' C’est pourquoi, il lui demanda de lui remettre tous les cheveux coupés sur la tête. L’homme répondit: 'les cheveux repoussent d’eux-mêmes, c’est pourquoi on ne se remet pas les cheveux coupés sur La tête.' Le démon des forêts n’était pas d’accord, mais il exigea qu’il lui remette complètement ses cheveux sur la tête, et s’il ne le voulait pas, il allait faire ce que bon lui semblait. L’homme s’enfuit, le démon des forêts le poursuivit. L’homme courut, aussi vite qu’il pût, et arriva chez un paysan, qui était en train d’arranger une place pour sa maison d’ignames à l’enclos du chemin et de creuser des trous par rangée pour les poteaux. L’homme lui demanda d’un ton suppliant: 'Sauve-moi!' Le paysan lui demanda alors: 'Quel animal te poursuit? Commence donc par t’asseoir ici, ainsi je voudrais voir quel animal te poursuit.' Quelques instants après, le démon des forêts arriva. Le paysan demanda ce qu’il y avait. Le démon des forêts répondit. 'Chez nous, on ne coupe pas les cheveux. Or cet homme m’a pris et m’a tondu les cheveux. Alors je lui ai dit, qu’il devait sans discussion remettre ma chevelure à sa place sur ma tête.' Le paysan médita sur ce mot et dit au démon de la forêt: 'Ôte-moi les traces de tes pieds partout où tu as marché! 'Le démon des forêts s’abaissa pour ôter les traces de ses pieds; mais ce faisant, il fit à côté d’autres traces de pieds. Celles-ci aussi, il les ôta. Mais là aussi, il y eut de nouvelles traces de pieds. Le pay-
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san lui dit: 'Enlève aussi celles-ci! 'Ainsi le paysan demeura derrière le démon des forêts jusqu’à ce que ce dernier fût fatigué d’effacer ses traces des pieds et jusqu’à ce qu’il s’enfuît dans la brousse. Le paysan revint alors près de l’homme et dit: 'A présent, retourne chez toi, je l’ai chassé pour toi! C’est exactement l’affaire qui s’est produite parmi nous. Voulez-vous bien enlever le bon Yams35du feu et le jeter et le remplacer par un plus mauvais? C’est pourquoi, réfléchissez bien, avant de juger l’affaire!' Un homme qui appartenait à l’entourage plus immédiat du roi, Wudi Kwadzo, raconta une parabole : 'Si quelqu’un aspire de l’air frais, après avoir mangé du poivre écrasé pour lui, alors il doit en cela nécessairement penser à celui qui lui a écrasé le poivre.' d) Le jugement. Sur ce, les anciens et les chefs de la communauté firent savoir au roi Awede qu’ils voulaient maintenant se retirer pour une séance secrète de concertation. Peu de temps après, ils revinrent, déclarèrent le roi Awede innocent et condamnèrent Dente Komla. Ils lui dirent: 'Tout ce que tu as rassemblé chez les frères habitant entre les montagnes, tu le tiens caché; le roi Awede, Howusu et les anciens de Ho n’en n’ont rien vu. Sors maintenant l’argent de sa cachette et apporte-le ici!' Dente Komla et les chefs des communautés entourant le roi de Ho furent très fâchés. Dente Komla disait: 'Quand quelqu’un t’a envoyé quelque part et que tu reviens, tu ne donnes les marchandises rapportées qu’à celui qui t’a envoyé. Le roi est mon plus jeune oncle paternel; c’est pourquoi je lui ai aussi donné ce que j’ai rapporté.' Le roi Awede dit: 'Je n’ai rien reçu, peut-être qu’il a apporté l’argent à son frère (le roi de Ho). Mais son frère aussi et les chefs de clans de Ho n’ont rien reçu. Tu as encore tout.' Sur ce, Dente Komla répliqua: 'Mais combien le roi Awede a-t-il dépensé pour qu’il veuille maintenant avoir et consommer la collecte de guerre? Qui as-tu envoyé au-dehors, pour que tu exiges de lui quelque chose? Je n’ai rien. Moi, Dente Komla, J’ai déjà dit à l’époque: 'Que possèdent donc les gens de Ewe'? 'L’un d’entre eux a dit aussi aux chefs: 'Si vous voulez avoir la recette de la collecte, vous devez aussi prendre en charge les dettes que le roi paye, et dont il reste encore douze fûts de poudre à rembourser; que Awede et les chefs de Ho les prennent en charge et les remboursent!' Là-dessus, ils se mirent à se disputer. D’autres disaient à Dente Komla, qu’il était un homme pauvre, qui n’avait rien, qui ne faisait qu’être au service de Dente et qui se faisait une mauvaise réputation avec les femmes. Jadis Dente Komla avait dit à tous les chefs et rois de Ho: 'Si un habitant de la ville de Dome habite dans une petite maisonnette, vous devez savoir que celle-ci est une maison plus belle que celle où habitent les Blancs.' Ces paroles de Dente Komla irritèrent le roi Awede et ses Anciens car il n’honorait ni lui ni les chefs de Ho. Les chefs lui dirent qu’il devait maintenant apporter l’argent. Il répondit qu’il ne possédait rien qui leur appartînt; qu’ils devaient lui dire dans quelles villes il avait procédé à la collecte. Un chef de la communauté, du nom de Amonu, lui dit: 'Tu es allé dans onze villes, tu as reçu quarante fûts de poudre, trente-cinq brebis, un vêtement rouge pour le roi, un pagne, des coquilles de Kauri, des nattes et d’autres objets que je n’énumère pas. Tu 35
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Bon Yams est „bonne parole“, mauvais Yams est „dispute“.
as tout gardé pour toi et tu n’en as rien donné au roi.' Maintenant la nuit tombait, et le débat n’était pas encore terminé. C’est pourquoi les chefs imposèrent que le lendemain matin personne n’allât où que ce soit. Il était seulement autorisé d’aller chercher à manger au champ; celui qui y allait devait vite revenir. Sur ce, l’assistance se dispersa et les gens rentrèrent chez eux. Le lendemain matin, le roi Awede avec ses chefs, sa communauté et son équipe de jeunes se réunirent à nouveau à Ahliha. Ils envoyèrent auprès du roi et de ses anciens d’abord quatre hommes, des porteurs de canne et des gladiateurs. Quand les envoyés arrivèrent là-bas, la garde du corps royale battait du tambour, buvait de l’eau-de-vie et du Gin, et beaucoup de citadins étaient ivres. Ils ne voulaient pas que les envoyés voient le visage du roi. Ils étaient rabroués, insultés, quelques-uns voulaient même briser leurs épées. Alors le roi vint chez les messagers, les accompagna lentement à l’entrée de la ville et dit: 'Allez et dites à mes frères: 'je prie de m’excuser, car mes enfants36sont tous ivres; et si je venais ainsi avec eux, ils ne feraient que du tort.' Il fit prier le roi Awede et les chefs de reporter le débat au lendemain; alors il viendrait et arrangerait l’affaire. Quand les envoyés étaient revenus, ils racontèrent au roi Awede, à ses chefs et à toute sa communauté que la garde du corps du roi s’était emportée et s’était opposé à eux, qu’elle avait bu de l’eau-de-vie et que le roi les a avait raccompagnés à la sortie de la ville. Cela irrita beaucoup le roi Awede, ses chefs et toute sa communauté. Boboloe se leva, le roi de Ahoe, et dit: 'Ainsi se sont comportés nos frères, les gens de Dome; mais peu importe. Ce que nous avons convenu hier ensemble et débattu, nous allons le terminer aujourd’hui et l’exécuter. Il ne faut pas prolonger encore les débats.' Tous les chefs, l’équipe des jeunes et la communauté furent tout à fait d’accord avec lui. Awede demanda alors aux chefs ce qu’ils pensaient de l’affaire ils devaient s’exprimer, afin de pouvoir ensuite agir vite. Awede et ses chefs se retirèrent pour une séance secrète. A leur retour, ils dirent à la communauté et à l’équipe des jeunes qu’ils excluaient seulement Dente Komla de la communauté, et qu’ils tiraient pour lui dans le soleil. Qu’il devait s’éloigner complètement de l’entourage du roi; qu’ils avaient choisi à sa place depuis longtemps un homme, dont le nom était Dza Kwasi. A ce même moment Dza Kwasi lui-même arriva avec deux hommes que Howusu avait envoyés auprès de Awede et de ses chefs. Il leur fit dire qu’il demandait de l’excuser, que tous ses enfants étaient ivres, que ceux-ci n’avaient pu venir avec lui. Si ceux-ci venaient, ils n’allaient faire que du tort. C’est pourquoi, ils devaient reporter l’affaire au lendemain, afin qu’il la termine. S’il ne leur avait pas fait dire cela par ses envoyés, cela aurait donné l’impression qu’il ne les respectait pas. Adala, le porte-parole des chefs, se leva, et demanda à Kwadzo, l’envoyé du roi, si son père l’avait envoyé. Celui-ci acquiesça. Adala dit: N’es-tu pas venu ici et n’as-tu pas transmis au chef Awede ce que le roi t’a ordonné ? Qui s’est opposé à toi, qui t’a rabroué et qui t’a insulté? Toi-même tu as bien vu, ce que les enfants du roi m’ont fait, à moi, Adala, dans la ville royale. Si je n’avais pas été un ancien, je me serais rendu coupable d’un méfait. Aujourd'hui même nous tirerons dans le soleil pour Dente Komla. Il ne doit plus rester longtemps parmi nous; mais toi, au nom de 36
La population de la ville.
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Awede, de ses Chefs, de sa communauté et de toute son équipe, tu dois rester nuit et jour auprès du roi. Awede t’installe à la place de Dente Komla. Dis à notre père: qu’il vienne ou pas, aujourd’hui même nous tirerons dans Le soleil pour Dente Komla; ils n’ont qu’à continuer à jouer du tambour là-bas et à boire de l’eau-de-vie.' Les messagers s’éloignèrent, et il ne vint plus personne de Dome au débat. e. On tire dans le soleil pour Dente Komla. La communauté rassemblée et son équipe envoyèrent alors leur porte-parole, Gble Kwadzo, pour demander à Adala et aux chefs ce qu’ils avaient décidé, afin qu’eux, ils l’exécutent vite. Le chef Boboloe répliqua: 'Nous tirerons Dente Komla au soleil. C’est pourquoi la communauté doit choisir quatre jeunes gens avec des fusils.' Aussitôt, les quatre jeunes gens se rangèrent avec leurs fusils dans le cercle des chefs. Le chef Boboloe et Awede leur remirent à chacun deux boîtes de poudre, avec laquelle ils chargèrent leurs fusils. Puis ils attendirent encore le roi, en vain pourtant. Personne ne vint. Alors ils dirent qu’ils allaient maintenant agir. Sur ce, le chef Awede appela son collègue Chef Asranku, qui prie toujours avant que quelque chose ne soit exécuté. Accompagné des quatre jeunes gens armés de fusils, Asranku se leva et cria d’une voix forte: 'Vous Trowo et vous Gens de Ho et Mawu Sodza, écoutez! Dente Komla, qui aujourd’hui, est parmi nous, s’est mal comporté contre notre père, les Anciens, la communauté et les équipes. C’est pourquoi, nous l’éloignons aujourd’hui (de la communauté) et nous le tirons aujourd’hui dans le soleil, afin que celui-ci le transmette à Mawu Sodza. C’est seulement Dente Komla qui ne doit plus être parmi nous; Wusu est notre Père, avec ses enfants, les gens de Dome. Qu’il aille servir son Dente, afin qu’il reçoive aussi de lui sa nourriture. Que Mawu Sodza puisse l’entendre, que le Tro des Godziviwo puisse l’entendre, que Agbasia puisse l’entendre. Si Dente Komla cite chez n’importe quel Tro le nom d’un homme ou d’une femme de Ho pour qu’il ou elle meure, ne l’écoutez pas; que la malédiction retombe sur lui-même!' Sur ce, Adala donna l’ordre de tirer. Ils dirigèrent leurs fusils sur le soleil et tirèrent l’un après l’autre. Les grands tambours et les tambours de la communauté retentirent, à quoi répondirent une grande joie et un chant. Au milieu des chants la communauté, défila deux fois autour de La ville de Ahliha. Après quoi, les représentants des communautés et les respectables chefs des clans prêtèrent serment à Awede et à Boboloe et dirent: 'Si un roi ou n’importe qui de Dome dit que ce que toi, Awede, tu as maintenant fait, lui déplait, et qu’il s’élève contre toi, alors nous aurons transgressé les grands serments et 'le soir des gens de Ho', si nous ne mourons pas pour toi.' Ainsi tous les guides des communautés prêtèrent serment l’un après l’autre. Après ce serment un chef dit au roi Awede, à Boboloe et à Dza Kwasi: 'Si quelqu’un de Dome ose s’élever contre le roi et que je ne suis pas capable de tirer dans leur ville, j’aurai alors transgressé le serment des gens de Ho.' Après lui, le porte-parole de la communauté et de l’équipe des jeunes se leva devant les chefs et il se tourna vers Adala: 'Nous avons maintenant accompli la mission que les chefs nous ont confiée. Nous n’avons plus qu’un mot à dire aux Anciens. A Sokode il y a eu un porte-parole, qui était exactement comme Dente Kom1a. Il se rendit coupable et fut écarté de la communauté. Après cela, tous les chefs qui l’avaient exclu moururent. Après eux mourut aussi l’exilé lui-même. Pourquoi? Parce que les chefs qui l’avaient exclu allaient encore secrètement chercher
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conseil et directives auprès de lui. C’est pourquoi la malédiction qui lui était infligée se transmit à eux et ils moururent. Nous nous excusons sept fois; mais vous aussi vous devez bien surveiller votre comportement à l’égard de Dente Komla. Quand il sert son Tro, que personne n’aille chez lui.' Les Anciens remercièrent la communauté à cause de son exhortation. Ils étaient tout à fait d’accord qu’ils se conduisent ainsi; c’est pourquoi les chefs le firent aussi proclamer officiellement: 'Vous communautés de Ho, écoutez, grands et petits doivent écouter! A partir d’aujourd’hui, Dente Komla est exclu de l’entourage immédiat du roi, il est interdit à chacun à l’avenir d’aller encore dans sa maison. S’il a contracté des dettes à l’égard de quelqu’un, il doit les rembourser. Si son épouse puise de l’eau au puits (puit), personne ne doit l’aider à mettre le pot sur la tête. Si quelqu’un touche à sa femme, il n’a pas à payer d’amende; nous l’interdisons.' Dans la communauté il y avait un chef: du nom de Dza Kwasi, qui dit que Dente Komla était un voleur. Le Howusu l’avait envoyé auprès d’Adaklu, afin de percevoir des amendes pour des transgressions de serment. Il se rendit là-bas et engagea des pourparlers au nom de Wusu dans des affaires de serment. On lui donna là-bas une femme, qu’il devait amener au roi. Mais il ne la lui amena pas, au contraire il l’épousa lui-même, et jusqu’à aujourd’hui elle est encore chez lui. C’est pourquoi, le chef Awede doit envoyer un messager auprès de Adaklu et obliger le frère de la femme à nous donner une caisse d’eau-de-vie et ensuite à ramener la femme avec lui à la maison. Si la femme refuse d’aller chez elle avec son frère, les gens de Ho la saisiront là où ils la trouveront, la vendront et garderont le montant pour eux. Il n’en résultera aucune faute pour personne; car le serment pour lequel il a acquis la femme appartient aux gens de Ho.' Sur ce, Gble Kwadzo, un chef de la communauté se leva il se tourna vers les chefs des clans et dit: 'Adala, écoute-nous et transmets aux chefs, aux communautés et à l’équipe des jeunes: Nous avons à présent terminé notre travail, et la nuit tombe. C’est pourquoi les chefs des clans doivent nous donner deux caisses d’eau-de-vie et un mouton, afin que nous puissions aller chez nous. Le mouton doit tout de suite être sur place, pour que nous l’égorgions.' Le chef Awede dit: 'C’est bon, nous le donnerons.' Le mouton et un grand panier d’eau-de-vie furent remis tout de suite à la communauté. Awede appela alors Asranku et le chargea comme Adala, de faire une prière sur le mouton avant qu’ils ne l’égorgent. Asranku pria sur celui-ci et dit: 'Hé, écoutez, vous Trowo et vous dieux de Ho! Oui, Dente Komla a péché contre les Anciens et contre la communauté et il a été aujourd’hui exclu. C’est son sang que nous versons aujourd’hui; celui-ci doit aller chez Mawu Sodza et annoncer que Dente Komla n’est plus parmi nous; et s’il nomme le nom d’un homme de Ho pour qu’il meure, la malédiction doit retomber sur lui-même. Nous nous déclarons tout à fait libérés de lui!' Après cela ils agitèrent le mouton trois fois en l’air et le jetèrent sur le sol. Sur ce, sa viande fut partagée entre tous. Les gens de Banyakoe avaient apporté un de leurs tambours, le tambour de malheur, qui est appelé Stupide. Le porte-parole prit une poule et douze Hoka37 de coquilles de Kauri et remit le tout aux chefs avec l’ordre de tuer la poule en sacrifice pour le tambour et de donner les kauris au batteur de tambour. Le chef le remercia, 37
Hoka: un tas de 35 coquilles de Kauri.
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pria sur la poule et la transmit au batteur de tambour. Celui-ci tua aussitôt la poule et laissa une partie de son sang s’égoutter sur la terre; avec le reste de ce sang, il badigeonna les crânes des défunts qui étaient attachés autour du tambour. Eux-mêmes consommèrent la viande de la poule. L’exclusion de Dente Komla était ainsi terminée. D’abord, le roi de Ho, appelé au rassemblement, s’enflamma beaucoup contre Awede et Boboloe; il dit: 'Vous m’avez trahi, vous vous êtes ligués contre moi, vous m’avez publiquement fait appeler - et toi aussi, mon oncle Boboloe, tu es du nombre! C’est maintenant la deuxième fois qu’Awede me fait appeler publiquement et qu’il s’est assis au tribunal contre moi. Que vous ai-je fait, combien d’argent vous ai-je emprunté et n’ai-je pas remboursé? Je ne possède ni famille ni enfants parmi vous38. Jadis j’étais riche, mais maintenant je suis pauvre. Si je l’avais su plus tôt, je ne me serais pas fait porter comme roi sur le trône. Mais c’est trop tard.' Boboloe se leva alors, se présenta devant le roi, et s’adressa à lui: 'Mon cousin, certainement, la sœur aînée de ma mère t’a enfanté, et aujourd’hui tu es roi dans la maison de ton père, et moi aussi je suis sur le trône dans la maison de mon père. Sais-tu pourquoi ni le jour ni la nuit je ne suis venu chez toi? Parce que j’ai appris, qu’on t’aurait amené des impôts que tu as dépensés avec Dente Komla. Moi, ton cousin, je n’ai rien vu de cela, rien entendu de cela; toi, le roi, tu devrais être reconnaissant envers les Anciens de Ho, envers la communauté et envers l’équipe des jeunes, de ce qu’ils ont tiré l’affaire au clair. Dans toutes les villes dans lesquelles tu as fait percevoir l’impôt, on dit de toi que tu as reçu d’eux l’impôt et que tu l’as utilisé pour toi. Alors tu te serais dépêché d’aller là-bas et tu aurais accepté le drapeau allemand afin de te protéger sous le drapeau allemand. Tu avais bien peur devant Kwadzo de, c’est pourquoi tu as fait cela. Tous nos gens se sont écartés de toi à cause de cela. Kwadzo de ne peut plus venir pour enquêter sur cette affaire. C’est pourquoi nous, gens de Ho, nous nous sommes entendus pour enquêter sur cette affaire jusqu’à ce que nous y ayons vu clair. Si maintenant ce débat est terminé, étends ta main comme cela et touche tes enfants, alors ils t’honoreront comme roi. Je ne te trahis pas; je ne dévoile rien sur toi; bien plus j’ai pitié de toi; les gens de Ho ne veulent que ton bien. Si tu refuses et que tu dis que tu ne veux pas les écouter, je ne mettrai plus les pieds dans ta maison.' Le roi Awede aussi parla en ce sens. Le roi les remercia alors en ces termes : 'Mon père vous a installés, et vous, vous m’installez aujourd’hui (comme roi); c’est pourquoi, je veux vous écouter.' Ainsi, le procès prit fin»39.
Cette palabre du détournement est un exemple typique. On y retrouve les parties principales du déroulement de la palabre et sa structure: un fait, une plainte, la convocation du rassemblement, le débat et le jugement.
38 39
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Qui auraient pu l’aider. Nous reproduisons intégralement le texte de J. Spieth, Die Ewe-Stämme. Material zur Kunde des Ewe-Volkes in Deutsch-Togo, 126-152 traduit par O. Ndjimi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 389-403.
1.2 Palabre ordinaire Nous produisons intégralement une palabre ordinaire sur l’entente: «Le cas d’une palabre restreinte: le rite de Ngwakana Par Ngwakana, j’entends les rites de réconciliation ou une palabre restreinte dans le cadre d’un conflit entre les membres du même clan. L’idéal est d’éviter la frustration des sujets du clan. Ici, il n’y a ni membres du jury, ni assistance étrangère. C’est la prise de conscience, par les membres eux-mêmes, de la rupture causée dans la vie harmonieuse et équilibrée, et, l’urgence de 1’effort de tous, pour rétablir la bonne entente dans la famille. C’est ce que la palabre tente de rétablir. Ces rites «sont, comme tous les rites, des formules et (ou) des gestes, reproduits dans des conditions déterminées à l’avance, c’est-à-dire à des points précis d’un temps consacré à un travail, à un procès qui vise précisément à restaurer l’être dégradé. Ils peuvent prendre une partie ou tout le temps de ce travail de restauration au sein duquel les rites de réconciliation prennent place, c’est un fait social total (économique, politique, religieux, juridique, etc...); mais, chaque fois, il présente un caractère dominant». (Buakasa, «Le projet des rites de réconciliation», in: Péché, pénitence et réconciliation, 105-106). Les cinq moments de la palabre restreinte: Premier moment: rassemblement et rappel de la norme sociale et de la parole des ancêtres. En janvier 1996, un différend opposait Malwasa à son frère Mawala, du village Kimbangula, du clan Kingoma. Un vendredi, vers 10 heures, toute la famille se rassemble sous l’arbre à palabre chez l’oncle Lupupu. On est assis par terre ou sur une natte. L’oncle Lupupu occupe la chaise traditionnelle, son muhangu (canne) à la main; on reste en cercle. Nulle absence ni excuse ne sont admises, car tous étaient prévenus la veille. La présence de tous est obligatoire de telle sorte que l’absence d’un membre, surtout d’un aîné ou d’un oncle, fait avorter le procès. Il n’est pas question d’un quorum à atteindre, mais de vivre l’ardente participation de tous. La faute d’une personne entraîne la responsabilité de tous. L’oncle Lupupu rappelle la parole et la volonté des ancêtres, cette parole qui oriente la vie sociale et détermine les normes à suivre. Alors, chaque membre peut se retremper dans l’histoire du clan Kingoma, dans les lois et les interdits des ancêtres, leur désir de voir les membres (vivants) vivre dans l’harmonie et la paix; ce qui permet de mesurer la fidélité de chacun à la lumière de cette norme traditionnelle et commune. L’oncle Lupupu est considéré comme celui qui veille à la sauvegarde de la vie cohérente et solidaire. Deuxième moment: le constat d’un conflit, l’aveu et 1’intercession de la communauté. Malheureusement, il y a constat d’un conflit résultant de la désobéissance à la norme des ancêtres. Malwasa et Mawala passent aux aveux: il y a une mésentente entre les deux membres, Mawala ayant été insulté par sa cadette. L’oncle Lupupu avoue la faute au nom de toute la communauté, prenant les ancêtres à témoin. Malwasa se tient alors debout au centre, la face tournée vers le sol, sans regarder les autres (en signe de contrition), les mains sur la poitrine et passe aux aveux. Elle se
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rassied une fois son récit et sa demande de pardon achevés. L’obtention du pardon par Malwasa est accompagnée par la réticence simulée de Mawala lésé. Il faut alors l’intercession de tous les membres de la famille témoins et participants, afin d’inciter Mawala à l’indulgence, pour qu’il se conduise lui-même en homme raisonnable et conséquent, étant lui aussi impliqué dans la vie harmonieuse du groupe et devant à son tour la préserver. Vient alors l’acceptation de ce dernier, conscient du danger social et personnel qui naîtrait de la persistance des relations conflictuelles. La sanction est thérapeutique et non vindicative; elle vise la restauration des liens sociaux. L’accent est mis sur la nécessité de la «conversion» de chaque membre au-delà de l’aventure accidentelle de Malwasa, ce qui contribue à pacifier cette dernière et à la réintégrer sans rancune dans le groupe. L’amende est symbolique. Malwasa doit offrir un coq et une calebasse de vin de palme à Mawala, pour concrétiser la réparation et le repentir. A son tour, Mawala remet cette amende à l’oncle Lupupu pour le repas de pacification. Troisième moment: le rite de «réconciliation». La «réconciliation» se vit en se lavant les mains tous ensemble dans un même bassin et au même moment; pendant que l’oncle Lupupu prononce, au nom de tous, la formule de demande de pardon aux ancêtres. L’eau sale ayant servi à laver les mains pour ainsi se purifier est jetée au sol, entraînant avec elle toutes les fautes et toutes les souillures. On se donne la paix par une poignée des mains, en commençant par Malwasa et Mawala, et toute la communauté par la suite. On se reparle dans la confiance et la fraternité restaurée. Avant même le repas, on partage tous le même verre de vin de palme. L’oncle Lupupu boit en premier, suivent Malwasa, Mawala et toute la famille. Le vin est en outre versé au sol à l’intention des ancêtres. La noix de cola est aussi partagée par tous et consommée pour marquer la vie retrouvée. Ici encore, la parole reste efficace, pouvant être dévastatrice ou médicinale, apte à vivifier ou à tuer, à «réconcilier» ou à séparer. Elle peut rétablir à tout moment ce qu’elle a détruit autour de nous. Quatrième moment: le repas de pacification. C’est le temps par excellence de partage et de solidarité. Si le sang du coq ou du bouc immolés est versé au sol, la viande ou la chair est préparée pour nourrir les membres, en vue de la «réconciliation». Les ancêtres sont toujours supposés participer à la cérémonie; les aliments et le vin sont versés au sol à leur intention. Cinquième moment: la fête. Les chants, la danse, la joie et la fête clôturent la palabre. Tous y participent. La «réconciliation» est sincère. La vie peut alors reprendre en toute fraternité et confiance»40.
Nous avons ici un cas typique d’une palabre familière qui a pour but de rétablir l’harmonie familiale tordue par un conflit de forêt. Elle ne rassemble qu’un petit groupe familier qui veut refaire et ressouder ses liens familiaux. Mais la palabre
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L. Matangila, la catégorie de la faute chez les Mbala (Bantous), 306-309.
est aussi une réalité historique. Avant d’essayer d’en présenter les composantes, un repère historique s’avère nécessaire.
2. Repères historiques La palabre a aussi une histoire. La brève présentation historique suivante nous aidera à voir sa teneur et son importance dans la société. En effet, ce terme est vulgarisé vers les années 1800 par les commerçants portugais, comme débats et transactions commerciaux, souvent longs, avec leurs partenaires africains à l’occasion des échanges commerciaux ou de l’offrande des présents aux rois de l’Afrique côtière. Petit Robert lit la palabre comme: «présent fait à un roi noir des côtes d’Afrique pour se concilier ses bonnes grâces. Par ext. Pourparlers à l’occasion de la remise de ces présents»41.
Tandis que le Trésor de la langue française ajoute qu’elle est: «[...]"Assemblée coutumière, généralement réservée aux hommes, où s’échangent les nouvelles, se discutent les affaires pendantes, se prennent les décisions importantes"»42.
De son origine latine, "parabola", palabre signifie "parabole", comparaison; et de l’ancien espagnol "paravla", et aujourd’hui "palabra", elle a aussi le même sens de parabole et parole43. Le nouveau Petit Robert nous donne deux perceptions de la palabre: une ancienne et une nouvelle: «-1601; espagnol palabra «parole». 1. (vieux) Présent fait à un roi noir des côtes d’Afrique pour se concilier ses bonnes grâces. 2. (moderne) En Afrique, Échange de propos. Assemblée coutumière où se discutent des sujets concernant la communauté […]»44.
Lorsque l’on parcourt les différentes définitions de la palabre, on se rend compte d’une évolution constructive dans la réception de son concept. Dans le contexte colonial, le mot reçut une connotation un peu péjorative; elle est une assemblée de deux parties: la partie du colonisateur et celle des colonisés, consistant à des débats longs à cause de leurs complexités et souvent contradictoires et sans issue. La différence de cultures et de langue, pensons-nous, jouerait aussi dans ce cas un grand rôle dans la contradiction et l’allongement des débats. Les africains utilisèrent ce mot plus tard pour désigner les rassemblements publics ou même 41 42 43 44
P. Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique, 1218. Trésor de la langue française, 801. Cf. L. Gilbert et alii, Grand Larousse de la langue française, 3907; P. Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique, 1218. P. Robert, Le nouveau Petit Robert, 1784.
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conférences à caractère religieux ou juridique. Et dans son expansion en dehors des côtes africaines, et suite aux différents contacts avec les autres structures langagières, ce mot se solidifie comme négociation, discussion, comme débat – parfois à l’allure d’un procès – dans le but de résoudre une situation conflictuelle ou de traiter d’un sujet, d’un fait important dans la famille ou dans la société. Dans le contexte de rapports entre indigènes et européens, la palabre a joué un grand rôle comme moment et cadre de négociation, de discussion, de marchandage pour s’intercomprendre ou encore en vue de la bonne gouvernance etc. Comme le souligne si bien Hernæs: «Thus the Palaver was the main forum for legal proceedings in cases between Europeans und Africans; the Palaver was the forum through which the Danes could influence local politics, and the Palaver was an important instrument in diplomatic affairs. In order to set up agreements, and in the negotiating of treaties, the Palaver was indispensable»45.
Quelles sont, en fait, la structure et la finalité de la palabre?
3. Présentation structurale 3.1 Eléments constitutifs Lorsque nous nous interrogeons sur ce qui fait la vitalité, l’actualité de la palabre, nous pensons à sa structure, aux éléments qui la constituent. En effet, en Afrique, la vitalité et l’actualité de la palabre sont liées à la saisie de la parole, comme le pense Ozankom46. Car la palabre, c’est aussi la parole qui parle de la vie et de ses atermoiements, une parole pour exister. La palabre est la parole parlée, discutée, partagée, argumentée dans le but de l’harmonie communautaire, dans le but de coopérer interactivement pour exister. Palabrer, c’est parler de la vie, c’est créer l’harmonie dans la collaboration commune. La parole, de par son origine divine, est un outil actif de relation entre les hommes; bonne, elle construit, mauvaise, elle détruit. Elle est le facteur par excellence de l’harmonie sociale47. Elle orchestre le monde dans sa capacité de créer un climat relationnel et 45 46
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Per O. Hernæs, Palaver: Peace or «Problem»? 21. Cf. C. Ozankom, Christliche Botschaft und afrikanische Kultur, 366: „Die Vitalität und Aktualität des Palavers stehen in engem Zusammenhang mit dem afrikanischen Verständnis des Wortes“. Ozankom souligne ainsi que la vitalité et l’actualité de la palabre sont intrinsèquement liées à la compréhension et l’intelligence africaines de la parole. En effet, la parole joue un rôle majeur dans la vie africaine et, de fait, dans le dialogue palabrique. Cf. Ibid., 372.
communautaire. Chaque parole situe son auteur face à lui-même et face à son interlocuteur. Active ou passive, la parole positionne les interlocuteurs. Elle est outil, acte et puissance. Ceci a été bien compris dans la société traditionnelle, dans la mesure où la parole est centrale, un art, un système ordonné dont la manipulation requiert précaution et maîtrise. Pour cette raison, s’impose le besoin de son apprentissage et de sa maîtrise. Car la parole est un processus d’insertion dans la société et l’éducation à la parole, à la bonne parole trouve ainsi une raison d’être. Sa maîtrise exige une initiation, d’où le besoin de son juste apprentissage48. Dans la pensée africaine, tout est parole, signe ou symbole, rythme ou son, c’est-à-dire acte communicationnel. Les structures sociales africaines, telle que la palabre, sont des langages, des moyens d’expression et de partage, de communion avec soi, avec l’autre, avec la nature, avec les aïeux et avec le ToutPuissant. De même que le fait ressortir Erny, le langage «se traduit de milles façons dans la production littéraire, dans le chant, le rythme du tambour, le rire "indompté et irrémédiable", comme dit A. Césaire, la danse qui n’en est qu’un déploiement dans l’espace par le mouvement»49.
Et toutes ces structures langagières procèdent, enfin de compte, d’un désir de communiquer et de communier. Et la palabre, en tant que langage et parole, est une coordination du discours, une pratique du Verbe créateur. Par et dans le processus palabrique, la parole se constitue un tissu ontologique: une expression éminente de la vie et de l’être. Dès lors, savoir agir revient à savoir parler, tant que l’acte est la matérialisation de la parole, symbolique, rythmée, silencieuse ou parlée. Et la palabre, lieu de la parole, se révèle être un lieu et un processus d’harmonisation, de coopération par excellence, dans sa recherche de rétablissement de l’ordre brisé par une interaction agissante. Senghor explique encore une fois la vitalité de la parole et du verbe: «la parole, le verbe sont l’expression par excellence de la force, de l’être dans la plénitude […]. Chez l’existant, la parole est le souffle animée et animant de l’orant; elle possède une vertu magique, elle réalise la loi de participation et crée le nommé par sa vertu intrinsèque»50. 48
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Cf. Ibid., 369. En effet, dans la civilisation africaine – essentiellement orale – la parole joue donc un rôle de premier plan dans le processus éducatif. La rhétorique a une place majeure dans la vie quotidienne. L’importance de la parole est visible dans l’art de raconter les histoires, dans les légendes etc. P. Erny, L’enfant et son milieu en Afrique noire, 163. Cf. O. Bimwenyi, Discours théologique négro-africain, 455ss. L.S. Senghor, L’esthétique négro-africaine, cité par L-V. Thomas/R. Luneau, La Terre africaine et ses religions, 48. Cf. J. Jahn, Muntu. Die Neoafrikanische Kultur, 130:
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La parole a aussi une fonction spirituelle, philosophique et sociale. Pour ce, la palabre, par sa mise en parole, est une mise en ordre du désordre social et reste, elle-même, une parole sacrée qui engage et exige une responsabilité. Pour cette raison, Bidima reconnaît la palabre comme une juridiction de la parole: «la palabre est une parole < donnée à >, < adressée à >. Cette donation exige donc de son donateur une adresse, une mise en forme qui est aussi une mise en sens»51.
La palabre demeure un lieu approprié et un espace privilégié de la parole passive ou active, théorique et pratique, de la parole communicative et de communion. La parole fait de la palabre un espace participatif de coopération, de réciprocité, de responsabilité et de "récojustice". Mais la palabre se joue en même temps de la parole qui ne reste pas un simple mode passif de communication, mais un agir. Car parler, c’est d’abord agir. La parole est donc un outil capital de l’interaction palabrique52. La parole conduit toute la vie, parce que l’homme baigne dans l’univers de la parole. Mais elle reste aussi une arme redoutable. Parler c’est vivre et faire vivre, c’est créer et recréer. Parler, c’est partager, dialoguer, coopérer et interagir. Parler, c’est exister, parce que la parole est communion avec le cosmos, avec les êtres supérieurs. La parole est d’origine divine: Dieu est la parole par excellence53. La dialectique de la parole dans la vie africaine et mêmement dans la palabre trouve aussi sa dynamique dans le fait qu’elle est l’expression virile de l’être, "l’être-avec". Sa fécondité, et tous les principes normatifs qui lui sont consécutifs rendent la vie en société possible, viable et sociable, harmonieuse et communicative. Le langage et ses constituants sont un élément clef de et dans la palabre. Thomas l’exprime en ces termes:
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„[…] alle Wirkung des Menschen, alle Bewegung in der Natur beruht also auf dem Wort, auf der zeugenden Kraft des Wortes, das Wasser und Glut und Same und Nommo, also Lebenskraft selbst ist“. Cf. Ibid., 128. "Nommo" est la parole en tant que génie créateur. Ces auteurs soulignent encore une fois l’importance et la force de la parole dans la société africaine. J-G. Bidima, La palabre, 10. Cf. F. N’sougan Agblemagnon, Sociologie des sociétés, 45. Cf. C. Ozankom, Christliche Botschaft und afrikanische Kultur, 367. Pour lui, l’origine divine de la parole confère à celle-ci sa relevance existentielle, car Dieu est la parole par excellence de la quelle tout découle. Il est le porteur et l’auteur de la parole. Tout existe par sa parole.
«l’essence du monde négro-africain résidant dans la force dont la vie et le verbe actualisent les manifestations profondes, le langage est par excellence expression de l’être-force, déclenchement des puissances verbales et principe de leur cohésion»54.
La parole tout comme son silence restent facteurs d’harmonie, de lien cosmique, de socialisation coopérative55. Elle est un moyen par excellence d’éducation et de progrès. Dans cette mesure, la parole dans la palabre est riche et puissante puisqu’elle est fondée sur des expériences vécues rendues intelligibles dans la société par des proverbes, contes et dictons, l’histoire et la tradition avec toutes les conséquences pratiques et les possibilités éducatives qu’ils impliquent. La palabre est un lieu et un temps des possibles. Bidima abonde dans le même sens lorsqu’il déclare: «la palabre produit des possibles et un être en palabre entre, à travers la parole de l’autre et celle adressée à l’autre, dans un horizon de possibles»56.
Les éléments oratoires tels que les proverbes, les contes, les devinettes, la fable, l’énigme, les paraboles, les chansons judicaires et palabriques57, les symboles et les gestes sont des composantes indispensables dans le déroulement de la palabre; ils en aiguisent la saveur. Ces éléments contribuent à la qualité oratoire des assises et jouent un très grand rôle dans le génie "argumentatif" 58. Ils sont des armes discursives pour les orateurs. Doutreloux décrit aussi l’importance de ces éléments en notant: «les orateurs qui se succèdent usent de tous les moyens d’expression, danse, chant, pantomime, récits où interviennent tous les genres littéraires oraux, généalogies, contes ou légendes anciens, proverbes, allégories ou simples improvisations»59.
Ces moyens expressifs servent à argumenter et "contre-argumenter". Réellement, ces éléments oratoires sont généralement porteurs de leçons morales et de sagesse. Ils portent une éthique d’agir et d’interagir. Se combinant les uns aux autres ou les uns dans les autres – dans le cas des proverbes dans les contes et paraboles, par exemple – ils sont des composantes "argumentatives" et pédagogiques intéressantes. Leur souple usage et leur juste combinaison sont dans une argumentation une force non-négligeable pour l’orateur tant qu’ils sont porteurs d’un message précis et cohérent, et ils sont communicatifs et imprègnent l’expérience quotidienne.
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L-V. Thomas, Afrique noire. Littératures traditionnelles, 492. Cf. C. Ozankom, Christliche Botschaft und afrikanische Kultur, 372-373. J-G. Bidima, La Palabre, 45. Cf. L. Matangila Musadila, La catégorie de la faute, 239-247. Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 210-214. A. Doutreloux, L’ombre des fétiches, 200.
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La gestuelle joue aussi un grand rôle dans la palabre, dans la mesure où elle favorise l’interaction et attire l’attention des uns et des autres pendant le dialogue. Elle est expressive et porteuse d’un message. Par exemple, l’acquiescement d’un argument par la tête. Œuvre esthétique, le geste est, en même temps, comme les autres éléments oratoires, un processus intellectuel, un langage créateur. Lorsque la discussion est vraiment houleuse, quand la tension monte dans les débats, la détente, par la gestuelle, par un chant ou par l’humour, aide à baisser la tension et à remettre les esprits en ordre. Les différents éléments oratoires sont un condensé des expériences accumulées dont le but est l’agir actuel. Nous pouvons même retrouver des antithèses dans ceux-ci, mais celles-ci contribuent à une présentation de tous les aspects d’une situation, d’un problème. Avec elles, la société prend en compte toutes les dimensions d’un problème donné pour mieux le scruter, mieux le discuter, et ainsi lui trouver des solutions adéquates. Ce qui permet une prise en charge globale et dans la durée d’une situation donnée dans un agir adapté et conséquent. Durant la palabre, il est aussi fait usage des composantes psycho-langagières – des humours, des interrogations musclées, de l’ironie, des moqueries, des tournures langagières, etc. – qui, par des interventions vigoureuses, par des questionnements souvent pointilleux, ou des réponses parfois humiliantes, montent les uns contre les autres, animent la discussion et rendent le processus argumentatif vivant. On les utilise parfois pour humilier, pour étaler la faute ou rappeler à l’un ou l’autre les menaces qui pèsent sur lui. Mais bien plus, ils apaisent plus la tension que ne l’attisent; ils attisent la discussion, rendant ainsi le dialogue mouvementé. Dans la palabre de détournement: le porte-parole Adala est mécontent du nom "Gens d’Agotome" qui leur est collé, qu’il considère comme une insulte. Ces différentes composantes peuvent se situer soit du côté de la foule soit du côté des orateurs. En fait, leur usage est parfois sadique dans la mesure où il tente entre-autre d’intimider l’accusé et de l’humilier en le faisant souffrir psychologiquement. Les témoignages et les preuves sont toujours les bienvenus lors d’une palabre. Ils ne servent pas essentiellement à condamner, à exclure, à accabler. Autant que le stipule Ndjimbi, par eux: «il s’agit de rendre une vie sociale possible ou viable pour tous, beaucoup plus que d’affirmer un gagnant ou un perdant, bien qu’il y en ait tout de même un qui gagne la palabre. […] C’est un processus raffiné de justice qui ne sacrifie ni l’humain ni la logique, mais l’agence harmonieusement»60.
Décidemment, la volonté réelle de paix et la poursuite de la vérité orientent la recherche et le déploiement des preuves dans le dialogue palabrique. Les uns et 60
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O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 226-227.
les autres tentent, par-là, d’appuyer et de confirmer leurs affirmations, leurs prétentions de validité de façon plausible. La recherche des preuves et des témoignages pendant la discussion a aussi pour rôle de supprimer l’arbitraire dans la discussion et de soutenir les différentes argumentations. D’après Bidima, les témoignages entrent ainsi dans le processus argumentatif actif, car: «ce sont autant d’actes par lesquels la société en palabre prend distance par rapport à elle-même et interroge ce qui n’entre pas immédiatement dans le cadre de la palabre: le destin, les ancêtres, la nature – en bref, l’autre»61.
Il est aussi fait usage des oracles, du serment, de la divination, de l’ordalie, etc. On a par exemple, dans le cas de l’ordalie62 chez les "Basuku"63 en RDC, le recours à un poison "Phutu" (écorce de calebar) que l’on fait boire à l’un ou l’autre. Cette épreuve du poison ou d’autre nature constitue pour les parties en cause un violent moyen de confrontation pour étaler la gravité du problème, c’est-à-dire, mettre sa vie en jeu pour manifester la gravité de la situation. Si l’accusé meurt après l’absorption du poison, c’est qu’il est coupable et s’il le vomit, il est innocent. Les abus ne manqueront pas dans ce cas, comme c’est aussi le cas dans les systèmes les plus perfectionnés du monde. Sûrement, le but poursuivi est la réprobation du mensonge et de l’incohérence et le rejet de la tricherie. Les preuves et les témoignages – aussi des tierces personnes – pour culpabiliser l’un ou innocenter l’autre sont destinés à solidifier les argumentations et à retracer la vérité. Le mensonge, l’incohérence, la tricherie ou la fourberie dans la présentation de preuves et témoignages sont réprouvés. C’est cette fourberie qui fera condamner Dente Komla dans la palabre mentionnée ci-haut. Lors du dialogue palabrique, on rappelle aussi la tradition et l’histoire qui sont une source d’information et d’expérience non-négligeable. En elles, les orateurs puisent les éléments, les principes, les critères d’argumentation et de jugement. Des expériences du vécu antérieur apportent une lumière dans les situations présentes à résoudre. La tradition et l’histoire sont des points de référence et de repère pour mieux aborder, mieux analyser et traiter avec rigueur une situation, parce qu’elles portent en elles un vécu, une expérience pratique pleine de leçons de sagesse pouvant guider un débat. Elles renvoient aussi aux mondes objectif, subjectif et social. Ceci ne signifie absolument pas que les orateurs restent figés dans leur usage; puisqu’ils restent toujours libres dans la façon de les aborder et de les actualiser. Tout comme l’histoire, Ndjimbi pense que: 61 62 63
J-G. Bidima, La palabre, 15-16. Cf. F. Lamal, Basuku et Bayaka, 192. Cf. Idem.
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«dans la "palabre", donc, la tradition n’est pas figée, mais vivante, laissant aux juges et orateurs la liberté d’interprétation et d’intervention. La tradition y est seulement une conseillère et pas une maîtresse. L’histoire et la tradition sont ainsi le berceau où la "palabre" puise sa sève de vitalité, de justice et de justesse»64.
Elles nous situent par rapport à nous-mêmes et au monde de façon beaucoup plus solide et vivante. Elles aident les acteurs de la discussion à trouver des exemples, des signes et à cultiver la jurisprudence pour réussir la séance palabrique qui se déroule ainsi que nous allons le décrire.
3.2 Séance Suite à une plainte d’une partie, d’un individu, d’une communauté, d’une famille, d’un clan, d’une tribu ou d’un groupe, à la suite d’une situation conflictuelle ou lors d’un événement majeur dans la communauté, tels que le mariage, l’intronisation etc., les personnes attitrées, après des "pré-palabres", convoquent l’assemblée palabrique. La "pré-palabre" se tient à deux niveaux à savoir: au niveau des animateurs et à celui des parties en cause. Bidima en parle en ces termes: «avant la tenue de la palabre proprement dite, il y a des "pré-palabres" durant lesquelles les personnes s’estimant lésées s’ouvrent à un tiers jouissant d’une influence aussi bien reconnue par l’accusateur que par la personne mise en cause. […] Cette pré-palabre, fréquente en cas de conflits fonciers et de sorcellerie, n’est pas nécessaire en cas de flagrant délit»65.
Et les orateurs mènent souvent à leur tour des enquêtes discrètes, à la recherche des preuves et témoignages éventuels. La palabre est convoquée par une autorité attitrée de la cour, un ancien ou un chef de clan ou de famille. Elle rassemble des individus, un clan, une famille, un village, des villages ou une ethnie etc. Il en va de l’existence même de la communauté dans la prise des décisions importantes pour la bonne marche de la société. Par des battements des instruments appropriés, par des crieurs publics officiels est annoncée la séance, qui se tient en plein air sous un arbre ou un toit du village ou chez le chef du village ou du clan ou de la famille etc. Généralement, elle se tient en grand cercle sous l’"arbre à palabre"66: au milieu le modérateur
64 65 66
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O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 245. J-G. Bidima, La palabre, 15. Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 181-182; C. Ozankom, Christliche Botschaft und afrikanische Kultur, 376. Cet arbre symbolise aussi l’unité du village. Autour de lui se construit le village; il est lieu un comme un condensateur cosmique, il est sacré et a une histoire. Sous cet arbre se
et les orateurs et d’un côté et de l’autre les partis en cause et le public; mais elle se tient parfois en forme de carré tel que chez les Yambe au Zaïre67. La séance débute généralement vers 10h00 pour généralement se terminer vers 17h00 ou 18h00. La position circulaire, en effet, favorise la chaleur des échanges, la proximité. La palabre dure toujours longtemps; la durée de la palabre dépend de la gravité de son objet. Elle dure aussi parce que l’on recherche une solution durable et dans la durée, une unité efficace et l’harmonie dans la diversité des vues et des discours. Cette forme de rassemblement favorise en quelque sorte le regard mutuel, symbolise le regroupement et cultive la communication et la communion pendant la séance. La séance palabrique marque un "être-ensemble"; et pour souligner le "tous-ensemble" dans le dialogue durant la palabre, nous incluons la forme losangique du système de communication "palabrique" dans un cercle (Graphique 2). Les graphiques suivants (1 et 2) pourront nous aider à mieux appréhender ce "tous-ensemble" et ainsi, à saisir le processus interactif palabrique comme un processus de tous ensembles. (1). Ce graphique (1)68 présente la palabre comme un processus interactif.
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vit les lois des ancêtres de l’unité, de cohésion et de fraternité. Là aussi sera célébré le rituel de purification, de réconciliation dans le partage du repas de réconciliation. Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 184. Ici aussi la forme carrée marque le "tous-ensemble", la volonté de communion et de dialogue. Cf. C. Ozankom, Christliche Botschaft und afrikanische Kultur, 386.
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(2). Ce graphique (2)69 symbolise la communion palabrique et l’"être-ensemble".
Nous voulons, en insérant le graphique (1) dans la forme circulaire, souligner la communion et la communauté de dialogue. Dans ce cercle, chacun se reconnait, à part égale, membre d’une communauté discursive, dans laquelle la parole, libre, est ouverte à tous70. Réellement, la palabre est, de cette manière, présentée comme un espace symbolique de rencontre et de découverte de l’autre; un espace et un temps d’identification de soi et de l’autre: une communauté des sujets libres en interaction. Elle est un espace d’échanges et de représentation, de communication. Et la parole est, dans ce cercle, une parole libre mais aussi une parole respectueuse et ordonnée. Pour souligner la fonction sociale de la parole, Calame-Griaule ajoute: «considérée sous l’angle social, la parole est aussi l’expression des règles qui rendent possible la vie en société et dont la connaissance est transmise par un enseignement oral»71.
Elle est une parole libératrice parce qu’elle libère de la peur, de l’isolement, de la tension intérieure et surtout du conflit. Elle est une parole de tous pour tous, 69
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71
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Cf. A.H. Post, Afrikanische Jurisprudenz, 80; O. Ndjimbi-Tshiende, RéciprocitéCoopération, 184. Nous faisons cette représentation en nous référant à la tenue même de la palabre en forme circulaire pour marquer le rassemblement, la mise en commun, et même le fait et la volonté de cheminer ensemble vers un but commun: le consensus, la réconciliation et la communion. Le cercle souligne aussi la liberté de parole et l’égalité des partenaires dans la discussion. La palabre se tient en forme circulaire. Cf. L. Matangila, La catégorie de la faute chez les Mbala (Bantous), 307. La palabre restreinte citée plus haut: les membres de la famille sont assis en cercle sous l’arbre à palabre; O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 184. G. Calame-Griaule, Ethnologie et langage, 26.
une parole libératrice, dans la mesure où, comme nous pouvons l’acquiescer avec Ndjimbi, elle manifeste «la liberté de la parole dont dispose toute l’assemblée et le caractère de dialogue à double niveau que revêt la recherche de la vérité dans l’exercice de la justice»72.
La palabre est une "discussion-dialogue", dans un langage souvent métaphorique; l’usage des proverbes, un langage imagé propre à la sagesse oratoire, est argumentatif, participatif et ordonné. En effet, après l’exposition des faits, il s’en suit parfois des empoignades verbales chaudes entre les protagonistes constitués de l’équipe modératrice, des orateurs, des parties en cause et du public. 3.2.1 Protagonistes 3.2.1.1 Équipe modératrice et orateurs L’équipe modératrice est constituée par le roi ou le chef, des anciens, des sages et des orateurs. Le roi ou le chef incarne l’autorité réconciliatrice suprême. Ils sont les défenseurs, les protecteurs de la communauté et de la famille: garants de l’unité et de la paix. C’est dans cet ordre d’idées que Ndjimbi affirme que le roi ou «le chef ne prend la parole généralement que longtemps après avoir écouté attentivement le débat et tous les arguments, sauf s’il est parmi les accusés […]»73.
Ceci dit, ces garants de l’harmonie sociale doivent être imprégnés des bonnes qualités d’écoute et être eux-mêmes des bons orateurs. La communauté attend d’eux une souplesse capable de réconcilier et de faire régner la paix et la sécurité sociale, et pas tout simplement la force de juger pour condamner. Leur tâche est plus un service qu’une manifestation du pouvoir pour le pouvoir. Il leur incombe donc en premier ce service et ce devoir d’harmonie sociale. Les orateurs – appelés "Mbaku"74 chez ces peuples tel que les Basuku et Bayaka en RDC – quant à eux, ont une fonction conseillère et défensive. Ils sont soit dans la partie des accusateurs ou bien celle des accusés. Ce sont, en général, des gens influents dans la communauté, éloquents, ayant la maîtrise de la tradition, de la culture et de l’histoire. Ils sont pris du milieu du peuple; ils sont supposés être pleins d’expérience, d’éloquence, de sagesse et de connaissance. A propos de cette maîtrise et de l’éloquence, Mbarga confirme que: «l’éloquence, la maîtrise de la culture, une longue expérience sont tout compte fait, des instruments utiles au spécialiste de la parole pour la santé, la paix, la prospérité, 72 73 74
O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 186. Ibid., 216. Cf. Matadiwamba K. M., Proverbes Pelende ,70-82, pour plus de détails.
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bref de la vie de son milieu. […] L’orateur acquiert sa sagesse en solidarité avec les siens. Il ne travaille pas isolement; il est entouré d’anciens qu’il réunit en conciliabule avant tout discours pour en fixer la teneur»75.
Les orateurs sont des hommes mûrs et sages qui travaillent sur mandat et en collaboration et solidarité avec les autres sages. Ce sont des hommes de la parole, ayant la maîtrise de la culture, de l’histoire et de la tradition, l’expérience de la vie et sont pour ainsi dire professionnels, des techniciens du discours, parce qu’ils manient le langage avec intelligence. Mbarga dit d’eux: «les orateurs sont des charismatiques de la parole. Ils la manient avec dextérité, art et éloquence»76.
Par leur apport aux discussions, ils enseignent aussi la sagesse aux autres. L’orateur ne travaille pas de manière isolée; il est, et vit en symbiose avec sa communauté. Il agit en coopération avec les juges, les sages, les anciens avec lesquels ils se consultent, discutent, échangent les arguments pour résoudre le conflit entre les parties en cause ou chercher des voies et moyens pour la réussite de ce pourquoi l’on se réunit. 3.2.1.2 Les parties en cause Il s’agit de la partie accusatrice et celle accusée. A tour de rôle, elles prennent la parole pour porter leurs affirmations à la connaissance des autres et dire leurs prétentions à accuser et se défendre validement. Elles échangent les arguments pour ou contre leurs thèses respectives77. De manière générale, elles se font représenter par leurs orateurs respectifs. Le jury, par son porte-parole, leur distribue la parole à tour de rôle pour que chacune, libre, avec un sens d’écoute responsable et dans le respect de l’autre parle, affirme ce qu’elle pense et discute librement. Cet échange instaure ainsi entre les parties une interaction verbale dans un espace participatif. Chacune est, à tour de rôle, locutrice et réceptrice. Mbarga l’éclaire si bien en attestant que: «grâce à l’alternance, le locuteur actuel permet au récepteur, locuteur potentiel, de construire un rôle et d’anticiper sur sa prochaine prise de parole. Le tour de la parole constitue le sujet parlant comme sujet transitaire et sujet transitoire. La seule grande interdiction dans la palabre est la monopolisation de la parole tant de la parole que de l’espace de parole»78.
Dans ce processus de dialogue, il peut y avoir des ratés, mais cela n’influe pas ostensiblement sur la réalité et le but poursuivi. Justement, cet espace de dia75 76 77 78
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J. Mbarga, L’art oratoire et son pouvoir en Afrique, 19. Ibid., 18. Cf. C. Ozankom, Christliche Botschaft und afrikanische Kultur, 381. J-G. Bidima, La palabre, 23.
logue est très complexe, par le fait qu’il joue un double rôle, à savoir un rôle juridique et un rôle éthique79. Cet espace est un espace libre, ouvert à tous puisque toute la communauté y est invitée. Le public en est partie intégrante. 3.2.1.3 Le public Le rassemblement palabrique étant public et ouvert, tous les acteurs y sont les bienvenus, sans distinction ni de sexe ni d’âge. Tous ceux qui le désirent, peuvent y prendre une part active, demander et avoir la parole pour poser des questions ou partager une pensée ou une expérience. Le public participe donc activement à la palabre, c’est-à-dire au principe social de réciprocité et de socialisation, et ainsi au principe même du pouvoir au sens plus large. De cette façon, dit Ndjimbi: «en même temps que le peuple respecte par une attention soutenue le déroulement de la "palabre", il exerce aussi par là et par sa liberté d’expression son contrôle (ou son influence) sur le débat des affaires publiques, notamment sur la façon dont la justice est rendue et dont s’administre la chose publique. Car, dans la "palabre", c’est tout qui est en cause, l’administration autant que la conduite du peuple»80.
Le peuple participe de cette manière au travail collectif et individuel d’harmonie, de paix et de développement. Il est partie intégrante de l’auditoire, qui lors du déroulement de la palabre, acquiesce ou réfute les divers processus argumentatifs. La participation de tous fait des assises une épreuve pour tous: les parties en présence, le public et les orateurs, car le savoir de tout le monde y est interpellé et doit contribuer à l’élucidation des faits. La parole est partagée et argumentée de façon équitable et ordonnée. Le jeu d’alternance de la parole facilite la modération. Et comme dans tout processus interactif, il peut naturellement y avoir des manquements. Pendant la séance, la discussion, souvent entrecoupée de chants, de temps de silence, de soupirs, de danses, de parties d’humour qui détendent les esprits et de concertations privées des parties respectives – aussi parties inté79
80
Cf. C. Meinhof, Afrikanische Rechtsgebräuche, 83. Le processus juridique reste assez bien développé et organisé en Afrique, d’autant plus que, la plupart des africains sont des bons orateurs ayant la capacité de s’adonner avec dévouement au processus de négociations juridiques; Cf. B. Bujo, Die ethische Dimension der Gemeinschaft, 32. Bujo abonde dans le même sens en soulignant que les divers sages qui prennent part à une séance palabrique n’appartiennent pas à une institution officielle. Parce que lors de ces discussions, on ne tient prioritairement pas compte que de la compétence et de l’expérience de ceux-ci. Le fait qu’ils partagent la vie quotidienne du peuple leur permet d’argumenter avec consistance. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 221-222.
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grantes de la palabre – est participative. Les conciliabules et les concertations, tantôt des orateurs, tantôt des parties en cause, qui entrecoupent la séance restent caractéristiques à la palabre. Elles sont, en fait, comme des "mini-palabres" dans la palabre. Après la discussion suivent la délibération et la sentence. 3.2.2 Délibération et sentence Après une concertation délibérative des orateurs mandatés, la sentence est prononcée par le chef ou son délégué, ou le modérateur de l’assemblée, fidèle à la législation locale ou familiale. Cette sentence sanctionne d’ordinaire une entente. Doutreloux abonde dans le même sens lorsqu’il rapporte que: «la palabre se termine enfin, la plupart du temps, sur un avis dilatoire des arbitres, plutôt que sur un jugement proprement dit. Cet avis consacre une sorte d’accord à l’amiable entre les parties, une trêve consentie de commun accord sur la base des satisfactions, d’ordre moral surtout, qui ont été accordées aux plaideurs»81.
Par la sentence, le coupable sera rappelé à l’ordre, mais pas accablé par une condamnation définitive; car – même avec une éventuelle compensation imposée au coupable – la sentence s’achève habituellement sur une réconciliation pour la paix et l’harmonie. C’est ce que Mbarga signifie si bien en notant que: «il ne faut pas accabler de reproches l’homme coupable. La sentence s’achève généralement par une réconciliation pour la paix avec compensation imposée au coupable. La palabre est dialogue et discussion s’achevant dans la communion»82.
L’issue de la discussion et du dialogue palabrique est donc la communion 83. Malgré la sanction morale, physique, ou le dédommagement matériel exigé au coupable, la palabre va plus loin dans sa démarche dialogique: elle veut que les parties en cause restent et vivent encore en harmonie, d’où le processus de réconciliation. 3.2.3. Sanction et réconciliation Les assises palabriques ne prennent pas fin avec la sentence, elles se poursuivent par la fixation des sanctions et amendes. Il est ici question d’un certain dédommagement, d’amendes, de peines psychologiques telle que l’humiliation, de l’exil, de la prison et pourquoi pas de la peine de mort. Mais, en profondeur, la 81 82 83
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A. Doutreloux, L’ombre des fétiches, 201. J. Mbarga, L’art oratoire et son pouvoir en Afrique, 29. Cf. L-V. Thomas/R. Luneau, La terre africaine et ses religions, 56. Le dialogue palabrique culmine dans la communion.
sanction cherche beaucoup plus à obtenir l’affirmation d’un droit que la réprimande. Elle vise, en fait, la normalisation des relations entre les parties concernées et dans toute la communauté: elle veut essentiellement la solidarité et la communion afin que l’ordre, une fois rétabli, la paix profite à tout un chacun et à la communauté tout entière84. En général, on ne s’acharne pas comme tel sur le coupable; l’on tente principalement d’aboutir à la réconciliation. C’est pourquoi la sentence s’achève le plus souvent sur la réconciliation et la communion. Enoncer la vérité et la justice ne s’arrête pas à la fin du dialogue. Pour une vraie harmonie et une paix sociale efficace, celles-ci doivent, de façon palpable, se concrétiser dans le quotidien, sinon il n’y a pas de vraie justice ni de réconciliation durable. Pour ce, le pardon mutuel brigue la réinsertion des parties en cause dans une relation harmonieuse entre ces parties et au sein de chacune d’elles. Ce pardon passe aussi par un geste concret tel que l’offre d’une poule ou d’une chèvre à la partie adverse qui consacrera le repas réconciliateur. De ce point de vue, la palabre n’est pas seulement une procédure juridique, puisque: «l’enjeu, en effet, n’est pas la justice à appliquer en faveur d’un individu, mais l’harmonie à restaurer au sein d’une communauté. […] La communion surmonte la violence par la réintégration du coupable dans la communauté; elle assure une justice qui va au-delà du juridique, de la lettre du droit»85.
Malgré les empoignades, des échanges de parole très vifs, les sanctions après la sentence, l’effort de réconciliation et de paix reste primordial. Chacun est convié à cette démarche dans une parole libératrice et responsable et dans le respect mutuel. C’est l’effort vital de la palabre. Habituellement, toute la vie dans la société africaine est émaillée de palabres que l’on peut classer en deux catégories principales.
3.3. Classification Succinctement, on peut regrouper les palabres en deux familles principales. Bidima présente ces deux familles comme suit: «en Afrique, on rencontre la palabre à tous les niveaux de la société civile, toute occasion étant propice pour faire advenir du sens par les mots. Il existe donc plusieurs types de palabre que l’on regroupera en deux: "les palabres iréniques" tenues en dehors de tout conflit (à l’occasion d’un mariage, d’une vente…) et les "palabres agnostiques" qui font suite à un différend»86.
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Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 230-233. B. Atangana, Actualité de la palabre? 462. J-G. Bidima, La palabre, 10.
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La palabre irénique couvre l’ensemble des palabres que l’on qualifierait d’ordinaire: destinée à établir, à rétablir ou à consolider le lien de paix et de communion. Elle est basée sur une attitude de compréhension par la discussion, par l’échange d’opinions dans le but de consolider ou de rétablir la paix et l’harmonie – comme vécu effectif de cette paix au quotidien. C’est le cas lors du mariage, d’une vente, d’un deuil etc. Elle se tient en dehors du conflit au sens strict du terme. La palabre agnostique, quant à elle, se tient autour d’un différend, d’une situation conflictuelle. Elle est essentiellement un processus de réduction de la violence, du conflit et une démarche de la recherche de paix, de justice et de réconciliation par la discussion et le dialogue, à grande échelle. Il s’agit, en d’autres termes, de palabres dites non-ordinaires, tenues, par exemple lors d’une guerre, d’un grand conflit ou d’un différend entre groupes etc. C’est de cette forme de palabres qu’il est souvent traité et qui nous occupera le plus dans ce travail. Familiale ou à grande échelle, la palabre entretient la vie de l’africain. Bidima le récapitule en ses propres termes: «en ce sens, la palabre est suspendue entre la rigidité des règles et la rébellion contre elles, entre la polémique et la médiation collective, entre l’hypocrisie flatteuse et l’agressivité satirique. Elle est un "entretien" au sens politique et juridique du mot: s’il n’y a de droit qu’entretenu, qu’est-ce qui le fait tenir? L’histoire de la palabre est tumultueuse parce qu’elle entretient trop l’Afrique […]»87.
Bujo distinguent les palabres familières des extra-familières et administratives88. La palabre familière rassemble une famille au sens large du terme pour traiter de la vie et des problèmes la concernant. Son but est de garder et renforcer la stabilité de la famille, de traiter des différends familiaux existant pour une vie commune harmonieuse et un avenir radieux89. La dynamique de la vie canalise toutes les préoccupations en vue d’assurer une vie sereine à la communauté familiale. Cette démarche privilégie le salut et la communion au sein de la famille 87 88 89
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Idem. Cf. B. Bujo, Wider den Universalanspruch westlicher Moral, 75-82. Ibid., 75-77: „Familiäres Palaver im eigentlichen Sinn aber betrifft gewöhnlich einen größeren Kreis, denn in der Tat geht es meistens um Fragen, welche die Existenz der Kernfamilie insgesamt der eines Mitglieds der Großfamilie betreffen. Der als Familienchef anerkannte lädt die Repräsentanten der Großfamilie zur Palaversitzung ein, wobei andere Familienmitglieder, die nicht offiziell eingeladen sind, keineswegs ausgeschlossen werden dürfen. In diesem Palaver geht es also – um es anders zu sagen – nicht nur um die Schlichtung von Konflikten, sondern man befaßt sich mit allen Fragen, deren Lösung zur Verlebendigung und zum Wachstum der Lebenskraft der Großfamilie von Lebenden und Toten beiträgt. […] Alles in allem ist das familiäre Palaver ein eminent wichtiger Ort, wo Familienethik begründet, befestigt, aber auch weiterentwickelt wird“.
et non une sauvegarde absurde de la tradition. Cette forme de la palabre est un lieu idéal de la sauvegarde et de l’entretien des acquis de l’éthique familiale et son développement adapté et actualisé, appuyé sur les circonstances concrètes de la vie quotidienne. Et certaines normes de cette éthique peuvent être soit modifiées soit renforcées dans un réalisme ordonné. La palabre familière est, en fait, très courante et très répandue, car elle couvre et traite de l’existence même de la famille. La palabre extra-familière et/ ou administrative, elle, a généralement un caractère beaucoup plus politique, beaucoup plus administratif et officiel. Elle est souvent liée à un protocole essentiellement judiciaire90. Elle est conduite par le roi ou le chef du village avec leurs conseillers. Du point de vue de la procédure, les palabres ont la même base, comme on peut le constater dans les deux palabres présentées plus-haut. Elles ont aussi les mêmes dimensions principales.
3.4. Quelques dimensions de la palabre Nous pouvons desceller plusieurs dimensions de la palabre dont les suivantes: la dimension socioculturelle, la dimension spirituelle, la dimension philosophique, la dimension politico-diplomatique, la dimension juridique, la dimension thérapeutique, la dimension esthétique, la dimension pédagogique, la dimension morale et la dimension intellectuelle. 3.4.1 Dimension socioculturelle En effet, la palabre est partie intégrante de la vie culturelle africaine. Elle en est, en même temps, un support et un véhicule. Elle est un pivot et un atout de la vie socioculturelle et un lieu social où se transmettent la culture et l’éducation sociale aux valeurs de la vie, de l’harmonie et de la paix 91. Elle s’affirme comme 90
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Cf. Ibid., 78: „Dieses Palaver hat einen offiziellen, politischen Charakter und ist oft – nicht immer – mit einer Gerichtsverhandlung verbunden. Dabei kann es sich – wie schon angeklungen ist – um einen Fall handeln, für den im familiären Palaver keine befriedigende Lösung gefunden wurde“. L’auteur rappelle ici que, lors d’une telle palabre, l’on ne cherche pas seulement à résorber la tension et le conflit. Ce dialogue palabrique est aussi un moment et un lieu où l’on traite de toutes les questions concernant la vitalisation et la croissance de la force de vie de la grande famille aussi bien des vivants que des morts. Car, la grande famille dispose aussi de son propre système judiciaire, et peut seule, par la discussion palabrique, résoudre ses problèmes sans avoir besoin de recourir à une instance judicaire ou à des orateurs ou des juges externes. Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 254-282.
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une initiation à la culture de la vie et de la paix, comme un lieu socioculturel, une dynamique d’apprentissage du dialogue argumenté. La palabre se dévoile en processus pédagogique qui rend possible la capacité d’interaction réciproque, de négociation, de tolérance, de coopération, et de compromis autour des valeurs principales de respect de la vie et de la personne – notamment dans le processus de résolution des conflits internes et externes. Elle est par conséquent un système de régulation de la vie sociale et un espace de tolérance. Le dialogue palabrique reste porteur de l’humanisme: une porte vers autrui dans et par le dialogue. Elle est un processus public de discussion et un lieu où se dessine le lien social92. Dans la palabre familiale sur l’entente "Ngwakana", nous pouvons bien lire l’effort et la recherche de maintien, de renforcement des liens familiaux et sociaux entre les partenaires de cette discussion. La notion de la réconciliation pour résoudre les tensions et conflits demeure une donnée essentielle dans la vie sociale et dans la culture "Mbala" en RDC concernée dans cette palabre. Ce clan, par des rites propres au peuple "Mbala", plaide aussi pour la propriété privée de la forêt, le respect du bien d’autrui dans l’ordre familial. Mawala est ainsi, par la sanction thérapeutique qui lui est infligée, invité au respect de la tradition, des structures sociales et de la culture du clan 93 et automatiquement à la crainte des anciens qui vivent dans le monde invisible. 3.4.2 Dimension spirituelle L’Africain ne vit pas seulement avec le monde visible, mais il est toujours et déjà appelé à la communion avec les aïeux, avec le monde invisible. C’est cela que Ndjimbi affirme en déclarant: «la reconnaissance du caractère spirituel de l’homme fait partie des principes de base de la communauté de dialogue de la "récojustice". […] Le spirituel dans la vie de l’homme est compris comme relation à un univers spirituel dont il participe, comme affirmation de la réalité spirituelle dans une hiérarchie où elle est la valeur suprême, et comme respect de cet univers»94.
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La palabre, en tant que processus et système de réciprocité et de coopération, est en même temps un processus de participation à la vie sociale, une interaction morale éducative, une éducation au respect de la vie et une pédagogie de la vie. Cf. J-G. Bidima, La Palabre, 45 et 88-96. Cf. L. Matangila, La catégorie de la faute chez les Mbala (Bantous), 308-309. Nous soulignons ainsi toute la logique de la palabre sur la réconciliation au premier chapitre. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 339.
L’harmonie, la paix ne se conçoivent pas chez l’Africain sans la paix avec la dimension supérieure, les ancêtres, le cosmos, l’Être supérieur. C’est exactement cette relation que favorise et actualise le principe de dialogue, de réciprocité, de réconciliation dans la palabre et justifie entre autre les principes du bonheur, de l’égalité et de l’harmonie que l’on recherche dans la construction sociale. La palabre culmine, en fait, sur la valeur sacrée de la vie et de l’homme. En tant qu’elle transmet et porte une parole féconde95, en tant que processus de socialisation et de réconciliation avec soi, avec la communauté et le monde invisible96, la palabre garde une dimension sacrée. Du fait même du caractère sacré de la parole, celle de la palabre assume aussi les aspirations religieuses d’une vie communautaire harmonisée et pacifiée; c’est le cas à la fin de la palabre sur le détournement cité plus haut où l’on voit le chef Awede appeller son collègue chef Asranku pour la prière. Ce contact spirituel rappelle un rituel pour la paix: c’est la relation avec le monde de l’audelà97. La palabre est aussi prière. Ainsi considérée comme un élément sacré, car d’origine divine. C’est ainsi que la parole doit être bien maniée et savamment contrôlée dans la discussion. La palabre incarne une sublimation de la parole. Parler dans la palabre, discuter dans la communauté palabrique n’est pas un simple échange interactif. Pour ce, il sied de faire toujours recours aux personnes qui la maîtrisent lors du dialogue. Elle est sacrée et oblige, selon la sagesse africaine, à se taire lors de discussions si l’on n’a pas une parole significative à proposer pour l’intérêt de chacun et de tous. Elle bénit et maudit. Dans la palabre, la parole acquiert aussi le caractère d’un agir condensateur d’énergie, de vitalité. Elle est force. Et la vie perturbée et l’harmonie rompue, en cas de conflit, sont aussi une coupure avec les êtres supérieurs, avec le cosmos; c’est cette rupture qu’il faut réparer par la parole palabrique. On peut alors apprécier la palabre, non seulement, comme un processus spirituel mais aussi comme une philosophie de la vie.
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La parole est d’origine divine et est féconde. La palabre est aussi le lieu et l’espace de cette parole. Cf. Ibid., 156-163. Cf. L. Matangila, La catégorie de la faute chez les Mbala (Bantous), 308: «les ancêtres sont toujours supposés participer à la cérémonie; les aliments et le vin sont versés au sol à leur intention». Ceci pour marquer une réconciliation pleine. Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 235. Voir l’exemple de la palabre sur le détournement dans la première partie de ce chapitre. Le résultat de la palabre qu’est la paix ne peut être solide que par un rétablissement harmonieux de la paix avec le monde supérieur qui canalise les intérêts de la communauté entière.
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3.4.3 Dimension philosophique La palabre est aussi, dans une certaine mesure, une philosophie de la vie et une école d’éducation à la vie, un processus de réciprocité et de solidarité. Elle est un système philosophique de résolution des conflits dans la société, un système politique et une philosophie de gestion de la communauté. Le processus palabrique est, dès lors, une philosophie de la politique et de la dialectique de socialisation. Et ce processus de socialisation s’opère dans une structure d’échanges réciproques et dans un mouvement argumentatif. Le bien-fondé de la socialisation est discuté, partagé, et accepté dans un cheminement argumentatif. Le dialogue palabrique constitue, bref, une philosophie de la vie et pour la vie: une manière de penser la régulation sociale. Ndjimbi relève encore cette dimension philosophique: «ce système "palabrique" est le fruit d’une philosophie africaine traditionnelle […]»98.
Le jeu d’argumentation dans son ensemble, la juste combinaison des éléments oratoires cités plus haut, le jeu du questionnement parfois à la socratique, l’ensemble des gestes, le silence qui entrecoupe les discussions font de la palabre un véritable langage philosophique. En tant que telle, elle conduit les interlocuteurs dans un monde et dans un horizon des possibles, c’est-à-dire par l’échange argumenté de la parole, l’on se situe devant l’autre comme un autre "Je". L’autre est un "autre Moi". La mise en scène palabrique rend possible, à son niveau, l’espace public et la rencontre des intersubjectivités99: elle met en scène les rapports sociaux. La palabre figure une philosophie générale de la vie qui est celle de vivre ensemble sous les lois de Dieu et des ancêtres. La vie de la communauté doit, de même, être maintenue dans un équilibre juridique harmonieux qui a, entre-autre, pour rôle d’ordonner la société dans le respect de la vie, dans la coopération, dans la tolérance et dans l’harmonie. En tant que processus de "récojustice", la palabre est en même temps une institution juridique. 3.4.4 Dimension Juridique En étant un processus d’harmonisation, de pacification et de restauration de l’ordre vital, familial, social brisé, le dialogue palabrique s’emploie à redynami98 99
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O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 265. Cf. J-G. Bidima, La palabre, 45.
ser l’équilibre social. Elle reste mêmement un moyen de rétablissement de la justice dans la société. La palabre ne veut pas la justice pour la justice mais une justice réconciliatrice: une "récojustice", une réconciliation judicaire100. Elle veut la réconciliation avec soi, avec l’autre et avec tous. La palabre est aussi un processus juridique qui juge pour trouver un coupable et l’ayant trouvé, lui faire avouer ses fautes et en accepter les sanctions pour la réconciliation avec la partie lésée, en vue de l’harmonie sociale et de la paix pour tous. Ndjimbi note que: «dans ce contexte, la "palabre" vise à rétablir le droit lésé, à préserver l’intérêt de la communauté et des individus par une justice de réconciliation et d’harmonisation»101.
D’un point de vue procédural, la vision pénale n’est pas mécanique dans la palabre, mais bien plus un processus de restitution de la justice dans son véritable positionnement entre l’éthique et le juridique. Comme on peut bien le constater dans le premier exemple de palabre, à la fin de la palabre, l’on parle de la fin du procès102. Effectivement, aux allures de procès, la palabre se propose moins la distribution des peines et sanctions; elle insiste plus sur le sens de responsabilité individuelle et commune, de restauration de la paix et de l’harmonie dans la société. La palabre demeure un système de justice sociale. C’est ce que précise Ndjimbi en ajoutant: «en effet, après la palabre, la distance créée par le conflit est supprimée ou réduite et l’opposition qui sépare et éloigne est abolie. Il reste le rapprochement, juste le contraire des résultats des procès modernes ou occidentaux où, la justice étant faite, chacun s’isole et s’enferme dans ses droits et devoirs»103.
Ce rapprochement des parties en cause peut être vu comme un mécanisme thérapeutique pour soigner les blessures causées par le désordre, le conflit et la rupture de l’harmonie sociale. 3.4.5 Dimension thérapeutique La palabre est une thérapie contre les divisions, les conflits, contre tout ce qui bloque la vie harmonieuse en société et détruit la réciprocité coopérative. Elle
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Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 217. Ibid., 234. Cf. Ibid., 403. Ibid., 232.
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veut soigner ce qui divise et démolit la vie individuelle, familiale et communautaire. Ndjimbi le signifie si bien en soutenant: «pour reprendre L. James, on peut dire que la "palabre" joue un rôle "thérapeutique" incontestable dans le corps social»104.
Pour ce, elle s’implique dans les structures socio-économiques et politiques. Elle rend la conjuration du mal possible. Nous pouvons aussi voir un effort de thérapie dans les rites de "sanation" à la fin de la palabre. La conjuration du mal est thérapeutique105. La palabre soigne par sa capacité à restaurer l’harmonie sociale, dans le dialogue, tant chez l’individu, dans la famille, que dans toute la communauté. Son aide à établir des nouveaux liens sociaux est essentielle, quand elle permet dans le mariage, par exemple, la création des nouvelles parentés par l’union non seulement des deux individus, mais des familles, des clans et des villages 106. Sa dimension thérapeutique est en même temps une force constructive de la société par la procédure qui lui est propre et qui se veut en même temps une communication ordonnée et harmonisée. 3.4.6 Dimension esthétique La palabre est tout un art d’argumenter, de parler et de communiquer. Elle constitue tout un art pédagogique qui exige des orateurs une certaine éloquence. Elle se veut bien orchestrée avec tous les symboles qui l’imprègnent. Sa dimension esthétique reste pour tous les protagonistes et tous les participants une pédagogie: un lieu d’enseignement de l’éloquence, de la vie et un espace d’initiation. Les futurs orateurs sont conviés à s’en inspirer. Tous les gestes et attitudes, tous 104 Idem. 105 Cf. J. Mbarga, L’art oratoire et son pouvoir en Afrique, 51. 106 Cf. B. Bujo, Wider den Universalanspruch westlicher Moral, 77: „In allen diesen Fällen aber, auch dort, wo es sich nicht um Konflikte oder Spannungen handelt, sorgt das Palaver für die Pflege einer gesunden, harmonischen Beziehung innerhalb der Gemeinschaft: Wo Spannungen herrschen, wird der Friede wiederhergestellt und gefördert; wo aber keine Konflikte vorhanden sind, ist das Palaver ein sehr wirksames Mittel, Menschen zusammenzubringen, und dabei lernen sie, wie sie aufeinander hören sollen; sie lernen ferner Toleranz und einen neuen Umgangsstil miteinander. So hat das Palaver, neben der ethisch-instanzlichen Funktion, auch immer einen medizinischen, therapeutischen Charakter“. Bujo retrace le caractère thérapeutique du dialogue palabrique africain. La palabre assure le maintien d'une bonne santé des relations harmonieuses au sein de toute la communauté.
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les rythmes, les sons et les couleurs, la manière de parler et d’argumenter, la parure de la parole et la danse doivent être beaux. Ce beau déclenche, à son tour, l’émotion. C’est tout un art, et il doit être beau. L’organisation de la palabre, l’éloquence "palabrique" sont une véritable œuvre artistique. Dans le dialogue palabrique, la forme a une place importante, le rassemblement en forme circulaire par exemple, la façon de se tenir et de parler des orateurs, les différents gestes qui accompagnent toute la séance, témoignent de la qualité des discussions et du dialogue. La discussion palabrique se veut harmonieuse même lors des palabres politiques et diplomatiques. Réellement, la palabre joue aussi un rôle important dans la politique de la cité. Elle est toute une institution de gouvernement de la société et un instrument de négociation. Elle a une dimension administrative et politico-diplomatique 3.4.7 Dimension politico-diplomatique La palabre constitue un cadre, et une institution de bonne gouvernance de la société107. Hernæs décrit cette dimension magnifiquement de la manière suivante: «within this political system the Palaver had an important function as a forum where the different group interests could be balanced. Here political matters of different kinds were discussed among representatives of the various social groups. To some extent the palaver had the character of a public "hearing" where different opinions were voiced and different interests could be advocated. Here various alliances could test their strength, and the "backing" of diverging political strategies measured. The power constellations at the Palaver determined which official policy the political leadership was to adopt, und which decisions ware to be made»108.
La palabre est aussi un cadre et un moyen diplomatique, comme nous pouvons bien le lire chez Hernæs: «[…] the Palaver seems to have acquired the additional function of being the formal forum where inter-polity disputes were negotiated, agreements made and alliances set up. As such it played an important role as a diplomatic tool»109.
