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French Pages 126 [116] Year 2022
À travers cet ouvrage, l’auteur fait le diagnostic du secteur sur la base de ses observations et expériences personnelles. Il analyse aussi, quelques rapports d’institutions et d’organisations non gouvernementales sur le travail des médias guinéens. C’est ainsi, le début d’une réflexion profonde sur le sujet, en espérant qu’il comptera les années à venir, dans la lutte pour l’édification d’une presse au service de son public. Né à Gueckédou au sud de la Guinée, Jacques Lewa LENO est rédacteur en Chef d’Espace TV, une chaîne de télévision du groupe Hadafo Médias, basé à Conakry. Il participe aussi à la formation des étudiants en journalisme à l’Institut Supérieur de l’Information et de la Communication de Kountia dans la préfecture de Coyah. Connu pour sa chronique : « La Plume à Jacques Lewa Leno » diffusée dans les matinales de la radio Espace et de la télévision ainsi que dans la grande édition du soir de la radio (grand direct de l’actualité), animateur d’émissions et chroniqueur des « Grandes Gueules », Jacques met souvent le citoyen rural au cœur de ses interventions.
Jacques Lewa Leno
Les médias se créent et s’installent dans tout le pays. Ce qui offre plusieurs choix au public. Il reste néanmoins entendu que des défis se posent en termes de formation et de contenus éditoriaux. L’indépendance du journaliste qui a du mal à s’obtenir, reste au cœur des préoccupations. La raison n’est plus seulement d’ordre politique. Les problèmes économiques que connaissent les promoteurs de médias et qui ont pour conséquence les bas salaires, n’aident pas les journalistes à travailler en toute liberté.
Etudes africaines
Série Communication
Jacques Lewa Leno
L’audiovisuel en Guinée
Ce premier essai est une analyse sur la pratique du métier de journaliste en République de Guinée. Après la libéralisation des ondes audiovisuelles en 2005, le pays fait l’expérience de la presse libre. Si l’acte du régime de Lansana Conté est salutaire, professionnels et consommateurs de l’information font désormais l’évaluation de ce qui est une révolution médiatique.
L’audiovisuel en Guinée Contenus et défis
Études africaines Série Communication
Préface de Justin Morel junior Illustration de couverture : © mistersunday - 123rf.com
ISBN : 978-2-343-24007-7
14 €
9 782343 240077
L’AUDIOVISUEL EN GUINÉE Contenus et défis
Collection « Études africaines » dirigée par Denis Pryen et son équipe
Forte de plus de mille titres publiés à ce jour, la collection « Études africaines » fait peau neuve. Elle présentera toujours les essais généraux qui ont fait son succès, mais se déclinera désormais également par séries thématiques : droit, économie, politique, sociologie, etc. Dernières parutions
Debeau MUNAYENO MUVOVA et Didier PIDIKA MUKAWA, Covid-19 au Congo-Kinshasa, Représentations sociales et gestion publique au cœur d’une crise sanitaire, 2021. Safiatou DIALLO, Politiques de santé en Guinée, de la colonisation au début du XXIe siècle, 2021. Gaptia LAWAN KATIELLOU, Vieri TARCHIANI et Maurizio TIEPOLO (dir.), Risque et adaptation climatique dans la région de Dosso au Niger, 2021 Julien IRUMU AGOZIA-KARIO, Spiritualité logo au contact de la colonisation, 2021. NIAMKEY-KOFFI, La notion de système philosophique. Spinoza et Nietzsche, 2021. Mylène DANGLADES, Babou DIÈNE et Denis Assane DIOUF (dir.), L’esclavage en mots/maux et en images, 2021. Benjamin KAGINA SENGA, Quelle protection pour les enfants déplacés et refugies non accompagnés en République démocratique du Congo ?, 2021. Christian ROCHE, Les pionniers des indépendances africaines face à leur destin. Colonies françaises d’Afrique noire et territoires de l’océan Indien, 2021
Jacques Lewa Leno
L’AUDIOVISUEL EN GUINÉE Contenus et défis
Préface de Justin Morel junior
/¶+DUPDWWDQ UXHGHO¶eFROH3RO\WHFKQLTXH3DULV KWWSZZZOLEUDLULHKDUPDWWDQFRP ISBN : 978-2-343-24007-7 EAN : 9782343240077
DÉDICACE A Madame LENO Jeanne Marie Tolno, mon épouse, mes chers et aimables enfants, Bernard M’Bemba, Eugène Exupère et Joséphine Sia, pour le grand et indéfectible amour qu’ils ne cessent de me témoigner à chaque instant.
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REMERCIEMENTS Je voudrais adresser mes vifs remerciements : -
à mon ami et frère David Sanou, coordinateur du pôle culturel, innovation, emploi et économie locale au Conseil régional des Hauts-Bassins au Burkina Faso. Un condisciple en classe de master qui a joué le rôle de tuteur durant mon séjour à Bobo -Dioulasso. Il fut le premier à m’encourager à écrire sur ce sujet, après avoir lu mon travail de mémoire sur les contenus éditoriaux (qui me tenait à cœur), pour la validation de mon diplôme.
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à Messieurs Julien Yombouno, consultant sur les questions d’éducation et Ibrahima Sanoh, activiste ; (tous les deux auteurs d’œuvres littéraires) qui ont accepté de relire plusieurs fois cet ouvrage. Leurs remarques et suggestions, m’ont permis de mieux traduire ma pensée.
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A Monsieur Justin Morel Junior, qui m’a orienté sur certains aspects. Il le dit, c’est avec entière satisfaction qu’il a bien voulu préfacer cet ouvrage.
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à mon confrère, ancien collaborateur et ami, Babou Condé, en service à Djoma TV qui a accepté de parodier et traduire la chanson « la Guinée » de Hadja Safi. Sa maîtrise de la langue maninka, m’a été d’une grande utilité.
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PRÉFACE Le livre que vous tenez est la résultante d’une praxis assumée, l’aventure d’une immersion voulue, mais surtout, l’histoire d’un vécu cru, qui aura merveilleusement muri son auteur. C’est le récit sincère d’expériences professionnelles aux facettes multiples, qui ont forgé le caractère lucide d’un jeune volontaire, confronté aux dures réalités d’un métier qui est passion, interrogation et contestation : le journalisme. L’auteur nous raconte ici avec candeur les tribulations du débutant qu’il fut, dans le monde truculent et, quelques fois bêtement méchant, des médias guinéens. Il ne radote point dans cet exercice périlleux entre une discrète autobiographie et la descente consciente au cœur des problématiques de la presse audiovisuelle en guinée, surtout celle privée. Ses anecdotes au vitriol sont autant d’évidences quotidiennes connues. Celles des populations et des patrons dont il a retenu des leçons essentielles, pour continuer son chemin, avec plus de prudence et d’intelligence. Sa balade intellectuelle structurée le conduit presque involontairement dans les méandres de la vie politique nationale et ses éternelles querelles pour le pouvoir ; à la triste réalité des ‘‘journalistes alimentaires’’, qu’il a traversée et qu’il explique avec une innocente franchise : « jeune homme viens-là, je vais te donner 100 mille, ça te va ? De toutes les façons, c’est raisonnable, c’est ce qu’on donne pour ce genre de couvertures ». c’est bien plus tard que j’ai réalisé que c’est ce jour que j’ai reçu mon premier « gombo ». Le gombo ? Vous connaissez certainement. Il y a plus de vingt ans, Vincent de Paul Atangana, ce spécialiste des sciences et techniques de l'information et de la communication du Cameroun expliquait : « il s’agit de ce légume vert qui rend la sauce gluante. Le gombo a pris une autre signification au Cameroun et notamment à l’office de radiodiffusion et 11
télévision camerounaise (CRTV). Dans son nouveau sens, il désigne l’argent que les organisateurs des évènements donnent aux reporters après chaque couverture d’événement. Une tradition inscrite nulle part, mais très respectée. Au point où certains journalistes à qui on ne paye pas cette sorte de " prise en charge " s’en prennent sérieusement au principal organisateur de l’événement, ne traite pas l’information liée à l’événement en question ou la traite par manière d’acquis.» en guinée, quand les journalistes assistent à un point de presse, une inauguration d’ouvrages publics ou à un séminaire de formation, ils se battent pour s’inscrire sur des listes afin de recevoir après l’évènement le « communiqué final ».une espèce de récompense pour services rendus. Situation de précarité, me diriez-vous ? Question de conscience, je vous répondrais… Au fil de la lecture, on a souvent le vague sentiment d’être au confessionnal, tant les actes de contrition abondent et nous envahissent. Exemples. Durant les élections présidentielles passées, il décrit en toute objectivité les attitudes déviantes de certains de ses confrères : « nous ne sommes pas restés dans notre rôle, nous avons décidé de paraître armés, avec nos stylos et micros pour les deux camps. Ce fut un mal. C’est encore malheureusement le cas, à bien des égards ». La liberté d’expression n’est pas un cadeau, elle est un droit que les hommes et les institutions doivent exercer avec lucidité, courage et constance. Avec la troisième révolution de la médiasphère, après la logosphère (l'écriture), la graphosphère (l’imprimé) et la vidéosphère (communication audiovisuelle et mass médias) que nous vivons dans son immense diversité technique et l’insaisissable personnalité des journalistes « éloquents, bavards, belliqueux, insolents, pondérés, modérés ou pertinents… »… et j’en passe, et pas des moindres ; nous constatons que lorsque la politique et la question ethnique envahissent les salles de rédaction, elles affolent les médias, elles deviennent souvent des sources de corruption, de diversions et d’incompréhensions coupables. Pour preuve : « un journaliste qui était très sûr de la victoire de l’un des candidats, avait juré d’abandonner ce métier si le contraire se produisait. Deux journalistes de notre rédaction 12
se sont insultés, ont failli en venir aux mains… ». Seul un sursaut professionnel et patriotique alors peut sauver la maison qui brûle…la manipulation des médias par les puissances de l’argent ou de la politique, ne saurait cependant tout expliquer, le mouvement recto-verso du binôme corrompu/corrupteur devrait nous interpeller et nous ramener à plus d’esprit critique. Le mérite de Jacques Léwa Léno dans ce travail, c’est d’avoir opéré une introspection salvatrice, offrant quelques pistes de solutions aux maux des médias de notre pays : une invite à la remise en question relative à toutes les pratiques dégradantes, la formation technique pour mieux servir, le patriotisme citoyen pour contribuer à une exhumation consciente de toutes les valeurs du riche patrimoine historique et culturel guinéen, enfin, l’inspiration et la passion pour produire l’excellence. Finalement, cet essai est un vibrant plaidoyer pour une presse indépendante, bien formée, responsable, professionnellement inspirée et productive. Quelles perspectives ? Aller à l’information avec le bon réflexe de la confrontation analytique, du sens de la vérification avec les outils techniques indispensables. La quête de la vérité n’est jamais une sinécure, elle est pareille à l’horizon qui fuit toujours l’étoile du berger. Pour s’adapter à notre siècle, l’imagination doit prendre le pouvoir dans les médias publics et privés. Les innovations technologiques doivent faire leur entrée et, la maitrise s’installer grâce à une politique stratégique de formation bien planifiée, issue d’une large vision de la situation et d’une volonté d’anticipation sur les besoins et les moyens ; en vue de mieux exprimer notre identité dans le grand concert des nations qui comptent. Celles qui produisent, transforment et consomment ‘local’ avant tout, pour mieux contribuer à l’universel. Sans complexe. Vu et su. Ici et ailleurs. En toute liberté. Justin Morel junior Journaliste-écrivain Ancien ministre de l’Information, de la Culture et des TIC 13
INTRODUCTION La République de Guinée compte une soixantaine de médias audiovisuels, dont 11 chaînes de télévisions fonctionnelles. L’époque où l’Etat détenait le monopole sur l’information est révolue depuis la libéralisation des ondes en 2005 par le gouvernement du Général Lansana CONTÉ1. Les deux radios et deux télévisions d’Etat ont vu arriver de nouveaux médias impulsés par des promoteurs privés. De 2006 à 2010, les premiers demandeurs ont obtenu des licences d’exploitation pour des radios privées commerciales et communautaires. La majorité des stations se trouvent à Conakry et une dizaine maintenant opèrent dans les chefs-lieux de régions administratives. Le pays a fait du chemin. Dans les années 1990, le régime militaire qui venait de libéraliser théoriquement le débat politique, avait aussi autorisé la création d’entreprises de presse. La presse écrite sera la première à se « démocratiser ». Ce qui, du coup, a permis d’entendre des voix dissonantes dans les informations qui étaient proposées aux différents lecteurs, auditeurs et téléspectateurs. Il faut remarquer que les premiers à faire le pas dans ce métier, dont certains formés dans les pays voisins, avaient la hargne de dénoncer l’arbitraire. Ils pourfendaient avec de modiques moyens toutes les dérives des autorités militaires qui géraient le pays. Au moins deux décennies durant, le travail des journalistes guinéens était plutôt axé sur la politique. Au même moment, les médias d’Etat ont continué à célébrer en images les actions d’un pouvoir marqué par la corruption. En 2009, nous avions juste trois années derrière nous, lorsque des Guinéens ont commencé à installer des stations de radios à Conakry. Premier effet de la libéralisation des ondes en 2005 : la naissance de nouvelles entreprises de presse. Des entreprises qui vont pour la première fois être gérées et animées par des privés. 1
Président guinéen (1984-2008).
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Certains promoteurs sont journalistes professionnels (très peu) et d’autres (en grand nombre) non. Et tous recrutent parmi les diplômés des universités guinéennes et même certains étudiants diplômitifs. Certains employés sortent des centres de formation en journalisme, d’autres des filières diverses, mais ayant en commun la passion du métier, avec plus cette fois, l’audace et la curiosité. Le transistor que j’avais, me permettait déjà d’écouter certaines d’entre elles. Et celle qui m’a le plus intéressé, m’a d’abord attiré par des voix puissantes et impressionnantes au slogan : « Familia, Familia. Familia, Familia. Familiaaa FM… » Et c’était repris en boucle pour mieux le retentir dans les foyers. Des programmes bien ciblés en langue nationale : kpèlè, kissi, sousou, maninka, poular, durant plusieurs années. Les appels des auditeurs, les explications des termes juridiques, les émissions sur les faits de société…jusqu’à minuit, le poste de radio d’un boutiquier du quartier ne s’éteignait point. Familia FM est présente un peu partout, apprenant beaucoup des réalités de l’ensemble des Guinéens qui dansent, chantent et pleurent. Ces Guinéens s’expriment librement, puisque des quatre années plutôt, la téléphonie mobile avait fait son entrée dans le pays. Certains ont pu s’acheter des téléphones portables avec des cartes SIM des quatre principaux opérateurs agréés par l’Etat. Il était donc devenu facile pour communiquer avec les correspondants dans la confidentialité, mais aussi avec tout le monde grâce à la radio. Cette possibilité de parler à tout le monde quand on veut. Cette facilité qu’on a, lorsqu’on veut adresser des messages au président de la République et aux membres du gouvernement. C’est bien cette possibilité et cette facilité qui expliquent les progrès réalisés en si peu de temps par les médias. Ou peut-être -puisqu’il faut relativiser- le progrès que nous sommes en train de vivre, bien qu’il ait été rendu possible par l’ingéniosité et la bravoure de certaines nations, celles parmi les 254 sur la planète terre, à se distinguer dans les domaines scientifiques et technologiques. Ces avancées technologiques apparaissent comme des ‘boosters’ de notre démocratie en construction. Le citoyen ne se contente plus tout simplement de subir, il agit, propose et souvent exige qu’il se fasse entendre par les décideurs.
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Quoi que les médias audiovisuels d’Etat aient longtemps essuyé les critiques d’une certaine opinion nationale pour leur travail centré sur les activités du pouvoir en place, ils ont continué à avoir de l’influence sur leurs confrères privés. C’était une question d’habitude d’abord, ensuite de formation. Les enseignants des écoles de journalisme au début de la libéralisation des ondes, étaient en majorité journalistes en activité à la Radio Télévision Guinéenne. Donc des références critiquées, mais souvent admirées. Cependant, le véritable problème qui va se poser, résidera fondamentalement dans la gestion de ces nouvelles entreprises concurrentes. L’environnement économique n’aide pas assez les promoteurs à prendre en charge les personnels. Les annonceurs sont rares, et sont confrontés eux-mêmes à un déficit criant d’électricité dans la capitale. Les nouveaux patrons peinent et leurs employés souffrent. Dans leur volonté d’exister à tout prix, ils se débrouillent comme ils peuvent pour survivre. C’est dans cet univers complexe et aléatoire que j’ai fait officiellement mon entrée en 2009 avec certains amis, tous motivés par ce métier pour servir notre Guinée qui nous est si chère. Et nous continuons de croire que nous posons des actes qui contribuent à la construction de notre pays. Parce que nous croyons à la démocratie, nous essayons de résister à l’adversité de la pauvreté qui pousse à la dépendance. Le journaliste guinéen n’a pas toute sa liberté. Il lui manque les conditions nécessaires pour exercer, sans attendre en retour un quelconque intérêt vénal ou moral, sinon la quête de l’objectivité, le bonheur de servir la justice et la vérité. Avec l’avènement des radios et télévisions privées, désormais toutes les opinions sont prises en compte dans des programmes d’information proposés aux Guinéens. L’espoir est permis, pourrait-on dire. La télévision numérique terrestre (TNT) pourra apporter des changements majeurs dans le monde de la télévision en Afrique, car elle pourrait aider à démocratiser l’accès aux programmes, en élargissant le champ de couverture pour les chaînes dont les promoteurs n’ont suffisamment pas de moyens. Les résultats de ce projet que cherche à réaliser les Etats africains, se feront aussi 17
sentir en Guinée où la télévision n’est pas encore accessible pour tous. Les zones très éloignées des centres urbains pourraient être couvertes. Il y a cependant un travail à faire de la part des promoteurs de télévisions pour offrir des programmes intéressants, à même de prendre en compte les préoccupations de toutes les couches des populations avec des productions culturelles locales, concoctées par des acteurs de plus en plus professionnels. C’est pourquoi, pour satisfaire un public de plus en plus exigeant, à la recherche constante d’informations factuelles et vérifiées, les journalistes devront continuer à se former. L’emploi n’est pas une fin en soi.
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CHAPITRE I MA REDACTION DE MISERE 1. UN STAGE EN TEMPS DE CRISE Un matin d'un lundi pluvieux. Nous sommes six jeunes fraichement sortis des écoles de Conakry, Coyah, Kindia et Kankan. Quatre jeunes garçons circoncis et deux demoiselles. L’une est particulièrement belle et offre un beau sourire quand elle est ravie. La première rencontre a lieu à la devanture d’un vestibule, juste au troisième étage d’un immeuble aux carreaux scintillants et tachés de noirs. Dans la cour exiguë en bas, le vigile nous interroge sur notre présence. Taille moyenne, teint et habits noirs, il est de quelle société déjà ? J'ignore. Et le ton qu’il utilise pour nous parler, avant même que nous ouvrions nos petites bouches pleines de lait pour le saluer, est grave. Qui êtes-vous ? Et que faites-vous là ? En cœur, nous répondons : « Nous sommes les nouveaux stagiaires ». Oh, on m'a parlé de vous », réagit-t-il en nous serrant la main un à un. « Allez-montez… » Comme indiqué, nous avions emprunté les escaliers. Dans ma tête, je compte. J'imagine que mes condisciples aussi faisaient de même : premier, deuxième et troisième étage. Nous y voilà. En face de nous une grosse dame, belle comme toute Guinéenne qu'un homme peut désirer. Sur son visage, des lunettes claires. Aux points de jonctions des deux charnières avec des verres, une corde noire qui entoure le cou et tombe sur les épaules grassouillettes. Son travail habituel consiste à recevoir les 19
communiqués, discuter de la possibilité d'engager une production de spots, recevoir les visiteurs avant de les orienter en fonction de leurs destinations. Avec un air serein et une voix exquise, elle répond à notre salutation plurielle. -
Que puis-je faire pour vous ?
Nous avons rendez-vous avec Monsieur le Directeur de l'information, avons-nous répondu. Ce n’est pas sûr qu’il puisse vous recevoir, mais ditesmoi déjà à quel sujet ? Insiste la dame. « Nous avons postulé pour le stage ici, nous avons donc été appelés », répondit le plus gros d’entre nous. Je dois dire qu’il vient des massifs, mais il a fait ses études post baccalauréat unique à Kankan dans la ville chaleur. L’université, l’une des plus grandes du pays, porte le nom d’un ancien chef noir, cultivateur et producteur de café. C’était le rêve du Cheick Ahmed2, l’arabe noir qui a cru aux paroles du prophète Mahomet, paix et salut sur lui ! C’est par lui que l’air et l’eau devraient jaillir pour inonder des territoires bénis et appauvris. Au lendemain de son 58, cher comme le prix du diamant, il s’est enfermé dans sa chambre et s’est mis à parler de son rêve. Le rêve le voici : « Un jour il devrait mourir, les gens bien seront mécontents de savoir que lui qui paraissait bien, était mauvais et à titre posthume, les gens bien devenus mauvais, lui ont décerné le titre d’ange- démon ». C’est un titre particulier qu’on attribue à ceux qui gèrent le présent comme le passé. Cette école des jeunes adultes est devenue à tout hasard, le centre des manguiers et des mangues. Loin des parents et quand les ignames disparaissent du marché de la cité Nabaya3, les mangues ne pourrissent pas. Les apprenants adultes, certains mariés ou pas, sont aussi pères et mères d’enfants. A 14 heures, le moment pile de la grande faim, ils en mangent crues et parfois cuites. Les mangues sont douces et font dormir et grossir. Voilà pourquoi notre condisciple était plus gros que nous. Je le crois en tous les cas. 2
-Allusion à Ahmed Sékou Touré, premier Président guinéen (19581984) 3 -L’autre appellation de Kankan, qui signifie terre d’accueil.
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- D’accord. Vous réceptionniste.
allez
bien ?
Nous
demande
enfin
la
-‘’Oui, ça va’’, enchaine notre collègue. Bien ! Installez-vous sur ce banc. C’est ainsi que la dame nous invite à nous asseoir, en attendant qu’un responsable haut placé vienne nous accueillir. Nous nous sommes assis sur le seul banc placé devant la porte d’entrée du local de la station de la radio. Un banc dur, fait par un menuisier bien solide de Koloma4. Je ne crois pas le connaître suffisamment. Physiquement oui. Puisqu’à chaque fois je devrais descendre l’espace de vente des condiments et fruits, je l’apercevais. Mon regard me trompe rarement. L’homme est musclé et exerce tous les jours une pression sur les lambourdes achetées au sud du pays, de ceux qui comme anémiés, vivent entourés de richesses naturelles immenses. Fort comme un habitué à la pénibilité. Souvent un homme de son acabit transpire lorsqu’il rabote ou scie une simple planche. Il a donc appris à façonner des meubles bien plus résistants que lui-même. On le dit bien : « Si un banc n’est pas dur, comment pourrait-il supporter les fesses de lourds » ; c’est un proverbe volé. Le banc fait en bois rouge (le bubinga, le zebrano ou le pôpô certainement). Personne ne sait, même notre gros garçon des massifs. Détrompez-vous. Le bois avait fini par noircir sous le poids des fesses de lourds qui y passaient des minutes, voire des heures en attendant qu’un administrateur de la radio veuille bien les recevoir. De là nous voyons la dame réduire le volume du poste radio qui jusqu’ici faisait entendre les jingles de fierté : « Familia, Familia, Famila FM, la radio de la Famille. Nous sommes les meilleurs. On est au top. La musique au bon rythme… ». Un petit silence. Elle vise le combiné du téléphone et soulève le hautparleur relié au clavier par un fil noir. Le téléphone de forme trapézoïdale est enveloppé dans un papier léger sur lequel sont marqués les nom et fréquence de la radio de la communauté. D’une voix calme, elle expectore : « S’il vous plait », avant de verser dans un petit sceau plastique qui se trouvait juste à mon côté droit. C’était son crachoir, une poubelle de circonstance 4
-Un des quartiers de la commune de Ratoma à Conakry
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aussi. « Merci », dit-elle sans qu’on ne donne une réponse finalement. En avait-elle besoin ? Peut-être. Et elle prononça enfin la litanie habituelle : « Allô ! Ça va ? Comment vas-tu ? Et les enfants ? Ton mari ? Eh, la dernière fois je l’ai aperçu dans la circulation, mais ne crains pas il était seul devant. Il était dans un taxi juste derrière. Oooh. Ils étaient quatre, mais rien que des hommes. Tu sais bien que je ne peux pas te mentir. Non, en fait, il y ‘avait une femme devant côté escroc. Bon, elle n’est pas assez belle. Pas comme toi en tous les cas. C’est une question de destination aussi. Il t’avait dit au revoir au moins ? Ahann ! Tiens le bien. C’est un homme bon. Oui ! bien dormi. Je prie oh. Je ne fais que prier même, pour moi, va venir. Je t’assure, je ne supporte plus mon statut. Avec ma forme là. Et puis les garçons de maintenant ont très peur. Sinon je ne suis pas âgée. Eh. Non, il y a un jeune-là qui rôde autour de moi actuellement. Mais bon, je l’observe. Tu sais, l’autre là, nous avons été loin, ma mère le connaissait même. A la dernière minute, le salaud m’a larguée pour une pute. Et puis la fille là, je me demande ce qu’elle a de particulier, au point d’embobiner mon ex comme ça. Ce n’est pas possible. Oui ! Je l’ai appris aussi, qu’elle fréquente les marabouts. Nous nous sommes les enfants de Dieu, nous allons faire comment ? Je sais que ma prière sera exaucée un jour. J’attends… » En réalité c’est nous qui attendons. Elle parle certainement avec le Directeur de l’information qui voudra bien nous accueillir. Oh non. Je me suis trompé cette fois. Même ma belle copine, bien habillée qui était assise juste entre notre ami le gros des massifs et moi était étonnée. Son téléphone vibrait au rythme de son sourire gai. Elle appuie aussi vite sur son bouton avec la pression nécessaire pour réussir ce genre d’opération. Son téléphone portable est d’une marque finlandaise parce que la marque américaine en vogue en ce moment avait été rebaptisée dans notre pays. Son homonyme deux quartiers chauds : Bambéto et Coza5. Les filles belles comme ma condisciple la détestent pour la forme de sa tête semblable à un têtard. La forme finlandaise ! C’est bien. 5
-Deux quartiers chauds de la ville de Conakry, tous dans la commune de Ratoma
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Je l’aime aussi très honnêtement. Mais je n’ai pas son prix. Il coûte entre deux cents cinquante mille et trois cents mille francs guinéens. C’est le prix en gros. Si on veut l’acheter dans les bas quartiers, il peut coûter trois cents cinquante mille francs guinéens. Tout dépend de la distance parcourue par le commerçant de son lieu d’achat situé à trente-six kilomètres des territoires continentaux. Et lorsque la « marque finlandaise » sonne, elle laisse entendre de belles mélodies. Je ne sais pas pourquoi cette nouvelle stagiaire comme moi, ne laisse pas sonner son téléphone. Peu importe. Elle a le signal, elle peut parler. Sa voix est aussi belle que son visage. Un peu douce, mais je ne l’ai pas goûtée. « Allo bébé. T’as bien dodo. Dieu merci. Je viens d’arriver à la radio là, je commence mon stage aujourd’hui. Le directeur va nous recevoir bientôt. Je suis tellement contente. J’attendais ce moment. Bon je te laisse. A ce soir. Ne me fatigue pas comme hier dhé. Et puis chéri, n’oublie pas de m’apporter du lait, des œufs, de la sardine et du jus. Quand nous finirons de manger le poisson braisé, je vais prendre ça comme dessert. Il faut manger équilibré, lol. Ciao ». Elle n’a pas raison en réalité. La dame ne parlait pas avec quelqu’un qui était proche de nous. Le téléphone est fait pour ça. Nous n’avons que peu de choix : entendre parler la personne qui est présente. Celle qui est au bout du fil de l’autre côté n’est pas vue. Autrement nous n’aurions pas imaginé un seul instant que notre belle stagiaire échangeait avec un bébé capable de marcher et de s’offrir les moyens lui permettant d’acheter un dessert si particulier, sans fruit pour une demoiselle de vingt ans. L’attente se poursuit. Chacun médite sans se faire remarquer. Notre ami de la brousse de la zone sud-est de ce béni vilain pays était bien habillé ce matin-là. Il a bataillé avec le dernier pécule de l’université pour se trouver un complet veste. Cousu à l’européenne, il a préféré la couleur de la savane, celle qui tire au désert de Mansaning. Mansaning est juste proche du pays de l’instituteur Modibo, dont la patrie du Soudan français a appelé à mener le combat de la liberté. A Mansaning, les gens ne sont pas si mauvais, ils sont justes choqués de constater que ceux qui 23
décident pour eux, ne soient pas au fait de leurs réalités. Lorsque la colère s’installe au beau milieu de leurs crânes, ils prennent des armes. Tirent et tuent, animaux et humains. Ils versent le sang en signe de sacrifice pour les anciens. Le sang a rencontré les anciens, morts dans la gloire du puissant guerrier du Mandé. Et lorsqu’ils ont appliqué la seule goutte absorbée par les herbes, ils ont changé de couleur. La terre qui les abrite aussi. Le tout, sous l’effet de la chaleur qui a fait jaillir la sueur chaude. La couleur du paysage est donc le résumé du sang et de la sueur versés. Mansaning est connu pour ses richesses en or que chante Fatoumata Kamissoko6. Nwatô Nfabara Saning te ban na Nbakélémalou te Kassila Hala la kitisaniman Bèidianakolérô Oh Mansaning, SaninDjamana Womi Sitiri Djandjou, mirindjila Habadan, djelygbomangnè Djely le kèlè dénkè lamabougna ta di A lélé, a kèdadi, a do ditchadi Mansaning, ikadingnè wo saning kadi Fousséni yé gnamèn I tôrôfè gnénu mou sénma mounna I tôrôfè, ndi hakilisôrô Ngné Hakili sôrôna Ki djamoun Français Je m’en vais chez mon père Où l’or ne finit jamais Mes frères ne pleurent guère 6
-Chanteuse guinéenne de la musique mandingue
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La volonté de Dieu est claire Chacun vit son bonheur Oh Mansaning, pays de l’or Comme Sitiri Djandjou, tu attires bien fort Jamais je ne déteste le sang Le sang fait du guerrier l’homme respectable Il l’est, il l’a été il le sera. Mansaning, je t’adore comme Fousséni aime l’or Près de toi, je masse les pieds du vieux forgeron Si près de toi, je m’inspire Tu m’inspires à te chanter et te louer Cette chanson, je l’aime bien, tout comme la veste de mon ami du sud. Un peu avant 7 heures 30 minutes, une femme qui arpentait difficilement les escaliers, est parvenue elle aussi à la porte d’entrée. Elle nous salue très bien ; « WoKènna » en langue nationale sousou « bonjour », a-t-elle dit. Ceux qui comprennent la langue ont répondu avec déférence et c’était parfait. ‘’N’na’’, comme nous tous devrions l’appeler a un problème. Sa petite fille est sortie de la maison depuis la veille, elle ne connaît pas très bien la ville. D’ailleurs la petite n’a que six petites années. Difficile de se retrouver dans la circulation que Babacar Sarr7 a bien révolutionnée quelques années plus tard. Elle ne sait pas quoi faire. C’est pourquoi elle vient demander les services de la radio. La réceptionniste l’accueille avec respect, lui pose quelques questions et rédige son avis de recherche. Dans la radio de la communauté, ce genre de communiqué ne coûte pas de francs, mais d’espoir. La communication se fait dans les principales langues nationales parlées dans le pays et dans la capitale. Très rapidement, les animateurs devraient être saisis pour la traduction. Tout se déroule derrière la porte en fer. Nous étrangers de l’autre catégorie, sommes à notre place. 7
-Directeur central de la police routière de Guinée (2011-2015)
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Tous les travailleurs ne sont pas encore arrivés. Quelques-uns nous dépassent à notre espace d’attente. Nous les voyons saluer la réceptionniste, papoter un peu avant de disparaître dans un couloir à droite. C’est probablement le chemin pour aller dans les bureaux. Évidemment, nous finirons par le savoir. De là, nous entendons déjà quelques voix dans les couloirs. Le coordinateur de l’émission de débat matinal indique qu’un ministre viendrait répondre aux questions de l’animateur. Il donne des instructions à la dame réceptionniste pour lui réserver un accueil conséquent. Un invité est d’abord impressionné par l’accueil. Un de nos professeurs nous l’avait dit pendant ses cours. Il est maintenant 8 heures à Galapaye8, tout se met en place pour le démarrage et tout le monde œuvre à la bonne marche du programme phare « Société Débat ». Nous avions une large connaissance de ces instants de dialogue avec les auditeurs. Le rêve s’est forgé davantage. Quand nous prenions le chemin de la transversale 10 sur la nationale poussiéreuse qui mène à Dubréka, nous sommes branchés sur la 93.5, la radio Sogué (Soleil). C’est la station de la parole libre, de la grogne verbale où tous les sujets sont abordés sans tabou. Une tranche matinale qu’on ne peut manquer pour aucun loisir. Jeunes apprenants que nous sommes en avions pris l’habitude. « Société Débat » en ce moment, est encore ragoutante. Ce n’est plus à travers un poste radio acheté à vingt mille francs guinéens que je vais écouter l’enfant de Galapaye, mais à partir d’un autre, placé non loin du studio de production. Je suis même à deux doigts de voir et toucher l’animateur fulgurant l’enfant de Galapaye lui-même, à qui tout apprenant aimerait ressembler. D’un seul coup, le silence se fait dans les locaux. D’un timbre léger nous entendions les voix des animateurs se succéder dans les différentes langues. Ce sont les informations pour nos parents qui ne comprennent pas le français de France. Juste après, nous avons bien l’espoir d’être reçus par un directeur. C’est mal connaître le fonctionnement d’une station de radio non étatique, au soir de la 8
-Un village de Nzérékoré, d’où est originaire Caleb Kolié, ancien directeur de l’information de la radio Familia FM. C’est par ce nom il se faisait appelé à l’antenne.
