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LACTANCE
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MONOTHÉISMES ET PHILOSOPHIE Collection dirigée par Carlos Lévy
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LACTANCE DE OPIFICIO DEI LA CRÉATION DE DIEU
Texte établi, traduit et annoté par
BÉATRICE BAKHOUCHE et
SABINE LUCIANI
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© 2009 – Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise,without the prior permission of the publisher. D/2009/0095/151 ISBN 978-2-503-53082-6 Printed in the E.U. on acid-free paper
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TABLE DES MATIÈRES
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INTRODUCTION GÉNÉRALE ...........................................................
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La vie et l’œuvre de Lactance......................................................................... Son nom ................................................................................................... Sa vie ......................................................................................................... Son œuvre ................................................................................................
9 9 10 12
Le contexte historique.....................................................................................
15
Le contexte culturel et intellectuel du De opificio Dei .............................
21
Le De opificio Dei ............................................................................................. Le titre ...................................................................................................... Le contenu ............................................................................................... Le destinataire ........................................................................................ Le genre .................................................................................................... Le crypto-christianisme en question..................................................
29 29 30 34 36 37
Le De opificio Dei : une interpretatio culturelle ......................................... L’apport doxographique ........................................................................ La philosophie grecque ......................................................................... Le savoir médical .................................................................................... Les classiques latins ................................................................................ L’héritage africain ..................................................................................
43 45 51 60 65 79
L’addition au chapitre 19 ................................................................................ Son authenticité ...................................................................................... Son dualisme ...........................................................................................
87 87 89
Le style de Lactance dans le De opificio Dei ...............................................
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La réception du De opificio Dei .....................................................................
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TABLE DES MATIÈRES
L’histoire du texte ............................................................................................ Les manuscrits ........................................................................................ Les éditions et les traductions..............................................................
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Les principes de la présente édition .............................................................. L’établissement du texte ....................................................................... La traduction........................................................................................... L’introduction et le commentaire .......................................................
111 111 112 113
LA CRÉATION DE DIEU ......................................................................... Traduction ............................................................................................... Notes .........................................................................................................
116 117 188
BIBLIOGRAPHIE.......................................................................................
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INDEX NOMINUM ...................................................................................
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INDEX RERUM ...........................................................................................
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
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LA VIE ET L’ŒUVRE DE LACTANCE Comme pour bien des auteurs de l’Antiquité tardive, nous ne connaissons guère plus de Lactance que ce qu’en disent ses textes1 et le seul témoignage de Jérôme. Son nom Même son nom n’est pas sûr. Dans les incipit de certains manuscrits2 , on peut lire : Caelii Firmiani Lactantii incipit liber De opificio Dei. C’est également le titre qu’on trouve dans le catalogue de l’abbaye de Bobbio du Xe siècle : Celii Firmiani Lactantii de opificio dei3. Les manuscrits des Institutions divines hésitent entre Caelius et Caecilius ; cette dernière forme se trouve également dans l’incipit du De mortibus persecutorum dans le manuscrit du XIe siècle actuellement conservé à la BnF sous la cote lat. 2627 : Lucii Cecilii in-
1 Sur la vie et l’œuvre de Lactance, voir les notices de V. Loi in Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien II - dir. A. Di Berardino - trad. F. Vial, Paris, éd. Du Cerf, 1990, p. 13971399 ; A. Wlosock, § 570 « Lactance », in Nouvelle Histoire de la Littérature Latine 5. Restauration et renouveau (284-374) - dir. R. Herzog - trad. G. Nauroy, Turnhout, Brepols, 1993, p. 426-459 ; Chr. Ingremeau, « Lactance (L. Cae[ci]lius Firmianus –) » in Dictionnaire des philosophes antiques IV - dir. R. Goulet, Paris, 2005, p. 65-71 ; M. Perrin & H. Inglebert, « Lactance, ~ 250-325 apr. J.-C. », in Dictionnaire de l’Antiquité - dir. J. Leclant, Paris, 2005, p. 1224-1225. 2 Ce sont les manuscrits de Valenciennes (lat. 133, VIIIe s.), du Vatican (lat. 161, fin VIIIedébut IXe s.), cf. Lact. Opera - éds. S. Brandt & G. Laubmann (CSEL, 19, 27), Vienne, 18901893, apparat-critique (a.c.), p. 3 ; en revanche, dans le manuscrit de Montpellier (H 241, IX-Xe s.), l’incipit est différent, cf. infra p. 29. 3 Cf. Becker, Catal. biblioth. ant., p. 67 n. 220.221, cité par S. Brandt, op. cit., a.c. p. 3.
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
cipit liber ad Donatum confessorem de mortibus persecutorum. C’est finalement le nomen Caecilius qui est aujourd’hui préféré, car un certain L. Caecilius Firmianus, appartenant sans doute à la famille de Lactance, est mentionné dans une inscription de Cirta4. D’où le nom complet dorénavant adopté : L. Caecilius Firmianus Lactantius. Sa vie Saint Jérôme, qui lui consacre une brève notice dans son De uiris illustribus5, est, en quelque sorte, son premier biographe : Firmianus, qui et Lactantius, Arnobii discipulus, sub Diocletiano principe accitus cum Flauio Grammatico, cuius de Medicinalibus uersu compositi exstant libri, Nicomediae rhetoricam docuit, et penuria disciplinorum, ob Graecam uidelicet ciuitatem, ad scribendum se contulit. Habemus eius Symposium, quod adolescentulus scripsit ; ὁδοιπορικόν de Africa usque Nicomediam, hexametris scriptum uersibus, et alium librum, qui inscribitur Grammaticus, et pulcherrimum de ira Dei, et Institutionum diuinarum aduersum gentes libros septem, et ἐπιτομήν eiusdem operis in libro uno acephalo, et ad Asclepiadem libros duos, de persecutione librum unum, ad Probum Epistolarum libros quatuor, ad Seuerum Epistolarum libros duos ; ad Demetrianum, auditorem suum, Epistolarum libros duos ; ad eumdem de Opificio Dei, uel formatione hominis, librum unum. Hic extrema senectute magister Caesaris Crispi, filii Constantini, in Gallia fuit, qui postea a patre interfectus est, « Firmianus, encore appelé Lactance, élève d’Arnobe, à l’appel de l’empereur Dioclétien, enseigna la rhétorique à Nicomédie, avec le grammairien Flavius, dont il reste les livres sur Les remèdes composés en vers, et, par manque d’élèves (vu naturellement qu’il était dans une cité grecque), s’est consacré à l’écriture.
4 Cf. CIL VIII, 7241 : D O M L.CAECILIVS FIRMIANVS H S E. 5 PL 23, 1845, c. 80, p. 687-690 = Gerolamo, Gli Uomini illustri - éd. A. Ceresa-Gastaldo, Florence, 1988, p. 186-189 et note 1 ad loc., p. 315 : ces remarques de Jérôme sur Lactance sont très importantes car, avec celles fournies par Ep. 58, 10 ; 70, 15 et 84, 7, elles restent les seules que nous possédions sur cet auteur.
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LA VIE ET L’ŒUVRE DE LACTANCE 6
Nous avons son Banquet, qu’il a écrit tout jeune ; son Odoiporicos d’Afrique à Nicomédie, écrit en hexamètres ; le très beau De ira Dei ; les sept livres des Institutions divines contre les gentils ; l’Épitomé 7 de cet ouvrage en un seul livre dont il manque le début ; deux livres à Asclépiade ; un livre De persecutione ; quatre livres de Lettres à Probus, deux livres de Lettres à Sévérus ; deux livres de Lettres à Démétrianus, son disciple ; adressé au même, un seul livre sur le De opificio Dei ou Sur la création de l’homme. Dans son extrême vieillesse, cet homme, maître du César Crispus, fils de Constantin (plus tard tué par son père), se trouvait en Gaule ».
Il a donc vécu sous Dioclétien et Constantin : originaire d’Afrique, il a passé une partie de sa vie à Nicomédie avant de la finir à Trèves, en Gaule, où il avait été appelé par Constantin pour être le précepteur de son fils aîné Crispus8. Si l’on estime que l’« extrême vieillesse », dans l’Antiquité, correspond à 70 ans et plus, on en déduit que Lactance était septuagénaire un peu avant 326 (date de l’exécution de Crispus sur ordre de son père), et par suite qu’il serait né dans les années 250. Il a sans doute été nommé à Nicomédie avant la première persécution contre les chrétiens de 303-304, peut-être au tournant du siècle, la réputation du professeur quinquagénaire ayant pu arriver jusqu’à l’empereur Dioclétien. Ailleurs, le même Jérôme affirme que notre auteur, après avoir perdu sa charge de professeur, aurait connu une situation financière difficile9. Ce sont d’autre part les témoignages internes à l’œuvre qui nous donnent quelques renseignements complémentaires : Lactance est un converti10 ; peut-être a-t-il embrassé le christianisme déjà en Afrique, ou alors à Nicomédie11. Il a eu à pâtir de la Grande Persécution de 303, dont il est déjà question 6
C’est-à-dire « itinéraire ». C’est-à-dire « résumé ». 8 Sur la venue de Lactance à la cour de Trêves, cf. C. Matson Odahl, Constantine and the Christian Empire, Londres/New York, Routledge, 2004, p. 121-129. 9 Chronic. ad a. Abr. 2333 : Crispus et Constantinus filii Constantini et Licinius adulescens Licinii Augusti filius ex sorore Constantini Caesares appellantur, quorum Crispum Lactantius erudiuit uir omnium suo tempore eloquentissimus, sed adeo in hac uita pauper, ut plerumque etiam necessariis indiguerit ; sur ce point, cf. D. Romano, « Lattanzio e la povertà », in Curiositas. Studi di cultura classica e medievale in onore di Ubaldo Pizzani, Pérouse, 2002, p. 231-238. 10 Cf. Lact. Epit. 43, 3 : Nos qui sumus ex gentibus… 11 C’est l’hypothèse privilégiée par Chr. Ingremeau, « Lactance », art. cit., p. 65. 7
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
dans le De opificio Dei (cc. 1 et 20)12 ; c’est pendant cette période douloureuse qu’il a assisté à la lecture publique de pamphlets violemment antichrétiens. Tout le reste – la présence à Nicomédie de Constantin dont Lactance aurait été le précepteur, la durée du séjour de ce dernier dans la capitale de la Bithynie,… – n’est que conjecture d’érudits13. Son œuvre La notice de Jérôme nous renseigne également sur les écrits de Lactance dont il ne nous reste que les textes ressortissant à l’apologétique chrétienne : les Institutions divines et leur Épitomé, le De ira Dei, le De persecutione que nous connaissons sous le titre De morte persecutorum, et le De opificio Dei. Les autres, dont l’importante correspondance, ont été perdus. Il faut également ajouter à la liste de Jérôme un poème en distiques élégiaques, De aue phoenice, qui n’a pas été transmis dans les mêmes manuscrits que les textes chrétiens et, pour cette raison, est apparu souvent comme apocryphe, bien que son authenticité soit indubitable depuis Grégoire de Tours : son caractère crypto-chrétien, comme le De opificio, en ferait une œuvre de la même période, c’est-àdire du début du IVe siècle14. La liste de Jérôme par ailleurs ne suit pas l’ordre temporel, et, si la chronologie relative des écrits est facile à établir à partir des témoignages internes, leur datation absolue reste toujours incertaine. Le De opificio a été écrit avant les autres, comme en témoigne le premier chapitre qui fait allusion aux persécutions de Dioclétien (donc dans les années 303). Cet opuscule est suivi par les sept livres des Institutions divines écrits entre 304 et 311 - toujours à Nicomédie15 -, et où l’auteur, pour combattre tous les philosophes, développe une apologétique en deux temps : les trois premiers livres dénoncent la fausse sa12
Cf. également Lact. Inst. V, 2, 2-4, 1 et Mort. 12, 1-16, 3. Cf. Chr. Ingremeau, Ibid., p. 65-66. 14 Cf. Chr. Ingremeau, Ibid., p. 69. 15 Pour T. D. Barnes, « Lactantius and Constantine », Journal of Roman Studies 63 (1973), p. 29-46 [p. 40], Lactance aurait quitté la Bithynie peu après 305 (cf. Inst. V, 2, 2 : Ego cum in 13
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LA VIE ET L’ŒUVRE DE LACTANCE
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gesse, tandis que les quatre suivants célèbrent la vraie sagesse, la vraie philosophie, c’est-à-dire le christianisme. Entre ces deux volets, se dessinent des effets de parallélisme et d’opposition - comme entre les livres 3 et 4 ou 6 et 1-, le dernier livre, sur le bonheur, constituant le point d’orgue de toute l’œuvre16. L’Épitomé des Institutions divines, qui serait postérieur au De mortibus persecutorum17, ne se réduit pas à un simple résumé, comme le titre semblerait l’indiquer : la matière des Institutions y est réorganisée, dans un agencement parfois modifié, ce qui change du même coup la portée du texte. Lactance traite encore, dans les années 313, de La Colère de Dieu (De ira Dei) en 23 chapitres, où le débat sur la nature et les attributs de Dieu est l’occasion d’une (nouvelle) confrontation avec les philosophes. La date du dernier écrit, De la mort des persécuteurs, est sans doute comprise entre 318 et 32118 ; cette diatribe, où la fin détestable des ennemis de Dieu illustre la puissance de Sa justice, passe aujourd’hui pour avoir été écrite à Trèves, dans l’entourage de Constantin.
Bithynia oratorias litteras accitus docerem…, duo extiterunt ibidem…) et aurait écrit au moins une partie des Institutions divines ailleurs, peut-être dans le fief de Constantin. 16 Cf. Chr. Ingremeau, Ibid., p. 67-68. 17 Cf. Lact. Epit. - éd. M. Perrin, p. 14-16. 18 Cf. Lact. Mort. - éd. J. Moreau, p. 34-37.
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LE CONTEXTE HISTORIQUE Au moment où Lactance compose le De opificio Dei, c’est-à-dire au début du IVe siècle de notre ère, l’Empire romain est sujet à une profonde mutation d’ordre à la fois politique, social, intellectuel et religieux. Durant le siècle précédent, le monde romain a connu de sérieuses difficultés liées à l’accroissement du péril extérieur et à une forte instabilité politique19 : entre 235 et 284, en raison de la multiplication des usurpations, de très nombreux empereurs nommés par l’armée, dont beaucoup ont péri assassinés, se sont succédé au pouvoir. Maintes zones frontalières ont été en butte aux assauts des Barbares, qui menaçaient l’Empire de toutes parts : en Orient, les Goths ont attaqué plusieurs fois la Grèce et l’Asie ; les Perses ont envahi la province de Syrie. Dans la partie occidentale, les Germains, notamment les Francs et les Alamans, ont pénétré en Gaule et en Espagne, les Saxons ont menacé les rives de la mer du Nord. Les défaites militaires, favorisant les troubles civils et l’anarchie politique, ont provoqué des difficultés économiques et financières, générant elles-mêmes des troubles sociaux et des manifestations de grande inquiétude morale. Dans ce contexte de doutes et d’angoisse, les persécutions contre les chrétiens, accusés d’avoir rompu la pax deorum et provoqué les malheurs de l’État, se sont multipliées. Ces persécutions sont liées d’une certaine façon à la marginalisation délibérée des chrétiens, qui récusent le culte impérial comme les devoirs de 19
Le concept de « crise » du IIIe siècle, qui remonte à l’historiographie antique, est aujourd’hui remis en question. Pour une relecture de cette « crise » financière et politique, que les historiens chrétiens ont eu tendance à amplifier parce que le conflit majeur entre les chrétiens et l’Empire eut lieu à cette époque, cf. J.-M. Carrié & A. Rousselle, L’Empire romain en mutation, Paris, 1999, p. 91-144.
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
citoyen romain20. Les véritables causes des persécutions sont d’ordre social et politique quand, déjà au temps de Marc Aurèle, après quarante ans de paix romaine, les frontières fléchissent sous la poussée des Barbares : les chrétiens refusent alors le dévouement actif dont l’Empire a tant besoin. En opposant la Jérusalem céleste à la cité terrestre, le christianisme ruine le sentiment patriotique. Même si l’abstention des chrétiens à l’égard des devoirs publics et du service militaire ne constitue pas un délit en soi, leur isolement, dans un mode de vie très différent de celui des païens, achève de les exclure socialement. À une série de décrets impériaux visant à affaiblir et à désorganiser la religion chrétienne au milieu du IIIe siècle (édit de Dèce en 250, édits de Valérien en 257 et 258) succèderont, à la fin du IIIe siècle et au début du IVe, des mesures de persécution générale et systématique visant à éliminer définitivement les chrétiens21. Déjà Néron avait introduit l’usage - ce que Tertullien appelle Institutum Neronianum22 - de réprimer comme tel le fait d’être chrétien, le nomen Christianum23. Sur le plan politique, le redressement entrepris par Aurélien, entre 270 et 275, est consolidé par Dioclétien, qui réforme le régime et restaure dura-
20 Cf. P. Lebeau, « L’engagement des chrétiens dans la cité antique. Contestation et réponse à l’époque des Pères de l’Église », Lumen vitae 21 (1966), p. 591-599 ; St. Gero, « ‘Miles gloriosus’ : the Christian and Military Service according to Tertullian », Church History 39 (1970), p. 285-298 ; J. Whittaker, « Christianity and Morality in the Roman Empire », Vigiliae Christianae 33 (1979), p. 209-225; S. C. Mimouni & P. Maraval, Le christianisme des origines à Constantin, Paris, PUF, 2006, p. 8-15. 21 Sur le choc causé par la reprise des persécutions au début du IVe siècle et leur dimension politique, cf. S. Mitchell, A History of the Later Roman Empire ad 284-641. The transformation of the Ancient World, Blackwell Publishing, 2007, p. 238-241. 22 Cf. Tert. Nat. I, 7. Sur l’institutum Neronianum, cf. A. Bourgery, « Le problème de l’Institutum Neronianum », Latomus 2 (1938), p. 106-111 ; J. N. Ph. Borleffs, « Institutum Neronianum », Vigiliae Christianae 6-3 (1952), p. 129-145 ; Ch. Saumagne, « Tertullien et l’Institutum Neronianum», Theologische Zeitung 17 (1961), p. 334-355 ; L. F. Jansen, « ‘Superstitio’ and the Persecution of the Christians », Vigiliae Christianae 33-2 (1979), p. 131-159 ; A. Rousselle, « Le crime de christianisme », in Ordre moral et délinquance de l’Antiquité au XXe siècle. Actes du colloque de Dijon - éd. B. Garnot, Dijon, 1994, p. 265-272. 23 Cf. Tac. An. XV, 44 ; Plin. X, 96-97. Lactance, dans un autre contexte, y fait allusion en Opif. 1, 2.
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LE CONTEXTE HISTORIQUE
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blement l’unité et la puissance de l’Empire24. Il instaure progressivement, entre 284 et 293, un gouvernement collégial, la « Première Tétrarchie ». Selon ce nouveau système, le pouvoir est exercé par quatre empereurs, deux Augustes assistés chacun d’un César, qui se partagent les différentes tâches et les secteurs géographiques sous l’autorité prédominante de Dioclétien. Ce dernier, Auguste senior, résidant à Nicomédie, cité d’Asie mineure dont il fait une capitale impériale et qu’il veut embellir au point d’en faire l’égale de Rome25, dirige l’Orient avec l’aide de son César, Galère, plus particulièrement chargé des régions danubiennes. L’Occident est administré par Maximien, résidant à Milan et assisté de Constance Chlore. Cette répartition territoriale permet de lutter efficacement contre les usurpations et de repousser les envahisseurs grâce à une réorganisation de l’armée, accompagnée de réformes administratives et financières. De plus, les mesures visant au redressement de l’Empire sont associées à l’élaboration d’une nouvelle théologie politique, fondée sur la sacralisation du pouvoir impérial. Si l’idée n’est pas nouvelle, elle est appliquée de manière systématique et marque une rupture avec l’idéologie solaire qui s’est affirmée au IIIe siècle26 : Dioclétien associe la dyarchie, qu’il institue en 287, au couple divin, constitué de Jupiter, dieu tutélaire de Rome, et de son fils Hercule, héros d’endurance. Dioclétien et Maximien s’attribuent respectivement les surnoms de Jovius et d’Herculius, revendiquant par ces titres une ascendance divine. Ce principe est réaffirmé en 293, lors de l’adoption de Galère et de Constance Chlore, qui bénéficient de la même épithète que leur Auguste respectif. Les tétrarques se posent ainsi en souverains de rang surhumain, à la fois descendants des dieux et promoteurs de leurs volontés27 ; ils deviennent, selon la formule figurant sur une borne de
24
Sur la mise en place du régime tétrarchique et les réformes menées par Dioclétien, cf. L. Piétri, « Les résistances : de la polémique païenne à la persécution de Dioclétien », in Histoire du christianisme, II « Naissance d’une chrétienté » - éds. J. M. Mayeur, Ch. (†) & L. Piétri, A. Vauchez, Paris, 1995, p. 172-173 ; E. De Palma Digeser, The Making of a Christian Empire, Ithaca-Londres, 2000, p. 19-30 ; S. Mitchell, A History of the Later Roman Empire, op. cit., p. 55-65. 25 Cf. Lact. Mort. 7, 9-10. 26 En 274, sous le règne d’Aurélien, Sol Inuictus devient dieu officiel de l’Empire, cf. G. H. Halsberghe, The cult of Sol Invictus, Leyde, 1972 et « Le culte de Sol Invictus à Rome au 3e siècle après J.C. », ANRW II, 17.4 (1984), p. 2181-2201. 27 Cf. Y. Modéran, L’empire romain tardif, Paris, 2003, p. 74-75.
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
Dyrrachium, « dieux de naissance et créateurs de dieux »28. Cette conception théocratique vise non seulement à conférer une légitimation divine au règne des tétrarques, mais aussi à restaurer le prestige de la culture romaine traditionnelle. Il s’agit pour Dioclétien de fonder son action politique sur l’auctoritas des dieux protecteurs de Rome, auprès desquels l’Empire doit rentrer en grâce. Il lui faut, pour ce faire, imposer le principe d’une régénération morale et religieuse. En tant que « nouvelle » religion, le christianisme, qui a vu croître progressivement le nombre de ses adeptes, se heurte de plein fouet à cette orientation religieuse et réactionnaire du régime. Aussi Dioclétien, dont les récents succès militaires contre les Perses ont affermi le pouvoir29, décidet-il de mettre fin à la « petite paix de l’Église », période de quarante années durant laquelle les chrétiens ont connu une relative tranquillité (260-303). Dans un contexte marqué par une volonté de retour aux croyances traditionnelles, a donc lieu, à partir de 303, la dernière grande persécution contre les chrétiens30. Elle débute précisément dans la ville impériale de Nicomédie, où séjourne Lactance. L’apologiste, qui a évoqué ces événements dans le De mortibus persecutorum, en attribue la responsabilité à Galère, dont la haine viscérale contre les chrétiens aurait influencé Dioclétien31. Mais les historiens du christianisme considèrent aujourd’hui que, si Galère, en tant que soldat inculte et d’origine barbare, pouvait constituer aux yeux de Lactance une figure particulièrement représentative des persécuteurs, son rôle n’a pas été en réalité décisif 32 . Ils 28 Cf. ISL, 629 : diis genitis et deorum creatoribus dd.nn. Diocletiano et [Maximiano invict] is Augg. 29 Après avoir repoussé les Goths des rives danubiennes, Galère avait mené une campagne victorieuse contre les Perses en 298. 30 Sur la « Grande Persécution », cf. le témoignage de Lactance, Mort. 12-16 ; P. S. Davies « The Origin and Purpose of the Persecution of AD 303 », Journal of Theological Studies 40 (1989), p. 66-94 ; L. Piétri « Les résistances », art. cit., p. 172-180, et P. Garnsey & C. Humfress, L’évolution du monde de l’Antiquité tardive - trad. F. Regnot, Paris, 2004, p. 32-38. 31 Cf. Lact. Mort. 10, 11. 32 Selon P. S. Davies, « The Origin and Purpose of the Persecution of AD 303 », art. cit., la responsabilité attribuée à Galère dans la « Grande Persécution » ressortit au stéréotype apologétique, selon lequel les empereurs persécuteurs étaient de « mauvais empereurs », influencés par leurs conseillers et voués à une mort atroce. Or Galère, qui fut le César de Dioclétien, fit appliquer les édits de persécution jusqu’en 311 et mourut d’une affreuse maladie, correspondait parfaitement à ces critères.
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LE CONTEXTE HISTORIQUE
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voient dans la persécution la conséquence inévitable des changements politiques et la marque d’un « affrontement entre deux doctrines incompatibles »33. Cette lutte d’influence s’exprime dans la propagande antichrétienne, qui est alors largement diffusée par les lectures publiques. Cautionnée par l’hostilité déclarée de l’élite intellectuelle, qui accuse les chrétiens d’inculture et leur reproche de trahir l’antique religion, la Grande Persécution de Dioclétien commence symboliquement le 23 février 303, jour de la fête des Terminalia, non sans avoir été annoncée par des mesures discriminatoires dans l’armée et à la cour. Selon le témoignage de Lactance, l’église de Nicomédie est détruite34 et les livres saints brûlés35. Le premier édit de persécution, publié le lendemain, ordonne la destruction des lieux de cultes chrétiens et des Écritures ; il frappe également de déchéance les chrétiens de haut rang, les honestiores. Suite à des troubles provoqués par cet édit impérial, Dioclétien en publie deux autres pour ordonner l’emprisonnement des chefs de communauté et obliger ces derniers à sacrifier, en libérant les repentis et en suppliciant les autres. Le quatrième et dernier édit, promulgué en 304, impose l’organisation de sacrifices dans tout l’Empire36. L’application de ces mesures place les chrétiens, et Lactance en particulier, dans une situation très délicate, à laquelle il est fait allusion dans le prologue du De opificio Dei37. Ces difficultés, auxquelles s’ajoute la violence de la contrainte, incitent de nombreux chrétiens à abjurer leur foi ; ils deviennent ainsi des lapsi. Cet état de fait explique probablement les exhortations discrètes de Lactance, qui adjure son disciple Démétrianus de se souvenir de son engagement38. Durant la première Tétrarchie, à Nicomédie comme dans l’ensemble de l’Empire, les édits de persécution, qui donnent lieu à de nombreux martyres sanglants, sont assez scrupuleusement appliqués39. Cependant, après l’abdication de Dioclé-
33 L. Piétri, « Les résistances », art. cit., p. 174 et E. De Palma Digeser, The Making of a Christian Empire, op. cit., p. 1-6. 34 Cf. Lact. Inst. V, 2, 2. 35 Cf. Lact. Mort. 12, 2. 36 Cf. Lact. Mort. 15, 4. 37 Cf. Lact. Opif. 1, 1. 38 Cf. Lact. Opif. 1, 11. 39 Pour un état détaillé de la situation dans les différentes zones de l’Empire, cf. L. Piétri « Les résistances », art. cit., p. 176-180.
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tien et de Maximien et la promotion de Galère et de Constance au titre d’Auguste en 305, contrairement aux chrétiens d’Occident qui connaissent une relative tranquillité à la faveur de l’instabilité politique et de l’ascension de Constantin, les chrétiens d’Orient doivent faire face à un durcissement des persécutions à l’instigation du nouveau César, Maximin Daia. Celui-ci, profondément hostile aux chrétiens, refuse d’appliquer l’édit de tolérance publié par Galère en 311 et poursuit la répression contre les chrétiens40. Mais il doit finalement se plier aux injonctions de Constantin qui, suite à sa victoire sur Maxence en 312, assure sa domination sur l’Occident et se trouve en mesure d’imposer sa volonté. Cependant, les persécutions d’Orient ne prennent définitivement fin qu’avec la défaite et la mort de Maximin Daia et l’entrée triomphale de Licinius, héritier de Galère, à Nicomédie en juin 313. La publication, dans cette ville, de l’édit de Milan, promulgué auparavant par Constantin et Licinius41, met définitivement fin aux persécutions contre les chrétiens orientaux, qui bénéficient désormais de la liberté de culte. L’Empire se trouve alors partagé entre les deux vainqueurs, qui scellent leur alliance par un mariage : Licinius épouse Constantia, la sœur de Constantin. Mais cette association se révèle instable et, en 324, Constantin envahit la zone orientale. Il défait Licinius à Hadrianople (= Andrinople), puis à Chrysopolis. Après l’exécution de Licinius en 325, il règne seul et instaure une politique de concorde visant à promouvoir la religion chrétienne. La présence de Lactance à la cour de Trèves, où il était précepteur de Crispus, fils de Constantin, et les lectures publiques qu’il fit de ses Institutions laissent à penser que l’apologiste a pu exercer une influence sur la politique religieuse de l’empereur chrétien42 .
40
E. De Palma Digeser, The Making of a Christian Empire, op. cit., p. 120 ; S. Mitchell, A History of the Later Roman Empire, op. cit., p. 65-66. 41 Cf. Lact. Mort. 48, 2-13. 42 Cf. E. De Palma Digeser, The Making of a Christian Empire, op. cit., p. 133-145; cf. C. Matson Odahl, Constantine and the Christian Empire, op. cit., p. 121-129.
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LE CONTEXTE CULTUREL ET INTELLECTUEL DU DE OPIFICIO DEI Le De opificio Dei doit être envisagé en fonction du contexte particulier dans lequel il a été composé. Il n’est nullement anodin qu’au cœur même des persécutions, l’ancien rhéteur, fraîchement converti, ait choisi d’aborder le thème de la Providence. Les mesures discriminatoires et surtout les violences perpétrées contre les chrétiens ébranlent la foi de certains d’entre eux, conduits à douter de la puissance et de la bienveillance du Dieu créateur. S’adressant, à travers son disciple Démétrianus, aux chrétiens de Nicomédie et peut-être aussi aux hésitants, qui, malgré leur sympathie pour la cause chrétienne, n’ont pas encore franchi le pas de la conversion, Lactance entend démontrer l’existence d’une Providence divine, à l’œuvre dans la création de l’homme. En ce premier sens, le De opificio est un écrit de circonstance puisqu’il a pour but d’affermir la foi des fidèles et de convaincre définitivement les indécis. C’est pourquoi Lactance propose d’emblée - bien qu’à demi-mot - une interprétation religieusement cohérente des persécutions : il s’agit d’une punition divine envoyée aux chrétiens qui n’accordent pas leur vie à leurs préceptes43. L’apologiste expose ici une conception de type « deutéronomiste », selon laquelle la persécution serait consécutive à une rupture de l’alliance avec Dieu44. Les persécuteurs y sont assimilés à des instruments divins chargés de ramener à Dieu les chrétiens infidèles45. Cependant, la perspective dualiste
43
Cf. Lact. Opif. 1, 2 ; Inst. VI, 22, 17. Cf. Deut. 4, 23-31 ; 6, 14-17 ; 8, 1-6 ; 11, 26-28. 45 Sur l’interprétation lactancienne des persécutions, cf. H. Inglebert, Les Romains chrétiens face à l’histoire de Rome, Paris, 1996, p. 134-135. 44
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adoptée dans l’addition au chapitre 1946 modifiera légèrement cette interprétation : Dieu a créé conjointement deux principes opposés, le bien et le mal, pour permettre à l’homme d’affermir sa vertu par la lutte. Dès lors, les violences infligées aux chrétiens ne relèvent plus à proprement parler d’un châtiment divin ; elles s’apparentent à des épreuves, donnant aux fidèles l’occasion de triompher du mal47. Cette double référence aux persécutions évoquées dans le prologue et à la fin de l’œuvre traduit l’importance déterminante de cette question dans le projet littéraire de Lactance. En écrivant une défense et illustration de la Providence divine, Lactance non seulement mène un combat en faveur du christianisme48, mais tente d’apporter une réponse au questionnement de ses coreligionnaires. L’œuvre de Lactance s’inscrit en outre dans un contexte d’affrontement idéologique, où la polémique qui oppose chrétiens et philosophes est durable et violente. Elle s’intensifie à la fin du IIe siècle avec la parution d’un ouvrage intitulé Λόγος ἀληθής49, dans lequel Celse critique vigoureusement l’enseignement chrétien au nom de la raison et de la tradition. Un siècle plus tard, le philosophe néoplatonicien Porphyre compose à son tour un traité en quinze livres, en langue grecque, Contre les chrétiens50, afin de dénoncer les menson-
46 Cf. Lact. Opif. 19bis, 1-6. Sur la question du passage dit dualiste, cf. E. Heck, Die Dualistischen Zusätze und die Kaiseranreden bei Lactantius, Heidelberg, 1972 ; Lact. Opif. - éd. M. Perrin, p. 86-94 ; B. Bakhouche, « Pour en finir avec les “additions dualistes” chez Lactance ? », in Le De opificio Dei : Regards croisés sur l’anthropologie de Lactance - éds. B. Bakhouche & S. Luciani, Saint-Étienne, PUSE, 2007, p. 105-129 et infra p. 87-94. 47 Cf. Lact. Opif. 19bis, 1-5. Lactance proposera, dans le De mortibus persecutorum, une troisième interprétation, qui n’entre cependant pas en contradiction avec les deux autres : les persécuteurs sont des tyrans, qui s’opposent à Dieu. Leurs actes impies offrent donc au Dieu des chrétiens l’occasion de les châtier par une juste colère. 48 La notion de combat apparaît dans l’épilogue, cf. Lact. Opif. 20, 3. 49 Discours véritable ou Parole de vérité. Cet ouvrage est aujourd’hui perdu. Mais son contenu nous est approximativement connu grâce aux huit livres du Contre Celse, composé par Origène en 248-249. Pour une présentation et une reconstitution de ce traité, cf. P. de Labriolle, La réaction païenne, Paris, 1934, p. 111-137 ; L. Rougier, Celse contre les chrétiens – la réaction païenne sous l’empire romain, Paris, Copernic, 1926, 19772 ; Le conflit du christianisme primitif et de la civilisation antique, Paris, Copernic, 1974, 19772 et Celse contre les chrétiens - présentation et trad. fr. par L. Rougier, Paris, 1977, 19972 . 50 Cet ouvrage, composé entre 270 et 295, est également perdu, suite aux destructions ordonnées d’abord par Constantin puis par Valentinien III et Théodose II. Nous ne le connaissons
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ges, les contradictions et les incohérences des Écritures. Cette attaque, fondée sur une lecture critique de la Bible, fait une vive impression et donne rapidement lieu à plusieurs réfutations du côté chrétien51. Mais elle alimente surtout, avec l’ouvrage de Celse, les pamphlets antichrétiens publiés au début du IVe siècle. La polémique, à laquelle les philosophes semblent avoir pris une part active, retrouve en effet une acuité particulière avec la reprise des persécutions52 . Lactance évoque notamment, au début du livre V des Institutions Divines, la lecture de deux pamphlets, à laquelle il a lui-même assisté à Nicomédie : le premier est, au dire de Lactance, un ouvrage « contre la religion et le peuple chrétien », vomi par « un pontife de la philosophie », « un philosophe flagorneur et opportuniste »53, dont nous ignorons par ailleurs l’identité54. Le second est constitué de deux opuscules, qui portent le titre commun d’Ami de la vérité et que Lactance présente ainsi : Alius eamdem materiam mordacius scripsit, qui erat tum e numero iudicum et qui auctor in primis faciendae persecutionis fuit : quo scelere non contentus, etiam scriptis eos quos afflixerat insecutus est. Composuit enim libellos duos, non contra Christianos, ne inimice insectari uideretur, sed ad Christianos, ut humane ac benigne consulere putaretur : in quibus ita falsitatem scripturae sacrae arguere conatus est, tamquam sibi esset tota contraria55 (Inst. V, 2, 12-13). qu’à travers les réfutations d’Eusèbe de Césarée, de Jérôme et d’Augustin. Sur le contenu de ce traité, cf. P. de Labriolle, La réaction, p. 244-290 ; P. Hadot, notice « Porphyre » in Encyclopaedia Universalis, t. 14, p. 1075-1076 ; A. Benoit, « Le “Contra Christianos” de Porphyre : où en est la collecte des fragments ? », in Mélanges offerts à Marcel Simon, Paganisme, judaïsme, christianisme, Influences et affrontements dans le monde antique, Paris, 1978, p. 261-275 et E. De Palma Digeser, The Making of a Christian Empire, op. cit., p. 93-102. 51 Celles de Méthodius d’Olympe, d’Eusèbe de Césarée et d’Apollinaire de Laodicée. 52 Cf. M. Perrin, « Lactance et les mouvements philosophiques et religieux de son temps », Kentron 6 (1993), p. 155-156. 53 Cf. Lact. Inst. V, 2, 3-10. 54 Sur les hypothèses concernant l’identité de ce philosophe anonyme, tenu habituellement pour un disciple du néo-platonicien Porphyre, cf. Chr. Ingremeau, « Lactance », art. cit., p. 65-71, ou même pour Porphyre lui-même, cf. E. De Palma Digeser, The Making of a Christian Empire, op. cit., p. 93-102 ; Ead., « Christian or Hellene ? The Great persecution and the problem of identity », in Religious identity in late Antiquity - éds. R. M. Frakes & E. De Palma Digeser, Toronto, 2006, p. 38-58. 55 « L’autre traita le même sujet avec beaucoup plus de hargne. Il était, à l’époque, au nombre des gouverneurs et fut parmi les tout premiers responsables du déclenchement de la persécution ; non content de ce crime, il poursuivit encore de ses écrits ceux qu’il avait durement frappés. Il a composé deux ouvrages, non pas Contre les chrétiens, de peur de passer pour un
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Outre le rôle actif qu’il a joué dans la campagne de persécution56, Lactance reproche en particulier à ce haut fonctionnaire, gouverneur de Bithynie, du nom de Sossianus Hiéroclès, d’avoir exalté la supériorité du magicien Apollonios de Tyane sur le Christ57. Les lectures publiques de ces deux ouvrages semblent jouer un rôle déterminant dans son entreprise58 : stimulé par ces « œuvres sacrilèges », Lactance décide de réfuter « les accusateurs de la justice » et de se consacrer à la rédaction de son œuvre apologétique, inaugurée par le De opificio Dei. Par conséquent, le contexte polémique exerce une influence non négligeable sur la posture intellectuelle adoptée par l’apologiste : pour réfuter les philosophes grecs, et notamment les néoplatoniciens, dont la doctrine est très influente à son époque59, il lui faut légitimer les croyances chrétiennes. Pour ce faire, quelle meilleure méthode que le recours aux thèmes et aux concepts de la philosophie classique ? Même si le schème apologétique développé par Lactance, qui consiste à présenter le christianisme comme la seule véritable philosophie, est emprunté aux apologistes grecs du IIe siècle60, son propos s’inscrit donc dans un contexte historique et culturel précis.
ennemi acharné, mais Aux chrétiens, afin d’être pris pour un conseiller plein d’humanité et de bonté ; il s’efforça d’y montrer la fausseté de l’Écriture Sainte, prétendant qu’elle était en totale contradiction avec elle-même » - trad. P. Monat. 56 Cf. Lact. Mort. 16, 4. Nous connaissons ce pamphlet, qui ne nous est pas parvenu, par l’intermédiaire de Lactance et du Contre Hiéroclès, réfutation composée en 312 par Eusèbe de Césarée, cf. Chr. Ingremeau, « Lactance », art. cit., p. 66. 57 Cf. Lact. Inst. V, 3, 7-21. Apollonios, originaire de Tyane en Cappadoce, avait vécu au Ier siècle de notre ère. C’était une sorte de philosophe mystique, connu pour son mode de vie et ses dons de thaumaturge. Mais ce n’est qu’au début du IIIe siècle que ce personnage acquit un grand renom grâce à la biographie rédigée par Philostrate aux alentours de 217. La comparaison entre Apollonios et le Christ, ébauchée par ce rhéteur, fut développée par Porphyre et amplifiée par Hiéroclès, cf. P. de Labriolle, La réaction…, op. cit., p. 309-313, et R. Lane Fox, Païens et Chrétiens. La religion et la vie religieuse dans l’Empire romain de la mort de Commode au concile de Nicée - trad. R. Alimi, Toulouse, 1997, p. 614-615. 58 Cf. Lact. Inst. V, 4, 1-2 et A. Wlosok, Notice « Lactance », in Nouvelle histoire de la Littérature latine, 1993, tome 5, § 570, p. 426-459. 59 Cf. M. Perrin, « Lactance et la culture grecque : esquisse d’une problématique », in Les apologistes chrétiens et la culture grecque - éds. B. Pouderon & J. Doré, Paris, 1998, p. 292-313. 60 Cf. M. Perrin, L’homme antique et chrétien. L’anthropologie de Lactance, Paris, 1981, p. 459 et 469.
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Cependant, au delà des polémiques entre philosophie et religion, les thèmes abordés dans le De opificio Dei s’insèrent dans l’univers intellectuel de Lactance et reflètent ce que A. Rousselle a joliment nommé « les soucis du temps »61. S’il est vrai que l’essor du christianisme est en partie lié à une démarche visant à l’explicitation des croyances, à une époque où s’exprimait un besoin croissant de compréhension face aux pratiques religieuses62 , le projet de Lactance correspond parfaitement à cette quête de sens. La question essentielle du pourquoi, qui alimente les débats intellectuels du temps, est envisagée selon la logique aristotélicienne, devenue le bien commun de tous les penseurs, savants et rhéteurs63. L’étiologie aristotélicienne apporte en effet une caution extérieure à la perspective finaliste adoptée par Lactance. La perfection de la création, et de l’homme en particulier, met en évidence la Providence divine, qui est aussi la seule cause capable d’en rendre compte. Ainsi la description de l’âme et du corps humain est-elle placée d’emblée, et de façon récurrente, sous le signe de la raison divine : Quid est tandem cur nobis inuidiosum quisquam putet, si rationem corporis nostri dispicere et contemplari uelimus ? Quae plane obscura non est, quia ex ipsis membrorum officiis et usibus partium singularum quanta ui prouidentiae quidque factum sit, intellegere nobis licet 64 (1, 16).
Cette profession de foi rationaliste trouve son expression la plus achevée dans l’image de l’architecte, qui se doit de prévoir la construction dans les moindres détails avant même de commencer les fondations (6, 5-6). Puisque
61
Cf. J.-M. Carrié et A. Rousselle, L’Empire romain en mutation, op. cit., p. 460. La nécessité du logismos est déjà exprimée par Athénagore (Legat. 8) et par Origène (Contra C. I, 9), cf. E. R. Dodds, Païens et chrétiens dans un âge d’angoisse, Paris, 1979, p. 138 et J.-M. Carrié & A. Rousselle, L’Empire romain en mutation, op. cit., p. 436. 63 Cf. J.-M. Carrié & A. Rousselle, L’Empire romain en mutation, op. cit., p. 442-446. Sur la diffusion de la logique aristotélicienne et son rôle dans les débats théologiques du IIe siècle, cf. A. Rousselle, « À propos d’articulations logiques dans le discours gnostique », Apocrypha 8 (1997), p. 25-44. 64 « Quelle raison y a-t-il enfin pour que l’on songe à nous tenir rigueur de vouloir examiner et observer la structure de notre corps ? Celle-ci n’est pas du tout obscure puisque nous pouvons comprendre, d’après les fonctions mêmes des membres et l’utilité de chacune de leurs parties, la puissance de la Providence qui a présidé à leur création ». Cf. aussi Lact. Opif. 2, 1 ; 4, 23-24 ; 8, 1-3. 62
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la raison divine est à la base de toutes choses (6, 3)65 et que, selon la définition d’origine aristotélicienne, l’homme est un être doué de raison66, Lactance entend justifier les convictions chrétiennes au moyen des instruments logiques que sa formation de rhéteur lui a permis d’acquérir. Non content de montrer que la perfection humaine est l’œuvre de Dieu, il lui faut prouver que la création est nécessaire, dans le sens où rien n’aurait pu ni même n’aurait dû être fait autrement (3, 4). Ainsi, pour réfuter certaines objections, recourt-il à la méthode du raisonnement hypothétique, propre à souligner les contradictions des arguments adverses. À ceux qui se plaignent de la condition humaine, soumise aux maladies et à la mort prématurée, Lactance répond que la fragilité est une caractéristique nécessaire : pour échapper à tout risque de mort prématurée, l’homme devrait être doté d’une résistance immortelle, ce qui ne pourrait s’accorder avec sa condition mortelle (4, 1-5). Il poursuit par un syllogisme : - l’homme est formé d’un corps terrestre, - or tout ce qui est de nature corporelle est voué à la dissolution, - donc l’homme ne peut échapper à la mort (4, 7). Cette argumentation lui permet d’établir que « refuser l’immortalité et admettre la mortalité au moment voulu, cela place l’homme en situation d’être mortel à tout âge », ce qui l’amène à conclure que « la nécessité convient à tous égards : il ne pouvait ni ne devait en être autrement » (4, 12). Cette discussion, à laquelle on pourrait ajouter le passage consacré à la réfutation de la conception épicurienne de la vision (8, 12-14), illustre parfaitement la place attribuée à la ratio tant humaine que divine dans le traité. D’un autre côté, Lactance ne se limite pas aux aspects physiologiques mais envisage l’ensemble du composé humain, défini comme l’association d’un corps et d’une âme (11, 3). C’est pourquoi, il se propose d’exposer au sein du même opuscule la structure de l’un et de l’autre (1, 11). Ses développements sur la nature, la place et l’origine de l’âme, auxquels sont consacrés les chapitres 16 à 19, sont bien entendu tributaires d’une tradition philoso65
Sur le lexique de la ratio, qui révèle l’importance de cette notion chez Lactance ainsi que ses rapports avec la révélation, cf. M. Perrin, « Lactance et la ratio romaine et chrétienne », in En deçà et au delà de la ratio - éd. V. Naas, Lille, 2004, p. 153-160. 66 Cf. Lact. Opif. 12, 17. Pour l’ensemble des références lactanciennes à cette définition, cf. M. Perrin, L’homme antique et chrétien, op. cit., p. 394-396.
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phique issue de Platon. Il partage en outre, avec la plupart des hommes de son temps, l’idée d’origine platonicienne selon laquelle le corps est une prison pour l’âme. Adoptant une métaphore largement reprise par les chrétiens depuis la première Épître aux Thessaloniciens67, Lactance, dans la continuité de Cicéron (Tusc. I, 52), assimile le corps au uas ou receptaculum qui contient l’âme, c’est-à-dire l’homme véritable68. La chair doit donc lui être soumise, comme un esclave à son maître (1, 10) car les plaisirs terrestres risquent de la détourner de la vertu. Cependant, en dépit de la place qu’il accorde à ces lieux communs issus de la tradition philosophique classique, Lactance semble échapper aux « maladies endémiques » qui, selon E. R. Dodds, ont affecté la culture de cette période : « Les païens et les chrétiens (pas tous les païens et tous les chrétiens) rivalisaient les uns avec les autres pour maltraiter leur corps à plaisir ; il était “de la boue et du sang”, “un sac dégoûtant d’excréments et d’urine”, l’homme est plongé en lui comme en un bain d’eaux usées. Plotin éprouvait de la honte simplement d’avoir un corps ; saint Antoine rougissait toutes les fois qu’il devait manger ou satisfaire ses fonctions corporelles. La vie du corps étant la cause de la mort de l’âme, le salut consistait donc à le mortifier ; selon le mot d’un père du désert, “je le tue parce qu’il me tue” » 69. De fait, même si Lactance souligne la prééminence de l’âme sur le corps, dans le De opificio Dei, on ne trouve pas trace de ce mépris pour la condition humaine et de cette haine du corps, qui apparaissent dans de nombreux écrits de ce temps. Lac67 La première Épître de Paul aux Thessaloniciens (4, 4-5) fait de la chair le vase de l’esprit. Sur les interprétations antiques de ces versets, cf. J. Doignon, « L’exégèse latine ancienne de l’Épître aux Thessaloniciens 4, 4-5 sur la possession de notre uas. Schémas classiques et éclairages chrétiens », Bulletin de littérature ecclésiastique 83 (1982), p. 163-177. 68 Cf. Lact. Opif. 1, 11 ; 5, 2 et 19, 9 et notes ad loc. Sur l’identification de l’homme à son âme, thématique qui se situe dans la tradition du Premier Alcibiade, cf. P. Courcelle, « La colle et le clou de l’âme », Revue Belge de Philologie 36 (1958), p. 72-95 ; Id., « Tradition platonicienne et tradition chrétienne du corps-prison », Revue des Études Latines 43 (1965), p. 406-433 ; J. Pepin, « Que l’homme n’est rien d’autre que son âme : observations sur la tradition du Premier Alcibiade », Revue des Études grecques 82 (1969), p. 56-70 ; Id., Idées grecques sur l’homme et sur Dieu, Paris, 1971 ; A. Michel, « L’homme se réduit-il à son âme ? » Diotima 7 (1979), p. 137-141 ; Id., « Humanisme et anthropologie chez Cicéron », Cahiers de Fontenay 39-40 (1985), p. 44-55. 69 Cf. E. R. Dodds, Païens et chrétiens, op. cit., p. 43-51 et p. 44, n. 1 et 2, pour l’ensemble des références sur cette question.
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tance, admirant le Créateur à travers la perfection du corps humain, témoigne d’un optimisme anthropologique, qui s’apparente plus au moyen stoïcisme qu’à l’ascétisme chrétien. En ce sens, on peut dire que Lactance se situe dans la plus pure tradition de l’humanisme cicéronien, qui se fonde sur le dualisme platonicien sans pour autant prôner un mépris radical du corps70.
70 Cf. Cic. Fin. IV, 24-27 ; V, 33. Si l’âme domine le corps, l’homme cicéronien ne se réduit pas à son âme et les biens du corps peuvent trouver leur place à côté des biens spirituels, cf. A. Michel, « L’homme se réduit-il à son âme ? », art. cit., p. 137-141 ; Id., « Humanisme et anthropologie chez Cicéron », art. cit., p. 45.
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LE DE OPIFICIO DEI Le titre M. Perrin a remarqué la rareté du mot opificium, en latin, pour désigner la création divine. Le terme, qui renvoie à l’œuvre du dêmiourgos du Timée, – Dieu est appelé opifex rerum en 3, 18 – offre une connotation platonicienne, et l’association avec Dei affiche la bi-polarité du traité : philosophie antique et monothéisme chrétien. Le titre De opificio Dei a été adopté par les éditeurs, peut-être sur la foi de saint Jérôme, car les incipit des manuscrits sont tous différents : incipit de opificio divino liber VIIII (Bologne, 701) ; incipit de opificio dei liber nonus (Paris, BNF 1662) ; Caelii Firmiani Lactantii incipit liber de opificio corporis humani ad Demetrianum (Valenciennes, 141) ou de dei opificio id est de ratione Firmiani Lactantii ad Demetrianum (Montpellier, 241). Même pour sa traduction, il n’y a pas d’univocité : M. Perrin, dans son édition, propose « L’ouvrage de Dieu Créateur », tandis que Chr. Ingremeau, dans sa notice sur Lactance, parle de l’« Œuvre créatrice de Dieu » et que les éditeurs anglais ou allemand optent, l’un pour « The Workmanship of God »71 et l’autre pour « Gottes Schoepfung »72 . Pour notre part, nous optons pour « La création de Dieu ».
71 Cf. On the Workmanship of God, or the formation of man - trad. W. Fletcher (The AnteNicene Fathers, 721-22), Edimbourg, 1871, 18862 . 72 Cf. Des Luc. Cael. Firm. Lactantius Schrift Gottes Schöpfung - trad. A. Knappitsch (Bibliothek der Kirchenväter, 36), München-Kempten, 1898, 19192 .
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Le contenu Sur fond de polémique anti-épicurienne, Lactance, dans le De opificio Dei, cherche à montrer l’action providentielle de Dieu dans la création de l’homme, selon un parcours qui le mène du visible à l’invisible pour arriver jusqu’à l’âme. S’adressant à Démétrianus, notre auteur insiste d’emblée sur la hiérarchie ontologique qui existe entre l’âme et le corps. Il dit s’inscrire dans la continuité de Cicéron dont il se propose de compléter les propos (1) : l’homme, doté par Dieu de « sens et raison », n’a pas besoin des attributs accordés aux animaux (2). S’opposant aux épicuriens au prétexte qu’ils stigmatiseraient la faiblesse humaine73, Lactance défend, chez l’homme, la raison qui contrebalance son inégalité physique par rapport aux animaux (3), de même que la mortalité inhérente à la condition de vivant (4). Les squelettes des animaux et celui de l’homme ont été modelés par Dieu à des fins très précises (5). Contrairement encore à ce que pense Épicure, ce n’est pas le hasard qui est à l’origine de la création (6). C’est Dieu, au contraire, qui a façonné chaque espèce d’animal de la façon la meilleure sous les rapports de la beauté et de l’utilité (7). Lactance passe alors à la description de l’homme : son status rectus, voulu par Dieu, fait de lui un être « céleste ». Dans cette posture, c’est la tête qui occupe, à dessein, la position la plus élevée : Lactance passe en revue, dans la perspective finaliste du Créateur, les oreilles et l’ouïe, les yeux et la vue (8), s’interrogeant ensuite sur la fidélité des sens (9). On revient aux différentes parties de l’œil, puis au nez - dont la dualité des narines est un signe de perfection ; sont ensuite étudiés les organes de la parole et les mains, c’est-àdire les organes qui font de l’homme un animal supérieur (10). Au chapitre 11, soit au milieu du traité, l’auteur passe à la description des organes internes sous le rapport non point de la beauté comme les premiers, mais simplement de l’utilité, et d’une finalité voulue, une fois de plus, par Dieu : avec les poumons, sont abordées les fonctions respiratoires et digestives ; avec la trachée, le principe de la phonation et, avec les intestins et la vessie, l’évacuation des matières fécales et de l’urine. Cette partie du corps - le ventre - conduit Lactance à évoquer de façon générale la reproduction et les questions liées à l’hé-
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Sur la polémique anti-épicurienne, cf. infra p. 55-58.
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rédité (12), mais il refuse de décrire les organes sexuels et passe directement aux membres inférieurs (13). Après cette description raisonnée du corps humain, Lactance s’interroge sur la finalité de certains organes comme les reins, la rate, le foie ou le cœur (14), et sur la production de la voix (15). Les chapitres 16 à 19 sont consacrés spécialement à l’âme, dont on ignore à la fois la localisation et la nature. Après une rapide doxographie sur le siège de l’âme, Lactance opte pour le cerveau, sans aucune certitude assurément, mais en critiquant la thèse d’Aristoxène, pour qui l’âme, bien que fonctionnant comme une lyre, n’a pas d’existence propre (16). De même, la nature de l’âme ne fait pas l’objet d’un consensus entre les philosophes (17) et ses rapports à l’esprit ne sont pas plus clairs, comme en témoigne l’activité de ce dernier en période de sommeil (18). De même que Lactance s’était préoccupé de l’influence de chacun des parents dans la procréation, il évoque, au chapitre 19, la question de savoir lequel des deux parents engendre l’âme, mais, sans hésitation, affirme, dans ce processus, la seule action divine. Dieu en effet oriente le destin de l’homme dans sa lutte contre le mal, qu’il ne pourra vaincre que par sa vertu propre. Le dernier chapitre sert à la fois de conclusion : Tunc ego te ad uerae philosophiae doctrinam et planius et uerius cohortabor 74 (20, 1),
sous la forme d’une exhortation à l’adresse de Démétrianus, conformément à la dimension parénétique de l’opuscule, mais aussi sous celle d’une annonce de la nouvelle œuvre apologétique, qui ne sera autre que les Institutions divines. L’analyse de ce contenu a été diversement appréciée : pour R. Pichon75, Lactance, après une annonce du sujet dans les quatre premiers chapitres et dans un contexte de polémique anti-épicurienne, décrit le corps humain en évoquant d’abord les parties extérieures (cc. 5-11), puis les intérieures (cc. 1215), avant de s’intéresser à l’âme, dont il étudie le siège et la nature (cc. 16-17), puis l’origine (c. 19), le dernier chapitre servant de conclusion. M. Perrin, lui, insiste sur la composition « en amande » du texte, à travers laquelle « le 74 « Je t’exhorterai alors à la doctrine de la vraie philosophie d’une manière plus complète et plus véridique ». 75 R. Pichon, Lactance. Étude sur le mouvement philosophique et religieux sous le règne de Constantin, Paris, 1901, p. 271-272.
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noyau central de l’œuvre est en effet encadré par une introduction et une conclusion dont les thèmes se répondent » (p. 34), la partie centrale (cc. 2-19) offrant une explication finaliste du corps et de l’âme de l’homme. Dans cette partie, qui peut se diviser en trois sous-parties, l’élément central à son tour (c. 14) ne donne pas lieu à des certitudes de la part de l’auteur, à la différence de la première (cc. 2-13) et de la troisième (cc. 15-19) de ces sous-parties, pour lesquelles Lactance arrive à des conclusions positives. Des effets d’écho entre ces développements contribuent également à la construction dite « en amande ». Chr. Ingremeau, enfin, en propose une analyse encore différente : pour elle, les différentes parties se chevauchent puisque « la description du corps humain (chap. 5-15) commence avant la fin du débat avec les épicuriens sur la Providence créatrice (chap. 2-6) ; et l’inventaire de ce qui, dans l’homme, nous reste “obscur” (chap. 14-18) ne s’achève pas avec le début de l’exposé sur l’âme (chap. 16-19), mais avant la fin de celui-ci »76. En réalité, la question qui se pose est de savoir quel est le « sommet » du traité : après un début très polémique dirigé contre les sectateurs d’Épicure, Lactance entame une description générale du corps, en défendant le finalisme de ses différentes parties et en insistant sur l’admirable fonctionnement de l’ensemble. La présentation des membres et des organes, qui vise à souligner leur utilité et/ou leur beauté, est associée aux intentions bienveillantes et rationnelles du Créateur : l’homme, à la différence des animaux, a été doté de raison pour que son origine divine soit manifeste (2, 1) ; il naît nu et sans armes parce que sa raison rend superflue tout autre protection corporelle (2, 9) ; Dieu n’a pas donné aux hommes une forme sphérique pour qu’ils puissent se mouvoir facilement (5, 1) ; Il a attribué aux seuls hommes la station verticale pour leur permettre de contempler leur Créateur (8, 1). De même, la bouche, le nez, les yeux et les mains ont été façonnés en vue d’accomplir des fonctions biens précises tout en contribuant par leur forme, leur harmonie et leur dualité à la beauté du corps humain (10). En ce qui concerne les organes internes, l’explication de la respiration, de la digestion et de la reproduction permet avant tout d’insister sur l’ingéniosité du plan divin en référence au paradigme artificialiste : la trachée-artère est dotée d’un double accès vers les
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« Lactance », p. 66-67 ; sur l’hypothèse soutenue par P. Roots, « The De Opificio Dei : the workmanship of God and Lactantius », Classical Quarterly 37 (1987), p. 466-486, cf. infra p. 68-74.
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narines et vers la bouche en vue de la parole (11, 11-14), les replis intestinaux sont destinés à favoriser la répartition des aliments digérés dans les membres (11, 15-16). Dieu a distingué deux sexes pour assurer la conservation des espèces (12, 15), il a veillé à la nourriture des nouveau-nés au moyen du lait maternel (12, 18). Ces quelques exemples suffisent à montrer le dessein de Lactance et son admiration - parfois naïve77 - pour les œuvres de Dieu. Il s’agit de mettre en évidence la fonction efficiente de la ratio divine pour réfuter toute conception mécaniste du monde, et en particulier la théorie épicurienne. De fait, l’idée défendue par Lucrèce, selon laquelle l’organisme humain résulte d’une combinaison entre hasard et évolution naturelle, est inacceptable pour Lactance : Quid ais, Epicure ? Non sunt oculi ad uidendum nati ? Cur igitur uident ? Postea, inquit, eorum usus apparuit. Videndi ergo causa nati sunt, siquidem nihil possunt aliud quam uidere. Item membra cetera cuius rei causa nata sint, ipse usus ostendit : qui utique nullo modo posset existere, nisi essent membra omnia tam ordinate, tam prouidenter effecta, ut usum possent habere 78 (6, 10) .
Il ne s’agit donc pas d’un traité d’anatomie, où tous les membres seraient passés systématiquement en revue, depuis la tête jusqu’aux pieds. L’enjeu, pour l’auteur, n’est pas d’être exhaustif mais de montrer la supériorité sur les animaux que son status rectus donne à un être vivant - l’homme -, bien qu’il soit né nudus et inermis. Ce sont, de fait, les mots centraux dans la description du corps, et tout est choisi en fonction de cette orientation. C’est quasiment au milieu du traité qu’on en trouve le résumé : Iam pectoris latitudo sublimis et exposita oculis mirabilem prae se fert habitus sui dignitatem. Cuius haec causa est quod uidetur hominem solum deus ueluti supinum formasse - nam fere nullum aliud animal iacere in tergum potest -, mutas autem animantes quasi alterno latere iacentes finxisse atque ad terram compressisse. Id-
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Cf., par exemple, Lact. Opif. 9, 9 : si l’absence de poils contribue à la beauté de l’homme, elle ne sied pas à la tête. C’est pourquoi le Créateur l’a ornée de cheveux ; ou 10, 6 : la partie inférieure du nez est formée d’un cartilage souple pour pouvoir être manipulée par les doigts. 78 « Que dis-tu, Épicure ? Les yeux ne sont pas nés pour voir ? Pourquoi donc voient-ils ? C’est ensuite, dit-il, que leur usage est apparu. Ils sont donc nés pour voir, puisqu’ils ne peuvent que voir. De même dans quel but sont nées les autres parties du corps, c’est l’usage même qui le montre et, de toute façon, celui-ci ne pourrait absolument pas exister si tous les membres n’avaient été conçus avec assez d’ordre et de sagesse pour qu’on pût en user ».
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circo illis angustum pectus et ab aspectu remotum et ad terram uersus abiectum, hominis autem patens et erectum, quia plenum rationis a caelo datae humile aut indecens esse non debuit 79 (10, 26) .
Bien plus, ce qui fait l’homme, par-delà son corps, c’est son âme (cf. déjà 1, 10), et ce n’est pas un hasard si son étude (cc. 16-19) couronne l’analyse lactancienne, dans une construction hiérarchisée qui s’achève sur un chant de grâces à Dieu, créateur de la merveille humaine. On aurait alors une construction ascendante, comme celle qui se lit dans les Institutions divines80. Traité d’anthropologie à visée finaliste, le De opificio n’est donc pas un traité d’anatomie mais plutôt un chant de louange à la Providence divine qui s’exprime de façon supérieure dans la création de l’homme. Ce qui intéresse Lactance, c’est la singularité de l’homme dans la création, signe de sa vocation éminente, signe de son élection. Le destinataire Qui est Démétrianus, le destinataire du De opificio ? Selon Jérôme (Vir. ill. 80), il aurait reçu de Lactance des lettres assez nombreuses pour constituer deux livres81. C’est en effet un ancien élève de Lactance (1, 1), assez cultivé sans doute pour reconnaître un hémistiche virgilien en 1, 4 sans que l’auteur ait besoin d’« annonce ». Il est manifestement chrétien, comme Lactance, qui veut continuer son instruction dans la crainte que les occupations multiples de Démétrianus ne le détournent de la droite voie (1, 4). Une fois le cadre 79
« Quant à la poitrine, sa largeur, élevée et exposée aux regards, montre nettement l’admirable dignité de son apparence. La cause en est que c’est l’homme seul que Dieu paraît avoir formé comme un être dressé vers le haut – car presque aucun autre animal ne peut se coucher sur le dos –, tandis que les animaux, il les a façonnés couchés pour ainsi dire sur l’un ou l’autre flanc et les a pressés vers la terre. C’est pourquoi ils ont une poitrine étroite, éloignée des regards et baissée vers la terre, tandis que celle de l’homme est large et dressée, parce que, pleine d’une raison donnée par le ciel, elle ne devait être ni basse ni sans beauté ». 80 Cf. Chr. Ingremeau, « Les Institutions divines de Lactance : une composition architecturale », Vita Latina 132 (1993), p. 33-40 et « Lactance », art. cit., p. 67-68. 81 Cf. Martindale & Morris, PLRE, Cambridge 1971, vol. I A.D. 260-395 [p. 247] ; rien dans A. Mandouze, Prosopographie chrétienne du Bas-Empire, Paris, 1982.
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de la communication ainsi défini, le lecteur le moins averti ne peut cependant que s’étonner de l’absence quasi-totale de références scripturaires dans un opuscule qui s’affiche comme chrétien. La polémique anti-épicurienne domine en effet tout le traité, comme si Démétrianus pouvait être concerné par cette attaque en règle. Or le destinataire du De opificio a deux bonnes raisons de ne pas se sentir visé : il est chrétien et s’implique beaucoup dans la vie de la cité (on sait le mépris affiché par les épicuriens pour la « chose publique »). À quel(s) contemporain(s) pense Lactance, en fustigeant longuement les sectateurs d’Épicure ? À ce second paradoxe s’en ajoute un troisième : les nombreux échos lucrétiens. Les multiples réminiscences du De natura rerum intriguent dans une diatribe violemment dirigée contre Épicure-Lucrèce. L’imitatio de Cicéron et, d’une façon plus générale, le modèle du dialogue philosophique impliquent-ils la mise en scène de l’interlocuteur à combattre ? Il reste que la parfaite connaissance de Lucrèce par Lactance interpelle : pourquoi tant de hargne ? Pour qui ? Contre qui ? L’attaque anti-épicurienne doit-elle être comprise comme adressée à Démétrianus ? Ce haut fonctionnaire chrétien, qui ne s’est pas démis de ses fonctions à la suite des édits de Dioclétien, se laisse-t-il séduire par les sirènes du pouvoir, par une uoluptas mal comprise, au point de ne plus se souvenir de son identité ? À cet égard, nombre de témoignages laissent supposer que les chrétiens ont adopté des attitudes très diverses face aux persécuteurs et que la discrétion, voire la ruse ou la corruption des autorités, ont été plus souvent de mise que la provocation82 . Est-ce le cas de Démétrianus ? Se laisse-t-il gagner par les sornettes d’un Sossianus Hiéroclès83 ? Le De opificio se présenterait donc, dans une mise en scène chrétienne puisque c’est un chrétien qui s’adresse à un chrétien, comme une actualisation des débats des philosophes pour (Lactance) ou contre (Démétrianus ?) la Providence divine, car, en période de persécutions, bon nombre de chrétiens doutaient de l’action de Dieu dans le monde. On serait donc dans un « jeu de rôles » avant la lettre, où Lactance jouerait un nouveau Balbus et Démétrianus un second Velléius.
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Sur les attitudes des chrétiens face à la persécution, cf. R. Lane Fox, Païens et Chrétiens, p. 617-619. 83 Cf. supra p. 19.
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Le genre Ces paradoxes traduisent en outre les difficultés à « catégoriser » l’œuvre. Ce n’est pas un traité d’anatomie, car l’approche du corps humain n’est ni exhaustive, ni authentiquement scientifique. Nous sommes loin de l’encyclopédisme d’Aristote ou même, dans une moindre mesure, de celui de Pline qui, au début du livre VII sur l’homme, consacre à la description physique de ce dernier (§§ 33-90) un développement logique, à travers l’étude de la naissance et de la procréation (§§ 33-49), puis des particularités physiques (§§ 68-80) et enfin des qualités physiques exceptionnelles (§§ 81-90). Mais le naturaliste s’attache surtout aux mirabilia et les deux textes ne présentent aucun point commun. De même, au livre XI, si les animaux sont décrits, à partir du chapitre 44, partie après partie, il n’est pas fait de place spéciale à l’homme. L’écrit ne ressortit pas davantage à la tradition « hexamérale » ou aux commentaires sur les six jours de la création dans la Genèse, initiés, au premier siècle de notre ère, par le juif Philon d’Alexandrie qui, dans le De Opificio mundi, a associé la tradition mosaïque aux théories cosmologiques des Grecs. Dans le monde chrétien, les livres que Théophile d’Antioche adresse à Autolycos et que connaissait Lactance84 appartiennent également à ce genre littéraire. Quoi qu’il en soit, chez Lactance, les références scripturaires sont trop rares et la tonalité polémique n’est pas conforme au ton didactique et démonstratif adopté dans ce type d’ouvrages85. Le motif avoué de Lactance, en écrivant le De opificio Dei, est de compléter le développement cicéronien du De natura deorum86 : quel intérêt quand il s’agit d’un exposé stoïcien (Lactance se réfère en effet au livre II du dialogue cicéronien) et que l’on est chrétien ? Si la tonalité protreptique est incontestable, on a cependant un texte d’un genre atypique pour un contenu qui ne l’est pas moins.
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Cf. Lact. Inst. I, 23, 2 et IV, 5, 6-8. Voir A. St. Pease, « Caeli enarrant », Harvard Theological Review 34 (1941), p. 193-195 ; contra F. E. Robbins (The Hexameral Literature, Chicago, 1912) pour qui, à l’époque, le genre n’existe que dans le monde grec avec l’Hexaemeron de Basile de Césarée. 86 Concernant l’influence du De natura deorum sur le De opificio, cf. infra p. 68-74. 85
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Le crypto-christianisme en question Le De opificio Dei est souvent qualifié de crypto-chrétien87, sans que le sens de cette expression soit parfaitement clair : en quoi le christianisme est-il voilé ? Certes, l’opuscule est écrit en période de persécution et, dans sa péroraison, Lactance lui-même associe aux difficultés du contexte le caractère allusif de son style : Haec ad te, Demetriane, interim paucis et obscurius fortasse quam decuit pro rerum ac temporis necessitate peroraui, …88 (20, 1)
De fait, l’appartenance religieuse de Lactance et de Démétrianus ne fait l’objet d’aucune affirmation explicite. Comme l’indique A. Wlosok, « on évite soigneusement toute allusion aux choses du christianisme. C’est en ce sens que le traité est crypto-chrétien. Au lecteur non averti, il donne l’impression de ne contenir qu’une anthropologie aux visées protreptiques, fondue dans un moule assez conventionnel (…). Pour un chrétien inversement, il ne fait pas de doute que l’auteur traite du Dieu créateur de la Bible et de l’homme qui lui est assujetti »89. Grâce à cette discrète expression de la foi, le De opificio ne peut être imputé à Lactance comme un crime de christianisme, dans la mesure où le lexique et les concepts employés renvoient à la culture littéraire et philosophique la plus classique. Même si le christianisme en constitue le fondement idéologique, les références et les arguments avancés restent dans le cadre de l’éducation traditionnelle et ne remettent pas en question les valeurs issues du mos maiorum. Dans ces conditions, Lactance voilerait-il ses convictions chrétiennes sous un déguisement philosophique par crainte des persécutions ? La notion de crypto-christianisme suffirait-elle à
87 Cf. R. Pichon, Lactance, op. cit., p. 1-30 ; A. Wlosok, Laktanz und die philosophische Gnosis, Heidelberg, 1960, p. 160 ; A. Wlosok, Notice « Lactance », art. cit., p. 435 ; J. Walter, Pagane Texte und Wertvorstellung bei Laktanz, Göttingen, Vandenhoeck & Ruppert, 2006, p. 19, 87. 88 « Voilà ce que je t’ai exposé, Démétrianus, en peu de mots pour l’instant et peut-être plus obscurément qu’il ne convenait à cause des contraintes liées à la situation présente ». L’apologiste indiquera lui-même dans les Institutions Divines (V, 2, 9) que bon nombre de chrétiens n’osent pas affronter ouvertement leurs influents adversaires. 89 Cf. A. Wlosok, Notice « Lactance », art. cit., p. 435.
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expliquer l’absence de références scripturaires explicites dans ce premier traité chrétien90 ? Il nous semble que cette interprétation doit être nuancée à plus d’un titre : – Tout d’abord parce qu’une lecture attentive du traité montre que, si les références scripturaires y sont effectivement rares, elles n’en sont pas totalement absentes. M. Spanneut notait il y a plus de trente ans que, pour discrète que soit la présence de la Bible dans cet écrit, « il ne faut en négliger aucune chance de trace » 91. Dans cette perspective, il proposait de voir dans l’allusion à la langue enchaînée (11, 12) une réminiscence de l’Évangile de Marc (7, 35). On pourrait légitimement ajouter d’autres passages à cette maigre moisson : ainsi Lactance (3, 16-18 ; 8, 3) développe-t-il le thème biblique de la souveraineté de l’homme sur la création (Gen. I, 26-28), de même l’expression in principio (5, 1) peut-elle constituer une allusion indirecte à la Genèse (I, 1), tandis que le verbe fingere (2, 9 ; 5, 1) et la formule inspiratio animae (19, 5) évoquent le modelage du premier homme et l’insufflation de son âme (Gen. II, 7). Enfin la défiance affichée à l’égard de l’éloquence et la référence à la victoire des indocti ne sont pas sans rappeler le message des Évangiles (cf., par exemple, Mat. 11, 25-27 ; Luc 10, 2). – De plus, même si ces références peuvent être discutées, la tonalité chrétienne du De opificio est difficilement contestable92 : les expressions comme philosophi sectae nostrae quam tuemur (1, 2), ille conluctator et aduersarius noster (1, 7), responsa uatum nostrorum (18, 10), indulgentia caelitus (20, 1) ou encore ad iter caeleste (20, 9) évoquent le christianisme de l’auteur et de son destinataire, à mots couverts assurément, mais parfaitement intelligibles également pour qui n’est pas chrétien. Il en est de même pour les images qui évoquent les sé-
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Cf. P. Monat, Lactance et la Bible 1-2, Paris, 1982. M. Spanneut, « À propos d’une édition de Lactance : “De opificio Dei” », Mélanges de science religieuse 34 (1977), p. 132. 92 Cf. A. Fraïsse, « Entre philosophie et religion : le De opificio Dei de Lactance », in Le De opificio Dei : Regards croisés sur l’anthropologie de Lactance, op. cit., p. 51-74 [p. 57-58], pages auxquelles doit beaucoup le présent développement. 91
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ductions du diable (1, 7-8), l’engagement des chrétiens (1, 9 ; 19, 9) ou l’opposition entre vice et vertu (19, 10)93. – Enfin, la trame chrétienne du De opificio Dei apparaît clairement dans le thème général de l’ouvrage : il s’agit, dans une perspective catéchétique, de renforcer la foi des chrétiens face aux doutes suscités par les persécutions. Dans la mesure où les persécutions sont des épreuves ou des châtiments envoyés par Dieu94, l’efficience de la Providence ne peut être remise en cause : l’homme demeure à la fois le signe et l’objet du plan divin. D’où l’insistance sur la domination de l’homme sur la création et sa ressemblance avec le Créateur (8, 3 ; 17, 4). Il en résulte que l’ouvrage ne peut tromper personne quant à l’appartenance religieuse de son auteur. Du reste, l’hypothèse du crypto-christianisme se trouve également battue en brèche par l’addition dualiste du chapitre 19. Bien que ces paragraphes aient été écrits en une période de triomphe pour le christianisme sous les auspices de Constantin95, le style est en effet aussi crypté que dans le texte de 303. Ne serait-ce pas que l’ambiguïté volontaire du texte lactancien ne se réduit pas à la crainte des persécutions ? Comment dès lors expliquer ce choix en faveur d’une écriture voilée ? Il semble que l’attitude de l’apologiste renvoie à différentes motivations : Premièrement, il est possible que notre auteur veuille utiliser des références culturelles « parlantes » pour son destinataire. À la suite de Sénèque qui, dans ses Lettres à Lucilius, part de l’épicurisme de son jeune correspondant pour le conduire à une autre philosophie, Lactance, dans ce court écrit parénétique, utiliserait le seul langage que puisse entendre Démétrianus ; l’absence de tonalité fortement chrétienne relèverait alors d’un choix délibéré de l’auteur. Deuxièmement, il est possible que Lactance ne soit alors chrétien que de fraîche date : même si le professeur de rhétorique a lu les Écritures, il ne les
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Pour un commentaire détaillé de ces passages, cf. notes ad loc. Cf. supra p. 21-22. Cf. infra « L’addition au chapitre 19 », p. 87-94.