107 Cf. A. K. Helfrich, Afrikanische Renaissance und traditionelle Konfliktlösung, 73. La dynamique de la palabre dans toute l’Afrique. Dans l’Afrique traditionnelle, la palabre est l’institution publique centrale pour la bonne gouvernance. Elle est un moyen et un processus pour la population de participer directement à la politique et aux prises de décision dans la société. Quoique l’on puisse dire – malgré les différentes tonalités selon les milieux – la palabre garde la même base dans toute l’Afrique en tant processus discussif au service de l’harmonie sociale. 108 Per O. Hernæs, Palaver: Peace or «Problem»? 14-15. 109 Ibid., 17.
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Nous pouvons bien saisir cette dimension en regardant la palabre sur le détournement en exemple au début du texte. La palabre est aussi un cadre diplomatique, pour exemple, entre européens et indigènes, comme l’indique bien la courte palabre entre Danois et peuples autochtones que nous proposons ciaprès. Hernæs rapporte la palabre "diplomatique" suivante: "The firewood controversy". «This controversy was caused by a fundamental clash of interests between the Danish government at Christiansborg und the younger generation of men in the towns Osu and Labade. Apparently, the deliverance of firewood and timber to the Danish fort had become an important source of income to the young commoner men in the towns. During the administration of the governors F. J. Kuhberg and G. Y. Wrisberg in 1768-69, however, the Danes seem to have been rather reluctant to pay for the firewood supplies, and they even sent their "inventari slaves" into the woods to fetch timber on their own account. The young men protested vehemently. In Osu they staged a riot directed against the Danes lasting for several days, and when the Danish reaction was to put the instigators of the riot in chains, demanding a ransom to be paid, the result was an escalation of the violence. Danish trade being seriously handicapped by the disturbances, the governor at Christiansborg decided to summon a Palaver. Danish authority had been challenged, however, and the members of the Governor’s Counci1 (Secret Council) found the "insubordination of the negroes" intolerable. Therefore they wanted to make an example. Thus when the Osu and Labade caboceers and grandes came to the fort to "speak palaver"; they were put in detention after having refused to comply with the Danish terms. This coercive measure had the effect that the notables declared their willingness to reconsider the Danish claims, and negotiations were reassumed. The Danes had made their demonstration, and the Palaver which was held in the beginning of November 1768, ended peacefully. The Parties agreed upon a compromise. The Danes reduced their claims for compensation for losses brought on them during the disturbances, and even paid some of their firewood debts. The Osu and Labade notables on their part renewed their oath of "faithfulness" towards the Danes. The heart of the matter, however, i.e. the question of whose rights it was to collect timber in the woods, was not touched upon at this palaver, and as it turned out the conflict had not been brought to an end. On 4 october 1769 four young men appeared at Christiansborg. They demanded payment for 4,000 pieces of firewood delivered to the fort the preceding year. Furthermore they wanted the Danes to pay for the firewood and timbers which the fort slaves had collected in order to supply the ship "Christiansborg" for her journey to the West Indies. The Danish governor and this council refused to comply with their wish, und this response sparked off new disturbances during which the fort in fact was besieged by the Asafo companies of Osu and Labade. The fort was out off from food and water supplies. Messengers were captured. Trading expeditions from the fort were harassed. Trading caravans from the interior were stopped. Even traders from Asante were denied access to
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Christiansborg. Armed men were watching the shores to stop boats from the ship "Christiansborg" from landing, and when the governor sent out soldiers on patrole some squirmishes took place. The Danes tried to negotiate, but the envoys from Osu and Labade stated that they now were prepared to defend their rights as far as the timber in the woods was concerned: "The fort belonged to the Danes, but the town and its surroundings belonged to them." After two weeks of nearly total isolation the Danish governor made an attempt at solving the conflict by summoning a Palaver. The town authorities, however, refused to come. The siege was upheld. In the end the Danes had to send for the caboceer in Accra to act as a mediator, and through the efforts of caboceer Ockay and some of his grandees, the Osu and Labade notables finally agreed to participate in a Palaver. But the Danes were not trusted. The experience of the preceding year evidently had taught them a lesson, und they did not appear in the fort until the Danes had sent out two white officers to be held as hostages in Osu during the Palaver. Finally, the Palaver starts on the 19 October 1769. Present were the mediators from Accra, the Governor’s Council und the Osu and Labade notables. The Danes ware ready to pay a considerable amount in damages in order to have the siege lifted, and this offer was accepted. But when the members of the Council even now tried to reserve for the Danes the right to send out the fort slaves to collect firewood and timber for the use of the fort und the ships, referring to company orders from Copenhagen, this was once more blankly refused. The Osu und Labade told the governor to write back to Copenhagen that the people of their towns had now received compensation for the conflict, and they would never agree to let the Danes themselves cut wood for the ships of the company, nor cut timber for the maintenance of the forts. This was the prerogative of the "towns-people", and a source of income they needed in order to be able to pay their debts. Moreover, it had been the custom since olden times, and as such it had been respected by the Dutch and the English on the Coast. The only concession they were willing to make was to allow the Danes to collect the firewood needed for cooking. The Danes had no alternative but to accept these conditions. Their "demonstration policy" had turned out to be unsuccessful – and expensive. The 4 young men who came to Christiansborg on the 14th of October had demanded as payment the value of 12 ounces of gold. When the palaver ended, the Danes had to pay more than 10 ounces to restore good relations with their neighbors, and in addition to this their trade had suffered a lot during the siege»110.
Nous voyons bien que les Danois ont adopté la palabre comme un élément de médiation et de diplomatie dans leurs rapports avec les autochtones. Bien sûr que nous pouvons, en regardant en profondeur, voir dans cette palabre une dimension économique. Celle-ci est aussi perceptible lors des palabres avant une grande chasse, lors des différents échanges entre groupes sociaux, comme jadis entre colons et autochtones. Concrètement, la palabre constitue le noyau du sys-
110 Ibid., 25-28.
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tème politique traditionnel africain et reste encore présente dans l’administration des chefferies111. On peut dès lors voir dans la palabre une institution sociale et un instrument politique qui, en même temps, enseigne au politique l’ouverture au peuple, le travail pour l’intérêt supérieur de la communauté, la responsabilité individuelle et collective pour la chose publique, la recherche de la paix et de la réconciliation sociales par le dialogue, la discussion. Cette responsabilité s’apprend aussi; et la palabre est aussi un des lieux indiqués pour apprendre comment vivre en société, pour s’imprégner du respect de la personne et de la vie, du sens de l’intérêt de la communauté, puisque l’on y apprend à vivre de manière juste et responsable etc. Elle est une pédagogie de la vie, pour ainsi dire. 3.4.8 Dimension pédagogique La palabre a un visage pédagogique: elle est un lieu d’apprentissage de la parole, de la solidarité, de la vie communautaire dans un esprit libre, elle est une pédagogie de réciprocité et de coopération112. La discussion palabrique concourt à l’apprentissage de la sagesse, de la coopération, de la solidarité, de la démocratie et la vie sociale. Elle enseigne en même temps la rhétorique. Le fait de prendre part au rassemblement sous l’"arbre à palabre" est un signe de communion et reste un appel à s’ouvrir à soi, à l’autre et à tous. Mais comment vivre ensemble sans la paix, sans la protection de la vie? La palabre, en invitant tous et chacun sous un même toit, en accordant la parole à tous, en laissant chacun argumenter et "contre-argumenter" est un vrai processus d’exercice de réciprocité, de coopération et de solidarité pour la paix sociale. Lors du dialogue palabrique, les membres de la communauté apprennent le respect de l’opinion et la liberté de l’autre, l’égalité dans la discussion. Les jeunes, qui y prennent part, usent de l’occasion pour apprendre comment argumenter dans un processus discursif et se familiarisent ainsi avec tout ce qui concourt à la sauvegarde de la paix. C’est par ailleurs, un moment approprié pour s’accoutumer avec l’histoire et la tradition de la famille et de la communauté. La palabre éduque au respect de l’autre, de la vie, du sacré, du cosmos sans différence d’âge. Chacun y apprend quelque chose. Ainsi, la palabre s’avère être aussi une école de morale, dans la mesure où elle est une interaction éducative113.
111 Cf. A. Tezo Mpasi, Das Palaver, 86. 112 Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 273-274. 113 Cf. Ibid., 270-271.
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3.4.9 Dimension morale La palabre se sert beaucoup de proverbes – parmi ses divers éléments oratoires – et ceux-ci jouent essentiellement un rôle éthique. Et l’usage des proverbes et autres constituants oratoires et la transmission de la sagesse renvoient à une morale sociale et à une éthique de l’agir, comme pour répondre à la question kantienne: "Que dois-je faire? ", ou encore à un discours d’une éthique de l’événement114. La palabre livre des règles de vie, de paix, de réciprocité, de coopération, de solidarité; elle renferme des recommandations de sagesse, qui en tant que telles suggèrent des attitudes comportementales pour la paix et pour une vie d’ensemble harmonieuse. Dans la palabre "Ngwakana" (Réconciliation) ci-haut, nous lisons que l’oncle Lupupu rappelle aux participants la parole et la volonté des ancêtres, un ensemble de paroles qui doivent orienter la vie sociale et déterminer les normes à suivre115. Ce rappel permet à chaque membre de se retremper dans l’histoire et la tradition du clan "Kingoma", dans les lois et les interdits des ancêtres, leur désir de voir les membres (vivants) vivre dans l’harmonie et la paix. Ces règles, ces recommandations des aïeux sont des prescriptions qui doivent guider l’agir de chacun. La palabre renvoie à une morale pratique par des principes concrets d’agir qu’elle stipule et elle est un questionnement éthique sur le fondement et la consistance de ces principes. Elle s’interroge sur le bien-fondé des normes guidant la vie familiale et sociétaire. Des principes clefs orientent l’éthique palabrique: les principes de la paix, de la réciprocité, de la coopération, de la communion, de la réconciliation et du respect de la vie. Toute la discussion s’oriente en ce sens. Mais comment argumenter et contre- argumenter sans penser logiquement.
114 Cf. H. Scholler, Das afrikanische Rechtssprichwort als hermeneutisches Problem, 136. Scholler perçoit une dimension morale ou éthique dans ce genre oral. Car il s’agit d’une éthique de l’agir. En effet, il est question de l’agir dans sa dimension morale: que doiton faire? Comment doit-on agir conformément au devoir qui incombe à chacun et au monde pour le bien de chacun et de tous? 115 Cf. S. Ernst, Grundfragen ethischer Theologie, 11: „Es handelt sich um Sätze, die ein bestimmtes Handeln als gut und gesollt vorschreiben, um präskriptive Sätze also, an denen sich das Handeln der Menschen ausrichten soll. Sie erfüllen verschiedene wichtige Funktionen für den Menschen“. C’est ce que stipule, en effet, la morale si l’on regarde les normes morales et leurs fonctions. Les phrases et les paroles ont ici une fonction morale de stabilisation de la vie individuelle et de la vie communautaire.
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3.4.10 Dimension intellectuelle La palabre est tout un exercice intellectuel et logique. Il faut parler logiquement pour se faire comprendre, il faut savoir parler, comprendre et se faire comprendre. L’usage et la compréhension des proverbes, par exemple, et des autres composantes psycho-langagières est tout un exercice de logique. Ndjimbi voit dans la palabre une réciprocité herméneutique, dans la mesure où: «ce processus est tout simplement ce qu’on appelle "cercle herméneutique". Il s’effectue de part et d’autre entre les parties en cause, les orateurs et le public, si bien qu’on peut effectivement parler d’une réciprocité herméneutique, c’est-à-dire d’un effort d’interprétation mutuelle des arguments»116.
Et il ajoute que dans la palabre: «la discussion ne relève pas seulement de la logique, mais aussi de l’herméneutique (en tout cas, c’est un fait pour l’Afrique)»117.
Et l’effort intellectuel dans la discussion consiste entre-autre à découvrir l’inexprimé, le voilé et le non-dit du discours. Quant à sa fonctionnalité, on peut encore ressortir de la palabre plusieurs attributions; mais comment peut-on la définir de ce point de vue?
3.5 Propositions de définition et fonction Nous essayons de proposer une série de définitions de la palabre de quelques auteurs qui se sont intéressés à cette dimension de la vie dans la société traditionnelle africaine. La palabre est dans la société africaine traditionnelle un élément constitutif de la vie. Car la palabre est, pour ainsi dire, un discours sur la vie. Nous pouvons débuter avec Gamillscheg Ernst qui définit étymologiquement le mot palabre. Il dérive de l’espagnol: "Palabra" dans le sens de parole, discussion, conversation longue. Le mot palabre signifie "Parole, discussion"118. Nous proposons de parvenir à une définition de la palabre en lisant quelques auteurs: D’après Atangana: «palabre veut dire: débat, affaire, conflit. C’est en fait la réduction d’un conflit par le langage, c’est la violence prise humainement dans la discussion, soumise à l’action efficace de la toute puissance du verbe. […] La palabre dépasse la loi du talion, la justice. Elle est la structure de tout échange des sacrifices mutuels entre partenaires, 116 O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 264. 117 Ibid., 242. 118 Cf. Ernst Gamillscheg, Etymologisches Wörterbuch der französischen Sprache, 670; P. Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, 72-73.
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entre les égaux ou même entre supérieur et inférieur. […] Son domaine englobe le mariage, les funérailles, etc. En ces occasions, la communauté se décharge de ses haines rentrées et rétablit l’équilibre et se raffermit»119.
Maurier soutient que: «elle permet de résoudre les conflits en mobilisant les personnes pour s’efforcer à l’humanité. […] Elle est en tout cas une technique intéressante pour autant que les parties opposées soient décidées à discuter en commun, à trouver une solution et à l’appliquer; elle suppose que les subjectivités consentent à se lier de bon cœur. Une palabre suppose l’invitation de tous ceux qui sont concernés au village et chacun doit participer au règlement du conflit. Accepter l’invitation c’est déjà dire non au conflit; s’abstenir, c’est refuser la conciliation. On commencera peut-être par des injures ou des disputes; le sac une fois vidé, il faudra en arriver à la pacification»120.
Post dit: «les palabres sont des rassemblements populaires, dans lesquels précisément on parle de tout ce qui intéresse un africain. On y traite toutes les affaires publiques, on y règle des litiges, on y conclut des actes juridiques […]»121.
Que ce soit chez d’autres auteurs tels que Meinhof122, qui voit dans la palabre un débat judiciaire, un acte procédural ou comme pourparlers et négociation; ou encore chez Post qui la centralise en réunion populaire, ou même chez Van Binsbergen123, qui la lit comme discussion ou cas de cour – dans ses différentes étapes de justice –; ou chez Gluckman124 et Doutreloux125 qui la sacralisent comme querelle et différences d’opinions, la palabre garde toujours son sens profond de dialogue et de discussion en vue de résoudre un problème, de régler un conflit, ou de dialogue autour d’une situation donnée. Partant de ces différentes définitions que nous grouperons sous deux principaux aspects, à savoir, l’aspect descriptif et celui interprétatif, nous pouvons récapituler les définitions ci-haut de la manière suivante:
119 B. Atangana, Actualité de la palabre? 461-462. 120 H. Maurier, Philosophie de l’Afrique noire, 163. 121 O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 182; il cite A.H. Post, Afrikanische Jurisprudenz, 79. La palabre rassemble toute la communauté, elle est une rencontre publique au cours de laquelle l’on parle de tout ce qui touche de manière générale à la vie dans son ensemble. 122 Cf. C. Meinhof, Afrikanische Rechtsgebräuche, 84. 123 Cf. W.M.J. Van Binsbergen, Law in the context of Nkoya society, in: A., Robert Simon, (éditeur), Law and the family in Afrika, (change and continuity in Africa, vol. 9), 48. 124 Cf. M. Gluckman, Ideas and procedures in African Customary Law, 24ss. 125 Cf. A. Doutreloux, A l’ombre des fétiches. Société et culture Yombe, 9 et 199-201.
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d’un point de vue descriptif, la palabre est un rassemblement communautaire dans lequel on traite des problèmes de la communauté en vue d’une meilleure harmonisation de la vie sociale. D’un point de vue interprétatif ou analytique, nous conviendrons en résumé avec Ndjimbi et Bidima que la palabre est un système de communication communiante, un dialogue argumentatif, un système de coopération réciproque, une récojustice, pour une quête de paix et d’harmonisation sociale.
En tant qu’une juridiction de la parole, elle est une pédagogie sociale dans et par laquelle l’on se réconcilie avec soi, avec les esprits et la communauté. Elle est symboliquement l’entretien de la société, dans sa capacité de résoudre les conflits dans un esprit de justice et de "pardon-réconciliation". Elle est un espace de tolérance, de partage, un temps de médiation, un lieu de socialisation. La palabre a le sens d’un procédé cognitif et reste une réalité ontologique, une dialectique de dialogue. Parfois, l’on peut avoir l’impression que le dialogue palabrique est simplement un processus culminant sur la volonté d’un souverain; bien au contraire la décision qu’annonce le chef est en fait l’aboutissement, par la "discussiondialogue", à un consensus. Ceci dit, le dialogue palabrique ne peut être lu comme un simple échange d’idées subjectives, mais bien plus comme un espace d’expression d’idées, de raisons, et comme échange d’expériences. La discussion palabrique incarne, de ce fait, un lieu et un système de communication, de coopération intellectuelle, sociale, morale et pratique. Par la discussion palabrique, l’homme se découvre comme individu et membre de la communauté dans laquelle il vit, se recherche et s’accomplit dans une implication logique de droits et de devoirs. Par ce processus, l’homme s’insère et se réinsère dans le rapport avec autrui et dans le cours des événements de la vie individuelle et communautaire, il prend part au cours de l’histoire dans un climat de paix, de respect et d’harmonie. Ndjimbi dit qu’elle est la "récojustice"126 africaine, c’està-dire principe de recherche de la justice et de la réconciliation pendant que Bidima l’analyse comme une juridiction de la parole127. La palabre a, dans la vie africaine, plusieurs attributions. La palabre joue une fonction interactive de socialisation et de démocratisation, dans la mesure où, comme l’exprime Ndjimbi: «elle est une forme juridique institutionnelle de gouvernement unissant harmonieusement la démocratie directe, la démocratie représentative et l’oligarchie […]»128. 126 Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 217. La "récojustice" en tant que réconciliation judiciaire. 127 Cf. J-G. Bidima, La palabre, 10-45. 128 Ibid., 283.
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Elle a une fonction de vitalisation; elle joue un rôle pédagogique et moral dans les rapports sociaux. Ndjimbi relève aussi cette fonction lorsqu’il conclut que: «ainsi, la "palabre" joue une double fonction morale: elle éduque à la moralité et elle construit des rapports sociaux moraux»129.
Elle éduque à la réciprocité et à la coopération, à la paix et à la protection de la vie, à la parole. La palabre est aussi négociation comme le signifie si bien Hernæs: «in the Danish sources, however, "palaver" is frequently used in its literal sense too, signifying negotiations»130.
Mais quelle est, en fait, sa finalité?
3.6 Finalité La palabre est, comme toute communication, motivée ontologiquement par le désir profond de communiquer enfoui en chaque être: un besoin de dialoguer, car elle incarne un besoin, une volonté et un processus de recherche de la paix et d’harmonie vitale et demeure un chemi-nement de réciprocité ponctué des enjeux éthiques enracinés en nous les hommes à "être-là" et à "être-avec". Cette motivation est aussi essentiellement coopérative, soutenue par le respect de soi, des autres et de la vie. Tenir et participer à une palabre est, de même, une reconnaissance et une affirmation du caractère spirituel de l’homme. En fait, ainsi que l’éclaire Ndjimbi: «telle quelle, la discussion argumentative "palabrique" est un système de régulation sociale»131
La palabre a pour objet tout ce qui touche à la vie dans son ensemble, tout ce qui est de l’intérêt de la vie communautaire, de l’harmonie sociale. Ndjimbi le dit clairement: «la "palabre" peut être tenue à propos de ce qui est de l’intérêt de la communauté et des individus, quand l’ordre a été perturbé ou qu’un droit est lésé, mais aussi quand il s’agit d’entreprendre un événement communautaire d’importance touchant et (ou) à la vie de la communauté»132.
Le dialogue palabrique a pour objet la vie individuelle et communautaire, son harmonie et la paix qui doivent l’imprégner. Elle constitue, du point de vue de sa fonction dans la vie sociale, un effort de justice harmonisée, de responsabilité et 129 130 131 132
O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 271. Per O. Hernæs, Palaver: Peace or “Problem”? 4. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 267. Ibid., 233.
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de pacification coopératrice, c’est-à-dire d’une communion de vie, d’intérêt pour un développement intégral et durable de la société. Par le règlement des conflits, des différents problèmes dans la famille, dans le village, dans l’ethnie, dans la communauté, c’est l’intégrité de la société qui est recherchée et poursuivie, dans une logique de "récojustice"133 et de pacification qui est ainsi mise en jeu. Le processus palabrique est un système de prise de conscience et de responsabilité, de prise de décision permettant aux membres une participation directe ou indirecte dans l’ordre familial, clanique et communautaire. La palabre fait partie de la vie: elle caractérise la société africaine – au moins traditionnelle – comme instant et lieu fort de décision, de partage, de discussion, de communication interactive. Elle est partie intégrante de la culture et constitue, de la sorte, un mode particulier de communiquer qui se veut une prise en considération de la vie de l’individu et de la communauté. Enfin de compte, par la communication palabrique, l’individu communie et harmonise ses rapports avec lui-même, avec le groupe, avec les aïeux et avec Dieu; dans la palabre, la communauté crée et recrée l’harmonie avec la personne et elle-même, avec les aïeux et avec le Tout-puissant.
4. Conclusion Certains définissent et pensent la palabre comme un rassemblement public aux débats houleux, interminables et oisifs n’aboutissant à aucun compromis. Elle serait ainsi vue comme un passe-temps notoire et un véritable espace de désolidarisation pour ainsi dire. Bien au contraire, le temps et l’espace palabriques sont temps et espace vécus, c’est-à-dire lieu et moment, processus et structure de partage et de coopération; elle se justifie comme un vécu de et dans la communion. C’est ce que soutient aussi Bidima en affirmant que: «dans la palabre, la signification passe d’abord par l’espace: s’y expriment les rapports entre les sujets, la loi et l’interdit, entre la culture et la nature»134.
Puisque l’espace géométrique, le dialogue palabrique prend le sens profond de lieu de communication, de coopération, il devient ainsi un partage discursif de la parole, de l’expérience. Et dans cet espace, le temps est vécu en tant que temps de médiation confrontant la parole, la violence et les sujets. Il est un temps de mise en scène du vécu quotidien et se tient généralement, sous un arbre ou un toit précis, symbole de la vie d’ensemble, au-delà des différences.
133 Cf. Ibid., 180. Il s’agit d’une justice réconciliatrice. 134 J-G. Bidima, La palabre, 12.
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Il sied d’évoquer la notion du conflit et la dialectique palabrique. Est conflictuel, tout ce qui divise l’individu, la famille, la communauté et altère l’harmonie de la vie individuelle ou communautaire, dans son ensemble. Le conflit englobe tout ce qui détruit la dynamique sociale. Aucune société n’échappe à cette réalité qu’est le conflit. On ne peut le nier, mais l’on peut plutôt chercher à le scruter, le parler, le discuter pour le réduire et le résoudre. La palabre en tant que dialogue pour le résoudre est dès lors un mécanisme de la socialisation. L’effort de la palabre est de créer un agir social et communicationnel face à cette dialectique du conflit. Car, en effet, l’anthropologie de l’agir communicationnel dans la palabre est justement basée sur la recherche de la paix, et de l’harmonie dans une réciprocité communiante: une voie de résolution du conflit. En même temps, le traitement du conflit aide la société à s’auto-scruter et à se repositionner. Pour ce, Bidima soutient que: «cette fonction spéculaire du conflit peut être obtenue par la spéculaire qu’implique la palabre»135.
Le conflit est traité dans la palabre sous ses deux aspects, personnelle et communautaire. Dans la palabre, réaffirme Atangana: «[…] le conflit va se réfléchir, se réciter par la communauté réunie et décidée à coopérer pour sa réduction. Il tombe dans l’élément proprement humain du discours»136.
La dialectique palabrique aide à réduire et à résoudre le conflit par et dans le discours. Elle n’est pas simplement une poursuite de la justice et de la sanction, mais bien plus encore une poursuite de la paix et de l’harmonie dans une coopération harmonieuse et "réciprocitaire". Et de même que le signifie Ndjimbi: «parfois même, (bien que très rarement), l’initiation de la palabre se fait armes à la main pour montrer combien le moment est sérieux et difficile. Mais la présence des armes ne joue qu’un rôle symbolique, pour signifier qu’il s’agit d’un combat d’arguments. C’est pourquoi pendant le débat, les armes sont déposées à côté. La seule arme utilisable est les arguments et les preuves»137.
La palabre a une portée institutionnelle: elle forme un cadre diplomatique. Elle a joué un rôle de médiation important dans les rapports entre européens et indigènes surtout lors des premières rencontres. Elle est, en effet, un vrai acte de communication, un lieu de discussion et de partage de la parole. La palabre invite tout le monde autour d’elle. La place de la femme dans les assemblées palabriques diffère d’une région à une autre: dans certaines régions, les femmes prennent directement part à la prise de décisions, dans d’autres elles 135 Ibid., 93-94. 136 B. Atangana, actualité de la palabre? 461. 137 O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 239.
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sont conseillères de leurs hommes en dehors de ces rassemblements. Quand elles sont en cause, par exemple, elles doivent comparaître. Les femmes principales des chefs de villages, de familles et de clans prennent généralement une part active dans la discussion138. Chez certains peuples en RDC, une femme est la présidente des femmes dans la cour. Et à ce titre, elle est, avant tout, la responsable directe pour ce qui concerne les femmes. C’est elle qui récolte les opinions des femmes sur les sujets d’actualité, sur une question ou un problème, et c’est elle qui retransmet ces opinions à l’assemblée du chef. Elle décide, en concertation avec d’autres femmes, si par exemple le manioc ou d’autres denrées produites avant tout par l’effort des femmes, peuvent être vendus à tel acheteur qui se présente et à quel prix. Elle tient le conseil des femmes dans le domaine de la reproduction des enfants, sur la vie du monde féminin. Lorsqu’une fille est rendue mère irrégulièrement, il y a une palabre, et c’est elle qui dirige la "confession" de la concernée139. Et encore, dans d’autres régions, les femmes sont chefs de tribu140, du village, de clan ou de famille. On parle, par exemple, de "Mufmu Nkento" comme chéfesse du village141 dans certaines régions en RDC. Sous cette prérogative, elles convoquent et dirigent la palabre. La présentation de deux exemples de palabres ci-haut, nous a permis de décortiquer brièvement la palabre du point de vue de sa structure, de ses éléments constitutifs, de son déroulement et de ses différentes dimensions. La proposition de définition, en partant de quelques auteurs, nous aide à lire la palabre africaine comme un agir communicationnel, un agir interactif propre à la communication humaine: une instance argumentative, discursive. Avant de vouloir rechercher l’éthique discursive qui la sous-tend au troisième chapitre, nous allons, au second chapitre, présenter la palabre dans sa dimension purement communicationnelle. En effet, cette présentation succincte de la palabre, nous permet de la lire, au chapitre suivant, comme un processus interactif et un agir d’intercompréhension propre à l’homme.
138 Cf. A. Doutreloux, L’ombre des fétiches, 200ss. 139 C’est le cas de la "Kahuma" chez les "Basuku" en RDC. 140 Cf. L. Lamal, Basuku et Bayaka, 67-76. C’est le cas de "Ngudi A Nkama", chéfesse des Basuku. 141 Cf. Ibid., 106.
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CHAPITRE II : Palabre africaine: un comportement social interactif symbolique et un agir d’intercompréhension Après avoir fait une présentation succincte de la structure de la palabre et recoupé ses différentes dimensions, nous allons essayer dans ce second chapitre de l’analyser du point de vue de son fondement communicationnel. En quoi est-elle un processus interactif? Est-elle un agir communicationnel, un comportement social? En effet, la communication appartient au quotidien de l’être humain: on ne peut pas ne pas communiquer142. Dans notre étude, nous allons essentiellement nous atteler sur la communication humaine dans ses dimensions essentielles d’interaction, de comportement social basé sur la médiation des symboles en vue de l’entente et de l’intercompréhension. Ceci nous aidera, de façon générale, à mieux ressortir ce qui érige et assoie le caractère communicationnel de la palabre et ainsi signifier en quoi elle est un agir communicationnel humain typique. En général, le concept de communication n’est pas facile à délimiter à cause de ses diverses variations143. Beaucoup de disciplines scientifiques cherchent à élucider le phénomène de communication et spécialement la communication humaine: la philosophie, la psychologie, la sociologie, la linguistique etc. Et dès lors, plusieurs modèles communicationnels sont présentés144. Quant aux acteurs de la communication, ils peuvent être soit des êtres vivants, soit des organismes ou des machines. Dans une certaine mesure, on peut aussi parler de communication entre organismes, machines – par exemple entre computer-computer – ou encore entre organismes et machines – par exemple entre homme et computer etc. Et s’il faut classifier la communication, on parlera
142 Cf. K.H. Delhees, Soziale Kommunikation, 14-15. „Man kann nicht nicht kommunizieren (Anders: Die Unmöglichkeit, nicht zu kommunizieren) >…@“. Un point de la logique de la communication – à côté de l’aspect du contenu et du caractère relationnel, de la complémentarité – est l’impossibilité de la non-communication. 143 Cf. K. Merten, Kommunikation, 12-14. Merten relève la complexité des problèmes qu’on peut rencontrer dans l’étude du processus ou du phénomène de la communication. 144 Cf. Ibid., 13-26. Nous avons plusieurs modèles de communication. On pourra ainsi avoir des analyses: philosophique, psychologique, socio-psychologique, sociologique, etc.
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entre autre de communication sous-animale, animale et humaine, de communication des masses et de communication technique145. Quant au point de vue de ses aspects, la communication peut être dite directe ou indirecte, tandis que définie fonctionnellement, elle est un processus de transmission, d’interprétation, d’échange, de présence, de participation, de relation, de comportement, d’interaction ou encore de socialisation 146. Pour définir la communication, il faut tenir compte de tous ces éléments et critères, il faut la voir dans sa multiformité et sa multifonctionnalité 147. La communication humaine est multidimensionnelle: elle peut avoir lieu avec soi-même ou avec l’autre148. D’un point de vue épistémologique149, la communication humaine pourra être dite sociologique, psychologique, physique, mathématique, biologique, politique, économique, linguistique, philosophique, électronique etc. Mais la question capitale est celle de savoir quand faut-il exactement parler de communication en général? Est-ce dès l’intention de communiquer, ou lors de l’impulsion à communiquer, ou encore dès l’élan et la recherche à communiquer; ou encore simplement, chaque fois qu’il y a un transfert et un captage d’un message donné ou même lorsqu’il y a une intercompréhension et une entente entre les communicateurs? Dans les démarches pour résoudre cette problématique de la communication humaine, on ne s’attarde pas généralement sur la question d’une analyse de l’inflation des significations du mot communication mais plus sur des qualités et des états spécifiques du processus communicationnel de et dans la communication humaine. La communication humaine est un élément constitutif de la sociabilité; cette caractéristique lui confère sa dimension sociale puisqu’elle est un processus de traitement d’actions produisant des structures dans l’espace et le temps. Elle est un processus social réflexif qui permet l’interaction150. Elle est plus qu’un simple échange d’informations entre individus; elle est aussi partage des émo145 Cf. Ibid., 92-157. Il est question, pour l’auteur, de l’analyse procédurale de la communication dans ses différentes dimensions, niveaux et structures. 146 Cf. Ibid., 29-89. 147 Cf. K.H. Delhees, Soziale Kommunikation, 30-34. 148 Cf. A. Ziegler, Verantwortung für das Wort, 49-91. Ziegler rappelle que l’homme est un être de communication. La communication fait partie de son être et le porte. 149 Cf. l’analyse de K. Merten, Kommunikation, 12-33; R. Schützeichel, Soziologische Kommunikationstheorien, 22-30. 150 Cf. K. Merten, Kommunikation, 163: „Kommunikation ist das kleinste soziale System mit zeitlich-sachlich-sozialer Reflexivität, das durch Interaktion der Kommunikanden Behandlung von Handlungen erlaubt und soziale Strukturen ausdifferenziert“.
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tions, des besoins, des intérêts, des valeurs, des jugements et des préjugés, des arguments etc. De ce fait, la communication est un facteur majeur des rapports sociaux et de socialisation151. On peut même dire qu’elle est le nerf central de la vie en société. C’est dans cet ordre d’idée que Watzlawick affirme que l’on ne peut pas ne pas communiquer152. Chaque attitude est, dans cette mesure, émettrice d’une information ou d’un message. Et si l’on faisait un petit pas dans l’histoire de la communication, Lamizet dira: «l’histoire de la rationalité des faits de communication n’est pas récente: c’est dès l’Antiquité que la diffusion en public d’une parole ou, plus simplement, l’échange d’une conversation entre deux interlocuteurs, font l’objet de réflexions, d’analyses – voire d’argumentations. Témoin le conflit inextinguible entre Socrate et les sophistes. Témoin aussi l’institution archaïque du «pontifex», du faiseur des ponts, dès la Rome préclassique. C’est dire que la communication a toujours été un fait social, politique, idéologique, majeur parce que constitutif de l’ordre social et politique»153.
Elle est un fait social qui s’enracine dans le langage, car c’est par cette dimension langagière que se constitue la reconnaissance sociale. Il y a naturellement d’autres formes de représentation et d’échange, mais le langage en est une majeure. Mais, en même temps, le langage représente le monde tout en gardant une certaine autonomie, une distance épistémique154. Cela dit, nous voudrions à présent nous concentrer sur la communication humaine: d’abord, de façon récapitulative, par la présentation scientifique qu’en fait Burkart en tant que processus social interactif, ensuite comme un agir communicationnel orienté vers l’intercompréhension comme l’éclaire Habermas. D’aucuns peuvent se demander pourquoi nous nous appuyons essentiellement sur ces deux penseurs. En effet, Burkart est un des grands chercheurs sur les sciences de communication. Dans son livre "Kommunikationswissenschaft", il fait une belle présentation de la structure de base et de la problématique de la communication dans sa dimension de science sociale interdisciplinaire155. Il résume de façon excellente les différentes théories sur la communication dans la société et essaie de replacer les différentes théories communicationnelles sur les masses médias et surtout présente la communication dans son rapport avec l’existence humaine. Nous trouvons dans sa présentation de la communication humaine en tant qu’agir social et interaction symbolique une base pour ressortir 151 Cf. K.H. Delhees, Soziale Kommunikation, 20. 152 Cf. P. Watzlawick/ Janet H. Beavi/Don D. Jackson, Menschliche Kommunikation, 5. Pour ces auteurs, agir et communiquer appartiennent intrinsèquement à l’homme; c’est ce qui fait de lui un être coopératif et interactif. 153 B. Lamizet, Les lieux de la communication, 8. 154 Cf. Ibid., 9. 155 Cf. R. Burkart, Kommunikationswissenschaft, 15-19.
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la palabre comme une communication humaine typique: un agir interactif et un comportement social symbolique. Sa présentation trouve donc écho dans la palabre en sa dimension d’agir interactif et coopératif. Mais nous ne voulons pas ici procéder à une étude terminologique approfondie du terme de communication humaine. Bien plus, nous chercherons, en partant de l’étude de Burkart sur la communication comme interaction symbolique et un comportement social basés essentiellement sur le medium "Langage", à faire une présentation intégrante de la palabre en tant qu’agir interactif et coopératif orienté vers le consensus, la compréhension mutuelle et l’harmonie sociale. Nous nous efforcerons de faire ressortir une notion fonctionnelle de la palabre. Dans son développement de la communication humaine comme un agir interactif, Burkart se base aussi sur Habermas dans sa présentation de la communication comme un agir, un processus interactif d’intercompréhension (Verständigungsprozeß)156. Il exploite la théorie de l’agir communicationnel de Habermas lorsqu’il présente, de façon générale, les perspectives de la communication dans le recoupement qu’il fait de la communication humaine lors d’une discussion télévisée comme un agir, un travail public orienté vers l’intercompréhension157. Aussi bien chez Burkart que chez Habermas, la communication humaine est motivée par l’intention de transmettre un contenu et par la capacité de contrôle de cette transmission. Nous utiliserons ici le terme "communication" dans un sens très large incluant aussi les procédés par lesquels un esprit peut en influencer un autre. Ce procédé comprend, bien sûr, non seulement le langage verbal mais aussi le nonverbal158, car la communication humaine affecte toute la vie sociale et se situe au centre des rapports humains. Directe ou indirecte, quant à ses formes, la communication humaine n’est pas seulement un agir, un comportement, mais elle est aussi un processus. Elle est, en tant que comportement interactif et social, un agir intentionnel orienté vers un but de façon consentie. Habermas, comme nous le verrons, met l’accent sur la communication humaine comme un agir orienté vers l’intercompréhension et l’entente. Dans leurs différentes perspectives, ces deux auteurs reconnaissent dans la communication humaine un agir interactif orienté intentionnellement vers l’entente,
156 Cf. Ibid., 436. 157 Cf. Ibid., 432-448. 158 Cf. M. Argyle, Soziale Interaktion, 88-121. L’interaction se fait sur base des éléments de comportement social, tels que la parole, le langage non-parlé: la mimique, les expressions corporelles diverses. Le langage parlé et le non-parlé s’entrecroisent, se soutiennent et se complètent.
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l’intercompréhension. Et l’intention est un aspect capital de la communication humaine, qui la différencie de la communication animale159. Cette présentation de la communication humaine nous aidera donc à essayer de ressortir enfin le caractère d’agir et de comportement interactif de la palabre, qui dans son orientation vise la compréhension mutuelle, le consensus et la réconciliation, c’est-à-dire en tant qu’une communication humaine typique, un agir et un comportement sociaux. Mais en quoi la communication humaine estelle une interaction symbolique et un comportement social?
1. La communication humaine en tant qu’interaction symbolique et comportement social d’après R. Burkart Nous remarquons avec Burkart que le terme "communication" est très complexe160. Cette complexité est due à la diversité et à la variabilité de signification qu’il peut acquérir. Cette signification peut, selon le cas et l’usage, être ressortie comme directe ou indirecte, multilatérale ou unilatérale; elle peut s’opérer en présence des acteurs ou en leur absence; elle peut être privée ou publique, perceptible ou non, individuelle ou communautaire etc. Elle peut aussi être dite, restreinte ou large, réussite ou non-réussite. Burkart montre, par son analyse, que la communication est un élément incontournable et une structure essentielle pour l’existence humaine161, elle est un processus de socialisation162 basé essentiellement sur le médium "langage"; elle est une constante anthropologique fondamentale de l’existence humaine163. La 159 L’intention va ici ensemble avec la conscience (Bewußtsein) de l’agir communicationnel en vue de l’entente. Cf. J. Habermas, Theorie des kommunikativen Handelns, I, 435 ff. 160 Cf. R. Burkart, Kommunikationswissenschaft, 15; L. Wate, Kommunikation und kommunikatives Handeln, 1-3. 161 Cf. Ibid., 131. L’auteur rappelle que la communication est une partie intégrante de la vie humaine. En conséquence, une bonne qualité de communication conditionne aussi la qualité de vie et de l’existence humaine. On ne peut, pour cette raison, penser l’homme sans sa capacité communicationnelle. 162 Cf. Ibid., 144-165. Burkart retrace diverses analyses, selon des différents auteurs, du processus de socialisation et son rapport avec l’interaction communicationnelle. 163 Cf. Ibid., 133-144. Une analyse solide, partant d’un point de vue évolutif, de l’implication de la communication et son évolution; Cf. K. Merten, Kommunikation, 92-94. La lecture du processus de développement de la communication qui est faite ici montre encore une fois l’indispensabilité de la communication humaine.
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communication humaine est à la fois un comportement et un agir, elle est sociale et interactive.
1.1 Communication humaine: un comportement social et un agir interactif Burkart fait remarquer que le comportement (Verhalten)164 signifie toute façon de se tenir ou de se manifester, tout mouvement, toute action d’un organisme. Ce mouvement peut être moteur, musculaire ou une activité du système nerveux avec tout ce que cela implique dans le processus de penser, de sentir etc. Chez l’homme, le mouvement n’est pas seulement physique, mais aussi mental, intellectuel, psychologique, il inclue la capacité de décider, de sentir et de se sentir. Le mouvement non-physique est aussi un comportement, une façon de se tenir et de se manifester. L’on parle de comportement social lorsque ce mouvement, cette action sont tournés vers d’autres organismes dans un processus aller-retour, un processus d’action et de réaction165. Sans nécessairement être déjà un acte avec une fin bien orientée ou organisée, le fait que ce "mouvement-comportement" soit tourné vers un autre, lui donne primairement un caractère de comportement social. Burkart pense que ce comportement social est chez l’homme un agir interactif, un processus communicationnel, qui tient compte des autres et s’oriente vers eux. Il est, dès lors, marqué par l’intentionnalité166. Mais tout agir intentionnel n’est pas d’office un agir social – lorsque je couvre ma tête sous un soleil accablant, par exemple, avec un chapeau, j’agis dans l’intention de me protéger contre le soleil. J’agis dans un but concret mais sans agir socialement au sens strict du terme. Alors que lorsque je vais discuter du loyer avec mon bailleur ou payer sa facture, l’échange qui se produit entre lui et moi, l’éventuelle discussion du prix, les différents commentaires, réclama164 Cf. R. Burkart, Kommunikationswissenschaft, 20: „Mit dem Terminus Verhalten wird jede Regung eines Organismus bezeichnet [...]“. 165 Il est question de l’"inter-influence" comportementale et sociale entre les êtres vivants. Cf. R. Burkart, Kommunikationswissenschaft, 21: „Soziales Verhalten meint dagegen bereits den Umstand, daß sich Lebewesen im Hinblick aufeinander verhalten. „Sozial“ ist dasjenige Verhalten von Lebewesen (Menschen oder Tieren), welches eine Reaktion auf das Verhalten anderer Lebewesen darstellt und selbst wiederum die Reaktion anderer Lebewesen beeinflußt“. 166 Cf. Ibid., 23. Pour souligner la dimension sociale de l’agir humain, l’auteur évoque le caractère intentionnel de l’agir humain; l’agir humain n’est pas orienté vers lui-même, mais il est intentionnellement dirigé vers les autres.
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tions, propositions sur la maison, la salutation réciproque, ont des conséquences concrètes et directes sur nous, et voir même sur nos familles et même sur les autres. Burkart parle d’un agir ou d’un comportement social167, attendu que nous agissons tous deux dans une certaine réciprocité et agissons socialement: nous nous comportons comme des êtres d’une communauté, d’une société. Toujours d’après Burkart, nous agissons dans une intention relationnelle conforme à un comportement social. Notre comportement est social, notre agir, notre échange sont des actes et des comportements ayant des répercussions sur notre vie sociale. L’agir social porte un caractère intentionnel d’action réciproque168. Notre auteur ajoute que la communication humaine en tant qu’agir communicationnel est déterminée par l’intentionnalité (Intentionalität), et est, par le fait même, orientée vers un but précis (Zielgerichtetheit). L’intentionnalité consiste dans la volonté (Absichthaftigkeit) de l’émetteur et l’orientation vers un but dans la visée précise de son message au récepteur. L’intention peut être générale ou spéciale. Elle est générale dans son aspect de message, c’est-à-dire un message précis à transmettre. Cet agir a un but précis: l’intercompréhension (Verständigung) entre les partenaires de communication. L’intention est spéciale lorsqu’on veut, dans la communication, atteindre une visée précise, un intérêt précis. Bref, le graphique (3)169 de Burkart représente bien la communication humaine comme un processus intentionnel orienté vers l’intercompréhension. (3). Graphique (3) A
kommunikatives Handeln (Agir communicationnel)
Intention
allgemein:
MITTEILUNG (Intention générale: contenu, message, communication)
Ziel (But)
konstant:
VERSTÄNDIGUNG (But constant: intercompréhension)
Intention
allgemein:
MITTEILUNG (Intention générale: contenu,
B
kommunikatives Handeln (Agir communicationnel)
message, communication)
De ce graphique (3), Burkart déduit que la communication humaine est un agir interactif, intentionnellement orienté vers l’entente mutuelle, vers l’inter167 Cf. Ibid., 21. En fait, nous nous influençons mutuellement en agissant dans la coopération. 168 La sociabilité de notre agir trouve son fondement dans la présence interactive de l’autre que l’on implique – fût-ce implicitement – dans son action. Cf. Ibid., 24. L‘auteur l’exprime ainsi: „Ein Mensch handelt also dann „sozial“, wenn er – und sei es auch nur gedanklich – das Vorhandensein (bzw. die Verhaltensweisen) von (mindestens noch einem) anderen Menschen in sein Handeln mit einbezieht“. 169 Cf. Ibid., 34. Le graphique est de Burkart et les explications en français sont de nous.
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compréhension. L’intention peut être soit générale, la volonté de communiquer, ou soit spéciale, l’actualisation des intérêts des acteurs, de façon constante dirigée vers l’intercompréhension ou simplement la réalisation des intérêts variables170. Nous pouvons encore élucider ce processus par un exemple: lorsque je dis à un ami en visite chez moi "ferme la porte", j’initie une action communicationnelle, je veux partager quelque chose; et lorsque l’ami comprend ce que je lui dis et agit en fermant la porte; la communication est déjà dans l’intention de me comprendre; et dans le fait de nous comprendre. Il y a là action et réaction: l’interaction communicationnelle est donc réussie. Burkart distingue deux sortes d’ "agirs" sociaux: l’agir simple (bloßes Handeln) et l’agir social. L’agir simple n’implique pas directement l’autre; par exemple le fait de mettre son chapeau sur sa tête sous un soleil accablant. Cette action est bien sûr intentionnelle mais pas sociale à proprement parler, parce que non orientée directement vers les autres. L’agir social (soziales Handeln) est un agir orienté vers les autres comme expliqué plus haut171. L’intentionnalité peut être générale, lorsqu’il s’agit d’un partage de message, ou spéciale, quand il y va d’un intérêt. L’orientation – vers un but précis de l’agir – quant à elle, est soit constante quand le but est la compréhension; soit variable, s’il est question de réalisation des intérêts. Mais ces intérêts peuvent être tirés du contenu de l’acte communicationnel en vue d’une réalisation des intérêts; c’est le cas dans l’exemple de la porte que nous venons de citer pour éclairer le graphique (3). Et pour revenir à cet exemple, ma demande de fermer la porte est une intention spéciale avec un but précis qui est atteint quand la porte est effectivement fermée. Les intérêts peuvent aussi être tirés des situations concrètes où le contenu de la communication n’est pas lié à la réalisation immédiate d’une intention spéciale, quand bien même celle-ci peut être dirigée vers la réalisation du dit intérêt. Ainsi l’interaction sociale est l’ensemble d’actions et de réactions entre deux ou plusieurs personnes dans leurs rapports sociaux. Ajoutons déjà que, dans le quotidien, l’on a toujours recours aux signes et symboles pour interagir socialement.
1.2 Communication humaine en tant qu’interaction sociale symbolique Pour Burkart, communiquer est un état intrinsèque aux organismes vivants. La communication humaine va de pair avec l’évolution humaine, elle reste cons170 Cf. Ibid., 27. 171 Cf. Ibid., 23-24
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tamment une factualité anthropologique fondamentale172. Les humains interagissent les uns sur les autres mutuellement dans un processus d’action et réaction173. Dans le cas de la communication humaine, cette interaction devient sociale dans et par l’intention d’échange mutuel entre acteurs dans le but de se comprendre et de s’entendre. Cette entente, la relation "aller-retour" avec un effet d’"action-réaction" a des répercussions sur les partenaires, étant donné que chacun agit en même temps sur soi-même et sur l’autre; partant, les acteurs peuvent s’accepter, se prendre au sérieux et se reconnaître174. On peut par conséquent dire aussi de la communication humaine qu’elle est un processus de partage et d’échange mutuel d’actions et une transmission de signification. Et dès lors, il n’y a communication humaine que dans la mesure où les acteurs agissent mutuellement dans le but d’"inter-agir" sur des actions communicationnelles mutuelles, de coopérer et de s’"inter-comprendre". De cette manière, la communication humaine est essentiellement un comportement communicationnel et un processus d’"inter-influence", entre – au moins deux êtres – qui est intentionnellement orienté vers la compréhension mutuelle175. Le caractère d’interaction sociale de la communication humaine peut être, en fait, décrit de façon étroite, comme ce qui apparaît dans des situations et rapports sociaux: ce qui fait que deux individus sont en présence l’un et de l’autre, l’environnement du questionnement et de la réponse dans lequel chacun reconnaît l’autre comme un "Autre-Je", comme transmetteur et récepteur. Cette interaction ne se limite pas simplement à un échange d’informations mais crée aussi une relation. Pour qu’il y ait communication, il faut nécessairement que deux êtres vivants entrent en relation, qu’ils "interagissent" l’un sur l’autre. La communication, en tant qu’un des résultats de cette relation, peut alors être comprise comme une forme spécifique d’"inter-action" sociale176. Par con-
172 Cf. Ibid., 133. 173 Cf. P. Lersch, Der Mensch als soziales Wesen, 53, cité par R. Burkart, Kommunikationswissenschaft, 31: „Mit dem Begriff der Interaktion bezeichnen wir also das Insgesamt dessen, was zwischen zwei oder mehr Menschen [bzw. Lebewesen, R.B.] in Aktion und Reaktion geschieht“. 174 Cf. R. Burkart, Kommunikationswissenschaft, 30-34. (Wechselbeziehung und Wechselwirkung). 175 Cf. Ibid., 32-33; N. Luhmann, Soziologische Aufklärung, 23. La communication humaine n’est pas seulement un agir interactif – une "actionréaction" réciproque – entre au moins deux individus mais dans ce processus ces derniers ont aussi le même but, la même intention communicationnelle de s’"intercomprendre", de s’entendre. 176 Cf. R. Burkart, Kommunikationswissenschaft, 30.
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séquent, nous pouvons dire que la communication aide aussi les acteurs à se confirmer comme "être" dans leur identité respective de "Je". Il s’agit donc moins d’un simple échange neutre d’informations mais plus d’une interaction induisant un comportement qui suppose et appelle à un engagement au cours duquel chaque partenaire définit comment il se voit dans sa stature de "Je" et la manière dont il voit sa relation à l’autre comme "Autre-Je". La communication implique la réciprocité entre partenaires, un mouvement "aller-retour", ayant en son centre le rapport entre les partenaires et la circonstance qui les lie réciproquement. Cette bilatéralité et cette réciprocité sont le nœud de l’interaction communicationnelle, comme le souligne Burkart177. Mais naturellement il n’est pas aussi exclu que dans l’agir interactionnel un comportement inverse soit aussi valable, c’est-à-dire que les participants puissent parfois "inter-agir" en fonction de ce qu’ils croient être l’identité désirée de l’autre ou encore de leur propre identité telle qu’ils la croient désirée par l’autre. Ce qui a pour effet, comme le pense Argyle, que les problèmes sociétaux trouvent leur origine dans le manque de communication ou la mauvaise communication178. Effectivement, un manque de communication conduit à une perte de coopération, d’interaction, de relation. En d’autres termes, l’interaction sociale peut alors être comprise comme une situation d’interdépendance entre "Je" et "Autre-Je" et comme un lieu d’organisation des comportements et des actions découlant de cette interaction.
L’auteur rappelle encore une fois que la communication humaine exige la présence d’au moins deux personnes qui "inter-agissent" mutuellement, donc relationnellement et socialement. C’est ainsi que la communication est dite interaction sociale. 177 Cf. Ibid., 431-432: „Kommunikation ist ein Prozeß, der stets ein Gegenüber, einen Kommunikationspartner impliziert. Kommunikation ist also immer ein doppelseitiges Gesehen, das zwischen (mindestens) zwei Partnern stattfindet. Im Mittelpunkt steht also das Verhältnis der jeweiligen Kommunikationspartner zueinander – oder anders formuliert: der Umstand, daß Kommunikation ein Vorgang ist, im Rahmen dessen beide Partner wechselseitig aufeinander Bezug nehmen müssen […]“. En effet, Burkart insiste sur la relation mutuelle entre les partenaires de communication comme point focal du processus communicationnel. Cette action bilatérale (Doppelseitigkeit) et réciproque (Wechselseitigkeit) est le nœud de l’"inter-action" communicationnelle. 178 Cf. M. Argyle, Soziale Interaktion, 15: „Die meisten sozialen Probleme stellen sich dar als ein Verlust der Kommunikation, Interaktion und Kooperation zwischen verschiedenen Rassen oder Klassen oder zwischen Arbeitsgruppen“. Les conséquences du manque ou de perte de communication sont lisibles dans la vie courante, par exemple dans les tensions raciales, dans les différences de classes sociales, ou même dans les différentes tensions sociales que nous vivons au quotidien.
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Dans la communication humaine, tout comportement a la valeur de message: activité ou inactivité, parole ou silence, tout fait a valeur de message et conduit les acteurs à s’"inter-influencer" les uns et les autres. De ce fait, la reconnaissance mutuelle179 des participants est le principe constitutif de cette interaction; une interaction communicationnelle n’est possible que sur base de cette reconnaissance mutuelle et l’inter-influence qui en découle180. L’interaction sociale se constitue de cette manière en une unité d’analyse de base de la détermination mutuelle de l’action des partenaires – qui restent aussi des entités interdépendantes – et comme un véritable système social. Elle peut être aperçue comme une séquence de comportements ou d’actions par lesquelles les individus se lient réciproquement, coopèrent par des influences et des déterminations éprouvées dans une réciprocité interdépendante. La communication, dans un rapprochement entre communication et existence humaine, reste donc une constance anthropologique et un outil majeur de la socialisation181. Le comportement de chaque partenaire et de chacune des parties impliquées dans une interaction communicationnelle détermine celui de l’un et de l’autre, il en est à son tour, déterminé. L’interaction sociale peut, d’ores et déjà, être appréhendée comme une situation d’"inter-dépendance" qui implique l’"inter-influence" des participants en présence, des questions et des réponses face aux comportements des uns et des autres. Elle devient elle-même, pour ainsi dire, une séquence comportementale d’actions incluant les effets des réponses, les réactions reçues suite aux actions posées. La communication humaine est une communication interactive182: elle est un processus d’échange réciproque entre membres d’une action communicationnelle dans le partage de l’information, de l’émotion, des arguments, dans le but de se comprendre et d’arriver ainsi à une action commune. Ce processus de réciprocité passe par des signes et des symboles.
179 Cf. Ibid., 142-162. (Reflexive Wahrnehmung). Il s’agit de la prise de conscience de l’autre lors de l’interaction. Dans la relation qui s’établie durant l’interaction, se constitue aussi une reconnaissance mutuelle et une acceptation mutuelle en tant que en tant que personnes: on perçoit l’autre comme personne sous les différentes facettes de l’interaction. Cette relation interpersonnelle, qui s’ouvre, est en même temps un processus cognitif et une recherche de l’autre. 180 Cf. A. Kieserling, Kommunikation unter Anwesenden, 15. 181 Cf. R. Burkart, Kommunikationswissenschaft, 133-149. 182 Cf. K. Merten, Kommunikation, 64; P. Ekman and W.V. Friesen, The Repertoire of Nonverbal Behavior, 57; C.F. Graumann, Interaktion und Kommunikation, 111.
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1.2.1 Notion de Signe et Symbole La communication humaine est un procédé de transmission, d’interdépendance, dans la mesure où chaque comportement, chaque agir est transporteur et transmetteur d’un message, d’une information. La communication est un espace symbolique, car elle fait usage de signes et symboles. Le signe est porteur de sens et de signification; il peut être naturel ou artifi183 ciel . Il présente toute réalité susceptible d’en représenter une autre. Il est un lieu de relation qui renvoie à autre que soi. Le signe naturel est un objet naturel porteur de sens; c’est ainsi que lorsque je vois par exemple une fumée monter, je sais qu’un feu brûle. Le signe naturel est aussi un signal ou une manifestation des objets ou même un indice des objets auxquels ils se réfèrent184. Tandis que le signe artificiel est un signe conventionnel de la société. La communication humaine fait usage de ces conventions pour la compréhension mutuelle. Celles-ci sont pensées et chargées de signification avec des fonctions précises. Le signe artificiel est aussi un signal se référant à quelque chose, en telle sorte qu’il rend possible la réaction et influence, d’une façon ou d’une autre, le comportement de l’autre. Le signe artificiel a la signification qui lui est accordée par une entente dans le but de provoquer la réaction lors de la communication. C’est pourquoi il a une fonction communicative de signalisation et de symbolique pour ainsi dire; il pousse à agir. En tant que symbole185, le signe est représentation de quelque chose, il est essentiellement basé sur la convention dont il découle. Le symbole a une fonction représentative. Cet aspect symbolique du signe est une spécificité de la communauté humaine, à cause de l’intelligibilité qu’il requiert, dans la contextualité de son accessibilité et aussi dans la compréhension qu’elle permet entre personnes. Il aide à s’"auto-comprendre" et s’"inter-comprendre" dans le temps et l’espace. L’interaction passe, de ce fait, par la symbolique.
183 Cf. R. Burkart, Kommunikationswissenschaft, 47. 184 Cf. Ibid., 46. Il présente le signe comme un phénomène physique ayant une signification. Selon ses propres mots: ,,Ein Zeichen ist eine materielle Erscheinung, der eine Bedeutung zugeordnet (worden) ist. Indem es etwas bedeutet, verweist es auf etwas; d.h., es deutet auf etwas hin, das von ihm selbst verschieden (!) ist. […] Ein Zeichen kann grundsätzlich alles sein, was (sinnlich) wahrnehmbar ist, kurz: alles, was in irgendeiner materiellen Form manifestiert wird“. 185 Cf. Ibid., 48.
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1.2.2 L’interactionnisme symbolique Les sociétés humaines vivent dans un environnement symbolique. Et la communication entre les êtres humains a lieu lorsque ces derniers donnent les mêmes significations à leurs expériences subjectives du vécu effectif, fruits de leurs expériences c’est-à-dire, quand ils accordent aux symboles les mêmes significations pour s’entendre et se comprendre. L’interactionnisme symbolique est un concept de l’agir humain, qui thématise l’entrée en relation de l’homme avec son environnement. Ceci signifie que l’homme ne vit pas seulement dans un environnement naturel mais aussi symbolique. Les choses et leurs significations représentent plus au moins ce rapport "Homme-Environnement" et symbolisent pour l’homme la réalité subjective de ses expériences186. La communication humaine est aussi une interaction symbolique: les hommes agissent dans un processus communicationnel interactif dans l’intention d’agir en coopérant et en communiquant; ils partagent mutuellement, selon l’intention générale de leur agir, des significations. Et pour ce, ils doivent user des signes et symboles, c’est-à-dire, entrer, par des signes, symboliquement en relation mutuelle187. Les symboles sont significatifs: ils sont signes porteurs d’idées que se transmettent les partenaires de communication. Dans la communication humaine, les signes ne sont pas seulement des signaux mais restent aussi des symboles face auxquels on doit réagir en fonction des significations dont ils sont porteurs. Les signes donnent à penser et nous aident en même temps à exprimer et à partager les sentiments. Communiquer, c’est vivre, et vivre, c’est communiquer. 186 Cf. Ibid., 54-55. Burkart thématise ici la relation symbolique de l’agir communicationnel. En réalité, l’homme se meut dans un univers non seulement naturel mais aussi symbolique. Dans cette mouvance, l’homme constitue son expérience vitale. L’interactionnisme symbolique représente cette relation qui s’établie entre lui et l’environnement. De fait, en entrant en communication avec le partenaire de communication, on entre aussi dans une relation symbolique. 187 Cf. Ibid., 56: „Wenn Menschen nun im Prozeß der kommunikativen Interaktion im Hinblick aufeinander kommunikativ handeln, dann wollen sie – entsprechend der allgemeinen Intention ihres Handelns – Bedeutungen „miteinander teilen“. Zu diesem Zweck müssen sie daher Zeichen als Symbole (für bestimmte Bedeutungen) gebrauchen; erst dadurch sind sie ja dazu imstande, wechselseitig vorhandene bzw. vorrätige Bedeutungen im Bewußtsein zu aktualisieren. Wenn zwei Menschen miteinander kommunizieren (wollen), dann treten sie also symbolisch vermittelt zueinander in Beziehung“. Nous avons ainsi une justification de la relation symbolique de l’agir communicationnel.
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L’interaction, caractérisée par le symbolisme, a pour ce faire une signification et une importance centrales dans l’existence humaine. L’intention qui conduit cette interaction est le partage mutuel du message et de son sens. Pour ce, on fait usage des signes comme symboles ayant des significations précises. Le but constant de l’interaction symbolique est l’intercompréhension. Il y a exactement interaction, communication lorsque les partenaires ont la même signification des symboles utilisés. Le signe comme signal n’a pas simplement une fonction significative mais aussi une dimension symbolique. Et l’usage du symbolique exige plus que l’instinct. Le graphique188 suivant le résume bien. Par ce graphique (4), Burkart expose le processus d’intercompréhension entre acteurs de communication comme un processus basé sur des significations possibles des signes en tant que symboles rendant effective la compréhension mutuelle. Le fait de saisir et comprendre de même façon les significations symboliques des signes, de leur accorder les mêmes valeurs représentatives et même réelles favorisent l’interactivité, la possibilité de se comprendre et de s’entendre. (4). Graphique (4)
188 Cf. Ibid., 60. Avec notre explication française entre parenthèses.
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Trois préalables se conjuguent dans l’interaction symbolique, à savoir que les hommes utilisent les objets de leur environnement sur la base de la signification des dits objets, la signification des objets provient des interactions sociales des hommes et enfin ces significations sont utilisées dans un processus interprétatif – aussi contextuel. Le langage est pareillement un de ces moyens de médiation, un ensemble des signes et symboles couvert des significations comme nous allons le voir au point suivant. 1.2.3 Le "Médium" langage dans la communication humaine. La Communication humaine est un processus de médiation: elle est un processus de transmission de sens et de message entre êtres vivants puisqu’elle recourt aux moyens de transmission. Le "Médium" est le moyen d’expression (Ausdrucksmittel) de l’agir communicationnel. Une communication ne peut avoir lieu sans moyens et outils de transmission, sans transporteurs189. Les moyens de communication sont tout l’ensemble des moyens, des canaux, des organisations et des structures ou voire même les institutions de communication. Burkart subdivise les moyens de communication en deux ordres: les médias de premier ordre qui constituent l’infrastructure des techniques de médiation et de conservation tels que le téléphone, le fax, PC, Radio, CDs etc. Et ceux de second ordre qui forment les communicateurs institutionnalisés actifs qui font usage des médias de premier ordre190. Burkart classe les médias en quatre groupes à savoir: Les médias primaires, les secondaires, les tertiaires et les quaternaires191. Les médias primaires sont les contacts humains élémentaires. Ses outils primaires sont les moyens de communications ordinaires tels que le langage, la mimique, la gestique et autres 192. Les médias secondaires sont ceux qui exigent un instrument, par exemple une lettre, une affiche, un journal etc193. Les médias tertiaires rassemblent les techniques "expéditeur-récepteur", telles que le téléphone, la TV, la radio etc. Et les médias quartenaires forment la technique online, la technique digitale et multimédia (Mails, Chats etc.)194. 189 Cf. Ibid., 35. Tout agir communicationnnel exige un support, un "Médium" – élément inconditionnel – de tout processus de communication. 190 Cf. Ibid., 45. 191 Cf. Ibid., 36-38. 192 Cf. Ibid., 36. 193 Cf. Ibid., 37. 194 Cf. Ibid., 38.
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Le langage est un moyen, un "médium" typique de communication chez les hommes. Verbal ou non verbal, le langage en tant que système de signes permettant la communication est exactement un moyen de l’interaction symbolique. Ses fonctions sont la communication et l’expression tant de la subjectivité que de l’objectivité. Il ne s’agit nullement pas de faire une étude systématique sur le langage; la brève présentation introduit le langage comme outil de communication. Si nous nous référons au graphique (4), le langage est un médium d’interaction couvert de significations. En effet, lors d’une interaction, comme nous l’avons dit plus haut, les acteurs n’arrivent à se comprendre que lorsque les signes langagiers qu’ils utilisent portent les mêmes significations. Nous pouvons de nouveau revenir à l’exemple de la porte en référence au graphique (3). Il y a intercompréhension et action dans ce processus verbal parce que les deux acteurs ont la même signification du signe. Mais le signe verbal peut être appréhendé sous différents angles, à savoir l’angle sémantique, l’angle syntaxique et la pragmatique. 1.2.3.1 Trois dimensions du signe langagier verbal Burkart parle de trois dimensions du signe langagier verbal: la dimension sémantique, la dimension syntaxique et la dimension pragmatique. La dimension sémantique en tant qu’étude de sens signifie le rapport entre les signes langagiers et les objets signifiés; elle renvoie à la signification des signes. La dimension syntaxique étudie les règles grammaticales, traite de la combinaison des mots entre eux et des rapports des signes entre eux. Et la dimension pragmatique, quant à elle, consiste en la confrontation des significations élaborées en dehors des réalités dont elles sont issues avec ces réalités mêmes qu’elles prétendent signifier. Elle étudie l’usage des signes du langage. Elle s’intéresse donc aux formes concrètes dans lesquelles le langage est employé. La dimension pragmatique étudie principalement les effets du langage et les situations d’énonciation et renvoie ainsi à la relation entre les signes et leurs utilisateurs. Elle veut la bonne compréhension des signes utilisés par les partenaires de la communication195. Qu’elle s’occupe de la manière dont on agit en disant quelque chose ou de la dépendance contextuelle de ce qui est dit, la dimension pragmatique recherche l’influence et les conséquences du langage dans le con-
195 Cf. Ibid., 78-79.
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texte où il se déploie et aussi l’influence et les conséquences contextuelles sur le langage lui-même196. L’intercompréhension dans l’agir communicationnel ne dépend donc pas seulement de l’accord du point de vue sémantique ou syntaxique mais aussi d’un accord du point de pragmatique et ceci tant au niveau des objets mêmes qu’à celui de l’intersubjectivité. Les signes utilisés dans le langage ont une fonction communicative car ils sont employés pour l’interaction entre les acteurs, ce qui fait du langage une communication symbolique. 1.2.3.2 Le langage symbolique dans la communication humaine 1.2.3.2.1 La fonction communicative des signes langagiers Le langage, dans toute sa richesse, est une donnée commune à tout groupe d’individus et reste, de ce fait, une réalité partagée. Le langage est un instrument de communication, c’est-à-dire un moyen de mise en commun et de partage d’informations et de la vie. Dans sa multiformité, il est tout entier tourné vers l’interaction communicationnelle et demeure ainsi un élément précieux et capital de la communication humaine. Il implique la symbolique des signes et l’interprétation qui leurs sont accordées en vue de l’intercompréhension. Il porte également une dimension subjective et une dimension objective. Le langage comporte une suite de signes constitués des signifiants et des signifiés qui font références aux phénomènes du parler. Ces signes sont arbitraires, conventionnels et servent à dénommer des objets, des réalités objectives et subjectives, et obéissent à des règles précises sur le plan structural et grammatical. Ils sont porteurs de sens. Le langage humain, à la différence des langages des animaux, est pensé, rationnel car il s’articule sur une chaîne verbale qui obéit à des lois grammaticales et à un style spécifique, style qui peut se comprendre comme le reflet de la liberté humaine. La dynamique du langage fait référence à la réalité et garde une force réflexive. Il ne sert pas seulement au déchiffrement des signes et symboles mais sert finalement à l’interaction et à l’intercompréhension. Le langage est dynamique, en lien avec ce qu’il exprime, il a une dimension symbolique et une dimension d’action197. Nous pouvons dès lors parler d’une force, d’une dynamique générale, génératrice, généralisante du langage qui consiste dans l’usage des signes comme symboles pour représenter des réalités du monde objectif en même temps comme objet et comme concept. Quand je parle, par exemple, de l’arbre planté 196 Cf. Ibid., 78-130. 197 Cf. Ibid., 84-85.
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dans ma parcelle, je fais allusion à un arbre concret et à l’arbre en général: l’objet et son abstraction. Cette dynamique permet d’actualiser les objets comme concept dans le subconscient, partant des différentes expériences vécues et enregistrées. C’est la force, la dynamique du concept et du langage198. Il y a un rapport entre langage et réalité: le langage permet de percevoir, de saisir et de prendre en charge l’environnement. Il a une fonction de reconstruction et crée un lien avec la réalité qu’il exprime199. Naturellement, le langage ne peut pas refléter de façon complètement conforme la réalité mais il est toujours et déjà un processus reconstructeur de la réalité. Et comme processus de reconstruction, il s’inscrit dans un circuit social interactif. Langage et environnement social ont un lien étroit. Mais le langage peut aussi être dit relatif à cause de l’absence, en général, d’un mot ou d’une expression unique pour chacune des réalités évoquées, dans la mesure où chaque description dépend entre-autre des contextes culturels, émotifs et même de l’évolution de la connaissance et de la vie. Ceci signifie que les hommes ne développent pas seulement des langages et des langues différentes, mais en même temps la reconstruction de la réalité. La réflexivité langagière signifie que le langage est en outre un langage sur le langage: le langage parle aussi de lui-même. En effet, on peut parler du langage, de son fonctionnement, de son évolution etc. Ce processus est réflexif. Le langage peut donc être objet du langage ("Langage-Object ou Métalangage")200. Cette perception du langage, à savoir sa dynamique, son rapport avec la réalité et sa réflexivité témoignent d’une relevance spécifique du langage humain parce qu’il a une orientation spécifique vers l’intercompréhension. Mais le langage a aussi ses limites et il est parfois confronté à des barrières. 1.2.3.2.2 Limites et barrières du langage Les limites et les barrières du langage reposent sur le fait qu’il ne fasse pas parfois passer le message suite à certaines anomalies ou incompréhensions dans l’usage ou dans le décodage, du fait des barrières langagières ou des actions lan198 Cf. Ibid., 89-93. 199 Cf. Ibid., 100. Il y a une relation effective entre le langage et la réalité. Puisque, d’une part, le langage est empreint de l’expérience humaine et de ce que l’environnement offre et de l’autre part, il influe aussi sur cette expérience humaine et sur la connaissance de l’environnement. (Wahrnehmung der Umwelt). 200 Cf. Ibid., 104. Plus loin, Burkart souligne le "Métalangage" comme une particularité du langage humain. Il est question de l’"autoréflexivité" du langage en tant que langage sur le langage: le langage comme objet du soi-même. Effectivement, il faut parler du langage pour le comprendre.
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gagières elles-mêmes201. Si la saisie des symboles langagiers n’est pas la même chez les partenaires, si les codes ne portent pas les mêmes significations, on ne se comprendra pas. Aussi, les actions du langage ne doivent nullement être isolées des rapports entre les partenaires de la communication et du contexte social, de leur état intersubjectif et objectif. En conséquence, il sied de dire que l’intercompréhension dans la communication humaine a lieu si les partenaires de l’acte communicationnel concerné ont la même saisie des symboles et des actions langagières ainsi que de leur interprétation. Les barrières langagières peuvent être objectives ou intersubjectives. Elles ont plusieurs aspects ou dimensions. Elles sont consécutives aux réalités culturelles, sociales, aux états émotifs et psychosomatiques des acteurs. Selon Burkart, pour s’assurer de la réussite de la communication, un mécanisme de contrôle s’impose, car lors de l’échange chacun cherche à passer son message, à être compris pour s’entendre: le feedback. 1.2.4 Le Feedback La communication humaine est un processus interactif: un aller et un retour. Le signal émis par l’émetteur influence le récepteur et s’influence lui-même en même temps et vice-versa. Il y a là une double loi de causalité et de complémentarité. Il s’opère, pour ainsi parler, un échange de rôle; il y a un "feedback". Le but de l’agir communicationnel étant l’intercompréhension, le feedback est une instance de contrôle, de régulation de cette visée commune. Burkart signifie bien le Feedback comme le processus de contrôle de la réussite de l’agir communicationnel; il montre le degré de compréhension entre les partenaires et aide ainsi à améliorer l’état et la qualité de la communication, à corriger les incompréhensions en vue d’une meilleure communication202. Dans le feedback, s’opère en même temps un échange de rôle, qui est aussi une acceptation de l’autre comme
201 Cf. Ibid., 116-121. 202 Cf. Ibid., 68-69: „Der Feedbackprozeß, der ja ein System mit seiner Umwelt verbindet, verbindet in diesem Fall die beiden Handlungssysteme direkt miteinander: der „Output“ des einen Handlungssystems wird zum „Input“ des anderen (und umgekehrt). Da die kommunikativen Handlungen beider Handlungssysteme auch auf ein gemeinsames Ziel (Verständigung) hin ausgerichtet sind, erscheint der Rückkoppelungsprozeß als Kontrolle bzw. Steuerung des gemeinsam angezielten „Verständigungserfolges“. Cette procédure contrôle la réussite de la communication. Le "feedback" contrôle le bon fonctionnement de l’intercompréhension attendue.
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acteur et partenaire du dialogue. Et à l’instar de la communication elle-même, le Feedback peut être direct ou indirect.
1.3 En résumé Dans cette présentation de la communication humaine en tant qu’interaction sociale et comportement "socio-médiatif" symbolique de Burkart, il a été essentiellement question de la communication humaine comme un phénomène et un agir social, comme une interaction mutuelle entre humains usant des symboles et intentionnellement orientée vers l’intercompréhension. Le langage est le médium privilégié de la communication humaine qui est donc un processus de dialogue, un échange et une transmission des messages, des émotions, des besoins, des intérêts, des valeurs entre individus. La communication est un facteur très important de socialisation. Elle est un processus interactif symbolique d’intercompréhension et une coordination d’actions langagières intentionnelles à long ou à court terme entre agents rationnels. Elle a aussi une fonction d’"inter-influence", d’émancipation et même une action thérapeutique. Elle se présente donc comme une constance ontologico-anthropologique et se veut une donnée de base de l’être humain; elle est un processus ontologique, car communiquer, c’est exister; il faut communiquer pour exister. Elle est en même temps un processus anthropologique: elle est une construction humaine, un outil de la culture commune. La communication n’a pas lieu seulement entre individus, mais aussi entre mondes et cultures. Elle est en même temps un objet d’étude et de connaissance pour beaucoup de sciences. Elle reste un processus très complexe. Dans une approche contextuelle, la communication humaine peut être envisagée comme l’expression d’un processus d’interaction complexe qui met en relation. Elle se construit alors dans l’usage que l’on fait des informations en situation de communication tout en construisant une communauté pratique d’usages, d’échanges, de discours dont chaque acteur est à la fois l’initiateur, le porteur, l’acteur principal et le récepteur. De façon générale, la communication est un processus très complexe, et ainsi la définir exige donc circonscription et circonspection.
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2. Le processus d’"intercompréhension" dans la communication humaine chez J. Habermas Chez Burkart, nous avons fait une présentation de la communication humaine comme une interaction sociale, un comportement symbolique. Il apparaît clairement chez lui que la communication est un agir, une interaction symbolique. Habermas, quant à lui, reconnaît aussi la communication humaine comme un agir, mais il fait une distinction entre agir téléologique et agir communicationnel comme il le montre si bien dans ses ouvrages: "La théorie de l’agir communicationnel 1 et 2". Les conceptions de la communication humaine de ces deux auteurs nous aideront à mieux saisir le dialogue palabrique comme une communication humaine typique. Nous allons, dans ce second point, essayer de présenter la communication humaine en tant qu’agir intentionnellement orienté vers l’intercompréhension comme le stipule Habermas: une présentation d’un modèle théorique de la communication humaine comme un mécanisme d’interaction essentiellement orienté vers la compréhension mutuelle, comme une entente qui est fruit d’un comportement rationnel sur base des critères de validité précis. En présentant l’agir communicationnel du point de sa rationalité et de sa pragmatique, Habermas le présente comme un agir orienté intuitivement et logiquement vers l’entente, contrairement à l’agir téléologique. Et L’argumentation, nœud du processus d’intercompréhension dans le discours, est tout un processus rationnel tant du point de vue grammatical que du point de vue de la logique qui doit l’orienter. L’argumentation se sert essentiellement du langage en suivant des critères de validité donnés pour son efficacité. En effet, comme le souligne si bien Schützeichel, le médium "langage" est bien plus qu’un simple exercice de locution, il est aussi un moyen d’agir203.
2.1 Préalables Quels sont, en effet, les préalables pour qu’un acte communicationnel soit possible? A cette question, Habermas, sous l’influence d’Apel, répond par la prag203 Cf. R. Schützeichel, Soziologische Kommunikationstheorien, 208: „[…] Dass die Sprache nicht nur ein Medium ist, mit dessen Hilfe man wahre oder falsche Aussagen machen kann, sondern ein Medium, in dem man Handlungen ausführt, ist ihr zentraler Ausgangspunkt“. Pour une meilleure compréhension du langage, il est à retenir que celui-ci n’est pas simplement un support d’échange, mais il est, en plus, un instrument d’action, un médium pour l’agir.
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matique communicationnelle204. Il y a effectivement en chacun l’ouverture intersubjective au processus de communication, une ouverture qui rend possible l’entente lors de chaque argumentation, de chaque processus communicationnel. Cette prédisposition permet l’intercompréhension. Et dans chaque agir communicationnel, entrent en jeu les critères suivants: être compréhensible dans la communication, communiquer sur quelque chose de manière à être compréhensible et savoir se mettre d’accord avec son partenaire. Habermas distingue trois concepts différents d’action en fonction des rapports entre les acteurs et le monde où ils se situent: l’agir téléologique dans le monde objectif, l’agir régulé par des normes dans les mondes social et objectif, et l’agir dramaturgique dans le monde subjectif et objectif en incluant des objets sociaux205. Mais en quoi consistent les deux principaux types d’agir à savoir l’agir téléologique et l’agir communicationnel? 2.1.1 Agir téléologique et Agir communicationnel Habermas distingue différents types d’agir social. Un agir social peut être orienté soit vers le succès ou encore vers l’intercompréhension. Lorsqu’il est orienté vers le succès, il est dit téléologique (zielgerichtet); cet agir est dit stratégique. Et un agir est dit communicationnel (kommunikatives Handeln) quand il est tourné vers l’intercompréhension. L’agir orienté vers le succès présente deux types de relations distinctes, à savoir: la relation instrumentale et la relation stratégique. La relation instrumentale situe un mode d’action unilatéral et linéaire, qui déploie une rationalité technique consistant dans l’agencement des moyens requis pour réaliser un but. L’action téléologique est instrumentale si elle concerne des objets. Cela équivaut par exemple – d’un point de vue sociologique – au modèle wébérien de l’activité rationnelle par rapport à une fin ou une rationalité téléologique. La relation stratégique, elle, est cependant plus complexe et suppose une interaction entre deux partenaires capables de modifier à chaque fois leur comportement en fonction de celui du partenaire206. Dans cet agir, affirme Habermas: «l’acteur réalise un but ou provoque l’apparition d’un état souhaité en choisissant et utilisant de façon appropriée les moyens qui, dans une situation donnée, paraissent lui assurer le succès. [...] Le modèle téléologique s’élargit au modèle stratégique,
204 Cf. J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 335-345. 205 Cf. Ibid., 100-110. 206 Cf. Ibid., 99-104.
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lorsque l’acteur fait intervenir dans son calcul de conséquences l’attente de décision d’au moins un acteur supplémentaire qui agit en vue d’un objectif à atteindre»207.
L’action est stratégique lorsqu’elle concerne des personnes, dans la mesure où un interlocuteur cherche par tous les moyens à persuader l’autre pour atteindre ses fins, même par le mensonge, la démagogie, il poursuit ses fins de façon persuasive. Lors d’un agir instrumental, l’acteur fait usage du langage de manière orientée pour convaincre, influencer stratégiquement le partenaire208. Par le fait que la relation stratégique présuppose une interaction entre deux personnes, elle possède pour Habermas un caractère social que ne présenterait pas la relation instrumentale209, laquelle est plus appropriée au rapport technique de l’homme à la nature plutôt qu’au rapport pratique des hommes entre eux. Cependant la relation stratégique n’est pas la seule relation pertinente qui rende compte du social. Car, selon Habermas, le social se constitue sans doute dans des interactions humaines, mais ces interactions ne sont pas et ne peuvent pas être seulement de type stratégique. C’est ainsi qu’il déclare: «nous nommons instrumentale une action orientée vers le succès, lorsque nous la considérons sous l’aspect de la poursuite de règles techniques d’action et que nous évaluons le degré d’efficience d’une intervention dans un contexte d’états de chose et d’événements; nous nommons stratégique une action orientée vers le succès, lorsque nous la considérons sous l’aspect de la poursuite de règles de choix rationnelles et que nous évaluons le degré d’efficience de l’influence prise sur les décisions d’un 207 Ibid., 101. 208 Cf. R. Schützeichel, Soziologische Kommunikationstheorien, 223: „Im strategischen Handeln wird das Medium der Sprache nur in einer sehr eingeschränkten Weise einbezogen, nämlich nur soweit, als die Meinungen und Absichten anderer von einem Sprecher beeinflusst werden können, und zwar durch die perlokutionären Effekte der Sprachhandlungen“. En effet, dans un agir stratégique, l’on se sert instrumentalement du langage, c’est-àdire, on le manipule de façon limitée et démagogique pour produire un effet psychologique escompté sur ses interlocuteurs en vue de les convaincre. Par son acte de langage, en cherchant en influencer les autres, l’émetteur vise simplement un effet perlocutoire. 209 Cf. Ibid., 222: „Ein Aktor handelt strategisch, wenn er auf etwas in der objektiven Welt Bezug nimmt, dabei aber die Erwartungen und Entscheidungen von anderen Aktoren in seinem egozentrischen Handlungskalkül berücksichtigen muss. […] Die Bedeutung von strategischen Handlungen identifiziert man nicht anhand dessen, was jemand sagt, also nicht anhand der Regeln der Sprache, sondern anhand der Handlungsabsichten, die jemand mit seinem Sagen verfolgt. Strategisches Handeln wird identifiziert durch die Intentionen der Handelnden“. En fait, un acteur de communication agit stratégiquement lorsqu’il agit de manière égoïste en trompant les attentes des partenaires. Mais il ne s’agit pas ici de juger de la valeur du langage du point de vue de ses règles, mais bien plus l’intention de l’acteur dans son agir et les conséquences de ce dernier dans la suite.