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libéralisation des ondes audiovisuelles. Le moment est mal pensé. Il est bien vrai que nous avons été invités à prendre contact avec les cadres éditoriaux pour notre premier stage, mais il existe d’autres priorités, à n’en pas douter « prioritaires ». Chacun retient son souffle. Dans quelques minutes l’émission démarre dans de bonnes conditions. Tous les acteurs ont bataillé pour offrir leur meilleur numéro. Nous l’avons écoutée assis sur le même banc noirci. L’émission est terminée. L’invité a abordé plusieurs questions, les consultants sont bien intervenus et les auditeurs ont beaucoup appelé. Le bilan est positif, pour le premier jour de la semaine, tout le monde se dit qu’on a bien commencé. Rigolades dans les couloirs et puis des mots d’au revoir accompagnés de Merci, à l’endroit de l’invité. « Jacquie, dis-moi, les jeunes nouveaux stagiaires sont arrivés ? », lance un monsieur dont tous les nouveaux jeunes apprentis journalistes ignoraient le nom. Tous sauf moi. Sinon l’immeuble, nous la connaissions. Placé au cœur du marché de Koloma du nom du quartier qui l'abrite, il était réputé de faire entendre les cris et pleurs des enfants abandonnés. Nous avons pu le comprendre davantage une année après. Au troisième mois de l’année 2008, alors que je n’avais que 16 mois à Badala9, notre capitale qu’a chantée Sory Kandia, notre professeur de Sociologie des médias, nous demande de faire des études sur les médias et professionnels de la presse. Il était question de présenter dans des documents de cinq à dix pages, ce qu’est l’entreprise ou l’homme de média. Heureusement pour moi, j’ai voulu satisfaire ma curiosité. D’abord en visitant ’’Familia’’, mais surtout en cherchant à connaître mieux de cette radio qui est l’une des meilleures en ces débuts de la presse audiovisuelle privée. Ce monsieur, originaire du sud comme moi, a bien voulu me recevoir. Nous l’appelions Chef David. Son handicap est sa force. Véritable travailleur. Il parle et écrit couramment l’anglais et le français. Et quand il accepte de me parler de cette radio, c’est parce qu’il était là à ses débuts. C’est 9
-Du maninka, près de la mer.
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donc sans hésitation qu’il me raconte tout et que fidèlement j’ai rédigé ce petit document qu’il a accepté de relire avec intérêt. « Jeune frère, tu écris bien, bon courage », me dit-il après une soirée. Sans doute, c’est lui qui a œuvré pour que ma demande de stage soit acceptée. David nous reçoit. Il est l’assistant du directeur que nous ne verrons pas tout de suite. Août coïncide à la période des vacances, le rédacteur en chef Luther est en congé. Lui non plus ne nous dira pas ses principes. Le secrétaire général de la rédaction est là. Fils de Kaback10, il est grand et gros. Une première prise de contact avec les deux responsables qui nous indiquent ce que nous aurons à faire. Et puis nous avons été présentés aux journalistes, en majorité femmes : Aissata Modibo Traoré, Salématou Bangoura, Mariame Condé, Anne Marie Camara, Marie Thérèse Gbanamou, Sayon Dioubaté, Solange Gopou Sagno, quelques noms qui nous reviennent aisément. Et bien sûr les grands noms : Camara Ibrahima Sory, David Kéita, Kaba Fodé, Mamadi Mansaré, Mamadou Sidibé, Marcel Lamah. Ils sont tous nos aînés et automatiquement nos maîtres de stage. C’est le premier jour, nous avons accès aux chaises, elles sont aussi dures pour supporter « les fesses de lourd » et la connexion internet. A la radio de la famille, les travaux sont intenses. Aucun temps à perdre. Tout se fait avec empressement pour respecter les rendez-vous d’informations qui sont sacrés. A 14h 30 minutes, heure de Temessadou Djigbo, de Kéréma et de Ninguilandé, le journal doit passer. L’ensemble des stagiaires ont été invités à réfléchir à des sujets réalisables à l’interne pour alimenter l’édition. Je suis sortant de l’école de journalisme, il fallait bien que je le prouve non ? Oui. Un stylo, mon carnet de toujours et l’ordinateur bureautique à la forme d’un écran téléviseur 14, ont suffi pour que je me lance moi-même un défi que peu de stagiaires oseraient se lancer. De toutes les façons, il n’y avait aucune urgence. Mais dans ma petite nuque un peu pointue, il se murmure une seule chose « Il faut que ma voix passe à la radio aujourd’hui ». Je me 10
-Un archipel de la préfecture de Forécariah
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rappelle avoir posé une seule question : - « Puis-je produire un papier sur le Zimbabwe ? »-« Bien sûr » répondit le secrétaire général de rédaction. En ce moment, les populations de ce pays d’Afrique Australe venaient de vivre une élection présidentielle controversée. La crise postélectorale née de la contestation de la victoire de Robert Mugabé de la ZANU-PF par Morgane Tswanguiraye, son opposant de toujours avait fait des morts. Finalement les pourparlers coordonnés par les dirigeants de cette région du continent ont abouti à la formation d’un gouvernement d’union nationale que l’opposant devrait diriger (théoriquement). Je suis très intéressé par l’actualité internationale et passionnée de l’information qui tourne autour des hommes et femmes politiques africains. J’étais donc en mesure de produire un texte d’analyse. J’ai bien été en mesure de coucher sur papier mon propos avec les éléments d’informations que j’ai pu collecter sur internet. Le texte a été lu et relu par M. Kaba. Puis il me dit : « c’est bien ». « Puis-je enregistrer la voix ? » ai-je demandé. « En as-tu l’habitude ? », m’interrogea-t-il, « Pas vraiment, à part les exercices pratiques à l’Institut ». « Ok, vas essayer », m’autorisat-il, en m’indiquant d’un geste de la main le studio d’enregistrement qui se trouve à proximité de la régie. Quelqu’un devrait m’aider, donc la technicienne, ingénieure de son, qui me reçoit s’appelle Némané Gouhara. « Viens ici, tu veux poser non ? », c’est sa question. « Au fait, je veux enregistrer ma voix ». Elle a vite compris que je ne comprenais pas son langage technique. « Mais c’est bien ça. Viens je vais t’aider ». Elle me fait asseoir devant un micro, relié à une petite console qui elle-même se trouve reliée à l’unité centrale de l’ordinateur. Elle prend place devant l’écran de l’ordinateur. Ouvre le logiciel Adobe Audition et lance l’enregistrement. « Vas-y, essaies le micro », me dit-elle. « Allo ! Allo ! Allo ! 1, 2, 3… ». Devant elle, le signal électrique apparaît clairement, je le vois aussi. Sans me dire que ma voix avait un problème, elle me regarde avec un petit sourire et me demande : « C’est toute ta voix ça ?». Je réponds par une question« Oui, elle n’est pas bonne ?», j’avais hâte de le savoir. Non pas pour me décourager, mais pour mieux réagir face 29
à mon problème. « Non, je n’ai pas dit ça, mais il va falloir mettre un peu d’énergie. Mais dis-moi tu as maîtrisé le texte ?», poursuitelle encore. « Oui ». « D’accord, lis une fois je vais écouter », m’instruit-elle. Je me suis exécuté. « Maintenant on enregistre ». Sans aucun tâtonnement j’ai lu mon texte trois fois. Némané est convaincue. Disons-presque. Mais elle ne peut pas décider du passage de l’élément. Elle me demande donc d’aller chercher M. Fodé Kaba. Il marche si vite et rejoint le studio. Il prend son temps pour écouter la voix au nombre de fois que j’ai lu. Puis il dit : « C’est quoi déjà ton nom ? » « Jacques », ai-je répondu avec un air anxieux, « alors Jacques ta voix est faible, elle manque d’énergie et puis articule bien les mots ». Il prend mon papier et se courbe légèrement jusqu’au niveau du micro, puis il dit mon texte. Tout le monde le connaît dans la presse sportive, sa voix est imposante. Et il a une bonne diction. C’est juste une référence. Moi-même j’ai été convaincu, d’autant plus qu’en regardant le signal électrique de sa voix dans l’ordinateur, je me suis rendu compte qu’il était beaucoup plus grand. Les impulsions au même niveau. Et il me lance : « Voilà, c’est comme ça il faut faire, continues à t’exercer ». Il voudrait dire par ces mots que je devrais continuer à apprendre. Pour moi, mon petit rêve pour la journée venait de se briser. Non ! Je ne peux capituler si tôt. Ce jour-là, il devrait présenter le journal. Donc pas question que sa voix passe dans l’édition de l’après -midi. Il n’avait même pas envie de confier mon texte à un autre journaliste titulaire de la radio. Le texte n’était pas mauvais, il l’a apprécié. Le sujet était pertinent mais la loi du mort kilomètre ne lui était pas assez favorable. Le Zimbabwe est très loin de la Guinée. J’insiste donc pour qu’il m’accorde une seconde chance. « Puis-je poser de nouveau ?», « Oui », répondit-il. Il a donc pris son temps, cette fois, c’est en sa présence que je m’exerce. J’ai dit (lu) en y mettant toute mon énergie. Avec toute la sérénité qu’on lui connaît, il me fait savoir que c’est mieux et ordonne à Mlle Gouhara de l’enregistrer. Il me devance donc dans la salle de rédaction, sans rien dire de plus. Quand je l’ai rejoint quelques minutes après, il m’a demandé de lui donner mon « lancement ».
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J’ai donc rédigé ce lancement que voici : «Au Zimbabwe la crise est loin de prendre fin. L’opposant Morgane Tswanguiraye devenu premier ministre a du mal à gouverner. Le Président Robert Mugabé, continue de prendre lui seul, toutes les grandes décisions économiques. Plusieurs observateurs redoutent de nouvelles violences, s’il venait à démissionner. La crise postélectorale a fait, rappelons-le 200 victimes. C’est un commentaire de notre stagiaire, Jacques Leno ». Ce petit texte bien recopié sur la moitié d’une rame lui a été remis. C’est le principe. Pour le journal parlé de cette époque (peut-être c’est encore le cas dans certaines stations), les papiers sur les quels sont écrits les lancements sont découpés. Le présentateur peut facilement les manipuler sans que leur bruit ne passe à travers le micro. 14h 30, c’est l’heure de la deuxième grande édition d’informations du lundi 10 août 2009. Le présentateur Kaba Fodé entre avec mon lancement. Il ne m’a rien dit, mais je suis presque certain qu’il va le présenter. Dans la salle de rédaction, tout le monde écoute avec une grande attention. Puisqu’il faudra après apporter des critiques. Le poste radio est allumé et le volume est dosé pour permettre au public le plus proche du studio d’émission d’entendre et comprendre les informations. Le silence est total. Dans la page nation, nous apprenons beaucoup de choses : l’actualité à Conakry, les comptes rendus des correspondants présents dans certaines préfectures. Les voix fortes de Mariame Compo à Boké, Abdoulaye Guéya Camara de Dubréka, Yves Claver Kolié de Nzérékoré, Ansou Soumah de Coyah, Ibrahima Socra Bangoura de Forécariah… Puis arrivent les pages d’Afrique et du Monde. Mon lancement surprend le personnel. Un stagiaire qui fait passer sa voix à l’antenne à son premier jour de stage ? C’est une première ici. J’ai été bluffé et comme tout débutant, je ne pouvais qu’aimer davantage ce noble métier. Le stage dans ma rédaction, c’est une occasion offerte à chaque impétrant d’apprendre. Il exprime ainsi à la fois son ambition de comprendre et de mettre en pratique ce qu’il a appris des années durant. Dans n’importe école de journalisme, les enseignants, forment sur les fondamentaux. Certains centres d’apprentissage ont ouvert des studios de radio et télévision. Mais 31
ce n’est pas suffisant, il faut se battre pour devenir un vrai journaliste. Ma rédaction est convoitée par tout le monde, mais tout le monde n’y accède pas. Parmi la dizaine de postulants cette année 2009, sept seulement ont été retenus dont trois jeunes demoiselles belles. Pas vraiment déterminées pour apprendre, mais elles sont avec nous comme celles qui représentent la majorité des employés. Finalement on pourrait dire avec courage, c’est la radio des femmes. Mais il fallait plutôt le savoir, c’est la station de la famille, au sein de laquelle, des enfants sont reçus une fois par semaine pour parler d’eux-mêmes. C’est donc parti ce jour pour un stage long et enrichissant dans un contexte de crise politique. Nous sommes dans la période de transition militaire, ouverte après la mort du général Lansana Conté le 22 décembre 2008, par la prise du pouvoir du Conseil National de la Démocratie et le Développement (CNDD) dirigé par le capitaine Moussa Dadis Camara11. Comme tout nouveau, nous sommes d’abord confiés à certains journalistes titulaires, habitués du terrain. Ceux qui informaient en français et dans les langues nationales. Au tout début donc, j’ai été confié à Ibrahima Sory Sylla, chroniqueur et reporteur en langue nationale sosso. Et pour la première fois, nous sommes allés sur le terrain, au palais du peuple, pour couvrir un rassemblement en soutien au CNDD, présidé par le secrétaire permanent du CNDD d’alors, le colonel Moussa Kéita. Au cœur et à la tête du groupe venu affirmer son soutien au capitaine Dadis, un certain Aly Manet. Il était déjà connu pour son engagement auprès du premier ministre de consensus Lansana Kouyaté12 en 2007. En effet, les protestations contre la vie chère en Guinée en 2006 et 2007 ont abouti à la nomination d’un premier ministre de consensus. Sur proposition du mouvement social, composé de l’inter-central syndical –Confédération Nationale des Travailleurs de Guinée (CNTG) de RabiatouSérah Diallo, l’Union Syndicale 11
-Chef de la junte militaire qui a pris le pouvoir en Guinée le 23 décembre 2008 après la mort du général Lansana Conté. 12 -Premier ministre guinéen (2007-2008), président du Parti de l’Espoir pour le Développement National.
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des Travailleurs de Guinée (USTG) de Feu Ibrahima Fofana et le Conseil National des Organisations de la Société Civile Guinéenne (CNOSCG) de feu Ben Sékou Sylla, Lansana Kouyaté a été désigné et nommé par le président Général Lansana Conté. Diplomate de carrière, M. Kouyaté avait redonné de l’espoir aux Guinéens, qui ont passé plus de la moitié de la décennie 2000 dans une précarité de taille et une effroyable insécurité. Le nouveau premier ministre avait rassuré à travers ses premières démarches, mais très rapidement, une certaine opinion nationale, a vu en lui, des qualités de diriger le pays. Aly Manet était de cette opinion. Il a donc lancé un mouvement de propagande pour le premier ministre, soutenu par la population, qui allait pourtant très vite le lâcher. Sans doute, sa super fonction ne tenait en réalité qu’à un groupe puissant qui agissait en lieu et place et au nom « du Général Président ». Il a donc été limogé le 20 mai 2008, après le renvoi, sans l’avoir consulté de son éloquent et admirable ministre de l’information Justin Morel Junior, le 3 janvier de la même année. Tout s’est passé en douceur, alors que certains Guinéens craignaient des mouvements de contestations après son départ. Tout s’est passé en douceur, certainement parce qu’il avait perdu la confiance d’une partie de la population. Tout s’est passé en douceur, parce que son successeur bien qu’étant le fruit et l’artisan du système qui était farouchement combattu, avait une assise sociale au sein des principaux foyers d’où partaient souvent les grognes. Tout s’est passé en douceur et sa page a été tournée. Nous le reverrons un peu plus tard sur la scène politique, avec la volonté de réaliser son rêve de devenir président de la République de Guinée. Cet épisode court et riche de l’histoire de notre pays, nous l’avons vécu sur les bancs du lycée et de l’université. Nous avions le temps de lire quelques hebdomadaires qui avaient une certaine influence dans le pays. A l’époque, les animateurs de la presse écrite croyaient encore à un éphémère avenir. Ils continuaient donc à tirer et distribuer à Conakry dans les établissements d’enseignement supérieur, aux coins des rues et à l’aéroport international de Conakry Gbessia. Les gros titres notamment, Le Lynx, La Lance, L’Observateur, L’Indépendant, Le Démocrate, 33
Le Diplomate et Le Standard proposaient des articles informatifs et instructifs sur la vie politique du pays. C’est bien malheureusement cela la vérité, on ne parle depuis que de politique dans les médias guinéens. Alors le limogeage de M. Kouyaté a été diversement commenté. Certains ont estimé que la décision du Chef de l’Etat n’avait que trop duré. Il aurait fallu pour eux que le premier magistrat de la République réaffirme son autorité sur un chef du gouvernement trop ambitieux. Comme si le vieux président, malade, avait encore une autorité à réaffirmer. Depuis sa réélection en 2003 (il a voté dans sa voiture), il n’était plus apparu en public. Absent, la célébration du cinquantenaire a été présidée par le premier ministre Ahmed Tidiane Souaré13 à la Place des martyrs à Kaloum. Cette fête qu’on a voulue grandiose, a été une occasion pour nous jeunes de voir dans notre pays en même temps, quelques dirigeants ouest africains de l’époque : Abdoulaye Wade du Sénégal, Helen Jonhson Sirleaf du Libéria, Enerst Bai Koroma de la Sierra Leone, Amadou Toumani Touré du Mali, Laurent Gbagbo de la Côte d’Ivoire et Joâo Bernardo Nino Vieira de la Guinée Bissau. Pour d’autres, ce limogeage était perçu comme un échec du combat mené par le mouvement social guinéen de 2006 à 2007, car les syndicalistes et organisations de la société civile avaient fait savoir au cours de leur lutte, leur opposition à tout cadre ayant travaillé dans les gouvernements successifs et donc, responsable supposé de la situation dans laquelle se trouvait le pays. C’est d’ailleurs pour les mêmes raisons que la nomination le 9 février 2007 de M. Eugène Camara au poste de premier ministre, a provoqué la colère populaire. Sa maison à Nzérékoré, sa ville natale, a été saccagée par les manifestants. Curieusement, la nomination d’Ahmed Tidiane Souaré en mai 2008, n’a semblé irriter personne, même pas les leaders syndicaux et sociaux de l’époque. Lui-même dira plus tard dans l’émission les Grandes Gueules d’Espace TV/FM, que « les syndicalistes l’avaient accepté parce qu’il s’était bien comporté lorsqu’il était, juste
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-Premier ministre guinéen (mai à décembre 2008)
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deux années avant, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique ». Le gouvernement de large ouverture, comme on a baptisé cet autre, composé d’une trentaine de ministres, va accompagner le président Général Lansana Conté jusqu’à sa tombe. Et le 23 décembre, (au lendemain de la disparition du Chef de l’Etat), alors que le premier ministre disait être en train de travailler à préparer les obsèques, il a appris qu’un capitaine venait de prendre le pouvoir dans la rue. Le président d’une Assemblée monocolore, hors mandat, ne pouvait conduire la transition. Il faisait partie du système qui était rejeté peut être pas assez intelligemment. C’est donc tout naturellement, avec joie que le coup d’Etat a été accepté. Le 23 décembre 2008, le soleil vient de passer légèrement à l’ouest. Les militaires sont en conclave au camp Alpha Yaya Diallo. Personne ne sait encore ce qui s’y passe réellement, après le premier discours d’un jeune capitaine à la Radio Télévision Guinéenne. Nous entendons d’Ansoumania, notre quartier perdu de Dubréka, la voix de « l’enfant de Galapaye ». Il n’est pas loin des putschistes. Du moins, il se trouve être ce jour l’un des hommes de médias à vivre le changement de très près. Il raconte que le choix a été fait, le nouveau Chef de l’Etat s’appelle le Capitaine Moussa Dadis Camara, son village natal c’est Koulé dans la préfecture et la région de Nzérékoré, il gérait jusque-là le carburant au bataillon des troupes aéroportées (BATA) du camp qui l’a propulsé au-devant de la scène. Les militaires vont faire le tour de la ville, prendre un bain de foule. Nous n’y étions pas, mais ce grand journaliste au verbe facile, nous a fait croire que la liesse était populaire. Et bien plus tard, sa description va être confirmée par les images de la télévision nationale et des chaînes étrangères. Nous arrivons donc au sein de la rédaction de Familia, sous le régime militaire d’une transition brutale. Voilà pourquoi, nos premières expériences de terrain portent essentiellement sur cette actualité tumultueuse. Les mouvements de soutien naissent dans les quartiers et le « Dadis Show » -de la nomination convenue des sorties régulières de l’homme fort d’alors- encourageait leurs 35
concepteurs aux allures démagogiques et perverses. Et finalement l’essentiel de nos sujets de reportages pendant ce stage sortaient de leur volonté absolue de persuader l’opinion de la nécessité de laisser les militaires gérer encore le pays. Mouvement Dadis Doit Rester (MDDR), un de ceux qui ont focalisé l’attention dans le camp des putschistes. Et en face les forces vives qui se sont très vite constituées, vont bénéficier de l’apport d’un autre groupe de jeunes qui va créer le contraire du MDDR et c’est le Mouvement Dadis Doit Quitter (MDDQ). Rien n’a plus jamais été simple. Des arrestations des présumés narcotrafiquants, accusés, culpabilisés et salis par les médias d’Etat et quelques radios privées ; des présumés bandits détenteurs d’armes de guerre avec les soins du capitaine Moussa Tiégboro Camara, ministre chargé des services spéciaux et de la lutte contre la drogue, des condamnations publiques de présumés escrocs, sans procès équitables ni avocats au camp Alpha Yaya Diallo sous la présidence du ministre des conflits, le capitaine Issa Camara, des descentes musclées du capitaine Claude Pivi à des endroits divers, pour des raisons inconnues, nous n’avions que cela à raconter et les éditions ne pouvaient s’appauvrir. Puisqu’en plus des comptes rendus des parades de nos chefs béats, nous avions des rencontres fréquentes de leaders politiques qui tenaient à ce qu’on aille aux élections. Nous n’avions appris qu’à relayer. Et nous avons continué à rendre compte fidèlement. Quelques rares sujets de santé étaient évoqués. Je me souviens avoir couvert la remise du matériel informatique pour la détection du VIH Sida au centre médical communal de la minière dans la commune de Ratoma. C’était un automate d’hématologie CD4. Le livreur fut un certain Amadou Tounkara, le fils d’un certain Tibou Tounkara compagnon de l’indépendance, mort sous la révolution. Ce pharmacien se bat toujours aux côtés de certains autres compatriotes pour que la disparition de leurs parents ne reste pas impunie. Ce jour, nous n’avions pas parlé de cela. Je ne le connaissais même pas. Il a voulu me récompenser juste pour ma présence à cette cérémonie qui a réuni le personnel du centre médical, un représentant du ministère de la santé, les responsables de l’ONG Solthis France- Solidarité Thérapeutique et Initiative pour la Santé- et lui-même. Dans un couloir du centre il 36
m’appelle : « Jeune homme viens là, je vais te donner 100 mille, ça te va ? De toutes les façons c’est raisonnable, c’est ce qu’on donne pour ce genre de couvertures ». Je n’ai pas bronché, jusqu’à ce qu’il ait fini de signer le chèque. Il me l’a tendu et j’ai pris en lui disant un merci. En réalité, je n’avais rien compris en sa démarche. Je ne savais pas ce que cela signifiait « ce qu’on donne pour ce genre de couvertures ». C’est bien plus tard que j’ai réalisé que c’est ce jour que j’ai reçu mon premier « gombo »sur le terrain. Le phénomène est une réalité, souffrez que j’en parle un peu plus loin. Très honnêtement, j’avais besoin d’argent et nous ne pouvions nous attendre à une prise en charge à la radio. Le dernier pécule de 65 000 francs guinéens venait d’être utilisé dans le transport de la Cimenterie à Koloma tous les jours. Donc le lendemain, j’ai pris la direction de Kaloum. J’arrive à la Bicigui avec mon chèque en main. Directement, je me présente devant un guichet. Le caissier me dit de l’en dosser, mais je ne sais pas ce que c’est. Alors je m’approche d’un jeune enseignant venu pour une transaction lui aussi, quand je lui ai expliqué mon problème, il m’a demandé ma carte d’identité pour qu’il m’aide à en dosser le chèque, malheureusement, celle-là aussi, je n’en avais pas. Je n’avais que mon badge d’étudiant et celui du stage. Il prend alors le chèque et démarche pour me remettre les 100 000 francs guinéens. Lui, je n’ai pas encore eu la chance de le revoir, mais Tounkara si. Je l’ai retrouvé dans un réceptif hôtelier en 2014 et c’est lui qui m’a reconnu. Depuis nous sommes devenus des amis. Par la suite, la rédaction découvre mon talent de présentateur radio. Le bulletin d’information de 6 heures d’abord, ensuite le journal de 18 heures et j’ai fini dans le 21 heures 30 et le 7 heures. Mais quel présentateur ? Assidu, ponctuel et solidaire. Pourquoi ne devrais-je pas me flatter, quand plusieurs fois j’ai remplacé des titulaires empêchés. Et mon engagement m’a permis d’apprendre. Et avec une grande gentillesse de la part de la direction, j’ai été désigné avec trois autres collègues pour continuer à bosser comme de simples volontaires. Volontaires mais avec un petit accompagnement, chacun devant bénéficier lorsqu’il venait travailler, de son transport. Le mien, il s’élevait à 7000 GNF et 37
puisque je venais trois jours par semaine, le cumul de mon transport journalier pour un mois se chiffrait à 84 000 GNF. Pour nous c’était déjà un grand encouragement. Nous pouvions continuer à apprendre et espérer qu’un jour nous soyons pris en charge. Vinrent alors les jours de découragement. Les incompréhensions entre la fondatrice et son directeur de l’information qui avaient longtemps été cachées au personnel, ont commencé à impacter négativement notre travail et même nos relations avec nos encadrants. Ce n’étaient plus de simples incompréhensions, mais un véritable conflit qui opposait désormais deux groupes de travailleurs. Deux réunions vont nous faire comprendre cette réalité. La première a été convoquée par le directeur de l’information, « L’enfant de Galapaye ». Elle est intervenue un peu plus tôt et nous étions au lendemain des massacres du 28 septembre 2009 ; et elle a consisté à dire la position de celui qui gérait les contenus des programmes d’informations et pilotait la célèbre émission « Société Débat». Il disait « avoir choisi son camp » : le camp du Conseil National de la Démocratie et le Développement (CNDD) du capitaine Moussa Dadis Camara dont il fut un des conseillers. Un instant ! Le 28 septembre, c’est la date de naissance de « L’enfant de Galapaye ». Il était prévu que tous les travailleurs, employés et stagiaires viennent l’accompagner à célébrer son anniversaire à domicile. Le rendez-vous était pris pour la soirée à Lambanyi, un quartier côtier de la commune urbaine de Ratoma. Mais le matin déjà, nous devrions travailler, produire comme d’habitude des éléments de reportages sur l’actualité. C’était le jour du meeting de protestation contre la candidature du capitaine Moussa Dadis Camara. Tous les reporters dynamiques ont été désignés pour couvrir ce rassemblement. Tout le monde ignore encore ce qui allait se passer. Je suis allé à Wanindara, un quartier par habitude très chaud, mais ce jour moins dangereux. Il a juste été un point de départ des manifestants. Et mon constat a porté sur les multiples départs par taxis ou par bus. Des aînés sont allés au stade du 28 septembre : Kaba Fodé, Mamadi Mansaré et un stagiaire Thierno Alpha Ibrahima Baldé. 38
