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French Pages 237 [242] Year 2020
pontificia universitas gregoriana rhetorica biblica et semitica
Roland Meynet
LE CANTIQUE DES CANTIQUES
PEETERS
LE CANTIQUE DES CANTIQUES
Roland Meynet
LE CANTIQUE DES CANTIQUES Rhetorica Biblica et Semitica XXV
PEETERS LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT 2020
SOCIÉTÉ INTERNATIONALE POUR L’ÉTUDE DE LA RHÉTORIQUE BlBLIQUE ET SÉMITIQUE
Il existe de nombreuses sociétés savantes dont l’objet est l’étude de la rhétorique. La plus connue est la « Société internationale pour l’histoire de la rhétorique ». La RBS est la seule : • qui se consacre exclusivement à l’étude des littératures sémitiques, la Bible essentiellement, mais aussi d’autres, des textes musulmans par exemple ; • qui s’attache par conséquent à inventorier et à décrire les lois particulières d’une rhétorique qui a présidé à l’élaboration des textes dont l’importance ne le cède en rien à ceux du monde grec et latin dont la civilisation occidentale moderne est l’héritière. Il ne faudrait pas oublier que cette même civilisation occidentale est héritière aussi de la tradition judéo-chrétienne qui trouve son origine dans la Bible, c’est-à-dire dans le monde sémitique. Plus largement, les textes que nous étudions sont les textes fondateurs des trois grandes religions monothéistes, judaïsme, christianisme et islam. Une telle étude scientifique, condition première d’une meilleure connaissance mutuelle, ne saurait que contribuer au rapprochement entre ceux qui se réclament de ces diverses traditions. • • •
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La RBS promeut et soutient la formation, les recherches et les publications : surtout dans le domaine biblique, tant du Nouveau que de l’Ancien Testament ; mais aussi dans celui des autres textes sémitiques, en particulier ceux de l’islam ; et encore chez des auteurs nourris par les textes bibliques, comme saint Benoît et Pascal. Pour cela, la RBS organise les années paires un colloque international dont les actes sont publiés dans la présente collection ; chaque année des séminaires de formation à sa méthodologie, en différentes langues.
La RBS accueille et regroupe d’abord les chercheurs et professeurs universitaires qui, dans diverses institutions académiques, travaillent dans le domaine de la rhétorique biblique et sémitique. Elle encourage de toutes les manières les étudiants, surtout de doctorat, dans l’apprentissage de sa technique propre. Elle est ouverte aussi à tous ceux qui s’intéressent à ses activités et entendent les soutenir. SOCIÉTÉ INTERNATIONALE POUR L’ÉTUDE DE LA RHÉTORIQUE BIBLIQUE ET SÉMITIQUE Pontificia Università Gregoriana — Piazza della Pilotta, 4 — 00187 Roma (Italie) Pour plus de renseignements sur la RBS, voir : www.retoricabiblicaesemitica.org. ISBN 978-90-429-4409-1 eISBN 978-90-429-4410-7 D/2020/0602/118 A catalogue record for this book is available from the Library of Congress. © 2020, Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven, Belgium No part of this book may be reproduced in any form or by any electronic or mechanical means, including information storage or retrieval devices or systems, without prior written permission from the publisher, except the quotation of brief passages for review purposes.
Rhetorica Biblica et Semitica Beaucoup imaginent que la rhétorique classique, héritée des Grecs à travers les Romains, est universelle. C’est en effet celle qui semble régir la culture moderne, que l’Occident a répandue sur l’ensemble de la planète. Le temps est désormais venu d’abandonner un tel ethnocentrisme : la rhétorique classique n’est pas seule au monde. La Bible hébraïque, dont les textes ont été écrits surtout en hébreu mais aussi en araméen, obéit à une rhétorique bien différente de la rhétorique gréco-romaine. Il faut donc reconnaitre qu’il existe une autre rhétorique, la « rhétorique hébraïque ». Quant aux autres textes bibliques, de l’Ancien Testament et du Nouveau, qui ont été soit traduits soit rédigés directement en grec, ils obéissent largement aux mêmes lois. On est donc en droit de parler non seulement de rhétorique hébraïque, mais plus largement de « rhétorique biblique ». En outre, ces mêmes lois ont ensuite été reconnues à l’œuvre dans des textes akkadiens, ougaritiques et autres, en amont de la Bible hébraïque, puis dans les textes arabes de la Tradition musulmane et du Coran, en aval de la littérature biblique. Il faut donc admettre que cette rhétorique n’est pas seulement biblique, et l’on dira que tous ces textes, qui appartiennent à la même aire culturelle, relèvent d’une même rhétorique qu’on appellera « rhétorique sémitique ». Contrairement à l’impression que ressent inévitablement le lecteur occidental, les textes de la tradition sémitique sont fort bien composés, à condition toutefois de les analyser en fonction des lois de la rhétorique qui les gouverne. On sait que la forme du texte, sa disposition, est la porte principale qui ouvre l’accès au sens. Non pas que la composition fournisse, directement et automatiquement, la signification. Cependant, quand l’analyse formelle permet d’opérer une division raisonnée du texte, de définir de manière plus objective son contexte, de mettre en évidence l’organisation de l’œuvre aux différents niveaux de son architecture, se trouvent ainsi réunies les conditions qui permettent d’entreprendre, sur des bases moins subjectives et fragmentaires, le travail d’interprétation.
Introduction Le Cantique des cantiques est un des livres bibliques les plus étudiés1. Pourquoi donc ajouter encore à une telle masse de commentaires ? La première raison est le plaisir, ce qui s’accorde bien avec un texte dont le sujet n’est autre que l’amour et le plaisir que les amants se donnent l’un à l’autre. « Plaisir d’amour », mais aussi « mal d’amour » de qui cherche ce que son cœur aime et ne le trouve pas, qui abandonne, mais revient sans cesse, qui ne se résout jamais à le lâcher, comme Jacob avec l’ange, jusqu’à obtenir sa bénédiction. Principe de plaisir, principe aussi, pour ainsi dire, de réalité. Désir d’entendre la voix du bien-aimé et, indissociablement, de faire entendre la mienne. En des termes plus prosaïques, désir de communiquer ce que je crois avoir découvert et de le soumettre à l’agrément d’autrui. Ma première contribution concerne la composition du Cantique. Ce qui est déterminant pour l’interprétation : Il y a [...] un désaccord quant à la division du livre en ses différentes parties, alors que cette division, pour une œuvre poétique comme le Cantique, plus encore que pour un développement en prose, est une condition essentielle d’intelligibilité2.
La question est fort disputée : le nombre des propositions est presque égal à celui des études et commentaires. Tournay, par exemple, fournit un échantillon de dixsept divisions, qui vont de cinq poèmes à... cinquante-deux3. Sans compter ceux qui renoncent à en donner une4. La grande variété des propositions concernant la composition du Cantique a donné lieu à un certain scepticisme. Encore aujourd’hui certains divisent le livre en une multitude de petites unités : ainsi, en 2001, Tremper Longman y distingue vingt-trois poèmes. D’autres se limitent à un nombre plus raisonnable d’unités, comme Roberts qui en a quinze5, Lys qui n’en voit que sept6 ou Assis qui en a cinq7. Plusieurs ne se contentent plus d’une division à un seul niveau, ils proposent des divisions hiérarchisées. Celle de Ravasi s’organise à deux niveaux : ses douze « parties » se subdivisent pour la plupart en deux ou plusieurs sous-parties qu’il nomme, 1 Les bibliographies fournies par les commentaires sont impressionnantes ; voir, par exemple, celle de Pope (231-288), de Ravasi (135-142), de Barbiero (533-560). 2 J. ANGÉNIEUX, « Structure du Cantique des cantiques », 96. 3 R.J. TOURNAY, Quand Dieu parle aux hommes le langage de l’amour, 21-22. La liste de Ravasi est encore plus fournie et détaillée (86-92). 4 Comme Pope, 40. 5 D.Ph. ROBERTS, Let me see your form: seeking poetic structure in the Song of songs. 6 Lys, 23 ; il les appelle « sections », mais aussi « passages » ou « chants ». 7 E. ASSIS, Flashes of fire: a literary analysis of the Song of songs.
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Le Cantique des cantiques
avec sa richesse lexicale coutumière, « strophes », « phases », « cadres », « scènes », « diptyques », « duos », « chants » ou « mouvements »8. Barbiero, quant à lui, organise le Cantique en quatre unités : le Prologue et l’Épilogue se subdivisent en plusieurs « chants » ou « strophes », la Première partie et la Seconde en revanche sont organisées en trois niveaux9. Il faut ajouter que les propositions de composition concentrique du livre ne manquent pas10. Ma proposition va jusqu’au bout de ce mouvement : en effet, l’analyse est menée à tous les niveaux de composition du texte, chaque niveau étant défini précisément, depuis le « membre » jusqu’au « livre », en passant par le « segment », le « morceau », la « partie », le « passage », la « séquence » et la « section » ; sans compter les éventuelles « sous-partie », « sous-séquence » et « soussection », ce qui fait au total de huit à onze niveaux11. Seront donc mises en œuvre, une fois de plus, les procédures de l’analyse rhétorique biblique et sémitique12 qui a largement fait ses preuves13. La tâche était ardue et il fut même un temps où j’en arrivai à renoncer. Or, comme d’habitude, la solution était simple, si simple qu’elle devait échapper très longtemps. Fondée sur la composition — mais aussi sur le contexte biblique —, ma seconde contribution touche au sens14. L’interprétation traditionnelle était allégorique, dite aussi spirituelle : à travers la métaphore de l’amour entre l’homme et la femme, le véritable sujet du livre est l’amour entre Dieu et son peuple, Israël pour les juifs, l’Église pour les chrétiens ; dans une variante, l’interprétation mystique, entre Dieu et l’âme. En réaction contre l’interprétation allégorique, s’est développée, à partir des Lumières, l’interprétation littérale, dite naturelle ou érotique, voire voluptueuse : il ne s’agirait dans le Cantique que de l’amour entre un homme et une femme. Telle est la position de Cheryl Exum : « Les savants modernes s’accordent généralement sur le fait que l’amour humain est le sujet du Cantique, et tel est le point de vue adopté dans le présent commentaire »15. De même Tremper Longman : « Bien qu’il ait eu une longue histoire de répression par l’interprétation, le Cantique des cantiques est maintenant largement reconnu comme un poème célébrant la sexualité et l’amour humains »16.
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Ravasi, 91-92. Barbiero, 34.62.97-99. 10 Voir le status quaestionis in D. GARRET – P.R. HOUSE, Song of Songs – Lamentations, 30-35. 11 Voir le « Lexique des termes techniques », p. 23-25. 12 Voir mon Traité de rhétorique biblique. 13 Voir la liste des publications des collections de la Société internationale pour l’étude de la rhétorique biblique et sémitique, à la fin des ouvrages et sur le site de la RBS : www.retoricabiblicaesemitica.org. 14 Sur l’histoire de l’interprétation du Cantique, outre les introductions des commentaires, voir A.-M. PELLETIER, Lectures du Cantique des cantiques. De l’énigme du sens aux figures du lecteur. 15 Exum, 73. 16 Longman, xiii. 9
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En revanche, comme beaucoup d’autres, Raymond Tournay défend une lecture qui combine interprétation littérale et spirituelle, celle qu’il qualifie de « double entente » : « Le principe d’herméneutique le plus fécond me parait être ici celui de la double entente. [...] Le mystère de l’amour humain est inséparable de celui de l’Amour divin dont il constitue le signe et le symbole »17. Dans la même ligne, certains parlent d’interprétation symbolique18 ou métaphorique19. On soulignera que le Cantique doit être interprété dans le contexte de toute la Bible, selon l’interprétation dite « canonique », remise à l’honneur par Childs20. Enfin, on soutiendra que l’interprétation n’est pas réductible à son origine, à ce qu’a voulu dire son auteur, mais qu’elle doit s’étendre à la longue histoire de sa réception21. Pour ma part, je conduirai une lecture typologique, ou figurative. Sur laquelle je dois m’expliquer quelque peu22. Définition de la typologie Voici une première définition, prudente et minimaliste : Il n’est pas facile de donner une définition précise de la nature et de la finalité de la typologie. [...] La typologie, considérée comme méthode d’exégèse, peut être identifiée comme l’établissement de rapports historiques entre certains évènements, certaines personnes ou choses dans l’Ancien Testament et des évènements, personnes ou choses dans le Nouveau Testament. Considérée comme une méthode d’écriture, elle peut être définie comme la description d’un évènement, d’une personne ou d’une chose dans le Nouveau Testament dans des termes empruntés à la description de son correspondant prototypique dans l’Ancien Testament 23.
En voici une autre : On dira qu’il s’agit d’une forme d’exégèse consistant à reconnaître dans des personnes, des lieux ou des évènements du passé l’anticipation, l’annonce ou le « modèle » de personnes, de lieux ou d’évènements ultérieurs. Le rapport ainsi établi entre le « type » et la réalité qu’il « préfigure » suppose une certaine ressemblance entre eux, 17
R.J. TOURNAY, Quand Dieu parle aux hommes le langage de l’amour, 5-6.111-122 ; voir aussi A. SCHELLENBERG – L. SCHWIENHORST-SCHÖNBERGER, ed., Interpreting the Song of Songs: literal or allegorical ? Voir les belles pages de Franz Rosenzweig dans L’étoile de la rédemption, 235-242. 18 Ravasi, 159.163 ; L. MAZZINGHI, L., Cantico dei Cantici, 22. 19 RICŒUR, P., La métaphore nuptiale ; Barbiero, 52.419. 20 B.S. CHILDS, The New Testament as Canon ; ID., Old Testament Theology in a Canonical Context. 21 Voir en particulier, A.-M. PELLETIER, Lectures du Cantique des cantiques, dont le sous-titre est explicite : De l’énigme du sens aux figures du lecteur. 22 Je reprends ici une partie de mon article, « Résurgence de l’exégèse typologique » et de mon livre, Mort et ressuscité selon les Écritures ; repris avec deux articles de Paul Beauchamp et des illustrations tirées de la Biblia pauperum, du Speculum humanae salvationis et des tapisseries de la Chaise-Dieu dans « Selon les Écritures ». Lecture typologique des récits de la Pâque du Seigneur. 23 K.J. WOOLLCOMBE, « The Biblical Origin and Patristic Development of Typology ».
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Le Cantique des cantiques une analogie structurelle et sémantique. La mise en relation de ces deux réalités, analogues mais historiquement distinctes, crée entre elles un lien herméneutique qui est censé révéler l’identité mystérieuse qui les sous-tend et donner sens à la seconde24.
L’auteur de cette seconde définition générale ne se limite pas au rapport entre les deux Testaments ; et le titre de son article dit clairement qu’il traite de la typologie à l’intérieur de l’Ancien Testament. Voilà qui permet de mettre d’emblée en valeur le fondement même de l’exégèse typologique. En effet, celle-ci ne trouve pas son origine chez les Pères de l’Église, ni même dans le Nouveau Testament, mais à l’intérieur même de l’Ancien Testament. L’ouvrage que Leonhard Goppelt consacra à la typologie en 193925 reste pour beaucoup le point de départ obligé de toute étude sur le sujet26. Toutefois il se limite aux rapports figuratifs entre le Nouveau Testament et l’Ancien. En revanche, Jean Daniélou publie en 1950 une recherche où il montre comment la lecture typologique est déjà à l’œuvre à l’intérieur de l’Ancien Testament lui-même27. Paul Beauchamp insistera sur cet aspect de la démarche typologique : « Peut-être le point principal est-il la reconnaissance déjà ancienne de la démarche typologique à l’intérieur de l’Ancien Testament »28. En voici deux exemples Une deuxième genèse. Le début du livre de l’Exode n’explique pas que la sortie du pays d’Égypte est le récit de la naissance d’Israël. Il le donne à entendre. Encore faut-il savoir écouter. Écouter non pas seulement les mots du texte, mais aussi les accords, les résonances qu’il instaure avec d’autres textes. Ce qui met en jeu la mémoire, à la fois auditive et visuelle. Comment le livre de l’Exode en son début s’y prend-il pour exprimer ce qu’il veut dire ? Tout simplement en reprenant les thèmes, et donc les mots et les expressions du début de la Genèse. À peine engendré par Dieu, l’homme — mâle et femelle — reçoit la bénédiction de Dieu avec les premiers mots qui lui sont adressés : « Fructifiez et multipliez-vous et remplissez la terre… » (Gn 1,28). Au début de l’Exode, « les fils d’Israël fructifièrent et pullulèrent, ils se multiplièrent et se fortifièrent beaucoup et la terre en fut remplie » (Ex 1,7)29. L’insistance des reprises lexicales fait comprendre qu’Israël est béni par Dieu dans son observance du premier de tous les commandements de la Torah ; elle donne à entendre aussi et surtout que nous sommes arrivés non pas à un tournant de l’Histoire, mais à un nouveau commencement, bien plus qu’il va s’agir d’un véritable récit d’origine, une nouvelle genèse. Avec une différence majeure 24 J.-M. HUSSER, « La typologie comme procédé de composition dans les textes de l’Ancien Testament ». Cette « définition minimum de la typologie dans l’Ancien Testament » est inspirée de M. FISHBANE, Biblical Interpretation in Ancient Israel, 350-379. 25 L. GOPPELT, Typos. The typological interpretation of the Old Testament in the New. 26 Voir, par exemple, R. KUNTZMANN, ed., Typologie biblique, 9-10. 27 J. DANIÉLOU, Sacramentum futuri. Études sur les origines de la typologie biblique ; voir aussi J. KAPLAN, My perfect one : typology and early rabbinic interpretation of Song of Songs, 28 P. BEAUCHAMP, « Exégèse typologique, exégèse d’aujourd’hui », 20. 29 Voir P. BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament, II, « L’exégèse selon les “figures” », 220.
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cependant : il n’est plus question de la naissance de l’humanité, les « fils d’Adam », mais d’un peuple particulier, les « fils d’Israël ». Cependant, Israël n’est pas présenté seul, isolé des autres, mais dans sa relation à un autre peuple, l’Égypte, qui représente les autres nations. La reprise de la même figure s’accompagne toujours d’une modification ; et c’est ce qui lui donne son sens. Le rapport à l’autre, signifié dans la différence des sexes au début de la Genèse, se développe et s’élargit au début de l’Exode dans la différence des peuples. Dans les deux cas, ce rapport à l’autre se manifeste aussi dans le rapport à l’Autre par excellence, le Dieu créateur de la Genèse qui se révélera sauveur dans l’Exode, Dieu de toutes les nations et Seigneur du peuple unique qu’il s’est choisi. On voit déjà que le sens n’est pas donné dans les mots eux-mêmes ; il se trouve entre les lignes, plus encore entre les livres. « Se trouve » signifie que c’est au lecteur de le trouver. C’est en cela que réside la grandeur du texte biblique, du Dieu de la Bible : il respecte la dignité de l’homme, lui laissant la responsabilité de trouver le sens, de le construire en quelque sorte. « C’est [...] pourquoi les textes bibliques donnent tant à penser à l’esprit le plus exigeant sans jamais penser à sa place. Ils propulsent leur lecteur vers le moment redoutable où il devra interpréter à son propre compte »30. À partir du verset inaugural (Ex 1,7) on pourra suivre le récit de la naissance du peuple d’Israël, comme en écho de la naissance du monde : le premier récit est inauguré par la séparation des eaux d’en haut de celles d’en bas (Gn 1,6-8), prélude à l’apparition de l’homme, le second par la séparation de la mer Rouge où le peuple, expulsé du sein de l’Égypte, accède à une vie autonome et enfin libre où il pourra recevoir la Loi en entrant en alliance avec Dieu. Mais revenons en quelque sorte en arrière. Le premier récit de la Genèse racontait l’histoire du premier couple ; il était immédiatement suivi par celle des deux premiers frères (Gn 4). On connaît l’histoire de l’élection du plus jeune et de la jalousie de Caïn envers Abel son frère : elle débouche sur la première mort de la Bible. Qui est aussi le premier meurtre. La même histoire se répétera souvent, tout au long des récits fondateurs, avec les variantes indispensables pour que la série fasse sens : les deux fils d’Isaac entreront en conflit — pour la première place ! — mais Jacob le cadet échappera à la mort, d’abord par la fuite et un long exil, puis par une attitude d’humilité devant son ainé Ésaü ; ce qui lui vaudra sinon une réconciliation pleine et entière, du moins d’éviter les hostilités ouvertes. Au début du livre de l’Exode, en va-t-il autrement entre l’Égypte et Israël ? Le plus grand ne veut-il pas anéantir l’autre ? La haine entre les peuples a la même racine que celle qui oppose les frères : la jalousie. Le livre de la Genèse s’était achevé avec la longue histoire de Joseph, symboliquement mis à mort par ses frères, à cause de leur jalousie ; à cause aussi de la peur qu’il en vienne à dominer sur eux (Gn 37–50). Abel est la figure de Joseph et Joseph deviendra la figure de tout Israël menacé de mort par l’Égypte.
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P. BEAUCHAMP, « Préface » à R. Meynet, L’Analyse rhétorique, 12.
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Décréation et nouvel Exode. Après l’exode du pays d’Égypte et l’installation en terre de Canaan, après le temps des juges et des rois, viendront les jours de l’exil à Babylone ; à cause des manquements répétés d’Israël à l’alliance avec Dieu et entre frères. L’Exil sera alors interprété, par les prophètes, comme l’envers de l’Exode. Nés du sein de l’Égypte où ils s’étaient formés, voilà que ceux qui étaient ainsi devenus un peuple meurent comme tel, engloutis par un autre peuple : ils perdent ensemble la terre qui les nourrit, le temple où ils honorent Dieu, le roi qui les gouverne. C’en est fini de toutes leurs institutions, économiques, religieuses et politiques. Ils sont réduits à n’être plus qu’une poussière d’exilés, déportés par vagues successives dans un pays qui n’est pas le leur. Si l’Exode pouvait être lu à la lumière de la création, l’Exil est une décréation. Sa figure en est le déluge : les eaux séparées au début de la création pour laisser apparaître les vivants se referment sur les hommes qui n’ont pas su respecter la loi originaire de la douceur. Quand c’est au contraire la violence qui « remplit la terre » (Gn 6,11), il est inévitable que celle-ci se retourne contre celui qui la commet. C’est ce qui est arrivé à Israël, et pour la même raison. Il n’est donc pas étonnant que les prophètes du temps de l’Exil annoncent le retour sur la terre comme un nouvel Exode : « Et il y aura un chemin pour le reste de son peuple, ce qui restera d’Assur, comme il y en eut pour Israël, quand il monta du pays d’Égypte » (Is 11,16). « Aussi, voici venir des jours — oracle du Seigneur — où l’on ne dira plus: “Le Seigneur est vivant, qui a fait monter les Israélites du pays d’Égypte”, mais: “Le Seigneur est vivant, qui a fait monter les Israélites du pays du Nord et de tous les pays où il les avait dispersés”! » (Jr 16,14-15). Il n’est pas étonnant non plus que cette renaissance d’Israël soit présentée comme une nouvelle création : 9
Réveille-toi, réveille-toi ! Réveille-toi comme aux jours anciens, N’est-ce pas toi qui fendis Rahab, 10 N’est-ce pas toi qui desséchas la mer, Qui mis au fond de la mer un chemin, 11 Les libérés du Seigneur reviendront, portant avec eux une joie éternelle ; l’allégresse et la joie les accompagneront,
revêts-toi de force, bras du Seigneur. lors des âges antiques. transperça le Dragon ? les eaux du Grand Abîme ? pour que passent les rachetés ? ils arriveront à Sion criant de joie, cesseront la douleur et les plaintes. Is 51,9-11 (voir aussi Is 45–46)
Le retour de l’exil à Babylone, annoncé au verset 11, est pré-figuré par la sortie du pays d’Égypte et le passage de la mer Rouge au verset 10, lui-même référé aux récits d’origine qu’évoque le verset 9 ; « Rahab » et « le Dragon » sont des monstres mythiques représentant le chaos primitif que le Seigneur était censé avoir terrassés, lors de la création du monde. L’artisan de la libération, « le Seigneur », est nommé aux extrémités, à l’origine ultime de la création (9) comme lors de l’accomplissement à venir (11). On aura touché du doigt que la lecture « figurative » n’est pas propre au Nouveau Testament dans son rapport à l’Ancien ; elle se déploie d’abord dans ce
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dernier, par un retour sans cesse renouvelé aux personnages et aux actions, spécialement ceux des origines. Ces figures originelles constituent autant de clés de lecture pour un présent à déchiffrer. Il n’en ira pas autrement dans le Nouveau Testament. Il est difficile mais possible d’expliquer intellectuellement ce qu’est une figure. Mais il n’est pas du tout sûr qu’un tel genre d’explication permette de vraiment comprendre leur jeu. Comme les figures d’un ballet, on ne peut les saisir — en être saisi — que si l’on entre dans la danse. Typologie et scientificité Si la scientificité de l’intertextualité a pu être mise en doute, celle de la typologie a été franchement niée : Certains, sans aucun doute, penseront que ce genre de recherche est une perte de temps du début à la fin. De leur point de vue, la méthode typologique est une façon de traiter le texte d’une manière totalement non scientifique et fantaisiste ; au mieux ce n’est qu’une curiosité historique, ne méritant pratiquement pas d’être prise au sérieux31.
Avec les plus grands, il ne faut pas hésiter à redire que la « science » n’est pas le dernier mot de l’exégèse typologique : Autant dire que cette intelligence [l’intelligence spirituelle] ne peut aboutir à des résultats totalement contrôlables par une méthode quelconque et aptes à être recueillis dans un canon définitif. Autant dire qu’elle ne peut jamais totalement [p. 38] s’objectiver. Toujours elle enveloppe et déborde ce qu’elle a saisi, comme elle se sent enveloppée et débordée par ce qu’elle n’a pas pu saisir encore [...] Vouloir donc en juger d’un point de vue purement objectif, ou la ramener à quelque discipline scientifique, c’est se condamner à ne pas la comprendre 32.
Paul Beauchamp qui est, sans conteste, l’auteur contemporain qui s’est intéressé le plus à la typologie33, écrivait : Suivre les figures jusqu’à leur accomplissement en Jésus Christ, c’est prendre, avec franc parler, la responsabilité d’interpréter. [...] « Interpréter », il est arrivé que ce terme répugne comme s’il voulait dire : traduire en clair la vérité, le sens. Mais parler dans la vérité plutôt qu’en dehors d’elle, c’est déjà beaucoup, comme aussi ne pas se contenter de parler intelligemment, mais vouloir parler juste. L’interprétation figu31
G.W.H. LAMPE, « The Reasonableness of Typology », 21. H. de LUBAC, L’Écriture dans la Tradition, 37-38. 33 Paul Beauchamp a suivi durant toute sa carrière la piste de l’exégèse figurative, en rapport avec l’accomplissement des Écritures. Voir, entre autres : « La figure dans l’un et l’autre Testament » ; « L’interprétation figurative et ses présupposés » ; « Typologie et “figures du Lecteur” » ; « Le Pentateuque et la lecture typologique » ; « Exégèse typologique, exégèse d’aujourd’hui » ; « Quelle typologie dans l’Épître aux Hébreux ? » ; « La typologie dans l’évangile de Jean » ; L’Un et l’Autre Testament, II, Chap. 7. « L’exégèse selon les “figures” », 220-237. 32
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Le Cantique des cantiques rative ou typologique, précisément parce qu’elle obéit à la nécessité de prendre des risques, n’impose rien, au contraire. Il faudrait être bien superficiel pour la reléguer à cause de cela dans la sphère de la fantaisie, hors vérité34. En plus du simple goût de la vérité, les exigences professionnelles ont poussé les exégètes à s’intéresser en priorité à ce qui pouvait être prouvé scientifiquement, ce qui les conduisait, certes, à bonne distance de l’exégèse typologique (mon soulignement)35.
Toutefois, et pour reprendre le terme de G.W.H. Lampe36, cela ne signifie pas que l’exégèse typologique n’est pas « raisonnable ». Il faut donc innover, avec les moyens de notre temps : L’exégèse des Pères doit nous inspirer. L’exégèse des Pères ne peut pas être reproduite aujourd’hui37. Sans retour archaïsant ni servile mimétisme, souvent à travers de tout autres méthodes, c’est un mouvement spirituel qu’il faut reproduire avant tout. Et c’est la lutte de Jacob avec l’ange de Dieu qu’il faut recommencer sans cesse 38.
Dans les pages qui suivent, à partir de quelques exemples, seront proposées quelques indications sur la manière dont il est aujourd’hui possible de se risquer à une lecture typologique, de manière « raisonnable ». Je l’ai fait pour ma part dans une série de courts articles, repris ensuite et amplifiés dans un volume 39. Ces indications se fondent sur ma pratique particulière, qui est celle de l’analyse rhétorique biblique et sémitique. Sans être à proprement parler une « méthode », son côté « méthodique » permet de fournir quelques critères utiles pour inspirer la lecture typologique. La figure de Noé Le récit de l’arrestation de Jésus au jardin de Gethsémani selon saint Matthieu est focalisé sur les premiers mots que Jésus prononce en réponse au disciple qui avait dégainé et tranché l’oreille du serviteur du grand prêtre : « Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prennent l’épée par l’épée périront » (Mt 26,52)40. Plusieurs commentateurs n’ont pas manqué de noter l’allusion à Gn 9,6 quand, après le déluge, Dieu dit à Noé : « Qui verse le sang de l’homme, par l’homme
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P. BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament. II. Accomplir les Écritures, 221. P. BEAUCHAMP, « Exégèse typologique », 19. 36 G.W.H. LAMPE, « The Reasonableness of Typology ». 37 P. BEAUCHAMP, « Exégèse typologique », 19. 38 H. de LUBAC, L’Écriture dans la Tradition, 39. 39 R. MEYNET, Mort et ressuscité selon les Écritures (voir note 19). 40 Voir l’analyse rhétorique du passage, dans R. MEYNET, Jésus passe. Testament, jugement, exécution et résurrection du Seigneur Jésus dans les Évangiles synoptiques, 54-55 ; Id., La Pâque du Seigneur. Passion et résurrection de Jésus dans les évangiles synoptiques, 62-65. 35
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son sang sera versé »41. Pourtant, ils interprètent la question de Jésus, qui suit son commandement — « Comment donc s’accompliraient les Écritures qu’ainsi il doit arriver » (54) — comme étant générale, ne renvoyant pas à un texte précis42. L’ordre de Jésus occupe donc le centre de la péricope de Mt 26,47-56 et il contient une allusion à celui du Seigneur en Gn 9,6. Or, la connaissance des lois de la rhétorique biblique et sémitique conduit à prêter une attention particulière au centre des constructions concentriques, car il est reconnu depuis deux siècles comme leur clé de voûte, leur clé de lecture43. Une autre loi est celle de « la citation au centre » ; il est fréquent en effet que le centre d’une composition concentrique soit occupé par une citation44. Ici, l’allusion est claire, d’autant plus que la forme même des deux énoncés est spéculaire, plus encore en Gn que chez Mt. C’est pourquoi, au moment d’interpréter, j’écrivais : En Jésus la figure de Noé s’accomplit. Elle le fait cependant en se renversant complètement. Le seul juste avait été sauvé des flots de la mort, pendant que tous les violents y étaient engloutis. Maintenant, le seul juste est promis à la mort, tandis que tous les autres se sauvent, tandis qu’ils seront tous sauvés par la mort du seul Juste45.
Il faut souligner la différence qui ressort sur fond de ressemblance, le « renversement » qui est une des marques du rapport figuratif46. Ce renversement est clairement exposé en 1Co 15 et surtout en Rm 5,15-19 dans l’opposition que Paul établit entre l’ancien Adam et le nouveau47. Outre le renversement, deux autres caractéristiques de la figure sont sa répétitivité et la corporéité48, particulièrement visibles dans le cas présent. La figure s’incarne en effet dans des personnages, avec une insistance notable sur leur « corps ». Elle se manifeste et insiste du début à la fin du Livre. Comme les piles d’un pont qui permet le passage d’une arche à l’autre pour conduire jusque sur l’autre rive. Le renversement est la marque de la « déficience » : « Nous appelons déficience ce qui, dans la figure, désigne son non-accomplissement »49. 41
Par ex., J. GNILKA, Il vangelo di Matteo, 612-613 ; D.A. HAGNER, Matthew 14–28, 789. Ainsi J. GNILKA, Il vangelo di Matteo, 614. 43 Traité, Chap. 8 : « Le centre des constructions concentriques », 417-469. 44 Voir Traité, 436-454. 45 R. MEYNET, Jésus passe, 57. Repris et développé ensuite dans ID., Mort et ressuscité, 5660 ; ID., « Selon les Écritures », 53-57. 46 Voir J.-N. GUINOT, « La frontière entre allégorie et typologie », 207-228, en particulier les pages intitulées « Les règles de l’interprétation typologique », où il expose les deux critères essentiels suivis en particulier saint Jean Chrysostome : la ressemblance (mimésis) et l’écart qui est toujours de l’ordre du « dépassement » (hyperoché) en faveur de l’antitype, appelé alors « la vérité » (224-226). 47 Voir R. MEYNET, Mort et ressuscité, 16-18 ; ID., « Selon les Écritures », 19-21. 48 Paul Beauchamp indique « les critères principaux de la figure, au nombre de cinq » : la centralité, la répétitivité, la corporéité, la déficience et l’ouverture sur un choix de liberté (L’un et l’Autre Testament, II, 233-234). 49 P. BEAUCHAMP, L’un et l’Autre Testament, 234. 42
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Le Cantique des cantiques
Comme on le verra à la fin de l’ouvrage, la figure d’Ève et Adam, reprise par les amants du Cantique, trouveront leur accomplissement, provisoire encore, dans le récit de la Pâque du Seigneur, définitif enfin dans les « noces de l’Agneau » annoncées par l’Apocalypse. Joseph et ses frères Il est traditionnel de reconnaitre dans la scène où Jésus retrouve ses onze apôtres et leur pardonne après sa résurrection, la figure de Joseph fils de Jacob qui se fait reconnaitre par ses onze frères et leur pardonne à la fin du livre de la Genèse.
Les textes qui accompagnent l’image explicitent le rapport figuratif : Genesis XLV
Gn 45
Fratres suos loseph aspiciens perterritos Illis se notificavit dixitque pavere nolite.
Joseph, voyant ses frères glacés d’épouvante, se fit reconnaître par eux et leur dit : « N’ayez point peur. »
Sic turbatos Christus suos cernens discipulos Illis se manifestavit aitque nolite timere.
Ainsi le Christ, voyant ses disciples bouleversés, se découvrit à eux et leur dit : « Ne craignez point. »
Ego ipse consolabor vos. (Esaie LI)
C’est moi, c’est moi-même qui vous consolerai (Is 51)
Consolabor eos et letificabo. (Hiere XXXI)
Je les consolerai et les réjouirai (Jr 31)
Introduction
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À la suite de l’exégèse typologique des Pères, le parallèle est visualisé dans l’iconographie. Ainsi, à la suite de la Biblia pauperum, les tapisseries de la Chaise-Dieu encadrent une scène évangélique par deux scènes de l’Ancien Testament. Jésus qui retrouve les Onze, est mis en regard avec Joseph et ses onze frères. Il faudrait être sinon aveugle, du moins totalement insensible à l’art de la Bible pour ne pas percevoir les similitudes entre les deux scènes50. Mais notre époque semble requérir plus que le « sentiment », ou même le sens poétique. Elle veut des preuves, ou tout au moins des appuis textuels. Une étude menée selon les procédures de l’analyse rhétorique biblique montre que la dernière séquence de l’Évangile de Matthieu (Mt 27,62–28,20) comprend cinq passages, organisés de manière concentrique : LES AUTORITÉS JUIVES TENTENT L’ange demande aux femmes
Jésus demande aux femmes
LES AUTORITÉS JUIVES TENTENT Jésus demande aux onze
D’EMPÊCHER
LA RÉSURRECTION
D’ANNONCER LA RÉSURRECTION AUX DISCIPLES
DE DIRE À SES FRÈRES D’ALLER EN GALILÉE
DE NIER
LA RÉSURRECTION
27,62-66 28,1-8
9-10
11-15
DE FAIRE DES DISCIPLES DE TOUTES LES NATIONS16-20
Dans le passage central, Jésus apparait aux femmes qui viennent de quitter le tombeau. Curieusement, les paroles qu’il leur adresse, Ne craignez pas ! Allez, annoncez à mes frères de s’en aller en Galilée : c’est là qu’ils me verront (Mt 28,10)
paraissent bien laconiques en comparaison de ce que l’ange venait de leur annoncer : 5
Ne craignez pas, vous ! Car je sais que c’est Jésus le crucifié que vous cherchez. 6 Il n’est pas ici ; car il s’est dressé comme il l’avait dit. Venez ! Voyez l’endroit où il était couché. 7 Vite, étant parties, dites à ses disciples qu’il s’est dressé d’entre les morts. Voici qu’il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez. Voilà : je vous l’ai dit (Mt 28,5b-7).
Et l’on pourrait penser qu’il s’agit là d’une sorte de doublet, d’un résumé bien pauvre, qui ne dit rien de nouveau. Si le centre d’une composition concentrique en constitue la clé de lecture, il y avait de quoi s’étonner que la séquence de 50
Si le personnage de Thomas l’incrédule a une telle importance dans la tapisserie, c’est parce que, dans la scène de droite, non reproduite ici, il est mis en parallèle avec Balaam ; voir R. MEYNET, « Selon les Écritures », 206-210.
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Le Cantique des cantiques
Matthieu soit focalisée sur un épisode aussi pâle au point d’en sembler insignifiant. La première des cinq règles herméneutiques que j’ai proposées dans le Traité de rhétorique biblique s’énonce ainsi : « Cherchez la différence »51. La différence en l’occurrence est tellement énorme qu’elle crève les yeux, comme dit si bien le langage populaire. Il m’a fallu bien du temps pour la découvrir. Alors que l’ange avait dit « dites à ses disciples », Jésus dit « allez annoncer à mes frères ». Un seul mot fait toute la différence. En attribuant à ses disciples le nom de « frères », Jésus, fort discrètement, fidèle ainsi, pour ainsi dire, à la manière évangélique, passe outre leur abandon. En les restituant dans la fraternité qu’ils avaient trahie, Jésus leur accorde son pardon. C’est donc l’ensemble de la séquence qui devra être interprétée à la lumière de la nouveauté qui éclate dans le passage central52. Jésus accomplit la figure de Joseph, dans l’excès qui marque toujours l’accomplissement. Sa traversée de la mort en effet ne fut pas seulement symbolique comme celle de Joseph. Israël sort de la mort sans y être vraiment entré, échappe au Pharaon sans que le Pharaon l’ait saisi, alors que Jésus-Christ donne libre cours jusqu’au bout à la mort et à ses ennemis, excès qui permet à sa victoire d’être définitive et d’arrêter le cours des figures et le cycle de la mort pour son peuple 53 (mon soulignement).
Il faut ajouter que l’histoire de Joseph à la fin de la Genèse ne peut pas ne pas être référée à celle de Caïn et Abel au début du même livre. En sauvant ses frères et en leur pardonnant, Joseph rachète déjà le crime de Caïn54. La Première Lettre de Jean La lettre est tout entière consacrée à la fraternité. Elle est focalisée sur un passage où, en position symétrique, un couple de personnages est mis en rapport d’opposition : Caïn qui tua son frère, et Jésus qui accepta d’être tué, donnant ainsi sa vie pour ses frères (1Jn 3,11-17)55. On voit, par ce dernier exemple, que le lecteur ne fait que découvrir le rapport typologique que l’auteur de la Lettre établit lui-même entre le Christ et Caïn. Encore fallait-il que l’analyse rhétorique biblique lui ait dévoilé ce rapport dans le passage, la position centrale qu’il occupe au cœur de la Lettre et, par conséquent, la fonction de clé de lecture qu’il remplit pour l’ensemble de l’écrit. 51
Traité, 551-561. Voir R. MEYNET, Jésus passe, 385-387. 53 P. BEAUCHAMP, « L’interprétation figurative et ses présupposés », 305. 54 Voir L. ALONSO SCHÖKEL, ¿Dónde está tu hermano ? Textos de fraternidad en el libro del Génesis, ; A. WÉNIN, Joseph ou l’invention de la fraternité (Genèse 37–50), « Un épilogue pour la Genèse », 324-327. 55 Voir J. ONISZCZUK, La première lettre de Jean. La justice des fils, 132-142. 52
Introduction
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S’il en est ainsi, la typologie ne devrait pas être rangée dans le seul domaine de l’interprétation, comme je l’ai fait dans le Traité de rhétorique biblique. C’est en effet une opération qui n’est pas laissée à la fantaisie ou à l’inspiration spirituelle de l’interprète ; elle a et doit avoir son fondement dans les textes. Sans pouvoir être démontrée scientifiquement, comme un théorème mathématique, sans pouvoir être imposée en aucune façon, de même du reste que bien d’autres opérations exégétiques, elle peut être montrée. Elle est communicable, car elle est « raisonnable ». 11
Car ceci est le message que vous avez entendu dès le commencement, que nous nous aimions les uns les autres. 12
Non pas comme CAÏN, qui était du Mauvais et A ÉGORGÉ son frère. Et pour quelle raison l’a-t-il égorgé ? Parce que ses œuvres étaient mauvaises, alors que celles de son frère étaient justes. 13
Et ne vous étonnez pas, frères, si le monde vous hait. 14 Nous nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Qui n’aime pas demeure dans la mort. 15 Quiconque hait son frère, est homicide. Et vous savez que tout homicide n’a pas la vie éternelle en lui demeurant. 16
En ceci nous avons connu l’amour, que LUI A OFFERT SA VIE pour nous, et nous devons offrir notre vie pour nos frères.
17
Si quelqu’un en effet possède les biens de ce monde, s’il voit que son frère est dans le besoin mais exclut sa compassion envers lui, comment l’amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui ?
À ce propos, à la suite d’Henri de Lubac, de Paul Beauchamp et de bien d’autres, il faut réaffirmer que la science, pour respectable, indispensable et admirable qu’elle puisse être, ne saurait avoir le dernier mot. Pour reprendre les mots de Pascal, la « sagesse » et, en définitive, la « charité » sont d’un autre ordre56 : La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité ; car elle est surnaturelle. Tout l’éclat des grandeurs n’a point de lustre pour les gens qui sont dans les recherches de l’esprit. La grandeur des gens d’esprit est invisible aux rois, aux riches, aux capitaines, à tous ces grands de chair. La grandeur de la sagesse, qui n’est nulle sinon de Dieu, est invisible aux charnels et aux gens d’esprit. Ce sont trois ordres différents de genre 57.
56 B. PASCAL, Œuvres complètes, éd. M. Le Guern, 648-650. Le fragment dit « des trois ordres » est le n° 290 dans l’édition de Le Guern (339 dans celle de Sellier, 308 dans celle de Lafuma ; 72 et 793 dans celle de Brunschvicg). 57 Voir R. MEYNET, « Les “trois ordres” de Pascal selon de la rhétorique biblique ».
20
Le Cantique des cantiques
Il y a plus de quarante ans, Paul Beauchamp constatait que « l’édifice des figures bibliques a été longtemps tenu pour un lieu désaffecté »58. Il l’est heureusement de moins en moins. La fréquentation retrouvée des Pères de l’Église, grâce en particulier à la collection des Sources chrétiennes, qui compte aujourd’hui plus de six cents volumes, en a renouvelé l’intérêt et redonné le goût. Si le rapport — et l’unité — des deux Testaments avait toujours été dans le passé et est redevenu de nos jours la question centrale de la théologie biblique, il est clair que l’étude des rapports intertextuels qui les relient acquiert un rôle et un statut qui n’est pas moindre que ceux des autres opérations de la tâche exégétique. Aspect particulier de l’intertextualité, la typologie est elle aussi à compter parmi les nombreuses opérations qui constituent ensemble l’exégèse. Comme toutes les autres, elle doit trouver et affiner les procédures qui lui permettent de se développer de manière sinon scientifique du moins « raisonnable ». Les frontières entre les diverses opérations exégétiques ne sont pas étanches ; certaines peuvent même permettre d’étayer les autres. On aura vu, par les exemples ici présentés, le secours qu’a pu apporter à la lecture typologique l’étude de la composition des textes, selon les lois de la rhétorique biblique et sémitique. Plutôt qu’un exposé des principes de ce genre de lecture et de ses caractéristiques, j’ai préféré montrer concrètement comment elle se pratique ; ce qui n’a pas empêché, au courant de la lecture, de pointer clairement 1) la différence qui ressort sur fond d’identité entre le type et l’antitype, la nouveauté dans le maintien du même, qui peut aller jusqu’à un complet renversement, signe de l’excès qui marque l’accomplissement ; 2) la répétitivité, indispensable pour que les reprises successives fassent sens ; 3) enfin la corporéité, la typologie ne mettant pas en rapport des idées, mais des évènements et surtout des personnages, leurs actions et leur histoire. Beaucoup de nos jours parlent sur la typologie, appelant de leurs vœux sa renaissance, affirmant aussi qu’elle ne peut ni ne doit se contenter de répéter celle des Pères, qu’il faut l’élaborer sur d’autres bases. Peu en revanche disent comment il faudrait faire. Moins encore se risquent à la pratiquer. Ce n’est pas tant de discours globaux et théoriques dont a besoin l’exégèse typologique pour être construite sur des fondations solides, que d’une pratique exigeante et assidue de la lecture des textes. Remerciements Sylvaine Reboul a bien voulu relire mon manuscrit. Son acribie a permis de corriger bien des erreurs. Qu’elle en soit vivement remerciée59.
58
P. BEAUCHAMP, « La figure dans l’un et l’autre Testament », 209. Qu’elle veuille bien me pardonner de continuer à suivre, comme dans les quatre précédents volumes, l’orthographe « modernisée » en 1990, « recommandée » par l’Académie française. Le lecteur ne s’étonnera donc pas de lire « maitre » au lieu de « maître », « interpelé » au lieu d’« interpellé », « relai » au lieu de « relais ». 59
SIGLES ET ABRÉVIATIONS AB ACFEB al. AnBib BEThL Bib BFChTh BJ BToSt CEI chap. CivCatt CRB CTNT DBS ed. EstBib EtBib EThL Gr. HTKAT HTKNT Joüon JSOT LBS LeDiv LiBi litt. NICOT NRTh nt. Osty OTL p. par ex. par. RBS RBSem ReBib ReBibSem RhBib RhSem
Anchor Bible Association catholique française pour l’étude de la Bible alii, autres Analecta biblica Biblioteca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium Biblica Beiträge zur Förderung christlicher Theologie Bible de Jérusalem Biblical tools and studies Conferenza episcopale italiana Chapitre La Civiltà cattolica Cahiers de la Revue Biblique Commentario teologico del Nuovo Testamento Dictionnaire de la Bible. Supplément edidit, ediderunt Estudios Bíblicos Études bibliques Ephemerides Theologicae Lovanienses Gregorianum Herders theologischer Kommentar zum Alten Testament Herders theologischer Kommentar zum Neuen Testament P. Joüon, Grammaire de l’hébreu biblique, Rome 1923 Journal for the Study of the Old Testament Library of biblical studies Lectio Divina Lire la Bible littéralement The New International Commentary on the Old Testament Nouvelle Revue Théologique note La Bible, trad. É. Osty, Paris 1973 Old Testament Library page(s) par exemple Paragraphe Société internationale pour l’étude de la Rhétorique Biblique et Sémitique Rhetorica Biblica et Semitica (Peeters) Retorica biblica Retorica biblica e semitica Rhétorique biblique (Cerf) Rhétorique sémitique (Lethielleux, Gabalda)
22 RSR SBL SC SBT Traité TOB trad. v. vol. VT VT.S WBC ZAW
Le Cantique des cantiques Recherches de science religieuse Society of Biblical Literature Sources chrétiennes Studies in Biblical Theology R. Meynet, Traité de rhétorique biblique, RhSem 4, Paris 2007 ; RhSem 12, Pendé 2013 Traduction Œcuménique de la Bible traduction verset(s) volume(s) Vetus Testamentum Vetus Testamentum. Supplement Word Biblical Commentary Zeitschrift für die Alttestamentliche Wissenschaft
Les commentaires ne sont cités que par le nom de l’auteur (ou des auteurs) en minuscules, suivi des numéros de page(s). Ex. : Robert – Tournay, 151 ; Ravasi, 210-213. Les abréviations des livres bibliques sont celles de La Bible de Jérusalem (BJ).
LEXIQUE DES TERMES TECHNIQUES
1. TERMES QUI DÉSIGNENT LES UNITÉS RHÉTORIQUES Il arrive souvent, dans les ouvrages d’exégèse, que les termes « section », « passage », mais surtout « morceau », « partie »..., ne soient pas utilisés de façon univoque. Voici la liste des termes qui désignent les unités textuelles à leurs niveaux successifs. LES NIVEAUX « INFÉRIEURS » (OU NON AUTONOMES) À part les deux premières (le terme et le membre), les unités de niveau inférieur sont formées de une, deux ou trois unités du niveau précédent. TERME
le terme correspond en général à un « lexème », ou mot qui appartient au lexique : substantif, adjectif, verbe, adverbe.
MEMBRE
le membre est un syntagme, ou groupe de « termes » liés entre eux par des rapports syntaxiques étroits. Le « membre » est l’unité rhétorique minimale ; il peut arriver que le membre comporte un seul terme (le terme d’origine grecque est « stique »).
SEGMENT
le segment comprend un, deux ou trois membres ; on parlera de segment « unimembre » (le terme d’origine grecque est « monostique »), de segment « bimembre » (ou « distique ») et de segment « trimembre » (ou « tristique »).
MORCEAU
le morceau comprend un, deux ou trois segments.
PARTIE
la partie comprend un, deux ou trois morceaux.
LES NIVEAUX « SUPÉRIEURS » (OU AUTONOMES) Ils sont tous formés soit d’une, soit de plusieurs unités du niveau précédent. PASSAGE
le passage — l’équivalent de la « péricope » des exégètes — est formé d’une ou de plusieurs parties.
SÉQUENCE
la séquence est formée d’un ou de plusieurs passages.
SECTION
la section est formée d’une ou de plusieurs séquences.
LIVRE
enfin le livre est formé d’une ou de plusieurs sections.
24
Le Cantique des cantiques
Il est quelquefois nécessaire d’avoir recours aux niveaux intermédiaires de la « sous-partie », de la « sous-séquence » et de la « sous-section » ; ces unités intermédiaires ont la même définition que la partie, la séquence et la section. VERSANT
ensemble textuel qui précède ou qui suit le centre d’une construction ; si le centre est bipartite, le versant correspond à chacune des deux moitiés de la construction.
2. TERMES QUI DÉSIGNENT LES RAPPORTS ENTRE LES UNITÉS SYMÉTRIQUES SYMÉTRIES TOTALES CONSTRUCTION PARALLÈLE
figure de composition où les unités en rapport deux à deux sont disposées de manière parallèle : A B C D E | A’B’C’D’E’. Quand deux unités parallèles entre elles encadrent un élément unique, on parle de parallélisme pour désigner la symétrie entre ces deux unités, mais on considère l’ensemble (l’unité de niveau supérieur) comme une construction concentrique : A | x | A’. Pour « construction parallèle », on dit aussi « parallélisme » (qui s’oppose à « concentrisme »).
CONSTRUCTION SPÉCULAIRE
figure de composition où les unités en rapport deux à deux sont disposées de manière antiparallèle ou « en miroir » : A B C D E | E’D’C’B’A’. Comme la construction parallèle, la construction spéculaire n’a pas de centre ; comme la construction concentrique, les éléments en rapport se correspondent en miroir. Quand la construction ne comprend que quatre unités, on parle aussi de « chiasme » : A B | B’A’.
CONSTRUCTION CONCENTRIQUE
figure de composition où les unités symétriques sont disposées de manière concentrique : A B C D E | x | E’D’C’B’A’, autour d’un élément central (cet élément peut être une unité de l’un quelconque des niveaux de l’organisation textuelle). Pour « construction concentrique », on peut aussi dire « concentrisme » (qui s’oppose à « parallélisme »).
CONSTRUCTION ELLIPTIQUE
figure de composition où les deux foyers de l’ellipse articulent les autres unités textuelles : A | x | B | x | A’.
Lexique des termes techniques
25
SYMÉTRIES PARTIELLES TERMES INITIAUX
termes ou syntagmes identiques ou semblables qui marquent le début d’unités textuelles symétriques ; l’« anaphore » de la rhétorique classique.
TERMES FINAUX
termes ou syntagmes identiques ou semblables qui marquent la fin d’unités textuelles symétriques ; l’« épiphore » de la rhétorique classique.
TERMES EXTRÊMES termes ou syntagmes identiques ou semblables qui marquent les extrémités d’une unité textuelle ; l’« inclusion » de l’exégèse traditionnelle. TERMES MÉDIANS
termes ou syntagmes identiques ou semblables qui marquent la fin d’une unité textuelle et le début de l’unité qui lui est symétrique ; le « mot-crochet » ou « mot-agrafe » de l’exégèse traditionnelle.
TERMES CENTRAUX termes ou syntagmes identiques ou semblables qui marquent les centres de deux unités textuelles symétriques. Pour plus de détails, voir R. MEYNET, Traité de rhétorique biblique, RhSem 11, Pendé 2013. PRINCIPALES RÈGLES DE RÉÉCRITURE – à l’intérieur du membre, les termes sont généralement séparés par des blancs ; – chaque membre est généralement réécrit sur une seule ligne ; – les segments sont séparés par une ligne blanche ; – les morceaux sont séparés par une ligne discontinue ; – la partie est délimitée par deux filets ; il en va de même pour les sous-parties. – à l’intérieur du passage, les parties sont encadrées (sauf si elles sont très courtes, comme une introduction ou une conclusion) ; les éventuelles sousparties sont disposées dans des cadres contigus ; – à l’intérieur de la séquence ou de la sous-séquence, les passages, réécrits en prose, sont disposés dans des cadres séparés par une ligne blanche ; – à l’intérieur de la séquence, les passages d’une sous-séquence sont disposés dans des cadres contigus. Sur les règles de réécriture, voir Traité, chap. 5, 283-344 (sur la réécriture des tableaux synoptiques, voir chap. 9, 471-506).
PERSPECTIVE CAVALIÈRE DE L’ENSEMBLE DU CANTIQUE
Après le titre (1,1), le livre est organisé en trois sections : A : PRÉLUDE
1,2–2,17
B : LE GRAND DIALOGUE AMOUREUX
3,1–7,11
C : POSTLUDE
7,12–8,14
La première et la dernière section sont formées chacune de trois séquences, qui jouent le rôle de prélude et de postlude. Nettement plus développée, la section centrale comprend cinq séquences où les deux amants prennent la parole tour à tour : B1 : ELLE SAISIT
l’amour de son âme
qui monte
B2 : Tu es belle, ma compagne ; du Liban
du désert
3,1-11
tu viendras
4,1-15
B3 : Le duo de la compagne et de son bien-aimé
B4 : ELLE CHERCHE
son bien-aimé
qui descend dans son jardin
B5 : Tu es belle, ma compagne ; au jardin
je suis descendu
4,16–5,1
5,2–6,3
6,4–7,11
CANTIQUE DES CANTIQUES QUI EST DE SALOMON Le titre du livre : Ct 1,1
30
Le Cantique des cantiques
TEXTE « CANTIQUE DES CANTIQUES » La construction syntaxique est la même que celle de « vanité des vanités » (Qo, 1,2), « cieux des cieux » (1R 8,27), « roi des rois » (Ez 26,7), « Dieu des dieux, Seigneur des seigneurs » (Dt 10,17), « Saint des saints » (Ex 26,33). C’est une expression classique du superlatif : le plus beau des cantiques, le cantique par excellence.
CONTEXTE « QUI (EST) DE SALOMON » Comme le livre des Proverbes (« Proverbes de Salomon, fils de David, roi d’Israël ») et comme celui de Qohélet (« Paroles de Qohélet, fils de David, roi à Jérusalem »), le Cantique des cantiques est mis par la tradition sous l’autorité du roi Salomon. La pseudonymie était courante à l’époque. Plus tard encore, le livre de la Sagesse, écrit en grec, sera placé lui aussi sous son patronage. Le nom de Salomon reviendra six autres fois dans la suite du livre, ce qui fait donc un total de sept (1,1.5 ; 3,7.9.11 ; 8,11.12), le chiffre de la totalité.
INTERPRÉTATION Heureux sans doute celui qui entre dans le Saint, mais bien plus heureux celui qui entre dans le Saint des Saints [...]. Heureux également celui qui comprend les cantiques et les chante — personne, en effet, ne chante qui ne soit en fête — mais bien plus heureux celui qui chante le Cantique des cantiques1.
1
ORIGÈNE, Homélies sur le Cantique des cantiques, 65.
PRÉLUDE La première section Ct 1,2–2,17
32
Le Cantique des cantiques
La première section comprend trois séquences, deux plus développées qui encadrent une séquence nettement plus courte :
A1 : ELLE CHERCHE
SON BIEN-AIMÉ
A2 : Petit duo d’amour
A3 : IL RÉPOND À
SA COMPAGNE
1,2-14
1,15–2,3b
2,3c-17
1. Elle cherche son bien-aimé Séquence A1 : 1,2-14 Cette séquence comprend cinq passages organisés de manière concentrique. Dans les chambres du Roi,
Je suis charmante
la senteur de ses parfums
comme les tentures
m’enivre
de Salomon
Où feras-tu paitre ? — Près de la demeure des pasteurs Tu es comme ma cavale
Dans l’enclos
du Roi,
parmi les chars
la senteur de mon nard
de Pharaon
l’enivre
1,2-4
5-6 7-8 9-11
12-14
A. DANS LES CHAMBRES DU ROI LA SENTEUR DE SES PARFUMS M’ENIVRE (1,2-4) TEXTE 1,2 Qu’il me baise des baisers de sa bouche ; car bonnes tes caresses plus que le vin, 3 pour la senteur tes parfums (sont) bons, un parfum qui s’épanche ton nom. C’est pourquoi les 4 Entraîne-moi après toi, courons ! Il me fait venir le roi dans ses jeunes filles t’aiment. chambres ; exultons et réjouissons-nous en toi, célébrons tes caresses plus que le vin. Avec raison (elles) t’aiment ! V. 2
: « TES CARESSES »
La Septante traduit par « seins », mais le Ct utilise un autre terme dans ce sens, šad (1,13, 4,5 ; 7,4 ; etc.). Le terme dōdîm est le pluriel de dôd, qui signifie l’oncle paternel, mais aussi son fils, qui représente l’époux idéal, le « bienaimé », et par conséquent aussi les manifestations de l’amour, rendues par « les caresses »1 ; il aurait pu être rendu par « amours », mais c’est ’ahăbâ qui sera traduit par « amour » (voir 3b.4c.7a). 1
Voir, par ex., Barbiero, 64.80-81.
34
Le Cantique des cantiques
V. 3
: « QUI S’ÉPANCHE »
Le terme tûraq fait difficulté et diverses possibilités ont été envisagées. En suivant l’interprétation des anciennes versions, il s’agit de l’inaccompli hophal de rîq, « répandre ». V. 4
: « AVEC RAISON (ELLES) T’AIMENT »
Le premier terme du dernier segment, mêšārîm, toujours au pluriel, signifie « droiture » (Pr 1,3). La Vulgate, de même que la Siriaque et le Targum, le traduisent par recti, « les (hommes) droits », le pendant masculin des « jeunes filles » de 3c ; la plupart lui reconnaissent une valeur adverbiale. Le verbe, identique à celui par lequel s’achève le verset 3, peut être masculin ou féminin ; son sujet est sans doute le même, car si, par la suite, le groupe des « filles de Jérusalem » apparaitra plusieurs fois (2,7 ; 3,5.11 ; 5,8-9 ; 6,1 ; 8,4), il ne sera pas question d’un groupe similaire de garçons.
COMPOSITION DU PASSAGE + 1,2 Qu’il me baise – car bonnes – 3 pour la senteur – un parfum = C’est pourquoi
des baisers
de sa bouche ;
tes CARESSES tes parfums qui s’épanche
plus que le vin, (sont) bons, ton nom.
les jeunes filles
T’AIMENT.