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partenaire rationnel. Les actions instrumentales peuvent être raccordées à des interactions sociales, (tandis que) les actions stratégiques représentant elles-mêmes des actions sociales. En revanche, je parle d’actions communicationnelles, lorsque les plans d’action des acteurs participants ne sont pas coordonnés par des calculs de succès égocentriques, mais par des actes d’intercompréhension. Dans l’activité communicationnelle les participants ne sont pas primordialement orientés vers le succès propre; ils poursuivent leurs objectifs individuels avec la condition qu’ils puissent accorder mutuellement leurs plans d’action sur le fondement de définitions communes des situations»210.
Mais l’action orientée vers l’intercompréhension n’est pas stratégique, elle vise, au contraire, l’entente entre des acteurs par l’argumentation rationnelle. Et donc, pour Habermas: «ce modèle d’action présuppose que les parties prenantes de l’interaction mobilisent expressément pour le but de l’entente auquel ils coopèrent le potentiel de rationalité […]»211.
Elle n’est possible que sous des prétentions à la validité précises212 à savoir: - la vérité (Wahrheit): «l’énoncé effectué est vrai […]»213;
- la justesse (Richtigkeit): «l’action langagière est juste par rapport à un contexte normatif en vigueur […]»214;
- la sincérité (Aufrichtigkeit): «l’intention manifestée par le locuteur est bien par lui pensée telle qu’il l’exprime»215.
Habermas stipule que les différents types d’agir, l’agir téléologique, l’agir normatif et le dramaturgique216 correspondent respectivement au monde objectif, au monde social et à celui subjectif quant aux types de mondes: «- le monde objectif (comme ensemble de toutes les entités au sujet desquelles des énoncés vrais sont possibles); - le monde social (comme ensemble de toutes les relations interpersonnelles codifiées par les lois); - le monde subjectif (comme ensemble des expériences vécues auxquelles le locuteur a un accès privilégié)»217.
Pour lui, le locuteur prétend donc à la vérité par ses énoncés ou des présuppositions d’existence, à la justesse dans un agir légitimé par des règles et à la véraci-
210 211 212 213 214 215 216 217
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J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 295. Ibid., 115. Cf. Idem. Ibid., 115. Idem. Idem. Cf. J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 103-106. Ibid., 116.
té en communiquant des expériences vécues par lui218. Dans un agir régulé normativement (normenreguliert), nous fait savoir Habermas, «l’acteur individuel suit une norme (ou l’enfreint) dès lors que sont remplies dans une situation donnée les conditions auxquelles la norme trouve une application»219.
Cette norme est constituée sur base des valeurs communes que se forge un groupe social. Alors que pour lui, l’agir dramaturgique, – concernant que les participants d’une interaction donnée – est un jeu d’affirmation de soi dans la mesure où: «l’acteur fait naître chez son public une certaine impression, une certaine image de lui-même, en dévoilant plus ou moins intentionnellement sa subjectivité»220,
l’agir communicationnel, lui, est orienté vers l’intercompréhension en se référant à ces trois types de mondes. Habermas lui-même dit: «L’intercompréhension (Verständigung) vaut comme un procès d’entente (Einigung) entre des sujets capables de parler et d’agir. I1 est vrai qu’un groupe de personnes peut se sentir uni dans une humeur commune tellement diffuse qu’on a beaucoup de mal à indiquer le contenu propositionnel ou encore l’objet intentionnel sur lequel elle se polarise»221.
L’accord ainsi obtenu n’est nullement une concordance (Übereinstimmung) factuelle mais plutôt un assentiment (Zustimmung) qui découlerait d’un agir communicationnel rationnel; il n’est ni imposé ni subi mais passe par des accords langagiers mutuels, des expressions langagières dont la prétention à la validité reste fondamentalement critiquable. Pour ce, Habermas soutient donc que: «l’intercompréhension (Verständigung) est inhérente au langage humain comme son telos. Assurément, langage et intercompréhension ne se rapportent pas l’un et l’autre comme le moyen et la fin. Mais nous ne pouvons expliquer le concept d’intercompréhension que si nous indiquons ce que veut dire employer des phrases dans une intention communicationnelle»222.
L’agir communicationnel est, à proprement parler, un agir constitutif du social. Cet agir fait recours aux trois mondes. En effet, dans un acte illocutoire, le locuteur crée un certain rapport entre lui et son interlocuteur à qui il propose une certaine présentation de la situation dans laquelle il se trouve avec lui223. Si cette 218 219 220 221 222 223
Cf. R. Schützeichel, Soziologische Kommunikationstheorien, 222-223. J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 101. Ibid., 101. Ibid., 296. Ibid., 297. Cf. R. Schützeichel, Soziologische Kommunikationstheorien, 225. Contrairement aux autres formes, l’agir communicationnel se réfère à tous les trois mondes, à savoir le monde subjectif, objectif et social, puisque les acteurs de l’agir
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présentation est acceptée par l’interlocuteur, l’acte de communication réussit et un engagement réciproque est dès lors établi. Attendu que, comme l’affirme Habermas lui-même: «le concept d’activité communicationnelle présuppose le langage en tant que médium pour le procès d’intercompréhension […]»224.
Ce qui intéresse ici Habermas, c’est plus la nature sociale et rationnelle de cet engagement. Dans l’acte illocutoire, il y a une possibilité de reconstruction normative et de critique, et sur cette critique on peut fonder un concept de l’agir communicationnel. Tandis que l’acte perlocutoire est stratégique, sans but illocutionnaire, c’est-à-dire, non d’un agir communicationnel. L’agir communicationnel est une activité interactive orientée par entente vers l’intercompréhension qui a pour fonction principale de coordonner des actions et plans d’action entre des partenaires d’une communauté communicationnelle. Et Habermas renchérit encore: «ce ne sont plus la connaissance ni la mise à disposition d’une nature objectivée qui sont en elles-mêmes les phénomènes nécessitant une explication; c’est l’intersubjectivité d’une intercompréhension possible – aussi bien sur le plan interpersonnel que sur le plan intrapsychique. Le foyer de l’investigation se déplace de la rationalité cognitive-instrumentale vers la rationalité communicationnelle. Ce qui est paradigmatique pour cette dernière, ce n’est plus la relation du sujet isolé à quelque chose dans le monde objectif, représentable et manipulable; ce qui est paradigmatique, c’est au contraire la relation intersubjective qu’instaurent des sujets capables de parler et d’agir, lorsqu’ils s’entendent entre eux sur quelque chose»225.
Les deux agirs sont interactifs à la différence que, contrairement à ce qui se passe dans une interaction de type communicationnel, les protagonistes d’une interaction stratégique agissent chacun strictement pour leur seul intérêt. L’interaction est stratégique parce que l’acte intelligent ou efficient est celui de l’acteur qui sait le mieux utiliser les plans et les argumentations de l’adversaire et s’en servir pour la réalisation de son propre plan d’action, celui qui use ainsi stratégiquement du langage. Mais pour l’intercompréhension, les actes de langage ont des critères de validité qui leur sont intrinsèques.
communicationnel partagent dans leur agir ces trois mondes pour retrouver dans la même situation définitionnelle afin de se comprendre. La coordination de ces trois mondes dans la communication fait du langage – en tant que support reposant sur une base rationnelle – un médium privilégié de la communication humaine. 224 J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 115. 225 Ibid., 395.
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2.1.2 Les critères de validité des actes de langage Dans l’agir communicationnel, le langage est élément de compréhension, il est le vrai milieu de l’intercompréhension, alors que dans l’agir stratégique, il est plus un instrument stratégique de manipulation. Le langage reste un médium central. Habermas le souligne en ses propres termes: «le concept d’activité communicationnelle présuppose le langage en tant que médium pour des procès d’intercompréhension d’une certaine nature, des procès au cours desquels les parties prenantes élèvent chacune vis-à-vis de l’autre, en se rapportant à un monde, des prétentions à la validité qui peuvent être acceptées ou contestées»226.
Les actes de langage peuvent être impératifs, constatifs, régulateurs, expressifs, communicatifs ou encore opératifs.
•
Les actes de langage impératifs sont ceux par lesquels, le locuteur – se référant à un état souhaité dans le monde objectif – pousse l’autre à accomplir ce qu’il veut. Contrairement aux autres critères, Habermas fait remarquer que: «les impératifs ne peuvent être critiqués que du point de vue du caractère réalisable de l’action exigée, i.e. au regard des conditions de succès. Cependant, le rejet des impératifs signifie normalement le refus d’une prétention de pouvoir; cette récusation ne repose pas sur la critique, mais fait plutôt de son côté connaître une volonté […]»227.
•
Les actes de langage constatifs sont les actes dans lesquels on fait usage des énoncés élémentaires (elementare Aussagesätze); par des actions langagières constatives, le locuteur fait référence au monde objectif dans le but de restituer la vérité de l’état des choses et des faits. Nier une telle expression, selon Habermas, signifie récuser la prétention de vérité qu’elle évoque228.
•
Les actes de langage expressifs sont des actes de parole dans lesquels on recourt aux expériences élémentaires du vécu quotidien (elementare Erlebnissätze); par exemple les formulations illocutoires à la première personne. Ces expressions manifestent un sentiment ou un besoin plus personnel, privé, plus réduit à l’acteur. Par des actions langagières expressives, le locuteur se réfère au monde subjectif pour chercher à étaler devant les autres une expérience vécue à laquelle il a, lui, un accès privilégié et dont il veut,
226 Ibid., 115. 227 Ibid., 333. 228 Cf. Idem.
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en clair, montrer la véracité. Nier un acte expressif, pense Habermas, revient à contester la véracité de celle-ci229.
•
Les actes de langage régulateurs sont ceux dans lesquels on fait des formulations volontaires portant des intentions: par exemple des injonctions ou des promesses (elementare Aufforderungs- oder Absichtssätze). Ces actions sont régulées par des normes et comportent une prétention d’un devoir obligatoire, une exigence de conformité au comportement généralement reconnu. Ici, le locuteur se réfère au monde social en vue d’instaurer une relation interpersonnelle légitimée et une coopération. Il y recherche une justesse normative. Selon Habermas, pour réussir cette étape, la formulation de l’énoncé exprime aussi l’engagement qui est une partie essentielle de tout acte de langage, c’est-à-dire le locuteur lie sa parole soit directement à des prétentions de validité, soit à une argumentation de celles-ci pouvant permettre à son interlocuteur d’évaluer le dit énoncé. Récuser une expression régulatrice revient à mettre en doute la justesse normative qu’elle prétend230.
•
En fait, Habermas va encore plus loin avec une autre classe des actions langagières: il parle aussi des actions langagières opératives. Celles-ci constituent: «la classe des actions langagières qui comme conclure, identifier, compter, classifier, dénombrer, titrer, etc. désigne l’application de règles de construction de la logique, de la grammaire, des mathématiques, etc.»231.
Ces actions ne sont pas particulièrement communicationnelles quoiqu’ayant un sens performatif.
•
Il y a aussi les actes de langage communicatifs. Ils doivent être, en fait, pris de manière indépendante. Ils servent à l’organisation du discours (par exemple les questions et réponses, les allocutions, les confessions, les objections etc.) 232. Ils sont beaucoup plus organisationnels: par la distribution de rôle, de la parole etc. Ils sont les actes de parole liés à des prétentions de validité, au processus argumentatif. On parlera aussi des actions de langage impératives qui ont un sens performatif sans être directement communicationnel. Habermas admet donc que la communication passe par le langage, l’argumentation. C’est dans la même ligne d’idée que nous retenons avec Schützeichel que nous ne parlerons donc d’agir communicationnel que lorsque des acteurs de la
229 230 231 232
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Idem. Cf. Idem. J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, 1, 334. Cf. Ibid., 332-334.
communication coordonnent – par le langage – leurs plans d’action pour s’entendre et se comprendre en surmontant les défis de leurs prétentions respectives dans le discours233. Un acte langagier dirigé vers l’intercompréhension ne peut être récusé que sous les trois aspects suivants: sous l’aspect de véracité (Wahrhaftigkeit), de justesse (Richtigkeit) et de vérité (Wahrheit). Habermas dit à ce propos: «dans les contextes de l’agir communicationnel, les actions langagières peuvent toujours être récusées sous chacun de trois aspects: sous l’aspect de la justesse à laquelle il a un accès privilégié; enfin, sous l’aspect de la vérité à la quelle prétend le locuteur pour son action en se référant à un contexte normatif (ou encore, indirectement, pour ces normes elles-mêmes); sous l’aspect de la véracité à laquelle prétend le locuteur pour exprimer une expérience vécue à laquelle il a un accès privilégié et de la vérité à laquelle prétend le locuteur avec son expression pour un énoncé (ou encore, pour les présuppositions d’existence du contenu d’un énoncé nominalisé)»234.
Ces trois aspects sont des critères de validité intrinsèques à la structure de chaque langage235, ils rendent les actes de communication compréhensibles d’après le critère pragmatique universel – en tenant de fait compte de la prédisposition des acteurs. Car, pour Habermas: « – avec toutes les actions langagières orientées vers l’intercompréhension, ce sont précisément trois prétentions à la validité qui sont élevées (a); - les prétentions à la validité peuvent être suffisamment discriminées les unes des autres (b); et les prétentions à la validité doivent être analysées du point de vue pragmatique-formel, i.e. au niveau de l’emploi communicationnel des phrases (c)»236.
Les prétentions à la validité sont spécifiées comme vérité, justesse et sincérité237, les critères de validité universels, par le fait qu’ils sont postulés et reconnus dans tout agir humain. Selon lui: «une prétention à la validité équivaut à l’affirmation que les conditions pour la validité d’une expression sont remplies. Peu importe que la prétention à la validité éle-
233 Cf. R. Schützeichel, Soziologische Kommunikationstheorien, 225. 234 J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 315. 235 Cf. R. Schützeichel, Soziologische Kommunikationstheorien, 211: „Geltungsansprüche sind in Strukturen jeder sprachlichen Kommunikation eingebaut“. 236 J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 319. 237 Cf. J. Habermas, Theorie des kommunikativen Handelns, I, 149: „Der Sprecher beansprucht also Wahrheit für Aussagen oder Existenzpräsuppositionen, Richtigkeit für legitim geregelte Handlungen und deren normativen Kontext, und Wahrhaftigkeit für die Kundgabe subjektiver Erlebnisse“.
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vée par le locuteur soit implicite ou explicite; l’auditeur n’a que le choix de l’accepter, de la refuser ou de la suspendre provisoirement»238.
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Le critère de validité "vérité" (Wahrheit) est la référence aux états de fait pour justifier toute proposition ou présupposée. On fait recours aux sources de son expérience. En fait, le locuteur est convié à garantir le fondement de la vérité de ses énoncés. Le locuteur doit se porter garant et responsable de la vérité de ses affirmations. Ainsi, pour Habermas: «comprendre une affirmation veut dire savoir quand un locuteur a des bonnes raisons de prendre à son compte la garantie que les conditions requises pour la vérité de l’énoncé affirmé sont remplies»239.
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Le type d’agir dans le monde objectif est téléologique. Le critère de validité "justesse" (Richtigkeit)240 est le recours aux règles et conventions. On se situe ici dans le monde normatif. Il est question de la prétention à la justesse de l’acte langagier conformément à l’ensemble des normes auxquelles l’on croit être soumis dans la même mesure que son interlocuteur. Il s’agit de l’engagement pour la justesse de son acte de langage; le locuteur est appelé à le défendre en cas de doute ou d’une mise en question. Il doit, pour ce faire, ancrer son acte dans des normes plausibles et justifiables pour être compris par son interlocuteur, et ceci en tenant aussi compte du contexte de ces normes et de l’interaction langagière. Le type d’agir dans le monde normatif est normatif. Le critère de validité "sincérité" (Wahrhaftigkeit)241 se fonde sur le monde subjectif. Le locuteur exprime dans son acte langagier un état de conscience donné: ses croyances, s’agissant d’une affirmation, ses désirs quand il s’agit d’une requête et ses intentions lorsqu’ il est question d’une promesse. Il s’agit de la sincérité de son acte. Cette dimension n’est pas directement accessible à la critique de l’allocutaire. Celui-ci doit simplement se fier à des indices probables comme le souvenir des interactions antérieures et le comportement non verbal du locuteur, et pourquoi pas à son intuition; et ceci peut alors l’aider à posteriori à vérifier sa sincérité. Le type d’agir dans le monde subjectif est dit dramaturgique. Naturellement, le locuteur doit se faire compréhensible dans les actes de langage, les énoncés, c’est-à-dire remplir aussi un autre critère qui est celui
238 239 240 241
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J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 54. Ibid., 326. Cf. J. Habermas, Theorie des kommunikativen Handelns, I, 149. Cf. Idem.
de "l’intelligibilité" (Verständlichkeit) renvoyant à la bonne conformation (Wohlgeformtheit)242. Bref, le locuteur doit s’exprimer de façon compréhensible, énoncer quelque chose à comprendre, et ainsi tous les acteurs peuvent parvenir à s’entendre. Et en rapport avec les différents modes d’agir, Habermas confirme, enfin de compte, que: «le modèle téléologique d’action recourt au langage comme à un médium parmi plusieurs autres, à travers lequel les locuteurs orientés vers leur succès propre influent les uns sur les autres pour inciter le partenaire à former ou concevoir les opinions ou intentions souhaitées au regard de leur propre intérêt. […] Le modèle normatif de l’action présuppose le langage comme un médium qui transmet les valeurs culturelles et forme le substrat d’un consensus qui tout simplement se reproduit avec chaque acte renouvelé d’intercompréhension. […] Le modèle dramaturgique d’action présuppose le langage comme un médium de l’auto-mise en scène; […]»243.
Toutes les expressions prétendant à la vérité de façon critiquable sont aussi des expressions fiables remplissant une prétention rationnelle. Elles sont compréhensibles et dotées de sens dans leurs contextes. Et c’est seulement dans la mesure où le locuteur assume la responsabilité de justifier, en principe, son acte de langage par rapport à ces critères qu’un acte de langage peut réussir. C’est une condition essentielle de réussite de l’acte langagier. Ce qui signifie, en fait, que chaque énoncé, chaque agir communicationnel peut être critiqué sous les trois angles de validité: à savoir celui de la vérité, de la véracité et de la justesse; et les participants au discours peuvent évaluer et discuter leurs actes langagiers, et en même temps débattre des critères eux-mêmes. Ces prétentions de validité font que chaque énoncé, chaque discours sont critiquables au niveau de leur argumentaire. Dans ce processus critique se manifeste aussi la rationalité de la communication.
242 Cf. Ibid., 55. 243 Ibid., 111.
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2.2 La rationalité communicationnelle de la communication En effet, Habermas pense que: «dans l’agir communicationnel, les plans d’action des parties prenantes individuelles sont coordonnées à l’aide des effets de liens illocutionnaires des actions langagières. C’est pourquoi il y a lieu de supposer que les actes de parole constatifs, régulateurs expressifs constituent également des types correspondants d’interaction médiatisée par le langage»244.
Ces trois actes de langage constituent l’échine dorsale de l’agir communicationnel et sont liés à la rationalité de cet agir, parce que chaque participant à un discours prend une responsabilité de justifier les prétentions de validité de son discours245. Il faut, pour ce, reconnaître une relation entre rationalité et savoir, et aussi entre communication et rationalité246. Une personne est dite rationnelle sur base de son savoir. Et ceci, précise Habermas, dans la mesure où: «le savoir peut être critiqué comme étant insuffisant. Le rapport étroit entre savoir et rationalité peut laisser penser que la rationalité d’une expression dépend du degré suffisant de savoir qu’elle représente»247.
Décidemment, pour deux prétendants au discours, la rationalité communicationnelle implique, non seulement une réciprocité, une relation, un dialogue mais aussi un rapport à soi-même (réflexivité); c’est ce rapport qui permettra de se mettre à la place de l’autre et de le comprendre. Chaque acteur de communication doit pouvoir savoir se mettre à la place des autres, et la relation à soi-même comme acteur exige la prise en compte de la position des autres acteurs 248. Et pour les protagonistes de la communication, Habermas précise que: «la rationalité de leurs expressions se mesure aux relations internes entre le contenu de signification, les conditions de validité et les raisons qui en cas de besoin peuvent être produites pour justifier la vérité des énoncés ou l’efficacité des règles d’action»249.
Contrairement à la rationalité téléologique qui est une rationalité instrumentale dont le but est d’atteindre des visées précises250, la rationalité communication244 Ibid., 335. 245 Cf. R. Schützeichel, Soziologische Kommunikationstheorien, 215. 246 Pour plus de commentaires sur la problématique de la rationalité, Cf. J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 118ss. 247 Ibid., 24. 248 Cf. R. Schützeichel, Soziologische Kommunikationstheorien: 215; J. Habermas, Rationalität und Verständigung, 102-137. 249 J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 25. 250 Cf. R. Schützeichel, Soziologische Kommunikationstheorien, 215.
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nelle, quant à elle, consiste au fait que les énoncés des discours sont rationnellement formulés par des êtres rationnels, et qu’ils sont critiquables et demeurent ainsi susceptibles d’être corrigés et améliorés251. La rationalité communicationnelle est, pour ainsi dire, un processus d’entente entre acteurs sur des faits rencontrés dans le monde soit objectif, soit social ou encore subjectif. Les énoncés respectifs sont le résultat de l’expression communicationnelle du savoir. Est donc rationnelle une personne disposant d’un savoir et des expressions symboliques et langagières pour l’exprimer252. La rationalité de l’expression et du discours réside dans la capacité d’être critiquée, fondée et corrigible dans le degré du savoir qu’elle présente; la prétention à la validité est, ainsi liée à une appréciation transsubjective. C’est pour cette raison que la rationalité dans l’agir communicationnel tient au fait de l’argumentation et de tous les autres moyens réflexifs dans le discours. Ici précisément, la rationalité consiste dans l’acte et le discours argumentatifs permettant de réaliser l’entente et de parvenir au consensus pour s’inter-comprendre. Tandis que la rationalité de l’expression est la prétention critiquable à la validité pouvant être acceptée ou rejetée par le partenaire de la communication, la rationalité de l’action, elle, d’après Habermas: «c’est le fait que l’acteur prévoit son action selon un plan qui implique la vérité de "p", un plan en conséquence duquel l’objectif posé peut être réalisé dans des circonstances données […]. Il y a là deux registres sur lesquels l’analyse de la rationalité peut s’appliquer aux concepts de savoir propositionnel et de monde objectif. Entre ces deux cas, cependant, la différence réside dans le mode d’application du savoir propositionnel. L’application de ce savoir peut en effet être considérée sous deux aspects: c’est tantôt la manipulation instrumentale et tantôt l’entente communicationnelle qui apparaît comme le telos interne de la rationalité»253.
La rationalité peut donc s’appliquer aux concepts du savoir et du monde objectif. Et la rationalité des parties prenantes du discours se mesure dans 251 Cf. Ibid., 216: „Die Grundstruktur dieser Rationalität besteht darin, dass Akteure untereinander zu einer Verständigung darüber kommen wollen, welche Handlungsziele sie anstreben, wie sie diese erreichen wollen, wie die Situation ist, in der sie sich befinden. Sie müssen in kommunikativen Handlungen ein Einverständnis über diese Punkte herstellen“. 252 Cf. J. Habermas, Sprechakttheoretische Erläuterungen zum Begriff der kommunikativen Rationalität in: Zeitschrift philosophische Forschung, 73: „Die der Kommunikation innewohnende Rationalität beruht also auf dem internen Zusammenhang zwischen (a) den Bedingungen, die einen Sprechakt gültig machen, (b) dem vom Sprecher erhobenen Anspruch, dass diese Bedingungen erfüllt sind und (c) der Glaubwürdigkeit der von ihm übernommenen Garantie dafür, dass er diesen Geltungsanspruch erforderlichenfalls diskursiv einlösen könnte“. 253 J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 27.
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l’intelligence à fonder leurs expressions dans des circonstances appropriées. Ceci, comme l’observe Habermas, parce que: «la rationalité inhérente à la pratique communicationnelle de tous les jours renvoie aussi à la pratique de l’argumentation comme à l’instance de référence qui rend possible le cas échéant la poursuite de l’agir communicationnel par d’autres moyens […]. Le concept de la rationalité communicationnelle réfère à un contexte systématique de prétentions universelles à la validité, qui n’a pas encore été explicité jusqu’à présent»254.
Contrairement à la rationalité cognitive instrumentale255 – "épistémicotéléologique", c’est-à-dire, l’application non-communicationnelle (au moins direct au sens de Habermas) d’un savoir propositionnel dans des actions dirigées vers un objectif – la rationalité communicationnelle tient dans l’argumentation et autres moyens réflexifs de l’agir communicationnel, elle se fonde sur l’argumentation discursive. Une locution est dite rationnelle, si le locuteur remplit les conditions nécessaires pour atteindre l’objectif illocutoire: l’intention de faire une intervention discursive avec succès. L’application du savoir peut donc se faire soit sur base des propositions, soit sur le monde objectif, mais elle peut être aussi une manipulation instrumentale ou encore une entente communicationnelle. D’un point de vue ontologique 256, la rationalité communicationnelle s’attèle à répondre, à solutionner un problème, (et) elle est, de cette manière, dirigée vers un objectif. Elle reste contrôlée par le succès: elle se veut une analyse des conditions à remplir pour pouvoir poser et réaliser des buts précis de façon réaliste. Et perçue phénoménologiquement257, la rationalité communicationnelle ne part pas simplement de la présupposition ontologique d’un monde objectif, mais problématise celui-ci dans la recherche des conditions de l’unité de ce monde objectif en vue de créer une communauté communicationnelle. C’est ainsi que, comme le postule Habermas lui-même: «le monde gagne l’objectivité seulement par le fait qu’il vaut comme un et même monde pour une communauté de sujets capables de parler et d’agir. Le concept abstrait de monde est une condition nécessaire pour que les sujets qui agissent communicationnellement puissent s’entendre entre eux sur ce qui advient dans le monde ou sur ce qui doit s’y produire. Par cette pratique communicationnelle, ils s’assurent en même temps de leur contexte commun de vie, du monde vécu intersubjectivement partagé. Celui-ci est délimité par l’ensemble des interprétations que les participants présupposent comme savoir d’arrière-fond. Pour élucider le concept
254 255 256 257
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Ibid., 34. Ibid., 26. Cf. Ibid., 28-29. Cf. Ibid., 28-31.
de rationalité, le phénoménologue doit alors rechercher les conditions requises pour l’obtention communicationnelle d’un consensus […]»258.
Nous pouvons donc souligner que la raison communicationnelle vient aux hommes quand ils décident de définir ensemble l’état de leur situation présente pour s’entendre sur ce qu’ils doivent faire et pour organiser leur action. Ils se traitent mutuellement de façon égale comme des sujets responsables, poursuivant de façon intentionnelle des buts considérés légitimes. Ils ouvrent, de cette façon, un espace d’intersubjectivité qui soit loin de toute stratégie manipulatrice. Leurs discussions s’orientent et se basent sur l’argumentation raisonnable. L’argument le meilleur convainc et rallie après une discussion raisonnable pour s’entendre. Habermas affirme que la rationalité de la pratique communicationnelle, dans sa complexité: «[…] renvoie à des différentes formes de l’argumentation et à autant de possibilités de poursuivre l’agir communicationnel par des moyens réflexifs»259.
C’est pour cette raison qu’il déclare: «nous nommons rationnelle une personne qui interprète la nature de ses besoins à la lumière des valeurs standards culturellement en vigueur; mais nous le faisons plus encore si elle peut adopter une attitude réflexive à l’égard des valeurs standards elles-mêmes qui interprètent les besoins»260.
Chaque prétendant à la communication doit accepter que l’on critique ses prétentions à la validité, et il doit admettre la contradiction dans une discussion fondée sur des arguments et contre-arguments afin de parvenir à s’entendre, à s’intercomprendre, pas seulement par la compréhension réciproque des idées mais aussi et surtout en se mettant raisonnablement d’accord sur le bien-fondé et la pertinence de certaines d’entre-elles pour pouvoir enfin les adopter. C’est seulement ainsi que l’on peut parvenir au consensus sincère et raisonnable dans une coopération et une collaboration n’ayant rien de stratégique, ni d’instrumental, parce que fruit d’une volonté générale se constituant discursivement et librement – en vue de l’entente mue par la volonté de coopérer pour des actions collectives. Certainement, la rationalité instrumentale est un processus de relation "Sujet-Objet", tandis que la rationalité communicationnelle est un processus de relation "Sujet-Sujet"261. Dans la communication s’établit une relation intersubjective entre acteurs qui fait la pragmatique de l’interaction communicationnelle.
258 259 260 261
Ibid., 29. Ibid., 26. Ibid., 36. Cf. R. Schützeichel, Soziologische Kommunikationstheorien, 216.
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2.3 La pragmatique communicationnelle Habermas emploie et remanie les concepts de la théorie des actes de langage, surtout ceux de l’acte illocutoire et des conditions de réussite sur lesquels il bâtit les concepts d’agir communicationnel et de critère de validité. La pragmatique communicationnelle qu’il dévoile repose sur une analyse partant de la dimension intersubjective: de la relation qui lie les acteurs du discours du fait que chaque acte de langage lie un locuteur à un allocutaire. Ce lien étant significatif, il sied dès lors de s’intéresser à la nature de ce lien et aussi à la responsabilité que le locuteur assume pour ce qu’il énonce et la position que l’allocutaire peut prendre par rapport à celui-ci. On peut donc dire que l’intention communicationnelle est dirigée par la pragmatique formelle. Et c’est dans l’acte illocutoire que Habermas voit la fondation de l’intersubjectivité262. Car dans un acte illocutoire, le locuteur crée un certain rapport entre lui-même et son interlocuteur en lui proposant une certaine présentation ou définition de leur situation actuelle. Si cette présentation est acceptée, l’acte discursif réussit, et un engagement réciproque est ainsi créé. Ce qui intéresse Habermas dans le processus pragmatique, c’est donc la nature intersubjective, sociale et rationnelle de cet engagement. Et l’acte illocutoire de cet engagement peut être objet d’analyse, de critique et ainsi de reconstruction normative, dans la mesure où les acteurs peuvent discuter les définitions des situations présentes; ce qui constitue l’agir de communication. Et le contexte paradigmatique est la relation intersubjective entre des sujets capables de parler et d’agir, lorsqu’ils s’entendent et s’"inter-comprennent"263. On parle aussi de la pragmatique formelle qui analyse, en fait, le système de règles permettant à un acteur de faire des affirmations fondées264. Mais, comme le signifie Habermas, elle: «[…] doit prendre leçon sur la pragmatique empirique, si elle ne veut pas situer la problématique de la rationalité au mauvais endroit […]»265.
La tâche de la pragmatique formelle, dans son travail théorique de reconstruction pour établir les conditions d’intercompréhension, doit se rattacher à la pragmatique empirique266. 262 Cf. J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 227-229. 263 Cf. Ibid., 395. 264 Cf. R. Schützeichel, Soziologische Kommunikationstheorien: 219: „Die Universal- oder Formalpragmatik hat die Aufgabe, das fundamentale Regelsystem zu analysieren, welches Sprecher für die richtige Verwendung von Äußerungen beherrschen“; J. Habermas, Was heißt Universalpragmatik? 174-272. 265 J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 336. 266 Cf. Ibid., 336.
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Habermas veut ainsi relancer une théorie émancipatrice de la société avec son nouveau paradigme d’agir intersubjectif et communicationnel, une théorie qui veut emboîter et dépasser le paradigme de l’agir subjectif et instrumental. Il situe alors dans l’acte de langage l’instance première de toute interaction sociale. Ce qui l’intéresse plus particulièrement dans la théorie des actes de langage, c’est le fonctionnement des règles et conventions permettant aux acteurs d’accomplir et d’évaluer des actes communicationnels sur base de validité intersubjective. Habermas voit dans la "pragmatique communicationnelle" un projet d’analyse systématique des valeurs qui entrent en jeu lors de la communication. Mais pour lui, la pragmatique empirique doit se ressourcer sur la pragmatique formelle puisque: «c’est seulement dans les recherches de pragmatique formelle que nous pouvons nous assurer d’une idée d’intercompréhension qui puisse amener l’analyse empirique sur des problèmes pleins de présupposés ou la représentation langagière de niveaux de réalité différents, telle(s) les manifestations pathologique(s) affectant la communication, ou encore, l’émergence d’une compréhension décentrée de monde»267.
Assurément, pour "interagir" communicationnellement, pour s’"intercomprendre" dans le discours, il faut argumenter, défendre et prouver la validité de ses énoncés.
2.4. Théorie de l’argumentation Le langage en tant qu’un élément constitutif du social, comme nous venons de le souligner dans la pragmatique communicationnelle, reste la clef de voûte du discours; et l’argumentation en est le pivot. Et Habermas dit de l’argumentation: «nous appelons argumentation le type de discours où les parties prenantes thématisent des prétentions à la validité qui font l’objet de litiges, et tentent de les admettre ou de les critiquer au moyen d’arguments. Un argument contient des raisons qui sont systématiquement reliées à la prétention à la validité d’expressions problématiques. La "force" d’un argument se mesure, dans un contexte donné, au bien-fondé des raisons; ce bien-fondé se montre, entre autres, dans la capacité d’une expression à convaincre les participants d’une discussion, i.e. à motiver l’admission d’une prétention à la validité. Sur cet arrière-fond, nous pouvons aussi juger de la rationalité d’un sujet à parler et d’agir d’après la façon dont il se comporte dans un cas donné en tant que partie prenante de l’argumentation […]»268.
267 Ibid., 339. 268 Ibid., 34.
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Dans le processus discursif, la rationalité de chaque participant est jugée en fonction de l’argumentation, la capacité à justifier ses affirmations et à les défendre dans un discours269. La rationalité réside dans la compétence à exprimer des opinions fondées, en dépassant de la subjectivité de ses conceptions – dans un effort de création d’un lien contextuel entre le monde intersubjectif et le monde objectif – afin d’agir efficacement dans et par son acte. Les convictions doivent être rationnellement motivées et justifiées. En tant que moyen, avec l’aide de reconnaissance de la prétention à la validité, l’argumentation peut être perçue sous un aspect rhétorique comme un processus – une communication idéale et improbable –, sous un aspect dialectique comme procédure – une interaction coopérative – et enfin sous un aspect actif comme production dans son aspect logique – basée sur la production des arguments fondés sur des prétentions de validité270. Le discours argumentatif271 peut être rhétorique, dialectique ou logique. Et la logique de l’argumentation se fonde sur la structure sémantique et sur la pragmatique des actes de langage d’après lesquels se structurent les arguments. Une structure syntaxique juste sera pleinement logique dans un agir communicationnel lorsqu’elle y établit un lien à une prétention de validité dans des contextes sémantiques précis. Dans de l’agir communicationnel les protagonistes jugent les valeurs des arguments des uns et des autres pour en décider la pertinence et l’acceptation, c’est-à-dire, leur rationalité pour enfin être en mesure de les copter par un consensus au sens de consensus raisonnable (vernünftiger Konsens) reposant sur des critères de validité raisonnables. C’est la source de la confiance communicationnelle dans la discussion. Pour cela, la discussion apparaît comme un développement réflexif de l’agir communicationnel: un discours ("Diskurs") de thématisation ou de problématisation des prétentions à la validité émises dans l’interaction. Klein dit bien que: «la logique de l’argumentation requiert un cadre conceptuel permettant de prendre en compte le phénomène de contrainte non contraignante de l’argument meilleur […]»272.
L’argumentation permet un comportement rationnel parce qu’elle aide à opérer le passage du "collectivement valable" au "valable critiquable et prouvé"; elle 269 Cf. St. Toulmin/A. Rieke/A. Janik, An introduction to Reasoning, 13ss. 270 Cf. J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 41-42. 271 Cf. W. Klein, Argumentation und Argument, 11: „Unter Argumentation verstehe ich eine bestimmte Art komplexer sprachlicher Handlungen. Damit sind Tätigkeiten gemeint, in denen es darauf ankommt, eine bestimmte Aufgabe sprachlich zu lösen“. L’argumentation est un processus discursif. 272 J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 44.
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aide, par son efficacité, à établir une relation interne entre les différentes prétentions à la vérité, et à parvenir à une entente. Le discours est alors une forme de communication définie par l’argumentation où est examinée la légitimité d’une prétention à la validité devenue, en fait, problématique. Et le statut de validité réside exactement dans l’argument qui le sous-tend. Pour ce, l’argumentation est un moyen approprié pour dégager et défendre une prétention à la vérité dans un agir communicationnel273. L’argumentation est envisagée ici comme une pratique discursive plutôt que comme un raisonnement déductif. Les schèmes de raisonnement, la logique sémantique de l’argumentation n’occupent de prime abord pas Habermas lorsqu’il parle d’argumentation, mais son point de vue pragmatique, c’est-à-dire le point de vue du comportement qu’elle suscite dans le discours selon les différentes attitudes et attentes que se font les partenaires de la discussion. C’est là une approche pragmatique qui n’empêche pas non plus la sensibilité logique. D’où Habermas de confirmer: «ceux qui prennent part à l’argumentation sont obligés de présupposer généralement que la structure de leur communication, dont les traits caractéristiques relèvent d’une description purement formelle, exclut toute contrainte […] – toute contrainte hormis celle de l’argument meilleur […]. Sous cet aspect, l’argumentation peut être conçue comme une poursuite par des moyens réflexifs de l’activité orientée vers l’intercompréhension»274.
L’on discute et l’on communique pour s’entendre et s’"inter-comprendre".
2.5. L’intercompréhension Habermas fait une distinction entre actes locutoires – dire quelque chose –, actes illocutoires – agir en disant quelque chose – et actes perlocutoires – causer quelque chose du fait qu’on agit en disant quelque chose275. Son attention est plus focalisée sur les deux premiers types. À l’aide d’un acte locutoire, le locuteur propose à son partenaire une série d’expressions ayant un certain contenu. Et avec le concourt d’un acte illocutoire, le locuteur signifie à son interlocuteur comment il entend qu’on comprenne ce qu’il dit: commandement, explication, remontrance, hommage, promesse, aveu, etc. Ainsi, pour Habermas,
273 Cf. J. Habermas, Vorstudien und Ergänzungen zur Theorie des kommunikativen Handelns, 130. 274 J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 41. 275 Cf. Ibid., 298-305.
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«avec des actes illocutoires, le locuteur accomplit une action en disant quelque chose»276.
Les actes illocutoires sont autosuffisants. Un agir communicationnel est donc une activité caractérisée par la poursuite par tous les participants sans restriction des objectifs illocutionnaires dans le but d’obtenir un accord offrant le fondement d’une coordination consensuelle des plans d’action poursuivis individuellement et ainsi l’établissement d’une coopération pour une entente. Un tel agir doit être normalement transparent car l’intention communicationnelle de l’acteur aussi bien que l’objectif illocutionnaire poursuit dans cet agir ressortent manifestement de la signification de l’énoncé. En finalité, l’agir communicationnel s’insère dans un contexte d’action rationnelle, dans la mesure où avant d’y participer, les différents acteurs se trouvaient engagés dans des actions individuelles, personnelles animées en premier lieu par des intentions de succès personnel. Mais ils décident en moment donné de suspendre ces actions individuelles, de sortir un instant de leurs mondes respectifs pour se livrer ensemble à la quête d’une entente sur ce qui est souhaitable de faire pour dépasser leur situation actuelle dans un esprit de coopération. Cette situation d’action se meut ainsi en une situation de parole, de dialogue; et les acteurs respectifs deviennent, par-là, membres d’une communauté de parole, d’un monde discursif. Certes, comme l’atteste Habermas lui-même: «le concept d’intercompréhension (Verständigung) renvoie à un accord (Einverständnis) rationnellement motivé, obtenu par les participants. Cet accord se mesure à des prétentions critiquables à la validité»277.
Pour ce, on peut lire dans l’accord, l’entente et la coopération concluant un tel agir communicationnel réussi un agir fondé rationnellement, au sens où les participants à un tel agir finissent par se convaincre réciproquement que les divers arguments d’ordre cognitif, expressif et normatif qui fondent l’offre de leur coopération mutuelle sont ainsi acceptés mutuellement. Puisqu’avant l’interaction, s’ils pouvaient avoir des opinions divergentes, ils aboutissent enfin de compte à des convictions communes; les conflits possibles, les divergences éventuelles avant le dialogue argumenté tombent dès lors qu’ils ont librement accepté l’offre de coopération dans une disposition solidaire à coordonner leurs actions futures afin de s’entendre, de se comprendre278. Puisque, 276 Ibid., 298. 277 Ibid., 91. 278 L’intercompréhension est le fruit de l’accord obtenu entre acteurs de communication – sur une base commune des critères de validité reconnus et acceptés par tous. Elle est donc un processus discursif. Cf. J. Habermas, Vorstudien und Ergänzungen zur Theorie des kommunikativen Handelns, 355.
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«l’intercompréhension (Verständigung) vaut comme un procès d’entente (Einigung) entre des sujets capables de parler et d’agir […]. Les procès d’intercompréhension visent un accord qui satisfasse aux conditions d’un assentiment (Zustimmung), rationnellement motivé, au contenu d’une expression»279.
L’intercompréhension va donc au-delà de la sémantique, parce que pour s’intercomprendre, il faut un discours sensé.
2.6. En résumé Nous avons essayé d’exposer succinctement la communication humaine comme agir orienté vers l’entente: la théorie des actes de langage, surtout ceux de l’acte illocutoire et les conditions de réussite d’un agir communicationnel selon Habermas. On pourrait reprocher à Habermas que sa théorie est idéaliste et qu’il néglige les effets perlocutoires inhérents à toute interaction communicationnelle. Mais si on prend au sérieux la visée émancipatrice qu’il revendique, c’est-à-dire, si la théorie de la communication ne se consacre pas seulement aux faits empiriques, mais contribue à une organisation plus rationnelle de la société, alors nous trouvons chez Habermas des repères significatifs. Habermas introduit en quelque sorte la dimension de l’intersubjectivité même à l’intérieur de la dimension de l’objectivité. Il insiste sur la dimension de la normativité discursive qui permet de soutenir la vérité de nos affirmations par rapport à nos interlocuteurs. En effet, la réussite d’un acte de langage réside dans la reconnaissance réciproque des interlocuteurs, s’ils conviennent d’une définition commune de leur situation présente, tout comme de leurs rôles respectifs, de leurs responsabilités individuelles dans l’intention de leur agir interactif, dans l’acte communicationnel. La communication humaine est un agir intentionnel, réflexif, inter- compréhensif dans lequel les acteurs interagissent réciproquement les uns sur les autres de façon rationnelle – par l’argumentation – en vue de se mettre d’accord sur une thèse, un énoncé, une affirmation partant de leurs mondes respectifs, des contextes socioculturels réels et pratiques qui sont les leurs. Et le langage qu’ils utilisent, tout d’abord, instrument de la discussion libre et publique, est aussi porteur, en lui-même et par sa nature, d’une exigence et d’une puissance d’émancipation. Tout acte langagier est en relation avec le monde extérieur, la réalité intérieure, et la réalité normative de la société; il implique ainsi la reconnaissance de la vérité, de la sincérité et de la conformité. En conséquence, l’agir communicationnel est véritablement un agir constitutif du social. L’enjeu du projet habermassien est de montrer que la reconnaissance peut se construire sur base d’une rationalité communicationnelle. Son projet est bien 279 J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 296-297.
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plus reconstitutif et normatif, qu’empirique et descriptif. Il essaie de reconstruire les fondements qui restent souvent implicites ou qui ne se réalisent qu’approximativement dans l’agir communicationnel quotidien. Dans le discours, on est appelé à identifier la force illocutoire d’un acte de langage et les conséquences des actions langagières dont les acteurs reconnaissent réciproquement les critères à la validité. Le dialogue palabrique africain est un mode typique de communication humaine. Mais en quoi est-il aussi un agir interactif d’intercompréhension constitutif du social qui encourage et construit l’harmonie sociale?
3. La palabre: un agir et un comportement social interactif «d’intercompréhension» pour l’harmonie sociale. La palabre constitue une communauté communicationnelle. Elle est, comme agir communicationnel typique, un lieu d’expression plurielle et un agir interactif de coopération et de réciprocité. Elle est une forme de communication humaine typique dans sa dimension sociale interactive280. L’on s’y découvre et l’on y découvre l’autre comme un individu ayant des droits et des devoirs avec tout ce que cela implique dans le jeu communicationnel. On découvre l’autre comme un être rationnel et relationnel, comme un partenaire avec qui l’on peut discuter, que l’on peut convaincre par un discours et qui peut aussi à son tour nous persuader par son argumentation. L’autre est "un" et "membre" du monde vécu ayant des sentiments qu’il peut exprimer et communiquer. L’autre est un être avec qui l’on peut se comprendre, avec qui l’on peut chercher un consensus. Le langage, verbal ou non verbal, joue naturellement un rôle capital dans la communication palabrique. Dans la palabre, tous les participants ont le même droit à la parole et à l’argumentation. Ils ont le même droit à proposer des énoncés, et à mettre en doute les énoncés et arguments des parties opposées. Tous les acteurs sont des partenaires de communication qui sont appelés à respecter les critères à la validité de leurs actes langagiers. Mais la palabre est aussi une mise en scène du drame social. Elle n’est pas seulement une mise en parole281. La palabre est un agir communicationnel et en tant 280 La palabre est, comme toute communication humaine, une interaction sociale qui parle et traite de tout ce qui concerne la vie sociale. Car, la communication humaine est une compétence sociale de base pour l’échange interactif des significations au moyen des signes significatifs. Cf. A. Ziegler, Verantwortung für das Wort, 16. 281 Cf. J-G. Bidima, La palabre, 11.
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que tel, elle a une structure oratoire propre, vu qu’elle est un jeu ouvert à tous et, en tant que telle, elle est un processus discursif public 282. On est en droit de parler de rationalité et de pragmatique communicationnelle du système palabrique africain.
3.1 Rationalité et pragmatique communicationnelles du dialogue palabrique La rationalité et la pragmatique communicationnelles dans la palabre sont à desceller, entre autre, dans le fait que la palabre est un mode de communication qui se déploie dans un débat argumentatif et judiciaire dont les genres littéraires sont les devinettes, les énigmes, les textes des chansonnettes, les contes et surtout les proverbes. La palabre est un jeu intersubjectif dont la vigueur discursive dépend du choix de la rhétorique pour son argumentation. Elle est un processus qui vise entre autre à contourner la violence, à résoudre le problème, dans le cas de conflit, par et dans un discours. De la même manière que le souligne Habermas: «plus grande est la mesure de rationalité communicationnelle et plus large est, à l’intérieur d’une communauté de communication, la marge de jeu qui permet la coordination non-violente des actions et la conciliation des conflits par un consensus (pour autant que ces conflits renvoient à des dissonantes cognitives au sens étroit)»283.
C’est tout l’effort du processus palabrique à l’exemple des différentes palabres présentées plus haut. Dans le dialogue palabrique, tout énoncé peut faire objet d’objection et de critique. Même les genres littéraires, s’ils s’appliquent concrètement dans la discussion, sont objets de critique et peuvent être reprouvés par d’autres qui sont susceptibles d’être plus pertinents et plus adaptés à l’argumentation et à la situation présente. C’est pour cette raison que les différents genres littéraires doivent être utilisés rationnellement pour une argumentation solide. Ceci éclaire pourquoi tous ceux qui prennent part à la discussion doivent être rationnels et doivent avoir des argumentations convaincantes. C’est dans la ligne de ce que Habermas énonce ici sur tout acteur de discussion qui est rationnel: «nous nommons également rationnel celui qui suit une norme existante et peut justifier son action face à un critique en expliquant une situation donnée par rapport aux 282 Pour plus de détails sur l’importance de cet aspect public (Öffentlichkeit) dans la pensée philosophique sur la démocratie discursive, Cf. J. Habermas, Strukturwandel der Öffentlichkeit. 283 J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 31.
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attentes de comportement légitimes. Nous nommons encore rationnel celui qui de façon sincère exprime un souhait, un sentiment ou un état d’esprit, délivre une confidence, confesse une action, etc. et saura créer chez un critique une certitude concernant l’expérience intime qu’il a ainsi dévoilée, en étant cohérent dans les conséquences pratiques qu’il en tire pour son comportement»284.
L’exercice d’argumentation est primordial dans le processus palabrique, et ainsi est rationnel dans cette discussion palabrique, celui qui sait faire un choix judicieux et fait un usage rationnel des genres littéraires; est aussi rationnel celui qui peut accepter de voir ces énoncés et argumentations critiqués. La palabre en tant que processus discursif et dialectique dialogique est par le fait même un procédé cognitif. En effet, on y questionne et on répond, on y avance des idées, des affirmations qu’on défend, on argumente et contre-argumente285. En cela, la palabre est un lieu d’expression plurielle, un jeu rationnel du combat des arguments286. L’accord et le consensus qui sanctionnent le dialogue palabrique ont un fondement rationnel, parce que les partenaires finissent par se convaincre de manière coopérative et réciproque de la validité des arguments d’ordre cognitif, expressif et normatif pour sortir du conflit ou bien de la situation de divergence et décident alors de concrétiser le consensus accepté librement et de coopérer pour des actions en vue de l’harmonie dans la société. Ils se mettent d’accord pour une action donnée en vue de fortifier la paix, l’harmonie sociale, la vie. Et au sens de Habermas, est rationnelle toute proposition normative, cognitive ou expressive réunissant le consensus des partenaires d’une action discursive visant l’intercompréhension287. Les exemples des palabres donnés plus haut veulent justement nous aider dans une lecture de la palabre comme processus d’intercompréhension. La palabre est un espace symbolique de communication: un lieu et un moment de rencontre avec l’autre. Le mode de communication palabrique est le mode expressif, performatif, informatif et argumentatif. 284 Ibid., 31-32. 285 Cf. C.T. Nauhaus, Regierungsformen und Gerichtsbarkeit der Kaffen, 353: „Jegliche Behauptung wird bestritten, jedem Einwurf begegnet ein Einwurf, jede Frage erfährt eine Gegenfrage. Jeder Verteidiger bemüht sich mit bewunderungswürdiger Gewandtheit, die Last der Antwort seinem Gegner zuzuschieben“. Il s’agit de la mise en question des affirmations pour les confirmer par l’argumentation. Tout est objet de discussion. 286 Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 239. Le combat est celui de l’argumentation dans le débat. Il faut énoncer et défendre ces énoncés par des preuves argumentées. 287 Cf. J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 24-59.
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Il est expressif dans la mesure où les participants visent à exprimer des sentiments, des émotions et veulent faire advenir chez les uns et les autres une émotion semblable. Ceci justifie entre autre l’usage de contes, du récit, du mythe, de proverbes, des chants et aussi de la poésie dont le discours rythmé se prête au chant et à la danse. Il est performatif par l’usage de la parole. La parole exprime, éclaire, énonce dans le but de créer une relation entre les personnes. La parole est dynamique, opérative, active dans son pouvoir. Mais elle doit être contrôlée pour bâtir et non détruire. Il est aussi informatif et formatif. Les parties présentes s’informent et se forment mutuellement. C’est ainsi que l’on fait très souvent recours aux hommes de la parole, aux rhéteurs. Comme dit déjà au premier chapitre, la palabre est aussi un lieu de formation, un espace pédagogique. La société africaine traditionnelle, étant essentiellement orale, la communication palabrique est en même temps un réservoir de savoir et une école de la parole et de la sagesse. Le mode de communication palabrique est enfin un processus argumentatif. On y fait un usage rationnel et intelligent de la parole, une parole d’ouverture aux autres, une parole ouverte à la contradiction, dans la recherche du consensus, de l’entente. Dans toutes les discussions, tous les processus d’argumentation lors des différents dialogues, comme dans les palabres évoquées plus-haut, les acteurs se comportent rationnellement par l’argumentation, par le choix des actes de langages, des réponses et des questions. Toute l’interaction se veut une interaction rationnelle. Celle-ci a un caractère d’action dotée de sens, et est aussi compréhensible dans des contextes grâce auxquels les acteurs se rapportent au monde objectif. Et les conditions de validité des expressions symboliques auxquelles les acteurs font recours renvoient enfin de compte à un savoir d’arrière-fond intersubjectivement partagé par la communauté de communication, les membres rassemblés et la communauté entière. Chaque dissension présente, pour cela, un défi de nature particulière à résoudre où la communication palabrique tente d’apporter la solution en partant du monde vécu, du quotidien, de la réalité culturelle, des défis du temps et de la vie. Tout compte fait, la palabre, partant du modèle combiné de la coopération sociale, selon lequel plusieurs sujets coordonnent par l’activité communicationnelle leurs interventions dans le monde objectif, constitue une vraie communauté de communication288. Elle est un lieu et un processus d’argumentation.
288 Cf. J. Piaget, Introduction à l’épistémologie génétique, III, 202.
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3.2 Principe argumentatif dans le dialogue palabrique Le système palabrique africain est un processus interactif coopératif et discursif. Ce qui en fait un espace symbolique de médiation. La palabre a une technique argumentative oratoire propre soutenue par l’usage des proverbes, des contes, des paraboles, de la gestique, des symboles, des chants. C’est ce que soutient Ndjimbi en disant: «non seulement les proverbes, les contes et les paraboles sont pleins de symboles, mais tout le cours du discours est parsemé de symboles, d’images, de toute une série d’éléments de référence dont le reflet entre dans l’argumentation»289.
Sa structure de fonctionnement "multi-dialogique", réunissant orateurs, deux parties différentes ou opposées et un public, fait d’elle une procédure communicationnelle, un réel temps et lieu de médiation comme l’explique Bidima en indiquant que: «la palabre institue un espace public de discussion qui suppose le détour par une procédure. La palabre n’organise pas le face-à-face spéculaire entre les parties mais institue une médiation symbolique à plusieurs entrées. Avec la palabre, nous quittons l’immédiateté des relations pour entrer dans un réseau de médiations qui s’emboîtent à l’infini. Dans cette mise en abyme, chaque médiation débouche sur une autre médiation qui, elle-même, en engendre de nouvelles»290.
Dans un acte communicationnel palabrique, comme dans tout agir communicationnel en général, l’on vise à informer, à convaincre; ceci témoigne de l’intention argumentative du discours. On agit pour faire accepter raisonnablement par la discussion et le geste ses arguments afin de se faire comprendre et de s’entendre. L’on cherche donc par l’argumentation à avoir logiquement raison et à créer ou à rétablir une relation; l’on parle pour essayer de donner du sens et de la signification aux actes de langage. Communiquer par la palabre est, dès lors, argumenter c’est-à-dire discourir dans l’espace et le temps en proposant et démontrant, en exposant et s’exposant, en affirmant et s’affirmant. Pour Ngwey: «on peut sans doute au terme d’une discussion aboutir à une unité de fait correspondant aux points communs sur lesquels tous ou la grosse majorité s’accordent. Mais ce n’est jamais une unité factuelle qui est décisive. La solution définitive n’est décisive que dans la mesure où elle est articulée à un horizon de sens enraciné dans le noyau créateur de 1a culture du groupe, noyau à partir duquel se dessine l’idéal universalisable qui anime la communauté en tant que communauté humaine. Ainsi à travers 1a recherche d’une solution ponctuelle, il apparaît que ce qui est en jeu dans la palabre c’est ce qu’il advient de l’homme et en définitive à l’humanité par-delà les 289 O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 212. 290 J-G. Bidima, La palabre, 13.
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événements ponctuels qui constituent le cheminement des hommes à travers le temps vers l’accomplissement plénier de ce qu’ils ont d’essentiel. L’objectif fondamental de la quête qui s’instaure par la palabre est de monnayer par une règle explicite cet horizon de sens ou cet idéal qui apparaît alors comme ce sans quoi la communauté humaine ne peut plus se reconnaître comme telle. La palabre cherche donc l’effectivité mais la positivité de l’effectivité se heurte toujours à la distance constitutive qui sépare toujours 1’être donné de 1’être advenant, l’homme concret de l’homme tel qu’il doit être»291.
La discussion palabrique est une recherche du consensus. Le consensus palabrique est à considérer comme procédé et principe de base dans la recherche de la vérité dans la discussion. On n’arrive pas au "compromis-consensus" par un simple vote de la majorité mais par l’argumentation et la discussion. Ce consensus est le résultat du débat accepté par les parties en présence en vue de l’harmonie sociale. Il repose et doit reposer sur des valeurs normatives et socioculturelles allant au-delà des pressions intersubjectives292. Un signe en est donné, par exemple, quand pendant une palabre, comme le rappelle Mbarga: «la consécration d’une idée ou d’une argumentation est plus précisément l’acclamation solennelle d’une affirmation – force du discours. L’orateur, au terme de son argumentation, interpelle la foule pour approbation. Ce procédé intervient à la suite d’une démonstration serrée, voire convaincante qui mérite de s’achever en acclamation, en ovations populaires, pour tout dire, en apothéose»293.
La tactique palabrique est de tenter de partager son but communicationnel, d’accepter un compromis, de maintenir le but conversationnel, de pousser la négociation, la discussion le plus loin possible jusqu’à un but acceptable par toutes les parties présentes en vue d’un consensus raisonnable au profit de l’harmonie sociale. L’argumentation joue exactement un rôle majeur dans cette procédure294. Dans la discussion palabrique, l’argumentation est de même un constitu291 Ngwey Ngond’a Enge, Palabre africaine, 119. 292 Cf. W. Fuchs (Hrsg. u.a.), Lexikon zur Soziologie, 416. Dans et par le discours palabrique, les membres d’une famille ou d’une société – mus par un idéal commun de paix, de communion, de coopération et d’harmonie sociale – cherchent ensemble, par et dans le discours, à restaurer, à sauvegarder ou à fortifier cet idéal de vie sociale dans le respect des valeurs et normes communes. 293 J.M. Mbarga, L’art oratoire et son pouvoir en Afrique, 45. 294 Cf. W. Klein, Argumentation und Argument, 10: „Die Aufgabe einer Argumentation ist es, ein Argument zu entwickeln. Ein Argument lässt sich, grob gesagt, als eine Folge von Aussagen darstellen, die in eine Antwort auf eine Quaestio – eine strittige Frage – mundet; die Aussagen müssen in einer bestimmten („logischen“) Weise miteinander verbunden sein. Die Elemente eines Arguments sind also relativ abstrakter Natur, es sind bestimmte Inhalte, die sich durch Aussagen (in einer natürlichen oder künstlichen Sprache) darstellen lassen“.
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tif langagier très complexe qui sert non seulement à défendre une affirmation ou une prétention, mais qui a aussi une dimension sociale effective. En effet, l’usage des éléments langagiers tels que les proverbes, les chants, les dictons, devinettes, le recours à l’histoire et à la tradition ou même le silence ont, en plus de leur fonction argumentative, une vraie portée sociale. L’argumentation est un élément constitutif de la procédure palabrique ayant aussi des conséquences socio-pédagogiques. Nous pouvons encore retenir d’autres éléments de l’argumentation dans la palabre tel que les déclarations des parties présentes, les affirmations, les prises de position, les questions à débattre et aussi le silence 295 qui peut contenir l’inexprimé dans la discussion et en même temps être une affirmation. Tous ces éléments argumentatifs contribuent à la résolution des conflits, à l’analyse de la situation qui est traitée. Ces éléments ont en outre un caractère logique et pragmatique, parce qu’ils s’appuient sur l’usage des proverbes, des contes, des chants et tous les autres moyens utilisés pour l’argumentation, la justification et la défense des différentes positions des parties en présence. Tous ces éléments contribuent à rendre vivante la discussion296. De cette manière, la communauté s’oriente et s’organise. Et dans les solutions trouvées, la palabre ne néglige pas les solutions alternatives consenties par les parties en présence ou les communautés. L’aboutissement est entre autre une solution discutée et consentie en vue d’une unité pratique. Cette stratégie de négociation consensuelle est également une voie pour faciliter le consensus et l’entente. La négociation procède, avec un schéma assez classique, par des séquences argumentatives du type argumentation/réfutation conduisant à la proposition d’une solution plus au moins optimale pouvant aller jusqu’à la convergence des points de vue ou même, parfois, au constat d’échec. Ce que Habermas dit des argumentations se justifie aussi dans le dialogue palabrique, à savoir:
La tâche de l’argumentation est le déploiement logique d’un argument approprié pour défendre des affirmations données. 295 Cf. J. Mertens, la juridiction indigène, 147. 296 Cf. W. Klein, Argumentation und Argument, 10: „Eine Argumentation ist eine komplexe sprachliche Handlung, die sich von anderen vor allem durch ihre Aufgabe, nämlich die, ein Argument zu entwickeln, unterscheidet. Wie alle sprachlichen Handlungen hat sie neben dieser inhaltlichen auch eine soziale Dimension. Sie soll bestimmte soziale Wirkungen haben, beispielsweise jemanden von einer bestimmten Ansicht überzeugen, jemandem helfen, sich zu profilieren, jemanden ins Unrecht setzen oder als Schwachkopf erscheinen lassen “.
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«les argumentations se différencient en outre d’après le type de prétention que le proposant voudrait défendre. Les prétentions varient avec les contextes d’action. […] La diversité des contextes où des argumentations sont susceptibles d’intervenir peut être soumise à une analyse fonctionnelle et réduite à quelques arènes ou "champs" sociaux auxquels correspondent différents types de prétention et autant de types d’argumentation»297.
En tant que processus argumentatif, le dialogue palabrique est un agir communicationnel au service de l’harmonie sociale.
3.3 Palabre: un agir et un comportement interactifs symboliques La palabre couvre divers domaines de la vie. Elle incarne un agir et un comportement pour une vie harmonieuse dans la société; elle reste un processus de stabilisation de la vie individuelle et communautaire. Ela admet: «en s’inspirant de l’expérience des vieux maîtres de la parole qui ont transmis aux nouvelles générations la somme d’expériences et de connaissance sur la vie, les modèles de comportements et d’attitudes, la faune et la flore, la botanique, la médecine et l’astronomie, etc., en exploitant les ressources de l’oralité, il devient possible d’organiser la pratique de la palabre africaine autour de tous les problèmes de changement dans la vie d’aujourd’hui. Le dialogue, qui est ici l’élément essentiel, peut alors s’engager autour des situations vitales: les matches de bière ou de coton, l’argent, la relation homme-femme, les départs vers la ville ou les migrations saisonnières, le travail de la femme en saison des pluies, la nourriture, bref, tout ce qui fait grandir le village est soumis à la réflexion de tout le groupe. Une telle expérience suppose, bien entendu, la vie simple avec les gens, le partage des joies (fêtes de la récolte, naissance, mariage…) et des souffrances (deuil, maladies, mauvaises récoltes, injustices…). Par le dialogue autour de ces situations, se crée un circuit d’échanges d’idées et d’expériences entre les participants. De là naît une communauté d’intérêts, de besoins et de désirs, d’aspirations et de recherche de nouvelles conditions d’existence. En s’instruisant entre eux, les hommes du village se transforment et apprennent à transformer le milieu où ils vivent»298.
De là naît aussi une communauté dans laquelle on communique et se communique, dans laquelle on agit de manière coopérative en vue de vivre en paix et en harmonie; la palabre constitue un processus communicationnel de coopération pour la paix sociale inclusive299. Pour ce, l’interaction palabrique se révèle être,
297 J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, 1, 47. 298 J. M. Ela, L’Afrique des villages, 189-190. 299 Cf. C. Ozankom, Christliche Botschaft und afrikanische Kultur, 383: Das Palaver ist demnach ein System, das durch Kommunikation und Kooperation im Dienst des sozia-
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en même temps, guidée par des normes sociales acquises par et pour la socialisation. Les acteurs s’ajustent mutuellement à travers cette activité communicationnelle orientée vers l’intercompréhension. Dans ce contexte, l’échec de cette action est aussi un échec social, tandis que sa réussite nécessite la bonne volonté, le sens de coopération et de compréhension de tous les acteurs. Et en cas d’incompréhension, des mécanismes de sanctions se mettent avec conséquence en place. Dans ce processus d’interaction et de coopération, chaque acteur est convié à prendre en compte les notions de pouvoir et de conformité sociale dans un effort d’engendrer la stabilité du système social; ce qui oblige chaque acteur à mener à bien ses actions en s’orientant rationnellement en fonction des valeurs subjectives des autres acteurs et même du système. C’est pour cette raison que Bidima affirme que: «la palabre comme mise en forme d’un discours, des codes et des réseaux constitue le lieu de l’effectuation de la coexistence humaine; elle ne définit pas le vivreensemble mais en dessine le cadre»300.
Elle est un espace public de la parole, de la discussion. C’est aussi ce que Habermas énonce ici: «enfin, le concept de l’agir communicationnel concerne l’interaction d’au moins deux sujets capables de parler et d’agir qui engagent une relation interpersonnelle (que ce soit par des moyens verbaux ou extra-verbaux). Les acteurs recherchent une entente (Verständigung) sur une situation d’action, afin de coordonner consensuellement (einvernehmlich) leurs plans d’action et de là même leurs actions»301.
C’est donc ce qui se vit aussi dans la communication palabrique. Car dans la palabre, en cas de conflit, on cherche à résoudre ce dernier, à élucider une situation par la discussion entre acteurs, par la puissance argumentative du verbe.
3.4 Le "Médium" langage dans la communication palabrique La palabre est un lieu et une communauté de parole. La tradition africaine étant essentiellement orale, la parole en est le grand vecteur. C’est pourquoi Bidima pense que: «la palabre présente l’originalité de combiner – le plus souvent avec bonheur – le code et le réseau […]. La palabre est une parole "donnée à", "adressée à". […] Par la len Friedens und für die Förderung des Lebens des einzelnen und des Gemeinwohls von entscheidender Bedeutung ist“. 300 J-G. Bidima, La palabre, 45. 301 J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, 1, 102.
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palabre, la société interroge ses références, se met à distance et peut entrer dans un dialogue ininterrompu avec elle-même et son Autre»302.
Ainsi donc, les rhétoriciens de la palabre s’efforcent d’y faire une bonne sélection des éléments langagiers et oratoires pour une argumentation perspicace. Le choix de ces éléments reste déterminant pour une discussion appuyée. De la technique de l’argumentation dépend donc la réussite de l’argumentation et de l’intercompréhension – spécialement par un recours massif aux proverbes comme puissant véhicule d’enseignement. Comme le présente Mayola Mavunza Lwang: «tandis que la forme du proverbe est une, le message qu’il transmet est multiple. Le proverbe instruit, par exemple, sur le respect de l’ancien, la réceptivité et la modestie, le sens critique, le sens de l’histoire, l’expérience, les attitudes morales, l’homme face à la vie…»303.
Tous les genres littéraires dans la palabre sont, en fait, des techniques argumentatives. Dans la discussion palabrique, les acteurs élèvent, par leurs déclarations, des affirmations, et énoncés des prétentions de vérité, de véracité et de justesse qu’ils doivent aussi défendre discursivement. Ils doivent articuler leurs énoncés de manière compréhensible pour se faire comprendre et afin de s’intercomprendre. Les interlocuteurs se réfèrent, naturellement, au monde objectif de la nature externe, au monde normatif de la société, et au monde subjectif de leur conscience interne. Ils font référence aux états de fait pour justifier toute proposition posée ou présupposée dans leurs énoncés par rapport aux sources de leurs expériences. Les acteurs n’énoncent pas seulement mais doivent garantir la vérité des contenus propositionnels de leurs énoncés et en préciser aussi les fondements socioculturels. Ils doivent pouvoir expliciter sur quoi se base la véracité de leurs énoncés par rapport au système social. Et ils ont recours aux règles et conventions du monde normatif pour défendre leur agir en conformité avec une structure procédurale et normative acceptée par tous 304. La discussion palabrique obéit, en général, aux règles et conventions établies. Le locuteur exprime, en même temps, dans la palabre, par son acte langagier, un état de conscience donné: ses croyances, ses désirs et ses intentions. Il y 302 J-G. Bidima, La palabre, 9-10. 303 Mayola Mavunza Lwang, La rhétorique du choix, 131. 304 Cf. J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 31: «dans les contextes de 1’agir communicationnel, seul peut être considéré comme responsable au sens d’une imputation de rationalité celui qui, en tant que partie prenante d’une communauté de communication, est capable d’orienter son action selon les prétentions à la validité intersubjectivement reconnues».
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participe avec son monde subjectif. Son acte de langage doit être sincère. Il y amène aussi son être, son monde subjectif. Le langage palabrique a une double fonction: elle exerce un rôle de médiation par le processus représentatif qu’il fait du réel et joue le rôle de production des actes. De la sorte, l’orateur, les parties en présence et ceux à qui la parole est accordée sont appelés à maximiser la parole avec tous les moyens langagiers dont ils disposent afin de s’offrir un choix de possibilité de prise de décision pour une entente finale harmonieuse. Tous sont conviés à chercher par l’argumentation à rendre cet espace de concession profitable afin de trouver des solutions globales et durables pour le bien de chacun et de tous. Comme nous pouvons bien le remarquer chez Maurier, au centre de tout ce processus: «la parole peut être vue comme la grande technique de la relation entre les personnes […]. Ce qui signifie, en climat relationnel, que la parole qui tisse les relations, […] Sans la parole, on n’est pas des hommes en communauté»305.
Elle est un outil de communication et permet la vie relationnelle. Si nous revenons à la palabre sur le détournement des fonds publics (au premier chapitre), nous remarquons très bien la place prépondérante du langage dans le discours palabrique, le choix des divers outils langagiers et l’effort de référence aux critères de validité que chaque partie présente déploie dans chaque argumentation en vue de l’intercompréhension.
3.5 Palabre, un agir interactif d’intercompréhension La palabre est un agir interactif de coopération communicationnelle. Les partenaires du discours palabrique "inter-échangent" et "inter-agissent" entre eux. La communication palabrique est une communication à la fois verbale et non verbale. La parole y joue un rôle majeur, mais aussi la communication non verbale exprimée par des attitudes, des gestes, des regards, la danse, le rythme, le silence etc., et les catégories du temps et de l’espace sont la plateforme de ce jeu. Voilà pourquoi, elle dure et se tient dans un espace symbolique et rituel précis. La discussion palabrique est bien un agir interactif d’intercompréhension. Les acteurs agissent rationnellement et coopèrent en vue de l’harmonie et de la paix sociale. Tous les éléments discursifs de la palabre tel que les proverbes, les contes, les chants etc. et leur choix ont pour but de mener, enfin de compte, au consensus et à l’intercompréhension. Ce processus donne une raison majeure de prendre la palabre au sérieux en tant qu’expression vitale. Ngwey le recommande aussi vivement en énonçant que: 305 H. Maurier, Philosophie de l’Afrique noire, 151.
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«prendre la palabre au sérieux, comme phénomène profondément humain, c’est la prendre comme une institution par laquelle l’Africain se prend en charge comme individu relationnel, comme membre appartenant non seulement à une communauté restreinte mais à l’ensemble qui le lie à ses ascendants les plus lointains à partir desquels il se trouve en solidarité avec l’humanité entière et au cosmos entier dont il est un élément prééminent, et par laquelle il reprend la vie dans ce qu’elle a d’ébranlé par l’événement qui occasionne cette concertation généralisée. Et dès lors il apparaît que si les genres littéraires sont si multiples dans la palabre, c’est que la vie est inépuisable et que par les divers modes discursifs de prise de parole, divers aspects de cette vie se manifestent. Ainsi peut être dégagée une logique à l’œuvre dans la palabre: descriptive, modale, ésotérique, contextuelle, rhétorique. Décliner son identité c’est signaler qu’on est là, mais aussi souligner les liens de solidarité qui doivent être pris en compte dans la suite des débats. Dire qu’on parle c’est faire comprendre qu’on a droit à cette initiative et qu’on n’a donné à personne d’autre procuration de parler. Tout dans la palabre chemine vers le traitement de l’événement comme un fait circonscrit existentiellement, mais comme une possibilité humaine qui concerne tout participant et pas uniquement ceux par qui cet événement est arrivé. C’est pourquoi la longueur de la palabre dépend de la gravité de l’événement et des connexions que comporte l’événement avec l’ensemble total de l’existence concrète du groupe. La gravité est à définir d’ailleurs du point de vue de cette interconnexion»306.
L’entente et le consensus qui sanctionnent le dialogue palabrique ont consécutivement un fondement rationnel, au sens que les participants à un tel agir finissent par se convaincre réciproquement que leurs arguments d’ordre cognitif, expressif et normatif sur lesquels prennent appui leurs différentes offres langagières sont de nature à être acceptés par chacun. C’est dans la coopération que l’on cherche à aboutir à un consensus, à une entente. Si, avant l’interaction, les protagonistes pouvaient envisager des actions divergentes, voire conflictuelles, maintenant qu’ils ont librement accepté l’offre de coopération, ils sont disposés à coordonner leurs actions futures afin de réaliser l’harmonie sociale, c’est en ce sens que le dialogue palabrique est véritablement un processus de socialisation. En effet, par le dialogue, les parties actrices coopèrent par l’échange d’arguments dans une logistique langagière appropriée pour l’équilibre social307. Si nous scrutons l’exemple de la palabre "The firewood controversy" entre Suédois et autochtones déjà citée, le consensus trouvé resocialise tout le monde et rétablit la paix et l’harmonie sociale. Les parties en présence se sont mises d’accord et ont abouti à l’entente. Dans l’agir communicationnel palabrique, tous les participants poursuivent sans restriction des objectifs illocutionnaires dans le but d’obtenir un accord, une entente qui puisse offrir le fondement d’une coordination consensuelle des plans 306 Ngwey Ngond’a Enge, Palabre africaine, 117. 307 Cf. O. Ndjmbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 255-256.
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d’action poursuivis individuellement (ou aussi en groupe). Et un tel agir doit être transparent, au sens que l’intention communicationnelle de chaque acteur aussi bien que l’objectif illocutionnaire qu’il poursuit ressortent de la signification manifeste de ce qu’il énonce. Bref, chaque partenaire du dialogue palabrique initie une action langagière orientée vers l’intercompréhension, par le fait de présenter une offre de coopération et d’élever des prétentions à la validité, à savoir qu’il dit explicitement ou implicitement aux autres partenaires ses bonnes raisons sur ce qu’il énonce (validité cognitive, epistémique); il leur signifie la conformité normative de son agir ( validité normative); il garantit le lien de son énoncé avec ses intentions réelles (validité expressive). De même, il est tenu d’honorer ces prétentions tout en fournissant les raisons de leur fondement. C’est seulement dans cette perspective qu’il peut permettre aux autres de les accepter ou de les réfuter dans un processus argumentatif. C’est ce que stipule Habermas en déclarant: «par cette pratique communicationnelle, ils (les participants) s’assurent en même temps de leur contexte commun de vie, du monde vécu intersubjectivement partagé»308.
Mais cette pratique montre parfois ses limites dans la vie réelle.
3.6 Limites de la communication palabrique Comme tout processus de communication, le dialogue palabrique a aussi, d’un point de vue pragmatique, ses limites, ou encore, il est parfois utilisé à des fins négatives. En réalité, dans la vie pratique, comme le montrera plus loin le cas concret des dialogues "inter-congolais", au visage palabrique, nous soulignons avec Bidima que: «la palabre ne résoudra pas tous les problèmes politiques africains, elle n’est qu’une "médiation imparfaite"[…]. Cette finitude s’inscrit elle-même dans une exigence de justice: mais la justice n’a toujours pas été faite à la palabre»309.
Nous pouvons de plus nous demander si la palabre est un agir stratégique ou un agir communicationnel. La palabre est essentiellement orientée vers l’intercompréhension harmonieuse en vue de l’harmonie sociale globale. Cette recherche d’harmonie par et dans le discours tient compte du bien être de chaque individu et de celui de la société dans son ensemble. Mais aussi, sied-il de remarquer avec Ngwey que la palabre peut parfois être utilisée dans un but démagogique: 308 J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, I, 29. 309 J-G. Bidima, La palabre, 46.
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«pire encore, la palabre est parfois utilisée comme lieu de manipulation d’une foule à laquelle se trouve accordée la parole par le responsable qui ne tire de leçons, de conclusion ou de synthèse globale que des orientations arrêtées à l’avance par luimême ou par les services qu’il estime compétents en la matière»310.
Le dialogue est quelques fois un lieu de communication stratégique: celui qui veut imposer ses idées et ses intentions peut aussi s’en servir. Nous devons de plus reconnaître que le processus langagier dans la palabre a aussi des limites. Bidima dit à ce propos: «la situation de réelle communication est en elle-même génératrice de conflits dans la mesure où nous y prenons la parole en étant limités par notre petite époque et nos préjugés. Et comme l’autre se place devant nous avec les mêmes handicaps, le conflit est inévitable. Une palabre ne sera possible que si nous reconnaissons notre faillibilité et notre limitation dans l’espace et le temps»311.
Mais la limitation dans l’espace et le temps se retrouve dans tout processus communicationnel; elle nous aide de ce fait à persévérer dans l’exercice de communication et à améliorer l’interaction quotidienne.
3.7 En résumé La communication palabrique est pour ainsi dire un outil majeur de régulation de la vie en famille, en société et au sein des différents groupes sociaux, ainsi qu’entre dirigeants et dirigés; elle est encore un véhicule de transmission et de perpétuation du savoir. Elle se situe comme lieu, temps et espace de coopération, de solidarité et de communication, un agir interactif intentionnellement orientée vers l’intercompréhension en vue de l’harmonie sociale. Puisque la palabre met les hommes en relation, en coopération selon des formes particulièrement élaborées et complexes, elle les met aussi en relation avec la nature dans un univers symbolique débordant chaque individu, chaque groupe et même chaque langue particulière pour renvoyer à la culture, à l’histoire même de la société globale. L’agir communicationnel palabrique s’insère dans un contexte d’action rationnelle. Il sied donc de replacer la communication palabrique dans son contexte historico-culturel pour voir qu’elle est un lieu du langage et que la situation de celui-ci demeure déterminée d’un côté par la subjectivité, et d’un autre côté par des normes socioculturelles qui, en fait, précèdent la relation elle-même. La palabre est un système communicationnel communautaire.
310 Ngwey Ngond’a Enge, Palabre africaine, 116. 311 J-G. Bidima, la palabre, 41.
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Même si au départ, les acteurs (ou partenaires) s’engagent dans un premier temps dans des actions plus individuelles avec des intentions de succès personnel, ils sont invités finalement à mettre de côté leurs intérêts privés pour se livrer ensemble, solidairement à la quête d’une entente raisonnable sur ce qu’il est souhaitable de faire pour dépasser la situation où ils se trouvent. Ils sont conviés à s’entendre de façon globale, dans la durée en vue de l’harmonie chez chaque membre et dans toute la société. La palabre reste ainsi un lieu de réflexion argumentée pour rechercher la vérité et l’harmonie sociale.
4. Conclusion Dans la communication humaine, en initiant une action langagière orientée vers l’intercompréhension, un locuteur entre dans un processus et un comportement symbolique interactif. Il fait une offre de coopération et élève en faveur de son offre des prétentions à la validité: il signifie à son interlocuteur qu’il a de bonnes raisons en faveur de la description de la situation sur laquelle prend appui son offre – validité cognitive –; il lui signifie également qu’il se sent justifié du point de vue des normes en vigueur – validité normative –; et il lui signifie enfin qu’il garantit que tout cela correspond bien à ses intentions réelles – validité expressive. Il est clair que, s’il élève des prétentions, il est tenu, le cas échéant, de les honorer, au sens que, si son interlocuteur hésite à accepter l’offre ou la rejette tout simplement, il peut exhiber les raisons qu’il a pour tenir pour valides toutes ces prétentions. Et de son côté, l’interlocuteur réagit à cette offre en y acquiesçant ou en s’y refusant, et son accord ou son refus résultent de l’examen critique des trois prétentions à la validité élevées par son partenaire. Il est évident que, devenu locuteur, en faisant par exemple une contre-offre, il élèvera à son tour des prétentions à la validité, sera tenu de fournir des preuves, etc. La communauté communicationnelle est de ce fait une communauté argumentative. La communication humaine comme processus et agir interactifs est bien un processus anthropologique. Elle se manifeste comme une construction humaine, un outil de la culture ayant des règles contractuelles et contextuelles. En effet, initier un agir communicationnel et accepter d’y participer, c’est cesser de traiter l’autre en objet à manipuler, comme instrument à utiliser à son bénéfice, pour le situer comme sujet. Plus exactement, voir l’autre comme un autre "Je"; et dans la mesure où on doit pouvoir justifier, le cas échéant, ses actions, on suppose que l’autre en est aussi capable. Il a les mêmes droits et devoirs dans une action communicationnelle. L’autre est un sujet responsable; ainsi donc, en initiant un agir communicationnel concret on crée la possibilité d’une communication illimitée, libre et coopérative, sans contrainte. 118
Burkart et Habermas se rejoignent d’une manière ou d’une autre dans leur lecture de la communication humaine comme un processus interactif, un agir communicationnel essentiellement orienté vers l’intercompréhension. Il y aurait certainement une contradiction pragmatique à initier ou à accepter de participer à une action langagière visant l’entente et penser, simultanément, que le partenaire de communication ne soit pas conscient des raisons qui le gouvernent comme acteur dans cet agir et qu’il ignore la légitimité de ses actions. Ceci vaut aussi bien pour le dialogue palabrique que pour tout autre agir communicationnel. Lorsqu’on initie un agir communicationnel, on accepte d’y participer en se guidant sur la fiction d’une communication pure ou encore d’une "situation de communication idéale". Ceci définit entre autre le caractère procédural de la communication humaine comme agir interactif intentionnellement orienté vers l’entente et la coopération. L’entente résulte d’une sorte de convention, d’un accord entre partenaires, convention qui est condition indispensable pour que l’échange ait lieu, ainsi les relations entre partenaires de communication constituent une sorte de structure, dans laquelle chacun doit trouver son compte. Le champ communicationnel s’avère être, en fin de compte, un ensemble de relations de signification régulées par des codes, des conventions, des expériences intersubjectives et objectives que l’on construit et reconstitue interactivement, des expériences historiques et culturelles. La palabre, art oratoire, est une forme de communication humaine typique, un agir communicationnel orienté vers l’entente en vue de l’harmonie sociale. Mbarga le spécifie en ces termes: «à l’heure de la promotion de la communication dans la pleine diversité de ses formes, l’art oratoire est à inscrire parmi les moyens qui conservent et promeuvent une transmission humaine du message et des richesses culturelles héritées de la sagesse ancestrale»312.