Les employés sont donc en direct et répondent aux questions de l’édition spéciale consacrée à cet événement. Il n’existait encore aucune télévision privée, donc les reporteurs de radio se devaient de décrire dans les moindres détails ce qu’ils voyaient. D’abord l’échange musclé entre l’opposant Sidya Touré de l’Union des Forces Républicaines (UFR) et le capitaine Moussa Tiégboro Camara de la lutte contre la drogue et le grand banditisme. Thierno a tout relayé à l’aide de son téléphone : «Le président vous a dit de surseoir à cette manifestation, aujourd’hui c’est un jour historique pour notre pays » dit Tiégboro à Sidya. Et à Sidya de répondre, « Oui, il m’a appelé mais à quelques heures du meeting …» Le deuxième extrait entendu sur les antennes de Familia fut une description d’un acte violent : « On vient de prendre Cellou, il est en train d’être bousculé, on l’a giflé. Cellou a été giflé », dit Thierno. Le reste va continuer sans lui puisque lui-même a été giflé, son téléphone et son matériel de travail détruits, il s’est cherché dans les quartiers de Dixinn. Mansaré a eu le temps de dire qu’il était caché et Kaba Fodé va être revu un peu plus tard à la rédaction. Dès qu’il est rentré il a poussé un cri, en se mettant à plat ventre devant nous tous « Eh Hala (mon Dieu), j’ai vu des morts, j’ai honte aujourd’hui d’être Guinéen, je n’ai jamais vu ça …». Les manifestations ont continué dans les quartiers de Ratoma et Koloma, est un des points chauds de la commune. Or, notre rendez-vous de la soirée tient toujours. Nous embarquons tous à bord de quelques véhicules dont dispose la radio pour Lambanyi. 17 heures à Conakry. Nous sommes escortés par un militaire pour nous aider à dépasser quelques regroupements de jeunes désemparés et irrités. Une dizaine de minutes de trajet et nous voici dans une cour spacieuse et luxuriante. Des arbres fruitiers et de jolies fleurs donnent plaisir à y perdre son temps. Des animaux sauvages domestiqués qui poussent des cris, en nous voyant nous installer. Puis l’heure de la succulente bouffe. De la viande cuite et braisée, des pattes, de la salade, du poisson et des boissons riches, alcoolisées et non alcoolisées. Chacun a dégusté à réplétion. 39
Juste le temps pour participer à cette fête, puis chacun hâte les pas pour rejoindre les siens. Quelques mouvements continuent encore dans les quartiers et nous ne sommes pas à l’abri des jets de pierres et tirs à balle réelles. Tout est allé de mal en pire les jours qui ont suivi dans le pays. La communauté internationale demande la mise en place d’une commission d’enquête indépendante, la Cour Pénale Internationale fait des visites en Guinée. Et très vite politiquement, on songe à l’après 28 septembre : quelle décision prendre ? Mais en attendant, les rumeurs alimentent les débats quotidiens dans les quartiers. Les journalistes expérimentés ou pas, ont parfois eu la maladresse de relayer certaines rumeurs sur les antennes. Je me souviens avoir appris à Wanindara où je venais souvent me refugier pour rester plus proche de la radio, que l’eau de robinet distribuée par la Société des Eaux de Guinée avait été empoisonnée. Alors là, il ne s’agit pas encore de la prétendue eau empoisonnée de « l’entre-deux-tours » de la présidentielle de 2010. J’ai rédigé un papier d’une minute sur la peur des habitants qui avaient commencé à préférer les eaux de puits insalubres. Heureusement ce papier n’a pas été diffusé. Je dis heureusement maintenant, même si ce jour j’aurais bien aimé me faire entendre sur le sujet. Mais la rumeur était totalement fausse, comme bien d’autres d’ailleurs. Le président Burkinabé Blaise Compaoré vient en Guinée pour relancer le dialogue entre les différentes parties. Il est à l’époque le médiateur attitré de l’Afrique de l’Ouest. J’ai eu la chance d’être au CHU Donka, où il est venu, avec le capitaine Dadis visiter les « heureux » blessés. Un s’est empressé de dire aux deux présidents : « merci, ils se sont occupés de nous », alors que quelques minutes avant, le chef de l’Etat venait de livrer son show de la journée sur le ministre de la santé le colonel Abdoulaye Chérif Diaby. Il lui reprochait de n’avoir pas pris suffisamment de mesures pour s’occuper des blessés. C’était un détail parmi tant d’autres. Compaoré repart sans doute avec une idée de la crise : elle était désormais grave et compliquée. Puisque les leaders politiques de l’opposition et les chancelleries internationales, 40
laissent entendre qu’il n’est plus question de discuter avec le régime militaire. C’est dans ces conditions que le 3 décembre 2009, le capitaine Toumba Diakité, l’ancien aide de camp de Dadis, tire sur lui au camp Koundara devenu camp Joseph Makambo de Boulbinet. Jospeh Makambo est le surnom du soldat tué sur place alors qu’il tentait de sauver le chef de l’Etat. L’épisode Dadis venait d’être bouclé. A partir des accords de Ouagadougou que les médias privés guinéens n’ont pas pu couvrir, que la transition s’est mise en place. Le ministre de la défense le général Sékouba Konaté, devient président par intérim chargé de ramener le pays dans l’ordre constitutionnel normal. Tout est compris à travers la RTG et les médias internationaux qui ont leurs micros et caméras braqués sur la Guinée. La mise en œuvre des accords permet la création et l’installation du Conseil National de la Transition et la formation du gouvernement d’union nationale de la transition. Dès lors, le travail des radios privées pouvait enfin commencer. La transition prend quelques mois avant l’organisation de la présidentielle. Et nous avons eu droit à une campagne électorale électrique. Elle ne nous a pas permis d’apprendre mieux sur les projets de société. Peut-être que nous n’avions pas su demander aussi. Quelques brefs passages des candidats sur les antennes des radios privées, ne nous ont aidé qu’à entendre ce qu’ils sont et ce qu’ils ont fait par le passé. Rien de plus. Nous avons en revanche réussi à décrire les foules et les meetings désordonnés dans les différents secteurs ou quartiers. La bataille pour le pouvoir sera moins rude au début. En effet, on n’ignore encore qui parmi les vingt-quatre candidats a une chance de devenir le premier président élu de la troisième République. Quelques échauffourées ont néanmoins été notées entre Forécariah et Coyah. Les militants de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée de Cellou Dalein Diallo et ceux de l’Union des Forces Républicaines de Sidya Touré, se sont chicanés durant de longues heures. J’ai pu constater le début des accrochages dans la ville de Forécariah, où je participais à un atelier de formation sur les violences basées sur le genre.
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Le premier tour a eu lieu le 27 juin 2010, et comme d’autres Guinéens, je me suis acquitté de ce droit civique à Ansoumania marché, dans la préfecture et commune de Dubréka. La toute première Synergie des radios privées n’avait pas pris le risque de communiquer les résultats. C’était le travail de la commission électorale nationale indépendante. Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé se qualifient pour le second tour. Le pays entre dans une crise véritable. Les tensions communautaires qui étaient déjà perceptibles après la tentative d’assassinat du capitaine Dadis, ont été exacerbées. Deux groupes en face. La campagne pour le second tour s’est terminée avec la fausse rumeur de la prétendue eau empoisonnée qui a entraîné des affrontements à Conakry et à l’intérieur du pays. Les radios n’ont pas aidé à dissiper cette rumeur, qui aurait pu éviter les conséquences dramatiques qu’elle a engendrées. Au contraire, elles l’auront laissé enfler. Nous avons pu nous rendre compte du vrai problème des journalistes, qu’ils soient du privé ou du public. Notre vrai problème. Tous avions, non pas de simples penchants pour les deux candidats en lice, mais de véritables engagements pour leurs formations politiques, selon, hélas, nos appartenances ethniques. Un journaliste qui était très sûr de la victoire de l’un des candidats, avait juré d’abandonner ce métier si le contraire se produisait. Deux journalistes de notre rédaction se sont insultés, ont failli en venir aux mains, lorsque le fameux « Iya Tagui Yalan » en langue sosso, la plus parlée à Conakry, qui signifie en français « Arrange ton visage » de l’humoriste Kabakoudou14, a gagné les boutades familières. C’était une moquerie à l’endroit des sympathisants des candidats malheureux de l’élection présidentielle d’après transition. Nous ne sommes pas restés dans notre rôle, nous avions décidé de paraître armés avec nos stylos et micros pour les deux camps. Ce fut un mal. C’est encore malheureusement le cas à bien des égards. La deuxième réunion va être convoquée par la fondatrice et le directeur de l’information. Et comme à la première, employés et 14
-De son vrai nom, Sékouba Bangoura, est un humoriste guinéen, acteur dans plusieurs films amateurs de la capitale. Il a le don de faire rire.
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stagiaires sont conviés. Les discussions sont devenues chaudes et le directeur de l’information a dé mis le directeur technique de ses fonctions. Lui, à son tour a été démis de ses fonctions par la fondatrice. La crise était désormais à son comble. Et le lendemain, c’est avec force que l’animateur de « Société Débat », l’enfant de Galapaye a pu accéder au studio de la radio, pour animer son émission qui avait commencé à perdre assez de son auditoire. La semaine qui a suivi, la bagarre a éclaté. Et l’Union des Radios et Télévisions Libres de Guinée qui avait du mal à rapprocher les positions, faisait le constat de son échec. La Haute Autorité de la Communication (HAC) est alors intervenue pour séparer les deux. Entre temps, la radio a été fermée. La fermeture de la radio Familia, c’est comme la disparition sur la scène médiatique d’une reine qui domptait toutes les autres. La chute d’une guerrière dont les soldats à sa charge n’avaient pas suffisamment conscience de ce qu’elle représentait, de sa force, de sa place dans le paysage médiatique. Les deux responsables au premier plan n’ont pas compris. Autrement, ils allaient laisser cette radio grandir davantage, puisqu’elle était déjà écoutée en ondes courtes sur une bonne partie du territoire national. La radio Familia fut la première radio communautaire privée et peut-être la dernière véritable radio au service de la communauté. Elle s’adressait à elle directement. Elle avait de l’espace pour cela. Si les deux puissants chefs, à la tête aujourd’hui de deux radios dont une du même nom, ne regrettent pas leur divorce, moi je le pleure abondamment. Ce fut un succès louable, mais de courte durée alors que le pays en avait besoin, nous stagiaires surtout. Une leçon peut être en revanche tirée de cette aventure assez brève : il n’est pas facile de gérer une entreprise de presse à deux. Ce n’est pas impossible, mais les exemples de réussite ne sont pas légion. Le stage n’avait que trop duré, même si nous n’avions pas très vite pris conscience. Et c’était à juste raison. Nous avions une folle envie d’y rester. Nous nous y étions attachés parce qu’il y avait un réel amour. Imaginez un instant, que vous ayez pu poser vos premiers pas dans une famille qui vous accueille avec joie, accepte de partager son pain et donne des leçons de vie. Imaginez 43
que ce soit au sein de cette famille que vous ayez su qui vous êtes, ce que vous représentez et pouvez offrir à votre pays et à l’humanité. Imaginez que de ces réalités, finissent par naître une relation de confiance, qui au bout vous donne un grand espoir. Vous finirez forcement par vous convaincre que rien, même pas l’argent, ne vous pousserait à abandonner les vôtres. On n’abandonne pas une famille. Mais ce n’était qu’un foyer au sein d’une grande famille. Et nous le saurons assez vite. C’est sans hésitation que nous allons faire des choix qui plaisent à chacun. Partir et se trouver un emploi rémunéré. 2. PREMIER EMPLOI Un confrère aîné m’appelle un week-end de décembre 2010. Il venait d’échanger avec un doyen de la presse qui venait de bénéficier de la confiance d’un nouveau promoteur de radio. La nouvelle station est en basse altitude dans la commune de Matoto15. Le directeur de la nouvelle station était à la recherche d’un professionnel pour produire des éditions d’informations. L’envoyé, cet aîné qui me connaît bien, me fait part de sa proposition, du choix qu’il avait porté sur ma modeste personne. J’arrive avec beaucoup d’ambitions avec mon sac bleu en main. « C’est où Gangan, s’il vous plait ?», ai-je demandé en bas de cet autre immeuble, cette fois de quatre étages, situé juste en face de la cité Nord-France et à proximité de la mosquée Fofana, l’une des plus grandes mosquées de la commune de Matoto. « Au troisième étage », m’a-t-on répondu. L’endroit n’était pas aussi densément peuplé que maintenant. A l’époque, il existait déjà la succursale d’une banque panafricaine juste au rez-de-chaussée. Les premier et deuxième étages étaient quasiment vides et le quatrième occupé par une famille. Au troisième, un jeune m’accueille. Il s’appelle Djouldé, un mécanicien de confiance du promoteur de la nouvelle entreprise de presse. Ils se connaissent, mais ils ne sont pas si proches. Quel paradoxe ! Ils ne sont pas seulement éloignés par la distance-le patron est aux Etats-Unis et Djouldé en Guinée-ils sont 15
-La plus grand commune de la Guinée.
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surtout éloignés par les sentiments et les intérêts. Comme s’ils ne poursuivaient pas un objectif commun. Djouldé semble bien aimer l’entreprise et pas moins que le fondateur dont j’ai eu la bénédiction de serrer la main droite une seule fois. Dans un bureau juste en face du studio de la radio dont l’une des portes a été volontairement bloquée, je rencontre le doyen Baba. C’est ainsi qu’il a aimé se faire appeler. Donc jamais DG. Avec ses lunettes pharmaceutiques bien fixées, une sape qui rime avec la jeunesse, le doyen tient et demeure proche de ce nouveau monde qu’il observe depuis toujours à travers le métier de journaliste. Il est ancien. Sa plume a servi l’hebdomadaire satirique le Lynx et il fit son expérience radio à Liberté FM à Kaloum. Au sein de cette radio, la deuxième privée la plus ancienne de par sa création, il a participé à la formation de plusieurs journalistes, qui servent aujourd’hui ailleurs. Doyen Baba est lui-même une plume en or. Il écrit de manière digeste. La qualité de ses textes est le fruit de la rigueur qu’il s’impose. Dire qu’il aime écrire, n’est qu’un euphémisme. Il écrit en effet tout ce qu’il dit et aime faire dire. Lorsqu’il prépare une émission par exemple, il écrit tout son questionnaire sur papier. Un questionnaire fait de thèmes, de questions principales, de relances subjectives et de réponses imaginaires. Un bon intellectuel. A la base, cet homme de lettre a longtemps dispensé des cours de français, nous apprenait-il, en Côte d’Ivoire. Ce qui apparaissait à nos yeux comme un défaut, est certainement une de ses grandes qualités : le Doyen est un peu réservé. S’il part de son domicile, il est au bureau. Et s’il repart, c’est pour rester en contact avec son transistor et les journaux hebdomadaires qu’il ne manquait pas d’acheter dans les rares kiosques qui existaient encore. Djouldé lui en trouvait suffisamment chez Diallo, un vendeur posté à l’époque au marché de Matoto. Diallo y est resté jusqu’en 2012. Et au cours d’une manifestation de l’opposition, il a malheureusement été abattu dans des conditions qui n’ont jamais été élucidées. Diallo fut notre client à tous. Nous passions aussi chercher auprès de lui des titres qui nous intéressaient particulièrement. C’est à ce rondpoint qu’on a fait connaissance, mais pour pratiquement une courte relation. 45
Dieu a décidé assez tôt pour lui -c’est ainsi que nous jugeons les fatalités difficiles à expliquer chez nous-. Diallo meurt comme toutes les autres victimes des manifestations politiques organisées par le collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition. Le Doyen Baba ne l’a jamais rencontré, mais il a été affecté par sa disparition. Il a eu la même réaction comme celle qu’il a montrée à chaque fois que des jeunes tombaient lors des mouvements de protestation. Bien assis donc, derrière son bureau il me reçoit, m’explique ce qu’il attend de moi et m’invite à commencer dès le lendemain. Nous n’avons parlé que de ce que je devrais avoir comme activité tous les jours ouvrables. Pas de ma prise en charge, encore moins du contrat et d’autres garantis. Le Doyen ne m’en a pas parlé. Rien de tout cela ne m’a intéressé. Ma timidité habituelle et mon envie d’avoir le statut d’employé aidant, je me suis précipité sur cette occasion qui m’était offerte. L’emploi ne se gagne pas facilement et lorsqu’on a une offre comme celle que j’avais (rien je veux dire), on dit d’abord oui avant de réfléchir. Tous les matins en sortant de la maison on informe de son départ pour le boulot. A la fin du mois, un montant d’à peine équivalent au salaire minimum interprofessionnel garanti (qui n’était pas encore revu) est payé directement par le comptable. Aucune complication. Pas de virement bancaire. Pas de bulletin de paie. Un registre est posé sur la table de Monsieur le comptable qui est en même temps responsable commercial. A l’intérieur, les noms des employés, probablement engagés de la même manière que moi. Ils devraient tout simplement émarger pour justifier qu’ils ont perçu les montants pour lesquels ils n’ont eu aucune discussion préalable avec l’employeur. Je découvre une salle de rédaction, mon nouvel espace de travail avec des tables collées au mur, trois ordinateurs bureautiques avec des écrans tournés en face des chaises en bois qui, elles, tournent leurs dossiers à la porte d’entrée. Je suis bien seul pour ce début et mon travail consistait à relayer des informations diffusées par des radios « concurrentes ». Il n’y a pas d’internet. Pour l’actualité internationale, il fallait un effort. Ecouter les radios étrangères pour sélectionner les informations qui sont d’un intérêt certain. Je parle d’efforts parce qu’il est 46
difficile d’écouter et d’écrire en même temps. Mais c’était bien obligé jusqu’à ce que deux journalistes m’aient rejoint. Timbo et Lamarana. Timbo est robuste et dynamique, il venait de raccrocher avec Horizon FM à Kankan. Il aime son travail et préfère le terrain. Lamarana est Fatoumata, belle par son physique et sa voix. Elle avait aussi déjà l’art de la présentation. C’est moi qui vais avoir la charge de diriger ce trio d’hommes de médias, pas expérimenté et qui manque de tout pour faire son travail. Qu’a-t-on au juste ? Deux enregistreurs, un de marque Sony de couleur blanche et le second de marque Edirol de couleur noire que je vais égarer sur le terrain. Il nous reste donc le seul enregistreur. Dans ces conditions, le secrétaire général de rédaction que je suis devenu très tôt, reste à la rédaction pour faire des petites corrections. Je dis petites, parce que les corrections portent sur ce qui est au niveau de mes connaissances académiques. Je quitte du statut de stagiaire en décembre 2010, pour devenir responsable de la rédaction en janvier 2011. C’était si vite qu’il me manquait l’expérience pour conduire une équipe. Mais bon ! Je vais être obligé d’apprendre au même moment que ceux qui évoluent sous ma responsabilité. L’ancien reporteur, homme de terrain, commence à se faire rare. Timbo reste donc l’homme de terrain qui rentre tous les après-midis avec plusieurs sujets. Nous les traitions ensemble pour que Lamarana fasse le 17 heures, la première édition de la soirée. Je reste pour le 21 heures. Et c’était ainsi du lundi au dimanche. Et les jeudis, Timbo travaillait à la fois sur le terrain et en studio. Il animait une émission de sports. Nous avons été les premiers à produire les éditions d’informations dans cette radio, nous trois. Certains aînés venaient nous voir travailler et s’en allaient. Ils ne nous disaient pas pourquoi, mais nous avions fini par comprendre qu’ils n’étaient pas disposés à bosser dans ces conditions que nous n’osions réprouver-nous n’avions l’expérience que de peu de stationsLamarana qui était déjà en couple finit par rejoindre son époux à Dakar au Sénégal. Timbo va être sanctionné. C’était un jeudi, il devrait présenter l’émission de sports comme d’habitude. Mais sa mère, malade était alitée à l’hôpital Donka. J’étais au courant. Je l’ai fait savoir au doyen, mais je n’ai pas été compris et je n’ai pas 47
pu remplacer Timbo. Je n’ai jamais eu le goût pour commenter l’actualité sportive, même si au Lycée j’étais commentateur sportif. L’antenne est restée vide. Le Doyen n’a pas aimé. Il l’a suspendu, Timbo n’est plus revenu. Je me suis retrouvé presque seul, perdu au sein de cette rédaction qui avait besoin de tout pour exister. Le directeur général, le doyen fit appel à deux jeunes demoiselles. Elles ont un niveau et l’une est particulièrement ancienne dans le métier. De très belles voix radiophoniques. Elles ont cependant le talent de conduire des émissions d’animation musicale. Elles animent très bien et chaque promoteur aurait bien aimé les avoir. Surtout qu’elles ont un public qui les aime. D’une radio à une autre, le public voyage et cherche à connaître les horaires de diffusion de leurs programmes. Nous sommes dans le second semestre de l’année 2011. Et nos activités tournent presque toujours au ralenti. Tenez : dans la salle de la rédaction où je suis presque désormais le seul journaliste au service du journal parlé, je passe le temps à parler du métier avec mes deux consœurs. Et dans nos échanges, chacun fait entendre ses geignements. Salle chaude, pas assez d’ordinateurs. Le seul qui existe rame et n’est pas connecté à internet. Le journaliste reste alors immobile et continue à s’informer à travers d’autres radios pour informer à son tour son public. Ce dernier n’apprendra rien de nouveau. Même s’il a envie de lui rester fidèle, il ne s’attachera à ses rendez-vous d’informations que pour un simple plaisir. Et non pour satisfaire un besoin réel. Où trouver donc de l’information ? Très souvent dans un cyber café de proximité à Matoto Kondéboungny. 5000 GNF l’heure. Les informations sont recopiées rapidement sur un feuillet plié en deux. Rapidement, parce qu’on manque des frais d’impression et le temps de connexion n’attend pas. Le gestionnaire lui, veille de près. D’ailleurs il a l’intelligence de vendre le temps souhaité. La galère, du moins de ce type, prit fin quelques semaines plus tard. Le directeur général a trouvé une clé de connexion mobile. Un opérateur téléphonique venait d’entamer ce service en Guinée. L’internet à portée de main. Chacun pouvait en disposer à 48
condition bien sûr qu’il trouve de l’argent pour en acheter. Mais la clé de connexion reste à sa disposition. Le patron aime se sentir chef. Il nous a obligés à l’appeler non pas DG, mais Doyen. Pour lui, il était plus qu’un aîné pour nous dans ce métier. C’était un père à qui nous devrions obéissance et respect absolus. La clé de connexion. Cette clé de couleur noire. Lorsqu’elle est branchée, elle scintille et c’est le signe de l’opérationnalité. On a alors le quitus pour naviguer sur quelques sites web qui informent sur l’actualité nationale et quelques médias internationaux. Mais il ne faut pas oublier la question fondamentale : les frais de connexion. Et c’est le doyen qui en achète. S’il est content, il sourit et vient nous orienter sur les choix éditoriaux à faire pour la journée. Autrement, nous étions sensés nous débrouiller seuls dans notre environnement habituel. Et s’il décide, nous rendons la clé de connexion. Nous avions malgré tout réalisé un progrès de petite taille. Et vous comprenez pourquoi. Nous ne sommes plus obligés de sortir de nos locaux pour obtenir des informations. Nous étions en droit de nous réjouir. De notre salle surchauffée, nous entrions dans le studio de diffusion, équipé de deux micros perchés sur deux longs bras. Les câbles sont visibles et traversent le dessous de la baie vitrée. Ils étaient branchés de manière à pouvoir les manier sans difficulté. La salle revêt la splendeur de toute la pénurie. Un téléphone posé juste avec une entrée dans la console qui ne marchait pas. Pour recevoir les appels, nous étions contraints d’orienter le micro, sur le combiné du téléphone. Et pour le reste, quatre chaises sont posées des deux côtés et acceptent de supporter « Les fesses de lourd ». Des chaises en bois d’une hauteur ancienne et protégées par une bonne quantité d’éponges. Elles, ainsi que la table trouée ont été confectionnées dans une menuiserie du quartier. Pour ce début, nous n’avons pas de tapis par terre, mais des efforts ont été consentis pour protéger les deux portes qui donnent accès au parloir. La troisième, pratiquement à proximité de la douche commune, a été tout simplement bloquée. Comme la plupart des bâtiments qui abritent les médias guinéens, cet