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a pas encore intégrées à sa culture à l’époque où il rédige le De opificio. D’où une théologie et une culture biblique encore réduites au minimum : la Providence divine, Satan et quelques mots de la Genèse. Si, au fil du temps, « l’expression de ses convictions chrétiennes est devenue de plus en plus nette »96, c’est peut-être que sa culture chrétienne s’est parallèlement développée. On assisterait à un phénomène qui n’est pas sans annoncer l’expérience d’Ambroise de Milan, qui porté à l’épiscopat malgré lui, compose ses premiers sermons en se référant à sa culture « classique »97. De même, Lactance applique à des notions chrétiennes un lexique philosophique païen : c’est ainsi qu’il préfère - à la suite de son maître Arnobe98 - l’expression deus summus, caractéristique de l’hénothéisme des années 300, au deus altissimus de la tradition chrétienne99. Troisièmement, l’ambiguïté du De opificio Dei s’inscrit aussi dans le cadre d’une confrontation originelle entre christianisme et philosophie. Saint Paul met déjà les Colossiens en garde contre les dangers de la philosophie100 et la littérature apologétique, tant grecque que latine, a largement diffusé cette problématique101, les auteurs adoptant diverses attitudes, depuis la franche hostilité jusqu’à la volonté de conciliation102 . Quoi qu’il en soit, le prosélytisme de la nouvelle doctrine incite les chrétiens à des rapprochements tactiques entre les deux pensées. Il est vrai aussi que les auteurs chrétiens demeurent imprégnés de culture classique : comme tous leurs contemporains, ils pensent au moyen des cadres et des outils fournis par les écoles de philoso-
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R. Pichon, Lactance, op. cit., p. 4. Sur les emprunts – et les rapports – d’Ambroise à la philosophie, voir G. Madec, Saint Ambroise et la philosophie, Paris, 1974 ; sur la vie d’Ambroise, cf. également P. Courcelle, Recherches sur saint Ambroise, “Vies” anciennes, culture, iconographie, Paris, 1973 et H. Savon, Ambroise de Milan (340-397), Paris, 1997. 98 Cf., par exemple, Adv. nat. I, 26, 5 - éd. H. Le Bonniec, et introd. p. 75. 99 Cf. V. Loi, Lattanzio nella storia del linguaggio e del pensiero teologico pre-niceno, Zürich, 1970, p. 19-22. 100 Cf. Col. 2, 8. 101 Cf. B. Bureau et B. Colot, « La philosophie païenne dans la polémique chrétienne », in La parole polémique - éds. G. Declercq, M. Murat & J. Dangel, Paris, 2003, p. 58-59. 102 Pour une mise au point sur les différentes attitudes intellectuelles adoptées par les Pères de l’Église à l’égard des doctrines philosophiques, cf. L. Brisson, « Patristique et philosophie », in Dictionnaire de l’Antiquité - dir. J. Leclant, Paris, 2005, p. 1661-1663. 97
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phie103. Dans ces conditions, le christianisme, qui peut difficilement se concevoir en dehors de toute référence à la philosophie, doit se définir en termes victorieux comme seule philosophie véritable. En même temps, cette doctrine affirme sa spécificité en revendiquant un nouveau rapport à la vérité : en tant que don de Dieu, celle-ci ne représente plus un objectif à atteindre, mais une donnée initiale dont il faut assurer la défense et la promotion104. Aussi, loin de n’être qu’un reflet du contexte de haine des années 300, les désignations périphrastiques de la religion persécutée, à savoir « meilleure doctrine »105 ou encore « doctrine de la vraie philosophie »106, doivent-elle se lire comme l’affirmation triomphante de la vraie sagesse qu’est le christianisme, à travers un détournement voire une instrumentalisation du vocabulaire classique de la philosophie107. En somme, la rareté des allusions bibliques ne ressortit pas exclusivement à une stratégie de camouflage, dans la mesure où il est difficile « de faire la distinction entre le cryptage, l’adaptation ou même l’appropriation des doctrines chrétiennes au moyen de l’Interpretatio Romana ou philosophica »108. C’est pourquoi la notion crypto-christianisme ne suffit pas à rendre compte de la démarche adoptée dans De opificio, dans la mesure où la discrétion de Lactance à l’égard des Écritures implique trois types d’explications complémentaires : – Le premier est d’ordre biographique : Lactance, converti de fraîche date, met en œuvre ses références, connaissances et outils personnels,
103
Cf. J.-M. Carrié & A. Rousselle, L’empire romain en mutation, op. cit., p. 439. Cf. M. Sachot, L’invention du Christ. Genèse d’une religion, Paris, 1998, 2e partie, p. 152-156 : « La connaissance n’est plus seulement une activité de l’intelligence humaine et personnelle, une tentative, jamais pleinement aboutie et sûre, mais avant tout un don de Dieu lui-même qu’il suffit d’accueillir par un acte de foi. La vérité n’est plus en aval mais en amont » [p. 153]. Concernant le statut attribué à la vérité, le christianisme se rapproche paradoxalement de la conception épicurienne. Dans les éloges d’Épicure, Lucrèce présente en effet son maître comme un découvreur de vérité, un libérateur de l’humanité, dont il ne fait que transmettre la doctrine, cf. I, 50-52 ; 75-77 ; III, 9-17 ; 52-54. 105 Cf. Lact. Opif 1, 1 : praeceptor… melioris doctrinae. 106 Cf. Lact. Opif. 20, 1 : Tunc ego te ad uerae philosophiae doctrinam… cohortabor. 107 Cf. J. Walter, Pagane Texte und Wertvorstellung bei Laktanz, op. cit, p. 130-151. 108 « Lactance », art. cit., p. 437. 104
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qui lors de la composition du De opificio, relèvent encore principalement de la culture classique. – Le deuxième concerne la réception de l’œuvre : il s’agit pour Lactance de s’adapter à l’univers intellectuel de ses destinataires afin d’assurer la transmission du message chrétien. – Le troisième est d’ordre polémique : Lactance subvertit volontairement les notions de la philosophie classique et les références culturelles traditionnelles en leur conférant un sens chrétien. Son objectif est de montrer que la philosophie conduit à la religion car seul le christianisme est la « vraie philosophie ».
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LE DE OPIFICIO DEI : UNE INTERPRETATIO CULTURELLE « La latinité tardive », écrit R. Herzog109, « fait partie de ces périodes de l’histoire au cours desquelles le changement des liens politiques et sociaux conduit à une affirmation renforcée de l’identité culturelle avec le passé ». Cette phrase s’applique admirablement au cas de Lactance, spécialement quand il écrit le De opificio Dei. La question des sources, pour cet opuscule, a donné lieu à de nombreuses spéculations de la part des philologues110, les uns optant pour une hypothétique source hermétique111 ou pour un archétype remontant au philosophe stoïcien Posidonius112 , d’autres s’en tenant plus raisonnablement aux influen-
109 « Introduction à la littérature latine de l’antiquité tardive » in Nouvelle histoire de la littérature latine 5, § 500, p. 12. 110 Cf. S. Brandt , « Über die Quellen von Laktanz’ Schrift De opificio Dei », Wiener Studien 13 (1891), p. 255-292 ; R. Pichon, Lactance, op. cit., p. 65-68 ; L. Rossetti, « Il De opificio Dei di Lattanzio e sue fonti », Didaskaleion 6 (1928), p. 115-200 ; E. von Ivanka, « Die Stoïsche Anthropologie in der Lateinischen Literatur » AAWW 87 (1950), p. 178-192 ; A. Wlosock, Laktanz und die philosophische Gnosis, op. cit. ; Lact. Opif. - éd. M. Perrin, p. 44-48, pour ne citer que les principales études. 111 Cf. S. Brandt, « Über die Quellen », art. cit., p. 255-275, conclut à une source hermétique pour les chapitres 5 à 13 mais émet l’hypothèse d’une inspiration sceptique pour les chapitres suivants (p. 275-292). L’hypothèse de l’hermétisme a été reprise et systématiquement développée par A. Wlosock, Laktanz und die philosophische Gnosis. 112 Cf. la démonstration de E. von Ivanka, « Die Stoïsche Anthropologie in der Lateinischen Literatur », art. cit., qui fait dériver les points communs entre les écrits anthropologiques de Cicéron, Lactance, Grégoire de Nysse, Ambroise et Basile de Césarée de deux traités posidoniens.
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ces reconnues par Lactance, complétées par l’utilisation de divers manuels113. Si ces différentes hypothèses n’ont pas permis de lever totalement les incertitudes inhérentes à la « Quellenforschung », leur diversité suffit à montrer que le De Opificio ne saurait se réduire à une source unique, que Lactance aurait servilement suivie. Inversement, les travaux de Brandt ont permis d’établir de manière quasiment incontestable que Lactance n’avait utilisé directement ni Platon, ni Xénophon, ni Apulée, ni Galien pour composer son traité114. Compte tenu des difficultés liées à cette question, nous poserons à titre de préambule méthodologique une distinction importante : de même qu’il serait réducteur de limiter la culture de Lactance aux sources spécifiques du traité, de même il faut se garder de confondre la bibliothèque dans laquelle il a effectivement puisé au moment de la rédaction et les influences indirectes, voire les réminiscences, qui ressortissent à la tradition littéraire et à la culture d’un rhéteur du IVe siècle115. Une telle distinction sera particulièrement pertinente ici, dans la mesure où Lactance mobilise un ensemble de notions philosophiques et médicales, qui relèvent d’un patrimoine culturel commun et correspondent plus à un savoir vulgarisé qu’à des citations de première main ou à des connaissances directement acquises. C’est pourquoi, renonçant à déterminer la ou les sources précises du De opificio Dei, entreprise qui ne pourrait donner lieu qu’à de nouvelles conjectures sujettes à caution, nous nous contenterons de mettre à profit les acquis de la recherche antérieure ainsi que les indications données par le texte lui-même pour esquisser les contours de la culture lactancienne, telle qu’elle se laisse deviner à la lecture du traité. Mais notre objectif principal sera de mettre en évidence le travail de réélaboration effectué par Lactance à partir du « matériau culturel » à sa disposition116. Lactance offre lui-même un certain nombre de renseignements quant à ses autorités inspiratrices ou ses cibles de prédilection puisqu’il cite nommément, d’une part, Platon (3, 19 ; 16, 12), Aristote (12, 6), Xénocrate (16, 12),
113 Cf. R. Pichon, Lactance, p. 65-68 ; Lact. Opif. - éd. M. Perrin, p. 44-48 ; P. Roots, « The De Opificio Die : the workmanship of God and Lactantius », Classical Quarterly 37 (1987), p. 466-486. 114 Cf. S. Brandt, « Über die Quellen », art. cit., p. 259. 115 Cf. R. M. Ogilvie, The Library of Lactantius, Oxford, 1978. 116 Pour une approche similaire, cf. Lactantius, Divine Institutes - trad. A. Bowen & P. Garnsey, Liverpool, 2003, p. 6.
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Aristoxène (16, 13), Cicéron (1, 12 ; 5, 6 ; 20, 5), Varron (5, 6 ; 8, 6 ; 10, 1 ; 10, 16, 12, 6 ; 12, 17 ; 17, 5) et Virgile (8, 8 ; 18, 11), et d’autre part, Épicure (2, 10 ; 6, 1 ; 6, 7 ; 6, 15 ; 8, 13) et Lucrèce (6, 1 ; 8, 12 ; 19, 3). Cette liste suggère d’emblée l’orientation philosophico-littéraire du traité dont les garants ne sont pas des médecins, mais des philosophes, des poètes ou des érudits. Elle montre également que Lactance, qui savait suffisamment de grec pour faire des citations dans cette langue117, voire proposer parfois une traduction latine personnelle118, n’ignorait pas la philosophie grecque. Mais reste à savoir s’il connaissait les œuvres des philosophes grecs cités directement, à travers les auteurs latins ou encore par l’intermédiaire de recueils doxographiques119. Aussi, à partir de la notion de « culture métisse », fort heureusement appliquée à Lactance par M. Perrin120, distinguerons-nous pour la commodité de l’exposé, différentes sphères culturelles, qui, dans le traité, apparaissent étroitement intriquées. Pour ce faire, il convient d’envisager en premier lieu l’influence de la littérature doxographique, qui joue un grand rôle dans la tradition philosophique antique. L’apport doxographique Depuis les importants travaux de H. Diels121 qui en a inventé le terme, nombreuses sont aujourd’hui les études sur les doxographies, surtout sur celles d’expression grecque122 . D’un usage bien plus ancien qu’on ne pourrait le 117 Cf. Lact. Inst. IV 6, 4 (Hermès) et 5 (Sibylle) ; IV, 7, 3 (Hermès) ; IV, 18, 15-20 (Sibylle) ; VII, 13, 3 (Hermès) ; VII 18, 2 (Hystaspès), 3-4 (Hermès) et 5-8 (Sibylles) ; VII 23, 3 (Chrysippe) et 4 (Sibylle) ; VII, 24, 1, 2, 6, et 12-14 (Sibylle). 118 Cf. Lact. Inst. VI, 25, 5. Sur ce point cf. R. M. Ogilvie, The Library of Lactantius, op. cit., p. 33-36. 119 Cf. M. Perrin, « Le Platon de Lactance», in Lactance et son temps - éds. J. Fontaine & M. Perrin, Paris, 1978, p. 203-234 ; « Lactance et la culture grecque », art. cit., p. 297-313. 120 Cf. « Lactance et la culture grecque », art. cit., p. 297. 121 Doxographi Graeci - éd. H. Diels, Berlin, 1879, rééd. 1965. 122 Cf., par exemple, Storiografia e dossografia nella filosofia antica - éd. G. Cambiano, Turin, 1986 ; J. Mansfeeld & D. T. Runia, The Method & Intellectual Context of a Doxographer, vol. I The Sources, Leyde, Brill, 1997 ; le numéro spécial de la Revue de Métaphysique et de Morale 97-3 (1992) sur la doxographie antique (A. Laks, « Avant-propos. Qu’est-ce que la doxographie ? », p. 307-309 ; M. Frede, « Doxographie, historiographie philosophique et historiographie historique de la philosophie », p. 311-325) ; Ancient Histories of Medicine. Essays
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penser, la doxographie était déjà pratiquée à l’époque des présocratiques123. Le mot désigne une collecte de doxai, opiniones, sur des sujets scientifiques ou philosophiques. Un autre terme est également utilisé pour désigner un ensemble d’idées sur des thèmes différents : c’est placita qui traduit le grec ἀρέσκοντα. Le doxographe présente la philosophie grecque ancienne dans un contexte et d’un point de vue qui appartient à sa propre époque et, très souvent, les idées sont résumées de façon dommageable. Mais la doxographie n’est pas seulement le fait d’auteurs mineurs – intéressants surtout pour l’histoire de la philosophie – comme ceux étudiés par H. Diels ou J. Mansfeeld et D.T. Runia. Aristote est le premier à se référer aux idées des anciens penseurs dans un sens quasiment technique, par exemple au début du traité sur l’âme (An. I, 2). Pour la première fois, au IVe siècle avant notre ère, l’histoire des idées est systématiquement intégrée à la pratique philosophique. La pratique doxographique devient très fréquente à l’époque hellénistique et romaine : on la rencontre chez Philon, Plutarque, Sextus Empiricus ou Galien, et, dans le monde latin, chez Cicéron, Celse, Tertullien, Ambroise et dans les commentaires philosophiques de Calcidius ou Macrobe. Chez ces auteurs, les différentes idées des Anciens sur les sujets discutés sont résumées, organisées, comparées, opposées, avec ou sans les noms, avec ou sans argumentation. On voit bien qu’ils suivent tous un modèle standard pour la méthode et le contenu, l’énumération d’opinions servant de prélude à une présentation dogmatique d’une doctrine vraie, c’est-à-dire que l’exposé doxographique prépare à l’exposé du point de vue de l’auteur.
in Medical Doxography and Historiography in Classical Antiquity - éd. Ph. J. van der Eijk, Brill, Leyde-Boston-Cologne, 1999 (Ph. J. van der Eijk , « Historical awareness, historiography and doxography in Greek and Roman medicine », p. 1-31 ; D. T. Runia, « What is doxography ? », p. 33-55 et M. Vegetti, « Historiographical strategies in Galen’s physiology (De usu partium, De naturalibus facultatibus) », p. 383-395) ; A. Laks, « Histoire critique et doxographie. Pour une histoire de l’historiographie de la philosophie », Les Études philosophiques 4 (1999), p. 465477. À propos de Cicéron, voir C. Lévy, Cicero Academicus, Rome (EFR), 1992, p. 337-376 et 541-556 et « Doxographie et philosophie chez Cicéron », in Le concept de nature à Rome - éd. C. Lévy, Paris, Presses ENS, 1996, p. 109-123. Pour le reste, se reporter à la bibliographie donnée par Ph. J. van der EIJK dans la note 1 de son étude citée ci-dessus. 123 Cf. M. Schofield, The Stoic Idea of the City, Cambridge, 1991, p. 1, cité par D. T. Runia, art. cit. p. 33-34.
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C’est dans ce cadre – propre à l’école – qu’il faut replacer la doxographie sur l’âme développée aux chapitres 16-18 du De opificio Dei. Lactance procède de façon originale : sa doxographie s’inscrit dans un texte à forte tonalité polémique et l’auteur ne fait pas faute de manifester clairement son dissensus. Bien plus, il réduit à néant les velléités des penseurs assez audacieux pour se poser des questions sur l’âme, par une phrase d’introduction des plus iconoclastes (16,1) : Mentis quoque rationem incomprehensibilem esse quis nesciat nisi qui omnino illam non habet, cum ipsa mens quo loco sit aut cuiusmodi nesciatur ?124
Après avoir annoncé ce qui pourrait passer pour un plan : Varia ergo a philosophis de natura eius ac loco disputata sunt,125
il inverse cet ordre traditionnel des questions, en commençant par la localisation de l’âme avant d’aborder la question de sa nature, alors que celleci conditionne naturellement celle-là. Il évoque trois natures possibles de l’âme, qu’il récuse violemment sans donner sa propre position sur le problème. L’animation de l’embryon paraît adventice à la thématique discutée, tandis que l’assimilation de l’esprit et de l’âme est une question souvent débattue dans les doxographies. D’où le plan suivant : Ch. 16 : siège de l’âme - âme dans la poitrine : Quidam sedem mentis in pectore esse uoluerunt (16, 2), hypothèse des stoïciens récusée : Quod si ita est, quanto tandem miraculo dignum est rem in obscuro ac tenebroso habitaculo sitam in tanta rationis atque intellegentiae luce uersari, tum quod eam sensus ex omni corporis parte conueniunt, ut in qualibet regione membrorum praesens esse uideatur !126 (16, 3)
124
« Qui peut ignorer que la structure de l’âme elle aussi est incompréhensible, sinon celui qui en est totalement dépourvu, puisqu’on ignore sa place et sa nature ? » 125 « Des théories variées ont donc été soutenues par les philosophes sur sa nature et sur sa place ». 126 « Dans ces conditions, par quel miracle enfin faut-il qu’une chose située dans un habitacle obscur et ténébreux se trouve dans la si grande lumière de la raison et de l’intelligence, étant donné en outre que c’est vers elle que convergent les sens de chaque partie du corps, au point de la faire paraître présente dans n’importe quelle région du corps ? »
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- âme dans le cerveau : Alii sedem eius in cerebro esse dixerunt (16, 4), hypothèse des platoniciens, qu’il ne désapprouve pas : sane argumentis probabilibus usi sunt… Hi uero aut non multum aut fortasse non errant127 (16, 6).
- âme dans tout le corps : si mentis locus nullus est, sed per totum corpus sparsa discurrit – quod et fieri potest et a Xenocrate Platonis discipulo disputatum est, siquidem sensus in qualibet parte corporis praesto est –,
Lactance juge cette hypothèse inapte à faire comprendre la nature de l’âme : … nec quid sit mens ipsa nec qualis intellegi potest … (16, 12) 128, brouillant les deux niveaux d’interprétation. - âme-harmonie d’Aristoxène : Aristoxenus dicit mentem omnino nullam esse, sed quasi harmoniam in fidibus ex constructione corporis et conpagibus uiscerum uim sentiendi existere (16, 13),
hypothèse que Lactance rejette vigoureusement : Illud autem caue ne umquam simile ueri putaueris quod Aristoxenus dicit… Verum ille si quicquam mentis habuisset numquam harmoniam de fidibus ad hominem transtulisset129 (16,16)
Ch. 17 : nature de l’âme - âme immortelle :
127 « Assurément, ils ont utilisé des arguments probables … Ces hommes ne se trompent pas beaucoup ou peut-être pas du tout ». 128 « Si l’âme n’a pas de siège propre, mais que, répandue à travers tout le corps, elle le parcourt en tous sens – ce qui est possible et a été exposé par Xénocrate, disciple de Platon, puisque la sensibilité est présente dans n’importe quelle partie du corps –, on ne peut comprendre ni l’essence de l’âme en elle-même ni ses qualités, … ». 129 « Prends garde d’autre part de ne jamais considérer comme vraisemblable ce que dit Aristoxène… Mais s’il [Aristoxène] avait eu une once d’esprit, jamais il n’aurait transféré l’harmonie de la lyre à l’homme ».
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Nec ideo tamen inmortalem esse animan non intellegimus, quoniam quidquid uiget moueturque per se semper nec uideri aut tangi potest, aeternum sit necesse est130 (17, 1)
théorie de Platon (cf. Phèdre 245c), à laquelle adhère Lactance. - âme = sang, âme = feu, âme = vent131 : alii sanguinem esse dixerunt, alii ignem, alii uentum (17. 2), hypothèses respectivement défendues 1/ par Empédocle et Critias132 ; 2/ par Héraclite133, certains stoïciens134 mais aussi par les atomis135 tes ; 3/ par Anaximandre de Milet et son disciple Anaximène ainsi que par Anaxagore et Diogène d’Apollonie136. 130 « Ce n’est pas pour autant cependant que nous ne comprenons pas que l’âme est immortelle car ce qui est doté de vigueur et se meut toujours par soi-même sans pouvoir être vu ni touché est nécessairement éternel ». 131 Les hypothèses 1 (sang) et 3 (vent) sont mentionnées dans la doxographie lucrétienne, cf. DRN III, 43-44. Les trois hypothèses figurent dans la doxographie cicéronienne parmi les définitions jugées les plus courantes, cf. Cic. Tusc. I, 19. 132 Cf. Empedocle, Origines, fr. 520 ; 526 (Bollack); Cic. Tusc. I, 19 ; Critias, ap. Aristt. Anim. 405b ; Tert. Anim. 5 ; Gal. Opinions, II, 8. Sur les dimensions à la fois médicales et bibliques du lien entre âme et sang, cf. M.-H. Congourdeau, L’embryon et son âme dans les sources grecques (VIe siècle av. J.-C.-Ve siècle apr. J.-C.), Paris, Collège de France – CNRS, 2007, p. 151-152 ; 160-161. 133 Cf. Heraclite, fr. 101 (Pradeau). 134 Selon Diogène Laërce, Zénon et ses successeurs définissaient l’âme comme un souffle chaud et connaturel (D. L. VII, 156-157). Mais certains témoignages font référence à la nature ignée de l’âme dans la mesure où le pneuma dont elle est constituée est composé à la fois d’air et de feu, cf. Cic. Tusc. I, 19 ; SVF II, 773 = fr. 773 Dufour (= Némes. 2, 2-9) ; SVF II, 775 = fr. 776 Dufour (= Scholies aux Guerres civiles de Lucain, IX, 7) ; SVF 786 = fr. 787 Dufour (Alexandre d’Aphrodise, De l’âme, 26, 13-17). Sur la doctrine stoïcienne de l’âme et son évolution, cf. J. B. Gourinat, Les stoïciens et l’âme, Paris, PUF, 1996 et M.-H. Congourdeau, L’embryon et son âme dans les sources grecques (VIe siècle av. J.-C.-Ve siècle apr. J.-C.), op. cit., p. 145-149. 135 Pour Leucippe et Démocrite, les atomes de l’âme sont identiques à ceux du feu, cf. Leucippe DK 67 A 28 ; Démocrite DK 68 A 102. 136 Cf. Anaximandre, DK 12 A 29 ; Anaximène, DK 13 B 2 ; Anaxagore DK 12 A 29 ; Diogène d’Apollonie DK 64 A 8 ; DK A 20. Sur la parenté établie par les penseurs anciens entre l’âme et l’air, cf. M.-H. Congourdeau, L’embryon et son âme dans les sources grecques (VIe siècle av. J.-C.-Ve siècle apr. J.-C.), op. cit., p. 133-135.
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Lactance récuse longuement – jusqu’à la fin du chapitre (Nulla ergo ex his tribus uera sententia est, 17, 8) – ces vues matérialistes et l’excursus sur l’animation de l’embryon (17, 7) est en fait présenté comme une preuve que l’âme n’est pas l’air : Anima ergo non est aer ore conceptus, quia multo prius gignitur anima quam concipi aer ore possit137.
Ch. 18 : sur l’identité de l’esprit et de l’âme (animus / anima) : Sequitur alia et ipsa inextricabilis quaestio, idemne sit anima et animus…138 .
- animus = anima, cette identité, brièvement évoquée, est mise au compte d’épicuriens : Idcirco animum et animam indifferenter appellant duo Epicurei poetae (18, 2)139. - animus ≠ anima : Qui autem dicunt esse diuersa… Largement développée (18, 3-11), cette distinction correspond à un consensus des philosophes, et c’est peut-être pour cela que Lactance ne prend pas la peine d’approuver ou de combattre cette idée. Et pourtant, le polémiste est assez inconséquent car lui-même, un peu plus haut, s’interroge sur la terminologie à adopter : … sensus ille uiuus atque caelestis qui mens uel animus nuncupatur 140 … (16, 9),
ce flou lexical pouvant traduire un flou conceptuel. On a donc une présentation schématique et partiale qui bouscule le principe doxographique mais qui ne manque pas d’originalité dans la présentation : la doxographie, sans suivre l’ordre traditionnel, est chevillée au dévelop137 « L’âme n’est donc pas de l’air inspiré par la bouche, puisque l’âme est engendrée bien avant que nous ne puissions inspirer l’air par la bouche ». Sur le lien entre nature de l’âme et animation de l’embryon, cf. note ad loc. 138 « Il s’ensuit une autre question, elle-même inextricable : l’âme et l’esprit sont-ils une seule et même chose… ». 139 La présentation doxographique de la psychologie épicurienne est cependant réductrice car, si les épicuriens insistaient sur la conjonction de l’âme et de l’esprit (cf. Lucr. III, 136-137), ils distinguaient néanmoins l’animus et l’anima par leur siège et leur fonction (cf. Lucr. III, 138-151). 140 « … ce sens vivant et céleste, appelé esprit ou âme, … ».
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pement et à la démonstration. C’est pourquoi il importe assez peu à Lactance de rapporter avec précision les différentes théories, dont les défenseurs restent le plus souvent dans l’anonymat. Il s’attache en revanche à structurer le matériau philosophique de manière à établir sa propre position. Le De opificio illustre ainsi le mouvement de lissage doctrinal favorisé par l’usage dialectique des placita. C’est par conséquent à travers le filtre doxographique, qui tend à la constitution d’une sorte de koinê philosophique, qu’il convient d’envisager le rapport de Lactance aux écoles grecques. La philosophie grecque La philosophie grecque, qui semble omniprésente dans le De opificio, y fait l’objet d’une subtile réappropriation, dans laquelle les lieux communs et les concepts issus des différentes écoles contribuent à l’élaboration d’une anthropologie chrétienne. Cette instrumentalisation donne lieu à des traitements fort différents selon les auteurs, depuis la franche admiration jusqu’à la critique virulente en passant par le détournement silencieux141. Le projet affiché dans le De opificio, à savoir décrire le composé humain dans une perspective téléologique, s’inscrit dans une tradition philosophique qui remonte à Platon et Aristote142 . Platon, dans le Timée, après avoir évoqué la création du monde par le démiurge, décrit en effet longuement la formation de l’homme et les différentes fonctions corporelles en insistant sur les intentions qui ont présidé à cette élaboration143. Aussi n’est-il guère surprenant de
141 Sur l’attitude de Lactance envers les philosophes, cf. O. Gigon, « Lactantius und die Philosophie », in Kerygma und logos. Beiträge zu den geistesgeschichtlichen Beziehungen zwischen Antike und Christentum - éd. A. M. Ritter, Festschr. C. Andresen, Göttingen, 1979, p. 196213 ; S. Casey, « Lactantius’ reaction to pagan philosophy », Classica et Mediaevala 32 (19791980), p. 203-219 ; A. Goulon, « Lactance et les philosophes : réfutation ou dialogue ? », in Les chrétiens face à leurs adversaires dans l’Occident latin au IVe siècle - éd. J.-M. Poinsotte, Rouen, 2001, p. 13-22 ; B. Bureau & B. Colot, « Le thème de la philosophie païenne », art. cit., p. 58-72 ; J. Walter, Pagane Texte und Wertvorstellung bei Laktanz, op. cit., p. 141-150. 142 Cf. A. S. Pease, « Caeli enarrant », art. cit., p. 163-175 ; R. Mc Mullen, « Anatomy and physiology to 1700 », in The History of Science and Religion in the Western Tradition - dir. G. B. Ferngren & D. W. Amundsen, New York, 2000, p. 466. 143 Cf. Plat. Tim. 69C-91D.
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trouver chez Lactance nombre d’échos au paradigme artificialiste développé dans le Timée : les termes artifex144 et opifex145 qui évoquent le démiurge du Timée146, les métaphores du corps-vaisseau147 et de la tête-citadelle148, les thèmes de la station verticale149 et de la prison charnelle150 ainsi que l’argument de l’auto-motricité de l’âme151 ont une résonance incontestablement platonicienne. Cependant, ces parallèles, qui relèvent de lieux communs largement diffusés dans la tradition latine, ne signifient nullement que Lactance ait lu fréquemment Platon dans le texte ! Si le rhéteur n’était pas sans connaître les principaux éléments de la doctrine platonicienne, il est probable que c’était principalement par l’intermédiaire d’auteurs latins, et en particulier de Cicéron152 . Il suffira pour s’en convaincre de constater que les métaphores et les thèmes mentionnés précédemment figurent dans les traités philosophiques de Cicéron153, qui recourt en outre au substantif artifex dans sa traduction latine du Timée154. Mais l’hypothèse selon laquelle Lactance aurait consulté une anthologie contenant des extraits de dialogues platoniciens n’est assurément pas à exclure155. La référence au propos de Platon, qui rend grâce à la nature de « l’avoir fait naître homme » et non animal156, provient probablement d’un recueil doxographique, confirmant cette idée. Cela dit, Lactance met à profit le modèle démiurgique développé dans le Timée pour célébrer Dieu à travers sa créature. La prédominance du modèle platonicien détermine également les modalités de la réception lactancienne d’Aristote. Le fondateur du Lycée avait 144
Cf. Lact. Opif. 1, 11 ; 2, 1 ; 8, 8 ; 10, 5 ; 10, 10 ; 10, 22 ; 11, 2 ; 13, 6 ; 14, 9 ; 15, 3 et notes
ad loc. 145
Cf. Lact. Opif. 3, 18 ; 7, 7 et notes ad loc. Cf. Plat. Tim. 28C, 29A, 37D, 41A, 68E, 69C etc. 147 Cf. Plat. Tim. 44E, 69C / Lact. Opif. 1, 11 ; 5, 2 ; 19, 9. 148 Cf. Plat. Tim. 70A / Lact. Opif. 8, 3 ; 16, 4. 149 Cf. Plat. Tim. 90A / Lact. Opif. 8, 1-2 ; 19, 10. 150 Cf. Plat. Crat. 400B-C ; Phéd. 66B-67D / Lact. Opif. 1, 7 ; 19, 10. 151 Cf. Plat. Phaedr. 245C / Lact. Opif. 16, 16 et 17, 1. 152 Cf. M. Perrin, « Le Platon de Lactance », art. cit., p. 203-234. 153 Cf. Cic. Leg. I, 26 ; Tusc. I, 20 ; I, 52 ; Nat. II, 140. 154 Cf. Cic. Tim. 6. 155 Cf. R. M. Ogilvie, The Library of Lactantius, op. cit., p. 78-83 ; M. Perrin, « Le Platon de Lactance », art. cit. et « Lactance et la culture grecque », art. cit. 156 Cf. Lact. Opif. 3, 19 et Inst. III 19, 17. 146
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certes développé, plus encore que Platon, une conception finaliste du vivant en relation avec ses préoccupations scientifiques157. Et l’on relève également dans le De Opificio de nombreux parallèles avec le traité sur les Parties des animaux : même éloge de la main assorti d’un développement sur la spécificité du pouce158, même conception du cœur comme source du sang159, même métaphore de l’estomac-réceptacle160, même remarque concernant l’absence de vessie chez les oiseaux161. Cependant, ces thèmes figurent également dans le De natura deorum de Cicéron162 , de sorte que les points communs relevés n’impliquent pas nécessairement une référence directe à Aristote. Certes, Lactance se réfère explicitement à ses théories en matière d’embryologie et de différenciation sexuelle163. Cependant, le philosophe grec est associé au nom de Varron et, même si l’ouvrage latin auquel Lactance fait allusion reste difficile à identifier dans la mesure où il n’a pas été conservé164, il est fort plausible que Lactance ait lu chez Varron l’exposé de la théorie aristotélicienne165. Quoi qu’il en soit, les erreurs de Lactance concernant la position d’Aristote sur la semence et sur l’hérédité montrent à l’évidence qu’il n’avait pas une connaissance directe du traité aristotélicien sur la Génération des animaux166. De plus, quelle que soit l’influence d’Aristote, la perspective de Lactance est
157 Cf. Aristt. P.A. I, 1, 640b; 641b; 645a ; G.A. II, 6, 744a-b. Sur le finalisme de la philosophie naturelle d’Aristote, cf. A. S. Pease, « Caeli enarrant », art. cit., p. 171-175 ; B. Souchard, Aristote. De la physique à la métaphysique, Dijon, 2003, p. 62-75 ; T. Benatouil, Faire usage. La pratique du stoïcisme, Paris, Vrin, 2006, p. 19-42. 158 Cf. Aristt. P.A. IV 10, 687a-b / Lact. Opif. 10, 22-25. 159 Cf. Aristt. P.A. II 1, 647b ; III 4, 665b ; H.A. III 3, 513a / Lact. Opif. 10, 11. 160 Cf. Aristt. P.A. IV 5, 59 / Lact. Opif. 11, 2. 161 Cf. Aristt. P.A. III 7, 670b ; H.A. II 16, 506b25 ; III 15, 519b13sqq. / Lact. Opif. 11, 18. 162 Cf. Cic. Nat. II, 136, 139 et 150. La remarque sur l’absence de vessie chez les oiseaux ne figure pas chez Cicéron, mais cette idée était répandue chez les Anciens, cf. Pline, XI, 83, 208. Sur ce point, cf. M. Perrin, L’homme antique et chrétien, op. cit., p. 148. 163 Cf. Aristt. G.A. IV 1 ; IV 3-6 / Lact. Opif. 12, 6. 164 Sur cette question, cf. L. Rossetti, « Il De opificio Dei di Lattanzio e sue fonti », art. cit., p. 169-173 et M. Perrin, L’homme antique et chrétien, op. cit., p. 358-362. 165 Cf. Aug. C. D. 19, 1-3. Sur la réception varronienne d’Aristote, cf. T. Tarver, « Varro and Philosophy » in Philosophia Togata II. Plato and Aristotle at Rome - éds. J. Barnes & M. Griffin, p. 130-164 [p. 146-148]. 166 Cf. Lact. Opif. 12, 6-12 et notes ad loc.
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fort différente, dans la mesure où le chrétien met sans cesse le finalisme naturel en relation avec le plan divin de la création. Dans cette perspective, Lactance s’inspire de la démarche stoïcienne, qui tend à justifier la Providence en liaison avec la rationalité bienveillante de la Nature. C’est pourquoi il fonde son traité sur une analogie fondamentale, bien que jamais explicitée, entre Providence divine et pronoia stoïcienne. Cependant, l’intégration de la théologie stoïcienne167 au monothéisme chrétien en modifie considérablement les principes. Contrairement à la divinité stoïcienne168, le Dieu de Lactance, qui exclut toute assimilation au panthéon gréco-romain, n’est pas un principe immanent qui s’identifie au monde. Ainsi la transcendance du créateur est-elle d’emblée affirmée. L’homme a été créé : a summo illo rerum conditore atque artifice deo, cuius diuinam prouidentiam perfectissimamque uirtutem nec sensu comprehendere nec uerbo enarrare possibile est169 (1, 11).
L’ensemble des créatures manifeste la Majesté et l’extrême Providence du Dieu unique, qui a réalisé « ce qui était le meilleur et le plus juste » (Opif. 3, 4). Mais l’homme n’occupe pas seulement, comme c’est le cas dans l’anthropologie stoïcienne, la position la plus proche des dieux dans l’échelle de la Nature170, il a le privilège unique d’avoir été conçu à l’image du Dieu, père et artisan : Hominis itaque solius recta ratio et sublimis status et uultus deo patri communis ac proximus originem suam fictoremque testatur171 (8, 3).
167 Sur la théologie stoïcienne, cf. Cic. Nat. II, 75-76 ; SVF II, 1126 (= Plut. Des notions communes, 1075E) ; SVF II, 1163 (= Plut. Contr. Soïc. 1044D) ; SVF II, 1169-1170 (= Gell. VII, 1, 1-3). 168 Cf. D. L. VII, 133-137 ; 147. 169 « … par Dieu, suprême Créateur et Artisan du monde, dont il est impossible de percevoir par la pensée et d’exprimer par des mots la divine Providence et la Puissance parfaite. » 170 Cic. Nat. II, 33-36. Sur la scala naturae stoïcienne, qui peut se définir comme une hiérarchie des principes structurant le vivant, cf. B. Besnier, « La nature dans le livre II du De natura deorum de Cicéron », in Le concept de nature à Rome, op. cit., p. 127-175 [p. 160-167]. 171 « C’est donc pour l’homme seul que la station verticale, la position debout et le visage, qu’il partage avec Dieu le Père et qui en est très proche, témoignent de son origine et de son Créateur ».
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Dès lors, bien que Lactance s’inspire de la théologie stoïcienne, le Dieu providentiel dont il chante les louanges à travers la description du composé humain n’est pas assimilable à la Nature artiste des stoïciens. Cependant, même si elle ne parvient pas à masquer totalement le glissement de sens, l’équivalence structurelle entre Providence et pronoia assure une transition efficace entre les concepts philosophiques et la théologie chrétienne. Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que les allusions au stoïcisme se réduisent à quelques références elliptiques aux théories de la vision172 , de la voix173 et de la nature ignée de l’âme174. Bien que Lactance cite dans les Institutions divines le De prouidentia de Chrysippe175, ces définitions brèves et schématiques proviennent vraisemblablement de quelque recueil doxographique. Dans ces conditions, il est peu probable que Posidonius soit le véritable modèle de Lactance, comme le pense E. von Ivanka176. De plus, la subtile instrumentalisation du stoïcisme opérée par Lactance montre à l’évidence que le De Opificio ne saurait se réduire à la question de ses sources. À la différence du stoïcisme, dont Lactance s’inspire sans le dire, l’épicurisme constitue une cible permanente et avouée. Le finalisme militant de Lactance se heurte en effet à l’atomisme épicurien, qui présente un catalogue préétabli d’arguments contre la providence. D’où la focalisation de l’auteur sur une doctrine inacceptable parce que, refusant toute intervention des dieux dans le monde, elle correspond à un athéisme déguisé. Ce jugement global conditionne les nombreuses références polémiques à Épicure177. Cependant, Lactance, qui connaît la philosophie du Jardin à travers le De rerum natura, assimile volontiers Épicure et Lucrèce en affirmant de façon fort simpliste que
172
Cf. Lact. Opif. 8, 10. Cf. Lact. Opif. 15, 1. 174 Cf. Lact. Opif. 17, 4. 175 Cf. Lact. Inst. VII 23, 3. 176 Cf. E. von Ivanka, « Die Stoïsche Anthropologie in der Lateinischen Literatur », art. cit., p. 178-192. 177 Sur la réception de l’épicurisme chez Lactance, cf. J. Althoff, « Zur Epikurrezeption bei Laktanz », art. cit., p. 33-52 ; J. Kany-Turpin, « Lactance, un critique mésestimé de l’épicurisme », in Epikureismus in der Späten Republic und Kaiserzeit - éds. M. Erler & R. Bees, Stuttgart, 2000, p. 218-230 ; A. Goulon, « Une présentation personnelle de l’épicurisme par Lactance (Inst. 3, 17) : objectivité, habileté ou rouerie », in Autour de Lactance, Hommage à P. Monat - éds. J. Y. Guillaumin & S. Ratti, Besançon, 2003, p. 17-25. 173
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le poème du disciple duplique fidèlement l’enseignement du maître178. Les fréquents parallèles avec le De natura rerum dans les chapitres polémiques (cf. cc. 3, 4 et 6) montrent que Lactance, prenant violemment Épicure à partie, réfute en réalité Lucrèce179. En tant que négateurs de la Providence divine, les épicuriens sont taxés de folie par l’apologiste180, qui consacre plusieurs chapitres à une virulente réfutation de leurs arguments181. Pour contester la thèse platonico-stoïcienne selon laquelle le monde a été créé à l’intention de l’homme par la divine Providence, Lucrèce avait en effet insisté sur ses imperfections et sur la faiblesse de l’homme par rapport aux animaux (cf. DRN V, 195234). Laissant de côté les éléments d’ordre cosmologique étrangers à son propos, Lactance concentre son attention sur la condition de l’homme, qui se trouverait non seulement soumis aux maladies et à la mort précoce, mais dépourvu de tout secours naturel à la naissance. La fragilité du nouveau-né, illustrée par un vers lucrétien182 , fait l’objet d’une longue réfutation dans le chapitre 3, où il s’agit de montrer 1/ que l’homme est loin d’être, à la naissance, le plus fragile des animaux, 2/ que sa faiblesse naturelle ne lui nuit en rien car elle est amplement compensée par la raison. Pour ce faire, Lactance s’inspire d’une page cicéronienne évoquant la sollicitude des oiseaux envers leur délicate progéniture183. La reprise de cet exemple, qui, dans le De natura deorum, visait directement à souligner la prévoyance de la nature, permet à l’apologiste de remettre subtilement en cause la validité de l’argument portant sur la supériorité physique des jeunes animaux. Cependant, force est de constater que le contre-exemple des oiseaux
178 Cf. Lact. Opif. 6, 1 et 8, 13. Sur cette identification du maître et du disciple, cf. J. Althoff, « Zur Epikurrezeption bei Laktanz », art. cit., p. 46. 179 Sur la présence de Lucrèce dans le De opificio, cf. infra p. 74-76. 180 Le lexique de la folie (amentia, insanire, insanus, desipere, stultus, stultitia, delirare, ineptire) est omniprésent dans les chapitres 2, 3, 4 et 6. 181 Cf. Lact. Opif. 2, 10-11. 182 Cf. Lact. Opif. 3, 1-3 / Lucr. V, 227 et les analyses de A. Goulon, « Quelle connaissance Lactance avait-il du De rerum natura ? », art. cit., p. 220-221. 183 Cf. Lact. Opif. 3, 7-10 / Cic. Nat. II, 129.
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ne suffit pas à renverser l’argumentation lucrétienne, qui ne reposait pas sur l’ensemble du règne animal, mais précisément sur le bétail et les fauves. De plus, poussé par les exigences de la polémique, Lactance déforme la pensée des épicuriens : un simple argument topique contre le finalisme se trouve délibérément interprété comme une récrimination ingrate au sujet de la condition humaine184. Cette interprétation tendancieuse se poursuit au chapitre 4, où Lactance traite de la maladie et de la mort précoce. S’il indique à juste titre qu’il s’agit d’arguments utilisés pour « montrer que la Providence n’a pas présidé à la création de l’homme », il prête ensuite aux épicuriens l’idée selon laquelle « l’homme aurait dû être créé autrement »185. Or cette thèse n’est en rien épicurienne : s’il est vrai que le monde et les hommes pourraient, voire pourront un jour, être tout autres, Lucrèce, loin d’inciter son lecteur à se plaindre de sa condition, lui recommande au contraire de se plier aux lois de la nature et d’accepter sereinement la mort, qu’il soit jeune ou vieux186. Soucieux de justifier au plan providentiel la maladie et la mort précoce, Lactance cherche à établir que ce sont des données inhérentes au statut des mortels. Mais, ce faisant, il renverse le raisonnement des épicuriens : alors que ces derniers voient dans la maladie et la mort les conséquences inévitables de la faiblesse humaine, l’auteur du De opificio considère que l’homme a été créé faible pour pouvoir mourir187. Ce renversement de perspective lui permet d’imposer l’idée de la création divine comme une nécessité logique et de réfuter le système atomiste, qui devient le repoussoir du modèle démiurgique. Le chapitre 6 manifeste le même lien fonctionnel entre réfutation de l’épicurisme et valorisation de la thèse providentialiste. En référence au paradigme artificialiste188, Lactance insiste sur la prévalence de la raison divine dans la création en contestant le rôle efficient du hasard. Ce développement révèle à nouveau le caractère partial de l’interprétation lactancienne : taxant
184
Cf. Lact. Opif. 3, 1 et 4, 1 où apparaît le verbe queruntur. Cf. Lact. Opif. 4, 1 : Minime, inquiunt, sed ex hoc ostendimus hominem nulla prouidentia esse factum, quod aliter fieri debuit. 186 Cf. Lucr. III, 963-977. 187 Cf. Lact. Opif. 4, 11-12. 188 Cf. Lact. Opif. 1, 11 ; 6, 8 et notes ad loc. 185
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Épicure de mauvaise foi, l’apologiste lui reproche d’avoir délibérément ignoré et exclu l’existence de la Providence pour introduire la thèse des mouvements atomiques189. Or la réélaboration épicurienne de la physique atomiste, et en particulier l’hypothèse de la déclinaison190, sont étroitement liées à l’histoire de la tradition abdéritaine et à la réfutation du nécessitarisme démocritéen191. Compte tenu du fait que Lactance associe ailleurs la genèse du système atomique à l’incapacité d’expliquer l’origine des choses, une fois la Providence exclue192 , on peut légitimement considérer que cette version de l’histoire est moins dictée par l’ignorance de Lactance que par les impératifs de la polémique. Dès lors, il appert que l’apologiste, peu soucieux de rendre justice à la philosophie du Jardin, est prêt à toutes les déformations de la pensée épicurienne pour défendre et illustrer la thèse de la Providence divine. Lactance fait également allusion au scepticisme académique193 dans deux réfutations expéditives, fondées en grande partie sur la lecture des Academica de Cicéron194 : la première concerne la fiabilité des sens, que Lactance
189
Cf. Lact. Opif. 6, 2 et 7. Cf. Lucr. II, 251-293. Sur la doctrine de la déclinaison ou clinamen, qui visait conjointement à justifier la liberté humaine et à expliquer l’existence des choses, cf. D. Sedley, « L’anti-réductionnisme épicurien », Les cahiers philosophiques de Strasbourg 15 (2003), p. 321-359 ; E. A. Schmidt, Clinamen. Eine Studie zum dynamischen Atomismus der Antike, Heidelberg, Universitätsverlag Winter, 2007. 191 Cf. Cic. Fat. X, 23 ; Nat. I, 69 ; Plut. De sollert. anim. 7, 964 C [= Us. p. 351]; Diogène d’Oenoanda, fr. 54, col. II-III (Smith) [= fr. 32 Chilton = 54 II-III Smith]. Sur la réception épicurienne de Démocrite, cf. M. L. Silvestre, Democrito e Epicuro, il senso di una polemica, Naples, 1986 ; P.-M. Morel, Démocrite et la recherche des causes, Paris, 1996 et S. Luciani, « Démocrite, Épicure, Lucrèce. L’originalité épicurienne en question », Vita Latina 176 (juin 2007), p. 93-106. 192 Cf. Opif. 4, 13. 193 Sur la polémique de Lactance contre le scepticisme académique dans le De Opificio Dei, cf. R. M. Ogilvie, The Library of Lactantius, op. cit., p. 58-60 ; B. Faes de Mottoni, « Lattanzio e gli Academici », Mélanges de l’École Française de Rome 94 (1982), p. 335-348 ; G. d’Onofrio, « Il parricidio di Cicerone », in Unione e amicizia. Omaggio a F. Romano - éds. M. Barbanti & G. Giardina, Catane, 2002, p. 220-226. 194 Selon R. M. Ogilvie, The Library of Lactantius, op. cit., p. 58-60, Lactance ne connaissait pas le Lucullus de Cicéron, mais disposait de la version remaniée, dite Academica Posteriora, qu’il cite fréquemment dans les Institutions Divines, cf. II, 7, 9 ; III, 14, 13 ; III, 29, 7 ; VI, 24, 2 ; VII, 4, 11 ; VII, 23, 3. Cependant, B. Faes de Mottoni, « Lattanzio e gli Academici », 190
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est amené à défendre en raison de ses convictions téléologiques195. Les académiciens avaient utilisé l’argument des illusions sensorielles dans leur polémique contre les stoïciens, qui prétendaient définir avec certitude un critère permettant de distinguer une représentation fausse d’une représentation vraie. Or Lactance, sans autre forme de procès, attribue aux académiciens la thèse de la fausseté des sens afin de les discréditer196. La seconde référence, qui intervient en relation avec la description des organes dont on ne peut connaître le fonctionnement197, a trait à la possibilité d’atteindre la vérité198. Après avoir reconnu son incapacité à rendre compte de la voix, Lactance se défend toutefois d’adopter la posture du doute néo-académicien, en affirmant que tout n’est pas inconnaissable. B. Faes de Mottoni considère que Lactance répond surtout à Arcésilas199, dont il connaissait la position sceptique par l’intermédiaire des Academica ou, plus sûrement encore au vu de sa formation rhétorique, du De oratore de Cicéron. En réalité, Lactance s’inscrit précisément dans la continuité du Lucullus de Cicéron, qui n’établit pas de distinction entre la doctrine d’Arcésilas et celle de ses successeurs et tend à rejeter les atténuations du doute200. Le De opificio montre donc que, si Lactance n’ignorait pas la gnoséologie académicienne, son information était probablement tributaire des exposés cicéroniens. On peut donc conclure en insistant sur trois points essentiels : - Les nombreuses références à la philosophie grecque qui figurent dans le De opificio relèvent pour la plupart d’une tradition latine, diffusée notamart. cit., a montré que nombre de références lactanciennes à la philosophie académicienne pouvaient également dériver du Lucullus (§§ 79-90). 195 Cf. Lact. Opif. 9, 1. Il s’agit d’une allusion discrète puisque Lactance se contente de critiquer ceux qui, pour nier la fiabilité des sens, « rassemblent de nombreux exemples où les yeux se trompent ». Le nom d’Arcésilas, ajouté sur l’un des manuscrits, renforce toutefois l’hypothèse d’une cible académicienne. 196 Cf. B. Faes de Mottoni, « Lattanzio e gli Academici », art. cit., p. 338-339. 197 Cf. Lact. Opif. 13, 9 : « J’en viens maintenant aux points douteux et obscurs » ; 14, 1 « Il est évident qu’il y a bien des choses dont seul le Créateur peut voir clairement la puissance et la raison ». 198 Cf. Lact. Opif. 15, 5-6. 199 Cf. B. Faes de Mottoni, « Lattanzio e gli Academici », art. cit., p. 345-347. 200 Cf. Cic. Luc. 67 ; 76-78. Pour une histoire du doute académicien, cf. A. M. Ioppolo, Opinione e scienza, Naples, Bibliopolis, 1986 ; C. Lévy, Cicero Academicus, op. cit., p. 15-57 ; M. Bonazzi, Academici e Platonici, Milan, LED, 2003.
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ment par les écrits de Cicéron et de Lucrèce, mais aussi par le canal doxographique. - Le traité fait apparaître une culture philosophique à la fois éclectique et superficielle, tributaire des anthologies, des recueils d’opinions et des listes de quaestiones en usage dans les écoles de rhétorique. - Cependant, le traitement schématique que nous avons parfois souligné dans les discussions philosophiques n’est pas uniquement imputable aux limites de la culture lactancienne ; il ressortit avant tout à la perspective adoptée dans le De opificio. Il ne s’agit pour Lactance ni d’exposer ni de discuter les différentes conceptions anthropologiques, mais de mettre les éléments doctrinaux qui s’y prêtent au service de son projet général. Dans cet ouvrage protreptique, Lactance se contente de préparer son lecteur à recevoir l’enseignement chrétien, en le poussant « d’un mode de pensée familier, car tiré d’un héritage intellectuel et culturel, à une interprétation chrétienne d’un Dieu providentiel »201. Du reste, il renvoie aux Institutions Divines pour les discussions sérieuses avec les philosophes202 . Le savoir médical Le propos anatomique du De opificio invite à une enquête sur les rapports de Lactance à la tradition médicale. L’héritage complexe du monde médical hellénistique a donné naissance, dans l’Empire romain, à des « écoles » ou « sectes » : les dogmatiques, les empiriques, les méthodiques et les pneumatiques203. A. Thivel les définit ainsi :
201
Cf. A. Fraïsse, « Entre philosophie et religion : le De opificio Dei de Lactance », art. cit., p. 65. 202 Cf. Opif. 14, 6 et 20, 2. 203 Sur la médecine à Rome, voir J. Scarborough, Roman Science, 1969, Londres & Southampton ; J. Pigeaud, La maladie de l’âme, Paris, Les Belles Lettres, 1981, 3e éd. revue et augmentée 2006 ; G. Penso, La médecine romaine : l’art d’Esculape dans la Rome antique, Paris, R. Dacosta, 1984 ; Les écoles médicales à Rome - éds. Ph. Mudry & J. Pigeaud, Genève, Droz, 1991 ; Médecins et médecine dans l’Antiquité - éd. G. Sabbah, Saint-Étienne, PUSE, 1982 ; Histoire de la pensée médicale en Occident, 1. Antiquité et Moyen Âge - dir. D. M. Grmek, Paris, Seuil, tr. fr. 1995 (cf., en particulier, D. Gourevitch, « Les voies de la connaissance : la médecine dans le monde romain », p. 95-122) ; J.-M. André, La médecine à Rome, Paris,
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« Il existe un schéma facile pour expliquer les sectes médicales à Rome, c’est celui qui consiste à les grouper deux par deux en disant qu’elles s’opposent entre elles symétriquement : le dogmatisme affirme que les causes des maladies sont connaissables, et même qu’elles sont connues, et il en donne des définitions, tandis que l’empirisme dit que les causes sont inconnaissables et qu’il ne faut pas les chercher, mais se préoccuper seulement de l’observation des symptômes, cas par cas. Le méthodisme, qui s’inspire des théories d’Asclépiade de Bithynie, tout en les simplifiant, réduit les causes des maladies à trois états, le strictum, le laxum et le mixtum, et classe les remèdes en deux catégories, les resserrants et les relâchants, tandis que le pneumatisme, en réaction contre ce mécanisme vulgaire, rétablit les droits du principe vital, du pneuma, et explique les maladies par les perturbations de ce pneuma, suivant qu’il est trop sec ou trop humide, trop léger ou trop lourd, trop lent ou trop rapide, et de là découle logiquement une thérapeutique fondée sur le principe contraria contrariis pour rétablir la circulation normale du pneuma »204. Le méthodisme n’apparaît que dans la seconde moitié du Ier siècle avant notre ère et le pneumatisme sous l’empereur Claude, tandis que l’école empirique décline et ne semble plus avoir eu d’adeptes au IIe siècle. Par ailleurs, la théorie médicale, dans chacune de ces sectes, est à mettre en rapport avec les écoles philosophiques : les dogmatiques se référaient aux platoniciens et aux aristotéliciens ; les empiriques, de leur côté, se posaient en sceptiques, tandis que les méthodiques, à la suite d’Asclépiade de Bithynie, faisaient du corps humain un mécanisme de particules digne des atomistes et que les pneumatiques s’appuyaient sur les idées du Portique. Mais les frontières et les conflits entre ces différents groupes tendent à s’effacer peu à peu au profit des dogmatiques, sous l’influence d’un grand médecin comme Galien, si bien que jusqu’à la fin de l’Antiquité et au Moyen Âge, c’est leur doctrine qui est devenue la seule doctrine médicale reconnue. Au sein de l’Empire, l’intérêt croissant porté à la médecine depuis les compilations de Pline l’Ancien et de Celse s’intensifia autour du IVe siècle, et Tallandier, 2006 ; Medicina, soror philosophiae - éd. B. Maire (recueil de 50 articles, études ou conférences de Ph. Mudry publiés de 1975 à 2006), Lausanne, 2006. 204 A. Thivel, « Théorie et expérience dans les sectes médicales à Rome », in Les écoles médicales à Rome, op. cit., p. 126-136 [p. 127].
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notamment en Afrique du Nord205. À partir du règne de Dioclétien, de nombreux textes médicaux furent en effet traduits et abrégés, comme en témoignent la Medicina Plinii, breuiarium fortement inspiré de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, ou encore les traités de médecine vétérinaire tels que la Mulomedicina Chironis ou les lettres de Pélagonius206. Il est fort probable que Lactance ait consulté un ou plusieurs de ces manuels de vulgarisation qui visaient à transmettre le savoir médical. De plus, il ne pouvait manquer de connaître le long poème médical, composé par le rhéteur Fabius (ou Flavius), qui fut appelé à Nicomédie en même temps que lui. Cependant, il est significatif qu’il n’ait pas jugé bon de les mentionner. Le même silence est observé au sujet de Galien, dont les découvertes et les écrits ont influencé considérablement et durablement la science médicale207. Pourtant, le médecin de Pergame et l’apologiste latin sont très proches quant à leur vision de l’homme. Galien avait en effet insisté sur les liens de la philosophie et de la médecine et composé un traité destiné à montrer Que l’excellent médecin est aussi philosophe 208 . De plus, il avait appliqué le principe téléologique d’Aristote à ses recherches anatomiques, dont l’orientation générale est clairement annoncée dans le titre de son traité Sur l’utilité des parties du corps humain. Passant en revue les différents membres et organes, il souligne l’admirable organisation du corps humain, dans lequel il voit l’œuvre
205 Cf. I. Hadot, « Aspects sociaux et institutionnels des sciences et de la médecine », Antiquité Tardive 6 (1998), p. 233-250. 206 Cf. R. Herzog, « II. Littérature médicale », in Nouvelle histoire de la littérature latine 5, p. 82-93. 207 Sur l’œuvre et l’influence de ce médecin grec originaire de Pergame et installé à Rome dans la deuxième moitié du IIe siècle de notre ère, cf. A. Debru, Le corps respirant – La pensée physiologique chez Galien, Leiden, 1996 ; D. Gourévitch, « Les voies de la connaissance : la médecine dans le monde romain », art. cit., p. 110-120 ; R. Mc Mullen, « Anatomy and physiology to 1700 », art. cit., p. 466-467 ; V. Boudon-Millot, « Galien le vrai père de la médecine », L’Histoire 270 (2002), p. 73-76 ; Galien et la philosophie - éds. J. Barnes & J. Jouanna, Entretiens sur l’Antiquité Classique, 49, Genève, Fondation Hardt, 2003 ; V. BoudonMillot, « Galien de Pergame face au mirage de la beauté parfaite », Bulletin de l’Association Guillaume Budé (2006, 1), p. 127-141. 208 Cf. M. Perrin, « Lactance, De opificio Dei : le savoir médical au début du IVe siècle », in Imaginaire et modes de construction du savoir antique dans les textes scientifiques et techniques - éds. M. Courrent & J. Thomas, Perpignan, 2001, p. 77.
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de la Providence209. Comme Lactance, il associe la beauté à l’utilité, puisqu’il « introduit l’esthétique dans la réflexion médicale » grâce à la notion de proportion210. Outre cette communauté d’inspiration, on relève de nombreux parallèles de détail entre le De opificio et de le De usu partium211, et V. BoudonMillot insiste en outre sur quelques ressemblances d’ordre lexical et stylistique entre le traité de Lactance et l’Art médical de Galien212 . Néanmoins, Lactance ne se réfère pas aux théories physiologiques de Galien, que ce soit pour les approuver ou les réfuter. Ignorant le rôle des reins, il soutient notamment au chapitre 11 (§ 18) que l’urine coule des intestins vers la vessie. Or Galien avait réfuté cette théorie, soutenue par l’atomiste Asclépiade de Bithynie213, et montré que les reins, en attirant les parties séreuses du sang, contribuaient à l’élimination urinaire214. En outre, Lactance ne fait pas référence aux théories galéniques concernant la digestion : fonctions de l’estomac215, rôle des vaisseaux sanguins dans la distribution des aliments digérés216. De même, il affirme que le fonctionnement de certains organes cachés demeure incompréhensible parce qu’il échappe aux sens217. Adoptant une attitude sceptique qui n’est pas sans rappeler celle des médecins empiriques218, 209 Cf., par exemple, Gal. U.P. I, 4 ; I, 8 ; III, 10 ; XI, 14 et A. S. Pease, « Caeli enarrant », p. 188. 210 Cf. V. Barras, « La perfection de l’homme chez Galien », Équinoxe 11 (1994), p. 31-32. 211 Cf., par ex., Gal. U. P. XII, 10-11 et Lact. Opif. 5, 4, où le squelette est comparé à une carène de bateau ; Gal. I, 5 et Lact. Opif. 10, 24 sur la spécificité du pouce ; Gal. 11, 4 et Opif. 7, 11 sur la beauté de la barbe. 212 Cf. V. Boudon-Millot (« Le savoir médical de Lactance à l’épreuve de la physiologie galénique : accords et divergences », in Le De opificio Dei : Regards croisés sur l’anthropologie de Lactance, op. cit., p. 165-177), qui se réfère notamment à deux métaphores : la tête-sphère (Gal. VI, 4 et Lact. Opif. 8, 4) et à l’épine dorsale-carène (X, 5 et 5, 4-6). 213 Lactance adopte ici la théorie d’un médecin appartenant à la tradition atomiste, dont il fustige par ailleurs les idées ; ce paradoxe apparent s’explique peut-être par une double ignorance, celle de la paternité de la théorie en question et celle de la réfutation galénique. 214 Cf. K. D. Fischer, « Der Weg des Urins bei Asklepiades von Bithynien und in der Schrift De opificio Dei des Kirchenvaters Lactantius », in Médecins et médecine dans l’Antiquité, op. cit., p. 43-53. 215 Cf. Gal. U. P. IV, 7 et Lact. Opif. 11, 15. 216 Cf. Gal. U. P. IV, 8 et Lact. Opif. 11, 16. 217 Cf. Lact. Opif. 14, 1-6. 218 M. Perrin (L’homme antique et chrétien, op. cit., p. 199, note 698) rapproche ce passage d’inspiration sceptique de Cic. Acad. II, 39, 122 : Corpora nostra non nouimus, qui sint situs
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il souligne en effet dans le court chapitre 14 la divergence des opinions concernant le foie et multiplie les interrogations au sujet de la rate, du cœur, de la bile. Or, Galien s’était intéressé au foie, dont il avait montré l’importance dans la digestion et dans le flux sanguin219. De plus, Lactance semble ignorer les principales découvertes du médecin de Pergame concernant les os220, les nerfs221, les muscles et les tendons222 ou encore le système de la phonation223. Enfin, s’il rejette la théorie concernant la localisation des quatre passions dans le foie, le cœur, la bile, et la rate (14, 4)224, il ne se réfère pas explicitement à la doctrine des quatre humeurs225 que Galien avait intégrée à sa physiologie226. Il paraît donc au total peu vraisemblable que Lactance ait pu puiser ses informations médicales directement chez le médecin de Pergame. Par conséquent, les parallèles constatés entre les deux auteurs renvoient plus à leur commune perspective finaliste qu’à l’adoption des théories galéniques par le philosophe chrétien. Il faut plutôt chercher l’explication de ces points de rencontre dans l’influence d’une tradition commune ou dans un medium de vulgarisation. Si le galénisme devient au IVe siècle une doctrine pour ainsi dire officielle et se trouve, à ce titre, largement exploité par les Pères
partium, quam uim quaeque pars habeat ignoramus ; itaque medici ispi, quarum intereat ea nosse, aperuerunt ut uiderentur, nec eo tamen aiunt empirici notiora esse illa, quia possit fieri ut patefacta et detecta mutentur. 219 Cf. Gal. U. P. IV, 12-13. 220 Cf. Gal. U. P. VIII, 7 sur les os de la tête. 221 Cf. Gal. U. P. XVI, 1-9. 222 Cf. Gal. U. P. V, 14-15 sur les muscles abdominaux, XIII, 13 sur les muscles du thorax. 223 Cf. Gal. U. P. VII. 224 Cf. Lact. Opif. - éd. M. Perrin, tome 2, p. 373-377 et M. Perrin, L’homme antique et chrétien, op. cit., p. 198-201. 225 Sur cette théorie qui postule la circulation dans le corps humain de quatre humeurs - le sang, le phlegme, la bile jaune et la bile noire – qui ont respectivement pour source le cœur, le cerveau, le foie et la rate, cf. A. Thivel, « Hippocrate et la théorie des humeurs », Noesis. Centre de recherches et d’histoire des idées, Nice, 1 (1997), p. 85-108. Sur sa réception à Rome, cf. J. Jouanna, « La théorie des quatre humeurs et des quatre tempéraments dans la tradition latine (Vindicien, Pseudo-Soranos) et une source grecque retrouvée », Revue des Études Grecques 118 (2005), p. 138-167. 226 Cf. D. Gourévitch, « Les voies de la connaissance », art. cit., p. 175-176.
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de l’Église grecque227, le De opificio n’a en rien contribué à ce succès. Cela montre que les intérêts de Lactance n’allaient pas aux découvertes de la médecine et qu’il se contentait en la matière d’un savoir de base, vulgarisé par la tradition littéraire. À la différence des ecclésiastiques cappadociens Grégoire de Nysse et Grégoire de Naziance, qui intégreront la médecine, et en particulier les catégories galéniques, à leur enseignement228, Lactance s’en tient à une perspective « naturaliste et philosophique »229, qui ne le porte ni à étudier ni à exposer les progrès accomplis par la science médicale de son temps. Les classiques latins À la différence des enquêtes portant sur la culture grecque et le savoir médical de Lactance, celle qui vise à déterminer l’influence directe des auteurs latins sur le De opificio Dei donne des résultats nettement positifs. Lactance est en effet fortement imprégné de culture latine, comme en attestent les nombreuses références à Cicéron, Lucrèce, Varron et Virgile. Mais il est bien évident que sa connaissance de la littérature latine est beaucoup plus étendue que ne le suggèrent ces quelques citations nominatives. À cet égard, de nombreux travaux, et en particulier ceux d’Alain Goulon, ont mis en évidence la dette de Lactance à l’égard de ses prédécesseurs latins, philosophes et/ou poètes230. 227
Cf. R. Le Coz, « Les pères de l’Église grecque et la médecine », Bulletin de littérature ecclésiastique 98 (1997), p. 137-154 ; sur les rapports de la médecine et du christianisme dans l’Antiquité, cf. G. B. Ferngren & D. W. Amundsen, « Medicine and Christianity in the Roman Empire : Compatibilities and Tensions », in Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt II, 37.3 (1996), p. 2957-2980 et I. Mazzini, « La letteratura cristiana antica e la medicina », Les Études Classiques 70 (2002), p. 353-372 ; 71 (2003), p. 241-261. 228 Cf. R. Le Coz, « Les pères de l’Église grecque et la médecine », art. cit., p. 153. 229 Cf. M. Perrin, « Lactance, De opificio Dei : le savoir médical au début du IVe siècle », art. cit., p. 76. 230 Cf. A. Goulon, « Les citations des poètes latins dans l’œuvre de Lactance », in Lactance et son temps, op. cit., p. 107-143 ; « Lactance et les classiques », Vita Latina 133 (1994), p. 29-36 ; « Quelle connaissance Lactance avait-il du De rerum natura ? Réalité et signification des réminiscences lucrétiennes dans l’œuvre de Lactance », in Présence de Lucrèce - éd. R. Poignault, Tours, 1999, p. 217-257 ; « Lactance et les philosophes : réfutation ou dialogue ? », art. cit., p. 13-22 ; « Une présentation personnelle de l’épicurisme par Lactance (Inst. 3, 17) : objectivité, habileté ou rouerie », art. cit., p. 17-25. Cf. aussi J. Stevenson, « Aspects of the relations between Lactantius and the Classics », Studia Patristica 4 (1961), p. 497-503 ; E. Heck,
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S’en tenant aux seules citations littérales de poètes, A. Goulon a ainsi relevé dans l’ensemble de l’œuvre lactancienne cent cinquante-neuf citations issues de treize poètes différents, à savoir - par ordre décroissant du nombre de citations - Virgile, Lucrèce, Ovide, Lucilius, Térence, Horace, Perse, Germanicus, Ennius, Plaute, Lucain, Properce et Juvénal231. Cette omniprésence s’explique aisément par la formation de Lactance, qui, en tant que rhéteur latin, « garde fortement le sentiment d’appartenance à une communauté culturelle »232 . Mais elle doit également être mise en relation avec la méthode de l’apologiste, qui, à la différence de ses prédécesseurs chrétiens latins, entend persuader ses lecteurs en se référant à leurs propres repères culturels233. Dans cette perspective, il met à profit le miel de la poésie pour les séduire234 et les testimonia ueritatis disséminés dans les écrits des Anciens235 pour fonder en raison la doctrine chrétienne. Ce faisant, il ne manque pas de souligner les divergences d’opinion entre les philosophes afin de mettre en exergue la réponse définitive apportée par le christianisme236. Cette pratique apparaît pour ainsi dire en cours d’élaboration dans le De opificio Dei, où les citations correspondent schématiquement à trois pôles référentiels : un pôle positif représenté par Cicéron, que Lactance prend explicitement pour modèle, un pôle négatif consti-
« Lactanz und die Klassiker. Zur Theorie und Praxis der Verwendung heidnischer Literatur in christlicher Apologetik bei Lactanz », Philologus 132 (1988), p. 160-179 ; V. Buchheit, « Cicero inspiratus - Vergilius propheta ? Zur Wertung paganer Autoren bei Lactanz », Hermes 118 (1990), p. 357-372 et J. Kany-Turpin, « Lactance, un critique mésestimé de l’épicurisme », art. cit., p. 218-230. 231 Cf. A. Goulon, « Les citations des poètes latins », art. cit., p. 113. 232 Cf. A. Goulon, « Lactance et les classiques », art. cit., p. 29. 233 Cf. Lact. Opif. 20, 1-3 ; Inst. V, 4, 4-6 et E. Heck, « Lactanz und die Klassiker », art. cit., p. 163-164. 234 Mais ce miel peut aussi recouvrir du poison (Inst. V, 1, 10-11). D’où la méthode de Lactance, qui modifie les vers cités lorsqu’ils renvoient à une doctrine jugée dangereuse, cf. A. Goulon, « Lactance et les classiques », art. cit., p. 30-32. 235 Cf. Lact. Inst., VII, 7, 2-5 et S. Casey, « Lactantius’ reaction to pagan philosophy », art. cit., p. 203-219 ; A. Goulon, « Lactance et les philosophes : réfutation ou dialogue ? », art. cit., p. 21. Sur la valeur de l’expression testimonia ueritatis, cf. V. Buchheit, « Laktanz und seine testimoniae ueritatis », art. cit., p. 306-415. 236 Le thème du dissensus philosophorum est largement exploité par Lactance, notamment dans le troisième livre des Institutions Divines, cf. Lact. Opif. 20, 2-3 ; Inst. III, 4, 8-11 ; III, 7, 7 ; III, 15, 5. ; Epit. 27, 1-2. Sur ce point, cf. S. Casey, « Lactantius’ reaction to pagan philosophy », art. cit., p. 206-207 ; G. D’Onofrio G., « Il parricidio di Cicerone », art. cit., p. 221-223.
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tué par le De rerum natura de Lucrèce, qui est la cible d’une polémique virulente dans les premiers chapitres, un troisième pôle intermédiaire incarné par Varron et Virgile, qui font l’objet d’une utilisation plus neutre. Cicéron est sans conteste la principale référence de Lactance, qui mentionne trois de ses œuvres - De re publica, De legibus, De natura deorum - dans le prologue du traité237. L’influence cicéronienne, qui a été soulignée de longue date238, se révèle à travers de nombreux parallèles ponctuels : même définition du corps comme enveloppe de l’âme, même comparaison de l’âme à un feu divin239, même opposition entre la faiblesse physique de l’homme et sa supériorité sur les animaux 240, même description des paupières et des dents241, même étymologie de uir et uirtus242 , même recours à l’argument platonicien de l’auto-motricité de l’âme comme preuve de son immortalité243. À cette liste, on pourrait ajouter bien d’autres échos cicéroniens perceptibles dans la définition de la mort comme dissolution naturelle244, dans l’éloge de la main qui distingue l’homme de l’animal245, dans l’évocation de la structure corporelle associant les os, les nerfs et les vaisseaux 246, dans la reprise du lieu commun de la position debout247, dans la description du visage et des
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Cf. Lact. Opif. 1, 12-13. Concernant la présence de Cicéron dans le De opificio, cf. S. Brandt, « Über die Quellen… », art. cit. ; R. Pichon, Lactance, op. cit., p. 58-72 ; L. Rossetti, « Il De opificio Dei di Lattanzio », art. cit., p. 177-190 ; Lact. Opif. - éd. M. Perrin, tome 1, p. 40-44 ; M. Perrin, L’homme antique et chrétien, op. cit., passim et entrée « Cicéron » (p. 553-554) dans l’index des auteurs et personnages de l’Antiquité ; P. Roots, « The De Opificio Die : the workmanship of God and Lactantius », art. cit., p. 466-486 ; J. Walter, Pagane Texte und Wertvorstellung bei Laktanz, op. cit., p. 140-144 et S. Luciani, « Explicare quod homo disertissimus paene omisit intactum : présence de Cicéron dans le De opificio Dei », in Le De opificio Dei : Regards croisés sur l’anthropologie de Lactance, op. cit., p. 33-49. 239 Cf. Cic. Rep. III, 1 ; VI, 26 et Lact. Opif. 1, 11 ; 5, 12 ; 8, 5 ; 18, 5 ; 19, 9. 240 Cf. Cic. Rep. III, 1-3 ; Nat. II, 140 et Lact. Opif. 3, 1-2 et 11-12 ; 8, 2. 241 Cf. Cic. Nat. II, 134 et 143 et Lact. Opif. 10, 2 et 16. 242 Cf. Cic. Tusc. II, 43 et Lact. Opif. 12, 16 243 Cf. Cic. Rep. VI, 27 et Lact. Opif. 17, 1. 244 Cf. Cic. Leg. I, 31 ; Tusc. I, 71 et Lact. Opif. 4, 2. 245 Cf. Cic. Nat. II, 150-152 et Lact. Opif. 3, 20 ; 5, 11-12 ; 10, 22-25. 246 Cf. Cic. Nat. II, 138-138 et Lact. Opif. 7, 1-2. 247 Cf. Cic. Leg. I, 26 ; Nat. II, 140 et Lact. Opif. 8, 1. 238
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organes sensoriels248, dans l’explication des fonctions digestives et respiratoires249. En tant que professeur de rhétorique, il n’est pas étonnant que Lactance ait eu une connaissance approfondie de l’œuvre philosophique cicéronienne, sinon dans sa totalité, du moins en grande partie250. Cependant, il convient de souligner que sa grande familiarité avec ces traités lui a permis de ne pas les imiter servilement, mais au contraire, de sélectionner, d’associer et de structurer les motifs et les arguments utiles à son projet. De plus, l’influence indéniable de Cicéron n’exclut pas un jugement nuancé : tout en revendiquant l’influence de l’anthropologie cicéronienne, Lactance ne manque pas de mentionner les lacunes du modèle qu’il se propose de compléter. Les trois références explicites à Cicéron, qui interviennent dans le prologue et l’épilogue du traité, soulignent la posture critique adoptée par Lactance : l’apologiste entend mettre en évidence l’originalité de son opuscule et marquer ses distances vis-à-vis de Cicéron, modèle incontournable et encombrant, qui incarne conjointement la culture philosophique et l’idéal oratoire classiques251. Dans ces conditions, il convient d’analyser la place du De natura deorum, que Lactance semble avoir utilisé comme un manuel « où il pouvait commodément puiser la plupart des renseignements anatomiques et physiologiques dont il avait besoin »252 . L’influence de cet ouvrage est telle que P. Roots a proposé de rapprocher le plan général du De opificio et la structure du dialogue cicéronien, les chapitres 2 à 7 renvoyant à la réfutation de l’épicurisme par Cotta dans le livre I (§ 57-120), les chapitres 8 à 13 s’inspirant de l’exposé finaliste du stoïcien Balbus concernant le corps humain (II, 133-150), les chapitres 14 à 19 reprenant et dépassant l’approche sceptique de l’académicien Cotta dans le livre III253. Cependant, pour stimulante que soit cette
248
Cf. Cic. Nat, 140-146 et Lact. Opif. 10, 1-8. Cf. Cic. Nat. 133-138 et Lact. Opif. 11, 1-5 ; 15-17. 250 Cf. R. M. Ogilvie, The Library of Lactantius, op. cit., p. 58-72. 251 Cf. G. D’Onofrio, « Il parricidio di Cicerone », art. cit. et S. Luciani, « Explicare quod homo disertissimus. Présence de Cicéron dans le De opificio Dei de Lactance », art. cit. 252 Cf. Lact. Opif. - éd. M. Perrin, tome 1, p. 42. 253 Cf. P. Roots, « The De Opificio Dei : the workmanship of God and Lactantius », art. cit. 249
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hypothèse, il semble que la communauté structurale demeure essentiellement d’ordre formel, dans la mesure où les perspectives des deux auteurs diffèrent considérablement : Cicéron souhaite exposer les différentes opinions des philosophes sur les dieux afin de souligner leur désaccord et de justifier son choix en faveur du doute académique254. Lactance, quant à lui, veut défendre et illustrer la Providence divine en invoquant la perfection du corps humain. Par conséquent, si analogie thématique il y a, celle-ci porte exclusivement sur le deuxième livre, consacré à l’exposé du stoïcien Balbus, qui se livre à une description de l’anatomie humaine dans une perspective téléologique255 : Faciliusque intelligetur a dis immortalibus hominibus esse prouisum, si erit tota hominis fabricatio perspecta omnisque humanae naturae figura atque perfectio256 (Nat. II, 133).
Cependant, même si l’on s’en tient au développement du stoïcien, les perspectives des deux auteurs demeurent fort différentes : Balbus entend 1) prouver l’existence des dieux, 2) décrire leur nature, 3) montrer qu’ils gouvernent le monde, 4) démontrer qu’ils se soucient des hommes257. Lactance en revanche n’envisage que les deux derniers points. De plus, à la différence de Balbus qui vantait longuement l’ordre régulier et la beauté du cosmos258, il centre son propos sur l’homme, qui suffit à mettre en évidence la Providence divine259. Par conséquent, malgré sa volonté affirmée de développer l’exposé cicéronien, l’apologiste semble davantage en réduire et en concentrer la matière. C’est pourquoi il est légitime de se demander, d’une part, en quel sens il entend compléter son modèle et d’autre part, dans quelle mesure il a atteint son objectif.