La palabre, en tant qu’un agir communicationnel, se conforme à une structure normative qui doit orienter son fonctionnement. Mais quelle structure normative de la communication anime le dialogue palabrique? L’effort de réponse à cette question fait l’objet du chapitre suivant.
312 J.M. Mbarga, L’art oratoire et son pouvoir en Afrique, 69.
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CHAPITRE III : Les Principes discursifs d’argumentation, d’intercompréhension et de responsabilité dans le dialogue palabrique africain Les questions de moralité et d’éthique n’ont, en effet, leur relevance que dans la société qui reste le lieu de l’intersubjectivité et de l’interaction. C’est dans l’interaction des sujets que la normativité trouve sa fonctionnalité, par le fait qu’elle a le but d’aider à la vie individuelle et commune. Ainsi une éthique spécifique à un métier ou à un agir, quel qu’il soit, se réfère elle-même à une éthique générale comme élan et souhait d’un bien vivre, avec et pour les autres, en formant le vœu d’institutions justes et harmonieuses, pour une vie responsable et respectueuse des valeurs positives. L’éthique de communication s’appuie largement sur le processus argumentatif, sur la responsabilité, la coopération discursive des acteurs de la communication avec tout ce que cela implique en termes de procédure, de valeurs et de règles pour l’intercompréhension et l’entente. Une communication responsable est essentielle pour améliorer les rapports existentiels et la qualité de vie. Partant, l’éthique – aussi discursive – en tant que réflexion et enseignement de ce principe de communication responsable prescrit, entre autres, les voies, les procédures et les réponses sur le comportement des acteurs pour un agir interactif respectueux, responsable et conséquent313. Les acteurs de la communication sont exhortés à la responsabilité de la vérité des faits, de l’argumentation dans la discussion pour éclairer et soutenir ces faits, du partage du savoir qui intéresse les partenaires et le public, ainsi que de la liberté d’expression dont ils ont le devoir et le droit de se servir à bon escient. Cette éthique de communication est au service de l’intercompréhension pour une réussite de l’interaction communicationnelle. Chacun de ses acteurs est appelé à toujours se situer dans un monde objectif, un monde subjectif et celui intersubjectif, face aux autres partenaires directs ou indirects. Appliquée à la discussion palabrique, l’éthique discursive montre, de manière pragmatique, les possibilités de recours responsable à des dispositifs et normes 313 Cf. A. Ziegler, Verantwortung für das Wort, 24-28. La communication humaine doit, pour son efficacité et sa crédibilité, reposer sur une éthique de responsabilité. Une communication responsable renvoie au communicateur responsable. Ce n’est que dans cette mesure qu’elle peut être dite "communication responsable". Car l’éthique invoque, en fait, un enseignement sur l’agir responsable et la responsabilité des conséquences de l’agir.
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communicationnels rendant possible l’intercompréhension et le consensus par le dialogue. Nous pouvons donc dire que l’éthique de la discussion dans la palabre a autant un rôle de gestion des intersubjectivités langagières afin de conduire les partenaires à une reconstruction des procédures permettant de valider réflexivement leurs choix et leurs convictions pratiques ainsi que ceux de l’ensemble de la communauté. Pour tenter de retracer l’éthique de la discussion dans le dialogue palabrique, nous nous appuierons sur Habermas et Apel en essayant de présenter l’espace public d’argumentation qu’est la palabre comme un lieu interactif pragmatique de coopération – spécialement dans le cas de résolution des conflits. Le processus de la discussion, en tant qu’exercice de la parole, s’appuie généralement sur trois présuppositions normatives élémentaires que sont la symétrie314 des participants, les acteurs devant pouvoir échanger leurs rôles sans que cela puisse influer sur le résultat final de la discussion, la sincérité dans la discussion et la liberté d’adhésion au processus du discours sans coercition. Ces présuppositions normatives accompagnent la palabre qui est un lieu de parole par excellence. Et la parole, élément moteur de la communication humaine, ne comprend pas seulement un aspect rationnel mais possède mêmement une nécessaire reconnaissance éthique, une reconnaissance de soi, d’autrui et de tout l’environnement socioculturel dans lequel elle se meut. L’éthique de communication trouve une base solide dans l’argumentation, la responsabilité et l’intercompréhension avec tout ce que ces principes impliquent normativement. En nous appuyant sur ces trois principes discursifs, nous allons aborder la question de l’éthique communicationnelle du dialogue palabrique. Mais on peut se demander pourquoi nous choisissons de nous baser sur les principes discursifs d’argumentation, d’intercompréhension et de responsabilité – et ceci en prenant appui sur Habermas et Apel – pour éclairer l’éthique discursive dans le dialogue palabrique africain. C’est, en fait, parce que nous présentons la palabre comme un espace de parole et un temps de discussion dans la recherche de la vérité en vue de la réconciliation par la coopération, comme un processus d’entente pour une vie harmonieuse, un agir communicationnel solidaire et responsable. Nous considérons que les notions de vérité, de coopération et de consensus dans la palabre rejoignent aussi la notion du consensus social: un fait que des personnes – aussi bien morales que juridiques – de manière reconstructive et par le discours argumentatif, tissent et retissent par la discussion le lien social et restaurent l’harmonie souvent troublée par les conflits.
314 Cf. J. Habermas, Morale et Communication, 158-159.
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Assurément, l’éthique discursive est un modèle normatif qui est fondamentalement orientée sur la communication et présente une procédure pour instaurer les normes en formulant les conditions et les dispositions procédurales de communication. Elle détermine comment ces normes s’installent dans un groupement social315. Et dans la mesure où nous voulons ressortir la teneur des principes discursifs d’intercompréhension, d’argumentation et de responsabilité et coresponsabilité dans le dialogue palabrique africain avec leurs implications normatives, nous nous attèlerons dans ce chapitre à aborder la notion de l’éthique de communication sur sa base d’éthique discursive316.
1. Base normative de la communication humaine 1.1 Notion d’éthique de communication L’homme est effectivement appelé à vivre non seulement son autonomie, mais aussi à entrer en dialogue avec autrui. Par la conscience de soi et de son environnement, il ouvre et s’ouvre dans et par la communication. Dans l’interaction, il communique et se communique en s’ouvrant à un autre que soi. Cette ouverture est, par ailleurs, un acte de reconnaissance de l’autre comme sujet et aussi un devoir d’honorer les normes d’interaction communicationnelle. Habermas dit d’ailleurs: «j’appelle communicationnelles, les interactions par lesquelles les participants sont d’accord pour coordonner en bonne intelligence leurs plans d’action; l’entente ainsi obtenue se trouve alors déterminée à la mesure de la reconnaissance intersubjective des exigences de validité.[…] Le fait qu’un locuteur puisse motiver rationnellement un auditeur à accepter une telle offre ne s’explique pas par la validité de ce qui est dit, mais par le fait que le locuteur en réponde, réalisant par là la coordination, et promette de s’efforcer d’honorer, le cas échéant, l’exigence qu’il a fait prévaloir»317.
La communication humaine est essentiellement basée sur le langage et la parole, parlée ou muette. Et l’aptitude de responsabilité vis-à-vis de la parole s’évalue, 315 Cf. R. Funiok, Grundfragen der Kommunikationsethik, 13: „Die Diskursethik ist zentral auf Kommunikation ausgerichtet. Sie stellt ein Verfahren der Normfindung bereit und formuliert dafür kommunikative Bedingungen. Sie ist also ein Modell normativer Ethik und macht zudem Vorschläge dafür, wie sich Normen in eine soziale Gruppe implementieren lassen“. 316 Cf. A. Lob Hüdepohl, Kommunikative Vernunft und theologische Ethik, 195-196. L’éthique communicationnelle est plus large que l’éthique discursive toute seule. 317 J. Habermas, Morale et Communication, 79.
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entre-autre, dans la paix que cette dernière peut faire régner, après-coup, dans la vie du sujet parlant, celle des partenaires et de celle de la communauté. Cette paix est le fruit du choix éthique que l’on fait face à l’autre comme acteur interactif, et face à la communauté en tant que communauté interactive. L’aptitude à la parole exige, par conséquent, une ouverture discursive et une responsabilité par rapport à celle-ci, à soi-même et à l’autre. La communication est un comportement: communiquer, c’est agir. «Or, si l’on admet que, dans une interaction, tout comportement a la valeur d’un message, c’est-à-dire qu’il est une communication, il suit qu’on ne peut pas ne pas communiquer, qu’on le veuille ou non. Activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de message. De tels comportements influencent les autres, et les autres, en retour, ne peuvent pas ne pas réagir à ces communications, et de ce fait eux-mêmes communiquer»318.
C’est ce que soutiennent Watzlawick et les autres auteurs. Une éthique discursive a donc sa raison d’être. L’éthique de communication possède en même temps des racines anthropologiques319: elle repose sur l’intuition, la sagesse pratique, la conscience de la liberté; partant du fait qu’étant des êtres sociaux, les êtres humains sont caractérisés par cet élan interne de se tourner vers l’autre. Le processus communicationnel est signe de l’interdépendance mutuelle320. L’éthique de communication caractérise l’être humain comme un être ayant le sens de perception et de réalisation qu’il étale dans l’interaction communicationnelle. Ce sens de réalisation de soi et de la communauté est le postulat d’une éthique de communication qui appelle, à son tour, au sens de responsabilité, de liberté, de respect, de réciprocité, de coopération et de solidarité. Chaque action sociale se veut être coordonnée par des actes de communication dans lesquels les processus de l’intercompréhension par le langage jouent un rôle important. Les principes éthiques sélectionnent exactement ces actions sur base d’un système de valeurs pour leur fiabilité et leur confirmation et ceci, en plus, par des actes communicationnels qui entrent eux-mêmes dans un processus sélectif identique. En effet, le tissu social fait que l’agir social soit coordonné par le processus de communication. Le fait de se comprendre par le langage joue un rôle majeur dans ce processus. Et pour "s’inter-comprendre", il s’avère incontournable de faire recours aux va-
318 P. Watzlawick/J. Helmick Beavin/ Jackson, Don D., Une logique de la communication, 46. 319 Cf. E. Bülow, Kommunikative Ethik, 36. 320 Cf. A. Lob-Hüdepohl, Kommunikative Vernunft und theologische Ethik, 199: „Wir Menschen alle sind bedürftig und sind aufeinander angewiesen […]“.
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leurs et vertus éthiques et à un système de valeurs et de principes qui puissent orienter l’entente sociale321. L’éthique de communication se fonde également par le questionnement sur la société et la culture: le double questionnement sur des valeurs précises dont la réalisation exige un déploiement de critères donnés et partant sur des normes et des formes comportementales dont ces valeurs sont dépendantes. Le devoir de l’éthique de communication est justement de conceptualiser des valeurs et les possibilités de leur réalisation; l’éthique communicationnelle s’interroge sur l’actuation des valeurs données et sur de normes comportement précises322. Elle est à la fois une éthique de valeurs et d’agir qui appelle l’individu et la communauté à faire la différence entre le devoir, le fait d’être et la relation des valeurs en partant des faits. Vue sous cet angle, elle est à la fois une éthique de valeurs normatives323, de la dignité humaine, du respect des libertés individuelles pour le bien d’un chacun et de tous, une éthique de transparence, de responsabilité, de solidarité et du principe déontologique324. Elle est une éthique qui table sur le devoir des partenaires vis-à-vis de soi et des autres; elle est en même temps une éthique d’action, une éthique d’agir au quotidien. L’éthique communicationnelle prend, dès lors, en compte les trois éléments suivants à savoir: la dignité humaine, l’intégrité indépendante des acteurs de communication et la déontologie. Il s’agit du devoir moral intrinsèque de règles et normes d’action, et du questionnement sur la bonne vie comme visée ultime de l’existence. L’éthique de communication est très large. Au cours de notre analyse, nous insisterons plus sur l’éthique communicationnelle dans sa dimension d’éthique discursive. Est-il en fait nécessaire de légitimer l’éthique communicationnelle?
321 Cf. E. Bülow, Kommunikative Ethik, 9. 322 Cf. Ibid., 33. 323 Cf. Ibid., 37: „Die kommunikative Ethik fragt nach den kommunikativen Verhaltensnormen“. 324 Cf. A. Lob-Hüdepohl, Kommunikative Vernunft und theologische Ethik, 214. L’éthique communicationnelle a aussi un fondement déontologique. Parce qu’elle appelle au devoir qu’implique l’interaction et puis elle fait allusion à la question de la bonne vie comme visée ultime du processus communicationnel; déontologiques sont aussi les normes de justesse, de justice, de vérité etc. auxquelles elle fait appel.
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1.2 Nécessaire légitimation éthique de l’activité communicationnelle. Dans la vie pratique, on est amené à légitimer ses actions par un agir communicationnel: dire ou expliquer pourquoi telle action ou telle autre est accomplie ou même doit l’être. Aussi, les principes éthiques de communication doivent être justifiés et défendus. Cette justification se légitime aussi anthropologiquement et passe par la communication, par la discussion, elle est en cela un acte nécessaire pour l’agir social dans son ensemble; elle éclaire l’éthique de la communication comme recherche et étude des principes normatifs et comme questionnement sur les normes de comportement dans un agir de communication, comme procédure de l’agir communicationnel, mais aussi comme une éthique individuelle 325. Les normes de comportement doivent être trouvées et enseignées. Chacun a le devoir de les accepter personnellement comme nécessaires. Cette volonté personnelle inclut de fait la disposition de les mettre en pratique. Il s’agit du devoir moral des acteurs de la communication vis-à-vis de soi et des autres partenaires de communication. Il est question des normes comportementales vis-à-vis de soi et des autres et ces normes doivent être préemptées et enseignées 326. C’est un devoir (Pflicht) pour chaque partenaire de communication d’être vrai, juste et sincère avec soi et les autres, d’être respectueux, conscient de son agir dans le processus de communication et du devoir commun qui incombe à tous pour l’effectivité du dit processus. Trois principes moteurs devront conduire le processus communicationnel à savoir: l’obligation de sincérité dans le processus communicationnel, l’obligation de respect du partenaire de communication et l’obligation de tous les acteurs de s’engager dans une communication effective327. Pour ce fait, l’éthique de communication se pose comme critère procédural de fiabilité dans un processus de communication humaine. Ce devoir est en même temps une responsabilité. Une éthique de communication est nécessaire, elle a un rôle d’établissement et de maintenance de la fiabilité dans la communication, et cette fiabilité tire sa force de la problématisation, dans la défense des critères de validité d’un processus discursif. Elle est le fruit de la discussion contre la manipulation et l’imposition. Pour juger et garantir du niveau de fiabilité d’un agir communicationnel, il faut partir du respect de la procédure et des règles face aux attentes des individus et des communautés. Nous pouvons donc dire que faire preuve d’un comportement éthique dans une action de communication est indispensable pour son efficacité et sa crédibilité. 325 Cf. E. Bülow, Kommunikative Ethik, 259. 326 Cf. Ibid., 37. 327 Cf. Ibid., 42.
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Le comportement éthique dans la communication est une exigence qui engage réciproquement les partenaires qui s’y prêtent et un tel engagement rend plausible la justification et la motivation des validités des opinions et aussi des normes problématisées dans le discours. Cet engagement est un moment intersubjectif qui exige compétence et responsabilité pour permettre aux acteurs d’aboutir à des résolutions et à un consensus non-simplistes. Un tel engagement est légitime. Cette légitimation, à son tour, favorise le processus d’argumentation. En effet les présupposés même du discours stipulent l’égalité et la liberté dans la recherche de la vérité par l’argumentation dans la mesure où chaque participant à une pratique argumentative doit pragmatiquement présupposer que toutes les parties potentiellement intéressées pourraient en principe y participer en tant que membres libres et égaux d’un processus de recherche coopératif de la vérité, durant lequel seule la force du meilleur argument entre en jeu. Tous les acteurs d’une argumentation doivent coopérer dans la discussion comme des partenaires libres et égaux, sans contrainte ni démagogie 328. Ceci solidifie l’éthique discursive dans sa situation d’instance de légitimation normative de l’agir communicationnel. Elle a, pour ce faire, un rôle indéniable.
1.3 Proposition de définition et fonction En général, l’éthique relève des notions du bien, du mal, et des valeurs tant individuelles que communautaires. Une éthique de communication se focalise sur une plus grande transparence de l’acte de communication, transparence non seulement vis-à-vis de soi et des autres, mais aussi des normes procédurales ellesmêmes. Elle se penche sur l’égalité, la dignité de la personne, le respect mutuel, sur l’acceptation et le respect des normes de communication. L’éthique de communication aide dans le cheminement vers l’intercompréhension, et reste un facteur de solidarité et de coresponsabilité. Elle oriente le comportement des acteurs. On peut donc définir une éthique de communication comme étant une réflexion normative sur les conditions qui rendent possible l’intercompréhension, le consensus entre partenaires d’un agir communicationnel. Elle met en valeur les normes procédurales du comportement dans un agir communicationnel; elle stipule, présente et oriente normativement le comportement dans une communauté de communication. En effet, un agir communicationnel est un comportement dans lequel chaque partenaire communique avec tout son "soi". Et en tant qu’éthique de comportement communicationnel, l’éthique de communication s’interroge donc sur le 328 Cf. J. Habermas, Faktizität und Geltung, 564-565.
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processus et les normes du comportement discursif, les devoirs des partenaires de communication vis-à-vis d’eux-mêmes et des autres dans les situations de communication langagière329. L’éthique de communication a, en général, pour but de repérer théoriquement, d’élucider ou même de formuler les orientations normatives qui permettent un comportement indiqué dans une action de communication. Elle cherche ainsi à établir les fondements possibles de ces normes et d’en assurer l’information. Elle a donc une fonction à la fois reconstructive, régulatrice et normative. Elle vise à assurer un processus interactif, un agir communicationnel qui offre une protection contre les abus et les dérives et qui incite de même les acteurs à agir en toute conscience et à assurer le mieux possible la réussite de la communication330. Nous allons dans ce chapitre nous appuyer principalement sur les principes d’argumentation et d’intercompréhension de Habermas avec les conséquences normatives qui leur sont consécutives, et sur le principe de responsabilité et coresponsabilité communicationnelles de Apel. L’effort de ces deux auteurs est de ramener dans l’éthique kantienne les intérêts et le bien-être des personnes, mais tout en emboîtant et dépassant l’impératif catégorique331 de son fonctionnement interne, sur le terrain de la discussion, un terrain intersubjectif, externe. L’éthique discursive, dans sa prétention à offrir des structures universelles de communication, en reflétant leurs orientations éthiques de base, se présente comme une approche procédurale appropriée pour une éthique communicationnelle332. L’éthique discursive apparaît plus comme une réflexion par rapport à la maxime de l’action et à la possibilité de son universalisation. De cette façon, nous pouvons, en outre, dire qu’un nouvel impératif, selon l’éthique de la discussion, établirait un principe de la discussion selon lequel: «seules les normes susceptibles de rencontrer l’adhésion de tous les intéressés en tant que participants d’une discussion pratique peuvent prétendre à la validité»333.
Mais quels principes discursifs forment le pilier de l’éthique discursive? Habermas appuie sa construction de l’éthique discursive entre autre sur l’argumentation en vue de l’intercompréhension. Comment présente-t-il ces deux principes que nous nous proposons aussi de ressortir dans le dialogue palabrique? 329 Cf. E. Bülow, Kommunikative Ethik, 37. 330 Cf. J. Habermas, Morale et Communication, 137ss. 331 Cf. E. Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, 128: «Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d’une législation universelle». 332 Cf. R. Funiok (Hrsg.), Grundfragen der Kommunikationsethik, 73. 333 J. Habermas, De l’éthique de la discussion, 17.
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2. Les principes d’argumentation et d’intercompréhension dans l’éthique discursive habermassienne Les questions morales n’ont leur teneur que par rapport à la portée sociale qui leur est concédée, une portée intersubjective, car c’est dans l’interaction des sujets que la fonction normative et régulatrice des règles éthiques trouve sens. L’éthique discursive tient sa teneur sociale de la réflexion sur les normes de validité permettant une intercompréhension responsable dans une communauté de communication. Habermas, philosophe post-métaphysique, montre que l’éthique de la discussion doit gérer nos intersubjectivités langagières et nous conduire ainsi à une reconstruction procédurale permettant de valider les choix et les convictions pratiques de chacun et ainsi de tous334. La discussion rend possible cette validation et doit s’effectuer dans l’ouverture et la volonté de redéfinir le rôle de chacun dans la vie commune et dans les prises de décisions d’ensemble. C’est la voie qui conduit à la démocratie335. Mais il ne s’agit pas ici d’un abandon des procédures habituelles de la démocratie représentative, mais plutôt d’y adjoindre, par l’éthique discursive, le cachet normatif lui conférant un statut opératoire légitime. Or, si l’on veut se référer à une véritable éthique de la discussion, il s’avère impératif de construire les processus délibératifs en cohérence avec ce que cette éthique implique: repenser l’espace public et argumenter pragmatiquement en vue de rechercher de manière coopérative des accords positifs sur des points susceptibles d’être universalisés. Et Habermas indique clairement que: «la formulation du principe de l’universalisation ainsi énoncée vise effectivement à mener l’argumentation en question d’une manière coopérative»336.
Rappelons que le principe même de la discussion s’appuie sur trois présuppositions normatives élémentaires, à savoir, la symétrie des participants – les participants doivent pouvoir échanger leurs rôles sans que cela influe sur les résultats de la discussion –, la vérité et la sincérité337, sans lesquelles la discussion ne serait que stratégique. Ce qui implique la liberté d’expression et d’adhésion des 334 335 336 337
Cf. J. Habermas, Morale et Communication, 40. Cf. J. Habermas, Faktizität und Geltung, 359ss. J. Habermas, Morale et Communication, 89. Cf. R. Funiok (Hrsg.), Grundfragen der Kommunikationsethik, 19. De manière générale, la vérité est un besoin élémentaire des hommes; elle est donc un critère non-négligeable dans la communication.
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acteurs, afin d’éviter toute situation coercitive, explicite ou implicite. Chaque acteur de communication est invité à se conformer à ce jeu pour mieux se convaincre par la discussion de la rationalité des "a priori" respectifs des acteurs afin d’aboutir au consensus. La discussion légitime et la participation de chaque acteur aux débats ouvrent la voie à l’éthique discursive afin de garantir l’intercompréhension dans un discours sensé qui n’exprime ni intimidation, ni menace: un discours susceptible d’être admis par chacun comme valable338. Le principe de l’éthique de la discussion se réfère à une procédure qui consiste à honorer par la discussion des exigences normatives de validité. Sous son aspect formel, l’éthique de la discussion ne livre pas d’orientations relatives au contenu mais une manière de procéder par la discussion pratique339. En effet, Habermas atteste que: «l’éthique de la discussion ne fournit pas d’orientations concrètes, mais offre une procédure, riche de présuppositions, qui doit garantir l’impartialité de la formation du jugement. La discussion pratique n’est pas un procédé destiné à produire des normes légitimées, mais à tester la validité de normes qui sont examinées à titre hypothétique»340.
Par le processus de la discussion pratique, les participants à une communauté de communication, doivent chercher à régler par la discussion les problèmes et conflits sociaux qui sont les leurs et rechercher le consensus341. D’aucuns pourront reprocher à Habermas d’être trop "intersubjectiviste" et de sous-estimer la liberté individuelle du sujet. Pourtant, il complète son modèle de rationalité communicationnelle par une théorie de l’espace public de discussion qui ne confère de valeur à la discussion que dans une société d’hommes libres, auto-constitués en communauté de communication ou même politique, démocratique, en fait en État de droit. Ceci justifie, comme il le soutient luimême, que: «toute norme valable doit satisfaire la condition selon laquelle: les conséquences et les effets secondaires qui (de manière prévisible) proviennent du fait que la norme a été universellement observée dans l’intention de satisfaire les intérêts de tout un chacun peuvent être acceptés par toutes les personnes concernées (et préférés aux répercussions des autres possibilités connues de règlement)»342.
338 Cf. J. Habermas, Morale et Communication, 79. 339 Cf. R. Funiok (Hrsg.), Grundfragen der Kommunikationsethik, 89; Cf. J. Habermas, Morale et communication, 125. 340 J. Habermas, Morale et Communication, 137. 341 Cf. Ibid., 88. 342 Ibid., 86-87.
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Le principe moral exige le critère d’intérêt général "U" (Universalisierungsgrundsatz) des maximes, des intérêts, de l’agir dans les différentes formes d’agir au quotidien. Et la discussion "D" est la voie intersubjective du consensus. Nous allons essayer d’éclairer, dans les préalables, le critère "U" et le principe "D".
2.1 Préalables 2.1.1 Le critère d’intérêt général "U" (Universalisierungsgrundsatz) Avec le principe de la discussion ("D"), Habermas présente une formulation du principe moral du discours qui, lorsqu’il doit réguler discursivement un conflit d’intérêts, a pour conséquence la formulation de la règle argumentative, le principe d’intérêt général (Universalisierungsgrundsatz "U")343. Comme le présente Habermas, ce principe moral est une procédure formelle de consensus sur les normes: «qui, en tant que principe-passerelle, permet d’accéder à l’entente mutuelle dans les argumentations morales, et ce, dans une acception qui exclut l’usage monologique des règles argumentatives»344.
Il souligne comment ces normes peuvent être justifiées et défendues dans le discours. Le concept d’intérêt général comme règle argumentative est un pilier de l’éthique discursive: un processus de décloisonnement, par lequel des présuppositions de l’agir orienté vers l’intercompréhension sont étendues à la communauté de communication. Le principe "U" implique en conséquence, selon Habermas, que: «quiconque accepte les présuppositions communicationnelles, universelles et nécessaires du discours argumentatif, tout en sachant ce que signifie justifier une norme d’action, doit implicitement présumer la validité du principe d’universalisation […]»345.
De cette façon, pour Habermas, l’intelligible est traduit dans le langage de la discussion. Le principe "U" est une règle argumentative qui reste un critère efficace de l’argumentation et du consensus. Il éclaire qu’une norme ne doit en principe être applicable à tous les acteurs d’une communauté de communication que lorsque ceux-ci en acceptent la prétention de validité par la discussion. Ainsi, dit Habermas: 343 Cf. Ibid., 87. 344 Ibid., 78. 345 Ibid., 108.
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«il s’ensuit, à vrai dire, qu’une norme qui est en litige entre ceux qui prennent part à une discussion pratique ne peut être approuvée que si "U" est en vigueur, autrement dit: si les suites et les effets secondaires, qui de manière prévisible proviennent du fait que la norme litigieuse a été universellement observée dans l’objectif de satisfaire les intérêts de tout un chacun, peuvent être acceptés sans contrainte par tous»346.
Et l’échange d’arguments est orienté vers l’intérêt général. Habermas ajoute pour ce: «à la qualité prescriptible de normes justifiées, nous relions le sens selon lequel celles-ci règlent des problèmes de la vie en commun dans l’intérêt général, et sont ainsi "également bonnes" pour tous les concernés»347.
On trouve chez Habermas une seconde distinction d’avec l’éthique kantienne en ce que l’éthique de la discussion pose l’impératif catégorique à partir des présuppositions universelles de l’argumentation. Ce qui le ramène au rang d’un principe d’universalisation, qui dans les discussions pratiques assume le rôle d’une règle d’argumentation. Cette règle sert à la validation des normes de telle manière que les conséquences et les effets d’une observation universelle de la norme pour l’intérêt de tout un chacun puissent et doivent aussi être librement acceptés par tous. Il faut donc d’une part prendre en compte les intérêts des personnes qui peuvent être affectées par la norme examinée, et d’autre part tenir compte de leurs jugements sur la dite norme. Par rapport à l’éthique kantienne, Habermas va donc plus loin: alors que l’impératif kantien – "agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle"348 – se joue essentiellement à l’interne, nomologiquement tout en misant naturellement sur la capacité d’objectivation du sujet, l’éthique de la discussion, elle, est plus intersubjective et est par définition discursive. Ainsi l’universalisation des normes est le résultat de la discussion intersubjective et ne résulte pas d’une entreprise monologique. De fait, selon Habermas: «la fondation en raison comporte essentiellement deux temps. Le premier consiste à introduire un principe d’universalisation "U" comme règle d’argumentation pour les discussions pratiques […]. Il faut alors démontrer que "U" a valeur universelle, autrement dit qu’il outrepasse la perspective d’une culture déterminée. C’est là le second temps»349.
346 347 348 349
132
Ibid., 114. J. Habermas, De l’éthique de la Discussion, 124. E. Kant, Fondements de la métaphysique et des mœurs, 137. J. Habermas, Morale et Communication, 131.
Autrement dit: il ne faut pas imposer aux autres une maxime que l’on voudrait voir universelle, mais soumettre cette dernière aux partenaires de communication pour qu’ils en examinent la prétention à l’universalité par la discussion. La fondation en raison des normes et commandements requiert en clair la discussion350. "U" est donc en même temps un principe cognitiviste – parce que les questions pratico-morales peuvent être traitées par la raison –, formaliste – car "U" traite par l’argumentation des questions de justice, essentiellement normative – et universelle puisque "U" met en cause le relativisme moral351. 2.1.2 Le principe de la discussion (Principe "D") Le principe "D" stipule que seules peuvent prétendre à la validité les normes susceptibles de rencontrer l’adhésion de tous les intéressés en tant que participants d'une discussion pratique. Il s’agit ici de permettre au processus interne induit par l’impératif kantien comme une réflexion par rapport à la maxime de l’action et à sa possible universalisation de s’élargir du sujet seul à d’autres sujets, du monologique au dialogique, à l’intersubjectif. La discussion rend possible la voie de l’universalisable, d’un accord coopératif et positif par l’argumentation. Elle est, en d’autres termes, la possibilité pour aboutir à l’impératif catégorique kantien mais par la discussion plutôt que de façon interne. Aussi bien que l’éclaire Habermas: «une norme ne peut prétendre à la validité que si toutes les personnes qui peuvent être concernées sont d’accord (ou pourraient l’être) en tant que participants à une discussion pratique sur la validité de cette norme»352 .
Habermas développe une éthique du consensus qui se base sur la communication intersubjective par l’activité langagière. Voilà pourquoi l’on peut dire que la vérité et la justesse morales ne sont pas seulement clairement présentées par l’activité discursive mais en découleront enfin de compte. Une prise de décision collective sur une problématique, même normative, doit se faire par consensus en tenant compte de l’intérêt de tous. De plus, l’espace des discussions rationnelles doit être public et libre, c’est-à-dire que chacun doit avoir la possibilité de participer, d’argumenter librement. "D" permet ainsi une appropriation du droit par tous. Assurément, le droit obtenu par le principe de discussion n’est pas nécessairement fondé dans la morale; il est plutôt ancré dans les intérêts – moraux ou non – des destinataires/auteurs, 350 Cf. Ibid., 100. L’action communicationnelle est un lieu de connexion des énergies de solidarité sociale. 351 Cf. Ibid., 135-136. 352 Ibid., 87.
133
ce qui est une caractéristique du principe démocratique. Chaque sujet capable de parole et d’action a le droit de pouvoir prendre part à la discussion, de problématiser toute affirmation, d’exprimer librement ses pensées, de mettre à profit ses droits sans contrainte ni intimidation353. Bref, nous disons avec Habermas que: «l’éthique de la discussion fait ressortir, au moyen des principes "U" et "D", ce qui distingue les jugements moraux valides qui peuvent servir de référence dans la description du chemin suivi par le développement de la capacité morale de juger»354.
Ces principes sous-tendent compréhension.
les
principes
d’argumentation
et
d’inter-
2.2 Principe d’argumentation L’action communicationnelle se situe catégoriellement entre le discours et le monde vécu. Elle absorbe la tension (Spannung) existant entre la validité réelle (Faktizität) et la validité proprement dite (Geltung)355. Une prétention à la validité possède normalement d’abord une validité factuelle dans le monde vécu, ensuite une validité tendue dans l’action communicationnelle, et enfin une validité problématique dans le discours. De cette manière, toute prétention de validité présente cette ambivalence: d’une part un dépassement de tout contexte; de l’autre, l’exigence de son acceptation concrète dans le temps356. Et dans cette tension se joue exactement l’action d’argumentation. Habermas dit: «un argument contient des raisons qui sont systématiquement reliées à la prétention à la validité d’expressions problématiques. La «force» d’un argument se mesure, dans un contexte donné, au bien-fondé des raisons; ce bien-fondé se montre, entre autres, dans la capacité d’une expression à convaincre les participants d’une discussion, i.e. à motiver l’admission d’une prétention à la validité»357.
Le discours est une forme de communication argumentative où est examinée la légitimité d’une prétention à la validité devenue problématique. Pour Habermas, le discours est essentiellement un lieu d’argumentation: «les argumentations dépassent per se les mondes de la vie particulière; car dans leurs présuppositions pragmatiques, le contenu normatif des présuppositions de l’agir
353 354 355 356 357
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Cf. Ibid., 110 -111. Ibid., 138. Cf. J. Habermas, Faktizität und Geltung, 22. Cf. Ibid., 37. J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, 1, 34.
communicationnel est universalisé, abstrait et décloisonné, élargi à une communauté de communication comprenant tous les sujets capables de parler et d’agir […]»358.
On peut donc dire que l’argumentation est plus une pratique discursive plutôt qu’un raisonnement déductif ou autre. Elle est une manière appropriée et indiquée pour résoudre par la discussion une prétention de validité problématique359. Elle est la voie la meilleure pour aboutir à un consensus durable. Habermas ne s’intéresse pas directement à l’argumentation du point de vue de son contenu intellectuel mais bien plus du point de vue pragmatique, c’est-àdire, du point de vue des attitudes, des attentes, des anticipations, des idéalisations des partenaires de la discussion. Mais ceci n’empêche pas naturellement, pour autant, d’être sensible à la logique dans la pragmatique. Effectivement, c’est dans l’argumentation que se manifeste, en fait, la rationalité inhérente ou même présupposée à l’agir communicationnel, en tant que manière privilégiée de résoudre une prétention de validité pour arriver à l’intercompréhension soutenue par un accord coopératif360. La pertinence et la qualification d’une argumentation se manifestent dans la manière dont elle permet d’aboutir au consensus, par la force du meilleur argument dans une logique pragmatique 361. Chez Habermas, l’on peut ressortir trois niveaux de présupposition de l’argumentation, à savoir le niveau logique des produits, celui de la dialectique des procédures et le niveau rhétorique. Il éclaire cela très bien en disant: «les argumentations se doivent avant tout de produire des arguments concluants dont la force de conviction repose sur les propriétés intrinsèques, et au moyen desquels il est possible d’honorer ou d’infirmer des exigences de validité […]. A ce niveau, sont présupposées des règles logiques et sémantiques n’ayant aucun contenu éthique [...]. Si l’on prend le point de vue procédural, les argumentations apparaissent alors comme des processus d’intercompréhension qui sont réglés de telle sorte que les proposants et les opposants puissent, dans une attitude hypothétique […], tester des exigences de validité devenues problématiques. Résident, à ce niveau, des présuppositions pragmatiques propres à une forme particulière d’interaction […]. Enfin, si nous l’appréhendons du point de vue du processus, le discours argumentatif se présente comme un procédé communicationnel qui, en regard du but consistant en une intercompréhension rationnellement motivée, doit satisfaire des conditions invraisemblables»362.
358 J. Habermas, De l’éthique de la discussion, 69. 359 Cf. J. Habermas, Vorstudien und Ergänzungen, 130; J., Habermas, Theorie des kommunikativen Handelns. I., 138. 360 Cf. J. Habermas, Vorstudien und Ergänzungen, 355. 361 Cf. J. Habermas, Faktizität und Geltung, 161. 362 J. Habermas, Morale et Communication, 108-110.
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L’argumentation morale est intrinsèquement un processus pragmatique selon sa nature même en tant que processus d’appréciation d’une prétention de validité. Elle fonde et se fonde. Elle ne peut aussi se justifier à son tour que par une procédure argumentative. De la même manière que l’exprime Habermas: «les argumentations morales servent donc à résorber, dans le consensus, des conflits nés dans l’action. Or des conflits qui surgissent dans le cadre d’interactions gouvernés par des normes proviennent directement d’une perturbation dans l’entente mutuelle sur les normes»363.
Mais nous pensons que le caractère parfois provisoire d’un consensus n’efface en rien son aspect universel, dans la mesure où ce contractuel ne peut être emboîté et dépassé que par un autre processus discursif conduisant de nouveau à un autre consensus. Pour Habermas, le discours reste une forme de communication définie par l’argumentation au cours de laquelle l’on examine la légitimité de toute prétention de validité devenue problématique364. Chaque sujet pensant est par le fait de la pensée – en raison de la structure de la médiation langagière et de la pensée, ainsi que des prétentions à la validité intersubjectives – sujet d’une argumentation liée au processus dialogique, et donc sujet d’une communauté d’argumentation365. De fait, le concept d’argumentation est, par sa propre nature, intrinsèquement pragmatique. Il montre le caractère procédural de la rationalité, car les raisons argumentatives demeurent un système d’échange discursif366, en vue de l’intercompréhension.
2.3 Le principe d’intercompréhension L’éthique de la discussion conduit à une ouverture qui étend à une communauté de communication les présuppositions de l’agir vers l’intercompréhension. Habermas présente tout simplement l’intercompréhension comme mécanisme coordinateur de l’action: «les processus d’intercompréhension visent une entente qui dépend de l’adhésion, rationnellement motivée, au contenu d’une expression. Cette entente ne peut être imposée à l’autre partie pas plus qu’elle ne peut être extorquée au partenaire par une quelconque manipulation; ce qui résulte manifestement d’une pression extérieure ne peut être pris en ligne de compte en tant qu’entente. Celle-ci repose constamment 363 Ibid., 88. 364 Cf. J. Habermas, Theorie des kommunikativen Handelns, 1, 138; J. Habermas, Vorstudien und Ergänzungen zur Theorie des kommunikativen Handelns, 130; Cf. J. Habermas, Faktizität und Geltung, 22-53. 365 Cf. K-O. Apel, Ethique de la discussion, 39-40. 366 Cf. J. Habermas, De l’éthique de la discussion, 148-149; J. Habermas, Faktizität und Geltung, 54, 219, 279.
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sur des convictions communes. On peut analyser l’avènement des convictions sur le modèle qui thématise la prise de position faisant suite à une offre d’acte de langage. L’acte de langage de l’un ne réussit que si l’autre accepte l’offre qui y est incluse en prenant position affirmativement par rapport à une exigence de validité qui, en principe, peut être critiquée»367.
Pour que l’intercompréhension soit possible, il faut un discours sensé qui n’exprime ni intimidation, ni menace: un discours susceptible d’être admis par chacun comme valable368. Ce faisant, se dessine ici le modèle démocratique du consensus que prescrit la raison communicationnelle quand on l’applique par exemple au domaine politique. La rationalité de l’argument s’aligne sur l’acceptabilité intersubjective qu’il requiert, sur l’assentiment des résultats et sur la prise en compte des conséquences qui en découlent. Un argument doit susciter l’intérêt et l’appréciation des acteurs. On peut donc conclure que l’intercompréhension est le mécanisme coordinateur de l’action, en tant qu’elle est fruit des convictions communes. Et sur la théorie de l’action se situent les fondements de l’éthique discursive.
2.4 Ethique discursive et ses fondements basés sur la théorie de l’action 2.4.1 Nécessité d’une fondation en raison de l’éthique discursive et Argument pragmatico-transcendantal D’après Habermas, une fondation en raison du principe moral est incontournable; sinon on ne peut pas défendre ce principe et on sombre naturellement dans le sceptique à persister dans le doute sur la fondation d’une morale universelle voir même sur son impossibilité. Le cas du "trilemme de Münchhausen" d’Albert369 – le devoir de choix entre trois solutions toujours inacceptables conduisant à une régression à l’infini – qui veut montrer l’impossibilité de fondation d’une morale universelle en est un bel exemple. Mais pour Habermas, même le statut de ce trilemme reste problématique, car: «cette conception déductiviste de la fondation en raison est manifestement trop sélective pour être à même de représenter en nuance les relations pragmatiques qui existent entre les actes de paroles voués à l’argumentation. C’est, en effet, dans le 367 J. Habermas, Morale et Communication, 149. 368 Cf. J. Habermas, Vorstudien und Ergänzungen zur Theorie des kommunikativen Handelns, 572-576. 369 Cf. H. Albert, Traktat über kritische Vernunft, 1968.
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seul dessein de ponter la faille logique qui apparaît dans les relations non déductives que l’on introduit les principes d’universalisation et d’induction à titre de règles argumentatives. Dès lors, il serait absurde d’escompter que ces principes-passerelles puissent être justifiés par la voie déductive, seule admise dans le trilemme de Münchhausen»370.
Sinon l’on tombe dans ce que Apel nomme la contradiction performative371, pour signifier que nous ne pouvons pas contester quelque chose sans nous contredire nous-mêmes, car ce quelque chose appartient déjà à des présuppositions pragmatico-transcendantales de l’argumentation d’office reconnues dans chaque action langagière argumentative. Et, de ce fait, pour Habermas: «la fondation en raison que l’on exige du principe moral proposé pourrait dès lors prendre une forme telle que toute argumentation, quel que soit le contexte dans lequel elle est produite, repose sur des présuppositions pragmatiques ayant un contenu propositionnel duquel on peut déduire le principe d’universalisation "U"»372.
Mais chez Habermas, la fondation ultime de la raison, contrairement à Apel, n’a pas une valeur de fondation ultime373. En fait, pour Habermas: «le rôle que peut jouer en cela l’argument pragmatico-transcendantal se définit maintenant par le fait qu’il est possible, grâce à lui, de démontrer comment le principe d’universalisation, faisant fonction de règle argumentative, est à l’état d’implicite dans les présuppositions de l’argumentation en général. Cette exigence sera satisfaite, si l’on peut montrer que: quiconque accepte les présuppositions communicationnelles, universelles et nécessaires du discours argumentatif, tout en sachant ce que signifie justifier une norme d’action, doit implicitement présumer la validité du principe d’universalisation […] »374.
Certes, c’est dans le discours et, par conséquent, dans l’argumentation que se manifeste la rationalité inhérente ou présupposée propre à l’agir communicationnel. Par conséquent, l’argument est une des voies privilégiée pour résoudre une prétention de validité375. Et c’est à ce niveau que se produit l’entente dont le but est l’accord376. L’argumentation, avec ces trois niveaux de présupposition, joue donc un rôle majeur. Du point de vue productif, les argumentations se doivent avant tout de produire des arguments intrinsèquement convaincants qui ai370 J. Habermas, Morale et Communication, 101. 371 Cf. Ibid., 101-102; K-O. Apel, Das Problem der philosophischen Letztbegründung, 7273. 372 J. Habermas, Morale et Communication, 103. 373 Cf. Ibid., 103-104. 374 Ibid., 108. 375 Cf. J. Habermas, Vorstudien und Ergänzungen zur Theorie des kommunikativen Handelns, 356-357. 376 Cf. Ibid., 355.
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dent à critiquer les prétentions de validité. Les règles logiques et sémantiques sont présupposées à ce niveau377. Du point de vue procédural, les argumentations constituent ici des processus d’intercompréhension. Comme l’énonce Habermas: «résident à ce niveau, des présuppositions pragmatiques propres à une forme particulière d’interaction. Elle recouvre en fait ce qui est nécessaire à une recherche coopérative de la vérité, […]. Ressortent également à cela les règles générales qui déterminent la sphère de la pertinence […]. Manifestement, certaines de ces règles ont un contenu éthique. On voit donc apparaître, à ce niveau, des présuppositions que la discussion partage, avec l’activité intercompréhensible en général, comme, par exemple, les relations de reconnaissance réciproque»378.
Enfin, comme processus, le discours argumentatif est un procédé communicationnel. Habermas élucide ce point de vue du discours: «enfin, si nous l’appréhendons du point de vue du processus, le discours argumentatif se présente comme un procédé communicationnel […]. Dans le discours argumentatif, apparaissent les structures d’une situation de parole qui est particulièrement immunisée contre la répression et l’inégalité. Elle se présente, en effet, comme une forme de communication qui se rapproche suffisamment des convictions idéales»379.
Mais on peut aussi se demander ce que l’on engage et investit en termes de dispositions, suppositions, anticipations et idéalisations pour pouvoir réaliser une vraie discussion. La situation idéale de parole s’éclaire en fonction de la réponse à cette question, du côté des acteurs de communication, d’une part, et du point de vue de la situation de la parole elle-même, de l’autre. Du point de vue des dispositions des acteurs de communication, pour discourir, il y a, a priori d’un côté, une possibilité de se comprendre par le fait de partager un même monde et, de l’autre, le postulat de sincérité présupposée par l’accès au discours, le respect mutuel pour pouvoir s’écouter et la recherche d’une entente sous la loi du meilleur argument. Et du point de vue de la situation de parole elle-même, l’idéalisation signifie que tous les partenaires sont égaux par rapport à la parole, en ce qui concerne le droit de s’exprimer, et qu’ils disposent ainsi de chances égales à faire valoir leurs points de vue. L’espace de discussion est censé rester un terrain autonome qui ne doit être soumis à aucun impératif et à aucune contrainte exceptée la "contrainte non contraignante" de l’argument. C’est la voie de la relation de symétrie qui engage 377 Cf. J. Habermas, Morale et Communication, 109. 378 Idem. 379 Ibid., 109-110.
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tout un chacun sur le chemin de la vérité. Cet engagement sur la voie de la vérité est modélisé par les présupposés de la discussion dans une situation idéale de parole ayant les caractéristiques d’un espace normatif conférant une dimension éthique à la discussion. Cette situation idéale de parole nous est immanente dans la structure de communication; elle peut alors, par une reconstruction intellectuelle, être confirmée, prouvée, justifiée pour permettre de ressortir une éthique de communication. Habermas voit ainsi: «dans le discours argumentatif, apparaissent les structures d’une situation de parole qui est particulièrement immunisée contre la répression et l’inégalité. Elle se présente, en effet, comme une forme de communication qui se rapproche suffisamment des convictions idéales. C’est pour cette raison que j’ai tenté, il y a quelques temps, de décrire les présuppositions argumentatives comme les déterminations d’une situation idéale de parole»380.
Cette Situation idéale de parole a des implications normatives. En effet, ce serait une contradiction dans l’exercice même du discours que de prétendre, d’un côté, à la validité de ce que l’on dit – prétention à la vérité s’il s’agit d’une discussion théorique, prétention à la justice s’il s’agit d’une discussion politique ou morale – et, de l’autre, de baser son discours sur l’intimidation ou l’exclusion. Discuter réellement suppose, au moins en principe, de renoncer à de tels moyens. Il y a donc, à proprement parler, une éthique de la discussion comme construction d’un espace public d’échange et de communication dans la discussion et la coopération. La position de chaque partenaire est mise en jeu – l’enjeu étant d’arriver à un compromis, ou mieux un consensus résultant de débats et d’argumentations rationnelles – par le fait que la discussion est définie principalement comme une activité rationnelle reposant sur les exigences de l’argument. Mais ce caractère de processus ne fonde pas cette éthique mais la fait ressortir. Dans sa structure de base, le processus de communication contient déjà un fondement normatif de l’agir interactif. En pratique, cette situation montre que quand l’on entame une action communicationnelle, on a d’office l’intention de communiquer et d’être soi-même accepté comme membre et partenaire d’une communauté de communication. Lorsque l’on se décide d’engager une communication, d’entrer dans un discours, on a aussi d’office le devoir d’accepter l’autre comme partenaire avec qui l’on peut discuter et argumenter, avec qui l’on a le devoir de rechercher ensemble la vérité des énonciations et la pertinence des normes. Cette reconnaissance primaire – une tension normative – est capitale pour le bon déroulement du discours et pour s’intercomprendre. Il est, dorénavant, conséquent pour Habermas de ressortir des règles de discussion:
380 Ibid., 110.
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«(3.1) tout sujet capable de parler et d’agir doit pouvoir prendre part à des discussions. (3.2) a. Chacun doit pouvoir problématiser toute affirmation quelle qu’elle soit. b. Chacun doit pouvoir faire admettre dans la discussion toute affirmation, que qu’elle soit. c. Chacun doit pouvoir exprimer ses points de vue, ses désirs et ses besoins. (3.3) Aucun locuteur ne doit être empêché par une pression autoritaire, qu’elle s’exerce à l’intérieur ou à l’extérieur de la discussion, de mettre à profit ses droits tels qu’ils sont établis en (3.1) et (3.2)»381.
Ces règles stipulent l’action de parler, l’égalité, la liberté, le respect, le devoir et le droit consécutifs à la discussion. Elles s’enracinent dans le processus moral social. 2.4.2 Ethique discursive et moralité sociale La pragmatique transcendantale fait ressortir les principes de la recherche de la vérité qui fondent l’éthique de la discussion tout comme des règles optimales pour la discussion, la communication et la connaissance. Ces principes présentent aussi, de façon rigoureuse, les exigences d’une vie bonne que veulent et recherchent la plupart des personnes, par une préférence pour le dialogue, par la probité morale et intellectuelle, par le respect de la personne, la coopération responsable, la solidarité etc. Tout de même, l’éthique de la discussion, dans sa prétention à offrir un processus universel de communication, laisse certains sur leur soif. Même Habermas lui-même dit: «cela étant, en raison même de son enchâssement dans la moralité sociale, l’éthique de la discussion connaît, elle aussi, certaines limites. Toutefois, celles-ci ne sont pas telles qu’elles déprécient sa fonction critique ni qu’elles puissent renforcer le sceptique dans son rôle d’adversaire des Lumières»382.
D’après lui, l’idéal d’une société juste serait celle où tous les rapports entre les humains seraient ordonnés selon les règles idéales du dialogue au sein d’une communauté de communication. On peut donc mettre au point une éthique de la discussion qui puisse garantir une compréhension mutuelle authentique. L’éthique de la discussion est formelle; elle ne livre pas d’orientations relatives au contenu mais une manière de procéder dans la discussion pratique. L’objet de cette procédure n’est pas de produire des normes légitimées mais de tester la validité des normes proposées. Comme le soutient Habermas: «c’est un fait que les discussions pratiques sont soumises à des limitations dont il faut se souvenir face à une compréhension de soi fondamentaliste»383. 381 Ibid., 110-111. 382 Ibid., 120. 383 Ibid., 127.
141
Toutes ces limitations de la discussion pratique portent le poids de l’histoire, qui par son pouvoir écrase les intérêts de la raison et les exigences de transcendance. Par la discussion, le monde des relations établies se moralise. Ces relations sont soumises aux exigences d’une justification morale. Par la discussion s’effectue, en quelque sorte, une certaine scission, dans la pratique quotidienne, entre la composante norme que l’on peut soumettre aux exigences d’une justification morale et la valeur en tant qu’ensemble d’orientations qui sont liées aux modes de vie même dans la société. Mais au quotidien il n’est pas, pour l’acteur de la discussion, toujours évident, facile de problématiser à suffisance la normativité des institutions existantes tout comme l’objectivité des choses et des événements. Parce que, comme le dit Habermas: «au sein du monde vécu, les jugements pratiques tirent à la fois leur concrétude et la force qui les pousse à l’action, d’une relation interne qu’ils entretiennent non seulement aux idées indubitablement valables qui ont trait à la «vie bonne», mais plus largement à la moralité sociale institutionnalisée en général. Dans ces circonstances, aucune problématisation ne peut aller suffisamment loin pour priver la moralité sociale existante de ses avantages»384.
C’est dans la sphère de l’intersubjectivité, de l’intercommunication et non plus d’une conscience solitaire qu’une fondation efficace de la moralité doit être recherchée. Avec cette construction, Habermas veut dégager les présuppositions d’une pratique discursive de laquelle découlent des principes qui ont à la fois une valeur régulatrice et un statut contrefactuel. Mais ces principes ne décrivent pas une situation réelle ou factuelle mais des conditions procédurales. Un exemple peut aider à mieux saisir cette présentation: prenons l’exemple du principe juridique de "la présomption d’innocence" pour éclaircir le contrefactuel. Ce principe reste vrai même si nous savons que dans un cas précis lors d’un jugement un prévenu X est coupable et même si en pratique, nous savons que ce n’est pas facile. Le principe de la présomption d’innocence est un énoncé contrefactuel régulateur, plein de vérité et non un énoncé empirique; d’où l’intérêt de l’intelligence critique qui fait la différence entre les modes d’action. L’éthique de la discussion concerne précisément la relation entre les fondements de l’action et les normes pratiques. Et Habermas l’explicite encore: «le principe d’une éthique de la discussion se réfère à une procédure qui consiste, en l’occurrence, à honorer par la discussion des exigences normatives de validité. On taxera donc, à juste titre, l’éthique de la discussion de formelle. Elle ne livre pas des orientations relatives au contenu, mais une manière de procéder: la discussion pratique. L’objet de cette manière de procéder n’est pas assurément de produire des
384 Ibid., 130.
142
normes légitimées. Il consiste plutôt à tester la validité de normes qui sont proposées ou envisagées à titre d’hypothèse»385.
L’acte de communication contient mêmement le fondement de la reconnaissance éthique des interlocuteurs et, simultanément, une norme universelle fondamentale. La normativité de l’agir communicationnel a sa base dans le fait qu’avant et pendant la communication, tous les acteurs de communication ont le même devoir de se conformer et de se soumettre aux situations idéales de parole. Ils sont appelés à argumenter dans la sincérité, à être vrais et justes pour arriver au consensus. Le domaine de validité d’une éthique, fût-elle déontologique, doit donc se construire sur des questions susceptibles d’être débattues rationnellement.
2.5 Excursus 2.5.1 Peut-on parler d’un impératif communicationnel? Un impératif communicationnel, selon l’éthique de la discussion chez Habermas, fixe le principe "D" qui stipule: «ne peuvent prétendre à la validité que les normes qui sont acceptées ou pourraient l’être par toutes les personnes concernées en tant qu’elles participent à une discussion pratique»386.
Cet impératif érige le principe de la discussion comme soubassement de prétentions de validité pour les normes. Il faut donc agir dans une communauté de communication de façon à rencontrer l’assentiment des partenaires par une discussion qui justifie les prétentions de validité des normes, auxquelles nos partenaires peuvent adhérer. Il faut agir dans un processus de communication pour que nos maximes soient justifiés et acceptables; nos maximes ne sont valides et universalisables que dans la mesure où elles sont discutées et acceptées dans une communauté de communication. Il est donc ici question de permettre au processus interne induit par l’impératif kantien de sortir du sujet seul, d’une validité non justifiée, non discutée pour un terrain intersubjectif et interactif de la discussion. Il s’agit donc d’une réflexion par rapport à la maxime de l’action et à sa possible universalisation. L’impératif communicationnel réside dans la dynamique de transformation, qui s’appuie sur une analyse positive des actes d’intercompréhension et 385 Ibid., 125. 386 J. Habermas, Morale et Communication, 114.
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d’entente par lesquels les plans d’action des partenaires de la discussion définissent les situations communes d’une rationalité. Et Apel formule l’impératif communicationnel ainsi: «agis comme si tu étais membre d’une société idéale de communication»387.
Habermas pose, encore une fois, un "emboîtement-dépassement" de l’éthique kantienne, en ce que l’éthique de la discussion place l’impératif catégorique comme étant posé à partir des présuppositions universelles de l’argumentation. Entre d’autres termes, il modifie l’impératif kantien en le ramenant au rang d’un principe d’universalisation "U" qui, dans les discussions pratiques, assume le rôle d’une règle d’argumentation388. Et cette règle s’établit en deux étapes, à savoir qu’il faut prendre en compte les intérêts des personnes qui peuvent être affectées par la norme examinée, et tenir compte des jugements que lesdites personnes posent ou peuvent poser sur la dite norme. Habermas fait aussi appel au principe d’auto-contradiction performative pour solidifier le principe "U", c’est-à-dire, lorsque je me mets à critiquer le principe "U" j’entre par cette activité de critique dans le discours avec tout ce qu’il implique qualitativement. Comme le dit Mc Carthy: «au lieu d’imposer à tous les autres une maxime dont je veux qu’elle soit une loi universelle, je dois soumettre ma maxime à tous les autres afin d’examiner par la discussion sa prétention à l’universalité. Ainsi s’opère un glissement: le centre de gravité ne réside plus dans ce que chacun peut souhaiter faire valoir, sans être contredit, comme étant une loi universelle, mais dans ce que tous peuvent unanimement reconnaître comme une norme universelle»389.
C’est le fondement de l’"impératif communicationnel". Nous pouvons ici saisir que la raison pratique individuelle comme critère de jugement moral individuel est dans l’éthique discursive soutenue par la rationalité communicationnelle; cette raison est nécessaire pour justifier une prise de parole dans la discussion, pour porter et justifier une affirmation et chercher le consensus sur base des critères de validité. Mais de "D" et "U", peut-il découler des normes discursives pour la pratique communicationnelle?
387 K-O. Apel, Ethique de la discussion, 82. 388 J. Habermas, Morale et Communication, 114. 389 Th.A. McCarthy, The Critical Theory of Jürgen Habermas, 326 cité par J. Habermas, Morale et Communication, 88-89.
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2.5.2 Peut-on parler des normes discursives consécutives à "U" et "D" telles que: liberté, respect, responsabilité, égalité et solidarité-réciprocité? Chaque porteur de parole lie, en fait, sa parole à certaines normes – dont la liberté, le respect, la responsabilité, l’égalité et la "solidarité-réciprocité" – par rapport auxquelles l’allocutaire peut évaluer son énoncé. Comme le dit si bien Habermas: «tout acteur communicationnel qui accomplit un acte de parole est forcé d’exprimer des prétentions universelles à la validité et de supposer qu’il est possible de les honorer»390.
Les normes doivent, de même, après l’obtention du consensus être librement acceptées par chacun, sans contrainte, dans un processus réflexif. Aussitôt que l’on accepte de parler, de discuter, de communiquer, on admet – fût-il tacitement – le devoir de se soumettre au débat, d’argumenter afin d’aboutir à un consensus. Et c’est dans la mesure où le locuteur assume la responsabilité de justifier et de défendre son acte par rapport à des critères de validité que son acte de langage peut aboutir. Ces critères sont pour le monde objectif la vérité, pour le monde normatif ou social la justesse et la sincérité pour le monde de la conscience, du subjectif. Et les acteurs de la communication ont la possibilité non seulement de débattre sur leurs actes de parole mais aussi rationnellement sur les critères eux-mêmes. Un acte de communication réussit si une reconnaissance réciproque des partenaires s’établit, autrement dit, si les interlocuteurs conviennent d’une définition commune de leur situation et leurs rôles et intentions respectifs. Chaque partenaire de la discussion doit pouvoir justifier ses énoncés grammaticalement et rationnellement. La discussion présuppose l’acceptation d’un impératif de l’égalité des droits et de l’égale coresponsabilité dans la recherche d’une solution au problème en débat. L’obligation du respect de l’interlocuteur est contenue dans la parole comme telle, quand bien même que dans les faits, il arrive que l’on puisse faillir à cet égard lorsqu’on communique de manière stratégique, c’est-à-dire, en exerçant des pressions plus ou moins avouées dans le simple but de manipuler son interlocuteur. Pour revenir aux règles de la discussion données plus haut, disons avec Habermas que: «la règle (3.2) garantit pour tous les participants la possibilité de contribuer à l’argumentation et de faire valoir leurs propres arguments, à égalité de chance. […] La règle (3.3) exige donc la mise à profit équitable de ces droits»391. 390 J. Habermas, Logique des sciences sociales et autres essais, 310.
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Dès que l’on entre dans le processus communicationnel, on est enjoint à respecter les normes de respect, d’égalité et de liberté dans la communication; l’on doit aussi assumer la responsabilité qui est déjà contenue dans l’éthique de la discussion. Ceci engage chaque acteur à ne pas recourir à d’autres moyens que la valeur des arguments, dans la solidarité et la réciprocité en vue d’aboutir discursivement à l’intercompréhension et au consensus pour l’intérêt de chacun et de tous. Bref, nous pouvons dire que des acteurs, partageant un même monde, sont appelés à la sincérité, au respect mutuel, à l’écoute mutuelle. Ils sont égaux en tant que communicants; ils disposent de chances égales de parole dans un espace de discussion autonome soumis simplement aux contraintes de l’argumentation. Certaines normes discursives peuvent bien être décortiquées en partant des règles mêmes de la discussion392.
2.6 Problématisation de l’éthique discursive habermassienne A y voir de plus près, la fondation du principe éthique partant de l’éthique discursive soulève aussi quelques questions quant à sa performance pratique. En effet, fonder le principe de moralité sur le consensus seul ne suffit toujours pas à défendre et à garantir l’objectivité d’une norme, d’un principe éthique. De même, le fait de poser au préalable les règles discursives ne signifie pas encore et d’office le fait de les reconnaître ou de les valider ou même de les respecter concrètement. Le consensus est un processus intersubjectif, mais aboutir à un consensus sur une norme donnée ne signifie pas encore sa validité objective393. Reposer la fondation d’une norme sur le seul consensus entre les partenaires du discours est insuffisant pour éclairer une norme comme valide quant à sa valeur objective et réelle. En effet, dans le processus de fondation, il ne faut pas négliger de prendre en compte les présuppositions et valeurs naturelles, métaphysiques394.
391 J. Habermas, Morale et Communication, 111; Cf. J. Habermas, Morale et Communication, 110. Cette règle 3.2 stipule l’égalité entre partenaires du discours. 392 Cf. Ibid., 110ss. 393 S. Ernst, Grundfragen theologischer Ethik, 187: „Dass ein Konsens über eine bestimmte Norm herrscht, mag zwar ihre intersubjektive Gültigkeit begründen, bedeutet aber noch nicht, dass die objektive Gültigkeit dieser Norm erkannt ist“. 394 Cf. Idem.
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Le fait de soutenir que les règles discursives – partant du principe "U" (Universalisierungsprinzip), sont incontournables, inhérentes au processus discursif, et inéluctables, ne signifie pas d’office leur reconnaissance et leur adoption. En fait, dans les discours pratiques, cela ne va pas forcement de soi, les règles ne sont pas toujours reconnues comme obligation morale, comme devoir395.
2.7 En résumé Habermas développe effectivement une éthique du consensus qui repose sur l’interaction intersubjective par l’acte de langage. L’espace de discussion qui pourrait conduire au consensus est dès lors un espace public de discussion ne conférant de valeur à la discussion que dans une société d’hommes libres, égaux, solidaires et respectueux de la liberté. L’éthique discursive se fonde sur une orientation du comportement, sur une exigence et une disposition à sortir de soi pour une expérience interactive, une disposition qui procède d’une résolution simple que l’on aimerait voir plus répandue pour résoudre des conflits par exemple et clarifier des situations problématiques. Sans aucun doute, le seul fait de rechercher la vérité authentiquement, sincèrement, de façon coopérative, sans intimidation, en essayant de s’entendre sur ce qui est juste ou exact, implique déjà des traits comportementaux éthiques. Il est en effet improductif d’engager sérieusement une discussion vraie et sincère avec autrui sans lui avoir présupposé la qualité d’un "alter ego" qui peut toujours contester vos arguments, vos prétentions de validité et vos propositions sur la base de bonnes raisons. Il faudra donc assumer le principe que chaque partenaire de dialogue peut discuter et que chacun peut apprendre de l’autre. L’analyse des présupposés d’une telle orientation vers une enquête coopérative dans la discussion, révèle aussi le fondement d’une reconnaissance réciproque. Ce sont de ces présupposés et postulations nécessaires à l’analyse du sens des pratiques discursives, que Habermas a voulu s’autoriser pour proposer une modélisation de situation idéale de parole qui se fonde sur l’effort de construction d’un modèle procédural d’une vraie discussion. Dans un élan de refondation du lien social, la théorie de l’agir communicationnel amène Habermas à reconstruire la raison pratique sur base d’une éthique 395 S. Ernst, Grundfragen theologischer Ethik, 188: „Aus der Tatsache, dass man beim Eintritt in einem realen Diskurs unhintergehbar und unvermeidbar bestimmte Diskursnormen mitsetzt, folgt noch nicht zwingend, dass man diese mitgesetzten und vorausgesetzten Diskursnormen auch schon als verbindlich anerkennt. Der Diskursteilnehmer kann sich zwar im realen Diskurs nach diesen Normen im Sinne äußerer Legalität verhalten. Das bedeutet noch nicht, dass er diese Normen damit auch schon in sich und für sich selbst als verbindlich bejaht.“
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liée à la discussion. Il analyse la forme de communication caractérisée par l’argumentation, dans laquelle les prétentions à la validité devenues problématiques, sont thématisées et examinées du point de vue de leur justification. Contre un agir stratégique, lié aux intérêts individuels, ce processus permettrait, au-delà des tiraillements intersubjectifs, de faire place à la rationalité au sein du processus social. Ici intervient selon Habermas une rationalité inhérente au "Telos" de l’entente intersubjective, puisque: «l’acte de langage de l’un ne réussit que si l’autre accepte l’offre qui y est incluse en prenant position affirmativement par rapport à une exigence de validité qui, en principe, peut être critiquée»396.
Par cette attitude, chaque acteur adopte une attitude performative. D’aucuns pourront reprocher à Habermas d’être trop intersubjectiviste et de sous-estimer la liberté individuelle du sujet. Pourtant il complète son modèle de rationalité communicationnelle par une théorie de l’espace public de discussion qui ne confère de valeur à la discussion que dans une société d’hommes libres, autonomes qui se constituent en communauté de communication sociale d’hommes libres et responsables qui, de commun accord, coordonnent leurs plans d’action dans la reconnaissance intersubjective de leurs prétentions à la validité397. Agir rationnellement signifie donc user des critères de validité non pas stratégiquement, mais par la recherche et le partage d’une meilleure argumentation pour aboutir à l’intercompréhension qui puisse être portée par tous les acteurs, et dont les conséquences sont ainsi endossées par tous. Ceci signifie pour chaque acteur de la discussion qu’il doit être vrai et crédible dans tout le processus de communication tant du point de vue du contenu que du contenant dans un esprit de coopération398. Ainsi donc, un énoncé est dit "vrai" lorsque la prétention à la validité qu’il exprime est justifiée. Le lieu d’épreuve de la vérité c’est l’argumentation. La vérité découle entre autre de la discussion, laquelle peut concerner des intérêts aussi bien théoriques que pratiques.
396 Ibid., 149. 397 Cf. J. Habermas, Moralbewußtsein und kommunikatives Handeln, 102. 398 Ibid., 68.
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3. Principes de responsabilité et de coresponsabilité discursives selon K-O. Apel Habermas et Apel ont tous deux l’ambition d’une refondation rationnelle des normes pratiques. Leur intuition commune réside dans l’identification d’une source normative rationnelle dans les ressources du langage, et de façon intense dans les présuppositions pragmatiques de la communication. Lorsqu’on s’engage dans un acte de parole, on a d’office des prétentions à la validité. Ces prétentions sont inscrites dans le langage: prétentions à la vérité dans le cas des propositions assertives, prétentions à la justesse lorsqu’il s’agit des propositions normatives et celle à l’authenticité dans le cas de propositions expressives. Si l’on se décide et accepte de discuter, on accepte d’emblée intuitivement et même tacitement le principe éthique qui oblige à résoudre tout différend et toute prétention discursive par des arguments que l’on se doit de défendre et de justifier en vue de l’entente avec ses partenaires de communication. Nous avons à faire ici à un paradigme intersubjectif. Et pour réussir l’interaction intersubjective dans une communauté réelle de communication, il faut assumer la responsabilité discursive dans la solidarité et la coopération, une responsabilité qui est en même temps une "coresponsabilité"399.
3.1 Préalables 3.1.1 Fondation rationnelle ultime de la morale ("Letztbegründungsprinzip") Dans la mesure où nous sommes des sujets argumentants, nous reconnaissons donc et déjà implicitement un ensemble de normes fondamentales, qui rendent l’argumentation possible: à savoir les normes de justice, de solidarité et de "coresponsabilité"400. Aux yeux d’Apel, pour réussir à fonder rationnellement la moralité, il faut donner une réponse aux deux questions auxquelles une éthique doit nécessairement répondre à savoir:
399 Cf. K-O. Apel/H. Burckhart, Prinzip Mitverantwortung, 127-128: „Apel vertritt nun die These, dass trotz der in >U< geforderten Berücksichtigung der „Folgen und Nebenwirkungen“ das Problem der Erfolgsverantwortung i.S. Max Webers nicht vollständig auf die Ebene des habermasschen Universalisierungsgrundsatzes gelöst werde […]“. 400 Cf. K-O. Apel, Éthique de la discussion, 42.
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«pourquoi, d’une manière générale, doit-on être moral? […] Que signifie être moral»401?
Répondons avec Apel que l’on doit être moral parce qu’on est des sujets argumentants et pouvant argumenter, c’est-à-dire des sujets qui reconnaissent l’existence d’un ensemble de normes morales constitutives de l’argumentation et par le fait même accordent librement à tous les participants à la discussion le droit d’élever des prétentions à la validité. On doit être moral, car on doit se sentir responsable et solidaire avec les autres dans la recherche des solutions par le dialogue. Etre moral, c’est se sentir responsable avec les autres de la réussite de la quête collective. De ce fait, l’éthique discursive est une éthique de responsabilité et de coresponsabilité. Car le principe moral de reconnaissance mutuelle des partenaires de communication oblige aussi à l’égalité des droits dans le discours et ainsi, également à la coresponsabilité qui lui incombe. Car pour Apel: «cela ne peut se produire que par la prise de conscience réfléchie, accessible à la pragmatique transcendantale, de la rationalité – consensuelle et communicationnelle mais par là même éthique et normative >…@»402.
Par la pragmatique transcendantale, la fondation ultime fournit les bases d’une théorie philosophique de la rationalité et le fondement de l’éthique discursive. C’est ainsi qu’Apel lui-même déclare: «le principe fondamental idéal que l’éthique de la communication peut invoquer en vue d’une fondation ultime posée du point de vue de la pragmatique transcendantale résulte de l’anticipation contrefactuelle, incontestablement nécessaire dans le processus argumentatif, des conditions d’application d’une éthique de la communication en ce sens que sont supposées les normes d’interaction d’une communauté idéale de communication. Or en même temps qu’était présupposé l’a priori idéal, nous présupposions également, dans notre approche dialectique, 1’a priori de factualité en ce sens que nous prenions en compte dans leur devenir historique les formes de vie de la communauté réelle de communication; ainsi présupposions-nous donc des conditions d’application de l’éthique communicationnelle qui, d’un côté, en tant que "morale sociale substantielle" (Hegel) de notre monde vécu représentaient déjà comme réel ce qui est moralement raisonnable, mais qui, d’un autre côté, par rapport à ce qui est requis de l’idée régulatrice de l’éthique communicationnelle – c’est-à-dire de la norme procédurale fondamentale qui pose, dans une communauté idéale de communication, la fondation des normes par la discussion –, se trouvaient dans une différence de principe, impossible factuellement à combler tout à fait»403.
Attendu qu’il n’est pas question ici d’un processus déductif des principes moraux à partir de faits quelconques, mais bien plus d’un processus réflexif de re401 Cf. Ibid., 7. 402 K-O. Apel, Discussion et Responsabilité, 5. 403 Ibid., 6.
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connaissance des normes fondamentales du discours: normes de justice, de solidarité et de coresponsabilité; c’est un engagement réflexif transcendantal404. La fondation pragmatico-transcendentale de l’éthique discursive repose sur la présentation intersubjective des normes en partant de l’interrogation de la validité universelle, atemporelle et intersubjective du principe moral; la visée de l’éthique discursive étant de présenter un fondement ultime rationnel de la moralité et son contenu normatif. Et la dimension rationnelle réside dans sa structure. D’un point de vue historique, Apel et Habermas essaient de combattre un relativisme moral. Et Apel, personnellement, veut par sa théorie de la pragmatique transcendantale, convaincre un certain scepticisme moral. Il cherche à montrer, partant de la pragmatique tout court en tant que présentation des situations concrètes de parole et celles communicationnelles, la dimension transcendantale de ce processus de communication sous son aspect réflexif. De par son caractère argumentatif, c’est-à-dire en liaison avec les actes de pensée, il faut toujours et déjà présupposer des principes ou normes de moralité. En effet, il soutient que: «l’action de penser comme telle n’est nullement autarcique au sens husserlien du "solipsisme méthodique" mais elle présuppose au contraire transcendentalement un langage public et, avec celui-ci, une communication ou une communauté discursive […]. Bref, l’action de penser, comprise comme argumentation, présuppose toujours en principe l’existence et la coopération de partenaires de discussion»405.
Il est question de la réflexion sur les présupposés fiables et sans fraude de l’argumentation, dans un agir communicatif comme démarche intersubjective sur le chemin de la recherche de la vérité. Le principe argumentatif est donc indépassable. Et Apel insiste à ce propos: «la fondation pragmatico-transcendantale ultime de l’éthique de la discussion part, comme nous l’avons montré, de la réflexion sur les présuppositions de l’argumentation que l’on ne peut contester sans commettre une auto contradiction performative. Elle part donc d’un a priori qui est d’emblée caractérisé par la limitation dialectique de deux moments opposés polairement: celui de la présupposition de la communauté historique réelle de communication, qui rend l’argumentation factuellement possible, et celui de la présupposition de la communauté idéale de communication, contrefactuellement anticipée dans l’argumentation en vertu des prétentions universelles à la validité»406.
La dimension pragmatique réside dans la prétention, tandis que la dimension transcendantale se situe dans l’a priori de condition nécessaire, comme condition de validité. 404 Cf. Ibid., 50-51. 405 K-O. Apel, La réponse de l’éthique de la discussion, 68. 406 K-O. Apel, Éthique de la discussion, 67-68.
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L’éthique discursive tient ainsi compte du fait que chaque sujet est contraint au dialogue du fait de la structure communicative inhérente à la pensée et de l’intersubjective prétention à la validité à laquelle elle renvoie dans une communauté réelle de communication qui est aussi, de fait, une communauté idéale d’argumentation407. Et ceci dans le respect éthique de l’autonomie du jugement de chacun et de la volonté réciproque d’intercompréhension. Pour ce, Habermas explicite: «ne seront donc dits "transcendantaux" au sens strict que les arguments relatifs à des discussions (ou à des compétences analogues) dont l’universalité est telle qu’on ne peut rien trouver, ayant une fonction équivalente, qui puisse y suppléer, autrement dit des arguments relatifs à des discussions (ou à des compétences analogues) telles qu’on ne puisse y substituer que des discussions ou des compétences de même ordre»408.
Le fondement pragmatico-transcendantal de l’éthique discursive peut être saisie à deux niveaux. Un premier niveau serait la justification argumentative d’un principe moral obligatoire et nécessaire avec ses normes de base: une réflexion abstraite sur la nécessité des normes éthiques de base comme situations valables de l’argumentation dans une communauté idéale de communication; et aussi la justification des normes concrètes relatives à l’histoire par des discours pratiques dans des situations idéales de communication. Un second niveau concerne la problématique de l’actuation des normes morales sur des situations historiques concrètes. A ce niveau, il s’agit des intérêts réels non discursifs tenant compte de la problématique de la responsabilité et des conséquences de l’agir. Ceci a pour conséquence l’indépassabilité de la pensée en tant qu’argumentation et partant de l’éthique de la discussion, dans la mesure où tout sujet membre d’une communauté d’argumentation est, selon Apel: «– en raison de la structure, médiatisée par le langage, de la pensée, et ses prétentions à la validité intersubjectives: sens, vérité, authenticité et justesse normative – le sujet d’une argumentation liée au dialogue. En tant que tel, il est toujours (même quand il pense dans une solitude effective) membre d’une communauté d’argumentation; plus précisément: il est depuis toujours membre d’une communauté réelle de communication historique, avec laquelle il doit depuis toujours une langue concrète et une précompréhension des problèmes, ainsi qu’un accord minimal sur les certitudes pragmatiques et les prémisses acceptées de l’argumentation; et par là, il est simultanément membre – en raison des prétentions à la validité absolument universelles de l’argumentation – d’une communauté idéale de communica-
407 Cf. K-O. Apel, Das Apriori der Kommunikationsgemeinschaft, 358f. 408 J. Habermas, Morale et Communication, 104-105.
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tion présupposée comme possible, et inévitablement anticipée sur un mode contrefactuel»409.
La pragmatique transcendantale repose sur la prise de conscience du caractère incontournable de la discussion argumentée410 et rend exactement la dimension de responsabilité discursive dans la communication possible411. Elle montre que l’on ne part pas en fait d’une simple supposition métaphysique, mais plutôt d’une réflexion transcendantale posant rigidement la pertinence de la communauté idéale de communication comme incontournable dans le processus argumentatif. Ceci signifie donc que tout sujet capable de parler et d’agir est appelé à convenir de présuppositions à contenu normatif, à chaque argumentation 412. Bref, pour Apel: « […] la fondation ultime de type pragmatico-transcendantal répond par la réflexion rigoureuse sur les indépassables conditions de possibilité de la validité de l’argumentation »413.
Effectivement, il faut toujours prendre en compte les conditions d’une communauté de communication idéale et celles d’une communauté réelle. Dans chaque situation de communication, les partenaires ont l’obligation, par le fait même d’entrer en discours argumentatif, de présupposer et d’anticiper des conditions normatives d’une communauté idéale de communication; mais en même temps, tenir compte des circonstances contextuelles d’une communauté réelle de communication. Sans cette anticipation, l’on s’auto-contredit performativement; ce principe d’ "auto-contradiction" veut donner, en clair, des éléments pour une lecture critique du réductionnisme moral parce qu’il pose le réductionnisme en soi comme une contradiction performative. 3.1.2 Du principe d’"auto-intégration" ("Selbsteinholungsprinzip") Apel traite la situation humaine comme un défi éthique. Les cooptations, les recherches de cohabitation harmonieuse avec l’environnement relèvent chez l’homme de choix volontaires. C’est pour cette raison qu’il faut essayer de com-
409 K-O. Apel, Éthique de la discussion, 39. 410 K-O. Apel, Discussion et Responsabilité, 97-98. 411 K-O. Apel/H. Burckhart, Prinzip Mitverantwortung, 142: „Die transzendentalpragmatische DE (Diskursethik) bietet die Möglichkeit, moralische Verantwortung unverkürzt zu begründen und sich als Ethik der Erfolgs-, der Fürsorge- und Mitverantwortung zur Geltung zu bringen“. 412 Cf. J. Habermas, Morale et Communication, 106. 413 K-O. Apel, Éthique de la discussion, 47.
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prendre la situation humaine selon le fil directeur de la moralité. Pour cette raison Apel propose: «ma caractérisation anthropologique et développementale de la situation humaine comme un problème éthique présuppose déjà vaguement dès le départ ce qu’est la moralité et, ainsi en particulier, que nous, êtres humains, devons être moraux, ce qui veut dire que nous devons observer certaines normes morales»414.
De cette façon, Apel veut s’opposer à tout réductionnisme, dans sa position de pragmatique transcendantale et par le principe d’auto-intégration. Nous pouvons résumer ce principe d’argument d’auto-contradiction performative comme suit: chaque énoncé qui se prétend scientifique est de fait un discours, et en tant que tel il reconnaît déjà implicitement certaines normes morales, en vertu des présuppositions pragmatiques et transcendantales contenues dans l’utilisation du langage. Nier ce fait, c’est entrer dans une contradiction performative ou actuelle, c’est-à-dire faire une distorsion entre le contenu de l’énoncé et le fait même de son énonciation. La contradiction performative est conséquente de la pragmatique transcendantale. Apel la commente en ces termes: «si je ne peux pas contester quelque chose sans une auto-contradiction actuelle (c’est-à-dire performative), et si, dans le même temps, je ne peux pas le fonder déductivement sans une pétition de principe logico-formelle, c’est que cela fait précisément partie de ces présuppositions pragmatico-transcendantales de l’argumentation que l’on doit depuis toujours avoir reconnues, si le jeu de langage de l’argumentation doit pouvoir garder son sens»415.
Du point de vue de l’éthique de communication, même un sceptique qui n’accepte pas l’aspect moral de la communication ou le caractère moral du processus argumentatif doit argumenter, justifier son affirmation et dès lors, il entre ainsi dans un circuit auto- contradictoire: il doit à son tour exposer et défendre son affirmation par un acte argumentatif, et par son argumentation il accepte ainsi – même de façon silencieuse – certaines présuppositions communicationnelles, avec leur aspect éthique416. Aussi donc, dans un discours pratique sur la morale et les normes, chaque participant est contraint à se soumettre à certaines règles de base du processus d’argumentation à savoir: il doit être capable de prendre part au discours; il peut problématiser chaque affirmation; chaque affirmation est à intégrer dans le discours; chacun peut énoncer ses vœux et souhaits et personne ne peut par la force
414 K-O. Apel, La réponse de l’éthique de la discussion, 14. 415 K-O. Apel, Éthique de la discussion, 47-48. Apel se cite lui-même. 416 Cf. Ibid., 48-49.