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immeuble n’a pas été construit pour héberger une radiodiffusion. A l’intérieur, il faisait chaud, mais on n’en est pas mort. Parlant justement de la chaleur, nous pouvions jauger la température grâce à un collègue animateur de musique, Duplex. Il était gros, taille moyenne, juste à notre niveau. Lorsqu’il arrivait pour son émission d’animation musicale de l’après-midi, il en sortait complètement trempé. Il aimait danser dans le studio, histoire disait-il de mieux communier avec les auditeurs qui l’aimaient bien. Il avait un public acquis à sa cause depuis son passage à Djoliba FM. C’est même à Djoliba qu’il est devenu animateur, nous disaient ses anciens collaborateurs qui l’ont vu évoluer et très vite s’imposer en « leader vocal » adulé. Duplex ne fut pas le seul animateur. D’ailleurs il n’a pas été le premier à occuper une tranche de deux heures à la radio. Lorsque la radio était à ses débuts, un certain Amani était là. Il était l’un des rares à livrer un show non-stop de toute une journée à la radio. De la musique mandingue, de la world musique, des chansons urbaines des jeunes de nos quartiers précaires, la lecture des messages des auditeurs en nombre. Bref, c’est lui qui a fait connaître la fréquence de la radio durant le dernier trimestre de 2010. Amani arrivait tous les jours avant tout le monde à la station de la radio. Dans sa main, un sac artisanal de couleur marron. Un sac lourd, d’un poids qu’on ne peut facilement estimer. Ce qui est sûr, ce qu’il était difficile à porter. Mais un sac si lourd juste pour venir animer ? s’interrogeait-on. Mais à l’observer de près, son secret s’est dévoilé tout seul. Son sac contenait des documents divers et des disques. Des papiers sur lesquels se trouvaient des informations sur les artistes, les sorties d’albums, les ventes, les succès, les contenus des chansons interprétées, les hauts et les bas du monde du show biz. Il était particulièrement au faîte de l’actualité musicale de notre pays. Et les disques, pour ne pas avoir à chercher un titre auprès d’un ingénieur de son. Il a voulu en être riche et indépendant. Mais ils ne servaient pas à ce seul besoin, car notre ami animait dans les boîtes de nuit aussi. Pas une seule, puisqu’il était sollicité dans bien des coins animés de la
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capitale. Amani, le fort et déterminé meurt quelques années après son départ de Gangan. Duplex arrive donc des années après pour tenter de combler un vide assez grand après le départ du très dévoué. Il est resté très longtemps attaché à l’entreprise. Bien souvent, il nous sortait du cadre de la radio d’informations pour nous transporter sur le terrain du spectacle. Il nous a fait organiser un à Bonfi - le quartier qui l’a vu grandir - à l’occasion de l’anniversaire du lancement de son émission « Sons et rythmes de Guinée ». L’événement a regroupé plusieurs artistes de renoms : Bafodé Mèrè Mèrè, Petit Kandja, Sekouba Kandja, Kankou Condé, Djibril Soumah Koumi, le célèbre Ibro Diabaté…Un groupe de stylistes a défilé avec des tenues traditionnelles pour se faire une clientèle. Evènement impressionnant, qui lui a permis de se faire de nouveaux amis. Nous en avons parlé lorsque je suis allé le voir alité à l’hôpital Jean Paul II de Ratoma. Il avait le sourire aux lèvres et son départ de ce monde dans des conditions qu’aucun n’aurait souhaitées, a été d’une tristesse qu’un simple souvenir peut réveiller à tout moment. Duplex passe de la vie à trépas, le 29 octobre 2017 et le lendemain, tard la nuit, le service des programmes remet un ancien numéro de l’émission « Tandégbé », une émission de dialogue dans laquelle il s’était retrouvé depuis 2015 avec le doyen Aboubacar Camara, un interprète dans les tribunaux de Conakry. En matière de « guinéennité », le doyen Aboubacar est un homme dense. Il parle couramment les langues les plus parlées dans la capitale. Dans ce numéro, ils parlaient de mort. Alors que depuis quelques jours, le Président Alpha Condé qui était allé en Tunisie pour « des vacances », se faisait très silencieux. Et des rumeurs ont commencé à annoncer qu’il lui était arrivé quelque chose. Notre pays et ses habitants sont champions dans la production et la consommation de rumeurs. La mauvaise interprétation d’un des commentaires des animateurs de Tandégbé, a provoqué un tollé dans le pays, et poussé l’Etat à suspendre la radio et faire arrêter ses employés. Le coordinateur était dans l’obligation de se sacrifier. Il s’est alors lui-même livré à la gendarmerie de Yimbaya, dans la commune de Matoto, l’établissement de police judiciaire, au point de vue juridictionnel 51
le plus proche. Ainsi va la vie. Duplex meurt, sa famille n’a pas eu le temps de faire le deuil, ses collègues n’ont pas eu le temps de lui rendre hommage. A Gangan, il y a eu des épisodes non moins lamentables. En 2012, les conditions de travail et de vie ont poussé les employés à observer un débrayage d’une semaine. Le fondateur a dépêché l’administratrice d’alors, Aissata Béavogui, qui s’est par la suite retrouvée à la tête d’une société minière évoluant dans le nordouest du pays. Sa solution miracle à la crise, a été de réduire le personnel et de fixer le salaire de chaque travailleur retenu à 500 000 GNF (cinq cents mille francs guinéens), soit un peu plus de 50 dollars américains. Et ce n’était que pour ceux qui étaient à la télévision. A qui il avait d’ailleurs été promis des contrats écrits qui n’ont étonnamment jamais été signés. Pour nous qui étions à la radio, il fallait nous ignorer et laisser ainsi le nouveau directeur général du groupe-et c’est notre Doyen de la radio qui avait eu ce privilège- décider. Situation presque incompréhensible, le Doyen a fermé son bureau et disparu des lieux après sa nomination. Il n’a jamais pris fonction et c’est moi qui ai quémandé plus tard qu’on casse son bureau pour que je puisse l’occuper. En son absence, une nouvelle organisation se mit en place et me désigna rédacteur en chef du groupe. C’était pour la première fois et assez tôt pour mes débuts dans ce métier, dès 2012, que je me voyais avec de si grandes responsabilités. Mes enseignants m’ont dit sur les bancs, que le rédacteur en chef, est un journaliste compétent et surtout expérimenté. Là je n’avais pas d’expérience. Je devais apprendre à devenir à la fois un bon journaliste, un bon manager et un bon cadre éditorial. Et tout devait aller très vite, puisque nous avions à l’époque l’une des télévisions privées les plus suivies de la capitale. Peut-être, la plus suivie. L’actualité abonde de faits politiques, difficiles à cerner. Les acteurs qui animent le débat politique, l’animent depuis des décennies. Mais c’est pour la première fois que nous (notre génération) les voyions. Il y en a des éloquents, des bavards, des belliqueux, des insolents, des pondérés, des modérés et des pertinents. Il fallait dans cet environnement donner l’information juste et équilibrée. Il fallait batailler pour ne relayer que la vérité. 52
Faudrait-il disposer des capacités pour distinguer le vrai du faux. Ce milieu, nous ne le connaissions que par nos propres aprioris. Chacun avait un penchant. D’ailleurs le groupe de presse qui nous avait employés, appartient à un homme politique, Abé Sylla, connu en 2010 à la veille de l’élection présidentielle d’après transition. Les tout premiers travailleurs, furent des jeunes sympathisants à s’être investis pour sa campagne électorale. Il n’a pas gagné l’élection, mais il ne les a pas abandonnés. Comme il a décidé d’investir dans son pays qu’il n’habite plus depuis des décennies, il a cru bon de s’appuyer sur ce groupe d’«éclaireurs », pour conquérir le marché. D’abord avec une société de distribution d’images par satellites, ensuite ces médias audiovisuels. Abé avait adhéré à l’alliance Cellou Dalein Président, de l’opposant Cellou Dalein Diallo de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée, adversaire d’Alpha Condé au second tour atypique de la présidentielle de 2010. Il a continué à lutter à ses côtés même lorsque l’alliance a changé de nom et connu une nouvelle recomposition. On parlait désormais du collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition. Collectif qui avait pour premier porte-parole, un certain Faya Millimouno, directeur de campagne de la Nouvelle Génération pour la République d’Abé Sylla à la même élection. Le collectif va manifester pour exiger l’organisation des élections législatives. Le Conseil National de la Transition qui faisait office de parlement n’était pas représentatif, criait-on. Nous n’avions que ce type de sujets à traiter. Aucun effort pour orienter les regards de notre public ailleurs. Au début nous étions encouragés à le faire (on ne peut pas dire forcés). Au fur et à mesure, tous les journalistes ont semblé avoir jugé la couverture d’un sujet qui concerne l’opposition-pertinent ou pas- par principe, une obligation. Dans un conducteur d’un journal radio télévisé, on peut encore se rappeler d’un alignement suivant : déclaration de l’opposition, conférence de presse de l’opposition, manifestation de l’opposition, bilan selon l’opposition, bilan selon la police et le lendemain on revient avec : l’inhumation des corps, nouvelle déclaration de l’opposition…C’était la routine. Ça l’a été tout au long de la décennie 2010-2020. La presse en général s’est 53
tellement embourbée dans la dépendance qu’elle a du mal à cerner son environnement, et ce qu’elle était appelée à faire en réalité. D’ailleurs une tentative de rupture d’un seul média avec ce que j’appelle « dépendance complaisante », est considérée comme de la trahison. C’est vrai aussi que les médias privés ont voulu se montrer gentils au départ à l’égard des partis politiques d’opposition qui ne trouvaient toujours pas leur place à la RTG. Le groupe de médias d’Etat ne leur donne pas la parole. Et s’il la leur donne, il essaie de « trier » dans leurs propos, ce qui dérange moins le pouvoir en place. Déjà on peut faire la remarque à travers notre travail de l’époque. Une enquête de la mission d’observation de l’Union européenne à l’occasion des législatives de septembre 2013, est très édifiante là-dessus. Dans une Médiamétrie, corroborée avec le constat de la Haute Autorité de la Communication, il s’est avéré que « le groupe Gangan avait donné plus de parole à la NGR qu’aux autres partis politiques. Il avait donné plus la parole aux principaux partis d’opposition qu’au parti au pouvoir. Les médias audiovisuels privés dans l’ensemble s’étaient montrés plus gentils avec l’opposition, qu’avec la majorité lorsque ce n’était pas facturé ». Puisqu’il faut payer pour se faire accompagner. La raison fondamentale, c’est que la NGR était dans la compétition. Son leader Abé était allé à la conquête de la préfecture de Kindia, sa préfecture natale et un de ses adjoints était tête liste du parti à la représentation proportionnelle. Les cadres du parti ont fait toute la campagne à travers la télévision Gangan. Tous les jours ils étaient là, pour lire des déclarations, diffuser les images de meetings, des gestes humanitaires de leur leader. Aucune limite n’était fixée par la direction de l’information qui a cessé d’exister momentanément pendant cette période. S’ils le voulaient, ils demandaient à passer dans des émissions dont nous devrions improviser les synopsis et l’animation. J’ai été stupéfié un jour. Aujourd’hui je peux en rire. Un des candidats du parti à la députation a demandé qu’on lui apporte de la craie et un tableau noir pour qu’il explique aux Guinéens comment il va donner de l’électricité au pays en un laps de temps, 54
si la NGR obtenait beaucoup de sièges à l’Assemblée nationale. Ainsi dit. Ainsi fait. L’ordre a été exécuté et ces deux outils d’apprentissage qu’on n’avait l’habitude de voir que dans des salles de classes ou à des endroits des domiciles privés dédiés aux élèves, ont été transportés sur le seul plateau de la télévision. Pendant près d’une heure, il a fait sa démonstration sous nos regards d’ignorants et notre caméra. C’était une seule qui est utilisée à l’époque pour le journal et toutes les émissions d’animation, posée devant le rideau vert. L’émission a été enregistrée et diffusée comme telle. Le résultat de notre investissement militant fut un siège à l’Assemblée nationale, obtenu à la proportionnelle et la défaite du leader Abé à Kindia face à Demba Fadiga, candidat du RPG Arc-en-ciel, parti au pouvoir. Même quand il devrait utiliser sa télévision à des fins politiques, il n’a pas songé à l’équiper. S’il se déplaçait avec une équipe pour l’intérieur du pays, il nous laissait avec deux petites caméras pour tous nos travaux. Les cameramen sont en nombre, mais je ne pouvais les utiliser au même moment. Il nous faut attendre que deux, rentrent du terrain avant d’envoyer d’autres. Et c’était ainsi pour produire un journal d’une dizaine d’éléments. En plus du fait qu’ils étaient sous-payés, ils filmaient dans des conditions pénibles. Si ce ne sont pas les micros qui ne sont pas bons, ce sont les câbles qui lâchaient en pleine interview. Sans trépieds, il était presqu’impossible d’avoir des images stables. Ne parlons pas de la netteté, on devrait la chercher de manière permanente. Mais en cas de problèmes, nos chers cadreurs passaient pour les principaux responsables. De nos échecs perpétuels, ils y puisaient leurs souffrances qui ont fini par engendrer la déception totale. Pourquoi ont-ils tout abandonné pour se retrouver dans un environnement de « liberté » qui restreint leur liberté ? Pour être bien clair là-dessus, nos preneurs d’images et de sons, ne sont pas sortis des écoles spécialisées. Ils sont pour certains mécaniciens, photographes et cameramen de cérémonies privées. Ils ont tout appris sur le tas. Certains ne connaissaient pas les différentes parties de la caméra et ignoraient aussi la différence entre caméra professionnelle et simple caméscope. A ces débuts, ils croyaient 55
qu’ils avaient les mêmes capacités, d’autant qu’ils servaient à prendre des images. Ils ne connaissaient aucune théorie autour du métier. Les différents plans, leurs valeurs, les mouvements qu’il faut avoir dans la prise d’images ainsi que leurs significations spécifiques. L’imagination, le journaliste doit l’avoir. Autrement, il se contente d’habiller son texte avec ce que j’appelle « la brume d’images ». Ils ne devraient pourtant pas être blâmés. Ils n’avaient reçu aucune formation en la matière et devraient utiliser un matériel d’infortune. Les autres souffre-douleurs de cette déficience généralisée sont dans la pièce à côté du bureau du coordinateur général. Des techniciens monteurs, formés à l’utilisation de Vegas Pro et Spee Dee Delivery. Plusieurs fenêtres à ouvrir pour obtenir le son et l’image recueillis dans les conditions décrites ci-haut. Et lorsque Dieu est avec nous, le montage se fait sans heurts. Le journaliste reporter assis ou arrêté, indique au monteur, les extraits vidéos à sélectionner et les plans d’images pour habiller le texte, converti en signal sonore. A ces débuts, le service de ces techniciens est bien sollicité, parce que le montage leur est dédié, comme une chasse gardée en quelque sorte. Le travail des reporters se limitant à la conduite des interviews sur le terrain, le choix des angles et la rédaction du texte. Donc, la moindre difficulté, causée par le manque d’attention du cameraman, on peut se retrouver avec un son brouillé et des images floues. La sélection devient alors quasiment impossible. Ils finissent par se lasser au début de l’an 2013. Progressivement, ils ont commencé à partir. Difficile de se contenter du peu, quand on peut avoir un peu plus ailleurs. Ils sont partis sans faire de bruit et surtout sans informer de leur départ. Et progressivement, ceux qui au départ étaient arrivés avec peu d’expérience et qui avaient commencé à en acquérir, abandonnent le bateau à mi-chemin. Sans doute, leur départ a provoqué une crise que les propriétaires de la chaîne ont refusé de prendre au sérieux. « Personne n’est indispensable », s’habitue-t-on à dire au niveau de certains milieux décisionnels. En réalité, certains promoteurs, prennent l’emploi pour un privilège accordé à un employé, plutôt qu’une ressource importante qui aide à faire des bénéfices et des progrès. Néanmoins, s’ils ne prennent pas en 56
considération leurs travailleurs, ils n’émergent pas. Ceux qui n’ont aucun succès, sont de ceux qui prennent l’orgueil pour méthode de gestion. Mais ce n’est pas la seule raison du calvaire dans les médias. Et c’est démontrable. Ceux qui partaient laissaient un vide impossible à combler. Et puisqu’ils n’arrêtaient pas de partir, on a dû faire recours à un autre courageux qui connaissait bien la NGR. Il avait foi en cette formation politique. Nous l’appelions Sow Dollars. Diplômé en mathématique à l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry, il a exercé plusieurs petits métiers avant de se retrouver dans notre monde. C’est seulement lorsqu’il est arrivé, qu’il a commencé à apprendre à utiliser la caméra. Il avait l’intelligence de vite assimiler. D’ailleurs, les notions qu’on lui donne dans cette précipitation, devraient lui permettre d’allumer la caméra, fixer l’objectif sur le sujet à filmer et appuyer sur le bouton « enregistrer ». Le reste devrait se faire avec le temps. Sow fut d’une grande utilité. Non pas parce qu’il a pu combler le vide laissé par les cameramen qui nous avaient quittés (il ne pouvait combler un vide si grand), mais parce qu’il avait de l’énergie pour aller sur tous les terrains. Lui seul pouvait couvrir plus de trois sujets de reportage par jour. Et il était disposé à ressortir à tout moment si le besoin se faisait sentir. Sans hésitation, lorsque la présidence a demandé de faire accréditer un reporter pour les conférences du président, je l’ai désigné. Il était particulièrement bien connu à la présidence. Son courage a été apprécié au-delà des attentes. Il meurt dans un accident de la circulation du retour de son village sur la nationale ConakryDubréka. Il meurt sans réussir à faire avancer les choses dans cette entreprise qu’il avait fini par adopter. A un moment donné, on finit par adopter une entreprise, plus qu’elle n’en fasse de même. Et le sentiment qui anime, c’est celui de l’espoir de voir un jour les choses changer positivement pour le bénéfice de tous. C’est cet espoir que nous avions. A cause de nous, certains nous ont rejoints dans ce métier et à Gangan. Des années ensemble et nous finissons par comprendre deux choses fondamentales. Primo, l’entreprise n’était pas sur le point d’évoluer (je veux vraiment avoir tort) et secundo, nous étions pris 57
pour des responsables de cette misère. Le deuxième élément est à étayer, car c’est le jugement que certains patrons peuvent faire souvent. On a pensé tout naturellement que notre investissement pour donner à la télévision la place qu’elle occupait, même si elle était entrain de la perdre ne suffisait plus. En clair, nous ne devrions plus nous contenter tout simplement de produire des éditions d’informations ; notre travail devrait aussi consister à chercher de l’argent. « La rédaction doit être rentable », nous avait-on lancé. Ah bon ! Mais comment ? - Il faut que dans une édition, nous ayons au-moins quelques éléments facturés- C’est ce qui fait avancer les autres. Erreur. Le service commercial ? Nous n’en avons jamais eu un d’efficace. Quelques agents ont tenté de travailler, mais comme nous autres employés, ils devraient se contenter du peu. Même s’ils apportaient des marchés, il fallait qu’ils fassent le sacrifice de fermer les yeux sur quelques millions, dans l’espoir d’amasser plus de fortune dans un délai fixé comme l’horizon ; plus on croit y arriver, plus il s’éloigne. La boîte ne disposant pas de plan d’action détaillé, on bosse les yeux entrouverts, somnolents pendant que les autres naissent et prennent de l’envol. Donc, aucun d’eux ne va rester. Certains poussés à partir pour des soupçons et faits avérés de détournements des montants allant de cinq cent mille francs guinéens (500 000 GNF) à deux millions de francs guinéens (2 000 000). Les journalistes que nous étions, lassés par les conditions pénibles de travail, étions désormais appelés à nous préoccuper des recettes de la boîte. Sollicitation légitime. Sauf que nous estimions que nous le faisions déjà, en produisant des éditions et autres programmes d’informations regardés à Conakry. Le service commercial, s’il existait, n’avait qu’à vendre des minutes avant et après ces programmes. Mais il n’y avait pas d’imagination. La chaîne avait un avantage. Elle appartient à un groupe qui dispose d’une société de distribution d’images : Soditev. Donc elle y est de droit. Tous ceux qui ont ce bouquet peuvent suivre ses programmes. Malheureusement, le contenu n’est pas assez fourni et la société de distribution elle-même ne part pas loin de Conakry. Ce qui était censé être un avantage, n’est en réalité 58
qu’anodin pour une télévision qui a besoin de l’attention de son patron, pour ne pas faire dans l’avenir de la simple figuration. Nous y avons beaucoup appris par ailleurs. A écrire, filmer, monter et gérer une rédaction. Nous avons aussi appris à supporter le travail sous pression, dans la douleur et la misère. Quel que soit le problème qui puisse se poser à nous, s’il est d’ordre purement professionnel, nous pouvions facilement envisager une solution adaptée. Et de l’imagination, nous en avions eue. Comment planifier une production interne les matins, identifier les sujets de reportages, les faire couvrir avec deux ou trois caméras, le soir produire le journal télévisé avec une des trois, faire poser des voix sur le plateau du JT qui dispose du seul micro bien câblé, monter le JT et l’envoyer pour diffusion à quelques kilomètres de Matoto. Le tout avec une formation pas assez approfondie, puisqu’on est très enfermé dans une analogie exploitée dans le numérique. Il fallait prendre la décision d’avancer professionnellement. L’apprentissage en journalisme est plus qu’ailleurs, permanent. C’est un métier de questionnement permanent. 3. HADAFO MEDIA, L’HEURE DE LA MATURITE Le groupe Hadafo a eu de bons rapports avec la direction du groupe Gangan à un moment donné. Son patron aurait même pu investir ou acheter « la télévision montagne » qu’il aimait bien. C’est la première à diffuser les « Grandes Gueules » en images, l’émission phare de la radio Espace qui avait commencé à se faire une place dans l’opinion. Lamine Guirassy était même venu un jour visiter les installations, mais puisqu’il était accompagné d’un huissier, nous avons conclu qu’il s’agissait d’un inventaire du matériel existant avant de se décider probablement. Nous ne l’y avons plus revu jusqu’à ce qu’on apprenne que la collaboration annoncée n’aurait plus lieu. Il va lui-même se battre pour lancer sa propre télévision. Beaucoup ne croyaient pas qu’il parviendrait à mettre sur pied une chaîne de télévision capable d’exister au-delà de cinq ans. Plusieurs autres avant lui en ont souffert : des dépenses colossales pour peu de revenus, de la misère des employés. C’est bien cette télévision qui nous accueille mon ami Antoine Kourouma et moi, le 5 octobre 2014, avec joie. 59
Espace, sous les projecteurs Espace est une chaîne privée du groupe Hadafo Médias qui émet depuis 2013. Le siège se trouve à Matoto Kondéboungni, dans la commune de Matoto, la plus grande du pays. Comme le groupe, la chaîne a été mise en place par Lamine Guirassy qui a fait ses premiers pas dans le monde des médias en France. Il a d’abord lancé la radio Espace, qui n’a pas tardé à se faire une place importante en Guinée. Il dispose en plus de cette première radio connue aujourd’hui pour son émission "Les Grandes Gueules", de sept autres radios à Conakry (Sweet FM), à Boké (Espace Kakandé), à Labé (Espace Fouta) à Kankan (Espace Kankan) à N’Zérékoré (Espace Forêt), à Mamou (Espace Mamou) et à Kindia (Espace Kania). C’est seulement en décembre 2015 qu’elle a obtenu la licence d’exploitation de la télévision des mains de la Haute Autorité de la Communication. Jamais de l’histoire médiatique de la Guinée, l’octroi d’un agrément n’avait suscité autant de polémiques que lorsqu’il s’est agi d’autoriser cette chaîne du groupe Hadafo Médias à émettre. Le groupe a dû attendre le quatrième ministre de la communication sous la présidence Condé, nommé dans le gouvernement de Mamadi Youla, pour obtenir ce sésame que deux ministres lui avaient ouvertement refusé. Ce conflit, nous avons commencé à le suivre de l’extérieur. Et de l’intérieur, nous n’avons joué aucun rôle véritable, laissant le soin au patron et à sa direction de poursuivre la bataille. Nous, nous avions une autre lutte à mener. Celle professionnelle. A ce début du troisième trimestre de l’année 2014, la chaîne proposait encore un tout-images de 10 minutes et c’est ainsi qu’il a été nommé et une édition hebdomadaire le « News Week ». Notre premier entretien nous a permis de savoir notre mission aux côtés du Directeur de l’information Moussa Moise Sylla et des collègues que nous connaissions bien. D’ailleurs Moise comme nous est un ancien employé de Gangan, il nous a juste quittés assez tôt, tout comme l’actuel directeur des opérations du groupeet le tout premier cameraman feu Michel Tolno. Ils connaissaient d’où nous venions, notre pauvreté matérielle, ainsi que notre détermination à faire du bon boulot. Il était donc 60
question d’aller vite avec des éditions présentées. Nous allons travailler à cela et le 22heures a commencé en novembre 2013. Et puis progressivement, le 13 heures en 2016 et le 20 heures en 2019. Travail harassant. Très ! Il fallait produire suffisamment d’éléments et soumettre à une espèce de corvée, des techniciens monteurs, appelés à servir d’infographes et de primoprogrammeurs. Ce sont eux qui mettent en œuvre nos conducteurs à ses débuts. Nous ne réussissions pas souvent à diffuser. La contrainte fondamentale demeurait. Et c’était celle de la diffusion inféodée à internet. Il fallait à tout prix disposer de la connexion de qualité pour espérer être dans le temps. Il fallait supporter le stress qui avait deux sources : le patron qui veut s’imposer et l’internet qui ne donnait que ce qu’il pouvait. Notre envie de bien et vite faire est souvent restée vaine. Ainsi désarmés, on était mis au courant soit directement ou indirectement de la pression du public. Le public a fini par nous choisir, comme au soir d’une élection. Un public très exigeant par ailleurs, qui s’en fiche des conditions dans lesquelles nous travaillions. La crise des caméras n’est pas loin de finir. Nous allons la connaître véritablement. Les câbles qui lâchent, les micros qui crachent et les objectifs qui s’assombrissent. Je viens observer encore les collaborateurs tenus aux remontrances quotidiennes. Nous les prenons facilement pour responsables. Or, comme à Gangan (la plupart en proviennent surtout), ils n’ont pas bénéficié de formations particulières. Des séances épisodiques pour les besoins de la cause immédiate. Et souvent c’est quand on constate beaucoup d’erreurs à l’antenne. Ils ne sont pas spécialistes, mais ils tendent à se professionnaliser. Pour les former, il y a bien du boulot. Autrement dit, s’ils n’étaient pas ingénieux par nature, il leur aurait été difficile d’exercer dans les médias. Bien d’entre eux ne savaient pas lire et écrire correctement français, langue de travail. Et les notions en matière de télévision, ne peuvent être accessibles aujourd’hui qu’à travers une des langues du savoir. Les techniciens monteurs eux sont débordés par des éditions à produire, des émissions à monter et la chaîne à habiller. Tous les jours, exceptés les dimanches, ils restent cloîtrés dans une pièce 61