···························································································· 4 ENTRAÎNE-moi APRÈS toi, courons ! » ····························································································
+ Il me fait venir – exultons – célébrons = Avec raison
le roi
dans ses chambres ;
et réjouissons-nous tes CARESSES
en toi, plus que le vin.
(elles)
T’AIMENT.
Les morceaux extrêmes commencent avec un unimembre (2a.4b). Ce sont les seuls endroits où la première personne (« me ») est en relation avec une troisième personne (« sa/ses ») ; la bien-aimée ne s’adresse pas à lui mais parle de lui, au début en souhaitant qu’il l’aime, ensuite en constatant qu’il a cédé à ses avances. Aux extrémités des seconds segments revient le syntagme « tes caresses plus que le vin » (2b.4d). En conclusion (3c.4e), les seuls segments où est utilisée la troisième personne plurielle commune, qui se réfère à des personnes dont il n’est pas question ailleurs. Le segment central (4a) est le seul qui comprend un impératif de seconde personne singulier ; cet impératif est adressé au bien-aimé auquel sa compagne s’était mise à parler à partir de 2b. Il est suivi par un autre volitif (un cohortatif) à la
Séquence A1 (1,2-14)
35
première personne du pluriel. Ainsi les deux personnes pour ainsi dire séparées dans la première phrase (« entraîne-moi / après toi ») sont unies dans la deuxième. Les trois morceaux commencent avec un verbe qui régit le pronom suffixe de première personne, et ce sont les trois seules occurrences de ce pronom dans le passage. L’impératif de première personne du pluriel, qui apparaît pour la première fois au centre, sera repris trois fois au cœur du troisième morceau.
CONTEXTE LE BAISER DE LA VIE Après avoir modelé l’humain avec la poussière du sol, « il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’humain devint un être vivant » (Gn 2,6). Il ne s’agit pas proprement de baiser, mais la vie sort de la bouche de Dieu et se produit pour la première fois le contact entre le visage de Dieu et celui de l’homme. LE BAISER DE LA MORT. Le baiser donné aux idoles porte à la mort. Le Seigneur dit à Élie : Celui qui échappera à l’épée de Hazaël, Jéhu le fera mourir, et celui qui échappera à l’épée de Jéhu, Élisée le fera mourir. Mais j’épargnerai en Israël sept milliers, tous les genoux qui n’ont pas plié devant Baal et toutes les bouches qui ne l’ont pas baisé (1R 19,17-18).
C’est par un baiser que Judas trahit Jésus, indiquant aux sbires qui l’accompagnent celui dont ils doivent s’emparer (Mt 26,49). « EXULTONS ET RÉJOUISSONS-NOUS » L’expression est utilisée dans le dernier psaume du Hallel égyptien : « Celuici est le jour que fit le Seigneur, exultons et réjouissons-nous en lui » (Ps 118,24) ; elle revient aussi en Is 25,9 : « Lui est Yhwh, nous avons espéré en lui. Exultons et réjouissons-nous dans son salut ». DE LA BOUCHE À LA BOUCHE Ceux que Dieu envoie vers son peuple pour porter sa parole, ses prophètes s’en croient incapables et trouvent des excuses. Le premier fut Moïse : 10
Moïse dit à Yhwh : « Excuse-moi, mon Seigneur, je ne suis pas doué pour la parole, ni d’hier ni d’avant-hier, ni même depuis que tu adresses la parole à ton serviteur, car ma bouche et ma langue sont pesantes. » 11 Yhwh lui dit : « Qui a doté l’homme d’une bouche ? Qui rend muet ou sourd, clairvoyant ou aveugle ? N’est-ce pas moi, Yhwh ? 12 Va maintenant, je serai avec ta bouche et je t’indiquerai ce que tu devras dire » (Ex 4).
36
Le Cantique des cantiques
Il en fut de même pour Isaïe (Is 6,5-9) et pour Jérémie : 6
Et je dis : « Ah ! Seigneur Yhwh, vraiment, je ne sais pas parler, car je suis un enfant ! » 7 Mais Yhwh répondit : Ne dis pas : « Je suis un enfant ! » car vers tous ceux à qui je t’enverrai, tu iras, et tout ce que je t’ordonnerai, tu le diras [...] 9 Alors Yhwh étendit la main et me toucha la bouche ; et Yhwh me dit : Voici que j’ai placé mes paroles en ta bouche » (Jr 1).
INTERPRÉTATION DE BUT EN BLANC Le Cantique n’est pas un récit où les personnages sont d’abord présentés et campés dans le décor de leur action. C’est un poème, un poème d’amour qui commence in medias res. Une femme dont on ne sait pas le nom s’adresse à un homme dont on apprendra bientôt qu’il s’agit d’un roi (4b), en tout cas d’un roi pour elle. D’entrée de jeu elle réclame les baisers de sa bouche. On ne saurait être plus direct ! DE LA SÉPARATION À L’UNION Le passage de la séparation à l’union, qui est si fortement marqué entre les deux phrases du morceau central, est emblématique du mouvement de tout le passage ; c’est comme un résumé dans un cri, dans un appel, comme une déclaration d’amour. Dans le premier morceau elle lui dit simplement qu’il est aimable. Bien sûr, le lecteur sait ce qu’elle désire (2a) mais cela n’est pas dit au bien-aimé et il ne l’entend pas ; c’est comme une parole intérieure, qu’elle se dit à elle-même. Au centre, en revanche, elle se déclare. Dès le début du troisième morceau, on apprend qu’il a accepté son invitation, puisqu’il l’a introduite en ses appartements ; elle peut alors laisser parler son cœur et célébrer l’union de leur amour. LE BAISER DE SA BOUCHE La bouche est l’organe de la vie. C’est de la bouche que sort le premier cri du nouveau-né, c’est de la bouche qu’il reçoit la vie quand il tète le lait de sa mère. Devenu adulte, c’est de sa bouche qu’il savoure le vin qui réjouit son cœur. Et c’est surtout du bouche à bouche qu’il échange non seulement les baisers, mais aussi et surtout qu’il partage la parole qui fait vivre. Car « l’homme ne vit pas seulement de pain mais l’homme vit de tout ce qui sort de la bouche de Dieu » (Dt 8,3). Tout le Cantique ne sera en somme qu’un long baiser entre le bienaimé et sa compagne, un échange de paroles à la recherche de la vie.
Séquence A1 (1,2-14)
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UNE PAROLE PROPHÉTIQUE NOUVELLE Moïse, le plus ancien des prophètes, ainsi qu’Isaïe et Jérémie en des temps plus récents, tentaient de se dérober à la mission que le Seigneur entendait leur confier en trouvant des excuses analogues. Comme si la parole leur faisait peur. La bienaimée du Cantique, au contraire, bien loin de se dérober, souhaite de tout son cœur l’échange du baiser où elle boira le vin enivrant de la parole de celui qu’elle considère comme son « roi ». Elle n’attend pas qu’il prenne l’initiative, c’est elle qui prend les devants. Et cela, sans attendre, dès ses premiers mots.
B. JE SUIS CHARMANTE COMME LES TENTURES DE SALOMON (1,5-6) TEXTE 1,5 Noire moi mais charmante, filles de Jérusalem, comme les tentes de Qédar, comme les tentures de Salomon. 6 Ne me regardez pas que moi (je suis) noircie : c’est que m’a brûlée le soleil. Les fils de ma mère se sont enflammés contre moi, ils m’ont mise gardienne des vignes : ma vigne à moi, je ne l’avais pas gardée ! V. 5
: « LES TENTURES DE SALOMON »
Plusieurs proposent de changer « Salomon » en « Salma »2, pour avoir un parallélisme plus direct entre les tribus arabes de Qédar et les nomades de Salma. Il n’y a aucune raison de changer le texte massorétique. V. 6
: « VIGNE(S) »
Le terme kerem désigne un enclos où l’on cultive plusieurs espèces d’arbres et de plantes, dont la vigne ; on pourrait le traduire par « vergers ». Jg 15,5 parle d’un kerem zāyit, « un verger d’oliviers ». On a choisi de le rendre par « vigne » ; quant à gepen, il sera traduit par « ceps ».
2
Ainsi, par ex., Ravasi, 165.
38
Le Cantique des cantiques
COMPOSITION DU PASSAGE + 1,5 NOIRE + FILLES = comme les tentes :: comme les tentures
MOI
mais charmante,
de Jérusalem, de Qédar, de Salomon.
··········································································································· que MOI (je suis) NOIRCIE :
– 6 Ne me regardez pas – (c’est) que m’a brûlée = LES FILS = ils m’ont mise :: ma vigne
le soleil ; de ma mère gardienne à moi,
se sont enflammés contre moi, des vignes : je ne l’avais pas gardée !
En 5a « charmante » s’oppose à « noire », c’est-à-dire « basanée » ; cette déclaration est adressée aux filles de la capitale, au teint certainement plus clair que ceux des filles de la campagne. Les tentes de Qédar, tribus arabes nomades, faites de peaux de chèvres brunes, correspondent à « noire », tandis que la deuxième partie de la comparaison, « comme les tentures de Salomon » (5d) renvoie à « charmante » (5a). Le deuxième morceau donne la raison pour laquelle la bien-aimée est « noircie » : « gardienne des vignes » (6d), le soleil l’a brûlée (6b). Ses frères l’auraient punie pour sa négligence ; ainsi « se sont enflammés contre moi » correspond à « m’a brûlée ». Au début des morceaux, « moi » est répété et « noircie » (6a) renvoie à « noire » (5a) ; « les fils » (6c) rappelle « filles » (5b).
CONTEXTE QÉDAR Qédar est une tribu nomade arabe vivant loin au sud d’Israël. Ce sont des pillards, redoutables archers. Is 21,16-17 annonce leur défaite : 16
Car ainsi m’a parlé le Seigneur : Encore une année comme des années de mercenaire, et c’en est fait de toute la gloire de Qédar. 17 Et du nombre des vaillants archers, des fils de Qédar, il ne restera presque rien, car Yhwh, Dieu d’Israël, a parlé (voir aussi Jr 49,28-33).
Dans le Ps 120, Méshek est mis en parallèle avec Qédar : « Malheur à moi que j’habite Méshek, que je demeure avec les tentes de Qédar ! » (5). Méshek étant le nom d’une population située très au nord d’Israël, au sud de la mer Noire, ces deux populations désigneraient les limites nord et sud des contrées où les fils d’Israël ont été déportés.
Séquence A1 (1,2-14)
39
LES TENTURES DE SALOMON Le terme yerî‘â est utilisé en Ex 26 et 36 pour désigner les tentures du temple. Ces tapisseries étaient « de fin lin retors, de pourpre violette et écarlate et de cramoisi. Tu les feras brodées de chérubins » (Ex 26,1 ; 36,8).
INTERPRÉTATION « MA VIGNE À MOI, JE NE L’AVAIS PAS GARDÉE ! » Cette assertion est généralement comprise comme une constatation, comme un fait avéré qui avait, à juste titre, causé la colère des frères, outrés que leur jeune sœur n’ait pas su préserver sa vertu. Dans sa bouche, ce serait une véritable confession. Ainsi un commentateur traduit3 : 1,6 Ils m’ont mise à garder les vignes ; Parce que, c’est vrai, je le confesse, ma vigne à moi... je ne l’avais pas gardée !
À l’appui de cette interprétation, on se réfère au chant de la vigne infidèle de Is 5 et à l’épouse adultère d’Os 2,14. Toutefois, une autre lecture est possible. Ce peut être en effet la raison avancée par les frères pour la décision qu’ils ont prise de punir leur sœur, raison qui ne correspond pas à la vérité. La jeune fille n’est pas devenue noire « comme les tentes de Qédar », elle est restée charmante « comme les tentures de Salomon ». Une telle interprétation est soutenue par le contexte, à commencer par celui de la séquence. Si l’on voulait lever l’ambiguïté, il serait possible de traduire : « ma vigne à moi, je ne l’aurais pas gardée », comme le prétendent mes frères.
C. OÙ FERAS-TU PAITRE ? PRÈS DES DEMEURES DES PASTEURS (1,7-8) TEXTE 1,7 Dis-moi, (toi) qu’aime mon âme : Où feras-tu paitre, où feras-tu reposer à midi ? Pourquoi serais-je comme une vagabonde, près des troupeaux de tes collègues ? 8 Si point ne sais pour toi, la belle parmi les femmes, suis pour toi les traces des brebis ; et faispaitre tes cabris près des demeures des pasteurs.
3
Arminjon, 97.
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Le Cantique des cantiques
V. 7E
: « TES COLLÈGUES »
Ce terme (ḥāber) n’est utilisé que dans les sections extrêmes (1,7 ; 8,13) ; la traduction par « collègue » a été retenue pour distinguer ces personnages des « compagnons » (rēa’) en 5,1.16. V.8D
: « CABRIS »
« Cabris » a été préféré à son synonyme « chevreaux », pour respecter, par l’assonance, le rapport avec « En-gaddi », litt. « la source du cabri » (1,14). COMPOSITION DU PASSAGE + 1,7 Dis + (TOI) QU’AIME
à moi, MON ÂME :
:: Où :: où
FERAS-TU PAITRE, feras-tu reposer
= Pourquoi = PRÈS des troupeaux
serais-je de tes collègues ?
à midi ? comme une voilée,
······················································································································
+ 8 Si point + LA BELLE
ne sais pour toi, PARMI LES FEMMES,
:: suis :: les traces
pour toi des brebis ;
= et FAIS-PAITRE = PRÈS des demeures
tes cabris des PASTEURS.
Les deux questions que pose la compagne dans le premier morceau sont complémentaires : si elle ne sait pas où celui qu’elle aime s’occupera de son troupeau, le faisant paitre (7c) puis le faisant reposer (7d), elle devra errer auprès de ses collègues (7ef). Le pluriel de « collègues » à la fin s’oppose au singulier de celui qu’elle aime au début. Dans le deuxième morceau, le bien-aimé répond à chacune des deux questions, dans le même ordre. Les deux morceaux se correspondent en parallèle. Les premiers membres s’achèvent par une apostrophe qui comprend deux termes (7b.8b) ; ces apostrophes jouent le rôle de termes initiaux. En termes finaux, deux compléments de lieu introduits par la même préposition (7f.8f). « Faire-paitre » revient dans chaque morceau (7c.8e) suivi en 8f par « pasteurs » qui est de même racine.
Séquence A1 (1,2-14)
41
CONTEXTE TAMAR JOUE LA PROSTITUÉE Afin de se faire passer pour une prostituée, Tamar, la belle-fille de Juda, se voile : 14
Alors, elle quitta ses vêtements de veuve, elle se couvrit d’un voile, s’enveloppa et s’assit à l’entrée d’Énayim, qui est sur le chemin de Timna. Elle voyait bien que Shéla était devenu grand et qu’elle ne lui avait pas été donnée pour femme. 15 Juda l’aperçut et la prit pour une prostituée, car elle s’était voilé le visage. 16 Il se dirigea vers elle sur le chemin et dit : « Laisse, que j’aille avec toi ! » Il ne savait pas que c’était sa belle-fille (Gn 38).
INTERPRÉTATION LA CRAINTE DU QU’EN DIRA-T-ON ? La bergère veut savoir exactement où se trouve son bien-aimé, pour ne pas risquer d’errer à sa recherche parmi les troupeaux de ses collègues. Ceux-ci, en effet, pourraient la prendre pour une femme de rien, qui cherche l’aventure. Elle tient au contraire à pouvoir le rejoindre directement, à coup sûr, sans avoir à se renseigner auprès d’inconnus. UNE CONFIANCE ABSOLUE La réponse qui lui est adressée surprend : elle semble une fin de non-recevoir. On y a même perçu de l’ironie, tant que certains l’ont attribuée non pas au bienaimé mais à d’autres, à un chœur d’hommes, qui ferait pendant à celui des filles de Jérusalem4. Une autre interprétation est possible, plus en convenance avec le contexte, comme on le verra plus tard. Le bien-aimé n’a pas la moindre préoccupation ni sur la vertu de sa compagne, ni sur sa capacité à se faire respecter par quiconque, en particulier de ses collègues, les autres pasteurs. « Tout se passe comme s’il ne voulait pas d’une rencontre furtive, clandestine : il veut être reconnu d’entre ses compagnons et devant eux, en plein midi »5.
4 5
Ainsi, Barbiero, 74 ; Ravasi, 177 ; TOB, ad loc. P. BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament, II, 171
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Le Cantique des cantiques D. TU ES COMME MA CAVALE PARMI LES CHARS DE PHARAON (1,9-11)
TEXTE 1,9 À ma cavale parmi les chars de Pharaon, je te compare, ma compagne. 10 Charmantes 11 des pendeloques d’or nous tes joues entre les pendeloques, ton cou dans les colliers ; ferons pour toi avec des globules d’argent. V. 10A.11A
: « PENDELOQUES »
La Septante a compris le terme tôr comme signifiant « tourterelle » (Lv 1,14, 5,7). Le seul autre emploi de ce terme en Est 2,12.15 indique « le tour » pour une femme du harem d’être appelée par le roi pour la nuit. Il semble donc s’agir de choses rondes, et l’on traduit souvent par « pendeloques », qui est plus général que « boucles d’oreilles », préféré par d’autres. V. 10B : « LES COLLIERS
»
Comme le terme précédent, le sens de ḥărûzîm n’est pas certain, d’autant plus que c’est un hapax. On le rend par « colliers ».
COMPOSITION DU PASSAGE + 1,9 À ma cavale + je te compare,
parmi les chars ma compagne.
de Pharaon,
:: 10 Sont charmantes – ton cou
tes joues dans les colliers ;
entre les pendeloques,
:: 11 des pendeloques – avec des chaines
d’or d’argent.
nous ferons pour toi
Dans le premier segment, le bien-aimé compare sa compagne, comme il était de coutume, à une jument, qualifiée comme étant du niveau de la cavalerie de Pharaon. Les deux segments suivants opposent les « pendeloques » et les « colliers » – « les chaines » qui ornent déjà les « joues » et le « cou » de la bien-aimée (10) et ceux qu’on lui fera faire, en « or » pour les « pendeloques », en « argent » pour les « chaines » (11).
Séquence A1 (1,2-14)
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CONTEXTE LES CHARS DE PHARAON Pour sa vaste charrerie, Salomon se fournissait en chars et en chevaux en Égypte : « 26 Salomon rassembla des chars et des chevaux ; il eut mille quatre cents chars et douze mille chevaux [...] 29 Un char était livré d’Égypte pour six cents sicles d’argent ; un cheval en valait cent cinquante » (1R 10).
INTERPRÉTATION LA CAVALE D’ÉGYPTE Les chevaux de guerre ne sont pas de placides animaux de trait. Ce sont des bêtes nobles et fières qui ne se laissent pas intimider facilement, qui n’obéissent qu’à leur maitre. Le harnachement de leur tête est rehaussé d’ornements qui témoignent de la valeur qu’on leur reconnait et qui sont censés impressionner l’ennemi. LES BIJOUX DE LA COMPAGNE À la vigueur de la cavale, son bien-aimé ajoutera la richesse de ses bijoux. Sa noblesse naturelle se doit d’être ornée par les métaux les plus précieux, l’or des pendeloques et l’argent de ses colliers. Son bien-aimé ne laissera à personne d’autre le soin de lui manifester ainsi le prix qu’elle revêt à ses yeux. Il n’est pas besoin, au contraire, d’imaginer l’intervention d’un quelconque chœur qui lui promettrait ces marques d’honneur6.
6
Barbiero, 79.
44
Le Cantique des cantiques E. DANS L’ENCLOS DU ROI, LA SENTEUR DE MON NARD L’ENIVRE (1,12-14)
TEXTE 1,12 Tandis que le roi est en son enclos, mon nard donne sa senteur ; 13 un sachet de myrrhe 14 une grappe de henné mon bien-aimé, mon bien-aimé, entre mes seins il passe-la-nuit ; dans les vignes d’En-Gaddi. V. 12A : « SON ENCLOS
»
Le sens de mēsab est discuté. Pour certains, il s’agit du lit sur lequel s’étendaient les convives d’un banquet7. Pour d’autres, d’après le sens de la racine qui indique quelque chose de rond, ce serait simplement son enclos ; ce sens pourrait être appuyé par le rapport entre les passages extrêmes de la séquence, où « son enclos » correspond à « ses chambres » (4).
COMPOSITION DU PASSAGE – 1,12 Tandis que – mon nard
le roi (est) donne
en son enclos, sa senteur.
+ 13 Un sachet : entre
de myrrhe mes seins
mon bien-aimé pour moi, il passe-la-nuit ;
+ 14 une grappe : dans les vignes
de henné d’En -
mon bien-aimé pour moi Gaddi.
Dans le premier segment il est question du parfum de la bien-aimée. Dans les premiers membres des deux segments suivants, tout à fait parallèles, c’est « le roi » « bien-aimé » qui est comparé à deux parfums, la « myrrhe » et le « henné ». Le dernier membre peut être interprété comme le lieu où pousse le henné. Mais le parallélisme invite, semble-t-il, à considérer que les seconds membres des deux derniers segments sont complémentaires, « dans les vignes d’En-Gaddi » (14b) étant le complément de lieu de « il passe-la-nuit » (13b). On notera aux extrémités les deux compléments de lieu, « en son enclos » et « dans les vignes d’En-Gaddi ».
7
Voir surtout Ravasi, 196 ; Gollwitzer, 35 ; Barbiero, 80.
Séquence A1 (1,2-14)
45
CONTEXTE LES PARFUMS D’EN-GADDI L’oasis d’En-Gaddi, sur la rive occidentale de la mer Morte était réputée pour les parfums qui y étaient préparés8. LE NARD Dans l’Ancien Testament, le nom de ce parfum ne se trouve que dans le Cantique (ici et en 4,13.14). Il est employé dans le récit de l’onction de Béthanie (Mc 14,3 ; Jn 12,3)9.
INTERPRÉTATION UNE IVRESSE PARTAGÉE C’est d’abord elle qui offre son nard, le plus précieux de ses parfums, à son bien-aimé. Ce faisant, c’est elle tout entière qui se donne à lui. En réponse, son ami s’abandonne toute la nuit comme un sachet de myrrhe entre ses seins. Et ils goûtent ensemble l’ivresse parfumée dans les vignes d’En-Gaddi.
8
Ravasi, 202. Pour le nard, comme pour les autres parfums mentionnés dans le Cantique, voir l’article d’É. COTHENET, « Parfums », dans le DBS. 9
46
Le Cantique des cantiques F. ELLE CHERCHE SON BIEN-AIMÉ (1,1-14)
COMPOSITION DE LA SÉQUENCE 1,2 Qu’il me baise des baisers de sa bouche ; car bonnes sont TES CARESSES plus que 3 LE VIN, pour la SENTEUR tes parfums sont bons, un parfum qui s’épanche ton nom. C’est pourquoi les jeunes filles T’AIMENT. 4 Entraîne-moi après toi, courons ! LE ROI m’a fait-venir dans ses chambres. Exultons et réjouissons-nous en toi, célébrons TES CARESSES plus que LE VIN. À raison (elles) T’AIMENT. 5
(Je suis) noire moi mais CHARMANTE, filles de Jérusalem, comme les tentes de Qédar, comme LES TENTURES DE SALOMON. 6 Ne me regardez pas que moi (je suis) noircie : c’est que m’a brûlée le soleil. Les fils de ma mère se sont enflammés contre moi, ils m’avaient mise gardienne DES VIGNES ; MA VIGNE à moi, je ne l’avais pas gardée ! 7
Dis-moi, (toi) QU’AIME mon cœur : Où feras-tu paitre, où feras-tu reposer à midi ? Pourquoi serais-je comme une vagabonde, près des troupeaux de tes collègues ? 8
Si point tu ne sais pour toi, la BELLE parmi les femmes, suis pour toi les traces des brebis ; et fais-paitre tes CABRIS près des demeures des pasteurs. 9
À ma cavale, parmi LES CHARS DE PHARAON, je te compare, ma compagne. Sont CHARMANTES tes joues entre les pendeloques, ton cou dans les colliers ; 11 des pendeloques d’or nous te ferons avec des chaines d’argent. 10
12
Tandis que LE ROI (est) en son enclos, mon nard donne sa SENTEUR. Un sachet de myrrhe (est) MON BIEN-AIMÉ pour moi entre mes seins il passe-lanuit ; 14 une grappe de henné (est) MON BIEN-AIMÉ pour moi dans LES VIGNES d’En-GADDI. 13
Dans les passages extrêmes le bien-aimé est appelé « roi » (4b.12). Il y est question de « senteur » (3a.12), de « vin » et de « vignes » (2b.4c ; 14). « Tes caresses » (2a.4c) et « mon bien-aimé » (13.14) traduisent le même mot (dôdîm), avec changement de pronoms suffixes traduits par « tes » et « mon ». Dans le deuxième passage (5-6), la compagne s’excuse d’être « noircie », mais elle affirme d’être cependant « charmante » ; dans le passage symétrique (9-11), le bien-aimé loue sa beauté et dit que ses joues sont « charmantes ». Elle s’était comparée aux « tentes de Qédar » et aux « tentures de Salomon » (5b) ; il la compare à sa « cavale, parmi les chars de Pharaon » (9). On a vu que c’est en Égypte que Salomon achetait ses chars de guerre. Dans le passage central « aime » (7a) rappelle les deux occurrences du verbe dans le premier passage (3b.4c) ; « comme » (7c) se trouvait déjà deux fois dans le deuxième passage (5b).
Séquence A1 (1,2-14)
47
Les occurrences de « vignes » remplissent la fonction de termes finaux pour chacun des versants de la séquence (6c.14), à quoi correspond « le vin », à la fin du premier passage (4c). Le passage central est un dialogue entre elle (7) et lui (8) ; dans le passage suivant c’est encore lui qui parle. Tout le reste de la séquence est dit par la compagne : dans le premier passage, elle parle à son bien-aimé, dans le second aux filles de Jérusalem. Dans le dernier passage, elle parle de lui. INTERPRÉTATION ROYAL Son bien-aimé est pour elle « le roi », du début de la scène (4) à la fin (12). Mais il n’est pas en reste avec elle. Certes, il ne lui attribue pas le titre de reine ; toutefois, sa cavale est royale, appartenant aux écuries que Salomon faisait venir d’Égypte. Quant à elle, elle le précède en quelque sorte sur cette voie : si elle reconnait être devenue noire comme les tentes de Qédar, par accident, elle n’en revendique pas moins, comme par nature, le charme des tentures du roi Salomon. PASTORAL Le passage central tranche sur le reste de la séquence. Il n’y est plus question ni de roi, ni de tentures de Salomon ou de cavale d’Égypte, mais de bergers, lui qui fait paitre ses brebis, elle ses cabris. Plutôt qu’une opposition entre le monde de la cour et celui de la campagne, il semble plus pertinent de reconnaitre qu’il s’agit toujours de la même métaphore, le roi étant traditionnellement conçu comme le pasteur de son peuple. SEULS AU MONDE La compagne du bien-aimé n’est pas isolée. D’emblée, elle se compte, pour ainsi dire, parmi « les jeunes filles » qui, comme elle, aiment son roi. Elle interpelle ensuite les « filles de Jérusalem » pour leur expliquer sa situation. De même, celui qu’aime son âme n’est pas seul non plus : il a des « collègues », les autres pasteurs, parmi lesquels son amie devra le chercher « à midi ». Cela dit, au début et à la fin de la scène, c’est « dans ses chambres » que son roi l’a fait venir, « en son enclos » qu’ils passeront la nuit dans l’intimité la plus totale. « EXULTONS ET RÉJOUISSONS-NOUS EN TOI » Celui qui lit les prophètes et qui prie les psaumes ne peut manquer d’avoir l’attention attirée par la citation qui marque la fin du premier passage10. Le dernier psaume du Hallel égyptien de même qu’Isaïe sont ainsi évoqués, qu’on 10
Voir p. 35.
48
Le Cantique des cantiques
ne peut ni ignorer11 ni écarter12. À qui donc fait penser le roi dont il est question, sinon à celui qui donne le salut et la victoire à son peuple (Is 25,9) ? Le roi du Cantique serait-il celui auquel on souhaite la bienvenue en disant : « Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient » (Ps 118,26).
11 12
Par ex., Ravasi, Exum. Barbiero, 67.
2. Petit duo d’amour Séquence A2 : 1,15–2,3b La séquence ne comprend qu’un seul passage.
TEXTE 1,15 Voici tu es belle, ma compagne ! Voici tu es belle ! Tes yeux des colombes. 16 Voici tu es beau, mon bien-aimé ! Oui, doux ! Oui, notre lit (est) verdure. 17 Les poutres de notre maison, des cèdres, nos lambris, des cyprès. 2,1 Je suis la jonquille de Sarôn, l’anémone 2 Comme l’anémone parmi les chardons, ainsi ma compagne parmi les filles. des vallées. 3 Comme le pommier entre les arbres du verger, ainsi mon bien-aimé parmi les garçons.
1,17 : « NOTRE MAISON » Litt. « nos maisons ». Plutôt que d’indiquer les divers lieux de leurs rencontres amoureuses, il semble qu’il s’agisse simplement d’un pluriel d’excellence1. 2,1 : « JONQUILLE » ET « ANÉMONE » Les fleurs mentionnées ne sont pas faciles à identifier ; le nom de la première, baṣṣelet ne revient qu’ici et en Is 35,12. La plupart traduisent le premier nom par « narcisse », le second par « lis »3. En hébreu ces noms sont féminins ; c’est pourquoi « jonquille » a été préféré à « narcisse » (la jonquille étant une variété de narcisse) et « anémone » à « lis » (l’anémone rouge étant très répandue en Israël, tandis que le lis blanc que l’on imagine souvent ne s’y trouve pas).
CONTEXTE CÈDRES ET CYPRÈS Ce sont des bois d’œuvre très recherchés4, que Salomon avait fait venir du Liban pour construire le temple et le palais royal (1R 5,20-24).
1
Avec Ravasi, 208. Voir les diverses opinions dans Ravasi, 210-213. 3 Joüon, Le Cantique, 152 ; Lys, 99 ; BJ, Dhorme, Osty, TOB. 4 Barbiero, 85. 2
50
Le Cantique des cantiques
COMPOSITION DU PASSAGE * 1,15 Voici tu es : Voici tu es : Tes yeux
belle, belle ! des colombes.
ma compagne !
= 16 Voici tu es : Oui, : Oui,
beau, doux ! notre lit
mon bien-aimé ! (est) verdure.
································································································
* 17 Les poutres * nos lambris,
de notre maison,
des cèdres, des cyprès.
= 2,1 Je suis =
la jonquille L’ANÉMONE
du Sarôn, des vallées.
································································································ 2
* Comme L’ANÉMONE : ainsi ma compagne
parmi parmi
les chardons, les filles.
= 3 Comme le pommier : ainsi mon bien-aimé
entre les arbres parmi
du verger, les garçons.
Les morceaux extrêmes rapportent en parallèle les paroles du « bien-aimé » à sa « compagne » (1,15 ; 2,2) et celles de la compagne au bien-aimé (1,16 ; 2,3). Dans le morceau central, le second segment est dit par la bien-aimée, car « anémone » sera repris dès le début du morceau suivant dans la bouche du bienaimé pour qualifier sa compagne (2,2a). Dans le premier segment (1,17), aux deux noms de fleurs font pendant deux noms d’arbres, « cèdres » et « cyprès », masculins en hébreu ; ce qui laisse à penser que ce segment est énoncé par lui. Le pronom (traduit par un adjectif possessif) de première personne du pluriel, introduit à la fin du premier morceau (1,16c), est repris au début du morceau central (17ab). Le rapport entre arbres (1,17) et fleurs (2,1) du morceau central est repris en ordre inverse dans le dernier morceau, avec « l’anémone » (2,2) et « le pommier » (2,3).
INTERPRÉTATION DIALOGUE AMOUREUX Entrepris par le bien-aimé, le duo se développe en trois jeux de miroir. Au compliment qui lui est adressé sur sa beauté, elle réplique en reprenant la même mélodie, non sans quelque variante significative. Et chaque fois, le partenaire prend appui sur cette variante pour rebondir à son tour. Loin d’être un pur jeu de miroir, le duo est en réalité un véritable dialogue, où chacun, ayant vraiment écouté l’autre, fait progresser l’échange.
Séquence A2 (1,15–2,3b)
51
DU « TU » AU « NOUS » Le garçon est fasciné par la beauté de sa colombe ; il ne voit qu’elle. Ce qui compte pour elle, c’est, plus encore que sa beauté, sa douceur, et la douceur de leur union, dans le lit où ils sont réunis. Alors, il saisit la balle au bond et élargit le lieu de la rencontre et de l’union à l’ensemble de la maison dans sa structure la plus solide et la plus luxueuse. LE JARDIN D’ÉDEN Après les colombes, tout n’est que verdure, arbres et fleurs. C’est sur un lit de végétation luxuriante que les deux amoureux sont unis. Selon leur nature respective, à lui les arbres, ceux des forêts du Liban avec lesquels il construit leur maison, ceux des vergers où le pommier donne son fruit parfumé ; à elle, les fleurs, la jonquille du Sarôn, l’anémone des vallées. Ils sont à l’évidence au jardin d’Éden.
3. Il répond à sa compagne Séquence A3 : 2,3c-17 La troisième séquence comprend cinq passages. Les deux premiers et les deux derniers se correspondent de manière parallèle de chaque côté du passage central (10-14). Il me fait goûter le fruit de sa vigne Mon bien-aimé vient,
il se tient derrière notre mur
LA RÉPONSE DU BIEN-AIMÉ
Attrapez les renards ravageurs de vignes Mon bien-aimé revient,
il est à moi et moi à lui
2,3c-7 8-9
10-14
15 16-17
54
Le Cantique des cantiques A. IL ME FAIT GOÛTER LE FRUIT DE SA VIGNE (2,3C-7)
TEXTE 2,3c À son ombre j’ai désiré et je me suis assise et son fruit (est) doux à mon palais. 4 Il m’a fait5 Soutenez-moi avec des venir à la maison du vin et sa bannière sur moi, (c’est) l’amour. raisinés, ranimez-moi avec des pommes, car malade d’amour moi. 6 Son (bras) gauche 7 Je conjure vous, dessous ma tête et son (bras) droit m’étreint. filles de Jérusalem, par les gazelles ou par les biches des champs, n’éveillez pas, ne réveillez pas l’amour, jusqu’à ce qu’il lui plaise. V. 4B
: « SA BANNIÈRE »
Plutôt que l’enseigne de la maison du vin, il s’agit de la bannière du bienaimé, celle qu’il arbore comme celui qui a conquis une ville, bannière qui porte le nom de l’amour1. V. 5A
: « RAISINÉS »
Le sens du terme est discuté, mais il s’agit sans doute de gâteaux de raisin, rendu ici par « raisinés » (voir 2S 6,19 : « un gâteau de raisins secs »)2. V. 7
: « N’ÉVEILLEZ PAS, NE RÉVEILLEZ PAS »
Dans le parallèle de 8,4 c’est la négation mah qui sera utilisée ; ici c’est la particule ’im de l’optatif, litt. « si vous éveillez... », dans le sens de « gardezvous d’éveiller »3.
COMPOSITION DU PASSAGE Le premier morceau est marqué par l’ensemble des termes appartenant au champ sémantique des bonnes choses à déguster, « son fruit » (3d), « le vin » (4a), « les raisinés » et « les pommes » (5ab). Les deux derniers segments s’achèvent avec « amour » (4b.5c)4. Dans le second morceau, le bien-aimé enlace sa compagne (6) qui demande à ses compagnes de ne pas réveiller celui qui dort dans ses bras (7). Les premiers termes de chaque morceau peuvent être dits en rapport paronomastique (beṣillô – śemō’lô). « Ma tête » et « mon palais » se correspondent en 1
Barbiero, 91-92 ; Ravasi, 219-221. Sur la difficulté des deux premiers membres de ce verset, en particulier ces deux verbes, voir Exum, 115-116. 3 Joüon, 163c. 4 Le premier segment joue sur l’ambiguïté, l’ombre et le fruit pouvant être ceux d’un arbre, mais aussi ceux du bien-aimé. De même, « la maison du vin » peut être une manière de parler de l’ivresse amoureuse. C’est pour guérir de la maladie d’amour qui la fait défaillir que la jeune fille demande les remèdes des « raisinés » et des « pommes ». 2
Séquence A3 (2,3b-17)
55
fin de membres. Chacun des derniers segments de chaque morceau comprend un double volitif5 (5ab.7d). « Amour » revient en termes finaux (5c.7d). + 2,3c À SON OMBRE + et son fruit
j’ai désiré (est) doux
À MON PALAIS.
– 4 Il m’a fait-venir – et sa bannière
à la maison sur moi,
du vin (c’est) L’AMOUR.
avec des raisinés, avec des pommes, D’AMOUR
moi.
:: 5 SOUTENEZ-MOI :: RANIMEZ-MOI :: car malade
et je me suis assise
············································································································ + 6 SON (bras) GAUCHE dessous MA TÊTE + ET SON (bras) DROIT m’étreint.
= 7 Je conjure = filles = par les gazelles
vous, de Jérusalem, ou par les biches
:: N’ÉVEILLEZ PAS, :: jusqu’à ce qu’
NE RÉVEILLEZ PAS il lui plaise.
des champs, L’AMOUR,
CONTEXTE DÉSIR OU CONVOITISE Le premier verbe, traduit ici par « j’ai désiré », de la racine ḥmd, rappelle les arbres « désirables » du jardin d’Éden : « Yhwh Dieu fit pousser du sol toute espèce d’arbres désirables à voir et bons à manger, et l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2,9) ; « La femme vit que l’arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu’il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement » (3,6). Le rapport est appuyé par la présence du « fruit » (« et son fruit est doux à mon palais »), présent en Gn 3,2-3. Dans le décalogue, le verbe est rendu par « convoiter » : « Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain, tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain » (Ex 20,17 ; voir aussi Dt 5,21). LA MALADIE D’AMOUR C’est celle qui atteint Amnon amoureux de sa sœur Tamar : « Amnon était tourmenté au point de se rendre malade à cause de sa sœur Tamar, car elle était vierge et Amnon ne voyait pas la possibilité de lui rien faire » (2S 13,2). Une maladie qui portera au viol, à la haine et finalement à la mort.
5 En 7d, il s’agit de la phrase optative introduite par ’im : litt., « Si vous éveillez » (Joüon, 163o).
56
Le Cantique des cantiques
INTERPRÉTATION LE DÉSIR AMOUREUX La convoitise pousse à saisir son objet, à s’en emparer, pour le dévorer tout entier. Le désir amoureux, au contraire, invite à s’asseoir à l’ombre de l’amant, à recevoir de sa main le fruit désiré pour en partager la jouissance dans l’échange du baiser si doux au palais. L’ivresse qui en découle est celle qui est propre à l’amour ; c’est celle de l’abandon, où toute défense cède jusqu’à perdre les sens : douce maladie qui voit fondre la moindre résistance. LE SOMMEIL DE LA CONFIANCE L’étreinte amoureuse se dénoue paisiblement dans le sommeil. Il faut aimer vraiment, faire une confiance totale, pour s’abandonner à ce point, pour se livrer sans la moindre réserve à l’autre. Accepter de dormir chez autrui est la plus grande marque de confiance qu’on puisse lui témoigner. Laisser dormir son hôte tout son saoul, c’est accepter son absence apparente, pour son plus grand bien, C’est tout le contraire de la possession, c’est l’oblation, c’est « l’amour ».
B. MON BIEN-AIMÉ VIENT, IL SE TIENT DERRIÈRE NOTRE MUR (2,8-9) TEXTE 2,8 La voix de mon bien-aimé ! Le voici, il vient, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines. 9 Semblable mon bien-aimé à la gazelle ou au faon des biches. Le voici, se tenant derrière notre mur, guettant par les fenêtres, épiant par les treillis. V. 8
: « LA VOIX DE MON BIEN-AIMÉ »
Une autre lecture est possible : au lieu de l’état construit, les deux termes peuvent être indépendants : « Un bruit ! Mon bien-aimé ». En effet, de si loin, la compagne n’entend pas sa voix mais le bruit de ses pas. V. 9E
: « LES TREILLIS »
Le terme est un hapax. Les versions et le contexte permettent de comprendre qu’il s’agit des protections qui permettent de voir sans être vus, comme la moucharabieh arabe.
COMPOSITION DU PASSAGE Les deux morceaux sont strictement parallèles. Dans le premier la compagne entend la voix de son bien-aimé (8a) et l’entend venir, « sautant » et « bondissant » (8bcd).
Séquence A3 (2,3b-17) + 2,8 La voix = LE VOICI, . sautant . bondissant
57
de MON BIEN-AIMÉ ! il vient, sur les montagnes, sur les collines.
··············································································
+ 9 Semblable + à la gazelle = LE VOICI, . guettant . épiant
MON BIEN-AIMÉ
ou au faon
des biches !
se tenant par les fenêtres, par les treillis.
derrière
notre mur,
Dans le second morceau il est arrivé et elle le voit — le devine ou l’imagine — « semblable » « à la gazelle ou au faon des biches » (9ab), la « guettant » et l’« épiant » à travers « les fenêtres » et « les treillis ». CONTEXTE « J’AI REGARDÉ PAR LE TREILLIS » 6
Comme j’étais à la fenêtre de ma demeure, j’ai regardé par le treillis 7 et j’ai vu, parmi de jeunes niais, j’ai remarqué parmi des enfants un garçon privé de sens. 8 Passant par la venelle, près du coin où elle est, il gagne le chemin de sa maison, 9 à la brune, au tomber du jour, au cœur de la nuit et de l’ombre.10 Et voici qu’une femme vient à sa rencontre, vêtue comme une prostituée, la fausseté au cœur... (Pr 7).
Le sage observe de sa fenêtre, « par le treillis », comment un jeune écervelé se laisse ensorceler par une femme de petite vertu. Situation directement opposée à celle du Cantique où la jeune fille voit arriver du haut des montagnes son bienaimé qui s’approche de plus en plus de celle qu’il aime, jusqu’à « épier par les treillis ».
INTERPRÉTATION DE CHAQUE CÔTÉ DU TREILLIS C’est d’abord le son d’un pas, une voix qui vient de très loin, mais reconnaissable entre toutes. Elle vient de par-delà les montagnes et les collines. On comprend qu’elle était attendue par celle qui l’épiait derrière les treillis de sa maison. Elle ne se déplace pas, mais elle est toute tendue vers celui qui vient à elle. Quant à lui, il bondit comme la gazelle, et dévale montagnes et collines vers la demeure de sa compagne. Et le voilà bientôt arrivé tout près d’elle, derrière ses fenêtres. Loin de le séparer d’elle, les treillis sont le lieu et le moyen de leur
58
Le Cantique des cantiques
rencontre, où ils pourront se parler, respirer leurs parfums, s’entrevoir, prélude à l’union des âmes et des corps.
C. LA RÉPONSE DU BIEN-AIMÉ (2,10-14) TEXTE 2,10 Il a répondu mon bien-aimé et il a dit à moi : « Lève-toi, ma compagne, ma belle, et vat’en. 11 Car voilà l’hiver passé, la pluie a cessé, elle s’en est allée. 12 Les fleurs se voient sur la terre, le temps des chansons est venu et la voix de la tourterelle s’entend sur notre terre. 13 Le figuier a formé ses fruits-verts et les ceps en-fleur ont donné le parfum. Lèvetoi, ma compagne, ma belle, et va-t’en ! 14 Ma colombe, dans les fentes du rocher, dans le secret des escarpements, fais-moi voir ton visage, fais-moi entendre ta voix ; car ta voix est douce et ton visage charmant. » V. 10CD.13CD
: « LÈVE-TOI [...] ET VA-T’EN »
Les deux verbes sont accompagnés du « datif d’avantage » (qûmî lāk [...] ûlekî-lāk, litt. « Lève-toi pour toi, va pour toi »6), un complément « auquel les grammairiens de l’hébreu biblique attribuent un sens réfléchi, indiquant que l’action concerne en priorité le sujet de l’action »7.
COMPOSITION DU PASSAGE La première partie (10ab) introduit le discours du bien-aimé (10c-14). Les deux parties suivantes commencent avec le même segment (10cd.13cd). Le second morceau de la deuxième partie décrit le printemps (12-13b), après la fin de l’hiver (11). Dans le morceau symétrique (14), le bien-aimé ne se contente pas de « voir » les fleurs (12a), il veut « voir » « le visage »8 de sa compagne (14c) ; « la voix de la tourterelle » ne lui suffit pas (12c), c’est celle de sa « colombe » (14a) qu’il veut « entendre » (14d).
6 7
Joüon, 133d. A. WÉNIN, D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain. Lecture de Genèse1,1–12,4,
239. 8
« Voir » et « visage » sont de même racine en hébreu.
Séquence A3 (2,3b-17) 2,10 Il a répondu et il a dit
59
mon bien-aimé à moi :
+ « LÈVE-TOI, + MA BELLE,
MA COMPAGNE, VA-T’EN ! ······························································
: 11 Car voici : la pluie
l’hiver a cessé,
est passé, S’EN EST ALLÉE.
- 12 Les fleurs - le temps - et LA VOIX
SE VOIENT
des chansons de la tourterelle
sur la terre, est venu S’ENTEND
sur notre terre.
a formé en-fleur
ses fruits-verts ont donné
le parfum.
13
= Le figuier = et les ceps + LÈVE-TOI, + MA BELLE,
MA COMPAGNE, VA-T’EN ! ······························································
: 14 Ma colombe, : dans le secret
dans les fentes de l’escarpement,
= FAIS-MOI VOIR - FAIS-MOI ENTENDRE
TON VISAGE, TA VOIX ;
- car TA VOIX = et TON VISAGE
(est) douce charmant. »
du rocher,
CONTEXTE « VA-T’EN... ! » Tels sont les premiers mots que Dieu adresse à Abram : « Yhwh dit à Abram : « Va-t’en (lek lekā) de ta terre et de ton enfantement et de la maison de ton père, pour la terre que je te ferai voir... » (Gn 12,1 ; voir aussi 22,2). L’expression peut encore rappeler que l’homme doit quitter lui aussi la maison de son père : « C’est pourquoi l’homme abandonnera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair » (Gn 2,24).
60
Le Cantique des cantiques
INTERPRÉTATION « LÈVE-TOI ET VA-T’EN » « Va-t’en » et non pas « viens », comme on traduit souvent9. Ce n’est pas la même chose. Le bien-aimé n’invite pas celle qu’il aime à venir vers lui, comme dans une visée possessive ; il l’invite à se libérer, à quitter tout ce qui pourrait la retenir dans un passé désormais révolu. Le rapport avec Abraham appelé à quitter sa terre, la maison de son père, pour une terre nouvelle que le Seigneur lui fera voir, ne saurait être fortuit. D’autant plus que, comme pour Abraham, le même appel est redoublé. Un moment décisif, plus, une vie nouvelle. UN NOUVEAU PRINTEMPS C’est le temps de la renaissance après celui de l’hiver et de la pluie. La végétation est déjà repartie : fleurs et premiers fruits apparaissent sur la vigne et le figuier. Les sens aussi s’éveillent : la vue pour les fleurs colorées, l’ouïe pour les chansons et le roucoulement de la tourterelle, l’odorat enfin pour le parfum que la vigne offre aujourd’hui et qu’elle promet des ivresses futures. « MA COLOMBE » Après un premier tableau idyllique qui dépeint en quelque sorte l’ensemble de la nature printanière, toute l’attention du bien-aimé se concentre sur celle qu’il aime, sa colombe, son unique. Elle n’est pas à la portée de sa main, il ne peut la toucher, cachée qu’elle est dans le secret du rocher où elle a trouvé un refuge. Il n’en demande pas tant, il lui demande seulement de lui faire voir son visage et entendre sa voix. La voix de la tourterelle ne saurait lui suffire, pas plus que la vue des plus belles fleurs.
D. ATTRAPEZ LES RENARDS RAVAGEURS DE VIGNES (2,15) TEXTE 2,15 Attrapez pour nous les renards, les renards petits, (est) en-fleur.
9
destructeurs de vignes ;
et notre vigne
BJ, CEI ; Traduction liturgique ; la TOB traduit « viens-t’en ». De même au centre du Ps 34 on traduit généralement : « Venez, fils, écoutez-moi », alors que lekû signifie « allez » (voir R. MEYNET, Le Psautier. Premier livre, 442).
Séquence A3 (2,3b-17)
61
COMPOSITION DU PASSAGE – 2,15 Attrapez . les renards . destructeurs
pour nous petits, de vignes ;
+ et notre vigne
(est) en-fleur.
les renards,
« Les renards » sont repris en termes médians des deux premiers membres, « vigne(s) » en termes médians des deux segments. Le premier segment est scandé par les rimes en -îm qui marquent ses cinq derniers termes (šû‘ālîm šû‘ālîm qeṭannîm meḥabbelîm kerāmîm). Il est difficile d’identifier la personne qui utilise la première personne du pluriel quand elle parle de « notre vigne », et de même ceux à qui elle s’adresse au pluriel avec l’impératif « attrapez ». La composition de la séquence devrait permettre de prendre parti, au moins sur l’identité du locuteur.
CONTEXTE LES RENARDS ET LES RAISINS Dans la Bible, le renard (ou le chacal) est un animal nuisible (Ez 13,4 ; Lc 13,32). Ce prédateur est connu par ailleurs pour être friand de raisins.
INTERPRÉTATION De la taille d’un seul verset, ce très court passage est fort énigmatique10. Il ne trouvera son sens que dans l’ensemble de la séquence à laquelle il appartient. Si c’est la jeune fille qui parle, elle semble demander que les petits prédateurs soient attrapés et donc mis hors d’état de nuire aux vignes, d’autant plus que c’est le temps de la floraison et que tout pourrait être compromis pour la récolte. On se doute bien que son langage est imagé et qu’elle entend protéger son amour contre ceux qui voudraient le ravager.
10 Voir, par ex., Lys, 125-128 ; Barbiero, 112-115 ; Exum, 129-130 ; Y. ZAKOVITCH, The Song of song, riddle of riddles, 34-35.
62
Le Cantique des cantiques
E. MON BIEN-AIMÉ REVIENT, IL EST À MOI ET MOI À LUI (2,16-17) TEXTE 2,16 Mon bien-aimé (est) à moi et moi à lui qui pâture parmi les anémones. 17 Avant que souffle le jour et que s’enfuient les ombres, retourne, sois semblable, mon bien-aimé, à la gazelle ou au faon des biches sur les montagnes de séparation. V. 16C
: « QUI PÂTURE PARMI LES ANÉMONES »
Comme en hébreu, le verbe « paitre » est ambigu. Intransitif, il signifie « paitre soi-même », c’est-à-dire « brouter » ; transitif — que l’objet soit exprimé (voir 1,8) ou sous-entendu —, il veut dire « faire paitre » (le troupeau)11. Les anémones symbolisant la compagne, le sens serait avant tout celui de la communion amoureuse. Le verbe sera traduit ici par « pâturer ». In cauda venenum. Le dernier verset de la section est hérissé de difficultés, sur toute la ligne : on ne sait pas si la temporelle initiale indique le matin ou le soir, si la jeune fille demande à son bien-aimé de le rejoindre ou au contraire de s’en retourner d’où il était venu, et, pour combler la mesure, quel est le sens du dernier terme. Devant de telles incertitudes accumulées, on comprend que les interprétations les plus diverses se soient multipliées12. Certains sont d’avis qu’il s’agit d’un double entendre généralisé13. V. 17AB : «
AVANT QUE SOUFFLE LE JOUR ET QUE S’ENFUIENT LES OMBRES »
Certains pensent qu’il s’agit du matin14, d’autres au contraire du soir15. Le contexte de la séquence invite à privilégier la deuxième solution. V. 17C
: « RETOURNE »
Le verbe sābab signifie « tourner » et peut être compris de deux manières opposées : soit « revenir » vers sa compagne, soit « retourner » d’où il était venu. Le syntagme que l’impératif sōb forme avec « sois semblable » peut être rendu par « retourne à être semblable à », ou, plus simplement, « redeviens semblable à ». Le rapport est étroit entre le dernier verset de la première section (2,17) et celui de la dernière section : « Fuis, mon bien-aimé, et sois semblable à la gazelle ou au faon des biches sur les montagnes des baumes » (8,14) ; ce qui invite à les interpréter de la même façon. Mais avant cela, la cohérence du dernier passage de la première section va dans le même sens. 11
Voir la discussion en Ravasi, 265-268. Détails dans Ravasi, 268-273. 13 Exum, 131-133. 14 Ravasi, 268-270 ; . 15 Joüon, 169-170 ; Barbiero, 118. 12
Séquence A3 (2,3b-17) V. 17E :
63
« LES MONTAGNES DE SÉPARATION »
Déjà les versions anciennes divergent dans l’interprétation du dernier terme, beter. Aquila et Vulgate le tiennent pour un nom propre, Bétèr, d’autres pour une sorte de parfum ; pour d’autres enfin, il s’agirait, selon le sens de la racine btr, des « séparations »16. La deuxième solution est tentante, à cause du parallèle avec 8,14, mais c’est la dernière qui sera retenue, à cause du contexte.
COMPOSITION DU PASSAGE + 2,16 MON BIEN-AIMÉ (est) + et moi + qui pâture
à moi à lui parmi les anémones.
································································································ 17
– Avant que souffle – et que s’enfuient
le jour les ombres,
:: retourne, :: à la gazelle :: sur les montagnes
sois semblable, ou au faon de séparation.
MON BIEN-AIMÉ,
des biches
Alors que dans le premier morceau c’est l’union qui est célébrée, son « bienaimé » pâturant parmi les anémones, dans le second elle l’invite à retourner d’où il était venu, avant que souffle la brise du soir et qu’arrive la nuit. Les morceaux s’achèvent par des compléments de lieu opposés (16c.17f).
CONTEXTE LA COLOMBE DE NOÉ « La pluie a cessé, elle s’en est allée » (11) rappelle la fin du déluge : « Les sources de l’abime et les fenêtres du ciel furent fermées et la pluie fut retenue du ciel » (Gn 8,2). Suit l’histoire de la colombe. LES MONTAGNES DE LA SÉPARATION La racine btr signifie « séparer », « couper en deux ». Certains y reconnaissent le rite de couper en deux les animaux offerts en sacrifice, et donc une référence au sacrifice de l’alliance conclue entre Yhwh et Abraham (Gn 15 ; voir aussi Jr 34,18-20). Cette interprétation peut être confortée par la « formule d’appartenance » du début du passage (16ab), formule où l’on reconnait la formule de 16 Voir R. TOURNAY, Quand Dieu parle, 63-64 ; Garbini, 50-51 ; Ravasi, 270-273 ; Barbiero, 98, nt. 6, 119-120.
64
Le Cantique des cantiques
l’alliance entre Dieu et son peuple : « Vous serez mon peuple et moi je serai votre Dieu » (Jr 30,22).
INTERPRÉTATION UNION ET LIBERTÉ Les deux temps sont complémentaires. Le premier célèbre ce qu’il est convenu d’appeler l’appartenance mutuelle, même si le terme n’est peut-être pas bien choisi. L’appartenance pourrait avoir un relent de possession, ce que la suite démentira. Il vaut donc mieux parler d’union, et même d’union intime, ce que laisse entendre l’image du bien-aimé qui « pait parmi les anémones », se rassasiant de la présence de sa compagne. Mais union n’est pas fusion. C’est pourquoi elle lui rend sa liberté, elle lui reconnait sa liberté, quand elle l’invite à s’en retourner « sur les montagnes de séparation ».
F. IL RÉPOND À SA COMPAGNE (2,3C-17) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Il semble que c’est la compagne qui parle tout au long de la séquence17, mais dans le passage central elle rapporte les paroles de son bien-aimé. Elle parle de lui à la troisième personne tout au long, mais à la fin elle lui adresse directement la parole : « retourne, sois semblable » (17c). Dans le premier et le quatrième passage, « vigne(s) » (15bc) renvoie à « la maison du vin » (4) et même à « raisinés » (5a). L’impératif « Attrapez » (15a) rappelle les deux impératifs de 5a et les deux optatifs de 7b, et la double mention des « renards » (15a) celle des « gazelles » et des « biches » (7a), tous animaux sauvages. Dans le deuxième et le dernier passage, le « bien-aimé » — mentionné deux fois (8a.9a ; 16.17c) — est « semblable » à « la gazelle ou au faon des biches » (9a.17c) « sur les montagnes » (8b.17d). Dans le passage central, les deux occurrences de « ma compagne » (10b.13b) correspondent aux deux occurrences de « mon bien-aimé » dans le deuxième passage (8a.9a) et dans le dernier (16.17c), terme repris au début du passage central (10a). Les animaux sont présents dans les cinq passages : « gazelles ou biches des champs » dans le premier (7a), « renards » dans le quatrième (15), « gazelle ou faon des biches » dans le deuxième et le dernier (9a.17c), enfin « tourterelle » et « colombe » au centre (12b.14a). Les renards sont les seuls qui sont nuisibles. La « voix » de la tourterelle (12b) et celle de la compagne (14bc) répondent à « la voix » du bien-aimé (8a). 17 En effet, la régularité de la composition peut faire penser que la personne qui parle en 15 est la même que celle de la partie symétrique (3c-7), et cela malgré le « nous » qu’elle utilise.
Séquence A3 (2,3b-17)
65
2,3c À son OMBRE j’ai désiré et je me suis assise et son fruit est doux à mon palais. 4 Il m’a fait venir à LA MAISON DU VIN et sa bannière sur moi, c’est l’amour ; 5 soutenez-moi avec des RAISINÉS, ranimez-moi avec des pommes, car je suis malade d’amour moi. 6 Son bras gauche est dessous ma tête et sa droite droit m’étreint. 7 Je vous conjure, filles de Jérusalem, PAR LES GAZELLES OU PAR LES BICHES DES CHAMPS, n’éveillez pas, ne réveillez pas l’amour, jusqu’à ce qu’il lui plaise. 8
La voix de MON BIEN-AIMÉ ! Le voici, il vient, sautant sur les MONTAGNES, bondissant sur les collines. 9 SEMBLABLE MON BIEN-AIMÉ À LA GAZELLE, OU AU FAON DES BICHES. Le voici, se tenant derrière notre mur, guettant par les fenêtres, épiant par les treillis. 10
Il a répondu MON BIEN-AIMÉ
et il a m’a dit :
« Lève-toi, ma compagne, ma belle, va ! 11 Car voilà l’hiver est passé, la pluie a cessé, elle s’en est allée. 12 Les fleurs se voient sur la terre, le temps des chansons est venu et la voix de LA TOURTERELLE s’entend sur notre terre. 13 Le figuier a formé ses fruits-verts et LES CEPS en-fleur ont donné le parfum. Lève-toi, ma compagne, ma belle, va ! 14 MA COLOMBE, dans les fentes du rocher, dans le secret des escarpements, fais-moi voir ton visage, fais-moi entendre ta voix ; car ta voix est douce et ton visage charmant. » 15
Attrapez-nous LES RENARDS, car notre VIGNE est en-fleur.
LES RENARDS PETITS,
destructeurs des VIGNES ;
16
MON BIEN-AIMÉ est à moi et moi à lui qui pâture parmi les anémones. Avant que souffle le jour et que s’enfuient les OMBRES, retourne, SOIS SEMBLABLE, MON BIEN-AIMÉ, À LA GAZELLE OU AU FAON DES BICHES, sur les MONTAGNES de séparation. 17
En outre, on remarquera les reprises suivantes : – les termes appartenant au champ sémantique de la vigne se trouvent dans le premier passage avec « la maison du vin » (4), dans le passage central avec « les ceps » (13a) et dans le passage suivant avec « vigne(s) » (15ab) ; – appartiennent au même champ sémantique « les fleurs » (niṣṣānîm : 12a), « enfleur » (semādar : 13a.15b) et « anémones » (šôšannîm : 16) ; – enfin les deux occurrences de « ombre(s) » jouent le rôle de termes extrêmes (3c.17b).