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être empêché à l’aperception de ces règles. Ces règles obligent à la justice et à la solidarité dans le discours.
3.2 Normes de justice et de solidarité dans le discours Ces normes discursives de base découlent selon Apel, en fait, consécutivement du principe de "fondation ultime" de la morale. En effet selon Apel: «[…] la norme fondamentale de justice, c’est-à-dire du droit égal de tous les partenaires de discussion possibles à employer tous les actes de langage propres à articuler des prétentions à la validité susceptibles, le cas échéant, de consensus; j’ajoute la norme fondamentale de solidarité entre tous les membres, et au-delà: de tous les membres potentiels de la communauté d’argumentation actuelle, en principe illimitée, étant donné que dans le cadre de l’entreprise commune de la résolution argumentative de problèmes, ils sont liés et renvoyés l’un à l’autre; et enfin, la norme fondamentale de coresponsabilité de tous les partenaires de discussion dans l’effort solidaire visant à articuler et à résoudre des problèmes»417.
Ces normes sous-tendent l’éthique discursive; et partant des critères de validité du discours, tous les partenaires du discours sont égaux, c’est le principe de justice. Chacun entre déjà implicitement avec ces critères dans le discours, il est contraint de prouver et laisser prouver leur légitimité et leur actualité. C’est pourquoi, en entrant dans le discours, chacun doit se sentir solidaire – du fait "d’être dans le discours" – de chacun par la coopération et l’échange des arguments. Et enfin du fait d’être ensemble dans une communauté de communication, chacun porte une responsabilité d’office sur soi et sur l’autre; tous les membres sont coresponsables de l’activité commune de discourir, d’argumenter et de "contre-argumenter", d’identifier les problèmes, d’en rechercher rationnellement les solutions et d’essayer d’obtenir le consensus418. Apel le formule de la façon suivante: «il me semble que l’on découvre ainsi aussi que les conditions de possibilité normatives du discours argumenté ne contiennent pas seulement la norme fondamentale de l’égalité principielle des droits dont disposent tous les partenaires de la communication au sens d’une "situation idéale de parole", mais par ailleurs aussi l’obligation de partager la responsabilité pour la solution argumentative (en ce sens en principe susceptible de consensus pour tous les participants possibles de l’argumentation) des problèmes d’importance morale qui surgissent dans le monde vécu»419.
417 Ibid., 42. 418 Cf. K-O. Apel, Grenzen der Diskursethik? 3f. 419 K-O. Apel, Discussion et Responsabilité, 102.
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La coresponsabilité est aussi un devoir d’attention mutuelle et en même temps une promesse implicite dès que l’on entre dans le dialogue. Elle est une présupposition fondamentale de toute morale discursive, une validité pratique qui se base aussi sur la promesse, – fût-elle tacite – de respecter les autres comme des partenaires égaux du dialogue et d’être responsable de la réflexion commune, de la discussion argumentative et de la résolution de problèmes420. Ce qui signifie, en d’autres termes, qu’il faut faire la promesse de responsabilité et la tenir en tant qu’élan et obligation. Et Apel justifie ces normes en ces termes: «ces normes d’une communauté idéale d’argumentation, qui se rattachent aux règles de l’argumentation, ne sont, certes, pas encore les normes matérielles, requises dans le monde vécu, d’une morale se rapportant aux situations concrètes ou d’une légitimation morale de normes juridiques; mais elles ont une valeur d’obligation pour la fondation d’un principe procédural et formel de la fondation de normes matérielles, précisément dans le sens dans lequel le discours argumentatif, selon la signification toujours déjà reconnue qui est la sienne, est la méta-institution de toutes les institutions possibles du monde vécu. Cela veut dire: à travers la pensée sérieuse, nous n’avons pas seulement reconnu les normes d’une communauté idéale d’argumentation, mais encore le fait que ces normes contiennent le principe procédural, pertinent du point de vue éthique, qui permet d’honorer ou de contester toutes les prétentions à la validité normative possibles, à l’intérieur du monde vécu»421.
Les principes de responsabilité et de coresponsabilité sont consécutifs à cette reconnaissance et à la concrétisation de ce qu’exige cette procédure dans la discussion.
3.3 Principes de responsabilité et co-responsabilité discursives La discussion, peut-elle permettre de faire émerger le devoir de responsabilité? D’après Apel, il y a un fondement de la raison, qui s’impose de lui-même, qui est indépassable et inconditionné: ce sont les procédures mêmes du débat et de l’argumentation entre sujets rationnels. Tout débat doit normalement se dérouler dans un cadre formel intersubjectif, dans un cadre de relations entre sujets, dans un monde d’expression libre, dans un jeu de confrontation des thèses. Dans cette confrontation, chaque sujet est responsable de juger rationnellement le parte-
420 Cf. K-O. Apel/H. Burckhart, Prinzip Mitverantwortung, 63: „Das Versprechen, Andere als gleichberechtigt zu achten und selbst Mitverantwortung für die Argumentation und gemeinsame Problemlösung zu über-nehmen, ist unhintergehbar – als Grundsatz und als Norm im verständigungsorientierten Dialog“. 421 K-O. Apel, Discussion et Responsabilité, 102.
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naire dans un discours régulé par l’idée d’une universalité de la vérité 422. Ce cadre formel du débat est une condition a priori de l’intelligibilité et de la recevabilité de la connaissance. Or, ce cadre comporte des principes éthiques tels que le respect de l’autonomie du jugement de chacun, la volonté d’intercompréhension. Il y a là un sens de solidarité et de responsabilité solidaire dans la communauté réelle de discussion423. On peut, en conséquence, parler d’une solidarité dans la responsabilité et d’une responsabilité solidaire dans la discussion, dans la résolution des problèmes sur base de l’égalité de droits entre acteurs d’une communauté de communication, et sur base de la responsabilité réciproque. En plus de l’égalité, les acteurs ont encore l’obligation de partager la responsabilité discursive. Apel le résume ainsi: «bref, l’éthique de la discussion est d’emblée autre chose qu’une éthique spéciale des discussions argumentatives; c’est une éthique de la responsabilité solidaire de ceux qui sont capables d’argumenter, pour tous les problèmes du monde vécu qui sont susceptibles de discussion»424.
Apel veut, de cet fait, fournir à l’éthique de la discussion, à la morale déontologique son accent d’éthique de responsabilité, c’est-à-dire fournir une fondation rationnelle qui ressort l’agir responsable comme chemin pour résoudre le fossé entre une communauté idéale de communication et des situations concrètes de communication dans le quotidien. La légitimité de la responsabilité dans la discussion est une nécessité pour les acteurs eux-mêmes par leur devoir de discourir argumentativement dans une application responsable des normes discursives de communication425. La responsabilité discursive est en même temps une co422 Cf. K-O. Apel/H. Burckhart, Prinzip Mitverantwortung, 8: “Wer nur ernsthaft etwas behaupte oder frage, trete damit bereits als Dialogpartner mit Geltungsansprüchen und Pflichten gegenüber andern auf; deshalb könne man die Pflicht, sich mit Gründen verantworten und im Dialog mitverantwortlich für die Suche nach Wahrheit und Richtigkeit bzw. Gerechtigkeit zu sein, gar nicht sinnvoll bestreiten“. Dès que l’on affirme quelque chose ou l’on questionne, l’on est d’office dans le processus de dialogue avec ce que cela implique en termes de prétentions de validité et de devoir de responsabilité pour un dialogue franc et effectif. 423 Cf. W. Kroh, Fondements et perspectives d’une éthique écologique, 105; K-O. Apel, Diskurs und Verantwortung, 202. 424 K-O. Apel, Discussion et Responsabilité, 102. 425 Cf. K-O. Apel/H. Burckhart, Prinzip Mitverantwortung, 103: „Die Frage für mich war: Muss man nicht die Verantwortung auch als transzendentale Verantwortung verstehen, die schon in den unhintergehbaren Voraussetzungen der Argumentation verankert ist? Ist es nicht so, dass wir, wenn wir, wenn wir ernsthaft argumentieren, schon eine gewisse Verantwortung anerkannt haben? Aber welche Verantwortung haben wir denn da anerkannt, auf dieser Ebene? Und hier habe ich dann einen neuen Begriff der Ver-
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responsabilité qui exige de chaque acteur de communication la coopération avec les autres membres de communication dans l’égalité de devoir de tolérance et d’attention mutuelle426. Elle est une exigence d’application responsable des normes requises pour une communication vraie. Dans la vie concrète, on est tous, en pratique, membre du système dialogique; on entre d’une façon ou d’une autre dans une communauté de communication et chacun porte une responsabilité et une coresponsabilité communicationnelles427. Car chaque partenaire du discours entre dans un processus de communication avec les prétentions de validité de vérité, de justesse et de sincérité et se prend ainsi, dans une promesse, fût-elle tacite, lui-même tout comme ses partenaires pour des acteurs coresponsables. Il s’établit entre autre une coresponsabilité dans la présentation des problèmes à débattre et leurs résolutions; chaque acteur doit répondre de sa responsabilité dans le dialogue428.
antwortung eingeführt, nämlich den der Mitverantwortung, wobei Mitverantwortung jetzt freilich nicht irgend etwas ausdrückt, was in der Welt schon organisiert ist – in einem Betrieb beispielweise –, nicht etwas, was schon Institutionen voraussetzt“. La responsabilité est aussi une notion transcendantale, elle est, en fait, comprise dans le processus d’argumentation. Par l’argumentation, l’on reconnaît ipso facto une certaine responsabilité qui oblige, du fait de la communauté de discussion, une coresponsabilité. 426 Cf. Ibid., 62: „Die dialogische Mitverantwortung erfordert zunächst den verläßlichen Willen, fair mit den anderen als Gleichberechtigten zu kooperieren […] Es ist eine zwischenmenschliche Gemeinschaftstugend, die sich freilich nicht unmittelbar auf den Anderen als auf „mein Du“ bezieht sondern von vornherein in seiner Rolle als Dialogpartner achtet und zugleich beansprucht“. La coresponsabilité est une coresponsabilité dialogique qui exige une coopération discursive. Les acteurs doivent, de prime abord, se respecter mutuellement comme partenaires de dialogue. 427 Cf. Ibid., 9: „Daher müssten sich alle Menschen auch als Adressaten und als Träger einer Verantwortung oberhalb solcher Systeme und ihrer (z.B. beruflichen) Institutionen in Anspruch nehmen lassen. […] Debatten über Menschheitsfragen als auch direkt von dem Dialog- bzw. Diskursprinzip, das die Bemühung um argumentativen Konsens bei gleichberechtigter Berücksichtigung aller Standpunkte verlangt. Dieses rufe jede und jeden in die Mitverantwortung – zunächst für den Dialog und die Verbesserung der Dialogbedingungen, also auch in Mitverantwortung für die öffentliche Kritik und die verantwortliche Gestaltung der gesellschaftlichen Systeme. Schließlich sollten diese Zukunftsverantwortung ermöglichen und befördern, nicht aber behindern“. En fait, cette responsabilité et cette co-responsabilité exigent de chaque acteur la volonté et l’effort de coopérer pour aboutir discursivement au consensus. En somme, par le dialogue, ils sont appelés à chercher à améliorer les conditions requises pour un discours objectif, à raffiner l’esprit critique pour améliorer les conditions sociales. 428 Cf. Ibid., 21.
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La responsabilité communicationnelle découle aussi d’une applicabilité historique de l’éthique de la discussion; les partenaires du processus communicationnel ont l’obligation de reconnaître et d’actualiser cette responsabilité. Dans la même ligne, Apel déclare: «il me semble que toute personne qui pense sérieusement – autrement dit qui pense en cherchant à apporter une réponse intersubjectivement valide à une question sérieuse – a nécessairement reconnu cette obligation à l’égard du monde vécu, propre à une éthique de la responsabilité fondée sur le principe de la discussion; et elle est capable de s’assurer de cette obligation vis-à-vis du monde vécu […]»429.
Nous pouvons, dès lors parler d’un principe de "responsabilitécoresponsabilité" qui ne peut, à son tour, être contesté sans tomber dans la contradiction performative. L’éthique discursive est en même temps une éthique de coresponsabilité qui cherche à garantir la survie de la communauté réelle de communication dans un effort basé sur la communauté idéale de communication. Ce principe de coresponsabilité "C" s’ajoute complémentairement au principe "U", dans la mesure où "C" permet le passage historique de l’applicabilité de "U"430. D’après Apel: «la tâche de fournir un principe supplétif (supplémentation principale) est même une tâche qui incombe à la fondation ultime de l’éthique de la discussion. En effet, la coresponsabilité de tous les partenaires possibles de discussion pour l’application de l’éthique de la discussion, c’est-à-dire pour la mise en place de discussions pratiques réelles permettant de résoudre les problèmes moraux, appartient aux normes fondamentales de l’éthique de la discussion, comme nous le savons déjà bien. Il incombe dès lors idéalement à la co-responsabilité de tous les partenaires de discussion de veiller à suppléer aux normes procédurales des discussions pratiques idéales en vue des cas où lesdites discussions ne sont pas praticables pour des raisons de responsabilité liée à la réciprocité»431.
De ce devoir dépend la réussite même de la discussion, parce que le devoir de responsabilité est un appel à l’engagement dans une communauté de communication qui donne une chance réelle à la communication. Mais la "coresponsabilité" ne renvoie pas seulement aux conséquences de l’agir, elle réfère aussi, en même temps, à la dimension historique de la responsabilité432, à l’application concrète de l’éthique de la discussion. Elle découle de la situation vécue à laquelle on fait recours pour l’applicabilité de l’éthique de la discussion. Et ceci signifie que l’éthique de la discussion dans son applicabilité est vécue comme une éthique de la responsabilité: une éthique qui doit également as429 430 431 432
K-O. Apel, Discussion et Responsabilité, 102. Cf. Ibid., 122-123. K-O. Apel, La réponse de l’éthique de la discussion, 124. Cf. K-O. Apel, Éthique de la discussion, 8-9.
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sumer sa responsabilité face aux situations et questions concrètes de sa propre application présente. Nous rejoignons ici l’idée régulatrice du principe "U" habermassien. Tous les acteurs doivent accepter les conséquences et les effets secondaires de l’application universelle de la norme 433. Et de ce principe, Apel fait découler un autre principe "Ua", le principe d’action dans l’application de la norme "U" en ce terme. Il stipule: «n’agis que d’après une maxime dont tu puisses présupposer, sur la base d’une concertation réelle avec les concernés, respectivement avec leurs défenseurs, ou – à titre de succédané – sur la base d’une expérience de pensée correspondante, que toutes les conséquences et effets secondaires résultant de manière prévisible de son observation universelle en vue de la satisfaction pris individuellement, puissent être acceptés sans contrainte, dans une discussion réelle, par tous les concernés»434.
3.4 En résumé On peut se demander si l’on peut parler d’une responsabilité communicationnelle! L’acte même de communiquer contient un fondement de responsabilité par le fait de la reconnaissance éthique des interlocuteurs, une reconnaissance responsable ayant un statut normatif universel. Discuter réellement suppose, au moins en principe, la responsabilité de renoncer à des moyens d’intimidation et de coercition. Il y a, à proprement parler, une responsabilité communicationnelle. La discussion présuppose l’acceptation d’un impératif absolu qu’est l’égalité des droits des interlocuteurs, actuels ou potentiels, et l’égale "co-responsabilité" dans le discours. Et Apel le résume ainsi: «agis comme si tu étais membre d’une société de communication»435.
De même, être membre d’une communauté de communication présuppose le respect mutuel. L’obligation au respect est contenue dans la parole comme telle quand bien même, dans les faits, il arrive que l’on puisse faillir à cet égard lorsqu’on communique de manière stratégique. Cependant, même dans ce cas, il nous faut, au moins, faire semblant, de temps à autre, de vouloir réellement communiquer et de ne pas recourir à d’autres moyens que la valeur des arguments. Dans la discussion, chacun est responsable de son jugement, de son argumentation mais aussi responsable devant le jugement rationnel de l’autre, en tant que confrontation régulée; on est responsable de dire et du dit. Pour cette raison, 433 Cf. K-O. Apel, Éthique de la discussion, 78. 434 Ibid., 78 -79. 435 K-O. Apel, Éthique de la discussion, 82.
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Il faut donc communiquer de manière responsable pour pouvoir comprendre et traduire en actes concrets les attentes d’une communauté de communication et aussi de la société; il faut assumer sa part de responsabilité dans l’instauration et le renforcement des liens sociaux par la communication. Communiquer de façon responsable, c’est prendre en compte ses prétentions de validité et tenir compte de celles de tous les acteurs de communication, c’est s’adresser à la globalité de l’individu autonome, de la société qui l’entoure, et c’est être conscient de l’influence que ses actions de communication portent sur les autres et sur la société. Ainsi, la communication responsable endosse aussi sa part de responsabilité dans l’instauration et le renforcement de liens sociaux dans l’instauration d’un véritable échange relationnel humain. La palabre africaine est aussi un processus communicationnel qui se veut responsable, parce qu’elle est un agir communicationnel pour l’entente, la paix et l’harmonie sociale, et en tant que tel, elle est aussi un processus discursif pour raffermir les liens sociaux.
4. Principes discursifs d’argumentation, d’intercompréhension, de responsabilité et "coresponsabilité" dans le dialogue palabrique Dès lors que l’on s’engage dans la palabre, on accepte donc de discuter – et ainsi même par la parole tacite – on admet déjà un processus normatif enjoignant tous les acteurs à soumettre tout énoncé, toute idée et tout différend à des arguments dans le but de réaliser un consensus et de créer ou recréer l’harmonie sociétaire. Les exemples de palabre présentés plus haut vont sur cette ligne. C’est comme l’exprime Habermas: «ainsi, les sujets qui, pour s’entendre mutuellement sur quelque chose dans le monde, développent une activité communicationnelle doivent, comme nous l’avons vu, tendre vers des exigences de validité, entre autres vers des exigences assertoriques et normatives de validité. C’est pourquoi il n’existe aucune forme de vie socioculturelle qui ne soit organisée, ne serait-ce qu’implicitement, de telle sorte que l’activité communicationnelle ne puisse se poursuivre par des voies argumentatives, si rudimentaires que puissent être les formes de l’argumentation et si pauvre que soit l’institutionnalisation des processus voués à l’intercompréhension par voie de discussion. Dès que nous appréhendons des arguments comme des interactions faisant l’objet d’une réglementation spécifique, celles-ci nous apparaissent comme une forme de réflexion inhérente à l’activité intercompréhensive»436. 436 J. Habermas, Morale et Communication, 121-122.
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Le dialogue palabrique a en lui ce dispositif d’argumentation éthique. Si nous pouvons saisir un dispositif comme un ensemble de mesures et de moyens mis en œuvre dans un but déterminé; le dispositif éthique comprendrait, dans le contexte palabrique, toutes les mesures procédurales et les différents processus de production des normes afin d’assurer ou d’améliorer la qualité de la discussion et partant du "vivre-ensemble". C’est la vie sociale – marquée par des agirs sociaux – qui est discutée lors de la palabre. C’est le quotidien qui est parlé. Et comme nous pouvons le lire chez Habermas: «le monde vécu que les participants ont chaque fois en commun dans la communication offre une provision d’évidences culturelles dont ils tirent, lorsqu’ils sont amenés à fournir une interprétation, les modèles explicatifs dont ils conviennent ensemble. […] Les solidarités des groupes qui se sont constitués autour de certaines valeurs ainsi que les compétences des individus socialisés servent, elles aussi, de ressources à l’activité orientée vers l’intercompréhension»437.
Pour parler d’une éthique communicationnelle palabrique, il faut aussi prendre en compte tout l’ensemble du processus communicationnel, le contexte et les valeurs sociales de la société dans son ensemble. Car ces valeurs ont une cohérence et des conséquences normatives438. Les principes communicationnels, d’argumentation d’intercompréhension et de responsabilité/coresponsabilité jalonnent bel et bien la discussion palabrique – avec les autres implications normatives qui en découlent. C’est ce que dépeignent les discussions dans les exemples de palabre donnés ci-dessus. Certainement, la communication palabrique est une immersion dans l’univers du discours pour reconstituer symboliquement les faits par le consentement des acteurs. Et ce processus de reconstitution suppose que les locuteurs prennent au sérieux la capacité créative et récréative de la parole et de la liberté des uns et des autres. Car engagés dans une aventure discursive, les acteurs sont tour à tour destinateurs, destinataires et témoins de leurs dires et de leur histoire. Autrement dit, ils deviennent acteurs à la première, à la deuxième ou à la troisième personne d’un "vouloir-dire" et d’un "vouloir-résoudre" communs. Mais, au bout du compte, l’activité communicationnelle palabrique a pour finalité l’entente fraternelle, le désir de dépasser les conflits, le plaisir de s’accorder sur des valeurs communautaires et sur des options essentielles pour une vie harmo-
437 Ibid., 150. Cf. J. Habermas, Theorie des kommunikativen Handelns, II, 183ss. 438 Cf. B. Bujo, Wider den Universalanspruch westlicher Moral, 83: „Eigentlich formuliert man überhaupt keine Regeln für das Palaver, eher praktiziert man sie“. Effectivement, comme chez J. Habermas, plusieurs aspects des règles discursifs sont implicites dans le processus palabrique. Ces règles se vivent.
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nieuse. Loin de l’activité stratégique ou téléologique, elle vise à constituer l’"être-ensemble". La communauté palabrique est une communauté argumentative – mais aussi naturellement une communauté historique – parce que plongés dans une situation de communauté de communication, les partenaires du dialogue palabrique, ne sont pas pour ainsi dire des consciences pures. Ils ont, bien au contraire, les pieds sur terre, dans l’environnement socioculturel qui est le leur. C’est justement dans ce réservoir socioculturel qu’ils puisent pour comprendre et se comprendre; pour interpréter les situations, discuter en usant par exemple des proverbes et de tous les autres outils langagiers. Comme le signifie Habermas: «le monde vécu forme donc le contexte de précompréhension intuitive qui fournit le cadre situationnel de l’action; il procure en même temps un ensemble de ressources qui alimentent les processus interprétatifs à l’aide desquels ceux qui prennent part à la communication cherchent à couvrir le besoin de compréhension qu’occasionne la situation de l’action»439.
Et dans la justification des prétentions respectives, chaque partenaire est appelé à user des éléments de cet environnement. Tous les acteurs ont la responsabilité communicationnelle de chercher l’argument le meilleur en vue de mieux convaincre dans la discussion, afin de chercher dans la vie pratique à mieux comprendre son environnement et éventuellement à mieux l’innover. L’éthique discursive palabrique se fonde sur la décision que prend chaque membre de la discussion d’entrer dans le monde du discours, dans l’intention réelle de devenir sujet de parole en donnant la priorité absolue à l’entente intersubjective pour le bien de chacun et de tous, dans l’harmonie. En effet, les "affaires" de tous doivent faire l’objet du consentement commun. C’est au fond cette idée qui est derrière la thèse habermassienne de l’intercompréhension ou l’entente mutuelle qui est la finalité de l’argumentation comme traitée plus haut. Les partenaires du discours palabrique visent enfin de compte un accord qui soit motivé rationnellement, soutenu par une exigence d’impartialité et accepté par tous. Ce qui rend possible la reconnaissance réciproque des sujets par-delà leurs diversités légitimes. Le consensus argumenté suppose cela, en s’appuyant sur la possibilité de réconciliation des points de vue. Le dialogue palabrique est un processus interactif de discussion pour une entente rationnelle en vue de l’harmonie sociale. Ce processus passe donc indépassablement par l’exercice argumentatif. Dans la discussion palabrique, tout le monde est convié à ce labeur.
439 J. Habermas, Morale et Communication, 150.
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4.1 Préalables L’entrée dans un processus argumentatif implique de fait des présuppositions normatives440. Le discours palabrique, discussion pratique, ne vise pas la simple adhésion de tous les membres au processus argumentatif, mais elle va plus loin: après le consensus – dans les cas conflictuels par exemple – elle instaure une procédure de réconciliation et d’harmonisation. Ici le droit, l’harmonie sociale ne sont valides que si acceptés par les parties en présence et toute la communauté à travers le principe de discussion. Autrement, la vie d’ensemble, l’harmonie vitale troublée, en cas de conflit, doivent donc être réglées par et entre les acteurs de la discussion, pour être considérées comme légitimes441. L’éthique discursive s’interroge entre-autre sur les normes comportementales lors du dialogue, les devoirs mutuels des interlocuteurs vis-à-vis des autres et par rapport à soi-même en tant qu’acteur442. Cette disposition éthique accompagne tout le discours palabrique en tant que lieu et moment interactif, espace d’argumentation. Elle prend en compte la solidarité, la coopération, le respect et les libertés individuelles. Toutes ces valeurs fondent aussi celles de l’éthique communicationnelle dans le dialogue palabrique. Puisque cette éthique prend en considération le comportement des parties, des partenaires de la discussion dans une communauté interactive réelle, une communauté qui agit discursivement. Les argumentations qui constituent ce processus discursif s’enracinent dans l’activité communicationnelle et rendent possible la réciprocité, la solidarité et la responsabilité. La rationalité communicationnelle palabrique trouve sa base dans sa dimension intersubjective, dans l’expression et le discours qui la constituent dans son ensemble comme un discours capable d’être critiqué, fondé et corrigé, comme discussion et aussi dans le degré de savoir qu’elle représente tout en étant liée à une appréciation transsubjective. 440 Cf. Ibid., 106. 441 Dans la palabre sur l’entente au premier chapitre, la "réconciliation" se vit en se lavant les mains tous ensemble dans un même bassin et au même moment; pendant que l'oncle Lupupu prononce, au nom de tous, la formule de demande de pardon aux ancêtres. L'eau sale ayant servi à laver les mains pour ainsi se purifier est jetée au sol, entraînant avec elle toutes les fautes et toutes les souillures. On se donne la paix par une poignée des mains, en commençant par Malwasa et Mawala, et toute la communauté par la suite. On se reparle dans la confiance et la fraternité restaurée. 442 Cf. E. Bülow, Kommunikative Ethik, 37: „Die kommunikative Ethik fragt nach den kommunikativen Verhaltensnormen. In der zugehörigen ethischen Elementarlehre stehen sie in dem doppelten Bezug der Pflichten der Kommunikationspartner sich selbst gegenüber und gegenüber dem anderen, wobei das primäre Handlungsfeld die sprachliche Kommunikationssituation ist“.
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La raison communicationnelle dans le dialogue palabrique africain est encore cette raison qui pousse les acteurs à définir ensemble dans un discours leur situation actuelle et qui les conduit à s’accepter et à s’entendre en partenaires égaux. Lors de la discussion, chaque acteur élève des prétentions de validité, critique et accepte la critique par l’argumentation. C’est seulement de cette manière que les parties arrivent à s’entendre sur le bienfondé de ce qui est raisonnable à faire et constituent ainsi une volonté d’ensemble, un consensus sans manipulation pour finir par se réconcilier. Non seulement sur le domaine juridique, comme l’ajoute Bidima, une prédisposition du débat palabrique réside dans le fait que: «palabrer signifie mettre «ses absolus» devant la possibilité de leur relativisation. […] Palabrer, c’est risquer la mise en question de ses références, en un mot, de son pouvoir. Palabrer, enfin, c’est être disposé à laisser ébranler les justifications de nos actions et valeurs»443.
Nous pouvons encore dire que l’éthique de communication palabrique consiste dans une disposition pour les acteurs à sortir de soi, à faire ainsi l’expérience de la discussion dans une communauté palabrique en vue d’une vie harmonieuse, la palabre étant aussi une disposition et une juridiction de la parole dans laquelle on cherche non pas à marquer des positions mais à clarifier des problèmes, à résoudre des conflits, à solidifier la famille et la société. En effet, la palabre est un processus discursif argumentatif qui, en tant que tel, dispose, comme tout discours argumentatif au sens de Apel, des éléments normatifs. Comme le dit Apel, concernant la discussion argumentative, et ce qui est également valable pour la discussion palabrique, c’est: «par le biais de la morale de la discussion que l’on reconnaît indubitablement en elle, des étalons normatifs de toute morale de régulation de conflits en général, cela appartient encore aux présuppositions (conditions de sens) de la discussion depuis toujours reconnues par quiconque argumente sérieusement. Quiconque argumente sérieusement sait depuis toujours qu’il prend part à celle des formes de la communication (autoréflexive) qui – à la différence par exemple de la lutte ouverte, des négociations et de la rhétorique manipulatrice – est seule en mesure de résoudre des conflits sans violence, et ce dans l’esprit d’une décision à prendre entre prétentions à la validité litigieuses. Et dans cette mesure, il sait aussi que les normes fondamentales, qui fournissent a priori le critère des procédures de la discussion argumentative idéale, les fournissent également pour la régulation discursive, respectivement pour la résolution de tous les conflits d’intérêts dans le mode vécu; cela veut dire qu’il admet également que c’est une tâche moralement requise d’institutionnaliser dans le monde vécu, aux fins de la régularisation des conflits, des "discussions pratiques"
443 J.G., Bidima, La Palabre, 113.
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qui contiennent leur principe régulateur dans les normes procédurales des discussions argumentatives idéales»444.
C’est seulement à cette condition qu’il devient possible dans la discussion palabrique de sortir de soi pour faire une transcendance en direction des raisons argumentatives des autres. Le seul fait de rechercher discursivement et sincèrement la vérité de façon coopérative, en essayant de s’entendre sur ce qui est juste ou exact, a déjà des implications morales qui sont valorisées par un exercice d’emboîtement et de dépassement, par le passage de la subjectivité à l’intersubjectivité pour fonder une reconnaissance réciproque. Le principe de l’éthique de la discussion enseigne en fait que les questions litigieuses, les conflits surgissant entre partenaires de communication ne peuvent être tranchés qu’au moyen d’arguments susceptibles de produire un consensus445. Et la palabre, comme dialogue de forme discursive, demeure une quête commune de consensus par l’argumentation pour résoudre des conflits en vue de l’harmonie sociale. L’objectif du dialogue palabrique est d’assurer à l’ensemble du processus un déroulement harmonieux, exact, honnête contre les abus et les dérives autoritaires externes ou internes, de protéger tous les acteurs de cette communication et ainsi d’assurer à la communauté l’harmonie la meilleure possible. Ce que prône Apel sur l’applicabilité du principe de l’éthique de la discussion vaut aussi pour la discussion palabrique à savoir: «évidemment: au moment où appliquer le principe de discussion aux conflits du monde de la vie devient un devoir moral, la distinction que nous avions déjà faite entre la discussion idéale (la discussion au sein d’une communauté de communication idéale) et la communication et l’interaction réelles entre systèmes d’auto affirmation – individus et groupes – se manifeste à nouveau dans le monde de la vie»446.
En effet, dans la discussion palabrique, les prétentions à la validité vont être remises en question, parce que toute pensée humaine est faillible et qu’aucune thèse n’est à l’abri de la controverse; ce qui donne la possibilité de comparer, de confronter les opinions et les expériences, de reconnaître les différends, de justifier les énoncés, de concevoir et d’émettre des idées personnelles, sans intimidation, de définir et résoudre un conflit447. La palabre s’avère être une vraie institution de résolution de conflit et de recherche d’harmonie. L’éthique communica-
444 445 446 447
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K-O. Apel, Éthique de la discussion, 64. Cf. Ibid., 154-165. Ibid., 65. Cf. C. Bouchindhomme, Le vocabulaire de Habermas, 11.
tive qui sous-tend cet effort de résolution est une éthique restauratrice de la vie, une éthique de coopération448. Chaque situation de parole invite aux présuppositions de langage. La palabre en est une; elle implique une symétrie des échanges dans l’égalité et dans la mise en œuvre des actes de parole, dans un esprit sincère, libre et respectueux. Ainsi se rapproche-t-elle du processus normatif fondé sur des valeurs incontournables telles: la justice, la solidarité et la coresponsabilité. L’éthique discursive rend possible, dans le dialogue palabrique, l’acceptation mutuelle des acteurs, la possibilité de se laisser contredire et corriger par les autres, la capacité d’écouter, la prise au sérieux des idées des autres, le respect requis. La situation idéale de la parole constitue bien une présupposition nécessaire, régulatrice et constitutive pour la réussite du discours argumentatif. Mais comme le conçoit Apel: «[…] la relation entre les discussions réelles et la discussion idéale, présupposée par les premières comme idée régulatrice, et même: anticipée contrefactuellement comme existante, contient en même temps la réponse à la question concernant la fonction étalon des normes de la discussion argumentative en général en vue de la régulation des conflits d’intérêts dans le mode vécu, conflits extérieurs aux discussions»449.
Dans une discussion palabrique, chaque sujet capable de s’exprimer et d’agir peut prendre part à la discussion; chaque partie, chaque participant doivent pouvoir problématiser toute affirmation, et l’argumenter; chacun doit pouvoir défendre librement ses droits et ses prétentions de validité sans pression. Ce qui signifie que, dans ce dialogue, les différents sujets thématisent les divers critères de validité devenus problématiques, ils les discutent, les défendent afin de restaurer par la discussion l’harmonie interactive perturbée afin d’établir un consensus. Le dialogue palabrique ne concerne pas que les participants directs de cette communauté de communication450. Ce dialogue essentiellement argumentatif a des conséquences sur la communauté entière.
448 Cf. E. Bülow, Kommunikative Ethik, 250-251. Nous pensons que le concept d’éthique discursive est aussi un concept d’évitement de conflit, car il construit une réflexion morale qui constitue, en même temps, une stratégie de prévention – dans la mesure où elle rappelle à chacun l’égalité des chances, le respect mutuel, la liberté et les vertus discursives primaire au processus de communication –. Elle stipule principalement le droit fondamental des personnes à communiquer librement. 449 K-O. Apel, Éthique de la discussion, 63. 450 Cf. B. Bujo, Wider den Universalanspruch westlicher Moral, 83.
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4.2 Principe d’argumentation La communication palabrique se situe entre le discours et le monde réel. Dans le dialogue palabrique, c’est la vie même qui est parlée. En effet, la palabre est un lieu de maîtrise ou de coordination de la tension résultant entre le fait et la validité à proprement parler. Cette tension est lisible dans le débat et tout le processus argumentatif. Nous reconnaissons avec Lwanga Mayola Mavunza que: «la palabre bantoue est un mode de communication qui se déploie le plus souvent dans le débat judiciaire. Ses genres littéraires sont les devinettes, les énigmes, les textes télécommuniqués, les chansonnettes, les contes […], et surtout les proverbes […]»451.
Par l’emploi de ces éléments rhétoriques qui sont aussi des techniques argumentatives, se joue le jeu de la validité dans le langage. Comme dans tout processus argumentatif, tel que l’admet Habermas, aussi dans la discussion palabrique: «[…] apparaissent les structures d’une situation de parole qui est particulièrement immunisée contre la répression et l’inégalité. Elle se présente, en effet, comme une forme de communication qui se rapproche suffisamment des convictions idéales»452.
La force de l’argumentation dans la palabre repose entre-autre sur le choix des éléments rhétoriques tels que les proverbes, conte etc., leur présentation, leur usage dans le discours et leur interprétation. Dans la première palabre, un proche du roi contre-attaque avec une parabole pour répondre à une autre parabole du camp adverse453. L’argumentation rend possible la résolution par la discussion d’une prétention de validité devenue problématique dans l’une ou l’autre partie ou dans la communauté afin de parvenir à un consensus. Par le fait de discourir sur cette prétention dans la palabre, on met en question sa légitimité. L’argumentation dans la palabre sert à sortir de cette tension pour aboutir au consensus en vue de rétablir la vie. Dans la discussion palabrique se joue aussi ce que Habermas exprime, à savoir: «ceux qui participent à une argumentation ne peuvent éviter de présupposer que, d’une part, la structure de leur communication exclut, sur la base d’indices formellement descriptibles, toute contrainte qui viendrait de l’extérieur influencer le pro-
451 Lwanga Mayola Mavunza, La rhétorique du choix, 129. 452 J. Habermas, Morale et Communication, 110. 453 Cf. Supra: à la fin des pourparlers du tribunal dans la grande palabre d’un détournement, un homme qui appartenait à l’entourage plus immédiat du roi, Wudi Kwadzo, raconta une parabole : "Si quelqu’un aspire de l’air frais, après avoir mangé du poivre écrasé pour lui, alors il doit en cela nécessairement penser à celui qui lui a écrasé le poivre."
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cessus d’intercompréhension ou, exception faite pour la nécessité de se soumettre au meilleur argument, qui proviendrait de ce processus lui-même»454.
La discussion palabrique ne nie pas le conflit, mais elle constitue un effort de sa thématisation, en le parlant, le discutant pour le comprendre et le damer; car par la discussion argumentée, conformément aux principes "U" et "D", on cherche à résoudre le conflit de manière non-violente et non-idéologique. On délibère ensemble. C’est ce que Habermas entérine: «il ne suffit même pas que tous les individus procèdent, chacun dans son coin, à cette délibération, pour qu’ensuite on enregistre leur suffrage. Ce qui est exigé, c’est une argumentation "réelle" à laquelle participent, en coopération, les personnes concernées»455.
Comme nous pouvons bien le remarquer dans les palabres citées plus haut, la palabre est une institution et un lieu formel de débat, de connaissance de la vie et de la culture. Le dialogue palabrique vise l’accord des interlocuteurs, par la discussion nécessaire, sur la recherche d’un consensus qui n’est pas donné d’emblée ni imposé, mais qui résulte d’un discours argumentatif commun dans un esprit de solidarité et de participation. Si nous le comparons au principe démocratique de vote, le dialogue palabrique va bien au-delà d’une simple procédure élective, pourtant indispensable dans les procédures démocratiques. Le dialogue palabrique est un processus coopératif où chacun exprime librement ses opinions et les laisse à la libre appréciation des autres, que ce soit en cas de conflit, ou durant des rassemblements non-conflictuels, en vue de s’"inter-comprendre".
4.3 Principe d’intercompréhension dans la Palabre Dans la discussion palabrique, les partenaires communiquent sur base d’une éthique de discussion qui garantisse une authentique compréhension mutuelle. Dès lors, chacun est moralement invité à un discours sensé, n’exprimant ni intimidation, ni menace et qui est susceptible d’être admis par chaque partie et tous les participants comme valable afin de permettre le consensus et l’intercompréhension. L’intercompréhension recherchée doit aboutir à la vérité du discours qui tienne aussi compte de la façon d’aborder autrui, c’est-à-dire un discours qui ne cherche pas l’assimilation de l’autre par une simple rhétorique ou à abuser de lui par la ruse d’un jeu de paroles, mais à le traiter avec respect, de façon responsable. L’autre est tenu comme le lieu de la mise en vérité du sujet. 454 J. Habermas, Morale et Communication, 110. 455 Ibid., 88.
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De même que le dit Ngwey pour souligner que la palabre est un terrain d’unité sans unanimisme: «alors commence une mise en commun de l’analyse de situation (où chacun est en droit de dire sa perception personnelle de l’événement) une mise en commun des valeurs cardinales ébranlées et à réhabiliter et enfin une mise en commun des voies et moyens par lesquels cette réhabilitation doit se faire»456.
La solution finale est le résultat des argumentations respectives des participants tout en cherchant enfin de comptes, dans le cas de résolution d’un conflit, la réconciliation qui dépasse le résultat de consensus final. On retrouve là le sens pratique de la communication réelle en vue de l’harmonie. L’intercompréhension est aussi obtenue par l’acte réconciliateur final après la délibération 457. Nous pouvons dire que l’intercompréhension s’effectue à deux niveaux dans le dialogue palabrique: • au niveau argumentatif, les participants ont le devoir d’accepter l’argumentation la meilleure qui tienne compte de la vérité des faits, de la justesse et de la sincérité des acteurs. Ils doivent s’"inter-comprendre" en acceptant l’argumentation la plus solide dans la discussion après concertation. Les acteurs sont appelés à aboutir à un consensus argumentatif, pour ainsi dire. • Et au niveau de la réconciliation harmonieuse qui sanctionne la fin: les acteurs ont le devoir, après le consensus argumentatif, de se réconcilier pour une vie harmonieuse qui tienne compte de la liberté de chaque individu comme membre de la communauté de communication et de la société. Par le fait de s’être mis d’accord dans le discours, d’avoir accepté l’argumentation des autres et réflexivement de consentir sur des principes, il s’en suit le devoir de réconciliation et de bien vivre ensemble458. Ce devoir appelle à la responsabilité discursive individuelle et communautaire. 456 Ngwey Ngond’a Ndenge, Palabre africaine, 119. 457 Cf. plus haut au premier chapitre, dans le jugement de la grande palabre d’un détournement: Boboloe, le roi de Ahoe, se leva et dit: "Ainsi se sont comportés nos frères, les gens de Dome; mais peu importe. Ce que nous avons convenu hier ensemble et débattu, nous allons le terminer aujourd'hui et l’exécuter. Il ne faut pas prolonger encore les débats". Tous les chefs, l’équipe des jeunes et la communauté furent tout à fait d’accord avec lui. 458 Cf. plus haut au premier chapitre dans la palabre ordinaire, nous avons un exemple palpant: à la fin de la palabre, les trois derniers moments clefs du processus de "réconciliation": le quatrième (réconciliation) et le cinquième (pacification). L’on se réconcilie en famille en se lavant les mains au même moment, tous- ensemble, dans un même bassin et pendant cette cérémonie, l'oncle Lupupu, au nom de tous, demande de pardon aux ancêtres. L'eau sale est jetée au sol en signe de rejet de toutes les fautes et les souillures.
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4.4 Principe de "responsabilité-coresponsabilité" discursive dans la Palabre La responsabilité est liée à la vie, elle est intrinsèque à l’interaction communionnelle459. Etre, c’est déjà être en interaction, c’est-à-dire être en même temps responsable de ce qui survient à soi et à autrui. Dans l’échange communicationnel lors de la palabre, tout comme dans chaque communication humaine, il peut se faire que cherchant à convaincre l’autre, parfois même involontairement, l’on cherche à le dominer. C’est un processus naturel lors d’une discussion. Mais pour chercher à contourner cet obstacle, intervient alors le principe social de "responsabilité-coresponsabilité" communicationnelle. Apel dit de la "coreponsabilité": «en effet, la co-responsabilité de tous les partenaires possibles de discussion pour l’application de l’éthique de la discussion, c’est-à-dire pour la mise en place de discussions pratiques réelles permettant de résoudre les problèmes appartient aux normes fondamentales de l’éthique de la discussion, comme nous le savons déjà bien»460.
Même lorsque le coupable est condamné dans et par la palabre, cette condamnation vise entre autre aussi une certaine transformation de ce sentiment de culpabilité en une prise de conscience de sa "responsabilité-coresponsabilité" dans la société. Durant le dialogue palabrique, chacun est invité à une discussion responsable afin de dépasser le flou des perceptions, les émotions, les sentiments et les opinions du moment, pour construire ensemble, en quelque sorte, des compétences réflexives telles que la problématisation des situations, leur conceptuali-
On se salue par une poignée des mains en signe de paix et on se parle à nouveau dans la confiance et la fraternité restaurées. L’on partage tous le même verre de vin de palme dont une partie est versé au sol à l'intention des ancêtres. La noix de cola est aussi partagée par tous et consommée pour marquer la vie retrouvée. Le repas de pacification est le temps de partage et de solidarité par excellence. Si le sang du coq ou du bouc immolés est verse au sol, la viande ou la chair est préparée pour nourrir les membres, en vue de la "réconciliation". Les ancêtres sont toujours supposés participer à la cérémonie ; les aliments et le vin sont versés au sol à leur intention. Enfin c’est la fête de la réconciliation, de la vie retrouvée accompagnée des chants, de la danse; c’est la joie de vivre ensemble, l’harmonie rétablie qui clôturent ainsi la palabre. 459 Cf. A. Ziegler, Verantwortung für das Wort, 27: „Unsere Kommunikation (communicatio) ist verantwortbar, wenn wir dadurch im Rahmen der Gesellschaft (communitas) Gemeinschaft (communio) ermöglichen und lebendig erhalten“. 460 K-O. Apel, La réponse de l’éthique de la discussion, 124.
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sation et l’argumentation pour en parler. Mais cette responsabilité est incontournable dès la décision d’entrer dans la palabre. Chaque acteur a le devoir et la responsabilité de produire de bonnes raisons, afin de dépasser le simple affrontement des positions en vue d’obtenir un consensus, et ce au travers des échanges langagiers sous la forme discursive et ainsi résoudre un conflit, restaurer ou fortifier l’harmonie dans la famille et dans la société. Chacun qui prend la parole est en même temps obligé de répondre, avant tout, de sa propre responsabilité. En ce sens, la saisie de la parole est en même temps un élan moral. Et ce dernier ne vise pas d’abord à simplement dénoncer la faute mais voit et va au-delà de la condamnation en recherchant, en fin de compte, une restauration coopérative de l’harmonie dans la société, dans l’acceptation réciproque des arguments et résolutions finales. Cette réciprocité est gage de la liberté et de la "co-responsabilité". Comme le certifie Ndjimbi: «la réciprocité multilatérale souligne le partage de la responsabilité vis-à-vis de la recherche de la réconciliation et de la paix. La liberté de la parole pour tous est une condition de possibilité du fonctionnement d’une telle réciprocité»461.
Parler de façon responsable relève aussi donc d’un sujet libre, capable de reconnaître la liberté de l’autre et de justifier l’existence de l’autre. La liberté convie à se sentir responsable à l’égard des valeurs de paix, de justice, de réciprocité, de solidarité, d’égalité, de sincérité etc. Chaque partenaire est responsable de la justesse, de la vérité et de la sincérité dans l’acte de communication; la responsabilité communicationnelle va ensemble avec la collégialité. C’est dans la collégialité que se concrétisent le dialogue, la coopération et la réciprocité462. La convocation de la palabre, le vœu et l’acceptation de tous les acteurs de se retrouver autour de l’"arbre à palabre" – l’"arbre de discussion" – constituent déjà un acte responsable. Bien que chaque partie ait naturellement ses intérêts à défendre ou à sauver, l’effort palabrique consiste beaucoup plus à les exprimer et à les défendre dans un processus discursif et non à les imposer simplement à l’autre partie, ou aux autres. Le concept de responsabilité est, dans cette mesure, un grand pilier de l’éthique communicationnelle463.
461 O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 259. 462 Cf. F. Kübler, Kommunikation und Verantwortung, 30: „Kommunikative Verantwortung bedarf der Kollegialität, weil sich das Regelwerk ihrer normativen Orientierung nur in gemeinsamer Arbeit zu entwickeln und kraft gegenseitiger Kontrolle zu bewähren vermag“. 463 Cf. E. Bülow, Kommunikative Ethik, 254: „Der Begriff der Verantwortung aber ist die Grundlage der kommunikativen Ethik“. Assurément, la notion de responsabilité est au fondement de l’éthique communicationnelle.
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La responsabilité par rapport à l’agir interactif palabrique est en même temps responsabilité par rapport aux conséquences de cet agir: la concrétude responsable du consensus, de l’entente pour l’intérêt de chacun et de tous. Elle est une "responsabilité-coresponsabilité". Chacun qui entre dans le discours par la palabre est responsable de soi et des autres, et oblige de ce fait les autres à la responsabilité vis-à-vis de soi et de lui464. L’éthique discursive dans la palabre appelle à un partenariat de communication responsable dans le respect de tout un chacun pour une vie harmonieuse. En exemple, nous avons à faire concrètement à cette responsabilité personnelle et collective dans la palabre du détournement465. Cette responsabilité va au-delà du moment présent, elle vise aussi le futur. Il s’agit en quelque sorte de résoudre une situation ayant des implications plus grandes. C’est ce que veut signifier et soutient Apel lorsqu’il affirme: «mais, s’il s’agit des droits égaux à réaliser les projets particuliers de vie bonne et de l’égale co-responsabilité en matière de problèmes communs de l’humanité, alors l’éthique de la discussion peut évidemment prescrire un but universellement valide de l’histoire à toutes les formes de vie socio-culturellement différentes. Elle peut par exemple prescrire la réalisation à long terme des conditions institutionnelles politiques, juridiques et économiques de l’interaction humaine qui rendent possible le règlement de tous les conflits d’intérêts par la discussion argumentative et non par la violence»466.
C’est l’effort final de toute discussion palabrique qui relève de ces diverses dimensions. Mais pour réussir ce pari de résolution des conflits par la discussion, le dialogue doit se dérouler dans le respect, la justice, l’égalité et la solidarité.
464 Cf. K-O. Apel/H., Burkhart (Hrsg.), Prinzip Mitverantwortung, 59: „Denn indem er das behauptet, also zu argumentieren beginnt, ist er selbst bereits in einen argumentativen Dialog eingetreten und hat damit auch – vorausgesetzterweise – anerkannt, daß er mitverantwortlich ist für den Dialog. Insofern hat er bereits, die Möglichkeit zu argumentieren, für sich unter Beweis gestellt – und ebenso die Voraussetzung seiner Verantwortlichkeit (zunächst) als Dialogpartner“. Dès que l’on argumente, l’on entre automatiquement dans le processus discursif, ce qui oblige, de fait, la reconnaissance de la responsabilité communicationnelle que l’on porte. 465 Cf. plus haut au premier chapitre: le déroulement complet de la palabre du détournement. Ou encore la palabre entre les danois et les autochtones autour du bois. Les deux palabres relèvent bien la responsabilité tant individuelle que collective. 466 K-O. Apel, La réponse à l’éthique de la discussion, 104.
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4.5 Les normes de respect, de justice, d’égalité et de solidarité dans le discours palabrique Ces différentes normes accompagnent tout le processus palabrique. La palabre a une sorte de charte non-écrite, parfois même tacite qui oriente les débats. Une communication responsable propose l’application de ces normes: le respect de chaque acteur, la liberté d’expression et d’argumentation pour défendre ses prétentions, le respect de la vie, l’écoute de l’autre, la transparence, la tolérance, la solidarité, l’égalité, l’indépendance de ceux qui ont à trancher des conflits etc. Un respect dans l’égalité, tel que le rappelle Bidima: «la bonne palabre respecte le principe d’équité entre les parties, raison pour laquelle on tenait toujours à ce que qu’il y ait avant les «assises» de la palabre, des palabres préparatoires qui examinent si les principes d’équité seront respectés»467.
Chaque acteur doit exprimer et défendre librement ses affirmations, sans contrainte possible. Tous les participants sont égaux par rapport à l’acte communicationnel et sont appelés à communiquer solidairement par leurs argumentations en vue de s’inter-comprendre et aboutir ainsi à un consensus afin de résoudre un conflit ou rétablir l’harmonie. De fait, Matangila corrobore cela lorsqu’il affirme: «la palabre traditionnelle suppose le respect mutuel des personnes en conflit, le droit à la parole pour tous selon les règles établies […], l’usage d’un même code de conduite pendant le débat, la soumission et l’acceptation du verdict par tous, […]»468.
Certains éléments rhétoriques de la discussion, tels que les proverbes, aident au respect mutuel. Puisque, comme le relève Lwanga Mayola: «le proverbe instruit, par exemple, sur le respect de l’ancien, la réceptivité et la modestie, le sens critique, le sens de l’histoire, l’expérience, les attitudes morales, l’homme face à la vie […] »469.
La responsabilité discursive est celle des acteurs de la communication palabrique à assumer dans le dialogue, l’argumentation, le jugement et les décisions. Naturellement, comme dans chaque agir et dans chaque domaine d’action, nous nous trouvons dans un processus d’exigence éthique de la responsabilité tel que nous pouvons le faire dans le domaine biomédical, par exemple, si nous nous basons sur la globalité de l’expérience humaine de la responsabilité470. La palabre a aussi une responsabilité pédagogique, une responsabilité d’éducation, de sensibilisation et de formation aux grands enjeux de la vie socié467 468 469 470
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J.G., Bidima, La Palabre, 114. L. Matangila Musadila, Pour une démocratie au Congo-Kinshasa, 34. Lwanga Mayola Mavunga, La rhétorique du choix, 131. Cf. B. Cadoré, L’expérience bioéthique de la responsabilité, 84-86.
tale et aussi à la "responsabilité-coresponsabilité" requise pour chaque agir communicationnel, puisqu’elle enseigne le respect des valeurs capitales telles que la justice, la vérité, la justesse et la sincérité, le respect de l’autre dans l’égalité et la solidarité. Cette responsabilité interpelle tout le monde au partage des valeurs de communication et de vie. En tant que lieu de discussion responsable, le dialogue palabrique exige de chaque acteur la clarification du sens de son agir, car elle est lieu et moment de recherche responsable et solidaire du sens de l’action visant d’abord à comprendre le lien entre les valeurs déclarées par les personnes et leurs actions concrètes. Elle se veut ensuite un partage de sens de l’action dans le "vivreensemble". C’est pour cela qu’elle est aussi porteuse de valeurs très affirmées de liberté d’expression, et de transparence, et cette perspective est en même temps un objectif ambitieux que se fixe cette communication. Bref, le dialogue palabrique est, dit Ndjimbi: «une communication sur base d’une égalité en dignité, d’un droit égal au respect et à la parole»471
Dans sa dimension politique, la communication palabrique est aussi un processus interactif dans la recherche de consensus, spécialement dans la démarche de résolution des conflits. On cherche ensemble un consensus pour l’intérêt de tout un chacun et de la communauté, dans le but principal de sauvegarder ou de restaurer l’harmonie sociale472. Nous osons donc dire que la palabre, comme modalité de résolution collective des conflits est une conquête de la raison sur la violence. Et ce processus de résolution des conflits par la discussion argumentative est en lien avec le fondement que les différents acteurs de la discussion chercheront à donner à la validi471 O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 281. 472 Cf. A. K. Helfrich, Afrikanische Renaissance und traditionelle Konfliktlösung, 69-70: „Einen Konsens zu finden erfordert oft einen langen Prozess des gegenseitigen Überzeugens, der in der traditionellen afrikanischen Politik in Form eines Palavers stattfindet, weshalb Bénézet Bujo die von Kwasi Wiredu beschriebene ‚Konsensethik‘ als ‚Palaverethik‘ bezeichnet. Das Ziel dieser Palaver ist jedoch nicht die Durchsetzung der Interessen einer Partei oder Gruppe, sondern, um es in den Begriffen der UbuntuPhilosophie auszudrücken, die Versöhnung der Gemeinschaft und der aufgetretenen gegensätzlichen Interessen durch einen von allen Mitgliedern der Gemeinschaft erzielten Konsens“. La politique de bonne gouvernance dans l’Afrique traditionnelle passait par la palabre comme instance et processus de consensus. Partant, trouver un consensus dans la palabre, nécessite souvent un long processus de discussion afin de se persuader mutuellement de la pertinence des arguments respectifs. On peut aussi voir dans l’éthique palabrique une éthique de consensus.
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té de la normativité des règles sur lesquelles ils établiront entre eux un consensus. En conséquence, de même que le soutient Habermas, dans la palabre aussi, en tant que jeu intersubjectif, se vit un effort de coordination coopérative de l’action communicationnelle pratique473. On peut dès lors affirmer que l’éthique discursive dans la palabre est aussi une éthique de libération et de socialisation. Elle a une prétention à contribuer au développement sain et durable de la communauté. L’expression personnelle des membres de la communication palabrique et leur mise en relation réciproque est un moyen sûr de création d’une communauté autour de l’arbre à palabre comme lieu d’établissement de relation vivante en construisant une communauté de discussion, en même temps, y est renforcé le lien de solidarité. Or, la socialisation à la différence de la collectivisation se réalise grâce au travail et au langage. La palabre représente aussi, à cet égard, le milieu de la constitution de toute individuation. La communication palabrique est intentionnellement et volontairement orientée vers l’intercompréhension, l’entente et le consensus pour la paix sociale. De même, il faut reconnaître une intention communicationnelle et une volonté de dialogue dans le processus palabrique. En effet, dans toute communication, il faut une intention et une volonté de communiquer, de dialoguer, d’écouter et d’être écouté. L’intention communicationnelle est –comme pour tout agir communicationnel, une composante essentielle du dialogue palabrique, il ne s’agit pas de livrer une information mais d’agir interactivement dans la discussion.
4.6 En résumé L’éthique communicationnelle dans la discussion palabrique veille au bon fonctionnement de l’activité des acteurs de la discussion, à l’indépendance de tous ceux qui sont mandatés à décider, et à la responsabilité de tous. On peut aussi parler d’une déontologie discursive du dialogue palabrique. Assurément, l’éthique de la discussion n’est pas une simple méthode de critique des normes ou bien un simple constat des règles nécessaires à l’action, mais elle est aussi une question du fondement d’une théorie de l’action. Et il est possible de parler d’une pragmatique universelle ou d’une pragmatique transcendantale qui aide à discerner le fondement de la solidarité, oblige les membres à repenser, à discuter et à harmoniser la base de leur lien social. On parle, en conséquence, d’une éthique de communication responsable assumée solidairement.
473 J. Habermas, Morale et Communication, 88.
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Nous pouvons, en fin de compte, constater que d’un point de vue moral, les partenaires de la discussion palabrique sont appelés à se comprendre – à partir de la perspective normative de communication – pour pouvoir établir une relation pratique à soi, à l’autre et à toute la communauté. Ceci signifie, en outre, que les interactions communicationnelles dans la discussion palabrique recèlent un élément normatif présupposant l’existence d’obligations intersubjectives. Et par ce fait, les acteurs de la palabre entrent dans un processus de socialisation et sont conduits à s’accepter mutuellement. C’est là, en effet, une contrainte de la réciprocité qui est mêmement une autolimitation mutuelle basée sur un consensus normatif474. Cette contrainte est en même temps un engagement existentiel en faveur de l’éthique communicationnelle. La palabre est donc un lieu de parole, de discussion et de consensus par l’argumentation, un espace sous les valeurs normatives de vérité, de justesse et de sincérité; elle est un agir discursif responsable. Le dialogue palabrique a également un code de bonne conduite. Bref, nous pouvons dire avec Ndjimbi que: «la "palabre", dans sa structure, indique ainsi, qu’une discussion ne peut aboutir que si elle part de principes de base communs […]. Les principes de la discussion argumentative, selon le système "palabrique" ne doivent pas être des pures élucubrations logiques, mais les fruits d’une sagesse raisonnante et raisonnable, car la vie que cette discussion sert n’est pas une pure logique. Fondée sur des principes, la discussion "palabrique" est un exercice moral, finalisé vers un état de moralité soutenue par des principes dont les deux principes-clés de la paix et du respect de la vie en général et de la vie humaine en particulier»475.
L’enjeu du débat éthique communicationnel oblige à opter librement et résolument pour les libertés responsables en vue de l’intercompréhension. Elle joue un grand rôle dans la fondation de la socialisation, puisqu’en même temps l’éthique discursive ne peut exister sans se fonder sur la reconstruction d’un savoir déjà donné dans un "monde vécu". Réellement, il existe dans la société des intuitions acquises dans les processus de socialisation par lesquels les individus peuvent reconnaître leur commune humanité et s’entendre. Ces intuitions sont parlées dans la palabre.
5. Conclusion Est-il possible de vouloir reconstruire l’ensemble des rapports humains sur des règles idéales d’une communauté de communication? Pourquoi accorder, avec 474 Cf. E. Bülow, Kommunikative Ethik, 278: ,,Das existentielle Engagement der kommunikativen Ethik ist hier begründet”. 475 O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 260.
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Habermas, une valeur capitale à la recherche de la vérité discursive qui fonderait en définitive le lien social sur d’autres valeurs? On peut essayer de répondre en disant que la vérité est de toute façon très utile pour l’aménagement de notre vie. Et même si d’aucuns pourraient dire que les principes de Habermas ou d’Apel apparaissent non pas comme des principes fondateurs de toute éthique discursive, mais comme l’une des méthodes pour bien vivre, c’est exactement là que ceux-ci gardent leur pertinence. Mais nous pouvons dire que les règles qui n’entrent pas dans leur projet sont représentées par ceux qui y accèdent. Et c’est bien le cas dans la palabre. L’éthique discursive nous donne de bonnes raisons pour dialoguer en général, dans une action guidée par un agir intersubjectif rationnel pour s’entendre, car l’humanité est ipso facto une communauté de communication. Ceci dit, il s’en suit que les principes discursifs ne sont pas que théoriques; ils couvrent et doivent couvrir la communication au quotidien. Néanmoins, l’éthique discursive commande d’abord de comprendre le sens qu’a pour l’autre sa relation avec moi, comprendre l’autre en vue d’essayer de répondre à ses attentes, à ses intérêts et nos intérêts, voir même à sa souffrance. L’on peut, dès lors, voir dans la communication palabrique un effort et une recherche d’orientation de la volonté vers l’harmonie et le bien. Cet effort n’est pas, à proprement parler, une recherche juridique d’un respect extérieur de la légalité – quand bien même il semble y en avoir des traces –, beaucoup plus, elle signifie une approche vers le bien, la bonne vie, et une vraie volonté de fonder la paix, l’harmonie pour l’individu et pour la communauté. La pratique communicationnelle accompagne, en fait, toute la vie. En effet, c’est aussi cela que décrit Habermas en reconnaissant que: «dans la pratique communicationnelle quotidienne, les interprétations cognitives, les expectatives morales, les expressions et les évaluations doivent, de toute façon, s’interpénétrer […]. Cette pratique communicationnelle quotidienne rend possible une intercompréhension orientée par des exigences de validité et, à vrai dire, elle constitue la seule solution de remplacement à des querelles d’influence plus ou moins violentes»476.
Partant de l’idée que la responsabilité de chacun face à autrui et la coresponsabilité qui incombe à toute la communauté de discussion, les interprétations cognitives, les expectatives morales, les expressions et les évaluations doivent être beaucoup plus larges, étant donné que toute relation présente aussi une possibilité d’oppression. Pour ce, la communauté cherche par le dialogue palabrique, à surmonter chaque faille conflictuelle pour s’efforcer ainsi de rétablir le respect
476 J. Habermas, Morale et Communication, 39-40.
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et l’harmonie. Ainsi, chacun est appelé à n’assigner aucune limite à la vigilance éthique et notamment à l’écoute mutuelle. Dans la communication palabrique, par le fait de dialoguer et de discuter en vue d’un consensus, chaque partenaire est appelé à s’efforcer à ne pas être une entrave dans l’accomplissement possible de la subjectivité et à la vie harmonieuse dans la communauté. Chacun doit sans cesse se demander s’il respecte autrui ou s’il contribue à l’opprimer. Et pour cela, il ne suffit pas simplement de se mettre en règle avec une loi, mais il faut agir dans la solidarité, dans le respect, de manière responsable. D’un point de vue déontologique, nous pouvons dire que l’éthique de la discussion fait prévaloir "ce que l’on est tenu de faire" concernant le bien. Même si elle n’exclut pas le bien-être comme faisant partie de l’ordre éthique, la spécificité de l’éthique de la discussion est précisément de ne pas préjuger dogmatiquement du bien, mais reconnaître avec tolérance le pluralisme des formes de vie, toutes soumises au même principe de justice, de vérité, de solidarité par un processus discursif. Ainsi, elle tente de trouver un passage entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Habermas et Apel traduisent aussi ce qui est vécu dans le dialogue palabrique en tant qu’instance et méthode de décision. L’éthique communicationnelle palabrique est une éthique de coopération justifiant la normativité de l’agir interactif, en tant qu’instance qui oriente le processus discursif. Assurément, il n’est ici plus question de la structure théorique et rationnelle du dialogue palabrique ou d’une éthique idéaliste comme étant précisément la distance entre une éthique conventionnelle et une réalité pratique dans la société qui dans et par le dialogue oblige à refonder le jugement, et à entrer en débat pour réinventer la vie individuelle et sociétaire. La palabre, une communication humaine typique, est aussi, de ce fait, une instance de décisions éthiques. Mais nous pouvons encore dans la suite nous demander s’il y a dans la palabre, face à une réflexion chrétienne sur une éthique de communication, des prédispositions normatives chrétiennes? Ou encore, peut-on trouver dans le dialogue palabrique des normes ou processus qui rejoignent l’éthique chrétienne de la communication? Le quatrième chapitre essaie de porter une lumière sur cette préoccupation.
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CHAPITRE IV : Valeurs communicationnelles chrétiennes et communication palabrique Dans l’Église catholique, la communication est indispensable à la pratique de la foi et à son action dans le monde. Le caractère et l’élan communicationnel en l’homme est intrinsèque à sa création. L’Église est une instance médiatrice de transmission de la parole qui lui est communiquée. Elle communique le message de vie et se communique elle-même. Et cet élan communicationnel, comme nous pouvons le constater dans la déclaration du Conseil pontifical pour les communications sociales: «trouve son origine dans la communion d’amour entre les Personnes divines et leur communication avec nous "et dans la prise de conscience que la communication trinitaire" s’étend à l’humanité: le Fils est le Verbe, éternellement "parlé" par le Père et, en Jésus-Christ et par lui, Fils et Verbe fait chair, Dieu se communique, ainsi que son salut, aux hommes et aux femmes»477.
On peut alors parler d’un plan divin de communication qui doit orienter toute communication dans l’Église et dans le monde478. En effet, la communication est un système et un processus relationnel479. La communication fait partie de l’être même de l’Église. L’Église est communication, et c’est sa vocation de conduire par la communication à la communion avec le Christ. L’histoire de la révélation, l’annonce de la parole salvatrice, l’engagement social, la vie des sacrements constituent des actes concrets de ce processus. L’Église a par sa nature même la volonté et le devoir de communiquer, d’écouter, de transmettre. C’est sa volonté même. Et comme le remarque Dardelet: «vouloir, c’est partager au cœur de notre préoccupation de la communication tout ce qui rend terriblement actuel le message du Christ. Comme si coulait naturellement de ses propositions notre engagement pour aujourd’hui. C’est sans doute le plus surprenant – pour tout homme de communication à qui l’on demande en permanence de "renouveler les messages" – de constater que ce message – là se prolonge, sans ja477 Conseil pontifical pour les communications sociales: Éthique dans les communications sociales, n. 3. 478 Cf. W. Wolbert, Moral in einer Kultur der Massenmedien, 98-99. Les familles, l’Eglise et tous les groupements sociaux sont des lieux de prédilection de la communication, telle que voulue par Dieu qui les soutient par son mystère divin. En conséquence, toute communication doit s’orienter sur la communication divine. 479 Cf. B. Klaus, Einführung, 17. De manière globale, la communication est une action sociale, un processus interactif par lequel les individus se lient les uns aux autres, entrent en relation mutuelle. Elle demeure un système d’agir très complexe.
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mais prendre d’autres rides que la pertinence de la tradition et l’évolution de la sémantique»480.
Cette volonté communicationnelle de l’Église – qui est aussi son devoir – est orientée par des principes chrétiens de l’agir communicationnel. Et quelques-uns de ces principes peuvent aussi être descellés dans le dialogue palabrique africain. L’Église est communion et communication.
1. L’Eglise: communion et communication La communication est un moyen pour la réalisation de la communion "communio"481. La vie de communauté est le but principal et la racine de la communication, et parler de communauté ici sous-entend aussi l’intercompréhension qui doit imprégner la vie d’ensemble à l’image de la communion divine. L’instruction pastorale Communio et Progressio le rappelle encore une fois: «selon la foi chrétienne, l’union entre les hommes, en tant que fin principale de toute communication, trouve son origine, et déjà sa préfiguration, dans le mystère fondamental de l’éternelle société de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, qui vivent une seule vie divine»482.
La communication est la voie vers la communion, elle est un processus solidaire pour la communion, un agir ecclésial coopératif et responsable. A ce propos, Jean-Paul II écrit dans "Christi Fidelis Laici": «la communion ecclésiale, déjà présente et opérante dans l’action de chaque personne, trouve une expression spécifique dans l’action en commun des fidèles laïcs, c’est-à-dire une action solidaire menée dans une participation responsable à la vie et à la mission de l’Église»483.
La communion est fruit d’un agir, et c’est par cet agir qu’elle est liée à la mission même de l’Église. Elle est associée à l’engagement de l’Église, de chacun de ses membres au service de la société humaine dans la dignité intégrale de l’homme. Cette communion reste une exigence majeure de l’Église, elle est sa mission, car poursuit Jean-Paul II: «la communion et la mission sont profondément unies entre elles, elles se compénètrent et s’impliquent mutuellement, au point que la communion représente la source
480 B. Dardelet, Et Dieu créa la communication, 130. 481 Cf. W. Weber, Evangelisierung und Internet, 102: „Kommunikation erfüllt sich nicht "in sich", sondern ist Mittel zum Erreichen der Communio – Communio erhält damit eine Priorität über die "communicatio"“. 482 Communio et Progressio, 8. 483 Jean-Paul II, Christi Fidelis Laici, n.29.
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et tout à la fois le fruit de la mission: la communion est missionnaire et la mission est pour la communion»484.
Pour une communion effective, l’Église se doit être une institution de communication responsable et efficace. Böhm, par le graphique (5) ci-dessous présente clairement cette image de la communication comme une voie vers la communion, il va du récit de la Tour de Babel à celui de la Pentecôte. Il représente la tour de Babel comme lieu du Tohu-bohu des langues et la Pentecôte comme lieu de restauration de la communication perdue. Il montre ainsi le passage du désordre de la tour de Babel à l’unité par la Pentecôte: une image du cheminement et du processus de la "non-communication" à la communication, de la "noncommunion" à la communion, de la "non-intercompréhension" à l’intercompréhension. La communion est le but, visé par la communication. Communication et communion rendent possibles la liberté, la justice, la vérité, l’espérance et l’amour de Jésus à la lumière de l’Évangile. Et dans ce cheminement de Babel à la pentecôte se situe l’histoire de la communication et de la communion humaines. Et ainsi, il y a de la communion par la communication, c’est-à-dire une expérience d’unité, une profondeur de "l’être-ensemble". En effet, l’Église voit dans l’histoire de la communication humaine un long voyage ayant conduit l’humanité depuis la confusion de Babel jusqu’à la compréhension mutuelle et le don des langues à la Pentecôte, en d’autres termes le rétablissement de la communication et la communion centrées sur Jésus par l’action de l’Esprit Saint dans l’amour du Dieu le Père. Le graphique résume ceci à sa manière485.
484 Ibid., n. 32. 485 Cf. Gn 11, 1-9.
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5. Graphique (5) 486.
Nous proposons les explications suivantes du graphique: Babel: (la tour de Babel); Verkündigung: proclamation; Produzenten/Innen: producteurs/trices (ceux et celles qui proclament); Rezipienten/innen: recepteurs/trices (de la proclamation); Rechtes Verhalten: comportement correct (juste); Die sozialen Kommunikationsmittel im Dienst von Fortschritt und Gemeinschaft: les moyens de communication sociale au service du progrès et de la communauté; Medientheologie: la théologie des médias; Kirche: L’Église; Welt: Le monde; Pfingsten: La Pentecôte. L’Église est communion487. En effet, le terme latin "communio", comme son équivalent grec "koïnônia"488, exprime d’abord une union stable des personnes, une unité dans la diversité, une communauté qui communique, qui privilégie le "communis", la mise en commun, le partage, et ainsi donc la communication. La communion chrétienne est l’union des hommes entre eux, fondée sur leur union
486 T. Böhm, Religion durch Medien-Kirche in den Medien und die „Medienreligion”, 26. 487 Cf. 1Co 10, 14-17; 12, 12-30; Rm 12, 4-6. 488 E. Garhammer, Koinonia – der Gottesherrschaft Raum geben, 163: „Aufgabe der Koinonia, eines der wichtigen Grundvollzüge der Kirche, ist dabei die Realisierung der Einheit in Verschiedenheit“.
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à Dieu. La source et le terme d’une telle communion est l’unité des trois Personnes de la Trinité489. Il est possible de dire, dans une certaine mesure, que communion signifie aussi communication, au sens d’échange, de partage, de coopération, de don, de transfert, d’"inter-action". C’est la vocation de l’Église que de communiquer, parce que communiquer est son essence, de par son existence et selon la volonté du Créateur qui lui donne vie et communication en partage. L’Église est communication parce qu’elle est communion; elle est communion dans la communication. Dans les sacrements, cette communion trouve une nourriture, en premier lieu dans l’Eucharistie. Vu sous cet angle, tout acte de communication qui ne vise pas la communion et qui n’y conduit pas ne peut favoriser la communion. L’Église communique en elle-même, de façon interne et communique aussi avec le monde externe. C’est le fait, par exemple, des différents dialogues œcuméniques – pour ne citer que ce cas. La communication est donc une dimension essentielle à son être et à sa mission490. Elle est une pratique même de l’action de la foi. L’Église est communion par la force et la volonté de Dieu lui-même, qui s’est manifesté en premier à l’homme et est entré en dialogue, en communication avec lui. Dieu s’auto-communique toujours par et dans son Église. En conséquence, la foi peut être interprétée comme une expérience de communication et de communion avec Dieu et avec les autres. L’Église, en tant que corps du Christ, est une communauté fondée par Dieu, qui ne peut subsister que comme communauté de et en communication. Voilà pourquoi sa mission est, en même temps, celle d’être à l’écoute de la parole du salut et celle de transmettre cette même parole au monde. Et c’est ainsi que Pinto de Oliveira souligne que: «dans ce contexte, la tâche de l’Église est double: d’abord élaborer, "coder" le message; ensuite aider l’homme de la rue à le "décoder", à rejoindre la doctrine dans sa vérité, dans son inspiration évangélique comme source d’amour et de liberté»491.
En tant que communauté d’êtres humains, d’un point de vue anthropologique, l’Église ne peut vivre que dans la mesure où elle communique et par le fait que ses membres vivent en elle une relation interactive de communion interactive. Pour cette raison, le Conseil pontifical pour les communications sociales conclut: «[…] la communication est donc de l’essence de l’Église»492. 489 490 491 492
1 Jn 1, 3. Cf. Concile Vatican II, Lumen Gentium, n. 1. C-J. Pinto de Oliveira, Éthique chrétienne et dignité de l’homme, 162. Conseil pontifical pour les communications sociales, Église et Internet, Cité du Vatican, le 22 février 2002, n.3.
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L’Église est donc aussi communication493, puisqu’elle est une institution de dialogue: entre Dieu et l’homme, entre les hommes eux-mêmes494. Elle est un agir interactif par cette relation de dialogue et de ce fait elle est bien plus qu’une simple communication humaine. Par elle, Dieu communique avec l’homme par l’homme et se donne. Comme l’explicite Jean-Paul II: «la communication qui s’opère dans l’Église et par l’Eglise consiste essentiellement dans l’annonce de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. C’est la proclamation de l’Évangile comme la parole prophétique et libératrice adressée aux hommes et aux femmes de notre temps; c’est le témoignage rendu, face à une sécularisation radicale, à la vérité divine et à la destinée transcendante de la personne humaine; c’est, face aux conflits et aux divisions, le parti pris de la justice, en solidarité avec tous les croyants, au service de la communion entre les peuples, les nations et les cultures»495.
L’Église n’est pas et ne doit pas être un cercle fermé qui vivrait pour elle-même. Elle a mission de communiquer ce qu’elle a elle-même reçu. Elle est communication, puisqu’elle est un moyen et un lieu interactif de relation et de dialogue, – à l’exemple même de Jésus, son Maître, dont toute la vie est communication permanente – L’Église est lieu d’éclosion de la foi qui se veut active et interactive. Elle est agir.
1.1 Foi et Agir La question de la relation ultime entre la foi et l’agir est centrale à la théologie fondamentale, malgré la différence à faire entre les deux. Naturellement, on peut se demander, en objectiviste ou subjectiviste, si la foi n’est pas d’une part une imposition de l’autorité ecclésiale, qu’on doit tout simplement accepter et d’autre part une adhésion personnelle qu’il faut vivre en soi et pour soi sans attention et conséquences intersubjectives496. A cette préoccupation, nous répon493 Cf. B. Klaus, Einführung, 23. Certes, dans la coopération, la solidarité, le travail pastoral et la diaconie etc., l’Église s’actualise et se vit comme un processus et un lieu de communication. 494 Cf. J. Wolf, Kirche im Dialog, 130: „Deshalb versteht sich die Kirche schon von ihrem Selbstverständnis her als dynamische Größe, die auf das je größere Heil der gesamten Menschheit ausgerichtet ist, die eine in Frieden und Gerechtigkeit geeinte Menschheit will und darüber hinaus den Dialog mit allen Menschen guten Willens suchen soll“. En effet, l’Eglise se saisit exactement comme une institution au service du salut intégral de l’homme et comme une dynamique de paix, de justice pour l’humanité entière, et c’est dans cette dynamique qu’elle se veut être communication et communion. 495 Jean-Paul II, Aetatis novae, n. 9. 496 Cf. W. Lesch/A. Bondolfi (Hrsg.), Theologische Ethik im Diskurs, 26: „Im Rahmen einer theologischen Handlungstheorie wird die Beziehung von Glaube und Handeln zu
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dons que la foi chrétienne est effectivement une réalité intersubjective; elle est une réalité intérieure qui doit se communiquer, se partager et se vivre 497. Elle est une réalité interactive, un agir. Cette dimension intersubjective prend son fondement dans l’histoire de Dieu comme histoire du salut, une histoire existentielle qui se base sur la relation historique de Dieu et celle de l’homme. En tant que telle, elle exige de trouver la vérité et la sincérité qui doivent conduire son annonce, c’est-à-dire le discours sur elle et pour elle, et l’interaction que ce discours implique. Dans cet ordre de pensée, Demmer explique la théologie morale comme une théorie herméneutique de l’action et de la norme 498. L’action salvatrice divine, en et par Jésus-Christ, contient déjà intrinsèquement une norme d’action. Ce qui, en d’autres termes obligerait à une éthique théologique qui s’articule sur une théorie de l’agir en tant que pratique communicationnelle de la foi ("kommunikative Glaubenspraxis")499. Effectivement, la pratique de la foi, c’est l’annoncer (erzählen). La foi vient de l’appréhension500 de l’annonce de la bonne nouvelle de Jésus Christ, de l’histoire du salut, de la venue de Dieu dans l’histoire humaine. Dans la commu-
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einer fundamentaltheologischen Zentralfrage. Bei dieser Frage geht es um grundlegende theologische Optionen. Denn erstens berührt sie das Verhältnis von Glaube und Wirklichkeit in erkenntnistheoretischer, hermeneutischer und praktischer Hinsicht. Sie markiert zweitens den Ort, den die Praxis in der jeweiligen Glaubenskonzeption einnimmt sowie umgekehrt den Glaubensbezeug der damit zumindest implizit anvisierten Praxis. Drittens sind damit Ansatz, Status und Reichweite von Theologie angesprochen“. Cf. Ibid., 26-31. Une théologie de la théorie de l’agir, face à une analyse objectiviste ou intersubjectiviste, pose la foi chrétienne comme une réalité intersubjective qui se vit et se comprend comme une pratique communicative. La foi est ainsi une réalité vivante et active. Cf. Ibid., 29: „Klaus Demmer charakterisiert die Moraltheologie als eine hermeneutische Handlungstheorie und als Normtheorie. Gegenüber einem auf den normativen Diskurs und also auf Begründungsfragen verengten Verständnis dieser Disziplin unterstreicht er deren handlungstheoretische Ausrichtung. Eine solche hat sie laut Demmer, insofern sie primär Gottes Handeln in Jesus Christus, an dem sich sein Heilshandeln am Menschen ablesen lässt, systematisch auf seinen sittlichen Bedeutungsgehalt bedenkt. Die Moraltheologie ist ihm zufolge eine innerhalb der Kommunikations- und Konsensgemeinschaft Kirche betriebene kirchliche Wissenschaft, die ihren Referenzpunkt im consensus fidelium hat“. Cf. W. Lesch/A. Bondolfi (Hrsg.), Theologische Ethik im Diskurs, 29-34. La théologie morale doit se réaliser dans cette communauté de dialogue, de communication et de consensus qu’est l’Eglise dans le "consensus fidelium". Le fait de parler de l’histoire du salut, de la raconter est aussi un agir communicationnel. Rm, 10,17.
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nication de l’Evangile s’établit, partant, un rapport interpersonnel 501 entre les partenaires; car la foi doit être racontée, partagée dans la communauté. Et c’est par le partage communicationnel qu’elle prend pied. Raconter les récits du salut divin est ainsi une action communicationnelle. Proclamer est en outre un agir comme tout agir interactif, c’est un agir de foi, un discours sur la foi. Celui qui proclame, annonce, agit avec le langage502. La foi est un agir pour témoigner503 (bezeugen), car témoigner est également une action communicative, puisque le témoignage est un acte public de la vérité de la foi qui exige la sincérité dans les débats. Témoigner est en même temps un agir dans l’intention de persuader. Du témoignage dépend en partie la compréhension du message et même l’édification de l’expérience partagée. Le témoignage ne fixe pas un consensus conceptuel, mais une histoire commune du fait que le témoignage est un agir ouvert à l’autre. Le témoignage chrétien est comme un certificat de vie. Il n’est pas une livraison d’informations sur un événement isolé, mais un partage existentiel dont la "Vita Christiana" est le témoignage504. Le témoignage ouvre à l’intersubjectivité dans la vie de foi, à la conviction pour confesser (bekennen) et défendre ce que l’on croit en parole et en acte dans une communauté, témoignage du Christ mort et ressuscité pour le salut d’un chacun et celui de toute la communauté. La confession de la foi se communique et se discute et se vit en solidarité avec les autres. La foi se témoigne dans l’agir et dans l’agir communicationnel. Ce témoignage porte sur la vérité de la vie, sur la dignité de l’homme, le vrai sens de la liberté et sur l’interdépendance entre les hommes. La vie de foi, par la dynamique du témoignage est la reconnaissance et la croyance au "Kyrios". La confession de la foi se manifeste et se vit dans les divers rituels de l’Eglise. Elle signifie en d’autres termes parvenir à un consensus,
501 Cf. R. Preul/R. Schmidt-Rost, Kirche und Medien, 13. 502 Cf. W. Lesch/A., Bondolfi (Hrsg.), Theologische Ethik im Diskurs, 36: „Das Erzählen von Geschichten ist kommunikatives Handeln“; Jean-Paul II., Botschaft zum 33. Welttag der Sozialen Kommunikationsmittel. 503 Cf. Ibid., 37: „Zeugnisgeben ist ebenfalls kommunikatives Handelns. [...] Bezeugen ist eine öffentliche Handlung. [...] Die Wahrheit des Zeugnisses und mit ihr Wahrhaftigkeit des Zeugens stehen zur Debatte. [...] Bezeugt wird in der Absicht zu überzeugen. Bezeugen richtet sich auf Verständigung, es „sucht ein Einverständnis in einer gemeinsamen Erfahrung herzustellen. Es zielt nicht auf einen begrifflichen Konsens, sondern auf eine gemeinsame Geschichte“. 504 Cf. R. Preul/R. Schmidt-Rost, Kirche und Medien, 12.