parfois surchauffée. Ils subissent des journalistes, leur empressement à vite apprêter leurs éléments pour rentrer chez eux et les coupures intempestives du courant électrique. Pas de mécanisme véritable pour les protéger des chocs que ces deux éléments peuvent causer. C’est pourquoi, Aly Kaba et Francis Kolié ont deux attitudes distinctes : l’un qui préfère se taire et se distraire à travers les informations sportives et l’autre qui choisit d’extérioriser sa douleur et sa colère. Il crie et attire l’attention de tout le monde. Ils travaillent combien d’heures par jour ? Je l’ignore. Tant que les éditions ne sont pas sur le serveur, ils sont là, même s’ils arrivent à peu près à la même heure que nous. Les techniciens de régie sont occupés au début à n’enregistrer que le son. La prise d’images revenant aux cadreurs, en nombre pour le boulot. Ils sont aussi là jusque tard la nuit. Leur tâche va se compliquer un peu plus tard, lorsqu’on commence à diffuser en direct en septembre 2019. Pour autant, ce n’est pas la seule difficulté à raconter. Les journalistes ne peuvent connaître tous les jours la même facilité à partir de la rédaction pour les champs de collecte des informations. Il peut bien leur arriver de se soumettre à la dure et éprouvante insuffisance du matériel. Les heures de production des autres émissions de la télévision, qui nécessitent particulièrement la mobilisation de plus de trois caméras, autant de lampes et de micros, peuvent freiner l’élan de toute une rédaction. Et ce constat a été longtemps fait avant de parvenir à un accord qui a permis d’obtenir un réaménagement du calendrier de production. Le service des programmes s’est voulu compréhensif. Pas sans montrer au préalable sa place au sein de l’entreprise, lorsque les journalistes avaient cru bon de brandir l’importance des éditions d’informations. Cette question demeure au cœur des discussions permanentes entre les services de la rédaction et de production des autres programmes. Chacun voulant absolument offrir le meilleur produit qui soit pour donner la dimension qu’il faut à la chaîne. Et dans ce conflit se matérialisant parfois par des crises de colère, les décisions ne se prennent pas facilement. Quelle équipe soutenir quand le temps presse ? Ou quelle section léser dans certaines circonstances ? La direction parfois ferme les yeux et sacrifient quelques éléments prévus pour la journée. De toutes les façons, on 62
a qu’à gérer avec ce qu’on a. Le JT va donc tourner autour des éléments de fond (pas assez), des éléments pas bien fournis et des extraits vidéos rendus sous forme de propos recueillis pour obtenir trente minutes d’informations. Les difficultés, les incompréhensions habituelles sont inhérentes à la vie des entreprises. Un véritable management permet de garder la cohésion au sein d’un personnel hétéroclite. Tous les ans, nous avons dû accepter la réalité et espérer un progrès significatif. Nous l’avons eu au prix d’une grande détermination. Un peu plus de caméras et des postes de montage. Les journalistes reporters d’une expérience certaine, travaillent à donner un sens et une forme à leurs éléments prêts à diffuser (PAD). C’est à la fois une réussite pour cette entreprise qui a la chance de s’appuyer sur des agents de l’information formés aux pratiques actuelles et pour les employés eux-mêmes, de jouir de la liberté de servir en journaliste complet. Le jour qu’on commence à diffuser en direct, quelle joie de comprendre que nous pouvions le faire. Parce que cinq années auparavant, nous ne le pouvions pas. Tout a été conduit si prudemment, qu’il n’a fallu aucun risque de sitôt pour éviter des surprises désagréables. Mais c’était bien d’y croire. Parce qu’au fond, le problème était technique. Trouver des machines de diffusion et des techniciens pour les manipuler. On a su compter sur l’équipe d’un certain Nalaye Sidibé qui est passé d’ingénieur de son, comme nous l’appelions, à ce machiniste au cœur du fonctionnement de tout le dispositif. Le câblage qui a fini par prendre en compte le studio de production de l’émission « les Grandes Gueules », au quatrième étage de l’immeuble et les trois salles de plateaux au troisième étage. Progressivement le vaste chantier de réalisation d’une vraie télévision prend forme et connait du succès. Le public ne le savait pas, nous en étions sûrs. Il fallait y être pour bien dire ce qui, dans les détails était le géniteur de tout ce grand nom d’Espace TV à travers les Grandes Gueules. Les matins, ce sont au moins trois cameramen qui sont postés dans le studio A de la radio Espace, pour filmer les échanges courtois et discourtois des chroniqueurs de l’émission et des invités serrés 63
parfois entre eux. Ces derniers sont reçus sur des chaises peu confortables et se débrouillent à garder l’équilibre pour répondre à plusieurs questions, souvent enchaînées, simples, complexes, impertinentes… Nous avons encore en mémoire des gestes de mains de nos cameramen qui obligeaient tout le monde à rester figé pour éviter de sortir du cadre. « Hey –hey-hey, Shiiiiist », de leurs chuchotements, et leurs doigts sous leurs yeux ou tournés en direction des caméras de marque Z 7, pour indiquer quel objectif chacun devrait fixer dans le studio. Alors le « Turbo » (comme nous aimons appeler l’animateur Lamine Guirassy) de son fauteuil reste à la manœuvre, il s’occupe du contenu de l’émission et des aspects techniques. D’abord pour la radio-son monde à lui-pas de soucis. Il gère la console, c’est-àdire, il donne la parole à qui il veut, en veillant tout simplement à ce que les micros soient ouverts et fermés lorsqu’il le faut. Et puis, des jingles promo qui passent tout le long de l’émission. Ce n’est pas à lui de s’occuper par ailleurs de cette télévision en construction à ses débuts. Il reste lui-même sous l’autorité absolue des hommes de feu Michel Tolno (paix à son ame !) et de Koria Abou Kourouma. Ils lui ont infligé à lui et à nous autres, des corvées des plus insupportables qui soient. « Boss par là … » Lorsqu’il se met de profile en oubliant qu’il doit fixer la caméra principale. Parce qu’il se croyait encore à la radio simplement. Et lui-même de réaliser plus tard qu’il y avait bien d’autres situations à gérer : des comédies de Moussa Moise (il n’en manque jamais, même quand tout le monde est concentré), les téléphones de Tamba et Mohamed Mara (qu’ils n’arrêtent pas de manipuler), les murmures assez audibles, les déchaînements verbaux incontrôlables de Robbi, la persistance de Titi, leurs querelles autour des micros (il n’y en avait que trois parfois). Et un jour Moise en a pris deux lui seul, « pour que ça passe », a-t-il répondu lorsque le Turbo lui a demandé pourquoi deux micros. Et après tout, il ne fallait pas oublier qu’une certaine Moussa Yéro a droit à la parole, ou Mafoudia Bangoura, quand elle rejoindra l’équipe. Désormais nos cadreurs pouvaient ne pas rester là postés comme des trépieds avec leurs trépieds. Tout est contrôlé en bas 64
avec une équipe de réalisateurs très efficace. C’est l’heure du direct. Et dans le studio radio aussi, il y a eu beaucoup de nouveautés. Maintenant des chaises avec dossiers, deux micros tout simplement posés. Pas besoin de se les partager. L’émission ne cherche plus de notoriété dans le pays. Elle cherche à se faire de la place dans la sous-région et bien ailleurs. Le secret, c’est l’audace. Les critiques du public sont entendues et les plus justes sont prises en compte. Mais nous avons appris une chose : de l’extérieur on ne peut influencer tout le monde. On ne peut influencer les « Grandes Gueules ». Si ceux qui vous critiquent ou apprécient le font sur la base de simples préjugés, pourquoi changer d’attitude ? Les perceptions et les préjugés restent ce qu’ils sont et on n’y peut rien. Aucune émission de grande écoute ne peut d’ailleurs accepter les pressions, autrement, elle meurt. Car, à tout moment le téléspectateur ou l’auditeur veut que le débat se tienne comme il le souhaite. Les critiques, reproches voire même suggestions, faits aux médias, peuvent être motivés par l’envie de les avoir pour soi. A la rédaction d’Espace TV, je travaille avec des journalistes qui ont vite compris la ligne éditoriale. La télévision appartient aux « vrais gens ». Il s’agit des citoyens chez qui un faux ne choisirait pas de manger, boire ou passer la nuit. Des citoyens dont les voix ne sont jamais entendues. Des citoyens dont on choisit délibérément d’ignorer les réalités. Les vrais gens sont aussi ceux qui se battent pour changer leur propre situation et faire avancer leur localité à leurs rythmes et manières. Ne jamais oublier : ceux qui sont dans les bureaux et qui décident de ce qui est bon ou ne l’est pas, ce qui doit se faire ou qui ne doit pas l’être, ignorent souvent assez des réalités du pays. Ils sont gouvernants, disent travailler pour des gouvernés dont ils ne connaissent pas le nombre exact. Ils ne viennent les rencontrer qu’à l’occasion des consultations électorales. Ceux qui veulent les remplacer, ne les connaissent pas non plus. C’est à partir de Conakry qu’ils racontent, ce qui à leurs yeux, refléterait la misère des Guinéens. Parce que pour eux, il faut mettre en avant cette misère qu’ils ne peuvent quantifier, pour espérer avoir la 65
confiance des électeurs. Sauf que globalement, les deux groupes ne disent pas toute la vérité. Les vrais gens deviennent alors des Guinéens dont la vie est souvent objet de marchandage. Et ceux qui exercent et conquièrent le pouvoir ne sont pas les seuls à s’en servir. Des groupes d’organisations de la société civile parlent en leurs noms pour bénéficier des privilèges mondains : argent, notoriété et des responsabilités dans l’administration. Ces nouveaux groupes d’organisation de la société civile naissent à Conakry, mènent leurs activités sur les réseaux sociaux et estiment avoir le mandat de parler au nom de la dizaine de millions de guinéens qu’ils ne connaissent pas. Ils se croient si légitimes, qu’ils n’hésitent pas à vouloir imposer leurs idées aux autres. Ils se construisent au sommet et cherchent en vain, à s’implanter dans toutes les préfectures du pays. Même les syndicalistes qui perçoivent les cotisations de ceux qui sont syndiqués parmi les vrais gens, les dupent. Nous journalistes, avons tendance aussi à les snober lorsqu’un administrateur ou homme politique nous invite à recueillir son discours. Un homme politique, un ministre ou directeur national est connu, les vrais gens, non ! Nous invoquons souvent les critères « d’importance, de personnalité ou de célébrité », comme enseigné dans les classes de journalisme pour justifier nos choix éditoriaux. L’idée qui est bien expliquée par le patron de Hadafo, c’est de mettre en lumière ceux qu’on n’entend pas. Dès lors, le journal télévisé travaille à se mettre au service de son public. Nous estimons de manière claire que les vrais gens représentent le mieux, la société guinéenne. L’idéal est d’arriver à consacrer l’essentiel de nos rendez-vous d’informations à cette société : « la vraie ». C’est cet idéal que nous continuons de poursuivre. Devant nous beaucoup d’obstacles, internes et externes qui ne facilitent pas l’atteinte des objectifs que nous nous sommes fixés. A l’interne : Espace TV est une télévision privée et commerciale, qui vit grâce à ses ressources propres. Souvent, l’employeur nous le rappelle. Il y a eu des saisons, la chaîne n’était pas assez productive et il nous le disait en face : « C’est la 66
radio qui prend en charge la télé, ça ne doit pas continuer ainsi !». Donc le message était précis. Le directeur de la télévision devrait amener son équipe, non seulement à produire une édition qui soit bien suivie et par ricochet, pourrait attirer des annonceurs, mais diffuser aussi des éléments commandés. Les éléments que nous nommons maladroitement « publireportages ». Honnêtement, je suis foncièrement contre cette appellation. Non pas pour le radical « Publi » qui renvoie à la « publicité », mais au vocable « reportage », qui est venu s’y greffer comme un simple suffixe. Le Reportage, c’est un genre noble. Pour moi, le journalisme tient sa noblesse de ce genre journalistique, qu’un non professionnel ne peut réussir. Le reportage est complexe dans la réalisation, mais simple à suivre. Le journaliste emploi le langage le plus accessible pour amener son public à comprendre le sujet qu’il rapporte. Il y met des extraits poignants, des détails qu’on laisserait pour un simple compte rendu. Le tout accompagné d’une description du sujet et de son environnement, avec un désintéressement total. C’est de l’art exprimé en journalisme. Un tel genre, s’il venait à être vendu aux nantis, le journalisme disparaîtrait. C’est la crainte que j’exprime souvent. Ma conviction profonde. A l’externe : nous continuons à croire, hélas que les informations d’ordre politique vendent mieux le journal. Les conférences ou point de presse, les ateliers de formation, les sessions gouvernementales et parlementaires, les plénières (même les plénières d’organisations politiques), les déclarations d’activistes, viennent occuper l’essentiel des informations à diffuser en trente minutes. Nous restons dépendants de ceux qui ne créent pas. Les mêmes phrases écrites il y a des décennies sont reproduites dans les discours de maintenant. De simples comptes rendus, certains contenant un seul intervenant le plus souvent. De fades comptes rendus comportant des invectives de politiques en manque d’idées. Les deux facteurs aident à promouvoir ceux qui se sont déjà frayés du chemin et qui ne veulent donner aucune chance aux autres d’une part et, encouragent le mépris à l’égard de ceux qui vivent de crise et de peur de l’autre. Ceux qui sont enclavés, qui n’ont pas accès à l’information, nourrissent en eux la peur des 67
conséquences de leur opposition à un discours qui dit « qu’un chef est choisi par Dieu ». Et la peur de celui qui arrive vers eux en voiture climatisée, veste et cravate chères. La peur de dire ce qui leur manque. Les intellectuels du gain à tout prix, endorment davantage leurs consciences. C’est donc un grand défi à relever. Rapprocher la vraie information de la société guinéenne et repousser cette communication à outrance au bénéfice des hommes et femmes qui ne veulent que pouvoir pour le pouvoir. Un tel travail demande un investissement. Cela suppose que la rédaction dispose de moyens efficaces pour faire le tour de la Guinée. Des bureaux régionaux, en cours d’installation, pourraient à n’en pas douter, aider à accomplir ce qui peut nous paraître impossible. Certaines expériences ont déjà prouvé que c’est ce qui intéresse en réalité notre public. Des expériences qui démentent surtout l’idée selon laquelle, ce sont les déclarations politicopoliticiennes qui intéressent nos téléspectateurs. Les discours politiques, estime-t-on à tort, sont les seuls qui poussent nos compatriotes à regarder une chaîne de télévision. « Hors-série », l’émission de découverte de l’équipe d’Antoine Kourouma, caracolent en tête des programmes produits exclusivement par Espace TV, qui suscitent le plus d’appétit. Lorsqu’un numéro doit être diffusé, tous les Guinéens où qu’ils soient, trouvent le moyen de le suivre. Certains appellent même pour s’offrir des copies, afin de se rattraper après des reportages, interviews qui parlent des réalités du terroir. L’histoire, les coutumes, les richesses sur place. A propos, les Guinéens de l’arrière-pays s’expriment sans gêne. Il y a bien des choses que nous avons apprises sur nos préfectures, grâce à cette émission. Seul problème, la fréquence de production et de diffusion, n’est pas encore régulière. Tout est assujetti aux moyens à réunir pour faire voyager une équipe d’au moins trois journalistes, deux cameramen et un chauffeur. Ce n’est pas exagéré lorsqu’on dit, que cette émission est à loger dans les grosses productions. Et nous avons besoin de grosses productions. « Les oubliés de la République » de Mamadou Saliou Bah, répondent aux mêmes besoins de rapprocher la télévision des villages peu visibles ou méconnus des citadins et surtout de tous les autres. 68
Lamine Guirassy aime son entreprise. C’est un euphémisme de le dire ainsi. Il la porte tellement dans son cœur, qu’il vit avec comme une partie intégrante de son organisme. Le corps humain, l’organisme, lorsqu’on se promène ou se couche, il reste entier. Chacun veille sur les différents éléments. Le médecin n’intervient que pour soigner un mal. Sinon le reste des décisions importantes à prendre pour se protéger contre les phénomènes dégradants, appartiennent exclusivement à chaque individu. Pour Guirassy, le groupe Hadafo complète son corps humain et son esprit. Il ne voudrait le laisser sous le contrôle de personne. Il souhaite tous les jours avoir à portée de main, la dizaine des médias qu’il a pu fonder. Leur fonctionnement sur le plan technique, le travail au sein des rédactions, les différentes programmations d’émissions, tout comme leur conception. Très imaginatif, il identifie des tâches qu’il confie sans cesse. L’organisation administrative qu’il a mise en place, demeure pour l’heure un simple schéma, qui essaie de fonctionner. Mais c’est un choix personnel qui lui réussit certainement et qu’il assume pleinement.
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CHAPITRE II : LES RADIOS ET TELEVISIONS FACE AUX DEFIS 1. LES MEDIAS GUINEENS ET LEURS PUBLICS L’existence des radios indépendantes de l’Etat dans la première décennie du 21èmesiècle en Guinée, n’a pas permis de répondre aux attentes que l’opinion nourrissait à la libéralisation des ondes en 2005. La télévision d’Etat qui venait d’ouvrir sa deuxième chaîne, a davantage centré ses informations sur les actions du gouvernement et des institutions de la République. Il a fallu attendre 2011 pour que la première chaîne privée Gangan TV commence à émettre dans la capitale. Progressivement, elle a été rejointe par Diversity TV, Evasion TV, TA TV, Espace TV, CIS TV, toutes à Conakry et Faso TV à Kankan et très récemment Djoma TV. Depuis lors, les Guinéens ont commencé à suivre les informations différemment et à se faire un choix. Aujourd’hui encore, la radio télévision d’Etat reste très suivie dans le pays, comme le révèle une enquête d’Afrobaromètre, réalisée en Guinée par Stat view international. En 2017, la télévision d’Etat était arrivée en tête. La dernière enquête du genre, commanditée par la Haute Autorité de la Communication en 2019, donne des résultats tout à fait différents. La télévision a été déclassée par Espace TV. Quant à la radio nationale, c’est depuis 2017 qu’elle a commencé à enregistrer des scores moins honorables. Toujours est-il que la radio et la télévision d’Etat disposent de plus de possibilités, voire de moyens. Les nouvelles chaînes quoiqu’indépendantes, mettent du temps à se distinguer nettement d’elle. Les similitudes sont constatées dans les contenus des programmes d’informations. De l’avis général, les statuts des différentes chaînes constituent le premier élément de 71
comparaison, car ils déterminent le fonctionnement de chaque type de média. Certes, les chaînes privées élargissent leur champ de collecte d’informations et prennent en compte des avis divergents. En revanche, lorsqu’on regarde de plus près, on peut percevoir d’autres éléments qui ne changent pas, que le téléspectateur suive un journal de la RTG, d’Evasion, de Gangan ou d’Espace TV. Il en est de même pour les stations de radios qui pullulent dans le pays. Du reste, le constat général, c’est que les programmes se ressemblent et les contenus des informations diffusées restent les mêmes. Le choix éditorial est déterminant pour chaque média. Il définit l’ensemble des décisions visant à assurer la cohérence des productions et permet de préciser plus ou moins l’identité d’une entreprise d’informations. La ligne éditoriale est de ce fait un élément fondateur de toute politique rédactionnelle et s’inscrit dans un projet de long terme, apportant une cohésion globale à un ensemble de contenus. En d’autres termes, la ligne éditoriale se définit comme l’ensemble des choix et décisions que fait un comité de rédaction d’une chaîne d’un média de commun accord avec le promoteur, pour se conformer à une ligne morale ou éthique définie. Le rédacteur en chef veille au respect de cette ligne morale dans le traitement des informations en lien avec l’actualité. Un projet éditorial clair, dans le cadre des médias audio-visuels, aide le public à distinguer un organe d’un autre. Le téléspectateur qui a plusieurs options, peut rester fidèle ou non, à un organe audiovisuel sachant à l’avance le type d’informations qu’il y trouve. Les informations, leur organisation et le ton avec lequel elles sont présentées donnent une identité à une chaine. En suivant les journaux parlés et télévisés des médias guinéens dont les contenus éditoriaux font l’objet de cette analyse, on peut percevoir des différences notoires mais également des similitudes. Paradoxalement, les téléspectateurs qui leurs sont fidèles, ou les préfèrent moins, ont du mal à cerner leurs lignes éditoriales. Soit qu’ils ignorent la notion même de ligne éditoriale ou ne parviennent pas à comprendre la façon dont les informations sont traitées. De toutes les façons, tous les médias chassent les informations dans un même ranch. L’essentiel des journaux, des 72
radios, télévisions et sites web est alimenté par des faits ordinaires et discours politiques au nombre desquels, ceux qui touchent les institutions sont les plus nombreux. Les journalistes ont besoin de donner un sens à une vaste quantité d’informations et de savoir comment les organiser de façon à mettre en évidence les éléments les plus importants, à les rendre compréhensibles à un public dont le niveau de compréhension est très hétérogène et les attentes et gouts assez divergents. Les jugements en question impliquent de choisir les événements considérés comme digne d’intérêt et de décider comment présenter l’information. Inévitablement, le format de présentation de ces informations reflétera l’expérience et les prises de position des journalistes eux-mêmes. Il est important que le public comprenne ces cadrages et les considère de façon critique. Ce qui n’est pas toujours aisé. « Août 2019, une inondation emporte des dizaines de maisons à Nongoa dans la préfecture de Gueckédou. Conséquences : des centaines de sans-abris, privés aussi de nourriture en cette période de soudure. La crise provoquée par cette catastrophe a duré au moins une semaine. Et pendant toute la semaine, coïncidence nette, l’opposant Faya Millimouno originaire de Gueckédou, est accusé de diffamation par le ministre de la justice, inculpé et placé sous mandat de dépôt à Conakry ». Les médias n’ont trouvé du goût qu’à parler de ce fait juridico-politique. L’inondation, si elle a été prise en compte, n’a été placée qu’à la queue des conducteurs. C’est comme lorsque les médias ont à faire un choix dans une autre situation similaire : « Hier un astéroïde est tombé sur la ville : un quartier détruit, plus d’électricité ni de transport nulle part, écoles et commerces fermés. Mais ce matin, le grand titre à la Une du journal de la ville, c’était ça : le maire a un nouveau chien ». Ce journal a un problème de hiérarchie de l’info. C’est quoi la hiérarchie de l’info? Comment les médias l’établissent-ils ? Est-ce qu’on peut la critiquer ». C’est le résumé d’une petite vidéo de France Télévision dans son programme d’éducation sur les médias. La vidéo pose les vraies questions sur les notions d’«importance » et d’« intérêt». Ce qui paraît important ou intéressant aux yeux du
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journaliste, peut ne pas l’être pour le public. Ce qui paraît important, peut ne pas être intéressant. La hiérarchisation de l’information est l’ordre de passage des éléments dans une édition d’informations. Les plus importants ou ceux qui sont jugés comme tels, sont alignés en premier. Pour le journaliste, l’information est dite importante, lorsqu’elle intéresse plus de téléspectateurs. Elle n’a de l’intérêt que lorsqu’elle touche aux préoccupations des téléspectateurs ainsi que de leurs proches. Mais il n’y a pas de principe établi pour préparer un conducteur qui est le chemin de fer d’une édition d’information. Le conducteur comporte à la fois, les éléments prêts à diffuser, les jingles (mélodies courtes et accrocheuses qui annoncent des programmes d’émission. Ces mélodies sont associées à des slogans) et l’habillage du journal télévisé. A part l’habillage qui ne change pas au quotidien, les éléments à diffuser n’ont pas un ordre inamovible dans une édition. Nicolas Charbonneau, journaliste à TF1 le dit bien « la hiérarchisation n’est pas une science exacte, le journaliste peut parfois se tromper sur l’ordre des informations transmises, il n’y a pas de règles ». En revanche, il est toujours nécessaire de trouver un équilibre entre la vision de l’équipe de coordination des éditions d’informations et les attentes des téléspectateurs. Chaque chaîne est le reflet de ses clients (téléspectateurs), elle doit leur offrir ce qu’ils demandent. Dans le journal de 20h 30 à la RTG, le téléspectateur connaît à peu près l’alignement des éléments du jour. Les sujets institutionnels arrivent toujours en premier, suivis de faits divers qui ne figurent pas souvent. Cette façon de traiter qui n’a toujours pas changé inspire les rédactions des nouvelles télévisions qui s’installent. Non seulement dans certaines écoles de journalisme de Conakry, les professeurs, en majorité des travailleurs de la télévision d’Etat, apprennent aux étudiants à aligner les éléments de cette façon, mais aussi de très loin les rédactions des chaînes privées, restent fortement influencées par le média d’Etat qui est resté le seul dans ce domaine en Guinée, pendant plus de trois décennies après sa création.