CONTEXTE « VA... » Avec le double « va » (10b.13b), le passage central fait allusion, on l’a vu, à Abraham qui fut appelé, par deux fois, à s’engager dans une nouvelle vie. Jésus
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Le Cantique des cantiques
ne s’attache jamais les personnes qu’il rencontre ou qu’il guérit, il leur dit, lui aussi : « Va... » (Mc 1,44 ; 2,11 ; 5,19.34 ; 7,29 ; 10,21.52). APRÈS LE DÉLUGE, LA COLOMBE Le passage central se réfère aussi à la nouvelle création que représente l’histoire de Noé et du déluge, avec la colombe lâchée qui finit par ne pas revenir (Gn 8,12). LE DÉSIR ET LA PAROLE Le premier passage de la séquence commence, avec le « désir » du « fruit », un rappel discret mais efficace du récit de la création en Gn 2–3 ; ce « désir » s’oppose à la convoitise qui pousse à manger, c’est-à-dire à détruire l’autre en se l’assimilant. Alors que le premier homme n’échangera pas la moindre parole avec sa femme, depuis le début jusqu’à sa mort (Gn 5,5), le dialogue s’instaure entre les amants du Cantique, la parole étant portée avant tout par la femme. LES RENARDS ET LE SERPENT Parmi tous les animaux mentionnés tout au long de la séquence, un seul est « destructeur » : les renards font penser au seul animal nuisible du début de la Genèse, le serpent mortifère.
INTERPRÉTATION PRENDRE OU DÉPRENDRE Dans les paroles adressées par le bien-aimé à sa compagne au cœur de la séquence, l’impératif répété, « Va », surprend. On se serait plutôt attendu à « viens », « viens à moi ». Or, cette invitation étrange est bien dans la tonalité de toute la séquence. Quand, à la fin du premier passage, son bien-aimé s’est endormi dans ses bras, s’absentant dans le sommeil, sa compagne accepte la séparation, recommandant bien aux filles de Jérusalem de ne pas le réveiller. De manière encore plus patente à la fin du dernier passage, elle ne cherche pas à le retenir auprès d’elle quand le soir vient. Elle le laisse partir ; davantage, elle l’encourage à s’en retourner d’où il était venu, « sur les montagnes de séparation ». Le désir qu’elle éprouve du fruit de son amour est aux antipodes de la convoitise qui veut retenir, prendre, posséder. Leur couple est l’antitype du couple originel qui voulut s’emparer du fruit défendu, le dévorer. Adam avait réduit la femme qui lui était présentée par Dieu à un objet tiré de lui, à son alter ego, ne lui adressant pas la parole et ne la laissant rien dire18. Au contraire, le 18 A. WÉNIN, D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain. Lecture de Genèse 1,1–12,4, 76-85.
Séquence A3 (2,3b-17)
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bien-aimé et sa compagne se parlent, se désirent mutuellement, se respectent dans leur différence, chacun laissant place à l’autre, à la fois dans l’union et dans la distance. LES FAONS DES BICHES ET LES PETITS RENARDS Dans le tableau édénique de la séquence, peuplé de gazelles, de biches avec leurs faons, sans oublier la tourterelle et la colombe, les renards, les petits renards se détachent comme les seuls animaux maléfiques. Comme le serpent rusé des origines. Le mal n’a pas disparu, il n’est pas gommé. Il est bien présent, comme une menace pour les vignes que les renards veulent ravager. Cependant, on ne les voit pas à l’œuvre ; on entend au contraire l’ordre bref qui est lancé de les attraper, de les maitriser pour les empêcher de nuire.
4. L’ensemble de la section A : 1,2–2,17 COMPOSITION La section comprend trois séquences organisées de manière concentrique. Nettement plus développées, les séquences extrêmes ont beaucoup de points en commun. À la jonction des deux chapitres, la séquence centrale se distingue non seulement par sa brièveté, mais surtout par son caractère de dialogue serré entre les deux amants.
ELLE CHERCHE
SON BIEN-AIMÉ
Petit duo d’amour
IL RÉPOND À
SA COMPAGNE
1,2-14
1,15–2,3b
2,3c-17
70
Le Cantique des cantiques
LES RAPPORTS ENTRE LES SÉQUENCES EXTRÊMES Les premiers passages (1,2-4 ; 2,3c-7) ont en commun : « le vin » (1,2b.4d ; 2,4b), les deux occurrences de « aimer » (1,3c.4e) et les trois de « amour » (2,4c.5c.7d). « Mon palais » (2,3c) rappelle « sa bouche » (1,2a). À « le roi m’a fait-venir dans ses chambres » (1,4bc) correspond « Il m’a fait-venir à la maison du vin » (2,4ab). Il en va de même pour les passages finaux. « Mon bien-aimé » est repris deux fois dans chaque passage (1,13ab.14a ; 2,16a.17c). En termes finaux, deux compléments de lieu : « dans les vignes d’En-Gaddi » (1,14), « sur les montagnes de séparation » (2,17d)1. En revanche, les deuxièmes passages et les avant-derniers passages n’ont rien en commun. Les passages centraux sont bipartites (mise à part l’introduction du discours dans la dernière séquence en 2,10a) : chaque moitié commence avec une apostrophe : « (toi) qu’aime mon âme » (7a) et « la belle parmi les femmes » d’une part (8ab), « ma compagne, ma belle » d’autre part (10b.13d). À la fin du premier passage de la troisième séquence et au début du deuxième passage de la première séquence, la compagne s’adresse aux « filles de Jérusalem » (1,5a ; 2,7ab) en leur faisant une défense (1,6a ; 2,7c). Dans le deuxième passage de la dernière séquence les deux occurrences de « mon bien-aimé » (dôdî : 2,8a.9a) rappellent les deux occurrences du même mot traduit par « tes caresses » dans le premier passage de la première séquence (dōdèkā : 1,2b.4d). « Mon bien-aimé » sera repris deux fois dans les derniers passages (1,13-14 ; 2,16-17). C’est la jeune fille qui parle, mais le bien-aimé intervient au beau milieu des deux séquences : au centre exact de la troisième (2,10-14) — mais ce sont des paroles rapportées par sa compagne —, dans la deuxième moitié du passage central de la première séquence et dans le passage suivant (1,8-11). Le parallélisme des deux séquences pourrait faire penser que l’avant-dernier passage de la troisième séquence (2,15) est prononcé par le bien-aimé comme l’avant-dernier passage de la première séquence (1,9-11)2. On notera aussi que « belle(s) » revient en 1,8a et en 2,10b.13d, que « charmant(e) » est repris en 1,5a.10a et 2,14e et que « ma compagne » de 2,10b et 13d était déjà apparu en 1,9b.
1 2
À ce niveau, il serait tentant d’interpréter beter comme un nom de lieu, comme En-Gaddi. Ainsi, par ex., Lys, 126-127 ; Barbiero, 113.
L’ensemble de la section A (1,2–2,17)
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Ct 1,2-14
Ct 2,3c-17
1,2 Qu’il me baise des baisers de SA BOUCHE. Car bonnes TES CARESSES plus que LE VIN, 3 pour la senteur tes parfums sont bons, un parfum qui s’épanche, ton nom. C’est pourquoi les jeunes filles T’AIMENT. 4 Entraîne-moi après toi, courons ! Le roi M’A FAIT-VENIR dans ses chambres. Exultons et réjouissons-nous en toi, célébrons TES CARESSES plus que LE VIN. À raison (elles) T’AIMENT.
2,3c À son ombre j’ai désiré et je me suis assise, et son fruit est doux à MON PALAIS. 4 Il M’A FAIT-VENIR à la maison du VIN, et sa bannière sur moi, c’est L’AMOUR. 5 Soutenez-moi avec des raisinés, ranimez-moi avec des pommes, car malade D’AMOUR moi. 6 Son bras gauche est sous ma tête et sa droite m’étreint. 7 Je conjure vous, FILLES DE JÉRUSALEM, par les gazelles ou par les biches des champs, n’éveillez pas, ne réveillez pas L’AMOUR, avant qu’il lui plaise.
Noire moi mais CHARMANTE, FILLES DE JÉRUSALEM, comme les tentes de Qédar, comme les tentures de Salomon. 6 Ne me regardez pas que moi je suis noircie : c’est que m’a brûlée le soleil. Les fils de ma mère se sont enflammés contre moi, ils m’avaient mise gardienne DES VIGNES ; MA VIGNE à moi, je ne l’ai pas gardée !
8
5
7
Dis-moi, toi qu’aime mon âme : où feras-tu paitre, où feras-tu reposer à midi ? Pourquoi serais-je comme une vagabonde, près des troupeaux de tes compagnons ?
8
Si point ne sais pour toi, LA BELLE parmi les femmes, suis pour toi les traces des brebis, et faispaitre tes cabris près de la demeure des pasteurs.
La voix de MON BIEN-AIMÉ ! Le voici, il vient, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines. 9 Semblable MON BIEN-AIMÉ à une gazelle ou au faon des biches. Le voici, se tenant derrière notre mur, guettant par les fenêtres, épiant par les treillis.
10
« Lève-toi, ma compagne, MA BELLE, va-t’en ! 11 Car voici l’hiver passé, la pluie a cessé, elle s’en est allée. 12 Les fleurs se voient sur la terre, le temps des chansons est venu et la voix de la tourterelle s’entend sur notre terre. 13 Le figuier a formé ses fruits-verts et LES CEPS en-fleur ont donné le parfum. Lève-toi, ma compagne, MA BELLE, va-t’en ! 14 Ma colombe, dans les fentes du rocher, dans le secret des escarpements, fais-moi voir ton visage, fais-moi entendre ta voix ; car ta voix est douce et ton visage CHARMANT. »
9
À ma cavale, parmi les chars de Pharaon, je te compare, ma compagne. 10 Sont CHARMANTES tes joues entre les pendeloques, ton cou dans les colliers. 11 Des pendeloques d’or nous te ferons avec des globules d’argent.
15
12
16
Tandis que le roi est en son enclos, mon nard donne sa senteur. 13 Un sachet de myrrhe MON BIEN-AIMÉ pour moi, entre mes seins il passe-lanuit ; 14 une grappe de henné MON BIEN-AIMÉ pour moi dans LES VIGNES d’En-Gaddi.
Il a répondu MON BIEN-AIMÉ et il a dit à moi :
Attrapez pour nous les renards, les renards petits, ravageurs de VIGNES ; car notre VIGNE est en-fleur.
MON BIEN-AIMÉ est à moi, et moi à lui qui pâture parmi les anémones. 17 Avant que souffle le jour et que s’enfuient les ombres, reviens ! Sois semblable, MON BIEN-AIMÉ, à une gazelle ou au faon des biches, sur les montagnes de séparation.
72
Le Cantique des cantiques
LES RAPPORTS ENTRE LA SÉQUENCE CENTRALE ET LES DEUX AUTRES 1,2 Qu’il me baise des baisers de sa bouche. Car bonnes TES CARESSES plus que le vin, 3 pour la senteur tes parfums sont bons, un parfum qui s’épanche, ton nom. C’est pourquoi les jeunes filles t’aiment. 4 Entraîne-moi après toi, courons ! Le roi m’a introduite dans ses chambres. Exultons et réjouissons-nous en toi, célébrons TES CARESSES plus que le vin. À raison on t’aime. 5
Je suis noire, moi, mais charmante, FILLES de Jérusalem, comme les tentes de Qédar, comme les tentures de Salomon. 6 Ne me regardez pas que moi je suis noircie : c’est que le soleil m’a brûlée. LES FILS de ma mère se sont enflammés contre moi, ils m’avaient mise gardienne des vignes ; ma vigne à moi, je ne l’avais pas gardée ! 7
Dis-moi, toi qu’aime mon âme : où feras-tu paitre, où feras-tu reposer à midi ? Pourquoi serais-je comme une errante, près des troupeaux de tes collègues ? 8
Si point tu ne sais pour toi, LA BELLE parmi les femmes, suis pour toi les traces des ovins, et faispaitre tes chevreaux près des demeures des pasteurs. 9 À ma cavale, parmi les chars de Pharaon, je te compare, MA COMPAGNE. 10 Sont charmantes tes joues entre les pendeloques, ton cou dans les colliers. 11 Des pendeloques d’or nous te ferons avec des globules d’argent. 12
Tandis que le roi est en son enclos, mon nard donne sa senteur. 13 Un sachet de myrrhe MON BIEN-AIMÉ pour moi, entre mes seins il passe-la-nuit ; 14 une grappe de henné MON BIEN-AIMÉ pour moi dans les vignes d’En-Gaddi. 15
Voici tu es BELLE, MA COMPAGNE ! Voici tu es BEAU, MON BIEN-AIMÉ ! 17 Les poutres de notre maison des cèdres, 2,1 Moi, je suis la jonquille du Sarôn, 2 Comme L’ANÉMONE parmi les chardons, 3 Comme le POMMIER entre les arbres d’un verger, 16
Voici tu es BELLE ! Tes yeux des COLOMBES. Oui, DOUX ! Oui, notre lit est verdure. nos lambris des cyprès. L’ANÉMONE des vallées. ainsi MA COMPAGNE parmi les FILLES. ainsi MON BIEN-AIMÉ parmi les GARÇONS.
À son ombre j’ai désiré et je me suis assise et son fruit est DOUX à mon palais. 4 Il m’a fait-venir à la maison du vin, et sa bannière sur moi, c’est l’amour. 5 Soutenez-moi avec des raisinés, ranimez-moi avec des POMMES, car je suis malade d’amour moi. 6 Son bras gauche est sous ma tête et sa droite m’étreint. 7 Je vous conjure, FILLES de Jérusalem, par les gazelles ou par les biches des champs, n’éveillez pas, ne réveillez pas l’amour, avant qu’il lui plaise. 3c
8
La voix de MON BIEN-AIMÉ ! Voici que lui vient, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines. Semblable MON BIEN-AIMÉ à une gazelle, ou au faon des biches. Voici qu’il se tient derrière notre mur ; il guette par les fenêtres, il épie par les treillis. 9
10
Il a répondu MON BIEN-AIMÉ et il m’a dit :
« Lève-toi, MA COMPAGNE, MA BELLE, va ! 11 Car voici l’hiver est passé, la pluie a cessé, elle s’en est allée. 12 Les fleurs se voient sur la terre, le temps des chansons est venu, et la voix de la tourterelle s’entend sur notre terre. 13 Le figuier a formé ses fruits-verts et les ceps en-fleur ont donné le parfum. Lève-toi, MA COMPAGNE, MA BELLE, va ! 14 Ma COLOMBE, dans les fentes du rocher, dans le secret de l’escarpement, fais-moi voir ton visage, fais-moi entendre ta voix ; car ta voix est douce et ton visage charmant. » 15
Attrapez pour nous les renards, les petits renards, ravageurs de vignes ; car notre vigne est en-fleur. 16
MON BIEN-AIMÉ est à moi, et moi à lui qui pâture parmi LES ANÉMONES. 17 Avant que souffle le jour et que s’enfuient les ombres, retourne, sois semblable, MON BIEN-AIMÉ, à une gazelle ou au faon des biches, sur les montagnes de séparation.
L’ensemble de la section A (1,2–2,17)
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L’alternance entre les paroles de la compagne et celles du bien-aimé dans les passages centraux des séquences extrêmes (1,7-8 ; 2,10b-14) ainsi que dans les passages qui les suivent (1,9-11 ; 2,15) se retrouve en un dialogue serré dans la séquence centrale, chaque segment étant prononcé par le bien-aimé (1,15.17 ; 2,2) puis par sa compagne (1,16 ; 2,1.3). Beaucoup de termes de la séquence centrale se retrouvent ailleurs dans la section : – « bien-aimé » et « caresses » (dôd, 1,16 ; 2,3 / 1,2.4.13.14 ; 2,8.9.10.16.17) ; – « ma compagne » (1,15 ; 2,2 / 1,9 ; 2,10b.13) ; – « belle » (1,15 bis, avec « beau » en 16 / 1,8 ; 2,10b.13) ; – « colombe(s) » (1,15 / 2,14) ; – « doux » (1,16 / 2,3c) ; – « anémone(s) » (2,1.2 / 2,16) ; – « filles » (bānôt, 2,2 / 1,5 ; 2,6) ; – « fils » (bānîm, en 1,6) / traduit par « garçons » en 2,3 ; – « pommier » (2,3) et « pommes » (2,5) ; – on peut ajouter « voici » (1,15a.15b.16 / 2,8.9b.11). – et aussi « moi » (2,1 / 1,5.6 ; 2,16). Il est fréquent que le centre d’une construction concentrique reprenne un grand nombre de termes utilisés dans le reste de la composition.
INTERPRÉTATION LE VIS-À-VIS MANQUÉ Le deuxième chapitre de la Genèse rapporte le vis-à-vis manqué entre le premier homme et la première femme. Manqué à tel point qu’on ne les entend pas échanger la moindre parole durant toute leur vie commune, jusqu’à la mort d’Adam, c’est-à-dire pendant « neuf cent trente ans » (Gn 5,5). L’homme se contente de lui donner un nom comme il l’avait fait pour chacun des animaux que le Seigneur lui avait présentés. Il ne voit pas en elle son vis-à-vis, elle n’est pour lui qu’un miroir dans lequel il ne peut contempler que sa propre image : « Celle-ci, cette fois, est l’os de mes os, la chair de ma chair ; celle-ci sera appelée femme (’iššâ), car c’est de l’homme (’îš) qu’elle a été prise, celle-ci ! » La femme n’est pas son autre, c’est son reflet, inconsistant, muet. LE BAISER Dans le Cantique, c’est la femme qui prend la parole, la première. Comme si elle en avait été privée depuis si longtemps. Et ce qu’elle désire, elle le dit d’emblée : « Qu’il me baise des baisers de sa bouche ! » Ce qu’elle attend, c’est la rencontre de deux bouches, de deux bouches parlantes, de deux paroles. Et c’est bien ce qui se produit au centre de la section, dans le bouche à bouche du duo amoureux qu’ils échangent par trois fois. Ravissement mutuel devant la
74
Le Cantique des cantiques
beauté de l’autre, devant la complémentarité de l’arbre et de la fleur, devant l’unicité absolue de l’être aimé. Le dialogue n’est pas limité à la séquence centrale, il se manifeste aussi au centre des deux autres séquences où le bienaimé répond à sa compagne. UNION ET SÉPARATION Il ne saurait y avoir union sans distance assumée, sans acceptation du manque. Une union sans séparation, sans interruption, serait fusion et confusion, négation de l’altérité sans laquelle la rencontre n’est pas possible. Un amour totalitaire ne peut qu’étouffer. Renoncer à la totalité, c’est ce que n’ont pas su accepter le premier homme et sa femme ; avec les tristes conséquences que l’on sait. Les amants du Cantique savent respecter les limites. Certes, ils se donnent l’un à l’autre, dans l’ivresse de l’amour, « son bras gauche est sous ma tête et sa droite m’étreint » (2,6), ils dorment ensemble sous les poutres de cèdre et les lambris de cyprès de leur maison (1,15–2,3b). Mais aucun des deux ne retient l’autre captif. Le roi l’a fait entrer dans ses chambres (1,4), mais ne l’y a pas retenue. Il a confiance qu’elle saura trouver son chemin vers lui quand il fait paitre son troupeau (1,8). Chacun parle, mais écoute l’autre lui répondre. Il se garde bien de franchir la limite du mur de sa maison, de ses fenêtres et de ses treillis (2,9). Quand il l’appelle à se lever, ce n’est pas pour qu’elle vienne à lui, mais pour qu’elle s’en aille en liberté (2,10). Et quand vient le soir, elle ne le retient pas, pour qu’il retourne vers « les montagnes de séparation » (2,17).
LE GRAND DIALOGUE AMOUREUX La deuxième section Ct 3,1–7,11
76
Le Cantique des cantiques
De chaque côté de la courte séquence centrale, quatre séquences se correspondent de manière parallèle :
B1 : ELLE SAISIT
l’amour de son âme
qui monte
B2 : Tu es belle, ma compagne ; du Liban
du désert
3,1-11
tu viendras
4,1-15
B3 : Le duo de la compagne et de son bien-aimé
B4 : ELLE CHERCHE
son bien-aimé
qui descend dans son jardin
B5 : Tu es belle, ma compagne ; au jardin
je suis descendu
4,16–5,1
5,2–6,3
6,4–7,11
Les deux premières séquences (B1–B2) forment une première sous-section et de même les deux dernières (B4–B5), la courte séquence centrale (B4) articulant la première et la dernière sous-section.
LA PREMIÈRE SOUS-SECTION 1. Elle saisit l’amour de son âme qui monte du désert Séquence B1 : 3,1-11 Cette séquence comprend cinq passages organisés de façon concentrique. LA BIEN-AIMÉE
fait entrer son amour
dans la chambre de sa mère
FILLES DE JÉRUSALEM, ne réveillez pas mon amour Qu’est cela qui monte du désert ? LE ROI SALOMON vient avec ses preux
FILLES DE SION,
3,1-4
3,5 3,6
dans son palanquin
sortez et voyez
le roi Salomon
3,7-10
3,11
A. LA BIEN-AIMÉE FAIT ENTRER SON AMOUR DANS LA CHAMBRE DE SA MÈRE (3,1-4) TEXTE 3,1 Sur ma couche, dans les nuits, j’ai cherché celui qu’aime mon âme ; je l’ai cherché, et ne l’ai pas trouvé ! 2 Je me lèverai donc, et tournerai dans la ville. Dans les rues et sur les places, je chercherai celui qu’aime mon âme ; je l’ai cherché, et ne l’ai pas trouvé ! 3 M’ont trouvée les gardes, ceux qui tournent dans la ville : « Celui qu’aime mon âme avez-vous vu ? » 4 À peine avais-je dépassé eux, que j’ai trouvé celui qu’aime mon âme ; je l’ai saisi et ne le lâcherai pas que je ne l’aie fait entrer dans la maison de ma mère et dans la chambre de celle qui m’a conçue. V. 1
: « DANS LES NUITS »
En Ps 92,3, « dans les nuits » au pluriel se trouve en parallèle avec « au matin » au singulier : « Il est bon [...] d’annoncer au matin ta fidélité et ta vérité dans les nuits » (voir aussi Ps 134,1). L’expression se retrouvera en 3,8.
78
Le Cantique des cantiques
COMPOSITION DU PASSAGE + 3,1 Sur ma couche, – j’ai cherché : je l’ai cherché, 2
Je me lèverai donc,
dans les nuits, CELUI QU’AIME ET NE L’AI PAS TROUVÉ !
MON ÂME
ET TOURNERAI
DANS LA VILLE.
+ Dans les rues – je chercherai : je l’ai cherché,
CELUI QU’AIME
-- 4 À peine -- QUE J’AI TROUVÉ
avais-je dépassé CELUI QU’AIME
;
et sur les places, MON ÂME
;
ET NE L’AI PAS TROUVÉ ! ················································································································· :: 3 M’ONT TROUVÉE les gardes, :: CEUX QUI TOURNENT DANS LA VILLE : : « CELUI QU’AIME MON ÂME avez-vous vu ? » ·················································································································
: je l’ai saisi : que je ne
et ne le lâcherai pas, l’aie fait entrer
- dans la maison - et dans la chambre
de ma mère de celle qui m’a conçue.
eux, MON ÂME
;
Le premier morceau comprend deux trimembres parallèles (1.2bcd) autour d’un unimembre : ne trouvant pas son bien-aimé sur sa couche, sa compagne décide de le chercher dans la ville (2a) mais, là non plus, elle ne l’a pas trouvé. En revanche ce sont les gardes qui l’« ont trouvée », eux qui « tournent dans la ville » (3b) comme elle (2a). La seule question du passage se trouve donc en son centre. Le troisième morceau se développe en trois bimembres : elle trouve enfin celui qu’elle aime (4ab), le saisit pour le faire entrer (4cd), au lieu où elle a été conçue (4ef). « Celui qu’aime mon âme » revient dans les trois morceaux (1b.2a.3c.4b), ainsi que le verbe « trouver » (1c.2d.3a.4b). Aux extrémités, « dans la maison » et « dans la chambre » (4ef) rappellent « sur ma couche » (1a). CONTEXTE PS 63,7-9 Le fidèle du Seigneur pense à lui « sur sa couche » durant « les veilles » de la nuit : Quand je songe à toi sur ma couche, dans les veilles je médite sur toi, 8 car tu fus secours pour moi et à l’ombre de tes ailes je crie de joie ; 9 se presse mon âme derrière toi, moi soutient ta droite. 7
Séquence B1 (3,1-11)
79
« DANS LA MAISON DE MA MÈRE » La fin du passage peut rappeler l’épisode du mariage d’Isaac : « Et Isaac fit entrer Rébecca dans sa tente : il la prit et elle devint sa femme et il l’aima. Et Isaac se consola de la perte de sa mère » (Gn 24,67). L’HISTOIRE D’AMOUR DU PS 85 La relation entre le peuple d’Israël et son Dieu est décrite comme une histoire d’amour. Comme dans les premiers chapitres d’Osée, le Seigneur pardonne à l’épouse infidèle qu’il n’a pas cessé d’aimer (2-8). . 10 . . 11 .
. 13 . . .
Oui, et
proche de habite
SES CRAIGNANT GLOIRE
SON SALUT
sur NOTRE TERRE.
FIDÉLITÉ
et LOYAUTÉ se sont rencontrées JUSTICE et PAIX se sont embrassées. ································································································ 12 LOYAUTÉ de LA TERRE germera car JUSTICE des CIEUX s’est penchée. ································································································ Aussi YHWH donnera le bon et
NOTRE TERRE
donnera
son produit.
et
JUSTICE IL mettra
devant LUI sur un chemin
marchera ses pas
14
Ps 85.
Après avoir fait « la paix » avec elle (9), il s’en approche (10), s’unit à elle (11), qui conçoit (12) et enfante (13), après quoi il apprend à marcher à leur fils en le tenant par les mains (14)1.
INTERPRÉTATION LES SONGES DE LA NUIT Désespéramment seule sur sa couche, elle ne pense qu’à celui qu’aime son âme. Incapable de dormir, elle rêve et son esprit s’échauffe. Comment pourraitelle le retrouver ? La voilà convaincue qu’il doit arpenter les rues de la ville. Alors que la ville est évidemment déserte à l’heure qu’il est. Elle ne peut tenir en place et elle se voit déjà partir à sa recherche, par les rues et les places. Elle n’imagine pas un seul instant que les gardes qui veillent à la sécurité des habitants puissent, à bon droit, s’étonner de la trouver seule à cette heure et en ces lieux. Contre toute vraisemblance, elle ne doute pas qu’ils connaissent celui 1 Voir R. MEYNET, « L’enfant de l’amour (Ps 85) » ; ID., Le Psautier. Premier livre (Ps 1–41), 161-174.
80
Le Cantique des cantiques
qu’elle aime ! Mais elle les dépasse sans même attendre leur réponse. Et l’amour faisant, comme chacun sait, des miracles, voici qu’elle trouve soudain celui qu’aime son âme. Et ce dernier n’oppose, bien entendu, aucune résistance pour entrer dans la maison de sa mère, jusque dans la chambre où elle dort. L’amour peut tout et il ne saurait que se rire de tous les obstacles. DANS LA CHAMBRE DE CELLE QUI M’A CONÇUE Tout le désir de celle qui, sur sa couche, songe à son bien-aimé tend à l’union des corps et des cœurs, dans la chambre de celle qui l’a enfantée. Et l’on peut comprendre que c’est sur la couche de sa mère qu’elle est étendue et qu’elle s’abandonne à son rêve de devenir épouse et mère à son tour. B. FILLES DE JÉRUSALEM, NE RÉVEILLEZ PAS MON AMOUR (3,5) TEXTE 3,5 Je conjure vous, filles de Jérusalem, par les gazelles ou par les biches de la campagne, n’éveillez pas, ne réveillez pas mon amour, tant qu’il lui plaira.
Ce verset se trouvait déjà, identique, en 2,7 ; certains l’appellent « le refrain du réveil »2, bien qu’il ne remplisse pas la fonction du refrain qui ponctue, à intervalles réguliers, la composition d’un poème.
COMPOSITION DU PASSAGE + 3,5 Je conjure . par les gazelles
vous, ou par les biches
+ n’éveillez pas, ne réveillez pas . tant qu’il lui plaira.
filles de la campagne :
de Jérusalem,
mon amour,
Le premier segment est une objurgation dont l’objet est explicité dans le deuxième segment. Les premiers membres s’achèvent par les qualificatifs des protagonistes. Les seconds membres, plus courts que les premiers, sont des compléments ; ils semblent en relation, la liberté du bien-aimé étant semblable à celle des gazelles ou des biches sauvages.
2
Barbiero, 128.
Séquence B1 (3,1-11)
81
INTERPRÉTATION La jeune fille se voit, pour ainsi dire, entourée des demoiselles d’honneur qui accompagnent ses noces et sont chargées de veiller sur le bien-être des jeunes époux. Maintenant que le jeune homme est endormi, elles reçoivent la consigne de ne pas troubler son sommeil et de le laisser dormir tout son saoul. Celles qui sont appelées « filles de Jérusalem » sont des citadines, habitantes, qui plus est, de la capitale du royaume, et c’est au nom des gazelles et des biches de la campagne qu’elles sont adjurées ! Le symbolisme de ces images est diversement interprété. La grâce et l’agilité de la gazelle et de la biche pourraient être une sorte de compliment adressé à des filles qui leur ressemblent. Il semble plutôt que leur liberté imprévisible est une invite à laisser le bien-aimé dormir sans entrave, jusqu’à ce qu’il se réveille de lui-même, librement.
C. « QU’EST CELA QUI MONTE DU DÉSERT ? » (3,6) TEXTE 3,6 Qu’est cette-chose montant du désert, comme des colonnes de fumée, myrrhe et d’encens, de toutes les poudres exotiques ? V. 6A
odorante de
: « QU’EST CETTE-CHOSE... »
Le démonstratif zôt peut être féminin, « celle-ci », ou neutre, « cela », « cettechose » ; zôt est précédé de l’interrogatif mî, « Qui ? », alors qu’on aurait pu s’attendre à mah, pronom neutre ; mais il n’est pas rare que mî soit utilisé pour le neutre (Gn 33,8 ; Jg 13,17). La réponse à la question (7-10) ne laisse guère de doute : cette chose qui monte est la litière et non un personnage féminin3. V. 6D
: « LES POUDRES DES MARCHANDS »
Il s’agit des parfums solides, en grains ou en poudre, que les marchands ramènent des pays lointains. COMPOSITION DU PASSAGE + 3,6 Qu’est cette-chose : comme des colonnes :: odorante :: de toutes
montant
du désert,
de fumée, de myrrhe les poudres
et d’encens, des marchands ?
« Cette-chose » (6a), que le locuteur ne peut identifier, est cependant décrit dans le trimembre suivant, par la vue (6b) et surtout par l’odorat (6cd). 3
Voir Joüon, Cantique, 177-178.
82
Le Cantique des cantiques
CONTEXTE « COLONNES DE FUMÉE » Le premier terme qui ne revient dans la même expression qu’en Jl 3,3, signifie « colonne » ; d’après sa racine, il pourrait s’agir de colonnes dont le chapiteau a la forme du « palmier ». Le syntagme fait penser à « la colonne de nuée » qui guidait les fils d’Israël au désert, mentionnée la première fois au moment où ils vont traverser la mer (Ex 13,21-22). Et ainsi tout au long du chemin : 36
À toutes leurs étapes, lorsque la nuée s’élevait au-dessus de la Demeure, les Israélites se mettaient en marche. 37 Si la nuée ne s’élevait pas, ils ne se mettaient pas en marche jusqu’au jour où elle s’élevait » (Ex 40).
UNE QUESTION SIMILAIRE Ct 3,6 rappelle la seconde des deux questions sur lesquelles est focalisé le Chant de la mer (Ex 15,11). Elles ont la même construction syntaxique : = Qui est . parmi les dieux,
comme toi YHWH ?
······················································
= Qui est . resplendissant . terrible . faiseur
comme toi, de sainteté, en louanges, de prodiges ?
INTERPRÉTATION QUI PARLE ? Qui pose la question est fort discuté. « Le morceau est dit par les « filles de Sion » (v. 11) dialoguant entre elles »4. « Les deux premières strophes [6 ; 7-8] iraient bien dans la bouche des femmes de Jérusalem. La troisième et la quatrième [9-10 ; 11] pourraient être mises dans la bouche du poète lui-même »5. La composition de la section centrale du Ct qui fait alterner les discours de la jeune fille et ceux du bien-aimé, et celle de la séquence elle-même conduisent à penser que c’est elle qui parle tout au long.
4 5
Joüon, Cantique, 177. Barbiero, 132.
Séquence B1 (3,1-11)
83
DE QUOI S’AGIT-IL ? Voilà une chose bien étrange qui l’intrigue. Elle voit de loin quelque chose qui s’approche, mais que ses yeux ne peuvent distinguer, à cause de la fumée. Peut-être pense-t-elle d’abord que c’est la poussière du chemin que soulève le convoi. Mais une odeur effleure ses narines ; cette fumée ressemble plutôt à celle qui s’élève de l’autel des parfums vers le ciel. Venant du « désert », la vision a quelque chose de sacré, comme la « colonne de nuée » qui précédait les fils d’Israël.
D. LE ROI SALOMON VIENT AVEC SES PREUX DANS SON PALANQUIN (3,7-10) TEXTE 3,7 Voici la litière de Salomon ; soixante preux autour d’elle, parmi les preux d’Israël, 8 tous prenant l’épée, instruits à la guerre ; chacun l’épée sur sa cuisse, par crainte dans les nuits. 9 Un palanquin a fait pour lui le roi Salomon en bois du Liban ; 10 ses piliers il a fait d’argent, le baldaquin d’or, le siège de pourpre ; l’intérieur est arrangé d’amour, par les filles de Jérusalem. V. 9
: « PALANQUIN »
Le terme ’appiryôn est un hapax ; sans doute d’origine étrangère, son origine est discutée ainsi que son sens précis6. Avec « litière » il remplit la fonction de termes initiaux pour les deux morceaux du passage ; ce peut donc être une autre manière de nommer le même objet, d’abord vu du dehors avec son escorte, puis du dedans avec les éléments qui le composent. V. 10B : « BALDAQUIN
»
e
Le terme r pîdâ est un autre hapax, donc différemment interprété. Plutôt que « dossier » — qui devrait être mentionné après le « siège » —, il semble que ce soit un « dais » ou « baldaquin »7, soutenu par les « piliers » qui le précèdent. V. 10D
: « L’INTÉRIEUR EST ARRANGÉ D’AMOUR »
Le deuxième terme, rāṣûp, est lui aussi un hapax de sens incertain. Des termes de même racine en 2R 16,17 et Est 1,6 désignent des arrangements ou marqueterie de pavements. « D’amour » semble devoir être mis en ligne avec les matériaux précieux de la construction.
6 7
Joüon, Cantique, 183-187 ; Gordis, 21 ; Ravasi, 323 ; Barbiero, 139-140. Robert – Tournay, 151.
84
Le Cantique des cantiques
COMPOSITION DU PASSAGE + 3,7 Voici + soixante + parmi les preux
LA LITIÈRE
preux d’Israël,
de SALOMON ; autour d’elle,
– 8 tous – instruits
prenant à la guerre ;
l’épée,
:: chacun :: par crainte
l’épée dans les nuits.
sur sa cuisse,
·················································································································
+ 9 UN PALANQUIN + en bois
a fait pour lui du Liban ;
LE ROI
.. 10 ses piliers .. le baldaquin .. le siège
il a fait d’or, de pourpre ;
d’argent,
+ l’intérieur + par les filles
est arrangé de Jérusalem.
d’amour,
SALOMON
Le premier morceau (7-8) décrit le groupe des « preux » qui accompagnent « la litière » du roi. « L’épée » revient dans les premiers membres des deux derniers segments. Le deuxième morceau (9-10) est consacré à la description de la litière, appelée « le palanquin », sa structure en cèdre, le « bois du Liban » (9ab), puis son ornementation en matériaux précieux (10abc), que le roi « a fait », l’une et l’autre (9a.10a) ; en revanche « l’intérieur », c’est-à-dire la literie, a été confectionnée par les « filles de Jérusalem » (10de). Les deux occurrences du nom de « Salomon » jouent le rôle de termes initiaux, de même que les termes corrélés, « litière » et « palanquin ». À « parmi les preux d’Israël » (7c) au début correspond « par les filles de Jérusalem » à la fin (10e), faisant donc office de termes extrêmes8. On remarquera le rythme poétique de la qînâ, où les seconds membres sont plus courts que les premiers.
CONTEXTE « SOIXANTE PREUX » Salomon est accompagné de deux fois plus de preux que son père David (2S 23,13-23).
8
« Parmi » (7c) et « par » (10e) traduisent le même mî.
Séquence B1 (3,1-11)
85
LE TEMPLE DE DIEU ET LE PALAIS DU ROI Les récits de la construction du temple et de la fabrication de son mobilier encadrent celui de la construction du palais du roi (1R 6–7) ; temple et palais sont édifiés en pierres de taille et en cèdre, le « bois du Liban ». Le roi étant le lieutenant de Dieu sur la terre, il était normal que leurs demeures soient semblables. La description de la litière de Salomon rappelle, par la noblesse de ses matériaux, le temple de Jérusalem.
INTERPRÉTATION LES PREUX D’ISRAËL ET LES FILLES DE JÉRUSALEM Selon la répartition traditionnelle des tâches, jeunes gens et jeunes filles sont au service du roi Salomon, les unes pour arranger l’intérieur de son palanquin, les autres pour le protéger contre de possibles attaques nocturnes. Ensemble, ils représentent tout le peuple d’Israël qui honore et protège son souverain. C’est le même « amour » qui les fait agir, qui guide leurs mains pour tenir l’épée de fer ou manier l’aiguille qui coud et brode la pourpre. À MATIÈRES RARES, MOTS RARES Le roi est entouré de l’élite des jeunes gens pour sa garde, par la fine fleur des filles de Jérusalem pour la décoration de son palanquin. Il fallait donc aussi que celui qui le raconterait, qui le célèbrerait par son poème, soit, lui aussi, le plus raffiné des scribes. Les termes qu’il utiliserait se devaient d’être aussi précieux et recherchés que les matières que les meilleurs artisans avaient choisies et façonnées pour modeler leur chef-d’œuvre matériel.
E. FILLES DE SION, SORTEZ ET VOYEZ LE ROI SALOMON (3,11) TEXTE 3,11 Sortez et voyez, filles de Sion, le roi Salomon avec la couronne dont l’a couronné sa mère au jour de ses épousailles, et au jour de la joie de son cœur. V. 11C
: « AVEC LA COURONNE »
Le complément du verbe « voyez » est introduit par la préposition be, préposition répétée avant « couronne » ; c’est pourquoi certains coordonnent « le roi » et « la couronne ». Il semble au contraire que la composition du passage ne fasse pas du second terme un second complément de « voyez » ; le texte massorétique, en effet, place l’atnah après « le roi Salomon ».
86
Le Cantique des cantiques
COMPOSITION DU PASSAGE + 3,11 Sortez + LE ROI . AVEC LA COURONNE . au jour . et au jour
et voyez, SALOMON,
filles
DONT L’A COURONNÉ de ses épousailles de la joie
sa mère
de Sion,
de son cœur.
Le trimembre final précise qui a « couronné » le roi (11c) et quand il l’a fait (11de). Les premiers membres des deux segments s’achèvent avec les figures féminines des « filles de Sion » et de « sa mère ».
CONTEXTE LA DAME DU PS 45 Au centre de l’épithalame du Ps 45 (voir p. 149), au milieu des filles de roi, bien-aimées du roi, à sa droite « se tient la Dame », dont on a de bonnes raisons de penser qu’il s’agit de la reine-mère, dont le rôle en Israël était bien plus important que celui de l’épouse du roi (1R 15,13)9.
INTERPRÉTATION La couronne est réservée au roi. C’est à ce signe qu’on le reconnait comme tel. Ici, pourtant, il s’agit de la couronne du jeune marié, celle que sa mère lui pose sur la tête, en ce jour de fête.
F. ELLE SAISIT L’AMOUR DE SON ÂME QUI MONTE DU DÉSERT (3,1-11) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Deux passages développés (1-4 ; 7-10) sont suivis par deux courts passages où la bien-aimée s’adresse aux « filles de Jérusalem » (5), aux « filles de Sion » (11) ; ces deux apostrophes jouent le rôle de termes initiaux. Ces deux passages sont marqués aussi par un double impératif, « n’éveillez pas, ne réveillez pas » (5b), « Sortez et voyez » (11a). Les deux premiers passages (1-4 ; 5) n’ont en commun que les termes de la racine ’hb, « aimer » (1a.2b.3b.4a) et « amour » (5b). Le double impératif adressé aux filles de Jérusalem, « n’éveillez pas, ne réveillez pas », fait comprendre que le bien-aimé s’est endormi dans « la chambre » où sa compagne l’a fait entrer. 9
Voir R. MEYNET, Le Psautier. Deuxième livre (42/43–72), 44.47.
Séquence B1 (3,1-11)
87
Dans les deux derniers passages (7-10 ; 11) revient le nom du « roi Salomon », en termes initiaux des deux morceaux du premier (7a.9a) et dans le premier segment du second (11a). « Filles de Jérusalem » (10b) et « filles de Sion » (11a) remplissent la fonction de termes médians. D’un versant à l’autre, « ma couche » (1) et « la litière de Salomon » (7) jouent le rôle de termes initiaux. Aux quatre occurrences de « celui qu’aime mon cœur » (1.2.3.4) correspondent les trois de « (le roi) Salomon » (7.9.11). À « ma mère » (4c) fait écho « sa mère » (11b), « amour » de 10b rappelle « aime » de 1.2.3.4 et « amour » de 10b. « Dans les nuits » revient dans les premiers passages de chaque versant (1a.8b). Au centre de la séquence, la longue question de 6. Ce passage articule les deux versants de la séquence. Il n’a cependant aucun mot en commun avec les quatre autres passages. Si l’on peut comprendre que le passage suivant (7-10) vient en réponse à la question, le rapport avec ce qui précède n’est pas immédiat. Cependant les deux adresses aux filles de Jérusalem/Sion (5.11) laissent entendre que son « amour » n’est autre que « le roi Salomon ». 3,1 Sur ma COUCHE, DANS LES NUITS, je l’ai cherché, et ne l’ai pas trouvé ! 2 Je me lèverai donc et parcourrai la ville. Dans les rues et sur les places, je l’ai cherché, et ne l’ai pas trouvé ! 3
M’ont trouvée les gardes, « CELUI QU’AIME MON ÂME avez-vous vu ? » 4
À peine avais-je dépassé eux, je l’ai saisi et ne le lâcherai pas dans la maison de MA MÈRE, 5
Je conjure vous, FILLES DE JÉRUSALEM, n’éveillez pas, ne réveillez pas MON AMOUR,
j’ai cherché CELUI QU’AIME MON ÂME ; je chercherai CELUI QU’AIME MON ÂME ; ceux qui font-la-ronde dans la ville : que j’ai trouvé CELUI QU’AIME MON ÂME ; que je ne l’aie fait entrer dans la chambre de celle qui m’a conçue. par les gazelles et par les biches de la campagne, tant qu’il lui plaira.
6
Quelle est cette chose qui monte du désert, comme des colonnes de fumée, odorante de myrrhe et d’encens, de toutes les poudres des marchands ? Voici LA LITIÈRE de SALOMON ; parmi les preux d’Israël, 8 tous saisissant l’épée, chacun l’épée au côté,
soixante preux autour d’elle,
Un palanquin s’est fait pour lui LE ROI SALOMON ses piliers il a fait d’argent, l’intérieur est arrangé D’AMOUR,
en bois du Liban : le baldaquin d’or, le siège de pourpre ; PAR LES FILLES DE JÉRUSALEM.
7
9
10
11 Sortez et voyez, FILLES DE SION, dont l’a couronné SA MÈRE et au jour de la joie de son cœur.
experts de la guerre ; par crainte DANS LES NUITS.
LE ROI SALOMON avec la couronne au jour de ses épousailles,
88
Le Cantique des cantiques
INTERPRÉTATION LES VISIONS DE LA NUIT La cohérence de la séquence ne saute pas aux yeux. La bien-aimée a réussi à trouver celui que son cœur aime et elle a fini par l’endormir dans la chambre où elle a été conçue, ce qui ressemble à s’y méprendre à une nuit de noces. Mais l’histoire rebondit de manière tout à fait étrange. Comment, du fond de la chambre de sa mère, en pleine nuit, peut-elle voir monter du désert ce qu’elle prend d’abord pour « des colonnes de fumée » et qui se révèle être bientôt le cortège de rien moins que le roi Salomon en personne, entouré par une escorte armée, installé dans le plus riche des palanquins ? Celui qu’aime son âme n’est donc autre que le roi Salomon. La clé se trouve, semble-t-il, au tout début de la séquence : sur sa « couche, dans les nuits » (1), la bien-aimée rêve. Profondément endormie ou simplement abandonnée aux délices et aux troubles du rêve éveillé, le fil rouge qui parcourt toute la séquence n’est autre que celui de l’amour. LES ÉPOUSAILLES Il ne fait guère de doute que si la jeune fille fait entrer celui qu’aime son âme dans la chambre de celle qui l’a conçue, c’est qu’elle désire devenir mère à son tour. Les « filles de Jérusalem » tiennent le rôle des demoiselles d’honneur d’un mariage, témoins du bonheur de leur amie et chargées de veiller sur la tranquillité du jeune époux. Quand ensuite le roi Salomon monte du désert, comme à sa rencontre, elle le voit portant la couronne reçue de sa mère « au jour de ses épousailles, au jour de la joie de son cœur » (11). La mère de la jeune fille et celle de Salomon se font signe, pour ainsi dire, d’une scène à l’autre : la mère de la jeune fille a laissé sa place à celle qu’elle a conçue, la mère du roi a transmis la couronne à son fils le jour de ses épousailles, s’effaçant devant lui.
2. Tu es belle, ma compagne ; du Liban tu viendras Séquence B2 : 4,1-15 Cette séquence comprend trois passages organisés de façon concentrique. Le temps Le moment Le temps
du désir
amoureux
de la déclaration de la présence
4,1-5 4,6-8
amoureuse
4,9-15
A. LE TEMPS DU DÉSIR AMOUREUX (4,1-5) TEXTE 4,1 Te voici belle, ma compagne, te voici belle ! Tes yeux des colombes, de derrière ton voile. Tes cheveux comme un troupeau de chèvres, qui dégringolent du mont Galaad. 2 Tes dents comme un troupeau de brebis-à-tondre qui remontent du bain, que elles toutes mèresde-jumeaux et de privée-de-petit point parmi elles. 3 Comme ruban d’écarlate tes lèvres, et ta babillarde charmante. Comme moitiés de grenades tes joues, de derrière ton voile. 4 Comme la tour de David ton cou, bâtie pour des trophées ; mille rondaches suspendues à elle, tous les boucliers des preux. 5 Tes deux seins comme deux faons, jumeaux d’une gazelle paissant parmi les anémones. V. 1D
: « DE DERRIÈRE TON VOILE »
L’expression a fait difficulté parce que le voile cacherait le visage et le corps qu’on ne pourrait donc ni voir ni décrire. V. 2
: « BREBIS-À-TONDRE »
Le participe adjectival « tondues » est employé comme substantif et il est donc traduit par « brebis-à-tondre »1. Par ailleurs, le participe n’a pas de valeur
1 Dans le passage parallèle (6,6), « (brebis)-à-tondre » est remplacé par « brebis » (voir p. 127).
90
Le Cantique des cantiques
temporelle2. Celui de « tondre » peut signifier, suivant le contexte, « tondues », ou « qui seront tondues », « devant être tondues ». En effet, c’est avant la tonte que les brebis sont lavées. V. 2
: « MÈRES DE JUMEAUX, PRIVÉE-DE-PETIT »
Suivant Joüon3, la BJ traduit par « chacune a sa jumelle et nulle n’en est privée ». Il s’agit en réalité de brebis gémellipares. L’image s’applique aux dents qui vont par paires ; elle se poursuit de manière complémentaire avec le second terme (šakkulâ) qui qualifie une mère privée de petit (voir, par ex., Jr 18,21). V. 3
: « TA BABILLARDE »
L’hapax midbār est de la racine dbr, « parler » ; nom d’instrument, il désigne la bouche, en parallèle avec « lèvres », mais en tant qu’organe de la parole4. « Ton parler » ne convient pas, car, si la description de la compagne lui est adressée, c’est en son absence et le bien-aimé ne saurait entendre ses paroles. V. 4
: « LA TOUR DE DAVID... BÂTIES POUR DES TROPHÉES »
Cette tour n’est pas identifiable. Le terme talpiyyôt est un hapax que la Septante s’est contentée de transcrire. Les interprétations sont donc très diverses. Le contexte successif, avec les « rondaches » et « boucliers », appuie la traduction de Joüon5, suivie par la plupart (Dhorme, Osty, TOB). COMPOSITION DU PASSAGE Une très courte partie où le bien-aimé pousse une double exclamation devant la beauté de sa « compagne » (1ab) introduit la longue partie principale qui décrit cette beauté dans tous ses détails (1c-5). La deuxième partie se développe en trois sous-parties. Dans la première sous-partie (1c-2), le premier morceau assimile les « yeux » à des « colombes ». Dans le second morceau les « cheveux » et les « dents » sont mis en parallèle, les uns comparés à des « chèvres » (noires) descendant de la montagne, les autres à des « brebis » (blanches) remontant de l’eau. Un dernier segment (2cd) développe la description des dents en poursuivant la comparaison avec les brebis6 ; on comprend que les dents vont toutes deux par deux, sans qu’aucune ne manque.
2
Joüon, 121i. Joüon, Le Cantique, 199. 4 Inspiré par Lys, 171, la TOB traduit par « ta babillarde ». 5 Joüon, Le Cantique, 203-204. 6 Les premiers mots des deux membres du segment sont en rapport de paronomase : šekkullām et wešakkulâ. 3
Séquence B2 (4,1-15)
91
Dans la troisième sous-partie (3c-5), le premier morceau met en parallèle les « joues » et le « cou » comparés les unes à des « moitiés de grenade », l’autre à « la tour de David ». Un troisième segment (4cd) décrit la décoration de la tour, évoquant les colliers de la bien-aimée. Dans le deuxième morceau (5) les « deux seins » sont comparés aux deux faons d’une gazelle. Dans la sous-partie centrale (3ab), la « babillarde » est mise en parallèle avec les « lèvres ». La première et la troisième sous-partie se correspondent de manière spéculaire. Les morceaux extrêmes sont de la taille d’un bimembre, tandis que les morceaux médians, qui comptent trois bimembres, sont parallèles entre eux : le dernier segment de ces morceaux (2cd.4cd) est une expansion du précédent. • 4,1 Te voici • te voici + TES YEUX + DE DERRIÈRE
belle, belle !
ma compagne,
des colombes,
TON VOILE. ···················································································································· :: TES CHEVEUX COMME un troupeau de chèvres,
– qui dégringolent 2
:: TES DENTS, – qui remontent
du mont
Galaad.
COMME un troupeau
de brebis-à-tondre
du bain,
. que elles toutes . et de privée-de-petit
MÈRES-DE-JUMEAUX point
= COMME ruban = et TA BABILLARDE
d’écarlate charmante.
TES LÈVRES
de grenades
TES JOUES,
3
parmi elles.
:: COMME moitiés – DE DERRIÈRE
TON VOILE.
:: 4 COMME la tour – bâtie
de David TON COU, pour des trophées ;
. mille . tous les boucliers
rondaches des preux.
suspendues
à elle,
···················································································································· SEINS COMME deux faons,
+ 5 TES DEUX + JUMEAUX
d’une gazelle
paissant
parmi les anémones.
Les deux occurrences de « de derrière ton voile » (1d.3d) jouent le rôle de termes initiaux pour les sous-parties extrêmes de la deuxième partie, « mères-dejumeaux » et « jumeaux » (2c.5b ; à quoi on peut ajouter « parmi elles » et « parmi les anémones ») de termes finaux. La métaphore des « colombes » (1c) est suivie par six comparaisons signalées par autant de « comme ». Le nombre des parties du corps de l’aimée atteint le chiffre sept de la totalité ou de la
92
Le Cantique des cantiques
perfection7 ; elles sont réparties de manière régulière, trois dans les sous-parties extrêmes (1c.1e.2a ; 3c.4a.5a), une dans la sous-partie centrale, bien que dédoublée en « lèvres » et « babillarde » (3ab).
CONTEXTE TON VOILE Le terme « voile » (ṣammâ), qui sera repris au verset 3 puis en 6,7, ne revient qu’une seule autre fois dans la bible hébraïque (Is 47,2) : 1
Descends, assieds-toi dans la poussière, vierge fille de Babylone, assieds-toi à terre, sans trône, fille des Chaldéens, car jamais plus on ne t’appellera douce et exquise. 2 Prends la meule et broie la farine ; dénoue ton voile, relève ta robe, découvre tes jambes, traverse les rivières. 3 Que paraisse ta nudité et que ta honte soit visible. [...] 5 Assieds-toi en silence, enfonce-toi dans l’ombre, fille des Chaldéens, car jamais plus on ne t’appellera souveraine des royaumes (Is 47,1-5).
Le voile et la robe8 sont les attributs de la « souveraine », « Babylone », la capitale des Chaldéens. Le prophète annonce qu’elle perdra son « trône » et qu’elle sera réduite à l’état d’esclave, dépouillée de ses vêtements royaux, qui tourne la meule et doit se dénuder honteusement pour traverser les canaux de la ville. LE RUBAN D’ÉCARLATE Le rouge de l’écarlate convient éminemment à celui des lèvres. En outre, au même titre que la pourpre, le tissu d’écarlate (šanî) est précieux comme l’or (Jr 4,30 ; voir aussi Est 8,15). BOUCLIERS, CASQUES ET ÉCUS Ces armes décoraient les édifices officiels et les remparts de Tyr : 10
Ceux de Perse, de Lud et de Put servaient dans ton armée comme gens de guerre ; ils suspendaient chez toi le bouclier et le casque, ils faisaient ta splendeur. 11 Les fils d’Arvad et leur armée garnissaient tes remparts, tout autour, et les Gammadiens tes bastions. Ils suspendaient leurs écus à tes remparts, tout autour, et contribuaient à parfaire ta beauté (Ez 27,10-11).
7
Voir J.-L. CHRÉTIEN, Symbolique du corps. La tradition chrétienne du Cantique des cantiques. 8 Ce terme est un hapax, que la BJ traduit par « traine ».
Séquence B2 (4,1-15)
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INTERPRÉTATION DE DERRIÈRE TON VOILE Le voile de la bien-aimée n’est évidemment pas l’épaisse tenture qui dissimule son corps des pieds à la tête, ne laissant même pas apercevoir la lumière de ses yeux. Le voile du Cantique est la marque par excellence de la noblesse de celle qui en est ornée, c’est le voile de la mariée, le voile de la reine. Il n’est pas ce qui cache, mais, bien au contraire, ce qui révèle la condition de la femme qui le porte. Il est fait pour attirer les regards respectueux et admiratifs de ses sujets, et en premier lieu de celui qu’elle aime et qui l’aime. Ce voile, qui flotte et que le souffle de l’air écarte par instants, cache à la fois et révèle la beauté de celle que son bien-aimé détaille avec la plus grande délectation. BERGÈRE ET REINE Le bien-aimé ne peut que recourir à des similitudes, pas moins de sept, le chiffre de la complétude, pour décrire celle qu’il aime. Les premières et la dernière sont pastorales, avec les « colombes », les troupeaux de « chèvres » et de « brebis », les « grenades » et les « faons » d’une « gazelle ». Tous ces traits dessinent la figure d’une bergère. Sur la fin cependant, la tour de David, décorée de « mille rondaches » et des « boucliers des preux », donnent une touche royale au tableau, soulignée au centre par l’écarlate des lèvres. Sous les dehors de la bergère se cachait en réalité une reine. LE CHARME DE LA PAROLE La beauté du corps de la belle, de ses yeux, de ses cheveux et de ses dents, de ses joues, de son cou et de ses seins, atteint son sommet au cœur de la description non tant dans l’écarlate de ses lèvres que dans le charme de sa bouche. Comme si la beauté de ses discours devait surpasser celle de tout son corps. Comme si toutes les parties de sa chair étaient appelées à se fondre dans le souffle immatériel et spirituel de sa voix. Alors la vue céderait enfin la place à l’ouïe. PARMI LES ANÉMONES Le portrait de la belle s’achève sur l’image des faons d’une gazelle. Les brebis et les chèvres dévalant et grimpant les montagnes en troupeaux laissent la place en finale à la gazelle et à ses faons, animal farouche et léger s’il en est, libre comme le vent, symbole de beauté raffinée. Dernière touche au tableau, les anémones, écarlates comme les lèvres de la reine. « Comme l’anémone parmi les chardons, ainsi ma compagne parmi les filles » (2,2).
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Le Cantique des cantiques B. LE MOMENT DE LA DÉCLARATION (4,6-8)
TEXTE 4,6 Avant que souffle le jour et que s’enfuient les ombres, j’irai au mont de la myrrhe et à la colline de l’encens. 7 Tu es toute belle, ma compagne, de tache il n’est pas en toi ! 8 Avec moi du Liban, ô fiancée, avec moi du Liban, tu viendras ; tu descendras du sommet de l’Amana, du sommet du Sanir et de l’Hermon, du repaire des lions, des monts des léopards. V. 6AB : «
AVANT QUE SOUFFLE LE JOUR... »
Voir 2,17, ci-dessus, p. 62. V. 8C
: « TU DESCENDRAS »
Il existe deux racines šûr : I. « observer, apercevoir», II. « aller ». Le contexte immédiat (« du Liban [...] tu viendras »), comme celui de l’ensemble du passage fait pencher la balance vers le deuxième sens ; d’où la traduction par « tu descendras ». V. 8CD : L’AMANA, LE SANIR, L’HERMON
L’Hermon est le plus haut sommet méridional de la chaine de l’Anti-Liban, le Sanir serait un autre nom de l’Hermon ou désignerait un autre sommet de la chaine ; quant à l’Amana, il est généralement identifié avec Jabal Zabadanî, plus au nord dans le massif, là où prend sa source le fleuve de Damas, le Barada, appelé en 2R 5,12 « Abana ».
COMPOSITION DU PASSAGE Dans le premier morceau, le bien-aimé monte dès l’aube sur la montagne pour chercher sa compagne ; dans le deuxième, il l’invite à descendre avec lui. Les deux premiers segments forment une seule phrase complexe (6), et de même les deux derniers (8c-f). Le premier segment médian (7) contient deux pronoms de deuxième personne du singulier (« toi ») aux extrémités, tandis que le second segment médian (8ab) contient deux pronoms de première personne du singulier (« moi ») en termes initiaux de ses deux membres. Les premiers membres de ces segments s’achèvent par les seules apostrophes du passage, « ma compagne », « ô fiancée ».
Séquence B2 (4,1-15)
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: 4,6 Avant que souffle : et que s’enfuient
le jour les ombres,
:: JE M’EN IRAI :: et à la colline
au MONT de L’ENCENS ;
de la myrrhe
belle, (il n’est) pas
ma compagne, en toi !
= 7 toute toi = et de défaut
······································································································ 8
+ Avec moi + avec moi
ô fiancée,
du LIBAN, du LIBAN,
TU VIENDRAS
:: tu descendras :: du sommet
du sommet du Sanir
de l’Amana, et de l’Hermon,
: du repaire : des MONTS
des lions, des léopards.
;
À « je m’en irai » (6c) correspond « tu viendras » (8b) ; à « mont » et « colline » (6cd) font écho « sommet » (8cd) et « monts » (8f). Les prépositions « à » dans le premier morceau (6cd) et « de » dans chacun des six membres du deuxième morceau s’opposent. « L’encens » (lebônâ) et « Liban » (lebānôn) sont en rapport de paronomase. Au couple « myrrhe – encens » (6cd) semble répondre celui de « lions – léopards » (8ef).