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Cf. Cic. Nat. I, 13-14. Cf. Cic. Nat. II, 134-153. 256 « Et l’on comprendra plus facilement que les dieux se sont souciés des intérêts des hommes, si l’on considère dans son ensemble l’organisme humain, la conformation et la perfection de la nature humaine » - trad. C. Auvray-Assayas, 2002. 257 Cf. Cic. Nat. II, 3 et III, 6. 258 Cf. Cic. Nat. II, 23-119. 259 Cf. Lact. Opif. 3, 24. 255
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En premier lieu, l’orientation anthropologique du De opificio est à mettre en relation avec le glissement qui s’opère de la pronoia stoïcienne à la Providence chrétienne260. Le monde n’étant plus Dieu lui-même, mais le résultat de sa création, il est naturel que la cosmologie n’occupe plus une place prépondérante. La souveraineté de l’homme sur l’ensemble de la création261 et son statut particulier, dont témoigne sa position debout262 , légitiment en revanche la primauté accordée à l’anthropologie. Balbus, pour réfuter les épicuriens, voulait démontrer que les dieux se soucient des hommes et insistait pour ce faire sur l’ingéniosité et l’habileté de la Nature, que manifestent la beauté du corps humain et l’admirable mécanique des organes263. Le projet de Lactance, qui désire célébrer la Providence à travers l’ensemble du composé humain, est plus ambitieux : Vas est enim quodammodo fictile quo animus, id est homo ipse uerus, continetur, et quidem non a Prometheo fictum, ut poetae locuntur, sed a summo illo rerum conditore atque artifice deo, cuius diuinam prouidentiam perfectissimamque uirtutem nec sensu comprehendere nec uerbo enarrare possibile est. Temptabo tamen, quoniam corporis et animi facta mentio est, utriusque rationem, quantum pusillitas intellegentiae meae peruidet, explicare 264 (1, 11) .
La perfection du corps, qui n’est rien d’autre que le vaisseau de l’homme véritable, constitue un signe extérieur de la grandeur de l’âme et de la majesté divine. C’est pourquoi, l’auteur chrétien, adoptant d’emblée une perspective dualiste, donne dans son exposé une place beaucoup plus importante à l’âme265, dont Balbus n’avait que brièvement évoqué les facultés266. Le fait que, dans le prologue, la critique de Cicéron suive immédiatement la réfé-
260
Cf. supra p. 54-55. Cf. Lact. Opif. 3, 18-20 et notes ad loc. 262 Cf. Lact. Opif. 8, 1-3 et notes ad loc. 263 Cf. Cic. Nat. II, 138 ; 140 ; 142 ; 147 ; 149. 264 « C’est en quelque sorte un vase d’argile qui contient l’âme, c’est-à-dire l’homme véritable, et qui n’a certainement pas été façonné par Prométhée, comme le disent les poètes, mais par Dieu, suprême Créateur et Artisan du monde, dont il est impossible de percevoir par la pensée et d’exprimer par des mots la divine Providence et la Puissance parfaite. Je m’efforcerai cependant, puisqu’il a été fait mention du corps et de l’âme, d’exposer la structure de l’un et de l’autre, pour autant que la faiblesse de mon intelligence la distingue ». 265 Cf. Lact. Opif. 14, 9 et les chapitres 16 à 19. 266 Cf. Cic. Nat. II, 147. 261
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rence au composé âme/corps confirme l’hypothèse selon laquelle Lactance entend prolonger l’exposé du De natura deorum par une étude sur le statut spécifique de l’âme, dont il s’agit de mettre en valeur la nature incorporelle (16, 11), l’immortalité (17, 1), l’origine divine (19, 1-4) et l’incompréhensibilité (16, 1 ; 11 ; 17, 1). Selon la méthode habituelle de Lactance, les insuffisances du modèle sont subtilement soulignées par un jeu d’intertextualité267. De fait, l’anthropologie dualiste développée dans le De opificio se trouve en opposition avec le monisme des stoïciens, dont Balbus se trouve être le porte-parole dans le deuxième livre du De natura deorum. C’est pourquoi, bien qu’il prétende corriger Cicéron, c’est en réalité le discours du stoïcien que Lactance prolonge et reprend. Récusant implicitement une psychologie qui réduit l’âme au corps268, l’apologiste s’inscrit dans la tradition platonicienne, en réaffirmant la thèse de l’immortalité de l’âme. Mais ce faisant, il s’inspire, sans le dire, d’un autre ouvrage cicéronien. Dans les chapitres consacrés à l’âme, l’influence de la première Tusculane, et notamment de la première partie, qui concerne l’immortalité de l’âme, est manifeste. Ainsi, aux chapitres 16 et 17, Lactance s’inspire-t-il de la doxographie cicéronienne concernant la place et la nature de l’âme269. Comme Cicéron, il souligne la diversité des opinions sur ces questions et l’impossibilité de leur apporter une réponse définitive270, il insiste sur l’incapacité de l’âme à voir ce qu’elle est271. Mais il est significatif que le philosophe académicien et l’apologiste chrétien relèguent tous deux ces incertitudes d’ordre physiologique au second plan pour conclure avec une
267 Cf. Cic. Nat. II, 147 : « J’ajouterai que quiconque ne reconnaît pas que l’âme même et l’intelligence de l’homme, sa raison, sa réflexion, sa sagesse doivent leur perfection à la sollicitude des dieux, me paraît précisément dépourvu de ces facultés » et Lact. Opif. 16, 1 : « Qui peut ignorer que la structure de l’âme elle aussi est incompréhensible, sinon celui qui en est totalement dépourvu, puisqu’on ignore sa place et sa nature? ». Tout en reprenant le trait cicéronien, Lactance modifie le contenu de l’argument, qui ne porte plus sur les facultés de l’âme, mais sur son caractère insaisissable. 268 Cf. SVF I, 90 ; I, 518 ; II, 790. 269 Cf. Cic. Tusc. I, 19-22. Sur la structure spécifique de la doxographie lactancienne, cf. supra p. 45-51. 270 Cf. Cic. Tusc. I, 23 : Harum sententiarum quae uera sit, deus aliqui uiderit ; quae ueri simillima, magna quaestio est et Lact. Opif. 16, 1-2. 271 Cf. Cic. Tusc. I, 53 et 67 : non ualet tantum animum, ut se ipse uideat et Lact. Opif. 16, 11.
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même conviction, en se fondant sur les admirables capacités de l’âme, à sa nature incorporelle, immortelle et divine. Les passages suivants permettront d’illustrer la commune démarche intellectuelle des deux auteurs, de Cicéron : Non uidet autem, quod minimum est, formam suam (quamquam fortasse id quoque, sed relinquamus) ; uim certe, sagacitatem, memoriam, motum, celeritatem uidet. Haec magna, haec diuina, haec sempiterna sunt 272 (Tusc. I, 67), Sic mentem hominis, quamuis eam non uideas, ut deum non uides, tamen, ut deum adgnoscis ex operibus eius, sic ex memoria rerum et inuentione et celeritate motus omnique pulchritudine uirtutis uim diuinam mentis adgnoscito273 (Tusc. I, 70) ,
et de Lactance : An potest aliquis non admirari quod sensus ille uiuus atque caelestis qui mens uel animus nuncupatur, tantae mobilitatis est ut ne tum quidem, cum sopitus est, conquiescat, tantae celeritatis ut uno temporis puncto caelum omne conlustret… 11. Siue igitur in capite mens habitat siue in pectore, potestne aliquis conprehendere quae uis rationis efficiat ut sensus ille inconprehensibilis aut in medulla cerebri haereat aut in illo sanguine bipertito qui est conclusus in corde, ac non ex eo ipso colligat quanta sit dei potestas, quod animus se ipsum non uidet aut qualis sit nec si uideat, tamen perspicere possit quo pacto rei corporali res incorporalis adiuncta sit ? 274 (Opif. 16, 9-11)
272 « D’autre part, ce qu’elle (sc. l’âme) ne voit pas, c’est ce qui a le moins d’importance, à savoir sa forme (et cela même n’est d’ailleurs pas impossible, mais passons) ; en tout cas, elle voit sa force, sa sagacité, sa mémoire, son mouvement, sa rapidité. C’est cela qui est grand, qui est divin, qui est éternel ». 273 « Tu as beau ne pas le voir (sc. l’esprit de l’homme), de même que tu ne vois pas Dieu, cependant, et de même que tu reconnais Dieu à ses œuvres, ainsi à la mémoire, à l’invention à la rapidité de son mouvement, à toutes les splendeurs de la vertu, il te faut reconnaître l’essence divine de l’esprit humain ». 274 « Peut-on ne pas admirer que ce sens appelé esprit ou âme, vivant et céleste, soit d’une telle mobilité qu’il ne se repose même pas dans le sommeil ? d’une telle rapidité qu’à son gré il parcoure en un seul instant tout le ciel (…). Que l’âme loge donc dans la tête ou dans la poitrine, peut-on comprendre quelle force de la raison fait que ce sens insaisissable se fixe dans la moelle du cerveau ou dans le sang divisé en deux et enfermé dans le cœur, et ne pas conclure de là à la grande puissance de Dieu, du fait que l’esprit ne se voit pas, ne voit ce qu’il est ni où il est, et que même s’il le voyait, il ne pourrait cependant pas percevoir clairement de quelle façon une chose incorporelle a été ajoutée à une corporelle ? ».
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Ces extraits ne sont certes pas identiques car ils obéissent à des visées différentes. Cependant, ils suffisent à montrer que Lactance reprend à son compte l’argumentation cicéronienne, qu’il adapte à son propos en insistant sur les relations âme/corps. Dans ces conditions, il semble que nous ayons ici une variante de la méthode chère à Lactance, qui à défaut de le corriger, complète Cicéron par Cicéron ! Il reste que la spécificité du traité lactancien par rapport au De natura deorum et à la première Tusculane réside dans son approche holistique du composé humain. Soucieux de ne négliger ni l’âme ni le corps, il s’efforce de définir leurs rapports. Ainsi la description des fonctions organiques est-elle structurée par cette double perspective275. Lactance réutilise le matériau rassemblé par Cicéron, qui avait décrit au plan physiologique les mécanismes de la digestion et de la respiration, afin d’établir un parallèle entre les deux systèmes, à savoir la digestion des aliments qui nourrissent le corps et la respiration, qui alimente l’âme : Sed cum homo constet ex corpore atque anima, illud quod supra dixi receptaculum soli corpori praestat alimentum, animae uero aliam sedem dedit. Fecit enim genus quoddam uisceris molle atque rarum, quod pulmonem uocamus, eumque non in utris modum finxit, ne effunderetur semel spiritus aut inflaret semel276 (11, 3).
Ce parallélisme illustre la méthode de Lactance, qui conduit son lecteur à l’étude de l’âme par la description du corps. La perfection de l’enveloppe corporelle manifeste la nature céleste et inconnaissable de l’âme humaine, et à travers elle, la transcendance divine. Ainsi la conformation même du corps et en particulier la position de la tête mettent-elles en évidence le plan de Dieu, qui a créé le corps afin qu’il serve l’âme et lui obéisse :
275 Cf. P. Roots, « The De Opificio Dei : the workmanship of God and Lactantius », art. cit., p. 478-483. 276 « Mais l’homme étant constitué d’un corps et d’une âme, c’est seulement au corps que le réceptacle dont j’ai parlé plus haut fournit des aliments, tandis qu’à l’âme, Il a donné un autre siège. Il a fabriqué en effet une sorte d’organe mou et formé de cavités que nous appelons poumon, mais Il ne l’a pas formé à la manière d’une outre pour que le souffle ne s’en échappe pas, ni ne gonfle d’un seul coup »
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Eius (hominis) prope diuina mens (quia non tantum animantium quae sunt in terra, sed etiam sui corporis est sortita dominatum), in summo capite conlocata tamquam in arce sublimi, speculatur omnia et contuetur 277 (8, 3).
De son côté, Balbus avait également insisté sur le status rectus et sur la vocation humaine à contempler le ciel. Cependant, il n’avait pas expliqué la place de la tête en termes de domination sur le corps, mais s’était contenté de la mettre en relation avec le fonctionnement optimal des sens278. On peut déduire de ces glissements de sens que Lactance a effectivement atteint son objectif initial : il a profondément modifié l’anthropologie stoïcienne présentée dans De natura deorum en l’inscrivant dans le cadre du dualisme platonicien, qui constitue le fondement de la première Tusculane. Mais en s’efforçant de rattacher étroitement physiologie et psychologie et en présentant les relations âme/corps comme un aspect du plan divin, Lactance semble revenir, par delà les Tusculanes, à la perspective démiurgique du Timée279. L’anthropologie du De opificio constitue donc une synthèse originale, qui ne saurait se réduire aux modèles issus de la philosophie classique, pas même à l’exposé du stoïcien Balbus. Bien que l’attitude de Lactance à l’égard de Lucrèce semble plus aisée à définir, elle n’est pas non plus exempte d’ambiguïté : si le chrétien polémique violemment contre l’épicurien, il est fort sensible aux vers du poète, comme en témoignent les citations et réminiscences du De rerum natura qui émaillent le De opificio Dei280. Le nombre, la diversité, la répartition et l’origine de ces
277 « Son esprit presque divin (parce qu’il lui a été donné de dominer non seulement tous les êtres animés qui sont sur terre mais aussi son propre corps), placé au sommet de la tête comme en une citadelle élevée, regarde et observe tout ». 278 Cf. Cic. Nat. II, 140 : « Les sens, interprètes et messagers des choses, situés dans la tête comme dans une citadelle sont admirablement adaptés, à la fois par leur structure et par leur position, à des fonctions indispensables : les yeux, comme des guetteurs, occupent l’endroit le plus élevé, d’où ils peuvent s’acquitter de leur tâche, en inspectant une très vaste étendue » - trad. C. Auvray-Assayas. 279 Cf. Plat. Tim. 69D-71A. 280 Concernant la présence de Lucrèce dans le De opificio, cf. S. Brandt, « Lactantius und Lucretius », Jahrbücher für Klassische Philologie 37 (1891), p. 225-259 [p. 255-259] ; A. Bufano, « Lucrezio in Lattanzio », Giornale Italiano di Filologia 4 (1951), p. 335-349 ; R. P. M. Testard, « Épicure et Jésus-Christ. Observation sur une lecture chrétienne de Lucrèce par Lac-
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échos dans l’ensemble de l’œuvre montrent à l’évidence que « Lactance avait une connaissance complète et directe » du De rerum natura281. Outre les deux citations littérales qui figurent dans le traité282 , on note en effet cinq citations ad sensum283 et au moins sept réminiscences lexicales ou thématiques relevant de l’association d’idées284 . C’est que Lactance met naturellement à profit son étroite familiarité avec la poésie lucrétienne non seulement pour réfuter la doctrine épicurienne mais pour illustrer ou exprimer sa pensée en dehors de tout enjeu polémique. Cependant, ces multiples références plus ou moins explicites et subtilement entrelacées relèvent d’une technique de réécriture très élaborée, fondée sur le transfert et la contaminatio de plusieurs passages. Certaines réminiscences dépourvues d’intentions polémiques mettent en évidence une connaissance intime du De rerum natura et un goût affirmé pour le style de Lucrèce, mais aussi un décalage contextuel plus ou moins conscient. Ainsi l’expression nudus et inermis285 , qui renvoie à la faiblesse de l’homme à la naissance286, est-elle attribuée aux contempteurs de la Providence. L’association des deux adjectifs figure certes chez Lucrèce287. Néanmoins l’expression n’apparaît pas dans la polémique contre la Providence (V, 146-234)288, mais dans le passage consacré à l’histoire de l’humanité : le poète n’envisage pas dans ce vers la fragilité de la condition humaine d’un
tance », Revue des Études Latines, 75 (1997), p. 200-218 ; A. Goulon, « Quelle connaissance Lactance avait-il du De rerum natura ? », in Présence de Lucrèce, op. cit., p. 217-257 ; P. H. Schrijvers, « La présence de Lucrèce dans le De opificio Dei de Lactance », Ibid., p. 259266. 281 Cf. A. Goulon, « Quelle connaissance Lactance avait-il du De rerum natura ? », art. cit., p. 217-257. Nous mettons à profit dans ce développement les très précieux tableaux qui figurent à la fin de cette étude, p. 240-257. 282 Cf. Lact. Opif. 3, 1-3 et Lucr. V, 227 ; Lact. Opif. 19, 3 et Lucr. II, 991-992. 283 Les citations ad sensum résument la pensée ou les arguments de l’auteur, cf. A. Goulon, « Quelle connaissance Lactance avait-il du De rerum natura ? », art. cit., p. 218. 284 Pour la liste des références, cf. ibid. p. 247-248 et les notes de la présente édition. 285 Cf. Lact. Opif. 3, 3. 286 Sur ce thème, cf. A. Goulon, « Le malheur de l’homme à la naissance. Un thème antique chez quelques pères de l’Église », Revue des Études Augustiniennes 18 (1972), p. 11-26 ; B. Rochette, « Nudus…infans… à propos de Lucrèce, V, 222-227 », Les Études Classiques 60 (1992), p. 69-73. 287 Cf. Lucr. V, 1292 : omnia cedebant armatis nuda et inermia. 288 L’enfant est seulement dit nudus, indigus omni uitali auxilio, cf. Lucr. V, 223-224.
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point de vue général, mais souligne la domination exercée par ceux qui ont acquis la maîtrise du bronze. La réminiscence est par conséquent tirée de son contexte pour être appliquée à une autre thématique, qu’elle résume du reste parfaitement. De même, Lactance emprunte probablement à Lucrèce les images évoquant la pluie, le lait maternel et le sommeil289, en prenant soin de rompre leur structure métrique pour les transcrire en prose290. Mais la réécriture aboutit souvent à un retournement de sens. Ainsi, les éléphants, désignés par la même expression, boues lucae, que chez Lucrèce, illustraient-ils dans le De rerum natura la folie meurtrière des hommes, qui font sur les champs de bataille un usage contre nature des animaux. Leur asservissement devient aux yeux de Lactance une compensation à la faiblesse de l’homme et le signe de sa domination sur la création291. Ce type de distorsion comporte des enjeux polémiques évidents lorsqu’elle est mise en œuvre à propos d’une citation littérale, volontairement utilisée à contresens, comme on le voit au chapitre 19, où Lactance recourt malicieusement à deux vers lucrétiens pour louer la puissance divine292 . Mais les jeux d’intertextualité sont particulièrement présents dans la polémique anti-épicurienne. Ainsi Lactance n’hésite-t-il pas à mettre à profit, pour réfuter les arguments anti-providentialistes des épicuriens, …une réminiscence lexicale lucrétienne liée à l’idée de lactation spontanée, mais issue d’un autre passage du poème traitant d’un tout autre sujet293. Le décalage de cette référence à contre emploi illustre le dialogue que Lactance entretient avec ses prédécesseurs latins et le travail de réécriture auquel il se livre. Concernant l’influence de Varron, il est difficile de trancher en raison de la disparition d’une grande partie de son œuvre. Lactance mentionne en 289
Cf. Lact. Opif. 11, 1 ; 12, 18 ; 18, 5. Sur les modifications apportées aux citations et leur transcription en prose, cf. A. Goulon, « Les citations des poètes latins dans l’œuvre de Lactance », art. cit., p. 124-134. 291 Cf. Lucr. V, 1302 et 1339 et Lact. Opif. 3, 18 et 5, 12. 292 Cf. Lact. Opif. 19, 3. Ce procédé n’est pas sans rapport avec le passage paradoxal des Institutions, où Lactance applique au Christ, presque mot pour mot, un éloge de Lucrèce à Épicure, cf. Inst. VII, 27, 5-6. Pour un commentaire de cette citation, cf. R. P. M. Testard, « Épicure et Jésus-Christ », art. cit., p. 200-218. 293 Cf. Lact. Opif. 3, 6 et Lucr. I, 258-259 : évocation du perpétuel renouvellement de la vie et des saisons dans le cadre de la démonstration des principes atomistes. 290
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effet son nom à huit reprises dans le De opificio en relation avec des questions étymologiques294 et embryologiques295, sans qu’il soit possible de déterminer avec certitude à quel ouvrage il se réfère. Certains indices permettent néanmoins de formuler quelques hypothèses. Lactance précise notamment que l’étymologie de caput est tirée d’un ouvrage dont Cicéron est le dédicataire296. De plus, l’étymologie de uir, bien qu’elle ne soit pas directement imputée à Varron, précède celle de mulier, qui lui est explicitement attribuée. Or cette étymologie de uir est attestée au livre V du De lingua Latina297. En dépit du scepticisme affiché par S. Brandt298, on peut donc raisonnablement en déduire avec L. Rossetti299 que Lactance connaissait le De lingua Latina, ce qui au demeurant ne serait guère étonnant de la part d’un professeur de rhétorique, et qu’il a puisé, sinon toutes ses étymologies, du moins une partie d’entre elles dans ce traité de grammaire. La référence ayant trait à la conception demeure plus délicate : les critiques mettent ce passage en relation avec un traité perdu de Varron, mentionné par le grammairien Censorinus dans son De die natali300 et intitulé Loghistoricus, ou encore Tubero, de origine humana. Mais il est difficile de déterminer si Lactance disposait de cet ouvrage ou s’il le cite de manière indirecte, peut-être par l’intermédiaire de Censorinus ou d’un manuel doxographique. Quoi qu’il en soit, les références à Varron semblent avant tout techniques : Lactance recourt ponctuellement à son autorité en matière scientifique, mais la remet cependant en cause en ce qui concerne la définition de l’âme et l’étymologie du mot rein301. Le cas de Virgile enfin est encore différent, dans la mesure où il échappe aux enjeux polémiques. Lactance, comme tous ses contemporains cultivés, connaît l’œuvre de Virgile dans sa totalité, même si l’on ne peut exclure l’uti294
Cf. Lact. Opif. 5, 6 (étymologie de caput) ; 8, 6 (étymologie de frons) ; 10, 1 (étymologie d’oculus) ; 10, 16 (étymologie de lingua) ; 12, 16-17 (étymologies de mulier et uir) ; 14, 3 (étymologie de rien) ; 17, 5 (définition d’anima). 295 Cf. Lact. Opif. 12, 6 : explication de la conception. 296 Cf. Lact. Opif. 5, 6 : ut quidem Varro ad Ciceronem scribit. 297 Cf. Varr. L. V, 73 : uirtus ut uiri uis a uirilitate. 298 Cf. S. Brandt, « Über die Quellen… », art. cit., p. 259-270. 299 Cf. L. Rossetti, « Il De opificio Dei di Lattanzio e sue fonti », art. cit., p. 151-173. 300 Cf. Cens. 9, 1-2. 301 Cf. Lact. Opif. 17, 6 : haec apertissime falsa sunt ; 14, 3. Cf. M. Perrin, L’homme antique et chrétien, op. cit., p. 144 et 149.
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lisation conjointe d’anthologies. Il éprouve une grande sympathie pour Virgile, qu’il appellera nostrorum primus Maro dans les Institutions divines302 . En tant que poète, Virgile se voit en effet accorder un crédit supérieur à celui des philosophes car son témoignage sur les dieux comporte une part de vérité303. Aussi n’est-il pas surprenant que le De opificio comporte quatre références à l’Énéide, utilisées très librement, voire retranscrites en prose : – Opif. 1, 4 : mens sibi conscia recti (= Verg. Én. I, 604), déjà repris par Ovide (Fastes, IV, 311) ; – Opif. 1, 6 : repetens iterum[que] iterumque monebo (= Én. III, 436), déjà repris par Quintilien (II, 13, 8) ; – Opif. 8, 8 : uocemque his auribus hausi (= Én. IV, 359), déjà repris Ovide (Met. XIII, 787 et XIV, 309) et Stace (Theb. X, 771). – Opif. 18, 11, paraphrase de Én. VI, 893. Il faut noter que les hémistiches cités par Lactance correspondent à des formules bien connues et déjà reprises dans la tradition littéraire. C’est pourquoi, quelle que soit l’influence exercée par les exégèses néoplatoniciennes de l’Énéide sur les auteurs chrétiens304, il s’agit moins dans le De opificio de retrouver les idées religieuses de Virgile que de faire servir sa poésie à des fins stylistiques. À titre de conclusion, il importe de souligner l’importance et la diversité des réminiscences littéraires qui affleurent dans le De opificio Dei. Si la culture de Lactance est essentiellement latine, notre auteur embrasse à travers elle l’ensemble de la littérature antique et se livre à un travail de réélaboration, qui accorde une grande place à la citation et à la paraphrase. Loin cependant de se cantonner à une imitation passive ou à des allusions gratuites, Lactance entretient un vivant dialogue avec ses prédécesseurs et propose une nouvelle
302 Cf. Lact. Inst. I, 5, 11-12. Sur la signification de cette expression, cf. E. Heck, « Lactanz und die Klassiker. Zur Theorie und Praxis der Verwendung heidnischer Literatur in christlicher Apologetik bei Lactanz », art. cit., p. 172 et V. Buchheit, « Laktanz und seine testimoniae ueritatis », art. cit., p. 311-312. 303 A. Goulon, « Lactance et les classiques », art. cit., p. 33-35. 304 Cf. P. Courcelle, Lecteurs païens et lecteurs chrétiens de l’Énéide, Paris, Mémoires de l’Académie des Inscription et Belles Lettres, tome IV, 1982, p. 733 ; J. M. Ziolkowski & M. C. J. Putnam, The Virgilian Tradition. The First Fifteen Hundred Years, New Haven & London, Yale University Press, 2008.
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interprétation du patrimoine culturel classique. Il ne faut pas non plus sousestimer l’impact des doxographies, car, comme l’écrit A. J. Festugière, « la culture philosophique et littéraire des apologètes, comme la plupart de leurs contemporains, consiste surtout en τόποι et en δόξαι prises à des florilèges »305. Enfin, la culture de Lactance doit beaucoup à son maître Arnobe. Or on sait l’influence profonde que Lucrèce a exercée sur le professeur africain ; celui-ci, à son tour, aura formé ses élèves à la lecture approfondie du De rerum natura, d’où, sans doute, les multiples réminiscences lucrétiennes qui se lisent dans le De opificio Dei. Il en est de même pour Cicéron, dont Arnobe utilise spécialement le livre I du De natura deorum dans ses attaques contre le polythéisme aux livres 3 et 4 de son Aduersus nationes. C’est pourquoi il convient de prendre en compte l’influence d’Arnobe dans le cadre de l’héritage africain. L’héritage africain La culture chrétienne, on le sait, occupe peu de place dans le De opificio. En revanche, Lactance connaît les apologistes latins d’origine africaine, Tertullien, Minucius Felix et Cyprien, dont il cite les noms dans les Institutions divines306. Si des parallèles entre Tertullien et notre auteur sont possibles dans les chapitres du De opificio sur l’âme, comme le soulignent nos notes, Cyprien ne paraît pas autrement connu de Lactance au moment où il écrit le De opificio. Il se peut néanmoins qu’il ait emprunté à ces auteurs le terme de sacramentum307. Même si elle ne peut être prouvée de manière irréfutable, l’influence de l’Africain Minucius Félix ne doit pas être exclue, puisque Lactance lui-même évoque l’ouvrage apologétique de cet avocat du IIIe siècle, converti au christianisme308 :
305
Cf. A. J. Festugière, « Arnobiana », Vigiliae Christianae 6 (1952), p. 208-254. Cf. Inst. V, 1, 22. 307 Cf. Lact. Opif. 19, 9 et Tert. Praescr. 40 ; Cypr. Ep. 72, 1. Sur le terme sacramentum, cf. Chr. Mohrmann, « Quelques observations sur ‘sacramentum’ chez Tertullien », in Romanitas et Christianitas, Amsterdam & Londres, 1973, p. 233-242. 308 Pour une mise au point bibliographique et biographique concernant cet apologiste chrétien, cf. J.-C. Fredouille, « Minucius Felix », in Dictionnaire des Philosophes Antiques - dir. 306
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Ex iis qui mihi noti sunt Minucius Felix non ignorabilis inter causidicos loci fuit. Huius liber, cui Octauio titulus est, declarat quam idoneus ueritatis assertor esse potuisset, si se totum ad id studium contulisset 309 (Inst. V, 1, 22).
Dans la controverse mettant aux prises le chrétien Octavius et son adversaire Cécilius, Minucius, qui s’est attribué au sein du dialogue le rôle d’arbitre, place la discussion sur le terrain du rationalisme philosophique. S’adressant à l’élite romaine cultivée par la bouche d’Octavius, il s’efforce de lutter avec les armes de la philosophie310 contre les arguments sceptiques avancés par les détracteurs du christianisme et de réfuter les reproches communément adressés aux chrétiens. Or Lactance insiste, lui aussi, à la fin du De opificio, sur la nécessité de lutter contre les philosophes avec les armes tirées de leur dissensus311. Outre ce point commun d’ordre méthodologique, les deux ouvrages suggèrent des rapprochements thématiques. Ainsi, à la cosmologie mécaniste défendue par Cécilius312 , Octavius oppose une conception finaliste du monde et de l’homme. S’inspirant, comme le fera Lactance, de l’exposé téléologique de Balbus dans le De natura deorum cicéronien, le chrétien, afin d’établir l’existence de Dieu et de la Providence, vante l’harmonie qui règne dans le monde et en particulier la beauté de la forme humaine : Ipsa praecipue formae nostrae pulchritudo deum fatetur artificem : status rigidus, uultus erectus, oculi in summo uelut in specula constituti et omnes ceteri sensibus uelut in arce compositi313 (Minuc. 17, 11).
Il est bien évident que les thèmes du status rectus et de la tête/citadelle ne sont pas l’apanage du seul Minucius Félix. Cependant, les quelques lignes auxquelles se borne l’apologiste par souci de brièveté offrent pour ainsi dire
R. Goulet, tome IV, Paris, 2005, p. 525-228. 309 « Parmi ceux que je connais, Minucius Félix a tenu un certain rang comme avocat. Son livre intitulé Octavius montre combien il aurait pu être un excellent apologiste de la vérité, s’il s’était totalement adonné à cette tâche » - trad. P. Monat. 310 Cf. Minuc. 39 : et argumentis et exemplis et lectionum auctoritatibus adornasset et quod maleuolos isdem illis, quibus armantur, philosophorum telis retudisset …. 311 Cf. Minuc. 20, 3. 312 Cf. Minuc. 5, 6-9. 313 « C’est surtout la beauté même de notre forme qui manifeste un Dieu artisan : la posture verticale, le visage levé, les yeux placés au sommet du corps comme un observatoire et tous les autres organes des sens rassemblés comme dans une citadelle » - trad. J. Beaujeu, Paris, (1964) 2002.
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une synopsis du projet lactancien. Par conséquent, il n’est pas impossible que Lactance ait pu trouver chez son prédécesseur l’idée de défendre et d’illustrer la foi chrétienne au moyen du finalisme stoïcien en relation avec le corps humain. Plusieurs parallèles thématiques permettent de confirmer cette hypothèse : comme Lactance, Minucius évoque les défenses naturelles dont les différentes espèces animales sont pourvues314, souligne la beauté et l’utilité qui caractérisent les différentes parties du corps315, s’extasie sur le mécanisme de la reproduction et de la lactation316 et enfin admire la diversité des formes élaborées à partir d’un modèle unique317. On ne saurait déduire de ces rapprochements une influence prépondérante de Minucius Félix sur Lactance car la communauté thématique provient en grande partie de l’utilisation d’une source commune, à savoir Cicéron318. En revanche, il n’est pas improbable que la lecture de l’Octauius ait servi de catalyseur à l’entreprise lactancienne. Avec le Carthaginois Tertullien, en dépit des parallèles relevés dans les chapitres sur l’âme, les points de contact sont plus difficiles à établir319. Lactance, qui formule dans les Institutions Divines un jugement nuancé sur l’apologiste320, ne se réfère pas explicitement à son De anima dans les chapitres 16 à 19 du De opificio Dei consacrés à la place, à la nature et à l’origine de l’âme321. Cependant, même si par ailleurs l’influence de ce traité reste assez limitée322 , le silence de Lactance n’implique pas obligatoirement qu’il en ait ignoré l’existence. Son attitude est peut-être liée à des motifs d’ordre stratégique : étant donné que Lactance se trouve la plupart du temps en désaccord avec son prédécesseur, il eût été de fort mauvaise politique de faire apparaître des divergences entre chrétiens sur une question aussi déterminante d’un point de vue 314
Cf. Minuc. 17, 10 et Lact. Opif. 2, 3-4. Cf. Minuc. 18, 1 et Lact. Opif. 5, 11. 316 Cf. Minuc. 18, 2 et Lact. Opif. 12, 15 et 17-18. 317 Cf. Minuc. 18, 1 et Lact. Opif. 5, 3 et 13. 318 Sur les sources de l’Octauius, cf. Chr. Ingremeau, « Minucius et ses sources : le travail de l’écrivain », Revue des Études Augustiniennes 45 (1999), p. 3-20. 319 Cf. Lact. Opif. - éd. M. Perrin, p. 62. 320 Cf. Lact. Inst. VI, 1, 23. 321 Cf. M. Perrin, L’homme antique et chrétien, op. cit., p. 237-246, 255-259, 309-312. 322 Cf. J. H. Waszink, Quinti Septimi Florentis Tertulliani De anima, Amsterdam, 1947, p. 48. 315
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anthropologique et religieux. Aussi n’est-il pas surprenant que Lactance évite toute polémique à l’égard de Tertullien afin de ne pas afficher les dissensions qu’il reproche précisément aux philosophes. De fait, Lactance s’écarte de Tertullien sur les points essentiels : celui-ci place en effet la partie directrice de l’âme dans la poitrine323 alors que Lactance semble opter pour une localisation dans le cerveau324. Opposition plus sérieuse : Tertullien soutient longuement la thèse d’origine stoïcienne selon laquelle l’âme est de nature corporelle325, alors que Lactance insiste sur son caractère incorporel326. Enfin, concernant l’origine de l’âme, si Lactance partage avec Tertullien le point de vue selon lequel l’âme ne se forme pas à la naissance mais au moment de la conception, en revanche, il rejette le « traducianisme » de son prédécesseur, pour qui « l’âme est matériellement transmise avec le sperme »327. Pour Lactance au contraire, qui se rattache à la thèse « créatianiste », la semence humaine ne peut être à l’origine d’un principe incorporel et seul Dieu peut semer les âmes328.
323
Cf. Tert. An. 15, 1-6 et le commentaire de M. Spanneut, Le stoïcisme des pères de l’Église, Paris, 1957, p. 159. 324 Cf. Lact. Opif. 16, 4-6. 325 Cf. Tert. An. cc. 5-9. La corporalité de l’âme est une thèse récurrente chez Tertullien, cf. M. Spanneut, Le stoïcisme des pères de l’Église, op. cit., p. 162. 326 Cf. Lact. Opif. 16, 11. 327 Cf. Tert. An. 27, 1-9 et commentaire p. 342-353. Concernant l’origine de l’âme, deux thèses s’opposaient au sein du christianisme ancien : « Dieu crée à neuf chaque âme pour chaque corps ; le géniteur humain transmet l’âme en concevant le corps, Dieu créant bien entendu l’un et l’autre à titre de cause première ». Cette antithèse est exprimée au moyen de deux néologismes formés au XIXe siècle : créatianisme et traducianisme, cf. D. Bertrand, « Origine de l’âme et animation du corps humain », in Les pères de l’Église face à la science médicale de leur temps - éds. V. Boudon-Millot & B. Pouderon, Paris, Beauchesne, 2005, p. 299-320 [p. 300]. Concernant l’embryologie des pères de l’Église, voir aussi M.-H. Congourdeau, L’embryon et son âme dans les sources grecques (VIe siècle av. J.-C.-Ve siècle apr. J.-C.), Paris, Collège de France – CNRS, 2007, p. 300-305 ; 314-329 et B. Pouderon, « L’influence d’Aristote dans la doctrine de la procréation des premiers Pères et ses implications théologiques », in L’embryon, Formation et animation. Antiquité grecque et latine, traditions hébraïque, chrétienne et islamique – éds. L. Brisson, M.-H. Congourdeau & J.-L. Solère, Paris, Vrin, 2008, p. 157-183. 328 Cf. Lact. Opif. 19, 1-5.
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Quelles que soient ces divergences, il faut noter que les arguments de Tertullien ne semblent pas pris en compte dans le De opificio. Ainsi l’apologiste insistait sur le caractère corporel de l’âme en se référant au matérialisme des stoïciens, qui assimilent l’âme à un souffle329 ; il avançait à l’appui de sa thèse des arguments attribués à Zénon, Cléanthe et Chrysippe : départ de l’âme au moment de la mort, traits de caractère communs aux parents et aux enfants, maladies qui touchent l’âme, arguments qui montrent que l’âme est un corps330. De son côté, Lactance mentionne cette théorie pour ainsi dire en passant sans l’attribuer nommément aux stoïciens, mais en l’associant à une définition varronienne331. De plus, il ne discute pas les arguments rapportés par Tertullien, mais réfute la théorie du souffle en arguant simplement du fait que l’âme préexiste à la naissance et à la première inspiration332 , ce dont Tertullien du reste ne disconvenait pas. Il nous semble pourtant que le De opificio comporte au moins une allusion polémique au « traducianisme » soutenu par Tertullien. Pour démontrer que l’âme et le corps naissent simultanément au moment de la conception, l’apologiste soutenait que la semence paternelle contient une substance corporelle - ex corporali substantia humor - et une substance psychique - ex animali (substantia) calor -, qui transmet la matière de l’âme333. Il étayait son affirmation par un argument tiré de l’expérience : …in illo ipso uoluptatis ultimae aestu quo genitale uirus expellitur nonne aliquid de anima quoque sentimus exire… 334 (An. 27, 6) ?
329
Cf. Tert. An. 5, 2 : sed etiam Stoicos allego, qui spiritum praedicantes animam, paene nobiscum… corpus animam facile persuadebunt ; « Mais j’allègue aussi les stoïciens, qui en affirmant que l’âme est un souffle, presque comme nous, … démontreront facilement que l’âme est un corps ». 330 Cf. Tert. An. 5, 3-6. 331 Cf. Lact. Opif. 17,6. 332 Cf. Lact. Opif. 17, 5-8. 333 Cf. Tert. An. 27, 1-5 et les commentaires de M.-H. Congourdeau, L’embryon et son âme dans les sources grecques (VIe siècle av. J.-C.-Ve siècle apr. J.-C.), op. cit., p. 316-317. 334 « Dans ce mouvement d’ultime volupté par lequel le liquide séminal est expulsé, n’avonsnous pas le sentiment que quelque chose provient aussi de notre âme ? ».
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Or, pour Lactance, les hommes n’éprouvent rien de tel et cette impression en elle-même ne prouverait rien, car elle ne comporte aucun fondement rationnel : Nec putari pater debet qui transfudisse aut inspirasse animam de sua nullo modo sentit, nec si sentiat, quando tamen aut quomodo id fiat habet animo comprehensum335 (19, 3).
De même, par opposition à Tertullien, Lactance insiste un peu plus loin sur la nature matérielle de la semence, définie de manière univoque comme umor corporis in quo est materia nascendi. Il semble par conséquent que ces lignes présentent une critique larvée de la théorie défendue par Tertullien. On ne peut néanmoins se fonder sur ce rapprochement pour démontrer que Lactance a utilisé directement le De anima, dans la mesure où Tertullien ne fait lui-même que reprendre ou critiquer les théories antérieures336. En revanche, l’auteur du De opificio n’ignorait probablement pas les principaux traits de la psychologie de Tertullien. Son objectif n’étant pas d’écrire un traité sur l’âme, mais de mettre en évidence la grandeur des œuvres divines, il a été conduit à rejeter la conception « traducianiste » de son prédécesseur, d’une part parce qu’elle limitait le rôle de Dieu dans la génération et d’autre part parce qu’elle dévalorisait l’âme humaine en la réduisant à un principe corporel. Quant à Arnobe, s’il n’est pas cité, c’est vraisemblablement que Lactance n’a jamais connu son Aduersus nationes, écrit en Afrique dans les années 303-310337. Mais on sait déjà la dette culturelle que l’élève a contractée à l’égard de son maître. Malgré la fragilité de sa culture chrétienne, notre auteur n’en commence pas moins à développer une réflexion personnelle qui sera centrale dans son œuvre : c’est la nécessité du combat de la vertu et de la vérité contre leurs ennemis, pour leur propre survie. Le caractère indissociable des couples contraires et leur nécessaire solidarité ontologique sont ample-
335 « On ne doit pas considérer comme père celui qui n’a en aucune façon le sentiment d’avoir transfusé ou insufflé une âme issue de la sienne et qui, même s’il en a le sentiment, ne comprend cependant ni quand ni comment cela se produit ». 336 Sur les sources du De anima, cf. Tert. An. - éd. J. H. Waszink, p. 21-47. 337 Comme le résume judicieusement A. Wlosok (« Arnobe », p. 418), « les références tacites trouvées chez Lactance dans Opif. et Inst.… ou bien encore la polémique à son égard… sont exclues pour des raisons de chronologie ».
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ment soulignés par Lactance, et, dès ce premier écrit, la militia Christiana n’est pas une simple image : elle métaphorise la tension de l’homme, sa lutte pour vaincre les démons et obtenir la vie éternelle. Cette théologie « binitaire » ou dualiste, bien qu’enveloppée dans un ensemble moniste, est déjà révolue à son époque. En revanche, la conception de l’âme développée aux chapitres 16 et suivants apparaît novatrice et inscrit l’opuscule dans l’histoire de la spiritualisation progressive de cette notion, mouvement amorcé, on le voit, bien avant saint Augustin338. Enfin, les démons qui, pour les chrétiens, sont les dieux du paganisme, jouent, chez Lactance, un véritable rôle politique, assimilés aux antichrétiens, c’est-à-dire aux persécuteurs : Nam ille conluctator et aduersarius noster scis quam sit astutus et idem saepe uiolentus, sicuti nunc uidemus339 (1, 7).
Ainsi s’élabore chez Lactance une pensée originale, qui fait peu de cas de la tradition apologétique mais construit une espèce de théologie politique. Bref, sa dette manifeste et avouée à l’égard de l’héritage classique, mais aussi sa dépendance à l’égard de ses prédécesseurs immédiats, n’induisent pas pour autant, de la part de Lactance, un asservissement inconditionnel à ses modèles. Le De opificio Dei, par le traitement et l’organisation de la matière comme par l’expression d’idées personnelles, ne saurait être saisi de façon univoque et, pour bref qu’il soit, cet ouvrage est riche de sens et porte en germe les grands thèmes que l’auteur développera dans ses œuvres postérieures.
338 Cf. Fr. Masai, « Les conversions de Saint Augustin et les débuts du spiritualisme en Occident », Le Moyen Âge 67 (1991), p. 1-40. 339 « Cet adversaire en effet, et notre ennemi, tu sais combien il est rusé et souvent violent, comme nous le voyons maintenant », cf. note ad loc.
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L’ADDITION AU CHAPITRE 19 Son authenticité Le passage dualiste du c. 19 est un des trois longs « ajouts » – les deux autres se trouvant dans les Institutions divines et l’Épitomé aux Institutions – qui, joints aux dédicaces à Constantin, n’apparaissent que dans une branche de la tradition manuscrite : pour l’addition qui nous occupe, elle n’est offerte que par le manuscrit BNF 1662. Dans les Institutions divines, deux additions, qualifiées, comme celle du premier opuscule, de « dualistes »340, ont fait l’objet, avec les deux dédicaces à l’empereur Constantin qu’on trouve dans la même version longue, d’hypothèses contradictoires de la part des critiques : pour S. Brandt (1890), ce sont des interpolations qui ne sont pas de Lactance. Si les autres ne mettent pas en doute l’authenticité des quatre passages, ils adoptent une chronologie différente : soit ils ont été supprimés dans une seconde version de l’œuvre revue et corrigée (Emonds, 1941), ou à la fin du IVe s. (Pichon, 1901), ou après 325/326 c’est-à-dire après la mort de Lactance (Wlosok, 1960), ou encore parce qu’ils étaient manichéens (Stevenson, 1955) ; soit ces mêmes passages ont été supprimés sous Constance, et les dédicaces ajoutées en revanche à la seconde version (Moreau, 1954)341 ; soit, au contraire, les quatre textes ont été ajoutés après l’Épitomé (Heck, 1970), hypothèse également adoptée par M. Perrin (1974). Enfin, pour l’Épitomé, l’authenticité du chapitre 24, que S. Brandt reproduit pourtant à pleine page dans son édition des Œuvres de Lactance, a été contestée en particulier par P. Nau-
340 341
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Cf. A. Wlosok, « Lactance », art. cit., p. 436. Cf. de même, pour les dédicaces, A. Wlosok, « Lactance », p. 443.
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tin342 , sans doute du fait de son caractère encore une fois dualiste, tandis que M. Perrin rejette l’hypothèse de l’interpolation343. Pour l’ensemble des textes lactanciens concernés, E. Heck a montré de façon définitive que la version longue, postérieure à la version brève, en constituait une retractatio344. Effectivement, la question de l’authenticité du « passage dualiste » du De opificio Dei ne saurait trouver de solution que dans le cadre d’une réponse globale. Un certain nombre d’éléments plaident en faveur de l’authenticité des additions : c’est d’abord le goût de Lactance pour la relecture de ses textes, comme on peut le voir pour l’Épitomé, qui ne se réduit pas à un simple résumé des Institutions mais en constitue une seconde édition revue et corrigée. C’est également la cohérence sémantique de toutes les additions qui insistent sur le combat nécessaire du chrétien contre le mal : les ajouts sont insérés dans des passages à forte tonalité parénétique, des passages où il est moins question d’éclairer des points obscurs que d’enseigner une doctrine. Ces insertions raisonnées expriment la même idée que le bien et le mal, ou l’ange et le démon, ont été suscités l’un et l’autre par Dieu, pour que ce soit par un combat, par une lutte que s’affirme la vertu dans l’homme, par sa victoire sur le vice. L’addition ne s’insère pas n’importe où ni n’importe comment, mais prend place dans un contexte déterminé : ainsi, dans le De opificio, l’ajout s’intègre entre deux occurrences du terme assez rare de sacramentum ; est-ce un hasard ? D’une façon générale, Lactance n’y introduit pas de nouvelles idées, mais revient de façon insistante sur des idées déjà exprimées dans la version courte de l’œuvre. Ces compléments au texte premier correspondent moins à une évolution de la pensée de l’auteur qu’à son approfondissement et à son infléchissement dans un sens plus politique : le rapport en effet que les additions entretiennent avec les dédicaces à l’empereur Constantin donne une clé de lecture plus politique que théologique. Pour Lactance, qui passe volontiers pour le « publi-
342
Cf. Lactance et son temps, p. 310, n. 1. Cf. M. Perrin, « À propos du chapitre 24 de l’“Épitomé” des “Institutions” de Lactance », Revue des Études Augustiniennes 27 (1981), p. 24-37 [p. 31-36]. 344 Cf. E. Heck, Die dualistischen Zusätze und die Kaiseranderen bei Lactantius, op. cit., p. 102. 343
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ciste » du prince345, le combat, exprimé de façon répétée, du bien contre le mal, du chrétien contre le démon, est assurément la condition nécessaire pour que l’individu acquière la vie éternelle, mais aussi pour que l’État, grâce à l’action de l’empereur chrétien Constantin, puisse chasser les persécuteurs. Le dualisme agonistique présente donc, dans les additions lactanciennes, des implications politiques : instrument de la victoire du Dieu des chrétiens, Constantin apparaît comme l’envoyé providentiel, délégué de Dieu sur terre, une espèce de nouveau Messie, chargé de faire advenir le royaume de Dieu et sa victoire sur le mal, quelles qu’en soient les formes, fait de lui un sauveur. Toutes les additions dualistes de Lactance nous paraissent donc authentiques et sans doute contemporaines des dédicaces à Constantin346. Son dualisme On a voulu voir, dans les « additions dualistes » la marque d’une influence gnostique, hermétique, voire manichéenne. Et il est vrai que l’Afrique de Lactance est particulièrement perméable à ces différentes croyances entre lesquelles il est parfois difficile de faire le départ. Manichéen, le dualisme lactancien ne saurait l’être : à aucun moment dans le De opificio Dei, on ne trouve le démon promu comme adversaire direct de Dieu. Quant à la gnose, c’est une connaissance révélée, qui a pour objet les mystères divins et est réservée à des élus. À ce titre, ce que nous lisons, en 19 bis, 2, correspond tout à fait à cette définition : Ante omnia diuersitatem uoluit esse ideoque uulgo non aperuit ueritatem, sed eam paucissimis reuelauit: quae diuersitas omne arcanum mundi continet 347.
Mais faut-il pour autant parler de gnosticisme ? car ce type de savoir se retrouve dans différents courants philosophiques tout autant que religieux. Le gnosticisme, en tant que mouvement religieux, naît en Asie Mineure au Ier 345
Cf. Fr. Heim, « Virtus chez Lactance », Augustinianum 36-2 (1996), p. 361-375. Cf. B. Bakhouche, « Pour en finir avec les “additions dualistes” », in Le De opificio Dei : Regards croisés sur l’anthropologie de Lactance, op. cit., p. 151-164. 347 « Avant tout, Il a voulu la diversité et pour cette raison Il n’a pas dévoilé la vérité à la foule, mais l’a révélée à un tout petit nombre car cette diversité contient tout le secret du monde ». 346
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s. de notre ère et connaît son floruit au siècle suivant. Dans ce cadre religieux, la gnose apparaît comme une connaissance qui s’intéresse à l’essence de l’homme, à son être spirituel. Transmise par un Sauveur, elle suffit à sauver ceux qui la reçoivent car la foi ne permet pas à elle seule d’assurer le salut de l’homme. Elle aurait pour origine une tradition secrète venant de Jésus et des apôtres, censée avoir été transmise dans des petits groupes d’initiés. Il n’est pas étonnant qu’Irénée de Lyon, au IIe siècle, ait violemment combattu une doctrine qui relevait pour lui de l’hérésie car elle réservait la révélation à quelques élus, s’opposant en cela à la théorie chrétienne du salut pour tous les hommes, pour ceux du moins qui veulent accueillir ce don divin. Quelles que soient les variantes d’un système à l’autre - car il y en a eu plusieurs -, le gnosticisme est essentiellement syncrétiste, combinant des éléments appartenant à différents courants de pensée, qui ont été ensuite christianisés de façon plus ou moins superficielle. Néanmoins, par delà les écarts doctrinaux liés à ces courants, le gnosticisme offre un fonds commun assez bien repérable : le monde gnostique est celui de la dualité, par l’opposition, dans le cosmos, entre le monde de la lumière et celui des ténèbres et, dans l’homme, entre l’âme et le corps, qui n’est là que pour recevoir l’âme, essence même de l’homme. Le gnostique sait qu’il est de nature purement pneumatique, qu’il est une étincelle divine tombée dans notre monde de ténèbres. Cette dévalorisation du corps est certes présente chez Lactance qui le qualifie volontiers de « vase d’argile » (1, 11 : uas… fictile) ou de « petit vase corporel » (5, 2 : ex… uasculo corporis). Une telle dépréciation de l’élément sensible apparaît déjà chez Platon, mais Lactance va plus loin en identifiant, dès le début (1, 11), l’homme même à son âme : Vas est enim quodammodo fictile quo animus, id est homo ipse uerus, continetur 348.
Notre monde ici-bas est un lieu de ténèbres, envahi qu’il est par les divinités infernales, les démons. Le dualisme fondamental de ce mouvement religieux s’étend même à la divinité, puisqu’au dieu créateur, au démiurge, est opposé le vrai Dieu, « Père de tout » ou « Père de la grandeur », le Dieu inconnaissable. C’est à partir de lui que se manifeste la plénitude de toutes
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« C’est en quelque sorte un vase d’argile qui contient l’âme, c’est-à-dire l’homme véritable ».
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choses, entendons le monde des éons, éléments spirituels qui émanent de Dieu et dont l’un d’eux – ou l’une de ses propres hypostases –, expulsé du plérome pour être tombé dans l’erreur, erre dans notre monde, qui est le monde de l’exil et où doit se purifier le pneuma. Or cette hiérarchie d’êtres et cette mythologie ne se retrouvent nulle part chez Lactance, ni dans le De opificio Dei ni ailleurs. En outre, l’expression réitérée de la perfection de la création s’oppose au pessimisme d’un monde déchu propre à la pensée gnostique. Notre auteur ne distingue pas davantage d’opposition entre un Dieu bon et un Dieu juste. Enfin, dans le De opificio, la révélation ne suffit pas au salut ; s’y ajoute nécessairement le combat de la vertu contre le mal pour permettre à l’homme d’accéder à la vie éternelle : Daturus ergo uirtutem dedit hostem prius qui animis hominum cupiditates et uitia inmitteret, qui esset auctor errorum malorumque omnium machinator, ut quoniam deus hominem ad uitam uocat, ille contra ut rapiat et traducat ad mortem349 (19bis, 4).
Ainsi, les points de contact avec le gnosticisme, dans le De opificio, peuvent se trouver déjà dans des textes chrétiens comme les Épîtres de Paul, mais aussi dans la tradition classique. Du reste, au IVe siècle, la gnose est déjà un phénomène ancien que l’Église a surmonté dès le IIe siècle, en commençant à formuler sa théologie à l’aide de concepts philosophiques. Même dans le cas d’Arnobe, qui pourtant défend un christianisme à la limite de l’hérésie gnostique, A. Wlosok rejette une quelconque influence de la pensée gnostique et opte pour un platonisme syncrétique et religieux 350. On peut appliquer la même conclusion à Lactance, à la nuance près que le platonisme d’Arnobe est plus teinté de scepticisme. Il faut de toute façon réduire considérablement, dans notre opuscule, l’influence gnostique, que A. Wlosok351 voyait à travers
349 « Comme Il allait donner la vertu, Il a donc donné auparavant un ennemi qui introduise les passions et les vices dans les âmes humaines, qui inspire les erreurs et tous les maux afin que, comme Dieu appelle l’homme à la vie, lui au contraire l’entraîne et le livre à la mort ». 350 § 569 « Arnobe », p. 424. 351 Cf. A. Wlosok, Laktanz und die philosophische Gnosis ; sur la gnose, cf. les essais de définition et les mises au point de P. Hadot, « Gnosticisme chrétien », in Encyclopaedia Universalis, vol. 10, 1995, p. 535-537 ; G. Filoramo, « Gnose – gnosticisme », in Diction-
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le traitement du status rectus et de la contemplatio caeli, et opter pour un métissage philosophico-mystique. L’hermétisme enfin occupe une grande place dans la culture des Africains : presque tous les écrivains chrétiens d’Afrique, de Tertullien à Quodvultdeus, font état d’Hermès et de ses écrits, en particulier de l’Asclepius. Ce courant de pensée peut présenter lui aussi, comme les textes gnostiques, un caractère nettement dualiste et pessimiste, dans la mesure où le monde est devenu « plénitude du mal » ; à côté de cela, on trouve une conception optimiste d’un monde qui, participant de la bonté de Dieu et dieu vivant luimême, permet à l’homme qui le contemple de rejoindre le dieu invisible. Cet éclectisme doctrinal - sur des points fondamentaux - montre bien qu’on a moins affaire à une authentique doctrine qu’à un ensemble de textes. L’hermétisme en effet renvoie à un corpus d’écrits d’époque hellénistique qui se présentent comme révélés par le dieu Hermès. Il n’y a donc pas d’unité formelle ou doctrinale dans ces traités adressés par Hermès soit à son fils Tat, soit à son disciple Asclépius, qui, à son tour, écrit à un troisième disciple, le roi Ammon, tandis qu’Hermès lui-même reçoit la révélation du Noûs, Intellect suprême. Certains de ces écrits traitent de médecine ou d’astrologie, et surtout de ce qu’on appellerait aujourd’hui des sciences occultes, comme la magie ou l’alchimie. L’Asclépius, dont Lactance connaissait le titre grec, λόγος τέλειος, qu’il traduisait en Sermo perfectus352 , offre une synthèse des différents topoi hermétiques dont certains se retrouvent dans le De opificio. Ce texte, qui se présente sous la forme d’un dialogue entre Hermès Trismégiste et Asclépius, présente, par delà une certaine hétérogénéité de surface, une unité à trouver dans l’enchaînement de thèmes traités in extenso ou simplement de façon allusive. Bien que divisé en quatorze sections dans l’édition de A. D. Nock et A.-J. Festugière, trois leitmotive le traversent : l’un et le tout ; Dieu, l’univers et l’homme ; révélation, piété et action de grâce353. Si la seconde partie, sur la cosmologie, nous intéresse moins ici, la première et la troisième, qui se réponnaire Encyclopédique du christianisme ancien I, 1990, p. 1061-1067 ; M. Sachot, L’invention du Christ, op. cit., p. 140-150. 352 Cf. Lact. Inst. IV, 6, 4 ; VI, 25, 11 et VII, 18, 3. 353 Herm.-Tr. II - éds. Nock-Festugière, Paris, 1945, p. 295.
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L’ADDITION AU CHAPITRE 19
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dent, offrent des échos avec le texte de Lactance : le Tout est un ; la vie y est continue et l’homme y occupe une position intermédiaire. Son intellect, qui le rend supérieur aux autres vivants, permet à l’homme d’atteindre à la connaissance du plan divin (cf. le thème du status rectus dans le De opificio). Mais cela n’est possible que pour un petit nombre d’élus (cf. cc. 7 et 22 // Opif. 19bis, 2). En tant qu’intermédiaire, l’homme, constitué de parties corporelles et de parties spirituelles (cf. Opif. 16-19), a pour fonction de prendre soin des choses terrestres, d’admirer les choses célestes et d’adorer Dieu. L’homme pieux est ramené, après sa mort, dans le monde divin auquel appartient déjà son âme (c. 11 // Opif. 19bis, 3-4). Une traduction latine de l’Asclépius, qui sera connue d’Augustin354, sera faite, toujours en Afrique, au IVe siècle. Ce dialogue présente des accents qu’un platonicien ne désavouerait pas et le glissement d’un registre de pensée à l’autre est facile : par exemple, au chapitre 2, 1 du De opificio Dei, la hiérarchie à trois éléments intellegentia… sensus et ratio peut également correspondre à la fois à la hiérarchie néoplatonicienne et à la tripartition hermétique qu’on trouve au c. 41 de l’Asclépius, quand Asclépius rend grâce en ces termes au Très-Haut : Gratias tibi summe, exsuperantissime ; tua enim gratia tantum sumus cognitionis tuae lumen consecuti, nomen sanctum et honorandum, nomen unum quo solus deus est benedicendus religione paterna, quoniam omnibus paternam pietatem et religionem et amorem et, quacumque est dulcior efficacia, praebere dignaris condonans nos sensu, ratione, intellegentia…355 (Ascl. 41).
En dernière analyse, les éléments qui ont pu être rapprochés de l’hermétisme africain sont tellement proches de la tradition platonicienne qu’à date ancienne, les manuscrits des Opera philosophica d’Apulée comportaient éga-
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Aug. C. D. VII, 23. « Nous te rendons grâces, Très-Haut, Toi qui surpasses infiniment toutes choses, car c’est par ta faveur que nous avons obtenu cette si grande lumière qui nous permet de te connaître, Nom saint et digne de révérence, Nom unique par lequel Dieu seul doit être béni selon la religion de nos pères, puisque tu daignes accorder à tous les êtres ton affection paternelle, tes soins vigilants, ton amour, et tout ce qu’il peut y avoir de vertu bienfaisante plus douce encore, en nous faisant cadeau de l’intellect, de la raison, de la connaissance… » - trad. A.-J. Festugière. 355
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lement le texte de l’Asclepius356 . Bref, la confrontation du texte lactancien avec les croyances dualistes chères aux Africains ne permet pas d’établir autre chose qu’une influence diffuse, une vague teinture et non une emprise qui contredirait l’optimisme providentialiste de l’opuscule.
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Cf. Apul. Op. - éd. J. Beaujeu, Paris, 1973, p. xxxv.
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LE STYLE DE LACTANCE DANS LE DE OPIFICIO DEI Le professeur Lactance met en œuvre, dans le De opificio Dei, sa maîtrise de la rhétorique et des ressources de la langue. L’abondance, la copia, est une des caractéristiques les plus visibles d’une prose dont il faut toujours se souvenir que c’est celle d’un professeur de rhétorique. C’est ainsi que les pages d’ouverture sont particulièrement travaillées sur le plan stylistique, ce qui est conforme à l’esthétique de ces parties du discours. Prenons la première phrase : Quam minime sim quietus etiam in summis necessitatibus, ex hoc libello poteris aestimare, quem ad te rudibus paene uerbis prout ingenii mediocritas tulit, Demetriane, perscripsi ut et cotidianum studium meum nosses et non deessem tibi praeceptor etiam nunc, sed honestioris rei meliorisque doctrinae357 (1,1).
Lactance connaît parfaitement la topique auctoriale qui consiste à multiplier, au seuil d’un ouvrage, les protestations d’indignité et d’insuffisance, dans une sorte de captatio beneuolentiae convenue. La mise en relief, en tête de phrase, de l’élément clé (continuité de l’activité de Lactance) est suivie par un jeu d’amplification sur la médiocrité littéraire du style (rudibus paene uerbis prout ingenii mediocritas), avant que ne soit affirmé le but que l’auteur assigne à son écrit, dans une proposition finale à trois côla de même ampleur et dont le parallélisme et l’opposition se lisent dans la succession et… et… sed… 357
« Tu pourras, Démétrianus, juger de mon activité, même dans les pires vicissitudes, à la lecture de ce petit livre, que j’ai écrit pour toi dans un style presque grossier et conforme à mon médiocre talent, afin de te faire connaître mes études quotidiennes et de te permettre de trouver encore en moi un professeur, mais qui t’enseigne maintenant une matière plus honorable et une meilleure doctrine ».
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Le topos de l’indignité de l’auteur est racheté par l’expressivité de la construction périodique et par la mise en relief, en tête de la phrase, du groupe important (quam minime sim quietus, où Lactance joue peut-être sur la polysémie de l’adjectif), tandis qu’un autre groupe expressif (honestioris rei meliorisque doctrinae) est réservé pour la fin. On voit déjà que les périodes « ont une véritable beauté architecturale par la grandeur de leurs proportions, par l’exacte subordination de l’accessoire à l’essentiel, par le rapport harmonieux des parties entre elles, par le mouvement régulier et continu »358. En opposition avec le sentiment de médiocrité reconnu dès le début, l’auteur du De opificio Dei (encore un paradoxe !) avoue plus loin vouloir compléter un développement cicéronien qui s’est poursuivi dans plusieurs écrits sans jamais atteindre l’exhaustivité : Sed quoniam nec ibi quidem satis expressit, adgrediar hoc munus et sumam mihi audaciter explicandum quod homo disertissimus paene omisit intactum359 (1, 14).
Cette tension entre la modestie avouée et l’ambition audacieuse du projet se donne à entendre ici par les allitérations en dentales. Par delà la rhétorique des préfaces, il est bien évident que le De opificio Dei se présente comme une leçon, comme un cours que le professeur donne à son ancien élève. La démarche pédagogique de l’auteur est incontestable : le propos est volontiers répétitif ou redondant, ainsi des chapitres 2 et 4 dont les titres mêmes données par M. Perrin360 sont suffisamment éloquents : (c. 2) « L’intelligence humaine compense les avantages accordés par Dieu aux animaux » et (c. 3) « L’homme est fragile parce qu’il est doué de raison ». La répétitivité peut être également un mode de démonstration, comme au c. 3, où la longue comparaison redondante de l’homme avec les oiseaux sert à invalider la thèse épicurienne d’une faiblesse réservée à l’homme seul. Un peu plus loin, la reprise de tous les groupes vivants pour insister sur le finalisme de la création induit un martèlement propre à faire effet sur le lecteur :
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R. Pichon, Lactance, op. cit., p. 323. « Mais, puisque là non plus il ne l’a pas suffisamment éclairci, je m’engagerai dans cette tâche et j’entreprendrai audacieusement de développer ce que cet homme plein d’éloquence a presque laissé de côté sans le traiter ». 360 Lact. Opif. - éd. M. Perrin, p. 113 et 117. 359
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Quid enim si dicas aues non ad uolandum esse natas neque feras ad saeuiendum neque pisces ad natandum neque homines ad sapiendum, cum appareat ei naturae officioque seruire animantes ad quod est quaeque generata ?361 (6, 11) ?
Les parallélismes de la construction, avec les homéotéleutes et les anaphores de ad et neque produisent une phrase fortement rythmée, qui dégage, de façon percutante, sous forme d’interrogation oratoire, les conclusions du développement. Ailleurs la reprise des groupes en parallèle se double d’une construction en chiasme comme en 3, 17 : Ita fit ut plus homini conferat ratio quam natura mutis, quoniam in illis neque magnitudo uirium neque firmitas corporis efficere potest quominus aut opprimantur a nobis aut nostrae subiecta sint potestati362 ,
où sont enchâssés deux entrecroisements: homini… mutis, in illis… a nobis et … a nobis aut nostrae…
La répétition synonymique est également une façon d’insister, par la reformulation chère aux professeurs, sur l’idée exprimée. C’est le cas, par exemple, en 3, 1 : Queruntur hominem nimis inbecillum et fragilem nasci quam cetera nascantur animalia : quae ut sunt edita ex utero, protinus in pedes suos erigi et gestire discursibus statimque aeri tolerando idonea esse, quod in lucem naturalibus indumentis munita processerint. Hominem contra nudum et inermem tamquam ex naufragio in huius uitae miserias proici et expelli, qui neque mouere se loco ubi effusus est possit nec alimentum lactis adpetere nec iniuriam temporis ferre 363.
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« Est-ce à dire en effet que les oiseaux ne sont pas nés pour voler, ni les bêtes sauvages pour être furieuses, ni les poissons pour nager, ni les hommes pour être doués d’intelligence, alors que manifestement les êtres vivants obéissent à la nature et à la fonction en vue desquelles chacun a été engendré ? » 362 « Par conséquent, la raison apporte plus à l’homme que la nature aux animaux, puisque leur grande vigueur et leur résistance physique ne peuvent les empêcher d’être écrasés par nous ou soumis à notre pouvoir ». 363 « Ils se plaignent de ce que l’homme naît plus faible et plus fragile que les autres animaux : ceux-ci, une fois sortis des flancs maternels, se dressent aussitôt sur leurs pattes, s’agitent en tous sens et sont immédiatement capables d’affronter le climat parce qu’ils sont venus au monde protégés par leurs enveloppes naturelles. L’homme, en revanche, est projeté et envoyé dans les
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La volonté pédagogique de l’auteur se lit également à travers l’emploi fréquent de comparaisons ou de métaphores364. À la différence du didactisme, qui simplifie les notions pour les rendre accessibles, l’utilisation d’images crée des complicités culturelles en jouant sur l’intertextualité. Si le procédé donne une clef pour comprendre l’abstrait ou l’inconnu par référence au concret et au connu, les métaphores employées par Lactance n’ont au demeurant rien d’original : le corps comparé à un vase d’argile ressortit à la tradition - à l’origine - platonicienne, de même que la tête assimilée à une citadelle365. Ailleurs, le jeu sur les préfixes révèle l’aspect très travaillé de la mise en texte, comme en 10, 16 à propos du travail de la langue : Habet praeterea et aliud officium, quo in omnibus, non tamen solo in mutis utitur, quod contritos et conmolitos dentibus cibos colligit et conglobatos ui sua deprimit et transmittit ad uentrem366.
Le préfixe est choisi à dessein pour insister, par-delà les homophonies ainsi créées, sur la façon dont la langue réunit les aliments pour les malaxer ensemble. Il ne s’agit donc pas d’« art pour l’art ». La rhétorique est mise au service de l’idée à exprimer, qu’elle soit relativement accessoire, comme cidessus, ou essentielle comme en 19, 10. En effet, avant le dernier chapitre, qui permet à Lactance de revenir à son destinataire, la fin du chapitre 19 (cf. 19, 10) constitue la vraie conclusion du traité, et nous y retrouvons, condensés dans une longue période à rythme binaire, les effets de parallélisme et d’opposition déjà relevés ailleurs : Qui si delicatus ac tener in hac uita fuerit quam ratio eius exposcit, si uirtute contempta desideriis se carnis addixerit, cadet et premetur in terram; si autem, ut debet,
malheurs de la vie ici-bas, nu et sans armes comme un naufragé, sans pouvoir quitter son lieu de naissance ni atteindre le lait nourricier ni supporter la rigueur du temps ». 364 Cf. 1, 11 : uas fictile ; 5, 4 : quasi carinam ; 7, 1 : tamquam retinaculis ; 7, 2 : quasi riuos ; 8, 3 : tamquam in arce sublimi ; 8, 7 : illis similia uasculis ; 8, 9 : tamquam in speculo refulgentes ; 9, 2 : tamquam fenestris ; 10, 4 : quasi aggeribus ; 10, 5 : in similitudinem collium ; 10, 8 : uelut pariete ; 10, 17 : tamquam testitudine ; quasi muro ; 10, 18 : sicut in molari lapide ; 10, 19 : quasi ualle ; 10, 21 : uelut mollibus iugis ; cf. R. Pichon, Lactance, op. cit., p. 315-317. 365 Cf. supra « Le De opificio Dei : une interpretatio culturelle », p. 43 sqq. 366 « Elle a en outre une autre fonction, dont tous font usage, et pas seulement les animaux : c’est de rassembler les aliments écrasés et broyés par les dents, de les mettre en boule, de les faire descendre par sa propre force et de les faire passer dans l’estomac ».
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statum suum quem rectum sortitus est, prompte constanterque defenderit, si terrae quam calcare debet ac uincere non seruierit, uitam merebitur sempiternam367.
La même structure syntaxique apparaît dans les deux côla : deux hypothétiques suivies d’une apodose au futur. L’opposition entre les deux (marquée par autem) se retrouve dans chacune des propositions : in hac uita ≠ statum… rectum se… addixerit ≠ non seruierit,
et, pour les propositions principales : cadet… in terram ≠ uitam… sempiternam.
La phrase illustre les choix offerts à l’homme : la terre ou le ciel et la vie éternelle. Les effets rhétoriques servent à opposer, à travers l’expression de la verticalité, les alternatives possibles : soit une attitude passive qui ravalera l’homme au rang de la bête (cf. premetur in terram), soit une attitude active de lutte qui doit le conduire à s’élever vers Dieu et à obtenir la vie éternelle. C’est bien la leçon dernière que Lactance veut adresser à Démétrianus : l’homme a le choix entre les deux routes. Toutes les ressources de la rhétorique sont donc mises en œuvre pour servir d’abord à l’expression des idées, ensuite seulement à leur enjolivement. Enfin, la prose de Lactance est aussi une prose métrique dont il respecte scrupuleusement les règles368. S. Casey a montré en effet que notre auteur observe le cursus accentuel dérivant des clausules quantitatives de la littérature classique, soit : crétique-trochée, double crétique, crétique-double trochée369. Étant donné que le découpage en chapitres est sans doute originel370,
367 « Celui qui se montre voluptueux et sensuel dans la vie que réclame la loi de son être, si, méprisant la vertu, il se voue aux plaisirs de la chair, il tombera et s’abattra sur terre ; si au contraire, comme il le doit, il défend avec empressement et constance la position droite qu’il a reçue, s’il n’est pas l’esclave de la terre qu’il doit fouler aux pieds et vaincre, il méritera la vie éternelle ». 368 R. Pichon, Lactance, op. cit., p. 324-332, offre une étude détaillée des clausules « régulières et irrégulières ». 369 S. Casey, « Clausulae et cursus chez Lactance », in Lactance et son temps, op. cit., p. 157166 (et discussion, p. 162-166). 370 Sur l’histoire du texte, cf. infra p. 105-109.
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il nous a paru suffisamment éclairant d’examiner, du point de vue métrique, toutes les fins de chapitres. Elles offrent toutes des clausules assez riches : péon 4e-crétique (1 : [intel]legere nobis licet ; 13 : [du]bia uel obscura sunt) ; péon 1er-crétique (2 : nunc agimus pertinet) ; péon 4e-spondée (3 : [ac]cipere detrectes ; 4 : loquimur quod uidemus ; 11 : [pa]tefecit emittat) ; crétique-trochée (7 : esset effectum ; 8 : luminum uisus ; 9 : nouit errorem ; 14 : [o]pus suum notum est ; 16 : [con]pacta torpebat ; 18 : [reuelati]one discamus) ; crétique-dichorée (6 : coepimus disseramus ; 17 : exprimi quam uideri ; 19 : [me]rebitur sempiternam) ; spondée-crétique (15 : nunc decurrimus) ; double crétique (20 : [cae] leste direxerit) ; dichorée (5 : impediret ; 10 : nutriatur ; 12 : explicemus). Ce sont des exemples faciles à trouver, mais qui ne sauraient que se multiplier à une lecture attentive de chacun des chapitres. Ainsi, le travail de la forme - qu’il s’agisse des périodes, des anaphores, polyptotes et autres jeux phoniques ou des clausules métriques - fait de la prose de Lactance une authentique prose d’art, bien digne de rivaliser avec ses maîtres, proches ou lointains.
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LA RÉCEPTION DU DE OPIFICIO DEI Pour l’ensemble de l’œuvre de Lactance, le très petit nombre de copies de l’Antiquité tardive ou de l’époque carolingienne, comparé au grand nombre de codices recentiores datant des XVe et XVIe siècles, montre l’engouement des hommes de la Renaissance pour un auteur dont la damnatio memoriae est sans doute longtemps restée liée à sa mise à l’index par le Decretum Gelasianum : opuscula Lactantii apocrypha (312). Assurément, si Pétrarque le loue comme uir et poetarum et philosophorum notitia et ciceroniana facundia… clarissimus, si Pic de la Mirandole le qualifie de Cicero Christianus, c’est à l’auteur des Institutions divines qu’ils s’adressent. En ce qui concerne le De opificio Dei, l’influence du texte est particulièrement difficile à évaluer. Son association quasi constante aux Institutions divines et au De ira peut d’ailleurs expliquer certains incipit, qui présentent l’opuscule comme « neuvième livre » (après les sept des Institutions et celui du De ira)371. Dans son édition, S. Brandt propose une recension systématique des échos que l’œuvre de Lactance a trouvés chez les auteurs postérieurs. Or, pour le texte qui nous intéresse, la moisson est bien pauvre : parmi les expilatores et testes, les « pilleurs et témoins », on ne trouve en effet que les noms de Rufin d’Aquilée, Prudence et Isidore de Séville. Le premier est en fait un témoignage indirect, extrait de l’Apologie contre Rufin de saint Jérôme : en deux passages, Jérôme prête à Rufin des références à Tertullien et Lactance pour les théories sur l’âme, mais rien ne dit qu’il ait eu une connaissance directe et précise des textes ; en tout cas celle-ci est infir-
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Cf. supra « Le titre », p. 29.
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mée par Jérôme (qui, lui, connaissait apparemment les chapitres sur l’âme dans le De opificio) : Scribis apud ecclesiasticos tractatores tres de animabus esse sententias : unam quam sequatur Origenes ; alteram quam Tertullianus et Lactantius, licet de Lactantio apertissime mentiaris ; tertiam quam nos, simplices et fatui homines…372 (Hier. Ruf. III, 3/479C).
De la même façon, en II, 8 (430B), Rufin se réfère à Tertullien « ou » Lactance pour l’idée que la fécondation concerne l’âme comme le corps : Legi quosdam dicentes quod pariter cum corpore per humani seminis traducem etiam anima diffundatur, et hoc quibus poterant adsertionibus confirmabant. Quod puto inter Latinos Tertullianum sensisse uel Lactantium, fortassis et alios nonnullos373.
nouvelle contre-vérité, car si le c. 14 du De opificio est consacré à la procréation, il n’y est point question de l’âme, et en 19, 2-4, Lactance insiste sur le fait que l’âme ne vient pas du père terrestre. En I, 31 (423D), Jérôme reproduit un vers de Virgile (Én. III, 436), que cite également Lactance en 1, 6 : on pourrait penser que le premier emprunte directement au poète épique sa référence, et pourtant nous ne lisons pas repetens iterumque iterumque monebo comme dans l’épopée, mais la version « boiteuse » qu’on trouve dans le De opificio : repetens iterum iterumque monebo, signe vraisemblable d’une dépendance de Jérôme à l’égard de Lactance : celui que nous avons appelé le premier biographe de Lactance est sans doute aussi le premier lecteur avéré du De opificio Dei. Et le Contre Rufin montre à l’évidence que Jérôme était meilleur connaisseur de Lactance que son adversaire Rufin.
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« Tu écris qu’il y a chez les auteurs ecclésiastiques trois points de vue au sujet des âmes. L’un serait adopté par Origène, le deuxième par Tertullien et Lactance – encore qu’à propos de Lactance il soit flagrant que tu mentes –, le troisième par nous, gens simples et bornés… » - trad. P. Lardet. 373 « J’en ai lu qui disent que la fécondation humaine est l’agent de propagation tout aussi bien de l’âme que du corps, et ils appuyaient leur position sur les arguments qu’ils pouvaient. Parmi les Latins, je pense que ce fut le sentiment de Tertullien ou de Lactance, peut-être aussi de quelques autres » - trad. P. Lardet.