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De façon habituelle, ce principe non écrit, s’est imposé comme une règle déontologique. Tous les journalistes ou presque décident d’ouvrir chaque édition par des actualités politiques, institutionnelles, enchaîner par les faits judiciaires, économiques, sociétaux et terminent par des faits divers. Le choix est justifié par l’enseignement qui est donné dans les écoles d’une part et d’autre part par le fait que les événements politiques prennent de l’ascendance sur l’actualité globale dans le pays. Les journalistes semblent trouver normal tous les jeudis par exemple, de commencer par présenter à leurs téléspectateurs le compte rendu du conseil des ministres et les samedis, par rapporter les discours tenus lors des assemblées générales des partis politiques. En Guinée, les discours politiques dominent le débat public. Les acteurs politiques passent leur temps à discuter des positions des uns et des autres sur l’échiquier. Depuis 2010 en effet, les opposants courent après le pouvoir pour obtenir l’organisation des élections. Il a d’abord été question des législatives qui ont été organisées le 28 septembre 2013, mettant ainsi un terme à une partie de la transition ouverte en 2008 après la mort du président Général Lansana Conté. Le Conseil national de la transition composé d’acteurs de la société civile et de quelques cadres des structures politiques avait légiféré durant quatre ans. Les incompréhensions nées de la volonté de l’opposition d’aller vite à ces scrutins mais avec une institution électorale crédible et de l’intention du pouvoir d’obtenir la majorité des députés ont été si remarquables que les institutions internationales ont été sollicitées pour rapprocher les différends. Il s’est alors engagé une discussion à l’allure d’un conflit politique que les journalistes étaient appelés à couvrir au quotidien. Tous les jours presque, les sujets politiques arrivent en premier et débouchent sur plusieurs éléments dans les journaux télévisés. Il a ensuite été question de la présidentielle de 2015, qui a vu M. Alpha Condé se succéder à lui-même, des communales de février 2018, dont le processus d’installation des élus n’a pas été bouclé. Les conseils de quartiers et de régions, ne seront jamais installés. C’est dans ce climat très tendu qu’émerge le débat sur la constitution. Le président de la République depuis 2019, a travaillé avec son cercle restreint, sur le changement de la 75
constitution de 2010. Le projet qui a été proposé a été rejeté par une frange importante de l’opposition politique et des organisations de la société civile guinéenne. Le double scrutin législatif et référendaire du 22 mars 2020, a été émaillé de violences. Les violences aux quelles les guinéens semblent s’habituer maintenant. Les radios et télévisions consacrent l’essentiel de leurs journaux et autres programmes d’informations aux seules actions du Front national pour la défense de la constitution (FNDC) et de la coalition démocratique pour la nouvelle constitution (CODENOC). Il s’agit essentiellement de relayer les attaques et contre-attaques de l’une et l’autre structure. Le travail du journaliste s’adapte non seulement à cette actualité prédominante, mais en reste prisonnier. Malheureusement, il n’aide pas non plus à comprendre le sujet au-delà de simples opinions dites dans les discours quotidiens. Parce que l’alternance, au centre de toutes les divergences, ne bénéficie d’aucun traitement profond, de manière à éclairer le public sur ce qu’elle est ou devrait être et non pas se contenter des aprioris des protagonistes, provoquant de l’empathie d’une part et de l’inimitié de l’autre. Aussi c’est en raison des jugements militants, que les journalistes démissionnent. C’est pourquoi la question de l’intérêt reste entière. D’autant qu’elle est diversement interprétée. En parlant des contenus éditoriaux, une question se pose tout naturellement : qu’y-a-t-il d’intéressant dans les informations données par les radios et télévisions guinéennes ? Cette interrogation peut susciter diverses réponses. Chacune reflétant le positionnement politique de son auteur. Pour certains, les activités du chef de l’Etat et de son entourage sont d’une grande importance. Elles ne le sont pas aux yeux d’autres qui trouvent dans les démarches des opposants politiques, des éléments intéressants. Il existe en plus des groupes politiques, une partie de la population qui pense l’information audiovisuelle autrement. Il s’agit des citoyens, pour qui le quotidien prime sur tout discours qui se contente de faire des projections. Les querelles politiciennes restent pour ce groupe la cadette de ses préoccupations. Il revient aux journalistes de contenter tout le monde dans une seule édition d’informations. Faudrait-il 76
cependant qu’ils aient connaissance des attentes du public. Ou tout au moins, qu’ils connaissent leur public. Les auditeurs et téléspectateurs que nous ne consultons pas souvent pour identifier les sujets à diffuser dans nos éditions d’informations, ont quand même des besoins. Ils attendent que les journalistes des médias audiovisuels guinéens, soient la solution. Il semble qu’ils ne sont pas rassurés et nous devons le savoir. L’enquête de Stat View international réalisée en 2019, rapporte que « les auditeurs et téléspectateurs reprochent aux radios et télévisions de consacrer la plupart de leurs émissions à la politique. Il n’y a pas de diversification, leur besoin n’est pas totalement couvert ». Le public des radios et télévisions guinéennes, tel que nous tentons de le présenter, est composite et fait des choix multiples. Le risque de se perdre facilement plane sans cesse lorsqu’on est chasseur d’informations. Il y a ceux qui informent les journalistes (sources), et il y a les consommateurs. Or, ceux qui souhaitent donner des informations, ne le font pas souvent sans arrièrepensée. Les détenteurs de la puissance publique prennent la parole pour faire des déclarations, conférences de presse et communiqués. Ce qu’ils font relève de la communication politique. Tout comme les déclarations des opposants politiques. Paradoxalement, le traitement qui est fait de ces discours ne va pas au-delà de ce qui est officiel. On ne fait pas souvent recours à la technique de recoupement et de confrontation. On a le sentiment que l’opération de communication se prolonge dans les médias. C’est le reproche qu’on fait souvent aux journaux de la Radiotélévision Guinéenne. Les éléments portent essentiellement sur des sujets institutionnels et des faits politiques. Les reporteurs se contentent de faire les comptes rendus des communications des responsables de l’Etat. Ceux-ci ont dans leur agenda, des conférences de presse, des déclarations officielles et des visites de terrain. Dans les journaux télévisés, les présentateurs n’hésitent pas (peut-être qu’ils sont contraints) à aligner derrière des communiqués de la présidence de la République, des différents ministres, des institutions, (les communiqués sont fréquents à la 77
RTG et peuvent retarder le début d’une édition), un compte rendu sur une activité autour de la pêche, de l’agriculture ou des métiers divers. Les journalistes, auteurs des éléments diffusés, font des efforts pour recueillir les réactions des responsables au cœur des différentes actualités. Les propos d’un ministre de l’agriculture, d’un inspecteur général des pêches, d’un directeur national des petites et moyennes entreprises…qui tiennent de beaux discours, masquant hélas, les réalités des différents secteurs. Le journaliste peut parfois utiliser des images des pêcheurs sans leur donner la parole. Et s’il le fait, il prendra soin de sélectionner les extraits qui encensent. Or, qui parle de pêche en Guinée, doit avoir à l’esprit les années que le pays a passé sous la sanction de l’Union européenne et des efforts qui ont permis le retrait du pays de la liste noire des pays qui encouragent la pêche illicite et non déclarée. Il est en revanche incompréhensible d’omettre les conditions insalubres dans lesquelles se trouvent les débarcadères et les sollicitations des pêcheurs artisanaux qui approvisionnent les marchés de proximité en poissons. Ces derniers se voient bousculer au quotidien par les pêcheurs modernes, qui ont la chance d’imposer la pêche semi-industrielle, ce qui leur donnerait la possibilité de pêcher près des côtes ; dans l’espace réservé à nos compatriotes qui n’ont pas suffisamment de moyens et qui paradoxalement, se débrouillent à approvisionner le marché local. Lorsqu’en janvier 2017, le président Alpha Condé a été désigné à Addis-Abeba pour assurer la présidence tournante de l’Union africaine, la télévision nationale a consacré toute la période du 28ème sommet à diffuser des comptes rendus de plus de 7 minutes chacun à l’intérieur desquels des discours du Chef de l’Etat étaient presque entièrement repris. Les questions qui lui étaient posées par les deux journalistes qui l’accompagnaient dans tous ses déplacements l’ont amené à parler plus de ce qu’il ressentait lui-même et de ce qu’il comptait faire pour mériter la confiance placée en lui au niveau continental, sans oublier les défis qu’il doit relever en Guinée. Mais ils n’ont pas demandé la perception qu’il avait du poids économique d’une telle responsabilité. De façon subtile, les journalistes ont interviewé
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partout en Guinée, ceux qui avaient envie de saluer cette consécration sans aller plus loin. Les médias audiovisuels privés tentent du mieux qu’ils peuvent pour avoir dans les éléments de reportages, des points de vue divergents. Ils veillent à la diversification des propos et à l’équilibre politique. C’est bien de l’équilibre politique qu’il s’agit. « Alpha Condé est président en exercice de l’Union africaine, on donne la parole à Cellou Dalein Diallo pour qu’il dise ce qu’il en pense » ; l’élément est ainsi fait pour respecter l’équilibre politique. Ou « Sidya Touré de l’UFR donne une analyse sur la politique agricole du pays, il faut prendre la réaction d’un cadre du RPG arc en ciel pour créer la contradiction ». Dans les deux exemples, le public n’a aucune chance de se nourrir de la vérité, parce qu’elle peut ne pas être dite. En occultant la démarche de confrontation dans leur travail de tous les jours, les journalistes des médias audiovisuels privés, sans le réaliser peut-être, font exactement ce qu’ils reprochent à la RTG. Etant entendu que le travail du journaliste ne doit plus se limiter à la collecte et au traitement des informations. S’il n’aide pas à connaître la vérité des faits, son travail est inachevé et le journaliste aura été moins utile de ce fait pour son public qui attend de lui des réponses aux questions (Qui, quoi, où, quand, comment, pourquoi et combien) qu’il se pose sur les sujets de préoccupation nationale. Le public n’attend pas qu’un journaliste fasse intervenir tout le monde sur un sujet. Il ne fonde aucun espoir sur les avis des politiques (diversifiés ou pas), puisqu’ils ne sont forcément pas des réponses aux questions qu’il se pose. Ce public, est plutôt celui que nous définissons comme étant le « public affranchi », le vrai, qui ne se cache pas derrière les considérations partisanes pour suivre et apprécier des programmes d’informations. Le vrai public des médias porte en lui des questions d’intérêt collectif. Mais un nouveau public est né des éditions d’informations et d’opinions, le public militant qui a la prétention d’être le peuple à la place de tout le monde. Le travail de confrontation, consiste à opposer non pas les discours ou de simples propos, les uns aux autres, mais à opposer 79
les discours aux réalités. Les réalités sont visibles. Un travail de vérification (soumettre chaque élément d’information à un examen strict pour confirmation ou infirmation) peut aussi se faire sur la base des documents écrits, les archives sonores, des interviews de spécialistes… Une démarche de confrontation aide à se rapprocher de la vérité. C’est même la conception anglosaxonne de l’information que j’épouse entièrement. L’équilibre des informations d’accord, mais il n’est ni suffisant, ni nécessaire à tout point de vue. En revanche, la confrontation des discours aux faits, oui et forcément. « Le marché de Matoto est envahi par les ordures » : cette information a plus besoin d’être confrontée aux réalités qu’à être équilibrée par une interview du maire, s’il doit tout simplement contredire pour protéger son image. Un constat sur le terrain, bien décrit vaut plus que mille discours. Des discours, sont des affirmations, qui malheureusement ont peu de valeur informative, comparées aux démonstrations des faits. Une interview doit consister à recueillir des engagements pour atténuer ou juguler l’insalubrité sur les lieux. La responsabilité voudrait qu’on puisse s’attacher à ces engagements dans le temps, pour informer le public s’ils sont respectés ou pas. De manière simple, nous savons que « le transport public a doublé à Conakry, quand le président guinéen a demandé de limiter le nombre de passagers dans les véhicules pour circonscrire la propagation du coronavirus », quel est le besoin d’équilibrer une telle information avec les propos d’un membre du gouvernement, si ce n’est d’obtenir de lui une réponse au problème que la mesure du président pose, lorsqu’on est sûr de vérifier auprès des conducteurs et passagers ? Sauf celui d’avoir un journal rempli peut-être. En travaillant depuis des décennies à relayer les avis politiques, plutôt que la vérité des faits, les journalistes guinéens ont créé autour des médias pour lesquels ils exercent, des groupes d’intérêt politiques. Ces groupes n’attendent pas d’eux la vérité des faits, mais des avis favorables, des discours qui rejoignent leurs opinions et défendent avec opiniâtreté les positions de leurs leaders politiques. Ces groupes d’intérêt ont été habitués aux contenus comportant essentiellement des opinions qui sont portées par les propagandistes sur les réseaux sociaux. Ceux-ci essaient 80
d’influencer dorénavant les conférences de rédaction. Ils se font appeler « communicants politiques » et n’hésitent pas à proférer des menaces et exprimer des propos déplacés à l’égard des journalistes qui ont œuvré à leur apparition soudaine et malencontreuse. Nous les entendons nous appeler maintenant «confrères ». Ils s’imaginent bien dans les médias, en train de prendre d’importantes décisions concernant les contenus des éditions d’informations. Ils écrivent sur les réseaux pour attirer l’attention, puis appellent pour donner des orientations de manière subtile. Ils savent qu’après s’ils réussissent, ils auront la récompense équivalente à leur implication dans le traitement des discours politiques. Si tout se passe comme ils veulent, il n’y a pas de problèmes. Autrement, ils réagissent vigoureusement pour exprimer leur mécontentement. Des journalistes qui ne sont pas conséquents, tiennent compte de leurs joies et colères, pour déterminer des angles de traitement subjectifs. Le public, l’« affranchi » se trouve dans les quartiers précaires et huppés. Mais il est composé de citoyens qui ont une vie en commun, l’incapacité ou le refus des décideurs de répondre à leurs préoccupations. Le pouvoir d’Alpha Condé a amélioré la desserte en électricité dans la capitale et dans les préfectures environnantes. C’est au prix d’un investissement colossal. Par ailleurs, les citoyens ne sont pas encore satisfaits. Jusqu’ici, on n’a pas réussi à stabiliser la fourniture dans tous les foyers. De la crise nous en parlons tout le temps. Et un autre phénomène vient s’y greffer : ce sont les incendies d’origine électrique. Non seulement le courant n’est pas régulier, mais le jour qu’il arrive, il commet des dégâts dans certains foyers. Les médias sont très sollicités pour couvrir les incendies, surtout les télévisions. Parfois dès que le feu se propage dans une concession, le premier réflexe des victimes, c’est de joindre une télévision, avant de contacter les services de protection civile « les sapeurs-pompiers qui arrivent toujours en retard ». Mais les soirs quelle que soit la chaîne que vous suivez vous entendez en bas des images macabres des textes lamentables qui se disent (lisent) à peu près de la même manière : « Un incendie 81
s’est déclaré ce lundi à Tombolia dans la commune de Matoto. Aucune perte en vie humaine, mais des dégâts matériels importants…Un court-circuit serait à l’origine du drame… La victime qui dit avoir tout perdu, appelle à l’aide… ». Les textes sont identiques, d’une télévision à l’autre. Au-delà du constat, ce qui intéresse les victimes qui préfèrent joindre en premier les télévisions que d’appeler les sapeurs-pompiers, ce que les médias relaient leurs appels aux gestes de bonne volonté. Elles espèrent qu’un élément d’information sur le drame puisse susciter de l’altruisme des « gens bien ». Il nous est arrivé plusieurs fois de trouver sous l’immeuble qui abrite Hadafo, des familles victimes d’incendies attendant que nous leur envoyions des équipes. Certains nous appellent des cinq communes pour nous signaler des drames en cours. Souvent pour nous motiver à faire le déplacement, ils insistent : « Si vous venez maintenant, vous allez trouver encore des flammes, le feu est immense… ». Des citoyens croient plus à notre action qu’à celle des sapeurs-pompiers. La rédaction, si elle vient à faire le travail comme le veulent les victimes, offre du service avec des retombées immédiates ou pas. Ce type d’éléments est à loger dans le registre des SOS dont nous essayons en vain, d’arrêter la diffusion. Tous les jours, des Guinéens malades de cancer, portant des tumeurs ou d’autres pathologies difficiles à soigner, veulent se faire aider. Ils passent aussi par les médias pour diffuser leurs messages de détresse. Nous avions l’habitude de le faire à Espace TV sans arrière-pensée et sans crainte, jusqu’au jour où un malade est venu nous faire savoir que les personnes de bonne volonté ont contribué pour ses soins et que cet argent se trouverait chez nous. Ce qui n’était pas le cas. Dans notre pays, plusieurs citoyens restent engagés dans des conflits domaniaux qui les opposent entre eux ou à l’Etat. Des conflits qui ont fait l’objet de procès pour certains et d’autres non. Et pendant qu’ils défendent leurs dossiers devant les tribunaux, ils prennent des médias pour compagnons. Le plus souvent même quand les décisions sont rendues, ils font le choix de les contester à travers les médias, comme s’ils voudraient se pourvoir en 82
cassation, après avoir épuisé toutes les voies de recours qui existent en matière de procès civil. Les médias sont alors considérés comme ces tribunaux ou des avocats qui dénoncent les injustices, sans les identifier. A Espace TV le patron a instruit que nous n’en parlions plus jamais. Les sollicitations revêtent un caractère purement social et transitent par les connaissances parmi les journalistes pour atterrir dans les conseils de rédaction. Ce qui reste en soi, une difficulté majeure pour renoncer. 2. LES POLITIQUES EDITORIALES ET L’INDEPENDANCE DES JOURNALISTES. Les éditions d’informations sont faites d’éléments traités en fonction des orientations de chaque rédaction. Souvent les choix sont guidés par la rédaction en chef qui veille au respect de la ligne éditoriale. Or, pour ce qui est des lignes éditoriales, elles ne sont pas bien cernées. Chaque promoteur invoque sa politique éditoriale pour justifier un type de traitement de certains sujets, sauf qu’en amont, il ne prend nullement le soin de préciser sa signification réelle. Tous les médias audiovisuels qui proposent des éditions d’informations de notre pays (à part CIS médias et Kalac radio et TV), se définissent comme des organes d’informations généralistes. Leurs promoteurs n’ont jamais indiqué l’élément par lequel ils allaient se distinguer les uns des autres. Et même s’ils le disent, ils ne s’y adaptent pas dans le travail qui est fait. Pour la RTG, les décideurs définissent la ligne éditoriale de la même manière. Les ministres successifs en charge de la communication et de l’information, la Haute autorité de la communication (HAC) par la voix de son ancien vice-président Ousmane Camara parlent d’« une chaîne publique, donc la ligne éditoriale est en fonction des préoccupations de l’Etat, par extension, du gouvernement et des populations guinéennes». Les préoccupations des populations guinéennes restent soient dépendantes ou tributaires des décisions du pouvoir. La chaîne travaille en fonction de la volonté de ceux qui gouvernent. D’ailleurs, bien qu’ils se détestent, tous les politiques qui ont déjà gouverné (qu’ils soient encore aux affaires ou dans l’opposition), 83
ont toujours donné la même orientation à ce groupe de média d’Etat. L’ancien rédacteur en chef de la télévision nationale Aboubacar Camara, au cours d’un entretien que nous avons eu dans le cadre de la préparation de mon mémoire de Master, s’était montré très prudent sur la conception que les politiques ont des médias de service public : « Nulle part, il n’est mentionné ce que nous devons faire en tant que rédaction de cette télévision. Nous ne connaissons pas la ligne éditoriale de la RTG, ce n’est pas moi seulement, car même mes prédécesseurs ont travaillé comme ça ». Il parle des « habitudes qui ont fini par prendre le dessus sur le professionnalisme, chaque ministre, directeur national etc. tient à figurer dans l’édition et on passe par le ministre, le directeur général, le directeur de l’information pour mieux se faire entendre ». Le rédacteur en chef parle de l’existence d’une équipe indépendante à la présidence qui ne prend pas part aux conseils de rédaction depuis des années. Les éléments qu’elle envoie à la télévision ne peuvent non plus faire l’objet de correction ni pour revoir le style des comptes rendus, ni pour adapter la durée à la norme journalistique. Il en est de même pour la presse militaire qui produit ses propres éléments. Attention, c’est la grande muette ! Un flou existe également, quant aux politiques éditoriales des différentes radios et télévisions privées. On est bien d’accord qu’un choix éditorial d’une radio s’illustre par le contenu qu’elle propose. Or, comme nous l’avons dit un peu plus haut, tout le monde propose presque la même chose. Ailleurs, on poserait le débat en termes d’idéologies. Sommes-nous de gauche, de l’extrême gauche, de droite, de l’extrême droite ou totalement indépendants de ces courants politiques qui gouvernent encore l’occident, en dépit de la survenue de nouvelles idées qui tentent de s’en départir ? Chez nous, il serait très risqué naturellement pour les médias d’oser clarifier leurs choix idéologiques. Il n’y a pas d’idéologies politiques en Guinée, ce sont encore malheureusement surtout des regroupements ethniques. Les choix portent sur des personnes pour ce qu’elles sont et non pour les idées qu’elles défendent.
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Il faut cependant le dire de manière claire, il existe des choix éditoriaux à faire. Il suffit de se poser des questions pratiques : sommes-nous pour la cause des ouvriers et des paysans ? Sommes-nous pour des intérêts des riches hommes d’affaires ? Militons-nous pour l’enracinement de nos richesses culturelles, donc de véritables conservateurs ? Optons-nous pour la promotion de la vraie économie, faites de ce que nous produisons et consommons ? Ou décidons-nous d’accompagner une politique économique mondialiste ? Sommes-nous pour la protection de l’environnement ? Toujours est-il que, quelque soit le choix que nous ferons, nous devons faire l’effort de les conforter par les éléments d’informations que nous allons proposer à notre public. Surtout les éléments doivent s’adapter aux politiques éditoriales, à travers les sujets et la manière de les aborder. Il n’y a pas de honte à promouvoir et défendre une conception de l’économie, de la politique et même de la société globalement prise. Un obstacle se dresse tout naturellement sur le chemin. C’est l’indépendance du journaliste qui arrête de se poser des questions sur la façon d’aborder un sujet, lorsque celle-ci est déterminée à sa place. Aujourd’hui plus qu’hier, l’indépendance du journaliste est menacée par plusieurs pesanteurs politico-économiques et sociales. Dans un pays où la pratique démocratique est balbutiante, les médias aident à promouvoir le changement de comportements à tous les niveaux. Au-delà de leur rôle d’informateurs, les médias en général et les médias audiovisuels en particulier participent à l’éducation de masse des différentes couches de la population et contribuent à la formation de l’opinion. Le retard qu’a connu la Guinée dans sa marche vers la libéralisation des ondes, a été préjudiciable pour les journalistes qui n’ont appris qu’à communiquer sur les actions des gouvernants et des nantis, car il n’est pas rare d’écouter des éléments ou commentaires taillés sur mesure. « Faire le griot », ose-t-on qualifier ce type de démarches qui a pour but d’avoir en retour de l’argent ou des biens matériels. « Journalisme alimentaire », diront certains doyens choqués de découvrir ces pratiques détestables.
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En donnant l’information à la population, les médias contribuent à l’éveil des consciences. Ils favorisent la démocratie qui elle-même, garantit leur existence. Depuis la chute du monopole public sur l’audiovisuel en Guinée en 2005, les Guinéens sont mieux informés qu’ils ne l’étaient au cours de la période allant de l’accession du pays à l’indépendance (1958) à la fin du 20ème siècle. S’il faut faire le bilan de ce progrès sociopolitique dont nous vivons les effets depuis bientôt deux décennies, nous pouvons noter le pluralisme médiatique qui n’oblige plus personne à suivre les programmes d’une chaîne contre son gré. Les premières actions des médias privés dans ce sens ont consisté à la création et à l’animation des émissions interactives auxquelles prennent part tous les citoyens guinéens. Les résultats ont été immédiats et appréciables selon les opinions, car, le fait que les Guinéens donnent leurs avis sur les questions d’intérêt général, modifie les rapports entre gouvernants et gouvernés. Certes toutes les suggestions faites par les intervenants dans les médias ne sont pas prises en compte ou pertinentes, mais elles sont d’un grand apport pour les institutions qui promeuvent la bonne gouvernance. Les télévisions privées jouent ainsi un grand rôle dans l’évolution du débat public. L’image, informe davantage lorsqu’elle permet de montrer les réalités du terrain par la présentation du quotidien des populations des campagnes aux villes. C’est un progrès important qui est en train d’être réalisé. Cependant, en suivant de près les journaux des radios et chaînes de télévisions guinéennes, il est aisé de constater des limites qui pour l’heure, ne permettent pas de répondre véritablement aux attentes des populations. Il faudrait que des médias soient présents dans tout le pays, pour aider les ruraux à adapter leurs habitudes agro-pastorales, artisanales et commerciales aux changements que connaissent le pays et le monde. C’est un autre pas à franchir et les résultats seront immédiats puisque les médias, bien utilisés, peuvent être de véritables vecteurs de développement. En attendant des efforts financiers qui pourraient favoriser, espère-t-on, la couverture intégrale du territoire guinéen par les 86
télévisions guinéennes, il nous semble impérieux de procéder à des changements notoires dans le choix et le traitement des informations. Dans leur travail, les journalistes sont souvent invités à respecter les principes déontologiques qui affirment la « responsabilité sociale » des médias. Il s’agit d’une doctrine d’inspiration libérale qui recommande l’autorégulation des médias en réponse aux attentes et aux doléances éventuelles de leurs usagers. Les reporters et les responsables éditoriaux doivent garder à l’esprit qu’ils ont l’obligation de rendre compte au public et de prendre en considération ses exigences et ses attentes en matière de qualité de l’information. C’est bien le souhait souvent formulé. Mais si l’on ne prend garde, ces discours conseils risquent de disparaître dans les nuages. En effet, nous avons affaire, ne l’oublions pas à deux défis majeurs. Le défi de la diffusion de ‘’vraies’’ informations, pertinentes, d’un intérêt certain pour le public et celui de garantir à l’homme de média un emploi sûr. Lorsque les patrons et les grands donneurs de leçons choisissent d’épuiser leurs énergies dans des conseils insipides, les journalistes optent pour se garantir une vie digne pour eux-mêmes et leurs familles. Ils habitent les grandes villes, la majorité à Conakry. Les logements sociaux n’existent pas. La vie est chère sans doute. Tout s’obtient au prix d’énormes sacrifices. Le salaire est très bas : entre sept cents milles (700 000) et 1 500 000 GNF (un million cinq cents mille francs guinéens), pour ceux qui sont vraiment pris en charge. A d’autres il est remis à la fin de chaque mois 500 000 GNF, soit un peu plus du SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti). Aucun appartement ne s’obtient à un demi-million dans tous les quartiers de Conakry. Et ce n’est pas tout ! Leurs employeurs ne leur donnent aucun moyen d’espérer. Un journaliste ou tout autre employé de média se pose la même question tout le temps : « Que vais-je devenir, le jour que je ne serai plus en mesure de travailler ?». La réponse qu’il trouve, sans avoir à la chercher, c’est qu’il pourrait devenir un misérable individu, obligé de mendier pour vivre. Et s’il tombe malade, ses confrères devront être là, pour lancer des SOS. Ils ne sont pas enregistrés à la Caisse nationale de la sécurité sociale qui existe pourtant pour répondre à ce type de besoins. Plus qu’un 87
espoir, il s’agit bien des garanties sûres que les promoteurs de radios et de télévisions ont l’obligation d’offrir à leurs employés. Les employés sont des diplômés des écoles guinéennes, qui sont frappés par le chômage galopant dont les chiffres ne sont jamais maîtrisés. Dans ces conditions il est difficile d’exercer en toute indépendance. Les journalistes font recours aux « gombos » pour arrondir les fins du mois. Les gombos sont des petites sommes d’argent, offertes aux journalistes en signe de motivation. Ils sont ainsi encouragés à revenir à chaque fois que les organisateurs d’évènements ou d’activités diverses ont besoin d’eux. D’ailleurs, ils les appellent directement et ceux-ci ne se posent nullement de questions sur la pertinence des sujets pour lesquels ils sont invités. Encore moins s’assurer de l’intérêt certain qu’ils peuvent avoir pour le public. Les « gombos » guident certaines rédactions. C’est de l’influence directe, qui donne une nouvelle orientation au travail des radios et télévisions. Lorsqu’ils prennent part à une conférence de presse ou à un atelier de formation, les journalistes cherchent d’abord à s’inscrire sur des listes pour se faire payer au terme de l’activité. On appelle ce type de récompense « communiqué final ». Les salaires de misère sont payés à certains par simple tradition pour l’employeur de devoir payer un service rendu par un travailleur au terme d’un mois de travail, mais ce n’est ni pour mettre l’homme de média à l’abri du besoin, encore moins de le rendre totalement indépendant et résistant face à toutes les tentations. L’indépendance des journalistes est en grande partie entamée par cette démission des patrons de radios et de télévisions, incapables de garantir à tous les travailleurs, une prise en charge correcte. Ils ont leurs problèmes certes. Comme des redevances qu’ils doivent à l’Etat, des frais d’électricité ou de carburant pour faire fonctionner leurs entreprises, les frais de déplacement pour rendre possibles les productions. Ces problèmes multiples ne sauraient cependant être des excuses absolues. Un bon entrepreneur doit être en mesure d’affronter les problèmes et personne n’est obligé d’entreprendre s’il n’en a pas les capacités. Dans l’autre sens, on pourrait aussi nous rétorquer que personne
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n’est obligé de s’offrir un emploi dans n’importe quelle radio et télévision. C’est aussi juste comme parade. Le syndicat guinéen de la presse privée se bat depuis des années pour obtenir des promoteurs d’organes de presse, une amélioration des conditions de vie des employés des médias privés. Il a pu rencontrer les principales associations de presse du pays : l’Union des Radios et Télévisions Libres de Guinée (URTELGUI), l’Association Guinéenne des Editeurs de la Presse Indépendante (AGEPI), l’Association Guinéenne de la Presse en Ligne (AGUIPEL)…A toutes les discussions, le syndicat s’est contenté des promesses comme d’habitude. Même pour la convention collective, les fondateurs de médias, ne se sont pas montrés favorables. Ils ne souhaitent pas prendre des engagements vis-à-vis de leurs employés, parce que certains voudraient s’en débarrasser à tout moment comme des kleenex. M. Boubacar Yacine Diallo, journaliste guinéen, ancien ministre de l’information, promoteur de Horizon FM, Président de la Haute Autorité de la Communication, aime à le dire : « Le milieu est infesté, certains patrons courent après des journalistes bon marché ». M. Diallo, parle de jeunes diplômés à la recherche du premier stage. Ils finissent par le trouver, mais ils deviennent par la suite, de simples bénévoles qui travaillent sans salaire. En éternels stagiaires. Parfois, même s’ils sont pris en charge, leur traitement est au rabais. Malheureusement, ils ne peuvent pas s’en aller. Ils ont les mains liées. Puisqu’ils ne trouvent généralement sur place que des journalistes engagés dans la même situation qu’eux, qui ne sont peut-être pas professionnels, ils n’ont aucune chance d’apprendre pour postuler ailleurs. Les journalistes « bon marché », seraient aussi, ces proches des promoteurs. Ces derniers sont recrutés dans l’entreprise de l’oncle, du cousin ou du frère. Ils sont donc recrutés sur la base de cette relation tout simplement. Cette catégorie n’est pas indépendante non plus. Afrobaromètre informe que seulement « 20% de journalistes ont un diplôme en lien avec le travail qu’ils exercent ». Les 80% proviendraient d’autres écoles. Ces chiffres, sont un aspect non moins important du problème. Mais il n’explique pas, convenonsen, tout le problème. Car certains confrères, qui ne sont pas sortis 89
des écoles de journalisme, parviennent à offrir des services de qualité. Et politiquement aussi. Même sans le dire, certains parmi nous ont des penchants. Ils font des choix politiques clairs, soit en préférant critiquer assez ouvertement un camp, alors qu’ils refusent d’adopter la même attitude à l’égard de l’autre. Les compétitions électorales permettent de voir les visages de tout le monde. Tout comme lorsqu’un conflit politique oppose les partis en présence. Pour un groupe de journalistes, il existe un groupe de leaders politiques ou une obédience qui a toujours raison. Un groupe qu’on doit défendre et protéger à tout prix, si l’on veut avoir la réputation du meilleur journaliste. Journaliste partisan en réalité, car on ne peut être apprécié que par le camp qui croit à ce modèle de journalisme. Nous avons observé le pire en 2019 et 2020. Le président Alpha Condé, son parti politique et ses alliés se sont engagés dans un projet de changement constitutionnel et de troisième mandat. Ce fut un vaste chantier pour eux, car il fallait aborder deux processus contestés. Le référendum constitutionnel et les législatives dont les scrutins ont eu lieu le 22 mars 2020 dans un climat tendu. Avant d’en arriver là, plusieurs manifestations de protestation et de soutien ont été organisées. Certains de nos confrères ont décidé de choisir leurs camps. Ils ont dit qu’ils devenaient des activistes et de ce fait, refusaient de donner la parole à un des groupes politiques protagonistes. Ce qui n’est pas mauvais en soi. Un journaliste qui affirme son appartenance politique et sociale est honnête. Au-moins, il sera plus ou moins pris dans ses prises de parole, pour un homme de média qui défend une cause. Paradoxalement, ceux qui ont fait le choix de demeurer des journalistes libres et de donner la parole à toutes les obédiences politiques, ont fait l’objet de critiques subjectives et parfois d’injures. Les « équilibristes » comme certains les ont appelés, étaient donc des complices d’un groupe, à leurs yeux. La présidentielle du 18 octobre 2020 a permis de constater qu’en réalité, certaines prises de position trouvaient leur explication beaucoup plus dans les considérations ethniques que dans la 90
défense réelle des valeurs. Les mêmes journalistes activistes sont allés jusqu’au bout, en niant les abus de leur camp. Malheureusement en Guinée, ceux qui parlent au nom des victimes et semblent vouloir les instrumentaliser, nient toute responsabilité dans les conflits qui naissent et qui engendrent des conséquences dramatiques. Le pays connait un mal profond, à tel point que le repli identitaire est devenu le baromètre de toute réflexion et prise de position sur des questions d’intérêt national. Lorsqu’un problème qui nécessite une médiatisation se pose, les journalistes tendent à regarder d’abord les noms de familles des principaux acteurs avant d’affiner leurs angles de traitement. La logique qui voudrait que la manière d’aborder un sujet réponde aux attentes du public est bannie selon la circonstance. Ou du moins, le public est sectarisé selon les ethnies, les obédiences politiques et les intérêts économiques. Ces formes d’influences existent et font que le métier de journaliste est sérieusement menacé. Certains professionnels se croyant véritablement ambassadeurs des groupes d’intérêts divers dans les entreprises de presse, sont plus que jamais armés.