CONTEXTE « LE MONT DE LA MYRRHE ET LA COLLINE DE L’ENCENS » Myrrhe et encens provenant d’Afrique de l’Est et du sud de la péninsule arabique, « mont » et « colline » ne peuvent désigner directement les hauteurs du Liban comme lieux de leur production. Dans la foulée du verset précédent, ces reliefs peuvent représenter ceux du corps de la bien-aimée, ses seins parfumés. Le jeu de mots entre « encens » et « Liban » laisse entendre que tout le pays est rempli de l’odeur des parfums de la bien-aimée (voir Jn 12,3). Toutefois, le passage suivant parlera de « l’arôme du Liban » (11 ; voir aussi Os 14,7).
INTERPRÉTATION VERS LES SOMMETS DE LA RENCONTRE De bon matin à la fraiche, le bien-aimé part à la recherche de sa « compagne », comme s’il était guidé par l’arôme de la myrrhe et de l’encens dont elle est parfumée. L’ayant rejointe, il ne peut contenir sa joie et lui déclare son admiration pour la perfection de sa beauté que ne ternit pas le moindre défaut.
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Le Cantique des cantiques
EN ROUTE POUR LES FIANÇAILLES Parvenus sur les plus hauts sommets du Liban, le bien-aimé fait sa déclaration à celle qui jusqu’alors était seulement sa « compagne » ; pour la première fois il l’appelle « fiancée », l’invitant ainsi à resserrer leurs liens en vue des épousailles. Pour venir avec lui, elle devra se séparer de ses montagnes sauvages et s’éloigner du repaire des fauves.
Séquence B2 (4,1-15)
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C. LE TEMPS DE LA PRÉSENCE AMOUREUSE (4,9-15) TEXTE 4,9 Tu me rends-fou, ma sœur, ô fiancée, tu me rends-fou par un seul de tes yeux, par un seul anneau de tes colliers. 10 Que sont belles tes caresses, ma sœur, ô fiancée, que sont bonnes tes caresses plus que le vin et l’arôme de tes parfums plus que tous les baumes ! 11 Du miel-vierge distillent tes lèvres, ô fiancée, miel et lait dessous ta langue et l’arôme de tes vêtements comme l’arôme du Liban. 12 Un jardin clos, ma sœur, ô fiancée, un bassin clos, une source scellée. 13 Tes jets un verger de grenadiers, avec les fruits les meilleurs, les hennés avec les nards ; 14 le nard et le safran, le roseau-odorant et le cinnamome, avec tous les arbres à encens ; la myrrhe et l’aloès, avec tous les sommets des baumes. 15 Source des jardins, puits d’eaux vives et descendant du Liban ! V. 12B : « UN BASSIN CLOS
»
Gal est traduit par « bassin » pour préserver le jeu de mot avec « jardin » (gan : 12a). V. 13A : « TES POUSSES UN JARDIN DE GRENADIERS
Le sens de šelāḥayik (de šlḥ, « envoyer ») est discuté. Il semble que « surgeons », « pousses » s’accorde mieux avec le contexte du jardin, avec ses « fruits » et ses « arbres ». L’autre possibilité, « canaux » ou « jets », appartiendrait au même champ sémantique que « bassin », « source », « puits d’eaux vives ».
COMPOSITION DU PASSAGE Le passage comprend deux parties. LA PREMIÈRE PARTIE (4,9-11) + 4,9 Tu me rends-fou, = tu me rends-fou = par un seul
MA SŒUR, par un seul anneau
Ô FIANCÉE, de tes yeux, de tes colliers.
: 10 Que (sont) belles : que (sont) bonnes .. ET L’ARÔME
tes caresses, tes caresses de tes PARFUMS
MA SŒUR,
: 11 Du miel-vierge : miel .. ET L’ARÔME
distillent et lait de tes vêtements
tes lèvres, dessous (est) comme L’ARÔME
Ô FIANCÉE,
plus que le vin plus que tous les BAUMES ! Ô FIANCÉE,
ta langue du Liban.
Les deux premiers membres du premier segment sont liés par la répétition de « tu me rends fou », les deux derniers par la reprise de « par un seul ». Le même
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Le Cantique des cantiques
phénomène se retrouve dans le second segment où les deux premiers membres sont liés par la reprise du terme « tes caresses », précédé de deux termes synonymes, et les deux derniers membres par la répétition de « plus que ». Les deux premiers segments sont liés non seulement par la reprise de la même apostrophe, mais aussi par les reprises entre leurs deux premiers membres (« tu me rends fou » ; « tes caresses ») et entre leurs deux derniers membres (« par un seul » ; « plus que »). Dans les deux derniers segments l’apostrophe est reprise mais abrégée la deuxième fois, et surtout les derniers membres commencent de la même façon avec « et l’arôme de », suivi par « parfums » et « baumes » la première fois, par la répétition de « l’arôme » la deuxième fois. LA DEUXIÈME PARTIE (4,12-15) + 4,12 UN JARDIN + un BASSIN
clos, clos,
ma sœur, une SOURCE
ô fiancée, scellée.
··········································································································· :: 13 TES POUSSES, un verger de grenadiers,
:: avec les fruits :: les hennés
les meilleurs, avec les nards ;
- 14 le nard - le roseau-odorant . avec tous
et le safran et le cinnamome, les arbres
à encens ;
- la myrrhe . avec tous
et l’aloès, les sommets
des baumes.
··········································································································· 15 SOURCE DES JARDINS, PUITS d’eaux vives
+ + + et descendant
du Liban !
Dans les morceaux extrêmes la compagne est comparée à un « jardin » et à la « source » qui y jaillit ; dans le premier morceau, la « source » est précédée de « bassin », dans le dernier morceau, la « source » est suivie d’un autre synonyme, « puits d’eaux vives ». Le long morceau central s’attarde sur les fruits qui y poussent (13ab) et surtout sur les plantes odoriférantes (14). « Avec » revient dans le dernier membre de chaque segment, et les deux derniers segments s’achèvent avec un membre fort semblable. Les parfums sont au nombre de dix, un des chiffres de la totalité. Le premier mot du morceau central, « tes pousses » (ou « tes jets »), semble rappeler « source » et ses synonymes des morceaux extrêmes.
Séquence B2 (4,1-15)
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L’ENSEMBLE DU PASSAGE (4,9-15) + 4,9 Tu me rends-fou, + tu me rends-fou + par un seul 10
MA SŒUR, par un seul de anneau
Ô FIANCÉE, TES YEUX,
de tes colliers !
: Que (sont) belles : que (sont) bonnes .. et L’ARÔME
tes caresses, tes caresses de tes PARFUMS
MA SŒUR,
: 11 Du miel-vierge : miel .. et L’ARÔME
distillent et lait de tes vêtements
tes lèvres, dessous comme L’ARÔME
+ 12 Un jardin + un BASSIN
clos, clos,
MA SŒUR, UNE SOURCE
Ô FIANCÉE,
plus que le vin ! plus que tous les BAUMES ! Ô FIANCÉE,
ta langue du LIBAN. Ô FIANCÉE,
scellée.
······························································································
:: 13 Tes pousses, :: avec les fruits :: les HENNÉS
un verger les meilleurs, avec les NARDS ;
- 14 le NARD - le ROSEAU-ODORANT . avec tous
et le SAFRAN et le CINNAMOME, les arbres
à ENCENS ;
- la MYRRHE . avec tous
et L’ALOÈÈS, les sommets
des BAUMES.
de grenadiers,
······························································································
+ 15 SOURCE + puits + et descendant
des jardins,
d’eaux
vives
du LIBAN !
Les deux occurrences de « ma sœur, ô fiancée » en 9a et 12a jouent le rôle de termes initiaux pour les deux parties ; à quoi il faut ajouter que « tes yeux » (9b) et « source » (12b) sont de même racine9. Les deux occurrences de « Liban » remplissent la fonction de termes finaux (11c.15c), le nom de « l’encens » (lebônâ : 14c) fait écho au nom du Liban (lebānôn). « Les parfums » dont parle la première partie de manière générale (10c.11c) sont détaillés au centre de la partie suivante (13c-14) ; « baumes » est repris, en fin de segments (10c.14e).
9
En arabe ‘ayin signifie soit « œil » soit « source ». L’un et l’autre sont des orifices. En français aussi on parle de l’œil d’un marteau, à savoir le trou qui reçoit le manche, de l’œil d’une aiguille, de l’œil du cyclone.
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Le Cantique des cantiques
CONTEXTE SI 24 La seconde partie rappelle Si 24 où la Sagesse fait son propre éloge : 12
Je me suis enracinée chez un peuple plein de gloire, dans le domaine du Seigneur, en son patrimoine. 13 J’y ai grandi comme le cèdre du Liban, comme le cyprès sur le mont Hermon. 14 J’ai grandi comme le palmier d’En-Gaddi, comme les plants de roses de Jéricho, comme un olivier magnifique dans la plaine, j’ai grandi comme un platane. 15 Comme le cinnamome et l’acanthe j’ai donné du parfum, comme une myrrhe de choix j’ai embaumé, comme le galbanum, l’onyx, le labdanum, comme la vapeur d’encens dans la Tente. [...] 30 Et moi, je suis comme un canal issu d’un fleuve, comme un cours d’eau conduisant au paradis. 31 J’ai dit : « Je vais arroser mon jardin, je vais irriguer mes parterres. »
« LES FRUITS EXQUIS » Le terme meged (Ct 4,13.16 ; 7,14) ne se retrouve qu’en Dt 33,13-16 où Moïse bénit Joseph (il y est traduit par « le meilleur ») : 13
Il dit sur Joseph : Son pays est béni de Yhwh. À lui le meilleur de la rosée des cieux et de l’abime souterrain, 14 le meilleur de ce que fait croître le soleil, de ce qui pousse à chaque lunaison, 15 les prémices des montagnes antiques, le meilleur des collines d’autrefois, 16 le meilleur de la terre et de ce qu’elle produit, la faveur de celui qui habite le Buisson (BJ).
INTERPRÉTATION L’IVRESSE DES SENS Dans ce discours de la folie amoureuse tous les sens ne pouvaient manquer d’être mobilisés. C’est d’abord la vue qui fait se rencontrer les regards et luire les colliers, c’est aussi le toucher des « caresses », l’odorat avec la profusion des parfums, le goût du lait et du miel dégustés sous la langue de la fiancée. Quant à l’ouïe, il est vrai que la bien-aimée ne dit rien, mais on comprend bien qu’elle ne perd pas un mot du long discours qui lui est adressé par celui qui lui fait sa cour si éloquemment. DEUX MENTIONS DU LIBAN En finale de chacune des deux parties le nom du Liban a de quoi surprendre. Rien ne semble le préparer, sauf sans doute la deuxième fois le nom de la lebônâ, « l’encens » auquel son nom est attaché. La première fois, c’est du parfum du Liban qu’il s’agit, dont sont imprégnés les vêtements de la bien-aimée. À la fin, la fiancée est identifiée pour ainsi dire aux eaux vives qui descendent du Liban pour irriguer les jardins. Le plaisir capiteux du parfum laisse la place à ce qui est plus nécessaire, à ce qui est capital, les eaux sans lesquelles il ne serait ni jardin ni vie.
Séquence B2 (4,1-15)
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D. TU ES BELLE, MA COMPAGNE ; DU LIBAN TU VIENDRAS (4,1-15) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE LES RAPPORTS ENTRE LES PASSAGES EXTRÊMES (4,1-5 ; 9-15) 4,1 Te voici BELLE, MA COMPAGNE,
te voici BELLE !
TES YEUX des colombes, Tes cheveux comme un troupeau de chèvres, 2 Tes dents comme un troupeau de brebis-à-tondre que toutes (sont) mère-de-jumeaux 3 Comme ruban d’écarlate TES LÈVRES, Comme moitiés de grenades tes joues, 4 Comme la tour de David TON COU, mille rondaches y (sont) suspendues, 5 Tes deux seins comme deux faons,
de derrière ton voile. qui dégringolent du mont Galaad. qui remontent du bain, et de privée-de-petit point parmi elles. et TA BALILLARDE charmante. de derrière ton voile. bâtie pour des trophées ; tous les boucliers des preux. jumeaux d’une gazelle paissant parmi les anémones.
[...]
Tu me rends-fou, MA SŒUR, Ô FIANCÉE, tu me rends-fou par un seul de TES YEUX, par un seul anneau de TES COLLIERS ! 10 Que sont BELLES tes caresses, ma sœur, ô fiancée, que sont bonnes tes caresses plus que le vin ! et l’arôme de tes parfums plus que tous les baumes ! 11 Du miel-vierge distillent TES LÈVRES, ô fiancée, miel et lait dessous TA LANGUE et l’arôme de tes vêtements comme l’arôme du Liban. 9
12
Un jardin clos, MA SŒUR, Ô FIANCÉE, Tes pousses un verger de grenadiers, les hennés avec les nards ; 14 le nard et le safran, avec tous les arbres à encens ; la myrrhe et l’aloès, 15 Source des jardins, et descendant du Liban ! 13
un bassin clos, une source scellée. avec les fruits les meilleurs, le roseau-odorant et le cinnamome, avec tous les sommets des baumes. puits d’eaux vives
Les apostrophes « ma compagne » (1a) et « ma sœur, ô fiancée » (9a) remplissent la fonction de termes initiaux pour les deux passages ; de même les deux occurrences de « tes yeux » (1b.9a). Des parties du corps dans le premier passage ne sont reprises dans le dernier passage que « tes lèvres », accompagnées de « ta babillarde » et « ta langue » (3.11) ; en outre « tes colliers » (9b) renvoie à « ton cou » avec ses « rondaches » (4). À l’énumération des parties du corps de la compagne dans le premier passage correspond l’énumération de ses parfums dans le dernier. Enfin on notera aussi que « belles » de 10a rappelle les deux occurrences de « belle » en 1a, qu’aux deux occurrences de « toutes/tous » (2b.4b) dans le premier passage correspondent les trois occurrences du dernier passage (10b. 14b.14c).
102
Le Cantique des cantiques
LES RAPPORTS ENTRE LE PASSAGE CENTRAL ET LES DEUX AUTRES 4,1 Te voici BELLE, ma compagne,
te voici BELLE !
Tes yeux des colombes, Tes cheveux comme un troupeau de chèvres, 2 Tes dents comme un troupeau de brebis-à-tondre que toutes (sont) mères-de-jumeaux 3 Comme un ruban d’écarlate tes lèvres, Comme moitiés de grenades tes joues, 4 Comme la tour de David ton cou, mille rondaches y sont suspendues, 5 Tes deux seins comme deux faons,
de derrière ton voile. qui dégringolent du MONT Galaad. qui remontent du bain, et de privée-de-petit il n’est pas parmi elles. et ton parler charmant. de derrière ton voile. bâtie pour des trophées ; tous les boucliers des preux. jumeaux d’une gazelle, paissant parmi les anémones.
6
Avant que souffle le jour Je m’en irai au MONT de LA MYRRHE 7 Tu es toute BELLE, ma compagne,
et que s’enfuient les ombres, et à la colline de L’ENCENS. et de défaut il n’est pas en toi !
8
avec moi du LIBAN, tu viendras ; du SOMMET du Sanir et de l’Hermon, des MONTS des léopards.
Avec moi du LIBAN, Ô FIANCÉE, tu descendras du SOMMET de l’Amana, du repaire des lions, 9
Tu me rends-fou, MA SŒUR, Ô FIANCÉE, tu me rends-fou par un seul de tes yeux, par un seul anneau de tes colliers ! 10 Que sont BELLES tes caresses, MA SŒUR, Ô FIANCÉE, que sont bonnes tes caresses plus que le vin ! et l’arôme de tes parfums plus que tous les baumes ! 11 Du miel-vierge distillent tes lèvres, Ô FIANCÉE, miel et lait dessous ta langue et l’arôme de tes vêtements comme l’arôme du LIBAN. 12
Un jardin clos, MA SŒUR, Ô FIANCÉE, Tes pousses un verger de grenadiers, les hennés avec les nards ; 14 le nard et le safran, avec tous les arbres à ENCENS ; LA MYRRHE et l’aloès, 15 Source des jardins, et descendant du LIBAN ! 13
un bassin clos, une source scellée. avec les fruits les meilleurs, le roseau-odorant et le cinnamome, avec tous les SOMMETS des baumes. puits d’eaux vives
Sont communs aux trois passages « belle(s) » (1 bis ; 7 ; 10a) ainsi que « tous/ toute(s) » (2b.4b ; 7 ; 10b.14bc). La première moitié du passage central (6-7) a en commun avec le premier passage pratiquement tout le verset 7 : « belle, ma compagne » reprend 1a et « de tache il n’est pas en toi » rappelle « et de privée-de-petit il n’est pas parmi elles » (2b). « Mont(s) » (6b.8c) apparaissait déjà en 1c. En revanche, « myrrhe » et « encens » (6b) reviendront dans le dernier passage (14bc). La deuxième moitié reprend « monts » comme dans le premier passage (1c). Les deux occurrences de « Liban » (8a) annoncent les deux du dernier passage (11b.15b) et les deux occurrences de « sommet » (8b) annoncent celle de la fin du dernier passage (14c).
Séquence B2 (4,1-15)
103
Alors que la description du premier passage est faite à distance, le contact est établi dans le dernier, avec « les caresses » (10a), les « parfums » (10b.11b.13-14) et les baisers (11a). Le passage central assure le contact puisque le bien-aimé monte sur les hauteurs du Liban chercher sa compagne pour redescendre avec elle.
INTERPRÉTATION « FIGURE PORTE ABSENCE ET PRÉSENCE, PLAISIR ET DÉPLAISIR »10 « Te voici belle, ma compagne, te voici belle ! ». Tout au long du premier passage le bien-aimé s’adresse à sa belle, mais elle n’est pas là, elle ne l’entend pas. Toute détaillée qu’elle soit, la description qu’il en fait se limite à la vue : une vue qui n’est pas seulement « de derrière son voile », mais, de fort loin, en son absence. À l’entendre, on pourrait croire qu’il la voit, qu’il n’aurait qu’à tendre la main pour écarter le voile et la toucher. Mais son parfum n’est pas mentionné une seule fois, ce qui ne laisse aucun doute sur le fait qu’elle soit très loin. Ceux qui écoutent une description si enthousiaste ne peuvent douter que son évocation lui procure un plaisir immense, mais on ne saurait s’empêcher de deviner que l’absence lui cause aussi un grand déplaisir. « AVEC MOI DU LIBAN TU VIENDRAS » Le temps du désir est très beau, celui du rêve est nécessaire. Mais il serait vain s’il ne mettait en route, non vers son objet, mais vers le sujet qui a suscité le désir. Attiré par les parfums de sa compagne, l’amoureux doit gravir mont et colline à la rencontre de celle à laquelle il peut redire, en sa présence cette foisci, combien elle est belle, sans défaut aucun. Toutefois, ce n’est pas seulement et avant tout pour lui dire cela qu’il est monté sur la montagne, c’est pour l’inviter à le suivre et à devenir sa « fiancée », en somme pour lui proposer de l’épouser. FOU D’AMOUR Dans la foulée de sa déclaration sur les montagnes du Liban, pas moins de quatre fois il l’appellera encore sa « fiancée ». Par rapport à la première scène, la situation a complètement changé. Maintenant elle est là qui le regarde, ornée de ses colliers ; elle le caresse, il l’embrasse. Il peut enfin s’enivrer du miel et du lait qui sourdent sous sa langue. L’abondance de ses multiples parfums emplit l’air que respirent avec délice les deux amants. Le jardin clos et la source d’abord scellée libèrent enfin les eaux vives qui ruissellent depuis les montagnes du Liban.
10
B. PASCAL, Pensées, Sellier 296.
3. La première sous-section (B1–B2) COMPOSITION La sous-section est de composition spéculaire : le dernier versant de la deuxième séquence correspond au premier versant de la première séquence, et le dernier versant de la première séquence correspond au premier versant de la deuxième ; il en va de même pour les passages. Aux quatre occurrences de « celui qu’aime mon âme » qui ponctuent, avec « mon amour » le premier versant de B1 (1.2.3.4.5) répondent les cinq occurrences de « (ma sœur) fiancée » dans le dernier versant de B2 (8.9.10.11.12). Le dernier versant de la séquence B1 et le premier de la séquence B2 sont des descriptions, de la litière de Salomon (3,7-11) et de la compagne (4,1-5) ; « preux » revient en 3,7bis et en 4,4. Aux centres des deux séquences sont repris « myrrhe » et « encens » (3,6 ; 4,6) ; dans la première séquence la litière de Salomon « monte du désert » (3,6) et dans la deuxième c’est sa compagne qui « descend » « du Liban » (4,8). « Liban » revient dans les deux séquences, une fois en B1 (3,9) et quatre fois en B2 (4,8bis.11.15). « Bois » (3,9) et « arbres » (4,14) traduisent le même terme hébreu. « Tu viendras », dit par le bien-aimé » en 4,8, fait écho à « que je ne l’aie fait venir » en 3,4.
INTERPRÉTATION DEUX DISCOURS AMOUREUX BIEN DIFFÉRENTS Les deux discours semblent se répondre. Chacun se développe dans le registre propre à son sexe. Elle ne s’adresse pas à lui, elle pense à lui, elle le cherche, elle le contemple dans sa litière, avec sa couronne, elle parle de lui aux filles de Jérusalem, aux filles de Sion. Quant à lui, il ne s’adresse à personne d’autre qu’elle, il lui parle directement, tout au long. Il ne voit qu’elle et s’attarde à la décrire dans tous ses détails, dans l’exaltation de tous ses sens. D’un côté, l’amour, le désir et la recherche, l’angoisse, le doute et l’interrogation ; de l’autre, l’assurance et l’admiration sans bornes, la passion, l’ivresse et la décision.
DEUX RÊVERIES COMPLÉMENTAIRES À entendre les paroles du bien-aimé, on pourrait penser qu’il se présente devant sa belle et entreprend aussitôt de lui faire sa cour de la manière la plus directe qu’on puisse imaginer : « Te voici belle, ma compagne, te voici belle ! » Toutefois, quand on l’entend déclarer qu’il ira la chercher, avant l’aurore, sur les montagnes du Liban, on découvre qu’il se trouve dans une situation semblable à celle de sa belle. Sur sa couche, il la voit comme si elle était devant lui, il
La sous-section B1–B2
105
imagine comment il ira la faire descendre du Liban, il rêve à ses caresses, à ses parfums, il est fou de ses baisers délicieux. Mais le jardin est clos, la source est scellée et il ne peut que s’enivrer de tous les meilleurs parfums qu’il exhale. B1 (3,1-11) 3,1
Sur ma couche, dans les nuits, j’ai cherché celui qu’aime mon âme ; je l’ai cherché, et ne l’ai pas trouvé ! 2 Je me lèverai donc et parcourrai la ville. Dans les rues et sur les places, je chercherai celui qu’aime mon âme ; je l’ai cherché, et ne l’ai pas trouvé ! 3 M’ont trouvée les gardes, ceux qui font-laronde dans la ville : « Celui qu’aime mon âme avez-vous vu ? » 4 À peine avais-je dépassé eux, que j’ai trouvé celui qu’aime mon âme ; je l’ai saisi et ne le lâcherai pas que JE NE L’AIE FAIT VENIR dans la maison de ma mère, dans la chambre de celle qui m’a conçue.
B2 (4,1-15) 4,1
Te voici belle, ma compagne, te voici belle ! Tes yeux des colombes, de derrière ton voile. Tes cheveux comme un troupeau de chèvres, qui dégringolent du mont Galaad. 2 Tes dents comme un troupeau de brebis-à-tondre qui remontent du bain, que toutes sont mères-de-jumeaux et de privée-de-petit il n’est pas parmi elles. 3 Comme un ruban d’écarlate tes lèvres, et ta babillarde charmante. Comme moitiés de grenades tes joues, de derrière ton voile. 4 Comme la tour de David ton cou, bâtie pour des trophées ; mille rondaches y sont suspendues, tous les boucliers des PREUX. 5 Tes deux seins comme deux faons, jumeaux d’une gazelle, paissant parmi les anémones.
5
Je conjure vous, filles de Jérusalem, par les gazelles et par les biches de la campagne, n’éveillez pas, ne réveillez pas mon amour, tant qu’il lui plaira. 6
Qu’est cela qui MONTE DU DÉSERT, comme des colonnes de fumée, odorante de MYRRHE et d’ENCENS, de toutes les poudres des marchands ?
6
Avant que souffle le jour et que s’enfuient les ombres, je m’en irai au mont de la MYRRHE et à la colline de l’ENCENS. 7 Tu es toute belle, ma compagne, et de défaut il n’est pas en toi ! 8 Avec moi DU LIBAN, ô fiancée, avec moi DU LIBAN, TU VIENDRAS ; TU DESCENDRAS du sommet de l’Amana, du sommet du Sanir et de l’Hermon, du repaire des lions, des monts des léopards.
7
Voici la litière de Salomon ; soixante PREUX autour d’elle, parmi les PREUX d’Israël, 8 tous saisissant l’épée, experts de la guerre ; chacun l’épée au côté, par crainte dans les nuits. 9 Un palanquin s’est fait pour lui le roi Salomon en bois du LIBAN : 10 ses piliers il a fait d’argent, le baldaquin d’or, le siège de pourpre ; l’intérieur est arrangé d’amour, par les filles de Jérusalem. 11
Sortez et voyez, filles de Sion, le roi Salomon avec la couronne dont l’a couronné sa mère au jour de ses épousailles et au jour de la joie de son cœur.
9
Tu me rends-fou, ma sœur, ô fiancée, tu me rends-fou par un seul de tes yeux, par un seul anneau de tes colliers ! 10 Que sont belles tes caresses, ma sœur, ô fiancée, que sont bonnes tes caresses plus que le vin ! et l’arôme de tes parfums plus que tous les baumes ! 11 Du mielvierge distillent tes lèvres, ô fiancée, miel et lait dessous ta langue et l’arôme de tes vêtements comme l’arôme du LIBAN. 12 Un jardin clos, ma sœur, ô fiancée, un bassin clos, une source scellée. 13 Tes pousses un verger de grenadiers, avec les fruits exquis, les hennés avec les nards ; 14 le nard et le safran, le roseau-odorant et le cinnamome, avec tous les arbres à ENCENS ; la MYRRHE et l’aloès, avec tous les sommets des baumes. 15 Source des jardins, puits d’eaux vives et DESCENDANT du LIBAN !
LA DEUXIÈME SOUS-SECTION Cette section est très courte : elle ne comprend qu’une seule séquence, ellemême fort brève, puisqu’elle est de la taille d’un seul passage.
Le duo de la compagne et de son bien-aimé La séquence B3 : 4,16–5,1 La séquence B3 est très courte qui ne comprend que deux versets. À la charnière des chapitres 4 et 5, elle constitue le centre de toute la construction du Cantique.
TEXTE 4,16 Lève-toi, aquilon, et viens, autan ; faites-exhaler mon jardin, que ruissellent ses baumes ! Qu’il vienne mon bien-aimé dans son jardin, et qu’il mange les fruits les meilleurs ! 5,1 Je viens dans mon jardin, ma sœur, fiancée. Je récolte ma myrrhe avec mon baume, je mange mon rayon avec mon miel, je bois mon vin avec mon lait. Mangez, compagnons, buvez et enivrez-vous, bien-aimés !
4,16AB : AQUILON, AUTAN Ces deux vents, du nord et du sud, sont ici complémentaires. La traduction a choisi des noms de vents français, pour rendre ceux des vents spécifiques de la terre d’Israël. 4C : FAITES-EXHALER MON JARDIN La plupart des traductions modernes rendent le verbe par « soufflez ». Or le verbe est au hiphil et a donc le sens factitif1. Les parfums ne sont pas apportés par les vents ; ils se trouvent dans le jardin et les vents les éveilleront ou les révéleront. En hébreu le verbe est au singulier, s’accordant, comme il est fréquent, avec le dernier sujet. Selon le sens, au contraire, il concerne les deux vents.
1
La TOB traduit justement par « fais respirer mon jardin ».
108 V. 4F
Le Cantique des cantiques : « LES FRUITS LES MEILLEURS »
Comme en 4,13, meged, au pluriel, est régi par « fruit » au singulier ; c’est pourquoi l’expression est traduite par « les fruits les meilleurs ». En 7,14 megādîm sera traduit par « les meilleurs [fruits] ».
COMPOSITION DU PASSAGE • 4,16 Lève-toi, • ET VIENS, : faites-exhaler : que ruissellent
aquilon, autan ; mon JARDIN, ses BAUMES !
·········································································································· MON BIEN-AIMÉ dans son JARDIN,
+ QU’IL VIENNE = et QU’IL MANGE
les fruits
+ 5,1 JE VIENS + ma sœur,
dans mon JARDIN, fiancée.
les meilleurs !
·········································································································· ma myrrhe avec mon BAUME,
: Je récolte
= JE MANGE = JE BOIS • MANGEZ, • BUVEZ
mon rayon mon vin
avec mon miel, avec mon lait.
compagnons, et enivrez-vous,
BIEN-AIMÉS
!
Dans le premier morceau de la première partie, la jeune fille demande aux vents d’exhaler les baumes de son jardin (16a-d), après quoi elle invite son ami à y « venir » pour se rassasier des meilleurs fruits (16ef). Dans la seconde partie, son bien-aimé lui répond d’abord qu’il « vient » (5,1ab) et, dans le second morceau, après avoir ajouté qu’il récoltera ses parfums et non seulement qu’il mangera mais aussi qu’il boira, il invite ses compagnons à partager son festin. Ainsi les deux parties se répondent en miroir. Aux extrémités se trouvent les seuls impératifs, trois au début : « lève-toi », « viens » et « faites-exhaler » (4,16abc), et trois à la fin : « mangez », « buvez » et « enivrez-vous » (5,1fg). En termes médians, l’invitation à « venir » de la part de la jeune fille (4ef) et la réponse de son bien-aimé (5,1ab) ; les deux occurrences de « venir » (4,16e ; 5,1a) jouent le rôle de termes initiaux des segments médians. Alors que le bien-aimé s’adresse à sa compagne directement, à la deuxième personne, elle parle de lui à la troisième personne.
Séquence B3 (4,16–5,1)
109
CONTEXTE LE FRUIT Ce terme apparait la première fois dans le premier récit de la création, désignant « l’arbre à fruit » (Gn 1,11bis.12.29) ; puis dans celui de la faute de la femme et de son homme, le fruit de l’arbre interdit (3,2.3.6). FAIM ET SOIF DE LA PAROLE Par la voix du prophète, le Seigneur invite tous ceux qui cherchent à vivre à se rassasier de sa parole : 1
Ah ! vous tous qui avez soif, venez vers l’eau, même si vous n’avez pas d’argent, venez, achetez et mangez ; venez, achetez sans argent, sans payer, du vin et du lait. 2 Pourquoi dépenser de l’argent pour autre chose que du pain, et ce que vous avez gagné, pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez, écoutez-moi et mangez ce qui est bon ; vous vous délecterez de mets succulents. 3 Prêtez l’oreille et venez vers moi, écoutez et vous vivrez (Is 55).
LA SAGESSE INVITE À SA TABLE (PR 9) 1
La Sagesse a bâti sa maison, elle a abattu ses bêtes, préparé son vin, 3 Elle a dépêché ses servantes en haut de la cité : 4 « Qui est simple ? Qu’il passe par ici ! » 5 « Venez, mangez de mon pain, 6 Quittez la niaiserie et vous vivrez, 2
elle a taillé ses sept colonnes, elle a aussi dressé sa table. et proclamé sur les buttes, À l’homme insensé elle dit : buvez du vin que j’ai préparé ! allez droit dans la voie de l’intelligence. »
« PRENEZ, MANGEZ... BUVEZ-EN TOUS » Les mêmes impératifs seront repris durant le dernier repas pascal de Jésus : « Prenez, mangez, ceci est mon corps » (Mt 26,26) ; « Buvez-en tous ; car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui sera versé pour la multitude en rémission des péchés (27-28).
« LE FESTIN DE L’AGNEAU » Le dernier livre de la Bible chrétienne s’achève avec les noces de l’Agneau où il est dit : « Heureux les invités au banquet des noces de l’Agneau » (Ap 19,9).
110
Le Cantique des cantiques
INTERPRÉTATION LES INVITÉS DES AMANTS Si le bien-aimé invite ses amis à venir manger, à boire et s’enivrer au festin de ses noces, sa compagne en revanche demande aux vents de venir éveiller les parfums de son jardin pour son bien-aimé. C’est ainsi le ciel et la terre qui sont convoqués par les amants au banquet nuptial. Cependant, entre ces invitations extrêmes, l’invitation essentielle est celle que lance la jeune fille vers son bienaimé : elle lui ouvre son jardin embaumé, déclarant à qui veut l’entendre que désormais il est sien tout entier et qu’il peut en manger les fruits les meilleurs. Même si l’appel de sa compagne ne lui est pas adressé directement, le bien-aimé le saisit au vol et répond immédiatement à celle qu’il nomme « ma sœur, fiancée ». L’IVRESSE DES SENS Tout commence avec les parfums que partagent les amants. Les baumes que les vents réveillent dans le jardin de la jeune fille, seront récoltés par son bienaimé avec la myrrhe. Ce sont ensuite les fruits les meilleurs qu’il est invité à déguster, et il ne manquera pas de manger son rayon de miel, à boire son vin avec son lait. Les baumes et la myrrhe sont ceux dont sa compagne est ointe et qu’il partage avec elle ; le miel, le vin et le lait qu’il savoure sont ceux que secrète son corps et dont il se rassasie. PAIN, VIN ET PAROLE La Sagesse est un autre nom de l’amour ; c’est l’amour industrieux. Avant de lancer son invitation, la Sagesse a tout préparé, et de très loin : elle a construit sa maison, préparé son repas, viandes, pain et vin, dépêché ses servantes. Le premier de ses dons est la parole, celle de son invitation qui nomme ce qu’elle a préparé, pain, vin, intelligence — en somme tout ce qu’il faut pour vivre. Il n’en va pas autrement de Dieu lui-même, qui est le nom propre de l’amour : il invite gratuitement à la vie, à la sustenter par cela seul qui rassasie vraiment : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur » (Dt 8,3). Il n’est donc pas étonnant que, pour sceller la nouvelle alliance, Jésus ait lui aussi tenu à accompagner par la parole le don de sa vie, quand il invita ses disciples à manger le pain de son corps livré et à boire le vin de son sang versé.
LA TROISIÈME SOUS-SECTION 1. Elle cherche son bien-aimé qui descend dans son jardin Séquence B4 : Ct 5,2–6,3 La séquence comprend cinq passages, dont on peut dire qu’ils sont organisés de manière elliptique : Mon bien-aimé
a disparu
Qu’a-t-il de particulier,
ton bien-aimé ?
TEL EST MON BIEN-AIMÉ Où s’en est-il allé, J’ai retrouvé
ton bien-aimé ?
mon bien-aimé
5,2-8 5,9 5,10-16 6,1 6,2-3
A. MON BIEN-AIMÉ A DISPARU (5,2-8) TEXTE 5,2 Moi, je dors mais mon cœur veille ; la voix de mon bien-aimé frappe. « Ouvre-moi, ma sœur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite ! que ma tête est pleine de rosée, mes boucles, des gouttes de la nuit » 3 « J’ai ôté ma tunique, comment la vêtirais-je ? J’ai lavé mes pieds, comment les salirais-je ? » 4 Mon bien-aimé a envoyé sa main par la fente et mes entrailles ont frémi pour lui. 5 Je me suis levée, moi, pour ouvrir à mon bien-aimé ; et mes mains ont dégoutté de myrrhe et de mes doigts de myrrhe liquide sur la poignée du verrou. 6 J’ai ouvert, moi, à mon bien-aimé et mon bien-aimé s’était dérobé, s’était enfui ; mon âme est sortie à cause de sa disparition, je l’ai cherché et point ne l’ai trouvé, je l’ai appelé et point ne m’a répondu. 7 M’ont trouvée les gardes, les circulant dans la ville ; ils m’ont frappée, ils m’ont blessée, ils ont enlevé mon manteau de dessus moi, les gardes des
112
Le Cantique des cantiques
remparts. 8 Je vous conjure, filles de Jérusalem, si vous trouvez mon bien-aimé, raconterez-vous à lui ? Que je suis malade d’amour, moi. V. 2F
que
: « ...MES BOUCLES, DES GOUTTES DE LA NUIT »
« Boucles » (qewuṣṣôt) est un hapax (ici et au v. 11), dont le sens est donné par la Septante et la Vulgate ; il en va de même pour « gouttes » (rāsîs) dont le sens est éclairé par Ez 46,14 où il signifie, d’après le contexte, « asperger », « humecter », « détremper ». V. 3D
: « COMMENT LES SALIRAIS-JE ? »
« Salir » (ṭnp) est un hapax dont le sens est donné par les anciennes versions. V. 4
: « PAR LE TROU, LES ENTRAILLES »
La signification de ce « trou » (ḥor) dans ce contexte est discutée. Il semble qu’il s’agisse de celui par lequel on passe la main pour soulever de l’extérieur le loquet de la porte. Les « entrailles » sont le siège des émotions (Jr 31,2).
COMPOSITION DU PASSAGE La première partie (2-4) est construite de manière spéculaire. Le premier segment, de récit, introduit les deux segments des paroles du bien-aimé (2c-f). Les deux segments de la réponse de la compagne (3) sont suivis par un dernier segment de récit : le « bien-aimé » qui au début avait « frappé » à la porte (2b) tente à la fin d’entrer en passant sa main à l’intérieur pour libérer le verrou (4a) ; les membres extrêmes (2a.4b) disent les états d’âme de la compagne avant et après l’intervention de son bien-aimé. « Mon cœur » et « mes entrailles » se correspondent (2a.4b) et de même « ma tête » et « mes pieds » (2e.3c). La deuxième partie se déroule en deux temps : la compagne se lève pour ouvrir la porte (5), mais quand elle l’a fait son bien-aimé a disparu (6ab). Les deux morceaux sont parallèles. Leurs premiers segments opposent ce que font les protagonistes : elle se lève (5a) pour lui ouvrir (5b) mais dès qu’elle a ouvert (6a) il s’enfuit (6b). Les trimembres qui suivent disent ce que font ses « mains » et ses « doigts » (5cde), puis que son « âme » défaille, que ses pas le cherchent et que sa voix l’appelle (6cde). La troisième partie est construite de la manière analogue : chacun des deux trimembres (7cde.8cde) est introduit par un bimembre (7ab.8ab). Les deux morceaux opposent « les gardes » de « la ville » et les « filles de Jérusalem ». Les premiers malmènent la compagne du bien-aimé, les autres sont appelées à l’aide pour lui transmettre le message de sa compagne. « Moi » revient quatre fois : une fois au tout début (2a), une fois tout à la fin (8e), deux fois en même position au début des deux morceaux de la partie centrale
Séquence B4 (5,2–6,3)
113
(5a.6a). Les deux occurrences de « moi » en 2a et 5a jouent le rôle de termes initiaux pour les deux premières parties ; celles de 2a et de 8d de termes extrêmes pour le passage. « Mon bien-aimé » revient deux fois dans la première partie (2b.4a), une fois dans la dernière partie (8c) et trois fois dans la partie centrale (5b.6a.6b). Les deux premières parties sont liées par la reprise de « ouvrir » (2c ; 5b.6a), les deux dernières par la reprise de « trouver » (6d ; 7a.8c). « Mon manteau » (7d) rappelle « ma tunique » (3a). : 5,2 MOI, : mais mon cœur :: la voix
je dors veille ; de MON BIEN-AIMÉ
frappe :
+ « OUVRE-MOI, + ma colombe,
ma sœur, ma parfaite,
ma compagne,
.. que ma tête .. mes boucles,
est pleine des gouttes
de rosée, de la nuit. »
······································································································· MA TUNIQUE,
– 3 « J’ai ôté . comment
la vêtirais-je ?
– J’ai lavé . comment
mes pieds, les salirais-je ? »
:: 4 MON BIEN-AIMÉ : et mes entrailles = 5 Je me suis levée, = POUR OUVRIR - et mes mains - et de mes doigts - sur la poignée
a envoyé ont frémi
sa main pour lui.
par la fente,
MOI, à MON BIEN-AIMÉ ;
ont dégoutté de myrrhe du verrou.
de myrrhe liquide
···································································································
= 6 J’AI OUVERT, = et MON BIEN-AIMÉ - mon âme - je l’ai cherché - je l’ai appelé + 7 M’ONT TROUVÉE + les circulant . ils m’ont frappée, . ils ont enlevé . les gardes
MOI,
s’était dérobé, est sortie et point et point
à MON BIEN-AIMÉ s’était enfui ; à cause de sa disparition, NE L’AI TROUVÉ,
ne m’a répondu.
les gardes, dans la ville ; ils m’ont blessée, MON MANTEAU
de dessus moi,
des remparts.
·······································································································
+ 8 Je conjure + filles . SI VOUS TROUVEZ . que . Que je suis malade
vous, de Jérusalem, MON BIEN-AIMÉ, raconterez-vous d’amour,
à lui ? MOI.
114
Le Cantique des cantiques
CONTEXTE « VOICI QUE JE ME TIENS À LA PORTE » À la fin de la lettre à la septième et dernière lettre aux églises d’Asie, le Seigneur dit : « Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi » (Ap 2,20). Voici une histoire juive qui dit la même chose, « sous une autre forme » : Un rabbin, un curé, un pasteur et un moine bouddhiste se rencontrent. De quoi parlent-t-ils ? De Dieu, bien sûr. – Dieu est dans le ciel, affirme le curé. – Dieu est sur la terre, rétorque le pasteur. – Dieu est en nous, proteste le moine. – Dieu est là où on le laisse entrer, réplique le rabbin1.
INTERPRÉTATION L’ÉPREUVE DU DÉSIR Alors qu’elle sommeille, rêvant sûrement à lui, le voici qui se présente et frappe à la porte. Sa demande est brève et directe : « ouvre-moi » ; mais ce sont les quatre apostrophes qui accompagnent l’impératif qui traduisent le plus éloquemment son désir. La raison qu’il ajoute est sans doute fondée, mais elle sonne comme un prétexte : ce n’est évidemment pas pour se sécher les cheveux qu’il désire entrer. Elle n’est pas dupe et lui répond du tac au tac dans la même langue. La double raison qu’elle avance pour refuser d’ouvrir ne semble pas avoir convaincu son bien-aimé, puisqu’elle voit sa main passer par la fente de la serrure pour tirer le verrou. Comme lui, elle a mis le désir de son bien-aimé à l’épreuve. Le geste qu’il amorce la touche au plus profond de son être. RENDEZ-VOUS MANQUÉ Quand elle décide enfin de se lever pour lui ouvrir, elle a la surprise de trouver la trace parfumée que sa main a laissée et qui embaume à présent sa propre main. La poignée du verrou dégoutte de la myrrhe qu’il y a déposée. Le parfum ainsi partagé est le gage de l’union des corps et des âmes qui ne saurait tarder désormais. Or c’est au moment même où elle ouvre enfin à son bien-aimé, qu’elle réalise qu’il a disparu. On comprend que son âme l’abandonne. La douleur de la séparation est à la hauteur du bonheur qu’elle attendait. Alors elle fait tout pour le retrouver, elle le cherche, elle l’appelle. Peine perdue : il n’est pas là et ne répond pas. 1
M.-A. OUAKNIN – D. ROTNEMER, La bible de l’humour juif, 260.
Séquence B4 (5,2–6,3)
115
UNE POURSUITE DÉCEVANTE Elle avait objecté qu’elle ne saurait remettre sa tunique pour ouvrir à son bienaimé. La voilà maintenant prendre son manteau pour partir à sa recherche. Une jeune femme courant seule dans la nuit ne pouvait qu’attirer les violences des gardes qui se méprennent sur sa conduite. Et elle se retrouve blessée et dévêtue. Aux prises avec ces hommes méprisants, elle se tourne vers les filles de son âge, les seules qui peuvent comprendre qu’on puisse être « malade d’amour », les seules qui seraient incapables d’oublier de transmettre le message qu’elle leur confie, au cas où elles rencontreraient son ami.
B. QU’A-T-IL DE PARTICULIER, TON BIEN-AIMÉ ? (5,9) TEXTE 5,9 Qu’a (donc) ton bien-aimé par rapport à un bien-aimé, ô la belle parmi les femmes ? (donc) ton bien-aimé par rapport à un bien-aimé, pour qu’ainsi tu nous conjures ? V. 9
Qu’a
: « PAR RAPPORT À »
La préposition min n’a pas de valeur comparative et ne doit donc pas être traduit par « de plus que ». Le sens est de simple distinction.
COMPOSITION DU PASSAGE + 5,9 QU’A (donc) – ô la belle
TON BIEN-AIMÉ
+ QU’A (donc) – pour qu’ainsi
TON BIEN-AIMÉ tu nous conjures ?
par rapport à UN BIEN-AIMÉ,
parmi les femmes ? par rapport à UN BIEN-AIMÉ,
Les premiers membres des deux questions sont identiques. Le second membre du premier segment désigne la personne interpelée, celui du deuxième segment indique ce qu’elle fait.
INTERPRÉTATION Comme il arrive pratiquement toujours, une parole peut être interprétée favorablement ou au contraire. Les filles de Jérusalem se moqueraient, plus ou moins gentiment, de la jeune fille éplorée, en l’appelant « la plus belle des femmes », alors qu’elle vient d’être malmenée, qu’elle est blessée et sans manteau, en sousentendant aussi que son bien-aimé n’est pas différent de tout bien-aimé, somme
116
Le Cantique des cantiques
toute. Cependant, ce serait là attribuer à ces filles bien peu de compassion pour une de leurs compagnes humiliée et « malade d’amour ». C. TEL EST MON BIEN-AIMÉ (5,10-16) TEXTE 5,10 Mon bien-aimé est frais et vermeil, reconnaissable entre dix mille. 11 Sa tête d’or, d’or-fin ; ses boucles des spathes, noires comme le corbeau. 12 Ses yeux comme des colombes sur des bassins à eaux, se baignant dans le lait, reposant sur une vasque ; 13 ses joues comme un parterre de baumiers, des tertres parfumés. Ses lèvres des anémones, dégouttant de myrrhe liquide. 14 Ses bras des anneaux d’or, ornés de chrysolithes ; son ventre une masse d’ivoire, couverte de saphirs ; 15 ses jambes des colonnes d’albâtre, posées sur des bases d’or-fin. Son aspect comme le Liban, distingué comme les cèdres. 16 Son palais douceurs et tout lui délices. Tel est mon bien-aimé et tel est mon compagnon, filles de Jérusalem.
11 : « SES BOUCLES DES PALMES » Les deux mots sont des hapax. Le premier ne revient qu’en 5,2 en parallèle avec « tête » (voir p. 112). Le second est fort discuté : le plus vraisemblable est qu’il s’agit des spathes du palmier, enveloppes des inflorescences. Par commodité, le terme est souvent rendu par « palmes »2. V. 12
: « SUR DES BASSINS À EAUX... »
Les trois derniers membres de 12 sont compris de manières fort diverses, d’autant plus que le dernier terme, traduit par « vasque », est encore un hapax3. Le parallélisme peut sans doute aider à comprendre : « se baignant dans le lait » fait suite à « Ses yeux des colombes », et « reposant sur une vasque » fait suite à « sur des bassins à eaux »4. Cette dernière expression ne désigne pas des « cours d’eau » mais le contenant des eaux, pour les rivières leur lit. V. 14
: « BRAS », « MASSE »
Le terme hébreu traduit ici par « bras » désigne non seulement la main mais aussi l’avant-bras. Le terme traduit par « masse » est un nouvel hapax. Les commentateurs divergent sur l’identification des pierres précieuses. COMPOSITION DU PASSAGE La longue partie centrale décrit le bien-aimé en grand détail, les parties extrêmes sont générales. « Mon bien-aimé » y est repris, en termes initiaux. 2
Voir Joüon, Cantique, 249 ; Lys, 221-222 ; Barbiero, 215.244-245. Voir les discussions approfondies, par ex. dans Joüon, 249-251 ; Lys, 223-224 ; Barbiero, 245-247. 4 Le même phénomène se retrouvera au verset 14. 3
Séquence B4 (5,2–6,3) .. 5,10 MON BIEN-AIMÉ .. reconnaissable
117
est frais entre dix mille.
et vermeil,
+ 11 SA TÊTE
D’OR,
D’OR-FIN.
+ SES BOUCLES + noires
des spathes, comme le corbeau.
···································································································
:: 12 SES YEUX :: sur des bassins
comme des colombes à eaux,
:: se baignant :: se posant
dans le lait, sur une vasque ;
– 13 SES JOUES – des tertres
comme un parterre parfumés.
de baumiers,
• SES LÈVRES • dégouttant
des anémones, de myrrhe
14
:: SES BRAS :: ornés
des anneaux de chrysolithes ;
D’OR,
– SON VENTRE – couverte
une masse de saphirs ;
d’ivoire,
:: 15 SES JAMBES :: posées
des colonnes sur des bases
d’albâtre, D’OR-FIN.
liquide.
···································································································
+ SON ASPECT + distingué
comme le Liban, comme les cèdres.
+ 16 SON PALAIS + et tout lui
douceurs délices.
.. Tel est .. et tel est .. filles
MON BIEN-AIMÉ, mon compagnon, de Jérusalem.
Dans la longue partie centrale le bien-aimé est décrit de haut en bas. La première sous-partie de la partie centrale décrit la « tête » et ses « boucles » (11), puis les « yeux » et les « joues » (12-13) ; « comme le corbeau » et « comme des colombes » agrafent les deux morceaux. Dans la dernière sous-partie ce sont d’abord ses membres, « bras » et « jambes », autour du « ventre » (14-15b), puis « son aspect » ou sa taille ; de manière inattendue, la sous-partie revient en finale sur « son palais » (16ab), ce qui rappelle la sous-partie centrale consacrée à « ses lèvres », rouges comme les « anémones » (13cd).
118
Le Cantique des cantiques
« L’or » et « l’or-fin » se retrouvent au début de la première sous-partie (11a) et aux extrémités du premier morceau de la sous-partie symétrique (14a.15b)5. Aux trois occurrences de « comme » de la première sous-partie (11c.12a.13) correspondent les deux de la dernière sous-partie (15cd). Dans les morceaux 11 et 15c-16b, « cèdres » rappellent les « spathes » du palmier6.
CONTEXTE LE CORBEAU ET LA COLOMBE Après la fin du déluge, quand l’arche se fut posée sur le mont Ararat, voyant qu’étaient apparus les sommets des montagnes, Noé lâcha d’abord le corbeau qui alla et revint « jusqu’à ce que les eaux eussent séché de dessus la terre ». Puis il lâcha la colombe par trois fois, qui revint d’abord sans avoir pu poser ses pattes, qui revint ensuite avec un rameau d’olivier dans le bec, qui enfin ne revint plus vers lui (Gn 8,5-12). LE PECTORAL DU GRAND PRÊTRE Chrysolithe et saphir font partie des quatre rangées de trois pierres précieuses qui ornaient le pectoral du grand prêtre, le saphir sur la deuxième rangée, la chrysolithe sur la quatrième (Ex 28,18.20 ; 39,11.13). Ces deux pierres font aussi partie des neuf pierres précieuses du manteau du roi de Tyr qui sera dépouillé de ses richesses (Ez 28,13) ; avec d’autres pierres, le saphir se retrouve dans la description de la Jérusalem nouvelle, non pas comme simples ornements mais comme matériaux de sa construction : 11
Malheureuse, battue par les vents, inconsolée, voici que pour tes pierres je vais poser des escarboucles, et pour tes fondations des saphirs ; 12 je ferai tes créneaux de rubis, tes portes en cristal et toute ton enceinte en pierres précieuses (Is 54,11-12).
INTERPRÉTATION TÊTE D’OR La bien-aimée commence sa description par la tête, une tête couronnée d’or. « Reconnaissable entre dix mille », c’est son roi qu’elle va décrire, celui qui règne sur son cœur, sur toutes ses pensées : elle ne peut parler que de lui. « L’or » royal, « l’or-fin » se retrouvera inévitablement dans les anneaux de ses bras, et jusque sur ses pieds, les bases de ses jambes. L’or est réservé au roi, car c’est le métal le plus précieux et le plus noble. Mais si l’or est dévolu au roi 5 6
« Or » traduit deux synonymes : ketem en 11a et zāhāb en 14a. Si tant est que c’est bien le sens de cet hapax.
Séquence B4 (5,2–6,3)
119
terrestre, c’est qu’il habille tous les objets sacrés du temple de Dieu, l’arche d’alliance avec son couvercle et ses deux chérubins, la table d’oblation et le chandelier à sept branches (Ex 25,10-40)7. CORPS DE PIERRES PRÉCIEUSES À l’or et à l’or fin sont associées d’autres matières parmi les plus recherchées, « ivoire » de son ventre, « albâtre » de ses jambes, ainsi que les pierres précieuses, « chrysolithes » qui ornent les anneaux de ses bras, « saphirs » incrustés sur l’ivoire de son ventre. On se croirait dans le palais d’un roi, du roi Salomon recevant la reine de Saba et lui ouvrant ses trésors, on se croirait dans le temple de Jérusalem, en présence du Grand prêtre lui-même, resplendissant de tous les feux de son pectoral sacré. PALMIERS, CÈDRES ET ANÉMONE La description du bien-aimé est encadrée par les palmiers dont les spathes ornent sa tête et les cèdres dont il partage la distinction. Ainsi le jeune homme réunit la beauté des arbres qui peuplent les oasis du désert et la majesté de ceux qui revêtent les montagnes du Liban. Et pourtant ce qui fascine encore davantage sa compagne ce sont les anémones de ses lèvres dont la saveur dépasse l’odeur des palmiers et des cèdres. DES PARFUMS ENIVRANTS Outre les palmiers du début et les cèdres de la fin, ce sont les baumiers auxquels ses joues sont comparées tout près du centre de la construction, de manière redoublée avec les « tertres parfumés ». Les arômes qui s’en exhalent préparent en quelque sorte la myrrhe qui dégoutte de ses lèvres, dont s’enivre sa compagne avec délice. « Qu’il me baise des baisers de sa bouche ! » La voix du bien-aimé ne se fait pas entendre et aucune de ses paroles n’est rapportée par sa compagne amoureuse. Il n’est cependant pas déplacé de reconnaitre, dans la myrrhe qui dégoutte de ses lèvres, sa parole, toute « douceurs », comme lui est tout « délices » : « Combien est doux à mon palais ton dire, plus que le miel à ma bouche » (Ps 119,103). L’UNIQUE « Tel est mon bien-aimé ! ». Tout ce qu’elle en a dit dans le long portrait en pied qu’elle en a brossé, voilà bien de quoi le faire reconnaitre « entre dix mille ». Sans oublier ses yeux ! Ses yeux qui font immanquablement penser à la colombe de Noé, précédée comme ici par le « corbeau », la colombe qui s’envole et rapportera le rameau d’olivier de la paix. On comprend que la jeune 7
Voir R. MEYNET, Le fait synoptique reconsidéré, 178-179.
120
Le Cantique des cantiques
fille s’attarde si longtemps sur l’eau de ses yeux. Tel est son compagnon. Il est vraiment l’unique.
D. OÙ S’EN EST-IL ALLÉ, TON BIEN-AIMÉ ? (6,1) TEXTE 6,1 Où est parti ton bien-aimé, ô la belle parmi les femmes ? et nous le chercherons avec toi ? V. 1C
Où s’est tourné ton bien-aimé,
: « S’EST TOURNÉ »
Le sens du verbe ne fait pas de difficulté, mais sa connotation serait, selon certains, péjorative, comme si le bien-aimé s’était « détourné » de sa compagne, peut-être pour une autre8.
COMPOSITION DU PASSAGE + 6,1 OÙ – ô la belle
est parti parmi les femmes ?
TON BIEN-AIMÉ,
+ OÙ – et nous le chercherons
s’est tourné avec toi ?
TON BIEN-AIMÉ,
Les premiers membres sont presque identiques : les deux verbes sont complémentaires, le premier, « partir », indiquant le point de départ, le second, « se tourner », le lieu vers lequel il se dirige. Les seconds membres aussi sont complémentaires : l’un apostrophe d’abord la compagne de manière flatteuse, l’autre propose de l’aider. INTERPRÉTATION L’AMOUR ENGENDRE L’AMOUR La compagne du bien-aimé vient d’achever la description de son unique. Et, sans la moindre jalousie, les filles de Jérusalem la qualifie aussitôt de « la plus belle parmi les femmes ». Elles ne s’y trompent pas : en effet, il n’y a que l’amour qui puisse rendre aussi belle une femme. Et alors, elles se proposent tout naturellement de l’aider à retrouver son amant qui avait disparu. Comme si son bien-aimé était tout à coup devenu le leur à son tour.
8
Lys, 231-232.
Séquence B4 (5,2–6,3)
121
E. J’AI RETROUVÉ MON BIEN-AIMÉ (6,2-3) TEXTE 6,2 Mon bien-aimé est descendu à son jardin, aux parterres du baume, pour paitre dans les jardins et pour cueillir des anémones. 3 Moi à mon bien-aimé et mon bien-aimé à moi qui pait parmi les anémones. V. 2
: « PARTERRES », « JARDINS »
Ces deux pluriels sont des pluriels d’intensité9.
COMPOSITION DU PASSAGE :: 6,2 MON BIEN-AIMÉ :: aux parterres
est descendu du baume,
À SON JARDIN,
– pour PAITRE – et pour cueillir
DANS LES JARDINS des ANÉMONES. ····················································································· 3 Moi à MON BIEN-AIMÉ
+ + et MON BIEN-AIMÉ – qui PAIT
à moi dans les ANÉMONES.
Les deux segments du premier morceau forment une seule phrase, les deux membres du second segment étant des finales (2cd) ; leurs premiers membres s’achèvent avec « jardin(s) ». Le premier segment du second morceau est construit en chiasme ; le deuxième est une relative. Les deux morceaux sont parallèles. Les deux occurrences de « mon bienaimé » en 3ab renvoient au premier terme du premier morceau (2a). L’unimembre final (3c) reprend les termes extrêmes du dernier segment du premier morceau (2cd). Dans le deuxième morceau, les deux occurrences du pronom personnel de première personne traduites par « moi » semblent correspondre aux deux occurrences de « jardin » dans le premier morceau. CONTEXTE « ANÉMONE » C’est ainsi que la belle se décrivait au centre de la première section : « Je suis la jonquille du Saron, l’anémone des vallées » (2,1). 9
Joüon, 136f ; Barbiero les appelle « pluriels d’amour » (262).
122
Le Cantique des cantiques
INTERPRÉTATION PARFUMS ET FLEURS Le jardin de la jeune fille est tout parfum et fleurs. C’est le jardin d’une vierge où les fruits ne sont pas encore parus. C’est là que son bien-aimé va paitre, comme le chevreuil qui cueille les anémones, comme on cueille un baiser sur une bouche vermeille. On se croirait au jardin d’Éden, aux premiers jours du monde. Elle n’a que le nom de son bien-aimé à la bouche, rien d’autre que lui n’existe. JE SERAI LEUR DIEU La formule de l’amour réciproque évoque l’étreinte où les âmes avec les corps s’enlacent : « Moi à mon bien-aimé et mon bien-aimé à moi ». La formule ne saurait manquer d’évoquer aussi celle de l’alliance entre Dieu et son peuple : « Je serai votre Dieu, et vous, vous serez mon peuple » (Lv 26,12) ; « Vous serez mon peuple, et moi je serai votre Dieu » (Jr 30,22). F. ELLE CHERCHE SON BIEN-AIMÉ QUI DESCEND DANS SON JARDIN (5,2–6,3) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Les cinq passages sont liés du point de vue narratif : le premier s’achève par une requête faite par la bien-aimée aux filles de Jérusalem (5,8). Ces dernières lui demandent alors ce que son bien-aimé a de particulier (9). Elle leur répond en en faisant une description détaillée (10-16). Alors, avec une seconde double question, les filles de Jérusalem lui demandent où son ami est parti (6,1), à quoi elle répond dans le dernier passage qu’elle l’a retrouvé (6,2-3). Au long récit initial où les deux amants se cherchent mais ne se trouvent pas correspond le court passage final où ils sont enfin réunis. Les deux doubles questions des filles de Jérusalem (5,9 ; 6,1) sont très semblables ; leurs premiers segments s’achèvent par la même apostrophe, « ô la plus belle des femmes », « ton bien-aimé » revient dans chacun des premiers membres de chaque segment. Ces deux passages remplissent la fonction de foyers de l’ellipse10. Les deux premiers passages sont reliés par le verbe « conjurer » (5,8a.9b) et par les reprises de « bien-aimé » (5,2.4.5.6bis.8 ; 9 quater). Les deux derniers passages n’ont que « bien-aimé » en commun (6,1bis ; 2.3bis). Le premier passage a beaucoup de termes communs avec le passage central : en termes initiaux « tête » et « boucles » (5,2c.11ab), « colombe(s) » en 2b et 12a, « main(s) » et « ventre » en 4-5 et 14, enfin en termes finaux les deux occurrences de « filles de Jérusalem » (8.16). « Bien-aimé » revient dix-sept fois dans la séquence. Le dernier passage reprend du passage central « parterres embaumés » (5,13a ; 6,2) et « anémones » (5,13b ; 6,2.3). 10
Voir R. MEYNET, « « Une nouvelle figure : la composition à double foyer ».