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à un accord sur la foi505, c’est ce qui constitue la dynamique du témoignage et de la confession506. L’annonce, le témoignage et la confession de la foi sont agir communicationnels de la foi, par et dans lesquels la foi chrétienne s’articule, se vit, et ceci est visible, par exemple, lors des rassemblements de prière, dans la diaconie, qui sont des signes pratiques de la foi vécue507. Cet agir communicationnel recherche le bien de tous et l’accomplissement de chacun en tant que personne et membre de la communauté, ce processus culminant dans le dialogue qui oblige chaque membre à un engagement de vie dans la vérité. Et Baquet d’en déduire que: «si la communication de Dieu, tout comme la communication sociale, est jeu, mouvement dans lequel nous sommes engagés, alors on peut proposer le codage du christianisme selon la dynamique "foi-espérance" et charité, celles-ci servant d’instance critique pour les énoncés de l’Église concernant les médias. Dans cette dynamique où la parole de la révélation n’existe pas sans notre propre parole, où la création n’est rien sans notre propre création, l’Église ne peut plus émettre de propos prétendant à une évidente universalité sur Dieu, le sens ou la gestion de l’humain […]»508.
L’Église est avant tout un témoignage de chaque chrétien et de tous, un témoignage du message du salut, de l’amour divin. La force chrétienne réside dans ce témoignage sur et de l’amour trinitaire; il se solidifie dans l’effort de vivre et de communiquer de façon responsable les exigences évangéliques d’espérance et de charité, dans l’exercice du partage, de la solidarité, et dans la manière de communiquer ces exigences. Car c’est l’amour trinitaire qui invite l’homme au dialogue avec son créateur, source de la communication. 1.1.1 L’homme, partenaire de communication du Créateur Dieu lui-même s’est manifesté aux hommes et est entré en dialogue avec eux ("auto-communication"): par la création, la révélation et toute l’histoire du salut, Dieu entre en communication avec l’homme. Dieu Père, Fils et Esprit se communique et communique en se révélant comme créateur, sauveur et sanctificateur. Cette communication divine unifie les êtres créés et solidifie leur commu505 Cf. W. Lesch/A. Bondolfi (Hrsg.), Theologische Ethik im Diskurs, 39-40. 506 Cf. Rm, 10, 9; 1Cor, 8, 6; Lk 12, 8ss. 507 Cf. W. Lesch/A. Bondolfi (Hrsg.), Theologische Ethik im Diskurs, 40-41: „Der Glaube erweist sich als eine kommunikative Praxis von Subjekten, die an ihren Orten und in ihren Kontexten mittels bestimmter Medien und Texte im Blick auf ihre Intentionen und Ziele bestimmte Inhalte mitteilen und darin kommunikativ handeln“. 508 A. Bacquet, Médias et christianisme, 157.
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nication dans la communion. Cette unification confère à la communication humaine une autre force et une dynamique interactive509. Du fait que l’Église est une communauté fondée par Dieu, elle ne peut subsister que comme communauté en communication avec Dieu. En même temps, elle n’existe, en tant que communauté d’êtres humains, que dans la mesure où ses membres vivent les uns avec les autres dans une relation fraternelle, basée sur la communion qui est un agir. Cette communion oblige à un comportement avec des implications normatives, exige l’interaction communicationnelle. La notion de communication, à la lumière de la foi chrétienne, est beaucoup plus large, car elle ne se limite pas seulement à l’homme, dans la mesure où c’est précisément à travers ce dialogue libre et fraternel que l’homme rencontre Dieu et que Dieu se sert de cette voie pour communiquer avec l’homme. C’est ce que confirme l’instruction pastorale Communio et Progressio en déclarant: «selon la foi chrétienne, l’union entre les hommes, en tant que fin principale de toute communication, trouve son origine, et déjà sa préfiguration, dans le mystère fondamental de l’éternelle société de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, qui vivent une seule vie divine»510.
Cette vision chrétienne de la communication est donc fondée sur une théologie de l’incarnation et de la Trinité qui oriente la communication interne à l’Église. Et au sujet du dialogue entre l’Eglise et le monde on lit dans l’instruction pastorale Communio et Progressio ce qui suit: «le dialogue de l’Église ne s’étend pas seulement à ses membres, mais au monde entier. En vertu d’un commandement divin très net, l’Eglise doit proclamer sa doctrine et sa morale à tous les fils de cette terre dont elle partage le sort»511.
La relation de l’homme à Dieu est un rapport de relation entre créateur et créature. Elle est aussi une relation communicationnelle: le créateur communique avec la créature et la créature répond à l’appel créateur du créateur. La créature est pour ainsi dire partenaire du créateur. Cette relation est une communication interpersonnelle Dieu-Homme à image trinitaire512 avec pour conséquence que toute relation, toute communication humaine doit, à l’exemple de la communication divine, tendre à la vérité, à la justice, à la liberté, à l’amour et à l’unité. La communication est une dimension, une réalité vitale de l’Église513. Par la parole créatrice, l’homme est partenaire de la communication de Dieu. Par son 509 Cf. Jean-Paul II., L’amore umano nel piano divino, in: Catechesi di Giovanni Paolo I nelle Udienze Generali I, Vatikan 1980, 40. 510 Communio et Progressio, 8. 511 Ibid., 122; Cf. Mt 28, 19. 512 Cf. K. Rahner, Sacramentum mundi III, 411. 513 Cf. Vatican II, Lumen Gentium, 1.
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incarnation, Jésus accomplit exactement ce processus communicationnel. Par lui et en lui sont les bases de la communication avec Dieu et aussi de celles entre les hommes. Il est le médiateur et le communicateur par excellence. C’est en lui que l’Église enseigne et communique en appelant les hommes à la foi. Vivre la foi en Jésus, c’est le communiquer, partager son amour. 1.1.2 La foi: une pratique communicationnelle Peut-on parler d’une perspective communicationnelle de la Foi? L’Eglise a pour mission de faire connaître le Christ, de le communiquer aux hommes afin de les conduire à la foi en Dieu. La foi est ainsi un agir, une pratique communicationnelle et a une dimension intersubjective514. Mais elle a aussi une dimension participative (eine Teilnehmerperspektive), puisqu’elle est une réalité existentielle pour le croyant; elle se vit dans le jeu relationnel avec Dieu et avec l’autre. Elle est une réalité et une relation communicationnelle; fait individuel et communautaire: la foi doit être vécue librement, elle est personnelle et interpersonnelle à la fois. La foi est une communication de l’amour divin, et elle reste la voie vers cet amour. Elle doit se vivre et se partager interactivement, elle doit se communiquer. Elle se veut un agir interactif, une vie en communion, en relation avec son Dieu et en interaction avec les autres. Elle se communique dans l’annonce, le partage et dans la vie pratique concrète comme un agir aussi bien dans le discours qu’en acte. La foi est un vécu quotidien. Elle est à la fois une réalité subjective – une expérience personnelle unique, et une réalité intersubjective dans sa dimension sociale et collective515. Elle est un agir orienté vers l’individu et la communauté, vécu dans la communion en société. C’est là qu’elle s’articule, se déploie et évolue. Assurément, elle est une réalité individuelle et communautaire 516. En effet, la foi chrétienne est un fait ancré dans l’histoire de l’humanité, une histoire de solidarité de l’homme avec son créateur, solidarité de l’homme avec l’homme et de toute la création. La pratique de la foi est la réponse active du créé à l’appel d’amour du créateur dans une espérance solidaire commune des hommes. 514 Cf. W. Lesch/A. Bondolfi (Hrsg.), Theologische Ethik im Diskurs, 31: „Glauben ist zum einen etwas unverwechselbar Persönliches und zum anderes etwas Gemeinschaftliches, etwas, das eine Gemeinschaft voraussetzt und in eben dieser geschieht. Glauben ist immer subjektiv, ein von den einzelnen Subjekten vollzogenes Tun, und hat zugleich eine notwendige intersubjektive, gemeinschaftliche und gesellschaftliche Dimension“. 515 Idem. 516 Cf. Ibid.,, 31-32.
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Peukert voit dans la foi une pratique, une pratique communicationnelle des croyants par laquelle ils reconnaissent le créateur et le communiquent aux autres pour l’accomplissement de l’existence humaine. Conséquemment, vivre sa foi trouve son chemin dans une pratique quotidienne de l’amour divin qui se communique aux autres; car la foi est ouverture à soi, à l’autre et à Dieu. En tant qu’ouverture, elle est en même temps accomplissement de l’existence humaine517. La pratique de la foi est un agir communicationnel, une pratique intersubjective ("das Zur-Sprache-Kommen Gottes und das Zur-Sprache-Kommen des Menschen")518. Car elle est parlée, discutée et partagée solidairement entre les croyants. En tant qu’agir interactif et partage solidaire dans la sincérité, la justesse, la vérité, elle repose sur l’annonce, le témoignage et la confession. Si la foi est comprise comme une pratique de communication, la référence à la communauté de communication est alors évidente519. En effet, la pratique religieuse quotidienne montre que la pratique de communication de la foi se fait avec l’aide de divers médias et ceci dans le respect du processus procédural de l’agir communicationnel général. La foi est une affaire personnelle d’un individu avec Dieu, une réalité à vivre, à partager, à communiquer dans une communauté de foi et au-delà de ce cercle, une réalité. Sa pratique doit être articulée sur la tradition biblique, chrétienne et théologique et aussi sous l’inspiration du Saint-Esprit sur les réalités actuelles. C’est de cette manière qu’elle peut être vivante, compréhensible, active et solide. Chaque acteur de communication de la foi est ainsi invité à communiquer dans la vérité, dans un esprit de participation. Les différentes structures et les formes de communication dans l’Église veulent témoigner, promouvoir et concrétiser la foi chrétienne en tant que réalité de communauté et de communion des croyants; elles solidifient la fonction et la dimension communautaires de la foi dans l’Église. Parler implique en général agir en reconnaissant, aussi implicitement que ce soit, des règles du jeu de la communication. L’Église, dans la communication de la foi, n’impose pas celle-ci, elle raconte l’histoire du salut, la partage et la communique par sa parole et son agir dans le respect du partenaire avec qui elle veut la partager sincèrement. Elle communique, discute avec son partenaire. L’Église ne livre pas seulement un message, mais elle se livre elle-même, se manifeste aussi par là comme une communauté communicationnelle. Parce que communiquer, c’est aussi donner et se donner, c’est écouter pour s’écouter, pour 517 Cf. Ibid., 32; H. Peukert, Sprache und Freiheit, 44-75. 518 Cf. B. Klaus, Einführung, 50. 519 W. Lesch/A. Bondolfi (Hrsg.), Theologische Ethik im Diskurs, 32-33.
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s’entendre et se comprendre. Dans la communication de l’Église, les croyants se découvrent pour s’enrichir mutuellement. Cette communication se fait sur la base de certaines orientations normatives chrétiennes qui favorisent sa sincérité et sa dynamique comme expression de foi chrétienne. 1.1.3 La communication est essentielle à l’expression de la foi chrétienne Par la communication, lisons dans "Communio et Progressio": «l’homme concourt au dessein de Dieu […]. L’union des hommes, en tant que fin principale de toute communication, trouve son origine dans le mystère fondamental de l’éternelle société de Dieu, père, Fils et Esprit Saint»520.
La communication est essentielle à l’expression de la foi et indispensable à l’action de l’Eglise dans le monde: elle se veut une communication à l’intérieur et à/avec l’extérieur. Elle implique l’homme dans son intégralité pour le faire ainsi participer à l’avènement du Royaume de Dieu. Jésus est non seulement le médiateur entre Dieu et l’homme mais il est aussi le maître de la communication521, comme l’affirme "Communio et Progressio"522. La Foi se veut être une réalité vivante qui doit de ce fait se communiquer pour son effectivité dans la vie de partage. Elle est donc une réalité communicationnelle et relationnelle: relation avec son Dieu et avec les autres – croyants ou non. L’Église est le lieu privilégié de son articulation dans sa perspective interactive523. Dans son travail, l’Église ne peut se passer des différents moyens de communication sociale qui sont un outil important dans l’agir interactif.
1.2 L’Église et les moyens de communication sociale L’Église attache une grande importance aux moyens de communication sociale, comme cela est exprimé à travers ses divers documents: l’encyclique "Vigilanti cura" de Pie XI (1936), ou "Miranda prorsus" de Pie XII (1956) qui ont été suivies du décret "Inter mirifica" du concile œcuménique Vatican II., de l’instruction pastorale "Communio et Progressio" (1971) et, enfin, de l’instruction pastorale "Aetatis novae" (1992).
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Communio et Progressio, 8. Cf. Jn 1,14. Cf. Communio et Progressio, 11. Cf. Ga 5, 6; 19-22¸ Rm 5, 5; 2 Co 5, 15-17; 1 Co 13, 1.4-5.
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Plusieurs grands documents de l’Église abordent, en effet, ce thème. On peut notamment citer l’exhortation apostolique "Evangelii nuntiandi"524 de Paul VI et l’encyclique "Redemptoris missio" de Jean-Paul II, qui souligne qu’il ne suffit pas d’utiliser les médias pour assurer la diffusion du message chrétien, mais que: «il faut intégrer le message dans cette "nouvelle culture" créée par les moyens de communication modernes […]. Cette culture vient de ce qu’il existe de nouveaux modes de communiquer avec de nouveaux langages»525.
L’Église a bien compris que les moyens de communication sociale sont importants pour son agir communicationnel526 et doivent, pour ce, être utilisés sans abus. Par ailleurs, dans l’instruction pastorale "Communio et Progressio", l’Église reconnaît que les instruments de la communication sociale sont un "don de Dieu". Ce document décrit très bien la grande importance de ces moyens pour la communication interne dans l’Eglise, ainsi qu’avec le monde. L’instruction pastorale "Aetatis novae" complète "Communio et Progressio" en prenant en compte les données actuelles et recommande ainsi aux conférences épiscopales l’élaboration d’un plan pastoral pour la communication sociale. Par Jésus, Parole créatrice, Verbe incarnée527, Dieu prend l’initiative, au début de l’histoire, de communiquer et de se communiquer en plaçant ainsi l’homme comme partenaire de communication, ainsi, Jésus Co-créateur et Verbe Incarné, est le parfait communicateur528. Les communications sociales ont en lui un modèle, parce qu’elles ont pour but de favoriser les relations entre les personnes pour l’accomplissement du plan de salut divin. En effet, "Communio et Progressio" relève que: «de sa nature même, la communication sociale tend à réaliser des échanges entre les hommes. Ils découvriront ainsi un sens plus approfondi à la vie communautaire. De la sorte, l’homme concourt au "dessein de Dieu dans l’Histoire", conduit qu’il est par la main de Dieu. – Selon la foi chrétienne, l’union entre les hommes, en tant que fin principale de toute communication, trouve son origine, et déjà sa préfiguration,
524 Cf. Paul VI, Evangelii nuntiandi, n. 45. 525 Jean-Paul II, Redemptoris missio, n. 37c. 526 Cf. W. Wolbert, Moral in einer Kultur der Massenmedien, 43: „Kommunikation heute geschieht eben nicht mehr nur allein durch Beziehungen zwischen real anwesenden Subjekten, sondern sie wird wesentlich bestimmt durch den Informationsprozeß der Massenmedien“. Les techniques de communication sont des outils, à l’heure, incontournables pour communiquer. 527 Cf. Jn 1, 1ss. 528 Cf. Communio et Progressio, 11; Jn 1, 14.
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dans le mystère fondamental de l’éternelle société de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, qui vivent une seule vie divine»529.
Pour ce, l’Église participe activement et s’engage aux débats de société, qui se font majoritairement dans les médias, de façon offensive, constructive, mais aussi critique, puisqu’elle doit faire rayonner clairement lors de ces débats la vision chrétienne de l’homme et du monde. Et les différentes journées annuelles des communications sociales qu’elle organise montrent bien à quel point l’Église offre la possibilité de réfléchir sur la communication, sur les médias, mais également d’améliorer les relations avec les personnes y travaillant avec la grande préoccupation de permettre aux membres de réfléchir sur les différents aspects de la communication et ses implications éthiques. L’instruction pastorale "Communio et Progressio", élaborée à Rome, lors de la cinquième journée mondiale des moyens de communications sociales, le 23 mai 1971, sur mandat spécial du concile œcuménique Vatican II, révèle bien l’attention et la vision particulière de l’Église au sujet de la communication et des moyens de communication sociale. Cette instruction peut bien aider à ressortir une orientation théologico-normative de la communication. Elle présente une thèse principale qui montre la relation primordiale entre communication et communion, appuyée par plusieurs argumentations et aspects dogmatiques, et principalement par la vie trinitaire qui est et doit être l’image de toute communication et toute communion. La communication de l’amour divin culmine dans l’incarnation du Fils Jésus-Christ qui envoie l’Esprit, vivificateur de la communion et l’unité dans l’Église, mystère du Corps du Christ, lieu de communion et de communication530. L’instruction pastorale "Populorum Progressio" élaborée pour l’application du Décret du Concile œcuménique Vatican II "Inter Mirfica" développe toute la vision chrétienne de la communication.
529 Ibid., 8. 530 Cf. W. Weber, Evangelisierung und Internet, 92-95. Avec l’instruction pastorale "Communio et Progressio", l’Eglise aborde la communication sous une nouvelle vision. La révélation sera dès lors lue sous son angle communicationnel. On parle alors de la théologie de la communication dans une vision trinitaire. Nous pouvons parler de la communication trinitaire "ad intra" et "ad extra". Toute l’histoire du salut est, en effet, une histoire communicationnelle.
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1.3 Les valeurs sociales fondamentales de vérité, de justice, de liberté, de charité et de réconciliation dans la communication La réussite de la communication est intrinsèquement liée à sa qualité et au rayonnement de la communion au sein de la communauté. Pour être un bon communicateur, selon l’enseignement chrétien, on doit être en quelque sorte, un médiateur entre la Parole et le monde dans lequel on vit, c’est-à-dire vivre sa communication dans la communion et dans la communauté dans laquelle on communique. Voilà pourquoi la communication oblige à la responsabilité, la vérité, la justice, la liberté, la charité, la solidarité et la réconciliation dans toutes manières d’être dans la ligne du Maître de communication et de la foi, JésusChrist. Dans l’interaction, chacun et tous ensemble nous devons rechercher la vérité, dans la justice, la liberté pour se comprendre. A ce propos, l’enseignement chrétien recommande de rechercher la vérité dans Jésus pour être libre. Il faut ordonner la communication à l’unité et à la vérité trinitaire pour communiquer dans le respect de la dignité de la personne531. 531 Cf. 2 Sam 7, 28; Jn 14, 6; 8, 32; W. Weber, Evangelisierung und Internet, 113-114; Conseil Pontifical pour les communications sociales, Ethique dans les communications sociales, n. 20: «les principes éthiques et les normes importantes dans d'autres domaines s'appliquent également aux communications sociales. Les principes d'éthique sociale, comme la solidarité, la subsidiarité, la justice et l'équité, et la responsabilité dans l'utilisation des ressources publiques et l'accomplissement des rôles de confiance publique sont toujours applicables. Un exemple de bien humain ne peut jamais être directement violé au nom d'un autre. La communication doit toujours être fidèle, car la vérité est essentielle à la liberté individuelle et à la communion authentique entre les personnes. L’éthique dans la communication sociale ne concerne pas seulement ce qui apparaît sur les écrans de cinéma ou de télévision, dans les émissions de radio, dans les publications et sur Internet, mais bien d’autres aspects. La dimension éthique ne se rapporte pas seulement au contenu de la communication (le message) et au processus de communication (la façon dont est faite la communication), mais également à des questions de structures et de systèmes fondamentaux, concernant souvent des questions importantes de politique ayant une influence sur la distribution de technologies et de produits sophistiqués (qui détiendra un grand nombre d’information, et qui en aura peu?). Ces questions conduisent à d’autres questions ayant des implications économiques et politiques pour la propriété et le contrôle. Tout au moins dans les sociétés ouvertes ayant une économie de marché, la question éthique la plus importante de toutes pourrait être la façon d’équilibrer le profit et le service de l’intérêt public, considéré selon une conception globale du bien commun. Même pour les personnes de bonne volonté, la façon d’appliquer les principes et les normes éthiques aux cas particuliers n’est pas toujours immédiatement claire; la réflexion, le débat et le dialogue sont nécessaires. Et c’est pré-
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Les principes d’une éthique chrétienne de communication, comme nous pouvons le constater, ne sont pas guidés ou dictés de l’extérieur mais ils se construisent et se fondent de l’intérieur. Ainsi donc, selon le conseil pontifical pour les communications sociales: «la pratique de la communication devrait être exemplaire dans l’Église et refléter les modèles les plus élevés de vérité, de responsabilité, de sensibilité aux droits humains, ainsi que d’autres principes et normes importants»532.
Il faut communiquer dans la vérité et la sincérité, dans le respect de la dignité humaine, la liberté individuelle, dans la tolérance, dans la justice et de manière responsable. Vérité, justice et liberté sont des valeurs fondamentales de la vie sociale qui impliquent la voie de la charité533. Ces valeurs sont une exigence chrétienne de vie et ont une conséquence morale pratique dans la vie quotidienne. En effet, G.S. abonde dans le même sens en disant: «toutes les valeurs sociales sont inhérentes à la dignité de la personne humaine, dont elles favorisent le développement authentique, et sont essentiellement: la vérité, la liberté, la justice et l’amour»534.
L’Église nous invite donc à communiquer dans la vérité et la sincérité à l’image du Christ qui s’offre dans la vérité et la sincérité du salut qu’il apporte aux hommes. 1.3.1 Communiquer dans la vérité et la sincérité D’emblée, Aubert nous rappelle que: «la base même des relations sociales n’est possible que si chacun des partenaires dit et respecte la vérité envers les autres […]. La vérité est donc une exigence fondamentale de la vie en société. Et pour un chrétien, la foi donne à cette exigence une force encore plus grande; car Dieu étant Auteur de toute chose, la vérité absolue réside dans la relation de toute créature avec son créateur; c’est lui qui fait la vérité des choses, ce qu’elles sont»535.
532 533 534 535
cisément dans l’espoir de promouvoir la réflexion et le dialogue entre les décideurs des politiques concernant les communications sociales, les professionnels du secteur, les personnes engagées dans le domaine de l’éthique et de la morale, les destinataires, etc. que nous soulignons, dans ce document, les principes qui suivent». Ibid., n. 26. Cf. Conseil Pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 112-118. Cf. Concile Vatican II, G.S, 26. J.M. Aubert, Abrégé de la morale catholique, 375-376.
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Cette vérité fondatrice doit être recherchée, communiquée et vécue, car elle pose réellement les bases de la vie en commun, stimule la communion et fiabilise la communication. La doctrine sociale de l’Église ne cesse de le dire, du moment que: «plus les personnes et les groupes sociaux s’efforcent de résoudre les problèmes sociaux selon la vérité, plus ils s’éloignent de l’arbitraire et se conforment aux exigences objectives de la moralité»536.
La vérité relève, en général, de l’engagement des sujets; et dans l’Église, Dieu, l’initiateur principal de la communication est la Vérité par excellence. Il est aussi la vérité à communiquer. Il est guide et but de la communication. Lamizet le reconnaît aussi lorsqu’il déclare: «la vérité est davantage un horizon vers lequel tend mon discours. […] La vérité est le but vers lequel tendent nos paroles, et plus celles-ci s’en rapprochent, plus elles sont considérées comme ayant de la valeur; la valeur de nos paroles dépend de la distance qui les sépare de la vérité. Cette dimension de limite idéale de la communication fait, par ailleurs, de la vérité une forme de norme par rapport à quoi se situent nos discours. Cette dimension de norme de la vérité s’impose au sujet dans ses deux fonctions: d’énonciation et d’interprétation»537.
Dans chaque agir de communication, cette exigence doit être une priorité pour garantir la réussite de la compréhension mutuelle. A l’exemple de Jésus, qui communique par la parole et l’action, chacun est appelé à vivre et à communiquer dans la vérité538. Jésus communique sans contrainte, dans le respect de la personne et de sa liberté, sans manipulation mais avec amour et dans la sincérité avec soi et l’autre539. Il nous apprend à vivre libres comme des filles et fils de son Père. C’est pourquoi l’Eglise nous appelle à agir interactivement dans la liberté. Ainsi, vivre libre appelle à communiquer librement. 1.3.2 Communiquer dans la liberté La dignité humaine est voulue par le créateur. Elle est un don du créateur qui a façonné ses créatures à son image. Ceci oblige l’homme à son tour à se mouvoir dans sa liberté, à prendre son destin entre ses mains pour se réaliser540. C’est la
536 537 538 539 540
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Conseil Pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 113. B. Lamizet, Les lieux de la communication, 117. Cf. Paul VI, Evangeli Nuntiandi, 12. Cf. Jn 3,1-15; 4,7-26. Cf. G.S. 9; Gen 1,28. 2,15.
volonté du créateur que l’homme se meuve et vive dans la liberté et la dignité541. Pour garantir et promouvoir cette liberté, l’Eglise a d’office le devoir de convaincre par sa communication pour conduire ses interlocuteurs à la foi ou encore de raffermir celle-ci. Pour réussir la communication, l’Eglise doit agir sans s’imposer, elle doit faire une pédagogie de la communication pour rester, de nos jours, efficace. C’est ainsi que la foi sera une acceptation libre à la lumière de la parole de Dieu par et dans l’Église542. Les chrétiens ont comme tous les autres citoyens du monde le droit et le devoir de dire, de communiquer leur foi, dans la liberté fondamentale reconnue à chaque être humain. Au même moment, ils ont le devoir de respecter le droit de la dignité qui revient à chaque personne543. L’exercice de la liberté communicationnelle est un droit naturel de chaque être et reste en même temps une exigence normative inséparable de la dignité humaine. Mais, comme le dit l’instruction Libertatis Conscientia: «loin de s’accomplir dans une totale autarcie du moi, et dans l’absence des relations, la liberté n’existe vraiment que là où des liens réciproques, réglés par la vérité et la justice, unissent les personnes»544.
Une union qui se veut dans la communion et la communication. Naturellement, pour l’Église, comme pour les autres institutions sociales, il faut être mandaté pour parler en son nom. L’Église suit et propose l’exemple de Jésus, qui dans la communication de la parole de vie, fait preuve de respect pour ses interlocuteurs qu’il prend au sérieux dans les situations de vie et de liberté qui sont les leurs545. Ainsi c’est un devoir chrétien de justice et de responsabilité que de traiter les partenaires de communication avec respect dans la responsabilité qui incombe à chaque acteur du discours. 1.3.3 Communiquer dans la justice et la responsabilité L’homme, en tant qu’être libre selon la volonté de son créateur, est appelé à vivre de façon responsable, et il doit vivre sa foi et la communiquer de manière 541 Cf. Beran Dr. Ferenc, Die Bedeutung der Solidarität bei der Lösung des Arbeitslosenproblems, in: J.M. Schnarrer (Hrsg.), Solidarität und Sozialstaat, 93: „Grundlage der Subsidiarität ist die persönliche Würde und die direkt daraus resultierende Freiheit und Selbstbestimmung des Menschen. Jeder Mensch hat das Recht, frei Entscheidungen zu treffen und zu handeln, sein Leben frei zu gestalten“; Cf. G.S. 17 et R.N. 6. 542 Cf. B. Klaus, Einführung, 50. 543 Cf. CIC, Can. 212,3 et 227. 544 Congrégation pour la doctrine de la foi, Libertatis Conscientia, Instruction, 26. 545 Cf. Lc 7,13.
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juste et responsable. La responsabilité communicationnelle chrétienne relève aussi de la raison et de la liberté: une raison pratique et consciente qui vise l’action. Cette responsabilité découle de la conviction et de la recherche de la vérité dans la coopération à la lumière de l’Évangile. Vu que: «l’homme est un être qui vit en relation et qui apprend la responsabilité. Cela signifie: la direction et le but du développement de sa personnalité dépendent des valeurs auxquels l’homme se réfère; ainsi en est-il des modèles sur lesquels il prend exemple et auxquels il s’identifie. C’est cette même dynamique en matière de relations humaines – dans laquelle les groupes, les institutions et les organisations ont également leur place – qui représente le cœur de ce que nous appelons aujourd’hui la communication. La communication – qui s’étend de la rencontre interpersonnelle jusqu’aux formes de transmission les plus techniques – permet le développement de relations et de liens sociaux. Elle enclenche des processus qui rejaillissent sur tous ceux qui y participent. Le développement de la personne et la communication sont deux composantes profondément imbriquées l’une dans l’autre»546.
L’Église, sous l’impulsion de l’Évangile qui exige un agir responsable, se voit obliger de communiquer de manière responsable pour être efficace. Et en tant que lieu de foi – lieu de dialogue entre Dieu et l’homme –, elle a la responsabilité de rechercher, de formuler des structures et des formes de communication adéquates et efficaces pour être à la hauteur de sa tâche de conduire les hommes au salut. Certes, la doctrine sociale de l’Église déclare que: «du point de vue subjectif, la justice se traduit dans l’attitude déterminée par la volonté de reconnaître l’autre comme personne, tandis que du point de vue objectif, elle constitue le critère déterminant de la moralité dans le domaine intersubjectif et social»547.
Et l’interaction intersubjective et sociale fonde la communication et la communion. Cette interaction est obligée de se faire dans le respect et la tolérance. 1.3.4 Communiquer dans le respect et la tolérance Le respect mutuel est une exigence capitale dans les relations humaines en général. Cette exigence est une règle de l’égalité qui régit les hommes, les cultures et les sociétés. En effet, tout dialogue n’est possible que partant de cette exigence primordiale. Et pour les chrétiens, ce principe est renforcé par l’amour créateur
546 Chances et risques de la société des médias – Déclaration commune de la conférence épiscopale catholique allemande et du Conseil de l’Eglise évangélique d’Allemagne (1997), 36. 547 Conseil Pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 115.
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qui veut les créatures égales et qui en même temps exige de l’inter-acceptation dans les différences. D’après Aubert, c’est: «ce qui fait que dans toute communication interhumaine, cette égalité doit se traduire par le respect de l’autre, le respect de sa dignité humaine; cela débute par les marques de politesse coutumière […] et va jusqu’au respect de ce qu’on lui communique, la vérité en particulier, le respect des engagements pris à son égard; en un mot ce respect porte sur tous les droits de l’homme»548.
Il faut tolérer l’autre, qui peut aussi être partenaire dans la foi. Mais il faut accepter le partenaire de communication quel qu’il soit. Car le respect et la tolérance sont consécutifs aux valeurs fondamentales de la vie sociale que sont la vérité, la justice, la liberté et l’amour. La foi se fonde sur la bonne nouvelle. Et pour Bacquet: «l’Évangile est communication, et le christianisme est force centrifuge qui pousse au respect des différenciations et des échanges, réglés dans l’alliance […]»549.
C’est dans la tolérance des différences que se communique la parole de vie et s’ouvre par exemple la possibilité des dialogues œcuméniques. Ce respect va encore plus loin jusque dans le contenu que l’on communique, la manière de le communiquer et aux engagements respectifs découlant du dialogue, de l’entente et de la solidarité. L’Église, elle-même, à la suite de Jésus, doit suivre cette voie, qui est en fait celle du respect de la dignité humaine, qu’elle recommande à tous dans tout agir communicationnel. Ainsi, comme l’indique si bien Jean-Paul II: «base de l’égalité de tous les hommes entre eux, la dignité de la personne est aussi le fondement de la participation et de la solidarité des hommes entre eux: le dialogue et la communion s’enracinent finalement en ce que les hommes "sont", plus encore qu’en ce que les hommes "ont"»550.
Toutes ces valeurs fondamentales de la vie sociale, en tant que principes et règles valent pour l’Église elle-même et pour chacun qui s’engage dans un agir de communication. Toutes ces valeurs fondamentales de la vie sociale exigent de communiquer dans la charité. 1.3.5 Communiquer dans la charité Appliquer les valeurs fondamentales de la vie sociale: la vérité, la justice et la liberté dans le processus communicationnel, dans l’agir interactif, c’est aussi
548 J.M. Aubert, Abrégé de la morale catholique, 375. 549 A. Bacquet, Médias et christianisme, 167. 550 Jean-Paul II, Christi Fidelis Laici, n.37.
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suivre la voie de la charité. De fait, l’enseignement social de l’Église explique que: «entre les vertus dans leur ensemble, et en particulier entre les vertus, les valeurs sociales et la charité, il existe un lien très fort qui doit être plus profondément reconnu. La charité, souvent réduite au domaine des relations de proximité, ou limitée aux seuls aspects subjectifs de l’agir pour l’autre, doit être reconsidérée selon sa valeur authentique de critère suprême et universel de l’éthique sociale tout entière. […] Les valeurs de la vérité, de la justice et de la liberté naissent et se développent à partir de la source intérieure de la charité […] »551.
La charité se veut spirituelle, matérielle, politique, sociale, économique et communicationnelle: une charité globale et dans la durée. Il faut donc communiquer dans la voie de la charité avec soi, avec l’autre et avec la communauté dans le respect mutuel et les exigences normatives qui incombent au discours. La voie de la charité est un engagement de responsabilité. La charité communicationnelle, avec toutes les valeurs qui l’accompagnent, contribuent à la bonne qualité de tout agir social. La charité, dans sa capacité d’offrir un modèle à l’action sociale conduisant à la paix552, aide le discours sur le chemin du consensus et de l’intercompréhension. Mais la communication n’échappe pas non plus aux trois principes fondamentaux de l’enseignement social de l’Eglise que sont la subsidiarité, la participation et la solidarité.
2. Subsidiarité, Participation et Solidarité communicationnelles 2.1 Préalables La subsidiarité, la participation et la solidarité sont trois principes clefs dans l’enseignement social de l’Eglise. Si on voit de près la présentation de la Foi de/et dans l’Église comme une pratique communicationnelle, on peut ainsi apprécier leur importance comme principes de vie sociale ayant aussi une perspective communicationnelle. En tant que tels, ils contribuent largement à un usage mesuré et juste des moyens de communication sociale, ils se dressent contre une communication qui boycotterait la dignité de la personne, le respect, l’égalité. Ils sont une voie dans le processus de l’intercompréhension, dans la mesure où ils
551 Conseil Pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 116. 552 Cf. Catéchisme de l’Église catholique, 1827.
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constituent une protection contre la manipulation dans la communication, tout en favorisant les notions de personnalité et de socialité. Le principe de solidarité défend et soutient l’interdépendance et la coopération entre les personnes en vue de l’agir solidaire entre les hommes dans l’intérêt commun (Gemeinwohl)553. Le principe de participation est essentiel à la vie démocratique et communautaire. Tandis que celui de subsidiarité, lui, défend la liberté et l’autonomie de la personne en tant qu’individu ou des groupes face à une éventuelle absorption et même une disparition dans un ensemble des groupes beaucoup plus larges ou même de la société. La participation évoque tant la contribution individuelle que solidaire à la construction du social. Un équilibre de ces principes est nécessaire pour garantir l’épanouissement de l’individu et la survie de la société, puisqu’ils soulignent, de toutes les façons, la justice sociale, comme point central de l’action de l’Église. La subsidiarité est conséquente à la solidarité554; et les deux principes obligent participer à la construction sociale de manière pleine et dans la durée. Au lieu de faire une petite présentation générale de ces principes dans l’enseignement catholique, nous voudrions ici juste les définir et rechercher leur possible application dans la communication, leur dimension communicationnelle.
2.2 Subsidiarité communicationnelle Il convient d’abord de souligner que le terme subsidiarité n’est pas un "proprium" chrétien; il remonte encore plus loin dans l’histoire. Il revient, par exemple, du point de vue de sa signification, sur les lèvres d'Abraham Lincolns en 1854: «the legitimate object of government is to do for a community of people whatever they need to have done but cannot do at all, or cannot so well do for themselves in their separate and individual capacities. In all that people can do individually as well for thernselves, government ought not to interfere»555.
553 Cf. Jean-Paul II, Sollicitudo Rei Socialis, 38. 554 Cf. J., Wolf, Kirche im Dialog, 105: „Der Solidarität komplementär zugeordnet ist die Subsidiarität, die vor allem dem Menschen als Individuum entspricht. Das Subsidiaritätsprinzip soll die Freiheit und Selbstständigkeit der Person bzw. der kleineren Gruppen vor dem Übergriff der größeren sozialen Einheit bewahren. Dies gilt, ähnlich wie beim Solidaritätsprinzip, sowohl auf individuell-zwischenmenschlichen als auch auf der gesellschaftlichen und internationalen Ebene“. 555 Cité d’après Nell-Breuning, von O., Baugesetze der Gesellschaft. Gegenseitige Verantwortung – Hilfreicher Beistand, Freibourg i.B. 1968, 88.
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Mais certains auteurs et acteurs, comme Nell-Breuning, soutiennent qu’on peut déjà trouver une idée de fédération communautaire chez Thomas d’Aquin qui renverrait au concept de subsidiarité. De cette manière Thomas d’Aquin assignait au pouvoir politique la mission de résorber le désordre, de suppléer au manque, de parfaire si quelque chose de meilleur pouvait être fait556. Pour Isensee, une voie de la subsidiarité se trouve aussi dans l’idéalisme allemand557. D’autres encore comme Höffe trouvent des racines de ce principe plus loin chez Platon558 et Aristote559. Assurément, l’homme est un être social qui, de par son "être-là", est orienté vers la coopération avec les autres êtres560. Mais la critique aristotélicienne veut freiner une vision de l’état idéal platonicien qui met en exergue un uniformisme excessif de l’état561. Si nous jetons un coup d’œil dans les écrits réformistes, une pensée du principe de subsidiarité est aussi formulée par le synode de 1571 en Hollande dans l’autonomie et l’égalité qu’elle recommande entre communautés562. Dans les milieux du 19ème siècle, le principe de subsidiarité a trouvé son éclosion dans le développement des bases de communautés agricoles à l’image des communautés industrielles et d’une vision sociale de l’état563. L’encyclique "Quadragesimo Anno" de Pie XI en 1931 présente le concept de subsidiarité pour la première fois dans l’enseignement de l’Église en ces termes: «il n’en reste pas moins indiscutable qu’on ne saurait ni changer ni ébranler ce principe si grave de philosophie sociale: de même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait com556 557 558 559 560
Thomas de Aquino, Summa Theologiae, III. Cf. J. Isensee, Subsidiaritätsprinzip, 33. Cf. W. Bröcker, Platos Gespräche, 223-233. Cf. Aristoteles, Politik; Riklin, A./Batlinger,G.(Hrsg.), Subsidiarität, 19ff. Cf. U. Schoen, Subsidiarität, 6: „Aristoteles gehe vom Menschen als Sozialwesen aus, der auf die Kooperation mit anderen angewiesen ist und daher gezwungen ist, verschiedene Stufen der Vergemeinschaftung zu schaffen. Seine Anthropologie liefert nach Höffe das Argument für die >positive< Seite des Subsidiaritätsprinzips, d.h. warum die übergeordneten gesellschaftlichen Instanzen zur Hilfestellung verpflichtet sind. Diese Verpflichtung gründe sich einerseits auf das Wesen des Menschen, das nach Hilfe verlangt, andererseits auf die sich daraus ergebende Natur von Gemeinschaften“. L’homme est, en tant qu’un être social, coopérativement dépendant dans des autres. Et l’interdépendance donne droit à l’aide mutuelle. 561 Cf. Aristoteles, Politik. Pour plus de détails. 562 Cf. M., Luyckx, Histoire philosophique du concept de Subsidiarité. Pour plus de détails historiques sur ce concept. 563 Cf. J. Plaschke, Wohlfahrtstaat, 1040; W.R., Wendt, Geschichte der sozialen Arbeit, 26ss.
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mettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes. L’objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber»564.
Dans la vie sociale courante, la subsidiarité permet à chacun de régler ce qui se passe à son niveau, sans avoir à en référer à un niveau supérieur. Seules les situations qui ne relèvent pas des domaines sur lesquels un individu peut agir astronomiquement tout seul peuvent faire objet d’une transmission à un échelon supérieur. Le principe de subsidiarité veut que les problèmes individuels ou locaux soient traités individuellement ou localement. Chaque problème doit trouver sa solution à son niveau. Mais dans une situation qui dépasse les niveaux directs, on est obligé de recourir à l’échelon supérieur. Tout ceci pour le bien de la personne. Ce qui signifie, en fait, que toute l’activité sociétaire est au service de la personne et renvoie à une certaine solidarité entre personnes. Tout comme le principe de solidarité, ce principe de subsidiarité aide à l’établissement d’une société plus juste. Dès lors, l’enseignement social de l’Église déclare que: «le principe de subsidiarité protège les personnes des abus des instances sociales supérieures et incite ces dernières à aider les individus et les corps intermédiaires à développer leurs fonctions. Ce principe s’impose parce que toute personne, toute famille et tout corps intermédiaire ont quelque chose d’original à offrir à la communauté. […] A l’application du principe de subsidiarité correspondent: le respect et la promotion effective de la primauté de la personne et de la famille;[…]»565.
Wolf, en résumant Höffe, partant de l’encyclique "Quadragesimo Anno", distingue les moments566 suivants – que nous pouvons dire procéduraux, pour saisir la notion de la subsidiarité: l’individu est le seul point de référence du social. Ce n’est pas la société qui donne la mesure de l’action mais l’individu, en tant que centre de l’action. Mais ceci ne dispense pas la société de son devoir d’aide, de solidarité envers l’individu. Le principe de subsidiarité signifie beaucoup plus qu’une simple délégation ou décentralisation. Il renvoie simultanément à l’impératif d’aide et à un refus d’une prétention de compétence et de domination. Il est question d’une part des rapports entre communautés et d’autre part entre l’individu et la communauté. L’impératif d’aide oblige la communauté à 564 Pius XI, Quadragessimo Anno, 79. 565 Conseil Pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 104105. 566 Cf. J. Wolf, Kirche im Dialog, 207-211; A. Anzenbacher, Christliche Sozialethik, 212ff.
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être prioritairement au service de l’individu. Le principe de subsidiarité stipule aussi la règle de contrôle et de limitation de compétences en faveur de l’individu et surtout du plus faible. Il ne veut pas présenter l’individu en tout puissant dans la société et recommande, pour ce, la création des structures sociales intermédiaires qui puissent favoriser la participation de tous les membres possibles au processus de la vie communautaire. Enfin de compte toute violation de ce principe est une injustice. Le principe de subsidiarité recouvre une compétence de protection de la dignité de la personne et de sa liberté. En présentant la subsidiarité en tant que principe de communication, nous pouvons saisir ici la notion de la liberté de l’individu à communiquer, à s’exprimer et défendre ses prétentions face aux autres individus dans le respect des libertés respectives et aussi face à la communauté qui est le lieu de communication. Il s’agit aussi de la liberté de communication des groupes, surtout les plus faibles. Le principe de subsidiarité stipule et défend l’autonomie et l’indépendance de la personne ou de l’individu et des petites communautés. Ce principe est, en quelque sorte, un plaidoyer pour l’autonomie et l’indépendance des individus, de chaque collectivité, au moins là où l’on est en mesure d’agir de manière autonome et indépendante, mais aussi pour une possibilité d’intervention en faveur de l’individu ou de la petite communauté567, une protection face à la démagogie, à l’arbitraire qui étoufferait l’initiative individuelle, et de fait, le processus argumentatif. La dignité de la personne en tant qu’individu et en tant que membre de la communauté est autant une dignité communicationnelle qu’il faut préférablement promouvoir, protéger et respecter. La subsidiarité communicationnelle est, avant toute chose, un principe de bon sens, dans la mesure où celui qui communique, ne peut se passer de la subsidiarité, de la participation, de la coopération et de la solidarité qui l’accompagnent dans la relation avec l’autre durant la communication568. L’homme est un être autonome569, mais en tant qu’entité individuelle, il coopère encore avec les autres êtres qui lui sont subsidiaires; cette coopération, cette appréhension de l’autre, partant de son individualité, est de même constitutif de la subsidiarité. 567 Cf. J. Wolf, Kirche im Dialog, 211: „Weiterhin enthält das Subsidiaritätsprinzip ein Plädoyer für die Eigenständigkeit und Unabhängigkeit der einzelnen Person bzw. kleineren Gemeinschaft, wo diese in der Lage sind, eigenständig und unabhängig zu handeln, aber auch die Möglichkeit des Eingreifens, wo es der Einzelperson bzw. der kleineren Gemeinschaft am meisten dient“. 568 Cf. A. Ziegler, Verantwortung für das Wort, 47: „Zum kommunikativen Menschen gehören ohne Zweifel Subsidiarität und Solidarität“. 569 Cf. Ibid., 44: „Der Mensch ist als Individuum in Selbstbewusstsein, Selbstbestimmung und Selbstverantwortung er selbst. Alles Mitmenschliche ist demgegenüber subsidiär“.
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La subsidiarité est un principe de la communication par le fait de la coopération interactive entre individus. Ce principe est en même temps une protection, une barrière contre le totalitarisme et la manipulation dans la communication. Le premier lieu d’éclosion de la subsidiarité est la famille et ensuite la communauté en général. Pour les chrétiens, la famille, et plus largement, la communauté ecclésiale, est un lieu de communion et de communication avec tout ce que cela implique normativement. Pour cette raison, la communauté doit toujours, en conscience, renforcer tout ce qui unit – comme sur le plan de la foi – en faisant recours à l’engagement de tout un chacun570. La subsidiarité oblige aussi, dans la communication, à l’aide mutuelle au niveau individuel et communautaire. Ce qui ne signifie nullement l’étouffement de l’individu dans sa manifestation, sa créativité comme personne mais bien plus son épanouissement571.
2.3 Participation communicationnelle Peut-on parler de participation communicationnelle? A propos du principe de participation, la doctrine sociale de l’Église affirme que: «la conséquence caractéristique de la subsidiarité est la participation, qui s’exprime, essentiellement, en une série d’activités à travers lesquelles le citoyen, comme individu ou en association avec d’autres, directement ou au moyen de ses représentants, contribue à la vie culturelle, économique, sociale et politique de la communauté civile à laquelle il appartient. La participation est un devoir que tous doivent consciemment exercer, d’une manière responsable et en vue du bien commun»572.
Ce principe vaut donc avec acuité dans tout agir interactif. Dans et par l’activité communicationnelle, chaque membre prend une part active – par son agir interactif – à la construction et à la solidification de sa communauté de communication. Sa contribution à cette construction est aussi culturelle, sociale et politique, ceci dans l’effort discursif pour l’entente et pour la défense des intérêts de la communauté et de chaque individu. C’est pour cette raison qu’il faut favoriser la participation à l’activité communicationnelle pour laisser chacun s’exprimer de manière directe ou indirecte, sans oppression, dans le respect de chaque entité.
570 Cf. Beran Dr. Ferenc, Die Bedeutung der Solidarität, in: J.M. Schnarrer, Solidarität und Sozialstaat, 101: „Die Gemeinde muss die Fäden, die die Menschen zusammenhalten, bewusst stärken, u.a. auch dadurch, dass sie zur Lösung der lokalen Probleme ihre Mitglieder verstärkt mobilisiert und einsetzt […]. Dabei ist natürlich auch das Engagement der aktiven, ihren Glauben lebenden Pfarrgemeinden nicht zu vernachlässigen“. 571 Cf. Nell-Breuning, von O., Gerechtigkeit, 67-76. 572 Conseil Pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 106.
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Le principe de participation est, en conséquence de cause, un principe de responsabilité et de coresponsabilité qui aide les membres d’une communauté à discourir dans l’égalité et le respect de la dignité de chaque individu en vue de s’"inter-comprendre" et de traiter par la discussion les situations qui sont les leurs. Chaque membre de la communauté est convié à participer par le discours à l’interaction communautaire. La participation communicationnelle est, pour ainsi dire, un devoir social personnel et communautaire qui est un gage de solidarité. En effet, parlant de la participation, la doctrine sociale de l’Eglise ressort que: «elle ne peut pas être délimitée ou restreinte à quelques contenus particuliers de la vie sociale, étant donné son importance pour la croissance, humaine avant tout, dans des domaines tels que le monde du travail et les activités économiques dans leurs dynamiques internes, l’information et la culture et, à un degré maximum, la vie sociale et politique jusqu’aux plus hauts niveaux comme ceux dont dépend la collaboration de tous les peuples pour l’édification d’une communauté internationale solidaire»573.
L’exigence de participation aide à contrer toute dictature dans la communication et appelle à participer à l’interaction discursive et ainsi à la solidarité communicationnelle.
2.4 Solidarité communicationnelle Ordinairement, on parle de la solidarité pour signifier le devoir mutuel des personnes à s’entraider, à s’assister, et la disponibilité à être là pour les autres. Ce principe inclut, d’une manière ou d’une autre, une reconnaissance de l’autre en tant que personne et partenaire. Dans la vision chrétienne, la solidarité est un principe de charité, d’amour "christique". Elle est un devoir chrétien. Parce que le Christ s’est montré solidaire avec chacun, ainsi est-on appelé à être solidaire avec les autres. Le principe de solidarité peut être appréhendé comme un principe de justice sociale. La solidarité est aussi un droit de chaque personne. Elle est une reconnaissance mutuelle des individus comme personnes ayant des devoirs et des droits dans la société574. Il stipule le devoir de respect de la dignité de la personne dans la coopération sociale. Il est, de fait, un principe d’éthique sociale basée sur le rapport des structures sociales qui puissent permettre un ordre d’éclosion de chaque personne comme membre légal et incorporé de la société. 573 Idem. 574 Cf. A. Anzenbacher, Christliche Sozialethik, 197-198; J. Wolf, Kirche im Dialog, 203: „Als Rechtsprinzip ist es eng auf das Personalitätsprinzip bezogen“.
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Il est aussi un principe communicationnel. Du Catéchisme catholique, nous retenons que: «la solidarité apparaît comme une conséquence d’une communication vraie et juste, et de la libre circulation des idées, qui favorisent la connaissance et le respect d’autrui»575.
D’ordinaire, la solidarité est la reconnaissance et l’application des devoirs mutuels dans un agir réciproque entre personnes. D’un point de vue de l’éthique sociale, on peut entrevoir la solidarité du point de vue de la justice ou encore du point de vue de la vie bonne. Au niveau des Eglises, la solidarité, en tant que principe social, réfère plus au rapport avec les pauvres et démunis de la société576. Dans la pensée d’Anzenbacher, la solidarité est un principe de droit577 qui est focalisé sur la personne dans son droit à la dignité et des devoirs qui en découlent. Il s’agit des devoirs légaux qui incombent aux sociétés et aux individus dans la reconnaissance et le respect de la personne. L’Eglise catholique voit ici, d’abord la situation des pauvres, démunis et délaissés578; la solidarité est un devoir chrétien: s’occuper d’eux et prendre en compte leur vie dans la dignité humaine et le respect divin, et défendre leurs intérêts face aux plus grands, aux plus forts. Il s’agit de leur redonner le visage d’amour qu’ils méritent. C’est un fait de justice sociale et chrétienne qui donne à la solidarité sa vraie lumière. Nous sommes solidaires de Jésus, dans la mesure où nous prenons les démunis en compte579. La solidarité humaine est donc une exigence de justice sociale et d’amour580. Ce principe est dans un premier temps un principe de droit et de justice sociale. D’un point de vue de l’éthique individuelle, le principe de solidarité exige un engagement moral personnel dans la mentalité d’aide, et notamment de service à d’autres personnes par des structures d’aide, avec une priorité pour les plus pauvres, démunis, et faibles. De nos jours, la conception du principe de solidarité a beaucoup évolué et est devenue plus large. Tenant compte des nouvelles menaces, se constituent des 575 Cathéchisme catholique, n. 2495. 576 Cf. J. Wolf, Kirche im Dialog, 204-205: „Solidarität im Sinne der Kirchen Solidarität mit den Armen und an den Rand Gedrängten der Gesellschaft bedeutet […]“. 577 Cf. A., Anzenbacher, Christliche Sozialethik, 197-198. 578 Cf. Jean XXIII, Mater et Magistra, 1961; F. Furger, Christliche Sozialethik,138: „Deshalb verlangt Solidarität vom irgendwie Stärkeren eine stets wache Rücksicht auf Bedürfnisse und Interesse der Schwächeren, wobei diese Solidarität die helfend-ordnende Autorität des Stärkeren, aber auch der übergeordneten gemeinschaftlichen Instanz anerkennt und zugleich in Pflicht nimmt.“ 579 Cf. Jean 15. 9-10. 580 Cf. Pius XI, Quadragesimo anno, 88 et 126.
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mouvements et engagements de solidarité tels que ceux de défense de l’environnement pour ne citer que cet exemple. On pourra ainsi parler des solidarités ou des mouvements de solidarité, ce qui peut nous aider à saisir la notion de solidarité soit au niveau individuel soit au niveau de la société, des groupements sociaux ou des institutions de façon plus large581. La solidarité s’avère ainsi être tout un processus dans lequel chaque individu et chaque société doivent se mouvoir et "inter-agir". C’est ce qu’enseigne l’Église en annonçant que: «la solidarité confère un relief particulier à la socialité intrinsèque de la personne humaine, à l’égalité de tous en dignité et en droits, au cheminement commun des hommes et des peuples vers une unité toujours plus convaincue»582.
Une unité plus convaincue stipule l’intention et la volonté d’agir socialement. Le principe de solidarité est un principe social mais, en même temps, une vertu morale. La solidarité exige le respect dans l’amour mutuel pour un développement commun de tous583. Peut-on parler de solidarité communicationnelle? La solidarité est le soutien mutuel entre individus ou groupes. Elle renvoie au terme allemand "füreinander", elle rappelle l’ "obligatio in solidum"584. Chaque personne est appelée au devoir d’interaction: à être là pour l’autre, prendre au sérieux son devoir à échanger, à discourir, dans le respect mutuel et dans l’égalité. C’est ce que préconise l’Église, qui «[...] a un double objectif en ce qui concerne les médias. D’une part elle désire encourager leur correct développement et leur correcte utilisation pour le bien du développement humain, de la justice et de la paix — pour l’édification de la société au niveau local, national et des communautés à la lumière du bien commun dans un esprit de solidarité»585.
Le principe de solidarité renvoie donc à la responsabilité solidaire et au soutien mutuel de tous les hommes en tant que frères et sœurs586, enfants d’un même Père, Dieu, sœurs et frères d’un même frère Jésus dans l’amour d’un seul Esprit de Dieu. C’est "être-ensemble", agir dans la solidarité et à vivre solidairement, car nous avons le devoir de nous entraider, de nous assister mutuellement et de 581 Cf. J. Wolf, Kirche im Dialog, 204-206. 582 Conseil Pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 108. 583 Cf. Conseil Pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 108-11; Lc 22, 25-27; Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis, 38. Pour plus de détails. 584 Cf. A. Ziegler, Verantwortung für das Wort, 46: „Als aufeinander subsidiär verwiesene Mitmenschen sollen wir einander solidarisch helfen. Solidarität ist das dritte "geschundene" Wort der Kommunikation“. 585 Conseil pontifical pour les communications sociales, Église et Internet, Cité du Vatican, le 22 février 2002, n.3. 586 Cf. 1 Jn 3.
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communiquer solidairement. C’est ainsi que la solidarité doit couvrir toutes les dimensions de la vie sociale pour le bien de tout un chacun et de tous587. Dans le processus communicationnel, on réfléchit ensemble sur des projets communs, on prend du temps pour s’écouter mutuellement et s’entendre. Le principe de solidarité communicationnelle oblige donc d’apprendre à s’écouter pour s’entendre dans le souci d’une vie commune solidaire et harmonieuse. Mais il faut d’abord apprendre à écouter ses propres sentiments, ses émotions pour savoir écouter l’autre. Jésus, modèle de communication chrétienne, vit la solidarité communicationnelle par son incarnation et son message du salut. Il est solidaire avec chacun et se communique dans son amour en parole et en acte. Il nous demande, à sa suite, de communiquer dans cette solidarité avec les autres, chrétiens ou pas. Dans la vie de l’Eglise, cette solidarité communicationnelle se manifeste pareillement dans les différents dialogues interreligieux pour un enrichissement mutuel en dépit du danger du fondamentalisme communicationnel qui peut guetter tout le monde. Les valeurs et les principes chrétiens de la communication que nous venons de traiter ci-haut sont aussi pris en compte dans le dialogue palabrique. La communication palabrique est réellement imprégnée de respect, de liberté, de vérité, de justice, de solidarité etc.
3. Valeurs communicationnelles chrétiennes et communication palabrique De manière imagée, on peut comparer la tenue de la palabre sous l’arbre à palabres à un rassemblement religieux, une instance rituelle de communion, de réconciliation, de consensus dans la mesure où elle est un agir responsable qui est un facteur de cohésion et d’harmonie dans la communauté, la parole en étant le centre. Elle est un rite de communion avec les vivants et les morts, avec l’Etre suprême, à la base de la communion vraie, durable et globale. Dans ce rituel, la parole a aussi un aspect sacré, car elle est en même temps parole des ancêtres, parole de l’être supérieur, qui inspire l’agir interactif individuel et communautaire. La parole, ce médium principal de la communication, parlée ou silencieuse, crée et consolide la communion. Dans la communication palabrique, il est toujours pris en compte la participation des non-vivants, de "Nzambi Mpungu"588, et des ancêtres qui ont quitté 587 Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis, 38. 588 Dieu tout puissant. Cf. F. Lamal, Basuku et Bayaka, 155-172.
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cette terre. On les invoque même pour aider les participants au dialogue, à la discussion à un discours vrai et fructueux, et pour un consensus solide et une réconciliation durable, stable et globale. Dans le dialogue palabre, on fait référence aux ancêtres, comme êtres invisibles en rappelant et en suivant leur volonté de communication dans la vérité, le respect des autres, dans la responsabilité respective des interlocuteurs en vue de s’inter-comprendre et d’aboutir à l’harmonie dans la société pour l’intérêt de chaque personne et de la communauté dans son ensemble. L’invisible prend part à la communication de la communauté visible589. La palabre, assise spéciale dans la société traditionnelle, garde son importance comme processus discursif d’intercompréhension et de rétablissement de l’harmonie sociétale. Tout un chacun qui y prend part, y communique en recherchant la cohésion sociale et l’équilibre du groupe par la discussion. La sagesse africaine apprend à savoir se taire pour apprendre afin de savoir écouter pour comprendre et s’"inter-comprendre", à savoir dire et discuter pour construire. Cette sagesse exige le respect de la dignité de l’être humain dans son ensemble et exhorte à l’égalité des groupes sociaux dans un agir solidaire; elle enseigne les valeurs de vérité, de justice et de liberté pour la paix dans la solidarité et la charité et elle exige le discernement pour la cohésion comme l’indiquent les proverbes suivants: - «P. N-kaanda khoombo uhia mbaawu: T. Wukonanana kizika kimosi. (Ce qui signifie) F. Brûlez une peau de chèvre: Elle va se ramasser en un point! C. Vérité d’expérience, pour appeler à la cohésion, à l’unité, à la fidélité de qui cherche à se détacher de son groupe naturel»590. - «"Phuta ha manima, nkwaani mutu kasukula ya: Quand tu as une plaie au dos, c’est un autre qui la désinfecte"»591. - «"Kiindzu ki meta kibaasila baatu bihootidi. (Ce qui signifie) Un vase de salive se remplit à l’aide de cent hommes. (Pour dire) Pour résoudre certains problèmes, il faut le concours de tout le monde"»592. - «"Kasa yikhamba kiukola " (ce qui signifie) Attache-bien ton pagne. (Pour dire) Arme-toi avant le combat! Réfléchis avant de parler, afin que tes propos soient convaincants ![…]"»593.
589 Au premier moment de la palabre ordinaire "Ngwakana" plus haut, au premier rassemblement, on rappelle la norme sociale et la parole des ancêtres. 590 Matadiwamba K. M., Proverbes Pelende, 124. 591 Ibid., 118. 592 Ibid., 167. 593 Ibid., 173.
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Dans la logique de la charité chrétienne, la cohésion sociale est une voie de la solidarité. Car l’Église enseigne que: «les valeurs de la vérité, de la justice et de la liberté naissent et se développent à partir de la source intérieure de la charité: la vie humaine en commun est ordonnée, génératrice de bien et répondant à la dignité de l’homme, quand elle se fonde sur la vérité; quand elle se réalise selon la justice, c’est-à-dire dans le respect effectif des droits et dans l’accomplissement loyal des devoirs respectifs; quand elle se réalise dans la liberté qui convient à la dignité des hommes, poussés par leur nature rationnelle à assumer la responsabilité de leurs actions; quand elle est vivifiée par l’amour, qui fait ressentir comme siens les besoins et les exigences des autres et rend toujours plus intense la communion des valeurs spirituelles et la sollicitude pour le nécessités matérielles»594.
Ces valeurs de vie, de communion ne sont pas seulement des exigences matérielles, mais aussi rationnelles, discursives, en d’autres termes aussi communicationnelles. Elles sont des piliers de la solidarité.
3.1 Valeurs communicationnelles de vérité, de justice, de liberté, de charité, de responsabilité, de tolérance, de respect dans la communication palabrique Dans l’Afrique traditionnelle, toute assemblée est guidée par ses propres règles; il en est ainsi de la palabre. Chacun, dans ce rassemblement, est invité à son tour à s’exprimer, à argumenter, à discuter; puisque tous les participants ont le devoir de s’écouter jusqu’au bout, sans s’interrompre, dans le respect mutuel et dans la dignité de la personne. Ainsi, nul n’est laissé pour compte. Après la conclusion des discussions, tous les participants ont le devoir d’accepter le consensus final pour repartir réconciliés en paix. Nous pouvons déceler dans le processus palabrique quelques règles, à savoir: la liberté de s’exprimer, le respect mutuel, l’écoute réciproque, l’égalité. Les différentes palabres citées plus-haut le montrent bien. La palabre repose sur des conditions précises qui ont des conséquences principielles pour son déroulement, de l’appel au rassemblement à la fin de la discussion. La présence des sages, la participation de tous, la représentation de toute la communauté, la liberté de parole pour tous dans la hiérarchie des valeurs, le respect spirituel et la
594 Conseil Pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 116.
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promotion de la paix595. Nous pouvons, en plus, retenir quelques principes majeurs qui orientent la discussion palabrique596: ● le respect de la dignité de la personne humaine ● la vérité et la sincérité ● la discussion libre ● l’égalité ● l’unité dans la communion ● l’obligation de respect mutuel ● le devoir de solidarité ● le respect du consensus dans la responsabilité et la coresponsabilité ● le principe de réconciliation ● le devoir de vivre en harmonie etc. Dans l’Afrique traditionnelle, la palabre reste une expérience interactive importante de réconciliation et de communion avec une influence majeure sur la vie individuelle et communautaire. Elle est une expérience communicationnelle et un moyen de réaliser la "Koinonia" dans la famille et la société. Nous pouvons aussi dire que la qualité de la communication palabrique ne se mesure pas simplement à la qualité de la technique oratoire employée et en fonction de la quantité d’informations, des argumentations mais elle dépend aussi de la qualité de la vie en communauté et des relations fraternelles vécues dans l’amour, la réconciliation et l’harmonie. Elle engage la solidarité quotidienne. Pour dire cela en langage chrétien, cette communication essaie de se traduire par l’effort de réconciliation, de vivre ensemble comme des chrétiens qui s’aiment. De l’avis de Atanagana: «ce qui frappe dans la palabre, comme dans tout dialogue sincère entre Africains, c’est la liberté et la franchise dans la confrontation, dans la façon dont les uns et les autres éliminent toute fausse politesse, se disent la vérité en face.[…] On n’atteint pas la vérité, encore moins la justice, en passant par une autre voie»597
En effet, lorsque nous suivons l’évolution des palabres présentées plus haut, nous pouvons nous rendre compte de l’effort de recherche de la vérité dans les discussions. Les parties en présence, en tant que sujets de communication, sont 595 Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 267-268. 596 Cf. B. Atangana, Actualité de la Palabre, 464-465; O. Ndjimbi-Tshiende, RéciprocitéCoopération, 259-272; C. Ozankom, Christliche Botschaft, 383,387-383; J.G., Bidima, La Palabre, 19-22. On peut lire chez ces auteurs les différents principes qui orientent le dialogue palabrique: la coopération, la réconciliation, la vérité, la paix, la réciprocité, la responsabilité, l’harmonie, la communion, la solidarité, l’égalité, le pardon, la justice etc. 597 B. Atangana, Actualité de la Palabre, 464.
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priées au respect de la norme de vérité. C’est ainsi que la discussion palabrique s’avère être un espace de communication dans lequel chacun est convié à croire en la parole de l’autre par l’argumentation. La discussion sert mêmement au respect de la norme de vérité. Pour toute communication assurément, comme le dit Lamizet: «la vérité est une norme, à la fois pour l’énonciateur, qui fait d’elle une forme d’idéal fondant une forme de morale de communication, et pour le destinataire, qui fait de la vérité une norme de mesure ou d’évaluation des discours qu’il lui est donné d’entendre dans le champ de la communication effective. C’est la raison pour laquelle le problème de la vérité constitue une des dimensions de la pragmatique de la communication, dont le but est de fonder des instruments d’évaluation de la communication comme pratique du langage et de la relation intersubjective entre partenaires de la communication»598.
Puis la vérité dans la communication va à parité avec la liberté, la tolérance, le respect mutuel, la coopération et la réconciliation. Elle a exactement sa place dans une communication entre individus libres et donne, de ce fait, à la communion, aux rapports sociaux et aux relations humaines une base de légitimité et de validité. La norme de vérité dans la communication appelle en même temps au principe de responsabilité et coresponsabilité. Ainsi pour Pinto de Olveira: «la responsabilité éthique s’accomplira et se définira par la parfaite intériorisation de l’obligation, en vertu de la reconnaissance rationnelle et de la libre acceptation que lui accorde la personne. On dira qu’elle exerce devant l’instance de la conscience, parce qu’elle sera guidée par la conviction et le discernement de la raison»599.
Chaque membre, chaque partie sont invités, dans le dialogue palabrique, à discuter de façon responsable, d’agir "co-responsablement" pour aboutir au consensus et à la réconciliation.
3.2 Réconciliation et communion dans le dialogue palabrique La communication palabrique se joue entre confrontation et réconciliation. En effet, après les discussions entre les parties en cause, après que la vérité soit établie et la justice rendue, les parties se réconcilient600. On se réconcilie avec les aïeux, avec l’être suprême, avec soi-même et avec l’autre partie et toute la communauté.
598 B. Lamizet, Les lieux de la communication, 117. 599 C.J. Pinto de Oliveira, Éthique chrétienne et dignité de l’homme, 291. 600 Dans la palabre "Ngwakana" au premier chapitre: à la fin de la palabre on se réconcilie en partageant un même repas.
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La réconciliation a pour objectif de récréer l’harmonie brisée, de promouvoir l’unité de la famille, de la communauté, la guérison des membres divisés ou lésés par des blessures dues aux tensions ou aux conflits. En fait, la visée ultime de la palabre n’est pas d’abord de sanctionner, mais au-delà de la sanction, elle veut rétablir la justice en privilégiant le maintien de la cohésion familiale, sociale et la réconciliation durable et générale. Car, l’équilibre du groupe doit être maintenu même lorsqu’il y a sanction. Comme cela est visible dans tout processus communicationnel, quoique ce but n’est pas toujours atteint, cette démarche discursive garde sa valeur procédurale de recherche de justice, de consensus et de paix. Dans ce discours, il s’agit donc de donner la parole à chacun, même au coupable qui doit avouer sa faute et demander pardon pour véritablement se réconcilier. On ne peut se réconcilier qu’après avoir entendu la vérité et accordé le pardon601; ce qui reste, entre autre, une façon de restituer la mémoire individuelle et collective en laissant chacun s’exprimer librement et en reconnaissant les responsabilités respectives pour la vie personnelle et de la société entière. La réconciliation se veut globale et dans la durée; elle concerne chacun, toute la communauté et toutes les structures de la vie en vue de perpétuer l’harmonie sociale et la vie d’ensemble. De même, le processus de réconciliation est un élément important dans la communication chrétienne, dans la mesure où elle est une trame de la fraternité, de la charité, de la solidarité chrétienne. L’expérience de la réconciliation par et dans la communication est une voie de la justice et de la vérité pour une communication non violente. La palabre est un processus de communication et de réconciliation. Elle est un processus de maintien et de renforcement coopératif de la paix individuelle et communautaire. Ndjimbi le signifie bien lorsqu’il soutient que: «la paix vient surtout d’une conciliation ou d’une réconciliation, d’une communion aux mêmes intérêts, d’une prise en charge commune de la vie. Cela ne peut être obtenu que par une attention soutenue de la communauté à la sphère sacrée (métaphysique et religieuse) de l’existence et par un soin constant et profond […] des individus et des communautés. Voilà ce qui rend la "palabre" capable de conduire à la coopération. C’est parce qu’elle est elle-même un système profondément coopératif»602.
Le dialogue palabrique est également une instance de rencontre communicationnelle pour l’unité familiale et sociale pendant laquelle les participants ont le droit à la parole de façon directe ou indirecte, en se faisant représenter par des porte-paroles pour discourir sans oublier l’unité des vivants avec les morts que 601 Cf. M. Gluckman, Ideas and procedures in African Customary Law, 24. 602 O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 235.
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l’on doit sauvegarder. Le dialogue sous l’arbre à palabres traite oralement de toute la vie au niveau familial, local, tribal, ethnique ou de groupes sociaux. Par la parole dans le discours, on vit. Dans la mesure où, comme le dit Mafuta: «les cultures des peuples négro-africains sont demeurées, depuis des millénaires, essentiellement orales. C’est dire que la parole est le principal vecteur de ces cultures. Et, si elles ont pu se maintenir et sauvegarder les principales valeurs humaines, c’est sans nul doute parce que les messagers de ces cultures ont pu découvrir et aussi ont su respecter les lois qui régissent ce véhicule important qu’est la parole»603.
La parole est le médium principal du dialogue palabrique. Et à chaque rassemblement, on invoque les ancêtres qui, de leur monde invisible, sont gardiens de la parole, les témoins et légataires du sacré. Ils constituent le pont entre vivants et morts, délégués du Tout Puissant, l’Etre Suprême ("Nzambi Mpungu"). Leur évocation assure, pour ainsi dire, un déroulement juste du dialogue, des discussions et apporte un appui moral et spirituel. Le rassemblement, la communauté palabrique est une communauté de communication: une communauté de communion des membres d’une société, d’une famille, d’un village, d’un clan qui, par la discussion, l’interaction en vue de l’harmonie, resserre leur lien vital. Dans le discours palabrique, on communie avec soi-même, avec tout un chacun et avec les aïeux dans la famille des vivants et des morts. On discute, on recherche l’entente et le consensus, parce qu’on veut que l’individu et la communauté vivent. On est en communauté par la communication et on communique en étant en communion, quelques soient les conflits ou les échecs qui peuvent en résulter – ce qui est au fait le propre même de la communication. Le processus d’être dans l’élan de communication et de communion n’est pas altéré par l’échec d’une communication pratique. On se sent, de cette manière, uni dans la communauté de discussion pour vivre ensemble tant avec les vivants que ceux qui nous ont précédés aux cieux des aïeux. La palabre est ainsi un processus de communion: elle instaure et restaure la communion, la vie et la participation à la vie d’ensemble604. En même temps, les principes de communion et réconciliation ont des conséquences normatives du point de vue pratique. Ils incitent à communiquer librement, justement, dans la vérité, la responsabilité, le respect de la dignité de la personne et dans la tolérance. 603 Mufuta Kabemba, Langage littéraire et pédagogique d’éthique chez les Bantu, 259-260. 604 Cf. C. Mawanzi Ndombe, Das symbolische Denken, 155: „Das Leben in der Gemeinschaft schließt somit die Verpflichtung ein, es durch sein Verhalten und Handeln zu bewahren und weiterzugeben. Auf diese Weise partizipiert das einzelne Mitglied geradezu an der Fortbewegung einer inneren Erfahrung der Begegnung und Kommunikation. Leben heißt in diesem Sinne „mitleben“, „teilhaben“, „teilgeben“ und „teilnehmen“. Ce que l’auteur souligne est aussi l’expérience du dialogue palabrique.
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3.3 Subsidiarité, participation et solidarité communicationnelles dans le dialogue palabrique Peut-on parler de subsidiarité, participation et solidarité communicationnelles dans la palabre? La palabre, entrave-t-elle aussi dans une certaine mesure l’affirmation de la personne en tant qu’individu en l’effaçant trop par rapport à la communauté? En revanche, celle-ci le protège surtout s’il est en état de faiblesse. Les pratiques de débat ouvrent une place de parole à l’individu, dans une volonté de redéfinir le rôle respectif des membres dans les prises de décisions publiques. Les notions de subsidiarité, de participation et de solidarité se reflètent ainsi dans la palabre. Tout le processus communicationnel palabrique, en tant que processus social de communion et de réconciliation, est un élan social de charité, de solidarité et de justice. L’interaction palabrique est aussi un processus significatif de l’unité dans la solidarité des différents protagonistes du fait de la participation responsable de chaque personne et de la protection de l’individu, même du fauteur de trouble. Communiquer dans la palabre est autant reconnaître l’expression de l’entière communion dans la famille et dans la société. Palabrer, c’est sauvegarder le sens du bien commun. La participation, la solidarité et la subsidiarité communicationnelles dans le dialogue palabrique se dessinent dans l’effort discursif individuel et communautaire pour la paix, pour la vie. Participer discursivement à la communication palabrique, c’est agir solidairement contre l’arbitraire, le totalitaire. Les principes de solidarité, de subsidiarité et de participation communicationnelles comme principes sociaux et vertus morales stipulent l’interdépendance des partenaires de la discussion palabrique qui oblige à travailler main dans la main pour chacun et pour tous. Ce sont des principes d’action par la parole pour la paix. Dans le dialogue palabrique, les membres directs et indirects du discours palabrique participent à un exercice démocratique, au processus de résolution des conflits par le dialogue, à la construction et à la redynamisation de la famille, de la société; ils coopèrent à l’instauration et à la restauration de l’harmonie dans la société, par un processus de réconciliation en vue de bâtir une société juste, libre et responsable. Selon Kanoute: «la véritable palabre africaine est une manière d’être avec les autres; elle est un style de vie personnelle et sociale. Elle est tolérance, elle est respect et acceptation des autres […], elle est recherche en commun de la vérité et de l’attitude la meilleure à adopter face à un objectif d’intérêt général. Elle est affirmation de la complémentari-
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té des citoyens qui ont bien le droit de savoir où ils vont, pourquoi ils y vont et comment ils y vont. La palabre est dialogue, elle est démocratie»605.
Chacun est invité, lors de la palabre, à participer intensément au discours, à exposer et défendre ses points de vue et ses affirmations, pour qu’ensemble l’on arrive à s’entendre pour s’ "inter-comprendre". Le consensus est le fruit de la participation active de chacun, directe ou indirecte, à la discussion. La participation au dialogue palabrique est ainsi un devoir de chacun et de tous, un gage de solidarité, une prise en charge de l’individu en tant que personne et un chemin vers la réconciliation qui favorise la communion. On doit participer parce qu’on est reconnu comme une entité propre à protéger et à promouvoir, et en même temps comme membre d’une communauté. Un devoir dans l’intérêt de chacun et de tous. Nous pouvons aussi lire cette participation chez Kanoute dans les lignes suivantes: «la palabre est une patiente expression du sentiment populaire, dans laquelle chaque individu précise peu à peu, par des touches, des retouches, et des corrections successives, l’avis du peuple. On se rallie à la voix de l’ensemble parce qu’on sait que cette voix est l’expression de sa propre voix»606.
La discussion palabrique est aussi un effort interactif avec les aïeux et avec Dieu, qui sont toujours et déjà supposés présents dans les débats et de même toujours invoqués. Car les principes communicationnels de solidarité, de participation et de subsidiarité impliquent que les membres de la communauté de communication directe ou indirecte cultivent davantage la conscience de l’individu comme personne libre, de l’égalité des droits et devoirs dans la discussion palabrique, de la vérité et de la justice, des valeurs sociales fondamentales.
4. Conclusion Dans son travail de communication, l’Église s’implique qualitativement pour une amélioration significative de la communication tant interne qu’externe, en favorisant des relations sincères de partenariat et en s’ouvrant au dialogue à tous les niveaux; et aussi en proposant des règles du jeu communicationnel. Elle fournit ainsi un effort pour une communication qui soit honnête, ouverte et courageuse, en montrant que la confiance dans l’amour est la voie choisie par Jésus, et elle constitue donc la voie pour les chrétiens.
605 P. Kanoute, Seule la palabre, 229. 606 Ibid., 228.
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Dans et par les médias, hommes et femmes doivent chercher à témoigner, de diverses manières, de ce qui est important pour eux: la vie en Jésus. L’Église, en tant que famille, participe à ce processus par des propositions de sens et de foi, par des reportages sur la vie de l’Église et sur la foi chrétienne, par l’annonce du Royaume de Dieu. Pour l’Église, la communication est donc aussi un devoir au service de la communion. Les enjeux de la communication en tant que devoir sont la communion par sa contribution à favoriser l’interaction réciproque, une meilleure connaissance de Dieu et de l’autre. Elle s’inscrit enfin dans la société concrète par l’annonce de la Bonne Nouvelle. C’est pour cette raison que l’Église porte attention aux moyens de communication sociale en se considérant elle-même, en quelque sorte, comme le "médium" de Dieu. La préoccupation de l’Église concerne la communication en général, mais également la communication dans et par l’Église elle-même, une communication qui tire son fondement dans la communion de l’amour trinitaire. Et l’Église, se considérant ainsi comme le garant et l’image de cet amour, continue à enseigner cette communion en son sein et dans le monde. L’Église est essentiellement communion et communication et se veut, en quelque sorte, modèle de communication dans la vérité, la justice, la liberté, la responsabilité et le respect des droits humains fondamentaux, porté par des principes de subsidiarité, de participation et de solidarité. La communication palabrique est aussi une voie pour la vie en communion et en communauté. Même les communautés chrétiennes peuvent retrouver dans le dialogue palabrique une voie pour, par exemple, résoudre des contentieux tout en gardant le Christ, naturellement au centre. Une vision africaine du monde se traduit de plus dans la palabre, celle du rapport avec le monde invisible. La palabre rappelle que la vie obéit non seulement au monde visible mais aussi au monde invisible, d’où l’exigence de la vérité, de la sincérité, car, en communiquant avec le monde visible, on entre aussi en communication avec le monde invisible, l’invisible étant toujours présent comme le stipule ce proverbe Yaka: «"Diisu dya Ndzaambi divilaa ko dyaambu". (Ce qui signifie) «"L’œil de Dieu n’oublie rien". (Ce qui signifie) "Vigilance ou attention constante de Dieu. Proverbe proche de l’expression "Ndzaambi kaleeka ko", "Dieu ne dort pas"»607.
Tout le monde est ainsi appelé à dialoguer dans la vérité, et dans le respect de l’ordre social. Ces valeurs sociales et éthiques orientent le processus communicationnel. Le chapitre final veut essayer, en partant du cas concret de quelques dialogues inter-congolais pour la paix entre 1996-2002 en république démocratique du Congo, de retracer quelque peu la situation normative du processus discursif. 607 A.Van der Beken, Proverbes Yaka du Zaïre, 10.
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En effet, quelle volonté de communication et de consensus, quelle responsabilité communicationnelle auraient animé les partenaires de ces dialogues? Pourquoi tant de difficultés pour s’intercomprendre et rétablir la paix, malgré l’expérience du dialogue palabrique africain? Quelle relevance peut avoir une telle éthique communicationnelle palabrique en pratique, par exemple, pour les dialogues politiques intercongolais en vue de la paix entre 1996 et 2002?
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CHAPITRE V : Quelle relevance de l’éthique communicationnelle palabrique pour les dialogues politiques intercongolais en vue de la paix (1996-2002)? En général, il s’observe dans beaucoup de pays africains, pour ne parler que de l’Afrique, un décalage de structuration de la vie sociale et une déstabilisation profonde de la gestion de l’Etat. La mauvaise gestion du bien commun est monnaie courante, ce qui donne l’impression que ce continent tend vers une désorganisation quasi-globale et qu’il n’y a pas de transparence dans la gestion de la chose publique. Peut-on aussi lire dans cette mauvaise gouvernance générale un déficit communicationnel? Mais dans cet état des choses, la bonne communication, au niveau politique, a un rôle majeur à jouer pour restaurer ou créer un État respectueux des droits élémentaires. La construction d’un État s’inscrit effectivement dans un tel processus. Et pour le cas de la RDC, l’expérience des dialogues intercongolais s’insère aussi dans ce mouvement communicationnel pour créer un État social et de droit. Dans un tel processus, l’éthique communicationnelle reste indépassable, incontournable, dans la mesure où, généralement, elle fait référence à un ensemble de valeurs partagées à un moment donné par les membres d’une même communauté pour instruire, guider et accompagner leurs attitudes et leurs comportements. Elle forme l’ensemble des devoirs et des obligations que s’auto-imposent les membres d’une même organisation, d’une même profession, d’une communauté de communication. Elle oriente l’exercice du langage dans la communication, la situation des acteurs face aux partenaires de communication. Et puis, Lamizet ajoute: «la situation de la communication et du langage, comme médiation plus que comme action, déplace le statut de l’autre en déplaçant le statut de la communication: celleci, en effet, ne se conçoit pas comme un mode d’affirmation ou de mise en évidence de la personnalité du sujet dans son acte, elle est plutôt une médiation qui donne une forme communicable à l’appartenance sociale et politique du sujet à une communauté au sein de laquelle il est un parmi d’autres»608.