3. LE DIFFICILE COMBAT POUR UN SERVICE A RENDRE AU PUBLIC La presse nationale ne doit pas renoncer. Les politiques sont dans leurs domaines et ils font leur travail. Nous n’avons pas besoin de savoir les raisons de leurs échecs. Dès lors que nous sommes d’accord qu’ils sont Guinéens, le débat est terminé. Mais il ne sert à rien de les accompagner dans leur choix. Or, depuis un certain temps, nous journalistes sommes en train de nous détourner de notre mission. Nous avons décidé, ensemble presque de nous limiter aux éléments que nous donnent les politiques. Nous avons opté pour une position favorable à ceux qui mettent des mots et expressions dans nos bouches. Et nous relayons, parfois sans en apporter une seule plus-value. Sur les sites web d’informations, les titres et les contenus des articles sont quasiment identiques. La presse papier qui résiste en dépit de la conjoncture de plus en plus difficile, offre peu 91
d’analyses de fond. Une information traitée par les médias en ligne une semaine plutôt est reprise textuellement dans les hebdomadaires, sans la moindre modification. Nous ne parvenons pas, peut-être par manque de moyens, à produire des dossiers complets sur des sujets d’actualité les plus brulants. Les informations brutes souvent vues sur les réseaux sociaux, sont mises à la disposition du public telles quelles. Les consommateurs de nos articles n’apprennent pas à travers nous, plus qu’ils n’apprennent sur les réseaux sociaux. Disons que la démocratie est le système par excellence qui reconnaît à chaque citoyen, le droit de décider de son bien-être. La liberté de choisir son chef. Et le devoir de servir selon ses compétences. La démocratie ne saurait cependant être effective, lorsque les citoyens manquent d’informations. Emilie Mortimer (Mackenzie McHale dans la série américaine The News Room, créée par Aaron Sorkin), l’a dit : « Il n’y a rien de plus important dans une démocratie, qu’un peuple bien informé ». Un peuple bien informé prend de bons engagements et le simple fait que nos compatriotes qui ne comprennent pas la langue officielle qu’est le français soient majoritaires n’explique pas notre démission. Comment le peuple peut être bien informé, lorsque tous les journaux parlés et télévisés de nos médias publics et privés offrent la même chose, tous les jours, tous les mois et tous les ans ? On peut sans avoir suivi un journal, deviner de quoi il a été question. Les émissions de grande écoute traitent des mêmes questions de politique politicienne. Les invités et les questions qui leur sont posées ne varient pas. Et le travail à faire doit porter sur la citoyenneté. Nous avons adopté en octobre 2016, la Semaine nationale de la citoyenneté dont la première édition s’est tenue du 1er au 7 novembre 2016. Le ministre Khalifa Gassama Diaby avait rencontré les acteurs majeurs pour discuter de la question. Les politiques, les coordinations régionales, les organisations de la société civile. C’est bien de comprendre cette démarche. C’est à la fois courageux et républicain. Promouvoir le citoyen guinéen. Il ne s’agira pas de le réinventer, au risque de ne jamais pouvoir réaliser un tel rêve. Il aurait fallu tout simplement opter pour une solution extrême mais la seule, il me semble possible, de faire 92
évoluer le débat sur la question. De manière claire, il va falloir décider du type de structures sociales et politiques qu’il nous faut. Ce sont ces structures mal crées et qui fonctionnent à l’image de leurs fondateurs qui constituent le véritable frein au rayonnement de l’esprit citoyen clivé dans des communications fourbes. On continue à se servir en réalité de ce mot pour exister. D’abord les politiques pour se faire une place sur l’échiquier en ayant une base géographique. Les choix sont très mal faits. Chacun apprend à cibler une localité qui lui est linguistiquement proche. Le discours qui est tenu contribue à créer davantage des individus qui ne se réfèrent pas à la société dans sa globalité, mais à un autre individu manipulateur, devenu riche au moyen de la tricherie. Puisque dans l’ensemble ces politiques ont peu à apprendre ou à proposer aux autres. Donc en ouvrant leurs bouches, pour certains, ils trouvent le malin plaisir de parler au mieux de leur ethnie et présenter les autres comme des ennemis. Depuis bien longtemps tout est fait pour attiser les tensions. On est malheureusement surpris que les mêmes osent dénoncer le comportement moins normal de ceux qui s’attaquent aux autres qui expriment, ou n’expriment pas une colère contre une autorité. Du sabotage, de l’indiscipline notoire, le tout encouragé par des gens qui n’apprennent jamais à faire de l’éducation un instrument de conquête du pouvoir. De la même manière, des organisations de la société civile utilisent le citoyen pour se faire une place dans la République. On procède par cooptation et non par élection, pour mettre en place ces structures qui n’ont de piliers que des individus, partis de la politique avec le mandat de contribuer à l’affaiblissement de ce qui peut être considéré comme des forces sociales, contrepoids réels. Tous mêlés de manière indirecte aux actes de corruption, ils sont tenus de garder le silence sur tout, quand on sait qu’ils pratiquent eux-mêmes du népotisme. Souvent dans ces organisations, le citoyen est défini comme le parent direct de ceux qui ont eu l’idée de les fonder ; il n’ya aucune pratique démocratique qui puisse faire la promotion du dialogue et du développement.
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Les coordinations régionales, gérées par des anciens ne donnent plus de conseils. Dans des différends politiques, puisqu’il y en a toujours, ces sages n’ont de choix que de prier le plus faible d’accepter un tort qu’il n’a point commis. Les raisons sont bien connues. Les coordinations sont politisées et font le jeu des détenteurs du pouvoir, ou d’un parent politicien bien apprécié au niveau communautaire, que les sages appellent leur « fils ». La semaine ou le mois de la citoyenneté n’est pas encore en passe d’éradiquer le clanisme dans toutes les structures sociopolitiques qui devraient être les références consensuelles. S’il y a des personnes à sensibiliser, ce sont bien ces acteurs-là. On évitera ainsi d’investir dans le néant. Mieux, il sera moins important de regrouper des citoyens pour leur ressasser des discours sur l’unité et la cohésion nationales. Ces expressions qui à mon sens semblent rebattues doivent être remplacées par la responsabilité et l’honnêteté de ceux qui, dans les structures sociales et politiques, parlent au nom des citoyens, les guident et les manipulent. 4. RELATIONS AVEC LES PARTIS POLITIQUES La comparaison est toujours faite avec le groupe de médias audiovisuels d’Etat. Les événements politiques occupent une place importante dans le journal télévisé de la RTG. Depuis son installation en 1977, la chaîne a toujours accordé la plus grande tranche de ses programmes, si ce n’est l’essentiel aux partis politiques qui dirigent le pays. Dans les éditions d’informations, les partis qui se sont succédé au pouvoir depuis 1958, sont restés les plus médiatisés : le Parti Démocratique de Guinée (PDGRDA-Rassemblement Démocratique Africain) parti unique sous la première République, le Parti de l’Unité et du Progrès (PUP), sous la deuxième république et le Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG arc-en-ciel) de décembre 2010 à septembre 2021. Les démarches ont pourtant toujours été menées y compris par les partis politiques pour faire de la RTG un véritable média de service public, en vain. Lorsqu’il était dans l’opposition, le RPG du président Alpha CONDE réclamait avec les opposants de son 94
époque : « l’accès équitable de toutes les sensibilités aux médias d’Etat ». Paradoxalement, le débat demeure et au cours des multiples dialogues politiques que le pays a connus depuis son premier mandat, cette réclamation a figuré parmi les plus importantes de ses opposants. Le gouvernement promet toujours d’y répondre favorablement, mais dans les faits, aucun changement n’est constaté. Le sujet fait débat dans le pays et de temps à autre, les activistes des droits de l’homme et défenseurs de la liberté de la presse, s’interrogent sur les causes réelles de cet état de fait. Si les caciques des régimes sont tout de suite pointés du doigt, on a souvent tendance à oublier la responsabilité des journalistes qui y travaillent. Les responsables de la télévision qui sont nommés, certains pour leur proximité avec le parti présidentiel, suivent exactement l’agenda de ses militants. Interrogé sur le sujet en conférence de presse, alors qu’il était ministre de la Communication, Alhousseine Makanéra KAKE avait laissé entendre que les partis politiques qui souhaitaient faire couvrir leurs activités par la RTG, devraient en faire la demande. A l’époque militant convaincu du RPG arc en ciel, il n’avait pas dit, si sa formation politique obéissait à cette règle qui n’est d’ailleurs écrite nulle part. C’est d’autant vrai qu’il n’a plus eu le même discours, quand il est passé dans l’opposition après son limogeage en fin 2015. L’ancien directeur général de la RTG Yamoussa Sidibé était même revenu sur le sujet, quelques jours plus tard dans l’émission "Les Grandes Gueules" de la radio Espace. Pour lui, les opposants faisaient un mauvais procès à l’institution, les leaders qui dénoncent le travail de ses rédactions, étaient eux-mêmes responsables de cette situation, car, disait-il, ils n’invitaient pas la chaîne à leurs événements. En réponse, le porte-parole de l’opposition républicaine Aboubacar Sylla d’alors, devenu depuis 2018 un allié du président Alpha Condé, qui a lui-même été deux fois, ministre de la Communication avait réfuté les deux allégations. M. Sylla avait tout de même justifié la méfiance de sa plateforme vis-à-vis de la RTG, par les tentatives de manipulation et de désinformation dont 95
elle est souvent victime. C’est sûr que M. Sylla, pourrait avoir une réponse différente depuis qu’il est devenu membre du gouvernement Condé, si la même question lui était posée. Ce n’est donc pas le principe qui est défendu, le sujet est vu selon qu’on soit proche ou opposé au parti qui dirige. Alors que les politiques ne veulent pas régler ce problème une bonne fois pour toutes, les journalistes qui ont le statut de fonctionnaires d’Etat hésitent. Sauf à l’occasion des élections, pour lesquelles des instructions sont données par la Haute Autorité de la Communication. A l’occasion des manifestations politiques, la chaîne est absente des rues. Elle se donne néanmoins le loisir d’en parler avec l’intention parfois de masquer les réalités. Ce ne sont pas les discours des organisateurs de la manifestation qui sont diffusés, mais plutôt ceux du gouvernement et du parti au pouvoir, qui condamnent les violences et présentent des images des forces de l’ordre blessés. Inutile de préciser que les informations relatives aux victimes parmi les protestataires ne comptent pas pour elle. « Notre mission n’est pas d’enflammer, quand il y a une actualité, nous devons par nos reportages prôner le calme, l’entente tout en présentant une bonne image du pays », explique un des responsables de la chaîne. Dans le préambule de la charte éditoriale du journal de la télévision d’Etat, les journalistes mentionnent bien : « La contribution à la vie démocratique et l’accès à l’antenne pour tous les points de vue, dans le respect des personnes et de l’intérêt général sont des principes universels auxquels nous souscrivons dans la pratique du métier». Ce texte a été élaboré pour mieux indiquer aux reporteurs les sujets qu’ils sont appelés à couvrir et la façon de les traiter. Si le travail est bien encadré par ce texte, dans les faits, cette charte n’est pas souvent respectée et l’opinion s’en rend compte. Contrairement à la télévision d’Etat, les rédactions des médias privés se montrent disponibles pour toutes les formations politiques. Il est clair que tous les médias privés ont été créés avec le souci de contribuer à l’équilibre de l’information (nous en avons parlé plus haut). Les partis animent le débat politique. Leur volonté est d’exprimer et de faire comprendre leurs opinions de 96
manière exhaustive. C’est pourquoi dans les éditions d’informations, ils donnent la parole à tous les acteurs sociopolitiques. Les journalistes couvrent notamment, les conférences, les plénières et manifestations organisées par les partis de la majorité présidentielle et de l’opposition. Tous les samedis, les structures qui peuplent le paysage politique guinéen, tiennent leurs assemblées générales. Certaines rédactions (la plupart en tous cas) choisissent alors, de se rendre dans les sièges des partis qui mobilisent le plus. Il s’agit du RPG arc en ciel, de l’UFDG de Cellou Dalein DIALLO, de l’Union des Forces Républicaines (UFR) de Sidya TOURÉ, du Parti de l’Espoir pour le Développement National (PEDN) de Lansana Kouyaté et très souvent du Bloc Libéral (BL) de Faya Lansana Millimouno. Sur place, les reporteurs recueillent les déclarations officielles et procèdent à des interviews des leaders ou leurs collaborateurs sur des sujets d’intérêt national. Les médias audiovisuels privés sont présents lors des manifestations politiques qui ne manquent pas en Guinée. Elles ont généralement un caractère violent. En dépit de tous les risques que cela représente, les journalistes et cameramen partent à la rencontre des protestataires. Ils se donnent également la peine de faire intervenir les partisans du pouvoir sur leur position par rapport aux motivations des protestataires. Leurs avis comptent et sont alignés dans des comptes rendus et reportages classés au début des éditions d’informations. Plusieurs équipes de reportages sont souvent prises à parti par les manifestants et contremanifestants. Ils les brutalisent et détruisent souvent leurs équipements. Certains militants politiques, empêchent l’exercice de la liberté d’expression. Et désormais, ils font dans la manipulation au même titre que leurs leaders. Les médias sont sérieusement manipulés et certains journalistes tombent dans le piège des politiques qui ne sont en réalité que des leaders de groupes ethniques. Ils les influencent et leur proposent des discours à tenir dans les médias. Dans le combat contre le changement de constitution en 2020 par le Président Alpha Condé, certains ont par obligation, renoncé à leur rôle habituel qui est celui de faire entendre des idées.
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La liberté de la presse apparaît pour ceux qui cèdent aux caprices des militants politiques, comme un simple loisir de se braquer contre un groupe du peuple, auquel ils appartiennent pourtant. Choisir un groupe à dénoncer et un autre à protéger. Jamais ils n’osent exprimer la moindre critique contre le leader pour lequel ils militent dans la presse, sans s’assumer. Mais le peuple comprendra la démarche de ce groupe de journalistes et essaiera ainsi de se montrer sincère à son égard, en lui signifiant qu’il ne contribue ni à la consolidation de la démocratie, ni à aider un leader politique à atteindre son objectif. Au contraire, ce type de journalisme amène aveuglément des groupes politiques (haineux) à prier pour le mal. C’est comme s’il priait Kémosh. Ce dieu qu’il prie est aussi Guinéen. Il entend certainement leurs prières du jour et celles de la nuit. Il écoute leurs lamentations dans le silence. Il prend en compte leurs souhaits. Ceux qu’ils expriment pour eux-mêmes, leurs proches et ennemis. Quelle que soit notre ambition de réussir des changements majeurs dans notre vie, nous croyons avoir le besoin absolu de l’Etre Suprême. Et rien ne semble nous détourner de lui. Du moins lorsque tout va bien. Parce qu’en temps de crise comme celle que nous vivons dans notre pays, nous avons tendance à nous éloigner de tous les enseignements que nous donnent les imams et pasteurs. Certains de nos compatriotes n’hésitent pas à se montrer acariâtres. Ils oublient momentanément ces bonnes paroles. Parce que nos religieux non plus, ne traduisent pas toujours leurs discours en actes. Ainsi donc en dehors des mosquées et églises, certains leaders religieux et fidèles, adorent Kémosh. Kémosh du nom de ce dieu des Moabites, l’un des tous premiers peuples à croire à l’existence d’une divinité. Kémosh qu’on voyait grand, parce que visible. Kémosh est même manipulable, puisqu’on le déplace et le gratifie de sacrifices humains. C’était plutôt bien perçu au 9ème siècle avant Jésus Christ. Les fillettes appelées à mourir à la fête de la fertilité, étaient convaincues qu’elles allaient vivre éternellement. Les prêtresses travaillaient pour la cause. Et pour se montrer plus attachés à leur dieu, les Moabites demandaient à Kémosh de donner à leurs ennemis le mal, la peste, la famine, la misère et à
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leur roi, joie, santé et de longues années à vivre. Dans la prière, ils ne demandent rien pour eux-mêmes. Kémosh semble réapparaître en Guinée, en ce 21ème siècle. Souvent inconsciemment, certains appellent le mal de tous leurs vœux. Nous avons pu entendre des privilégiés du pouvoir, prier pour le Président Alpha Condé et seulement pour lui, et des militants de l’UFDG, prier pour Cellou Dalein Diallo, rien que pour lui. On consacre parfois des cérémonies entières à implorer la grâce d’un dieu pour leur santé. En voulant le mal pour leurs adversaires qu’ils prennent pour des ennemis. En voulant le bien pour leur protecteur et lui seul, le peuple est oublié. Notre pays ne peut donc échapper de ce fait à la famine et au mal, étant donné que ceux pour et contre qui ils prient Kémosh sont Guinéens. Peut-être ce dieu qu’ils manipulent à souhait, est tellement obéissant qu’il exauce plus vite qu’Allah ou Jéhovah. Notre pays est instable, aucune hypocrisie ne peut encore servir à quelque chose. Et les politiques tiennent encore leurs promesses. Quel que soit le président, ils offriront à la face du monde, des spectacles les plus avilissants. Quand c’est nécessaire à leurs yeux, ils choisissent les violences et les morts comme moyens pour réaliser leurs ambitions. Et lorsque ça chauffe entre les citoyens toujours non informés ou mal informés sur ce qui peut développer ce pays, ils empruntent des avions pour s’éloigner et mieux se moquer d’eux. Si ça pouvait s’entendre mieux : des politiques ne se battent que pour eux d’abord. S’ils peuvent bénéficier des fortunes sur le dos du contribuable, ils s’emploieront à détruire cette paix virtuelle tant chantée par des griots. La Guinée pays de paix, pour distraire les autres qui connaissent la paix véritable chez eux. Et quels que soient ce que nos propres mensonges ont le don de détourner du positif, il y en a qui ne se rendent pas compte. C’est pourquoi, des journalistes ont tout intérêt à combattre Kémosh et placer Dieu au cœur des incantations les plus sérieuses et saines. Notre attachement à notre nation doit nous contraindre à nous occuper de l’essentiel. Nos textes ne sont pas mauvais. C’est ce que nous avons toujours dit. Mais pour l’adoption d’une 99
constitution et le renouvellement d’un mandat de trop, des Guinéens sont morts. Si les politiques ne sont pas les disciples de Kémosh, ils doivent nous montrer leur petit dieu. 5. COUVERTURE D’UNE CAMPAGNE ELECTORALE Le scrutin du 11 octobre 2015 a permis la réélection du professeur Alpha Condé, au pouvoir depuis le 21 décembre 2010. Le vainqueur avait face à lui, sept autres candidats dont une femme. Quatre des candidats malheureux l’avaient déjà été en 2010, et les trois autres : Marie Madeleine Dioubaté du Parti des Ecologistes de Guinée (PEG), Dr Faya Lansana Millimouno du Bloc Libéral et feu Georges Ghandi Faraguet Tounkara de l’Union Guinéenne pour la Démocratie et le Développement (UGDD), tâtaient le terrain pour la première fois. Les médias avaient un rôle clé à jouer. Ils devaient à travers leurs éditions, informer de façon large le public sur le processus électoral. De la révision des listes électorales à la publication des résultats définitifs en passant par la distribution des cartes d’électeurs, la campagne électorale et le vote. Ils ont suivi le processus de bout à bout, en rendant compte au quotidien des démarches de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), du ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation et de tous les organismes impliqués dans l’organisation des élections en Guinée. La campagne électorale a pris un mois (du 9 septembre au 9 octobre inclusivement). Elle a consisté, pour les compétiteurs, à expliquer aux citoyens les contenus de leurs projets de société. Il y a eu à la fois un travail d’information et de communication qui a été facilité par l’ensemble des médias du pays, chacun selon ses possibilités. La couverture médiatique devait être équitable, ce qui n’a pas été le cas, comme l’ont démontré certains rapports des observateurs des médias. L’Observatoire guinéen d’autorégulation des médias (OGAM) a évoqué « Des disparités géographiques dans la couverture médiatique de la campagne électorale. Les médias dans leur majorité ont beaucoup plus travaillé dans et 100
pour la capitale Conakry qui s’est taillée 50% du travail de la presse ». Un fait que l’organe explique par la concentration des médias à Conakry, avec un rayon très limité de couverture. Pour la campagne de l’élection présidentielle de 2015, la télévision nationale a mis en place sous l’œil vigilant de la Haute Autorité de la Communication (HAC) deux programmes d’informations. Il s’agit bien de " Sept minutes pour convaincre " et " Regards croisés ". Dans le premier programme, les images des meetings et les déclarations des candidats étaient relayées. Comme son nom l’indique, chaque parti politique avait droit à sept (7) minutes. C’est donc là un espace de communication pour chaque leader, les journalistes n’avaient à leur demander aucun détail sur l’ensemble de leurs propositions ou sur des sujets précis. D’ailleurs, si l’essentiel du travail était fait avec le matériel et par les reporteurs de la RTG, les cellules de communication des différents partis veillaient au choix des contenus à diffuser. Au début de la campagne, les directeurs de campagne des différents candidats accordaient de l’importance aux messages. Vers sa fin en revanche, ils n’envoyaient plus que les images pour faire voir les foules en mouvement. Dans le second programme, deux journalistes recevaient sur un même plateau quatre militants de partis différents, ayant quelques responsabilités dans leurs structures, pour discuter de leurs propositions en matière de gouvernance, d’emploi, de chômage, de santé, d’éducation, etc. On précise bien que ce sont des militants, puisque les principaux responsables des partis étaient tous à l’intérieur du pays, à la quête des électeurs. Les regards n’étaient pas les mêmes, sauf que les citoyens ont eu du mal à comprendre les messages que chacun a voulu transmettre. Il est difficile de dire aujourd’hui si les deux émissions ont aidé les électeurs dans leurs choix. Déjà les candidats avaient euxmêmes des difficultés à faire une véritable pédagogie auprès des citoyens, la télévision d’Etat n’a pas suffisamment travaillé à relever ce défi, en posant de bonnes questions aux différents candidats. Au moins 31 des 100 Guinéens interviewés dans notre enquête réalisée pour la production de notre mémoire et ayant 101
voté en 2015, disent n’avoir pas été guidés dans leurs choix par les deux programmes. Dans l’ensemble, ils avaient déjà fini de choisir pour qui voter avant même le début de la campagne électorale. Bien que la Haute Autorité de la Communication veille à l’équilibre, la chaîne ne s’est pas empêchée par moment de donner plus de temps au RPG arc en ciel. L’institution a été obligée de rappeler la direction générale à l’ordre. Ce qui a été bien apprécié par l’opinion publique à l’époque. Ces deux programmes ont mobilisé les téléspectateurs jusqu’à l’arrivée dans la deuxième quinzaine du mois de septembre, de l’équipe d’Africa 24. Les journalistes de cette chaine continentale avaient des programmes plus alléchants dédiés à la campagne. Ils ont reçu les directeurs de campagne, responsables de communication ainsi que les différents candidats et les ont interrogés véritablement sur les vraies questions de développement. Ce n’est pas dire qu’ils ont permis aux citoyens de voter selon le programme, mais ils auraient pu faciliter le choix des projets de société, si le vote communautaire n’était pas ancré dans les habitudes des citoyens guinéens. Pendant toute la période de campagne, Espace TV par exemple a été présente sur le terrain. Comme Evasion et Gangan. Elle a continué à informer sur le processus en faisant échos des discours des candidats, des accrochages entre militants et des faits inédits. Seul problème, la rédaction n’a pu mettre en place un programme spécial destiné à faire comprendre les choix politiques des différents candidats. La seule émission " Face au peuple ", créée pour l’occasion, n’a reçu que deux leaders : Dr Faya Lansana Millimouno du Bloc Libéral (BL) et Papa Koly Kourouma du parti Génération pour la réconciliation, l’unité et le progrès (GRUP). Les candidats étant tous partis à l’intérieur, les six autres n’ont donc pu se prêter à l’exercice qui consistait à répondre aux questions de deux journalistes et de quelques citoyens sélectionnés dans les milieux estudiantin et professionnel. Le rapport de l’Observatoire guinéen d’autorégulation des médias, a été bien clair sur le travail des télévisions privées globalement, au cours de cette période importante dans toute élection du président de la République. « Contrairement aux 102
télévisions privées, quelques radios ont pu donner la parole aux partis politiques qui se sont exprimés sur leurs projets de société ». L’OGAM a aussi indiqué le fait que les médias privés dans l’ensemble aient soumis au paiement, la couverture de la campagne électorale. Paiement motivé et justifié par le modèle économique des médias privés. Les directions commerciales avaient signé en effet, des contrats avec des partis dont les leaders sont bien connus pour leurs fortunes : RPG Arc en ciel d’Alpha Condé, UFDG de Cellou Dalein Diallo, UFR de Sidya Touré, PEDN de Lansana Kouyaté. Les rédactions ont donc déployé trois équipes de reportages pour accompagner les trois candidats majeurs dans leurs tournées à l’intérieur du pays. Les comptes rendus ont porté sur les discours de campagne teintés de promesses, sans qu’on n’ait eu l’occasion de poser plus de questions sur les moyens de mise en œuvre de tel ou tel autre projet ambitieux. Le déséquilibre était net. Seulement quatre leaders sur huit ont été suivis dans leurs déplacements et juste pour leur permettre de communiquer, rien de plus. En revanche, les mouvements de soutien pour la réélection du Président Alpha Condé ont été présents sur presque toutes les antennes. Il s’agit notamment du Collectif pour la réélection d’Alpha Condé (CRAC), de la Jeunesse de la majorité présidentielle (JEMAP), du mouvement des patriotes pour le développement (MPD). Ce dernier est un parti politique que dirige l’ancien directeur général de l’office guinéen de la publicité (OGP), Paul Moussa Diawara, mais qui a choisi d’accompagner le chef de l’Etat. Les services commerciaux ont continué à jouer leur rôle, en conviant la rédaction à couvrir les meetings qui étaient organisés dans la capitale en faveur du parti au pouvoir. Il faut ajouter à ces mouvements de soutien, les communications des cadres de l’administration publique pendant cette période électorale. Tous les discours relayés par les médias les plus suivis avaient été mis à profit par leurs auteurs pour appeler les citoyens à voter pour le RPG arc en ciel. La même situation a continué en 2020 pour le double scrutin (législatif et référendaire) du 22 mars 2020 et de la présidentielle du 18 octobre 2020. Le RPG arc en ciel, parti au pouvoir a été suffisamment accompagné par les médias. Les onze autres 103
formations politiques de l’opposition n’ont bénéficié que des passages à la Radiotélévision Guinéenne. Certains médias privés ont facturé ceux qui disposaient de quelques moyens. Des bannières sur des sites Web et quelques publicités politiques. C’est tout. Les médias n’ont pas encore réussi à mettre en place des programmes d’informations utiles pour les électeurs. Ce qui les aide non pas à décider dans l’immédiat, mais dans les moyen et long terme à comprendre les enjeux d’un processus électoral. C’est pourtant un travail à faire pour promouvoir des candidatures sérieuses autour desquelles, des Guinéens pourraient se retrouver en raison de leurs propositions. Les différentes candidatures ont commencé à être scrutées à l’occasion de la dernière présidentielle. Seules, celles qui étaient portées par des intellectuels aux idées claires qui ont osé se prêter aux questions des journalistes des grandes émissions comme les Grandes gueules de la radio Espace et Espace TV, d’Africa 2015 de Nostalgie, de « Œil de Lynx » de Lynx FM, de « On refait le monde de Djoma », d’un « Regard sur l’actualité » de Soleil FM. D’autres ont fui des médias en trouvant des excuses fallacieuses : « les Guinéens sont analphabètes en majorité ». Ce qui ne veut absolument rien dire, puisque les communications sur un programme de société sont aussi possibles dans les langues nationales à travers les mêmes médias. Les médias privés sont commerciaux pour la majorité et de ce fait, vivent essentiellement de la publicité. La loi organique L/2010/02/CNT du 22 juin 2010, portant sur la liberté de la presse en Guinée, reste muette sur ce que devrait être le fonctionnement des radios et télévisions privées en période électorale. Si pour les médias d’Etat, la Haute Autorité de la Communication est appelée à veiller sur l’égalité de temps de parole entre les différents candidats, pour toutes les élections ; elle laisse le choix aux médias commerciaux. Ceux qui paient le plus, s’offrent des grandes opportunités d’intervenir dans les éditions et d’autres programmes d’informations. L’article 56 du code électoral adopté par la huitième législature le 23 février 2017 stipule : « tout candidat ou liste de candidat 104
dispose d’un accès équitable aux organes d’informations de l’Etat pendant la campagne électorale ». Ce code astreint la Haute Autorité de la Communication à veiller au strict respect, par l’ensemble des médias de service public, du principe d’égalité de traitement des candidats, en ce qui concerne la reproduction et les commentaires des déclarations, les écrits, les activités des candidats et des partis politiques. Ni ce code, ni les autres lois qui encadrent l’organisation des élections, ne parlent expressément du cas des médias privés. Des questions relatives à la liberté de la presse, ont du mal à trouver leurs réponses, aussi bien pour les journalistes que pour les responsables éditoriaux, tous obligés d’adapter leurs angles de traitement aux consignes données par les politiques via les services commerciaux. Les choix éditoriaux sont guidés de l’extérieur et la notion d’indépendance disparaît. La RTG doit pouvoir créer et faire travailler à moyen terme des bureaux régionaux à Kankan, Labé, Nzérékoré, Kindia, Boké, Mamou et Faranah. Il s’agit, dans notre réflexion, de véritables desks installés dans les chefs-lieux des régions administratives pour permettre à la chaîne de jouer pleinement son rôle de chaîne de service public, diffusant des informations et des productions de proximité. Composés de journalistes de terrain, de cameramen et de techniciens monteurs, ces desks pourront changer radicalement le contenu du journal télévisé, en faisant échos des réalités des villages qui sont encore les moteurs de la croissance économique du pays. Ils sont souvent oubliés, voire même méprisés par les décideurs politiques qui ne viennent les rencontrer qu’à l’occasion des scrutins électoraux. La presse, celle que les nouvelles générations appellent de leurs vœux, doit montrer le bel exemple. Elle doit se remettre en cause et commencer à travailler pour la majorité. Elle ne doit plus être au service de cette minorité de privilégiés qui refusent que les informations circulent normalement. La presse doit faire sa propre révolution en se montrant de plus en plus exigeante à l’égard de ceux qui veulent présider aux destinées du pays. Le Washington Post aux États-Unis à l’origine des enquêtes qui ont provoqué le scandale du Watergate et abouti à la démission du Président 105
Richard Nixon en 1974, et le Canard enchaîné dont les révélations ont empêché l’élection de François Fillon à la présidence française, prouvent que des journalistes conscients et professionnels peuvent apporter des changements majeurs. En Guinée, le législateur devrait réfléchir à la possibilité de soumettre tous les médias privés et publics au respect de l’article 51 du code électoral, qui parle de la couverture de la campagne électorale. L’équilibre du temps de parole à accorder aux différents compétiteurs doit être obligatoire pour tous afin d’éviter que les candidats les plus fortunés occupent plus de place dans les médias les plus suivis. Même dans le cadre des communications payantes, un barème doit être fixé pour les mêmes raisons : éviter le monopole d’un groupe de partis au détriment des moins nantis. Autrement, le journalisme risque de céder sa place à la communication propagandiste et publicitaire dans les médias en période électorale. La RTG qui a plus de moyens doit être engagée à faire une véritable campagne d’information sur les activités qui concourent à l’organisation des élections. Elle doit se montrer disponible pour tous les partis qui cherchent à accéder aux fonctions électives des collectivités décentralisées au sommet de l’Etat en passant par le parlement. L’objectif sera d’expliquer les contenus de leurs projets. Elle n’a pas forcément besoin d’attendre la période des campagnes électorales pour le faire. Dans les journaux qui traitent des questions d’intérêt national, la rédaction peut recueillir les avis et les propositions des politiques conformément à la déclaration de Munich (1971) qui stipule que : « L’ensemble des droits et des devoirs des journalistes » procède « du droit du public à connaître les faits et les opinions». La déclaration de Munich (1971) ou charte sur les droits et devoirs des journalistes qui est l’une des plus importantes législations a été adoptée par la Fédération internationale des journalistes (FIJ), par l’organisation internationale des journalistes (OIJ) et par la plupart des syndicats des journalistes d’Europe. Les syndicats des journalistes d’Europe, sont d’ailleurs revenus sur la charte en 2017, pour réaffirmer les droits et surtout les devoirs des journalistes. Bon à savoir : dans le préambule déjà, 106
la déclaration évoque la responsabilité des journalistes vis-à-vis du public. Celle-ci prime sur toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics. Les devoirs essentiels qu’il me paraît nécessaire de rappeler ici, ne peuvent être effectivement respectés dans l’exercice de la profession, que si les conditions concrètes de l’indépendance et de la dignité professionnelle sont réalisées. Il s’agit entre autres : de respecter la vérité qu’elles qu’en puissent être les conséquences, défendre la vérité, publier seulement les informations dont l’origine est connue, de refuser toute pression et n’accepter des directives rédactionnelles que celles des responsables de la rédaction.