Séquence B4 (5,2–6,3) 5,2 Moi je dors, mais mon cœur veille ; « Ouvre-moi, ma sœur, MA COMPAGNE, car MA TÊTE est pleine de rosée, 3 « J’ai ôté ma tunique, J’ai lavé mes pieds, 4 MON BIEN-AIMÉ a passé SA MAIN par la fente, 5 Je me suis levée, moi, et de MES MAINS A DÉGOUTTÉ LA MYRRHE, sur la poignée du verrou. 6 J’ai ouvert, moi, à MON BIEN-AIMÉ, j’ai rendu l’âme à cause de sa disparition, je l’ai cherché mais ne l’ai point trouvé, 7 M’ont trouvée les gardes, ils m’ont frappée, ils m’ont blessée, les gardes des remparts. 8 Je vous en conjure, FILLES DE JÉRUSALEM, que lui déclarerez-vous ? 9 Qu’a donc TON BIEN-AIMÉ par rapport à UN BIEN-AIMÉ, Qu’a donc TON BIEN-AIMÉ par rapport à UN BIEN-AIMÉ,
MON BIEN-AIMÉ est frais et vermeil, SA TÊTE est d’or, SES BOUCLES des spathes, 12 Ses yeux comme des COLOMBES, se baignant dans le lait, 13 Ses joues comme des parterres embaumés, Ses lèvres des ANÉMONES, 14 SES MAINS des globes d’or, SON VENTRE une masse d’ivoire, 15 ses jambes des colonnes d’albâtre, Son aspect comme le Liban, 16 Son palais est douceurs Tel est MON BIEN-AIMÉ, tel est MON COMPAGNON, 10
11
6,1 Où est parti TON BIEN-AIMÉ, Où s’est tourné TON BIEN-AIMÉ, MON BIEN-AIMÉ est descendu à son jardin, pour paitre dans les jardins, 3 Je suis à MON BIEN-AIMÉ QUI PAIT parmi les ANÉMONES. 2
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la voix de MON BIEN-AIMÉ frappe. ma COLOMBE, ma parfaite, MES BOUCLES, des gouttes de la nuit. » comment la vêtirais-je ? comment les salirais-je ? » et MON VENTRE a frémi pour lui. pour ouvrir à MON BIEN-AIMÉ ; de mes doigts la myrrhe liquide et MON BIEN-AIMÉ se déroba, s’enfuit ; je l’ai appelé mais il n’a pas répondu. ceux qui font la ronde dans la ville ; ils m’ont enlevé mon manteau, si vous trouvez MON BIEN-AIMÉ, Que je suis malade d’amour, moi. ô la plus belle des femmes ? pour qu’ainsi tu nous conjures ? reconnaissable entre dix mille. d’or-pur ; noires comme le corbeau. au bord des eaux demeurant sur la berge. des tertres parfumés. DÉGOUTTANT DE MYRRHE vierge. sertis de chrysolithes ; couverte de saphirs ; posées sur des bases d’or-pur. distingué comme les cèdres. et il n’est que délices. FILLES DE JÉRUSALEM. ô la plus belle des femmes ? que nous le cherchions avec toi ? aux parterres embaumés, et pour cueillir des ANÉMONES. et MON BIEN-AIMÉ est à moi
« Ma compagne » du début du premier passage (5,2) trouve son correspondant avec « mon compagnon » de la fin du passage central (5,16) ; il faut ajouter que « qui fait paitre » (rō‘eh) à la fin de la séquence est en rapport de paronomase avec « compagnon » (rē‘î).
124
Le Cantique des cantiques
INTERPRÉTATION LES JEUX DE L’AMOUR Tout commence par un rendez-vous manqué où chacun joue sur le désir de l’autre. Les raisons que la belle avance pour ne pas ouvrir à celui qui frappe à sa porte ne sont que des prétextes pour aiguiser la soif de son amoureux. Il lui rend la monnaie de sa pièce en faisant feinte de forcer l’entrée, mais à peine s’est-elle levée qu’il a disparu. Il la force ainsi à partir à sa recherche, ce qu’elle fait de manière tout à fait déraisonnable au point d’être agressée par les gardes des remparts. À la fin pourtant, après l’intermède des confidentes, le voici qui, par enchantement, se trouve à cueillir des anémones dans son jardin : cette fois-ci, comme instruite par l’expérience, elle n’a opposé aucune résistance et a ouvert toute grande la porte de ses jardins secrets. LES FILLES DE JÉRUSALEM Déçue, blessée par son amant qui l’a plantée au moment où son désir était à son comble, blessée aussi par des gardes méprisants, il faut qu’elle parle à quelqu’un, qu’elle confie sa peine, et surtout qu’elle trouve des témoins qui pourront dire à celui qu’aime son âme, qu’elle est « malade d’amour ». Ses confidentes remplissent leur rôle à la perfection. Le remède que, d’instinct, elles trouvent à son mal est de la faire parler, et de la faire parler de son amour. Il faut qu’elle décharge son cœur du trop-plein qui la fait suffoquer. La digue cède alors et la description de son bien-aimé déferle comme un torrent trop longtemps contenu. Une fois le flot apaisé, c’est avec une grande perspicacité que les confidentes posent leur nouvelle question : ne savent-elles pas, d’expérience, qu’il ne saurait être très loin ? LE RÊVE D’UN CŒUR AMOUREUX Le premier mot de la séquence est sa clé de lecture : « Moi, je dors, mais mon cœur veille ». Toute la scène est donc le discours d’un rêve éveillé11. C’était du reste le cas dans la séquence symétrique (3,1-11). Le lecteur est donc entrainé dans ce monde onirique dont la logique est bien différente de la rationalité scientifique. Le monde des songes a son propre langage qui est aussi celui de la poésie. Il crée des images, colorées et mouvantes, des scènes étonnantes, avec leurs personnages irréels qui disent tout haut ce que la conscience claire n’oserait même pas penser. C’est ce qui fait son charme, le charme dont la première vertu est de révéler une vérité jusque-là cachée. La dernière phrase de la séquence laisse entrevoir le secret du roi : « Je suis à mon bien-aimé et mon 11 Voir, par ex., Y. ZAKOVITCH, The Song of song, riddle of riddles, Chap. 6 : « Real or imagined. A Woman’s dream in Song of Songs 5:2–6:3) », 73-87.
Séquence B4 (5,2–6,3)
125
bien-aimé est à moi » ne saurait manquer d’être perçue comme un écho de la formule d’alliance entre Dieu et son peuple : « Je serai votre Dieu, et vous vous serez mon peuple » (Lv 26,12).
2. Tu es belle, ma compagne ; au jardin je suis descendu La séquence B5 : 6,4–7,11 Cette séquence comprend deux longues sous-séquences, formées chacune de trois passages, qui encadrent une courte question. Tu es belle,
ma compagne
TES YEUX, TES CHEVEUX, TES DENTS... Unique est
ma colombe
Qui est celle-ci qui surgit comme l’aurore ?
Reviens, reviens,
Sulamite
TES PIEDS, TES FLANCS, TON NOMBRIL... Moi, je suis à
mon bien-aimé
6,4 5-7 8-9
10
6,11–7,1 7,2-10a 10b-11
128
Le Cantique des cantiques
I. La première sous-séquence (6,4-9) A. TU ES BELLE, MA COMPAGNE (6,4) TEXTE 6,4 Belle toi, ma compagne, comme Tirça, bataillons.
charmante comme Jérusalem, terrible comme les
« TERRIBLE COMME DES BATAILLONS » Le sens de l’expression est discuté. « Terrible » a peut-être le double sens de « admirable », « formidable », et de « redoutable », « terrifiant » ; mais c’est surtout le dernier terme, nidgālôt, qui pose problème. La Septante l’a compris comme « bataillons » rangés sous une bannière (degel)1 ; pour d’autres il s’agirait de « choses-insignes » qui qualifieraient les deux capitales2. COMPOSITION DU PASSAGE + 6,4 BELLE + CHARMANTE = TERRIBLE
toi,
ma compagne,
comme Tirça, comme Jérusalem, comme les bataillons.
Ce passage est de la taille d’un trimembre de type AA’B. Chaque membre commence avec un qualificatif et s’achève sur une comparaison ; les deux derniers membres économisent deux termes du premier. CONTEXTE TIRÇA ET JÉRUSALEM Après Sichem, Tirça fut capitale du royaume du nord avant qu’Omri la déplace à Samarie en 879. Les deux noms renvoient aux royaumes du nord et du sud. Tirça a été préféré à Samarie sans doute pour éviter sa connotation péjorative.
INTERPRÉTATION Comme les capitales du nord et du sud, la jeune fille est à la fois ravissante (4ab) et aussi bien défendue que les villes qui opposent leur fortifications, leurs remparts et les cohortes de leurs défenseurs aux prétentions de ceux qui oseraient en faire le siège. 1 2
Joüon, Cantique, 262-263. Voir Gordis, 90-92 ; Lys, 236 ; Barbiero, 278-279.
Séquence B5 (6,4–7,11)
129
B. TES YEUX, TES CHEVEUX, TES DENTS... (6,5-7) TEXTE 6,5 Détourne tes yeux de vers moi, lesquels m’assaillent. Tes cheveux comme troupeau de chèvres, qui dégringolent de Galaad ; 6 tes dents comme troupeau de brebis, qui remontent du bain, qui elles toutes mères-de-jumeaux et de privée-de-petit il n’est point parmi elles. 7 Comme tranche de grenade ta joue de derrière ton voile. V. 6CD
: « MÈRES-DE-JUMEAUX » ET « PRIVÉE DE PETIT »
Par souci de clarté sans doute la BJ traduit : « chacune a sa jumelle et nulle n’en est privée ». En hébreu le premier terme désigne la brebis qui a mis bas deux jumeaux ; l’équivalent français serait « gémellipare ». Quant au deuxième terme il signifie la brebis qui a perdu son petit. 6CD : PARONOMASE On pourra noter que les premiers termes de 6cd, « qui-elles-toutes » – « etprivée-de-petit » (šekkullām et wešakkulâ) sont en rapport de paronomase. En outre, tous les membres du morceau central commencent par des sifflantes, ś pour le premier, š pour tous les autres. COMPOSITION DU PASSAGE – 6,5 Détourne – lesquels
TES YEUX
de vers moi,
m’assaillent.
································································································
:: TES CHEVEUX - qui dégringolent
comme troupeau de Galaad ;
de chèvres,
:: 6 TES DENTS - qui remontent
comme troupeau du bain,
de brebis,
. qui elles toutes . et de privée-de-petit
mères-de-jumeaux il n’est point
parmi elles.
································································································ 7 Comme tranche de grenade TA JOUE
– – de derrière
ton voile.
La description de la bien-aimée se limite à quatre éléments de sa tête. Au centre, les « cheveux » et les « dents » se correspondent de manière complémentaire : les « chèvres » noires et les « brebis » blanches, les unes qui « dégringolent » des hauteurs, les autres qui en « remontent ». Une attention particulière est accordée aux dents dont aucune ne manque. Dans les courts morceaux extrêmes, les « yeux » et la « joue » se distinguent de la multiplicité des « cheveux » et des « dents ».
130
Le Cantique des cantiques
INTERPRÉTATION DU NOIR ET BLANC À LA COULEUR Noires comme troupeau de chèvres, les cheveux de sa compagne descendent sur ses épaules, blanches comme brebis remontant du bain, ses dents s’alignent parfaitement dans son sourire. On peut facilement imaginer que ses yeux d’orientale sont noirs eux aussi. Il faut attendre la fin de la description pour voir une touche de couleur égayer le tableau. VISAGES Curieusement, le portrait se limite strictement au visage. Plus curieusement encore, il commence par ce qu’on pourrait appeler un anti-portrait, puisque le jeune homme supplie sa belle de cesser de le dévisager. À ces yeux qui le regardent, qui « l’assaillent », correspond à la fin la joue qui rougit comme grenade, à peine dissimulée par son voile. Pudeur, plaisir, désir ? L’interprétation est laissée au bien-aimé et... au lecteur.
C. UNIQUE EST MA COLOMBE (6,8-9) TEXTE 6,8 Soixante elles les reines et quatre-vingts les concubines et les vierges il n’est point de nombre. 9 Unique elle ma colombe, ma parfaite, unique elle de sa mère, préférée elle de qui l’enfanta. L’ont vue les filles et l’ont glorifiée, les reines et les concubines l’ont louée. V. 8
: « ELLES »
Le pronom est masculin dans le texte massorétique3. COMPOSITION DU PASSAGE Les « reines », « concubines » et « vierges »/« filles » des segments extrêmes, qui sont nombreuses (8ab) et même innombrables (8c), sont opposées à la bienaimée au centre (9abc), laquelle est « unique », ce que reconnaissent toutes les autres à la fin (9de).
3
Joüon, 149c.
Séquence B5 (6,4–7,11) – 6,8 Soixante – et quatre-vingts .. et les vierges 9
= UNIQUE + UNIQUE + PRÉFÉRÉE .. L’ont vue – les reines
il n’est point
les reines les concubines de nombre.
elle elle elle
ma colombe, de sa mère, de qui l’enfanta.
les filles et les concubines
et l’ont glorifiée, l’ont louée.
elles
131
ma parfaite,
CONTEXTE LE HAREM ROYAL « Reine, concubines et jeunes filles » sont trois catégories de femmes qui peuplent les harems royaux, comme celui de Salomon (voir 1R 11,1-3) et d’Assuérus (Est 2). Le roi Salomon fut critiqué pour avoir épousé tant de princesses étrangères qui l’ont entrainé dans l’idolâtrie (IR 11,4-13). LA MÈRE ET L’ÉPOUSE Le cri d’admiration d’Adam devant la compagne qui lui est présentée est suivi par ces mots : « Ainsi l’homme quittera son père et sa mère, et il et s’attachera à sa femme, et ils seront une seule chair » (Gn 2,24).
INTERPRÉTATION L’UNICITÉ DE L’AMOUR L’immense nombre des femmes qui peuplent les harems des rois n’est là que pour faire ressortir l’unicité de la bien-aimée. Elle est unique pour son amant, comme elle l’est pour sa mère. Même si sa fille n’est pas son seul enfant, chacun est unique pour sa mère. « Oh, l’amour d’une mère, amour que nul n’oublie, [...] chacun en a sa part et tous l’ont tout entier »4. À cet amour unique succède pourtant un amour qui n’est pas moins unique, celui de l’époux. L’UNICITÉ DIVINE Il en va de même pour l’amour qui lie Israël à son unique Seigneur : « Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est Seigneur unique. 5 Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir » (Dt 6,4-5). L’unicité des parents, celle de l’époux et de l’épouse sont les figures de l’unicité divine. 4
V. HUGO, Feuilles d’automne.
132
Le Cantique des cantiques D. L’ENSEMBLE DE LA SOUS-SÉQUENCE (6,4-9)
COMPOSITION + 6,4 BELLE + CHARMANTE = TERRIBLE – 5 Détourne – qui eux
toi, comme Jérusalem, comme les bataillons.
ma compagne,
tes yeux m’assaillent.
de vers moi,
comme Tirça,
····························································································
:: Tes cheveux - qui dégringolent
comme troupeau de Galaad ;
de chèvres,
:: 6 tes dents - qui remontent
comme troupeau du bain,
de brebis,
. qui elles toutes mères-de-jumeaux . et de privée-de-petit IL N’EST POINT
parmi elles.
····························································································
– 7 Comme tranche – de derrière – 8 Soixante – et quatre-vingts .. et les vierges 9
+ UNIQUE = UNIQUE = PRÉFÉRÉE .. L’ont vue – les reines
de grenade ton voile.
ta joue
elles IL N’EST POINT
les reines les concubines de nombre.
elle elle elle
ma colombe, de sa mère, de qui l’enfanta.
les filles
et l’ont glorifiée, l’ont louée.
et les concubines
ma parfaite,
Deux passages qui vantent le charme incomparable de la bien-aimée en encadrent un troisième qui détaille la beauté de son visage (5-7). Au trimembre central du dernier passage (9) correspond le trimembre du premier (4) : de même que les capitales sont antérieures aux bataillons qui les défendent, ainsi l’amour maternel par rapport à celui du fiancé. Ce qui est dit des « yeux » au début du passage central s’accorde bien avec le dernier membre du premier passage : les « yeux » de la compagne du bien-aimé l’« assaillent » « comme des bataillons ». Les deux premiers passages comprennent chacun trois comparaisons ; les deux derniers n’ont en commun que « il n’est point » (6d.8d). Dans le dernier passage, « ma colombe, ma parfaite » (9a) rappelle « ma compagne » du premier passage (4a), dans les premiers membres des trimembres qui se correspondent.
Séquence B5 (6,4–7,11)
133
INTERPRÉTATION Pour le bien-aimé, sa compagne, sa colombe, sa parfaite est unique au monde ; rien ni personne ne compte à ses yeux à part elle. Cependant, il n’oublie pas qu’elle a été aimée par quelqu’un d’autre bien avant lui : dès le sein, sa mère l’entourait de l’amour unique qui la mit au monde. À cet amour unique succèdera cependant l’amour unique de celui qui la fera entrer à la place de sa mère : « Et Isaac introduisit Rébecca dans sa tente : il la prit et elle devint sa femme et il l’aima. Et Isaac se consola de la perte de sa mère » (Gn 24,67).
II. La deuxième sous-séquence Qui est celle-ci qui parait comme l’aurore ? (6,10) TEXTE 6,10 Qui est celle-ci qui parait comme l’aurore, soleil, terrible comme les bataillons ? V. 10A : «
belle comme la lune, resplendissante comme le
QUI PARAIT »
Certains rendent le verbe par « monter », en référence à 8,5 (« Qui est celle-ci qui monte du désert »)5. Or le verbe signifie « regarder (d’en haut) »6, et c’est pourquoi certains le traduisent par « toiser »7. Ce dernier verbe a un sens négatif, de dédain et de mépris, ce qui n’est pas le cas ici. « Paraitre », comme quelqu’un à la fenêtre, convient mieux. V. 10BC : « LA LUNE
», « LE SOLEIL »
L’auteur utilise les noms poétiques rares, « la blanche » et « la brulante », que l’on retrouve en Is 24,23 ; 30,26. COMPOSITION DU PASSAGE + 6,10 Qui est celle-ci – belle – resplendissante .. terrible
qui parait
comme l’aurore, comme la lune, comme le soleil, comme les bataillons ?
Un unimembre est suivi d’un trimembre qui ajoute trois comparaisons à la première. La dernière comparaison crée la surprise, « les bataillons » n’appartenant pas au même champ sémantique que « l’aurore », « la lune » et « le soleil ». 5
Joüon, 269 : la BJ et Osty ont « surgit ». Par ex, 1S 13,18 ; 2S 6,16 ; Ps 85,12. 7 Lys, 241 ; TOB. 6
134
Le Cantique des cantiques
INTERPRÉTATION « QUE LA LUMIÈRE SOIT ! » Aucun qualificatif n’accompagne la belle et l’aurore. Elle est simplement « comme l’aurore ». Telle la lumière à sa naissance, premier surgissement de la création, promesse de vie. C’est elle qui sortit de la bouche de Dieu à l’aube du premier jour : « Et Dieu dit : “Que la lumière soit !” Et la lumière fut » (Gn 1,3). AU FIRMAMENT DU CIEL Il faudra attendre le midi de la semaine originelle pour voir apparaitre les grands luminaires au firmament du ciel, le grand comme puissance du jour et le petit comme puissance de la nuit, et le bataillon des étoiles (Gn 1,14-18). Ainsi est portée aux nues, exaltée au-delà des nues, celle qui devient pour celui qui l’adore un objet céleste qui illumine et réchauffe son cœur.
III. La troisième sous-séquence (6,11–7,11) A. REVIENS, REVIENS, LA SULAMITE (6,11–7,1) TEXTE 6,11 Au jardin des noyers je suis descendu, pour voir les pousses de la vallée, pour voir si bourgeonnent les ceps, si fleurissent les grenadiers. 12 Je ne sais ! Mon âme m’a placé sur les chars de mon peuple en prince ! 7,1 Tourne, tourne, la Sulamite ; tourne, tourne, et nous te contemplerons ! Que contemplerez-vous dans la Sulamite ? Comme une danse à deuxcamps. V. 6,12 : « JE NE SAIS...
»
Ce verset est la « croix des interprètes » la plus lourde du Cantique. De multiples corrections et solutions ont été proposées pour tenter de trouver un sens à ces mots8. C’est certainement le contexte qui devrait permettre de mieux comprendre9 ; mais le problème est justement de définir le contexte, de déterminer d’abord les limites de l’unité où le verset est intégré, puis la place et la fonction du verset dans cette unité. V. 1AB : « TOURNE
»
Le sens du verbe šûb est controversé. Il est la plupart du temps interprété comme « retourner », « revenir », dans la perspective du retour d’exil10. Le 8
Voir, par ex., A., LACOCQUE, « La Sulamite », 414-421. Ainsi Barbiero, 297. 10 Par ex., Joüon, Cantique, 274. 9
Séquence B5 (6,4–7,11)
135
contexte invite à lui reconnaitre le sens de « tourner », comme une roue : « Il disperse les méchants un roi sage et fait-tourner sur eux la roue » (Pr 20,26). Cette signification s’accorde bien avec « la danse » (meḥôlâ) qu’on pourrait rendre, suivant le sens de la racine (Jg 21,21), par « ronde »11. V. 7,1A.C : « LA SULAMITE »
C’est la première fois que la jeune fille est qualifiée ainsi. Le terme ne se retrouve pas ailleurs dans la Bible hébraïque et il est donc très discuté. Il ne saurait s’agir d’un nom propre, à cause de l’article. Sa forme (šûlammît) évoque à la fois les noms de Jérusalem (yerûšālāim) et de Salomon (šelōmo), tous deux évoquant la paix (šālôm). V. 7,1D
: « COMME UNE DANSE À DEUX-CAMPS. »
Tout le problème est d’identifier la fonction du dernier membre du verset. Il semble que la solution la plus simple est de le considérer comme la réponse à la question : ce que vous contemplerez est semblable à une danse à deux camps.
COMPOSITION DU PASSAGE :: 6,11 Au jardin :: POUR VOIR
des noyers les pousses
je suis descendu, de la vallée,
:: POUR VOIR ::
si bourgeonnent si fleurissent
les ceps, les grenadiers.
······················································································
= 12 Je ne sais ! = sur les chars
Mon âme de mon peuple
m’a placé en prince !
······················································································
+ 7,1 Tourne, + tourne,
tourne, tourne,
– Que CONTEMPLEREZ-VOUS .. Comme une danse
dans la Sulamite ? à deux-camps !
la Sulamite ; et NOUS TE CONTEMPLERONS !
Dans le premier morceau les deux premiers segments forment une seule phrase, le second segment détaillant « les pousses » du premier (6,11b), en « ceps » et « grenadiers » (11cd). Le morceau central (12) comprend au contraire deux phrases : la première est très courte qui ne comprend qu’un seul terme, la seconde en compte cinq répartis sur le reste des deux membres. Dans le troisième morceau le premier segment est adressé à la « Sulamite », le second à un pluriel indéterminé. Le deuxième segment comprend une question et 11
Barbiero, 303-305)
136
Le Cantique des cantiques
sa réponse. Les deux segments sont reliés par la reprise de « la Sulamite » à la fin des premiers membres et par « contempler » dont les deux occurrences jouent le rôle de termes médians. Le duel de « deux-camps » peut être mis en relation avec la double occurrence, répétée, de « tourne » (1a.1b). :: 6,11 Au jardin :: POUR VOIR
des noyers les pousses
je suis descendu, de la vallée,
:: POUR VOIR ::
si bourgeonnent si fleurissent
les ceps, les grenadiers.
······················································································
= 12 Je ne sais ! = sur les chars
Mon âme de mon peuple
m’a placé en prince !
······················································································ 1
+ 7, Tourne, + tourne,
tourne, tourne,
– Que CONTEMPLEREZ-VOUS .. Comme une danse
dans la Sulamite ? à deux-camps !
la Sulamite ; et NOUS TE CONTEMPLERONS !
Aux deux occurrences de « voir » dans le premier morceau (6,11bc) correspondent dans le dernier celles de son synonyme, « contempler » (7,1bc). La danse de « la Sulamite » est ainsi mise en parallèle avec le bourgeonnement des « ceps » et la floraison des « grenadiers » du premier morceau (11cd).
INTERPRÉTATION LA DANSE DU PRINTEMPS Le bien-aimé était descendu dans son jardin pour voir si le printemps s’annonçait. Eh bien, comme la vigne qui bourgeonne et les grenadiers qui fleurissent, sa compagne se trouve prête pour une danse printanière. Aussi l’invite-t-il à tourner comme dans une danse à deux chœurs. LES VISIONS DU DÉSIR « Je ne sais ! » Le bien-aimé est étourdi de désir, son « âme » ne sait plus où elle en est. En une sorte de vision fugace, il s’est vu « en prince » de son peuple, tel Salomon juché sur son char d’apparat. Prince, il l’est incontestablement pour celle qu’il aime et qui l’aime. C’est sans doute pourquoi il lui donne le nom de « Sulamite », si proche de celui du prince d’Israël auquel il emprunte la figure.
Séquence B5 (6,4–7,11)
137
B. TES PIEDS, TES FLANCS, TON NOMBRIL... (7,2-10A) TEXTE 7,2 Que sont beaux tes pieds dans tes sandales, fille-de-prince ! Les courbes de tes hanches telles des anneaux, œuvre des mains d’un artiste. 3 Ton nombril, un bassin arrondi, n’y manque pas le vin-épicé. Ton ventre, un monceau de froment, bordé d’anémones. 4 Tes deux seins comme deux faons, jumeaux d’une gazelle. 5 Ton cou, comme la tour d’ivoire, tes yeux, les piscines de Heshbôn, près de la porte de Bat-Rabbîm. Ton nez, comme la tour du Liban, surveillant la face de Damas. 6 Ta tête sur toi, comme le Carmel, et le flot de ta tête, comme la pourpre ; un roi est prisonnier de ces boucles. 7 Que tu es belle et que tu es charmante, ô amour, fille de délices ! 8 Celle-ci ta taille, elle ressemble au palmier et tes deuxseins à des grappes. 9 J’ai dit : je monterai au palmier, je saisirai ses régimes. Et qu’ils soient tes deux-seins comme des grappes de ceps, et le parfum de ton nez comme les pommes, 10 et ton palais, comme un vin bon ! V. 2
: « LES COURBES DE TES HANCHES... »
Le terme yārek n’est pas très précis : il signifie « la cuisse » (Gn 24,2), mais aussi « la hanche » (Gn 32,26.32-33), « les flancs »12. Par ailleurs ḥammûqîm est un hapax ; le verbe de même racine a été traduit par « se dérober » en 5,6. On le rend par « courbes », « rondeurs ». En parallèle avec « les pieds », on a pensé naturellement aux « jambes », en référence à « ses jambes, des colonnes d’albâtre » (5,15)13 dans la séquence précédente. En outre, ’ommān est un autre hapax, rendu par « artiste ». V. 3A
: « UN BASSIN ARRONDI [...] LE VIN-ÉPICÉ »
Le second terme est un nouvel hapax ; il est généralement compris comme « arrondi »14 ; mezeg aussi est un hapax qui peut désigner le vin-mélangé d’eau ou, mieux ici à cause du contexte, le « vin-épicé » (Ps 75,9). Les tenants de l’interprétation naturaliste voient dans l’ombilic un euphémisme pour le sexe, ce qui ne s’impose pas. V. 3D
: « BORDÉ D’ANÉMONES »
Le terme sûgâ est un nouvel hapax ; il s’agit en fait d’un aramaïsme. L’image est problématique et donc diversement interprétée. V. 5BC
: « HESHBÔN [...] LA PORTE DE BAT-RABBIM
La ville de Heshbôn, autrefois capitale de Sihôn, roi des Amorites, échut ensuite aux tribus de Ruben et Gad (Nb 32,33-38). La porte de Bat-Rabbîm 12
Barbiero (311) passe des « cuisses », aux « fesses », puis aux « hanches ». Joüon, Cantique, 279-281. 14 Joüon, Cantique, 283. 13
138
Le Cantique des cantiques
serait celle d’où l’on sort vers cette ville non identifiée ; certains y reconnaissent Rabbat benê Ammon, capitale des Ammonites15. V. 6
: « LE FLOT [...] LES BOUCLES »
La racine du premier terme signifiant « pendre », dallâ est rendu par « flot ». Le dernier mot aussi fait difficulté : il est traduit par « boucles » ou « tresses ». V. 8
: « GRAPPES »
Le plus souvent ’aškōlôt désigne les grappes de raisin (Gn 40,10 ; Dt 32,32 ; Is 65,8 ; Mi 7,1), mais en Ct 1,14 il s’agit des « grappes de henné ». Il est donc possible de comprendre que le terme est synonyme de « régimes » en position symétrique en fin de segments ; toutefois, comme « grappes » de 8b n’a pas de pronom suffixe (traduit par un possessif) au contraire de « ses régimes », et comme les « grappes » de vin seront reprises en 9c, on peut interpréter les « grappes » de 8b comme celles de 9c. La composition du texte pourra permettre de décider.
COMPOSITION DU PASSAGE La description de la bien-aimée se développe de bas en haut, à partir des « pieds » (2a). Dans la première partie, après les « pieds » et les « hanches » (2), c’est au tour du tronc, « nombril », « ventre » et « seins » : les deux premiers segments (3) sont marqués par une métaphore, par une comparaison dans le troisième (4). La deuxième partie décrit le chef de la compagne. Dans le trimembre initial, ce sont le « cou » et les « yeux » (5abc), dans le trimembre final la « tête » et sa chevelure (6abc). Le « nez » est l’objet du bimembre central. Chaque segment commence par une comparaison. Les membres initiaux des deux premiers segments sont parallèles (5a.5d). Comme les deux membres du segment central, 5bc et 6a s’achèvent sur des noms de lieu, ce qui assure la cohérence de la partie. Le premier morceau de la dernière partie est global (7). Le premier segment du second morceau (8) semble introduire les deux suivants. En effet, 9ab traite du palmier comme 8a, tandis qu’en 9c-10a il est question de « tes deux-seins » qui sont « comme des grappes de ceps » (9c), qui donneront « un vin bon » (10a). « Les pommes » se trouvent intercalées entre les grappes et le vin.
15 Entre autres, Joüon, Cantique, 286-287 ; A. BRENNER, « A note on Bat-Rabbîm (Song of Songs 7,5 ».
Séquence B5 (6,4–7,11) * 7,2 QUE SONT BEAUX * Les courbes * œuvre
TES PIEDS
de TES HANCHES des mains
dans tes sandales, telles d’un artiste.
139 FILLE-de-prince
!
des anneaux,
················································································································
.. 3 TON NOMBRIL, . n’y manque pas
LE VIN-ÉPICÉ.
.. TON VENTRE, . bordé
un monceau d’anémones.
: 4 TES DEUX : comme deux : jumeaux
SEINS
+ 5 TON COU, :: TES YEUX, .. près de la porte
comme la tour les piscines de Bat -
d’ivoire, de Heshbôn, Rabbim.
comme la tour la face
du Liban, de Damas.
sur toi de TA TÊTE est prisonnier
comme le Carmel, comme la pourpre ; de ces boucles.
= TON NEZ, = surveillant + 6 TA TÊTE :: et le flot .. un roi * 7 QUE TU ES BELLE * ô amour,
un bassin
arrondi, DE FROMENT,
faons, d’une gazelle.
et que tu es charmante, FILLE
de délices !
················································································································
:: 8 Celle-ci + et TES DEUX-SEINS
TA TAILLE, À DES GRAPPES.
:: 9 J’ai dit : :: je saisirai
je monterai SES RÉGIMES.
+ Et qu’ils soient - et le parfum + 10 et TON PALAIS
TES DEUX-SEINS,
de TON NEZ comme UN VIN
elle ressemble
AU PALMIER
AU PALMIER, comme DES GRAPPES comme les pommes, bon !
DE CEPS,
Les parties extrêmes s’ouvrent sur des exclamations semblables qui commencent avec « Que sont beaux », « Que tu es belle » et s’achèvent avec « fille de prince », « fille de délices ». S’y retrouvent « tes deux seins » (4) et le duel « tes deux-seins » (8b.9c) ; « le vin-épicé » de 3b annonce les « grappes de ceps » et « un vin » de 9c.10a. Au « vin-épicé » de 3b est couplée la nourriture du « froment » de 3c ; aux « ceps » et au « vin » de 9c.10a sont couplés « les grappes » et les « régimes » du palmier de 8b.9b. « Ton nez » revient dans les deux dernières parties (5d.9d).
140
Le Cantique des cantiques
CONTEXTE LE BLÉ ET LE VIN Blé et vin vont souvent ensemble : « Tes greniers seront remplis de blé, tandis que le vin débordera de tes pressoirs » (Pr 3,10). De même dans les oracles de salut : « Voici que viennent des jours, oracle du Seigneur, où le laboureur approchera du moissonneur et qui foule les raisins de qui jette la semence » (Am 9,13 ; voir aussi Os 2,22 ; Jl 2,24).
INTERPRÉTATION IVRESSE ET SATIÉTÉ Fasciné d’abord par la danse des pieds de la fille de prince et par les ondulations de ses hanches, le regard de son bien-aimé s’élève ensuite. Au cratère de son nombril il s’enivrera d’un vin épicé (3ab) : l’ivresse l’accompagnera jusqu’à la fin, avec les grappes de vignes de ses seins (9cd), quand il goûtera le bon vin de son palais (10). Ce n’est pas seulement sa soif qui sera apaisée mais aussi sa faim : le vin épicé accompagne le pain de froment (3) et les grappes du palmier celles de la vigne (8-10). Le désir du bien-aimé sera comblé. AMOUR ET FÉCONDITÉ Les seins de la compagne sont d’abord comparés aux deux faons engendrés par la gazelle (4) ; et ce sont les régimes des fruits que produit le palmier que le bien-aimé montera cueillir (8-9b), les grappes que donne la vigne qui lui promettent le vin de son ivresse (9c). Discrètement mais sûrement, ces images évoquent la fécondité de l’amour, comme l’ensemble du nombril, du ventre et des seins le laissait entendre d’emblée. UNE GÉOGRAPHIE AMOUREUSE La partie centrale se distingue de celles qui l’encadrent par cinq noms propres géographiques. Ceux-ci semblent dessiner les limites du pays d’Israël, Heshbôn et Bat-Rabbîm à l’est, la tour du Liban qui surveille Damas au nord, et la montagne du Carmel à l’ouest. Ainsi, la jeune fille que contemple le bien-aimé semble représenter à ses yeux la totalité de la terre d’Israël, la somme du don que le Seigneur fit à son peuple.
Séquence B5 (6,4–7,11)
141
C. MOI, JE SUIS À MON BIEN-AIMÉ (7,10B-11) TEXTE 7,10b Il vient à mon bien-aimé directement, il coule sur les lèvres des dormants ; bien-aimé et vers moi son désir. V. 10B : « DIRECTEMENT
11
moi à mon
»
L’expression lemêšārîm ne se retrouve pas ailleurs, mais elle ressemble au b mêšārîm de Pr 23,31 : « Ne regarde pas le vin : comme il est vermeil ! Comme il scintille dans la coupe ! Il coule tout droit ». e
COMPOSITION DU PASSAGE + 7,10b Il vient + il coule
à MON BIEN-AIMÉ sur les lèvres
:: 11 moi :: et vers moi
à MON BIEN-AIMÉ son désir.
directement, des dormants ;
Les deux verbes de 10bc sont des participes ; le référent de leur sujet est « le vin bon » de 10a. Alors que le premier membre concerne seulement le « bienaimé », le second regarde les deux amants qui dorment ensemble ; la traduction des derniers termes de chaque membre veut rendre la rime de l’original (lemêšārîm, yešēnîm). Le deuxième segment explicite la réciprocité de l’amour des deux dormeurs. « À mon bien-aimé » revient en position identique dans les deux segments.
CONTEXTE LE FORMULE D’ALLIANCE La dernière phrase rappelle la phrase finale de la séquence précédente : « Moi à mon bien-aimé et mon bien-aimé à moi » (6,3), dont on avait dit qu’elle évoquait la formule d’alliance : « Vous serez mon peuple, et moi je serai votre Dieu » (Jr 30,22 ; Ez 36,28). LA CONVOITISE DES ORIGINES Le terme tešûqâ, traduit ici par « désir », ne revient que deux autres fois, dans les récits d’origine. D’abord dans les paroles adressées par le Seigneur à la femme : « Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils. Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi » (Gn 3,16), puis à Caïn : « Si tu es bien disposé, ne relèveras-tu pas la tête ? Mais si tu
142
Le Cantique des cantiques
n’es pas bien disposé, le péché n’est-il pas à la porte, une bête tapie et vers toi sa convoitise ? Et toi, tu la domineras ? » (Gn 4,7).
INTERPRÉTATION L’IVRESSE DU BAISER ÉCHANGÉ Un vin gouleyant coule au palais de son bien-aimé ; elle y étanche sa soif et s’abandonne avec délice à l’ivresse de son désir. L’échange du baiser est la manifestation de l’union intime des corps, et en même temps des cœurs et des esprits. CONVOITISE OU DÉSIR ? Comme souvent, le même mot, la même réalité peuvent être pris en bonne ou en mauvaise part. C’est pourquoi le même terme est rendu par « convoitise » aux premiers chapitres de la Genèse et par « désir » dans le Cantique. Ainsi les amants du Cantique sont-ils présentés comme les antitypes d’Ève et de Caïn. Au lieu de se dominer comme Adam, et de se laisser dominer comme Caïn, ils se donnent l’un à l’autre dans un amour parfait. Ils assurent le relai avec la femme de l’onction à Béthanie et avec Jésus, nouvelle Ève et nouvel Adam, tels que les présentent Matthieu et Marc : au lieu de s’emparer du fruit, de l’autre, ils se donnent entièrement, la première en rompant le vase qui la symbolise et en versant son précieux parfum sur celui qu’elle aime, le second en rompant le pain de son corps et en versant son sang pour le salut des multitudes16. Ce n’est sûrement pas un hasard si le troisième évangile met dans la bouche de Jésus cette déclaration solennelle au début du récit de la cène : « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir » (Lc 22,15).
16 Voir R. MEYNET, La Pâque du Seigneur, « La Pâque du Serviteur pour la rémission des péchés » (Mt 26,1-56), 22-81 ; ID., Mort et ressuscité selon les Écritures, « 3. Ève et Adam », 1520 (repris dans « Selon les Écritures ». Lecture typologique des récits de la Pâque du Seigneur, « 3. Ève et Adam », 29-35.
Séquence B5 (6,4–7,11)
143
D. L’ENSEMBLE DE LA SOUS-SÉQUENCE (6,11–7,11) COMPOSITION 6,11 Au jardin des noyers je suis descendu, pour voir si bourgeonnent LES CEPS, 12 Je ne sais ! MON ASPIRATION m’a placé 7,1 Tourne, tourne, LA SULAMITE ; Que contemplerez-vous dans LA SULAMITE ? 2
Que sont beaux tes pieds dans tes sandales, La courbe de tes hanches est comme des anneaux, 3 Ton nombril un bassin arrondi, Ton ventre, un monceau de froment, 4 Tes deux seins, comme deux faons,
pour voir les pousses de la vallée, si fleurissent les grenadiers. sur les chars de mon peuple en PRINCE. tourne, tourne, et nous te contemplerons ! Comme une danse à deux-camps ! fille de PRINCE ! œuvre des mains d’un artiste. n’y manque pas le VIN-ÉPICÉ. bordé d’anémones. jumeaux d’une gazelle.
5
Ton cou, comme la tour d’ivoire, tes yeux, les piscines de Heshbôn, Ton nez, comme la tour du Liban, 6 Ta tête sur toi, comme le Carmel, UN ROI est prisonnier de ces boucles. 7
Que tu es belle et que tu es charmante, Celle-ci ta taille, elle ressemble au palmier 9 J’ai dit : Je monterai au palmier, Et soient tes seins comme des grappes de CEPS, et le parfum de ton nez comme les pommes 8
Il vient à MON BIEN-AIMÉ directement, 11 moi à MON BIEN-AIMÉ
près de la porte de Bat-Rabbîm. surveillant la face de Damas. et le flot de ta tête, comme la pourpre ; ô amour, fille de délices ! et tes seins à des grappes. je saisirai ses régimes. 10
et ton palais comme un VIN bon !
il coule sur les lèvres des dormants ; et vers moi SON DÉSIR.
Dans les passages extrêmes, « son désir » (tešûqātô, 7,11) correspond à « mon aspiration »17 (6,12) : il s’agit dans les deux cas du désir du bien-aimé. Aux deux occurrences de « la Sulamite » (7,1ab) correspondent les deux occurrences de « mon bien-aimé » (7,10b.11). « Danse » à la fin du premier passage (7,1) annonce « tes pieds » au début du passage central (7,2a), ces deux termes jouant le rôle de termes médians. Il en va de même pour « ton palais » à la fin du passage central (10a) et « les lèvres » au début du troisième passage (10b) qui remplissent la fonction de termes médians pour les deux derniers passages. Les termes du champ sémantique du vin se trouvent dans les deux premiers passages : « ceps » (6,11b ; 7,9b), « vin-épicé » (7,3a) et « vin » (7,10a) ; « vin » de 10a est le référent du sujet des deux verbes du premier segment du dernier passage. « Prince » de 6,12 est repris en 7,2 ; « roi » (6b) appartient au même champ sémantique. Enfin, « comme » à la fin du premier passage (7,1b) revient en 2b.4.5a.6bis.9b.9c, à quoi on peut ajouter « elle ressemble à » (8).
17 Ici, napšî, litt,, « mon souffle », « mon gosier », est traduit par « aspiration », pour mieux marquer le rapport avec « son désir ».
144
Le Cantique des cantiques
INTERPRÉTATION UN DÉSIR COMBLÉ Au début, le bien-aimé descend au jardin voir si la vigne bourgeonne, à la fin il goûte avec sa compagne le vin enivrant des baisers. Du printemps prometteur de l’amour qu’il cherche et espère, les voilà arrivés à l’accomplissement de l’ivresse. Dans une sorte de vision prémonitoire, il s’était aperçu en prince sur les chars de son peuple ; il expérimente qu’il l’est, en réalité, pour la fille de prince qui l’aime et s’abandonne à lui dans le sommeil de l’amour.
IV. Tu es belle, ma compagne ; au jardin je suis descendu (6,4–7,11) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Deux sous-séquences, chacune formée de trois passages, encadrent la question de 6,10. Descriptions de la jeune fille, les passages centraux des deux sous-séquences n’ont en commun que ses « yeux », au début de la première (6,5) et au centre de la deuxième (7,5) ; « mères-de-jumeaux » (6,6b) annonce « jumeaux » (7,4). Les parties du corps de la belle sont au nombre de quatre dans la première description et quinze dans l’autre18, à quoi il faut ajouter « lèvres » dans le dernier passage (7,10b). La fin de la première sous-séquence et le début de la dernière sont marqués par les verbes de vision, « voir » (6,9c ; 6,11a.11b), « contempler » (7,1a.1b) qui jouent le rôle de termes médians à distance. « Belle/beaux » revient au début de la première séquence (6,4), au centre de la séquence (6,10) et deux fois en position symétrique dans la description centrale de la dernière sous-séquence (7,2.7). « Charmante » est repris dans le premier passage de la première sous-séquence (6,4) et dans le passage central de la dernière sous-séquence (7,7), chaque fois après « Que tu es belle ». À « grenade » de 6,7 répond « grenadiers » en 6,11. Les termes de comparaison, « comme », « ressembler à », sont repris dans les deux premiers passages des séquences extrêmes (6,4ter ; 5b.6a.7a / 7,1b ; 7,2b.4.5a.5c.6a bis.8.9b.9c.10a) et dans le passage central de la séquence (6,10 quater). Le passage central (6,10) reprend « terrible comme les bataillons » du début (6,4b), ainsi que « resplendissante » (bārâ) de 6,9b.
18
En comptant les termes répétés : « seins », « tête », « nez ».
Séquence B5 (6,4–7,11) 6,4 TU ES BELLE, ma compagne, comme Tirça, TERRIBLE comme LES BATAILLONS. 5
Détourne de moi TES YEUX, Tes cheveux comme troupeau de chèvres 6 Tes dents comme troupeau de brebis qui sont toutes MÈRES-DE-JUMEAUX 7 Comme tranches de grenade tes joues 8
Soixante les reines et des vierges sans nombre. 9 Unique est ma colombe, ma parfaite, RESPLENDISSANTE pour celle qui l’enfanta. Les filles l’ont vue et glorifiée, 10
Qui est celle-ci qui parait comme l’aurore,
RESPLENDISSANTE comme le soleil, 11
Au jardin des noyers je suis descendu, pour voir si bourgeonnent les ceps, 12 Je ne sais ! Mon âme m’a placé 7,1 Tourne, tourne, Sulamite ; Que contemplerez-vous dans la Sulamite ? 2
Que tes pieds SONT BEAUX dans tes sandales, Les courbes de tes hanches comme des anneaux, 3 Ton nombril, un bassin arrondi, Ton ventre, un monceau de froment, 4 Tes seins comme deux faons, 5
Ton cou, comme la tour d’ivoire, près de la porte de Bat-Rabbim. Ton nez, comme la tour du Liban, 6 Ta tête sur toi, comme le Carmel, un roi est prisonnier de ces boucles. 7
QUE TU ES BELLE et que tu es CHARMANTE, Celle-ci ta taille, elle ressemble au palmier 9 J’ai dit : Je monterai au palmier, Tes seins soient comme des grappes de ceps, et le parfum de ton nez, comme les pommes 8
Il vient à mon bien-aimé directement, 11 moi je suis à mon bien-aimé
145
CHARMANTE
comme Jérusalem,
lesquels m’assaillent ! qui dégringolent de Galaad. qui remontent du bain ; et chez elles point de privée-de-petit. de derrière ton voile. et quatre-vingts les concubines unique pour sa mère, reines et concubines l’ont louée. BELLE comme la lune, TERRIBLE comme LES BATAILLONS ? pour voir les pousses de la vallée, si fleurissent les grenadiers. sur les chars de mon peuple, en prince. tourne, tourne, que nous te contemplions ! Comme une danse à double-chœur ! fille de prince ! œuvre des mains d’un artiste. n’y manque pas le vin-épicé. bordé d’anémones. JUMEAUX d’une gazelle. TES YEUX,
les piscines de Heshbôn,
sentinelle tournée vers Damas. et le flot de ta tête, comme la pourpre ; ô amour, fille de délices ! et tes seins à des grappes. j’en saisirai les régimes. 10
et ton palais, comme un vin bon !
il coule sur les lèvres des dormants ; et vers moi est son désir.
146
Le Cantique des cantiques
CONTEXTE LE PREMIER RÉCIT DE LA CRÉATION On a déjà noté que le centre de la séquence fait allusion au premier récit de la création, avec la création de la lumière au début et des astres au centre de la semaine originelle. « Les bataillons » accompagnant le soleil et la lune au centre de la séquence (6,10) peuvent être compris comme « les étoiles » de Gn 1,16 : « Dieu fit les deux luminaires majeurs : le grand luminaire comme puissance du jour et le petit luminaire comme puissance de la nuit, et les étoiles ». Ailleurs, ces étoiles sont appelées « les armées des cieux » : « Quand tu lèveras les yeux vers le ciel, quand tu verras le soleil, la lune, les étoiles et toute l’armée des cieux, ne va pas te laisser entraîner à te prosterner devant eux et à les servir » (Dt 4,19 ; voir aussi Dt 17,3 ; 2R 23,5 ; Jr 8,2). Ainsi, en Ct 6,4, à côté des deux grands luminaires, les capitales du nord et du sud, les bataillons pourraient être les astres mineurs des autres cités. Il faut y ajouter maintenant les nombreux végétaux qui ornent la séquence et qui rappellent le troisième jour de la création (Gn 1,11-13) : « grenade » (6,7), « noyers », « ceps » et « grenadiers » (11), « froment » et « anémones » (7,3), « palmier » et ses « grappes » (8) et « régimes » (9a), « ceps » (9b), « pommes » (9c). De même, les animaux peuplent la séquence : « chèvres » (6,5) et « brebis » (6), la « colombe » (9), la « gazelle » et ses « faons » (7,4). LE DEUXIÈME RÉCIT DE LA CRÉATION La question centrale de la séquence semble faire écho au cri d’admiration poussé par Adam quand le Seigneur lui amena sa femme : « Cette fois-ci, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée « femme », car elle fut tirée de l’homme, celle-ci ! » (Gn 2,23). LA NOUVELLE CRÉATION APRÈS LE DÉLUGE La « colombe » et le « vin » ne sauraient manquer de rappeler la seconde création avec l’histoire de Noé (Gn 8,8-12 ; 9,20). LA CONQUÊTE DE LA TERRE Le nom de « Heshbôn » (7,5) est précédé par celui de « Galaad » (6,5). Galaad était la région du royaume de Sihôn, roi des Amorites, dont Heshbôn était la capitale (Nb 21,21-32), et de Og, roi de Bashan (21,33-35). Galaad échut aux tribus de Ruben, de Gad et à la demi-tribu de Manassé (Nb 32,1-5.33-42).
Séquence B5 (6,4–7,11)
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INTERPRÉTATION LE CRI D’ADMIRATION D’ADAM Toute la séquence est une longue exclamation admirative que le bien-aimé prononce, sans se lasser, en contemplant sa compagne : « Tu es belle comme Tirça, charmante comme Jérusalem » (6,4) ; « Que tu es belle et que tu es charmante, amour, fille de délices ! » (7,7). C’est une amplification du cri d’admiration d’Adam contemplant sa femme pour la première fois : « Cette fois, celle-ci est l’os de mes os et la chair de ma chair ! » (Gn 2,23). Sans reprendre les termes généraux d’Adam, le bien-aimé du Cantique détaille à loisir les membres de sa compagne, tous les détails de son visage d’abord, puis, plus longuement, des pieds à la tête, jusqu’à son « palais ». LE SOMMET DE LA CRÉATION Elle est la quintessence de toutes les autres beautés de la création : la lumière de l’aurore qui éclaire le monde, la lune et le soleil pour la nuit et le jour, et les bataillons des étoiles (6,10), les herbes et les fleurs, les arbres et leurs fruits, les animaux domestiques et sauvages, chèvres et brebis, gazelle et ses faons. Et la colombe de Noé. Enfin, le sixième jour, est créé l’adam à l’image de Dieu, dominant tous les animaux, « mâle et femelle », le bien-aimé et sa compagne. « C’EST POURQUOI L’HOMME QUITTERA SON PÈRE ET SA MÈRE... » Le cri d’admiration d’Adam est immédiatement suivi par la loi qui fait passer l’homme de l’amour de sa mère à celui de son épouse. Certes, l’homme est « os des os et chair de la chair » de son père et de sa mère qui l’a porté dans son sein et l’a nourri de son lait. Fruit de l’amour de ses parents, il est appelé à fructifier et à se multiplier à son tour en s’attachant à sa femme pour ne faire avec elle qu’une seule chair. Dans le récit de la Genèse, la femme ne répond pas aux paroles de son homme ; au contraire, dans le midrash que représente cette séquence du Cantique, elle prend la parole à la fin, poursuivant, comme dans la même phrase, ce qu’il vient de dire et le confirmant : les lèvres des dormants sont unies dans le baiser de l’union amoureuse. TIRÇA, JÉRUSALEM, GALAAD, HESHBÔN... La géographie corporelle de la compagne se trouve doublée par celle de la terre d’Israël, à commencer par les capitales des royaumes du nord et du sud, de Joseph et de David. Galaad avec ses troupeaux et Heshbôn avec ses piscines rappellent les tout débuts de l’installation en Canaan des fils d’Israël, Ruben leur ainé, Gad le premier-né de Zilpa servante de Jacob et enfin Manassé, ainé de Joseph, les premiers qui s’installèrent en Galaad. C’est donc encore un commen-
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Le Cantique des cantiques
cement qui est ainsi évoqué discrètement, non plus celui de l’humanité, mais celui d’Israël et de sa terre. UNE BELLE IVRESSE « Noé, le cultivateur, commença de planter la vigne. Ayant bu du vin, il fut enivré et se dénuda à l’intérieur de sa tente » (Gn 9,20-21). On connait la suite qui ne fut pas glorieuse, en tout cas pour Canaan. Il n’en va pas de même pour l’ivresse des deux dormants du Cantique. Ce n’est pas l’ivresse de la honte comme pour Noé ; c’est celle de l’amour, du baiser de l’alliance, dernière image de la rencontre des amants.
Séquence B5 (6,4–7,11)
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Psaume 45 + 2 A frémi :: je dis, + ma langue, + 3 Tu es beau + est répandue + c’est pourquoi – 4 Ceins – ton faste
mon cœur moi, le roseau
de parole mon œuvre d’un scribe
belle : pour le roi, agile.
plus que les fils la grâce t’a béni ton épée et ta splendeur.
d’Adam, sur tes lèvres : Dieu sur la cuisse,
à jamais. vaillant,
·······················································································································
: 5 Ta splendeur : : pour la cause : et t’enseigne - 6 Tes flèches - des peuples - dans le cœur : 7 Ton trône, : sceptre
élance-toi, de la vérité, des prodiges sont acérées, sous toi des ennemis Dieu, de droiture,
chevauche, de l’humilité, ta droite ! tombent, du roi. pour toujours le sceptre
de la justice
et à jamais, de ton règne !
·······················································································································
+ 8 Tu aimes + c’est pourquoi + d’une huile – 9 Myrrhe – des palais 10
Des filles se tient dans l’or
+ 11 Écoute, + et tends + et oublie – 12 Et désirera – car lui est – 13 Et la fille – ton visage
la justice t’a oint d’allégresse et aloès, d’ivoire
et tu hais Dieu, plus que tes amis. cinnamome les cithares
la méchanceté ; ton Dieu,
de roi la Dame d’Ophir.
parmi tes bien-aimées ; à ta droite,
fille, ton oreille, ton peuple le roi ton Seigneur de Tyr dérideront
regarde
tous tes vêtements, te réjouissent.
et la maison de ton père. ta beauté : et prosterne-toi à lui ! avec un cadeau, les plus riches du peuple.
····························································································································
: 14 Toute splendide : de tissus : 15 en brocarts . des vierges . 16 elles sont amenées . elles se dirigent
la fille d’or elle est amenée derrière elle, dans les joies vers le palais
de roi vêtue ; vers le roi, ses compagnes et la jubilation, du roi.
à l’intérieur,
sont dirigées vers toi ;
····························································································································
+ 17 À la place + tu en feras
de tes pères des princes
seront en toute
tes fils ; la terre.
– 18 Je commémorerai – c’est pourquoi
ton nom les peuples
en tout âge te rendront-grâce
et âge, toujours
et à jamais.
La troisième sous-section (B4–B5) COMPOSITION « Mon/ton bien-aimé » revient dix-sept fois dans la séquence B4 (5,2.4.5. 6bis.8.9quater.10.16b ; 6,1bis.2.3bis) et deux fois à la fin de la B5 (6,2-3), faisant ainsi une sorte d’inclusion. Les premiers versants ont en commun : « ma compagne » (5,2c ; 6,4a) et « ma colombe, ma parfaite » (5,2c ; 6,9b) ; « filles » (5,8a ; 6,9d), « belle » (5,9b ; 6,4a). Les deuxièmes versants : « est/je suis descendu » « à son/au jardin » (6,2 ; 6,11) ; « anémones » (6,2c.3c ; 7,3c) ; « belle/beaux » (6,1a ; 7,2a.7a). Elle est appelée « ma compagne » (5,2c ; 6,4a) et lui « mon compagnon » (5,16c). Le centre de B4 est occupé par la description du bien-aimé par sa compagne (5,10-16) ; à quoi correspondent les deux descriptions de la compagne par son bien-aimé au centre des sous-séquences extrêmes en B5 (6,5-7 ; 7,2-10b). Les parties du corps sont nommées aussi dans le premier passage de B4 (5,2d.3b. 4ab.5bc) et dans le dernier passage de B5 (7,10d, mais cette fois-ci « les lèvres » sont celles des deux « dormants »). Les parties du corps qui reviennent dans les deux séquences sont : « yeux » (5,12a ; 6,5a ; 7,5ab), « ventre » (5,4b ; 14c ; 7,3b), « boucles » (5,2d.11a ; 7,6d), « joues » (5,13a ; 6,7b), « pieds » (5,3b ; 7,2a) et, en finale, « palais » (5,16a ; 7,10a). La jeune fille parle de son bien-aimé toujours à la troisième personne ; en revanche, il lui adresse la parole directement dans les deux premiers passages (6,4-7) et tout au long du passage central de la dernière sous-séquence (7,2-10a) et déjà en 7,1. Dans la première séquence, la compagne conjure les filles de Jérusalem à la fin du premier passage (5,8) pour qu’elles transmettent un message à son bienaimé ; et celles-ci lui posent deux questions avant et après la description centrale (5,9 ; 6,1). Quant à lui, il n’a pas besoin de confidents ni d’intermédiaires, car il s’adresse directement à elle. Chaque séquence s’achève sur une courte scène d’union intime : « Moi je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi » (6,3), « moi je suis à mon bien-aimé et vers moi est son désir » (7,11).
La sous-section B4–B5
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B4 (5,2–6,3)
B5 (6,4–7,11)
5,2 Moi je dors, mais mon cœur veille ; la voix de mon bien-aimé frappe. « Ouvre-moi, ma sœur, MA COMPAGNE, MA COLOMBE, MA PARFAITE, car MA TÊTE est pleine de rosée, MES BOUCLES, des gouttes de la nuit. » 3 « J’ai ôté ma tunique, comment la vêtirais-je ? J’ai lavé MES PIEDS, comment les salirais-je ? » 4 Mon bien-aimé a passé SA MAIN par la fente, et MON VENTRE a frémi pour lui. 5 Je me suis levée, moi, pour ouvrir à mon bien-aimé ; et de MES MAINS a dégoutté la myrrhe, de MES DOIGTS la myrrhe liquide sur la poignée du verrou. 6 J’ai ouvert moi à mon bien-aimé, et mon bien-aimé se déroba, s’enfuit. J’ai rendu l’âme à cause de sa disparition, je l’ai cherché mais ne l’ai point trouvé, je l’ai appelé mais il n’a pas répondu. 7 M’ont trouvée les gardes, ceux qui font la ronde dans la ville ; ils m’ont frappée, ils m’ont blessée, ils m’ont enlevé mon manteau, les gardes des remparts. 8 Je vous en conjure, filles de Jérusalem, si vous trouvez mon bien-aimé, que lui déclarerezvous ? Que je suis malade d’amour, moi.