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Quant à Prudence, les échos entre son Hamartigénie et le De opificio sont pour le moins ténus. Assurément, si nous pouvons lire, aux vers 312-313 : Aut ideo spirant mediaque ex arce cerebri demittunt geminas sociata foramina nare….
il s’agit moins de réminiscences lactanciennes (16, 4 : … in arce corporis… ; 8, 3 : … (mens) in summo capite conlocata tamquam in arce sublimi… ; 10, 10 : … odoratio in duas nares…) - car le contexte, en plus, n’est pas le même - que d’expressions convenues issues de doxographies à coloration vaguement platonicienne. Isidore de Séville enfin, dans ses Differentiis et, plus souvent, dans le livre XI, 1 des Étymologies, est-il tributaire du De opificio de Lactance ? Rien de moins sûr, selon nous. Les parallèles ne prouvent pas l’utilisation directe par l’encyclopédiste de l’opuscule lactancien : c’est d’abord que, la perspective n’étant pas du tout la même, Isidore aura cherché des sources mieux adaptées à son dessein. En outre, la référence au corps humain, chez Lactance, est partielle et orientée, alors que l’encyclopédiste du VIe siècle s’intéresse à toutes les parties du corps. Les points de contact déjà relevés par S. Brandt, s’ils renvoient à Varron, peuvent ressortir tout simplement au domaine de l’école et donc être connus de tous. En dépit des parallèles relevés également par C. Magazzù374, les ressemblances restent lointaines et ne sont pas assez littérales pour être significatives. Tout au plus peut-on dire que Lactance et Isidore ont puisé à une même source ou une même tradition de vulgarisation médicale. Le peu de retentissement de l’œuvre est sans doute lié à sa forme atypique : sa tonalité anti-épicurienne dans un environnement de philosophie antique ne pouvait séduire les auteurs chrétiens, et le christianisme de l’auteur ne pouvait pas non plus attirer les non-chrétiens qui devenaient au demeurant de plus en plus rares. L’ambiguïté du genre constituait un autre handicap - ni traité authentique, ni véritable controverse -, et l’aspect protreptique n’était pas assez marqué dans le sens chrétien. Enfin, la démarche dialectique adop-
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Cf. C. Magazzu, « L’influsso del De opificio Dei di Lattanzio sul libro XI delle Etymologiae di Isidoro », Bolletino di Studi Latini 12 (1982), p. 247-250.
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tée dans le De opificio, qui met les concepts de la culture classique au service de la polémique, a sans doute contribué au désintérêt d’un lectorat qui avait trouvé d’autres modes de parénèse. Suite à l’avènement du christianisme, les attaques anti-épicuriennes n’avaient plus de raison d’être de sorte que l’opuscule s’est trouvé rapidement daté.
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L’HISTOIRE DU TEXTE Les manuscrits À la suite des travaux de S. Brandt dans son édition de l’œuvre de Lactance pour le corpus de Vienne (Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum)375 et de E. Heck 376, M. Perrin, pour les Sources Chrétiennes, écarte la masse des quelque 150 manuscrits recentiores377 et établit le texte du De opificio à partir des copies les plus anciennes. Dans ces copies, le texte du De opificio Dei – dans sa totalité ou sous forme fragmentaire – a été transmis soit avec les Institutions divines, l’Épitome et le De ira, soit avec les Institutions seules, soit tout seul : - le texte complet : B BOLOGNE, Biblioteca universitaria 701, parchemin, 29.5 x 25.5 cm. Manuscrit en onciales de la seconde moitié du Ve siècle378, écrit en Italie du Nord ou en Italie centrale. Anciennement, ce manuscrit se trouvait au 375
Lact. Opera - éds. S. Brandt & G. Laubmann (CSEL 19, 27), Vienne, 1890-1893. Cf. E. Heck, « Bemerkungen zum text von Laktanz De opificio Dei », Vigiliae Christianae 23 (1969), p. 273-292. 377 Pour la liste des manuscrits cf. PL, 1844, t. 6, col. 93-100 ; S. Brandt en décrit les plus importants, in Lact. Opera, op. cit., CSEL 19, p. xiii-lxxiv, et 27, p. vii-xv. 378 Dans l’édition Brandt (p. viii), ce codex est daté du VIe ou VIIe siècle, mais E. A. Lowe a corrigé cette datation et fait remonter les deux premières mains à la seconde moitié du Ve s. et au VIIe s. la troisième, que Brandt datait des XII-XIIIe s., cf. E. A. Lowe, Codices Latini Antiquiores (CLA) 3, Oxford, p. 280 et Lact. Opif. - éd. M. Perrin, (p. 63-64), qui ajoute : « Enfin, le Professeur Bernhard Bischoff, suivi par E. Heck et nous-même, pense que l’ensemble du manuscrit est du Ve siècle, B3 étant tout au plus du début du VIe s. ». 376
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monastère San Salvatore, avant d’être emporté en France en 1798. En 1815, il a été rapporté à Bologne par un émissaire du pape. De nombreuses erreurs ont été corrigées d’emblée par le copiste, et une seconde main a également ajouté des multiples corrections. Une troisième main (B3) a apporté à son tour un certain nombre de modifications orthographiques mais aussi des gloses qui ont fait croire à certains éditeurs qu’il s’agissait là de corrections faites à partir d’une meilleure copie voire de la version autographe379. Ce manuscrit contient toute l’œuvre de Lactance – à l’exception du De aue Phoenice : Fol. 1-221r, Institutiones Lactanti, Fol. 221v-246r, De ira diuina liber VIII, Fol. 246v-269r, De opificio diuino lib. VIIII, Fol. 269r-283, Epitomen (sic) libri septimi liber X. P PARIS, Bibliothèque Nationale de France 1662, parchemin, 32.4 x 25.3 cm. Ce manuscrit du troisième quart du IXe s. aurait été écrit à Corbie380. Le nom de son possesseur Claudii Puteani apparaît en haut du fol. 1. Ce manuscrit contient lui aussi toute l’œuvre de Lactance : Fol. 1-162v, Institutiones diuinae, Fol. 163r-179r, De ira diuina liber octauus, Fol. 179v-190r, De opificio di liber nonus (il manque les chapitres 4, 20 à 8, 15, mais c’est le plus ancien témoin du « passage dualiste » au chapitre 19), Fol. 191r-195r, De epitome liber decimus (des chapitres 51, 1 à 61, 6). V VALENCIENNES, Bibliothèque Municipale 133 (141), parchemin, 24.5 x 15 cm. Dans ce manuscrit du début du IXe s., le texte a été corrigé par deux mains très anciennes, auxquelles s’ajoute une troisième main du XVIIe siècle. Ce codex n’a encore jamais été utilisé par un éditeur, à l’exception d’Érasme. Le manuscrit ne contient, parmi les œuvres de Lactance que le De opificio Dei : Fol. 1-56, liber de opificio corporis humani.
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Cf. Lact. Opif. - éd. M. Perrin, p. 75. Cf. B. Bischoff, Mittelalterliche Studien 1 (1966), p. 58 Rem.
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- les fragments : F ORLÉANS, Bibliothèque Municipale 192 (169), parchemin, 23, 2 x 16, 8 cm. Ce manuscrit de la seconde moitié du Ve s.381 contient des feuillets provenant de différents volumes et réunis dans un carton par dom Chazal, qui les a annotés ; il s’agit des « fragments de Fleury-sur-Loire » (Fragmenta Floriacensia), comme on peut le lire au fol. 32 : Ex monasterii Sancti Benedicti Floriencensis supra Ligerim… : Fol. 40-41, de opificio Dei (c. 7, 3-8, 6 et c. 11, 11-12, 6). Trois manuscrits offrent le même fragment du De opificio Dei (c. 19, 1-8 posset adipisci, 20, 1-2 statum spectent) : H ROME, Bibliothèque Vaticane 161, parchemin, 1ère moitié du IXe s. Le premier quaternion ayant été détruit, le codex contient les Institutions à partir de I, 6, 5 et à la fin, au fol. 236, le fragment du De opificio Dei avec cette mention : de di opificio id est de ratione Firmiani Lactanti ad Demetrianum qu’on retrouve également dans les deux manuscrits suivants. M MONTPELLIER, Bibliothèque de l’École de Médecine 241, parchemin, IX-Xe s. A appartenu à P. Pithou, comme cela est indiqué en haut du fol. 1, et au monastère de Troyes, comme on peut le lire dans la marge inférieure de ce même premier folio : Ex libris Collegii Oratorii Trecensis. Codex jumeau du précédent. S PARIS, Bibliothèque Nationale de France 1664, parchemin, XIIe s. Ce codex offre les Institutions sur 182 folios et le fragment du De opificio Dei est inséré (fol. 180v-181r) après l’« addition dualiste » de Inst. VII, 27, 2. Ces manuscrits, que nous avons pu consulter grâce aux microfilms ou microfiches fournis par l’Institut de Recherche et d’Histoire du Texte382 , portent la trace de la division en chapitres qu’on retrouve dans les différentes 381
Cf. Lact. Opif. – éd. M. Perrin, p. 64 ; S. Brandt en revanche date ces fragments des VIVIIe siècles (CSEL 27, p. 2), tandis que L. Delisle les situe au IXe s. (Catalogue général des bibliothèques publiques, t. VII, 1889, p. 91-93). 382 Nous souhaitons adresser nos plus vifs remerciements à Nathalie Picque pour son aide attentive et discrète.
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éditions : dans celui de Paris par exemple, les mentions Cap 2, Cap 3… apparaissent dans les marges. En outre, certains débuts de phrase, en majuscule, correspondent au découpage en paragraphes des éditions modernes, mais cette distribution n’est pas aussi fine que celle des éditeurs : c’est ainsi qu’au chapitre 1 par exemple, les marques typographiques correspondent aux paragraphes 3, 6, 8, 9, 11, 12, 15 dans P et 3, 8, 15 dans B ; au chapitre suivant, sont marqués les paragraphes 2, 6, 10 dans P et 2, 10 dans B ; au chapitre 3, seuls les paragraphes 9, 18, 19 sont indiqués dans P et 18, 19 dans B, etc. Les éditions et les traductions L’engouement déjà noté pour l’œuvre de Lactance à la Renaissance explique le grand nombre d’éditions du texte, puisque les trois premières datent du XVe siècle et une trentaine d’autres du siècle suivant383. La première édition du seul De opificio Dei, généralement groupé aux Institutions, au De ira et parfois à l’Épitomé, est due, en 1529, à Érasme, qui est aussi le premier à utiliser le manuscrit 148 de Valenciennes. Trois éditions au XVIIe siècle et quatre au siècle suivant témoignent de la lecture continue du texte. Le XIXe siècle connaît deux autres éditions de notre texte, dont celle de S. Brandt et G. Laubmann : – L. Caeli Firmiani Lactanti De opificio Dei liber - éds. S. Brandt & G. Laubmann, in Lactanti Opera (CSEL 27), Vienne, F. Tempsky, 1890-1893.
Pour la première fois depuis longtemps, les recentiores qui brouillent la transmission sont écartés au profit du manuscrit de Valenciennes, mais M. Perrin juge hyper-critique la propension de S. Brandt à corriger le texte384. La première traduction française du De opificio Dei a été réalisée en 1837 par J. A. C. Buchon, dans Choix de monuments primitifs de l’Église chrétienne,
383 Selon R. Pichon, Lactance, op. cit., p. 452, n. 7, « le XVIe siècle n’a pas vu naître moins de 36 éditions de Lactance ». 384 Voir Lact. Opif. - éd. M. Perrin, p. 94-96 : M. Perrin annonçait une édition d’ensemble des œuvres de Lactance pour la collection Teubner, sous la houlette de A. Wlosok et E. Heck, mais il s’agit plutôt des seules Institutions divines, cf. Chr. Ingremeau, « Lactance », art. cit., p. 69-70.
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« belle infidèle » qui se fonde en outre sur un texte aujourd’hui périmé. À cela s’ajoutent, datant également de la fin du XIXe siècle, des traductions anglaise et allemande : - On the workmanship of God, in The Works of Lactantius 1 - trad. W. Fletcher (Ante-Nicene Christian Library, : translation of the writings of the Fathers down to A.D. 325, éds. Alexander Roberts & James Donaldson, t. 21-22, p. 49-911-22), : vol. II The works of Lactantius (On the workmanship of God, p. 49-91) - trad. William Fletcher D.D., Edimbourg, T. & T. ed. Clark, 1871, 18862 , d’après le texte de PL de Migne. - Gottes Schöpfung, in Des Luc. Cael. Firm. Lactantius Schriften - trad. A. Knappitsch & A. Hartl (Bibliothek der Kirchenväter, t. 36, p. 221-287), Munich-Kempten, Jos. Kösel, 1898, 19192 . L’édition de M. Perrin, en 1974, pour Sources Chrétiennes, est la première édition scientifique française : – Lactance, L’ouvrage du Dieu Créateur – éd. M. Perrin (Sources Chrétiennes 213-214), Paris, Les éditions du Cerf, 1974.
Après une riche introduction de plus de 100 pages, le texte latin, accompagné de sa traduction, est essentiellement établi sur le manuscrit 701 de Bologne et intègre, comme on l’a dit, toutes les additions de sa « troisième main ». Un second volume reçoit les très nombreuses notes au texte.
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LES PRINCIPES DE LA PRÉSENTE ÉDITION L’établissement du texte À la différence de S. Brandt, qui fondait l’établissement du texte sur Valenciennes 148385, M. Perrin, sans doute impressionné par l’ancienneté du codex de Bologne, a retenu les leçons du manuscrit italien de préférence aux autres et rejeté les conjectures de l’éditeur allemand. Il a même accepté les additions interlinéaires de sa troisième main, car, en comparant la qualité des corrections de cette même « troisième main » sur les textes des Institutions divines et du De ira, il est parvenu à la conclusion suivante : « le scribe a utilisé un modèle de bonne qualité, et il l’a soigneusement collationné sur le Bononiensis » (p. 82), incluant dès lors toutes les variantes de cette copie dans son édition. Or les ajouts ponctuels, uniques à cette main, nous apparaissent comme des gloses personnelles386 : dès lors, il nous a semblé plus sage de ne pas les inclure dans le texte latin. Notre propos consiste dans l’élaboration d’une nouvelle édition française du De opificio Dei de Lactance, c’est-à-dire l’édition du texte révisé à la fin de sa vie, en d’autres termes sa version longue. Sans avoir eu à établir une nouvelle fois le texte latin, vu le travail déjà réalisé par S. Brandt et par M.
385 Cf. Prolegomena, p. xv : Omnino autem Valentianensi primum locum tribuam, sequitur Bononiensis, non magno interuallo Parisinus : qui duo codices… non multum inter se differunt. 386 Cf. les critiques de P. Nautin, « Les additions du manuscrit de Bologne au De opificio Dei de Lactance », Revue des Études Augustiniennes 1 (1975), p. 273-288, et la retractatio de M. Perrin, « Le De opificio Dei de Lactance. Bilan d’une édition trente ans après : Retractatio et perspectives de recherche », in Le De opificio Dei : Regards croisés sur l’anthropologie de Lactance, op. cit., p. 17-32.
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Perrin et vu également le très petit nombre de manuscrits utilisables, nous nous sommes contentées d’en vérifier le texte. Par rapport à l’édition de M. Perrin, dont nous avons conservé le texte pour l’essentiel387, nous avons cependant procédé à deux remaniements : tout d’abord, nous avons supprimé les gloses écrites par la troisième main du manuscrit de Bologne, en ne conservant que le passage dualiste du c. 19, que nous avons signalé typographiquement par des crochets obliques, car, ayant été écrit postérieurement, il ne saurait se fondre indistinctement dans le texte des années 303. Ensuite, les analyses de E. Heck388 sur le texte de l’édition Brandt nous ont permis d’apporter au texte latin établi par M. Perrin la modification suivante : en 3, 6, ideo à la place de id, l’adverbe insistant plus sur sua sponte, dans la première partie de la phrase : Ex quo efficitur ut uberibus sua sponte distentis alimentum lactis fetibus ministretur et ideo cogente natura sine matrum sollicitudine adpetant 389.
La traduction Concernant la traduction, le principe qui a guidé notre travail est double : nous avons cherché à rendre le De opificio Dei accessible à un grand nombre de lecteurs, tout en veillant à restituer les imprécisions de la terminologie anatomique et la valeur pédagogique des images illustrant les fonctions organiques : oreilles/entonnoirs ; yeux/gemmes ; cils/barrières ; estomac et poumons/réceptacles ; trachée-artère et œsophage/ conduits pour le souffle et la nourriture ; reins/filtres…. Nous avons également été attentives à conserver les marques d’oralité, traces d’un dialogue réel avec Démétrianus ou mise en scène d’une véhémente polémique anti-épicurienne390. De même, nous nous
387 Le manuscrit de Bologne étant incontestablement le plus ancien, il ne nous a pas paru opportun de revenir au texte établi par S. Brandt. 388 Cf. E. Heck « Bemerkungen zum texte von Laktanz De opificio Dei », art. cit., p. 279. 389 « Il en résulte que les mamelles se gonflent d’elles-mêmes pour fournir le lait nourricier aux petits qui, poussés par la nature, les prennent sans avoir besoin de la sollicitude maternelle ». 390 Cf., par exemple, Lact. Opif. 3, 1-5.
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sommes efforcées de rendre fidèlement l’enthousiasme - parfois naïf - de Lactance pour l’œuvre du créateur391. L’introduction et le commentaire La présente introduction vise en premier lieu à fournir les éléments nécessaires à l’intelligence de ce texte atypique et méconnu. Malgré les dimensions modestes du De opificio Dei, nous avons résolument opté pour une longue présentation, fondée sur une mise en perspective à la fois synchronique et diachronique, afin de mettre en évidence le rôle médiateur et l’intérêt du traité, qui offre un exemple représentatif de ce que pouvait être la culture générale d’un lettré de l’Antiquité tardive. Mais il s’agit aussi de souligner le travail de réécriture opéré par Lactance à partir des concepts et de la terminologie issus de la tradition philosophico-littéraire classique. C’est pourquoi le commentaire est abordé dans une perspective différente de celle de la « Quellensforschung », qui n’est pas envisagée comme une fin en soi, mais comme un moyen de mettre en relief l’interpretatio culturelle élaborée par Lactance. Les annotations, qui traitent conjointement de questions anatomiques, philosophiques, littéraires et philologiques, tendent à situer le texte dans l’histoire des idées pour mieux faire ressortir les orientations originales d’une synthèse opérée à partir des lieux communs de l’anthropologie antique. L’objectif général est de faire apparaître les enjeux idéologiques de ce traité programmatique, qui pose les grands thèmes de la pensée lactancienne. Enfin, il convient d’insister sur le fait que notre travail ne s'adresse pas seulement à un public de spécialistes, mais à un plus large cercle de lecteurs éclairés. La principale nouveauté de notre édition consiste dans une approche qui vise à « désenclaver » le texte, à le dégager d’une interprétation religieuse et d’une tonalité chrétienne, qui ne suffisent pas à rendre compte de sa spécificité.
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Cf., par exemple, Lact. Opif. 10, 5-8.
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LACTANCE DE OPIFICIO DEI 1. 1.Quam minime sim quietus, etiam in summis necessitatibus, ex hoc libello poteris aestimare, quem ad te rudibus paene uerbis prout ingenii mediocritas tulit, Demetriane, perscripsi ut et cotidianum studium meum nosses et non deessem tibi praeceptor etiam nunc, sed honestioris rei meliorisque doctrinae. 2. Nam si te in litteris nihil aliud quam linguam instituentibus auditorem satis strenuum praebuisti, quanto magis in his ueris et ad uitam pertinentibus docilior esse debebis ? Apud quem nunc profiteor nulla me necessitate uel rei uel temporis inpediri quominus aliquid extundam quo philosophi sectae nostrae quam tuemur instructiores doctioresque in posterum fiant, quamuis nunc male audiant castigenturque uulgo, quod aliter quam sapientibus conuenit uiuant et uitia sub obtentu nominis celent : quibus illos aut mederi oportuit aut ea prorsus effugere, ut beatum atque incorruptum sapientiae nomen uita ipsa cum praeceptis congruente praestarent. 3. Ego tamen ut nos ipsos simul et ceteros instruam, laborem nullum recuso. Neque enim possum obliuisci mei, tum praesertim cum maxime opus sit meminisse, sicut ne tu quidem tui, ut spero et opto. 4. Nam licet te publicae rei necessitas a ueris et iustis operibus auertat, tamen fieri non potest quin subinde in caelum aspiciat « mens sibi conscia recti ». 5. Et quidem laetor omnia tibi quae pro bonis habentur prospere fluere, sed ita, si nihil de statu mentis inmutent. Vereor enim ne paulatim consuetudo et iucunditas earum rerum sicut fieri solet in animum tuum repat, 6. ideoque te moneo et repetens iterum
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LACTANCE LA CRÉATION DE DIEU 1. 1. Tu pourras, Démétrianus1, juger de mon activité, même dans les pires vicissitudes2 , à la lecture de ce petit livre, que j’ai écrit pour toi dans un style presque grossier et conforme à mon médiocre talent3, afin de te faire connaître mes études quotidiennes et de te permettre de trouver encore en moi un professeur, mais qui t’enseigne maintenant une matière plus honorable et une meilleure doctrine4 . 2. Si en effet, dans les études littéraires, tu as été un élève particulièrement zélé lorsque tu étudiais des écrits qui n’avaient d’autre objet que la langue, combien devras-tu te montrer plus attentif à ceux qui enseignent la vérité et se rapportent à la vie ? Et je déclare aujourd’hui devant toi qu’aucune contrainte d’ordre matériel ou temporel ne m’empêchera de produire un ouvrage qui puisse contribuer à accroître dans l’avenir la formation et le savoir des philosophes5 de la secte6 que nous défendons, quoique, actuellement, ils aient mauvaise réputation et soient châtiés publiquement parce qu’ils ne vivent pas comme il convient aux sages et dissimulent leurs vices sous le voile de leur nom7. Et ils devaient s’en guérir ou s’en débarrasser complètement afin de garantir la sainteté et la pureté du nom de la sagesse en menant une vie conforme à leurs préceptes8 . 3. En ce qui me concerne, pour nous instruire en même temps que les autres, je ne recule devant aucun labeur car je ne peux oublier le mien, surtout au moment où il est très important de m’en souvenir, comme toi aussi tu dois le faire pour le tien, comme je l’espère et le souhaite9. 4. Bien que tes obligations politiques te détournent des œuvres de vérité et de justice, il est cependant impossible qu’« une intelligence attentive au bien »10 ne regarde souvent vers le ciel. 5. Bien sûr, je me réjouis du cours favorable que prend pour toi tout ce qu’on tient pour des biens, mais à condition que cela ne change rien à ton état d’esprit. Je crains en effet que peu à peu l’habitude et l’agrément de ces avantages, comme cela arrive d’ordinaire, ne s’insinuent dans ton esprit11. 6. Voilà pour-
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iterumque monebo ne oblectamenta ista terrae pro magnis aut ueris bonis habere te credas, quae sunt non tantum fallacia quia dubia, uerum etiam insidiosa quia dulcia. 7. Nam ille conluctator et aduersarius noster scis quam sit astutus et idem saepe uiolentus, sicuti nunc uidemus. Is haec omnia quae inlicere possunt pro laqueis habet et quidem tam subtilibus ut oculos mentis effugiant, ne possint hominis prouisione uitari. 8. Summa ergo prudentia est pedetemptim procedere, quoniam utrubique saltus insidet et offensacula pedibus latenter opponit. 9. Itaque res tuas prosperas in quibus nunc agis suadeo ut pro tua uirtute aut contemnas, si potes, at non magno opere mireris. Memento et ueri parentis tui et in qua ciuitate nomen dederis et cuius ordinis fueris : intellegis profecto quid loquar. 10. Nec enim te superbiae arguo, cuius in te ne suspicio quidem ulla est, sed ea quae dico ad mentem referenda sunt, non ad corpus : cuius omnis ratio ideo conparata est ut animo tamquam domino seruiat et regatur nutu eius. 11. Vas est enim quodammodo fictile quo animus, id est homo ipse uerus, continetur, et quidem non a Prometheo fictum, ut poetae locuntur, sed a summo illo rerum conditore atque artifice deo, cuius diuinam prouidentiam perfectissimamque uirtutem nec sensu comprehendere nec uerbo enarrare possibile est. Temptabo tamen, quoniam corporis et animi facta mentio est, utriusque rationem, quantum pusillitas intellegentiae meae peruidet, explicare. 12. Quod officium hac de causa maxime suscipiendum puto, quod Marcus Tullius uir ingenii singularis in quarto De re publica libro, cum id facere temptasset, materiam late patentem angustis finibus terminauit leuiter summa quaeque decerpens. 13. Ac ne ulla esset excusatio cur eum locum non fuerit exsecutus, ipse testatus est nec uoluntatem sibi defuisse nec curam. In libro enim De legibus primo cum hoc idem summatim stringeret, sic ait : « hunc locum satis, ut mihi uidetur, in his libris quos legistis expressit Scipio ». Postea tamen in libro De natura deorum secundo hoc idem latius exsequi conatus est. 14. Sed quoniam nec ibi quidem satis expressit, adgrediar hoc munus et sumam mihi audaciter explicandum quod homo disertissimus paene omisit intactum. 15. Forsitan
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quoi je t’adjure et « y revenant sans cesse, je t’adjurerai encore et encore »12 de ne pas croire que tu tiens au rang de biens nobles et véritables ces plaisirs terrestres, qui sont non seulement trompeurs à cause de leur incertitude, mais aussi dangereux à cause de leur douceur13. 7. Cet adversaire en effet, et notre ennemi14 , tu sais combien il est rusé et souvent violent, comme nous le voyons maintenant15 . Tout ce qui peut séduire lui sert de filets si subtils16 qu’ils échappent aux yeux de l’âme sans pouvoir être évités par la prévoyance humaine. 8. La plus grande sagesse consiste donc à avancer pas à pas puisqu’il occupe les défilés des deux côtés et pose en cachette des obstacles sous nos pieds. 9. C’est pourquoi je te conseille de mépriser ta prospérité actuelle en faveur de ta vertu, si tu le peux, ou du moins de ne pas lui porter trop d’admiration. Souviens-toi de ton véritable père17, de la cité dans laquelle tu t’es enrôlé18 et du rang auquel tu appartiens : tu comprends parfaitement ce que je veux dire19. 10. De fait, je ne t’accuse pas d’orgueil, ce dont on ne peut même te soupçonner, mais mes propos doivent se rapporter à l’esprit et non au corps, dont toute la structure a été conçue pour qu’il serve l’âme comme un maître et se règle sur sa volonté. 11. C’est en quelque sorte un vase d’argile20 qui contient l’âme, c’est-à-dire l’homme véritable21, et qui n’a certainement pas été façonné par Prométhée22 , comme le disent les poètes, mais par Dieu23, suprême Créateur et Artisan du monde24 , dont il est impossible de percevoir par la pensée et d’exprimer par des mots la divine Providence et la Puissance parfaite. Je m’efforcerai25 cependant, puisqu’il a été fait mention du corps et de l’âme, d’exposer la structure de l’un et de l’autre, pour autant que la faiblesse de mon intelligence la distingue26 . 12. Je crois devoir entreprendre ce travail surtout parce que Cicéron, homme au génie exceptionnel, qui a essayé de le faire dans le quatrième livre de La république, a circonscrit en d’étroites limites une matière largement étendue en effleurant légèrement toutes les questions essentielles. 13. Pour qu’on ne puisse l’excuser de n’avoir pas développé à fond ce sujet, il a lui-même affirmé n’avoir manqué ni de volonté ni de soin. Abordant brièvement cette même question dans le premier livre du Traité des lois, il dit en effet : « ce sujet a été suffisamment éclairci, du moins il me semble, par Scipion dans les livres que vous avez lus »27. Plus tard cependant, il a entrepris de le traiter de manière plus étendue dans le second livre de La nature des dieux 28 . 14. Mais, puisque là non plus il ne l’a pas suffisamment éclairci, je m’engagerai dans cette tâche et j’entreprendrai audacieusement de développer ce que cet homme plein d’éloquence29 a presque laissé de côté sans le traiter30. 15. Peut-être me blâmes-tu de me lancer dans une dis-
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reprenhendas quod in rebus obscuris coner aliquid disputare, cum uideas tanta temeritate homines extitisse, qui uulgo philosophi nominantur, ut ea quae abstrusa prorsus atque abdita deus esse uoluit, scrutarentur ac naturam rerum caelestium terrenarumque conquirerent, quae a nobis longe remotae neque oculis contrectari neque tangi manu neque percipi sensibus possunt : et tamen de illarum omnium ratione sic disputant ut ea quae adferunt probata et cognita uideri uelint. 16. Quid est tandem cur nobis inuidiosum quisquam putet, si rationem corporis nostri dispicere et contemplari uelimus ? Quae plane obscura non est, quia ex ipsis membrorum officiis et usibus partium singularum quanta ui prouidentiae quidque factum sit, intellegere nobis licet. 2. 1. Dedit enim homini artifex ille noster ac parens deus sensum atque rationem, ut ex eo appareret nos ab eo esse generatos, qui ipse intellegentia, ipse sensus ac ratio est. 2. Ceteris animantibus quoniam rationalem istam uim non attribuit, quemadmodum tamen uita earum tutior esset ante prouidit. Omnes enim suis ex se pilis texit, quo facilius possent uim pruinarum ac frigorum sustinere. 3. Singulis autem generibus ad propulsandos impetus externos sua propria munimenta constituit, ut aut naturalibus telis repugnent fortioribus aut quae sunt imbecilliora, subtrahant se periculis pernicitate fugiendi aut quae simul et uiribus et celeritate indigent astu se protegant aut latibulis saepiant. 4. Itaque alia eorum uel plumis leuibus in sublime suspensa sunt uel suffulta ungulis uel instructa cornibus, quibusdam in ore arma sunt dentes aut in pedibus adunci ungues : nulli munimentum ad tutelam sui deest. 5. Si qua uero in praedam maioribus cedunt, ne tamen stirps eorum funditus interiret, aut in ea sunt relegata regione, ubi maiora esse non possunt, aut acceperunt uberem generandi fecundidatem, ut et bestiis quae sanguine aluntur, uictus suppeteret ex illis et inlatam tamen cladem ad conseruationem generis multitudo ipsa superaret. 6. Hominem autem, ratione concessa et uirtute sentiendi atque eloquendi data, eorum quae ceteris animalibus attributa sunt fecit expertem, quia sapientia reddere poterat quae illi naturae condicio denegasset : statuit nudum et inermem, quia et ingenio poterat
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cussion sur des questions obscures, quand on voit qu’il s’est trouvé des hommes, appelés communément philosophes, assez téméraires pour explorer ce que Dieu a voulu tout à fait secret et caché et pour chercher à pénétrer la nature du ciel et de la terre – sujets qui sont fort éloignés de nous et ne peuvent ni être saisis par la vue, ni touchés de la main, ni perçus par les sens. Et cependant, ils discutent de la structure de tout cela en voulant faire apparaître leurs arguments comme prouvés et bien connus. 16. Quelle raison y a-t-il enfin pour que l’on songe à nous tenir rigueur de vouloir examiner et observer la structure de notre corps ? Celle-ci n’est pas du tout obscure puisque nous pouvons comprendre, d’après les fonctions mêmes des membres et l’utilité31 de chacune de leurs parties, la puissance de la Providence qui a présidé à leur création32 . 2. 1. Dieu, notre Créateur33 et notre Père, a donné en effet à l’homme sens et raison, pour rendre ainsi manifeste que nous avons été créés par Lui, qui est Lui-même intelligence, Lui-même sens et raison34 . 2. Puisqu’aux autres êtres vivants Il n’a pas attribué cette puissance rationnelle, Il a cependant prévu à l’avance le moyen de protéger suffisamment leur existence. Il les a en effet tous couverts d’un pelage naturel pour leur permettre de supporter plus facilement les rigueurs des frimas et du froid. 3. Il a doté les animaux de chaque espèce de protections spécifiques pour les aider à repousser les agressions extérieures : les uns résistent ainsi aux plus forts à l’aide de leurs armes naturelles, les plus faibles se soustraient aux périls par la rapidité de leur fuite, ceux qui manquent à la fois de forces et de rapidité se protègent par la ruse ou s’abritent dans des tanières35. 4. C’est ainsi que d’autres espèces planent dans l’air grâce à leurs plumes légères ou s’appuient sur des sabots ou sont dotés de cornes, et certains ont pour armes dans la gueule des dents ou des ongles crochus aux pattes : nul n’est privé de moyens de défense pour se protéger. 5. Ceux qui sont la proie des plus grands, pour éviter cependant que leur espèce ne disparaisse totalement, se trouvent relégués dans une région où il ne peut y avoir d’animaux plus grands ou bien ont reçu une large propension à se reproduire, pour que les bêtes qui se nourrissent de sang tirent de ces animaux une abondante nourriture et que, afin de garantir la perpétuation de leur espèce, leur grand nombre l’emporte sur les pertes qu’ils subissent. 6. Quant à l’homme, après lui avoir accordé la raison et lui avoir donné la faculté de penser et de parler, Il l’a privé de ce qui était attribué aux autres animaux, parce que sa sagesse pouvait lui rendre ce que sa condition naturelle lui avait refusé : Il l’a créé nu et sans armes36 , parce qu’il pouvait être armé d’intelli-
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armari et ratione uestiri. 7. Ea uero ipsa quae mutis data et homini denegata sunt, quam mirabiliter in homine ad pulchritudinem faciant exprimi non potest. Nam si homini ferinos dentes aut cornua aut unges aut ungulas aut caudam aut uarii coloris pilos addidisset, quis non sentiat quam turpe animal esset futurum, sicut et muta, si nuda et inermia fingerentur ? 8. Quibus si detrahas uel naturalem sui corporis uestem uel ea quibus ex se armantur, nec speciosa poterunt esse nec tuta, ut mirabiliter, si utilitatem cogites, instructa, si speciem, ornata uideantur : adeo miro modo consentit utilitas cum decore. 9. Hominem uero quoniam aeternum animal atque immortale fingebat, non forinsecus ut cetera, sed interius armauit ; nec munimentum eius in corpore, sed in animo posuit, quoniam superuacuum fuit, cum illi quod erat maximum tribuisset, corporalibus eum tegere munimentis, cum praesertim pulchritudinem humani corporis inpedirent. 10. Vnde ego philosophorum qui Epicurum secuntur amentiam soleo mirari, qui naturae operam reprehendunt, ut ostendant nulla prouidentia instructum esse ac regi mundum, sed originen rerum insecabilibus ac solidis corporibus adsignant, quorum fortuitis concursionibus uniuersa nascantur et nata sint. 11. Praetereo quae ad ipsum mundum pertinentia uitio dant, in quo ridicule insaniunt ; id sumo quod ad rem de qua nunc agimus pertinet.
3. 1. Queruntur hominem nimis inbecillum et fragilem nasci quam cetera nascantur animalia : quae ut sunt edita ex utero, protinus in pedes suos erigi et gestire discursibus statimque aeri tolerando idonea esse, quod in lucem naturalibus indumentis munita processerint. Hominem contra nudum et inermem tamquam ex naufragio in huius uitae miserias proici et expelli, qui neque mouere se loco ubi effusus est possit nec alimentum lactis adpetere nec iniuriam temporis ferre. 2. Itaque naturam non matrem esse humani generis sed nouercam, quae cum mutis tam liberaliter gesserit, hominem uero sic effuderit ut inops et infirmus et omni auxilio indigens nihil aliud possit quam fragilitatis suae condicionem ploratu ac fletibus ominari, scilicet « cui tantum in uita restet transire malorum ». 3. Quae cum dicunt, uehementer sapere creduntur, propterea quod unus quisque inconsiderate suae condicionis
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gence et vêtu de raison. 7. Or on ne peut exprimer à quel point tout ce qui a été donné aux animaux37 et refusé à l’homme contribue merveilleusement à sa beauté. De fait, s’Il avait ajouté à l’homme des dents de bête sauvage, des cornes, des griffes, des sabots, une queue ou des poils aux couleurs variées, qui ne sentirait quel animal honteux ce serait, comme le seraient les animaux s’ils étaient façonnés nus et sans armes ? 8. Si on leur enlève ce qui recouvre naturellement leur corps ou ce qui leur sert d’armes, ils ne pourront avoir ni belle apparence ni sécurité ; ils paraissent donc merveilleusement bien pourvus, eu égard à l’utilité, et merveilleusement parés, eu égard à l’apparence : tel est l’accord merveilleux de l’utilité et de la beauté. 9. Puisqu’Il a façonné38 l’homme comme un animal éternel et immortel39, Il ne lui a pas donné d’armes extérieures, comme aux autres, mais intérieures40 ; Il n’a pas placé de protection dans son corps mais dans son âme, car il aurait été inutile, après lui avoir attribué ce qu’il y a de plus grand, de le couvrir de protections corporelles, qui auraient particulièrement nui à la beauté du corps humain. 10. C’est pourquoi, parmi les philosophes, je m’étonne d’ordinaire pour ma part de la folie des sectateurs d’Épicure, qui critiquent les œuvres de la nature pour montrer que le monde n’est organisé ou dirigé par aucune Providence41, mais assignent l’origine des choses à des corps insécables et indivisibles, dont les rencontres fortuites engendrent et ont engendré l’univers 42 . 11. Je passe sur ce qu’ils donnent pour des vices à propos de notre monde43 ; sur ce point, leur folie est risible : je ne retiens que ce qui concerne notre propos actuel. 3. 1. Ils se plaignent44 de ce que l’homme naît plus faible et plus fragile que les autres animaux : ceux-ci, une fois sortis des flancs maternels, se dressent aussitôt sur leurs pattes, s’agitent en tous sens et sont immédiatement capables d’affronter le climat parce qu’ils sont venus au monde protégés par leurs enveloppes naturelles. L’homme, en revanche, est projeté et envoyé dans les malheurs de la vie ici-bas, nu et sans armes45 comme un naufragé, sans pouvoir quitter son lieu de naissance ni atteindre le lait nourricier ni supporter la rigueur du temps46 . 2. C’est pourquoi la nature ne serait pas la mère du genre humain mais une marâtre47, qui, alors qu’elle s’est montrée si généreuse envers les animaux, a enfanté l’homme sans ressource, sans force, sans aucune aide, et sans lui laisser d’autre possibilité que de présager la fragilité inhérente à sa condition par des pleurs et des larmes, lui sans doute « à qui la vie réserve tant de maux à traverser »48 . 3. Lorsqu’ils tiennent de tels propos, ils passent pour des gens fort sensés, parce que chacun est inconsidérément ingrat
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ingratus est ; ego uero illos numquam tam desipere contendo quam cum haec locuntur. 4. Considerans enim condicionem rerum intellego nihil fieri aliter debuisse, ut non dicam potuisse, quia deus potest omnia ; sed necesse est ut prouidentissima illa maiestas id effecerit quod erat melius et rectius. 5. Libet igitur interrogare istos diuinorum operum reprehensores quid in homine deesse, quia inbecillior nascitur, credant, num idcirco minus educentur homines, num minus ad summum robur aetatis prouehantur, num inbecillitas aut incrementum inpediat aut salutem, quoniam quae desunt ratio dependit. 6. At hominis, inquiunt, educatio maximis laboribus constat ; pecudum scilicet condicio melior quod hae, cum fetum ediderint, non nisi pastus sui curam gerunt. Ex quo efficitur ut uberibus sua sponte distentis alimentum lactis fetibus ministretur et id cogente natura sine matrum sollicitudine adpetant. 7. Quid ? Aues, quarum ratio diuersa est, nonne maximos suscipiunt in educando labores, ut interdum aliquid humanae intellegentiae habere uideantur ? Nidos enim aut luto aedificant aut uirgultis et frondibus construunt, etiam ciborum expertes incubant ouis et, quoniam fetus de suis corporibus alere non datum est, cibos conuehunt et totos dies in huiusmodi discursatione consumunt, noctibus uero defendunt, fouent, protegunt. 8. Quid amplius homines facere possint nisi hoc solum fortasse, quod non expellunt adultos, sed perpetua necessitudine ac uinculo caritatis adiunctos habent ? 9. Quid quod auium fetus multo fragilior est quam hominis, quia non ipsum animal edunt, sed id quod materni corporis fotu et calore tepefactum animal efficiat ? Quod tamen cum spiritu fuerit animatum, id uero inplume ac tenerum non modo uolandi, sed ambulandi quoque usu caret. 10. Non ergo ineptissimus sit si quis putet male cum uolucribus egisse naturam primum quod bis nascantur, deinde quod tam infirmae ut sint quaesitis per laborem cibis a parentibus nutriendae ? Sed illi fortiora eligunt, imbecilliora praetereunt. 11. Quaero igitur ab his qui condicionem pecudum
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à l’égard de sa propre condition ; mais moi j’affirme qu’ils ne sont jamais aussi insensés que lorsqu’ils disent cela. 4. En examinant la situation du monde, je me rends compte que rien n’aurait dû, pour ne pas dire n’aurait pu, être fait autrement car Dieu est tout puissant ; au contraire, il est nécessaire que Sa Majesté49, dans Son extrême Providence, ait réalisé ce qui était le meilleur et le plus juste50. 5. J’ai donc envie de demander à ces censeurs des œuvres divines ce qui, selon eux, fait défaut à l’homme parce qu’il est plus faible à la naissance : les hommes sont-ils pour cela moins faciles à élever ? Parviennentils moins bien à la pleine force de l’âge ? Leur faiblesse les prive-t-elle de croissance ou de santé, du moment que la raison compense ce qui leur fait défaut ? 6. Mais, disent-ils, l’éducation d’un homme coûte beaucoup de peine ; assurément, la condition du bétail est meilleure, parce qu’après avoir mis au monde leur progéniture, ces animaux n’ont d’autre souci que leur propre nourriture. Il en résulte que les mamelles se gonflent d’elles-mêmes51 pour fournir le lait nourricier aux petits qui, poussés par la nature, les prennent sans avoir besoin de la sollicitude maternelle52 . 7. Eh quoi ? Les oiseaux, dont la constitution est bien différente, ne se donnent-ils pas beaucoup de mal pour élever [leurs petits], au point de paraître parfois posséder une part d’intelligence humaine ? Ils bâtissent en effet leurs nids avec de la boue ou les construisent avec des branchages et des feuilles ; même privés de nourriture, ils couvent leurs œufs, et, puisqu’il ne leur a pas été donné de tirer de leur corps de quoi nourrir leurs petits, ils leur apportent de la nourriture et consacrent toutes leurs journées à des allées et venues de ce genre, tandis qu’ils passent leurs nuits à les défendre, les réchauffer et les protéger. 8. Qu’est-ce que les hommes pourraient faire de plus, sinon peut-être seulement ne pas les chasser quand ils sont devenus adultes mais les garder attachés à eux par des relations et des liens d’affection durables ? 9. Qui plus est, le petit des oiseaux est beaucoup plus fragile que celui de l’homme, parce que ce n’est pas un être vivant précisément qu’ils produisent, mais ce qui, après avoir été réchauffé par l’incubation et la chaleur du corps maternel, doit produire un être vivant. Celui-ci cependant, une fois qu’il a été animé d’un souffle, se trouve, faible et sans plumes, dans l’incapacité non seulement de voler mais aussi de marcher53. 10. Donc il ne serait pas totalement stupide de penser que la nature a été injuste envers les oiseaux, d’abord parce qu’ils naissent deux fois, ensuite parce qu’ils sont si faibles que leurs parents doivent les nourrir en se procurant des aliments à grand peine. Mais eux [nos adversaires] choisissent les plus forts et laissent de côté les plus faibles. 11. Je demande donc à ceux qui préfèrent la
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suae praeferunt quid eligant, si deus his deferat optionem, utrum malint humanamne sapientiam cum inbecillitate an pecudum firmitatem cum illarum natura. 12. Scilicet non tam pecudes sunt ut non malint uel fragiliorem multo quam nunc est dummodo humanam, quam illam inrationabilem firmitatem. Sed uidelicet prudentes uiri neque hominis rationem uolunt cum fragilitate neque mutorum firmitatem sine ratione. 13. Quo nihil est tam repugnans tamque contrarium, quod unum quodque animal aut ratio instruat necesse est aut condicio naturae ; si naturalibus munimentis instruatur, superuacua ratio est. Quid enim excogitabit ? Quid faciet ? Quid molietur ? Aut in quo lumen illud ingenii ostendet, cum ea quae possint esse rationis ultro natura concedat ? 14. Si autem ratione sit praeditum, quid opus erit saepimentis corporis, cum semel concessa ratio naturae munus possit inplere ? Quae quidem tantum ualet ad ornandum tuendumque hominem ut nihil potuerit maius ac melius a deo dari. 15. Denique cum et corporis non magni homo et exiguarum uirium et ualetudinis sit infirmae, tamen quoniam id quod est maius accepit, et instructior est ceteris animalibus et ornatior. 16. Nam cum fragilis inbecillusque nascatur, tamen et a mutis omnibus tutus est, et ea omnia quae firmiora nascuntur, etiamsi uim caeli fortiter patiuntur, ab homine tamen tuta esse non possunt. 17. Ita fit ut plus homini conferat ratio quam natura mutis, quoniam in illis neque magnitudo uirium neque firmitas corporis efficere potest quominus aut opprimantur a nobis aut nostrae subiecta sint potestati. 18. Potestne igitur aliquis cum uideat etiam boues lucas cum inmanissimis corporibus ac uiribus seruire homini, queri de opifice rerum deo, quod modicas uires, quod paruum corpus acceperit, nec beneficia in se diuina pro merito aestimat ? Quod est ingrati, aut, ut uerius loquamur, insani. 19. Plato, ut hos, credo, ingratos refelleret, naturae gratias egit, quod homo natus esset. 20. Quanto magis melius et sanius qui sensit condicionem hominis esse meliorem quam isti qui se pecudes natos maluerunt ! Quos si deus in ea forte conuerterit animalia quorum sortem praeferunt suae, iam profecto
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condition des bêtes à la leur ce qu’ils choisiraient, si Dieu leur laissait le choix : opteraient-ils pour la sage aptitude des hommes associée à la faiblesse ou pour la force des bêtes associée à la nature qui est la leur ? 12. Assurément, ils ne sont pas assez bêtes pour ne pas préférer à cette force dépourvue de raison une nature même beaucoup plus fragile que celle qu’ils ont actuellement - pourvu qu’elle soit humaine. Mais bien sûr, ces hommes avisés54 refusent à la fois la raison de l’homme associée à la fragilité et la force des animaux privée de raison. 13. Sur ce point il n’est rien d’aussi inconséquent et contradictoire puisque chaque être vivant est nécessairement pourvu soit de raison soit de qualités naturelles. S’il est pourvu de défenses naturelles, la raison est superflue. Qu’imaginera-t-il en effet ? Que fera-t-il ? Qu’inventera-t-il ? Ou dans quel domaine montrera-t-il la lumière de son intelligence, du moment que la nature lui accorde spontanément ce qui pourrait relever de la raison ? 14. Si au contraire il est doué de raison, en quoi aura-t-il besoin des barrières physiques, du moment que la raison qui lui a été accordée une fois pour toutes peut remplir la fonction de la nature. C’est que la raison a un tel pouvoir pour parer et protéger l’homme que rien de plus grand ni de meilleur n’aurait pu être donné par Dieu. 15. Enfin, bien que l’homme n’ait pas un grand corps, qu’il ait des forces limitées et une santé fragile, cependant ayant reçu ce qu’il y a de plus grand, il est mieux doté et mieux paré que les autres êtres vivants. 16. En effet, en dépit de sa fragilité et de sa faiblesse à la naissance, il est cependant à l’abri de tous les animaux et toutes les créatures qui sont plus robustes à la naissance, même si elles supportent vaillamment les rigueurs du ciel, ne peuvent cependant être à l’abri de l’homme55. 17. Par conséquent, la raison apporte plus à l’homme que la nature aux animaux, puisque leur grande vigueur et leur résistance physique ne peuvent les empêcher d’être écrasés par nous ou soumis à notre pouvoir56 . 18. En voyant que même les bœufs de Lucanie57 avec leurs corps et leurs forces immenses sont asservis à l’homme, pouvons-nous donc nous plaindre de Dieu, Créateur du monde58 , pour avoir reçu en partage des forces limitées et un corps de petite taille ? Serait-ce que nous n’estimons pas à leur juste valeur les bienfaits de Dieu à notre égard ? C’est le fait d’un ingrat ou, pour parler plus justement, d’un fou. 19. Platon, pour réfuter, je crois, ces ingrats, a rendu grâce à la nature de l’avoir fait naître homme59. 20. Combien le jugement de celui pour qui la condition humaine est préférable est meilleur et plus sensé que l’opinion de ceux qui auraient préféré être nés bêtes ! Si par hasard Dieu les transformait en ces animaux dont ils préfèrent le sort au leur, ils voudraient assurément changer de nouveau
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cupiant remigrare magnisque clamoribus condicionem pristinam flagitent, quia non est tanti robur ac firmitas corporis ut officio linguae careas, aut auium per aerem libera discursatio ut manibus indigeas. Plus enim manus praestant quam leuitas ususque pinnarum, plus lingua quam totius corporis fortitudo. 21. Quae igitur amentia est ea praeferre quae, si data sint, accipere detrectes ? 4. 1. Idem queruntur hominem morbis et inmaturae morti esse subiectum. Indignantur uidelicet non deos esse se natos. « Minime, inquiunt, sed ex hoc ostendimus hominem nulla prouidentia esse factum, quod aliter fieri debuit ». 2. Quid si ostendo id ipsum magna ratione prouisum esse ut morbis uexari posset et ut uita saepe in medio cursus sui spatio rumperetur ? Cum enim deus animal quod fecerat sua sponte ad mortem transire cognouisset, ut mortem ipsam, quae est dissolutio naturae, capere posset, dedit ei fragilitatem quae morti aditum ad dissoluendum animal inueniret. 3. Nam si eius roboris fieret ut ad eum morbus et aegritudo adire non posset, ne mors quidem posset, quoniam mors sequella morborum est. Inmatura uero mors quomodo abesset ab eo cui esset constituta matura ? Nempe nullum hominem mori uolunt nisi cum centesimum aetatis compleuerit annum. 4. Quomodo illis in tanta repugnantia rerum poterit ratio constare ? Vt enim ante annos centum mori quisque non possit, aliquid illi roboris quod sit inmortale tribuendum est : quo concesso necesse est condicionem mortis excludi. 5. Id autem ipsum cuiusmodi potest esse quod hominem contra morbos et ictus extrarios solidum atque inexpugnabilem faciat ? Cum enim constet ex ossibus et neruis et uisceribus et sanguine, quid horum potest esse tam firmum ut fragilitatem repellat ac mortem ? 6. Vt igitur homo indissolubilis sit ante id tempus quod illi putant oportuisse constitui, ex qua ei materia corpus attribuent ? Fragilia sunt omnia quae uideri ac tangi possunt. Superest ut aliquid ex caelo petant, quoniam in terra nihil est quod non sit infirmum. 7. Cum ergo sic homo formandus esset a deo ut mortalis esset aliquando, res ipsa exigebat ut terreno et fragili corpore fingeretur. Necesse est igitur ut mortem recipiat quandolibet, quoniam corporalis est ; corpus enim quodlibet
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et réclameraient à grands cris leur condition initiale car il n’est de force ni de résistance physiques qui vaille que l’on soit privé des fonctions de la parole, et la liberté accordée aux oiseaux d’aller et venir dans les airs ne compense pas l’absence de mains. Les mains l’emportent en effet sur la légèreté ou l’usage des ailes60 , la langue sur la force du corps tout entier. 21. Quelle est donc cette folie de préférer ce que tu refuserais d’accepter si on te le donnait ? 4. 1. Ils se plaignent61 aussi de ce que l’homme soit soumis aux maladies et à une mort prématurée62 . Ils s’indignent évidemment de ne pas être nés dieux63. Pas du tout, disent-ils, mais ce qui nous permet de montrer que la Providence n’a pas présidé à la création de l’homme, c’est qu’il aurait dû être créé autrement. 2. Et si je montre que c’est très raisonnablement qu’on a pourvu à ce que l’homme puisse être tourmenté par les maladies et que la vie soit souvent brisée au milieu de son cours ? Sachant en effet que l’être qu’il avait créé était voué naturellement à la mort, Dieu, pour lui permettre de recevoir la mort, qui est dissolution naturelle64 , l’a doté d’une fragilité qui donne à la mort la possibilité de dissoudre l’être. 3. En effet, s’il était créé avec une résistance suffisante pour que la maladie et la souffrance ne pussent l’atteindre, la mort ne le pourrait pas non plus, puisque la mort est la conséquence des maladies. Mais comment échapper à une mort avant l’âge, quand on s’est vu fixer une mort à l’âge normal ? Assurément ils veulent que l’homme ne meure qu’à cent ans65. 4. Comment leur théorie pourra-t-elle résister à une telle contradiction dans les faits ? Pour qu’on ne puisse pas mourir en effet avant cent ans, il faut se voir attribuer une sorte de résistance qui soit immortelle : cela accordé, la condition de mortel est nécessairement exclue. 5. Or cette résistance, de quelle nature peut-elle être pour rendre l’homme solide et invincible face aux maladies et aux coups extérieurs ? Alors en effet qu’il est composé d’os et de nerfs, de viscères et de sang, lequel de ces éléments peut être assez solide pour repousser la fragilité et la mort ? 6. Ainsi donc, pour que l’homme ne puisse périr avant le temps qui, selon eux, aurait dû lui être fixé, de quelle matière sera le corps qu’ils lui attribuent ? Tout ce qui peut être vu ou touché est fragile. Il leur reste à tirer quelque chose du ciel, car sur terre il n’est rien qui ne soit dépourvu de faiblesse. 7. Donc, étant donné que l’homme devait être formé par Dieu pour mourir un jour, la situation exigeait qu’il fût façonné avec un corps terrestre et fragile. Il est donc nécessaire qu’il meure un jour, puisqu’il est de nature corporelle ; tout corps en effet est soumis à la
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solubile atque mortale est. 8. Stultissimi ergo qui de morte inmatura queruntur, quoniam naturae condicio locum illi facit. Ita consequens erit ut morbis quoque subiectus sit : neque enim patitur natura ut abesse possit infirmitas ab eo corpore quod aliquando soluendum. 9. Sed putemus fieri posse, quemadmodum uolunt, ut homines ea condicione nascantur ne quis morbo mortiue subiectus sit, nisi peracto aetatis suae spatio ad ultimam processerit senectutem : 10. non igitur uident, si ita sit constitutum, quid sequatur, omni utique cetero tempore mori nullo modo posse ? Sed si prohiberi ab altero uictu potest, mori poterit. Res igitur exigit ut homini qui ante certam diem mori non potest, ciborum alimentis, quia subtrahi possunt, opus non sit. Si opus cibo non erit, iam non homo ille, sed deus fiet. Ergo, ut superius dixi, qui de fragilitate hominis queruntur, id potissimum queruntur quod non inmortales sempiternique sint nati. 11. Nemo nisi senex mori debet. Atquin mortalitas non potest cum inmortalitate coniungi. Si enim mortalis est in senectute, inmortalis esse in adulescentia non potest nec est ab eo condicio mortis aliena qui quandoque moriturus est, nec ulla cum inmortalitas est cui sit terminus constitutus. 12. Ita fit ut et inmortalitas exclusa in perpetuum et ad tempus recepta mortalitas hominem constituat in ea condicione ut sit in qualibet aetate mortalis. Quadrat igitur necessitas undique nec debuisse fieri aliter nec fas fuisse. Sed isti rationem sequentium non uident, quia semel errauerunt in ipsa summa. 13. Exclusa enim de rebus humanis diuina prouidentia necessario sequebatur ut omnia sua sponte sint nata. Hinc inuenerunt illas minutorum seminum plagas et concursiones fortuitas, quia rerum originem non uidebant. 14. In quas se angustias cum coniecissent, iam cogebat eos necessitas existimare animas cum corporibus nasci et item cum corporibus extingui : adsumpserant enim nihil fieri mente diuina. Quod ipsum non aliter probare poterant quam si ostenderent esse aliqua in quibus uideretur prouidentiae ratio claudicare. 15. Reprehenderunt igitur ea in quibus uel maxime diuinitatem suam prouidentia mirabiliter expressit, ut illa quae rettuli de morbis et inmatura morte, cum debuerint cogitare his adsumptis quid necessario sequeretur. 16. Secuntur autem illa quae dixi : si morbum non reciperet, neque tectis
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dissolution et à la mort66 . 8. C’est donc le comble de la sottise que de se plaindre d’une mort prématurée, puisque notre condition naturelle lui fait une place. Ainsi, il s’ensuivra logiquement que l’homme sera aussi exposé aux maladies : la nature en effet ne laisse pas le corps à l’abri de la faiblesse afin qu’il puisse un jour se dissoudre. 9. Mais supposons que, comme ils le veulent, les hommes à la naissance puissent se trouver dans la situation de n’être exposés à la maladie ou à la mort qu’après avoir parcouru l’espace de leur vie et être parvenus à l’extrême vieillesse67. 10. Ne voient-ils donc pas les conséquences d’une telle hypothèse ? C’est qu’on ne pourrait en aucune façon mourir à tout autre moment68 . Or, si on peut être privé de nourriture par autrui, on pourra mourir. La situation exige donc que l’homme, qui ne peut mourir avant le jour fixé, n’ait pas besoin d’aliments pour se nourrir puisqu’on peut les lui retirer. Mais, s’il n’a pas besoin de nourriture, il ne sera plus homme mais deviendra Dieu. Donc, comme je l’ai dit plus haut, ceux qui se plaignent de la fragilité humaine se plaignent surtout de ne pas être nés immortels et éternels. 11. On ne doit mourir que vieux. Pourtant la mortalité ne peut être associée à l’immortalité. Si en effet on est mortel dans la vieillesse, on ne peut être immortel dans la jeunesse, et la condition de mortel n’est pas étrangère à celui qui doit mourir un jour ; il n’y a aucune immortalité pour celui dont le terme a été fixé. 12. Ainsi, il se trouve que refuser à jamais l’immortalité et admettre la mortalité au moment voulu, cela place l’homme en situation d’être mortel à tout âge. La nécessité convient donc à tous égards : il ne devait ni ne pouvait en être autrement. Mais ces individus ne voient pas les conséquences logiques, à partir du moment où ils se sont trompés une fois pour toutes sur l’élément essentiel. 13. Une fois en effet la Providence divine exclue des affaires humaines, il s’ensuivait nécessairement que tout avait été créé spontanément. De là, ils ont inventé les fameux chocs et rencontres fortuites de minuscules semences69, parce qu’ils ne voyaient pas l’origine des choses. 14. Engagés qu’ils étaient dans ces difficultés, la nécessité les forçait alors à penser que les âmes naissent avec les corps et de même s’éteignent avec les corps70 : ils avaient supposé en effet que rien n’est produit par l’Intelligence divine. Ils ne pouvaient prouver cela qu’en montrant des cas dans lesquels le système de la Providence paraissait vaciller. 15. Ils ont donc critiqué les points où la Providence a exprimé merveilleusement et même au plus haut point sa divinité, comme ce que j’ai rapporté sur les maladies et la mort prématurée, alors qu’ils auraient dû penser aux conséquences nécessaires de ces présupposés. 16. Or les conséquences sont celles que j’ai énoncées : à qui est à l’abri de
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neque uestibus indigeret. Quid enim uentos aut imbres aut frigora metueret, quorum uis in eo est ut morbos adferant ? Idcirco enim accepit sapientiam ut aduersus nocentia fragilitatem suam muniat. 17. Sequitur necesse est ut, quoniam retinendae rationis causa morbos capit, etiam mortem semper accipiat, quia is ad quem mors non uenit, firmus sit necesse est. Infirmitas autem habet in se mortis condicionem, firmitas uero ubi fuerit, nec senectus locum potest habere nec mors, quae sequitur senectutem. 18. Praeterea si mors certae constituta esset aetati, fieret homo insolentissimus et humanitate omni careret. Nam fere iura omnia humanitatis, quibus inter nos cohaeremus, ex metu et conscientia fragilitatis oriuntur. 19. Denique inbecilliora et timidiora quaeque animalia congregantur ut, quoniam uiribus tueri se nequeunt, multitudine tueantur, fortiora uero solitudines adpetunt, quoniam robore uiribusque confidunt. 20. Homo quoque si eodem modo haberet ad propulsanda pericula suppetens robur nec ullius alterius auxilio indigeret, quae societas esset, quae reuerentia inter se, quis ordo, quae ratio, quae humanitas ? Aut quid esset tetrius homine, quid efferatius, quid inmanius ? 21. Sed quoniam inbecillus est nec per se potest sine homine uiuere, societatem adpetit, ut uita communis et ornatior fiat et tutior. 22. Vides igitur omnem hominis rationem in eo uel maxime stare quod nudus fragilisque nascitur, quod morbis adficitur, quod inmatura morte multatur. Quae si homini detrahantur, rationem quoque ac sapientiam detrahi necesse est. 23. Sed nimis diu de rebus apertissimis disputo, cum sit liquidum nihil sine prouidentia nec factum esse unquam nec fieri potuisse. De cuius operibus uniuersis si nunc libeat disputare per ordinem, infinita materia est. 24. Sed ego de uno tantum corpore hominis tantum institui dicere, ut in eo diuinae prouidentiae potestatem quanta fuerit ostendam, his dumtaxat in rebus quae sunt comprehensibiles et apertae : nam illa quae sunt animi, nec subici oculis nec comprehendi queunt. Nunc de ipso uase hominis loquimur quod uidemus.
5. 1. In principio cum deus fingeret animalia, noluit ea in rotundam formae speciem conglobare atque colligere, ut et moueri ad ambulandum et flectere se in quamlibet partem facile possent, sed ex ipsa corporis summa
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la maladie, nul besoin de toit ou de vêtements. Pourquoi en effet redouter les vents, les pluies ou les froids, qui ont pour caractéristique essentielle d’entraîner des maladies71 ? L’homme a de fait reçu la sagesse pour prémunir sa fragilité contre ce qui lui est nuisible. 17. Il s’ensuit que l’homme, puisqu’il est soumis aux maladies pour conserver sa raison, est aussi nécessairement toujours soumis à la mort, car celui qui n’est pas atteint par la mort est nécessairement plein de force. Or la faiblesse comporte en elle la condition mortelle, tandis que là où est la force, il ne peut y avoir place pour la vieillesse et la mort, qui suit la vieillesse. 18. En outre, si la mort avait été établie pour un âge déterminé, l’homme deviendrait d’une parfaite insolence et manquerait absolument d’humanité. En effet, tous les droits de l’humanité, qui fondent notre cohésion, naissent d’ordinaire de la peur et de la conscience de notre fragilité72 . 19. C’est ainsi que tous les animaux les plus faibles et les plus craintifs se rassemblent pour se protéger par leur nombre, du moment qu’ils ne peuvent le faire par leurs forces ; les plus forts en revanche recherchent les lieux déserts, se fiant à leur vigueur et à leurs forces. 20. De la même manière, si l’homme avait lui aussi assez de vigueur pour repousser les dangers et n’avait pas besoin de l’aide d’autrui, que deviendraient la société humaine, le respect mutuel, l’ordre, la raison, l’humanité ? Ou encore qu’y aurait-il de plus odieux, de plus sauvage et de plus monstrueux que l’homme ? 21. Mais, puisqu’il est faible et ne peut vivre par ses propres moyens sans ses semblables, il recherche la société humaine pour que la vie en commun soit mieux organisée et plus sûre. 22. Tu vois donc que toute la raison de l’homme repose essentiellement sur le fait qu’il naît nu et fragile, qu’il est atteint par les maladies et frappé par une mort prématurée. En enlevant cela à l’homme, on lui enlèverait aussi nécessairement la raison et la sagesse. 23. Mais voilà trop longtemps que je discute de ces évidences puisqu’il est clair que rien ne s’est jamais fait ni n’aurait pu se faire sans la Providence. Si on voulait maintenant discuter de façon ordonnée de toutes ses œuvres, la matière en serait infinie. 24. Mais moi, j’ai décidé de parler uniquement du corps de l’homme73, pour montrer en lui la puissance de la Providence divine, mais seulement dans ce qui est perceptible et manifeste : car ce qui relève de l’âme n’est ni visible ni perceptible. Je parle maintenant du vaisseau de l’homme74 , que nous voyons. 5. 1. Au commencement75, Dieu en façonnant76 les êtres vivants n’a pas voulu les agréger et les ramasser en une forme sphérique afin de leur permettre de se mouvoir facilement pour marcher et de s’incliner dans n’importe
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produxit caput. Item produxit quaedam membra longius, quae uocantur pedes, ut alternis motibus solo fixa perducerent animal quo mens tulisset aut quo petendi cibi necessitas prouocasset. 2. Ex ipso autem uasculo corporis quattuor fecit extantia, bina posterius, quae sunt in omnibus pedes, item bina capiti et collo proxima, quae uarios usus animantibus praebent. In pecudibus enim ac feris pedes sunt posterioribus similes, in homine autem manus, quae non ad ambulandum, sed ad faciendum tenendumque sunt natae. 3. Est et tertium genus in quo priora illa neque pedes neque manus sunt, sed alae in quibus pinnae per ordinem fixae uolandi exhibent usum. Ita una fictio diuersas species et usus habet. 4. Atque ut ipsam corporis crassitudinem firmiter conprehenderet, maioribus et breuibus ossibus inuicem conligatis quasi carinam conpegit quam nos dicimus spinam eamque noluit ex uno perpetuoque osse formare, ne gradiendi flectendique se facultatem animal non haberet. 5. Ex eius parte quasi media costas id est transuersa et plana ossa porrexit in diuersum, quibus clementer curuatis et in se uelut in circulum paene conductis interna uiscera contegantur, ut ea quae molliora et minus ualida fieri opus erat illius solidae cratis amplexu possent esse munita. 6. In summo uero constructionis eius quam similem nauali carinae diximus, caput conlocauit, in quo esset regimen totius animantis, datumque illi hoc nomen est, ut quidem Varro ad Ciceronem scribit, quod hinc capiant initium sensus ac nerui. 7. Ea uero quae diximus a corpore uel ambulandi uel faciendi uel uolandi causa esse producta, neque nimium longis propter celerem mobilitatem neque nimium breuibus propter firmitatem, sed et paucis et magnis ossibus constare uoluit. 8. Aut enim bina sunt ut in homine aut terna ut in quadrupede. Quae tamen non fecit solida, ne in gradiendo pigritia et grauitas retardaret, sed cauata et ad uigorem corporis conseruandum medullis intrinsecus plena. Eaque rursus non aequaliter porrecta finiuit, sed summas eorum partes nodis crassioribus conglobauit, ut et substringi neruis facilius et uerti tutius possent, unde sunt uertibula nominata. 9. Eos nodos firmiter solidatos leni quodam
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quel sens, mais Il a fait sortir la tête du sommet même du corps. De même, Il a allongé certains membres que l’on appelle pieds, afin qu’en se posant au sol selon un mouvement alterné, ils conduisent l’être vivant où pourrait le porter sa fantaisie ou l’appeler la nécessité de se procurer la nourriture. 2. De ce petit vase corporel77, Il a dégagé quatre parties saillantes, deux à l’arrière, qui pour tous sont les pieds, de même deux près de la tête et du cou, qui remplissent chez les êtres vivants des fonctions variées. Chez les animaux domestiques et sauvages, ces parties sont des pattes semblables aux membres postérieurs, alors que chez l’homme ce sont les mains, qui ont été conçues non pour marcher mais pour fabriquer et tenir. 3. Il y a en outre une troisième catégorie [d’animaux] qui n’ont pour membres supérieurs ni pattes ni mains, mais des ailes, dont les plumes fixées en ordre leur permettent de voler. Ainsi une même configuration78 présente des aspects et des fonctions divers. 4. Pour maintenir fermement l’épaisseur du corps, en attachant entre eux des os de grande et de petite taille, Il a fabriqué une sorte de carène79 que nous nommons colonne vertébrale et Il n’a pas voulu la former avec un os unique et d’un seul bloc, pour ne pas priver l’être vivant de la faculté de marcher ou de s’incliner. 5. De la partie quasi médiane, Il a fait partir de chaque côté les côtes, c’est-à-dire des os transversaux et plats qui, légèrement arrondis et presque fermés sur euxmêmes comme en un cercle, peuvent couvrir les organes internes afin de permettre aux éléments qui devaient être plus mous et moins résistants d’être protégés par l’enveloppe de ce treillis solide. 6. Au sommet de cet édifice que nous avons assimilé à une carène de bateau, Il a placé la tête pour que réside en elle le gouvernail80 de l’être vivant tout entier ; « elle a reçu ce nom (caput) », du moins comme Varron l’écrit à Cicéron, « parce que c’est de là que les sens et les nerfs tirent leur origine (capiant) »81. 7. Quant aux membres que Dieu a, comme nous l’avons dit, dégagés du corps pour la marche, l’action et le vol82 , Il a voulu qu’ils soient constitués d’os ni trop longs eu égard à la rapidité et à la mobilité, ni trop courts eu égard à la résistance, mais d’un petit nombre de grands os. 8. Ils vont soit par deux comme chez l’homme, soit par quatre comme chez le quadrupède. Cependant, Il ne les a pas faits compacts pour éviter tout retard à la marche à cause de la lenteur et du poids, mais creux et remplis à l’intérieur de moelle pour conserver la vigueur corporelle83. En revanche, Il ne leur a pas donné un contour uniforme sur toute leur étendue : Il a arrondi leurs extrémités en des jointures plus épaisses pour leur permettre d’être plus facilement liés aux ligaments et articulés (uerti) avec plus de sécurité. D’où le nom d’articulations (uertibula)84 . 9. S’Il a protégé
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operculo texit, quod dicitur cartilago, scilicet ut sine attritu et sine sensu doloris aliquo flecterentur. Eosdem tamen non in unum modum informauit. 10. Alios enim fecit simplices et in orbem rotundos, in his dumtaxat articulis in quibus moueri membra in omnes partes opertebat, ut in scapulis, quoniam manus utrolibet agitari et contorqueri necessarium est, alios autem latos et aequales et in unam partem rotundos et in his utique locis ubi tantummodo curuari membra oportebat, ut in genibus et cubitis et manibus ipsis. 11. Nam sicut manus ex eo loco unde oriuntur ubique uersus moueri speciosum simul et utile fuit, sic profecto, si hoc idem etiam cubitis accideret, et superuacuus esset eiusmodi motus et turpis. 12. Iam enim manus amissa dignitate quam nunc habet mobilitate nimia proboscidi similis uideretur essetque homo plane anguimanus, quod genus in illa inmanissima belua mirabiliter effectum est. 13. Deus enim qui prouidentiam et potestatem suam multarum rerum mirabili uarietate uoluit ostendere, quoniam caput eius animalis non tam longe porrexerat ut terram posset ore contingere, quod erat futurum horrible atque tetrum, et quia os ipsum profusis dentibus sic armauerat ut, etiamsi contingeret, pascendi tamen facultatem dentes adimerent, produxit inter eos a summa fronte molle ac flexibile membrum quo prendere, quo tenere quodlibet posset, ne rationem uictus capiendi uel dentium prominens magnitudo uel ceruicis breuitas inpediret.
6. 1. Non possum hoc loco teneri quominus Epicuri stultitiam rursum coarguam : illius enim sunt omnia quae delirat Lucretius, qui ut ostenderet animalia non artificio aliquo diuinae mentis, sed, ut solet, fortuito nata esse, dixit « in principio mundi alias quasdam innumerabiles animantes miranda specie ac magnitudine fuisse natas, sed eas permanere non potuisse, quod illas aut sumendi cibi facultas aut coeundi generandique ratio defecisset ». 2. Videlicet ut atomis suis locum faceret, diuinam prouidentiam uoluit excludere. Sed cum uideret in omnibus quae spirant mirabilem prouidentiae inesse rationem, quae, malum, uanitas erat dicere fuisse animalia prodigiosa in quibus ratio cessaret ? 3. Quoniam igitur omnia quae uidemus cum ratione
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ces nœuds fermement liés par une sorte de couvercle nommé cartilage, c’est naturellement pour qu’ils se plient sans frottement ni sensation de douleur. Il ne les a cependant pas façonnés sur un modèle unique. 10. Il en a fait certains simples et arrondis en cercle, mais uniquement dans les articulations où les membres doivent se mouvoir en tous sens, comme dans les épaules, puisqu’il est nécessaire que les mains s’agitent et se tournent dans n’importe quel sens. Quant aux autres, Il les a faits larges, réguliers, arrondis d’un côté, et surtout aux endroits où les membres doivent seulement se plier, comme dans les genoux, les coudes et même les mains. 11. Autant il est à la fois beau et utile pour les mains de se mouvoir dans toutes les directions à partir de l’endroit où elles prennent naissance, autant assurément, si pareille chose arrivait aussi aux coudes, un mouvement de ce genre serait à la fois superflu et disgracieux85. 12. Si la main perdait son actuelle dignité86 , elle ressemblerait par son excessive mobilité à une trompe et l’homme serait en vérité une créature à la main serpentine87, espèce qui a été merveilleusement réalisée dans la fameuse bête monstrueuse. 13. Dieu en effet, qui a voulu montrer Sa Providence et Sa puissance à travers l’admirable variété de multiples créatures, puisqu’Il n’avait pas suffisamment étiré la tête de cet animal pour lui permettre de toucher la terre avec sa gueule - ce qui aurait été effrayant et hideux - et parce qu’Il avait armé cette même gueule de défenses développées au point de lui ôter la faculté de se nourrir même si sa gueule touchait le sol, a fait pousser entre elles en haut du front un membre mou et flexible permettant de saisir et de tenir n’importe quoi, pour éviter que la grandeur excessive de ses défenses ou la petitesse de son cou ne l’empêchent de prendre la nourriture. 6. 1. Je ne peux ici m’empêcher de dénoncer une fois de plus la sottise d’Épicure, car tous les délires de Lucrèce sont de lui. Pour montrer que la naissance des animaux ne doit rien à l’art de l’Intelligence divine, mais est arrivée, comme il a l’habitude de le dire, par hasard, il dit qu’au commencement du monde, apparurent, innombrables, d’autres êtres vivants, d’une apparence et d’une grandeur remarquables, mais qu’ils n’ont pu demeurer durablement, parce qu’il leur manquait soit la faculté de se nourrir soit le moyen de s’unir et de procréer88 . 2. C’est évidemment pour faire place à ses atomes qu’il a voulu exclure la divine Providence89. Mais, alors qu’il voyait dans tout ce qui respire l’admirable raison de la Providence, quelle vanité, que diable ! de supposer l’existence d’animaux prodigieux pour lesquels sa raison ne se soit pas exercée ! 3. Puisque donc tout ce que nous voyons est né conformé-
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nata sunt – id enim ipsum, nasci, efficere nisi ratio non potest –, manifestum est nihil omnino rationis expers potuisse generari. 4. Ante enim prouisum est in singulis quibusque fingendis quatenus et ministerio membrorum ad necessaria uitae uterentur et quatenus adiugatis corporibus elata suboles uniuersas generatim conseruaret animantes. 5. Nam si peritus architectus cum magnum aliquod aedificium facere constituit, primo omnium cogitat quae summa perfecti aedificii futura sit, et ante metitur quem locum leue pondus expectet, ubi magni oneris statura sit moles, quae columnarum interualla, qui aut ubi aquarum cadentium decursus et exitus et receptacula, 6. haec, inquam, prius prouidet ut quaecumque sunt perfecto iam operi necessaria, cum ipsis fundamentis pariter oriatur, cur deum quisquam putet in machinandis animalibus non ante prouidisse quae ad uiuendum necessaria essent quam uitam ipsa daret ? Quae utique constare non posset, nisi prius effecta essent quibus constat. 7. Videbat igitur Epicurus in corporibus animalium diuinae rationis sollertiam, sed ut efficeret quod ante imprudenter adsumpserat, adiecit aliud deliramentum superiori congruens. 8. Dixit enim neque oculos ad uidendum esse natos neque aures ad audiendum neque pedes ad ambulandum, quoniam haec membra prius nata sint quam esset usus uidendi et audiendi et ambulandi, sed horum omnium officia ex natis extitisse. 9. Vereor ne huiusmodi portenta et deridicula refutare non minus ineptum esse uideatur, sed libet ineptire, quoniam cum inepto agimus, ne se ille nimis argutum putet. 10. Quid ais, Epicure ? Non sunt oculi ad uidendum nati ? Cur igitur uident ? Postea, inquit, eorum usus apparuit. Videndi ergo causa nati sunt, siquidem nihil possunt aliud quam uidere. Item membra cetera cuius rei causa nata sint, ipse usus ostendit qui utique nullo modo posset existere, nisi essent membra omnia tam ordinate, tam prouidenter effecta ut usum possent habere. 11. Quid enim si dicas aues non ad uolandum esse natas neque feras ad saeuiendum neque pisces ad natandum neque homines ad sapiendum, cum appareat ei naturae officioque seruire animantes ad quod est quaeque generata ? 12. Sed uidelicet qui summam ipsam ueritatis amisit, semper erret necesse est. Si enim non prouidentia, sed fortuitis atomorum
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ment à la raison – car la naissance précisément, il n’y a que la raison qui puisse la produire –, il est manifeste qu’absolument rien n’a pu être créé sans avoir une raison d’être. 4. On a prévu d’avance, en effet, s’agissant de façonner chaque être, la manière dont il se servirait de ses membres pour ce qui est nécessaire à la vie, et la manière dont un rejeton, produit par l’union des corps, préserverait, espèce par espèce, tous les êtres vivants90. 5. Si en effet un architecte expérimenté91, après avoir décidé de bâtir quelque grand édifice, pense en tout premier lieu à ce que sera la totalité de l’édifice réalisé, s’il mesure à l’avance le lieu qui attend un poids léger, l’endroit où portera le gros de la charge, les intervalles entre les colonnes, comment et par où passeront les chutes d’eau, où elles seront évacuées et recueillies, 6. et si, dis-je, il y pourvoit par avance pour commencer en même temps que les fondations tout ce qui sera nécessaire à l’ouvrage une fois qu’il sera achevé, pourquoi penser que Dieu, en fabriquant les êtres vivants, n’a pas pourvu à ce qui serait nécessaire pour vivre avant de leur donner la vie ? Celle-ci ne pourrait de toute façon pas exister sans la création préalable de ses éléments constitutifs. 7. Épicure voyait donc dans les corps des êtres vivants l’ingéniosité de la raison divine, mais, pour parachever son imprudente hypothèse antérieure, il ajouta une autre extravagance en accord avec la précédente. 8. Il a dit en effet que les yeux n’étaient pas nés pour voir, ni les oreilles pour entendre, ni les pieds pour marcher, puisque ces parties du corps étaient nées avant qu’on eût l’usage de la vue, de l’ouïe et de la marche, mais que les fonctions de tous ces organes sont apparues après leur naissance92 . 9. Je crains qu’il ne paraisse tout aussi fou de réfuter des monstruosités et des bouffonneries de ce genre, mais j’ai envie d’être fou, puisque nous traitons avec un fou, pour l’empêcher de se croire le plus ingénieux. 10. Que dis-tu, Épicure ? Les yeux ne sont pas nés pour voir ? Pourquoi donc voient-ils ? C’est ensuite, dit-il, que leur usage est apparu. Ils sont donc nés pour voir, puisqu’ils ne peuvent que voir. De même, dans quel but sont nées les autres parties du corps, c’est l’usage même qui le montre et, de toute façon, celui-ci ne pourrait absolument pas exister si tous les membres n’avaient été conçus avec assez d’ordre et de sagesse pour qu’on pût en user93. 11. Est-ce à dire en effet que les oiseaux ne sont pas nés pour voler, ni les bêtes sauvages pour être furieuses, ni les poissons pour nager, ni les hommes pour être doués d’intelligence, alors que manifestement les êtres vivants obéissent à la nature et à la fonction en vue desquelles chacun a été engendré ?94 12. Mais naturellement, celui qui a perdu le principe de la vérité est toujours nécessairement dans l’erreur. Si en effet tout naît non point grâ-
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concursionibus nascuntur omnia, cur numquam fortuito accidit sic coire illa principia ut efficerent animal eiusmodi quod naribus potius audiret, odoraretur oculis, auribus cerneret ? 13. Si enim primordia nullum genus positionis inexpertum relinquunt, oportuit eiusmodi cottidie monstra generari in quibus et membrorum ordo praeposterus et usus longe diuersus existeret. 14. Cum uero uniuersa genera et uniuersa in quoque membra leges suas et ordines et usus sibi attributos tueantur, manifestum est nihil fortuito esse factum, quoniam diuinae rationis dispositio perpetua seruatur. 15. Verum alias refellemus Epicurum : nunc de prouidentia ut coepimus disseramus.