6. PUBLIREPORTAGES DANS LES EDITIONS D’INFORMATIONS Les annonceurs tiennent bien souvent à faire couvrir leurs activités périodiques. Il s’agit pour les opérateurs de téléphonie mobile, les sociétés commerciales, les grands distributeurs d’images ou de produits alimentaires d’organiser des campagnes promotionnelles destinées à accroître leurs ventes. Du lancement des promos jusqu’à la remise des cadeaux aux gagnants, les rédactions sont conviées à couvrir les différents tirages. Ces éléments sont réalisés selon les consignes données par les opérateurs. Dans toutes les télévisions guinéennes, les rédactions prennent soin de préciser qu’il s’agit bien de publireportages, mais les éléments ne trouvent paradoxalement leur place que dans les grandes éditions d’informations. Ces relations entre les médias et les opérateurs économiques, ne facilitent pas les enquêtes sur le fonctionnement des entreprises, la façon dont les clients apprécient leurs services, (sont-ils satisfaits ou pas ?). Aucune démarche de ce genre ne peut être acceptée par les patrons qui ne souhaitent aucune détérioration de leurs rapports avec les différentes compagnies. En Guinée, les utilisateurs des produits des sociétés de téléphonie mobile se plaignent souvent de la mauvaise qualité du réseau internet et des plans tarifaires, à leur avis, très coûteux. En 107
novembre 2015, plusieurs clients avaient accusé un opérateur via les réseaux sociaux, de surfacturer les frais de connexion alors qu’ils disaient ne pas bien en profiter. Les plaignants ont certes été entendus, mais il n’y a pas eu d’éléments de poids, à même de faire connaître la vérité. Les mêmes rédactions omettent souvent des détails importants sur l’extraction et l’exportation de la bauxite dans la région de Boké. En décembre 2015, c’était l’inauguration d’un quai commercial à Kamsar, l’une des cités industrielles de la préfecture et de la région de Boké. La directrice de Guinea Alumina Corporation (GAC) avait laissé entendre que 9000 tonnes de bauxite que sa compagnie minière exploite, allaient être exportées pour tester sa teneur. Les équipes de reportage avaient été informées qu’il s’agissait bien des informations à caractère publicitaire. Elles devraient donc se contenter des consignes de la cellule de communication qui a souhaité qu’on parle plutôt des réalisations faites par GAC dans les zones impactées par le projet d’exploitation de cette mine, ainsi que des mesures prises pour protéger les riverains contre la pollution de l’environnement. Ces éléments d’une télévision n’ont pas pu être vus dans un compte rendu de la cérémonie qui a laissé les responsables de l’entreprise, le ministre des mines et le Chef de l’Etat s’exprimer. Il n’y a donc pas eu de recoupement d’informations entre ce qu’a laissé entendre la directrice de la compagnie minière et ce qui est mentionné dans le nouveau code minier par rapport au test de la qualité d’une ressource minière : devrait-il se faire avant le début de l’exploitation ou après? Quelle quantité y est-elle recommandée ? Pire, les citoyens qui auraient bénéficié des infrastructures scolaires et sanitaires de GAC n’ont pas été rencontrés. Ce qui était professionnellement incompréhensible. Il est d’ailleurs important de rappeler que l’alignement des publireportages dans les journaux télévisés va à l’encontre de la charte déontologique des journalistes de Guinée. Dans ce texte qui oblige le journaliste guinéen à s’imposer des règles d’honneur professionnel, il est mentionné au point (f) : « il s’interdit (en parlant du journaliste) de confondre le métier de journaliste avec celui de publicitaire, de propagandiste ». 108
Même si la loi L/2010/02/CNT du 02 juin 2010 ne précise pas la place qui doit être réservée aux informations à caractère publicitaire, elle interdit toute manœuvre visant à transformer en information, toute publicité commerciale. L’article 72 stipule : « aucune entreprise éditrice, aucun de ses collaborateurs n’est habilité à recevoir ou à faire promettre une somme ou tout autre avantage en vue de transformer en information de la publicité commerciale. Les écrits publicitaires à présentation rédactionnelle, doivent être précédés des mots publicité ou publireportage ».La violation des dispositions de cet article est punie au paiement d’une amende de vingt millions (20.000.000 GNF) à cinquante millions de francs guinéens (50.000.000 GNF). La Haute Autorité de la Communication (HAC) que nous avons sollicitée pour connaître sa réaction par rapport à cette réalité en Guinée, nous a tout simplement fait savoir qu’il s’agit des télévisions commerciales. Or, la RTG ne l’est pas et il faut mentionner que la loi n’exclut aucun type d’organe, ni par son statut, ni par son positionnement. Pour les médias privés la diffusion des publireportages est quand même tolérée par la loi, même si aucune précision n’est faite sur la nécessité de les diffuser ou non dans les programmes d’informations censés être gratuits, désintéressés et totalement indépendants.
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CHAPITRE III LES JOURNALISTES SPECIALISTES 1. DU JOURNALISME CULTUREL La Guinée est un pays dont l’essentiel du patrimoine culturel n’est pas bien connu. Le peu qui est présenté avec assez de caricatures parfois, est loin d’être l’essentiel comme on peut lire sur www.guineeconakry.online un site d’informations qui accorde une place importante à la culture dans ses articles. Il en est de même pour les terres arables drastiquement inexploitées en raison de l’impréparation des populations. On en trouve en abondance à Kouroussa, où les jeunes sont plutôt dans les carrières de mines et dans toutes les préfectures du sud où les cultures vivrières les plus consommées n’ont point de difficultés à réussir. Plus de 60% de la population guinéenne qu’une chaîne d’information doit habiter pour faire mieux comprendre et l’aider à transformer son quotidien. La Radiotélévision Guinéenne continue de se maintenir dans le groupe des médias les plus suivis dans le pays. Mais il convient de mentionner que la télévision nationale connaît peu de changements. Les mêmes problèmes constatés il y a des années persistent, qu’ils soient d’ordre technique, matériel, financier ou éditorial. De façon globale, les médias participent à la promotion du pays. Faudrait-il qu’ils soient bien équipés et s’offrent des canaux de diffusion des émissions sur une échelle beaucoup plus large. La Guinée est en effet un pays qui a une histoire peu connue. Une infime partie de son passé fait l’objet de cours dans les établissements d’enseignement nationaux et de débat dans des conférences internationales. Pour le guinéen des deux dernières décennies du 20ème siècle et des deux premières de ce 21ème, le pays se reconnaît par la lutte remarquable des résistants à la pénétration coloniale, la lutte
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pour l’indépendance, le pouvoir de Sékou Touré, la prise du pouvoir par l’armée en 1994 et l’instauration du multipartisme. Ces éléments qui sont d’une grande importance forgent l’admiration. Par ailleurs, la Guinée est aussi et surtout une nation qui porte des richesses culturelles immenses. Certaines ressources peu connues, sont même sur le point de disparaître. Dans une large mesure, les médias ont joué un grand rôle dans la conservation de certains éléments du patrimoine historique et linguistique dont les générations actuelles peuvent se vanter. Quelques éléments seulement, puisque nos archives ne sont pas généralement bien conservées. La télévision nationale a été utilisée pour accompagner les grands orchestres à des compétions internationales. Des groupes comme : les Ballets africains, les Amazones de Guinée, Keletigui et ses Tambourinis, Balla et ses Balladins, le Bembeya Jazz national, le Horoya Band, les Sofas de Camayenne, etc. ont été de plusieurs rendez-vous. Leurs prestations étaient connues du grand public, grâce au travail des journalistes culturels et techniciens de cette époque qui ont su relayer des informations par l’utilisation des bandes magnétiques, microsillons et cassettes. Les différentes initiatives provenaient de l’Etat qui en avait fait une politique et une action pérenne. Le sentiment nationaliste était partagé par l’ensemble des couches socioprofessionnelles. Il est du devoir des médias individuellement pris de poursuivre ce combat. Faire connaître nos artistes à travers le monde et à travers eux, mieux parler de la Guinée. Le journalisme culturel commence à prendre forme, mais il n’est pas assez bien cerné. De manière simple, le métier de journaliste culturel prend en charge les programmes d’informations sur la culture. Le journaliste culturel, est appelé à gérer l’actualité sur les différentes formes d’art : musique, cinéma, théâtre, art visuel, chorégraphie, littérature, bande dessinée, sculpture, peinture les arts plastiques, etc. C’est un champ vaste qui ne se développe pas, en raison du manque d’encadrement et d’accompagnement politique et de visibilité. Souvent, les actions des politiques, peuvent être motivées et facilitées, par la qualité 112
des œuvres produites, si elles sont mises en valeur. Et c’est là qu’intervient le rôle de la presse, encore mieux de la presse audiovisuelle. En Guinée, quelques émissions culturelles existent dans les radios. « Clap » pour le cinéma,« Papier plume parole » pour les œuvres littéraires et « Un conte pour nuit » pour l’oralité africaine et guinéenne à la RTG, restent des émissions spécialisées et conduites avec pédagogie. C’est vrai qu’elles n’attirent pas de public comme les émissions politiques, mais de par leurs synopsis, elles répondent aux critères qu’un média puisse s’imposer pour informer sur la culture. Ce sont des programmes qui s’ouvrent sur des formes d’arts qui ne sont pas assez prises au sérieux dans notre pays. « Parenthèse » d’Espace TV, s’inscrit dans ce cadre. CIS médias, Sweet FM et Kalac radio sont créés pour promouvoir les formes d’arts qui existent ; ce qui est déjà un bon début. Seul problème, à part les émissions que je viens de citer (qui se sont faits de la place bien sûr avant et maintenant), nous avons une quantité importante d’émissions dédiées à la musique. Je ne saurais donner leur nombre, car il n’y a que des émissions de musiques sur nos antennes. Même quand on initie un programme culturel, ou qu’on va nommer comme tel, la musique prend la plus grande place, au point d’amener à s’interroger : n’y a-t-il de culture que de la musique ? C’est malheureusement le constat qui se dégage. Et ça n’a pas l’air de changer. Au sein des radios et télévisions culturelles également, la part belle est réservée aux chansons guinéennes et étrangères. Les auditeurs et téléspectateurs, n’apprennent pas grand-chose sur les autres arts dont une véritable promotion pourrait vendre la Guinée, mais de la plus belle des manières. Les animateurs de musique -merci de bien vouloir accepter cette appellation- font assez pour nos artistes, mais ils manquent de pédagogie et de connaissances du domaine. S’ils font jouer au quotidien les différents titres en vogue selon les périodes, ils n’aident pas à comprendre les messages. A la radio nationale, « Un chant et son contenu »de Cheick Oumara Camara avait bercé notre enfance. Nous n’étions pas seulement intéressés par la 113
mélodie des beaux chants de notre terroir, mais nous apprenions suffisamment sur les messages véhiculés. Nos us et coutumes, le déroulement et la valeur du mariage, l’importance du travail, la bravoure de nos héros, le tout expliqué à travers des odes bien entonnés. Aujourd’hui, nos collègues doivent revisiter ce passé, non pas pour copier, mais pour s’inspirer des méthodes de travail. Il ne s’agit pas de faire danser les auditeurs ; ils peuvent bien aller dans les night clubs. Mais il s’agit de susciter à travers une animation bien préparée, une positive initiation à une intelligence des titres diffusés. Une telle démarche est instructive et offre la chance aux artistes dont les albums ne sont plus achetés, à se faire consommer dans tous les foyers. Nous nous interrogeons souvent sur les raisons véritables des choix des jeunes portés sur les artistes étrangers. Il convient de réaliser que le succès de ces chanteurs africains et d’ailleurs qui remplissent nos salles de spectacles, est dû au fait qu’ils bénéficient d’un véritable coaching, mais surtout, d’une véritable promotion médiatique locale avant tout. C’est vrai qu’en amont, nous devons disposer dans notre pays, de grands promoteurs de musique et non de simples promoteurs de spectacles. Etant entendu que les promoteurs de musique utilisent tous les canaux pour rendre une production musicale vendable, alors que les promoteurs de spectacles (que nous avons en nombre), commercialisent les produits finis à travers les concerts. Ceci est un autre débat que les professionnels dans ce domaine, sont appelés à animer. En ce qui concerne les autres formes d’arts que le cinéma, le théâtre, la sculpture, la peinture ou encore les arts plastiques, les journalistes culturels doivent apprendre à les connaître. A se spécialiser ou tout au moins à s’y intéresser de manière plus sérieuse. Une fois ce premier souhait réalisé, ils devront les aimer comme ils aiment la musique. Il ne sera peut-être pas question d’une simple campagne médiatique, mais d’une démarche pédagogique, totalement désintéressée, en vue de mettre en lumière leurs acteurs ainsi que leurs œuvres. Deux objectifs seront ainsi atteints : 114
a-
Leurs œuvres seront connues du public
b- La représentation que celles-ci donnent de notre pays et de ses valeurs culturelles, participe à l’affirmation de notre identité ou nos identités culturelles. Avec force, les obstacles qui se dressent devant ces artistes seront déterminés et les solutions pour les franchir se trouveront. Des formations spécifiques sont à planifier. Il reste également à songer aux émissions de critique d’art. Un plus pour aider les artistes, quel que soit leur domaine, à s’amender tous les jours. La critique des professionnels, permet d’identifier les forces et les faiblesses des hommes de culture. Des spécialistes enseignent et sortent de l’Institut supérieur des arts Mory Kanté de Dubréka. Il est important d’envisager leur implication pour réussir une telle tâche. Parce que la critique d’art doit s’élargir et se focaliser sur « la littérature, le théâtre, la musique, la danse, le cinéma, la vidéo… ». Les médias, dit-on, qui font eux-mêmes partie des industries culturelles, devraient de ce fait, participer à la diffusion et au renforcement du patrimoine national.
2. DU JOURNALISME SPORTIF La presse sportive guinéenne compte de grands noms de journalistes : feu Boubacar Kanté, Cheick Fanta Mady Condé, feu Pathé Diallo, Fodé Bouya Fofana, Gaoussou Diaby, Oumar N’Diaye, Oumar Dieng, feu Gassimou Sylla, Amadou Djouldé Diallo, ... les pionniers. Des professionnels qui ont éloquemment parlé des disciplines sportives de notre pays et du monde. Aujourd’hui encore, de brillants journalistes sportifs animent de grandes émissions dans les différentes radios et télévisions de notre pays. Leurs sujets de débats sont : les compétitions nationales, africaines et mondiales. Ils évoquent des succès et performances des équipes sur cette planète. Ils réussissent à mettre leur public au courant de toute l’actualité autour des disciplines pratiquées en Guinée et ailleurs. En plus des émissions, ils
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couvrent des activités sportives, comme des matchs, conférences d’avant et d’après matchs. Cependant, deux problèmes sont à noter dans leur travail : a- Ils consacrent l’essentiel de leurs programmes au football oubliant ainsi les autres disciplines sportives ; b- Ils vont rarement au-delà des comptes rendus des activités des acteurs du monde sportif. Le premier problème est d’abord politique. Le peu d’attention que l’Etat accorde aux sports, revient exclusivement ou presque au football et, seulement lorsque les équipes nationales s’apprêtent à participer aux compétitions internationales. Mais nos confrères peuvent prendre le devant pour regarder dans d’autres disciplines. Ils trouveront les atouts à montrer au public et aux décideurs. Il faudrait qu’ils trouvent un intérêt certain à sortir parfois du football. Le basketball, le handball, le cyclisme, les sports mécaniques, les boules et pétanques…Toutes ces disciplines peuvent prospérer dans notre pays, il suffit qu’il y ait une véritable formation à la base. Bien sûr, le travail des journalistes sportifs, n’est pas de former les sportifs, mais de sensibiliser ceux qui en ont le devoir, à les motiver. Le second problème est quasi général mais encore plus présent dans le monde sportif. Il n’y a d’éléments sur les sports dans les journaux, que lorsqu’il y a des activités. Des conférences, visites de terrains et de simples polémiques quand on peut les soulever. Des comptes rendus pour dire au public que tout marche à merveille dans le football, au moment où nos équipes nationales enchaînent des défaites. Nous avons très peu d’enquêtes et les confrères qui ont décidé de parler de football dans notre pays, restent en grande partie influencés par les membres de la fédération et cadres du ministère en charge des sports. Certains parmi eux (la majorité), voyagent grâce aux cadres des organes de gestion des sports. Les promoteurs de radios et de télévisions, n’arrivent pas tous à financer les voyages à l’étranger. Du coup, un journalisme de connivence est né. Des journalistes n’hésitant pas à défendre leurs bienfaiteurs quand bien même, ceux-ci 116
commettent des erreurs ou se rendent responsables d’actes répréhensibles. D’autres communiquent tout simplement en permanence pour des équipes.
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CONCLUSION La Guinée dispose d’un nombre important de radios et télévisions, qu’elle n’en avait, il y a quinze ans. Les médias audiovisuels rassemblent à eux seuls, plus de 70% des consommateurs de l’information. Le sondage d’Afrobaromètre en 2019, confirme que 49% et 26% de Guinéens interrogés, ont respectivement pour source d’information, la radio et la télévision nationale. Les Guinéens dans leur écrasante majorité s’informent beaucoup plus facilement, à travers ces deux types de médias, car, les programmes peuvent leur être proposés dans leurs langues. Et chacun peut disposer d’un poste radio. Ceci dit, si de meilleurs programmes sont diffusés par les radios et télévisions guinéennes, l’essentiel de la population guinéenne peut avoir accès à l’information de qualité. C’est pourquoi cette analyse (qui ne sera certainement pas la dernière), veut interpeller les promoteurs et les professionnels employés, à prendre conscience de leur force. Il ne faut pas l’occulter, la même enquête révèle que 13% de Guinéens sondés, s’informent à travers les réseaux sociaux. Ce qui n’est pas un choix sans risque. Les réseaux sociaux sont utilisés par tout le monde - professionnels de médias et non professionnels- Et c’est du journalisme citoyen qui échappe à tout contrôle. Ailleurs, les professionnels anticipent et cherchent les moyens pour donner de la place au journalisme social. Les contenus proposés par des citoyens, qui deviennent pour euxmêmes et pour les autres, des médias, bénéficient de la vérification des journalistes professionnels. Il nous revient d’adopter des comportements à même de redonner confiance au public.
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BIBLIOGRAPHIE -
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Rapport sur l’audience des médias audiovisuels en Guinée d’Afrobaromètre (2019) Principes du journalisme : ce que les journalistes doivent savoir, ce que le public doit exiger de Bill Kovach et Tom Rosenstiel Charte Munich (1971). Déclaration des devoirs et droits des journalistes Charte de Munich (juin 2017) Charte africaine des droits de l’homme et des peuples La culture comme spécialité journalistique de William Spano, dans le temps des médias 2011/2 (nro 17)
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TABLE DES MATIÈRES Dédicace .........................................................................................7 Remerciements ...............................................................................9 Préface ..........................................................................................11 INTRODUCTION .......................................................................15 CHAPITRE I MA REDACTION DE MISERE ...................19 1. UN STAGE EN TEMPS DE CRISE ..................................19 2. PREMIER EMPLOI ............................................................44 3. HADAFO MEDIA, L’HEURE DE LA MATURITE........59 CHAPITRE II : LES RADIOS ET TELEVISIONS FACE AUX DEFIS ................................................................................71 1. LES MEDIAS GUINEENS ET LEURS PUBLICS...........71 2. LES POLITIQUES EDITORIALES ET L’INDEPENDANCE DES JOURNALISTES. ......................83 3. LE DIFFICILE COMBAT POUR UN SERVICE A RENDRE AU PUBLIC ...........................................................91 4. RELATIONS AVEC LES PARTIS POLITIQUES ...........94 5. COUVERTURE D’UNE CAMPAGNE ELECTORALE100 6. PUBLIREPORTAGES DANS LES EDITIONS D’INFORMATIONS .............................................................107 CHAPITRE III LES JOURNALISTES SPECIALISTES111 1. DU JOURNALISME CULTUREL ..................................111 2. DU JOURNALISME SPORTIF .......................................115 CONCLUSION ..........................................................................119 Bibliographie ..............................................................................121
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Structures éditoriales du groupe L’Harmattan L’Harmattan Italie Via degli Artisti, 15 10124 Torino [email protected]
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À travers cet ouvrage, l’auteur fait le diagnostic du secteur sur la base de ses observations et expériences personnelles. Il analyse aussi, quelques rapports d’institutions et d’organisations non gouvernementales sur le travail des médias guinéens. C’est ainsi, le début d’une réflexion profonde sur le sujet, en espérant qu’il comptera les années à venir, dans la lutte pour l’édification d’une presse au service de son public. Né à Gueckédou au sud de la Guinée, Jacques Lewa LENO est rédacteur en Chef d’Espace TV, une chaîne de télévision du groupe Hadafo Médias, basé à Conakry. Il participe aussi à la formation des étudiants en journalisme à l’Institut Supérieur de l’Information et de la Communication de Kountia dans la préfecture de Coyah. Connu pour sa chronique : « La Plume à Jacques Lewa Leno » diffusée dans les matinales de la radio Espace et de la télévision ainsi que dans la grande édition du soir de la radio (grand direct de l’actualité), animateur d’émissions et chroniqueur des « Grandes Gueules », Jacques met souvent le citoyen rural au cœur de ses interventions.
Jacques Lewa Leno
Les médias se créent et s’installent dans tout le pays. Ce qui offre plusieurs choix au public. Il reste néanmoins entendu que des défis se posent en termes de formation et de contenus éditoriaux. L’indépendance du journaliste qui a du mal à s’obtenir, reste au cœur des préoccupations. La raison n’est plus seulement d’ordre politique. Les problèmes économiques que connaissent les promoteurs de médias et qui ont pour conséquence les bas salaires, n’aident pas les journalistes à travailler en toute liberté.
Etudes africaines
Série Communication
Jacques Lewa Leno
L’audiovisuel en Guinée
Ce premier essai est une analyse sur la pratique du métier de journaliste en République de Guinée. Après la libéralisation des ondes audiovisuelles en 2005, le pays fait l’expérience de la presse libre. Si l’acte du régime de Lansana Conté est salutaire, professionnels et consommateurs de l’information font désormais l’évaluation de ce qui est une révolution médiatique.
L’audiovisuel en Guinée Contenus et défis
Études africaines Série Communication
Préface de Justin Morel junior Illustration de couverture : © mistersunday - 123rf.com
ISBN : 978-2-343-24007-7
14 €
9 782343 240077