6,4 Tu es BELLE, MA COMPAGNE, comme Tirça, charmante comme Jérusalem, terrible comme les bataillons. 5 Détourne de moi TES YEUX, lesquels m’assaillent ! TES CHEVEUX comme troupeau de chèvres qui dégringolent de Galaad. 6 TES DENTS comme troupeau de brebis qui remontent du bain ; qui sont toutes mères-de-jumeaux et chez elles point de privée-de-petit. 7 Comme tranches de grenade TES JOUES de derrière ton voile. 8 Soixante les reines et quatre-vingts les concubines et des vierges sans nombre. 9 Unique est MA COLOMBE, MA PARFAITE, unique pour sa mère, resplendissante pour celle qui l’enfanta. Les filles l’ont vue et glorifiée, reines et concubines l’ont louée. 10
Qui est celle-ci qui parait comme l’aurore, resplendissante comme le soleil, terrible comme les bataillons ? BELLE comme la lune,
11 9
Qu’a donc ton bien-aimé par rapport à un bien-aimé, ô la plus BELLE des femmes ? Qu’a donc ton bien-aimé par rapport à un bien-aimé, pour qu’ainsi tu nous conjures ? 10
Mon bien-aimé est frais et vermeil, reconnaissable entre dix mille. 11 SA TÊTE est d’or, d’or-pur ; SES BOUCLES des spathes, noires comme le corbeau. 12 SES YEUX comme des colombes, au bord des eaux se baignant dans le lait, demeurant sur la berge. 13 SES JOUES comme des parterres embaumés, des tertres parfumés. SES LÈVRES des anémones, dégouttant de myrrhe vierge. 14 SES MAINS des globes d’or, sertis de chrysolithes ; SON VENTRE une masse d’ivoire, couverte de saphirs ; 15 SES JAMBES des colonnes d’albâtre, posées sur des bases d’or-pur. SON ASPECT comme le Liban, distingué comme les cèdres. 16 SON PALAIS est douceurs, et il n’est que délices. Tel est mon bien-aimé, tel est MON COMPAGNON, filles de Jérusalem. 6,1 Où est parti ton bien-aimé, ô la plus BELLE des femmes ? Où s’est tourné ton bien-aimé, que nous le cherchions avec toi ? 2
Mon bien-aimé est descendu à son jardin, aux parterres embaumés, pour paitre dans les jardins, pour cueillir des anémones. 3 Moi je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi qui pait parmi les anémones.
Au jardin des noyers je suis descendu, pour voir les pousses de la vallée, pour voir si bourgeonnent les ceps, si fleurissent les grenadiers. 12 Je ne sais ! Mon âme m’a placé sur les chars de mon peuple, en prince. 7,1 Tourne, tourne, Sulamite ; tourne, tourne, que nous te contemplions ! Que contemplerez-vous dans la Sulamite ? Comme une danse à double-chœur ! 2 Que TES PIEDS sont BEAUX dans tes sandales, fille de prince ! Les courbes de TES HANCHES comme des anneaux, œuvre des mains d’un artiste. 3 TON NOMBRIL, un bassin arrondi, n’y manque pas le vin-épicé. TON VENTRE, un monceau de froment, bordé d’anémones. 4 TES SEINS comme deux faons, jumeaux d’une gazelle. 5 TON COU, comme la tour d’ivoire, TES YEUX, les piscines de Heshbôn, près de la porte de Bat-Rabbim. TON NEZ, comme la tour du Liban, sentinelle tournée vers Damas. 6 TA TÊTE sur toi, comme le Carmel, et le flot de TA TÊTE, comme la pourpre ; un roi est prisonnier de CES BOUCLES. 7 Que tu es BELLE et que tu es charmante, ô amour, fille de délices ! 8 Celle-ci TA TAILLE, elle ressemble au palmier et TES SEINS à des grappes. 9 J’ai dit : Je monterai au palmier, j’en saisirai les régimes. TES SEINS soient comme des grappes de ceps, et le parfum de TON NEZ, comme les pommes 10 et TON PALAIS, comme un vin bon ! Il vient à mon bien-aimé directement, il coule sur les lèvres des dormants ; 11 moi je suis à mon bien-aimé et vers moi est son désir.
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Le Cantique des cantiques
INTERPRÉTATION DE LA QUÊTE À L’IVRESSE Tout commence par une recherche réciproque qui n’aboutit pas. Il supplie pour que sa belle lui ouvre, mais elle résiste, sous de vains prétextes (5,2-3) ; il insiste en tentant de forcer la porte, mais au moment où sa compagne cède enfin, le voilà qui s’est enfui et qu’elle le cherche en vain (4-6). C’est ensuite un long dialogue avec les filles de Jérusalem. Mais quand ses amies lui demandent où il est parti, elle leur répond, de façon surprenante, qu’ils se sont retrouvés : elle a ouvert son jardin pour qu’il puisse paitre parmi les anémones ! Alors, il reprend la parole, mais cette fois-ci en sa présence, et se met à entonner ses louanges. À la fin, elle n’y tient plus et s’abandonne avec ravissement à l’ivresse et au sommeil entre ses bras. LE MIRACLE DE L’UNION L’union entre les amants survient comme une immense surprise à la fin de chaque séquence. Le lecteur ne s’y attend pas le moins du monde. Après l’échec dramatique de la nuit, après le long échange de l’amoureuse avec les filles de Jérusalem et leurs questions angoissées, il semblerait que tout est compromis, et même perdu, quand soudain arrive la nouvelle inespérée de la rencontre et de l’union tant désirée. La surprise est encore plus soudaine et inattendue, à la fin de la deuxième séquence. C’était son bien-aimé qui n’avait cessé de parler tout au long. Or, voici qu’elle l’interrompt, pour proclamer à qui veut l’entendre qu’ils sont enfin ensemble, le vin de l’amour coulant sur leurs lèvres unies.
L’ensemble de la deuxième section (3,1–7,11) Les cinq séquences sont organisées de manière concentrique autour de la plus courte des séquences. De chaque côté, les quatre autres séquences se correspondent de manière parallèle :
B1 : ELLE SAISIT
l’amour de son âme
qui monte
B2 : Tu es belle, ma compagne ; du Liban
du désert
3,1-11
tu viendras
4,1-15
B3 : Le duo de la compagne et de son bien-aimé
B4 : ELLE CHERCHE
son bien-aimé
qui descend dans son jardin
B5 : Tu es belle, ma compagne ; au jardin
je suis descendu
4,16–5,1
5,2–6,3
6,4–7,11
154
Le Cantique des cantiques
COMPOSITION LES RAPPORTS ENTRE LES SÉQUENCES B1 ET B4 Chacune des deux séquences comprend cinq passages. Toutefois les deux arrangements sont quelque peu différents : alors que les deux premiers et les deux derniers passages de la séquence B1 se correspondent de manière parallèle (A B / C / A’B’), ceux de la séquence B4 se répondent de manière spéculaire (A B /C/ B’A’). La composition de la séquence B1 est concentrique, celle de B2 est elliptique. Les deux premiers passages ont beaucoup de points communs : – Leurs premiers mots (« Sur ma couche dans les nuits » et « Moi je dors, mais mon cœur veille ») indiquent une situation identique : elle rêve à son bien-aimé. – La première fois elle « cherche » celui que son cœur aime et ne l’ayant « pas trouvé » à côté d’elle (3,1), elle « se lève » (3,2) pour le chercher dans la ville ; la deuxième fois, entendant qu’il frappe, elle finit par « se lever » pour lui ouvrir (5,5), mais il a disparu et elle le « cherche » et ne le « trouve pas » (5,6). – Ce sont ensuite « les gardes, ceux qui font la ronde dans la ville » qui la « trouvent » (3,3 ; 5,7). Dans la séquence B1, le deuxième et le dernier passage, qui sont symétriques, se distinguent des autres car ils sont adressés aux « filles de Jérusalem » (3,5), aux « filles de Sion » (3,11) ; d’une manière analogue, dans la séquence B4, les courts passages symétriques qui encadrent le passage central (5,9 ; 6,1) ont la particularité d’être des questions que les filles de Jérusalem posent à la bienaimée. Le deuxième passage de la séquence B1 (3,5) correspond à la fin du premier passage de la séquence B4 (5,8) : y est repris « Je vous conjure, filles de Jérusalem » ainsi que « amour ». Le passage central de la séquence B1 (3,6) est une question, comme sont des questions les deux foyers de la séquence B4 (5,9 ; 6,1). Toutefois, le passage central de B1 a en commun avec le passage central de B4 le thème du parfum : « myrrhe » y est accompagné de plusieurs termes appartenant au même champ sémantique, « odorante de myrrhe et d’encens, de toutes les poudres de marchands » (3,6), « comme des parterres embaumés, des tertres parfumés [...] dégouttant la myrrhe vierge » (5,13). Il faut ajouter que les parfums se retrouvent aussi dans les passages extrêmes de la séquence B4 : « et de mes mains a dégoutté la myrrhe, de mes doigts la myrrhe liquide » (5,5), « aux parterres embaumés » (6,2). Enfin, la description de la litière de Salomon dans le quatrième passage de la séquence B1 (3,7-10) a un certain nombre de points communs avec la description du bien-aimé dans le passage central de la séquence B4 : « Liban » (3,9 ; 5,15), « piliers » (3,10 ; 5,15), « or » (3,10 ; 5,14 avec ses synonymes en 11 et 15), et enfin, en termes finaux, « filles de Jérusalem » (3,10 ; 5,16).
L’ensemble de la deuxième section (3,1–7,11) B1 (3,1-11) Sur ma couche, dans les nuits, J’AI CHERCHÉ celui qu’aime mon âme ; JE L’AI CHERCHÉ, ET NE L’AI PAS TROUVÉ ! 2 Je me lèverai donc, et parcourrai la ville. Dans les rues et sur les places, JE CHERCHERAI celui qu’aime mon âme ; JE L’AI CHERCHÉ, ET NE L’AI PAS TROUVÉ ! 3,1
3
M’ONT TROUVÉE LES GARDES, CEUX QUI FONTLA-RONDE DANS LA VILLE : « Celui qu’aime mon âme avez-vous vu ? » 4 À peine avais-je dépassé eux, que J’AI TROUVÉ celui qu’aime mon âme ; je l’ai saisi et ne le lâcherai pas que je ne l’aie fait entrer dans la maison de ma mère, dans la chambre de celle qui m’a conçue. Je vous conjure, FILLES DE JÉRUSALEM, par les gazelles et par les biches de la campagne, n’éveillez pas, ne réveillez pas MON AMOUR, tant qu’il lui plaira. 5
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B4 (5,2–6,3) Moi je dors, mais mon cœur veille ; la voix de mon bien-aimé frappe. « Ouvre-moi, ma sœur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite, car ma tête est pleine de rosée, mes boucles, des gouttes de la nuit. » 3 « J’ai ôté ma tunique, comment la vêtirais-je ? J’ai lavé mes pieds, comment les salirais-je ? » 4 Mon bien-aimé a passé sa main par la fente, et mon ventre a frémi pour lui. 5 Je me suis levée, moi, pour ouvrir à mon bien-aimé ; et de mes mains a dégoutté la MYRRHE, de mes doigts la MYRRHE liquide sur la poignée du verrou. 6 J’ai ouvert moi à mon bien-aimé, et mon bien-aimé se déroba, s’enfuit ; j’ai rendu l’âme à cause de sa disparition, JE L’AI CHERCHÉ MAIS NE L’AI POINT TROUVÉ, je l’ai appelé, mais il n’a pas répondu. 7 M’ONT TROUVÉE LES GARDES, CEUX QUI FONTLA-RONDE DANS LA VILLE ; ils m’ont frappée, ils m’ont blessée, ils m’ont enlevé mon manteau, les gardes des remparts. 8 Je vous conjure, FILLES DE JÉRUSALEM, SI VOUS TROUVEZ mon bien-aimé, que lui déclarerez-vous ? Que je suis malade D’AMOUR, moi. 5,2
Qu’a donc ton bien-aimé de plus qu’un bien-aimé, ô la plus belle des femmes ? Qu’a donc ton bien-aimé de plus qu’un bien-aimé, pour qu’ainsi tu nous conjures ? 9
Mon bien-aimé est frais et vermeil, reconnaissable entre dix mille. 11 Sa tête est d’OR, D’OR-PUR ; ses boucles des palmes, noires comme le corbeau. 12 Ses yeux comme des colombes, au bord des eaux se baignant dans le lait, demeurant sur la berge. 13 Ses joues comme des parterres de baume, des tertres parfumés. Ses lèvres des anémones, dégouttant la MYRRHE vierge. 14 Ses mains des globes d’OR, sertis de chrysolithes ; son ventre une masse d’ivoire, couverte de saphirs ; 15 Ses jambes des PILIERS d’albâtre, posées sur des bases d’OR-PUR. Son aspect comme le Liban, distingué comme les cèdres. 16 Son palais est la suavité même et il n’est que délices. Tel est mon bien-aimé, tel est mon compagnon, FILLES DE JÉRUSALEM. 10
Qu’est cela qui monte du désert, comme des colonnes de fumée, odorante de MYRRHE et d’encens, de toutes les poudres de marchands ? 6
7
Voici la litière de Salomon ; soixante preux autour d’elle, parmi les preux d’Israël, 8 tous saisissant l’épée, experts de la guerre ; chacun l’épée au côté, par crainte dans les nuits. 9 Un palanquin s’est fait pour lui le roi Salomon en bois du Liban : 10 ses PILIERS il a fait d’argent, le baldaquin d’OR, le siège de pourpre ; l’intérieur est arrangé d’AMOUR, par les FILLES DE JÉRUSALEM.
6,1 Où est parti ton bien-aimé, ô la plus belle des femmes ? Où s’est tourné ton bien-aimé, que NOUS LE CHERCHIONS avec toi ?
Sortez et voyez, FILLES DE SION, le roi Salomon avec la couronne dont l’a couronné sa mère au jour de ses épousailles, et au jour de la joie de son cœur.
2
11
Mon bien-aimé est descendu à son jardin, aux parterres de baume, pour faire-paitre dans les jardins, et pour cueillir des anémones. 3 Je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi qui fait-paitre parmi les anémones.
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Le Cantique des cantiques
LES RAPPORTS ENTRE LES SÉQUENCES B2 ET B5 « Te voici belle, ma compagne » (4,1) et « Tu es belle, ma compagne » (6,4) jouent le rôle de termes initiaux pour les deux séquences ; 4,1 trouve un écho avec « Tu es toute belle, ma compagne » en 4,7 et avec « Que sont belles, tes caresses » en 10 ; à 6,4 font écho « Que sont beaux tes pieds » en 7,2 et « Que tu es belle » en 7,7. Les descriptions se correspondent, dans les passages extrêmes de la séquence B2 (4,1-5 ; 9-15) et dans les passages centraux des sous-séquences extrêmes de la séquence B5 (6,5-7 ; 7,2-10a). Au début des séquences, les descriptions commencent par « les yeux » (4,1c ; 6,5a) ; elles se poursuivent avec les « cheveux » et les « dents » dans les mêmes termes (4,1c-2 ; 6,5b-6) et avec les « joues » « comme tranches de grenades » (4,3bc ; 6,7). On notera aussi la reprise de « colombe » en 4,1c et 6,9b. Les descriptions finales ont en commun les « yeux » (4,9b ; 7,5b) et « le vin » (4,10c ; 7,10a) ; la « langue » (4,11c) annonce le « palais » (7,10a) et les « lèvres » de 4,11b sont reprises en 7,10c. « Parfums », mentionné une seule fois à la fin de B5 (7,9c), rappelle les nombreux termes du même champ sémantique dans le dernier passage de B2 : « arôme », « parfums », « baumes » (4,10cd), « arôme » (11cd), « hennés », « nard », « safran », « roseau-odorant », « cinnamome », « encens », « myrrhe », « aloès », « baumes » (4,13-14). À noter aussi que « jardin(s) » de 4,12a.15a est repris en 6,11a. La première description dans le premier passage de B2 est plus développée que la première description au centre de la première sous-séquence de B5 ; plusieurs éléments du premier passage de B2 sont repris dans la dernière description de B5 : « ton cou » qui est « comme la tour de David » (4,4) et « comme la tour d’ivoire » (7,5), « tes deux seins, comme deux faons, jumeaux d’une gazelle » (4,5 ; 7,4). Par ailleurs, on remarquera que « un seul/unique » (’aḥad, ’aḥat) revient deux fois en 4,9b et deux fois aussi en 6,9ab ; « descendre » est repris en 4,15 (précédé de son synonyme en 4,8b) et en 6,11.
L’ensemble de la deuxième section (3,1–7,11) B2 (4,1-15) 4,1 Te voici BELLE, MA COMPAGNE, te voici BELLE ! TES YEUX des colombes, de derrière ton voile. TES CHEVEUX comme un troupeau de chèvres, qui dégringolent du mont Galaad. 2 TES DENTS comme un troupeau de brebis-à-tondre qui remontent du bain, qui sont toutes mères de jumeaux et de privée de petit il n’est pas parmi elles. 3 Comme ruban d’écarlate TES LÈVRES, et TA BABILLARDE charmante. Comme tranches de GRENADES TES JOUES, de derrière ton voile. 4 Comme la tour de David TON COU, bâtie pour des trophées ; mille rondaches suspendues à elle, tous les boucliers des preux. 5 TES DEUX SEINS comme deux faons, jumeaux d’une gazelle, paissant parmi les anémones. 6 Avant que souffle le jour et que s’enfuient les ombres, je m’en irai au mont de LA MYRRHE et à la colline de L’ENCENS ; 7 TU ES TOUTE BELLE, MA COMPAGNE, et de défaut il n’est pas en toi ! 8 Avec moi du Liban, ô fiancée, avec moi du Liban, tu viendras ; TU DESCENDRAS du sommet de l’Amana, du sommet du Sanir et de l’Hermon, du repaire des lions, des monts des léopards. 9
Tu me rends-fou, ma sœur, ô fiancée, tu me rends-fou par UN SEUL de TES YEUX, par UN SEUL anneau de tes colliers ! 10 QUE SONT BELLES tes caresses, ma sœur, ô fiancée, que sont bonnes tes caresses plus que LE VIN et L’ARÔME de TES PARFUMS plus que tous LES BAUMES ! 11 Du miel-vierge distillent TES LÈVRES, ô fiancée, miel et lait dessous TA LANGUE et L’ARÔME de tes vêtements comme L’ARÔME du Liban. 12 Un jardin clos, ma sœur, ô fiancée, un bassin clos, une source scellée. 13 Tes pousses, un verger de grenadiers, avec les fruits les meilleurs, les HENNÉS avec les NARDS ; 14 LE NARD et LE SAFRAN, LE ROSEAU-ODORANT et LE CINNAMOME, avec tous les arbres à ENCENS ; LA MYRRHE et L’ALOÈS, avec tous les sommets des BAUMES. 15 Source des jardins, puits d’eaux vives et DESCENDANT du Liban !
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B5 (6,4–7,11) 6,4 Tu es BELLE, MA COMPAGNE, comme Tirça, charmante comme Jérusalem, terrible comme les bataillons. 5
Détourne de moi TES YEUX, lesquels m’assaillent ! TES CHEVEUX, comme troupeau de chèvres, qui dégringolent du Galaad. 6 TES DENTS, comme troupeau de brebis, qui remontent du bain, qui sont toutes mères de jumeaux et de privée de petit il n’est pas parmi elles. 7 Comme tranches de GRENADE , TES JOUES de derrière ton voile. 8
Il y a soixante reines et quatre-vingts concubines et des vierges sans nombre. 9 UNIQUE est ma colombe, ma parfaite, UNIQUE pour sa mère, la préférée de celle qui l’enfanta. Les filles l’ont vue et glorifiée, les reines et concubines l’ont louée.
10
Qui est celle-ci qui parait comme l’aurore, belle comme la lune, resplendissante comme le soleil, terrible comme les bataillons ?
11
Au jardin des noyers JE SUIS DESCENDU, pour voir les pousses de la vallée, pour voir si bourgeonnent LES CEPS, si fleurissent LES GRENADIERS. 12 Je ne sais. Mon âme m’a jeté sur les chars de mon peuple, en prince. 7,1 Tourne, tourne, la Sulamite ; tourne, tourne, que nous te contemplions ! Que contemplerez-vous dans la Sulamite ? Comme une danse à double-chœur ! 2
QUE SONT BEAUX tes pieds dans tes sandales, fille de prince ! Les courbes de tes hanches, comme des anneaux, œuvre des mains d’un artiste. 3 Ton nombril, un bassin arrondi, n’y manque pas LE VIN-ÉPICÉ ! Ton ventre, un monceau de froment, bordé d’anémones. 4 TES DEUX SEINS comme deux faons, jumeaux d’une gazelle. 5 TON COU, comme la tour d’ivoire. TES YEUX, les piscines de Heshbôn, près de la porte de Bat-Rabbim. Ton nez, la tour du Liban, surveillant la face de Damas. 6 Ta tête sur toi, comme le Carmel, et le flot de ta tête, comme la pourpre ; un roi est prisonnier de ces boucles. 7 QUE TU ES BELLE et que tu es charmante, ô amour, fille de délices ! 8 Celle-ci ta taille, elle ressemble au palmier et TES SEINS à des grappes. 9 J’ai dit : je monterai au palmier, je saisirai ses régimes. TES SEINS soient comme des grappes de ceps et le PARFUM de TON NEZ comme les pommes 10 et TON PALAIS, comme UN VIN bon ! Il vient à mon bien-aimé directement, il coule sur LES LÈVRES des dormants ; 11 moi à mon bien-aimé et vers moi son désir.
158
Le Cantique des cantiques
LES RAPPORTS ENTRE LES SÉQUENCES B1 ET B5 Les séquences extrêmes sont focalisées sur deux questions complémentaires, la première concernant l’identité du bien-aimé, la deuxième celle de sa compagne. Les deux questions sont de même facture, un unimembre suivi d’un trimembre : + 3,6 Qu’est cela qui monte du désert, . comme des colonnes de fumée, . odorante de myrrhe et d’encens, . de toutes les poudres de marchands ? + 6,10 Qui est celle-ci qui parait comme l’aurore, . belle comme la lune, . resplendissante comme le soleil, . terrible comme les bataillons ?
LA FONCTION DE LA COURTE SÉQUENCE CENTRALE (4,16–5,1) • 4,16 Lève-toi, • ET VIENS, : faites-exhaler : que descendent
aquilon, autan ; mon JARDIN, ses BAUMES !
·········································································································· MON BIEN-AIMÉ dans son JARDIN
+ QU’IL VIENNE = et QU’IL MANGE
les fruits
+ 5,1 JE VIENS + ma sœur,
dans mon JARDIN, fiancée.
les meilleurs !
·········································································································· ma myrrhe avec mon BAUME,
: Je récolte
= JE MANGE = JE BOIS • MANGEZ, • BUVEZ
mon rayon mon vin
avec mon miel, avec mon lait.
compagnons, et enivrez-vous,
BIEN-AIMÉS
!
La séquence centrale reprend un certain nombre de termes utilisés ailleurs dans la section, dont les plus remarquables sont les suivants : – les trois occurrences de « jardin » (4,16c.e ; 5,1a) rappellent celles de la fin de la séquence B2 (4,12.15), de la fin de la séquence B4 (6,2bis) et celle du début de la dernière sous-séquence de B5 (6,11) ; – « baume(s) » (4,16d ; 5,1c) se trouve aussi dans la séquence précédente (B2 : 4,10.14) et dans la suivante (B4 : 6,2) ; – « les fruits les meilleurs » (4,16f) se trouve peu avant, à la fin de la séquence B2 (4,13) ; « fruit » reviendra aussi en 8,11.12 et « meilleurs-[fruits] en 7,14 ;
L’ensemble de la deuxième section (3,1–7,11)
159
– « myrrhe » (5,1c) revient aussi au centre de la séquence B1 (3,6) et trois fois dans la séquence B4 (5,5bis.13) ; – « miel et lait » apparaissaient déjà à la fin de la séquence B2 (4,11) ; – « compagnons » (5,1f) désignait le bien-aimé dans la bouche de son amie (B4 : 5,16) ; celle-ci est appelée sa « compagne » en B2 (4,1.7) et en B5 (6,4) ; de même, « bien-aimés » (5,1g) n’est employé ailleurs qu’au singulier, pour l’ami de la jeune fille, comme c’est le cas en 4,16e. En revanche, trois termes corrélés ne se trouvent pas ailleurs dans tout le livre : « manger », « boire » et « s’enivrer ». Dans la première partie de la séquence centrale, c’est la compagne qui parle de son bien-aimé, à la troisième personne ; il en va de même dans les séquences B1 et B4. Elle ne s’adresse jamais directement à lui. Au contraire, dans la deuxième partie de la séquence centrale, le bien-aimé interpelle sa compagne, à la deuxième personne ; et il en est de même dans les séquences B2 et B5 ; les vocatifs y sont nombreux. Il existe des vocatifs dans les séquences prononcées par la jeune fille, mais ce sont les « filles de Jérusalem » ou les « filles de Sion » qu’elle interpelle (3,5.11 en B1 ; 5,16 en B4). L’alternance entre les discours de la compagne et de son bien-aimé dans les deux premières séquences et dans les deux dernières se retrouve à l’intérieur de la séquence centrale. Seule exception à la fin de la dernière séquence où la compagne prend la parole brièvement (7,11), bel exemple de phénomène de clôture1. Il est question de vin et de vigne en trois lieux stratégiques de la section, à la fin de chacune de ses trois sous-sections : B2 (4,10), B3 (5,1e) suivi de « buvez et enivrez-vous, bien-aimés », B5 surtout (6,11 ; 7,3.10a), la section s’achevant sur l’image du vin coulant « sur les lèvres des dormants » (7,10bc).
CONTEXTE LA TERRE D’ISRAËL Dans les séquences où le bien-aimé loue la beauté de sa compagne, la section est marquée par les références géographiques à la terre d’Israël : « (la montagne de) Galaad » (4,2 ; 6,5), « la tour de David » (4,4), « Tirça » et « Jérusalem » (6,4), « la tour d’ivoire », « les piscines de Heshbôn, près de la porte de Bat-Rabbîm » et « la tour du Liban, surveillant la face de Damas » (7,5), « le Carmel » (6). « Le Liban » était déjà nommé en 4,8 avec les montagnes de « l’Amana », du « Sanir » et de « l’Hermon », d’où descendra la fiancée, en 8 et en 15. Les notations géographiques se trouvent essentiellement dans la section centrale ; toutefois, « EnGaddi » est mentionnée dans la première section (1,14).
1
Voir R. MEYNET, « Phénomènes de clôture dans les textes bibliques ».
160
Le Cantique des cantiques
LA VIGNE DU SEIGNEUR « Mon bien-aimé » revient vingt-six fois dans le Cantique et une seule fois ailleurs2, dans le chant de la vigne (Is 5) : 1
Je chanterai pour mon ami le chant de mon bien-aimé pour sa vigne. Mon ami avait une vigne, sur un coteau fertile [...] 7 Oui, la vigne de Yhwh des armées, c’est la maison d’Israël, et les gens de Juda, c’est son plant chéri.
Dans ce chant, le Seigneur se plaint que la vigne à laquelle il avait prodigué tous ses soins ne lui a pas donné les fruits qu’il espérait, bien au contraire. LA BIEN-AIMÉE DU SEIGNEUR L’image de la vigne décevante est liée à celle de l’épouse infidèle : 20
Oui, depuis longtemps tu as brisé ton joug, rompu tes liens, tu as dit : je ne servirai pas. Et pourtant, sur toute colline élevée et sous tout arbre vert, tu t’es couchée comme une prostituée. 21 Moi, cependant, je t’avais plantée comme un cep de choix, tout entier d’excellente semence. Comment t’es-tu changée pour moi en sauvageons d’une vigne étrangère ? (Jr 2).
La thématique de l’amour de Dieu et de son peuple sous les traits de la relation conjugale est déjà présente dans les trois premiers chapitres d’Osée : 4
Intentez procès à votre mère, intentez-lui procès ! Car elle n’est pas ma femme, et moi je ne suis pas son mari. Qu’elle écarte de sa face ses prostitutions, et d’entre ses seins ses adultères [...] 16 C’est pourquoi je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur [...] 21 Je te fiancerai à moi pour toujours ; je te fiancerai dans la justice et dans le droit, dans la tendresse et la miséricorde ;22 je te fiancerai à moi dans la fidélité, et tu connaitras Yhwh (Os 2).
De même en Isaïe : 5
Ton créateur est ton époux, Yhwh Sabaot est son nom, le Saint d’Israël est ton rédempteur, on l’appelle le Dieu de toute la terre. 6 Oui, comme une femme délaissée et accablée, Yhwh t’a appelée, comme la femme de sa jeunesse qui aurait été répudiée, dit ton Dieu. 7 Un court instant je t’avais délaissée, ému d’une immense pitié, je vais t’unir à moi. 8 Débordant de fureur, un instant, je t’avais caché ma face. Dans un amour éternel, j’ai eu pitié de toi, dit Yhwh, ton rédempteur. (Is 54 ; voir aussi 62,4-6)
Il en va de même en Jr 2 et en Ez 16 ; 23.
2
En 1Ch 27,4 c’est un nom propre, « Dodaï l’Ahohite ».
L’ensemble de la deuxième section (3,1–7,11)
161
CHANTS DE NOCES Le Ps 45 célèbre les noces d’un roi d’Israël avec une princesse de Tyr. Le jeune époux y est appelé « Dieu », du nom de son père : « Ton trône, Dieu, pour toujours et à jamais, sceptre de droiture, le sceptre de ton règne ! » (Ps 45,7)3. C’est surtout le Ps 85 qui est le plus proche du Cantique. En effet, ce psaume célèbre d’abord le retour de l’infidèle qui est pardonnée de son péché (2-8). C’est ensuite la déclaration de « paix » prononcée par le Seigneur (9). Enfin la dernière partie rapporte les étapes successives de l’union nuptiale entre Dieu et son peuple : Dieu vient habiter chez son peuple (10), suivent les embrassements (11), puis la conception (12), qui aboutit à la naissance du « bon » « produit », après quoi le père, tenant par les mains le fils auquel il a donné son propre nom, « Justice », met ses pas sur le chemin, pour lui apprendre à marcher4 : . 10 .
Oui, et
. 11 .
proche de habite
SES CRAIGNANT GLOIRE
sur NOTRE TERRE.
FIDÉLITÉ
et LOYAUTÉ et PAIX
se sont rencontrées se sont embrassées.
JUSTICE
SON SALUT
································································································ 12 LOYAUTÉ de LA TERRE germera car JUSTICE des CIEUX s’est penchée. ································································································
. 13 .
Aussi et
NOTRE TERRE
donnera donnera
le bon son produit.
. 14 .
et
JUSTICE IL mettra
devant LUI sur un chemin
marchera ses pas.
YHWH
INTERPRÉTATION COMMENT TOUT BASCULE Lund avait remarqué que le centre d’une construction concentrique représente « le tournant » du texte5. Joüon avait remarqué il y a plus d’un siècle que :
3
Voir R. MEYNET, Le Psautier. Deuxième livre (Ps 42/43–72), 43-44. Voir R. MEYNET, Le Psautier. Troisième livre (Ps 73–89), 161-174. 5 C’est la deuxième de ses sept lois : « Au centre il y a souvent un changement dans le déroulement de la pensée et une idée antithétique est introduite. Après quoi, le déroulement premier est repris et poursuivi jusqu’à ce que le système s’achève. Faute d’un meilleur terme, nous appellerons ce trait la loi du changement au centre » (N.W. LUND, Chiasmus in the New Testament, 41 ; voir Traité, 97). 4
162
Le Cantique des cantiques
Une lecture même superficielle donne [...] l’impression d'une division en deux moitiés presque égales dont la seconde commence au v. 5,2, où nous voyons la situation changer brusquement et la série des événements recommencer comme à nouveau6.
La courte séquence centrale fait basculer le poème, d’un temps où tout demeurait fermé, à une situation nouvelle qui montre les amants enfin enlacés. À la fin de la première séquence, la jeune fille voit son bien-aimé sous les traits du roi Salomon, inatteignable, protégé par « soixante preux » aguerris qui le défendent de leur épée (3,7-8) ; avec les filles de Sion, elle ne peut que le voir de loin, portant la couronne reçue le jour de ses épousailles (3,11). Quant au bien-aimé, à la fin de la deuxième séquence, il se trouve devant « un jardin clos, une source scellée » (4,12) dont il ne peut que humer les multiples parfums, sans pouvoir l’atteindre. En revanche, après le tournant décisif de la séquence centrale, les difficultés ne manquent certes pas. Tout commence par un rendez-vous manqué, par une recherche angoissée et par l’agression des gardes. Aux « soixante preux » du début (3,7) correspondent les « soixante reines » accompagnées des « quatre-vingts concubines et des vierges sans nombre » (6,8) qui se présentent comme autant d’obstacles sur la route du bien-aimé. Toutefois, cela n’empêchera pas les deux amants de se retrouver, à la fin de chacune des deux séquences de la dernière soussection, et de se donner l’un à l’autre dans l’ivresse de l’appartenance mutuelle. Le jardin clos est maintenant grand ouvert (6,2 ; 6,11). DOUBLE-ENTENDRE La courte séquence centrale de la section, « Le duo d’amour de la compagne et de son bien-aimé », se prête, comme naturellement, à une double lecture. Celle-ci a déjà été mise en œuvre dans l’interprétation de la séquence. Arrivés maintenant à l’ensemble de la section, il faut y revenir, pour la reprendre et tenter de l’approfondir. Le premier niveau de lecture est celui de la rencontre entre la femme et l’homme, sur lequel il n’est pas nécessaire d’insister davantage. Le second niveau est celui de l’alliance entre Dieu époux et sa fiancée Israël, telle que l’annoncent les prophètes de l’exil. Venant au jardin de son temple, où sa fiancée désirait de tout son être qu’il la rejoigne, le Seigneur est heureux d’y recevoir les offrandes des meilleurs fruits qu’elle lui a préparés : baumes brûlés sur l’autel des parfums, miel des rayons qu’il mangera, vin et lait qu’il boira. Alors, Dieu invite ses compagnons, ses bien-aimés, tout son peuple, à partager avec lui ce festin, en sacrifice de communion. LA BELLE, TERRE D’ISRAËL Dans les descriptions que le bien-aimé fait de sa compagne, ce ne sont pas seulement les références géographiques à la terre d’Israël qui abondent. C’est aussi toute la faune et la flore du pays, tous ses produits, convoqués pour en évo6
JOÜON, Cantique, 8.
L’ensemble de la deuxième section (3,1–7,11)
163
quer la beauté : « colombes », « troupeaux de chèvres et de brebis » avec leurs petits, « grenades », « faons des gazelles », « anémones », « lions et léopards », « le vin », « les parfums » et « tous les baumes », « le miel vierge », les « jardins » et « le verger de grenadiers, avec les fruits les meilleurs, les hennés avec les nards ; le nard et le safran, le roseau-odorant et le cinnamome, avec tous les arbres à encens ; la myrrhe et l’aloès, avec tous les sommets des baumes », « la vigne » et « les grenadiers », « le vin-épicé » et « le froment », « la pourpre », « le palmier » et « ses grappes », « les grappes de vigne », « les pommes » et « un vin bon ». Une telle accumulation, systématique pour ainsi dire, ne semble pas seulement dictée par une sorte de nécessité poétique. La belle est aussi la terre d’Israël avec toutes ses beautés. AMOUR UNIQUE Le double entendre ne signifie pas qu’il y a deux réalités différentes à entendre, l’une étant métaphore ou symbole de l’autre ; il en va de même pour ce qu’on a appelé, faute de mieux, les deux niveaux de lecture. L’amour de l’homme et de la femme et l’amour de Dieu et de son peuple sont de même nature : le premier est aussi spirituel et divin qu’humain, et le second est autant humain et charnel qu’il est divin. Parlant de l’un on parle forcément de l’autre. L’amour humain est divin ou il n’est pas, l’amour de Dieu est humain de même. « L’amour humain contient en l’exprimant son propre dépassement »7. Il n’est pas besoin que le nom de Dieu soit prononcé pour que sa présence soit perçue. L’anonymat divin se reflète dans celui des amants. La parole de Dieu passe à travers celle qu’échangent la compagne et son bien-aimé. Le Cantique est indissociablement parole de l’homme et parole de Dieu. Il n’est plus possible de voir dans cette parabole « uniquement une parabole ». Il semble que le lecteur soit placé là devant le choix ou d’admettre le sens « purement humain », purement charnel et de se demander alors par quelle erreur étonnante ces pages sont entrées dans la parole de Dieu, ou de reconnaitre que là, précisément dans le sens purement charnel, est enfouie immédiatement, et pas « seulement » sous forme de parabole, la signification la plus profonde. Jusqu’aux abords du XIXe siècle, on a unanimement emprunté la deuxième voie. Dans le Cantique des Cantiques, on voyait un chant d’amour, et dans ce chant précisément, on voyait immédiatement aussi un poème « mystique ». On savait, tout simplement, que le Je et le Tu du langage interhumain sont aussi, tout simplement, le Je et le Tu entre Dieu et l’homme. On savait que dans le langage s’efface la différence entre « immanence » et « transcendance ». Ce n’est pas bien que, mais parce que le Cantique était un chant d’amour « authentique », c’est-à-dire « profane », c’est pour cette raison précisément que c’était une authentique chant d’amour « spirituel » de Dieu envers l’homme. Son âme humaine est l’âme éveillée et aimée par Dieu.
7
Y. SIMOENS, Le Cantique des Cantiques. Livre de la plénitude, 12.
164
Le Cantique des cantiques
[...] Quand Herder et Goethe se mirent à considérer le Cantique des Cantiques comme un recueil de chants d’amour « profanes », cette épithète de « profane » ne voulait dire rien d’autre que ceci : Dieu... n’aime pas8.
8
F. ROSENZWEIG, L’étoile de la rédemption, 235-236
III. POSTLUDE La troisième section Ct 7,12–8,14
166
Le Cantique des cantiques
La section C comprend trois séquences organisées de manière concentrique :
C1 : LE DÉSIR
DE L’UNION
C2 : Appuyée sur son bien-aimé
C3 : LE DÉSIR
DE LA LIBERTÉ
7,12–8,2
8,3-7
8,8-14
1. Le désir d’union Séquence C1 : 7,12–8,2 La première séquence comprend deux passages : À MON BIEN-AIMÉ JE DONNERAI
MES FRUITS
À MON BIEN-AIMÉ JE DONNERAI
MES LIQUEURS
7,12-14
8,1-2
A. À MON BIEN-AIMÉ JE DONNERAI MES FRUITS (7,12-14) TEXTE 7,12 Va, mon bien-aimé. sortons à la campagne, nous passerons-la-nuit dans les hennés, 13 nous irons-le-matin aux vignes ; nous verrons si bourgeonnent les ceps, s’ouvrent les boutons, fleurissent les grenadiers. Là je donnerai mes caresses à toi ; 14 les pommesd’amour donnent leur parfum, et à nos portes tous les meilleurs[-fruits] ; les nouveaux aussi les anciens, mon bien-aimé, je les ai réservés à toi. V. 12A : «
VA »
Comme en 2,10, il s’agit du verbe hlk, « aller », et non pas « venir » (voir p. 59-60). V. 12C
: « DANS LES HENNÉS »
Le même terme peut signifier « village » ou « henné ». En 1,14 en parallèle avec « myrrhe » (13), le singulier kōper signifie « henné », et de même en 4,13 où le terme est accompagné d’autres parfums : « le nard et le safran, le roseauodorant et le cinnamome, avec tous les arbres à encens ; la myrrhe et l’aloès, avec tous les sommets des baumes ». Il s’agit ici des buissons de henné. V. 13E : « MES CARESSES
»
Comme au premier verset du Cantique, dōday, traduit par « mes caresses », est le même mot, au pluriel, que dôdî, « mon bien-aimé ».
168
Le Cantique des cantiques
V. 14A : « LES POMMES-D’AMOUR
»
Dûdā’îm est en rapport de paronomase avec dôdî (« mon bien-aimé ») et avec dōday (« mes caresses »), d’où la traduction par « pommes-d’amour » (comme la TOB). Il s’agit des « mandragores », baies de la mandragore officinale, plante herbacée vivace, de la famille des solanacées, réputées pour leurs vertus aphrodisiaques et fertilisantes. V. 14B : « LES MEILLEURS-FRUITS
»
Voir 4,13, séquence B2, p. 100.
COMPOSITION DU PASSAGE + 7,12 Viens, .. sortons .. nous passerons-la-nuit
MON BIEN-AIMÉ : à la campagne, dans les hennés.
···················································································································
+ 13 Nous irons-le-matin
aux vignes : si bourgeonnent s’ouvrent fleurissent
les ceps, les boutons, les grenadiers.
je donnerai
MES CARESSES
. Les POMMES-D’AMOUR . et à nos portes
ont donné tous les meilleurs[-fruits] ;
leur parfum
. les nouveaux . MON BIEN-AIMÉ,
aussi les anciens, je les ai réservés
:: nous verrons :: :: + Là 14
à toi.
à toi.
La première partie se déroule en deux étapes : le départ pour passer la nuit « dans les hennés » (12), puis ce qu’ils feront au matin (13). Les deux morceaux sont agrafés par les verbes complémentaires « nous passerons-la-nuit » (12c) et « nous irons-le-matin » (13a), suivis par des compléments de lieu opposés ; les deux membres sont assonancés : nālînâ bakkepārîm / naškîmâ lakkerāmîm. Les membres extrêmes de la deuxième partie se correspondent : « j’ai réservés » rappelle « je donnerai » : si elle a réservé quelque chose, c’est évidemment pour le lui donner. En outre, ces membres s’achèvent également avec « à toi ». Le double complément du dernier verbe se trouve dans le membre précédent : « les nouveaux aussi les anciens » se réfèrent à « tous les meilleurs[-fruits] » dont il vient d’être question, mais la construction de la partie pourrait inciter à penser qu’il s’agit aussi et même plutôt de « mes caresses ». L’ambiguïté est d’autant plus probable que « les pommes-d’amour », ainsi que « tous les meilleurs[-fruits] », ne sont pas sans rapport symbolique avec les « caresses ».
Séquence C1 (7,11–8,2)
169
« Mon bien-aimé » (12a, dôdî) et « mes caresses » (13e, dōday) jouent le rôle de termes initiaux pour les deux parties. « Pommes-d’amour » (14a, dûdā’îm) est en rapport de paronomase avec les deux termes précédents ; par ailleurs ce terme appartient au même champ sémantique que « vignes » (13a), « ceps » (13b), « grenadiers » (13d) et « meilleurs[-fruits] » (14b). On peut ajouter que « hennés » (12c) et « parfum » (14a) appartiennent au même champ sémantique, et que « portes » (14b) est de la même racine que « s’ouvrent » (13c).
CONTEXTE LES MANDRAGORES DE LÉA ET RACHEL Ruben, fils de Léa, première femme de Jacob, rapporte à sa mère devenue stérile, des mandragores (les pommes-d’amour). Rachel, deuxième femme de Jacob, les lui demande. Léa accepte, à condition de passer la nuit avec Jacob à la place de Rachel ; elle concevra ainsi et mettra au monde Issachar (Gn 30,14-18). LE MEILLEUR « Le meilleur » (meged) de 14b, déjà employé en 4,13 et 4,16, fait allusion à Dt 33,13-16 (voir p. 100). RÉCOLTE NOUVELLE ET ANCIENNE La bénédiction de Dieu se manifeste par l’abondance des récoltes, à tel point qu’il restera encore des fruits de la récolte passée au moment où on engrangera la nouvelle : « Après vous être nourris de la précédente récolte, vous aurez encore à mettre dehors du vieux grain pour faire place au nouveau » (Lv 26,10)1. « DU NEUF ET DU VIEUX » À la fin du discours en paraboles, Jésus demande à ses disciples s’ils ont tout compris et ils acquiescent. Alors il ajoute : « « Ainsi donc tout scribe devenu disciple du Royaume des Cieux est semblable à un propriétaire qui tire de son trésor du neuf et du vieux » (Mt 13,52). Alors qu’on pourrait logiquement attendre « du vieux et du neuf », c’est le neuf qui précède le vieux. Ainsi pour les fruits de la bien-aimée.
1
Voir Barbiero, 348.
170
Le Cantique des cantiques
INTERPRÉTATION LE TEMPS DES FLEURS ET CELUI DES FRUITS L’ellipse d’une entière saison sépare les deux parties du passage et les unit en même temps. La première scène se passe au printemps, quand « la vigne bourgeonne » et « fleurissent les grenadiers », la seconde au temps des fruits. Si les paroles de la première partie sont prononcées par la bien-aimée aux vergers printaniers, elles représentent une promesse qui ne se réalisera qu’au moment de la récolte, quand « tous les meilleurs fruits » de l’amour seront prêts pour être dégustés. Le moment présent n’est qu’une pâle préfiguration de ce qui vient. « Et les fruits passeront la promesse des fleurs ». « NOUVEAUX ET ANCIENS » On comprend sans peine que les nouveaux fruits sont plus désirables que les anciens, parce qu’ils sont plus frais, plus parfumés, plus savoureux. La nouveauté surprend agréablement, et c’est aussi parce qu’elle rappelle les sensations éprouvées par le passé. Les anciens fruits gardent tout leur prix. Il en va ainsi pour les fruits de la terre, et de même pour les fruits de l’amour. La joie des retrouvailles tient à ce que les nouvelles étreintes, bien loin de faire oublier les anciennes, les exaltent. Et comment ne pas se rappeler que la nouvelle récolte est le fruit d’une partie de la précédente, et pas seulement en ce qui concerne les céréales ?
C. À MON FRÈRE JE FERAI BOIRE MES LIQUEURS (8,1-2) TEXTE 8,1 Qui te donnera comme frère à moi, ayant tété les seins de ma mère ? Te trouvant dehors, je t’embrasserais, aussi ils ne mépriseraient pas moi. 2 Je te conduirais, je te ferais-venir, dans la maison de ma mère tu m’enseignerais ; je te ferais boire d’un vin parfumé, ma liqueur de grenades. V. 2B
: « TU M’ENSEIGNERAIS »
La forme du verbe hébreu est la même pour la deuxième personne masculin singulier ou pour la troisième personne féminin singulier. Le futur permet de comprendre que ce n’est pas la mère de la jeune fille qui l’enseignera. La Septante omet le verbe. V. 2C
: « D’UN VIN PARFUMÉ »
La construction est anormale, le second terme étant un substantif juxtaposé au premier pour le qualifier, litt. « d’un vin le parfum ». Le second terme, hāreqaḥ,
Séquence C1 (7,11–8,2)
171
est un hapax, mais il est de même racine que merqāḥîm de 5,13 : « des tertres parfumés ».
COMPOSITION DU PASSAGE + 8,1 Qui te donnera + AYANT TÉTÉ = Te trouvant = aussi :: 2 Je te conduirais, :: DANS LA MAISON = JE TE FERAIS BOIRE = ma liqueur
comme FRÈRE les seins
à moi, de MA MÈRE ?
DEHORS,
JE T’EMBRASSERAIS,
ils ne mépriseraient pas
moi.
je te ferais-venir de MA MÈRE,
tu m’enseignerais.
un vin de grenades.
parfumé,
Dans la première partie, la jeune fille souhaiterait que son bien-aimé soit son frère (1a), fils de la même mère (1b) ; elle pourrait ainsi l’embrasser en public sans honte (1cd). Dans la deuxième partie, elle envisage de l’introduire chez elle (2ab) ; elle pourrait ainsi lui faire boire des boissons qu’elle a préparées pour lui (2cd). Les deux parties sont parallèles : les premiers segments, où est repris « ma mère » (1b.2b), sont des souhaits semblables et les seconds segments en représentent les conséquences. « Je te ferais boire » (2c) rappelle « ayant tété » (1b), mais aussi « je t’embrasserais » (1d), car « le vin parfumé » et la « liqueur de grenades » ne sont pas sans rapport avec les baisers ; le rapport entre les deux verbes est souligné par la paronomase (’eššāq-kā / ’ašqe-kā ; « je t’embrasserai » / « je te ferai boire »). Dans les segments médians, « dans la maison » (2b) s’oppose à « dehors » (1c). CONTEXTE LE VIN DES BAISERS À la fin de la deuxième section, le bien-aimé achève la description de sa compagne par ces mots : « et ton palais, comme un vin bon » (7,10a). Et la jeune fille enchainera en disant : « Il vient à mon bien-aimé directement, il coule sur les lèvres des dormants » (10bc).
172
Le Cantique des cantiques
INTERPRÉTATION UN DÉSIR SURPRENANT... Il peut paraitre étrange que la jeune fille désire que son bien-aimé soit considéré comme son frère. Il n’est pas moins étonnant qu’elle veuille le faire entrer dans la maison de sa mère. En effet, selon la pratique de l’époque, la fiancée est destinée à être intégrée dans la famille, dans la maison de son époux ; et non pas l’inverse. ... MAIS COMPRÉHENSIBLE Dans son ardeur juvénile, dans sa hâte d’être enfin unie à son bien-aimé, elle en vient à imaginer une situation qui lui permettrait de l’embrasser même en public, de le faire entrer dans sa propre maison sans que personne n’y trouve à redire. Si seulement il pouvait être considéré comme son propre frère ! Tous les obstacles levés, elle pourrait lui faire déguster les boissons qu’elle lui a préparées, l’enivrer de ses baisers.
Séquence C1 (7,11–8,2)
173
D. DÉSIR D’UNION (7,12–8,2) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE 7,12 Viens, sortons nous passerons-la-nuit
mon bien-aimé : à la campagne, dans les hennés.
··················································································································· 13
Nous irons-le-matin :: nous verrons :: :: Là
aux vignes : LES CEPS, les boutons,
si bourgeonnent s’ouvrent si fleurissent
LES GRENADIERS.
JE DONNERAI
mes caresses
à toi.
:: 14 Les pommes-d’amour ONT DONNÉ leur parfum :: et à nos portes tous les meilleurs[-fruits] ; :: les nouveaux :: mon bien-aimé,
aussi les anciens, je les ai réservés
à toi.
8,1 Qui te DONNERA ayant tété
comme frère les seins
à moi, de ma mère ?
Te trouvant aussi
dehors, ils ne mépriseraient pas
je t’embrasserais, moi.
je te ferais-venir de ma mère,
tu m’enseignerais.
UN VIN
parfumé,
2
Je te conduirais, dans la maison :: Je te ferais boire :: ma liqueur
DE GRENADES.
Le « bien-aimé » du premier passage (7,12a) est imaginé comme « frère » dans le second (8,1). « Je donnerai » (7,13e), repris par « ont donné » (14a), et « donnera » (8,1) remplissent la fonction de termes médians pour les deux passages. « Ceps » avec « grenadiers » (7,13) et « vin » avec « grenades » (8,2cd) se retrouvent à la fin des parties extrêmes ; par ailleurs, chaque passage s’achève de manière complémentaire avec les fruits qu’elle a « réservés » pour son ami (7,14cd) et les boissons qu’elle lui a préparées (8,2cd).
INTERPRÉTATION ENIVRER, ENSEIGNER C’est elle qui parle tout au long, elle qui invite son bien-aimé à passer la nuit dans les buissons de henné, à visiter ensuite vignes et grenadiers, elle qui promet de lui donner ses amours avec ses meilleurs fruits. C’est elle qui voudrait pouvoir
174
Le Cantique des cantiques
l’embrasser comme un frère, qui souhaite le faire entrer dans la maison de sa mère pour lui faire goûter son vin et sa liqueur de grenades. Comme s’il n’avait rien à dire, comme s’il devait seulement acquiescer en silence à la fougue de ses désirs. Et pourtant, de manière inattendue, presqu’à la fin elle lui laisse, pour ainsi dire, toute la place quand, en un seul verbe, elle lui demande de l’enseigner (8,2b). C’est de lui seul qu’elle attend d’être initiée. Le verbe n’a pas de complément d’objet direct ; et l’on comprend qu’il devra tout lui apprendre.
2. Appuyée sur son bien-aimé Séquence C2 : 8,3-7 La séquence comprend trois passages, deux de la taille d’une partie encadrant une question courte (5ab) : NE RÉVEILLEZ PAS
L’AMOUR
8,3-4
Qui est celle-ci ? J’AI RÉVEILLÉ
L’AMOUR
5ab 5c-7
A. NE RÉVEILLEZ PAS L’AMOUR (8,3-4) TEXTE 8,3 Son (bras) gauche dessous ma tête et son (bras) droit m’étreint. 4 Je conjure vous, de Jérusalem, n’éveillez pas, ne réveillez pas l’amour jusqu’à ce qu’il lui plaise. V. 4C
filles
: « N’ÉVEILLEZ PAS, NE RÉVEILLEZ PAS »
Les deux verbes sont affectés de la négation mah, au lieu de ’im (litt., « si ») dans le parallèle de 2,71.
1
Voir p. 42.
176
Le Cantique des cantiques
COMPOSITION DU PASSAGE :: 8,3 Son (bras) gauche :: et son (bras) droit
dessous m’étreint.
ma tête
······························································································
- 4 Je conjure - filles
vous, de Jérusalem,
- n’éveillez pas - jusqu’à ce qu’
et ne réveillez pas il lui plaise.
l’amour
Le deuxième morceau (4) permet de comprendre que le bien-aimé s’était endormi en étreignant sa compagne ; en effet, elle conjure les filles de Jérusalem de ne pas le tirer de son sommeil jusqu’à ce qu’il ait dormi tout son saoul. INTERPRÉTATION UN ABANDON SEREIN À peine s’est-il endormi dans l’étreinte amoureuse qu’elle l’abandonne à la garde des filles de Jérusalem. Loin de toute jalousie, elle ne cherche pas à le retenir pour elle toute seule. Elle accepte tranquillement la perspective de ne pas être là quand il s’éveillera. Elle est libre et respecte la liberté de son bien-aimé. Tel est le véritable amour. B. QUI EST CELLE-CI ? (8,5AB) TEXTE 5
Qui celle-ci montant du désert, appuyée sur son bien-aimé ?
V. 5C
: « APPUYÉE »
Le terme est un hapax, mais sa racine rpq signifie « appuyer » et c’est ainsi que les antiques versions l’ont compris. COMPOSITION DU PASSAGE = 8,5 Qui (est)
celle-ci – montant + appuyée
du désert, sur son bien-aimé ?
La proposition principale régit deux participiales où s’oppose « le désert » qu’elle quitte grâce à l’appui de « son bien-aimé ».
Séquence C2 (8,3-7)
177
CONTEXTE ISRAËL MONTE DU DÉSERT Il est bien difficile de ne pas penser au peuple d’Israël qui monte du désert vers la terre où coule le lait et le miel, grâce à l’appui de son Seigneur (Is 35 ; 41,18-20).
INTERPRÉTATION Ce court segment ne trouvera son sens que dans la séquence dont il constitue le centre, c’est-à-dire la clé de lecture.
C. J’AI RÉVEILLÉ L’AMOUR (8,5C-7) TEXTE 5c Dessous le pommier je t’ai réveillé, là où t’a conçu ta mère, là où elle a conçu, elle t’a enfanté ; 6 pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras. Oui, est fort comme la mort l’amour, est dure comme le schéol la jalousie ; ses traits, des traits de feu, une flamme-de-Yah. 7 Les eaux nombreuses ne pourront éteindre l’amour, ni les fleuves le submerger ; si donnait un homme toutes les richesses de sa maison pour l’amour, de mépris ils mépriseraient lui.
V. 5C
: « JE T’AI RÉVEILLÉ »
Dans le texte massorétique le pronom suffixe objet est masculin ; et il en va de même pour les autres pronoms du verset (« souffert-pour-toi », « t’a enfanté »). C’est donc la jeune fille qui parle. La Syriaque et deux codex de la Septante mettent au contraire ce discours dans la bouche du bien-aimé. V.5DE
: « A CONÇU »
Le verbe est compris soit comme « concevoir », soit comme « enfanter » (litt., « souffrir les douleurs de l’enfantement »)2. Ce dernier sens est celui qu’a retenu la Septante. Le même verbe est utilisé en 2,15 dans le sens de « détruire » (« les renards, destructeurs de vignes ») ; c’est ce dernier sens qu’ont retenu les versions d’Aquila et de la Septante. Comme la seconde occurrence de ce verbe est suivie de « t’a enfanté », c’est le sens de « concevoir » qui semble le plus naturel.
2 La BJ traduit « t’a conçu », la TOB « fut enceinte », Osty « t’a enfanté » ; Ravasi choisit « t’a conçu », Barbiero « gémit » (dans les douleurs de l’enfantement).
178
Le Cantique des cantiques
V. 5E : « A CONÇU T’A ENFANTÉ
»
Les deux verbes sont juxtaposés ; la Septante et la Vulgate ont traduit le deuxième par un participe sujet du premier : « a souffert celle qui t’a enfanté (litt., « ton enfantante »). V. 6AB : « LE SCEAU
»
Attaché par une cordelette qui le traversait, le sceau cylindrique pouvait être pendu autour du cou et reposait donc sur le cœur ; on pouvait aussi le porter au poignet, fixé à un bracelet. Le sceau est un signe d’identification ou d’appartenance dont on ne se sépare jamais et qu’on emporte jusque dans la tombe3. V. 6E
: « SES TRAITS »
Le singulier rešep était le nom d’une divinité connue dans tout l’Orient ancien qui répandait, comme des traits enflammés, des maladies pestilentielles ; son arme était la foudre4. Les traits sont ceux de « l’amour » et de « la jalousie », tous deux étant féminins en hébreu. V. 6F
: « UNE FLAMME-DE-YAH »
Certains atténuent le sens de l’expression en en faisant un simple superlatif, comme en Ps 104,16 (« Les arbres de Yhwh se rassasient, les cèdres du Liban qu’il a plantés ») ; 1S 20,14 (« Si je suis encore vivant, puisses-tu témoigner envers moi une fidélité de Yhwh »).
COMPOSITION DU PASSAGE Dans le premier morceau, après avoir réveillé son bien-aimé au lieu de sa naissance (5cde), sa compagne lui demande de lui être unie comme le sceau sur son cœur et sur son bras. Le second morceau compare d’abord la force de « l’amour » à celle de « la mort » (6cd), puis à celle du « feu » de « Yah » (6ef). Le troisième morceau met en parallèle « les eaux nombreuses » (7a) et « toutes les richesses » d’un homme (7e) : de même que les eaux ne peuvent rien contre le feu de l’amour, ainsi toutes les richesses ne comptent pour rien par rapport à lui. Le premier segment du morceau central est lié avec le dernier segment du premier morceau par la double reprise de « comme » et surtout par le kî initial, traduit ici par « oui » (6c). Le deuxième segment du morceau central est lié au
3 4
Barbiero, 375. Ravasi, 659-660 ; Barbiero, 382.
Séquence C2 (8,3-7)
179
premier segment du dernier morceau car ni « les eaux nombreuses » ni même « les fleuves » ne sauraient éteindre « le feu » de l’amour et de la passion. – 8,5c Dessous – là où – là où
le pommier t’a conçu elle a conçu,
je t’ai réveillé, ta mère, elle t’a enfanté ;
:: 6 pose-moi :: comme un sceau
comme un sceau
sur ton cœur,
sur ton bras.
································································································· :: Oui, (est) fort comme la mort L’AMOUR,
:: (est) dure
comme le schéol
la jalousie ;
+ ses traits, + une flamme-
des traits de-Yah.
de feu,
·································································································
+ 7 Les eaux + éteindre + ni les fleuves
L’AMOUR,
– si donnait – toutes les richesses – de mépris
un homme de sa maison ils mépriseraient
nombreuses
ne pourront
le submerger ; pour L’AMOUR, lui.