7. 1. Deus igitur solidamenta corporis quae ossa dicuntur nodata et adiuncta inuicem neruis adligauit atque constrinxit, quibus mens, si aut excurrere aut resistere uellet, tamquam retinaculis uteretur et quidem nullo labore nulloque conatu, sed uel minimo nutu totius corporis molem temperaret ac flecteret. 2. Haec autem uisceribus operuit ut quemque locum decebat, ut quae solida essent conclusa tegerentur. Item uisceribus ipsis uenas admiscuit quasi riuos per corpus omne diuisos, per quas discurrens umor et sanguis uniuersa membra sucis uitalibus inrigaret, et ea uiscera formata in eum modum qui uni cuique generi ac loco aptus fuit, superiecta pelle contexit, quam uel sola pulchritudine decorauit uel setis adoperuit uel squamis muniuit uel plumis insignibus adornauit. 3. Illud uero commentum dei mirabile quod una dispositio et unus habitus innumerabiles imaginum praeferat uarietates, nam in omnibus fere quae spirant eadem series et ordo membrorum est : 4. primum enim caput et huic adnexa ceruix, item collo pectus adiunctum et ex eo prominentes armi, adhaerens pectori uenter, item uentri subnexa genitalia, ultimo loco femina pedesque. 5. Nec solum membra suum tenorem ac situm in omnibus seruant, sed etiam partes membrorum. Nam in uno capite ipso certam sedem possident aures, certam oculi, nares item, os quoque et in eo dentes et lingua. Quae omnia cum sint eadem in cunctis animantibus, tamen infinita et multiplex diuersitas figurarum est, quod ea quae dixi aut productiora
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ce à la Providence, mais à la suite de rencontres fortuites d’atomes95, pourquoi n’arrive-t-il jamais sous l’effet du hasard que les principes se rencontrent de façon à produire un animal qui entende plutôt par le nez, sente par les yeux et voie par les oreilles ? 13. S’il est vrai que les principes ne laissent aucun genre de disposition sans l’essayer, il aurait fallu que chaque jour fussent engendrés des monstres de ce genre dans lesquels l’ordre des parties fût interverti et leur usage bien différent. 14. Or, du moment que tous les genres et, pour chacun, toutes leurs parties observent leurs propres lois, l’ordre et les usages qui leur ont été attribués, il est manifeste que rien n’a été créé par hasard, puisque l’organisation de la Raison divine se perpétue à jamais. 15. Mais nous réfuterons Épicure une autre fois : discutons maintenant de la Providence comme nous avons commencé à le faire96 . 7. 1. Dieu a donc lié et enchaîné la charpente du corps, c’est-à-dire les os, en les nouant et les joignant entre eux par des tendons, afin que l’esprit, qu’il veuille courir ou s’arrêter, les utilise comme des rênes et que, sans peine ni effort aucun mais même au moindre signe, il gouverne et dirige la masse du corps entier. 2. Il les a recouverts de chair97, comme il convenait à chaque partie, pour que les éléments compacts soient protégés une fois enfermés. De même, Il a mêlé les veines98 aux chairs elles-mêmes, comme des ruisseaux répartis à travers tout le corps, afin qu’en s’y répandant, le liquide sanguin99 irrigue tous les membres de sucs vivifiants100 ; ces chairs façonnées d’une manière adaptée à chaque espèce et à chaque partie, Il les a recouvertes en les enveloppant d’une peau qu’il a parée de sa seule beauté ou recouverte de soies ou protégée d’écailles ou ornée de plumes remarquables101. 3. En vérité, le plan de Dieu a ceci de merveilleux qu’une organisation et une constitution uniques produisent à elles seules une variété innombrable d’apparences car, chez presque tous les êtres qui respirent, l’ordre et la disposition des membres sont les mêmes102 . 4. D’abord en effet se trouve la tête et liée à elle la nuque, de même au cou est jointe la poitrine, d’où sortent les bras ; à la poitrine est attaché le ventre, au bas duquel sont fixées les parties génitales, et, en dernier lieu, les cuisses et les pieds. 5. Non seulement le corps conserve chez tous sa propre teneur et sa disposition, mais il en est aussi de même pour les parties du corps. Par exemple, la tête à elle seule offre une place déterminée pour les oreilles, une pour les yeux, une de même pour le nez, pour la bouche aussi, et dans celle-ci pour les dents et la langue. Bien que tous ces éléments figurent également chez tous les êtres animés, cependant infinie et multiple est la di-
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aut contractiora liniamentis uarie differentibus comprehensa sunt. 6. Quid ? Illud nonne diuinum quod in tanta uiuentium multitudine unum quodque animal in sui generis specie pulcherrimum est ut, si quid uicissim de altero in alterum transferatur, nihil inpeditius ad utilitatem, nihil deformius ad aspectum uideri necesse sit ? Vt si elephanto ceruicem prolixam tribuas aut camelo breuem uel si serpentibus pedes aut pilos addas in quibus porrecti aequaliter corporis longitudo nihil aliud exigebat nisi ut maculis terga distincti et squamarum leuitate suffulti in lubricos tractus sinuosis flexibus laberentur. 7. In quadrupedibus autem idem opifex contextum spinae a summo capite deductum longius extra corpus eduxit et acuminauit in caudam, aut ut obscenae corporis partes uel propter foeditatem tegerentur uel propter teneritudinem munirentur aut ut animalia quaedam minuta et nocentia motu eius arcerentur a corpore : quod membrum si detrahas, inperfectum fit animal ac debile. 8. Vbi autem ratio et manus est, tam non est id necessarium quam indumentum pilorum : adeo in suo quaeque genere aptissime congruunt ut neque nudo quadrupede, neque homine tecto excogitari quicquam turpius possit. 9. Sed tamen cum ipsa nuditas hominis mire ad pulchritudinem ualeat, non tamen etiam capiti congruebat. Texit ergo illud pilo et, quia in summo futurum erat, quasi summum aedificii culmen ornauit. Qui ornatus non est in orbem coactus aut in figuram pillei teres factus, ne quibusdam partibus nudis esset informis, sed alicubi effusus, alicubi retractus pro cuiusque loci decentia. 10. Frons ergo uallata per circuitum et a temporibus effusi ante aures capilli et earum summa pars in coronae modum cincta et occipitium omne contectum speciem miri decoris ostentat. 11. Iam barbae ratio incredibile est quantum conferat uel ad dinoscendam corporum maturitatem uel ad differentiam sexus uel ad decorem uirilitatis ac roboris, ut uideatur omnino non constatura fuisse totius operis ratio, si quicquam aliter esset effectum.
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versité de leurs formes, parce que les parties que j’ai évoquées, qu’elles soient plus allongées ou plus resserrées, sont enveloppées de contours d’une grande variété. 6. Eh quoi ? N’est-il pas divin que, dans une si grande multitude d’êtres vivants, chaque animal soit le plus beau dans son genre spécifique de sorte que si l’on transférait un élément de l’un à l’autre et inversement, rien nécessairement ne semblerait d’un usage plus gênant ni d’un aspect plus hideux ? C’est comme si on dotait l’éléphant d’un cou allongé ou le chameau d’un petit cou ou si l’on ajoutait des pattes ou des poils aux serpents - chez ces animaux, la longueur du corps à l’extension régulière n’impliquait rien d’autre qu’une reptation faite d’ondulations sinueuses, avec leur dos rehaussé de taches et leurs écailles lisses sur lesquelles ils s’appuient pour se traîner en glissant. 7. Chez les quadrupèdes en revanche, le Créateur a prolongé assez loin hors du corps l’assemblage de l’épine dorsale qui part du sommet de la tête et Il l’a effilée en queue afin de voiler les parties honteuses du corps en raison de leur laideur ou de les protéger en raison de leur fragilité ou encore d’éloigner du corps par son mouvement certains petits animaux nuisibles : si l’on supprime ce membre, l’animal devient imparfait et débile103 . 8. Mais là où se trouvent la raison et les mains, ce membre est aussi peu nécessaire qu’une enveloppe de poils : chaque élément dans son genre est admirablement bien adapté, si bien que rien ne se pourrait imaginer de plus laid qu’un quadrupède sans poils ou qu’un homme couvert de poils. 9. Cependant, bien que l’absence de poils par elle-même contribue admirablement à la beauté de l’homme, elle ne convenait pourtant pas à la tête. Il a donc couvert la tête de cheveux et, comme elle devait être au sommet, Il l’a ornée comme le faîte sommital de l’édifice104 . Cet ornement n’a pas été ramassé en boule ou arrondi en forme de bonnet, afin de ne pas être enlaidi par la nudité de certaines parties, mais il est tantôt en désordre tantôt tiré en arrière selon ce qui convient à chaque lieu. 10. Ainsi donc le front protégé sur son pourtour, les cheveux répandus à partir des tempes jusque devant les oreilles, le haut de ces dernières entouré comme par une couronne et l’occiput entièrement recouvert, tout cela offre l’apparence d’une beauté admirable. 11. Le port de la barbe enfin contribue incroyablement à mettre en valeur la maturité physique, à différencier les sexes ou à rehausser la virilité et la force105 de sorte que, semble-t-il, l’organisation de l’œuvre entière n’aurait absolument pas subsisté si quelque chose avait été fait autrement.
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8. 1. Nunc rationem totius hominis ostendam singulorumque membrorum quae in corpore aperta aut operta sunt, utilitates et habitus explicabo. 2. Cum igitur statuisset deus ex omnibus animalibus solum hominem facere caelestem, cetera uniuersa terrena, hunc ad caeli contemplationem rigidum erexit bipedemque constituit, scilicet ut eodem spectaret unde illi origo est, illa uero depressit ad terram, ut quia nulla his inmortalitatis expectatio est, toto corpore in humum proiecta uentri pabuloque seruirent. 3. Hominis itaque solius recta ratio et sublimis status et uultus deo patri communis ac proximus originem suam fictoremque testatur, eius prope diuina mens (quia non tantum animantium quae sunt in terra, sed etiam sui corporis est sortita dominatum), in summo capite conlocata tamquam in arce sublimi, speculatur omnia et contuetur. 4. Hanc eius aulam deus non obductam porrectamque formauit ut in mutis animalibus, sed orbi et globo similem, quod orbis rotunditas perfectae rationis est ac figurae. 5. Eo igitur mens et ignis ille diuinus tanquam caelo tegitur, cuius cum summum fastigium naturali ueste texisset, primorem partem quae dicitur facies necessariis membrorum ministeriis et instruxit pariter et ornauit. 6. Ac primum quod oculorum orbes concauis foraminibus conclusit, a quo foratu frontem nominatam Varro existimat, eos neque minus neque amplius quam duos esse uoluit, quod ad speciem nullus est perfectior numerus quam duorum ; sicut et aures duas : quarum duplicitas incredibile est quantam pulchritudinem praeferat, quod cum pars utraque similitudine ornata est, tum ut uenientes altrinsecus uoces facilius colligantur. 7. Nam et forma ipsa mirandum in modum ficta, quod earum foramina noluit esse nuda et inobsaepta, quod et minus decorum et minus utile fuisset, quoniam simplicium cauernarum angustias praeteruolare uox posset, nisi exceptam per cauos sinus et repercussu retentam foramina ipsa cohiberent illis similia uasculis quibus inpositis solent angusti oris uasa compleri. 8. Eas igitur aures - quibus est inditum nomen a uocibus hauriendis, unde Vergilius « uocemque his auribus hausi », aut, quia uocem ipsam Graeci aὐδήν (audên) uocant ab auditu, per
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8. 1. Je montrerai maintenant l’organisation de l’homme tout entier et pour chacune des parties, qui, dans le corps, sont couvertes ou découvertes, j’en définirai la fonction et la constitution. 2. Ainsi, comme Dieu avait décidé de faire de l’homme, seul de tous les êtres vivants, un être céleste et de tous les autres des êtres terrestres, Il a dressé le premier tout droit pour qu’il contemple le ciel et a fait de lui un bipède, évidemment pour qu’il observe son lieu d’origine, mais les autres, Il les a rabaissés vers la terre pour les rendre esclaves de leur ventre et de leur nourriture, penchés qu’ils sont de tout leur corps vers le sol, puisqu’il n’y a pour eux nul espoir d’immortalité. 3. C’est donc pour l’homme seul que la station verticale, la position debout et le visage, qu’il partage avec Dieu le Père et qui en est très proche, témoignent de son origine et de son Créateur106 . Son esprit presque divin (parce qu’il lui a été donné de dominer non seulement tous les êtres animés qui sont sur terre mais aussi son propre corps), placé au sommet de la tête comme en une citadelle élevée, regarde et observe tout107. 4. Cette demeure de l’esprit, Dieu ne l’a pas façonnée allongée et étirée comme chez les animaux privés de parole, mais semblable à un cercle et à un globe, parce que la rotondité du cercle relève d’un rapport et d’une forme parfaits108 . 5. C’est donc pour cela que l’esprit et le feu divins109 sont couverts comme par le ciel110. Or, comme Il avait couvert sa partie la plus haute d’un vêtement naturel111, Il a équipé de même et embelli la partie antérieure appelée face au moyen des organes corporels nécessaires. 6. Et d’abord, pour ce qui est des globes oculaires qu’Il a enfermés dans des perforations concaves, forage d’où vient le nom de front selon Varron, Il n’en a voulu ni plus ni moins que deux parce que, d’un point de vue esthétique, il n’est pas de nombre plus parfait que deux112 ; il en est de même pour les deux oreilles : la beauté qu’offre leur gémination est quelque chose d’incroyable, parce que leur similitude est pour chacune des deux un ornement, mais surtout parce que les sons, étant donné qu’ils viennent des deux côtés, peuvent être saisis plus facilement. 7. De fait, cette forme a été modelée d’une façon étonnante, parce qu’Il n’a pas voulu laisser leurs ouvertures sans protection ni barrière, ce qui eût été moins beau et moins utile, puisque dans ce cas le son aurait pu traverser rapidement les passages étroits d’orifices simples, sans ces ouvertures pour le contenir en le recueillant dans le creux des cavités et en le retenant par la répercussion, comme ces entonnoirs qu’on place d’ordinaire sur les vases à col étroit pour les remplir113. 8. Le nom d’aures (oreilles) vient de haurire (recueillir) des paroles, d’où le vers de Virgile : « et j’ai de mes oreilles (auribus) recueilli (hausi) sa parole »114 , ou bien, parce que les Grecs
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inmutationem litterae aures uelut audes sunt nominatae - noluit deus artifex mollibus pelliculis informare, quae pulchritudinem demerent pendulae atque flaccentes, neque duris ac solidis ossibus, ne ad usum inhabiles essent immobiles ac rigentes ; sed quod esset horum medium excogitauit, ut eas cartilago mollior adligaret et haberent aptam simul ac flexibilem firmitatem. 9. In his audiendi tantum officium constitutum est sicut in oculis uidendi. Quorum praecipue inexplicabilis est ac mira subtilitas, quia eorum orbes gemmarum similitudinem praeferentes ab ea parte qua uidendum fuit membranis perlucentibus texit, ut imagines rerum contra positarum tamquam in speculo refulgentes ad sensum intimum penetrarent. 10. Per eas igitur membranas sensus ille qui dicitur mens, ea quae sunt foris transpicit, ne forte existimes aut imaginum incursione nos cernere, ut philosophi disserunt, quoniam uidendi officium in eo debet esse quod uidet, non in eo quod uidetur ; aut intentione aeris cum acie aut effusione radiorum, quoniam si ita esset, tardius quam oculos aduertimus uideremus, donec intentus aer cum acie aut effusi radii ad id quod uidendum esset peruenirent. 11. Cum autem uideamus eodem momento temporis, plerumque uero aliud agentes nihilominus tamen uniuersa quae contra sunt posita tueamur, uerius et manifestius est mentem esse quae per oculos ea quae sunt opposita transpiciat quasi per fenestras perlucente uitro aut speculari lapide obductas. 12. Et idcirco mens ac uoluntas ex oculis saepe dinoscitur. Quod quidem ut refelleret Lucretius, ineptissimo usus est argumento, si enim mens, inquit, per oculos uidet, erutis et effossis oculis magis uideret, quoniam euulsae cum postibus fores plus inferunt luminis quam si fuerint obductae. 13. Nimirum ipsi uel potius Epicuro qui eum docuit effossi oculi erant, ne uideret effossos orbes et ruptas oculorum fibras et fluentem per uenas sanguinem et crescentes ex uulneribus carnes et obductas ad ultimum cicatrices nihil posse lucis admittere, nisi forte oculos auribus similes nasci uolebat, ut non tam oculis quam foraminibus cerneremus : quo nihil ad speciem foedius, ad usum inutilius fieri potest. 14. Quantulum enim uidere possemus, si mens a intimis penetralibus
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appellent la voix audê à partir du mot audire (entendre), on a appelé les oreilles aures comme audes en changeant une lettre. Ces oreilles donc, Dieu créateur n’a pas voulu les façonner à l’aide de tendres pellicules, qui, pendantes et tombantes, leur auraient ôté toute beauté, ni avec des os durs et solides pour éviter que leur immobilité et leur rigidité ne les rendent inaptes à l’usage ; au contraire, Il a imaginé un moyen terme : Il les a liées à l’aide d’un cartilage assez tendre et leur a donné une consistance à la fois bien adaptée et souple. 9. Elles se sont vu fixer pour seule fonction celle d’entendre, comme les yeux celle de voir. La finesse des yeux est difficile à expliquer et étonnante au plus haut point, parce que Dieu a couvert leurs globes, qui sont semblables à des gemmes, de membranes translucides du côté où on devait voir, pour que les images des objets placés en face, se réfléchissant comme dans un miroir, pénètrent au plus profond de la sensibilité. 10. C’est donc par ces membranes que le siège de la sensibilité appelé esprit aperçoit ce qui est au dehors ; ne va pas d’aventure croire que nous voyons par l’incursion des simulacres115, comme l’exposent certains philosophes, puisque la fonction de voir doit dépendre de ce qui voit et non de ce qui est vu116 ; ne va pas croire non plus que c’est par la tension de l’air avec le regard117 ou par l’émission des rayons118 , puisque, s’il en était ainsi, nous verrions plus lentement que nous ne tournons les yeux, le temps que l’air en tension avec le regard ou les rayons émis parviennent à l’objet de la vision119. 11. Or, comme la vision est instantanée et que la plupart du temps, même en faisant autre chose, nous voyons néanmoins tout ce qui est placé en face de nous, il est plus exact et plus évident (de dire) que c’est l’esprit qui voit par les yeux ce qui est placé en face120, comme à travers des fenêtres fermées par une vitre transparente121 ou une pierre spéculaire122 . 12. C’est pour cela qu’on reconnaît souvent au regard l’esprit ou la volonté. Pour réfuter cela, Lucrèce a utilisé un argument de la dernière ineptie : si en effet, dit-il, l’esprit voit par les yeux, il verrait davantage avec les yeux arrachés et crevés, puisque les portes arrachées avec leurs jambages apportent plus de lumière que si elles étaient fermées123. 13. C’est sans doute qu’on lui avait crevé les yeux ou plutôt à Épicure qui l’a formé, s’il ne voit pas que les yeux crevés, les fibres oculaires arrachées, le flot de sang dans les veines, les chairs qui poussent sur les blessures et les plaies finalement cicatrisées ne peuvent recevoir aucune lumière, à moins que par hasard, il n’ait voulu que les yeux fussent formés sur le modèle des oreilles, de façon à ce que nous regardions moins par les yeux que par leurs orbites : rien ne saurait être d’aspect plus laid et d’usage plus inutile. 14. Quelle petite capacité de vision en effet, si l’esprit se tendait
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capitis per exiguas cauernarum rimulas attenderet ! ut si quis uelit transpicere per cicutam, non plus profecto cernat quam cicutae ipsius capacitas conprehendat. 15. Itaque ad uidendum membris potius in orbem conglobatis opus fuit, ut uisus in latum spargeretur, et quae in primori facie adhaererent, ut libere possent omnia contueri. 16. Ergo ineffabilis diuinae prouidentiae uirtus fecit duos simillimos orbes eosque ita deuinxit, ut non in totum conuerti, sed moueri tamen ac flecti cum modo possent, orbes autem ipsos umoris puri ac liquidi plenos esse uoluit, in quorum media parte scintillae luminum conclusae tenerentur, quas pupillas nuncupamus, in quibus puris atque subtilibus cernendi sensus ac ratio continetur. 17. Per eos igitur orbes se ipsam mens intendit ut uideat miraque ratione in unum miscetur et coniungitur amborum luminum uisus.
9. 1. Libet hoc loco illorum reprehendere uanitatem qui dum uolunt ostendere sensus falsos esse, multa colligunt in quibus oculi fallantur, inter quae illud etiam quod furiosis et ebriis omnia duplicia uideantur, quasi uero eius erroris obscura sit causa. Ideo enim fit quia duo sunt oculi. 2. Sed quomodo id fiat accipe : uisus oculorum intentione animi constat. Itaque quoniam mens, ut supra dictum est, oculis tamquam fenestris utitur, non tantum hoc ebriis aut insanis accidit, sed et sanis et sobriis. Nam si aliquid nimis propius admoueas, duplex uidebitur : certum est enim interuallum ac spatium quo acies oculorum coit. 3. Item si retrorsum auoces animum quasi ad cogitandum et intentionem mentis relaxes, tum acies oculi utriusque diducitur et singuli uidere incipiunt separatim. Si animum rursus intenderis aciemque direxeris, coit in unum quidquid duplex uidebatur. 4. Quid ergo mirum si mens ueneno ac potentia uini dissoluta dirigere se non potest ad uidendum, sicut ne pedes quidem ad ambulandum neruis stupescentibus debiles aut si uis furoris in cerebrum saeuiens concordiam disiungit oculorum ? quod adeo uerum est ut luscis hominibus, si aut insani aut ebrii fiant, nullo modo possit accidere ut aliquid duplex uideant. 5. Quare si ratio apparet cur
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depuis la partie la plus retirée de la tête à travers les petites fentes des cavités ! C’est comme si on voulait voir à travers un tuyau de paille : notre vision se limiterait à la capacité de ce tuyau124 . 15. C’est pourquoi il fallait, pour voir, des organes plutôt ramassés en cercle afin que la vision se répandît largement, et qui fussent fixés sur le devant du visage afin qu’on pût tout contempler librement. 16. La puissance ineffable de la Providence divine a donc fait deux globes parfaitement semblables et les a fixés de façon à ce qu’ils puissent non pas se tourner dans tous les sens mais se mouvoir malgré tout et tourner avec mesure. Il a voulu, d’autre part, que ces globes soient pleins d’une humeur pure et transparente125 et qu’en leur milieu soient tenues enfermées les étincelles des yeux que nous appelons pupilles et qui, pures et fines, contiennent le sens de la vue et son mécanisme. 17. C’est donc par ces globes que l’esprit se tend de lui-même pour voir et c’est d’une façon admirable que les visions des deux yeux se mêlent et s’unissent pour ne faire qu’un. 9. 1. Il me plaît ici de blâmer la vanité de ceux qui, en voulant montrer que les sens sont trompeurs, rassemblent de nombreux exemples où les yeux se trompent, et parmi eux, le fait en particulier que tout paraît double aux hommes sujets au délire ou à l’ivresse126 . Comme si vraiment la cause de cette erreur était obscure ! Cela se produit en effet parce que nous avons deux yeux. 2. Mais écoute comment cela se produit : la vision des yeux suppose une tension de l’esprit. C’est pourquoi, puisque l’esprit, comme on l’a dit plus haut127, utilise les yeux comme des fenêtres, cela n’arrive pas seulement aux hommes ivres ou fous, mais aussi à ceux qui sont sains d’esprit et sobres. En effet, si on s’approche trop d’un objet, on le verra double : c’est que l’intervalle et l’espace où se rejoignent les rayons visuels des deux yeux sont déterminés. 3. De même, si inversement on détourne son esprit par exemple pour réfléchir et si on relâche la tension de l’âme, alors les rayons visuels des deux yeux s’écartent et chacun commence à voir séparément. Si on tend de nouveau son esprit et que l’on contrôle son regard, tout ce qui paraissait double se rassemble pour ne faire qu’un. 4. Qu’y a-t-il donc d’étonnant à ce que l’esprit, amolli par la drogue et la puissance du vin, ne puisse se diriger pour voir, de même que les pieds ne le peuvent même pas pour marcher quand ils sont affaiblis par un engourdissement des nerfs ? Ou à ce que la force de la folie, lorsqu’elle fait rage dans le cerveau, ne rompe l’union des yeux ? Cela est si vrai que, si des borgnes devenaient fous ou ivres, il ne pourrait en aucune manière leur arriver de voir double128 . 5. Ainsi, si la raison pour laquelle les
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oculi fallantur, manifestum est non esse falsos sensus : qui aut non falluntur, si sunt puri et integri, aut si fallantur, mens tamen non fallitur, quae illorum nouit errorem. 10. 1. Sed nos ad dei opera reuertamur. Vt igitur oculi munitiores essent ab iniuria, eos ciliorum tegminibus occuluit, unde oculos esse dictos Varroni placet. 2. Nam ipsae palpebrae, quibus mobilitas id est palpitatio uocabulum tribuit, pilis in ordinem stantibus uallatae saeptum oculis decentissimum praebent : quarum motus adsiduus inconprehensibili celeritate concurrens et uidendi tenorem non inpedit et reficit obtutum. 3. Acies enim id est membrana illa perlucens, quam siccari et obarescere non oportet, nisi umore adsiduo tersa praeniteat, obsolescit. 4. Quid ? Ipsa superciliorum fastigia pilis breuibus adornata nonne quasi aggeribus et munimentum oculis ne quid superne incidat, et speciem simul praestant ? Ex quorum confinio nasus, exoriens et ueluti aequali porrectus iugo utramque aciem simul et discernit et munit. 5. Inferius quoque genarum non indecens tumor in similitudinem collium leuiter exsurgens, ab omni parte oculos efficit tutiores prouisumque est ab artifice summo ut si qui forte uehementior ictus extiterit, eminentibus repellatur. 6. Nasi uero pars superior usque ad medium solida formata est, inferior autem cartilagine adhaerente mollita, ut ad usum digitorum possit esse tractabilis. 7. In hoc autem quamuis simplici membro tria sunt officia constituta, unum ducendi spiritus, alterum capiendi odoris, tertium ut per eius cauernas purgamenta cerebri defluant, quas ipsas deus quam mirabili, quam diuina ratione molitus est, ut tamen hiatus ipse nasi oris speciem non deformaret ! 8. Quod erat plane futurum, si unum ac simplex foramen pateret : at id uelut pariete per medium ducto intersaepsit atque diuisit fecitque ipsa duplicitate pulcherrimum. 9. Ex quo intellegimus quantum dualis numerus una et simplici conpage solidatus ad rerum ualeat perfectionem. Nam cum sit corpus unum, tamen totum ex simplicibus membris constare non poterat, nisi ut essent partes uel dexterae uel sinistrae. 10. Itaque ut pedes duo et item manus non tantum ad utilitatem aliquam usumque uel gradiendi uel faciendi ualent, sed et habitum decoremque admirabilem conferunt, sit in capite, quod
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yeux se trompent apparaît clairement, il est évident que les sens ne sont pas trompeurs : ou bien ils ne se trompent pas, s’ils sont sains et intacts, ou bien s’ils se trompent, l’esprit lui, qui connaît leur erreur, ne se trompe pas. 10. 1. Mais revenons aux œuvres de Dieu129. Ainsi donc pour que les yeux soient mieux protégés contre les dommages, Il les a occultés (occuluit) derrière la barrière des cils, d’où leur nom d’oculi (yeux) selon Varron130. 2. Les paupières en effet, qui tirent leur nom de leur mobilité, ou « palpitation », fortifiées par une rangée de poils dressés, offrent aux yeux un rempart tout à fait adapté131 : leur mouvement incessant qui se produit à une vitesse incroyable n’empêche pas de continuer à voir et redonne des forces au regard. 3. L’œil, c’est-à-dire la membrane diaphane, qui ne doit devenir ni sèche ni aride, perd de ses forces si son éclat n’est pas entretenu en permanence par du liquide. 4. De plus, au-dessus, les sourcils, parés de poils courts, n’offrent-ils pas, grâce à une espèce de remblai, une protection aux yeux contre les chutes venues d’en haut132 et en même temps une parure ? C’est dans leur voisinage que prend naissance le nez, qui s’allonge pour ainsi dire en une proéminence équilibrée et sépare en même temps qu’il protège les deux yeux133. 5. Au-dessous, le bombement harmonieux des joues, légèrement proéminent comme des collines, améliore de chaque côté la protection des yeux et l’Artisan suprême a veillé à ce que tout coup assez violent soit repoussé par leur saillie. 6. La partie supérieure du nez, jusqu’au milieu, a une constitution solide, tandis que la partie inférieure, formée de cartilages est plus souple pour pouvoir être manipulée par les doigts. 7. Cet organe, en dépit de sa simplicité, s’est vu assigner trois fonctions, dont l’une est d’amener l’air, l’autre de saisir les odeurs, la troisième d’évacuer les déchets du cerveau à travers ses cavités134 . Avec quel art admirable et divin Dieu les a fabriquées, pour que la béance même du nez n’altère cependant pas la beauté du visage ! 8. Ce qui n’aurait pas manqué de se produire avec l’ouverture d’une simple et unique cavité : mais Il l’a séparée et divisée comme par une cloison menée au milieu, dédoublement qui l’a particulièrement embellie. 9. D’où nous comprenons à quel point le nombre deux, soudé en un seul et unique assemblage, contribue à la perfection des choses135. En effet, en dépit de son unité, le corps ne pouvait être tout entier constitué de membres uniques, à moins de n’avoir que des parties droites ou que des parties gauches. 10. C’est pourquoi, les deux pieds et les deux mains ne visent pas seulement à quelque utilité et à la fonction de marcher et de fabriquer, mais confèrent aussi une forme et une beauté admirables ; de la même
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totius diuini operis quasi culmen est, et auditus in duas aures et uisus in duas acies et odoratio in duas nares a summo artifice diuisa est, quia cerebrum, in quo sentiendi ratio est, quamuis sit unum, tamen in duas partes membrana interueniente discretum est. 11. Sed et cor, quod sapientiae domicilium uidetur, licet sit unum, duos tamen intrinsecus sinus habet, quibus fontes uiui sanguinis continentur saepto intercedente diuisi, ut sicut in ipso mundo summa rerum uel de simplici duplex uel de duplici simplex et gubernat et continet totum, in corpore de duobus uniuersa conpacta indissociabilem praetenderent unitatem. 12. Oris quoque species et rictus ex transuerso patefactus quam utilis, quam decens sit, enarrari non potest : cuius usus in duobus constat officiis, sumendi uictus et eloquendi. 13. Lingua intus inclusa, quae uocem motibus suis in uerba discernit, et est interpres animi nec tamen sola per se potest loquendi munus inplere, nisi acumen suum palato inliserit, nisi adiuta uel offensione dentium uel conpressione labrorum. Dentes tamen plus conferunt ad loquendum : 14. nam et infantes non ante incipiunt fari quam dentes habuerint et senes amissis dentibus ita balbuttiunt, ut ad infantiam denuo reuoluti esse uideantur. 15. Sed haec ad hominem solum pertinent aut aues, in quibus acuminata et uibrata certis motibus lingua innumerabiles cantuum flexiones et uarios sonorum modos exprimit. 16. Habet praeterea et aliud officium, quo in omnibus, non tamen solo in mutis utitur, quod contritos et permolitos dentibus cibos colligit et conglobatos ui sua deprimit et transmittit ad uentrem. Itaque Varro a ligando cibo putat linguae nomen impositum. Bestias etiam potu adiuuat : 17. protenta enim cauataque hauriunt aquam eamque comprehensam linguae sinu, ne tarditate ac mora refluat, ad palatum celeri mobilitate conplodunt. Haec itaque palati concauo tamquam testudine tegitur eamque dentium saeptis deus quasi muro circumuallauit. 18. Dentes autem ipsos, ne nudi ac restricti magis horrori quam ornamento essent, gingiuis mollibus, quae a gignendis dentibus nominantur, ac deinde labrorum tegminibus honestauit : quorum durities sicut in molari lapide maior est et asperior quam in ceteris ossibus, ut ad
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façon, dans la tête, qui est pour ainsi dire le point culminant136 de toute l’œuvre divine, le Créateur suprême a réparti l’ouïe entre les deux oreilles, la vue entre les deux yeux et l’odorat entre les deux narines, puisque le cerveau, où réside la faculté de sentir, tout unique qu’il soit, est séparé en deux parties par une membrane médiane137. 11. Mais le cœur aussi, qui paraît être le siège de la sagesse, bien qu’unique, présente cependant deux replis internes, qui contiennent les sources vives de sang, séparées par une barrière intermédiaire138 . Ainsi, comme dans le monde, la nature139, double à partir du simple ou simple à partir du double, gouverne et maintient le tout, de même dans le corps, tout assemblage de deux éléments manifeste une unité indivisible. 12. En outre, on ne saurait exprimer la beauté de la bouche, ni l’utilité et l’harmonie de cette ouverture transversale : son utilité est liée à deux fonctions, prendre la nourriture et parler. 13. La langue, enfermée à l’intérieur, qui, par ses mouvements, divise le son en mots, est aussi l’interprète de l’âme140 mais ne peut cependant remplir à elle seule la fonction de parler, si sa pointe ne vient pas frapper contre le palais, si elle n’est pas aidée par un choc contre les dents ou la fermeture des lèvres141. Les dents cependant sont plus utiles pour parler : 14. les bébés en effet ne commencent pas à parler avant d’avoir des dents142 et les vieillards, après avoir perdu leurs dents, bredouillent au point de paraître à nouveau retombés en enfance. 15. Mais cela concerne seulement l’homme ou les oiseaux, dont la langue pointue et agitée de mouvements précis émet d’innombrables modulations chantées et des cadences sonores variées. 16. Elle a en outre une autre fonction, dont tous font usage, et pas seulement les animaux : c’est de rassembler les aliments écrasés et broyés par les dents, de les mettre en boule, de les faire descendre par sa propre force et de les faire passer dans l’estomac143. C’est pourquoi, selon Varron, le nom de langue (lingua) vient de lier (ligare) la nourriture144 . 17. Elle aide aussi les bêtes à boire car, allongée et creuse, elle leur permet de puiser l’eau. Puis, elles la gardent dans un repli de la langue pour l’empêcher de refluer à cause de quelque retard ou lenteur, avant de la jeter contre le palais avec rapidité et souplesse. C’est pourquoi elle est protégée par la voûte du palais comme par une carapace, et Dieu l’a entourée, comme par un mur, de la barrière des dents145. 18. Quant aux dents, pour qu’elles ne soient pas source d’effroi plutôt que de beauté en restant nues et découvertes, Il les a embellies par de souples gencives, dont le nom vient de « générer » (gignere) les dents, et ensuite par la protection des lèvres : leur dureté est plus grande, comme dans la pierre meulière146 , et présente plus de relief que les autres os, pour leur per-
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conterendos cibos pabulumque sufficerent. 19. Labra ipsa quae quasi antea cohaerebant, quam decenter interscidit ! quorum superius sub ipsa medietate narium lacuna quadam leui quasi ualle signauit, inferius honestatis gratia foras molliter explicauit. 20. Nam quod attinet ad saporem capiendum, fallitur quisquis hunc sensum palato inesse arbitratur, lingua est enim qua sapores sentiuntur, nec tamen tota : nam partes eius quae sunt ab utroque latere teneriores, saporem subtilissimis sensibus trahunt ; et cum neque ex cibo quicquam neque ex potione minuatur, tamen inenarrabili modo penetrat ad sensum sapor eadem ratione qua nihil de quaque materia odoris capio decerpit. 21. Cetera quam decora sint uix exprimi potest : deductum clementer a genis mentum et ita inferius conclusum ut acumen eius extremum signare uideatur leuiter inpressa diuisio, rigidum ac teres collum, scapulae uelut mollibus iugis a ceruice demissae, ualida et substricta neruis ad fortitudinem brachia, insignibus toris extantium lacertorum uigens robur, utilis ac decens flexura cubitorum. 22. Quid dicam de manibus rationis ac sapientiae ministris ? Quas sollertissimus artifex plano ac modice concauo sinu fictas, ut si quid tenendum sit, apte possit insidere, in digitos terminauit : in quibus difficile est expedire utrumne species an utilitas maior sit. 23. Nam et numerus perfectus ac plenus et ordo ac gradus decentissimus et articulorum parium curuatura flexibilis et forma unguium rotunda concauis tegminibus digitorum fastigia conprehendens atque firmans, ne mollitudo carnis in tenendo cederet, magnum praebet ornatum. 24. Illud uero ad usum miris modis habile, quod unus a ceteris separatus cum ipsa manu oritur et in diuersum maturius funditur, qui se uelut obuium ceteris praebens omnem tenendi faciendique rationem uel solus uel praecipue possidet tamquam rector omnium atque moderator ; unde etiam pollicis nomen accepit, quod ui et potestate inter ceteros polleat. 25. Duos quidem articulos extantes habet, non ut alii ternos, sed unus ad manum carne conectitur pulchritudinis gratia : si enim fuisset tribus articulis et ipse discretus, foeda et indecora species ademisset manibus honestatem. 26. Iam pectoris latitudo sublimis et exposita oculis mirabilem prae se fert habitus sui dignitatem. Cuius haec causa est quod uidetur
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mettre de broyer les aliments et la nourriture. 19. Les lèvres elles-mêmes qui formaient, pour ainsi dire auparavant147, un seul bloc, comme Il les a élégamment séparées ! La lèvre supérieure, Il l’a marquée, juste sous le milieu du nez, d’un petit creux, sorte de fossette, et la lèvre inférieure, Il l’a légèrement épaissie pour l’embellir. 20. Pour ce qui est de saisir les saveurs, il se trompe celui qui pense que ce sens réside dans le palais148 , car c’est la langue qui permet de percevoir les saveurs, mais pas dans sa totalité : ce sont en effet ses parties les plus tendres de chaque côté qui captent les saveurs à l’aide d’organes sensoriels très fins ; et bien que cela n’entraîne aucune diminution de la nourriture ou de la boisson, les saveurs cependant pénètrent jusqu’au sens d’une manière inexprimable, de la même façon que la perception de l’odeur ne retranche rien à chaque substance. 21. On peut à peine exposer la beauté de tout le reste : le menton doucement dessiné depuis les joues et qui se termine au-dessous de façon à ce qu’une division légèrement marquée paraisse signaler sa pointe extrême ; le cou droit et rond ; les épaules qui descendent de la nuque comme en de légères saillies ; les bras vigoureux et liés par des nerfs qui contribuent à leur force, les muscles remarquablement saillants et d’une grande résistance et les coudes dont la flexion est aussi belle et qu’utile. 22. Que dire des mains au service de la raison et de la sagesse149 ? Le Créateur, plein d’intelligence, les a façonnées en une courbure plane et légèrement concave pour que tout objet à saisir puisse s’y poser convenablement et les a terminées par des doigts : là-dessus, il est difficile de démêler si c’est la beauté ou l’utilité qui l’emporte. 23. De fait, leur nombre plein et parfait150, leur ordre et leur position harmonieux, la courbure souple d’articulations égales et la forme arrondie des ongles qui embrasse et fortifie de leur enveloppe concave l’extrémité des doigts (pour éviter que la tendreté de la chair ne cède quand on saisit), tout cela offre une noble parure. 24. Voici qui est admirablement adapté à l’usage : un seul d’entre eux, séparé, prend naissance dans la main et se déploie assez vite en sens opposé ; en se présentant, en quelque sorte, face aux autres151, il possède soit seul soit au plus haut degré toute faculté de tenir et de faire, comme leur guide et leur chef à tous152 ; il a reçu le nom de pouce (pollex) de ce qu’il est puissant (pollet) entre tous par la force et le pouvoir153. 25. Il a deux phalanges et non trois comme les autres, mais une seule est liée à la main par de la chair, dans un but esthétique : en effet, s’il avait eu trois phalanges tout en étant lui-même séparé des autres, son aspect vilain et disgracieux eût ôté aux mains leur charme. 26. Quant à la poitrine, sa largeur, sa position verticale et exposée aux regards, montrent nettement l’admirable dignité de son apparence.
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hominem solum deus ueluti supinum formasse - nam fere nullum aliud animal iacere in tergum potest -, mutas autem animantes quasi alterno latere iacentes finxisse atque ad terram compressisse. Idcirco illis angustum pectus et ab aspectu remotum et ad terram uersus abiectum, hominis autem patens et erectum, quia plenum rationis a caelo datae humile aut indecens esse non debuit. 27. Papillae quoque leuiter eminentes et fuscioribus ac paruis orbibus coronatae non nihil addunt uenustatis, feminis ad alendos fetus datae, maribus ad solum decus, ne informe pectus et quasi mutilum uideretur. Huic subdita est planities uentris, quam mediam fere umbilicus non indecenti nota signat ad hoc factus ut per eum fetus dum est in utero nutriatur.
11. 1. Sequitur necessario ut de internis quoque uisceribus dicere incipiam, quibus non pulchritudo, quia sunt abdita, sed utilitas incredibilis attributa est quoniam opus fuerat ut terrenum hoc corpus suco aliquo de cibis ac potibus aleretur sicut et terra ipsa imbribus ac pruinis. 2. Prouidentissimus artifex in medio eius receptaculum cibis fecit, quibus concoctis et liquefactis uitales sucos membris omnibus dispertiret. 3. Sed cum homo constet ex corpore atque anima, illud quod supra dixi receptaculum soli corpori praestat alimentum, animae uero aliam sedem dedit. Fecit enim genus quoddam uisceris molle atque rarum, quod pulmonem uocamus, eumque non in utris modum finxit, ne effunderetur semel spiritus aut inflaret semel. 4. Ideoque plenum quidem uiscus effecit, sed inflabile atque aeris capax, ut paulatim reciperet dum uitalis uentus per illam spargitur raritatem, et eundem rursus paulatim redderet dum se ex illo explicat : ipsa enim uicissitudo et spirandi respirandique tractus uitam sustentat in corpore. 5. Quoniam ergo duo sunt in homine receptacula, unum aeris quod alit animam, alterum ciborum quod alit corpus, duas esse per collum fistulas necesse est, cibalem ac spiritalem, quarum superior ab ore ad uentrem ferat, inferior a naribus ad pulmonem. 6. Quarum natura et ratio diuersa est. Ille enim qui est ab ore transitus mollis effectus est et qui semper clausus cohaereat sibi sicut os ipsum, quoniam potus
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La cause en est que c’est l’homme seul que Dieu paraît avoir formé comme un être dressé vers le haut – car presque aucun autre animal ne peut se coucher sur le dos –, tandis que les animaux, Il les a façonnés couchés pour ainsi dire sur l’un ou l’autre flanc et les a pressés vers la terre. C’est pourquoi ils ont une poitrine étroite, éloignée des regards et baissée vers la terre, tandis que celle de l’homme est large et dressée, parce que, pleine d’une raison donnée par le ciel, elle ne devait être ni basse ni sans beauté154 . 27. Les seins, eux aussi, légèrement saillants et couronnés de petites aréoles plus foncées, ne sont pas sans ajouter de la grâce, donnés aux femmes pour nourrir les bébés et aux hommes pour la beauté seulement, pour que la poitrine ne paraisse pas informe et incomplète. Au-dessous, se trouve la surface plane du ventre : le nombril en indique presque le milieu d’une marque non dénuée de beauté, nombril conçu pour permettre de nourrir le fœtus, tant qu’il est dans l’utérus. 11. 1. Après cela, il me faut commencer à parler aussi des organes internes , auxquels a été attribuée non pas la beauté puisqu’ils sont cachés, mais une incroyable utilité puisque ce corps terrestre devait être nourri par un suc provenant des aliments et des boissons, comme la terre elle aussi est nourrie par les pluies et les gelées156 . 2. Dans sa grande prévoyance, le Créateur157 a conçu en son milieu un réceptacle pour les aliments destiné à la répartition des sucs vitaux dans tout le corps, une fois les aliments ramollis et digérés158 . 3. Mais l’homme étant constitué d’un corps et d’une âme, c’est seulement au corps que le réceptacle dont j’ai parlé plus haut fournit des aliments, tandis qu’à l’âme, Il a donné un autre siège159. Il a fabriqué en effet une sorte d’organe mou et formé de cavités que nous appelons poumon, mais Il ne l’a pas formé à la manière d’une outre pour que le souffle ne s’en échappe pas, ni ne le gonfle d’un seul coup160. 4. Il a réalisé un organe certes plein, mais susceptible de se gonfler et de se remplir d’air pour recueillir peu à peu le souffle en répandant le souffle vital161 à travers ses cavités, et pour le rejeter peu à peu en l’exhalant : ce cours alterné de la respiration et le mouvement d’expiration et d’inspiration maintiennent la vie dans le corps162 . 5. Donc, puisqu’il y a chez l’homme deux réceptacles, l’un pour l’air qui nourrit l’âme, l’autre pour la nourriture qui nourrit le corps, il y a nécessairement dans le cou deux conduits, l’un pour la nourriture, l’autre pour l’air. Le premier va de la bouche à l’estomac, le second des narines au poumon163. 6. Ils diffèrent par leur nature et leur structure : celui qui part de la bouche est ramolli et de nature à être toujours fermé avec les bords rapprochés comme la bouche, puisque la 155
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et cibus dimota et patefacta gula, quia corporales sunt, spatium sibi transmeandi faciunt. 7. Spiritus contra qui est incorporalis ac tenuis, quia spatium sibi facere non poterat, accepit uiam patentem, quae uocatur gurgulio. Is constat ex ossibus flexuosis ac mollibus quasi ex anellis in cicutae modum inuicem conpactis et cohaerentibus patetque semper hic transitus. 8. Nullam enim requiem meandi habere spiritus potest : qui quia semper commeat (demissa utiliter de cerebro membri portione, cui uua nomen est, uelut occursu quodam refrenatur), ne aut teneritudinem domicilii cum impetu ueniens attracta pestilenti aura corrumpat aut totam nocendi uiolentiam internis receptaculis perferat. Ideoque etiam nares breuiter sunt apertae : quae idcirco sic nominantur quia per eas uel odor uel spiritus nare non desinit. 9. Tamen haec fistula spiritalis non tantum ad nares, uerum ad os quoque interpatet in extremis palati regionibus, ubi se tolles faucium spectantes uuam tollere incipiunt in tumorem. 10. Cuius rei causa et ratio non obscura est. Loquendi enim facultatem non haberemus, si ut gulae iter ad os tantum, ita gurgulio ad nares tantum pateret. 11. Aperuit igitur uiam uoci diuina sollertia ex illa fistula spiritali, ut posset lingua ministerio suo fungi et uocis ipsius inoffensum tenorem pulsibus suis in uerba concidere. Qui meatus si aliquo modo intersaeptus sit, mutum faciat necesse est : errat enim profecto quisquis aliam causam putat cur homines muti sint. 12. Non enim, ut uulgo creditur, uinctam gerunt linguam, sed hi uocalem illum spiritum per nares quasi mugientes profundunt, quod uoci transitus ad os aut nullus omnino est aut non sic patens, ut plenam uocem possit emittere. 13. Quod plerumque natura fit, aliquando etiam casu accidit ut morbo aliquo hic aditus obsaeptus uocem non transmittat ad linguam faciatque de loquentibus mutos. Quod cum acciderit, auditum quoque obstrui necesse est, ut quia uocem emittere non potes, ne admittere quidem possit. Loquendi ergo causa patefactus est hic meatus. 14. Illud quoque praestat, ut in lauacris celebrandis, quia nares calorem ferre non possunt, aer feruens ore ducatur, item si forte spiramenta narium frigoris pituita praecluserit, per os auram trahere possimus, ne obstructa meandi
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boisson et la nourriture, qui sont matérielles, se frayent un passage en écartant et en ouvrant l’œsophage. 7. Le souffle en revanche, qui est incorporel et ténu, comme il ne pouvait se frayer un passage, a reçu une route dégagée, appelée trachée-artère164 . Celle-ci est constituée d’os souples et flexibles, comme des anneaux assemblés et liés entre eux à la manière d’un tuyau, et ce passage reste toujours ouvert. 8. Le souffle en effet ne peut avoir nul repos dans sa circulation : comme il est toujours en mouvement, il est freiné au moyen d’une sorte d’obstacle (il s’agit d’un appendice qui descend utilement du cerveau165 et qui a pour nom la luette), destiné à l’empêcher de corrompe par son arrivée impétueuse sa fragile demeure en entraînant après lui un air malsain ou d’apporter aux réceptacles internes166 toute une violence nocive167. C’est pour cela que les narines, elles aussi, sont légèrement ouvertes. Les narines (nares) sont ainsi nommées parce que c’est par elles que l’odeur ou le souffle ne cessent de naviguer (nare)168. 9. Cependant, le conduit du souffle ne s’ouvre pas seulement vers les narines, mais aussi vers la bouche à l’extrémité du palais, où les amygdales dans la gorge, face à la luette, commencent à se soulever en un renflement169. 10. La cause et l’explication n’en sont pas obscures car nous n’aurions pas la faculté de parler, si, comme l’œsophage qui ne mène qu’à la bouche, la trachée-artère ne menait qu’aux narines. 11. L’ingéniosité divine a donc ouvert aussi un chemin à la voix à partir du conduit du souffle, afin que la langue puisse accomplir sa fonction et découper en mots grâce à ses impulsions le cours ininterrompu et continu de la voix170. L’obstruction de ce passage de quelque manière que ce soit rend nécessairement muet. C’est vraiment une erreur de croire que les hommes sont muets pour une autre raison. 12. Ce n’est pas, comme on le croit couramment, parce qu’ils ont la langue entravée171 mais parce qu’ils répandent le souffle vocal par les narines, comme s’ils mugissaient172 , soit que la voix n’ait absolument aucun passage vers la bouche, soit que celui-ci ne soit pas assez ouvert pour permettre l’émission d’un son plein173. 13. Si cela se produit le plus souvent par nature, il arrive aussi parfois par accident que ce passage, obstrué par quelque maladie, ne transmette pas le son vers la langue et rende muets des hommes doués de parole. Lorsque cela se produit, l’audition aussi est nécessairement obstruée, étant donné que, si on ne peut émettre de son, on ne peut pas non plus en percevoir. C’est donc pour la parole que ce conduit a été ouvert. 14. Il en résulte aussi que, quand on se rend aux bains, comme les narines ne peuvent supporter la chaleur, l’air brûlant passe par la bouche ; de même, si par hasard les mucosités dues au froid bouchent les fosses nasales, nous pouvons aspirer l’air par la bouche, afin que
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facultate spiritus stranguletur. 15. Cibi uero in aluum recepti et cum potus umore premixti cum iam calore percocti fuerint, eorum sucus inenarrabili modo per membra diffusus inrigat uniuersum corpus et uegetat. 16. Intestinorum quoque multiplices spirae ac longitudo in se conuoluta et uno tamen substricta uinculo quam mirificum dei opus est ! Nam ubi maceratos ex se cibos aluus emiserit, paulatim per illos internorum anfractus extruduntur, ut quidquid in ipsis inest suci quo corpus alitur, membris omnibus diuidatur. 17. Et tamen necubi forte obhaereant ac resistant, quod et fieri poterat propter ipsorum uoluminum flexiones in se saepe redeuntes et fieri sine pernicie non poterat, obleuit ea intrinsecus crassiore suco, ut purgamenta illa uentris ad exitus suos facilius per lubricum niterentur. 18. Illa quoque ratio subtilissima est, quod uesica, cuius usum uolucres non habent, cum sit ab intestinis separata nec ullam habeat fistulam qua ex illis urinam trahat, conpletur tamen et umore distenditur. 19. Id quomodo fiat non est difficile peruidere : intestinorum partes quae ab aluo cibum potumque suspiciunt, patentiores sunt quam ceterae spirae et multo tenuiores. 20. Hae uesicam circumplectuntur et continent : ad quas partes cum potus et cibus mixta peruenerint, fimum quidem crassius fit et transmeat. Vmor autem omnis per illam teneritudinem percolatur eumque uesica, cuius aeque tenuis subtilisque membrana est, absorbet et colligit, ut foras qua natura patefecit emittat.
12. 1. De utero quoque et conceptione, quoniam de internis loquimur, dici necesse est, ne quid praeterisse uideamur : quae quamquam in operto latent, sensum tamen atque intellegentiam latere non possunt. 2. Vena in maribus quae seminium continet, duplex est, paulo interior quam illud umoris obsceni receptaculum, sicut enim rienes duo sunt itemque testes, ita et uenae seminales duae, in una tamen conpage cohaerentes : quod uidemus in corporibus animalium, cum intersecta patefiunt. 3. Sed illa dexterior masculinum continet semen, sinisterior femininum, et omnino in toto
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le souffle ne soit pas coupé, même si le passage est obstrué. 15. Une fois que les aliments reçus dans l’estomac et mélangés avec le liquide de la boisson, ont été digérés grâce à la chaleur174 , leur suc se répand à travers les membres de façon inexprimable pour irriguer et vivifier tout le corps175. 16. D’autre part, les multiples circonvolutions des intestins, leur longueur enroulée sur ellemême et cependant maintenue par un seul lien, quelle admirable œuvre de Dieu ! En effet, une fois que l’estomac a évacué les aliments digérés, ceux-ci sont peu à peu expulsés à travers les replis intestinaux de manière à ce que tout le suc nourricier qu’ils contiennent soit réparti entre tous les membres176 . 17. Cependant, pour leur éviter toute adhérence et résistance, ce qui pouvait se produire en raison des plis et replis [intestinaux] qui reviennent souvent sur eux-mêmes, mais ne le pouvait sans nuire à la santé, Il a enduit l’intérieur d’un suc plus épais pour que les immondices du ventre s’acheminent plus facilement vers leur sortie par un passage glissant177. 18. Ce système aussi est très subtil : la vessie, dont les oiseaux n’ont pas l’usage178 , bien qu’elle soit séparée des intestins et n’ait aucun canal lui permettant d’en recueillir l’urine, se remplit cependant et s’enfle de liquide179. 19. Il n’est pas difficile de comprendre comment cela se produit : les parties des intestins qui recueillent de l’estomac la nourriture et la boisson sont plus larges et beaucoup plus fines que les autres circonvolutions180. 20. Celles-ci entourent et maintiennent la vessie : lorsque la nourriture et la boisson après mélange sont parvenues dans ces parties, elles se transforment en une boue plus épaisse qui poursuit son chemin. Mais tout le liquide passe à travers un filtre ténu181 et la vessie, dont la paroi est également ténue et fine, l’absorbe et le recueille, afin de l’évacuer au-dehors par l’issue ouverte à cet effet par la nature182 . 12. 1. Il faut aussi parler, puisque nous traitons des organes internes, de l’utérus et de la conception, pour ne pas paraître avoir laissé quelque chose de côté : quoique ces questions soient dissimulées et mystérieuses, elles ne sauraient cependant échapper au sens et à l’intelligence183. 2. Chez les mâles, la veine qui contient la semence est double, située un peu plus à l’intérieur du corps que le réceptacle du liquide séminal184 . En effet, comme il y a deux reins et aussi deux testicules, il y a, de même, deux veines séminales185, qui sont cependant liées en un seul assemblage186 : c’est ce que nous voyons dans les corps des animaux lorsqu’ils sont ouverts après dissection. 3. Mais celle de droite contient la semence masculine et celle de gauche la féminine et, en un mot, dans le corps tout entier, la partie droite est masculine et la gauche fémi-
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corpore pars dextera masculina est, sinistra uero feminina. 4. Ipsum semen quidam putant ex medullis tantum, quidam ex omni corpore ad uenam genitalem confluere ibique concrescere, sed hoc quomodo fiat humana mens non potest comprehendere. 5. Item in feminis uterus in duas se diuidit partes, quae in diuersum diffusae ac reflexae circumplicantur sicut arietis cornua. Quae pars in dexteram retorquetur masculina est, quae in sinistram feminina. 6. Conceptum igitur Varro et Aristoteles sic fieri arbitrantur. Aiunt « non tantum maribus inesse semen, uerum etiam feminis et inde plerumque matribus similes procreari, sed earum semen sanguinem esse purgatum : quod si recte cum uirili mixtum sit, utraque concreta et simul coagulata informari : et primum quidem cor hominis effingi, quod in eo sit et uita omnis et sapientia, denique totum opus quadragesimo die consummari ». Ex abortionibus haec fortasse collecta sint. 7. In auium tamen fetibus primos oculos fingi dubium non est, quod in ouis saepe deprehenditur. Vnde fieri non posse arbitror quin fictio a capite sumat exordium. 8. Similitudines autem in corporibus filiorum sic fieri putant : « cum semina inter se permixta coalescunt, si uirile superauerit, patri similem prouenire seu marem seu feminam, si muliebre praeualuerit, progeniem cuiusque sexus ad imaginem respondere maternam. 9. Id autem praeualet e duobus, quod fuerit uberius ; alterum enim quodam modo amplectitur et includit : hinc plerumque fieri ut unius tantum liniamenta praetendat. 10. Si uero aequa fuerit ex pari semente permixtio, figuras quoque misceri, ut suboles illa communis aut neutrum referre uideatur, quia totum ex altero non habet, aut utrumque, quia partem de singulis mutuata est ». 11. Nam in corporibus animalium uidemus aut confundi parentum colores ac fieri tertium neutri generantium simile aut utriusque sic exprimi ut discoloribus membris per omne corpus concors mixtura uarietur. 12. Dispares quoque naturae hoc modo fieri putantur : « cum forte in laeuam uteri partem masculinae stirpis semen inciderit, marem
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nine187. 4. Certains pensent que la semence elle-même vient seulement de la moelle, d’autres qu’elle afflue de tout le corps dans la veine génitale et là s’épaissit, mais comment cela se fait, l’intelligence humaine ne peut le comprendre188 . 5. De même, chez les femmes, l’utérus se divise en deux parties qui, s’étendant en sens opposé et recourbées, se replient comme des cornes de bélier. La partie qui se tord vers la droite est la masculine et celle qui se tord vers la gauche la féminine189. 6. Selon Varron et Aristote190, voici donc comment se produit la conception. La semence, disent-ils, ne se trouve pas seulement chez les mâles mais aussi chez les femelles et de là vient que, le plus souvent, sont engendrés des êtres semblables aux mères191, mais la semence des femelles est du sang purifié192 : si elle se mélange comme il faut avec la semence virile, les deux, après s’être épaissies et liées ensemble, prennent forme : c’est d’abord le cœur de l’homme qui est façonné, parce qu’il y a en lui toute la vie et la sagesse193, et l’œuvre tout entière est enfin achevée au 40e jour. Il se peut que ces observations aient été recueillies suite à des avortements194 . 7. S’agissant de la formation des oiseaux cependant, il est indubitable que ce sont les yeux qui sont façonnés en premier, ce que l’on découvre souvent dans les œufs. D’où il est impossible, selon moi, que la création ne commence pas par la tête195 . 8. Quant aux ressemblances dans le corps des enfants, voici comment, à leur avis, elles se produisent : quand les semences se mêlent entre elles et s’agrègent, si c’est la mâle qui l’emporte, est engendré un être – mâle ou femelle – semblable au père ; si c’est la femelle qui prévaut, la progéniture, quel qu’en soit le sexe, correspond à l’image de la mère. 9. Or c’est la semence la plus abondante des deux qui prédomine ; c’est elle en effet qui enveloppe et enferme d’une certaine manière l’autre : de là vient que, le plus souvent, elle ne présente les traits que d’un seul (des parents). 10. Mais si le mélange, résultant de semences égales, est équilibré, les figures aussi se mêlent, si bien que cette progéniture commune paraît soit ne reproduire ni l’une ni l’autre - parce qu’elle ne reçoit pas tout de l’une des deux - soit reproduire les deux - parce qu’elle leur a emprunté une partie à chacune196 . 11. Nous voyons en effet dans les corps des animaux soit se mêler les couleurs des parents et en apparaître une troisième qui ne ressemble à aucune de celle des deux géniteurs, soit ressortir la couleur de chacun des deux si bien que leur mélange harmonieux varie à travers tout le corps dans des membres de couleur différente. 12. Les natures disparates se produisent aussi, selon eux, de cette façon : quand par hasard une semence d’origine masculine tombe dans la partie gauche de l’utérus, on pense que c’est un mâle qui est engendré, mais, parce qu’il a été conçu
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quidem gigni opinatio est, sed quia sit in feminina parte conceptus, aliquid in se habere femineum supra quam decus uirile patiatur, uel forman insignem uel nimium candorem uel corporis leuitatem uel artus delicatos uel staturam breuem uel uocem gracilem uel animum inbecillum uel ex his plura. 13. Item si partem in dexteram semen feminini generis influxerit, feminam quidem procreari, sed quoniam in masculina parte concepta sit, habere in se aliquid uirilitatis ultra quam sexus ratio permittat, aut ualida membra aut inmoderatam longitudinem aut fuscum colorem aut hispidam faciem aut uultum indecorum aut uocem robustam aut animum audacem aut ex his plura. 14. Si uero masculinum in dexteram, femininum in sinistram peruenerit, utrosque fetus recte prouenire, ut et feminis per omnia naturae suae decus constet et maribus tam mente quam corpore robur uirile seruetur ». 15. Illud uero ipsum quam mirabile institutum dei, quod ad conseruationem generum singulorum duos sexus maris ac feminae machinatus est, quibus inter se per uoluptatis inlecebram copulatis subsiciua suboles pararetur, ne genus omne uiuentium condicio mortalitatis extingueret. 16. Sed plus roboris maribus attributum est, quo facilius ad patientiam iugi maritalis femina cogerentur, uir itaque nuncupatus est, quod maior in eo uis est quam in femina, et hinc uirtus nomen accepit : 17. item « mulier, ut Varro interpretatur, a mollitie, inmutata et detracta littera, uelut mollier ». Cui suscepto fetu cum partus adpropinquare iam coepit, turgescentes mammae dulcibus sucis distenduntur et ad nutrimenta nascentis fontibus lacteis fecudum pectus exuberat. Nec enim decebat aliud quam ut sapiens animal a corde alimoniam duceret. 18. Idque ipsum sollertissime conparatum est, ut candens ac pinguis umor teneritudinem noui corporis inrigaret, donec ad capiendos fortiores cibos et dentibus instruatur et uiribus roboretur. Sed redeamus ad propositum, ut cetera quae supersunt breuiter explicemus.
13. 1. Poteram nunc ego ipsorum quoque genitalium membrorum mirificam rationem tibi exponere, nisi me pudor ab huiusmodi sermone reuocaret : itaque a nobis indumento uerecundiae quae sunt pudenda uelentur. 2. Quod ad hanc rem attinet, queri satis est homines inpios ac profanos sum-
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dans une partie féminine, il présente en lui quelque chose de féminin, audelà de ce que permet la dignité masculine : une beauté remarquable, une extrême blancheur, un corps svelte, des articulations délicates, une petite taille, une voix grêle, un esprit faible ou plusieurs de ces traits ; 13. de la même façon, si une semence de genre féminin coule dans la partie droite, c’est un être féminin qui est procréé, mais puisqu’il a été conçu dans la partie masculine, il présente en lui plus de virilité que ne le permet le caractère de son sexe : des membres forts, une grandeur excessive, un teint brun, une tête velue, un visage sans beauté, une voix forte, un esprit audacieux ou plusieurs de ces traits. 14. Mais si une semence masculine parvient dans la partie droite et une semence féminine dans la gauche, les deux conceptions se produisent comme il faut, de sorte que la beauté propre à sa nature s’accorde en tout au rejeton féminin et que la robustesse masculine tant pour l’esprit que pour le corps est réservée au rejeton mâle197. 15. Comme ce plan divin est admirable ! Dieu a fabriqué deux sexes, le masculin et le féminin, pour la conservation de chaque espèce dont l’accouplement, sous l’attrait du plaisir, produit un rejeton de plus, pour empêcher l’extinction de chaque espèce d’êtres vivants du fait de sa condition mortelle. 16. Mais il a été accordé plus de force aux mâles, pour contraindre plus facilement les femmes à supporter le joug conjugal. C’est pourquoi l’homme a été appelé uir, parce qu’il y a en lui plus de uis (force) que dans la femme, et c’est de uir que uirtus (le courage) a tiré son nom ; 17. de la même façon, mulier (femme), selon l’interprétation de Varron, vient de mollities (mollesse), qui, après changement d’une lettre et suppression d’une autre, aurait donné mollier 198 . Quand, au terme de la gestation, l’accouchement commence déjà à approcher, les seins, gonflés, se distendent sous l’effet de doux liquides et la poitrine féconde regorge de sources lactées pour nourrir le nouveau-né. La seule chose qui convenait pour un animal doué de sagesse c’était de tirer sa nourriture du cœur199. 18. Encore une chose qui a été élaborée avec une extrême ingéniosité : un liquide blanc et gras irrigue le tendre corps du nouveau-né200, jusqu’à ce qu’il soit pourvu de dents et affermi dans ses forces pour prendre des aliments plus solides. Mais revenons à notre propos, pour exposer brièvement ce qui reste. 13. 1. Je pourrais maintenant t’exposer aussi l’admirable organisation des parties génitales201 elles-mêmes, si la pudeur ne me détournait de propos de ce genre : couvrons donc d’un voile de discrétion ces parties honteuses202 . 2. Sur cette question, il suffit de se plaindre du très grave crime commis par
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mum nefas admittere, qui diuinum et admirabile dei opus ad propagandam successionem inexcogitabili ratione prouisum et effectum uel ad turpissimos quaestus uel ad obscenae libidinis pudenda opera conuertunt, ut iam nihil aliud ex re sanctissima petant quam inanem et sterilem uoluptatem. 3. Quid ? Reliquae corporis partes num carent ratione aut pulchritudine ? conglobata in nates caro quam sedendi officio apta ! et eadem firmior quam in ceteris membris, ne premente corporis mole ossibus cederet. 4. Item feminum deducta et latioribus toris ualida longitudo, quo facilius onus corporis sustineret : quam paulatim deficientem in angustum genua determinant, quorum decentes nodi flexuram pedibus ad gradiendum sedendumque aptissiman praebent. 5. Item crura non aequali modo ducta, ne indecens habitudo deformaret pedes, sed teretibus suris clementer extantibus sensimque tenuatis et firmata sunt et ornata. 6. In plantis uero eadem quidem, sed tamen longe dispar quam in manibus ratio est : quae quoniam totius operis quasi fundamenta sunt, eas mirificus artifex non rotunda specie, ne homo stare non posset aut aliis ad standum pedibus indigeret sicut quadrupedes, sed porrectiores longioresque formauit, ut stabile corpus efficerent planitie sua ; unde illis inditum nomen est. 7. Digiti aeque totidem quot in manibus, speciem magis quam usum maiorem praeferentes ideoque et iuncti et breues et gradatim conpositi : quorum qui est maximus, quoniam illum sicut in manu discerni a ceteris opus non erat, ita in ordinem redactus est, ut tamen ab aliis magnitudine ac modico interuallo distare uideatur. 8. Haec eorum speciosa germanitas non leui adiumento nisum pedum firmat : concitari enim ad cursum non possumus nisi digitis in humum pressis soloque nitentibus impetum saltumque capiamus. 9. Explicasse uideor omnia quorum ratio intellegi potest : nunc ad ea uenio quae uel dubia uel obscura sunt.
14. 1. Multa esse constat in corpore quorum uim rationemque perspicere nemo nisi qui fecit potest. 2. An aliquis enarrare se putat posse quid utilitatis,
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des hommes impies et sacrilèges, qui détournent l’œuvre de Dieu, divine et admirable, conçue et réalisée avec une inconcevable sagesse afin d’assurer la propagation de l’espèce203, soit pour en tirer les plus infâmes profits, soit pour accomplir des actions honteuses dictées par un désir obscène au point de ne rechercher dans un acte très sacré qu’une vaine et stérile volupté. 3. Quoi ? Toutes les autres parties du corps manquent-elles de raison ou de beauté ? Comme la chair ramassée en boule pour former les fesses est commode pour s’asseoir ! Et elle est aussi plus ferme que dans le reste du corps pour éviter que, sous la pression de la masse corporelle, elle ne cède aux os. 4. De même, la longueur des cuisses est étendue et renforcée par des muscles assez épais pour soutenir plus facilement le poids du corps. Devenant insensiblement plus étroite à l’extrémité, elles sont bornées par les genoux, dont les articulations harmonieuses fournissent aux pieds une flexion très commode pour marcher et pour s’asseoir. 5. De même, les jambes n’ont pas été façonnées de manière uniforme pour éviter qu’une conformation disgracieuse n’enlaidisse les pieds, mais sont à la fois fortifiées et ornées par des mollets arrondis, légèrement saillants et qui s’affinent insensiblement. 6. Les plantes des pieds ont la même forme que les mains, avec cependant d’importantes différences : comme elles sont pour ainsi dire les bases de toute l’œuvre, le prodigieux Artisan ne leur a pas donné une forme arrondie pour permettre à l’homme de se tenir debout ou lui éviter d’avoir besoin, comme les quadrupèdes, d’autres pieds pour se tenir debout204 . Il leur a au contraire donné une forme plus étirée et plus allongée afin d’assurer la stabilité du corps grâce à leur surface plane (planities). D’où vient leur nom (planta)205 . 7. Il y a exactement le même nombre de doigts que dans les mains ; mais ils offrent plus de beauté que d’utilité et sont pour cette raison liés, courts et disposés par ordre de grandeur. Le plus grand d’entre eux, vu qu’il n’avait pas besoin d’être séparé des autres comme c’est le cas pour la main, a été ramené dans l’alignement de manière à paraître cependant distinct des autres par la taille et un léger intervalle. 8. Cette belle ressemblance apporte une aide non négligeable pour renforcer l’appui des pieds : nous ne pouvons en effet nous élancer à la course sans prendre notre élan et bondir, en pressant nos orteils sur la terre et en les appuyant sur le sol. 9. Je crois avoir expliqué tout ce dont la structure peut être comprise. J’en viens maintenant aux points douteux ou obscurs206 . 14. 1. Il est évident qu’il y a bien des choses dans le corps dont seul le Créateur peut voir clairement la signification et la raison207. 2. Serait-ce que
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quid effectus habeat tenuis membrana illa perlucens qua circumretitur aluus ac tegitur ? 3. Quid rienum gemina similitudo ? Quos ait Varo ita dictos quod riui ab his obsceni umoris oriantur : quod est longe secus, quia spinae altrinsecus supini cohaerent et sunt ab intestinis separati. 4. Quid splenis ? Quid iecur ? Quae uiscera quasi ex conturbato sanguine uidentur esse concreta. Quid fellis amarissimus liquor ? quid globus cordis ? Nisi forte illis credendum putabimus qui adfectum iracundiae in felle constitutum putant pauoris in corde, in splene laetitiae. 5. Ipsius autem iecoris officium uolunt esse ut cibos in aluo concoquat amplexu et calefactu suo, quidam libidines rerum ueneriarum in iecore contineri arbitrantur. 6. Primum ista perspicere acumen humani sensus non potest, quia horum officia in operto latent nec usus suos patefacta demonstrat. Nam si ita esset, fortasse placidiora quaeque animalia uel nihil fellis omnino uel minus haberent quam ferae, timidiora plus cordis, salaciora plus iecoris, lasciuiora plus splenis habuissent. 7. Sicut igitur nos sentimus audire auribus, oculis cernere, naribus odorari, ita profecto sentiremus nos felle irasci, iecore cupere, splene gaudere. 8. Cum autem unde adfectus isti ueniant minime sentiamus, fieri potest ut aliunde ueniant et aliud uiscera illa quod nos minime suspicamur efficiant, nec tamen conuincere possumus falsa illos qui haec disputant dicere. Sed omnia quae ad motus animi animaeque pertineant, tam obscurae altaeque rationis esse arbitror, ut supra hominem sit ea liquido peruidere. 9. Id tamen certum et indubitatum esse debet, tot res, tanta uiscerum genera unum et idem habere officium ut animam contineant in corpore. Sed quid proprie singulis muneris sit iniunctum, quis scire nisi artifex potest cui soli opus suum notum est ?
15. 1. De uoce autem quam rationem reddere possumus ? Grammatici quidem ac philosophi uocem esse definiunt aerem spiriti uerberatum, unde uerba sint nuncupata ; quod perspicue falsum est. 2. Non enim uox extra os gignitur, sed intra et ideo similior ueri est illa sententia, stipatum spiritum
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quelqu’un pense pouvoir expliquer l’utilité et la fonction de la fine membrane diaphane qui enveloppe et protège les intestins208 ? 3. Et la similitude des deux reins ? Il sont appelés ainsi, selon Varron, parce qu’ils sont à l’origine des ruisseaux (riui) de liquide spermatique209 : or il en est tout autrement car, tournés vers le haut, ils sont accrochés des deux côtés à l’épine dorsale et sont séparés des intestins210. 4. Et la rate ? Et le foie ? Ces viscères paraissent être des concrétions, en quelque sorte, de sang caillé211. Et le liquide très amer de la bile ?212 Et le globe du cœur ? À moins de penser par hasard qu’il faut se fier à ceux pour qui le siège de la colère est la vésicule, celui de la peur le cœur et la rate celui de la joie213. 5. Ils veulent que la fonction du foie consiste à cuire les aliments dans l’estomac en les enveloppant et en les réchauffant214 ; certains pensent que le siège des plaisirs sexuels est le foie215. 6. D’abord, la finesse de l’intelligence humaine ne peut voir ces organes, parce que leurs fonctions se cachent dans un endroit secret, et que, révélés au grand jour, ils ne montrent pas leur usage216 . S’il en était ainsi en effet, les animaux les plus paisibles n’auraient peut-être absolument pas de bile ou moins que les bêtes sauvages, les plus craintifs auraient plus de cœur, les plus lascifs plus de foie et les plus folâtres plus de rate217. 7. Ainsi donc, comme nous avons conscience d’entendre par les oreilles, de voir par les yeux et de sentir par les narines, ainsi assurément nous aurions conscience de nous irriter sous l’effet de la bile, de désirer sous celui du foie et de nous réjouir sous l’effet de la rate. 8. Or, comme nous ne comprenons nullement l’origine de ces affects, il se peut qu’ils aient une autre origine et que ces organes aient une action différente de celle que nous soupçonnons, et cependant nous ne pouvons convaincre d’erreur ceux qui soutiennent ces idées. Mais tout ce qui concerne les mouvements de l’esprit et de l’âme relève, selon moi, d’une raison si obscure et si profonde qu’il est au-dessus des possibilités humaines de le discerner nettement. 9. Il doit être cependant certain et indubitable que tant de choses, tant de genres d’organes ont aussi une seule même fonction : maintenir l’âme dans le corps218 . Mais quelle fonction a été assignée en propre à chacun, qui peut le savoir sinon le Créateur, qui est seul à connaître Son œuvre ? 15. 1. Comment d’autre part rendre compte encore de la voix ?219 Il est vrai que les grammairiens et les philosophes définissent la voix comme de l’air frappé (uerberatum) par le souffle220 ; et c’est de là que les mots auraient tiré leur nom (uerba), ce qui est manifestement faux. 2. La voix en effet n’est pas produite à l’extérieur de la bouche, mais à l’intérieur et, de ce fait, voici une
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cum in obstantia faucium fuerit inlisus, sonum uocis exprimere, ueluti cum in patentem cicutam labroque subiectam demittimus spiritum et is cicutae concauo repercussus ac reuolutus a fundo dum descendentem occursu suo radit, ad exitum nitens sonum gignit et in uocalem spiritum resiliens per se uentus animatur. 3. Quod quidem an uerum sit deus artifex uiderit. Videtur enim non ab ore, sed ab intimo pectore uox oriri. Denique et ore clauso ex naribus emittitur sonus qualis potest. 4. Praeterea et maximo spiritu quo anhelamus uox non efficitur et leui ac non coartato spiritu quotiens uolumus efficitur. Non est igitur conprehensum quonam modo fiat aut quid sit omnino. 5. Nec me nunc in Academiae sententian delabi putes, quia non omnia sunt incomprehensibilia. Vt enim fatendum est multa nesciri, quae uoluit deus intellegentiam hominis excedere, sic tamen multa esse quae possint et sensibus percipi et ratione conprehendi. 6. Sed erit nobis contra philosophos integra disputatio. Conficiamus igitur spatium quod nunc decurrimus.