Les dimensions sociale, culturelle et politique de la communication palabrique font d’elle un espace publique de discussion. Du point de vue social, la discussion palabrique met en jeu des relations intersubjectives, de personne à personne. En effet comme pour toute communication humaine, ainsi que le précise Lamizet: 608 B. Lamizet, Les lieux de la communication, 12.
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«la dimension sociale de la communication représente la régulation qu’elle assure entre les différents liens qui constituent le tissu de la vie sociale, entre les différents lieux qui constituent l’espace social et institutionnel dans lequel nous vivons. La communication a, à cet égard, une fonction importante de régulation et de pérennisation des liens sociaux – sans quoi il ne peut y avoir de communauté structurée ni de vie sociale institutionnalisée»609.
La crise sociale en Afrique, en général, et la guerre en RDC, en particulier, sont aussi, en partie, des crises de communication. Et les efforts pour les résoudre – par exemple par des dialogues intercongolais pour le cas du Congo – sont une volonté de rétablissement des relations intersubjectives justes et solides par le discours. Le dialogue palabrique, dans le cadre de cette volonté, pourrait fournir un processus de pacification probant. La communication palabrique a une dimension culturelle qui réside dans sa fonction représentative. Elle représente vraiment la culture d’un groupe donné. Et selon Lamizet: «la dimension culturelle de la communication désigne ainsi la constitution d’un patrimoine, d’un "trésor" de représentations, propres à une communauté ou à un groupe social, constitué grâce à la mise en œuvre des médias, des institutions et des structures de communication de masse»610.
La palabre est un processus culturel et, en même temps, un lieu représentatif et de sauvegarde de la culture africaine. Palabrer pour traiter d’un sujet ou pour résoudre un conflit, pour arrêter une guerre et restaurer la paix est un processus communicationnel pour garantir le bien-être social et est mêmement un acte pour préserver et pérenniser la culture de la communauté africaine. La communication palabrique acquiert une dimension politique dans la mesure où elle est un processus de bonne gouvernance et de stabilisation de l’ordre social. Pour ce faire, une éthique, tant du point de vue procédural que pratique, est incontournable. Du point de vue de la communion politique, Mwenze dit: «[…] l’éthique de la communication comprend un certain nombre de valeurs, des normes, des modèles de comportement, le tout enraciné dans le respect inconditionnel de la dignité humaine et le primat du bien général. C’est cette éthique-là qui n’a d’autre finalité que mener les individus et les organisations vers une recherche responsable des objectifs humains de l’information dans la recherche d’un consensus social»611.
La gestion de la crise, spécialement en temps de conflit ou de guerre exige une grande responsabilité. Cette responsabilité signifie aussi le respect mutuel et 609 Ibid., 13. 610 Idem. 611 Mwenze Chirhulwire Nkingi (éditeur), Éthique de la communication et démocratie en Afrique du XXIè siècle, 5.
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le suivi des règles et des résolutions devant lesquelles tous sont égaux; la gestion de résolutions et du consensus trouvé doit d’autant plus en être transparente pour porter du bon fruit. Elle oblige à la sincérité, la tolérance et au respect de tout l’ensemble de procédures et de normes que doit spécialement suivre l’agir politique dans le management de la cité. Tout le problème pour le politique est exactement d’appliquer toutes ces règles de manière objective, sincère, claire et stricte dans un agir communicationnel positif. Puisque, comme Lamizet le confirme: «si le politique représente un ancrage théorique de la communication, il en constitue, par ailleurs, aussi un ancrage dans le réel: le politique donne des enjeux à la communication, il en précise les objets et les références qui la fondent comme pratique ancrée dans le réel»612.
Conformément à son idéal, l’éthique communicationnelle conduit à discuter dans le respect et la sincérité, elle encourage et oblige le processus d’intercompréhension dans le but d’une réconciliation finale pour – en cas de conflit – chercher le rétablissement de la communion et la restauration de l’harmonie brisée. Dans un contexte de régionalisme, d’ethnicisme, de tribalisme, de clanisme, de conflits parfois au soubassement économique et hégémoniste – pour ne parler que des conflits armés – le processus normatif de la communication palabrique est destiné à soutenir le dialogue franc, la discussion pour la recherche des solutions durables et globales. Quelle est la relevance de l’éthique communicationnelle palabrique pour les discussions inter-congolaises, les dialogues "inter-congolais", pour la paix en RDC? En fait, cette question est aussi celle de l’actualité de la communication palabrique. Nous essayons de répondre à cette préoccupation en nous basant sur quelques dialogues interactifs pour la paix en RDC entre 1996 et 2002. En effet, les politiciens ont, durant ce temps, organisé plusieurs rencontres ou dialogues. Toutes ces rencontres se sont déroulées à peu près dans le schéma palabrique. On a plusieurs parties en conflit, qu’on peut regrouper en deux parties, à savoir: la partie gouvernementale et la partie oppositionnelle (ensemble de groupes de rébellion et opposition non-armée), une partie modératrice et un public direct et indirect. Mais avant tout, nous commençons par un bref aperçu historique des quelques processus de paix en RDC. Certains textes sanctionnant les quelques dialogues congolais pour la paix sont présentés en annexe. La contribution, dans ce contexte, de l’Église catholique en faveur de la paix ne sont pas les moindres. Après la présentation du processus normatif de la communication et son implication dans le dialogue palabrique africain, ces dialogues politiques intercongo612 B. Lamizet, Les lieux de la communication, 232.
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lais, comme processus discursifs pour la paix, peuvent s’avérer être une lecture intéressante et pratique de l’importance de l’éthique communicationnelle en général et du processus discursif palabrique, en particulier dans la recherche de résolution des conflits par le dialogue. En quoi le processus discursif, l’éthique communicationnelle palabrique sont-elles incontournables pour les dialogues de paix tels que les dialogues intercongolais? Nous voulons essentiellement faire ressortir le processus normatif et les principes éthiques consécutifs devant accompagner ces discussions politiques. La communication étant un espace social et institutionnel où s’organise la vie en société, nous cherchons à lire tous ces dialogues à l’épreuve de la responsabilité, du respect mutuel, de la transparence, de la réconciliation, de la paix et de l’intercompréhension. Mais cette situation de la parole reste, en même temps, un état conflictuel possible. Comme Lamizet le déclare: «en effet, la communication est une situation au cours de laquelle coexistent, dans le même temps, et dans la même condensation, deux logiques: la logique symbolique, qui définit un champ de l’échange et de la médiation entre les partenaires de la communication, et la logique du réel, qui, au contraire, repose sur l’autonomie des partenaires de la communication l’un par rapport à l’autre. De cette discordance entre les deux logiques résulte une situation de tension, qui entraîne l’élaboration de stratégies de la part des partenaires de la communication, qui deviennent, dès lors, des acteurs d’un conflit»613.
La réussite de ces dialogues est, de ce point de vue, conditionnée par le contenu normatif de l’interaction à laquelle chaque participant doit se conformer. Certes, le politique étant aussi un champ institutionnel et social de communication, il est un lieu des enjeux de la communication, parce qu’espace de représentation des acteurs sociaux. Et dans le contexte concret congolais en RDC, nous pouvons décrypter le lieu et le temps du conflit congolais d’un point de vue de l’interaction dialogique dans sa dimension normative en tant qu’agir communicationnel pour la réconciliation et la paix, en tant que processus d’intercompréhension et de consensus. Nous donnons maintenant un très bref aperçu historique de la situation congolaise du point de vue des conférences et dialogues pour créer ou restaurer le pouvoir de l’État, et faire régner la paix.
613 B. Lamizet, Les lieux de la communication, 309.
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1. Excursus 1.1 Très bref aperçu historique Dans l’histoire récente du Congo (RDC), des conférences ont eu lieu pour le processus de son indépendance et pour son unification. Nous avons pour exemple la tenue de la table ronde belgo-congolaise du 20 janvier au 20 février 1960 à Bruxelles614, dans le but de déterminer et fixer la date de l’indépendance, les structures politiques du futur Congo indépendant, l’organisation et l’exercice du pouvoir. Il y a ensuite la conférence de la table ronde économique 615, financière et sociale tenue à Bruxelles du 6 avril au 16 mai 1960; quelques mois après différentes négociations et tables rondes616 ont eu lieu avec le concours de l’ONU et l’aide de quelques pays africains, pour tenter d’unifier le pays après son éclatement en quatre entités entre 1960 et 1963 et essayer de lui redonner sa légitimité. Plusieurs rencontres eurent lieu notamment à Léopoldville, du 25 janvier au 16 février 1961, à Tananarive au Madagascar, du 8 au 12 mars 1961, à Coquilhatville (Mbandaka), du 24 au 28 mai 1961. Toutes ces conférences sont en quelque sorte des pré-palabres pour résoudre la question constitutionnelle et préparer la prochaine grande rencontre onusienne. Le Congo est à la recherche de son unité. Comme on peut le constater, le Congo à la recherche de son unité semble recourir naturellement aux conférences, aux discussions pour résoudre son organisation étatique617. Le 24 novembre 1967, Mr. Mobutu prend le pouvoir, après un coup d’état qu’il annonça de la sorte: «"J’ai décidé de rester au pouvoir pendant 5 ans, le temps qu’ont mis les politiciens pour conduire à sa ruine". "Pendant 5 ans, il n’y aura plus de politique de partis politiques dans ce pays"»618.
En fait, au lieu de 5 ans, il restera 32 ans au pouvoir et effectivement sans politique des partis politiques dans ce pays. Le pays restera pendant tout ce temps sous le coup et le joug du MPR, le parti unique. Ainsi le pays se laisse gouverner jusqu’au sursaut de la conférence nationale souveraine 619 proposant une voie de transition, comme une palabre, vers une 3ème république de 1990 à 1997. En effet, le 14 janvier 1990, le président Mobutu exprimait sa volonté de démocrati614 615 616 617 618
Cf. I. Ndaywel è Nziem, Histoire générale du Congo, 544. Cf. Ibid., 551. Cf. Ibid., 524-663. Pour plus d’informations Cf. I. Ndaywel è Nziem, Histoire générale du Congo. F. Kikassa, Des dialogues belgo-congolais aux dialogues inter-congolais 1960-2001, in: Congo-Afrique, 358, octobre 2001, 477. 619 Cf. I. Ndaywel è Nziem, Histoire générale du Congo, 772-783.
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sation du Zaïre et initia des consultations, comme des pré-palabres, en vue de la Conférence Nationale Souveraine (CNS) du 29 janvier à la mi-avril 1990. Et le 7 août 1991 débuta cette grande conférence, comme une grande palabre qui impliqua aussi la médiation de l’OUA et de l’ONU. A ce propos, voici ce que raconte Kikassa de cette conférence (CNS): «les 2850 délégués à ces assises étaient répartis en 4 groupes: les partis politiques (900), la société civile (1100), les institutions publiques (750) et les invités (100). Ils avaient non seulement à élaborer la constitution de la IIIème République et la loi électorale mais ils devaient aussi procéder à la "relecture de l’histoire du pays, à l’analyse des raisons d’échec des pouvoirs en place afin d’en établir les responsabilités individuelles ou collectives et surtout à arriver à la réconciliation nationale […]". Le président de la conférence, Mgr. Monsengwo, insista, lors de l’installation, le 24 avril 1992 du bureau définitif, sur le "consensus" et la "réconciliation" comme deux principes qui constitueraient la méthodologie et la finalité de la conférence»620.
Et le consensus ne pouvait s’obtenir que par la discussion sincère et objective qui aboutirait à une réconciliation dynamique et globale pour chacun et pour toute la communauté. On n’était pas loin ici d’une procédure palabrique. Mais Kikassa poursuit: «les débats sur "l’arrangement particulier sur le partage équitable et équilibré du pouvoir" ont eu pour effet d’enlever au peuple tout espoir de changement et de faire qualifier ce Forum de "palabre ensorcelée" ou d’"œuvre inachevée"»621.
Et la non-concrétisation du projet de société de la CNS, avec le départ de la guerre menée par l’AFDL en 1996, donne lieu à un autre ordre politique au Congo-Zaïre, avec la prise de pouvoir par Laurent Désiré Kabila en place et lieu de Josef Désiré Mobutu qui finira, quelques mois après, à s’exiler au Maroc. Celle-ci occasionna de nouvelles palabres pour recoudre le pays morcelé par des rébellions et rétablir un Etat de droit. Après deux mouvements de rébellion et des guerres successives de 1996 à 1998, des efforts de pacification passèrent par le pré-dialogue de Gaborone au Botswana du 20 au 25 août 2001, par les accords de cessez-le-feu de Lusaka signé le 10 juillet 1999 – qui s’avèreront dans la suite insuffisants – et le dialogue intercongolais de Sun City avec la signature le 19 avril 2002 de l’accord pour la gestion de la transition. Tous ces dialogues intercongolais se tiennent dans un même état d’esprit: la recherche de la paix, de l’état de droit et de la réconciliation nationale. Même le pré-dialogue de Gaborone au Botswana, comme pré-palabre, avec pour participants le gouverne620 F. Kikassa, Des dialogues belgo-congolais aux dialogues inter-congolais 1960-2001, 479. 621 Ibid., 479-480.
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ment, l’opposition armée, l’opposition non armée, la société civile et la médiation, se tint dans ce même esprit: discuter les grands problèmes pour la résolution de la crise politique au Congo. Mais pour prendre part à ces discussions, il fallait se ranger derrière l’une de ces quatre composantes. Cette situation fut par ailleurs dénoncée par certaines forces politiques et sociales telles que les Églises catholique, protestante et d’autres confessions religieuses, comme une tentative d’exclusion du processus communicationnel – une démarche évidemment contraire au processus palabrique. Le processus discursif dans les dialogues montre clairement que la dynamique militaire ne peut à elle seule être porteuse de paix et du consensus pour résoudre la crise congolaise. Bien au contraire, cette dynamique s’avère opposée aux intérêts fondamentaux du peuple congolais. Il faut dialoguer, discourir, faire la palabre pour aboutir au consensus et à la réconciliation. Face à cette crise, les recherches de solutions s’inspirent, entre-autre, des méthodes et tactiques des années 60, période de l’indépendance, comme le montre bien l’histoire, et elles recoupent encore une fois la démarche palabrique. La conséquence de toutes ces crises fût le partage intempestif du pays. Pour en donner un résumé pendant les périodes clefs de l’histoire, voici trois cartes de trois grands éclatements du Congo-Zaïre ayant conduit aux dialogues belgo-congolais et intercongolais: 1.1.1
Eclatement en quatres parties entre 1960-1963622
622 Ibid., 474.
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1.1.2 Eclatement en deux parties entre 1964-1967623
1.1.3 Eclatement en trois parties entre 1998-2001624
1.2 A propos de quelques dialogues politiques intercongolais Nous avons présenté, en annexe, en intégralité quelques textes de pré-dialogues et de dialogues inter-congolais.
623 Ibid., 477. 624 Ibid., 481.
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1.2.1 Accord de Lusaka, une Palabre pour la paix (1999) Préliminaires à Lusaka, ont lieu plusieurs négociations, médiations et interventions comme cadre préparatif de cette palabre. Nous avons entre-autre les interventions de l’ONU, de l’OUA, les médiations sud-africaine, libyenne, de la communauté de Sant’ Egidio625. Ce cadre est tout un processus pré-palabrique qui a pour but de retracer un cadre discursif efficace et propice au processus palabrique de la réconciliation nationale. L’accord de cessez-le-feu de Lusaka est une convention signée à Lusaka, en Zambie, le 10 juillet 1999 par l’Angola, le Congo (Kinshasa), la Namibie, le Rwanda, l’Ouganda et le Zimbabwe. Il a ensuite été signé par Jean-Pierre Bemba du MLC, le 1er août 1999, et par 50 membres fondateurs du RCD, le 31 août 1999. L’OUA, l’ONU et la Communauté pour le développement de l’Afrique australe en furent témoins. Cependant, le cessez-le-feu ne sera jamais appliqué et les combats, les massacres continueront. Cet accord de Lusaka626 dont le texte complet est donné en annexe, reconnaît d’une part les différents aspects internes et externes du conflit tout en intégrant les dispositions de démocratisation interne et de réconciliation nationale en RDC, du respect de sa souveraineté, de retrait des forces étrangères et de prise en compte des intérêts légitimes de sécurité des États voisins et de la sous-région entière. D’autre-part, elle bute à l’application concrète et sérieuse du consensus acquis lors des discussions. Le consensus de Lusaka, sous ses trois volets essentiels, à savoir le volet sécuritaire, le volet social et le volet politique, fait une lecture des conflits sociopolitiques qui secouent le pays pour arrêter des stratégies de sortie de la situation de guerre en vue d’une réconciliation nationale stable dans une tentative de recréer un nouvel ordre politico-social. En bref, il fallait rétablir et restaurer l’État congolais. 1.2.2 Pré-dialogue de Gaborone au Botswana 20-25 août 2001: une prépalabre En marge de la réconciliation nationale, s’est tenu un pré-dialogue, comme une pré-palabre, un cadre préparatif du dialogue d’Addis-Abeba du 15 octobre 2001. La résolution du conflit congolais semble, ici, être prise en mains par les congo625 Cf. J-C. Willame, L’Accord de Lusaka, 11-34. 626 Cf. LINELIT (Ligue Nationale pour les Elections Libres et Transparentes), Accord de Lusaka, Kinshasa 1999, 3-31.
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lais. Cette pré-palabre prépare la palabre qui doit se tenir à Addis-Abeba. En marge d’un effort de réconciliation nationale, ce pré-dialogue constitue un certain pacte républicain, comme on peut bien le lire dans le texte intégral donné en annexe627. Cette pré-palabre constitue un acte d’engagement, dans lequel les participants exigent l’arrêt immédiat de la guerre et le retrait des troupes étrangères impliquées dans la sale guerre, en réaffirmant la souveraineté, l’intégrité et l’indépendance de la république, conformément aux principes fondamentaux des accords de Lusaka. Cette pré-palabre est guidée par le souci de réconciliation nationale. Elle est en même temps un engagement pour récréer l’Etat et rétablir la paix. 1.2.3 Accord global et inclusif de Pretoria 2002 Il s’agit de l’accord global et inclusif sur la transition en RDC conclu à Pretoria le 16 décembre 2002. Les parties en cause, sous la médiation directe de l’Afrique du Sud par Thabo Mbeki, alors président de ce pays, de l’ONU représentée par Moustapha Niasse et de celle indirecte de beaucoup de puissances étrangères, discutent, palabrent et arrivent à ce consensus global et inclusif stipulant la cessation des hostilités, les objectifs, les principes, les institutions et la durée de la transition. Du point de vue du consensus de cette rencontre – à la lumière du dialogue palabrique – nous pouvons constater que le consensus final vise la réconciliation et une gestion consensuelle de la transition, la paix globale. Et sur papier tous les acteurs se mettent d’accord et s’obligent à traduire en acte le fruit des discussions. Le texte intégral du consensus que nous présentons éclaire cet effort d’engagement individuel et collectif comme dans le dialogue palabrique. En effet, le dialogue palabrique est un processus qui se veut inclusif, il intègre chacun et toute la communauté dans la voie de la réconciliation et de la paix. Le problème du capotage de cet accord, quand à son application, n’est pas encore posé ici. Il s’agit de la structure procédurale du point de vue de la visée de ces discussions et de l’accord final accepté par tous les participants. La finalité de cette "palabre" congolaise est la réconciliation générale, l’harmonie sociale et la paix dans le pays. A cause de la situation conflictuelle due à la guerre, tous les acteurs politiques et sociaux, groupes armés ou non, sous l’égide d’une médiation neutre, se mettent autour d’une table pour palabrer autour du conflit, discuter et trouver un consensus dans l’intérêt d’un chacun et de tous. On s’accuse, on se condamne, 627 Cf. L. She Okitundu, Textes fondamentaux du pré-dialogue inter-congolais, 461-467.
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on argumente et "contre-argumente", on expose ses positions et les partenaires de la discussion les critiquent. A l’image d’une palabre pour la réconciliation et la paix, on discute pour trouver ensemble une solution positive, on cherche à communiquer – du moins du point de la discussion théorique, même si les intentions profondes des uns et des autres restent cachées comme le démontrent bien la difficulté d’application des accords et la poursuite des massacres. On aboutit ainsi à un accord global et inclusif que l’on signe à Pretoria dont nous fournissons le texte intégral en annexe628. La lecture de ce texte donne aussi une idée sur la stratégie de communication lors de ces rencontres.
2. Quelle stratégie communicationnelle? Le but de ces dialogues est la cessation de la guerre, la restauration d’un état de droit et la réconciliation globale entre congolais et les nations voisines. Mais, lors de ces dialogues, il se vit, en réalité, une vraie lutte pour le pouvoir. Toutes les stratégies particulières des acteurs politiques congolais dans les discussions s’inscrivent dans la finalité de la prise et de l’exercice du pouvoir par tous les moyens. Il s’agit, en clair, dans cette situation de conflit, d’une instrumentalisation de la communication. Les différents acteurs s’inscrivent ainsi dans une logique interventionniste, car chacun rejette tous les échecs sur l’autre, chacun se veut le meilleur pour le peuple et la nation, chacun veut se légitimer dans sa position aussi belliqueuse qu’elle soit. Pour beaucoup de participants, la stratégie de communication à ces discussions n’était plus téléologique, parce qu’elle ne visait que des intérêts propres des groupes pour le pouvoir, sous emprise hégémoniste et lobbyiste. C’est, entre autre, pour cette raison que l’accord de cessezle-feu de Lusaka du 10 juillet 1999 en Zambie est resté lettre morte, la guerre ayant continué de plus bel. Certains acteurs n’ont pas discuté avec bonne foi dans l’intention d’argumenter pour la paix; plusieurs ne s’y traitaient pas comme des partenaires de discussion dans le respect et la responsabilité que cela implique. Willame, par exemple, relève beaucoup de faits dans son analyse sur l’accord de paix de Lusaka qui montrent les ambivalences et les incertitudes de ce dernier du point de vue de son application et de son suivi. On peut déjà noter une difficulté majeure du fait que les combats perdurent même durant les discussions; la difficulté du désarmement des bandes Interhamwe étant connue de tous. L’attitude des mouvements rebelles devenus nombreux; le refus du RCD-Goma de signer les ac628 Cf. CEDAC, accord global et inclusif sur la transition en RDC; Texte intégral de l’accord tel que publié dans la revue Congo-Afrique de septembre 2001, n. 357, 447448.
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cords, constituant un vrai blocage; la place de l’ONU et son action entre autres629, témoignent bien de cette difficulté majeure de communiquer dans la sincérité, la vérité, l’égalité et la justice. Sinon comment comprendre les combats entre le Rwanda et l’Ouganda entre mai-juin 2000 en territoire congolais (à Kisangani) malgré les accords? Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Pourquoi tant de difficultés à appliquer l’accord de paix discutée entre sujets et partenaires d’un discours pour la paix, pour le bien de la nation entière? Les partenaires de ces discussions, dans cet espace institutionnel – à l’image de la palabre – ne sont-ils pas des sujets qui doivent agir dans la dynamique sociale de la paix et de l’entente en vue de reconstruire la nation, de rétablir l’unité du pays et de recréer la bonne entente entre les pays voisins? Tous les partenaires de ces dialogues sont des acteurs sociaux et devaient normalement agir discursivement pour l’entente et le consensus630 national. Ces dialogues n’ont pas, en gros, abouti à tous les résultats escomptés, malgré quelques avancés non négligeables. Comment les apprécier, alors, par rapport au dialogue palabrique, en tant que processus de résolution de conflit et interaction pour la paix et la réconciliation?
2.1 Dialogues à l’image du dialogue palabrique Ces dialogues ont-ils été à l’image du dialogue palabrique? En effet, à voir de très près, on peut desceller que tous ces dialogues ne sont pas, quant à leur structure procédurale, très loin du dialogue palabrique: ● Il y a un problème: la guerre, une situation conflictuelle à résoudre. ● Du point de vue des acteurs: on a toujours deux parties ou groupes et une médiation. ● Du point de vue la durée: ils semblent interminables. ● Du point de vue du but poursuivi: on y recherche la paix, l’harmonie, la réconciliation nationale par le dialogue, par la discussion et l’argumentation. Ils se présentent en agir interactif. ● Le caractère politico-diplomatique et de médiation: ils se déroulent comme un espace public de parole, de discussion et de partage du discours. ● La visée: la fin de la guerre, la restauration de la république; la réconciliation et l’harmonie nationales. ● Les dimensions politico-diplomatique, socioculturelle, intellectuelle, juridique, morale, thérapeutique etc. que ces dialogues portent.
629 Pour plus de détails, Cf. J-C. Willame, L’Accord de Lusaka, 37-60. 630 Cf. B. Lamizet, Les lieux de la communication, 293.
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Certainement, tous ces dialogues ont une référence sociale et culturelle, et une dimension de médiation en tant qu’ils constituent un espace impératif du discours. La palabre est aussi un agir de médiation. Elle rencontre bien l’affirmation de Lamizet sur la médiation qui «[…] représente l’instauration d’un tiers de nature à résoudre ou à dialectiser le conflit et la contradiction entre les deux sujets qui sont les partenaires de la communication. Finalement, l’approche des situations de conflit et de rupture dans la communication fait apparaître la nécessité, pour une théorie de la communication, de donner lieu à une théorie de la médiation»631.
A l’image de la palabre, en tant que lieu et temps de médiation, en tant qu’institution et instrument politique632, ces dialogues s’avèrent être un processus approprié pour résoudre un tel conflit très complexe dans le but de trouver un consensus qui puisse satisfaire chacun et tout le monde. Car la palabre est, en cas de conflit, un processus de cheminement vers la paix dans un consensus d’harmonie sociale. Elle est dans la tradition africaine une institution centrale pour la résolution des conflits. En conséquence, elle est un processus qui aide les parties en conflit à avoir un procès équitable, une procédure discursive qui vise la prise des décisions et la recherche des solutions pouvant être approuvées par tous633. La palabre est, en fait, l’expression du sentiment populaire. Dès lors, tout celui qui y participe, a le devoir d’œuvrer pour la paix et la réconciliation dans un agir responsable. Elle est, en quelque sorte, l’opinion du peuple portée par ses représentants conviés à discuter pour lui en son nom, pour le bien supérieur de la vie634. Le conflit congolais étant aussi un conflit ouvert, l’effort de réconciliation doit passer aussi par la médiation. Car la médiation redonne de la raison à notre ancrage dans la vie harmonieuse, dans le réel même de la vie en société; elle exprime la nécessité de l’espace politique qui conduit et oriente la structure sociale. L’espace de médiation reste celui du partage, de la coopération et de la solidarité, espace qui aide, enfin de compte, à se découvrir et à découvrir l’autre, un "Je", un partenaire dans le processus de communication. Le conflit congolais est aussi un conflit intersubjectif et médiaté635 qui ne peut être réglé que dans 631 Ibid., 315. 632 Cf. Per O. Hernæs, Palaver: peace or problem? 5-16. 633 Le rôle de la palabre est de préserver, en tant qu’institution de règlement des conflits traditionnels, un déroulement qui permet aux parties concernées un procès équitable pour aboutir à une résolution acceptée par tous. Cf. A. K., Helfrich, Afrikanische Renaissance, 97. 634 Cf. P. Kanoute, Seule la palabre, 226-230. 635 Cf. B. Lamizet, Les lieux de la communication, 314-315.
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une approche impliquant la négociation, car les armes ne peuvent conduire à une paix durable et globale pour la RDC et toute la région affectée.
2.2 Le conflit congolais, un conflit intersubjectif et médiaté En général, tout comme la communication, le conflit a aussi une dimension intersubjective et médiatée. De la situation de conflit, Lamizet dit: «la situation de conflit est une situation au cours de laquelle sont suspendues les relations, constitutives de la signification, entre les formes symboliques et les références dont elles se soutiennent dans le réel. Le conflit, en ce sens, suspend le fœdus»636.
C’est bien le cas du conflit congolais qui est aussi un conflit aux structures de communication intersubjective mettant socialement et politiquement en cause des structures de médiation, de négociation. Ce conflit est due en partie au refus de la médiation, du dialogue et de la discussion. Effectivement, la guerre a perduré puisque les adversaires ont parfois fermé la porte au discours argumentatif ou encore ils ont fait simplement semblant de l’ouvrir. La médiation est la voie indiquée pour sortir du schéma des armes. Par elle, les protagonistes sont appelés à se découvrir comme acteurs politiques, et communicationnels responsables ayant le devoir de découvrir, de respecter l’espace public et politique que crée la médiation. C’est l’aspect que souligne Lamizet quand il écrit: «enfin, dans une situation de conflit, l’identité de l’autre change de statut. […] Dans une telle approche de l’espace de communication en termes de rapport de forces, le rapport à l’autre est comme un rapport à un objet: l’autre n’est pas un sujet avec qui s’établit une relation symbolique d’identification; il est un objet de perception, il constitue le but de l’enjeu d’une stratégie engagée en vue de se trouver, soi contre lui, en position dominante; […]»637.
L’autre devient traitre, étranger, rebelle etc. Dans cette situation de conflit, l’échange symbolique, l’interaction communicationnelle sont obnubilés par la teneur de la méfiance, de l’ignorance et de la méconnaissance. Il est radié. Le conflit congolais demeure un conflit historique et social du point de vue de la médiation et un conflit intersubjectif du point de vue des individus, sujets – pour beaucoup d’assoiffés du pouvoir – qui s’affrontent par la structure politique comme institution. Ce conflit, est d’une part une rupture de la communication, qui engendre la guerre et d’autre-part, une destruction des liens sociaux qui occasionne la non-application des engagements pris lors des pourparlers et des ac-
636 Ibid., 310. 637 Ibid., 311.
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cords globaux et inclusifs de réconciliation. Cette destruction des liens sociaux conduit aussi la guerre. Or, nous reconnaissons avec Lamizet que: «la guerre se résout par la négociation: la résolution du conflit guerrier passe par l’instauration d’une nouvelle situation de communication, d’une situation de communication au cours de laquelle sont débattues les possibilités de concession et d’échange donnant une consistance à la négociation, soit: à la reprise des situations de communication»638.
D’où la tenue, entre autre, des dialogues "inter-congolais", comme lieux où ces conflits se parlent, mais lieux qui, eux-mêmes, sont des nouveaux terrains de conflit intersubjectif. Ces dialogues sont pensés comme temps et lieu d’effort pour restaurer la communication rompue, puisqu’ils constituent un processus de négociation, dans la ligne de ce que souligne Lamizet lorsqu’il dit: «tandis que la négociation instaure de nouveau la communication rompue dans le champ de la communication médiatée, la communication se restaure, en situation intersubjective, à partir du moment où les sujets de la communication renouvellent leur relation d’identification et restructurent l’identité symbolique du sujet»639.
Mais un constat est clair aux vues des différentes tractations: le conflit congolais n’est pas seulement un conflit de pouvoir, d’hégémonie mais il demeure un conflit dû à la rupture du lien social et de la communication. Dans cette situation, du point de vue communicationnel, l’identité mutuelle des acteurs sociaux a muté, parfois de "sujet" à "objet". Du point de vue politique, chaque groupe concerné veut effacer l’autre en le présentant comme barrière: l’autre est pris comme un obstacle non à identifier positivement, mais bien plus comme un blocage dont il faut à tout prix et par tous les moyens se débarrasser. On se veut en position de domination pour communiquer comme tel, quoique tous les acteurs aient sur les lèvres le même slogan de paix dans la formule magique de réconciliation nationale.
2.3 La formule "magique" de réconciliation nationale Pour une vraie réconciliation, habituellement, il faut que les acteurs s’acceptent et se respectent comme des partenaires égaux de la discussion, qu’ils reconnaissent leurs fautes en les avouant et les discutant; qu’ils défendent positivement par des arguments les meilleurs leurs projets de société. Ces projets doivent être traités avec tous les acteurs du dialogue, dans la sincérité, la responsabilité et la transparence. Toutes les parties doivent ensuite manifester leur bonne foi à respecter et à appliquer les conclusions du consensus obtenus après les discussions 638 Ibid., 314. 639 Ibid., 314-315.
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dans l’intérêt commun, à concrétiser les accords globaux et inclusifs, les consensus de cessez-le-feu etc. Mais l’on constate, pour le cas d’espèce, que jusqu’à aujourd’hui le chemin de la vraie paix, du développement intégral, d’un État de droit est encore long pour le peuple et les politiques congolais. Certains acteurs ont vraisemblablement participé aux dialogues avec des agendas cachés; ce qui signifie, en quelque sorte, un manque de sincérité occasionnant un manque d’objectivité dans les discussions et la non-actuation ou encore le boycott du consensus obtenu, parfois du bout des lèvres, que personne ne suit dès la sortie de la salle de discussion. Certainement, il n’y a pas de vraie et durable réconciliation sans consensus effectif, total, global qui s’inscrive dans la durée, c’est l’objectif même du processus interactif palabrique. Sans cet engagement fort et incisif, il n’y a pas de réconciliation stable. Voilà pourquoi dans ces différents dialogues intercongolais on revenait, entre autre, presque toujours à la case du départ au détriment de la population au nom de laquelle tous les participants prennent la parole. On a, en fait, l’impression de vivre un processus communicationnel essentiellement stratégique. Quel ordre politique peut-on attendre d’une telle situation? On peut donc constater avec Otemikongo que: «l’impératif du NOP (nouvel ordre politique) en RDC à l’issue des négociations politiques inter-congolaises (N.P.I.) est un refrain sur les lèvres des acteurs politiques congolais depuis l’avènement du régime Kabila le 17 mai 1997. Avant cette date, des acquis démocratiques importants en termes d’abolition du Parti-État, de séparation de trois pouvoirs traditionnels de l’État, de pluralisme politique et social, des libertés publiques fondamentales etc. ont été conquis à la faveur de la Conférence Nationale Souveraine (CNS). Mais fort malheureusement tous ces gros acquis ont été brutalement rasés par les mouvements rebelles armés qui se livrent une lutte sans merci au sommet de l’État»640.
En fait, les dialogues intercongolais, en tant que processus communicationnel, devaient constituer un espace interactif de médiation pour une paix effective, globale et durable, dans la mesure où, tel que l’exprime Lamizet, «la communication, en donnant une structure à ces espaces, en fait des espaces de médiation des identités qui fondent les sujets de la communication comme sujets conscients de leur appartenance sociale et politique: comme citoyens porteurs d’une identité»641.
Ce qui signifie que tous les acteurs de ces dialogues avaient et ont le devoir d’œuvrer pour un espace de refondation de la société dans son ensemble, ces 640 J. Otemikongo Mandefu Y., L’accord de cessez-le-feu de Lusaka et la paix en République Démocratique du Congo, 273. 641 B. Lamizet, Les lieux de la communication, 228.
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dialogues étant, en eux-mêmes, un espace de représentation et de restructuration. Chacun, chaque structure sociétaire doivent s’y sentir à leur place. Certes, comme on peut aussi le saisir chez Lamizet: «le principe de représentation est sans doute un principe fondateur du politique, puisqu’il s’agit du principe selon, lequel tous les sujets du champ social ont, par représentants interposés il est vrai, accès au champ des discours et des symboles qui, diffusés auprès de tous, constituent la culture de la communauté ou du groupe social considéré»642.
Sans une représentation réelle et forte, on ne peut aboutir à une paix véritable dans la durée. Pour éviter que ces espaces interactifs ne soient le monopole de quelques-uns au détriment des autres, il est indispensable de discuter dans le respect mutuel, la justice, la vérité, la tolérance, la sincérité et l’égalité. La représentation dans le champ communicationnel est modulée par la médiation. Car, n’est-ce pas que, ainsi que le souligne Lamizet: «le champ social de la communication est un champ qui, par définition, devait n’appartenir à personne, devrait n’être le territoire de personne. Dans ces conditions il importe que s’instaurent des médiations en mesure d’assurer, pour chacun des sujets qui appartiennent à la communauté, l’usage singulier de cet espace collectivement identitaire. La médiation est la relation qui rend possible l’usage par des sujets d’un champ qui relève d’une appropriation collective ou institutionnelle. La médiation construit, en quelque sorte, une représentation, dans l’exercice effectif de la communication sociale, de la "volonté générale" chère à Jean-Jacques Rousseau. La communication comme forme de médiation donne une dimension effective aux représentations que les sujets se font de leur appartenance collective. A cet égard, il s’agit d’une des formes élémentaires de socialisation. La communication construit et diffuse les formes qui rendent possible l’appropriation par des sujets singuliers du champ social des structures et des représentations de l’identité collective qui les fonde eux-mêmes comme société civile»643.
Sinon la réconciliation nationale ne reste qu’un pur slogan; oui un slogan vide. Mais quelle relevance peut avoir l’éthique communicationnelle pour tout processus de médiation et concrètement pour les dialogues intercongolais dont il est question? D’un point de vue procédural, tous les membres des dialogues sont égaux dans cet agir interactif; ils doivent se respecter, s’écouter, s’exprimer librement et accepter de voir leurs arguments critiqués dans le but de s’intercomprendre. En fin de compte, ils doivent accepter les consensus qui découlent de leurs discussions dans l’intérêt de chacun et de tous 644. Une vraie réconciliation sociale ne peut avoir lieu que sur base d’un dialogue dans la vérité, la sincé642 Ibid., 229. 643 Idem. 644 Cf. J. Habermas, Morale et communication, 108-120.
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rité, la justesse et la responsabilité. Elle ne peut être que le fruit d’un vrai consensus pour une paix durable. A une telle réconciliation n’a cessé et ne cesse d’appeler l’Église catholique romaine en RDC.
3. Appel pathétique de l’Église catholique congolaise Le discours de communication politique de l’Église catholique, celui de la CENCO, spécialement pendant les périodes difficiles du pays et au moment de la guerre ou même des dialogues intercongolais pour résoudre la crise, pose en même temps la question éthique de l’élaboration et de la production de la communication politique. Elle pose aussi le problème de la base normative qui doit conduire et soutenir tout discours et toute communication politique. En effet, la communication de l’épiscopat congolais est d’un point de vue éthique un appel et un rappel au politique congolais – spécialement en cette période difficile pour la nation – à communiquer sincèrement, dans le respect mutuel, dans la sincérité face aux enjeux réels de la crise, pour le bien de chaque congolais, pour la sauvegarde de l’unité et de l’intégralité du Congo. L’appel pathétique de l’Église exhorte à une communication politique vraie, sincère et respectueuse des valeurs de vie, de solidarité et de justice. L’Église se base, dans son appel, sur les recommandations de l’Évangile et de l’intellect. La communication de l’épiscopat congolais invite le politique à la cohérence entre la parole et les actes dans le discours politique pour une vraie dynamique de paix et de restauration d’un état de droit. Cette approche concerne chaque chrétien et tous les hommes de bonne volonté. Il exige de tous qu’ils s’impliquent positivement et décisivement dans le processus de démocratisation, de développement intégral du pays. Cet appel revient dans les différentes déclarations de l’épiscopat en RDC comme dans toute l’Afrique645, ce que nous pouvons illustrer par l’exemple suivant: le mercredi 11 février 2010, les évêques membres du Comité Permanent de la Conférence Episcopale Nationale du Congo, réunis en session ordinaire depuis le lundi 9 février au Centre Interdiocésain, à Kinshasa-Gombe, ont reçu le ministre des Affaires étrangères, Alexis Thambwe Mwamba, pour un dialogue. Ils ont, à l’occasion, essayé de discuter, de communiquer sur la situation de guerre entre les armées congolaises et rwandaises contre les FDLR. Cet exemple montre bien que l’Église est bel et bien présente dans le processus interactif de recherche de la paix. Elle fait une com645 Cf. R. Gaise N’ganzi, L’Eglise catholique et le processus de démocratisation au Zaïre, 173-228.
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munication d’éducation à la démocratie contre la démagogie et la manipulation communicationnelle et ainsi, les évêques réunis à Kinshasa du 28 juin au 3 juillet 2004 pour la 38ème Assemblée plénière ont invité, en conséquence, tout le peuple à la vigilance – entre autre communicationnelle – en ces termes: «voilà pourquoi il doit rester vigilant pour ne pas tomber dans le piège de la manipulation et des discours démagogiques»646.
L’expérience de la conférence nationale souveraine était, pour l’Église catholique – par la voix de son président Mgr. Laurent Monsengwo – une expérience extraordinaire de communication, car c’était aussi une prise de parole de l’Église. Celle-ci s’était mobilisée pour l’éducation, la conscientisation du peuple et du politique – aussi dans la manière de communiquer sur la "res publica". Certes, déclare Gaise: «si les évêques se sont illustrés par des messages et des déclarations d’ordre prophétique en dénonçant les déviations ou en traçant des orientations pastorales, les prêtres et autres agents pastoraux, même si l’on a enregistré quelques messages ici et là, se sont davantage préoccupés de la conscientisation des fidèles en organisant des conférences, des recollections ou encore des sessions d’apprentissage de la démocratie»647.
Dans sa communication politique, l’épiscopat congolais ne cesse, par ses multiples interventions et déclarations, d’appeler et de motiver tant les politiques que le peuple aux valeurs fondamentales de liberté, de respect, de responsabilité, de tolérance, de participation interactive, de solidarité etc. qui doivent couvrir toute notre action en incluant l’agir communicationnel 648. Pour Mwenze, les évêques congolais restent convaincus que: «dans le christianisme, le salut ainsi donné est paradoxalement une tâche. Il appelle la liberté-responsabilité du croyant, non seulement la liberté intérieure de l’homme renouvelé par Dieu, mais aussi la liberté publique de l’action et de la parole […] Le christianisme est un devoir de communication, d’échange de salut, une salutation. Il est non seulement communication de la bonne nouvelle de la résurrection, de la renaissance humaine, mais aussi l’évangile de communication, un salut adressé, l’heureuse nouvelle annoncée, une nouvelle communiquée, portant sur la communication elle-même et sauvant celle-ci des échecs ou perversions qui la menacent […] C’est cet impératif que répercute sans cesse dans le discours comme dans la chair, l’Épiscopat congolais, […]»649.
646 CENCO, "Frères, que devons-nous faire?" (Ac 2, 17) L’heure des responsabilités a sonné, n. 16. 647 R. Gaise N’ganzi, L’Église catholique et le processus de démocratisation au Zaïre, 173. 648 Cf. Ibid., 174-183. 649 Mweze Chirhulwire Nkingi, Pour quelle communication politique, 89-91.
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L’Église, dans sa mission prophétique, apporte une contribution solide dans l’éveil et la conscientisation du peuple, dans l’éducation et dans la formation des masses à la communiquer positivement. De cette manière, elle aide les citoyens à assumer dignement leur rôle de souverain primaire lui révolu et appelle les politiques à communiquer sincèrement en toute objectivité650. L’Église catholique congolaise reste communicatrice, avec un effort lisible dans sa communication par plusieurs de ses recommandations, exhortations, appels et mises au points. Gaize soutient aussi que c’est sa mission, car: «dans la situation actuelle où la désinformation, les rumeurs et les mensonges ont élu domicile dans le chef des agents de la communication sociale, L’Église fera tout ce qui est en son pouvoir pour que la Radio, la TV, les journaux, les périodiques, les livres et autres moyens soient utilisés à bon escient au service de la communauté nationale et du progrès»651.
De cette façon, l’Église demeure une instance d’appel et de rappel normatif de la communication et reste ainsi fidèle à son rôle et à sa mission prophétique. Ainsi, lorsque cette Eglise, par le message du comité permanent des évêques du 14 février 2004 dit et demande de ne pas se taire pour l’amour du Congo, elle ne fait pas que dénoncer, mais elle invite aussi, de cette manière, à la parole, au discours, au consensus, à la responsabilité interactive de politiques pour la communion, l’équilibre social, le respect de droits démocratiques, contre une balkanisation du pays, contre tout amateurisme politique qui prolongerait les conflits et la souffrance des congolais. Les évêques interpellent la conscience de tout le peuple en disant: « à l’ensemble de notre peuple, nous rappelons de prendre conscience de notre responsabilité dans ce qui nous arrive. Nous demandons à tous les congolais de cultiver le sens du bien commun et l’amour de la patrie, et de rester lucides, exigeants et critiques envers les dirigeants. Ne nous laissons pas manipuler par des discours mensongers et démagogiques […] »652. 650 Cf. CEZ, Libérer la démocratie. Message et Déclaration des Évêques du Zaïre. Les évêques invitent le peuple et tout le monde à se mettre au service de la nation, libérés de toute peur, pour un consensus national qui aide à un développement intégral, dans un processus de libération de la démocratie. Cf. CEZ, Pour une nation mieux préparée à ses responsabilités, 9. Devant les échéances électorales et l’organisation du pays, les évêques invitèrent, à cet effet, à une réhabilitation minimale des structures de communication, au respect de la liberté d’expression pour tout le peuple, voie incontournable pour des élections libres et transparentes. En effet, il ne peut y avoir une vraie prise de responsabilité sans liberté communicationnelle qui implique ipso facto des valeurs fondamentales de vérité, de respect, de solidarité, de partage – aussi dans un esprit subsidiaire. 651 R. Gaise N’ganzi, L’Église catholique et le processus de démocratisation au Zaïre, 256. 652 CENC, courage «le Seigneur ton Dieu est au milieu de toi», n. 14.
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Cette communication de l’Église se veut un signe fort dans l’esprit évangélique, un signe de son service pour la nation. Cette Église communique et se communique comme présence du Christ sauveur. Elle ne peut se taire et invite à ne point se taire pour le bien global de chacun et de tous653. Pas de réconciliation, de consensus sans discourir et dialoguer. L’Église congolaise reconnaît l’importance des médias et plaide toujours pour un accès libre aux médias. Elle milite toujours pour que l’on respecte la liberté de presse, et a toujours fustigé l’accaparement malsain des médias nationaux par le groupe dirigeant et par toute autre force répressive. Elle soutient le droit à la communication dans le respect de la dignité humaine et de l’ordre social. Elle se veut aussi une Église communicatrice. Pour elle, la communication, l’accès libre aux médias dans le respect, la vérité est effectivement une question de justice et un impératif démocratique654. Il faut donc libérer, les médias, et la communication pour s’entendre et construire une nation forte. De cette façon, l’Église appelle à une communication saine et positive pour arriver à une paix durable et globale, à construire une nation démocratique dans un consensus accepté et appliqué par tous.
4. Quelle relevance de l’éthique communicationnelle? Des Principes clefs tels que la vérité, la liberté, la responsabilité et le consensus étaient censés motiver le discours, la communication politique lors des dialogues inter-congolais. La vérité doit orienter la communication politique afin qu’elle soit sincère et tolérante. En effet, explicite Lamizet, «la vérité ne saurait se situer qu’à l’intérieur du champ de la communication»655.
La vérité, quoique difficile, est nécessaire dans les discussions politiques afin de s’intercomprendre dans un esprit libéré de toute peur et de toute contrainte démagogique; il faut communiquer dans la vérité pour pouvoir fonder une société politique juste et viable. Même prise dans sa dimension contractuelle, la vérité garde sa valeur normative. La vérité, dans sa structure contractuelle et sa dimension normative, doit rester au centre de la communication politique, des discussions politiques pour la paix. Décidément, rajoute Lamizet:
653 Cf. CENCO, Pour l’amour du Congo, 132-138. 654 Cf. F. Banga Jalum’weci, Église et médias en R.D.Congo, 165-187. 655 B. Lamizet, Les lieux de la communication, 115.
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«cette dimension contractuelle de la vérité, ainsi que sa dimension de norme, font donc de la vérité une forme de catégorie morale de la communication, soit: une catégorie qui permet au sujet d’apprécier son propre engagement dans une pratique sociale de la communication»656.
Même en faisant recours à la structure sociale et culturelle africaine, sous l’impulsion de la culture de la palabre, la norme de vérité devait accompagner les dialogues intercongolais. Pour rester soi-même en tant qu’africains, congolais, les acteurs de ces discussions avaient l’obligation morale de garder une autonomie argumentative, au lieu de discuter sans ambition constructive stable; ils avaient le devoir moral et l’obligation communicationnelle de discourir pour l’intérêt global de la nation et de travailler pour la paix durable. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut communiquer dans la vérité en vue du consensus. Car la vérité, en tant que valeur normative, engage individuellement chaque "sujet-acteur" et l’oblige à prendre en compte, dans la discussion, l’autre parti comme un autre-soi, car il représente une fraction plus ou moins importante du peuple. Cette prise en compte solidifie sa propre identité et son appartenance à l’identité commune. La vérité en tant que point d’équilibre dans la communication humaine s’impose donc à tous les participants. Elle est en même temps un gage de solidarité commune dans le social comme dans le politique. La vérité dans le dialogue est aussi une vérité épistémique, une vérité linguistique et culturelle qu’il faut à tout prix ne pas perdre de vue dans la discussion pour réussir l’intercompréhension dans la coopération. Elle garde toute sa valeur argumentative657. Et dans le cas présent des dialogues intercongolais, la vérité culturelle, historique et sociale de ce vaste Congo devait être placée au centre du discours pour aboutir à une paix dynamique, une réconciliation dans la durée. C’est un devoir premier de responsabilité. En effet, agir interactivement dans la vérité, c’est agir de manière responsable. Lamizet certifie que: «la responsabilité désigne une convergence (mais aussi la possibilité d’une différence) entre l’exercice effectif d’un acte et l’initiative ou la décision qui peut en être prise par un acteur institutionnel, investi d’une forme de pouvoir»658.
La responsabilité incombe aussi à tous les acteurs politiques. Les différents groupes de ces dialogues, armés ou non, étaient conviés à une responsabilité politique et communicationnelle pour ce dont ils discutaient, individuellement ou 656 Ibid., 119. 657 Cf. J. Habermas, Vorstudien und Ergänzungen zur Theorie des kommunikativen Handelns, 142. Habermas le signifie clairement pour expliquer le sens de la vérité argumentative. 658 B. Lamizet, Les lieux de la communication, 202.
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institutionnellement. C’est la garantie de responsabilité nécessaire pour aboutir à un consensus global et durable. Le consensus, dans sa complexité n’est pas donné d’avance. Si les consensus de ces dialogues ont parfois capoté – du moins dans leur application pratique – c’est aussi parce que les acteurs avaient souvent oublié ou manqué de faire des choix référentiels face aux exigences de vérité, de justesse et de sincérité, des choix en fonction de l’intérêt supérieur du peuple tout entier. Ils avaient souvent oublié de choisir la paix dans la justice en tenant compte de la culture même de la nation. Beaucoup avaient parfois agi en fonction de leur seule conscience singulière – ou singulière à leur groupe – ou même de leur seul imaginaire, pour leur seul intérêt politique, économique ou celui de leur seul groupe, alors que dans la procédure interactive, il sied d’agir dans l’intérêt de tout un chacun et de tous. Un tel agir égoïste est, en fait, une irresponsabilité communicationnelle; alors que normalement, comme le spécifie Habermas: «dans la discussion pratique, ceux qui y prennent part s’efforcent d’appréhender de manière claire un intérêt commun; dans la négociation d’un compromis, ils essaient de mettre en œuvre une péréquation d’intérêts particuliers et divergents. Cela étant, les compromis sont eux-aussi soumis à des conditions restrictives puisqu’il faut admettre qu’une péréquation sans parti pris peut advenir moyennant la seule participation "équi-légitime" de toutes les personnes concernées. Mais encore faudrait-il que ces principes, qui président à la formation du compromis, soient eux-mêmes justifiés dans des discussions pratiques de telle manière que celles-ci ne soient pas, à leur tour, soumises à cette même exigence de péréquation d’intérêts concurrents»659.
Le consensus doit être accompagné et soutenu par la norme de vérité pour qu’il ne soit pas un simple compromis d’une majorité – souvent dite plurielle, présidentielle…– qui ne tient pas compte de la sincérité, de la vérité et de la justesse tant du point de vue procédural que du point de vue pratique de manière conséquente. Or, c’est dans la vérité que le consensus obtenu sincèrement peut durer, parce que fruit de vrais dialogues entre partenaires égaux et responsables. Pour Habermas: «[…] les participants sont d’accord pour coordonner en bonne intelligence leurs plans d’action; l’entente ainsi obtenue se trouve alors déterminée à la mesure de la reconnaissance intersubjective des exigences de validité. […] plus précisément des exigences de vérité, de justesse ou de sincérité […]»660.
Comment parler au nom de la société ou de l’institution et vouloir la gérer sans référence à l’intérêt de tous? Ne faut-il pas faire un ensemble de choix justificatifs responsables de l’agir coopératif? Ne faut-il pas se détourner des contraintes 659 J. Habermas, Morale et Communication, 94. 660 Ibid., 79.
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égoïstes et obscures dans la communication politique? Peut-on faire une politique digne de ce nom sans paix, sans justice sociale? La politique n’a de sens que dans le social qui fait d’elle une science de la cité. De l’avis de Lamizet: «c’est cela, le politique: une façon de penser les pratiques sociales dans la problématique de leur dimension de socialisation. La communication sociale appartient aux formes élémentaires de la construction des systèmes sociaux, et c’est la raison pour laquelle elle se construit elle-même autour du politique»661.
Il faut donc de la part des acteurs politiques et de dialogues politiques une autonomie de la volonté ainsi qu’une impartialité dans la formation du jugement pour aboutir à un consensus rationnel dans la vérité, par la discussion. Et dans le cas des dialogues inter-congolais, le consensus doit être le fruit de la solidarité et de l’objectivité dans la vérité, dans la sincérité et la justesse qui fondent un agir interactif responsable. Dans la vie courante, en RDC, d’une façon générale, lorsque l’on dit de quelqu’un qu’il est "politicien", c’est pour sous-entendre qu’il est intrigant, menteur, irresponsable ou qu’il ne concrétise pas la parole donnée et ne respecte pas l’autre dans la discussion; qu’il monopolise la parole comme il monopolise les médias et qu’il n’applique pas les accords du consensus après une discussion ou une communication. Le terme "politicien" désigne aussi l’attitude de celui qui veut arriver au consensus par d’autres moyens que l’argumentation; le terme désigne ainsi un menteur (muntu ya luvunu662): une personne qui ne respecte pas les critères de la validité de la vérité, de la justesse et de la sincérité dans le discours et qui agit à contre-courant dans la vie pratique. Autrement dit, il s’agit de quelqu’un dont l’agir interactif n’est tout simplement que stratégique, démagogique. La production d’un tel qualificatif est tout simplement le fruit de l’expérience pratique. C’est entre-autre ce qui a entrainé la méfiance vis-à-vis du politique, et le fait que beaucoup de gens, lors des propagandes pour les élections, ne croient pas aux communications politiques de ceux qui veulent se faire élire. Certains boycottent carrément les élections, parce qu’ils sont convaincus que c’est déshabiller Pierre pour habiller Paul. Ceci peut aussi être vu comme un signe que du point de vue de l’éthique communicationnelle, les politiques s’écartent souvent des normes interactionnelles requises. D’ailleurs au début même des différents dialogues intercongolais, plusieurs observateurs manifestaient leur scepticisme en prédisant qu’ils ne produiraient pas la paix voulue. La négligence des règles communicationnelles a conduit à la poursuite de la guerre, aux violations flagrantes des droits humains, aux viols, à l’enrôlement des en661 B. Lamizet, Les lieux de la communication, 229. 662 En langue Kikongo en RDC. En profondeur, le terme ne signifie pas seulement un menteur, mais plus encore un homme du mensonge: l’homme faux.
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fants aux combats, tout simplement parce que les différents consensus n’ont pas été appliqués ou sont restés contestés par les uns ou les autres. En effet, comment bâtir une vraie démocratie sans cette base élémentaire de respect, de vérité, de justice, de solidarité? Concrètement, sans le respect des normes fondamentales, il n’y a pas de dialogues justes et sincères. Comme le fait ressortir Apel, «[…] étant donné que l’argumentation présuppose une coopération non restreinte de co-sujets de pensée, il devient clair également que l’argumentation présuppose aussi des normes éthiques fondamentales»663.
Ces normes doivent toujours et déjà être reconnues dans l’identification des situations problématiques, dans la recherche de solutions par la discussion, c’està-dire par des discours pratiques664. Mais la carence discursive qui avait, entreautre, émaillée ces dialogues a sans doute dû interpeller les consciences et certaines instances de la société congolaise pour un rappel à l’ordre ferme. C’est le cas des interventions régulières et musclées de l’Eglise catholique qui continue jusqu’à ce jour à annoncer son message de paix, de réconciliation, de justice et de développement; elle ne cesse de dénoncer ce qui annihile la personne et la société congolaises. On est en droit de se poser la question de la relevance de l’éthique discursive palabrique pour les dialogues "inter-congolais" dans ses différentes étapes, depuis l’intention de discuter la mise en commun du projet discursif pour solutionner la crise jusqu’aux discussions proprement dites. Car, avant les dialogues, tous les acteurs avaient manifesté l’intention et la volonté de discourir pour résoudre le conflit congolais. Ils étaient supposés comprendre la gravité de la situation et se rendre à ces dialogues en conséquence de cause, dans l’intention et la volonté de faire une grande palabre pour la paix globale en RDC et dans toute la région des grands lacs, le but primordial de ces discussions étant la restauration de l’État et la réconciliation nationale. Or, cette démarche discursive implique, de soi, un comportement interactif avec des attentes et des conséquences normatives qui lui sont consécutives. Corollairement, tous les acteurs qui s’y rendaient dans l’esprit de discourir pour défendre leurs positions respectives, avaient l’obligation morale de discuter positivement dans l’intérêt de tout un chacun et dans l’intérêt supérieur de la nation, et voire de toute la région des grands lacs. Les parties en conflit étaient supposées agir dans un esprit de réconciliation, pour l’intérêt supérieur de la nation, comme il est rappelé dans leurs différentes déclarations, selon les règles habituelles du discours palabrique.
663 K-O. Apel, La réponse de l’éthique de la discussion, 69. 664 Cf. Ibid., 70-71.
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La situation conflictuelle très complexe est la cause de ces diverses palabres intercongolaises. Le but poursuivi est le rétablissement, par le discours et non par les armes, de la paix, de la réconciliation et la restauration d’un état de droit. Il était, dès lors, très important pour tous les acteurs d’entrer en dialogue avec la connaissance des présupposés procéduraux du discours palabrique. Pendant les dialogues: les discussions étaient supposées se tenir dans un esprit d’ "inter-compréhension" qui implique un comportement communicationnel obligeant à l’égalité de droit, à la vérité des affirmations, à la discussion. Elle convie au respect du but primordial du discours. L’argumentation devait être l’arme unique des discussions – à la place et lieu des intimidations et des menaces de recours aux armes. Et après les dialogues, une réconciliation vraie et sincère devait sanctionner les discussions, en vue de retrouver l’harmonie sociale pour un développement durable et intégral et pour reconstruire un état de droit en RDC – et pourquoi pas, dans tous les autres pays de la sous-région impliqués dans ce conflit qui ne dit pas son vrai nom – au lieu de la poursuite de la guerre avec ses conséquences néfastes pour tout le monde. La réconciliation globale et durable serait la conséquence des discussions vraies, sincères et justes. On peut encore lire la relevance de l’éthique communicationnelle pour ces dialogues du point de la procédure, du point de vue pratique et du point de vue de l’agir chrétien: ● Du point de vue procédural: tous les acteurs, en entrant dans la discussion, y entrent en tant qu’acteurs et partenaires du discours, et ils portent ainsi un devoir et une responsabilité communicationnels. ● Au niveau pratique: les discussions concrètes lors de ces dialogues devaient se dérouler dans la vérité, la sincérité, la solidarité, l’égalité, sans intimidation etc. ● Du point de vue de l’agir chrétien: comme le rappelle l’enseignement de l’Église et le signifie l’Église particulière de la RDC, les discussions intercongolaises devaient se passer dans la vérité, la justice et la charité pour que, dans un esprit de solidarité et de participation, la nation entière et chaque individu recouvrent la vie. Pour créer un État de droit, l’individu doit être respecté et traité comme une entité, une personne créée et voulue par le Créateur. Communiquer, comme le Christ l’enseigne, oblige les acteurs des discussions intercongolaises à dialoguer sincèrement pour aussi se réconcilier durablement dans la vérité.
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5. Conclusion Pour une communication efficace et durable, il faut le respect des règles éthiques interactives. Celles-ci facilitent des négociations efficaces. Dans la confrontation politique, la communication doit être responsable, pour aboutir à la réconciliation et à la paix globale et durable dans la société. Les dialogues intercongolais se focalisent, en général, sur la sécurité, la réconciliation, la paix, la bonne gouvernance, le développement intégral, l’insertion économique fiable, l’état de droit, la fin de la guerre, l’intégrité nationale. Le social est au centre du discours. Ce social est parlé, discuté en vue de l’harmonie pleine. Effectivement, toutes les parties en présence parlent au nom du peuple et pour le peuple comme pour souligner que la communication politique a sa base dans la communication sociale. Mais l’opacité et l’irresponsabilité de l’action communicationnelle chez le politique provient en partie de l’absence d’information et de formation, de l’égoïsme, de la démagogie. Il faut donc sensibiliser, informer et former le politique sur la communication, ses soubassements et implications normatifs pour pouvoir lutter contre l’arbitraire et ainsi permettre un contrôle efficace du processus lui-même en vue d’une communication saine, objective, sincère et responsable. Ce travail suppose l’implication de tous les acteurs. La formation communicationnelle rappellerait au politique l’engrainage normatif qui va de pair avec le discours. Un code éthique et social définirait les principes fondamentaux régissant l’ensemble de l’agir interactif. Mais de façon pratique, on constate la violation des normes discursives fondamentales et l’absence de transparence dans la communication politique, dans les dialogues politiques et l’impunité habituelle qui la caractérise. Peut-on dès alors parler de discours, de communication? Il y a donc une nécessité de respecter l’éthique de responsabilité solidaire pour sortir de la crise. Les différents échecs dans l’aboutissement de ces dialogues ou dans les concrétisations de leurs conclusions sont dus, en partie, au manque d’orientation normative, tant du point de vue procédural que de celui de l’applicabilité pratique des diverses recommandations et conclusions décidées unanimement; ils proviennent aussi du non-respect mutuel et parfois de la légèreté d’appréhension des données, des engagements et consensus. Pour résoudre de tels manquements, il est nécessaire de reconnaître le droit égal de tous les partenaires possibles de la discussion à user des actes de langage appropriés pour articuler leurs prétentions à la validité, celles-ci susceptibles, le cas échéant, d’être contestées. C’est la voie du consensus. Les acteurs du dialogue doivent se reconnaître et s’accepter en tant que sujets argumentants; du fait de leur participation à un agir interactif, ils sont appelés à obéir à un en249
semble de normes morales et à une orientation procédurale propres à l’argumentation665. Cette reconnaissance doit être basée sur la norme fondamentale de justice et sur la solidarité entre tous les acteurs et aussi avec tous les membres, même au-delà du cercle de ces discussions, dans le cas de la RDC, avec toutes les autres nations concernées par le conflit et même avec tous les membres potentiels de la communauté d’argumentation actuelle qui, en principe, est illimitée. Toute cette reconnaissance implique le recours aux normes suivantes: la norme fondamentale de responsabilité et coresponsabilité de tous les partenaires de discussion, l’effort solidaire visant à articuler et à résoudre des problèmes en vue de la paix, de la réconciliation, et d’un développement intégral dans la durée. Elle implique la norme fondamentale de vérité, la norme fondamentale de justesse, la norme fondamentale de sincérité – tout en se reconnaissant membre d’une communauté de discussion avec tout ce que cela implique normativement.
665 Cf. K-O. Apel, Éthique de la discussion, 42ss.
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CONCLUSION GENERALE Sans prétendre à une exhaustivité de la recherche, nous avons voulu dans cette approche, proposer une lecture de l’éthique communicationnelle du dialogue palabrique africain et l’abord de sa relevance pour les discussions en vue de la paix en RDC, par quelques dialogues inter-congolais tenus entre 1999 et 2002, c’est-à-dire une lecture pratique de cette éthique. En effet, la réflexion sur la situation de l’éthique communicationnelle et sa relevance encore et toujours actuelles dans l’effort de résolution des conflits situe la discussion palabrique en instance de processus et d’institution de "récojustice"666. Pour une telle approche, il a été nécessaire de faire d’abord une présentation structurale succincte de la palabre, d’en relever les caractéristiques typiques de communication humaine et d’en ressortir la dimension discursive. L’indépassabilité du caractère normatif de l’interaction communicationnelle nous a autorisé une herméneutique du processus de résolution du conflit congolais par des dialogues "inter-congolais". Le dialogue palabrique africain demeure encore un véritable espace discursif, un lieu d’interaction approprié pour stabiliser la société, pour résoudre les conflits par la discussion, pour établir la paix par la coopération, un vrai lieu de socialisation. Il est une institution de solidarité dans laquelle la vie de chacun et de la communauté entière est prise en compte. Dans l’Afrique traditionnelle, la palabre joue un rôle clef dans la stabilité de la société et spécialement en cas de conflit. Grâce à l’effort de recherche de rétablissement ou d’institution de l’harmonie sociale, la palabre est un espace de communion et un temps interactif. Evidemment, la palabre garde encore son actualité aujourd’hui, même si elle doit aussi s’adapter à des contextes du moment. La palabre est un processus efficace de réconciliation, comme le soutient Ndjimbi: «la réconciliation par la justice, par l’objectivité et par une réciprocité coopérative, est une leçon indéniable du système "palabrique" pour l’exercice actuel des fonctions politiques surtout en Afrique. Une politique de réconciliation, au sens d’une reprise des relations et d’une convergence des intérêts ou des tendances vers un intérêt supérieur commun. Une telle réconciliation devait pouvoir exister entre gouvernements régnants et oppositions (en rébellion ou non) et entre différents partis politiques comme entre nations»667 .
En tant que processus discursif ouvert au peuple, elle est un mécanisme de responsabilité collective, de coresponsabilité, de coopération et de solidarité pour la 666 "La justice par et pour la réconciliation". Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, RéciprocitéCoopération, 180. 667 Ibid., 280.
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bonne gouvernance sociale. Les exemples de palabre cités dans le texte aident à bien situer ce processus communicationnel dans la vie quotidienne et retracent son importance pour la paix, l’harmonie et la réconciliation. En plus, Ndjimbi, parlant de la réconciliation, insiste: «cette réconciliation ne peut se faire que par un dialogue, une communication sur base d’une égalité en dignité, d’un droit égal au respect et à la parole. C’est une leçon du système "palabrique" pour l’exercice politique de ce temps. Les organismes internationaux, où des pays, des blocs ou des continents ont des représentants appelés à décider ensemble, sont ici concernés et invités de toute urgence à revoir leurs compositions et leurs structures. Car tant qu’il n’y aura pas de reconnaissance de la dignité égale, du droit égal au respect et à la parole, leurs travaux ne contribueront pas à refléter une domination opprimante dont les victimes se débarrasseront à la première occasion et, peut-être, n’importe comment […]»668.
La palabre est une institution sociale, culturelle, religieuse; elle est un instrument pédagogique et une structure diplomatique qui a non seulement joué un grand rôle dans les relations entre indigènes et européens mais qui jusqu’à aujourd’hui conserve son actualité. Elle peut donc encore aider lors des résolutions des conflits, spécialement en Afrique, et aider à la bonne gouvernance des nations pour la stabilité et le développement durable. Cependant, il est fondamental de faire respecter les règles procédurales et les normes qui découlent d’elles dans une discussion pratique pour réussir un vrai dialogue: faire appliquer le droit et faire connaître les fautes respectives des uns et des autres lors des discussions pour aboutir à une paix et une réconciliation durables. Tous les acteurs sont conviés à renforcer l’évaluation de leurs performances argumentatives par rapport aux objectifs fixés et à assumer les consensus obtenus. Cette orientation normative est capitale pour éviter un dialogue faussé par la peur et l’absence de vérité. Mais en quoi la palabre est-elle d’abord une communication humaine typique? Effectivement, la communication est une expérience anthropologique fondamentale, c’est la vie au quotidien. Chaque société humaine est caractérisée par le mouvement communicationnel qui est en même temps une quête de soi, et de l’univers. Burkart nous a aidés à saisir la communication humaine en tant que comportement social, processus interactif symbolique. L’homme est, et reste un être de communication. La communication passe par le symbolique, dont le langage comme médium principal. Chez Habermas, nous avons essayé de faire ressortir la dimension d’"agir d’intercompréhension" de la communication humaine. Contrairement à l’agir 668 Ibid., 281.
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stratégique, égoïste, l’agir communicationnel vise l’entente et l’intercompréhension qui ne peuvent passer que par l’argumentation. Certes, pour aboutir à un consensus, les participants du discours doivent discuter et justifier leurs prétentions respectives quant à la validité de leurs énoncés par rapport à la vérité, la sincérité et la justesse. L’argument le meilleur doit l’emporter sur l’imposition et la manipulation. L’agir communicationnel est essentiellement orientation vers l’intercompréhension. Dès lors que l’on accepte d’entrer dans un processus d’agir communicationnel, on accepte d’y participer intentionnellement, orienté vers l’entente et la coopération. La palabre, art oratoire, est à la fois un agir interactif, un comportement interactif orienté vers l’entente et l’intercompréhension. Elle est un agir d’intercompréhension pour l’harmonie et la paix dans la société. Dans la discussion palabrique, l’entente est le résultat de l’accord entre partenaires dans lequel chacun et la communauté se trouvent représentés. Mais en tant qu’élément moteur des relations entre les individus d’une communauté, l’agir communicationnel palabrique se profile dans une interaction responsable et solidaire. La palabre est un processus interactif de communication, un lieu de discussion et de partage de la parole, un lieu et un temps d’argumentation. Mais comme le note avec justesse Ndjimbi: «je ne veux pourtant pas "béatifier" la "palabre" – puisqu’elle aussi n’est qu’une œuvre humaine – mais j’affirme que le chemin qu’elle nous révèle à l’analyse est inédit et vaut la peine d’être exploré, car il semble seul porteur de vrais espoirs pour notre monde enclin à la violence et en danger d’extermination nucléaire ou chimique ou même par une certaine biologie génétique, qui ignorerait les limites du pouvoir humain.»669.
De plus, la palabre africaine se vit dans une structure normative en tant que procédure discursive, processus devant obéir à des normes pratiques qui lui sont consécutives, telles que l’égalité, la sincérité, la vérité, la liberté, le respect, la solidarité, la coopération etc. En même temps, la palabre reste un tout. Elle n’est pas seulement motivée par des causes rationnelles: elle englobe et entrelace différentes dimensions de l’existence; elle parle de toute la vie. En effet, Kroh pense que: «quel que soit le soutien à apporter aux préoccupations d’une morale postconventionnelle, d’une éthique communicationnelle et de la formation de la volonté démocratique, ces préoccupations ne permettent pas de sortir du dilemme: des causes rationnelles peuvent être mais ne sont pas nécessairement les motivations déterminantes de l’agir; et surtout pas les seules»670.
669 Ibid., 279. 670 W. Kroh, Fondements et perspectives d’une éthique écologique, 109.
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Cependant les présupposés procéduraux de la discussion sont, aussi pour la palabre, incontournables dans une communauté pratique de communication, et encore, de cette procédure, doivent découler des principes d’action. L’éthique de la discussion est décisive dans le processus de médiation et de socialisation. Comme le souligne Apel: «l’éthique de la discussion entend plutôt déléguer la fondation des normes matérielles, autant que faire se peut, aux discussions pratiques entre concernés – le cas échéant entre leurs représentants –, discussions dont elle prescrit au demeurant a priori les normes formelles et procédurales. […] La signification, propre à l’éthique de la discussion, de la structure de médiation de la formation discursive de consensus telle qu’elle vient d’être esquissée se manifeste d’après-moi avant tout en ce qu’elle permet d’attribuer à la norme fondamentale, que nous avons déjà introduite, de la coresponsabilité, en tant que concept postconventionnel de responsabilité, une validité pratique»671.
La valeur pratique de la norme de coresponsabilité est pratiquement une valeur sociale de solidarité, de coopération qui doit conduire toute interaction sociale, tout processus de résolution des conflits par la discussion pratique telle que la discussion palabrique. L’éthique discursive nous donne généralement des bonnes raisons de bien dialoguer – du point de vue procédural, et aussi du point de vue pratique – dans la mesure où elle nous permet de fonder les relations intersubjectives sur la base communicationnelle avec les conséquences normatives qui lui sont pratiquement inhérentes. Pour s’entendre et s’inter-comprendre au quotidien, dans la discussion pratique, les principes discursifs ne doivent pas rester que théoriques; ils couvrent et doivent couvrir la communication au quotidien, du fait que l’éthique discursive nous oblige avant tout de comprendre le sens qu’a pour l’autre sa relation avec moi, c’est-à-dire le comprendre pour moi aussi me comprendre et ainsi essayer de répondre à nos attentes, à nos intérêts au quotidien. On peut dès lors voir dans le dialogue palabrique une volonté de cheminer vers la paix, vers l’harmonie sociale, et un effort d’approche vers le bien: une volonté de bien vivre. Car du fait que toute relation humaine peut éventuellement conduire vers la sujétion de l’autre, la discussion palabrique constitue de fait une lutte et une prévention d’un tel agir. On discute dans la palabre en vue du consensus dans la collaboration et la coopération. Chacun doit se poser la question de savoir en quoi il est vrai et sincère dans son argumentation, et en conséquence en quoi il n’opprime pas l’autre dans la discussion. Pour cela, il faut simplement se conformer entre-autre à la procédure discursive, obéir aux
671 K-O. Apel, Éthique de la discussion, 69-72.
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normes pratiques du dialogue pour ne pas constituer une entrave à l’entente; il faut avoir la volonté et l’intention de communiquer. Nous pouvons dire que l’éthique de communication – ceci vaut aussi pour la discussion palabrique – n’est pas seulement descriptive, dans la mesure où elle décrit les pratiques, les coutumes, les mœurs admises par un groupe de communication, dans des circonstances précises, mais aussi normative par le fait qu’elle engrène et constitue une procédure discursive de laquelle émanent des devoirs et des droits dans un agir de communication. Pour Habermas, il y a une distinction nette entre normes et valeurs: on peut soumettre les normes aux exigences d’une justification purement morale, alors que les valeurs orientent les modes de vie dans la société. Les questions morales peuvent aussi être tranchées rationnellement, du point de vue de l’universalisation des intérêts ou du point de vue de la justice; elles se différencient des questions d’évaluation relativement restreintes à la "vie bonne". Chez Habermas, le jugement moral se veut au-dessus des conventions locales et de l’emprise historique d’une forme de vie particulière. Toutefois, toute morale universaliste doit être complétée par une moralité sociale concrète qui puisse fournir des vraies motivations pour l’agir, du point de vue de la raison pratique. Apel fonde la pragmatique transcendantale sur l’indépassabilité de l’argumentation pour justifier l’éthique de la discussion comme incontournable. Dès que l’on argumente dans une discussion, on est contraint de considérer et de traiter l’autre comme un partenaire égal avec tout ce que cette considération implique en termes de coopération, solidarité et responsabilité. On retrouve ainsi le contenu du principe d’universalisation dans les présuppositions de la discussion. Est-on en droit de construire les rapports humains sur des règles de communication d’une communauté communicationnelle idéale? La vérité suffit-elle à coordonner les relations humaines? Nous pouvons dire que celle-ci est de toutes les façons nécessaire pour vivre juste. Même si l’on pouvait reprocher à Habermas et Apel que leur présentation n’est qu’une voie pour bien vivre, précisément en tant que telle, elle garde sa valeur comme voie pour s’entendre et s’intercomprendre. Habermas et Apel traduisent aussi ce qui est vécu dans le dialogue palabrique en tant qu’instance et méthode de décision, en tant qu’instance éthique de coopération, de solidarité, en tant que processus discursif ayant un fondement normatif pour l’agir interactif. Certes, il est ici question de la structure théorique et rationnelle du dialogue palabrique comme étant précisément la distance entre une éthique conventionnelle et la réalité pratique dans la société qui, dans et par la palabre, oblige à refonder le jugement et à entrer en débat pour réinventer la
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vie harmonieuse en société. La palabre, une communication humaine typique, est consécutivement une instance de décisions éthiques. Le dialogue palabrique laisse une liberté dans les choix argumentatifs, dans les engagements personnels, dans l’organisation de la famille, des relations aux autres et même dans l’engagement politique. Processus de vérité672, elle est une ouverture à l’universel, une ouverture à plus que soi-même. Elle aide à s’ouvrir à ce qui approfondit spirituellement. En tant qu’agir communicationnel, elle aide à rechercher, à formuler une orientation positive et responsable de vie à long terme. Elle est en même temps un appel moral à toujours poursuivre l’activité communicationnelle au niveau du discours argumenté, afin d’examiner les prétentions qui posent problème, les conflits sous quelque forme que ce soit, pour restaurer le consensus, l’entente et l’harmonie. L’éthique de la discussion dans la palabre est aussi une éthique cognitiviste, formaliste, universaliste et déontologique. Les valeurs communicationnelles chrétiennes sont aussi perceptibles dans la communication palabrique. La communication palabrique est solidaire, participative et respectueuse de la personne, de la vérité. Etre solidaire, c’est en même temps participer avec les autres à la vie commune, dans le respect de l’individu et de la communauté. Il s’agit de dialoguer coopérativement, d’écouter pour s’écouter, de communiquer comme à l’image de l’amour du Christ pour les chrétiens. Dans le dialogue palabrique, les acteurs sont invités à discuter selon des valeurs précises telles que la vérité, l’égalité de parole, le respect mutuel, la tolérance; ils sont conviés à être justes et responsables de leurs paroles. Ces valeurs communicationnelles sont aussi chrétiennes. La palabre reste encore une expérience riche de réconciliation pour une vie d’ensemble harmonieuse, comme dans une famille où les membres s’acceptent et s’aiment. Elle est pour ainsi dire – comme le souligne l’Église – une expérience de communion à l’image de celle de l’Église, qui, en effet, se veut communion et communication en JésusChrist, communicateur par excellence. C’est dans la suite du communicateur par excellence qu’elle peut à son tour rassembler les hommes, leur communiquer la bonne nouvelle, se communiquer. Les valeurs sociales fondamentales qui orientent son action puisent leurs racines dans cette bonne nouvelle, dans la communication christique. En effet, la foi est comme telle un agir, un partage, un dialogue avec Dieu et avec les autres. Elle est un agir communicationnel: communication de Dieu, avec soi et avec l’autre. La communication reste, partant, essentielle à l’expression de la foi sur base des valeurs fondamentales de vérité, de justice, de 672 Cf. O. Ndjimbi-Tshiende, Réciprocité-Coopération, 274.
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liberté, de charité, de subsidiarité, de solidarité, de participation et de réconciliation affermies par et dans la communication trinitaire. La subsidiarité, la participation et la solidarité, valeurs sociales chrétiennes, ont aussi une portée communicationnelle. Puisque la subsidiarité est aussi un principe de protection de la dignité de la personne, de son autonomie, un principe de respect de l’individu et de sa liberté en tant qu’acteur communicationnel, l’individu participe à la vie sociale par son agir interactif, il prend une part active à l’édification d’une communauté solidaire, il participe à la vie de la société, selon les exigences de responsabilité et de coresponsabilité. Ces valeurs sociales chrétiennes invitent chacun à communiquer avec l’autre, une manière d’être-là pour les autres pour discuter ensemble de la vie et pour s’entendre. Dans la situation politique africaine, la communication palabrique garde encore son actualité, en plus de toutes les autres visions politiques, et comme le stipule Ngwey: «c’est à la pluralité des discours et d’initiatives et non à l’escamotage de la démocratie véritable que nous invite la leçon majeure de la palabre comme fait caractéristique de sociétés africaines»673.
Le cas des dialogues intercongolais présente l’opportunité de marquer l’importance de la dimension normative de la communication. On aura à constater que les différents dialogues intercongolais, tant du point de vue procédural que pratique, à l’image de la palabre, demandent beaucoup de patience, de tolérance dans la recherche ardue du consensus pour la paix, la réconciliation et la création d’un état de droit. Et pour cela, ces dialogues sont un moyen pour briser l’élan de guerre, pour canaliser les passions des parties présentes, pour donner à chacun et à la nation plus de droit, de liberté et de respect dans la solidarité et la coopération. L’ensemble des principes régulateurs de la vie en société doivent passer par une interaction responsable, coopérative et solidaire, tout le processus social étant agir interactif. Mais au départ, la situation concrète de crise en RDC au départ et l’effort de recherche de la paix par le dialogue durant la période choisie de 1996 à 2002, nous aident à relever l’efficience de l’éthique communicationnelle comme nécessaire et capitale dans toute discussion et tout processus politique, dans tout dialogue pour sortir d’une situation conflictuelle, pour finir une guerre et rétablir la paix. Réellement, l’éthique discursive aide au respect mutuel dans la discussion, au respect de la dignité humaine, à la justice, à l’égalité, à la solidarité et à la coopération. Elle solidifie la réciprocité, la coopération en vue de l’intercompréhension.