CONTEXTE LE SCEAU Juda laisse en gage à sa belle-fille Tamar, déguisée en prostituée, son sceau, avec son bâton et son cordon, en attendant qu’il puisse lui envoyer le chevreau qu’il lui a promis pour aller avec elle (Gn 38,18), ce qui permettra d’identifier celui qui l’a mise enceinte (25-26). Le Seigneur se dit prêt à abandonner le fils de Joiaquim : « Par ma vie — oracle de Yhwh — même si Konias, fils de Joiaqim, roi de Juda, était un sceau sur ma main droite, je t’arracherais de là ! Je vais te livrer aux mains de ceux qui en veulent à ta vie... » (Jr 22,24-25). Ce genre de sceau, gravé sur un anneau pour le doigt ou attaché au poignet, était le témoin de l’alliance conclue entre celui qui l’avait donné et celui qui le portait. LE FEU DE DIEU La « flamme de Yah » (6f) ne peut manquer de rappeler les manifestations divines qui marquent tout le chemin de l’exode : d’abord celle du buisson ardent (« L’ange de Yhwh lui apparut dans une flamme de feu », Ex 3,2)5, puis celle de 5
Voir, par ex., C. ROCHETTA, Il Cantico dei cantici, 214.
180
Le Cantique des cantiques
la nuée lumineuse qui accompagne le peuple tout au long de sa route (« Yhwh marchait devant eux, le jour dans une colonne de nuée pour les guider sur le chemin, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer », 13,21) et enfin la théophanie du Sinaï (« Le mont Sinaï était tout fumant parce que Yhwh y était descendu dans le feu... » 19,18)6. L’AMOUR JALOUX DE DIEU La jalousie de Dieu est la manifestation de son amour qui veut éviter que le peuple avec qui il a fait alliance tombe dans le piège de la prostitution, c’est-àdire de l’infidélité : Tu ne te prosterneras pas devant un autre dieu, car Yhwh a pour nom Jaloux : c’est un Dieu jaloux. 15 Ne fais pas alliance avec les habitants du pays, car lorsqu’ils se prostituent à leurs dieux et leur offrent des sacrifices, ils t’inviteraient et tu mangerais de leur sacrifice, 16 tu prendrais de leurs filles pour tes fils, leurs filles se prostitueraient à leurs dieux et feraient se prostituer tes fils à leurs dieux (Ex 34).
C’est que l’amour véritable est exclusif : l’amour humain ne s’attache qu’à une seule personne, comme l’amour de Dieu ne peut s’accorder avec la multiplicité des idoles.
INTERPRÉTATION UNE REQUÊTE RADICALE Ce que propose la jeune fille à son bien-aimé, n’est rien moins qu’une alliance à la vie à la mort. Elle désire être attachée à lui comme le sceau qu’il gardera toujours sur son cœur ou à son poignet et qu’il emportera jusque dans la tombe. Le lieu où est prononcée la demande est éminemment significatif. Le pommier sous lequel il a été conçu et où il est né sera le lieu d’une nouvelle naissance, quand il quittera sa mère pour s’attacher à jamais à celle qui deviendra la femme de sa vie. Le moment qu’elle choisit pour lui dire son désir n’est pas non plus indifférent, c’est celui où elle le tire de son sommeil et le fait revenir à la vie. À LA MORT À LA VIE La mort et le schéol sont tellement forts et durs que personne ne peut y échapper. Ainsi en va-t-il de l’amour : nul ne saurait résister à sa puissance. Mais à la force de la mort, à l’obscurité du schéol s’oppose celle de la lumière et du feu de Dieu, de « Yah », Dieu d’Israël. L’union des amants est « à la mort à la vie ». La lumière et la chaleur de l’amour ne sont pas destinés à s’abimer dans le règne des ombres, car la « flamme de Yah » est inextinguible. 6
Barbiero, 384.
Séquence C2 (8,3-7)
181
PLUS FORT QUE TOUT Capables de tout détruire sur leur passage, les grandes eaux et les fleuves ne pourront jamais éteindre l’amour. Israël en a fait l’expérience au début et à la fin de l’exode, quand ils ont traversé à pied sec la mer Rouge et le fleuve Jourdain. Et les richesses les plus grandes seront toujours impuissantes pour l’acheter. Personne ne peut ni le faire naitre ni le tuer. C’est qu’il est de toujours et à toujours. Si tu traverses les eaux, je serai avec toi, et les rivières, elles ne te submergeront pas. Si tu passes par le feu, tu ne souffriras pas, et la flamme, elle ne te brûlera pas (Is 43,2).
D. APPUYÉE SUR SON BIEN-AIMÉ (8,3-7) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Les passages extrêmes ont en commun la reprise de « dessous » (3a.5d) en termes initiaux ; on peut ajouter que « sur ton cœur » et « sur ton bras » dans le premier morceau du troisième passage (6ab) renvoie à « son bras-gauche » et « son bras-droit » dans le premier morceau du premier passage (3ab). « N’éveillez pas, ne réveillez pas » (4c) et « je t’ai réveillé » (5d) jouent le rôle de termes médians. « Amour » à la fin du premier passage (4c) sera repris trois fois dans le dernier passage (6c.7b.e). Le court passage central est la seule question de la séquence, bel exemple de la loi de la question au centre7.
CONTEXTE DEUX QUESTIONS PRÉLIMINAIRES Au centre de la première séquence de la deuxième section (B1), une question regardait l’identité du bien-aimé : + 3,6 Qu’est cela qui monte du désert, - comme des colonnes de fumée, - odorante de myrrhe et d’encens, - de toutes les poudres de marchands ?
7 Traité, Chap. 8 : « Le centre des compositions concentriques », A. La question au centre, 417-435.
182
Le Cantique des cantiques
:: 8,3 Son bras-gauche :: et son bras-droit
DESSOUS
ma tête
m’étreint.
··············································································································· 4
- Je conjure - filles
vous, de Jérusalem,
- N’ÉVEILLEZ PAS, - jusqu’à ce qu’
NE RÉVEILLEZ PAS il lui plaise.
5
Qui (est) • montant • appuyée
L’AMOUR
celle-ci du désert, sur son bien-aimé ?
:: DESSOUS :: là où :: là où
le pommier t’a conçu elle a conçu,
JE T’AI RÉVEILLÉ, ta mère, t’a enfanté ;
:: 6 pose-moi :: comme un sceau
comme un sceau sur ton bras.
sur ton cœur,
·········································································································
:: Oui, est fort :: est dure
comme la mort comme le schéol
L’AMOUR,
+ ses traits + une flamme-
sont des traits de-Yah.
de feu,
la passion ;
·········································································································
+ 7 Les eaux + éteindre + ni les fleuves
L’AMOUR,
+ si donnait + toutes les richesses + de mépris
un homme de sa maison ils mépriseraient
nombreuses
ne pourront
le submerger ; pour L’AMOUR, lui.
Au centre de la dernière séquence de cette même section centrale (B5), est posée une autre question regardant l’identité de sa compagne : + 6,10 Qui est celle-ci qui parait comme l’aurore, - belle comme la lune, - resplendissante comme le soleil, - terrible comme les bataillons ?
Au centre de la présente séquence, les deux amants sont réunis dans la même question : celle-ci concerne avant tout l’identité de la compagne, mais elle regarde aussi celle de son bien-aimé. L’union était déjà accomplie dans l’étreinte au début du premier passage (3) et elle sera demandée au début du dernier passage (5d-6ab).
Séquence C2 (8,3-7)
183
INTERPRÉTATION UNE QUESTION ÉTRANGE Au début de la section centrale la question était posée par la compagne (3,6), à la fin par son bien-aimé (6,10). Il est plus difficile d’identifier le personnage qui pose la question centrale de la présente séquence (8,5ab). Plutôt que de penser à quelque « chœur », il semble plus naturel de penser qu’il s’agit de la personne qui parle dans le reste de la séquence, la jeune fille elle-même. À la fin du premier passage elle s’adresse aux filles de Jérusalem (4), au début du dernier à son bien-aimé (5d-6b). Au centre, elle pourrait s’adresser au lecteur.
3. Le désir de liberté Séquence C3 : 8,8-14 La séquence est formée de deux passages (8-10 ; 11-14) qui se correspondent en parallèle : ELLE SE LIBÈRE
DE SES FRÈRES
8,8-10
ELLE LIBÈRE
SON BIEN-AIMÉ
11-14
A. ELLE SE LIBÈRE DE SES FRÈRES (8,8-10) TEXTE 8,8 Une sœur à nous petite et des seins il n’y a pas à elle. Que ferons-nous à notre sœur, 9 Si un rempart elle (est), nous bâtirons sur elle un crénelage au jour où on parlera d’elle ? d’argent ; si une porte elle (est), nous appliquerons sur elle un panneau de cèdre. 10 « Moi (je suis) un rempart et mes seins comme des tours ; alors je suis à ses yeux comme ayant trouvé la paix. » V. 9B
: « UN CRÉNELAGE »
Le terme désigne un alignement de pierres protégeant un camp (Gn 25,18 ; Ez 46,23).
186
Le Cantique des cantiques
COMPOSITION DU PASSAGE + 8,8 Une sœur = et DES SEINS
à nous il n’y a pas
petite à elle.
:: Que .. au jour
ferons-nous où on parlera
à notre sœur, d’elle ?
······································································································
+ 9 Si UN REMPART = nous bâtirons
elle (est), sur elle
un crénelage
d’argent ;
:: et si une porte .. nous appliquerons
elle (est), sur elle
un panneau
de cèdre.
+ 10 « Moi (je suis) = et MES SEINS
comme des tours ;
:: alors .. comme ayant trouvé
je suis devenue la paix ».
UN REMPART
à ses yeux
Alors que c’est un « nous » qui parle dans la première partie, dans la seconde c’est la compagne du bien-aimé. Dans le premier morceau de la première partie (8), la fille étant considérée encore impubère (8ab), ses frères se demandent ce qui adviendra quand elle sera en âge d’être mariée (8cd). Dans le second morceau ils envisagent deux éventualités : qu’elle soit « rempart » ou « porte »1, elle sera défendue — et honorée — par un crénelage d’argent dans le premier cas, par un panneau de cèdre dans le deuxième. Dans la deuxième partie, elle répond : au « rempart » elle ajoute les « tours » de ses « seins » (10ab) qui assureront « la paix ». « Ses yeux » sont ceux du bien-aimé. « Un rempart » de 10a reprend « rempart » au début du second morceau de la première partie (9a), et « mes seins » de 10b renvoie à « des seins » au début du premier morceau de la première partie (8b).
INTERPRÉTATION DES FRÈRES INFANTILISANTS Les frères de la jeune fille ne se sont pas rendu compte qu’elle avait grandi et ils continuent à la considérer comme une enfant. Ou bien ils sont incapables d’admettre qu’elle ait son mot à dire sur ce qui la concerne au premier chef ; pour eux il est juste qu’elle soit tenue pour une éternelle mineure, et qu’ils soient responsables de décider de son avenir à sa place.
1
Mise en parallèle avec « rempart », la « porte » est évidemment celle d’une ville (Dt 3,5).
Séquence C3 (8,8-14)
187
UNE SŒUR QUI SAIT SE DÉFENDRE POUR SON BIEN-AIMÉ Par sa réponse brève et incisive, la compagne du bien-aimé montre qu’elle sait se défendre ; non seulement contre des jeunes gens trop entreprenants, mais aussi contre ses propres frères ! Ils prétendent qu’elle n’a pas encore de seins, elle les présente comme les tours de défense du rempart qu’elle est tout entière. Et surtout, elle introduit le personnage tiers de son bien-aimé pour lequel elle a su se préserver et qui par conséquent est en paix, n’ayant pas la moindre raison de craindre pour la vertu de sa compagne. Ses frères peuvent donc garder pour eux l’argent et le bois précieux avec lesquels ils entendaient la défendre.
B. ELLE LIBÈRE SON BIEN-AIMÉ (8,11-14) TEXTE 11
Une vigne était à Salomon à Baal-Hamôn ; il donna la vigne à des gardiens : chacun fait-venir pour son fruit mille (sicles d’) argent. 12 Ma vigne à moi (est) devant moi : les mille pour toi, Salomon, et deux-cents pour les gardiens de son fruit. 13 Celle qui habite dans les jardins, les collègues sont attentifs à ta voix ; fais(la)-moi entendre. 14 « Fuis, mon bien-aimé, et sois-semblable à la gazelle ou au faon des biches sur les montagnes des baumes ! » V. 11B : «
À BAAL-HAMON »
Selon le texte massorétique et la Septante il s’agit d’un nom de lieu ; traduit, il signifie « Maitre de multitude » ou « de richesse ». V. 13B : « LES COLLÈGUES
»
Comme en 1,7, le terme est traduit par « collègues », pour le distinguer des « compagnons » (5,1).
188
Le Cantique des cantiques
COMPOSITION DU PASSAGE + 8,11 Une vigne + à Baal -
était Hamôn ;
à Salomon
+ il donna + chacun + mille (sicles d’)
la vigne fera-venir argent.
aux gardiens : pour son fruit
···········································································································
– 12 Ma vigne – les mille – et deux-cents
à moi (est) pour toi, pour les gardiens
devant moi : Salomon, de son fruit.
:: 13 Celle qui habite :: les collègues :: fais(la)-moi entendre.
dans les jardins, sont attentifs
à ta voix ;
= 14 « Fuis,
mon bien-aimé,
.. et sois semblable .. ou au faon .. sur les montagnes
pour toi des biches des baumes ! »
à la gazelle
La première partie comprend deux morceaux. Dans le premier (11), la « vigne » de « Salomon » lui rapporte beaucoup d’argent, « mille sicles d’argent » que lui paie chacun de ses gardiens. Dans le deuxième morceau, le bienaimé s’adresse d’abord à Salomon (12) : le roi et ses « gardiens » peuvent bien garder tout leur argent (12bc), car il a sa propre vigne (12a). Puis il laisse Salomon pour s’adresser à sa compagne (13), sa « vigne », « celle qui habite les jardins » : avec ses collègues il veut entendre sa voix. De même que Salomon est assisté des « gardiens » de sa vigne (11c), ainsi son bien-aimé est accompagné de ses « collègues » (13b). La deuxième partie (14) est adressée par la compagne à son « bien-aimé », en réponse à ce qu’il lui dit à la fin de la première partie quand il lui demande de lui « faire entendre » sa « voix » (13).
INTERPRÉTATION UN DON SURPRENANT Salomon loue sa vigne à des gardiens, mais le bien-aimé qui rapporte la chose utilise le verbe « donner ». Il y a là quelque ironie, quand on voit que c’est exactement le contraire que le roi attend d’eux : ce sont eux qui devront donner au propriétaire de la vigne l’argent qu’elle rapportera. En tout cas, dans son rapport à sa vigne le bien-aimé ne cherche aucunement les fruits qu’elle pourrait lui procurer...
Séquence C3 (8,8-14)
189
DEUX DÉSIRS OPPOSÉS On peut se demander ce que viennent faire ici les « collègues » du bien-aimé. Avant de remarquer qu’il avait déjà été question d’eux au début du livre (1,7) — ce qui devra se faire en son temps —, il faut tenter de comprendre quel rôle ils jouent à l’intérieur du passage. Leur présence, en effet, ne saurait être fortuite ou anecdotique. Les « collègues » du bien-aimé ont leur pendant dans les « gardiens » de la vigne de Salomon. Ils ont en commun de satisfaire le désir d’une autre personne. Mais, tandis que les premiers ont pour fonction de donner au roi ce qu’il désire, à savoir, en argent comptant, le fruit de sa vigne, les autres attendent d’entendre ce que la vigne elle-même désire. LE DÉSIR SURPRENANT DE SA COMPAGNE S’agissant d’amoureux, on s’attendrait que leur plus cher désir soit de se retrouver pour échanger des baisers, pour s’enlacer, s’unir. Or, il n’en est rien. Ce qu’attend le bien-aimé, ainsi que ses collègues du reste, c’est d’entendre la voix de sa compagne, d’écouter de sa bouche ce qu’elle veut. C’est là une manifestation du plus grand respect de sa volonté, de sa liberté. Et il n’y a donc pas à s’étonner qu’elle réponde sur le même ton : que son bon ami soit lui aussi libre. Il n’entend aucunement la posséder, comme Salomon sa vigne, elle non plus. Sans liberté, il n’est pas d’amour qui tienne.
190
Le Cantique des cantiques C. LE DÉSIR DE LIBERTÉ (8,8-14)
COMPOSITION DE LA SÉQUENCE + 8,8 UNE SŒUR + et des seins
à nous il n’y a pas
petite à elle.
– Que – au jour
ferons-nous où on parlera
à notre sœur, d’elle ?
···············································································································
+ 9 Si un rempart :: nous bâtirons
elle (est), sur elle
un crénelage
D’ARGENT ;
+ si une porte :: nous dresserons
elle (est), sur elle
un panneau
de cèdre.
10
= « Moi (je suis) = et mes seins
un rempart, comme des tours ;
. alors . comme ayant-trouvé
JE SUIS-DEVENUE
la paix. »
+ 11 UNE VIGNE + à Baal -
Hamôn ;
+ il donna + chacun + mille
la vigne fera-venir ARGENT.
ÉTAIT
(sicles d’)
à ses yeux
à Salomon aux gardiens : pour son fruit
···············································································································
– 12 Ma vigne – les mille – et deux-cents
à moi (est) pour toi, pour les gardiens
devant moi : Salomon, de son fruit.
:: 13 Celle qui habite :: des collègues :: fais(la)-moi entendre.
dans les jardins, sont attentifs
à ta voix
= 14 « Fuis,
mon bien-aimé,
. et sois-semblable . ou au faon . sur les montagnes
à la gazelle des biches des baumes ! »
Les deux passages sont parallèles. Dans la seconde partie de la première partie (10), la jeune fille répond aux prétentions de ses frères (8-9) ; dans la deuxième partie du second passage (14), elle répond à l’attente de son bien-aimé (11-13). En termes initiaux des deux passages, « Une vigne était à Salomon » (11a) correspond à « Une sœur à nous petite » (8a). « Argent » revient dans les premières parties (9b.11e). En termes médians, « la paix » (šālôm, 10d) annonce « Salomon » (šelōmò, 11a), à quoi on peut ajouter la reprise du verbe « être ». Il
Séquence C3 (8,8-14)
191
est aussi possible de noter que « à ta voix » (la voix de la jeune fille, 13) renvoie à « à ses yeux » (les yeux du bien-aimé, 10c). INTERPRÉTATION TOUJOURS L’ARGENT Crénelage d’argent, panneau de cèdre, rien n’est trop beau ni trop précieux pour préserver une petite sœur des dangers de l’amour, pour contrôler ses mouvements, brider sa liberté, la retenir captive. Elle ne veut pas de tout cela, elle n’en a pas besoin : elle sait se défendre, l’amour confiant de son bien-aimé lui suffit. Il en va de même pour lui : tout l’argent du monde ne l’intéresse aucunement. Sa richesse, celle qui le comble, c’est sa vigne à lui, c’est celle qu’aime son âme et qui l’aime en retour. Leur amour est l’exact opposé de tout attachement, de toute possession, il est par essence respect, confiance, liberté.
L’ensemble de la section C (7,11–8,14) COMPOSITION La section comprend trois séquences organisées de manière concentrique : C1 : LE DÉSIR
DE L’UNION
7,12–8,2
C2 : Appuyée sur son bien-aimé
C3 : LE DÉSIR
8,3-7
8,8-14
DE LA LIBERTÉ
LES RAPPORTS ENTRE LES SÉQUENCES EXTRÊMES 7,12 VA, MON BIEN-AIMÉ : sortons à la campagne, nous passerons-la-nuit dans les buissons-dehenné. 13 Nous irons-le-matin aux VIGNES : nous verrons si bourgeonnent LES CEPS, s’ouvrent les boutons, fleurissent les grenadiers. Là je te donnerai MES CARESSES. 14 Les mandragores ont donné leur parfum et à nos portes tous LES MEILLEURS-[fruits] ; les nouveaux aussi les anciens, MON BIEN-AIMÉ, je les ai réservés pour toi.
8,8 Nous avons une SŒUR petite et elle n’ a pas DE SEINS. Que ferons-nous à notre SŒUR, au jour où on parlera d’elle ? 9 Si elle est un rempart, nous bâtirons sur elle un crénelage d’argent ; si elle est une porte, nous appliquerons sur elle un panneau de cèdre. 10 Moi, je suis un rempart et MES SEINS sont comme des tours ; alors, je suis devenue à ses yeux comme ayant trouvé la paix.
8,1 Qui te donnera comme FRÈRE à moi, ayant tété LES SEINS de ma mère ? Te trouvant dehors, je t’embrasserais, aussi ils ne me mépriseraient pas. 2 Je te conduirais, je te ferais venir dans la maison de ma mère, tu m’enseignerais. Je te ferais boire UN VIN parfumé, ma liqueur de grenades.
11
Salomon avait UNE VIGNE à Baal-Hamôn ; il donna LA VIGNE à des gardiens : chacun fera venir pour SON FRUIT mille sicles d’argent. 12 MA VIGNE à moi est devant moi : les mille à toi, Salomon, et les deux cents aux gardiens de SON 13 FRUIT. Celle qui habites les jardins, des collègues sont attentifs à ta voix, fais-la-moi entendre. 14 FUIS, MON BIEN-AIMÉ, et sois semblable à la gazelle ou au faon des biches, sur les montagnes des baumes.
Elles se correspondent de manière spéculaire. Les passages extrêmes ont en commun « vignes » et « ceps » (7,13ab), « vigne » (8,11ab bis.12a), les termes du champ sémantique des parfums : « henné » (7,12), « parfum » (7,14a), « baumes » (8,14c). Dans le deuxième et l’avant-dernier passage, « seins » revient en 8,1b et 8,8b.10a ; à « les meilleurs(fruits) » (7,14c) répondent « son fruit » (8,11c.12bc) ; enfin, « sœur » (8,8ab) rappelle « frère » (8,1a).
194
Le Cantique des cantiques
Les phrases extrêmes font inclusion : elles commencent de façon semblable : « Va, mon bien-aimé » (7,12), « Fuis, mon bien-aimé » (8,14), et s’achèvent sur un nom de parfum, « les (buissons de) henné », « les montagnes des baumes ». LES RAPPORTS ENTRE LA SÉQUENCE CENTRALE ET LES DEUX AUTRES 7,12 VA, MON BIEN-AIMÉ : sortons à la campagne, nous passerons-la-nuit dans les buissons13 de-henné. Nous irons-le-matin aux vignes : nous verrons si bourgeonnent les ceps, s’ouvrent les boutons, fleurissent les grenadiers. Là JE TE DONNERAI MES CARESSES. 14 Les mandragores ont donné leur parfum et à nos portes tous les meilleurs-[fruits] ; les nouveaux aussi les anciens, MON BIEN-AIMÉ, je les ai réservés pour toi. 8,1 Qui te DONNERA comme frère à moi, ayant tété les seins de MA MÈRE ? Te trouvant dehors, je t’embrasserais, aussi ils ne me mépriseraient pas. 2 Je te conduirais, je te ferais venir dans la maison de MA MÈRE, tu m’enseignerais. Je te ferais boire un vin parfumé, ma liqueur de grenades. 3
Son bras-gauche est dessous ma tête
et son bras-droit m’étreint.
4
Je vous conjure, filles de Jérusalem, n’éveillez pas, ne réveillez pas l’amour, 5
Qui est celle-ci,
jusqu’à ce qu’il lui plaise.
montant du désert,
appuyée sur son BIEN-AIMÉ ?
Dessous le pommier je t’ai réveillé, là où t’a conçu TA MÈRE, là où elle a conçu, elle t’a enfanté ; 6 pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras. Oui, l’amour est fort comme la mort, inflexible comme le schéol la jalousie ; ses traits sont des traits de feu, une flamme de Yah. 7 Les eaux nombreuses ne pourront éteindre l’amour, ni les fleuves le submerger ; si un homme DONNAIT TOUTES LES RICHESSES de sa maison pour l’amour, de mépris ils le mépriseraient. 8
Nous avons une sœur petite et elle n’ a pas de seins. Que ferons-nous à notre sœur, au jour où on parlera d’elle ? 9 Si elle est un rempart, nous bâtirons sur elle UN CRÉNELAGE D’ARGENT ; si elle est une porte, nous appliquerons sur elle un panneau de cèdre. 10
Moi, je suis un rempart et mes seins sont comme des tours ; alors, je suis devenue à ses yeux comme ayant trouvé la paix. 11
Salomon avait une vigne à Baal-Hamôn ; il DONNA la vigne à des gardiens : chacun fera venir pour son fruit MILLE SICLES D’ARGENT. 12 Ma vigne à moi est devant moi : LES MILLE à toi, Salomon, et les deux cents aux gardiens de son fruit. 13 Celle qui habites les jardins, des collègues sont attentifs à ta voix, fais-la-moi entendre. 14 FUIS, MON BIEN-AIMÉ, et sois semblable à la gazelle sur les montagnes des baumes.
ou au faon des biches,
L’ensemble de la section C (7,11–8,14)
195
Les séquences extrêmes comprennent deux passages, tandis que la séquence centrale en comprend trois. « Bien-aimé » revient dans les trois séquences : aux extrémités (7,12a.14b, avec « caresses » en 13c ; 8,14a) et au centre (8,5a). « Donner » est repris en 7,13c et 8,1 ; 8,7b ; 8,11a. « Mère » est repris dans les deux premières séquences (8,1a.2a ; 8,5b) ; dans les deux dernières séquences à « toutes les richesses » (8,7b) correspondent « un crénelage d’argent » (9a), « mille (sicles) d’argent » (11b) et « les mille » (12a). « Amour » revient quatre fois dans la séquence centrale (8,4b.6b.7a.7b) et pas ailleurs dans la section.
CONTEXTE « CELLE-CI » Ce démonstratif (zôt) revient trois fois dans les paroles qu’Adam prononce quand le Seigneur lui présente la femme (Gn 2,23) : « Cette fois, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée femme (’iššâ) car de l’homme (’îš) fut tirée celle-ci ! »
INTERPRÉTATION LA QUESTION CENTRALE En plein centre de la section, une question se fait entendre, tout à fait énigmatique : on ne sait pas qui la pose, ni à qui elle est adressée. De plus, elle semble n’avoir aucun rapport avec le contexte. Elle regarde l’identité d’un personnage féminin dont on comprend à la fin de la question que ce ne peut être que la compagne du « bien-aimé ». La question rebondit en quelque sorte, car ce personnage masculin n’est pas identifié, lui non plus. Qui sont-ils donc ces deux-là qui parlent, qui se parlent depuis le début du Cantique ? À défaut d’un autre destinataire, le lecteur ne peut guère se soustraire à cette question, à laquelle, à la fin du livre, quelqu’un est, en quelque sorte, sommé de répondre. LA VOIX DE LA FEMME « Celle-ci » est la femme qui parle presque tout au long de la section, qui parle à son bien-aimé ou de lui, qui ne cesse pas de parler de leur amour. Ce
196
Le Cantique des cantiques
couple fait immanquablement penser au couple originel et, en particulier, aux premières paroles prononcées par l’homme, quand le Seigneur lui présente la femme qu’il a tirée de lui durant son sommeil. Le contraste est strident. Lors de leur rencontre, Adam ne dit rien à sa femme, il parle d’elle à la troisième personne. Et les deux n’échangeront pas le moindre mot tout au long de leur existence. Ici, tout est renversé. C’est elle qui prend la parole, qui la gardera et qui aura le mot de la fin. Quant à lui, il attendra presque le dernier moment pour lui demander de lui faire entendre sa voix (8,13). La seule fois où Adam avait écouté la voix de sa femme, c’était quand elle lui avait donné du fruit de l’arbre interdit. C’est ce que le Seigneur lui dit : « Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé du fruit de l’arbre... » (Gn 3,17). LE FRUIT La compagne du bien-aimé lui prépare « les meilleurs fruits » (7,14), et elle y ajoute « le vin parfumé et la liqueur de grenades » qu’elle lui fera boire (8,2). Tout le contraire du fruit de l’arbre interdit que la première femme avait donné à son mari sur l’instigation du serpent menteur. De fruit, il sera de nouveau question à la fin de la section : le bien-aimé dédaigne l’immense richesse du « fruit » de la vigne de Salomon (8,11-12). N’écoutant pas la voix du Seigneur, Adam s’était emparé du fruit de l’arbre que lui tendait la femme. La seule chose que le bien-aimé désire, c’est d’entendre la voix de sa compagne (8,13). Celle-ci avait précédé son ami en refusant « le crénelage d’argent » et « le panneau de cèdre » de ses frères (8,10). « La paix » ne se trouve pas dans l’argent, comme « l’amour » se moque de « toutes les richesses » qu’un homme pourrait donner pour l’acquérir (8,7). LE SOMMEIL DE L’AMOUR À son réveil, Adam avait vu la femme que le Seigneur avait tiré de son côté et s’en était réjoui en deux courtes phrases exclamatives. Aucun des deux n’avait éveillé l’autre à une relation de parole, d’amour, d’alliance. Dans le Cantique, une torpeur divine tombe sur le bien-aimé et le voilà qui s’endort, en toute confiance, dans les bras de sa compagne (8,3-4). C’est elle qui le réveillera, au lieu même de sa naissance (5cd) pour lui demander d’entrer en alliance avec elle, à la vie à la mort (6-7). Les deux amants sont l’antitype du premier couple. Ils rachètent leur échec. UNE FLAMME DE YAH Le nom du Seigneur n’apparait qu’une seule fois dans le Cantique, presque à la fin, comme en passant, et dans sa forme abrégée (8,6) ; et, comme si cela ne suffisait pas, comme courte syllabe d’un mot composé : šalhebet-yâ « flammede-Yah ». Pour certains, cela n’a guère de poids et devrait à peine compter : une seule fois ne saurait suffire. Et pourtant, il est possible de renverser la perspec-
L’ensemble de la section C (7,11–8,14)
197
tive : une seule fois ne peut manquer d’attirer l’attention, et de même sa forme discrète, presque effacée, comme un grand secret confié dans un murmure à peine audible, mais d’autant plus saisissant1. Et puis, si ce nom est prononcé, c’est pour parler de l’amour. Or l’amour est le sujet de tout le livre. Il arrivera un jour où il sera dit clairement que « Dieu est amour » (1Jn 4,8.16). Si saint Jean le proclame, le Cantique fait sans doute plus que le suggérer. « Les commentateurs ont raison de respecter la discrétion du texte. Mais supposer que “YAH” venant ici, ne veuille à peu près rien dire, c’est faire peu de cas de ce qui est poème »2.
1
Tel est le cas de l’expression « tendre et miséricordieux » qui qualifie toujours Dieu, sauf une seule fois, dans le Ps 112, où elle est dite de l’homme ; voir R. MEYNET, Le Psautier. Cinquième livre (Ps 107–150), 90-92. 2
P. BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament, II, 180.
LE CANTIQUE DES CANTIQUES L’ensemble du livre
200
Le Cantique des cantiques
Le Cantique comprend trois sections, deux plus courtes encadrent une section nettement plus développée1. section A : 2 303 section B : 5 248 section C : 1 415 La première section est beaucoup plus longue que la dernière. À l’intérieur de la deuxième section, la première sous-section (B1–2) est plus courte que la dernière (B4-5). Toutefois, ce double déséquilibre quantitatif est rétabli par l’équilibre de l’ensemble, les deux versants du livre (A + B1–2 / B4–5 + C) étant presque de même longueur : section A : long 2 303 B1–2 : court 2 198 B3 :
225
B4–5 ; long 2 825 section C : court 1 415
1
= 4 501
= 4 240
Les comptes sont faits en nombre de signes du texte translittéré, espaces compris.
L’ensemble du livre
201
Prélude la première section A1 : ELLE CHERCHE
SON BIEN-AIMÉ
1,2-14
A2 : Petit duo d’amour
A3 : IL RÉPOND À
1,15–2,3b
2,3c-17
SA COMPAGNE
Grand dialogue amoureux la deuxième section B1 : ELLE SAISIT
l’amour de son âme
qui monte
B2 : Tu es belle, ma compagne ; du Liban
du désert
3,1-11
tu viendras
4,1-15
B3 : Le duo de la compagne et de son bien-aimé B4 : ELLE CHERCHE
son bien-aimé
qui descend dans son jardin
B5 : Tu es belle, ma compagne ; au jardin
je suis descendu
4,16–5,1 5,2–6,3
6,4–7,11
Postlude la troisième section C1 : LE DÉSIR
DE L’UNION
C2 : Appuyée sur son bien-aimé
C3 : LE DÉSIR
DE LA LIBERTÉ
7,12–8,2
8,3-7
8,8-14
202
Le Cantique des cantiques
A. LES RAPPORTS ENTRE LES SECTIONS EXTRÊMES 1,2 QU’IL ME BAISE des BAISERS de sa bouche. Car bonnes TES CARESSES plus que LE VIN, 3 pour LA SENTEUR TES PARFUMS sont bons, UN PARFUM qui s’épanche, ton nom. C’est pourquoi les jeunes filles T’AIMENT. 4 Entraîne-moi après toi, courons ! Le roi M’A FAIT VENIR dans ses chambres. Exultons et réjouissons-nous en toi, célébrons TES CARESSES plus que LE VIN. À raison T’AIMENT. 5
Je suis noire, moi, mais charmante, filles de Jérusalem, comme les tentes de Qédar, comme les tentures de Salomon. 6 Ne me regardez pas que moi je suis noircie : c’est que m’a brûlée le soleil. Les fils de ma mère se sont enflammés contre moi, ils m’avaient mise gardienne des VIGNES ; MA VIGNE à moi, je ne l’avais pas gardée ! 7
Dis-moi, toi QU’AIME mon âme : où feras-tu paitre, où feras-tu reposer à midi ? Pourquoi serais-je comme une errante, près des troupeaux de tes COLLÈGUES ? 8 Si point tu ne sais pour toi, la belle parmi les femmes, suis pour toi les traces des ovins, et faispaitre tes chevreaux près des demeures des pasteurs. 9 À ma cavale, parmi les chars de Pharaon, je te compare, ma compagne. 10 Sont charmantes tes joues entre les pendeloques, ton cou dans les colliers. 11 Des pendeloques d’or nous te ferons avec des globules d’argent.
Tandis que le roi est en son enclos, MON NARD donne SA SENTEUR. 13 Un sachet de MYRRHE MON BIENAIMÉ pour moi, entre mes seins IL PASSE-LA-NUIT ; 14 une grappe de HENNÉ MON BIEN-AIMÉ pour moi dans les VIGNES d’En-Gaddi. 12
15
Te voici belle, ma compagne ! Voici tu es beau, MON BIEN-AIMÉ ! 17 Les poutres de notre MAISON des cèdres, 2,1 Moi, je suis la jonquille du Sarôn, 2 Comme l’anémone parmi les chardons, 3 Comme LE POMMIER entre les arbres d’un verger, 16
Te voici belle ! Tes yeux des colombes. Oui, doux ! Oui, notre lit est verdure. nos lambris des cyprès. l’anémone des vallées. ainsi ma compagne parmi les filles. ainsi MON BIEN-AIMÉ parmi les garçons.
À son ombre j’ai désiré et je me suis assise, et son fruit est doux à mon palais. 4 IL M’A FAIT-VENIR à la MAISON du VIN, et sa bannière sur moi, c’est L’AMOUR. 5 Soutenez-moi avec des raisinés, ranimez-moi avec des pommes, car je suis malade D’AMOUR moi. 6 Son bras-gauche est sous ma tête et sa droite m’étreint. 7 Je vous conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles ou par les biches des champs, n’éveillez pas, ne réveillez pas l’amour, avant qu’il lui plaise. 3c
La voix de MON BIEN-AIMÉ ! Voici que lui vient, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines. Semblable mon bien-aimé à une gazelle, ou au faon des biches. Voici qu’il se tient derrière notre mur ; il guette par les fenêtres, il épie par les treillis. 8 9
Il a répondu MON BIEN-AIMÉ et il m’a dit : « Lève-toi, ma compagne, ma belle, va ! 11 Car voici l’hiver est passé, la pluie a cessé, elle s’en est allée. 12 Les fleurs se voient sur la terre, le temps des chansons est venu, et la voix de la tourterelle s’entend sur notre terre. 13 Le figuier a formé ses fruits-verts et LES CEPS en-fleur ont donné LE PARFUM. Lève-toi, ma compagne, ma belle, va ! 14 Ma colombe, dans les fentes du rocher, dans le secret de l’escarpement, fais-moi voir ton visage, FAIS-MOI ENTENDRE TA VOIX ; car ta voix est douce et ton visage charmant. » 10
15
Attrapez pour nous les renards, les petits renards, ravageurs de VIGNES ; et NOTRE VIGNE est en-fleur.
MON BIEN-AIMÉ est à moi, et moi à lui qui pâture parmi les anémones. 17 Avant que souffle le jour et que s’enfuient les ombres, retourne, SOIS SEMBLABLE, MON BIEN-AIMÉ, À UNE GAZELLE OU AU FAON DES BICHES, SUR LES MONTAGNES DE SÉPARATION. 16
Entre les premières séquences : « baiser/embrasser » (même verbe hébreu, 1,2 ; 8,1 et pas ailleurs), « bien-aimé »/« caresses » (même mot hébreu, 1,2.4.13.14 ; 7,12.13.14), « faire-venir » (1,4 ; 8,2, et aussi en 2,4 et 8,11), « passer-la-nuit »
L’ensemble du livre
203
(1,13 ; 7,12 et pas ailleurs), « ma mère » (1,6 ; 8,1.2), « vigne/vin/ceps » (1,2.6.14 ; 7,13 ; 8,2), « parfum » et termes du même champ sémantique (1,3.1214 ; 7,12.14 ; 8,2). 7,12 Va, MON BIEN-AIMÉ, sortons à la campagne, NOUS PASSERONS-LA-NUIT dans les BUISSONS-DE-HENNÉ. 13 Nous irons-le-matin aux VIGNES. Nous verrons si bourgeonnent LES CEPS, s’ouvrent les boutons, si fleurissent les grenadiers. Là je te donnerais MES CARESSES. 14 Les mandragores ont donné leur PARFUM et à nos portes tous les meilleurs-[fruits] ; les nouveaux aussi les anciens, MON BIEN-AIMÉ, je les ai réservés à toi. 8,1 Qui te donnera comme frère à moi, ayant tété les seins de ma mère ? Te trouvant dehors, JE T’EMBRASSERAIS, aussi ils ne me mépriseraient pas. 2 Je te conduirais, JE TE FERAIS-VENIR dans la MAISON de ma mère, tu m’enseignerais. Je te ferais boire un VIN PARFUMÉ, ma liqueur de grenades. 3
Son bras-gauche est dessous ma tête, et son droit m’étreint. 4 Je vous conjure, filles de Jérusalem, n’éveillez pas, ne réveillez pas L’AMOUR, jusqu’à ce qu’il lui plaise. 5
Qui est celle-ci, montant du désert, appuyée sur SON BIEN-AIMÉ ?
Sous LE POMMIER je t’ai réveillé, là où t’a conçu ta mère, là où elle a conçu, elle t’a enfanté ; 6 pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras. Oui, L’AMOUR est fort comme la mort, inflexible comme le schéol la passion. Ses traits sont des traits de feu, une flammede-Yah. 7 Les eaux nombreuses ne pourront éteindre L’AMOUR, ni les fleuves le submerger ; si donnait un homme toutes les richesses de sa MAISON pour L’AMOUR, de mépris ils le mépriseraient. 8
Nous avons une sœur petite et elle n’a pas de seins. Que ferons-nous à notre sœur, au jour où on parlera d’elle ? 9 Si elle est un rempart, nous bâtirons sur elle un crénelage d’argent ; si elle est une porte, nous appliquerons sur elle un panneau de cèdre. 10 Moi, je suis un mur et mes seins sont comme des tours ; alors je suis à ses yeux comme ayant trouvé la paix. Salomon avait UNE VIGNE à Baal-Hamôn ; il donna LA VIGNE à des gardiens, chacun FERA-VENIR pour son fruit mille sicles d’argent. 12 MA VIGNE à moi est devant moi : les mille à toi, Salomon, et les deux cents aux gardiens de son fruit. 13 Celle qui habites les jardins, des COLLÈGUES sont attentifs à TA VOIX, FAIS-LA-MOI ENTENDRE. 14 Fuis, MON BIEN-AIMÉ, ET SOIS SEMBLABLE À UNE GAZELLE OU AU FAON DES BICHES, SUR LES MONTAGNES DES BAUMES. 11
Entre les deuxièmes séquences : « pommier » (2,3 ; 8,5 et pas ailleurs), « maison » (1,17 ; 8,7, mais aussi en 2,4 et 8,2). Entre les troisièmes séquences : « bien-aimé » (2,8.10.16.17 ; 8,14), « vin/ vigne(s)/ceps » (2,4.13.15), « fais-moi entendre + ta voix » (2,14 ; 8,13) et les termes finaux : 2,17 : retourne, sois semblable, mon bien-aimé, à une gazelle ou au faon des biches, sur les montagnes de séparation. 8,14 : Fuis, mon bien-aimé, et sois semblable à une gazelle ou au faon des biches, sur les montagnes des baumes.
Autres rapports : « son bras-gauche [...] avant qu’il lui plaise » (2,6-7 ; 8,3-4), « amour/aimer » dans les séquences extrêmes de la section A (1,3.4.7 ; 2,4.5) et dans la séquence centrale de la section C (8,4.6.7bis), « gardienne/garder/gardiens » (1,6 ; 8,11-12), « collègues » (1,7 ; 8,13), « va » (2,10.13 ; 7,12), « Salomon » (1,5 ; 8,11-12). Les frères interviennent aux extrémités (1,5-6 ; 8,8-9).
204
Le Cantique des cantiques
B. LES RAPPORTS ENTRE LES TROIS SECTIONS A1 : 1,2 Qu’il me baise des baisers de sa bouche. Car bonnes tes caresses plus que le vin, 3 pour la senteur tes parfums sont bons, un parfum qui s’épanche, ton nom. C’est pourquoi les jeunes filles t’aiment. 4 Entraîne-moi après toi, courons ! LE ROI M’A FAIT-VENIR DANS SES CHAMBRES. Exultons et réjouissons-nous en toi, célébrons tes caresses plus que le vin. À raison t’aiment. 5
Je suis noire, moi, mais charmante, filles de Jérusalem, comme les tentes de Qédar, comme les tentures de Salomon. 6 Ne me regardez pas que moi je suis noircie : c’est que m’a brûlée le soleil. Les fils de ma mère se sont enflammés contre moi, ils m’avaient mise gardienne des vignes ; ma vigne à moi, je ne l’avais pas gardée ! 7
Dis-moi, toi qu’aime mon âme : où feras-tu paitre, où feras-tu reposer à midi ? Pourquoi serais-je comme une errante, près des troupeaux de tes collègues ? 8 Si point tu ne sais pour toi, la belle parmi les femmes, suis pour toi les traces des ovins, et faispaitre tes chevreaux près des demeures des pasteurs. 9 À ma cavale, parmi les chars de Pharaon, je te compare, ma compagne. 10 Sont charmantes tes joues entre les pendeloques, ton cou dans les colliers. 11 Des pendeloques d’or nous te ferons avec des globules d’argent. 12
Tandis que le roi est en son enclos, mon nard donne sa senteur. 13 Un sachet de myrrhe mon bienaimé pour moi, entre mes seins il passe-la-nuit ; 14 une grappe de henné mon bien-aimé pour moi dans les vignes d’En-Gaddi. A2 : 15 Te voici belle, ma compagne ! 16 Voici tu es beau, mon bien-aimé ! 17 Les poutres de notre maison des cèdres, 2,1 Moi, je suis la jonquille du Sarôn, 2 Comme l’anémone parmi les chardons, 3 Comme le pommier entre les arbres d’un verger,
Te voici belle ! Tes yeux des colombes. Oui, doux ! Oui, notre lit verdure. nos lambris des cyprès. l’anémone des vallées. ainsi ma compagne parmi les filles. ainsi mon bien-aimé parmi les garçons.
À son ombre j’ai désiré et je me suis assise, et son fruit est doux à mon palais. 4 IL M’A FAITvin, et sa bannière sur moi, c’est l’amour. 5 Soutenez-moi avec des raisinés, ranimez-moi avec des pommes, car je suis malade d’amour moi. 6 Son bras-gauche est sous ma tête et sa droite m’étreint. 7 JE VOUS CONJURE, FILLES DE JÉRUSALEM, PAR LES GAZELLES OU PAR LES BICHES DES CHAMPS, N’ÉVEILLEZ PAS, NE RÉVEILLEZ PAS L’AMOUR, AVANT QU’IL LUI PLAISE. A3 :
3c
VENIR À LA MAISON DU
8
La voix de mon bien-aimé ! Voici que lui vient, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines. 9 Semblable mon bien-aimé à une gazelle, ou au faon des biches. Voici qu’il se tient derrière notre mur ; il guette par les fenêtres, il épie par les treillis. 10
Il a répondu mon bien-aimé et il m’a dit : « Lève-toi, ma compagne, ma belle, va ! 11 Car voici l’hiver est passé, la pluie a cessé, elle s’en est allée. 12 Les fleurs se voient sur la terre, le temps des chansons est venu, et la voix de la tourterelle s’entend sur notre terre. 13 Le figuier a formé ses fruits-verts et les ceps en-fleur ont donné le parfum. Lève-toi, ma compagne, ma belle, va ! 14 Ma colombe, dans les fentes du rocher, dans le secret de l’escarpement, fais-moi voir ton visage, faismoi entendre ta voix ; car ta voix est douce et ton visage charmant. » 15
Attrapez pour nous les renards, les petits renards, ravageurs de vignes ; et notre vigne est en-fleur. 16
MON BIEN-AIMÉ EST À MOI, ET MOI À LUI QUI PÂTURE PARMI LES anémones. 17 Avant que souffle le jour et que s’enfuient les ombres, retourne, sois semblable, mon bien-aimé, à une gazelle ou au faon des biches, sur les montagnes de séparation.
L’ensemble du livre
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B1 (3,1-11)
B2 (4,1-15)
3,1 Sur ma couche, dans les nuits, j’ai cherché celui qu’aime mon âme ; je l’ai cherché, et ne l’ai pas trouvé ! 2 Je me lèverai donc et parcourrai la ville. Dans les rues et sur les places, je chercherai celui qu’aime mon âme ; je l’ai cherché, et ne l’ai pas trouvé ! 3 M’ont trouvée les gardes, ceux qui font-laronde dans la ville : « Celui qu’aime mon âme avez-vous vu ? » 4 À peine avais-je dépassé eux, que j’ai trouvé celui qu’aime mon âme ; je l’ai saisi et ne le lâcherai pas que JE NE L’AIE FAIT-VENIR DANS LA MAISON DE MA MÈRE, dans la chambre de celle qui m’a conçue.
4,1 Te voici belle, ma compagne, te voici belle ! Tes yeux des colombes, de derrière ton voile. Tes cheveux comme un troupeau de chèvres, qui dégringolent du mont Galaad. 2 Tes dents comme un troupeau de brebis-à-tondre qui remontent du bain, que toutes sont mères-de-jumeaux et de privée-de-petit il n’est pas parmi elles. 3 Comme un ruban d’écarlate tes lèvres, et ta babillarde charmante. Comme moitiés de grenades tes joues, de derrière ton voile. 4 Comme la tour de David ton cou, bâtie pour des trophées ; mille rondaches y sont suspendues, tous les boucliers des preux. 5 Tes deux seins comme deux faons, jumeaux d’une gazelle, paissant parmi les anémones.
5
JE VOUS CONJURE, FILLES DE JÉRUSALEM, PAR LES GAZELLES ET PAR LES BICHES DE LA CAMPAGNE, N’ÉVEILLEZ PAS, NE RÉVEILLEZ PAS MON AMOUR, TANT QU’IL LUI PLAIRA. 6
QUI EST CETTE-CHOSE MONTANT DU DÉSERT, COMME DES COLONNES DE FUMÉE, ODORANTE DE myrrhe ET D’encens, DE TOUTES LES poudres DES MARCHANDS ?
6
Avant que souffle le jour et que s’enfuient les ombres, je m’en irai au mont de la myrrhe et à la colline de l’encens. 7 Tu es toute belle, ma compagne, et de défaut il n’est pas en toi ! 8 Avec moi du Liban, ô fiancée, avec moi du Liban, tu viendras ; tu descendras du sommet de l’Amana, du sommet du Sanir et de l’Hermon, du repaire des lions, des monts des léopards.
7
Voici la litière de Salomon ; soixante preux autour d’elle, parmi les preux d’Israël, 8 tous saisissant l’épée, experts de la guerre ; chacun l’épée au côté, par crainte dans les nuits. 9 Un palanquin s’est fait pour lui le roi Salomon en bois du Liban : 10 ses piliers il a fait d’argent, le baldaquin d’or, le siège de pourpre ; l’intérieur est arrangé d’amour, par les filles de Jérusalem. 11
Sortez et voyez, filles de Sion, le roi Salomon avec la couronne dont l’a couronné sa mère au jour de ses épousailles et au jour de la joie de son cœur.
9
Tu me rends-fou, ma sœur, ô fiancée, tu me rends-fou par un seul de tes yeux, par un seul anneau de tes colliers ! 10 Que sont belles tes caresses, ma sœur, ô fiancée, que sont bonnes tes caresses plus que le vin ! et l’arôme de tes parfums plus que tous les baumes ! 11 Du mielvierge distillent tes lèvres, ô fiancée, miel et lait dessous ta langue et l’arôme de tes vêtements comme l’arôme du Liban. 12 Un jardin clos, ma sœur, ô fiancée, un bassin clos, une source scellée. 13 Tes pousses un verger de grenadiers, avec les fruits exquis, les hennés avec les nards ; 14 le nard et le safran, le roseau-odorant et le cinnamome, avec tous les arbres à encens ; la myrrhe et l’aloès, avec tous les sommets des baumes. 15 Source des jardins, puits d’eaux vives et descendant du Liban !
B3 : 4,16 Lève-toi, aquilon, faites-exhaler mon jardin, Qu’il vienne mon bien-aimé dans son jardin
et viens, autan ; que descendent ses baumes ! et qu’il mange les fruits les meilleurs !
5,1 Je viens dans mon jardin, Je récolte ma myrrhe avec mon baume, je mange mon rayon avec mon miel, Mangez, compagnons,
ma sœur, fiancée. je bois mon vin avec mon lait. buvez et enivrez-vous, bien-aimés !
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Le Cantique des cantiques B4 (5,2–6,3)
5,2
Moi je dors, mais mon cœur veille ; la voix de mon bien-aimé frappe. « Ouvre-moi, ma sœur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite, car ma tête est pleine de rosée, mes boucles, des gouttes de la nuit. » 3 « J’ai ôté ma tunique, comment la vêtirais-je ? J’ai lavé mes pieds, comment les salirais-je ? » 4 Mon bien-aimé a passé sa main par la fente, et mon ventre a frémi pour lui. 5 Je me suis levée, moi, pour ouvrir à mon bien-aimé ; et de mes mains a dégoutté la myrrhe, de mes doigts la myrrhe liquide sur la poignée du verrou. 6 J’ai ouvert moi à mon bien-aimé, et mon bien-aimé se déroba, s’enfuit. J’ai rendu l’âme à cause de sa disparition, je l’ai cherché mais ne l’ai point trouvé, je l’ai appelé, mais il n’a pas répondu. 7 M’ont trouvée les gardes, ceux qui font la ronde dans la ville ; ils m’ont frappée, ils m’ont blessée, ils m’ont enlevé mon manteau, les gardes des remparts. 8 JE VOUS CONJURE, FILLES DE JÉRUSALEM, si vous trouvez mon bien-aimé, que lui déclarerezvous ? Que je suis malade d’amour, moi. 9
Qu’a donc ton bien-aimé de plus qu’un bienaimé, ô la plus belle des femmes ? Qu’a donc ton bien-aimé de plus qu’un bien-aimé, pour qu’ainsi tu nous conjures ? 10
Mon bien-aimé est frais et vermeil, reconnaissable entre dix mille. 11 Sa tête est d’or, d’or-pur ; ses boucles des palmes, noires comme le corbeau. 12 Ses yeux comme des colombes, au bord des eaux se baignant dans le lait, demeurant sur la berge. 13 Ses joues comme des parterres embaumés, des massifs parfumés. Ses lèvres des anémones, dégouttant de myrrhe vierge. 14 Ses mains des globes d’or, sertis de chrysolithes ; son ventre une masse d’ivoire, couverte de saphirs ; 15 ses jambes des colonnes d’albâtre, posées sur des bases d’or-pur. Son aspect comme le Liban, distingué comme les cèdres. 16 Son palais est la suavité même, et il n’est que délices. Tel est mon bien-aimé, tel est mon compagnon, filles de Jérusalem. 6,1 Où est parti ton bien-aimé, ô la plus belle des femmes ? Où s’est tourné ton bien-aimé, que nous le cherchions avec toi ? 2
Mon bien-aimé est descendu à son jardin, aux parterres embaumés, pour paitre dans les jardins, pour cueillir des anémones. 3 MOI JE SUIS À MON BIEN-AIMÉ ET MON BIEN-AIMÉ EST À MOI QUI PÂTURE PARMI LES anémones.
B5 (6,4–7,11) 6,4
Tu es belle, ma compagne, comme Tirça, charmante comme Jérusalem, terrible comme les bataillons. 5 Détourne de moi tes yeux, lesquels m’assaillent ! Tes cheveux comme troupeau de chèvres qui dégringolent de Galaad. 6 Tes dents comme troupeau de brebis qui remontent du bain ; qui sont toutes mères-de-jumeaux et chez elles point de privées-de-petit. 7 Comme tranches de grenade tes joues de derrière ton voile. 8 Soixante les reines et quatre-vingts les concubines et des vierges sans nombre. 9 Unique est ma colombe, ma parfaite, unique pour sa mère, resplendissante pour celle qui l’enfanta. Les filles l’ont vue et glorifiée, reines et concubines l’ont louée. 10
QUI EST CELLE-CI QUI PARAIT COMME L’AURORE, BELLE COMME LA LUNE, RESPLENDISSANTE COMME LE SOLEIL, TERRIBLE COMME LES BATAILLONS ? 11
Au jardin des noyers je suis descendu, pour voir les pousses de la vallée, pour voir si bourgeonnent les ceps, si fleurissent les grenadiers. 12 Je ne sais ! Mon âme m’a placé sur les chars de mon peuple, en prince. 7,1 Tourne, tourne, Sulamite ; tourne, tourne, que nous te contemplions ! Que contemplerez-vous dans la Sulamite ? Comme une danse à double-chœur ! 2 Que tes pieds sont beaux dans tes sandales, fille de prince ! Les courbes de tes hanches telles des anneaux, œuvre des mains d’un artiste. 3 Ton nombril, un bassin arrondi, n’y manque pas le vin-épicé. Ton ventre, un monceau de froment, bordé d’anémones. 4 Tes seins comme deux faons, jumeaux d’une gazelle. 5 Ton cou, comme la tour d’ivoire, tes yeux, les piscines de Heshbôn, près de la porte de Bat-Rabbîm. Ton nez, comme la tour du Liban, sentinelle tournée vers Damas. 6 Ta tête sur toi, comme le Carmel, et le flot de ta tête, comme la pourpre ; un roi est prisonnier de ces boucles. 7 Que tu es belle et que tu es charmante, ô amour, fille de délices ! 8 Celle-ci ta taille, elle ressemble au palmier et tes seins à des grappes. 9 J’ai dit : Je monterai au palmier, j’en saisirai les régimes. Tes seins soient comme des grappes de ceps, et le parfum de ton nez, comme les pommes 10 et ton palais, comme un vin bon ! Il vient à mon bien-aimé directement, il coule sur les lèvres des dormants ; 11 MOI JE SUIS À MON BIEN-AIMÉ ET VERS MOI EST SON DÉSIR.
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C1 : 7,12 Va, mon bien-aimé, sortons à la campagne, nous passerons-la-nuit dans les buissons-de-henné. 13 Nous irons-le-matin aux vignes. Nous verrons si bourgeonnent les ceps, s’ouvrent les boutons, si fleurissent les grenadiers. Là je te donnerai mes caresses. 14 Les mandragores ont donné leur parfum et à nos portes tous les meilleurs-[fruits] ; les nouveaux aussi les anciens, mon bien-aimé, je les ai réservés à toi. 8,1 Qui te donnera comme frère à moi, ayant tété les seins de ma mère ? Te trouvant dehors, je t’embrasserais, aussi ils ne me mépriseraient pas. 2 Je te conduirais, JE TE FERAIS-VENIR DANS LA MAISON DE MA MÈRE, tu m’enseignerais. Je te ferais boire un vin parfumé, ma liqueur de grenades. C2 : 3 Son bras gauche est dessous ma tête, et son droit m’étreint. 4 JE VOUS JÉRUSALEM, N’ÉVEILLEZ PAS, NE RÉVEILLEZ PAS L’AMOUR, JUSQU’À CE QU’IL LUI PLAISE. 5
CONJURE, FILLES DE
QUI EST CELLE-CI, MONTANT DU DÉSERT, APPUYÉE SUR SON BIEN-AIMÉ ?
Sous le pommier je t’ai réveillé, là où t’a conçu ta mère, là où elle a conçu, elle t’a enfanté ; 6 posemoi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras. Oui, l’amour est fort comme la mort, inflexible comme le schéol la passion. Ses traits sont des traits de feu, une flamme-de-Yah. 7 Les eaux nombreuses ne pourront éteindre l’amour, ni les fleuves le submerger ; si donnait un homme toutes les richesses de sa maison pour l’amour, de mépris ils le mépriseraient. C3 : 8 Nous avons une sœur petite et elle n’a pas de seins. Que ferons-nous à notre sœur, au jour où on parlera d’elle ? 9 Si elle est un rempart, nous bâtirons sur elle un crénelage d’argent ; si elle est une porte, nous appliquerons sur elle un panneau de cèdre. 10 Moi, je suis un mur et mes seins sont comme des tours ; alors je suis à ses yeux comme ayant trouvé la paix. Salomon avait une vigne à Baal-Hamôn ; il donna la vigne à des gardiens, chacun fera-venir pour son fruit mille sicles d’argent. 12 Ma vigne à moi est devant moi : les mille à toi, Salomon, et les deux cents aux gardiens de son fruit. 13 Celle qui habites les jardins, des collègues sont attentifs à ta voix, fais-la-moi entendre. 14 Fuis, mon bien-aimé, et sois semblable à une gazelle ou au faon des biches, sur les montagnes des baumes. 11
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Le Cantique des cantiques
Les deux faits les plus saillants sont complémentaires, le premier liant les deux premières sections, le second les deux dernières. a) La première section et la section centrale sont liées par leurs centres qui sont de courts duos d’amour entre le bien-aimé et sa compagne : 1,15 Voici tu es belle, MA COMPAGNE ! 16 Voici tu es beau, MON BIEN-AIMÉ !
Voici tu es belle ! Tes yeux des colombes. Oui, doux ! Oui, notre lit verdure.
17
Les poutres de notre maison des cèdres, 2,1 Moi, je suis la jonquille du Sarôn,
2 3
Comme l’anémone parmi les chardons, Comme le pommier entre les arbres d’un verger,
nos lambris des cyprès. l’anémone des vallées. ainsi MA COMPAGNE parmi les filles. ainsi MON BIEN-AIMÉ parmi les garçons.
[...] 4,16 Lève-toi, aquilon, faites-exhaler mon jardin,
et viens, autan ; que descendent ses baumes !
Qu’il vienne MON BIEN-AIMÉ dans son jardin
et qu’il mange les fruits les meilleurs !
5,1 Je viens dans mon jardin,
MA SŒUR, FIANCÉE.
Je récolte ma myrrhe avec mon baume, je mange mon rayon avec mon miel, Mangez, COMPAGNONS,
je bois mon vin avec mon lait. buvez et enivrez-vous, BIEN-AIMÉS !
On remarquera que les séquences centrales des deux premières sections se trouvent à la charnière entre les chapitres 1 et 2, entre les chapitres 4 et 5. b) La question centrale de la dernière section combine les questions centrales des séquences extrêmes de la deuxième section. La question de 3,6 concerne le bienaimé, celle de 6,10 sa compagne ; la question finale de 8,5 regarde en même temps les deux amants, « celle-ci » et « son bien-aimé », tous deux « montant du désert ». B1 : 3,6 Qui est cette-chose
montant du désert, comme des colonnes de fumée, odorante de myrrhe et d’encens, de toutes les poudres des marchands ?
B5 : 6,10 Qui est celle-ci
qui parait comme l’aurore, belle comme la lune, resplendissante comme le soleil, terrible comme les bataillons ?