16. 1. Mentis quoque rationem incomprehensibilem esse quis nesciat nisi qui omnino illam non habet, cum ipsa mens quo loco sit aut cuiusmodi nesciatur ? Varia ergo a philosophis de natura eius ac loco disputata sunt. 2. At ego non dissimulabo quid ipse sentiam, non quia sic esse adfirmem, quod est insipientis in re dubia facere, sed ut exposita rei difficultate intellegas quanta sit diuinorum operum magnitudo. Quidam sedem mentis in pectore esse uoluerunt. 3. Quod si ita est, quanto tandem miraculo dignum est rem in obscuro ac tenebroso habitaculo sitam in tanta rationis atque intellegentiae luce uersari, tum quod eam sensus ex omni corporis parte conueniunt, ut in qualibet regione membrorum praesens esse uideatur ! 4. Alii sedem eius in cerebro esse dixerunt, et sane argumentis probabilibus usi sunt, oportuisse scilicet quod totius corporis regimen haberet, potius in summo tamquam in arce corporis habitare nec quicquam esse sublimius quam id quod uniuersum ratione moderetur, sicut ipse mundi dominus et rector in summo est ;
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opinion plus vraisemblable : c’est la pression du souffle poussé contre l’obstacle de la gorge qui émet le son de la voix, comme lorsque nous soufflons au creux d’un chalumeau placé sous la lèvre. Le souffle, renvoyé par la concavité du chalumeau et répercuté du fond, au moment où il touche en le heurtant le souffle qui descend, produit un son en s’efforçant de sortir et le vent, qui revient de lui-même en arrière, s’anime en un souffle sonore221. 3. C’est assurément au Dieu Artisan qu’il revient de voir si cela est vrai. Il semble en effet que la voix ne vient pas de la bouche, mais du fond de la poitrine. Enfin, même bouche fermée, un son, quel qu’il soit, est émis par le nez. 4. En outre, la voix est produite non par le souffle très ample de la respiration, mais, à notre gré, par un souffle léger et non retenu. Nous n’avons donc saisi ni la manière dont la voix se produit ni d’une manière générale sa nature. 5. Ne crois pas que je tombe maintenant dans les théories de l’Académie puisqu’il n’est pas vrai que tout soit inconnaissable. Il faut reconnaître en effet que si on ignore beaucoup de choses, qui, conformément à la volonté de Dieu, dépassent l’intelligence humaine, nombreuses cependant sont celles qui peuvent être perçues par les sens et saisies par la raison222 . 6. Mais nous aurons une discussion approfondie contre les philosophes223 . Achevons donc la carrière que nous parcourons actuellement. 16. 1. Qui peut ignorer que la structure de l’âme elle aussi est incompréhensible, sinon celui qui en est totalement dépourvu, puisqu’on ignore sa place et sa nature ? Des théories variées ont donc été soutenues par les philosophes sur sa nature et sur sa place224 . 2. Mais moi je ne cacherai pas ce que je pense, non que j’affirme qu’il en soit ainsi - comportement digne d’un insensé sur une question douteuse - mais pour que l’exposé de cette question difficile te fasse comprendre la grandeur des œuvres divines225. 3. Certains ont voulu faire de la poitrine le siège de l’âme226 . Dans ces conditions, par quel miracle enfin faut-il qu’une chose située dans un habitacle obscur et ténébreux se trouve dans la si grande lumière de la raison et de l’intelligence, étant donné en outre que c’est vers elle que convergent les sens de chaque partie du corps, au point de la faire paraître présente dans n’importe quelle région du corps ? 4. D’autres ont dit qu’elle avait son siège dans le cerveau. Assurément, ils ont utilisé des arguments probables : il fallait naturellement que ce qui gouvernait le corps tout entier habitât plutôt au sommet du corps, comme dans sa citadelle, et qu’il n’y eût rien de plus élevé que ce qui réglait l’ensemble par la raison, comme le maître du monde et son guide se trouve au
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5. deinde quod sensus omnis id est audiendi et uidendi et odorandi ministra membra in capite sint locata, quorum omnium uiae non ad pectus, sed ad cerebrum ferant : alioquin necesse nos esset tardius sentire, donec sentiendi facultas longo itinere per collum ad pectus usque descenderet. 6. Hi uero aut non multum aut fortasse non errant, uidetur enim mens, quae dominatum corporis tenet, in summo capite constituta tamquam in caelo deus, sed cum in aliqua sit cogitatione, commeare ad pectus et quasi ad secretum aliquod penetrale secedere, ut consilium tamquam ex thesauro recondito eliciat ac proferat ; 7. ideoque cum intenti ad cogitandum sumus et cum mens occupata in altum se abdiderit, neque audire quae circumsonant neque uidere qua obstant solemus. 8. Id uero siue ita est, admirandum profecto est quomodo id fiat, cum ad petus a cerebro nullum iter pateat, sin autem non est ita, tamen nihilo minus admirandum est quod diuina nescio qua ratione fiat ut ita esse uideatur. 9. An potest aliquis non admirari quod sensus ille uiuus atque caelestis qui mens uel animus nuncupatur, tantae mobilitatis est ut ne tum quidem, cum sopitus est, conquiescat, tantae celeritatis ut uno temporis puncto caelum omne conlustret, si uelit, maria peruolet, terras et urbes peragret, omnia denique quae libuerit, quamuis longe lateque submota sint, in conspectu sibi ipse constituat ? 10. Et miratur aliquis si diuina mens dei per uniuersas mundi partes intenta discurrit et omnia regit, omnia moderatur, ubique praesens, ubique diffusa, cum tanta sit uis ac potestas mentis humanae intra mortale corpus inclusae ut ne saeptis quidem grauis huius ac pigri corporis, cum quo inligata est coerceri ullo modo possit quominus sibi liberam uagandi facultatem quietis inpatiens largiatur ? 11. Siue igitur in capite mens habitat siue in pectore, potestne aliquis conprehendere quae uis rationis efficiat ut sensus ille inconprehensibilis aut in medulla cerebri haereat aut in illo sanguine bipertito qui est conclusus in corde, ac non ex eo ipso colligat quanta sit dei potestas, quod animus se ipsum non uidet aut qualis sit nec si uideat, tamen perspicere possit quo pacto rei corporali res incorporalis adiuncta sit ? 12. Siue etiam mentis locus nullus est, sed per totum corpus sparsa discurrit – quod et fieri potest et a Xenocrate Platonis discipulo
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sommet (du monde)227 ; 5. c’est ensuite parce que les organes au service de chaque sens - ouïe, vision et odorat - étaient placés dans la tête, et que leurs routes à tous ne menaient pas vers la poitrine mais vers le cerveau ; car nous mettrions nécessairement plus de temps à sentir, jusqu’à ce que la sensation, par un long trajet, descendît par le cou jusqu’à la poitrine. 6. Ces hommes ne se trompent pas beaucoup ou peut-être pas du tout. L’âme en effet, qui exerce son pouvoir sur le corps, paraît placée au sommet de la tête comme Dieu dans le ciel, mais, quand elle est dans quelque méditation, elle paraît descendre vers la poitrine et se retirer pour ainsi dire dans quelque lieu profond et secret, pour en tirer comme d’un trésor enfoui, une résolution et la produire au jour ; 7. c’est pourquoi, quand nous sommes appliqués à réfléchir et que notre âme absorbée s’est enfoncée dans les profondeurs, nous n’entendons pas, d’ordinaire, les bruits qui nous entourent et nous ne voyons pas ce qui est en face de nous. 8. S’il en est ainsi, il faut bien sûr se demander avec admiration comment cela se produit, puisqu’il n’y a aucun passage du cerveau à la poitrine ; mais, s’il n’en est pas ainsi, il n’en faut pas moins cependant s’étonner de ce que par je ne sais quelle raison divine il puisse en paraître ainsi. 9. Peut-on ne pas admirer que ce sens vivant et céleste et qui est appelé esprit ou âme228 soit d’une telle mobilité qu’il ne se repose même pas dans le sommeil ? d’une telle rapidité qu’à son gré il parcoure en un seul instant tout le ciel, qu’il survole les mers, qu’il visite terres et villes, en un mot, qu’il place sous son regard tout ce qu’il veut, quels qu’en soient l’éloignement et la distance229 ? 10. Et on s’étonne que l’Intelligence divine de Dieu, qui s’étend à travers toutes les parties du monde, parcoure et dirige tout, règle tout, partout présente, se répandant partout, alors que la force et la puissance de l’âme humaine, qui est enfermée dans un corps mortel230, sont telles que même les barrières de notre corps pesant et paresseux, auquel elle est liée, ne peuvent nullement l’empêcher de se donner largement, elle qui ne supporte pas le repos, l’entière liberté de vagabonder. 11. Que l’âme loge donc dans la tête ou dans la poitrine, peut-on comprendre quelle force de la raison fait que ce sens insaisissable se fixe dans la moelle du cerveau ou dans le sang divisé en deux 231 et enfermé dans le cœur, et ne pas conclure, de là, à la grande puissance de Dieu, du fait que l’esprit ne se voit pas, ne voit ni ce qu’il est ni où il est232 , et que, même s’il le voyait, il ne pourrait cependant pas percevoir clairement de quelle façon une chose incorporelle a été ajoutée à une corporelle233 ? 12. Ou, même si l’âme n’a pas de siège propre, mais que, répandue à travers tout le corps, elle le parcoure en tous sens – ce qui est possible et a été exposé par Xénocrate234 ,
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disputatum est, siquidem sensus in qualibet parte corporis praesto est –, nec quid sit mens ipsa nec qualis intellegi potest, cum sit natura eius tam subtilis ac tenuis ut solidis uisceribus infusa uiuo et quasi ardente sensu membris omnibus misceatur. 13. Illud autem caue ne umquam simile ueri putaueris quod Aristoxenus dicit, mentem omnino nullam esse, sed quasi harmoniam in fidibus ex constructione corporis et conpagibus uiscerum uim sentiendi existere. Musici enim intentionem concentumque neruorum in integros modos sine ulla offensione consonantium harmoniam appellant. 14. Volunt igitur animum simili ratione constare in homine qua concors modulatio constat in fidibus, scilicet ut singularum corporis partium firma coniunctio membrorumque omnium consentiens in unum uigor motum illum sensibilem faciat animumque concinnet sicut nerui bene intenti conspirantem sonum : 15. et sicut in fidibus cum aliquid ut interruptum aut relaxatum est, omnis canendi ratio turbatur et soluitur, ita in corpore cum pars aliqua membrorum duxerit uitium, destrui uniuersa corruptisque omnibus atque turbatis occidere sensum eamque mortem uocari. 16. Verum ille si quicquam mentis habuisset numquam harmoniam de fidibus ad hominem transtulisset, non enim canere sua sponte fides possunt ut sit ulla in his conparatio ac similitudo uiuentis, animus autem sua sponte et cogitat et mouetur. 17. Quod si quid in nobis esset harmoniae simile ictu moueretur externo sicut nerui manibus, qui sine tractatu artificis pulsuque digitorum muti atque inertes iacent. 18. Sed nimirum pulsandus ille manu fuit, ut aliquando sentiret, quia mens eius ex membris male compacta torpebat.
17. 1. Superest de anima dicere, quamquam percipi ratio eis et natura non possit. Nec ideo tamen inmortalem esse animan non intelligemus, quoniam quidquid uiget moueturque per se semper nec uideri aut tangi potest, aeternum sit necesse est. 2. Quid autem sit anima nondum inter philosophos conuenit nec umquam fortasse conueniet, alii sanguinem esse dixerunt, alii ignem, alii uentum, unde anima uel animus nomen accepit quod graece uentus E?RIQSØ (anemos) dicitur : nec illorum tamen quisquam dixisse
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disciple de Platon, puisque la sensibilité est présente dans n’importe quelle partie du corps –, on ne peut comprendre ni l’essence de l’âme en elle-même ni ses qualités, puisqu’elle est par nature si subtile et ténue que, répandue au milieu des organes solides, elle se mêle à tous les membres par une sensibilité vive et quasi ignée. 13. Prends garde235 d’autre part de ne jamais considérer comme vraisemblable ce que dit Aristoxène, que l’âme n’existe absolument pas236 , mais que, comme l’harmonie dans la lyre, la faculté de sentir vient de la structure du corps et de l’assemblage des organes. Les musiciens en effet appellent harmonie la tension et l’union des cordes qui résonnent pour former des accords purs sans aucune dissonance. 14. Ils veulent donc que l’âme soit constituée dans l’homme d’une manière semblable à celle d’une mélodie harmonieuse sur la lyre, c’est-à-dire que l’union solide de chaque partie du corps et la vigueur concordante et unifiée de tous les membres produisent ce mouvement sensible et forment l’âme comme des cordes bien tendues un accord musical : 15. comme dans la lyre, quand quelque chose est cassé ou relâché, toute la structure musicale est troublée et détruite, ainsi dans le corps, quand une partie des membres présente un défaut, l’ensemble est détruit et, par suite de l’altération et du bouleversement général, la sensibilité disparaît ; on appelle cela la mort237. 16. Mais s’il [Aristoxène] avait eu une once d’esprit238 , jamais il n’aurait transféré l’harmonie de la lyre à l’homme. La lyre en effet ne peut retentir d’elle-même, à supposer qu’elle soit comparable ou semblable à un être vivant, alors que l’âme pense et se meut par elle-même239. 17. Si quelque chose en nous ressemblait à une harmonie, cela serait mis en mouvement par un choc venu de l’extérieur comme les cordes le sont par les mains, cordes qui, sans le toucher de l’artiste et l’impulsion des doigts, restent muettes et inertes. 18. Mais sans doute eût-il fallu le frapper de la main, pour le faire sentir un jour, parce que son esprit, aux parties mal assemblées, était engourdi240. 17. 1. Il reste à parler de l’âme, bien que son principe et sa nature ne puissent être saisis241. Ce n’est pas pour autant cependant que nous ne comprenons pas que l’âme est immortelle car ce qui est doté de vigueur et se meut toujours par soi-même sans pouvoir être vu ni touché est nécessairement éternel242 . 2. Sur la nature de l’âme, il n’y a pas encore de consensus entre les philosophes et il n’y en aura peut-être jamais. Les uns ont dit que c’était du sang, d’autres du feu, d’autres du vent243, d’où son nom d’animus ou d’anima parce que le vent se dit anemos en grec244 : aucun d’eux cependant ne semble
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aliquid uidetur. 3. Non enim si anima sanguine aut per uulnus effuso aut febrium calore consumpto uidetur extingui, continuo in materia sanguinis animae ratio ponenda est, ueluti si ueniat in quaestionem lumen quo utimur, quid sit, et respondeatur oleum esse, quoniam consumpto illo lumen extinguitur, cum sint utique diuersa, sed alterum sit alterius alimentum, uidetur ergo anima similis esse lumini, quae non ipsa sit sanguis, sed umore sanguinis alatur ut lumen oleo. 4. Qui autem ignem putauerunt hoc usi sunt argumento, quod praesente anima corpus caleat, recedente frigescat, sed ignis et sensu indiget et uidetur et tactu conburit, anima uero et sensu aucta est et uideri non potest et non adurit, unde apparet animam nescio quid esse deo simile. 5. At illi uentum putant, hoc falluntur quod ex aere spiritum ducentes uiuere uidemur. Varro ita definit : anima est aer conceptus ore, deferuefactus in pulmone, temperatus in corde, diffusus in corpus. 6. Haec apertissime falsa sunt. Neque enim tam obscuram nobis huiusmodi rerum dico esse rationem ut ne hoc quidem intellegamus, quid uerum esse non possit. An si mihi quispiam dixerit aeneum esse caelum aut uitreum aut, ut Empedocles ait, aerem glaciatum, statimne adsentiar, quia caelum ex qua materia sit ignorem ? Sicut enim hoc nescio, ita illud scio. 7. Anima ergo non est aer ore conceptus, quia multo prius gignitur anima quam concipi aer ore possit. Non enim post partum insinuatur in corpus, ut quibusdam philosophis uidetur, sed post conceptum protinus, cum fetum in utero necessitas diuina formauit, quia adeo uiuit intra uiscera genetricis, ut et incremento augeatur et crebris pulsibus gestiat emicare. Denique abortum fieri necesse est, si fuerit animal intus extinctum. 8. Ceterae definitionis partes eo spectant ut illis nouem mensibus quibus in utero fuimus, mortui fuisse uideamur. Nulla ergo ex his tribus uera sententia est. 9. Nec tamen in tantum falsos esse dicendum est qui haec senserunt, ut omnino dixerint : nam et sanguine simul et calore et spiritu uiuimus, sed cum constet anima in corpore his omnibus adunatis, non expresserunt proprie quid esset, quia tam non potes exprimi quam uideri.
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avoir dit quelque chose de valable. 3. Si l’âme semble s’éteindre lorsque le sang coule d’une blessure ou est consumé par la chaleur des fièvres, il ne s’ensuit pas que le principe de l’âme doive résider dans le liquide sanguin : c’est comme si l’on s’interrogeait sur la nature de la lumière que nous utilisons et que l’on réponde que c’est de l’huile puisque la lumière s’éteint quand l’huile est consumée, alors qu’elles sont tout à fait différentes et que l’une est l’aliment de l’autre. L’âme semble donc être semblable à la lumière, puisqu’elle n’est pas elle-même du sang, mais qu’elle se nourrit du fluide sanguin comme la lumière de l’huile245. 4. Ceux, d’autre part, qui ont pensé que l’âme était du feu246 ont utilisé l’argument selon lequel le corps est chaud quand l’âme est présente et refroidit lorsqu’elle se retire. Mais le feu est privé de sens, il se voit et brûle au toucher tandis que l’âme est dotée de sens, ne peut se voir et ne brûle pas. D’où il est évident que l’âme est je ne sais quoi de semblable à Dieu247. 5. Quant à ceux qui pensent que c’est du vent, leur erreur vient de ce que nous paraissons vivre en tirant notre souffle de l’air248. D’où la définition de Varron : « l’âme est de l’air recueilli par la bouche, cuit dans les poumons, tiédi dans le cœur et diffusé dans le corps »249. 6. Cette définition est fausse de toute évidence. Je dis en effet que le fonctionnement des choses de ce genre ne nous est pas obscur au point de nous empêcher même de comprendre ce qui ne peut être vrai. Serait-ce que, si quelqu’un me disait que le ciel est de bronze ou de verre, ou comme le dit Empédocle, d’air glacé250, j’approuverais aussitôt, sous prétexte que j’ignore de quelle matière est fait le ciel ? En effet, si j’ignore ceci, je sais du moins cela251. 7. L’âme n’est donc pas de l’air inspiré par la bouche, puisque l’âme est engendrée bien avant que nous ne puissions inspirer l’air par la bouche252 . Elle ne s’insinue pas dans le corps après l’accouchement comme le croient certains philosophes253, mais tout de suite après la conception, lorsque la Nécessité divine a formé le fœtus dans l’utérus, puisqu’il est bien vivant dans les entrailles maternelles au point de se développer et de grandir et aussi de brûler du désir de s’élancer en donnant des coups répétés254. Enfin, l’avortement se produit nécessairement si l’être vivant est mort à l’intérieur (de l’utérus). 8. Toutes les autres parties de cette définition aboutissent à nous faire passer pour morts durant les neuf mois de gestation. 9. Aucune de ces trois opinions n’est donc vraie. Cependant, il ne faut pas dire que les tenants de ces opinions se sont trompés au point de ne dire absolument rien de valable car nous vivons à la fois de sang, de chaleur et de souffle. Mais puisque l’âme existe lorsque tous ces éléments sont réunis dans le corps, ils n’ont pas exprimé en propre sa nature, parce qu’elle est aussi inexprimable qu’invisible255.
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18. 1. Sequitur alia et ipsa inextricabilis quaestio, idemne sit anima et animus an uero aliud sit illud quo uiuimus, aliud autem quo sentimus et sapimus. Non desunt argumenta in utramque partem. 2. Qui unum esse dicunt hanc rationem secuntur, quod neque uiui sine sensu possit nec sentiri sine uita, ideoque non posse esse diuersum id quod separari non potest, sed quidquid est illud, et uiuendi officium et sentiendi habere rationem. Idcirco animum et animam indifferenter appellant duo Epicurei poetae. 3. Qui autem dicunt esse diuersa sic argumentatur : ex eo posse intellegi aliud esse mentem, aliud animam, quia incolumi anima mens possit extingui, quod accidere soleat insanis, item quod anima morte sopiatur, animus somno et quidem sic ut non tantum quid faciat aut ubi sit ignoret, sed etiam rerum falsarum contemplatione fallatur. 4. Quod ipsum quomodo fiat non potest peruideri, cur fiat potest. Nam requiescere nullo pacto possumus, nisi mens uisionum imaginibus occupata teneatur. Latet autem mens oppressa somno tamquam ignis obducto cinere sopitus ; quem si paululum commoueris, rursus ardescit et quasi euigilat. 5. Auocatur simulacris, donec membra sopore irrigata uegetentur : corpus enim uigilante sensu, licet iaceat immobile, tamen non est quietum, quia flagrat in eo sensus et uibrat ut flamma et artus omnes ad se adstrictos tenet. 6. Sed postquam mens ad contemplandas imagines ab intentione traducta est, tunc demum corpus omne resoluitur in quietem. 7. Traducitur autem mens cogitatione caeca, cum cogentibus tenebris secum tantummodo esse coeperit. Dum intenta est in ea de quibus cogitat, repente somnus obrepit et in species proximas sensim cogitatio ipsa declinat : sic ea quae sibi ante oculos posuerat uidere quoque incipit. 8. Deinde procedit ulterius et sibi auocamenta inuenit, ne saluberrimam quietem corporis interrumpat. Nam sicut mens per diem ueris uisionibus auocatur, ne obdormiat, ita falsis, ne excitetur ; nam si nullas imagines cernat, aut uigilare illam necesse erit aut perpetua morte sopiri. 9. Dormiendi ergo causa tributa est a deo ratio somniandi et quidem in commune uniuersis animantibus, sed illud homini praecipue quod, cum eam rationem deus quietis causa daret,
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18. 1. Il s’ensuit une autre question, elle-même inextricable : l’âme et l’esprit sont-ils une seule et même chose ou l’une nous permet-elle d’être en vie et l’autre d’avoir sensibilité et jugement256 ? Les arguments ne manquent en faveur de chaque hypothèse. 2. Ceux qui disent qu’ils ne font qu’un adoptent cette position parce qu’on ne peut vivre sans sentir ni sentir sans vivre, et c’est pour cela, selon eux, que ne peut être distinct ce qui ne peut être séparé mais que, cet élément, quel qu’il soit, a pour fonction de faire vivre et pour raison d’être de faire sentir. C’est pourquoi deux poètes épicuriens les appellent indifféremment esprit et âme257. 3. Mais ceux qui disent qu’ils sont différents argumentent ainsi : on peut comprendre que l’esprit est une chose et l’âme une autre de ce que l’esprit peut disparaître alors que l’âme est intacte – c’est le cas pour les fous – et aussi de ce que l’âme s’endort dans la mort et l’esprit dans le sommeil au point non seulement d’ignorer ce qu’il fait et où il est mais aussi d’être trompé par des visions illusoires258 . 4. Si on ne peut voir nettement comment cela se produit, on peut voir pourquoi. Nous ne pouvons en effet en aucune façon nous reposer sans que notre esprit soit tenu occupé par des images et des visions. Accablé de sommeil, notre esprit est en latence, comme le feu qui dort, caché sous la cendre : si on le remue un peu, il s’embrase à nouveau et pour ainsi dire se réveille259. 5. Il est donc distrait par des simulacres, jusqu’à ce que les membres, plongés dans le sommeil 260, reprennent vigueur : le corps en effet, quand la sensibilité veille, et bien qu’il soit étendu immobile, n’est cependant pas endormi, car la sensibilité brûle en lui, scintille comme une flamme et tient toutes les parties liées à elle. 6. Mais quand l’esprit est conduit de l’attention à la contemplation d’images, c’est alors seulement que tout le corps se détend dans le repos. 7. Or l’esprit est conduit par des pensées nocturnes, quand, sous la contrainte des ténèbres, il commence à n’être qu’avec lui-même. Tandis qu’il est tendu vers l’objet de sa pensée, le sommeil se glisse soudain [en lui], et la pensée elle-même dévie peu à peu vers des apparences très voisines : c’est ainsi qu’il commence aussi à voir ce qu’il avait placé devant ses yeux. 8. Ensuite il va plus loin et se trouve des distractions, sans interrompre le repos très salutaire du corps. En effet, comme l’esprit, dans la journée, est distrait par de vraies visions qui l’empêchent de s’endormir, de même, il est distrait par des fausses qui l’empêchent de se réveiller : car s’il ne distingue aucune image, il sera nécessairement ou en état de veille ou dans le sommeil éternel de la mort. 9. C’est donc en vue du sommeil que Dieu a accordé le système des songes en commun à tous les êtres vivants, mais avec pour l’homme cette particularité : en lui donnant ce système
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facultatem sibi reliquit docendi hominem futura per somnium. 10. Nam et historiae saepe testantur extitisse somnia quorum praesens et admirabilis fuerit euentus, et responsa uatum nostrorum ex parte somniis constiterunt. 11. Quare neque semper uera sunt neque semper falsa, Vergilio teste, qui duas portas esse uoluit somniorum. Sed quae falsa sunt dormiendi causa uidentur. Quae uera inmittuntur a deo, ut imminens bonum aut malum hac reuelatione discamus. 19. 1. Illud quoque uenire in quaestionem potest, utrumne anima ex patre an potius ex matre an uero ex utroque generetur. 2. Sed ego id meo iure ab ancipiti uindico. Nihil enim ex his tribus uerum est, quia neque ex utroque neque ex alterutro seruntur animae, corpus enim ex corporibus nasci potest, quoniam confertur aliquid ex utroque. De animis anima non potest, quia ex re tenui et inconprehensibili nihil potest decedere. 3. Itaque serendarum animarum ratio uni ac soli deo subiacet : denique caelesti sumus omnes semine oriundi, omnibus ille idem pater est, ut ait Lucretius. Nam de mortalibus non potest quicquam nisi mortale generari, nec putari pater debet qui transfudisse aut inspirasse animam de sua nullo modo sentit, nec, si sentiat, quando tamen aut quomodo id fiat habet animo comprehensum. 4. Ex quo apparet non a parentibus dari animas, sed ab uno eodemque omnium deo patre, qui legem rationemque nascendi tenet solus siquidem solus efficit. Nam terreni parentis nihil est nisi ut umorem corporis in quo est materia nascendi, cum sensu uoluptatis emittat uel recipiat ; citra hoc opus homo resistit nec amplius quicquam potest, et ideo nasci sibi filios optant, quia non ipsi faciunt. 5. Cetera iam dei sunt omnia, scilicet conceptus ipse et corporis informatio et inspiratio animae et partus incolumis et quaecumque deinceps ad hominem conseruandum ualent : illius munus est quod spiramus, quod uiuimus, quod uigemus. 6. Nam praeter quod ipsius beneficio incolumes sumus corpore et quod uictum nobis ex uariis rebus subministrat, sapientiam quoque homini tribuit, quam terrenus pater dare
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en vue de son repos, Dieu s’est laissé la faculté d’enseigner à l’homme le futur par les songes. 10. Les récits historiques en effet attestent souvent qu’il y a eu des songes dont la réalisation a été effective et prodigieuse et, en outre, les prédictions de nos devins261 ont résulté en partie des songes. 11. Ils ne sont donc ni toujours vrais ni toujours faux, au témoignage de Virgile pour qui il y a deux portes des songes262 . Mais ceux qui sont faux apparaissent en vue du sommeil, ceux qui sont vrais sont envoyés par Dieu pour nous apprendre, par cette révélation, l’imminence d’un bien ou d’un mal. 19. 1. On peut aussi se demander si l’âme provient du père, de la mère ou des deux 263. 2. Mais de moi-même, je dégage cette question de toute incertitude. Aucune de ces trois hypothèses n’est vraie car les âmes ne sont pas des semences issues des deux parents ni de l’un des deux. Un corps en effet peut naître des corps, puisque chacun des deux apporte sa contribution. Mais des âmes ne peut naître une âme puisque rien ne peut sortir d’une chose ténue et insaisissable. 3. C’est pourquoi la faculté de semer les âmes relève du Dieu, seul et unique264 : « Nous sommes tous issus de semence céleste. C’est notre père à tous… »265, comme dit Lucrèce. Les mortels en effet ne peuvent rien engendrer qui ne soit mortel. On ne doit pas considérer comme père celui qui n’a en aucune façon le sentiment d’avoir transfusé ou insufflé266 une âme issue de la sienne et qui, même s’il en a le sentiment, ne comprend cependant ni quand ni comment cela se produit267. 4. Il s’ensuit à l’évidence que ce ne sont pas les parents qui donnent l’âme, mais que c’est le Père unique et en même temps Dieu de tous les hommes, qui est seul à détenir la loi et le processus de la naissance, puisqu’Il est le seul à le réaliser. Il n’appartient en effet au parent terrestre que d’émettre ou de recevoir avec une sensation de plaisir l’humeur corporelle qui contient le matériau de la naissance : l’homme s’arrête en deçà de la création et ne peut rien de plus, et s’ils souhaitent que des fils leur naissent c’est bien parce qu’ils ne les font pas eux-mêmes268 . 5. Tout le reste relève de Dieu : la conception elle-même, la formation du corps, l’insufflation de l’âme269, le bon déroulement de l’accouchement et tout ce qui ensuite est important pour la survie de l’homme. La respiration, la vie, la force sont l’œuvre de Dieu. 6. Outre le fait que nous devons à ses bienfaits d’être en bonne santé physique et qu’Il nous procure une nourriture tirée de produits variés, Il accorde aussi à l’homme la sagesse que le père terrestre ne peut en aucun cas donner. C’est
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nullo modo potest, ideoque et de sapientibus stulti et de stultis sapientes saepe nascuntur : quod quidam fato ac sideribus adsignant. 7. Sed non est nunc locus de fato disserendi, hoc dicere satis est, [quod] etiamsi astra efficientiam rerum continent, nihilo minus a deo fieri omnia, qui astra ipsa et fecit et ordinauit. Inepti ergo qui hanc potentiam deo detrahunt et operibus eius attribuunt. 8. Hoc igitur dei munere caelesti atque praeclaro an utamur in nostra esse uoluit potestate : hoc enim concesso ipsum hominem uirtutis sacramento religauit, quo uitam posset adipisci. non modo esse, sed ne apparere quidem, quia uirtus esse non poterit, nisi fuerit compar aliquis, in quo superando uim suam uel exerceat uel ostendat. 3. Nam ut uictoria constare sine certamine non potest, sic nec uirtus quidem ipsa sine hoste. Itaque quoniam uirtutem dedit homini, statuit illi ex contrario inimicum, ne uirtus otio torpens naturam suam perderet. Cuius omnis ratio in eo est ut concussa et labefacta firmetur nec aliter ad summum fastigium possit uenire nisi prudenti manu semper agitata se ad salutem suam dimicandi tenore fundauerit. Noluit enim deus hominem ad inmortalem illam beatitudinem delicato itinere peruenire. 4. Daturus ergo uirtutem dedit hostem prius qui animis hominum cupiditates et uitia inmitteret, qui esset auctor errorum malorumque omnium machinator, ut quoniam deus hominem ad uitam uocat, ille contra ut rapiat et traducat ad mortem. 5. Hic est qui aut inducit et decipit eos qui ueritati student, aut si dolo et studiis non quiuerit, uirilem gerit animam qua sublimium uigorem labefactare conetur, infanda dictu et execrabilia moliens: uexat, interficit, et tamen ut prosternit multos, sic a multis uictus prostratusque discedit>. 19. 9. Magna est enim uis hominis, magna ratio, magnum sacramentum : a quo si quis non defecerit nec fidem suam deuotionemque prodiderit, hic beatus est, hic denique, ut breuiter
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pour cette raison que souvent des insensés naissent de sages et des sages d’insensés, ce que certains imputent au destin et aux astres. 7. Mais ce n’est pas le moment maintenant de discuter du destin ; il suffit de dire que, même si les astres détiennent un pouvoir sur les choses, néanmoins tout se fait par Dieu, qui a créé et ordonné les astres eux-mêmes. Il est donc stupide de retirer ce pouvoir à Dieu et de l’attribuer à ses œuvres270. 8. Il a voulu qu’il soit en notre pouvoir d’utiliser ce présent céleste et remarquable de Dieu271 : en lui accordant cela, il a lié l’homme lui-même par un engagement sacré à la vertu272 pour lui permettre d’atteindre à la [vraie] vie. < 19 bis. 1. Dieu lui a donné et établi pour adversaire273 un esprit très malfaisant et fallacieux pour qu’il le combatte dans cette vie terrestre sans le repos que donne la sécurité. Or pourquoi Dieu a établi pour le genre humain ce persécuteur, c’est ce que je vais brièvement exposer. 2. Avant tout274 , Il a voulu la diversité275 et pour cette raison Il n’a pas dévoilé la vérité à la foule, mais l’a révélée à un tout petit nombre car cette diversité contient tout le secret du monde276 . C’est elle en effet qui fait exister la vertu, qui [sans elle ne pourrait]277 naturellement non seulement exister, mais pas même apparaître puisque la vertu ne pourra exister sans un semblable, dont la domination lui permette d’exercer ou de montrer sa propre force. 3. Car de même que la vérité ne saurait exister sans combat278 , la vertu elle-même ne le peut sans ennemi. C’est pourquoi, puisqu’Il a donné la vertu à l’homme, Il a établi pour lui à l’opposé un ennemi pour empêcher la vertu de perdre sa nature dans la torpeur de l’oisiveté 279. En voici toute la raison : secouée et ébranlée, elle s’affermit et ne peut atteindre le faîte suprême que si, sans cesse agitée par une sage main, elle a acquis une solide assise par un combat continu pour son salut. Dieu en effet n’a pas voulu que l’homme parvienne à la béatitude éternelle par un chemin de délices280. 4. Comme Il allait donner la vertu, Il a donc donné auparavant281 un ennemi qui introduise les passions et les vices dans les âmes humaines, qui inspire les erreurs et tous les maux afin que, comme Dieu appelle l’homme à la vie, lui au contraire l’entraîne et le livre à la mort. 5. C’est lui qui abuse et trompe ceux qui recherchent la vérité ou qui, si sa ruse et son zèle ont échoué, montre une âme virile pour tenter d’ébranler la vigueur des hommes sublimes en tramant des actions horribles à dire et exécrables : il tourmente, il tue et, cependant, s’il en terrasse beaucoup, il se retire, vaincu et terrassé par beaucoup d’autres >. 19. 9. Grande en effet est la puissance de l’homme, grande sa raison, grand son engagement : quiconque ne s’en est pas éloigné ni n’a trahi sa foi et sa piété est heureux, et enfin en un mot, est nécessairement semblable à Dieu.
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finiam, similis deo sit necesse est. Errat enim quisquis hominem carne metitur : nam hoc corpusculum quo induti sumus, hominis receptaculum est. Nam ipse homo neque tangi neque aspici conprehendi potest, quia latet intra hoc quod uidetur. 10. Qui si delicatus ac tener in hac uita fuerit quam ratio eius exposcit, si uirtute contempta desideriis se carnis addixerit, cadet et premetur in terram; si autem, ut debet, statum suum quem rectum sortitus est, prompte constanterque defenderit, si terrae quam calcare debet ac uincere non seruierit, uitam merebitur sempiternam. 20. 1. Haec ad te, Demetriane, interim paucis et obscurius fortasse quam decuit pro rerum ac temporis necessitate peroraui, quibus contentus esse debebis plura et meliora lecturus, si nobis indulgentia caelitus uenerit. Tunc ego te ad uerae philosophiae doctrinam et planius et uerius cohortabor. 2. Statui enim quam multa potero litteris tradere quae ad beatae uitae statum spectent, et quidem contra philosophos, quoniam sunt ad turbandam ueritatem perniciosi et graues. 3. Incredibilis enim uis eloquentiae et argumentandi disserendique subtilitas quemus facile deceperit : quos partim nostris armis partim uero ex ipsorum inter se concertatione sumptis reuincemus, ut appareat eos induxisse potius errorem quam sustulisse. 4. Fortasse mireris audeam. Patiemurne igitur extingui aut opprimi ueritatem ? Ego uero libentius uel sub hoc onere defecerim. 5. Nam si Marcus Tullius, eloquentiae ipsius unicum exemplar, ab indoctis et ineloquentibus, quia tamen pro uero nitebantur, saepe superatus est, cur desperemus ueritatem ipsam contra fallacem captiosamque facundiam sua propria ui et claritate ualituram ? 6. Illi quidem sese patronos ueritatis profiteri solent : sed quis potest aut eam rem defendere quam non didicit aut inlustrare apud alios quod ipse non nouerit ? 7. Magnum uideor polliceri, sed caelesti opus est munere, ut nobis facultas ac tempus ad proposita persequenda tribuatur. 8. Quod si uita est optanda sapienti, profecto nullam aliam ob causam uiuere optauerim quam ut aliquid efficiam quod uita dignum sit et quod utilitatem legentibus etsi non ad eloquentiam, quia tenuis in nobis facundiae riuus est, ad uiuendum
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Il se trompe en effet celui qui mesure l’homme à la chair car ce petit corps dont nous sommes revêtus est le réceptacle de l’homme282 . Quant à l’homme lui-même, on ne peut ni le toucher ni le voir ni le saisir, puisqu’il se cache à l’intérieur de ce qu’on voit283. 10. Celui qui se montre voluptueux et sensuel dans la vie que réclame la loi de son être284 , si, méprisant la vertu, il se voue aux plaisirs de la chair, il tombera et s’abattra sur terre ; si au contraire, comme il le doit, il défend avec empressement et constance la position droite qu’il a reçue285, s’il n’est pas l’esclave de la terre qu’il doit fouler aux pieds et vaincre, il méritera la vie éternelle286 . 20. 1. Voilà ce que je t’ai exposé, Démétrianus287, en peu de mots pour l’instant et peut-être plus obscurément qu’il ne convenait à cause des contraintes liées à la situation présente288; tu devras t’en contenter en attendant des lectures plus nombreuses et meilleures289, si le ciel nous l’accorde. Je t’exhorterai alors à la doctrine de la vraie philosophie290 d’une manière plus complète et plus véridique. 2. J’ai décidé en effet de transmettre par écrit le plus grand nombre de réflexions possibles concernant la nature du bonheur, et en tout cas contre les philosophes, puisque, pour troubler la vérité, ils sont dangereux et insupportables. 3. En effet, l’incroyable puissance de l’éloquence, la subtilité dans l’argumentation et le raisonnement peuvent facilement tromper n’importe qui : nous les vaincrons en partie avec nos armes, en partie avec celles que nous tirerons de leur débat mutuel291, pour faire apparaître clairement qu’ils ont suscité l’erreur plus qu’ils ne l’ont supprimée. 4. Peut-être t’étonnes-tu de me voir oser une telle action292 . Supporterons-nous donc de voir la vérité détruite ou écrasée ? Pour ma part, j’aimerais encore mieux fléchir sous ce poids. 5. De fait, si Cicéron, modèle unique de l’éloquence même, a souvent été surpassé par des incultes et hommes sans éloquence293, parce qu’ils s’efforçaient malgré tout de défendre le vrai, pourquoi désespérer que la vérité elle-même puisse valoir par sa force et sa clarté propres, contre la faconde fallacieuse et trompeuse ? 6. Ces hommes-là se posent d’ordinaire en défenseurs de la vérité : mais qui peut soutenir une chose qu’il n’a pas apprise ou éclairer devant les autres ce que lui-même ne connaît pas ? 7. J’ai l’air de faire de grandes promesses, mais il faut un don du ciel pour nous voir attribuer la capacité et le temps de mener à bonne fin nos projets. 8. Si le sage doit souhaiter une vie, je ne souhaiterais assurément vivre que pour réaliser quelque chose qui soit digne de la Vie et qui apporte quelque chose d’utile aux lecteurs, non pas pour l’éloquence, car le ruisseau de notre faconde est mince, mais
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tamen adferat : quod est maxime necessarium. 9. Quo perfecto satis me uixisse arbitrabor et officium hominis inplesse, si labor meus aliquos homines ab erroribus liberatos ad iter caeleste direxerit.
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pour la Vie : ce qui est absolument nécessaire. 9. Une fois ce travail accompli, j’estimerai avoir suffisamment vécu et rempli mon devoir d’homme, si mon labeur mène vers le chemin du ciel quelques hommes libérés de leurs erreurs.
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Sur Démétrianus, cf. introduction p. 34-35. In summis necessitatibus : allusion aux persécutions contre les chrétiens à Nicomédie et à la situation personnelle de Lactance. L’idée sera reprise dans le chapitre de clôture en 20, 1 : pro rerum ac temporis necessitate. Sur le contexte historique du De opificio, cf. introduction p. 15-20. Le pluriel necessitates, dont il s’agit du seul exemple chez Lactance, ne souligne pas seulement la multiplicité des difficultés rencontrées ; conformément à la valeur « concrétisante » du pluriel (cf. E. Ernout, Aspects du vocabulaire latin, Paris, Klincksieck, 1954, p. 179), il renvoie également aux effets des persécutions sur la vie de Lactance, aux diverses contraintes qui en résultent et à leur extension dans le temps. Sur les valeurs du pluriel, cf. A. Rousseau, « La pluralisation nominale et verbale : étude sémantique et syntaxique dans une perspective typologique », dans Mémoires de la Société de Linguistique de Paris, nouvelle série, tome XII (2002), p. 23-43. 3 Le thème de l’auto-dépréciation de l’auteur est conforme à la topique des pages introductives, cf. infra 1, 11 et 20, 7. Sur ce topos issu de l’éloquence judiciaire, cf. E. R. Curtius, La littérature européenne et le moyen-âge latin – trad. J. Bréjoux, Paris, 1956, p. 103-113. 4 Sur la construction de cette phrase, cf. introduction p. 95. 5 Philosophus est ici employé pour désigner les adeptes de la religion chrétienne, selon l’association audacieuse de Clément d’Alexandrie : « La philosophie consiste dans la recherche de la vérité et la vérité c’est le Christ », cf. Stromates, I, 5, 32, 4. Sur l’histoire du terme philosophia, cf. A.-M. Malingrey, « Philosophia ». Étude d’un groupe de mots dans la littérature grecque des Présocratiques au 4ème siècle après J.-C., Paris, Klincksieck, 1961, p. 290-293. 6 Le terme secta, qui renvoie étymologiquement à l’idée de choix et d’inclination, servait dans l’Antiquité romaine à désigner toute doctrine – philosophique, littéraire ou médicale. Il est employé par Tertullien pour désigner le christianisme (cf. Ap. 1, 1). Il ne revêt pas initialement l’acception péjorative d’hétérodoxie, encore moins celle d’hérésie qu’il acquerra après le triomphe de la « Grande Église », cf. B. Decharneux, « Hérésies, sectes et mystères des premiers siècles de notre ère », in « Sectes » et « hérésies » de l’Antiquité à nos jours – éds. A. Dierkens & A. Morelli, Bruxelles, 2002, p. 29-43. 7 Le nomen christianum renvoie au crime de christianisme, cf. introduction p. 16. 8 Pour Lactance, la mauvaise conduite des chrétiens constitue l’une des causes des persécutions, interprétées comme un châtiment divin, cf. introduction p. 21-22. 9 La nécessité de respecter l’engagement chrétien est une idée chère à Lactance, cf. infra 20, 4 ; Inst. I, 1, 7 et III, 1, 4. 10 Il s’agit de la citation littérale du deuxième hémistiche du vers I, 604 de l’Énéide. Inséré dans le texte sans être annoncée, il est reconnaissable à son rythme, cf. A. Goulon, « Les citations des poètes latins dans l’œuvre de Lactance », art. cit., p. 107-143. Mais le changement de contexte modifie le sens du vers : chez Virgile, l’expression mens sibi conscia recti, placée dans la bouche d’Énée lorsqu’il se présente à la reine Didon, renvoie à l’intelligence suprême qui règle l’ordre du monde et fait régner la justice. Lactance reprend la formule virgilienne pour vanter les vertus de Démétrianus et l’inviter à s’élever vers la sagesse et la justice divine. Sur la réception lactancienne de Virgile, cf. P. Courcelle, Lecteurs païens et lecteurs chrétiens de l’Énéide, Paris, 1984. 11 Les dangers de la prospérité, qui seront explicités dans les Institutions, sont à la fois moraux et religieux : alors que l’homme se tourne vers Dieu quand il se trouve en difficulté, il se montre 2
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négligent et ingrat lorsque sa situation devient prospère, cf. Inst. II, 7, 12 : Deo autem, quem in ipsa necessitate implorauerant, ne uerbo quidem gratias agunt. Adeo ex rerum prosperitate luxuria, ex luxuria uero ut uitia omnia sic impietas aduersus Deum nascitur ! « Quant à Dieu, qu’ils avaient imploré au milieu de leurs besoins, ils n’ont même pas une parole pour le remercier. Tant il est vrai que la prospérité engendre la mollesse, et que, de cette mollesse, naît, à l’instar de tous les vices, l’impiété à l’égard de Dieu ! » – traduction P. Monat. 12 Citation de Virgile (Én. III, 436). Il s’agit d’une partie de vers tirée de la prophétie d’Hélénus, qui incite fortement Enée à implorer la vindicative Junon. La citation souligne chez Lactance à la fois l’importance du conseil et les difficultés inhérentes à sa mise en pratique. Sur la forme de cette citation et la réception lactancienne de Virgile, cf. supra note 10 et introduction p. 77-79. 13 La paronomase (dubia…dulcia) renforce l’avertissement à l’égard de l’attrait exercé par les plaisirs, cf. supra note 11. La phrase évoque la critique sénéquienne des oblectamenta éphémères et trompeurs (Sen. Prou. I, 28 ; Marc. 12, 1 ; Helu. V, 5 ; Ep. 23, 3) et l’opposition stoïcienne entre la véritable joie, procurée par le bien de l’âme, et la fausse jouissance, qui résulte des plaisirs du corps et des biens extérieurs (cf. Cic. Fin. II, 63-66 ; Sen. Ep. 59, 14-18). Mais, alors que l’antithèse stoïcienne entre bonheur et plaisirs concernait la vie du sage hic et nunc, elle revêt ici une dimension religieuse puisque Lactance esquisse une opposition entre vie terrestre (cf. oblectamenta terrae) et vie céleste. L’idée selon laquelle les plaisirs terrestres détournent l’homme de Dieu est déjà exprimée par Cyprien, cf. Ep. 11, 7 : Oculos erigamus ad caelum, ne oblectamentis et inlecebris nos suis terra decipiat. Elle sera développée par Ambroise de Milan (De Abraham I, 2, 4 ; Expositio psalmi CXVIII, 3, 32 ; De uiduis 7, 38 ; De spiritu sancto I, 16, 163) et Augustin (De patientia 4, 3). 14 Le néologisme conluctator est un hapax, qui désigne un adversaire, un antagoniste, et renvoie à l’idée de lutte. Sur les néologismes de Lactance, qui sont souvent liés à un souci de concision, cf. H. Glaesener, « Les néologismes de Lactance », Musée Belge 5 (1901), p. 293-307. Le substantif aduersarius est en revanche très usité dès l’époque classique, notamment dans le corpus césarien et chez Tite-Live. Dans les textes chrétiens, il désigne en général, soit les persécuteurs, en tant qu’ennemis des soldats du Christ (cf., par exemple, Cypr. De bono patientiae 8 ; 16 ; Tert. Adu. Marc. 3 ; Lact. Inst. V, 22, 7 ; Mort. pers. 1, 2 ; 5, 1 ; 43, 1), soit le démon, en tant que principe négatif opposé à la bonté de Dieu (cf. Cypr. De zelo et liuore 1, 13 : aduersarius uester diabolus ; Tert. Aduers. Marc. 1 : et aduesarium sibi constituit ; Lact. Inst. IV, 30, 2 : illius aduersarii nostri cum quo nos luctari deus uoluit… ; VI, 15, 7 et Opif. 19 bis, 1). Le caractère guerrier de la terminologie renvoie non seulement au thème de la militia Christi (cf. A. Harnack, Militia Christi, Darmstadt, 1963) mais au dualisme agonistique, qui caractérise l’addition du chapitre 19, cf. Opif. 19 bis. 1-5, notes ad loc. et introduction p. 87-94. Dans la mesure où le démon, inclus dans le plan divin, est cause des péchés et des vices, la vie du fidèle correspond à une lutte perpétuelle contre ses séductions. Sur l’importance attribuée au démon dans le christianisme des premiers siècles, cf. B. Studer, notice « démon », dans Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien, tome 1, p. 644-650. 15 Lactance fait probablement référence aux persécutions qui ont eu lieu sous Dioclétien à partir de 303, cf. Opif. I, 1 et note 2. 16 L’image renvoie indirectement au thème platonicien du corps-prison (cf. Plat. Crat. 400bc ; Phaed. 66b-67d) : les plaisirs et les besoins du corps entravent la pensée et font obstacle au savoir. C’est pourquoi l’âme doit travailler « à se délier du corps, comme on se délie de ses
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chaînes » (Plat. Phaed. 67d - trad. M. Dixsaut, Paris, 1991). Les métaphores du lien ou du filet (laqueus) parcourent le platonisme latin, cf. Firm. Math. I, 4, 1 ; VIII, 1, 1 ; Macr. Somn. I, 1, 5 ; I, 9, 10 ; I, 13, 17. Elles furent reprises par les chrétiens en relation avec les plaisirs corporels, cf. Tert. Idol. 11 ; Arn. II, 26 ; II, 25 ; Ambr. Hex. I, 8, 31. Pour le détail des références, cf. P. Courcelle, « La colle et le clou de l’âme dans la tradition néo-platonicienne et chrétienne », art. cit., note 1, p. 93-95. La double connotation de cette image, qui constitue également une référence aux textes bibliques (I Tim. 3, 7 et Ps. passim), convient parfaitement à la discrète interpretatio Christiana mise en œuvre dans le traité, cf. introduction p. 38-40. Cette comparaison plaisirs/filets reparaîtra dans Inst. VI, 22, 5 : Cauenda sunt igitur oblectamenta ista tanquam laquei et plagae… Sur la reprise de l’image platonicienne du corps-prison par Lactance, cf. J. Pépin, Idées grecques sur l’homme et sur Dieu, op. cit., p. 178-182 et M. Perrin, L’homme antique et chrétien, op. cit., p. 385-391. 17 Il s’agit de Dieu, cf. Opif. 2, 1 ; 8, 3 ; 19, 4 et 5 et notes ad loc. Cette désignation périphrastique, qui renvoie à l’image romaine du paterfamilias, sera reprise et complétée par le terme dominus dans Inst. IV, 3, 15 ; IV, 4, 2 ; V, 14, 17 ; V, 18, 14. D’un point de vue doctrinal, elle correspond parfaitement au rôle attribué à Dieu dans la génération humaine, cf. Opif. 19, 4-5. 18 Dare nomen désigne initialement l’enrôlement militaire (donner son nom pour être inscrit sur les registres militaires, cf., par exemple, Caes. B. ciu. III, 110, 4 ; Liv. I, 11, 4 ; I, 59, 11 ; III, 1, 17) et ici, par extension, l’engagement, après le baptême, dans la vie chrétienne, conçue comme militia Christi, cf. A. Harnack, Militia Christi, op. cit. 19 Formule volontairement allusive. Sur la question du crypto-christianisme, cf. introduction p. 37-42. 20 L’image du corps comme vase de l’âme, reprise et développée par Cicéron dans les Tusculanes comme dans le Songe de Scipion (cf. Cic. Tusc. I, 52 : Nam corpus quidem quasi uas est aut aliquod animi receptaculum ; Rep. VI, 26 ; Macr. Somn. II, 12, 9), s’inscrit dans la tradition anthropologique héritière du premier Alcibiade (130c et e), cf. P. Boyancé, « Cicéron et le premier Alcibiade », Revue des Études Latines 22 (1964), p. 210-225 repris dans Études sur l’humanisme cicéronien, Bruxelles, Latomus, 1970, p. 256-275 ; J. Pépin, Idées grecques sur l’homme et sur dieu, op. cit. On ne s’étonne pas dès lors de voir le cicéronien Lactance la reprendre à son compte au point d’en reproduire non seulement les idées mais les termes mêmes. Cette métaphore, fréquente chez Lactance (cf. Opif. 5, 2 ; 19, 9 ; Inst. II, 3, 8 ; II, 12, 11 ; VII, 12, 14 ; VII, 12, 21), parcourt toute la littérature sur le corps, que ce soit dans la tradition philosophique (cf. Lucr. III, 440, 555 ; Phil. Quod det 170 ; De migr. Abr. 193 ; De somniis I, 26 ; Sén. Marc. 11, 3 ; M. Ant. 3, 3 ; 10, 38 et 12, 2) ou dans la tradition chrétienne (cf. II Cor. 4, 6-7 ; I Thess. 4, 4-5 ; Herm. 5, 1, 2 ; Tert. An. 40, 2 ; Res. 16, 3-4 et 11-12 ) voire hermétique (cf. C. H. III, fr. 5, 4 ; IV, fr. 26, 4). Sur le sens du terme uas dans l’exégèse chrétienne, cf. J. Doignon, « L’exégèse latine ancienne de I Thessaloniciens 4, 4-5 sur la possession de notre uas. Schémas classiques et éclairages chrétiens », Bulletin de Littérature Ecclésiastique 83 (1982), p. 163-177 et A. Rousselle., « À propos d'articulations logiques dans le discours gnostique », Apocrypha 8 (1997), p. 35. 21 Le thème platonicien de l’homme défini par son âme (cf. Plat. Alc. 130c-e) est étroitement lié à la métaphore du corps-vaisseau (cf. note précédente) : la connaissance de soi, c’est-à-dire de son âme, conduit à la connaissance de Dieu, voire se confond avec elle, et cette théorie connaîtra une large exploitation dans l’Antiquité. Cicéron l’évoque également dans les Tusculanes, cf. Tusc. I, 52 : neque nos corpora sumus…Cum igitur « nosce te » dicit, hoc dicit : « nosce animum tuum » ; Rep. VI, 26. Sur cette question, cf. P. Boyancé, « Cicéron et le Premier Alcibiade »,
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art. cit. ; J. Pepin, « Que l’homme n’est rien d’autre que son âme : observations sur la tradition du Premier Alcibiade », Revue des Études Grecques 82 (1969), p. 56-70 ; Id., Idées grecques sur l’homme et sur dieu, op. cit., p. 179 ; A. Michel, « L’homme se réduit-il à son âme ? », Diotima 7 (1979), p. 137-141 ; Id., « Humanisme et anthropologie chez Cicéron », Cahiers de Fontenay 39-40 (1985), p. 44-55 : selon la leçon de l’Alcibiade, transmise par les Tusculanes et reprise à son compte par Lactance, l’identification de l’homme à son âme n’implique pas le mépris du corps, mais l’instauration d’une hiérarchie. « L’âme use du corps qu’elle conduit et gouverne selon les exigences de sa raison. L’homme est donc une âme raisonnable qui se sert d’un corps comme d’un instrument » (p. 45). 22 Prométhée passe pour avoir créé les premiers hommes en les modelant avec de la terre, cf. K. Bapp, « Prometheus », in Lexikon der Griechishen und Römischen Mythologie – dir. W. H. Roscher, Hildesheim, 1978, tome III.2, col. 3044-3047 ; P. Grimal, « Prométhée » in Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, 200215, p. 397. Cette légende, qui a été largement exploitée dans la littérature antique, et en particulier par Ov. M. I, 81 et Sén. Med. 709, fera l’objet d’une réfutation plus développée dans les Institutions Divines (II, 10, 5-8), le point essentiel aux yeux du chrétien Lactance étant que res eos non fefellit, sed nomen artificis : les hommes ne se sont pas trompés sur le fait lui-même, mais sur l’identité du Créateur. Sur le sens et la valeur du verbe fingere, cf. Opif. 2, 9 et note ad loc. 23 Même si la terminologie divine peut renvoyer à la fois à la théologie chrétienne et à la tradition philosophique antique (cf. introduction p. 39, supra 1, 11 ; 1, 16 ; 2, 1 ; 2, 9 et infra notes 24, 33, 34), nous avons choisi d’utiliser des majuscules pour la traduction de deus et de tous les termes qui se rapportent à Dieu car, selon nous, dans le De opificio Dei, Lactance s’exprime d’abord en chrétien, cf. introduction p. 37-42. 24 Artifex, qui traduit comme opifex le terme grec demiurgos (cf. infra notes 33 et 58), s’applique surtout à la création du monde, mais parfois, comme ici, à la création de l’homme, cf. TLL, tome II, col. 696-702 [700-701]. Ce terme, qui est fréquemment employé dans le De opificio Dei (cf. Opif. 2, 1 ; 8, 8 ; 10, 5 ; 10, 10 ; 10, 22 ; 11, 2 ; 13, 6 ; 14, 9 ; 15, 3 ; 16, 17), suggère un lien métaphorique entre activité de création et travail artisanal, cf. V. Loi, Lattanzio nella storia del linguaggio e del pensiero teologico pre-niceno (Bibliotheca theologica salesiana, ser. I, vol. 5), Zürich, 1970, p. 119, 120, 126 et infra note 33. La notion de dieu artisan, qui est à rapprocher du démiurge mis en scène par Platon dans le Timée (28C, 29A, 37D, 41A, 68E, 69C, etc.), renvoie au paradigme artificialiste ; du reste, Cicéron utilise précisément le substantif artifex dans sa traduction latine du Timée (cf. Cic. Tim. 2, 6). Sur la figure du démiurge platonicien et la création de l’homme dans le Timée, voir S. Margel, Le tombeau du dieu artisan, Paris, 1995, p. 61-86 et 155-172 et L. Brisson, « Le démiurge du Timée et le créateur de la Genèse », in Le style de la pensée - éds. M. Canto-Sperber & P. Pellegrin, Paris, 2002, p. 26-39 : le démiurge de Platon étant « responsable de ses actes, qui font suite à une réflexion et un calcul intelligent », sa démarche entretient un « rapport privilégié avec l’ars ». 25 Les paragraphes 11 à 13 servent de référence à la reconstitution du livre IV du De re publica de Cicéron, et constituent le frag.1 dans l’édition du texte par É. Bréguet, Paris, 19802 . 26 Sur ce paragraphe 11, cf. introduction p. 54-55. 27 Citation du De legibus I, 9, 27. Cicéron se réfère à Rep. VI, 26-29. 28 Cf. Cic. Nat. II, 133-153. 29 Disertissimus : le superlatif a-t-il une valeur ironique comme dans l’apostrophe de Catulle à Cicéron en 49, 1 : Disertissime Romuli nepotum ? Peut-être ; l’ironie l’emporterait alors sur
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l’admiration qui sera exprimée dans les Inst. I, 17, 3 ; VI, 24, 18. C’est que Lactance entend corriger et dépasser son illustre modèle. Sur l’attitude ambivalente de Lactance à l’égard de Cicéron, cf. Opif. 20, 5 ; note ad loc. ; introduction p. 62-74 ; S. Casey, « Lactantius’reaction to pagan Philosophy », art. cit., p. 207-208 ; P. Roots, « The De Opificio Die : the workmanship of God and Lactantius », art. cit., p. 466-486 ; G. D’Onofrio, « Il parricidio di Cicerone », art. cit., p. 221-223 et S. Luciani, « Explicare quod homo disertissimus paene omisit intactum : présence de Cicéron dans le De opificio Dei », art. cit., p. 33-50. 30 Sur cette phrase, cf. introduction p. 71. 31 Cf. introduction p. 25. Vsus : usage ou utilité ? Le second sens correspond parfaitement à la perspective providentialiste de Lactance, tandis que l’idée d’usage est évoquée à travers le terme officium. Pour une distinction plus fine entre ces deux sens d’usus, cf. T. Benatouïl, Faire usage : la pratique du stoïcisme, Paris, Vrin, 2006, p. 19-42. 32 Cf. de même 2, 1 ; 4, 23-24 ; 8, 1-3, et introduction p. 25. 33 Sur la valeur et le sens d’artifex, cf. supra note 24 ; le terme est ici doublé par parens et generatos, qui rappellent également la terminologie utilisée par Platon, cf. Tim. 28B3. 34 La même énumération intellegentia… sensus ac ratio apparaît dans la tradition hermétique, cf. Herm. Tr. Ascl. 41, où, cependant, l’intelligence, comme la pensée et raison, est un don de Dieu à l’homme. Sensus, qui correspond au grec noûs, revêt ici, comme dans le Corpus Hermeticum, le sens de faculté d’intuition, intellect. Cette phrase dessine une analogie ontologique entre l’homme et Dieu, peut-être en référence à la Genèse (1, 27), et établit au contraire une distinction fondamentale entre l’homme, doué de raison, et les autres animaux. Cette différence justifie la supériorité de l’homme en dépit de son infériorité physique et fonde en raison la conformation de son corps. Le parallélisme de l’expression renvoie au thème platonicien de l’assimilation de l’homme à Dieu, dont les origines remontent à un célèbre passage du Théétète (176b) et qui est devenue la définition du telos platonicien dans le moyen platonisme (Apul. Plat. Dogm. II, 220-222 ; 249 ; 252 ; Alc. Didask. 27, 179-180), cf. J. Dillon, The Middle Platonists, Londres, 1977 ; C. Lévy, « Cicéron et le moyen platonisme : le problème du souverain bien selon Platon », Revue des Études Latines 68 (1991), p. 50-65. Cependant, Lactance ne se réfère pas ici à l’ὁμοίωσις θεῷ dans une perspective éthique, mais anthropologique. Il ne s’agit pas d’inciter l’homme à pratiquer la vertu pour se rendre semblable à Dieu et accomplir sa nature rationnelle, comme l’avaient fait Platon, Cicéron ou Sénèque (cf. D.C. Russel, « Virtus as ‘likeness to God’ in Plato and Seneca », Journal of History of Philosophy 42-3 (2004), p. 241260; J.M. Armstrong, « After the ascent : Plato on becoming like God », Oxford Studies in Ancient Philosophy 26 (2004), p. 171-183 et S. Lavecchia, Una via che conduce al divino. La « homoiosis theo » nella filosofia di Platone, Milan, Vita et Pensiero, 2006). Se fondant sur une assimilation a priori, Lactance souligne la proximité de nature entre le créateur et sa créature, tout en maintenant une différence : Dieu est lui-même intelligence dans l’exercice permanent de la raison et de la pensée, tandis que l’homme, loin d’être intelligence pure, se trouve seulement doté des facultés de pensée et de raison qui lui viennent de Dieu, cf. Cic. Nat. II, 34 ; 79 ; Sen. Nat. Quaest. Praef. 13-14. Sur cette distinction, qui met en jeu la notion d’usage et entre aussi dans la définition du sage stoïcien, cf. P. L. Donini, « L’eclettismo impossibile. Seneca e il platonismo medio », in Modelli filosofici et letterari. Lucrezio, Orazio, Seneca – éds. P. L. Donini & G. F. Gianotti, Bologne, 1971, p. 211-212 et T. Bénatouïl, Faire usage. La pratique du stoïcisme, op. cit., p. 66-77.
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L’anatomie et l’éthologie animales sont envisagées dans une perspective finaliste, comme chez Cic. Nat. II, 121-126. Il s’agit de montrer que le monde ne résulte pas du hasard, comme le pensent les épicuriens (cf. Lucr. V, 146-194), mais a été créé par la volonté de Dieu, selon un plan préétabli. Pour ce faire, Lactance reprend à son compte le paradigme artificialiste développé dans le Timée et adopté par les stoïciens, cf. Cléanthe, Hymne à Zeus (Stobée I, 25, 3-27, 4 = SVF I, 537) ; Cic. Nat. II, 75 et 77 : Dico igitur prouidentia deorum mundum et omnes mundi partes et initio constitutas esse et omni tempore administrari […] Nulli igitur est naturae oboediens aut subiectus deus. Omnem ergo regit ipse naturam. Etenim si concedimus intelligentes esse deos, concedimus etiam prouidentes et rerum quidem maximarum (« Je déclare donc que le monde et toutes ses parties ont été dès l’origine ordonnés par la providence des dieux, qui les gouverne pour toute la durée des temps […]. Par conséquent, dieu n’obéit ni n’est soumis à aucune nature. C’est donc lui qui gouverne lui-même la nature entière. En effet, si nous admettons que les dieux sont intelligents, nous admettons aussi qu’ils sont prévoyants, et cela pour les choses les plus importantes » – trad. C. Auvray-Assayas). Sur la réception et la transmission du modèle démiurgique du Timée dans la tradition stoïcienne, cf. G. Reydams-Schils, Demiurge & Providence. Stoic and platonist readings of Plato’s Timaeus, Turnhout, Brepols, 1999, p. 41-83. 36 Les avantages attribués à l’homme, à savoir l’intelligence et la raison, qui sont mises en valeur par le jeu de chiasme et la métaphore du dépouillement (nudum… inermem / ingenio armari… ratione uestiri), compensent nettement sa faiblesse physique. L’association des adjectifs nudus et inermis est un écho de Lucrèce (V, 1292 : omnia cedebant armatis nuda et inermia). Mais l’expression, qui chez le poète épicurien servait à souligner l’infériorité des hommes sans armes par rapport à ceux qui en possèdent, devient chez Lactance la marque emblématique de la condition humaine (cf. Opif. 3, 3 ; Inst. VII, 4, 14). Sur le thème de la fragilité de l’homme à la naissance dans la littérature antique, cf. A. Goulon, « Le malheur de l’homme à la naissance. Un thème antique chez quelques pères de l’Église », Revue des Études Augustiniennes 18, 1 (1972), p. 11-26 et B. Rochette, « Nudus… infans. À propos de Lucrèce V, 222-227 », Les Études Classiques 60 (1992), p. 63-73. 37 Les animaux étaient traditionnellement désignés par l’adjectif pluriel neutre muta, en tant qu’ils sont privés de parole (cf. infra 3, 2 ; 3, 12 ; 3, 16 ; 3, 17 ; 8, 4 ; 10, 16 ; 10, 26). L’adjectif, accompagné d’animalia (voire de belua, de pecudes ou d’animantia), est déjà appliqué aux animaux par Lucrèce (V, 1087), Cicéron (Rep. III, 19 ; Q. fr. I, 1, 24 ), Sénèque (Ir. I, 3 ; I, 6 ; III, 27 ; Ben. VI, 7, 3 ; Clem. I, 16, 4), Quintilien (I, 10, 6) et Celse (I, prooemium) ainsi que par les prédécesseurs chrétiens de Lactance, cf. Min. 24, 9 ; Cypr. Ep. 66, 6 ; Arn. I, 33. Cependant, malgré quelques occurrences chez Sénèque (Ep. 47, 19 ; 124, 19), une chez Quintilien (V, 11, 23) et une autre chez Arnobe (II, 17), l’emploi de l’adjectif substantivé pour désigner les animaux demeure assez rare. Le procédé, qui permet de souligner implicitement la supériorité de l’homme sur l’animal, est en revanche très fréquent chez Lactance, cf., outre les occurrences du De Opificio, Inst. II, 3, 14 ; III, 8, 17 ; III, 8, 23 ; III, 8, 26 ; III, 10, 6 ; VII, 9, 5 ; VII, 9, 10 ; Ep. 28, 6 ; 29, 5 ; 65, 4 ; Ir. 7, 6 ; 7, 7 ; 7, 12 ; 7, 14. 38 Fingere fait écho au paradigme artificialiste du Timée et aux substantifs artifex et opifex (cf. supra note 22 et infra note 51), mais il renvoie également à Gen. 2, 7, où il est dit que Dieu forme l’homme avec la poussière de la terre, cf. infra note ad 5, 1. Cependant, Lactance ne se réfère pas plus dans le De opificio que dans les Institutions (II, 10, 2) à la distinction entre la création du genre humain et le modelage du premier homme (cf. Gen. 1, 26-27 et 2, 7). Les deux récits de la Genèse, déjà interprétés par Philon (Opif. 69-88 et 120-140), puis plus tard par Grégoire
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de Nysse (La création de l’homme, 16 ; 22) comme une double création, sont évoqués sous la forme d’un acte créateur unique. 39 Cf. Inst. II, 9, 25 : caeleste et immortale animal sumus. Etant donné la dualité de l’homme, formé d’un corps terrestre et d’une âme céleste (cf. Lact. Inst. II, 9, 19 ; II, 12, 2-6), la phrase fait fond sur l’identification de l’homme à son âme, cf. supra 1, 11 et notes ad loc. Le syntagme aeternum animal atque immortale, qui vise à insister sur la spécificité humaine au sein de la création, renvoie à la tradition du Phèdre et à la thèse platonicienne de l’immortalité de l’âme (cf. Plat. Phaedr. 245c-d), même si Lactance va marquer nettement ses distances à l’égard de l’argumentation de Platon dans ses écrits ultérieurs (cf. Epit. 63, 8-9). Cependant, la formulation et en particulier la présence de l’adjectif aeternus suggèrent un relais cicéronien et une discrète référence à la première Tusculane, où le lexique de l’éternité est fréquemment associé à l’âme (cf. Cic. Tusc. I, 39, 50, 53, 54, 55, 66, 80, 81). Cette hypothèse est confirmée par un passage des Institutions, qui rend hommage à l’anthropologie cicéronienne, cf. Inst. VII, 9, 10 : denique illud argumentum, quod etiam M. Tullius uidit, satis firmum est, ex eo aeternitatem animae posse dinosci, quia nullum sit aliud animal quod habeat notitiam aliquam dei. Dans le deuxième livre des Institutions, la thématique de l’immortalité sera envisagée dans une perspective plus spécifiquement chrétienne, cf. Inst. II, 10, 2 : … regnum sibi aeternum parare constituit et innumerabiles animas procreare, quibus immortalitatem daret (« … il entreprit de préparer pour lui-même un royaume éternel et de procréer d’innombrables âmes, auxquelles il donnerait l’immortalité » – trad. P. Monat). Cependant, la référence à l’éternité de l’âme – et non pas seulement son immortalité – dans le De opificio suscite une difficulté logique : comment concilier l’idée d’éternité, qui implique l’absence d’origine et de fin, et le principe de la création divine ? On peut trouver un début de solution à cette aporie dans la théorie de l’insufflation de l’âme (cf. Lact. Inst. II, 12, 3) : les âmes distinctes créées par Dieu et insufflées dans les corps proviennent « de la source vitale et pérenne de son esprit ». Dans ces conditions, il s’agit d’une génération causale et non temporelle, car ce qui est éternel peut créer l’éternel, cf. Chr. Ratkowitsch, « Die Timaios-übersetzung des Chalcidius. Ein Plato Christianus », Philologus 140-141 (1996), p. 139-162 [154]. Si l’âme dépend causalement de Dieu, il existe entre le créateur et sa créature une priorité ontologique et non plus chronologique. En ce sens, l’homme, bien que soumis à la naissance, a part à l’éternité, cf. lact. Inst. VII, 5, 1-27. 40 Les défenses intérieures de l’homme sont liées à l’ingenium et à la ratio, cf. Opif. 2, 6. Sur ces qualités qui rapprochent l’homme des dieux et le placent au sommet de la création, voir supra note 34 et T. Benatouïl, Faire usage : la pratique du stoïcisme, op. cit., p. 65-71. 41 Les épicuriens s’opposaient à l’idée, commune aux platoniciens et aux stoïciens, que le monde a été créé et se trouve gouverné par la Providence divine, cf. Lucr. II, 376-380 ; IV, 825857 ; V, 156-234 ; Cic. Nat. I, 18-23 et LS, tome 1, p. 135-138. Sur la réfutation lucrétienne du paradigme artificialiste et ses rapports avec la polémique contre le finalisme, cf. A. Gigandet, « Les épicuriens et le paradigme artificialiste », in Ars et ratio. Sciences, art et métiers dans la philosophie hellénistique et romaine – éds. C. Lévy, B. Besnier & A. Gigandet, Bruxelles, Latomus, 2003, p. 221-230. 42 Sur la cosmologie épicurienne, cf. Lucr. V, 416-508. 43 Afin de montrer que le monde n’a pas été divinement créé pour les hommes, les épicuriens soulignaient ses imperfections, cf. Lucr. V, 195-233 : une grande partie de la surface terrestre est constituée de zones que le climat, la végétation ou la faune rendent inhospitalières ; l’homme doit peiner sans relâche pour obtenir de fragiles récoltes ; les animaux féroces ainsi que les ma-
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ladies sont de redoutables menaces pour les humains. En résumé, l’existence du mal constitue, aux yeux des épicuriens, un argument de poids contre l’idée de Providence, cf. LS, tome 1, p. 136. 44 Chapitre très polémique et très virulent dirigé contre les épicuriens et qui se clôt sur un terme très fort, amentia. Mais le verbe queruntur, qui sera repris en 4, 1, déforme l’argumentation épicurienne. Épicure et ses disciples, loin de se plaindre de la nature, recommandaient au contraire de se plier à ses lois et de respecter les foedera naturae (cf. Lucr. I, 586 ; II, 306 ; V, 57 ; 310, 924 ; VI, 906), c’est-à-dire « les normes traçant la limite impartie aux êtres vivants par la nature », cf. G. Droz-Vincent, « Les foedera naturae chez Lucrèce », in Le concept de nature à Rome – éd. C. Lévy, Paris, Editions ENS, 1996, p. 191-211 [196]. Sur la polémique anti-épicurienne contenue dans ce chapitre ainsi que dans les chapitres 4 et 6, cf. introduction p. 55-58. 45 Sur l’expression nudus et inermis, cf. supra note 31. 46 Sur la construction de ces deux phrases, cf. introduction p. 97. 47 L’image de la nature-marâtre peut se lire comme une réminiscence cicéronienne (cf. Cic. Rep. III, 1 d’après Aug. Iul. 4, 12, 60). Mais le thème est bien connu des Grecs comme des Romains (cf. Plin. VII, 1-2). La présentation de Lactance, qui mêle Cicéron et Lucrèce (V, 222-234), constitue l’aboutissement d’une longue tradition remontant à Platon (Menex. 237 b). 48 Les paragraphes 1 et 2 sont fortement inspirés de Lucrèce (V, 222-234). La citation littérale (V, 227) ponctue et authentifie la référence ad sensum. Sur les analogies structurelles et formelles entre les passages de Lucrèce et de Lactance, cf. B. Rochette, « Nudus… infans. À propos de Lucrèce V, 222-227 », art. cit., p. 69. Cependant, il faut préciser que cette vision pessimiste de l’homme à la naissance est plus lucrétienne qu’épicurienne. Sur la forme donnée à cette citation, qui évacue tout élément poétique et affectif, cf. A. Goulon, « Le malheur de l’homme à la naissance. Un thème antique chez quelques pères de l’Église », art. cit., p. 11-26. Sur les rapports Épicure/Lucrèce chez Lactance, cf. introduction p. 74-76. 49 Le terme maiestas, dont on ne relève pas d’autre occurrence dans le De opificio, est très souvent associé à Dieu dans des périphrases du type maiestas Dei, maiestas diuina ou caelestis pour définir la Divinité dans sa grandeur même, cf., par exemple, Minuc. 32, 1 ; Tert. Adv. Marc. 2, 27 ; 38, 4 ; Apol. 18, 3 ; Lact. Inst. I, 3, 12 ; I, 6, 4 ; I, 8, 3 ; II, 1, 5 ; II, 16, 9 ; II, 19, 1 ; III, 17, 15 ; IV, 26, 8 ; IV, 26, 16 ; IV, 30, 6. Sur la valeur de ce substantif, cf. R. Braun, Deus Christianorum. Recherches sur le vocabulaire doctrinal de Tertullien, Paris, 1962, p. 44-45, note 4. 50 Faut-il voir ici un écho de Gen. 1, 31 : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici, cela était très bon » ? M. Perrin pense à un usage « pré-roman » des comparatifs melius et rectius au lieu du superlatif, cf. note ad loc., p. 261. On pourrait cependant justifier ces comparatifs en supposant une comparaison entre deux groupes : ce monde et d’autres mondes possibles, cf. A. Knappitsch, Des Luc. Cael. Firm. Lactantius Schrift Gottes Schöpfung, p. 231. De fait, dans le Talmud déjà, les commentaires à Gen. 1, 3 réfèrent à un - autre - monde à venir. De même, dans le Catéchisme de l’Église catholique (CEC 309, p. 75), il est dit que Dieu pourrait toujours créer quelque chose de meilleur, cf. S. Thomas d’Aquin, S. Th. 1, 25, 6. 51 Réminiscence lucrétienne probable, cf. Lucr. I, 259 : uberibus manat distentis. Mais en remplaçant manat par sua sponte, Lactance modifie le rythme de l’hexamètre lucrétien, cf. A. Goulon, « Les citations des poètes latins dans l’œuvre de Lactance », art. cit., p. 130, note 103.