673 Ngwey Ngond’a Ndenge, Palabre africaine, 122.
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Mais les dialogues intercongolais ont aussi montré leurs limites, dans lesquelles on peut aussi lire les limites de la communication qui n’aboutit pas toujours à l’intercompréhension. Ces quelques dialogues ont été généralement marqués par une méfiance généralisée, un égoïsme politique, par des calculs et agendas cachés, et voire par une certaine irresponsabilité communicationnelle des belligérants aveuglés par la soif effrénée du pouvoir et du gain facile. Les droits élémentaires de communication et de démocratie ont souvent été boycottés; plusieurs partenaires n’avaient manifestement pas l’intention ni la bonne volonté du consensus, ne voulant qu’imposer leurs vues et leurs argumentations. Parfois même, sans scrupule, des alliances – y compris contre nature – ne prenant pas pour base la discussion argumentée dans l’intérêt de chacun et de tous, que ce soit pour le peuple de la RDC ou les peuples voisins, ont eu lieu. Face aux difficultés de réussite de ces discussions intercongolaises, on peut se demander s’il n’a pas été très difficile de s’entendre parce que la base normative devant régir ces discussions politiques était, en réalité, négligée, ignorée ou même bafouée. Car après plusieurs de ces rencontres, les massacres ont repris de plus bel, des nouvelles rébellions ont vu le jour, etc. Peut-on parler de communication sincère dans ce cas? On ne peut pas non plus exclure qu’il y ait eu lors de ces discussions des participants bien intentionnés qui ne cherchaient que la paix par une discussion sincère. Malheureusement, l’édifice de la paix demande le concours de toutes les parties en présence, la coopération, la solidarité dans la vérité, un apport avec un projet de société crédible et réaliste. La participation, la solidarité et la coopération de chacun et de tous demeurent essentielles. C’est en fait un devoir commun, comme l’enseigne aussi la palabre africaine. L’Église catholique locale n’est pas en reste; elle a aussi apporté sa pierre dans ce processus communicationnel pour restaurer la coopération en vue de rétablir l’harmonie perdue par la guerre. Elle n’a cessé de rappeler à l’ordre tout le monde et spécialement aux politiques leur devoir de discuter de manière responsable, et ceci jusqu’à ce jour, comme l’atteste la diversité de ses déclarations, de ses prises de position et de ses documents. En voyant des fois les différents atermoiements dans la recherche de la paix par la discussion, l’on est en droit de s’interroger sur l’efficience des procédures palabriques pour la résolution des conflits et sur la relevance de l’éthique communicationnelle dans la discussion pratique. Mais l’actualité du dialogue palabrique reste effective; sa dimension normative en tant qu’agir interactif garde toujours son âme comme chemin de l’intercompréhension dynamique, spécialement dans le discours pour résoudre le conflit et restaurer la paix et l’harmonie sociale.
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Il y a naturellement plusieurs raisons de la non-application des divers consensus et accords. La poursuite de la guerre avec ses conséquences désastreuses, la nonconcrétisation de certains accords sont-elles en partie fruit d’une mauvaise communication? Sont-elles dues essentiellement au manque de bonne volonté? La réconciliation est facteur de paix. Elle reste le point culminant de la discussion palabrique. Le but du politique doit être, en effet, l’intégrité sociale générale, lorsque celle-ci est troublée. Au regard de ces cas concrets des dialogues intercongolais, peut-on dès lors parler d’un clivage entre palabre traditionnelle et son application dans le monde d’aujourd’hui? Dans les discussions pour la paix en RDC, nombreux en sont les acteurs bien formés, connaissant le sens du droit et de la démocratie! A quoi peut-on imputer les irrégularités communicationnelles diverses, alors que la palabre traditionnelle illustre exactement l’effort de recherche du consensus par la discussion? Est-ce que la communication palabrique et spécialement l’éthique communicationnelle – qu’elle implique – peuvent-elles de nos jours apporter une contribution efficace pour résoudre la difficulté d’une communication qualitative? Peuvent-elles contribuer à une amélioration des rapports humains aujourd’hui – spécialement en Afrique – et aider dans les résolutions des conflits qui gangrènent le continent? C’est la question même de l’actualité de la discussion palabrique qui se pose. La possibilité de lecture de l’éthique communicationnelle palabrique dans sa relevance pour les dialogues "inter-congolais" aide à percevoir l’ambivalence et la difficulté réelle dans l’actuation de l’éthique discursive au quotidien.
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SIGLES ET ABBREVIATIONS 1. AAS: Acta Apostolicae Sedis 2. ADF: Allied Democratic Forces 3. APR: Armée patriotique rwandaise 4. CA: Congo-Afrique 5. CDAA: Communauté pour le développement de l'Afrique australe 6. CEDAC: Centre d’Étude de Documentation et d’Animation Civique 7. C.E.N.C.: Conférence épiscopale nationale du Congo 8. CENCO: Conférence épiscopale nationale du Congo 9. CERA: Centre d’Études des Religions Africaines 10. CEZ : Conférence épiscopale du Zaïre 11. CIC : Codex Iuris Canonici (Code de Droit Canonique) 12. CICR: Comité international de la Croix-Rouge 13. CNS: Conférence nationale souveraine 14. CRA: Cahiers des Religions africaines 15. Const. Past.: Constitution pastorale 16. DC: Documentation catholique 17. EMZ: Evangelische Missionszeitschrift 18. Encycl.: Lettre encyclique 19. Ex-FAR: Ex-Forces Armées Rwandaises 20. Inst. Past. : Instruction pastorale 21. FAC: Forces Armées Congolaises 22. FCK: Facultés Catholiques de Kinshasa 23. FDD : Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD) 24. FDLR: Forces Démocratiques de la Libération du Rwanda 25. FPR: Front patriotique rwandais 26. FUNA: Former Uganda National Army 27. GRIP: Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité 28. G.S.: Gaudium et Spes 29. LINELIT: Ligue Nationale pour les Elections Libres et Transparentes 30. MLC: Mouvement de Libération du Congo 31. MONUC: Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo 32. MPR: Mouvement populaire pour la révolution 33. NALU: National Army for the Liberation of Uganda 34. NOP : nouvel ordre politique 35. N.P.I.: Négociations politiques inter-congolaises 36. NRT: Nouvelle Revue de Théologie 37. StdZ: Stimmen der Zeit 38. ONGs: Organisations non-gouvernementales 39. ONU: Organisation des Nations Unies 40. OUA: Organisation de l'Unité Africaine 41. RDC: République Démocratique du Congo 42. RCA: Revue du clergé africain
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43. RCD: Rassemblement Congolais pour la Démocratie 44. RCD-N: Rassemblement Congolais pour la Démocratie - National 45. RCD-M: Rassemblement Congolais pour la Démocratie Mouvement de Libération 46. RCD/ML: Rassemblement congolais pour la démocratie/Mouvement de libération 47. RCD/N: Rassemblement congolais pour la démocratie/National 48. R.N.: Rerum Novarum 49. RT: Robert pour Tous 50. UNITA: Union nationale pour l'indépendance totale de l’Angola 51. UNRF II: Uganda National Rescue Front II 52. ZMR: Zeitschrift für Missionswissenschaft und Religionswissenschaft 53. WNBF: The West Nile Bank Front 54. WNBF: West Nile Bank Front
Abréviations bibliques -
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Ac. : Actes des apôtres Col.: Épître aux Colossiens 1 Cor: Première lettre aux Corinthiens 2 Cor: Deuxième lettre aux Corinthiens Eph.: Lettre aux Ephésiens Lc: Évangile selon saint Luc Gal.: Lettre aux Galates Gn: Livre de la Génèse Jn: Évangile selon saint Jean 1 Jn: Première lettre de saint Jean Hb.: Lettre aux Hébreux Mt.: Évangile selon saint Matthieu Rm: Lettre aux Romains
ANNEXES 1. Déclaration politique commune des participants sur le retrait des troupes étrangères à Gaborone (le 24 août 2001) «I. Déclaration politique commune des participants sur le retrait des troupes étrangères Nous, Chefs de délégation du gouvernement de la République Démocratique du Congo, de l'opposition armée, de l'opposition politique, des forces vives et délégués dûment mandatés par nos mouvements, partis politiques et associations respectifs: Conscients de notre responsabilité devant le peuple congolais et devant l'histoire; Prenant en compte la volonté maintes fois exprimée par le peuple congolais et par le conseil de Sécurité des Nations Unies, de voir toutes les troupes étrangères quitter le territoire du Congo; Nous appuyant sur les résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité et particulièrement ses résolutions numéros 1304, 1341 et 1335; Convaincus que le processus de paix consacré par l'Accord de Lusaka entre dans une phase irréversible, grâce aux travaux préparatoires de Gaborone; Persuadés que seul un processus de réconciliation nationale, réalisé sans pression étrangère, est susceptible d'apporter une solution durable à la grave crise qui secoue le Congo; Ayant une nouvelle fois évalué le plan de retrait et de désengagement des troupes étrangères, adopté le 22 février 2001 par les belligérants et déplorant le retard délibéré que prend son exécution; Réunis à Gaborone pour le démarrage des travaux des pré-négociations politiques inter congolaises; Réaffirmons notre volonté commune d'assurer la réunification de notre pays, dans le respect de sa souveraineté et son intégrité territoriale; Demandons avec fermeté à tous les pays ayant engagé des forces militaries au Congo de les retirer sans délai; Demandons en outre au Conseil de Sécurité des Nations Unies et à l'Union africaine d'exercer à cet effet les pressions idoines.
II. Acte d'engagement: Pacte républicain adopté à Gaborone par les participants au pré-dialogue congolais Nous, Représentants des composantes aux négociations politiques intercongolaises, à savoir le Gouvernement de la République Démocratique du Congo, le Mouvement pour la Libération du Congo (MLC), le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), les organisations et formations de l'opposition politique ainsi que les forces vives de la nation, en présence de Sir Ketumile MASIRE, Facilitateur des négociations politiques intercongolaises; - Nous référant à l'Accord de cessez-le-feu de Lusaka signé le 10 juillet, le 30 juillet et le 31 août 1999 à Lusaka, aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies relatives aux négociations politiques intercongolaises et à la Déclaration des Principes Fondamentaux signée à Lusaka le 4 mai 2001 par les Parties signataires de l'Accord précité;- Conscients du fait que la réconciliation nationale relève avant tout de la responsabilité du peuple congolais et de ses dirigeants; - Réaffirmant la souveraineté, l'indépendance, l'intégrité territoriale et l'intangibilité des frontières de la République Démocratique du Congo, une et indivisible; - Rappelant notre attachement aux conventions internationales ratifiées par la République Démocratique du Congo en matière des droits humains;- Soucieux de conclure un pacte républicain et de donner un gage de bonne foi afin d'assurer la sérénité au cours des négociations politiques intercongolaises et de montrer au peuple congolais ainsi qu'à la communauté inter-
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nationale notre volonté inébranlable de mettre en place un Etat de droit respectueux des libertés et des droits fondamentaux; - Prenons l'engagement solennel et inconditionnel d'appliquer, sur toute l'étendue du territoire national, les dispositions ci-après: 1. assurer la libéralisation immédiate, effective et totale de la vie politique et associative, s'abstenir de tout comportement susceptible d'entraver ladite libéralisation, et promouvoir la tolérance dans l'exercice des activités politiques et associatives; 2. garantir les droits de la personne humaine et les libertés fondamentales des citoyens, notamment le droit à la vie et à l'intégrité physique, la liberté de presse, d'expression et d'opinion ainsi que l'accès pour tous aux médias publics; 3. libérer, sous les auspices du CICR et des ONGs congolaises des droits humains, immédiatement et sans condition tous les détenus et prisonniers politiques et d'opinion, les otages et ceux qui sont détenus ou prisonniers du fait de leur origine ou de leurs activités politiques et/ou légales dans le passé; 4. garantir la liberté de circulation des personnes civiles et des biens licites, la liberté d'entrée et de sortie du territoire national et l'octroi à tout citoyen, sur demande, des documents de migrations; 5. autoriser ou rétablir les voies de communications aériennes, ferroviaires, fluviales, lacustres, routières, téléphoniques et postales; 6. restituer immédiatement et sans condition les biens saisis et/ou confisqués illégalement pour des raisons ou de considérations politiques de même que les immeubles occupés sans titre n, droit; 7. assurer la protection des populations civiles contre les rafles, les arrestations arbitraires, les réquisitions, les spoliations, les travaux forcés, les massacres, les bombardements aveugles, les tortures, les viols des femmes, les mutilations des enfants, les déportations et assurer l'arrêt définitif à la collaboration avec les forces génocidaires; 8. protéger le patrimoine et les ressources nationales et combattre toute forme de pillage de ceux-ci; 9. assurer le respect des dispositions de l'Accord de cessez-le-feu de Lusaka ainsi que les résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité des Nations Unies en vue du rétablissement de la paix en RDC; 10. s'abstenir d'entreprendre toute activité de nature à entraver le processus de réconciliation nationale; 11. garantir aux, organismes humanitaires l'accès aux populations sinistrées; 12. assurer un retour à la vie normale des populations déplacées ou réfugiées dans leur milieu naturel; 13. ne pas instrumentaliser les réfugiés à des fins politiques ou militaires et s'abstenir des provocations par toute voie avant et pendant les travaux des négociations politiques intercongolaises; 14. obtenir la suspension des Juridictions Militaires en ce qui concerne les faits liés aux civils. A cet effet, pour assurer l'exécution et la bonne fin du présent Acte d'engagement, convenons de mettre sur pied un Comité de suivi dans lequel les composantes sont représentées de façon égalitaire sous l'autorité du Facilitateur des négociations politiques intercongolaises.
III. Communiqué de la Réunion Préparatoire du Dialogue intercongolais Conformément aux dispositions de l'Accord de Cessez-le-feu de Lusaka signé le 10 juillet 1999, 1er et 31 août 1999 et de la Déclaration des Principes Fondamentaux signée par les Parties congolaises à Lusaka (Zambie) le 4 mai 2001, les Représentants des Parties congolaises
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au Dialogue intercongolais, à savoir, le Gouvernement de la République Démocratique du Congo (RDC), le RCD/ML, le Mouvement de Libération du Congo (MLC), le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), l'Opposition Politique et les Forces vives se sont réunis à Gaborone (Botswana) du 20 au 25 août 2001 pour préparer le Dialogue intercongolais. La réunion était convoquée et présidée par son Excellence, Sir Ketumile Masire, ancien président du Botswana et Facilitateur du Dialogue intercongolais. C'était une réunion sans exclusive où toutes les composantes ont bénéficié d'un statut identique. Toutes les décisions concernant le Dialogue intercongolais ont été prises collectivement et par consensus sur les points suivants: • Le nombre des participants et le niveau de participation • L'ordre du jour du Dialogue • Le règlement intérieur et l'organisation du Dialogue • Le lieu et la date du Dialogue Le président du pays hôte, Son Excellence M. Festus Mogae, a honoré de sa présence la cérémonie d'ouverture à laquelle a assisté le Président en exercice de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) et le Président de la République de Zambie, Son Excellence Dr Frederick J.T. Chilu ba, qui a fait une allocution touchante pour marquer cet événement historique et de bonne augure. Son Excellence M. Mogae a souhaité une chaleureuse bienvenue aux participants. Les deux chefs d'Etat ont félicité le peuple congolais pour le bon déroulement de la réunion qui tendait vers la paix durable, la démocratie et la prospérité de sa riche nation. Etaient également présents, Son Excellence Monsieur Joseph Kabila, Président de la République Démocratique du Congo, Son Excellence Monsieur Jean- Pierre Bemba, Président du MLC et Son Excellence le Dr Adolphe Onusumba, Président du RCD. Les parties ont fait des déclarations de leurs perceptions sur les conditions humaines lugubres dues à la guerre où les groupes vulnérables tels que les femmes, les enfants et les personnes âgées souffrent. Elles ont également fait des déclarations d'engagement et des perspectives d'avenir que le Dialogue pourra leur apporter. Les représentants ont, entre autres, fait ressortir les préoccupations et souhaits suivants: 1. Que la RDC est et restera une République unie et souveraine créée au mois de juin 1960. 2. Tous les citoyens de la RDC, tous les représentants des différentes parties, des formations de l'Opposition politique et du Gouvernement en exercice souhaitent une véritable paix aussi bien qu'une indépendance effective et un développement total. 3. A cet effet, toutes les parties susmentionnées se sont pleinement engagées à 3.1. Libéraliser la vie politique. 3.2. Garantir les droits de la personne humaine et les droits civils fondamentaux. 3.3. Libérer les détenus politiques, les prisonniers d'opinion, les otages et ceux qui ont été détenus ou emprisonnés à cause de leur origine ou de leurs activités politiques et/ou légales. 3.4. Garantir la liberté de circulation des personnes et des biens. 3.5. Rétablir les voies de communication et réhabiliter les infrastructures. 3.6. Restituer sans condition tous les biens saisis et confisqués. 3.7. Assurer la protection des populations civiles contre les arrestations arbitraires, les saisies et les travaux forcés. 3.8. Protéger le patrimoine national et les ressources contre toute forme de pillage. 3.9. Assurer le retrait des Forces Années et de Sécurité étrangères de la R.D.C. 3.10. A l’exception du calendrier du retrait, toutes les parties ont convenu de la nécessité et l’urgence pour que les Forces étrangères se retirent de la République Démocratique du Congo.
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4. A cet effet, la réunion préparatoire a convenu entre autres des points importants du projet de l’ordre du jour sur les thèmes suivants: 4.1. Fin de la guerre par les initiatives nationales de paix et de sécurité en RDC et dans la sous-région. 4.2. Instauration d'un nouvel ordre politique et de bonne gouvernance en RDC. 4.3. Création d'une nouvelle année nationale congolaise dont les éléments seront issus des forces armées actuelles du gouvernement de la RDC, du MLC et du RCD, ensuite faire appel au public de s'enrôler et de participer à la reconstruction d'une force nationale capable d'assurer la sécurité interne. 4.4. Résolution des questions économiques et financières. 4.5. Mise en œuvre d’un programme d'assistance et de réhabilitation humanitaire d’urgence. 4.6. Réconciliation Nationale, Vérité et Réconciliation, Cohabitation interethnique, protection des minorités et des principes de nationalité. 4.7. Garantie de bonne fin du Dialogue. 4.8. Elections et questions électorales. 4.9. Signature d'un accord de paix, de sécurité et de développement. 5. Après de longues consultations et discussions, la réunion préparatoire s'est convenue de l'administration, l'organisation, la prise de décision, les principes et les règlements intérieurs du dialogue en tenant compte de leurs attentes. Elle a convenu des points suivants: 5.1. Une structure administrative qui définit la suprématie de la Plénière comme Organe suprême de prise de décision; le Bureau du Facilitateur assisté par un Bureau de son choix apportera une assistance technique aux organes du Dialogue intercongolais. Les Commissions du Dialogue intercongolais en tant qu'organes dérivés de la plénière sont spécialement mandatées pour examiner les sous-questions du Dialogue intercongolais. Les Commissions rendront compte à la Plénière. Elles examineront les domaines suivants: 5.1.1. Politique et Juridique 5.1.2. Défense et sécurité 5.1.3. Economie et Finance 5.1.4. Société et Culture 5.1.5. Réconciliation Nationale 5.2 La Plénière ou ses Commissions peuvent constituer des comités ad hoc pour examiner des aspects bien spécifiques. 5.3. Un point central de coordination sera établi entre les structures opérationnelles du Facilitateur et celles des composantes pour assurer une planification et une mise en œuvre d’un Dialogue inter-congolais couronné de succès. 6. La Réunion Préparatoire a bien reconnu l'importance d'inclure toutes les composantes et leurs représentants à tous les niveaux. Ainsi donc, il a été convenu qu'elle déterminera le nombre définitif des participants, les procédures de validation et la nature des représentations, en particulier celle des femmes, des syndicats, des associations à caractère économique et des médias. 7. L'examen des questions de transition devra tenir compte de l'importance de l'unité, et la résistance à tout forme d'agression ultérieure devra assurer la souveraineté de la RDC, la sécurité de ses citoyens, particulièrement les groupes vulnérables et minoritaires. 8. La réussite de la Réunion Préparatoire prouve le caractère irrévocable du Dialogue National intercongolais ainsi que l'impact positif qu'il aura sur l'avenir de la RDC. Les participants ont exprimé l'importance du patrimoine de la Nation congolaise, de la richesse de sa diversité, de sa créativité ainsi que du patriotisme.
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9. Ainsi donc, les participants s'engagent à respecter les décisions ci-jointes de la Réunion Préparatoire, à coopérer les uns avec les autres et à dialoguer même en l'absence du Facilitateur. 10. Le Facilitateur a félicité les représentants de toutes les Parties congolaises d'avoir mené à bonne fin cette Réunion préparatoire du Dialogue intercongolais. Il a exprimé son espoir que la Réunion Préparatoire a établi une base solide pour la reconstruction nationale, la paix et le développement. Il a réaffirmé sa neutralité, son engagement personnel ainsi que de ses collègues. 11. Le Dialogue intercongolais se tiendra le 15 octobre 2001 à Addis-Abeba, Ethiopie, capitale de l'Union Africaine. Tous les efforts sont dirigés vers la réussite et la renaissance de la RDC. Fait à Gaborone, le 24 août 2001»674.
2. Accord de cessez-le-feu en République Démocratique du Congo « PREAMBULE Nous, les Parties à cet Accord, Considérant l'article 52 de la Charte de l'Organisation des Nations Unies relatif aux arrangements régionaux concernant les questions relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationales dans le cadre d'une action régionale appropriée; Réaffirmant les dispositions de l'article 3 de la Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) qui, entre autres, garantissent à tous les Etats membres le droit à leur souveraineté et à leur intégrité territoriale; Réaffirmant en outre la résolution AHG/16/1 adoptée par la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement de l'OUA en 1964 au Caire (Egypte) sur l'intégrité territoriale et l'inviolabilité des frontières nationales telles qu'héritées à l'indépendance; Rappelant le Communiqué du Sommet de Prétoria tel que contenu dans l'Annexe 2 du document NEC/AMB/COMM (L) de l'Organe central de l'OUA réaffirmant que tous les groupes ethniques et nationalités dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu Congo (présentement RDC) à l'indépendance doivent bénéficier de l'égalité des droits et de la protection aux termes de la loi en tant que citoyens; Déterminée à assurer le respect, par toutes les Parties signataires du présent Accord, des Conventions de Genève de 1949 et des Protocoles additionnels de 1977 ainsi que de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, tel que réitéré lors du Sommet régional d'Entebbe du 25 mars 1998; Déterminées en outre à mettre fin immédiatement à toute aide aux forces négatives déterminées à déstabiliser les pays voisins, cesser immédiatement toute collaboration avec ces forces ou de leur accorder un sanctuaire; Soulignant la nécessité de veiller au respect des principes de bon voisinage et de noningérence dans les affaires intérieures des autres pays; Préoccupées par le conflit en République Démocratique du Congo et ses conséquences négatives sur le pays ainsi que sur d'autres pays de la région des Grands Lacs;
674 L. She Okitundu, Textes fondamentaux du pré-dialogue inter-congolais, 461-467.
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Réitérant l'appel lancé lors du deuxième sommet de Victoria Falls tenu du 7 au 8 septembre 1998, pour la cessation immédiate des hostilités, tel que contenu dans le communiqué commun du Sommet; Conscientes du fait que la résolution des problèmes de sécurité de la République Démocratique du Congo et des pays voisins est essentielle et devrait contribuer au processus de paix; Rappelant le mandat, contenu dans le Communiqué commun de Victoria Falls II, confié aux Ministres de la Défense et à d'autres fonctionnaires, d'élaborer, en étroite collaboration avec l'OUA et l'ONU, les modalités de mise en œuvre d'un cessez-le-feu immédiat et de créer un mécanisme pour assurer le suivi du respect des dispositions du Cessez-le-feu; Rappelant la Résolution 1234 du 9 avril 1999 ainsi que les autres résolutions et décisions du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur la République Démocratique du Congo, prises depuis le 2 août 1998; Rappelant en outre les efforts de paix déployés pour la résolution du conflit en RDC lors des Sommets de Victoria Falls I et II, Prétoria, Durban, Port-Louis, Nairobi, Windhoek, Dodoma ainsi que lors des réunions des Ministres de Lusaka et de Gaborone; Rappelant en outre l'Accord de paix signé le 18 avril 1999 à Sirte (LIBYE); Reconnaissant que le conflit en RDC a une dimension à la fois interne et externe qui trouvera sa solution dans le cadre des négociations politiques inter-congolaises et de l'engagement des Parties à la mise en œuvre de cet Accord; Prenant acte de l'engagement du Gouvernement congolais, du RCD, du MLC ainsi que de toutes les organisations politiques et civiles congolaises à organiser un dialogue national sans exclusive, visant à aboutir à la réconciliation nationale et à l'instauration d'un nouvel ordre politique en RDC; CONVENONS DE CE QUI SUIT:
ARTICLE I DU CESSEZ-LE-FEU 1. Les Parties conviennent d'un cessez-le-feu entre toutes leurs forces en République Démocratique du Congo. 2. Le Cessez-le-feu signifie: a. la cessation des hostilités entre toutes les forces des Parties en République Démocratique du Congo, comme prévu dans cet Accord de Cessez-le-feu (ci-après appelé «l'accord»); b. la cessation effective des hostilités, des mouvements et renforts militaires ainsi que des actes hostiles, y compris la propagande hostile; c. la cessation des hostilités dans un délai de 24 heures après la signature de l’Accord de Cessez-le-feu. 3. Le Cessez-le-feu implique la cessation de: a. toute attaque aérienne, terrestre et maritime ainsi que tout acte de sabotage; b. toute tentative d’occupation de nouvelles positions sur le terrain et de mouvement des forces et des équipements militaires d’un endroit à l’autre sans accord préalable des parties; c. tous les actes de violence contre les populations civiles par le respect et la protection des droits humains. Ces actes de violence incluent les exécutions sommaires, la torture, le harcèlement, la détention et l’exécution des civils basés sur leur origine ethnique, le recrutement et l’utilisation des enfants soldats, la violence sexuelle, le bombardement et le massacre de populations civiles, la propagande et l’incitation à la haine ethnique et tribale, l’armement des civils, la détention et l’exécution des prisonniers d’opinion, les coupures d’eau et d’électricité, la formation et l’utilisation des terroristes;
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d. toute autre action qui peut entraver l’évolution normale du processus de cessez-le-feu; e. tout ravitaillement en munitions et en armes des magasins de guerre au front;
ARTICLE II DES PREOCUPATIONS EN MATIERE DE SECURITE 4. Dès l’entrée en vigueur de cet Accord, les Signataires s’engagent à trouver immédiatement des solutions aux préoccupations de sécurité de la République Démocratique du Congo et des pays voisins.
ARTICLE III DES PRINCIPES DE L’ACCORD 5. Les dispositions du paragraphe 3 (e) n’excluent pas le ravitaillement en nourriture, habillement et services médicaux destinés aux forces militaires sur le terrain. 6. Le Cessez-le-feu garantira la libre circulation des personnes et des biens sur l’ensemble du territoire national de la République Démocratique du Congo. 7. Dès l’entrée en vigueur de cet Accord, les Parties libéreront les personnes détenues ou prises en otage et leur accorderont la liberté de se réinstaller dans toute province de la République Démocratique du Congo ou dans tout autre pays où leur sécurité pourra être garantie. 8. Les Parties à cet Accord s’engagent à échanger les prisonniers de guerre et à libérer toutes autres personnes détenues en raison de la guerre. 9. Les Parties permettront l’accès immédiat et sans réserve au Comité International de la Croix Rouge (CICR)/Croissant Rouge (CR) afin de permettre les arrangements pour la libération des prisonniers de guerre et autres personnes détenues en raison de la guerre ainsi que l’évacuation et l’inhumation des morts et le soin des blessés. 10. Les Parties faciliteront l’acheminement de l’aide humanitaire grâce à l’ouverture de couloirs d’aide humanitaire et la création de conditions favorables à la fourniture de l’aide d’urgence aux personnes déplacées, aux réfugiés et autres personnes concernées. 11. a. Le Conseil de sécurité des Nations Unies, agissant conformément aux dispositions du chapitre VII de la Charte des Nations Unies et en collaboration avec l’OUA, sera appelé à constituer, faciliter et déployer une force de maintien de la paix en RDC afin d’assurer la mise en œuvre de cet Accord, et prenant acte de la situation particulière de la RDC, lui confiera le mandat de poursuivre tous les groupes armés en RDC. A cet égard, le Conseil de sécurité des Nations Unies définira le mandat de la force de maintien de la paix. b. Les parties constitueront une Commission Militaire Mixte qui sera chargée d’exécuter, immédiatement après l’entrée en vigueur de cet Accord en collaboration avec le groupe d’observateurs de l’ONU et de l’OUA, les opérations de maintien de la paix jusqu’au moment du déploiement de la Mission de maintien de la paix des Nations Unies et de l’OUA. Sa composition et son mandat seront conformes aux dispositions du chapitre 7 de l’Annexe « A » de cet Accord. 12. Le retrait définitif de toutes les forces étrangères du territoire national de la République Démocratique du Congo sera effectué conformément au Calendrier figurant à l’Annexe B du présent Accord et au programme de retrait qui sera arrêté par les Nations Unies, l’OUA et la Commission Militaire Mixte. 13. La pose des mines, quel qu’en soit le type, est interdite. 14. Le désengagement des forces sera immédiat dans les zones où elles sont en contact direct. 15. Rien dans cet Accord ne devra, en aucune manière, nuire à la souveraineté ni à l’intégrité territoriale de la République Démocratique du Congo.
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16. Les Parties réaffirment que tous les groupes ethniques et nationalités dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu Congo (présentement RDC) à l’indépendance doivent bénéficier de l’égalité des droits et de la protection aux termes de la loi en tant que citoyens. 17. Les Parties à cet Accord devront prendre toutes les mesures nécessaires à la normalisation de la situation le long des frontières internationales de la République Démocratique du Congo, y compris le contrôle du trafic illicite des armes et l’infiltration des groupes armés. 18. Aux termes de cet Accord et à l’issue des négociations politiques inter-congolaises, l’autorité administrative de l’Etat sera rétablie sur l’ensemble du territoire national de la République Démocratique du Congo. 19. Dès l’entrée en vigueur de cet Accord, le Gouvernement de la République Démocratique du Congo, l’opposition armée, à savoir le Rassemblement Congolais pour la Démocratie et le Mouvement pour la Libération du Congo, et l’opposition politique s’engagent à entrer dans un dialogue national ouvert. Ces négociations politiques inter-congolaises, associant également les Forces Vives de la Nation, mèneront à un nouvel ordre politique et à la réconciliation nationale en République Démocratique du Congo. Les négociations politiques inter-congolaises seront menées sous l’autorité d’un facilitateur neutre, accepté par toutes les Parties congolaises. Les Parties s’engagent à soutenir ce dialogue et veilleront à ce que les négociations politiques inter-congolaises s’effectuent conformément aux dispositions du chapitre 5 de l’Annexe A. 20. Aux termes de cet Accord et à l’issue du dialogue national, il y aura un mécanisme pour la formation d’une armée nationale, restructurée et intégrée, incluant les forces des Parties congolaises signataires du présent Accord, sur base des négociations entre le Gouvernement de la République Démocratique du Congo, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie et le Mouvement pour la Libération du Congo. 21. Les Parties affirment la nécessité de trouver des solutions aux préoccupations de sécurité de la République Démocratique du Congo et des pays voisins. 22. Un mécanisme sera mis en place pour désarmer les milices et les groupes armés, y compris les forces génocidaires. Dans ce contexte, toutes les Parties, s’engagent à localiser, identifier, désarmer et assembler tous les membres des groupes armés en RDC. Les pays d’origine des membres des groupes armés s’engagent à prendre toutes les mesures nécessaires pour faciliter leur rapatriement. Ces mesures peuvent comprendre l’amnistie, dans les pays où cette mesure a été jugée avantageuse. Toutefois, cette mesure ne s’appliquera pas dans le cas des suspects du crime de Génocide. Les Parties assument pleinement la responsabilité de veiller à ce que les groupes armés opérant avec leurs troupes ou sur les territoires qu’elles contrôlent se conforment aux termes du présent Accord en général aux processus menant au démantèlement de ces groupes en particulier. 23. Les Parties veilleront à l’application des termes de cet Accord et des Annexes «A» et «B» qui font partie intégrante de celui-ci. 24. Les définitions des termes communs utilisés dans cet Accord sont à l’Annexe «C». 25. Cet accord entrera en vigueur 24 heures après sa signature. 26. Cet Accord pourra être amendé avec l’accord de toutes les Parties ; tout amendement devra être fait par écrit et signé par toutes les Parties de la même manière que cet Accord. En foi de quoi les représentants dûment autorisés des Parties signent cet Accord dans les langues française, anglaise, et portugaise, étant entendu que tous les textes font foi. L’accord a été signé par des représentants: de La République d’Angola, de la République Démocratique du Congo,
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de la République de Namibie, de la République du Rwanda, de la République de l’Ouganda, et de la République du Zimbabwe. Sont témoins : des représentants de la République de Zambie, de l’Organisation de l’Unité Africaine, de l’Organisation des Nations Unies et de la Communauté pour le développement de l’Afrique australe. Note du GRIP: L’accord a été ensuite signé par Jean-Pierre Bemba du Mouvement de libération du Congo (le 1er août), puis par 50 membres fondateurs du Rassemblement congolais pour la démocratie (le 31 août 1999).
ANNEXE «A» MODALITES DE MISE EN ŒUVRE DE L’ACCORD DE CESSEZ-LE-FEU EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
CHAPITRE 1 DE LA CESSATION DES HOSTILITES 1.1 Les Parties annonceront la cessation des hostilités devant entrer en vigueur 24 heures après la signature de l’Accord de Cessez-le-feu. La cessation des hostilités sera diffusée par les Parties par l’intermédiaire de leurs chaînes de commandement et elle sera simultanément communiquée à la population civile par la presse écrite ainsi que par la radio et la télévision. 1.2 Avant le déploiement du groupe des vérificateurs de l’Organisation des Nations Unies et de l’Organisation de l’Unité Africaine (ONU/OUA), la cessation des hostilités sera réglée et surveillée par toutes les Parties par l’intermédiaire d’une Commission Militaire Mixte. Après leur déploiement, les vérificateurs de l’ONU/OUA assureront la vérification, le contrôle et le suivi de la cessation des hostilités et du désengagement ultérieur. 1.3 Toute violation de la cessation des hostilités et les événements ultérieurs seront communiqués à la Commission Militaire Mixte et aux mécanismes de l’ONU et de l’OUA par les chaînes de commandement convenues, pour enquête et décision si nécessaire.
CHAPITRE 2 DU DESENGAGEMENT 2.1 Par désengagement des forces on entend une rupture immédiate des contacts tactiques entre les forces militaires des Parties adverses à cet Accord, dans les endroits où elles sont en contact direct à la date et à l’heure précises de l’Accord de cessez-le-feu. 2.2 Là où le désengagement immédiat n’est pas possible, un mécanisme permettant un désengagement par séquence doit faire l’objet d’un accord de toutes les Parties, par le biais de la Commission Militaire Mixte et des mécanismes de l’ONU et de l’OUA. 2.3 Le désengagement immédiat à l’initiative de toutes les unités militaires sera limité à la portée exacte des armes à tirs tendus. Le désengagement ultérieur, permettant de mettre hors de portée toutes les armes, se fera sous le contrôle de la Commission Militaire Mixte et des mécanismes de l’ONU et de l’OUA. 2.4 Là où le désengagement par mouvement sera impossible ou impraticable, la Commission Militaire Mixte et les mécanismes de l’ONU et de l’OUA devront trouver d’autres solutions permettant de rendre les armes inopérantes.
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CHAPITRE 3 DE LA LIBERATION DES OTAGES ET DE L’ECHANGE DES PRISONNIERS DE GUERRE 3.1 Dès l’entrée en vigueur du Cessez-le-feu, toutes les Parties doivent fournir au CICR/Croissant Rouge les renseignements nécessaires sur leurs prisonniers de guerre ou autres détenus pour motif de guerre. Elles apporteront ensuite toute assistance aux représentants du CICR/CR pour leur permettre de rendre visite aux prisonniers de guerre et aux personnes détenues pour motif de guerre, de vérifier tous les renseignements et de s’assurer de leur état et statut. 3.2 Dès l’entrée en vigueur de cet Accord, les Parties libéreront les personnes détenues à cause de la guerre ou prises en otage, dans un délai de trois jours après la signature de l’Accord de Cessez-le-feu et le CICR/CR leur accordera toute l’assistance nécessaire y compris pour se réinstaller dans toute province de la République Démocratique du Congo, ou dans tout autre pays où leur sécurité pourra être garantie. CHAPITRE 4 DU RETRAIT ORDONNE DE TOUTES LES FORCES ETRANGERES 4.1 Le retrait définitif de toutes les forces étrangères du territoire national de la République Démocratique du Congo se fera conformément à l’Annexe B du présent Accord. 4.2 La Commission Militaire Mixte et les mécanismes de l’ONU et de l’OUA élaboreront un programme définitif et approprié du retrait ordonné de toutes les troupes étrangères de la République Démocratique du Congo.
CHAPITRE 5 DU DIALOGUE NATIONAL (NEGOCIATIONS POLITIQUES INTER-CONGOLAISES) 5.1 Dès l’entrée en vigueur de l’Accord de Cessez-le-feu en République Démocratique du Congo, les Parties s’accordent à tout mettre en œuvre pour créer le cadre favorable aux négociations politiques inter-congolaises devant aboutir à la mise en place du nouvel ordre politique en République Démocratique du Congo. 5.2 En vue d’aboutir à la mise en place du nouvel ordre politique et de la réconciliation nationale issus des négociations politiques inter-congolaises, les Parties congolaises s’accordent pour appliquer les principes suivants: a) le processus des négociations politiques inter-congolaises doit inclure outre les Parties congolaises, à savoir le gouvernement de la République Démocratique du Congo, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie et le Mouvement pour la Libération du Congo, l’opposition politique ainsi que les représentants des forces vives de la Nation, b) tous les participants aux négociations politiques inter-congolaises bénéficieront d’un statut identique, c) toutes les résolutions adoptées par les négociations politiques inter-congolaises lieront tous les participants. 5.3 Les Parties s’accordent afin que l’Organisation de l’Unité Africaine assiste la République Démocratique du Congo en vue de l’organisation des négociations politiques intercongolaises, sous l’égide d’un facilitateur neutre choisi par les Parties en vertu de son autorité morale, de sa crédibilité internationale et de son expérience. 5.4 En vue de la réussite des négociations politiques inter-congolaises inclusives devant aboutir à la réconciliation nationale, le facilitateur sera chargé : a) de prendre tous les contacts utiles en vue de l’organisation des négociations politiques intercongolaises dans un cadre rassemblant toutes les conditions de sécurité pour tous les participants,
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b) d’organiser, en concertation avec les Parties congolaises, les consultations en vue d’inviter les principales
organisations et formations de l’opposition politique représentative et reconnue, ainsi que les principaux représentants des forces vives de la Nation, c) de conduire, au regard du calendrier ci-après les débats devant aboutir à la mise en place d’un nouvel ordre politique en République Démocratique du Congo. 5.5 Sans préjudice des autres points susceptibles d’être soulevés par les participants, les Parties congolaises s’entendent pour que l’ordre du jour des négociations politiques intercongolaises porte sur : a) le calendrier et les principes de procédure des négociations politiques inter-congolaises, b) la formation de la nouvelle armée congolaise dont les éléments seront issus des Forces Armées Congolaises, des forces armées du Rassemblement Congolais pour la Démocratie et des forces armées du Mouvement pour la Libération du Congo, c) le nouvel ordre politique en RDC, en particulier les institutions devant être mises en place en vue de la gouvernance en RDC, d) le processus des élections libres, démocratiques et transparentes en RDC, e) le projet de constitution devant régir la RDC après la tenue des élections. 5.6 Le calendrier des négociations politique inter-congolaises se présente comme suit: 1. le choix du facilitateur J + 15 2. le début du dialogue national J + 45 3. la date limite de la clôture du dialogue national J + 90 4. l’installation des nouvelles institutions J + 91
CHAPITRE 6 DU RETABLISSEMENT DE L’AUTORITE ADMINISTRATIVE DE L’ETAT SUR L’ENSEMBLE DU
TERRITOIRE CONGOLAIS 6.1 Aux termes de cet Accord et à l’issue des négociations politiques inter-congolaises, l’autorité administrative de l’Etat sera rétablie sur l’ensemble du territoire de la République Démocratique du Congo. 6.2 Dès l’entrée en vigueur de cet Accord, il y aura un mécanisme de concertation entre les Parties congolaises qui permettra de poser, sur l’ensemble du territoire national, des actes, et de mener des opérations ou des actions qui relèvent de l’intérêt général, notamment dans les domaines de la Santé Publique (ex. campagne nationale de vaccination), de l’Education (ex. correction des examens d’Etat), des migrations, de la circulation des personnes et des biens.
CHAPITRE 7 DE LA COMMISSION MILITAIRE MIXTE 7.1 La Commission Militaire Mixte est responsable devant un Comité Politique composé des Ministres des Affaires Etrangères et de la Défense ou de toute autre personne dûment mandatée par les Parties; 7.2 La Commission Militaire Mixte est un organe de prise de décisions composé de deux représentants de chaque Partie sous la direction d’un président neutre désigné par l’OUA, en concertation avec les Parties. 7.3 La Commission Militaire Mixte prend ses décisions par consensus. 7.4 La Commission Militaire Mixte sera chargée de: a) d’établir les positions des unités au moment du cessez-le-feu; b) de faciliter la liaison entre les Parties aux fins de l’application du Cessez-le-feu; c) d’aider le processus de désengagement des forces et de mener des enquêtes sur toute violation du Cessez-le-feu;
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d) de vérifier tous les renseignements, données et activités relatifs aux forces militaires des Parties; e) de vérifier le désengagement des forces militaires des Parties là où elles sont en contact direct; f) d’élaborer des mécanismes pour le désarmement des groupes armés; g) de vérifier le cantonnement et le désarmement de tous les groupes armés; h) de vérifier le désarmement de tous les civils congolais qui sont en possession illégale d’armes; i) de surveiller et de vérifier le retrait ordonné des forces étrangères; 7.5 Les parties s’engagent à fournir à l’ONU et à l’OUA tout renseignement pertinent sur le nombre, l’organisation, les équipements et les positions de leurs forces étant entendu que ces renseignements seront confidentiels.
CHAPITRE 8 DU MANDAT DE LA FORCE DE MAINTIEN DE PAIX DES NATIONS UNIES 8.1 Les Nations Unies, en collaboration avec l’OUA devront constituer, faciliter et déployer une force appropriée en République Démocratique du Congo pour assurer la mise en œuvre du présent Accord. 8.2 Le mandat de la force des Nations Unies devra inclure les opérations de maintien et de rétablissement de la paix telles que décrites ci-dessous: 8.2.1. Maintien de la paix: a) travailler avec la Commission Militaire Mixte/OUA pour la mise en œuvre de cet Accord; b) observer et vérifier la cessation des hostilités; c) mener des enquêtes sur les violations de l’Accord de Cessez-le-feu et prendre les mesures nécessaires pour le faire respecter; d) superviser le désengagement des forces des Parties tel que stipulé au chapitre 2 de la présente Annexe; e) superviser le redéploiement des forces des Parties dans des positions défensives dans les zones de conflit, conformément au chapitre 11 de la présente Annexe; f) fournir et maintenir l’assistance humanitaire et protéger les personnes déplacées, les réfugiés et les autres personnes affectées; g) tenir les Parties à l’Accord de Cessez-le-feu, informées de ces opérations de maintien de la paix; h) récupérer les armes auprès des civils et veiller à ce que les armes ainsi récupérées soient correctement comptabilisées et adéquatement sécurisées; i) en collaboration avec la Commission Militaire Mixte/OUA, programmer et superviser le retrait de toutes les forces étrangères; j) vérifier toutes informations, données et activités relatives aux forces militaires des Parties. 8.2.2. Rétablissement de la paix: a) traquer et désarmer les groupes armés; b) identifier les auteurs des massacres, les auteurs des crimes contre l’humanité et les autres criminels de guerre; c) traduire les génocidaires devant le Tribunal International Pénal; d) rapatriement; d) élaborer toutes les mesures (persuasives ou coercitives) jugées appropriées pour atteindre les objectifs de désarmement de rassemblement, de rapatriement et de réintégration dans la société des membres des groupes armés. 8.3 Composition:
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les forces de maintien de la paix des Nations Unies proviendront des pays acceptés par les Parties. 8.4 La Commission Militaire Mixte sera immédiatement après l’entrée en vigueur du présent Accord, chargée d’exécuter les opérations de maintien de la paix jusqu’au déploiement de la force de maintien de la Paix des Nations Unies.
CHAPITRE 9 DU DESARMEMENT DES GROUPES ARMES 9.1 La Commission Militaire Mixte, avec l’assistance des Nations Unies, élaborera et mettra immédiatement en œuvre les mécanismes pour la poursuite, le cantonnement et le recensement de tous les groupes armés qui se trouveraient en République Démocratique du Congo, à savoir, les Ex-Forces Armées Rwandaises (ex-FAR), l’ADF, le LRA, l’UNRF II, les milices Interahamwe, le FUNA, le FDD, le WNBF, le NALU, l’UNITA et prendra des mesures pour: a. la remise au Tribunal International ou aux tribunaux nationaux les auteurs de massacres et de crimes contre l’humanité; et b. la remise d’autres criminels de guerre. 9.2 Les Parties, en collaboration avec les Nations Unies et d’autres pays ayant des préoccupations de sécurité, devront créer des conditions favorables à l’accomplissement de l’objectif décrit au paragraphe 9.1 précédent, lesquelles conditions pourraient inclure l’octroi de l’amnistie et l’asile politique, à l’exception des génocidaires. Les Parties encouragent également le dialogue inter-communautaire.
CHAPITRE 10 DE LA FORMATION D’UNE ARMEE NATIONALE Aux termes du présent Accord et à l’issue des négociations politiques inter-congolaises, il y aura un mécanisme tenant notamment compte du contrôle physique des troupes, de l’identification précise de tous les éléments au regard de leur origine, de la date de leur enrôlement, de leur corps d’attache, ainsi que de l’identification des terroristes et du dénombrement des armes de guerre distribuées dans le cadre des institutions gouvernementales parallèles de défense populaire, pour la formation d’une armée nationale, restructurée et intégrée, incluant les forces des Parties congolaises du présent Accord, sur base des négociations entre le Gouvernement de la République Démocratique du Congo, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie et le Mouvement pour la Libération du Congo.
CHAPITRE 11 DU REDEPLOIEMENT DES FORCES MILITAIRES DES PARTIES SUR DES POSITIONS DEFENSIVES
DANS LES ZONES DE CONFLIT 11.1 Suite au désengagement, toutes les forces devront se replier sur des positions défensives. 11.2 Les positions où les unités sont localisées seront identifiées et enregistrées par la Commission Militaire Mixte et les mécanismes de l’OUA et de l’ONU. 11.3 Après le redéploiement sur les positions défensives, toutes les forces devront fournir aux mécanismes de la Commission Militaire Mixte, de l’OUA et de l’ONU les renseignements nécessaires sur les effectifs de leurs troupes, le matériel militaire et les armes qu’elles détiennent dans chaque position. 11.4 La Commission Militaire Mixte procèdera à la vérification des données et des renseignements. Toutes les forces seront consignées aux positions déclarées et enregistrées et tout mouvement devra être autorisé par les mécanismes de la Commission Militaire Mixte, de
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l’OUA et de l’ONU. Toutes les forces resteront dans les positions déclarées et enregistrées jusque: a. dans le cas des forces étrangères, au moment du début du retrait conformément au calendrier de retrait de la Commission Militaire Mixte/OUA et de l’ONU; et b. dans le cas des Forces Armées Congolaises, des forces du Rassemblement Congolais pour la Démocratie et du Mouvement pour la Libération du Congo, conformément à l’Accord négocié.
CHAPITRE 12 DE LA NORMALISATION DE LA SITUATION LE LONG DES FRONTIERES COMMUNEES ENTRE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO ET SES VOISINS La normalisation de la situation de sécurité le long des frontières communes entre la République Démocratique du Congo et ses voisins exige de chaque pays: a) de ne pas armer, entraîner, héberger sur son territoire ou apporter une forme quelconque d’aide aux éléments subversifs ou aux mouvements d’opposition armés, dans le but de déstabiliser les autres pays; b) de signaler tous les mouvements étrangers ou hostiles détectés par l’un ou l’autre pays, le long des frontières communes; c) d’identifier et d’évaluer les problèmes aux frontières et coopérer dans la définition des méthodes pour les résoudre pacifiquement; d) de résoudre le problème des groupes armés en République Démocratique du Congo conformément aux termes du présent Accord.
CHAPITRE 13 DU CALENDRIER DE MISE EN ŒUVRE DE L’ACCORD DE CESSEZ LE FEU Le Calendrier de mise en œuvre de l’Accord de Cessez-le-feu est annexé à ce document.
ANNEXE «B» CALENDRIER DE LA MISE EN ŒUVRE DE L’ACCORD DE CESSEZ-LE-FEU Evénements majeurs du Cessez-le-feu Timing 1. Signature officielle de l’Accord de Cessez-le-feu; Jour J 2. Etablissement de la Commission Militaire Mixte et des vérificateurs de l’OUA; Jour J à jour J + 7 jours 3. Annonce et diffusion de l’information sur le Cessez-le-feu; J + 24 heures 4. Cessation des hostilités, y compris la cessation de la propagande hostile; J + 24 heures 5. Libération des otages J + 3 jours 6. Désengagement des forces J + 14 jours 7. Choix du facilitateur J + 15 jours 8. Redéploiement des forces J + 15 jours à J + 30 jours 9. Fourniture des renseignements à la Commission Militaire Mixte et aux mécanismes de l’OUA et de l’ONU; J + 21 jours 10. Déploiement des vérificateurs de l’OUA J + 30 jours 11. Libération et échange de prisonniers de guerre J + 7 jours à J + 30 jours 12. Début du Dialogue National J + 45 jours 13. Clôture du Dialogue National J + 90 jours 14. Installation des Nouvelles Institutions J + 91 jours 15. Déploiement de la mission de paix de l’ONU J + 120 jours 16. Désarmement des groupes armés J + 30 jours à J + 120 jours
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17. Retrait ordonné des Forces Etrangères J + 180 jours 18. Vérification et suivi J + 7 à J + 180 jours (renouvelable) 19. Rétablissement de l’administration de l’Etat J + 90 jours à J + 270 jours 20. Désarmement du personnel non militaire J + 360 jours 21. Mesures de normalisation de la situation sécuritaire le long des frontières internationales; J + 30 jours à J + 365 jours
ANNEXE «C» DEFINITIONS «Groupes armés», signifie les forces autres que celles du gouvernement de la République Démocratique du Congo, du Rassemblement Congolais pour la Démocratie et du Mouvement pour la Libération du Congo, qui ne sont pas signataires de cet Accord. Elles incluent les exFAR, l’ADF, le LRA, l’UNRF II, les milices Interahamwe, le FUNA, le FDD, le WNDF, le NALU, l’UNITA et d’autres forces de même idéologie. «Forces des Parties», désigne les forces des signataires de cet Accord. «Parties» veut dire les signataires de cet Accord, autres que les Témoins. «La région des Grands Lacs» désigne le groupe des Etats situés dans le bassin ou auteur du système de vallée de crevasse de l’Afrique de l’Est et l’Afrique centrale. «Le Dialogue National» veut dire un processus impliquant toutes les composantes sociales dans les négociations politiques inter-Congolaises visant à instaurer un nouvel ordre politique en vue d’aboutir à la réconciliation nationale et à la tenue rapide des élections démocratiques libres et transparentes. «Forces Vives» veut dire les composantes représentatives de la société civile, telles que les Eglises, les Syndicats, etc. «Interahamwe», désigne les milices rwandaises qui ont commis le génocide de 1994 au Rwanda. "Accord de Cessez-le-feu", veut dire ce Document et ses Annexes»675.
3. Accord global inclusif de Pretoria 2002 «Préambule Nous, Composantes et Entités du Dialogue inter-congolais, Parties au présent Accord, le Gouvernement de la
République démocratique du Congo, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), le Mouvement de libération du Congo (Mlc), l’Opinion politique, les Forces vives, le Rassemblement congolais pour la démocratie/Mouvement de libération (RCD/ML), le Rassemblement congolais pour la démocratie/National (RCD/N), les Maï-Maï, conscients de nos responsabilités devant le Peuple congolais, l’Afrique et la Communauté internationale; Considérant l’Accord pour un cessez-le feu en République démocratique du Congo signé à Lusaka les 10, 30 et 31 juillet 1999; Considérant les Résolutions pertinentes du conseil de sécurité des Nations Unies relatives au conflit en République Démocratique du Congo; Considérant les Résolutions du Dialogue inter-congolais tenu à Sun city (Afrique du sud) du 25 février 2002 au 12 avril 2002; 675 LINELIT (Ligue Nationale pour les Elections Libres et Transparentes), Accord de Lusaka, Kinshasa 1999, 3-31.
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Prenant à témoin son Excellence Monsieur Ketumile Masire, Facilitateur neutre du Dialogue inter-congolais; Son Excellence Monsieur Kofi Annan, Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, représenté par Son Excellence Monsieur Moustapha Nisse, envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour le Dialogue inter-congolais, Son Excellence Monsieur Thabo Mbeki, Président de la République d’Afrique du Sud et Président en exercice de l’Union Africaine; Concluons le présent Accord global et inclusif sur la transition en République Démocratique du Congo, en convenant de ce qui suit:
I. De la cessation des hostilités 2- 1. Les Parties au présent Accord et ayant des forces combattantes, à savoir le Gouvernement de la RDC, le RCD, le MLC, le RCD/ML, le RCD/N et les Maï-Maï renouvellent leur engagement, conformément à l’accord de Lusaka, au Plan de désengagement de Kampala et au Sous-Plan de Harare, et aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, de cesser les hostilités et de rechercher une solution pacifique et équitable à la crise que traverse le pays. 2. Les Parties au présent Accord et ayant des forces combattantes acceptent de s’engager dans le processus de formation d’une armée nationale, restructurée et intégrée conformément à la Résolution adoptée le 10 avril 2002 adoptée par la Plénière du dialogue inter-congolais (DIC) de Sun-City +++3. 3. Les Composantes et Entités au DIC, parties au présent Accord (les parties), à savoir le Gouvernement de la RDC, le RCD, le MLC, l’Opposition politique, les Forces vives, le RCD/ML, le rcdn et les Maï-Maï, acceptent de conjuguer leurs efforts dans la mise en application des Résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies pour le retrait de toutes les troupes étrangères du territoire de la RDC et du désarmement des groupes armés et des milices, et de sauvegarder la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC. 4. Les Parties acceptent de conjuguer leurs efforts en vue d’aboutir à la réconciliation nationale. A cet effet, elles
décident de mettre en place un Gouvernement d’union nationale qui permettra d’organiser des élections libres et démocratiques au terme d’une période de transition dont la durée est fixée dans la présent Accord. 5. Les Parties acceptent de prendre toutes les mesures nécessaires à la sécurisation des populations et des dirigeants de la transition à Kinshasa que sur l’ensemble du territoire national. A cet effet seront arrêtées des dispositions visant à garantir la sécurité des populations, des institutions, de leurs animateurs et des principaux cadres dirigeants des Parties au présent Accord et ayant des forces combattantes.
II. Des objectifs de la transition Les objectifs principaux de la transition sont: 1. la réunification, la pacification, la reconstruction du pays, la restauration de l’intégrité territoriale et le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national; 2. la réconciliation nationale; 3. la formation d’une armée nationale, restructurée et intégrée; 4. l’organisation d’élections libres et transparentes à tous les niveaux, permettant la mise en place d’un régime constitutionnel démocratique. 5. La mise en place des structures devant aboutir à un nouvel ordre politique.
III. Des principes de la transition 1. Pour garantir une transition pacifique, les Parties participent à la gestion politique durant la transition. Les
Institutions qu’elles mettront en place durant la transition doivent assurer une représentation
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appropriée des onze provinces du pays, des différentes sensibilités au sein des forces politiques et sociales. En particulier, il faudra prévoir une représentation des femmes à tous les niveaux de responsabilité. 2. En vue d’assurer la stabilité des Institutions de la transition, le Président, les VicePrésidents, le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat restent en fonction pendant toute la durée de la transition, sauf en cas de démission, décès, empêchement définitif, condamnation pour haute trahison, détournement des deniers publics, concussion, ou corruption. 3. Les Parties réaffirment leur adhésion à la Déclaration universelle des droits de l’homme, au Pacte international des droits économiques et socio-culturels de 1966, à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, et aux conventions internationales dûment ratifiées. Dans cette perspective, elles prennent l’engagement de lutter pendant la période de la transition pour un système respectueux des valeurs de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés fondamentales. 4. Les Institutions de la transition reposeront sur le principe de la séparation des pouvoirs entre l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire. 5. Les Institutions de la transition fonctionneront selon les principes de la consensualité, de l’inclusivité et de la non-conflictualité. 6. La répartition des responsabilités au sein des Institutions de la transition et à différents niveaux de l’Etat se fuit sur la base du principe de l’inclusivité et du partage équitable entre les Composantes et Entités au Dialogue intercongolais selon des critères de compétence, de crédibilité, d’honorabilité et dans un esprit de réconciliation nationale. Les modalités de mise en application du principe de l’inclusivité sont prévues à l’annexe du présent Accord inclusif. 7. La répartition entre les différentes Parties des postes au sein du Gouvernement de la transition et en particulier au sein des commissions gouvernementales, devra être aussi juste que possible en termes de nombre, de poids des ministères et des postes gouvernementaux. Un équilibre devra être recherché entre les commissions elles-mêmes. La répartition des postes au sein de chaque commission se fera par les Parties signataires dans un ordre de priorité garantissant un équilibre général entre les Parties. 8. Afin de réaliser la réconciliation nationale, l’amnistie sera accordée pour les faits de guerre, les infractions politiques et d’opinion, à l’exception des crimes de guerre, des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité. A cet effet, l’Assemblée nationale de transition adoptera une loi d’amnistie conformément aux principes universels et à la législation internationale. A titre provisoire, et jusqu’à l’adoption de la loi d’amnistie, l’amnistie sera promulguée par décret-loi présidentiel. Le principe de l’amnistie sera consacré dans la Constitution de la transition.
IV. De la durée de la transition La période de transition prend effet à compter de l’investiture du Gouvernement de la transition. L’élection du nouveau Président marque la fin de la période de transition. L’élection du Président a lieu après les élections législatives. Les élections se tiennent dans les 24 mois qui suivent le début de la période de transition. En raison de problèmes spécifiquement liés à l’organisation des élections, cette période peut être prolongée de 6 mois, renouvelable une seule fois pour une durée de 6 mois, si les circonstances l’exigent, sur proposition de la Commission électorale indépendante et par une décision conjointe et dûment motivée de l’Assemblée nationale et du Sénat.
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V. Des Institutions de la transition Pendant la période de la transition, il est créé un Exécutif de la transition, un Parlement de la transition composé
d’une Assemblée nationale et d’un Sénat, un pouvoir judiciaire constitué notamment des Cours et Tribunaux existants, et des Institutions d’appui à la démocratie, dans les conditions déterminées dans la Constitution de la transition. Les Institutions de la transition sont: - Le Président de la République, - Le Gouvernement, - L’Assemblée nationale, - Le Sénat, - Les Cours et les Tribunaux. En plus des Institutions ci-dessus, sont créées les Institutions d’appui à la démocratie suivantes: - La Commission électorale indépendante, - L’Observatoire national des droits de l’homme, - La Haute autorité des médias, - La Commission de l’éthique et de la lutte contre la corruption. 1. Le Président a. Le Président de la République est le Chef de l’Etat. Il représente la Nation. Il veille au respect de la Constitution de la transition. Le Président de la République est le Commandant suprême des Forces armées. Il préside le Conseil supérieur de la défense. Il convoque et préside le Conseil des ministres une fois tous les quinze jours. Le Président de la République demeure "en fonction" pour toute la durée de la transition. b. Le Président de la République exerce les fonctions et pouvoirs suivants: b/1. Il promulgue les lois. b/2. Il nomme et révoque, sur proposition des Composantes et Entités, les Ministres et les vice-Ministres. b/3. Il accrédite les Ambassadeurs et les Envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères et des organisations internationales. Les Ambassadeurs et les Envoyés extraordinaires sont accrédités auprès de lui. b/4. Conformément aux dispositions du présent Accord et de ses annexes, il nomme: (i) Les hauts fonctionnaires de l’Etat; (ii) Les officiers de l’Armée et de la Police après délibération en Conseil supérieur de la défense; (iii) Les Gouverneurs et vice-Gouverneurs de province; (iv) Le gouverneur et les vice-Gouverneurs de la Banque centrale; (v) Les Ambassadeurs et les Envoyés extraordinaires; (vi) Les membres du Conseil supérieur de la Magistrature; (vii) Les mandataires de l’Etat dans les entreprises publiques et para-étatiques. b/5. Sur proposition du Conseil supérieur de la Magistrature, il nomme et révoque les magistrats du Siège et du Parquet après en avoir informé le Gouvernement. b/6. Il confère les grades des Ordres nationaux et les décorations conformément à la loi. b/7. Il a le droit de grâce et peut remettre, commuer et réduire les peines après en avoir informé le Gouvernement. b/8. Il déclare la guerre, l’état de siège et d’urgence sur décision du Conseil des Ministres après avis conformé des deux Chambres du Parlement. c. Les fonctions de Président de la République prennent fin par démission, décès, empêchement définitif, condamnation pour haute trahison, détournement de deniers publics, concus-
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sion ou corruption. En cas de cessation de fonctions, la Composante à laquelle appartient le Président de la République présente son remplaçant à l’Assemblée nationale pour entérinement, endéans sept jours. Le vice-Président qui relève de la Composante Gouvernement assurera l’intérim. Les conditions de mise en œuvre de cette disposition seront déterminées dans la Constitution de la transition. b. La Présidence d. La Présidence est composée du Président et des quatre vice-Présidents. e. Le Président assure, avec les vice-Présidents, un leadership nécessaire et exemplaire dans l’intérêt de l’unité nationale en RDC. f. Le Président de la République traite avec les vice-Présidents de toutes les matières relatives à la gestion du Gouvernement ainsi que des matières mentionnées aux points A/b/b4 (i) et (v)/ g. Les réunions entre le Président et les vice-Présidents se tiennent régulièrement, au moins une fois toutes les deux semaines, et dans tous les cas avant chaque Conseil des ministres. Les réunions entre le Président et les Vice-Présidents peuvent aussi être convoquées par le Président de la République à la demande d’un Vice-Président. En cas d’absence du Président de la République, celui-ci désigne à tour de rôle le vice-Président qui présidera les réunions. c. Les Vice-Présidents h. Il est créé quatre postes de Vice-Présidents. Les Vice-Présidents seront issus des Composantes Gouvernement, Rcd, Mlc et Opposition politique. Chaque Vice-Président sera en charge d’une des quatre commissions gouvernementales suivantes: - Commission politique (Composante Rcd); - Commission économique et financière (Composante Mlc); - Commission pour la reconstruction et le développement (Composante Gouvernement); - Commission sociale et culturelle (Composante Opposition politique). Les Vice-Présdents exercent les fonctions et pouvoirs suivants: i/1. Ils convoquent et président les réunions de leur commission. i/2. Ils présentent les rapports de leur commission au Conseil des ministres i/3. Ils coordonnent et supervisent la mise en application des décisions du Conseil des ministres en rapport avec leur commission respective; i/4. Ils proposent au Président de la République les grades dans les Ordres nationaux et les décorations conformément à la loi. Les fonctions de Vice-Président de la République prennent fin par démission, décès, empêchement définitif, condamnation pour haute trahison, détournement de deniers publics, concussion ou corruption. En cas de cessation de fonctions, la Composante dont est issu le VicePrésident concerné présente son remplaçant à l’Assemblée nationale pour entérinement. L’intérim ainsi que les conditions de mise en application de cette disposition seront déterminées dans la Constitution de la transition. D. Le Gouvernement k. Le Gouvernement est composé du Président de la République, des Vice-Présidents, des Ministres et Vice-Ministres. Les portefeuilles ministériels sont répartis entre les Composantes et Entités du DIC dans les conditions et selon les critères déterminés dans l’Annexe 1 du présent Accord. l. Le Gouvernement définit et conduit la politique de la Nation conformément aux Résolutions du DIC. m. Le Gouvernement est pleinement responsable de la gestion de l’Etat et répond de celle-ci devant l’Assemblée nationale dans les conditions définies par la Constitution de la transition. Toutefois, pendant la durée de la Constitution, l’Assemblée nationale ne peut voter une motion de censure contre l’assemblée du Gouvernement.
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n. Les réunions du Gouvernement ou Conseil des Ministres seront présidées par le Président de la République, et en son absence, ou s’il en décide ainsi, par un des Vice-Présidents, et ce, à tour de rôle; o. Le Gouvernement doit être consulté par le Président de la République sur les matières mentionnées aux points A/b/b4 (i) et (v) ci-dessus. p. Durant leurs fonctions, les membres du Gouvernement ne peuvent, ni par eux-mêmes ni par personne interposée, rien acheter ou louer qui appartienne au domaine de l’Etat. Ils sont tenus, dès le jour de leur entrée en fonction et à l’expiration de celle-ci, de faire sur l’honneur une déclaration écrite de tous leurs biens à l’Assemblée nationale. q. Les fonctions des Ministres et Vice-Ministres prennent fin par démission, révocation, décès, empêchement définitif, condamnation pour haute trahison, détournement de deniers publics, concussion ou corruption. En cas de vacance, la Composante ou l’Entité du DIC dont est issu le Ministre ou Vice-Ministre concerné présente son remplaçant au Président de la République. Les conditions de mise en application de cette disposition seront déterminées dans la Constitution de la transition. r. Un Secrétariat général du Gouvernement assiste le Président et les Vice-Présidents dans la coordination de l’action gouvernementale. Il prépare les réunions, travaux et tous les dossiers devant faire l’objet de discussions entre le Président et les Vice-Présidents, et au niveau du Conseil des Ministres. s. L’Exécutif de la transition fonctionne d’une manière solidaire, conformément à l’esprit d’un Gouvernement d’union nationale et sur la base d’un programme commun de Gouvernement fondé sur les Résolutions adoptées au DIC. 2. Le Pouvoir législatif Le Parlement de la transition est composé de deux Chambres: l’Assemblée nationale et le Sénat. a. L’Assemblée nationale est l’institution législative pendant la période de la transition. Elle exerce les pouvoirs et fonctions déterminés dans la Constitution de la transition qui est partie intégrante du présent Accord. b. L’Assemblée nationale comprend 500 membres. Les membres de l’Assemblée nationale portent le titre de député. L’âge minimal pour être député est de 25 ans révolus à la date de désignation. Les députés ont droit à une indemnité mensuelle et équitable qui leur assure l’indépendance et une sortie honorable au terme de leur mandat. c. Les députés seront désignés par leurs Composantes et Entités du DIC dans les conditions déterminées dans le document annexé au présent Accord. Toutes les Composantes et Entités doivent assurer une représentation provinciale équilibrée dans leur groupe. d. Le Bureau de l’Assemblée nationale sera composé d’un Président, de deux Vice-Présidents, d’un Rapporteur et d’un Rapporteur adjoint. Chacun d’eux sera issu d’une Composante ou d’une Entité différente. e. Le Sénat jouera le rôle de médiateur en cas de conflit entre les institutions, élaborera l’avant-projet de Constitution devant régir le Pays après la transition, exercera la fonction législative concurremment à l’Assemblée nationale en matière de nationalité, de décentralisation, de processus électoral et en ce qui concerne les institutions d’appui à la démocratie. f. Le Sénat comprend 120 membres. Les membres du Sénat portent le titre de Sénateur. L’âge minimal pour être sénateur est de 40 ans révolus à la date de désignation. Les sénateurs ont droit à une indemnité mensuelle et équitable qui leur assure l’indépendance et une sortie honorable au terme de leur mandat.
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g. Les sénateurs sont désignés par leurs Composantes et Entités du DIC dans les conditions déterminées dans le document annexé au présent Accord inclusif. Le Sénat est constitué de manière à assurer la représentation de toutes les provinces. h. Le Bureau du Sénat sera composé d’un Président, de deux Vice-Présidents, d’un Rapporteur et d’un Rapporteur adjoint, comme prévu dans le présent Accord. Chacun d’eux sera issu d’une Composante ou Entité différente. i. Les fonctions de Président de l’Assemblée nationale et de Président du Sénat prennent fin par démission, décès, empêchement définitif ou condamnation pour haute trahison, détournement des deniers publics, concussion ou corruption. 3. Le Pouvoir judiciaire a. Les Parties réaffirment la nécessité d’avoir un pouvoir judiciaire indépendant. Le Conseil supérieur de la magistrature est la juridiction disciplinaire des magistrats. Il veille sur la carrière des magistrats et la sauvegarde de leur indépendance. b. L’organisation du pouvoir judiciaire sera déterminée dans la Constitution de la transition et dans une loi. c. Le premier Président de la Cour suprême de justice, le Procureur général de la République et l’Auditeur général des Forces armées seront désignés et mis en place aussitôt après la signature du présent Accord global et inclusif, dans le respect des équilibres nationaux selon un mécanisme qui sera défini par les Partis. 4. Les Institutions d’appui à la démocratie a. Il est créé les Institutions d’appui à la démocratie suivantes; - La Commission électorale indépendante; - La Haute autorité des médias; - La Composition vérité et réconciliation; - L’Observatoire national des droits de l’homme; - La Commission de l’éthique et de la lutte contre la corruption. b. L’organisation, le fonctionnement et les pouvoirs des Institutions d’appui à la démocratie seront déterminés par la loi. c. Les fonctions de Présidents des Institutions d’appui à la démocratie reviennent à la Composante Forces vives. Les Présidents des Institutions d’appui à la démocratie ont rang de Ministre. Les Institutions d’appui à la démocratie fonctionnent indépendamment du Gouvernement de la transition. Les fonctions de Présidents des Institutions d’appui à la démocratie prennent fin par démission, décès, empêchement définitif ou condamnation pour haute trahison, détournement de deniers publics, concussion ou corruption. En cas de cessation de fonctions, la Composante à laquelle appartient un Président de l’une des Institutions présente son remplaçant à l’Assemblée nationale pour entérinement, endéans sept jours.
VI. De l’armée restructurée et intégrée incluant les Forces armées du gouvernement de la République démocratique du Congo, les Forces armées du Rassemblement congolais pour la démocratie et les Forces armées du Mouvement de libération du Congo, conformément au point 20 l’article 3 des principes de l’Accord de Lusaka. b. Dans un souci de paix, d’unité et de réconciliation nationales, le mécanisme précité devra inclure le Rcd-Ml, le Rcd-N et les Maï-Maï, selon des modalités à définir par les institutions politiques de la transition issues du Dialogue intercongolais. c. Une réunion des Etats-majors des FAC, Rcd, Mlc, Rcd-N, Rcd-Ml et Maï-Maï sera convoquée avant l’installation du gouvernement de la transition. Elle procédera à l’élaboration du
a. A l’issue du Dialogue inter-congolais, il y aura un mécanisme pour la formation d’une Armée nationale,
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mécanisme militaire chargé de la formation des autres Etats-majors jusqu’au niveau des régions militaires. d. Il est créé un Conseil supérieur de la Défense. Le Conseil supérieur de la défense est présidé par le Président de la République et, en cas d’absence, par le Vice-Président ayant la Défense dans ses attributions. e. Le Conseil Supérieur de la Défense est composé comme suit : - Le Président de la République - Les quatre Vice-Présidents - Le Ministre de la Défense - Le Ministre de l’Intérieur, de la Décentralisation et de la Sécurité - Le Ministre des Affaires Etrangères - Le Chef d’Etat-Major Général de l’Armée (ses adjoints peuvent y être invités) - Le Chef d’Etat-Major des Forces aériennes, le Chef d’Etat Major des Forces terrestres et le Chef d’Etat Major des Forces navales. f. Le Conseil Supérieur de la Défense donne un avis conforme sur la proclamation de l’état de siège, la proclamation de l’état d’urgence et la déclaration de guerre. g. La Loi sur l’Armée et la Défense nationale détermine les attributions et le fonctionnement du Conseil Supérieur de la Défense. h. Le Conseil Supérieur de la Défense donne un avis notamment sur les matières suivantes : - la formation d’une armée nationale restructurée et intégrée, - le désarmement des groupes armés, - la supervision du retrait des troupes étrangères, - l’élaboration de la politique de défense. i. Les conditions de mise en application des dispositions relatives à l’armée seront déterminées par la loi. VII. Dispositions finales a. La Constitution de la Transition est élaborée sur la base du présent Accord inclusif sur la Transition en RDC et en fait partie intégrante. b. Les Parties acceptent comme ayant force ayant force obligatoire les Annexes ci-après, qui font partie intégrante du présent Accord c. Les Parties conviennent de créer un mécanisme de mise en œuvre du présent Accord. d. Le présent Accord global et inclusif entre en vigueur à la date de son adoption par le Dic. La Constitution de la Transition, qui sera adoptée par le DIC, entre en vigueur à la date de sa promulgation par le Président de la République. e. Les Parties s’engagent à exécuter le présent Accord de bonne foi, à respecter ses dispositions, à prendre part à toutes les institutions, structures et commissions qui seront créées conformément à ses dispositions. Elles s’engagent à tout mettre en œuvre pour veiller au respect et à l’application du présent Accord.
ANNEXES Annexe I : De la répartition des responsabilités A. Gouvernement 1. La participation des Composantes et Entités du DIC au Gouvernement de la Transition est fondée sur le mode de leur participation au DIC de Sun City. 2. Le Gouvernement de la Transition sera composé des Ministères suivants: - Intérieur, Décentralisation et Sécurité - Affaires Etrangères et Coopération internationale
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- Coopération Régionale - Défense Nationale, Démobilisation et Anciens Combattants - Condition Féminine et Famille - Justice - Droits Humains - Presse et Information - Plan - Budget - Finances - Economie - Industrie et Pme - Mines - Energie - Commerce extérieur - Portefeuille - Fonction publique - Agriculture - Développement rural - Ptt - Recherche scientifique - Travaux publics et Infrastructures - Transports - Culture et Arts - Environnement - Tourisme - Affaires foncières - Urbanisme - Santé - Enseignement supérieur et universitaire - Enseignement primaire et secondaire - Travail et Prévoyance sociale - Affaires sociales - Jeunesse et Sports - Solidarité et Affaires humanitaires 3. Le Gouvernement de la Transition comprendra également les Vice-Ministères chargés des portefeuilles suivants: - Affaires étrangères - Intérieur - Intégration de l’Armée - Coopération internationale - Défense - Anciens Combattants et Démobilisation - Sécurité et Ordre public - Justice - Presse et Information - Plan - Finances - Budget
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- Portefeuille - Mines - Energie - Commerce - Agriculture - Travaux publics et Infrastructures - Fonction publique - Transports - Santé - Enseignement supérieur et universitaire - Enseignement primaire, secondaire et professionnel - Affaires sociales - Travail et Prévoyance sociale. B. Répartition des postes ministériel Gouvernement: - Intérieur, Décentralisation et Sécurité - Presse et Information - Finances - Industrie et Pme - Energie - Santé - Culture et Arts RCD-Goma: - Défense et Anciens Combattants - Condition féminine et Famille - Economie - Portefeuille - Ptt - Travail et Prévoyance sociale - Enseignement supérieur et universitaire MLC: - Affaires étrangères et Coopération internationale - Plan - Budget - Agriculture -Travaux publics et Infrastructures - Enseignement primaire et secondaire - Jeunesse et Sports Opposition politique: - Justice - Solidarité et Affaires humanitaires - Mines - Recherche scientifique - Transports - Affaires sociales - Affaires foncières Société civile: - Droits humains
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- Fonction publique RCD-ML: - Coopération régionale - Urbanisme RCD-N: - Commerce extérieur - Tourisme MAI-MAI: - Développement rural - Environnement Répartition des Vice-ministères: GOUVERNEMENT: - Affaires étrangères - Intégration de l’Armée - Mines - Enseignement primaire, secondaire et professionnel RCD-Goma: - Coopération internationale - Sécurité et Ordre public - Budget - Travaux publics et Infrastructures MLC: - Intérieur - Défense - Finances - Portefeuille OPPOSITION POLITIQUE: - Plan - Fonction publique - Energie - Santé SOCIETE CIVILE: - Démobilisation et Anciens Combattants - Commerce - Agriculture RCD-ML: - Justice - Enseignement supérieur et universitaire RCD-N: - Presse et Information - Affaires sociales MAI-MAI: - Transports - Travail et Prévoyance sociale B. Assemblée Nationale 1. La participation des Composantes et Entités du DIC à l’Assemblée nationale est fondée sur le mode de leur participation au DIC de Sun City. L’Assemble est composée de la manière ciaprès:
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Composantes/Entités RCD ……………… 94 députés MLC………………. 94 Gouvernement……. 94 Opposition politique 94 Force vives ……….. 94 RDC-ML …………. 15 RCD-N……………. 5 Maï-Maï .................. 10 Total........................ 500 2. Le Bureau de l’Assemblée nationale est composé de la manière ci-après: - Présidence: Mlc - 1ère vice-présidence: Gouvernement - 2ème vice-présidence: Rcd - 3ème vice-présidence: Opposition politique - Rapporteur: Maï-Maï - 1er Rapporteur: Forces vives - 2ème Rapporteur: Rcd/N - 3ème Rapporteur: Rcd/Ml C. Sénat 1. La participation des Composantes et Entités du DIC au Sénat est fondée sur le mode de leur participation au DIC de Sun City. Le Sénat est composé de la manière suivante: Composantes/Entités: Rcd............................. 22 sénateurs Mlc............................. 22 Gouvernement............ 22 Opposition politique... 22 Forces vives..................22 Rcd-Ml .........................4 Rcd-N...........................2 Maï-Maï .......................4 Total ………………...120 2. Le Bureau du Sénat est composé de la manière suivante: - Présidence : Forces vives - 1ère vice-présidence: Rcd - 2ème vice-présidence: Opposition politique - 3ème vice-présidence: Gouvernement - Rapporteur: Rcd-Ml - 1er Rapporteur: Rcd-N - 2ème Rapporteur: Mlc -3ème Rapporteur: Maï-Maï D. Administration publique Les Gouverneurs et Vice-Gouverneurs en fonction restent en place jusqu’à la nomination des nouveaux Gouverneurs et Vice-Gouverneurs par le Gouvernement d’union nationale. E. Diplomatie 1. Le Gouvernement de la Transition procédera à la nomination des Ambassadeurs au cours du premier semestre en tenant compte de la proportionnalité des sensibilités politiques au sein du Gouvernement.
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2. Il sera tenu compte, dans les nominations, des Ambassadeurs de carrière.
ANNEXE II : Des entreprises publiques Le Gouverneur d’union nationale procédera à la mise en place des gestionnaires des entreprises publiques et d’économie mixte, en prenant en compte les critères de moralité, de compétence et d’expérience. En attendant, les gestionnaires en place restent en fonction.
ANNEXE III : De la Commission de suivi de l’Accord 1. Il est créé une Commission de suivi pour la mise en œuvre du présent Accord, ci-après dénommée Commission de Suivi de l’Accord. 2. La Commission de suivi de l’Accord est présidée par le Président de la République Démocratique du Congo, Son Excellence le Major Général Joseph Kabila. 3. La Commission de suivi de l’Accord est composée de deux Hauts Représentants par composante et d’un Haut Représentant par Entité, non compris le Président de la Commission luimême. 4. La Commission de suivi de l’Accord exercera les fonctions suivantes: a. assurer le suivi de l’application effective des dispositions du présent Accord, b. veiller à l’interprétation correcte du présent Accord c. concilier les points de vue et aider à résoudre les désaccords pouvant surgir entre les signataires. 5. La Commission de suivi de l’Accord est créée dès l’entrée en vigueur du présent Accord. Sa mission prend fin après la présentation de son rapport au Gouvernement de la Transition, au plus tard un mois après la mise en place dudit Gouvernement.
ANNEXE IV: De la garantie internationale 1. Il est prévu un Comité international visant à garantir la bonne mise en œuvre du présent Accord et à soutenir le programme de la Transition en RDC, conformément aux présentes dispositions. 2. Le Comité international apportera son soutien actif à la sécurisation des institutions de la Transition issues du DIC et à l’application effective des dispositions du Chapitre 8.2.2. de l’Annexe A de l’Accord de Lusaka, en ce qui concerne notamment la neutralisation et le rapatriement des groupes armés opérant sur le territoire de la RDC. 3. Le Comité international arbitrera et tranchera tout désaccord pouvant survenir entre les Parties au présent Accord. 1. Le Comité international assistera la Commission de suivi de l’Accord dans l’accomplissement de son mandat.
ANNEXE V : Des questions sécuritaires 1. La sécurité des dirigeants politiques à Kinshasa sera réglée comme suit: a. chaque dirigeant politique aura 5 à 15 gardes du corps pour assurer sa sécurité personnelle b. aucune force armée congolaise supplémentaire ne pourra être acheminée à Kinshasa afin d’éviter toute possibilité de confrontation armée. c. La réunion des Etats-Majors FAC, RCD, MLC, RCD-N, RCD-ML et Maï-Maï pourra proposer des mesures de sécurité additionnelles pour certains dirigeants selon les besoins. 2. Les mesures de sécurité intérimaires suivantes seront mises en place: a. une force de police intégrée sera chargée d’assurer la sécurité du Gouvernement et de la population
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b. la Communauté internationale apportera son soutien actif à la sécurisation des Institutions de la Transition. Signé à Pretoria, le 16 décembre 2002»676.
676 CEDAC, accord global et inclusif sur la transition en RDC. Cf. Texte intégral de l’accord tel que publié dans la revue Congo-Afrique de septembre 2001, n. 357, 447448.
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