C : 8,5 Qui est celle-ci montant du désert, appuyée sur son bien-aimé ?
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Ces deux faits sont corrélés : alors que la question centrale de la séquence B1 ne concerne que le bien-aimé et que celle de B5 ne concerne que sa compagne, les deux personnages sont présentés ensemble dans la question centrale de la dernière section, comme ils se trouvent ensemble au centre de la section A et au centre de la section B. Les cinq centres forment une figure régulière. – « Je vous conjure, filles de Jérusalem, (par les gazelles ou par les biches des champs,) n’éveillez pas, ne réveillez pas l’amour, avant qu’il lui plaise » revient en A3 (2,7), en B1 (3,5) et en C2 (8,4), à quoi on peut ajouter « Je vous conjure, filles de Jérusalem » en B4 (5,8) ; – « je suis malade d’amour » est repris juste avant la phrase dont il vient d’être question en A3 (2,5) et en B4 (5,8) ; – « faire-venir » : avec le bien-aimé comme sujet d’abord, en A1 (« dans ses chambres 1,4) et en A3 (« à la maison du vin » 2,4), puis avec la compagne comme sujet en B1 (3,4) et en C1 (8,2) « dans la maison de ma mère » ; – la formule d’appartenance en A3 (2,16 : « mon bien-aimé est à moi et moi à lui »), puis en B4 (6,3 : « moi je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi ») et B5 (7,11 : « moi je suis à mon bien-aimé et vers moi est son désir ») ; – « avant que souffle le jour et que s’enfuient les ombres » en A3 (2,17) et en B2 (4,6) ; – « pour voir si bourgeonnent les ceps, si fleurissent les grenadiers » en B5 (6,11) et C1 (7,13) ; – « Te voici belle, ma compagne ! Te voici belle ! Tes yeux des colombes » au début de A2 (1,15) et de B2 (4,1) ; – les parfums remplissent tout l’espace : en A1 (1,3ter.12bis.13.14), A3 (2,13), B1 (3,6ter), B2 (4,6bis.10bis.11bis.13bis.14huit), B3 (4,16 ; 5,1), B4 (5,5bis ; 7,9 ; 13tre ; 6,2), C1 (7,14 ; 8,2) et C3 (8,14) ; – « vignes/vin/ceps » en A1 (1,2.4.6bis.14), A3 (2,4.13.15bis), B2 (4,10), B3 (5,1), B5 (6,11 ; 7,3.9.10), C1 (7,13 ; 8,2) et C3 (8,11bis.12) ; – « anémone(s) revient en A2 (2,1.2), A3 (2,16), B2 (4,5) et B4 (5,13 ; 6,2.3) ; – « voix » du bien-aimé en A3 (2,8.14bis), B4 (5,2) et C3 (8,13) ; – « grenadiers/grenades » en B2 (4,3.13), B5 (6,7.11) et C1 (7,13 ; 8,2).
CONTEXTE Le rapport entre le Cantique des cantiques et le début de la Genèse, en particulier avec l’histoire du couple originel, a déjà été souligné. Et de même celui que le Cantique entretient avec les prophètes de l’exil qui présentent l’alliance entre Dieu et son peuple sous l’image de la relation conjugale. Les relations entre le Cantique et le reste de la Bible ne s’arrêtent pas là. L’arc amorcé avec le début de la Genèse, le premier livre de la Bible hébraïque, s’étend jusqu’à la fin de l’Apocalypse, le dernier livre de la bible chrétienne. Le relai entre les extrémités du livre passe non seulement par les prophètes de l’exil,
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Le Cantique des cantiques
mais aussi par plusieurs récits évangéliques et par certains passages des lettres pauliniennes. LA NOUVELLE ÈVE ET LE NOUVEL ADAM 2 Dans Matthieu — comme chez Marc du reste —, l’épisode de l’onction de Béthanie se trouve presqu’au début du récit de la Pâque. Cette scène semble surajoutée, comme une parenthèse qui interromprait le cours des événements : en effet, la trahison de Judas (Mt 26,14-16) et la préparation de la Pâque (17-19) qui suivent l’onction sont la suite logique de l’annonce de la passion (1-2) et du complot (3-5) qui la précèdent. 26,1 Il arriva, lorsque Jésus eut achevé toutes ces paroles, qu’il dit à ses DISCIPLES : 2 « Sachez qu’après deux jours LA PÂQUE arrive et que le Fils de l’homme va être donné pour être crucifié. » 3
Alors LES GRANDS PRÊTRES et les anciens du peuple se réunirent dans le palais du Grand prêtre, celui qui est appelé Caïphe. 4 Ils se mirent d’accord pour s’emparer de Jésus par ruse et le tuer. 5 Mais ils disaient : « Pas durant la Fête, afin qu’il n’arrive pas un tumulte dans le peuple. » 6
Comme Jésus se trouvait à Béthanie, chez Simon le lépreux, 7 une femme s’approcha de lui, avec un flacon d’albâtre contenant un parfum très précieux, et elle le versa sur sa tête, tandis qu’il était à table. 8 À cette vue les disciples s’indignèrent et dirent : « À quoi bon ce gaspillage? 9 Cela pouvait être vendu bien cher et donné à des pauvres. » 10 Jésus s’en aperçut et leur dit: « Pourquoi tracassez-vous cette femme? C’est vraiment une bonne œuvre qu’elle a accomplie pour moi. 11 Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours. 12 Si elle a répandu ce parfum sur mon corps, c’est pour ma sépulture qu’elle l’a fait. 13 En vérité je vous le dis, partout où sera proclamé cet Évangile, dans le monde entier, on redira aussi ce qu’elle a fait en mémoire d’elle » (Mt 26). 14
Alors étant parti l’un des Douze, celui qui est appelé Judas Iscariote, vers LES 15 il leur dit : « Que voulez-vous me donner, et moi je vous le donnerai ? » Ceux-ci lui pesèrent trente pièces d’argent. 16 Et à partir d’alors il cherchait le temps favorable pour le donner. GRANDS PRÊTRES,
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Or le premier jour des Azymes, les DISCIPLES vinrent vers Jésus et dirent : « Où veux-tu que nous préparions pour toi afin de manger LA PÂQUE ? » 18 Il leur dit : « Allez à la ville chez un tel, et dites-lui : “Le maître dit : ‘Mon temps est proche ; c’est chez toi que je ferai LA PÂQUE avec mes DISCIPLES’. » 19 Et les DISCIPLES firent comme Jésus leur avait ordonné et ils préparèrent LA PÂQUE. 2 Je reprends ici un chapitre de Mort et ressuscité selon les Écritures (2e éd., Selon les Écritures. Lecture typologique des récits de la Pâque du Seigneur, « Ève et Adam », 36-43. Ces pages s’inspirent de Y. SIMOENS, « L’onction eucharistique et la cène nuptiale selon Mc 14,1-31 ». Voir R. MEYNET, Jésus passe, 22-38 et 76-87 ; La Pâque du Seigneur, 40-46.
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Certains ont pu penser autrefois que le récit de l’onction était un corps étranger, ajouté après coup, qu’il était « secondaire ». Aujourd’hui les commentateurs notent, entre autres choses, l’effet de contraste saisissant entre la générosité inouïe de la femme et l’avidité de Judas qui vend son maître pour trente pièces d’argent. La composition dite « en sandwich » a comme effet de mettre en valeur, au centre de l’ensemble, la scène de l’onction ; elle joue le rôle de clé de lecture pour l’ensemble. La dernière Cène Cette première construction « en sandwich » est immédiatement suivie d’une autre. Le récit de la dernière Cène en effet est encadré par deux prophéties : l’annonce de la trahison de Judas (Mt 26,20-25) et celle du reniement de Pierre (30-35). Jésus dit que son sang « sera versé pour beaucoup ». Il vaudrait mieux traduire : « à la place de beaucoup ». « Tous » sont invités à boire à la coupe ; les Douze ne sont que les premiers invités parmi ces « beaucoup », à qui est offerte « la rémission des péchés ». Le récit de la Cène est ainsi mis en relief au centre de la construction : 20
Le soir étant venu, il se mit à table avec les Douze. 21 Tandis qu’ils mangeaient, il dit : « En vérité je vous dis is que qu L’UN DE VOUS ME DONNERA. » 22 Ils furent vivement attristés et chacun se mit à lui dire : « Serait-ce moi, Seigneur ? » 23 Il répondit : « Celui qui a plongé avec moi la main dans le plat, c’est celui-là qui me DONNERA. » 24 Le Fils de l’homme s’en va ainsi qu’il est écrit à son sujet, mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’homme sera donné ; il eût mieux valu pour lui qu’il ne soit pas né cet homme-là. 25 Judas, celui qui allait le donner, répondit : « Serait-ce moi, Rabbi ? » Il lui dit : « C’est toi qui l’as dit. » 26
Or, tandis qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain, le bénit, le ROMPIT et le aux disciples en disant: “Prenez, mangez, ceci est MON CORPS.” 27 Puis, prenant une coupe, il rendit grâces et la leur donna en disant: “Buvez-en tous; 28 car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui SERA VERSÉ pour beaucoup en rémission des péchés. 29 JE VOUS LE DIS, je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai avec vous, nouveau, dans le Royaume de mon Père» (Mt 26). DONNA
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Après le chant des psaumes, ils sortirent vers le mont des Oliviers. 31 Alors Jésus leur dit : « Vous tous, VOUS SEREZ SCANDALISÉS À CAUSE DE MOI, cette nuit même ; car il est écrit : “Je frapperai le berger et les brebis du troupeau seront dispersées.” 32 Mais après ma résurrection je vous précéderai en Galilée. » 33 Répondant, Pierre lui dit : « Si tous sont scandalisés à tonn sujet, su moi, jamais je ne serai scandalisé. » 34 Jésus lui déclara : « En vérité je te dis is que qu cette nuit même, avant que le coq ne chante, par trois fois tu m’auras RENIÉ. » 35 Pierre lui dit : « Même s’il fallait qu’avec toi je meure, non je ne te renierai pas. » Et tous les disciples dirent de même.
De la même façon que l’onction de Béthanie, le récit central de la dernière Cène fonctionne comme clé interprétative de l’ensemble qu’il forme avec les
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Le Cantique des cantiques
deux récits qui l’encadrent : à vue purement humaine, Jésus sera « donné » par un des Douze (20-25), abandonné par tous les autres et même renié par Pierre (30-35) ; ce que Jésus dévoile dans le passage central (26-29), c’est qu’en réalité c’est lui-même qui se donne. La petite musique des mots Voilà donc deux récits « centraux » ! Qui semblent n’avoir pas grand-chose en commun, au moins à première vue. Pourtant, à écouter de plus près, l’oreille est attirée par une petite musique qui chante dans le même ton. À condition d’écouter au ras des mots. Mallarmé qui s’y connaissait en matière de poésie, disait qu’on ne fait pas des poèmes avec des idées, mais avec des mots3. Ceux qui reviennent, identiques ou synonymes, signalent la reprise du même thème. Lors du repas pascal, en donnant la coupe, Jésus dit que c’est son sang de l’alliance « versé » pour beaucoup. À Béthanie, la femme « verse » le parfum sur la tête de Jésus. Elle a ainsi parfumé « son corps » ; en donnant le pain, Jésus dira que c’est « son corps ». Marc souligne davantage encore la relation entre les deux épisodes, et de plusieurs façons : la plus parlante sans doute est que la femme « brise » le flacon d’albâtre qui la symbolise, comme Jésus « rompt » le pain de son corps. Les deux récits s’achèvent sur une déclaration solennelle introduite par le même : « je vous dis ». À Béthanie, ce qui est annoncé en finale c’est que l’Évangile sera proclamé dans le monde entier, à la Cène c’est que Jésus boira le vin nouveau dans le Royaume de son Père ; dans les deux cas, la mort n’aura pas le dernier mot. Il ne faudrait pas oublier non plus que ces deux récits sont situés pendant un repas, « tandis qu’il était à table » (Mt 26,7 ; Mc 14,3), « tandis qu’ils mangeaient (Mt 26, 26 ; Mc 14,22) ; et ce sont les seuls de tout le récit de la Passion. Il faut surtout noter que les deux protagonistes, la femme et Jésus, sont les deux seuls personnages positifs de toute la séquence qui s’étend jusqu’à l’arrestation comprise. Je dois avouer que, dans un premier temps, je l’avais tout simplement « oubliée », disant que le seul personnage positif de l’histoire était Jésus ! Inconsciemment, je procédais comme ceux qui prétendent que l’épisode de Béthanie est « secondaire », ajouté après coup, interrompant de manière malencontreuse le cours logique du récit. Cette sorte de refoulement est symptomatique, non seulement du machisme dans lequel peut tomber un exégète masculin, mais bien davantage sans doute du mal que nous avons à croire à la dignité de l’humain. Il faut cependant reconnaître que le comportement de tous les autres est en contraste saisissant avec le couple formé 3 Valéry rapporte ce que le peintre Edgar Degas, qui se piquait aussi de poésie, lui avait raconté : « Un jour, m’a-t-il confié, dînant chez Berthe Morisot avec Mallarmé, il [Degas] se plaignait à lui du mal extrême que lui donnait la composition poétique : “Quel métier, criait-il, j’ai perdu toute ma journée sur un sacré sonnet, sans avancer d’un pas... Et cependant, ce ne sont pas les idées qui me manquent... J’en suis plein... J’en ai trop...” Et Mallarmé, avec sa douceur profonde : “Mais, Degas, ce n’est point avec des idées que l’on fait des vers... C’est avec des mots.” (P. VALÉRY, Degas danse dessin, 1208).
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par la femme de Béthanie et Jésus lui-même : les autorités juives complotent contre lui et l’arrêteront ; quant aux disciples, un d’entre eux le trahit et tous les autres finiront par l’abandonner. « L’Époux et l’Épouse » La première annonce de la Passion chez Matthieu, dès le chapitre 9, est énoncée dans des termes surprenants : « Les compagnons de l’époux peuvent-ils mener le deuil tant que l’époux est avec eux ? Mais viendront des jours où l’époux leur sera enlevé; et alors ils jeûneront » (Mt 9,15). Bien sûr il s’agit d’une image, mais les images, on le sait, doivent être prises au pied de la lettre. Encore une fois, laissons-nous porter par la petite musique des mots de Béthanie et de la Cène : « parfum», « vin », « corps », « alliance » et aussi « argent ». Or il est un livre biblique qui, entre tous, est rempli de parfums, où les corps en sont enivrés, où les amis sont conviés à un festin où coule le vin, dont l’amour et l’alliance sont l’unique sujet. C’est le Cantique des Cantiques, où la bien-aimée et le bien-aimé se cherchent, se trouvent, sont séparés, se donnent l’un à l’autre, où les corps sont exaltés mais souffrent aussi les douleurs de la mort ; où l’amour vaut plus que tout l’argent du monde, où l’amour est plus fort que la mort. « Que ton amour est délicieux, plus que le vin ! Et l’arôme de tes parfums, plus que tous les baumes ! » (Ct 4,10). « Mangez, amis, buvez, enivrez-vous, bien-aimés » (Ct 5,1). Le bien-aimé est le roi Salomon (Ct 3,7-11) que la Bible du reste donne comme l’auteur du livre ; quant à la bien-aimée, le qualificatif de « Sulamite » la met clairement en relation sonore avec « Salomon » au point d’apparaître en quelque sorte comme son féminin grammatical, mais ne permet certainement pas de l’identifier. Ce qui l’élève au rang de figure. À la figure on demande, comme le bien-aimé : « Fais-moi entendre ta voix » (Ct 2,14). Ève et Adam Cette voix qui retentit dans le « jardin » — autre mot-clé du Cantique —, fait écho à une autre voix dans un autre jardin. Le Cantique est une relecture du récit d’origine, au jardin d’Éden. Là aussi, un homme et une femme, « la femme », appelée ainsi durant tout le récit, anonyme comme dans le Cantique et comme à Béthanie ; elle ne recevra son nom d’Ève qu’après les événements (Gn 3,20). Paul avait déjà appelé Jésus « le dernier Adam » (1Co 15,45). « Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. De même en effet que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ » (1Co 15,21-22). Chez Matthieu, comme en Marc, le nouvel Adam est précédé par la nouvelle Ève. Alors que « la femme » aussitôt suivie par Adam avaient « pris » le fruit pour le « manger », « la femme » de Béthanie aussitôt suivie par Jésus ne font que « donner » : il donne son corps à « manger » ; avec le flacon d’albâtre qui la symbolise elle se donne tout entière à Jésus. Au lieu de vouloir saisir le fruit de l’arbre pour s’approprier la vie, Jésus
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se laisse saisir pour donner sa vie ; loin de vouloir retenir ce qu’elle a, elle n’hésite pas à verser entièrement, dans un geste typiquement sponsal, tout ce qu’elle a, tout ce qu’elle est, sur la tête de celui qu’elle traite ainsi comme son époux. Luc, qui n’a pas le récit de Béthanie, fera dire à Jésus lors du repas pascal : « Faites cela en mémoire de moi ». Matthieu et Marc, qui ne reprennent pas ces paroles de Jésus, les reportent sur la femme ; ils ont l’audace de faire porter la mémoire par la nouvelle Ève : « Partout où sera proclamé l’Évangile dans le monde entier, on racontera ce qu’elle a fait en mémoire d’elle. » Qui donc est cette femme, quelle est donc cette figure de la dignité retrouvée, ou encore, de qui peut-elle bien être la figure ? Si le propre de la figure est d’assumer le passé, jusqu’à l’origine, elle ne s’épuise pas dans cette assomption ; elle regarde aussi vers le futur, jusqu’à la fin. Paul identifie le Bien-aimé au Christ et la Bien-aimée à l’Église : 25
Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église : il s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau qu’une parole accompagne; 27 car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée. 28 De la même façon les maris doivent aimer leur femme comme leur propre corps. Aimer sa femme, c’est s’aimer soi-même. 29 Car nul n’a jamais haï sa propre chair; on la nourrit au contraire et on en prend bien soin. C’est justement ce que le Christ fait pour l’Église : 30 ne sommes-nous pas les membres de son Corps ? 31 Voici donc que l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair : 32 ce mystère est de grande portée ; je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église (Ep 5). 26
Dernier livre du Nouveau Testament et donc de toute la Bible, l’Apocalypse s’achève sur la vision des noces du Christ, l’Agneau, et de l’Église, la Jérusalem céleste : 1
Puis je vis un ciel nouveau, une terre nouvelle — car le premier ciel et la première terre ont disparu, et de mer, il n’y en a plus. 2 Et je vis la Cité sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu ; elle s’est faite belle, comme une jeune mariée parée pour son époux. 3 J’entendis alors une voix clamer, du trône : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple, et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu. 4 Il essuiera toute larme de leurs yeux : de mort, il n’y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé. » 5 Alors, Celui qui siège sur le trône déclara : « Voici, je fais l’univers nouveau. » Puis il ajouta : « Écris : Ces paroles sont certaines et vraies. » 6 « C’en est fait, me dit-il encore, je suis l’Alpha et l’Oméga, le Principe et la Fin ; celui qui a soif, moi, je lui donnerai de la source de vie, gratuitement. 7 Telle sera la part du vainqueur ; et je serai son Dieu, et lui sera mon fils. 8 Mais les lâches, les renégats, les dépravés, les assassins, les impurs, les sorciers, les idolâtres, bref, tous les hommes de mensonge, leur lot se trouve dans l’étang brûlant de feu et de soufre : c’est la seconde mort. » 9 Alors, l’un des sept Anges aux sept coupes remplies des sept derniers fléaux s’en vint me dire : « Viens, que je te montre la Fiancée, l’Épouse de l’Agneau. » 10 Il me transporta donc en esprit sur une montagne de grande
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hauteur, et me montra la Cité sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, de chez Dieu, 11 avec en elle la gloire de Dieu (Ap 21).
Cette ultime vision présente les événements de la fin, comme une nouvelle création, en la reliant explicitement avec ceux de l’origine au début de la Genèse. LES SANDALES DU MESSIE ÉPOUX4 L’affaire des sandales de Jésus que Jean refuse de lui retirer se retrouve non seulement dans les quatre évangiles mais aussi en Ac 13,25, ce qui en signale l’importance. L’interprétation habituelle est bien résumée par la note de la TOB à Mc 1,7 : « mettre ou délier les sandales était une tâche d’esclave » ; la note à Lc 3,16 précise : « Geste d’esclave qu’un Juif d’alors ne pouvait exiger d’un serviteur juif, appartenant lui aussi au peuple élu ». L’interprétation de ce geste est de type moral : elle met en valeur l’humilité de Jean, qui souligne ainsi combien Jésus le surpasse, bien qu’il soit venu après lui. + 15 Le peuple + et TOUS
attendant se demandant
: au sujet de :: si lui ne serait pas
dans leur cœur, Jean, LE CHRIST,
+ 16 Jean
répondit disant à TOUS : ······························································
: « Moi
dans l’eau
- mais vient - dont je n’ai pas - de délier
je vous baptise, plus fort que moi, le droit la courroie de ses sandales.
·············································································································· vous baptisera DANS L’ESPRIT SAINT ET LE FEU,
:: LUI
- 17 qui (tient) le van . pour purifier
dans sa main son aire
- et rassembler . mais la bale,
le blé il la brûlera
dans son grenier ; au feu inextinguible. »
L’exégèse patristique au contraire y lisait une référence à un geste juridique attesté plusieurs fois dans l’Ancien Testament5 ; c’est pourquoi ikanos devrait être traduit non pas par « digne » (« je ne suis pas digne ») mais par « capable », 4
Repris de mon Traité de rhétorique biblique, 596-599. P. PROULX – L. ALONSO-SCHOEKEL « Las Sandalias del Mesías Esposo », 1-37. Ces auteurs remettent en lumière l’interprétation traditionnelle. Voir aussi L. ALONSO-SCHOEKEL, I nomi dell’amore. Simboli matrimoniali nella Bibbia, 111-133. 5
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dans le sens de capacité juridique ; le sens est bien rendu par « Je n’ai pas le droit ». La loi du lévirat prévoit qu’une veuve sans enfant doit être épousée par le frère du défunt ou par son plus proche parent, pour susciter une descendance à son frère (voir la loi en Dt 25,5-10 ; voir aussi l’histoire de Juda et Tamar en Gn 38) ; un des titres de celui qui exerce ce droit est gō’ēl, « rédempteur », terme qui est appliqué à Dieu dans son rapport à son peuple (voir Is 54,1-10). Si celui qui avait ce droit de rachat, et ce devoir, renonçait à l’exercer, il se voyait déchaussé par la veuve (Dt 25,9-10)6. Jean Baptiste considère qu’il n’a pas le droit de rachat sur Israël et que c’est Jésus le gō’ēl d’Israël, le véritable époux de son peuple. L’image est reprise et clairement explicitée en Jn 3,28-29 : 28
Vous-mêmes, vous m’êtes témoins que j’ai dit : Je ne suis pas le Christ, mais je suis envoyé devant lui. 29 Qui a l’épouse est l’époux ; mais l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux. Telle est ma joie, et elle est complète.
Cette interprétation, proprement christologique, complète et explicite heureusement celle à laquelle le lecteur moderne est habitué. Le texte de Luc continue avec l’image de l’aire (3,17). Or, cette image est liée à la précédente : c’est en effet sur l’aire que Booz, après avoir vanné son orge, promet à Ruth de la racheter (Rt 3,13). Il n’est pas jusqu’au baptême dans l’eau qui ne rappelle que Ruth, sur le conseil de sa belle-mère Noémi, s’était lavée et parfumée avant de rejoindre Booz sur l’aire (Rt 3,3). Ceux qui ne connaissent ni les institutions d’Israël ni les textes bibliques qui traitent de la loi du lévirat ou y font référence ont du mal à réaliser le rapport entre cette loi et les paroles de Jean. Les auditeurs familiers de la Bible au contraire reconnaissent immédiatement l’allusion. Voilà pour le passage de Lc 3,15-17. Or voici le passage suivant (Lc 3,18-20) : 18
Avec beaucoup d’autres exhortations il annonçait la bonne nouvelle au peuple. Mais le tétrarque Hérode, blâmé par lui au sujet d’Hérodiade la femme de son frère et au sujet de tout ce qu’Hérode avait fait de mal, 20 ajouta encore ceci à tout le reste : il enferma Jean en prison. 19
La seule action précise que Jean reproche à Hérode, parmi « tout ce qu’il avait fait de mal », est d’avoir pris la femme de son frère encore vivant, d’avoir pris une épouse qui n’était pas la sienne. C’est exactement cela que Jean estime n’avoir pas le droit de faire par rapport à Jésus. C’est en effet Jésus qui est le véritable époux d’Israël, et Jean n’entend pas prendre sa place.
6
En Rt 4,7-8 au contraire, c’est l’homme qui refuse de prendre Ruth comme épouse, ainsi que le champ de son défunt mari, qui retire sa sandale, pour signifier qu’il renonce à en prendre possession.
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INTERPRÉTATION DE QUOI S’AGIT-IL ? De quoi, ou mieux peut-être, de qui s’agit-il dans le Cantique ? C’est la question que le lecteur se pose depuis toujours. C’est aussi, et avant tout, la question que pose le texte lui-même. Et il ne le fait pas de manière latérale, comme en passant. Il le fait en des lieux stratégiques, au centre des séquences extrêmes de la section centrale, et, de manière plus insistante encore, au centre de la dernière section : « Qui est celle-ci, montant du désert, appuyée sur son bien-aimé ? » (8,5). L’auteur interroge le lecteur, par trois fois, comme s’il ne connaissait pas la réponse. Voilà qui pourrait paraitre étrange. Et pourtant, c’est loin d’être une exception. Quand le psalmiste demande, au cœur du Ps 113 : « Qui est comme le Seigneur notre Dieu ? », il fournit en même temps non pas la réponse, mais quelque indice pour que le lecteur puisse la découvrir par lui-même7. Il ne fait de doute pour personne que le sujet du Cantique n’est autre que l’amour. La question est, depuis toujours, d’identifier les protagonistes de cette relation amoureuse. LES SUJETS DU CANTIQUE La réponse aux questions sur l’identité des amants du Cantique est suggérée par la composition du livre. Elle se trouve — le lecteur peut la trouver — aux centres des deux premières sections. On a déjà noté que, dans le dialogue central du livre, transparaissait, à travers la figure du bien-aimé et de sa compagne, celle du Seigneur Dieu et d’Israël son peuple. La myrrhe et le baume, le miel et son rayon, le vin et le lait, toutes ces offrandes présentées par la jeune fille à son ami font penser à celles que le peuple apporte au Temple et que le Seigneur agrée. L’invitation finale, « Mangez, compagnons, buvez et enivrez-vous, bienaimés », sonne non seulement comme l’invitation du jeune époux adressée à ses amis, mais aussi comme celle des sacrifices de communion où tout le peuple, dans la joie et l’allégresse, mange et boit des produits offerts à Dieu. Par ailleurs, au centre du duo d’amour sur lequel est focalisée la première section (1,15– 2,3b), le bien-aimé déclare : « les poutres de notre maison des cèdres, nos lambris des cyprès ». Cela fait penser à celle qu’on appelle par antonomase « la Maison », le temple de Jérusalem, construit avec ces bois précieux. La maison du roi, qui représente tout le peuple, est elle aussi bâtie avec les mêmes matériaux. Ainsi, la réponse à la question centrale de la dernière section était celée au début du livre, au cœur de la séquence centrale de la première section ; confirmée ensuite en plein centre du livre.
7
Voir R. MEYNET, Le Psautier. Cinquième livre, 101-109.
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« À L’IMAGE DE DIEU » « Que le Cantique ait pour principal propos de parler de Dieu ou de parler de l’homme n’est pas une question pertinente : l’un ne peut être fait sans l’autre »8. Rien de surprenant, si l’on prend au sérieux ce que dit la première page de la Bible : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1,27). Le récit de la Genèse est celui des relations de Dieu avec les couples d’Adam et Ève, puis avec ceux d’Abraham et Sara, d’Isaac et Rébecca, de Jacob et ses deux épouses, Léa et Rachel, les pères et mères d’Israël. Le deuxième livre racontera l’histoire des relations entre le Seigneur et l’ensemble de son peuple, les fils d’Israël, montant du désert vers la terre où coulent le lait et le miel. « Ceci est vrai de l’histoire de l’homme avec Dieu, ceci est vrai de l’histoire de l’homme et de la femme »9. DE LA GENÈSE À L’APOCALYPSE « De même que l’éclair, quand il jaillit, brille d’un bout du ciel à l’autre bout du ciel, ainsi sera le jour du Fils de l’homme » (Lc 17,24). Les amants du Cantique viennent de très loin et seront portés jusqu’à l’autre bout du ciel. Jésus donnant son corps et versant son sang et la femme de Béthanie versant son parfum sur le corps de Jésus en vue de sa sépulture sont l’antitype d’Adam et Ève qui n’avaient pas cru au don de Dieu. Le bien-aimé du Cantique et sa compagne étaient déjà, à l’intérieur de l’ancienne alliance, l’antitype du premier couple. « Dès sa première exploration, le lecteur du Cantique perçoit comme en murmure la plus étonnante nouvelle : d’où chantent, soudain, l’homme et la femme, sinon de ce paradis d’où on les croyait expulsés ? »10 La relecture de Gn 2–3 que fait le Cantique prépare l’accomplissement advenu avec le Christ et son Église. C’est ce que rapportent Matthieu et Marc au début du récit de la Pâque du Seigneur, c’est ce que Paul avait déjà dit en parlant du « mystère » de l’union de l’homme et de la femme, du Christ et de l’Église. Et c’est ce que dira aussi Jean à la fin de l’Apocalypse, comme pour clore l’ensemble de la révélation : « Viens, que je te montre la Fiancée, l’Épouse de l’Agneau. »
8
P. BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament, II, 173. P. BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament, II, 174. 10 P. BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament, II, 159. 9
Conclusion Très disputée, la composition du Cantique s’est révélée, finalement, très simple. La clé en est le dialogue entre les deux amants. Dialogue serré, en deux versets seulement, dans la minuscule séquence centrale de la longue section centrale (séquence B3 : 4,16–5,1). Le dialogue s’élargit de chaque côté de ce centre : la première sous-section comprend une séquence où c’est elle qui parle (séquence B1 : 3,1-11) et une autre où c’est lui qui s’adresse à elle (séquence B2 : 4,1-15) ; après la très courte séquence centrale, la dernière sous-section fait se succéder de même une séquence où c’est elle qui reprend la parole (B4 : 5,2– 6,3) et une séquence où il lui répond (B5 : 6,4–7,11). Ainsi les deux soussections sont parallèles entre elles. Beaucoup plus courtes que la section centrale, deux autres sections servent de Prélude (1,2–2,17) et de Postlude (7,12–8,14) ; ces sections A et C comprennent chacune trois séquences parallèles entre elles. Elles sont nettement délimitées : par le baiser au début (1,2 ; 8,1), et surtout par des termes finaux particulièrement appuyés, où la jeune fille demande à son bien-aimé de s’éloigner. La question posée au centre du Postlude, « Qui est celle-ci, montant du désert, appuyée sur son bien-aimé » (8,5), fait écho à deux autres questions similaires, au centre des séquences extrêmes de la section centrale. L’une concerne le bienaimé : « Qu’est cette chose, montant du désert, comme des colonnes de fumée odorante de myrrhe et d’encens, de toutes les poudres des marchands ? » (3,6), l’autre sa compagne : « Qui est celle-ci qui parait comme l’aurore, belle comme la lune, resplendissante comme le soleil, terrible comme les bataillons ? » (6,10). Et voilà qu’est posée la question de l’identité des deux amants qui dialoguent tout au long du Cantique. Cette question est celle que se posent tous les commentateurs. S’agit-il simplement dans le Cantique de l’amour entre un homme et une femme ? S’agit-il aussi de Dieu et de son peuple ? Le texte lui-même pose la question, explicitement, et en des lieux stratégiques de sa composition. La réponse à cette question elle aussi est fournie par le texte. Cependant la clé de l’énigme est dissimulée, comme la fameuse lettre d’Edgard Poe : elle est placée sous le regard de tous, mais personne ne la voit car on la cherche ailleurs, dans les cachettes qu’on imagine1. Selon la loi fondamentale de la rhétorique biblique, celle de la binarité, la réponse est donnée deux fois ; selon la loi de la clé au centre, elle se trouve au centre de la première section, à la charnière des 1 R. Saadia ben Joseph (882-942) disait : « Sache, mon frère, que tu rencontreras de grandes différences dans les interprétations du Cantique des cantiques. À la vérité, elles diffèrent parce que le Cantique des cantiques ressemble à une serrure dont on aurait perdu la clé » (cité dans J.-M. AUWERS, ed., Regards croisés sur le Cantique des cantiques, 109).
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deux premiers chapitres (1,15–2,3), et, une deuxième fois, au centre de la section centrale, à la charnière des chapitres 4 et 5 (4,16–5,1). « Elle se trouve », ce qui veut dire qu’il faut la chercher. Car elle ne saute pas aux yeux. Au centre du livre, a lieu la rencontre entre les amants, ardemment souhaitée par la jeune fille qui a préparé ses parfums et les meilleurs fruits pour son bien-aimé. Celui-ci les agrée : « Je récolte ma myrrhe et mon baume, je mange mon rayon avec mon miel, je bois mon vin avec mon lait ». Et il invite compagnons et bien-aimés à manger, à boire et à s’enivrer. En somme, il accepte les offrandes que sa compagne lui apporte et, qui plus est, les partage avec ses amis. Et c’est la seule fois que cela arrive dans tout le Cantique. On se croirait au Temple, lors d’un sacrifice de communion où le peuple est invité à manger, boire et se réjouir en consommant nourritures et boissons offertes au Seigneur. Bien sûr, une telle vision ne s’impose pas ; telle n’est pas la manière biblique de raisonner. Elle résonne cependant à une oreille sensible aux accords, à « la petite musique des mots ». Une musique apparentée se fait entendre aussi au centre de la première section, toujours discrète mais insistante. Au centre de cette très courte séquence, le bien-aimé déclare à sa toute belle : « Les poutres de notre maison sont des cèdres, nos lambris des cyprès » (1,17). On sait que le Temple est construit avec les cèdres du Liban et avec les cyprès, ce Temple qu’on appelle aussi « la Maison », maison où se rencontrent le Seigneur et son peuple, maison qui est à la fois maison de Dieu et de ses fidèles. Ainsi, l’interprétation qui voit dans le Cantique à la fois, et indissociablement, un chant d’amour entre l’homme et la femme et entre Dieu et son peuple, n’est pas le fait d’une lecture seconde, ajoutée par les générations postérieures à celle de l’auteur. Elle se laisse reconnaitre dans le texte lui-même. Le sens spirituel fait partie intégrante du sens littéral. L’amour entre l’homme et la femme est de même nature que l’amour entre Dieu et les hommes. Une telle interprétation s’appuie aussi sur les rapports que le Cantique entretient avec les autres livres de la Bible. C’est ce que montre une lecture proprement typologique. L’homme et la femme du Cantique rappellent avant tout le couple originel, celui d’Adam et de sa femme : leur relation mutuelle, ainsi que leur relation au Créateur fut manquée. L’histoire des amants du Cantique est une relecture critique des récits du début de la Genèse. Le dialogue amoureux qu’ils entretiennent tout au long du livre forme un contraste saisissant avec le manque total d’échange verbal qui caractérise la relation entre le premier homme et sa femme. À l’intérieur même de l’Ancien Testament, les amants du Cantique sont l’antitype du couple originel. Le Cantique est aussi une autre façon, plus poétique, de mettre en scène ce que les prophètes de l’exil disent des rapports entre Dieu et son peuple Israël, présentés sous les traits de l’alliance conjugale. Le mouvement se poursuit dans le Nouveau Testament. Au début du récit de la Pâque du Seigneur, tel que le présentent les deux premiers évangiles syn-
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optiques, la femme de Béthanie qui brise son vase de parfum précieux et en verse tout le contenu sur le corps du Seigneur forme un couple avec Jésus qui rompt le pain et verse son sang. Se donnant entièrement, ils représentent l’antitype d’Adam et Ève, à l’image des amants du Cantique. Et la Bible chrétienne s’achève sur la vision des noces du Christ, l’Agneau, et de l’Église, la Jérusalem céleste. Ainsi aux extrémités du Livre, la boucle est bouclée.
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INDEX DES AUTEURS CITÉS
Alonso Schoekel : 18, 215 Angénieux : 7 Arminjon : 39 Assis : 7 Auwers : 219 Barbiero : 7, 8, 9, 33, 41, 43, 44, 48, 49, 54, 61, 62, 63, 70, 80, 82, 83, 116, 121, 128, 134, 135, 137, 169, 177, 178, 180 Beauchamp : 9, 10, 11, 13, 14, 15, 18, 19, 20, 41, 197, 218 Brenner : 138 Brunschvicg : 19 Childs : 9 Chrétien : 92 Cothenet : 45 Daniélou : 10 Degas : 212 Dhorme : 49, 90 Exum : 8, 48, 54, 61, 62 Garbini : 63 Garret : 8 Gnilka : 15 Gollwitzer : 44 Goppelt : 10 Gordis : 83, 128 Guinot : 15 Hagner : 15 House : 8 Hugo : 131 Husser : 10 Joüon : 21, 49, 54, 55, 58, 62, 81, 82, 83, 90, 116, 121, 128, 130, 133, 134, 137, 138, 161, 162 Kaplan : 10 Kuntzmann : 10 LaCocque : 134 Lafuma : 19 Lampe : 13, 14
Le Guern : 19 Longman : 7, 8 Lubac : 13, 14, 19 Lund : 161 Lys : 7, 49, 61, 70, 90, 116, 120, 128, 133 Mallarmé : 212 Mazzinghi : 9 Meynet : 3, 11, 14, 15, 17, 18, 19, 22, 25, 60, 79, 86, 119, 122, 142, 159, 161, 197, 210, 217, 228, 229, 230, 231 Oniszczuk : 18, 228, 229, 230 Origène : 30 Osty : 21, 49, 90, 133, 177 Ouaknin : 114 Pascal : 4, 19, 103 Pelletier : 8, 9 Pope : 7 Proulx : 215 Ravasi : 7, 8, 9, 22, 37, 41, 44, 45, 48, 49, 54, 62, 63, 83, 177, 178 Reboul : 20 Ricœur : 9 Robert : 22, 83 Roberts : 7 Rochetta : 179 Rosenzweig : 9, 164 Rotnemer : 114 Saadia ben Joseph : 219 Schellenberg : 9 Schwienhorst-Schönberger : 9 Sellier : 19, 103 Simoens : 163, 210 Tournay : 7, 9, 22, 63, 83 Valéry : 212 Wénin : 18, 58, 66, 230 Woollcombe : 9 Zakovitch : 61, 124
INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES
Gn 1,3 : 134 Gn 1,6-8 : 11 Gn 1,11-13 : 146 Gn 1,11.12.19 : 109 Gn 1,14-18 : 134 Gn 1,16 : 146 Gn 1,27 : 218 Gn 1,28 : 10 Gn 2,6 : 35 Gn 2,9 : 55 Gn 2,23 : 146, 147, 195 Gn 2,24 : 59, 131 Gn 3,2-3 : 55 Gn 3,2.3.6 : 109 Gn 3,6 : 55 Gn 3,16 : 141 Gn 3,17 : 196 Gn 3,20 : 213 Gn 4 : 11 Gn 4,7 : 142 Gn 5,5 : 66, 73 Gn 6,11 : 12 Gn 8,2 : 63 Gn 8,5-12 : 118 Gn 8,8-12 : 146 Gn 8,12 : 66 Gn 9,6 : 14, 15 Gn 9,20-21 : 148 Gn 9,20 : 146 Gn 12,1 : 59 Gn 15 : 63 Gn 22,2 : 59 Gn 24,2 : 137 Gn 24,67 : 79, 133 Gn 25,18 : 185 Gn 30,14-18 : 169 Gn 32,26.32-33 : 137 Gn 33,8 : 81
Gn 37–50 : 11 Gn 38,14-16 : 41 Gn 40,10 : 138 Ex 1,7 : 10, 11 Ex 3,2 : 179 Ex 4,10-12 : 35 Ex 13,21-22 : 82 Ex 15,11 : 82 Ex 19,18 : 180 Ex 20,17 : 55 Ex 25,10-40 : 119 Ex 26,1 : 39 Ex 26,33 : 30 Ex 28,18.20 : 118 Ex 34,14-16 : 180 Ex 36,8 : 39 Ex 39,11.13 : 118 Ex 40,36-37 : 82 Lv 1,14 : 42 Lv 5,7 : 42 Lv 26,10 : 169 Lv 26,12 : 122, 125 Nb 21,21-32 : 146 Nb 21,33-35 : 146 Nb 32,1-5.33-42 : 146 Nb 32,33-38 : 137 Dt 4,19 : 146 Dt 5,21 : 55 Dt 6,4-5 : 131 Dt 8,3 : 36, 110 Dt 10,17 : 30 Dt 17,3 : 146 Dt 25,5-10 : 216 Dt 25,9-10 : 216
232 Dt 32,32 : 138 Dt 33,13-16 : 100, 169 Jg 13,17 : 81 Jg 15,5 : 37 Jg 21,21 : 135 Rt 3,3 : 216 Rt 3,13 : 216 1S 13,18 : 133 1S 20,14 : 178 2S 6,16 : 133 2S 6,19 : 54 2S 13,2 : 55 2S 23,13-23 : 84 1R 6–7 : 85 1R 5,20-24 : 49 1R 8,27 : 30 1R 10,26.29 : 43 1R 11,1-3 : 131 1R 11,4-13 : 131 1R 15,13 : 86 1R 19,17-18 : 35 2R 5,12 : 94 2R 16,17 : 83 2R 23,5 : 146 Est 1,6 : 83 Est 2 : 131 Est 2,12.15 : 42 Est 8,15 : 92 Ps 45,7 : 161 Ps 45 : 86, 149 Ps 63,7-9 : 78 Ps 75,9 : 137 Ps 85,2-8 : 79 Ps 85,10-14 : 79, 161 Ps 85,12 : 133 Ps 86 : 149
Le Cantique des cantiques Ps 92,3 : 77 Ps 104,16 : 178 Ps 113,5 : 217 Ps 118,24 : 35 Ps 118,26 : 48 Ps 119,103 : 119 Ps 120,5 : 38 Ps 134,1 : 77 Pr 1,3 : 34 Pr 3,10 : 140 Pr 7,6-10 : 57 Pr 9,1-6 : 109 Pr 20,26 : 135 Pr 23,31 : 141 Qo, 1,2 : 30 Si 24,12-31 : 100 Is 5,1.7 : 160 Is 6,5-9 : 36 Is 11,16 : 12 Is 21,16-17 : 38 Is 24,23 : 133 Is 25,9 : 35, 48 Is 30,26 : 133 Is 35 : 177 Is 41,18-20 : 177 Is 43,2 : 181 Is 45–46 : 12 Is 47,1-5 : 92 Is 47,2 : 92 Is 51,9-11 : 12 Is 54,5-8 : 160 Is 54,1-10 : 216 Is 54,11-12 : 118 Is 55,1-3 : 109 Is 62,4-6 : 160 Is 65,8 : 138 Jr 1,6-9 : 36 Jr 2 : 160 Jr 2,20-21 : 160
Index des références bibliques Jr 4,30 : 92 Jr 8,2 : 146 Jr 16,14-15 : 12 Jr 18,21 : 90 Jr 22,24-25 : 179 Jr 30,22 : 64, 122, 141 Jr 31,2 : 112 Jr 34,18-20 : 63 Jr 49,28-33 : 38 Ez 13,4 : 61 Ez 16 : 160 Ez 23 : 160 Ez 26,7 : 30 Ez 27,10-11 : 92 Ez 28,13 : 118 Ez 36,28 : 141 Ez 46,14 : 112 Ez 46,23 : 185
Mc 1,7 : 215 Mc 1,44 : 66 Mc 2,11 : 66 Mc 5,19.34 : 66 Mc 7,29 : 66 Mc 10,21.52 : 66 Mc 14,3 : 45 Lc 3,15-17 : 216 Lc 3,16 : 215 Lc 3,17 : 216 Lc 3,18-20 : 216 Lc 13,32 : 61 Lc 17,24 : 218 Lc 22,15 : 142 Jn 3,28-29 : 216 Jn 12,3 : 45, 95 Ac 13,25 : 215
Os 2,4.16.21-22 : 160 Os 2,14 : 39 Os 2,22 : 140 Os 14,7 : 95
Rm 5,15-19 : 15 1Co 15 : 15 1Co 15,21-22 : 213
Jl 2,24 : 140 Jl 3,3 : 82
Ep 5,25-32 : 214
Am 9,13 : 140
1Jn 3,11-17 : 18
Mi 7,1 : 138
Ap 2,20 : 114 Ap 19,9 : 109 Ap 21,1-10 : 215
Mt 9,15 : 213 Mt 13,52 : 169 Mt 26,1-19 : 210 Mt 26,20-35 : 211 Mt 26,26 : 109 Mt 26,27-28 : 109 Mt 26,47-56 : 15 Mt 26,49 : 35 Mt 26,52 : 14 Mt 27,62–28,20 : 17 Mt 28,5b-7 : 17
233
TABLE DES MATIÈRES Introduction ................................................................................................. Sigles et abréviations ................................................................................... Lexique des termes techniques .................................................................... PERSPECTIVE CAVALIÈRE DE L’ENSEMBLE DU CANTIQUE
7 21 23 27
CANTIQUE DES CANTIQUES QUI EST DE SALOMON Le titre du livre : 1,1 .....................................
29
I. PRÉLUDE La première section : 1,2–2,17 .............................
31
1. Elle cherche son bien-aimé Séquence A1 : 1,2-14 ............................................................................... A. Dans les chambres du roi la senteur de ses parfums m’enivre (1,2-4) B. Je suis charmante comme les tentures de Salomon (1,5-6) .........·..... C. Où feras-tu paitre ? Près de la demeure des pasteurs (1,7-8) ............. D. Tu es comme ma cavale parmi les chars de Pharaon (1,9-11) ........... E. Dans l’enclos du Roi, la senteur de mon nard l’enivre (1,12-14) ....... F. Elle cherche son bien-aimé (1,1-14) ...................................................
33 33 37 39 42 44 46
2. Petit duo d’amour Séquence A2 : 1,15–2,3b .........................................................................
49
3. Il répond à sa compagne Séquence A3 : 2,3c-17 ............................................................................. A. Il me fait goûter le fruit de sa vigne (2,3c-7) ..................................... B. Mon bien-aimé vient, il se tient derrière notre mur (2,8-9) ............... C. La réponse du bien-aimé (2,10-14) .................................................... D. Attrapez les renards ravageurs de vignes (2,15) ................................ E. Mon bien-aimé revient, il est à moi et moi à lui (2,16-17) ................ F. Il répond à sa compagne (2,3c-17) ....................................................
53 54 56 58 60 62 64
4. L’ensemble de la section A : 1,2–2,17 .....................................................
69
236
Le Cantique des cantiques II. LE GRAND DIALOGUE AMOUREUX La deuxième section : 3,1–7,11 ...........................
75
LA PREMIÈRE SOUS-SECTION 1. Elle saisit l’amour de son âme qui monte du désert Séquence B1 : 3,1-11 ............................................................................... A. La bien-aimée fait entrer son amour dans la chambre de sa mère (3,1-4) B. Filles de Jérusalem, ne réveillez pas mon amour (3,5) ...................... C. « Qu’est cela qui monte du désert ? » (3,6) ....................................... D. Le roi Salomon vient avec ses preux dans son palanquin (3,7-10) ............ E. Filles de Sion, sortez et voyez le roi Salomon (3,11) ......................... F. Elle saisit l’amour de son âme qui monte du désert (3,1-11) .................
77 77 80 81 83 85 86
2. Tu es belle, ma compagne ; du Liban tu viendras Séquence B2 : 4,1-15 ............................................................................... A. Le temps du désir amoureux (4,1-5) ................................................. B. Le moment de la déclaration (4,6-8) .................................................. C. Le temps de la présence amoureuse (4,9-15) ..................................... D. Tu es belle, ma compagne ; du Liban tu viendras (4,1-15) ...............
89 89 93 96 100
3. La première sous-section (B1–B2) ..........................................................
104
LA DEUXIÈME SOUS-SECTION 4. Le duo de la compagne et de son bien-aimé La séquence B3 : 4,16–5,1 .......................................................................
107
LA TROISIÈME SOUS-SECTION 5. Elle cherche son bien-aimé qui descend dans son jardin ........................ Séquence B4 : Ct 5,2–6,3 A. Mon bien-aimé a disparu (5,2-8) ....................................................... B. Qu’a-t-il de particulier, ton bien-aimé ? (5,9) .................................... C. Tel est mon bien-aimé (5,10-16) ....................................................... D. Où s’en est-il allé, ton bien-aimé ? (6,1) ........................................... E. J’ai retrouvé mon bien-aimé (6,2-3) ................................................... F. Elle cherche son bien-aimé qui descend dans son jardin (5,2–6,3) ...
111 111 115 116 120 121 122
6. Tu es belle, ma compagne ; au jardin je suis descendu La séquence B5 : 6,4–7,11 ....................................................................... I. La première sous-séquence (6,4-9) ........................................................ A. Tu es belle, ma compagne (6,4) ......................................................... B. Tes yeux, tes cheveux, tes dents... (6,5-7) .........................................
127 128 128 129
Table des matières
237
C. Unique est ma colombe (6,8-9) ......................................................... D. L’ensemble de la sous-séquence (6,4-9) ...........................................
130 132
II. La deuxième sous-séquence (6,10) Qui est celle-ci qui parait comme l’aurore ? (6,10) ...............................
132
III. La troisième sous-séquence (6,11–7,11) ............................................. A. Reviens, reviens, la Sulamite (6,11–7,1) ........................................... B. Tes pieds, tes flancs, ton nombril... (7,2-10a) .................................... C. Moi, je suis à mon bien-aimé (7,10b-11) .......................................... D. L’ensemble de la sous-séquence (6,11–7,11) ....................................
134 134 137 141 143
IV. Tu es belle, ma compagne ; au jardin je suis descendu (6,4–7,11) .....
144
7. La troisième sous-section (B4–B5) ..........................................................
150
8. L’ensemble de la deuxième section (3,1–7,11) .......................................
153
III. POSTLUDE La troisième section : 7,12–8,14 ..........................
165
1. Le désir d’union Séquence C1 : 7,12–8,2 ........................................................................... A. À mon bien-aimé je donnerai mes fruits (7,12-14) ........................... C. À mon frère je ferai boire mes liqueurs (8,1-2) ................................. D. Désir d’union (7,12–8,2) ...................................................................
167 167 170 173
2. Appuyée sur son bien-aimé Séquence C2 : 8,3-7 ................................................................................. A. Ne réveillez pas l’amour (8,3-4) ........................................................ B. Qui est celle-ci ? (8,5ab) .................................................................... C. J’ai réveillé l’amour (8,5c-7) ............................................................. D. Appuyée sur son bien-aimé (8,3-7) ....................................................
175 175 176 177 181
3. Le désir de liberté Séquence C3 : 8,8-14 .............................................................................. A. Elle se libère de ses frères (8,8-10) ................................................... B. Elle libère son bien-aimé (8,11-14) ................................................... C. Le désir de liberté (8,8-14) ................................................................
185 185 187 190
4. L’ensemble de la section C (7,11–8,14) ..................................................
193
IV. Le Cantique des cantiques. L’ensemble du livre .........
199
Conclusion .................................................................................................. Bibliographie ............................................................................................... Index des auteurs cités ................................................................................. Index des références bibliques .....................................................................
219 223 229 231
RHÉTORIQUE BIBLIQUE Collection dirigée par Roland Meynet et Pietro Bovati 1.
ROLAND MEYNET, L’Évangile selon saint Luc. Analyse rhétorique, Éd. du Cerf, Paris 1988.
2.
PIETRO BOVATI – ROLAND MEYNET, Le Livre du prophète Amos, Éd. du Cerf, Paris 1994.
3.
ROLAND MEYNET, Jésus passe. Testament, jugement, exécution et résurrection du Seigneur Jésus dans les évangiles synoptiques, PUG Editrice – Éd. du Cerf, Rome – Paris 1999.
RHÉTORIQUE SÉMITIQUE Collection dirigée par Roland Meynet avec Jacek Oniszczuk 1.
ROLAND MEYNET, L’Évangile de Luc, Lethielleux, Paris 2005.
2.
TOMASZ KOT, La Lettre de Jacques. La foi, chemin de la vie, Lethielleux, Paris 2006.
3.
MICHEL CUYPERS, Le Festin. Une lecture de la sourate al-Mâ’ida, Lethielleux, Paris 2007.
4.
ROLAND MEYNET, Traité de rhétorique biblique, Lethielleux, Paris 2007.
5.
ROLAND MEYNET, Appelés à la liberté, Lethielleux, Paris 2008.
6.
ROLAND MEYNET, Une nouvelle introduction aux évangiles synoptiques, Lethielleux, Paris 2009.
7.
ALBERT VANHOYE, L’Épître aux Hébreux. « Un prêtre différent », Gabalda, Pendé 2010.
8.
ROLAND MEYNET, L’Évangile de Luc, Gabalda, Pendé 20113.
9.
MICHEL CUYPERS, La Composition du Coran, Gabalda, Pendé 2012.
10. ROLAND MEYNET, La Lettre aux Galates, Gabalda, Pendé 2012. 11. ROLAND MEYNET, Traité de rhétorique biblique, Gabalda, Pendé 20132. 12. ROLAND MEYNET – J. ONISZCZUK, Exercices d’analyse rhétorique, Gabalda, Pendé 2013. 13. JACEK ONISZCZUK, La première lettre de Jean, Gabalda, Pendé 2013. 14. ROLAND MEYNET, La Pâque du Seigneur. Passion et résurrection de Jésus dans les évangiles synoptiques, Gabalda, Pendé 2013. 15. MICHEL CUYPERS, Apocalypse coranique. Lecture des trente-trois sourates du Coran, Gabalda, Pendé 2014. 16. ROLAND MEYNET, L’Évangile de Marc, Gabalda, Pendé 2014.
RETORICA BIBLICA collana diretta da Roland Meynet, Pietro Bovati e Jacek Oniszczuk
EDIZIONI DEHONIANE ROMA 1.
ROLAND MEYNET, Il vangelo secondo Luca. Analisi retorica, ED, Roma 1994.
2.
PIETRO BOVATI – ROLAND MEYNET, Il libro del profeta Amos, ED, Roma 1995.
3.
ROLAND MEYNET, «E ora, scrivete per voi questo cantico». Introduzione pratica all’analisi retorica. 1. Detti e proverbi, ED, Roma 1996.
EDIZIONI DEHONIANE BOLOGNA 4.
ROLAND MEYNET, Una nuova introduzione ai vangeli sinottici, EDB, Bologna 2001.
5.
ROLAND MEYNET, La Pasqua del Signore. Testamento, processo, esecuzione e risurrezione di Gesù nei vangeli sinottici, EDB, Bologna 2002.
6.
TOMASZ KOT, La fede, via della vita. Composizione e interpretazione della Lettera di Giacomo, EDB, Bologna 2003.
7.
ROLAND MEYNET, Il vangelo secondo Luca. Analisi retorica, seconda edizione, EDB, Bologna 2003.
8.
GIORGIO PAXIMADI, E io dimorerò in mezzo a loro. Composizione e interpretazione di Es 25–31, EDB, Bologna 2004.
9.
ROLAND MEYNET, Una nuova introduzione ai Vangeli Sinottici, seconda edizione rivista e ampliata, EDB, Bologna 2006.
10. ROLAND MEYNET, Trattato di retorica biblica, EDB, Bologna 2008. 11. JACEK ONISZCZUK, La Prima Lettera di Giovanni, EDB, Bologna 2008. 12. ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, ed., Retorica biblica e Semitica 1. Atti del primo convegno RBS, EDB, Bologna 2009. 13. ROLAND MEYNET, Chiamati alla libertà, EDB, Bologna 2010. 14. ALBERT VANHOYE, L’epistola agli Ebrei. «Un sacerdote differente», EDB, Bologna 2010. 15. JACEK ONISZCZUK, La passione del Signore secondo Giovanni (Gv 18–19), EDB, Bologna 2011. 16. ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, ed., Retorica biblica e Semitica 2. Atti del secondo convegno RBS, EDB, Bologna 2011. 17. ROLAND MEYNET, La lettera ai Galati, EDB, Bologna 2012. 18. GERMANO LORI, Il Discorso della Montagna, dono del Padre (Mt 5,1–8,1), EDB, Bologna 2013.
RETORICA BIBLICA E SEMITICA Collection dirigée par Roland Meynet et Jacek Oniszczuk 1.
JACEK ONISZCZUK, Incontri con il Risorto in Giovanni (Gv 20–21), G&B Press, Roma 2013.
2.
ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, Esercizi di analisi retorica, G&B Press, Roma 2013.
3.
ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, ed., Studi del terzo convegno RBS. International Studies on Biblical and Semitic Rhetoric, G&B Press, Roma 2013.
4.
ROLAND MEYNET, Luke: the Gospel of the Children of Israel, G&B Press, Roma 2015.
5.
ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, ed., Studi del quarto convegno RBS. International Studies on Biblical and Semitic Rhetoric, G&B Press, Roma 2015.
6.
ROLAND MEYNET, Les huit psaumes acrostiches alphabétiques, G&B Press, Roma 2015.
7.
ROLAND MEYNET, Le fait synoptique reconsidéré, G&B Press, Roma 2015.
8.
ROLAND MEYNET, Il vangelo di Marco, G&B Press, Roma 2016.
RHETORICA BIBLICA ET SEMITICA Collection dirigée par Roland Meynet, Jacek Oniszczuk, puis Francesco Graziano 9.
ROLAND MEYNET, Les psaumes des montées, Peeters, Leuven 2017.
10. MICHEL CUYPERS, Le Festin. Une lecture de la sourate al-Mâ’ida, deuxième édition, Peeters, Leuven 2017. 11. ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, ed., Studi del quinto convegno RBS. International Studies on Biblical and Semitic Rhetoric, Peeters, Leuven 2017. 12. ROLAND MEYNET, Le Psautier. Cinquième livre (Ps 107–150), Peeters, Leuven 2017. 13. JACEK ONISZCZUK, Incontri con il Risorto in Giovanni (Gv 20–21), 2° edizione, Peeters, Leuven 2018. 14. ROLAND MEYNET, Il vangelo di Marco, Peeters, Leuven 2018. 15. JACEK ONISZCZUK (†), «Se il chicco di grano caduto in terra non muore...» (Gv 11–12), Peeters, Leuven 2018. 16. ROLAND MEYNET, Le Psautier. Premier livre (Ps 1–41), Peeters, Leuven 2018. 17. MASSIMO GRILLI – † JACEK ONISZCZUK – ANDRÉ WÉNIN, ed., Filiation, entre Bible et cultures. Hommage à Roland Meynet, Peeters, Leuven 2019. 18. FRANCESCO GRAZIANO – ROLAND MEYNET, ed., Studi del sesto convegno RBS. International Studies on Biblical and Semitic Rhetoric, Peeters, Leuven 2019. 19. ROLAND MEYNET, Le Psautier. Troisième livre (Ps 73–89), Peeters, Leuven 2019. 20. ROLAND MEYNET, Le Psautier. Deuxième livre (Ps 42/43–72), Peeters, Leuven 2019.
21. PIETRO BOVATI – ROLAND MEYNET, Il libro del profeta Amos. Seconda edizione rivista, Peeters, Leuven 2019. 22. FRANCESCO GRAZIANO, La composizione letteraria del Vangelo di Matteo, Peeters, Leuven 2020. 23. ROLAND MEYNET, Le Psautier. Quatrième livre (Ps 90–106), Peeters, Leuven 2020. 24. ROLAND MEYNET, Le Psautier. L’ensemble du Livre des Louanges, Peeters, Leuven 2020. 25. ROLAND MEYNET, Le Cantique des cantiques, Peeters, Leuven 2020.