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Mise en scène de contradicteurs épicuriens dans une paraphrase de Lucr. V, 228-234, dont le vers 227 a été cité au paragraphe 2. Mais les paragraphes 6 et 7 présentent également des échos cicéroniens (cf. Cic. Nat. II, 128-129). 53 La sollicitude des oiseaux à l’égard de leurs petits est également mentionnée dans l’exposé du stoïcien Balbus, cf. Cic. Nat. II, 129. Mais ce qui chez Cicéron permet de célébrer la providence de la nature, qui assure la perpétuation des espèces grâce à l’amour des parents, devient chez Lactance l’enjeu d’une comparaison destinée à remettre en question le topos de la faiblesse de l’homme à la naissance, cf. A. Goulon, « Le malheur de l’homme à la naissance. Un thème antique chez quelques pères de l’Église », art. cit., p. 21 : « Non content comme la plupart des autres écrivains de montrer la grandeur de l’homme dans la raison, Lactance discute, argumente et n’accorde même pas à l’adversaire la supériorité physique du jeune animal ». 54 Scilicet… uidelicet prudentes uiri : ironie féroce de Lactance à l’égard des contradicteurs mis en scène. 55 Jeu très rhétorique de parallélismes et d’oppositions dans ce développement qui correspond à la fois à la téléologie anthropocentrique défendue par les stoïciens (cf. Cic. Nat. II, 133) et au thème biblique de la souveraineté de l’homme sur la création (cf. en particulier Gen. 1, 26 ; 1, 28 ; 9, 2). 56 Sur la construction de cette phrase, cf. introduction p. 97. 57 Comme le signale une glose du manuscrit de Bologne (elephantos dicit), Boues lucae est une périphrase qui désigne les éléphants. Sur ce syntagme lucrétien (Lucr. V, 1302 ; 1339), cf. A. Ernout, « Lucrèce et les éléphants », Revue de Philologie 96, 2 (1970), p. 203-205. Selon le témoignage de Pline (VIII, 16), ils furent nommés ainsi d’après la région où les Romains les virent pour la première fois, à savoir la Lucanie, située au sud de l’Italie. 58 Le substantif opifex, qui renvoie au titre de l’ouvrage, évoque le grec dêmiourgos, utilisé notamment par Platon pour désigner le démiurge, cf. Tim. 29A, 37D, 41A, 68E, 69C, etc. Le terme latin, dérivé d’opus, apparaît chez les auteurs classiques, cf. Cic. Nat. I, 8, 18 ; Tusc. V, 34. Il était déjà utilisé dans un sens chrétien par Minucius Felix (17, 6) et Arnobe (I, 29 et II, 52) ; il est à rapprocher du substantif artifex, qui désigne également le Dieu Créateur, cf. supra note 22. Cependant, opifex, dont on ne relève que deux occurrences dans le De opificio Dei (cf. infra 7, 1), est beaucoup moins employé qu’artifex car Lactance se plaît à insister sur l’ars du Créateur, mise en évidence par la perfection de sa création. Sur le sens du substantif latin ars, voir E. Gavoille, Ars. Etude sémantique de Plaute à Cicéron, Louvain/Paris, Peeters, 1999 ; Ead., « Ars et τέχνη : étude sémantique comparée », in Ars et Ratio – Sciences, art et métiers dans la philosophie hellénistique et romaine, op. cit., p. 49-60. 59 Plutarque évoque cette anecdote dont l’origine est incertaine dans sa Vita Marii 46, 1. Cependant, la phrase que Lactance attribue à Platon rappelle le début du célèbre dicton prêté à Thalès de Milet : « de trois choses, je sais gré à mon sort : d’être né homme et non pas bête, mâle et non pas femme, grec et non pas barbare ». Selon M. Perrin, Lactance a extrait d’une doxographie cette citation, qu’il reprendra par ailleurs en Inst. III, 19, 17, cf. M. Perrin, « Le Platon de Lactance », art. cit., p. 226. Cependant, si, dans le De opificio, Lactance se place sous l’auctoritas de Platon pour valoriser la condition humaine, dans les Institutions divines en revanche, la même référence lui permettra de le condamner au même titre que les autres philosophes. 60 Arguant du fait que Lactance accorde un intérêt particulier aux oiseaux (cf. supra 3, 7-8), certains critiques considèrent que leur conformation physique, et notamment le fait qu’ils soient
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dotés d’ailes, constituent une difficulté dans la perspective de la supériorité humaine, cf. J. Saelid Gilhus, Animals, Gods and Humans. Changing attitudes to animals in Greek, Roman & Early Christian ideas, Londres/New York, Routledge, 2006, p. 247-255. Le thème platonicien de l’envol de l’âme semble en effet avoir trouvé quelques échos dans les Évangiles, où l’Esprit Saint est représenté sous la forme d’une colombe (cf. aussi Odes de Salomon, 28, 1-2). Dans la mesure où les ailes représentaient aux yeux des chrétiens une marque de transcendance, le statut pédestre de l’homme pouvait être interprété comme un défaut de constitution. Mais Lactance, imité plus tard par Augustin (C.D. 8, 15), règle d’emblée le problème en affirmant la supériorité des mains, en tant qu’instruments de la raison. L’éloge de la main, comme partie propre à l’homme, en tant qu’animal raisonnable, apparaît déjà chez Aristote (P.A. IV, 10, 687a7-12) et parcourt largement la tradition antique, cf. Cic. Nat. II, 150 – éd. A. S. Pease, p. 939 pour le détail des références. Sur la fonction des mains, cf. Opif. 10, 22-23 et notes ad loc. 61 Même attaque qu’en 3,1 pour ce nouveau chapitre fortement polémique et ironique, cf. les adverbes uidelicet, nempe. 62 Les maladies et la mort précoce figurent chez Lucrèce à titre d’arguments contre le finalisme (V, 220-221). Cependant, il est possible que Lactance s’inspire du De inmatura morte, traité perdu de Sénèque, auquel il est fait allusion en Inst. I, 5, 26 : Nam cum de inmatura morte dissereret…, cf. L. Rossetti, « Il De opificio Dei di Lattanzio e sue fonti », art. cit., p. 175-176. Mais cette hypothèse demeure conjecturale car, si Lactance connaissait et admirait l’œuvre de Sénèque (cf. Inst. I, 7, 13 ; II, 8, 23 ; V, 9, 19 et VI, 24, 12), il ne s’y réfère nulle part dans le De opificio, cf. M. Perrin, Lact. Opif. - éd. M. Perrin, tome 2, p. 269. Sur la réception de Sénèque par Lactance, cf. C. Lo Cicero, « Omnium stoicorum acutissimus : Seneca philosopho in Lattanzio », in Intertestualità e riscrittura III, Studi di filologia classica in onore di G. Monaco, Palerme, 1991, p. 1240-1262. 63 Interprétation tendancieuse des idées épicuriennes car les épicuriens ne se plaignent ni ne s’indignent de la fragilité humaine, mais se servent de ce thème comme argument contre l’existence de la Providence, cf. Lucr. V, 218-233. Sur la polémique antiépicurienne, cf. introduction p. 55-58 et 74-76. 64 Même définition de la mort comme dissolution chez Cicéron (cf. Leg. I, 31 et Tusc. I, 71) mais aussi chez Lucrèce (cf. III, 438 ; 578 ; 613 etc.). Selon un procédé qui lui est cher, Lactance renverse l’argumentation de son adversaire : la fragilité humaine n’est plus cause naturelle de la mort, elle en devient la conséquence providentielle. L’homme a été conçu fragile pour pouvoir mourir. 65 La durée maximale de la vie humaine est de 100 ans selon Varron (L. VI, 11 : Seclum spatium annorum centum uocauerunt, dictum a sene, quod longissimum spatium senescendorum hominum id putarunt), Pline (XI, 70, 184) et Censorinus (17, 14). Cependant, cette opinion n’était pas partagée par tous les Anciens et la durée maximale de la vie varie selon les auteurs. 66 Sur ce syllogisme, cf. introduction p. 26. 67 Lactance déforme ou feint de ne pas comprendre l’argumentation de ses adversaires épicuriens car Lucrèce incite au contraire son lecteur à quitter la vie comme un convive rassasié, lorsque l’heure est venue. Par la bouche de la Nature, il rappelle que la durée de la vie n’a aucune conséquence sur l’ataraxie, cf. Lucr. III, 931-951. 68 Exemple de raisonnement par l’absurde, qui met en œuvre le modus (tollendo) tollens, fréquemment utilisé par les Anciens (cf. Plat. Crat. 432a-d ; Parm. 128d ; Theat.163d-164b et Aristt. An. pr. A 23 41a26-7, A 44 50a37-8). Ce procédé argumentatif, fréquent dans le De
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rerum natura (I, 149-214 ; I, 329-369 ; I, 203-527), consiste à présenter les conséquences de l’hypothèse à réfuter comme contraires à la réalité afin de confirmer l’hypothèse opposée. 69 Semina : image lucrétienne pour désigner les atomes en tant qu’ils sont à l’origine des corps. L’expression minuta semina figure chez Lucrèce (II, 226 ; III, 187). En revanche, la formule concursio fortuita, reprise en 6, 12, n’est pas lucrétienne, mais se rencontre dans la réfutation cicéronienne de l’épicurisme, cf. Tusc. I, 42 : Illam uero funditus eiciamus indiuiduorum corporum leuium et rutundorum concursionem fortuitam…. Il n’est pas surprenant que Lactance se réfère à une source hostile pour évoquer la fameuse doctrine de la déclinaison, au moyen de laquelle les épicuriens ont prétendu garantir la liberté humaine et expliquer l’existence des choses, cf. Lucr. II, 251-293. Sur cette théorie complexe et controversée depuis l’Antiquité, cf. D. Sedley, « L’anti-réductionnisme épicurien », Les cahiers philosophiques de Strasbourg 15 (2003), p. 321-359 ; E. A. Schmidt, Clinamen. Eine Studie zum dynamischen Atomismus der Antike, Heidelberg, Universitätsverlag Winter, 2007. 70 Sur la doxographie de l’âme, cf. Opif. 17, notes ad loc. et introduction p. 45-51. 71 Référence probable à Lucrèce (V, 220-221 ; VI, 1093-1096), qui développe, en relation avec la peste d’Athènes, la théorie d’origine hippocratique selon laquelle les germes des maladies sont véhiculés et transmis par l’air, cf. M. Perrin, « Médecine, maladie et théologie chez Lactance », in Les Pères de l’Église face à la science médicale de leur temps – éds. V. Boudon-Millot & B. Pouderon, Paris, Beauchesne, 2005, p. 335-350 [p. 144]. 72 Paradoxalement, Lactance reprend ici à son compte la théorie épicurienne qui associe l’origine des sociétés à la nécessité de pallier la faiblesse humaine, cf. Lucr. V, 1019-1027. 73 Lactance souligne son originalité par rapport à Cicéron. L’exposé du stoïcien Balbus dans le livre II du De natura deorum incluait en effet les questions d’ordre cosmologique, volontairement évacuées par Lactance. Sur la réception lactancienne de Cicéron, cf. introduction p. 67-74. 74 Sur l’image du vaisseau, cf. supra 1, 11 et note ad loc. 75 Est-ce un écho de Genèse 1, 1 ? Dans la Vulgate, l’expression in principio évoque la création initiale du ciel et de la terre (in principio creauit Deus caelum et terram), alors qu’elle s’applique ici à la formation des êtres vivants, qui représente une étape postérieure. Bien qu’il apparaisse déjà dans la littérature latine classique (cf. Cic. de Or. I, 209 ; II, 315 ; 324 ; 329 ; Liv. XXI, 1, 1, XXIII, 7, 11 ; XXIX, 29, 4 ; Quint. IV, 1, 58 ; IV, 1, 76 ; IX, 4, 76 ; Pline M. III, 56, 1 ; VIII, 49, 2…), ce syntagme se trouve constamment associé à la création divine dans la littérature chrétienne à partir de Tertullien (cf. Adu. Herm. 129, 12 ; 147), puis chez Marius Victorinus (Ar. 1A, 33 ; Gen. 27), Ambroise (Hex. I, 2, 5 ; I, 2, 7 ; I, 4, 12 ; I, 4, 16…) et Augustin (Retract. I, 10 ; I, 22 ; II, 6 ; Conf. XII, 13 ; XII, 17 ; XII, 20…). Étant donné que, dans l’œuvre de Lactance, in principio renvoie également au processus de formation du monde (Inst. II, 8, 8 ; II, 11, 2 ; IV, 6, 6 ; VII, 3, 23 ; Ep. 37, 1), il faut peut-être reconnaître dans ce passage une réminiscence biblique. 76 Sur le verbe fingere, voir Opif. 2, 9 et note ad loc. 77 Cf. Opif. 1, 11 et note ad loc. 78 Le substantif fictio, dérivé du verbe fingere, signifie d’abord création, puis, par métonymie, créature. Il revêt ici le sens voisin de structure organisée, que l’on retrouvera dans Inst. II, 12, 2-6. Sur les emplois et la signification de ce terme, voir V. Loi, Lattanzio nella storia del linguaggio e del pensiero teologico pre-niceno, op. cit., p. 122-123. 79 L’image de la carène se trouvait déjà chez Pline l’Ancien, mais appliquée aux animaux (XI, 82, 207), ainsi que chez Ps-Plutarque (Plac. 5, 17, 2) et chez Galien (U.P. III, 2 ; XII, 10 ; XII,
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11, XIII, 3 ; Art médical, X, 5). Selon M. Perrin (L’homme antique et chrétien, op. cit., p. 78), Lactance l’aurait empruntée à Ovide (M. XIV, 552). Quoi qu’il en soit, le traitement lactancien de cette comparaison fort commune est inexact : ce n’est pas la colonne vertébrale, mais la cage thoracique qui est comparable à une carène de bateau. Galien s’était montré plus précis en assimilant la colonne vertébrale à une quille de navire, cf. V. Boudon-Millot, « Le savoir médical de Lactance à l'épreuve de la physiologie galénique : accords et divergences », in Le De opificio Dei : Regards croisés sur l’anthropologie de Lactance, op. cit., p. 165-178. 80 Dans cette métaphore filée, le gouvernail représente l’âme en tant que principe directeur de l’être. Sur la prééminence de la tête en relation avec la finalité de la structure corporelle, cf. Plat. Tim. 44D et C. Joubaud, Le corps humain dans la philosophie platonicienne, Paris, 1991, p. 110-112 et 134-135. 81 Exemple représentatif de la méthode étymologique chère à Varron et reconnu par ailleurs comme authentique puisqu’il a été inséré par A. Wilmans dans son édition des fragments varroniens (De Marci Terenti Varronis libris grammaticis - éd. A. Wilmans, Berlin, 1869, frag. 38, p. 170). Ces jeux étymologiques sont particulièrement goûtés par Lactance qui perpétue ainsi la tradition varronienne. Cette étymologie, en dépit de son succès dans la tradition médicale, n’est pas attestée par A. Ernout et A. Meillet dans le Dictionnaire étymologique de la langue latine. 82 Évocation des trois fonctions des membres antérieurs propres à trois types seulement d’êtres vivants : les quadrupèdes, les hommes et les oiseaux. 83 Écho de Platon (Tim. 73D), également présent dans la tradition médicale. Les Anciens pensaient que la moelle descendait du cerveau par les vertèbres et voyaient en elle une substance de vie et de force. Sur la moelle comme principe de vigueur, voir R. B. Onians, Les origines de la pensée européenne sur le corps, l'esprit, l' âme, le monde, le temps et le destin – trad. B. Cassin, A. Debru & M. Narcy, Paris, 1999, p. 149-152 et 206-210. Selon Galien (U.P. II, 16 et XI, 18), la moelle est la nourriture des os, cf. de même Opif. 12, 4. 84 Le terme uertibulum, effectivement dérivé du verbe uertere, désigne l’épiphyse, c’est-àdire l’extrémité renflée et constituée d’un tissu spongieux, qui assure la jointure de deux os, cf. J. André, Le vocabulaire latin de l’anatomie, Paris, 1991, p. 198. 85 Cf. Opif. 10, 22-25. 86 Noblesse de la main doublement caractéristique de l’homme parce qu’elle le distingue de l’animal et qu’elle sert d’instrument à la raison, cf. Cic. Nat. II, 150-152 et Gal. U.P. I, 4. 87 Anguimanus, composé de anguis (serpent) et de manus, signifie littéralement « qui a une main en forme de serpent ». L’adjectif apparaît chez Lucrèce (II, 537 et V, 1303) ainsi que chez Cicéron (Nat. II, 47, 123) pour désigner les éléphants. 88 Cette paraphrase prosaïque de Lucrèce (V, 837-854) marque le retour à la polémique antiépicurienne, cf. stultitia, delirat, deliramentum § 7. 89 Lactance inverse le raisonnement d’Épicure qui avait au contraire repris les principes de l’atomisme pour exclure non pas la Providence, mais le nécessitarisme démocritéen, cf. introduction p. 42-43 et n. 190. Pourtant, la genèse de la doctrine épicurienne était présentée de façon opposée en 4, 13. Les nécessités de la polémique priment sur la cohérence de la pensée. 90 Prouisum est renvoie au double sémantisme du verbe prouideo : « prévoir » et « pourvoir à ». Avant l’acte de création, Dieu a prévu la finalité de chaque partie du corps, cf. Opif. 6, 6 et V. Loi, Lattanzio nella storia del linguaggio e del pensiero teologico pre-niceno, op. cit., p. 68-69. Lactance démarque en le résumant Cic. Nat. II, 128.
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L’exemple choisi renvoie, une fois de plus, au thème platonicien du dieu architecte, cf. supra notes 24 et 33. 92 Résumé de Lucr. IV, 825-841 et en particulier 834-835 : nil ideo quoniam natumst in corpore ut uti / possemus, sed quod natumst id procreat usum. Le thème sera repris en Inst. III, 17, 19. 93 Cf. introduction p. 32-33. 94 Possible rapprochement d’ordre formel avec Quint. I, 1, 1 : sicut aues ad uolandum, equi ad cursum, ad saeuitiam ferae gignunur, cf. R. Pichon, Lactance, op. cit, p. 231. Sur la structure de cette phrase, cf. introduction p. 97. 95 Cf. supra note 69. 96 Cf. Inst. III, 17, où Lactance réfute l’ensemble de la théorie épicurienne. Après cette digression anti-épicurienne, l’auteur reprend son exposé sur l’anatomie humaine. 97 Ou encore, « il les a voilés par des organes » suivant le sens que l’on donne à uiscera. 98 Lactance ne mentionne pas, comme le fait Cicéron (Nat. II, 138), la distinction faite par les Anciens (cf., par exemple, Sen. Nat. Quaest. III, 15, 1 ; VI, 14, 1) entre les veines, qui transportent le sang, et les artères, censées véhiculer de l’air. Sur ce point, cf. H. Von Staden, Herophilus. The art of medicine in Early Alexandria, Cambridge, 1989, p. 172-174. 99 Humor et sanguis : hendiadis pour humor sanguinis comme en 17, 3. 100 Même image de l’irrigation chez Platon (Tim. 77C-78A) et Aristote (P. A. III 4, 666b25 ; 5, 667b15, 668a1). En latin, une étymologie populaire, rapportée par Isidore (Orig. XI, 1, 21) rapprochait uena de uia : uenae dictae eo quod uiae sunt natantis sanguinis atque riui per corpus omne diuisi, quibus uniuersa membra irrigantur, cf. J. André, Le vocabulaire latin de l’anatomie, p. 127. 101 Même mouvement que dans Cic. Nat. II, 139. 102 On trouve dans l’admiration de Lactance pour le plan divin des échos de Cic. Nat. II, 140-142. 103 Volonté amusante de justifier, non sans une certaine naïveté, l’action de la Providence divine jusque dans les moindres détails, voir aussi infra 10, 6. 104 Sur le rôle protecteur des cheveux, cf. infra 8, 5 et note ad loc. 105 La fonction esthétique de la barbe est un lieu commun, qui figure en particulier chez Cicéron (Fin. 3, 18) et Galien (U.P. XI, 14) et, dans la littérature chrétienne, chez Cyprien (Ad Quirinum III, 84 ; Laps. 30, 58) et surtout Augustin (En. in Psal. 38, 33, 24 ; 40, 132, 7 ; Serm. 243, col. 38 ; col. 114 ; C.D. XXII, 24), qui, comme Lactance, verra dans la barbe un attribut de virilité et un signe de courage, cf. En. in Psal. 33, 1, 11 : uirtus enim in barba intellegitur. Bien que le port de la barbe eût été remis à l’honneur par Hadrien, la remarque de Lactance peut également comporter un arrière plan religieux, lié à la discrimination des sexes et à la supériorité de l’homme (cf. Clément d’Alexandrie, Pédagogue III, 11, 60, 1, 4). Selon la formule d’Athanase d’Alexandrie (Exp. in Psalm., P.G., t. 27, col. 524), elle est la « décence du visage de l’Église ». 106 La station debout qui distingue l’homme de l’animal est un lieu commun dans la tradition philosophique. L’idée apparaît déjà dans Plat. Tim. 90A : c’est parce que l’âme est d’origine divine et entretient une parenté avec le monde céleste que le corps de l’homme est dressé vers le ciel. Cette thématique sera reprise par Cicéron (cf. Nat. II, 140 et Leg. I, 26 : Nam cum ceteras animantes abiecisset ad pastum, solum hominem erexit et ad caeli quasi cognationis domiciliique pristini conspectum excitaui) et par Ovide (Met. I, 84-86). Mais le thème du status rectus occupe une place importante dans la pensée lactancienne (cf. Inst. II, 1, 14-18 et les références données
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par M. Perrin, L’homme antique et chrétien, p. 68-70, note 142) ; il recouvre une valeur théologique forte car la position de l’homme est le symbole à la fois de sa nature divine et de sa vocation céleste, cf. V. Loi, Lattanzio nella storia del linguaggio e del pensiero teologico pre-niceno, p. 137 et 189 ; introduction p. 54-55. 107 Sur cette phrase, cf. introduction p. 73-74. Sur le thème de l’homme fait à l’image de Dieu, cf. Gen. 1, 27 et le verset suivant 1, 28 pour la domination de l’homme sur les autres êtres vivants ; voir aussi supra note 29 sur l’P+NPJWXTJÕ RFX. La métaphore de l’âme-cidatelle, qui est étroitement liée au thème du status rectus, remonte à Platon (Tim. 70A7) : en tant que demeure de la raison mais aussi par sa situation au sommet du corps, la tête est assimilée à une citadelle, le terme grec akropolis impliquant à la fois l’idée d’élévation et d’organisation politique. L’image parcourt également toute la tradition philosophique latine, cf. Cic. Nat. II, 140 ; Tusc. I, 20 ; Apul. Apol. 50, 4 ; Plat. 1, 13 et Isid. Diff. XVII, 49. 108 La perfection de la forme sphérique est un lieu commun issu du Timée : appliquée au cosmos en 33B2-8 (« Au vivant qui doit envelopper en lui-même tous les vivants, la figure qui pourrait convenir, c’était celle où s’inscrivent toutes les autres figures. Aussi est-ce la forme d’une sphère, dont le centre est équidistant de tous les points de la périphérie, une figure circulaire, qu’il lui donna comme s’il travaillait sur un tour », cf. également 62D), elle concerne également la tête de l’homme en 44D3-5 (« … Les révolutions divines qui étaient au nombre de deux, les dieux jeunes, pour imiter la figure de l’univers qui était arrondie, les enchaînèrent dans un corps de forme sphérique, celui que nous appelons ‘tête’, partie qui est la plus divine et qui règne en nous sur toutes les autres parties ») : la tête de l’homme est donc un modèle réduit du corps sphérique du cosmos. Largement vulgarisée, l’idée de la perfection de la forme sphérique se retrouve dans la tradition latine, chez Cicéron, Nat. I, 24 et II, 47 : cumque duae formae praestantissimae sint, ex solidis globus – sic enim σφαῖραν interpretari placet –, ex planis autem circus aut orbis, qui κύκλος Graece dicitur, his duabus formis contingit solis ut omnes earum partes sint inter se simillimae a medioque tantum absit extremum… (« Il y a deux formes qui l’emportent sur les autres, parmi les solides : le globe – c’est ainsi que je veux traduire le grec sphaira – et parmi les figures planes : le cercle ou orbe (kuklos en grec). Seules ces deux formes ont la propriété d’avoir toutes les parties exactement semblables et tous les points de la circonférence à égale distance du centre » – trad. C. Auvray-Assayas), mais aussi, après Lactance, chez les commentateurs Calcidius (In Tim. c. 231) et Macrobe (In somn. I, 14, 9). 109 Le groupe mens et ignis ille diuinus, qui fait écho à la prope diuina mens du paragraphe 8, 3, fait-il référence à deux entités distinctes, esprit et âme (comme il en sera question en 16, 4), ou à la seule âme, qui est, selon les stoïciens, de nature ignée ? Cf. infra 17, 4 et note ad loc. Sur la distinction problématique entre âme et esprit, cf. infra chapitre 18. Lactance reprend ici une image cicéronienne, cf. Rep. III, 1, 1 : l’homme porte, enfouie en lui, une flamme d’intelligence innée, qui lui a été donnée par la nature. 110 Faut-il voir dans cette comparaison étrange un écho du Timée ? La tête conçue pour recevoir l’âme humaine est de forme circulaire (44D) comme le ciel qui entoure le monde (33B), cf. supra note 108. Dans ce parallèle macrocosme/microcosme, le crâne serait pour l’âme ce que le ciel est pour l’âme du monde. 111 Cf. supra 7, 9. La métaphore, inspirée du Timée, renvoie à la fonction protectrice des cheveux, qui offrent au cerveau « une couverture légère, capable de lui fournir de l’ombre en été et de le protéger en hiver, sans constituer un obstacle qui gêne en quoi que ce soit le bon fonctionnement de la sensibilité », Plat. Tim. 76C-D – traduction L. Brisson.
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Dans la tradition antique, la notion de nombre parfait, d’origine pythagoricienne, est généralement évoquée dans la partie arithmologique des traités d’arithmétique, où le nombre parfait est défini comme égal à la somme de ses diviseurs, cf., par exemple, Martianus Capella VII, 753 : perfecti sunt qui partibus suis pares sunt. Selon cette définition, 6 est considéré comme le premier nombre parfait puisqu’il est égal à la somme de sa moitié, de son tiers et de son sixième (6 = 3 + 2 + 1). Dès lors, la qualification de nombre parfait ne convient guère à 2 ; mais sa « perfection » peut être entendue ici, non pas d’un point de vue strictement arithmétique mais plutôt philosophique car, pour les pythagoriciens, tout dépend du 1, la Monade ou dieu, et du 2, la Dyade ou matière. Sur ce nombre, cf. infra 10, 9. 113 La comparaison est peut-être inspirée de Quint. I, 2, 8 : Vt uascula oris angustis superfusam umoris respuunt, sensim autem influentibus uel etiam instillatis complentur, cf. R. Pichon, Lactance, op. cit., p. 232. 114 Citation exacte et nominative de Virg. Én. IV, 359. Le vers est mis à contribution pour garantir l’étymologie du mot aures à partir du verbe haurire. Virgile apparaît comme une autorité incontestable, dont on invoque le témoignage pour étayer une thèse. 115 Référence à la théorie épicurienne de la vision, selon laquelle les corps émettent de fines membranes (simulacra) qui se déplacent spontanément vers l’œil et provoquent la vision, cf. Lucr. IV, 48-269 ; Cic. Fin. I, 6, 21 et Gell. V, 16, 3. 116 Cette distinction entre rôle actif et rôle passif de l’œil dans la vision est un point fondamental dans les théories antiques de la vision comme dans l’exposé de Lactance. Elle permet de classer les différentes théories : dans la première, celle des épicuriens, l’œil est totalement passif puisqu’il ne fait que recevoir les simulacres. Dans les deux suivantes, l’œil joue un rôle actif, cf. notes suivantes. 117 Référence elliptique à la théorie stoïcienne de la vision, définie comme une tension entre l’air et le regard, cf. SVF II, 233, 854 et 867 [= D.L. VII, 157] et Gell. V, 16, 2 : Stoici causas esse uidendi dicunt radiorum ex oculis in ea quae uideri queunt emissionem aerisque simul intentionem. 118 Troisième théorie présentée de manière si schématique qu’elle en devient ambiguë. Il s’agit probablement de la théorie platonicienne, exposée dans le Timée (45 B-D) et reprise par Gell. V, 16, 4 : Plato existimat, genus quoddam ignis lucisque de oculis exire idque, coniunctum continuatumque uel cum luce solis uel cum alterius ignis lumine, sua ui et externa nixum efficere ut quaecumque offenderit inlustraueritque cernamus. « Platon estime qu’une sorte de feu ou de lumière sort des yeux et que celle-ci, jointe sans interruption avec le jour solaire ou la lumière d’un autre feu, forte de sa puissance et de celle de la lumière extérieure, fait que nous percevons tout ce qu’elle a rencontré et illuminé » - trad. R. Marache. M. Perrin (Lact. Opif., tome 2, p. 312) considère que l’émission de rayons arrive à l’œil, alors que la reprise des mêmes termes à la fin de la phrase indique clairement que les rayons sont orientés vers l’objet. De fait, si Lactance fait ici référence à la théorie platonicienne, ce qui est loin d’être certain, le terme radius pose problème car la notion de rayon visuel est étrangère au mécanisme décrit par Platon, cf. A. Merker, La vision chez Platon et Aristote, p. 35. Il est donc possible que Lactance emprunte cet exposé très synthétique à un recueil doxographique, dont les éléments sont présentés et orientés afin de réfuter les théories matérialistes et d’affimer la primauté de l’âme dans la sensation, cf. B. Bakhouche, « Écriture, réécriture, doxographie : la théorie de la vision dans quelques textes latins », in Grammairiens et philosophes – éds. M. Griffe & B. Pérez-Jean, PULM, 2008, p. 221-241.
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L’objection de Lactance aux théories 2 et 3 s’appuie sur le caractère instantané de la vision (vs l’idée que la transmission éventuelle des rayons jusqu’à l’œil nécessite un laps de temps non négligeable). Or il ne tient pas compte de l’argument développé par Lucrèce à l’appui de sa propre théorie, à savoir la vitesse instantanée des simulacres ou de la lumière, cf. IV, 191-194. 120 Idée fondamentale des théories platonicienne et stoïcienne de la vision, largement exploitée dans les textes anciens, cf. Plat. Tim. 45C8-D3; Chrysippe, ap. Gal., De Hipp. et Plat. Plac. 7, 5 ; Cic. Tusc. I, 46 ; Nat. III, 9 ; Plin. XI, 146 et Gal. U.P. VIII, 6. 121 Image traditionnelle reprise en Opif. 9, 2 : mens… oculis tamquam fenestris utitur. 122 Cette pierre a servi aux Romains de substitut au verre dans la fabrication des fenêtres à partir du premier siècle de notre ère, cf. Plin. XXXVI, 160. Par conséquent l’image lactancienne apparaît comme nouvelle, cf. J. Kany-Turpin, « Lactance, un critique mésestimé de l’épicurisme », art. cit., p. 222, note 26. 123 Paraphrase de Lucr. III, 367-369, plus réaliste et imagée que le modèle : erutis et effossis amplifient le sublatis de Lucrèce. Pour montrer que les organes jouent un rôle déterminant dans le processus de la vision, Lucrèce avait comparé les yeux à des portes ( fores) avant d’opérer une reductio ad absurdum : si les yeux étaient comparables à des portes, la vision de l’esprit serait plus étendue en leur absence, le chambranle et les jambages réduisant le champ de vision. Lactance amplifie et subvertit la métaphore lucrétienne en ajoutant l’idée de fermeture (obductae) et de mutilation. 124 L’évocation réaliste des yeux arrachés vise à détruire la valeur démonstrative de la métaphore lucrétienne. Cependant Lactance n’atteint pas son but : s’il suggère non sans mauvaise foi que les épicuriens conçoivent les yeux comme de simples trous (cf. note précédente), il se contente de montrer que les yeux sont bien autre chose que des vitres. Or cela est en contradiction avec l’affirmation du § 11. In fine, Lactance est d’accord avec Lucrèce pour souligner l’importance des organes dans le processus de la sensation (§ 15 et 16). Son argumentation ne suffit ni à réfuter la thèse épicurienne ni à montrer que la sensation est le propre de l’esprit. Pour une analyse détaillée de ce passage polémique, voir J. Kany-Turpin, « Lactance, un critique mésestimé de l’épicurisme », art. cit., p. 223, qui conclut que « l’usage parfois abusif des comparaisons et des métaphores, la véhémence, la volonté de persuader conquise au prix de la rigueur philosophique, rapprochent Lucrèce et Lactance ». 125 Il s’agit de l’humeur aqueuse, liquide qui circule entre l’iris et le cristallin et permet de réguler la pression du globe oculaire. 126 Polémique contre la tradition sceptique et, en particulier, contre la Nouvelle Académie, comme le montre le nom d’Arcésilas, cité par la troisième main du manuscrit de Bologne (sur l’histoire du texte et les additions de B3, cf. introduction p. 87-89). Arcésilas fut en effet le premier scholarque à orienter l’Académie vers le doute radical, évolution qui se traduisit par une distinction entre l’Ancienne et la Nouvelle Académie. Pour réfuter la théorie stoïcienne de la connaissance et montrer qu’il était impossible de parvenir à une connaissance certaine, les néoacadémiciens avaient utilisé l’argument des illusions sensorielles (cf. Cic. Acad. Post. I, 43-46). Pour plus d’informations sur le scepticisme de la Nouvelle Académie, voir A. M. Ioppolo, Opinione e scienza, Naples, 1986 ; C. Lévy, Cicero Academicus, Rome, 1992 ; W. Görler, « Die jüngere Akademie im allgemein » et « Arkesilaos » dans Die Philosophie des Antike 4, Die hellenistische Philosophie, tome 2 – éd. H. Fashar, Bâle, 1994, p. 775-828 et LS, tome 3, p. 7-28. Pour une synthèse récente, cf. C. Lévy, Les scepticismes, « Que sais-je ? n° 2829 », Paris, PUF, 2008, p. 22-53. Les deux exemples mentionnés par Lactance (folie et ivresse) figurent chez Ci-
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céron (Diu. II, 120 et Luc. 80-90). Mais il est amusant de remarquer que Lactance rejoint la position épicurienne au sujet de l’infaillibilité des sens (cf. Lucr. IV, 379-462). 127 Cf. Opif. 8, 11. 128 Les troubles oculaires décrits par Lactance correspondent au phénomène de diplopie, lié moins à des troubles mentaux ou à l’ivresse qu’à une paralysie oculaire, les images se formant dans des régions différentes dans les deux rétines. De fait, les borgnes, qui perdent la vision binoculaire, ne peuvent souffrir de cette affection. 129 Retour à l’exposé après les digressions polémiques. Lactance va procéder à une description orientée du corps humain, cf. introduction p. 30-34. 130 Cette étymologie d’oculus sera reprise par Isidore de Séville, cf. Orig. XI, 1, 36-39 ; Diff. XVII, 54. Cependant, le nom latin de l’œil ne semble pas lié à la racine *kel-, qui apparaît dans oc-culo « cacher », mais à la racine *ok w- « voir ». En revanche, le lien établi par les Anciens (Isid. Orig. XI, 1, 42) entre celare « cacher » et cilium - cils mais à l’origine paupières (cf. Plin. XI, 227) - est plus évident, dans la mesure où les paupières permettent de cacher les yeux, cf. J. André, Le vocabulaire latin d’anatomie, p. 48-49. 131 L’étymologie de palpebrae est d’origine varronienne selon Jérôme, Tract. in Psalm. II, 10, 5 : palpebras ab eo quod moueantur et palpitent appellari Varro tradit…D’autre part, Charisius avait fait état d’une lettre de Varron à Cicéron, dans laquelle les paupières étaient nommées palpetrae, cf. GL, tome 1, p. 105, 14). L’idée des paupières comme remparts est un lieu commun qui remonte au moins à Xénophon (Mem. I, 4, 6), cf. Aristt. P.A. 2, 15, 658b 14-18 ; Cic. Nat. II, 142-3 ; Plin. XI, 154 ; Gal. U.P. X, 6 et XI, 14. Elle sera reprise par Ambr. Hex. VI, 9, 60 et Isid. Or. XI, 1, 39. 132 Ce rôle de protection contre les chutes est déjà attribué aux cils par Cicéron (Nat. II, 142143) et Pline (IX, 54). 133 Concernant le haut du visage, Lactance insiste sur les éléments qui protègent les yeux, mais ne s’intéresse pas ici au mécanisme de la vision, exposé dans les chapitres précédents, cf. chapitres 8 et 9. Les échos cicéroniens sont nombreux (cf., par exemple, Cic. Nat. II, 142-143), mais la thématique figure également chez Pline (XI, 56, 154), Galien (U.P. X, 6 ; VIII, 5) et on la retrouvera chez Ambroise (Hex. VI, 9, 60) et Isidore (Orig. XI, 1, 40). La particularité de Lactance réside dans l’insistance sur l’aspect esthétique (cf. decentissimum, adornata, speciem). 134 Lactance attribue trois fonctions au nez : la respiration, l’odorat et l’évacuation des déchets. La troisième, sans parallèle chez Cicéron, se retrouvera chez des auteurs plus tardifs comme Ambroise (Hex. VI, 9, 63). L’écoulement des humeurs par le nez repose sur l’idée, communément admise par la médecine antique, d’une communication entre le cerveau et les voies respiratoires. Cette croyance subsistera jusqu’à ce que des anatomistes de la Renaissance démontrent qu’il n’existe aucun conduit de ce genre, cf. A. Thivel, « Hippocrate et la théorie des humeurs », Noesis 1 (1997), p. 85. 135 Sur la perfection attribuée au nombre 2, voir supra note 112. 136 Sur la tête comme point culminant de la création divine, voir Opif. 8, 3 et note ad loc. 137 Il s’agit de la faux du cerveau, qui est un repli de la dure-mère (méninge épaisse) ; par ce repli qui s’insère entre les deux hémisphères cheminent les grosses veines qui drainent le sang venant du cerveau. 138 Lactance recourt à des comparaisons pour cette description très imprécise du cœur : les replis internes (sinus) désignent sans doute les ventricules ; la barrière (saeptum) renvoie à la cloison inter-ventriculaire. Il ne mentionne pas les oreillettes, pourtant connues des médecins
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grecs, cf. J. André, Le vocabulaire latin de l’anatomie, p. 125-126. Le groupe latin fontes uiui sanguinis est ambigu puisqu’on peut l’interpréter de deux façons : soit « les sources vives du sang » (cf. Lact. Opif. - éd. M. Perrin, tome 2, p. 327) soit « les sources de sang vif ». La glose de B3 en Opif. 14, 4 (uiuus sanguinis fons) incite à opter pour la première interprétation. Sur le cœur et le système circulatoire dans la médecine antique, cf. M. P. Duminil, Le sang, les vaisseaux, le cœur dans la ‘collection hippocratique’. Anatomie et physiologie, Paris, 1983. La conception du cœur comme source du sang apparaît dans le corpus hippocratique ainsi que chez Platon (Tim. 70A-B) et Aristote (H. A. III, 3, 513a ; P. A.. II 1, 647b ; III 4, 665b sqq.) ; elle s’oppose à la théorie qui faisait du cœur un organe respiratoire et du poumon un réservoir de sang, cf. M.-P. Duminil, « La description des vaisseaux dans les chapitres 11-19 du traité De la nature des os », in Hippocratica, Actes du colloque hippocratique de Paris - éd. M. D. Gmerk, Paris, CNRS, 1980, p. 143. 139 Le sens à attribuer au groupe summa rerum fait difficulté : S. Brandt considère que l’expression renvoie à Dieu le Père et Dieu le Fils, cf. « Uber die Quellen von Laktanz’Schrift : De opificio Dei », Wiener Studien 13 (1891), p. 258. Cette lecture est contestée par le traducteur allemand A. Knappitsch, qui voit dans summa rerum la désignation d’« un principe esthétique régissant le monde » (op. cit., p. 222 et 255). L’éditeur anglais W. Fletcher traduit par « the chief control » (op. cit., p. 71) et M. Perrin opte pour « puissance suprême », en se fondant sur Inst. VI, 9, 24 ; VII, 15, 13 et Ep. 2, 3, cf. Lact. Opif. – éd. M. Perrin, p. 327-329. À notre avis, l’expression summa rerum constitue un écho du De rerum natura (cf. Lucr. I, 235 ; I, 502 ; I, 756 ; I, 1008 etc.). C’est pourquoi nous pensons que Lactance se réfère ici à l’ensemble de la création comme en Inst. II, 1, 5 ; VI, 1, 2 et VII, 6, 2l. 140 Lingua interpres animi est une probable réminiscence lucrétienne (cf. Lucr. VI, 1149). La formule, sans doute retenue pour son caractère expressif, sera reprise dans Inst. VI, 18, 6 et Ir. 14, 2, cf. A. Goulon, « Quelle connaissance Lactance avait-il du De rerum natura ? Réalité et signification des réminiscences lucrétiennes dans l’œuvre de Lactance », art. cit., p. 230. 141 Distinction entre consonnes palatales, dentales et labiales. 142 Jeu étymologique sur infantes/fari. Les petits enfants sont dits infantes, précisément parce qu’ils ne sont pas encore doués de parole, cf. Varr. L. VI, 52 : fatur is qui primum homo significabilem ore mittit uocem. Ab eo, ante quam ista faciant, pueri dicuntur ‘ infantes’. 143 Même remarque chez Cic. Nat. II, 134 et Nemes. 23. Sur la structure de cette phrase, cf. introduction p. 98. 144 Sémantiquement, lingua, qui semble une forme d’origine dialectale, était surtout lié à lingere « lécher ». Cette étymologie, différente de celle de Lactance, est retenue par Isidore (Orig. II, 2), cf. J. André, Le vocabulaire latin d’anatomie, op. cit., p. 61. 145 La barrière des dents est une image très connue dans l’Antiquité et qui remonte à Homère (Il. 4, 350 et 9, 409). 146 L’image dentes molares figurait déjà chez Juvénal (5, 160 ; 13, 212). Lactance explicite le rapprochement entre dents et pierre meulière mais ne distingue pas les différents types de dents et généralise la comparaison, initialement réservée aux molaires. Chez Isidore, l’image sera à la fois banalisée et précisée puisque molares sera le nom ordinaire des molaires (Orig. XI, 1, 53). Sur la terminologie dentaire, cf. D. Gourévicth & G. Cootjans, « Les noms des dents en latin », Revue de Philologie 57-58 (1983), p.189-201. 147 L’expression fait difficulté. Doit-elle être interprétée, selon l’hypothèse de M. Perrin, Lact. Opif., tome 2, p. 332-334, dans un sens religieux, antea renvoyant à une période anté-
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rieure au baptême conçu comme apertio oris, « qui ouvre les lèvres des fidèles pour leur faire chanter la gloire de Dieu » (cf. M. Perrin, L’homme antique et chrétien, p. 117-118) ? Il est également possible que Lactance fasse ici allusion à la formation des lèvres durant la période intra-utérine. 148 Écho d’une divergence de vue concernant le siège du goût. Lactance suit Aristote (H.A. I, 11, 492b27). Pline de son côté retient les deux hypothèses – palais, langue – mais réserve la première à l’homme : intellectus saporum ceteris in prima lingua, homini et in palato (XI, 65, 174). 149 Sur l’importance et l’utilité des mains pour l’homme, cf. supra c. 3, 20 et note ad loc. Sur la structure de la main, cf. supra c. 5, 11-13. Les §§ 22 à 25 semblent résumer le livre I de U.P. de Galien. 150 Sur la définition des nombres parfaits, cf. supra 8, 6 et note 112. Ici, le nombre auquel il est fait allusion est le nombre 10 (= 2 mains x 5 doigts). Or ce nombre, s’il ne répond pas à la définition traditionnelle des nombres parfaits, présente cependant la caractéristique remarquable d’être égal à la somme des quatre premiers nombres (10 = 1 + 2 + 3 + 4), cf. Ps.-Jamblique, Theolog. 61, F p. 83, 6 ; Calc., 35 ; Macr. In Somn. I, 6, 12-13 ; 41 ; Fav. Eul. 8, 4 et Capel. VII, 742, repris par Isid. Num. 11, 54-60. Lactance qualifie ce nombre de numerus perfectus et plenus : la « plénitude » ajoute-t-elle quelque chose aux nombres ? Assurément pas pour Calcidius qui applique la même expression au nombre parfait 6 (c. 38). De même, pour Macrobe, « parmi les nombres…, ne sont pleins au sens propre… que ceux qui ou bien ont le pouvoir de lier […] ou bien génèrent un corps, mais un corps intelligible et non sensible » (In somn. I, 4, 4 : inter ipsos… proprie pleni uocantur… qui aut uim obtinent uinculorum […] aut corpus efficiunt, sed corpus quod intellegendo, non sentiendo concipias), et le commentateur range parmi eux le nombre dix en tant que τετρακτύϛ (tétrade) : « … les Pythagoriciens dans leurs mystères vénèrent à tel point le groupe quaternaire, qu’ils nomment τετρακτύϛ, dans l’idée qu’il est en relation avec la perfection de l’âme, qu’ils ont même fondé sur lui le caractère sacré de leur serment… » (In somn. I, 6, 41 : … quaternarium quidem Pythagorei, quem τετρακτύν uocant, adeo quasi ad perfectionem animae pertinentem inter arcana uenerantur, ut ex eo et iuris iurandi religionem sibi fecerint…) ; le 10 est associé à la tétrade pythagoricienne chez Calcidius aussi, et c’est vraisemblablement à la tetractys pythagoricienne que se réfère déjà Lactance ; c’est là apparemment un lieu commun de la tradition scolaire, qui permet en outre de passer du nombre aux intelligibles comme l’exprime aussi, dans le monder grec, le chrétien Anatolius dans la seconde moitié du IIIe siècle : « La nature de la décade et des nombres qu’elle comprend présente mille beautés pour ceux dont l’intellect perspicace est capable d’une telle contemplation… La décade est surnommée Force et Toute-Parfaite, parce qu’elle limite tout nombre et qu’elle renferme à son intérieur toute nature, pari-impair, muable-immuable, bon-mauvais… » (P. Tannery, « Anatolius sur la décade et les nombres qu’elle comprend », Mémoires scientifiques III, ToulouseParis, 1915, p. 12-28 [p. 12 et 24]). Sur la tetraktys pythagoricienne, cf. P. Kucharski, Étude sur la doctrine pythagoricienne de la tétrade, Paris, 1952. 151 Le nom grec du pouce est précisément anticheir, c’est à dire « face à la main », cf. Gal. U.P. I, 22. 152 Mêmes développements sur la spécificité et l’utilité du pouce chez Aristote (P.A. IV, 10, 687b) et Galien, U.P. I, 5 : « Mais il ne suffisait pas que la main fût simplement divisée en doigts : en effet, à quoi cela eût-il servi, si un des cinq doigts n’eût pas été opposé aux quatre autres comme cela a lieu, et si tous avaient été placés sur le même rang les uns à côté des autres ?
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N’est-il pas évident que le nombre des doigts deviendrait inutile ? car, pour être maintenu fermement, tout corps doit être saisi de tous côtés circulairement, ou, du moins, par deux points opposés » - trad. C. Daremberg. 153 D’après le témoignage de Macrobe (Sat. 7, 13, 14), cette étymologie de pollex figurait chez Aetius Capito, qui la tenait lui-même de Varron, cf. L. Rossetti, « Il De opificio Dei di Lattanzio e sue fonti », art. cit., p. 161. Elle sera reprise par Isidore (Orig. XI, 1, 70 ; Diff. XVII, 63), cf. J. André, Le vocabulaire latin de l’anatomie, p. 101. 154 La description de la poitrine permet de clore le chapitre sur le thème, cher à Lactance, du status rectus, cf. introduction p. 33-34, supra c. 8, 1-4 et notes ad loc. La finalité de sa largeur et de sa verticalité n’est pas à chercher du côté de la connaissance médicale, mais du côté de la foi, confortée par la tradition platonicienne. Ce type d’argument met en évidence les limites scientifiques du traité, cf. I. Mazzini, « La letteratura cristiana antica et la medicina II », Les Études Classiques 71 (2003), p. 258. L’opposition entre la poitrine humaine et la poitrine des quadrupèdes rappelle celle qu’avait esquissée Apulée entre bouche et museau, cf. Apol. 7, 7 : Est enim ea pars hominis loco celsa, uisu prompta, usu facunda ; nam quidem feris et pecudibus os humile et deorsum ad pedes deiectum, uestigio et pabulo proximum… 155 Lactance va expliquer dans le même chapitre les mécanismes de la respiration et de la digestion. Ces deux fonctions sont souvent associées dans la tradition antique en raison de la proximité des différents organes, cf. Cic. Nat. II, 133-138. 156 L’expression binaire imbribus ac pruinis, qui répond à cibis ac potibus, permet d’établir un parallélisme rhétorique. Il s’agit peut-être d’une réminiscence lucrétienne (cf. Lucr. V, 216 : imbres gelidaeque pruinae), cf. A. Goulon, « Quelle connaissance Lactance avait-il du De rerum natura ? réalité et signification des réminiscences lucrétiennes dans l’œuvre de Lactance », art. cit., p. 217-239. 157 Sur artifex, cf. Opif. 1, 11 ; 2, 1 et notes ad loc. 158 Le substantif receptaculum (cf. infra 11, 3 et 5), formé sur le verbe receptare, fréquentatif de recipere, renvoie conjointement aux idées de refuge (cf., par exemple, Liv. I, 33 ; IX, 41, 6 ; XLIV, 39 ; 3 ; Caes. BC II, 8, 1 ; Afr. 9, 2 ; Sen. Ep. 90, 41) et de réservoirs (cf., par exemple, Liv. I, 56, 1 ; Vitr. Arch. VIII, 6, 1 ; Lact. Opif. 6, 5). Dans le De opificio, il est appliqué métaphoriquement au corps humain, en tant que vase de l’âme (cf. supra 1, 11 ; infra 19, 9 et notes ad loc.), aux vésicules séminales (cf. infra 12, 2 et note ad loc.) et, ici, à l’estomac (cf. aussi infra 11, 3, 5, 8), en ce que celui-ci recueille la nourriture et la boisson avalées. Ces emplois techniques sont issus de la tradition anthropologique grecque et le terme hupodochê, équivalent grec de receptaculum, figure déjà chez Platon (cf. Tim. 73A), Aristote (cf. P.A.. IV, 5, 59) et Galien (cf. U.P. IV, 1 et 7) pour désigner l’estomac. L’image fut reprise dans le monde latin, en particulier par Cicéron (Nat. II, 136), Celse (Med. IV, 1), Arnobe (Adu. Nat. VII, 24 ;VII, 45), Ambroise (De Noe 9, 27), Jérôme (Ep. 64, 54, 2) et Augustin (Contra Iul. 4, 766). Bien que l’expression uentris receptaculum apparaisse chez Arnobe, le parallélisme lactancien entre digestion et respiration est probablement inspiré de Cicéron, qui explicite, lui aussi, le terme technique aluus grâce à l’image du réceptacle. De plus, même si l’estomac est parfois désigné par le vocable général uenter (cf. 11, 5), il est également nommé aluus dans l’exposé lactancien, cf. infra 11, 16. Cette variation s’explique peut-être par l’absence de nomenclature établie concernant l’anatomie de l’appareil digestif et par l’utilisation de termes identiques pour désigner plusieurs parties adjacentes, cf. D. R. Langslow, Medical Latin in the Roman Empire, Oxford, 2000, p. 150-153. Chaque auteur est ainsi amené à élaborer un système lexical dans lequel les substantifs prennent
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sens par rapport à l’ensemble, cf. D. Gourévitch, « Les noms latins de l’estomac », Revue de Philologie 50 (1976), p. 85-110. C’est ainsi que, tout en s’inspirant de Cicéron, Lactance élabore sa propre terminologie anatomique : gurgulio désigne la trachée-artère (cf. 11, 7 et 10), nommée aspera arteria par Cicéron, gula (cf. 11, 6 et 10) renvoie à l’œsophage, nommé stomachus par Cicéron, tandis qu’aluus, doublé de uenter, s’applique à l’estomac. 159 La phrase est ambiguë à cause du passage de receptaculum à sedes car le premier terme, qui vient d’être appliqué à l’estomac, évoque un lieu de transformation pour les aliments, alors que le second renvoie aux discussions philosophiques sur le siège de l’âme elle-même. L’ambiguïté est liée à la polysémie du terme anima, qui désigne tantôt l’âme, tantôt le souffle (cf. phrase suivante). Lactance veut probablement dire que le poumon est le siège non pas de l’âme elle-même, mais du souffle qui l’alimente, cf. infra 11, 5 et la doxographie sur l’âme aux chapitres 17-18. 160 Sur ce paragraphe 3, cf. introduction p. 73. Si l’on s’en tient à la lecture des manuscrits et que l’on garde uteri, la comparaison se fait entre deux viscères, dont l’un reçoit et rejette le souffle en plusieurs étapes, tandis que l’autre reçoit et rejette la semence en une seule fois. Vtris (outre) est une conjecture de l’éditeur Heumann, étrange à première vue dans la mesure où personne ne compare, même de façon négative, les poumons à des outres, mais plutôt à des éponges (cf. Plat. Tim. 70C ; Plin. XI, 188 ; Cels. 4, 1, 4) ou à des soufflets de forge (cf. Aristt. Resp. VII, 474a12-13 et 21, 480a20-23 ; Juv. 7, 111 ; Tert. Anim. 10, 7). Mais la métaphore de l’outre s’oppose précisément à celle des soufflets de forge car, si la première se dilate de manière passive, les seconds exercent une force attractive, comme le montre un passage de Galien au sujet des artères : « Si, loin qu’elles se dilatent comme des outres parce qu’elles se remplissent, les artères se remplissent parce qu’elles se dilatent comme les soufflets de forgerons… » (U.P. VI, 21 – trad. C. Daremberg). Lactance voudrait dire que ce n’est pas l’air qui, en pénétrant brusquement dans les poumons, les dilate, mais que ce sont les poumons qui, en se dilatant, permettent à l’air de pénétrer progressivement. Il s’agirait de souligner à la fois le rôle actif des poumons et le processus de transformation qui s’opère dans la respiration (cf. note suivante). Cependant, à l’instar de Cicéron, Lactance n’indique pas explicitement ce qui cause la dilatation et la contraction des poumons. Sur cette question, cf. A. Debru, Le corps respirant. La pensée physiologique chez Galien, Leyde, 1996, p. 48-49 et 100-102. 161 Aeris (capax), spiritu et (uitalis) uentus : trois termes pour désigner l’air, mais les Anciens distinguaient aer, air en tant qu’élément au même titre que l’eau, la terre et le feu, de uentus, air en mouvement (cf. LUCR. VI, 685 : Ventus enim fit ubi est agitando percitus aer ; CIC. Nat. II, 101). Le substantif spiritus renvoie plus spécifiquement au souffle humain et à la respiration (cf. LUCR. VI, 1154-1186 ; CIC. Nat. II, 138). Grâce à ce triptyque, Lactance suggère la transformation de l’air inspiré à travers le mécanisme de la respiration. On retrouve cette idée dans l’anatomo-physiologie de Galien, pour qui le poumon transforme l’air, « le rendant intermédiaire entre l’air extérieur et le pneuma psychique », cf. A. Debru, Le corps respirant. La pensée physiologique chez Galien, op. cit., p. 122-123. 162 Le polyptote spirare/respirare figure déjà chez Cicéron (Nat. II, 136). Sur le sens et la traduction de ces verbes, cf. A. Debru, ‘In respiritu (Nat. Deor. 2, 136)’, in Docente Natura – éds. A. Debru & N. Palmieri, Saint Étienne, 2001, p. 43-67 : respirare signifie « reprendre son souffle » et désigne l’inspiration. 163 Superior… inferior : les termes utilisés sont habituellement exterior… interior, cf. Cels. 4, 1, 3 : Arteria exterior ad pulmonem, stomachus interior ad uentriculum fertur. La terminologie de Lactance substitue à une vision verticale (cf. Aristt. H.A. I, 16 : « la trachée-artère est
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antérieure en position à l’œsophage ») une disposition en coupe, comme l’avait fait Cicéron (Nat. II, 136). Mais, dans ce cas, Lactance semble commettre la même erreur que Pline (cf. XI, 173-176 : Interior earum appellatur arteria, ad pulmonem atque cor pertinens…Altera exterior appellatur sane gula, qua cibus atque potus deuolant.) et inverser la disposition de l’œsophage et de la trachée-artère, cf. M. Perrin, L’homme antique et chrétien.., p. 138-139. Nous proposons la traduction neutre par « premier » et « second ». 164 Le terme gurgulio, qui appartient à la racine gwer « avaler », désigne en général la gorge. Lactance semble le seul auteur à lui conférer le sens précis de trachée-artère, cf. J. André, Le vocabulaire latin de l’anatomie, p. 74. Sur le flou terminologique concernant l’appareil digestif, cf. supra note 158. 165 On attendrait plutôt palato à la place de cerebro, cf. Plin. XI, 175 : quod inter eas uuae nomine ultimo dependet palato homini tantum est. On ne relève cependant aucune variante dans les manuscrits. Cette étrange remarque anatomique renvoie à l’idée d’une communication entre le cerveau et les voies respiratoires, cf. Opif. 10,7 et note ad loc. 166 Il s’agit probablement des poumons et du cœur, bien que Lactance ne mentionne pas explicitement le rôle de ce dernier organe dans le processus de la respiration. Le cœur passait en effet pour être rafraîchi grâce à l’air aspiré par les poumons, cf. Gal. U.P. VI, 2. 167 La luette, qui tire son nom d’une comparaison avec une grappe de raisins, est décrite par Aristote (H.A. I, 11, 493a2), Pline (XI, 175) et Celse (4, 7 ; 6, 8 ; 7, 12). Lactance lui attribue une fonction erronée puisqu’elle empêche le reflux des aliments dans le nez. Cependant une telle erreur n’est pas isolée car au IIe siècle de notre ère, le médecin grec Rufus d’Ephèse semblait ignorer la fonction exacte de la luette, cf. Rufus d’Ephèse, Anatomie des parties du corps, 61 : « Au-dessus de l’épiglotte pend la colonnette (luette) ; elle prend naissance des parties voisines du voile du palais, au niveau des trous qu’on remarque à la voûte palatine ; on l’appelle aussi grain de raisin, parce que son extrémité est arrondie ; elle n’est pas d’une grande utilité ; aussi, quand on la coupe, aucune fonction n’est altérée » – trad. C. Daremberg, Paris, 1879. Lactance a-t-il confondu avec l’épiglotte, organe invisible dépourvu de nom en latin mais dont le rôle, à savoir obstruer le larynx lors de la déglutition, était bien connu des Anciens (cf. Aristt. H.A. I, 11, 492 b 34 ; P.A. III, 3, 664 b 22 ; Cic. Nat. II, 136 ; Plin. XI, 66 ; Gell. XVII, 11, 4-6 ; Macr. 7, 15, 6) ? Lactance attribue à la luette le rôle protecteur que Galien attribue au poumon, chargé de réguler l’entrée de l’air dans le cœur, cf. U.P. VI, 2. 168 Cette étymologie, peut-être d’origine varronienne, est également rapportée par Verrius Flaccus (ap. Fest. – éd. W. M. Lindsay, Leipzig, 1913, p. 166, 24-25 : nares appellari putant, quod per ea nasi foramina odoris cuiusque nari fiamus), cf. L. Rossetti, « Il De Opificio Dei di Lattanzio e sue fonti », art. cit., p. 161. Mais J. André n’en fait pas état dans son Vocabulaire latin de l’anatomie, p. 41-42. 169 Jeu étymologique suggestif sur tolles (les amygdales) et tollere (lever), cf. Fest. 490, 9 : toles tumor in faucibus, quae per diminutionem tonsillae dicuntur. Cette étymologie sera mentionnée par Isid. Orig. XI, 1, 57. Les autres auteurs emploient de préférence tonsillae (Cic. Nat. II, 135 ; Plin. XI, 175). Sur les origines de ces termes, cf. S. Timparano, « De ciri, tonsillis, tolibus, tonsis et de quibusdam aliis rebus », Materiali e Discussioni, 26 (1991), p. 133-173 [= Nuovi contributi di filologia e storia della lingua latina, Bologne, 1994, p. 88-164]. 170 Cf. Opif. 10, 13. 171 S’agit-il, comme le pense M. Spanneut, d’un écho de l’Évangile de Marc (VII, 35), quand le sourd-bègue est guéri par Jésus : … et solutum est uinculum linguae eius ? Cf. M. Spanneut,
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« Note Critique. À propos d’une édition critique de Lactance : De opificio Dei », Mélanges de Sciences Religieuses 34 (1972), p. 132. 172 Le jeu étymologique mutus/mugire ou mussare est attesté chez Varron (L. 7, 101) et chez Nonius (9, 17). 173 Lactance paraît ignorer le savoir de son temps concernant le mécanisme de la phonation, et notamment le rôle des muscles du larynx, des nerfs et de la glotte, cf. Gal. U.P. VII, 5 ; 12-14 et A Rousselle, La contamination spirituelle, Paris, 1998, p. 97-108. 174 La théorie assimilant la digestion à une coction était attribuée à Hippocrate, cf. Cels. Praef. 20 ; Ps.-Galien, Def. Med. 99. Mais, à la différence de Cicéron (Nat. II, 136), Lactance n’associe pas à l’action de la chaleur, calor (cf. infra 11, 15), la thèse du broyage, tritura, défendue par Érasistrate. 175 Lactance donne peu de précisions sur le fonctionnement de l’estomac, qu’il considère comme un simple réceptacle. Cicéron et Galien lui attribuent un rôle beaucoup plus important dans le processus de la digestion, cf. Nat. II, 136 et U.P. IV, 7-8. Le foie, la vésicule et la rate seront mentionnés plus tard, cf. Opif. 14, 5. 176 Galien attribue également une fonction distributrice aux intestins, cf. U.P. IV, 17. 177 Lactance n’hésite pas à aborder un sujet que Cicéron avait éludé pour des raisons de bienséance, cf. Nat. II, 138. Il trouve même le moyen de louer l’action de la Providence au sujet des circonvolutions intestinales ! 178 Erreur répandue depuis Aristote (P.A. III, 7, 670b ; H.A. II, 16, 506b 25 sqq. et 3, 15, 519b13 sqq.). En réalité, le cloaque se substitue à la vessie chez les oiseaux, les reptiles et les marsupiaux. 179 Étrange description qui s’oppose à la plupart des conceptions antiques : Platon et Aristote évoquaient déjà les conduits qui reliaient les reins à la vessie (Tim. 91A ; H.A. I, 17, 496b) ainsi que Galien (U.P. V, 5). Bien qu’il n’ait pas existé en latin de terme spécifique, les uretères sont mentionnés dès le premier siècle par le médecin Celse (4, 10, 1), qui transcrit le nom grec ou use du terme générique uena. La théorie exposée par Lactance remonte sans doute à Asclépiade de Bithynie, médecin grec qui exerça à Rome au premier siècle avant notre ère, ou à son cercle, comme le montre la polémique de Galien (cf. Nat. Fac. 1, 13, 123, 23 – 124, 10 ; 1, 16, 150, 4-6). Pour le détail de la démonstration, cf. K.D. Fischer, « Der Weg des Urins bei Asklepiades von Bithynien und in der Schrift De opificio Dei des Kirchenvaters Lactantius », in Médecins et médecine dans l’Antiquité – éd. G. Sabbah, Saint Étienne, 1982, p. 43-53. Concernant l’anatomie du système urinaire, Lactance ne semble pas au fait des connaissances médicales de son temps. Il est cependant étonnant qu’il adopte la position d’un médecin méthodique, dont la doctrine se rattachait aux philosophes atomistes. Sur la position de Lactance à l’égard des écoles médicales et les liens de ces dernières avec la philosophie, cf. introduction p. 60-65. 180 Il s’agit de l’intestin grêle, mais la terminologie de Lactance est très ambiguë car si tenuiores correspond à intestinum tenuius (attesté chez Cels. Med. 2, 1, 8), patentiores en revanche est assez surprenant. Lactance suggère peut-être par ce comparatif l’extension de l’intestin grêle (cf. Plat. Tim. 72E – 73A, cité par Gal. U.P. IV, 17-18) : selon les Anciens, les nombreuses circonvolutions des intestins avaient pour résultat de prévenir le besoin perpétuel de nourriture. Patentiores pourrait également renvoyer au grand nombre d’orifices intérieurs qui percent les parois des intestins pour distribuer la nourriture, cf. Gal. U.P. IV, 17.
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Périphrase imagée qui désigne les reins et se substitue au terme technique rien. Aristote attribuait déjà aux reins la fonction de filtre, cf. Aristt. H.A. I, 17, 496b34 ; P.A. III, 7, 670b23-27. 182 Si l’on compare avec Cicéron (Nat II, 138), nous avons ici un développement très détaillé, devant lequel reculait l’Arpinate pour des raisons de bienséance. 183 Annonce d’un long développement, qui mêle embryologie et anatomie : après l’origine de la semence, envisagée en relation avec les organes génitaux masculins et féminis (2-5), et la formation de l’embryon et du premier organe (6-7), Lactance associe deux autres questions centrales dans les théories antiques de la génération : la différenciation sexuelle et les phénomènes d’hérédité. 184 Ce sont les vésicules séminales, réservoirs situés en arrière de la vessie dans lesquels s’accumule le sperme. Sur les autres valeurs du terme receptaculum, cf. Opif. 11, 3 ; 19, 9 et notes ad loc. 185 Il s’agit des canaux déférents, qui amènent le sperme des testicules à l’urètre. Lactance semble le premier auteur latin à nommer ces conduits, qu’il assimile à des veines, cf. J. André, Le vocabulaire latin d’anatomie, p 180. Mais, s’il existe bien deux canaux déférents, chacun d’entre eux n’est pas double comme semble le croire Lactance, dont la description est inexacte et imprécise par rapport à celle de Galien, cf. U.P. XIV, 13. 186 La description de Lactance reste confuse : Lactance veut-il dire, comme le pense M. Perrin (L’homme antique et chrétien, p. 154), que les canaux déférents se rejoignent dans le canal spermatique ? 187 Concernant l’exposé sur la génération, Lactance est l’héritier d’une tradition médicophilosophique qui remonte aux présocratiques. L’association du côté droit au caractère mâle et du gauche au caractère femelle est très ancienne : elle apparaît déjà dans le corpus Hippocratique (Aph. V, 48 ; Epid. VI, 2 cités par Gal. U.P. XIV, 4), elle est attribuée à Parménide par Aétius et Censorinus (cf. 28 DK A 53 et 54) et à Anaxagore par Aristote (cf. DK A 42, 12 ; 107 = G.A. IV, 1, 76 3b30-764a) ; elle sera adoptée dans le monde romain, cf. Plin. VII, 70, 176 et Cens. 6, 6. L’idée sera reprise en rapport avec l’inversion des caractéristiques sexuelles, cf. infra 12, 12-14 et note ad loc. Selon A. Rousselle, cette opposition, fondée sur l’idée que la droite est supérieure à la gauche, renvoie à une vision sociologique de la différence sexuelle, cf. A. Rousselle, « L’embryologie dans le De opificio Dei de Lactance », in Le De opificio Dei : regards croisés sur l’anthropologie de Lactance, op. cit., p. 115-164. 188 La brève doxographie de Lactance ne rend pas compte de l’importance des discussions portant sur l’origine de la semence chez les philosophes et les médecins grecs. Lactance présente de façon schématique deux hypothèses anonymes sur cette origine : selon la première, la semence dérive du cerveau par l’intermédiaire de la moelle. Cette théorie, dite encéphalomyélique, est rattachée à Platon par le pseudo-Plutarque (Ps.-Plut. Epit. V, 3) et à Hippon et Aristoxène de Samos par Censorinus (Cens. 5, 2). Elle renvoie aux idées antiques sur les vertus de la moelle, cf. supra c. 5, 8 et note ad loc. Selon la seconde hypothèse, la semence provient de l’ensemble du corps. Cette théorie, dite pangénétique, est attribuée à Démocrite (DK A 141), cf. Ps.-Plut. Epit. V, 3 et Aét. V, 3, 6, mais aussi à Praxagoras et Hippocrate par le pseudoGalien, cf. Ps.-Gal. Def. 439. Lactance ne fait pas état d’une troisième hypothèse, théorisée par Aristote (cf. G. A. 736b-737a), selon laquelle la semence provient du sang. Pour une mise au point récente sur les controverses antiques portant sur l’origine de la semence, cf. M.-H. Congourdeau, L’embryon et son âme dans les sources grecques, op. cit., p.182-205.
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Il s’agit des trompes de Fallope que les Grecs dénommaient déjà cornes, cf. Aristt. H.A. III, 1, 510 b 18-20 ; Gal. U. P. XIV, 3-4. Mais, dans le monde latin, il ne reste aucune trace de cette métaphore qui soit antérieure à ce passage de Lactance, cf. J. André, Le vocabulaire latin de l’anatomie, p. 192. Sur les parties masculine et féminine du corps, cf. Opif. 12, 3 et note ad loc. 190 Lactance cite-t-il Aristote directement ou par l’intermédiaire de Varron, et dans ce cas, de quel ouvrage s’inspire-t-il ? La question a été longuement débattue par. L. Rossetti, cf. « Il De opificio Dei di Lattanzio e sue fonti », art.cit., p. 169-173 et M. Perrin, Lact. Opif., tome 2, p. 358-362, qui opte pour le Tubero, un traité perdu de Varron. Quoi qu’il en soit, la source de Lactance – probablement latine – prêtait à Aristote une opinion que ce dernier ne professait pas. Cette erreur prouve que Lactance ne disposait pas de l’ensemble du traité aristotélicien sur la Génération des animaux, cf. introduction p. 52-54. 191 La question de savoir si la semence provient uniquement du père ou si elle est également émise par la mère a occupé une place importante dans les débats antiques sur l’embryologie, cf. M.-H. Congourdeau, L’embryon et son âme dans les sources grecques, op. cit., p. 182-195. La théorie de la semence unique, d’origine ancienne et populaire, a été adoptée par Platon et Aristote, cf. Plat. Tim. 91D et Aristt. G. A. 716a ; elle sera adoptée par les Pères de l’Église et largement répandue chez les chrétiens aux IIe et IIIe siècles, pour des raisons christologiques, le Christ n’étant pas né « de » mais engendré « à travers » Marie (cf. B. Pouderon, « L’influence d’Aristote dans la doctrine de la procréation des premiers Pères et ses implications théologiques », in L’embryon : formation et animation. Antiquité grecque et latine, traditions hébraïque, chrétienne et islamique – éds. L. Brisson, M.-H. Congourdeau & J.-L. Solère, Paris, 2008, p. 157-183 [p. 158-165]). Il est intéressant de constater que Lactance ignore tout ce courant de pensée marqué par des considérations théologiques. Il adopte au contraire la théorie des deux semences, qui remonte aux philosophes présocratiques (cf. Parménide, DK 28 B 18 ; Empedocle Or. Fr. 641, 642 ; Democrite DK A 142 ; 143) et a été principalement défendue par les médecins, notamment par Galien dans son traité Sur la semence. Comme le suggère Lactance, l’hypothèse de la double semence permet de mieux rendre compte des faits d’expérience, à savoir la naissance de filles et la ressemblance des enfants à leur mère. En attribuant à tort cette théorie à Aristote, Lactance se fait l’écho des questions et des arguments qui alimentaient les controverses antiques. Quant à son erreur d’attribution, peut-être issue du livre X de l’Histoire des animaux (cf. H.A. X, 2, 634b29) qui est apocryphe, elle peut également s’expliquer par la complexité de l’embryologie aristotélicienne, qui associe suprématie du masculin et complémentarité des deux sexes. Selon Aristote en effet, le sperme masculin informe le sang menstruel, comme la présure caille le lait du fromage (cf. Aristt. G.A. 729a). Bien que seul le sperme y constitue un principe générateur, cette vision hylémorphique de la conception ne réduit pas à néant l’apport féminin de sorte que l’interprétation de Lactance ou de sa source n’est pas totalement injustifiée. Elle se trouve du reste nuancée à la fin de la phrase, cf. note suivante. 192 Cette assertion, qui nuance la théorie des deux semences, est conforme à l’enseignement d’Aristote, cf. Aristt. G.A. II, 3, 737a18-34. Le Stagirite considère en effet que la femme joue un rôle passif dans la génération, le sang des menstrues ne constituant qu’une semence impure et imparfaite, à laquelle il manque le principe de l’âme. Seule la semence masculine contient le constituant éthéré propre à animer l’embryon, et la femme, en raison de la froideur de sa nature, est impuissante à opérer la coction du sperme de sorte qu’elle est identifiée à un homme stérile, cf. Aristt. G.A. I, 20, 728a. Cette théorie, qui renvoie au modèle du corps unisexe
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défini par la norme masculine (cf. T. Laqueur, La fabrique du sexe, Paris, 1992), connut un grand succès dans le monde antique et eut les faveurs des auteurs chrétiens comme Tertullien (cf. De carne Christi XVIII, 1-3 ; Anim. 26, 4), Clément d’Alexandrie (cf. Pédagogue III, 19, 1-2) et Augustin (cf. De Genesi ad litteram X, 21), cf. B. Pouderon, « La conception virginale au miroir de la procréation humaine : Libre réflexion sur les rapports entre la christologie et les connaissances théologiques des premiers Pères », in Regards sur le monde antique, Hommage à G. Sabbah – éd. M. Piot, Lyon, 2002, p. 229-255. De manière générale, les préjugés liés à l’imbecillitas et à l’impotentia muliebris semblent avoir largement influencé les auteurs chrétiens, cf. P. Laurence, « La faiblesse féminine chez les Pères de l’Église », in Les Pères de l’Église face à la science médicale de leur temps, op. cit., p. 351-377: « …une tradition, qui concerne aussi bien l’Occident que l’Orient, a depuis toujours cherché à réduire l’existence – ou plutôt l’essence – féminine à sa dimension physique, en inscrivant sa prétendue faiblesse dans sa physiologie (ou du moins celle qu’on lui prêtait), et en inféodant à ce postulat ce qui devait être sa subordination sociale et culturelle » (p. 374). 193 La question de savoir quel est le premier organe formé occupe également une place importante dans l’embryologie antique. Elle reçoit deux réponses principales : 1/ la tête ou le cerveau, hypothèse soutenue par Alcméon de Crotone (DK 24 A 8 ; DK 24 A 13), Hippon (DK 38 A 15 ; DK 38 A 3) et Anaxagore (DK 58 A 108) ; 2/ le cœur, hypothèse formulée par Empédocle (Or. Fr. 517) et théorisée par Aristote, cf. Aristt. P.A. 666a, G.A. II, 1, 735a; III, 2, 753b18 et les témoignages de Pline (XI, 181) et de Censorinus (6, 1). Cependant, si la priorité accordée au cœur est conforme à l’embryologie aristotélicienne, l’explication de Lactance s’en écarte : aux justifications d’ordre physiologique données par le Stagirite, qui se référait au cœur comme source du sang (cf. Aristt. G.A. II, 4, 740a), Lactance préfère une explication à caractère éthique, qui renvoie peut-être « à la place du cœur dans la symbolique biblique », cf. M.-H. Congourdeau, L’embryon et son âme dans les sources grecques, op. cit., p. 233-234. Pourtant, Lactance s’opposera plus loin à la théorie aristotélicienne, en affirmant que c’est la tête qui se forme en premier dans l’embryon, cf. infra 12, 7 et note 195. 194 D’après Aristote, qui se réfère également aux avortements (H.A. VII, 3), la segmentation et les premiers mouvements de l’embryon interviennent à une période de la gestation qui varie selon le sexe : quarante jours pour les garçons et trois mois pour les filles. Lactance (ou sa source) s’abstient de mentionner cette distinction et se limite au chiffre quarante, dont la portée symbolique est importante tant dans la tradition pythagoricienne (Pythagore, ap. Cens. 9, 3 ; Mémoire pythagoricien 29) que dans la Bible (cf. les quarante jours du déluge et de la résurrection du Christ). Sur les raisons qui ont pu conduire Lactance à simplifier la doctrine d’Aristote, cf. la discussion de M. Perrin, L’homme antique et chrétien, p. 168-173. 195 Cette opinion, qui s’oppose à celle d’Aristote (cf. supra 12, 6 et note ad loc.), se justifie par la prééminence accordée à la tête, en tant que siège du cerveau et de l’âme, cf. infra 16, 4 et note ad loc. Cependant, il convient de remarquer que, pour réfuter Aristote, Lactance s’efforce d’adopter une démarche scientifique proche de la sienne, en associant un postulat philosophique lié au siège de l’âme et l’observation anatomique des œufs. 196 Concernant les ressemblances entre parents et enfants, M. Perrin (Lact. Opif., tome 2, p. 362-363 et L’homme antique et chrétien, p. 174-179) estime que Lactance, qui se réclame à nouveau d’Aristote et de Varron, substitue à la suprématie qualitative posée par le Stagirite une domination quantitative. En réalité, en dehors de l’erreur initiale qui consiste à identifier le sang menstruel à une semence à part entière, l’interprétation de Lactance est conforme à l’embryo-
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logie aritotélicienne. S’il y a bien, en effet, suprématie qualitative du sperme masculin sur le sang féminin, les deux interviennent – aux titres différents de la forme et de la matière – dans la formation de l’embryon. Comme l’indique Lactance, le sexe est, pour Aristote, déterminé par la prédominance d’une des deux semences (G.A. IV, 1, 765b). Quand la semence masculine est moins abondante que le sang féminin, elle ne peut s’imposer et le féminin l’emporte. Aristote déduit de ce principe les ressemblances entre parents et enfants du même sexe (G.A. IV, 3, 767b) : c’est pourquoi, « le tout premier écart est la naissance d’une femelle au lieu d’un mâle », trad. P. Louis. Quant aux dissemblances, Aristote les explique en distinguant dans la semence deux puissances motrices : celle qui est liée au genre (masculin/féminin) et celle qui relève des caractéristiques individuelles et particulières, cf. Aristt. G.A. IV, 3, 767b-768b5. Les rapports de domination entre ces éléments justifient les écarts : « si le mouvement qui vient du mâle l’emporte, mais si celui qui vient de Socrate ne l’emporte pas ou si au contraire ce dernier l’emporte, mais non le premier, le résultat est alors la naissance de mâles qui ressemblent à la mère ou de femelles qui ressemblent au père », G.A. IV, 3, 768a28-31, trad. P. Louis. Par conséquent, Lactance, qui généralise un principe de ressemblance sans opérer les distinctions causales nécessaires, présente des théories aristotéliciennes un exposé très schématique et incomplet, qui rappelle davantage l’exposé lucrétien, cf. IV, 1209-1232. Pour une mise au point sur les théories antiques de l’hérédité, cf. J. B. Bonnard, « Il paraît que les fils ressemblent aux pères », in Penser et représenter le corps dans l’Antiquité – éds. F. Prost & J. Wilgaux, Rennes, 2006, p. 307-318. 197 Cf. supra 12, 3 et note ad loc. Les paragraphes 12-14, qui se présentent également comme l’exposé d’une théorie aristotélicienne, proposent une explication d’ordre biologique au mélange ou à l’inversion des caractéristiques sexuelles. Celle-ci est fondée sur l’idée d’une opposition gauche/droite dans la procréation. Or cette conception est clairement réfutée par Aristote : « Quant à ceux qui disent que le mâle vient de la droite et la femelle de la gauche, on peut leur opposer le même argument qu’à Empédocle et à Démocrite. Car ou bien le mâle ne fournit aucune matière et cette théorie est erronée, ou bien il en fournit comme eux le prétendent, mais alors il faut nécessairement rejeter leur théorie exactement comme celle d’Empédocle, qui explique la distinction des sexes par la chaleur et le froid de l’utérus », Aristt. G.A. IV, 1, 765a410 – trad. P. Louis. La conception attribuée à Aristote correspond en fait à un amalgame entre plusieurs théories, dont la plupart remontent aux philosophes présocratiques. Elle est présentée de façon elliptique mais peut s’expliciter ainsi : la semence qui l’a emporté sur l’autre s’implante dans la partie correspondante de l’utérus - gauche pour la féminine, droite pour la masculine. En cas d’orientation contraire, l’individu ne développera pas les caractéristiques inhérentes à son sexe, qui sont elles-mêmes déterminées par l’opposition fondamentale entre activité masculine et passivité féminine, cf. L. Brisson, Le sexe incertain, Androgynie et hermaphrodisme dans l’Antiquité gréco-romaine, Paris, 1997, p. 57-60. 198 Étymologies incontestablement varonniennes pour L. Rossetti (« Il De Opificio Dei de Lactance e sue fonti », art. cit., p. 162), qui se réfère à Varr. L. V, 73 : uirtus ut uiritus a uirilitate, mais qu’on trouve également chez Cic. Tusc. II, 43. Lactance, comme ses prédécesseurs, fait servir l’étymologie au topos de la faiblesse féminine, biologiquement et politiquement théorisée par Aristote (cf. Aristt. Pol. 1254b ; 1259b ; 1260a). 199 L’homme est le seul mammifère dont les mamelles sont exactement situées sur la poitrine et par conséquent tout près du cœur. Lactance se souvient peut-être d’une remarque anatomique d’Aristote, cf. H.A. II, 1, 497b34, à moins qu’il ne songe à la thèse biblique selon laquelle le cœur de l’homme est le siège de la vie, cf. M. Perrin, L’homme antique et chrétien, p. 165 et 182.
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La périphrase candens ac pinguis umor constitue une réminiscence lucrétienne probable (cf. Lucr. I, 258-259), à mettre en rapport avec la comparaison entre les conditions de l’homme et de l’animal à la naissance, cf. supra 3, 2-6. Mais la référence est ici dénuée de tout enjeu polémique, Lactance mettant à profit l’image pour célébrer la création divine, cf. A. Goulon, « Quelle connaissance Lactance avait-il du De rerum natura ? Réalité et signification des réminiscences lucrétiennes dans l’œuvre de Lactance », art. cit., p. 224. 201 Cf. supra 7, 3 ; 12, 4. L’utilisation de l’adjectif fonctionnel genitalis, accompagné ou non de partes ou de membra, pour désigner les organes sexuels remonte à Lucrèce (cf. IV, 1044 et 1205). Cet euphémisme, rare dans la littérature médicale (une seule occurrence chez Celse, Med. 4, 1), relève principalement de la prose technique (cf. Plin. Nat. Hist. XI, 261 ; XXI, 118 ; XXII, 26 ; XXXIII, 1112 ; XXIV, 127 ; XXVII, 19 ; Col. Rust. III, 10 ; VI, 26 ; VI, 36 ; VII, 3), mais il apparaît aussi chez Ovide, Apulée et Quintilien (cf. Ov. Am. II, 3, 1 ; Apul. Met. X, 22 ; Quint. I, 6, 36), cf. J. N. Adams, The Latin sexual Vocabulary, Londres, 1982, p. 57-58. Cet emploi de l’adjectif genitalis s’est généralisé dans la littérature chrétienne, cf., par exemple, Tert. Adu. Marc. 5, 55 ; Spect. 2, 47 ; Arn. II, 39 ; III, 9 ; III, 10 ; IV, 24 ; V, 10 ; V, 12 ; Lact. Inst. I, 12, 2 ; I, 13, 1 ; VI, 23, 18 ; Ep. 18, 6 ; 18, 4 ; Mort. Pers. 33, 1 ; Ambr. Hex. 6, 9, 73 ; Aug. Ciu. 14, 19 ; 14, 24 ; Ver. 53, 5. 202 Lactance adopte une attitude contraire à celle de Tert. Anim. 27, 4, « qui ne rougit pas de nommer ce que Dieu n’a pas rougi de créer ». 203 L’idée a déjà été exprimée au chapitre précédent, cf. Opif. 12, 15. 204 La spécificité des pieds humains est mise en relation avec le status rectus, déjà évoqué, cf. c. 8 et notes ad loc. La fonction des pieds dans la station droite est déjà mentionnée par Aristt. P.A. IV, 10, 690a 28. 205 Le terme planta remonte effectivement à un thème *plat-/*plet-, d’une racine *pel-, qui renvoie au sens de plat, cf. J. André, Le vocabulaire latin de l’anatomie, op. cit., p. 116. Cette étymologie fondée sur le rapport planta/planus, peut-être d’origine varronienne (cf. L. Rossetti, « Il De opificio Dei di Lattanzio e sue fonti », art. cit., p. 162), figure chez Festus, l’abréviateur de Verrius Flaccus, cf. Fest. p. 258, 8 Lindsay : Plantae semina holerum, quod plana sunt ut appellantur etiam ex simili plantae nostrorum pedum. Elle sera reprise par Isidore de Séville (Orig. XI, 1, 113 ; Diff. XVII, 71). 206 Cette phrase de transition introduit la partie du traité consacrée aux organes dont le fonctionnement échappe à l’intelligence humaine. Sur le plan du De opificio Dei, cf. introduction p. 30-34. 207 Dieu ayant volontairement fixé des limites à la connaissance humaine, examiner ce qu’il a voulu tenir caché relève d’une curiositas sacrilège, cf. infra 14, 8-9 ; 15, 5 et Inst. II, 8, 64-71 : Denique cum aperiret homini ueritatem, Deus ea sola scire uoluit quae interfuit hominem scire ad uitam consequendam ; quae uero ad curiosam et profanam cupiditatem pertinebant, reticuit, ut arcana essent. « Enfin, en révélant la vérité à l’homme, Dieu a voulu que nous sachions seulement ce qu’il était utile à l’homme de savoir pour conduire sa vie ; quant à ce qui touchait à un désir curieux et profane, il l’a tu, pour que cela demeurât secret », trad. P. Monat. 208 Il s’agit du mésentère, dont la fonction était déjà connue d’Aristote, cf. Aristt. P.A. IV, 4, 677b37 ; H.A. I, 16, 495a. 209 Curieuse étymologie, qui associe un organe (ici les reins, rienes) à un élément extérieur (les ruisseaux, riui), peut-être en relation avec le verbe grec rheô, couler. Elle sera reprise par Isid. Orig. XI, 1, 97 et largement accréditée dans la tradition médiévale. Cependant, le mot latin rien
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ne comporte ni étymologie ni parenté connues, cf. J. André, Le vocabulaire latin de l’anatomie, op. cit., p. 157. 210 Les reins sont correctement localisés mais Lactance refuse le rapport suggéré par l’étymologie varronienne. Cela est d’autant plus étrange qu’en Opif. 11, 18-20, Lactance associait les reins à la fonction urinaire, voir note ad loc. 211 La formulation lactancienne, qui résume les définitions traditionnelles (cf. Gal. U.P. IV, 12) sera reprise textuellement par Isidore (cf. Diff. II, 66) avec le même emploi de conturbatus, qui ne peut avoir ici que le sens de « caillé ». 212 Conformément au sens usuel, nous traduisons fel par bile, en considérant que fellis est un génitif explicatif. Cependant, la traduction par vésicule biliaire n’est pas à exclure, dans la mesure où fel peut également renvoyer par métonymie au siège de la bile. L’hypothèse selon laquelle fel ne renverrait pas à la sécrétion, mais à l’organe qui la produit, pourrait se trouver étayée par le contexte puisque fel est mentionné dans le cadre d’une énumération d’organes, entre la rate et le foie, d’une part, et le cœur, d’autre part. De plus, la distinction entre l’organe et l’humeur est explicitement formulée par Isidore : Fel appellatum, quod sit folliculum gestans humorem qui uocatur bilis (Etym. XI, 128), cf. D. Langslow, Medical Latin in the Roman Empire, Oxford, 2000, p. 153. L’assimilation du fiel à la vésicule biliaire figure déjà chez Aristote (P.A. 4, 2, 676b16-18 et H.A. 2, 15, 9) et, dans le monde latin, chez Celse (IV, 1, 5) et Pline (Nat. XI, 191). 213 Il n’est pas sûr que Lactance se réfère ici à la théorie des humeurs, qui trouve son origine dans la Collection hippocratique et postule la circulation dans le corps humain de quatre humeurs, le sang, le phlegme, la bile jaune et la bile noire ayant respectivement pour source le cœur, le cerveau, le foie et la rate. La prédominance de l’une des humeurs est censée expliquer les différents tempéraments, cf. A. Thivel, « Hippocrate et la théorie des humeurs », Noesis 1 (1997), p. 85-108. Ainsi, sur les quatre humeurs, seule la bile semble mentionnée, sans être explicitement associée au foie, tandis que le cœur et la rate sont cités sans référence à leurs humeurs respectives. De plus, Lactance ne mentionne pas le phlegme, dont la source est le cerveau. En effet, cette théorie, associée à celle des tempéraments, a fait l’objet d’une élaboration progressive et sa systématisation ne saurait remonter, d’après les témoignages dont nous disposons, au-delà du VIe siècle de notre ère, cf. J. Jouanna, « La théorie des quatre humeurs et des quatre tempéraments dans la tradition latine (Vindicien, Pseudo-Soranos) et une source grecque retrouvée », Revue des Études Grecques 118 (2005), p. 138-167. Par conséquent, plus qu’à la théorie des humeurs, dont nous n’avons ici qu’un vague écho, Lactance se réfère à la topique philosophico-médicale de la localisation des quatre passions, largement diffusée dans la tradition grammaticale et doxographique, cf. Virg. En. VIII, 219-220 ; Plin. XI, 205 ; Serv. In Aen. VI, 596 ; 7, 457 ; 8, 219 ; Calc. In Tim. c. 249 ; Isid. Orig. XI, 1, 127. 214 Sur la digestion, cf. Opif. 11, 15 et note ad loc. 215 La localisation du désir sexuel dans le foie est un topos, cf. Hor. O. I, 25, 15 ; Calc. In Tim. c. 249 ; Serv. In Aen. VI, 596 ; Hier. Epist. 64, 1, 3 ; Isid. Orig. XI, 1, 125. 216 Lactance est-il influencé ici par le scepticisme des médecins empiriques qui avaient contesté l’utilité des dissections ? Sur ce point, cf. introduction p. 61. 217 Lactance conteste ironiquement la théorie de la localisation des passions en avançant comme preuve par l’absurde l’idée qu’anatomie et tempérament des animaux seraient corrélés, idée déjà exprimée par Aristote (cf. P.A. III, 4, 667 a) et par Pline (cf. XI, 183 ; 194-195 et 204205). Cette critique trouve une justification dans la théorie platonicienne des passions, qui sont
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liées à l’âme, car l’excellence humaine est conditionnée par le bon gouvernement de la partie irrationnelle de l’âme par sa partie rationnelle, cf. J.-Fr. Pradeau, « Platon, avant l’érection de la passion », in Les passions antiques et médiévales – éds. B. Besnier, P.-Fr. Moreau & L. Renault, Paris, PUF, 2003, p. 15-28. Cependant, Lactance admettra la localisation des passions dans Inst. VI, 15, 4, ce qui pose un problème de cohérence. Sur cette contradiction, cf. M. Perrin, « Lactance, De opificio Dei : le savoir médical au début du 4 ème siècle », art. cit., p. 78. 218 Sur le corps, vaisseau de l’âme, cf. c. 1, 11 et note ad loc. 219 Cf. Opif. 10, 12-13 et 11, 10-13. 220 C’est la définition de la voix par Zénon : J[RL ZI NWXMRE LN VTITPLKQI RZ SØ (SVF I, 74 = Eustath. in Il. S 506, p. 1158, 37) ; l’expression s’était largement répandue (cf., par exemple, D. L. VII, 55 ; Sen. N. Q. II, 6, 3, II, 29, 2 ; Benef. IV, 21, 6 ; Clem. II, 1, 1-3 ; Gell. V, 15, 6 ; Calc. In Tim. c. 255), au point de tomber dans le domaine scolaire, puisqu’on la retrouve chez les grammairiens latins, cf. Corpus Grammaticorum Latinorum http://kaali.linguist.jussieu.fr/ CGL/index.jsp?link=help, tome 1, p. 420, 9-11 [Diomedis Ars] ; tome 4, p. 87, 3-4 [Sergii explanationes in Donatum] ; tome 6, p. 189, 9 [Victorini siue Palaemonis Ars]. 221 Le fonctionnement des cordes vocales est comparable à celui d’un instrument à cordes et non d’un instrument à vent comme le suggère Lactance avec cicuta. 222 Cf. supra c. 9, 1 et note ad loc. Allusion polémique au doute radical prôné par Arcésilas. Mais, le scepticisme modéré revendiqué par Lactance n’est pas sans rapport avec le probabilisme de Carnéade, qui considérait que « si les choses ne peuvent faire l’objet d’une perception sûre, elles ne sont pas pour autant totalement incertaines », cf. C. Lévy, Les philosophies hellénistiques, Paris, 1997, p. 198. 223 Annonce du livre III des Institutions divines. 224 Cette phrase annonce le contenu du chapitre 16 et des deux suivants. Sur ces trois chapitres, cf. introduction p. 33-34*. Pour le présent chapitre et l’influence de Lactance sur Isidore, cf. J. Fontaine, Isidore et la culture classiques dans l’Espagne wisigothique, tome 2, p. 684-686 : « Le siège de l’âme : Lactance, médiateur des théories antiques ». La construction des trois chapitres sur la doxographie de l’âme est à la fois conventionnelle et très personnelle : assurément le dissensus entre les philosophes, souligné au début des chapitres 16 et 17 (cf. également c. 18 : inextricabilis quaestio), est conforme à la tradition des placita consacrés à l’âme ; assurément le développement doxographique suit les deux parties annoncées dans la première phrase : d’abord sa place (c. 16) puis sa nature (c. 17). Mais, à la fin de ce chapitre (§§ 13-18), l’âme-harmonie paraît anticiper sur le suivant, qui relance la thématique par une phrase d’introduction offrant des échos avec le début du c. 16. Enfin, le développement se termine au c. 18 par la distinction entre anima et animus, qui aurait dû, en bonne logique, être traitée en premier, à voir l’ambiguïté de tel passage du c. 16 (§ 9 … sensus ille uiuus atque caelestis qui mens uel animus nuncupatur…). La doxographie lactantienne est en fait intégrée dans une structure dialectique et polémique, et, par-là même, orientée selon les besoins de la persuasion. Ce que condamne essentiellement Lactance, ce sont les théories matérialistes. Sur les doxographies de l’âme, cf. supra introduction p. 31-34 et J. Mansfeld, « Doxography and Dialectic. The Sitz im Leben of the “Placita” », ANRW II, 36.4, 1990, p. 3056-3229. Dans ce chapitre 16, il est donc question de la localisation de l’âme dans la poitrine, dans le cerveau ou dans le corps (§ 12). Si la première est rapidement rejetée dans une interrogation oratoire, la seconde en revanche est celle à laquelle adhère notre auteur (cf. § 4 … sane argumentis probabilibus usi sunt…, § 6 … Hi uero aut non multum aut fortasse non errant…). Mais, avec une certaine inconséquence, Lactance admet
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les deux premières hypothèses (§ 6) avant de réfuter, dans ce qui pourrait apparaître au premier abord comme un excursus, l’idée d’âme-harmonie liée la diffusion de l’âme dans tout le corps. 225 Sur la question de l’âme, tout savoir étant impossible, c’est la croyance qui doit l’emporter. Cette profession de foi évoque l’anthropologie de la première Tusculane, cf. Tusc. I, 23 ; 67 : l’impossibilité de résoudre les questions liées à la nature de l’âme n’empêche pas de reconnaître son origine divine, cf. introduction p. 71-72. Dans la persective chrétienne de Lactance, ce qui est inaccessible à l’intelligence humaine constitue une marque de la transcendance divine, cf. M. Perrin, « Médecine, maladie et théologie chez Lactance », in Les Pères de l’Église face à la science médicale de leur temps, op. cit., p. 335-350 [p. 343]. 226 Cette opinion, nommément attribuée à Parménide et Épicure par Plutarque (Epit. IV, 5, 5), était partagée par les stoïciens (cf. SVF II, 761 ; LS, tome 2, p. 338 = De la formation du fœtus IV, 698, 2-9). Alors qu’elle était déjà fortement contestée, elle avait été reprise par Lucrèce (III, 136 sqq.) puis par Tertullien (An. 15, 1-6). 227 Cette localisation correspond à la théorie de Platon dans le Timée (70A et 90A), cf. supra 8, 5-3 et notes ad loc. Lactance, qui opte pour une localisation de l’intelligence dans le cerveau, s’oppose à Tertullien (An. 15, 1-6) mais surtout aux Écritures (cf. Sap. 1, 6 ; Prov. 24, 12 ; Matth. 5, 8 ; 9, 4 ; Ps. 50, 12). Ce choix semble d’autre part en contradiction avec l’affirmation selon laquelle le poumon est le siège de l’anima (cf. 11, 3-4). Cependant, il n’y a pas de réelle incompatibilité aux yeux de Lactance : l’anima en tant que souffle est recueillie dans les poumons, tandis que la partie directrice de l’âme – mens – est localisée dans le cerveau. Mais l’absence de distinction entre les deux entités (cf. également infra § 6 et le jeu sur leur sens au § 9) opacifie le texte. 228 Sur la distinction entre esprit et âme, cf. infra c. 18. 229 Ce passage comporte de nombreux échos lucrétiens, cf. Lucr. IV, 777-783 (libido, libuerit, temporis puncto) ; II, 1046-1047 (si uelit… peruolet) ; I, 74 (peragrare), relevés par P. H. Schrijvers, (« Présence de Lucrèce dans le De opificio Dei de Lactance », art. cit., p. 262) qui montre que de manière générale les chapitres consacrés à l’âme comportent de nombreuses réminiscences lucrétiennes. 230 Image propre à la tradition platonicienne du corps-prison de l’âme, cf. supra 1, 7 et note ad loc. 231 De même que la plupart des organes sont doubles (cf. Opif. 10, 11), la circulation du sang se fait selon deux circuits. 232 La même idée est exprimée par Cic. Tusc. I, 53. 233 Sur les paragraphes 9-11, cf. introduction p. 71-73. L’expression incorporalis res revêt une importance considérable dans l’histoire des idées : contrairement à son prédécesseur Tertullien (cf. An. 9, 1-3 et introduction p. 81-84) et à l’ensemble de la tradition stoïcienne, Lactance affirme le caractère immatériel de l’âme. Cette idée sera reprise dans les Institutions, où elle sera explicitement mise en relation avec l’immortalité et l’origine divine de l’âme, cf. Inst. VII, 9, 7 : Quodsi deus et incorporalis et inuisibilis et aeternus, ergo non idcirco interire animam credibile est, quia non uidetur, postquam recessit a corpore, quoniam constat esse aliquid sentiens ac uigens quod non ueniat sub aspectum. Cicéron, se référant au cinquième élément d’Aristote, avait déjà tenté d’exprimer la même idée dans sa Consolation, citée dans les Tusculanes : Animorum nulla in terris origo inueniri potest. Nihil enim est in animis mixtis atque concretum, aut quod ex terra natum atque fictum esse uideatur, nihil ne aut umidum quidem aut flabile aut igneum (I, 66 : « rien sur la terre ne saurait rendre compte de l’origine de l’âme, car l’âme est pure de tout
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mélange, de toute composition, et ne renferme rien qui paraisse être né ou formé de la terre, rien non plus qui appartienne à l’élément liquide, à l’élément du souffle ou à l’élément de feu »). Cependant, l’Arpinate ne semble pas avoir usé de l’adjectif incorporalis, qui, si l’on se fie au témoignage de Claudien Mamert, prêtre gaulois du Ve siècle, fit son apparition chez les Sextii dans le cadre d’une définition de l’âme, cf. Claudian. Mamert. De statu animae II, 18 : Romanos etiam, eosdemque philosophos testes citamus, apud quos Sextius pater Sextiusque filius propenso in exercitium sapientiae studio apprime philosophati sunt atque hanc super omni anima attulere sententiam : incorporalis, inquiunt, omnis est anima et illocalis, atque indeprehensa uis quaedam, quae sine spatio capax… Sur l’école des Sextii, cf. U. Capitani, « I sesti e la medicina », in Les écoles médicales à Rome, Nantes, 1991, p. 95-123 et I. Lana, « La Scuola dei Sestii », in La langue latine, langue de la philosophie – éd. P. Grimal, Rome, 1992, p. 109-14. L’adjectif incorporalis, calque du grec asômatos qui est attesté chez Platon (cf. Phaed. 85e5 ; Soph. 246b8 ; 247d1 ; Phil. 64b7 ; Pol. 286a), apparaît fréquemment chez Sénèque (cf. Ep. 58, 11 ; 89, 16 ; 90, 29 etc.) en relation avec la théorie stoïcienne des Incorporels, mais aussi dans le cadre d’une réflexion sur la nature de l’animus (cf. Nat. Quaest. VII, 25, 2 : incorporalis potentia). En adoptant ce qualificatif, appliqué à « l’homme intérieur » par Origène (cf. Origène, ap. Rufin, In Genesim Homiliae I, 13), Lactance rejette le matérialisme stoïcien mis à profit par Tertullien et lui préfère une anthropologie platonisante, marquée par le dualisme âme/corps. Ce faisant, il joue un rôle important dans l’histoire de la spiritualisation de l’âme, cf. Fr. Masai, « Les conversions de Saint Augustin et les débuts du spiritualisme en Occident », Le Moyen Âge 67 (1991), p. 1-40. Sur la conception chrétienne de l’âme et son évolution, voir V. Grossi, notice « âme humaine », dans Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien, tome 1, p. 92-95. 234 Xénocrate est le second successeur de Platon à la tête de l’Académie de 339 à 314. Ses idées sur le caractère incorporel de l’âme ont été évoquées par Cic. Tusc. I, 20 : Xénocrate soutint que l’âme n’avait point de forme et était pour ainsi dire incorporelle : quasi corpus negauit esse ullum. 235 Les paragraphes 13-15 (Illud autem–uocari) constituent le fr. 120D de F. Wehrli (Die schule des Aristoteles, Heft II Aristoxenos, Bâle, 1945, p. 37). Lactance reprendra plus brièvement la même idée en Inst. VII, 13. Aristoxène de Tarente est une figure complexe, surtout connue pour ses théories musicales : il expose une conception de l’âme que n’auraient pas désavouée les pythagoriciens, mais, en même temps, à la mort d’Aristote en 322/321, il aurait été l’un de ses successeurs possibles, cf. F. Wehrli, RE II, 1, notice 7, col. 1057-1065 et Suppl. XI, col. 338 ; B. Centrone, « Aristoxène », notice 417, in Dictionnaire des Philosophes Antiques – dir. R. Goulet, Tome 1, Paris, 1989. 236 La théorie de l’âme-harmonie est exposée et critiquée par Platon dans le Phédon (85e-86e et 92a-93d) et par Aristote dans le De anima (I, 4, 408 a). Cicéron l’attribue en particulier à Aristoxène : « L’une fort ancienne, représentée en dernier lieu par Aristoxène, philosophe en même temps que musicien, fait de l’âme une espèce de tension du corps même, comparable à ce qui dans le chant et sur la lyre s’appelle harmonie : de l’ensemble du corps, en raison de sa nature et de sa disposition, se dégagerait une gamme de mouvements analogues aux tons dans le chant » (Tusc. I, 10, 19 = fr. 120a F. Wehrli). Pour Lactance, comme pour Cicéron (Tusc. I, 51), Aristoxène de Tarente professe une théorie qui équivaut à nier l’existence de l’âme : celle-ci, loin d’être un principe immatériel, y apparaît comme dépendante du corps, qui lui est antérieur, cf. A. Bélis, « La théorie de l’âme chez Aristoxène de Tarente », Revue de Philologie de littérature et d’histoire anciennes 59, 2 (1985), p. 240.
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Cicéron (Tusc. I, 11 ; 41 ; 51) et Lactance (Opif. 16, 13-17 et Inst. VII, 13) sont nos seuls témoins (cf. supra n. 235-236) des écrits d’Aristoxène sur l’âme. Mais Lactance fournit ici un détail de l’argumentation d’Aristoxène, qui ne figure pas chez Cicéron. Par conséquent, la source de Lactance n’est pas cicéronienne ou pas uniquement, cf. A. Bélis, « La théorie de l’âme chez Aristoxène de Tarente », art. cit., p. 244. 238 Même plaisanterie malveillante sur l’absence d’âme caractérisant Aristoxène et Dicéarque chez Cicéron, Tusc. I, 41. Le jeu associant la théorie et son auteur sera repris en 16, 18. 239 Lactance rejette l’analogie entre l’âme et l’harmonie produite par la lyre en se référant à l’argument platonicien de l’auto-motricité de l’âme, cf. infra c. 17. Aristote avait utilisé le même type d’argument : « être principe moteur n’est pas le fait d’une harmonie : or c’est à l’âme que tous les penseurs attribuent cette propriété comme caractère principal, peut-on dire » (An. I, 4, 408a – trad. E. Barbotin, Paris, 1989). 240 Sur ce chapitre, cf. introduction p. 48-50. 241 Même idée d’incompréhensibilité au début du c. 16. 242 La justification de l’immortalité de l’âme par son auto-motricité est issue de Platon, Phèdre 245c, passage traduit par Cicéron (Rep. VI 25-27 = Tusc. I, 53 = Macr. Somn. II, 13, 6-9) et par Calcidius (c. 56). Cette idée est récurrente dans la tradition philosophique latine, cf. Apul. Plat. 9, 199 et Lactance lui-même Inst. VII, 8, 4. La doxographie qui suit est introduite – comme le chapitre précédent (cf. note ad loc.) – par l’annonce d’un dissensus sur la nature de l’âme : au paragraphe 2, trois hypothèses sont évoquées (âme-sang, âme-feu, âme-vent) sans aucune référence philosophique ; ces idées matérialistes sont réfutées dans le même ordre, respectivement aux paragraphes 3, 4 et 5 et chacune de ces réfutations permet à Lactance d’avancer des éléments de définition : (§ 3) … uidetur ergo anima similis esse lumini… (§ 4) … apparet animam nescio quid esse deo simile…. La dimension protreptique du traité se lit également dans cette organisation originale de la matière doxographique. 243 Ces trois hypothèses sur la nature de l’âme sont présentées par Platon dans le Phédon (96b), par Cicéron dans les Tusculanes (I, 19) et, pour deux d’entre elles, le sang et le vent, par Lucrèce III, 43-44 : et se scire animi naturam sanguinis esse,/ aut etiam uenti. Lactance met à profit une longue tradition doxographique pour contester fermement les conceptions matérialistes de l’âme. Il servira lui-même de source au développement d’Isidore dans Diff. II, 30, 100 sq. ; Orig. XI, 1, 7-8. 244 Cette étymologie sera reprise par Serv. In Aen. I, 57 et VIII, 403, par Cassiod. Psalm. 103, 3 et par Isid. Diff. 30, 100 ; 62, 23 ; Orig. XI, 1, 7. 245 Comparaison très pédagogique choisie par Lactance pour réfuter la théorie selon laquelle l’âme serait constituée de sang. Cette théorie est attribuée à Empédocle par Cicéron (Tusc. I, 19). Macrobe l’associe au nom d’Empédocle et à celui de Critias (Somn. I, 14, 19). D’après Calcidius, les Hébreux considéraient que le sang était le véhicule de l’âme irrationnelle (c. 219). 246 La théorie de l’âme ignée est attribuée à Zénon par Cicéron (cf. Tusc. I, 19) et même aux stoïciens en général (cf. Nat. III, 35). Mais, selon d’autres témoignages rapportés par H. Diels (DG, p. 387-388), les stoïciens assimilaient l’âme à un souffle (cf. Calc., 220 = SVF 879) ou encore à un souffle chaud (cf. Plut. Epit. IV, 3 et Stob., Ecl. I, 49). Sur l’association de l’âme et du feu, cf. supra 8, 5 et note ad loc. 247 Même référence à la nature divine de l’âme dans Cic. Tusc. I, 65 : Ergo animus quoque, ut ego dico, diuinus est… illustrée par une citation d’Euripide, cf. Fr. 1018, p. 81 dans Euripide,
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Tragédies, Fragments de drames non identifiés, tome VIII, 4 partie – éds. F. Jouan & H. Van Looy, Paris, CUF, 2003 : S.RSYØKEVL.Q[RINWXMRINRI.OEZWX[UISZØ. 248 Cette théorie selon laquelle l’âme serait composée de vent est attribuée à Anaximène par Macr. In Somn. I, 14, 19. Stobée l’impute également à Anaxagore et à son disciple Archélaos, qui fut aussi le maître de Socrate, cf. Stob. Ecl. I, 49. 249 Cette définition varronienne n’est pas attestée ailleurs ; si elle est exacte, elle ferait de Varron un de ceux qui croient que le siège de l’âme n’est pas dans la tête mais dans le corps tout entier. L’âme est assimilée au souffle car la citation renvoie à la physiologie de la respiration, cf. supra 11, 3. 250 Cette opinion d’Empédocle est également signalée par Arn. III, 17. 251 Sur le scepticisme modéré revendiqué par Lactance, cf. supra 9, 1 ; 15, 5 et notes ad loc. 252 L’animation du fœtus – plus précisément le moment auquel intervient l’animation – est ici brièvement évoquée en relation avec la nature de l’âme ; cette question, qui a déjà été évoquée dans le cadre de l’exposé sur la génération (cf. supra 12, 6 et note ad loc.), sera envisagée plus bas en fonction de l’origine de l’âme, cf. infra 19, 1-5 et notes ad loc. Sur le lien fonctionnel entre embryologie et psychologie, cf. M.-H. Congourdeau, L’embryon et son âme dans les sources grecques (VIe siècle av. J.-C.-Ve siècle apr. J.-C.), op. cit., p. 134 : « si l’âme est l’air inspiré, elle ne peut venir qu’au moment de la naissance, quand il y a respiration ; mais si on la dit souffle, ce souffle peut être présent dès la semence… ». 253 L’emploi du verbe insinuatur constitue une réminiscence lucrétienne probable, cf. Lucr. III, 671 : in corpus nascentibus insinuatur et III, 689 ; 698 ; 722 et 729. Lucrèce avait en effet usé de cette image, suggérant que les âmes, à la manière des serpents, s’insinueraient furtivement dans les corps, pour réfuter l’idée d’une préexistence des âmes, et en particulier la « métensomatose », théorie de la migration des âmes, communément attribuée à Pythagore (cf. Porph. Vie de Pythagore, 18-19), cf. M.-H. Congourdeau, L’embryon et son âme dans les sources grecques (VIe siècle av. J.-C.-Ve siècle apr. J.-C.), op. cit., p. 260. Cependant, la reprise de l’image lucrétienne n’implique pas une communauté de point de vue, et Lactance ne vise pas tant la thèse de la transmigration des âmes que la théorie stoïcienne selon laquelle le corps est animé à la naissance, au premier souffle d’air (cf. Hiéroclès 1, 33 ; 4, 38 ; Plut. De Stoic. Repugn. 1052 F = SVF II, 806 ; Tert. An. 25, 2 = SVF II, 805) : si l’âme ne préexiste pas au corps, elle précède cependant la naissance, cf. note suivante. 254 La position de Lactance selon laquelle le fœtus est animé dès la conception est une théorie chrétienne qui est à mettre en relation avec le refus de l’avortement, cf. Clem. Strom. VIII, 4, 12 ; Ecl. proph. 50 ; Tert. Apol. 9, 8 ; An. 25, 3- 27, 9 ; Greg. Hom. 29 et 30 : « Il est donc vrai de dire que ni l’âme n’existe avant le corps ni le corps n’existe à part de l’âme, mais pour tous les deux, il n’y a qu’une seule origine… Dès le début en effet, tandis que le corps se forme suivant un plan savamment conçu, la nature fait apparaître en lui la force de l’âme qui lui est liée … » trad. J. Laplace. Sur ce point, cf. M. Spanneut, Le stoïcisme des Pères de l’Église de Clément de Rome à Clément d’Alexandrie, Paris, 1957, p. 184 et M.-H. Congourdeau, L’embryon et son âme dans les sources grecques (VIe siècle av. J.-C.-Ve siècle apr. J.-C.), op. cit., p. 314-317. 255 Sur ce chapitre, cf. introduction p. 48-50. 256 Fin de la doxographie sur l’âme (cf. supra note 224 et introduction p. 50-51) ; Lactance aborde les rapports entre esprit et âme : l’identité entre les deux, attribuée aux épicuriens, est d’abord réfutée. Quant à leur distinction, elle est expliquée par l’activité intellectuelle pendant le sommeil.
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L’identité d’un de ces poètes épicuriens ne fait pas de doute ; il s’agit de Lucrèce. En revanche pour le second, nombre d’hypothèses ont été formulées : celle de M. Perrin, Lact. Opif., tome 2, p. 401-403, qui voit dans le second poète Empédocle, paraît déterminante, étant donné que Lactance le connaît par ailleurs comme poète et auteur d’un De rerum natura, cf. Inst. II, 12, 4. Quant à l’assimilation animus/anima, elle fait l’objet d’un exposé beaucoup plus nuancé chez Lucr. III, 136-160. La présentation de Lactance reste schématique : pour lui, les tenants de l’identité animus/anima sont des philosophes matérialistes, qui ne croient pas en l’immortalité de l’âme, thèse nettement affirmée en 17, 1. 258 Les références à la folie et au sommeil figurent déjà chez Cic. Luc. 51 et 88-89 dans un contexte légèrement différent. L’assimilation de la mort au sommeil est très ancienne et largement exploitée dans l’Antiquité. D’autre part, l’allusion aux maladies mentales était souvent utilisée dans les doxographies sur l’âme pour justifier de la place de l’hegemonikon dans la tête, cf. J. Mansfeld, « Doxography and Dialectic. The Sitz im Leben of the “Placita” », art. cit., p. 3056-3229. 259 La comparaison de l’âme ensommeillée avec un feu qui couve est moins cicéronienne, comme le pense M. Perrin (cf. Lact. Opif. tome 2, p. 404), que lucrétienne, cf. Lucr. IV, 925928 : Quippe ubi nulla latens animai pars remaneret / in membris, cinere ut multa latet obrutus ignis, / unde reconflari sensus per membra repente / posset, ut ex igni caeco consurgere flamma ? « car s’il ne restait aucune partie de l’âme / dans l’organisme enfouie tel un feu sous la cendre, / d’où notre sensibilité se pourrait donc soudain/ ranimer comme flamme surgie d’un aveugle ? », trad. J. Kany-Turpin, Paris, 1994. 260 Écho lucrétien dans une réécriture qui dépoétise l’original, cf. A. Goulon, « Les citations des poètes latins dans l’œuvre de Lactance », art. cit., p. 107-143. Mais la formule rappelle également Virg. Én. III, 511 : fessos sopor inrigat artus. 261 L’expression, qui désigne les prophètes bibliques, est considérée comme une des seules références chrétiennes dans cet opuscule. 262 Paraphrase de Virg. Én. VI, 893 : Sunt geminae Somni portae. L’hexamètre virgilien est lui-même une imitation du passage de l’Odyssée (XIX, 562-567), dans lequel Pénélope indique qu’il existe deux portes des songes : l’une, en ivoire, s’ouvre sur les songes véridiques tandis que l’autre, en corne, donne accès aux songes trompeurs. Or la distinction entre les songes prémonitoires, adressés par les dieux, et les songes dépourvus de signification et susceptibles de tromper les interprètes éventuels avait été fortement contestée par le personnage de Marcus dans le De diuinatione de Cicéron (II, 124-127), cf. F. Guillaumont, Le De diuinatione de Cicéron et les théories antiques de la divination, Bruxelles, Latomus, 2006, p. 298-300. En citant cet hémistiche virgilien, Lactance reprend à son compte la tradition de l’oniromancie, que le stoïcien Chrysippe avait définie comme « une faculté discernant et expliquant ce que les dieux signifient aux hommes dans les rêves » (cf. Cic. Diu. II, 130, trad. J. Kany-Turpin). Ainsi, cette citation s’inscrit-elle parfaitement dans la perspective providentialiste du traité, dont la conception stoïcienne de la divination constitue une base théorique sous-jacente : il est nécessaire que les dieux, dans leur extrême bienveillance, envoient aux hommes des avertissements, qui peuvent prendre la forme de rêves prophétiques, cf. Cic. Diu. 82-83. Cependant, les modifications formelles imposées au vers virgilien instaurent un décalage par rapport à la tradition : l’ordre des mots n’est pas conservé, le verbe uoluit permet d’intégrer le système des songes au plan divin, le dieu du sommeil Somni est remplacé par le pluriel somniorum, geminas est remplacé par l’adjectif plus prosaïque duas. Le passage de Virgile se trouve à la fois retranscrit
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en prose et soumis à une interprétation personnelle. Il convient d’ajouter que cette interpretatio s’opère ici grâce à la médiation théorique de la mantique stoïcienne. Pour imprégné qu’il soit de poésie virgilienne, Lactance n’en soumet pas moins sa culture à un constant travail de ré-élaboration. 263 Cf. supra 17, 7 et note ad loc. Lactance revient sur l’animation de l’embryon en rapport avec la création divine. Il ne s’agit plus de préciser le moment où l’âme vient à l’embryon pour déterminer la nature de l’âme, mais d’établir sa provenance divine dans une perspective dualiste. C’est pourquoi Lactance rappelle brièvement les développements du chapitre 12 sur la génération afin de marquer fermement la distinction entre la nature terrestre du corps et la nature céleste de l’âme. Cette réflexion sur l’origine de l’âme, qui peut se lire comme une réfutation du mécanisme épicurien (cf. infra note 265), permet d’insister sur la transcendance divine et sur la ressemblance de l’homme à Dieu. 264 Interprétation chrétienne de la célèbre image platonicienne des semailles d’âme (cf. Plat. Tim. 41D), déjà reprise par Cic. Leg. I, 24 – éd. G. de Plinval : in perpetuis cursibus conuersionibus caelestibus extitisse quamdam maturitatem serendi generis humani, quod sparsum in terras atque satum diuino auctum sit animorum munere « au cours des mouvements et des révolutions dans le ciel, il s’est manifesté un certain moment de maturité propre à l’ensemencement du genre humain, lequel ayant été répandu sur la terre et semé, fut gratifié du présent divin des âmes », cf. P. Boyancé, « Cicéron et les semailles d’âmes du Timée (De legibus, I, 24) », Romanitas III, 3-4 (In honorem Henrici Levy-Bruhl), 1961, p. 111-117 et les Comptes-rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1960, p. 253-288 = Études sur l’humanisme cicéronien, Bruxelles, 1970, p. 294-300. Mais la métaphore des semailles qui sont actualisées et renouvelées dans chaque création permet à Lactance d’insister sur la puissance de Dieu. 265 Cf. Lucr. II, 990-991. Mais le rythme dactylique est rompu par de légères modifications dans l’ordre des mots : omnibus ille idem pater est devient chez Lactance siquidem pater idem omnibus, cf. A. Goulon, « Les citations des poètes latins dans l’œuvre de Lactance », art. cit., p. 130, note 105. De plus, le vers lucrétien est ici détourné de son sens puisque le poète se référait à l’image traditionnelle du hieros gamos, union sacrée du ciel et de la terre : la pluie du ciel fécondant la terre lui permet de donner naissance à la végétation et de nourrir tous les êtres vivants. Selon un procédé qui lui est cher, Lactance, reprend à son compte l’image lucrétienne en la détournant de son sens, puisqu’elle lui permet d’illustrer la puissance créatrice de Dieu (cf. uni ac soli deo). Ce faisant, il retourne l’image, qui sera reprise en Inst. VI, 10, 17, contre la théorie épicurienne, cf. introduction p. 74-76. 266 Transfudisse… inspirasse : ces verbes imagés font-ils écho aux différentes hypothèses évoquées plus haut concernant la nature de l’âme (sang ou vent, cf. supra c. 17, 2) ? Voir cependant infra 19, 5 (inspiratio animae) et note ad loc. 267 Probable allusion polémique au « traducianisme » de Tertullien, qui considérait que l’âme était transmise par le père biologique à travers la semence, cf. Tert. An. 27, 1-9 et introduction p. 81-84. Par opposition à Tertullien, Lactance, qui réfute la préexistence des âmes et considère qu’à chaque corps correspond une âme créée par Dieu au moment de la conception (cf. supra 17, 7 et note ad loc.), semble se rattacher au « créatianisme ». Sur les enjeux du débat entre les tenants du « créatianisme » et ceux du « traducianisme », qui fut définitivement récusé par le pape Anastase en 498, cf. D. Bertrand, « Origine de l’âme et animation du corps humain », art. cit., p. 299-320 et M.-H. Congourdeau, L’embryon et son âme dans les sources grecques (VIe siècle av. J.-C.-Ve siècle apr. J.-C.), op. cit., p. 267-288.
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P. H. Schrijvers, « Présence de Lucrèce dans le De opificio Dei de Lactance », art. cit., p. 265-266, voit dans cette argumentation un écho de la diatribe de Paul aux Athéniens, cf. Act. 17, 22-30. 269 L’expression est un écho de Gen. 2, 7. 270 L’influence des astres a fait l’objet de considérations d’ordre physique ou moral chez les philosophes et les Pères de l’Église. L’astrologie a été l’enjeu de nombreux débats dans lesquels Lactance refuse de s’engager en subordonnant le destin astral à la puissance divine, cf. B. Bakhouche, L’astrologie à Rome, Louvain/Paris, 2002, p. 107-165. 271 C’est-à-dire la sagesse. 272 Virtutis sacramento religauit est le calque d’une expression empruntée à la langue militaire pour désigner la prestation de serment. Le terme sacramentum a été largement adopté par les chrétiens pour évoquer l’engagement moral et spirituel lié au baptême, cf. H. Fugier, Recherches sur l’expression du sacré dans la langue latine, Paris, 1963, p. 177-179 ; V. Loi, « Per la storia del vocabolo Sacramentum », Vigiliae christianae 18 (1964), p. 85-107 ; D. Michaelidès, Sacramentum chez Tertullien, Paris, 1970, p. 41-73 et 79-135. En outre, pour Lactance (Inst. IV, 28, 2), le substantif religio est étymologiquement lié à religare, ce qui renforce ici l’idée de lien religieux. La métaphore militaire appliquée à l’engagement religieux apparaissait déjà au premier chapitre, cf. 1, 9 : nomen dederis et note ad loc. Sur cette addition au c. 19, cf. introduction p. 87-94. 273 Aduersarius désigne le diable de même que le uexator de la phrase suivante, cf. supra c. 1, 7 ; notes ad loc. et Inst. VI, 23, 4. 274 Avant toute espèce de création. La même idée est exprimée dans l’une des additions aux Institutions Divines, cf. Inst. II, 8, 3 et II, 8, 6 bis. 2. 275 Le terme diuersitas renvoie chez Lactance à la coexistence du bien et du mal dans le monde, thème qui sera largement exploité dans les Institutions, cf. Lact. Inst. II, 17, 1 ; III, 29, 13-16 et VI, 7, 3. Seule la révélation permet à l’homme de comprendre que la corrélation ontologique du bien et du mal est un effet de la volonté divine, cf. note suivante. 276 (Reuelauit) mundi arcanum, c’est-à-dire la raison pour laquelle le monde a été créé et les principes qui ont présidé à sa création. Cette vérité est un mystère que l’homme ne peut élucider sans la révélation divine. Le thème d’une vérité réservée aux élus est fréquent dans la littérature hermétique (cf. Asclepius 1, 7, 22-23 et introduction p. 92-94), mais aussi dans les textes bibliques (cf. Col. 1, 26-27). Quant au substantif arcarnum, bien que ses occurrences soient très nombreuses dans la littérature classique, Lactance est un des premiers auteurs à le christianiser, alors que ses prédécesseurs tendaient à l’éviter en raison de ses liens avec la religion traditionnelle : synonyme de sacramentum et de mysterium, arcanum renvoie chez Lactance au caractère impénétrable des plans divins, cf. Lact. Inst. I, 1, 5 ; Ep. 62, 4 ; 8-9 ; Ir. I, 8-9. L’idée d’une révélation réservée aux élus (cf. Lact. Inst. VII, 26, 9-10) évoque la « discipline de l’arcane », qui est fondée sur la connaissance des Saintes Écritures (cf. Lact. Inst. IV, 10, 19 ; IV, 15, 30 ; IV, 20, 1 ; VII, 14, 7 ; VII, 15, 1 ; VII, 22, 4) et implique une séparation entre païens et fidèles initiés, ces derniers se devant de protéger les arcana Dei de la curiosité profane (cf. Lact. Inst. VII, 26, 9-10). Sur la valeur religieuse du substantif arcanum chez Lactance, cf. V. Loi, « Il termine arcanum e la ‘disciplina dell’arcano’ nelle testimonianze di Lattanzio », Annali della Facoltà di Lettere Filosofia e Magistero dell’Università di Cagliari 37 (1974-1975), p. 71-81. 277 Passage altéré à cause d’une lacune d’une vingtaine de lettres, pour laquelle S. Brandt (a.c. p. 62) propose la conjecture , que nous avons adoptée. De son côté, E. Heck
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propose la conjecture , adoptée par M. Perrin (Opif. tome 2, p. 412-413). 278 La nécessité du combat pour la survie de la vertu est un thème central de l’œuvre de Lactance, cf. C. Lo Cicero, « Il certamen col nemico », Pan 14 (1995), p. 159-168. 279 Cette idée avait déjà été exprimée par Sénèque, Prou. 4, 6 et 12 et reprise par Minucius Felix 36, 8. 280 C’est le thème des deux voies, la vertu et son opposé, qui mènent à la vie ou à la mort éternelles, cf. Lact. Inst. II, 8, 3 ; VI, 7, 3 et V. Loi, Lattanzio, p. 150-151. Les expressions ad immortalem illam beatitudinem et delicato itinere offrent des échos avec le paragraphe 10 du même chapitre. 281 Pour une construction analogue, cf. Inst. II, 8, 7. 282 Corpusculum est un diminutif à valeur fortement dépréciative. Le terme receptaculum, appliqué plus haut à l’estomac et aux vésicules séminales (cf. supra c. 11, 2 ; 12, 2 et notes ad loc.), sert ici, comme chez Cicéron (cf. Tusc. I, 52) et chez Sénèque (cf. Ep. 92, 34), à désigner le corps, en tant que vaisseau de l’âme, conformément à la terminologie platonicienne du Timée (cf. Tim. 49A ; 51A). Il relaie l’expression uas fictile, employée supra 1, 11 (cf. note ad loc.). La probabilité d’une influence cicéronienne est élevée car les deux substantifs receptaculum et uas sont également associés dans le passage cicéronien pour évoquer les relations âmes/corps. 283 Même idée en Inst. II, 1, 4 : il y a en l’homme plus qu’il ne le paraît. 284 Nous adoptons la traduction suggérée par P. Nautin, « Les additions du manuscrit de Bologne au De opificio Dei de Lactance », art. cit., p. 288. W. Kissel, « Eine falsche Verstanden Laktanz-stelle (Opif. 19-10) », Vigiliae Christianae 27 (1973), p. 123-128 a en effet démontré que les adjectifs tener et delicatus n’avaient pas de valeur comparative et que quam devait se comprendre comme un relatif ayant pour antécédent uita. 285 Sur le status rectus, cf. supra 8, 1-2 et notes ad loc. 286 Sur la structure de cette dernière phrase, cf. introduction p. 98-99. 287 Cf. supra 1, 1. De même que l’apostrophe au destinataire marquait le début du traité, elle en souligne ici la fin. 288 Cf. introduction p. 19-20 et supra. 1, 1. Allusion à la Grande Persécution de Dioclétien et aux circonstances de l’écriture, qui obligent l’auteur chrétien à voiler son propos. 289 Annonce des Institutions divines, que Lactance commencera effectivement à rédiger à Nicomédie deux ans plus tard, en 305. 290 La périphrase uera philosophia, jugée crypto-chrétienne et polémique, désigne le christianisme qui, par opposition à la philosophie classique, détient la vérité, cf. introduction p. 37-42 et infra c. 20, 2. 291 Allusion à la HMEJ[RM ZE sceptique, qui constituait déjà chez Cicéron un argument en faveur du doute néo-académicien, cf. D’Onofrio G., « Il parricidio di Cicerone », art. cit., p. 222223 : la dissensio philosophorum met en évidence les limites de la philosophie classique et devient un argument en faveur de la révélation chrétienne. 292 Même topos de l’audace qu’en 1, 14 en opposition au thème de l’auto-dépréciation, cf. infra § 8 : tenuis in nobis facundiae riuus. 293 Lactance fait-il allusion ici, comme le pense M. Perrin, Lact. Opif., tome 2, p. 423, aux procès perdus par Cicéron ou bien aux débats entre philosophes ? Le terme indocti pourrait en effet renvoyer aux épicuriens et ineloquentes aux stoïciens, cf. S. Luciani, « Explicare quod homo disertissimus paene omisit intactum : présence de Cicéron dans le De opificio Dei », art. cit., p. 33-50. Quoi qu’il en soit, Lactance prend ici ses distances par rapport à l’éloquence des
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sapientes et doctos et principes, qui s’oppose à la simplicité littéraire des Écritures, cf. Lact. Inst. V, 1, 15-16. La valorisation des indocti et des ineloquentes constitue en outre un thème biblique, cf., par exemple, Matth. 11, 25-27 ; Luc 10, 21 ; Act. 4, 13 ; I Cor. 1 (citation de Is. 29, 14) ; 2 ; 3, 18-19.
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Aristoteles : 12, 6. Cicero (Tullius) : 1, 12 ; 5, 6 ; 20, 5. Epicurus : 2, 10 ; 6, 1, 7, 10, 15 ; 8, 13 ; 18, 2. Demetrianus : 1, 1 ; 20, 1. Lucretius : 6, 1 ; 8, 12 ; 19, 3.
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Plato : 3, 19 ; 16, 12. Prometheus : 1, 11. Scipio : 1, 13. Vergilius : 8, 8 ; 18, 11. Varro : 5, 6 ; 8, 6 ; 10, 1, 16 ; 12, 6, 17 ; 14, 3 ; 17, 5.
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Acies, ei : 8, 10 ; 9, 2, 3 ; 10, 3, 4, 10. Adulescentia, ae : 4, 11. Aduersarius, ii : 1, 7 ; 19bis, 1. Aegritudo, inis : 4, 3. Aer, is : 3, 1, 20 ; 8, 10 ; 11, 4, 5, 14 ; 15, 1 ; 17, 5, 6, 7. Aetas, atis : 3, 5 ; 4, 3, 9, 12, 18. Aeternus, a, um : 2, 9 ; 17, 1. Ala, ae : 5, 3. Amentia, ae : 2, 10 ; 3, 21. Anima, ae : 4, 14 ; 11, 3, 5 ; 14, 8, 9 ; 17, 1, 2, 3, 4, 5, 7, 9 ; 18, 1, 2, 3 ; 19, 1, 2, 3, 4, 5 ; 19bis, 4, 5. Animal, alis : 2, 6, 7, 9 ; 3, 1, 9, 13, 15, 20 ; 4, 2, 19 ; 5, 1, 4, 13 ; 6, 1, 2, 6, 7, 12 ; 7, 6, 7 ; 8, 2, 4 ; 10, 26 ; 12, 2, 11, 17 ; 14, 6 ; 17, 7. Animans, antis : 2, 2 ; 5, 2, 6 ; 6, 1, 4, 11 ; 7, 5 ; 8, 3 ; 10, 26 ; 18, 9. Animus, i : 1, 5, 10, 11 ; 2, 9 ; 4, 24 ; 9, 2, 3 ; 10, 13 ; 12, 12, 13 ; 14, 8 ; 16, 9, 11, 14, 16 ; 17, 2 ; 18, 1, 2, 3 ; 19, 3. Architectus, i : 6, 5. Artifex, icis : 1, 11 ; 2, 1 ; 8, 8 ; 10, 5, 10, 22 ; 11, 2 ; 13, 6 ; 14, 9 ; 15, 3 ; 16, 17. Arx, arcis : 8, 3 ; 16, 4. Atomus, i : 6, 2, 12. Auditor, oris : 1, 2. Auditus, us : 8, 8 ; 10, 10 ; 11, 13. Auis, is : 3, 7, 9, 20 ; 6, 11 ; 10, 15 ; 12, 7. Auris, is : 6, 8, 12 ; 7, 5, 10 ; 8, 6, 8, 13 ; 10, 10 ; 14, 7.
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Belua, ae : 5, 12. Beneficium, ii : 3, 18 ; 19, 6. Bipes, edis : 8, 2. Caelestis, e : 1, 15 ; 8, 2 ; 16, 9 ; 19, 3, 8 ; 20, 7, 9. Caelum, i : 1, 4 ; 3, 16 ; 4, 6 ; 8, 2, 5 ; 10, 26 ; 16, 6, 9 ; 17, 6. Caput, itis : 5, 1, 2, 6, 13 ; 7, 4, 5, 9 ; 8, 3, 14 ; 10, 10 ; 12, 7 ; 16, 5, 6, 11. Carina, ae : 5, 4, 6. Caro, carnis : 8, 13 ; 10, 23, 25 ; 13, 3 ; 19, 9, 10. Cartilago, inis : 5, 9 ; 8, 8 ; 10, 6. Cerebrum, i : 9, 4 ; 10, 7, 10 ; 11, 8 ; 16, 4, 5, 8, 11. Cibus, i : 3, 7 ; 4, 10 ; 5, 1 ; 6, 1 ; 10, 16, 18, 20 ; 11, 1, 2, 5, 6, 15, 16, 19, 20 ; 12, 18 ; 14, 5. Cicatrix, icis : 8, 13. Ciuitas, atis : 1, 9. Condicio, onis : 2, 6 ; 3, 2, 3, 4, 6, 11, 13, 20 ; 4, 4, 8, 9, 11, 12, 17 ; 12, 15. Conditor, oris : 1, 11. Conluctator, oris : 1, 7. Contemplatio, onis : 8, 2 ; 18, 3. Corporalis, e : 2, 9 ; 4, 7 ; 11, 6. Corpus, oris : 1, 10, 11, 16 ; 2, 8, 9, 10 ; 3, 7, 14, 15, 17, 18, 20 ; 4, 6, 7, 8, 14, 24 ; 5, 1, 2, 4, 7, 8 ; 6, 4, 7 ; 7, 1, 6, 7 ; 8, 1, 2, 3 ; 10, 9, 11 ; 11, 1, 3, 4, 5, 15, 16 ; 12, 2, 3, 4, 8, 11, 12, 14, 18 ; 13, 3, 4, 6 ; 14, 1, 9 ; 16, 3, 4, 6, 10, 12, 13,
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14, 15 ; 17, 4, 5, 7, 9 ; 18, 5, 6, 8 ; 19, 2, 4, 5, 6. Cura, ae : 1, 13 ; 3, 6. Decorus, a, um : 8, 7 ; 10, 21. Decus, oris : 2, 8 ; 7, 10, 11 ; 10, 10, 21, 27 ; 12, 12, 14. Deus, i : 1, 11, 15 ; 2, 1 ; 3, 4, 11, 14, 18, 20 ; 4, 1, 2, 7, 10 ; 5, 1, 13 ; 6, 6 ; 7, 1, 3 ; 8, 2, 3, 4, 8 ; 10, 1, 7, 17, 26 ; 11, 16 ; 12, 15 ; 13, 2 ; 15, 3, 5 ; 16, 6, 10, 11 ; 17, 4 ; 18, 9, 11 ; 19, 3, 4, 5, 7, 8 ; 19bis, 1, 3, 4 ; 19, 9. Dispositio, onis : 6, 14 ; 7, 3. Dissoluo, ere : 4, 2 ; 9, 4. Dissolutio, onis : 4, 2. Doctrina, ae : 1, 1 ; 20, 1. Dominus, i : 1, 10 ; 16, 4. Ebrius, a, um : 9, 1, 2, 4. Eloquor, i : 2, 6 ; 10, 12. Error, oris : 9, 1, 5 ; 19bis, 4 ; 20, 3, 8. Facies, ei : 8, 5, 15 ; 12, 13. Fallo, ere : 9, 1, 5 ; 10, 20 ; 17, 5 ; 18, 3. Falsus, a, um : 9, 1, 5 ; 14, 8 ; 15, 1 ; 17, 6, 9 ; 18, 3, 8, 11. Fera, ae : 5, 2 ; 6, 11 ; 14, 6. Fingo, ere : 1, 11 ; 2, 7, 9 ; 4, 7 ; 5, 1 ; 6, 4 ; 8, 7 ; 10, 22, 26 ; 11, 3 ; 12, 7. Firmitas, atis : 3, 11, 12, 17, 20 ; 4, 17 ; 5, 7 ; 8, 8. Firmus, a, um : 3, 16 ; 4, 5, 17 ; 13, 3; 16, 14. Foramen, inis : 8, 6, 7, 13 ; 10, 8. Forma, ae : 5, 1, 4 ; 8, 7 ; 10, 23 ; 12, 12. Fortis, e : 2, 3 ; 3, 10 ; 4, 19 ; 12, 18. Fortitudo, inis : 3, 20 ; 10, 21. Fortuitus, a, um : 2, 10 ; 4, 13 ; 6, 12.
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Fragilis, e : 3, 1, 9, 12, 16 ; 4, 6, 7, 22. Fragilitas, atis : 3, 2, 12 ; 4, 2, 5, 16, 18. Frons, frontis : 5, 13 ; 7, 10 ; 8, 6. Furiosus, a, um : 9, 1. Furor, oris : 9, 4. Genero, are : 2, 1, 5 ; 6, 1, 3, 11, 13 ; 12, 11 ; 19, 1, 3. Genus, eris : 2, 3, 5 ; 3, 2 ; 5, 3, 12 ; 6, 13, 14 ; 7, 2, 6, 8 ; 11, 3 ; 12, 13, 15 ; 14, 9 ; 19bis, 1. Globus, i : 8, 4 ; 14, 4. Habitus, us : 7, 3 ; 8, 1 ; 10, 10, 26. Homo, inis : 1, 7, 11, 14, 15 ; 2, 1, 6, 7, 9 ; 3, 1, 2, 5, 6, 8, 9, 12, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20 ; 4, 1, 3, 5, 6, 7, 9, 10, 12, 18, 20, 21, 22, 24 ; 5, 2, 8, 12 ; 6, 11 ; 7, 8, 9 ; 8, 1, 2, 3 ; 9, 4 ; 10, 15, 26 ; 11, 3, 5, 11 ; 12, 6 ; 13, 2, 6 ; 14, 8 ; 15, 5 ; 16, 14, 16 ; 18, 9 ; 19, 4, 5, 6, 8 ; 19bis, 1, 3 ; 19, 9 ; 20, 9. Humanus, a, um : 2, 9 ; 3, 2, 7, 11, 12 ; 4, 13 ; 12, 4 ; 14, 6 ; 16, 10. Humus, i : 8, 2 ; 13, 8. Ignis, is : 8, 5 ; 17, 2, 4 ; 18, 4. Imago, inis : 7, 3 ; 8, 9, 10 ; 12, 8 ; 18, 4, 6, 8. Inbecillus, a, um : 2, 4 ; 3, 1, 5, 10, 16 ; 4, 19, 21 ; 12, 12. Inbecillitas, atis : 3, 5, 11. Indumentum, i : 3, 1 ; 7, 8 ; 13, 1. Ineptio, ire : 6, 9. Ineptus, a, um : 3, 10 ; 6, 9 ; 8, 12 ; 19, 7. Inermis, e : 2, 6, 7 ; 3, 1. Infirmitas, atis : 4, 8, 17. Infirmus, a, um : 3, 2, 10, 15 ; 4, 6. Ingenium, ii : 1, 1, 12 ; 2, 6 ; 3, 13.
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Inmortalis, e : 2, 9 ; 4, 4, 10, 11 ; 17, 1 ; 19bis, 3. Inmortalitas, atis : 4, 11, 12 ; 8, 2. Inops, opis : 3, 2. Inrationabilis, e : 3, 12. Insanio, ire : 2, 11. Insanus, a, um : 3, 18 ; 9, 2, 4 ; 18, 3. Integer, gra, grum : 9, 5 ; 15, 6 ; 16, 13. Intellegentia, ae : 1, 11 ; 2, 1 ; 3, 7 ; 12, 1 ; 15, 5 ; 16, 3. Intentio, onis : 8, 10 ; 9, 2, 3 ; 16, 13 ; 18, 6. Labor, oris : 1, 3 ; 3, 6, 7, 10 ; 7, 1 ; 20, 9. Laqueus, i : 1, 7. Lex, legis : 1, 13 ; 6, 14 ; 19, 4. Lingua, ae : 1, 2 ; 3, 20 ; 7, 5 ; 10, 13, 16, 17, 20 ; 11, 11, 12, 13. Maiestas, atis : 3, 4. Manus, us : 1, 15 ; 3, 20 ; 5, 2, 3, 10, 11, 12 ; 7, 8 ; 10, 10, 22, 24, 25 ; 13, 6, 7 ; 16, 17, 18 ; 19bis, 3. Mater, matris : 3, 2, 6 ; 12, 6 ; 19, 1. Materia, ae : 1, 12 ; 4, 6, 23 ; 10, 20 ; 17, 3, 6 ; 19, 4. Membrana, ae : 8, 9, 10 ; 10, 3, 10 ; 11, 20 ; 14, 2. Membrum, i : 1, 16 ; 5, 1, 10, 13 ; 6, 4, 8, 10, 13, 14 ; 7, 2, 3, 5, 7 ; 8, 1, 5, 15 ; 10, 7, 9 ; 11, 2, 8, 15, 16 ; 12, 11, 13 ; 13, 1, 3 ; 16, 3, 5, 12, 14, 15, 18 ; 18, 5. Mens, mentis : 1, 4, 5, 7, 10 ; 4, 14 ; 5, 1; 6, 1 ; 7, 1 ; 8, 3, 5, 10, 11, 12, 14, 17 ; 9, 2, 3, 4, 5 ; 10, 2 ; 12, 4, 14 ; 16, 1, 2, 3, 6, 7, 9, 10, 11, 12, 13, 16, 18; 18, 3, 4, 6, 7, 8 Medulla, ae : 5, 8 ; 12, 4 ; 16, 11. Morbus, i : 4, 1, 2, 3, 5, 8, 9, 15, 16, 17, 22 ; 11, 13.
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Morior, i : 4, 3, 4, 10, 11 ; 17, 8. Mors, mortis : 4, 1, 2, 3, 4, 5, 7, 8, 9, 11, 15, 17, 18, 22 ; 16, 15 ; 18, 3, 8 ; 19bis, 4. Mortalis, e : 4, 7, 11, 12 ; 16, 10 ; 19, 3. Mortalitas, atis : 4, 11, 12 ; 12, 15.. Mundus, i : 2, 10, 11 ; 6, 1 ; 10, 11 ; 16, 4, 10 ; 19bis, 2. Munimentum, i : 2, 3, 4, 9 ; 3, 13 ; 10, 4. Munus, eris : 1, 14 ; 3, 14 ; 10, 13 ; 14, 9 ; 19, 5, 8 ; 20, 7. Mutus, a, um : 2, 7 ; 3, 2, 12, 16, 17 ; 8, 4 ; 10, 16, 26 ; 11, 11, 13 ; 16, 17. Nascor, i : 2, 10 ; 3, 1, 5, 10, 16, 19, 20 ; 4, 1, 9, 10, 13, 14, 22 ; 5, 2 ; 6, 1, 3, 8, 10, 11, 12 ; 8, 13 ; 12, 17 ; 19, 2, 4, 6. Natura, ae : 1, 13, 15 ; 2, 6, 10 ; 3, 2, 6, 10, 11, 13, 14, 16, 17, 19 ; 4, 2, 8 ; 6, 11 ; 11, 13, 20 ; 12, 12, 14 ; 16, 1, 12 ; 17, 1 ; 19, 3 ; 19bis, 3. Naturalis, e : 2, 3, 8 ; 3, 1, 13 ; 8, 5. Necessitas, atis : 1, 1, 2, 4 ; 4, 12, 14 ; 5, 1 ; 17, 7 ; 20, 1. Neruus, i : 4, 5 ; 5, 6, 8 ; 7, 1 ; 9, 4 ; 10, 21 ; 16, 13, 14, 17. Nudus, a, um : 2, 6, 7 ; 3, 1 ; 4, 22 ; 7, 8, 9 ; 8, 7 ; 10, 18. Nutus, us : 1, 10 ; 7, 1. Oblectamentum, i : 1, 6. Obscurus, a, um : 1, 15, 16 ; 9, 1 ; 11, 10 ; 13, 9 ; 14, 8 ; 16, 3 ; 17, 6 ; 20, 1. Oculus, i : 1, 7, 15 ; 4, 24 ; 6, 8, 10, 12 ; 7, 5 ; 8, 6, 9, 10, 11, 12, 13 ; 9, 1, 2, 3, 4, 5 ; 10, 1, 2, 4, 5, 26 ; 12, 7 ; 14, 7 ; 18, 7. Officium, ii : 1, 12, 16 ; 3, 20 ; 6, 8, 11 ; 8, 9, 10 ; 10, 7, 12, 16 ; 13, 3 ; 14, 5, 6, 9 ; 18, 2 ; 20, 9.
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INDEX RERUM
Opus, operis : 1, 4, 9 ; 3, 5, 14 ; 4, 10, 23 ; 5, 5 ; 6, 6 ; 7, 11 ; 10, 1, 10 ; 11, 1, 16 ; 12, 6 ; 13, 2, 6, 7 ; 14, 9 ; 16, 2 ; 19, 4, 7 ; 20, 7. Opera, ae : 2, 10. Opifex, icis : 3, 18 ; 7, 7. Orbis, is : 5, 10 ; 7, 9 ; 8, 4, 6, 9, 13, 15, 16, 17 ; 10, 27. Ordo, inis : 1, 9 ; 4, 20, 23 ; 5, 3 ; 6, 13, 14 ; 7, 3 ; 10, 2, 23 ; 13, 7. Origo, inis : 2, 10 ; 4, 13 ; 8, 2, 3. Os, oris : 2, 4 ; 5, 13 ; 7, 5 ; 8, 7 ; 10, 7, 12 ; 11, 5, 6, 9, 10, 12, 14 ; 15, 2, 3 ; 17, 5, 7. Os, ossis : 4, 5 ; 5, 4, 5, 7 ; 7, 1, 5 ; 8, 8 ; 10, 18 ; 11, 7 ; 13, 3. Pabulum, i : 8, 2 ; 10, 18. Parens, tis : 1, 9 ; 2, 1 ; 3, 10 ; 12, 11 ; 19, 4. Pars, partis : 1, 16 ; 5, 1, 5, 8, 10 ; 7, 5, 7, 9, 10 ; 8, 5, 6, 9, 16 ; 10, 5, 6, 9, 10, 20 ; 11, 19, 20 ; 12, 3, 5, 10, 12, 13 ; 13, 3 ; 16, 3, 10, 12, 14, 15 ; 17, 8 ; 18, 1, 10. Pecus, udis : 3, 6, 11, 12, 20 ; 5, 2. Pes, pedis : 1, 8 ; 2, 4 ; 3, 1 ; 5, 1, 2, 3 ; 6, 8 ; 7, 4, 6 ; 9, 4 ; 10, 10 ; 13, 4, 5, 6, 8. Philosophus, i : 1, 2, 15 ; 2, 10 ; 8, 10 ; 15, 1, 6 ; 16, 1 ; 17, 2, 7 ; 20, 2. Piscis, is : 6, 11. Poeta, ae : 1, 11 ; 18, 2. Praeceptor, oris : 1, 1. Prosperus, a, um : 1, 9. Prouidentia, ae : 1, 11, 16 ; 2, 10 ; 4, 1, 13, 14, 15, 23, 24 ; 5, 13 ; 6, 2, 12, 15 ; 8, 16. Prouideo, ere : 2, 2 ; 4, 2 ; 6, 4, 6 ; 10, 5 ; 11, 2 ; 13, 2. Prouisio, onis : 1, 7. Prudentia, ae : 1, 8.
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Pulchritudo, inis : 2, 7, 9 ; 7, 2, 9 ; 8, 6, 8 ; 10, 25 ; 11, 1 ; 13, 3. Pupilla, ae ; 8, 16. Purus, a, um : 8, 16 ; 9, 5. Queror, i : 3, 1, 18 ; 4, 1, 8, 10 ; 13, 2. Radius, ii : 8, 10. Ratio, onis : 1, 10, 11, 15, 16 ; 2, 1, 6 ; 3, 5, 7, 12, 13, 14, 17 ; 4, 2, 4, 12, 14, 17, 20, 22 ; 5, 13 ; 6, 1, 2, 3, 7, 14 ; 7, 8, 11 ; 8, 1, 3, 4, 16, 17 ; 9, 5 ; 10, 7, 10, 20, 22, 24, 26 ; 11, 6, 10, 18 ; 12, 13 ; 13, 1, 2, 3, 6, 9 ; 14, 1, 8 ; 15, 1, 5 ; 16, 1, 3, 4, 8, 11, 14, 15 ; 17, 1, 3, 6 ; 18, 2, 9 ; 19, 3, 4 ; 19bis, 3 ; 19, 9, 10. Rationalis, e : 2, 2. Refuto, are : 6, 9. Rego, ere : 1, 10 ; 2, 10 ; 16, 10.. Robur, oris : 3, 5, 20 ; 4, 3, 4, 19, 20 ; 7, 11 ; 10, 21 ; 12, 14, 16. Rotunditas, atis : 8, 4. Sanguis, is : 2, 5 ; 4, 5 ; 7, 2 ; 8, 13 ; 10, 11 ; 12, 6 ; 14, 4 ; 16, 11 ; 17, 2, 3, 9. Sanus, a, um : 3, 20 ; 9, 2. Sapiens, entis : 1, 2 ; 12, 17 ; 19, 6 ; 20, 8. Sapientia, ae : 1, 2 ; 2, 6 ; 3, 11 ; 4, 16, 22 ; 10, 11, 22 ; 12, 6 ; 19, 6. Secta, ae : 1, 2. Semen, inis : 4, 13 ; 12, 3, 4, 6, 8, 12, 13 ; 19, 3. Sensus, us : 1, 11, 15 ; 2, 1 ; 5, 6, 9 ; 8, 9, 16 ; 9, 1, 5 ; 10, 20 ; 12, 1 ; 14, 6 ; 15, 5 ; 16, 3, 5, 9, 11, 12, 15 ; 17, 4 ; 18, 2, 5 ; 19, 4. Senectus, utis : 4, 9, 11, 17. Senex, senis : 4, 11 ; 10, 14. Sentio, ire : 2, 6, 7 ; 3, 20 ; 10, 10, 20 ; 14, 7, 8 ; 16, 2, 5, 13, 18 ; 17, 9 ; 18, 1, 2 ; 19, 3.
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INDEX RERUM
Seruio, ire : 1, 10 ; 3, 18 ; 6, 11 ; 8, 2 ; 19, 10. Sobrius, a, um : 9, 2. Species, ei : 2, 8 ; 5, 1, 3 ; 6, 1 ; 7, 6, 10 ; 8, 6, 13 ; 10, 4, 7, 12, 22, 25 ; 13, 6, 7 ; 18, 7. Speciosus, a, um : 2, 8 ; 5, 11 ; 13, 8. Spiritus, us : 3, 9 ; 10, 7 ; 11, 3, 4, 7, 8, 12, 14 ; 15, 1, 2, 4 ; 17, 4, 9 ; 19bis, 1. Status, us : 1, 5 ; 8, 3 ; 19, 10 ; 20, 2. Stirps, stirpis : 2, 5 ; 12, 12. Stultus, a, um : 4, 8 ; 19, 6. Stultitia, ae : 6, 1. Tempus, oris : 1, 2 ; 3, 1 ; 4, 6, 10, 12 ; 7, 10 ; 8, 11 ; 16, 9 ; 20, 1, 7. Terra, ae : 1, 6 ; 4, 6 ; 5, 13 ; 8, 2, 3 ; 10, 26 ; 11, 1, 9 ; 16, 9 ; 19, 10. Terrenus, a, um : 1, 15 ; 4, 7 ; 8, 2 ; 11, 1 ; 19, 4, 6. Tutela, ae : 2, 4. Vanitas, atis : 6, 2 ; 9, 1. Vas, uasis : 1, 11 ; 4, 24 ; 8, 7. Vasculum, i : 5, 2 ; 8, 7. Vena, ae : 7, 2 ; 8, 13 ; 12, 2, 4. Venter, tris : 7, 4 ; 8, 2 ; 10, 16, 27 ; 11, 5, 17. Veritas, atis : 6, 12 ; 19bis, 2, 5 ; 20, 2, 4, 5, 6. Vertibulum, i : 5, 8. Vinum, i : 9, 4.
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Virtus, utis : 1, 9, 11 ; 2, 6 ; 8, 16 ; 12, 16 ; 19, 8 ; 19bis, 2, 3, 4 ; 19, 10. Vis : 1, 16 ; 2, 2, 3 ; 3, 15, 16, 17, 18 ; 4, 16, 19 ; 9, 4 ; 10, 16, 24 ; 12, 16, 18 ; 14, 1 ; 16, 10, 11, 13 ; 19bis, 2 ; 19, 9 ; 20, 3, 5. Viscus, eris : 4, 5 ; 5, 5 ; 7, 2 ; 11, 1, 3 ; 14, 4, 8, 9 ; 16, 12, 13, 17, 7. Visus, us : 8, 15, 17 ; 9, 2 ; 10, 10. Vita, ae : 1, 2 ; 2, 2 ; 3, 1, 2 ; 4, 2, 21 ; 6, 4, 6 ; 11, 4 ; 12, 6 ; 18, 2 ; 19, 8 ; 19bis, 4 ; 19, 10 ; 20, 2, 8. Vitalis, e : 7, 2 ; 11, 2, 4. Vitium, ii : 1, 2 ; 2, 11 ; 16, 15 ; 19bis, 4. Viuo, ere : 1, 2 ; 4, 21 ; 6, 6 ; 7, 6 ; 12, 15 ; 16, 16 ; 17, 5, 7, 9 ; 18, 1, 2 ; 19, 5 ; 20, 8, 9. Viuus, a, um : 10, 11 ; 16, 9, 12 ; 18, 2. Vmor, oris : 7, 2 ; 8, 16 ; 10, 3 ; 11, 15, 18, 20 ; 12, 2, 18 ; 14, 3 ; 17, 3 ; 19, 4. Voluntas, atis : 1, 13 ; 8, 12. Vox, uocis : 8, 6, 7, 8 ; 10, 13 ; 11, 11, 12, 13 ; 12, 12, 13 ; 15, 1, 2, 3, 4. Vsus, us : 1, 16 ; 3, 9, 20 ; 5, 2, 3 ; 6, 8, 10, 13, 14 ; 8, 8, 12, 13 ; 10, 6, 10, 12, 24 ; 11, 18 ; 13, 7 ; 14, 6. Vtilitas, atis : 2, 8 ; 7, 6 ; 8, 1 ; 10, 10, 22 ; 11, 1 ; 14, 2 ; 20, 8. Vulnus, eris : 8, 13 ; 17, 3. Vultus, us : 8, 3 ; 12, 13.
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